

TABLE
TOME DEUXIÈME
CHAPITRE VIII
Jésus revient de Cana à Capharnaûm, et enseigne en différents
endroits.- il va sur les bords du Jourdain.- il arrive à Ono; - au
lieu où l'on baptise, près de Jéricho. - Coup d'œil sur la mer Morte
et sur Melchisédech. - Jésus enseigne en divers endroits. -
Entretiens avec Lazare. - Jésus célèbre le sabbat à Adummim, ville
de refuge pour les criminels. - Jésus à Nébo au delà du Jourdain.-
il va en Galilée et guérit à Phasael la fille d'un Essénien. - Jésus
à Jezrael - à Capharnaûm - à Gennabris - à Béthulie - à
Kisloth-Thabor - à Sunem - à Ulama - il revient à Capharnaum. -
Jésus près de sa mère. - Fête à Capharnaum. - Jésus à Sephoris : il
assiste de loin des gens près de faire naufrage. - Jésus à
Nazareth.- La fête des Purim. - Jésus à Legio. - il va avec Lazare
sur la propriété de celui-ci à Thirza.- il quitte Thirza.- Sa
première rencontre avec le jeune homme riche. - il va à Béthanie.
CHAPITRE IX
Première fête de
Pâques à Jérusalem.
Première fête de Pâques à Jérusalem.- Jésus à Béthanie.- Jésus au
temple.- Jésus enseigne chez Lazare.- Jésus au temple.- Il va à
Hébron.- Marie la silencieuse.- Jésus chasse les vendeurs du parvis
du temple.- Immolation des agneaux de Pâques au temple.- Jésus mange
la Pâque dans la maison de Lazare à Sion.- Jésus chasse de nouveau
les vendeurs du temple.- Jésus opère des Guérisons.-Commencement de
persécution.- Mort de Marie la silencieuse.- Nicodème visite le
Seigneur.- Jésus congédie les disciples pour un tempe.- Interruption
des communications quotidiennes des visions de la soeur.
CHAPITRE X
Depuis le clôture de la première fête de Pâques, jusqu’à
l’emprisonnement de Jean Baptiste.
Jésus près d'Ono, sur les bords du Jourdain.- Envoyés et lettre
d'Abgare, roi d'Edesse.- Jésus lui répond.- Jésus à l'endroit du
baptême au-dessus de Béthabara.- Persécution contre Jésus et les
disciples.- Jésus va à Tyr.- Jean est retenu en captivité par Hérode
pendant quelque temps.- Les disciples sont traduits devant les
tribunaux.- Jésus à Capharnaum près de Marie.- Il enseigne à Adama
et à Séleucie près du lac Mérom.- Reprise de la communication
journalière des visions.- Jésus à Tyr.- il quitte Tyr et va à
Sichor-Libnath. - Jésus à Adama et dans les environs. - Jésus fait
une grande instruction.-Conversion merveilleuse d'un vieux juif
endurci.-Jésus prêche sur l'économe infidèle.- Jésus enseigne à
Séleucie,- sur la montagne voisine d'Adama. - il va à Capharnaum.-
Jean Baptiste est arrêté.- Sur Ainon et Melchisédech.- Jean en
prison à Machérunte.- Madeleine à Magdalum.- Fête de naissance des
amants de Madeleine.- Détails sur la jeunesse de Madeleine.
CHAPITRE XI
jésus à Béthanie et au puits de Jacob.
Dina la Samaritaine.
Jésus va à Béthanie avec Lazare.- Mesures prises à Béthanie afin de
pourvoir aux besoins de Jésus et des apôtres pendant leurs voyages
de prédication.- Jeu de loterie des femmes.- La perle perdue et
retrouvée.- Jésus à Béthoron et dans la contrée voisine.-
Souffrances des disciples : leurs sentiments.- Le puits de Jacob
près de Sichar.- La samaritaine.
CHAPITRE XII
Jésus sur les frontières de la Samarie et dans la basse Galilée.
Jésus à Ghinea.- Atharoth.-Engannim.- Naïm.-Cana.- Le centurion de
Capharnaum.- Jésus à Bethsaïde ; - au petit Sephoris;- à Nazareth où
on veut le précipiter du haut de la montagne.
CHAPITRE
XIII
Prédication de Jésus sur les bords du lac de Génésareth.
Jésus guérit des lépreux à Tarichée. - La veuve possédée à Naim.
- Sa guérison opérée de loin. - Entretiens de Jésus avec ses
disciples sur le chemin. - Instruction faite aux paiens, confusion
des pharisiens. - Jésus dans la maison de Pierre. - Guérisons de
malades. - Jésus à Capharnaum. - Humilité de Pierre.
CHAPITRE XIV
Jésus aux bains de Béthulie, à Jotapat, à Dothaim et à Gennabris.
Jésus quitte Capharnaum et se rend aux bains de Béthulie. - Jésus
à Jotapat. - Fête de la moisson à Dothaim. - Jean-Baptiste. - Jésus
à Gennabris.
CHAPITRE XV
jésus à Abelmehola
et à Bezech-Ainon.
Jésus à Abelmehola. - Détails relatifs à l'Ancien Testament. - Jésus
à Bézech - à Ainon. - Mara la Suphanite.
CHAPITRE XVI
Jésus sur le bord
oriental du Jourdain.
- Jésus à Ramoth Galaad, - à Arga, - à Azo, - à Ephron, - à
Bétharamphtha-Juliade, - à Abila, - à Gadara et à Dium.
NOTES
|
Du 6 janvier au 23 mars
1822
(6-13 janvier) Lorsque le
sabbat fut fini, Jésus partit avant le jour avec ses disciples pour
Capharnaum. Le fiancé, son père et plusieurs autres l'accompagnèrent
pendant quelque temps. On avait beaucoup donné aux pauvres lors du repas
de noces : car rien ne revint une seconde fois sur la table, tout fut
immédiatement distribué. Demain et après-demain sont des jours de jeûne,
et je vis que dès avant le sabbat on faisait cuire d'avance des aliments
pour ces jours là. Tous les feux furent éteints, et toutes les fenêtres
au delà du nécessaire fermées. Les gens aisés ont à leur foyer des
places où tout se conserve chaud sous de la cendre chaude. Jésus se
trouvait, pour ces jours de jeûne, à Capharnaüm, et il y enseigna dans
la synagogue. Deux fois le jour on lui amenait des malades qu'il
guérissait. Ses disciples de Bethsaïde allèrent chez eux, et plusieurs
revinrent. Il alla aussi dans les environs et y enseigna ; pendant le
temps du repos, il était chez Marie.
Il envoya cinq de ses
disciples baptiser dans le Jourdain, sur la rive occidentale, près de
Jéricho, au lieu principal où Jean baptisait et que celui-ci avait
quitté, C'étaient André, Saturnin, Aram, Théméni et Eustache, fils de
l'une des veuves. Jésus les accompagna pendant une partie du chemin et
alla ensuite à Béthulie, où il guérit et enseigna. Il revint après cela
jusqu'à sept à huit lieues au nord-ouest de Capharnaum vers Hanathon ;
il y a près de là une montagne destinée à la prédication. On arrivait au
haut de cette montagne par une pente douce d'environ une lieue de long.
On avait fait là des arrangements exprès pour qu'on pût y prêcher : il
s'y trouvait une chaire de pierre très élevée, entourée de pieux, au
moyen desquels on pouvait tendre au-dessus un grand pavillon pour
défendre du soleil et de la pluie. Après chaque instruction on le
remportait. Sur l'arête de la montagne s'élèvent trois éminences : l'une
d'elles est la montagne des Béatitudes. Au lieu où Jésus et enseigne, la
vue est très étendue : on voit au-dessous de soi la mer de Galilée, et
l'on peut apercevoir Nazareth dans le lointain. La montagne est boisée
et cultivée par places, mais non au lieu où Jésus enseigna. Tout autour
sont les fondations d'une muraille ruinée, où l'on distingue encore des
restes de tours. Autour de la montagne sont des endroits appelés
Hanathon, Béthanat et Nejel, qui font l’effet d'avoir formé ensemble une
très grande ville.
Jésus avait près de lui
trois disciples, un fils de la tante du fiancé de Cana, le fils d'une
autre veuve et Jonathan, le demi frère de Pierre. C'étaient eux qui
convoquaient les gens à venir entendre l'instruction faite sur la
montagne. Jésus enseigna ici sur la diversité de l'esprit des hommes,
suivant les lieux et même suivant les familles, et sur l'esprit qu'ils
recevaient dans le baptême et qui les unissait entre eux et avec le Père
céleste, par la pénitence, la satisfaction et l'expiation. Il leur dit
aussi à quoi ils pourraient reconnaître dans quelle mesure ils auraient
reçu le Saint Esprit par le baptême.
Il enseigna en outre sur la
prière et les diverses demandes, et je m'étonnai de l'entendre déjà
enseigner sur les demandes de l'Oraison dominicale, quoiqu'il n'en eût
pas encore donné la formule. Cette instruction dura depuis midi jusqu'au
soir : alors il descendit à Béthanat, où il prit un repas et passa la
nuit. Il avait passé la nuit précédente a Hanathon.
Le jour suivant, je vis
Jésus aller de Béthanat dans la direction du lac, puis dans cette de
Capharnaüm. Cinq disciples de Jean étaient venus le trouver. Ils étaient
d'un pays situé à peu de distance de la mer Méditerranée, au nord d'Apheka,
la patrie de saint Thomas. Ce n'étaient pas de vrais Juifs, mais des
espèces d'esclaves ; ils avaient été longtemps avec Jean et venaient
maintenant à Jésus.
Je vis vers midi Jésus avec
huit disciples sur une colline, entre l'embouchure du Jourdain et
Bethsaïde, à environ une demi lieue du lac Ils avaient vue sur le lac,
où ils voyaient Pierre, Jean et Jacques sur leurs barques. Pierre avait
une grande embarcation, sur laquelle étaient ses serviteurs ; lui-même
était sur une petite barque qu'il dirigeait. Jean et Jacques, avec leur
père, avaient aussi une grande barque et de plus petites. Je vis encore
la barque d'André : elle était petite et se trouvait près de celles de
Zébédée. Pour lui, il était alors sur les bords du Jourdain, où il
baptisait.
Lorsque les disciples
virent leurs amis sur le lac, ils voulurent descendre pour les appeler.
Mais Jésus leur ordonna de rester là. Je les entendis dire : “Comment
ces hommes peuvent-ils encore naviguer et pêcher après avoir vu ce que
vous avez fait et avoir entendu vos enseignements ?” Et Jésus leur dit :
‘Je ne les ai pas encore appelés ; ils ont un métier qui fait vivre
beaucoup de gens, spécialement Pierre ; je leur ai dit de continuer à
l'exercer et de se préparer pour le moment où je les appellerai. J'ai
encore beaucoup de choses à faire jusque-là ; il faut aussi que j'aille
à Jérusalem pour la Pâque’”.
Sur le côté occidental de
la colline, il y avait environ vingt-six habitations, où demeuraient
principalement des pêcheurs et des gens de la campagne. Lorsque Jésus y
arriva, un possédé courut après lui et se mit à crier : “Le voilà ; il
vient, le prophète ; nous devons fuir devant lui” ; et il fut bientôt
entouré de plusieurs autres possédés, qui criaient et se démenaient.
Jésus leur commanda de se tenir tranquilles et de le suivre ; il monta
sur la colline et enseigna. Il y avait bien, outre les possédés, une
centaine de personnes autour de lui. Il parla des mauvais esprits, de la
résistance qu'il fallait leur opposer et de la nécessité de se corriger.
Les possédés furent tous délivrés ; ils devinrent paisibles et le
remercièrent en pleurant ; ils disaient qu'ils ne savaient plus en quel
état ils étaient auparavant. Ces malheureux, parmi lesquels quelques-uns
étaient attachés ensemble, avaient été amenés de divers lieux des
environs, parce qu'on avait entendu parler de l'arrivée du prophète qui
était, disait-on, aussi saint que Moïse. Ils n'auraient pas rencontré
Jésus si l'un d'eux n'eût pas brisé ses liens et n'avait pas crié après
lui.
Jésus partit de là pour
aller chez sa mère entre Capharnaüm et Bethsaïde. La première de ces
villes était si tuée à peu de distance de cette colline, un peu plus au
nord. Le soir, lorsque le sabbat commença, Jésus enseigna dans la
synagogue de Capharnaüm. Ils avaient encore une fête particulière qui se
rapportait à Tobie, lequel avait vécu dans cette contrée et y avait fait
beaucoup de bien. Il avait aussi laissé des propriétés aux écoles et à
la synagogue. Jésus enseigna sur la reconnaissance.
Après le sabbat, je vis
Jésus aller chez sa mère, avec laquelle il s'entretint seul ; cela dura
même une partie de la nuit. Il parla de ce qu’il allait faire, lui dit
qu'il irait d'abord au Jourdain, puis à Jérusalem pour la Pâque ;
qu'ensuite il appellerait les apôtres et commencerait sa vie publique ;
qu'on le persécuterait à Nazareth ; puis de ses projets ultérieurs et
des relations que sa mère et les autres femmes auraient à entretenir
avec lui. Il y avait alors dans la maison de Marie une femme très
avancée en âge. C'était une pauvre veuve, sa parente, que sainte Anne
lui avait envoyée à la grotte de la Crèche pour l'assister ; maintenant
elle était si vieille, que Marie la servait plutôt qu'elle ne servait
Marie.
(14-20 janvier)
Aujourd'hui, je vis Jésus avec les huit disciples se mettre en route
pour le lieu du baptême, près du Jourdain. Ils partirent avant le jour,
se dirigeant vers le côté oriental du lac. Ils franchirent de nouveau la
colline, d'où ils avaient vu les barques des futurs apôtres. Ils
traversèrent le Jourdain sur un pont très élevé. Le Jourdain coulait là
dans un lit profondément encaissé ; il entrait dans le lac environ une
demi lieue plus bas.
De l'autre côté du fleuve,
dans l'angle qu'il forme avec le lac, se trouve un village de pêcheurs,
autour duquel on voit beaucoup de filets étendus par terre ; il
s'appelle le petit Chorozaïm à une petite lieue, plus au nord du lac, se
trouve Bethsaide-Juliade. Le grand Chorozaïn est à deux lieues à l'est
du lac. C'était là que Matthieu était publicain.
Jésus descendit le long de
la rive orientale du lac, et il passa la nuit à Hippos. Le lendemain, il
passa devant Gadara, guérit dans le voisinage de cette ville un possédé,
qu'on lui avait amené attaché avec des cordes, mais qui les brisa et se
mit à crier de toutes ses forces : “Jésus ! fils de David ! Jésus ! que
veux-tu faire ? Tu veux nous chasser !” Jésus s'arrêta, ordonna au démon
de se taire et de sortir de cet homme il lui dit aussi où il devait
aller.
A deux lieues de Gadara,
Jésus arriva au Jourdain, le passa, et continua son voyage dans la
direction du sud-ouest, laissant Scythopolis à gauche ; il franchit une
montagne du nom d'Hermon et arriva à Jezraël, ville située au levant de
la plaine d'Esdrelon (la Sœur s'exprime ici peu clairement).
Cette ville est située sur les deux rives d'une petite rivière. Jésus y
est déjà allé une fois. Il y guérit beaucoup de malades en public,
devant la synagogue.
Je me suis trompée
dernièrement en disant que Marthe était revenue de Cana chez elle avec
Lazare. Lazare alla seul, Marthe resta encore en Galilée, à Gennabris,
je crois, ou habitait Nathanaël. Elle avait fait prier Madeleine de
venir l'y trouver. Il y avait encore là plusieurs disciples On parla des
miracles de Jésus, et lorsque Jésus vint dans la contrée de Jezraël,
Marthe engagea sa sœur à faire avec elle huit lieues de plus, jusqu'à
Jezraël. Mais Jésus n'y était plus, et elle entendit seulement raconter
ses miracles par ceux qu'il avait guéris. Alors les deux sœurs se
séparèrent et Madeleine retourna à Magdalum.
Lazare avait, dans les
environs de Samarie, une vigne, un champ et une maison dans le voisinage
du champ de Jacob ; tout cela, par la suite, fut mis au service de Jésus
et des siens pendant leurs voyages. C'est là que plus tard les deux
Sœurs vinrent trouver Jésus lorsqu'elles le prièrent de venir à Béthanie
après la mort de Lazare. Dans les temps postérieurs, il y eut là une
chapelle consacrée à sainte Marthe.
(15 janvier) La Sœur était
très malade et fort dérangée.
Jésus n'est resté que
quelques heures à Jezraël. Il a enseigné dans un endroit appelé Akrabis,
à deux lieues de Silo, sur une chaire en plein air. Ce n'était qu'un
village de bergers.
Le soir du jeudi 17, je vis
Jésus arriver à Haï, qui est à peu de distance de Béthel, au levant et à
quelques lieues au nord-ouest de Jéricho ; il y a de là environ neuf
lieues jusqu'à l'endroit du baptême. Cette ville avait été entièrement
détruite à une époque antérieure à Jésus. Elle fut rebâtie plus tard,
mais sur de plus petites dimensions. Jésus y enseigna et y guérit.
Il y avait là des
pharisiens qui tenaient des discours pleins d'aigreur. Quelques-uns
d'entre eux s'étaient trouvés à Jérusalem lorsque Jésus y avait enseigné
dans sa douzième année. Ils parlaient de cela et taxaient d'hypocrisie
ce qu'il avait fait alors, s'asseyant par terre avec les écoliers dans
une assemblée de docteurs, disputant avec eux, puis interrogeant les
maîtres comme pour recourir à leurs lumières contre ses contradicteurs,
et leur disant par exemple : “Que pensez-vous de cela ?
Instruisez-nous ! Quand le Messie viendra-t-il, etc. ?” les engageant
ainsi dans des assertions de toute espèce et prétendant ensuite tout
savoir mieux qu'eux. N'était-ce pas lui qui avait fait tout cela ? lui
demandaient-ils.
18 janvier
Je vis Jésus dans la
matinée au lieu où Jean baptisait précédemment, près du Jourdain, à huit
lieues au midi de Jéricho. On fit plusieurs changements dans
l'administration du baptême. L'eau fut bénie, on la prit pour baptiser
dans une auge de pierre, Jésus fit aux aspirants des instructions
préparatoires.
Elle se plaint d'être trop
faible, elle racontera cela une autre fois.
Plusieurs disciples
allèrent à un petit endroit situé au couchant, à une lieue de là : il y
a là un bois qui s'étend avec des interruptions jusqu'à Jérusalem. Les
habitants gagnent leur vie en faisant passer le fleuve et en travaillant
le bois : ils font aussi les radeaux pour le passage. L'endroit
s'appelle Ono. Jean a aussi été là.
L'écrivain lui demanda si
ce lieu s'appelle réellement Ono : Oui, dit-elle, mais il y a encore une
plus grande ville du même nom, dans la tribu de Benjamin elle est près
de Lydda
.
Cet Ono, au bord du
Jourdain existait déjà lorsque les Israélites prirent Jéricho : au temps
de Jésus, il en restait peu de chose : plus tard il n'y en avait plus de
trace : c'est pourquoi ce lieu est très inconnu. Mais comme il en
existait encore un autre du même nom, on pensa qu'il y avait eu une
confusion. Les disciples annoncèrent à Ono l’arrivée de Jésus, disant
qu'il y célébrerait ce soir le sabbat et y guérirait : ils ajoutèrent
qu'il continuait l'enseignement et l’œuvre de Jean, que celui-ci ayant
posé le fondement, Jésus y mettait la dernière main avec plus
d'autorité.
Jésus fait ici son séjour
ordinaire dans une hôtellerie devant Ono, à une demi lieue de l'endroit
où l’on baptise. Il y a là un homme qui apprête les aliments, toutefois
Jésus mange froid habituellement. Le samedi il enseigna encore ici et
guérit plusieurs malades qui lui furent amenés, entre autres une femme
très exténuée qui avait une perte de sang. Je vis Jésus aller à Ono pour
le sabbat avec les disciples et enseigner dans la synagogue devant
beaucoup d’auditeurs.
Je vis pendant ces jours-là
Hérode visiter Jean plusieurs fois et celui-ci le traiter toujours avec
mépris comme un adultère. Hérode sentait intérieurement qu'il avait
raison, mais sa femme était furieuse contre Jean. Hérode habitait à
Liviade, à peu de distance du lieu où Jean baptisait maintenant. Je vois
Liviade plus au nord et plus au levant que Bethabara, pas très loin d'Eléalé.
Jean dans ses instructions parle toujours de Jésus et renvoie à lui ses
auditeurs.
(20 janvier) Jésus revint
aujourd'hui au lieu où l'on baptisait : il instruisit et prépara les
aspirants qu'André, Saturnin et d'autres encore baptisaient
alternativement. Jean ne baptisait presque plus personne : il se bornait
à enseigner et envoyait tout le monde de l'autre côté du Jourdain au
baptême de Jésus. La plupart de ceux qui venaient au baptême de Jésus
étaient des jeunes gens de la Judée et d'Hébron. Tout se faisait avec
plus de solennité et de régularité qu'au baptême de Jean. Le lieu où
l'on passait le Jourdain n'était plus Si rapproché : à cause du grand
concours de peuple, on avait établi le passage plus loin en aval du
fleuve. D'après les instructions de Jésus, plusieurs choses avaient été
changées à l'endroit du baptême par les disciples envoyés d'avance de
Cana. La grande enceinte établie par Jean autour d'un réservoir en plein
air n'existait plus. On baptisait à peu de distance de là, sous une
grande tente, dans la petite île ou Jésus avait été baptisé. La fontaine
baptismale de Jésus sur cette île avait subi plusieurs changements ; les
cinq canaux qui allaient du Jourdain à cette fontaine étaient à
découvert et les quatre pierres en avaient été retirées ainsi que la
grosse pierre triangulaire veinée de rouge qui était placée au bord, et
sur laquelle se tenait Jésus quand le Saint-Esprit descendit sur lui.
Toutes ces pierres avaient été portées au lieu où l'on baptisait
maintenant. Jean et Jésus étaient les seuls à savoir que la place où
Jésus avait été baptisé était celle où s'était arrêtée l'arche
d'alliance, et que les pierres placées dans la fontaine étaient celles
où elle avait reposé dans le lit du Jourdain, mais ils ne l'avaient dit
à personne. De même le Seigneur seul savait que c'étaient ces pierres
qui formaient maintenant la pierre baptismale. les Juifs avaient oublié
depuis longtemps le lieu où ces pierres reposaient et les disciples n'en
avaient aucune connaissance. André avait creusé un bassin rond dans la
pierre triangulaire : celle-ci reposait sur les quatre pierres placées
au-dessous dans une fosse pleine d'eau qui entourait cette pierre
baptismale comme un fossé : l’eau y avait été apportée de la fontaine
baptismale de Jésus sur l'île. L'eau qui était dans la pierre
triangulaire venait aussi de là et Jésus la bénissait. Quand ceux qui
devaient être baptisés descendaient dans la fosse creusée autour des
bassins triangulaires, ils avaient de l'eau jusqu'à la poitrine.
Près de là était une espèce
d'autel où l'on plaçait les robes blanches pour les baptisés. Deux
disciples leur mettaient les mains sur les épaules ; André ou Saturnin
ou quelquefois un autre les baptisait trois fois avec de l'eau du bassin
qu'il prenait dans le creux de la main et qu'il leur versait sur la tête
au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Ceux qui baptisaient et
imposaient les mains avaient de longues robes blanches avec des
ceintures et de longues bandes blanches tombant des épaules, comme de
larges étoles. Jean baptisait avec un vase à trois rainures, d'où
coulaient trois filets d'eau : et il prononçait d'autres paroles où il
était question de Jéhovah et de son envoyé. Aucun de ceux qui avaient
été baptisés par Jean ne fut rebaptisé ici : mais je crois qu'on les
rebaptisa après la descente du Saint-Esprit lors du baptême qui eut lieu
a la piscine de Bethesda. Aucune femme ne fut baptisée ici. Ce fut aussi
à la piscine de Bethesda que la Sœur vit pour la première fois
administrer le baptême avec triple immersion.
Jésus enseignait au dehors
sur un tertre au-dessus duquel une tente était tendue pour la grande
chaleur. Il parlait du baptême, de la pénitence, de l'approche du
royaume des cieux et du Messie, dit où on devait le chercher, non parmi
les grands du monde, mais parmi les petits et les pauvres. Il appelait
ce baptême une ablution, celui de Jean un baptême pour la pénitence : il
parla aussi du baptême de feu du Saint-Esprit qui devait venir plus
tard.
Les arbres et les buissons
que Jean avait plantés autour de l'île où Jésus avait été baptisé,
s'unissaient par leurs sommets et formaient un beau massif : l’arbre qui
était dans la fontaine s'élevait au-dessus de tout le reste. Je vis sur
sa cime se détacher une figure comme celle d'un petit enfant qui sortait
d'un cep de vigne, les bras étendus, et d'une main présentait des fruits
jaunes, de l'autre des roses. La Soeur voit dans cela un ornement
destiné à fêter l'ouverture du baptême de Jésus, mais elle est trop
faible pour décrire clairement cette figure. Le 29 janvier, je vis
continuer le baptême.
(22 janvier) Jésus est allé
avec plusieurs disciples dans la direction du midi, au couchant de la
mer Morte, là où se tenait Melchisédech lorsqu'il prit la mesure du
Jourdain et des montagnes. Longtemps avant Abraham il avait conduit ici
des ancêtres de ce patriarche : mais leur ville fut détruite avec Sodome
et Gomorrhe. Maintenant on voyait dans une contrée sombre, désolée,
parsemée de rochers noirs et de grandes cavernes, s'étendre dans la
campagne à environ une demi lieue de la mer Morte des restes de murs
avec les tours à moitié écroulées d'une ville détruite, Hazezon Thamar.
Là où est la mer Morte, avant la destruction de ces villes impies, il
n'y avait que le Jourdain. Il était large d'environ un quart de lieue.
Les gens qui maintenant sont établis plus à l'intérieur des terres dans
des cavernes et des ruinés de toute espèce, ne sont pas de vrais Juifs,
mais des esclaves, provenant des peuples qui ont passé par là : ils
cultivent la terre au profit des Juifs. Ils sont pauvres, timides et
très délaissés. Ils ont regardé l'arrivée de Jésus parmi eux comme une
faveur inestimable et l'ont très bien accueilli. Jésus en a guéri
beaucoup.
Aujourd'hui cette contrée
est meilleure qu'à l'époque de Jésus : mais anciennement elle était
d'une beauté et d'une fertilité incroyables. Au temps d'Abraham, la
formation de la mer Morte a fait un désert d'un des plus magnifiques
pays du monde. une quantité de villes et de bourgs étaient situés sur la
rive du Jourdain : une chaussée de pierres carrées longeait le fleuve.
Entre elles s'élevaient de belles montagnes et d'agréables collines, et
tout était couvert de bosquets de dattiers, de vignes, d'arbres
fruitiers et de champs de blé. Rien ne peut rendre la beauté de ce pays.
Avant que la mer Morte n'eût paru, le Jourdain, au-dessous de l'endroit
où il était le plus large, se divisait en deux bras qui arrosaient des
villes disparues. L'un tournait à l'ouest et recevait divers cours
d'eau ; l’autre coulait vers le désert au travers duquel eut lieu la
fuite en Égypte, et arrivait jusque dans la contrée de Mara, où Moïse
rendit douce une source d'eau saumâtre, et où avaient habité les
ancêtres de sainte Anne. Il y avait entre les villes des mines de sel :
mais l'eau n'était point salée : il jaillissait la beaucoup de sources.
Les peuples buvaient et honoraient l'eau du Jourdain jusqu'à une grande
distance dans ce qui devint plus tard le désert.
Les ancêtres d'Abraham,
établis anciennement à Hazezon par Melchisédech, dégénérèrent beaucoup,
et ce fut par un second trait de la miséricorde de Dieu qu'Abraham fut
conduit dans la terre promise. Melchisédech a été ici lorsque le
Jourdain n'y était pas encore : il a tout mesuré et déterminé. Il allait
et venait souvent, et avait quelquefois avec lui deux hommes qui
semblaient être des esclaves.
(21-30 janvier) Jésus est
allé avec ses disciples dans la direction de Bethléem : il a suivi une
partie de la vallée des Bergers jusqu'à Betharaba, à trois lieues de
l'endroit où l'on baptise. Jésus y était déjà allé lorsqu'il visita les
bergers après le baptême. Les habitants vivent du passage des caravanes.
Cet endroit est à environ trois lieues de Béthanie, sur les frontières
des tribus de Juda et de Benjamin.
Il y avait ici beaucoup de
possédés ils couraient tout nus dans les environs, devant cet endroit,
et ils se mirent à crier lorsque Jésus approcha. Il leur ordonna de se
couvrir, et en quelques minutes ils se firent des ceintures de
feuillage. Jésus les guérit, et envoya du bourg des gens qui leur
portèrent des vêtements.
