|
AVANT-PROPOS
DE LA VINGTIEME EDITION
de la “Douloureuse Passion”
Près de trente ans
se sont écoulés depuis que la traduction de la Douloureuse Passion a été
publiée pour la première fois. Il fallait alors quelque hardiesse pour
mettre un pareil livre sous les yeux des lecteurs français, car, à cette
époque, les bons chrétiens eux-mêmes, pour la plupart, n'admettaient que
fort difficilement l'ordre de phénomènes surnaturels auquel se
rattachent les visions d'Anne Catherine Emmerich, parce que les saints
contemplatifs, si nombreux de tout temps dans l'Église catholique, ne
leur étaient guère connus que par des biographies sèches et écourtées,
où le côté miraculeux était presque entièrement laissé dans l'ombre. Il
résultait de là que beaucoup de fidèles rejetaient à peu près, en lait
de surnaturel, tout ce qui n'était pas article de foi, se faisant
presque rationalistes, à force de vouloir être raisonnables. Les choses
ont bien changé depuis, grâce à Dieu, et le présent livre a peut-être eu
sa petite part dans ce changement, car, accueilli, dés le début, avec
une bienveillance inespérée, il ne tarda pas à devenir très populaire
parmi les personnes de piété. Le traducteur qui, à raison des
dispositions signalées plus haut, ne s'attendait guère à rencontrer chez
ses lecteurs une faveur si marquée, s'était attaché à choquer le moins
possible les susceptibilités de l'esprit français : c'est pourquoi, dans
la première édition, il avait omis un assez grand nombre de passages qui
lui semblaient devoir nuire à l'impression totale du livre. Il avait, en
outre, abrégé quelques descriptions ou quelques récits, de peur qu'ils
ne parussent trop longs ou trop surcharges de détails oiseux. Le succès
lui ayant montré qu'il n'y avait pas lieu d'être si timoré, il avait
rétabli, dans les éditions suivantes, la plupart des passages retranchés
: toutefois, il avait laissé subsister encore quelques suppressions,
dont deux ou trois seulement avaient quelque importance et dépassaient
un petit nombre de lignes. Quoique la traduction ainsi amendée ait eu un
succès plus qu'ordinaire, comme le prouvent les nombreuses éditions qui
en ont été laites, quelques personnes ont exprime le regret qu'elle ne
reproduisait pas littéralement tout ce qui se trouve dans l'œuvre du
pieux secrétaire d'Anne Catherine Emmerich, et qu'on pût lut contester
encore le titre de traduction intégrale Bien qu'il lui manquât peu de
chose pour mériter ce nom, et que les omissions, comme on l'a déjà vu,
ne fussent ni nombreuses ni importantes, le traducteur, sensible à ce
reproche, a voulu y faire droit et il a revu son travail de la première
à la dernière ligne Cette fois du moins, on ne pourra l'accuser d'avoir
rien retranché ni rien omis : ceux qui prendront la peine de comparer sa
version au texte original, pourront se convaincre que celui-ci y est
reproduit aussi exactement que possible, et que s'il s'y rencontre
encore des infidélités, ce sont de celles dont la meilleure volonté du
monde ne préserve pas à elle toute seule Quoi qu'il en soit, le
traducteur n'a épargné ni le temps ni la peine pour mener son oeuvre à
bien, et, s'il n'a pas mieux fait, c'est qu'il n'était pas capable de
mieux faire.
PRÉFACE DU TRADUCTEUR
Celui qui écrit
ceci parcourait l'Allemagne. Ce livre lui tomba sous la main ; il le
trouva beau et édifiant. Nulle étrangeté de forme ou de pensée ; aucune
trace de nouveauté ; rien qui ne fut simple de cœur et de langage, et
qui ne respirât la soumission la plus entière à l'Église. Et en même
temps Jamais paraphrase des récits évangéliques ne fut à la fois plus
vive et plus saisissante. On a cru qu'un livre ayant ces qualités
méritait d'être connu de ce côté du Rhin, et qu'il n'était pas
impossible de le goûter tel qu'il est, sans s'inquiéter de la
singularité de son origine.
Le traducteur
toutefois ne s'est point dissimulé que cette publication s'adresse avant
tout à des chrétiens, c'est-à-dire à des hommes qui ont le droit de se
montrer rigoureux, exigeants même sur ce qui touche d'aussi prés des
laits qui sont de foi pour eux. Il sait que saint Bonaventure et
beaucoup d'autres, en paraphrasant l'histoire évangélique, ont mêlé des
détails purement traditionnels à ceux qui sont consignés dans le teste
sacré ; mais il n'a point été pleinement rassuré par ces exemples. Saint
Bonaventure n'a prétendu être que paraphraste : il y a ici, ce me
semble, quelque chose de plus.
Bien que la pieuse
fille ait elle-même donné le nom de rêves à tout ceci ; bien que celui
qui a rédigé ses récits repousse comme un blasphème l'idée de donner en
quelque sorte l'équivalent d'un cinquième Évangile. Il est clair que les
confesseurs qui ont exhorté la sœur Emmerich à raconter ce qu'elle
voyait, que le poète célèbre qui a passé quatre ans prés d'elle, assidu
à recueillir ses paroles, que les évêques allemands qui ont encouragé la
publication de son livre, ont vu là autre chose qu'une paraphrase.
Quelques explications sont nécessaires à cet égard.
Beaucoup
d'ouvrages de Saints nous font entrer dans un monde très extraordinaire,
et, si je l'ose dire, tout miraculeux. Il y a eu de tout temps des
révélations sur le passé, le présent, l'avenir, ou même sur les choses
tout à fait inaccessibles à la pensée humaine. On incline dans ce siècle
à expliquer tout cela par un état maladif, par des hallucinations.
L'Église, elle, au témoignage de ses docteurs les plus approuvés,
reconnaît trois extases : l'une purement naturelle, dont une certains
affection physique et une certaine disposition de l'imagination font
tous les frais ; l'autre divins ou angélique, venant de communications
méritées avec le monde supérieur ; une troisième, enfin, produite par
l'action infernale
.
Pour ne pas faire un livre au lieu d'une préface, nous ne nous livrerons
à aucun développement sur cette doctrine, qui nous parait très
philosophique, et sans laquelle on ne peut donner d'explications
satisfaisantes sur l'âme humaine et ses diverses modifications.
L'Église, au
reste, indique les moyens de reconnaître quel est l'esprit qui produit
ces extases, conformément au mot de saint Jean : Probate spiritus, si
ex Deo sunt. Les faits examinés suivant certaines règles, il y a eu
de tout temps un triage fait par elle. Nombre de personnes ayant été
habituellement dans l'état d'extase ont été canonisées, et leurs livres
approuvés.
Mais cette
approbation s'est bornée, en général, à déclarer que ces livres
n'avaient rien de contraire à la foi et qu'ils étaient propres à nourrir
la piété. Car l'Église n'est fondée que sur la parole de Jésus-Christ,
sur la révélation faite aux apôtres Tout ce qui a pu être révélé depuis
à des Saints n'a qu'une valeur contingente contestable même, l'Église
ayant cela d'admirable qu'avec son inflexible unité dans le dogme, elle
laisse à l'esprit, en tout le reste, une grande liberté. Ainsi, l'on
peut croire aux révélations particulières, surtout lorsque ceux qui en
ont été favorisés ont été élevés par l'Église au rang des Saints qu'elle
vénère par un culte public ; mais on peut aussi tout contester, même en
ce cas, sans sortir des limites de l'orthodoxie. C'est alors à la raison
à discuter et à choisir.
Quant à la règle
de discernement entre le bon esprit et l'esprit mauvais, elle n'est
autre selon tous les théologiens que celle de l'Évangile : A
fructibus eorum cognoscetiseos. Il tant éprouver d'abord si la
personne qui dit avoir des révélations se défie de ce qui se passe en
elle ; si elle préféra une voie plus commune ; si, loin de se vanter des
grâces extraordinaires qu'elle reçoit, elle s'applique à les cacher et
ne les fait connaître que par obéissance ; si elle va toujours croissant
en humilité, en mortification, en charité. Puis, allant au fond des
révélations elles-mêmes, il faut voir si elles n'ont rien de contraire à
la foi ; si elles sont conformes à l'Écriture et aux traditions
apostoliques, si elles sont racontées dans un esprit particulier ou dans
l'esprit de soumission à l'Église. La lecture de la vie d'Anne Catherine
Emmerich et celle de son livre prouveront qu'elle est parfaitement en
règle à tous égards.
Ce livre a
beaucoup de rapports avec ceux d'un nombre considérable de Saintes ; il
en est de même de la vie d'Anne Catherine, qui présente avec leur vie la
plus frappante ressemblance. On n'a qu'à lire, pour s'en convaincre, ce
qui est raconté de saint François d'Assise, de saint Bernard, de sainte
Brigitte, de sainte Hildegarde, des deux saintes Catherine de Gênes et
de Sienne. de saint Ignace, de saint Jean de la Croix, de sainte
Thérèse, d'une infinité d'autres moins connus. Nous pouvons renvoyer
également aux écrits de ces saints personnages. Cela posé, il est bien
évident qu'en regardant la sœur Emmerich comme animée du bon esprit. On
n'attribue pas à son livre plus de valeur que l'Église n'en accorde à
ceux de ce genre. Ils sont édifiants et peuvent exciter la piété : c'est
là leur objet. Il ne tant point exagérer leur importance en tenant pour
avéré qu'ils viennent de communications proprement divines, laveur si
haute qu'on ne doit y croire qu'avec la circonspection la plus
scrupuleuse.
A ne parler que de
l'écrit que nous publions, nous avouerons sans détour qu'il y a un
argument contre la complète identité de ce qu'on va lire avec ce qu'a pu
dire la pieuse fille : c'est la supériorité d'esprit de celui qui a tenu
la plume à sa place. Certes nous croyons à la bonne foi parfaite de M.
Clément Brentano, parce que nous le connaissons et que nous l'aimons.
D'ailleurs sa piété exemplaire, sa vie séparée du monde où il ne
tiendrait qu'à lui d'être entouré d'hommages, sont une garantie pour
tout esprit impartial. Tel poème qu'il pourrait publier, s'il le
voulait, le placerait définitivement à la tête des poètes de
l'Allemagne, tandis que la position de secrétaire d'une pauvre
visionnaire ne lui a guère valu que des railleries. Nous n'entendons
point affirmer néanmoins qu'en mettant aux entretiens de la sœur
Emmerich l'ordre et la suite qui n'y étaient pas, qu'en y ajoutant son
style, il n'ait pu, comme à son insu, arranger, expliquer, embellir. Il
n'y aurait rien là qui altérât le fond du récit original ; rien qui
inculpât la sincérité de la religieuse, ni celle de l'écrivain.
Le traducteur fait
profession d'être de ceux qui ne comprennent pas qu'on écrive pour
écrire et sans se demander compte des résultats ultérieurs. Le livre,
tel qu'il est, lui a paru tout ensemble un bon livre d'édification et un
beau livre de poésie. Ce n'est pas de la littérature, on le sent assez.
