
I Sur les ancêtres de
la sainte Vierge.
II Les ancêtres de
sainte Anne. Esséniens.
III La grand mère de sainte Anne consulte le chef des Esséniens. Son
mariage. Sa famille.
IV Naissance de sainte Anne. Son mariage. Sa première fille.
V Joachim et Anne s'établissent à Nazareth. Stérilité de sainte Anne.
Douleur des saints époux. Leur ardent désir de l'accomplissement de la
promesse.
VI Joachim reçoit un
affront au temple.
VII Anne reçoit la promesse de fécondité, et se rend au temple.
VIII Joachim, consolé par l'ange, vient de nouveau sacrifier au temple.
IX
Joachim reçoit la bénédiction de l'Arche d'alliance.
X
Joachim et Anne se rencontrent sous la porte dorée.
XI
Restauration de l'humanité montrée aux anges.
XII
Elie voit une image figurative de la sainte Vierge.
XIII
Eclaircissements sur la précédente vision d'Élie.
XIV Figure prophétique de la Sainte Vierge en Égypte.
XV
L'arbre généalogique du Messie.
XVI
Tableau de la fête de la conception de Marie.
XVII La
sainte Vierge parle des mystères de sa vie.
XVIII
Célébration de la fête de la Conception en divers lieux. Introduction.
Détails personnels.
XIX Les
rois mages fêtent la Conception de Marie.
XX Sur
l'histoire de la fête de la Conception de Marie.
XXI
Naissance de Marie
XXII Joie
dans le ciel et dans les limbes à la naissance de Marie. Mouvement dans
la nature et parmi les hommes.
XXIII
L'enfant reçoit le nom de Marie.
XXIV
Origine de la fête de la Nativité de Marie.
XXV
Prières à faire pour la fête de la Nativité de Marie.
XXVI
Purification de sainte Anne.
XXVII
Présentation de Marie. Préparatifs dans la maison de sainte Anne.
XXVIII
Départ de Marie pour le temple.
XXIX
Départ pour Jérusalem.
XXX
Arrivée à Jérusalem. La ville. Le temple.
XXXI
Entrée de Marie dans le temple et Présentation.
XXXII De
la vie de la sainte Vierge au temple.
XXXIII De
la jeunesse de saint Joseph.
XXXIV
Jean est promis à Zacharie.
XXXV
Fiançailles de la Sainte Vierge.
XXXVI Du
mariage et de l'habit nuptial de Marie et de Joseph.
XXXVII De
l'anneau nuptial de Marie.
XXXVIII
Depuis le retour de Marie jusqu'à l'Annonciation.
XXXIX
Annonciation de Marie.
XL
Visitation de Marie.
XLI Marie
et Joseph en voyage pour visiter Elisabeth.
XLII
Arrivée de Marie et de Joseph chez Elisabeth et Zacharie.
XLIII
Détails personnels à la narratrice.
XLIV
Naissance de Jean. Marie revient à Nazareth. Joseph rassuré par un ange.
XLV
Préparatifs pour la naissance de Jésus-Christ. Départ de la sainte
Famille pour Bethléhem.
XLVI
Voyage de la sainte Famille.
XLVII
Continuation du voyage jusqu'à Bethléhem.
XLVIII
Bethléhem. Arrivée de la sainte Famille.
XLIX
Joseph cherche inutilement un logement. Ils vont à la grotte de la
crèche.
L
Description de la grotte de la Crèche et de ses alentours.
LI La
grotte du tombeau de Maraha, nourrice d'Abraham.
LII La
sainte Famille entre dans la Grotte de la Crèche.
LIII
Naissance du Christ.
LIV
Gloria in excelsis. La naissance du Christ annoncée aux bergers.
LV La
naissance du Christ annoncée en divers lieux.
LVI
Adoration des bergers.
LVII.
Circoncision du Christ. Le nom de Jésus.
LVIII
Elisabeth vient à la Crèche.
LIX
Voyage des trois Rois Mages à Bethléhem.
LX
Bethléhem. La sainte Vierge a le pressentiment de rapproche des trois
Rois.
LXI
Bethléhem. Visite à le Crèche. Caravane des Rois. Ils arrivent dans la
terre promise.
LXII
Bethléhem. Arrivée de sainte Anne. Libéralité de la sainte Famille.
LXIII
Voyage des trois Rois. Leur arrivée à Jérusalem. Hérode consulte les
docteurs de la loi.
LXIV Les
Rois devant Hérode. Conduite de celui-ci et ses motifs.
LXV Les
Saints Rois vont de Jérusalem à Bethléhem. Ils adorent l'Enfant et lui
offrent leurs présents.
LXVI Les
Rois visitent encore la sainte Famille. Hérode leur tend des embûches.
Un Ange les avertit. Ils prennent congé et s'en vont.
LXVIII
Mesures prises par les autorités de Bethléhem contre les Rois. L'accès à
la grotte de la Crèche interdit. Zacharie visite la sainte Famille.
LXVIII La
sainte Famille dans la grotte de Maraha. Joseph sépare l'Enfant Jésus de
Marie pendant quelques heures. Marie, dans son inquiétude, exprime du
lait de son sein. Origine d'un miracle qui s'est perpétué jusqu'à nos
jours.
LXIX
Préparatifs pour le départ de la sainte Famille. Départ de sainte Anne.
Détails personnels à la soeur. Elle reconnaît des reliques venant des
trois Rois.
LXX
Purification de la sainte Vierge.
LXXI Mort
de Siméon.
LXXII
Arrivée de la sainte Famille chez Sainte Anne.
LXXIII
Purification de Marie. Fête de la Chandeleur.
LXXIV La
fuite en Egypte. Introduction.
LXXV
Nazareth. Demeure et occupation de la sainte Famille.
LXXVI
Jérusalem. Préparatifs d'Hérode pour le massacre des enfants.
LXXVII
Détails personnels à la narratrice. Effets de sa prière à l'anniversaire
du massacre des Innocents.
LXXVIII
Nazareth. Vie domestique de le sainte Famille.
LXXIX Un
ange avertit Joseph de s'enfuir. Préparatifs et commencement du voyage.
LXXX La
sainte femme quittent la maison de Joseph. La sainte famille arrive à
Nazara avant le sabbat.
LXXXI Le
térébinthe d'Abraham. La sainte Famille se repose au bord d'une
fontaine, près d'un baumier.
LXXXII
Juttah. Elisabeth s'enfuit dans le désert avec le petit Jean-Baptiste.
LXXXIII
Halte de la sainte Famille dans une grotte. Marie montre à
l'Enfant-Jésus le petit Jean dans le lointain.
LXXXIV
Dernière halte sur le territoire d'Hérode. Détails personnels à la
narratrice.
LXXXV
Lieu inhospitalier. Montagnes. Séjour chez des voleurs. Guérison de
l'enfant lépreux du brigand.
LXXXVI Le
désert. Première ville égyptienne. Habitants malveillants. Longueur du
voyage.
LXXXVII
Plaine de sable. Source qui jaillit à la prière de Marie. Origine du
jardin de baume.
LXXXVIII
Héliopolis ou On. Une idole tombe en avant de la ville. Tumulte qui en
résulte.
LXXXIX
Héliopolis. Habitation de la sainte Famille. Travaux de saint Joseph et
de la sainte Vierge.
XC Sur le
massacre des Innocents par Hérode.
XCI Saint
Jean réfugié de nouveau dans le désert.
XCII
Voyage de la sainte Famille à Mataréa. Sur les Juifs de la terre de
Gessen.
XCIII
Mataréa. Pauvreté du lieu. Oratoire de la sainte Famille.
XCIV
Elisabeth conduit pour la troisième fois le petit saint Jean dans le
désert.
XCV
Hérode fait mourir Zacharie en prison. Elisabeth se retire dans le
désert prés de saint Jean, et y meurt.
XCVI La
fontaine de Mataréa. Job y avait habité avant Abraham. Détails sur ce
patriarche.
XCVII La
fontaine de Mataréa. Séjour que fit Abraham en ce lieu. Détails sur la
fontaine jusque dans les temps chrétiens.
XCVIII
Retour d'Egypte. Un ange avertit Joseph de quitter ce pays. Départ de la
sainte Famille. Séjour de trois mois à Gaza.
MORT DE LA SAINTE VIERGE
I Sur l'âge de Marie. Elle va avec saint Jean à Ephèse. Description du
pays.
II La
maison de Marie à Éphèse.
III
Manière de vivre de Marie. Saint Jean lui donne la sainte Eucharistie.
Chemin de la Croix.
IV Voyage
de Marie Éphèse à Jérusalem. Sa maladie dans cette dernière ville. Bruit
de sa mort et origine du tombeau de la sainte Vierge à Jérusalem.
V Ephèse.
Parents et amies de la sainte Famille vivant dans la colonie chrétienne.
VI La
Sainte Vierge visite pour la dernière fois le chemin de la Croix érigé
par elle.
VII La
sainte Vierge sur son lit de mort. Adieux des femmes.
VIII
Arrivée de deux autres apôtres. L'autel. Boite en forme de croix pour
les objets consacrés.
IX
Arrivée de Simon. Pierre donne la sainte communion à la sainte Vierge.
Etat de Jérusalem à cette époque.
X Service
divin des apôtres. Marie reçoit la sainte communion. Détails personnels.
Le chemin de la Croix de Marie.
XI
Jacques le Majeur arrive avec Philippe et trois disciples. Comment les
apôtres furent convoqués pour assister à la mort de la sainte Vierge.
Leurs voyages et leurs missions.
XII Mort
de le sainte Vierge. Elle reçoit le saint Viatique et l'extrême Onction.
Vision sur l'entrée de son âme dans le ciel.
XIII
Préparatifs de la sépulture de Marie. Ses obsèques.
XIV
Arrivée de Thomas. Visite au tombeau de la sainte Vierge, qu'on trouve
vide. Départ des apôtres. |
I
Sur les ancêtres de la sainte Vierge.
(Communiqué le 27 juin
1819)
Cette nuit, tout ce que
j'avais vu si souvent pendant mon enfance, touchant la vie des ancêtres
de la sainte vierge Marie, s'est présenté devant moi tout à fait de la
même manière, dans une série de tableaux. Si je pouvais raconter tout ce
que je sais et ce que j'ai devant les yeux, cela ferait certainement
grand plaisir au pèlerin 1; moi-même
j'ai été très consolée dans mes souffrances par cette contemplation.
Quand j'étais enfant, j'avais une telle assurance relativement à ces
choses, que si quelqu'un m'en racontait quelques circonstances d'une
autre manière, je lui répondais sans hésiter : " Non, cela est de telle
et telle façon " ; et je me serais fait tuer pour attester que la chose
était ainsi et non autrement. Plus tard, le monde m'a rendue incertaine,
et j'ai gardé le silence ; mais l'assurance intérieure m'est toujours
restée, et, cette nuit, j'ai tout revu jusque dans les plus petits
détails.
NOTE
1 : La soeur veut parler ici de l'écrivain, car elle le voyait
toujours dans ses contemplations sous la figure d'un pèlerin, qui,
suivant qu'il se montrait fidèle ou négligent dans le cours de son
voyage vers la patrie, était béni, secouru, protégé et sauve, ou
bien éprouvait des obstacles et des tentations, s'égarait hors de la
voie, courait des dangers, et même était retenu en captivité. A
cause de ces visions, elle l'appelait le pèlerin. Dans certaines
circonstances, elle voyait les prières et les bonnes oeuvres qu'elle
offrait à Dieu pour ce pèlerin sous la forme d'oeuvres
correspondantes par lesquelles on peut aider les pèlerins, les
prisonniers, les esclaves. Sa direction intérieure avait cela de
particulier, qu'elle n'offrait jamais ses prières pour un seul
homme, pas même pour elle seule, mais toujours pour subvenir a
chacune des misères dont la circonstance qui occasionnait sa prière
pouvait être la représentation ou le symbole. Aussi sommes-nous
persuadés que sa prière, dans le cas dont il s'agit, a procuré des
consolations à de vrais pèlerins et à de vrais captifs. Comme une
pareille manière de prier semble devoir être sympathique à tous les
coeurs chrétiens, vraiment pieux et charitables, nous pensons que le
lecteur bienveillant ne trouvera peut-être pas indiscret le conseil
d'en faire usage à l'occasion.
Dans mon enfance, je
pensais sans cesse à la crèche, à l'enfant Jésus et à la mère de Dieu,
et je m'étonnais souvent qu'on ne me racontât rien de la famille de
cette divine Mère. Je ne pouvais pas comprendre pourquoi on avait si peu
écrit sur ses ancêtres et ses parents. Dans ce grand désir que j'avais
de les mieux connaître, j'eus un grand nombre de visions sur les
ancêtres de la sainte Vierge. Je vis ses ascendants en remontant jusqu'à
la quatrième ou cinquième génération, et je les vis toujours comme des
gens merveilleusement pieux et simples, chez lesquels régnait un désir
secret et tout à fait extraordinaire de l'avènement du Messie promis. Je
voyais toujours ces bonnes gens demeurer parmi d'autres hommes qui, en
comparaison d'eux, me paraissaient pleins de rudesse et comme des
espèces de barbares. Quant à eux, je les voyais si calmes, si doux, si
bienfaisants, que je m'inquiétais Souvent beaucoup pour eux, et que je
me disais à moi-même : " Où pourraient résider ces excellentes gens
s'ils parvenaient à échapper à ces méchants hommes si rudes' Je veux
aller les trouver ; je serai leur servante ; je m'enfuirai avec eux dans
quelque forêt où ils puissent se cacher. Ah ! je les trouverai
certainement ". Je les voyais si distinctement, et je croyais si bien à
leur existence, que j'étais toujours pleine d'inquiétude et de crainte
pour eux.
Je les voyais toujours
mener une vie de renoncement. Je voyais souvent ceux d'entre eux qui
étaient mariés se promettre réciproquement de vivre séparés pendant un
certain temps, et cela me réjouissait beaucoup sans que je puisse bien
dire pourquoi. Ils observaient principalement cette pratique dans le
temps qui précédait certaines cérémonies religieuses, où ils brûlaient
de l'encens et faisaient des prières. Je connus par ces cérémonies qu'il
y avait des prêtres parmi eux. Je les vis plus d'une fois émigrer d'un
lieu à un autre, quitter des biens considérables pour de plus petits,
afin de ne pas être troublés par de méchantes gens dans leur manière de
vivre.
Ils étaient pleins de
ferveur et soupiraient ardemment vers Dieu. Je les voyais souvent,
pendant le jour ou même pendant la nuit, courir dans la solitude en
invoquant Dieu et en criant vers lui avec un désir si violent, qu'ils
déchiraient leurs habits pour mettre leur poitrine à nu, comme si Dieu
eût dû pénétrer dans leur coeur avec les .ayons brûlants du soleil, ou
comme si, avec la lumière de la lune et des étoiles, il eût dû
désaltérer la soif ardente qu'ils avaient de l'accomplissement de la
promesse. J'avais des visions de ce genre dans mon enfance ou mon
adolescence lorsque je priais Dieu toute seule dans le pâturage, auprès
du troupeau, ou lorsque j'étais agenouillée le soir sur les plus hautes
plaines de notre campagne, ou bien encore lorsque, pendant l'Avent,
j'allais à minuit, à travers la neige, à trois quarts de lieue de notre
chaumière, pour assister aux prières du Rorate qui se faisaient à
Coesfeld, dans l'église de Saint Jacques. Le soir d'avant, et aussi
pendant la nuit, je priais ardemment pour les pauvres âmes qui,
peut-être, pour n'avoir pas assez excité en elles-mêmes pendant leur vie
le désir du salut, et pour s'être laissées aller à d'autres penchants
vers les créatures et les biens de ce monde, étaient tombées dans bien
des fautes, et maintenant languissaient de désir et soupiraient après
leur délivrance. J'offrais à Dieu pour elles ma prière et le désir qui
me portait vers le Sauveur comme pour payer leurs dettes. J'avais aussi
à cela un petit intérêt personnel, car je savais que ces pauvres chères
âmes, par reconnaissance et à cause de leur désir perpétuel d'être
aidées par des prières, m'éveilleraient à l'heure voulue et ne me
laisseraient pas dormir au delà. Elles venaient donc, sous la forme de
petites lumières peu éclatantes, qui planaient autour de mon lit et
m'éveillaient tellement à la minute, que je pouvais dire me prière du
matin pour elles ; puis je jetais de l'eau bénite sur elles et sur moi,
je m'habillais, je me mettais en route, et voyais les pauvres petites
lumières m'accompagner rangées comme pour une procession. Alors tout en
marchant, je chantais, le coeur plein de désir : " ciel envoyez votre
rosée, et que les nuées pleuvent le juste " ; et je voyais de nouveau,
dans le désert et dans la plaine, ces ancêtres de la sainte Vierge
courir pleins d'un ardent désir et crier après le Messie. Je faisais
comme eux, et j'arrivais toujours à temps à Coesfeld pour la messe du
Rorate, quoique les chères âmes me fissent souvent faire un grand détour
en me conduisant par toutes les stations du chemin de la Croix.
Quand je voyais ces bons
ancêtres de la sainte Vierge prier ainsi Dieu comme affamés de lui, ils
me paraissaient avoir quelque chose d'étrange dans leur costume et leur.
manières ; et pourtant ils se montraient si distinctement et si près de
moi, qu'encore maintenant j'ai devant les yeux leur contenance et les
traits de leur visage. Je me demandais toujours à moi-même : " Qui sont
ces gens. Tout cela n'est pas comme à présent ; pourtant ces gens sont
là, et tout cela existe ". Puis j'espérais encore aller les trouver. Ces
dignes personnages étaient pleins d'exactitude et de précision dans
leurs actes, leurs paroles et le culte qu'ils rendaient à Dieu, et ils
ne faisaient de plaintes sur rien, si ce n'est sur les souffrances de
leur prochain.
II
Les ancêtres de sainte Anne. Esséniens.
(Communiqué en juillet et
en août 1821.)
J'ai eu une vision
détaillée sur les ancêtres de sainte Anne, mère de la sainte Vierge. Ils
vivaient à Mara, dans les environs du mont Horeb, et ils avaient des
relations d'une nature spirituelle avec une classe de pieux Israélites
sur lesquels j'ai vu beaucoup de choses. Je raconterai ce que j'en sais
encore. Hier, j'ai été presque toute la journée parmi ces gens ; et si
je n'avais pas été dérangée par tant de visites, je n'aurais pas oublié
la plus grande partie de ce qui les concerne.
Ces pieux Israélites, qui
avaient des rapports avec les ancêtres de sainte Anne, s'appelaient
Esséniens ou Esséens. Ils ont eu trois autres noms : on les appela
d'abord Escaréniens, puis Khasidéens, et enfin Esséniens. Le nom d'Escaréniens
venait du mot Escara ou Askara, qui désignait la part du sacrifice
attribuée à Dieu, et aussi la fumée odorante de l'encens dans les
oblations de fleur de farine'.
Ceci fut écrit en août
1821, d'après ce qu'avait dit la soeur. Plus tard, en juin 1810, lorsque
l'écrivain le relut pour le livrer à l'impression, il demanda à un
théologien versé dans la connaissance des langues l'explication du mot
askarah, et il reçut la réponse suivante : Askarah signifie
commémoration, et c'est le nom de la part du sacrifice non sanglant qui
était brûlée par le prêtre, sur l'autel, pour honorer Dieu et lui
rappeler ses promesses de miséricorde. Les sacrifices non sanglants' ou
oblations d'aliments, consistaient ordinairement en fleur de farine de
froment mêlée avec de l'huile et présentée avec de l'encens. Le prêtre
brûlait tout l'encens et une poignée de la farine arrosée d'huile ou de
cette même farine cuite au four ; c'était là l'askarah (Lévit., II, 2,
9, 16). Pour les pains de proposition, l'encens seul était l'askarah
(Lévit., XXIV, 7). Dans le sacrifice pour le péch6, où l'oblation de
fleur de farine se faisait sans huile et sans encens, on ne brûlait
comme askarah qu'une poignée de farine (Lévit., V, 12). Il en était de
même dans le sacrifice de la femme suspecte d'adultère, où l'on offrait
en outre seulement de la farine d'orge (Num., y, 16, 25, 26) Dans ce
dernier passage (Num., V, 15), la Vulgate omet entièrement la traduction
du mot askarah ; dans les autres, elle traduit alternativement memoriale,
in memonam, in monurnentum. La soeur n'a pas dit clairement pourquoi les
Esséniens avaient tiré leur premier nom de cet askarah : toutefois,
quand on se rappelle que les Esséniens ne présentaient pas au temple de
sacrifice sanglant mais envoyaient seulement des offrandes ; que
d'ailleurs, menant une vie de renoncement et de mortification, ils
s'offraient eux-mêmes en sacrifice d'une certaine manière, on est
incliné à penser que ces hommes, qui ne vivaient pas selon la chair, ont
reçu leur nom de l'askarah, la part réservée à Dieu dans le sacrifice
non sanglant de la Mincha, parce que, peut-être, ce que nous ne savons
pas maintenant avec certitude, il ; offraient réellement ce genre de
sacrifice, ou parce qu'à raison de leur manière de vivre, ils étaient à
quelques égards, par rapport aux autres Israélites, ce qu'était l'askarah
par rapport aux autres parties des sacrifices.
Le second nom, celui de
Khasidéens, signifie les miséricordieux. Je ne sais plus d'où vient le
nom d'Esséniens. Cette classe d'hommes pieux remontait au temps de Moise
et d'Aaron, et venait des prêtres qui portaient l'Arche d'alliance ;
mais ce fut dans l'époque qui s'écoula entre Isaie et Jérémie qu'ils
reçurent pour la première fois une règle de vie déterminée. Au
commencement, ils étaient peu nombreux ; dans la suite, ils formèrent
des réunions, qui habitaient dans la terre promise une contrée longue de
quarante-huit lieues sur une largeur de trente-six. Ce ne fut que plus
tard qu'ils vinrent dans la contrée du Jourdain. Ils habitaient
principalement près du mont Horeb et près du mont Carmel, là où Élie
avait séjourné.
A l'époque où vivaient ces
aïeux de sainte Anne dont j'ai parlé, les Esséniens avaient un chef
spirituel, un vieux prophète qui résidait sur le mont Horeb ; il
s'appelait Archos ou Arcas. Leur organisation ressemblait beaucoup à
celle d'un ordre religieux. Ceux qui voulaient être admis parmi eux
devaient subir une épreuve d'un an, et ils étaient admis pour un temps
plus ou moins long, suivant des inspirations prophétiques d'un ordre
supérieur. Les membres proprement dits de l'ordre, qui vivaient en
commun, ne se mariaient pas : ils vivaient dans la continence. Il y
avait aussi des personnes sorties de l'ordre ou qui avaient des liens
avec lui, lesquelles se mariaient et suivaient dans leurs familles,
elles, leurs enfants et leurs domestiques, une règle de vie semblable à
beaucoup d'égards à celle des Esséniens proprement dits. Il y avait
entre elles et ceux-ci des rapports de même nature que ceux qui existent
aujourd'hui entre les laïques du tiers ordre, ceux qu'on appelle les
tertiaires, et les ordres religieux de l'Église catholique ; car ces
Esséniens mariés, dans les circonstances importantes de leur vie,
spécialement lors du mariage de leurs proches, demandaient des
instructions et des conseils au supérieur des Esséniens, au vieux
prophète du mont Horeb. Les aïeux de sainte Anne appartenaient à cette
classe d'Esséniens mariés.
Il y eut aussi plus tard
une troisième espèce d'Esséniens, qui exagérèrent tout et tombèrent dans
de grandes erreurs. J'ai vu que les autres ne les souffraient pas parmi
eux.
Les Esséniens proprement
dits avaient des traditions prophétiques particulières, et leur chef du
mont Horeb recevait souvent la, dans la grotte d'Élie, des révélations
célestes qui se rapportaient à l'avènement du Messie. Il avait
connaissance de la famille dont la mère du Messie devait sortir ; et,
quand il rendait des réponses aux aïeux de sainte Anne, relativement aux
affaires de mariage, il voyait aussi que le jour du Seigneur
s'approchait. Toutefois, il ne savait pas combien de temps encore la
naissance de la mère au Sauveur serait empêchée ou retardée par les
péchés des hommes ; et à cause de cela, il exhortait toujours à la
pénitence, à la mortification, à la prière et au sacrifice intérieur,
actes agréables a Dieu, dont les Esséniens donnaient toujours l'exemple
dans le même but.
Avant qu'Isaïe les eût
rassemblés et leur eût donné une organisation plus régulière, ils
vivaient, chacun de leur côté. En Israélites pieux et adonnés à la
mortification, ils portaient toujours les mêmes habits et ne les
raccommodaient pas jusqu'à ce qu'ils tombassent en lambeaux. Ils
luttaient principalement contre la sensualité et gardaient souvent la
continence d'un commun accord pendant de longs intervalles : ils
vivaient alors séparés de leurs femmes, dans des cabanes très éloignées.
Quand ils vivaient dans les rapports du mariage, c'était seulement dans
le but d'avoir une postérité sainte qui pût contribuer à préparer
l'avènement du Messie. Je les voyais manger à part de leurs femmes :
quand le mari avait quitté la table, la femme venait prendre son repas.
Déjà à cette époque il y avait, parmi les Esséniens mariés, des ancêtres
de sainte Anne et d'autres saints personnages.
Jérémie fut aussi en
rapport avec eux, et ces hommes qu'on appelait enfants des Prophètes
faisaient partie de leur association. Ils habitaient fréquemment dans le
désert, autour des monts Carmel et Horeb : j'en vis aussi plus tard en
Égypte. J'ai vu encore que, par suite d'une guerre, ils furent chassés
pour un temps du mont Horeb, et que de nouveaux chefs les rassemblèrent
postérieurement. Les Machabées furent aussi parmi eux.
Les Esséniens proprement
dits, qui vivaient dans la virginité, étaient d'une pureté et d'une
piété incroyables. Ils recevaient des enfants qu'ils élevaient pour les
prédisposer à une grande sainteté. Pour devenir membre de l'ordre
strict, il fallait avoir quatorze ans. Les gens déjà éprouvés faisaient
une année de noviciat ; d'autres en faisaient deux. Ils n'exerçaient
aucune sorte de trafic, et se contentaient d'échanger les produits de
leurs champs contre les objets qui leur étaient nécessaires.
Je les voyais tous les ans
aller trois fois au temple de Jérusalem. Ils avaient parmi eux des
prêtres chargés particulièrement du soin des vêtements sacrés. Ils les
nettoyaient, levaient des contributions pour leur entretien, et en
préparaient aussi de nouveaux. Je les voyais élever des troupeaux,
labourer la terre, mais surtout s'adonner au jardinage. Entre leurs
cabanes du mont Horeb, il y avait des jardins et des arbres fruitiers.
Je vis plusieurs d'entre eux tisser des étoffes, faire des nattes et
aussi broder des vêtements sacerdotaux.
Ils avaient à Jérusalem un
quartier séparé, et aussi une place à part dans le temple. Les autres
Juifs avaient une sorte d'antipathie pour eux à cause de la sévérité de
leurs moeurs. Je voyais qu'avant de partir pour leur voyage au temple,
ils s'y préparaient toujours par la prière, le jeûne et la pénitence ;
si dans leur voyage, ou à Jérusalem même, ils rencontraient sur le
chemin un malade ou un homme ayant besoin de secours, ils n'allaient pas
au temple qu'ils ne lui eussent donné toute l'aide possible.
Archos ou Arcas, le vieux
prophète du mont Horeb, gouverna les Esséniens quatre-vingt-dix ans. Je
vis la grand-mère de sainte Anne le consulter à l'occasion de son
mariage. Ce qui me parut remarquable, c'est que ces prophètes
annonçaient toujours des enfants du sexe féminin, et que les ancêtres de
sainte Anne et elle-même n'eurent en général que des filles. Il semblait
que le but de leurs prières et de leurs pieuses actions fût d'obtenir de
Dieu une bénédiction pour les pieuses mères desquelles devaient tirer
leur origine la sainte Vierge, mère du Sauveur, et les familles de son
précurseur, de ses serviteurs et de ses disciples.
III
La grand mère de sainte Anne consulte le chef des Esséniens.
Son mariage. Sa famille.
La grand mère d'Anne était
de Mara, dans le désert, où sa famille, qui faisait partie des Esséniens
mariés, avait des propriétés. Son nom était quelque chose comme Morouni
ou Emoroun. Il me fut dit que cela signifiait bonne mère ou mère
auguste'.
NOTE
: Telles sont les paroles d'Anne Catherine Emmerich, dites le 16
août 1821. Les noms sont reproduits comme l'écrivain les lui
entendait prononcer. Il en est de même de l'explication "auguste
mère".
Lorsqu'en mai 1840, ceci fut lu à un hébraïsant : il dit qu'en effet
" emromo" signifiait auguste mère.
La soeur prononçait ce nom, comme tous les autres noms propres avec
l'accent bas-allemand, et souvent en hésitant ; elle ne les donnait
qu'approximativement, et on ne peut affirmer qu'ils soient
reproduits ici bien exactement. Il est d'autant plus surprenant
qu'on trouve ailleurs des noms semblables donnés aux mêmes
personnes.
Il est vrai que les écrivains qui suivent la tradition appellent
ordinairement Emerentia la mère de sainte Anne ; mais ils font aussi
de cette Emerentia la femme de Stolanus, que la soeur Emmerich
appelle Emoroun. La tradition dit qu'Emerentia, femme de Stolanus,
donna naissance à Ismeria, mère de sainte Elisabeth, et à sainte
Anne, mère de la sainte Vierge. Suivant ce qu'a dit la soeur, Anne
ne serait pas la fille, mais la petite-fille de Stolanus. s'il y a
là une erreur de sa part, elle pourrait venir de ce que l'humble
voyante aurait mêlé avec ses propres visions ce qu'elle avait
entendu dire dans sa jeunesse de la tradition relative à l'origine
de sainte Anne. Peut-être le nom d'Emerentia n'est-il que celui d'Emoroun
latinisé Comme elle n'en savait rien ou qu'elle l'avait oublié, et
comme la tradition lui présentait toujours les noms d'Emerentia et
d'Ismeria à côté de celui de Stolinus comme appartenant aux plus
proches parents de sainte Anne avant son mariage, il est possible
qu'elle en ait fait à tort des filles de Stolanus. Il était du reste
très rare, quoiqu'elle mentionnât une si grande quantité de noms
propres, qu'elle confondit les uns avec les autres, même lorsqu'elle
était au dernier degré de maladie et de délaissement. Nous inclinons
pourtant a croire qu'il y a ici quelque erreur, puisque la tradition
dit communément que sainte Elisabeth était nièce de sainte Anne,
tandis que, d'après les communications de la soeur Emmerich, eue
serait nièce de la mère de sainte Anne : car alors, Anne étant
désignée comme un enfant venu après de longues années de mariage,
Elisabeth semblerait devoir être plus âgée que sa cousine.
L'écrivain, n'étant pas en mesure d'expliquer l'erreur qui a pu se
glisser ici, prie le lecteur bienveillant de prendre la chose en
patience, et de compenser par là les fautes que l'écrivain a dû
souvent commettre contre cette vertu chrétienne dans le cours du
travail pénible et souvent troublé auquel il lui a fallu se livrer
pour mettre en ordre ces communications.
Lorsqu'elle fut en âge de
se marier, elle eut plusieurs prétendants, et je les vis aller trouver
le prophète Archos pour qu'il décidât de son choix.
Il annonça à la vierge qui
le consultait qu'elle devait se marier et épouser le sixième de ses
prétendants ; elle devait mettre au monde un enfant marqué d'un certain
signe, lequel devait être un instrument du salut qui était proche.
Emoroun épousa son sixième
prétendant un Essénien qui s'appelait Stolanus. Il n'était pas du pays
de Mara. Il prit à son mariage, et à cause des biens de sa femme, un
autre nom que je ne puis pas bien reproduire : il se prononçait de
différentes manières ; c'était quelque chose comme Garecha ou Sarzirius.
Stolanus et Emoroun eurent
trois filles. Je me souviens des noms d'Ismeria, d'Emerentia, et d'une
autre fille née plus tard, qui s'appelait, je crois, Enoué. Ils ne
restèrent pas longtemps à Mara, mais allèrent postérieurement à Ephron.
Je vis pourtant encore leurs filles Ismeria et Emerentia se marier,
d'après les réponses du prophète du mont Horeb. Je ne comprends pas
comment il se fait que j'aie si souvent entendu dire qu'Emerentia fut la
mère de sainte Anne, car j'ai toujours vu que ce fut Ismeria.
Emerentia épousa un certain
Aphras ou Ophras, qui était Lévite. De ce mariage était issue Élisabeth,
mère de saint Jean-Baptiste.
Ismeria épousa un certain
Eliud. Ils habitaient dans les environs de Nazareth et menaient
entièrement la vie des Esséniens mariés. Ils avaient hérité de leurs
parents l'esprit de chasteté dans le mariage et de continence. Anne fut
un de leurs enfants.
IV
Naissance de sainte Anne. Son mariage. Sa première fille.
Ismeria et Eliud eurent une
fille aînée appelée Sobé. Comme celle-ci ne portait pas le signe de la
promesse, cela les troubla beaucoup, et ils allèrent consulter de
nouveau le prophète du mont Horeb. Archos les exhorta à la prière, au
sacrifice, et leur promit qu'ils seraient consolés. Ismeria resta
ensuite stérile pendant environ dix-huit ans. Dieu l'ayant bénie de
nouveau, je vis qu'elle eut pendant la nuit une révélation : elle vit
prés de sa couche un ange traçant une lettre sur le mur. Je crois que
c'était une M. Ismeria le dit à son mari, qui avait eu la même vision,
et tous deux étant réveillés virent la lettre sur le mur. Trois mois
après, elle enfanta sainte Anne, qui vint au monde avec le signe en
question sur le creux de l'estomac.
Anne fut amenée à l'école
du Temple dans sa cinquième année, ainsi que Marie le fut plus tard.
Elle y passa douze ans et revint à dix-sept ans dans la maison
paternelle, où elle trouva deux enfants, savoir : une petite soeur
cadette appelée Maraha, et un jeune fils de sa soeur aînée Sobé, nommé
Eliud.
Un an après, Ismeria eut
une maladie mortelle. Sur son lit de mort, elle exhorta tous les siens,
et désigna Anne comme devant lui succéder dans le gouvernement de la
maison. Elle s'entretint ensuite seule avec Anne, lui dit qu'elle était
un vase d'élection, qu'elle devait se marier et demander conseil au
prophète du mont Horeb ; après quoi elle mourut.
Le bisaïeul d'Anne était un
prophète. Eliud, son père, était de la tribu de Lévi ; sa mère, Ismeria,
de celle de Benjamin. Anne était née à Bethléhem. Ses parents allèrent
ensuite à Sephoris, situé à quatre lieues de Nazareth : ils avaient là
une maison et un bien. Ils avaient aussi des terres dans la belle vallée
de Zabulon, à une lieue et demie de Sephoris et à trois de Nazareth. Le
père d'Anne, pendant la belle saison, était souvent, avec sa famille,
dans la vallée de Zabulon, et il s'y fixa tout à fait après la mort de
sa femme ; de là vinrent ses rapports avec les parents de saint Joachim,
qui devint le mari de sainte Anne. Le père de Joachim s'appelait Matthat.
C'était le second frère de Jacob, père de saint Joseph ; l'autre frère
s'appelait Joses. Matthat s'était établi dans la vallée de Zabulon.
Je vis des ancêtres d'Anne,
pleins de piété et de ferveur, parmi ceux qui portaient l'Arche
d'alliance ; je vis qu'ils recevaient de l'objet sacré qui y était
contenu des rayons qui s'étendaient à leur postérité, à sainte Anne et à
la sainte vierge Marie. Je les vis dans une grande propriété rurale ;
ils avaient beaucoup de bêtes à cornes ; mais ils ne possédaient rien
pour eux seuls, ils donnaient tout aux pauvres. J'ai vu Anne dans son
enfance ; elle n'avait pas une beauté remarquable, quoiqu'elle fût plus
belle que beaucoup d'autres. Elle n'était pas à beaucoup près aussi
belle que Marie, mais elle se distinguait par sa simplicité et sa piété
naive. Elle avait plusieurs frères et soeurs qui étaient mariés. Pour
elle, elle ne voulait pas encore se marier. Ses parents avaient pour
elle une tendresse particulière. Elle avait six prétendants à sa main,
mais elle les refusait. Comme ses ancêtres, elle alla prendre conseil
chez les Esséniens, et il lui fut dit d'épouser Joachim, qu'alors elle
ne connaissait pas encore, mais qui la rechercha en mariage lorsque son
père Eliud se fut établi dans la vallée de Zabulon, où demeurait Matthat,
père de Joachim.
Saint Joseph et Joachim
étaient parents, et voici comment : Le grand-père de Joseph descendait
de David par Salomon, et s'appelait Mathan. Il avait deux fils, Jacob et
Joses. Mathan étant mort, sa veuve prit un second mari appelé Lévi, qui
descendait de David par Nathan et elle eut de ce Lévi Matthat, père de
Joachim, qui s'appelait aussi Héli.
Joachim et Anne furent
mariés dans une bourgade où il n'y avait qu'une petite école. Un seul
prêtre était présent. Anne avait alors dix-neuf ans. Ils habitèrent chez
Eliud, le père d'Anne. Sa maison dépendait de la ville de Sephoris ;
mais elle était à quelque distance, au milieu d'un groupe de maisons,
dont elle était la plus grande. Ils vécurent là plusieurs années. Tous
les deux avaient quelque chose de distingué dans leur manière d'être ;
ils avaient bien l'air tout à fait juif, mais il y avait en eux je ne
sais quoi qu'ils ne connaissaient pas eux-mêmes : leur gravite était
merveilleuse. Je les ai vus rarement rire, quoique dans les
commencements de leur mariage ils ne fussent pas précisément tristes.
Leur caractère était tranquille et égal, et dès leur jeunesse ils
ressemblaient déjà a de vieilles gens par leur air réfléchi. J'ai vu
autrefois de semblables jeunes couples qui avaient l'air très réfléchi
et je me disais alors : Ceux-ci sont comme Anne et Joachim.
Les parents avaient de
l'aisance : ils possédaient de nombreux troupeaux, de beaux tapis et de
beaux ustensiles ; ils avaient plusieurs serviteurs et servantes. Ils
étaient pieux, sensibles, bienfaisants, pleins de droiture. Ils
divisaient souvent en trois parts leurs troupeaux et tout le reste ; ils
donnaient un tiers du bétail au temple, où ils le conduisaient
eux-mêmes, et où les serviteurs du temple le recevaient ; ils donnaient
le second tiers aux pauvres ou à des parents qui le demandaient, et dont
quelques-uns, la plupart du temps, se trouvaient présents en ce moment.
Ils gardaient pour eux la dernière part, qui était ordinairement la
moindre. Ils vivaient très modestement et donnaient tout ce qu'on leur
demandait. Etant enfant, je me suis dit souvent : " il suffit de donner
: celui qui donne reçoit le double " ; car je voyais que la portion
qu'ils s'étaient réservée allait toujours croissant, et que bientôt tout
se trouvait tellement multiplié, qu'ils pouvaient de nouveau faire leur
division en trois parts. Ils avaient beaucoup de parents qui se
réunissaient chez eux dans toutes les occasions solennelles. Je ne vis
pas qu'on y menât grande chère. Je les vis souvent dans le cours de leur
vie donner à manger à quelques pauvres, mais je ne vis jamais de festins
proprement dits. Quand ils étaient ensemble, je les voyais ordinairement
assis par terre en rond ; ils pariaient de Dieu avec un vif sentiment
d'espérance. Je vis souvent de méchants hommes de leurs parents qui se
montraient pleins de mauvais vouloir et d'irritation lorsque, dans leurs
entretiens, ils levaient au ciel des yeux pleins de désir ; mais ils
étaient bienveillants pour ces gens si mal disposés, les invitaient chez
eux dans toutes les occasions, et leur donnaient double part. Je vis
souvent ces personnes exiger grossièrement et brutalement ce que
l'excellent couple leur offrait avec affection.
Il y avait des pauvres dans
leur famille, et je les vis souvent donner un mouton ou même plusieurs.
Le premier enfant qu'Anne
mit au monde dans la maison de son père fut une fille, mais qui n'était
pas l'enfant de la promesse. Les signes qui avaient été prédits ne se
montrèrent pas à sa naissance, qui se trouva liée à quelques
circonstances pénibles. Je vis, par exemple, qu'Anne, pendant sa
grossesse, éprouva du chagrin de la part de ses gens. Une de ses
servantes avait été séduite par un parent de Joachim. Anne, très
troublée de voir ainsi violée la stricte discipline de sa maison,
reprocha un peu vivement sa faute à cette fille. Celle-ci prit son
malheur trop à coeur et accoucha avant terme d'un enfant mort. Anne fut
inconsolable de cet accident ; elle craignit d'en avoir été la cause, et
il s'ensuivit qu'elle-même accoucha avant terme ; mais sa fille vécut.
Comme cette enfant n'avait pas le signe de la promesse et qu'elle était
née prématurément, Anne vit là une punition de Dieu, et fut extrêmement
troublée, car elle croyait s'être rendue coupable. Toutefois, les
parents accueillirent avec une joie sincère la naissance de l'enfant,
qui fut, elle aussi, appelée Marie. C'était une enfant aimable, pieuse
et douce. Ses parents l'aimaient beaucoup ; mais il restait en eux
quelque trouble et quelque inquiétude, parce qu'ils reconnaissaient
qu'elle n'était pas ce fruit béni de leur union qu'ils avaient attendu.
Ils firent longtemps
pénitence et vécurent séparés l'un de l'autre. Anne était devenue
stérile, ce qu'ils regardaient comme le résultat de leurs fautes, et
cela les portait à redoubler leurs bonnes oeuvres Je les vis souvent,
chacun de leur côté, faire de ferventes prières, puis vivre à part l'un
de l'autre pendant de longs intervalles, donner des aumônes et envoyer
des victimes au temple.
V
Joachim et Anne s'établissent à Nazareth.
Stérilité de sainte Anne. Douleur des saints époux.
Leur ardent désir de l'accomplissement de la promesse.
Ils vécurent ainsi sept ans
chez Eliud, ce que je pus voir à l'âge du premier enfant, lorsqu'ils se
décidèrent à se séparer de leurs parents et à s'établir dans une maison
avec quelques terres attenantes, qui leur était venue des parents de
Joachim, et qui était située dans les environs de Nazareth. Ils avaient
l'intention d'y recommencer à nouveau, dans la solitude, leur vie
conjugale, et d'attirer la bénédiction de Dieu sur leur union par une
conduite qui pût être plus agréable encore à ses yeux. Je vis prendre
cette résolution en famille, et les parents d'Anne faire leurs
dispositions pour le nouvel établissement de leurs enfants. Ils
partagèrent les troupeaux et mirent de côté, pour le nouveau ménage, des
boeufs, des ânes et des montons qui étaient beaucoup plus grands que ne
le sont ceux d'ici. On chargea les boeufs et les ânes, qui étaient
devant la porte, de provisions, d'ustensiles et d'effets de toute espèce
; les bonnes gens s'entendaient très bien à empaqueter tout cela, de
même que les bêtes se prêtaient au mieux à le recevoir et à le
transporter. Ces gens chargeaient aussi habilement leur bagage sur ces
animaux que nous pouvons le faire sur des voitures. Ils avaient de beaux
ustensiles ; tous les vases étaient plus élégants qu'aujourd'hui : il
semblait que l'ouvrier y eût travaillé avec amour et eût fait chacun
d'eux avec une intention différente.
Quand tout fut prêt, les
valets et les servantes se mirent en marche et poussèrent devant eux les
troupeaux et les bêtes de charge jusqu'à la nouvelle habitation qu'était
préparée à cinq ou six lieues de là ; je crois qu'elle venait des
parents de Joachim. Anne et Joachim, après avoir pris congé de tous les
amis et serviteurs avec toute sorte de remerciements et de
recommandations, quittèrent le séjour qu'ils avaient habité jusqu'alors,
pleins d'émotions et de pieuses résolutions. La mère d'Anne ne vivait
plus, mais je vis pourtant les parents des deux époux les accompagner
vers leur nouvelle demeure. Peut-être Eliud s'était-il remarié, ou y
avait-il là en plus des parents de Joachim : Marie Héli, la petite fille
d'Anne, âgée d'environ six ou sept ans, faisait aussi partie du cortège.
La nouvelle habitation
était agréablement située, dans un pays de collines, entremêlé de
prairies et d'arbres, à une lieue et demie ou à une forte lieue au
couchant de Nazareth : elle était sur une hauteur, entre la vallée
voisine de Nazareth et la vallée de Zabulon ; une gorge, que longeait
une allée de térébinthes, conduisait de la maison vers Nazareth. Devant
la maison était une cour fermée, dont le sol me parut être le roc nu ;
elle était entourée d'un mur peu élevé, de quartiers de rochers ou de
pierres brutes ; derrière ce mur ou au-dessus, était une haie vive. Sur
l'un des côtés de cette cour étaient de petits bâtiments pour loger les
gens et pour déposer beaucoup de choses ; il y avait aussi un hangar
pour mettre le bétail et les bêtes de somme. Il y avait alentour
plusieurs jardins, dans l'un d'eux, près de la maison, s'élevait un
grand arbre d'une espèce particulière. Ses branches descendaient à
terre, y prenaient racine et poussaient de nouveaux arbres qui faisaient
de même, en sorte que tout cela formait un grand massif de verdure.
Quand les voyageurs
arrivèrent à la maison, ils trouvèrent chaque chose à sa place et tous
les arrangements déjà faits : car les vieux parents avaient envoyé
d'avance des gens chargés de tout mettre en ordre. Les valets et les
Servantes avaient défait les paquets et placé chaque chose où elle
devait être avec autant d'adresse et de soin qu'ils en avaient mis pour
charger les bagages, car ils étaient si soigneux et faisaient avec tant
de calme et d'intelligence ce qu'ils avaient à faire, qu'on n'avait pas
besoin, comme aujourd'hui, de tout leur commander en détail. Tout fut
donc bientôt arrangé, et quand les parents eurent installé leurs enfants
dans leur nouvelle demeure, ils prirent congé d'Anne et de Joachim,
qu'ils embrassèrent et bénirent, et ils reprirent le chemin de leur
maison, ramenant avec eux la petite fille d'Anne qui revenait avec ses
grands parents. Dans ces sortes de visites et dans les occasions de même
nature, je ne voyais jamais ces personnages faire de grands repas : ils
se plaçaient en rond, ayant devant eux, sur un tapis, deux petits plats
et de petites cruches ; ils ne parlaient la plupart du temps que des
choses de Dieu et de leurs saintes espérances.
Je vis alors le saint
ménage commencer une vie toute nouvelle. Ils voulaient sacrifier à Dieu
tout le passé, et faire comme s'ils se réunissaient pour la première
fois ; ils s'efforcèrent, dès lors, par une vie agréable à Dieu, de
faire descendre sur eux cette bénédiction qui était le seul objet de
leurs ardents désirs. Je les vis tous deux visiter leurs troupeaux et en
faire trois parts, comme j'ai dit plus haut que faisaient leurs parents
: pour le temple, pour les pauvres et pour eux-mêmes. Ils faisaient
conduire au temple ce qu'il y avait de mieux ; les pauvres recevaient un
bon tiers ; ils conservaient pour eux la moins bonne part, et ils
faisaient ainsi pour tout. Leur maison était assez spacieuse ; ils
vivaient et dormaient dans de petites chambres séparées où je les voyais
très souvent, chacun de son côté, prier avec une grande ferveur. Je les
vis vivre ainsi longtemps ; ils donnaient de grandes aumônes, et chaque
fois qu'ils partageaient leurs troupeaux et le reste de leur avoir, tout
se multipliait de nouveau rapide. ment. Ils vivaient modestement dans
les privations et le renoncement. Je les voyais aussi, lorsqu'ils
priaient, mettre des habits de pénitence ; et, plusieurs fois, je vis
Joachim visitant ses troupeaux dans des endroits éloignés, et priant
Dieu dans la prairie.
Ils persévérèrent dans
cette vie austère menée en présence de Dieu, pendant dix-neuf ans après
la naissance de leur premier enfant ; ils désiraient ardemment la
bénédiction promise, et leur tristesse allait toujours croissant. Je vis
des hommes pervers du pays, venir vers eux et les injurier, leur disant
: " Qu'ils devaient être des méchants, puisqu'ils ne pouvaient pas avoir
d'enfants ; que la petite fille ramenée chez les parents d'Anne n'était
pas à eux ; qu'Anne était stérile ; qu'elle avait supposé cet enfant,
qu'autrement elle l'aurait avec elle " ; et ainsi de suite. Ces paroles
redoublaient l'abattement des pieux époux.
Anne avait la ferme
croyance et à certitude intérieure que l'avènement du Messie était
proche et qu'elle appartenait à la famille qui devait être selon la
chair celle du Sauveur. Elle priait et appelait à grands cris
l'accomplissement de la promesse, et continuait, ainsi que Joachim, à
tendre vers une pureté de plus en plus parfaite. La honte de sa
stérilité l'attristait profondément ; elle pouvait à peine se montrer à
la synagogue sans y recevoir quelque affront.
Joachim, quoique petit et
maigre, était pourtant robuste. Anne aussi n'était pas grande, et sa
complexion était délicate ; le chagrin la consumait à tel point, que ses
joues étaient devenues creuses, quoique toujours assez colorées. Ils
conduisaient de temps en temps leurs troupeaux au temple ou chez les
pauvres, dont ils avaient fait la part, et la portion qu'ils se
réservaient allait toujours en diminuant.
VI
Joachim reçoit un affront au temple.
Après que, pendant tant
d'années, ils eurent vainement imploré la bénédiction de Dieu sur leur
mariage, je vis Joachim faire le projet d'aller de nouveau offrir un
sacrifice au temple. Tous deux se préparèrent par des exercices de
pénitence ; je les vis la nuit, en habits de pénitents, prier prosternés
contre terre ; puis Joachim, au point du jour, se rendit aux pâturages
où étaient ses troupeaux, et Anne resta seule. Bientôt après je vis
celle-ci envoyer à son époux des colombes, d'autres oiseaux et divers
objets dans des cages et des corbeilles, car il voulait offrir tout cela
au temple.
Il prit deux ânes, sur le
des desquels il mit ces corbeilles ; il en ajouta d'autres, où se
trouvaient au nombre de trois, si je ne me trompe, de jolis petits
animaux blancs avec de longs cous ; je ne sais plus si c'étaient des
agneaux ou des chevreaux. Il avait avec lui une lanterne sur un bâton :
c'était comme une calebasse creuse où brillait une lumière. Je le vis
arriver avec ses serviteurs et ses bêtes de somme à une belle prairie
verdoyante, placée entre Béthanie et Jérusalem, et où je vis plus tard
Jésus s'arrêter souvent. Ils montèrent au temple et mirent leurs ânes
dans une auberge du temple voisine du marché, où ils logèrent plus tard,
lors de la présentation de Marie. Ils portèrent leurs offrandes jusqu'au
haut des degrés et passèrent, comme ils firent depuis, par les demeures
des serviteurs du temple (Note). Ici les serviteurs de Joachim se
retirèrent après qu'on eut reçu les offrandes.
Joachim entra dans la salle
où se trouvait le bassin plein d'eau et où on lavait les victimes ; il
se rendit ensuite par un long couloir dans une autre salle, à gauche de
l'endroit où étaient l'autel des parfums, la table des pains de
proposition et le chandelier à cinq branches. Plusieurs autres
personnes, venues pour sacrifier, s'y trouvaient déjà, et Joachim fut
soumis à une cruelle épreuve. Je vis un prêtre, appelé Ruben, mépriser
ses offrandes ; au lieu de les placer avec les autres dans un endroit
apparent, derrière les grilles. à droite de la salle, il les mit tout à
fait de côté. Il injuria tout haut le pauvre Joachim, à cause de la
stérilité de sa femme, ne le laissa pas approcher, et le relégua dans un
coin pour lui faire affront.
NOTE
: Que le lecteur ne s'étonne pas si la narration, ici et ailleurs,
sa réfère à des événements qui, suivant l'ordre historique, n'ont
pas encore eu lieu. Il doit faire attention que les visions tirées
de l'histoire de la sainte Vierge, qui sont ici rangées suivant
l'ordre des temps, étaient montrées annuellement à la soeur les
jours de fêtes correspondantes. Racontant en juillet et août 1821, à
propos des fêtes de sainte Anne et de saint Joachim, ce qu'elle a vu
de la vie des parents de la sainte vierge, elle mentionne, pour se
faire mieux comprendre, ce qu'elle a vu dans les années précédentes
à l'occasion de la fête de la Présentation de Marie.
Je vis alors Joachim
quitter le temple, accablé de tristesse, et gagner, en passant par
Béthanie, les environs de Machéronte. Il y avait là une maison où se
rassemblaient les Esséniens, et où il entra pour chercher des
consolations et des conseils. Dans cette maison, et précédemment dans
cette qui est près de Bethléhem, a habité le prophète Manahem, qui
prédit à Hérode, dans sa jeunesse, qu'il deviendrait roi et commettrait
de grands crimes. Joachim se rendit de là au plus éloigné de ses
pâturages, près de la montagne d'Hermon ; le chemin qu'il prit passait
par le désert de Gaddi, au delà du Jourdain. L'Hermon est une montagne
élancée qui, du côté du midi, est toute verdoyante et parsemée de beaux
arbres fruitiers, tandis que du côté opposé elle est couverte de neige.
VII
Anne reçoit la promesse de fécondité,
et se rend au temple.
Joachim était si triste et
si honteux de l'affront reçu au temple, qu'il ne fit pas dire à Anne où
il se trouvait ; mais Anne apprit par d'autres personnes qui s'étaient
trouvées présentes ce que son mari avait eu à souffrir, et elle en fut
affligée au delà de toute expression. Je la vis souvent pleurer la face
contre terre, parce qu'elle ne savait pas où était son mari, qui resta
caché pendant cinq mois entiers auprès de ses troupeaux de l'Hermon.
Vers la fin de ce temps,
Anne eut un redoublement de souffrance par suite de la grossièreté d'une
de ses servantes, qui lui reprochait souvent sa triste situation. Un
jour, c'était au commencement de la fête des Tabernacles, cette servante
demanda à aller ailleurs célébrer cette fête, et Anne le lui refusa.
Alors cette fille lui reprocha si vivement sa stérilité et l'abandon de
son mari, qui était, selon elle, une punition de Dieu à cause de sa
dureté, qu'Anne ne put plus tolérer son séjour chez elle. Elle la
renvoya chez ses parents avec des présents, et leur fit dire qu'ils
eussent à reprendre leur fille, parce qu'il lui était impossible de la
garder plus longtemps.
Quand Anne eut renvoyé sa
servante, elle entra tout affligée dans sa chambre et se mit à prier. Le
soir, elle jeta sur sa tête un grand drap, dans lequel elle s'enveloppa
tout entière, et s'en alla vers le grand arbre déjà mentionné qui était
dans sa cour, et qui formait une cabane de feuillage ; elle alluma une
lampe qui était suspendue à l'arbre dans une espèce de boite, et lut des
prières écrites sur un rouleau. Cet arbre était très grand et on y avait
pratiqué des sièges et des berceaux ; ses branches tombaient à terre de
l'autre côté du mur, où elles prenaient racine, repoussaient encore pour
retomber de nouveau, et ainsi de suite, en sorte qu'elles formaient
tonte une série de cabanes de verdure.
Anne, étant sous cet arbre,
cria vers Dieu pendant longtemps, le suppliant, puisqu'il lui avait ôté
la fécondité, de ne pas tenir en outre éloigné d'elle son pieux époux
Joachim. Et voilà qu'un ange du ciel lui apparut : il descendit devant
elle comme du haut de l'arbre et lui dit qu'elle devait se consoler,
parce que le Seigneur avait exaucé sa prière ; il lui prescrivit de
partir le lendemain pour le temple avec deux servantes, et de prendre
avec elle des colombes pour le sacrifice. Il ajouta que la prière de
Joachim était également exaucée, qu'il se rendrait de son côté au temple
avec son offrande, et qu'ils se rencontreraient sous la porte dorée : le
sacrifice de Joachim était accepté, tous deux devaient être bénis et
elle devait bientôt connaître le nom de son enfant. Il lui dit encore
qu'il avait porté à son époux un message semblable, et disparut.
Anne, pleine de joie,
rendit grâce au Dieu de miséricorde. Elle rentra alors dans sa maison et
prit avec ses servantes les dispositions nécessaires pour pouvoir se
mettre en route le lendemain. Je la vis ensuite se coucher pour dormir,
après avoir prié.
Quand Anne eut dormi
quelque temps, je vis descendre du ciel vers elle un rayon de lumière
qui, près de son lit, se transforma en un jeune homme resplendissant.
C'était l'ange du Seigneur, qui lui dit qu'elle concevrait un saint
enfant. Puis il étendit le bras au-dessus d'elle et écrivit sur le mur
de grandes lettres lumineuses : c'était le nom de Marie. L'ange disparut
ensuite et se perdit dans la lumière. Anne était pendant ce temps comme
dans l'émotion d'un songe joyeux ; elle se releva à demi éveillée sur sa
couche, pria avec une grande ferveur et se rendormit sans avoir rien vu
bien clairement. Mais, après minuit, elle se réveilla toute joyeuse,
comme par l'effet d'une impulsion intérieure, et elle vit l'écriture sur
la muraille avec un mélange de crainte et d'allégresse. C'étaient comme
des lettres rouges, dorées, lumineuses ; elles étaient grandes et en
petit nombre : elle les contempla avec une joie et un attendrissement
incroyables, jusqu'au moment où elles disparurent à l'aube naissante.
Tout était devenu clair pour elle, et son contentement était tel,
qu'elle paraissait toute rajeunie quand elle se leva.
Au moment où la lumière de
l'ange vint sur Anne, je vis sous son coeur quelque chose de brillant,
et je reconnus dans sa personne la mère choisie, le vase illuminé de la
grâce qui s'approchait. Je ne puis exprimer cela qu'en disant que j'ai
reconnu en elle un berceau orné, un lit couvert, un tabernacle préparé
pour recevoir et conserver dignement une chose sainte. Je vis qu'Anne,
par la grâce de Dieu, était préparée à recevoir la bénédiction. Je ne
sais comment m'exprimer, mais je reconnus Anne comme le berceau du salut
universel pour l'humanité, et en même temps comme un tabernacle d'église
ouvert, devant lequel le rideau était retiré. Je reconnus cela aussi
naturellement, et toute cette connaissance était à la fois naturelle et
céleste. Anne avait alors, à ce que je crois, quarante-trois ans.
Anne se leva, alluma sa
lampe, pria et se mit en routa pour Jérusalem avec ses offrandes. Tous
ses domestiques étaient, ce matin-là, pleins d'une joie inaccoutumée
quoiqu'elle seule eût connaissance de l'apparition de l'ange.
VIII
Joachim, consolé par l'ange,
vient de nouveau sacrifier au temple.
Je vis, dans ce même
temps, Joachim, près de ses troupeaux de l'Hermon, adresser à Dieu des
prières continuelles. Quand il voyait les jeunes agneaux sauter autour
de leurs mères avec des bêlements joyeux, il était tout triste de ne pas
avoir d'enfants ; toutefois, il ne parlait pas aux bergers de la cause
de sa tristesse. On était au temps de la fête des Tabernacles, et il
dressa avec ses bergers des cabanes de feuillage. Comme il faisait sa
prière et se désespérait à l'idée d'aller, suivant sa coutume, sacrifier
à Jérusalem pour la fête, parce qu'il pensait aux outrages qu'il y avait
reçus, je vis l'ange lui apparaître et lui ordonner d'aller au temple et
de prendre courage, parce que son sacrifice était accueilli et sa prière
exaucée : il devait se réunir à sa femme sous la porte dorée. Je vis
alors Joachim, tout joyeux, compter ses troupeaux, oh ! quel beau et
nombreux bétail il avait ! -il les divisa en trois parts ; il garda la
moindre pour lui, en envoya une meilleure aux Esséniens, et conduisit la
plus belle au temple avec ses serviteurs. Il arriva à Jérusalem le
quatrième jour de la fête, et se rendit aussitôt au temple.
Anne arriva ce même jour à
Jérusalem et logea près du marché aux poissons, chez des parents de
Zacharie. Ce ne fut qu'à la fin de la fête qu'elle rencontra Joachim.
Je vis que, quoique
l'offrande de Joachim n'eût pas été acceptée la dernière fois, par suite
d'une indication donnée d'en haut, cependant le prêtre, qui, au lieu de
le consoler, l'avait si rudement traité, reçut, à cause de cela, un
châtiment divin que je ne m'en rappelle plus. Cette fois, les prêtres
avaient été avertis d'en haut qu'ils devaient recevoir son offrande, et
lorsqu'il fit annoncer son arrivée avec des victimes, j'en vis
quelques-uns aller à sa rencontre devant le temple et recevoir ses dons.
Le bétail qu'il amenait au temple comme présent n'était pas proprement
son sacrifice ; ce qu'il destinait à être sacrifié consistait en deux
agneaux, et en trois jolies petites bêtes que je crois être des
chevreaux. Je vis aussi que plusieurs hommes qui le connaissaient le
félicitaient de ce que son sacrifice était accueilli.
Dans le temple, à cause de
la fête, je vis tout ouvert et entouré de guirlandes de fleurs et de
fruits : il y avait aussi, dans un endroit, une tente de feuillage
élevée sur huit colonnes isolées. Joachim fit donc dans le temple le
même chemin que la première fois ; ses victimes furent immolées et
brûlées à la place ordinaire : il y eut cependant quelque chose de brûlé
dans un autre endroit, je crois que ce fut à la droite du vestibule où
était la grande chaire 1. Je vis des
prêtres offrir de l'encens dans le sanctuaire ; on alluma aussi des
lampes, et il y avait de la lumière sur le chandelier à sept branches,
mais ne pas sur les sept branches à la fois. J'ai souvent vu que dans
différentes occasions, diverses branches du chandelier étaient allumées.
Cette indication est
confirmée par la note suivante. Suivant la tradition juive, même dans
l'holocauste, plusieurs parties, notamment le nervus femoris, le nerf de
la hanche, qui, dans la lutte de Jacob avec l'ange, fut touché par
celui-ci et se dessécha (statim emarcuit, (Genèse, XXXII, 25), n'étaient
pas brûlées sur l'autel, mais près de là, vers l'orient, sur ce qu'on
appelait le monceau de cendres.
Lorsque la fumée de
l'encens s'éleva, je vis comme un rayon de lumière tomber sur le prêtre
qui l'offrait dans le sanctuaire, et aussi sur Joachim qui était dans la
salle extérieure. Il y eut un temps d'arrêt dans la cérémonie, comme si
l'on se fût aperçu d'une intervention surnaturelle. Je vis alors deux
prêtres, comme poussés par un ordre divin, aller trouver Joachim dans la
salle et le conduire, par des chambres latérales, à l'autel d'or des
parfums. Alors le prêtre plaça quelque chose sur l'autel. Je vis cela
non pas comme des grains d'encens séparés. mais comme une masse compacte
; et je ne sais plus de quoi elle se composait '. Cette masse se
consuma, produisant une grande fumée et répandant un parfum agréable sur
l'autel d'or de l'encens, devant le voile de Saint des saints. Je vis
alors le prêtre quitter le sanctuaire, où Joachim resta seul.
Pendant que l'encens
se consumait, je vis Joachim en extase, agenouillé et les bras étendus.
Je vis une forme brillante, un ange paraître près de lui, comme plus
tard auprès de Zacharie, après la promesse du Précurseur. Il lui donna
un écrit sur lequel je lus, en lettres lumineuses, les trois noms d'Helia,
d'Hanna et de Miriam 2, et, près de
ce dernier nom, je vis l'image d'une petite arche d'alliance ou d'un
tabernacle. Il plaça cet écrit sous ses habits, sur sa poitrine. L'ange
lui dit que sa stérilité n'était pas pour lui une honte, mais une
gloire, car ce que sa femme allait concevoir devait être le fruit
immaculé de la bénédiction de Dieu sur lui, et le couronnement de la
bénédiction d'Abraham.
NOTES
: 1 C'était sans doute un mélange formé des ingrédients qui, suivant
la tradition légale des Juifs, appartenaient au sacrifice journalier
de l'encens, comme la myrrhe, la casse, le nard, le safran, le
calmus odorant, la cannelle, le costus, le galbanum et l'encens
mêlés avec du sel raffiné.
2 Au commencement, l'écrivain ne savait pas que ces trois mots
n'étaient que d'autres formes des noms de Joachim, d'Anne et de
Marie. Quand il apprit cela plus tard, il ne put s'empêcher d'en
être frappé.
Comme Joachim ne pouvait
pas comprendre cela, l'ange le conduisit derrière le rideau, qui était
assez éloigné de la grille du Saint des saints pour qu'on pût s'y placer
; je vis l'ange s'approcher de l'Arche d'alliance, et il me sembla qu'il
en retirait quelque chose. Je le vis alors présenter à Joachim un globe
ou un cercle lumineux et lui ordonner d'y souffler et d'y regarder. Je
vis, sous le souffle de Joachim, diverses images se montrer dans le
cercle lumineux. Comme son haleine ne l'avait pas terni, l'ange lui dit
que la conception d'Anne serait aussi pure que ce globe était resté pur
sous son souffle.
Je vis ensuite l'ange
élever le globe lumineux, qui resta suspendu en l'air, et j'y vis, comme
par une ouverture' une série de tableaux liés ensemble et s'étendant de
la chute de l'homme à sa rédemption. Il y avait là tout un monde où les
choses naissaient les unes des autres : j'eus connaissance de tout, mais
je ne puis plus donner les détails. Au haut, tout au sommet, je vis la
très sainte Trinité ; au-dessous, d'un côté le paradis, Adam et Ève, la
chute originelle, la promesse de la rédemption, toutes les figures qui
l'annonçaient d'avance, Noé, le déluge, l'Arche, la bénédiction donnée à
Abraham, la transmission de la bénédiction à son fils Isaac, et d'Isaac
à Jacob ; puis, quand elle fut retirée à Jacob par l'ange avec lequel il
lutta, comment elle passa à Joseph, en Égypte, et se montra dans lui et
sa femme avec un plus haut degré de dignité ; puis comment la chose
sainte où reposait la bénédiction, enlevée d'Égypte par Moise avec les
reliques de Joseph et d'Asnath, sa femme, devint le Saint des saints de
l'Arche d'alliance, le siège du Dieu vivant au milieu de son peuple ;
puis je vis le culte et la vie du peuple de Dieu dans leurs rapports
avec ce mystère, les dispositions et les combinaisons pour le
développement de la race sainte, de la lignée de la sainte Vierge, ainsi
que toutes les figures et les symboles de Marie et du Sauveur dans
l'histoire et dans les prophètes. Je vis tout cela en tableaux
symboliques, dans la circonférence lumineuse, je vis de grandes villes,
des tours, des palais, des trônes, des portes, des jardins, des fleurs,
et toutes ces images merveilleusement liées entre elles comme par des
ponts de lumière : tout cela était comme attaqué et assailli par des
bêtes furieuses et d'autres apparitions terribles. Tous ces tableaux
faisaient voir comment la race de la sainte Vierge, de même que tout ce
qui est saint, avait été conduite par la grâce de Dieu à travers
beaucoup de combats et d'assauts. Je me souviens d'avoir vu, à un
certain point de cette série de tableaux, un jardin entouré d'une forte
haie d'épines, à travers laquelle une quantité de serpents et d'autres
bêtes hideuses s'efforçaient en vain de passer. Je vis aussi une forte
tour, à l'assaut de laquelle montaient de tous côtés des guerriers qui
étaient précipités du haut des remparts. Je vis beaucoup d'images de ce
genre qui se rapportaient à l'histoire de la sainte Vierge dans ses
ancêtres : les passages et les ponts qui unissaient le tout signifiaient
la victoire remportée sur des obstacles et des interruptions apportées à
l'oeuvre du salut.
Il semblait qu'une chair
sans tache, un sang de toute pureté, avaient été placés par Dieu au
milieu de l'humanité, comme dans un fleuve d'eau trouble, et devaient,
avec beaucoup de peine et d'efforts, réunir leurs éléments dispersés,
pendant que le fleuve tâchait de les attirer à lui et de les ternir ;
mais enfin, avec l'aide des grâces innombrables de Dieu et de la
coopération fidèle des hommes, cela devait, après bien des
obscurcissements et des purifications, subsister dans le fleuve, qui
renouvelait sans cesse ses flots, et s'élever enfin hors de ce fleuve,
sous la forme de la sainte Vierge, de laquelle est né le Verbe fait
chair qui a habité parmi nous.
Parmi les images que je vis
dans le globe lumineux, il y en avait beaucoup qui se trouvent
mentionnées dans les Litanies de la sainte Vierge ; je les vois, je les
comprends, et je les considère avec une profonde vénération quand je
récite ces litanies. Ces tableaux se développaient ultérieurement
jusqu'à l'accomplissement parfait de l'oeuvre de la miséricorde divine
envers l'humanité tombée dans une division et un déchirement infinis :
ils allaient du côté du globe lumineux opposé à celui où était le
Paradis, aboutir à la Jérusalem céleste', au pied du trône de Dieu.
Lorsque j'eus vu tout cela, le globe lumineux, lequel n'était autre
chose que la série de tableaux, partant d'un point et y revenant après
avoir formé un cercle de lumière, s'évanouit. Je crois que ce fut une
révélation qui fut faite à Joachim par les anges, sous forme de vision,
et dont j'eus aussi connaissance. Quand je reçois une communication de
ce genre, elle m'apparaît toujours dans une circonférence lumineuse.
La vénérable Marie de
Jésus, supérieure des Franciscaines d'Agreda, raconte, dans ses visions
sur la vie de la sainte Vierge, comment il lui lut expliqué que la
nouvelle ou céleste Jérusalem (Apoc., XXII) n'était autre que la sainte
Vierge elle-même. voyez la Cité mystique de Dieu, 1ère partie, ch. 17 et
18.-Saint Jean Chrysostome, dans son discours pour la fête de
l'Annonciation, fait ainsi parler Dieu à l'ange Gabriel : " va vers la
cité vivante dont le Prophète dit : Des choses glorieuses ont été dites
de toi, cité de Dieu ". ( Ps. LXXXVI.) Saint Georges, évêque de
Nicomédie (septième siècle), dans son discours sur la Présentation de
Marie, appelle la sainte Vierge la cité vivante de Dieu. etc. Dans le
petit office de la très sainte Vierge, l'antienne du psaume LXXVI est
ainsi conçue : Sicut loetantium omnium nostrûm habitatio est in te,
sancta Dei genitrix, quoique ce verset, pris dans le sens littéral,
s'applique à Jérusalem, etc.
IX
Joachim reçoit la bénédiction de l'Arche d'alliance.
Je vis ensuite l'ange
marquer ou oindre le front de Joachim avec le pouce et l'index, puis lui
faire manger d'un aliment lumineux et lui faire boire d'un liquide
transparent contenu dans une petite coupe brillante qu'il tenait avec
deux doigts. Elle était de la forme du calice de la sainte Cène, mais
n'avait pas de pied. Il me sembla qu'il lui entrait alors dans la bouche
comme un petit épi de blé et une petite grappe de raisin lumineux, et je
connus par là que la concupiscence et l'impureté, suite du péché,
étaient sorties de lui.
Je vis ensuite l'ange
communiquer à Joachim le plus haut degré et comme la plus sainte fleur
de cette bénédiction que Dieu avait communiquée a Abraham. et qui plus
tard était devenue l'objet le plus sacré de l'Arche d'alliance. Il donna
cette bénédiction à Joachim de la même manière que dans une autre
occasion j'avais vu Abraham la recevoir d'un ange, mais avec cette
différence que pour Abraham l'ange avait semblé tirer la bénédiction de
lui-même, comme de son sein, tandis que pour Joachim, il la prit dans le
Saint des saints 1.
Lors de la bénédiction
d'Abraham, ce fut comme si Dieu mettait en lui la grâce de cette
bénédiction, et bénissait par elle le père de son peuple futur, afin que
les pierres dont son temple devait être bâti sortissent de lui ; mais
lorsque Joachim la reçut, ce fut comme si l'ange tirait du tabernacle de
ce temple le symbole sacré de la bénédiction et le donnait à un prêtre,
pour faire de lui le vase saint dans lequel le Verbe devait être fait
chair.
Il me fut révélé que
Joachim, avec cette bénédiction, reçut le fruit définitif et
l'accomplissement proprement dit de la promesse faite à Abraham, la
bénédiction dont devait résulter la conception immaculée de la très
sainte Vierge, destinée à écraser la tête du serpent.
L'ange reconduisit ensuite
Joachim dans le sanctuaire et disparut. Joachim, ravi en extase, tomba
sans connaissance. Les prêtres, en rentrant, le trouvèrent là, je visage
rayonnant de joie. Ils le relevèrent avec respect, et le portèrent sur
un siège où d'ordinaire les prêtres seuls s'asseyaient. Ils lui lavèrent
là je visage, lui tinrent sous le nez quelque chose qui répandait une
odeur fortifiante, lui donnèrent à boire, et firent pour lui ce qu'on
fait pour quelqu'un qui a perdu connaissance. Quand Joachim fut revenu à
lui, il parut lumineux, plein de force et comme rajeuni.
NOTE :
La narratrice qui, en communiquant ses nombreuses visions de
l'Ancien Testament, a souvent parlé avec détail de l'Arche
d'alliance, n'a jamais dit que la première arche ait été de nouveau,
avec tout ce qu'elle contenait, dans le temple rebâti après la
captivité de Babylone, ou, plus tard, dans celui qu'Hérode restaura.
Cependant elle a dit que dans le Saint des saints du dernier temple,
il y avait une nouvelle arche d'alliance où étaient conservés
quelques restes des symboles sacrés de la première.
X
Joachim et Anne se rencontrent sous la porte dorée
Joachim avait été conduit
dans le sanctuaire par suite l'un avertissement d'en haut. Il fut
conduit par suite d'une inspiration semblable dans un passage consacré
qui conduisait sous le temple et sous la porte dorée. Il m'a été
communiqué quelque chose sur la signification et l'origine de ce
passage, et aussi sur sa destination, mais je ne puis plus le rapporter
clairement. Je crois que l'usage de ce passage se rattachait à une
cérémonie religieuse qui avait lieu pour la réconciliation et la
bénédiction des personnes stériles. On était conduit par ce chemin, dans
certaines circonstances, pour des purifications, des expiations, des
absolutions et autres choses de ce genre.
Les prêtres conduisirent
Joachim à ce passage par une petite porte voisine de la cour où l'on
immolait les victimes ; après quoi ils s'en retournèrent. Joachim
continua à Suive ce chemin, qui allait en descendant.
Anne était aussi venue au
temple avec sa servante, qui portait les colombes du sacrifice dans des
corbeilles à jour. Elle avait remis son offrande et fait connaître à un
prêtre que l'ange lui avait ordonné d'aller trouver son mari sous la
porte dorée. Je vis alors que les prêtres, en compagnie de femmes
respectables, parmi lesquelles se trouvait, je crois, la prophétesse
Anne, la conduisirent a une autre entrée du passage consacré, où ils la
laissèrent seule.
Je vis la manière
merveilleuse dont était disposé ce passage. Joachim entra par une petite
porte après laquelle on allait en descendant. Le passage était d'abord
étroit, puis il s'élargissait. Les murs brillaient d'un reflet doré et
vert ; une lumière rougeâtre y entrait par en haut. J'y vis le belles
colonnes semblables à des arbres et à des ceps de vigne ornés de
guirlandes.
Quand Joachim fut arrivé au
tiers à peu près de la longueur du passage, il s'arrêta à un endroit où
s'élevait une colonne faite comme un palmier, avec ses branches
pendantes et ses fruits ; ce fut là qu'Anne, toute rayonnante de joie,
vint à sa rencontre. Ils s'embrassèrent dans un mouvement de sainte
allégresse et se communiquèrent leur bonheur. Ils étaient ravis en
extase et entourés d'une nuée brillante. Je vis cette lumière partir
d'une troupe d'anges, qui, portant comme une haute tour lumineuse,
planaient sur Anne et Joachim. Cette tour était faite comme la tour de
David, la tour d'ivoire, etc., que je vois à l'occasion des Litanies de
la sainte Vierge. Elle sembla disparaître entre Anne et Joachim, et une
gloire lumineuse les entoura.
Je reconnus alors que, par
l'effet d'une grâce toute particulière de Dieu, la conception de Marie
avait été aussi pure que l'aurait été toute conception sans le péché
originel. J'eus en même temps une intuition que je ne puis rendre. Le
ciel s'ouvrit au-dessus d'eux ; je vis la joie de la sainte Trinité et
des anges et la part qu'ils prenaient à la bénédiction mystérieuse
accordée aux parents de Marie.
Anne et Joachim marchèrent
en louant Dieu jusqu'à la sortie sous la porte dorée. Le chemin, à son
extrémité, allait en remontant. Ils passèrent sous une grande et belle
arcade, et se trouvèrent dans une espèce de chapelle où étaient
plusieurs flambeaux allumés. Ils furent reçus là par des prêtres, qui
les conduisirent dehors.
La partie du temple où
était la salle du grand conseil se trouvait au-dessus du passage
souterrain, un peu au delà du milieu ; au dessus de son extrémité
étaient, je crois, des logements pour les prêtres chargés du soin des
vêtements sacerdotaux.
Joachim et Anne arrivèrent
à une espèce d'échancrure au bord extrême de la montagne du temple,
vis-à-vis de la vallée de Josaphat. On ne pouvait pas aller plus loin
dans cette direction ; le chemin tournait à droite ou à gauche' ils
firent encore une visite dans la maison d'un prêtre ; puis je les vis
avec leurs gens reprendre le chemin de leur demeure. Arrivé a Nazareth,
Joachim fit un festin de réjouissance, donna à manger à beaucoup de
pauvres et répandit de grandes aumônes. Je vis la joie, la ferveur des
deux époux. leur reconnaissance envers Dieu en pensant à sa miséricorde
envers eux ; je les vis souvent prier ensemble les yeux baignés de
larmes.
Il me fut expliqué, à
cette occasion, que les parents de la sainte Vierge l'engendrèrent dans
une pureté parfaite et par l'effet de la sainte obéissance. Si ce n'eût
été pour obéir à Dieu, ils auraient gardé perpétuellement la continence.
J'appris en même temps comment la pureté, la chasteté, la retenue des
parents et leur lutte contre le vice impur ont une influence
incalculable sur la sainteté des enfants qu'ils engendrent. En général,
je vis toujours dans l'incontinence et l'excès la racine du désordre et
du péché.
XI
Restauration de l'humanité montrée aux anges.
Ici viennent diverses
visions de la soeur Emmerich, qu'elle communiqua à diverses époques lors
de ses méditations annuelles pendant l'octave de la Conception de la
sainte Vierge. Elles ne présentent pas une série continue sur la vie de
Marie, mais elles jettent partout une lumière particulière sur
l'élection et la préparation de ce vase de la grâce. Comme elle les a
racontées au milieu de beaucoup de troubles et de souffrances, on ne
sera pas étonné qu'elles paraissent sous forme de fragments.
Dans
la nuit du 2 au 3 septembre l821, Anne Catherine, alors gravement
malade, eut des visions très étendues sur la fête des Anges
gardiens, ainsi que sur la nature des anges et les hiérarchies
célestes en général. Mais, assaillie par beaucoup de souffrances,
d'épreuves et de peines de toute espèce, elle n'en communiqua qu'une
petite partie et à bâtons rompus. On donne ici ce qu'on a pu obtenir
d'elle après des interrogations répétées.
Je vis un tableau
merveilleux : c'était Dieu qui, après a chute de l'homme, montrait aux
anges comment il roulait régénérer le genre humain. A la première vue,
je ne compris pas ce tableau, mais bientôt il devint clair pour moi.
Je vis le trône de Dieu. la
très sainte Trinité et comme un mouvement en Elle. Je vis les neuf
choeurs des anges auxquels Dieu annonçait de quelle manière il voulait
régénérer l'humanité déchue. Je vis, à cette annonce , une jubilation
indicible parmi les anges.
Le développement des
desseins de miséricorde de Dieu sur l'homme me fut montré dans divers
tableaux symboliques. Je vis ces tableaux apparaître au milieu des neuf
choeurs angéliques et se suivre comme une sorte d'histoire. Je vis les
anges coopérer à ces tableaux, les protéger et les défendre. Je ne puis
plus en rapporter la suite avec certitude ; je dirai avec l'aide de Dieu
ce que j'en ai retenu.
Je vis devant le trône de
Dieu une montagne comme de pierres précieuses : elle croissait et
s'étendait sans cesse ; elle avait des degrés et ressemblait à un trône,
puis elle prenait la figure d'une tour. Sous cette forme, elle
renfermait dans son enceinte tous les trésors spirituels, tous les dons
de la grâce. Les neuf choeurs des anges l'environnaient. Je vis à l'un
des côtés de cette tour, comme sur un petit rebord formé par une nuée
dorée, paraître des ceps de vigne et des épis de blé, qui
s'entrelaçaient comme les doigts de deux mains jointes. Je ne pourrais
pas bien déterminer à quel moment de la vision prise dans son ensemble,
j'ai vu cela.
Je vis apparaître, dans le
ciel, une figure semblable une vierge. qui entra dans la tour et se
fondit pour ainsi dire avec elle. La tour était très large et aplanie
par en haut ; il me sembla qu'il y avait par derrière une ouverture par
laquelle entra la Sainte Vierge Marie dans le temps, c'était elle dans
l'éternité en Dieu'. Je vis son apparition se produire devant la sainte
Trinité de la même manière que l'haleine se condense devant la bouche en
une petite vapeur '. Je vis aussi une apparition sortir de la sainte
Trinité vers la tour. Dans ce moment, je vis au milieu des choeurs des
anges paraître comme un tabernacle du saint Sacrement. Les anges
semblaient tous y travailler, et il avait la forme d'une tour entourée
d'images symboliques de toute espèce. Il y avait à côté deux figures qui
se tendaient la main derrière lui. Ce vase spirituel paraissait
s'accroître continuellement et devenait toujours plus magnifique et plus
riche.
Je vis alors quelque chose
sortir de Dieu et passer à travers les neuf choeurs des anges ; cela me
parut semblable à une nuée lumineuse qui devenait de plus en plus
distincte à mesure qu'elle approchait de ce tabernacle de sainteté dans
lequel enfin elle entra.
Autant que je puis le
comprendre, c'était une bénédiction substantielle de Dieu qui se
rapportait à la continuité d'une lignée pure et sans péché et pour ainsi
dire à la production de rejetons purs. Je vis enfin cette bénédiction,
sous la forme d'une fève brillante. entrer dans le tabernacle, après
quoi celui-ci se perdit lui-même dans la tour.
Voyez
le capitule des vêpres de l'office de la très sainte Vierge, tiré de
l'Ecclésiastique, XXIV : Ab initio et ante secula crenta sum, et
jusque ad futurum secuium non desinam.
Comparez le texte consacré par l'application que l'Église en fait
depuis longtemps à Marie : Ego ex ore Altissimi prodivi primogenita
ante omnem creaturam ; ego feci in coelis ut oriretur lumen
indeficiens. Thronus meus in columna nubis, etc. Eccli., XXIV, 7.
3 La narratrice, dans le cours de ses nombreuses contemplations,
moitié historiques, moitié symboliques, sur l'Ancien et le Nouveau
Testament, fit sur cette bénédiction plusieurs communications, dont
nous présenterons ici quelques-unes dans un ordre chronologique. " "
Ce fut, dit-elle, cette bénédiction avec laquelle et par laquelle
Eve fut tirée du côte droit d'Adam. Je la vis retirée à Adam par la
providence miséricordieuse de Dieu lorsqu'il était au moment de
consentir au péché. Abraham la reçut de nouveau par le ministère des
anges, après l'institution de la circoncision, en même temps que la
promesse de la naissance d'Isaac. Elle fut transmise par lui dans
une cérémonie solennelle et sacramentelle son premier-né Isaac, et
par celui-ci à Jacob. Cette bénédiction fut enlevée à Jacob par
l'ange qui lutta avec lui, et elle passa à Joseph, en Egypte. Enfin
elle fut prise de nouveau par Moïse, dans la nuit de la sortie d'Egypte,
enlevée avec les ossements de Joseph, et elle fut ensuite placée
dans l'Arche comme le trésor sacré du peuple de Dieu ".
Ce n'était pas sans scrupule et sans inquiétude que nous avions
rédigé, pour les livrer à l'impression, ces explications de la
soeur, lorsque nous apprîmes que, dans le livre appelé Sohar (qui a
été rédigé dans le second siècle de l'ère chrétienne, mais qui
contient des paroles beaucoup plus anciennes), on retrouve, presque
mot pour mot, ce qu'elle dit ici et ailleurs sur le mystère de
l'ancienne arche d'alliance. Un lecteur familiarisé avec la langue
chaldéenne peut s'en convaincre en lisant, par exemple, les textes
suivants : Par Toledoth, p. 340 ; ibid., p. 335 ; Béreschith, p. 155
; T'rurrab. 251, etc.
Je vis les anges jouer un
rôle actif dans une partie de ces apparitions. Une série de tableaux
s'éleva aussi de l'abîme ; c'étaient comme des images d'illusion et de
mensonge : je vis les anges agir contre elles et les faire disparaître.
J'ai vu et oublié beaucoup de choses de ce genre.
Il y avait dans tous ces
tableaux une merveilleuse liaison ; l'ensemble de cette vision était
singulièrement riche et significatif. Même les apparitions ennemies,
fausses, mauvaises, de tours, de calices, d'églises qui étaient rejetées
de côté, devaient servir au développement de l'oeuvre du salut.
Pendant ces récits, elle
revenait toujours sur l'inexprimable joie des anges. L'ensemble de ces
fragments n'a pas de conclusion proprement dite : cela semble une série
de tableaux symboliques relatifs à l'histoire de la rédemption. Elle
disait à ce sujet : " J'ai vu d'abord les représentations figuratives de
l'oeuvre de la rédemption au milieu des neuf choeurs des anges, et
ensuite une série de tableaux depuis Adam jusqu'à la captivité de
Babylone ".
XII
Élie voit une image figurative de la sainte Vierge.
Je vis toute la terre
promise privée de pluie, desséchée et languissante, et je vis Élie
monter au mont Carmel avec deux serviteurs, pour demander de la pluie à
Dieu. Ils montèrent d'abord sur un haut escarpement, puis, par des
degrés grossièrement taillés dans le roc, jusqu'à une terrasse, puis
encore de nouveaux degrés, et ils arrivèrent enfin à une plate-forme
assez grande, sur laquelle était un monticule de rochers où se trouvait
une grotte. Elie monta jusqu'au haut de ce monticule. Il laissa ses
serviteurs au bord de la plate-forme, et ordonna à l'un d'entre eux de
regarder la mer de Galilée. Celui-ci parut tout consterné à cette vue,
car le lac était entièrement desséché, plein de trous et d'excavations,
couvert de vase et d'animaux pourris.
Élie s'accroupit, mit sa
tête entre ses genoux, se voila, pria avec ardeur vers Dieu, et sept
fois de suite il demanda à haute voix à son serviteur s'il ne voyait pas
une nuée monter de la mer. A la septième fois, je vis le nuage monter,
et quand le serviteur l'annonça au prophète, celui-ci l'envoya au roi
Achab.
Je vis, au milieu de la
mer, se former comme un tourbillon de couleur blanche, duquel sortait un
petit nuage noir, qui se déploya et s'étendit. Dans ce petit nuage je
vis, dès le commencement, une petite figure brillante, semblable à une
vierge ; je vis aussi Élie l'apercevoir dans la nuée qui s'élargissait.
La tête de cette vierge était entourée de rayons ; elle étendait ses
bras en croix, et tenait à l'une de ses mains comme une couronne de
victoire. Son long vêtement était comme attaché sous ses pieds. Elle
parut dans le nuage qui grandissait, et sembla s'étendre sur toute la
terre promise.
Je vis ce nuage se diviser
; en certains endroits sainte et sanctifiés, et là où habitaient des
hommes pieux et aspirant au salut, il laissait comme de blancs
tourbillons de rosée Ces tourbillons avaient sur leurs bords toutes les
couleurs de l'arc-en-ciel, et je vis au milieu la bénédiction se
concentrer comme pour former une perle dans sa coquille. Il me fut
expliqué que c'était une figure prophétique, et que dans les lieux bénis
ou le nuage avait laissé ces tourbillons, il y eut réellement
coopération à la manifestation de la sainte Vierge (Note).
L'humanité, avant Jésus-Christ, était comme un sol desséché qui
aspirait après lui pour pouvoir donner des fruits Elle demandait que
sa soif fut apaisée, non seulement par des grâces spirituelles, mais
encore par la justice incarnée Jésus-Christ n'était pas seulement le
fruit et le rejeton de Dieu et de la terre (Isaie, IV, 2 ; Jérém.,
XXIII 5 , XXXIII, 15 ; Zach., III, 8 ; VI, 12), il était aussi une
pluie et une rosée destinée à faire naître des fruits semblables à
lui. Car David prophétise en ces termes : "il descendra comme la
pluie sur la prairie, comme les gouttes qui humectent la terre. Dans
ces jours-là, les justes fleuriront : le moment sera épais dans le
pays, sur la cime des montagnes (c'est-à-dire, d'après l'explication
de la traduction chaldaique, dans l'Église) ; ils s'accroîtront dans
les villes comme l'herbe de la terre. "(Ps. LXXI, 6, 18) Isaie s
écrie aussi : " Cieux, répandez d'en haut 1rotre rosée, et que les
nuées pleuvent le juste ". (Ps. LX, 8) Cette pluie se perpétue sous
une autre forme par la communication multipliée du saint Sacrement,
dont la manne était la figure. Aussi l'ancien commentaire hébraïque
Breschith rabba, à propos du texte où Isaac promet à Jacob, comme
bénédiction, la rosée du ciel. (Parasha 65, dans l'édition publiée à
Constantinople sous Soliman), remarque que, par cette rosée, il faut
entendre la manne, de même que par le froment et le vin (nourris par
la rosée), il faut entendre une postérité de jeunes gens et de
jeunes filles. (Sur la Genèse, XXVII, 28, comparez Zacharie, IX,
17). O ne doit point s'étonner si, dans les écrits juifs postérieurs
le Messie est montré comme une rosée. Dans le Talmud (Tannith dist
maimathi maskirin) Rabbi Barachia parle ainsi : "La maison d'Israël
a adressé à Dieu une prière indiscrète : qu'il vienne à nous,
a-t-elle dit, comme une pluie du matin, comme une pluie du soir qui
recouvre la terre. (Osée, VI, 3.) Alors Dieu lui a dit : Tu demandes
une chose qui tantôt est obtenue, tantôt ne l'est pas ; mais je
serai pour toi une chose qui sera obtenue : je serai pour Israël une
rosée, et il fleurira comme un lis (Osée, XIV, 4.) L'allusion au
Messie est plus claire dans le Talmud de Jérusalem. (Tract. b'rachot.,
c. 5;), lorsqu'il rapporte à cette même idée le psaume sur le
sacerdoce du Rédempteur. Il explique les paroles : La rosée de la
naissance vient du sein de l'aurore (dans la Vulgate : Ex utero ante
luciferum genui te, Ps. CIX, en les rapprochant du texte suivant de
Michée : Comme une rosée qui vient du Seigneur, combien de gouttes
d'eau sur l'herbe, que n'attendent pas l'homme et ne dépendent pas
des enfants des hommes. (Michée, V, 7.) La nuée mystérieuse d'Elie,
figure de la créature élue qui devait contenir et apporter cette
pluie, laquelle, tombée d'abord de la croix et depuis s'épanchant à
jamais du sacrement de l'autel, rafraîchit la terre desséchée, cette
nuée monte de la mer de Galilée ; ce qui est parfaitement
convenable, puisque c'est de cette mer et de ses bords que la rosée
de la doctrine et des bienfaits de Jésus-Christ s'est répandue avec
tant d'abondance et d'efficacité sur la pauvre humanité. Même alors,
quand il enseignait à Capharnaum (Joan., VI) qu'il était la vraie
rosée céleste, la vraie manne r le pain de vie dans le Saint
Sacrement, il était immédiatement auparavant venu miraculeusement
sur la mer comme une nuée, et il versait la bénédiction de la grande
promesse dans les coeurs de ses auditeurs Nous nous souvenons
d'avoir lu dans un vieil écrit rabbinique que le Messie devait
monter de la nier de Galilée ; mais nous ne pouvons, pour le moment,
citer exactement le passage, que nous reproduirons en son lieu quand
nous l'aurons retrouve. Nous trouvons pourtant dans un vieux
commentaire hébraïque sur les Psaumes (Midrach Thilim f 4 Lightfoot
centur. chronogr., c. 70) les paroles suivantes : " J'ai crée sept
mers, dit Dieu, mais je n'ai choisi entre toutes que celle de
Genezareth ".
Je vis ensuite un songe
prophétique où, pendant l'ascension de la nue, Élie apprit plusieurs
mystères relatifs à la sainte Vierge ; malheureusement, au milieu de
tant de choses qui nie troublent et me distraient' j'en ai oublié le
détail exact, ainsi que bien d'autres choses. Élie connut, entre autres
choses, que Marie devait naître dans le septième âge du monde ; c'est
pour cela qu'il appela sept fois son serviteur. Il vit aussi de quelle
race elle sortirait.
Je vis une autre fois Élie
élargir la grotte au-dessus de laquelle il avait prié, et établir une
organisation plus régulière parmi les enfants des prophètes :
quelques-uns de ceux-ci priaient habituellement dans Cette grotte pour
demander la venue de la sainte Vierge, et l'honoraient déjà avant sa
naissance. Je Vis que cette dévotion à la sainte Vierge se perpétua sans
interruption, qu'elle subsistait encore, grâce aux Esséniens, quand
Marie était déjà sur la terre, et que plus tard elle continua à être
pratiquée par des ermites, desquels sortirent enfin les religieux du
Carmel.
XIII
Eclaircissements sur la précédente vision d'Élie.
Quand la narratrice communiqua plus tard ses contemplations sur l'époque
de saint Jean-Baptiste, elle vit de nouveau la vision relative à Élie,
avec quelques détails sur l'état où se trouvaient alors le pays et ses
habitants. Nous donnons ce qui suit comme pouvant éclaircir ce qui a été
dit précédemment.
Je vis un grand mouvement à Jérusalem, près du temple ; c'étaient des
gens qui délibéraient, qui écrivaient avec des plumes de roseau, qui
envoyaient des messagers dans le pays. On priait, on invoquait Dieu pour
avoir de la pluie ; on faisait chercher Elie partout. Je vis aussi Élie
dans le désert, nourri et désaltéré par un ange. Je vis tous les
rapports du prophète avec Achab, le sacrifice sur le Carmel, la mort des
prêtres des idoles, sa prière pour la pluie et l'arrivée des nuages.
Je vis, outre la sécheresse de la terre, une grande stérilité chez les
hommes et un certain abâtardissement. Je vis qu'Élie appela par sa
prière la bénédiction qui produisit la nuée, et qu'il dirigeait et
répartissait les nuages et la pluie d'après des intuitions intérieures,
sans quoi il y aurait eu peut-être une inondation destructive. Il
demanda sept fois à son serviteur s'il voyait la nuée : cela fait
allusion à sept âges du monde et à sept générations qui devaient
s'écouler jusqu'au temps où la bénédiction véritable, dont cette nuée de
bénédiction n'était que la figure, prendrait fortement racine dans
Israel ; il vit même dans la nuée qui s'élevait une image de la sainte
Vierge et connut plusieurs mystères qui se rapportaient à sa généalogie
et à sa venue 1.
1. – Dans l'office de la Conception de Marie, et ailleurs, dans les
livres liturgiques de l'Eglise, l'emploi du verset de l'Ecclésiastique
(XXIV, 6) : Sicut nebula lexi omnem terram se trouve en parfaite
concordance avec cette vision prophétique sur la mère de Dieu.
Je vis, par l'effet de la prière d'Élie, la bénédiction descendre
d'abord sous forme de rosée.- La nuée s'abaissait ; il s'en détachait
des flocons blancs, lesquels formaient des tourbillons dont les bords
étaient de la couleur de l'arc-en-ciel, et se résolvaient enfin en
gouttes d'eau qui tombaient sur la terre. Je reconnus aussi là quelque
chose qui se rapportait à la manne du désert ; mais la manne, le matin,
était par terre, compacte et cassante, et on pouvait l'empaqueter. Je
vis ces tourbillons de rosée aller le long du Jourdain et s'arrêter, non
pas partout, mais ça et là à certaines places. Je vis spécialement à
Ainon, en face de Salem, et à l'endroit où eut lieu plus tard le baptême
de Notre Seigneur, descendre de ces tourbillons brillants. Je demandai
aussi ce que signifiaient leurs bords aux couleurs varices, et cela me
fut expliqué par l'exemple d'une coquille marine, qui a aussi des
rebords aux couleurs brillantes, et qui, s'exposant au soleil, attire à
elle la lumière et la dégage des couleurs, jusqu'à ce qu'au milieu
d'elle naisse la perle dans toute sa pureté et sa blancheur. Il me fut
montré que cette rosée et la pluie qui lui succédait étaient quelque
chose de plus que ce qu'on entend ordinairement par un rafraîchissement
de la terre.
J'eus la perception distincte que sans cette rosée la venue de la sainte
Vierge aurait été différée d'au moins un siècle, tandis que, par suite
de l'amélioration et de la bénédiction de la terre, les races qui vivent
de ses fruits furent aussi restaurées et ranimées, et la chair recevant
la bénédiction s'ennoblit.
Je vis aussi comment alors la terre et la chair étaient altérées et
aspiraient après la pluie, comme plus tard les hommes et l'esprit
aspiraient au baptême de Jean. Tout ce tableau représentait à l'avance
l'avènement de la sainte Vierge, et en outre l'état du peuple à l'époque
de saint Jean-Baptiste. Leur anxiété d'alors, leur ardeur languissante,
leur désir de la pluie et d'Élie, et pourtant la persécution de
celui-ci, rappelaient l'ardeur avec laquelle, plus tard, le peuple
cherchait le baptême et la pénitence, et aussi l'aveuglement de la
synagogue et l'envoi de ses ambassadeurs auprès de Jean.
XIV
Figure prophétique de la Sainte Vierge en Égypte.
Je vis en Égypte ce message de salut apporté de la manière suivante : je
vis qu'Élie devait faire rassembler de trois contrées, à l'Orient, au
Nord et au Midi, de pieuses familles dispersées, et qu'il chargea de
cette mission trois disciples des prophètes. Il ne les envoya qu'après
avoir reconnu par un signe demandé à Dieu quels étaient ceux qui
convenaient pour cela, car c'était une tâche périlleuse, et il fallait
choisir des messagers intelligents, afin qu'ils ne fussent pas mis à
mort. L'un d'eux alla vers le Nord, l'autre vers l'Orient, le troisième
vers le Midi. Celui-ci avait à faire un long voyage à travers l'Égypte,
où les Israélites avaient des risques particuliers à courir. Ce messager
suivit le chemin que la sainte Famille prit lors de sa fuite en Égypte ;
je crois aussi qu'il passa dans le voisinage de la ville d'On, où
l'enfant Jésus se réfugia. Je le vis, dans une grande plaine, arriver
près d'un temple d'idoles, qui était dans une prairie, et entouré de
diverses autres idoles. On adorait là un taureau vivant. Il y avait dans
le temple une figure de taureau et plusieurs autres idoles. On faisait
là d'horribles sacrifices et on immolait des enfants mal conformés.
Les habitants du pays saisirent le disciple des prophètes et le
conduisirent devant leurs prêtres. Heureusement ils étaient très
curieux, sans cela ils l'auraient égorgé. Ils lui demandèrent d'où il
était et ce qui l'amenait chez eux. Il leur dit sans hésiter qu'il
devait naître une vierge de laquelle sortirait le salut du monde, et
qu'alors ils briseraient toutes leurs idoles 1.