André et cinq autres
disciples étaient venus ici avant le Sauveur, et avaient dit qu'il y
célébrerait le sabbat. Il logea seul avec les disciples dans une
hôtellerie gratuite, comme il y en avait toujours alors dans les villes
pour les docteurs et les rabbins en voyage. Lazare, Joseph d'Arimathie
et d'autres personnes de Jérusalem, étaient aussi venus ici.
Jésus enseigna dans la
synagogue et aussi sur la place publique et sur les carrefours et les
chemins : car il y avait ici une nombreuse population que l'école ne
pouvait pas contenir. Il guérit beaucoup de gens affligés de diverses
maladies. Les disciples les amenaient et leur faisaient faire place dans
la foule. Lazare et Joseph d'Arimathie se tenaient à distance.
A la fin du sabbat, le
Sauveur retourna encore à Ono avec les disciples. Il passa par un petit
endroit appelé Bethagla, où les Israélites étaient venus après avoir
passé le Jourdain : car ils ne passèrent pas à une seule place, mais sur
une grande étendue, à travers le lit desséché du fleuve. Lorsqu'ils
arrivèrent ici, ils mirent leurs vêtements en ordre et se ceignirent.
Jésus passa devant la pierre de l'arche d'alliance où Jean avait célébré
la fête dont il a été parlé plus haut.
Lazare et Joseph d'Arimathie
retournèrent à Jérusalem. Nicodème n'était pas venu : il se tenait plus
à l'écart à cause de son emploi : mais il était en secret au service de
Jésus, et plus tard il annonçait toujours à la communauté les dangers
qui la menaçaient.
(27 et 28 janvier) Le jour
d'après était le premier jour de la fête de la nouvelle lune' et je vis
qu'à Jérusalem la classe des serviteurs et les employés avaient un jour
de congé : il y avait comme une fête de réjouissance. C'était un jour de
repos, et aujourd'hui l'on ne baptisa pas.
Le jour de la Fête de la
nouvelle lune, des drapeaux suspendus à de longues perches flottaient
sur le toit des synagogues : c'étaient des pièces d'étoffe dont les plis
que le vent enflait étaient séparés par des nœuds. Par le nombre des
noeuds on indiquait aux gens qui les voyaient de loin quel était le mois
de l'année qui commençait. Des drapeaux semblables étaient aussi arborés
en temps de guerre comme signaux de victoire ou de détresse.
Pendant tout le jour
suivant, Jésus prépara au baptême, par ses instructions, beaucoup de
gens qui s'étaient réunis ici dès la veille et avaient campé dans le
voisinage. Aujourd'hui encore on ne baptisa pas : on célèbre une fête à
propos de la mort d'un méchant roi (Alexandre Jannée). La place où l'on
doit baptiser est très bien arrangée et ornée : je n'ai pas pu le
raconter, je suis trop malade. Mais ils restent encore longtemps ici ;
je pourrai donc le voir encore et le raconter.
(29 et 30 janvier) Le jour
suivant, André et les autres disciples commencèrent de bonne heure à
baptiser ceux que Jésus avait préparés la veille. Lazare était revenu
hier soir avec Obed, fils de Siméon ; je vis Jésus et lui aller seuls de
grand matin dans la direction de Bethléem, entre Bethagla et Ophra, qui
est plus au couchant. Jésus prit ce chemin, parce que Lazare voulait lui
raconter ce qu'on disait de lui à Jérusalem, et que Jésus voulait faire
savoir à Lazare, et par lui à ses autres amis, comment ils devaient se
comporter dans cette occurrence. Ils suivirent la route qu'avaient
suivie Joseph et Marie du côté de Bethléem, et firent environ trois
lieues, jusqu'à un groupe de pauvres demeures de bergers, situées dans
une contrée solitaire. Lazare raconta à Jésus ce qui se disait à
Jérusalem ; les uns parlaient de lui avec colère' d'autres en se
moquant, d'autres encore avec curiosité ; ils voulaient voir
disaient-ils, s'il viendrait à Pâques pour la fête, s'il viendrait faire
ses miracles dans une grande ville aussi hardiment qu'en Galilée, au
milieu d'une populace ignorante. Il raconta aussi à Jésus ce que les
pharisiens de différents lieux avaient rapporté de lui, et comment ils
l'espionnaient. Jésus le tranquillisa sur tout cela, et lui cita divers
passages des prophètes où toutes ces choses étaient annoncées d'avance.
Il lui dit aussi que dans huit jours il serait sur les bords du Jourdain
et qu'il irait ensuite de nouveau en Galilée ; qu'il se rendrait à
Jérusalem pour la pâque, et qu'après cela il appellerait ses disciples.
Il le consola aussi touchant Madeleine, en lui disant qu'une étincelle
de la grâce était tombée en elle, et qu'elle en serait toute enflammée.
Ils passèrent ce jour-là
près des demeures des bergers, où on leur donna du pain, du miel et des
fruits. Il demeurait là une vingtaine de veuves de bergers, ayant près
d'elles des fils déjà grands qui les assistaient dans leur vieillesse.
Leurs demeures étaient des cellules, séparées les unes des autres et
faites de branchages où il poussait encore des feuilles. Parmi ces
femmes, il y en avait quelques-unes qui l'avaient adoré et lui avaient
porté des offrandes dans la grotte de la Crèche lors de sa naissance.
Jésus enseigna ici ; il alla dans les cabanes et guérit quelques femmes.
L'une d'elles était très vieille, très malade et très décharnée. Elle
habitait une petite cabane où elle était étendue sur une couche de
feuillage. Jésus la prit par la main et la conduisit au dehors Ces
femmes avaient un réfectoire et un oratoire communs.
Pendant que la Sœur
racontait ceci le 30 janvier, à onze heures du matin, elle dit tout à
coup en regardant à sa droite : “Qui donc était-ce ?” Mais elle se remit
bientôt et reprit en ces termes : “J'ai cru qu'il y avait là quelqu’un”.
J'ai vu Jésus avec Lazare et Obed sur le chemin qu'il avait suivi,
lorsque Jean s'écria : Voici l'Agneau de Dieu ! il y avait quelques
disciples en avant et quelques autres en arrière. Lazare et Obed
retournèrent à Jérusalem.
(31 janvier) Aujourd'hui
Jésus fut au lieu où l'on baptisait, et il y enseigna. Beaucoup de gens
reçurent le baptême.
(1er
et 2 février) Aujourd'hui, Jésus, avec la plupart de ses disciples, est
allé par Bethagla à Adummim. Cet endroit est tout à fait caché dans une
contrée excessivement sauvage : ce ne sont que gorges de montagnes où le
sentier, qui court le long des rochers, est souvent si étroit, qu'un âne
peut à peine y passer. C'est un endroit entièrement caché, à environ
trois lieues de Jéricho, sur la frontière de Juda et de Benjamin ; je ne
l'avais jamais vu auparavant. Le site est singulièrement abrupte : ç'a
été autrefois un lieu de refuge pour les malfaiteurs et les homicides,
qui étaient ici à l'abri de la peine capitale. Ils étaient ici en
surveillance jusqu'à ce qu'ils fussent amendés : plus tard on les
faisait travailler comme des esclaves à exploiter des carrières ou à
construire de grandes bâtisses. Ce lieu s'appelait, à cause de cela, la
Montée des Rouges, des hommes de sang. Cette ville de refuge existait
déjà avant David : elle prit fin après Jésus, à l'époque des premières
persécutions de la communauté chrétienne. Plus tard, on bâtit là un
monastère, qui était comme une forteresse des premiers religieux du
Saint-Sépulcre.
Elle veut parler d'une
association qu'elle vit se former sous les premiers évêques de
Jérusalem, pour garder et honorer le Saint-Sépulcre.
Les habitants gagnaient
leur vie en vendant du vin et des fruits : c'était un affreux désert
hérissé de rochers presque entièrement nus : souvent les vignes
s'écroulaient avec les rochers. La route proprement dite de Jéricho à
Jérusalem ne passait pas par Adummim, mais au couchant de cet endroit,
et l'on ne pouvait pas y arriver par ce coté, mais le chemin de Bethagla
à Adummim était coupé par une route qui allait de la vallée des Bergers
à Jéricho et qui passait à une demi lieue d'Adummim. Dans le voisinage
de cette jonction était un passage très étroit et très dangereux. Il y
avait là un lieu indiqué par une chaire de pierre, où longtemps avant le
Christ s'était passé réellement ce que raconte la parabole de l'homme
tombé au pouvoir des assassins, et du bon Samaritain. Lorsque Jésus alla
à Adummim, il s'écarta un peu du chemin avec ses disciples, et fit sur
cette chaire devant ses disciples et les gens des environs une
instruction sur ce qui était arrivé en cet endroit. Il avait célébré le
sabbat à Adummim et enseigné dans la synagogue : il avait raconté une
parabole relative à l'institution bienfaisante des lieux de refuge pour
les criminels, et il l'avait appliquée aux délais de grâce laissés pour
la pénitence sur cette terre. Il guérit aussi plusieurs malades,
notamment des hydropiques. Après le sabbat, il revint avec les disciples
à l'endroit où l'on donnait le baptême.
(3 et 4 février) Le soir du
jour suivant Jésus alla avec ses disciples à Nébo, ville située au delà
du Jourdain, au pied de la montagne de Nébo où l'on ne peut monter qu'en
plusieurs heures. Il était venu des messagers pour le prier d'aller là
et d'y enseigner. Il s'y trouve une population mêlée, descendant
d'Égyptiens et d'Israélites qui se sont autrefois souillés par le culte
des idoles : il y a aussi des Moabites, etc. Ils avaient été remués
jusqu'à un certain point par la prédication de Jésus : mais ils ne
voulaient pas aller à l'endroit où Jésus baptisait. Je crois qu'ils
n'osaient pas. Ils étaient fort méprisés des Juifs à cause d'un crime de
leurs ancêtres dont je ne me souviens plus et ils n'avaient pas la
permission d'aller partout, mais seulement dans certains lieux. C'est
pourquoi ils s'adressèrent humblement à Jésus et le prièrent de baptiser
chez eux. Les disciples emportèrent dans des outres de l'eau de la
fontaine baptismale. Il n'en resta que quelques-uns comme gardiens au
lieu où l'on baptisait.
Nébo est à une demi lieue
du Jourdain, dont cette ville est séparée par une montagne, et à cinq ou
six lieues de Machérunte. Le sol n'y est pas fertile. Pour arriver à
Nébo, il faut monter à partir du bord du fleuve, puis redescendre.
Vis-à-vis du lieu du baptême, le Jourdain a pour rive une montagne : il
n'y a pas d’endroit habité ni de lieu d'abordage. Nébo est de l'autre
côté de cette montagne. C'est une ville assez grande, bâtie sur un sol
montueux, et séparée du mont Nébo par une vallée. Il y a encore un
temple païen, mais il est fermé : on a bâti quelque chose autour.
Le lundi suivant, je vis
Jésus assis sur une chaire placée en plein air préparer les aspirants au
baptême ; et je vis aussi les disciples baptiser. La cuve baptismale
était disposée dans une citerne servant à prendre des bains dans
laquelle entraient ceux qu'on devait baptiser et qui était remplie d'eau
jusqu'à une certaine hauteur. Les disciples avaient apporté les robes
baptismales qu'ils avaient roulées autour d'eux. Pendant le baptême on
en revêtait les aspirants et elles flottaient autour d'eux. Après la
cérémonie on leur mettait encore par dessus une espèce de petit manteau.
Au baptême de Jean, c'était une sorte d'étole, de la largeur d'un
essuie-mains : à celui de Jésus cela ressemblait plus à un petit manteau
proprement dit, auquel était cousue une étole avec des franges.
La Sœur est trop faible
pour décrire cela plus clairement.
Ce sont pour la plupart de
très jeunes gens et des vieillards d'un très grand âge qui reçoivent le
baptême : plusieurs sont refusés jusqu'à ce qu'ils aient changé de vie.
Jésus guérit plusieurs malades, fiévreux et hydropiques qui avaient été
apportés sur des civières. Il n'y a pas chez les païens autant de
possédés que chez les Juifs. Jésus bénit aussi l'eau que l'on buvait ici
et qui n'était pas bonne ; elle était trouble et saumâtre, et on la
recueillait dans le creux des rochers. Il y avait là un réservoir où
l'on versa de l'eau des outres. Jésus la bénit : il donna la bénédiction
en forme de croix, et tint quelque temps la main étendue sur différents
points de la surface.
J'ai vu que les disciples
de Bethsaïde et Nathanaël Khased avaient commencé à mettre ordre à leurs
affaires et qu'ils allaient davantage à Capharnaüm.
Le 5 au matin je vis Jésus
et ses disciples quitter Nébo. Ils sont restés la plus grande partie de
la journée sur le chemin long d'une lieue qui va de Nébo au passage du
Jourdain ; Jésus y a enseigné. Il y avait là des cabanes et des tentes
où les gens de Nébo vendaient aux voyageurs qui passaient leurs fruits
et leur vin : c'est devant ces gens que Jésus enseigna. Il ne revint que
le soir avec les disciples à son logement près du lieu où l'on
baptisait. C'était une maison que Lazare avait achetée et qui n'était
qu'a l'usage de Jésus.
(6 février) Aujourd'hui
Jésus a visité successivement des paysans isolés et les a rassemblés
pour leur faire des instructions. Il y a là beaucoup de braves gens qui,
lorsque Jean baptisait, fournissaient des aliments à la multitude. Jésus
semble les visiter tous jusque dans les plus petits recoins parce qu'il
quittera bientôt ce lieu pour aller en Galilée. Le soir ils revinrent à
l'hôtellerie.
(7 février) Le jour suivant
Jésus fut chez un riche paysan, qui habite à une demi lieue d'Ono, et
dont les champs couvrent toute une montagne. Il y a là un champ où l'on
moissonne encore sur un côté tandis que sur l'autre on va commencer les
semailles. Jésus a enseigné ici en paraboles touchant la semence et la
moisson.
Il y a chez ce paysan une
vieille chaire délabrée du temps des prophètes qui a été très bien
restaurée et dans laquelle Jésus a prêché. Plusieurs autres du même
genre ont été remises en état depuis que Jean a baptisé ici : il le leur
avait ordonné, comme une chose qui se rapportait à sa mission de
préparer les voies. Ces chaires, comme il arrive souvent chez nous, aux
images des stations, étaient tout à fait tombées en dégradation depuis
le temps des prophètes. Elie et Élisée avaient fait ici de longs
séjours. Jésus célébrera demain le sabbat à Ono : après cela vient une
fête qui doit concerner les fruits de la terre. J'ai vu ces jours-ci
porter des corbeilles pleines de fruits dans lés synagogues et les lieux
où se rend la justice.
A l'endroit où l'on donnait
le baptême, tout a déjà été emporté et mis en magasin par les disciples
: si je me trouve mieux, je raconterai comment cela s'est fait. Autour
du lieu où est la pierre sur laquelle l'arche d'alliance a reposé, il y
a maintenant une vingtaine d'habitations. Bethabara n'est pas tout
contre le fleuve, mais à une demi lieue du passage, cependant on voit la
ville. Du passage jusqu'au lieu où Jean baptise maintenant, il y a bien
une lieue et demie en passant par Bethabara.
(8 février) La narratrice
étant dans un état de faiblesse toujours voisin de la mort et dans une
absence d'esprit presque complète, ne put communiquer que ce qui suit.
Le vendredi j'ai vu Jésus à
Ono aller de maison en maison. Au commencement je ne savais pas
pourquoi, plus tard j'appris que ces visites avaient rapport à la dîme
qu'il exhortait ces gens à payer et aux aumônes qui devaient être
données à la fête des fruits laquelle s'ouvrait le soir du dimanche. Le
soir il célébra le sabbat dans la synagogue. Samedi, Jésus Enseigne à
Ono jusqu'à la clôture du sabbat. Aujourd'hui dimanche, commençaient les
préparatifs pour la fête de la nouvelle récolte des fruits. Cette fête
s'ouvrait le soir. Il y avait une triple fête. D'abord parce
qu'aujourd'hui, la sève montait dans les arbres, ensuite parce qu'on
présentait la dîme des fruits, et enfin on rendait des actions de grâces
pour l'abondance de la récolte. Jésus enseigna sur tout cela, on mangea
beaucoup de fruits et on donna aux pauvres des figures entières faites
avec des fruits et dressées sur les tables. Il est venu aujourd'hui à
Jésus une vingtaine de nouveaux disciples.
(12 et 13 février) La Soeur
est toujours très malade. -Jésus à la fin de la fête quitta Ono avec
vingt et quelques disciples et se mit en route pour la Galilée.
En passant par la contrée
où avait été le champ de Jacob, il entra dans ces maisons de bergers de
l'une desquelles Joseph et Marie avaient été si durement repoussés j
lors de leur voyage à Bethléem. Jésus avait visité et enseigné les gens
qui avaient bien accueilli ses parents : mais il passa la nuit chez ceux
de la maison inhospitalière et leur donna des avis. La femme vivait
encore : elle était malade sur sa couche et Jésus la guérit.
Aujourd'hui, 12 février,
Jésus passa par Aruma, où il avait déjà été du 22 au 23 octobre. Jaïre,
un descendant de l'Essénien Khariot, qui demeurait dans un endroit
voisin assez mal famé, je crois que c'était Phasaël, et qui alors avait
prié Jésus de guérir sa fille malade, ce que celui-ci lui avait promis
pour plus tard, avait envoyé aujourd'hui un messager au-devant de Jésus
pour lui rappeler sa promesse : sa fille était morte. Alors Jésus laissa
ses disciples continuer seuls leur route, et leur donna rendez-vous à un
lieu déterminé où ils devaient le retrouver. Pour lui, il suivit à
Phasaël le messager de Jaïre. Lorsque Jésus entra dans la maison, on
s'apprêtait à mettre au tombeau la fille de Jaïre : elle était déjà
enveloppée de linges et de bandes de toile, et entourée de la famille en
pleurs. Jésus fit réunir autour d'elle un plus grand nombre de gens de
l'endroit, ordonna de délier les bandes qui l'attachaient dans son
linceul, prit la morte par la main et lui commanda de se lever : alors
elle se redressa de toute sa hauteur et se leva. Elle avait environ
seize ans et n'était pas d'un bon naturel. Elle n'aimait pas son père,
qui pourtant l'aimait par-dessus tout. Elle trouvait mauvais les
rapports charitables qu'il entretenait avec des gens pauvres et
méprisés. Jésus la réveilla de la mort du corps et de l'âme : elle se
corrigea et fit plus tard partie de la communauté des saintes femmes.
Jésus défendit à tous de parler de ce miracle, et c'était pour cela
qu'il n'avait pas voulu que ses disciples y fussent présents. Ce Jaïre
n'était pas le Jaïre de Capharnaüm dont Jésus plus tard ressuscita aussi
la fille.
Jésus quitta ce lieu, alla
vers le Jourdain qu'il traversa,. passa au nord dans la Pérée, vint de
nouveau près de Sukkoth. sur la rive occidentale du fleuve, et se rendit
à Jezraël. Cela eut lieu le mercredi 13 février. (Jésus a donc évité
Samarie.)
La Sœur est tellement
semblable à une mourante, qu'il faut lui savoir un gré infini du peu
qu'elle communique.
(14 février) à cause de son
extrême faiblesse, elle ne dit que ce qui suit : Aujourd'hui jeudi,
Jésus fut à Jezraël ; il y enseigna et y fit plusieurs miracles en
présence d'une foule nombreuse Tous les disciples de Galilée étaient
venus là à sa rencontre :Nathanaël Khased, Nathanaël le fiancé, Pierre,
Jacques, Jean, les fils de Marie de Cléophas, etc. Tous étaient ici.
Lazare, Marthe, Séraphia (Véronique) et Jeanne Chusa, qui étaient partis
antérieurement de Jérusalem, avaient visité Madeleine à Magdalum, et
l'avaient engagée à aller à Jezraël pour voir, si ce n'est pour entendre
cet homme merveilleux, si sage, si éloquent et si beau, ce Jésus dont
tout le pays s'occupait. Elle avait cédé aux prières des autres femmes
et les avait suivies, mais avec tout l'attirait des pompes et des
vanités mondaines. Lorsque d'une fenêtre de l'hôtellerie elle vit Jésus
s'avancer dans la rue accompagné de ses disciples, Jésus lui lança un
regard sévère, et ce regard lui pénétra si profondément dans l'âme, et
la jeta dans une confusion et un trouble si extraordinaires, que,
dominée par le sentiment de sa misère, elle courut de l'hôtellerie à une
maison de lépreux où avaient été aussi des femmes affligées de pertes de
sang, et qui était une espèce d'hôpital à la tête duquel était un
pharisien. Les gens de l'auberge, auxquels sa manière de vivre était
connue, disaient : "Voilà qu'elle se range parmi les lépreux et les
hémorroïsses". Mais Madeleine avait couru à la maison des lépreux pour
s'humilier, tant le regard de Jésus l'avait ébranlée : car elle était
descendue dans une hôtellerie plus élégante que celles où étaient les
autres femmes, ce qu'elle avait fait par vanité, pour ne pas se trouver
avec tant de pauvres gens. Marthe, Lazare et les autres femmes
retournèrent avec elle à Magdalum et y célébrèrent le sabbat suivant. Il
y a là une synagogue.
(15-19 février) Vers le
soir, Jésus est arrivé à Capharnaüm pour le sabbat. Il visita sa mère
auparavant. Il enseigna ici et logea de nouveau dans la maison qui
appartenait au fiancé de Cana. Tous les disciples étaient réunis ici. Le
samedi, il enseigna jusqu'à la clôture du sabbat. On lui avait amené de
toutes les parties du pays beaucoup de malades et de possédés : il
guérit en public devant tous ses disciples, et chassa les démons au.
milieu d'une foule qui allait toujours en s'augmentant. Des envoyés de
Sidon vinrent le prier de s'y rendre. Puis il vint des gens de Césarée
de Philippe ou Panéas, qui le pressèrent vivement d'y aller : mais il
les renvoya à un autre temps. La presse devint si grande, que le
dimanche au matin il quitta Capharnaüm avec quelques disciples et s'en
alla dans la montagne, à une lieue au nord de Capharnaüm, entre le lac
et l'embouchure du Jourdain, dans un endroit où se trouvent beaucoup de
gorges dans lesquelles il se retira pour prier. Ce sont les mêmes
montagnes où, en revenant de la montagne de Bethanat, il s'était arrêté
avec ses disciples sur la hauteur la plus voisine de la mer, et où il
avait vu les embarcations de Pierre et de Zébédée sur le lac.
Le soir, Jésus vint à
l'habitation de sa mère, entre Bethsaïde et Capharnaüm : Lazare, Marthe
et les autres femmes de Jérusalem y étaient venus de Magdalum, pour
prendre congé et retourner à Jérusalem. Jésus les consola au sujet de
Madeleine : il dit à Marthe qu'elle se tourmentait trop : Madeleine est
très émue, cependant elle retombera encore. Elle n'avait pas renoncé à
ses parures, elle avait déclaré que, dans sa condition, elle ne pouvait
pas se vêtir aussi humblement que les autres femmes, etc.-Aujourd'hui,
dimanche soir, commençait à Capharnaüm un jour de fête relatif a la mort
d'un homme qui, en violation de la loi, avait voulu faire placer des
images dans le temple.
(18 février) Aujourd'hui
Jésus est resté quelque temps chez sa mère, puis il est allé enseigner à
Capharnaüm. On lui a encore amené là une quantité de malades dont il a
guéri plusieurs. Aujourd’hui encore, il est venu des gens pour l'inviter
à se rendre dans d'autres endroits. Il y avait ici cette fois des
pharisiens très endurcis, qui le contredisaient et lui demandaient ce
qui adviendrait de tout cela ; tout le pays, disaient-ils, était dans
l'agitation à cause de lui, maintenant qu'il enseignait publiquement et
faisait une propagande toujours croissante. Mais il leur répondit
sévèrement et leur déclara qu'il allait prêcher et agir encore plus
ouvertement.
Le soir commençait une fête
commémorative de la destruction de la tribu de Benjamin par les autres
tribus, à cause d'un crime infâme. Je vis que ce jour de fête était
observé avec une rigueur toute particulière dans la contrée de Phasaël,
où Jésus avait ressuscité la fille de Jaïre, à Aruma, à Gabaa, etc.,
parce que ces événements avaient eu lieu dans le pays. Je vis que les
femmes y présentaient certaines offrandes et prenaient une part
particulière au jeune.
Dans la nuit,
Nathanaël-Khased vint prendre Jésus, et ils allèrent avec André, Pierre,
les fils de Marie de Cléophas, et ceux de Zébédée à Gennabris, séjour de
Nathanaël, où je les vis arriver le mardi matin. Nathanaël lui avait
préparé un logement. Il n'est pas entré dans la maison de Nathanaël, qui
est devant la ville et près de laquelle ils ont passé. Nathanaël le
fiancé et sa femme ont aussi été ces jours-ci à Capharnaüm et à Jezraël.
L'endroit où l'on
baptisait, près d'Ono, est gardé alternativement par des habitants de
cet endroit. Jésus enseigna à Gennabris, et y guérit des possédés tout à
fait furieux. Une route commerciale passe par cet endroit ; les gens n'y
sont pas aussi simples que ceux des bords du lac ; quoiqu'ils n'aient
pas ouvertement contredit Jésus, plusieurs ont accueilli ses
enseignements avec peu de sympathie.
Pendant que la Sœur parle
ainsi, elle semble voir Gennabris et dit, en indiquant du doigt un point
éloigné : La ville est sur une hauteur ; je puis voir huit villes dans
les alentours, mais je n'en sais pas les noms maintenant. "Outre les
futurs apôtres, Jonathan, le demi frère de Pierre, est aussi avec eux à
Gennabris. Les autres disciples s'étaient répandus à Capharnaüm et à
Bethsaïde, et racontaient ce qu'ils avaient vu et entendu. Je crois que
Jésus reviendra encore une fois près de sa mère en Galilée, et que dans
une quinzaine de jours il ira dans la contrée de Jérusalem.
(Du 20 février au 4 mars)
Aujourd'hui Jésus est allé avec les futurs apôtres à Béthulie, qui est
située à environ trois lieues de Gennabris, à cinq de Tibériade et à peu
de distance de Jezraël. Béthulie est sur une pente si escarpée, qu'il
semble qu'elle va tomber ; il y a des restes de murs si larges, qu'on
pourrait y faire passer des chariots. Le chemin qui mène d'ici à
Nazareth passe devant le mont Thabor, dont Béthulie n'est qu'à deux
lieues au sud-est.
Nathanaël Khased a transmis
à son frère ou à un cousin l'emploi qu'il avait à Gennabris : dorénavant
il suivra le Seigneur.
Comme Jésus entrait à
Béthulie, des possédés se mirent à crier après lui. Il s'arrêta sur la
place du marche, près d'une chaire à prêcher, et il envoya quelques-uns
de ses disciples inviter le chef de la synagogue à faire ouvrir toutes
les portes de l'école il envoya d'autres disciples de maison en maison,
pour convoquer les habitants à venir l'entendre. La synagogue avait
plusieurs portes, placées entre des colonnes, que l'on ouvrait toujours
lorsqu'il y avait grande affluence de monde. Jésus enseigna ici sur le
véritable grain de froment qui doit être mis en terre. Il occupait un
logement préparé d'avance pour lui. Les pharisiens de l'endroit ne le
contredirent pas ouvertement ; toutefois ils murmuraient, et Jésus
savait qu'ils s'opposaient à ce qu'il célébrât ici le sabbat. Il dit
cela à ses disciples, ajoutant qu'il voulait aller pour le sabbat, à
deux lieues plus loin, vers le nord-ouest, dans la direction du Thabor,
dans un endroit dont le nom m'échappe en ce moment, mais où l’on
teignait de la soie dont on faisait des franges et des houppes.
Béthulie est bien la ville
devant laquelle Judith coupa la tête à Holopherne, qui en faisait le
siège. C'est une histoire véritable dont j'ai vu toute la suite. Jésus y
guérit. Tous les disciples restés en arrière s'étaient de nouveau
retrouvés ensemble ici.
(21 février) Ce matin,
Jésus avait quitté Béthulie à cause des murmures des pharisiens ; il
enseigna en plein air, assis sur une chaire en pierre, à environ un
quart de lieue en avant de la ville. Il y avait là tout autour des murs
en ruines, et cet endroit semble avoir été compris autrefois dans
l'enceinte de la ville. Vers trois heures de l'après-midi, Jésus alla à
Kisloth, qui est située au pied du Thabor, à environ trois lieues d'ici,
et où André et d'autres disciples étaient allés d'avance pour retenir
l'hôtellerie qui est devant la ville. Il s'était rassemblé là une grande
multitude de personnes de tous les environs.
Je vis arriver plusieurs
bergers avec leurs bâtons ; il y avait aussi des marchands de Sidon et
de Tyr qui étaient là de passage. Les miracles et la doctrine de
Jésus-Christ étaient déjà connus dans tout le pays. On accourait en
foule dans les lieux où il enseignait, et lorsqu'on avait su qu'il
devait célébrer le sabbat ici, tout ce qui était en chemin s'y était
rendu.