La fille illettrée dont on donne ici les visions, et le chrétien si vrai
qui les a recueillies avec le désintéressement littéraire le plus
absolu, n'en ont jamais eu la pensée. Et pourtant bien peu d'œuvres
d'art, nous le croyons, peuvent produire un effet comparable à celui de
cette lecture. Nous espérons que les gens du monde en seront frappés, au
moins sous ce rapport, et que la vive impression que plusieurs en auront
reçue sera un acheminement à de, sentiments meilleurs et peut-être à des
résultats durables.
Puis nous ne
sommes pas fâché d'appeler un peu d'attention sur tout un ordre de
phénomènes qui a précédé la fondation de l'Église, qui s'est perpétue
depuis presque sans interruption, et qu'un trop grand nombre de
chrétiens est prêt à rejeter absolument, soit par ignorance et par
irréflexion, soit par pur respect humain. Il y a là tout un côté de
l'homme à explorer du point de vue historique, psychologique et
physiologique, et il serait temps que les esprits sérieux y portassent
des regards attentifs et consciencieux.
Aux lecteurs tout
à fait chrétiens, nous devons faire savoir que l'approbation
ecclésiastique n'a point manqué à cette publication. Elle a été préparée
sous les yeux des deux derniers évêques de Ratisbonne, Sailer et
Wittmann. Ces noms sont peu connus en France ; mais, en Allemagne, ils
signifient science, piété fervente, ardente charité, vie dévouée au
maintien et à la propagation de l'orthodoxie catholique. Bien des
ecclésiastiques français ont pensé que la traduction d'un pareil livre
ne pourrait qu'aviver la piété, sans favoriser cette faiblesse d'esprit
qui incline à donner aux révélations particulières plus d'importance en
quelque sorte qu'à la révélation générale, et par suite à mettre des
croyances libres à la place des croyances obligées.
Nous avons la
confiance que personne ne sera blessé de certains détails sur les
outrages soufferts par Jésus-Christ durant sa Passion. On se rappellera
le mot du Prophète Vermis et non homo... opprobrium hominum et
abjectio plebis ; et celui de l'Apôtre : Tentatum per omnia pro
similitudine, absque peccato. Si nous avions besoin d'un exemple,
nous prierions qu'on voulût bien se souvenir de la crudité de langage
avec laquelle Bossuet retrace les mêmes scènes dans le plus admirable de
ses quatre sermons sur la Passion du Sauveur. Il y a d'ailleurs dans les
livres publiés depuis quelques années tant de belles phrases
platoniciennes ou rhétoriciennes sur cette entité abstraite à laquelle
on veut bien donner le nom chrétien de Verbe ou de Logos, qu'il n'y a
pas de mal à montrer l'Homme-Dieu, le Verbe fait chair dans toute la
réalité de sa vie terrestre, de ses humiliations et de ses souffrances.
La vérité, ce semble, n'y perd rien, et l'édification moins encore.
LA DERNIÈRE CÈNE DE
N.-S. JÉSUS-CHRIST
AVANT PROPOS
Celui qui
comparera les Méditations suivantes avec le court récit de la sainte
Cène dans l’Évangile, sera peut-être frappé de quelques légères
différences qui s'y trouvent. Une explication doit être donnée à ce
sujet, bien que cet écrit, on ne le dira jamais trop, n'ait point la
prétention d'ajouter quoi que ce soit à l'Écriture Sainte, telle qu'elle
a été interprétée par l'Église.
La sœur Emmerich a
vu dans l'ordre suivant les circonstances de la Cène : l'agneau pascal
est immolé et préparé dans le Cénacle ; le Seigneur tient un discours à
cette occasion ; les convives mettent des habits de voyage ; ils mangent
debout, à la hâte, l'agneau et les autres mets prescrits par la loi ; on
présente deux fois au Seigneur une coupe de vin, il n'en boit pas la
seconde fois, mais il la distribue à ses apôtres, en disant : “Je ne
boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, etc.” Ils se mettent à
table, Jésus parle du traître ; Pierre craint que ce ne soit lui, Judas
reçoit du Seigneur le morceau de pain qui le désigne ; on s’apprête pour
le lavement des pieds ; dispute entre les apôtres sur la prééminence :
reproches que leur fait Jésus, lavement des pieds ; Pierre ne veut pas
que ses pieds soient lavés ; les pieds de Judas aussi sont lavés ;
institution de l'Eucharistie, Judas communie et quitte la salle ;
consécration des huiles et instruction à ce sujet, ordination de Pierre
et des autres apôtres ; dernier discours du Seigneur ; protestations de
Pierre ; fin de la Cène. En adoptant cet ordre, il semble d'abord que
l'on sa mette en contradiction avec les passages de saint Matthieu
(XXVI, 29), et de saint Marc (XIV, 20) où ces paroles : “Je ne boirai
pas avec vous, etc.”, se trouvent après la consécration, mais dans saint
Luc elles sont auparavant. Au contraire, les paroles relatives au
traître Judas sont ici comme dans saint Matthieu et dans saint Marc,
avant la consécration dans saint Luc elles ne viennent qu'après. Saint
Jean qui ne raconte pas l'institution de l'Eucharistie, fait entendre
que Judas sortit tout de suite après que Jésus lui eut présenté le
pain ; mais il est très vraisemblable, d'après le texte des autres
Évangélistes, que Judas reçut la sainte communion sous les deux espèces,
et plusieurs des Pères, saint Augustin, saint Grégoire le Grand, saint
Léon le Grand, le disent expressément ainsi que la tradition de l'Église
catholique. (Voir dom Ménard, sur le Sacrementaire de Saint Grégoire,
note 266.) D'ailleurs le récit de saint Jean, si l'on prenait à la
lettre l'ordre dans lequel les faits sont présentés, le mettrait en
contradiction non seulement avec saint Matthieu et saint Marc, mais avec
lui-même, car il résulte du verset 10, c. XIII, que Judas aussi eut les
pieds lavés. Or, le lavement des pieds eut lieu, selon lui, après qu'on
eût mangé l'agneau pascal, et ce fut nécessairement pendant qu'on le
mangeait que Jésus présenta le pain au traître. Il est clair que les
Évangélistes, ici comme en d'autres endroits, préoccupés de l'essentiel,
ne se sont point astreints à raconter les détails dans un ordre
rigoureux, ce qui explique suffisamment les contradictions apparentes
qui existent entre eux. Les contemplations suivantes paraîtront, à qui
les lira avec attention, plutôt une concordance simple et naturelle des
Évangiles, qu'un récit différent en quoi que ce soit d'essentiel de
celui de l'Écriture sainte. Quant à ce qui concerne Melchisédech, il ne
faut pas confondre les passages où il est présenté comme un ange, avec
une ancienne hérésie d'après laquelle il est le Christ lui-même ou le
Saint Esprit ou un Éon. Les termes de l'Épître aux Hébreux semblent
désigner un ange, et si la plupart des théologiens, depuis saint Jérôme,
ne les ont pas interprétés dans ce sens, c'est uniquement pour ne pas
donner un prétexte, même éloigné, à cette hérésie.
I. PRÉPARATIFS DE LA PÂQUE
Le jeudi saint, 13
nisan (29 mars).
Jésus étant âgé de
trente-trois ans dix-huit semaines moins un jour.
C'est hier soir
qu'eut lieu le dernier grand repas du Seigneur et de ses amis, dans la
maison de Simon le lépreux, à Béthanie, où Marie-Madeleine répandit pour
la dernière fois des parfums sur Jésus : Judas se scandalisa à cette
occasion ; il courut à Jérusalem, et complota encore avec les princes
des prêtres pour leur livrer Jésus. Après le repas, Jésus revint dans la
maison de Lazare, et une partie des apôtres se dirigea vers l'auberge
située en avant de Béthanie. Dans la nuit, Nicodème vint encore chez
Lazare, et s'entretint longtemps avec le Seigneur ; il retourna à
Jérusalem avant le jour, et Lazare l'accompagna une partie du chemin.
Les disciples
avaient déjà demandé à Jésus où il voulait manger la Pâque. Aujourd'hui,
avant l'aurore, le Seigneur fit venir Pierre, Jacques et Jean : il leur
parla beaucoup de tout ce qu'ils avaient à préparer et à ordonner à
Jérusalem, et leur dit que, lorsqu'ils monteraient à la montagne de
Sion, ils trouveraient l'homme à la cruche d'eau ils connaissaient déjà
cet homme, car, à la dernière Pâque, à Béthanie, c'était lui qui avait
préparé le repas de Jésus ; voilà pourquoi saint Matthieu dit : un
certain homme. Ils devaient le suivre jusqu'à sa maison, et lui dire :
“Le maître vous fait savoir que son temps est proche, et qu'il veut
faire la Pâque chez vous”. Ils devaient ensuite se faire montrer le
Cénacle qui était déjà préparé, et y faire toutes les dispositions
nécessaires.
Je vis les deux
apôtres monter à Jérusalem en suivant un ravin au midi du Temple, vers
le côté septentrional de Sion. Sur le flanc méridional de la montagne du
temple il y avait des rangées de maisons : ils marchaient vis-à-vis ces
maisons an remontant un torrent qui les en séparait Lorsqu'ils eurent
atteint les hauteurs de Sion qui dépassent la montagne du Temple, ils se
dirigèrent vers le midi, st rencontrèrent, au commencement d'une petite
montée, dans le voisinage d'un vieux bâtiment à plusieurs cours, l'homme
qui leur avait été désigné : ils le suivirent et lui dirent ce que Jésus
leur avait ordonné. Il se réjouit fort à cette nouvelle, et leur
répondit qu'un repas avait déjà été commandé chez lui (probablement par
Nicodème), qu'il ne savait pas pour qui, et qu'il était charmé
d'apprendre que c'était pour Jésus. Cet homme était Héli, beau-frère de
Zacharie d'Hébron, dans la maison duquel Jésus, l'année précédente,
avait annoncé la mort de Jean-Baptiste. Il n'avait qu'un fils, lequel
était lévite, et lié d'amitié avec Luc, avant que celui-ci ne fût venu
au Seigneur, et en outre, cinq filles non mariées. Il allait tous les
ans à la fête de Pâques avec ses serviteurs, louait une salle et
préparait la Pâque pour des personnes qui n'avaient pas d'hôte dans la
ville
.
Cette année, il
avait loué un Cénacle, qui appartenait à Nicodème et à Joseph d'Arimathie.
Il en montra aux deux apôtres la situation et la distribution
intérieure.
II. LE CÉNACLE
Sur le côté
méridional de la montagne de Sion, non loin du château ruiné de David et
du marché qui monte vers ce château du côté du levant, se trouve un
ancien et solide bâtiment entre des rangées d'arbres touffus, au milieu
d'une cour spacieuse environnée de bons murs. A droite et à gauche de
l'entrée, on voit dans cette cour d'autres bâtisses attenant au mur,
notamment à droite, la demeure du majordome, et tout auprès, celle où la
sainte Vierge et les saintes femmes se tinrent le plus souvent après la
mort de Jésus. Le Cénacle, autrefois plus spacieux, avait alors servi
d'habitation aux hardis capitaines de David, et ils s'y exerçaient au
maniement des armes. Avant la fondation du Temple, l'arche d'alliance y
avait été déposée assez longtemps, et il y a encore des traces de son
séjour dans un lieu souterrain. J'ai vu aussi le prophète Malachie caché
sous ces mêmes voûtes : il y écrivait ses prophéties sur le saint
Sacrement et le sacrifice de la Nouvelle Alliance. Salomon honora cette
maison, et il y faisait quelque chose de symbolique et de figuratif que
j'ai oublié. Lorsqu'une grande partie de Jérusalem fut détruite par les
Babyloniens, cette maison fut épargnée. J'ai vu bien d'autres choses à
son sujet, mais je n'en ai retenu que ce que je viens de dire.