Saint Epiphane, dans son livre sur la Vie des Prophètes, dit de Jérémie
: "Ce prophète donna un signe aux prêtres égyptienne, et Leur annonça
que toutes leurs idoles tomberaient en morceaux quand une Vierge mère,
avec son enfant divin, entrerait en Egypte. Et cela arriva ainsi ; c'est
pourquoi, encore aujourd'hui, ils adorent une Vierge mère et un enfant
couché dans une crèche. Quand le roi Ptolémée leur en demanda la cause,
ils répondirent : " C'est un mystère que nous avons reçu de nos pères,
auxquels il a été annoncé par un saint prophète' et nous en attendons
l'accomplissement ". (Epiphan., t. II, p. 240.) Toutefois le disciple
d'Elie, mentionné plus haut, ne peut pas être Jérémie, puisque celui-ci
vécut trois siècles plus tard.
1. – Ils s'étonnèrent de ce qu'il annonçait, en parurent très émus, et le
laissèrent aller sans lui faire de mal. Je les vis ensuite tenir conseil
et faire faire l'image d'une vierge, qu'ils placèrent au milieu du
plafond du temple, étendue en l'air et comme planant. Cette figure'
avait une coiffure pareille à celle de leurs idoles, dont un grand
nombre étaient rangées à la suite les unes des autres, ayant le haut du
corps d'une femme et le reste d'un lion. Sur le haut de la tète était un
petit vase assez profond, semblable à ceux dont on se servait pour
mesurer des fruits ; le haut des bras était appliqué le long du corps
jusqu'au coude, les bras s'en séparaient et s'étendaient en se relevant
; elle tenait des épis de blé dans les mains ; elle avait trois
mamelles, une plus grande, placée plus haut au milieu ; deux plus
petites, plus bas, de chaque côté de la première.
Un archéologue a communiqué à l'écrivain un dessin fait d'après une
antique statue égyptienne, qui est censée représenter Isis, et qui
correspond de tout point à la description donnée par la soeur de cette
singulière figure.
Le bas du corps était enveloppé d'un long vêtement ; les pieds étaient
petits et effilés ; des espèces de houppes y pendaient. Aux deux épaules
étaient attachées des espèces d'ailes comme de belles plumes en forme de
rayons. Ces ailes étaient comme deux peignes de plumes jointes les unes
aux autres. Des plumes croisées couraient le long des hanches et se
repliaient par-dessus le milieu du corps. La robe n'avait pas de plis.
Ils honorèrent cette image et lui offrirent des sacrifices, la priant de
vouloir bien ne pas briser leur dieu Apis et leurs autres dieux. Du
reste, ils persévérèrent comme auparavant dans toutes les abominations
de leur culte idolâtrique ; seulement, à dater de ce temps, ils
invoquèrent par avance cette vierge, dont ils avaient composé l'image, à
ce que je pense, d'après diverses indications tirées du récit du
prophète et en essayant de reproduire la figure vue par Élie.
Je vis aussi comment, à cette époque, par un effet de la grande
miséricorde de Dieu, il fut annoncé à de pieux païens que le Messie
naîtrait d'une vierge dans la Judée. Les ancêtres des trois rois mages,
les Chaldéens, adorateurs des astres, reçurent cette connaissance au
moyen de l'apparition d'une image dans une étoile ou dans le ciel. Ils
prédirent l'avenir à ce sujet. J'ai vu les traces de ces annonces
prophétiques de la sainte Vierge dans les représentations figurées qui
ornaient leurs temples. J'en ai parlé ailleurs.
XV
L'arbre généalogique du Messie.
Je vis la souche du Messie, à partir de David, se diviser en deux
branches. A droite courait la ligne qui commençait par Salomon et
finissait par Jacob, le père de saint Joseph. Je vis les figures de tous
les ancêtres de saint Joseph mentionnés dans l'Évangile, sur les
branches de ce rejeton de la souche de David par Salomon. Cette ligne
généalogique, placée à droite, avait une signification supérieure : les
figures étaient plus grandes, et en quelque sorte plus immatérielles que
celles de la ligne de gauche. Chacune tenait à la main une tige longue à
peu près d'une coudée, avec des feuilles pendantes semblables à celles
de palmier ; au sommet de cette tige fleurissait la grande campanule en
forme de lis, avec cinq étamines jaunes par en haut, qui répandaient une
belle poussière. Ces fleurs différaient en grandeur, en vertu et en
beauté. La fleur que portait saint Joseph, le père nourricier de Jésus,
était la plus remarquable de toutes par sa beauté et la fraîcheur de ses
feuilles. Trois membres de cette lignée, vers le milieu, avaient été
rejetés ; ils étaient noircis et flétris. Il y avait plus d'une lacune
dans cette ligne venant de Salomon, où les rejetons étaient très
éloignés les uns des autres. La branche de droite et celle de gauche se
touchaient quelquefois, et peu de degrés avant la fin elles se
croisaient réciproquement. J'eus une explication sur la signification
plus relevée de la ligne de Salomon. Elle provenait plus de l'esprit,
moins de la chair. Elle avait quelque chose de la signification de
Salomon lui-même. Je ne puis pas bien exprimer cela.
La ligne généalogique de gauche allait de David, par Nathan, jusqu'à
Héli, qui est le vrai nom de Joachim, le père de Marie ; car il reçut
plus tard ce dernier nom, de même qu'Abraham, qui s'était appelé d'abord
Abram J'ai oublié la cause de ce changement ; mais je la retrouverai
peut-être. Dans mes contemplations, j'entendis souvent nommer Jésus le
fils d'Héli, selon la chair.
Le texte de saint Luc (III, 23) est ainsi donné par plusieurs
interprètes anciens et nouveaux (par ex. Hilarius Diaconus, Quoest. uet.
et nou., I, 56) et il, 6), spécialement d'après le texte grec : "il
passait pour fils de Joseph, mais, dans le fait, il venait d'Héli. "Que
Marie, dont la généalogie est pourtant donnée par saint Luc, ne soit pas
nommée elle-même, cela s'explique par le principe des généalogiste juifs
: Genus patris vocatur genus, genus matris non vocatur genus (Talmud,
Baba bathra, f. 110) Le père de Marie était donc le premier membre qu'on
pût citer dans la série des ancêtres du Christ selon la chair.
Jésus-Christ, qui n'avait pas de père sur la terre, est appelé, à plus
juste titre, le fils d'Héli selon la chair, que Laban, nommé fils de
Nachor (Genes., XXIV, 5), et Zacharie, nommé le fils d'Iddos (Esdr., V,
1), bien qu'ils ne soient que les petits-fils des personnages en
question.
XVI
Tableau de la fête de la conception de Marie.
(raconté la 8 décembre 1819.)
Après avoir passé toute la nuit, jusqu'au matin, à contempler, dans une
effrayante Vision, les péchés du monde entier, je m'endormis de nouveau
et me trouvai transportée à Jérusalem, à l'endroit où avait été le
temple, puis ensuite dans les environs de Nazareth, au lieu où s'était
trouvée autrefois la maison d'Anne et de Joachim.
Je reconnus bien le pays.
Je vis là une belle colonne de lumière s'élever de
terre comme la tige d'une fleur ; de même que le calice de la fleur ou
la tête d'un pavot sortent d'un pédoncule, cette colonne portait une
église octogone toute lumineuse'. La colonne montait jusque dans le
centre de l'église comme un petit arbre dont les branches, régulièrement
partagées, portaient des figures de la famille de la sainte Vierge,
lesquelles étaient, dans cette représentation de la fête, l'objet d'une
vénération particulière. Elles étaient comme sur les étamines d'une
fleur. C'était sainte Anne, entre saint Joachim et un autre homme,
peut-être son père Sous la poitrine de sainte Anne, je vis une cavité
lumineuse à peu près de la forme d'un calice, et, dans cette cavité, la
figure d'un enfant resplendissant qui se développait et grandissait ;
ses petites mains étaient croisées sur sa poitrine ; sa petite tête
était inclinée, et il en partait une infinité de rayons qui se
dirigeaient vers une partie du monde. Il me semble que ce n'était pas
dans toutes les directions. Sur d'autres rameaux environnants étaient
plusieurs figures tournées vers le centre, dans une attitude
respectueuse et, dans l'église, je vis un nombre infini de saints rangés
tout autour, ou formant des choeurs, se tourner en priant vers cette
sainte Mère.
La soeur voyait toutes les fêtes de l'Église, et celles mêmes qui ne
sont plus célébrées sur la terre dans l'Église militante, célébrée dans
l'Église triomphante. Elle voyait tous les saints qui avaient une
relation particulière avec la fête en faire la solennité dans une église
transparente qui était la plupart du temps de forme octogone. cette
église lui apparaissait ordinairement planant en l'air. Il est digne de
remarque que, dans les fêtes qui avaient rapport aux parents de
Jésus-Christ suivant la chair ou Au : mystères de sa vie, elle ne voyait
pas cette église suspendue en l'air, mais, de même qu'une fleur ou un
fruit, placée sur une tige sortant de la terre comme sur une colonne et
paraissant avoir poussé sur cette tige.
La plus douce ferveur et l'union la plus intime se manifestaient dans
cette fête. On ne pourrait comparer le spectacle qu'elle offrait qu'à
celui d'un champ de fleurs très variées qui, agitées par un vent léger,
se tournent vers le soleil, comme pour lui offrir leurs parfums et leurs
couleurs, vers ce soleil duquel toutes les fleurs ont reçu ces dons
eux-mêmes, et jusqu'à leur vie.
Au-dessus de ce tableau symbolique de la fête de l'Immaculée Conception,
s'éleva le petit arbre lumineux avec un nouveau rejeton à son extrémité,
et je vis dans cette seconde couronne de branches célébrer un moment
postérieur de la fête. Ici, Marie et Joseph étaient agenouillés, et, un
peu plus bas, devant eux, sainte Anne. Ils adoraient l'enfant Jésus,
qui, le globe impérial en main était assis au-dessus d'eux, au sommet de
la tige, environné d'un éclat incomparable. Autour de cette
représentation, les choeurs des rois mages, des bergers, des apôtres et
des disciples étaient en adoration à très peu de distance, tandis que
d'autres saints formaient des cercles moins rapprochés. Ensuite, je vis
en haut, au milieu d'une grande lumière, des formes plus indistinctes de
puissances célestes ; plus haut encore, comme un demi soleil rayonner à
travers la coupole de l'église. Ce second tableau semblait faire
allusion à la proximité de la fête de Noël, qui vient peu après celle de
la Conception.
Lors de la première apparition du tableau, il me sembla que j'étais hors
de l'église, sous la colonne, dans le pays environnant ; plus tard,
j'étais dans l'intérieur de l'église que j'ai décrite. Je vis aussi la
petite Marie se développer dans l'espace lumineux qui était sous le
coeur de sainte Anne ; je me sentis en même temps convaincue, à un degré
inexprimable, de l'absence de la tache originelle dans la conception de
Marie. Je lus cela distinctement comme dans un livre, et je le compris.
Il me fut dit qu'autrefois, il y avait eu dans ce lieu une église érigée
en mémoire de cette grâce inestimable accordée par Dieu ; mais qu'ayant
été l'occasion de luttes peu convenables sur ce saint mystère, elle
avait été livrée à la destruction ; que toutefois l'église triomphante
faisait toujours dans cet endroit la fête de l'Immaculée Conception.
XVII
La sainte Vierge parle des mystères de sa vie.
Pendant ses contemplations sur les années de prédication de Notre
Seigneur Jésus-Christ, la soeur raconta ce qui suit, le 26 décembre 1822
:
J'entends souvent la sainte Vierge raconter à des
femmes qui ont sa confiance, par exemple, à Jeanne Chusa et à Suzanne de
Jérusalem, divers mystères relatifs à Notre Seigneur et à elle-même,
qu'elle a connus, soit par une illumination intérieure, soit par ce que
lui en a dit sainte Anne. Ainsi, je l'ai souvent entendue raconter à
Suzanne et à Marthe que, pendant qu'elle portait Notre seigneur dans son
sein, elle n'avait jamais ressenti la moindre souffrance, mais une joie
intérieure continuelle et un bonheur infini. Elle leur racontait aussi
que Joachim et Anne s'étaient rencontrés sous la porte dorée à une heure
dorée aussi ; qu'en ce lieu leur avait été départie cette plénitude de
la grâce divine, en vertu de laquelle elle seule avait reçu l'existence
dans le sein de sa mère par l'effet de la sainte obéissance et du pur
amour de Dieu, sans aucun mélange d'impureté. Elle leur fit connaître
aussi que, sans la chute originelle. La conception de tous les hommes
aurait été également pure.
Je vis ensuite de nouveau tout ce qui concernait la grâce accordée aux
parents de Marie, depuis l'apparition de l'ange à Anne et à Joachim,
jusqu'à leur rencontre sous la porte dorée, de la manière que je l'ai
toujours raconté. Sous la porte dorée, c'est-à-dire dans la salle
souterraine qui était sous cette porte, je vis Joachim et Anne entourés
d'une multitude d'anges qui brillaient d'une lumière céleste ; eux-mêmes
resplendissaient, et ils étaient purs comme des esprits, se trouvant
dans un état surnaturel où aucun couple humain n'avait été avant eux.
C'était, je crois, sous la porte dorée elle-même, que s'accomplissaient
les épreuves et les cérémonies de l'absolution pour les femmes accusées
d'adultère, ainsi que d'autres expiations.
Il y avait cinq passages souterrains de ce genre au-dessous du temple ;
il y en avait aussi un sous l'endroit où demeuraient les vierges. On y
était conduit pour certaines expiations déterminées '. Je ne sais pas si
d'autres avant Joachim et Anne passèrent par ce chemin, mais, dans tous
les cas, je crois que ce fut un cas très rare. Je ne me souviens pas
bien non plus si c'était lu coutume lors des sacrifices offerts par des
personnes stériles. Dans cette circonstance, il fut ordonné aux prêtres
de régler ainsi les choses.
La soeur Emmerich est d'accord en ceci avec ce que disent les plus
anciens livres juifs. (voyez, par exemple, Mischna. Tract. Tamid., c. v,
et Sotah., c.I)
Il est bon de considérer qu'à cet endroit même du temple, au-dessus
duquel les femmes accusées d'adultère étaient soumises au jugement de
Dieu au moyen du breuvage amer appelé l'eau de jalousie (Num., V). puis
punies ou justifiées, à cet endroit, disons-nous, où les impurs étaient
purifiés, furent données la grâce et la bénédiction pour la Conception
sans tache de la Mère de Jésus-Christ, dans l'union duquel avec l'Eglise
le mariage est un grand sacrement (Eph., V, 32), et qui s'est offert en
sacrifice expiatoire pour expier l'adultère de l'humanité d'avec son
Dieu, et devenir le fiancé des âmes rachetées par lui.
XVIII
Célébration de la fête de la Conception en divers lieux.
Introduction. Détails personnels.
Le 8 décembre 1820, fête de l'1mmaculée conception de Marie, l'âme de la
soeur, pendant le cours de ses contemplations et de ses prières, se
trouva comme transportée à travers une grande partie de la terre. Nous
plaçons ici quelque chose de ce qui nous fut communiqué à ce sujet, pour
donner une idée de ces sortes de voyages en esprit.
Elle alla à Rome, se trouva près du saint Père, visita en Sardaigne une
pieuse religieuse qu'elle aimait beaucoup, toucha Palerme, passa en
Palestine, ensuite dans l'Inde. Elle alla aussi en Abyssinie, dans une
ville de Juifs, située sur une haute chaîne de montagnes ; elle en
visita la souveraine, qui s'appelait Judith ', et s'entretint avec elle
du Messie, de la fête de la Conception de sa mère, du saint temps de
l'Avent et de la fête prochaine de Noël. Dans le cours de ce voyage,
elle fit tout ce que, dans un voyage de ce genre, aurait fait, suivant
l'occasion, un consciencieux missionnaire : elle pria, enseigna,
secourut, consola et s'informa.
Cette nuit, dit-elle, ayant fait en songe un voyage dans la ; terre
promise, je vis tout ce que j'ai raconté de la Conception de la sainte
Vierge. Je passai ensuite aux contemplations journalières des années de
prédication de Notre Seigneur, et j'en étais aujourd'hui au 8 décembre
de la troisième année. Je ne trouvai pas Jésus dans la terre promise ;
mais je fus conduite par mon guide au delà du Jourdain, en Arabie, où le
Seigneur, accompagné de trois disciples, se trouvait dans une ville de
tentes des trois rois mages : c'était là qu'ils s'étaient établis à leur
retour de Bethléhem.
Lorsque l'écrivain mit sur le papier le récit très circonstancié de ses
rapports avec Judith et sa description des lieux, il avait conjecturé,
d'après la direction de son voyage, qu'il s'agit de l'Abyssinie.
Plusieurs années après la mort de la soeur, il trouva dans les voyages
de Bruce et de Salt la mention d'une colonie juive établie sur la haute
chaîne de Samen en Abyssinie, et dont le chef s'appelait toujours
Gédéon, ou, lorsque c'était une femme, Judith. Ce dernier nom, comme on
le voit, a été indiqué par la soeur Emmerich.
XIX
Les rois mages fêtent la Conception de Marie.
Je vis que deux des trois rois mages qui vivaient encore, à dater
d'aujourd'hui, 8 décembre, célébraient avec leur tribu une fête de trois
jours. Quinze ans avant la naissance du Sauveur, ils avaient vu, pour la
première fois, dans cette nuit, se lever l'étoile annoncée par Balaam
(Num XXIV, 17), qu'eux et leurs ancêtres avaient attendue si longtemps
en observant constamment le ciel. Ils y avaient aperçu l'image d'une
vierge qui tenait d'une main un sceptre, de l'autre une balance ayant
sur l'un de ses plateaux un bel épi de blé, sur l'autre une grappe de
raisin faisant contrepoids. Depuis leur retour de Bethléhem, ils
célébraient annuellement, à partir du 8 décembre, une fête de trois
jours, etc.
Je vis qu'à la suite de cette connaissance qu'ils avaient eue le jour de
la Conception de Marie, quinze ans avant la naissance de Jésus-Christ,
ces adorateurs des astres a aient aboli une horrible coutume religieuse
qui avait été depuis longtemps en usage parmi eux, par suite de
révélations mal comprises et obscurcies par de malignes influences :
savoir, un abominable sacrifice d'enfants. Ils avaient en différents
temps sacrifié de diverses manières des hommes et des enfants.
Je vis que, dans l'époque antérieure à la Conception de Marie, ils
avaient la coutume suivante : ils prenaient l'enfant d'une des plus
chastes et des plus pieuses parmi les femmes de leur religion, laquelle
se trouvait heureuse d'offrir ainsi son nourrisson. L'enfant était
écorché et recouvert de farine destinée à absorber le sang. Ils
mangeaient cette farine imprégnée de sang comme un aliment sacré, et
recommençaient cet affreux repas jusqu'à ce que le sang fût épuisé. En
dernier lieu, la chair de l'enfant était coupée en petits morceaux,
distribuée et mangée 1.
Je les vis accomplir cette cérémonie abominable avec beaucoup de
simplicité et de dévotion, et il me fut dit qu'ils en étaient venus à
cette horrible coutume par suite de l'altération et de la fausse
interprétation de certaines traditions prophétiques figuratives sur la
sainte Cène.
Je vis ces abominations en Chaldée, dans le pays de Mensor, l'un des
trois rois mages. Je le vis aussi le jour de la Conception de Marie
recevoir dans une vision une illumination d'en haut, à la suite de
laquelle l'horrible usage fut aboli.
1. –
Il est remarquable de voir les écrivains des premiers siècles de
l'Eglise qui parlent des accusations portées par les paiens contre les
chrétiens, et entre autres Minucius Félix, rapporter aussi ces
calomnies. Les chrétiens, selon leurs accusateurs, présentaient à celui
qu'ils initiaient à leur religion un enfant recouvert de farine pour
mieux cacher le meurtre dont il avait été victime. Le néophyte devait
percer plusieurs fois l'enfant avec un couteau. Ils buvaient avec
avidité le sang qui ruisselait, coupaient l'enfant en petits morceaux et
le mangeaient en entier. Ce crime, commis en commun, était devenu pour
eux la garantie réciproque du silence et de l'observation du secret
relativement à d'autres pratiques infâmes par lesquelles se terminaient
leurs assemblées. L'origine de cette accusation ne viendrait-elle pas
des sacrifices d'enfants attribués ici a ces adorateurs des astres qui
furent des premiers à embrasser le Christianisme ? Quoi qu'il en soit,
on peut conjecturer que des idées semblables à celles que nous trouvons
ici chez les mages relativement a des prophéties mal comprises, ont été
aussi le mobile secret qui a fait égorger par les Juifs des enfants
chrétiens, et, s'il en est ainsi, ces ténébreuses abominations seraient
une des nombreuses raison' qui doivent porter à plaindre le malheureux
judaïsme plutôt qu'à le mépriser. Il y a là une aspiration vers le
Sauveur, quoiqu'étrangement défigurée. Les faits de ce genre, qui
semblent s'être si souvent reproduits, n'ont jamais été, que nous
sachions, soigneusement recueillis et examinés sans prévention. Dans les
temps modernes' on a généralement trouvé plus commode de les traiter
légèrement, ainsi qu'on fait pour toutes les énigmes historiques dont
l'origine se perd dans d'obscures profondeurs, et de ne voir là que des
accusations portées par un aveugle fanatisme.
Je le vis sur une haute pyramide en bois occupé à observer les étoiles,
ce que ces gens continuaient à faire depuis des siècles, poussés à cela
par d'antiques traditions. Je vis le roi Mensor, pendant qu'il regardait
le ciel, tomber tout à coup en extase : il avait perdu connaissance. Ses
compagnons vinrent et le firent revenir à lui ; mais, au commencement,
il ne paraissait pas les reconnaître. Il avait vu l'étoile avec la
Vierge, la balance, l'épi, la grappe de raisin, et reçu un avertissement
intérieur qui lui fit abolir ce culte abominable.
La nuit, pendant mon sommeil, ayant vu à ma droite l'horrible scène du
meurtre de l'enfant, je me retournai de l'autre côté pleine d'effroi ;
mais je le vis encore à ma gauche. Alors je priai Dieu de tout mon coeur
afin qu'il me délivrât de cet affreux spectacle ; quand je me
réveillais, j'entendis sonner l'heure, et mon fiancé céleste me dit : "
Vois les traitements encore pires que me font subir tous les jours
beaucoup de gens dans le monde entier ".
Et quand je regardai autour de moi, bien des choses encore plus
horribles que ces sacrifices d'enfants passèrent devant mon âme ; je vis
bien souvent Jésus lui-même cruellement immolé sur l'autel par la
célébration indigne et criminelle des saints mystères. Je vis devant des
prêtres sacrilèges la sainte hostie reposer sur l'autel comme un enfant
Jésus vivant qu'ils coupaient en morceaux avec la patène et qu'ils
martyrisaient horriblement. Leur messe, quoique accomplissant réellement
le saint sacrifice, m'apparaissait comme un horrible assassinat.
La même cruauté me fut montrée dans les mauvais traitements exerces
envers les membres de Jésus-Christ, envers ceux qui confessent son nom
et que Dieu a adoptés pour enfants ; car je vis une foule innombrable de
malheureux opprimés, tourmentés et persécutés de nos jours en plusieurs
lieux, et je vis toujours qu'on maltraitait par là Jésus-Christ en
personne. Nous sommes à une époque déplorable où il n'y a plus de refuge
contre le Mal : un épais nuage de péchés pèse sur le monde entier, et je
vois les hommes faire les choses les plus abominables avec une
tranquillité et une indifférence complètes.
Je vis tout cela dans plusieurs visions pendant que mon âme était
conduite à travers divers pays sur toute la terre à la fin, je revins
aux contemplations relatives à la fête de la Conception de Marie.
NOTE : — De même que le
sacrifice du Calvaire fut accompli par les ordres cruels de prêtres
impies et par les mains sanguinaires de bourreaux effrénés, de même le
sacrifice de l'autel, quand il est célébré indignement, reste un vrai
sacrifice, mais le consécrateur joue à la fois le rôle de prêtres juifs
qui condamnèrent Jésus, et des soldats qui exécutèrent la sentence.
XX
Sur l'histoire de la fête de la Conception de Marie.
Je ne saurais pas bien expliquer la façon merveilleuse dont j'ai voyagé
cette nuit en songe. J'étais dans les contrées du monde les plus
différentes, aux époques les plus diverses, et je vis souvent célébrer
la tête de la Conception de Marie. Je me trouvai près d'Ephèse, et je
vis célébrer cette fête dans la maison de la Mère de Dieu, qui servait
encore d'église. Ce devait être à une époque très reculée, car je vis le
chemin de la Croix érige par Marie elle-même parfaitement conservé ; le
second fut érigé à Jérusalem, le troisième à Rome.
Les Grecs célébraient cette fête longtemps avant leur séparation de
l'Eglise. Je me souviens encore un peu' quoique non bien distinctement,
de ce qui y donna lieu. Je vis notamment un saint, saint Sabas, à ce que
je crois, qui Put une apparition relative à immaculée Conception. Il vit
l'image de la sainte Vierge, debout sur le globe terrestre, écrasant la
tête du serpent, et il connut que la sainte vierge seule avait été
conçue sans blessure et sans souillure de la part du serpent
N.
NOTE : — Le 5 juillet 1835, l'écrivain apprit par les notes de Baronius sur
le martyrologue romain (8 décembre) qu'il y a dans la bibliothèque
Sforza un manuscrit, n° 65, où se trouve un discours tenu à
Constantinople par l'empereur Léon (monté sur le trône en 880), et
duquel il résulte que la fête de la Conception est de beaucoup
antérieure à son époque. Suivant Canisius (de Beatissima virgine Maria,
lib I, c. 7.) et Galatinus (de Arcanis catholicoe veritatis, llb. VII,
c. 5), cette fête est mentionnée dans le Martyrologe de saint Jean
Damascène. Le saint abbé Sabas, dont parle la soeur Emmerich, est connu
comme ayant été très dévot à Marie. Il mourut en 590.
Je vis aussi qu'une église des Grecs, ou qu'un évêque de leur nation ne
voulut pas admettre cela ; cette image vint alors vers eux sur la mer.
Je vis cette apparition planer sur les flots, se diriger vers leur
église et se montrer au-dessus de l'autel ; après quoi ils commencèrent
à célébrer cette fête. On possédait dans cette église un portrait de la
sainte Vierge fait par saint Luc. Elle était représentée vêtue de blanc,
avec un voile de la même couleur, et ressemblait beaucoup à ce qu'elle
avait été de son vivant. Je crois vaguement qu'il venait de Rome, où
l'on n'a d'elle qu'un portrait en buste. Ce portrait avait été placé sur
un autel à la place où avait apparu l'image de l'Immaculée Conception.
Je crois qu'il est encore à Constantinople, où je l'ai vu honorer à une
époque ancienne.
Je me suis trouvée en Angleterre, et j'y ai vu introduire et célébrer
cette fête à une époque très ancienne. Avant-hier, jour de Saint
Nicolas, j'ai vu à ce sujet le miracle suivant : je vis un abbé
d'Angleterre sur un navire pendant une tempête qui menaçait de
l'engloutir. On y invoquait avec instance le secours de la mère de Dieu
Je vis alors apparaître saint Nicolas de Myre, qui planait sur la mer
près du navire ; il dit à l'abbé que Marie l'envoyait pour lui annoncer
qu'il devait célébrer le 8 décembre la fête de la Conception, et que le
navire arriverait au port. L'abbé lui ayant demandé quelles prières il
fallait dire, il lui fut répondu qu'il fallait se servir de celles de la
fête de la Nativité de la sainte Vierge. Lors de l'introduction de la
fête, le nom d'Anselme fut aussi prononcé' ; mais j'ai oublié les
détails. Je vis aussi l'introduction de cette fête en France, et comment
saint Bernard s'y montra opposé, parce que la chose ne venait pas de
Rome N.
Ici s'arrêtent les éclaircissements ajoutés par la soeur Emmerich à son
récit de la Conception de Marie. Nous allons reprendre maintenant
l'histoire de sa sainte Vie.
Il est remarquable qu'elle ne nomme pas saint Anselme comme étant l'abbé
qui vit l'apparition, quoique Pierre de Natalibus, in Catalog Sanci,
lib. I, c. 42, raconte de lui la même chose, ainsi que l'écrivain l'a lu
eu juillet 1835. Ce que dit la soeur paraît confirmer l'allégation de
Baronius dans ses notes sur le martyrologe romain, où il dit que cet
avertissement fut donné dans des circonstances comme celles qui ont été
décrites, non pas à saint Anselme, mais antérieurement : à l'abbé
bénédictin Elfin ou Elpin, dans l'année 1070. J. Carlhagena, dans ses
homélies de Arcanis Deipare, t. I, hom. 19, affirme la même chose
d'après une lettre de saint Anselme aux évêques d'Angleterre. Ce saint
archevêque de Cantorbéry fut le premier qui introduisit cette fête en
Angleterre.
NOTE : —
La fête fut introduite en 1175 par le chapitre de Lyon, auquel Saint
Bernard écrivit pour s'y opposer.
XXI
Naissance de Marie
Quelques jours avant sa délivrance, Anne avait annoncé à Joachim que le
temps de ses couches était proche Elle envoya des messagers à Séphoris,
à sa soeur cadette Maraha ; dans la vallée de Zabulon, à la veuve Énoué,
soeur d'Élisabeth, et à Bethsaïde, à sa nièce Marie Salomé, pour engager
ces trois femmes à venir chez elle.
Je vis Joachim, la veille de la délivrance d'Anne, envoyer ses nombreux
serviteurs aux pâturages où étaient ses troupeaux. Parmi les nouvelles
servantes d'Anne, il ne garda à la maison que celles dont le service
était nécessaire. Lui-même alla au plus voisin de ses pâturages. Je vis
que Marie Eléli, la fille aînée d'Anne, prenait soin du ménage. Elle
avait alors environ dix-neuf ans, et avait épousé Cléophas, chef des
bergers de Joachim, dont elle avait une petite fille appelée Marie de
Cléophas, laquelle avait alors à peu près quatre ans.
Joachim pria, choisit les plus beaux de ses agneaux, de ses chevreaux et
de ses boeufs, et les envoya au temple comme sacrifice d'actions de
grâces. Il ne revint chez lui qu'à la nuit.
Je vis les trois parentes d'Anne arriver le soir chez elle. Elles la
visitèrent dans la chambre située derrière le foyer et l'embrassèrent.
Après leur avoir annoncé l'approche de sa délivrance, Anne, se tenant
debout, entonna avec elles un cantique conçu à peu près en ces termes :
" Louez Dieu le Seigneur ; il a eu pitié de son peuple ; il a accompli
la promesse qu'il avait faite à Adam dans le paradis, quand il lui dit
que la semence de la femme écraserait la tête du serpent, etc ". Je ne
puis pas tout rapporter exactement.
Anne était comme en extase ; elle énumérait dans son cantique tout ce
qui avait figuré Marie par avance. Elle disait : " Le germe donné par
Dieu à Abraham a mûri en moi ". Elle parlait d'Isaac promis à Sara, et
ajoutait : " La floraison de la verge d'Aaron s'est accomplie en moi ".
Je la vis comme pénétrée de lumière. Je vis la chambre pleine de
clartés, et l'échelle de Jacob apparaître au-dessus. Les femmes, pleines
d'un joyeux étonnement, étaient comme ravies, et je crois qu'elles
virent aussi l'apparition.
Après cette prière de bienvenue, on servit aux femmes une petite
réfection de pain, de fruits et d'eau mêlée de baume. Elles mangèrent et
burent debout, et allèrent dormir quelques heures pour se reposer de
leur voyage. Anne resta levée et pria. Vers minuit, elle éveilla ses
parentes pour prier avec elle. Elles la suivirent derrière un rideau à
l'endroit où était son lit.
Anne ouvrit les portes d'une petite niche pratiquée dans le mur, et qui
renfermait des reliques dans une boite. Il y avait des deux côtés des
lumières qu'on alluma ; je ne sais si c'étaient des lampes. Un escabeau
rembourré était au pied de cette espèce de petit autel. Dans le
reliquaire se trouvaient des cheveux de Sara, pour laquelle Anne avait
beaucoup de vénération ; des os de Joseph, que Moise avait emportés
d'Égypte ; quelque chose de Tobie, peut-être un morceau de vêtement, et
le petit vase brillant, en forme de poire, dans lequel Abraham avait bu
lors de la bénédiction de l'ange, et que Joachim avait reçu avec la
bénédiction. Je sais maintenant que cette bénédiction était du pain et
du vin, et comme une nourriture et une réfection sacramentelle.
Anne s'agenouilla devant la niche. Deux des femmes étaient à ses côtés,
la troisième derrière elle. Elle dit encore un cantique ; je crois qu'il
y était question du boisson ardent de Moise. Je vis alors une lumière
surnaturelle remplir la chambre, se mouvoir et se condenser autour
d'Anne. Les femmes tombèrent la face contre terre comme évanouies. La
lumière prit tout autour d'Anne la forme qu'avait le buisson ardent de
Moise sur l'Horeb, en sorte que je ne la vis plus. La flamme rayonnait
vers l'intérieur, et je vis tout d'un coup Anne recevoir dans ses bras
la petite Marie toute resplendissante, l'envelopper dans son manteau, la
presser sur son sein, puis la placer sur l'escabeau devant le
reliquaire, et continuer à prier. Alors j'entendis l'enfant pleurer, et
je vis Anne tirer des linges de dessous le grand voile qui
l'enveloppait. Elle emmaillota l'enfant jusque sous les bras, laissant
la poitrine, la tête et les bras découverts. L'apparition du buisson
ardent s'était évanouie.
Les femmes se relevèrent, et à leur grande surprise reçurent dans leurs
bras l'enfant nouveau-né. Elles versaient des larmes de joie. Elles
entonnèrent toutes un nouveau cantique d'actions de grâces, et Anne
éleva l'enfant en l'air comme pour l'offrir. Je vis alors la chambre se
remplir de nouveau de lumières, et j'entendis plusieurs anges qui
chantaient gloria et alléluia. J'entendais tout ce qu'ils disaient. Ils
annonçaient que l'enfant devait recevoir, le vingtième jour, le nom de
Marie.
Anne entra alors dans sa chambre à coucher et se mit sur son lit. Les
femmes déshabillèrent l'enfant, la baignèrent, puis l'emmaillotèrent de
nouveau. Elles la portèrent ensuite à sa mère, dont la couche était
disposée de manière qu'on pouvait fixer auprès d'elle une petite
corbeille à jour, où l'enfant avait une place séparée à côté de sa mère.
Les femmes alors appelèrent son père Joachim. Il vint près de la couche
d'Anne, s'agenouilla et versa d'abondantes larmes sur l'enfant ; puis il
l'éleva dans ses bras et entonna un cantique de louanges, comme Zacharie
à la naissance de Jean-Baptiste. Il parla dans ce psaume du saint germe
qui, placé par Dieu dans Abraham, s'était perpétué chez le peuple de
Dieu dans l'alliance dont la circoncision était le sceau, mais qui
arrivait dans cet enfant à sa plus haute floraison. J'entendis dire dans
ce cantique que la parole du Prophète : " une tige sortira de la racine
de Jessé ", se trouvait maintenant accomplie. Il dit aussi, avec
beaucoup de ferveur et d'humilité, que maintenant il mourrait
volontiers.
Je remarquai que Marie d'Héli, la fille aînée d'Anne, ne vint qu'assez
tard voir l'enfant. Quoique mère elle-même depuis quelques années, elle
n'avait pas assisté à la naissance de Marie, peut-être parce que,
d'après les lois juives, une fille ne devait pas se trouver près de sa
mère dans un pareil moment.
Le lendemain, je vis les serviteurs, les servantes et beaucoup de gens
du pays rassemblés autour de la maison. On les fit entrer
successivement, et l'enfant fut montrée à tous par les femmes. Ils
furent, en général, très touchés, et plusieurs devinrent meilleurs. Les
gens du voisinage étaient venus parce qu'ils avaient vu pendant la nuit
une lumière au-dessus de la maison, et parce que les couches d'Anne,
venant après une longue stérilité, étaient regardées comme une grande
grâce du ciel.
XXII
Joie dans le ciel et dans
les limbes à la naissance de Marie.
Mouvement dans la nature et parmi les hommes.
Au moment où la petite Marie se trouva dans les bras de sainte Anne, je
la vi6 dans le ciel présentée devant la très sainte Trinité, et saluée
avec une joie indicible par toutes les armées célestes. Je connus que
toutes ses joies, ses douleurs et ses destinées futures lui étaient
manifestées d'une manière surnaturelle. Marie reçut la connaissance des
plus profonds mystères, et pourtant elle resta un enfant. Nous ne
pouvons pas comprendre cette science qui lui fut donnée, parce que la
notre a pris son origine sur l'arbre fatal du paradis. Elle connut tout
cela comme l'enfant connaît le sein de sa mère et sait qu'il doit s'y
désaltérer. Lorsque cessa la contemplation où j'avais vu la petite Marie
instruite par le grâce divine dans le ciel, je l'entendis pleurer pour
la première fois.
Je vis la naissance de Marie annoncée aux patriarches dans les limbes,
au moment même où elle eut lieu ; je les vis tons, particulièrement Adam
et Eve, pénétrés d'une joie inexprimable, à cause de l'accomplissement
de la promesse faite dans le paradis. Je connus aussi qu'il y avait un
progrès dans l'état de grâce des patriarches, que leur demeure
s'éclairait et s'élargissait, et qu'ils acquéraient une plus grande
influence sur ce qui se passait dans le monde. Il semblait que tous les
travaux. toutes les pénitences de leur vie, tous leurs combats, leurs
prières et leurs désirs étaient, pour ainsi dire, arrivés à maturité, et
avaient produit un fruit de paix.
Je vis au temps de la naissance de Marie, un grand mouvement de joie
dans la nature, chez tous les animaux et aussi dans le coeur de tous les
hommes de bien, et j'entendis des chants harmonieux ; chez les pécheurs,
il y eut une grande angoisse et comme un brisement de coeur.
e vis spécialement dans la contrée de Nazareth et
dans le reste de la terre promise plusieurs possédés agités par des
convulsions violentes. Ils se précipitaient ça et là avec de grandes
clameurs, et les démons criaient par leur bouche : " il faut partir, il
faut partir ".
A Jérusalem, je vis le pieux prêtre Siméon, qui habitait près du temple,
effrayé à l'heure de la naissance de Marie par les cris affreux que
poussaient des fous et des possédés enfermés en grand nombre dans un
édifice contigu à la montagne du temple, et sur lequel Siméon, qui
demeurait dans le voisinage, avait un certain droit de surveillance. Je
le vis à minuit se rendre sur la place devant la maison des possédés ;
un homme qui habitait près de là lui demanda la cause de ces cris qui
troublaient le sommeil de tout le monde. Un possédé cria avec plus de
force, demandant à sortir. Siméon lui ouvrit la porte ; le possédé se
précipita dehors, et Satan cria par sa bouche r il faut partir nous
devons partir il est né une Vierge Il y a sur la terre tant d'anges qui
nous tourmentent nous devons partir, et nous ne pourrons plus posséder
un seul homme ! " Je vis Siméon prier avec ferveur ; le malheureux
possédé fut violemment jeté ça et là sur la place, et je vis le démon
sortir de loi. .la fils très contente de voir le vieux Siméon.
Je vis aussi la prophétesse Anne, et Noémi, soeur de la mère de Lazare,
qui habitait dans le temple, et qui fut plus tard la maîtresse de Marie
furent réveillés et informées par des visions de la naissance d'un
enfant d'élection. Elles se réunirent et se communiquèrent ce qu'elles
avaient appris. Je crois qu'elles connaissaient sainte Anne.
XXIII
L'enfant reçoit le nom de Marie.
22 - 23 septembre
J'ai vu aujourd'hui une grande fête dans la maison de sainte Anne. Tout
avait été déplacé et rangé à part dans la partie antérieure de la
maison, Les cloisons en clayonnage, qui formaient des chambres séparées,
avaient été enlevées, et on avait ainsi disposé une grande table. Tout
autour de cette salle, je vis une longue table basse, couverte de
vaisselle pour le repas.
Au milieu de la salle, on avait dressé une espèce
de table d'autel recouverte d'une étoffe rouge et blanche, sur laquelle
était un petit berceau rouge et blanc, avec une couverture bleu de ciel.
Près de l'autel était un pupitre recouvert, sur lequel étaient des
rouleaux en parchemin contenant des prières. Devant l'autel se tenaient
cinq prêtres de Nazareth en habits de cérémonie ; Joachim était près
d'eux. Dans le fond, autour de l'autel, se tenaient plusieurs femmes et
plusieurs hommes, des parents de Joachim, tous avec des habits de fête.
Je me souviens de la soeur d'Anne, Maraha de Séphoris, et de sa fille
aînée. Sainte Anne avait quitté sa couche, mais elle resta dans sa
chambre, placée derrière le foyer, et ne parut pas à la cérémonie.
Enoué, la soeur d'Elisabeth, apporta la petite Marie et la plaça sur les
bras de Joachim. Les prêtres se placèrent devant l'autel près des
rouleaux, et récitèrent des prières à haute voix. Joachim donna l'enfant
au principal d'entre eux, qui l'éleva en l'air en priant, comme pour
l'offrir à Dieu, et la plaça dans son berceau sur l'autel. Il prit
ensuite des espèces de ciseaux d'une forme particulière avec lesquels il
coupa à l'enfant trois petites touffes de cheveux sur les deux côtés de
la tête et sur le front, puis les brûla sur un brasier. Il prit ensuite
une botte où était de l'huile, et oignit les cinq sens de l'enfant avec
le pouce il fit cette onction sur les oreilles, les yeux, le nez, là
bouche et le creux de l'estomac. Il avait aussi le nom de Marie sur un
parchemin qu'il plaça sur la poitrine de l'enfant. On chanta ensuite des
psaumes, puis vint le repas, que je ne vis pas.
XIV
Origine de la fête de la Nativité de Marie.
Le soir du 7 septembre, veille de la fête, la soeur se trouva pleine
d'une joie inaccoutumée et qu'elle appelait surnaturelle, quoiqu'elle se
sentit en même temps très malade. Elle fut bientôt très animée et
éprouva une ferveur extraordinaire. Elle parla d'une allégresse
universelle qui s'était manifestée dans la nature à l'approche de ta
naissance de Marie, et dit qu'elle avait le pressentiment qu'elle aurait
une grande joie le lendemain : "pourvu qu'elle ne se tourne pas en
douleur", ajouta-t-elle. Voici ce qu'elle raconta.
Il y a une jubilation inexprimable dans la nature ; j'entends les
oiseaux chanter, je vois les agneaux et les chevreaux bondir ; les
tourterelles, dans le pays où était la maison d'Anne, s'assemblent en
grandes troupes et tournent en cercle comme ivres de joie. Il ne reste
plus rien de la maison et de ses entours : c'est maintenant un désert.
J'ai vu quelques pèlerins avec des ceintures, de longs bâtons et des
étoffes roulées autour de la tête ; ils traversent le pays, se dirigeant
vers le mont Carmel Il y a ici quelques ermites venus du Carmel. Les
pèlerins leur demandent avec surprise d'où vient cette joie dans la
nature, et ceux ci répondent qu'il en est toujours ainsi la veille de la
Nativité de Marie ; que la maison de sainte Anne était probablement dans
ce lieu, et qu'ils tiennent d'un pèlerin qui avait voyagé ici
antérieurement, que cette manifestation de joie, remarquée, il y a bien
longtemps, par un saint homme, a donné lieu à l'institution de la fête.
La sainte Vierge lui était apparue et lui avait promis que le lendemain.
8 septembre, qui était aussi le jour de la naissance de la soeur, elle
recevrait une grâce, qui consisterait à pouvoir se redresser sur sa
couche pendant quelques semaines, quitter son lit et faire quelques pas
dans sa chambre, ce qui ne lui était pas arrivé pendant un intervalle de
dix ans. Cette promesse eut son accomplissement avec accompagnement de
toute espèce de souffrances spirituelles et corporelles, qui lui avaient
été annoncées en même temps, ainsi qu'on le dira en son lieu.
Je vis alors comment cette fête fut instituée. Deux cent cinquante ans
après la mort de la sainte Vierge, je vis un homme d'une grande sainteté
parcourir la Terre Sainte, rechercher et honorer tous les lieux où se
trouvaient des traces du séjour de Jésus sur la terre. Je vis que ce
saint homme recevait des directions d'en haut, et était souvent retenu
plusieurs jours dans certains endroits par de grandes consolations
intérieures, et par des révélations de plusieurs espèces, qui lui
arrivaient dans la prière et la méditation. C'est ainsi que, pendant
plusieurs années, dans la nuit du 7 au 8 septembre, il avait remarqué
une grande joie dans la nature et entendu dans les airs des chants
harmonieux ; enfin, sur son instante prière, un ange lui avait appris en
songe que c'était la nuit pendant laquelle était née la très sainte
vierge Marie. Il avait reçu cette communication lors d'un voyage au mont
Sinai ou au mont Horeb. Je le vis ensuite sur le mont Sinaï. L'endroit
où se trouve aujourd'hui le couvent était déjà, à cette époque, habité
par des anachorètes dispersés, et, du côté de la vallée, il était aussi
peu accessible qu'il l'est à présent, que l'on s'y fait hisser à l'aide
d'une poulie. Je vis que, sur la foi de cette communication, la fête de
la Nativité de la sainte Vierge fut célébrée le 8 septembre par les
solitaires. C'était vers l'an 250 ; plus tard, elle passa de là dans
l'Eglise catholique.
XXV
Prières à faire pour la fête de la Nativité
de Marie.
Je vis beaucoup de choses concernant sainte Brigitte, et j'eus
connaissance de plusieurs communications qui avaient été faites à cette
sainte sur la Conception et la Nativité de Marie. Je me souviens que la
sainte Vierge lui dit que, lorsque des femmes grosses sanctifient la
veille du jour de sa naissance en jeûnant et en récitant avec dévotion
neuf Ave Maria en l'honneur des neuf mois qu'elle a passés dans le sein
de sa mère, lorsqu'elles renouvellent fréquemment cet exercice de piété
dans le cours de leur grossesse et la veille de leur accouchement, et
qu'en outre elles s'approchent des sacrements avec piété, elle porte
leur prière devant Dieu et leur obtient une heureuse délivrance, même
dans des conditions difficiles.
Quant à moi, la sainte Vierge s'est approchée de moi et m'a dit, entre
autres choses, que quiconque aujourd'hui, dans l'après-midi, récite
dévotement neuf Ave Maria en l'honneur de son séjour de neuf mois dans
le sein de sa mère et de sa naissance, et continue pendant neuf jours
cet exercice de piété, donne chaque jour aux anges neuf fleurs destinées
à former un bouquet qu'elle reçoit dans le ciel et présente à la sainte
Trinité, afin d'obtenir une grâce pour la personne qui a fait ces
prières. Plus tard, je me sentis transportée comme sur une hauteur entre
le ciel et la terre. La terre était au-dessous de moi obscure et
indistincte. Dans le ciel, je vis parmi les choeurs des anges et des
saints la sainte Vierge devant le trône de Dieu. Je vis bâtir pour elle,
avec les prières et les dévotions des fidèles vivants sur la terre, deux
portes ou deux trônes d'honneur, qui grandissaient jusqu'à former des
églises, des palais, et même des villes entières Je fus émerveillée de
voir que ces édifices étaient faits tout entiers de plantes, de fleurs
et de guirlandes, dont les différentes espèces exprimaient la nature et
le mérite des prières faites, soit par des individus, soit par des
communautés entières. Je vis tout cela pris de la main de ceux qui
priaient, par des anges ou des saints, lesquels le portaient dans le
ciel.
XXVI
Purification de sainte Anne.
Plusieurs semaines après la naissance de Marie, je vis Joachim et Anne
se rendre au temple avec leur enfant pour y offrir un sacrifice. Ils
présentèrent leur enfant dans le temple avec un vif sentiment de piété
et de reconnaissance envers Dieu, de même que plus tard la sainte Vierge
présenta et racheta l'enfant Jésus selon les prescriptions de la loi '.
Le jour suivant, ils firent leur offrande et s'engagèrent à consacrer
leur enfant a Dieu dans le temple au bout de quelques années. Ils
retournèrent ensuite à Nazareth.
XXVII
Présentation de Marie.
Préparatifs dans la maison de sainte Anne.
Le 28 octobre 1821, Anne Catherine Emmerich raconta ce qui suit, étant
dans l'état de veille : La petite Marie sera bientôt conduite au temple
de Jérusalem. J'ai vu, il y a déjà quelques jours, Anne dans une chambre
de la maison de Nazareth, ayant devant elle Marie, âgée alors de trois
ans, et lui apprenant à prier, parce que les prêtres devaient venir
bientôt pour examiner l'enfant à l'occasion de son admission dans le
temple. Aujourd'hui, il y avait fête dans la maison de sainte Anne :
c'était comme une préparation.
Selon la loi de Dieu (Lévit., XII), une femme israélite était impure
pendant quatre-vingts jours après à naissance d'une fille, en sorte
qu'elle ne pouvait toucher aucun objet consacré m paraître dans le
temple, et pendant ce temps elle ne devait pu quitter sa maison jusqu'à
ce qu'elle eût offert dans le temple un sacrifice pour sa purification.
Une femme dans l'aisance offrait un agneau d'un an pour l'holocauste, et
un petit pigeon ou un petit tourtereau pour le sacrifice pour le péché.
Une mère pauvre n'avait besoin d'offrir que deux jeunes colombes ou deux
tourterelles : l'un pour l'holocauste, l'autre pour le sacrifice pour
le péché.
La présentation de Marie et son séjour dans le temple sont attestés de
plusieurs façons par l'autorité de l'Église. La commémoration de la
Présentation de Marie est fixée au 21 novembre dans tous 1es missels c :
les bréviaires. Dès les temps apostoliques, nous avons un garant de
cette tradition dans la personne de l'évêque Evodius, cité par
Nicéphore, Histoire ecclésiastique, Liv. II, C. 3. Saint Grégoire de
Nysse, saint Épiphane, saint George de Nicomédie, saint Grégoire de
Thessalonique, saint Jean Damascène et d'autres saints Pères rendent le
même témoignage. L'Église grecque célèbre cette fête depuis onze siècles
au moins. Même dans le Coran, .Sura Imram, v 3l, le séjour de Marie au
temple est raconté avec détail.
Il se trouvait là des étrangers, des parents, des hommes, des femmes,
même des enfants. Il y avait aussi trois prêtres présents, un de
Séphoris, l'autre de Nazareth, le troisième d'un endroit situé sur une
montagne, à quatre lieues environ de Nazareth. Le nom de cet endroit
commence par la syllabe Ma... Ces prêtres étaient venus pour examiner si
la petite Marie était en état de venir au temple, et en outre pour la
faire habiller suivant un certain modèle déterminé. Il y avait trois
habillements de différentes couleurs, dont chacun se composait d'une
robe, d'une pièce d'étoffe pour Couvrir la poitrine et d'un manteau. A
ce costume appartenaient aussi deux guirlandes en soie et en laine, et
une couronne fermée par en haut. L'un des prêtres coupa lui-même
quelques parties de cet habillement, et arrangea tout conformément à la
règle.
Quelques jours plus tard, le 2 novembre, elle continua en ces termes :
J'ai vu aujourd'hui une grande fête dans la maison des parents de Marie.
Je ne sais pourtant pas si cela a eu lieu à pareil jour, ou si c'est la
répétition d'un tableau qui m'a déjà été montré ; car j'ai vu des choses
du même genre pendant les trois derniers jours, mais elles m'ont échappé
au milieu de mes souffrances. Les trois prêtres étaient encore présents,
ainsi que plusieurs parents et leurs petites filles, par exemple Marie
Héli et son enfant, Marie de Cléophas, qui est beaucoup plus massive et
plus forte que la sainte Vierge. Marie est très délicate ; elle a des
cheveux d'un blond doré, légèrement bouclés à leur extrémité. Elle sait
déjà lire, et tout le monde admire la sagesse de ses réponses.
Les habits de Marie, déjà taillés en partie par les prêtres, avaient été
cousus par les femmes. On les mit à l'enfant à différentes reprises
pendant cette fête, et on lui adressa alors plusieurs questions. Toute
la cérémonie était grave et solennelle, et quoique les vieux prêtres
l'accomplissent avec un sourire naïf, ils reprenaient leur sérieux par
suite de l'admiration que faisaient naître les sages réponses de Marie,
et à la vue des larmes de joie de ses parents.
La cérémonie eut lieu dans une chambre carrée, près de la pièce où l'on
mangeait. La lumière entrait par une ouverture pratiquée dans le toit,
laquelle était recouverte d'un voile transparent. On avait étendu par
terre un tapis de couleur rouge ; il y avait une table d'autel au-dessus
de laquelle une espèce de rideau cachait une petite niche où se
trouvaient des rouleaux écrits contenant des prières. Devant cet autel,
sur lequel étaient déposés les trois habillements de Marie, ainsi que
plusieurs pièces d'étoffe que les parents avaient apportées pour le
trousseau de l'enfant, se trouvait une espèce de petit trône élevé sur
des gradins. Joachim, Anne et les autres membres de la famille étaient
rassemblés. Les femmes se trouvaient derrière, et les petites filles à
côté de Marie. Les prêtres entrèrent les pieds déchaussés. Il y avait
cinq prêtres, mais trois seulement étaient en vêtements sacerdotaux et
prenaient part à la cérémonie. L'un d'eux prit sur l'autel les
différentes pièces de l'habillement, expliqua leur signification, et les
présenta à la soeur d'Anne, Maraha de Séphoris, qui en revêtit l'enfant.
Marie se tenant debout ainsi habillée, les prêtres lui adressèrent
différentes questions qui avaient rapport à la manière de vivre des
vierges du temple. Ils lui dirent, entre autres choses : " Tes parents,
en te consacrant au, temple, ont fait le voeu que tu ne boirais ni vin
ni vinaigre, et que tu ne mangerais ni raisins ni figues ; que veux-tu
ajouter toi-même à ce voeu, tu peux y réfléchir pendant le repas ". Les
Juifs, et spécialement les jeunes filles juives, aimaient à boire du
vinaigre' et Marie elle même y prenait plaisir. Après plusieurs demandes
du même genre, on lui retira le premier habit et on lui mit le second :
après quoi, tout le monde se rendit dans la chambre voisine pour le
repas. Marie était placée à table entre deux des prêtres ; un troisième
était en face d'elle.
Dans le livre des Nombres, VI, 3, il est dit que ceux qui ceux qui
sont consacrés à Dieu doivent s'abstenir de vinaigre.
Les femmes et les jeunes filles étaient à un bout de la table séparées
des hommes. Pendant le repas, l'enfant fut encore interrogée et
répondit. On lui dit : "Maintenant, tu peux manger de tout", et on lui
offrit plusieurs choses pour l'éprouver. Mais Marie ne mangea que de peu
de plats et en petite quantité, et elle étonna tout le monde par la
sagesse enfantine de ses réponses. Pendant le repas et pendant toute
l'épreuve. Je vis à ses côtés des anges qui l'assistaient et la
dirigeaient dans tout ce qu'elle faisait.
Après le repas, tout le monde se rendit dans la première chambre, devant
l'autel, où on déshabilla encore l'enfant et où on lui mit l'habit de
cérémonie. C'était une robe d'un bleu violet à fleurs jaunes, puis un
scapulaire ou une espèce de fichu brodé de diverses couleurs, et enfin
un manteau de la couleur de la robe. Le manteau était ouvert jusque sous
la poitrine et tombait en plis majestueux qui commençaient à la hauteur
des bras. On lui mit en outre un grand voile, blanc d'un côté et violet
de l'autre. La couronne qu'on lui plaça sur la tête se composait d'un
cercle large et mince, dont le bord supérieur était découpé en pointes
surmontées de boutons. Cette couronne était fermée par en haut et
surmontée d'un bouton. Revêtue de cet habit de cérémonie dont le prêtre
lui avait expliqué la signification, Marie fut conduite sur l'extrade à
degrés qui était devant l'autel. Les petites filles se tenaient à ses
côtés. Elle déclara alors à quoi elle s'engageait à renoncer en entrant
dans le temple. Elle promettait de ne manger ni viande ni poisson et de
ne pas boire de lait, mais seulement une boisson faite d'eau et de
moelle de jonc, dont les gens pauvres faisaient usage. Elle se réservait
seulement de mettre quelquefois dans son eau un peu de jus de
térébinthe. C'est comme une huile blanche qui réconforte beaucoup, mais
qui est moins agréable que le baume. Elle renonçait à toute espèce
d'épices, et ne voulait pas manger de fruits, excepté une espèce de
baies jaunes qui viennent en grappes. Je les connais bien ; les enfants
et les pauvres gens en mangent. Elle voulait dormir sur la terre nue et
se relever trois fois la nuit pour prier. Les autres vierges ne le
faisaient qu'une fois toutes les nuits.
Les parents de Marie furent profondément émus de ses paroles. Joachim
serra l'enfant dans ses bras en pleurant, et dit : " Mon enfant, c'est
trop sévère : si tu mènes une vie si dure, ton vieux père ne te reverra
pas ". Tout cela était très touchant à entendre. Les prêtres lui dirent
qu'elle ne devait se relever qu'une fois la nuit pour prier, comme
faisaient les autres, et ils lui imposèrent encore d'autres
adoucissements : par exemple, l'usage du poisson aux jours de grandes
fêtes. Il y avait à Jérusalem un grand marché au poisson dans une partie
basse de la ville. Il recevait de l'eau de la piscine de Bethesda. Comme
elle manqua une fois, Hérode le Grand voulut y établir une fontaine ou
un aqueduc, et vendre pour cela des vêtements et des vases sacrés du
temple. Il y eut presque une émeute à cette occasion Des Esséniens
vinrent à Jérusalem de toutes les parties du pays et s'y opposèrent :
car les Esséniens étaient chargés de l'inspection des vêtements
sacerdotaux ; cela me revint alors subitement à la mémoire. Les prêtres
dirent encore à Marie : " Plusieurs des autres vierges qui sont reçues
gratuitement au temple s'engagent, avec le consentement de leurs
parents, aussitôt que leurs forces le leur permettent, à laver les
habits des prêtres tout souillés du sang des victimes' et d'autres
grossières étoffes de laine. C'est un rude travail, qui met souvent les
mains en sang ; tu n'es pas obligée de t'y soumettre, parce que tes
parents se chargent de ton entretien au temple ". Marie déclara alors
qu'elle se chargerait volontiers de ce Travail si on l'en jugeait digne.
La cérémonie de la vêture s'acheva parmi beaucoup d'interrogations et de
réponses de ce genre.
Pendant cette sainte cérémonie, Marie m'apparut tellement grande, que sa
taille dépassait celle des prêtres. On me donnait par là une image de sa
sagesse et de la grâce qui était en elle. Les prêtres étaient pleins
d'un étonnement joyeux. A la fin de la cérémonie, je vis le principal
prêtre bénir Marie. Elle était debout sur un petit trône entre deux
prêtres. Celui qui bénissait était en face d'elle, l'autre derrière
elle. Les prêtres récitaient des prières qu'ils lisaient sur les
rouleaux de parchemin et se répandaient alternativement. Le premier la
bénit en étendant les mains sur elle. J'eus, à cette occasion, le
bonheur de voir l'intérieur de la sainte enfant. Je la vis toute
lumineuse pendant la bénédiction du prêtre, et, sous son coeur, je vis
dans une gloire ce que j'avais vu en contemplant l'objet sacré contenu
dans l'Arche d'alliance. Dans une sphère lumineuse de la même forme que
le calice de Melchisédech, je vis des symboles figuratifs de la
bénédiction. C'était comme du froment et du vin, de la chair et du sang,
tendant à devenir une seule et même chose. Je vis aussi au-dessus de
cette apparition son coeur s'ouvrir comme la porte d'un temple, et j'y
vis entrer le symbole mystérieux, autour duquel il s'était formé comme
un dais de pierres précieuses ayant toutes leur signification. Il me
semblait voir l'Arche d'alliance entrant dans le Saint des saints du
temple. Puis je ne vis plus que la sainte enfant inondée par la
splendeur du feu qui brûlait au dedans d'elle. Elle m'apparut comme
transfigurée et s'élevant au-dessus du sol. Je connus pendant cette
apparition qu'un des prêtres ' avait acquis par une illumination d'en
haut la conviction intérieure que Marie était le vase d'élection
renfermant le mystère du salut ; car je le vis recevoir un rayon de la
bénédiction qui sembla entrer en lui.
Les prêtres reconduisirent alors l'enfant vers ses parents émus. Anne
prit Marie dans ses bras et l'embrassa avec une tendresse mêlée de
vénération. Joachim, profondément ému, lui prit la main avec gravité et
respect. La soeur aînée de Marie l'embrassa avec plus de vivacité
qu'Anne, qui était modeste et réservée dans toutes ses actions. Marie de
Cléophas, la petite nièce de la sainte enfant, lui jeta les bras au cou
avec une joie enfantine.
Elle croyait, lorsqu'elle raconta la chose en 1820, que ce prêtre était
Zacharie.
Quand tous les assistants l'eurent complimentée, on lui ôta ses habits
de fête, et elle reparut dans son costume ordinaire
XXVIII
Départ de Marie pour le temple.
J'entrai la nuit dans la maison de sainte Anne. Il était resté quelques
parents qui dormaient. La famille s'occupait des préparatifs du départ.
La lampe à plusieurs bras, suspendue devant le foyer, était allumée. Je
vis successivement tous les habitants de la maison en mouvement.
Joachim, dès la veille, avait envoyé des serviteurs au temple avec des
animaux qu'il voulait offrir en sacrifice : il y en avait cinq de chaque
espèce, et c'étaient les plus beaux qu'il possédât. Ils formaient un
très beau troupeau. Je le vis occupé à charger les bagages sur une bête
de somme qui était devant la maison : c'étaient les habits de Marie
soigneusement empaquetés à part et des présents pour les prêtres. Cela
faisait une bonne charge pour la bête de somme. Sur le milieu de son des
était un large paquet sur lequel on pouvait s'asseoir commodément. Tout
avait été déjà arrangé par Anne et les autres femmes en petits paquets
faciles à porter. Je vis des corbeilles de différentes formes attachées
aux deux côtés de l'âne. Dans une de ces corbeilles se trouvaient des
oiseaux gros comme des perdrix. D'autres corbeilles, semblables aux
hottes où l'on porte le raisin, contenaient des fruits de toute espèce.
Quand l'âne fut entièrement chargé, on étendit sur le tout une grande
couverture à laquelle pendaient de grosses houppes. Je vis que dans la
maison tout était en mouvement comme pour un départ. Je ils une jeune
femme, la soeur aînée de Marie, aller ça et là, d'un air affairé, avec
une lampe. Sa fille. Marie de Cléophas, était presque toujours à ses
côtés. Je remarquai une autre femme, qui me parut être une servante. Je
vis encore deux des prêtres qui étaient restés. L'un d'eux était un
vieillard ; il avait un capuchon qui se terminait en pointe sur le front
; son habit de dessus était plus court que celui de dessous. C'était
celui qui la veille s'était principalement occupé de l'examen de Marie,
et qui lui avait donné sa bénédiction. Je le vis encore donner des
instructions à l'enfant. Marie, âgée d'un peu plus de trois ans, belle
et délicate, était aussi avancée qu'un enfant de cinq ans chez nous.
Elle avait des cheveux d'un blond doré, lisses, bouclés à l'extrémité,
et plus longs que ceux de Marie de Cléophas, enfant de sept ans, dont la
blonde chevelure était courte et frisée. Les enfants comme les grandes
personnes avaient tous pour la plupart des vêtements longs de laine
brune sans teinture.
Parmi les assistants, je remarquai particulièrement deux jeunes garçons
qui ne paraissaient pas être de la famille et qui ne s'entretenaient
avec aucun de ses membres. Il semblait que personne ne les vit. Ils
étaient beaux et aimables, avec leurs cheveux blonds et frisés, et ils
me parlèrent. Ils avaient des livres, probablement pour leur
instruction. La petite Marie n'avait aucun livre, quoiqu'elle sût déjà
lire. Ce n'étaient pas des livres comme les nôtres, mais de longues
bandes, larges à peu près d'une demi aune, roulées autour d'un bâton,
dont les bouts arrondis sortaient de chaque côté. Le plus grand de ces
deux garçons avait un rouleau déployé. Il s'approcha de moi, et lut
quelque chose qu'il m'expliqua. C'étaient des lettres d'or qui m'étaient
tout à fait inconnues, écrites à rebours, et chaque lettre semblait
représenter un mot entier. La langue était tout à fait étrangère pour
moi, mais pourtant je la comprenais. Malheureusement j'ai oublié ce
qu'il m'expliquait : c'était un texte de Moise ; il me reviendra
peut-être. Le plus petit portait son rouleau à la main comme un jouet.
Il sautait ça et là comme font les enfants et agitait son rouleau en
jouant. Je ne puis dire à quel point ces enfants me plaisaient. Ils
étaient tout autrement que les assistants, et ceux-ci ne paraissaient
pas faire attention à eux.
C'est ainsi que la soeur parla longtemps de ces
jeunes garçons avec une complaisance naive, sans pouvoir, bien préciser
qui ils étaient. Mais, après souper, quand elle eut dormi quelques
minutes, elle dit en revenant à elle : " Ces garçons que je vis avaient
une signification spirituelle ; leur présence là n'était pas selon
l'ordre naturel. C'étaient seulement des figures symboliques de
prophètes. Lé plus grand portait son rouleau avec beaucoup de gravité.
Il m'y montrait le passage du second livre de Moise où celui-ci voit,
dans le buisson ardent, le Seigneur qui lui dit d'ôter sa chaussure. Il
m'expliqua que, de même que le buisson brûlait sans se consumer, de même
le feu du Saint Esprit brûlait dans la petite Marie, qui portait cette
sainte flamme en elle comme un enfant, sans en avoir la conscience. Cela
indiquait aussi l'union prochaine de la Divinité avec l'humanité. Le feu
signifiait Dieu, le buisson les hommes. Il m'expliqua aussi l'ordre de
se déchausser, mais je ne me souviens plus de son explication. Cela
signifiait, je crois, que maintenant le voile était enlevé, et que la
réalité se montrait ; que la loi recevait son accomplissement ; qu'il y
avait ici plus que Moise et les prophètes.
L'autre enfant portait son rouleau au bout d'un bâton comme un petit
drapeau flottant au vent : cela voulait dire que Marie entrait
maintenant avec joie dans la carrière de mère du Rédempteur. Ce garçon
paraissait plein de naïveté et jouait avec son rouleau. Cela
représentait l'innocence enfantine de Marie, sur laquelle reposait une
si grande promesse, et qui, avec cette sainte destination, jouait
pourtant comme un enfant. Ces jeunes garçons m'expliquèrent sept
passages de leurs rouleaux. Mais, dans l'état de souffrance où je suis,
tout m'est sorti de la mémoire, excepté ce que j'ai dit. " O mon Dieu !
" s'écria la narratrice, a comme tout cela, quand je le vois, me parait
beau et profond, et en même temps simple et clair ! Mais je ne puis le
raconter avec ordre, et il me faut tout oublier, à cause des misérables
soucis de cette triste vie.
Il y a lieu de s'effrayer de l'empire que prennent sur l'homme les
choses de la vie, quelque déchue qu'elle soit, quand on considère tout
ce qu'elles faisaient oublier à cette âme favorisée, si peu attachée à
la terre. Elle voyait tous les ans à cette époque le tableau du départ
de Marie pour le temple, et toujours l'apparition les deux prophètes
sous forme de jeunes garçons s'y trouvait mêlée de quelque manière. Elle
les voyait dans l'enfance, et non avec leur âge réel, parce qu'ils
n'étaient pas personnellement présents dans cette circonstance et qu'ils
ne s'y rattachaient que comme symbole. Si nous réfléchissons que bien
des peintres aussi dans leurs tableaux historiques placent des
personnages qui ne servent qu'à mettre en relief une vérité, et ne les
représentent pas avec leur extérieur véritable, mais sous forme
d'enfants, de génies ou d'anges, nous verrons que cette manière de
représenter les choses n'est pas une création de leur fantaisie, mais
qu'elle est dans la nature de toutes les apparitions : car la soeur
Emmerich aussi n'a pas inventé ces apparitions, mais elles se sont ainsi
montrées à elle.
Un an auparavant, au milieu de novembre 1820, la soeur, racontant ses
contemplations relatives à la Présentation de Marie, parla encore de
l'apparition des enfants prophètes dans les circonstances suivantes. Le
16 novembre, au soir, on avait apporté auprès de la soeur, alors
endormie, une ceinture de pénitence qu'un homme, désireux de pratiquer
la mortification, mais manquant tout à fait de direction ecclésiastique
suivie, s'était faite avec une grosse courroie de cuir, hérissée de
pointes de clous, et que, du reste, il ne lui avait pas été possible de
porter une heure entière, à cause de la douleur excessive qu'elle
produisait. Anne Catherine, dormant encore, fit un mouvement brusque
comme pour éloigner ses mains de cette ceinture, et s'écria : " Oh !
c'est tout à fait déraisonnable et impraticable. Moi aussi, dans ma
jeunesse, j'ai porté longtemps une ceinture de pénitence pour me
mortifier et me surmonter moi-même ; mais il n'y avait que des pointes
en fit de laiton, très courtes et très rapprochées. Avec cette
ceinture-ci, il y a de quoi mourir. Cet homme s'est donné bien de la
peine et il n'a pas pu la porter une fois pendant un peu de temps. On ne
doit jamais rien faire de semblable sans la permission d'un directeur
éclairé : mais il ne le savait pas, car il n'est pas en mesure d'avoir
un directeur. De pareilles exagérations sont plus nuisibles qu'utiles.
Le lendemain matin, quand elle raconta les contemplations de la nuit,
sous la forme d'un voyage fait en songe, elle dit, entre autres choses :
" Je suis allée à Jérusalem, je ne sais pas exactement dans quel temps,
mais c'était un tableau de l'époque des anciens rois de Juda. Je l'ai
oublié. Il me fallut ensuite aller à Nazareth, vers la maison de sainte
Anne. Devant Jérusalem, les deux jeunes garçons s'étaient joints à moi ;
ils faisaient la même route. L'un d'eux portait à la main, d'un air très
grave, un rouleau d'écritures. Le plus jeune avait son rouleau au bout
d'un bâton, et s'amusait à le faire flotter au vent comme un drapeau.
Ils me parlèrent avec joie de l'accomplissement des temps prédits dans
leurs prophéties, car c'étaient des figures de prophètes. J'eus près de
moi cette ceinture de pénitence qui me fut apportée hier, et je la
montrai, je ne sais par quelle impulsion, à l'un de ces
enfants-prophètes, qui était Élie. Il me dit : " C'est un instrument de
torture qu'il n'est pas permis de porter. Moi aussi, sur le mont Carmel,
j'ai préparé et porté une ceinture que j'ai laissée à tous les enfants
de mon ordre, les Carmes et Carmélites. Voilà la ceinture que cet homme
doit porter ; elle lui sera bien plus profitable que l'autre ".
Il me montra ensuite une ceinture, de la largeur de la main, où étaient
dessinés des lettres et des signes de toute espèce, qui avaient rapport
à certaines luttes et à certains triomphes sur soi-même. Il m'indiqua
divers points, me disant : " Cet homme pourrait porter ceci huit jours,
cela un jour, etc ". Oh ! comme je voudrais que ce brave homme sût cela
!
Comme nous étions près de la maison de sainte Anne, et que je voulais y
entrer, je ne pus pas en venir à bout, et mon conducteur, mon ange
gardien, me dit : " il faut auparavant te défaire de beaucoup de choses
; tu dois revenir à l'âge de neuf ans ". Je ne savais pas comment m'y
prendre, mais il m'aida, je ne sais comment, et trois années furent tout
à fait retranchées de ma vie, ces trois années pendant lesquelles je fus
si vaine de mes ajustements, et aimais tant à être une fille bien parée.
Je finis par n'avoir que neuf ans, et alors je pus entrer dans la maison
avec les enfants-prophètes. Alors Marie, à l'âge de trois ans, vint à ma
rencontre ; elle se mesura avec moi, et elle était de ma taille quand
elle s'approcha de moi. Oh ! qu'elle était affable et gracieuse, sans
cesser pourtant d'être grave !
Je me trouvai dans la maison à côté des prophètes. On ne paraissait pas
nous remarquer, nous ne dérangions personne. Quoiqu'ils fussent déjà
vieux plusieurs siècles auparavant, ils ne s'étonnaient pas d'assister
là en jeunes garçons ; et moi, qui étais pourtant une religieuse de
quarante et quelques années, je n'étais pas surprise non plus de me
retrouver une pauvre petite paysanne de neuf ans. Quand on est avec ces
saints personnages, on ne s'étonne de rien, si ce n'est de l'aveuglement
des hommes et de leurs péchés.
Elle raconta ensuite les préparatifs du voyage de Marie au temple, comme
elle le faisait tous les ans à cette époque. L'obligation où elle fut de
se sentir un enfant de neuf ans peut venir de ce que sa présence à ces
scènes n'était pas plus réelle que celle des prophètes, et qu'il lui
fallait, en pareil cas, revenir à l'âge de l'enfance. Ceux-là
signifiaient l'accomplissement des prophéties ; elle, la contemplation
de cet accomplissement. Elle sentit particulièrement qu'il lui fallait
se dépouiller des trois années pendant lesquelles elle avait eu un peu
de vanité dans les habits. Cela semblerait venir de ce que Marie, dans
la cérémonie décrite plus haut, était revêtue de plusieurs habits de
fête, et que la spectatrice devait les regarder avec la même humilité
qu'elle, et n'y voir que leur signification spirituelle. La circonstance
que la petite Marie se mesure avec elle peut vouloir dire : " Ce n'est
que dans cet âge innocent de ton enfance que tu peux regarder cette
sainte cérémonie avec la simplicité nécessaire ". Ou bien encore : "
Vois, j'ai trois ans et toi neuf, pourtant je suis aussi grande que toi,
car, dans mon intérieur, je suis bien au-dessus de mon âge, etc., etc ".
XXIX
Départ pour Jérusalem.
Je les vis se mettre en route pour Jérusalem dès le point du jour. La
petite Marie désirait vivement arriver au temple ; elle sortit de la
maison en toute hâte et vint prés des bêtes de somme. Les jeunes garçons
se montrèrent encore des textes sur leurs rouleaux. L'un de ces textes
disait que le temple était magnifique, mais que cette enfant renfermait
quelque chose de plus magnifique encore, etc. Il y avait deux bêtes de
somme. L'un des ânes, qui était très chargé, était conduit par un
serviteur ; il devait toujours se tenir un peu en avant des voyageurs.
Sur l'autre âne, chargé aussi de paquets, qui se tenait devant la
maison, on avait préparé une place pour s'asseoir, et Marie y fut mise.
Joachim conduisait l'âne, et portait un grand bâton avec une grosse
pomme ronde au bout ; c'était comme un bâton de pèlerin. Anne allait un
peu en avant avec la petite Marie de Cléophas. Elle était accompagnée
d'une servante pour tout le voyage. En outre, quelques femmes et enfants
lui firent la conduite pendant un certain temps : c'étaient des parents
qui se séparaient d'elle aux embranchements de la route qui les
ramenaient chez eux. L'un des prêtres accompagna le cortège pendant
quelque temps. Ils avaient une lanterne avec eux. mais je vis la lueur
disparaître tout à fait devant cette lumière que je vois dans les
voyages de nuit la sainte Famille et d'antres saints encore répandre sur
la route autour d'eux, sans que je remarque pourtant qu'ils voient cette
lumière. Au commencement, le prêtre me semblait marcher derrière la
petite Marie, avec les enfants-prophètes. Plus tard, quand elle fut à
pied, je fus à ses côtés. J'entendis plus d'une fois mes jeunes
compagnons chanter le psaume quarante-quatre : Eructavit cor meum, et le
quarante-neuvième : Deux deorum Dominus locutus est, et j'appris d'eux
que ces psaumes seraient chantés à deux choeurs lors de l'admission de
l'enfant au temple. J'entendrai cela quand ils seront arrivés.
Je vis au commencement le chemin descendre la pente d'une colline, et
plus tard remonter de nouveau. Comme il était de bonne heure et que le
temps était beau, je vis Je cortège s'arrêter près d'une fontaine d'où
sortait un ruisseau ; il y avait là une prairie. Les voyageurs se
reposèrent contré une haie d'arbrisseaux de baume. On plaçait toujours
sous ces arbrisseaux des écuelles de pierre où était recueilli le baume
tombant goutte à goutte. Les voyageurs en mirent dans leur eau et en
remplirent de petits vases. Il y avait là d'autres arbustes avec des
baies qu'ils cueillirent et mangèrent. Ils mangèrent aussi des petits
pains. Ici les deux enfants-prophètes avaient disparu. L'un d'eux était
Elie ; l'autre me parut être Moise. La petite Marie les vit bien, mais
elle n'en dit rien. C'est ainsi qu'on voit quelquefois dans son enfance
de saints enfants, et dans un âge un peu plus avancé de saintes jeunes
filles ou de saints jeunes gens apparaître près de soi, et qu'on ne le
dit pas aux autres, parce que, dans cet état, on est tout à fait calme
et recueilli.
Plus tard, je les vis entrer dans une maison isolée où ils furent bien
accueillis et prirent quelques provisions. Les habitants de cette maison
paraissaient être de leurs parents. C'est de là qu'on renvoya la petite
Marie de Cléophas. Pendant la journée, je tournais encore plusieurs fois
mes regards sur ce voyage, qui est assez pénible. On monte et on descend
beaucoup. Souvent il y a dans les vallées du brouillard et de la rosée ;
cependant je vois aussi certains endroits bien exposés, où il pousse
maintenant des fleurs.
Avant d'arriver à l'endroit où ils devaient passer la nuit, ils
trouvèrent un petit cours d'eau. Ils logèrent dans une auberge située au
pied d'une montagne sur laquelle est une ville. Malheureusement je ne
puis plus bien indiquer le nom de ce lieu. Je le vis à l'occasion
d'autres voyages de la sainte Famille ; ce qui fait que je puis me
tromper aisément sur le nom. Tout ce que je puis dire, quoique non avec
une entière certitude, c'est qu'ils suivirent la direction de la route
que fit Jésus, au mois de septembre dans sa trentième année, en allant
de Nazareth à Béthanie, et ensuite au baptême de Jean. La sainte Famille
suivit aussi ce même chemin lors de la fuite en Égypte. La première
étape de cette fuite fut à Nazara, un petit endroit entre Massaloth et
une ville située sur une hauteur, mais plus près de cette dernière. Je
vois toujours de tous les côtés tant de lieux dont j'entends prononcer
les noms, que je confonds aisément les uns avec les autres. La ville
couvre le penchant d'une montagne et se divise en plusieurs parties, si
tant est que toutes lui appartiennent. On y manque d'eau- : il faut la
faire monter d'en bas avec des cordes. Il y a là de vieilles tours en
ruine. Sur le sommet de la montagne est une tour comme un observatoire.
Il s'y trouve un appareil en maçonnerie avec des poutres et des cordes,
comme pour faire monter quelque chose de la ville, qui est placée plus
bas. Les cordes y sont en si grand nombre que cela ressemble à des mats
de navire. Il y a bien une heure du pied de la montagne jusqu'en haut.
Les voyageurs entrèrent dans une auberge qui est en bas. On a une vue
très étendue du haut de cette montagne. Il y avait dans une partie de la
ville des païens qui étaient comme des esclaves vis-à-vis des Juifs, et
étaient obligés à beaucoup de corvées. Ainsi il leur a fallu travailler
au temple et à d'autres bâtisses.
D'après la situation du lieu, la mention de cette population en partie
païenne, et la circonstance que Jésus voyages dans cette direction
lorsqu'il alla recevoir le baptême, on peut conjecturer que cette ville
était Endor : car dans ses visions quotidiennes sur les années de la
prédication de Jésus, elle le vit dans le milieu du mois de septembre
célébrer le sabbat dans un petit endroit au-dessous d'Endor ; et elle le
vit aussi dans la ville haute d'Endor, en partie déserte, instruire des
Chananéens qui s'étaient établis là depuis la défaite de Sisara, à
l'armée duquel leurs ancêtres avaient appartenu.
Le 4 novembre l821, elle raconta ce qui suit : J'ai va ce soir la petite
Marie arriver avec ses parents dans une ville située à environ six
lieues de Jérusalem dans la direction du nord-ouest. Elle s'appelle
Bethoron et se trouve au pied d'une montagne. Dans le voyage, ils ont
travers une petite rivière qui se jette dans la mer, au couchant, dans
les environs de Joppé, où saint Pierre enseigna après la descente au
Saint Esprit. On a livré de grandes batailles près de Bethoron, je les
ai oubliées. (Voyez Josué, X, 11 ; Macch. VII, 39-40). Il y avait de là
encore deux lieues jusqu'à un endroit de la route d'où l'on pouvait voir
Jérusalem. J'ai entendu le nom de cette route ou de cet endroit, mais je
ne puis bien le préciser '. Bethoron est un endroit considérable. C'est
une ville de lévites. On y trouve de très beaux raisins et beaucoup
d'autres fruits. La sainte Famille entra chez des amis dans une maison
bien disposée. Celui qui l'habitait était maître d'école. C'était une
école de lévites, et il y avait plusieurs enfants dans la maison. Ce qui
m'étonna, ce fut de voir là plusieurs des parentes d'Anne avec leurs
petites filles ; je croyais qu'elles étaient retournées chez elles au
commencement du voyage. Comme je le vois, elles étaient venues en avant
par un chemin plus court, probablement pour annoncer la venue de la
sainte Famille. Les parents de Nazareth, de Séphoris, de Zabulon, qui
avaient assisté à l'examen de Marie, étaient ici avec leurs petites
filles ; par exemple, la soeur aînée de Marie et sa fille Marie de
Cléophas , et la soeur d'Anne, venue de Séphoris avec ses filles.
On fit une vraie fête à la petite Marie : on la conduisit, en compagnie
des autres enfants, dans une grande salle ; on la mit sur un siège élevé
qui était comme un petit trône préparé pour elle. Alors le maître
d'école et d'autres personnes présentes lui firent toutes sortes de
questions et mirent des guirlandes sur sa tête.
Elle se souvenait que ce nom ressemblait à Marion (peut-être Marom). On
sait qu'il y avait une route de Jérusalem à Nicopolis et à Lydda, qui
passait près de Betheron. La soeur donnait d'autres détails sur les
montagnes et les vallées traversées antérieurement dans ce voyage ;
mais, comme elle n'exprimait pas clairement Tout ce qu'elle voyait, et
que son point de vue ne pouvait être bien déterminé, tout cela ne peut
être reproduit.
Tout le monde était étonné de la sagesse de ses réponses. J'entendis
parler aussi de l'esprit judicieux d'une autre jeune fille qui avait
passé par là peu de temps auparavant en revenant de l'école du temple
chez ses parents. Elle s'appelait Suzanne', et figura plus tard parmi
les saintes femmes qui suivaient Jésus. Marie prit sa place, car il y
avait au temple un nombre fixé de places pour les jeunes filles. Suzanne
avait quinze ans quand elle quitta le temple, par conséquent environ
onze ans de plus que Marie. Sainte Anne aussi avait été élevée dans le
temple, mais elle n'y était venue que dans sa cinquième année.
La chère petite Marie était toute joyeuse d'être si près du temple. Je
vis Joachim la serrer dans ses bras en pleurant, et lui dire : " Mon
enfant, je ne te reverrai plus ". On avait préparé un repas, et je vis,
pendant qu'on était à table, Marie aller de côté et d'autre d'une façon
toute gracieuse et se serrer contre sa mère, ou, se tenant derrière
elle, lui passer ses bras autour du cou.
Le 6 novembre, elle dit : Ce matin, de très bonne heure, je vis les
voyageurs partir de Bethoron pour Jérusalem. Tous les parents, avec
leurs enfants, s'étaient joints à eux, ainsi que leurs hôtes ; ils
avaient avec eux des présents pour l'enfant : c'étaient des habits et
des fruits. Il me semble qu'il y a une fête à Jérusalem. J'appris que
Marie avait tout juste trois ans et trois mois ; mais elle était aussi
avancée que chez nous un enfant de cinq ou six ans. Dans leur voyage,
ils n'allèrent ni à Ussencheera, ni à Gophna, où pourtant ils avaient
des connaissances, mais ils passèrent dans les environs.
La soeur donne plus de détails sur Suzanne et sa parente avec la sainte
Famille le 28 septembre ou 27 élul de la première année de prédication
de Notre-Seigneur.
XXX
Arrivée à Jérusalem. La ville. Le temple.
Le 6 novembre 1821, dans la soirée, la soeur raconta ce qui suit : J'ai
vu aujourd'hui, à midi, l'arrivée de Marie à Jérusalem, avec le cortège
qui l'accompagnait. Jérusalem est une singulière ville. Il ne faut pas
se figurer qu'il y ait autant de gens dans les rues qu'il y en a, par
exemple, à Paris. A Jérusalem, il y a plusieurs vallées escarpées qui
passent derrière la ville, sur lesquelles ne donne aucune porte ni
aucune fenêtre, et qui sont dominées par des maisons tournées toutes de
l'autre côté ; car plusieurs quartiers de la ville ont été bâtis
successivement les uns à la suite des autres, et l'on y a ainsi renfermé
plusieurs hauteurs ; mais les murs de la ville sont restés au milieu des
maisons. Souvent ces vallées sont traversées par des ponts élevés et
solidement bâtis. Dans la plupart des maisons, les chambres habitées
sont autour des cours et tournées vers l'intérieur. Du côté de la rue,
on ne voit que la porte ou bien une terrasse au-dessus du mur. A cela
près, les maisons sont parfaitement closes. Quand les habitants n'ont
pas affaire au marché, ou qu'ils ne prennent pas le chemin du temple,
ils sont presque toujours dans l'intérieur des cours ou des maisons.
En général, les rues de Jérusalem sont assez tranquilles, excepté dans
le voisinage des marchés et des palais, où il y à un certain mouvement
de soldats et de voyageurs. Là, aussi, il y a plus de vie et plus de
communications des habitations aux rues. Rome est beaucoup plus agréable
; il n'y a pas tant de chemins étroits et escarpés, et les rues sont
bien plus animées.
Aux époques où tout le monde est rassemblé autour du temple, plusieurs
quartiers de la ville sont tout à fait morts. L'habitude qu'on a de
rester chez soi, et la quantité de chemins solitaires dans les vallées
faisaient que Jésus pouvait souvent parcourir la ville avec ses
disciples sans être dérangé par personne. Il n'y a pas abondance d'eau
dans la ville. On voit des suites d'arcades sur lesquelles on la fait
passer, et des tours où on la pompe et où on l'élève à une grande
hauteur. Au temple, où il faut beaucoup d'eau pour laver et nettoyer les
vases, on en est très économe. On l'y fait monter à l'aide de grandes
machines hydrauliques.
Il y a beaucoup de marchands dans la ville ; ils sont établis
ordinairement sur les marchés et sur les places publiques dans de
petites cabanes. Ainsi, par exemple, il y a dans le voisinage de la
porte des Brebis beaucoup de gens qui vendent toute espèce de bijoux, de
l'or et des pierres brillantes. Ils ont de petites cabanes rondes, qui
sont de couleur brune, comme si elles étaient enduites de poix ou de
résine. Elles sont légères et pourtant très solides. Ils y font leur
ménage ; d'une de ces cabanes à l'autre on étend des toiles sous
lesquelles ils exposent leurs marchandises. La montagne sur laquelle le
temple est bâti est du côté où la pente est la plus douce, entourée de
maisons qui forment plusieurs rues derrière des murs épais ; elles sont
sur des terrasses placées les unes au-dessus des autres. Il y loge des
prêtres et aussi des serviteurs subalternes du temple, qui font les gros
ouvrages, comme, par exemple, de nettoyer les fosses où se rendent les
immondices provenant des sacrifices d'animaux faits dans le temple.
Il y a un côté, celui du nord, si je ne me trompe, ou la montagne du
temple est très escarpée. En haut, tout autour du sommet, se trouve une
zone de verdure formée par de petits jardins qu'ont là les prêtres. Même
au temps de Jésus-Christ, on travaillait toujours à certaines parties du
temple. Ce travail ne cessa jamais. Dans la montagne du temple, il y
avait beaucoup de minerai qu'on en retira lorsqu'on bâtit et qu'on
employa dans la construction de l'édifice. Il y a sous le temple
plusieurs caves et des endroits pour fondre des métaux. Je n'ai jamais
trouvé dans le temple une place où je pusse bien prier. Tout y est
extraordinairement massif, haut et solide. Les nombreuses cours qui s'y
trouvent, sont étroites et sombres, encombrées d'échafaudages et de
sièges ; et, quand la foule y est grande, on se trouve à l'étroit entre
ces gros murs et ces épaisses colonnes, au point d'en être effrayé. Je
n'aime pas non plus ces sacrifices continuels et ce sang versé en
abondance, quoique tout cela s'y fasse avec un ordre et une propreté
incroyables. Il y avait longtemps, ce me semble, que je n'avais vu tous
les bâtiments, les chemins et les passages, aussi distinctement
qu'aujourd'hui. Mais il y a tant de choses, que je ne puis pas en bien
rendre compte.
Les voyageurs, avec la petite Marie, arrivèrent à Jérusalem par le côté
du nord ; toutefois, il n'entrèrent pas là, mais tournèrent autour de la
ville jusqu'au mur oriental, en suivant une partie de la vallée de
Josaphat. Alors, laissant à gauche la montagne des Oliviers et le chemin
de Béthanie, ils entrèrent dans la ville par la porte des Brebis, qui
conduit au marché aux bestiaux. Près de cette porte, est une piscine, où
on lave pour la première fois les brebis destinées aux sacrifices. Ce
n'est pas la piscine de Béthesda.
Le cortège, après s'être un peu avancé dans la ville, tourna de nouveau
à droite et entra comme dans un autre quartier. Ils suivirent ensuite
une longue vallée intérieure que dominent d'un côté les hautes murailles
d'un quartier plus élevé ; puis ils vinrent dans la partie occidentale,
dans les environs du marché au poisson, où se trouve la maison
paternelle de Zacharie d'Hébron. Il y avait là un homme très âgé ;
c'était, je crois, le frère de son père. Zacharie revenait toujours là
après avoir fait son service au temple. Lui-même était encore dans la
ville ; son temps de service était fini, et il ne devait plus rester que
quelques jours à Jérusalem, pour assister à l'entrée de Marie au temple.
Il n'était pas présent lors de l'arrivée du cortège. Il se trouvait
alors dans la maison plusieurs parents des environs de Bethléhem et
d'Hébron, notamment deux filles de la soeur d'Elisabeth. Elisabeth,
elle-même, n'était pas présente. Toutes ces personnes vinrent au-devant
des voyageurs, jusqu'à un quart de lieue par le chemin de la vallée ;
elles avaient avec elles plusieurs jeunes filles qui portaient des
guirlandes et des branches d'arbres. Elles reçurent les arrivants avec
des démonstrations de joie, et conduisirent le cortège à la maison de
Zacharie, où on leur fit fête. On leur donna quelques rafraîchissements,
et l'on se disposa à les conduire à une auberge voisine du temple, où
les étrangers logent les jours de fête. Les animaux destinés au
sacrifice par Joachim avaient été déjà conduits des environs du marché
aux bestiaux dans des étables situées près de cette maison. Zacharie
vint aussi pour conduire le cortège de sa maison paternelle à l'auberge
en question.
On mit à la petite Marie le second vêtement de cérémonie avec le manteau
bleu céleste. Tous se mirent en marche, formant comme une procession.
Zacharie allait en avant, avec Joachim et Anne ; puis, venait Marie,
entourée de quatre petites filles habillées de blanc ; les autres
enfants, avec leurs parents, fermaient la marche. Ils suivirent
plusieurs rues et passèrent devant le palais d'Hérode, et devant la
maison qu'habita plus tard Pilate. Ils se dirigèrent vers l'angle
nord-est du temple, ayant derrière eux la forteresse Antonia, grand
édifice fort élevé, situé au nord-ouest du temple. Ils montèrent un
escalier percé dans une haute muraille. La petite Marie monta toute
seule avec un empressement joyeux ; on voulait l'aider mais elle ne le
permit pas ; tout le monde la regardait avec étonnement.
La maison où ils entrèrent était une auberge pour les jours de fête,
6ituée à peu de distance du marché aux bestiaux. Il y avait plusieurs
auberges de ce genre autour du temple. Zacharie avait loué celle-ci pour
eux. C'était un grand bâtiment avec quatre galeries autour d'une cour
spacieuse. Dans les galeries étaient les chambres à coucher, et aussi de
longues tables basses. Il y avait, en outre, une vaste salle et un âtre
pour la cuisine. La cour où étaient les animaux envoyés par Zacharie
était dans le voisinage Des deux côtés de cet édifice habitaient des
serviteurs du temple, qui avaient des fonctions dans tes sacrifices
Quand les voyageurs entrèrent, on leur lava les pieds comme on faisait
aux étrangers : ils furent lavés aux hommes par des hommes, aux femmes
par des femmes. Ils se rendirent ensuite dans une salle au milieu de
laquelle une grande lampe à plusieurs bras était suspendue au-dessus
d'un grand bassin d'airain rempli d'eau. Ils s'y lavèrent je visage et
les mains. Quand on eut déchargé la bête de somme de Joachim, un
serviteur la mena à l'écurie. Joachim, qui s'était fait annoncer comme
devant sacrifier, suivit les serviteurs du temple dans l'endroit où
étaient les animaux qu'ils examinèrent.
Joachim et Anne se rendirent ensuite avec Marie dans l'habitation des
prêtres, laquelle était située plus haut. Ici aussi l'enfant, comme
poussée et portée par un esprit intérieur, monta les degrés très vite et
avec un élan extraordinaire. Les deux prêtres qui étaient dans la
maison, l'un très âgé, l'autre plus jeune, les accueillirent très
amicalement ; tous deux avaient assisté à l'examen de Marie à Nazareth,
et ils attendaient sa venue. Après qu'on eut échangé quelques paroles
sur le voyage et sur la cérémonie prochaine de la présentation, ils
firent appeler une des femmes du temple : c'était une veuve âgée qui
devait être chargée de veiller sur l'enfant. Elle habitait dans le
voisinage du temple avec d'autres personnes de même condition ; elle
faisait toutes sortes d'ouvrages de femme et élevait des petites filles.
Leur habitation était un peu plus éloignée du temple que les pièces
immédiatement adjacentes à cet édifice, dans lesquelles avaient été
disposés, pour les femmes et les jeunes filles consacrées au service du
temple, de petits oratoires d'où l'on pouvait voir dans le sanctuaire
sans être vu soi-même. La matrone qui venait d'arriver était si bien
enveloppée dans ses vêtements, qu'on pouvait à peine voir un peu de son
visage. Les prêtres et les parents de Marie lui présentèrent l'enfant
comme devant être confiée à ses soins. Elle fut affectueuse avec
dignité, sans cesser d'être grave ; l'enfant, de son côté, se montra
humble et respectueuse. On instruisit cette femme de tout ce qui
concernait Marie, et on s'entretint avec elle touchant la remise
solennelle au temple. Elle descendit avec eux à l'auberge, prit un
paquet d'effets appartenant à l'enfant, et les emporta avec elle pour
tout préparer dans le logement qui lui était destiné.
Les gens qui avaient accompagné le cortège depuis la maison de Zacharie,
s'en retournèrent chez eux. Seulement les parents venus avec la sainte
Famille restèrent dans l'auberge louée par Zacharie. Les femmes
s'installèrent et préparèrent tout pour un repas de fête qui devait
avoir lieu le jour suivant.
NOTE : — Le 7 novembre, la soeur raconta ce qui suit : J'ai passé toute la
journée d'aujourd'hui à contempler les préparatifs du sacrifice de
Joachim et de la réception de Marie au temple.
Joachim et quelques autres hommes conduisirent de bon matin les victimes
au temple devant lequel elles furent encore inspectées par les prêtres.
Quelques animaux furent rejetés, et on les conduisit aussitôt dans la
ville au marché aux bestiaux. Les animaux acceptés par les prêtres
furent conduits dans la cour où ils devaient être immolés. Je vis là
bien des choses que je ne saurais plus raconter dans l'ordre où elles se
passèrent. Je me souviens qu'avant l'immolation, Joachim mettait la main
sur la tête de chacune des victimes. Il devait recevoir le sang, dans un
vase et aussi quelques parties de l'animal. Il y avait là des colonnes,
des tables et des vases où tout était découpé, partagé et rangé. L'écume
du sang était enlevée ; la graisse, le foie et la rate étaient mis à
part. On salait aussi le tout. Les intestins des agneaux étaient
nettoyés, remplis de quelque chose et remis dans le corps, en sorte que
l'agneau semblait rester tout entier. Les pieds des animaux étaient
attachés en forme de croix. On portait une grande partie de la chair
dans une autre cour aux vierges du temple, qui avaient quelque chose à
faire à cette occasion. Peut-être devaient-elles la préparer pour leur
nourriture ou pour celle des prêtres.
Tout cela se passait avec un ordre incroyable. Les prêtres et les
lévites allaient et venaient, toujours deux par deux, et, dans ce
travail compliqué et pénible, tout se faisait facilement et comme de
soi-même. Les morceaux destinés au sacrifice restaient dans le sel
jusqu'au jour suivant, qui était celui où ils étaient offerts sur
l'autel.
Dans l'auberge il y eut aujourd'hui fête et repas solennel. Il y avait
bien là cent personnes, les enfants compris. Environ vingt-quatre jeunes
filles de différents âges étaient présentes. Je vis, entre autres,
Séraphia, qui fut nommée Véronique après la mort de Jésus. Elle était
déjà assez grande, elle pouvait bien avoir dix ou douze ans. On prépara
des couronnes et des guirlandes de fleurs pour Marie et ses compagnes.
L'on para aussi sept cierges ou flambeaux : c'étaient comme des
chandeliers en forme de sceptre, sans piédestal'. Quant à la flamme qui
brillait à leur extrémité, je ne sais si elle était alimentée par de
l'huile, par de la cire ou par quelque autre matière. Pendant la fête,
plusieurs prêtres et lévites entrèrent et sortirent. Ils prirent aussi
part au repas. Comme ils s'étonnaient de la quantité de victimes
offertes par Joachim, il leur dit qu'en souvenir de l'affront qu'il
avait reçu au temple quand son sacrifice avait été rejeté, et à cause de
la miséricorde de Dieu qui avait exaucé sa prière, il voulait maintenant
témoigner sa reconnaissance suivant ses moyens. Je vis encore
aujourd'hui la petite Marie se promener à l'entour de la maison avec les
autres jeunes filles. J'ai oublié beaucoup d'autres choses.
XXXI
Entrée de Marie dans le temple et
Présentation
Voici ce qu'elle raconta le 8 novembre 1821 :
Aujourd'hui, de bon matin, Joachim alla au temple avec Zacharie et les
autres hommes. Plus tard, Marie y fut conduite aussi par sa mère avec un
cortège solennel.
Anne et sa fille aînée Marie Héli, avec la petite Marie de Cléophas,
marchaient en avant ; puis venait la sainte enfant avec sa robe et son
manteau bleu de ciel, les bras et le cou ornés de guirlandes. Elle
portait à la main un cierge ou flambeau entouré de fleurs. Près d'elle,
de chaque côté, marchaient trois petites filles avec des flambeaux
pareils et des robes blanches brodées d'or. Comme, elle aussi, elles
portaient de petits manteaux bleu clair, étaient entourées de guirlandes
de fleurs et avaient de petites couronnes autour du cou et des bras.
Ensuite venaient les autres vierges et petites filles, toutes habillées
comme pour une fête, mais non pas uniformément : toutes portaient de
petits manteaux. Les autres femmes fermaient la marche.
On ne pouvait pas aller droit au temple en partant de leur logis, mais
il fallait faire un détour et passer par plusieurs rues. Tout le monde
se réjouissait à l'approche de ce beau cortège, auquel on rendait des
honneurs à la porte de plusieurs maisons. La petite Marie avait dans ses
allures quelque chose de saint et de singulièrement touchant.
Lorsque le cortège arriva, je vis plusieurs serviteurs du temple occupés
à ouvrir, avec de grands efforts, une porte très grande et très lourde,
brillante comme de l'or, et sur laquelle étaient sculptés des têtes, des
grappes de raisin et des bouquets d'épis'. C'était la porte dorée. Le
cortège passa par cette porte Il fallait monter cinquante marches pour y
arriver ; je ne sais plus s'il y avait entre elles des intervalles de
plain-pied. On voulut conduire Marie par la main, mais elle s'y refusa.