Là où il paraissait, il se
faisait toujours un grand mouvement : on l'appelait à haute voix, on se
prosternait devant lui, on se pressait en foule pour le toucher, et
c'est pourquoi, la plupart du temps il paraissait et disparaissait
inopinément pour éviter la presse. Souvent il se séparait de ses
disciples sur la roule, les envoyait par d'autres chemins et allait
seul. Dans les villes et les bourgs, il fallait souvent lui faire faire
place dans la foule. Toutefois, il permettait à quelques-uns de
l'approcher et de le toucher, et plus d'un était par là intérieurement
ému, converti ou guéri.
Vers le soir, Jésus se
rendit dans l'hôtellerie que les disciples avaient retenue pour lui
devant Kisloth Thabor, qu’il avait été déjà deux fois. Kisloth peut être
à sept lieues de Nazareth par le chemin ordinaire, et à cinq lieues en
droite ligne. Comme les chemins, dans ce pays, suivent les contours des
vallées, et que les habitants mesurent la distance tantôt par le chemin
fréquenté, tantôt par la vue à vol d'oiseau qu’on a du haut des
montagnes, il est rare que leurs estimations s'accordent ensemble. Il y
a une quantité incroyable de lieux habités dans la Galilée ; cependant
en ne peut ordinairement en voir que quelques-uns des points élevés.
Kisloth-Thabor est
principalement une ville de commerce : il y a plusieurs riches marchands
et beaucoup de pauvres gens. Il s'y trouve beaucoup d'ateliers où l'on
teint de la Soie brute dont on fait des franges et des houppes pour les
vêtements des prêtres. Ces ateliers de teinture étaient autrefois, pour
la plupart, à Tyr, sur le bord de la mer ; mais à présent un grand
nombre se sont transportés ici. Les riches marchands emploient les
pauvres gens dans les fabriques.
Devant l'hôtellerie, les
disciples avaient formé une enceinte avec de grosses cordes attachées à
des pieux pour empêcher l'invasion de la foule. Ce fut là que Jésus
enseigna ; et comme il y avait dans son auditoire de riches marchands de
la ville, il parla des richesses et des dangers de la cupidité : il leur
dit que leur état était encore plus dangereux que celui des publicains,
qui se convertissaient plutôt qu'eux ; et a ce propos, montrant du doigt
les cordes qui le séparaient de la foule : une corde semblable, leur
dit-il, entrera plus facilement dans le trou d’une aiguille qu'un riche
dans le royaume des cieux. "Ces cordes, de poil de chameau, étaient
presque grosses comme le bras, et on les avait tendues sur les pieux en
les entrelaçant quatre fois les unes dans les autres. Ces riches
auditeurs alléguèrent pour leur justification qu'ils laissaient des
aumônes sur leur gain : mais Jésus leur répondit que l'aumône prise sur
les sueurs d'autres pauvres ne leur apportait pas de bénédiction. Cette
instruction ne fut pas agréable à ces gens.
(22 février) Kisloth était
une ville de lévites, cédée par la tribu de Zabulon aux lévites de la
race de Mérari. L'école la plus renommée de tout le pays se trouvait ici
; elle était très grande, et tout s'y faisait d'une façon très
solennelle. Lorsque Jésus enseignait dans les synagogues les jours de
sabbat, les prêtres du lieu l'assistaient, lui présentaient les rouleaux
d'écriture ou lisaient eux-mêmes les textes qu'il leur indiquait. Il
interrogeait et enseignait sur ces textes. On chantait aussi, mais non
pas à la manière des pharisiens. J'entendais sa voix, dont le son se
distinguait agréablement au milieu des autres ; je ne me souviens pas de
l'avoir entendu chanter seul. Jésus enseigna le matin dans l'école.
André instruisit les enfants devant l'école dans des salles qui y
étaient attenantes, et il raconta à une foule d'étrangers qui se
pressaient autour de lui ce qu'il avait vu et entendu, de Jésus. Jésus
enseigna sur l'orgueil et la présomption. Il ne fit pas de guérisons ici
aujourd'hui, parce que, disait-il, ils s'enorgueillissaient de ce qu'il
prêchait dans leur ville, se croyant meilleurs que les autres, et
s'imaginant qu'il était venu chez eux pour ce motif, au lieu de
reconnaître qu'il venait à eux à cause de leurs misères, pour qu'ils
s'humiliassent et se corrigeassent.
Après l'instruction, il se
tint devant la synagogue dans une cour antérieure entourée de petites
cellules qui dépendaient de la synagogue, et qui ressemblent à des corps
de garde. Il guérit ici plusieurs enfants affligés de convulsions et
d'autres maladies, que leurs mères lui apportaient. Il les guérit à
cause de leur innocence. Il guérit aussi plusieurs femmes qui
s'humilièrent devant lui et lui dirent : Seigneur, prenez connaissance
de mes fautes et de mes péchés. Elles se prosternaient devant lui et
s'accusaient. Il y en avait parmi elles qui étaient affligées de pertes
de sang, et d'autres qui étaient tourmentées de mauvais désirs, et
demandaient à être délivrées de leurs tentations. Le soir il célébra le
sabbat dans l'école et mangea à l'hôtellerie. Ses futurs apôtres et ses
plus intimes amis étaient avec lui à la même table ; les disciples
étaient placés ailleurs ou servaient.
(23 février) Jésus
aujourd’hui a célébré le sabbat dans la synagogue et guéri beaucoup de
malades devant cet édifice : il alla aussi dans les maisons pour en
guérir plusieurs qu'on ne pouvait pas transporter. Les disciples
l'aidaient dans tout cela : ils apportaient les malades, les
conduisaient, leur faisaient faire place, donnaient des ordres et
envoyaient des messages Tous les frais des voyages et les aumônes sont
jusqu'à présent fournis par Lazare ; Obed, le fils de Siméon, tenait les
comptes : Les petites maisons qui sont dans le vestibule de la
synagogue, et dont je parlais hier, sont de petites cellules, où les
femmes s'entretenaient seules avec Jésus, séparées de lui par un
grillage. Du reste, c'était l'usage que des pécheresses, des pénitentes
ou des femmes impures, vinssent dans ces cellules chercher des
consolations auprès des prêtres. Plus haut, sur la montagne du Thabor,
il n'y a pas de villes, mais des retranchements des murs et comme une
forteresse où plus d'une fois des gens de guerre se sont tenus. Le soir
d'après le sabbat, Jésus est allé avec ses futurs apôtres prendre son
repas chez un pharisien que son enseignement avait beaucoup touché et
qui était devenu bon.
(21 février) Le dimanche,
Jésus a assisté avec ses disciples à un grand repas, donné en son
honneur par les principaux de la ville, dans la maison publique où se
donnent les fêtes. Il y a enseigné, et le même soir il q quitté la ville
pour aller à Jezraël, qui n'est guère qu'à trois lieues de là.
(25 février) Ici, à Jezraël,
ses parents et les disciples de Bethsaïde, même André et Nathanaël, se
sont séparés de lui pour retourner chez eux. Il leur dit en quel endroit
ils devaient se retrouver. une quinzaine de disciples plus jeunes sont
restés près de lui. Il enseigna et guérit ici. Il y a ici diverses
écoles ecclésiastiques et laïques. C'est un endroit considérable. Il a
enseigné entre autres choses sur la vigne de Naboth.
(26 février) Jésus n'est
plus à Jezraël, mais peut-être qu'il doit y revenir, car je ne le vois
qu'à une lieue et demie de là, à l'est, dans une plaine ou une vallée
longue de deux lieues et large aussi de deux lieues. Il y a beaucoup de
jardins fruitiers avec des rebords (des terrassements). C'est une vallée
extrêmement agréable et fertile : je ne connaissais pas encore cet
endroit. Ce sont pour la plupart les habitants de Kisloth-Thabor et de
Jezraël, qui sont propriétaires de ces vergers. Il y a beaucoup de
tentes, elles sont placées par intervalles deux par deux et sont
habitées par des gens de Sichar, qui gardent les fruits et les
récoltent. Je crois qu'ils sont obligés de faire cela comme une espèce
de corvée Ils se relèvent : il y en a environ quatre par tente. Les
femmes habitent ensemble, à part des hommes, et font la cuisine pour
eux. Jésus enseigna sous une tente. Il y a aussi de bien belles
fontaines et des sources d'eau vive qui se perdent dans le Jourdain. La
source principale venait de J Jezraël et était recueillie ici dans une
belle fontaine au-dessus de laquelle était bâtie une espèce de chapelle.
La source se distribue à partir de ce réservoir dans diverses autres
fontaines placées dans la vallée où d'autres eaux s'unissent avec elle
et toutes finissent par se jeter dans le Jourdain. Il y avait ici une
trentaine de gardiens que Jésus enseigna : les femmes se tenaient à
quelque distance. Il parla de l'esclavage du péché dont ils avaient à se
délivrer. Ils étaient tout joyeux et tout émus de ce qu'il était Venu à
eux, Il était si bienveillant et si affable pour ces pauvres gens que
moi-même je ne pas m’empêcher de pleurer. Ils lui offrirent des fruits
dont lui et ses disciples mangèrent. Ici dans quelques endroits il y a
déjà des fruits mûrs, dans d'autres les arbres sont en fleur. On voit là
des fruits de couleur brune, semblables à des figues, mais qui forment
des grappes et aussi des plantes jaunes dont on fait une espèce de
bouillie. (Elle les décrivit comme du maïs, les fruits bruns comme des
dattes ; elle parla aussi de dourra et de plusieurs herbes qu'on mange
comme en salade ; elle représenta cette contrée au midi de Jezraël comme
un jardin plantureux).
Jésus a passé dans la
soirée par un quartier de Jezraël et il est allé jusqu'à Sunem, ville
ouverte bâtie sur une colline.
(27 février) Elle dit une
autre fois que Jésus était allé avec ses disciples à Sunem dans la
soirée du 26. Sunem est à trois lieues au nord-est de Jezraël, sur une
hauteur, et n'est pas entourée de murs. Quelques disciples l'y avaient
précédé pour lui retenir un loge ment dans une hôtellerie à l’entrée de
la ville. La vallée de jardins d'où il venait est au midi de Jezraël. Il
passa par un quartier de Jezraël, sans être remarqué, puis il se dirigea
au nord-est vers Sunem. Près de cette ville, dans un rayon de deux
lieues, se trouvent deux autres villes près d'une desquelles Jésus avait
passé en se rendant de Kisloth-Thabor à Jezraël. Elle croit que l'une de
ces deux villes pourrait être Béthulie. Elle dit que Jésus aurait pu
prendre une autre route plus à droite et donne divers détails
topographiques, comme quelqu'un qui ayant le chemin sous les yeux, en
donne une description sommaire, et que l'auditeur ne peut pas bien
comprendre parce qu'il ne connaît pas les lieux et ne les voit pas.
Les gens de Sunem gagnaient
autrefois leur vie à tisser. Ils tissaient avec de la soie tordue des
bandes étroites pour servir de bordures, les unes unies, les autres avec
des fleurs. Ce lieu n'est pas situé dans la vallée d'Esdrelon, mais plus
dans la montagne.
Il y avait ici une foule
excessivement nombreuse autour de Jésus : elle allait toujours croissant
; on le serrait de tous côtés, les gens se prosternaient, criaient,
pleuraient, l’acclamaient comme le nouveau prophète, comme l'envoyé de
Dieu. Plusieurs avaient de bons sentiments ; d'autres étaient poussés
par la curiosité et aimaient à faire du bruit. La presse est si grande
que c'est presque comme une émeute, et comme le mouvement va toujours
croissant dans cette partie de la Galilée, il se retirera bientôt. C'est
de cet endroit qu'était la belle Abigaïl que David prit avec lui dans sa
vieillesse. Élisée avait aussi un logement ici : il y venait souvent et
il y ressuscita l'enfant de son hôtesse. Il y a dans cette ville une
hôtellerie où certains voyageurs sont hébergés gratuitement : c'est une
fondation en mémoire d’Élisée : je ne sais plus si c'est dans la maison
même du prophète ou à la place qu'elle occupait.
Jésus enseigna dans l'école
et il alla dans plusieurs maisons pour consoler et guérir des malades.
Les maisons étaient un peu disséminées autour d'une hauteur : cette
hauteur s'élevait au milieu, dominant la ville, on y montait par un
chemin sur lequel les habitations étaient plus petites et de moindre
apparence. Au haut il n'y avait que des cabanes. Sur le sommet était une
place découverte avec une chaire, toutefois on était garanti contre le
soleil par une toile tendue sur des pieux.
(28 février) Le matin vers
dix heures, elle raconta une partie de ce qui précède et ajouta : J'ai
vu ce matin Jésus prendre avec les disciples le chemin qui conduit à
l'endroit où est la chaire. Il y a dans la ville un concours tumultueux
extrêmement incommode. On a amené une grande quantité de malades et on
les a placés sur leurs civières le long du chemin qui mène au haut de la
montagne. Jésus y est monté à travers la presse et les cris, et il a
opéré beaucoup de guérisons. Le peuple est monté sur les toits pour le
voir et l'entendre. De la sommité où est la chaire on a une belle vue
sur le Thabor. Jésus, ici aussi, a prêché très énergiquement contre
l'orgueil et la jactance des habitants, lesquels au lieu de se
convertir, de faire pénitence et de garder les commandements de Dieu,
poussent de vaines clameurs et ne parlent que de prophètes et d'envoyés
de Dieu venus à eux pour les visiter, s'en faisant gloire et
l'attribuant à leurs mérites ; quant à lui, il est venu pour leur faire
confesser leurs péchés, etc.
Voici ce qu'elle raconta le
matin suivant : Vers trois heures de l'après-midi, Jésus alla au
nord-est à environ trois lieues d'ici dans une ville plus grande et plus
peuplée que Sunem : elle ne paraissait pas si ancienne, les maisons
étaient plus complètes et plus liées ensemble. La ville avait de larges
murailles sur lesquelles croissaient des arbres : j'ai une idée confuse
qu'elle s'appelle Ulama, elle est à cinq lieues environ à l'est du
Thabor, et Arbela est située à environ deux lieues plus au nord. Il y a
ici dans la montagne des chemins raboteux avec des cailloux blancs
pointus et à cause de cela on fabrique dans cet endroit beaucoup de
semelles pour attacher sous les pieds.
(1er mars) Cette ville
s'appelle en effet Ulama : elle est sur une montagne entourée d'autres
montagnes et dans une contrée impraticable. Toutefois les montagnes sont
entièrement couvertes de vignes jusqu'au sommet. J'ai aussi remarqué ici
des végétaux de la hauteur d'un arbre, très entortillés, avec des
branches grosses comme le bras. Ils ont de gros fruits en forme de
poires, qui ressemblent à des courges, et dont on fait des gourdes.
(Probablement une grosse espèce de calebasse qu'elle ne connaît pas, car
elle dit à ce propos que ce n'est pas du vrai bois.) Cette ville ne
parait pas aussi ancienne que d'autres : on dirait même qu'elle n'est
pas tout à fait achevée. Les habitants n'avaient pas l'ancienne
simplicité israélite, ils prétendaient être plus habiles et plus fins :
il semblait que des Romains ou quelque autre peuple avaient demeuré
autrefois ici. Il y eut encore une grande affluence dans cet endroit,
parce que Jésus voulait y célébrer le sabbat. Plusieurs disciples
s'étaient réunis à lui, entre autres Jonathan, le demi frère de Pierre
et les fils des trois veuves ; il y en avait une vingtaine. Pierre vint
aussi ainsi qu'André, Jean, Jacques le Mineur, Nathanaël Khased et
Nathanaël le fiancé. Jésus les avait mandés pour qu'ils fussent présents
à ses instructions et l'assistassent dans ses guérisons à cause de la
grande turbulence de la foule. Le peuple avait pris ses mesures pour
savoir par quel chemin il viendrait et il se porta à sa rencontre. Ils
portaient des branches d'arbres, jonchaient la terre de feuillage et
avaient de longues bandes d'étoffes qu'ils plaçaient en travers sur la
route afin qu'il marchât dessus, et tous criaient au prophète. Il y
avait des gens chargés de maintenir le bon ordre. Il se trouvait dans
cette ville beaucoup de possédés qui criaient de toutes leurs forces
derrière lui et proclamaient à haute voix qui il était. Il leur commanda
de se taire Dans l'hôtellerie même, il ne put trouver de tranquillité :
les possédés y couraient, faisaient grand bruit et criaient. Mais il
leur imposa silence et les fit emmener.
Il y avait ici trois
écoles, une de docteurs de la loi, une pour la jeunesse, et enfin la
synagogue. Jésus alla le vendredi dans différentes maisons où il guérit
et donna des consolations ; il enseigna dans l'école : il parla
spécialement de la simplicité et du respect pour les parents, car
c'étaient deux choses qu'on ne trouvait pas ici, et il les gourmanda de
nouveau à cause de leur orgueil, parce qu'ils se faisaient gloire de ce
que le prophète s'était levé au milieu d'eux, ce qui ne les empêchait
pas de perdre en vanteries frivoles le temps de la pénitence et de
l'exhortation.
(2 mars) Le samedi il
célébra le sabbat à Ulama. Après la clôture du sabbat, les principaux de
la ville lui donnèrent un repas. Demain, qui est le 5è du mois d'adar,
Jésus guérira beaucoup de gens en public. Les apôtres et les disciples
qui étaient allés chez eux, avaient fait seulement une visite à leurs
familles ; ils étaient tous dans le voisinage, et pendant ce temps
avaient été en rapport avec Marie, à laquelle les femmes de leur côté
s'attachaient de plus en plus étroitement.
Jean Baptiste se trouvait
toujours au même endroit : le nombre de ses adhérents ne cessait de
diminuer ; Hérode venait et envoyait souvent vers lui.
(3 mars) Ulama peut être à
cinq lieues à l'est de Séphoris. Aujourd'hui dimanche matin, vers neuf
heures, Jésus est allé avec ses disciples à un quart de lieue de la
ville, à un endroit où se trouve j au penchant d'une montagne, une sorte
de lieu de plaisance où l'on prend des bains. Cet endroit est à peu près
grand comme le cimetière de Dulmen : il est entouré de salles et de
bâtiments ; il y a là une belle fontaine et une chaire. Il y avait donné
rendez-vous aux nombreux malades qui se trouvaient dans la ville, car à
cause de la presse, il n'y avait pas guéri. Les disciples de Jésus
s'employaient à maintenir l'ordre, et les malades étaient couchés sur
des civières dans des salles et sous des tentes. Il était venu à leur
suite tant de gens de la ville, qu'il n'y avait pas place pour tout le
monde : les préposés et les prêtres maintenaient l'ordre. Jésus guérit
beaucoup de ces malades en allant de l'un à l'autre. Quand je dis
beaucoup, je veux dire ordinairement une trentaine : quand je dis
quelques-uns ou plusieurs, je veux dire environ une dizaine. Il prêcha
ensuite sur la mort de Moïse, en mémoire de laquelle on allait avoir un
jour de jeûne ; il parla de la Terre promise et de sa fertilité, disant
que cela ne devait pas s'entendre seulement de la nourriture des corps,
mais de celle des âmes, qu'elle est aussi féconde en prophètes et en
oracles de Dieu, et que son fruit est le salut promis par le Seigneur,
et la pénitence chez ceux qui veulent la recevoir. Je le vis après cette
instruction aller encore dans un autre édifice voisin, où on lui amena
les possédés. Ils firent grand bruit et poussèrent des cris lorsqu'il
arriva : c'étaient pour la plupart des jeunes gens ou même des enfants.
Il les fit mettre en rang, leur recommanda d'être tranquilles, et tous
furent délivrés par ce commandement. Quelques-uns tombèrent alors comme
en défaillance. Leurs familles étaient présentes : il exhorta et donna
aussi des avis à cette occasion.
Elle dit en outre que le
jour de jeûne en mémoire de la mort de Moïse, était le mardi, 7 adar. Je
vis dès le dimanche soir mettre dans le fournil sous la cendre, comme
d'ordinaire, les aliments préparés pour le mardi. Ces jours-là (les
jours de jeûne), on mangeait une espèce particulière de pain. Lundi, 6
adar. Ce matin je vis encore faire des préparatifs pour le jeûne du
lendemain ; Jésus avait encore aujourd'hui enseigné dans la synagogue ;
vers midi, après avoir fait partir ses disciples d'avance, il sortit de
la ville sans qu'on le vît. Il savait prendre ses mesures pour cela. Ils
allèrent à Capharnaüm sans entrer dans les villes qui étaient sur les
routes. Il veut quitter la Galilée à cause du grand bruit qu'il y
excite. Je le vis sur le chemin instruire parfois ses disciples, pendant
qu'ils se reposaient ou se tenaient autour de lui.
(5 mars) Jésus arriva le
matin chez sa mère avec ses disciples ; ils avaient marché pendant la
nuit. La femme et la soeur de Pierre étaient là, ainsi que la fiancée de
Cana et d'autres femmes. La maison qu'habite Marie n'a rien de
particulier : elle est fort spacieuse. Elle n'y est pas seule, les
veuves demeurent tout près, et les femmes de Bethsaïde et de Capharnaüm,
entre lesquelles ces maisons sont situées, sont fréquemment chez elle :
il y vient aussi souvent des disciples. Je vis qu'elles célébraient là
le jour de jeûne ; on portait le deuil, et les femmes étaient voilées.
Jésus enseigna dans l'école de Capharnaüm, où se rendirent aussi les
disciples et les saintes femmes. Capharnaüm est située en droite ligne
de l'autre côté de la montagne, à environ une lieue du bord de la mer de
Galilée, et dans la direction de la vallée qui passe par Bethsaïde, a
deux lieues plus au midi. à une bonne demi lieue de Capharnaüm, sur le
chemin de Bethsaïde, sont des maisons dans l'une desquelles habite la
sainte Vierge. De Capharnaüm part une belle source qui coule vers le lac
; elle se partage en plusieurs bras près de Bethsaïde et fertilise le
pays. Marie ne tient pas de maison, elle n'a pas de troupeaux, ni de
terres. Elle vit en veuve, de ce que lui donnent ses amis ; ses
occupations consistent à filer, à coudre, à travailler avec de petites
baguettes, à prier, à consoler et à instruire d'autres femmes. Jésus
était seul ce jour-là, lorsqu'il arriva chez elle. Elle pleurait en
pensant aux dangers qui le menaçaient, à cause du grand éclat que sa
prédication et ses miracles faisaient dans le pays : car tous les
murmures, tous les mauvais propos de ceux qui n'osaient pas parler à
Jésus en face, arrivaient à elle. Il lui dit que son temps était venu,
qu'il voulait quitter ce pays et se rendre en Judée, où, après la fête
de Pâques, on se scandaliserait encore davantage à son sujet. Ce soir
commençait à Capharnaüm une fête d'actions de grâces pour la pluie : la
synagogue était parée et on y faisait sur le toit une singulière
musique.
(6 mars) Hier soir et ce
matin je vis à Capharnaüm qu'on parait la synagogue et d'autres édifices
publics pour une fête avec toute espèce de pyramides de feuillage, et
que sur le toit de la synagogue et d'autres grandes maisons où il y
avait des galeries, on jouait d'un singulier instrument à vent.
C'étaient les serviteurs de la synagogue qui en jouaient des gens qui
sont comme les sacristains chez nous D'abord je ne voulais pas en parler
parce que je craignais que cela ne me fatiguât beaucoup. Cet instrument
a l'aspect d'une outre de quatre pieds de longueur à laquelle sont fixes
des tuyaux de couleur brune et des embouchures de trompettes qui lorsque
l'outre n'est pas gonflée, sont couchées tout contre : mais lorsqu'elle
est remplie d'air par un homme qui souffle dans une embouchure, deux
autres hommes placés près de lui la tiennent élevée ; ceux-ci
travaillent aussi à y faire entrer de l'air avec des soufflets, et en
ouvrant et fermant différents trous, ils tirent des tuyaux qui se
dressent dans plusieurs directions un son éclatant, qui donne plusieurs
notes à la fois. (Cet instrument fait donc l'effet d'une énorme
cornemuse qui exige le concours de plusieurs personnes.) Ceux qui se
tiennent à côté ont aussi plusieurs fois soufflé dedans.- Il y a eu
aujourd'hui une fête où l'on a rendu des actions de grâces pour la pluie
déjà accordée et où l'on en a demandé encore. Jésus a fait dans la
synagogue une très touchante instruction sur la pluie et la sécheresse.
Il y a parlé d'Elie, raconté comment il avait fait sur le Carmel des
prières pour la pluie et interrogé six fois son serviteur, et comment la
septième fois il avait vu s'élever une petite nuée sur la mer (une autre
fois elle dit au lieu de la mer, sur le lac de Génésareth), comment
cette nuée avait été toujours grandissant et avait enfin rafraîchi toute
la contrée, et comment Elie ensuite avait parcouru le pays. Il expliqua
que l'interrogation d'Elie répétée sept fois désignait des époques
jusqu'à l'accomplissement de la promesse : il représenta la nuée comme
une figure symbolique des temps présents, et la pluie comme l'arrivée du
Messie dont l'enseignement devait se propager et tout rafraîchir. Qui
avait soif devait boire, et qui avait préparé son champ devait recevoir
la pluie. Il dit tout cela d'une façon si touchante et si admirable, que
tous les auditeurs versèrent des larmes. Marie aussi pleura ainsi que
les saintes femmes. Moi aussi je ne pus m'empêcher de pleurer. Les
habitants de Capharnaüm sont à présent très bien disposés. Il y a trois
prêtres attachés à la synagogue, et Jésus avec ses disciples les plus
intimes prend souvent ses repas dans une maison voisine de la synagogue
où habitent ces prêtres, et où l'on donne l'hospitalité gratuitement aux
docteurs qui enseignent dans la synagogue.
Hier au soir et ce matin on
y a joué encore de ce singulier instrument. Encore aujourd'hui on a
célébré la fête, mais seulement les enfants et les jeunes gens qui se
sont livrés à des divertissements. Hier soir, Jésus avait congédié les
disciples qui étaient de sa famille et ceux de Bethsaïde, parce qu'il
voulait ce matin quitter ce pays et se diriger vers la Judée. Il n'alla
avec lui qu'une douzaine de disciples qui étaient de Nazareth et de
Jérusalem ou qui avaient été disciples de Jean.
(7-9 mars) Je le vis
aujourd'hui s'éloigner de Capharnaüm dans la direction du sud-est, comme
s'il eût voulu aller entre Cana et Séphoris. Marie et huit autres des
saintes femmes lui firent la conduite. Il y avait là Marie de Cléophas,
les trois veuves, la fiancée de Cana et la sœur de Pierre : je ne me
souviens pas des autres. Les saintes femmes allèrent jusqu'à une petite
ville où ils prirent un repas ensemble, après quoi elles prirent congé.
Ici dans le voisinage était le puits dans lequel Joseph fut renfermé par
ses frères : l'endroit s'appelle Dothaïm. Il y a un autre Dothaïm
beaucoup plus grand, dans la plaine d'Esdrelon, à environ cinq lieues au
nord de Samarie. Dothaïm est un petit endroit où les habitants vivaient
pour la plupart du gain que leur procuraient les commerçants qui
passaient par là. Il est situé à l’extrémité d'une vallée peu
considérable qui peut nourrir environ quatre-vingts têtes de bétail à
l'autre extrémité est le grand édifice où Jésus une fois fit tenir
tranquilles tant de possédés : cette fois il n'y alla pas L'endroit est
à une lieue et demie au nord-est de Séphoris, et à quatre ou cinq lieues
du mont Thabor.
Les disciples étaient allés
en avant pour préparer les logements. Environ huit personnes, parmi
lesquelles étaient des prêtres, vinrent à la rencontre de Jésus et des
saintes femmes et les conduisirent dans une salle ouverte où personne ne
logeait et où tout était déjà préparé pour le repas. Pour lui faire
honneur, ils étendirent devant l'entrée un tapis sur lequel il devait
marcher. Ils lui lavèrent aussi les pieds. Les femmes mangèrent
séparément derrière le foyer, Jésus et les disciples se mirent à table :
on ne mangea que des aliments froids, du miel et des petits pains, des
herbes vertes que l'on trempait et des fruits : on but de l'eau mélangée
avec du baume. On lui en donna des flacons à emporter ainsi qu'aux
femmes. Les prêtres de la ville le servirent de tout avec beaucoup de
charité et d'humilité, et Jésus parla de Joseph, qui avait été vendu ici
par ses frères. C'était un spectacle singulièrement touchant. Je ne pus
m'empêcher de pleurer : c'est quelque chose de si étonnant pour moi, je
vois tout cela si près de moi ; je voudrais toujours entrer, et je ne
puis pas ; je voudrais faire ceci et cela, et je ne le puis. Les saintes
femmes, aussitôt après le repas, se mirent en route pour revenir. Jésus
prit sa more à part pour prendre congé d'elle, puis il salua les autres.
Je le vois embrasser sa mère quand ils sont seuls, lorsqu'il la quitte
ou la revoit : autrement il lui donne la main ou s'incline amicalement.
Marie pleurait. Elle a
encore l'air très jeune, mais elle est maigre et grande : elle a le
front très élevé, le nez un peu allongé, de très grands yeux modestement
baissés, une belle bouche vermeille, un beau teint brun avec des joues
colorées.