Cet édifice était
en très mauvais état lorsqu'il devint la propriété de Nicodème et de
Joseph d'Arimathie : ils avaient disposé très commodément le bâtiment
principal, qu’ils louaient pour servir de Cénacle aux étrangers que les
fêtes de Pâques attiraient à Jérusalem. C'est ainsi que le Seigneur s'en
était servi à la dernière Pâque. En outre, la maison et ses dépendances
leur servaient, pendant toute l'année, de magasin pour des pierres
tumulaires et autres, et d'atelier pour leurs ouvriers : car Joseph d'Arimathie
possédait d'excellentes carrières dans sa patrie, et il en faisait venir
des blocs de pierre, dont on faisait sous sa direction des tombes, des
ornements d'architecture et des colonnes qu'on vendait ensuite. Nicodème
prenait part à ce commerce, et lui-même aimait à sculpter dans ses
moments de loisir. Il travaillait dans la salle ou dans un souterrain
qui était au-dessous, excepté à l'époque des fêtes : ce genre
d'occupation l'avait mis en rapport avec Joseph d’Arimathie ; ils
étaient devenus amis et s'étaient souvent associés dans leurs
entreprises.
Ce matin, pendant
que Pierre et Jean, envoyés de Béthanie par Jésus, s'entretenaient avec
l'homme qui avait loué le Cénacle pour cette année, Je vis Nicodème
aller et venir dans les bâtiments à gauche de la cour où l'on avait
transporté beaucoup de pierres qui obstruaient les abords de la salle à
manger. Huit jours auparavant, j'avais vu plusieurs personnes occupées à
mettre des pierres de côté, à nettoyer la cour et à préparer le Cénacle
pour la célébration de la Pâque ; je pense même qu'il y avait parmi
elles des disciples, peut-être Aram et Themeni, les cousins de Joseph
d'Arimathie.
Le Cénacle
proprement dit est à peu près au milieu de la cour, un peu dans le
fond ; c'est un carré long, entouré d'un rang de colonnes peu élevées,
qui, si l'on dégage les intervalles entre les piliers, peut être réuni à
la grande salle intérieure, car tout l'édifice est comme à jour et
repose sur des colonnes et des piliers ; seulement, dans les temps
ordinaires, les passages sont fermés par des entre-deux. La lumière
entre par des ouvertures au haut des murs. Sur le devant, on trouve
d'abord un vestibule, où conduisent trois entrées ; puis on arrive dans
la grande salle intérieure, au plafond de laquelle pendent plusieurs
lampes : les murs sont ornés pour la fête, jusqu'à moitié de Leur
hauteur, de belles nattes ou de tapis, et on a pratique dans le haut une
ouverture, où l'on a étendu comme une gaze bleue transparente.
Le derrière de
cette salle est séparé du reste par un rideau du même genre. Cette
division en trois parties donne au Cénacle une ressemblance avec le
Temple ; on y trouve aussi le parvis, le Saint et le Saint des Saints.
C'est dans cette dernière partie que sont déposés, à droite et à gauche,
les vêtements et les objets nécessaires à la célébration de la fête. Au
milieu est une espèce d'autel. Hors du mur sort un banc de pierre élevé
sur trois marches ; sa forme est celle d'un triangle rectangle dont la
pointe est tronquée ; ce doit être la partie supérieure du fourneau où
l'on fait rôtir l'agneau pascal, car aujourd'hui, pendant le repas, les
marches qui sont autour étaient tout à fait chaudes. Il y a sur le coté
une sortie conduisant dans la salle qui est derrière cette pierre
saillante. C’est là qu'on descend à l'endroit où l'on allume le feu : on
arrive aussi par là à d'autres caveaux voûtés, situés au-dessous de la
salle. L'autel ou la pierre saillante renferme divers compartiments,
comme des caisses ou des tiroirs à coulisse. Il y a aussi en haut des
ouvertures, une espèce de grille en fer, une place pour faire le feu,
une autre pour l'éteindre.
Je ne puis pas
décrire textuellement tout ce qui se trouve là : cela semble être une
espèce de foyer pour faire cuire des pains azymes et d'autres gâteaux
pour la Pâque, ou encore pour brûler des parfums et certains restes du
repas après la fête : c'est comme une cuisine pascale. Au-dessus de ce
foyer ou de cet autel se détache de la muraille une sorte de niche en
bois : plus haut se trouve une ouverture avec une soupape, probablement
pour laisser sortir la fumée. Devant cette niche ou au-dessus je vis
l'image d'un agneau pascal : il avait un couteau dans la gorge et il
semblait que son sang coulât goutte à goutte sur l'autel ; Je ne me
souviens plus bien comment cela était fait. Dans la niche de la
muraille, sont trois armoires de diverses couleurs qu'on fait tourner
comme nos tabernacles pour les ouvrir ou les fermer ; j'y vis toutes
espèces de vases pour la Pâque et des écuelles rondes ; plus tard, le
saint Sacrement y reposa.
Dans les salles
latérales du Cénacle sont des espèces de couches en maçonnerie disposées
en plan incliné, où se trouvent d'épaisses couvertures roulées ensemble,
et où l'on peut passer la nuit. Sous tout l'édifice se trouvent de
belles caves. L'Arche d'alliance fut déposée autrefois au-dessous de
l'endroit même où le foyer a été depuis construit. Sous la maison se
trouvent cinq rigoles, qui conduisent les immondices et les eaux sur la
pente de la montagne car la maison est située sur un point élevé. J'ai
vu précédemment Jésus y guérir et y enseigner : les disciples aussi
passaient souvent la nuit dans les salles latérales.
III. DISPOSITIONS POUR
LE REPAS PASCAL
Lorsque les
apôtres eurent parlé à Héli d'Hébron, celui-ci rentra dans la maison par
la cour : pour eux, ils tournèrent à droite et descendirent au nord à
travers Sion. Ils passèrent un pont et gagnèrent, par un sentier couvert
de broussailles, l'autre côté du ravin qui est en avant du Temple et la
rangée de maisons qui se trouve au sud de cet édifice.
Là était la maison
du vieux Siméon, mort dans le Temple après la présentation du Christ ;
et ses fils, dont quelques-uns étaient secrètement disciples de Jésus, y
logeaient actuellement. Les apôtres parlèrent à l'un d'eux, qui avait un
emploi dans le Temple ; c'était un homme grand et très brun. Ils
allèrent avec lui à l'est du Temple, à travers cette partie d'Ophel par
où Jésus était entré dans Jérusalem, le jour des Rameaux, et gagnèrent
le marché aux bestiaux, situé dans la partie de la ville qui est au nord
du Temple. Je vis dans la partie méridionale de ce marché de petits
enclos où de beaux agneaux sautaient sur le gazon comme dans de petits
jardins. C'étaient les agneaux de la Pâque qu'on achetait là. Je vis le
fils de Siméon entrer dans l'un de ces enclos : les agneaux sautaient
après lui et le poussaient avec leurs têtes comme s'ils l'eussent connu.
Il en choisit quatre, qui furent portés au Cénacle. Je le vis dans
l’après-midi s'occuper, au Cénacle, de la préparation de l’agneau
pascal.
Je vis Pierre et
Jean aller encore dans différents endroits de la ville et commander
divers objets. Je les vis aussi devant une porte, au nord de la montagne
du Calvaire, dans une maison où logeaient la plupart du temps les
disciples de Jésus, et qui appartenait à Séraphia (tel était le nom de
celle qui fut appelée depuis Véronique). Pierre et Jean envoyèrent de là
quelques disciples au Cénacle et les chargèrent de quelques commissions
que j'ai oubliées.
Ils entrèrent
aussi dans la maison de Séraphia, où ils avaient plusieurs arrangements
à prendre. Son mari, membre du conseil, était la plupart du temps hors
de chez lui pour ses affaires, et même lorsqu'il était à la maison, elle
le voyait peu. C'était une femme à peu prés de l'âge de la sainte
Vierge, et depuis longtemps en relation avec la sainte Famille ; car
lorsque Jésus enfant resta à Jérusalem après la fête, c'était par elle
qu'il était nourri. Les deux apôtres prirent là divers objets, qui
furent ensuite portés au Cénacle par des disciples, dans des paniers
couverts. C'est là aussi qu'on leur donna le calice dont le Seigneur se
servit pour l'institution de la sainte Eucharistie.
IV. DU CALICE DE LA SAINTE
CÈNE
Le calice que les
apôtres emportèrent de chez Véronique est un vase merveilleux et
mystérieux. Il était resté longtemps dans le Temple, parmi d'autres
objets précieux d'une haute antiquité dont on avait oublié l'usage et
l'origine. Quelque chose de semblable est arrivé dans l'Église
chrétienne, où bien des objets sacrés, précieux par leur beauté et leur
antiquité, sont tombés dans l'oubli avec le temps. On avait souvent mis
au rebut, vendu, ou fait remettre à neuf de vieux vases et de vieux
bijoux enfouis dans la poussière du Temple. C'est ainsi que, par la
permission de Dieu, ce saint vase, qu'on n'avait jamais pu fondre à
cause de sa matière inconnue, avait été trouvé par les prêtres modernes
dans le trésor du Temple parmi d'autres objets hors d'usage, puis vendu
à des amateurs d'antiquité. Ce calice, acheté par Séraphia avec tout ce
qui s'y rattachait, avait déjà servi plusieurs fois à Jésus pour la
célébration des fêtes et à dater de ce jour, il devint la propriété
constante de la sainte communauté chrétienne. Ce vase n'avait pas
toujours été dans son état actuel : je ne me souviens plus quand on
avait mis ensemble les diverses pièces dont il se composait maintenant,
ni si c'était par l'ordre du Seigneur. Quoi qu'il en soit, on y avait
joint une collection portative d'objets accessoires, qui devaient servir
pour l’Institution de la sainte Eucharistie. Le grand calice était posé
sur un plateau dont on pouvait tirer encore une sorte de tablette, et
autour de lui étaient six petits verres. Je ne me souviens plus si la
tablette contenait des choses saintes. Dans ce grand calice se trouvait
un autre petit vase ; au-dessus un petit plat, puis un couvercle bombé.
Dans la pied du calice était assujettie une cuillère qu'on en tirait
facilement. Tous ces vases étaient recouverts de beaux linges et
renfermés dans une enveloppe en cuir, si je ne me trompe : celle-ci
était surmontée d'un bouton. Le grand calice se compose de la coupe et
du pied qui doit avoir été ajouté plus tard, car ces deux parties sont
d'une matière différente. La coupe présente une masse brunâtre et polie
en forme de poire ; elle est revêtue d'or, et il y a deux petites anses
par où on peut la prendre, car elle est assez pesante. Le pied est d'or
vierge artistement travaillé ; il est orné dans le bas d'un serpent et
d'une petite grappe de raisin, et enrichi de pierres précieuses.