Elle monta les degrés rapidement et sans trébucher, pleine d'un joyeux
enthousiasme. Tout le monde était vivement ému.
Sous la porte elle fut reçue par Zacharie, par Joachim et par quelques
prêtres qui la conduisirent à droite sous la large arcade de la porte,
dans des salles élevées où un repas était préparé pour quelqu'un. Le
cortège se sépara ici. La plupart des femmes et des enfants se rendirent
dans le temple à l'endroit où priaient les femmes ; Joachim et Zacharie
allèrent au lieu du sacrifice. Les prêtres firent encore quelques
questions à Marie dans l'une des salles ; et, quand ils se furent
retirés, étonnés de la sagesse de l'enfant, Anne mit à sa fille le
troisième vêtement de fête, qui était d'un bleu violet, ainsi que le
manteau, le voile et la couronne que j'ai déjà décrits lors du récit de
la cérémonie qui eut lieu dans la maison d'Anne N.
Il est a remarquer que le tabernacle de Moise avait des couvertures de
fête de trois espèces, dont celle de dessous, qui était la plus belle,
était bleue et rouge. Il y avait encore par-dessus une quatrième
couverture plus grossière. De même aussi la très sainte Vierge, dont le
tabernacle de l'alliance était la figure, avait, outre ses habits de
fête, un habillement de tous les jours. On peut consulter, quant à la
triple, couverture du tabernacle et à la quatrième moins précieuse, le
livre de l'Exode (XXVI, 1-14).
Pendant ce temps, Joachim était allé au sacrifice avec les prêtres. Il
reçut du feu pris dans un lieu déterminé, et se tint entre deux prêtres
dans le voisinage de l'autel. Je suis trop malade et trop distraite pour
pouvoir mettre l'ordre nécessaire dans la description du sacrifice. Je
ne me rappelle que ce qui suit.
On ne pouvait arriver à l'autel que de trois côtés. Les morceaux
préparés pour le sacrifice n'étaient pas réunis en un seul endroit, mais
rangés autour en différentes places. Aux quatre coins de l'autel étaient
quatre colonnes de métal, creuses à l'intérieur, sur lesquelles
reposaient comme des conduits de cheminée C'étaient de larges entonnoirs
en cuivre qui se terminaient à l'extérieur par des tuyaux en forme de
cornes, en sorte que la fumée s'en allait par là en passant par-dessus
la tête des prêtres qui sacrifiaient.
Pendant que le sacrifice de Joachim se consumait sur l'autel, Anne alla
avec Marie et les jeunes filles qui l'accompagnaient dans le vestibule
des femmes, qui était la place où se tenaient les femmes dans le temple.
Ce lieu était séparé de l'autel du sacrifice par un mur qui se terminait
en haut par un grillage. Au milieu de ce mur de séparation, il y avait
pourtant une porte. Le vestibule des femmes, à partir du mur de
séparation, allait toujours en montant, en sorte que celles au moins qui
étaient aux places les plus éloignées pouvaient voir, jusqu'à un certain
point, l'autel du sacrifice. Quand la porte du mur de séparation était
ouverte, une partie d'entre elles pouvait voir l'autel. Marie et les
autres jeunes filles étaient debout devant Anne, et les autres femmes de
la famille à peu de distance de la porte. A une place à part se tenait
une troupe d'enfants du temple, vêtus de blanc, qui jouaient de la flûte
et de la harpe.
Après le sacrifice, on dressa sous la porte du mur de séparation un
autel portatif couvert ou une table de sacrifice', avec quelques marches
pour y monter. Zacharie et Joachim vinrent avec un prêtre de la cour des
sacrifices à cet autel, devant lequel se tenaient un prêtre et deux
lévites, avec des rouleaux et tout ce qu'il fallait pour écrire. Un peu
en arrière étaient les jeunes filles qui avaient accompagné Marie. Marie
s'agenouilla sur les marches ; Joachim et Anne étendirent leurs mains
sur sa tête. Le prêtre lui coupa quelques cheveux qui furent brûlés sur
un brasier. Les parents prononcèrent quelques paroles par lesquelles ils
offraient leur enfant, et que les deux lévites écrivirent. Pendant ce
temps, les jeunes filles chantaient le psaume quarante-quatre :
Eructavit cor meum vertum bonum, et les prêtres le psaume quarante-neuf
: Deus deorum Dominus locutus est, et les jeunes garçons jouaient de
leurs instruments.
Cette table de sacrifice était placée sous la porte en question, parce
que les femmes ne pouvaient pas aller plus loin. Joachim, lors de sa
rencontre avec Anne, était descendu dans le passage souterrain
au-dessous de l'arceau de cette porte ; Anne, du côté opposé.
Je vis alors deux prêtres prendre Marie par la main et la conduire par
plusieurs marches à une place élevée du mur qui séparait le vestibule du
sanctuaire d'avec ce dernier lieu. Ils placèrent l'enfant dans une
espèce de niche située au milieu de ce mur eu "rte qu'elle pouvait voir
dans le temple, où se tenaient rangés en ordre plusieurs hommes qui me
parurent consacrés au temple. Deux prêtres étaient à ses côtés ; il y en
avait sur les marches quelques autres qui récitaient à haute voix des
prières écrites sur des rouleaux. De l'autre côté du mur, un vieux
prince des prêtres se tenait debout près d'un autel, à un endroit assez
élevé pour qu'on pût le voir à moitié. Je le vis présenter de l'encens
dont la fumée se répandit autour de Marie.
Pendant cette cérémonie, je vis autour de la sainte Vierge un tableau
symbolique qui bientôt remplit le temple et l'obscurcit, pour ainsi
dire. Je vis une gloire lumineuse sous le coeur de Marie, et je connus
qu'elle renfermait la promesse, la très sainte bénédiction de Dieu. Je
vis cette gloire se montrer comme entourée de l'arche de Noé, de façon
que la tête de la sainte Vierge s'élevait au-dessus de l'arche. Je vis
ensuite cette arche de Noé prendre la forme de l'Arche d'alliance, et
celle-ci à son tour comme renfermée dans le temple. Puis je vis ces
formes disparaître, et le calice de la sainte cène se montrer hors de la
gloire devant la poitrine de Marie, et au-dessus de lui, devant la
bouche de la Vierge, un pain marqué d'une croix. A ses côtés brillaient
des rayons à l'extrémité desquels se montraient, exprimés par des
figures, plusieurs symboles mystiques de la sainte Vierge, comme, par
exemple, tous les noms des litanies que l'Église lui adresse. De ses
deux épaules partaient, en se croisant, deux branches d'olivier et de
cyprès, ou de cèdre et de cyprès au-dessus d'un beau palmier, avec un
petit bouquet de feuilles que je vis apparaître derrière elle. Dans les
intervalles de ces branches, je vis tous les instruments de la Passion
de Jésus-Christ. Le Saint Esprit sous une forme ailée qui semblait se
rapprocher plus de 1a forme humaine que de celle de la colombe, planait
sur le tableau, au-dessus duquel je vis le ciel ouvert, et le centre de
la Jérusalem céleste, la cité de Dieu avec tous ses palais, ses jardins
et les places des saints futurs : tout cela était plein d'anges, de même
que la gloire qui maintenant entourait la sainte Vierge était remplie de
têtes d'anges.
L'Eglise, dans les heures canoniques, répète souvent la prière Omnium
nostrum habitatio est in , sancta Dei Genitrix, ce qui s'accorde bien
avec la représentation où Marie parait sous la figure de l'arche de Noé,
dans laquelle habitait tout ce qui était sauvé du déluge.
Qui pourrait rendre ces choses par des expressions humaines. Tout cela
se montrait sous des formes si diverses, si multipliées, naissant les
unes des autres avec de si continuelles transformations, que j'en ai
oublié la plus grande partie. Tout ce qui se rapporte à la sainte Vierge
dans l'ancienne et la nouvelle alliance, et jusque dans l'éternité, se
trouvait représenté par là Je ne puis comparer cette apparition qu'avec
celle que j'eus en plus petit il n'y a pas longtemps, et où je vis dans
toute sa magnificence le saint Rosaire, que beaucoup de gens qui se
croient habiles comprennent bien moins que les pauvres gens de la basse
classe qui le récitent dans leur simplicité : car ceux-ci ajoutent à son
éclat par leur obéissance, leur piété, et leur humble confiance dans
l'Église qui recommande cette prière. Lorsque je vis tout cela, toutes
les magnificences et les beautés du temple, ainsi que les murs
élégamment ornés qui étaient derrière la sainte Vierge, me parurent
ternes et noircis : le temple lui-même sembla bientôt disparaître ;
Marie et la gloire qui l'entourait remplissaient tout. Pendant que
toutes ces visions passaient sous mes yeux, je ne vis plus la sainte
Vierge sous la forme d'une enfant ; elle m'apparut grande et planant en
l'air, et je voyais pourtant les prêtres, le sacrifice de l'encens et
tout le reste à travers cette image : on eût dit que le prêtre était
placé derrière elle, annonçait l'avenir et invitait le peuple à
remercier Dieu et à le prier, parce que de cette enfant il devait sortir
quelque chose de grand. Tous ceux qui étaient présents au temple,
quoiqu'ils ne vissent pas ce que je voyais, étaient graves, recueillis
et profondément émus Le tableau s'évanouit par degrés, ainsi que je
l'avais vu apparaître. A la fin, je ne vis plus que la gloire sous le
coeur de Marie, et la bénédiction de la promesse qui brillait au dedans
; puis cette vision aussi disparut, et je vis de nouveau la sainte
enfant avec sa parure, seule entre deux prêtres.
Les prêtres prirent les couronnes qui étaient autour ce ses bras ainsi
que le flambeau qu'elle avait à la main, et les donnèrent à ses
compagnes. Ils lui mirent sur la tête une espèce de voile brun, et, lui
ayant fait descendre les degrés, ils la conduisirent par une porte dans
une salle voisine où six autres vierges du temple, mais plus âgées,
vinrent à sa rencontre en jetant des fleurs devant elle. Elles étaient
suivies de leurs maîtresses, Noémi, soeur de la mère de Lazare, la
prophétesse Anne et une troisième. Les prêtres reçurent entre leurs
mains la petite Marie, après quoi ils se retirèrent. Les père et mère de
l'enfant, ainsi que leurs plus proches parents, se trouvaient là aussi ;
on acheva les chants sacrés, et Marie prit congé de sa famille. Joachim
surtout était profondément ému ; il prit Marie dans ses bras, la serra
contre son coeur, et lui dit avec larmes : " Souviens-toi de mon âme
devant Dieu ". Marie se rendit alors avec les maîtresses et plusieurs
jeunes filles dans le logement des femmes, attenant au côté
septentrional du temple proprement dit. Elles habitaient des chambres
qui avaient été pratiquées dans les gros murs du temple. Elles
pouvaient, par des passages et des escaliers, monter à de petits
oratoires placés près du sanctuaire et du Saint des saints.
Les parents de Marie revinrent à la salle voisine de la porte dorée où
ils s'étaient arrêtés d'abord, et y prirent un repas avec les prêtres.
Les femmes mangeaient dans une salle séparée. J'ai oublié, parmi
beaucoup d'autres choses, pourquoi la fête avait été si brillante et si
solennelle. Je sais pourtant que ce fut par suite d'une révélation de la
volonté divine à cet égard. Les parents de Marie avaient de l'aisance.
Ils ne vivaient pauvrement que par esprit de mortification et pour
pouvoir faire plus d'aumônes. Ainsi Anne, pendant je ne sais combien de
temps, ne mangea que des aliments froids. Mais ils tenaient leurs gens
dans l'abondance et les dotaient.- J'ai vu beaucoup de personnes qui
priaient dans le temple. Il y en avait aussi un grand nombre qui avaient
suivi le cortège jusqu'à la porte du temple.-Quelques-uns des assistants
durent avoir un pressentiment des destinées de la sainte Vierge, car je
me souviens de quelques paroles que sainte Anne, dans un moment
d'enthousiasme joyeux, adressa à quelques femmes, et dont le sens était
: " Voici l'Arche d'alliance, le vase de la promesse, qui entre dans le
temple. "Les père et mère de Marie, ainsi que les autres parents, s'en
retournèrent aujourd'hui jusqu'à Bethoron.
Je vis aussi une fête chez les vierges du temple. Marie dut demander aux
maîtresses et à chaque jeune fille en particulier si elles voulaient la
souffrir parmi elles. C'était l'usage d'agir ainsi. Il y eut ensuite un
repas et une sorte de petite fête où quelques-unes des jeunes filles
jouèrent de certains instruments de musique. Le soir, je vis Noémi,
l'une des maîtresses, conduire la sainte Vierge dans la petite chambre
qui lui était destinée et d'où l'on pouvait voir dans le temple. Il y
avait une petite table et un escabeau ; dans les angles étaient
disposées des tablettes. En avant de cette petite chambre était une
place pour la couche et une garde-robe, ainsi que la chambre de Noémi.
Marie parla à celle-ci de son désir de se lever plusieurs fois la nuit,
mais Noémi ne le lui permit pas pour le moment.
Les femmes du temple portaient de longs et amples vêtements blancs avec
des ceintures, et des manches très - larges qu'elles relevaient pour
travailler. Elles étaient voilées. Je ne me souviens pas d'avoir jamais
vu qu'Hérode ait fait rebâtir à neuf le temple entier. Je vis seulement
qu'on y fit sous son règne divers changements. Lorsque Marie vint au
temple, onze ans avant la naissance de Jésus-Christ, on ne faisait pas
de travaux dans le temple proprement dit, mais, comme toujours, on
travaillait aux constructions extérieures : cela ne cessa jamais.
Le 21 novembre, la soeur dit ce qui suit : J'ai vu aujourd'hui la
chambre qu'habitait Marie au temple. Dans la partie septentrionale du
temple, vis-à-vis du sanctuaire se trouvaient dans le haut plusieurs
chambres qui communiquaient avec les habitations des femmes. La chambre
de Marie était l'une des plus reculées vis-à-vis du Saint des saints. On
passait du corridor en levant un rideau dans une pièce antérieure, qui
était séparée de la chambre proprement dite par une cloison de forme
convexe ou terminée en angle. Dans l'angle, à droite et à gauche,
étaient des compartiments pour mettre des habits et des effets ;
vis-à-vis de la porte pratiquée dans cette cloison, des marches
conduisant plus haut à une ouverture devant laquelle était une
tapisserie, et d'où l'on pouvait voir dans le temple. à gauche, contre
le mur de la chambre était un tapis roulé qui. Lorsqu'il était étendu,
formait la couche où Marie reposait.
Dans une niche de la muraille était placée une lampe près de laquelle
j'ai vu l'enfant debout sur un escabeau, lire des prières dans un
rouleau de parchemin. C'était très touchant. Elle avait une petite robe
rayée de blanc et de bleu et parsemée de fleurs jaunes. Il y avait dans
la chambre une table basse, de forme ronde. Je vis entrer la prophétesse
Anne. Elle plaça sur la table un plat où étaient des fruits de la
grosseur d'une fève et une petite cruche. Marie avait une adresse
au-dessus de son âge ; je la vis déjà travailler à de petites pièces de
toile blanche.
Les contemplations qui précèdent étaient ordinairement communiquées par
Anne Catherine Emmerich vers le temps de la fête de la Présentation de
Marie. Voici ce qu'on a recueilli en outre, d'après des récits faits à
diverses époques sur le séjour de Marie au temple.
XXXII
De la vie de la sainte Vierge au temple.
Je vis la sainte Vierge au temple tantôt dans l'habitation des femmes
avec les autres petites filles, tantôt dans sa petite chambre,
grandissant dans l'étude, la prière et le travail. Elle filait, tissait,
tricotait pour le service du temple. Elle lavait le linge et nettoyait
les vases. Je la vis souvent en prière et en méditation. Comme tous les
saints, elle ne mangeait que pour soutenir son existence, et jamais
d'autres mets que ceux auxquels elle avait promis de se réduire.
Indépendamment des prières prescrites par la règle
du temple, la vie de Marie était une aspiration incessante vers la
rédemption, une prière intérieure continuelle. Elle faisait tout cela
paisiblement et en secret. Quand tout le monde était endormi, elle se
levait de sa couche et invoquait Dieu. Je la vis souvent fondant en
larmes et entourée de lumière pendant la prière. Elle priait voilée.
Elle se voilait aussi quand elle parlait aux prêtres ou qu'elle
descendait dans une chambre attenante au temple pour recevoir sa tâche
ou livrer ce qu'elle avait fait. Il, avait des pièces de ce genre de
trois côtés du temple. Elles me faisaient toujours l'effet de
sacristies. On y conservait toutes sortes d'effets que les femmes
attachées au service du temple devaient entretenir ou réparer.
Je vis la sainte Vierge au temple, continuellement ravie en extase dans
la prière. Il semblait que son âme ne fût pas sur la terre, et elle
recevait souvent des consolations célestes. Elle soupirait ardemment
après l'accomplissement de la promesse ; et dans son humilité elle osait
à peine former le désir d'être la dernière des servantes de la Mère du
Rédempteur.
La maîtresse qui prenait soin de Marie s'appelait Noémi, elle était
soeur de la mère de Lazare et âgée de cinquante ans. Elle appartenait à
la société des Esséniens, ainsi que les autres femmes attachées au
service du temple. Marie apprenait d'elle à travailler ; elle allait
avec elle lorsqu'elle nettoyait le linge et les vases tachés par le sang
des sacrifices, ou qu'elle partageait et préparait certaines portions de
la chair des victimes réservées pour les prêtres et les femmes du
temple. Plus tard, Marie s'occupa encore plus activement de ces soins de
ménage. Quand Zacharie était de service au temple, il la visitait :
Siméon aussi la connaissait.
Les destinées auxquelles Marie était appelée ne pouvaient pas rester
tout à fait inconnues des prêtres. Toute sa manière d'être, la grâce
dont elle était pleine, sa sagesse extraordinaire, étaient si
remarquables dès son enfance, que son extrême humilité ne pouvait cacher
tout cela. Je vis de vieux prêtres, renommés par leur sainteté, écrire
sur de grands rouleaux diverses choses qui la concernaient. et j'ai vu
ces écrits, je ne sais plus à quelle époque, parmi d'autres anciens
manuscrits.
Nous interrompons ici ces fragments relatifs au séjour de la sainte
Vierge au temple, et nous passons a quelques récits touchant la jeunesse
de saint Joseph.
XXXIII
De la jeunesse de saint Joseph
(Raconté le 18 mars 1820 et le 18 mars 1821)
Joseph, dont le père s'appelait Jacob, était le troisième de six frères.
Ses parents habitaient un grand bâtiment en avant de Bethléhem : ç'avait
été autrefois la maison paternelle de David, dont le père, Isaï ou
Jessé, en était possesseur. A l'époque de Joseph, il ne restait plus
guère que les gros murs de l'ancienne construction. Je crois que je
connais mieux ce bâtiment que notre petit village de Flamske.
Devant la maison, il y avait, comme devant les
maisons de l'ancienne Rome, une cour antérieure entourée de galeries
couvertes. Je vis dans ces galeries des figures semblables à des têtes
de vieillards. D'un côté de la cour se trouvait une fontaine sous un
petit édifice en pierre. L'eau sortait par des têtes d'animaux. La
maison d'habitation n'avait pas de fenêtres au rez-de-chaussée, mais il
y avait plus haut des ouvertures rondes. Je vis une porte d'entrée.
Autour de la maison régnait une large galerie, aux quatre coins de
laquelle se trouvaient de petites tours semblables à de grosses
colonnes, qui se terminaient par des espèces de coupoles surmontées de
petits drapeaux. Par les ouvertures de ces coupoles, où conduisaient des
escaliers pratiqués dans les tourelles, on pouvait voir de loin sans
être vu soi-même. Il y avait de semblables tourelles sur le palais de
David à Jérusalem, et ce fut de la coupole d'une de ces tourelles qu'il
regarda Bethsabée pendant son bain. Dans le haut de la maison, cette
galerie régnait autour d'un étage peu élevé, dont la toiture plate
supportait une construction terminée par une autre tourelle. Joseph et
ses frères habitaient dans le haut, ainsi qu'un vieux Juif qui leur
servait de précepteur. Ils couchaient autour d'une chambre placée au
centre de l'étage qui dominait la galerie. Leurs lits, consistant en
couvertures qu'on roulait contre le mur pendant le jour, étaient séparés
par des nattes qu'on pouvait enlever. Je les ai vus jouer dans leurs
chambres. Je vis aussi les parents ils ne s 'occupaient guère de leurs
enfants et avaient peu de rapports avec eux. Ils ne me parurent ni bons
ni mauvais.
Joseph, que, dans cette vision, je vis âgé d'environ huit ans, était
d'un naturel fort différent de celui de ses frères. Il avait beaucoup
d'intelligence et apprenait très bien ; mais il était simple, paisible,
pieux et sans ambition. Ses frères lui faisaient toutes sortes de
malices et le rudoyaient de temps en temps. Ces enfants avaient de
petits jardins divisés en compartiments.
Dans les jardins des enfants, je vis des herbes, des buissons et des
arbustes. Je vis que les frères de Joseph allaient souvent en secret
dans son jardin pour y faire des dégâts' ils le faisaient beaucoup
souffrir. Je le vis souvent, Sous les galeries de la cour, prier à
genoux et les bras étendus ; ses frères se glissaient alors près de lui
et le frappaient dans le dos. Je vis une fois, pendant qu'il était ainsi
à genoux, qu'un d'entre eux le frappa par derrière, et comme il ne
paraissait pas s'en apercevoir, l'autre recommença si souvent que le
pauvre Joseph tomba en avant sur les dalles. Je connus par là qu'il
avait été ravi en extase pendant son oraison. Quand il revint à lui, il
ne se mit pas en colère, il ne pensa pas à se venger, mais il chercha un
coin reculé pour y continuer sa prière.
Les parents de Joseph n'étaient pas très satisfaits de lui ; ils
auraient voulu qu'il employât ses talents à se faire une position dans
le monde ; mais il n'avait aucune inclination de ce côte. Ils le
trouvaient trop simple et trop uni, il n'aimait qu'à prier et à
travailler tranquillement de ses mains. A une époque où il pouvait bien
avoir douze ans, je le vis souvent, pour se dérober aux taquineries
continuelles de ses frères, s'en aller de l'autre côté de Bethléhem, non
loin de ce qui fut plus tard la grotte de la Crèche, et passer quelque
temps près de pieuses femmes, qui appartenaient à une petite communauté
d'Esséniens. Elles demeuraient contre une carrière pratiquée dans la
colline sur laquelle se trouve Bethléhem, et habitaient là des chambres
creusées dans le roc ; elles cultivaient de petits jardins voisins de
leur demeure, et instruisaient les enfants d'autres Esséniens. Souvent,
pendant qu'elles récitaient des prières écrites sur un rouleau, à la
lueur d'une lampe suspendue à la paroi du rocher, je vis le petit Joseph
chercher auprès d'elles un refuge contre les persécutions de ses frères
et prier avec elles. Je le vis aussi s'arrêter dans les grottes. dont
l'une fut plus tard le lieu de naissance de Notre Seigneur. Il priait
seul ou s'exerçait à façonner de petites pièces de bois. Un vieux
charpentier avait son atelier dans le voisinage des Esséniens. Joseph
allait souvent chez lui et apprenait peu à peu son métier ; il y
réussissait a autant mieux qu'il avait appris ; un peu de géométrie avec
son précepteur.
L'inimitié de ses frères lui rendit à la fin impossible de rester plus
longtemps dans la maison paternelle. Je vis un ami de Bethléhem, qui
n'était séparé de l'habitation de son père que par un petit ruisseau,
lui donner des habits avec lesquels il se déguisa, et quitta la maison
pendant la nuit pour aller ailleurs gagner sa vie à l'aide de son métier
de charpentier. Il pouvait avoir alors de dix-huit à vingt ans.
Je le vis d'abord travailler chez un charpentier, près de Libonah. Ce
fut là, qu'à vrai dire, il apprit son métier. La demeure de son maître
était contre de vieux murs qui conduisaient de à ville à un château en
ruines le long d'une crête de montagne. Beaucoup de pauvres gens
habitaient là dans la muraille. Je vis Joseph, entre de grands murs où
le jour pénétrait par des ouvertures pratiquées en haut, façonner de
longues barres de bois. C'étaient des cadres dans lesquels on faisait
entrer des cloisons en clayonnage. Son maître était un pauvre homme qui
ne faisait guère que des ouvrages grossiers et de peu de valeur.
Joseph était pieux, bon et simple ; tout le monde l'aimait. Je le vis
rendre, avec une parfaite humilité, toutes sortes de services à son
maître, ramasser des copeaux' rassembler des morceaux de bois et les
rapporter sur ses épaules. Plus tard, il passa une fois par cet endroit
avec la sainte Vierge, et, si je ne me trompe, il visita avec elle son
ancien atelier.
Il résulte de plusieurs communications de la soeur sur les années de la
prédication de Jésus que la ville où travailla d'abord saint Joseph
n'est pas Libnah, située dans la tribu de Juda, quelques lieues à
l'ouest. de Bethléhem, mais Lebonah sur le versant méridional du mont
Garizini. Elle est citée dans le livre des Juges, XXI, 19, et, d'après
ce passage, il faut la chercher au nord de Silo.
Ses parents crurent d'abord qu'il avait été enlevé par des bandits. Je
vis plus tard que ses frères découvrirent où il était et lui firent de
vifs reproches ; car ils avaient honte de la basse condition à laquelle
il s'était réduit. Il y resta par humilité ; seulement il quitta ce lieu
et travailla dans la suite à Thanath (Thaanach), près de Megiddo, au
bord d'une petite rivière (le Kison), qui se jette dans la mer. Cet
endroit n'est pas loin d'Apheké, ville natale de l'apôtre saint Thomas.
Il vécut là chez un maître assez riche ; on y faisait des travaux plus
soignés.
Je le vis plus tard, à Tibériade, travailler pour un autre maître. Il
demeurait seul dans une maison au bord de l'eau. Il pouvait alors avoir
trente-trois ans. Ses parents étaient morts depuis longtemps à
Bethléhem, deux de ses frères habitaient encore à Bethléhem, les autres
étaient dispersés. Leur maison paternelle avait passé en d'autres mains,
et la famille était promptement tombée en déchéance.
Joseph était très pieux et priait ardemment pour la venue du Messie. Il
était occupé à arranger auprès de sa demeure un oratoire où il pût prier
dans une plus grande solitude, lorsqu'un ange lui apparut et lui dit de
cesser ce travail ; car, de même qu'autrefois Dieu avait confié au
patriarche Joseph l'administration des blés de l'Égypte, de même le
grenier qui renfermait la moisson du salut allait être confié à sa
garde.
Joseph, dans son humilité, ne comprit pas ces paroles et continua à
prier avec ferveur, jusqu'au moment où il fut appelé à se rendre au
temple de Jérusalem pour y devenir, en vertu d'une prescription d'en
haut, l'époux de la sainte Vierge. Je ne l'ai jamais vu marié
antérieurement. Il vivait très retiré et évitait la société des femmes.
Comme Thanach ou Thaanath (Jos. XVI, 6) est située selon Eusèbe à
douze milles à l'est de Naplouse, vers le Jourdain, et comme le lieu
cité ici doit, d'après la soeur, se trouver au couchant de Naplouse,
elle a sans doute voulu dire Thaanach au lieu de Thanath. Peut-être
aussi l'a-t-elle dit et a-t-elle été mal comprise de l'écrivain, qui
n'avait alors ni connaissances géographiques sur la Palestine ni moyens
de les acquérir. Cela a été d'autant plus facile que dans son état de
maladie ou d'extase elle prononçait souvent les noms avec son accent
patois de Munster d'une façon peu intelligible. Il est d'autant plus
certain qu'ici elle voulait dire Thaanach qu'en 1823, rapportant les
incidents de la troisième année de la prédication de Jésus, elle raconta
que, le 25 et le 26 suivant, Jésus avait enseigne à Thannach, ville de
lévites près de Megiddo, et visité là l'ancien atelier de son père
nourricier, saint Joseph.
XXXIV
Jean est promis à Zacharie.
Je vis Zacharie dire à Elisabeth qu'il voyait avec peine arriver le
moment où il irait faire son service au temple de Jérusalem ; il lui en
coûtait toujours d'y aller, parce qu'on l'y méprisait, à cause de la
stérilité de son mariage. Zacharie était de service au temple deux fois
par an.
Ils n'habitaient pas à Hébron même, mais à une lieue de là, à Jutta Il y
avait entre Jutta et Hébron beaucoup d'anciens murs. Peut-être
qu'autrefois ces deux endroits étaient réunis. Des autres côtés
d'Hébron, on trouvait aussi beaucoup d'édifices et de maisons
disséminées, comme des restes de l'ancienne ville, qui était autrefois
aussi grande que Jérusalem. Les prêtres qui habitaient Hébron étaient
moins élevés en dignité que ceux qui habitaient Jutta. Zacharie était
comme le chef de ceux-ci. Elisabeth et lui étaient très respectés à
cause de leur vertu et de la pureté de leur lignage depuis Aaron, leur
aïeul.
Je vis ensuite Zacharie visiter, avec plusieurs autres prêtres du pays,
un petit bien qu'il possédait dans le voisinage de Jutta. C'était un
jardin avec des arbres de toute espèce et une petite maison. Zacharie y
pria avec ses compagnons, et fit une instruction à ceux-ci. C'était une
sorte de préparation au service du temple, qui allait bientôt commencer
pour eux. Je l'entendis aussi parler de sa tristesse et d'un
pressentiment qu'il avait que quelque chose allait lui arriver.
Je le vis aussitôt après aller avec ces prêtres à Jérusalem, et y
attendre quatre jours jusqu'à ce que vint son tour d'offrir le
sacrifice. Pendant ce temps, il priait continuellement dans le temple.
Quand vint son tour de présenter l'encens, je le vis entrer dans le
sanctuaire où se trouvait l'autel des parfums, devant l'entrée du Saint
des saints. Le toit était ouvert au-dessus de lui, en sorte qu'on
pouvait voir le ciel. On ne pouvait pas apercevoir le prêtre du dehors.
Quand il entra, un autre prêtre lui dit quelque chose et se retira
ensuite.
Celui-ci lui dit vraisemblablement : "Allume l'encens. Voyez la Michnah,
traduc. Tamid 6, 55, 3. ed. Surenh., p, 305.
Quand Zacharie fut seul, je le vis lever un rideau et entrer dans un
lieu où il faisait sombre. Il prit là quelque chose qu'il plaça sur
l'autel, et alluma de l'encens. Je vis alors à droite de l'autel une
lumière descendre sur lui et une forme brillante s'approcher de lui. le
je vis, effrayé et ravi en extase, tomber du côté droit de l'autel.
L'ange le releva, lui parla longtemps, et Zacharie répondit. Je vis
au-dessus de Zacharie le ciel ouvert, et deux anges monter et descendre
comme sur une échelle. Sa ceinture était détachée et sa robe ouverte, et
je vis qu'un des anges semblait retirer quelque chose de son corps,
tandis que l'autre lui mettait dans le côté comme un objet lumineux.
C'était quelque chose de semblable à ce qui se passa lorsque Joachim
reçut la bénédiction de l'ange pour la conception de la sainte Vierge.
Les prêtres avaient coutume de sortir du sanctuaire aussitôt après avoir
allumé l'encens. Comme Zacharie tardait beaucoup à revenir, le peuple
qui priait au dehors était inquiet ; mais il était devenu muet, et je le
vis écrire sur une tablette avant de sortir.
Quand il vint du temple dans le vestibule, beaucoup de personnes se
pressèrent autour de lui, lui demandant pourquoi il était resté si
longtemps ; mais il ne pouvait pas parler, et fit des signes avec la
main, montrant sa bouche et la tablette, qu'il envoya aussitôt à Jutta,
chez Elisabeth, pour lui annoncer que Dieu lui avait fait une promesse,
et qu'il avait perdu la parole. Il partit lui-même au bout de quelque
temps pour revenir chez lui ; mais Élisabeth, aussi, avait eu une
révélation, dont je ne me souviens plus.
Nous venons de communiquer ce que la soeur Emmerich raconta
succinctement étant fort malade ; mais, pour que le lecteur se rende
compte de l'entretien de l'ange avec Zacharie et des paroles
d'Élisabeth, nous joignons ici le récit de l'Évangile selon saint Luc,
I, 5-25.
Au temps d'Hérode, roi de Judée, il y avait un prêtre nommé Zacharie, de
la famille sacerdotale d'Abia, l'une de celles qui servaient dans le
temple chacune à son tour ; sa femme était aussi de la race d'Aaron, et
s'appelait Élisabeth. Ils étaient tous deux justes devant Dieu, et ils
marchaient dans tous les commandements et les ordonnances du Seigneur
d'une manière irrépréhensible. Ils n'avaient point d'enfants parce
qu'Elisabeth était stérile, et qu'ils étaient tous deux avancés en âge.
Or, Zacharie faisant sa fonction de prêtre devant Dieu dans le rang de
sa famille, il arriva par le sort, selon ce qui s'observait entre les
prêtres, que ce fut à lui à entrer dans le temple du Seigneur pour y
offrir les parfums. Et toute la multitude du peuple était dehors,
faisant sa prière à l'heure qu'on offrait les parfums Et un ange du
Seigneur apparut, se tenant debout à la droite de l'autel des parfums.
Zacharie le voyant en fut tout troublé, et la frayeur le saisit. Mais
l'ange lui dit : Ne crains point, Zacharie, parce que ta prière a été
exaucée, et ta femme Elisabeth t'enfantera un fils, auquel tu donneras
le nom de Jean. Tu en seras dans la joie et dans le ravissement, et
beaucoup de gens se réjouiront de sa naissance ; car il sera grand
devant le Seigneur. Il ne boira point de vin ni rien de ce qui peut
enivrer, et il sera rempli du Saint Esprit dès le sein de sa mère. Il
convertira plusieurs des enfants d'Israël au Seigneur leur Dieu, et il
marchera devant lui dans l'esprit et dans la vertu d'Élie pour réunir
les coeurs des pères avec leurs enfants, et rappeler les incrédules à la
prudence des justes, afin de préparer au Seigneur un peuple partait. Et
Zacharie dit à l'ange : Comment connaîtrai-je la vérité de vos paroles
car je suis déjà vieux, et ma femme est avancée en âge. L'ange lui
répondit : Je suis Gabriel, qui suis toujours présent devant Dieu ; j'ai
été envoyé pour te parler et te porter cette bonne nouvelle. Et, dès à
présent, tu seras muet et tu ne pourras pas parler jusqu'au jour où cela
arrivera, parce que tu n'as pas cru à mes paroles, qui s'accompliront
dans leur temps. Cependant le peuple attendait Zacharie et s'étonnait
qu'il demeurât si longtemps dans le temple. Mais, étant sorti, il ne
pouvait pas leur parler : et comme il leur faisait des signes, ils
connurent qu'il avait eu une vision dans le temple ; et il demeura muet
Et quand les jours de son ministère furent accomplis, il s'en retourna
dans sa maison. Quelque temps après, Élisabeth sa femme conçut, et elle
se tenait cachée durant cinq mois, disant : C'est là la grâce que le
Seigneur m'a faite en ce temps où il m'a regardée pour me retirer de
l'opprobre où j'étais devant les hommes.
XXXV
Fiançailles de la Sainte Vierge.
La sainte Vierge vivait dans le temple avec plusieurs autres vierges
sous la surveillance de pieuses matrones. Ces vierges s'occupaient de
broderies et d'ouvrages du même genre pour les tentures du temple et les
vêtements sacerdotaux ; elles étaient aussi chargées de nettoyer ces
vêtements et d'autres objets servant au culte divin. Elles avaient de
petites cellules d'où elles avaient vue sur l'intérieur du temple et où
elles priaient et méditaient Quand elles étaient arrivées à l'âge
nubile, on les mariait. Leurs parents les avaient entièrement données à
Dieu en les conduisant au temple, et il y avait chez les plus pieux
d'entre les Israélites un pressentiment secret qu'un de ces mariages
produirait un jour l'avènement du Messie.
La sainte Vierge ayant quatorze ans et devant bientôt sortir du temple
pour se marier, avec sept autres jeunes filles, je vis sainte Anne venir
la visiter. Joachim ne vivait plus. Quand on annonça à Marie qu'elle
devait quitter le temple et se marier, je la vis, profondément émue,
déclarer au prêtre qu'elle ne désirait pas quitter le temple, qu'elle
s'était consacrée à Dieu seul et n'avait pas de goût pour le mariage;
mais on lui répondit qu'elle devait prendre un époux.
NOTES : — Quoique en général la littérature juive postérieure ne parle pas de
femmes ou de jeunes filles employées au service du temple, nous trouvons
pourtant, soit dans l'autorité de l'Eglise qui célèbre la fête de la
Présentation de Marie (le 21 novembre), soit dans la Bible et dans
d'anciens documents, des motifs suffisants pour nous donner l'assurance
qu'il y en avait réellement. Déjà du temps de Moise (Exod. XXXVIII, 8)
et à la dernière époque des Juges (I. Reg' , 22) nous trouvons des
femmes ou de' jeunes filles employées au service du culte divin. Le
psaume LXVIII en décrivant l'entrée de l'Arche dans Sion nous montre
dans le cort45e des jeunes filles frappant sur des timbales. Il y avait
des vierges vouées au temple et élevées dans son enceinte, a ce que dit
déjà un disciple des apôtres, Evodius, successeur de saint Pierre à
Antioche, dans une lettre citée, il est vrai, pour la première fois, par
Nicéphore, lli. Il, c. Ill, et où il est parlé de la sainte Vierge.
Saint Grégoire de Nysse, saint Jean Damascène et d'autres écrivains en
parlent aussi. Le rabbin Azarias, dans son ouvrage intitulé Imreh Binah,
C LX, mentionne des femmes employées au service du temple qui restaient
vierges et vivaient en communauté. On peut donc citer une autorité juive
pour l'existence de ces vierges du temple.
Dans l'ancienne alliance l'état de virginité n'était pas considéré comme
méritoire, au moins en général. Parmi les nombreuses espèces de voeux
qu'énumère la Michnah comme étant usités chez les Juifs, on ne trouve
pas trace du voeu de chasteté. Tant qu'on était encore dans l'attente de
la venue du Rédempteur, le mariage avec une nombreuse postérité passait
pour l'état le plus heureux et le plus agréable à Dieu sur la terre.
"Ceux que Dieu aime, dit le psaume CXXVI, reçoivent du Seigneur des
enfants en héritage : le fruit des entrailles est leur récompense. "Et
longtemps avant Dieu avait déjà fait cette promesse :
"Tu seras béni entre tous les peuples : il n'y aura point de stérilité
chez toi dans l'un l'autre sexe. "(Deut. VII, 14.) Cela explique
pourquoi les prêtres n'accédèrent pas au désir de Marie, quoiqu'il y eut
des exemples de personnes vivant dans l'état de virginité, spécialement
chez les Esséniens.
Je la vis ensuite dans son oratoire prier Dieu avec ferveur. Je me
souviens aussi qu'étant très altérée, elle descendit avec sa petite
cruche pour puiser de l'eau à une fontaine ou à un réservoir, et que là,
sans apparition visible, elle entendit une voix qui la consola et la
fortifia, tout en lui faisant connaître qu'elle devait consentir à se
marier. Ce ne fut pas là l'Annonciation, car je la vis plus tard à
Nazareth. Je crus pourtant pendant un certain temps avoir vu cette fois
aussi apparaître un ange ; car, dans ma jeunesse, je confondais souvent
cet incident avec l'Annonciation, et je croyais que celle-ci avait eu
lieu dans le temple.
Il est remarquable que dans le Protevangelium Jacobi, déclare apocryphe
par l'Eglise, on lit entre autres choses que Marie alla il Nazareth en
compagnie d'autres vierges. On leur avait donné au temple des fils
d'espèce différente qu'elles devaient filer : la pourpre et l'écarlate
étaient échus par le sort à Marie, "et, dit l'Évangile apocryphe, quand
elle prit sa cruche et sortit pour aller puiser de l'eau, voilà qu'une
voix lui dit : "Je vous salue, Marie, etc. "Marie regarda à droite et à
gauche pour savoir d'où venait cette voix ; elle rentra effrayée dans la
maison, posa la cru' ne, prit la pourpre et s'assit pour travailler. Et
l'ange du Seigneur se tint debout en sa présence et lui dit : "Ne
craignez rien, Marie, etc. "Ici aussi il est question d'une voix qu'elle
entend en allant puiser de l'eau, mais tout cela se passe à Nazareth et
se lie à l'Annonciation. Cet événement est raconté de la même manière
dans un manuscrit latin de la Bibliothèque de Paris, publié par Thilo,
et contenant un récit apocryphe intitulé : Histoire de Joachim et
d'Anne, de la naissance de la bienheureuse Mère de Dieu, Marie, toujours
vierge, et de l'enfance du Rédempteur. Seulement il y a ici un
intervalle de trois jours entre la vois entendue à la fontaine et
l'apparition de l'ange dans la Salutation angélique.
Je vis aussi un prêtre très vieux, qui ne pouvait plus marcher ; ce
devait être le grand prêtre. Il fut porté par d'autres prêtres dans le
Saint des saints, et pendant qu'il allumait un sacrifice d'encens, il
lisait des prières sur un rouleau de parchemin placé sur une espèce de
pupitre. Je le vis ravi en esprit. Il eut une apparition, et son doigt
fut placé sur le passage suivant du prophète Isaie, qui se trouvait
écrit sur le rouleau : " une branche sortira de la racine de Jessé, et
une fleur naîtra de sa racine ". (Isaïe, IX, l.) Quand le vieux prêtre
revint à lui, il lut ce passage et connut quelque chose par là.
Je vis ensuite qu'on envoyait des messagers de tous les cotés dans le
pays, et qu'on convoquait au temple tous les hommes de la race de David
qui n'étaient pas mariés. Lorsque plusieurs d'entre eux se furent
rassemblés dans le temple, en habits de fête, on leur présenta la sainte
Vierge ; et je vis parmi eux un jeune homme très pieux de la contrée de
Bethléhem. Ce jeune homme avait demandé à Dieu avec une grande ferveur
l'accomplissement de la promesse, et je vis dans son coeur un grand
désir de devenir l'époux de Marie. Quant à celle-ci, elle revint dans sa
cellule et versa de saintes larmes, ne pouvant pas s'imaginer qu'elle ne
dût pas rester vierge.
Je vis alors le grand prêtre, obéissant à une impulsion intérieure qu'il
avait reçue, présenter des branches à chacun des assistants, et leur
enjoindre de marquer chacun une branche de leur nom et de la tenir à la
main pendant la prière et le sacrifice. Quand ils eurent fait ce qui
leur avait été dit, on leur reprit les branches, qui furent mises sur un
autel devant le Saint des saints, et il leur fut annoncé que celui
d'entre eux dont la branche fleurirait était désigné par le Seigneur
pour devenir l'époux de Marie de Nazareth.
Pendant que les branches étaient devant le Saint
des saints, on continua le sacrifice et la prière. Je vis durant ce
temps le jeune homme, dont le nom me reviendra peut-être', crier vers
Dieu, les bras étendus, dans une salle du temple, et verser des larmes
brûlantes lorsque, après le temps fixé, on leur rendit les branches en
leur annonçant qu'aucun d'entre eux n'était désigné par Dieu comme
devant être le fiancé de cette vierge. Ces hommes furent alors renvoyés
chez eux, et ce jeune homme se retira sur le mont Carmel, auprès des
anachorètes qui vivaient là depuis le temps d'Elie ; il y vécut aussi
depuis lors, priant continuellement pour l'accomplissement de la
promesse.
La tradition le nomme Agabus, et dans le tableau de Raphaël, appelé
vulgairement Sposatisio, il est représenté sous la figure d'un jeune
homme qui brise un bâton sur son genou.
Je vis ensuite les prêtres du temple chercher de nouveau dans les
registres des familles s'il n'existait pas quelque descendant de David
qu'on eût oublié'. Comme ils y trouvèrent l'indication de six frères de
Bethléhem, dont l'un était inconnu et absent depuis longtemps, ils
s'enquirent du séjour de Joseph et le découvrirent à peu de distance de
Samarie, dans un lieu situé près d'une petite rivière, où il habitait au
bord de l'eau. travaillant pour un maître charpentier.
Sur l'ordre du grand prêtre, Joseph vint à Jérusalem et se présenta au
temple. On lui fit, à lui aussi, tenir une branche à la main pendant
qu'on priait et qu'on offrait un sacrifice ; comme il se disposait à la
poser sur l'autel devant le Saint des saints, il en sortit une fleur
blanche semblable à un ils, et je vis une apparition lumineuse descendre
sur lui : c'était comme s'il eût reçu le Saint Esprit. On connut donc
que Joseph était l'homme désigné par Dieu pour être le fiancé de la
sainte Vierge, et les prêtres le présentèrent à Marie en présence de sa
mère. varie, résignée à la volonté de Dieu, l'accepta humblement pour
son fiancé, car elle savait que tout est possible Dieu, qui avait reçu
son voeu de n'appartenir qu'à lui.
Selon l'opinion commune, la conservation des registres généalogiques
était l'affaire privée des familles, Le sacerdoce israélite dut
néanmoins se mêler du maintien et de la continuation de ces documents :
on peut l'induire de cette circonstance qu'on avait à faire des
règlements et des arrangements très importants pour la société juive,
suivant la manière dont les tribus et les familles étaient réparties.
Nous savons, par les anciens documents, qu'au moins depuis la captivité
de Babylone on tenait au temple des registres généalogiques exacts.
Voyez Lightfoot., Horae hebr., t. I, p. 178, ed. Carpzovi., et Otho. Le
rabinico-philos., 1625, p. 250.
XXXVI
Du mariage et de l'habit nuptial de Marie
et de Joseph.
La soeur Emmerich, dans ses visions quotidiennes sur la prédication de
Notre Seigneur, vit, le lundi 26 septembre 1821, Jésus enseigner dans la
synagogue de Gophna et y séjourner dans la famille d'un chef de la
synagogue, parent de Joachim. Elle entendit à cette occasion deux
veuves, filles de cet homme, s'entretenir ensemble du mariage des
parents de Jésus, auquel elles avaient assisté dans leur jeunesse avec
d'autres parents, et elle communiqua ce qui suit : Comme les deux veuves
rappelaient dans leur conversation le mariage de Marie et de Joseph, je
vis un tableau de ce mariage et je fus frappée de la beauté de l'habit
de noce de la sainte Vierge.
Les noces de Marie et de Joseph, qui durèrent sept à huit jours, furent
célébrées à Jérusalem dans une maison près de la montagne de Sion, qu'on
louait souvent pour de semblables occasions. Outre les maîtresses et les
compagnes de Marie à l'école du temple, il y avait beaucoup de parents
d'Anne et de Joachim, entre autres une famille de Gophna avec deux
filles. Les noces furent solennelles et somptueuses. Beaucoup d'agneaux
furent immolés et offerts en sacrifice.
J'ai très bien vu Marie dans son vêtement de fiancée. Elle avait une
robe très ample, ouverte par devant, avec de larges manches. Cette robe
était fond bleu, semée de grandes roses rouges, blanches et jaunes,
entremêlées de feuilles vertes, comme les riches chasubles des anciens
temps. Le bord inférieur était garni de franges et de houppes.
Par-dessus sa robe, elle portait un manteau bleu de ciel qui avait la
forme d'un grand drap. Outre ce manteau. les femmes juives portaient
encore dans certaines occasions une espèce de manteau de deuil à
manches. Le manteau de Marie retombait sur les épaules, revenait en
avant des deux côtés et se terminait en queue.
Elle portait à la main gauche une petite couronne de roses de soie rouge
et blanche; elle tenait à la main droite, en guise de sceptre un beau
chandelier doré, sans pied, surmonté d'un petit plateau, où brûlait
quelque chose qui produisait une flamme blanchâtre.
Les vierges du temple arrangèrent la chevelure de Marie : plusieurs
d'entre elles s'y employèrent, et cela se fit plus vite qu'on ne
pourrait le croire. Anne avait apporté l'habit de noce, et Marie, dans
son humilité, ne voulait pas consentir à s'en revêtir après les
fiançailles ; ses cheveux furent rattachés autour de sa tête, on lui mit
un voile blanc qui pendait jusqu'au dessous des épaules, et une couronne
fut placée sur ce voile.
La sainte Vierge avait une chevelure abondante d'un blond doré, des
sourcils noirs et élevés, de grands yeux habituellement baissés avec de
longs cils noirs, un nez d'une belle forme un peu allongé, une bouche
noble et gracieuse' un menton effilé ; sa taille était de moyenne
grandeur : elle marchait revêtue de son riche costume avec beaucoup de
grâce, de décence et de gravité. Elle mit ensuite pour ses noces un
autre habit moins magnifique, dont je possède un petit morceau parmi mes
reliques Elle portait cet habit rayé à Cana et dans d'autres occasions
solennelles. Elle mettait quelquefois sa robe de noce pour aller au
temple. Il y avait des gens riches qui changeaient trois ou quatre fois
d'habits pour leur mariage. Dans ces habits de parade, Marie rappelait
un peu certaines femmes illustres d'une époque postérieure, par exemple
l'impératrice sainte Hélène, et même sainte Cunégonde, quoiqu'elle s'en
distinguât par le manteau dans lequel s'enveloppaient ordinairement les
femmes juives, et qui ressemblait davantage à celui des dames romaines
il y avait à Sion, dans le voisinage du cénacle, un certain nombre de
femmes qui apprêtaient de belles étoffes de toute espèce, ce que je
remarquai à l'occasion de ces habits.
Joseph avait une longue robe fort ample de couleur bleue ; les manches,
qui étaient fort larges, étaient attachées sur le coté par des cordons.
Autour du cou, il avait comme un collet brun, ou plutôt une large étole,
et sur sa poitrine pendaient deux bandes blanches. J'ai vu toutes les
circonstances des fiançailles de Joseph et de Marie, le repas de noces
et les autres solennités : mais je vis en même temps tant d'autres
choses, et je suis si malade et si dérangée de mille façons, que je ne
me hasarde pas à en dire davantage, de peur de mettre trop de confusion
dans le récit.
XXXVII
De l'anneau nuptial de Marie.
Le 29 juillet 182l, la soeur Emmerich eut une vision relative aux draps
mortuaires de Notre Seigneur Jésus-Christ et aux empreintes de son corps
qui se manifestèrent miraculeusement sur les linges dont on l'avait
enveloppé. Comme à cette occasion elle se trouva conduite en divers
lieux où ces saintes reliques se trouvaient, les unes conservées
religieusement, les autres oubliées des hommes et honorées seulement par
les anges et par quelques âmes saintes, elle crut voir conservé dans un
de ces endroits l'anneau nuptial de la sainte Vierge, et elle raconta ce
qui suit :
J'ai vu l'anneau nuptial de la sainte Vierge ; il n'est ni d'argent, ni
d'or, ni d'autre métal ; il est de couleur sombre avec des reflets
changeants : ce n'est pas un petit cercle mince, il est assez épais et
large d'un doigt. Je le vis tout uni, et cependant comme incrusté de
petits triangles réguliers on se trouvaient des lettres Je le vis
conservé sous plusieurs serrures dans une belle église. Il y a des gens
pieux qui, avant de célébrer leurs noces, lui font toucher leurs anneaux
de mariage.
Le 21 août 1821, elle dit : J'ai su dans ces derniers jours beaucoup de
détails relatifs à l'histoire de l'anneau nuptial de Marie ; mais je ne
puis plus raconter tout cela avec ordre. J'ai vu aujourd'hui une fête
dans une église d'Italie où il se trouve. Il était exposé dans une
espèce d'ostensoir qui était placé au-dessus du tabernacle. Il y avait
là un grand autel richement paré, avec beaucoup d'ornements en argent.
J'ai vu qu'on faisait toucher beaucoup d'anneaux à l'ostensoir.
J'ai vu pendant la fête paraître, des deux côtés de l'anneau, Marie et
Joseph dans leurs habits de noce ; il me sembla que saint Joseph mettait
l'anneau au doigt de la sainte Vierge. J'ai vu l'anneau tout lumineux et
comme en mouvement.
Je vis à droite et à gauche de cet autel deux autres autels, qui,
probablement, ne se trouvaient pas dans la même église, mais qui me
furent montrés en même temps dans cette vision. Sur l'autel de droite se
trouvait une image de l'Ecce homo, qu'un pieux magistrat romain, ami de
saint Pierre, avait reçue par une voie miraculeuse. Sur l'autel de
gauche était un des draps mortuaires de Notre Seigneur.
Quand les noces furent finies, Anne revint à Nazareth, et Marie partit
aussi en compagnie de plusieurs vierges qui avaient quitté le temple en
même temps qu'elle. Je ne sais pas jusqu'où ces jeunes filles lui firent
la conduite. Le premier endroit où l'on s'arrêta pour passer la nuit fut
encore l'école de lévites de Bethoron. Marie fit le voyage à pied.
Joseph, après les noces, était allé à Bethléhem pour régler quelques
affaires de famille. Ce ne fut que plus tard qu'il se rendit à Nazareth.
Quand l'écrivain recueillit ceci, le 4 août 1821, il ne pouvait deviner
pourquoi la soeur avait eu cette vision précisément le 3 août. Il fut
fort surpris plusieurs années après lorsqu'il lut dans un écrit latin
sur l'anneau de la sainte Vierge conservé à Pérouse, qu'on montrait cet
anneau au peuple le 3 août, ce dont vraisemblablement ni lui ni la soeur
ne savaient rien. Il trouva cette indication à la page 59 de l'écrit
intitulé De annulo pronubo Deiparoe Virginis Perusioe religiosissime
asservtur, J. B. Lauri Perusini Commentarius. 1626. Colonie Agrippinae,,
apud J. Kinckium.
XXXVIII
Depuis le retour de Marie jusqu'à
l'Annonciation.
Avant de raconter sa vision de l'Annonciation, la soeur communiqua deux
fragments de visions antérieures dont nous ne pouvons donner qu'une
explication conjecturale. Étant encore très faible par suite d'une grave
maladie, elle raconta ce qui suit, quelque temps après le mariage de la
sainte Vierge et de saint Joseph :
J'ai vu une fête dans la maison de sainte Anne. Je vis six hôtes, sans
compter les habitués de la maison, et quelques enfants rassemblés avec
Joseph et Marie autour d'une table sur laquelle étaient des verres.
La sainte Vierge avait un manteau bariolé, avec des fleurs rouges,
bleues et blanches, comme on en voit sur d'anciennes chasubles. Elle
portait un voile transparent et par-dessus un autre voile noir. Cette
fête paraissait se rattacher aux fêtes du mariage.
Elle ne raconta rien de plus à ce sujet, et l'on peut conjecturer que ce
repas eut lieu lorsque la sainte Vierge quitta sa mère après l'arrivée
de saint Joseph, et se retira avec lui dans la maison de Nazareth. Le
jour suivant, elle raconta ce qui suit:
Cette nuit, dans ma contemplation, je cherchais la sainte Vierge, et mon
conducteur me mena dans la maison de sainte Anne, dont je reconnus
toutes les divisions. Je n'y trouvai plus Joseph ni Marie. Je vis que
sainte Anne se disposait à aller à Nazareth, où la sainte Famille
habitait maintenant. Elle avait sous le bras un paquet qu'elle portait à
Marie. Elle alla à Nazareth en traversant une plaine et un petit bois
qui se trouve devant une hauteur. J'y allai aussi. La maison de saint
Joseph n'était pas loin de la porte de la ville ; elle n'était pas aussi
grande que la maison de sainte Anne. Un puits quadrangulaire, auquel on
descendait par quelques marches, était dans le voisinage, et il y avait
devant la maison une petite cour carrée. Je vis Anne visiter la sainte
Vierge, à laquelle elle remit ce qu'elle avait apporté avec elle. Je vis
Marie pleurer beaucoup et accompagner quelque temps sa mère qui revenait
chez elle. J'aperçus saint Joseph sur le devant de la maison dans un
endroit retiré.
Nous pouvons conjecturer, d'après ces fragments, que sainte Anne
visitait pour la première fois sa fille à Nazareth, et lui apportait un
présent. Marie, qui maintenant vivait seule et séparée de sa mère
bien-aimée, versa des larmes d'attendrissement lorsqu'elle partit.
XXXIX
Annonciation de Marie.
Le 25 mars 1821, la soeur Emmerich dit :
Je vis la sainte Vierge peu après son mariage dans la maison de Joseph à
Nazareth, où me conduisit mon guide. Joseph était parti avec deux ânes,
je pense que c'était pour rapporter quelque chose dont il avait hérité,
ou pour prendre les instruments de son métier. Il me sembla encore en
route.
Outre la sainte Vierge et deux jeunes femmes de son âge qui avaient été,
je crois, ses compagnes au temple, je vis dans la maison sainte Anne
avec cette veuve sa parente, qui était à son service, et qui, plus tard,
l'accompagna à Bethléhem après la naissance de Jésus. Sainte Anne avait
tout remis à neuf dans la maison.
Je vis les quatre femmes aller et venir dans l'intérieur, puis se
promener ensemble dans la cour. Vers le soir, je les vis rentrer et
prier debout autour d'une petite table ronde, après quoi elles mangèrent
des herbes qui avaient été apportées là. Elles se séparèrent ensuite.
Sainte Anne alla encore ça et là dans la maison comme une mère de
famille occupée de son ménage. Les deux jeunes personnes allèrent dans
leurs chambres séparées, et Marie aussi se retira dans la sienne.
La chambre de la sainte Vierge était sur le derrière de la maison, près
du foyer. On y montait par trois marches, car le sol de cette partie de
la maison était plus élevé que le reste et sur un fond de rocher.
Vis-à-vis de la porte, la chambre était ronde, et dans cette partie
circulaire qui était séparée par une cloison à hauteur d'homme, se
trouvait roulé le lit de la sainte Vierge. Les parois de la chambre
étaient revêtues jusqu'à une certaine hauteur d'une espèce de travail de
marqueterie fait avec des morceaux de bois de différentes couleurs. Le
plafond était formé par quelques solives parallèles, dont les
intervalles étaient remplis par un clayonnage orné de figures d'étoiles.
Je fus conduite dans cette chambre par le jeune homme lumineux qui
m'accompagne toujours, et je vis ce que je vais raconter aussi bien que
peut le faire une misérable personne comme moi.
La sainte Vierge, en entrant, se revêtit, derrière la cloison de son
lit, d'une longue robe de laine blanche avec une large ceinture, et se
couvrit la tête d'un voile d'un blanc jaunâtre. Pendant ce temps, la
servante entra avec une lumière, alluma une lampe à plusieurs bras, qui
était suspendue au plafond, et se retira. La sainte Vierge prit alors
une petite table basse qui était contre le mur, et la mit au milieu de
la chambre. Elle était recouverte d'un tapis rouge et bleu au milieu
duquel était brodée une figure ; je ne sais plus si c'était une lettre
ou un ornement. Un rouleau de parchemin écrit était sur cette table.
La sainte Vierge, l'ayant dressée entre la place de son lit et la porte,
à un endroit où le sol était recouvert d'un tapis, plaça devant un petit
coussin rond pour s'y agenouiller ; elle se mit alors à genoux, les deux
mains appuyées sur la table. La porte de la chambre était devant elle à
droite ; elle tournait le dos à sa couche.
Marie baissa son voile sur son visage et joignit les mains devant sa
poitrine, mais sans croiser les doigts. Je la vis prier longtemps ainsi
avec ardeur, je visage tourné vers le ciel ; elle invoquait la
rédemption, la venue du roi promis au peuple d'Israël, et elle demandait
aussi à avoir quelque part à sa mission. Elle resta longtemps à genoux,
ravie en extase ; puis elle pencha la tête sur sa poitrine.
Alors, du plafond de la chambre, descendit à sa droite, en ligne un peu
oblique, une telle masse de lumière que je fus obligée de me retourner
vers la cour où était la porte ; je vis dans cette lumière un jeune
homme resplendissant avec des cheveux blonds flottants, descendre devant
elle à travers les airs : c'était l'ange Gabriel. Il lui parla, et je
vis les paroles sortir de sa bouche comme des lettres de feu ; je les
lus et je les entendis. Marie tourna un peu sa tête voilée vers le côté
droit. Cependant, dans sa modestie, elle ne regarda pas. L'ange continua
à parler. Marie tourna je visage de son côté, comme obéissant à un
ordre, souleva un peu son voile, et répondit. L'ange parla encore ;
Marie releva tout à fait son voile, regarda l'ange, et prononça les
paroles sacrées : " Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait
selon votre parole ".
La sainte Vierge était dans un ravissement profond ; la chambre était
pleine de lumière, je ne vis plus la lueur de la lampe qui brûlait ; je
ne vis plus le plafond de la chambre. Le ciel parut ouvert ; mes regards
suivirent au-dessus de l'ange une voie lumineuse ; je vis à l'extrémité
de ce fleuve de lumière une figure de la sainte Trinité : c'était comme
un triangle lumineux dont les rayons se pénétraient réciproquement. J'y
reconnus ce que l'on ne peut qu'adorer, mais jamais exprimer, Dieu
tout-puissant, le Père, le Fils et le Saint Esprit, et cependant un seul
Dieu tout-puissant.
· Quand la sainte Vierge eut dit : " Qu'il me soit fait selon votre
parole ", je vis une apparition ailée du Saint Esprit, qui cependant ne
ressemblait pas entièrement à la représentation ordinaire sous forme de
colombe. La tête avait quelque chose du visage humain ; la lumière se
répandait des deux côtés comme des ailes ; j'en vis partir comme trois
courants lumineux vers le côté droit de la Sainte Vierge, où ils se
réunirent.
Quand cette lumière pénétra son côté droit, la sainte Vierge devint
elle-même lumineuse et comme diaphane : il semblait que ce qu'elle avait
d'opaque en elle se retirât devant cette lumière comme la nuit devant le
jour. Elle était dans ce moment tellement inondée de lumière que rien en
elle ne paraissait plus obscur ni opaque : elle était resplendissante et
comme illuminée tout entière.
Je vis après cela l'ange disparaître ; la voie lumineuse dont il était
sorti se retira : c'était comme si le ciel aspirait et faisait rentrer
en lui ce fleuve de lumière.
Pendant que je voyais toutes ces choses dans la chambre de Marie, j'eus
une impression personnelle d'une nature singulière J'étais dans une
angoisse continuelle, comme si l'on m'eût dressé des embûches, et je vis
un horrible serpent ramper à travers la maison et les degrés jusqu'à la
porte près de laquelle j'étais quand la lumière pénétra la sainte Vierge
; le monstre était arrivé à la troisième marche. Ce serpent était à peu
près de la longueur d'un enfant ; sa tête était large et plate ; il
avait à la hauteur de la poitrine deux courtes pattes membraneuses,
armées de griffes semblables à des ailes de chauve-souris, sur
lesquelles il se traînait. Il était tacheté de diverses couleurs d'un
aspect repoussant, et rappelait le serpent du Paradis, mais avec quelque
chose de plus difforme et de plus horrible. Quand l'ange disparut de la
chambre de la sainte Vierge, il marcha sur la tête de ce monstre devant
la porte, et j'entendis un cri si affreux que j'en frissonnais. Je vis
ensuite paraître trois esprits qui frappèrent ce hideux reptile et le
chassèrent hors de la maison.
Après la disparition de l'ange, je vis la sainte Vierge dans un profond
ravissement et toute recueillie en elle-même ; je vis qu'elle
connaissait et adorait l'incarnation du Sauveur en elle, où il était
comme un petit corps humain lumineux, complètement formé et pourvu de
tous ses membres Ici, à Nazareth, c'est tout autre chose qu'à Jérusalem
: à Jérusalem, les femmes doivent rester dans le vestibule, elles ne
peuvent pas entrer dans le temple, les prêtres seuls ont accès dans le
sanctuaire ; mais à Nazareth, c'est une vierge qui est elle-même le
temple, le Saint des saints est en elle, le grand prêtre est en elle, et
elle est seule près de lui Combien cela est touchant, merveilleux, et
pourtant simple et naturel ! Las paroles de David, dans le psaume 45,
sont accomplies : " Le Très Haut a sanctifié son tabernacle ; Dieu est
au milieu de lui, il ne sera pas ébranlé ! "
Il était à peu près minuit quand je vis ce mystère. Au bout de quelque
temps, sainte Anne entra chez Marie avec les autres femmes. Un mouvement
merveilleux dans la nature les avait éveillées ; une nuée lumineuse
avait paru au-dessus de la maison. Quand elles virent la sainte Vierge à
genoux au-dessous de la lampe, ravie en extase dans sa prière, elles
s'éloignèrent respectueusement.
Au bout de quelque temps, je vis la sainte Vierge se relever et
s'approcher de son petit autel, qui était contre le mur ; elle alluma la
lampe et pria debout. Des rouleaux écrits étaient devant elle sur un
pupitre élevé. Je la vis ensuite se mettre sur sa couche vers le matin.
Alors mon conducteur m'emmena ; mais quand je fus dans le petit
vestibule de la maison, je fus prise d'une grande frayeur. Cet affreux
serpent était là aux aguets, il se précipita sur moi et voulut se cacher
dans les plis de ma robe. J'étais dans une horrible angoisse ; mais mon
guide me retira promptement de là, et je vis reparaître les trois
esprits qui frappaient de nouveau le monstre. Je crois toujours entendre
son effroyable cri, et j'en frissonne encore.
En contemplant cette nuit le mystère de l'Incarnation, je fus encore
instruite de plusieurs autres choses. Anne reçut une connaissance
intérieure de ce qui s'accomplissait.
Sanctificavit tabernaculum suum Altissimus ; Deus in medio ejus, non
commovebitur.
J'appris pourquoi le Rédempteur devait rester neuf mois dans le sein de
sa mère et naître enfant, pourquoi il n'avait pas voulu naître homme
fait comme notre premier père, se montrer dans toute sa beauté comme
Adam sortant des mains du Créateur ; mais je ne puis plus exprimer cela
clairement. Ce que j'en comprends encore, c'est qu'il a voulu sanctifier
de nouveau la conception et la naissance des hommes, qui avaient été
tellement dégradées par le péché originel. Si Marie devint sa mère et
s'il ne vint pas plus tôt, c'est qu'elle seule était, ce que jamais
créature ne fut avant elle ni après elle, le pur vase de grâce que Dieu
avait promis aux hommes, et dans lequel il devait se faire homme, pour
payer les dettes de l'humanité au moyen des mérites surabondants de sa
Passion. La sainte Vierge était la fleur parfaitement pure de la race
humaine, éclose dans la plénitude des temps. Tous les enfants de Dieu
parmi les hommes, tous ceux qui, depuis le commencement, avaient
travaillé à l'oeuvre de la sanctification, ont contribué à sa venue.
Elle était le seul or pur de la terre ; elle seule était la portion pure
et sans tache de la chair et du sang de l'humanité tout entière, qui,
préparée, épurée, recueillie, consacrée à travers toutes les générations
de ses ancêtres, conduite, protégée et fortifiée sous le régime de la
loi de Moise, se produisait enfin comme la plénitude de la grâce. Elle
était prédestinée dans l'éternité, et elle a paru dans le temps comme
mère de l'Eternel.
(Aux jours de fête de la Mère de Jésus, l'Eglise fait ainsi parler la
sainte Vierge d'elle-même, par la bouche de la Sagesse divine, dans les
Proverbes de Salomon, C. VIII) :
"Le Seigneur m'a possédée au commencement de ses voies : avant qu'il
créât aucune chose, j'étais dès lors. J'ai été établie dès l'éternité et
dès le commencement, avant que la terre fût créée. Les abîmes n'étaient
pas encore, et j'étais déjà conçue ; les fontaines n'étaient pas encore
sorties de la terre ; la pesante masse des montagnes ne subsistait pas
encore. J'étais enfantée avant les collines. Il n'avait point encore
créé la terre, ni les fleuves, ni affermi le monde sur ses pôles.
Lorsqu'il préparait les cieux, j'étais présente ; lorsqu'il environnait
les abîmes de leurs bornes et qu'il leur prescrivait une loi inviolable
; lorsqu'il affermissait l'air au-dessus de la terre et qu'il mettait en
équilibre les eaux des fontaines ; lorsqu'il renfermait la mer dans ses
limites et qu'il imposait une loi aux eaux ; lorsqu'il posait les
fondements de la terre, j'étais avec lui et je réglais toutes choses
avec lui ; j'étais chaque jour dans les délices, me jouant sans cesse
devant lui, me jouant dans le monde et trouvant mes délices à être avec
les enfants des hommes. Écoutez-moi donc maintenant, mes enfants :
heureux ceux qui gardent mes voies. Écoutez mes instructions, soyez
sages et ne les rejetez point : heureux celui qui m'écoute, qui veille
tous les jours à l'entrée de ma maison et qui se tient à ma porte ; car
celui qui m'aura trouvée trouvera la vie, et il puisera le salut dans
les trésors de la bonté du Seigneur."
La sainte Vierge était âgée d'un peu plus de quatorze ans lors de
l'incarnation de Jésus-Christ. Jésus-Christ arriva à l'âge de
trente-trois ans et trois fois six semaines. Je dis trois fois six,
parce que le chiffre six m'est montré en cet instant même trois fois
répété.
XL
Visitation de Marie.
(Dans la messe de cette fête, l'Église se sert des paroles du
Cantique des Cantiques, II, 8-14.)
" C'est la voix de mon bien-aimé : le voici qui vient, sautant sur les
montagnes, passant par-dessus les collines. Mon bien-aimé est semblable
à un chevreuil et à un faon de biche. Le voici qui se tient derrière
notre muraille, qui regarde par la fenêtre, qui jette ses regards à
travers les grilles. Voilà mon bien-aimé qui me parle et qui me dit :
Levez-vous, hâtez-vous, ma bien-aimée, ma colombe, ma beauté, et venez,
car l'hiver est déjà passé. Les pluies se sont dissipées et ont cessé
entièrement, les fleurs ont paru sur notre terre, le temps de tailler la
vigne est venu, la voix de la tourterelle s'est fait entendre dans notre
terre, le figuier a poussé ses premiers bourgeons, les vignes sont en
fleur et ont répandu leur odeur. Levez vous, ma bien aimée, mon unique
beauté, et venez. Vous êtes ma colombe retirée dans les trous de la
pierre : montrez-moi votre face ; que votre voix se fasse entendre à mes
oreilles, car votre voix est douce et votre visage est beau. "
XLI
Marie et Joseph en voyage pour visiter
Élisabeth.
Quelques jours après l'Annonciation de l'ange à Marie, saint Joseph
revint à Nazareth et il fit certains arrangements dans la maison pour
pouvoir exercer son métier, car il n'avait pas encore été à demeure à
Nazareth, où il avait passé à peine deux jours. Il ne savait rien de
l'incarnation de Dieu dans Marie ; elle était la mère du Seigneur, mais
elle était aussi la servante du Seigneur et gardait humblement son
secret. La sainte Vierge, lorsqu'elle sentit que le Verbe s'était fait
chair en elle, éprouva un grand désir d'aller tout de suite à Juttah,
près d'Hébron, visiter sa cousine Élisabeth, que l'ange lui avait dit
être enceinte depuis six mois. Comme on approchait du temps où Joseph
devait se rendre à Jérusalem pour la fête de Pâques, elle désira
l'accompagner pour aller assister Elisabeth pendant sa grossesse. Joseph
se mit donc en route pour Juttah avec la sainte Vierge.
La soeur Emmerich raconta les détails suivants du voyage de Joseph et de
Marie ; mais il y a dans ses récits beaucoup de lacunes, causées par son
état de maladie et par des dérangements continuels. Elle ne raconta pas
le départ, mais pendant quelques jours consécutifs différentes scènes de
voyage que nous communiquons ici.
Leur route se dirigeait vers le midi ; ils avaient avec eux un Ane sur
lequel Marie montait de temps en temps. Il portait quelques effets,
entre autres un sac appartenant à Joseph, où se trouvait une longue robe
brune de la sainte Vierge avec une espèce de capuchon. On l'attacha sur
le cou de l'âne. Marie mettait cet habit quand elle allait au. temple ou
à la synagogue. En voyage elle portait une tunique de laine brune, une
robe grise avec une ceinture par-dessus, et une coiffe tirant sur le
jaune.
Ils voyageaient assez vite. Je les vis, après avoir traversé la plaine
d'Esdrelon, dans la direction du midi, gravir une hauteur et entrer dans
la ville de Dothan, chez un ami du père de Joseph. C'était un homme
assez riche,. Originaire de Bethléhem. Le père de Joseph l'appelait son
frère, quoiqu'il ne le fût pas : mais il descendait de David par un
homme qui était aussi roi, à ce que je crois, et qui s'appelait Éla, ou
Eldoa, ou Eldad, je ne sais plus bien lequel '. Cet endroit était très
commerçant.
Je les vis une fois passer la nuit sous un hangar ; puis, comme ils
étaient encore à douze lieues de la demeure de Zacharie, je les vis un
soir dans un bois sous une cabane de branchages, toute recouverte de
feuillage vert avec de belles fleurs blanches. On trouve souvent dans ce
pays, au bord des routes, de ces cabanes de verdure ou même des
bâtiments plus solides dans lesquels les voyageurs peuvent passer la
nuit ou se rafraîchir et apprêter les aliments qu'ils ont avec eux. Une
famille du voisinage a la surveillance de plusieurs abris de ce genre et
fournit plusieurs choses nécessaires moyennant une modique rétribution.
La soeur Emmerich vit Jésus, le 2 novembre (12 Marcheswan) de sa trente
et unième année, dans cette même maison de Dothan où il guérit de
l'hydropisie un homme de cinquante ans, nommé Issachar, mari de Salomé,
la fille des maîtres de cette maison. A cette occasion Issachar parla du
séjour qui7 avaient fait Marie et Joseph. Le rejeton de David que la
soeur nomme Eldoa ou Eldad, et par lequel le père de cette Salomé était
parent de saint Joseph, pourrait bien être Elioda ou Eliada, fils de
David cité dans le second livre des rois, V, 16, et dans le premier
livre des Paralipomènes, III, 8. Quoiqu'on doive admettre naturellement
des confusions fréquentes dans les noms prononcés par la soeur, on ne
doit pourtant pas admettre que cette confusion ait toujours lieu. Les
noms propres en hébreu ont en général une signification précise ; mais
comme un seul et même sens peut s'exprimer de différentes manières dans
la langue hébraïque, les mêmes personnes portent souvent différents
noms. Ainsi nous trouvons un fils de David appelé tantôt Elischna " Dieu
aide ", tantôt Elischama " Dieu entend ". Ainsi Eldea ou Eldoa peut
aussi bien signifier " Dieu vient " qu'Eliada. La mention peu précise
que ce rejeton de David aurait été roi, ne doit point étonner, car il
est indubitable que des fils ou petits-fils de David eurent le
gouvernement de certains pays dépendant du royaume d'Israël.
Ici il semble y avoir une lacune dans le récit. Vraisemblablement la
sainte Vierge alla avec Joseph à Jérusalem pour la fête de Pâques, et ce
n'est que de là qu'elle se rendit chez Elisabeth, car il est dit plus
haut que Joseph allait à la fête, et plus loin que Zacharie était revenu
chez lui après les fêtes de Pâques la veille de la visitation de Marie.
De Jérusalem ils n'allèrent pas tout droit à Juttah, mais ils firent un
détour vers le levant pour voyager plus solitairement. Ils contournèrent
une petite ville à deux lieues d'Emmaüs, et prirent alors des chemins
que Jésus suivit souvent pendant ses années de prédication. Ils eurent
ensuite deux montagnes à franchir. Entre ces deux montagnes je les vis
une fois se reposer, manger du pain et mêler dans leur eau des gouttes
de baume qu'ils avaient recueillies pendant le voyage. Le pays ici était
très montagneux. Ils passèrent devant des rochers qui étaient plus
larges d'en haut que d'en bas ; on voyait aussi là de grandes cavernes
dans lesquelles étaient toutes sortes de pierres singulières. Les
vallées étaient très fertiles.
Leur chemin les conduisit encore à travers des bois, des landes, des
prés et des champs. Dans un endroit assez rapproché du terme du voyage,
je remarquai particulièrement une plante qui avait de jolies petites
feuilles vertes et des grappes de fleurs, formées de neuf clochettes
roses fermées. Il y avait là quelque chose dont j'avais à m'occuper,
mais j'ai oublié de quoi il s'agissait.
NOTE :
Cette fleur' avec neuf clochettes, avait peut-être pour la soeur un
rapport mystique aux neuf mois que le Seigneur passa dans le sein de sa
mère ; peut-être aussi y vit-elle le symbole de quelque dévotes ou
exercice de piété se rattachant a la fête de la Visitation. Du reste, un
ami versé dans la connaissance de l'Écriture sainte, communiqua à
l'écrivain l'observation suivante : " La fleur indiquée ici est
probablement la petite grappe de cypre (Lawsonia spinosa inerrnis,
Linn.), dont il est dit dans le Cantique des Cantiques (I, 13) : "Mon
bien-aimé est pour moi une grappe de cypre (botrus cypri) cueillie dans
les vignes d'Engaddi. "Mariti, dans son voyage en Syrie et en Palestine,
a vu cet arbrisseau et sa fleur dans la contrée où la soeur fait voyager
la sainte Vierge. Les feuilles sont, d'après lui, plus petites et plus
élégantes que celles du myrte ; les fleurs, couleur de rose, disposées
par bouquets en forme de grappe, ce qui, d'ailleurs, correspond à la
description sommaire de la soeur, quand elle dit qu'elle a à s'occuper
de quelque chose qu'elle a oublié touchant ces fleurs campaniformes ; il
s'agit peut-être d'une méditation sur le Cantique des Cantiques (I, 13).
Comme en os moment le bien-aimé était encore sous le coeur virginal de
sa mère, elle célébrait peut-être, en contemplant les capsules de cet
arbrisseau, le degré de développement du Verbe fait chair, et cette
méditation pouvait être d'autant plus féconde, que la grappe odorante
des fleurs de cypre s'appelle en hébreu grappe de kopher, c'est-à-dire
grappe de la réconciliation, et c'est pourquoi quelques commentateurs
trouvent dans les paroles : "Mon bien-aimé est pour moi une grappe de
cypre, "le sens suivant : " Mon bien-aimé a donné pour moi la grappe
sanglante de la réconciliation ". De même que les Orientaux estiment
beaucoup ces bouquets de fleurs odorantes et les regardent comme un
présent très agréable, la soeur, en voyant passer la sainte Vierge près
de ces grappes de fleurs, pouvait fêter les progrès de la maturité de la
grappe du sang de la réconciliation dans le fruit béni de ses entrailles
Elle considérait peut-être, dans le texte du Cantique des Cantiques le
sens suivant lequel on pouvait dire : La vraie grappe du kopher mûrit
pour nous sous le coeur de Marie, de même que dans le texte : " Mon
bien-aimé est pour moi un bouquet de myrrhe qui repose entre mes
mamelles ; "elle peut avoir considéré que Marie, plus tard, porta Jésus
enfant sur son sein, et dans la suite, après la descente de croix, reçut
le Sauveur dans ses bras lorsqu'on l'embauma avec de la myrrhe, quoique
lui-même fut la véritable myrrhe qui préserve de ta corruption.
XLII
Arrivée de Marie et de Joseph chez
Élisabeth et Zacharie.
Une partie des visions qui suivent furent communiquées lors de la fête
de la Visitation. en juillet 1820 : d'autres se présentèrent à elle dans
une contemplation où elle entendit Eliud, un vieil Essénien de Nazareth,
qui accompagnait Jésus allant se faire baptiser par saint Jean au mois
de septembre de la première année de la prédication, raconter plusieurs
choses relatives aux parents et à la première jeunesse du Sauveur, car
il était en relations intimes avec la sainte Famille.
La maison de Zacharie était sur une colline isolée. Il y avait alentour
des groupes de maisons. Un ruisseau assez fort descendait de la
montagne.
Il me sembla que c'était le moment où Zacharie revenait chez lui de
Jérusalem après les fêtes de Pâques. Je vis Elisabeth, poussée par un
désir inquiet, aller assez loin de sa maison sur la route de Jérusalem,
et Zacharie qui revenait, tout effrayé de la rencontrer à une si grande
distance de chez elle dans la situation où elle se trouvait. Elle lui
dit qu'elle avait le coeur très agité, et qu'elle était poursuivie par
la pensée que sa cousine ..Marie de Nazareth venait la voir. Zacharie
chercha à lui faire perdre cette idée ; il lui fit entendre par signes
et en écrivant sur une tablette combien il était peu vraisemblable
qu'une nouvelle mariée entreprit en ce moment un si grand voyage. Ils
revinrent ensemble à la maison.
Elisabeth ne pouvait renoncer à son espérance, car elle avait appris en
songe qu'une femme de son sang était devenue la mère du Messie promis.
Elle avait pensé alors à Marie, avait conçu un ardent désir de la voir
et l'avait vue en esprit venant vers elle. Elle avait préparé dans sa
maison, à droite de l'entrée, une petite chambre avec des sièges.
C'était là qu'elle était assise le lendemain, toujours dans l'attente,
et regardant si Marie arrivait Bientôt elle se leva et s'en alla sur la
route au-devant d'elle.
Élisabeth était une femme âgée, de grande taille : elle avait je visage
petit et de jolis traits ; sa tête était enveloppée. Elle ne connaissait
la sainte Vierge que de réputation. Marie, la voyant de loin, connut que
c'était elle, et s'en alla en toute hâte à sa rencontre, précédant saint
Joseph, qui discrètement resta en arrière. Marie fut bientôt parmi les
maisons voisines dont les habitants, frappés de sa merveilleuse beauté
et émus d'une certaine dignité surnaturelle qui était dans toute sa
personne, se retirèrent respectueusement quand elle rencontra Élisabeth.
Elles se saluèrent amicalement en se tendant la main. En ce moment, je
vis un point lumineux dans la sainte Vierge, et comme un rayon de
lumière qui partait de là vers Élisabeth, et dont celle-ci reçut une
impression merveilleuse. Elles ne s'arrêtèrent pas en présence des
hommes ; mais, se tenant par le bras, elles gagnèrent la maison par la
cour placée en avant : à la porte de la maison, Élisabeth souhaita
encore la bienvenue à Marie, et elles entrèrent.
Joseph, qui conduisait l'âne, arriva dans la cour, remit l'animal à un
serviteur et alla chercher Zacharie dans une salle ouverte sur le côté
de la maison. Il salua avec beaucoup d'humilité le vieux prêtre ;
celui-ci l'embrassa cordialement et s'entretint avec lui au moyen de la
tablette sur laquelle il écrivait, car il était muet depuis que l'ange
lui avait apparu dans le temple.
Marie et Élisabeth, entrées par la porte de la maison, se trouvèrent
dans une salle qui me parut servir de cuisine. Ici elles se prirent par
les bras. Marie salua Élisabeth très amicalement, et elles appuyèrent
leurs joues l'une contre l'autre. Je vis alors quelque chose de lumineux
rayonner de Marie jusque dans l'intérieur d'Élisabeth ; celle-ci en fut
tout illuminée ; son coeur fut agité d'une sainte allégresse et
profondément ému. Elle se retira un peu en arrière en élevant la main,
et pleine d'humilité, de joie et d'enthousiasme, elle s'écria : " Vous
êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est
béni. D'où me vient ceci que la mère de mol Seigneur vienne à moi ?
Voici qu'aussitôt que la voix de votre salutation est venue à mes
oreilles, l'enfant que je porte a tressailli de joie dans mon sein. vous
êtes heureuse d'avoir cru : ce qui vous a été dit par le Seigneur
s'accomplira ".
Après ces dernières paroles, elle conduisit Marie dans la petite chambre
préparée pour elle, afin qu'elle pût s'asseoir et se reposer des
fatigues de son voyage. Il n'y avait que deux pas à faire jusque-là.
Mais Marie quitta le bras d'Élisabeth qu'elle avait pris, croisa ses
mains sur sa poitrine et commença le cantique inspiré : " Mon âme
glorifie le Seigneur, et mon esprit est ravi de joie en Dieu mon
sauveur, parce qu'il a regardé la bassesse de sa servante ; car voilà
que tous les siècles m'appelleront bienheureuse, parce que Celui qui
seul est puissant a fait en moi de grandes choses, et son nom est saint,
et sa miséricorde s'étend d'âge en âge sur ceux qui le craignent. Il a
déployé la puissance de son bras ; il a dissipé ceux qui étaient enflés
d'orgueil dans les pensées de leur coeur.` il a renversé les puissants
de leur trône, et il a élevé les humbles. Il a rassasié les affamés, et
il a renvoyé les riches avec les mains vides. Il a pris en sa protection
Israel, son serviteur, s'étant souvenu de sa miséricorde, selon la
promesse qu'il avait faite à nos pères, à Abraham et à sa postérité,
pour toute la suite des siècles.
Lorsque le vieil Eliud, dans la circonstance indiquée plus haut,
.,entretint de cet événement avec Jésus, je l'entendis expliquer d'une
manière admirable tout ce cantique de Marie ; mais je ne me sens pas en
état de répéter cette explication.
Je vis qu'Élisabeth répétait tout bas le Magnificat avec un semblable
mouvement d'inspiration ; ensuite elles s'assirent sur des sièges très
bas : il y avait sur une petite table, peu élevée aussi, un petit verre
placé devant elles. Combien j'étais heureuse ! j'ai répété avec elles
toutes leurs prières, et je me suis assise à peu de distance. Oh !
combien j'étais heureuse !
La soeur Emmerich raconta ce qui était arrivé le jour précédent. Après
midi, elle dit dans son sommeil : Joseph et Zacharie sont ensemble ; ils
s'entretiennent de la venue prochaine du Messie et de l'accomplissement
des prophéties. Zacharie est un grand et beau vieillard, habillé en
prêtre ; il répond toujours par signes ou en écrivant sur une tablette.
Ils sont assis sur le côté de la maison dans une salle ouverte qui a vue
sur le jardin. Maria et Élisabeth sont assises dans le jardin, sur un
tapis, sous un grand arbre, derrière lequel est une fontaine d'où l'eau
sort quand on retire une bonde. Je vois tout autour du gazon et des
fleurs, et des arbres avec de petites prunes jaunes. Elles mangent
ensemble des fruits et des petits pains tirés de la besace de Joseph.
Quelle simplicité et quelle frugalité touchantes ! il y a dans la maison
deux servantes et deux serviteurs ; je les vois aller et venir. Ils
apprêtent sous un arbre une table avec des aliments. Zacharie et Joseph
viennent et mangent quelque chose. Joseph voudrait revenir tout de suite
à Nazareth : mais il restera huit jours. Il ne sait rien de l'état de
grossesse de la sainte Vierge. Marie et Élisabeth se taisaient
là-dessus. Il y avait dans leur intérieur comme une entente secrète et
profonde de l'une à l'autre.
Plusieurs fois le jour, spécialement avant les repas, quand tous étaient
ensemble, les saintes femmes disaient des espèces de litanies' : Joseph
priait avec elles, et je vis ensuite apparaître une croix entre elles.
Il n'y avait pourtant pas encore de croix : c'était comme si deux croix
se fussent visitées.
Ce nom d'une forme connue de la prière chrétienne ne doit pas nous
surprendre dans un récit qui est encore de l'Ancien Testament La forme
des litanies existait longtemps avant la naissance de Jésus-Christ ;
ainsi le psaume 135 (dans l'hébreu, 136) est une véritable litanie. Il
en est de même d'une partie du psaume 117 (118 dans l'hébreu) et de
plusieurs autres.
Nous ne pouvons pas expliquer avec précision ce que la soeur voulait
dire par ces paroles : " C'était comme si deux croix se fussent visitées
". Suivant la pieuse coutume de sa patrie, pays aux vieilles moeurs
catholiques, quand différentes paroisses se réunissent en procession
pour quelque dévotions à faire en commun, elles portent avec elles leurs
croix et lents images de la sainte Vierge, et l'on dit alors que les
croix ou que les images de Marie se rendent visite. Peut-être a-t-elle
voulu dire, à l'occasion de cette apparition d'une croix entre la sainte
Vierge et Elisabeth réunies pour prier, que c'était comme sa Jésus, le
crucifié futur reposant encore dans le sein de sa Mère, et sa crois,
instrument de notre rédemption, reposant aussi dans le sein de l'avenir,
se rendaient visite.
Le 3 juillet, elle raconta ce qui suit : Hier soir, ils ont mangé tous
ensemble ; ils restèrent assis jusque vers minuit, près d'une lampe,
sous l'arbre du jardin. Je vis ensuite Joseph et Zacharie seuls dans un
oratoire. Je vis Marie et Élisabeth dans leur petite chambre ; elles se
tenaient debout, vis-à-vis l'une de l'autre, comme ravies en extase, et
disaient ensemble le Magnificat.
Outre le vêtement décrit plus haut, la sainte Vierge avait comme un
voile noir transparent qu'elle baissait quand elle parlait à des hommes.
Aujourd'hui, Zacharie a conduit saint Joseph dans un autre jardin séparé
de la maison. Zacharie est en toutes choses plein d'ordre et de
ponctualité. Ce jardin est abondant en beaux arbres et produit des
fruits de toute espèce ; il est très bien tenu ; il est traversé par une
allée en berceau, sous laquelle on est à l'ombre ; à l'extrémité du
jardin, se trouve cachée une petite maison de plaisance dont la porte
est sur le côté. Dans le haut de cette maison, sont des ouvertures
fermées avec des châssis ; il y a un lit de repos en nattes, recouvert
de mousses ou d'autres herbes : je vis aussi là deux figures blanches de
la grandeur d'un enfant ; je ne sais pas comment elles étaient là, ni ce
qu'elles représentaient ; mais je trouvais qu'elles ressemblaient à
Zacharie et à Élisabeth, seulement beaucoup plus jeunes.
J'ai vu aujourd'hui, dans l'après-midi, Marie et Élisabeth occupées
ensemble dans la maison. La sainte Vierge prenait part à tous les soins
du ménage ; elle préparait toute sorte d'effets pour l'enfant qu'on
attendait. Je les vis travailler ensemble ; elles tricotaient une grande
couverture pour le lit d'Élisabeth lorsqu'elle serait accouchée. Les
femmes juives se servaient de couvertures de ce genre : il y avait au
milieu une espèce de poche, disposée de façon que l'accouchée put
s'envelopper tout entière avec son enfant ; elle s'emmaillotait là
dedans, soutenue par des coussins, et pouvait à volonté se mettre sur
son séant ou rester couchée. Sur le bord de cette couverture étaient des
fleurs et des sentences brodées à l'aiguille. Marie et Elisabeth
préparaient aussi toutes sortes d'objets qui devaient être donnés aux
pauvres à la naissance de l'enfant. Je vis sainte Anne, pendant
l'absence de la sainte Famille, envoyer souvent sa servante dans la
maison de Nazareth pour voir si tout y était en ordre ; je l'ai vue
aussi y aller une fois elle-même.
Le 4 juillet, elle raconta ce qui suit : Zacharie est allé avec Joseph
se promener dans les champs. La maison est isolée sur une colline ;
c'est la plus belle maison qu'il y ait dans la contrée ; d'autres sont
dispersées tout autour. Marie est un peu fatiguée ; elle est seule avec
Elisabeth à la maison.
Le 5 juillet, elle dit : J'ai vu Zacharie et Joseph passer la nuit
d'aujourd'hui dans le jardin, situé à quelque distance de la maison. Je
les vis tantôt dormir dans la petite maison qui est là, tantôt prier en
plein air ; ils revinrent au point du jour. Je vis Élisabeth et la
sainte Vierge à la maison ; tous les matins et tous les soirs, elles
répétaient ensemble le cantique Magnificat, dicté par le Saint Esprit à
Marie après la salutation d'Élisabeth.
La salutation de l'ange fut pour Marie comme une consécration qui
faisait d'elle l'Église de Dieu. Lorsqu'elle prononça ces mots : " Voici
la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole ", le
Verbe divin, salué par l'Église, salué par sa servante, entra en elle ;
dès lors, Dieu fut dans son temple, Marie fut le temple et l'Arche
d'alliance du Nouveau Testament. La salutation d'Elisabeth, le
tressaillement de Jean dans le sein de sa mère, furent le premier culte
rendu devant ce sanctuaire. Lorsque la sainte Vierge entonna le
Magnificat, l'Église de la nouvelle alliance, du nouveau mariage,
célébra, pour la première fois, l'accomplissement des promesses divines
de l'ancienne alliance, de l'ancien mariage, récitant en actions de
grâces un Te Deum laudamus. Qui pourrait dignement exprimer combien
était touchant à voir l'hommage rendu par l'Église à son Sauveur dés
avant sa naissance.
Cette nuit, pendant que je voyais prier les saintes femmes, j'ai eu
plusieurs intuitions et explications relatives au Magnificat et à
l'approche du Saint Sacrement dans la situation présente de la sainte
Vierge. Mon état de souffrance et de nombreux dérangements sont cause
que j'ai oublié presque tout ce que j'ai vu. Au passage du Magnificat :
" il a fait éclater la puissance de sas bras, "j'ai vu différents
tableaux figuratifs du Saint-Sacrement de l'autel dans l'Ancien
Testament. Il y avait entre autres un tableau d'Abraham sacrifiant
Isaac, et d'Isaie annonçant à un méchant roi quelque chose dont celui-ci
se moquait ; je l'ai oublié. J'ai vu bien des choses depuis Abraham
jusqu'à Isaïe, et depuis celui-ci jusqu'à la sainte vierge Marie, et j'y
ai toujours vu le Saint Sacrement s'approchant de l'Église de
Jésus-Christ, qui, lui-même, reposait encore dans le sein de sa mère.
Quand la soeur Emmerich eut dit ceci, elle récita les litanies du Saint
Esprit et l'hymne Veni, sancte Spiritu., et s'endormit en souriant. Au
bout de quelque temps, elle dit d'un ton très anime : Je ne dois plus
rien faire aujourd'hui, ni laisser entrer personne chez moi, car je dois
revoir tout ce que j'avais oublié. Si je puis être tout à fait
tranquille, je pourrai connaître et raconter le mystère de l'Arche
d'alliance, le Saint sacrement de l'ancienne alliance. J'ai vu cette
époque du repos, c'est une belle époque. J'ai vu près de moi l'écrivain,
je dois donc apprendre beaucoup de choses ". Pendant qu'elle parlait
ainsi, son visage s'animait et rougissait dans son sommeil comme je
visage d'un enfant ; elle retira de dessous la couverture ses mains
marquées des stigmates et dit : "il fait bien chaud là où est Marie,
dans la terre promise. Ils vont tous dans le jardin où est la
maisonnette, d'abord Zacharie et Joseph, puis Élisabeth et Marie ; on a
tendu une toile sous l'arbre comme pour faire une tente : il y a, d'un
côté, des sièges très bas avec des dossiers.
La mission d'Isaïie, oubliée par elle, est sans aucun doute sa prophétie
au roi Achaz (l'IIJ 3, 251 : Voici que la Verbe concevra, etc.
XLIII
Détails personnels à la narratrice.
Elle continua ainsi : Je dois prendre du repos et revoir ce que j'avais
oublié : la douce prière à l'Esprit Saint m'est venue en aide. Ah !
c'est si doux et si agréable ! à cinq heures du soir, elle gémit et dit
: Je n'ai pas observé, par suite de mes négligences, l'ordre de ne
laisser personne venir près de moi. Une femme de ma connaissance a parlé
devant moi de choses odieuses ; je me suis fâchée et me suis endormie
là-dessus. Le bon Dieu a mieux tenu sa parole que moi la mienne ; il m'a
montré de nouveau tout ce que j'avais oublié : cependant, pour ma
punition, j'en ai laissé échapper la plus grande partie. Elle dit alors
ce qui suit, et nous le communiquons, quoiqu'il y ait répétition de
choses déjà dites, parce que nous ne pouvons pas exprimer ce qu'elle a
voulu dire autrement qu'elle ne l'a fait elle-même. Voici donc ce
qu'elle dit : Je vis comme d'habitude les deux saintes femmes dire le
Magnificat en se tenant vis-à-vis l'une de l'autre. Au milieu de leur
prière, le sacrifice d'Abraham me fut montré. Vint ensuite une série de
tableaux figuratifs se rapportant à l'approche du Saint Sacrement. Il me
semblait n'avoir jamais aperçu aussi clairement les mystères sacrés de
l'ancienne alliance.
Le jour suivant, elle dit : Ainsi que cela m'avait
été promis, j'avais vu de nouveau tout ce que j'avais oublié. J'étais
toute joyeuse de pouvoir raconter tant de choses merveilleuses sur les
patriarches et l'Arche d'alliance ; mai' il y a eu sans doute dans cette
joie quelque chose contre l'humilité, car Dieu ne permet pas que je
puisse raconter avec ordre et expliquer clairement tout cela.
Le nouveau dérangement dont elle parlait fut amené par un incident
particulier, à la suite duquel se produisirent les souffrances
commémoratives de la Passion du Sauveur qui se manifestaient souvent
chez elle : elle en fut d'autant plus incapable de mettre de l'ordre
dans ses communications. Comme pourtant, depuis ses visions sur le
Magnificat répété à plusieurs reprises par les saintes femmes, elle
raconta par fragments et sans suite plusieurs choses relatives à la
bénédiction mystérieuse de l'Ancien Testament et à l'Arche d'alliance,
on s'est efforce de faire de tout cela, autant que possible, un certain
ensemble qui sera ajouté comme appendice, ou réservé pour me place plus
appropriée, afin de ne pas interrompre la vie de la sainte Vierge.
Voici ce qu'elle dit le vendredi 6 juillet : Je vis hier soir Élisabeth
et la sainte Vierge se rendre au jardin éloigné de la maison de
Zacharie. Elles avaient des fruits et des petits pains dans des
corbeilles, et voulaient passer la nuit dans cet endroit. Quand Joseph
et Zacharie y vinrent plus tard, je vis la sainte Vierge aller à leur
rencontre. Zacharie avait sa petite tablette Mais il faisait trop sombre
pour qu'il pût écrire, et je vis Marie, poussée intérieurement par le
Saint Esprit, lui dire qu'il parlerait cette nuit, et qu'il pouvait
laisser là sa tablette, parce qu'il serait bientôt en état de
s'entretenir avec Joseph et de prier avec lui. Très surprise de cela, je
secouais la tête et je refusais d'admettre qu'il en fût ainsi ; mais mon
ange gardien ou le guide spirituel qui est toujours près de moi, me dit,
en me faisant signe de regarder d'un autre côté : " Tu ne veux pas
croire cela, regarde donc ce qui se passe par ici ". Je vis alors du
côté qu'il m'indiquait un tout autre tableau, d'une époque très
postérieure.
Sa fête tombait le 6 juillet, jour où la soeur Emmerich communiquait
ceci, et l'écrivain ne le savait pas. Quand il l'apprit en jetant par
hasard les yeux sur le calendrier, il trouva là une nouvelle
confirmation de cette relation entre toutes ses visions et les fêtes
correspondants de l'Eglise qui avait si souvent surpris et
singulièrement touché. Le prêtre saint Goar, originaire d'Aquitaine,
établit au sixième siècle prés de l'embouchure du Mochenbach dans le
Rhin (près de la petite ville actuelle de Saint Goar). Il y vécut en
anachorète et convertit à la foi chrétienne beaucoup de paiens
auxquelles il avait eu l'occasion de donner l'hospitalité. Il fut mandé
devant l'évêque Rusticus de Trèves sur une fausse accusation de
mauvaises moeurs, et ce fut alors qu'eut lieu le miracle montré à la
soeur Emmerich pour lui prouver la puissance de la loi simple Rusticus
accusa saint Goar de sorcellerie, mais un autre miracle qu'il lui
demanda comme preuve de son innocence excita chez le prélat une telle
confusion, qu'il se jeta aux pieds du saint, avouant sa faute et lui
demandant pardon. Saint Goar, de retour dans son ermitage et pressé à
plusieurs reprises par Sigebert, roi d'Austrasie, d'accepter le siège
épiscopal de Trèves, pria Dieu de le retirer du monde. Il fut exaucé
vers la fin du sixième siècle.
Je vis le saint ermite Goar' dans un endroit où on avait coupé du blé.