Jésus resta encore quelque
temps à enseigner dans l'hôtellerie. Les hommes qui n'avaient voulu rien
recevoir pour le repas, l’accompagnèrent jusqu'au puits de Joseph, qui
est dans la vallée, à une demi lieue environ de la ville. Ce puits n'est
plus maintenant comme il était autrefois, lorsqu'on y descendit Joseph :
je crois me souvenir qu'alors ce n'était qu'une excavation vide, avec de
l'herbe sur les bords. Maintenant c'était un réservoir carré, spacieux
comme un petit étang, et on avait élevé au-dessus un toit supporté par
des colonnes. Il était plein d'eau, et on y conservait beaucoup de
poissons. Je vis des poissons qui n'avaient pas la tête pointue comme
les nôtres, mais relevée d'une façon très singulière : ils n'étaient pas
aussi grands que ceux de la même espèce qu'on trouvait dans la mer de
Galilée. On ne voyait pas par où l'eau arrivait. Il y avait une enceinte
autour du bâtiment, et des gens chargés de la surveillance habitaient
auprès Jésus alla près du puits avec ses disciples : il avait raconté en
marchant toutes sortes de choses sur Joseph et ses frères, et il
enseigna encore à ce sujet au bord du puits. Je vis qu'il bénit le puits
avant de le quitter. Alors les gens de Dothaïm s'en retournèrent, et
Jésus alla avec ses disciples une lieue plus loin, à Séphoris, où il
entra chez les fils d'une soeur de sainte Anne. (La narratrice peut à
peine parler à cause d'un violent accès de toux.)
Séphoris est située sur une
montagne entourée d'autres montagnes. La ville n'est pas très grande,
toutefois plus grande que Capharnaüm. Il y a à l'entour beaucoup de
métairies isolées qui en dépendent. Jésus ne fut pas accueilli avec
beaucoup d'égards par les docteurs de la synagogue : il y avait aussi
dans la ville beaucoup de méchantes gens, et j'entendis ça et là de
mauvais propos sur ce qu'il menait une vie vagabonde et ne restait pas
près de sa mère. Il n'opéra pas de guérisons ici et resta fort sur la
réserve : cependant, le soir du sabbat, il enseigna dans la synagogue.
Aujourd'hui, il ne logea pas chez ses cousins, mais dans le voisinage de
la synagogue.
(Samedi) Aujourd'hui, jour
du sabbat, Jésus enseigna dans la synagogue. Il avait, en outre, visité
séparément plusieurs personnes et plusieurs ménages, spécialement des
Esséniens : il avait exhorté et consolé ceux-ci, parce qu'il y a ici
beaucoup de méchantes gens qui les raillent et les calomnient à cause de
leur affection pour lui il a aussi dit, dans les métairies
circonvoisines, à plusieurs d'entre eux ainsi qu'à ses cousins, de ne
pas le suivre quant à présent, mais de rester ses amis dans le secret et
de faire le bien, jusqu'à ce que sa carrière soit achevée Ses parents
faisaient ici beaucoup de bien, et assistaient notamment la sainte
Vierge à laquelle ils envoyaient beaucoup de choses. Je l'ai vu
s'entretenir avec plusieurs familles d'une façon si affable et si
cordiale, que je ne puis l'exprimer comme il faudrait. Ses manières
affectueuses me touchaient jusqu'aux larmes. Il y eut cette nuit dans la
Terre promise un terrible orage comme il y en a un ici à présent, et je
vis Jésus prier avec plusieurs autres personnes. Il pria les bras
étendus pour détourner le danger J’eus de là une vue sur la mer de
Galilée, et j'y vis une grande tempête : les barques de Pierre, d'André
et de Zébédée étaient en grand péril. Je vis les apôtres dormir
tranquillement à Bethsaide : il n'y avait que des serviteurs sur les
barques. Mais pendant que Jésus était en prière, je le vis aussi
apparaître là sur les barques, tantôt sur l'une, tantôt sur l'autre,
tantôt sur le lac. Il semblait qu'il travaillât, qu'il retînt, qu'il
détournât. Il n'était pas là en personne, car je ne l'y vis pas aller :
il était un peu plus haut que les mariniers en détresse, il planait sur
eux. Ces gens ne le voyaient pas, c'était son esprit qui agissait dans
la prière ; il portait secours sans que personne le sût. Peut-être que
les marins avaient eu foi en lui et l'avaient invoqué. Au commencement,
je n'ai pas bien compris cette vision. -Excitée par cette contemplation
des secours donnés par la prière de Jésus, elle aussi, pendant ces nuits
où il y eut de furieuses tempêtes, pria longtemps les bras étendus, et
se sentit tout épuisée par l'effort qu'elle avait fait. Elle raconta
qu'elle avait vu sur la mer plusieurs navires dans la dernière détresse
; qu'elle avait alors supplié tous les anges et tous les saints de
suivre l'exemple de Jésus et de leur venir en aide, et qu'elle avait cru
aussi porter secours à ces navires en compagnie de plusieurs esprits
bienheureux.
(10-17 mars) (La narratrice
continue à être très malade.) Jésus, aujourd'hui jusqu'à midi, a été à
Séphoris et dans les habitations d'alentour : après midi, faisant un
détour pour visiter plusieurs métairies isolées où il a partout donné
des consolations et des enseignements, il est allé à Nazareth, qui n'est
qu'à deux lieues de Séphoris. Il avait parmi les disciples qui étaient
en ce moment près de lui, deux ou peut-être trois jeunes gens, fils de
veuves d'Esséniens. Il est entré dans la ville chez des gens connus qui
donnaient l'hospitalité, et il a visité sans bruit plusieurs braves
gens. Il vint à lui des pharisiens, extérieurement doux et modestes,
quoique malveillants au fond. Ils lui demandèrent ce qu'il se proposait,
et pourquoi il ne restait pas avec sa mère. Il leur répondit d'un ton
grave et sévère. Tout le monde s'occupe ici à prendre ses dispositions
pour un jour de jeûne en mémoire d'Esther, qui commence ce soir, et à
faire des préparatifs pour la fête des Purim qui suit immédiatement.
Jésus avait enseigné le soir dans la synagogue. Dans la nuit, je l'ai vu
de nouveau prier les bras étendus, et apparaître encore sur la mer de
Galilée pendant un orage : cette fois la détresse était beaucoup plus
grande, et plusieurs autres navires étaient en danger. Je vis Jésus
mettre la main au gouvernait sans que le pilote le vît.
(11 mars) Aujourd'hui, à
Nazareth, tout le monde jeûnait et faisait pénitence. Les trois riches
jeunes gens de cette ville, qui précédemment déjà avaient inutilement
fait des instances à Jésus, vinrent le trouver encore dans la matinée
pour lui demander de les prendre pour disciples : ils se sont presque
mis à genoux devant lui : mais il les a refusés, et leur a indiqué
certaines choses à faire, après lesquelles ils pourraient venir à lui.
Il savait bien qu’ils avaient des vues purement humaines, parce que leur
intelligence ne s'élevait pas plus haut. Ils voulaient le suivre comme
un philosophe et un savant rabbin. afin de faire honneur ensuite à la
ville de Nazareth par la grande science qu'ils auraient acquise :
peut-être aussi trouvaient-ils mauvais qu'il prît avec lui des enfants
de pauvres gens de Nazareth et non pas eux.
Je vis Jésus enseigner
encore aujourd'hui dans la synagogue. Le soir, avec le commencement du
14 adar, s'ouvrit la grande fête de réjouissance des Purim. Jésus fut
dans la soirée chez le vieil Essénien Eliud de Nazareth, et il y resta
jusqu'à une heure avancée de la nuit. Ce saint homme paraît devoir
bientôt mourir de vieillesse. Il est extrêmement faible et reste presque
toujours couché. Je vis pendant la nuit Jésus étendu par terre à côté de
son lit, s'entretenir avec lui, appuyé sur son coude. Cet homme est tout
en Dieu.
(12 mars) Hier soir,
lorsque la fête des Purim commença avec le 11 adar, on joua sur le toit
de la synagogue d'un singulier instrument de musique que je ne puis pas
décrire, parce que je suis trop faible. C'était comme un énorme tambour
auquel des cordes étaient adaptées. Des enfants venaient frapper dessus,
et en tiraient divers objets ; on pouvait faire avec cela toute espèce
de musique. Les enfants jouaient aussi de la harpe et de la flûte.
Aujourd'hui, les femmes et les jeunes filles jouissaient, en mémoire
d'Esther, de certains privilèges et de certains droits dans la
synagogue. Elles n'avaient pas de places séparées, et pouvaient
s'approcher du lieu où se tenaient les prêtres. Des processions
d'enfants richement habillés, les uns en blanc, les autres en rouge,
vinrent aussi dans la synagogue. Il vint en outre une jeune fille avant
au cou un ornement qui avait quelque chose d'effrayant à voir. Elle
avait autour du cou un anneau d'un rouge de sang, comme si on lui avait
coupé la tête : autour de cet anneau étaient attachés des fils rouges
terminés par des boutons qui descendaient comme des traces de sang sur
son vêtement blanc ; on eût dit que le sang coulait de la blessure de
son cou. Elle s'avança pour représenter quelque chose comme sur un
théâtre. Elle était revêtue d'un manteau magnifique, et on lui portait
la queue : d'autres jeunes filles et des enfants la suivaient. Elle
avait sur le devant de la tête une haute coiffure terminée en pointe, et
un long voile. Elle tenait quelque chose à la main ; je ne sais pas si
c'était une épée ou un sceptre. C’était une grande et belle jeune fille.
Je ne sais plus bien ce que c'était que tout cela : il me semblait
qu'elle devait représenter Esther, et pourtant c'était aussi comme une
Judith , mais non pas celle qui tua Holopherne : car il y avait près
d'elle une servante qui portait une belle corbeille dans laquelle
étaient des présents pour le premier d'entre les prêtres. Elle lui donna
de petites plaques très artistement travaillées comme les Juifs en
portent souvent sur le front ou sur la poitrine. Dans un coin de la
synagogue, il y avait derrière un rideau, comme sur un lit de parade, un
mannequin représentant un homme : cette jeune fille lui trancha la tête
qu’elle présenta au chef des prêtres. En vertu d'un privilège que lui
donnait une ancienne coutume, elle donna aux prêtres des avertissements
sur les principales fautes qu'ils avaient commises pendant l'année, et
se retira. Il y avait encore d'autres fêtes où les femmes avaient un
semblable droit de remontrance vis-à-vis des prêtres.
Dans la synagogue, le livre
d'Esther, écrit sur un rouleau particulier, fut lu alternativement :
Jésus aussi en lut quelque chose. Les Juifs, spécialement les enfants,
avaient de petites planchettes avec des marteaux : quand on tirait un
fil, le marteau frappait un nom écrit sur la planchette, et alors aussi
on disait quelque chose : cela avait lieu chaque fois que le nom d'Aman
était prononcé.
Il y eut aussi de grands
repas : il y en eut un spécialement où Jésus assista avec les prêtres
dans la maison publique.
Note : L’écrivain
lut, plusieurs années après, que plusieurs d'entre les Juifs
qui,outre le jeûne en mémoire d'Esther, fêtent, le 13 adar, la
victoire de Judas Macchabée sur Nicanor, disent qu’une soeur de
Judas Macchabée appelée Judith, coupa la tête à Nicanor il parait
aussi qu'à la fête de la dédicace du temple par Judas, ils célèbrent
dans leurs cantiques une Judith dont on ne sait pas si c’est celle
de Béthulie.
Tout était orné aussi
agréablement qu'à la fête des tabernacles. Il y avait spécialement
beaucoup de guirlandes de fleurs des roses grosses comme la tête, des
pyramides entières de fleurs, et une quantité énorme de fruits. un
agneau tout entier fut servi sur la table, et je fus particulièrement
émerveillée de la grande magnificence de La vaisselle. Il y avait des
plats de plusieurs couleurs et transparents comme des pierres
précieuses. Ils semblaient faits avec d'innombrables fils de verre de
couleur entrelacés ensemble, etc. On se faisait aujourd'hui beaucoup de
cadeaux les uns aux autres ; c'étaient surtout des bijoux, des pièces de
vêtements de fête, des tuniques, des manipules, des voiles, des
ceintures : Jésus reçut une robe de fête avec des houppes, mais il ne
voulut pas la garder et la donna à d'autres. Beaucoup faisaient aussi
leurs présents aux pauvres, auxquels, en général, on fit d'abondantes
largesses.
(13 mars) La fête continua
encore aujourd'hui. Je vis ce matin, que Jésus accompagné de ses
disciples était allé avec les prêtres à peu de distance de Nazareth dans
divers jardins de plaisance très ornés, ils avaient avec eux trois
rouleaux d'écriture et aussi le livre d'Esther ; on y fit
alternativement des lectures. Plusieurs troupes de jeunes gens et de
jeunes filles les avaient suivis : toutefois les jeunes filles
n'écoutaient l'instruction que de loin. Je vis aussi ce jour-là circuler
des hommes qui recueillaient une contribution relative à la fête de
Pâques. Je vis encore quelque chose de cet instrument mentionné hier
dont j'ai parlé comme d'un tambour et que je puis décrire un peu
différemment.
Note :
Suivant une communication qui sera donnée plus bas, elle entend par
là la capitation imposée par la loi à tous les Israélites et qui
devait être appliquée au temple.
Il se tenait sur trois
pieds, il y avait dessus et dessous des surfaces triangulaires, dont
deux étaient au-dessus. Des tuyaux s'élevaient et s'abaissaient à
l'intérieur, le ton changeait selon ce qu'on faisait rentrer ou sortir ;
des enfants en tiraient une mélodie régulière. Cela tenait de l'orgue à
manivelle, de la timbale et de la harpe.
(14-17 mars) Dérangée par
la visite d'une amie, la Sœur ne put communiquer que ce qui suit : Jésus
est allé ce matin à la synagogue : on y célébrait une espèce de fêle
d'actions de grâces. Il discuta sur différents objets avec les prêtres.
Dans l'après-midi, il a fait avec ses disciples trois ou quatre lieues
au midi, dans la direction Aphéké : il ne reviendra que demain soir à
Nazareth pour le sabbat. La petite rivière de Kison coule devant Apheké
: il y a là un grand passage de marchandises par une route qui vient
d'une ville maritime. Thomas n'était plus là alors.
Le vendredi soir Jésus
était de retour à Nazareth pour le sabbat : il y resta le samedi et le
dimanche. Dans la nuit du dimanche au lundi, je le vis pour la dernière
fois près de l'Essénien Eliud, qui était mourant.
(18-20 mars) Ce matin Jésus
partit de Nazareth avec ses disciples : les prêtres lui tirent la
conduite. Aucun d'eux ne pouvait comprendre d'où lui était venu tant de
science après une si courte absence. Ils ne trouvaient rien à dire
contre sa doctrine. J'ai pensé alors à la manière dont ils devaient le
traiter plus tard. Plusieurs sont secrètement jaloux de lui. Jésus
suivit le chemin qu'avait suivi la sainte famille lors de la fuite en
Egypte. Il passa avec ses disciples par le petit endroit, assez voisin
de Legio, où la sainte famille entra alors, et dont j'ai dit autrefois
qu'il y habitait une race d'hommes méprisés, des espèces d'esclaves
Jésus y acheta du pain, qui se multiplia quand il le distribua. Cela ne
produisit pas un grand effet. Il ne s'arrêta pas longtemps là : cela se
fit comme en passant. Plus tard, Lazare vint à sa rencontre sur le
chemin avec quatre disciples, dont étaient Jean Marc et Obed. Il fit
avec ceux-ci environ cinq lieues, et sur le soir ils arrivèrent sans
être remarqués à une maison de campagne ou propriété de Lazare, où tout
était préparé pour les recevoir. un intendant demeurait là. Je crois que
c'était le bien que Lazare avait à peu de distance de l'ancien champ de
Jacob. Il est contre les montagnes où l'on passe pour aller à Samarie.
Je crois que Jésus y célébrera le sabbat ou un jour de fête. y en a-t-il
un maintenant' Je croyais d'abord que cela se passait à Béthanie, parce
que je voyais Lazare et une maison considérable entourée de jardins.
(Ceci prouve combien peu elle se souvient de l'enchaînement de la
narration.)
(19 mars) La nuit dernière
je vis Jésus avec ses disciples et Lazare qui était venu au-devant de
lui entrer dans la propriété de Lazare, située à un quart de lieue
environ d'une ville, peu considérable maintenant, mais qui était
autrefois la résidence des rois d'Israel. Cette ville est à quelques
lieues de Samarie, mais à peu près sur la même ligne. Le champ de Jacob
est de l’autre côté. Je crois que cette ville s'appelle Thirza. Il me
semble qu'un roi a habité autrefois la maison de Lazare. C'est la maison
où, dans la dernière année de la prédication de Jésus, lorsqu'il
enseigna à Samarie, Marthe et Madeleine le reçurent et le prièrent de
venir visiter leur frère malade. C'est aussi un des premiers logements
de Marie lors de son voyage à Bethléhem.
Jésus enseigna aujourd'hui
à Thirza dans la synagogue. Les gens d'ici sont très bons. La fête que
Jésus doit célébrer ici est la fête d'une dédicace du temple, qui a lieu
le 25 adar.
(20 mars) L'endroit
s’appelle Thirza, il est à environ six lieues de Samarie, dans un beau
pays exposé au soleil levant, très fertile en grains, en vins et surtout
en fruits. Les habitants sont agriculteurs pour la plupart et vont
vendre leurs produits ailleurs. La ville était autrefois grande et
belle. Des rois y ont habité : mais le château fut brûlé et la ville
dévastée pendant la guerre. Un roi nommé Omri a longtemps habité la
maison de Lazare, jusqu'à ce qu'on eût bâti Samarie, où il alla alors.
Cette ville est aujourd’hui petite et peu fréquentée : je crois que de
nos jours il en reste encore des vestiges. Les habitants se tiennent
fort à part des Samaritains.
Il y a sur le bien de
Lazare un vieil intendant, qui est un Juif de la vieille roche. Il va
pieds nus et porte une ceinture. Marie et Joseph allant à Bethléhem ont
fait ici une de leurs premières stations : c'est cet homme, aujourd'hui
très âgé, qui les reçut. Jésus enseigna pendant la journée dans la
synagogue de Thirza, mais il n'opéra point de guérisons.
Ce soir, 23 adar, jour du
sabbat, a commencé la fête de la dédicace du temple de Zorobabel : elle
est moins solennelle que celle de la dédicace des Macchabées. On allume
encore des flambeaux et des feux en grand nombre sur les routes, dans
les champs où sont les bergers et dans la synagogue. Jésus fut la plus
grande partie de la journée avec tous les disciples dans la synagogue de
Thirza. Il a mangé dans la maison de Lazare, mais très peu la majeure
partie des aliments était toujours distribuée aux pauvres de Thirza, ou
il y en a beaucoup. On fit de semblables distributions pendant tout le
séjour de Jésus. La ville a encore dans ses murailles et ses anciennes
tours des traces de son ancienne splendeur. Il semble qu'autrefois elle
comprenait dans son enceinte la maison de Lazare, aujourd'hui éloignée
d'un quart de lieue : on le voit à des restes de murs et à des
substructions maintenant recouverts de jardins. Cette propriété de
Lazare lui vient de son père. Il y est, comme partout, très considéré et
très respecté, en qualité d'homme riche, pieux et éclairé. Sa manière
d'être se distingue de celle des autres hommes : il est très sérieux et
parle fort peu, mais avec beaucoup de douceur et pourtant avec autorité.
(21 et 23 mars) Le soir,
lorsque la fête fut finie, je vis Jésus, les disciples et Lazare quitter
Thirza, et continuer leur voyage vers la Judée : la route était celle
qu'avaient faite Marie et Joseph, allant à Bethléhem, toutefois ce
n'étaient pas absolument les mêmes chemins. Ils traversèrent la contrée
montagneuse qui longe Samarie. Je les ai vus pendant la nuit gravir une
haute montagne. C'était une nuit douce et claire, et une rosée
bienfaisante tombait sur la terre. Jésus a environ dix-huit, compagnons
: ils allaient deux à deux sur les sentiers, un groupe en avant, un
autre a la suite de Jésus, et quelques-uns entre les deux. Jésus
s'arrête souvent, il parle ou il prie, selon que le chemin s'y prête.
Ils ont marché une grande partie de la nuit, se sont reposés le matin,
et ont pris quelque chose, puis ils ont encore traversé des montagnes où
la température est froide : ils ont évité toutes les villes. Je le vis
avec environ six disciples à peu de distance de Samarie, lorsqu'un jeune
homme de cette ville se prosterna devant lui sur le chemin et lui dit :
"Sauveur des hommes qui voulez délivrer et relever la Judée, etc." il
croyait, lui aussi, à un royaume temporel que le Christ devait établir
et il lui demandait instamment de le prendre avec lui, de lui donner un
emploi près de lui. Ce jeune homme était orphelin, mais son père lui
avait laissé de grands biens et il avait un emploi à Samarie. Jésus le
traita très amicalement : il lui dit que quand il reviendrait, il lui
dirait ce qu'il avait à faire : il ajouta que sa bonne volonté et son
humilité lui plaisaient, qu'il n'y avait rien à redire a ce qu'il
disait, etc. Mais je vis qu'il savait bien que ce jeune homme tenait à
ses richesses. Il ne lui dira ce qu'il a à faire que quand il aura
choisi tous ses apôtres : car il lui donnera par là un enseignement. Ce
jeune homme doit revenir une autre fois, et cela se trouve dans
l'Évangile.
Le soir qui précédait le
sabbat je le vis arriver chez les bergers, entre les deux déserts, à
quatre ou cinq lieues de Béthanie, à l'endroit où Marie et les saintes
femmes passèrent la nuit lorsqu'elles allèrent trouver Jésus à Béthanie,
avant le baptême. Les bergers des environs se rassemblèrent et
apportèrent des présents et de quoi manger. La maison fut arrangée en
oratoire, une lampe fut allumée et ils restèrent la ; Jésus enseigna et
célébra le sabbat.
Dans ce voyage à travers
une contrée impraticable et déserte, Jésus a passé aussi à l'endroit où
Marie eut si froid lors du voyage de Bethléhem et où ensuite il fit si
chaud. La Sœur ne parla d'aucune autre étape dans ce voyage.
Aujourd'hui, 94 adar, on a remis au temple de Jérusalem le produit de
l'impôt qui a été perçu, lors de la fête des Purim, à Nazareth et
ailleurs.
(Samedi.) Je vis pendant
toute la journée Jésus e ses disciples célébrer le sabbat avec les
bergers. Tout avait été arrangé très convenablement pour cela il y avait
autour de Jésus, pendant qu'il enseignait une vingtaine de bergers avec
des femmes et de enfants. Tous étaient heureux et émus, et Jésus lui
même semblait plus serein parmi ces gens simple et innocents Je crois
qu'il n'y a pas loin d'ici Cariathiarim. Après le sabbat ils prirent un
léger repas et partirent pour Béthanie qui est à quatre lieues.
NEUVIÈME CHAPITRE.
Première fête de Pâques à
Jérusalem.
(Du 24 mars au 14 avril.)
Première fête de Pâques à Jérusalem.- Jésus à Béthanie.- Jésus au
temple.- Jésus enseigne chez Lazare.- Jésus au temple.- Il va à Hébron.-
Marie la silencieuse.- Jésus chasse les vendeurs du parvis du temple.-
Immolation des agneaux de Pâques au temple.- Jésus mange la Pâque dans
la maison de Lazare à Sion.- Jésus chasse de nouveau les vendeurs du
temple.- Jésus opère des Guérisons.-Commencement de persécution.- Mort
de Marie la silencieuse.- Nicodème visite le Seigneur.- Jésus congédie
les disciples pour un tempe.- Interruption des communications
quotidiennes des visions de la soeur.
(14-27 mars) Plusieurs des
disciples étaient partis de l'hôtellerie pour Jérusalem leur patrie. Je
ne vis point d'étrangers à Béthanie. Jésus habite toujours la même pièce
dans la maison de Lazare. C'est comme une synagogue et comme l'oratoire
de la maison : au milieu se trouve le pupitre d'usage sur lequel sont
placés les recueils de prières et autres écrits. Jésus repose dans une
petite chambre attenante.
Aujourd'hui, dans la
matinée, Marthe alla à Jérusalem chez Marie, mère de Marc, et chez les
autres femmes pour annoncer que Jésus viendrait avec Lazare, prendre son
repas dans la maison de Marie, mère de Marc. Ils y vinrent en effet vers
midi. Véronique, Jeanne Chusa, Suzanne, ceux des disciples de Jésus et
de Jean, qui étaient de Jérusalem, Jean Marc, les fils de Siméon, le
fils de Véronique, les neveux de Joseph d'Arimathie assistaient au repas
: il y avait en tout environ neuf hommes. Nicodème et Joseph n'en.
étaient pas. Jésus parla de l'approche du royaume de Dieu, de la
vocation de ses disciples, de ce qu'il fallait faire pour le suivre et
même de sa passion en termes obscurs.
La maison de Jean Marc est
située en avant de la ville, du côté du levant, en face de la montagne
des Oliviers, et pour y arriver Jésus n'avait pas besoin d'entrer dans
la ville. Le soir, il retourna à Béthanie avec Lazare. J'entendis ça et
là dire dans Jérusalem, que le nouveau prophète de Nazareth était à
Béthanie. Beaucoup se réjouissaient, d'autres se montraient
malveillants. Je vis aussi dans les jardins et sur le chemin de la
montagne des Oliviers des gens, parmi lesquels étaient des pharisiens,
qui se tenaient là pour l’entendre quand il passerait. Peut-être qu'ils
avaient entendu dire par hasard ou qu'on avait annoncé à Béthanie qu'il
viendrait à la ville, mais aucun d'eux ne lui adressa la parole ;
quelques-uns se retirèrent timidement derrière la haie et le regardèrent
passer. Ils se disaient les uns aux autres: “ C'est le prophète de
Nazareth, le fils du charpentier Joseph. ”
Il y avait dans le jardin
beaucoup de gens qui travaillaient aux haies, à cause de l'approche de
la fête on nettoyait et on arrangeait tout, on préparait le chemins, on
taillait et on relevait les haies. Je vis aussi de tous les côtés
beaucoup de Juifs pauvres e d'ouvriers venir à Jérusalem, avec des ânes
chargés C'étaient des gens qui pendant la fête travaillaient comme
journaliers dans la ville et dans les jardins De cette classe d'hommes
était Simon qui aida Jésus à porter sa croix.
(25 mars) Jésus alla encore
aujourd'hui à Jérusalem : il fut notamment dans la maison d'Obed, fils
de Siméon, qui était voisine du temple, et dans une autre maison en face
du temple, où avait demeuré autrefois la famille du vieux Siméon. Il
prit là des aliments que Marthe et les autres femmes avaient préparés et
envoyés. Les disciples de Jérusalem, au nombre de neuf environ et
quelques autres hommes pieux étaient présents : Nicodème et Joseph d'Arimathie
n'y étaient pas. Jésus parla de l'approche du royaume de Dieu avec
beaucoup d'onction et de gravité. Il n'alla pas encore au temple.
Il va partout sans crainte
: il est le plus souvent revêtu d'une longue robe blanche faite au
métier C'est une robe de prophète. Souvent il a l'apparence d'un homme
tout à fait ordinaire, il n'a rien qui frappe et il n'attire pas les
regards. D'autres fois il se montre sous un aspect tout à fait
extraordinaire : son visage est lumineux et a quelque chose de
surhumain. Le soir, lorsqu'il fut de retour à Béthanie, quelques
disciples de Jean, parmi lesquels était Saturnin, vinrent à lui : ils le
saluèrent et lui parlèrent de Jean.
Il ne venait plus beaucoup de monde pour se faire baptiser par lui, mais
il avait fort à faire avec Hérode. Nicodème est venu ce soir, chez
Lazare, à Béthanie, et il a entendu Jésus enseigner.
(26 mars) Ce matin Jésus
est allé chez Simon le Pharisien, qui possède à Béthanie une maison de
réception ou servant à donner des fêtes. Il y a eu chez lui un grand
repas où étaient réunis Lazare, Nicodème, les disciples de Jean et les
disciples de Jérusalem: ; Marthe et les femmes de Jérusalem étaient
aussi présentes. Nicodème ne parle presque pas en présence de Jésus, il
se tient sur la réserve et écoute avec admiration. Joseph d'Arimathie
est très ouvert et fait souvent des questions. Simon le pharisien n'est
pas mauvais, mais c'est pour le moment, un homme indécis qui entretient
des relations avec Jésus par amitié pour Lazare, et qui pourtant se
tient aussi en bons termes avec les pharisiens. à ce repas, Jésus dit
beaucoup de choses sur les, prophètes et sur l'accomplissement des
prophéties. Il parla de Jean Baptiste, de sa conception miraculeuse, dit
comment Dieu l'avait sauvé du massacre des enfants ordonné par Hérode,
et comment il était venu pour préparer les chemins. Il parla aussi, de
l'inattention des hommes quant à l'accomplissement des temps et il dit à
ce propos : “il y a trente ans (qui s'en souvient encore sinon quelques
hommes simples et pieux ?), trois rois de l'Orient ont suivi mon étoile
avec une confiance naïve : ils sont venus cherchant un roi des Juifs
nouvellement né, et ils trouvèrent un pauvre enfant avec de pauvres
parents. Ils restèrent près de lui trois jours ! s’ils étaient venus
visiter l'enfant d'un grand prince, on ne les aurait pas si facilement
oubliés. “Mais il ne dit pas expressément que cet enfant, c'était lui.