Le grand calice
est resté dans l'église de Jérusalem, auprès de saint Jacques le Mineur,
et je le vois maintenant encore conservé quelque part dans cette ville ;
il reparaîtra au jour, comme il y est reparu cette fois. D'autres
églises se sont partagé les petites coupes qui l'entourent ; l'une
d'elles est allée à Antioche, une autre à Éphèse : chacune des sept
églises a eu la sienne. Elles appartenaient aux patriarches qui y
buvaient un breuvage mystérieux, lorsqu'ils recevaient et donnaient la
bénédiction, ainsi que je l'ai vu plusieurs fois.
Le grand calice
était déjà chez Abraham : Melchisédech l'apporta avec lui du pays de
Sémiramis dans la terre de Chanaan, lorsqu'il commença quelques
établissements au lieu où lut plus tard Jérusalem ; il s'en servit lors
du sacrifice où il offrit le pain et le vin en présence d'Abraham, et il
le laissa à ce patriarche. Ce vase avait été aussi dans l'arche de Noé
.
Voici des hommes,
de beaux hommes qui viennent d'une superbe ville : elle est bâtie à
l'antique ; on y adore ce qu'on veut, on y adore même des poissons. Le
vieux Noé, avec un pieu sur l'épaule, se tient dans le côté de l'arche ;
le bois de construction est rangé tout autour de lui. Non, ce ne sont
pas des hommes : ce doit être quelque chose de plus relevé, tant ils
sont beaux et sereins ; ils apportent à Noé le calice qui, sans doute, a
été égaré quelque part. Je ne sais pas comment s'appelle cet endroit. Il
y a dans le calice une espèce de grain de blé, mais plus gros que les
nôtres ; c'est comme une graine de tournesol ; et il y a aussi une
petite branche de vigne. Ils parlent à Noé de sa grande célébrité ; ils
lui disent de prendre ce calice avec lui, qu'il y a là quelque chose de
mystérieux. voyez, il met le grain de blé et la petite branche de vigne
dans une pomme jeune qu'il place dans la coupe. Il n'y a point de
couvercle au-dessus, car ce qu'il y a mis doit toujours croître en
dehors. Le calice est fait d'après un modèle qui, je crois, est sorti de
terre quelque part, d'une façon merveilleuse. Il y a là un mystère, mais
il est lait sur ce modèle. Ce calice est celui que j'ai vu figurer dans
la grande parabole, à l'endroit où était le buisson ardent. Le grain de
froment s’est développé jusqu'à l'époque de Jésus-Christ.
La Sœur raconta
tout ce qu’il vient d'être dit du calice dans un état d'intuition
tranquille et voyant devant elle tout ce qu'elle décrivait. Souvent elle
semblait lutter contre ce qui se présentait à elle et poussait des
exclamations mouvantes. Pendant son récit relatif à Noé, elle était tout
absorbée dans sa vision. A la fin, elle poussa un cri d’effroi, regarda
autour d'elle et dit : "Ah ! j'ai peur d'être obligée d'entrer dans
l'arche ; je vois Noé, et je croyais que les grandes eaux arrivaient".
Plus tard, étant tout à fait revenue à son état naturel, elle dit :
"Ceux qui ont apporté le calice à Noé portaient de longs vêtements
blancs et ressemblaient aux trois hommes qui vinrent chez Abraham et lui
promirent que Sara enfanterait. Il m'a semblé qu'ils enlevaient de la
ville quelque chose de saint qui ne devait pas être détruit avec elle et
qu'ils le donnaient à Noé. La ville même périt dans le déluge avec tout
ce qu'elle contenait. Le calice fut à Babylone, chez des descendants de
Noé restés fidèles au vrai Dieu, ils étaient tenus en esclavage par
Sémiramis. Melchisédech les conduisit dans la terre de Chanaan et
emporta le calice. Je vis qu'il avait une tente près de Babylone, et
qu'avant de les emmener, il y bénit le pain et le leur distribua, sans
quoi ils n'auraient pas eu force de le suivre. Ces gens avaient un nom
comme Samanéens. Il se servit d'eux et de quelques Chananéens habitant
des cavernes, lorsqu'il commença à bâtir sur les collines sauvages où
fut depuis Jérusalem".
Il fit des
fondations profondes à la place où furent ensuite le Cénacle et le
Temple et aussi vers le Calvaire. Il y planta le blé et la vigne. "Après
le sacrifice de Melchisédec, le Calice resta chez Abraham. Il alla aussi
en Égypte, et Moise en fut possesseur. Il était fait d'une matière
singulière, compacte, comme celle d'une cloche, et qui ne semblait pas
avoir été travaillée comme les métaux, mais être le produit d'une sorte
de végétation. J'ai vu à travers
.
Jésus seul savait ce que c'était”.
V. JÉSUS VA A JÉRUSALEM
Le matin, pendant
que les deux apôtres s'occupaient, à Jérusalem, des préparatifs de la
Pâque, Jésus, qui était resté à Béthanie, fit des adieux touchants aux
saintes femmes, à Lazare et à sa mère, et leur donna encore quelques
instructions. Je vis le Seigneur s'entretenir seul avec sa mère ; il lui
dit, entre autres choses, qu'il avait envoyé Pierre, qui représentait la
foi, et Jean, qui représentait l’amour, pour préparer la Pâque à
Jérusalem. Il dit de Madeleine, dont la douleur la jetait dans une sorte
d'égarement, que son amour était grand, mais encore un peu selon la
chair, et qu'à cause de cela, la douleur la mettait hors d'elle-même. Il
parla aussi des projets du traître Judas, et la sainte Vierge pria pour
lui.
Judas était encore
allé de Béthanie à Jérusalem, sous prétexte de faire des payements et
divers arrangements. Le matin, Jésus s'enquit de lui auprès des neuf
apôtres, quoiqu'il sût très bien ce qu'il faisait. Il courut toute la
journée chez des Pharisiens, et arrangea tout avec eux. On lui fit même
voir les soldats chargés de s'emparer du Sauveur. Il calcula toutes ses
allées et venues de manière à pouvoir expliquer son absence. Il ne
revint vers le Seigneur que peu de temps avant la Cène.
J'ai vu tous ses
complots et toutes ses pensées. Lorsque Jésus parla de lui à Marie, je
vis beaucoup de choses touchant son caractère. Il était actif et
serviable, mais plein d'avarice, d'ambition et d'envie, et il ne luttait
pas contre ses passions. Il avait fait de' miracles et guéri des malades
en l'absence de Jésus. Lorsque le Seigneur annonça à la sainte Vierge ce
qui allait arriver, elle le pria, de la manière la plus touchante, de la
laisser mourir avec lui. Mais il lui recommanda d'être plus calme dans
sa douleur que les autres femmes ; il lui dit aussi qu'il
ressusciterait, et lui indiqua le lieu où il lui apparaîtrait. Elle ne
pleura pas beaucoup, mais elle était profondément triste et plongée dans
un recueillement qui avait quelque chose d'effrayant. Le Seigneur la
remercia, comme un fils pieux, de tout l'amour qu'elle lui avait porté,
et la serra contre son cœur. Il lui dit aussi qu'il ferait
spirituellement la Cène avec elle, et lui désigna l'heure où elle la
recevrait. Il fit encore à tous de touchants adieux et donna des
enseignements sur plusieurs objets.
Jésus et les neuf
apôtres allèrent, vers midi, de Béthanie à Jérusalem ; ils étaient
suivis de sept disciples qui, à l'exception de Nathanael et de Silas,
étaient de Jérusalem et des environs. Parmi eux étaient Jean Marc et le
fils de la pauvre veuve qui le jeudi précédent, avait offert son denier
dans le Temple, pendant que Jésus y enseignait. Jésus l'avait pris avec
lui depuis peu de jours. Les saintes femmes partirent plus tard.
Jésus et sa suite
erraient ça et là autour du mont des Oliviers, dans la vallée de
Josaphat et jusqu'au Calvaire. Tout en marchant, il ne cessait de les
instruire. Il dit, entre autres choses, aux apôtres que jusqu'à présent
il leur avait donné son pain et son vin, mais qu’aujourd’hui il voulait
leur donner sa chair et son sang, qu'il leur laisserait tout ce qu'il
avait. En disant cela, le Seigneur avait une expression si touchante que
toute son âme semblait se répandre au dehors, et qu'il paraissait
languir d'amour dans l'attente du moment où il se donnerait aux hommes.
Ses disciples ne le comprirent pas : ils crurent qu'il s'agissait de
l'agneau pascal. On ne saurait exprimer tout ce qu'il y avait d'amour et
de résignation dans les derniers discours qu'il tint à Béthanie et ici.
Les saintes femmes se rendirent plus tard dans la maison de Marie, mère
de Marc.
Les sept disciples
qui avaient suivi le Seigneur à Jérusalem ne firent point ce chemin avec
lui : ils portèrent au Cénacle les habits de cérémonie pour la Pâque,
les déposèrent et revinrent dans la maison de Marie, mère de Marc.
Lorsque Pierre et Jean vinrent de la maison de Séraphia au Cénacle avec
le calice, tous les habits de cérémonie étaient déjà dans le vestibule,
où ces disciples et quelques autres les avaient apportés. Ils avaient
aussi couvert de tentures les murailles nues de la salle, dégagé les
ouvertures en haut, et apprêté trois lampes suspendues. Pierre et Jean
gagnèrent ensuite la vallée de Josaphat, et appelèrent le Seigneur et
les neuf apôtres. Les disciples et les amis qui devaient faire aussi la
Pâque dans le Cénacle vinrent plus tard.
VI. DERNIÈRE PÂQUE
Jésus et les siens
mangèrent l'agneau pascal dans le Cénacle, divisés en trois troupes de
douze, dont chacun, était présidée par l'un d'eux, faisant office de
père de famille. Jésus prit son repas avec les douze apôtres dans la
salle du Cénacle. Nathanaël le prit avec douze autres disciples dans
l’une des salles latérales, douze autres avaient à leur tête Eliacim,
fils de Cléophas et de Marie d’Héli, et frère de Marie de Cléophas : il
avait été disciple de Jean Baptiste.
Trois agneaux
furent immolés pour eux dans le Temple avec les cérémonies habituelles.
Mais il y avait un quatrième agneau, qui fut immolé dans le Cénacle ;
c'est celui-là que Jésus manges avec les apôtres. Judas ignora cette
circonstance, parce qu'il était occupé de ses complots et n'était pas
revenu lors de l'immolation de l'agneau : il vint très peu d'instants
avant le repas. L’immolation de l'agneau destiné à Jésus et aux apôtres
fut singulièrement touchante : elle eut lieu dans le vestibule du
Cénacle avec le concours d'un fils de Siméon, qui était Lévite. Les
apôtres et les disciples étaient là, chantant les. psaumes. Jésus parla
d'une nouvelle époque qui commençait ; il dit que le sacrifice de Moïse
et la figure de l'agneau pascal allaient trouver leur accomplissement :
mais que, pour cette raison, l’agneau devait être immolé comme il
l’avait été autrefois en Égypte, et qu'ils allaient sortir réellement de
la maison de servitude.