Il parlait à des messagers d'un évêque mal disposé à son égard, et ces
hommes aussi ne lui voulaient pas de bien. Quand il les eut accompagnés
jusque chez l'évêque, je le vis chercher un crochet pour y suspendre son
manteau. Comme il vit alors un rayon de soleil qui pénétrait par une
ouverture du mur, dans la simplicité de sa foi, il attacha son manteau à
ce rayon, et le manteau resta ainsi suspendu en l'air. Je fus émerveillé
de ce miracle produit par la simplicité de la foi, et ne m'étonnai plus
d'entendre parler Zacharie, puisque cette grâce lui arrivait par le
moyen de la sainte Vierge, dans laquelle Dieu lui-même habitait. Mon
guide me parla alors de ce qu'on appelle miracle ; je me souviens qu'il
me dit, entre autres choses : " une confiance entière en Dieu, avec la
simplicité d'un enfant, donne à tout l'être et la substance ". (Voir
Hébr.IX,1) Ces paroles me donnèrent de grandes lumières intérieures sur
tous les miracles, mais je ne puis m'expliquer bien clairement sur cela.
Je vis alors les quatre saints personnages passer la nuit dans le Jardin
: ils s'assirent et mangèrent un peu, puis je les vis marcher deux à
deux, s'entretenir eu priant, et entrer alternativement dans la petite
maison pour y prendre du repos. J'appris aussi qu'après le sabbat Joseph
retournerait à Nazareth, et que Zacharie l'accompagne. rait à quelque
distance ; il faisait clair de lune et le ciel était très pur.
Je vis ensuite, pendant la prière des deux sainte. femmes, une partie du
mystère concernant le Magnificat ; je dois tout revoir samedi, veille de
l'octave de la Fête, et je pourrai alors en dire quelque chose. Je ne
puis maintenant communiquer que ce qui suit : le Magnificat est un
cantique d'actions de grâces pour l'accomplissement de la bénédiction
mystérieuse de l'ancienne alliance.
Pendant la prière de Marie, je vis successivement tous ses ancêtres. Il
y avait, dans la suite des siècles, trois fois quatorze couples d'époux
qui se succédaient et dans lesquels le père était toujours le rejeton du
mariage précédent ; de chacun de ces couples, je vis sortir un rayon de
lumière qui se dirigeait sur Marie pendant qu'elle était en prières.
Tout ce tableau grandit devant mes yeux comme un arbre avec des branches
de lumière qui allaient toujours s'embellissant, et Je vis enfin à une
place marquée de cet arbre lumineux la chair et le sang purs et sans
tache de Marie, desquels Dieu devait former son humanité, se montrer
dans une lumière de plus en plus vive. Je priai alors, pleine de joie et
d'espérance, comme un enfant qui verrait croître devant lui l'arbre de
Noël. Tout cela était une image de l'approche de Jésus Christ selon la
chair et de son très saint sacrement ; c'était comme si j'avais vu mûrir
le froment pour former le pain de vie dont je suis affamée. Cela ne peut
s'exprimer. Je ne puis pas trouver de paroles pour dire comment s'est
formée la chair dans laquelle le Verbe s'est fait chair ; comment
pourrait s'y prendre pour cela une pauvre créature humaine qui est
encore dans cette chair dont le Fils de Dieu et de Marie a dit que la
chair ne sert de rien et que l'esprit seul vivifie ; lui qui a dit
encore que ceux-là seuls qui se nourrissent de sa chair et de son sang
auront la vie éternelle, et seront ressuscités par lui au dernier jour.
Sa chair et son sang sont seuls la traie nourriture, ceux. là seuls qui
prennent cette nourriture demeurent en lui et lui en eux.
Je ne puis exprimer comment j'ai vu, depuis le commencement, l'approche
successive de l'incarnation de Dieu, et, avec elle, l'approche du Saint
Sacrement de l'autel se manifestant de génération en génération, puis
une nouvelle série de patriarches, représentants du Dieu vivant qui
réside parmi les hommes comme victime et comme nourriture, jusqu'à son
second avènement au dernier jour, dans l'institution du sacerdoce, que
l'Homme-Dieu, le nouvel Adam, chargé d'expier la faute du premier, a
transmis à ses apôtres, et ceux-ci par l'imposition des mains aux
prêtres qui leur ont succédé pour former une semblable succession non
interrompue de génération de prêtres en génération de prêtres. Tout cela
m'a fait connaître que la récitation de la généalogie de Notre Seigneur
devant le Saint Sacrement, à la Fête-Dieu, renferme un grand et profond
mystère ; j'ai aussi connu, par là, que de même que, parmi les ancêtres
de Jésus-Christ, selon la chair, plusieurs ne furent pas des saints et
furent même des pécheurs sans cesser d'être des degrés de l'échelle de
Jacob, par lesquels Dieu descendit jusqu'à l'humanité, de même aussi les
évêques indignes restent capables de consacrer le Saint Sacrement et de
conférer la prêtrise avec tous les pouvoirs qui y sont attachés. Quand
on voit ces choses, on comprend bien pourquoi l'Ancien Testament est
appelé dans de vieux livres allemands l'ancienne alliance ou l'ancien
mariage, de même que le Nouveau Testament y est appelé la nouvelle
alliance ou le nouveau mariage. La fleur suprême de l'ancien mariage fut
la Vierge des vierges, la Fiancée du Saint Esprit, la très chaste Mère
du Sauveur, le Vase spirituel, le Vase honorable, le Vase insigne de
dévotion ', dans lequel le Verbe s'est fait chair. Avec ce mystère,
commence le nouveau mariage, la nouvelle alliance. Cette alliance est
virginale dans le sacerdoce et dans tous ceux qui suivent l'Agneau, et
le mariage est en elle un grand sacrement, savoir, en Jésus-Christ et en
sa fiancée, qui est l'Eglise. (Voir Eph.,V,32.)
Ces dénominations sont tirées en partie des litanies dans lesquelles la
sainte vierge est aussi honorée sous le nom d'Arche d'Alliance.
Mais pour faire connaître, en tant que cela m'est possible, comment me
fut expliquée l'approche de l'incarnation du Verbe et en même temps
l'approche du Saint Sacrement de l'autel, je ne puis que répéter encore
de quelle manière tout m'a été mis devant les yeux dans une série de
tableaux symboliques, sans qu'il me soit possible, à cause de l'état où
je me trouve, de rendre compte des détails d'une façon intelligible : je
ne puis parler qu'en général. Je vis d'abord la bénédiction de la
promesse que Dieu donna à nos premiers parents dans le paradis, et un
rayon allant de cette bénédiction à la sainte Vierge, qui récitait le
Magnificat avec sainte Elisabeth ; je vis ensuite Abraham, qui avait
reçu de Dieu cette bénédiction, et un rayon allant de lui à la sainte
Vierge ; puis les autres patriarches, qui avaient porté et possédé cette
chose sainte, et encore le rayon allant de chacun d'eux à Marie ; la
transmission de cette bénédiction jusqu'à Joachim, qui, gratifié de la
plus haute bénédiction venant du Saint des saints du temple, put devenir
par là le père de la très sainte vierge Marie, conçue sans péché;
enfin, c'est en celle ci que, par l'opération du Saint Esprit, le Verbe
s'est fait chair; c'est en elle, comme dans l'Arche d'alliance du
Nouveau Testament, que, caché à tous les yeux, il a habité neuf mois
parmi nous, jusqu'à ce qu'étant né de la vierge Marie dans la plénitude
des temps, nous avons vu sa gloire, comme la gloire du Fils unique du
Père plein de grâce et de vérité.
Voici ce qu'elle raconta, le 7 juillet : J'ai vu, cette nuit, la sainte
Vierge dormir dans sa petite chambre, étendue sur le côté et la tête
appuyée sur le bras ; elle était enveloppée dans une bande d'étoffe
blanche, depuis la tête jusqu'aux pieds Je vis, sous son coeur, briller
une gloire lumineuse en forme de poire qu'entourait une petite flamme
d'un éclat indescriptible. Je vis briller dans Élisabeth une gloire
moins éclatante, mais plus grande et d'une forme circulaire ; la lumière
qu'elle répandait était moins vive.
Le samedi 8 juillet, elle dit ce qui suit : Dans la soirée d'hier
vendredi, lorsque le sabbat commença, je vis, dans une chambre de la
maison de Zacharie que je ne connaissais pas encore, allumer une lampe
et célébrer le sabbat : Zacharie, Joseph et six autres hommes, qui
étaient probablement des gens de l'endroit, priaient debout sous la
lampe autour d'un coffre sur lequel étaient des rouleaux écrits. Ils
avaient des linges qui pendaient par-dessus la tête, mais ne faisaient
pas, en priant, toutes les contorsions que font les Juifs actuels,
quoique souvent ils baissassent la tête et levassent les bras en l'air.
Marie, Élisabeth et deux autres femmes se tenaient à part derrière une
cloison grillée, d'où elles voyaient dans l'oratoire ; elles étaient
toutes enveloppées jusque par-dessus la tête dans des manteaux de
prière.
Après le souper du sabbat, je vis la sainte Vierge dans sa petite
chambre, avec Elisabeth, récitant le Magnificat ; les mains jointes sur
la poitrine et leurs voiles noirs baissés sur la figure, elles se
tenaient debout contre la muraille, vis-à-vis l'une de l'autre, priant
tour à tour comme des religieuses au choeur. Je récitais le Magnificat
avec elles, et, pendant la seconde partie du cantique, je vis, les uns
dans l'éloignement, les autres plus près, quelques-uns des ancêtres de
Marie, desquels partaient comme des lignes lumineuses se dirigeant sur
elle ; je voyais ces lignes ou ces rayons de lumière sortir de la bouche
des ancêtres masculins et de dessous le coeur des ancêtres de l'autre
sexe, et aboutir à la gloire qui était dans Marie.
Je crois qu'Abraham, lorsqu'il reçut la bénédiction qui préparait
l'avènement de la sainte Vierge, habitait prés de l'endroit où elle
récita le Magnificat, car je vis le rayon qui partait de lui venir à
elle d'un point très voisin, pendant que ceux qui partaient de
personnages beaucoup plus rapprochés, quant au temps, paraissaient venir
de points bien plus éloignés.
Lorsqu'elles eurent fini le Magnificat, qu'elles disaient tous les
jours, matin et soir, depuis la Visitation, Elisabeth se retira, et je
vis la sainte Vierge se livrer au repos.
Le dimanche soir, le sabbat étant fini, je les vis manger de nouveau.
Ils prirent leur repas ensemble dans le jardin près de la maison. Ils
mangèrent des feuilles vertes qu'ils trempaient dans une sauce ; il y
avait aussi sur la table des assiettes avec de petits fruits, et
d'autres plats, où était, je crois, du miel, qu'ils prenaient avec des
espèces de spatules en corne.
Plus tard, au clair de la lune, par une belle nuit étoilée, Joseph se
mit en voyage, accompagné de Zacharie. Joseph avait avec lui un petit
paquet où étaient des pains et une petite cruche, et un bâton recourbé
par en haut. Ils avaient tous deux des manteaux de voyage qui
recouvraient la tête. Les deux femmes les accompagnèrent à une petite
distance, et s'en revinrent seules par une nuit d'une beauté
remarquable.
Marie et Élisabeth rentrèrent à la maison dans la chambre de Marie. Il y
avait là une lampe allumée, comme c'était toujours le cas lorsqu'elle
priait et allait se coucher. Les deux femmes se tinrent vis-à-vis l'une
de l'autre, et récitèrent le Magnificat.
Le mardi il juillet, elle dit ce qui suit : J'ai vu cette nuit Marie et
Élisabeth. La seule chose dont je me souvienne est qu'elles passèrent
toute la nuit à prier, mais je n'en sais plus la raison. Le jour, je vis
Marie s'occuper de différents travaux, par exemple, tresser des
couvertures. Je vis Joseph et Zacharie encore en route ; ils passèrent
la nuit dans un hangar. Ils avaient fait de grands détours et visité, si
je ne me trompe, différentes personnes. Je crois qu'il leur fallait
trois jours pour leur voyage. J'ai oublié la plupart des détails.
Le jeudi 13 juillet, elle raconta ce qui suit : Je vis hier Joseph de
retour dans sa maison de Nazareth. Il ne me paraît pas avoir été à
Jérusalem, mais directement chez lui. La servante d'Anne prend soin de
son ménage, et va et vient d'une maison à l'autre ; à cela près, Joseph
était seul. Je vis aussi Zacharie de retour dans sa maison. Je vis Marie
et Élisabeth, comme toujours, réciter le Magnificat et s'occuper de
différents travaux. Vers le soir, elles se promenèrent dans le jardin,
où il y avait une fontaine, ce qui n'est pas commun dans le pays. Elles
allaient souvent aussi, dans la soirée, quand la chaleur était passée,
se promener dans les environs, car la maison de Zacharie était isolée et
entourée de champs. Ordinairement elles se couchaient vers neuf heures,
et se levaient toujours avant le soleil.
C'est là tout ce que la soeur Emmerich communiqua de ses visions sur la
visite de la sainte Vierge à Élisabeth. Il est à remarquer qu'elle
raconta cet événement à l'occasion de la fête de la Visitation, au
commencement de juillet, tandis que la visite de Marie eut probablement
heu en mars, puisque l'incarnation du Christ fut annoncée à la sainte
Vierge le 25 février. C'est peu de temps après que la soeur la vit
partir pour se rendre chez Elisabeth, en même temps que Joseph allait à
la fête de Pâques, qui tombait le il nisan, mois qui correspond à notre
mois de mars.
XLIV
Naissance de Jean. Marie revient à Nazareth.
Joseph rassuré
par un ange.
Le 9 juin 1821, la soeur Emmerich) à l'occasion d'une relique de saint
Parménas qui se trouvait près d'elle, raconta différentes choses
touchant ce saint, et entre autres ce qui suit : J'ai vu la sainte
Vierge, après son retour de Juttah à Nazareth, passer quelques Jours
chez les parents du disciple Parménas, qui, à cette époque, n'était pas
encore né. Je crois avoir vu cela au moment de l'année où cela s'est
passé. J'eus le sentiment qu'il en était ainsi.
D'après cela, la naissance de Jean-Baptiste aurait eu lieu à la fin de
mai ou au commencement de juin. Marie resta trois mois chez Élisabeth,
jusqu'à la naissance de Jean ; mais elle n'y était plus lors de la
circoncision de l'enfant.
La soeur Emmerich ayant été empêchée de raconter la naissance de Jean et
sa circoncision, nous donnons ici les paroles de l'Évangile.
" Le temps d'Élisabeth étant accompli, elle mit au monde un fils. Ses
voisins et ses parents apprirent que Dieu avait fait éclater sa
miséricorde envers elle, et ils accoururent pour s'en réjouir avec elle.
Le huitième jour, on vint circoncire l'enfant, et ils lui donnèrent le
nom de son père Zacharie ; mais sa mère répondit : Il n'en sera pas
ainsi ; son nom sera Jean. On lui représenta que personne n'avait ce nom
dans sa parenté, et en même temps on demanda par signe à son père quel
nom il voulait lui donner. Et il écrivit sur des tablettes que Jean
était son nom ; et tous furent dans l'admiration. Or sa bouche fut
ouverte aussitôt et sa langue déliée ; et il parlait, bénissant le
Seigneur. Et une grande crainte se répandit parmi tous ceux qui
habitaient dans le voisinage, et toutes ces choses se racontaient dans
toutes les montagnes de la Judée. Et tous ceux qui en entendirent le
récit le mirent dans leur coeur, se disant : Que croyez-vous que doive
être cet enfant car la main de Dieu est avec lui. Et son père Zacharie
fut rempli de l'Esprit Saint et prophétisa en ces termes : Béni soit le
Seigneur Dieu d'Israël, parce qu'il a visité son peuple, et a opéré sa
rédemption, et qu'il nous a élevé un puissant Sauveur dans la maison de
David, son serviteur, ainsi qu'il avait promis, dès les anciens temps,
par la bouche de ses saints prophètes, qu'il nous délivrerait de nos
ennemis et de ceux qui nous haïssent, pour exercer sa miséricorde envers
nos pères et se souvenir de son alliance sainte, selon qu'il avait juré
avec serment à Abraham notre père, afin que, délivrés de la main de nos
ennemis, nous le servions sans crainte, dans la sainteté et la justice
devant lui, tous les jours de notre vie. Et toi, enfant, tu seras appelé
le prophète du Très-Haut ; car tu marcheras devant la face du Seigneur
pour lui préparer les voies, afin de donner à son peuple la science du
salut pour la rémission de leurs péchés ; par les entrailles de la
miséricorde de notre Dieu, par laquelle l'Orient nous a visités d'en
haut, pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans
l'ombre de la mort, pour diriger nos pas dans la voie de la paix. Or,
l'enfant croissait et son esprit se fortifiait, et il était dans le
désert jusqu'au jour de sa manifestation dans Israël.
La sainte Vierge partit pour Nazareth après la naissance de Jean, et
avant sa circoncision. Joseph vint à sa rencontre jusqu'à moitié chemin.
La soeur Emmerich ne dit pas par qui la sainte Vierge fut accompagnée
jusque-là ; elle ne désigna pas non plus le lieu où elle se réunit à
saint Joseph ; peut-être que ce fut à Dothan, où, en allant chez
Élisabeth, ils s'étaient arrêtés chez un ami du père de Joseph.
Vraisemblablement, elle fut accompagnée jusque-là par des parents de
Zacharie ou par des amis de Nazareth, qui se trouvaient avoir le même
voyage à faire. Cette dernière conjecture pourrait se justifier, jusqu'à
un certain point, par le récit suivant :
Quand Joseph revint à Nazareth avec la sainte Vierge, il vit, à sa
taille, qu'elle était enceinte ; il fut alors assailli par toutes sortes
d'inquiétudes et de doutes, car il ne connaissait pas l'ambassade de
l'ange près de Marie. Aussitôt après son mariage, il était allé à
Bethléhem pour quelques affaires de famille ; Marie, pendant ce temps,
s'était rendue à Nazareth avec ses parents et quelques compagnes. La
salutation angélique avait eu lieu avant le retour de Joseph de
Nazareth. Marie, dans sa timide humilité, avait gardé pour elle le
secret de Dieu.
Joseph, plein de trouble et d'inquiétude, n'en faisait rien connaître au
dehors, mais luttait en silence contre ses doutes. La sainte Vierge, qui
avait prévu cela d'avance, était grave et pensive, ce qui augmentait
encore l'anxiété de Joseph.
Quand ils furent arrivés à Nazareth, je vis que la sainte Vierge n'alla
pas tout de suite dans sa maison avec saint Joseph, elle demeura deux
jours dans une famille alliée à la sienne. C'étaient les parents du
disciple Parmenas, qui alors n'était pas né, et qui fut plus tard l'un
des sept diacres dans la première communauté des chrétiens à Jérusalem.
Ces gens étaient alliés à la sainte Famille : la mère était soeur du
troisième époux de Marie de Cléophas, qui fut le père de Siméon, évêque
de Jérusalem. Ils avaient une maison et un jardin à Nazareth. Ils
étaient aussi alliés à la sainte Famille du côté d'Elisabeth. Je vis la
sainte Vierge rester quelque temps chez eux avant de revenir dans la
maison de Joseph ; mais l'inquiétude de celui-ci augmentait à tel point
que, lorsque Marie voulut revenir auprès de lui, il forma le projet de
la quitter et de s'enfuir secrètement. Pendant qu'il roulait Ce dessein
dans son esprit, un ange lui apparut en songe et le consola.
XLV
Préparatifs pour la naissance de Jésus-Christ.
Départ de la
sainte Famille pour Bethlehem.
(Dimanche, 11 novembre 1821.) Depuis plusieurs jours, je vois la sainte
Vierge près de sa mère, sainte Anne, dont la maison est à peu près à une
lieue de Nazareth, dans la vallée de Zabulon ; sa servante est restée
dans la maison de Nazareth, elle sert saint Joseph quand Marie est chez
sa mère. Du reste, tant qu'Anne vécut, ils n'eurent pas de ménage
entièrement séparé, mais ils recevaient toujours de celle-ci ce dont ils
avaient besoin.
Je vois, depuis quinze jours, la sainte Vierge occupée de préparatifs
pour la naissance de Jésus-Christ : elle apprête des couvertures, des
bandages et des langes. Son père Joachim ne vit plus. Il y a dans la
maison une petite fille d'environ sept ans qui est souvent près de la
sainte Vierge, et à laquelle celle-ci donne des leçons : je crois que
c'est la fille de Marie de Cléophas ; elle s'appelle aussi Marie. Joseph
n'est pas à Nazareth, mais il doit bientôt arriver. Il revient de
Jérusalem, où il a conduit des victimes pour le sacrifice.
Je vis la sainte Vierge dans la maison. Elle était dans un état de
grossesse fort avancée, et travaillait assise dans une chambre avec
plusieurs autres femmes. Elles préparaient des effets et des couvertures
pour les couches de Marie. Anne avait des propriétés assez considérables
en troupeaux et en pâturages. Elle fournissait abondamment la sainte
Vierge de tout ce qui lui était nécessaire suivant son état. Comme elle
croyait que Marie ferait ses couches chez elle, et que tous ses parents
la visiteraient à cette occasion, elle faisait toute espèce de
préparatifs pour la naissance de l'enfant de la promesse. On apprêtait
pour cela de belles couvertures ou de beaux tapis.
J'ai vu une couverture de ce genre, lors de la naissance de Jean, dans
la maison d'Élisabeth. Il y avait des figures symboliques et des
sentences tracées à l'aiguille. Au milieu était une espèce d'enveloppe
dans laquelle l'accouchée se plaçait ; puis, quand les diverses parties
de la couverture étaient assujetties autour d'elle avec des lacets et
des boutons, elle était là comme un petit enfant dans son maillot, et
pouvait facilement se mettre sur son séant, entre des coussins, pour
recevoir les visites de ses amies, qui s'asseyaient auprès d'elle sur le
bord du tapis.
On préparait aussi dans la maison d'Anne des objets de ce genre, outre
des bandages et des langes pour l'enfant. Je vis même des fils d'or et
d'argent qu'on y faufilait Ça et là. Tous ces effets et ces couvertures
n'étaient pas uniquement pour l'usage de l'accouchée ; il y avait
beaucoup de chose destinées aux pauvres, auxquels on pensait toujours en
de semblables circonstances. Je vis la sainte Vierge et d'autres femmes,
assises par terre autour d'un grand coffre, travailler à une grande
couverture qui était Dltece sur ce coffre au milieu d'elles. Elles se
servaient de petits bâtons où étaient attachés des fils de diverses
couleurs. Sainte Anne était très affairée ; elle allait ça et là pour
prendre de la laine, la partager et donner leur tâche à ses servantes.
(Lundi, 12 novembre.) Joseph doit revenir aujourd'hui à Nazareth. Il
était à Jérusalem, où il avait conduit des animaux pour le sacrifice. Il
les avait laissés dans une petite auberge située à un quart de lieue en
avant de Jérusalem, du côté de Bethléhem, et tenue par un vieux ménage
sans enfants. C'étaient des gens pieux chez lesquels on pouvait loger en
toute confiance. Joseph alla de là à Bethléhem, mais il ne visita pas
les parents qu'il y avait. Il voulait seulement prendre des informations
relativement à un dénombrement ou à une levée d'impôts qui exigeaient
que chacun vint dans son lieu de naissance. Il ne se fit pourtant pas
encore inscrire, car il avait l'intention, lorsque le temps de la
purification de Marie serait accompli, d'aller avec elle de Nazareth au
temple de Jérusalem, et de là à Bethléhem, où il voulait s'établir. Je
ne sais pas bien quel avantage il y trouvait, mais le séjour de Nazareth
ne lui plaisait pas. C'est pour cela qu'il profita de cette occasion
pour aller à Bethléhem : il y prit des informations relativement à des
pierres et à des bois de charpente, car il avait le projet d'y bâtir une
maison. Il revint ensuite à l'auberge voisine de Jérusalem, conduisit
les victimes au temple et revint chez lui.
Comme aujourd'hui, vers minuit, il traversait la plaine de Khimki, à six
lieues de Nazareth, un ange lui apparut et lui enjoignit de partir avec
Marie pour Bethléhem, car c'était là qu'elle devait mettre son enfant au
monde. L'ange lui prescrivit aussi ce qu'il devait prendre avec lui ; il
devait emporter peu d'effets, et notamment pas de couvertures brodées.
Il devait aussi, outre l'âne sur lequel Marie monterait, emmener avec
lui une ânesse d'un an qui n'avait pas encore eu de petits. Il devait la
laisser courir en liberté et suivre toujours le chemin qu'elle
prendrait.
Ce soir, Anne se rend à Nazareth avec la sainte Vierge ; elles savaient
que Joseph arriverait. Elles ne paraissaient pourtant pas savoir que
Marie irait à Bethléhem ; elles croyaient que Marie mettrait son enfant
au monde dans sa maison de Nazareth, car je vis qu'on leur y porta
plusieurs des objets qu'on avait préparés, empaquetés dans des nattes.
Joseph arriva le soir à Nazareth.
(Mardi, 13 novembre). Je vis aujourd'hui la sainte Vierge avec sa mère
dans la maison de Nazareth, où Joseph leur fit connaître ce qui lui
avait été dit la nuit précédente. Elles revinrent ensemble dans la
maison d'Anne, et je les vis faire des préparatifs pour un prompt
départ. Anne en était tout attristée. La sainte Vierge savait d'avance
qu'elle devait enfanter son fils à Bethléhem, mais elle n'en avait rien
dit par humilité.
Elle le savait par les prophéties sur la naissance du Messie qu'elle
conservait à Nazareth. Elle avait reçu ces écrits de ses maîtresses du
temple, et ces saintes femmes les lui avaient expliqués ; elle les
lisait souvent et priait pour leur accomplissement ; ses ardents désirs
invoquaient toujours la venue du Messie ; elle appelait bienheureuse
celle qui devait mettre au monde le saint enfant, et désirait seulement
pouvoir être la dernière de ses servantes ; elle ne pensait pas, dans
son humilité, que cet honneur pût lui être destiné. Comme elle savait
par les testes des prophéties que le Sauveur devait naître à Bethléhem,
elle se conforma avec d'autant plus de joie a la volonté divine, et se
prépara à un voyage très pénible pour elle dans cette saison, car il
faisait souvent un froid très vif dans les vallées, entre les chaînes de
montagnes.
Je vis ce soir Joseph et la sainte Vierge, accompagnés d'Anne, de Marie
de Cléophas, et de quelques serviteurs, partir de la maison d'Anne.
Marie était assise sur le bât d'un âne qui portait aussi son bagage.
Joseph conduisait l'âne. Il y avait un second âne Sur lequel sainte Anne
devait revenir.
XLVI
Voyage de la sainte Famille.
Ce matin, je vis les saints voyageurs arriver à six lieues de Nazareth,
dans une plaine appelée Ghinim, où l'ange était apparu à Joseph
l'avant-veille. Anne possédait un pâturage en cet endroit, et les
serviteurs devaient y prendre l'ânesse d'un an que Joseph voulait
emmener avec lui. Elle courait tantôt en avant des voyageurs, tantôt
près d'eux. Anne et Marie de Cléophas prirent ici congé des saints
voyageurs et s'en retournèrent avec les serviteurs.
Je vis la sainte Famille s'avancer plus loin par un chemin qui montait
vers les montagnes de Gelboë. Ils ne passaient pas dans les villes et
suivaient la jeune ânesse qui prenait toujours des chemins de traverse.
C'est ainsi que je les vis dans une propriété de Lazare, à peu de
distance de la ville de Ghinim', du côté de Samarie. L'intendant les
reçut amicalement.
Elle dit que cette plaine de Ghinim a plusieurs lieues de long et
qu'elle est de forme ovale. Une autre plaine appelée Ghimmi se trouva
plus prés de Nazareth, prés d'un endroit placé sur une hauteur où
demeuraient des bergers, et où Jésus, avant son baptême, enseigna du 7
au 9 septembre chez des bergers qui avaient des lépreux cachés parmi
eux. Il guérit aussi là son hôtesse qui était hydropique et il fut
injurié par les pharisiens. De l'autre côté de ce heu, à une plus grande
distance, se trouve, au sud-ouest de Nazareth, au delà du torrent de
Cison, un séjour de lépreux. Ce sont des cabanes dispersées autour d'un
étang formé par un écoulement du Cison. Jésus y opéra des guérisons
avant son baptême, le 30 septembre. La plaine de Ghinim, où nous voyons
arriver la sainte Famille, est séparée de cette autre plaine de Ghimmi
par un torrent. Les noms sont si semblables que je puis les avoir
facilement confondus.
Il semble qu'il y a encore un souvenir de ce nom de Ghimea, qui est dans
la même position et que les voyageurs appellent Ghinin, ghinin, Ghilin,
Ghenin, Jenin, Chenan, Khilin ou Djenin. Ce lieu est au pied des monts
de Gelboé, à quatre milles allemande (environ huit lieues) au nord-est
de Samarie, suivant d'autres à une demi journée de Sichem, et d'après
Boshard, à quatorze lieues du Jourdain.
Il les avait connus lors d'un autre voyage. Leur famille avait des
relations avec celle de Lazare. Il y a là de beaux vergers et des
allées. La position est si élevée, qu'on a du toit une vue très étendue.
Lazare a hérité ce bien de son père. Notre Seigneur Jésus-Christ
s'arrêta souvent en cet endroit pendant sa prédication, et enseigna dans
les environs. L'intendant et sa femme s'entretinrent très amicalement
avec la sainte Vierge, et se montrèrent étonnés qu'elle eût entrepris ce
grand voyage dans la position où elle se trouvait, lorsqu'elle eût pu
rester commodément établie dans la maison de sa mère.
(Nuit du jeudi l5 au vendredi 16 novembre). Je vis la sainte Famille, à
quelques lieues au delà de l'endroit précédemment indiqué, se diriger
dans la nuit vers une montagne le long d'une vallée très froide. Il
semblait qu'il y eût de la gelée blanche. La sainte Vierge souffrait
beaucoup du froid, et elle dit à Joseph : " il faut nous arrêter ; je ne
puis pas aller plus loin ". A peine avait-elle dit ces paroles, que la
jeune ânesse s'arrêta sous un grand térébinthe très vieux qui se
trouvait près de là, et dans le voisinage duquel était une fontaine. Ils
firent une balte sous cet arbre. Joseph arrangea avec des couvertures un
siège pour la sainte Vierge, qu'il aida à descendre de sa monture et qui
s'assit contre l'arbre ; Joseph suspendit à une branche d'arbre une
lanterne qu'il portait avec lui. J'ai souvent vu les gens qui voyagent
de nuit dans ce pays en faire autant.
La sainte Vierge invoqua Dieu, lui demandant de ne pas permettre que le
froid lui fût nuisible. Alors, elle sentit tout à coup une si grande
chaleur, qu'elle tendit les mains à saint Joseph pour qu'il y réchauffât
les siennes. Ils se réconfortèrent un peu avec des petits pains et des
fruits qu'ils avaient avec eux, et burent de l'eau de la fontaine
voisine dans laquelle ils mirent du baume que Joseph portait dans un
cruchon. Joseph consola et encouragea la sainte Vierge ; il était si bon
! il souffrait tant de ce que ce voyage était si pénible ! il lui parla
du bon logis qu'il espérait lui procurer à Bethléhem. Il connaissait une
maison appartenant à de très braves gens, où ils seraient commodément à
très bon compte. Il lui vanta Bethléhem en général, et lui dit tout ce
qui pouvait la consoler. Cela m'inquiétait, car je savais bien que les
choses se passeraient tout autrement.
A ce point de leur voyage, ils avaient passé deux petits cours d'eau ;
ils avaient traversé l'un d'eux sur un pont élevé, et les deux ânes
avaient passé à gué. La jeune ânesse, qui courait en liberté, avait des
allures singulières. Quand la route était bien tracée, entre deux
montagnes, par exemple, et qu'on pouvait se tromper, tantôt elle courait
derrière les voyageurs, tantôt elle allait bien loin en avant. Quand le
chemin se partageait, elle reparaissait toujours et prenait la bonne
direction ; lorsqu'ils devaient s'arrêter, elle s'arrêtait elle-même,
comme lors de leur halte sous le térébinthe. Je ne sais pas s'ils
passèrent la nuit sous cet arbre, ou s'ils atteignirent un autre gîte.
Ce térébinthe était un vieil arbre sacré qui avait fait partie du bois
de Moreh, près de Sichem. Abraham, venant de la terre de Chanaan, y
avait vu apparaître le Seigneur, qui lui avait promis cette terre pour
sa postérité. Il avait élevé un autel sous le térébinthe. Jacob, avant
d'aller à Béthel pour y offrir un sacrifice au Seigneur, avait enfoui
sous ce térébinthe les idoles de Laban et les bijoux que sa famille
avait avec elle. Josué y avait érigé le tabernacle où était l'Arche
d'alliance, et y ayant rassemblé le peuple, l'avait fait renoncer aux
idoles. C'était aussi en ce lieu qu'Abimélech, fils de Gédéon, avait été
proclamé roi par les Sichémites.
(Vendredi, 16 novembre.) Aujourd'hui, je vis la sainte Famille arriver à
une grande ferme, à deux lieues plus au midi que le térébinthe. La
maîtresse de la maison était absente, et le maître refusa de recevoir
saint Joseph, lui disant qu'il pouvait bien aller plus loin. Quand ils
eurent fait un peu de chemin au delà, ils trouvèrent la jeune ânesse
dans une cabane de berger, où ils entrèrent aussi. Quelques bergers, qui
étaient occupés à la vider, les accueillirent avec beaucoup de
bienveillance. Ils leur donnèrent de la paille et de petits paquets de
jonc et de ramée pour faire du feu. Ces bergers allèrent à la maison
d'où ils avaient été repoussés, et, quand ils racontèrent à la maîtresse
de cette maison combien Joseph paraissait bon et pieux, combien sa femme
était belle et avait l'air sainte, elle fit des reproches à son mari
pour avoir repoussé de si excellentes gens. Je vis aussi cette femme se
rendre aussitôt près de la cabane où s'était arrêtée la sainte Vierge ;
mais elle n'osa pas entrer par timidité, et retourna chez elle pour y
prendre quelques aliments.
Le lieu où ils se trouvaient était sur le flanc septentrional d'une
montagne, à peu près entre Samarie et Thébez. A l'orient de ce lieu, au
delà du Jourdain, se trouve Succoth ; Ainon est un peu plus au midi,
toujours au delà du fleuve ; Salem est en deçà. Il pouvait y avoir douze
lieues de là à Nazareth.
Au bout de quelque temps la femme vint avec deux enfants trouver la
sainte Famille, apportant avec elle quelques provisions. Elle s'excusa
poliment et se montra touchée de leur position. Quand les voyageurs
eurent mangé et pris quelque repos, le mari vint aussi et demanda pardon
à saint Joseph de l'avoir repoussé. Il lui conseilla de monter encore
une lieue vers le sommet de la montagne, lui disant qu'il pouvait
arriver à un bon gîte avant le commencement du sabbat et y rester
pendant le jour du repos. Ils se mirent alors en route.
Quand ils eurent fait à peu près une lieue en montant toujours, ils
arrivèrent à une hôtellerie d'assez bonne apparence, composée de
plusieurs bâtiments entourés de jardins et d'arbres. 1 ; y avait aussi
là des arbrisseaux qui donnent le baume, rangés en espaliers. Cependant
l'hôtellerie était encore sur le côté septentrional de la montagne.
La sainte Vierge avait mis pied à terre. Joseph conduisait l'âne. Ils
s'approchèrent de la maison, et Joseph pria l'hôte de les loger ; mais
celui-ci s'excusa, parce que son auberge était pleine. Sa femme vint
alors, et comme la sainte Vierge s'adressa à elle et lui demanda avec la
plus touchante humilité de leur procurer un logement, cette femme
ressentit une profonde émotion, et l'hôte aussi ne put plus résister. Il
leur arrangea un abri commode dans une cabane voisine, et mit leur âne à
l'écurie. L'ânesse n'était pas là ; elle courait en liberté dans les
environs. Elle était toujours loin d'eux quand elle n'avait pas à monter
le chemin.
Joseph apprêta sa lampe, sous laquelle il se mit en
prières avec la sainte Vierge, observant le sabbat avec une piété
touchante. Ils mangèrent quelque chose et se reposèrent sur des nattes
étendues par terre.
(Samedi, 17 novembre.) J'ai vu aujourd'hui la sainte Famille rester en
ce lieu toute la journée. Marie et Joseph priaient ensemble. Je vis la
femme de l'hôte près de la sainte Vierge avec ses trois enfants ; la
femme qui les avait accueillis la veille vint aussi la visiter avec ses
deux enfants. Elles s'assirent auprès d'elle d'un air très amical, et
furent très touchées de la modestie et de la sagesse de Marie. La sainte
Vierge s'entretint avec les enfants et leur donna des instructions.
Les enfants avaient de petits rouleaux de parchemin ; Marie les fit lire
et leur parla d'une façon si aimable qu'ils ne la quittaient plus des
yeux. C'était touchant à voir et encore plus touchant à entendre.
Je vis saint Joseph dans l'après-midi se promener avec l'hôte dans les
environs, examiner les jardins et les champs et tenir des discours
édifiants. C'est ce que je vois toujours faire aux gens pieux du pays le
jour du sabbat. Les saints voyageurs restèrent encore en ce lieu la nuit
suivante.
(Le dimanche, 18 novembre.) Les bons hôteliers d'ici avaient pris la
sainte Vierge en affection à un degré incroyable, et ils lui
témoignèrent une tendre compassion pour son état. Ils la prièrent
amicalement de rester chez eux, et d'y attendre le moment de sa
délivrance. Ils lui montrèrent une chambre commode qu'ils voulaient lui
donner . La femme lui offrit du fond du coeur tous ses soins et toute
son amitié.
Mais ils reprirent leur voyage de grand matin, et descendirent par le
côté sud-est de la montagne dans une vallée. Ils s'éloignèrent alors
davantage de Samarie, où semblait les conduire la direction qu'ils
avaient prise jusque-là. Pendant qu'ils descendaient, ils pouvaient voir
le temple qui est sur le mont Garizim. On l'aperçoit de très loin. Il y
a sur le toit plusieurs figures de lions ou d'autres animaux qui
brillent au soleil.
Je les vis faire aujourd'hui environ six lieues ; vers le soir, étant
dans une plaine à une lieue au sud-est de Sichem, ils entrèrent dans une
assez grande maison de bergers où ils furent bien accueillis. Le maître
de la maison était chargé de surveiller des vergers et des champs qui
dépendaient d'une ville voisine. La maison n'était pas tout à fait dans
la plaine, mais sur une pente. Ici, tout était plus fertile et en
meilleure condition que dans le pays parcouru précédemment ; car ici, on
était tourné vers le soleil, ce qui, dans la terre promise, fait une
différence considérable à ce moment de l'année D'ici jusqu'à Bethléhem
il y avait beaucoup de semblables habitations de bergers, dispersées
dans les vallées.
Les gens d'ici étaient de ces bergers dont plusieurs serviteurs des
trois rois mages, restés en Palestine, épousèrent plus tard les filles.
D'une de ces unions provenait un jeune garçon que Notre Seigneur guérit,
dans cette même maison, à la prière de la sainte Vierge, le 31 juillet
(7 du mois d'Ab), de sa seconde année de prédication, après son colloque
avec la Samaritaine. Jésus le prit ainsi que deux autres jeunes gens
pour l'accompagner dans le voyage qu'il fit en Arabie, après la mort de
Lazare, et il devint plus tard disciple du Sauveur. Jésus s'arrêta
souvent ici, et y enseigna Il y avait des enfants dans cette maison.
Joseph les bénit avant son départ.
XLVII
Continuation du voyage jusqu'à Bethléhem.
(Le lundi, 19 novembre.) Aujourd'hui je les vis suivre un chemin plus
uni. La sainte Vierge allait de temps en temps à pied. Ils trouvaient
plus souvent des haltes commodes où ils se réconfortaient. Ils avaient
avec eux des petits pains et une boisson à la fois rafraîchissante et
fortifiante, dans de petites cruches très élégantes qui avaient deux
anses et brillaient comme du bronze. C'était du baume qu'on mêlait avec
l'eau. Ils cueillaient aussi des baies et des fruits qui pendaient
encore aux arbres et aux buissons dans certains endroits exposés au
soleil. Le siège de Marie sur l'âne avait à droite et à gauche des
espèces de rebords sur lesquels les pieds s'appuyaient, de sorte qu'ils
ne pendaient pas comme chez les gens de la campagne qui vont à cheval
dans notre pays. Ses mouvements étaient singulièrement posés et décents.
Elle s'asseyait alternativement à droite et à gauche. La première chose
que faisait Joseph quand on faisait une halte ou qu'on entrait quelque
part était de chercher une place où la sainte Vierge pût s'asseoir et se
reposer commodément. Il se lavait souvent les pieds ainsi que Marie ; en
général, ils se lavaient souvent.
Il faisait déjà nuit lorsqu'ils arrivèrent à une maison isolée ; Joseph
frappa et demanda l'hospitalité. Mais le maître du logis ne voulut pas
ouvrir ; et quand Joseph lui représenta la situation de Marie, qui
n'était pas en état d'aller plus loin, ajoutant qu'il ne demandait pas à
être logé gratuitement, cet homme dur et grossier répondit que sa maison
n'était pas une auberge, qu'il voulait qu'on le laissât tranquille et
qu'on cessât de frapper, et autres choses semblables. Cet homme
intraitable n'ouvrit même pas, mais fit sa grossière réponse à travers
la porte fermée. Ils continuèrent donc leur chemin, et au bout de
quelque temps ils entrèrent dans un hangar prés duquel ils trouvèrent
l'ânesse arrêtée. Joseph se procura de la lumière et prépara une couche
pour la sainte Vierge, qui l'y aida. Il fit aussi entrer l'âne, pour
lequel il trouva de la litière et du fourrage. Ils prièrent, mangèrent
un peu et dormirent quelques heures.
De la dernière auberge jusqu'ici il pouvait y avoir six lieues de
chemin. Ils étaient maintenant à environ vingt-six lieues de Nazareth et
à dix de Jérusalem. Jusqu'alors ils n'avaient pas suivi la grand-route,
mais avaient traversé plusieurs chemins de communication qui allaient du
Jourdain à Samarie, et aboutissaient aux grandes routes qui conduisaient
de Syrie en Égypte. Les chemins de traverse qu'ils suivaient étaient
très étroits ; dans la montagne, ils étaient souvent si resserrés, qu'il
fallait beaucoup de précautions pour y avancer sans broncher. Mais les
ânes y marchaient d'un pas très assuré. Leur gîte actuel était sur un
terrain uni.
(Le mardi, 20 novembre) Ils quittèrent cet endroit avant le jour. Le
chemin redevint un peu montant. Je crois qu'ils touchèrent à la route
qui conduisait de Gabara à Jérusalem, et qui formait en cet endroit la
limite entre la Samarie et la Judée. Ils furent encore une fois
grossièrement repoussés d'une maison. Comme ils étaient à plusieurs
lieues au nord-est de Béthanie, il arriva que Marie étant très fatiguée
éprouva le besoin de prendre quelque chose et de se reposer. Alors
Joseph se détourna du chemin pour aller à une demi lieue de là dans un
endroit où se trouvait un beau figuier, qui était ordinairement chargé
de fruits. Cet arbre était entouré de bancs où l'on pouvait se reposer,
et Joseph le connaissait depuis un de ses précédents voyages. Mais,
quand ils y arrivèrent, ils n'y trouvèrent pas un seul fruit, ce qui les
attrista. Je me souviens confusément que plus tard Jésus rencontra cet
arbre, qui était couvert de feuilles vertes, mais qui ne portait plus de
fruits. Je crois que le Seigneur le maudit dans un voyage qu'il fit
après s'être enfui de Jérusalem, et qu'il se dessécha entièrement.
La soeur était tellement malade lorsqu'elle raconta ceci, qu'elle ne put
pas indiquer bien précisément dans quel lieu était ce figuier, qui n'est
pas du reste le figuier maudit de l'Évangile.
Ils s'approchèrent ensuite d'une maison dont le maître commença par
traiter grossièrement Joseph, qui lui demandait humblement
l'hospitalité. Il regarda la sainte Vierge à la lueur de sa lanterne, et
railla Joseph de ce qu'il menait avec lui une femme aussi jeune. Mais la
maîtresse de la maison s'approcha ; elle eut pitié de la sainte Vierge,
leur offrit amicalement une chambre dans un bâtiment attenant à la
maison, et leur porta même quelques petits pains. Le mari se repentit
aussi de sa grossièreté, et se montra très serviable envers les saints
voyageurs.
Ils allèrent plus tard dans une troisième maison, habitée par un jeune
ménage. On les y accueillit, mais sans beaucoup de courtoisie : on ne
s'occupa guère d'eux. Ces gens n'étaient pas des bergers aux moeurs
simples, mais, comme les riches paysans de ce pays, assez occupés
d'affaires, de négoce, etc.
Jésus visita une de ces maisons, après son baptême, le 20 octobre (16 du
mois de Tisri). On avait fait un oratoire de la chambre où ses parents
avaient passé la nuit. Je ne sais pas bien si ce n'était pas la maison
dont le maître avait d'abord raillé saint Joseph. Je me souviens
confusément qu'on avait fait cet arrangement après les miracles qui
signalèrent la naissance du Sauveur.
Joseph fit des haltes fréquentes à la fin du voyage ; car la sainte
Vierge en était de plus en plus fatiguée. Ils suivirent le chemin que
leur indiquait la jeune ânesse, et firent un détour d'une journée et
demie à l'est de Jérusalem. Le père de Joseph avait possédé des
pâturages dans cette contrée, et il la connaissait très bien. s'ils
avaient traversé directement le désert qui est au midi derrière
Béthanie, ils auraient atteint Bethléhem en six heures ; mais ce chemin
était montueux et très incommode dans cette saison. Ils suivirent donc
l'ânesse le long des vallées et se rapprochèrent un peu du Jourdain.
(Le mercredi, 21 novembre.) Je vis aujourd'hui les saints voyageurs
entrer en plein jour dans une grande maison de bergers, qui pouvait être
à trois lieues de l'en. droit où Jean baptisait dans le Jourdain, et à
environ sept lieues de Bethléhem. C'est la maison où, trente ans après,
Jésus passa la nuit, le il octobre, la veille du jour où, pour la
première fois après son baptême, il passa devant Jean-Baptiste. Près de
cette maison, se trouvait une grange séparée où étaient déposés les
instruments de labourage et ceux dont se servaient les bergers. Il y
avait dans la cour une fontaine entourée de bains, qui recevaient par
des conduits l'eau de cette fontaine. Le maître de la maison devait
avoir des propriétés étendues ; il y avait là une exploitation
considérable. Je vis aller et venir plusieurs valets qui prirent là leur
repas.
Le maître de la maison accueillit les voyageurs très amicalement et se
montra fort serviable. On les conduisit dans une chambre commode, et on
prit soin de leur âne. Un domestique lava les pieds de Joseph à la
fontaine et lui donna d'autres habits, pendant qu'on nettoyait les siens
qui étaient couverts de poussière ; une servante rendit les mêmes
offices à la sainte Vierge. Ils prirent leur repas dans cette maison et
y dormirent.
La maîtresse de la maison était d'un caractère assez bizarre, et elle
resta renfermée dans sa chambre. Elle avait regardé les voyageurs à la
dérobée ; et comme elle était jeune et vaine, la beauté de la sainte
Vierge lui avait déplu ; elle craignait, en outre, que Marie ne
s'adressât à elle, ne voulut rester dans sa maison et y faire ses
couches ; aussi eut-elle l'impolitesse de ne pas se montrer et prit-elle
ses mesures pour que les voyageurs partissent le jour suivant. C'est la
femme que Jésus, trente ans après, le il octobre, trouva dans cette
maison, aveugle et courbée en deux, et qu'il guérit, après lui avoir
donné quelques avis sur son inhospitalité et sa vanité. Il y avait aussi
des enfants dans la maison. La sainte Famille y passa la nuit.
(Le jeudi, 22 novembre.) Aujourd'hui, vers midi, je vis la sainte
Famille quitter le lieu où elle avait logé la veille.
Quelques habitants de la maison l'accompagnèrent jusqu'à une certaine
distance. Après un court voyage d'environ deux lieues, elle arriva sur
le soir à un lieu que traversait une grande route, bordée de chaque coté
d'une longue rangée de maisons avec des cours et jardins. Joseph avait
des parents qui demeuraient là. Il me semble que c'étaient les enfants
du second mariage d'un beau-père ou d'une belle-mère. Leur maison avait
beaucoup d'apparence. Ils traversèrent pourtant cet endroit d'un bout à
l'autre ; puis, à une demi lieue de là, ils tournèrent à droite dans la
direction de Jérusalem, et arrivèrent à une grande auberge, dans la cour
de laquelle se trouvait une fontaine avec plusieurs conduits. Il y avait
là beaucoup de gens rassemblés : on y faisait des funérailles.
L'intérieur de la maison, au centre de laquelle se trouvait le foyer
avec un conduit pour la fumée, avait été transformé en une grande pièce
par la suppression de cloisons mobiles qui formaient ordinairement
plusieurs chambres séparées ; derrière le foyer étaient suspendues des
tentures noires, et en face se trouvait quelque chose qui ressemblait à
une bière recouverte en noir. Il y avait là plusieurs hommes qui
priaient ; ils portaient de longues robes noires, et par-dessus des
robes blanches plus courtes ; quelques-uns avaient une espèce de
manipule noir à franges suspendu au bras. Dans une autre chambre se
trouvaient les femmes, entièrement enveloppées dans leurs vêtements ;
elles étaient assises sur des coffres très bas et pleuraient. Les
maîtres de la maison, tout occupés de la cérémonie funèbre, se
contentèrent de faire signe aux voyageurs d'entrer ; mais les
domestiques les accueillirent très bien et prirent soin d'eux. On leur
prépara un logement à part formé avec des nattes suspendues, ce qui le
faisait ressembler à une tente. Je vis plus tard les hôtes visiter la
sainte Famille et s'entretenir amicalement avec elle. Ils n'avaient plus
leurs vêtements blancs de dessus. Joseph et Marie, après avoir pris un
peu de nourriture, prièrent ensemble et se reposèrent.
(Le vendredi, 23 novembre.) Aujourd'hui, vers midi, Joseph et Marie se
mirent en route pour Bethléhem, dont ils étaient encore éloignés
d'environ trois lieues. La maîtresse de la maison les engagea à rester,
parce qu'il lui semblait que Marie pouvait accoucher d'un moment à
l'autre. Marie répondit, après avoir baissé son voile, qu'elle avait
encore trente-six heures à attendre. Je ne sais pas bien si elle ne dit
pas trente-huit. Cette femme les aurait gardés volontiers, non pas
pourtant dans sa maison, mais dans un autre bâtiment. Je vis, au moment
du départ, Joseph parler de ses ânes avec l'hôte ; il fit l'éloge de ces
animaux, et dit qu'il avait pris l'ânesse avec lui pour la mettre en
gage en cas de nécessité. Comme les hôtes parlaient de la difficulté de
trouver un logement à Bethléhem, Joseph dit qu'il y avait des amis et
qu'il y serait certainement bien accueilli. J'étais toujours peinée de
l'entendre parler avec tant d'assurance du bon accueil qu'il attendait.
Il en parla encore à Marie pendant la route. On voit par là que même
d'aussi sainte personnages peuvent se tromper.
XLVIII
Bethléhem.-Arrivée de le sainte Famille.
(Le vendredi, 23 novembre.) Le chemin, depuis le dernier gîte jusqu'à
Bethléhem, pouvait être d'à peu près trois lieues. Ils firent un détour
au nord de Bethléhem, et s'approchèrent de la ville par le côté du
couchant. Ils firent une halte sous un arbre, en dehors de la route.
Marie descendit de l'âne et mit ses vêtements en ordre Alors Joseph se
dirigea avec elle vers un grand édifice ; entouré d'autres bâtiments
plus petits et de cours ; il était à quelques minutes en avant de
Bethléhem ; il y avait aussi là des arbres, et beaucoup de gens avaient
dressé des tentes alentour. C'était l'ancienne maison de la famille de
David, qu'avait possédée le père de Joseph. De parents ou des
connaissances de Joseph y habitaient encore, mais ils le traitèrent en
étranger et ne voulurent pas le reconnaître. C'était maintenant la
maison où l'on recevait les impôts pour le gouvernement romain.
Joseph, accompagné de la sainte Vierge et tenant l'âne par la bride, se
rendit à cette maison ; car tous ceux qui arrivaient devaient s'y faire
connaître et y recevaient un billet sans lequel or. ne laissait pas
entrer à Bethléhem.
La soeur dit ensuite, mettant quelques intervalles entre ses paroles :
La jeune ânesse n'est pas avec eux ; elle court autour de la ville, vers
le midi ; il y a là un petit vallon. Joseph est entré dans le grand
bâtiment ; Marie est dans une petite maison sur la cour, avec des
femmes. Elles sont assez bienveillantes pour elle et lui donnent à
manger... Ces femmes font la cuisine pour les soldats... Ce sont des
soldats romains ; ils ont des courroies qui pendent autour des reins...
Il fait ici un temps agréable et pas du tout froid ; le soleil se montre
au-dessus de la montagne qui est entre Jérusalem et Béthanie. On a d'ici
une très belle vue... Joseph est dans une grande pièce qui n'est pas au
rez-de-chaussée ; on lui demande qui il est, et on consulte de grands
rouleaux, dont plusieurs sont suspendus aux murs ; on les déploie, et on
lit sa généalogie et aussi celle de Marie. Il ne paraissait pas savoir
qu'elle aussi, par Joachim, descend en droite ligne de David... L'homme
lui demande où est sa femme.
Il y a sept ans qu'on n'a taxé régulièrement les gens de ce pays ; il y
a eu du désordre et de la confusion. Cet impôt est en vigueur depuis
deux mois ; ou le payait de temps en temps pendant les sept années
précédentes, mais pas régulièrement. Il faut maintenant payer deux fois.
Joseph est arrivé un peu tard pour payer l'impôt ; mais on l'a traité
très poliment. Il n'a pas encore payé. On lui a demandé quels étaient
ses moyens d'existence, et il a répondu qu'il n'avait pas de
biens-fonds, qu'il vivait de son métier et qu'il était en outre aidé par
sa belle mère.
Il y a une grande quantité d'écrivains et d'employés importants dans la
maison. Dans le haut sont des Romains et plusieurs soldats ; il y a des
pharisiens, des saducéens, des prêtres, des anciens, un certain nombre
de scribes et de fonctionnaires, tant Juifs que Romains. II n'y a pas de
comité de ce genre à Jérusalem, mais il s'en trouve en plusieurs autres
endroits du pays : par exemple, à Magdalum, près du lac de Génésareth,
où des gens de la Galilée viennent payer, ainsi que des gens de Sidon, à
cause de certaines affaires de commerce, à ce que je suppose : il n'y a
que ceux qui n'ont pas de biens-fonds d'après lesquels on puisse les
taxer, qui soient obligés de se rendre au heu de leur naissance.
Le produit de l'impôt, d'ici à trois mois, sera divisé en trois parties
dont chacune aura une destination différente. La première est au profit
de l'empereur Auguste, d'Hérode et d'un autre prince qui habite dans le
voisinage de l'Egypte. Il a pris part à une guerre et il possède des
droits sur une portion du pays, ce qui fait qu'on doit lui payer quelque
chose. La seconde part est pour la construction du temple : il semble
qu'elle doive servir à éteindre une dette. La troisième part doit être
pour les veuves et les pauvres qui n'ont rien reçu depuis longtemps ;
mais, comme il arrive souvent de nos jours, cet argent ne va guère à qui
de droit. On donne de beaux prétextes pour lever ces impôts et presque
tout reste dans les mains des gens puissants.
Quand ce qui concernait Joseph fut réglé, on fit venir aussi la sainte
Vierge devant les scribes, mais ils ne lui lurent pas leurs papiers. Ils
dirent à Joseph qu'il n'aurait pas été nécessaire qu'il amenât sa femme
avec lui, et ils eurent l'air de le plaisanter à cause de la jeunesse de
Marie, ce qui le rendit un peu confus.
XLIX
Joseph cherche inutilement un logement.
Ils vont à la grotte
de la crèche.
Ils entrèrent alors à Bethléem dont les maisons étaient séparées les
unes des autres par d'assez longs intervalles. On entrait à travers des
décombres et comme par une porte détruite. Marie se tint tranquillement
près de l'âne au commencement de la rue, et Joseph chercha vainement un
logement dans les premières maisons, car il y avait beaucoup d'étrangers
à Bethléhem, et on voyait beaucoup de gens courant ça et là. Il revint
vers Marie, et lui dit qu'on ne pouvait pas trouver à se loger là, et au
il fallait aller plus avant dans la ville. Il conduisit l'âne par la
bride, pendant que la sainte Vierge marchait à côté de lui. Quand ils
furent à l'entrée d'une autre rue, Marie resta de nouveau près de l'âne,
pendant que Joseph allait de maison en maison sans pouvoir en trouver
une où l'on voulût le recevoir. Il revint bientôt tout attristé. Cela se
répéta plusieurs fois, et souvent la sainte Vierge eut bien longtemps à
attendre. Partout la place était prise, partout on le rebuta, et il
finit par dire à Marie qu'il fallait aller dans une autre partie de
Bethléhem, où ils trouveraient sans doute ce qu'ils cherchaient. Ils
revinrent alors sur leurs pas, dans la direction contraire à celle
qu'ils avaient prise en venant, puis ils tournèrent au midi. Ils
suivirent une rue qui ressemblait plutôt à un chemin dans la campagne,
car les maisons étaient isolées et placées sur de petites élévations. La
aussi. toutes les tentatives furent vaines.
Arrivés de l'autre côté de Bethléhem, où les maisons étaient encore plus
dispersées, ils y trouvèrent un grand espace vide situé dans un fond :
c'était comme un champ désert dans la ville. Il y avait là une espèce de
hangar, à peu de distance un grand arbre assez semblable à un tilleul,
dont le tronc était lisse, et dont les branches s'étendaient au loin et
formaient comme un toit autour de lui. Joseph conduisit la sainte Vierge
à cet arbre ; il lui arrangea avec des paquets un siège commode au pied
du tronc ; afin qu'elle pût se reposer pendant qu'il chercher : il fit
encore un logement dans les maisons d'alentour. l'âne resta la tête
tournée vers l'arbre. Marie se tint d'abord debout, appuyée contre le
tronc. Sa robe de laine blanche n'avait pas de ceinture et tombait en
plis autour d'elle, sa tête était couverte d'un voile blanc. Plu sieurs
personnes passèrent et la regardèrent, ne sachant pas que leur Sauveur
fût si près d'elles. Combien elle était patiente, humble et résignée !
Il lui fallut attendre bien longtemps, et elle s'assit enfin sur les
couvertures, les mains jointes sur la poitrine et la tête baissée.
Joseph revint tout triste vers elle ; il n'avait pas pu trouver de
logement. Les amis dont il avait parlé à la sainte Vierge voulaient à
peine le reconnaître. Il pleurait et Marie le consolait. Il alla encore
de maison en maison, mais comme. pour faire mieux accueillir ses
prières, il parlait de la prochaine délivrance de sa femme, il
s'attirait par là des refus plus formels.
Le lieu était solitaire ; mais à la fin quelques passants s'étaient
arrêtés et regardaient de loin avec curiosité, comme on fait
ordinairement quand on voit quelqu'un rester longtemps à la même place à
la chute du jour. Je crois que quelques-uns adressèrent la parole à
Marie et lui demandèrent qui elle était. Enfin Joseph revint : il était
tellement troublé qu'il osait à peine s'approcher d'elle. Il lui dit que
tout était inutile, mais qu'il connaissait en avant de la ville un
endroit où les bergers s'établissaient souvent quand ils venaient à
Bethléhem avec leurs troupeaux, et qu'ils trouveraient là au moins un
abri. Il connaissait ce lieu depuis sa jeunesse : quant ses frères le
tourmentaient, il s'y retirait souvent pour y prier à l'abri de leurs
persécutions. Il disait que si les bergers y venaient, il s'arrangerait
aisément avec eux, et que du reste ils s'y tenaient rarement à cette
époque de l'année. Quand elle y serait tranquillement établie,
ajoutait-il, il ferait de nouvelles recherches
Ils sortirent alors par le côté oriental de Bethléhem, suivant un
sentier désert qui tournait à gauche. C'était un chemin semblable à
celui que l'on suivrait en marchant le long des- murs écroulés, des
fossés et des fortifications en ruine d'une petite ville. Le chemin
montait d'abord un peu, puis il descendait la pente d'un monticule, et
il les conduisit, à quelques minutes à l'est de Bethléhem, devant le
lieu qu'ils cherchaient, près d'une colline ou d'un vieux rempart en
avant duquel se trouvaient quelques arbres. C'étaient des arbres verts
(des térébinthes ou des cèdres), et d'autres arbres qui avaient des
petites feuilles comme celles du buis.
Nous voulons maintenant, autant que possible, décrire les alentours de
la colline et la disposition intérieure de la grotte de la Crèche,
d'après les indications données à plusieurs reprises par la soeur
Emmerich, afin de n'avoir pas à interrompre plus tard la narration.
L.
Description de la grotte de la Crèche et de ses alentours.
A l'extrémité méridionale de la colline autour de laquelle tournait le
chemin qui conduisait dans la vallée des bergers, se trouvait,
indépendamment de plusieurs autres grottes ou caves creusées dans le
roc, la grotte où Joseph chercha un abri pour la sainte Vierge.
L'entrée, tournée au couchant, conduisait par un passage étroit à une
espèce de chambre, arrondie d'un côté, triangulaire de l'autre, située
dans la partie orientale de la colline. La grotte était creusée dans le
roc par la nature ; seulement du côté du midi où passait le chemin qui
conduisait à la vallée des bergers, on avait fait quelques réparations
au moyen d'une maçonnerie grossière.
De ce côte ; qui regardait le midi, il y avait une autre entrée. Mais
elle était ordinairement bouchée, et Joseph la rouvrit pour son usage.
En sortant par là, on trouvait à main gauche une ouverture plus large
qui conduisait à un caveau étroit, incommode, placé à une plus grande
profondeur et allant jusque sous la grotte de la Crèche. L'entrée
ordinaire de la grotte de la Crèche regardait le couchant. On pouvait
voir de là les toits de quelques maisons de Bethléhem. Si en sortant par
là on tournait à droite, on arrivait à l'entrée d'une grotte plus
profonde et plus obscure, dans laquelle la sainte Vierge se cacha une
fois.
Il y avait devant l'entrée du couchant un toit de jonc, appuyé sur des
pieux, qui se prolongeait aussi au midi jusqu'au-dessus de l'entrée qui
était de ce côté, en sorte qu'on pouvait être à l'ombre devant la
grotte. A sa partie méridionale, la grotte avait dans le haut trois
jours grillés par où venaient l'air et la lumière ; une ouverture
semblable se trouvait dans la voûte du rocher. Elle était recouverte de
gazon et formait l'extrémité de la hauteur sur laquelle Bethléhem était
située.
L'intérieur de la grotte, suivant les descriptions données par la soeur
à plusieurs reprises, était à peu près disposé comme il suit : du côté
du couchant, on entrait par une porte de branches entrelacées dans un
corridor de moyenne largeur, aboutissant à une chambre de forme
irrégulière, moitié ronde, moitié triangulaire, laquelle s'étendait
surtout du côté du midi, en sorte que le plan de la grotte entière
pouvait être comparé à une tête reposant sur son cou.
Quand on passait, du corridor qui était moins élevé, dans là grotte
creusée par la nature, on descendait sur un sol plus bas ; cependant le
sol se relevait tout autour de la grotte, qui était entourée comme d'un
banc de pierre de largeur variable. Les parois de la grotte, sans être
tout à fait polies, étaient cependant assez unies et assez propres et
avaient pour moi quelque chose d'agréable à voir. Au nord du corridor se
trouvait l'entrée d'une grotte latérale plus petite. En passant devant
cette entrée on arrivait à l'endroit où Joseph allumait le feu ; puis la
paroi tournait au nord-est dans l'autre grotte plus spacieuse et plus
élevée. Ce fut là que plus tard fut mis l'âne de Joseph. Derrière cette
place était un recoin assez grand pour recevoir l'âne et où il y avait
du fourrage.
C'était dans la partie orientale de cette grotte, en face de l'entrée,
que se trouvait la sainte Vierge lorsque la lumière du monde sortit
d'elle. Dans la partie qui s'étendait au midi se trouvait la crèche où
l'on adora l'Enfant Jésus. La crèche n'était autre chose qu'une auge
creusée dans la pierre qui servait pour faire boire les bestiaux.
Au-dessus était une mangeoire évasée, formée d'un treillis en bois et
élevée sur quatre pieds, de façon que les animaux pouvaient prendre
commodément l'herbe ou le foin qu'on y avait placés, et n'avaient qu'à
baisser la tête pour boire dans l'auge de pierre qui était au-dessous.
C'était en face de la crèche, au levant de cette partie de la grotte,
qu'était assise 'a sainte Vierge avec l'Enfant-Jésus quand les trois
rois mages offrirent leurs présents Si en partant de la crèche on
tournait à l'ouest dans le corridor qui précédait la grotte, on passait
devant l'entrée méridionale déjà mentionnée, et on arrivait à un endroit
dont saint Joseph fit plus tard sa chambre en le séparant du reste avec
des cloisons en clayonnage. Il y avait de ce côté un enfoncement où il
déposait toute sorte de choses.
En dehors de la partie méridionale de la grotte passait le chemin qui
menait à la vallée des bergers. Il y avait ça et là sur des collines de
petites maisons, et dans la plaine quelques hangars avec des toits de
roseaux portés sur des pieux. Au-devant de la grotte, la colline
s'abaissait dans une vallée sans issue, fermée au nord et large
d'environ un demi quart de lieue.
Il y avait la des buissons, des arbres et des jardins En traversant une
belle prairie où coulait une source, et en passant sous des arbres rangs
régulièrement, on arrivait au côté oriental de cette vallée, ou se
trouvait, dans une colline faisant saillie, la grotte du tombeau de
Maraha, nourrice d'Abraham. Cette grotte est appelée aussi grotte au
Lait ; la sainte Vierge y séjourna avec l'Enfant-Jésus en diverses
occasions. Au-dessous était un grand arbre dans lequel on avait pratiqué
des sièges. On voyait mieux Bethléhem de cet endroit que de l'entrée de
la grotte de la Crèche.
J'ai appris beaucoup de choses qui se sont passées anciennement dans la
grotte de la Crèche. Je me souviens seulement que Seth, l'enfant de la
promesse, y fut conçu et mis au monde par Eve, après une pénitence de
sept ans.
C'est là qu'un ange lui dit que Dieu lui avait donné ce rejeton à la
place d'Abel. Seth fut caché et nourri dans cette grotte et dans cette
de Maraha, car ses frères en voulaient à sa vie, comme les enfants de
Jacob à celle de Joseph. A une époque très reculée où les hommes
habitaient dans des grottes, je les ai vus souvent faire des excavations
dans la pierre pour qu'eux et leurs enfants pussent y dormir commodément
sur des peaux de bêtes ou sur des lits de gazon. L'excavation pratiquée
dans le rocher, sous la crèche, peut donc avoir servi de couche à Seth
ou à des habitants postérieurs de la grotte. Je n'en ai pourtant pas la
certitude.
Je me souviens aussi d'avoir vu, dans mes contemplations sur les années
de la prédication de Jésus, que, le 6 octobre, le Seigneur, après son
baptême, célébra le sabbat dans la grotte de la Crèche, dont les bergers
avaient fait un oratoire.
LI
La grotte du tombeau de Maraha, nourrice d'Abraham.
Abraham avait une nourrice, appelée Maraha, qu'il honorait
particulièrement et qui atteignit un âge très avancé ; elle le suivait
partout dans ses voyages, montée sur un chameau. Elle vécut longtemps
près de lui à Succoth. Plus tard dans ses derniers jours, elle le suivit
aussi dans la vallée des bergers, où il avait dressé ses tentes dans les
environs de cette grotte. Ayant dépassé sa centième année. et voyant sa
dernière heure approcher, elle demanda à Abraham d'être enterrée dans
cette grotte, sur laquelle elle fit des prédictions et à laquelle elle
donna le nom de grotte du Lait ou grotte de la Nourrice.
Il arriva là quelque chose de miraculeux que j'ai oublié, et une source
sortit de terre. La grotte était alors un corridor étroit et élevé,
creusé dans une matière blanche qui n'était pas très dure. D'un côté
était une couche de cette matière qui ne montait pas jusqu'à la voûte.En
montant par dessus cette couche, on pouvait arriver à l'entrée d'autres
grottes placées plus haut.
La grotte fut agrandie plus tard, parce qu'Abraham y pratiqua dans la
partie latérale une excavation pour le tombeau de Maraha. Sur un gros
bloc de pierre reposait comme une auge également en pierre supportée par
des pieux courts et épais. Je fus étonnée de ne plus rien y voir au
temps de Jésus.
Cette grotte du tombeau de la nourrice avait un rapport prophétique avec
la mère du Sauveur nourrissant son fils pendant la persécution : car,
dans l'histoire de la jeunesse d'Abraham, il se trouva aussi une
persécution figurative, et sa nourrice lui sauva la vie en le cachant
dans une grotte.
Il est à remarquer que Pline, I. v, c. 18, dit que Schytopolis (non
qu'on donne aussi à Succoth) s'appelait anciennement Nysa, parce que
Bacchus y avait enterré sa nourrice nommée Nysa.
Je me souviens en gros de ce qui suit : Le roi qui régnait dans la
patrie d'Abraham eut un songe où on lui fit une prédiction sur un enfant
qui allait naître et qui devait être dangereux pour lui. Il prit des
mesures en conséquence. La grossesse de la mère d'Abraham fut tenue
secrète, et elle se cacha dans une grotte pour le mettre au monde.
Maraha, sa nourrice, l'allaita en secret. Elle vécut comme une pauvre
esclave, travaillant dans me solitude près d'une grotte dans laquelle
elle nourrissait l'enfant. Ses parents le reprirent plus tard près d'eux
; et, comme il était beaucoup plus grand que son âge ne le comportait,
on le fit passer pour un enfant né antérieurement à la prédiction faite
au roi. Étant encore enfant, il courut pourtant des dangers à cause de
certaines manifestations merveilleuses, et la nourrice le cacha de
nouveau. Je la vis l'emporter secrètement sous son large manteau. On fit
mourir alors plusieurs enfants de sa taille.
Cette grotte, depuis l'époque d'Abraham, était un lieu de dévotion,
surtout pour les mères et les nourrices, et il y avait là quelque chose
de prophétique ; car on vénérait dans la nourrice d'Abraham la figure de
la sainte Vierge, de même qu'Elie l'avait vue dans la nuée qui apportait
la pluie, et lui avait érigé un oratoire sur le Carmel. Maraha avait
coopéré, en quelque sorte, à l'avènement du Messie, puisqu'elle avait
nourri de son lait l'aïeul de la sainte Vierge. Je ne puis pas bien
m'exprimer, mais c'était comme un puits profond allant jusqu'à la source
de la vie universelle, et on y puisa toujours jusqu'à ce que Marie y
montât comme une eau limpide. Ainsi s'exprima la soeur dans un sommeil
extatique.
L'arbre qui était au-dessus de cette grotte étendait au loin son ombre
comme un immense tilleul ; il était large par en bas et se terminait en
pointe. C'était un térébinthe. Abraham se trouva avec Melchisédech sous
cet arbre ; je ne sais pas bien à quelle occasion. Ce vieil arbre avait
quelque chose de sacré pour les bergers et les gens d'alentour. On
aimait à se reposer sous son ombre et à y prier. Je ne sais plus bien
l'histoire de cet arbre, peut-être que c'était Abraham qui l'avait
planté. Il y avait à côté une fontaine où les bergers allaient prendre
de l'eau à certains moments ; ils lui attribuaient des vertus
particulières. Des deux côtés de l'arbre se trouvaient des cabanes
ouvertes où l'on pouvait dormir. Tout cela était entouré d'une haie.
Sainte Hélène bâtit là une église ; on y a aussi dit la messe.
LII
La sainte Famille entre dans la Grotte de la Crèche.
(Le vendredi, 23 novembre.) il était déjà tard quand ils arrivèrent
devant l'entrée de la grotte. La jeune ânesse. qui, depuis qu'ils
étaient entrés dans la maison paternelle de Joseph, avait couru de côté
et d'autre autour de la ville, vint alors à leur rencontre et se mit à
sauter joyeusement auprès d'eux. Alors la sainte Vierge dit à Joseph : "
voyez, c'est certainement la volonté de Dieu que nous entrions ici ".
Joseph mit l'âne sous l'espèce de toit qui était en avant de l'entrée de
la grotte ; il prépara un siège pour la sainte Vierge, et elle s'y assit
pendant qu'il se procurait de la lumière et entrait dans la grotte.
L'entrée était un peu obstruée par des bottes de paille et des nattes
posées contre les parois. Il y avait aussi dans la grotte même divers
objets qui l'encombraient, Joseph la débarrassa de manière à préparer à
la sainte Vierge une place commode du côté oriental de la grotte. Il
attacha une lampe allumée à la paroi, et fit entrer Marie, qui se plaça
sur le lit de repos qu'il lui avait préparé avec des couvertures et
quelques paquets. Il s'excusa humblement de n'avoir pu lui procurer
qu'un si mauvais gîte ; mais Marie, intérieurement, était contente et
joyeuse.
Quand elle se fut installée, Joseph sortit avec une outre de cuir qu'il
portait avec lui, et alla derrière la colline, dans la prairie où
coulait un petit ruisseau ; il remplit l'outre d'eau et la rapporta dans
la grotte. Il alla ensuite dans la ville, où il se procura de petits
plats et du charbon. Le sabbat était proche, et, à cause des nombreux
étrangers auxquels manquaient les choses les plus indispensables, on
avait dressé au coin des rues des tables sur lesquelles étaient les
aliments dont ils pouvaient avoir besoin. Je crois qu'il y avait là des
gens qui n'étaient pas Juifs.
Joseph revint, portant des charbons allumés dans une espèce de botte
grillée, il les plaça à l'entrée de la grotte, et alluma du feu avec un
petit fagot de morceaux de bois sec ; il apprêta ensuite un repas, qui
se composait de petits pains et de quelques fruits cuits. Quand ils
eurent mangé et prié, Joseph prépara une couche pour la sainte Vierge.
Il étendit sur une litière de jonc une couverture semblable à celles que
j'avais vues dans la maison de sainte Anne, et plaça une autre
couverture roulée pour appuyer la tête. Après avoir fait entrer l'âne et
l'avoir attaché dans un endroit où il ne pouvait pas gêner, il boucha
les ouvertures de la voûte par où l'air venait, et disposa la place où
lui-même devait reposer dans l'entrée de la grotte.
Quand le sabbat commença, il se tint avec la sainte Vierge sous la
lampe, et récita avec elle les prières dur sabbat ; il quitta ensuite la
grotte et s'en alla à la ville. Marie s'enveloppa pour se livrer au
repos. Pendant l'absence de Joseph, je vis la sainte Vierge prier à
genoux. Elle s'agenouilla sur sa couche ; puis elle s'étendit sur la
couverture, couchée sur le côté. Sa tête reposait sur son bras, qui
était posé sur l'oreiller. Joseph revint tard. Il pria encore, et se
plaça humblement sur sa couche à l'entrée de la grotte.
(Le samedi, 24 novembre.) Ce jour-là la soeur était très malade et ne
put dire que peu de choses ; elle communiqua pourtant ce qui suit :
La sainte Vierge passa le sabbat dans la grotte de la Crèche, priant et
méditant avec une grande ferveur. Joseph sortit plusieurs fois ; il alla
probablement à la synagogue de Bethléhem. Je les vis manger des aliments
prépares les jours précédents et prier ensemble. Dans l'après-midi,
temps où les Juifs font ordinairement leur promenade le jour du sabbat,
Joseph conduisit la sainte Vierge à la grotte du tombeau de Maraha,
nourrice d'Abraham. Elle resta quelque temps dans cette grotte, qui
était plus spacieuse que celle de la crèche, et où Joseph lui arrangea
un siège ; elle se tint aussi sous l'arbre qui était auprès, toujours
priant et méditant jusqu'après la clôture du sabbat. Joseph alors la
ramena. Marie avait dit à son époux que la naissance de l'enfant aurait
lieu ce jour même, à minuit ; car c'était à cette heure que se
terminaient les neuf mois écoulés depuis que l'ange du Seigneur l'avait
saluée. Elle l'avait prié de faire en sorte qu'ils pussent honorer de
leur mieux, à son entrée dans le monde, l'enfant promis par Dieu et
conçu surnaturellement. Elle lui demanda aussi de prier avec elle pour
les gens au coeur dur qui n'avaient pas voulu lui donner l'hospitalité.
Joseph offrit à la sainte Vierge de faire venir pour l'assister deux
pieuses femmes de Bethléhem qu'il connaissait. Elle ne le voulut pas, et
lui dit qu'elle n'avait besoin du secours de personne.
Joseph alla à Bethléhem avant la fin du` sabbat, et aussitôt que le
soleil fut couché, il acheta quelques objets nécessaires, une écuelle,
une petite table basse, des fruits et des raisins secs, qu'il rapporta à
la grotte de la Crèche ; il alla de là à la grotte de Maraha, et ramena
la sainte Vierge à celle de la crèche, où elle s'assit sur la
couverture. Joseph prépara encore des aliments. Ils mangèrent et
prièrent ensemble. Il établit alors une séparation entre la place qu'il
avait choisie pour y dormir et le reste de la grotte, à l'aide de
quelques perches auxquelles il suspendit des nattes qu'il avait trouvées
là ; il donna à manger à l'âne qui était à gauche de l'entrée, attaché à
la paroi de la grotte ; il remplit ensuite la mangeoire de la crèche de
roseaux et d'herbe ou de mousse, et il étendit par-dessus une
couverture.
Comme alors la sainte Vierge lui dit que son terme approchait et
l'engagea à se mettre en prières dans sa chambre, il suspendit à la
voûte plusieurs lampes allumées, et sortit de la grotte parce qu'il
avait entendu du bruit devant l'entrée. Il trouva là la jeune ânesse
qui, jusqu'alors, avait erré en liberté dans la vallée des bergers ;
elle paraissait toute joyeuse, et jouait et bondissait autour de lui Il
l'attacha sous l'auvent qui était devant la grotte et lui donna du
fourrage.
Quand il revint dans la grotte, et qu'avant d'entrer dans son réduit, il
jeta les yeux sur la sainte Vierge, il la vit qui priait à genoux sur sa
couche ; elle lui tournait le des et regardait du côté de l'orient. Elle
lui parut comme entourée de flammes, et toute la grotte semblait
éclairée d'une lumière surnaturelle. Il regarda comme Moise lorsqu'il
vit le buisson ardent ; puis, saisi d'un saint effroi, il entra dans sa
cellule et s'y prosterna la face contre terre.
LIII
Naissance du Christ.
Je vis la lumière qui environnait la sainte Vierge devenir de plus en
plus éclatante ; la lueur de la lampe allumée par Joseph n'était plus
visible. Marie, sa large robe sans ceinture étalée autour d'elle, était
à genoux sur sa couche, le visage tourné vers l'orient.
Quand vint l'heure de minuit, elle fut ravie en extase. Je la vis élevée
de terre à une certaine hauteur. Elle avait les mains croisées sur la
poitrine. La splendeur allait croissant autour d'elle ; tout semblait
ressentir une émotion joyeuse, même les êtres inanimés. Le roc qui
formait le sol et les parvis de la grotte étaient comme vivants dans la
lumière. Mais bientôt je ne vis plus la voûte ; une voie lumineuse, dont
l'éclat augmentait sans cesse, allait de Marie jusqu'au plus haut des
cieux. Il y avait là un mouvement merveilleux de gloires célestes, qui,
s'approchant de plus en plus, se montrèrent distinctement sous la l'orme
de choeurs angéliques. La sainte Vierge, élevée de terre dans son
extase, priait et abaissait ses regards sur son Dieu dont elle était
devenue ta mère, et qui, faible enfant nouveau-né, était couché sur la
terre devant elle.
Je vis notre Sauveur comme un petit enfant lumineux, dont l'éclat
éclipsait toute la splendeur environnante, couché sur le tapis devant
les genoux de la sainte Vierge. Il me semblait qu'il était tout petit et
grandissait sous mes yeux ; mais tout cela n'était que le rayonnement
d'une lumière tellement éblouissante que je ne puis dire comment j'ai pu
la voir.
La sainte Vierge resta encore quelque temps dans son extase Puis, je la
vis mettre un linge sur l'enfant, mais elle ne le toucha pas et ne le
prit pas encore dans ses bras. Après un certain intervalle, je vis
l'Enfant-Jésus se mouvoir et je l'entendis pleurer ; ce fut alors que
Marie sembla reprendre l'usage de ses sens. Elle prit l'enfant,
l'enveloppa dans le linge dont elle l'avait recouvert et le tint dans
ses bras contre sa poitrine. Elle s'assit ensuite, s'enveloppa tout
entière avec l'enfant dans son voile, et je crois qu'elle l'allaita. Je
vis alors autour d'elle des anges, sous forme humaine, se prosterner
devant le nouveau-né et l'adorer.
Il s'était bien écoulé une heure depuis la naissance de l'enfant,
lorsque Marie appela saint Joseph, qui priait encore la face contre
terre. s'étant approché, il se prosterna plein de joie, d'humilité et de
ferveur. Ce ne fut que lorsque Marie l'eut engagé à presser contre son
coeur le don sacré du Très-Haut, qu'il se leva, reçut l'Enfant-Jésus
dans ses bras et remercia Dieu avec des larmes de joie.
Alors la sainte Vierge emmaillota l'Enfant-Jésus. Marie n'avait que
quatre langes avec elle. Je vis ensuite Marie et Joseph s'asseoir par
terre l'un près de l'autre. Ils ne disaient rien et semblaient tous deux
absorbés dans la contemplation. Devant Marie, emmailloté ainsi qu'un
enfant ordinaire, était couché Jésus nouveau né, beau et brillant comme
un éclair. "Ah! me disais-je, ce lieu contient le salut du monde entier,
et personne ne s'en doute.
Ils placèrent ensuite l'enfant dans la crèche. Ils l'avaient remplie de
roseaux et de jolies plantes sur lesquels était étendue une couverture ;
elle était au-dessus de l'auge creusée dans le roc, à droite de l'entrée
de la grotte, qui s'élargissait là dans la direction du midi. Quand ils
eurent mis l'enfant dans la crèche, tous deux se tiennent à côté de lui
versant des larmes de joie et chantant des cantiques de louange. Joseph
arrangea alors le lit de repos et le siège de la sainte Vierge à côté de
la crèche. Je la vis avant et après la naissance de Jésus habillée d'un
vêtement blanc qui l'enveloppait tout entière Je la vis là pendant les
premiers jours, assise, agenouillée, debout ou même couchée sur le côte
et dormant, mais jamais malade ni fatiguée.
LIV
Gloria in excelsis.
La naissance du Christ annoncée aux bergers.
Je vis en beaucoup de lieux, jusque dans les pays les plus éloignés, une
joie inaccoutumée et un mouvement extraordinaire pendant cette nuit. Je
vis les coeurs de beaucoup d'hommes de bien animes d'un désir joyeux, et
ceux des méchants pleins d'angoisse et de trouble. Je vis beaucoup
d'animaux faire éclater leur allégresse par leurs mouvements, des fleurs
relever la tête, des plantes et des arbres reprendre comme une nouvelle
vie, et répandre au loin des parfums. Je vis aussi des sources jaillir
de terre. Ainsi, au moment où le Sauveur naquit, une source abondante
jaillit dans la grotte qui était dans la colline au nord de la grotte de
la Crèche. Joseph la vit le lendemain et lui prépara un écoulement.
Au-dessus de Bethléem, le ciel était d'un rouge sombre, tandis que sur
la grotte de la Crèche, sur la vallée voisine de la grotte de Maraha et
sur la vallée des bergers, on voyait une vapeur brillante.
Dans la vallée des bergers, à une lieue et demie environ de la grotte de
'a Crèche, s'élevait une colline où commençaient des vignes, qui
s'étendaient de là jusqu'à Gaza. Contre cette colline étaient les
cabanes de trois bergers, qui étaient les chefs des familles de pasteurs
demeurant alentour. A une distance double de la grotte de la crèche se
trouvait ce qu'on appelait la tour des bergers. C'était un grand
échafaudage pyramidal en charpente, ayant pour base des quartiers de
rocher, placé au milieu d'arbres verdoyants, et s'élevant sur une
colline isolée au milieu de la plaine. Il était entouré d'escaliers, de
galeries avec des espèces de tourelles couvertes, et tout était comme
tapissé de nattes. Il avait quelque ressemblance avec ces tours de bois
au haut desquelles on observait les astres dans le pays des trois rois
mages, et cela faisait de loin l'effet d'un grand vaisseau avec beaucoup
de mats et de voiles. De cette tour, on avait une vue étendue sur tout
le pays d'alentour. On voyait Jérusalem et même la montagne de la
Tentation dans le désert de Jéricho. Les bergers avaient là des
veilleurs pour surveiller la marche des troupeaux et les avertir, en
sonnant du cor, dans le cas d'une invasion de voleurs ou de gens de
guerre qu'on pouvait voir de là à une grande distance.
Les familles des bergers habitaient alentour dans un rayon de plus de
deux lieues ; elles occupaient des métairies isolées, entourées de
jardins et de champs ; près de la tour était le lieu où ils se
rassemblaient ; c'était là que se tenaient les gardiens chargés de
veiller sur le mobilier commun. Le long de la colline où la tour
s'élevait étaient des cabanes, et à part de celles-ci un grand hangar à
plusieurs compartiments, où les femmes des gardiens demeuraient et
préparaient les aliments. Je vis cette nuit les troupeaux près de la
tour ; une partie était en plein air ; une autre partie était sous un
hangar, près de la colline des trois bergers.
Quand Jésus naquit, je vis les trois bergers, frappés de l'aspect
inaccoutumé de cette nuit merveilleuse, se tenir devant leurs cabanes ;
ils regardaient autour d'eux et considéraient avec étonnement une
lumière extraordinaire au-dessus de la grotte de la Crèche. Je vis aussi
s'agiter des bergers qui étaient près de la tour ; je les vis monter sur
l'échafaudage et regarder du côté de la grotte de la Crèche. Comme les
trois bergers avaient les veux tournés vers le ciel, je vis une nuée
lumineuse s'abaisser vers eux. Pendant qu'elle s'approchait, j'y
remarquai un mouvement, j'y vis se dessiner des formes et des figures,
et j'en. tendis des chants harmonieux, d'une expression joyeuse, et qui
devenaient de plus en plus distincts. Les bergers furent d'abord
effrayés, mais un ange parut devant eux, et Leur dit : "Ne craignez rien
; car je viens vous annoncer une grande joie pour tout le peuple
d'Israel. C'est qu'aujourd'hui, dans la ville de David, il vous est né
un sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. Et voici à quel signe vous
le reconnaîtrez : vous trouverez un enfant enveloppé de langes et couché
dans une crèche. Pendant que l'ange annonçait ceci, la splendeur devint
de plus en plus grande autour de lui, et je vis cinq ou sept grandes
figures d'anges, belles et lumineuses. Ils tenaient dans leurs mains
comme une longue banderole où était écrit quelque chose en lettres
hautes comme la main, et je les entendis louer Dieu et chanter : "
Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de
bonne volonté ".
Les bergers de la tour eurent la même apparition, mais un peu plus tard.
Les anges apparurent aussi à un troisième groupe de bergers, près d'une
fontaine située à trois lieues de Bethléhem, à l'est de la tour des
bergers.
La mention d'une banderole dans les mains des anges pourrait faire
supposer que la soeur s'est souvenue d'avoir vu pareille chose dans
quelque tableau, et que ce souvenir s'est confondu avec son intuition
intérieure. Mais on pourrait demander qui a peint le premier de ps
reiues banderoles dans les mains des anges, qui, en général, a eu la
première idée de placer des banderoles où des paroles sont écrites dans
la bouche ou dans les mains des personnages qui sont représentes
parlants ? Nous ne voyons pas là une invention des peintres, mais une
tradition qui leur est venue de l'antiquité, et cela par des tableaux où
des hommes contemplatits avaient représenté ce qui leur était apparu à
eux-mêmes dans leurs visions. Il est donc possible que les bergers
avaient vu une semblable banderole dans les mains des anges.
Je ne vis pas les bergers aller immédiatement à la grotte de la Crèche,
dont ils étaient éloignés, les uns d'une lieue et demie, les autres du
double ; mais je les vis se consulter pour savoir ce qu'ils porteraient
au nouveau-né, et préparer leurs présents avec toute la promptitude
possible. Ils n'arrivèrent à la crèche qu'à l'aurore.
LV
La naissance du Christ annoncée en divers lieux.
Au moment de la naissance de Jésus, mon âme fit d'innombrables voyages
dans toutes les directions pour voir divers événements miraculeux qui
annonçaient la naissance de notre Sauveur ; mais, comme j'étais malade
et fatiguée, il me sembla souvent que les tableaux venaient à moi. J'ai
vu un grand nombre de choses arrivées à cette occasion ; mais les
souffrances et les dérangements m'en ont fait oublier la plupart : je ne
me souviens guère que de ce qui suit.
Je vis cette nuit, dans le temple, Noémi, la maîtresse de la sainte
Vierge, ainsi que la prophétesse Anne et le vieux Siméon, à Nazareth
sainte Anne, à Juttah sainte Élisabeth, avoir des visions et des
révélations sur la naissance du Sauveur. Je vis le petit Jean-Baptiste,
près de sa mère, manifester une joie extraordinaire. Tous virent et
reconnurent Marie dans ces visions, mais ils ne savaient pas où le
miracle avait eu lieu, Elisabeth même l'ignorait ; sainte Anne seule
savait que Bethléhem était le lieu du salut.
Je vis cette nuit, dans le temple, un événement merveilleux. Tous les
rouleaux d'écriture des saducéens furent plusieurs fois jetés hors des
armoires qui les contenaient, et dispersés ça et là. On en fut très
effrayé : les saducéens l'attribuèrent à la sorcellerie, et donnèrent
beaucoup d'argent pour que la chose restât secrète. (Elle raconta ici
quelque chose d'assez peu clair sur les fils d'Hérode qui étaient
saducéens, et qu'il avait placés dans le temple, parce qu'il était en
lutte avec les pharisiens, et cherchait à prendre de l'influence dans le
temple.)
J'ai vu bien des choses se passer à Rome pendant cette nuit ; mais
d'autres tableaux m'en ont fait oublier une grande partie, et il est
possible que je fasse quelque confusion. Voici à peu près ce dont je me
souviens. Je vis, lorsque Jésus naquit, un quartier de Rome situé au
delà du fleuve, et où habitaient beaucoup de Juifs (ici, elle décrivit
un peu confusément un lieu qui ressemblait à une colline entourée d'eau
et qui formait une sorte de presqu'île) ; il y jaillit comme une source
d'huile, et tout le monde en fut fort émerveillé.
Une statue magnifique de Jupiter tomba en morceaux dans un temple dont
toute la voûte s'écroula. Les paiens, effrayés, tirent des sacrifices et
demandèrent à une autre idole, celle de Vénus, à ce que je crois, ce que
cela voulait dire. Le démon fut forcé de répondre par la bouche de cette
statue : " Cela est arrivé parce qu'une vierge a conçu un fils sans
cesser d'être vierge, et qu'elle vient de le mettre au monde ". Cette
idole parla aussi de la source d'huile qui avait jailli. Dans l'endroit
où elle est sortie de terre, s'élève aujourd'hui une église consacrée à
la Mère de Dieu.
Je vis les prêtres des idoles consternés faire des enquêtes à ce sujet.
Soixante-dix ans auparavant, lorsqu'on revêtit cette idole d'ornements
magnifiques, couverts d'or et de pierreries, et qu'on lui offrit des
sacrifices solennels, il y avait à Rome une bonne et pieuse femme : le
ne sais plus bien si elle n'était pas Juive. Son nom était comme Serena
ou Cyrena ; elle avait une certaine aisance ; elle eut des visions à la
suite desquelles elle prophétisa ; elle dit publiquement aux païens
qu'ils ne devaient pas rendre de si grands honneurs à l'idole de
Jupiter, ni faire de si grands frais pour elle, parce qu'elle devait un
jour se briser au milieu d'eux.
Sainte Marie au delà du Tibre porte aussi le nom de Sancta Maria in
Fonte Olei, par suite d'une tradition conforme à cette vision de la
soeur Emmerich. (Note du trad.)
Les prêtres la firent venir et sur demandèrent quand cela arriverait ;
et, comme elle ne pouvait pas alors fixer l'époque, on l'emprisonna et
on la persécuta jusqu'à ce qu'enfin Dieu lui fit connaître que l'idole
se briserait quand une vierge pure mettrait un fils au monde.
Lorsqu'elle fit cette réponse, on se moqua d'elle et on la relâcha comme
étant folle. Mais lorsque le temple, en s'écroulant, mit réellement
l'idole en pièces, ils reconnurent qu'elle avait dit la vérité, et
s'étonnèrent seulement de ce qui avait- été dit pour fixer l'époque où
la chose arriverait, parce que naturellement ils ne savaient pas que la
sainte Vierge eût mis le Christ au monde.
Je vis aussi que les magistrats de la ville de Rome prirent des
informations sur cet événement et sur l'apparition de la source d'huile.
L'un d'eux s'appelait Lentulus ; il fut l'aïeul de Moise, prêtre et
martyr, et de ce Lentulus qui devint plus tard l'ami de saint Pierre à
Rome.
Je vis aussi quelque chose touchant l'empereur Auguste, mais je ne m'en
souviens plus bien. Je vis l'empereur avec d'autres personnes sur une
colline de Rome, à l'un des côtés de laquelle était le temple qui
s'était écroulé. Des degrés conduisaient au haut de cette colline, et il
s'y trouvait une porte dorée. On traitait là beaucoup d'affaires. Quand
l'empereur descendit, il vit à droite, au-dessus de la colline, une
apparition dans le ciel : c'était une vierge sur un arc-en-ciel, avec un
enfant suspendu en l'air et qui semblait sortir d'elle'. Je crois qu'il
fut le seul à voir cela. Il fit consulter, sur la signification de cette
apparition, un oracle qui était devenu muet, et qui pourtant parla d'un
enfant nouveau-né auquel ils devaient tous céder la place. L'empereur
fit alors ériger un autel à l'endroit de la colline au-dessus duquel il
avait vu l'apparition ; et, après avoir offert des sacrifices : il le
dédia au premier-né de Dieu. J'ai oublié une grande partie de tout cela.
Ce fut vraisemblablement la même apparition que virent les rois mages à
l'heure de la naissance de Jésus, et qui est décrite plus loin.
Je vis aussi en Egypte un évènement qui annonçait la naissance du
Christ. Bien au delà de Matarée, d'Héliopolis et de Memphis, une grande
idole, qui rendait ordinairement des oracles de toute espèce, devint
muette. Alors le roi fit faire des sacrifices dans tout le pays afin que
l'idole pût dire pourquoi elle se taisait. L'idole fut forcée par Dieu à
répondre qu'elle se taisait et devait disparaître, parce que le Fils de
la Vierge était né, et qu'un temple lui serait élevé en cet endroit. Le
roi voulut là-dessus lui élever, en effet, un temple près de celui de
l'idole. Je ne me souviens plus bien de tout ce qui arriva ; je sais
seulement que l'idole fut retirée, et qu'on dédia là un temple à la
Vierge annoncée et à son enfant ; on l'y honora à la manière païenne.
Je vis à l'heure de la naissance de Jésus une apparition merveilleuse
qu'eurent les rois mages. Ils étaient adorateurs des astres, et avaient
sur une montagne une tour en forme de pyramide, où l'un d'eux se tenait
toujours avec plusieurs prêtres pour observer les étoiles. Ils
écrivaient leurs observations et se les communiquaient mutuellement.
Pendant cette nuit, je crois avoir vu deux des rois mages sur cette
tour. Le troisième, qui demeurait à l'orient de la mer Caspienne,
n'était pas avec eux. C'était une constellation déterminée qu'ils
observaient toujours ; ils y voyaient de temps en temps des changements
avec des apparitions dans le ciel. Cette nuit, je vis l'image dont ils
eurent connaissance. Ce ne fut pas dans une étoile qu'ils la virent,
mais dans une figure composée de plusieurs étoiles parmi lesquelles il
semblait s'opérer un mouvement.
Ils virent un bel arc-en-ciel au-dessus du croissant de la lune. Sur cet
arc-en-ciel était assise une vierge. Son genou gauche était légèrement
relevé ; sa jambe droite était plus allongée, et le pied reposait sur le
croissant. Du côté gauche de la Vierge, au dessus de l'arc-en-ciel,
parut un cep de vigne, et du côté droit un bouquet d'épis de blé. Je vis
devant la Vierge paraître ou monter la figure d'un calice, semblable à
celui qui servit pour la sainte cène. Je vis sortir de ce calice un
enfant, et au-dessus de l'enfant un disque lumineux, pareil à un
ostensoir vide, duquel partaient des rayons semblables à des épis. Cela
me fit penser au saint sacrement. Du côté droit de l'enfant sortit une
branche à l'extrémité de laquelle se montra, comme une fleur, une église
octogone qui avait une grande porte dorée et deux petites portes
latérales. La Vierge, avec sa main droite, fit entrer le calice,
l'enfant et l'hostie dans l'église, dont je vis l'intérieur, et qui
alors me parut très grande. Je vis dans le fond une manifestation de la
sainte Trinité ; puis l'église se transforma en une cité brillante,
semblable aux représentations de la Jérusalem céleste.
Je vis dans ce tableau beaucoup de choses se succéder et naître, pour
ainsi dire, les unes des autres pendant que je regardais dans
l'intérieur de l'église dont j'ai parlé ; mais je ne me souviens plus
dans quel ordre. Je ne me rappelle pas non plus de quelle manière les
rois mages furent instruits que l'enfant était né en Judée. Le troisième
roi, qui demeurait à une grande distance, vit l'apparition à la même
heure que les autres. Les rois éprouvèrent une joie inexprimable. Ils
rassemblèrent leurs trésors et leurs présents et se mirent en route. Ce
ne fut qu'au bout de quelques jours qu'ils se rencontrèrent. Dès les
derniers jours qui précédèrent la naissance du Christ, je les vis sur
leur grand observatoire, où ils eurent différentes visions.
Combien a été grande la miséricorde de Dieu envers les paiens !
Savez-vous d'où cette prophétie était venue aux rois mages ? Je vous en
dirai seulement quelque chose, car tout ne m'est pas présent en ce
moment. Cinq cents ans avant la naissance du Messie (Elie vivait environ
huit cents ans avant Jésus-Christ), les ancêtres des trois rois étaient
riches et puissants : ils l'étaient plus que leurs descendants, car
leurs possessions étaient plus étendues et leur héritage était moins
divisé. Alors aussi ils vivaient sous la tente, excepté l'ancêtre établi
à l'orient de la mer Caspienne, dont je vois maintenant la ville. Elle a
des substructions en pierre au haut desquelles sont dressés des
pavillons, car elle est près de la mer qui déborde souvent. Il y a des
montagnes très élevées : je vois deux mers, l'une à ma droite et l'autre
à ma gauche.
Ces chefs de race étaient dès lors adorateurs des étoiles ; mais il y
avait en outre dans ce pays un culte abominable. On sacrifiait des
vieillards et des hommes mal conformés on immolait aussi des enfants. Ce
qu'il y avait de plus horrible, c'est que ces enfants, habillés de
blanc, étaient mis dans des chaudières et qu'on les faisait bouillir
tout vivants ; mais tout cela finit par être aboli. C'était à ces
aveugles païens que Dieu, si longtemps d'avance, avait annoncé la
naissance du Sauveur.
Ces princes avaient trois filles, versées dans la connaissance des
astres : toutes trois reçurent en même temps l'esprit de prophétie, et
connurent par une vision qu'une étoile sortirait de Jacob et qu'une
vierge enfanterait le Sauveur. Elles avaient de longs manteaux,
parcouraient le pays, prêchaient la réforme des moeurs, et annonçaient
que les envoyés du Rédempteur viendraient un jour apporter à ces peuples
le culte du vrai Dieu. Elles faisaient beaucoup d'autres prédictions,
même relatives à notre époque et à des époques plus éloignées.