(27 mars) Ce matin, Jésus
accompagné de Lazare et de Saturnin, entra, à Béthanie, dans les maisons
de plusieurs pauvres et pieux malades de la classe ouvrière, et il en
guérit six Ou sept. Il y avait parmi eux des paralytiques, des
hydropiques et des hypocondriaques. Il ordonna à ceux qu'il avait guéris
de sortir de chez eux et de se mettre au soleil. La présence de Jésus à
Béthanie n'y fait pas encore d'éclat. Même lors de ces guérisons tout
resta très calme. Lazare qui est extrêmement considéré contribue
beaucoup à ce que les gens d'ici se tiennent tranquilles.
Le soir, qui était le
commencement du troisième jour du mois de Nisan, il y eut une fête à la
synagogue. Il m'a semblé que c'était la fête de la nouvelle lune : car
il y avait une espèce d'illumination dans l'école ; c'était comme un
disque lunaire qui pendant la prière devenait de plus en plus brillant
parce qu’un homme allumait sans cesse de nouveaux flambeaux derrière
lui.
(28 mars) aujourd'hui Jésus
assista au service divin dans le temple avec Lazare, Saturnin, Obed et
d'autres disciples. On sacrifiait un bouc, si je ne me trompe.
L'apparition de Jésus au temple produit une émotion d'une nature
particulière parmi les Juifs. Ce qu'il y a d'étonnant, c'est que chacun
renferme en lui-même ce qu'il ressent, et qu'aucun d'eux n'ose parler
aux autres de l'impression que produit sur lui sa présence. J'ai été
instruite intérieurement que Dieu dispose ainsi les choses afin de
prolonger pour le Sauveur, le temps pendant lequel il doit agir : car
s'ils se communiquaient leurs pensées, l’irritation s'accroîtrait : mais
maintenant chez plusieurs la haine et la colère sont en lutte avec une
sainte émotion : chez d'autres se produit une certaine curiosité de le
voir de plus prés, et ils s’efforcent d'entrer en rapport avec lui par
le moyen d'autres personnes, etc. Aujourd'hui il y avait un jour de
jeûne en mémoire de la mort des enfants d'Aaron.
(29 mars) La Sœur fut ce
jour-là occupée à contempler la passion du Sauveur et à souffrir avec
lui : étant dans l'état d'extase, au milieu des souffrances les plus
cruelles, elle dit ce qui suit, tout étonnée de voir deux choses à la
fois:
Jésus est à Béthanie dans la maison de Lazare : les disciples et
plusieurs autres gens pieux sont présents. Il enseigne dans une grande
salle où il y a une chaire. Il le fait de la même manière qu'il le
faisait récemment quand il parlait des trois rois : il appelle leur
attention sur des événements d'un temps antérieur. Il leur dit : “N'y
a-t-il pas déjà dix-huit ans, qu'un petit bakhir (cela doit vouloir dire
écolier 2), disputa dans le temple d'une façon si surprenante avec les
docteurs de la loi et qu'ils furent si irrités contre lui ?” il répète
aussi ce qu'a dit le petit bakhir. Le soir Jésus célébra le sabbat dans
la synagogue de Béthanie.-Pendant qu'elle voyait cela, elle avait aussi
une vision du crucifiement et s'étonnait de voir les deux choses à la
fois. Elle ne put rien dire de plus à cause de ses cruelles souffrances.
Note : Son ange gardien lui
avait annoncé depuis longtemps, parce qu'elle était menacée pour le
vendredi saint de cette année d'une irruption de gens malveillants, que
cette fois il ne lui serait pas donné de contempler la Passion le
vendredi où l'Église en fait mémoire, mais le jour où elle eut lieu
réellement : cela lui arriva depuis hier soir jeudi jusqu'à ce soir. Le
14 nisan de l’année de la mort du Sauveur doit donc être tombé le 29
mars. Nous ne parlons pas des souffrances inexprimables de ce jour, et
en général de presque tous les jours de sa vie actuelle : le lecteur
peut s'en faire une idée par la manière imparfaite et défectueuse dont
sont communiquées ses contemplations de la vie du Sauveur.
2-Ce sont les propres termes de la narratrice.
(30-31 mars) Elle fut
malade au delà de tonte expression et le samedi elle eut de telles
douleurs dans la bouche qu'elle ne put presque rien dire.
Ce matin j'ai vu Jésus dans
le temple pendant la célébration du sabbat, avec Obed qui était attaché
au service du temple et les autres disciples de Jérusalem. (Elle était
trop malade pour s'exprimer bien distinctement : elle ne dit que ce qui
suit, en s'exprimant peu clairement.) Jésus se tenait parmi ses amis
prés des autres jeunes hommes israélites : ils se tenaient deux à deux.
Il avait un vêtement blanc fait au métier, une ceinture et un manteau
blanc qui n'était pas le même que portent les Esséniens. Il y avait
quelque chose de particulier dans sa manière d'être. Son vêtement était
d'une propreté remarquable et paraissait très élégant, sans doute parce
que c'était lui qui le portait. Il s'unit aux chants et aux prières qui
se faisaient alternativement d'après des cahiers d'écritures. On fut de
nouveau surpris et frappé de le voir, sans pourtant lui parler. Ils ne
parlèrent même pas ouvertement de lui entre eux. Mais je vis chez
plusieurs un merveilleux mouvement intérieur. C'était un jour de sabbat
: on fit trois instructions ou prédications, sur les enfants d'Israël,
sur leur sortie d'Egypte et sur l'agneau pascal. J'ai vu aussi sur un
autel un sacrifice d'encens ; on ne pouvait pas voir le prêtre, mais
bien l'encens et le feu. J'ai vu le feu à travers une espèce de grille
au-dessus de laquelle avait été placé comme un agneau pascal avec des
ornements et des rayons : je vis aussi le feu briller à travers. Cet
autel était près du Saint des Saints : ses cornes me paraissaient
arriver jusque dans le Saint des Saints. Je vis des pharisiens en prière
rouler plusieurs fois autour d'un de leurs bras une longue bandelette
qui était proprement un voile.
Vers deux heures après
midi, Jésus avec ceux qui l’avaient accompagné au temple entra dans une
salle attenante au parvis des Israélites, où on avait préparé une petite
collation de fruits et de pains qui étaient comme tressés ensemble ils
avaient chargé l'un d'eux d'avoir soin de tout. On pouvait acheter et se
procurer dans les salles voisines tout ce qui était nécessaire en pareil
cas. Le temple était comme une ville : c'était si grand, on pouvait tout
y trouver. Jésus enseigna pendant ce repas. Quand les hommes se furent
retirés, les femmes à leur tour mangèrent là.
Je vis aujourd'hui quelque
chose que je ne savais pas auparavant : Lazare avait un emploi au
temple, c'était à peu près comme chez nous lorsqu’un bourgmestre est
chargé de quelque chose dans l'église. Il allait à droite et à gauche
avec une boite pour recueillir une contribution. Jésus et les siens
restèrent au temple toute l'après-midi et je ne le vis de retour à
Béthanie que vers neuf heures. Il y avait pour ce sabbat une quantité
innombrable de lampes et de flambeaux dans le temple.
J'ai déjà vu hier que Marie
et les autres saintes femmes sont parties de Capharnaum pour Jérusalem.
Elles vont de Capharnaum à Nazareth, passent près du Thabor où d'autres
femmes viennent se joindre à elles et doivent aller par Samarie. Les
disciples galiléens allaient en avant d'elles, et des serviteurs qui
portaient le bagage venaient derrière. J'ai oublié où elles célébrèrent
le sabbat. Parmi les disciples étaient Pierre, André et son demi frère
Jonathan, les fils de Zébédée, ceux de Marie de Cléophas, Nathanaël
Khased et Nathanaël le fiancé. Je crois que ce n'est qu'au retour de la
fête que quelques-uns des disciples rencontreront Thomas et lui
parleront de Jésus.
Dimanche, le 4 nisan, Jésus
passa toute la matinée dans le temple avec une vingtaine de disciples :
ensuite il enseigna dans la maison de Marie, mère de Marc, et y mangea
quelque chose. Il assista ensuite avec Lazare à un repas chez Simon le
pharisien à Béthanie.
Jean Baptiste ne vient pas
à la fête, dit-elle en secouant la tête sur une question qui lui était
adressée à ce sujet On examine déjà les agneaux, et on en rebute
beaucoup.
(1-7 avril) Dans la matinée
Jésus est encore allé au temple : dans l'après-midi il a mangé et
enseigné dans la maison de Joseph d'Arimathie. Cette maison est dans le
quartier que celle de Jean Marc. Il y a là un atelier de tailleur de
pierre. C'est un quartier un peu écarté et les pharisiens y vont
rarement : d'ailleurs personne ne craint encore de se rapprocher de
Jésus ; car l'hostilité contre qui n'a pas encore éclaté.
Marie et les autres
voyageurs de Galilée sont à présent à Nazareth. -La Soeur dit encore
d'une manière très positive que Jean-Baptiste ne venait pas à Jérusalem
pour la fête de Pâques.
(2 avril) Jésus se montre
de plus en plus librement et hardiment à Jérusalem et au temple : il
s'est avancé avec Obed entre l'autel des sacrifices et le temple, à un
endroit où l'on fait une instruction pour les prêtres sur la fête de
Pâques et ses cérémonies. Ses disciples restèrent dans le parvis des
Israélites. Les pharisiens furent très mécontents de le voir. Il a mangé
et aussi enseigné chez Joseph d'Arimathie. Il va toujours avec assurance
et s'entretient aussi avec diverses personnes dans la rue.
Il vient beaucoup de monde
à Jérusalem, surtout des ouvriers, des journaliers, des domestiques, des
marchands avec des provisions de toute espèce. Tout autour de la ville
et dans les espaces vides on dresse beaucoup de cabanes et de tentes
afin d'y héberger les gens qui arrivent en foule pour la fête. On amène
à la ville beaucoup d'agneaux et d'autre bétail. On fait déjà le triage
des agneaux. Il vient aussi à Jérusalem un très grand nombre de païens
pour la fête.
Les saintes femmes ont été
à Nazareth et maintenant elles sont une journée de voyage plus loin dans
une hôtellerie de Thirza. Les apôtres sont en avant.
A Bethanie Jésus enseigne
et guérit déjà publiquement, on lui a amené des malades étrangers. Des
parents de Zacharie sont aussi venus le voir de la contrée d'Hébron pour
l'engager à y aller. Aujourd'hui encore il fut dans le temple, et le
soir,` après le service divin, lorsque les prêtres pour la plupart
eurent quitté le temple, il commença à la place où il se tenait près de
ses disciples à enseigner devant ceux-ci et d'autres gens de bien. Il
parla de l'approche du royaume de Dieu, de la fête de Pâques, de
l'accomplissement prochain de toutes les prophéties et de toutes les
figures, même de celle de l'agneau pascal. Il parla d'une manière très
grave et très pénétrante, plusieurs prêtres qui étaient encore occupés
çà et là furent troublés par ses discours et ressentirent un secret
mécontentement. Cela eut lieu le soir. Il se rendit de là à Béthanie et
partit dans la nuit avec les gens d'Hébron et quelques disciples : il
fit environ quatre lieues au midi dans la direction d'Hébron.
Dans le temple, maintenant
on fait des préparatifs pour la fête avec une grande activité : on fait
for changements dans l'enceinte intérieure : on ouvre beaucoup de
passages et de salles et on enlève de échafaudages et des cloisons. Ou
peut maintenant arriver à l'autel de tous les côtés : tout prend un
autre apparence.
(Jeudi) Dans la nuit du 3
au 4 avril, Jésus parti pour Juta avec quelques disciples et les parents
de Zacharie. Ils passèrent entre Jérusalem et Bethléhem ; il laissèrent
Bethléhem à gauche en allant et à droite e revenant. C'était une route
de cinq lieues tout a plus. De Juta il se rendit à Hébron qui en est
tout près : il y enseigna et guérit plusieurs personnes. y resta
jusqu'au vendredi à midi : alors il revint d'Hébron et arriva
directement à Béthanie pour le sabbat. Le chemin passait par dessus des
montagne exposées au soleil et il y faisait très chaud. Les disciples
qui étaient venus d'auprès de Jean visiter Jésus à Béthanie sont
retournés vers le précurseur.
(6 avril) Aujourd’hui Jésus
accompagné d'Obed est allé dans le temple jusqu'au vestibule où se
trouve la chaire dans laquelle il a enseigné plus tard. Les prêtres et
les lévites étaient assis là sur des sièges circulaires autour de la
chaire du haut de laquelle on leur faisait une instruction sur la fête
de Pâques. L'apparition de Jésus excita un grand trouble parmi les
assistants, surtout lorsqu'il fit quelques objections et quelques
questions auxquelles aucun d'eux ne put répondre. Il dit entre autres
choses que le temps où la figure de l'agneau pascal deviendrait une
réalité était proche et qu'alors ce temple et ce culte prendraient fin.
Il parla de cela en termes figurés, et pourtant d'une manière si claire
pour moi que je ne pus m'empêcher de penser vivement à l'endroit du
Pange lingua où il est dit Antiquum documentum novo cedat ritui : car
Jésus dit quelque chose d'approchant. Lorsqu'ils lui demandèrent d'où il
savait cela, il leur répondit que son Père le lui avait dit, mais il
n'expliqua pas qui il entendait par là. En tout il parla toujours en
général. Les pharisiens très courroucés et cependant saisis d'étonnement
n'osèrent rien contre lui. Il n'était pas proprement permis aux laïques
d'entrer dans cette partie du temple, mais il y entra en qualité de
prophète. Dans la dernière année, il y a même enseigné.
Apres le sabbat, Jésus alla
à Béthanie. Jusqu'à présent, pendant ce séjour, je n'ai pas vu Jésus
s'entretenir avec Marie la silencieuse. Je crois que sa fin approche. Il
semble qu'il s'est fait un changement en elle. Elle est couchée par
terre sur des couvertures grises, et des servantes la tiennent dans
leurs bras. Elle était dans une espèce d'évanouissement. Elle me semble
plus rapprochée du monde terrestre ; elle aura encore à souffrir sur la
terre. Jusqu'à présent son esprit était toujours absent, et ne sachant
rien de ce monde, elle voyait Jésus et tous les autres sans s'en
préoccuper et sans grandes souffrances. Elle était dans sa chambre comme
dans une merveilleuse mine d'argent. Tout était si large et si beau
autour d'elle. Mais maintenant elle parait revenue davantage à la vie
réelle, elle va savoir maintenant que ce Jésus qui est ici, à Béthanie,
qui vit dans son temps et dans son voisinage, est celui qui doit
souffrir si cruellement. Étant encore vivante, elle participera
corporellement à ses douleurs et mourra bientôt après.
Dans la nuit du samedi
Jésus a visité la soeur de Lazare, Marie la silencieuse, et s'est
longtemps entretenu avec elle. Tantôt elle était assise sur sa couche,
tantôt elle marchait autour de sa chambre. Elle maintenant toute sa
raison, connaît la différence entre ce monde et l'autre monde ; elle
sait que Jésus est le Sauveur et l'agneau pascal, et qu'il doit éprouver
d'horribles souffrances. Elle en est affligée au delà de toute
expression, et le monde se présente à et tout ténébreux et comme un
poids qui l'oppresse. Ce qui la désole surtout, c'est l'ingratitude des
hommes qu'elle prévoit. Jésus parla longtemps avec elle de l'approche du
royaume de Dieu et de ses souffrance puis il la bénit et se retira. Elle
ne tardera pas à mourir. Elle est maintenant extraordinairement belle et
grande, blanche comme la neige et lumineuse, ses mains sont comme de
l'ivoire et ses doigts sont longs et effilés. Dans la matinée Jésus
guérit publiquement à Béthanie beaucoup de gens qu'on lui avait amenés
paralytiques, aveugles, etc., parmi lesquels des étrangers venus pour la
fête.
Quelques hommes du temple
vinrent le trouver et lui demandèrent compte de sa manière d'agir : ils
lui demandèrent aussi qui lui avait donné le droit, la veille au temple,
de prendre la parole pendant l'instruction, etc. Il leur répondit d'un
ton très grave, et parla de nouveau de son Père. Les pharisiens
n'osaient pas s'attaquer à lui, ils éprouvaient un sentiment de terreur
en sa présence et ne savaient pas se rendre compte de l'effet qu'il
produisait sur eux.
Aujourd’hui il a encore
enseigné dans le temple. Le soir arrivèrent tous les disciples galiléens
qui avaient été aux noces de Cana. Marie aussi arriva, ainsi que les
saintes femmes : et elles logèrent chez Marie, mère de Marc. Lazare a
acheté plusieurs agneaux rebutés : il les a fait tuer et distribuer
parmi les pauvres journaliers et ouvriers.
(8 et 9 avril) Jésus fut
aujourd'hui au temple avec tous ses disciples : il fit sortir de
l'enceinte du parvis destiné à la prière, et fit reculer bien en arrière
dans le parvis des gentils plusieurs vendeurs d'herbages verts,
d'oiseaux, d'agneaux, de comestibles de tout genre et d’autre objets :
il le fit avec beaucoup de charité et de bienveillance Il les avertit
amicalement que c'était très peu convenable, spécialement le bêlement
des agneaux et du bétail, et il aida lui-même avec les disciples à
transporter leurs tables et à leur trouver des places.
il guérit aussi ce jour-là
à Jérusalem beaucoup d'étrangers malades, notamment de pauvres ouvriers
paralytiques qui habitaient aux environs du Cénacle, contre la montagne
de Sion. Il y a une incroyable quantité de monde à Jérusalem. Il y a
autour de la ville des campements entiers, formés de cabanes et de
tentes. Sur de grandes places sont des constructions longues comme des
rues, où l'on peut tout avoir et où se trouve en grande quantité ce
qu'il faut pour dresser une tente et pour manger l'agneau pascal. Ce
sont comme des magasins où l'on vend et où on loue. Des troupes de
journaliers et des pauvres gens de tout Israël sont occupés à porter ça
et là des choses de ce genre et à les mettre en place. Ces gens ont déjà
depuis quelque temps à Jérusalem et autour de la ville, fait disparaître
tout ce qui peut gêner la circulation, taillé les haies, ouvert les
chemins, aplani et délimité les lieux de campement, disposé les places
de vente et les marchés. On a également, plusieurs semaines à l’avance,
réparé et préparé les routes et les passages difficiles dans le pays.
Tout cela se fait pour l'agneau pascal, de même que Jean Baptiste a
préparé les chemins pour le véritable Agneau de Dieu.
(9 avril) Jésus est encore
allé au temple avec ses disciples, et il a encore une fois fait retirer
les vendeurs. Comme tout était ouvert à cause de l'immolation prochaine
des agneaux de Pâques, beaucoup de gens s'étaient encore avancés
jusqu'au parvis où l'on priait. Jésus les fit retirer et enleva leurs
tables. Cela se fit d'une manière plus impérieuse que la fois d'avant :
les disciples faisaient faire place devant lui : il y avait là des gens
insolents qui lui résistaient en gesticulant vivement et en se portant
en avant, si bien que Jésus enleva une table de ses propres mains. Leur
résistance fut inutile : la place fut bientôt vidée, et tout leur
attirait transporté jusqu'à la cour la plus éloignée. Il les avertit
qu’il les avait deux fois écartes avec bonté, mais que s'il les
retrouvait encore ici, il ferait usage de la force. Là-dessus les plus
effrontés l'injurièrent : De quoi se mêlait ce Galiléen, cet écolier de
Nazareth ? Ils ne le craignaient pas. Ce fut alors que commença la
retraite. Il y avait là une foule nombreuse qui l'admirait. Les Juifs
pieux lui donnaient raison et le louaient à quelque distance. On cria :
C'est le prophète de Nazareth ! Les pharisiens, qui en furent irrités e.
confus, faisaient déjà courir sous main parmi le peuple, depuis
plusieurs jours, l'avis de ne pas s'attacher à cet étranger pendant la
fête, de ne pas courir après lui, et de ne pas en beaucoup parler. Mais
le peuple a de plus en plus lés yeux sur lui, car il y a déjà ici un
grand nombre de personnes qu'il a enseignées ou guéries.
Comme Jésus, en sortant du
temple, avait guéri dans un des vestibules un paralytique qui l'avait
invoqué, celui ci entra tout joyeux dans le temple, glorifiant Jésus et
y fit un grand effet. Jean Baptiste ne vient Pas à la fête, il n'est pas
véritablement un Juif selon la loi : puis il n'est pas comme les autres
hommes, ce n'est pour ainsi dire qu'une voix revêtue de chair.
Maintenant il y a affluence de gens qui veulent être baptisés par lui, à
cause du grand mouvement produit par la foule qui va à Jérusalem.
Ce soir il régnait une
grande tranquillité à Jérusalem. On s'occupait dans les maisons à mettre
le levain de côté et à préparer les pains azymes. Tous les ustensiles
étaient suspendus et couverts. Cela se fit aussi dans la maison de
Lazare près de la montagne de Sion où Jésus et les siens doivent manger
la Pâque. Jésus y était en personne, il enseigna sur ce sujet et tout se
fit sous sa direction : on n'y mettait pas tant d'empressement inquiet
que chez les autres Juifs. Jésus leur expliqua de quoi la Pâque était la
figure, comment ils devaient la faire. et ce que les pharisiens y
avaient ajouté mal à propos. La maladie m'a fait oublier les détails.
(10 avril) (Elle est
toujours si malade qu'elle a peine à communiquer ce qui suit). Jésus
aujourd'hui ne fut pas dans le temple, mais à Béthanie. En voyant tant
de vendeurs se presser encore dans le temple, je me disais que s'il
était là, mal leur en prendrait. Après le repas les agneaux de Pâques
furent immolés dans le temple. Cela se fit avec un ordre et une
dextérité merveilleux. Chacun apportait son agneau sur ses épaules ; on
se tenait en très bon ordre, il y avait suffisamment de place pour tous
: autour de l'autel se trouvaient trois cours où l'on pouvait se tenir :
entre l’autel et le temple il n'y avait personne. Devant ceux qui
immolaient les victimes étaient placées des balustrades et des tablettes
avec tout ce qui était nécessaire : toutefois ils étaient si serrés que
le sang d'un agneau rejaillissait sur celui qui immolait l'autre : leurs
habits étaient tout ensanglantés. Les prêtres se tenaient sur plusieurs
rangs jusqu'à l'autel et les bassins pleins de sang ou vides passaient
de main en main. Avant que les Israélites vidassent les agneaux, ils les
frappaient et les périssaient d'une façon particulière, en sorte que les
entrailles se retiraient facilement en une fois, avec l'aide du voisin
qui tenait l'agneau. L'écorchement allait très vite, ils retiraient un
peu la peau et l'assujettissaient à un bâton rond qu'ils avaient avec
eux, pendaient l'agneau par la partie antérieure du cou, et alors avec
les deux mains ils faisaient tourner le bâton sur lequel la peau
s'enroulait. L'immolation fut terminée vers le soir. Je vis le ciel
rouge comme du sang au coucher du soleil.
Lazare, Obed fils de Siméon
et Saturnin immolèrent les trois agneaux que Jésus et ses disciples
devaient manger. Le repas eut lieu dans la maison de Lazare contre la
montagne de Sion. C'est un grand bâtiment avec deux ailes. Dans la salle
où ils mangèrent était aussi le four à rôtir, mais il était tout autre
que le foyer du cénacle. Il était plus haut que large, comme les foyers
dans la maison d'Anne, dans cette de Marie et à Cana. Dans le gros mur
qui s'élevait perpendiculairement étaient des trous où l'on plaçait
l'agneau dans une position verticale, il était étendu sur du bois et
comme crucifié. La salle était bien parée, et les trois groupes
mangeaient à une table qui me frappa parce qu'elle était en forme de
croix. Lazare était assis au haut, au petit bout de la croix où. se
trouvaient aussi plusieurs plats avec des herbes amères. Les agneaux de
Pâques étaient placés, l’un entre Pierre et Jésus sur l'un des bras de
la croix : l'autre en face près d'Obed, le troisième devant Saturnin sur
le long bout. Autour de Jésus étaient des membres de sa famille et les
disciples galiléens : autour d'Obed et de Lazare, les disciples de
Jérusalem ; autour de Saturnin les disciples de Jean. Tous ensemble
étaient pour le moins une trentaine.
Cette Pâque se célébra
d'une autre manière que la dernière Pâque de Jésus. Ce fut plus à la
façon juive : tous ici tenaient des bâtons à la main, avaient leurs
vêtements retroussés et mangeaient très vite . à là Cène, Jésus avait
deux bâtons en croix. Ils chantèrent aussi des psaumes et mangèrent
debout et très rapidement l'agneau pascal sans en rien laisser. Plus
tard ils se mirent à table Il y avait pourtant quelque chose de
différent de la manière dont les Juifs mangeaient. Jésus leur donna des
explications sur tout ce qui se faisait, et ils laissèrent de côté
divers usages ajoutés par les pharisiens. Jésus découpa les trois
agneaux et servit à table ; il dit qu'il faisait cela à présent comme un
serviteur ils restèrent encore ensemble jusque dans la nuit, chantèrent
et prièrent.
Il régnait aujourd'hui à
Jérusalem un calme et un silence sinistres : les Juifs qui n'immolaient
pas se tenaient dans leurs maisons qui toutes étaient ornées de
feuillage d'un vert sombre. Après l'immolation, cette immense quantité
d'hommes avait tant à faire dans l'intérieur des maisons et tout au
dehors était tellement silencieux. que j'en ressentis une impression de
tristesse. Je vis aujourd’hui en quel endroit l'on faisait rôtir les
agneaux pour les nombreux étrangers dont une partie était campée devant
les portes. On avait élevé à certaines places, et aussi dans
l'intérieur, de longs murs peu élevés et assez larges pour qu'on pût se
promener dessus. Dans ces murs étaient pratiqués des fours, les uns à
côté des autres. De distance en distance se tenaient des inspecteurs qui
surveillaient tout, et près desquels on pouvait avoir à bas prix ce qui
était nécessaire. Des fours de ce genre étaient à l'usage des voyageurs
et des étrangers pour d'autres fêtes et d'autres époques encore. Au
temple, on brûlait la graisse de l'agneau pascal, ce qui dura jusque
assez avant dans la nuit ; puis, après la première veille de la nuit,
l'autel fut purifié et les portes rouvertes de très grand matin.
(11 avril) Jésus et ses
disciples avaient passé la plus grande partie de la nuit en prière dans
la maison de Lazare. Dès le point du jour ils allèrent au temple où on
avait allumé des lampes en grand nombre. On venait déjà de tous les
côtés y porter des offrandes. Jésus se tenait dans un vestibule avec ses
disciples, et il enseignait.
Une foule de marchands
s'étaient déjà établis jusque tout près du parvis de la prière et de
celui des femmes : ils étaient à peine à deux pas des gens qui priaient.
Comme il en arrivait encore un plus grand nombre, Jésus les arrêta et
ordonna à ceux qui se trouvaient là de se retirer. Mais ils lui
résistèrent et appelèrent à leur aide les gardiens qui étaient dans le
voisinage : ceux-ci allèrent faire leur rapport au grand conseil, parce
qu'ils n'osaient rien prendre sur eux Mais Jésus dit aux vendeurs de se
retirer, et comme ils le défièrent insolemment, il prit sous sa robe
comme une corde faite de joncs ou d'osier très mince tordus ensemble, et
tira en arrière un anneau, ce qui fit que la moitié se déploya en une
quantité de fils comme un fouet. Il s'avança alors vers les marchands,
renversa les tables, et chassa devant lui ceux qui résistaient : les
disciples marchèrent des deux côtés devant lui, poussèrent et enlevèrent
tout : il vint alors une foule de prêtres du conseil, et ils lui
demandèrent qui lui donnait le droit d'agir ainsi en ce lieu. Il leur
dit plusieurs choses que je ne puis pas redire exactement. dont le sens
était que, quand même le sanctuaire serait retiré du temple, quand même
sa ruine serait proche, c'était pourtant toujours un lieu sacré ; que la
prière de beaucoup de justes se dirigeait vers lui, et qu'il n'y avait
pas place pour l'usure, la tromperie et le tumulte d'un ignoble trafic.