Les vases et les
instruments nécessaires furent apprêtés, an amena un beau petit agneau,
orné d'une couronne qui fut envoyée à la sainte Vierge dans le lieu où
elle se tenait avec les saintes femmes. L’agneau était attaché le des
contre une planche par le milieu du corps, et il me rappela Jésus lié à
la colonne et flagellé. Le fils de Siméon tenait la tête de l'agneau :
Jésus le piqua au cou avec la pointe d’un couteau qu'il donna au fils de
Siméon pour achever l'agneau. Jésus paraissait éprouver de la répugnance
à le blesser ; il le fit rapidement, mais avec beaucoup de gravité. Le
sang fut recueilli dans un bassin et on apporta une branche d’hysope,
que Jésus trempa dans le sang. Ensuite il alla à la porte de la salle,
en peignit de sang les deux poteaux et la serrure, et fixa au-dessus de
la porte la branche teinte de sang. Il lit ensuite une instruction, et
dit, entre autres choses, que l'ange exterminateur passerait outre,
qu’ils devaient adorer en ce lieu sans crainte et sans inquiétude
lorsqu'il aurait été immolé, lui, le véritable agneau pascal ; qu'un
nouveau temps et un nouveau sacrifice allaient commencer, qui dureraient
jusqu'à la fin du monde.
Ils se rendirent
ensuite au bout de la salle, près du foyer où avait été autrefois
l'arche d'alliance : il y avait déjà du feu. Jésus versa le sang sur ce
foyer et le consacra comme autel. Le reste du sang et la graisse furent
jetés dans le feu sous l’autel. Jésus, suivi de ses apôtres, fit ensuite
le tour du Cénacle en chantant des psaumes, et consacra en lui un
nouveau Temple. Toutes les portes étaient fermées pendant ce temps.
Cependant le fils
de Siméon avait entièrement préparé l’agneau. Il l'avait passé dans un
pieu : les jambes de devant étaient sur un morceau de bois placé en
travers : celles de derrière étaient étendues le long du pieu. Hélas !
il ressemblait a Jésus sur la croix, et il fut mis dans le fourneau pour
être rôti avec les trois autres agneaux apportés du temple.
Les agneaux de
Pâque des Juifs étaient tous immolés dans le vestibule du Temple, et
cela en trois endroits : pour les personnes de distinction, pour les
petites gens et pour les étrangers. L'agneau pascal de Jésus ne fut pas
immole dans le Temple : tout le reste fut rigoureusement conforme a la
loi. Jésus tint plus tard un discours à ce sujet, il dit que l'agneau
était simplement une figure, que lui-même devait être, le lendemain,
l'agneau pascal, et d'autres choses que j'ai oubliées.
Lorsque Jésus eut
ainsi enseigné sur l'agneau pascal et sa signification, le temps étant
venu et Judas étant de retour, on prépara les tables. Les convives
mirent les habits de voyage qui se trouvaient dans le vestibule,
d'autres chaussures, une robe blanche semblable à une chemise, et un
manteau, court par devant et plus long par derrière ; ils relevèrent
leurs habits jusqu'à la ceinture, et ils avaient aussi de larges manches
retroussées. Chaque troupe alla à la table qui lui était réservée : les
deux troupes de disciples dans les salles latérales, le Seigneur et les
apôtres dans la salle du Cénacle. Ils prirent des bâtons à la main et
ils se rendirent deux par deux à la table, où ils se tinrent debout à
leurs places, appuyant les bâtons à leurs bras et les mains élevées en
l'air. Mais Jésus, qui se tenait au milieu de la table, avait reçu du
majordome deux petits bâtons un peu recourbés par en haut, semblables à
de courtes houlettes de berger. Il y avait à l'un des côtés un appendice
formant une fourche, comme une branche coupée. Le Seigneur les mit dans
sa ceinture de manière à ce qu'ils se croisassent sur sa poitrine, et en
priant il appuya ses bras étendus en haut sur l'appendice fourchu. Dans
cette attitude, ses mouvements avaient quelque chose de singulièrement
touchant : il semblait que la croix dont il voulait bientôt prendre le
poids sur ses épaules dût auparavant leur servir d'appui. Ils chantèrent
ainsi : "Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël !” ou "Loué soit le
Seigneur", etc. Quand la prière fut finie, Jésus donna un des bâtons à
Pierre et l'autre à Jean. Ils les mirent de côté ou les firent passer de
main en main parmi les saints apôtres. Je ils m'en souviens plus très
exactement.
La table était
étroite et assez haute pour dépasser d'un demi pied les genoux d'un
homme debout ; sa forme était celle d'un fer à cheval ; vis-à-vis de
Jésus, à l'intérieur du demi cercle, était une place libre pour servir
les mets. Autant que je puis m'en souvenir, à la droite de Jésus étaient
Jean, Jacques le Majeur et Jacques le Mineur ; au bout de la table, à
droite, Barthélémy ; puis, en revenant à l'intérieur, Thomas et Judas
Iscariote. A la gauche, Simon, et prés de celui-ci, en revenant,
Matthieu et Philippe.
Au milieu de la
table était l'agneau pascal, dans un plat. Sa tête reposait sur les
pieds de devant, mis en croix ; les pieds de derrière étaient étendus,
le bord du plat était couvert d'ail. A côté se trouvait un plat avec le
rôti de Pâque, puis une assiette avec des légumes verts serrés debout
les uns contre les autres, et une seconds assiette, où se trouvaient de
petits faisceaux d'herbes amères, semblables à des herbes aromatiques ;
puis, encore devant Jésus, un plat avec d'autres herbes d'un vert
jaunâtre, et un autre avec une sauce ou breuvage de couleur brune. Les
convives avaient devant eux des pains ronds en guise d'assiettes ; ils
se servaient de couteaux d'ivoire.
Après la prière,
le majordome plaça devant Jésus, sur la table, le couteau pour découper
l'agneau. Il mit une coupe de vin devant le Seigneur, et remplit six
coupes, dont chacune se trouvait entre les deux apôtres. Jésus bénit le
vin et le but ; les apôtres buvaient deux dans la même coupe. Le
Seigneur découpa l'agneau ; les apôtres présentèrent tour à tour leurs
gâteaux ronds et reçurent chacun leur part. Ils la mangèrent très vite,
en détachant la chair des os au moyen de leurs couteaux d'ivoire ; les
ossements furent ensuite brûlés. Ils mangèrent très vite aussi de l’ail
et des herbes vertes qu'ils trempaient dans la sauce. Ils firent tout
cela debout, s'appuyant seulement un peu sur le dossier de leurs sièges.
Jésus rompit un des pains azymes et en recouvrit une partie : il
distribua le reste. Ils mangèrent ensuite aussi leurs gâteaux. On
apporta encore une coupe de vin mais Jésus n'en but point : Prenez ce
vin, dit-il, et partagez-le entre nous ; car je ne boirai plu, de vin
jusqu’à ce que vienne le royaume de Dieu. Lorsqu'ils eurent bu, ils
chantèrent, puis Jésus pria ou enseigna, et on se lava encore les mains.
Alors ils se placèrent sur leurs sièges. Tout ce qui précède s'était
fait très vite, les convives restant debout. Seulement vers la fin ils
s'étaient un peu appuyés sur les sièges.
Le Seigneur
découpa encore un agneau, qui fut porté aux saintes femmes dans l'un des
bâtiments de la cour où elles prenaient leur repas. Les apôtres
mangèrent encore des légumes et de la laitue avec la sauce. Jésus était
extraordinairement recueilli et serein : je ne l'avais jamais vu ainsi.
Il dit aux apôtres d'oublier tout ce qu'ils pouvaient avoir de soucis.
La sainte Vierge aussi, à la table des femmes, était pleine de sérénité.
Lorsque les autres femmes venaient à elle et la tiraient par son voile
pour lui parler, elle se retournait avec une simplicité qui me touchait
profondément.
Au commencement,
Jésus s'entretint très affectueusement avec ses apôtres, puis il devint
sérieux et mélancolique. “Un de vous me trahira. dit-il, un de vous dont
la main est avec moi à cette table”. Or, Jésus servait de la laitue,
dont il n'y avait qu'un plat, à ceux qui étaient de son côté, et il
avait chargé Judas, qui était à peu près en face de lui, de la
distribuer de l'autre côté. Lorsque Jésus parla d'un traître, ce qui
effraya beaucoup les apôtres, et dit : “un homme dont la main est à la
même table ou au même plat que moi”, cela signifiait : “un des douze qui
mangent et qui boivent avec moi, un de ceux avec lesquels je partage mon
pain”. Il ne désigna donc pas clairement Judas aux autres, car mettre la
main au même plat était une expression indiquant les relations les plus
amicales et les plus intimes. Il voulait pourtant donner un
avertissement à Judas, qui, en ce moment même, mettait réellement la
main dans le même plat que le Sauveur, pour distribuer de la laitue.
Jésus dit encore : “Le Fis de l'homme s’en va, comme il est écrit de
lui ; mais malheur à l'homme par qui le Fils de l'homme sera livré : il
vaudrait mieux pour lui n'être jamais né”.
Les apôtres
étaient tout troublés et lui demandaient tour à tour : “Seigneur, est-ce
moi” ? car tous savaient bien qu'ils ne comprenaient pas entièrement ses
paroles. Pierre se pencha vers Jean par derrière Jésus, et lui fit signe
de demander au Seigneur qui c'était ; car, ayant reçu souvent des
reproches de Jésus, il tremblait qu'il n'eût voulu le désigner. Or, Jean
était à la droits de Jésus et comme tous, s'appuyant sur le bras gauche,
mangeaient de la main droite, sa tête était prés de la poitrine de
Jésus. Il se pencha donc sur son sein et lui dit : “Seigneur, qui
est-ce ?” Alors il fut averti que Jean avait Judas en vue. Je ne vis pas
Jésus prononcer ces mots : “Celui auquel je donne le morceau de pain que
j'ai trempé” ; je ne sais pas s'il le dit tout bas, mais Jean en eut
connaissance lorsque Jésus trempa le morceau de pain entouré de laitue,
et le présenta affectueusement à Judas, qui demanda aussi : “Seigneur,
est-ce moi ?” Jésus le regarda avec amour et lui fit une réponse conçue
en termes généraux. C'était, chez les Juifs, un signe d'amitié et de
confiance. Jésus le fit avec une affection cordiale, pour avertir Judas
sans le dénoncer aux autres. Mais celui-ci était intérieurement plein de
rage. Je vis, pendant tout le repas, une petite figure hideuse assise à
ses pieds, et qui montait quelquefois jusqu'à son cœur. Je ne vis pas
Jean redire à Pierre ce qu’on avait appris de Jésus ; mais il le
tranquillisa d'un regard.