Là-dessus, les pères de ces trois vierges élevèrent un temple à la
future mère de Dieu, vers le midi de la mer, à l'endroit où leurs pays
se touchaient, et ils y offrirent des sacrifices La prédiction des trois
vierges parlait spécialement d'un. constellation et de divers
changements qu'on y verrait. Alors on commença à observer cette
constellation du haut d'une colline, prés du temple de la future mère d
Dieu, et d'après les observations qu'on faisait, on changeait
continuellement quelque chose dans les temples, dans le culte et dans
les ornements. Le pavillon du temple était tantôt bleu, tantôt rouge,
tantôt jaune ou de quelque autre couleur. Ce qui me parut remarquable,
c'est qu'ils transportèrent leur jour de fête hebdomadaire au samedi.
C'était auparavant le vendredi : je sais encore comment ils appelaient
ce jour. Ici elle balbutia quelque chose comme Tanna ou Tanneda, mais
sans prononcer bien distinctement.
Ici il y eut dans son discours une interruption soudaine d'une nature si
particulière que nous la raconterons comme propre à caractériser son
état. Ce fut le 27 novembre 1821, un peu avant six heures du soir,
qu'elle dit ce qui précède, étant endormie. Il ne faut pas oublier que
depuis plusieurs années elle avait les pieds paralysés ; que, loin de
pouvoir marcher, elle ne pouvait qu'à grand peine se mettre sur son
séant, et qu'elle était alors, comme toujours, étendue sur son lit : la
porte de sa chambre était ouverte sur une pièce antérieure où son
confesseur était assis, disant son bréviaire à la lueur une lampe. Elle
avait dit ce qui précède avec une telle vérité d'expression, qu'il était
impossible de croire que toutes ces choses ne se passassent pas devant
ses yeux. Mais à peine eut-elle balbutié le mot Tanneda, que tout d'un
coup la paralytique endormie sauta de son lit avec la rapidité de
l'éclair, se précipita dans la pièce antérieure, et remua vivement les
pieds et les mains du côté de la fenêtre comme une personne qui lutte et
se détend ; puis elle dit à son confesseur : "Ah ! le coquin ! il était
bien grand, mais je l'ai chassé à coups de pied "Après ces mot. elle
tomba comme en défaillance et resta par terré en travers de la fenêtre,
dans une posture grave et modeste. Le prêtre, quoique aussi étonné que
l'écrivain de cet incident extraordinaire, ne lui dit autre chose que
ceci : " Au nom de l'obéissance, soeur Emmerich, retournez à votre
couche. "Aussitôt elle se releva, rentra dans sa chambre et s'étendit de
nouveau sur son lit. L'écrivain lui ayant alors demandé ce que c'était
que cette singulière aventure, elle raconta ce qui suit, étant bien
éveillée et en pleine connaissance. Quoique fatiguée, elle parla avec
l'humeur joyeuse d'une personne qui vient de remporter une victoire :
"Oui, c'était bien singulier : comme j'étais si loin, si loin dans le
pays des rois mages, au haut de la chaîne de montagnes qui est entre les
deux mers, et comme je regardais dans leurs villes formées de tentes de
même qu'on regarde de la fenêtre dans la basse cour, je me sentis tout à
coup rappelée à la maison par mon ange gardien. Je me retournai, et je
ils ici, à Dulmen, devant notre maisonnette, passer une pauvre vieille
femme de ma connaissance, retenant d'une boutique. Eue était exaspérée,
pleine de malice ; elle grondait et jurait horriblement. Je vis alors
son ange gardien s'éloigner, et une grande et sombre figure de démon se
mettre en travers sur son chemin pour la faire tomber afin qu'elle se
rompit le cou et mourut ainsi en état de péché. Quand je vis cela, je
laissai les trois rois, priai ardemment le bon Dieu de secourir la
pauvre femme, et me retrouvai dans ma chambre. Je vis alors que le
diable furieux se précipitait vers la fenêtre et voulait entrer dans la
chambre. avant dans ses griffes un gros paquet de lacets et de cordes
entortillées ; car il voulait, pour se venger, ourdir avec tout cela des
intrigues et susciter ici tonte sorte de troubles. Alors je me suis
précipitée et lui ai donné un coup de pied qui l'& fait tomber en
arrière : Je crois qu'il s'en souviendra. Je me suis mise en travers
devant la fenêtre pour l'empêcher d'entrer ". C'est là assurément
quelque chose de très étrange : pendant qu'elle regarde du haut du
Caucase et raconte des choses arrivées cinq siècles avant Jésus-Christ
comme d'elles se passaient sous ses yeux, elle voit en même temps le
danger que court devant sa porte une pauvre vieille de son pays et
s'empresse de voler à son secours. Il était effrayant de la voir se
précipiter comme un squelette animé et se mettre en défense avec tant de
vivacité, elle qui depuis le 8 septembre pouvait à peine faire deux pas
sur des béquilles sans tomber en défaillance.
La soeur
vit dans la nuit de la Nativité beaucoup de choses touchant la
détermination précise du temps de la naissance du Christ ; mais son état
de maladie et les visites qu'on lui fit le jour Suivant, qui était la
fête de sa patronne, Sainte Catherine' lui en firent beaucoup oublier.
Cependant, peu de temps après, se trouvant en état d'extase, elle
Communiqua quelques fragments de ses visions, où il est à remarquer
qu'elle voyait toujours les nombres écrits en chiffres romains, et
qu'elle avait souvent de la peine à les lire ; mais elle les expliquait
en répétant le nom des lettres dans l'ordre où elle les voyait Ou en les
traçant avec Ses doigts. Cette fois pourtant elle dit les chiffres.
Vous pouvez le lire, dit-elle ; voyez, C'est marque là. Jésus Christ est
né avant que l'an 3907 du monde fût accompli ; on a oublié
postérieurement les quatre années, moins quelque chose, écoulées depuis
sa naissance jusqu'à la fin de l'an 4000 ; puis ensuite on a fait
commencer notre nouvelle ère quatre ans plus tard.
Un des consuls de nome s'appelait alors Lentulus ; il fut l'ancêtre de
Saint Moise, prêtre et martyr, dont j'ai ici une relique, et qui vivait
du temps de saint Cyprien. C'est aussi de lui que descendait ce Lentulus
qui devint l'ami de saint Pierre, à Rome. Hérode a régné quarante ans.
Pendant sept ans, il ne fut pas indépendant, mais il opprima déjà le
pays et exerça beaucoup de cruautés. Il mourut, si je ne me trompe ;
dans la sixième année de la vie de Jésus. Je crois que sa mort fut tenue
secrète pendant un certain temps '. Il fut sanguinaire jusque dans sa
mort, et dans ses derniers jours il fit encore bien du mal. Je le vis se
traîner dans une grande chambre toute matelassée ; il avait une lance
près de lui et voulait en frapper les gens qui l'approchaient. Jésus
naquit à peu près la trente-quatrième année de son règne.
Deux ans avant l'entrée de Marie au temple, Hérode y fit faire des
constructions. Ce n'était pas un nouveau temple qu'on faisait, c'étaient
des changements et des embellissements. La faite en Égypte eut lieu
quand Jésus avait neuf mois, et le massacre des innocents quand il était
dans sa deuxième année. Elle mentionna encore plusieurs circonstances et
plusieurs traits de la vie d'Hérode, qui prouvaient combien elle voyait
tout dans le détail ; mais il ne fut pas possible de mettre en ordre ce
qu'elle avait raconté à bâtons rompus.
La naissance de Jésus-Christ eut lieu dans une année où les Juifs
comptaient treize mois. C'était un arrangement analogue à celui de nos
années bissextiles. Je crois aussi que les Juifs avaient deux fois dans
l'année des mois de vingt et un de vingt-deux jours ; j'ai entendu
quelque chose à ce sujet à propos des jours de fête, mais je n'en ai
qu'un souvenir confus. J'ai vu aussi que, plusieurs fois, on fit des
changements dans le calendrier : ce fut au sortir d'une captivité, quand
on travailla au temple. J'ai vu l'homme qui changea le calendrier, et
j'ai su son nom.
Ou peut-être ce fut le mort du second Hérode, touchant lequel elle dit
quelque chose de semblable et qu'elle paraissait confondre quelquefois
avec celui-ci.
LVI
Adoration des bergers.
(Le dimanche, 25 novembre). Aux premières lueurs du crépuscule, les
trois chefs des bergers vinrent de la colline à la grotte de la Crèche
avec les présents qu'ils avaient préparés. C'étaient de petits animaux
qui ressemblaient assez à des chevreuils. Si c'étaient des chevreaux,
ils différaient de ceux de notre pays : ils avaient de longs cous, de
beaux yeux fort brillants ; ils étaient très gracieux et très légers à
la course. Les bergers les conduisaient avec eux attachés à des cordes
menues. Ils portaient aussi sur leurs épaules des oiseaux qu'ils avaient
tués, et sous le bras d'autres oiseaux vivants de plus grande taille.
Ils frappèrent timidement à la porte de la grotte de la Crèche, et
Joseph vint à leur rencontre. Ils lui répétèrent ce que les anges leur
avaient annoncé, et lui dirent qu'ils venaient rendre leurs hommages à
l'enfant de la promesse et lui présenter leurs pauvres offrandes. Joseph
accepta leurs présents avec une humble gratitude, et il les conduisit à
la sainte Vierge, qui était assise près de la crèche et tenait
l'Enfant-Jésus sur ses genoux. Les trois bergers s'agenouillèrent
humblement, et restèrent longtemps en silence, absorbés dans un
sentiment de joie indicible ; ils chantèrent ensuite le cantique qu'ils
avaient entendu chanter aux anges, et un psaume que j'ai oublié. Quand
ils voulurent se retirer, la sainte Vierge leur donna le petit Jésus,
qu'ils tinrent tour à tour dans leurs bras ; puis ils le lui rendirent
en pleurant, et quittèrent la grotte.
(Le dimanche, 25 novembre, dans la soirée.) La soeur avait été toute
cette journée dans de grandes souffrances physiques et morales. Le soir,
à peine endormie, elle se trouva transportée dans la terre promise.
Comme, indépendamment de ses contemplations sur la Nativité, elle avait,
en outre, une série de visions sur la première année de la prédication
de Jésus, et, précisément à cette époque, sur son jeûne de quarante
jours, elle s'écria avec un étonnement naïf : " Combien cela est
touchant ! Je vois, d'un côté, Jésus, âgé de trente ans, jeûnant et
tenté par le diable dans la caverne du désert, et de l'autre côté, je le
vois, enfant nouveau-né, adoré par les bergers dans la grotte de la
Crèche ". Après ces paroles, elle se leva de sa couche avec une rapidité
surprenante, courut à la porte ouverte de sa chambre, et, comme ivre de
joie, elle appela les amis qui se trouvaient dans la pièce antérieure,
leur disant : " Venez, venez vite adorer l'enfant, il est près de moi ".
Elle revint à son lit avec la même vitesse et commença, le visage
rayonnant d'enthousiasme et de ferveur, à chanter, d'une voix claire et
singulièrement expressive, le Magnificat, le Gloria in excelsis, et
quelques cantiques inconnus, d'un style simple, d'un sens profond, et en
partie rimés. Elle chanta le second dessus d'un de ces airs. il' avait
en elle une émotion de joie qui était singulièrement touchante. Voici ce
qu'elle raconta dans la matinée suivante :
"Hier soir, plusieurs bergers, avec leurs femmes et même leurs enfants,
sont venus de la tour des bergers, qui est à quatre lieues de la crèche.
Ils portaient des oiseaux, des oeufs, du miel, des écheveaux de fil de
différentes couleurs, des petits paquets qui ressemblaient à de la soie
brute, et des bouquets d'une plante ressemblant au jonc et qui a de
grandes feuilles. Cette plante avait des épis pleins de gros grains.
Quand ils eurent remis leurs présents à Joseph, ils s'approchèrent
humblement de la crèche, près de laquelle la sainte Vierge était assise.
Ils saluèrent la mère et l'enfant, al, s'étant agenouillés, ils
chantèrent de très beaux psaumes, le Gloria in excelsis, et quelques
cantiques très courts. Je chantai avec eux. Ils chantèrent à plusieurs
parties, et je fis une fois le second dessus. Je me souviens à peu près
des paroles suivantes : " O petit enfant, vermeil comme la rose, tu
parais, semblable à un messager de paix " ! Quand ils prirent congé, ils
se courbèrent au-dessus de la crèche, comme s'ils embrassaient le petit
Jésus.
(Le lundi, 26 novembre.) J'ai vu aujourd'hui les trois bergers aider
tour à tour saint Joseph à tout disposer plus commodément dans la grotte
de la Crèche et dans les grottes latérales. Je vis aussi, près de la
sainte Vierge, plusieurs femmes pieuses qui lui rendaient divers
services. C'étaient des Esséniennes, qui demeuraient à peu de distance
de la grotte de la Crèche, dans une gorge située au levant de la
colline. Elles habitaient, les unes près des autres, des espèces de
chambres creusées dans le roc à une assez grande hauteur. Elles avaient
de petits jardins près de leurs demeures, et instruisaient des enfants
de leur secte. C'était saint Joseph qui les avait fait venir. Il
connaissait cette association depuis sa jeunesse ; car, lorsqu'il fuyait
ses frères dans la grotte de la Crèche, il avait plus d'une fois visité
ces pieuses femmes. Elles venaient tour à tour près de la sainte Vierge,
apportaient de petites provisions et s'occupaient des soins du ménage
pour la sainte Famille.
(Le mardi, 27 novembre.) Je vis aujourd'hui une scène très touchante
dans la grotte de la Crèche. Joseph et Marie se tenaient près de la
crèche et regardaient l'Enfant-Jésus avec un profond attendrissement.
Tout à coup l'âne se jeta sur ses genoux et courba sa tête jusqu'à
terre. Marie et Joseph versèrent des larmes.
Le soir, il vint un message de la part de sainte Anne. Un homme âgé vint
de Nazareth avec une veuve, parente d'Anne et qui la servait. Ils
apportaient différents petits objets pour Marie. Ils furent
extraordinairement touchés à la vue de l'enfant. Le vieux serviteur
versa des larmes de joie. Il se remit bientôt en route pour porter des
nouvelles à sainte Anne. La servante resta près de la sainte Vierge.
(Le mercredi, 28 novembre.) Je vis aujourd'hui la Sainte Vierge avec
l'Enfant-Jésus et la servante quitter la grotte de la Crèche pendant
quelques heures.
A ceci se rapporte ce qu'elle dit le 29-30 décembre 1820 : Je vis
aujourd'hui Marie avec l'Enfant-Jésus dans une autre grotte que je
n'avais pas remarquée auparavant. Elle s'ouvrait dans l'entrée a gauche,
près de l'endroit où Joseph faisait le feu. On descendait un peu sur un
étroit passage assez incommode. La lumière y pénétrait par des trous
faits dans la voûte. Marie était assise près de l'Enfant-Jésus qui était
devant elle sur une couverture. Elle s'était retirée là pour se dérober
a certaines visites. Je vis plusieurs personnes prés de la crèche,
Joseph leur parla.
Je la vis se cacher dans la grotte latérale où avait jailli une source
après la naissance de Jésus-Christ. Elle resta environ quatre heures
dans cette grotte, où plus tard elle passa deux jours. Joseph, dès le
point du jour, l'avait arrangée pour qu'elle pût s'y tenir sans trop
d'incommodité.
Ils allèrent là par suite d'un avertissement intérieur, car quelques
personnes vinrent aujourd'hui de Bethléhem à la grotte de la Crèche. Je
crois que c'étaient des émissaires d'Hérode. Par suite des propos des
bergers, le bruit s'était répandu que quelque chose de miraculeux avait
eu lieu en cet endroit, lors de la naissance d'un enfant. je vis les
hommes échanger quelques paroles avec saint Joseph, qu'ils trouvèrent
devant la grotte avec les bergers, et le quitter en ricanant lorsqu'ils
eurent vu sa pauvreté et sa simplicité. La sainte Vierge, après être
restée environ quatre heures dans la grotte latérale, revint à la crèche
avec l'Enfant-Jésus.
La grotte de la Crèche jouit d'une aimable tranquillité. Il n'y vient
personne de Bethléhem : les bergers seuls sont en rapport avec elle. Du
reste, on ne s'inquiète guère, à Bethléhem, de ce qui s'y passe, car il
y a beaucoup de mouvement et d'agitation dans la ville, à cause du grand
nombre d'étrangers qui s'y trouvent. On vend et on tue beaucoup
d'animaux, parce que plusieurs arrivants payent leur impôt en bétail ;
il y a aussi beaucoup de paiens qui sont employés comme domestiques.
Ce soir, la soeur étant endormie dit tout à coup : " Hérode a fait
mourir un homme pieux qui avait un emploi important au temple. Il l'a
fait inviter amicalement à venir le trouver à Jéricho et l'a fait
assassiner en route. Cet homme s'opposait aux empiétements d'Hérode dans
le temple. On accuse Hérode de ce meurtre, mais cela ne fait
qu'augmenter son influence dans le temple ". Elle dit ensuite qu'Hérode
avait fait donner à deux de ses bâtards deux emplois considérables dans
le temple, qu'ils étaient saducéens, et que tout ce qui s'y passait lui
était révélé par eux.
(Le jeudi, 29 novembre) Le matin, l'hôte de la dernière auberge où la
sainte Famille avait passé la nuit, a envoyé à la grotte de la Crèche un
serviteur avec des présents. Lui-même est venu dans la journée pour
rendre ses hommages à l'enfant. L'apparition de l'ange aux bergers à
l'heure de la naissance de Jésus est cause que tous les braves gens des
vallées ont entendu parler du merveilleux enfant de la promesse ; ils
viennent maintenant pour honorer l'enfant.
(Le vendredi, 30 novembre.) Aujourd'hui plusieurs bergers et d'autres
braves gens vinrent à la grotte de la Crèche et honorèrent
l'Enfant-Jésus avec beaucoup d'émotion. Ils étaient en habits de fête et
allaient a Bethléhem- pour le sabbat. Parmi ces gens, je vis la femme
qui, le 20 novembre, avait réparé la grossièreté de son mari envers la
sainte Famille en lui offrant l'hospitalité Elle aurait pu aller pour le
sabbat à Jérusalem qui était près de chez elle ; mais elle fit un détour
jusqu'à Bethléhem, pour voir le saint enfant et ses parents. Elle se
sentit tout heureuse de leur avoir donné cette marque d'affection.
Je vis aussi, dans l'après-midi, un parent de saint Joseph près de la
demeure duquel la sainte Famille avait passé la nuit le 22 novembre,
venir à la crèche et saluer l'enfant. C'était le père de Jonadab, qui,
lors du crucifiement, porta à Jésus un drap pour se couvrir. Il avait su
que Joseph avait passé près de chez lui et avait entendu parler des
miracles qui avaient signalé la naissance de l'enfant ; et comme il
allait à Bethléhem pour le sabbat, il était venu à la crèche porter des
présents. Il salua Marie et rendit hommage à l'Enfant-Jésus. Joseph le
reçut très amicalement, mais il ne voulut rien recevoir de lui ;
seulement il lui emprunta de l'argent et lui remit en gage la jeune
Anesse', à condition de Pouvoir la reprendre quand il le rembourserait.
Joseph avait besoin de cet argent à cause des présents à faire et du
repas à donner lors de la cérémonie de la circoncision de l'enfant.
Comme je méditais sur cette jeune ânesse, mise en gage pour fournir aux
frais de la circoncision, et que je pensais que dimanche prochain, jour
où aura lieu cette cérémonie, on lirait l'Evangile du dimanche des
Rameaux (en allemand et en latin dimanche des Palmes), qui raconte
l'entrée à Jérusalem de Jésus, monté sur un âne, je vis le tableau
suivant, mais je ne sais plus où je le vis, et je ne puis plus bien m'en
expliquer le sens. Je vis sous un palmier deux écriteaux tenu' par des
anges. Sur l'un je vis représentés divers instruments de martyre, et au
milieu une colonne sur laquelle était un mortier avec deux anses ; sur
l'autre écriteau 0e trouvaient des lettres ; je crois que c'étaient des
chiffres indiquant des années et des époques de l'histoire de l'Église.
Au-dessus du palmier était agenouillée une vierge qui semblait sortir de
sa tige et dont la robe flottait autour d'elle. Elle tenait dans ses
mains, Au-dessous de la poitrine, un vase de la forme du calice de la
sainte cène, duquel sortait une figure d'enfant lumineux. Je vis ensuite
le Père éternel sous la forme où il m'est montré ordinairement,
s'approcher du palmier sur des nuées, en détacher une grosse branche qui
avait 1a figure d'une croix et la placer sur l'enfant. Je vis aussitôt
l'enfant comme attaché à cette croix de palmier, et 'a Vierge présenter
à Dieu le Père cette branche avec l'enfant crucifie, tandis qu'elle
tenait de l'autre main le calice vide, qui m'apparut aussi comme étant
son coeur. Comme je voulais lire les lettres qui étaient sur l'écriteau
au-dessous du palmier, je fus réveillée par une visite. Je ne sais pas
si je vis ce tableau dans la grotte de la Crèche, ou si ce fut ailleurs.
On peut comparer cette description avec celle de la figure que les rois
mages virent dans les étoiles à l'heure de la naissance de Jésus, et
aussi avec les apparitions qui ont été racontées à l'occasion de la
présentation de Marie au temple.
Quand tout ce monde fut parti pour la synagogue de Bethléhem, Joseph
prépara dans la grotte la lampe du sabbat, qui avait sept mèches,
l'alluma, et plaça au-dessous une petite table sur laquelle étaient les
rouleaux qui contenaient les prières. Ce fut sous cette lampe qu'il
célébra le sabbat avec la sainte Vierge et la servante de sainte Anne.
Deux bergers se tenaient un peu en arrière de la grotte. Des Esséniennes
étaient aussi là.
Aujourd'hui, avant le sabbat, les Esséniennes et la servante préparèrent
des aliments. J'ai vu qu'elles faisaient rôtir des oiseaux à une broche
placée au-dessus du feu. Elles les roulaient aussi dans une espèce de
farine faite avec des grains qui viennent en épis sur une plante
semblable au roseau ; on la trouve à l'état sauvage dans les endroits
humides et marécageux du pays. On la cultive dans plusieurs lieux ; elle
vient souvent sans culture près de Bethléhem et d'Hébron ; je ne la vis
pas près de Nazareth. Les pâtres de la tour des bergers en avaient
apporté à Joseph. Je vis ces femmes Jaire aussi avec les grains une
espèce de crème blanche assez épaisse et pétrir des gâteaux avec la
farine. La sainte Famille ne garda pour son usage qu'une très petite
quantité des nombreuses provisions que les bergers avaient apportées ;
le reste fut donné en présents, et surtout distribué aux pauvres.
(Le samedi, 1er décembre.) Je vis aujourd'hui, dans l'après-midi.
plusieurs personnes venir à la grotte de la Crèche, et le soir, après la
clôture du sabbat, je vis les Esséniennes et la servante de Marie
apprêter un repas dans une cabane de feuillage devant l'entrée de la
grotte. Joseph l'avait dressée avec l'aide des bergers. Il avait aussi
vidé la chambre située dans l'entrée de la grotte, y avait étendu des
couvertures par terre, et avait tout arrangé comme pour une fête, autant
que le comportait sa pauvreté. Il avait ainsi disposé les choses avant
l'ouverture du sabbat ; car le lendemain était le huitième jour depuis
la naissance du Christ, lequel devait être circoncis ce jour-là,
conformément au précepte divin.
Joseph était allé vers le soir à Bethléhem, et il en avait ramené trois
prêtres, un homme âgé et une femme qui paraissait une sorte de garde ou
d'assistante, employée ordinairement dans cette cérémonie. Elle
apportait un siège dont on se servait en pareille circonstance, et une
pierre plate, fort épaisse et de forme octogone, où se trouvaient les
objets nécessaires. Tout cela fut placé sur des nattes, à l'endroit où
la cérémonie devait se faire, c'est-à-dire dans l'entrée de la grotte,
entre le réduit de saint Joseph et le foyer : le siège était un coffre
avec des espèces de tiroirs, qui, mis à la suite les uns des autres,
formaient comme un lit de repos avec un appui d'un côté : an y était
plutôt étendu qu'assis. La pierre octogone avait plus de deux pieds de
diamètre, au milieu était une cavité également octogone, recouverte
d'une plaque de métal, et où se trouvaient, dans des compartiments
séparés, trois boîtes et un couteau de pierre. Cette pierre fut placée à
côté du siège, sur un petit escabeau à trois pieds, qui jusqu'alors
était toujours resté sous une couverture à la place où était né le
Sauveur.
Quand on eut fait ces arrangements, les prêtres saluèrent la sainte
Vierge et l'Enfant-Jésus ; ils s'entretinrent amicalement avec Marie, et
ils prirent dans leurs bras l'enfant, dont la vue les toucha. Ensuite le
repas eut lieu dans la cabane de feuillage ; une quantité de pauvres
gens, qui avaient suivi les prêtres, comme il arrivait toujours dans de
semblables occasions, entourèrent la table, et, pendant le repas,
reçurent des présents de Joseph et des prêtres, en sorte que tout fut
bientôt distribué. Je vis le soleil se coucher ; son disque paraissait
plus grand qu'il ne parait dans notre pays. Je le vis s'abaisser à
l'horizon ; ses rayons pénétraient jusque dans la grotte par la porte
ouverte.
LVII
Circoncision du Christ. Le nom de Jésus.
(Le dimanche, 2 décembre.) La soeur ne dit pas si les prêtres, après Le
repas, retournèrent à la ville et revinrent le lendemain matin, ou s'ils
passèrent la nuit près de la grotte ou dans le voisinage ; mais voici ce
qu'elle raconta :
Des lampes étaient allumées dans la grotte, et je vis que pendant la
nuit on pria beaucoup et qu'on chanta des cantiques La circoncision eut
lieu au point du jour. La sainte Vierge était attristée et inquiète.
Elle avait apprêté elle-même les linges destinés à recevoir le sang et à
bander la plaie ; elle les tenait devant elle dans un pli de son
manteau. La pierre octogone fut recouverte par les prêtres d'un drap
rouge et d'un autre drap blanc par dessus, avec des prières et des
cérémonies ; puis l'un des prêtres s'appuya plutôt qu'il ne s'assit sur
le siège, et la sainte Vierge, qui se tenait voilée au fond de la
grotte, avec l'Enfant-Jésus sur les bras, le donna à la servante avec
les linges. Saint Joseph le reçut des mains de la servante, et le donna
à la garde qui était venue avec les prêtres. Celle-ci plaça l'enfant
recouvert d'un voile sur la couverture de la pierre octogone.
On fit encore des prières ; puis cette femme ôta à l'enfant ses langes
et le remit sur les genoux du prêtre qui était assis. Saint Joseph se
pencha par-dessus les épaules du prêtre et tint l'enfant par le haut du
corps. Deux prêtres s'agenouillèrent à droite et à gauche, tenant chacun
un de ses petits pieds : celui qui devait accomplir la cérémonie
s'agenouilla devant lui. On découvrit la pierre octogone et on enleva la
plaque de métal pour avoir sous la main les trois boîtes où il y avait
des eaux vulnéraires et de l'onguent. Le manche et la lame du couteau
étaient de pierre. Le manche, brun et poli, avait une rainure où l'on
faisait entrer la lame : celle-ci, qui était de couleur jaunâtre, ne me
parut pas très affilée. L'incision se fit avec la pointe recourbée du
couteau. Le prêtre fit aussi usage de l'ongle tranchant de son doigt. Il
exprima le sang de la blessure, et y mit du vulnéraire et d'autres
ingrédients de même nature qu'il prit dans les boîtes. La garde prit
alors l'enfant, et, après avoir bandé la plaie, elle lui remit ses
langes. Cette fois, on emmaillota, aussi ses bras qui étaient libres
auparavant, et on roula autour de sa tête le voile dont on l'avait
couverte. Il fut placé de nouveau sur la pierre octogone, et on fit
encore des prières.
L'ange avait dit à Joseph que l'enfant devait s'appeler Jésus ; mais le
prêtre d'abord n'agréa pas ce nom, et il se mit en prières à cette
occasion. Je vis alors un ange lui apparaître et lui montrer le nom de
Jésus sur un écriteau pareil à celui qui surmonta la croix sur le
Calvaire. Je ne sais pas si en effet cet ange fut vu par lui ou par un
autre prêtre ; mais je le vis tout ému écrire ce nom sur un parchemin,
comme poussé par une impulsion d'en haut. L'Enfant-Jésus pleura beaucoup
après la cérémonie de la circoncision. Je vis saint Joseph le reprendre
et le mettre dans les bras de la sainte Vierge qui était restée au fond
de la grotte avec deux femmes. Elle le prit en pleurant, se retira dans
le coin où était la crèche, s'assit' couverte de son voile, et apaisa
l'enfant en lui donnant le sein. Saint Joseph lui remit aussi les linges
teints de sang. On pria de nouveau et on chanta des cantiques. La lampe
brûlait encore ; il faisait alors tout à fait jour. Bientôt la sainte
Vierge vint avec l'enfant et le posa sur la pierre octogone. Les prêtres
tournèrent vers elle leurs mains croisées sur la tête de l'enfant, et
elle se retira avec lui.
Les prêtres, avant de se retirer, mangèrent quelque chose avec Joseph et
deux bergers dans la cabane de feuillage. J'ai su que tous ceux qui
avaient assisté à la sainte cérémonie étaient des gens de bien, et que
les prêtres plus tard embrassèrent la doctrine du Sauveur. Toute la
matinée on fit encore des distributions aux pauvres qui venaient à la
porte. Pendant la cérémonie, l'âne était resté attaché dans un lieu
séparé.
Encore aujourd'hui beaucoup de mendiants fort sales portant des paquets
et venant de la vallée des bergers, passèrent devant la grotte de la
Crèche. Ils semblaient aller à Jérusalem pour une fête. Ils demandèrent
l'aumône très insolemment et proférèrent des malédictions et des injures
près de la crèche, parce qu'ils ne trouvaient pas que Joseph leur eût
donné assez. Je ne sais pas qui étaient ces gens, ils me déplaisaient
beaucoup.
Dans la nuit suivante, je vis l'enfant souvent privé de sommeil par la
douleur qu'il ressentit : il pleurait beaucoup. Marie et Joseph le
prirent tour à tour sur leurs bras et le portèrent autour de la grotte
en essayant de le calmer.
LVIII
Élisabeth vient à la Crèche.
Le lundi, 3 décembre) Ce soir je vis Élisabeth se rendre de Juttah à la
grotte de la Crèche, montée sur un âne que conduisait un vieux
domestique. Joseph la reçut très amicalement ; Marie et elle
s'embrassèrent avec des sentiments de joie indicible. Elle pressa
l'Enfant-Jésus sur son coeur en versant des larmes. On lui prépara une
couche près de la place où Jésus était né. Devant cette place il y avait
un tréteau élevé, comme une espèce de tréteau de scieur, sur lequel
était un petit coffre où l'on mettait souvent l'Enfant-Jésus. Ce devrait
être une chose habituelle pour les enfants, car, déjà chez sainte Anne,
j'avais vu Marie, dans sa petite enfance, reposer sur un tréteau
semblable.
(Le mardi, 4 décembre.) Hier soir et aujourd'hui, dans la journée, je
vis Marie et Élisabeth assises à côté l'une de l'autre et s'entretenant
affectueusement. J'étais prés d'elles et j'écoutais toutes leurs paroles
avec un vif sentiment de joie. La sainte Vierge raconta à sa cousine
tout ce qui lui était arrivé jusqu'alors, et quand elle parla de ce
qu'elle avait souffert en cherchant un logement à Bethléhem, Élisabeth
pleura de tout son coeur. Elle lui raconta aussi beaucoup de choses
touchant la naissance de Jésus, et je m'en rappelle encore quelque
chose. Elle dit qu'au moment de l'annonciation elle avait été ravie en
esprit pendant dix minutes, et qu'elle avait eu le sentiment que son
coeur devenait double, et qu'un bien inexprimable entrait en elle et la
remplissait tout entière. Au moment de la nativité, elle avait eu aussi
un ravissement avec le sentiment que les anges la portaient en l'air
agenouillée, et il lui avait semblé que son coeur était divise en deux
et qu'une moitié se séparait de l'autre. Elle avait perdu dix minutes
l'usage de ses sens ; puis, ressentant un vide intérieur et un désir
immense d'un bien infini qu'elle avait eu jusque là au dedans d'elle et
qui n'y était plus, elle avait vu devant elle une lumière éclatante dans
laquelle son enfant avait semblé croître sous ses y eux. Elle l'avait
alors vu remuer et entendu pleurer ; puis, revenant à elle, elle l'avait
pris sur la couverture et pressé contre son sein, car au commencement il
lui avait semblé qu'elle rêvait, et elle n'avait pas osé toucher
l'enfant environné de lumière. Elle dit aussi qu'elle n'avait pas eu la
conscience du moment où l'enfant s'était séparé d'elle. Élisabeth lui
dit : " Vous avez eu dans votre enfantement des grâces que n'ont pas les
autres femmes ; celui de Jean aussi a été plein de douceur, mais les
choses se sont passées autrement ". Voilà ce que je me rappelle de leurs
discours.
Vers le soir, Marie se cacha encore avec l'Enfant-Jésus et Elisabeth
dans la grotte latérale voisine de la grotte de la Crèche. Je crois
qu'elles y restèrent toute la nuit. Marie s'y décida, parce que des gens
de distinction de Bethléhem venaient en foule à la crèche par curiosité.
Elle ne voulut pas se montrer à eux.
Je vis aujourd'hui la sainte Vierge avec l'Enfant-Jésus sortir de la
grotte de la Crèche et aller dans une autre grotte placée à droite.
L'entrée en était très étroite : quatorze marches en pente conduisaient
d'abord dans un petit caveau, puis dans une chambre souterraine, plus
grande que la grotte de la Crèche. Joseph la sépara en deux au moyen
d'une couverture suspendue en l'air. La partie voisine de l'entrée était
semi-circulaire, l'autre partie était carrée. La lumière ne venait pas
par en haut, mais par des ouvertures latérales qui traversaient une
grande épaisseur de rocher. J'ai vu, les jours précédents, un homme âgé
enlever de cette grotte des fagots, des bottes de paille et des paquets
de roseaux, comme ceux dont Joseph se servait pour faire du feu. Ce fut
un berger qui leur rendit ce service. Cette grotte était plus claire et
plus spacieuse que celle de la Crèche. L'âne n'y était pas. J'y vis
l'Enfant-Jésus couché dans une auge creusée dans le roc. Pendant les
jours précédents, j'ai vu souvent Marie montrer à quelques visiteurs son
enfant, couvert d'un voile et tout nu, à l'exception d'un linge autour
du corps. D'autres fois, je le vis de nouveau entièrement emmailloté. Je
vis la garde qui avait assisté à la circoncision visiter souvent
l'enfant. Marie lui donnait presque tout ce qu'apportaient les
visiteurs, afin qu'elle le distribuât aux pauvres de Bethléhem.
LIX
Voyage des trois Rois Mages à
Bethlehem.
(Communiqué le 21 novembre)
(Le 25 novembre.) J'ai déjà raconté comment je vis la naissance de
Jésus-Christ annoncée aux trois rois la nuit même de Noël. Je vis Mensor
et Sair ; ils étaient dans le pays du premier et regardaient les astres.
Tous leurs préparatifs de voyage étaient faits. Ils regardaient l'étoile
de Jacob du haut d'une tour en forme de pyramide, cette étoile avait une
queue. Elle se dilata, pour ainsi dire, à leurs yeux, et ils virent une
vierge brillante devant laquelle planait un enfant lumineux. Du côté
droit de l'enfant sortit une branche, et à l'extrémité de celle-ci
parut, comme une fleur, une petite tour à plusieurs entrées, qui finit
par devenir une ville. Aussitôt après cette apparition, tous deux se
mirent en route. Théokéno, le troisième, demeurait plus à l'orient, à
deux journées de voyage. Il vit la même chose à la même heure, et partit
aussitôt en toute hâte pour se réunir à ses deux amis, qu'il rejoignit
en effet.
(Le 26 novembre.) Je m'endormis avec un grand désir de me trouver dans
la grotte de la Crèche, près de la mère de Dieu, afin qu'elle me donnât
l'Enfant-Jésus, pour le tenir quelque temps dans mes bras et le serrer
sur mon coeur, et j'y allai en effet. Il faisait nuit. Joseph dormait,
appuyé sur son bras droit, derrière son réduit, près de l'entrée. Marie
était éveillée ; elle était assise à sa place accoutumée près de la
crèche, et tenait sur son sein le petit Jésus recouvert d'un voile. Je
m'agenouillai et j'adorai avec un grand désir de voir l'enfant. Ah !
elle le savait bien ; elle sait tout et elle accueille tout ce qu'on lui
demande avec une bonté si touchante, quand on prie avec une foi sincère.
Mais elle était silencieuse, recueillie ; elle adorait respectueusement
celui dont elle était la mère, et elle ne me donna pas l'enfant, parce
qu'elle l'allaitait, à ce que je crois. A sa place, j'aurais fait comme
elle.
Mon désir allait toujours croissant et se confondait avec celui de
toutes les âmes qui soupiraient pour l'Enfant-Jésus. Mais cette ardente
aspiration vers le Sauveur n'était nulle part si pure, si naive et si
sincère que dans le coeur des bons rois mages de l'Orient, qui l'avaient
attendu pendant des siècles dans la personne de leurs ancêtres, croyant,
espérant et aimant. Aussi mon désir se tourna vers eux. Quand j'eus fini
d'adorer, je me glissais respectueusement hors de la grotte de la
Crèche, et je fus conduite par une longue route jusqu'au cortège des
trois rois.
Sur cette route, j'ai vu bien des pays, des habitations et des gens,
leurs costumes, leurs moeurs et leurs usages, et aussi quelque chose de
leur culte ; mais j'ai presque tout oublié. Je raconterai comme je le
pourrai ce qui m'est resté présent à la mémoire.
Je fus conduite à l'orient dans une contrée où je n'avais jamais été.
Elle était presque partout stérile et sablonneuse. Près de quelques
collines habitaient, dans des cabanes de branchage, de petites réunions
d'hommes. C'étaient comme des familles isolées, de cinq à huit
personnes. Le toit, fait avec des branches, s'appuyait à la colline, où
les demeures étaient creusées. Cette contrée ne produisait presque rien
; il n'y venait que des buissons, et ça et là un petit arbre avec
quelques boutons dont on tirait une laine blanche. Je vis, en outre,
quelques arbres plus grands sous lesquels ils plaçaient leurs idoles.
Ces hommes étaient encore très sauvages ; ils me parurent se nourrir le
plus souvent de chair crue, spécialement d'oiseaux, et vivre en partie
de brigandage.
Ils étaient de couleur cuivrée et avaient des cheveux roussâtres comme
le poil du renard. Ils étaient petits, trapus, plutôt gras que maigres,
du reste adroits, lestes et actifs. Je ne vis pas chez eux d'animaux
domestiques, ni de troupeaux. Ces gens faisaient des espèces de
couvertures avec une laine blanche qu'ils recueillaient sur de petits
arbres. Ils filaient avec cette laine de longues cordes de l'épaisseur
du doigt, qu'ils tressaient ensuite pour en faire de larges bandes
d'étoffe. Quand ils en avaient préparé un certain nombre, ils mettaient
sur leur tête de grands rouleaux de ces couvertures, et allaient en
troupe les vendre à une ville.
Je vis aussi en divers lieux, sous de grands arbres leurs idoles, qui
avaient des têtes de taureau, avec des cornes et une grande bouche. Il y
avait dans le corps des trous ronds, et en bas une ouverture plus large
où l'on faisait du feu pour brûler les offrandes placées dans les autres
ouvertures plus petites. Autour de chacun de ces arbres sous lesquels
étaient les idoles, se trouvaient, sur de petites colonnes de pierre,
d'autres figures d'animaux. Il y avait des oiseaux, des dragons, et une
figure qui avait trois têtes de chien et une queue de serpent roulée sur
elle-même.
Au commencement de mon voyage j'eus le sentiment qu'il y avait à ma
droite un grand amas d'eau dont je m'éloignais de plus en plus. Au delà
de la contrée dont je viens de parler le chemin allait toujours en
montant, et je traversais une crête de montagne de sable blanc, où
gisaient en grande quantité de petites pierres noires brisées,
semblables à des fragments de pots et d'écuelles. De l'autre côté, je
descendis dans une contrée couverte d'arbres, qui semblaient rangés dans
un ordre régulier. Quelques-uns de ces arbres avaient des troncs
écailleux et des feuilles d'une grandeur extraordinaire. Il y en avait,
aussi de forme pyramidale avec de grandes et belles fleurs. Ces derniers
avaient des feuilles d'un vert jaunâtre, et des branches avec des
boutons. Je vis aussi des arbres avec des feuilles très lisses en forme
de coeur.
J'arrivai ensuite dans un pays de pâturages qui s'étendaient à perte de
vue entre des hauteurs. Tout y fourmillait de troupeaux innombrables. La
vigne croissait autour des collines, et elle y était cultivée. Il y
avait des rangées de ceps sur des terrasses, avec de petites haies de
branchages pour les protéger. Les possesseurs de ces troupeaux
habitaient sous des tentes dont l'entrée était fermée par des claies
légères. Ces tentes étaient faites avec l'étoffe de laine blanche que
fabriquaient les peuplades sauvages chez lesquelles j'avais passé. Il y
avait au centre une grande tente entourée d'une quantité d'autres plus
petites. Les troupeaux, séparés suivant leurs espèces, erraient dans ces
grands pâturages, qui étaient entrecoupés par places de masses de
buissons, formant comme des taillis. Je distinguai là des troupeaux
d'espèces fort différentes. Je vis des montons dont la laine pendait en
longues tresses et qui avaient de longues queues laineuses ; puis des
animaux très agiles, avec des cornes comme celles des boucs ; ils
étaient grands comme des veaux ; d'autres étaient de la taille des
chevaux qui courent ici en liberté dans les prairies. Je vis aussi des
troupes de chameaux et d'animaux de même espèce avec deux bosses. Dans
un endroit, je vis dans une enceinte fermée quelques éléphants blancs et
tachetés : ils étaient apprivoisés et servaient pour les usages
domestiques.
Cette vision fut interrompue trois fois, parce que mon attention fut
appelée d'un autre côté, et j'y revins toujours à différentes reprises.
Ces troupeaux et ces pâturages me parurent appartenir à un des rois
mages alors en voyage ; je crois que c'était à Mensor et à sa famille.
Ils étaient confiés aux soins de bergers subalternes, qui portaient des
jaquettes tombant jusqu'aux genoux, à peu près de la forme des habits de
nos paysans, si ce n'est qu'elles étaient plus étroites. Je crois que le
chef étant parti pour un long voyage, tous ses troupeaux furent in ...
(bas de page absent) ...
en temps des gens en manteaux longs venir prendre connaissance de tout.
Ils se rendaient dans la grande tente centrale, et alors on faisait
passer les troupeaux entre celle-ci et les petites tentes ; on les
comptait et on les examinait. Ceux qui en faisaient le compte avaient à
la main des espèces de tablettes, de je ne sais quelle matière, sur
lesquelles ils écrivaient quelque chose. Je me disais alors à moi-même :
Puissent nos évêques examiner avec la même diligence leurs troupeaux
confiés aux pasteurs du second ordre !
Quand, après la dernière interruption, je revins à cette contrée de
pâturages, il était nuit. Un profond silence régnait partout. La plupart
des bergers dormaient sous les petites tentes ; quelques-uns seulement
veillaient et erraient ça et là autour des troupeaux, lesquels étaient
endormis et parqués, suivant leur espèce, dans de grandes enceintes
séparées. Pour moi, je regardais avec attendrissement ces troupeaux
dormant en paix, en pensant qu'ils appartenaient à des hommes qui,
cessant de contempler les immenses pâturages azurés du ciel, semés
d'innombrables étoiles, étaient partis à l'appel de leur Créateur
tout-puissant, reconnaissant en lui leur pasteur, comme des troupeaux
fidèles, pour suivre sa voix avec plus d'obéissance que les brebis de
cette terre ne suivent celle de leurs pasteurs mortels. Et comme je
voyais les bergers qui veillaient regarder plus souvent les étoiles du
ciel que les troupeaux confiés à leur garde, je me disais à moi-même :
ils ont bien raison de tourner des yeux étonnés et reconnaissants vers
le ciel où, depuis des siècles, leurs ancêtres, persévérant dans
l'attente et la prière, n'ont cessé d'attacher leurs regards. Le bon
pasteur qui cherche sa brebis égarée, ne se repose pas qu'il ne l'ait
trouvée et rapportée ; ainsi vient de faire le Père qui est dans les
cieux, le vrai pasteur de ces innombrables troupeaux d'étoiles répandues
dans l'immensité. L'homme auquel il avait soumis la terre ayant péché,
et la terre ayant été maudite par lui en punition de ce crime, il était
allé chercher l'homme tombé et la terre, ... (renvoi incohérent entre deux pages)
... on séjour, comme une brebis perdue : il a
envoyé du haut du ciel son Fils unique pour se faire homme, ramener
cette brebis perdue, prendre sur lui tous ses péchés en qualité d'agneau
de Dieu et satisfaire en mourant à la justice divine. Et cet avènement
du Rédempteur promis venait d'avoir lieu. Les rois de ce pays, conduits
par une étoile, étaient partis la nuit précédente pour aller rendre
hommage au Sauveur nouvellement né. C'est pourquoi ceux qui veillaient
sur les troupeaux regardaient avec émotion les pâturages célestes et
priaient ; car le Pasteur des pasteurs venait d'en descendre, et c'était
aux bergers qu'il avait d'abord annoncé sa venue.
Pendant que je méditais ainsi en regardant l'immense plaine, le silence
de la nuit fut interrompu par le bruit des pas d'une cavalcade qui
arrivait en toute hâte : c'était une troupe d'hommes montés sur des
chameaux. Le cortège, passant le long des troupeaux qui reposaient, se
dirigea rapidement vers la tente principale du camp des bergers.
Quelques chameaux endormis se réveillaient ça et là et tournaient leurs
longs cous vers le cortège. On entendait bêler des agneaux troublés dans
leur sommeil ; quelques-uns des arrivants sautaient à bas de leurs
montures et réveillaient les bergers dormant dans les tentes. Les plus
voisins des veilleurs accostaient le cortège. Bientôt tout fut sur pied
et en mouvement autour des voyageurs ; on s'entretint en regardant le
ciel et en se montrant les étoiles. Ils parlaient d'un astre ou d'une
apparition dans le ciel qui avait cessé de se montrer, car moi-même je
ne la vis pas.
C'était le cortège de Théokéno, le troisième des rois mages, celui qui
demeurait le. plus loin. Il avait vu dans sa patrie le même signe dans
le ciel, qu'avaient vu d'autres, et il s'était aussitôt mis en route. u
demandait maintenant combien Mensor et Sair devaient avoir d'avance sur
lui, et si l'on pouvait encore voir l'étoile qu'ils avaient prise pour
guide. Quand il eut reçu les informations nécessaires, le cortège
continua son voyage sans s'arrêter plus longtemps. Cet endroit était
celui où les trois rois, qui demeuraient fort loin les uns des autres,
avaient coutume de se réunir pour observer les astres, et la tour, en
forme de pyramide, au haut de laquelle il' faisaient leurs observations,
était dans le voisinage. Théokéno était celui des trois qui demeurait le
plus loin. Il habitait au delà du pays dans lequel Abraham avait d'abord
vécu, et à l'entour duquel tous les trois étaient établis.
Dans les intervalles entre les visions que j'eus à trois reprises
pendant la journée sur ce qui se passait dans la grande plaine des
troupeaux, différentes choses me furent montrées touchant les pays où
Abraham avait vécu : j'en ai oublié la plus grande partie. Je vis une
fois, à une grande distance, la hauteur sur laquelle Abraham voulait
sacrifier Isaac. Une autre fois, je vis très distinctement, quoique ce
fût fort loin d'ici, l'aventure d'Agar et d'Ismaël dans le désert. La
première demeure d'Abraham était située à une grande élévation, et les
pays des trois rois, qui se trouvaient alentour, étaient plus bas. Je
raconterai ici ce que je vis d'Agar et d'Ismael. A l'un des côtés de la
montagne d'Abraham, plus près du fond de la vallée, je vis Agar avec son
fils errer au milieu des buissons. Elle semblait comme hors d'elle-même.
L'enfant était encore fort jeune : il avait une longue robe. Elle-même
était enveloppée dans un long manteau qui recouvrait la tête, et sous
lequel elle portait un vêtement court avec un corsage étroit. Elle plaça
l'enfant sous un arbre, près d'une colline, et lui fit des marques sur
le front, au haut du bras droit, sur la poitrine et au haut du bras
gauche. Je ne vis pas la marque sur le front, mais les autres, qui
étaient faites sur les habits, restèrent visibles et semblaient tracées
avec une couleur rouge. Elles avaient la forme d'une croix, mais non pas
d'une croix ordinaire. Cela ressemblait à une croix de Malte, ayant au
milieu un cercle duquel partaient les quatre triangles formant la croix.
Dans les quatre triangles, elle écrivit des signes ol1 des lettres en
forme de crochets dont je ne comprenais pas la signification. Dans le
cercle qui était au centre, je la vis tracer deux ou trois lettres. Elle
traça tout cela très vite, avec une couleur rouge, qu'elle semblait
avoir dans la main. Peut-être était-ce du sang. Elle s'éloigna ensuite,
leva les yeux au ciel et ne regarda plus du côté de son fils. Elle alla
à peu près à une portée de fusil et s'assit sous un arbre. Alors elle
entendit une voix venant du ciel, se leva et alla plus loin ; puis elle
entendit de nouveau la voix, et vit une source sous le feuillage. Elle
remplit son outre de cuir, retourna près de son fils, auquel elle donna
à boire, et elle le conduisit près de la source, où elle lui mit un
autre vêtement par-dessus celui où elle avait fait les marques dont j'ai
parlé.
Voilà tout ce que je me rappelle de cette vision. Je crois
qu'antérieurement j'avais vu deux fois Agar dans le désert, une fois
avant la naissance de son fils, et l'autre fois comme celle-ci avec le
jeune Ismaël.
(Dans la nuit du 27 au 28 novembre.) Quand la soeur Emmerich communiqua,
en 1821, ces visions sur le voyage des trois rois, elle avait déjà
raconté toute la période de la prédication de Jésus. Elle avait vu entre
autres choses le Sauveur se retirer au delà du Jourdain, après la
résurrection de Lazare, et, pendant une absence de seize semaines, faire
une visite aux rois mages, qui, à leur retour de Bethléhem, s'étaient
établis ensemble dans un pays plus voisin que le leur de la terre
promise. Mensor et Théokéno vivaient encore ; mais, lors du voyage de
Jésus, Sair, le roi basané, était mort. Il a paru nécessaire d'instruire
le lecteur de ces événements, postérieurs de trente-trois ans, mais
racontés précédemment, afin de rendre intelligibles certaines choses qui
y font allusion dans le récit qui suit.
Dans la nuit du 27 au 28 novembre, je vis à l'aube du jour le cortège de
Théokéno rejoindre celui de Mensor et de Sair dans une ville en ruine.
Il y avait là de longues rangées de hautes colonnes isolées. Les portes
étaient surmontées de tours carrées à moitié écroulées. Il s'y trouvait
de grandes et belles statues ; elles n'étaient pas raides comme celles
de l'Egypte, mais elles avaient de belles attitudes qui leur donnaient
l'air vivant. Le pays était sablonneux, et il y avait beaucoup de
rochers. Dans les ruines de cette ville abandonnée étaient établis des
gens qui avaient l'air de bandits ; ils n'étaient vêtus que de peaux de
bêtes jetées sur le corps, et ils étaient armés d'épieux. Ils avaient la
peau basanée ; ils étaient petits et trapus, mais singulièrement agiles.
Il me semblait avoir été déjà dans cet endroit, peut-être lors de ces
voyages que je fis en songe à la montagne des prophètes et aux bords du
Gange. Les trois cortèges se trouvant réunis, ils quittèrent cette ville
de grand matin pour continuer leur voyage en toute bâte, et beaucoup de
pauvres habitants de ce lieu se joignirent à eux, attirés par la
libéralité des trois rois. Ils allèrent à une demi-journée plus loin, et
firent là une halte. Après la mort de Notre Seigneur Jésus-Christ,
l'apôtre saint Jean envoya deux disciples, Saturnin et Jonadab, le
demi frère de saint Pierre, annoncer l'Evangile dans cette ville ruinée.
Je vis les trois rois ensemble. Le dernier arrivé, Théokéno, avait le
teint tirant sur le jaune ; je le reconnus pour celui qui, trente-deux
ans plus tard, était malade dans sa tente, lorsque Jésus visita les rois
mages dans leur établissement voisin de la terre promise. Chacun des
trois rois avait avec lui quatre proches parents ou amis intimes, de
sorte qu'il y avait en tout dans le cortège quinze personnes de haut
rang, accompagnées d'une foule de conducteurs de chameaux et de
serviteurs. Parmi plusieurs jeunes gens de ce cortège, qui étaient à peu
prés nus jusqu'à la ceinture, et qui pouvaient sauter et courir avec une
agilité extraordinaire, je reconnus Éléazar, qui, plus tard, devint
martyr, et dont j'ai une relique.
Elle vit les trois rois passer par cette ville le jour de la fête de
saint Saturnin, duquel elle possédait une relique : c'est ce qui lui fit
remarquer les relations du saint avec cet endroit. Plus tard, l'écrivain
lut dans la légende de saint Saturnin qu'il avait prêché l'Évangile en
Asie, jusque dans la Médie.
Dans l'après-midi, comme son confesseur lui demandait encore le nom des
trois rois, elle répondit : Mensor le brun, baptisé par saint Thomas
après la mort du Sauveur, reçut au baptême le nom de Léandre. Théokéno,
le jaune, qui était malade lors du passage de Jésus en Arabie, fut
baptisé par le même saint Thomas sous le nom de Léon. Le plus basané,
qui était déjà mort lors de la visite du Sauveur, s'appelait Séir ou
Sair. Son confesseur lui demanda : " Comment donc celui-ci fut-il
baptisé " ? Elle ne se déconcerta pas, et dit en souriant : " il était
déjà mort, et avait eu le baptême de désir ". Le confesseur lui dit
alors : " Je n'ai jamais entendu ces noms : comment s'accordent-ils avec
ceux de Gaspard, Melchior et Balthazar " ? Elle répondit : " On les a
ainsi nommés parce que cela se rapporte à leur caractère, car ces mots
signifient : 1, il va avec amour ; 2, il erre tout autour, il va en
caressant, il s'approche doucement ; 3, il saisit promptement avec sa
volonté, il unit promptement sa volonté à la volonté de Dieu ". Elle dit
cela d'un air très gracieux et indiqua la signification de ces noms par
une espèce de pantomime en remuant sa main sur la couverture de son lit.
C'est aux orientalistes a dire jusqu'à quel point ces trois noms peuvent
être interprétés de cette manière.
(Le 28 novembre.) Une demi journée au delà de la ville en ruine où se
trouvaient tant de colonnes et de figures de pierre, je crus rencontrer
pour la première fois le cortège réuni des trois rois mages. C'était
dans un pays assez fertile. On voyait ça et là des habitations de
bergers construites en pierres blanches et noires Le cortège arriva dans
la plaine à un puits, dans le voisinage duquel se trouvaient plusieurs
hangars spacieux. Il y en avait trois au milieu et plusieurs autres
alentour. C'était comme des lieux de repos pour les voyageurs.
Le cortège entier était divisé en trois groupes : dans chacun d'eux se
trouvaient cinq personnages de distinction, et parmi ceux-ci le chef et
le roi, qui, comme un père de famille, ordonnait tout, réglait tout et
faisait les parts. Chacun de ces trois groupes se composait d'hommes
dont je visage était de couleur différente. La tribu de Mensor avait le
teint d'un brun agréable, celle de Saïr était d'un brun plus foncé;
celle de Théokéno avait un teint éclatant tirant sur le jaune. Je ne vis
personne d'un noir brillant, à l'exception de quelques esclaves.
Les principaux personnages étaient assis sur leurs bêtes de somme, entre
des paquets recouverts de tapis. Ils avaient des bâtons à la main. Ils
étaient suivis d'autres bêtes grandes à peu près comme des chevaux, sur
lesquelles étaient des serviteurs et des esclaves au milieu du bagage.
Quand ils furent arrivés, ils descendirent, déchargèrent entièrement les
animaux et les firent boire au puits. Celui-ci était entouré d'un petit
terrassement sur lequel était un mur avec trois entrées ouvertes. Dans
cette enceinte se trouvait le réservoir d'eau, qui était placé un peu
plus bas. L'eau sortait par trois conduits fermés avec des chevilles. Le
réservoir était fermé par une espèce de couvercle ; il fut ouvert par un
homme de la ville en ruine qui s'était joint au cortège. Ils avaient des
outres de cuir séparées en quatre compartiments, où quatre chameaux
pouvaient boire à la fois quand elles étaient remplies d'eau. Ils
étaient si soigneux en ce qui concernait l'eau, qu'ils n'en laissaient
pas perdre une goutte ; les bêtes furent ensuite installées dans des
enceintes découvertes qui se trouvaient près du puits, et où chacune
avait sa place à part. Elles avaient là devant elles des auges de pierre
où on leur fit manger d'un fourrage qu'elles portaient avec elles.
C'étaient des grains gros à peu près comme des glands (peut-être des
fèves). Dans le bagage se trouvaient aussi de grandes cages suspendues
aux flancs des bêtes de somme, et où se trouvaient de, oiseaux de
diverses espèces, gros à peu près comme des pigeons ou des poulets, ils
en mangeaient pendant le voyage. Ils avaient dans des boites de cuir des
pains d'égale grandeur, semblables à des tablettes pressées les unes
contre les autres. Ils portaient avec eux des vases précieux d'un métal
Jaune, couverts d'ornements et de pierres fines, lesquels avaient à peu
près la forme de ne. vases sacrés, tels que calices, patènes, etc. Ils
s'en servaient pour boire et pour présenter les aliments Le. bords de
ces vases étaient le plus souvent ornés de pierres rouges.
Les tribus n'étaient pas tout à fait habillées de la même manière.
Théokéno et sa famille, aussi bien que Mensor, portaient sur la tête une
sorte de calotte élevée, autour de laquelle était roulée une bande
d'étoffe blanche ; leurs tuniques descendaient jusqu'aux jarrets : elles
étaient très simples et avaient à peine quelques ornements sur la
poitrine ; ils avaient des manteaux légers, amples et très longs, qui
traînaient par derrière. Sair, le basané, et sa famille, portaient des
bonnets avec une coiffe ronde, brodée de diverses couleurs, et un petit
bourrelet blanc ; ils avaient des manteaux plus courts, et là-dessous
des tuniques boutonnées descendant jusqu'aux genoux, chamarrées de
lacets, de boutons reluisants et d'autres ornements ; sur l'un des côtés
de leur poitrine, se trouvait une plaque brillante de la forme d'une
étoile. Tous avaient les pieds nus, posant sur des semelles assujetties
avec des cordons qui entouraient le bas des jambes. Les principaux
d'entre eux avaient à la ceinture des sabres courts ou de grands
coutelas ; ils y portaient aussi des bourses et de petites boites. Il y
avait là des hommes de cinquante ans, de quarante, de trente et de vingt
; les uns avaient une longue barbe, les autres la portaient plus courte.
Les serviteurs et les chameliers étaient vêtus beaucoup plus simplement
; plusieurs n'avaient sur eux qu'une pièce d'étoffe ou une vieille
couverture.
Quand les bêtes furent désaltérées et parquées, et quand eux-mêmes
eurent bu, ils firent du feu au milieu du hangar sous lequel ils
s'étaient établis : ils se servirent pour cela de morceaux de bois
d'environ deux pieds et demi de long, que les pauvres gens du pays
avaient apportés en fagots, lesquels paraissaient préparés d'avance pour
l'usage des voyageurs ; ils en firent une espèce de bûcher de forme
triangulaire, laissant sur le côté une ouverture pour donner de l'air :
c'était très habilement arrangé. Je ne sais pas bien comment ils se
procurèrent di1 feu : je vis qu'on mit un morceau de bois dans un autre
où l'on avait fait un creux, et qu'on le fit tourner quelque temps ;
après quoi on le retira allumé. Ils firent ainsi leur feu, et je les vis
tuer quelques oiseaux et les faire rôtir.
Les trois rois et les plus âgés firent chacun pour sa tribu ce que fait
un père de famille dans sa maison ; ils firent les parts et présentèrent
à chacun la sienne : ils placèrent les oiseaux découpés sur de petites
patènes ou assiettes, et les firent passer à la ronde ; ils remplirent
aussi les coupes et donnèrent à boire à chacun. Les serviteurs
subalternes, parmi lesquels étaient des nègres, étaient assis par terre
sur une couverture ; ils attendaient patiemment leur tour et recevaient
aussi leur part. Je pense que c'étaient des esclaves.
Combien sont touchantes la bonté et la simplicité naïve de ces
excellents rois ! ils donnent de tout ce qu'ils ont aux gens qui sont
venus avec eux ; ils leur portent même les vases d'or à la bouche, et
les font boire comme des enfants.
J'ai appris aujourd'hui beaucoup de choses sur les saints rois,
notamment les noms de leurs pays et de leurs villes, mais j'ai presque
tout oublié. Je dirai ce que j'ai retenu. Mensor, le brun, était
Chaldéen ; sa ville avait un nom comme Acaiaia ; elle était entourée
d'un fleuve et comme sur une île. Il résidait habituellement dans la
plaine, près de ses troupeaux. Sair, le basané, était déjà auprès de lui
tout prêt à partir, la nuit de la Nativité. Je me souviens que son pays
avait un nom qui ressemblait à Partherme. (C'est peut-être le nom de
Parthiène ou de Parthomaspe défiguré.) un peu au-dessus de ce pays se
trouvait un lac. Lui et sa tribu étaient de couleur très foncée) mais
avec les lèvres rouges. Les autres gens qu'étaient avec eux étaient
blancs Il n'y avait qu'une ville, à peu près grande comme Munster.
L'écrivain trouva, en 1839, par conséquent dix-huit ans après cette
mention d'Acaiaia, l'indication suivante dans le Dictionnaire des écoles
industrielles de Franke : "Achaiacula, forteresse sur les îles de
l'Euphrate en Mésopotamie."(Ammian., 2 i-2.) Nous désirons qu'on puisse
établir une relation entre ces noms.
Théokéno, le blanc, venait de Médie, pays situé plus haut, entre deux
mers ; il habitait sa ville, dont j'ai oublié le nom. Elle était
composée de tentes dressées sur des fondements en pierres. Je pense que
Théokéno, qui était le plus riche des trois, et celui qui avait renoncé
à plus de choses, aurait pu se rendre à Bethléhem par une voie plus
directe, et qu'il avait fait un détour pour se réunir aux autres. Il me
semble presque qu'il avait dû passer près de Babylone pour les
rejoindre.
Saïr demeurait à trois journées de voyage de l'habitation de Mensor, en
évaluant chaque journée à douze lieues. Théokéno était à cinq de ces
journées de voyage. Mensor et Sair se trouvaient réunis chez le premier,
lorsqu'ils virent l'étoile qui annonçait la naissance de Jésus. Ils
s'étaient mis en route le jour suivant. Théokéno vit chez lui la même
apparition ; il partit en toute hâte pour rejoindre les deux autres et
les rencontra dans la ville en ruine.
L'étoile qui les conduisait était comme un globe rond, et la lumière en
sortait comme d'une bouche. (Cette expression peut s'être présentée à
elle, parce qu'elle voyait souvent de la lumière sortir de la bouche du
Seigneur et de celle des saints.) il me semblait toujours que ce globe
était comme suspendu à un fit lumineux et dirigé par une main. Pendant
la journée je voyais au-devant d'eux un corps brillant dont la clarté
surpassait celle du jour. Quand je considère la longueur du voyage, je
suis étonnée de la vitesse avec laquelle ils le firent ; mais les
animaux qu'ils montaient avaient un pas si léger et si égal, que leur
marche me paraissait ordonnée, rapide et uniforme comme le vol d'une
bande d'oiseaux de passage. Les pays des trois rois formaient ensemble
comme un triangle.
Le cortège étant resté jusqu'au soir dans l'endroit où je l'avais vu
s'arrêter, les gens qui s'y étaient joints aidèrent à recharger les
bêtes de somme, et emportèrent chez eux différentes choses qui avaient
été laissées là par les voyageurs. La nuit tombait lorsque ceux-ci se
mirent en route. L'étoile était visible; elle jetait une lueur
rougeâtre comme la lune lorsqu'il fait grand vent. Ils marchèrent
quelque temps près de leurs montures, la tête découverte, et ils firent
des prières. Le chemin ici était tel qu'on ne pouvait pas aller vite.
Plus tard, quand il devint uni, ils remontèrent sur leurs bêtes, qui
avaient une allure très rapide. Quelquefois ils allaient lentement, et
alors ils entonnaient tous ensemble, à travers la nuit, des chants
singulièrement expressifs et touchants.
(Du 29 novembre au 2 décembre.) Dans la nuit du 29 au 30 novembre, je me
trouvai de nouveau prés du cortège des trois rois. Ils s'avancent
toujours dans la nuit, suivant l'étoile qui, en ce moment, semble
toucher la terre de sa longue queue lumineuse. Ils la regardent avec une
joie tranquille, descendent de leurs montures et s'entretiennent
ensemble. Quelquefois ils chantent alternativement de courtes sentences
sur un air lent et expressif, dont les notes sont tantôt très hautes,
tantôt très basses. Il y a quelque chose d'extrêmement touchant dans ces
mélodies qui interrompent le silence de la nuit, et j'ai le sentiment de
tout ce qu'ils chantent. Le cortège s'avance dans une belle ordonnance :
c'est d'abord un grand chameau portant de chaque côté des coffres sur
lesquels sont étendus de larges tapis ; en haut est assis un des chefs,
avec son épieu à la main et un sac auprès de lui. Puis viennent des
animaux plus petits, comme des chevaux ou des ânes de haute taille, et
sur eux, entre les bagages, les hommes qui dépendent de ce chef. Puis,
vient un autre chef sur un chameau, etc. Ces animaux marchent
légèrement, quoique à grand pas, et ils posent le pied avec précaution.
Leur corps ne remue pas ; leurs pieds seuls sont en mouvement. Les
hommes sont aussi calmes que s'ils n'avaient à s'occuper de rien. Tout
cela est si tranquille et si doux ! c'est comme un songe paisible.
Je ne puis m'empêcher de faire une réflexion frappante sur ce que je
vois. Ces bonnes gens ne connaissent pas encore le Seigneur, et ils vont
à lui avec tant d'ordre, de paix et de bonne grâce ! tandis que nous,
qu'il a délivrés et comblés de ses bienfaits, nous sommes si désordonnés
et si irrévérencieux dans nos processions.
Le vendredi, 30 novembre, je vis le cortège s'arrêter dans une plaine
près d'un puits. Un homme, sorti d'une cabane comme il y en avait
plusieurs dans le voisinage, leur ouvrit ce puits. Ils abreuvèrent leurs
bêtes, et firent une courte halte sans les décharger.
Le samedi, 1er décembre, je vis le cortège, qui avait suivi hier un
chemin montant sur un plateau élevé. A leur droite étaient des
montagnes, et il me sembla qu'à l'endroit où le chemin descendait, ils
s'approchèrent d'une contrée où se trouvaient fréquemment des
habitations, des arbres et des fontaines. Il me sembla que c'était le
pays de ces gens que j'avais vus l'année dernière et récemment encore
filer et tisser du coton. Ils adoraient des images de taureaux. Ils
offrirent libéralement des aliments à la troupe nombreuse qui suivait le
cortège ; mais ils ne se servaient plus des plats dans lesquels ceux-ci
avaient mangé, ce dont je fus surprise.
Le dimanche, 2 décembre, Je vis les saints rois dans le voisinage d'une
ville dont le nom me parait ressembler à Causour, et qui se compose de
tentes dressées sur des fondations en pierres. Ils s'arrêtèrent là chez
un autre roi auquel cette ville appartenait, et dont la demeure était à
quelque distance. Depuis leur jonction dans la ville en ruine jusqu'ici,
ils avaient fait cinquante-trois ou soixante-trois heures de route. Ils
racontèrent au roi de Causour tout ce qu'ils avaient vu dans les
étoiles. Il fut très étonné, regarda l'étoile qui les conduisait, et y
vit un petit enfant avec une croix. Il les pria de lui raconter à leur
retour ce qu'ils auraient vu, parce qu'il voulait aussi élever des
autels à l'enfant et lui offrir des sacrifices. Je suis curieuse de
savoir s'il tiendra sa parole lorsqu'ils reviendront. Je les ai entendus
lui raconter l'origine de leurs observations sur les astres, et je me
souviens de ce qui suit :
Les ancêtres des trois rois étaient de la race de Job, qui anciennement
avait habité près du Caucase, et qui avait eu des possessions dans
d'autres pays très éloignés. Environ quinze cents ans avant
Jésus-Christ, ils ne formaient encore qu'une seule tribu. Le prophète
Balaam était de leur pays ; un de ses disciples y avait fait connaître
sa prophétie : " une étoile naîtra de Jacob ", et avait donné des
instructions à ce sujet. Sa doctrine s'y était fort répandue : on avait
élevé une grande tour sur une montagne, et plusieurs savants astronomes
y résidaient alternativement. J'ai vu cette tour, qui était elle-même
comme une montagne, large par en bas et se terminant en pointe. Tout ce
qu'ils observaient dans le ciel était noté et passait de bouche en
bouche. A plusieurs reprises, ces observations furent interrompues par
suite de divers événements. Plus tard, ils en vinrent à des abominations
impies, au point de sacrifier des enfants. Ils croyaient pourtant que
l'enfant promis devait venir bientôt. Environ cinq siècles avant la
naissance de Jésus-Christ, les observations avaient cessé. Ils s'étaient
alors divisés en trois branches, formées par trois frères qui vivaient
séparés avec leurs familles. Ces frères avaient trois filles auxquelles
Dieu avait accordé le don de prophétie. Elles parcouraient le pays,
vêtues de longs manteaux, et faisaient des prédictions relativement à
l'étoile et à l'enfant qui devait sortir de Jacob. On se remit alors à
observer les astres, et l'attente de l'enfant redevint très vive dans
les trois tribus. Les trois rois descendaient de ces trois frères par
quinze générations qui s'étaient succédé en ligne directe depuis environ
cinq cents ans. Mais, par suite du mélange avec d'autres races, la
couleur de leur peau avait changé, et ils différaient les uns des autres
à cet égard.
Depuis cinq siècles, les ancêtres des trois rois n'avaient jamais cessé
de se réunir de temps en temps pour observer ensemble les astres. Tous
les événements remarquables et relatifs à l'avènement futur du Messie
leur étaient indiqués par des signes merveilleux qu'ils voyaient dans le
ciel. J'en vis plusieurs pendant leur récit, mais je ne puis les
rapporter clairement. Depuis la conception de la sainte Vierge, par
conséquent depuis quinze ans, ces signes marquaient plus distinctement
que la venue de l'Enfant était proche. Enfin ils avaient vu aussi bien
des choses qui se rapportaient à la Passion de Notre Seigneur. Ils
pouvaient calculer au juste l'époque où sortirait de Jacob l'étoile
prophétisée par Balaam, car ils avaient vu l'échelle de Jacob, et,
d'après le nombre des échelons et la succession des tableaux qui s'y
montraient, ils pouvaient calculer l'approche du Sauveur, comme sur un
calendrier ; car l'extrémité de l'échelle aboutissait à cette étoile, ou
bien l'étoile était la dernière image qui y apparût. A l'époque de la
conception de Marie, ils avaient vu la Vierge avec un sceptre et une
balance, sur les plateaux de laquelle étaient des épis de blé et des
raisins. Un peu plus tard ils virent la Vierge avec l'enfant. Bethléhem
leur apparut comme un beau palais, une maison où étaient rassemblées et
distribuées d'abondantes bénédictions. Ils y virent aussi la Jérusalem
céleste, et entre ces deux demeures, une route sombre, pleine d'épines,
de combats et de sang.
Ils prirent tout cela à la lettre. Ils croyaient que le roi attendu
était né au milieu d'une grande pompe, et que tous les peuples lui
rendaient hommage. C'est pourquoi ils allaient, eux aussi, l'honorer et
lui porter leurs présents. Ils prenaient la Jérusalem céleste pour son
royaume sur la terre, et c'était là qu'ils croyaient aller. Quant à la
route semée de difficultés, ils pensaient qu'elle représentait leur
voyage, ou bien une guerre qui menaçait le nouveau roi. Ils ne savaient
pas que c'était le symbole de la voie douloureuse de sa Passion.
Au-dessous, sur l'échelle de Jacob, ils virent (et je vis aussi) une
tour artistement construite, assez semblable aux tours que je vois ; sur
la montagne des prophètes, et où la Vierge se réfugia une fois pendant
un orage. Je ne sais plus ce que cela signifiait. (Peut-être la fuite en
Egypte.) il y avait une longue série de tableaux sur cette échelle de
Jacob, entre autres beaucoup de symboles figuratifs de la sainte Vierge,
dont quelques-uns se trouvent dans les litanies, en outre la fontaine
scellée, le jardin fermé, et aussi des figures de rois dont les uns
tenaient un sceptre et les autres des branches d'arbre.
Ils virent ces tableaux se montrer dans les étoiles ; ils les virent
continuellement pendant les trois dernières nuits Alors le principal
d'entre eux envoya des messagers aux autres ; et quand ils virent les
rois présenter des offrandes à l'enfant nouveau-né, ils se mirent en
route avec leurs présents, ne voulant pas être les derniers à lui rendre
hommage. Toutes les tribus des adorateurs des astres avaient vu
l'étoile, mais celles-ci seules la suivirent. L'étoile qui les
conduisait n'était pas une comète, mais un météore brillant que portait
un ange.
Ce furent ces visions qui les firent partir dans l'attente de grandes
choses, et ils furent ensuite très surpris de ne rien trouver de tout
cela. Ils furent très étonnés de la réception d'Hérode et de l'ignorance
où tout le monde était. Quand ils arrivèrent à Bethléhem, et qu'au lieu
du palais magnifique qu'ils avaient vu dans l'étoile, ils virent une
pauvre grotte, ils furent assaillis de bien des doutes. Mais ils
restèrent fermes dans leur foi, et, à la vue de l'Enfant-Jésus, ils
reconnurent que ce qu'ils avaient vu dans les astres était accompli.
Leurs observations des étoiles étaient accompagnées d. jeûnes, de
prières, de cérémonies, de toute sorte d'abstinences et de
purifications. Ce culte des astres exerçait des influences pernicieuses
sur des gens qui étaient en rapport avec le mauvais esprit. Ces gens,
lors de leurs visions, étaient saisis de convulsions violentes ; c'était
à leur suite qu'avaient lieu d'abominables sacrifices d'enfants.
D'autres, comme par exemple les saints rois, virent tout cela
clairement, tranquillement, avec une douce émotion, et ils en devinrent
meilleurs et plus pieux.
(Du lundi 3 au mercredi 5 décembre.) Lorsque les trois rois quittèrent
Causour, je vis se joindre à eux une troupe considérable de voyageurs de
distinction qui suivaient la même route. Les 3 et 4 décembre, je vis la
caravane traverser une grande plaine. Le b, ils firent une halte près
d'un puits. Ils firent boire et manger leurs bêtes de somme sans les
décharger, et préparèrent quelques aliments pour eux-mêmes.
Pendant ces derniers jours, la soeur Emmerich, tout en dormant, chanta
plusieurs fois des paroles rimées sur des airs étranges, mais très
touchants. Comme on l'interrogeait à ce sujet. elle répondit : Je chante
avec ces bons rois ; ils chantent si agréablement des paroles comme
celles-ci, par exemple :
Nous voulons franchir les montagnes,
et nous agenouiller devant le nouveau roi.
Ils improvisent et chantent ces vers alternativement ; l'un d'eux
commence, et tous les autres répètent le vers qu'il a chanté ; alors un
autre ajoute un autre vers, et ils continuent ainsi, tout en
chevauchant, à chanter leurs douces et touchantes mélodies.
Dans le centre de l'étoile, ou plutôt du globe lumineux qui leur
montrait le chemin, je vis apparaître un enfant avec une croix. Ce globe
lumineux, lorsqu'ils eurent vu l'apparition de la Vierge dans les
étoiles, s'était montré au-dessus de cette image et s'était tout d'un
coup mis en mouvement.
LX
Bethléhem. La sainte Vierge a le pressentiment
de rapproche des
trois Rois.
La contemplation passe alternativement de la grotte de la Crèche, à
Bethléhem, à la caravane des trois rois.
(Mercredi, 5 décembre.) Marie avait eu une vision sur l'approche des
trois rois pendant leur halte près du roi de Causour. Elle vit aussi que
celui-ci voulait élever un autel à l'enfant. Elle raconta cela à saint
Joseph et à Élisabeth, et dit qu'il fallait vider la grotte de la Crèche
et tout préparer pour la réception des trois rois à leur arrivée.
Les gens à cause desquels Marie s'était retirée hier dans l'autre grotte
étaient des visiteurs curieux : il en vint un plus grand nombre dans les
derniers jours. Aujourd'hui Élisabeth revint à Juttah, en compagnie d'un
serviteur.
(Du 6 au 8 décembre.) il y eut plus de tranquillité dans la grotte de la
Crèche pendant ces deux jours. La sainte Famille resta seule la plupart
du temps. La servante de Marie, femme d'environ trente ans, très
sérieuse et très humble, était seule présente. C'était une veuve sans
enfants, parente d'Anne, qui lui avait donné asile chez elle. Son défunt
mari avait été très dur envers elle parce qu'elle allait souvent chez
les Esséniens ; car elle était très pieuse et attendait le salut
d'Israel. Il s'irritait à cause de cela, comme de méchants hommes de nos
jours qui trouvent que leurs femmes vont trop souvent à l'église ; il
l'avait quittée et était mort quelque temps après.
Les vagabonds qui avaient mendié et proféré des injures et des
malédictions près de la grotte de la Crèche ne revinrent plus dans ces
derniers jours. C'étaient des mendiants qui allaient à Jérusalem pour la
fête de la dédicace du temple, instituée par les Machabées.
Joseph célébra le sabbat sous la lampe, dans la grotte de la Crèche,
avec Marie et la servante. Le samedi soir commença la fête de la
dédicace du temple. On est tranquille aujourd'hui ; les nombreux
visiteurs étaient des voyageurs qui allaient à la fête. Anne envoie
plusieurs fois des messagers pour apporter des présents et avoir des
nouvelles. Les femmes juives ne nourrissent pas longtemps leurs enfants
sans leur donner d'autre aliment que leur lait : aussi l'Enfant-Jésus
prit-il, après les premiers jours, une bouillie faite de la moelle d'une
espèce de roseau : cette bouillie est douce, légère et nourrissante.
(Du 9 au 10 décembre.) Joseph allume le soir et le matin ses petites
lampes pour célébrer la fête de la Dédicace. Depuis le commencement de
la fête à Jérusalem, on est fort tranquille ici.
(Le lundi 10.) Il vint aujourd'hui un serviteur de la part de sainte
Anne. Il portait à la sainte Vierge, outre divers autres objets, tout ce
qu'il fallait pour travailler à une ceinture, ainsi qu'une charmante
corbeille pleine de fruits et recouverte de roses qui étaient placées
sur les fruits et qui étaient restées très fraîches. Cette corbeille
était mince et haute. Les roses n'étaient pas de la couleur des nôtres,
mais pâles et presque couleur de chair ; il y en avait aussi de jaunes
et de blanches ; il s'y trouvait des boutons. Marie parut y prendre
plaisir et plaça la corbeille près d'elle.
(Caravane des trois rois.) J'ai vu plusieurs fois les trois rois en
marche ; le chemin était montueux. Ils franchirent ces montagnes dont
j'ai parlé, et où se trouvent semées des pierres minces semblables à des
fragments de poterie. J'aimerais à en avoir : elles sont belles et
polies. Il y a aussi là d'autres montagnes où se trouvent beaucoup de
pierres transparentes semblables à des oeufs d'oiseau, ainsi que
beaucoup de sable blanc. Je les vis dans la contrée où ils s'établirent
plus tard, et où Jésus les visita pendant sa troisième année de
prédication.
(Mardi,1 décembre ; jeudi, 13 décembre.) il me semble que Joseph aurait
envie de rester à Bethléhem et de s'y fixer après la purification de
Marie ; je crois qu'il a pris quelques renseignements dans cette
intention. Il y a trois jours, il vint à la grotte de la Crèche des gens
aisés de Bethléhem ; maintenant ils prendraient volontiers la sainte
Famille chez eux. Marie se cacha dans la grotte latérale, et Joseph
déclina leurs offres. Sainte Anne visitera bientôt la sainte Vierge. Je
l'ai vue dernièrement très affairée : elle faisait des parts de ses
troupeaux pour les pauvres et pour le temple. La sainte Famille
distribuait également tout ce qu'elle avait. La fête de la Dédicace
était encore célébrée matin et soir. Il doit s'y être joint une autre
fête le 13. Je vis à Jérusalem faire des changements dans les cérémonies
de la fête. Je vis un prêtre avec un rouleau prés de saint Joseph dans
la grotte : ils prièrent ensemble près d'une petite table qui avait une
couverture rouge et blanche. Il semblait que ce prêtre voulût voir si
Joseph célébrait la fête ou qu'il lui annonçât une nouvelle fête. (Il
lui sembla voir un jour de fête ; cependant elle croyait que celle de la
nouvelle lune (néoménie) devait avoir commencé : elle ne savait pas bien
ce qui en était.) Dans les derniers jours la grotte fut tranquille et
sans visiteurs.
LXI
Bethlehem. Visite à le Crèche. Caravane
des Rois.
Ils arrivent dans la terre promise.
(Du 14 au 18 décembre.) La fête de la Dédicace finit avec le sabbat.
Joseph n'alluma plus les petites lampes. Le dimanche 16 et le lundi 17,
beaucoup de gens des environs vinrent encore à la crèche ; les mendiants
effrontés se montrèrent aussi à l'entrée. C'était parce qu'on revenait
alors de la fête.
Le 17, il vint deux messagers de sainte Anne avec des provisions de
bouche et divers effets. Mais Marie est bien plus prompte que moi à
donner. Tout cela fut bientôt distribué. Je vis Joseph commencer à faim
divers arrangements dans la grotte de la Crèche, dans les grottes
latérales et aussi dans cette du tombeau de Maraha. Ils attendaient
bientôt la visite de sainte Anne et aussi celle des trois rois, d'après
la vision qu'avait eue Marie.
(Le lundi, 17 décembre.) Je vis aujourd'hui la caravane des trois rois
arriver le soir dans une petite ville où les habitations étaient
dispersées ça et là ; plusieurs des maisons étaient entourées de grandes
haies, il me sembla que c'était le premier endroit de la Judée. Ils
étaient là dans la direction de Bethléhem ; cependant ils prirent à
droite, probablement parce qu'il n'y avait pas de route directe. Quand
ils arrivèrent dans ce lieu, leur chant sembla plus animé et plus
expressif ; ils étaient tout joyeux, parce que l'étoile avait ici un
éclat extraordinaire : c'était comme un clair de lune, en sorte que les
ombres se dessinaient très distinctement. Cependant les habitants de ce
lieu paraissaient ou ne pas voir l'étoile, ou ne point s'en occuper
particulièrement. Ces gens étaient, du reste, bons et obligeants.
Quelques-uns des voyageurs étaient descendus de leurs montures, et les
habitants les aidèrent à les abreuver. Je pensai alors au temps
d'Abraham, où tous les hommes étaient si bienveillants et si serviables.
Beaucoup de gens du pays accompagnaient le cortège à son passage dans la
ville, portant à la main des branches d'arbre. Je ne voyais pas l'étoile
toujours également brillante ; quelquefois elle s'obscurcissait. Il
semblait qu'elle jetât plus de clarté dans les lieux où habitaient des
gens de bien. Quand les voyageurs la voyaient plus éclatante, ils
étaient très émus, et croyaient que c'était peut-être en cet endroit
qu'ils allaient trouver le Messie.
(Le mardi, 18 décembre.)Ce matin, ils contournèrent, sans s'y arrêter,
une ville sombre et couverte d'un brouillard. Peu après, ils
traversèrent un cours d'eau qui se jette dans la mer Morte (peut-être
l'Arnon). Plusieurs des gens qui s'étaient adjoints à eux restèrent dans
les deux derniers endroits. J'ai su que l'une de ces villes avait servi
de refuge à quelqu'un lors d'un débat qui avait eu lieu avant que
Salomon ne montât sur le trône. Ils traversèrent le torrent ce matin, et
trouvèrent ensuite une bonne route.
(Le mercredi 19.) Ce soir, je vis le cortège des trois rois, qui pouvait
être d'environ deux cents personnes, parce que leur libéralité avait
porté beaucoup de menu peuple à se joindre à eux, s'approcher, par le
côté oriental, d'une ville à l'occident de laquelle Jésus passa, sans y
entrer, le 31 juillet de sa seconde année de prédication. Le nom de
cette ville ressemblait à Manathea, Methanea, Medana ou Madian. Il s'y
trouvait des Juifs et des paiens ; les habitants étaient méchants.
Saint Jérôme mentionne une ville appelée Methane, prés de l'Arnon. De là
les Methanites dont il est parlé dans le premier livre des Paralipomènes
(XI, 48).
Quoiqu'une grand route la traversât, les trois rois ne voulurent pas y
entrer. Ils passèrent devant le côté oriental pour gagner une enceinte
murée où se trouvaient des hangars et des écuries. Les rois y dressèrent
leurs tentes, firent boire et manger leurs bêtes, et mangèrent
eux-mêmes.
Je vis les rois s'arrêter ici le jeudi 20 et le vendredi 21 ; mais ils
furent très attristés, parce qu'ici, comme dans la ville précédente,
personne ne savait rien du roi nouvellement né. Cependant je les
entendis raconter très amicalement aux habitants beaucoup de choses
touchant la cause de leur départ, la longueur de la route et toutes les
circonstances de leur voyage. Voici ce que je m'en rappelle encore :
Le roi nouveau-né leur avait été annoncé depuis très longtemps. Je pense
que ce fut peu de temps après Job, et avant qu'Abraham n'allât en Égypte
; car une troupe, d'environ trois mille hommes de la Médie, venus du
pays de Job (il y en avait aussi d'autres venus de pays différents),
avaient fait une expédition en Égypte, et étaient venus jusque dans la
contrée d'Eliopolis. Je ne sais pas bien pourquoi ils étaient allés si
loin, mais c'était une expédition militaire ; je crois qu'ils étaient
venus au secours de quelqu'un. Cependant leur expédition était blâmable,
elle était dirigée contre quelque chose de saint ; je ne sais plus si
c'était contre de saints hommes ou contre un mystère religieux qui
concernait l'accomplissement de la promesse divine.
Dans les environs d'Héliopolis, plusieurs de leurs chefs eurent une
révélation par suite de l'apparition d'un ange qui les empêcha d'aller
plus loin. Il leur annonça un Sauveur qui devait naître d'une vierge et
être honoré par leurs descendants. Je ne sais plus comment les choses se
passèrent ; mais ils durent s'arrêter, revenir chez eux et observer les
astres. Je les vis établir en Egypte des fêtes de réjouissance ; ils
élevèrent des arcs de triomphe et des autels, les ornèrent de fleurs,
puis ils revinrent dans leur patrie. C'étaient des gens de la Médie,
adorateurs des étoiles ; ils étaient fort grands, presque comme des
géants ; ils avaient une taille avantageuse et un beau teint brun tirant
sur le jaune. Ils allaient avec leurs troupeaux d'un lieu à un autre, et
dominaient partout à cause de leur force supérieure. J'ai oublié le nom
d'un prophète principal qui était parmi eux. Ils connaissaient beaucoup
de prédictions et observaient certains signes que leur donnaient les
animaux. Souvent les animaux se mettaient en travers de leur route et se
laissaient tuer plutôt que de se retirer. C'était pour eux un signe, et
ils se détournaient des chemins où cela arrivait.
Ces Mèdes, revenant de l'Égypte, avaient les premiers, suivant le récit
des saints rois, rapporté la prophétie, et l'on commença dès lors à
observer les étoiles. Ces observations tombèrent en désuétude ; mais
elles furent renouvelées par les soins d'un disciple de Balaam, et mille
ans après celui-ci, les trois prophétesses, filles des ancêtres des
trois rois, les firent reprendre. Cinquante ans plus tard, c'est-à-dire
à l'époque où l'on était parvenu, l'étoile avait apparu et ils la
suivaient pour adorer le nouveau roi.
Ils racontaient tout cela à leurs auditeurs avec beaucoup de simplicité
et de sincérité, et ils furent affligés de voir que ceux-ci ne
semblaient pas croire à ce qui, depuis deux mille ans, avait été l'objet
de l'attente de leurs ancêtres.
L'étoile fut obscurcie le soir par des vapeurs ; mais dans la nuit elle
se montra grande et brillante entre les nuages qui couraient, et elle
parut très près de la terre. Alors ils se levèrent en toute hâte,
éveillèrent les habitants du pays et la leur montrèrent. Ces gens
regardèrent le ciel tout étonnés et avec quelque émotion ; mais
plusieurs s'irritèrent contre les saints rois, et la plupart ne
cherchèrent qu'à tirer profit de leur libéralité.
Je les entendis dire combien de chemin ils avaient parcouru depuis leur
lieu de réunion jusqu'ici. Ils comptaient par journées de voyage à pied,
qu'ils évaluaient à douze lieues. Avec leurs montures, qui étaient des
dromadaires et qui allaient plus vite que des chevaux, ils faisaient
trente-six lieues par jour, en comptant la nuit et les haltes. Ainsi le
plus éloigné des trois rois pouvait faire on deux jours les cinq fois
douze lieues qui le séparaient du lieu où ils s'étaient réunis, et les
moins éloignés faire en un jour et une nuit leurs trois fois douze
lieues. De cet endroit où ils s'étaient réunis jusqu'ici ils avaient
fait 672 lieues, et pour cela, à compter de la naissance de
Jésus-Christ, ils avaient employé environ vingt-cinq jours et autant de
nuits, les jours de repos compris.
Le soir du vendredi 21 décembre, comme le sabbat commençait pour les
Juifs habitant ici, lesquels s'étaient rendus à la synagogue d'un petit
endroit voisin en passant l'eau sur un pont qui se trouvait à l'ouest,
les saints rois se préparèrent à partir. Je vis plusieurs fois ces Juifs
regarder l'étoile qui guidait les rois et témoigner à cette, occasion un
grand étonnement ; mais ils n'en étaient pas plus respectueux. Ces
hommes effrontés et importuns se pressaient comme des essaims de guêpes
autour des trois rois pour leur faire des demandes, et ceux-ci, pleins
de patience, leur distribuaient sans cesse de petites pièces jaunes
triangulaires qui étaient très minces, et aussi des grains de métal
d'une couleur plus foncée. Ils devaient être bien riches.
Ils firent ensuite, conduits par les habitants, le tour des murs de la
ville, dans laquelle je vis des temples avec des idoles ; puis ils
traversèrent le torrent sur un pont et passèrent par le village juif.
Ils avaient encore vingt-quatre lieues à faire pour arriver à Jérusalem.
LXII
Bethlehem.-Arrivée de sainte Anne.
Libéralité de la sainte
Famille.
Le soir du 19 décembre, je vis sainte Anne, avec Marie d'Héli, une
servante, un domestique et deux ânes, passer la nuit à peu de distance
de Béthanie : elle se rendait à Bethléem. Joseph avait à peu près fini
ses arrangements dans la grotte de la Crèche et dans les grottes
latérales, pour loger ses hôtes de Nazareth, et pour recevoir les trois
rois, dont Marie avait récemment annoncé l'arrivée lorsqu'ils étaient à
Causour. Joseph et Marie étaient allés dans l'autre grotte avec
l'Enfant-Jésus. La grotte de la Crèche était entièrement débarrassée.
L'âne seul y avait été laissé.
Joseph, autant que je puis m'en souvenir, avait depuis quelque temps
payé le second impôt. De nouveaux curieux étaient venus de Bethléhem
pour voir l'enfant. Il s'était laissé prendre tranquillement par
quelques-uns et s'était détourné de quelques autres en pleurant.
Je vis la sainte Vierge tranquille dans son nouveau logement, qui était
arrangé commodément. Sa couche était contre la paroi. L'Enfant-Jésus
était près d'elle dans une longue corbeille faite d'écorce, qui reposait
sur des fourches. La couche de Marie, ainsi que le berceau de
l'Enfant-Jésus qui était à côté, étaient séparés du reste par une
cloison en clayonnage. Le jour, quand elle ne voulait pas être seule,
elle était assise en avant de cette cloison, ayant l'enfant auprès
d'elle. Joseph reposait dans une partie éloignée de la grotte, qui était
aussi séparée du reste. Je vis Joseph porter des aliments à Marie dans
un plat, ainsi qu'une petite cruche et de l'eau.
(Le jeudi, 20 décembre.) Ce soir commençait un jour de jeûne. Tous les
aliments étaient préparés pour le jour suivant : le feu était couvert et
les ouvertures voilées l. Sainte Anne était arrivée avec la soeur aînée
de la sainte Vierge et une servante. Ces visiteurs devaient passer la
nuit dans la grotte de la Crèche ; c'était pour cela que la sainte
Famille s'était retirée dans la grotte latérale. J'ai vu aujourd'hui
Marie mettre l'enfant dans les bras de sa mère : celle-ci était
profondément touchée. Anne avait apporté des couvertures, des linges et
des provisions de bouche. Elle dormit à l'endroit où Elisabeth avait
reposé, et Marie lui raconta avec beaucoup d'émotion tout ce qui s'était
passé. Anne pleura avec la sainte Vierge, et tout ce récit fut
interrompu par les caresses de l'Enfant-Jésus.
(Le vendredi, 21 décembre.) Je vis aujourd'hui la sainte Vierge revenir
dans la grotte de la Crèche et le petit Jésus c ouche de nouveau dans la
crèche. Quand Joseph et Marie sont seuls près de l'enfant, je les vois
souvent l'adorer. Je vis aussi aujourd'hui sainte Anne se tenir près de
la crèche avec la sainte Vierge dans une attitude respectueuse, et
contempler l'Enfant-Jésus avec un grand sentiment de dévotion et de
ferveur. Je ne sais pas bien si les personnes qui accompagnaient sainte
Anne avaient passe la nuit dans l'autre grotte, ou si elles étaient
allées ailleurs. Je suis portée à croire qu'elles étaient ailleurs. Je
vis aujourd'hui qu'Anne avait apporté différents objets pour la mère et
pour l'enfant. Marie a déjà reçu bien des choses depuis qu'elle est ici
; mais tout, autour d'elle, présente l'image de la pauvreté, parce
qu'elle donne tout ce dont elle peut se passer à la rigueur. Je
l'entendis dire à Anne que les rois de l'Orient viendraient bientôt et
que leur visite ferait un grand effet. Je crois que, pendant le séjour
des rois, Sainte Anne ira à trois lieues d'ici, chez sa soeur, et
qu'elle reviendra plus tard.
(Le samedi, 9 décembre.) Ce soir, après la clôture du Sabbat, je vis
sainte Anne, avec sa compagne, quitter la sainte Vierge pour un certain
temps. Elle s'en alla à trois lieues de là, dans la tribu de Benjamin,
chez une soeur qui y était mariée. Je ne sais plus le nom de l'endroit,
qui consiste seulement en quelques maisons dans une plaine. Il est à une
demi lieue du dernier logement de la sainte Famille dans son voyage à
Bethléhem.
LXIII
Voyage des trois Rois. Leur arrivée à Jérusalem.
Hérode
consulte les docteurs de la loi.
(Le samedi, 22 décembre.) Le cortège des trois rois partit la nuit de
Mathanea, et suivit un chemin frayé. Ils ne traversèrent plus aucune
ville, mais passèrent le long de tous les petits endroits dans lesquels
Jésus, à la fin du mois de juillet de sa troisième année de prédication,
enseigna, guérit et bénit les enfants : de ce nombre était Bethabara, où
ils arrivèrent le matin de bonne heure pour le passage du Jourdain.
Comme c'était le jour du sabbat, ils ne rencontrèrent que peu de gens
sur le chemin.
Ce matin, à sept heures, je vis la caravane passer le Jourdain.
Ordinairement on traversait le fleuve à l'aide d'un appareil en poutres
; mais pour de grands convois' avec de lourds bagages, on jetait une
espèce de pont. Les bateliers qui habitaient sur les bords avaient
coutume de faire ce travail moyennant une rétribution ; mais, comme
c'était le jour du sabbat et qu'ils ne pouvaient pas travailler, les
voyageurs s'occupèrent eux-mêmes de leur passage, et ils furent aidés
par quelques paiens, valets des bateliers. Le Jourdain n'était pas très
large en cet endroit, et il était plein de bancs de sable. On plaça des
planches sur les poutres à l'aide desquelles on passait ordinairement,
et on y fit passer les chameaux. Il fallut assez de temps pour que tout
le monde pût atteindre la rive occidentale.
Le soir, à cinq heures et demie, elle dit : ils ont laissé Jéricho à
leur droite ; ils sont dans la direction de Bethléhem, mais ils se
détournent à droite dans cette de Jérusalem. Il y a bien une centaine
d'hommes avec eux. Je vois dans le lointain une petite ville qui m'est
connue ; elle est près d'un petit cours d'eau qui, à partir de
Jérusalem, coule de l'ouest à l'est. Ils doivent certainement passer par
cette petite ville. Pendant un certain temps, ils ont le petit cours
d'eau à leur gauche. Tantôt on voit Jérusalem, tantôt elle disparaît,
selon que la route monte ou descend. Elle dit plus tard : ils n'ont pas
passé par la petite ville, ils se sont détournés à droite vers
Jérusalem.
Le samedi soir, 22 décembre, après la clôture du sabbat, je vis le
cortège des trois rois arriver devant Jérusalem. Je vis la ville avec
ses hautes tours qui s'élevaient vers le ciel. L'étoile qui les
conduisait avait presque disparu, elle jetait seulement encore une
faible lueur derrière la ville. A mesure que les voyageurs s'étaient
approchés de Jérusalem, ils avaient perdu de leur confiance, car
l'étoile ne se montra t plus à eux si brillante, à beaucoup près, et en
Judée ils la voyaient bien moins souvent. Ils avaient cru aussi trouver
partout des fêtes et des réjouissances à cause de la naissance de ce
Sauveur pour lequel ils étaient venus de si loin. Mais, comme ils ne
rencontraient que la plus entière indifférence à ce sujet, ils
s'attristaient, se troublaient et craignaient de s'être complètement
trompés.
Le cortège, qui pouvait être de deux cents personnes, avait à peu près
un quart de lieue de long. Déjà, à Causour, un certain nombre de gens de
distinction s'étaient adjoints à eux. D'autres avaient fait de même plus
tard. Les trois rois étaient assis sur trois dromadaires. Trois autres
dromadaires étaient chargés de bagages. Chaque roi avait près de lui
quatre hommes de sa tribu. La plupart des autres personnes du cortège
montaient des animaux très légers à la course, qui avaient de très
jolies têtes. Je ne sais pas si c'étaient des chevaux ou des ânes ; ils
ne ressemblaient pas à nos chevaux. Ceux de ces animaux dont se
servaient les gens de distinction, avaient de beaux harnais et de belles
brides : ils étaient ornés de chaînes et d'étoiles d'or. Quelques gens
de la suite des rois allèrent à la ville et revinrent avec des gardiens
et des soldats. Leur arrivée, avec un si nombreux cortège, dans un
moment où il n'y avait pas de fête, et sans qu'ils vinssent pour faire
le commerce, était, sur cette route surtout, une chose tout à fait
inaccoutumée Aux questions qu'on leur adressa, ils répondirent pourquoi
ils venaient ; ils parlèrent de l'étoile et de l'enfant nouveau-né.
Personne n'y pouvait rien comprendre. Ils furent très troublés de cela,
et pensaient qu'ils s'étaient trompés, puisqu'ils ne trouvaient pas un
homme qui parût savoir quelque chose touchant le Sauveur du monde ; car
tous ces gens les regardaient avec surprise, et ne pouvaient s'imaginer
ce qu'ils voulaient.