Comme il avait dit que c'était l'ordre de son Père, ils lui demandèrent
qui était son père, et il leur répondit qu'il n'avait pas maintenant le
temps de le leur expliquer. Ils ne le comprirent pas, et aussitôt il
s'éloigna d'eux et continua à chasser les vendeurs. Cependant deux
troupes de soldats étaient arrivées, et les prêtres n'osèrent rien
tenter contre Jésus, car ils rougissaient de ce désordre. En outre, il
s'était rassemblé là beaucoup de peuple qui donnait raison au prophète,
si bien que les soldats eux-mêmes furent obligés d'aider à éloigner les
comptoirs des vendeurs, et à enlever les tables renversées et les
marchandises. Ainsi Jésus et les disciples forcèrent les marchands à se
retirer jusque devant le vestibule le plus éloigné. Quant à ceux qui
étaient respectueux et qui se tenaient dans les cellules pratiquées dans
les murs du vestibule avec des colombes, des petits pains et d'autres
denrées du même genre, Jésus les laissa rester où ils étaient. Il se
rendit alors avec ses disciples dans le parvis d’Israël. Cela eut lieu
vers sept ou huit heures du matin. Le soir de ce jour, on alla comme en
procession couper les prémices des gerbes dans la vallée du Cédron.
(12-14 avril) Jésus après
le repas guérit aujourd'hui dans le parvis du temple une dizaine de
paralytiques et de muets et cela causa beaucoup d'émotion ; car ils
firent éclater partout leurs transports de joie. (On voulut encore à
cette occasion lui faire rendre compte de sa conduite, mais il répondit
très sévèrement, et le peuple se montra plein d'enthousiasme pour lui.
Après le service divin il assista avec ses disciples à l'instruction qui
se faisait dans une salle du temple. On expliqua un des livres de Moïse
: il fit plusieurs fois des objections, car c'était une espèce d'école
où l'on pouvait disputer. Il réduisit tout le monde au silence et donna
une explication toute différente de celle qui avait été présentée.
Pendant tous ces jours
Jésus ne fut presque jamais auprès de sa mère, qui résidait toujours
chez Marie, mère de Marc, et passait tout le jour dans les inquiétudes,
les larmes et les prières à cause de la sensation qu'il produisait. Je
vis alors qu'elle ne savait pas tout, quoiqu’elle pressentit tout.
(13 avril) Jésus célébra le
sabbat chez Lazare à Béthanie, où il s'était retiré après le bruit
qu'avaient occasionné ses guérisons dans le temple. Après le sabbat, les
pharisiens cherchèrent Jésus à Jérusalem, dans la maison de Marie, mère
de Marc, afin de s'emparer de sa personne : ils ne l'y trouvèrent pas,
mais seulement sa mère et d'autres saintes femmes auxquelles ils
enjoignirent, en termes très durs, de quitter la ville, comme ses
adhérentes La mère de Jésus et les autres saintes femmes furent très
affligées : elles se retirèrent en pleurant et coururent à Béthanie chez
Marthe. Je vis Marie tout en larmes entrer dans la chambre où se
trouvait Marthe, près de sa sœur malade, Marie la silencieuse. La mère
du Sauveur tomba en défaillance, accablée par la tristesse. Alors Marie
la silencieuse qui était tout à fait rendue à la vie extérieure et qui
voyait se produire dans la réalité ce qu'elle avait vu autrefois en
esprit, n'eut plus la force de supporter sa douleur et mourut en
présence de la sainte Vierge, de Marie de Cléophas, de Marthe et des
autres. Elle fut déposée plus tard dans un sépulcre neuf que j'ai vu, à
peu de distance de la maison de Lazare. Je n'ai pas vu les funérailles.
Cette nuit Nicodème eut
avec Jésus une entrevue ménagée par Lazare. Auparavant déjà, il l'avait
vu et entendu plus d'une fois chez Lazare, mais il ne lui avait pas
encore parlé confidentiellement. Il vint malgré la persécution qui se
déclarait contre lui. Je vis Jésus assis par terre auprès de lui
l'instruire pendant toute la nuit.
Avant le jour Jésus alla
avec Nicodème à Jérusalem dans la maison de Lazare à Sion. Joseph d'Arimathie
vint aussi l'y trouver. Le Seigneur s'entretint avec lui : ils
s’humilièrent devant lui et lui déclarèrent qu'ils reconnaissaient bien
qu'il était plus qu'un homme. Ils promirent de le servir fidèlement
jusqu'à la fin. Jésus leur enjoignit de se tenir sur la réserve et ils
le prièrent de les maintenir dans la charité.
Il vint encore une
trentaine de disciples, tous ceux qui avaient mangé la Pâque avec lui.
Il leur donna diverses instructions et divers ordres pour l'avenir le
plus prochain, ils se prirent tous par la main, pleurèrent et essuyèrent
leurs larmes avec leurs voiles, c'est-à-dire avec la petite bande
d’étoffe qu'ils portaient autour du cou, et dont ils s'enveloppaient
aussi la tête.
Le matin, Lazare conduisit
la mère de Jésus dans une hôtellerie en avant de Béthanie. Je vis le
corps de Marie la silencieuse étendu par terre et le deuil dans la
maison. Les disciples qui étaient venus de loin se rendirent bientôt
dans leur pays et là où Jésus les dirigea. Marie revint dans la maison
de Lazare : les pharisiens lui firent subir une sorte d'interrogatoire
soit dans la maison, soit dehors, là où ils la rencontrèrent, aussi bien
qu’aux autres saintes femmes : ils la menacèrent de la chasser du pays.
Là-dessus elle revint d'abord à Nazareth, puis dans sa demeure à
Capharnaum.
(Du 15 avril au 21 juin
1822) Anne Catherine Emmerich était épuisée au delà de tout ce qu'on
peut dire par ses souffrances physiques et spirituelles, par les
douleurs du corps et celles de l'âme : déjà dans les derniers jours elle
ne put communiquer sur la prédication de Jésus qu'un petit nombre de
détails peu précis, recueillis jour par jour par l'écrivain avec toute
la fidélité et le scrupule possibles.
Aujourd'hui, 15 avril 1822,
elle raconta, pleine de tristesse, une vision symbolique que nous
laissons de côté comme n'appartenant pas au sujet traité ici, mais après
laquelle la faculté de communiquer ce qu'elle voyait journellement lui
fut retirée pour un temps C'est qu'il devait s'opérer dans son état
corporel un changement considérable et qu'elle avait besoin de repos
physique pour s'y préparer. Alors sur le conseil exprès qu'elle lui
donna, l'écrivain fit un voyage pour voir ses amis et il revint le 21
juin. Il trouva la malade ayant un peu meilleure apparence, toutefois
livrée aux souffrances les plus multipliées et les plus extraordinaires
du corps et de l'âme.
Il se trouva qu'elle avait
vu jour par jour, dans le plus grand détail comme auparavant, le cours
de la prédication de Jésus : dans les premiers jours elle remplit les
lacunes qui se trouvaient dans le récit, mais d'une manière très
imparfaite Les personnes de son entourage habituel, malgré leurs
promesses, n'avaient rien conservé de ce qu'elle avait communiqué par
intervalles et autant qu'on put l'induire des plaintes timides de la
malade, elle fut encore empêchée par elles de suppléer à ce qui s'était
perdu, aussi complètement qu'elle l'aurait désiré et qu'elle l'aurait
pu. Ce n'est pas un reproche, mais plutôt l'expression d'un regret sur
ce que la faiblesse humaine sait si rarement estimer à leur juste valeur
les dons de Dieu.
Au bout de quelques jours
les communications journalières reprirent leur cours à certains égards,
et l’écrivain renoua le fit du récit ainsi qu'il suit, à partir du 25
juin.
Jésus resta encore quelques
jours caché à Béthanie et à Bahurim, un petit endroit situé au nord-est
de Béthanie. C'était là que Séméi avait jeté des pierres à David fuyant
devant Absalon et l'avait accablé d'inj0res : Jésus y allait souvent
lorsqu'on le persécutait au temple : il y vint notamment une fois qu'on
voulut le lapider dans le temple.
Le 20 novembre 1823, elle
raconta ce qui suit : J'allai avec la sainte mère de Dieu dans la
Palestine actuelle et elle me montra dans leur état présent divers lieux
qu'elle avait autrefois parcourus. Je vis alors entre autres, à une
lieue au nord-est de l'ancienne Béthanie, quelques restes de Bahurim, où
Jésus était souvent allé se cacher et prier : il s'y réfugia entre
autres fois lorsqu'on voulut le lapider dans le temple : il y resta
plusieurs jours, et Marie l'y visita. Alors cet endroit était beaucoup
plus caché : aujourd'hui la route qui mène au Jourdain y passe.
Il y a là une fontaine,
appelée la fontaine des Douze Apôtres. Près de là est la caverne de
Rimnon, où se réfugièrent les Benjamites qui avaient échappé à
l'extermination de leur tribu, et qui plus tard furent obligés d'enlever
des femmes à Siloh. Plusieurs d'entre eux s'établirent en ce lieu, et de
là vient l'origine du nom de jeunes gens de Bahurim. C'est ici aussi que
Seméi maudit David et lui jeta des pierres. Michol fut ramenée à David
jusqu'ici.
Jésus quitta Béthanie au
bout de huit jours environ et gagna par Samarie la mer de Galilée : il
la traversa à l'extrémité méridionale, au lieu où il apparut à ses
disciples après la résurrection et mangea des poissons avec eux. Il alla
ensuite au midi vers Sukkoth, dans la contrée d'Ainon, où Jean s'était
retiré en quittant le lieu où il baptisait au-dessus de Béthabara.
Pendant huit jours il parcourut ce pays et y enseigna avec les disciples
de Jean, mais il ne se rencontra pas avec Jean lui-même. Celui-ci
comprit d'après ce que ses disciples lui rapportèrent des discours de
Jésus, que ses fonctions de précurseur tiraient à leur fin.
De Sukkoth, Jésus revint
secrètement à Béthanie : il se tint caché chez Lazare, et, ce qui me
surprit, chez Simon le pharisien : il eut encore une conférence seul à
seul avec Nicodème, et s'entretint en outre souvent avec lui et Joseph
d'Arimathie.
DIXIÈME CHAPITRE.
Depuis le clôture de la première fête de Pâques, jusqu’à
l’emprisonnement de Jean Baptiste.
(Du 16 mai au 24
juillet.)
Jésus près d'Ono, sur les bords du Jourdain.- Envoyés et lettre
d'Abgare, roi d'Edesse.- Jésus lui répond.- Jésus à l'endroit du baptême
au-dessus de Béthabara.- Persécution contre Jésus et les disciples.-
Jésus va à Tyr.- Jean est retenu en captivité par Hérode pendant quelque
temps.- Les disciples sont traduits devant les tribunaux.- Jésus à
Capharnaum près de Marie.- Il enseigne à Adama et à Séleucie près du lac
Mérom.- Reprise de la communication journalière des visions.- Jésus à
Tyr.- il quitte Tyr et va à Sichor-Libnath. - Jésus à Adama et dans les
environs. - Jésus fait une grande instruction.-Conversion merveilleuse
d'un vieux juif endurci.-Jésus prêche sur l'économe infidèle.- Jésus
enseigne à Séleucie,- sur la montagne voisine d'Adama. - il va à
Capharnaum.- Jean Baptiste est arrêté.- Sur Ainon et Melchisédech.- Jean
en prison à Machérunte.- Madeleine à Magdalum.- Fête de naissance des
amants de Madeleine.- Détails sur la jeunesse de Madeleine.
Ce fut environ trois
semaines après Pâques que Jésus alla de Béthanie à l'endroit où l'on
baptisait, près d'Ono. Il y était reste des surveillants pour veiller à
ce qu'on ne dérangeât rien. Des disciples s'y étaient rassemblés de
nouveau, et il y avait là beaucoup de monde. Je vis Jésus s'asseoir,
appuyé contre la chaire, et instruire les hommes qui étaient là assis en
cercle ou debout. Il avait un grand nombre d'auditeurs, parmi lesquels
étaient des disciples de Jean. Dans quelques endroits on avait dressé
des échafauds de bois où l'on s'asseyait.
Note : Anne
Catherine avait vu tout cela dans les premiers jours de mai pendant
l'absence de l'écrivain, mais elle ne le raconta qu'au mois d'août.
Je vis une scène qui se
passait dans un pays éloigné. un roi était malade dans une ville qui
n'était pas très éloignée de Damas : il avait une maladie de peau ; mais
elle n'était pas tout à fait sortie : elle lui était tombée sur les
pieds et il boitait. Ce roi était un homme de bien, et je vis des
voyageurs lui raconter beaucoup de choses sur Jésus, sur ses miracles et
sur le témoignage de Jean. et lui dire aussi quelle fureur il avait
excitée parmi les Juifs à la fête de Pâques. Je vis que ce roi conçut
une grande affection pour Jésus et un grand désir de le voir : il
désirait être guéri par lui, et il lui écrivit une lettre pour le prier
de venir le guérir. Je le vis aussi appeler un jeune homme de sa cour
qui savait peindre, lui donner la lettre adressée à Jésus et lui
ordonner, s'il ne pouvait pas venir en personne, de lui rapporter son
portrait. Je vis aussi qu'il lui donna des présents et que l'envoyé
monta sur un chameau, ayant avec lui six serviteurs montés sur des
mulets.
Je vis cet homme s'arrêter
avec sa suite, à quelque distance de l'endroit où Jésus enseignait, dans
un lieu où d'autres personnes avaient aussi dressé leurs tentes ; je le
vis faire des efforts inutiles pour arriver jusqu'à Jésus, car ne
pouvant pas lui parler pendant qu'il enseignait, il désirait au moins
l'entendre et aussi faire son portrait.
Il avait vainement essayé
d'approcher de quelques pas, tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, sans
pouvoir se frayer passage à travers la foule attentive, lorsque Jésus
dit à un disciple de Jean. qui se tenait assez près de lui, de faire
faire place à cet homme qui cherchait à percer la foule sans pouvoir y
parvenir, et de le conduire à un banc peu éloigné de lui. Le disciple
conduisit l’envoyé à ce siège et plaça aussi, de manière à ce qu'ils
pussent voir et entendre, les gens de sa suite, porteurs des présents du
roi qui consistaient en étoffes, en petites plaques d'or enfilées les
unes près des autres, et en plusieurs couples de très beaux agneaux.
Le bon envoyé, tout joyeux
de voir enfin Jésus, ne voulut pas perdre de temps : il mit aussitôt
devant lui, sur ses genoux, son attirail de peintre, regarda Jésus avec
beaucoup d'admiration et d'attention, et se mit au travail. Il avait
devant lui une planchette blanche qui semblait être de buis ; alors il
prit d'abord comme avec un crayon l'esquisse de la tête et de la barbe
de Jésus, sans le cou ; puis il sembla l'enduire avec quelque chose
d'épais' comme de la cire : il avait aussi comme des formes qu'il
appliquait fortement dessus : ensuite il donna encore plusieurs coups de
crayon, et pressa fortement sur son enduit : il continua longtemps à
travailler ainsi, mais il ne put jamais mener son œuvre à bien. Chaque
fois qu'il regardait Jésus, son visage semblait lui causer une nouvelle
surprise et il était obligé de recommencer. Saint Luc ne peignait pas
tout à fait de cette manière : il employait aussi le pinceau. Ce
portrait-ci me parut avoir une espèce de relief sensible au toucher.
Jésus enseigna encore
quelque temps, puis il envoya le disciple à cet homme pour lui dire
qu'il pouvait s'approcher davantage et remplir sa mission. Alors
celui-ci quitta son siège pour aller trouver Jésus, et les serviteurs le
suivirent avec les présents et les agneaux il avait un vêtement court
sans manteau, à peu près comme l'un des trois rois. Son tableau était en
forme de coeur, comme un bouclier, et il le portait suspendu par un
cordon au bras gauche. Il tenait dans sa main droite l'écrit du roi qui
paraissait roulé comme ceci (en disant cela elle plia un linge d'une
certaine façon). Il s'agenouilla devant Jésus, s'inclina profondément,
ce que firent aussi les serviteurs, puis il lui dit : ‘ Votre serviteur
est l'envoyé d'Abgare, roi d'Edesse, qui est malade, et qui vous envoie
cette lettre en vous priant d'accepter ces présents de sa part. r, Alors
les gens de sa suite s'approchèrent avec les présents : Jésus lui
répondit que les bons sentiments de son maître lui étaient agréables et
il ordonna aux disciples de prendre les présents et de les distribuer
aux plus pauvres des gens qui se trouvaient là. Ensuite Jésus déplia la
lettre et la lut. Je me souviens seulement qu'il y était dit entre
autres choses que Jésus avait le pouvoir de ressusciter les morts et que
le roi le priait de venir le guérir. Dans cette lettre la partie sur
laquelle était l'écriture semblait plus raide, mais tout ce qui était
autour était mou et souple : c'était comme de l'étoffe, de la peau ou de
la soie, sur laquelle la lettre était attachée. Je vis aussi qu'un fil y
pendait. Lorsque Jésus eut lu la lettre il la retourna et prit un fort
crayon qu'il tira de dessous sa robe et duquel il fit sortir quelque
chose comme les paysans font sortir de l'amadou de la boite aux
allumettes ; il écrivit de l'autre côté de la lettre plusieurs mots en
assez gros caractère, puis il la replia.
Note :
Probablement l'enveloppe de soie de la lettre était double et la
surface où se trouvait l'écriture en avait une semblable de l'autre
côté, car elle vit distinctement Jésus retourner la lettre lorsqu'il
écrivit, et la plier.
Jésus se fit alors donner
de l'eau, se lava la figure, pressa contre son visage l'enveloppe molle
de la lettre et la donna à l'envoyé. Celui-ci l’appliqua sur son
portrait, ce que Jésus, à ce que je crois, lui avait dit de faire, et
alors le portrait devint tout autre et parfaitement ressemblant. Le
peintre fut plein de joie : je le vis tourner le portrait vers ses plus
proches voisins, puis se prosterner devant Jésus et repartir aussitôt.
Quelques-uns de ses
serviteurs restèrent en arrière et suivirent Jésus qui après cette
instruction passa le Jourdain et alla au second endroit où Jean avait
baptisé et que celui-ci avait quitté. Ils se firent baptiser aussitôt.
Je vis aussi que l'envoyé d'Abgare passa la nuit devant une ville, près
de longues constructions en pierre qui ressemblaient à des tuileries ;
que le matin suivant, quelques ouvriers y vinrent beaucoup plus tôt qu'à
l'ordinaire parce qu'ils avaient vu une lumière brillante, comme la
flamme d'un incendie, et qu'il arriva quelque chose d'extraordinaire
relativement au portrait. On accourut en foule dans cet endroit. Je
crois que le peintre montra le portrait aux assistants et je vis que le
linge que Jésus avait appliqué sur son visage en avait aussi l'empreinte
: mais en outre il était arrivé, relativement au portrait, quelque chose
qui avait motivé l'arrivée si matinale des ouvriers : malheureusement je
l'ai oublié.
Je vis aussi comment
l’envoyé arriva, comment le roi vint à sa rencontre en passant par ses
jardins et fut indiciblement ému en voyant le portrait et en lisant la
lettre. Il changea aussitôt de vie et renvoya les nombreuses femmes avec
lesquelles il péchait
J'ai vu précédemment
comment après la mort du fils de ce roi, sous un méchant successeur, la
face de Jésus qui était exposée publiquement, resta longtemps cachée par
les ordres d'un saint évêque qui fit murer l'entrée de la niche et
qu'après un long intervalle de temps elle fut de nouveau découverte :
alors le portrait s'était imprimé sur la pierre placée devant. Je ne me
rappelle tout cela que confusément. Je me souviens aussi maintenant
d'une statue que l'hémorroïsse guérie par Jésus avait fait ériger à
Césarée, comme témoignage de sa reconnaissance. Elle était de bronze et
le représentait au moment où cette femme touchait le bord de sa robe et
où il se retournait vers elle. Cette image était placée sur un socle peu
élevé, au milieu d’un petit jardin, et quand les plantes de ce jardin
avaient touché le bord de la robe de la statue de Jésus, elles étaient
cueillies par des femmes affligées de pertes de sang et avaient la vertu
de les guérir.
La lettre d'Abgare était
comme un parchemin et. taché à une étoffe de soie de couleur, qu'on
pliait à trois reprises différentes et qu'on roulait ensuite.
D'Ono, où il avait jusqu'à
présent enseigné et préparé an baptême, Jésus alla avec ses disciples,
au-dessus de Béthabara, en face de Galgala, au lieu que Jean avait
quitté et dont les disciples que Jésus chargeait de baptiser avaient
déjà pris possession d'avance. Pendant quinze jours environ, il fit
baptiser beaucoup de monde par André, Saturnin, Pierre e Jacques.
Plusieurs disciples de Jean allèrent à lui, et il venait plus de
personnes se faire baptiser là qu'il n'en venait à Jean. Jésus parlait
du baptême d'une manière plus sublime, et sa douceur comparée à la
sévérité et à la rudesse de Jean, fit que le public le vanta et le goûta
davantage. Il résulta de là des discussions entre quelques disciples de
Jean et des Juifs qui avaient été baptisés par les disciples de Jésus,
touchant les différents degrés de la purification conférée par l'un ou
l'autre baptême.
Les disciples de Jean
étaient jaloux du succès plus grand de Jésus et du grand nombre
d'auditeurs de Jean qui venaient à lui, et ils portèrent leurs plaintes
au précurseur. Il leur fit la réponse qui se lit dans l'évangile (Jean,
III, 22-26). Cette dispute sur la différence de la purification dans les
deux baptêmes, le témoignage important rendu à Jésus dans la réponse de
Jean, et la grande affluence qui se portait au lieu où Jésus baptisait,
produisirent une nouvelle agitation parmi les pharisiens ; alors ils
organisèrent tout un système de persécution, de contradiction et
d'oppression contre lui et ses disciples. Ils envoyèrent des messagers à
toutes les synagogues du pays, avec des lettres qui enjoignaient de
l'arrêter là où on le trouverait, et de se saisir de ses disciples pour
lés interroger sur sa doctrine et les redresser.
Pendant que les Pharisiens
s'occupaient à prendre ces mesures, Jésus quitta sans bruit le lieu où
l'on baptisait, et les disciples, de leur côté, se dispersèrent et
revinrent chacun chez eux. Mais Jésus, sans s'arrêter nulle part, passa
le Jourdain, traversa la Samarie et la Galilée, et se rendit par
Sichor-Libnath et le pays de Khaboul, sur les frontières de Tyr.
Dans ce même temps, vers le
milieu de mai, je vis Hérode faire arrêter Jean Baptiste. Il le fit
conduire par des soldats de Sukkoth à Callirrhoë, sous le prétexte d'une
invitation pressante. Jésus le lui avait fait annoncer par des disciples
peu de temps auparavant.
Hérode le tint enfermé dans
une prison souterraine de son château. Personne ne pouvait le voir.
Le roi l'écoutait souvent.
Sa femme l'avait poussé à cet acte de violence. Lui-même avait un grand
respect pour Jean, et il désirait seulement qu'il ne le reprit pas à
cause de son mariage adultère. Le dimanche de la Trinité (2 juin), je le
vis dans sa prison. Six semaines après que Jean eut été fait ainsi
prisonnier, Hérode lui rendit la liberté.
Pendant que Jésus,
voyageant avec les disciples séparés en petites troupes, gagnait la
plaine d'Esdrelon à travers la Samarie, je vis Barthélemy, venait du
baptême de Jean à Dabbeseth, sa rencontrer les disciples qui lui
parlèrent de faisait Jésus. André particulièrement lui parla du Seigneur
avec un grand enthousiasme. Barthélémy écouta tout cela avec joie et
avec qui proposait volontiers d'enrôler parmi les disciples des hommes
instruits, se rapprocha de Jésus et lui parla de Barthélémy comme de
quelqu'un qui se mettrait volontiers à sa suite. Lorsque Barthélémy
passa devant le Seigneur, André le lui montra. Jésus le regarda et dit à
André : ‘ Je le connais, il me suivra ; je vois du bon en lui, et je
l'appellerai quand le temps sera venu. Barthélémy résidait à Dabbeseth,
à peu de distance de Ptolémais : il était scribe. Je le vis ensuite se
rencontrer avec Thomas, lui parler de Jésus et le bien disposer à son
égard.
Pendant ce voyage fait en
toute hâte vers Tyr, des disciples et des membres de la famille de Jésus
vinrent le trouver, spécialement en Galilée et l'accompagnèrent quelque
temps : quelques-uns le quittèrent de nouveau. Il les exhorta à la
persévérance dans les épreuves qu'ils allaient avoir à subir, leur fit
connaître ce qu'il allait faire, et leur donna diverses instructions
pour les siens et pour d'autres disciples.
Jésus, en faisant ce
voyage, eut à souffrir de grandes privations ; je vis plusieurs fois
Saturnin ou d'autres disciples de sa suite apporter du pain dans une
corbeille et Jésus tremper dans l'eau des croûtes desséchées afin de
pouvoir les manger. Pendant qu'il enseignait et guérissait sur les
confins de Sidon et de Tyr, ayant avec lui quelques disciples des moins
connus qui allaient et venaient alternativement, les pharisiens
mettaient leurs mesures à exécution. On conduisait les disciples, selon
le pays d'où ils étaient, à Jérusalem ou, en Galilée, à Gennabris devant
de grandes assemblées, dans les synagogues et les écoles, pour avoir à
répondre sur Jésus, sa doctrine, ses desseins et leurs relations avec
lui. Les pharisiens les vexèrent de toutes les façons. J'ai vu une fois
Pierre, André et Jean les mains liées, mais ils brisèrent leurs liens
par un loger mouvement, comme par miracle : ils furent renvoyés sans
bruit, comme tous ceux qu'on avait conduits à Gennabris, et se
retirèrent à Bethsaide et à Capharnaüm pour y reprendre les travaux de
leur profession.
Quand tout cela eut pris
fin, Jésus revint en secret des confins de Sidon et de Tyr à Capharnaüm
dans la maison de sa mère, et il la consola. Ses disciples vinrent le
rejoindre et lui racontèrent ce qu'ils avaient eu à souffrir. Il les
rassura, leur recommanda la persévérance, et leur promit de les appeler
et de leur donner leur mission.
Jésus alla de là, à
quelques lieues au nord, dans deux villes situées près d'un petit lac
couvert de roseaux. Je ne sais pas m'expliquer bien précisément, mais il
me semble qu'il y avait un canton étranger enclavé entre ces villes et
la Galilée. (Peut-être parce qu'elle voyait des païens dans ces
endroits.) Les deux villes sont en face l'une de l'autre ; entre elles
sont de sombres profondeurs : des rivages escarpés, une eau trouble et
marécageuse couverte de joncs ; c'est comme un petit lac : beaucoup de
bêtes sauvages se tiennent là dans le marécage et les roseaux. Je crois
que le Jourdain coule au travers : là où sont les villes, la pièce d'eau
n'est pas large ; l’une d'elles a un nom comme celui d'Adam, elle
s'appelle Adama, l’autre s'appelle, je crois, Séleucie. Jésus séjourna
longtemps et tour à tour dans ces deux villes et dans cette contrée : il
y enseigna et il y guérit. à Adama il y a des Juifs, mais d'une race
rejetée : dans l'autre ville, ce sont des paiens ; les Juifs n'y
habitent que dans des coins, dans des trous, dans des murs en ruine.
Jésus était tantôt dans l'une de ces villes, tantôt dans l'autre.
Saturnin et deux nouveaux disciples de ce pays étaient habituellement
près de lui : on le regardait comme un prophète, revêtu d'une vertu
venant d'en haut. Il enseignait plutôt dans des réunions particulières
que dans des synagogues. Il ne se produisait qu'avec une certaine
circonspection. Il se rencontrait avec des gens choisis dans des lieux
solitaires, et c'était sans bruit qu'il guérissait et qu'il donnait ses
conseils. Ici et à Tyr, je remarquai dans ses manières et dans sa façon
d'enseigner quelque chose qui différait de ses procédés parmi les Juifs.
On ne le connaissait pas autant et on le tenait pour un prophète. Son
œuvre était une préparation.
(25 juin) J'ai vu Jésus se
rendre d'Adama à Tyr avec un couple de disciples. Il y avait plus d'une
journée de voyage. Je le vis partir, faire la route et entrer à Tyr. Je
ne je vis s'arrêter en chemin que dans de pauvres maisons. Jésus
enseigna à Tyr dans une hôtellerie, près de la porte du côté de la
terre. Il lui fallut franchir dans son voyage une très haute chaîne de
montagnes. Tyr est une très grande ville, qui est bien cinq fois aussi
grande que Munster. Quand on la regarde de haut en bas, on voit une
partie de la ville placée sur une pente, comme si elle allait rouler du
haut de la montagne. Jésus n'alla pas au centre de la ville, il se tint
le long des murs, du côté qui regarde le continent. Cette partie n'était
pas très peuplée, l'hôtellerie était dans cette muraille épaisse et un
chemin la traversait.
Jésus porte une tunique
brune ou grise et un manteau de laine blanche. Il ne va pas dans la
synagogue ni dans les lieux de réunions publiques, mais il entre ça et
là dans les maisons des pauvres pratiquées dans la muraille ; il
console, exhorte, guérit et enseigne dans des réunions particulières.
Deux disciples vont et viennent entre lui et ses amis de Galilée, ce
sont Saturnin et un tout jeune homme de seize à dix-huit ans, pour
lequel Marie a de l'affection : son nom ne me revient pas. Ils ne vont
pas en public avec lui, mais ils se rencontrent avec lui comme par
hasard dans quelque hôtellerie.