VII. LE LAVEMENT DES PIEDS
Ils se levèrent de
table, et pendant qu'ils arrangeaient leurs vêtements, comme us avaient
coutume de le faire pour la prière solennelle, le majordome entra avec
deux serviteurs pour desservir, enlever la table du milieu des sièges
qui l'environnaient et la mettre de côté. Quand cela fut fait, il reçut
de Jésus l'ordre de faire porter de l'eau dans le vestibule, et il
sortit de la salle avec les serviteurs. Alors Jésus, debout au milieu
des apôtres, leur parla quelque temps d'un ton solennel. Mais j'ai vu et
entendu tant de choses jusqu'à ce moment, qu'il ne m'est pas possible de
rapporter avec certitude le contenu de son discours ; je me souviens
qu'il parla de son royaume, de son retour vers son père, ajoutant
qu'auparavant il leur laisserait tout ce qu'il possédait, etc. Il
enseigna aussi sur la pénitence, l'examen et la confession des fautes,
le repentir et la justification. Je sentis que cette instruction se
rapportait au lavement des pieds, et je vis aussi que tous
reconnaissaient leurs péchés e. s'en repentaient, à l'exception de
Judas. Ce discours fut long et solennel. Lorsqu'il fut terminé, Jésus
envoya Jean et Jacques le Mineur chercher l'eau préparée dans le
vestibule, et dit aux apôtres de ranger les sièges en demi cercle. Il
alla lui-même dans le vestibule, déposa son manteau, se ceignit et mit
un linge autour de son corps. Pendant ce temps, les apôtres échangèrent
quelques paroles, se demandant quel serait le premier parmi eux ; car le
Seigneur leur avait annoncé expressément qu'il allait les quitter et que
son royaume était proche, et l'opinion se fortifiait de nouveau chez eux
qu'il avait une arrière-pensée secrète, et qu'il voulait parler d'un
triomphe terrestre qui éclaterait au dernier moment.
Jésus étant dans
le vestibule, fit prendre à Jean un bassin et à Jacques une outre pleine
d'eau ; puis, le Seigneur ayant versé de l'eau de cette outre dans le
bassin, ordonna aux disciples de le suivre dans la salle où le majordome
avait placé un autre bassin vide plus grand que le premier.
Jésus, entrant
d'une manière si humble, reprocha aux apôtres, en peu de mots, la
discussion qui s'était élevée entre eux ; il leur dit, entre autres
choses, qu'il était lui-même leur serviteur et qu'ils devaient s'asseoir
pour qu'il leur lavât les pieds. Ils s’assirent donc dans le même ordre
que celui où ils étaient placés à la table, les sièges étant ranges en
demi cercle. Jésus allait de l'un à l'autre, et leur versait sur les
pieds, avec la main, de l'eau du bassin que tenait Jean ; il prenait
ensuite l'extrémité du linge qui le ceignait, et il les essuyait. Jean
vidait chaque fois l'eau dont on s'était servi dans le bassin placé au
milieu de la salle, et revenait près du Seigneur avec son bassin. Alors
Jésus faisait, de nouveau, couler l'eau de l'outre que portait Jacques
dans le bassin qui était sous les pieds des apôtres et les essuyait
encore. Le Seigneur qui s'était montré singulièrement affectueux pendant
tout le repas pascal s'acquitta aussi de ces humbles fonctions avec
l’amour le plus touchant. Il ne fit pas cela comme une pure cérémonie,
mais comme un acte par lequel s'exprimait la charité la plus cordiale.
Lorsqu'il vint à
Pierre, celui-ci voulut l'arrêter par humilité et lui dit : “Quoi !
Seigneur, vous me laveriez les pieds !” Le Seigneur lui répondit : “Tu
ne sais pas maintenant ce que je fais, mais tu le sauras par la suite”.
Il me sembla qu'il lui disait en particulier : “Simon, tu as mérité
d'apprendre de mon père qui je suis, d'où je viens et où je vais ; tu
l'as seul expressément confessé : c'est pourquoi je bâtirai sur toi mon
Église, et les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle. Ma
force doit rester prés de tes successeurs jusqu'à la fin du monde”.
Jésus le montra aux autres apôtres, et leur dit que lorsqu'il n'y serait
plus, Pierre devait remplir sa place auprès d'eux. Pierre lui dit :
“Vous ne me laverez jamais les pieds”. Le Seigneur lui répondit : “Si je
ne te lave pas, tu n'auras point de part avec moi”. Alors Pierre lui
dit : “Seigneur, lavez-moi non seulement les pieds, mais encore les
mains et la tête”. Et Jésus lui répondit : “Celui qui a déjà été lavé
n'a plus besoin que de se laver les pieds : il est pur dans tout le
reste. Pour vous aussi vous êtes purs ; mais non pas tous”. Il désignait
Judas par ces paroles. Il avait parlé du lavement des pieds comme d'une
purification des fautes journalières, parce que les pieds, sans cesse en
contact avec la terre, s'y salissent incessamment si l'on manque de
vigilance. Ce lavement des pieds fut spirituel et comme une espèce
d'absolution. Pierre, dans son zèle, n'y vit qu'un abaissement trop
grand de son maître : il ne savait pas que Jésus, pour le sauver,
s'abaisserait le lendemain jusqu'à la mort ignominieuse de la croix.
Lorsque Jésus lava
les pieds à Judas, ce fut de la manière la plus touchante et la plus
affectueuse : il approcha son visage de ses pieds ; il lui dit tout bas
qu'il devait rentrer en lui-même, que depuis un an il était traître et
infidèle. Judas semblait ne vouloir pas s'en apercevoir, et adressait la
parole à Jean ; Pierre s'en irrita et lui dit : “Judas, le Maître te
parle !” Alors Judas dit à Jésus quelque chose de vague, d’évasif,
comme : “Seigneur, à Dieu ne plaise !” Les autres n'avaient point
remarqué que Jésus s'entretint avec Judas, car il parlait assez bas pour
n'être pas entendu d’eux : d’ailleurs ils étaient occupés à remettre
leurs chaussures. Rien de toute la passion n'affligea aussi profondément
le Sauveur que la trahison de Judas.
Jésus lava encore
les pieds de Jean et de Jacques. Jacques s'assit et Pierre tint
l'outre : puis Jean s'assit et Jacques tint le bassin. Il enseigna
ensuite sur l'humilité : il leur dit que celui qui servait les autres
était le plus grand de tous, et qu'ils devaient dorénavant se laver
humblement les pieds les uns aux autres ; il dit encore, touchant leur
discussion sur la prééminence, plusieurs choses qui se trouvent dans
l’Évangile : après quoi il remit ses habits. Les apôtres déployèrent
leurs vêtements qu'ils avaient relevés pour manger l'agneau pascal.
VIII. INSTITUTION
DE LA SAINTE EUCHARISTIE
Sur l'ordre du
Seigneur, le majordome avait de nouveau tressé la table, qu'il avait
quelque peu exhaussée ; il la couvrit d'un tapis sur lequel il étendit
une couverture rouge, et par-dessus celle-ci une couverture blanche
ouvrée à jour. Ayant ensuite replacé la table au milieu de la salle, il
mit dessous une urne pleine d'eau et une autre pleine de vin. Pierre et
Jean allèrent dans la partie de la salle où se trouvait le foyer de
l'agneau pascal pour y prendre le calice qu'ils avaient apporté de chez
Séraphia, et qui était dans son enveloppe. Ils le portèrent entre eux
deux comme s’ils eussent porté un tabernacle, et le placèrent sur la
table devant Jésus. N’y avait là une assiette ovale avec trois pains
azymes blancs et minces, qui étaient rayés de lignes régulières ; il y
avait trois de ces lignes dans la largeur, et chaque pain était à peu
près une fois plus long que large. Ces pains, où Jésus avait déjà fait
de légères incisions pour les rompre plus facilement. turent placés sous
un linge auprès au demi pain déjà mis de côté par Jésus lors du repas
pascal : il y avait aussi un vase d'eau et de vin, et trots boites,
l'une d'huile épaisse, l'autre d'huile liquide, et la troisième vide
avec une cuiller à spatule.
Dès les temps
anciens, on avait coutume de partager le pain et de boire au même calice
à la fin du repas c'était un signe de fraternité et d'amour usité pour
souhaiter la bienvenue et pour prendre congé ; je pense qu'il doit y
avoir quelque chose à ce sujet dans l'Écriture sainte. Jésus,
aujourd'hui, éleva à la dignité du plus saint des sacrements cet usage
qui n'avait été jusqu'alors qu'un rite symbolique et figuratif. Ceci fut
un des griefs portés devant Caïphe par suite de la trahison de Judas :
Jésus fut accusé d'avoir ajouté aux cérémonies de la Pâque quelque chose
de nouveau : mais Nicodème prouva par les Écritures que c'était un
ancien usage.
Jésus était placé
entre Pierre et Jean : les portes étaient fermées, tout se faisait avec
mystère et solennité. Lorsque le calice fut tiré de son enveloppe, Jésus
pria et parla très solennellement. Je vis Jésus leur expliquer la Cène
et toute la cérémonie : cela me fit l'effet d'un prêtre qui enseignerait
aux autres à dire la sainte Messe.
Il retira du
plateau sur lequel se trouvaient les vases une tablette à coulisse, prit
un linge blanc qui couvrait le calice et l'étendit sur le plateau et la
tablette. Je le vis ensuite ôter de dessus le calice une plaque ronde
qu'il plaça sur cette même tablette. Puis il retira les pains azymes de
dessous le linge qui les couvrait, et les mit devant lui sur cette
plaque ou patène. Ces pains, qui avaient la forme d'un carré oblong,
dépassaient des deux cotés la patène, dont les bords cependant étaient
visibles dans le sens de la largeur Ensuite il rapprocha de lui le
calice, en retira un vase plus petit qui s'y trouvait, et plaça à droite
et à gauche les six petits verres dont il était entouré. Alors il bénit
le pain, et aussi les huiles, à ce que je crois : il éleva dans ses deux
mains la patène avec les pains azymes, leva les yeux, pria, offrit,
remit de nouveau la patène sur la table et la recouvrit. Il prit ensuite
le calice, y fit verser le vin par Pierre, et l'eau qu'il bénit
auparavant, par Jean, et y ajouta encore un peu d'eau qu'il versa dans
une petite cuiller : alors il bénit le calice, l'éleva en pliant, en fit
l'offrande et le replaça sur la table.
Jean et Pierre lui
versèrent de l'eau sur les mains au-dessus de l'assiette où les pains
azymes avaient été placés précédemment : il prit avec la cuiller, tirée
du pied du calice, un peu de l'eau qui avait été versée sur ses mains,
et qu'il répandit sur les leurs ; puis l'assiette passa autour de la
table, et tous s'y lavèrent les mains. Je ne me souviens pas si tel fut
l'ordre exact des cérémonies : ce que je sais, c'est que tout me rappela
d'une manière frappante le saint sacrifice de la Messe et me toucha
profondément.
Cependant Jésus
devenait de plus en plus affectueux ; il leur dit qu'il allait leur
donner tout ce qu'il avait, c’est-à-dire lui-même : c'était comme s'il
se fût répandu tout entier dans l'amour. Je le vis devenir transparent ;
il ressemblait à une ombre lumineuse se recueillant dans une ardente
prière, il rompit le pain en plusieurs morceaux, qu'il entassa sur la
patène en forme de pyramide ; puis, du bout des doigts, il prit un peu
du premier morceau, qu'il laissa tomber dans le calice. Au moment où il
faisait cela, il me sembla voir la sainte Vierge recevoir le sacrement
d'une manière spirituelle, quoiqu’elle ne fût point présente là
.