Quand les gardiens de la porte virent avec quelle bonté ils
distribuaient d'abondantes aumônes aux mendiants qui s'approchaient
d'eux, et les entendirent dire qu'ils cherchaient un logement, et qu'ils
payeraient tout généreusement ; quand ils ajoutèrent qu'ils voulaient
parler au roi Hérode, quelques-uns d'entre eux rentrèrent dans : la
ville, et il s'ensuivit des allées et des venues, des messages et des
explications. Pendant ce temps, les trois rois s'entretinrent avec des
gens de toute espèce qui s'étaient rassemblés autour d'eux. Quelques-uns
de ces hommes avaient entendu parler d'un enfant né à Bethléhem, mais
ils ne pensaient pas qu'il y eut là rien d'important, parce que les
parents étaient pauvres et des gens du commun ; d'autres se moquaient
d'eux. Ils comprirent, d'après ce qu'on leur disait, qu'Hérode ne savait
rien touchant cet enfant nouveau-né, et comme, d'ailleurs, ils ne
comptaient guère sur Hérode, ils furent de plus en plus découragés ; car
ils étaient embarrassés de l'attitude qu'ils auraient devant Hérode et
de ce qu'ils lui diraient. Leur tristesse pourtant ne leur fit pas
perdre leur calme, et ils se mirent à prier. Alors le courage leur
revint, et ils se dirent les uns aux autres : Celui qui nous a conduits
si vite par le moyen de l'étoile, saura bien nous ramener heureusement
chez nous.
Quand enfin les surveillants furent revenus, on conduisit le cortège le
long des murs de la ville, et on les fit entrer par une porte située
dans le voisinage du Calvaire. A peu de distance du marché aux poissons,
ils furent conduits dans une cour ronde, entourée d'écuries et de
logements, et à l'entrée de laquelle se tenaient des gardes. Les bêtes
de somme furent mises dans les écuries ; eux-mêmes se retirèrent sous
des hangars, dans le voisinage d'une fontaine placée au milieu de la
cour. Cette cour touchait par un côté à une hauteur ; des autres côtés,
elle était dégagée, et il y avait des arbres devant. Des employés
vinrent alors, deux par deux, avec des lanternes, et visitèrent les
bagages des rois. Je pense que c'étaient des douaniers.
Le palais d'Hérode était situé plus haut, à peu de distance de cet
édifice, et je vis le chemin éclairé par des lanternes et des falots
placés sur des perches. Il envoya un de ses valets, chargé d'amener
secrètement le roi Théokéno dans son palais. Il était près de dix heures
du soir. Théokéno fut reçu dans une salle d'en bas par un courtisan
d'Hérode et interrogé sur les motifs de son voyage. Il raconta tout avec
une grande simplicité, et pria cet homme de demander à Hérode où était
le roi nouveau-né des Juifs, dont ils avaient vu et suivi l'étoile.
Lorsque le courtisan eut fait son rapport à Hérode, celui-ci fut d'abord
très troublé, mais il se remit et fit répondre qu'il voulait faire
prendre des informations à ce sujet. Il fit engager les trois rois à se
reposer en attendant ; car, disait-il, il voulait s'entretenir avec eux
le lendemain et leur faire connaître ce qu'il aurait appris.
Lorsque Théokéno revint près de ses compagnons de voyage, il ne put leur
porter aucune nouvelle qui les consolât. On n'avait rien disposé pour
les faire reposer, et ils tirent refaire bien des paquets qui avaient
été défaits. Je ne les vis pas dormir pendant cette nuit, mais
quelques-uns d'entre eux errèrent dans la ville, regardant le ciel comme
pour y chercher leur étoile. Dans Jérusalem même tout était silencieux,
mais devant la cour on s'agitait et on prenait des informations. Les
rois supposaient qu'Hérode devait tout savoir, mais qu'il se cachait
d'eux.
Il y avait une fête chez Hérode au moment où Théokéno était dans le
palais ; les salles étaient éclairées : on voyait là toutes sortes de
gens et des femmes parées indécemment. Les questions de Théokéno
touchant un roi nouveau-né troublèrent beaucoup Hérode, et il fit
aussitôt convoquer chez lui les princes des prêtres et les scribes. Je
les vis, avant minuit, venir près de lui avec des rouleaux d'écriture.
Ils avaient leurs costumes de prêtres, des plaques sur la poitrine et
des ceintures sur lesquelles étaient brodées des lettres. J'en vis
environ une vingtaine autour de lui. Il leur demanda où le Messie devait
naître ; je les vis alors déployer leurs rouleaux et répondre en
désignant un passage avec le doigt : " il doit naître à Bethléhem de
Juda, disaient-ils, car il est écrit dans le prophète Michée : " Et toi,
Bethléhem, tu n'es pas a la plus petite parmi les princes de Juda ; car
c'est de toi que sortira le chef qui doit gouverner mon peuple dans
Israel ". Je vis alors Hérode se promener avec quelques-uns d'entre eux
sur le toit en terrasse du palais et chercher inutilement des yeux
l'étoile dont avait parlé Théokéno. Il était extraordinairement inquiet
; mais les prêtres et les docteurs lui firent de longs discours pour le
tranquilliser, disant qu'il ne fallait pas attacher d'importance aux
propos des rois mages ; que ces gens, amis du merveilleux, se faisaient
toujours de singulières imaginations avec leurs étoiles ; que si quelque
chose de pareil avait eu lieu, on le saurait dans le temple et dans la
ville sainte, qu'Hérode et eux-mêmes ne pourraient l'ignorer.
LXIV
Les Rois devant Hérode. Conduite de celui-ci et ses motifs.
(Le dimanche, 23 décembre.) Aujourd'hui, de très grand matin, Hérode fit
conduire secrètement les trois rois dans son palais. Ils furent reçus
sous une arcade et conduits dans une salle où je vis des branches vertes
et des bouquets dans des vases, et où on avait préparé quelques
rafraîchissements. Au bout de quelque temps, Hérode vint ; ils
s'inclinèrent devant lui et l'interrogèrent sur le roi des Juifs
nouvellement né. Hérode cacha du mieux qu'il put son agitation et
feignit une grande joie. Il y avait encore quelques scribes avec lui. Il
leur fit des questions sur ce qu'ils avaient vu, et Mensor lui décrivit
la dernière apparition qu'ils avaient vue dans le ciel avant leur départ
: c'était, lui dit-il, une vierge, et devant elle un enfant, du côté
droit duquel était sortie une branche lumineuse ; puis, au-dessus de
celle-ci, s'était montrée une tour à plusieurs portes. Cette tour était
devenue une grande ville, au-dessus de laquelle l'enfant avait paru avec
une couronne, un glaive et un sceptre comme un roi ; après quoi ils
s'étaient vus eux-mêmes, ainsi que tous les rois du monde, prosternés
devant l'enfant et l'adorant ; car il avait un empire auquel tous les
autres empires devaient se soumettre, etc. Hérode leur dit qu'il
existait une prophétie disant quelque chose de semblable à propos de
Bethléhem Ephrata ; il les engagea à y aller sans bruit, et quand ils
auraient trouvé l'enfant, à revenir le lui dire, afin que lui aussi pût
aller l'adorer. Les rois, qui n'avaient pas touché aux mets qu'on avait
apprêtés pour eux, s'en retournèrent à leur logis. Il était encore de
grand matin, car je vis des lanternes allumées devant le palais. Hérode
conféra avec eux très secrètement' pour éviter qu'on en parlât. Comme il
commençait à faire jour, ils se préparèrent à partir. Les gens qui
avaient accompagné le cortège jusqu'à Jérusalem s'étaient dès la veille
dispersés dans la ville.
Hérode était en ce moment plein de mécontentement et d'irritation. Lors
de la naissance de Jésus-Christ, il se trouvait dans un château qu'il
avait près de Jéricho, et il s'était rendu coupable d'un lâche
assassinat. Il avait placé dans la haute administration du temple des
gens de son parti qui espionnaient à son profit ce qui se passait là, et
lui dénonçaient ceux qui s'opposaient à ses desseins. Le principal de
ses adversaires était un haut fonctionnaire du temple, homme juste et
pieux. Hérode, sous les dehors de l'amitié, le fit inviter à venir le
trouver à Jéricho, puis il le fit attaquer et assassiner dans le désert,
mettant ce meurtre sur le compte des brigands. Quelques jours après, il
alla à Jérusalem pour prendre part à la célébration de la fête de la
dédicace du temple, qui avait lieu le 25 du mois de Casleu, et il s'y
engagea dans une affaire très désagréable. Voulant faire plaisir aux
Juifs à sa manière, il avait fait faire en or une figure d'agneau, ou
plutôt de chevreau, car elle avait des cornes, afin que cette image fût
placée sur la porte qui conduisait de la cour des femmes à la cour des
immolations. Il voulut faire cela de sa propre autorité, et que pourtant
on lui en sût gré. Les prêtres s'y étant opposés, il les menaça de leur
faire payer une amende ; ils déclarèrent qu'ils la payeraient, mais
qu'ils n'admettraient pas l'image en question, parce que cela était
contraire aux prescriptions de la loi. Hérode furieux voulut faire
placer l'image secrètement ; mais, quand on l'eut apportée, un Israélite
zélé la saisit et la jeta par terre, en sorte qu'elle se brisa en deux
morceaux. Il y eut du tumulte à cette occasion, et Hérode fit mettre cet
homme en prison. Cette affaire l'avait fort irrité, et il se repentait
d'être venu à la fête. Mais ses courtisans tâchaient de le distraire et
de l'amuser.
Il était dans cette disposition d'esprit lorsque des bruits se
répandirent sur la naissance du Christ. Depuis longtemps, en Judée,
plusieurs hommes pieux vivaient dans l'attente de la venue du Messie,
qu'ils regardaient comme prochaine. Ce qui s'était passé lors de la
naissance de Jésus avait été divulgué par les bergers. Cependant
beaucoup de gens considérables regardaient tout cela comme des fables et
de vains discours. Hérode en avait aussi entendu parler, et il avait
fait prendre très secrètement des informations à Bethléhem ; ses
émissaires étaient venus à la crèche trois jours après la naissance de
Jésus, et, après s'être entretenus avec saint Joseph, ils déclarèrent,
en hommes orgueilleux qu'ils étaient, que c'était une chose sans
conséquence ; qu'il n'y avait là qu'une pauvre famille dans une
misérable grotte, et que tout cela ne méritait pas qu'on s'en occupât.
Leur orgueil même les avait empêchés, dés le commencement, d'interroger
sérieusement saint Joseph, d'autant plus qu'ils avaient reçu l'ordre
d'éviter ce qui pourrait attirer l'attention. Mais tout d'un coup Hérode
vit arriver les trois rois avec leur immense suite, ce qui le jeta dans
une grande inquiétude ; car ils venaient de bien loin, et c'était là
quelque chose de plus que de simples bruits. Comme ils parlaient avec
tant d'assurance du roi nouveau-né, il teignit aussi de vouloir lui
rendre hommage, et ils se réjouirent de le voir ainsi disposé.
L'aveuglement orgueilleux des scribes ne parvint pas à le tranquilliser,
et l'intérêt qu'il avait à tenir cet incident aussi secret que possible
détermina sa conduite. Il ne fit d'abord aucune objection aux
explications des trois rois ; il ne mit pas non plus aussitôt la main
sur Jésus, pour ne pas donner crédit à leurs dires en présence d'un
peuple très difficile à manier. Il résolut d'obtenir des informations
plus exactes par le moyen même des trois rois, et de prendre ensuite des
mesures en conséquence. Mais, comme les rois, avertis par Dieu, ne
revinrent pas vers lui, il fit représenter leur fuite comme la
conséquence d'une illusion ou d'un mensonge de leur part. On fit
répandre partout qu'ils n'avaient pas osé reparaître, parce qu'ils
étaient honteux de l'erreur grossière où ils étaient tombés et où ils
avaient voulu entraîner les autres ; " car, sans cela, disait-on,
quelles raisons auraient-ils pu avoir pour s'enfuir clandestinement,
après avoir été reçus d'une façon si amicale ? "
C'est ainsi qu'il essaya plus tard d'assoupir toute l'affaire. Il fit
seulement dire à Bethléhem qu'on ne devait pas se mettre en rapport avec
cette famille dont il avait été parlé, ni accueillir des bruits et des
inventions propres à égarer les esprits. Comme la sainte Famille
retourna à Nazareth quinze jours plus tard, on cessa bientôt de parler
d'événements sur lesquels la multitude n'avait eu que des renseignements
assez vagues, et les gens pieux qui espéraient gardèrent le silence.
Quand tout parut à peu près oublié, Hérode pensa à se défaire de Jésus,
mais il apprit que la famille avait quitté Nazareth avec l'enfant. Il le
fit longtemps rechercher ; mais, tout espoir de le trouver s'étant
évanoui, son in quiétude en devint plus grande, et il eut recours à la
mesure désespérée du massacre des enfants. Il prit, du reste, à cette
occasion les plus grandes précautions, et envoya d'avance des troupes
partout où l'on pouvait craindre quelque émeute. Je crois que le
massacre eut lieu en sept endroits.
LXV
Les Saints Rois vont de Jérusalem à
Bethlehem.
Ils adorent
l'Enfant et lui offrent leurs présents.
Je vis le cortège des trois rois arriver à une porte située au midi. Une
troupe d'hommes les suivit jusqu'à un ruisseau qui est en avant de la
ville, et s'en retourna ensuite. Quand ils eurent franchi le ruisseau,
ils firent une petite halte et cherchèrent l'étoile des yeux. L'ayant
aperçue, ils jetèrent un cri de joie et continuèrent leur marche en
chantant. L'étoile ne les conduisit pas en ligne directe, mais par un
chemin qui se détournait un peu à l'ouest.
Ils passèrent devant une petite ville que Je connais bien, derrière
laquelle je les vis s'arrêter et prier vers midi, dans un site agréable
voisin d'un hameau. En cet endroit, une source jaillit de terre devant
eux, ce qui les remplit de joie. Ils descendirent et creusèrent pour
cette source un bassin qu'ils entourèrent de sable, de pierres et de
gazon. Ils campèrent là plusieurs heures, firent boire et manger leurs
bêtes, et prirent eux-mêmes un peu de nourriture ; car à Jérusalem ils
n'avaient pu prendre aucun repos par suite de leurs diverses
préoccupations. Plus tard, j'ai vu Notre Seigneur s'arrêter plusieurs
fois près de cette source avec ses disciples. L'étoile, qui brillait la
nuit comme un globe de feu, ressemblait maintenant à la lune vue dans le
jour ; elle ne paraissait pas parfaitement ronde, mais comme découpée ;
je la vis souvent cachée par des nuages.
Sur la route directe de Bethléhem à Jérusalem il y avait un grand
mouvement de voyageurs avec des bagages et des ânes ; c'étaient
probablement des gens qui revenaient de Bethléhem après avoir payé
l'impôt, ou qui allaient à Jérusalem pour le marché ou pour visiter le
temple. Le chemin que suivaient les rois était solitaire, et Dieu les
conduisait sans doute par là pour qu'ils pussent arriver à Bethléhem le
soir et sans faire trop d'effet. Je les vis se remettre en marche quand
le soleil était déjà très bas. Ils allaient dans le même ordre qu'en
venant ; Mensor, le plus jeune, allait en avant ; puis venait Sair, le
basané, et enfin Théokéno, le blanc et le plus âgé.
(Le dimanche, 23 décembre). Je vis aujourd'hui, par le crépuscule du
soir, le cortège des saints rois arriver devant Bethléhem, près de ce
même édifice où Joseph et Marie s'étaient fait inscrire : c'était
l'ancienne maison de la famille de David. Il n'en reste plus que
quelques débris de murs ; elle avait appartenu aux parents de saint
Joseph. C'était un grand bâtiment entouré d'autres plus petits, avec une
cour fermée, devant laquelle était une place plantée d'arbres et où se
trouvait une fontaine. Je vis sur cette place des soldats romains, parce
que la maison était comme le bureau des collecteurs de l'impôt. Quand le
cortège arriva, un certain nombre de curieux se rassembla autour de lui.
L'étoile ayant disparu, les rois avaient quelque inquiétude. Des hommes
s'approchèrent d'eux et les interrogèrent. Ils descendirent de leurs
montures, et des employés vinrent de la maison à leur rencontre avec des
branches à la main, et leur offrirent quelques rafraîchissements.
C'était l'usage de souhaiter ainsi la bienvenue à des étrangers de cette
espèce. Je me dis à moi-même : On est bien plus poli avec eux qu'avec le
pauvre saint Joseph, parce qu'ils ont distribué de petites pièces d'or.
On leur parla de la vallée des bergers comme d'un bon endroit pour y
dresser leurs tentes. Ils restèrent assez longtemps dans l'indécision.
Je ne les entendis pas faire des questions sur le roi des Juifs
nouvellement né : ils savaient que Bethléhem était l'endroit dédaigné
par la prophétie ; mais, par suite des discours d'Hérode, ils
craignaient d'attirer l'attention. Bientôt ils virent briller du ciel,
sur un côté de Bethléhem, un météore semblable à la lune à son lever ;
alors ils remontèrent sur leurs bêtes ; puis, longeant un fossé et des
murs en ruine, ils firent le tour de Bethléhem par le midi et se
dirigèrent à l'orient, vers la grotte de la Crèche, qu'ils abordèrent
par le côté de la plaine où les anges étaient apparu aux bergers.
Quand ils furent arrivés prés du tombeau de Maraha dans la vallée qui
est derrière la grotte de la Crèche. Ils descendirent de leurs montures.
Leurs gens défirent beaucoup de paquets, dressèrent une grande tente
qu'ils portaient avec eux, et firent d'autres arrangements, avec l'aide
de quelques bergers qui leur indiquèrent les places les plus
convenables. Le campement était arrangé en partie, quand les rois virent
l'étoile se montrer, claire et brillante, sur la colline de la Crèche et
y diriger perpendiculairement ses rayons. Elle parut grandir beaucoup et
répandit une masse de lumière extraordinaire. Je les vis d'abord
regarder d'un air très étonné. Il faisait sombre ; ils ne voyaient pas
de maison, mais seulement la forme d'une colline semblable à un rempart.
Tout d'un coup, ils furent saisis d'une grande joie, car ils virent dans
la lumière la figure resplendissante d'un enfant. Tous se découvrirent
la tête pour témoigner leur respect ; puis les trois rois allèrent vers
la colline et trouvèrent la porte de 'a grotte. Mensor l'ouvrit ; il vit
la grotte pleine d'une lumière céleste, et au fond la Vierge tenant
l'enfant et assise, telle que ses compagnons et lui l'avaient vue dans
leurs visions.
Il retourna aussitôt su. ses pas et dit aux autres ce qu'il venait de
voir. Alors Joseph sortit de la grotte, accompagné d'un vieux berger,
pour aller à leur rencontre. Ils lui dirent en toute simplicité comment
ils étaient venus pour adorer le roi nouveau-né des Juifs, dont ils
avaient vu l'étoile, et pour lui offrir leurs présents. Joseph les
accueillit amicalement, et le vieux berger les accompagna près de leur
suite et les aida dans leurs arrangements, ainsi que quelques autres
bergers qui se trouvaient là.
Eux-mêmes se préparèrent comme pour une cérémonie solennelle. Je les vis
mettre de grands manteaux blancs qui avaient une longue queue ; ces
manteaux avaient un reflet brillant comme s'ils eussent été de soie
brute ; ils étaient très beaux et flottaient légèrement autour d'eux :
c'était leur costume ordinaire pour les cérémonies religieuses. Ils
portaient à la ceinture des bourses et des boites d'or suspendues à des
chaînes. Tout cela était recouvert par leurs larges manteaux. Chacun des
rois était suivi par quatre personnes de sa famille ; il y avait en
outre quelques serviteurs de Mensor qui portaient une petite table, un
tapis à franges et d'autres menus objets. Quand ils eurent suivi saint
Joseph sous l'auvent qui était devant la grotte, ils recouvrirent la
table avec le tapis, et chacun des trois rois y plaça quelques-unes des
boîtes d'or et des vases qu'ils détachèrent de leur ceinture : c'étaient
les présents qu'ils offraient en commun. Mensor et tous les autres
ôtèrent leurs sandales, et Joseph ouvrit la porte de la grotte Deux
jeunes gens de la suite de Mensor marchaient devant lui ; ils étendirent
une pièce d'étoffe sur le sol de la grotte, puis ils se retirèrent en
arrière ; deux autres le suivirent avec la table, où étaient les
présents. Arrivé devant la sainte Vierge, il les prit, et, mettant un
genou en terre, il les déposa respectueusement à ses pieds. Derrière
Mensor étaient les quatre hommes de sa famille qui s'inclinaient
humblement. Sair et Théokéno, avec leurs compagnons, se tenaient en
arrière dans l'entrée. Quand ils s'avancèrent, ils étaient comme ivres
de joie et d'émotion et inondés de la lumière qui remplissait la grotte
; et pourtant il n'y avait là d'autre lumière que la Lumière du monde.
Marie, appuyée sur un bras, était plutôt couchée qu'assise sur un tapis,
à la gauche de l'Enfant-Jésus, lequel était étendu, à la place où il
était né, dans une auge recouverte d'un tapis et placée sur une estrade
; mais au moment où ils entrèrent, la sainte Vierge se mit sur son
séant, se voila et prit dans ses bras l'Enfant-Jésus enveloppé dans son
large voile. Mensor s'agenouilla, et, mettant les présents devant lui,
il prononça de touchantes paroles par lesquelles il lui faisais hommage,
en croisant ses mains devant sa poitrine et en inclinant sa tête
découverte. Pendant ce temps, Marie avait mis à nu le haut du corps de
l'enfant, qui regardait d'un air aimable du milieu du voile dont il
était enveloppé ; sa mère soutenait sa petite tête de l'un de ses bras
et l'entourait de l'autre. Il avait ses petites mains jointes devant sa
poitrine, et souvent il les étendait gracieusement autour de lui.
Oh ! combien se trouvaient heureux de l'adorer ces chers hommes de
l'Orient ! Quand je voyais cela, je me disais à moi-même : " Leurs
coeurs sont purs et sans souillure, pleins de tendresse et d'innocence
comme des coeurs d'enfants pieux. Il n'y a rien de violent en eux, et
pourtant ils sont pleins de feu et d'amour. Je suis morte, je ne suis
plus qu'un esprit ; autrement je ne pourrais pas voir cela, car cela
n'existe pas maintenant, et cependant existe maintenant ; mais cela
n'existe pas dans le temps ; en Dieu il n'y a pas de temps ; en Dieu
tout est présent ; je suis morte, je ne suis plus qu'un esprit ".
Pendant que j'avais ces pensées si étranges, j'entendis me voix qui me
disait : " Que t'importe cela ? regarde et loue le Seigneur, qui est
éternel et dans lequel tout est éternel ".
Je vis alors Mensor tirer d'une bourse, qui était ; suspendue à sa
ceinture, une poignée de petites barres compactes, pesantes, de la
longueur du doigt, effilées à l'extrémité et brillantes comme de l'or :
c'était son présent, qu'il plaça humblement sur les genoux de la sainte
Vierge, à côté de l'Enfant-Jésus. Elle prit l'or avec un remerciement
gracieux et le couvrit d'un coin de son manteau. Mensor donna ces
petites barres d'or vierge parce qu'il était plein de sincérité et de
charité, et qu'il cherchait la vérité avec une ardeur constante et
inébranlable.
Mensor se retira en arrière avec ses quatre suivants, et Sair, le roi
basané, s'avança avec les siens et s'agenouilla avec une profonde
humilité ; il offrit son présent avec des paroles touchantes : c'était
un vase d'or à mettre de l'encens, plein de petits grains résineux, de
couleur verdâtre ; il le plaça sur la table devant l'Enfant-Jésus. Il
donna l'encens, parce que c'était un homme qui se conformait
respectueusement et du fond du coeur à la volonté de Dieu et la suivait
avec amour. Il resta longtemps agenouillé avec une grande ferveur avant
de se retirer.
Après lui vint Théokéno, le plus vieux des trois ; il était très avancé
en âge ; ses membres étaient raides, et il ne pouvait pas se mettre à
genoux ; mais il se tint debout, profondément incliné, et plaça sur la
table un vase d'or avec une belle plante verte. C'était un bel arbuste à
tige droite, avec de petits bouquets frisés surmontés de jolies fleurs
blanches : c'était la myrrhe. Il offrit la myrrhe, parce qu'elle est le
symbole de la mortification et de la victoire sur les passions ; car cet
excellent homme avait soutenu des luttes persévérantes contre
l'idolâtrie, la polygamie et les habitudes violentes de ses
compatriotes. Dans son émotion, il resta si longtemps devant
l'Enfant-Jésus avec ses quatre suivants, que je pris pitié des autres
serviteurs restés hors de la grotte, parce qu'ils avaient tant attendu
pour voir l'Enfant-Jésus.
Les paroles des rois et de tous leurs compagnons étaient pleines de
simplicité et fort touchantes. En se prosternant et en lui offrant leurs
présents, ils s'exprimaient à peu près en ces termes : Nous avons vu son
étoile ; nous savons qu'il est le Roi de tous les rois ; nous venons
l'adorer et lui offrir notre hommage et nos présents, et ainsi de suite.
Ils étaient comme en extase, et, dans leurs prières naïves et
affectueuses, ils recommandaient à l'Enfant-Jésus eux-mêmes, leurs
familles, leur pays, leurs biens et tout ce qui avait du prix pour eux
sur la terre. Ils offraient au roi nouveau-né leurs coeurs, leurs âmes,
leurs pensées et leurs actions. Ils le priaient de les éclairer, de leur
donner la vertu, le bonheur, la paix et l'amour. Ils se montraient
enflammés d'amour et répandaient des larmes de joie, qui tombaient sur
leurs joues et leurs barbes. Ils étaient dans le bonheur ; ils croyaient
être arrivés eux-mêmes dans cette étoile vers laquelle' depuis des
milliers d'années, leurs ancêtres avaient dirigé leurs regards et leurs
soupirs avec un désir si constant. Toute la joie de la promesse
accomplie après tant de siècles était en eux.
La mère de Dieu accepta tout avec d'humbles actions de grâces ; d'abord,
elle ne dit rien, mais un simple mouvement sous son voile exprimait sa
pieuse émotion. Le petit corps de l'enfant se montrait brillant entre
les plis : de son manteau. A la fin, elle adressa à chacun quelques
paroles humbles et gracieuses et retira un peu son voile en arrière. Oh
! j'ai pris là une nouvelle leçon ; je me disais à moi-même : Avec
quelle douce et aimable gratitude elle reçoit chaque présent ! Elle qui
n'a besoin de rien, qui possède Jésus, qui accueille avec humilité tous
les dons de la charité. Moi aussi, à l'avenir, je recevrai' humblement
et avec reconnaissance tous les dons charitables. Que de bonté dans
Marie et dans Joseph. Ils ne gardaient presque rien pour eux, et
distribuaient tout aux pauvres.
Lorsque les rois eurent quitté la grotte avec leurs suivants et furent
retournés à leur tente, leurs serviteurs entrèrent à leur tour. Ils
avaient dressé la tente, déchargé les bêtes de somme, mis tout en ordre,
et ils attendaient devant la porte, patiemment et humblement. Ils
étaient plus de trente, et il y avait aussi avec eux une troupe
d'enfants qui avaient seulement un linge autour des reins et un petit
manteau. Les serviteurs entraient cinq par cinq, et un des principaux
personnages auxquels ils appartenaient les conduisait. Ils
s'agenouillaient autour de l'Enfant et l'honoraient en silence. Enfin,
les enfants entrèrent tous ensemble, se mirent à genoux et adorèrent
Jésus avec une joie innocente et naive. Les serviteurs ne restèrent pas
longtemps dans la grotte de la Crèche, car les rois rentrèrent avec
solennité. Ils avaient mis d'autres manteaux longs et flottants ; ils
portaient à la main des encensoirs, et ils encensèrent très
respectueusement l'enfant, la sainte Vierge, Joseph et toute la grotte ;
puis ils se retirèrent après s'être inclinés profondément. C'était une
manière d'adorer chez ce peuple.
Pendant tout ce temps, Marie et Joseph étaient pénétrés de la plus douce
joie où je les eusse jamais vus ; des larmes d'attendrissement coulaient
souvent sur Leurs joues. Les honneurs solennellement rendus à
l'Enfant-Jésus, qu'ils étaient obligés de loger si pauvrement, et dont
la dignité suprême restait cachée dans leurs coeurs, les consolaient
infiniment ; ils voyaient que la Providence toute-puissante de Dieu,
malgré l'aveuglement des hommes, avait préparé pour l'Enfant de la
promesse et lui avait envoyé des contrées les plus lointaines ce
qu'eux-mêmes ne pouvaient lui donner, l'adoration due à sa dignité
rendue par les puissants de la terre avec une sainte magnificence. Ils
adoraient Jésus avec les saints rois ; les hommages qui lui étaient
adressés les rendaient heureux.
Les tentes étaient dressées dans la vallée située derrière la grotte de
la Crèche jusqu'à la grotte du tombeau de Maraha ; les bêtes étaient
rangées en ordre et attachées à des pieux séparés par des cordes. Près
de la grande tente qui était voisine de la colline de la Crèche, se
trouvait un espace recouvert de nattes, où était déposée une partie des
bagages ; cependant, la plus grande partie fut portée dans la grotte du
tombeau de Maraha. Quand tous eurent quitté la crèche, les étoiles
s'étaient levées. Ils se rassemblèrent en cercle près du vieux
térébinthe, qui s'élevait au-dessus de la grotte de Maraha, et
entonnèrent des chants solennels en présence des étoiles. Je ne puis
dire combien étaient touchants ces chants qui retentissaient dans la
vallée silencieuse. Pendant tant de siècles leurs ancêtres avaient
regardé les astres, prié, chanté ; maintenant, tous leurs désirs étaient
exaucés ; ils chantaient comme enivrés de joie et de reconnaissance.
Pendant ce temps, Joseph, avec l'aide de deux vieux bergers, avait
apprêté un petit repas dans la tente des trois rois. Ils apportèrent du
pain, des fruits, des rayons de miel, quelques herbes et des flacons de
baume, qu'ils rangèrent sur une table basse recouverte d'un tapis.
Joseph s'était procuré tout cela dès le matin pour recevoir les rois,
dont la sainte Vierge lui avait annoncé d'avance l'arrivée. Quand
ceux-ci revinrent à leur tente, je vis saint Joseph les accueillir très
amicalement, et les prier, comme étant ses hôtes, d'accepter le petit
repas qu'il leur offrait. Il se plaça à côté d'eux autour de la table,
et ils mangèrent. Il ne montrait point de timidité ; il était si content
qu'il versait des larmes de joie.
Quand je vis cela, je pensai à feu mon père, le pauvre paysan, qui, lors
de ma vêture dans le couvent, fut obligé de se mettre à table avec
beaucoup de gens de distinction. Dans sa simplicité et son humilité, il
avait eu d'abord grand peur ; puis, plus tard, son contentement fut tel,
qu'il en pleura de joie. Il tenait, sans le vouloir, la première place à
la fête. Après ce petit repas, Joseph les quitta. Quelques-uns des plus
considérables de la caravane allèrent à une auberge de Bethléhem ; les
autres se placèrent sur leurs couches, qui étaient rangées en cercle
dans la grande tente, et se livrèrent au repos. Joseph, revenu à la
grotte, mit tous les présents à droite de la crèche, dans un recoin
devant lequel il avait mis une cloison, en sorte qu'on ne pouvait pas
voir ce qui s'y trouvait. La servante d'Anne qui, après le départ de
celle-ci, était restée auprès de la sainte Vierge, s'était tenue dans
une grotte latérale pendant toute la cérémonie ; elle ne reparut que
lorsque tous eurent quitté la crèche. Elle était grave et intelligente.
Je ne vis ni la sainte Famille, ni même cette servante regarder les
présents des rois avec une complaisance mondaine ; tout fut accepté avec
d'humbles remerciements et presque aussitôt distribué charitablement.
Ce soir, à Bethléem, je vis un peu d'agitation lors de l'arrivée du
cortège à la maison où l'on payait l'impôt, et, plus tard, bien des
allées et des venues dans la ville. Les gens qui avaient suivi le
cortège jusqu'à la vallée des bergers, n'avaient pas tardé à revenir.
Plus tard, pendant que les trois rois, pleins de joie et de ferveur,
adoraient et déposaient leurs présents dans la grotte de la Crèche, je
vis roder dans les environs, à une certaine distance, quelques Juifs qui
espionnaient et chuchotaient ensemble ; plus tard, je les vis aller et
venir dans Bethléhem, et faire divers rapports. Je ne pus m'empêcher de
pleurer amèrement sur ces malheureux. Je souffre beaucoup de voir ces
méchantes gens, qui alors, et maintenant encore, quand le Sauveur
s'approche des hommes, se tiennent là murmurant et observant) puis,
poussés par leur malice, répandent des mensonges. Oh ! combien ces
malheureux me semblaient à plaindre ! ils ont le salut si près d'eux, et
ils le repoussent, tandis que ces bons rois, guidés par leur foi sincère
dans la promesse, Sont allés si loin et ont trouvé le salut. Oh !
combien je pleure sur ces hommes endurcis et aveugles !
A Jérusalem, je vis aujourd'hui, pendant le jour, Hérode lire encore des
rouleaux avec plusieurs scribes, et parler de ce qu'avaient dit les
trois rois. Plus tard, tout fut calme, comme si l'on eût voulu assoupir
cette affaire.
LXVI
Les Rois visitent encore la sainte Famille.
Hérode leur tend des embûches.
Un Ange les avertit. Ils prennent congé et s'en vont.
(Le lundi, 91 décembre.) Aujourd'hui je vis de grand matin les rois et
quelques personnes de leur suite visiter successivement la sainte
Famille. Je les vis aussi, pendant la journée, près de leur campement et
de leurs bêtes de somme, occupés de diverses distributions. Ils étaient
dans la joie et le bonheur, et faisaient beaucoup de présents. J'ai vu
qu'alors on en agissait toujours ainsi lors des événements heureux. Les
bergers, qui avaient rendu des services à la suite des rois, reçurent
des présents considérables. Je vis aussi faire des gratifications à
beaucoup de pauvres ; ainsi l'on mettait des couvertures sur les épaules
de quelques pauvres vieilles femmes toutes courbées qui s'étaient
glissées là. Il y avait plusieurs personnes de la suite des trois rois
qui se plaisaient dans la vallée près des bergers, et qui voulaient
rester là et se réunir à ces bergers. Ils firent connaître leur désir
aux rois, et reçurent la permission de rester avec de riches présents.
On leur donna des couvertures, des effets, de l'or en grains, et les
Anes qu'ils avaient montés. Comme je vis aussi les rois distribuer
beaucoup de pain, je me demandai d'abord d'où ils l'avaient tiré. Je me
rappelai ensuite les avoir vus plusieurs fois, aux endroits où ils
campaient, préparer, au moyen de leur provision de farine, dans des
formes de fer qu'ils portaient avec eux, de petits pains plats
semblables à du biscuit, qu'ils mettaient sur leurs bêtes de somme,
entassés dans de légères boites de cuir. Il vint aussi aujourd'hui
beaucoup de gens de Bethléhem, qui se pressaient autour d'eux pour avoir
des présents, et qui se faisaient donner quelque chose sous divers
prétextes.
Le soir, ils allèrent à la crèche pour prendre congé. Mensor s'y rendit
seul d'abord. Marie lui mit l'Enfant-Jésus dans les bras : il pleurait
et était rayonnant de joie. Après lui vinrent les deux autres, qui
prirent congé en versant des larmes. Ils apportèrent encore beaucoup de
présents, des pièces de diverses étoffes, dont quelques-unes semblaient
être de soie sans teinture, dont quelques autres étaient rouges ou à
fleurs ; il y avait aussi de très belles couvertures. Ils voulurent en
outre laisser leur grands manteaux d'un jaune pâle, qui semblaient faits
d'une laine extrêmement fine ; ils étaient très légers, le moindre
souffle d'air les agitait. Ils portaient aussi plusieurs coupes placées
les unes sur les autres, des boites pleines de grains, et dans une
corbeille des pots où étaient de beaux bouquets d'une herbe verte avec
de jolies fleurs blanches. Ces pots étaient placés les uns au-dessus des
autres dans la corbeille. C'était de la myrrhe. Ils donnèrent aussi à
Joseph de longues cages avec des oiseaux qu'ils avaient en grand nombre
sur leurs dromadaires pour les manger.
Tous versèrent des larmes abondantes quand ils quittèrent Marie et
l'enfant. Je vis la sainte Vierge debout près d'eux lorsqu'ils prirent
congé. Elle portait sur son bras l'Enfant-Jésus enveloppé dans son
voile, et elle fit quelques pas pour reconduire les rois vers la porte
de la grotte ; là elle s'arrêta en silence, et, pour donner un souvenir
à ces excellents hommes, elle détacha de sa tête le grand voile d'étoffe
jaune transparente qui l'enveloppait ainsi que l'Enfant-Jésus ; et elle
le donna à Mensor. Ils reçurent ce don en s'inclinant profondément, et
une joie respectueuse fit battre leurs coeurs quand ils virent devant
eux la sainte Vierge sans voile, tenant le petit Jésus. quelles douces
larmes ils versèrent en quittant la grotte ! Le voile fut pour eux dès
lors la plus sainte relique qu'ils possédassent.
La sainte Vierge, en recevant les présents, ne semblait pas attacher de
prix aux choses qu'on lui offrait ; et pourtant, dans sa touchante
humilité, elle montrait une véritable reconnaissance pour celui qui
donnait. Pendant cette merveilleuse visite, je n'ai vu chez elle aucun
sentiment de retour complaisant sur elle-même. Seulement, au
commencement, par amour pour l'Enfant-Jésus et par compassion pour saint
Joseph, elle se hissa aller en toute simplicité à l'espérance que
dorénavant ils trouveraient peut-être de la sympathie à Bethléhem, et ne
seraient plus traités d'une manière aussi méprisante qu'à leur arrivée ;
car la tristesse et la confusion de saint Joseph l'avaient beaucoup
affligé.
Quand les rois prirent congé, la lampe était déjà allumée dans la grotte
: il faisait sombre, et ils se rendirent aussitôt avec leurs suivants
sous le grand térébinthe qui surmontait le tombeau de Maraha, pour y
faire, comme la veille au soir, les cérémonies de leur culte. Une lampe
était allumée sous l'arbre. Lorsque les étoiles se montrèrent, ils
prièrent et entonnèrent des chants mélodieux. Les voix des enfants
faisaient un effet très agréable dans le choeur. Ils se rendirent
ensuite dans leur tente, où Joseph leur avait encore préparé un petit
repas, après lequel quelques-uns s'en retournèrent à leur auberge à
Bethléhem, tandis que les autres se livrèrent au repos dans la tente.
Vers minuit, j'eus tout à coup une vision. Je vis les rois reposant dans
leur tente sur des couvertures étendues par terre, et j'aperçus auprès
d'eux un jeune homme resplendissant : c'était un ange qui les éveillait
et leur disait de partir en toute hâte, et de ne pas revenir par
Jérusalem, mais par le désert, en contournant la mer Morte. Ils se
jetèrent promptement à bas de leur couche, et leur suite fut bientôt sur
pied. L'un d'eux alla à la crèche éveiller saint Joseph, qui courut à
Bethléhem pour avertir ceux qui s'y étaient logés ; mais il les
rencontra avant d'y arriver, car ils avaient eu la même apparition. La
tente fut pliée, les bagages furent chargés, et tout fut enlevé avec une
rapidité étonnante. Pendant que les rois faisaient encore de touchants
adieux à saint Joseph devant la grotte de la Crèche, leur suite partait
en détachements séparés pour prendre les devants, et se dirigeait vers
le midi pour longer la mer Morte en traversant le désert d'Engaddi.
Les rois firent des instances pour que la sainte Famille partît avec
eux, parce qu'un danger la menaçait certainement ; ils demandèrent
ensuite que Marie se cachât avec le petit Jésus pour n'être pas
inquiétée à cause d'eux ; ils pleurèrent comme des enfants, embrassèrent
saint Joseph et lui adressèrent des paroles touchantes ; puis ils
montèrent leurs dromadaires légèrement chargés, et s'éloignèrent à
travers le désert. Je vis l'ange dans la plaine près d'eux, il leur
montrait la direction du chemin. Bientôt ils disparurent. Ils suivirent
des routes séparées à un quart de lieue les uns des autres, se dirigeant
pendant une lieue vers l'orient, et ensuite vers le midi, dans le
désert. Ils passèrent par la contrée que traversa Jésus en revenant
d'Égypte dans sa troisième année de prédication.
LXVIII
Mesures prises par les autorités de
Bethlehem
contre les Rois.
- L'accès à la grotte de la Crèche interdit.
Zacharie visite la sainte Famille
(Le mardi 25 décembre.) L'ange avait averti les rois à propos, car les
autorités de Bethléhem avaient le projet de les faire arrêter
aujourd'hui, de les emprisonner dans de profonds caveaux qui étaient
sous la synagogue, et de les accuser auprès d'Hérode comme perturbateurs
du repos public.
Je ne sais pas s'il y avait eu un ordre secret d'Hérode à cet effet ; je
crois plutôt que c'était un mouvement de zèle spontané. Ce matin,
lorsqu'on apprit leur départ à Bethléhem, ils étaient déjà près
d'Engaddi, et la vallée où ils avaient campé était calme et solitaire
comme avant leur séjour, dont il ne restait plus d'autres traces que le
gazon foulé et quelques pieux qui avaient servi pour les tentes. Dans le
fait, pourtant, l'apparition de la caravane avait produit beaucoup
d'effet dans Bethléhem. Bien des gens se repentaient de n'avoir pas
donné l'hospitalité à saint Joseph ; d'autres parlaient des rois comme
d'aventuriers conduits par d'étranges imaginations ; d'autres enfin
trouvaient des rapports entre leur arrivée et les bruits de l'apparition
qu'avaient eue les bergers. Tous ces propos portèrent les magistrats de
l'endroit, peut-être sur une invitation d'Hérode, à prendre certaines
mesures. Je vis au centre de Bethléhem tous les habitants convoqués sur
une place où se trouvait un puits entouré d'arbres, devant une grande
maison à laquelle on montait par des degrés. Du haut de ces degrés on
lut un avertissement ou une proclamation dirigée contre les discours
superstitieux, et interdisant les visites à la demeure des gens qui
avaient donné lieu à tous ces propos.
Quand la foule ainsi rassemblée se fut retirée, je vis saint Joseph
mandé dans cette même maison et interrogé par de vieux Juifs. Je le vis
revenir à la crèche et se rendre encore une fois au tribunal. La seconde
fois, il prit avec lui un peu de l'or qu'avaient apporté les rois, et il
le leur donna ; après quoi ils le laissèrent s'en aller tranquillement.
Tout cet interrogatoire me parut aboutir à une escroquerie. Je vis aussi
que les autorités firent barrer par un tronc d'arbre mis en travers un
chemin qui conduisait aux environs de la crèche sans passer par la porte
de la ville, mais qui, en partant de la place où Marie s'était arrêtée
sous un grand arbre, franchissait une colline ou un rempart. Ils
placèrent une sentinelle près de l'arbre dans une cabane, et firent
tendre sur le chemin des fils qui aboutissaient à une sonnette dans la
cabane, afin qu'on pût arrêter ceux qui voudraient prendre ce chemin.
Dans l'après-midi, je vis une troupe de seize soldats d'Hérode près de
Joseph, avec lequel ils s'entretinrent. Ils avaient probablement été
envoyés à cause des trois rois, qu'on avait accusés de troubler la paix
publique ; mais, comme le silence et le repos régnaient partout fit
qu'ils ne trouvèrent dans la grotte que la pauvre famille, comme
d'ailleurs ils avaient l'ordre de ne rien faire qui pût attirer
l'attention, ils s'en retournèrent tranquillement et rapportèrent ce
qu'ils avaient vu. Joseph avait porté les présents des trois rois et ce
qu'ils avaient laissé en outre après eux, dans la grotte de Maraha et
dans d'autres grottes cachées de la colline de la Crèche, qu'il
connaissait depuis sa jeunesse pour s'y être souvent dérobé aux
persécutions de ses frères. Ces caveaux solitaires existaient dés le
temps du patriarche Jacob. A une époque où il n'existait que des cabanes
à la place de Bethléhem, il y avait dressé une fois ses tentes sur la
colline de la Crèche.
Ce soir, je vis Zacharie d'Hébron visiter pour la première fois la
sainte Famille. Marie était encore dans la Grotte. Il versa des larmes
de joie, prit l'enfant dans ses bras, et répéta, en y changeant quelque
chose, le cantique de louanges qu'il avait chanté lors de la
circoncision de Jean-Baptiste.
(Le mercredi, 26 décembre.) Aujourd'hui Zacharie s'en retourna chez lui,
et sainte Anne revint près de la sainte Famille avec sa fille aînée. La
fille aînée d'Anne était plus grande que sa mère et paraissait presque
plus âgée.
Une grande joie règne maintenant dans la sainte Famille. Anne est tout
heureuse. Marie place souvent l'Enfant-Jésus dans ses bras, et le laisse
soigner par elle. Je ne l'ai vue faire cela pour aucune autre personne.
Je vis, ce qui lue toucha beaucoup, que les cheveux de l'enfant, qui
étaient blonds et bouclés, avaient à leur extrémité de beaux rayons de
lumière. Je crois qu'ils lui frisent les cheveux, car je vois qu'on
frotte sa petite tête lorsqu'on le lave, ce qu'on fait en mettant sur
lui un petit manteau. Je vois toujours dans la sainte Famille une pieuse
et touchante vénération pour l'Enfant-Jésus ; mais tout s'y passe
simplement et naturellement, comme chez les saints élus de Dieu.
L'enfant a une affection, une tendresse pour sa mère que je n'ai jamais
vue chez des enfants si jeunes.
Marie raconta à sa mère tout ce qui s'était passé lors de la visite des
trois rois, et Anne fut extraordinairement touchée que le Seigneur eût
appelé ces hommes de si loin pour leur faire connaître l'enfant de la
promesse. Elle vit les présents des rois, qui étaient cachés dans une
excavation pratiquée dans la paroi : elle aida à en distribuer une
grande partie, et à ranger le reste en bon ordre.
Tout était tranquille dans les environs : les chemins menant à la
grotte, qui ne passaient pas par la porte de la ville, étaient barrés
par ordre des autorités. Joseph n'allait plus faire ses emplettes à Bethléhem ; les bergers lui apportaient ce dont il avait besoin. La
parente chez laquelle Anne est allée, dans la tribu de Benjamin', est
Mara. La fille de Rhode, soeur d'Élisabeth.
Dans sa narration la soeur confondit souvent cette Mara avec une soeur
cadette ou nièce d'Anne, qu'elle appelait Énoué. Souvent des proches
parents lui apparaissaient comme des frères ou des soeurs.
Elle était pauvre, et eut dans la suite plusieurs fils qui furent
disciples de Jésus. Un d'eux s'appelait Nathanael' : c'était le fiancé
des noces de Cana. Cette Mara était présente lors de .a mort de la
sainte Vierge à Éphèse.
Anne était maintenant seule avec Marie dans la grotte latérale. Je les
vis travailler ensemble à une couverture grossière. La grotte de la
Crèche était entièrement vide. L'âne de Joseph était caché derrière des
claies. Encore aujourd'hui des agents d'Hérode vinrent de Bethléhem, et
prirent des informations dans plusieurs maisons relativement à un enfant
nouveau-né. Ils accablèrent spécialement de questions une Juive de
distinction qui, peu de temps auparavant, avait mis au monde un enfant
mâle. Ils ne vinrent pas à la grotte de la Crèche ; comme précédemment
ils n'y avaient trouvé qu'une pauvre famille, ils ne supposèrent pas
qu'il pût en être question.
Deux hommes âgés (c'étaient, je crois, des bergers qui avaient adoré
l'Enfant-Jésus) vinrent trouver Joseph, et l'avertirent de ces
perquisitions. Je vis alors la sainte Famille et sainte Anne se réfugier
avec l'enfant dans la grotte du tombeau de Maraha. Dans la grotte de la
Crèche il n'y avait plus rien qui décelât un lieu habité : elle
paraissait entièrement abandonnée.
Ce n'est pas le Nathanaël que Jésus vit sous le figuier.
Nathanaël, le
fils de Mara, était l'un des enfants que sainte Anne réunit pour fêter
Jésus, âgé de douze ans, lorsqu'il revint après avoir enseigne dans le
temple pour le première fois. Jésus, à cette fête, parla en parabole
d'un mariage ou l'eau devait être changée en vin, et d'un autre mariage
où le vin serait changé en sang. Il disait aussi, comme en plaisantant,
Au jeune Nathanaël, qu'il serait un jour présent à ses noces. La fiancée
de Cana était de Bethlehem et de la famille de saint Joseph. Après le
miracle de Cana, les deux époux firent voeu de continence. Nathanaël se
joignit aussitôt aux disciples de Jésus, et il reçut au baptême le nom
d'Amator. Il devint plus tard évêque. Il fut à Edesse et aussi en Crète,
près de Carpus ; il alla ensuite en Arménie. Y ayant fait de nombreuses
conversions, il fut arrêté et envoyé sur les bords de la mer Noire.
Rendu à la liberté, il alla dans le pays de Mensor. Il y opéra sur une
femme on miracle dont j'ai oublié les détails, baptisa un grand nombre
de personnes, et fut mis à mort dans la ville d'Acaiakuh, située sur une
île de l'Euphrate.
Je les vis pendant la nuit suivre la vallée avec une lumière couverte.
Anne portait l'Enfant-Jésus dans ses bras, Marie et Joseph marchaient à
côté d'elle ; les bergers les conduisaient, portant les couvertures et
tout ce qui était nécessaire pour les saintes femmes et l'enfant.
J'eus à cette occasion une vision, et je ne sais pas si la sainte
Famille l'eut aussi. Je vis autour de l'Enfant-Jésus une gloire formée
de sept figures d'anges placées les unes au-dessus des autres ;
plusieurs autres figures paraissaient dans cette gloire. Je vis aussi
près de sainte Anne, de saint Joseph et de Marie, des formes lumineuses
qui semblaient les conduire par le bras. Quand ils furent entrés dans le
vestibule, ils fermèrent la porte et allèrent jusque dans la grotte du
Tombeau, où ils disposèrent tout pour prendre leur repos.
LXVIII
La sainte Famille dans la grotte de Maraha.
- Joseph sépare l'Enfant Jésus de Marie pendant quelques heures.
Marie, dans son inquiétude, exprime du lait de son sein.
Origine d'un miracle qui s'est perpétué jusqu'à nos jours.
La soeur Emmerich raconta à diverses reprises les deux incidents qui
suivent comme ayant eu lieu lorsque la sainte Vierge était cachée dans
la grotte de Maraha. Ayant toujours été distraite par la souffrance ou
par des visites, elle ne les raconta pas le jour même où elle les vit,
mais par forme de supplément, comme quelque chose qu'elle avait oublié ;
nous les mettons donc ensemble, laissant au lecteur le soin de les
placer dans un autre ordre selon qu'il le jugera convenable.
La sainte Vierge raconta à sa mère tout ce qui s'était passé lors de la
visite des saints rois, et elles parlèrent aussi de la manière dont elle
avait été laissée dans la grotte du tombeau de Maraha.
Je vis deux bergers venir trouver la sainte Vierge, et l'avertir qu'il
venait des gens chargés par les autorités de s'enquérir de son enfant.
Marie ressentit une vive inquiétude, et je vis bientôt après saint
Joseph entrer, retirer l'Enfant-Jésus de ses bras, l'envelopper dans un
manteau et l'emporter. Je ne me souviens plus où il alla avec lui.
Je vis alors la sainte Vierge livrée à ses inquiétudes maternelles,
rester seule dans la grotte sans l'Enfant-Jésus pendant l'espace d'une
demi journée. Quand vint l'heure où on devait l'appeler pour allaiter
l'enfant, elle fit ce qu'ont coutume de faire des mères soigneuses
lorsqu'elles ont été agitées violemment par quelque frayeur ou quelque
vive émotion. Avant de donner à boire à l'enfant, elle exprima de son
sein le lait que ses angoisses avaient pu altérer, dans une petite
cavité de la couche de pierre blanche qui se trouvait dans la grotte.
Elle parla de la précaution qu'elle avait prise à un des bergers, homme
pieux et grave, qui était venu la trouver (probablement pour la conduire
auprès de l'enfant) ; cet homme, profondément convaincu de la sainteté
de la mère du Rédempteur, recueillit plus tard avec soin le lait
virginal qui était resté dans la petite cavité de la pierre, et le porta
avec une simplicité pleine de foi à sa femme, qui avait alors un
nourrisson qu'elle ne pouvait pas satisfaire ni calmer. Cette bonne
femme prit cet aliment sacré avec une respectueuse confiance, et sa foi
fut récompensée, car son lait devint aussitôt très abondant. Depuis cet
événement la pierre blanche de cette grotte reçut une vertu semblable,
et j'ai vu que, de nos jours encore, même des infidèles mahométans en
font usage comme d'un remède, dans ce cas et dans plusieurs autres.
La tradition de ce miracle est rapportée avec diverses variantes dans
beaucoup de descriptions anciennes et modernes de la Palestine. Suivant
la tradition la plus ordinaire, la sainte Famille, passant près de
Bethléhem lors de la fuite en Egypte, se serait cachée dans cette
grotte, et quelques gouttes de lait tombées du sein de la mère de Dieu
auraient donné cette vertu à la pierre de la grotte. C'est la soeur
Emmerich qui a dit la première que cette grotte avait servi de tombeau à
la nourrice d'Abraham ; quelle s'appelait dès lors la grotte de la
nourrice ; et aussi que les inquiétudes maternelles de Marie avaient été
la cause de cette vertu communiquée à la pierre de la grotte en
question. Le savant franciscain Fr. Quaresmius, commissaire apostolique
dans la Terre Sainte au dix-neuvième siècle, dit entre autres choses, à
propos de cette grotte, dans son Historica Terra' Sanctae elucidatio,
Antwerpiæ, 1632, t. II, p. 678 : "à peu de distance de la grotte de la
Nativité et de l'église de la sainte Vierge, à Bethléhem (suivant
d'autres indications elle en est éloignée de deux cents pas), se trouve
un souterrain dans lequel sont creusées trois grottes ; dans cette qui
est au milieu, le saint sacrifice de la messe a été souvent célébré en
mémoire du miracle qui s'y est opéré : on l'appelle communément la
grotte de la Vierge ou l'église de Saint Nicolas une bulle du pape
Grégoire Xl (mort en 1378) mentionne cette chapelle de Saint Nicolas à
Bethléhem, et permet aux franciscains d'y bâtir une maison avec clocher
et cimetière. "On lit encore dans un ancien manuscrit sur les lieux
saints : "Item, l'église de Saint Nicolas, où est la grotte dans
laquelle, suivant la tradition, la sainte Vierge s'est cachée avec
l'Enfant-Jésus ". Quaresmius, après avoir rapporté la tradition vulgaire
sur cette grotte, ajoute que la terre de cette grotte est naturellement
rouge ; mais qu'étant réduite en poussière, lavée et séchée au soleil,
elle devient blanche comme la neige, et que, mêlée avec de l'eau, elle
ressemble parfaitement à du lait. La terre ainsi préparée s'appelle lait
de la sainte Vierge. On en fait une potion très salutaire pour les
femmes qui ne peuvent pas nourrir, et on l'emploie aussi avec succès
contre d'autres maladies. Même les femmes turques et arabes en retirent
une telle quantité de terre pour l'employer ainsi, que ce qui était
autrefois une seule grotte en forme trois aujourd'hui. Les reliques qui,
dans plusieurs Lieux de pèlerinage, portent le nom de lac bestoe
Virginia, et donnent lien à beaucoup de moqueries, ne sont le plus
souvent que de la terre de cette grotte de Bethléhem, dont parle la
soeur Emmerich.
Quaresmius, à ce propos, mentionne un miracle rapporté par Baronius,
lequel dit, dans ses Annales (an 158), que depuis que saint Paul a
rejeté la vipère qui l'avait mordu à la main dans l'île de Malte (Act.
XXIX), il n'y a plus dans cette île ni serpents ni animaux venimeux, et
même que la terre de Malte est devenue un contrepoison ; puis il ajoute
ces paroles : " Si une telle vertu a été donnée à cette terre à cause de
saint Paul, pourquoi refuserions-nous de croire que Dieu, pour honorer
la Vierge mère, a communiqué une vertu semblable et encore plus grande d
cette grotte, sanctifiée par la présence de Jésus et de Marie " !
Castro, dans la vie de Marie, Grotonus, dans la vie de saint Joseph,
rapportent la même tradition d'après un vieil écrit arménien.
Depuis ce temps, cette terre passée à l'eau et pressée dans de petits
moules a été répandue dans la chrétienté comme un objet de dévotion ;
c'est d'elle que se composent les reliques appelées lait de la très
sainte Vierge.
LXIX
Préparatifs pour le départ de la sainte Famille.
Départ de sainte Anne. Détails personnels à la soeur.
Elle reconnaît des reliques venant des trois Rois.
(Du 28 au 30 décembre.) Je vis dans les derniers jours et aujourd'hui
saint Joseph prendre divers arrangements qui annonçaient le prochain
départ de la sainte Famille. Chaque jour il amoindrissait son mobilier.
Il donna aux bergers les cloisons mobiles, les claies et les autres
objets à l'aide desquels il avait rendu la grotte habitable, et tout
cela fut emporté par eux.
Aujourd'hui, dans l'après-midi, un assez grand nombre de gens qui
allaient à Bethléhem pour le sabbat, vinrent à la grotte de la Crèche ;
mais, la trouvant abandonnée, ils passèrent outre. Sainte Anne doit
retourner à Nazareth après le sabbat ; on met tout en ordre et on fait
des paquets. Elle prend avec elle et charge sur deux ânes plusieurs
choses données par les trois rois, spécialement des tapis, des
couvertures et des pièces d'étoffe. Ce soir, la sainte Famille célébra
le sabbat dans la grotte de Maraha ; on continua à le célébrer le samedi
29 décembre. La tranquillité régnait dans les environs. Après la clôture
du sabbat, on prépara tout pour le départ de sainte Anne.
Cette nuit, je vis, pour la seconde fois, la sainte Vierge sortir, au
milieu des ténèbres, de la grotte de Maraha, et porter l'Enfant-Jésus
dans cette de la Crèche. Elle le posa sur un tapis à l'endroit où il
était né et pria à genoux près de lui. Je vis alors toute la grotte
remplie d'une lumière céleste, comme à l'heure de la naissance du
Sauveur. Je pense que la sainte Mère de Dieu doit aussi avoir vu cela.
Le dimanche 30 décembre, de très grand matin, je vis sainte Anne faire
de tendres adieux à la sainte Famille et sus trois bergers, et partir
pour Nazareth avec ses gens.
Ils emportaient sur leurs bêtes de somme tout ce qui restait des
présents des trois rois, et je fus très surprise de les voir prendre un
petit paquet qui m'appartenait. J'eus le sentiment qu'il était parmi les
leurs, et je ne pus comprendre comment il pouvait se faire que sainte
Anne emportât ainsi ce qui était à moi.
Cette impression qu'eut la soeur Emmerich s'explique par ce qui va être
raconté. Bientôt après ce mouvement de surprise qu'elle eut lorsqu'il
lui sembla voir sainte Anne emporter de Bethléhem quelque chose qui lui
appartenait, elle communiqua ce qui suit à l'écrivain :
" Sainte Anne, dit elle, a emporté en partant beaucoup de choses données
par les trois rois, et spécialement des étoffes ; une grande partie de
tout cela a servi dans la primitive Église, et il en est resté quelque
chose jusqu'à nos jours. Il y a parmi mes reliques un petit morceau de
la couverture de la petite table où étaient les présents des trois rois.
et un autre morceau venant d'un de leurs manteaux.
A l'occasion de ce mot : mes reliques, nous avons quelques détails à
donner au lecteur. A toutes les époques, il y a eu dans l'Église
catholique des personnes qui, en vertu d'un don particulier, éprouvaient
une rire et agréable impression à la vue ou nu contact des ossements des
saints et de tous les objets consacrés et sanctifiés. Vraisemblablement
ce don ne s'est jamais manifesté à un aussi haut degré ni aussi
constamment que chez la soeur Anne-Catherine Emmerich. Non seulement le
très saint Sacrement mais encore tout ce qui avait été consacré et bénit
par l'Église, particulièrement les ossements des saints et tout ce que
l'Eglise désigne par le nom de reliques, était distingué par elle de
toutes les autres substances semblables quant à Leur nature. Ces objets
sacrés lui apparaissaient brillants de lumière, et d'une lumière
différemment colorée suivant leur espèce. Lorsque c'étaient des
ossements de saints on des etoffe9 qui leur avaient appartenu, elle
pouvait faire connaître les noms des sainte et souvent raconter leur
histoire dans le plus grand détail. C'est ce dont les personnes qui
l'approchaient le plus souvent purent se convaincre si pleinement par
une foule d'expériences journalières, qu'un de ses amis lui donna le nom
de saeromètre. Celui qui écrit ceci rapportent dans l'histoire détaillée
de sa vie un grand nombre de ces expériences. Nous ne savons pas si les
autorités ecclésiastiques du pays où a vécu la soeur Emmerich se sont
fait faire un rapport étendu avec tous les témoignages à l'appui sur ce
phénomène si intéressant en ce qui touche la vie spirituelle, mais nous
sommes convaincus que ce don était ce qu'il y avait en elle de' plus
remarquable et de plus digne d'attention. Pour éprouver cette
connaissance qu'elle avait des reliques et des autres objets consacrés,
plusieurs de ses amis, et notamment l'écrivain, étaient mis à la porté.
de la bonne soeur une grande quantité d'objets de ce genre Cela leu
avait été facile, car, malheureusement, par suite de la destruction de
tant d'églises et de couvents à notre époque, et aussi par suite de la
diminution ou même de l'extinction complète du sens de la loi en ce qui
touche les choses saintes et les objets transmis par la tradition comme
sacrés et vénérables, de véritables trésors, eu l'honneur desquels de
grandes églises avaient peut-être été bâties, étaient négligés ou
profanés de la manière la plus affligeante. Plusieurs étaient tombés
dans les mains de particuliers et jusque dans les boutiques des
fripiers. Elle-même indiqua ce qu'étaient devenus beaucoup de ces
ossements sacres, et on les lui procura. Elle reçut ainsi, grâce à la
bonté du respectable Overberg, qui était son directeur extraordinaire,
deux châsses importantes, pleines de reliques des temps primitifs, qui
avaient été trouvées dans une vieille église supprimée.
Comme une partie de ces reliques se trouvait dans une petite armoire
près du lit de la malade, tandis qu'une autre partie était dans la
demeure de l'écrivain, celui-ci demanda : "Cette relique est-elle ici"
? Non, répondit-elle, là-bas, dans la maison. "est-ce chez moi" ? dit
l'écrivain. — Non, répliqua-t-elle, chez cet homme, chez le pèlerin ".
(Elle avait coutume de désigner ainsi l'écrivain). c Elle se trouve dans
un petit paquet ; la petite pièce du manteau est d'une couleur effacée.
Mais on ne me croira pas, et pourtant cela est vrai ; je le vois devant
vos yeux. Il y a un proche parent de l'écrivain, celui qui m'a fait une
visite ; celui-là a un coeur semblable à celui du roi basané Séir. Il
est si doux, si docile et si sincère c'est un vrai coeur chrétien. Ah !
si cet homme était dans l'Église : il posséderait le ciel sur la terre !
L'écrivain ayant pris parmi les reliques déposées chez lui ce qu'on
pouvait appeler un petit paquet, et le lui ayant apporté, elle l'ouvrit
aussitôt et reconnut un petit reste d'étoffe de laine jaune et un autre
morceau de soie rougeâtre, comme provenant des trois rois, mais sans
donner à cet égard d'explications plus précises. Elle dit ensuite : " Je
dois avoir moi-même un petit morceau d'étoffe venant des trois rois
mages. Ils avaient plusieurs manteaux ; un, qui était épais et d'une
étoffe serrée pour le mauvais temps ; un autre, de couleur jaune, et un
autre rouge, de belle laine fine. Ces manteaux flottaient au vent quand
ils marchaient. Dans les cérémonies, ils portaient des manteaux de soie
sans teinture ; les bords étaient brodés d'or, et il y avait une longue
queue que portaient des suivants. Je pense qu'il y a près de moi quelque
pièces d'un de ces manteaux, et que c'est pour cela que j'ai vu près des
trois rois, antérieurement et encore cette nuit, des scènes relatives à
la production et au tissage de la soie.
Dans une contrée située a l'orient, entre le pays de Théokéno et celui
de Séïr, se trouvaient des arbres de..' les branches étaient couvertes
de vers ; on avait creusé autour de chaque arbre un petit fossé pour que
les vers ne pussent pas s'en aller. Je vis souvent placer des feuilles
sous ces arbres ; de petites boites étaient suspendues aux arbres, et
comme on y prenait des objets ronds, plus longs que le doigt, je croyais
d'abord que c'étaient des oeufs d'oiseau d'une espèce rare ; mais je vis
bientôt que c'étaient des coques filées par les vers, lorsque ces gens
les dévidèrent et en tirèrent des fils très déliés. Ils en
assujettissaient une grande quantité devant leur poitrine, et filaient
avec un beau fit qu'ils roulaient sur quelque chose qu'ils tenaient à la
main. Je les vis aussi tisser entra des arbres ; leur métier à tisser
était très simple : la pièce d'étoffe était à peu près large comme mon
drap de lit. Quelques jours après, elle dit : Mon médecin m'a souvent
interrogée à propos d'un petit morceau d'étoffe de soie d'un tissu
singulier. J'en ai vu dernièrement un pareil auprès de moi, et ne sais
plus ce qu'il est devenu. En recueillant mes souvenirs, j'ai reconnu que
c'était à cette occasion que j'avais vu ce tableau du tissage de la soie
: c'était plus à l'orient que le pays des trois rois, dans un pays où
alla saint Thomas. Je me suis trompée en le racontant : il faut que le
pèlerin efface cela. Ce morceau d'étoffe n'appartient pas aux trois rois
; il m'a été donné par quelqu'un qui voulait faire une expérience, sans
s'inquiéter de ce qui m'occupait alors intérieurement : il résulte de là
des contusions, et tout devient obscur.
J'ai vu de nouveau les reliques, et je sais où elles sont. Il y a
plusieurs années, j'ai donné à ma belle-soeur qui habite Flamske, avant
ses dernières couches, un petit paquet fermé par une couture. Elle
m'avait priée de lui donner une relique pour la fortifier ; je lui
donnai ce petit paquet, que j'avais vu lumineux. et comme ayant été
autrefois en contact avec la Mère de Dieu. Je ne me souviens pas bien si
je vis alors clairement tout ce qu'il contenait ; mais il procura à
cette pieuse femme beaucoup de consolation. Cette nuit, je l'ai revu,
elle le possède encore, il est solidement cousu. Il y a un petit morceau
de tapis d'un rouge sombre, deux petites pièces d'un tissu léger comme
du crêpe, de la couleur de la soie brute, quelque chose de vert qui
ressemble à du coton, un petit morceau de bois et deux petits fragments
de pierre blanche. J'ai fait dire à ma belle-soeur de me le rapporter.
Au bout de quelques jours, sa belle-soeur vint en effet la voir et
apporta le petit paquet en question, qui était à peu près de la grosseur
d'une noix. L'écrivain l'ouvrit chez lui avec soin, sépara les uns des
autres les morceaux d'étoffe roulés ensemble, et les serra entre les
pages d'un livre pour les aplatir. Il y avait un morceau d'étoffe de
laine fort épaisse d'environ deux pouces carrés, de couleur rouge tirant
sur le brun ; des morceaux longs et larges de deux doigts d'un tissu
léger, semblable à de la mousseline, et dont la couleur était celle de
la soie brute, puis un petit éclat de bois et deux petits fragments de
pierre. Ayant plié les petits morceaux d'étoffe dans des feuilles de
papier à lettre, il les lui mit sous les yeux dans la soirée. Elle ne
savait pas ce que c'était et dit d'abord : " Qu'ai je à faire de ces
lettres " ? Puis, tenant dans sa main les papiers sans les ouvrir, elle
ajouta aussitôt : "Il faut conserver cela avec soin et n'en pas perdre
un brin. L'étoffe épaisse, qui maintenant parait brune, était autrefois
d'un rouge foncé. C'était une couverture, à peu près aussi grande que ma
chambre ; les suivants des trois rois l'étendirent dans la grotte de la
Crèche, et Marie s'y assit avec l'Enfant-Jésus pendant qu'ils
présentaient l'encens. Elle l'a conservée ensuite dans la grotte et la
prit sur son âne lorsqu'elle alla à Jérusalem présenter l'enfant au
temple. Le tissu léger vient d'une espèce de manteau court, composé de
trois bandes d'étoffe séparées et attachées à un collet, qu'ils
portaient sur leurs épaules comme une étole pour les cérémonies. Le
petit éclat de bois et les deux petites pierres ont été rapportés de la
Terre Sainte à une époque plus récente.
Elle était alors occupée de la suite de ses visions relatives à la
dernière année de la prédication de Jésus. Le 27 janvier qui précéda sa
Passion, elle le vit, allant à Béthanie, s'arrêter, avec dix-sept
disciples, dans une auberge de Bethléhem. Il les instruisit sur leur
vocation, et célébra le sabbat avec eux. La lampe resta allumée toute la
journée. " Il y a, dit-elle, un de ces disciples qui est nouvellement
venu avec lui de Sichar. Je l'ai vu très distinctement : il doit y avoir
parmi mes reliques un petit fragment de ses os. Son nom ressemble à
Silan ou à Vilan ; ces deux lettres s'y trouvent ". Plus tard, elle dit
Silvain. Au bout de quelque temps elle ajouta : " J'ai vu de nouveau les
petits morceaux d'étoffe venant des trois rois. Il doit y avoir encore
là un petit paquet, où se trouvent entre autres choses un peu du manteau
du roi Mensor, un morceau d'une couverture de sole rouge qui fut placée
anciennement près du Saint Sépulcre, et un petit fragment de l'étole
blanche et rouge d'un saint ". Après avoir fait une pause, elle dit
encore : " Je vois maintenant où est ce petit paquet ; je l'ai donné, il
y a deux ans et demi, à une femme d'ici pour le porter sur elle ; elle
l'a encore. Je la prierai de me le rendre. Je le lui donnai pour la
consoler quand on me mit en prison, à cause du grand intérêt qu'elle me
portait. Je ne savais pas alors au juste ce qu'il y avait ; je voyais
seulement qu'il brillait, que c'était une relique, et qu'il avait été en
contact avec la mère de Dieu. Maintenant que j'ai vu avec tant de détail
tout ce qui concerne les trois rois, j'ai reconnu tout ce qui, dans mon
voisinage, avait quelque rapport à eux, et notamment ces reliques
d'étoffe ".
Au bout de quelques jours, quand elle eut de nouveau ce petit paquet,
elle le donna à ouvrir à l'écrivain, parce qu'elle était malade. Il
ouvrit dans l'autre pièce ce petit paquet, fermé depuis longtemps par
une forte couture, et il y trouva les objets suivants enveloppés
ensemble :
1 - un petit morceau de tissu de laine très fine, sans teinture, qui,
lorsqu'on voulait le déployer, s'effilait en parcelles très minces ;
2 - Deux petits morceaux d'étoffe de coton, couleur nankin d'un tissu
peu serré mais pourtant assez solide de la longueur d'un doigt ;
3 - Un pouce carré d'étoffe de soie cramoisie ;
4 - un quart de pouce carré d'étoffe de soie jaune et blanche ;
5 - Un petit échantillon de soie verte et rouge ;
6 - Au milieu de tout cela, un petit papier plié où était une petite
pierre blanche de la grosseur d'un pois.
L'écrivain sépara tous ces objets et les enveloppa dans autant de
morceaux de papier, excepté le n° 6 qu'il laissa dans le vieux papier.
Quand il s'approcha de la malade, elle ne semblait pas être dans l'état
de clairvoyance ; elle était éveillée, toussait et se plaignait de vives
douleurs ; pourtant elle dit bientôt : " Qu'est-ce que ces lettres que
vous avez là ? cela est tout brillant. Nous avons là des trésors qui ont
plus de valeur qu'un royaume ". Elle prit alors les différents papiers
sans les ouvrir et sans regarder ce qu'ils contenaient. Après les avoir
tenus successivement dans sa main, elle se fut pendant quelques
instants, comme regardant intérieurement ; puis, en les rendant, elle
dit ce qui suit sur leur contenu, sans faire la plus légère erreur, car
l'écrivain s'en assura aussitôt en ouvrant ces papiers, qui étaient tous
pliés de la même manière :
N. l. Ceci vient d'une robe de Mensor ; c'est de la laine très fine.
Elle n'avait pas de manches, mais seule ment des ouvertures pour passer
les bras. Une bande d'étoffe, semblable à une manche, pendait depuis les
épaules jusqu'aux coudes. Elle décrivit alors très exacte. ment la
forme, la matière et la couleur de la relique.
N. 2. Ceci provient d'un manteau que les trois rois
avaient laissé après eux. Elle décrivit ensuite la relique.
N. 3. Ceci est un petit morceau d'une couverture de
soie rouge qui était étendue sur le sol près du Saint Sépulcre, quand
les chrétiens possédaient encore Jérusalem. Lorsque les Turcs prirent la
ville, elle était comme neuve. Les chevaliers la partagèrent entre eux,
et chacun en emporta un morceau comme souvenir.
N. 4. Ceci vient de l'étole d'un très saint prêtre,
nommé Alexis. C'était, je crois, un capucin. Il priait continuellement
au Saint Sépulcre. Les Turcs lui firent subir beaucoup de mauvais
traitements. Ils firent entrer des chevaux dans l'église, et placèrent
une vieille femme turque entre lui et le Saint Sépulcre, à l'endroit où
il priait. Mais il ne se laissa pas troubler par tout cela. Ils finirent
par le murer là, et la femme lui donnait de l'eau et du pain par une
ouverture. Je sais cela par beaucoup de choses qui m'ont été montrées
récemment, lorsque j'ai vu le petit paquet, sans bien savoir où il se
trouvait.
N. 5. Ceci n'est pas une relique, c'est cependant
un objet digne de respect. Cela provient des sièges où les princes et
les chevaliers s'asseyait dans l'église du Saint Sépulcre
N. 6. C'est une petite pierre de la chapelle qui
est au-dessus du Saint Sépulcre, et il y a aussi un petit fragment
d'ossement du disciple Silvain de Sichar.
L'écrivain lui ayant dit qu'il n'y avait pas de fragment d'ossements,
elle répondit : " Regardez et cherchez ". Il alla dans la première pièce
pour y voir plus clair, ouvrit avec précaution le papier plié, et trouva
dans un pli un très petit morceau d'ossement, de forme irrégulière, de
l'épaisseur de l'ongle et de la grandeur d'un demi kreutzer. Elle
l'avait exactement décrit, et il le reconnut aussitôt. Tout cela se
passa le soir dans sa chambre, qui n'était pas éclairée ; il n'y avait
de la lumière que dans la première pièce.
LXX
Purification de la sainte Vierge.
Comme on approchait du jour où la sainte Vierge devait présenter son
premier-né au temple et le racheter suivant les prescriptions de la loi,
tout fut préparé pour que la sainte Famille pût d'abord aller au temple,
puis retourner à Nazareth. Déjà, le dimanche 30 décembre au soir, les
bergers avaient pris tout ce qu'avaient laissé après eux les serviteurs
de sainte Anne. La grotte de la Crèche, la grotte latérale et celle du
tombeau de Maraha étaient entièrement débarrassées, et même nettoyées.
Saint Joseph les laissa parfaitement propres.
Dans la nuit du dimanche au lundi 31 décembre, je vis Joseph et Marie
visiter encore une fois avec l'enfant la grotte de la Crèche, et prendre
congé de ce saint lieu. Ils étendirent d'abord le tapis des trois rois à
la place où Jésus était né, y posèrent l'enfant et prièrent ; puis, ils
le placèrent à l'endroit où avait eu lieu la circoncision, et s'y
agenouillèrent aussi pour prier.
Le lundi 31 décembre, au point du jour, je vis la sainte Vierge se
placer sur l'âne, que les vieux bergers avaient amené tout harnaché
devant la grotte. Joseph tint l'enfant jusqu'à ce qu'elle se fût
installée commodément et le lui donna. Elle était assise sur un siège :
ses pieds, un peu relevés, reposaient sur une planchette. Elle tenait
sur son sein l'enfant, enveloppe dans son grand voile, et le regardait
avec bonheur. Ils n'avaient près d'eux, sur l'Ane, que deux couvertures
et deux petits paquets, entre lesquels Marie était assise. Les bergers
leur firent de touchants adieux et les conduisirent jusqu'au chemin. Ils
ne prirent pas la route par laquelle ils étaient venus, mais passèrent
entre la grotte de la Crèche et celle du tombeau de Maraha, en longeant
Bethléhem au levant. Personne ne les aperçut.
(30 janvier.) Aujourd'hui, je les vis suivre lentement la route, assez
courte du reste, qui va de Bethléhem à Jérusalem. Ils y mirent beaucoup
de temps et s'arrêtèrent souvent. A midi, je les vis se reposer sur des
bancs qui entouraient un puits recouvert d'un toit. Je vis deux femmes
venir près de la sainte Vierge et lui apporter deux petites cruches avec
du baume et des petits pains.
L'offrande de la sainte Vierge pour le temple était dans une corbeille
suspendue aux flancs de l'âne. Cette corbeille avait trois
compartiments, dont deux étaient recouverts et contenaient des fruits.
Le troisième formait une cage à jour où l'on voyait deux colombes.
Je les vis vers le soir, à environ un quart de lieue en avant de
Jérusalem, entrer dans une petite maison, tenue par un vieux ménage qui
les reçut très affectueusement. C'étaient des Esséniens, parents de
Jeanne Chusa. Le mari s'occupait de jardinage, taillait les haies et
était chargé de quelque chose relativement au chemin.
(1er février.) Je vis aujourd'hui la sainte Famille passer toute la
journée chez ses vieux hôtes. La sainte Vierge fut presque tout le temps
dans une chambre, seule avec l'enfant, qui était posé sur un tapis. Elle
était toujours en prière et paraissait se préparer pour la cérémonie qui
allait avoir lieu. J'eus à cette occasion des avertissements intérieurs
sur la manière dont on doit se préparer à la sainte communion. Je vis
apparaître dans la chambre plusieurs anges qui adorèrent l'Enfant-Jésus.
Je ne sais pas si la sainte Vierge les vit ; mais je suis portée à le
croire, car je la vis très émue. Les bons hôtes montrèrent toute espèce
de prévenances envers la sainte vierge. Ils devaient avoir un
pressentiment de la sainteté de l'Enfant-Jésus.
Le soir, vers sept heures, j'eus une vision relative au vieux Siméon.
C'était un homme maigre, très âgé, avec une barbe courte. Il était
prêtre, avait une femme et trois fils, dont le plus jeune pouvait avoir
vingt ans. Je vis Siméon, qui habitait tout contre le temple, se rendre,
par un passage étroit et obscur, dans une petite cellule voûtée qui
était pratiquée dans les gros murs du temple. Je n'y vis rien qu'une
ouverture par laquelle on pouvait voir dans l'intérieur du temple. J'y
vis le vieux Siméon agenouillé et ravi en extase pendant sa prière. Un
ange lui apparut et l'avertit de remarquer le lendemain matin l'enfant
qui serait présenté le premier, parce que cet enfant était le Messie,
après lequel il avait si longtemps soupiré. Il ajouta qu'il mourrait peu
de temps après l'avoir vu. C'était un merveilleux spectacle ; la cellule
était brillante de clarté, et le saint vieillard était rayonnant de
joie. Je le vis ensuite revenir dans sa demeure et raconter, tout
joyeux, à sa femme, ce qui lui avait été annoncé. Quand sa femme fut
allée se reposer, je le vis de nouveau se mettre en prière.
Je n'ai jamais vu les pieux Israélites ni leurs prêtres faire, pendant
leur prière, ces contorsions exagérées que font les Juifs d'à présent ;
mais je les vis quelquefois se donner la discipline. Je vis aussi la
prophétesse Anne prier dans sa cellule du temple, et avoir une vision
touchant la présentation de l'Enfant-Jésus.
(2 février.) Ce matin, avant le jour, je vis la sainte Famille,
accompagnée de ses hôtes, quitter son auberge avec les corbeilles où
étaient les offrandes, et se rendre au temple de Jérusalem. Ils
entrèrent d'abord dans une cour entourée de mur attenante au temple.
Pendant que saint Joseph et son hôte plaçaient l'âne sous un hangar, la
sainte Vierge fut accueillie très amicalement par une femme âgée, qui la
conduisit plus loin par un passage couvert. Elles avaient une lanterne,
car il faisait encore sombre. Dès leur entrée dans ce passage, le vieux
Siméon vint au-devant de Marie. Il lui adressa quelques paroles qui
exprimaient sa joie, prit l'enfant qu'il serra contre son coeur, et
revint en hâte au temple par un autre chemin. Ce que l'ange lui avait
dit la veille lui avait inspiré un si vif désir de voir l'enfant après
lequel il avait si longtemps soupiré, qu'il était venu là attendre
l'arrivée des femmes. Il portait de longs vêtements comme les prêtres
hors de leurs fonctions. Je l'ai vu souvent dans le temple, et toujours
en qualité de prêtre, mais qui n'occupait pas un rang élevé dans la
hiérarchie. Il se distinguait seulement par sa grande piété, sa
simplicité et ses lumières.
La sainte Vierge fut conduite par la femme qui lui servait de guide
jusqu'au vestibule du temple où la présentation devait avoir lieu : elle
y fut reçue par Anne et par Noémi, son ancienne maîtresse, lesquelles
habitaient l'une et l'autre de ce côté du temple. Siméon, qui était venu
de nouveau à la rencontre de la sainte Vierge, la conduisit au lieu où
se faisait le rachat des premiers-nés : Anne, à laquelle saint Joseph
donna la corbeille où était l'offrande, la suivit avec Noémi. Les
colombes étaient dans le dessous de la corbeille ; la partie supérieure
était remplie de fruits. Saint Joseph se rendit par une autre porte au
lieu où se tenaient les hommes.
On savait dans le temple que plusieurs femmes devaient venir pour la
présentation de leurs premiers-nés, et tout était préparé. Le lieu où la
cérémonie eut lieu était aussi grand que l'église principale de Dulmen.
Contre les murs étaient des lampes allumées qui formaient toujours une
pyramide. La flamme sortait à l'extrémité d'un conduit recourbé par un
bec d'or qui brillait presque autant qu'elle. A ce bec était attaché par
un ressort une espèce de petit éteignoir qui, relevé en haut, éteignait
la lumière sans qu'elle répandit d'odeur, et qu'on retirait par en bas
lors. qu'on voulait allumer.
Devant une espèce d'autel, au coin duquel se trouvaient comme des
cornes, plusieurs prêtres avaient apporté un coffret quadrangulaire un
peu allongé, qui formait le support d'une table assez large sur laquelle
était posée une grande plaque. Ils mirent par-dessus une couverture
rouge, puis une autre couverture blanche transparente, qui pendait tout
autour jusqu'à terre. Aux quatre coins de cette table turent placées des
lampes allumées à plusieurs branches ; au milieu, autour d'un long
berceau, deux plats ovales et deux petites corbeilles.
Ils avaient tiré tous ces objets des compartiments du coffre, où ils
avaient pris aussi des habits sacerdotaux, qu'on avait placés sur un
autel fixe. La table, dressée pour les offrandes, était entourée d'un
grillage. Des deux côtés de cette pièce du temple il y avait des rangées
de sièges, dont l'une était plus élevée que l'autre ; il s'y trouvait
des prêtres qui priaient. Siméon s'approcha alors de la sainte Vierge,
qui tenait dans ses bras l'Enfant-Jésus enveloppé dans une étoffe bleu
de ciel et la conduisit par la grille à la table des offrandes, où elle
plaça l'enfant dans le berceau. A partir de ce moment, je vis le temple
rempli d'une lumière dont rien ne peut rendre l'éclat. Je vis que Dieu y
était, et au-dessus de l'enfant, je vis les cieux ouverts jusqu'au trône
de la très sainte Trinité. Siméon reconduisit ensuite la sainte Vierge
au lieu où se tenaient les femmes derrière un grillage. Marie portait un
vêtement couleur bleu de ciel et un voile blanc ; elle était enveloppée
dans un long manteau d'une couleur tirant sur le jaune.
Siméon alla ensuite à l'autel fixe, sur lequel étaient placés les
vêtements sacerdotaux. Lui et trois autres prêtres s'habillèrent pour la
cérémonie. Ils avaient au bras une espèce de petit bouclier, et sur la
tête une sorte de mitre. L'un d'eux se tenait derrière la table des
offrandes, l'autre devant ; deux autres étaient aux petits côtés, et ils
récitaient des prières sur l'enfant.
La prophétesse Anne vint alors près de Marie, lui présenta la corbeille
des offrandes, qui renfermait dans deux compartiments, placés l'un
au-dessous de l'autre, des fruits et des colombes, et la conduisit au
grillage qui était devant la table des offrandes ; elle resta là debout.
Siméon, qui se tenait devant la table, ouvrit la grille, conduisit Marie
devant la table, et y plaça son offrande. Dans un des plats ovales on
plaça des fruits, dans l'autre des nièces de monnaie : les colombes
restèrent dans la corbeille.
Siméon resta avec Marie devant l'autel des offrandes le prêtre, placé
derrière l'autel, prit l'Enfant-Jésus, l'éleva en l'air en le présentant
vers différents côtés du temple et pria longtemps. Il donna ensuite
l'enfant à Siméon qui le remit sur les bras de Marie, et lut des prières
dans un rouleau placé près de lui sur un pupitre.
Siméon reconduisit alors la sainte Vierge devant la balustrade, d'où
elle fut ramenée par Anne, qui l'attendait là, à la place où se tenaient
les femmes ; il y en avait là une vingtaine, venues pour présenter au
temple leurs premiers-nés. Joseph et d'autres hommes se tenaient plus
loin, à l'endroit qui leur était assigné. Alors les prêtres, qui étaient
devant l'autel, commencèrent un service avec des encensements et des
prières ; ceux qui se trouvaient sur les sièges y prirent part en
faisant quelques gestes, mais non exagérés comme ceux des Juifs
d'aujourd'hui. Quand cette cérémonie fut finie, Siméon vint à l'endroit
où se trouvait Marie, reçut d'elle l'Enfant-Jésus, qu'il prit dans ses
bras, et, plein d'un joyeux enthousiasme, parla de lui longtemps, et en
termes très expressifs. Il remercia Dieu d'avoir accompli sa pro. messe,
et dit, entre autres choses : "C'est maintenant Seigneur, que vous
renvoyez votre serviteur en paix selon votre parole; car mes yeux ont
vu votre salut que vous avez préparé devant la face de tous les peuples
la lumière qui doit éclairer les nations et glorifier votre peuple
d'Israël ".
Jusqu'en 1823, dans le troisième récit da la prédication de Jésus, elle
parla d'un séjour qu'il fit à Hébron, environ dix jours après la mort de
saint Jean-Baptiste, elle vit Jésus, le vendredi 29 Thébet (17 janvier),
taire une instruction sur la lecture du sabbat, qui était tirée de
l'Exode (X-XIII), et qui traitait des ténèbres d'Egypte et du rachat des
premiers nés. Elle vit à cette occasion toute la cérémonie de la
présentation de Jésus dans le temple et raconta ce qui suit : "La sainte
vierge présenta l'Enfant-Jésus au temple le quarante et unième jour
après sa naissance. Elle resta à cause d'une fêle trois jours dans
l'auberge située devant la porte de Bethléhem. Outre l'offrande
ordinaire des colombes, elle offrit cinq petites plaques d'or de forme
triangulaire provenant de' présents des trois rois, et donna plusieurs
pièces de belle étoffe pour le' ornements du temple. Joseph, avant de
quitter Bethléhem, vendit à sen cousin la jeune ânesse qu'il lui avait
remise en gage le 30 novembre, Je crois toujours que l'ânesse sur
laquelle Jésus entra à Jérusalem le dimanche des rameaux provenait de
cette bête.
Joseph s'était rapproché après la présentation ; ainsi que Marie, il
écouta avec respect les paroles inspirées de Siméon, qui les bénit tous
deux, et dit à Marie : " Voici que celui-ci est placé pour la chute et
pour la résurrection de plusieurs dans Israel, et comme un signe de
contradiction ; un glaive traversera ton âme, afin que ce qu'il y a dans
beaucoup de coeurs soit révélé ".
Quand le discours de Siméon fut fini, la prophétesse Anne fut aussi
inspirée, parla longtemps de l'Enfant-Jésus, et appela sa mère
bienheureuse.
Je vis les assistants écouter tout cela avec émotion, mais pourtant sans
qu'il en résultat aucun trouble ; les prêtres même semblèrent en
entendre quelque chose. Il semblait que cette manière enthousiaste de
prier à haute voix ne fût pas tout à fait une chose inaccoutumée, que
des choses semblables arrivassent souvent, et que tout dût se passer
ainsi. Tous donnèrent à l'enfant et à sa mère de grandes marques de
respect. Marie brillait comme une rose céleste.
La sainte Famille avait présenté, en apparence, la plus pauvre des
offrandes ; mais Joseph donna secrète. ment au vieux Siméon et à la
prophétesse Anne beaucoup de petites pièces jaunes triangulaires,
lesquelles devaient profiter spécialement aux pauvres vierges élevées
dans le temple, et hors d'état de payer lad frais de leur entretien.
Je vis ensuite la sainte Vierge, tenant l'enfant dans ses bras,
reconduite par Anne et Noémi à la cour où elles l'avaient prise et où
elles se firent réciproquement leurs adieux. Joseph y était déjà avec
les deux hôtes ; il avait amené l'Ane sur lequel Marie monta avec
l'enfant, et ils partirent aussitôt du temple, traversant Jérusalem en
allant dans la direction de Nazareth.
Je n'ai pas vu la présentation des autres premiers-nés amenés
aujourd'hui ; mais j'ai le sentiment que tous reçurent des grâces
particulières, et que beaucoup d'entre eux furent du nombre des saints
innocents égorgés par ordre d'Hérode.
La cérémonie de la Présentation dut être terminée ce matin, vers neuf
heures ; car c'est alors que je vis partir la sainte Famille. Ils
allèrent ce jour-là jusqu'à Béthoron, et passèrent la nuit dans la
maison qui avait été le dernier gîte de la sainte Vierge, treize ans
avant, lorsqu'elle fut conduite au temple. La maison me parut habitée
par un maître d'école. Des gens, envoyés par sainte Anne, les
attendaient là pour les prendre avec eux. Ils revinrent à Nazareth par
un chemin beaucoup plus direct que celui qu'ils avaient pris en allant à
Bethléhem, lorsqu'ils évitaient les bourgs et n'entraient que dans les
maisons isolées.
Joseph avait laissé chez son parent la jeune ânesse qui lui avait montré
le chemin dans le voyage à Bethléhem ; car il pensait toujours revenir à
Bethléhem, et à se construire une demeure dans la vallée des bergers. Il
avait parlé de ce projet aux bergers, et il leur avait dit qu'il voulait
seulement que Marie passât un certain temps chez sa mère pour se
remettre des fatigues de son mauvais gîte. Il avait, à cause de cela,
laissé beaucoup de choses chez les bergers.
Joseph avait avec lui une singulière espèce de monnaie qu'il avait reçue
des trois rois. Il avait à sa robe une espèce de poche intérieure où il
portait une quantité de feuilles de métal jaunes, minces, brillantes et
repliées les unes sur les autres. Elles étaient carrées, avec les coins
arrondis ; il y avait quelque chose de gravé. Les pièces d'argent que
reçut Judas pour prix de sa trahison étaient plus épaisses et en forme
de langue.
Pendant ces jours-là, je vis les trois saints rois réunis au delà d'une
rivière. Ils firent une halte d'un jour et célébrèrent une fête. Il y
avait là une grande maison entourée de plusieurs autres petites. Au
commencement, ils voyageaient très vite ; mais, à dater de leur halte
actuelle, ils allèrent beaucoup plus lentement qu'ils n'étaient venus.
Je vis toujours en avant de leur cortège un jeune homme resplendissant
qui leur parlait quelquefois.
LXXI
Mort de Siméon.
(3 janvier.) Siméon avait une femme et trois fils, dont l'aîné pouvait
avoir quarante ans et le plus jeune vingt ans. Tous trois étaient
employés au temple. Plus tard, ils furent constamment les amis secrets
de Jésus et des siens. Ils devinrent disciples du Seigneur, soit avant
sa mort, soit après son ascension. Lors de la dernière cène, l'un d'eux
prépara l'agneau pascal pour Jésus et les apôtres. Je ne sais pourtant
pas si tous ceux-là n'étaient pas peut-être des petits fils de Siméon.
Lors de la première persécution qui eut lieu après l'Ascension, ils
rendirent de grands services aux amis du Sauveur. Siméon était parent de
Séraphia, qui reçut le nom de Véronique, et aussi de Zacharie par le
père de celle-ci.
Je vis que Siméon, étant revenu chez lui après avoir prophétisé à la
présentation de Jésus, tomba aussitôt malade ; il n'en témoigna pas
moins une grande joie dans les discours qu'il tint à sa femme et à ses
fils. Je vis cette nuit que c'était aujourd'hui qu'il devait mourir. De
tout ce que je vis à ce sujet, je ne me rappelle que ce qui suit :
Siméon, sur son lit de mort, adressa à sa femme et à ses enfants des
exhortations touchantes ; il leur parla du salut qui était venu pour
Israël et de tout ce que l'ange lui avait annonce, en termes très forts
et avec une joie touchante. Je le vis ensuite mourir paisiblement. Sa
famille le pleura en silence. Il y avait autour de lui beaucoup de
prêtres et de Juifs qui priaient.
Je vis ensuite qu'ils portèrent son corps dans une autre pièce. Il fut
placé là sur une planche percée de plusieurs ouvertures, et ils le
lavèrent avec des éponges sous une couverture, en sorte qu'ils ne le
virent pas à nu. L'eau coulait par les ouvertures de la planche dans un
bassin de cuivre placé au-dessous. Ils placèrent ensuite sur lui de
grandes feuilles vertes, l'entourèrent de beaux bouquets d'herbes, et
l'ensevelirent dans un grand drap, où il fut enveloppé à l'aide d'une
longue bandelette, comme un enfant au maillot. Son corps était raide et
si inflexible, que je croyais presque qu'il était attaché sur la
planche.
Le soir il fut mis au tombeau. Six hommes le portèrent, avec des
lumières, sur une planche qui avait à peu près la forme du corps, avec
un rebord peu élevé des quatre côtés. Sur cette planche reposait le
corps enveloppé, sans être recouvert par-dessus. Les porteurs et le
cortège allaient plus vite qu'on ne va dans nos enterrements. Le tombeau
était sur une colline peu éloignée du temple. Le caveau où il fut déposé
avait à l'extérieur la forme d'un monticule, où se trouvait adaptée, à
l'extérieur, une porte oblique, maçonnée à l'intérieur d'une façon
particulière. C'était l'espèce de travail, quoique plus grossier, que je
vis faire à saint Benoît dans son premier monastère (Note).
Dans une vision de la vie de saint Benoît (le 10 février 1820), elle
vit, entre autres choses, que le saint, dans sa jeunesse, apprit de son
maître à faire avec des pierres de diverses couleurs, sur le sable du
jardin, toute espèce d'ornements et d'arabesques à la façon des
mosaïques antiques. Plus tard, elle le vit, étant anachorète, exécuter à
la voûte de sa cellule ou de sa grotte une mosaïque grossière
représentant une vision du jugement dernier. Elle vit plus tard des
disciples de saint Benoît l'imiter dans ce genre de travail et le
perfectionner, Dans une vision où elle exposa toute l'histoire de
l'ordre, exprimée jusque dans ses plus petits détails par le caractère
et les habitudes du fondateur, elle dit : "Lorsque chez les Bénédictins
l'esprit fut moins vivant que l'écorce, je vis leurs églises et leurs
monastères trop ornes et trop embellis, et en voyant toutes les images
et tous les ornements qui couvraient la voûte des églises, je me disais
: Cela vient de ce travail que faisait Benoît dans sa cellule : cette
semence est ainsi montée en herbe. Si toute cette surcharge vient à
tomber, elle brisera bien des choses.
Les parois, comme dans la cellule de la sainte Vierge au temple, étaient
ornées de fleurs et d'étoiles, formées de pierres de différentes
couleurs Le petit caveau où ils placèrent Siméon n'offrait que juste
assez d'espace pour qu'on pût circuler autour du corps. Il y avait
encore certains usages particuliers lors des enterrements : on mettait
près des morts des pièces de monnaie, des petites pierres, et aussi, je
crois, des aliments. Je ne m'en souviens plus très bien.
LXXII
Arrivée de la sainte Famille chez Sainte Anne
Je vis le soir la sainte Famille arrivée dans la maison d'Anne, à une
demi lieue de Nazareth, vers la vallée de Zabulon. Il y eut une petite
fête de famille du genre de celle qui avait eu lieu lors du départ de
Marie pour le temple. La fille aînée d'Anne, Marie d'Héli, était
présente. L'âne était déchargé. Ils voulaient rester là un certain
temps. Tous accueillirent l'Enfant-Jésus avec une grande joie ; mais
cette joie était paisible et tout intérieure. Je n'ai jamais rien vu de
très passionné chez tous ces personnages. Il y avait aussi là de vieux
prêtres. On fit un petit festin. Les femmes mangèrent, comme toujours,
séparées des hommes.
Je vis encore la sainte Famille chez Anne. Il y avait quelques femmes :
la fille aînée d'Anne, Marie Héli, avec sa fille, Marie de Cléophas,
puis une femme du pays d'Elisabeth, et la servante qui s'était trouvée
près de Marie à Bethléhem. Cette servante, après avoir perdu son mari
qui ne s'était pas bien conduit envers elle, n'avait pas voulu se
remarier et elle était venue à Juttah, chez Elisabeth, où Marie l'avait
connue lors de sa visite à sa cousine ; de là, cette veuve était venue
chez Anne. Je vis aujourd'hui Joseph faire plusieurs paquets chez Anne
et aller avec la servante à Nazareth, précédant des ânes, qui étaient au
nombre de deux ou de trois.
Je ne me souviens plus en détail de tout ce que j'ai vu aujourd'hui dans
la maison de sainte Anne ; mais je dois y avoir eu de vives impressions,
car j'y avais une ardeur pour la prière dont je ne comprends peut-être
plus bien la cause. Avant d'aller chez Anne, je me trouvai en esprit
prés d'un couple de jeunes mariés qui nourrissent leur vieille mère ;
tous deux sont maintenant atteints d'une maladie mortelle, et s'ils n'en
guérissent pas, leur mère sera sans ressource. Je connais cette pauvre
famille, mais je n'en ai pas entendu parler depuis longtemps. Dans les
cas désespérés, j'invoque toujours la sainte mère de Marie ; et
aujourd'hui, comme j'étais chez elle en vision, je vis dans son jardin,
malgré la saison, beaucoup de poires, de prunes et d'autres fruits
pendants aux arbres, quoiqu'ils n'eussent plus de feuilles ; je voulus
les cueillir en m'en allant, et je portai les poires aux époux malades,
qui ont été guéris par là. Il me fallut ensuite en donner à beaucoup de
pauvres âmes, connues et inconnues, qui en furent soulagées.
Vraisemblablement ces fruits signifient des grâces obtenues par
l'intercession de sainte Anne. Je crains que ces fruits n'indiquent pour
moi beaucoup de douleurs et de souffrances ; j'éprouve toujours cela
lors de semblables visions où je cueille des fruits dans les jardins des
saints, car il faut toujours payer cela cher. Je ne sais pas bien
pourquoi je cueillis ces fruits dans le jardin de sainte Anne ;
peut-être ces personnes et ces âmes sont-elles sous la protection
particulière de sainte Anne, en sorte que les fruits de la grâce doivent
provenir pour elles de son jardin ; ou peut-être cela eut-il lieu parce
qu'elle est particulièrement secourable dans les circonstances
désespérées, ainsi que je l'ai toujours reconnu.