Il se montre ici comme un
prophète, comme un homme éclairé d'en haut, et des païens même se
laissent enseigner par lui. Les gens se tiennent tranquilles et restent
silencieux quand ils le voient pour ne point attirer de désagréments à
lui et à eux. Je l'ai sous les yeux de temps en temps : j'ai vu le 25
qu'étant dans une maison, il ordonna à un malade de se lever, et qu'il
le conduisit par la main : je l'ai vu aussi bénir des enfants. Je vis,
entre autres choses, qu'il tint un enfant couché sur ses bras et le
plongea dans l'eau d'un bassin. Je crois que ce fut plus qu'une
guérison, que ce fut aussi une purification. Je l'ai souvent vu plonger
des enfants dans l'eau. C'était cette fois un enfant de sept ans, Jésus
le tenait couché sur ses deux bras et le mit dans le bassin : on
l'enveloppa ensuite d'un linge blanc. Saturnin et l'autre disciple
étaient là : ils avaient quelque chose à faire, je crois qu'ils
versèrent l'eau. Les parents de l'enfant se tenaient plus à distance :
c'était comme un baptême, mais aussi comme une purification et une
guérison : je ne puis pas le dire exactement. Jésus me parut être allé
là pour y faire venir ses disciples.
(26 juin) Aujourd'hui, il
arriva à Tyr une vingtaine de disciples galiléens. Pierre, André,
Jacques le Mineur, Thaddée, Nathanaël-Khased Nathanaël le fiancé étaient
là ainsi que tous les autres qui avaient tété aux noces de Cana Je vis
parmi eux environ six des futurs apôtres. Ils avaient voyagé séparés en
petites troupes, et étaient allés dans des hôtelleries différentes a
Tyr. Jésus alla à eux comme par hasard et les salua.
Le soir, je vis Jésus dans
un endroit voisin de Tyr, dans la direction du nord. Je crois que
c'était une dépendance de la ville : il fallait passer l'eau. (Peut-être
était-ce la nouvelle Tyr et un canal qui la séparait de l'ancienne.) il
fut là dans une hôtellerie, et les disciples vinrent tous l'y rejoindre.
La manière dont il les salue est très touchante : il passe devant eux
successivement et leur donne la main. Ils sont très respectueux, mais
pourtant tout à fait en confiance avec lui ; ils le traitent comme un
personnage surhumain. Ils ressentaient une joie indicible de le revoir.
Il leur tint un long discours : ils lui racontèrent ce qui s'était passé
dans leur pays par rapport à lui et à eux. Jésus les exhorta à la
persévérance : il dit aux futurs apôtres d’abord, et à tous en général,
qu'ils devaient acheter de mettre ordre à leurs affaires et propager de
plus en plus sa doctrine parmi le peuple dans les endroits qu’ils
habitaient il leur donna aussi des instructions touchant leurs femmes,
et leur dit ce que celles-ci avaient à faire. Il dit encore qu'il
viendrait bientôt près d'eux et recommencerait à se montrer en public ;
j'appris aussi qu'il ferait une grande instruction publique lorsqu'il
serait revenu près d'eux en Galilée. Je crois que ce sera dans les
environs de Tibériade, au lieu ou Jésus, après la résurrection, mangea
du poisson avec eux. J'ai aussi entendu que ce serait le 15 ou le 25 :
le nombre 5 y était. Il leur dit encore qu'il les appellerait plus tard
solennellement et leur donnerait leur mission.
Tous mangèrent ici avec
Jésus. Ils avaient apport. dans des besaces du pain, des fruits, du
miel, et aussi du poisson. Je vis aussi que tous passèrent la nuit dans
cette maison ainsi que Jésus. Pour aller à la première ville de Tyr,
Jésus avait à passer un petit canal : mais pour venir où il était
maintenant, il lui fallait traverser un bras de mer de peu de largeur :
car ceci est tout à fait une île. Il y a plus de commerce dans cette
partie de la ville, quoiqu'elle soit beaucoup plus petite, que dans
l'autre, qui paraît très abandonnée.
(27 juin) Ce soir, la
narratrice, activement occupée à ranger divers morceaux d’étoffe
destinés à l'habillement des pauvres, parut avoir une espèce d'absence,
et dit : Je mets tout cela en ordre, puis je reviens tout à coup à moi,
et alors je ne sais plus distinguer les couleurs, car je vois Jésus
aller et venir. Il est maintenant au nord-est de Tyr, entre des
collines.
Aujourd'hui jeudi, les
disciples partirent de bon matin pour retourner en Galilée. Jésus,
accompagné de Saturnin et du jeune disciple, alla sur la terre ferme, à
deux lieues au nord-est de Tyr. Je le vois maintenant marcher entre des
collines : il y a là des paysans qui habitent dans des cabanes, parmi
des arbres fruitiers : ils sont occupés de la récolte des fruits. Le
fruit était mur sur l'un des côtés des collines, mais ne l'était pas
encore sur l'autre côté. Jésus visite ces gens les uns après les autres,
il les enseigne et les exhorte. Il se rend maintenant avec eux dans une
cabane pour y manger, et il y passera la nuit.
J'ai oublié de parler d'une
ville singulière par laquelle Jésus passa lorsqu'il alla de Galilée à
Tyr, et qu'il laissa à gauche sur le chemin d'Adama. Elle est située au
sud-est de Tyr, dans la triste contrée (Khabul) qui sépare Tyr de la
Galilée. Elle est à droite du chemin de Tyr, dans une position élevée
entre des montagnes. Elle n'est pas très grande ; elle est entourée
d'eau, et quand les sources grossissent, et est souvent inondée, si bien
que les gens sont forcés de se réfugier sur les toits. Son nom m'a
échappé : j'ai dans l'oreille des sons qui s'y rapportent, comme Joris,
Sichor, Libna, Ani, etc. : mais je ne puis pas, m'y retrouver.
(28 juin) Jésus est revenu
aujourd’hui avec les deux disciples à la presqu'île de Tyr, dans la même
maison où il s'était trouvé avec les disciples. Ce n'était pas
proprement une hôtellerie, mais un lieu de' réunion pour les Juifs. Il y
a là un homme qui est comme un lecteur public : il a un manipule qui lui
pend au bras. Il y a là une école ; elle n'est pas sur une hauteur.
comme c'est l'ordinaire en Judée, mais dans la plaine.
Il y a toujours dans les
grandes villes deux hôtelleries auprès de la porte et une au milieu de
la ville. La maison où est Jésus se trouve au milieu de l'île. Lorsqu'il
y revint, il passa sur une large chaussée qui repose sur des pieux et
sur des arches en maçonnerie. Des deux côtés de la chaussée sont des
allées d'arbres couverts de fruits jaunes. Deux chaussées semblables
mènent dans l'île. Je vis encore Jésus aller ça et là dans les maisons,
et le soir célébrer le sabbat dans une réunion. Dans les derniers temps,
je n'ai vu Jésus que tous les deux ou trois jours, et jamais longtemps
de suite : c'est pourquoi je n'ai pas toujours vu célébrer le sabbat.
(30 juin) Hier, je ne vis
pas Jésus : il célébra le sabbat à Tyr. Aujourd'hui, après midi, je le
vis dans la maison où il s'était trouvé récemment avec les apôtres.
C'était un lieu de réunion : il y avait un jardin où l'on prenait des
bains. Aujourd'hui, il alla dans un autre endroit. Au milieu d'une cour
entourée d'un mur, et, en dedans du mur, d'une haie d'arbrisseaux
tortueux, taillés de manière à former diverses figures, se trouvait une
salle environnée de corridors et de petites chambres. Ce jardin de
plaisance où l'on prenait des bains se trouvait au bord de l'eau qui
sépare l'île de la terre ferme. La salle ouverte sur la cour était une
salle à colonnes. On voyait dans la cour une citerne spacieuse pour les
baigneurs : il y courait de l'eau vive. On pouvait descendre par un côté
: au milieu était une colonne avec des degrés et des poignées, de sorte
qu'on pouvait descendre dans l'eau aussi profondément qu'on voulait. De
vieux Juifs habitaient ce lieu, ils étaient d'une secte ou d'une origine
décriée, mais c'étaient des gens pieux et bons.
Il y avait ici beaucoup
d'hommes, de femmes et d'enfants rassemblés autour de Jésus : on
apportait aussi des malades et spécialement des enfants sur des lits.
Mais tout cela se faisait très tranquillement et avec beaucoup d'ordre.
Les gens allaient et venaient, et les vieux habitants de la maison les
présentaient au Sauveur. Jésus fit ici une instruction ou une
exhortation. Il parla de Moïse, des prophètes, de l'approche du Messie.
Il donna des explications sur la sécheresse qui eut lieu du temps
d'Élie, la prière du prophète pour la pluie, la nuée qui s'éleva de la
mer et la pluie qui en résulta. Il parla de l'eau et de la purification.
Il guérit beaucoup de malades et leur recommanda d'aller au baptême de
Jean. Il guérit plusieurs enfants qu'on avait apportés sur des lits. Il
prit sur ses bras plusieurs de ces enfants qu'il plongea dans l'eau dans
laquelle Saturnin avait versé auparavant d'autre eau qu'il avait bénie.
Les deux disciples les baptisèrent. Il y avait là aussi des garçons plus
avancés en âge qui descendirent et se plongèrent en se tenant au pieu et
furent ainsi baptisés. Bien des choses se faisaient là autrement
qu'ailleurs. Plusieurs des adultes devaient se tenir à distance. Cela
dura jusqu'à l'entrée de la nuit.
(1er juillet) Ce matin,
Jésus regagna la terre ferme par la chaussée avec les deux disciples. Il
les envoya à Capharnaum inviter six disciples à venir le joindre dans
les environs de Tibériade, pour assister à l'instruction dont j'ai parlé
récemment. Ils devaient ensuite se rendre près de Jean Baptiste. Jésus
lui-même alla seul à dix ou onze lieues au sud-est de Tyr, dans cette
ville que je l'ai vu traverser récemment et dont j'ai dit qu'elle était
souvent inondée. Jésus alla entre le midi et levant, et laissa à sa
gauche plusieurs endroits dont un désert le séparait. Il avait à l'est
sur sa gauche, à une grande distance, le lac Mérom avec ses deux villes.
Il allait seul, cependant il rencontrait parfois sur les chemin de
traverse des voyageurs qui l'accompagnaient quelque temps et auxquels il
causait un grand étonnement. Il eut à traverser une crête de montagnes :
de l'autre côté on descendait à travers beaucoup de broussailles et sur
un gazon incroyablement haut et touffu.
Il tombe bien cinq
ruisseaux dans la vallée et ils sont plus ou moins abondants selon la
saison de l'année. Il y a ici dans la vallée beaucoup de bêtes sauvages
de grande taille qui se dispersent dans le pays quand vient
l'inondation.
La ville est très grande,
divisée en parties isolées, entourée et traversée par l'eau. Il y a dans
les intervalles beaucoup de jardins et d'arbres fruitiers. La partie
agglomérée la plus considérable est bien aussi grande que Munster. à
quelque distance se trouve encore une autre grande ville. Ce pays est
celui que Salomon donna au roi Hiram. La ville, quoique libre, dépend de
Tyr à certains égards. J'ai encore oublié le nom, mais il ressemble à
Ami-Chores (Amead-Sichor), et elle est surnommée la ville de l'eau ou la
ville de la pluie. On élève dans cet endroit beaucoup de bétail ; j'ai
vu aussi beaucoup de grands moutons à laine fine qui peuvent traverser
l'eau à la nage. On y tisse de belles étoffes de laine qui sont teintes
à Tyr. Je n'ai pas vu ici cultiver les champs, il y a seulement des
vergers. Il croît dans l'eau une espèce de blé à grande tige dont on
fait du pain : je crois qu'il vient sans culture. Il y a une route pour
aller de là en Syrie et en Arabie : aucune route ne conduit en Galilée.
Jésus alla à Tyr par un chemin de traverse La grande ville située dans
le voisinage est sur le territoire juif Jésus n'a traversé qu'un petit
coin de la terre de Khaboul.
Je vis ici deux grands
ponts, l'un très élevé et très long, servait de passage quand tout était
inondé : on pouvait descendre en bas de l'autre par les arches. Les
maisons étaient hantes et arrangées de manière qu'au temps des grandes
eaux les gens Pussent s'établir sur le toit sous des tentes.
La plupart des habitants
étaient païens et de diverses religions, à ce que je crois : car je vis
plusieurs édifices terminés en pointe et surmontés de petits drapeaux.
que je pris pour des temples d'idoles. Ce qui me surprit, c'est qu'un
assez grand nombre de Juifs habitaient ici et même dans de grands et
beaux bâtiments, quoiqu'ils soient soumis à une certaine oppression.
C'étaient, je crois, des Juifs fugitifs.
La maison où Jésus entra
était devant la ville, du côté par où il arriva : il lui fallut pourtant
d'abord passer l'eau. Il s'était déjà mis en rapport avec ces gens
lorsqu'il avait passé là récemment. Ils me paraissaient aussi attendre
son arrivée, car ils vinrent à sa rencontre et le reçurent avec beaucoup
de déférence. C'étaient des Juifs ; parmi eux était un homme âgé avec
une nombreuse famille : il demeurait dans une très belle maison. C'était
comme un palais avec beaucoup de bâtiments plus petits qui en
dépendaient. Par l’effet d'une crainte respectueuse, il ne conduisit pas
Jésus dans sa maison, mais dans une habitation attenante où il était
seul : il lui lava les pieds et l'hébergea.
J'ai aussi vu une grande
troupe d'ouvriers, hommes, femmes et enfants, gens de toute race, parmi
lesquels des hommes bruns et noirs, arriver sur une grande place.
C'étaient vraisemblablement des esclaves de cet homme qui revenaient de
leur travail et allaient prendre leur nourriture. Ils demeuraient dans
des bâtiments latéraux peu élevés : ils avaient avec eux des pelles et
des charrettes de toute espèce : ils portaient aussi sur leurs épaules
de petites barques légères, semblables à des baquets, au milieu
desquelles il y avait un siège avec des rames J'y vis aussi des
instruments de pêche. Je crois qu'ils étaient employés à construire des
ponts et des chaussées. Ces gens recevaient leurs aliments dans des pots
: il y avait des légumes verts et des oiseaux : il s'en trouvait parmi
eux qui se nourrissaient de poisson cru. Jésus les fit passer devant
lui, leur adressa la parole amicalement, et ils se réjouirent de voir un
pareil homme.
Deux Juifs vinrent trouver
Jésus avec des cahiers d'écriture : ils mangèrent avec lui, et il leur
donna diverses explications qu'ils désiraient beaucoup avoir Je crois
que c’étaient des gens chargés d'instruire la jeunesse. Il me sembla
qu'il se trouvait une synagogue près de la maison : car il y avait un
bâtiment sur lequel était une banderole.
Jésus ira plus tard d'ici à
Adama : il doit ensuite faire un détour et aller beaucoup plus au nord.
Adama et Séleucie ne sont séparées que par une pièce d'eau trouble, et
il semble qu'autrefois elles n'aient fait qu'une ville, car il y a des
murs en ruines qui vont jusqu'au lac.
(2 juillet) L'homme chez
lequel Jésus loge est un riche Juif ; il s'appelle Siméon, et il est des
environs de Samarie. Lui ou ses ancêtres ont aidé à la construction du
temple qui est sur le mont Garizim ou se sont unis aux Samaritains ;
cela les fit chasser du pays, et ils s'établirent ici.
Jésus enseigna toute la
journée près de la maison de son hôte, sur une place publique entourée
de colonnes, au-dessus de laquelle on avait tendu des couvertures. Le
maître de la maison allait et venait : beaucoup de Juifs de tout âge et
de tout sexe étaient réunis ; je ne vis pas ici de malades ni
d'impotents : les gens sont d'un tempérament sec, maigres et de haute
taille.
Ici aussi Jésus enseigna
sur le baptême, et dit que des disciples envoyés par lui viendraient
baptiser dans ce lieu il me revient maintenant en mémoire que les quatre
apôtres doivent venir ici et que Jésus y enseignera encore Le soir, il
alla de nouveau avec son hôte sur le chemin par où les esclaves
revenaient de leur travail : il leur parla, les consola et leur raconta
une parabole. Il y avait parmi eux plusieurs braves gens qui furent très
touchés, et aussi des hommes vulgaires et grossiers qui se montraient
mécontents et hostiles : c’étaient ceux qui mangeaient le poisson cru :
ils étaient tenus plus sévèrement, et quelques-uns des autres leur
étaient préposés. Ils reçurent de nouveau leur salaire et leur
nourriture Cela me lit penser à la parabole où le maître de la vigne
paye les ouvriers. Ils demeuraient à environ un quart de lieue de la
maison de Siméon, dans un groupe de cabanes. Siméon les faisait
travailler en vertu d'une espèce de privilège : c'était comme une corvée
qu'ils faisaient pour lui.
(3 juillet) Ce matin je vis
Saturnin et les autres disciples revenir près de Jésus Je crois que
d'autres disciples de Galilée ont été envoyés à Jean. Jésus enseigna
encore toute la journée comme hier : il ne mangea que le matin et le
soir. Le soir, quand tous les Juifs furent partis, vingt païens environ
vinrent le trouver : dès les jours précédents, ils l'avaient fait prier
de les recevoir. La maison de Siméon était bien a une demi lieue de la
ville, et les paiens ne pouvaient aller au delà d'une certaine tour ou
d'une certaine arcade. Mais Siméon amena ceux-ci à Jésus, qu'ils
saluèrent respectueusement et qu'ils prièrent de les instruire il
s'entretint longtemps avec eux dans une salle ; cela se prolongea si
bien, que le soir vint et qu'on alluma les lampes il les consola,
raconta une espèce de parabole relative aux trois rois, et dit que la
lumière se tournerait vers les païens.
(4 juillet) Je vis ce matin
Jésus aller avec les deux disciples à la rencontre des apôtres qui
arrivaient. Il leur fallut d'abord franchir la montagne : ils avaient
fait à peine une lieue qu'ils étaient déjà sur le territoire de la
Galilée : ils allèrent bien jusqu'à trois ou quatre lieues en avant.
Dans l'après-midi, je vis Jésus et ses compagnons réunis aux disciples
qu'ils attendaient de Galilée dans une hôtellerie située sur le
territoire galiléen. Il en était venu encore plusieurs autres, et aussi
quelques femmes, parmi lesquelles je reconnus Marie, mère de Marc, qui
avait fait un séjour près de la mère de Dieu, et la tante maternelle de
Nathanael le fiancé, une de celles que j'appelle les trois veuves. Parmi
les sept qui étaient venus spontanément, se trouvait Jean. Ceux qui
avaient été convoqués étaient Pierre, André, Jacques le Mineur et
Nathanaël-Khased. J'ai vu tous ceux-là avec Jésus dans l'hôtellerie, où
ils prirent quelque nourriture. Marie n'était pas là.
(5 juillet) Je vis hier
soir, très tard, lorsqu'il faisait déjà nuit, Jésus et ses compagnons
retourner à Sichor-libnath et les sept autres reprendre leur route vers
la Galilée. C'était une nuit d'été singulièrement agréable. L'air était
embaumé et le ciel très clair. Ils marchaient quelquefois tous ensemble,
quelquefois les uns devant, les autres derrière, et Jésus seul au
milieu. Je les vis une fois se reposer dans une contrée extrêmement
fertile, sous des arbres chargés de fruits, dans le voisinage de
prairies humides. Lorsqu'ils repartirent, il s'éleva de la prairie un
essaim d'oiseaux qui les suivit constamment. Ces oiseaux étaient presque
gros comme des poulets, avaient des becs rouges et de longues ailes
effilées, à peu près comme celles des anges dans les tableaux, et ils
avaient entre eux d singuliers colloques. Ils accompagnèrent le Seigneur
jusqu'à la ville, où ils s'abattirent sur les eaux dans les roseaux :
ils rasaient la surface de l'eau comme des poules d'eau. Je me disais
qu'ils voulaient sans doute se faire tuer là pour Jésus.
Il y avait quelque chose
d'indiciblement touchant dans cette belle nuit, lorsque Jésus parfois
s’arrêtait, priait ou enseignait, et que les oiseaux aussi se posaient.
Je les vis ainsi franchir la montagne et descendre de l'autre côté. Je
vis ce matin Siméon aller au devant d'eux : il leur lava les pieds à
tous, leur offrit à boire et à manger dans un vestibule, et les
conduisit dans sa maison. Les oiseaux que j'ai vus appartenaient au
maître de la maison ; c'étaient des oiseaux aquatiques, mais qui
s'envolaient comme des pigeons. Pendant la journée, Jésus enseigna ici,
et le soir ils célébrèrent le sabbat dans la maison de Siméon. Outre
Jésus et les disciples, il y axait une vingtaine de Juifs rassemblés. La
synagogue était dans un caveau souterrain où l'on descendait par des
degrés : elle était arrangée avec beaucoup de soin. Il y avait là un
lecteur attitré qui entonna les chants et fit des lectures. Après cela,
Jésus enseigna encore. Je vis plus tard les disciples et Jésus aller se
coucher : ils passèrent la nuit dans la même maison que lui.
(6 juillet) Jésus et les
disciples ne dormirent que deux heures. Je les vis aujourd'hui au point
du jour assez avancés déjà sur le chemin qui mène au nord-ouest par des
détours dans les montagnes à une petite ville juive du pays de Khaboul.
Il y avait là des Juifs chasses de leur patrie qui avaient souvent
demandé leur réhabilitation ; mais les pharisiens ne voulaient point les
recevoir. Ils désiraient ardemment depuis longtemps que Jésus vint les
voir, mais ils ne s'en jugeaient pas dignes et à cause de cela ils ne le
lui avaient pas fait demander, mais il alla de lui-même les visiter. Il
y avait bien cinq à six lieues de chemin, à cause des nombreux détours
qu'il fallait faire à travers les montagnes.
A l'approche de la petite
ville juive, deux disciples allèrent en avant et annoncèrent au chef de
la synagogue l'arrivée de Jésus. Quoique ce fût jour de sabbat, Jésus
fit pourtant ce voyage, car dans ce pays, il se dispensait, lorsqu'il y
avait urgence, d'observer rigoureusement la prescription relative au
chemin du sabbat.
Il alla trouver les
préposés de la synagogue qui le reçurent très humblement. Ils lui
lavèrent les pieds ainsi qu'aux disciples, et lui offrirent quelque
chose à manger. Il se fit ensuite conduire chez tous les malades et il
en guérit une vingtaine. Il y avait parmi eux des hommes très courbés,
des paralytiques, des femmes affligées de pertes de sang, des aveugles,
des hydropiques' avec tout cela beaucoup d'enfants et des lépreux.
Sur le chemin quelques
possédés crièrent après lui et il les délivra. Tout se passa du reste
avec beaucoup d’ordre et de calme. Quelques disciples aidaient ceux qui
étaient guéris à se lever, d'autres donnaient des avis aux gens qui
suivaient et se rassemblaient. Aux portes. J'ai vu Jésus exhorter
certains malades avant de les guérir, à croire et à changer de vie.
Quant à d'autres qui avaient déjà la foi, il les guérit immédiatement.
Je le vis lever les yeux au ciel et prier sur eux : il en toucha
quelques-uns ou passa la main sur eux. Je le vis aussi bénir l'eau, en
asperger lui-même les assistants et faire asperger la maison par ses
disciples. Dans quelques maisons il mangea ou but quelque chose ainsi
que les disciples. Plusieurs de ceux qui étaient guéris se levaient, se
prosternaient devant lui, l'accompagnaient pleins de joie, comme on
accompagne le saint Sacrement, mais toujours à une distance
respectueuse. Il ordonna à d'autres de rester chez eux.
Je le vis en outre ordonner
à quelques-uns de se baigner dans l'eau qu'il avait bénie : c'étaient
principalement des lépreux et des enfants. Je le vis aussi aller bénir
une fontaine près de la synagogue : on y descendait par des marches :
car elle était située à une grande profondeur : il y jeta aussi du sel
qu'il bénit. Il enseigna à cette occasion touchant Elisée, qui avait
sanctifié l'eau avec du sel, près de Jéricho, et dit aussi ce que le sel
signifiait : mais je l'ai oublié Il ordonna aux gens de se laver plus
tard avec l'eau de cette fontaine quand ils seraient malades. Il
bénissait toujours en forme de croix : les disciples tenaient son
manteau qu'il déposait souvent et lui présentaient le sel qu'il jetait
dans l'eau. Il faisait tout cela avec beaucoup de gravité et de
solennité.
J'ai bien vu à cette
occasion combien l'eau bénite est une chose sacrée, et j'aurais voulu
voir là le professeur R... qui m'a parlé une fois si légèrement de l'eau
bénite. Il m'a été dit aussi que ce même pouvoir de guérir a été donné
aux Prêtres, que ceux qui guérissent. comme par exemple le prince de
Hohenlohe, font précisément ce que faisait Jésus, et que le peu de foi
qu'a le grand nombre, montre qu'on est bien tombé en décadence.
Je vis encore qu'on porta à
Jésus sur des lits quelques malades qu'il guérit et qu'il fit encore une
instruction dans la synagogue. Je ne je vis pas prendre de repas. Il
enseigna et guérit toute la journée. Le soir, après le sabbat, il quitta
cet endroit avec les disciples, et quand il prit congé des habitants qui
étaient tout tristes, il leur ordonna de rester là, de ne pas
l’accompagner : ils lui obéirent en toute humilité. Il avait béni et
purifié l'eau, parce qu'ils n'avaient que de mauvaise eau, dans laquelle
il y avait des serpents et des bêtes avec de grosses têtes et de longues
queues (des salamandres). Il se rendit avec les disciples à deux lieues
d'ici, à une grande hôtellerie isolée, située dans la montagne ; il y
mangèrent et y couchèrent. Ils l'avaient laissée de côté en venant.
(7 juillet) Aujourd'hui
beaucoup de gens vinrent avec des malades à cette hôtellerie parce
qu'ils avaient su que Jésus devait y venir. Ils habitaient sur les deux
pentes de la montagne dans des huttes et des grottes. Sur le côté
occidental qui regardait Tyr, habitaient des païens qui, eux aussi,
étaient venus : sur le côté oriental demeuraient de pauvres Juifs. Il
enseigna sur la purification, l'ablution et- la pénitence et guérit au
moins trente malades.
Les païens se tenaient à
part et il ne les enseigna que quand les autres furent partis. Il leur
adressa des paroles très consolantes. Cela dura jusqu'à l’après-midi Ce
sont de pauvres gens, ils ont de petits jardins et des plantations
autour de leurs demeures : ils se nourrissent de lait de brebis dont ils
font du fromage qu'ils mangent en guise de pain : en outre, ils
recueillent les fruits de leurs jardins avec d’autres fruits qui
croissent sans culture et vont les vendre au marché : plusieurs aussi
portent de la bonne eau dans des outres à la petite ville où Jésus était
hier et en d'autres endroits ; car dans ce pays l'eau est très mauvaise
et pleine de vilaines bêtes : c'est pourquoi Jésus la bénit et la
purifia par sa bénédiction. Il y avait chez ces gens beaucoup de
lépreux. Jésus bénit l'eau et leur dit de s'y laver.
Vers le soir Jésus revint à
Amichorès ou Sichor-libnath, il y enseigna encore et dit qu’il
baptiserait le jour suivant. La ville d'Amichorès, surnommé ville
aquatique ou ville de la pluie, s'appelle aussi Amead Sichor Libnath :
elle est à deux lieues de Ptolémaïs, dans l'intérieur des terres, près
d'un petit lac d'une eau trouble ; il est inaccessible d'un côté où il
est bordé par une haute montagne. De ce lac sort l'eau chargée de sable
du petit fleuve Bélus, appelé aussi Sichor Libnath, dont la source est
surmontée d'un monument, et qui se jette dans la mer près de Ptolémais.
La ville est si grande que je ne puis pas comprendre comment on sait si
peu de chose sur elle. La ville juive de Miseal n'était pas éloignée :
il y avait plusieurs autres villes à l'entour. Lorsque Jésus, s'enfuyant
du lieu où il baptisait, vint ici pour la première fois, il passa par un
endroit voisin appelé Bethsemès.
(8 juillet) Dans la cour de
Siméon, l’hôte de Jésus il y avait un grand bassin rond plein d'eau,
autour duquel on avait creusé un fossé profond ; il était alimente par
les eaux qui, dans ce pays, sortent partout de terre, et l’eau n'en
était pas bonne ; elle avait un mauvais goût. C'est pourquoi Jésus
l'avait bénie récemment, comme il avait fait dans l'autre endroit.
Le sel qu'il y jeta n'était
pas comme notre sel ; c'était comme des morceaux de pierre. Il y en
avait toute une mine dans les environs.