Je ne sais comment cela se fit, mais je crus la voir qui entrait sans
toucher la terre, et venait en face du Seigneur recevoir la sainte
Eucharistie, puis je ne la vis plus, Jésus lui avait dit le matin, à
Béthanie, qu'il célébrerait la Pâque avec elle d'une manière
spirituelle, et il lui avait indiqué l’heure où elle devait se mettre en
prière pour la recevoir en esprit.
Il pria et
enseigna encore : toutes ses paroles sortaient de sa bouche comme du feu
et de la lumière, et entraient dans les apôtres, à l'exception de Judas.
Il prit la patène avec les morceaux de pain – je ne sais plus bien s'il
l'avait placée sur le calice, et dit : “Prenez et mangez, ceci est mon
corps, qui est donné pour vous”. En même temps, il étendit sa main
droite comme pour bénir, et, pendant qu'il faisait cela, une splendeur
sortit de lui ; ses paroles étaient lumineuses : le pain l'était aussi
et se précipitait dans la bouche des apôtres comme un corps brillant :
c'était comme si lui-même fût entré en eux. Je les vis tous pénétrés de
lumière.
Judas seul était
ténébreux. Il présenta d'abord le pain à Pierre, puis à Jean :
ensuite il fit signe à Judas de s'approcher ; celui-ci fut le troisième
auquel il présenta le sacrement, mais ce fut comme si la parole du
Sauveur se détournait de la bouche du traître et revenait à lui. J'étais
tellement troublée, que je ne puis rendre les sentiments que
j'éprouvais. Jésus lui dit : “Fais vite ce que tu veux faire”. Il donna
ensuite le sacrement au reste des apôtres, qui s'approchèrent deux à
deux, tenant tour à tour l'un devant l'autre, un petit voile empesé et
brodé sur les bords qui avait servi à recouvrir le calice.
Jésus éleva le
calice par ses deux anses jusqu'à la hauteur de son visage, et prononça
les paroles de la consécration : pendant qu'il le faisait, il était tout
transfiguré et comme' transparent ; il semblait qu'il passât tout entier
dans ce qu'il allait leur donner. Il fit boire Pierre et Jean dans le
calice qu'il tenait à le main, et le remit sur la table. Jean, à l'aide
de la petite cuiller, versa le sang divin du calice dans les petits
vases, et Pierre les présenta aux apôtres, qui burent deux dans la même
coupe. Je crois, mais sans en être bien sure, que Judas prit aussi sa
part du calice, il ne revint pas à sa place, mais sortit aussitôt du
Cénacle les autres crurent, comme Jésus lui avait fait un signe, qu'il
l'avait charge de quelque affaire. Il se retira sans prier et sans
rendre grâces, et vous pouvez voir par là combien l'on a tort de se
retirer sans actions de grâces après le pain quotidien et après le pain
éternel. Pendant tout le repas, j'avais vu prés de Judas une hideuse
petite figure rouge, qui avait un pied comme un os desséché, et qui
quelquefois montait jusqu’à son cœur ; lorsqu'il fut devant la porte, je
vis trois démons autour de lui : l'un entra dans sa bouche, l'autre le
poussait, le troisième courait devant lui. Il était nuit, et on aurait
cru qu'ils l'éclairaient ; pour lui, il courait comme un insensé.
Le Seigneur versa
dans le petit vase dont J'ai déjà parlé un reste du sang divin qui se
trouvait au fond du calice. puis il plaça ses doigts au-dessus du
calice, et y fit verser encore de l'eau et du vin par Pierre et Jean.
Cela fait, il les fit boire encore dans le calice, et le reste, versé
dans les coupes, fut distribué aux autres apôtres. Ensuite Jésus essuya
le calice, y mit le petit vase où était le reste du sang divin, plaça
au-dessus la patène avec les fragments du pain consacré, puis remit le
couvercle, enveloppa le calice et le replaça au milieu des six petites
coupes. Je vis, après la résurrection, les apôtres communier avec le
reste du saint Sacrement.
Je ne me souviens
pas d'avoir vu que le Seigneur ait lui-même mangé et bu le pain et le
vin consacrés, à moins qu'il ne l'ait fait sans que je m'en sois
aperçue. En donnant l’Eucharistie, il se donna de telle sorte qu'il
m'apparut comme sorti de lui-même et répandu au dehors dans une effusion
d'amour miséricordieux. C'est quelque chose qui ne peut s'exprimer. Je
n'ai pas vu non plus que Melchisédech lorsqu'il offrit le pain et le
vin. y ait goûté lui-même. J'ai su pourquoi les prêtres y participent,
quoique Jésus ne l'ait point fait. Pendant qu'elle parlait, elle regarda
tout à coup autour d'elle comme si elle écoutait. Elle reçut une
explication dont elle ne put communiquer que ceci : “Si les anges
l'avaient distribué, ils n'y auraient point participé ; si les prêtres
n'y participaient pas, l'Eucharistie se serait perdue : c'est par là
qu'elle se conserve”.
Il y eut quelque
chose de très régulier et de très solennel dans les cérémonies dont
Jésus accompagna l'institution de la sainte Eucharistie, quoique ce
fussent en même temps des enseignements et des leçons. Aussi je vis les
apôtres noter ensuite certaines choses sur les petits rouleaux qu'ils
portaient avec eux. Tous ses mouvements à droite et à Fauche étaient
solennels comme toujours lorsqu'il priait. Tout montrait en germe le
saint sacrifice de la Messe. Pendant la cérémonie, je vis les apôtres, à
diverses reprises, s'incliner l'un devant l'autre, comme font nos
prêtres.
IX. INSTRUCTIONS
SECRÈTES
ET CONSPIRATIONS
Jésus fit encore
une instruction secrète. Il leur dit comment ils devaient conserver le
saint Sacrement en mémoire de lui jusqu'à la fin du monde ; il leur
enseigna quelles étaient les formes essentielles pour en faire usage et
le communiquer, et de quelle manière ils devaient, par degrés, enseigner
et publier ce mystère, il leur apprit quand ils devaient manger le reste
des espèces consacrées, quand ils devaient en donner à la sainte Vierge,
et comment ils devaient consacrer eux-mêmes lorsqu'il leur aurait envoyé
le Consolateur. Il leur parla ensuite du sacerdoce, de l'onction, de la
préparation du saint Chrême et des saintes huiles. Il y avait là trois
boites, dont deux contenaient un mélange d'huile et de baume, et qu'on
pouvait mettre l'une sur l'autre, il y avait aussi du coton prés du
calice. Il leur enseigna à ce sujet plusieurs mystères, leur dit comment
il fallait préparer le saint Chrême, à quelles parties du corps il
fallait l'appliquer, et dans quelles occasions. Je me souviens, entre
autres choses, qu'il mentionna un cas où la sainte Eucharistie n'était
plus applicable : peut-être cela se rapportait-il à l'Extrême Onction ;
mes souvenirs sur ce point ne sont pas très clairs. Il parla de diverses
onctions, notamment de celle des rois, et dit que les rois, même
injustes, qui étaient sacrées, tiraient de là une force intérieure et
mystérieuse qui n'était pas donnée aux autres. Il mit de l'onguent et de
l'huile dans la boite vide, et en fit un mélange. Je ne sais pas
positivement si c'est dans ce moment, ou lors de la consécration du
pain, qu'il bénit l'huile.
Je vis ensuite
Jésus oindre Pierre et Jean, sur les mains desquels il avait déjà, lors
de l'institution du saint Sacrement, versé l'eau qui avait coule sur les
siennes, et auxquels il avait donné à boire dans le calice. Puis, du
milieu de la table, s'avançant un peu sur le côté, il leur imposa les
mains, d'abord sur les épaules et ensuite sur la tête.
Note Ce n’est pas
sans étonnement que l’éditeur, quelques années après ces communications,
a lu dans l'édition latine du catéchisme romain (Mayence, chez Muller),
à l’occasion du sacrement de la Confirmation, que, selon la tradition du
saint pape Fabien Jésus-Christ a appris à ses apôtres la préparation du
saint Chrême après l’Institution de l'Eucharistie. Ce pape dit notamment
au 54é paragraphe de sa seconde épître aux évêques d'Orient : « Nos
prédécesseurs ont reçu des apôtres et nous ont enseigné que Notre
Seigneur Jésus-Christ, après avoir fait la Cène avec ses apôtres et leur
avoir lavé les pieds, leur a appris à préparer le saint Chrême ».
Pour eux, ils
joignirent leurs mains et mirent leurs pouces en croix, ils se
courbèrent profondément devant lui, peut-être s'agenouillèrent-ils. Il
leur oignit le pouce et l'index de chaque main, et leur fit une croix
sur la tête avec le Chrême. Il dit aussi que cela leur resterait jusqu'à
la fin du monde. Jacques le Mineur, André, Jacques le Majeur et
Barthélemy reçurent aussi une consécration. Je vis aussi qu'il mit en
croix, sur la poitrine de Pierre, une sorte d’étole qu'on portait autour
du cou, tandis qu'il la passa en sautoir aux autres, de l'épaule droite
au côté gauche. Je ne sais pas bien si ceci se fit lors de l'institution
du saint Sacrement ou seulement lors de l'onction.
Je vis que Jésus
leur communiquait par cette onction quelque chose d’essentiel et de
surnaturel que je ne saurais exprimer. Il leur dit que, lorsqu’ils
auraient reçu le Saint Esprit, ils consacreraient le pain et le vin et
donneraient l'onction aux autres apôtres. Il me fut montré ici qu'au
jour de la Pentecôte, avant le grand baptême, Pierre et Jean imposèrent
les mains aux autres apôtres, et qu'ils les imposèrent à plusieurs
disciples huit jours plus tard. Jean, après la résurrection, administra
pour la première fois le saint Sacrement à la sainte Vierge. Cette
circonstance fut fêtée parmi les apôtres. L'Église n'a plus cette fête ;
mais je la vois célébrer dans l'Église triomphante. Les premiers jours
qui suivirent la Pentecôte, je vis Pierre et Jean seuls consacrer la
sainte Eucharistie ; plus tard, d'autres consacrèrent aussi.
Le Seigneur
consacra encore du feu dans un vase d'airain ; il resta toujours allumé
par la suite, même pendant de longues absences ; il lut conservé à côté
de l'endroit où était déposé le saint Sacrement, dans une partie de
l'ancien foyer pascal, et on l'y alla toujours prendre pour des usages
spirituels. Tout ce que Jésus fit lors de l'institution de la sainte
Eucharistie et de l'onction des apôtres se passa très secrètement, et ne
fut aussi enseigné qu'en secret. L'Église en a conservé l'essentiel en
le développant sous l'inspiration du Saint Esprit pour l'accommoder à
ses besoins. Les apôtres assistèrent le Seigneur lors de la préparation
et de la consécration du saint Chrême, et lorsque Jésus les oignit et
leur imposa les mains, cela se fit d'une façon solennelle.
Pierre et Jean
furent-ils consacrés tous deux comme évêques, ou seulement Pierre comme
évêque et Jean comme prêtre ?