Comme on demandait à la soeur comment elle voyait le climat de la
Palestine dans cette saison, elle répondit : J'oublie toujours de le
dire, parce que tout cela me parait si naturel, qu'il me semble que tout
le monde doit le savoir. Je vois souvent de la pluie et du brouillard,
quelquefois aussi un peu de neige, mais qui fond tout de suite. Je vois
souvent des arbres sans feuilles où pendent encore des fruits. Je vois
plusieurs récoltes dans l'année ; je vois déjà faire la moisson dans la
saison qui correspond à notre printemps. Dans l'hiver, je vois les gens
qui sont sur les chemins, tout enveloppés ; ils ont leurs manteaux sur
la tête.
(Le 6.) Aujourd'hui, dans l'après midi, je vis la sainte Vierge,
accompagnée de sa mère qui portait l'Enfant-Jésus, se rendre dans la
maison de Joseph, à Nazareth. Le chemin est très agréable : il a environ
une demi lieue de long, et passe entre des collines et des jardins.
Anne envoie des aliments à Joseph et à Marie dans leur maison de
Nazareth. Combien tout est touchant dans la sainte Famille ! Marie est
comme une mère et en même temps comme la servante la plus soumise du
saint enfant ; elle est aussi comme la servante de saint Joseph. Joseph
est vis-à-vis d'elle comme l'ami le plus dévoué et comme le serviteur le
plus humble. Combien je suis touchée de voir la sainte Vierge remuer et
retourner le petit Jésus comme un enfant qui ne peut s'aider lui-même !
Quand on songe que c'est le Dieu de miséricorde qui a créé le monde, et
qui, par amour, se laisse ainsi mouvoir en tous sens, combien on est
douloureusement affecté de la dureté, de la froideur et de l'égoïsme des
hommes !
LXXIII
Purification de Marie. Fête de la Chandeleur.
La fête de la Chandeleur me fut montrée dans un grand tableau difficile
à expliquer; je raconterai comme Je le puis ce que j'ai vu passer
devant mes yeux. Je vis une fête dans cette église diaphane, planant
au-dessus de, la terre, qui me représente l'Église catholique en
général, quand j'ai à contempler, non telle église en particulier ; mais
l'Eglise en tant qu'Église. Je la vis pleine de choeurs d'anges qui
entouraient la très sainte Trinité. Comme je devais voir la seconde
personne de la très sainte Trinité dans l'Enfant-Jésus présenté et
racheté au temple, lequel était pourtant présent aussi dans la très
sainte Trinité, ce fut comme dernièrement, lorsque je crus que
l'Enfant-Jésus était près de moi et me consolait pendant que je voyais
en même temps une image de la très sainte Trinité. Je vis donc près de
moi l'apparition du Verbe incarné, l'Enfant-Jésus uni à la très sainte
Trinité par une voie lumineuse. Je ne puis pas dire qu'il ne fût pas là
parce qu'il était près de moi; je ne puis pas dire non plu. qu'il ne
fût pas près de moi parce qu'il était là, et cependant, au moment où je
sentis vivement la présence de l'Enfant-Jésus près de moi, je vis la
figure sous laquelle m'était montrée la sainte Trinité autrement que
lorsqu'elle m'est présentée seulement comme l'image de la Divinité.
Je vis paraître un autel au milieu de l'église. Ce n'était pas comme un
autel de nos jours dans nos églises actuelles, mais un autel en général.
Sur cet autel, je vis un petit arbre avec de grandes feuilles pendantes,
de l'espèce de l'arbre de la science du bien et du mal dans le Paradis.
Je vis ensuite la sainte Vierge avec l'Enfant-Jésus sur les bras sortir
pour ainsi dire de terre devant l'autel, et l'arbre qui était sur
l'autel se pencher devant elle et se flétrir ; puis, je vis un ange
revêtu d'habits sacerdotaux, n'ayant qu'un anneau autour de la tête,
s'approcher de Marie. Elle lui donna l'enfant qu'il posa sur l'autel, et
dans le même instant, je vis l'enfant passer dans l'image de la sainte
Trinité, qui m'apparut cette fois dans sa forme ordinaire.
Je vis l'ange donner à la Mère de Dieu un petit globe brillant sur
lequel était une figure semblable à un enfant emmailloté, et, Marie
l'ayant reçu, plana au-dessus de l'autel. De tous les côtés, je vis
venir à elle des bras portant des flambeaux, et elle présenta tous ces
flambeaux à l'enfant qui était sur le globe, dans lequel ils entrèrent
aussitôt. Je vis tous ces flambeaux former au-dessus de Marie et de
l'enfant une lumière et une splendeur qui illuminaient tout. Marie avait
un ample manteau étalé sur toute la terre. Puis tout cela devint comme
la célébration d'une fête.
Je crois que le dessèchement de l'arbre de la science lors de
l'apparition de Marie et l'absorption de l'enfant offert sur l'autel
dans la sainte Trinité devaient être une image de la réconciliation des
hommes avec Dieu. C'est pourquoi je vis toutes les lumières dispersées
présentées à la Mère de Dieu, et remises par celle-ci à l'Enfant-Jésus,
lequel était la lumière qui éclaire tous les hommes, dans lequel seul
toutes les lumières dispersées redeviennent une seule lumière qui
illumine le monde entier, représenté par ce globe comme par le globe
impérial. Les lumières présentées indiquaient la bénédiction des cierges
à la fête d'aujourd'hui.
LXXIV
La fuite en Égypte. Introduction.
Le samedi, 10 février 1821, la malade était agitée par des
préoccupations touchant un logement à trouver. s'étant endormie
là-dessus, elle se réveilla bientôt toute consolée. Elle raconta qu'un
ami, mort depuis peu (un bon vieux prêtre), était venu auprès d'elle et
l'avait consolée. " Oh ! disait-elle, combien ce digne homme a d'esprit
maintenant ! à présent, il sait parler. Il m'a dit : Ne t'inquiète pas
de trouver un logement ; occupe-toi seulement de nettoyer et de parer
ton intérieur où tu reçois le Seigneur Jésus quand il te visite. Lorsque
saint Joseph vint à Bethléhem, il ne cherchait pas un logement pour lui,
mais pour Jésus, et il arrangea très proprement la grotte de la Crèche
".
Elle communiqua encore plusieurs réflexions profondes du même genre que
lui avait adressées cet ami, et qui toutes indiquaient un homme auquel
son caractère était sien connu. Elle raconta qu'il lui avait dit : "
Lorsque l'ange enjoignit à saint Joseph de s'enfuir en Égypte avec Jésus
et Marie, il ne se préoccupa point de trouver un logement, mais il obéit
simplement et se mit en route ".
Comme l'année précédente, vers la même époque, elle avait vu quelque
chose de la fuite en Egypte, l'écrivain supposa qu'il en avait été de
même cette fois, et il lui adressa cette question: "Saint Joseph
est-il donc parti aujourd'hui pour l'Egypte?" à quoi elle répondit
très nettement. " Non ; le jour où il partit tombe maintenant le 29
février ".
Malheureusement, l'occasion ne se présenta pas de savoir cela
exactement, parce qu'elle était alors fort malade. Elle dit une fois : "
L'enfant pouvait bien avoir un an. Je le vis, hors d'une halte, pendant
le voyage, jouer au tour d'un baumier. Ses parents le faisaient
quelquefois marcher pendant un peu de temps ". Une autre fois, elle crut
voir que Jésus avait neuf mois. C'est au lecteur à déterminer, d'après
d'autres circonstances mentionnées dans le récit, et spécialement
d'après ce qui est dit de l'âge du petit Jean-Baptiste, quel devait être
l'âge de Jésus, qui paraîtrait d'après cela avoir été en effet de neuf
mois.
LXXV
Nazareth. Demeure et occupation de la sainte Famille.
(Le dimanche, 25 février). Je vis la sainte Vierge tricoter ou faire au
crochet de petites robes. Elle avait un rouleau de laine assujetti à la
hanche droite, et dans les mains deux petits bâtons, en os, si je ne me
trompe, avec de petits crochets à l'extrémité. L'un d'eux pouvait être
long d'une demi aune, l'autre était plus court. Elle travaillait ainsi
debout ou assise près de l'Enfant-Jésus, qui était couché dans une
petite corbeille.
Je vis saint Joseph tresser différents objets, comme des cloisons et des
espèces de planchers pour les chambres. avec de longues bandes d'écorces
jaunes, brunes et vertes. Il avait une provision d'objets de ce genre,
placés les uns sur les autres, dans un hangar près de la maison. J'étais
touchée de compassion en pensant qu'il ne prévoyait pas qu'il faudrait
bientôt s'enfuir en Égypte. Sainte Anne venait presque tous les jours de
sa maison. située à peu près à une lieue de là.
LXXVI
Jérusalem.
Préparatifs d'Hérode pour le massacre des enfants
(Le dimanche, 25 février.) J'eus la vue de ce qui se passait à
Jérusalem. Je vis Hérode faire convoquer beaucoup de gens. C'était comme
lorsque chez nous on recrute des soldats. Ces hommes furent conduits
dans une grande cour, et reçurent des habits et des armes. Ils portaient
au bras comme une demi lune (une espèce de bouclier). Ils avaient des
épieux et des sabres courts et larges, semblables à des coutelas. Ils
portaient des casques sur la tête, et plusieurs avaient des bandelettes
autour des jambes. Cela devait être fait en vue du massacre des enfants.
Hérode était très agité.
(Le lundi, 26 février.) Je vis Hérode toujours dans une grande
agitation. Il était comme lorsque les rois l'interrogèrent sur le roi
nouvellement né des Juifs. Je le vis se consulter avec quelques vieux
scribes. Ils apportèrent de longs rouleaux de parchemin fixés sur des
bâtons, et y lurent quelque chose. Je vis aussi que les soldats qu'on
avait habillés de neuf la veille furent envoyés en divers endroits dans
les environs de Jérusalem, et aussi à Bethléhem. Je crois que ce fut
pour occuper les lieux d'où plus tard les mères devaient porter leurs
enfants à Jérusalem, sans savoir qu'ils y seraient égorgés. On voulait
empêcher que le bruit de cette cruauté ne produisit des soulèvements.
(Le mardi, 27 février.) Je vis aujourd'hui les soldats d'Hérode, qui
avaient quitté Jérusalem la veille, arriver dans trois endroits. Ils
allèrent à Hébron, à Bethléhem, et dans un troisième endroit qui se
trouvait entre les deux autres, dans la direction de la mer Morte. J'en
ai oublié le nom. Les habitants, qui ne savaient pas pourquoi ces
soldats venaient chez eux, étaient quelque peu agités. Mais Hérode était
rusé ; il ne laissait rien connaître de ses desseins et recherchait
secrètement Jésus. Les soldats restèrent longtemps dans ces endroits
pour ne pas laisser échapper l'enfant né à Bethléhem. Il fit égorger
tous les enfants au-dessous de deux ans.
LXXVII
Détails personnels à la narratrice.
Effets de sa prière à
l'anniversaire
du massacre des Innocents.
(Le mardi, 27 février). Ce soir, après le coucher du soleil, la malade
s'endormit, et dit au bout de quelques minutes, sans y être provoquée
extérieurement : " Dieu soit mille fois béni ! je suis venue bien à
propos. Oh ! qu'il est heureux que j'aie été là ! le pauvre enfant est
sauvé. J'ai tant prié, qu'il a bien fallu qu'elle le bénît et
l'embrassât. Après cela, elle ne pouvait plus le jeter dans le marais ".
A cette explosion soudaine, l'écrivain lui demanda qui c'était, et elle
répondit : " C'est une fille séduite ; elle voulait noyer son enfant
nouveau-né. Ce n'est pas très loin d'ici. J'ai tant prié Dieu de ne
laisser mourir sans baptême aucun enfant innocent ! J'ai fait cette
prière, parce que l'anniversaire du massacre des Innocents approche.
J'ai supplié le bon Dieu par le sang de ses premiers martyrs. Oh ! il
faut profiter des occasions et cueillir sur la terre les roses qui
fleurissent dans le jardin de l'Église du ciel. Dieu m'a exaucée et j'ai
pu secourir la mère et l'enfant ". Voilà ce qu'elle dit immédiatement
après la vision, ou pour mieux dire après son action en esprit. Le
lendemain matin, elle dit :
"J'ai été promptement conduite par mon guide à M.... Je vis une fille
devenue mère. Je crois que c'est en avant de M.... L'endroit me paraît
être à gauche de T...., sur la route qui mène à K... Son enfant était
venu au monde derrière un buisson, et elle s'approcha avec lui d'un
marais profond sur lequel il y a beaucoup de verdure. Elle voulait jeter
19enfant dans l'eau ; elle le portait dans son tablier. Je vis prés
d'elle une grande figure sombre dont sortait pourtant une sorte de
lumière sinistre. Je pense que c'était le malin esprit. Je m'avançai
près d'elle et priai de tout mon coeur. Je vis s'éloigner la figure
sombre. Alors elle prit son enfant, le bénit et l'embrassa. Quand elle
eut fait cela, elle n'eut plus le courage de le noyer. Elle s'assit et
pleura amèrement. Elle ne savait plus que faire. Je la consolais et lui
donnai la pensée d'aller trouver son confesseur et de lui demander son
aide. Elle ne me vit pas, mais son ange gardien le lui dit. Je crois
qu'elle n'a pas ses parents dans cet endroit. Elle parait être de la
classe moyenne.
LXXVIII
Nazareth. - Vie domestique de le sainte Famille.
(Le mardi, 27 février.) Je vis aujourd'hui sainte Anne avec sa servante
aller de sa demeure à Nazareth. La servante avait un paquet pendu au
côté ; elle portait une corbeille sur la tête et une autre à la main :
c'étaient des corbeilles rondes, dont l'une était à jour. Il y avait
dedans des oiseaux. Elles portaient des aliments à Marie, car celle-ci
n'avait pas de ménage et recevait tout de chez sainte Anne.
(Le mercredi, 28 février.) Je vis aujourd'hui, vers le soir, sainte Anne
et sa fille aînée chez la sainte Vierge. Marie Héli avait avec elle un
petit garçon fort robuste de quatre ou cinq ans : c'était son
petit-fils, le fils aîné de sa fille, Marie de Cléophas. Joseph était
allé à la maison de sainte Anne. Je me disais : " Les femmes sont
toujours les mêmes ", quand je les voyais assises ensemble, causant
familièrement, jouant avec l'Enfant-Jésus, l'embrassant et le mettant
dans les bras du petit garçon. Tout cela se passait comme de nos jours.
Marie Héli demeurait dans un petit endroit, à environ trois lieues de
Nazareth, du côté du levant. Sa maison était presque aussi bien arrangée
que celle de sainte Anne. Elle avait une cour entourée de murs. avec un
puits à pompe. Quand on mettait le pied sur un certain endroit, l'eau
jaillissait en haut et tombait dans un bassin de pierre. Son mari
s'appelait Cléophas. Sa fille, Marie de Cléophas, mariée à Alphée,
demeurait à l'autre bout du village.
Le soir, je vis les femmes prier. Elles se tenaient devant une petite
table placée contre le mur, et sur laquelle était une couverture rouge
et blanche. La lampe était allumée pendant la prière. Marie était devant
Anne et sa soeur près d'elle. Elles croisaient les mains sur la
poitrine, les joignaient et les étendaient. Marie lut dans un rouleau
placé devant elle. Elles récitaient leurs prières sur un ton et un
rythme qui me rappelèrent la psalmodie du choeur au couvent.
LXXIX
Un ange avertit Joseph de s'enfuir.
Préparatifs et
commencement du voyage.
(Nuit du jeudi 1er mars au vendredi 2 mars.) ils sont partis ; je les ai
vus se mettre en marche. Hier, Joseph était revenu de bonne heure de la
maison de sainte Anne. Celle-ci et sa fille aînée étaient encore à
Nazareth. A peine étaient-elles allées se reposer, que l'ange avertit
Joseph. Marie et l'Enfant-Jésus avaient leur chambre à coucher à droite
du foyer, sainte Anne à gauche, la fille aînée de celle-ci entre la
chambre de sa mère et celle de saint Joseph. Ces différentes pièces
étaient séparées par des cloisons en branches d'arbre tressées ; elles
étaient aussi couvertes par en haut avec un clayonnage de même espèce ;
la couche de Marie était en outre séparée du reste de la chambre par un
rideau ou une portière. l'Enfant-Jésus couchait à ses pieds sur un
tapis. Quand elle se levait, elle pouvait le prendre.
Je vis Joseph dormir dans sa chambre ; il était couché sur le côté, la
tête appuyée sur son bras. Je vis un jeune homme resplendissant
s'approcher de sa couche et lui parler. Joseph se releva, mais il était
accablé de sommeil et il se recoucha. Le jeune homme le prit alors par
la main, et Joseph se réveilla tout à fait et se leva. Le jeune homme
disparut. Joseph alla allumer sa lampe à celle qui était devant le
foyer, au milieu de la maison ; il frappa à la porte de la sainte
Vierge, et demanda si elle pouvait le recevoir. Je le vis entrer et
parler à Marie, qui n'ouvrit pas le rideau placé devant elle ; puis il
alla dans l'écurie où était son âne, et entra dans une chambre où
étaient divers effets. Il arrangea tout pour le départ.
Quand Joseph eut quitté la sainte Vierge, elle se leva et s'habilla pour
le voyage ; elle alla ensuite trouver sa mère et lui fit connaître
l'ordre donné par Dieu. Alors sainte Anne se leva aussi, ainsi que Marie
Héli et son fils. Ils laissèrent l'Enfant-Jésus reposer encore. La
volonté de Dieu était au-dessus de tout pour ces saintes personnes.
Quelque affliction qu'elles eussent dans le coeur, elles disposèrent
tout pour le voyage avant de se livrer à la tristesse des adieux. Marie
ne prit pas à beaucoup près tout ce qu'elle avait apporté de Bethléhem.
Elles firent un paquet de médiocre grosseur avec ce que Joseph avait
préparé, et y joignirent quelques couvertures. Tout se fit avec calme et
très promptement, comme lorsqu'on vient d'être réveillé pour partir
secrètement.
Marie prit alors l'enfant, et sa hâte fut si grande que je ne la vis pas
le changer de langes. Le moment des adieux était venu, et je ne puis
dire à quel point était touchante l'affliction de sainte Anne et celle
de sa fille aînée. Elles pressèrent en pleurant l'Enfant-Jésus sur leur
sein ; le petit garçon l'embrassa aussi. Sainte Anne embrassa à
plusieurs reprises la sainte Vierge, pleurant amèrement comme si elle ne
devait plus la revoir. Marie Héli se Jeta par terre et versa des larmes
abondantes.
Il n'était pas encore minuit lorsqu'ils quittèrent la maison. Anne et
Marie Héli accompagnèrent la sainte Vierge pendant quelque temps ;
Joseph venait derrière avec l'âne. On allait dans la direction de la maison de
saints Anne, seulement on la laissait un peu à droite. Marie portait
devant elle l'Enfant-Jésus, emmailloté à l'aide d'une bande d'étoffe qui
était assujettie sur ses épaules. Elle avait un long manteau qui
enveloppait l'enfant et elle, avec un grand voile carré, qui ne couvrait
que le derrière de la tête et tombait des deux côtés du visage. Elles
avaient fait un peu de chemin lorsque saint Joseph les rejoignit avec
l'âne, sur lequel étaient attachées une outre pleine d'eau et une
corbeille où se trouvaient plusieurs objets, des petits pains, des
oiseaux vivants et une petite cruche. Le petit bagage des voyageurs et
quelques couvertures étaient empaquetés autour du siège placé en
travers, qui avait une planchette pour les pieds. Elles s'embrassèrent
encore en pleurant, et sainte Anne bénit la sainte Vierge ; celle-ci
monta sur l'âne que Joseph conduisait, et se mit en route.
En parlant de la douleur de sainte Anne et de Marie Héli, la soeur
pleurait de tout son coeur, et disait qu'elle n'avait pu s'empêcher de
verser des larmes pendant la nuit où elle avait vu cette scène.
LXXX
La sainte femme. quittent la maison de Joseph.
La sainte
famille arrive à Nazara avant le sabbat.
(Le vendredi, 2 mars.) Je vis de grand matin Marie Héli aller avec le
petit garçon à la maison de sainte Anne, et envoyer son beau-père avec
un serviteur à Nazareth, après quoi elle retourna chez elle. Je vis
sainte Anne ranger tout dans la maison de Joseph et empaqueter beaucoup
de choses. Le matin, il vint deux hommes de la maison de sainte Anne :
l'un d'eux ne portait sur lui qu'une peau de mouton ; il avait des
sandales grossières assujetties avec des courroies autour des jambes ;
l'autre avait un vêtement plus long. Ils aidèrent à tout mettra en ordre
dans la maison de Joseph, à empaqueter tout ce qui pouvait être retiré
et à le porter dans la maison de sainte Anne.
Je vis la sainte Famille dans la nuit de son départ traverser plusieurs
endroits et se reposer le matin sous un hangar. Vers le soir, comme ils
ne pouvaient pas aller plus loin, je les vis entrer dans un petit
endroit appelé Nazara, chez des gens qui vivaient séparés et qu'on
traitait avec un certain mépris. Ce n'étaient pas proprement des Juifs ;
il y avait quelque chose de paien dans leur religion ; ils allaient
adorer au temple du mont Garizim, près de Samarie, ce qui les obligeait
à faire quelques lieues par un chemin difficile et montueux. Ils étaient
assujettis à de lourdes corvées et devaient travailler comme des
esclaves au temple de Jérusalem, et faire d'autres travaux publics.
Ces gens accueillirent la sainte Famille très amicalement ; elle resta
là tout le jour suivant. Lors du retour d'Égypte, la sainte Famille
visita de nouveau ces braves gens ; et aussi, plus tard, lorsque Jésus
alla au temple dans sa douzième année, et lorsqu'il revint à Nazareth '
; toute cette famille se fit baptiser par saint Jean, et se réunit aux
disciples de Jésus. Nazara n'est pas très loin d'une autre ville située
sur une hauteur, dont je ne puis plus bien dire le nom ; car j'ai vu et
entendu nommer bien des villes différentes dans les environs, notamment
Legio et Massaloth, entre lesquelles, si je ne me trompe, se trouve
Nazara. Je suis portée à croire que la ville dont la situation me frappa
s'appelle Legio, mais elle a encore un autre nom.
Lors du premier récit de la fuite en Egypte, elle avait oublié de
mentionner le séjour de la sainte Famille en cet endroit. Elle en parla
une autre année à l'occasion du voyage de Marie enfant eu temple. Quinze
ans après la mort de la soeur Emmerich, lorsque l'écrivain mit en ordre
ce qui concernait la fuite en Égypte, il se demanda pourquoi la sainte
Famille s'était arrêtée là un jour entier : il s'aperçut pour la
première lois que le sabbat commençait le soir du 2 mars 1821, et que la
sainte Fille dut célébrer là le sabbat en secret, ce dont la soeur ne
dit rien alors. Cette coïncidence témoigne en faveur de la précision de
ses visions, du moins lorsqu'elle le' raconte nettement, ce qui
certainement n'a pas toujours lieu.
LXXXI
Le térébinthe d'Abraham.
La sainte Famille se repose au bord
d'une fontaine,
près d'un baumier.
(Le dimanche, 4 mars.) Hier, samedi, après la clôture du sabbat, la
sainte Famille quitta Nazara pendant la nuit ; je la vis, tout le
dimanche et la nuit suivante jusqu'au lundi, rester cachée près de ce
grand vieux térébinthe, sous lequel elle s'était arrêtée en allant à
Bethléhem, lorsque la sainte Vierge avait tant souffert du froid.
C'était le térébinthe d'Abraham, près du bois de Moreh, à peu de
distance de Sichem, de Thenat, de Siloh et d'Arumah. Les projets
d'Hérode étaient connus dans ce pays, et la sainte Famille n'y était pas
en sûreté. C'était près de cet arbre que Jacob avait enfoui les idoles
de Laban. Josué rassembla le peuple près de ce térébinthe, sous lequel
il avait dressé le tabernacle où était l'Arche d'alliance, et l'y fit
renoncer aux idoles. Ce fut aussi là qu'Abimelech, le fils de Gédéon,
fut salué roi par les Sichémites.
(Le dimanche, 4 mars.) Ce matin, de bonne heure, je vis la sainte
Famille dans une contrée fertile, se reposer près d'une petite source, à
côté d'un buisson de baume. L'Enfant-Jésus avait les pieds nus ; il
était sur les genoux de la sainte Vierge. Ces arbrisseaux de baume
étaient couverts de baies rouges ; il y avait à quelques branches des
incisions d'où sortait un liquide qui était recueilli dans de petits
vases. J'étais étonnée qu'on ne les volât pas. Saint Joseph remplit de
cette liqueur les petites cruches qu'il avait avec lui. La sainte
Famille mangea des petits pains et des baies cueillies sur des
arbrisseaux voisins. L'âne buvait et paissait dans le voisinage. Je vis
à leur gauche, dans le lointain, les hauteurs sur lesquelles était
Jérusalem. C'était un tableau très touchant.
LXXXII
Juttah.
Élisabeth s'enfuit dans le désert avec le petit
Jean-Baptiste.
(Le mardi, 6 mars.) Zacharie et Elisabeth avaient appris aussi le danger
qui les menaçait. Je crois que la sainte Famille leur avait envoyé un
messager sûr. Je vis Elisabeth porter le petit Jean à un lieu très
retiré dans le désert, à deux lieues d'Hébron. Zacharie les accompagna
jusqu'à un endroit où ils traversèrent un petit cours d'eau sur une
poutre. Alors Zacharie se sépara d'eux et se dirigea vers Nazareth par
le chemin que Marie avait suivi lors de sa visite à Élisabeth. Je les
vis en voyage aujourd'hui. Probablement il voulait prendre des
informations plus précises auprès de sainte Anne. Plusieurs amis de la
sainte Famille à Nazareth sont très attristés de son départ. Le petit
Jean n'avait sur lui qu'une peau d'agneau. Quoiqu'il eut à peine
dix-huit mois, il pouvait déjà courir et sauter. Il portait dès lors à
la main un petit bâton blanc avec lequel il jouait à la manière des
enfants. Il ne faut pas se représenter par le mot désert une immense
étendue de pays sablonneuse et stérile, mais plutôt une solitude avec
beaucoup de rochers, de ravins et de grottes, où croissent çà et là
divers arbrisseaux produisant des baies et des fruits sauvages.
Élisabeth porta le petit Jean dans une caverne où Madeleine séjourna
quelque temps après la mort de Jésus. Je ne me souviens pas bien combien
de temps Élisabeth s'y tint cachée cette fois avec son enfant, si jeune
encore ; elle y resta probablement jusqu'au moment où la persécution
d'Hérode, parut plus à craindre. Elle revint alors avec son fils à Juttah ; je l'ai vue s'enfuir encore dans le désert avec le petit Jean,
lorsque Hérode convoqua les mères qui avaient des enfants de moins de
deux ans, ce qui eut lieu près d'un an plus tard.
La narratrice avait raconté jusqu'ici, jour par jour, les scènes de la
faite en Egypte ; il y eut alors une interruption causée par la maladie
; et lorsqu'elle reprit, plusieurs jours après, le fit de son récit,
elle dit : " Je ne puis plus désigner exactement les jours ; mais je
raconterai les diverses scènes de la fuite en Egypte à peu près dans
l'ordre où je me souviens de les avoir vues ".
LXXXIII
Halte de la sainte Famille dans une grotte.
Marie montre à
l'Enfant-Jésus le petit Jean dans le lointain.
Après que la sainte Famille eut franchi quelques hauteurs dépendant de
la montagne des Oliviers, je la vis aller au delà de Bethléhem, dans la
direction Hébron. A deux lieues environ du bois de Mambré, je la vis
entrer dans une grotte spacieuse, placée dans une gorge sauvage,
au-dessus de laquelle se trouvait un endroit dont le nom ressemble à
Héphraim. Je crois que c'était la sixième station de leur voyage. Je les
vis arriver là accablés de fatigue et de tristesse. Marie était très
triste et pleurait. Ils souffraient toute espèce de privations, car ils
prenaient des chemins détournés, évitant toutes les villes et les
auberges publiques. Ils se reposèrent ici tout un jour. Il y eut
plusieurs grâces miraculeuses pour leur soulagement. Une source jaillit
dans la grotte, à la prière de la sainte Vierge. Une chèvre sauvage vint
à eux et se laissa traire ; un ange leur apparut aussi et les consola.
Un prophète avait souvent prié dans cette grotte. Samuel, à ce que je
crois, s'y arrêta quelquefois. David gardait près de là les troupeaux de
son père. Il y pria et y reçut des ordres apportés par un ange, par
exemple, l'ordre de se présenter au combat contre Goliath.
Elle oublia de mentionner cette halte de la sainte Famille dans son
récit général de la fuite en Égypte ; mais elle raconta ceci dans ses
communications journalières sur la prédication de Jésus-Christ
lorsqu'elle vit le Sauveur, après son baptême, dans les environs de
Bethlehem, visiter avec quelques disciples tous les endroits où sa mère
s'était arrêtée avec lui. Elle vit Jésus après son baptême par saint
Jean qu'elle raconta le 28 septembre 1821, s'arrêter dans cette glotte
avec les disciples du 8 au 9 octobre, et l'entendit parler des grâces
accordées dans ce lieu, et en général des fatigues de la fuite en
Égypte. Il bénit cette grotte, et donna à entendre qu'un jour on
bâtirait là une église.
Le 18 octobre, elle ajouta : Cette grotte rut
appelée plus tard le Séjour de Marie, et visitée par les pèlerins sans
qu'on sut bien son histoire. De pauvres gens en firent postérieurement
leur habitation. 2 Elle décrivit avec détails la situation de ce lieu,
et, longtemps après l'écrivain trouva, à son grand étonnement, dans le
voyage à Jérusalem du franciscain Antoine Gonzalès (Anvers, 1679, 1ère
partie, p. 556) qu'à deux petites lieues d'Hébron, dans la direction de
Bethléhem, il avait été dans un village appelé Village de Marie, où elle
s'était arrêtée lors de la fuite en Égypte. Il était sur une hauteur,
ajoutait-il, et il y avait encore une église avec trois arcades et trois
portes. Marie sur l'âne avec l'Enfant-Jésus, et saint Joseph, qui les
conduisait, étaient représentés sur le mur. Au bas de la montagne sur
laquelle étaient le village et l'église, il y avait une belle source
appelée Source de Marie. Tout cela s'accorde avec la description de la
localité donnée par 1a soeur. Anieux, dans le second volume de ses
Mémoires (Leipsig. 1783), dit aussi : " Entre Hébron et Bethléhem, nous
passâmes par le, Village de la sainte Vierge, qu'on dit s'être reposée
là lors de la fuite en Égypte ".
En quittant cette grotte, ils firent sept lieues au midi, laissant
toujours la mer Morte à leur gauche, et deux lieues au delà d'Hébron,
ils entrèrent dans le désert où se trouvait alors le petit
Jean-Baptiste. Ils passèrent à une portée de trait de la grotte où il
était. Je vis la sainte Famille, fatiguée et languissante, s'avancer
dans un désert de sable. L'outre qui contenait l'eau et les petites
cruches de baume étaient vides. La sainte Vierge était triste, elle
avait soif, Jésus aussi. Ils se détournèrent un peu de la route, vers un
enfoncement ou il y avait des buissons et un peu de gazon desséché. La
sainte Vierge descendit de l'âne et s'assit par terre. Elle avait Son
enfant devant elle ; elle était triste et priait. Pendant que la sainte
Vierge demandait de l'eau, comme Agar dans le désert, mes yeux furent
attirés par un incident singulièrement touchant. La grotte dans laquelle
Élisabeth avait caché le petit saint Jean était tout près de là, au
milieu de rochers élevés, et je vis le petit Jean errer à peu de
distance parmi les broussailles et les pierres. Il semblait plein, d'un
désir inquiet, comme s'il eût attendu quelque chose. Je ne vis pas alors
Élisabeth. La vue de ce petit enfant, courant d'un pas assuré dans le
désert, faisait une vive et touchante impression. De même qu'il avait
tressailli dans le sein de sa mère comme pour aller à la rencontre de
son Seigneur, il était excité cette fois par le voisinage de son
rédempteur souffrant de la soif. Il avait une peau d'agneau jetée sur
les épaules et attachée autour des reins ; il tenait à la main son petit
bâton, au haut duquel flottait une banderole d'écorce. Il sentait que
Jésus passait, qu'il avait soif ; il se jeta à genoux et cria vers Dieu
les bras étendus. Puis il se leva vivement, courut, poussé par l'esprit,
jusqu'à une haute paroi du rocher, et frappa le sol avec son bâton. Il
en sortit aussitôt une source abondante. Jean courut en hâte à l'endroit
où elle descendait. Il s'arrêta là et vit dans le lointain la sainte
Famille qui passait.
La sainte Vierge éleva l'Enfant-Jésus en l'air, et le tourna de ce côté
en disant : " Voilà Jean dans le désert ! " Je vis Jean tressaillir de
joie près de l'eau qui se précipitait. Il fit un signe en agitant la
banderole de son bâton, puis il s'enfuit dans la solitude.
Elle entendit le Seigneur raconter lui-même ce touchant incident,
lorsqu'elle le vit, le 26 du mois de thebet, 14 janvier de la troisième
année de sa prédication, dans la maison paternelle de saint
Jean-Baptiste, près de Juttah, en compagnie de la sainte Vierge, de
Pierre, de Jean et de trois disciples du Précurseur. Il leur adressa
quelques paroles de consolation sur le meurtre de Jean-Baptiste, qui
avait eu lieu à Machérunte, le 20 de Thébet (8 janvier), lors de la fête
anniversaire de la naissance d'Hérode. On avait étendu devant eux un
tapis que Marie et Élisabeth avaient fait après la Visitation, et sur
lequel diverses sentences significatives avaient été brodées à
l'aiguille. Jésus parla beaucoup de saint Jean, et dit que le Précurseur
l'avait vu deux lois des veux du corps : une foie lors de la fuite en
Égypte, et l'autre fois lors de 60n baptême.
Le ruisseau, au bout de quelque temps, arriva au chemin que suivaient
les voyageurs. Je les vis passer outre et s'arrêter près de quelques
buissons, à une place commode, où il y avait du gazon desséché. La
sainte Vierge mit pied à terre avec l'enfant. Tous étaient pénétrés
d'une joyeuse émotion. Marie s'assit sur l'herbe. Joseph creusa, à
quelque distance, un petit bassin que l'eau vint remplir. Quand elle s'y
montra tout à fait limpide, ils en burent tous. Marie baigna l'enfant ;
ils se lavèrent les mains, les pieds et je visage. Joseph amena l'âne,
qui se désaltéra, et il remplit son outre. Ils étaient pleins de joie et
de reconnaissance. Le gazon desséché s'imbiba et se redressa. Le soleil
se montra brillant ; tous étaient ranimés et silencieux. Ils firent là
une halte de deux ou trois heures.
LXXXIV
Dernière halte sur le territoire d'Hérode.
Détails
personnels à la narratrice.
La dernière halte de la sainte Famille dans les états d'Hérode fut à peu
de distance d'une ville, sur la frontière du désert, à deux lieues
environ de la mer Morte. La ville s'appelait comme Anam, Anem ou Anim.
(Elle hésita entre ces noms) ils entrèrent dans une maison isolée ;
c'était une auberge à l'usage des gens qui voyageaient dans le désert.
Il y avait là des cabanes et des hangars contre une hauteur : on
trouvait alentour quelques fruits sauvages. Les habitants me parurent
être des chameliers ; ils avaient plusieurs chameaux qui erraient dans
des pâturages entourés de haies. C'étaient des gens de moeurs assez
farouches, et qui s'étaient livrés au brigandage. Cependant ils reçurent
bien la sainte Famille et lui donnèrent l'hospitalité. Dans la ville
voisine, il y avait aussi beaucoup de gens à la vie désordonnée, qui
s'étaient établis là après la guerre. Il se trouvait entre autres dans
l'auberge un homme d'environ vingt ans, qui s'appelait Ruben.
Elle fit mention de cette auberge pour la première fois dans le récit
des années de la prédication de Jésus lorsque le Seigneur, après son
baptême, le 8 octobre, se rendit en ce lieu, venant de la vallée des
bergers, convertit ce Ruben, et guérit plusieurs malades pendant que les
disciples l'attendaient dans la grotte voisine d'Héphraim. Il enseigna
aux endroits où la sainte famille s'était reposée, et parla aux
habitants de la grâce qui leur était actuellement accordée comme d'une
récompense de leur hospitalité antérieure. En allant de ce lieu à la
grotte voisine d'Héphraim, il passa près d'Hébron. Saint Jérôme et
Eusèbe parlent d'un lieu appelé Anim ou Anem, situé à neuf milles au
midi d'Hébron, dans le district de Daroma.
(Le jeudi, 8 mars.) Je vis la sainte Famille, par une nuit étoilée,
traverser un désert sablonneux, couvert de broussailles peu élevées. Il
me semblait que je voyageais avec eux dans le solitude. Il y avait plus
d'un danger, à cause d'une quantité de serpents qui étaient cachés dans
les broussailles, où ils se tenaient roulés en cercle sous le feuillage.
Ils s'approchaient en sifflant et dressaient leurs têtes contre la
sainte Famille, qui passait tranquillement tout entourée de lumière. Je
vis encore des animaux malfaisants d'une autre espèce. Ils avaient un
long corps noirâtre, avec des pieds très courts et des espèces d'ailes
sans plumes, ressemblant à de grandes nageoires. Ils passaient
rapidement comme s'ils eussent volé : il y avait dans la forme de leur
tête quelque chose qui tenait du poisson. (C'étaient peut-être des
lézards volants.) Je vis la sainte Famille arriver comme au bord d'un
chemin creux ou d'une profonde excavation dans le sol. Ils voulaient se
reposer là derrière des buissons.
J'eus peur alors pour eux. Cet endroit était effrayant, et je voulus en
toute hâte leur faire comme un rempart avec des branches entrelacées ;
mais il vint à moi une bête horrible, semblable à un ours, et je tus
dans une affreuse anxiété. Alors, un vieux prêtre de mes amis, mort
depuis peu, m'apparut tout à coup sous la forme d'un beau jeune homme ;
il saisit la bête féroce par la nuque et la jeta bien loin. Je lui
demandai comment il était venu là, car il devait certainement se trouver
bien mieux là Ou il était, et il me répondit : " Je voulais seulement te
secourir, et je ne resterai pas longtemps ". Il me dit en outre que je
le reverrais.
Toute cette scène est une parabole on action faisant partie d'un songe.
Elle veut exercer la charité envers les voyageurs ; elle ne peut cas y
réussir par suite d'une faute, d'un acte d'impatience ou de colère :
l'ours se précipite sur elle et l'en empêche. Alors un ami décédé,
auquel elle a fait du bien spirituel et temporel, vient près d'elle,
repousse l'ours, la délivre par son intercession de la tentation de
colère a laquelle elle est exposée, etc.
LXXXV
Lieu inhospitalier. Montagnes. Séjour chez des voleurs.
Guérison de l'enfant lépreux du brigand.
La sainte Famille fit deux lieues vers l'orient en suivant la grand
route ordinaire. Le nom du dernier endroit où ils arrivèrent, entre la
Judée et le désert, était quelque chose comme Mara. Cela me fit penser
au lieu d'où sainte Anne était originaire ; mais ce n'était point lui.
Les gens d'ici étaient sauvages et inhospitaliers, et la sainte Famille
ne reçut d'eux aucune aide. Ils entrèrent ensuite dans un grand désert
de sable. Il n'y avait plus de chemin ni rien qui leur indiquât la
direction à prendre, et ils ne savaient comment faire. Après avoir un
peu marché, ils gravirent devant eux une sombre chaîne de montagnes. Ils
étaient très attristés ; ils se mirent à genoux et appelèrent Dieu à
leur secours. Plusieurs grands animaux sauvages se rassemblèrent autour
d'eux ; il semblait d'abord qu'il y eût du danger ; mais ces animaux
n'étaient pas méchants. Au contraire, ils les regardèrent d'un air
amical, comme me regardait le vieux chien de mon confesseur lorsqu'il
venait à moi. Je connus que ces bêtes étaient envoyées pour leur montrer
le chemin. Elles regardaient du côté de la montagne, couraient en avant,
puis revenaient, comme fait un chien qui veut conduire quelqu'un. Je vis
enfin la sainte Famille suivre ces animaux et arriver à travers les
montagnes (de Seir ?) à une contrée triste et sauvage.
Il faisait sombre ; ils cheminèrent le long d'un bois. Hors du chemin,
devant le bois, je vis une méchante cabane. A peu de distance on avait
suspendu à un arbre une lanterne qu'on pouvait voir de très loin, et qui
était destinée à attirer les voyageurs. Le chemin était très difficile
et coupé ça et là par des fossés. Il y avait aussi des fossés autour de
la cabane, et sur les parties du chemin où l'on pouvait passer, étaient
tendus des fils cachés, qui correspondaient à des sonnettes placées dans
la cabane. Les voleurs qui y habitaient étaient ainsi avertis de la
présence des voyageurs et venaient les dépouiller. Cette cabane de
voleurs n'était pas toujours à la même place, elle était mobile, et ses
habitants la transportaient ailleurs, suivant les circonstances.
Quand la sainte Famille s'approcha de la lanterne, je la vis entourée du
chef des voleurs et de cinq de ses compagnons. Ils avaient d'abord de
mauvaises intentions; mais je vis partir de l'Enfant-Jésus un rayon de
lumière, qui toucha comme un trait le coeur du chef, lequel ordonna à
ses gens de ne pas faire de mal aux saints voyageurs. La sainte Vierge
vit aussi ce rayon arriver au coeur du brigand, comme elle le raconta à
la prophétesse Anne après son retour.
Ce détail est mentionné ici parce que nous rapportons cet événement,
ainsi que beaucoup d'autres choses relatives à la fuite en Égypte,
d'après les conversations du vieil Essénien Eliud, qui accompagna Jésus
lorsqu'il alla de Nazareth au lieu où saint Jean baptisait. Il raconta
que la prophétesse Anne lui avait dit avoir appris cette circonstance de
la bouche de la sainte Vierge.
Le voleur conduisit alors la sainte Famille dans sa cabane, où se
trouvaient sa femme et ses deux enfants. La nuit était venue. L'homme
raconta à sa femme le mouvement extraordinaire qui s'était produit en
lui à la vue de l'enfant. Elle accueillit la sainte Famille avec quelque
timidité, quoique non sans bienveillance. Les saints voyageurs
s'assirent à terre dans un coin et se mirent à manger quelque chose des
provisions qu'ils avaient avec eux. Leurs hôtes furent d'abord réservés
et craintifs, ce qui pourtant ne paraissait pas être dans leurs
habitudes. Peu à peu ils se rapprochèrent. Il vint d'autres hommes qui,
pendant ce temps, avaient mis sous un abri l'âne de Joseph. Ces gens
s'enhardirent, se placèrent autour de la sainte Famille et
s'entretinrent avec elle. La femme offrit à Marie des petits pains avec
du miel et des fruits. Elle lui porta aussi à boire. Le feu était allumé
dans une excavation pratiquée dans un coin de la hutte. la femme disposa
une place séparée pour la sainte Vierge, et lui apporta, sur sa demande,
une auge pleine d'eau pour baigner l'Enfant-Jésus. Elle lava aussi ses
langes et les fit sécher devant le feu.
Marie baigna l'Enfant-Jésus sous un drap. Le voleur était si ému qu'il
dit à sa femme : " Cet enfant juif n'est pas un enfant ordinaire ; c'est
un saint enfant. Prie la mère de nous laisser baigner notre petit garçon
lépreux dans l'eau où elle l'a lavé ; cela le guérira peut-être ". Quand
la femme s'approcha de Marie, celle-ci lui dit ? avant qu'elle n'eut
parlé, de laver son enfant lépreux dans cette eau. La femme apporta dans
ses bras un petit garçon d'environ trois ans. Il était rongé de la
lèpre, et son visage n'était qu'une croûte. L'eau dans laquelle Jésus
avait été baigné paraissait plus claire qu'auparavant. Quand l'enfant y
eut été mis, les croûtes de la lèpre se détachèrent et tombèrent à
terre. Il était parfaitement guéri.
La mère était transportée de joie. Elle voulait embrasser Marie et
l'Enfant-Jésus ; mais Marie lui fit signe de n'en rien faire. Elle ne se
laissa pas toucher par elle, non plus que le petit Jésus. Elle lui dit
de creuser une citerne dans le roc et d'y verser cette eau, qui
donnerait à la citerne la même vertu. Elle s'entretint encore avec elle,
et je crois que la femme promit de quitter ce lieu à la première
occasion.
Ces gens étaient tout joyeux de la guérison de leur enfant. Plusieurs de
leurs compagnons étant venus pendant la nuit, on leur montra l'enfant
guéri, et on leur raconta ce qui s'était passé. Ces nouveaux venus,
parmi lesquels étaient quelques jeunes garçons, entourèrent la sainte
Famille et la regardèrent avec étonnement. Il était d'autant plus
remarquable de voir ces brigands se montrer si respectueux envers la
sainte Famille, que je les vis, pendant cette même nuit où ils
recevaient de si saints hôtes, arrêter plusieurs autres voyageurs
attirés par la lumière placée dans leur voisinage, et les conduire dans
une grande caverne placée plus bas dans le bois. Cette caverne, dont
l'entrée était cachée par des broussailles, paraissait être leur
magasin. J'y vis plusieurs enfants volés, âgés de sept à huit ans, et
une vieille femme chargée de garder tout ce qui s'y trouvait. J'y vis
des vêtements, des tapis, de la viande, des chameaux, des montons, des
animaux plus grands, et toute espèce de butin. C'était un endroit
spacieux ; tout s'y trouvait en abondance.
Je vis Marie prendre un peu de sommeil pendant cette nuit ; la plupart
du temps elle resta assise sur sa couche. Ils partirent de grand matin,
munis de provisions qu'on leur avait données. Ces gens les
accompagnèrent quelque temps et les menèrent jusqu'au bon chemin, en les
faisant passer près de plusieurs fosses.
Ces voleurs prirent congé de la sainte Famille avec une grande émotion,
et le chef dit aux voyageurs, d'une façon très expressive : "
Souvenez-vous de nous en quelque lieu que vous alliez. A ces paroles, je
vis tout d'un coup une scène de crucifiement, et je vis le bon larron
dire à Jésus : " Souvenez-vous de moi quand vous serez dans votre
royaume ". Je reconnus que c'était l'enfant guéri de la lèpre. La femme
du brigand renonça au bout d'un certain temps à la vie qu'elle menait ;
elle s'établit dans un endroit où la sainte Famille s'était reposée
postérieurement ; une source y avait jailli, et un jardin de baumiers y
était venu ; plusieurs honnêtes familles s'établirent dans cet endroit.
LXXXVI
Le désert. Première ville égyptienne.
Habitants
malveillants. Longueur du voyage.
Je vis la sainte Famille entrer dans un désert. Comme ils avaient perdu
leur chemin, je vis s'approcher d'eux des reptiles de diverses espèces,
entre autres des lézards rampants avec des ailes de chauve-souris, et
aussi des serpents ; ils ne cherchaient pourtant pas à leur faire du
mal, et paraissaient seulement vouloir montrer le chemin. Plus tard
encore, comme ils ne savaient plus quelle direction prendre, je vis
qu'elle leur fut indiquée par un gracieux miracle. Des deux côtés du
chemin sortit de terre la plante appelée rose de Jéricho, avec ses
branches, à feuilles frisées, portant au milieu de petites fleurs. Ils
s'avancèrent pleins de joie, et virent à perte de vue s'élever des
plantes semblables ; il en fut ainsi tout le long du désert. Il fut
révélé à la sainte Vierge qu'à une époque postérieure des gens du pays
viendraient cueillir ces fleurs et les vendre aux voyageurs étrangers
pour avoir du pain. Je vis qu'en effet cela eut lieu dans la suite. Le
nom de cet endroit était comme Gas ou Gose '. Je les vis ensuite arriver
à un lieu qui s'appelait, si je ne me trompe, Lepe ou Lape. Il y avait
de l'eau en cet endroit ; il s'y trouvait des fossés, des canaux et des
digues élevées. Ils traversèrent un cours d'eau à l'aide d'un radeau
formé de poutres, sur lequel se trouvaient des espèces de grandes cuves
dans lesquelles on plaçait les ânes. Deux hommes laids, basanés, à
moitié nus, avec des nez épatés et de grosses lèvres, les passèrent. Ils
arrivèrent ensuite près des maisons isolées du bourg ; les habitants
étaient si grossiers et si hautains qu'ils passaient outre sans entrer
en pourparler avec eux. C'était, je crois, la première ville paienne
(égyptienne ?). Ils avaient voyagé dix jours sur le territoire de la
Judée et dix jours dans le désert.
C'était peut-être le lieu mentionné dans le livre de Josué, X, 41 ; XI,
16 ; XV, 51.
Elle veut probablement parler de Peluse ; car
souvent elle changeait les lettres de place, disant, par exemple, Lep au
lieu de Pel.
Je vis ensuite la sainte Famille dans un pays de plaine appartenant au
territoire égyptien ; il y avait ça et là de vastes prairies où erraient
des troupeaux. Je vis aussi des arbres auxquels des idoles semblables à
des enfants au maillot étaient attachées par deux bandelettes ; elles
étaient couvertes de figures ou de caractères. Je vis aussi ça et là des
hommes gros et trapus habillés à la façon de ces fileurs de coton que
j'avais vus près de la frontière du pays des trois rois ; je vis ces
gens aller devant les idoles et leur rendre hommage. La sainte Famille
entra dans un hangar où était du bétail qui sortit pour lui faire place.
Ils manquaient entièrement d'aliments ; ils n'avaient ni pain ni eau.
Personne ne leur donna rien. Marie pouvait à peine allaiter son enfant.
Ils eurent alors à endurer toutes les souffrances humaines. Enfin
quelques bergers vinrent faire boire leur troupeau à un puits fermé ;
sur l'instante prière de saint Joseph, ils leur donnèrent un peu d'eau.
Je vis ensuite la sainte Famille dépourvue de tout secours et toute
languissante traverser un bois à la sortie duquel était un dattier très
élancé, portant à son sommet des fruits qui formaient comme une grappe.
Marie vint près de cet arbre, tenant l'Enfant-Jésus dans ses bras ; elle
fit une prière, et éleva l'enfant en l'air ; alors l'arbre courba sa
tête vers eux comme s'il se fût agenouillé, et ils cueillirent tous ses
fruits. L'arbre resta dans cette position.
Je vis toute espèce de gens du lieu précédent suivre la sainte Famille,
et Marie donner des fruits de l'arbre à plusieurs enfants nus qui
couraient après elle. A un quart de lieue environ de ce premier arbre,
je les vis arriver près d'un grand sycomore d'une grosseur
extraordinaire. Il était creux, et ils s'y cachèrent pour éviter les
gens qui les suivaient et qu'ils avaient alors perdus de vue ceux-ci
passèrent outre. La sainte Famille passa là...
LXXXVII
Plaine de sable. Source qui jaillit à la prière de Marie.
Origine du jardin de baume.
Le jour suivant ils continuèrent leur route à travers des sables
déserts. Ils n'avaient pas d'eau, et ils s'assirent tout épuisés près
d'un monticule de sable. La sainte Vierge implora Dieu, et je vis une
source abondante jaillir à côté d'elle et arroser le terrain d'alentour.
Joseph fit un petit bassin pour cette source, et creusa une rigole pour
l'écoulement de l'eau. Ils se reposèrent là ; Marie lava l'Enfant-Jésus
; Joseph fit boire l'âne, et remplit son outre d'eau. Je vis de vilaines
bêtes, comme d'énormes lézards, et aussi des tortues s'approcher pour se
rafraîchir. Elles ne tirent pas de mal à la sainte Famille, mais la
regardèrent d'un air amical. L'eau qui coulait de la source faisait un
assez grand circuit, et se perdait de nouveau dans la terre à peu de
distance.
La portion de terrain qu'elle arrosait fut merveilleusement bénie ; elle
fut bientôt couverte de verdure, et le précieux arbre qui produit le
baume y vint en grande quantité ; la sainte Famille, à son retour
d'Egypte, put déjà y prendre du baume. Ce lieu devint plus tard célèbre
comme jardin de baume. Diverses personnes s'y établirent : je crois que
la mère de l'enfant du voleur qui avait été guéri de la lèpre fut de ce
nombre. J'ai vu plus tard des scènes qui se passèrent dans cet endroit.
Une belle clôture formée de baumiers entourait le jardin, où se
trouvaient plusieurs autres arbres fruitiers. A une époque postérieure
on creusa là un autre puits large et profond, d'où on tirait, à l'aide
d'une roue mise en mouvement par des boeufs, une grande quantité d'eau
qu'on mêlait avec celle de la source de Marie, pour arroser tout le
jardin : sans ce mélange, l'eau du nouveau puits aurait été nuisible. Il
me fut montré aussi que les boeufs qui mettaient la roue eu mouvement ne
travaillaient pas depuis le samedi à midi jusqu'au lundi matin.
LXXXVIII
Héliopolis ou On. Une idole tombe en avant de la ville.
Tumulte qui en résulte.
Quand ils se furent restaurés en ce lieu, ils se rendirent une grande
ville, bien bâtie, mais en partie ruinée. C'était Héliopolis, qui
s'appelle aussi On. C'était là que, au temps des enfants de Jacob,
habitait le prêtre égyptien Putiphar, chez lequel demeurait Asnath, la
fille qu'avait eue Dinah après son enlèvement par les Sichémites, et que
le patriarche Joseph épousa.
C'était aussi là que demeurait Denys l'Aréopagite à l'époque de la mort
de Jésus La ville avait été dévastée et dépeuplée par la guerre, et des
gens de toute espèce étaient venus ensuite s'établir dans ses édifices
en ruine.
Ils passèrent, sur un pont très élevé et très long, une large rivière
(le Nil), qui me parut avoir plusieurs bras. Ils vinrent sur une place
située devant la porte de la ville et qui était entourée d'une espèce de
promenade. Là se trouvait, sur un tronçon de colonne, plus large d'en
bas que d'en haut, une grande idole à tête de boeuf, qui tenait dans ses
bras quelque chose de semblable à un enfant au maillot. Elle était
entourée de pierres formant comme des bancs ou des tables sur lesquelles
les gens qui venaient de la ville, en grand nombre, vers cette idole,
déposaient leurs offrandes Non loin de là se trouvait un très grand
arbre sous lequel la sainte Famille s'assit pour se reposer.
Ils étaient là depuis quelques instants à peine, lorsque la terre
trembla, et que l'idole chancela et tomba. Il s'ensuivit beaucoup de
tumulte et de cris parmi le peuple ; beaucoup de gens qui travaillaient
à un canal dans le voisinage accoururent. Un brave homme, qui était, je
crois, un ouvrier du canal, et qui déjà avait accompagné sainte Famille
sur le chemin par où elle était venue là, les conduisit en toute hâte
vers la ville. Ils étaient déjà hors de la place où était l'idole,
lorsque le peuple les remarqua, et, leur attribuant la chute de la
statue, se précipita vers eux en furie, les injuriant et les menaçant,
mais cela ne fut pas long ; car bientôt la terre trembla, le grand arbre
s'abattit, laissant à nu ses racines, et le sol qui entourait le
piédestal de l'idole devint un bourbier d'eau noire et fangeuse dans
lequel la statue s'enfonça jusqu'aux cornes. Quelques-uns des plus
méchants parmi cette foule furieuse tombèrent aussi dans cette mare
d'eau noirâtre. La sainte Famille gagna tranquillement la ville, où elle
s'établit dans un édifice massif adossé à un grand temple d'idoles, et
où se trouvaient plusieurs places vides.
LXXXIX
Héliopolis. Habitation de la sainte Famille.
Travaux de
saint Joseph et de la sainte Vierge.
La soeur Emmerich communiqua encore les fragments suivants sur la vie
ultérieure de la sainte Famille dans la ville d'Héliopolis ou d'On.
Je franchis une fois la mer pour aller en Egypte, et je trouvai encore
la sainte Famille établie dans la grande ville ruinée. Elle s'étend le
long d'un grand fleuve à plusieurs bras. On la voit de loin à cause de
sa position élevée. Il y a des parties voûtées sous lesquelles coule le
fleuve. On en traverse les bras sur des poutres placées dans l'eau pour
ce but. Je vis là avec surprise de grands restes d'édifices, des tours à
demi détruites, et des temples presque entiers. Je vis des colonnes,
semblables à des tours, sur lesquelles ou pouvait monter par
l'extérieur. Je vis aussi d'autres colonnes très élevées, pointues par
en haut et couvertes d'images étranges, ainsi que beaucoup de grandes
figures semblables à des chiens accroupis avec des têtes humaines.
La sainte Famille habitait les salles d'un grand bâtiment supporté d'un
côté par de grosses colonnes peu élevées, les unes carrées, les autres
rondes. Beaucoup de gens s'étaient arrangé des habitations sous ces
colonnes. En haut, au-dessus de cet édifice, régnait un chemin par
lequel on allait et venait. En face était un grand temple d'idoles avec
deux cours.
Devant un endroit fermé d'un côté par un mur, s'ouvrant de l'autre sous
une rangée de gros piliers peu élevés, Joseph avait disposé une légère
construction en bois, divisée par des cloisons en plusieurs
compartiments : c'était là qu'ils habitaient. Je les y vis tous
ensemble. Je remarquai, pour la première fois, que, derrière une de ces
cloisons, ils avaient un petit autel où ils priaient : c'était une
petite table avec une couverture rouge, et une autre couverture blanche
et transparente par-dessus ; une lampe la surmontait. Je vis plus tard
saint Joseph tout à fait installé ; il travaillait souvent au dehors Il
faisait de longs bâtons avec des pommeaux ronds à l'extrémité, de petits
escabeaux à trois pieds et des corbeilles. Il fabriquait aussi des
cloisons légères en branches entrelacées. Les gens du pays y ajoutaient
un certain enduit, et s'en servaient pour disposer des cabanes à
compartiments contre les murs et même dans ces murs, qui étaient d'une
épaisseur extraordinaire. Il faisait aussi, avec des planches longues et
minces, de petites tours légères, à six ou huit pans, se terminant en
pointe, et surmontées d'un bouton. Il y avait une ouverture, en sorte
qu'une personne pouvait s'y asseoir comme dans une guérite. Des degrés
étaient pratiqués à l'extérieur pour monter jusqu'en haut. Je vis de
petites tours semblables devant les temples des idoles, et aussi sur des
toits plats. On s'asseyait dedans. C'étaient peut-être des espèces de
corps de garde ou des abris contre le soleil.
Je vis la sainte Vierge tresser des tapis. Je la vis aussi s'occuper
d'un autre travail pour lequel elle se servait d'un bâton à l'extrémité
duquel était un pommeau ; je ne sais pas si elle filait ou faisait
quelque autre ouvrage. Je vis souvent des gens la visiter, ainsi que
l'Enfant-Jésus, qui était près d'elle par terre dans une espèce de petit
berceau. Je vis plusieurs fois ce berceau placé sur une espèce de
tréteau comme ceux des scieurs. Je vis l'enfant gracieusement couché
dans ce berceau ; je l'y vis une fois sur son séant. Marie était assise
à coté et tricotait. Il y avait une petite corbeille près d'elle. Trois
femmes se trouvaient là.
Les hommes qui habitaient cette ville en ruine étaient vêtus comme ces
fileurs de coton que je vis lorsque j'allai à la rencontre des trois
rois ; seulement ils portaient des espèces de tabliers ou plutôt des
robes courtes autour du corps. Il y avait là peu de Juifs. Je les voyais
roder avec précaution, comme s'ils n'avaient pas eu la permission
d'habiter dans cet endroit.
Au nord d'Héliopolis, entre cette ville et le Nil, qui se divisait en
plusieurs bras, se trouvait le pays de Gessen. Il y avait là un lieu où
demeuraient entre deux canaux un assez grand nombre de Juifs, fort
dégénérés en ce qui touchait la pratique de leur religion. Plusieurs
d'entre eux avaient fait connaissance avec la sainte Famille ; Marie
faisait pour eux des ouvrages de femme, au moyen desquels elle se
procurait du pain et d'autres aliments. Les Juifs de la terre de Gessen
avaient un temple qu'ils mettaient en parallèle avec celui de Salomon,
mais il était fort différent.
Je vis la sainte Famille à Héliopolis. Ils habitaient encore près du
temple d'idoles, dans l'édifice dont j'ai parlé Joseph avait construit,
assez près de là, un oratoire où les Juifs qui habitaient cet endroit se
réunissaient avec eux. Auparavant, ils n'avaient pas de lieu pour prier
en commun. Cet oratoire était surmonté d'une coupole légère qu'on
pouvait ouvrir, et alors on se trouvait comme en plein air. Au milieu se
trouvait une table ou un autel sur lequel étaient posés des rouleaux
écrits. Le prêtre ou le docteur était un homme très avancé en âge. Les
femmes étaient d'un côté, les hommes de l'autre.
Je vis la sainte Vierge La première fois qu'elle vint dans cet oratoire
avec l'Enfant-Jésus. Elle était assise par terre, appuyée sur un bras.
Elle avait devant elle l'enfant, vêtu d'une robe bleu de ciel, et elle
joignait ses petites mains sur sa poitrine. Joseph se tenait derrière
elle, comme il faisait toujours, quoique les autres, hommes et femmes,
fussent assis ou debout, les uns d'un côté, les autres de l'autre.
L'Enfant-Jésus me fut aussi montré quand il était plus grand et qu'il
recevait souvent la visite d'autres enfants. Il pouvait déjà parler et
courir ; il était habituellement près de saint Joseph, et allait souvent
avec lui lorsqu'il travaillait au dehors. Il avait une petite robe,
semblable à une petite chemise tricotée ou faite d'un seul morceau.
Comme ils habitaient dans le voisinage d'un temple, quelques-unes des
idoles qui s'y trouvaient étaient tombées en morceaux ; beaucoup de gens
se souvenant de la chute de l'idole qui avait eu lieu devant la porte
lors de leur entrée, attribuèrent cela à la colère des dieux contre eux,
et ils eurent beaucoup de persécutions à souffrir à cause de cela.
XC
Sur le massacre des Innocents par Hérode.
Jésus étant à peu près au milieu de sa seconde année, un ange apparut à
la sainte Vierge, à Héliopolis, et lui apprit le massacre des enfants
par Hérode. Joseph et elle en furent très affligés, et l'Enfant-Jésus
pleura toute la journée. Voici ce que je vis à cette occasion.
Les trois rois n'étant pas revenus à Jérusalem, les craintes d'Hérode,
qui avait alors diverses affaires de famille à régler, se calmèrent un
peu ; mais elles se réveillèrent de nouveau lorsqu'après le retour de la
sainte Famille à Nazareth, mille bruits arrivèrent jusqu'à lui touchant
les prédictions faites par Siméon et par Anne lors de la présentation de
Jésus au temple. Il envoya des soldats, sous divers prétextes, en
différents lieux des environs de Jérusalem, à Gilgal, à Bethléhem, et
jusqu'à Hébron, et il fit faire un dénombrement des enfants. Les soldats
occupèrent ces endroits pendant neuf mois. Hérode, pendant ce temps,
était à Rome ', et ce ne fut qu'après son retour que les enfants furent
égorgés. Jean avait alors deux ans, et il avait été caché chez ses
parents pendant quelque temps, avant qu'Hérode ait donné l'ordre aux
mères de présenter devant les autorités leurs enfant. Agés de deux ans
et au-dessous. Élisabeth, avertie par un ange, s'enfuit de nouveau dans
le désert avec le petit saint Jean. Jésus avait alors prés d'un an et
demi et pouvait déjà courir.
Les enfants furent égorgés en sept endroits différents. On promit aux
mères des gratifications à cause de leur fécondité. Elles portèrent
leurs enfants, qu'elles avaient revêtus de leurs plus beaux habits dans
les maisons où se tenaient les autorités. Les hommes furent renvoyés et
les mères séparées de leurs enfants. Ceux-ci furent égorgés par des
soldats dans des cours fermées, jetés en tes enterrés dans des fosses.
La soeur Emmerich raconta sa vision sur le massacre des Innocents, le 8
mars 1821, par conséquent, vers le moment de l'année où eut lieu la
fuite en Égypte, en sorte qu'on : peut admettre que cet événement eut
lieu un an après.
Elle raconta ceci étant gravement malade : elle mentionna divers
événements arrivés dans la famille d'Hérode et divers voyages, mais
d'une manière très peu intelligible. Elle ne mentionna clairement que le
séjour d'Hérode à Rome. L'écrivain lisant quinze ans après l'histoire
d'Hérode le Grand dans l'historien Josèphe, n'y trouva rien qui
indiquait un voyage d'Hérode à cette époque, et il ne sait pus d'où peut
venir cette erreur. Peut-être voulait-elle dire : Antipater, fils
d'Hérode, avait été à Rome. et ce ne fut qu'après son retour qu'eut lieu
le massacre des enfants.
Aujourd'hui, vers midi, dit-elle, je vis les mères avec leurs enfants de
deux ans et au-dessous, venir à Jérusalem d'Hébron, de Bethléhem et d'un
autre endroit où Hérode avait envoyé des soldats et fait donner des
ordres en conséquence par ses fonctionnaires Elles se rendirent à la
ville en différentes troupes. Plusieurs avaient deux enfants avec elles,
et étaient montées sur des ânes. On les conduisit toutes dans un grand
bâtiment, et on renvoya les hommes qui les accompagnaient. Elles
entrèrent gaiement , car elles croyaient recevoir des gratifications
pour leur fécondité.
L'édifice était un peu isolé ; il n'était pas loin de celui qui fut plus
tard la demeure de Pilate. Il était entouré de murs, de manière qu'on ne
pouvait pas facilement savoir au dehors ce qui se passait dans
l'intérieur. Ce devait être un tribunal, car je vis dans la cour des
piliers et des blocs de pierres où pendaient des chaînes ; il y avait
aussi des arbres qu'on courbait et qu'on liait ensemble pour y attacher
des hommes. puis on les laissait se redresser rapidement pour écarteler
ces malheureux. C'était un édifice massif et sombre. La cour était
presque aussi grande que le cimetière, qui est À un des côtés de
l'église principale de Dulmen. Une porte, qui s'ouvrait entre deux murs,
conduisait à cette cour, qui était entourée de bâtiments de trois côtés.
Ceux de droite et de gauche avaient un étage ; celui du centre
ressemblait à une vieille synagogue abandonnée. Ces bâtiments avaient
tous des portes sur la cour.
On conduisit les mères, à travers la cour, aux deux bâtiments latéraux !
et on les y enferma. Elles me firent l'effet d'être dans une espèce
d'hôpital ou d'auberge. Quand elles se virent privées de leur liberté.
elles eurent peur et commencèrent à pleurer et à se lamenter. Elles
restèrent ainsi toute la nuit.
Le jour suivant, 9 mars, elle raconta ce qui suit : J'ai vu
aujourd'hui, après midi, un tableau effrayant. Je vis dans la maison de
Justice le massacre des Innocents. Le grand édifice de derrière qui
fermait la cour était élevé de deux étages. L'étage inférieur consistait
en une grande salle nue, semblable à une prison ou à un grand corps de
garde ; au-dessus, était une pièce dont les fenêtres avaient vue sur la
cour. Je vis là plusieurs personnages rassemblés comme en tribunal ; il
y avait devant eux des rouleaux posés sur une table. Je crois qu'Hérode
était présent, car je vis un homme en manteau rouge avec une fourrure
blanche ; il y avait sur cette fourrure de petites queues noires. Je le
vis, entouré des autres, regarder par la fenêtre de la salle.
Les mères, avec leurs enfants, étaient appelées une à une pour être
conduites des bâtiments latéraux dans la grande salle inférieure du
corps de logis qui était sur le derrière. A l'entrée, les soldats leur
enlevaient leurs enfants et les portaient dans la cour, où une vingtaine
d'entre eux les massacraient en leur perçant la gorge et le coeur avec
des épées et des piques. Il y avait des enfants au maillot que leurs
mères allaitaient encore, et d'autres, un peu plus grands, avec de
petites robes. Ils ne les déshabillaient pas, mais ils les égorgeaient,
et, les prenant par le bras ou par le pied, ils les jetaient en tas.
C'était un horrible spectacle.
Les mères furent entassées par les soldats dans la grande salle ; et,
quand elles virent ce qu'on faisait de leurs enfants, elles poussèrent
des cris lamentables, s'arrachèrent les cheveux et se jetèrent dans les
bras les unes des autres. A la fin, elles étaient si serrées, qu'elles
pouvaient à peine se remuer. Je crois que le massacre dura jusqu'au
soir.
Les enfants furent, plus tard, jetés tous ensemble dans une fosse
creusée dans la cour Leur nombre me fut montré, mais je ne m'en souviens
pas bien. Je crois qu'il y en avait sept cents, plus un chiffre où se
trouvait sept ou dix-sept.
Je fus terrifiée à cette vue ; je ne savais pas où cela avait lieu, je
croyais que c'était ici. Quand je me réveillais, je ne pus me remettre
que peu à peu. Je vis, dans la nuit suivante, les mères chargées de
liens et reconduites chez elles par les soldats. Le lieu du massacre des
enfants à Jérusalem était l'ancienne cour des exécutions, située à peu
de distance du tribunal de Pilate ; mais des changements y avaient été
faits à son époque. Je vis, à la mort de Jésus, s'ouvrir la fosse où
avaient été jetés les enfants égorgés ; leurs âmes apparurent et
sortirent de là.
XCI
Saint Jean réfugié de nouveau dans le désert.
Lorsque Élisabeth, avertie par un ange avant le massacre des Innocents,
se réfugia de nouveau dans le désert avec le petit Jean, je vis ce qui
suit à cette occasion.
Élisabeth chercha longtemps avant de trouver une grotte qui lui parût
assez sûre et assez cachée ; mais quand elle l'eut trouvée, elle y resta
environ quarante jours avec l'enfant. Quand elle revint chez elle, un
Essénien de la communauté du mont Horeb, vint dans le désert ; il
portait des aliments à l'enfant et l'aidait dans tout ce qui lui était
nécessaire. Cet Essénien, dont j'ai oublié le nom, était parent de la
prophétesse Anne. Il vint d'abord toutes les semaines, puis tous les
quinze jours, jusqu'à ce que Jean n'eût plus besoin de son secours. Ce
moment ne tarda pas beaucoup ; car, de très bonne heure, l'enfant se
trouva mieux dans le désert que parmi les humains. Il était destiné par
Dieu à y croître dans son innocence, sans contact avec les hommes et
leurs péchés. Comme Jésus, il n'alla jamais à l'école : ce fut le Saint
Esprit qui l'instruisit. Je vis souvent près de lui une lumière ou des
figures lumineuses, comme des anges. Le désert qu'il habitait n'était
pas dévasté et stérile ; il y venait parmi les rochers beaucoup d'herbes
et d'arbrisseaux portant des baies de diverses sortes ; il y avait aussi
des fraises que Jean cueillait et mangeait. Il avait une familiarité
extraordinaire avec les bêtes, surtout avec les oiseaux. Ils volaient à
lui et se posaient sur ses épaules ; il leur parlait ; ils semblaient le
comprendre et lui servaient pour ainsi dire de messagers. Il allait
aussi le long des ruisseaux, et les poissons, eux-mêmes, se
familiarisaient avec lui; ils s'approchaient quand il les appelait et
le suivaient tant qu'il marchait au bord de l'eau.
Je le vis s'éloigner beaucoup de sa patrie, peut-être cause du danger
qui le menaçait. Les animaux l'avaient en telle amitié, qu'ils le
servaient et l'avertissaient. Ils le conduisaient à leurs repaires ou à
leurs nids ; et, quand les hommes s'approchaient, il s'enfuyait dans
leurs lieux de refuge. Il se nourrissait de fruits sauvages, d'herbes et
de racines. Il n'avait pas longtemps à chercher pour cela ; car, s'il ne
savait pas l'endroit où on en trouvait, les bêtes le lui indiquaient. Il
portait toujours sa peau d'agneau et son petit bâton, et s'enfonçait
toujours plus avant dans le désert. Quelquefois, pourtant, il se
rapprochait de sa patrie. Deux fois il eut une entrevue avec ses
parents, qui désiraient toujours vivement sa présence. Ils devaient
savoir quelque chose les uns sur les autres par révélation ; car, quand
Élisabeth ou Zacharie voulaient voir Jean, il ne manquait jamais de
venir à leur rencontre de très loin.
XCII
Voyage de la sainte Famille à Mataréa.
Sur les Juifs de la
terre de Gessen.
Après un séjour d'à peu près dix-huit mois, Jésus ayant environ deux
ans, la sainte Famille quitta Héliopolis par suite du manque d'ouvrage
et de beaucoup de persécutions. Ils se dirigèrent au midi, vers Memphis.
Comme ils passaient par une petite ville peu éloignée d'Héliopolis, et
qu'ils se reposaient dans le vestibule d'un temple d'idole, l'idole
tomba et se brisa. Elle avait une tête de boeuf, avec trois cornes ;
plusieurs ouvertures étaient pratiquées dans le corps pour placer et
brûler les offrandes. Il s'ensuivit un grand tumulte parmi les prêtres
idolâtres, qui arrêtèrent la sainte Famille et la menacèrent, Mais l'un
d'entre eux représenta aux autres qu'il valait mieux se recommander au
Dieu de ces gens ; il rappela les fléaux qui avaient frappé leurs
ancêtres lorsqu'ils avaient persécuté le peuple auquel ceux-ci
appartenaient, notamment la mort des premiers-nés de chaque famille dans
la nuit qui avait précédé la sortie de ce peuple. Sur ces observations,
on laissa aller la sainte Famille sans lui faire de mal.
Ils allèrent jusqu'à Troya, endroit situé sur la rive orientale du Nil,
vis-à-vis Memphis. C'était un bourg considérable, où il y avait beaucoup
de boue. Ils avaient l'idée de rester là, mais on ne les reçut nulle
part ; on refusa même de leur donner de l'eau à boire et quelques dattes
qu'ils demandaient. Memphis était située sur l'autre rive du Nil. Le
fleuve était large en cet endroit, et il y avait quelques îles. Une
partie de la ville était aussi de ce côté du Nil. Il s'y trouvait, du
temps de Pharaon, un grand palais avec des jardins et une haute tour,
sur laquelle montait souvent la fille de Pharaon. Je vis aussi la place
où Moise, enfant, avait été trouvé parmi de grands roseaux. Memphis
formait comme trois villes des deux côtés du Nil ; et il semblait que
Babylone, une ville placée sur la rive orientale plus en aval du fleuve,
en fit aussi partie. Du reste, à l'époque de Pharaon, la contrée du Nil
entre Héliopolis, Babylone et Memphis, était tellement couverte de
hautes digues de pierres, de canaux et d'édifices voisins les uns des
autres, que tout cet ensemble ne paraissait faire qu'une seule ville. Au
temps de la sainte Famille, il y avait des séparations et de grands
intervalles déserts.
Ils revinrent au nord, en descendant le cours du fleuve, dans la
direction de Babylone, qui était dépeuplée, mal bâtie et fangeuse. Ils
la contournèrent, passèrent entre le Nil et la ville, et firent un peu
de chemin dans la direction opposée à celle qu'ils avaient d'abord
prise.
Ils firent environ deux lieues le long du Nil La route était bordée ça
et là de bâtisses en ruine. Il leur fallut traverser encore un canal et
un petit bras du fleuve, et ils arrivèrent à un endroit dont j'ai oublié
le nom ancien, mais qui, plus tard, s'appela Mataréa. Il était voisin
d'Héliopolis. Cet endroit, situé sur une langue de terre . en sorte que
l'eau le bordait de deux côtés, était assez dépeuple ; les habitations y
étaient très dispersées et mal bâties ; elles étaient faites avec du
bois de dattier et du limon desséché, et couvertes en roseaux. Joseph y
trouva de l'ouvrage. Il bâtit des maisons plus solides en branches
entrelacées, et construisit au-dessus des galeries où l'on pouvait se
promener.
Ils se logèrent là sous une voûte sombre, dans un lieu solitaire, à peu
de distance de la porte par laquelle ils étaient entrés. Joseph disposa,
en outre, une construction légère en avant de cette voûte. Ici aussi,
une idole, qui était dans un petit temple, tomba à leur arrivée, et,
plus tard, toutes les idoles de l'endroit. Ce fut encore un prêtre qui
calma le peuple en rappelant le souvenir des plaies d'Égypte. Plus tard,
quand une petite communauté de Juifs et de païens convertis se fut
rassemblée autour d'eux, les prêtres leur abandonnèrent le petit temple
dont l'idole était tombée à leur entrée, et saint Joseph en fit une
synagogue. Il devint comme le père de la communauté et leur apprit à
chanter régulièrement les psaumes, car ils avaient oublié en grande
partie le culte de leurs pères.
Il y avait là quelques Juifs très pauvres, vivant dans des fosses et des
trous creusés dans la terre. Dans le village juif, situé entre On et le
Nil, demeuraient, au contraire, beaucoup d'Israélites qui avaient un
temple à eux, mais ils étaient tombés dans l'idolâtrie ; ils avaient un
veau d'or, use figure avec une tête de boeuf, et, alentour, de petites
figures d'animaux ressemblant à des putois, avec de petits baldaquins
au-dessus. Ce sont des animaux qui défendent l'homme contre les
crocodiles (les ichneumons).
Ils avaient aussi une imitation de l'Arche d'alliance, dans laquelle
étaient d'affreuses choses. Ils pratiquaient un culte abominable, qu'ils
exerçaient en se livrant à toutes sortes d'impuretés dans un passage
souterrain, croyant amener par là la venue du Messie. Ils étaient très
endurcis, et ne voulaient pas se corriger. Plus tard plusieurs d'entre
eux vinrent ici de cet endroit, qui était éloigné de deux lieues au
plus. Ils ne pouvaient pas venir directement, à cause des canaux et des
chaussées, mais il leur fallait faire un détour autour d'Héliopolis.
Ces Juifs, du pays de Gessen, avaient déjà fait connaissance avec la
sainte Famille, lorsqu'elle était à On, et Marie faisait pour eux toutes
sortes d'ouvrages de femme, comme du tricot et des broderies. Elle ne
voulait pas faire des choses inutiles et des objets de luxe, mais
seulement des choses d'un usage habituel et des habits qu'on mettait
pour prier. Je vis des femmes lui commander des ornements à la mode,
pour satisfaire leur vanité ; Marie alors les refusait, quelque besoin
qu'elle eût d'avoir de l'ouvrage. Je vis aussi ces femmes lui dire des
injures.
XCIII
Mataréa. Pauvreté du lieu. Oratoire de la sainte Famille.
Au commencement, leur position à Mataréa fut pénible il n'y avait là ni
bois, ni eau potable ; les habitants brûlaient de l'herbe desséchée ou
des roseaux. La sainte Famille ne mangeait, la plupart du temps, que des
aliments froids. Joseph trouva du travail ; il mit les cabanes en
meilleur état. Les gens du pays le traitaient presque comme un esclave ;
ils lui donnaient ce qu'ils voulaient ; quelquefois, il recevait un
salaire pour son travail, quelquefois il ne recevait rien. Les habitants
étaient très peu industrieux dans la construction de leurs cabanes. Il
n'y avait pas de bois en cet endroit ; je vis bien ça et là des souches,
mais ils n'avaient pas d'instruments pour les façonner. La plupart
n'avaient que des couteaux de pierre ou d'os. Ils extrayaient de la
tourbe. Joseph avait apporté les plus indispensables de ses outils.
La sainte Famille s'installa bientôt assez bien. Joseph divisa son
habitation en compartiments à l'aide de cloisons en clayonnage ; il
disposa un foyer et fabriqua des escabeaux et de petites tables. Les
gens du lieu prenaient leurs repas par terre.
Ils vécurent là plusieurs années, et j'ai vu des scènes des différentes
années de la vie de l'Enfant-Jésus. Je vis l'endroit où il dormait. Dans
le mur de la voûte où Marie prenait son repos, Joseph avait pratiqué une
cavité où était la couche de Jésus. Marie dormait à côté, et je l'ai vue
souvent la nuit prier à genoux devant la couche de l'enfant. Joseph
dormait dans un autre endroit.
Je vis aussi un oratoire disposé par saint Joseph dans l'habitation. Il
était dans un couloir séparé. Joseph et la sainte Vierge y avaient leurs
places distinctes ; il y avait aussi pour l'Enfant-Jésus un petit coin
où il priait debout, assis ou agenouillé. La sainte Vierge avait une
espèce de petit autel devant lequel elle priait : c'était une petite
table couverte en blanc et en rouge ; on la tirait comme d'un
compartiment pratiqué dans le mur et qui pouvait se fermer. Il y avait
dans l'enfoncement du mur une espèce de reliquaire. Je vis de petits
bouquets dans des vases en forme de calice. J'y vis le bout du bâton de
Joseph avec la fleur qui l'avait fait désigner dans le temple comme
époux de Marie. Outre cela, Je vis une autre relique, mais je ne puis
bien préciser ce c'était.
XCIV
Élisabeth conduit pour la troisième fois
le petit saint Jean dans
le désert.
Pendant le séjour de la sainte Famille en Egypte, le petit Jean était
revenu secrètement à Juttah, chez ses parents ; car je le vis encore
conduit dans le désert par Elisabeth, lorsqu'il avait quatre ou cinq
ans. Zacharie n'était pas présent lorsqu'ils quittèrent la maison. Je
crois qu'il était parti d'avance pour ne pas voir les adieux ; car il
aimait Jean au delà de toute expression ; il lui avait pourtant donné sa
bénédiction, car il bénissait toujours Élisabeth et Jean avant de se
mettre en route.
Le petit Jean avait une peau de mouton qui, partant de l'épaule gauche,
lui tombait sur la poitrine et les reins et se rattachait sur le côté
droit. L'enfant n'avait d'autre vêtement que cette peau. Il avait des
cheveux bruns, plus foncés que ceux de Jésus, et tenait encore à la main
le petit bâton blanc qu'il avait pris avec lui en quittant la maison, et
que je lui vis toujours porter dans le désert. Je le vis ainsi pendant
que sa mère le tenait par la main. C'était une femme âgée, de grande
taille, à l'allure prompte ; elle avait une petite tête et une figure
agréable. Souvent il courait en avant. Il avait toute la naïveté de son
âge sans en avoir la légèreté.
Ils se dirigèrent d'abord vers le nord, ayant un cours d'eau à leur
droite ; je les vis ensuite traverser une petite rivière. Il n'y avait
pas de pont ; ils passèrent sur un radeau formé de poutres qui se
trouvait là. Élisabeth, qui était une femme très décidée, le dirigeait à
l'aide d'une branche d'arbre. Au delà de cette rivière, ils se
dirigèrent plus au levant et entrèrent dans une gorge de rochers qui
était nue et aride par en haut, mais dont le fond était couvert de
buissons avec des fruits sauvages et des fraises, dont l'enfant
cueillait et mangeait de temps en temps. Quand ils eurent cheminé
quelque temps dans ce défilé, Élisabeth dit adieu à l'enfant ; elle le
bénit, le serra contre son coeur, l'embrassa sur les deux joues et sur
le front, et revint sur ses pas. Plusieurs fois elle se retourna et le
regarda en pleurant. Quant à lui, il était sans inquiétude et marchait
d'un pas assuré, s'enfonçant de plus en plus dans le défilé.
J'étais très malade pendant ces visions, et Dieu me fit la grâce
d'assister à tout ce qui se passait comme si j'eusse été un enfant. Je
croyais être une petite fille du même âge que Jean, et je m'inquiétais
de le voir s'éloigner autant de sa mère. Je craignais qu'il ne pût plus
retrouver la maison paternelle ; mais je fus rassurée par une voix qui
me dit : " Sois sans inquiétude ; l'enfant sait très bien ce qu'il fait
". Il me sembla que j'entrais dans le désert seule avec lui, comme avec
un compagnon des jeux de mon enfance, et je vis à plusieurs reprises ce
qui lui arrivait. Jean, lui-même, me raconta plusieurs détails sur sa
vie dans le désert, par exemple, comment il s'y faisait violence et
mortifiait ses sens de toutes les façons, comment il y devenait de plus
en plus éclairé, et comment il était instruit de tout ce qui
l'intéressait d'une manière extraordinaire.
Tout cela ne me surprenait pas, car déjà, dans mon enfance, lorsque je
gardais notre vache, j'avais vécu intimement avec saint Jean dans le
désert. Souvent, lorsque je désirais le voir, et que je m'écriais au
milieu des buissons : " Petit saint Jean, viens me trouver avec ton
bâton et ta peau sur les épaules ! ", le petit saint Jean venait à moi
avec son bâton et sa peau d'agneau ; nous jouions comme des enfants ; il
me racontait et m'enseignait toute sorte de bonnes choses. Je n'étais
pas étonnée non plus qu'il apprît tant de choses des animaux et des
plantes dans le désert, car, moi aussi, pendant mon enfance, lorsque
j'étais dans les bois, dans les pâturages et dans les champs, lorsque je
cueillais des épis, que j'arrachais du gazon ou que je ramassais des
herbes, j'étudiais comme un livre chaque feuille, chaque fleur ; tous
les animaux qui passaient, tout ce qui m'entourait était pour moi une
source d'enseignement. Toutes les formes, toutes les couleurs, et
jusqu'à la configuration des feuilles me faisaient venir des pensées
profondes, que les gens auxquels je les communiquais écoutaient avec
étonnement, mais dont ils riaient la plupart du temps ; ce qui finit par
m'habituer à garder le silence sur tout cela, car je pensais et je pense
encore souvent qu'il en arrive autant à tous les hommes, et qu'on
n'apprend mieux nulle part que dans cet alphabet que Dieu lui-même a
écrit.
Lorsque dans mes contemplations postérieures je suivis de nouveau le
petit saint Jean dans le désert, je vis, comme je l'avais fait
antérieurement, toutes ses allures et ses actions. Je le vis jouer avec
des fleurs et des animaux ; les oiseaux surtout étaient singulièrement
familiers avec lui. Ils venaient se poser sur sa tête quand il marchait
ou qu'il priait à genoux ; souvent il plaçait son bâton en travers sur
des branches : alors les oiseaux de toutes couleurs venaient à son appel
et se posaient sur son bâton à la suite les uns des autres. Il les
regardait et leur parlait familièrement comme s'il leur eût fait
l'école. Je le vis aussi suivre d'autres animaux dans leurs gîtes, leur
donner à manger et les considérer attentivement.
XCV
Hérode fait mourir Zacharie en prison.
Élisabeth se retire dans le désert prés de saint Jean, et y meurt.
Jean était âgé de six ans, Zacharie alla une fois au temple avec des
victimes pour le sacrifice, et Elisabeth profita de son absence pour
visiter son fils dans le désert. Zacharie n'y était jamais allé le voir,
afin que, si Hérode l'interrogeait sur le séjour de son fils, il put
répondre sans manquer à la vérité qu'il ne le connaissait pas. Mais pour
satisfaire sa grande tendresse pour Jean et son ardent désir de le voir,
celui-ci, plus d'une fois, vint en grand secret pendant la nuit dans la
maison de ses parents et s'y arrêta quelque temps. Vraisemblablement son
ange gardien l'y conduisait quand cela devait être et qu'il n'y avait
pas de danger. Je le vis toujours guidé et protégé par des puissances
célestes, et j'aperçus souvent près de lui des figures lumineuses qui
paraissaient être des anges.
Jean était prédestiné à vivre dans la solitude, sépare du monde et privé
des secours humains ordinaires pour y être élevé et instruit par
l'esprit de Dieu, c'est pourquoi la Providence divine avait disposé les
choses pour que des circonstances extérieures aussi le conduisissent
forcément au désert. Il y était poussé d'un autre côté par son penchant
naturel irrésistible ; car, dès sa plus tendre enfance, je le vis
toujours solitaire et méditatif. L'Enfant-Jésus ayant été emmené en
Egypte sur un avertissement divin, son précurseur Jean fut de son côté
caché dans le désert. Lui aussi était menacé, car on avait beaucoup
parlé de lui dans le pays dès les premiers instants de sa vie ; les
merveilles de sa naissance étaient connues ; on disait l'avoir vu
souvent entouré de lumière, en sorte qu'Hérode en voulait
particulièrement à sa vie.
Plusieurs fois déjà Hérode avait fait interroger Zacharie sur le séjour
de Jean, mais il n'avait pas jusqu'alors mis la main sur lui. Cependant,
cette fois, comme Zacharie allait au temple, il fut assailli et fort
maltraité par les soldats d'Hérode qui le guettaient devant la porte de
Jérusalem appelée porte de Bethléhem, dans un chemin creux où l'on ne
pouvait pas voir encore la ville ; ils le traînèrent dans une prison
située sur le flanc de la montagne de Sion, près d'un endroit où, plus
tard, je vis souvent passer les disciples de Jésus se rendant au temple.
Le vieillard y souffrit beaucoup de mauvais traitements ; on le mit même
à la torture pour lui faire avouer où était son fils, et, comme on ne
put pas y réussir, on le mit à mort sur l'ordre d'Hérode.
Plus tard, ses amis enterrèrent son corps à peu de distance du temple.
Ce n'était pas lui qui était le Zacharie tué entre le temple et l'autel,
que je vis sortir des murs du temple, près de l'oratoire du vieux
Siméon, quand 'es morts apparurent, lors de la mort de Jésus-Christ. Son
tombeau, qui était dans le mur, s'écroula, ainsi que plusieurs autres
tombeaux cachés dans le temple. Ce Zacharie fut tué entre le temple et
l'autel, à l'occasion d'une lutte sur la lignée du Messie ainsi que sur
certains droits que quelques familles prétendaient avoir dans le même
temple et sur les places qu'elles y occupaient. Ainsi, par exemple,
toutes les familles ne pouvaient pas faire élever leurs enfants dans le
temple. Je me souviens à cette occasion que j'ai vu un petit garçon, de
famille royale, à ce que je crois, confié dans le temple aux soins de la
prophétesse Anne. Zacharie seul périt dans cette lutte Son père
s'appelait Barachias (Note). Je vis aussi qu'on retrouva plus tard les
ossements de ne Zacharie. mais j'ai oublié les détails.
Elisabeth revint du désert à Juttah pour y attendre le retour de son
mari. Jean l'accompagna une partie du chemin. Elle le bénit et le baisa
sur le front, après quoi il retourna dans le désert. Elisabeth trouva
chez elle la triste nouvelle du meurtre de Zacharie. Sa douleur fut si
grande qu'elle ne put pas l'apaiser. Alors elle alla se réunir à Jean
dans le désert, et elle y mourut peu de temps avant que la sainte
Famille ne revint d'Egypte. L'Essénien du mont Horeb qui assistait le
petit saint Jean, l'ensevelit dans le désert.
Jean s'y enfonça davantage, s'éloignant de plus en
plus de la maison paternelle. Il quitta le défilé de rochers pour un
pays plus ouvert, et je le vis arriver près d'un petit lac. Il y avait
là beaucoup de sable blanc ; la rive était plate, et je le vis s'avancer
assez loin dans l'eau, pendant que les poissons nageaient sans crainte
autour de lui. Il demeura longtemps dans cet endroit, et je le vis s'y
faire dans les broussailles une cabane de branches entrelacées, où il
passait la nuit. Elle était très basse et tout juste assez grande pour
qu'il pût s'y coucher pour dormir. Là et ailleurs, je vis souvent près
de lui des figures lumineuses d'anges avec lesquels il conversait
humblement, mais sans crainte et avec une piété naïve. Ils semblaient
l'instruire et lui faire remarquer différentes choses Je vis aussi une
petite traverse à son bâton, qui avait ainsi la forme d'une croix. Il y
avait attaché une bandelette d'écorce semblable à une petite flamme :
elle flottait au vent, et il jouait avec.
Lorsque la soeur parla du meurtre de ce Zacharie entre le temple et
l'autel, et de la querelle qui y donna lieu, elle luttait contre le
sommeil extatique, et elle ne s'exprima pas très clairement sur ce
point.
La maison paternelle de Jean à Juttah était alors habitée par une fille
de la soeur d'Elisabeth. C'était une maison bien ordonnée. Jean, devenu
plus grand, y vint encore une fois en secret ; puis il retourna dans le
désert jusqu'au moment où il parut parmi les hommes.
A Mataréa aussi, où les habitants n'avaient d'autre eau que l'eau
trouble du Nil, Marie, en priant, trouva une fontaine. Ils souffrirent
d'abord de grandes privations, n'ayant que des fruits à manger et de
mauvaise eau à boire. Il y avait longtemps qu'ils n'avaient eu de bonne
eau, et Joseph voulait aller avec ses outils et son âne en chercher dans
le désert. À la fontaine du Jardin de baume, lorsque la sainte Vierge,
étant en prière, vit un ange qui lui dit qu'elle trouverait une source
derrière sa demeure. Je la vis aller de l'autre côté du mur où était son
habitation, jusqu'à un espace libre placé plus bas, parmi des décombres
où se trouvait un vieil arbre très gros. Elle avait à la main un bâton
au bout duquel était une petite pelle, comme en portent souvent dans ce
pays les gens qui voyagent.
Elle courut toute joyeuse appeler Joseph, qui découvrit en creusant
qu'il y avait eu là autrefois une fontaine avec un revêtement en
maçonnerie, et qu'elle n'était que bouchée et encombrée. Il la dégagea
et la restaura à merveille. Il y avait prés de cette fontaine, du côté
par où Marie était venue, une grande pierre assez semblable à un autel,
et je crois bien qu'en effet ç'avait été autrefois un autel, mais j'ai
oublié ce qui s'y rapportait.
Ce fut là que la sainte Vierge lava et fit sécher au soleil les
vêtements et les linges de l'Enfant-Jésus. Cette fontaine resta inconnue
et fut exclusivement à l'usage de la sainte Famille jusqu'au temps où
Jésus fut assez grand pour rendre divers petits services, comme de
puiser de l'eau pour sa mère. Je le vis une fois amener d'autres enfants
à la fontaine, et leur donner à boire dans le creux d'une grande
feuille. Les enfants ayant raconté cela à leurs parents, d'autres
personnes, vinrent à la source, qui pourtant resta principalement à
l'usage des Juifs.
Un jour que Marie priait à genoux sur la route où elle habitait, je vis
Jésus se glisser jusqu'à la fontaine avec une outre, et y puiser de
l'eau ; c'était la première fois. Marie fut profondément émue
lorsqu'elle le vit revenir, et, toujours agenouillée, elle le pria de ne
plus faire cela, pour ne pas courir le risque de tomber dans l'eau.
Jésus lui dit qu'il prendrait garde, mais qu'il désirait puiser de l'eau
pour elle toutes les fois qu'elle en aurait besoin.
Le petit Jésus rendait à ses parents des services de toute espèce, et il
se montrait très attentif et très soigneux. Ainsi je le voyais, quand
Joseph ne travaillait pas trop loin de la maison, lui porter l'outil
qu'il pouvait avoir oublié. Il faisait attention à tout. Je crois que la
joie qu'il leur donnait compensait, et bien au delà, tout ce qu'ils
avaient à souffrir. Je vis aussi plus d'une fois Jésus aller au village
des Juifs, qui était bien à un mille de Mataréa, chercher le pain qu'on
donnait à sa mère en échange de son travail. Les vilaines bêtes qui se
rencontrent fréquemment dans ce pays ne lui faisaient pas de mal et se
montraient familières avec lui. Je le vis jouer avec des serpents.
La première fois qu'il alla seul au village des Juifs (je ne sais plus
bien si c'était dans sa cinquième ou dans sa septième année), il portait
une petite robe brune bordée de fleurs jaunes que la sainte Vierge lui
avait faite. Je vis qu'il s'agenouilla pour prier sur le chemin, et que
deux anges lui apparurent et lui annoncèrent la mort d'Hérode. Il ne le
dit pas à ses parents ; je ne sais si ce fut par humilité, ou parce que
les anges lui dirent de n'en rien faire, ou bien encore parce qu'il
savait qu'ils ne devaient pas encore quitter l'Égypte. Je le vis une
autre fois aller au village en question avec d'autres enfants juifs, et,
lorsqu'il revint à la maison, pleurer amèrement sur l'état de
dégradation où étaient tombés les Israélites qui habitaient ce lieu.
XCVI
La fontaine de Mataréa. Job y avait habité avant Abraham.
Détails sur ce patriarche.
La fontaine de Mataréa ne devait pas son origine à la sainte Vierge ;
elle avait seulement jailli de nouveau. Elle était cachée sous les
décombres et revêtue de maçonnerie à l'intérieur. Je vis que Job avait
été en Egypte avant Abraham, et avait habité en ce lieu. Il avait trouvé
la fontaine et sacrifié sur la grosse pierre qui était là. Job était le
plus jeune de treize frères. Son père était un grand chef de tribu à
l'époque où fut bâtie la tour de Babel. Ce père de Job avait un frère
duquel descendait la famille d'Abraham. Les descendants de ces deux
frères se mariaient le plus souvent entre eux. La première femme de Job
était de la race de Phaleg ; lorsqu'après plusieurs aventures il alla
habiter sa troisième demeure, il avait épousé trois autres femmes de la
famille de Phaleg. L'une d'elles lui donna un fils, dont la fille se
maria encore dans la famille de Phaleg, et mit au monde la mère
d'Abraham. Job était donc le bisaïeul de la mère d'Abraham.
Le père de Job s'appelait Joctan il était fils d'Héber et habitait au
nord de la mer Caspienne, auprès d'une chaîne de montagnes, où il fait
chaud sur l'un des versants, tandis que l'autre côté est froid et
couvert de glace. Il y avait des éléphants dans ce pays. L'endroit où
Job alla d'abord, et où il s'établit avec sa famille, n'aurait pas
convenu aux éléphants ; c'était une contrée très marécageuse. Ce pays
était situé au nord d'une chaîne de montagnes située entre deux mers,
dont la plus occidentale était aussi, avant le déluge, une haute chaîne
de montagnes ', où habitaient de mauvais esprits qui possédaient les
hommes.
Il est remarquable que, dans une autre occasion, elle raconta qu'à la
Place de la mer Noire il y avait eu, avant le déluge, une haute chaîne
de montagnes hantée par de mauvais esprits. Comme elle avait dit cela
une autre fois de la mer Noire, il est vraisemblable que par la chaîne
de montagnes derrière laquelle était le premier séjour de Job elle
désignait le Caucase, qui est entre la mer Noire et la mer Caspienne.
Il y avait là une contrée stérile et marécageuse ; je crois qu'elle est
habitée maintenant par un peuple qui a de petits yeux, le nez épaté et
les pommettes saillantes. Ce fut là que Job subit sa première épreuve.
Il alla ensuite plus au midi, vers le Caucase, et commença un nouvel
établissement De là Job fit un voyage en Égypte, où dominaient alors des
rois étrangers, appartenant à des peuples pasteurs venus de son pays.
L'un d'eux était de la contrée de Job, l'autre venait du pays le plus
éloigné habité par les trois rois. Ils n'étaient maîtres que d'une
partie de l'Égypte, et furent chassés plus tard par un roi égyptien. Il
y avait une grande quantité de ces pasteurs réunis devant une ville où
ils s'étaient établis.
Le roi de ces pasteurs, compatriotes de Job, désirait, pour son fils,
une femme de la race voisine du Caucase dont il était issu, et Job,
accompagné d'un nombreux cortège, conduisit en Égypte cette fiancée
royale, qui était sa parente. Il avait avec lui trente chameaux, de
nombreux présents et une grande quantité de serviteurs. Il était encore
jeune ; c'était un grand homme avec un teint d'un brun jaunâtre, mais
agréable, et des cheveux tirant sur le roux. Les habitants de l'Égypte
étaient d'un brun sale. Ce pays n'était pas encore très peuplé ; il y
avait seulement ça et la de grandes populations agglomérées. On n'y
voyait pas encore non plus tous ces grands édifices, qu'on ne commença à
construire qu'à l'époque des enfants d'Israël.
Le roi rendit de grands honneurs à Job et ne voulut pas le laisser
partir. Il désirait beaucoup qu'il vînt s'établit là avec toute sa
tribu. Il 1ui assigna pour séjour la ville où demeura plus tard la
sainte Famille, et qui était alors toute différente. Il resta cinq ans
en Égypte. Je vis qu'il avait habité à l'endroit même où habita dans la
suite la sainte Famille, et que la fontaine dont il a été question lui
fut montrée par Dieu. Il sacrifia aussi sur la grosse pierre dont j'ai
parlé.
Job était un gentil, mais c'était un homme juste. Il connaissait le vrai
Dieu et l'adorait comme son créateur, en contemplant la nature, les
astres et la lumière. Il aimait à s'entretenir avec Dieu de ses oeuvres
merveilleuses. Il n'adorait pas d'affreuses images d'animaux comme le
faisaient les peuples d'alors. Il avait imaginé une représentation du
vrai Dieu : c'était une petite figure humaine, avec des rayons autour de
la tête, et aussi avec des ailes, à ce que je crois. Elle avait les
mains jointes sur la poitrine et portant un globe, au-dessus duquel
était figuré un navire voguant sur les flots. C'était peut-être une
représentation du déluge. Dans l'exercice de son culte, il brûlait des
grains devant cette image. De petites figures du même genre furent
introduites plus tard en Égypte, elles étaient assises comme dans une
chaire surmontée d'une espèce de dais.
Job trouva dans cette ville un abominable culte, lequel se rattachait
aux superstitions idolâtriques qui avaient présidé à la construction de
la tour de Babel. Les habitants avaient une idole avec une tête de
boeuf, très large, terminée en pointe et comme relevée en l'air ; sa
bouche était ouverte et ses cornes tournées en bas. Cette idole était
creuse ; on allumait du feu dans l'intérieur, et on mettait des enfants
vivants entre ses bras brûlants. Je vis tirer quelque chose des
ouvertures pratiquées dans le corps.
Les gens de ce pays étaient très cruels ; la contrée était pleine
d'affreux animaux. On voyait voler en grandes troupes des bêtes noires
dont il semblait sortir du feu. Elles empoisonnaient tout, et les arbres
sur lesquels elles s'étaient posées se desséchaient. Je vis aussi des
animaux qui avaient les pattes de derrière très longues et celles de
devant plus courtes, comme les taupes ; ils pouvaient sauter d'un toit
sur un autre. Il y avait aussi d'horribles bêtes qui se glissaient entre
les pierres et dans trous ; elles enlaçaient les hommes et les
étouffaient.
Dans le Nil, je vis un énorme animal avec d'affreuses dents et de gros
pieds noirs ; il était de la taille d'un cheval, et avait aussi quelque
chose du cochon. Je vis encore d'autres affreux animaux Mais le peuple
était encore plus abominable, et Job, que j'avais vu délivrer son pays
des bêtes malfaisantes par ses prières, avait une telle aversion pour
ces hommes impies, qu'il éclatait souvent en plaintes contre ceux qui
l'accompagnaient ; il aimait mieux vivre avec ces méchants animaux
qu'avec les habitants du pays.
Je le voyais souvent aussi se tourner vers l'Orient, et jeter des
regards pleins de désirs vers sa patrie, qui était au midi du pays le
plus éloigné habité par les trois rois. Il vit des figures prophétiques
de l'arrivée des enfants d'Israël en Egypte et en général du salut du
genre humain, ainsi que des épreuves qui lui étaient réservées il ne se
laissa pas persuader de rester dans ce pays, et au bout de cinq ans il
quitta l'Égypte avec sa suite.
Dans l'intervalle des rudes épreuves qu'il eut à subir, il eut d'abord
neuf ans, puis sept ans, puis encore douze ans de repos. Ces paroles du
livre de Job " Et comme le messager de malheur parlait encore ", sont
équivalentes à celles-ci : " Ce malheur qu'il avait eu était encore dans
la bouche du peuple lorsque le suivant le frappa ". Il subit ses
épreuves dans trois pays différents. La dernière, qui fut suivie du
rétablissement de sa prospérité, lui arriva lorsqu'il vivait dans un
pays de plaines, situé à l'orient de Jéricho. Ce pays produisait de
l'encens et de la myrrhe ; il y avait aussi une mine d'or et on y
travaillait les métaux.
Dans une autre occasion, je vis encore beaucoup de choses relativement à
Job. Je ne dirai maintenant que ce qui suit. Deux serviteurs affidés,
qui étaient comme des intendants, recueillirent de sa bouche son
histoire et ses entretiens avec Dieu ils s'appelaient Haï et Uis ou Ois
1.
1. —
L'écrivain entendit dire, en 1835, que le père de la race arménienne
s'appelait ainsi.
Cette histoire fut religieusement conservée par ses descendants. Elle
fut transmise de génération en génération jusqu'à Abraham et à ses fils.
On la faisait servir à l'instruction de la jeunesse. Elle vint en Égypte
avec les enfants d'Israël. Moise en fit comme un abrégé pour consoler
les Israélites sous l'oppression des Egyptiens et pendant leur séjour
dans le désert. Elle était auparavant beaucoup plus longue, et il y
avait bien des choses qu'ils n'auraient pas comprises. Salomon la
remania à son tour, et elle devint ainsi un livre de piété, rempli de la
sagesse de Job, de Moise et de Salomon. Il était difficile d'y retrouver
l'histoire véritable de Job, car on y introduisit des noms de lieux et
de peuples plus voisins de la terre de Chanaan. On crut que Job était un
Iduméen, parce que le pays où il avait vécu en dernier lieu fut,
longtemps après sa mort, habité par les descendants d'Esau ou Edom. Job
pouvait vivre encore à l'époque de la naissance d'Abraham.
XCVII
La fontaine de Mataréa. Séjour que fit Abraham en ce lieu.
Détails sur la fontaine jusque dans les temps chrétiens.
Abraham, lors de son séjour en Egypte, planta aussi ses tentes près de
cette fontaine, et je l'y vis instruire le peuple
1.
1. —
Flav. Josephus, lib. I, Anthquitat. Iud., et d'autres écrivains, disent
qu'Abraham enseigna aux Egyptiens l'arithmétique et l'astronomie.
Il résida là plusieurs années avec Sara et plusieurs fils et filles dont
les mères étaient restées en Chaldée. Son frère Loth fut aussi dans ce
pays avec sa famille. Je ne sais plus quel était le lieu de leur
résidence. Abraham alla en Egypte par l'ordre de Dieu, la première fois
à cause d'une grande famine dans la terre de Chanaan, et la seconde fois
pour y recouvrer un trésor de famille qu'une nièce de la mère de Sara y
avait porté. Cette femme appartenait à la tribu des peuples pasteurs qui
étaient de la même race que Job et qui avaient dominé précédemment sur
une partie de l'Égypte ; elle était venue chez eux comme servante et
elle avait ensuite épousé un Egyptien. Il sortit d'elle une tribu dont
j'ai oublié le nom. Une de ses filles était Agar, la mère d'Ismael, qui
était par conséquent de la même race que Sara 1.
1. —
La soeur, dans une autre occasion, dit à propos d'Agar : " Elle était de
la race de Sara, et celle-ci, étant stérile, la donna pour femme a
Abraham, et dit qu'eue voulait revivre en elle, qu'elle voulait avoir
par elle de la postérité. Elle se considérait comme ne faisant qu'un
avec toutes les femmes de son sang ; c'était pour elle comme une souche
féminine qui avait plusieurs rejetons. Agar était un vaisseau, une fleur
de sa souche, et elle espérait avoir par elle un fruit de sa lignée.
Tout était alors comme une seule tige sur Laquelle une même sève
produisait les fleurs.
Cette femme avait enlevé un trésor de famille, comme Rachel déroba plus
tard les dieux de Laban, et elle l'avait vendu en Egypte pour une grosse
somme d'argent. Il était ainsi venu en la possession du roi et des
prêtres du pays. C'était un registre généalogique des enfants de Noé, et
en particulier des descendants de Sem jusqu'à l'époque d'Abraham, formé
de pièces d'or triangulaires attachées ensemble. C'était fait comme une
balance avec ses cordons. Les plaques triangulaires étaient enfilées
ensemble avec d'autres qui indiquaient les branches latérales. Sur les
plaques étaient gravés les noms des membres de la famille, et toutes ses
séries, partant du milieu d'un couvercle, se réunissaient dans le
plateau de la balance quand on abaissait le couvercle par-dessus. La
balance se fermait ainsi comme une boite. Les plaques principales
étaient épaisses et jaunes ; celles qui étaient dans les intervalles
étaient minces et blanches ; elles semblaient être d'argent. J'ai aussi
entendu dire combien tout cela pesait de sicles ; ce qui indiquait une
certaine somme. Les prêtres d'Egypte avaient rattaché divers calculs à
cet arbre généalogique ; mais leurs éternelles supputations n'étaient
pas conformes à la vérité.
Quand Abraham vint dans le pays, ils apprirent quelque chose sur lui par
leurs observateurs des astres et leurs magiciennes ; ils surent
notamment qu'il était d'une très noble souche, ainsi que sa femme, et
que d'eux devait sortir une postérité élue. Dans leurs divinations, ils
cherchaient toujours à connaître les lignées les plus nobles, afin de
s'allier avec elles par des mariages. Satan y introduisait par là la
cruauté et la débauche, afin de dégrader les races pures.
Abraham, qui craignait que les
Égyptiens ne le fissent mourir à cause de
la beauté de sa femme, l'avait fait passer pour sa soeur, et ce n'était
pas un mensonge, car elle était sa soeur consanguine, étant fille de son
père Tharé, qui l'avait eue d'une autre mère (Genes., XX, 12). Le roi
fit amener Sara dans sa résidence, et il voulut la prendre pour femme.
Tous deux furent très affligés ; ils prièrent Dieu de les secourir, et
Dieu punit le roi. Toutes ses épouses et la plupart des femmes de la
ville tombèrent malades. Le roi effrayé en rechercha la cause, et, ayant
appris que Sara était l'épouse d'Abraham, il la lui rendit, en le priant
de quitter l'Égypte aussitôt que possible, car il avait reconnu que les
dieux les protégeaient.
Les Égyptiens étaient un peuple très singulier. D'une part, ils étaient
très orgueilleux et se regardaient comme les plus grands et les plus
sages des hommes; mais, d'un autre côté, ils étaient incroyablement
lâches et rampants, et ils cédaient promptement quand ils craignaient de
rencontrer une force supérieure à la leur. Cela venait de ce qu'ils
n'étaient pas très assurés de leur science, et qu'ils ne connaissaient
la plupart des choses que par des divinations obscures et équivoques,
par lesquelles pouvaient leur être annoncées toutes sortes de résultats
compliqués et contradictoires. Comme ils voyaient le merveilleux
partout, ils s'effrayaient promptement lorsque l'événement ne répondait
pas à leur attente.
Abraham s'était présenté très humblement au roi pour lui demander du
blé. Il s'était adressé à lui comme à un père des peuples, et il avait
gagné par là ses bonnes grâces, en sorte que celui-ci lui fit beaucoup
de présents. Quand il lui rendit Sara et le pria de quitter le pays,
Abraham répondit qu'il ne le pouvait pas avant d'avoir recouvré cet
arbre généalogique qui lui appartenait, et raconta de quelle manière il
avait été porté en Égypte. Le roi assembla alors les prêtres, et ils
consentirent à rendre à Abraham ce qui lui appartenait, mais ils le
prièrent de leur en laisser prendre copie, ce qui eut lieu en effet.
Alors Abraham s'en retourna avec sa suite dans le pays de Chanaan.
J'ai vu encore beaucoup de choses relatives à la fontaine de Mataréa
jusqu'à notre époque. Je ne me souviens que de ce qui suit : Déjà à
l'époque de la sainte Famille, les lépreux faisaient usage de son eau
comme ayant une vertu particulière. Dans un temps très postérieur,
lorsque déjà on avait élevé sur l'habitation de Marie une petite église
chrétienne, avec une entrée près du maître autel pour descendre dans le
caveau où avait longtemps demeuré la sainte Famille, je vis la fontaine
entourée d'habitations, et son eau employée comme remède contre
différentes espèces de lèpre. Je vis aussi des gens qui s'y baignaient
pour être délivrés de certaines maladies de peau. Cela avait encore lieu
lorsque les Mahométans furent maîtres du pays. Je vis aussi les Turcs
entretenir une lampe toujours allumée dans l'église qui avait servi de
demeure à Marie. Ils craignaient qu'il ne leur arrivât malheur s'ils
négligeaient de l'entretenir. Dans les temps modernes, Je vis la source
dans la solitude et à une assez grande distance des habitations. Il n'y
avait plus de ville en cet endroit, et divers fruits sauvages
croissaient alentour.
XCVIII
Retour d'Égypte. Un ange avertit Joseph de quitter ce pays.
Départ de la sainte Famille. Séjour de trois mois à Gaza.
Je vis la sainte Famille quitter l'Égypte. Hérode était mort depuis
assez longtemps; mais ils ne pouvaient encore revenir parce qu'il y
avait toujours du danger. Le séjour de l'Égypte devenait de plus en plus
pénible pour saint Joseph. Les gens du pays pratiquaient un horrible
culte idolâtrique : ils sacrifiaient des enfants mal venus, et ceux qui
en sacrifiaient de bien conformés croyaient faire preuve d'une grande
piété. Ils avaient en outre un culte secret plein d'impuretés ; les
Juifs mêmes du pays étaient infectés de ces abominations. Ils avaient un
temple qu'ils disaient être comme celui de Salomon ; mais c'était une
vanterie ridicule, car il était tout différent. Ils avaient une
imitation de l'Arche d'alliance, dans laquelle étaient des figures
obscènes, et ils se livraient à de détestables pratiques. Ils ne
chantaient plus de psaumes. Joseph avait établi un ordre parfait dans
l'école de Mataréa. Le prêtre égyptien qui, lors de la chute des idoles
dans la petite ville voisine d'Héliopolis, avait parlé en faveur de la
sainte Famille, était venu là avec plusieurs personnes et s'était réuni
à la communauté juive.
Je vis saint Joseph occupé de son travail de charpentier. Lorsque vint
l'heure où il devait le cesser, il parut très triste, car on ne lui
donnait pas son salaire, et il n'avait rien à rapporter à la maison, où
l'on souffrait pourtant de grandes privations. Accablé de soucis, il
s'agenouilla en plein air, exposa à Dieu sa détresse et le pria de venir
à son secours. Je vis la nuit suivante un ange lui apparaître en songe
et lui dire que ceux qui en voulaient à la vie de l'enfant étaient
morts, qu'il devait se lever et faire ses dispositions pour revenir dans
sa patrie par la route la plus fréquentée. Il l'exhortait à ne rien
craindre parce qu'il serait à ses côtés. Je vis saint Joseph faire
connaître cet ordre de Dieu à la sainte Vierge et à l'Enfant-Jésus. Ils
obéirent aussitôt et firent leurs préparatifs de voyage avec la même
promptitude qu'ils les avaient faits lorsqu'ils avaient reçu l'ordre de
s'enfuir en Égypte.
Le lendemain matin, quand on connut leur projet, beaucoup de gens, très
attristés de leur départ, vinrent prendre congé d'eux et leur
apportèrent des présents de toute espèce dans de petits vases d'écorce.
Ces gens étaient sincèrement affligés : il y avait parmi eux quelques
Juifs, mais la plupart étaient des païens convertis. Les Israélites
établis dans ce pays étaient, pour la plupart, tellement tombes dans
l'idolâtrie, qu'ils n'étaient presque plus reconnaissables. Il y avait
aussi des hommes qui voyaient avec joie le départ de la sainte Famille,
car ils les regardaient comme des magiciens, qui avaient à leur service
les plus puissants d'entre les mauvais esprits.
Je vis parmi les braves gens qui leur portaient des présents des mères
avec leurs enfants qui avaient été les compagnons de Jésus, et
spécialement une femme de distinction de cette ville, ayant avec elle un
petit garçon, qu'elle avait coutume d'appeler le fils de Marie ; car
cette femme avait longtemps désiré en vain d'avoir des enfants, et
c'était à la prière de la sainte Vierge que Dieu lui avait accordé ce
petit garçon. Elle s'appelait Mira et son fils Déodatus. Je la vis
donner de l'argent à l'Enfant-Jésus. C'étaient de petites pièces
triangulaires, jaunes, blanches et brunes. Jésus, en les recevant,
regarda sa mère.
Quand Joseph eut chargé sur l'âne leurs effets les plus nécessaires, ils
se mirent en route accompagnés de ces amis. C'était le même âne que
Marie avait monté en allant à Bethlehem. Pour la fuite en Égypte, ils
avaient emmené en outre une ânesse ; mais Joseph l'avait vendue dans un
moment de détresse.
Ils passèrent entre Héliopolis et le village juif, et se détournèrent un
peu au midi, vers la source qui avait jailli à la prière de Marie avant
leur première arrivée à Héliopolis ou On. Tout, dans ce lieu, s'était
recouvert d'une belle verdure. Le ruisseau coulait autour d'un jardin
carré, bordé de baumiers. Ce lieu, où il y avait une entrée, était à peu
prés grand comme est ici le manège du duc 1. Il était plein de jeunes
arbres fruitiers, de dattiers, de sycomores, etc.
1. — Elle voulait parler du duc de Croy, seigneur de Dulmen.
Les baumiers étaient à peu près grands comme des ceps de vigne de
moyenne taille. Joseph avait fait de petits vases d'écorce d'arbre. Ils
étaient enduits de poix à certaines places, du reste bien polis et d'une
forme élégante. Il faisait souvent, dans les haltes du voyage, de
semblables vases destinés à différents usages. Il arracha aux petites
branches rougeâtres des baumiers leurs feuilles semblables à des
feuilles de trèfle ; il y suspendit de ces petits vases d'écorce pour
recueillir le baume qui en découlait, et ils l'emportèrent avec eux pour
le voyage. Ceux qui les avaient accompagnés leur firent des adieux
touchants. Pour eux, ils s'arrêtèrent là quelques heures. La sainte
Vierge lava et fit sécher quelques effets. Ils se reposèrent au bord de
l'eau et remplirent leur outre ; puis ils continuèrent leur voyage par
la route la plus fréquentée.
Je les vis plusieurs fois pendant ce voyage, où ils ne coururent aucun
danger. L'Enfant-Jésus, Marie et Joseph avaient sur la tête, pour se
garantir du soleil, une large pièce d'écorce très mince, assujettie sous
le menton avec un linge. Jésus avait sa petite robe brune et des
chaussures d'écorce que Joseph lui avait fabriquées : elles couvraient
les pieds à moitié. Marie n'avait que des sandales. Je les vis souvent
inquiets parce que l'Enfant Jésus avait peine à marcher dans le sable
brûlant. Je les vis plusieurs fois s'arrêter et ôter le sable de ses
chaussures. Ils le faisaient fréquemment monter sur l'âne pour le
soulager.
Je les vis traverser plusieurs villes et passer près de quelques autres.
Les noms m'ont échappé ; je me souviens pourtant du nom de Ramessès. Ils
traversèrent un cours d'eau qu'ils avaient déjà traversé en venant. Il
allait de la mer Rouge au Nil.
Joseph ne voulait pas revenir à Nazareth, mais s'établir à
Bethlehem, sa
patrie ; cependant il était indécis, parce qu'il avait appris dans la
terre promise que la Judée était gouvernée par Archélaus, qui était
aussi très cruel.
Je vis que la sainte Famille, arrivée à Gaza, y séjourna trois mois.
Beaucoup de païens habitaient cette ville. Un ange lui apparut de
nouveau en songe, et lui ordonna de retourner à Nazareth, ce qu'il fit
aussitôt. Anne vivait encore. Elle connaissait le séjour de la sainte
Famille, ainsi que quelques-uns de ses parents.
Le retour d'Égypte eut lieu en septembre. Jésus était âgé de huit ans
moins trois semaines.
È
MORT DE LA SAINTE
VIERGE
(Les communications suivantes, qui eurent lieu en diverses années,
presque toujours au milieu d'août avant la fête de l'assomption ont été
rangées ici dans leur ordre naturel.)
En novembre 1890, les Pères Lazaristes de la
résidence de Smyrne eurent l'idée de faire des recherches dans les
environs d'Ephèse en s'aidant des indices topographiques de cet ouvrage
et furent assez heureux pour finir par découvrir cette Maison de la
Sainte Vierge dont les détails concordaient avec la description de C.
Emmerich.
Un procès-verbal de l'archevêque de Smyrne Mgr.
Timoni et les relations d'explorateurs très compétents comme le Père
Eschbach, supérieur du séminaire français de Rome ont atteste l'identité
frappante du lieu et des ruines confirmée par les traditions locales que
de temps immémorial appelaient cette maison Panaghia Capouli ou Porte de
la Vierge. (Note de l'éditeur.)
I
Sur l'âge de Marie.
- Elle va avec saint Jean à Éphèse.
Description du pays.
Le 13 août 1822, la soeur dit : " J'ai eu cette nuit une vision relative
à la mort de la sainte Vierge, mais j'ai presque tout oublié ". Comme on
lui demandait quel âge pouvait avoir alors la sainte Vierge. elle jeta
tout à coup un regard de côté et dit : " Elle est arrivée à l'âge de
soixante-quatre ans moins vingt-trois jours. J'ai vu six fois près de
moi la lettre X, puis 1, puis Y ; cela ne fait il pas soixante-quatre ?
Après l'ascension de Notre Seigneur Jésus-Christ, Marie vécut trois ans
à Sion, trois ans à Béthanie et neuf ans à Éphèse, où Jean l'avait
conduite peu après que les Juifs eurent exposé sur la mer Lazare et ses
soeurs.
Il est digne de remarque que jamais un nombre ne lui était présenté avec
les chiffres arabes ordinaires, qui, seuls, lui étaient familiers, mais
que, dans toutes ses visions concernant l'Église romaine, elle ne voyait
que des chiffres romains.
En juillet 1822 à ,l'occasion de l'apôtre saint Jacques le Majeur, qui,
en partant pour l'Espagne, avait visité Marie à Éphèse, elle dit que
saint Jean conduisit Marie dans cette ville ; c'était au commencement de
la quatrième année après l'Ascension autant qu'elle sen souvenait. Le 13
août 1822, elle dit que c'était dans la sixième année. Des différences
de ce genre se présentaient souvent quant elle voyait les chiffres IV ou
VI, qu'elle confondait fréquemment. C'est au lecteur à juger de ce qui
peut avoir occasionné ces changements.
arie ne demeurait pas à
Éphèse même. mais dans les environs, où
s'étaient établies déjà plusieurs femmes de ses amies. Son habitation
était située à trois lieues et demie d'Éphèse, sur une montagne qu'on
voyait à gauche, en venant de Jérusalem, et qui descendait rapidement
vers Éphèse. En venant du sud-est, on aperçoit la ville comme ramassée
au pied d'une montagne, mais on la voit s'étendre tout autour à mesure
qu'on s'avance. Devant Éphèse, se trouvent de grandes allées d'arbres.
sous lesquels des fruits jaunes se trouvent par terre. Un peu au midi,
d'étroits sentiers conduisent sur une hauteur couverte de plantes
sauvages ; puis, on trouve une plaine ondulée et couverte de végétation
qui a une demi lieue de tour : c'était là que s'était fait cet
établissement. C'est une contrée très solitaire, avec beaucoup de
collines agréables et fertiles, et quelques grottes creusées dans le
roc, au milieu de petites places sablonneuses. Le pays est sauvage, sans
être stérile ; il y a ça et là beaucoup d'arbres à forme pyramidale,
dont le tronc est lisse et dont les branches ombragent un large espace.
Lorsque saint Jean conduisit là la sainte Vierge, pour laquelle il avait
fait construire une maison d'avance, quelques familles chrétiennes et
plusieurs saintes femmes résidaient déjà dans cette contrée ; elles
demeuraient, les unes sous des tentes, les autres dans les grottes qu'on
avait rendues habitables à l'aide de quelques charpentes et de quelques
boiseries. Elles y étaient venues avant que la persécution n'eût éclaté
dans toute sa violence. Comme elles tiraient parti des grottes qui se
trouvaient là et des facilités que présentait la nature des lieux, leurs
demeures étaient de vrais ermitages, séparés souvent d'un quart de lieue
les uns des autres ; et cette espèce de colonie présentait l'aspect d'un
village dont les maisons seraient dispersées à de grands intervalles. La
maison de Marie était la seule qui fût en pierre. A quelque distance,
derrière cette maison, le terrain s'élevait et aboutissait, à travers
des rochers, au point culminant de la montagne, du haut de laquelle, par
delà les collines et les arbres, on voyait la ville d'Éphèse et la mer
avec ses nombreuses îles. Et lieu était plus voisin de la mer qu'Éphèse
elle-même, qui en était à une certaine distance. La contrée était
solitaire et peu fréquentée. Il y avait dans le voisinage un château où
demeurait un personnage qui était, si je ne me trompe, un roi dépossédé.
Saint Jean je visitait souvent, et il le convertit. Cet endroit devint,
plus tard un évêché. Entre cette résidence de la sainte Vierge et
Éphèse, serpentait une rivière qui faisait des détours innombrables.
II
La maison de Marie à Éphèse.
La maison de Marie était carrée ; la partie postérieurs se terminait en
rond ou en angle ; les fenêtres étaient pratiquées à une grande hauteur
; le toit était plat. Elle était séparée en deux parties par le foyer,
qui était placé au milieu. On allumait le feu en face de la porte, dans
l'excavation d'un mur, terminé des deux côtés par des espèces de degrés
qui s'élevaient jusqu'au toit de la maison. Dans le centre de ce mur,
courait, à partir de l'âtre jusqu'au haut, une excavation semblable à un
demi tuyau de cheminée, où la fumée montait et s'échappait ensuite par
une ouverture pratiquée dans le toit. Au-dessus de cette ouverture, je
vis un tuyau de cuivre oblique qui dépassait le toit.
Cette partie antérieure de la maison était séparée de la partie qui
était derrière l'Atre par des cloisons légères en clayonnage. Dans cette
partie, dont les murs étaient assez grossièrement construits et un peu
noircis par la fumée, je vis des deux côtés de petites cellules formées
par des cloisons en branches entrelacées. (quand on voulait en faire une
grande salle, on défaisait ces cloisons qui étaient peu élevées, et on
les mettait de côté. C'était dans les cellules en question que
couchaient la servante de Marie et d'autres femmes qui lui rendaient
visite.
A droite et à gauche du foyer, de petites portes conduisaient à la
partie postérieure de la maison, qui était peu éclairée, terminée
circulairement ou en angle, du resta très proprement et très
agréablement disposée. Tous les murs étaient revêtus de boiseries, et le
haut formait une voûte. Les poutres qui la surmontaient, liées entre
elles par d'autres solives et recouvertes de feuillage, avaient une
apparence simple et décente.
L'extrémité de cette pièce, séparée de reste par un rideau, formait la
chambre à coucher de Marie. Au centre du mur se trouvait, dans une
niche, comme un tabernacle qu'on faisait tourner sur lui-même au moyen
d'un cordon, selon qu'on voulait l'ouvrir ou le fermer. Il y avait une
croix longue à peu près comme le bras, de la forme d'un Y, ainsi que
j'ai toujours vu la croix de Notre seigneur Jésus-Christ. Elle n'avait
pas d'ornements particuliers, et était à peine entaillée, comme les
croix que viennent aujourd'hui de la Terre Sainte. Je crois qui saint
Jean et Marie l'avaient arrangée eux-mêmes. Elle était faite de
différentes espèces de bois. Il me fut dit que le tronc, de couleur
blanchâtre, était en cyprès ; l'un des bras, de couleur brune, en cèdre
; l'autre bras, tirant sur le jaune, en palmier ; enfin, l'extrémité,
avec la tablette, en bois d'olivier jaune et poli. La croix était
plantée dans un support en terre ou en pierre, comme la croix de Jésus
dans le rocher du Calvaire. A ses pieds se trouvait un écriteau en
parchemin où était écrit quelque chose : c'étaient, je crois, des
paroles de Notre-Seigneur. Sur la croix elle-même, était l'image du
Sauveur, tracée simplement par des lignes de couleur foncée, afin qu'on
put bien la distinguer. J'eus aussi connaissance des méditations de
Marie sur les différentes espèces de bois dont elle était faite.
Malheureusement, j'ai oublié ces belles explications. Je ne sais pas non
plus maintenant si la croix du Christ était réellement faite de ces
diverses espèces de bois ; ou si cette croix de Marie avait été ainsi
faite pour fournir un aliment à la méditation. Elle était placée entre
deux vases pleins de fleurs naturelles.
Je vis aussi un linge posé près de la croix, et j'eus le sentiment que
c'était celui avec lequel la sainte Vierge, après la descente de crois,
avait essuyé le sang qui couvrait le corps sacré du Sauveur. J'eus cette
impression, parce qu'à la vue de ce linge cet acte de saint amour
maternel fut présenté devant mes yeux. Je sentis, en même temps, : que
c'était comme le linge avec lequel les prêtres purifient le calice quand
ils ont bu le sang du Rédempteur dans le saint sacrifice ; Marie,
essuyant les blessures de son Fils, me parut faire quelque chose de
semblable ; et, du reste, dans cette circonstance, elle avait pris et
plié de la même manière le linge dont elle se servait. J'eus la même
impression en voyant ce linge prés de la croix.
A droite de cet oratoire, était la cellule où reposait la sainte Vierge,
et, vis-à-vis de celle-ci, à gauche de l'oratoire, un autre petit réduit
où étaient disposés ses vêtements et ses effets. De l'une à l'autre de
ces cellules, était tendu un rideau qui cachait l'oratoire placé entre
elles. C'était devant ce rideau que Marie avait coutume de s'asseoir
quand elle lisait ou travaillait.
La cellule de la sainte Vierge s'appuyait par derrière à un mur
recouvert d'un tapis; les cloisons latérales étaient en clayonnage
léger, qui ressemblait à un ouvrage de marqueterie. Au milieu de la
cloison antérieure, qui était couverte d'une tapisserie, se trouvait une
porte légère, à deux battants, qui s'ouvrait à l'intérieur. Le plafond
de cette cellule était aussi en clayon. nage, qui formait comme une
voûte au centre de laquelle était suspendue une lampe à plusieurs
branches. La couche de Marie était une espèce de coffre creux, haut d'un
pied et demi, de la largeur et de la longueur d'un lit ordinaire de
petite dimension. Les côtés étaient recouverts de tapis qui descendaient
jusqu'au sol et qui étaient bordés de franges et de houppes. Un coussin
rond servait d'oreiller, et un tapis brun à carreaux de couverture. La
petite maison était voisine d'un bois et entourée d'arbres à forme
pyramidale. C'était un lieu solitaire et tranquille, Les habitations des
autres familles se trouvaient à quelque distance. Elles étaient
dispersées ça et là et formaient comme un village.
III
Manière de vivre de Marie.
Saint Jean lui donne la sainte
Eucharistie.
Chemin de la Croix.
La sainte Vierge habitait seule avec une personne plus jeune, qui la
servait et qui allait chercher le peu d'aliments qui leur étaient
nécessaires. Elles vivaient dans le silence et dans une paix profonde.
Il ne se trouvait pas d'hommes dans la maison. Souvent, un disciple en
voyage venait les visiter.
Je vis fréquemment entrer et sortir un homme que j'ai toujours cru être
saint Jean; mais ni à Jérusalem ni ici il n'était longtemps de suite
dans le voisinage. Il allait et venait. Il était vêtu autrement que du
vivant de Jésus. Il portait une robe à longs plis, d'une étoffe légère
d'un blanc grisâtre. Il était très svelte et très leste, avait une belle
figure allongée et maigre ; sa tête était nue, et sa longue chevelure
blonde partagée derrière les oreilles. Par comparaison avec les autres
apôtres, il avait quelque chose d'un peu féminin et de virginal.
Je vis Marie, dans les derniers temps de sa vie, toujours plus
silencieuse et plus recueillie ; elle ne prenait presque plus de
nourriture. Il semblait que son corps seul fût encore sur la terre, et
que son esprit fût habituellement ailleurs. Dans les semaines qui
précédèrent sa fin, je la vis faible et vieillie ; sa servante la
soutenait et la conduisait dans la maison.
Je vis Jean entrer une fois chez elle ; lui aussi paraissait très
vieilli. Il était maigre et élancé. En entrant, il avait relevé dans sa
ceinture sa longue robe blanche à grands plis. Il défit cette ceinture
et en mit une Autre qu'il avait sous son vêtement, et sur laquelle
étaient tracées des lettres. Il avait une étole autour du cou et une
espèce de manipule au bras. La sainte Vierge, appuyée sur le bras de sa
servante et enveloppée dans un vêtement blanc, sortit de sa chambre à
coucher. Son visage était blanc comme la neige, et pour ainsi dire
diaphane. Elle paraissait comme soulevée de terre par un ardent désir.
Depuis l'ascension de Jésus, tout son être exprimait un désir toujours
croissant et qui la consumait de plus en plus. Jean et elle se
retirèrent dans l'oratoire. Elle tira un cordon ou une courroie ; le
tabernacle, qui était dans le mur, tourna sur lui-même, et la croix qui
s'y trouvait se montra. Quand ils eurent prié à genoux devant elle
pendant un certain temps, Jean se leva, tira de son sein une boite de
métal qu'il ouvrit par le côté, y prit une enveloppe de laine fine, sans
teinture, et dans cette-ci un linge blanc plié d'où il tira le Saint
Sacrement en forme de particule blanche carrée. Il prononça ensuite
quelques paroles d'un ton grave et solennel, et donna l'Eucharistie à la
sainte Vierge. Il ne lui présenta pas de calice.
A quelque distance derrière la maison, sur le chemin qui menait au
sommet de la montagne, la sainte Vierge avait disposé une espèce de
chemin de la Croix. Quand elle habitait Jérusalem, elle n'avait jamais
cessé, depuis la mort de son Fils, de suivre sa voie douloureuse, et
d'arroser de ses larmes les lieux où il avait souffert. Elle en avait
mesuré pas à pas tous les intervalles, et son amour ne pouvait se passer
de la contemplation incessante de ce chemin de douleur.
Peu de temps après son arrivée ici, je la vis journellement se livrer à
ces méditations sur la Passion, en suivant le chemin qui conduisait au
haut de la montagne. Au commencement elle y allait seule, et elle
mesurait, d'après le nombre des pas qu'elle avait si souvent comptés, la
distance entre les diverses places où avait eu lieu quelque incident de
la Passion du Sauveur. A chacune de ces places elle érigea une pierre ;
ou, s'il s'y trouvait un arbre, elle y faisait une marque. Le chemin
conduisait dans un bois, où un monticule représentait le Calvaire ; et
une petite grotte dans un autre monticule, le Saint Sépulcre.
Quand elle eut divisé en douze stations ce chemin de la Croix, elle le
suivit avec sa servante, plongée dans une contemplation silencieuse.
Elles s'asseyaient à chacun des endroits qui rappelaient un épisode de
la Passion, en méditaient dans leur coeur la signification mystérieuse,
et remerciaient le Seigneur de son amour, en versant des larmes de
compassion. Plus tard, elle arrangea mieux les stations. Je la vis
écrire, avec un poinçon, sur chacune des pierres, l'indication du lieu
qu'elle représentait, le nombre des pas et d'autres choses semblables.
Je la vis aussi nettoyer la grotte du Saint Sépulcre, et la disposer de
manière à ce qu'on pût y prier commodément.
Je ne vis pas à ces stations d'image, ni même de croix à demeure fixe.
C'étaient de simples pierres commémoratives, avec des inscriptions. Mais
avec le temps tout cela fut de mieux en mieux ordonné et arrangé ; même
après la mort de la sainte Vierge, je vis ce chemin de la Croix
fréquenté par des chrétiens qui s'y prosternaient et baisaient la terre.
IV
Voyage de Marie Éphèse à Jérusalem.
Sa maladie dans cette dernière ville.
Bruit de sa mort et origine du tombeau
de la sainte Vierge à
Jérusalem.
Après la troisième année de son séjour ici, Marie eut un grand désir
d'aller à Jérusalem. Jean et Pierre l'y conduisirent : je crois que
plusieurs apôtres s'y trouvaient rassemblés. J'y vis saint Thomas ; je
crois qu'il y eut un concile, que Marie y assista, et qu'ils prirent ses
avis 1.
A leur arrivée, je les vis le soir, à la lueur du crépuscule, visiter,
avant d'entrer dans la ville, le mont des Oliviers, le Calvaire, le
Saint Sépulcre et tous les saints lieux qui sont autour de Jérusalem. La
Mère de Dieu était si affligée et si émue qu'elle pouvait à peine se
tenir debout. Jean et Pierre la conduisaient en la soutenant sous les
bras.
Elle quitta une autre fois Éphèse, un an et demi avant sa mort. Alors
aussi je la vis visiter les saints lieux pendant la nuit, en compagnie
des apôtres. Elle était accablée d'une tristesse indicible et disait
sans cesse en soupirant : " O mon Fils ! mon Fils " ! Quand elle arriva
à la porte de derrière de ce palais où elle avait vu Jésus tomber sous
le poids de la croix, l'impression de ce souvenir douloureux la fit
tomber elle-même sans connaissance, et ses compagnons crurent qu'elle
allait expirer. On la porta au Cénacle, où elle habitait dans les
bâtiments antérieurs. Pendant plusieurs jours, elle resta si faible et
si malade et elle eut de si fréquents évanouissements, qu'on s'attendait
à chaque instant à la voir mourir, et qu'on pensa a lui préparer un
tombeau. Elle-même choisit pour cela une grotte de la montagne des
Oliviers, et les apôtres y firent préparer un beau sépulcre par un
ouvrier chrétien 2.
1. —
Cependant on avait dit plusieurs fois qu'elle était morte. Le bruit de
sa mort et de sa sépulture à Jérusalem se répandit alors en d'autres
lieus. Mais, quand le tombeau fut achevé, elle guérit et se trouva assez
forte pour revenir à sa demeure d'Éphèse, où elle mourut réellement au
bout d'un an et demi.
2. —
Comme elle avait déjà dit antérieurement que Marie était allée deux fois
d'Éphèse à Jérusalem, il est possible qu'elle ait fait une confusion
entre le premier et le second voyage, quant à ce qui touche le concile.
Nous nous souvenons de lui avoir entendu dire une autre fois que saint
André travailla aussi à ce tombeau.
On honora toujours le tombeau préparé pour elle sur la montagne des
Oliviers ; on y bâtit plus tard une église, et Jean Damascène (c'est le
nom que j'ai entendu en esprit, mais je ne sais qui est ce personnage)
écrivit, d'après des traditions orales, qu'elle était morte et qu'elle
avait été ensevelie à Jérusalem.
Dieu a laissé tout ce qui concerne sa mort, son tombeau, son assomption
dans le ciel, devenir seulement l'objet d'une tradition incertaine, afin
de ne pas donner entrée dans le christianisme au sentiment paien encore
si puissant à cette époque; car on se serait facilement laissé aller à
adorer Marie comme une déesse.
V
Éphèse. Parents et amies de la sainte Famille
vivant dans la
colonie chrétienne.
Parmi les saintes femmes qui vivaient dans la colonie chrétienne voisine
d'Éphèse, et qui étaient souvent prés de Marie, se trouvait une nièce de
la prophétesse Anne. Avant le baptême de Jésus, je l'avais vue une fois
aller à Nazareth avec Séraphia (Véronique). Cette femme était alliée à
la sainte Famille par Anne, qui était parente de la mère de Marie et
plus proche encore d'Élisabeth, fille de la soeur de celle-ci.
Une autre femme, parmi celles qui vivaient autour de Marie, et que
j'avais vue aussi aller à Nazareth avant le baptême de Jésus, était une
nièce d'Elisabeth, qui s'appelait Mara. Voici comment elle étais parente
de la sainte Famille. Ismeria, mère de sainte Anne, avait une soeur
appelée Emerentia, laquelle avait eu trois filles : Élisabeth, mère de
saint Jean-Baptiste ; Enoué, qui était chez sainte Anne lors de la
naissance de la sainte Vierge, et Rhode, mère de cette Mara dont il est
question ici.
Rhode s'était mariée loin du pays de sa famille. Elle demeura d'abord
dans les environs de Sichem, puis à Nazareth et à Kessuloth, près du
mont Thabor. Outre Mara, elle avait deux autres filles, dont l'une avait
pour enfants des disciples de Jésus. Un des deux fils de Rhode fut le
premier mari de Maroni, qui, restée veuve et sans enfants, épousa Eliud,
neveu de la mère de sainte Anne, et s'établit à Naïm, où elle devint
veuve pour la seconde fois. Elle avait eu de cet Eliud un fils que le
Sauveur ressuscita. Il devint disciple de Jésus et fut baptisé sous le
nom de Martial.
Mara, fille de Rhode, qui fut présente à la mort de Marie, s'était
mariée dans le voisinage de Bethléhem. Nathanaël, le fiancé de Cana,
était, à ce que je crois, un fils de cette Mara, et il reçut au baptême
le nom d'Amator. Elle avait encore d'autres fils : tous furent disciples
de Jésus.
VI
La Sainte Vierge visite pour la dernière fois
le chemin de le
Croix érigé par elle.
(Le 7 août 1824.) Hier et cette nuit, j'ai été très occupée de la Mère
de Dieu à Éphèse. J'ai fait le chemin de la Crois avec elle et cinq
autres femmes. Il y avait là la nièce de la prophétesse Anne et la veuve
Mara, nièce d'Elisabeth. La sainte Vierge allait en avant des autres ;
elle était vieillie et faible ; elle était très blanche et comme
transparente. Son aspect était singulièrement touchant. Il me semblait
qu'elle faisait ce chemin pour la dernière fois. Pendant qu'elle était
là, je crus voir Pierre, Jean et Thaddée dans sa maison.
Je vis la sainte Vierge très affaiblie par l'âge ; il n'y avait pourtant
en elle d'autre signe de la vieillesse que l'expression du désir qui la
consumait et qui la poussait en quelque sorte à sa transfiguration. Elle
avait une gravité ineffable. Je ne l'ai jamais vue rire, mais seulement
sourire avec une expression touchante. Plus elle avançait en âge, plus
son visage paraissait blanc et diaphane. Elle était maigre, mais je ne
lui vis pas de rides ni aucune marque de décrépitude : elle était
devenue comme un pur esprit.
VII
La sainte Vierge sur son lit de mort. Adieux des femmes.
(Le 9 août 1821.) J'allai dans la maison de Marie, à environ deux lieues
d'Éphèse. Je la vis dans sa cellule, qui était toute tendue de blanc,
étendue sur une couche basse et étroite ; sa tête reposait sur un
coussin rond. Elle était faible, pâle et comme consumée par un ardent
désir. Sa tête et toute sa personne étaient enveloppées dans un long
drap ; une couverture de laine brune était posée par-dessus.
Je vis cinq femmes entrer dans sa cellule et en ressortir l'une après
l'autre, comme si elles lui avaient fait leurs adieux. Celles qui
sortaient faisaient des gestes touchants qui exprimaient leur douleur.
Je remarquai parmi elles la nièce de la prophétesse Anne et Mara, nièce
d'Élisabeth, que j'avais vues au chemin de la Croix.
Je vis ensuite six apôtres assemblés là : c'étaient Pierre, André, Jean,
Thaddée, Barthélemy et Mathias. Il y avait aussi Nicanor, un des sept
diacres, qui était très actif et très serviable. Je vis les apôtres à
droite, dans la partie antérieure de la maison ils y avaient disposé un
oratoire et ils étaient en prière.
VIII
Arrivée de deux autres apôtres. L'autel.
Boite en forme de
croix pour les objets consacrés.
(Le 10 août 1821.) Le temps de l'année où l'Église célèbre l'assomption
de la sainte Vierge est bien celui ou elle a eu lieu réellement ;
seulement l'anniversaire ne tombe pas le même jour tous les ans. Je vis
aujourd'hui arriver deux autres apôtres avec leurs vêtements relevés
comme des voyageurs : c'étaient Jacques le Mineur et Matthieu, son demi
frère, car Alphée, étant devenu veuf, avait épousé Marie, fille de
Cléophas. Il avait eu Matthieu d'un premier mariage.
Je vis hier soir et ne matin les apôtres rassemblés et célébrant le
service divin dans la partie antérieure de la maison, où ils avaient,
dans ce but, enlevé nu disposé autrement les cloisons mobiles qui
formaient des cellules. Une table, avec une couverture rouge et une
autre blanche par-dessus, servait d'autel. Chaque fois qu'on en faisait
usage pour une cérémonie sacrée, on la plaçait contre le mur, à droite
du foyer dont on se servait encore chaque jour, et on la retirait
ensuite. Devant l'autel était un tréteau couvert, au-dessus duquel était
étalé un rouleau écrit. Sur l'autel était placé un vase en forme de
croix, fait d'une matière brillante comme la nacre de perle ; il avait à
peine un palme en longueur et en largeur, et contenait cinq boites
fermées avec des couvercles d'argent. Dans cette du milieu se trouvait
le Saint Sacrement ; dans les autres, du chrême, de l'huile, du sel et
des brins de fil, ou peut-être de la laine avec d'autres objets bénits.
Elles étaient si bien fermées que rien ne pouvait couler au dehors.
Les apôtres, dans leurs voyages, portaient cette croix pendue sur la
poitrine sous leur vêtement. Ils avaient en cela quelque chose de plus
que le grand prêtre des Juifs quand il portait sur sa poitrine l'objet
sacré de l'ancienne alliance.
Je ne me souviens pas bien s'ils avaient des reliques dans une de ces
boîtes ou ailleurs ; je sais seulement qu'en offrant le sacrifice de la
nouvelle alliance, ils avaient toujours près d'eux des ossements de
prophètes, et, plus tard, de martyrs; de même que les patriarches,
lorsqu'ils sacrifiaient, plaçaient toujours sur l'autel des ossements
d'Adam ou de ceux de leurs ancêtres qui avaient été dépositaires de la
promesse. Jésus-Christ, dans la dernière cène, leur avait commandé de
faire ainsi. Pierre, en habits sacerdotaux, était debout devant l'autel,
les autres étaient rangés derrière lui. Les femmes se tenaient au fond
de la salle.
IX
Arrivée de Simon.
Pierre donne la sainte communion à la sainte
Vierge.
État de Jérusalem à cette époque.
(Le 11 août 1821.) Je vis aujourd'hui arriver un autre apôtre : c'était
Simon. Il manquait encore Jacques le Majeur, Philippe et Thomas. Je vis
aussi plusieurs disciples, parmi lesquels je me rappelle seulement Jean
Marc, et ce fils ou petit-fils du vieux Siméon, qui était chargé de
l'inspection des victimes au temple, et qui immola le dernier agneau
pascal pour Jésus. Ils étaient bien une dizaine.
Il y eut de nouveau service divin à l'autel, et je vis quelques-uns des
nouveaux arrivés avec leurs habits relevés, ce qui me fit croire qu'ils
voulaient repartir tout de suite. Devant le lit de la sainte Vierge
était un petit escabeau triangulaire, comme celui sur lequel avaient été
déposés les présents des trois rois dans la grotte de la Crèche. Il y
avait dessus une tasse avec une petite cuiller brune transparente. Je ne
vis aujourd'hui qu'une femme dans la chambre de Marie.
Je vis Pierre, après le service divin, lui donner de nouveau la sainte
communion. Il apporta le Saint Sacrement dans cette pyxide en forme de
croix dont j'ai déjà parlé. Les apôtres étaient rangés sur deux lignes,
depuis l'autel jusqu'à sa couche, et ils s'inclinèrent profondément
quand Pierre passa devant eux avec le Saint Sacrement. Les cloisons qui
entouraient la sainte Vierge, était ouvertes de tous les côtés.
Quand j'eus vu cela près d'Ephèse, j'eus le désir de voir ce qui se
passait à Jérusalem pendant ce temps ; mais la longueur du voyage qu'il
fallait faire pour cela m'effrayait. Alors la sainte vierge et martyre
Suzanne, dont c'est aujourd'hui la fête, dont j'ai là une relique, et
qui a été près de moi toute la nuit, vint à moi et m'encouragea en me
disant qu'elle m'accompagnerait. Je traversais la terre et la mer, et
nous fûmes bientôt à Jérusalem. Elle était tout autrement que moi ; elle
était extrêmement légère, et, quand je voulais la toucher, je ne le
pouvais pas. Quand j'assistais à une scène dans un lieu déterminé,
comme, par exemple, à Jérusalem, elle disparaissait ; mais, chaque fois
que je passais d'un tableau à un autre, elle m'accompagnait et me
consolait.
Je me trouvai sur la montagne des Oliviers, et je vis tout dévasté et
changé par comparaison avec l'état antérieur. Je pus pourtant
reconnaître chaque place. La maison voisine du jardin de Gethsémani, où
les disciples s'arrêtaient, avait été démolie. Il y avait là des fossés
et des murs qui en rendaient l'accès impossible. Je me rendis ensuite au
tombeau du Sauveur ; il était comblé et muré. Au-dessus, sur le haut du
rocher, on avait commencé à bâtir un édifice qui ressemblait à un petit
temple. Il n'y avait encore que les murs. Comme je regardais avec
tristesse les dévastations qui avaient été faites, mon fiancé céleste
m'apparut sous la même figure qu'il s'était montré en ce lieu à
Madeleine, et me consola.
Je trouvai aussi le Calvaire dévasté et bâti. Le petit monticule sur
lequel la croix avait été érigée avait été remué et fouillé. Il y avait
aussi tout autour des fossés et des murs, en sorte qu'on ne pouvait pas
l'aborder. J'y arrivai pourtant et j'y priai. Alors le Sauveur
s'approcha encore pour me consoler et m'encourager. Lors de ces
apparitions du Seigneur, je ne vis pas sainte Suzanne prés de moi.
Je passai ensuite à un tableau des guérisons miraculeuses de Jésus dans
les environs de Jérusalem, et je revis plusieurs de ces guérisons. Comme
je réfléchissais sur la grâce des guérisons par le nom de Jésus, qui est
plus particulièrement accordée aux prêtres, et comme je pensais à la
manifestation de cette grâce à notre époque, dans la personne du prince
de Hohenlohe, je vis ça prêtre faisant usage de ce don. Je vis plusieurs
malades guéris par ses prières, entre autres, des hommes qui cachaient
sous de sales haillons des ulcères infectés Je ne sais pas si c'étaient
réellement des ulcères ou bien des symboles de vieux péchés restés sur
la conscience Même dans mon voisinage, je vis d'autres prêtres qui
possédaient au même degré ce pouvoir de guérir, mais chez lesquels le
respect humain, la dissipation, la préoccupation des affaires mondaines
et le manque d'énergie l'empêchaient de se produire. J'en vis
spécialement un qui secourait quelques personnes dont je voyais le coeur
rongé par d'affreuses bêtes ; mais, par suite de sa dissipation, il
négligeait d'en secourir d'autres, qui étaient couchées ça et là, en
proie à des maladies corporelles. Il avait en lui-même divers obstacles
qui l'en empêchaient.
X
Service divin des apôtres. Marie reçoit la sainte communion.
Détails personnels.
Le chemin de la Croix de Marie.
(Le 12 août 1821.) il n'y a guère en tout que douze hommes rassemblés
dans la maison de Marie. Aujourd'hui, je vis faire le service divin dans
son petit oratoire ; on y célébra la messe. Sa petite chambre était
ouverte de tous les côtés. Une femme était agenouillée près du lit de
Marie, qui, de temps en temps, se mettait sur son séant. Je la vis ainsi
d'autres fois dans la journée. La femme qui était près d'elle lui
donnait alors, avec une cuiller, d'une potion qui était dans la tasse.
Marie avait sur sa couche une crois, longue comme la moitié du bras. Le
tronc était un peu plus large que le bras. Elle était comme incrustée de
différents bois ; le corps du Christ était blanc. La sainte Vierge reçut
le Saint Sacrement. Elle a vécu quatorze ans et deux mois depuis
l'ascension du Sauveur.
Ce soir, la narratrice, pendant son sommeil, chanta à demi vois, d'une
manière singulièrement touchante, des cantiques de la Mère de Dieu.
Quand elle se réveilla, comme l'écrivain lui demandait ce qu'elle avait
chanté, elle répondit, étant encore à moitié endormie : " Je suis allée
avec la procession, avec cette femme... Maintenant, elle est partie ".
Le jour suivant, elle dit à propos de ce chant : " Je suivis deux des
amies de Marie sur le chemin de la Croix, derrière sa maison. Elles vont
là tous les jours, matin et soir, et je me glisse tout doucement
derrière elles. Hier, cela m'anima, et je commençai à chanter ; alors
tout disparut.
Le chemin de la Croix de Marie avait douze stations. Elle avait mesuré
en pas les intervalles qui les séparaient' et Jean y avait fait placer
des pierres commémoratives. Il n'y avait d'abord que des pierres brutes
; plus tard, tout fut plus orné. Maintenant c'étaient des pierres
blanches' polies, peu élevées, à plusieurs arêtes (huit, si je ne me
trompe), qui se réunissaient au sommet, aboutissant à une petite surface
plane, où se trouvait une cavité. Chacune d'elles reposait sur un dé de
même matière, entourée de gazon et de fleurs qui empêchaient d'en voit
l'épaisseur. Sur les pierres et leurs supports étaient inscrites des
lettres hébraïques.
Ces stations étaient toutes dans des excavations comme dans de petits
bassins ronds creusés autour. Il y avait au fond un sentier assez large
pour une ou deux personnes ; il circulait autour de la pierre, et
permettait d'en lire les inscriptions. A l'un des côtés de ces pierres
étaient fixées des nattes avec lesquelles on les recouvrait quand on n'y
priait pas.
Les douze pierres qui marquaient les stations étaient toutes de même
grandeur ; toutes avaient leurs inscriptions hébraïques, mais les lieux
où elles étaient placées étaient différents : la station du mont des
Oliviers se trouvait dans une petite vallée, près d'une grotte dans
laquelle plusieurs personnes pouvaient se tenir à genoux ; la station du
Calvaire, seule, n'était pas dans un enfoncement, mais sur une éminence.
Pour la station du Saint Sépulcre, elle était au delà de cette éminence,
de l'autre côté de laquelle on trouvait la pierre commémorative dans un
enfoncement, puis, plus bas encore, une grotte creusée dans le roc où
était le tombeau lui-même. Ce fut dans ce tombeau que la sainte Vierge
fut ensevelie. Je crois que ce tombeau doit encore subsister sous la
terre, et qu'il reparaîtra quelque jour.
Je vis que les apôtres, les saintes femmes et d'autres chrétiens, quand
ils venaient à ces stations et qu'ils y priaient agenouillés ou la face
contre terre, tiraient de dessous leurs vêtements une croix longue à peu
près d'un pied, et la plaçaient dans l'excavation qui était au-dessus de
la pierre de la station ; elle s'y tenait debout au moyen d'un appui
mobile placé derrière.
XI
Jacques le Majeur arrive avec Philippe et trois disciples.
Comment les apôtres furent convoqués pour assister
à la mort de la
sainte Vierge. Leurs voyages et leurs missions.
(Le 13 août 1821.) Je vis aujourd'hui faire le service divin comme les
autres jours. Je vis la sainte Vierge se mettre sur son séant plusieurs
fois dans la journée et prendre quelque chose avec la petite cuiller. Le
soir, vers sept heures, la soeur dit pendant son sommeil : Jacques le
Majeur est arrivé d'Espagne en passant par Rome avec trois compagnons,
Timon, Erémenzéar et encore un autre. Plus tard, Philippe vint d'Egypte
avec un compagnon.
Les apôtres et les disciples arrivaient la plupart du temps très
fatigués. Ils avaient à la main de longs bâtons recourbes qui
indiquaient leur dignité. Leurs longs manteaux blancs étaient relevés
sur la tête, où ils formaient comme des capuchons. Ils avaient
là-dessous de longues tuniques sacerdotales de laine blanche ; elles
étaient ouvertes de haut en bas, mais attachées avec des petites
courroies fendues et passées dans de petits bourrelets qui servaient de
boutons. En voyage, ils relevaient leurs vêtements dans leur ceinture.
Quelques-uns portaient une bourse pendue au côté.
Les arrivants embrassaient tendrement ceux qui les avaient précédés.
J'en vis plusieurs pleurer à la fois de joie et de douleur en revoyant
leurs amis dans une circonstance si triste. Ils déposaient alors leur
bâton, leur manteau, leur ceinture et leur bourse, puis ils laissaient
retomber jusqu'à leurs pieds leur robe blanche ; ils mettaient ensuite
une large ceinture sur laquelle était une inscription et qu'ils
portaient avec eux. On leur lavait les pieds ; ils s'approchaient de la
couche de Marie et la saluaient respectueusement. Elle pouvait a peine
leur adresser quelques paroles. Je ne les vis prendre d'autres aliments
que du pain ; ils buvaient dans de petits flacons qu'ils portaient sur
eux.
Quelque temps avant la mort de la sainte Vierge, lorsqu'elle fut avertie
intérieurement que sa réunion avec son Dieu, son Fils, son Rédempteur,
était proche, elle pria pour l'accomplissement de la promesse que Jésus
lui avait faite dans la maison de Lazare, à Béthanie, la veille de
l'Ascension. Il me fut montré en esprit comment Jésus, auquel elle
demandait de ne pas la laisser longtemps dans cette vallée de larmes
après l'Ascension, lui dit en termes généraux quelles oeuvres
spirituelles elle devait accomplir pendant le temps qu'elle devait
encore rester sur la terre. Il lui fit connaître aussi qu'à sa prière,
les apôtres et plusieurs disciples se réuniraient près d'elle pour
assister à sa mort ; il lui indiqua ce qu'elle devait leur dire et
comment elle devait leur donner sa bénédiction. Je vis aussi qu'il dit à
l'inconsolable Madeleine de se cacher dans le désert, et à sa soeur
Marthe d'établir une communauté de femmes ; il ajouta qu'il serait
toujours avec elles.
Quand la sainte Vierge eut prié pour faire venir les apôtres près
d'elle, je vis la convocation leur arriver dans diverses parties du
monde. Je ne me souviens plus que de ce qui suit.
Les apôtres avaient de petites églises dans divers lieux où ils avaient
enseigné. Quoique plusieurs d'entre elles De fussent pas encore
construites en pierre, mais faites seulement de branches tressées et
enduites de limon, toutes celles que je vis avaient à leur partie
postérieure la même forme arrondie ou angulaire que la maison de Marie
près d'Éphèse. Il y avait des autels, et on y célébrait le saint
sacrifice de la messe.
Je les vis tous, si éloignés qu'ils fussent, avertis par des apparitions
de se rendre auprès de la sainte Vierge. En général, les voyages si
longs des apôtres ne se faisaient pas sans une miraculeuse assistance du
Seigneur. Je crois que souvent, sans qu'eux-mêmes en eussent bien la
conscience, ils voyageaient à l'aide d'un secours surnaturel, car je les
vis plus d'une fois passer à travers des foules pressées sans que
personne parût les voir. Je les vis opérer chez divers peuples paiens et
sauvages des miracles d'une tout autre espèce que ceux de leurs miracles
que nous connaissons par l'Écriture sainte. Ils les opéraient partout
suivant les besoins des hommes. Je vis que tous, dans leurs voyages,
portaient avec eux des ossements des prophètes ou des martyrs mis à mort
dans les premières persécutions, et qu'ils les avaient auprès d'eux
lorsqu'ils priaient ou célébraient le saint sacrifice.
Lorsque le Seigneur convoqua les apôtres à Ephèse, Pierre et Mathias
aussi, à ce que je crois, se trouvaient dans les environs d'Antioche.
André, venant de Jérusalem où il avait eu à souffrir la persécution, ne
se trouvait pas à une grande distance d'eux. Je vis Pierre et André
s'arrêter la nuit, ou passer dans différents endroits qui n'étaient pas
très éloignés les uns des autres. Ils n'étaient pas dans des villes,
mais dans des auberges publiques, comme on en trouve au bord des routes
dans les pays chauds. Pierre était couché contre un mur. Je vis un jeune
homme resplendissant s'approcher de lui et l'éveiller en le prenant par
la main ; il lui dit qu'il devait se rendre en toute hâte près de Marie,
et qu'il trouverait en route son frère André. Je vis Pierre, qui était
déjà affaibli par l'âge et les fatigues de l'apostolat, se mettre sur
son séant et s'appuyer avec les mains sur ses genoux pendant qu'il
écoutait l'ange. Quand le messager céleste eut disparu, il se leva, se
ceignit, mit un manteau, prit son bâton et partit. Il rencontra bientôt
André, qui avait vu une apparition semblable. Plus loin, ils se
réunirent à Thaddée, auquel la même chose avait été dite. C est ainsi
qu'ils se rendirent chez Marie, où ils trouvèrent Jean.
Jacques le Majeur, qui avait une figure pâle et allongée et les cheveux
noirs. était venu d'Espagne à Jérusalem avec plusieurs disciples. Il
s'arrêta quelque temps à Sarona, près de Joppé, et ce fut là qu'il fut
appelé à se rendre à Éphèse. Après la mort de Marie, il revint à
Jérusalem avec ses compagnons, et il y souffrit le martyre. Son
accusateur se convertit fut baptisé par lui et décapité avec lui. Jude,
Thaddée et Simon étaient en Perse où ils reçurent leur convocation.
Thomas avait une taille ramassée et les cheveux d'un brun cuivré. Il
était le plus éloigné de tous, et n'arriva qu'après la mort de Marie.
J'ai vu comment l'ange chargé de l'avertir vint à lui. Il n'était pas
dans une ville, mais dans une cabane de roseaux, et il priait lorsque
l'ange lui ordonna de partir pour Éphèse. Je l'ai vu sur la mer dans une
petite barque avec un serviteur d'une grande simplicité ; il traversa
ensuite le continent, mais, je crois, sans entrer dans aucune ville. Il
vint encore un disciple avec lui. Il était dans l'Inde lorsqu'il reçut
l'avertissement ; mais, avant de le recevoir, il avait formé le dessein
d'aller plus au nord, jusqu'en Tartarie, et il ne put se résoudre à
abandonner ce projet : il voulait toujours trop faire, et il arrivait
souvent trop tard. Il alla vers le nord, en touchant presque la Chine,
et arriva jusque dans les possessions actuelles de la Russie. Il reçut
là un nouvel avertissement, et se dirigea en toute hâte vers Éphèse. Le
serviteur qu'il avait avec lui était un barbare qu'il avait baptisé. Cet
homme est devenu quelque chose plus tard, mais j'ai oublié ce qui le
concernait. Thomas ne revint pas en Tartarie après la mort de Marie ; il
fut percé d'un coup de lance dans l'Inde. J'ai vu que, dans ce pays, il
érigea une pierre sur laquelle il avait prié et à la marque de ses
genoux s'était imprimée, et qu'il dit que lorsque la mer viendrait
jusqu'à cette pierre, un autre personnage prêcherait Jésus-Christ dans
ces contrées.
Jean s'était trouvé à Jéricho peu de temps auparavant. Il allait souvent
dans la Terre Sainte. Il résidait ordinairement à Éphèse et dans les
environs. C'était là qu'il avait reçu sa convocation.
Barthélemy était en Asie, à l'orient de la mer Rouge. C'était un bel
homme, très intelligent. Il avait le teint blanc, le front élevé, de
grands yeux, des cheveux noirs frisés, une barbe noire, courte et
crépue. Il avait converti récemment un roi et sa famille. Je vis tout
cela, et je le raconterai en son temps. Quand il fut de retour dans ce
pays, le frère de ce roi le fit mourir.
J'ai oublié où Jacques le Mineur reçut l'avertissement. Il était très
beau et ressemblait beaucoup au Sauveur. Aussi était-il appelé
particulièrement le frère du Seigneur. même par ses propres frères.
En ce qui touche Matthieu, je vis de nouveau aujourd'hui qu'Alphée
l'avait eu d'un premier mariage et l'avait amené avec lui quand il
épousa en secondes noces Marie, fille de Cléophas. J'ai oublié ce qui
concernait André.
Paul ne fut pas appelé. Ceux-là seulement furent convoqués qui étaient
alliés à la sainte Famille ou qui avaient été en rapport avec elle.
Pendant ces visions, j'avais près de moi des reliques de saint André, de
saint Barthélemy, des deux sainte Jacques, de saint Jude, de saint
Simon, de saint Thomas, et de plusieurs disciples et saintes femmes ;
ceux-là se montrèrent d'abord à moi plus clairement et plus
distinctement. Puis je les vis figurer dans la scène qui m'était
représentée. Je vis aussi saint Thomas venir à moi mais il ne figurait
pas dans le tableau de la mort de la mort de Marie. Il était éloigné et
arriva trop tard.
Je vis aussi cinq disciples figurer dans le tableau J'a spécialement un
souvenir distinct de Siméon le Juste et de Barnabé (ou Barsabas), dont
il y avait des reliques près de moi. L'un des trois autres était l'un de
ces fils des bergers qui avaient accompagné Jésus dans le voyage qu'il
fit après la résurrection de Lazare. (Erémenzéar). Les deux autres
étaient de Jérusalem.
Je vis aussi près de la sainte Vierge sa soeur aînée, Marie Héli. Marie
Héli, femme de Cléophas, mère de Marie de Cléophas, grand mère des
apôtres Jacques le Mineur, Thaddée, Simon, etc., était une femme très
âgée (elle avait vingt ans de plus que la sainte Vierge). Toutes ces
saintes femmes demeuraient dans le voisinage ; elles s'étaient réfugiées
précédemment dans ce pays, fuyant la persécution qui sévissait à
Jérusalem. Plusieurs habitaient des grottes creusées dans les rochers,
où on avait disposé des logements nu moyen de boiseries en clayonnage.
XII
Mort de le sainte Vierge.
Elle reçoit le saint Viatique et l'extrême Onction.
Vision sur l'entrée de son âme dans le ciel.
Le 14 août 182l, dans l'après-midi, la soeur dit à l'écrivain : " Je
veux maintenant raconter quelque chose de la mort de la sainte Vierge ;
mais il ne faut pas que je sois dérangée. Dites à ma petite nièce de ne
pas m'interrompre, et d'attendre un peu dans l'autre pièce ". Quand
l'écrivain eut fait ce qu'elle disait et fut revenu près d'elle, il lui
dit : " Racontez maintenant " ; mais, regardant fixement devant elle,
elle s'écria : " Où suis-je donc, est-ce le matin ou le soir ! -Vous
voulez, dit-il, parler de la mort de la sainte Vierge.-Les apôtres sont
là, répondit-elle, interrogez-les ; vous êtes plus savant que moi, vous
les questionnerez mieux ; ils suivent le Chemin de la Croix et
travaillent au tombeau de la Mère de Dieu. Elle les vit se livrer à ce
travail aussitôt après la mort de Marie, à ce qu'elle assura. Après une
pause, elle continua, en marquant des nombres avec ses doigts : " Voyez
ce chiffre, dit-elle, une barre comme un I, puis un V ; cela ne fait-il
pas quatre ? puis encore un V et trois I, cela ne fait-il pas huit ? Ce
n'est pas écrit correctement en lettres marquant les nombres ; mais je
les vois ainsi, parce que je ne sais pas lire les nombres élevés écrits
en lettres Cela doit signifier que l'année 48 après Jésus-Christ est
celle de la mort de la sainte Vierge. Je vois ensuite un X et trois 1,
puis deux fois le signe de la pleine lune, comme il est dans l'almanach
: cela veut dire que la sainte Vierge mourut treize ans et deux mois
après l'ascension de Notre Seigneur. Ce n'est pas à présent le mois de
sa mort. Je crois qu'il est passé depuis deux mois ; car, il y a deux
mois, j'ai encore vu cette scène. Ah ! sa mort fut pleine de tristesse
et pleine de joie ! s, Toujours dans cet état d'absorption intérieure,
elle raconta ce qui suit :
Je vis hier à midi beaucoup de tristesse et d'inquiétude dans la maison
de la sainte Vierge. La servante était extrêmement affligée ; elle
s'agenouillait sans cesse, tantôt dans divers coins de la maison, tantôt
devant la maison, et priait les bras étendus en versant des larmes. La
sainte Vierge reposait tranquillement dans sa cellule ; elle semblait au
moment de mourir. Elle était enveloppée tout entière, y compris les
bras, dans cette espèce de vêtement de nuit que j'ai décrit en racontant
sa visite chez Élisabeth. Son voile était relevé carrément sur son
front, elle l'abaissait sur son visage quand elle parlait à des hommes.
Ses mains elles-mêmes ne restaient découvertes que quand elle était
seule. Dans les derniers jours, je ne la vis rien prendre, si ce n'est
de temps en temps une cuillerée d'un breuvage que la servante exprimait
de certaines baies jaunes, disposées en grappes. Vers le soir, quand la
sainte Vierge connut que son heure approchait, elle voulut, conformément
à la volonté de Jésus, bénir ceux qui se trouvaient présents et leur
faire ses adieux. Sa chambre à coucher était ouverte de tous les côtés.
Elle se mit sur son séant ; son visage était d'une blancheur éclatante
et comme illuminé. Tous les assistants se tenaient dans la partie
antérieure de la maison ; les apôtres entrèrent les premiers dans
l'autre pièce, s'approchèrent l'un après l'autre de sa cellule ouverte,
et s'agenouillèrent près de sa couche. La sainte Vierge les bénit tour à
tour en croisant les mains au-dessus de leur tête et en touchant
légèrement leur front. Elle parla à tous, et fit tout ce que Jésus lui
avait enjoint à Béthanie.
Quand Pierre vint à elle, je vis qu'il avait à la main un rouleau écrit.
Elle parla à Jean des dispositions à prendre pour sa sépulture, et le
chargea de donner ses vêtements à sa servante et à une autre vierge
pauvre qui venait quelquefois la servir. Elle montra du doigt le réduit
qui était en face de sa cellule, et je vis sa servante y aller, l'ouvrir
et le refermer. Je vis alors tous les vêtements de la sainte Vierge ;
j'en parlerai plus tard. Après les apôtres, les disciples présents
s'approchèrent de la couche de la sainte Vierge et furent aussi bénis
par elle. Les hommes se rendirent alors de nouveau dans la pièce
antérieure de la maison, pendant que les femmes s'approchaient de la
couche de Marie, s'agenouillaient et recevaient sa bénédiction. Je vis
l'une d'entre elles se pencher sur la sainte Vierge, qui l'embrassa.
Pendant ce temps l'autel fut préparé, et les apôtres se revêtirent, pour
le service divin, de leurs longs vêtements blancs, avec des ceintures
sur lesquelles étaient des lettres. Cinq d'entre eux figurèrent dans la
cérémonie solennelle, qui fut semblable à celle que j'avais vu célébrer
pour la première fois par Pierre dans la nouvelle église voisine de la
piscine de Bethesda ; ils se revêtirent de leurs beaux ornements
sacerdotaux. Le manteau pontifical de Pierre, qui était le célébrant,
était très long par derrière ; cependant il n'avait pas de queue.
Ils étaient encore occupés à s'habiller, lorsque Jacques le Majeur
arriva avec trois compagnons. Il venait d'Espagne par Rome avec le
diacre Timon, et au delà de cette dernière ville il avait rencontré
Erémenzéar et un troisième disciple. Les assistants, qui étaient au
moment d'aller à l'autel, lui souhaitèrent la bienvenue avec une gravité
solennelle, et lui dirent en peu de mots de se rendre près de la sainte
Vierge. On leur lava les pieds, ils rangèrent leurs vêtements ; puis,
sans quitter leurs habits de voyage, ils allèrent près de Marie et
reçurent comme les autres sa bénédiction. Jacques alla seul le premier ;
puis ses trois compagnons y allèrent ensemble après quoi ils revinrent
pour assister au service divin. Là cérémonie était déjà assez avancée
lorsque Philippe arriva d'Égypte avec un compagnon. Il se rendit
aussitôt près de la Mère du Seigneur, reçut sa bénédiction et pleura
abondamment.
Pierre, pendant ce temps, avait terminé le saint sacrifice, il avait
consacré et reçu le corps du Sauveur, puis il l'avait donné aux apôtres
et aux disciples présents. La sainte Vierge ne pouvait pas voir l'autel
; mais pendant la sainte cérémonie elle était assise sur sa couche, dans
un profond recueillement. Quand Pierre eut communié et donné la
communion aux autres apôtres, il porta à la sainte Vierge le saint
sacrement et l'extrême onction.
Tous les apôtres l'accompagnèrent en procession solennelle. Thaddée
marchait en avant avec un encensoir. Pierre portait la sainte
Eucharistie devant lui, dans la pyxide en forme de croix dont j'ai parlé
précédemment. Jean le suivait, portant un petit plat, sur lequel était
le calice avec le sang précieux et quelques boites. Le calice était
petit, massif et de couleur blanche. Le pied en était si court qu'on ne
pouvait le prendre qu'avec deux doigts. Il avait du reste la forme de
celui de la sainte Cène. Dans l'oratoire, qui était près du lit de la
sainte Vierge, un petit autel avait été dressé par les apôtres. La
servante avait apporté une table avec une couverture rouge et blanche.
Dessus étaient des flambeaux allumés : je crois que c'étaient des
cierges et des lampes. La sainte Vierge, pâle et silencieuse, était
couchée sur le des. Elle regardait fixement le ciel, ne parlait à
personne, et semblait ravie en extase. Elle était comme illuminée par le
désir ; je pouvais ressentir ce désir qui l'emportait hors d'elle-même.
Ah ! mon coeur voulait aller à Dieu avec le sien.
Pierre s'approcha d'elle et lui administra l'extrême-onction, à peu près
de la même manière qu'on le fait aujourd'hui. Il l'oignit avec les
saintes huiles prises dans les boites que tenait Jean, sur je visage,
sur les mains' sur les pieds et sur le côté, où son vêtement avait une
ouverture ; en sorte qu'on ne la découvrit pas le moins du monde.
Pendant ce temps les apôtres récitaient des prières, comme on le fait au
choeur. Ensuite Pierre lui présenta le saint sacrement. Elle se
redressa, sans s'appuyer, pour le recevoir ; puis elle retomba. Les
apôtres prièrent pendant quelque temps, et, s'étant un peu soulevée,
elle reçut le calice de la main de Jean. Je vis, lors de la réception de
la sainte Eucharistie, une lumière éclatante entrer dans Marie ; après
elle retomba comme ravie en extase, et ne dit plus rien. Les apôtres
portant les vases sacrés retournèrent en procession à l'autel où ils
continuèrent le service divin, et alors Philippe reçut aussi la sainte
communion. Il n'était resté que deux femmes près de la sainte Vierge.
Plus tard, je vis de nouveau les apôtres et les disciples en prière
autour de la couche de la sainte Vierge. Je visage de Marie était
épanoui et souriant comme dans sa jeunesse. Ses yeux, pleins d'une
sainte joie, étaient tournés vers le ciel. Je vis alors un tableau
merveilleusement touchant. Le toit de la cellule de Marie avait disparu
; la lampe était suspendue en plein air ; je vis à travers le ciel
ouvert l'intérieur de la Jérusalem céleste. Il en descendit comme deux
nuées éclatantes, où se montraient d'innombrables figures d'anges, et
entre lesquelles une voie lumineuse se dirigea vers la sainte Vierge. Je
vis, à partir de Marie, comme une montagne lumineuse s'élever jusque
dans la Jérusalem céleste. Elle étendit les bras de ce côté avec un
désir infini, et je vis son corps soulevé en l'air et planant au-dessus
de sa couche, de manière qu'on pouvait voir par-dessous. Je vis son âme,
comme une petite figure lumineuse infiniment pure, sortir de son corps,
les bras étendus, et s'élever sur la voie lumineuse qui montait jusqu'au
ciel. Les deux choeurs d'anges qui étaient dans les nuées se réunirent
au-dessous de son âme et la séparèrent du corps, qui, au moment de cette
séparation, retomba sur la couche, les bras croisés sur la poitrine. Mon
regard, suivant l'âme de Marie, la vit entrer dans la Jérusalem céleste,
et arriver jusqu'au trône de la très sainte Trinité. Je vis un grand
nombre d'âmes, parmi lesquelles je reconnus plusieurs patriarches, ainsi
que Joachim, Anne, Joseph, Elisabeth, Zacharie et Jean-Baptiste, aller à
sa rencontre avec une joie respectueuse. Elle prit son essor à travers
eux tous jusqu'au trône de Dieu et de son Fils, qui, faisant éclater
au-dessus de tout le reste la lumière qui sortait de ses blessures, la
reçut avec un amour tout divin, lui présenta comme un sceptre et lui
montra la terre au-dessous d'elle comme s'il lui conférait un pouvoir
particulier. Je la vis ainsi entrer dans la gloire, et j'oubliai tout ce
qui se montrait autour d'elle sur la terre. Quelques-uns des apôtres,
notamment Jean et Pierre, durent voir tout cela, car ils avaient les
yeux levés au ciel. Les autres étaient pour la plupart prosternés vers
la terre. Tout était plein de lumière et de splendeur. C'était comme
lors de l'ascension de Jésus-Christ.
Je vis, ce qui me réjouit beaucoup, un grand nombre d'âmes délivrées du
purgatoire suivre l'âme de Marie quand elle entra dans le ciel.
Aujourd'hui aussi, au jour de la commémoration qu'en fait l'Église, je
vis entrer au ciel beaucoup de ces pauvres âmes, parmi lesquelles
plusieurs que Je connaissais. Je reçus l'assurance consolante que, tous
les ans, le jour anniversaire de la mort de Marie, beaucoup d'âmes de
ceux qui lui ont rendu un culte particulier participent aux effets de
cette grâce.
Quand je regardai de nouveau sur la terre, je vis le corps de la sainte
Vierge resplendissant. Il reposait sur sa couche, je visage rayonnant,
les yeux fermés, les bras croisés sur la poitrine Les apôtres, les
disciples et les saintes femmes étaient agenouillés autour et priaient.
Pendant que je regardais tout cela, il y avait dans toute la nature un
concert harmonieux et une émotion semblable à celle que j'avais aperçue
pendant la nuit de Noël. Je connus que l'heure de sa mort avait été la
neuvième heure, comme celle de la mort du Sauveur.
XIII
Préparatifs de la sépulture de Marie. Ses obsèques.
Les femmes étendirent une couverture sur le saint corps, et les apôtres
avec les disciples se retirèrent dans la partie antérieure de la maison.
Le feu du foyer fut éteint ; tout le mobilier de la maison fut mis de
côté et recouvert. Les femmes s'enveloppèrent dans leurs vêtements et se
voilèrent. Elles s'assirent par terre dans la chambre de Marie, et,
tantôt assises, tantôt agenouillées, elles chantèrent des lamentations
funèbres. Les hommes s'enveloppèrent la tête avec la bande d'étoffe
qu'ils portaient autour du cou, et célébrèrent un service funéraire. Il
y en avait toujours deux qui priaient alternativement agenouillés près
de la tête et des pieds du saint corps. Mathias et André allèrent, par
le chemin de la Croix de la sainte Vierge, jusqu'à la dernière station,
où était la grotte représentant le tombeau du Sauveur. Ils avaient avec
eux des outils pour travailler à mieux disposer ce tombeau, car c'était
là que le corps de Marie devait reposer. Le caveau funéraire n'était pas
aussi spacieux que le tombeau de Notre Seigneur, et il était à peine
assez élevé pour qu'un homme pût y entrer debout. Le terrain s'abaissait
à l'entrée, après quoi l'on se trouvait devant le sépulcre comme devant
un petit autel, au-dessus duquel la paroi du rocher formait une voûte.
Les deux apôtres firent plusieurs arrangements dans l'intérieur, et
disposèrent une porte qu'on mit devant le tombeau pour le fermer. On n'y
avait pratiqué qu'une excavation capable de recevoir un corps enveloppé.
Le sol était un peu exhaussé à l'endroit de la tête. Il y avait devant
le caveau, comme devant le Saint Sépulcre, un petit jardin avec une
enceinte. Non loin de là était la station du Calvaire, sur un monticule.
On n'y avait pas élevé de croix, mais on en avait seulement gravé une
sur la pierre. Il pouvait bien avoir une demi lieue de l'habitation de
Marie jusque là.
J'ai vu quatre fois les apôtres se relayer pour veiller en priant auprès
du corps de la sainte Vierge. Je vis aujourd'hui plusieurs femmes, parmi
lesquelles je me rappelle une fille de Véronique et la mère de Jean
Marc, venir faire les préparatifs nécessaires pour la sépulture. Elles
apportaient du linge et des aromates pour embaumer le corps, suivant la
coutume des Juifs. Elles avaient aussi apporté de petits vases où
étaient des herbes encore fraîches. La maison était fermée ; elles
travaillaient à la lumière des flambeaux. Les apôtres récitaient des
prières dans la pièce antérieure, comme des religieux au choeur. Les
femmes retirèrent de dessus la couche le saint corps avec tous ses
vêtements et le placèrent dans une longue corbeille remplie de grosses
couvertures et de nattes, de sorte qu'il était élevé par-dessus cette
corbeille. Alors deux femmes tinrent un grand drap étendu au-dessus du
corps, et deux autres le déshabillèrent sous ce drap, ne lui laissant
que sa longue tunique de laine. Elles coupèrent les belles boucles de
cheveux de la sainte Vierge pour les conserver comme souvenir. Je vis
ensuite ces deux femmes laver le saint corps : elles avaient dans les
mains quelque chose qui ressemblait à des éponges ; la longue tunique
qui recouvrait le corps était décousue. Elles s'acquittèrent de ce soin
avec une crainte respectueuse ; elles lavèrent le corps sous le drap qui
était étendu par-dessus sans le regarder, car la couverture les
empêchait de le voir. Toutes les places que l'éponge avait touchées
étaient aussitôt recouvertes ; le milieu du corps resta voilé ; on n'en
mit rien à nu. Une cinquième femme pressait les éponges au-dessus d'un
bassin et les leur rendait de nouveau. Je les vis trois fois vider le
bassin dans une fosse voisine de la maison et apporter de l'eau fraîche
Le saint corps fut revêtu d'une nouvelle enveloppe ou verte, puis, à
l'aide des linges placés dessous, on le déposa respectueusement sur une
table où avaient été déjà rangés les draps mortuaires et les bandes dont
on devait faire usage. Elles enveloppèrent alors le corps dans les
linges, depuis la cheville des pieds jusqu'à la poitrine, et le
serrèrent fortement avec des bandelettes. La tête, la poitrine, les
mains et les pieds ne furent pas encore enveloppés ainsi.
Pendant ce temps, les apôtres avaient assisté au service solennel
célébré par Pierre, et avaient reçu avec lui la sainte communion ; après
quoi, je vis Pierre et Jean, encore revêtus de leurs grands manteaux
pontificaux, se rendre près du saint corps. Jean portait un vase
d'onguent ; Pierre y trempa le doigt de la main droite et oignit, en
récitant des prières, le front, le milieu de la poitrine, les mains et
les pieds de la sainte Vierge. Ce n'était pas là l'extrême-onction :
elle l'avait reçue vivante encore. Je crois que c'était un honneur rendu
au saint corps ; pareille chose avait eu lieu lors de la mise au tombeau
du Sauveur. Lorsque les apôtres se furent retirés, les femmes
continuèrent leurs préparatifs pour la sépulture. Elles placèrent des
bouquets de myrrhe sous les bras et sur le creux de l'estomac ; elles en
mirent entre les épaules, autour du cou, du menton et des joues ; les
pieds aussi furent entourés de semblables paquets d'herbes aromatiques.
Alors elles croisèrent les bras sur la poitrine, placèrent le saint
corps dans le grand linceul, et l'y emmaillotèrent au moyen d'un bandage
roulé tout autour. La tête était couverte d'un suaire transparent relevé
sur le front, en sorte qu'on voyait je visage, avec sa blancheur
éclatante, rayonner, pour ainsi dire, au milieu des touffes d'herbes qui
l'entouraient. Elles déposèrent ensuite le saint corps dans le cercueil
qui était à côté, comme un petit lit de repos : c'était comme une
planche avec un bord peu élevé ; il y avait un couvercle convexe très
léger. On mit sur sa poitrine une couronne de fleurs blanches, rouges et
bleu céleste, comme symbole de la virginité. Alors les apôtres, les
disciples et tous les assistants, entrèrent pour voir encore une fois ce
saint visage, qui leur était si cher, avant qu'il ne fût voilé. Ils
s'agenouillèrent en pleurant autour de la sainte Vierge, touchèrent ses
mains enveloppées sur sa poitrine, comme pour prendre congé d'elle, et
se retirèrent. Les saintes femmes aussi lui firent leurs derniers
adieux, lui recouvrirent je visage, et placèrent le couvercle sur le
cercueil, autour duquel elles attachèrent des bandes d'étoffe grise au
centre et aux deux extrémités. Je vis ensuite placer le cercueil sur une
civière ; puis, Pierre et Jean le portèrent hors de la maison sur leurs
épaules. Je crois qu'ils se relayèrent successivement, car je vis plus
tard le cercueil porté par six apôtres : Jacques le Majeur et Jacques le
Mineur étaient devant, André et Barthélémy au milieu, Thaddée et Mathias
derrière. Les bâtons devaient être passés dans une natte ou une lanière
de cuir, car je vis le cercueil balancé au milieu d'eux comme dans un
berceau. Une partie des apôtres et des disciples présents marchaient en
avant, d'autres suivaient avec les femmes. Le jour tombait déjà, et on
portait autour du cercueil quatre flambeaux sur des bâtons. Le cortège
se rendit ainsi, en passant par le chemin de la Croix, à la dernière
station, et il arriva à l'entrée du tombeau. Ils déposèrent le saint
corps à terre, et quatre d'entre eux le portèrent dans le caveau et le
placèrent dans l'excavation qui devait servir de couche sépulcrale. Tous
les assistants y entrèrent un à un, jetèrent autour des aromates et des
fleurs, et s'agenouillèrent en pleurant et en priant.
Ils étaient nombreux. La douleur et l'affliction les firent rester là
longtemps, et il était tout à fait nuit quand les apôtres fermèrent
l'entrée du tombeau. Ils creusèrent un fossé devant l'étroite entrée du
caveau, et y plantèrent comme une haie formée de divers arbrisseaux, les
uns en fleur, les autres couverts de baies ; qu'ils avaient transportés
d'ailleurs avec leurs racines. On ne vit plus alors aucune trace de
l'entrée. d'autant plus qu'ils détournèrent l'eau d'une source voisine
pour la faire passer devant ce massif. Ils s'en retournèrent séparément
et s'arrêtèrent encore ça et là, priant sur le chemin de la Croix ;
quelques-uns restèrent à prier prés du tombeau. Ceux qui revenaient
virent de loin une lumière extraordinaire au-dessus du tombeau de Marie,
et ils en furent très émus, sans bien savoir ce que c'était. Je la vis
aussi, et voici ce dont je me souviens parmi beaucoup d'autres choses.
Il me sembla qu'une voie lumineuse descendait du ciel jusqu'au tombeau,
et avec elle une forme brillante semblable à l'âme de Marie, accompagnée
de la figure de Notre-seigneur. Le corps de Marie sortit resplendissant
du tombeau, s'unit à son âme, et s'éleva vers le ciel avec l'apparition
du Sauveur.
Je vis, dans la nuit, plusieurs apôtres et saintes femmes prier et
chanter des cantiques dans le petit jardin qui était devant le tombeau.
Une large voie lumineuse s'abaissai du ciel vers le rocher, et je vis
s'y mouvoir une gloire formée de trois sphères pleines d'anges et d'âmes
bienheureuses qui entouraient l'apparition de Notre Seigneur et de l'âme
resplendissante de Marie. La figure de Jésus-Christ, avec des rayons
partant de ses cicatrices, planait devant elle. Autour de l'âme de
Marie, je vis, dans la sphère intérieure, de petites figures d'enfants ;
dans la seconde, c'étaient comme des enfants de six ans, et, dans la
sphère extérieure, comme des adolescents déjà grands. Je ne vis
distinctement que les visages, tout le reste m'apparut comme des formes
lumineuses resplendissantes. Quand cette apparition, devenant de plus en
plus distincte, fut arrivée au rocher, je vis une voie lumineuse qui
s'étendit depuis elle jusqu'à la Jérusalem céleste. Je vis alors l'âme
de la sainte Vierge qui suivait la figure de Jésus descendre dans le
tombeau à travers le rocher, et, bientôt après, unie à son corps
transfiguré, en sortir plus distincte et plus brillante, et s'élever
avec le Seigneur et le choeur des esprits bienheureux jusqu'à la
Jérusalem céleste. Toute cette lumière s'y perdit, et je ne vis plus nu
dessus de la terre que la voûte silencieuse du ciel étoilé.
Je ne sais pas si les apôtres et les saintes femmes qui priaient devant
le tombeau virent aussi tout cela ; mais je les vis, frappés
d'étonnement, regarder le ciel comme en adoration ou se prosterner je
visage contre terre. J'en vis aussi quelques-uns qui revenaient avec la
civière, priant et chantant des cantiques, et qui s'arrêtaient aux
diverses stations du chemin de la Croix, se tourner avec une pieuse
émotion vers la lumière qui brillait sur le tombeau.
XIV
Arrivée de Thomas.
Visite au tombeau de la sainte Vierge, qu'on trouve vide.
Départ des apôtres.
Les apôtres, étant revenus, prirent un peu de nourriture et allèrent se
reposer. Ils dormaient hors de la maison dans des hangars. La servante
de Marie, qui était restée à la maison pour faire des arrangements, et
d'autres femmes qui l'avaient aidée, dormirent dans la pièce située
derrière le foyer d'ou la servante avait tout enlevé pendant la mise au
tombeau, de sorte qu'elle ressemblait à une petite chapelle où les
apôtres, plus tard, prièrent et offrirent le saint sacrifice.
Ce soir, je vis encore les apôtres prier et pleurer dans la première
pièce. Les femmes étaient allées se reposer. Je vis alors l'apôtre
Thomas, en habits de voyage, arriver avec deux compagnons devant la
porte de la maison et frapper pour se faire ouvrir. Il vint avec lui un
disciple, appelé Jonathan, qui était parent de la sainte Famille. Son
autre compagnon était un homme très simple, du pays où habitait le plus
éloigné des trois rois, et que j'appelle toujours Partherme, parce que
je ne sais pas retenir exactement les noms. Thomas l'avait emmené de là
avec lui, et il était à son égard comme le plus docile des serviteurs.
Elle reconnut ce disciple par une relique de lui qui se trouvait près
d'elle sans désignation de celui auquel elle appartenait. Elle dit de
lui, le 26 juillet 1821 : Jonathan ou Jonadab était de la tribu de
Benjamin et des environs de Samarie. Il fut tour à tour près de saint
Pierre, près de saint Paul, qui le trouvait trop lent, et de saint Jean.
Il vint de fort loin avec saint Thomas pour assister à la mort de Marie.
Un disciple ouvrit la porte ; Thomas entra avec Jonathan dans la salle
où étaient les apôtres, et dit à son serviteur de rester assis devant la
porte. Ce digne homme faisait tout ce qu'on lui ordonnait : il s'assit
tranquillement. Combien ils furent affligés en apprenant qu'ils
arrivaient trop tard ! Les disciples leur lavèrent les pieds et leur
présentèrent quelques rafraîchissements. Pendant ce temps les femmes
s'étaient levées, et, quand elles se furent retirées, on conduisit
Thomas et Jonathan à la place où la sainte Vierge était morte. Ils se
prosternèrent et arrosèrent la terre de leurs larmes. Thomas pria encore
longtemps, agenouillé devant le petit autel de Marie. Sa douleur était
singulièrement touchante ; je pleure encore lorsque j'y pense. Quand les
apôtres eurent terminé leurs prières, qu'ils n'avaient pas interrompues,
tous allèrent souhaiter la bienvenue aux nouveaux arrivés. Ils firent
relever Thomas et Jonathan qui étaient agenouillés, les embrassèrent et
les conduisirent dans la salle antérieure de la maison, où ils leur
donnèrent à manger du pain et du miel. Ils prièrent encore ensemble et
s'embrassèrent les uns les autres.
Mais Thomas et Jonathan désiraient se rendre au tombeau de la sainte
Vierge. Alors les apôtres allumèrent des flambeaux, qu'on assujettit à
des perches, et allèrent avec eux au tombeau en passant par le chemin de
la Croix. Ils parlaient peu, s'arrêtaient quelques moments aux pierres
des stations, et méditaient sur la voie douloureuse du Sauveur et sur la
compassion de sa Mère, qui avait élevé ces pierres commémoratives et les
avait si souvent arrosées de ses larmes. Arrivés à la grotte du tombeau,
ils s'agenouillèrent tous ; mais Thomas et Jonathan se précipitèrent
vers l'entrée du caveau, et Jean les suivit. Deux disciples écartèrent
les branches des arbrisseaux qui étaient devant la porte : ils
entrèrent, et s'agenouillèrent avec une crainte respectueuse devant la
couche sépulcrale de la sainte Vierge. Alors Jean s'approcha du
cercueil, qui faisait un peu saillie au-dessus de la fosse, détacha les
bandes qui l'entouraient, et enleva le couvercle. Puis ils approchèrent
la lumière du cercueil, et furent saisis d'un profond étonnement
lorsqu'ils ne virent devant eux que les linceuls vides, conservant
encore la forme du saint corps. Ils étaient séparés à la place du visage
et de la poitrine ; les bandelettes qui avaient entouré les bras étaient
déliées, mais le corps glorifié de Marie n'était plus sur la terre. Ils
levèrent les yeux et les bras vers le ciel comme s'ils eussent vu le
saint corps enlevé à ce moment même, et Jean cria à l'entrée du caveau :
" Venez et voyez, elle n'est plus ici ". Alors ils entrèrent deux par
deux dans l'étroit caveau, et virent avec étonnement les linges vides
étendus sous leurs yeux. Étant sortis, tous s'agenouillèrent à terre,
regardèrent le ciel en levant les bras, prièrent, pleurèrent et louèrent
le Seigneur et sa mère, leur chère et tendre mère, lui adressant, comme
des enfants fidèles, les douces paroles d'amour que l'Esprit saint
mettait sur leurs lèvres. Alors ils se souvinrent de cette nuée
lumineuse qu'après les funérailles ils avaient vue descendre vers le
tombeau et remonter au ciel. Jean retira respectueusement du cercueil
les linceuls de la sainte Vierge, les plia, les roula, les prit avec lui
; puis il remit le couvercle et l'assujettit de nouveau avec les bandes
d'étoffe. Ils quittèrent ensuite le caveau, dont l'entrée resta masquée
par le massif de verdure. Priant et chantant des psaumes, ils revinrent
à la maison par le chemin de la Croix ; puis ils se rendirent tous dans
la pièce qu'avait habitée Marie. Jean déposa respectueusement les
linceuls sur la petite table qui était devant l'oratoire de la sainte
Vierge. Thomas et les autres prièrent encore à la place où elle avait
rendu le dernier soupir. Pierre se retira à part comme pour méditer ;
peut-être faisait-il sa préparation, car je vis ensuite dresser l'autel
devant l'oratoire de Marie où était la croix, et Pierre célébrer un
service solennel. Les autres, rangés derrière lui, priaient et
chantaient alternativement. Les saintes femmes se tenaient plus en
arrière prés des portes et de la partie postérieure du foyer.
Le serviteur de Thomas, cet homme si simple qui l'avait accompagné
depuis la contrée lointaine où il avait été, avait un extérieur
singulier. Il avait de petits yeux, le front comprimé, le nez épaté et
les pommettes saillantes. Son teint était plus basané que celui des gens
de ce pays. Il avait reçu le baptême ; du reste, il était comme un
enfant ignorant et docile. Il faisait tout ce qu'on lui ordonnait,
restait où on le plaçait, regardait ce qu'on lui montrait, et souriait à
tout le monde. Il restait assis là où Thomas lui avait dit de s'asseoir
; et quand il voyait pleurer Thomas, il pleurait aussi. Cet homme resta
toujours avec Thomas ; il pouvait porter de lourds fardeaux, et je l'ai
vu soulever des pierres énormes quand Thomas construisit une chapelle.
Après la mort de la sainte Vierge, je vis souvent les apôtres et les
disciples se réunir et se raconter mutuellement leurs voyages et ce qui
leur était arrivé. J'ai entendu tout ce qu'ils disaient ; cela me
reviendra en mémoire, si c'est la volonté de Dieu.
(Le 20 août 1800 et 1821.) Après divers exercices de dévotion, les
disciples présents se firent leurs adieux presque tous et retournèrent à
leurs travaux. Il n'y avait plus dans la maison que les apôtres,
Jonathan et le serviteur de Thomas. Mais ils devaient tous partir quand
ils auraient terminé leur travail. Ils travaillaient tous à enlever les
mauvaises herbes et les pierres sur le chemin de la Croix de Marie, et à
l'orner convenablement avec de beaux arbrisseaux, des plantes et des
fleurs de toute espèce. Ils firent tout cela en priant et en chantant
des cantiques ; on ne peut exprimer combien cela était touchant à voir.
C'était comme un service divin célébré par l'amour en deuil : c'était à
la fois imposant et aimable. Ils ornaient, comme des enfants affectueux,
la trace des pas de leur mère, qui était aussi la mère de leur Dieu, la
trace des pas avec lesquels elle avait mesuré, pleine d'une pieuse
compassion, la voie douloureuse qu'avait suivie son divin Fils en allant
à la mort pour nous racheter.
Ils fermèrent entièrement l'entrée du tombeau de Marie, en tassant
fortement la terre autour des arbrisseaux qu'ils avaient plantés devant.
Ils nettoyèrent et ornèrent le jardin qui était en avant du tombeau,
creusèrent un chemin sur le derrière du monticule qui le surmontait
jusqu'à la paroi postérieure du caveau, et pratiquèrent une ouverture
dans le rocher pour qu'on pût voir la couche sépulcrale où avait reposé
le corps de la très sainte Mère que le Rédempteur mourant sur la croix
avait léguée à eux tous et à l'Église dans la personne de Jean. Ah !
c'étaient des enfants reconnaissants, fidèles au quatrième commandement
; ils vivront longtemps sur la terre, eux et leur amour ! ils érigèrent
aussi une espèce de chapelle, en forme de tente, au-dessus du tombeau.
Ils y tendirent une tente formée de tapis, qu'ils entourèrent et
couvrirent avec des claies en branches tressées. Ils y élevèrent un
petit autel, formé d'une large table de pierre supportée par une autre
pierre. Derrière cet autel ils suspendirent une tapisserie sur laquelle
une image de la sainte Vierge, d'un travail fort simple, était brodée ou
tissée. Elle était représentée dans son habit de fête, et l'on avait
employé pour cela différentes couleurs, brune, bleue et rouge. Quand
tout cela fut fini, il y eut là un service où tous prièrent agenouillés
et les mains levées vers le ciel. La pièce qu'avait habitée Marie dans
la maison fut érigée en église. La servante de Marie et quelques autres
femmes continuèrent à y résider, et on laissa deux disciples, dont l'un
avait été berger au delà du Jourdain, pour donner les secours spirituels
aux fidèles qui habitaient alentour. Bientôt après, les apôtres se
séparèrent. Barthélémy, Simon, Thaddée, Philippe et Matthieu partirent
les premiers pour se rendre aux lieux où ils avaient à exercer leur
ministère, après avoir fait à leurs frères de touchants adieux. Les
autres, à l'exception de Jean qui resta encore quelque temps, partirent
ensemble pour la Palestine, où ils se séparèrent de nouveau. Il y avait
là plusieurs disciples ; quelques femmes partirent aussi en même temps
d'Éphèse pour Jérusalem. Marie, mère de Marc, fit beaucoup pour les
fidèles qui se trouvaient dans ce pays. Elle avait fondé une communauté
d'environ vingt femmes, qui menaient à quelques égards la vie religieuse
: cinq d'entre elles habitaient près d'elle dans sa maison. Les
disciples s'y rassemblaient habituellement. La communauté chrétienne
possédait encore l'église voisine de la piscine de Bethesda, etc.
(Le 22 août) Jean seul est encore dans la maison. Tous les autres sont
partis. J'ai vu Jean, conformément à la volonté de la sainte Vierge,
distribuer ses vêtements à sa servante et à une autre femme qui venait
souvent l'aider. Il s'y trouvait quelques objets venant des trois rois.
Je vis deux longs vêtements blancs, plusieurs voiles, des couvertures et
des tapis. Je vis aussi ce vêtement de dessus rave qu'elle avait porté à
Cana et sur le chemin de la Croix, et dont je possède une petite
parcelle. Il en vint quelque chose à l'Église. Ainsi l'on fit un
ornement sacerdotal pour l'Église de Bethesda avec la belle robe
nuptiale bleu céleste, parfilée d'or et semée de roses. Il y en a encore
des reliques à Rome. Je les vois, mais je ne sais pas si on les connaît.
Marie a porté cet habit lorsqu'elle était fiancée, mais elle ne le mit
jamais depuis.
Toutes ces choses se faisaient silencieusement et comme en secret, mais
sans qu'il y eût rien de cet empressement inquiet si commun de nos
jours. La persécution n'avait pas encore donné naissance à l'espionnage,
et la paix n'était pas troublée.
SOURCE:
http://www.jesusmarie.com
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