Quelle fut l'élévation en dignité des quatre autres ? C'est ce que je ne
saurais dire. La manière différente dont le Seigneur plaça l'étole des
apôtres semble se rapporter à des degrés différents de consécration.
Quand ces saintes
cérémonies turent terminées, le calice prés duquel se trouvait aussi le
saint Chrême fut recouvert et le saint Sacrement fut porta par Pierre et
Jean dans la derrière de la salle, qui était séparé du reste par un
rideau et qui fut désormais la sanctuaire. Le lieu où reposait le saint
Sacrement n'était pas tort élevé au-dessus du fourneau pascal. Joseph d'Arimathie
et Nicodème prisent soin du sanctuaire et du Cénacle pendant l'absence
des Apôtres.
Jésus fit encore
une longue instruction et pria plusieurs fois. Souvent il semblait
converser avec son Père céleste : il était plein d'enthousiasme et
d'amour. Les apôtres aussi étaient remplis d'allégresse et de zèle, et
lui faisaient différentes questions auxquelles il répondait. Tout cela
doit être en grande partie dans l'Écriture sainte. Il dit à Pierre et à
Jean qui étaient assis la plus près de lui différentes choses qu'ils
devaient communiquer plus tard, comme complément d'enseignements
antérieurs, aux autres apôtres, et ceux-ci aux disciples et aux saintes
femmes, selon la mesure de leur maturité pour de semblables
connaissances. Il eut un entretien particulier avec Jean ; je me
rappelle seulement qu'il lui dit que sa vie serait plus longue que celle
des autres. Il lui parla aussi de sept Églises, de couronnes, d'anges et
lui fit connaître plusieurs figures d'un sens profond et mystérieux qui
désignaient, à ce que je crois, certaines époques. Les autres apôtres
ressentirent, à l'occasion de cette confidence particulière, un léger
mouvement de jalousie.
Il parla aussi de
celui qui le trahissait. “Maintenant il fait ceci ou cela”, disait-il ;
et je voyais, en effet, Judas faire ce qu'il disait. Comme Pierre
assurait avec beaucoup de chaleur qu'il resterait toujours fidèlement
auprès de lui, Jésus lui dit : “Simon, Simon, Satan vous a demandé pour
vous cribler comme du froment ; mais j'ai prié pour toi, afin que la foi
ne défaille point”.
Quand une fois tu
seras converti, confirme tes frères. Comme il disait encore qu'ils ne
pouvaient pas le suivre où il allait, Pierre dit qu'il le suivrait
jusqu'à la mort, et Jésus répondit : “En vérité, avant que le coq n'ait
chanté trois fois, tu me renieras trois fois". Comme il leur annonçait
les temps difficiles qui allaient venir, il leur dit : “Quand je vous ai
envoyés, sans sac, sans bourse, sans souliers, avez-vous manqué de
quelque chose ?” “Non”, répondirent-ils. “Maintenant, reprit-il, ì que
celui qui a un sac et une bourse les prenne. Que celui qui n'a rien
vende sa robe pour acheter une épée, car on va voir l'accomplissement de
cette prophétie : il a été mis au rang des malfaiteurs. Tout ce qui a
été écrit de moi va s'accomplir”. Les apôtres n'entendirent tout ceci
que d'une façon charnelle, et Pierre lui montra deux épées, elles
étaient courtes et larges comme des couperets. Jésus dit : “C'est assez,
sortons d'ici”. Alors ils chantèrent le chant d'actions de grâces, la
table fut mise de côté, et ils allèrent dans le vestibule.
Là, Jésus
rencontra sa mère Marie, fille de Cléophas et Madeleine, qui le
supplièrent instamment de ne pas aller sur le mont des Oliviers ; car le
bruit s'était répandu qu'on voulait s'emparer de lui. Mais Jésus les
consola en peu de paroles et passa rapidement : il pouvait être 9
heures. Ils redescendirent à grands pas le chemin par où Pierre et Jean
étaient venus au Cénacle, et se dirigèrent vers le mont des Oliviers.
J'ai toujours vu
ainsi la Pâque et l'institution de la sainte Eucharistie. Mais mon
émotion était autrefois si grande que mes perceptions ne pouvaient être
bien distinctes : maintenant je l'ai vue avec plus de netteté. C'est une
fatigue et une peine que rien ne peut rendre. On aperçoit l'intérieur
des cœurs, on voit l'amour sincère et cordial du Sauveur, et l'on sait
tout ce qui va arriver. Comment serait-il possible alors d'observer
exactement tout ce qui n'est qu’extérieur : on est plein d'admiration,
de reconnaissance et d'amour : on ne peut comprendre l'aveuglement des
hommes ; on pense avec douleur à l'ingratitude du monde entier et à ses
propres péchés. Le repas pascal de Jésus se fit rapidement, et tout y
fut conforme aux prescriptions légales. Les Pharisiens y ajoutaient ça
et là quelques observances minutieuses.
X. COUP D'ŒIL SUR MELCHISÉDECH
Lorsque
Notre-Seigneur Jésus-Christ prit le calice lors de l'institution de la
sainte Eucharistie, j’eus uns autre vision qui se rapportait à l'Ancien
Testament. Je vis Abraham agenouille devant un autel ; dans le lointain
étaient des guerriers avec des bêtes de somme et des chameaux : un homme
majestueux s'avança prés d'Abraham et plaça sur l'autel le même calice
dont Jésus se servit plus tard. Je vis que cet homme avait comme des
ailes aux épaules ; il ne les avait pas réellement ; mais c'était un
signe pour m'indiquer qu'un ange était devant mes yeux. C'est la
première fois que j'ai vu des ailes à un ange. Ce personnage était
Melchisédech Derrière l'autel d'Abraham, montaient trois nuages de
fumée : celui du milieu s'élevait assez haut ; les autres étaient plus
bas.
Je vis ensuite
deux rangs de figures se terminant à Jésus. David et Salomon s'y
trouvaient. (Était-ce la suite des possesseurs du calice, des
sacrificateurs, ou des ancêtres de Jésus ? la Sœur a oublié de le dire.)
Je vis des noms au-dessus de Melchisédech, d'Abraham et de quelques
rois. Puis je revins à Jésus et au calice.
Le 3 avril 1821,
elle dit, étant en extase : “Le sacrifice de Melchisédech eut lieu dans
la vallée de Josaphat, sur une hauteur
.
Je ne puis maintenant retrouver l'endroit”.
Melchisédech avait
déjà le calice. Je vis qu'Abraham devait savoir d'avance qu'il viendrait
sacrifier ; car il avait élevé un bel autel, au-dessus duquel était
comme une tente de feuillage. Il y avait aussi une sorte de tabernacle
où Melchisédech plaça le calice. Les vases où l'on buvait semblaient
être de pierres précieuses. Il y avait un trou sur l'autel, probablement
pour le sacrifice. Abraham avait amené un superbe troupeau. Lorsque ce
patriarche avait reçu le mystère de la promesse, il lui avait été révélé
que le prêtre du Très-Haut célébrerait devant lui le sacrifice qui
devait être institué par le Messie et durer éternellement. C'est
pourquoi, lorsque Melchisédech fit annoncer son arrivée par deux
coureurs dont il se servait souvent, Abraham l'attendit avec une crainte
respectueuse, et éleva l’autel et la tente de feuillage.
Je vis qu'Abraham
plaça sur l'autel, comme il le faisait toujours en sacrifiant, quelques
ossements d'Adam ; Noé les avait gardés dans l'arche. L'un et l'autre
priaient Dieu d'accomplir la promesse qu'il avait faite à ces os, et qui
n'était autre que le Messie. Abraham désirait vivement la bénédiction de
Melchisédech.
La plaine était
couverte d'hommes, de bêtes de somme et de bagages. Le roi de Sodome
était avec Abraham sous la tante. Melchisédech vint d'un lieu qui fut
depuis Jérusalem ; il y avait abattu une forêt et jeté les fondements de
quelques édifices ; un bâtiment semi-circulaire était à moitié achevé et
un palais était commencé. Il vint avec une bête de somme grise, ce
n'était pas un chameau, ce n'était pas non plus notre âne ; cet animal
avait le cou large et court. Il était très léger à la course, il portait
d'un côté un grand vaisseau plein de vin et de l'autre une caisse où se
trouvaient des pains aplatis et différents vases. Les vases, en forme de
petits tonneaux, étaient transparents comme des pierres précieuses.
Abraham vint à la rencontre de Melchisédech. Je vis celui-ci entrer dans
la tente derrière l'autel, offrir le pain et le vin en les élevant dans
ses mains, les bénir et les distribuer : il y avait dans cette cérémonie
quelque chose de la sainte Messe. Abraham reçut un pain plus blanc que
les autres, et but du calice qui servit ensuite à la Cène de Jésus, et
qui n'avait pas encore de pied. Les plus distingués d'entre les
assistants distribuèrent ensuite au peuple qui les entourait du vin et
des morceaux de pain.
Il n'y eut pas de
consécration : les anges ne peuvent pas consacrer. Mais les oblations
furent bénies, et je les vis reluire. Tous ceux qui en mangèrent furent
fortifiés et élevés vers Dieu, Abraham fut aussi béni par Melchisédech :
je vis que c'était une figure de l'ordination des prêtres. Abraham avait
déjà reçu la promesse que le Messie sortirait de sa chair et de son
sang. Il me fut enseigné. plusieurs fois que Melchisédech lui avait lait
connaître ces paroles prophétiques sur le Messie et son sacrifice : “Le
Seigneur a dit à mon Seigneur, asseyez-vous à ma droite
jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied. Le
Seigneur l'a juré et ne s'en repentira pas. Vous êtes prêtre dans
l'éternité selon l'ordre de Melchisédech”. Je vis aussi que David.
Lorsqu'il écrivit ces paroles, eut une vision de la bénédiction donnée
par Melchisédech à Abraham. Abraham, ayant reçu le pain et le vin,
prophétisa et parla par avance de Moise, des lévites, et de ce que le
premier donna à ceux-ci en partage.
Je ne sais pas si
Abraham offrit aussi lui-même ce sacrifice. Je le vis ensuite donner la
dîme de ses troupeaux et de ses trésors ; j'ignore ce que Melchisédech
en fit ; je crois qu'il la distribua. Melchisédech ne paraissait pas
vieux ; il était svelte, grand, plein d'une douce majesté ; il avait un
long vêtement, plus blanc qu'aucun vêtement que j'aie jamais vu : le
vêtement blanc d'Abraham paraissait terne à côté. Lors du sacrifice. Il
mit une ceinture où étaient brodés quelques caractères, et une coiffure
blanche semblable à celle que portèrent plus tard les prêtres. Sa longue
chevelure était d'un blond clair et brillanta comme de la soie ; il
avait une barbe blanche, courte et pointue, son visage était
resplendissant. Tout le monde le traitait avec respect ; sa présence
répandait partout la vénération et un calme majestueux. Il me fut dit
que c'était un ange sacerdotal et un messager de Dieu. Il était envoyé
pour établir diverses institutions religieuses. Il conduisait les
peuples, déplaçait les races, fondait les villes. Je l'ai vu en divers
lieux avant le temps d'Abraham. Ensuite je ne l'ai plus revu.
È |