Près de ce bassin, qui
auparavant avait été vidé, puis curé, eut lieu aujourd'hui le baptême
d'environ trente personnes. On baptisa le maître de la maison, les mâles
de sa famille et ses commensaux, quelques autres Juifs de l'endroit, en
outre plusieurs païens qui étaient allés voir Jésus récemment, et
quelques-uns des esclaves des cabanes avec lesquels il s'était entretenu
plus d'une fois quand ils revenaient du travail. Les païens passèrent
les derniers, et ils eurent d'abord à faire certaines ablutions. Jésus
versa d'abord dans le bassin un peu de cette eau du Jourdain que lui et
ses disciples portaient habituellement avec eux, et il bénit l'eau. On
fit aussi entrer dans le bassin de l'eau du canal qui régnait à
l'entour, en sorte que les baptisés en avaient jusqu'aux genoux.
Jésus les instruisit
longuement et les prépara. Ils se présentèrent couverts de longs
manteaux gris et avec des capuchons sur la tète ; je crois que c'était
une espèce de manteau pour la prière. Quand ils entrèrent dans le fossé
qui était autour du bassin, ils déposèrent leurs manteaux : ils
n'avaient qu'un linge autour des reins, et sur le haut du corps un petit
manteau ouvert sous les bras qui couvrait la poitrine et le dos. un
disciple leur mit la main sur les épaules et un autre sur la tête. Le
baptisant leur versait plusieurs fois de l'eau du bassin sur la tête
avec une espèce de soucoupe, en invoquant, je crois, le nom du
Très-Haut. André baptisa d'abord, puis ce fut Pierre, lequel fut
remplacé par Saturnin. Cela, avec les préparations, dura jusqu'au soir.
Quand ces gens furent
partis, Jésus et les disciples sortirent de la ville par petits groupes,
comme s'ils eussent été se promener ; ils se réunirent sur la route et
allèrent au levant vers Adama, près du lac Mérom. Je les vis se reposer
la nuit sur un beau gazon très touffu.
(9-21 juillet) Quoique
Adama me parût être à peu de distance, Jésus dut pourtant faire encore
quelques lieues, en remontant le long d'une petite rivière, pour arriver
au passage qui avait lieu sur un radeau de poutres placé là, sans l'aide
d'aucun batelier. Ils se dirigèrent ensuite vers Adama, où ils
arrivèrent dans l'après-midi. Plusieurs des principaux de l’endroit
étaient rassemblés dans un jardin destiné à prendre des bains : on y
conduisait l'eau de la petite rivière. Ils semblaient avoir attendu
Jésus, car ils allèrent au-devant de lui et le conduisirent à une maison
qui se trouvait sur une place au milieu de la ville : elle était
entourée d'un grillage de métal brillant et de diverses couleurs. Ils
furent reçus là, on leur lava les pieds, on battit leurs manteaux et on
les nettoya avec soin. On avait aussi préparé un repas très abondant, il
y avait spécialement beaucoup de fruits et d'herbes vertes.
Ils conduisirent ensuite
Jésus à la synagogue, où une grande partie des Juifs se rassembla. Elle
avait trois étages superposés. Les femmes se tenaient à l'arrière-plan.
Ils commencèrent par des prières et des chants adressés à Dieu, pour
indiquer qu'ils considéraient comme fait en son honneur tout ce que
ferait Jésus. Il parla des promesses divines et de la manière dont elles
s'étaient succédées et accomplies. Il parla aussi de la grâce, dit
comment la grâce acquise à un homme par les mérites de ses ancêtres ne
se perdait pourtant pas, lors même qu'il ne méritait pas lui-même de la
recevoir, mais était donnée à quelque autre qui en était plus digne. Il
parla encore d'un acte méritoire de leurs aïeux, accompli dans cette
ville à une époque si reculée qu'ils n'en avaient presque plus
connaissance, mais qui leur profitait encore. Ils avaient autrefois
donné asile à des étrangers chassés de leur pays.
(10 juillet) Ce matin, les
disciples parcoururent les quatre quartiers, allant dans diverses
maisons afin d'en convoquer les habitants à une grande instruction pour
le jour suivant. Ceux-ci en faisaient part à leurs voisins. Le soir, je
vis un grand repas dans une salle ouverte, entre la cour et le jardin de
la maison dans laquelle Jésus avait été conduit d'abord. Il y avait bien
cinquante convives de la ville, et ils mangeaient à cinq tables. Jésus
mangea avec les principaux habitants, les disciples aux autres tables
avec les autres convives. Le repas était abondamment servi ; je crois
que Jésus et les disciples y avaient contribué pour quelque chose. On
avait placé sur la table des arbustes plantés dans des pots où était de
la terre. Jésus donna divers enseignements pendant le repas : il alla
aussi de table en table et s'entretint avec les conviés.
Après le repas, lorsqu'on
eut desservi et dit l'action de grâces, on laissa encore les arbustes
sur la table : tous les assistants formèrent un demi cercle devant Jésus
: il les enseigna et les invita tous à une grande instruction qu'il
voulait faire le lendemain en plein air, sur une place voisine du jardin
où il avait été reçu.
Il y avait là un tertre
vert, au milieu duquel était une chaire ombragée par un arbre ; tout
autour était un grand espace protégé contre le soleil par cinq rangées
d'arbres dont les branches se touchaient et formaient une seule masse.
C'était un lieu très agréable. Il se trouvait au côté méridional de la
ville ; le jardin des bains était plus au sud-est. Les habitants
appelaient ce jardin le lieu de la grâce, parce qu'ils croyaient
qu'autrefois une grâce leur était venue de ce côté. Ils avaient aussi
sur le côté du nord une tradition, suivant laquelle il était venu
autrefois de cette région un grand désastre pour la ville.
La ville était toute
entourée d'eau, avait le lac Mérom au levant, et autour d'elle un canal
qui se réunissait de nouveau au lac, près du jardin des bains : cinq
ponts le traversaient. La ville n'avait pas de murailles.
Jésus logeait dans une
grande hôtellerie, près de la porte par laquelle il était entré. Les
habitants avaient coutume de très bien héberger les étrangers, et ils
croyaient que cela leur portait bonheur ; mais quand les gens leur
déplaisaient, il leur arrivait quelquefois de les mettre en prison.
Le lac Mérom, qui est au
levant de la ville, est situé dans une cavité profonde et taillée à pic,
couverte de roseaux et d'arbustes : son eau est trouble, excepté au
milieu, où le Jourdain le traverse. Beaucoup de bêtes féroces ont là
leurs repaires : on prend aussi dans le lac toute sorte d'animaux
étranges, entre autres des serpents et de grands lézards que de pauvres
gens de l'endroit promènent pour les montrer. J'ai vu en outre des gens
qui, avec un sabre court et recourbé au côté, et armés d'épieux, vont
mettre des appâts dans les fourrés pour attirer les bêtes sauvages et
les prendre ils posent aussi des boules où il y a des crochets attachés
à des cordes : ils attirent ainsi les bêtes à eux comme avec des
hameçons et les tuent. Je les ai vus faire manger les bêtes dans des
caisses en avant desquelles était une auge avec du lait que des serpents
venaient boire. (La Sœur décrivit à cette occasion des animaux
ressemblant à des chiens de mer et faisant de grands sauts hors de
l'eau, de grosses anguilles, des lions, des tigres, des sangliers,
contre lesquels on se mettait en garde et auxquels on faisait la chasse
pour protéger les troupeaux et les jardins.)
Je crois que ces chasseurs
d'animaux sont des soldats, car je vis qu'ils n'avaient pas de femmes et
qu'ils habitaient un édifice peu élevé avec des rangées de chambres
disposées autour d'une vaste cour ; il s'y trouvait une grande arcade
par laquelle j'avais vue dans la cour du château qui était au milieu de
la place publique. J'ai seulement vu l'intérieur, je n'étais pas dedans.
(C'est ainsi qu'elle parla avec le sentiment de pudeur d'une fille de la
campagne qui parle d'une caserne.)
Les chefs qui conduisirent
Jésus dans le château, habitaient également à part des femmes,
lesquelles logeaient sur le derrière dans un édifice séparé où on
faisait la cuisine. Tous les étrangers qui venaient dans la ville
étaient conduits à cette maison où on les interrogeait.
Cette ville, avec un
district d'environ vingt petits villages à l'entour, dépendait d'une
contrée que gouvernait encore un Hérode.
Azor ou Hazor est à cinq
lieues à l'ouest d'ici : Jésus a passé devant. Cette ville est sur une
montagne qui s'abaisse en pente douce d'un côté où il y a une petite
rivière. La Sœur décrit en outre toutes les villes d'alentour, preuve de
l'exactitude avec laquelle elle voit.
Jésus parla encore ici du
baptême comme d'une purification ou d'une ablution spirituelle. Du reste
Le baptême avant la Pentecôte ne rendait pas membre de l'église On ne
baptisa pas de femmes avant cette époque, mais seulement, en compagnie
d'autres enfants, quelques petites filles de cinq, sept ou huit ans,
toutefois aucune qui fût nubile ou à la veille de l'être. Il y avait à
cela une signification mystérieuse que j'ai oublié.
J'ai appris qu'un grand
jeûne approche. (Vraisemblablement le jeûne commémoratif de la
rupture des tables de la loi par Moise, et aussi de la destruction de
Jérusalem.) il tombe le 17 du mois de thamuz.
(11 juillet) Les disciples
n'avaient invité au repas que des personnes choisies qu'ensuite Jésus
avait convoquées à l'instruction d'aujourd'hui. Plus de cent hommes
d'élite se réunirent devant la porte, autour de la chaire, sous l'ombre
des arbres : il y avait aussi plusieurs femmes derrière eux. Jésus et
les disciples arrivèrent vers les neuf heures. Ils passèrent d'abord par
le château qui est sur la place publique ; là Jésus voyant que le chef
ou seigneur de la ville voulait aller en costume officiel et accompagné
des gens de sa suite, lui dit de n'en rien faire, mais de se présenter
comme les autres en manteau long et en habit de pénitents. Ils portaient
tous de longs manteaux de laine et une espèce de scapulaire, dont la
Partie antérieure était fendue en deux, et représentait en quelque sorte
les tables de la loi de Moïse ; tandis que la partie postérieure était
entière : l'une et l'autre étaient réunies sur les épaules par une
petite courroie. Ces pièces d'étoffe étaient noires : je crois que les
sept péchés principaux y étaient marqués par des caractères de diverses
couleurs. Les femmes qui se tenaient en arrière. avaient la tête
entièrement voilée.
L'auditoire était déjà
réuni lorsque Jésus vint avec les disciples vers neuf heures. Quand il
entra, les assistants s'inclinèrent respectueusement : les principaux de
la ville se tenaient serrés autour de la chaire. C'était un beau siège
de pierre dont le bas était sculpté. Les disciples rangés en cercle
avaient chacun autour d'eux un groupe dans lequel se trouvaient les
femmes et ils enseignaient aussi.
Jésus leva d'abord les yeux
au ciel et pria à haute voix le Père duquel tout procède, pour que
l'instruction trouvât des cœurs contrits et sincères, puis il ordonna
aux auditeurs de répéter ses paroles, ce qu'ils firent en effet. Son
instruction dura sans interruption de neuf heures du matin jusque vers
quatre heures de l'après-midi. Il n'y eut qu'une seule pause pendant
laquelle on lui apporta des rafraîchissements. Les auditeurs se
succédaient les uns aux autres : ils arrivaient et se retiraient parfois
quand ils avaient des affaires dans la ville. Il enseigna sur la
pénitence, sur la purification et l'ablution par l'eau ; il parla aussi
de Moïse, des tables de la loi brisées par lui, du veau d'or, du
tonnerre et des éclairs sur le Sinai.
Lorsque Jésus eut achevé
son instruction et que plusieurs personnes, notamment le chef supérieur,
furent retournées à la ville, un vieux Juif, de grande taille et de
bonne mine, portant une longue barbe, vint hardiment à Jésus et lui dit
: ‘ Maintenant je veux aussi m'entretenir avec vous : vous avez expose
vingt-trois vérités, mais il y en a vingt-quatre ‘ Et alors il énonça
successivement une série d'aphorismes et commença à disputer. Jésus lui
dit : ‘ J'ai toléré votre présence ici pour que vous puissiez vous
convertir : j'aurais pu vous renvoyer devant tout le monde car vous êtes
venu sans invitation. Vous dites qu'il y a vingt-quatre vérités et que
je n'en ai enseigné que vingt-trois, mais vous en mettez trois de trop,
car il n'y en a que vingt et je les ai enseignées. "Alors Jésus fit le
compte de vingt vérités suivant le nombre des lettres de l'alphabet
hébraïque que celui-ci avait aussi énumérées, puis il parla du péché de
ceux qui ajoutent quelque chose à la vérité, et du châtiment qui leur
est réservé. Mais le vieux Juif ne voulut en aucune façon reconnaître
son tort, et quelques-uns des assistants l'approuvaient et l'écoutaient
avec un malin plaisir. Alors Jésus lui dit : "Vous avez un beau jardin,
apportez-moi les fruits les plus beaux et les plus sains : ils se
gâteront pour preuve de votre mauvais procédé : vous avez un corps droit
et sain : vous devez devenir contrefait parce que vous êtes dans votre
tort, afin que vous puissiez voir comment ce qu'il y a de meilleur se
corrompt et s'altère quand on ajoute quelque chose à la vérité. Si vous
pouvez opérer un seul signe, alors les vingt-quatre vérités sont vraies.
"Le Juif alors se rendit en hâte avec ses adhérents a son jardin qui
n'était pas loin de là. Il possédait là tout ce qu'on pouvait trouver de
rare et de précieux en fait de fruits, de plantes et de fleurs en outre,
derrière des grillages, toute espèce de bêtes et d'oiseaux choisis, et
au milieu un bassin d'eau assez grand avec des poissons rares. Avec
l'aide de ses amis, il eut bientôt recueilli les plus beaux fruits, des
pommes jaunissantes et des raisins déjà mûrs dont il remplit deux
petites corbeilles : d'autres fruits plus petits furent placés dans un
plat qui semblait fait avec des fils de verre de couleur tressés
ensemble Il prit en outre avec lui dans des cages des oiseaux de
diverses espèces, et des animaux rares de la grosseur d'un lièvre et
d'un petit chat.
Pendant ce temps-là, Jésus
avait encore enseigné sur l'obstination et sur les funestes effets qui
se produisent quand on ajoute à la vérité.
Lorsque le vieux Juif avec
ses compagnons eut apporté toutes ses raretés dans des corbeilles et
dans des cages et les eut déposées près de la chaire de Jésus, il y eut
un grand mouvement dans l'assemblée. Mais comme il persistait avec
orgueil et opiniâtreté dans sa première affirmation, les paroles de
Jésus s'accomplirent sur tout ce qu'il avait apporté. Un mouvement
intérieur commença à s'opérer dans les fruits, il en sortit de tous les
côtés des vers et des insectes hideux qui les dévorèrent, si bien que
d'une pomme il ne resta plus bientôt qu'un fragment de pépin oscillant
ça et là sur la tête d'un ver. Les petits animaux qu'on avait apportés
s'affaissèrent sur eux-mêmes, rendirent du pus dont il se forma des vers
qui les rongèrent et ils ne furent plus à la fin que des morceaux de
chair informes. Tout cela était si dégoûtant, que les assistants qui
s'étaient approchés pleins de curiosité se mirent à crier et à se
détourner avec horreur, d’autant plus que le Juif en même temps devint
tout blême et tout jaune, se tordit sur lui-même et devint tout
contrefait d'un côté.
A ce prodige il y eut dans
la foule de grands cris et un grand tumulte, et le vieux Juif pleura,
reconnut son tort et pria Jésus d'avoir pitié de lui.
En ce moment, la narratrice
interrompit son récit par ces paroles : ‘ Ici je m'éveillai un moment de
ma vision, mais pendant toute l'instruction de Jésus sur la vérité,
j'avais fort à faire pour transmettre constamment ses paroles à
différentes religieuses et aussi à d'autres personnes que je devais
exhorter au respect de la vérité. Au commencement j'étais dans notre
couvent, comme autrefois, à l'infirmerie, et je disais tout ce qui me
venait à l'esprit pour exhorter à respecter la vérité ; je m'adressai
d'abord aux nonnes qui n'écoutaient pas cela très volontiers : il vint
ensuite plusieurs soldats. Mais la révérende mère ne voulut pas les
laisser entrer. Alors je me levai, me mis à la fenêtre, et les exhortai
de là en quelques paroles à toujours dire la vérité, ce qu'enseignait
aussi Jésus. Ensuite je me trouvai dans un couvent au-dessus de la
terre, planant en l'air : d'un côté étaient sainte Hildegarde, sainte
Brigitte et plusieurs autres religieuses de la même catégorie : j'étais
seule de l'autre côté et regardais à travers la grille avec beaucoup
d'attention l'endroit où Jésus enseignait : je voyais tout d'en haut.
Lorsque le Juif devenu contrefait cria vers le ciel pour demander grâce,
je pensai qu'il me demandait aussi de prier pour lui, parce qu'il
m'avait vue lorsque je m'étais placée à la grille, et je priai Jésus de
tout mon cœur de vouloir bien le guérir. Mais c'était une prière pour la
conversion de gens qui comme lui altèrent obstinément la vérité. ”
Il y eut un tel tumulte que
le chef supérieur qui s'était retiré précédemment fut rappelé de la
ville pour rétablir l'ordre, lorsque le Juif confessa son tort et avoua
qu'il avait ajouté quelque chose à la vérité. voyant le vif repentir de
cet homme qui suppliait tous les assistants de prier pour lui, Jésus
bénit les objets qu'il avait apportés et le bénit aussi lui-même. Tout
revint aussitôt à son étal antérieur ; les fruits, les animaux et
l'homme qui se prosterna devant Jésus en pleurant et en rendant grâces.
Cet homme se convertit si
bien qu'il devint un des plus fidèles adhérents de Jésus, et en
convertit encore plusieurs autres. Pour expier sa faute il distribua aux
pauvres une grande partie des beaux fruits de son jardin. Ce prodige fit
une grande impression sur tous les auditeurs qui étaient allés manger et
étaient revenus. un semblable prodige était nécessaire ici, car ces
gens, même quand ils se savaient dans l'erreur, étaient fort opiniâtres,
comme c'est le plus souvent le cas chez les gens d'extraction mêlée ;
or, ceux-ci descendaient de Samaritains qui avaient contracté des
mariages mixtes avec des paiens et avaient été chassés de Samarie. Ils
ne jeûnaient pas en mémoire de la destruction du temple de Jérusalem,
mais en mémoire de leur expulsion de Samarie. Ils reconnaissaient en
pleurant qu'ils étaient tombés dans l'erreur, mais ils ne voulaient
pourtant pas en sortir.
Ils avaient accueilli Jésus
avec une bienveillance marquée, parce que conformément à une ancienne
révélation qui leur était venue des païens, plusieurs signes leur
avaient fait croire que le temps était venl1 où Dieu devait leur
accorder de grandes grâces. Cette révélation avait eu lieu à l'endroit
qu'ils appelaient le lieu de la grâce et où était maintenant le jardin
des bains. Tout ce dont je me souviens encore, c'est que ces paiens se
trouvant dans une grande détresse avaient prié alors dans cet endroit
les mains levées vers le ciel, et qu'il leur avait été annoncé qu'ils
trouveraient grâce devant Dieu quand de nouvelles sources se jetteraient
dans le lac, qu'une nouvelle source coulerait dans la fontaine qui était
là et quand la ville s'étendrait de ce côté jusqu'à la fontaine. Or
toutes ces choses s'étaient accomplies récemment. Cinq cours d'eau, à ce
que je crois, se jetaient alors dans le lac ou dans celui-ci et dans le
Jourdain. Il s'était encore accompli quelque chose relativement à un
bras du Jourdain, et de nouvelle eau de bonne qualité était venue
remplir la fontaine du lieu de grâce.
Jésus doit baptiser dans
cet endroit et toutes ces prophéties touchant l'eau peuvent se rapporter
à la fontaine baptismale. En outre, on n'avait ici que de mauvaise eau.
Du reste la ville s'était étendue de ce côté : la partie du nord était
dans un fond ; elle était sombre et souvent couverte par les brouillards
du marécage : il n'y avait dans ce quartier qu'une populace paienne
habitant de petites cabanes. Du côté du sud-est au contraire, on voyait
beaucoup de maisons neuves, des jardins et des bâtiments en construction
jusqu'au lieu de grâce. Le lieu de grâce était dans un enfoncement : le
terrain était uni à l'entour. Par suite des dérangements qu'une nouvelle
montagne en se formant avait produits dans ses rivages, un bras du
Jourdain s'était détourné à l'ouest jusqu'à ce jardin : il se réunissait
ensuite à la petite rivière et revenait grossi par elle au lit principal
: il avait un parcours assez considérable ; quand l'eau du Jourdain
coula de ce côté, on y vit un des signes annoncés. Les habitants ici
n'adoraient point les idoles, les païens mêmes ne le faisaient qu'en
secret dans des caves. C'étaient des Juifs samaritains, mais par suite
de leur séparation, ils avaient emprunté certaines choses à d'autres
sectes.
(12 juillet) (Son état de
maladie fut cause d'un peu de désordre dans la suite de ses récits.) Je
vis Jésus enseigner dans une grande et belle synagogue au côté
méridional de la ville. Il y avait au milieu un magnifique buffet où
était renfermés les écrits contenant la loi. Les Juifs vinrent pieds nus
à la synagogue : il leur était interdit de se laver ce jour-là : c'est
pourquoi ils s'étaient lavés et baignés la veille après l'instruction.
Ils portaient aujourd'hui à la synagogue par-dessus leurs habits du jour
précédent un long manteau noir avec un capuchon : il était ouvert sur le
côté et attache avec des cordons. Ils avaient deux manipules noirs au
bras droit, un seul au bras gauche : le manteau avait une queue. Ils
priaient et chantaient avec beaucoup de ferveur : ils s'enveloppèrent
quelque temps dans des sacs ouverts par le milieu et se prosternèrent
ainsi la face contre terre dans les passages autour de la synagogue. Les
femmes en faisaient autant dans leurs maisons.
Dès hier, tous les feux
avaient été couverts : ce ne fut que le soir que je vis un grand repas,
mais sur une table non couverte, dans l'hôtellerie de Jésus, qui mangea
seul avec ses disciples : les autres mangèrent dans une grande salle
dans la cour. On apporta des aliments froids de la maison située sur la
place du marché : Jésus enseigna sur le manger. Beaucoup de gens vinrent
alternativement se mettre à table, parmi lesquels des boiteux et des
estropiés. Il y avait sur la table de petits plats avec de la cendre. Le
vieux Juif converti donna aux pauvres beaucoup de ses plus beaux fruits.
Je ne sais pas bien si le repas de vendredi, après midi, ou celui de
jeudi était avant le Sabbat du jeûne, mais je crois que c'était le
premier. Le soir, le sabbat commença à la synagogue.
Je vois souvent Marie dans
sa vie actuelle. Elle habite la maison voisine de Capharnaüm, seule avec
une servante. Des femmes de ses parentes demeurent à peu de distance. Je
la vois prier et travailler, je vois aussi des disciples qui apportent
des nouvelles et quelques-unes des saintes femmes. Je vois que souvent
elle ne reçoit pas des visiteurs de Nazareth et de Jérusalem, qui
pourtant sont venus de loin. à Jérusalem tout est calme en ce qui touche
Jésus. Lazare y habite dans son château, il reçoit des messagers de
Jésus et des siens et leur en envoie.
(13 juillet) J'ai vu Jésus
enseigner dans la synagogue hier soir et encore aujourd'hui : je l'ai vu
ensuite avec ses disciples et une dizaine de Juifs se promener dans les
montagnes qui sont devant la ville du côté du nord. Le pays en cet
endroit était plus âpre et plus sauvage. Je les vis s'arrêter sous des
arbres près d'une maison isolée et prendre quelques aliments qu'on leur
porta de cette maison. Jésus leur donna diverses règles de conduite : il
dit qu'il partirait bientôt et qu'il ne reviendrait qu'une fois. Il les
exhorta, entre autres choses, à ne pas tant gesticuler pendant la
prière, et avant tout à ne pas être si sévères envers les pécheurs et
les païens, mais à être compatissants envers eux ; à ce propos il
raconta la parabole de l'économe infidèle et la leur présenta comme une
énigme. Elle les surprit fort et il leur dit pourquoi la conduite de
l'économe était louée.
Malheureusement la Sœur a
oublié cette explication. Il semble toutefois, d'après d'autres choses
qu'elle a dites sur la défense d'être rigoureux, que le Christ, par
l'économe infidèle, voulait indiquer la synagogue, et par les autres
débiteurs les sectes et les païens. Ainsi, la synagogue doit remettre
une partie de leurs dettes aux schismatiques et aux païens, puisqu'elle
est pourvue de l'autorité et des grâces. c'est-à-dire qu'elle possède la
richesse sans l'avoir méritée et sans y avoir droit, afin que
lorsqu'elle-même sera chassée, elle puisse avoir recours à
l'intercession des débiteurs qu'elle aura traités avec douceur. Du moins
est-il possible d'ajouter cette interprétation à beaucoup d'autres qui
peuvent être données.
Étant enfant, je voyais
déjà toutes les paraboles se produire devant mes yeux comme des tableaux
vivants, et je croyais reconnaître ça et là dans le monde où je vivais
certaines figures que j'y avais vues. Ainsi, ce fut le cas avec cet
économe, que j'ai toujours vu comme un comptable un peu bossu, avec une
barbe rousse, courir alerte et prompt, et faire écrire des sous-fermiers
avec un roseau. Quand j'allais à l'église dans la petite ville et que
j'achetais quelque chose dans une certaine boutique, j'y voyais un
marchand qui avait une figure de ce genre, en sorte qu'il me rappelait
toujours cet économe infidèle et rusé. Je ne pouvais m'empêcher de rire
sous cape quand je le voyais. De la représentation de cette parabole je
ne me rappelle que ce qui suit : L'économe infidèle habitait dans le
désert d'Arabie, à peu de distance du lieu ou les enfants d'Israël
murmurèrent Son maître, qui demeurait très loin, peut-être au delà du
mont Liban, possédait là un terrain produisant du blé et de l’huile,
situé sur la frontière de la terre promise.
Des deux côtés habitaient
deux paysans auxquels les champs étaient affermés. L'économe était un
petit homme contrefait, alerte, avec une barbe rousse, très résolu et
très fin : il se disait : Le maître ne vient pas encore, et là-dessus il
vivait dans la débauche et laissait tout aller de mal en pis : les deux
paysans aussi dissipaient tout en débauches. Je vis un jour le maître
venir : je vis bien loin, par delà de hautes montagnes, comme une ville
magnifique et un palais : je vis une belle route qui allait du palais
directement à ce lieu en passant par toutes les villes, et je vis le roi
partir de là avec un grand cortège de chameaux, de petites voitures
basses traînées par des ânes' et toute sa cour. Je vis cette arrivée de
même que Je vols quelquefois une route qui descend de la Jérusalem,
céleste, et c'était un roi céleste qui avait sur la terre un bien
produisant du froment et de l'huile : mais il venait, à la façon des
vieux rois patriarches, avec un grand cortège. Je le vis venir par cette
route qui descendait ; car l'intendant, le petit homme, était accusé
près de lui de tout dissiper.
Les débiteurs du maître
étaient deux hommes vêtus de longues robes boutonnées jusqu'en bas :
l’intendant avait un petit bonnet sur la tête. Le château où habitait
l'intendant était un peu plus rapproché de désert : les champs de blé et
d'oliviers, près desquels demeuraient les paysans, étaient plus près de
la terre de Chanaan. Le Seigneur descendit près du champ de blé. Les
deux débiteurs dissipaient les revenus avec l'intendant, et ils avaient
sous eux de pauvres gens qui devaient tout leur fournir : on aurait pu
les comparer à deux mauvais curés et l'intendant à un évêque
prévaricateur : cependant il me faisait aussi l'effet d’un séculier qui
est chargé de tout administrer. L'intendant pressentit ou vit de loin
l’arrivée du maître : il fut dans une grande anxiété : il prépara un
grand repas, et il était très agité et très affairé. Lorsque le maître
fut entré dans le palais, il lui dit : Qu'est-ce que j'entends raconter
de toi ! On dit que tu dissipes mon bien : rends-moi tes comptes, tu ne
peux plus être mon économe ! "
Je vis alors l’économe
faire venir en toute hâte les deux paysans : ils avaient des cahiers
d'écritures qu'ils déroulèrent. Il leur demanda ce qu'ils devaient, car
il n'en savait rien, et ils le lui firent voir : il les fit écrire en
toute hâte une reconnaissance où leur dette était diminuée, et il se
disait : si je suis chassé, je me retirerai chez eux et Ils me
nourriront, car je ne puis pas travailler.
Je vis alors les paysans
envoyer au maître leurs subordonnés avec des chameaux et des ânes, qui
étaient chargés de grain dans des sacs et d'olives dans des paniers.
Ceux qui portaient des olives portaient aussi de l'argent : c'étaient de
petits bâtons de métal. en faisceaux de diverse grosseur, mais tenus
ensemble par des anneaux, suivant les sommes. Le maître vit d'après ce
qu'il avait reçu plusieurs fois auparavant que c'était beaucoup trop
peu, et il devina d'après le compte falsifié quelles étaient les vues de
l'intendant ; alors il se mit à rire devant les fermiers et dit : "voyez
comme cet homme est fin et habile ; il veut se faire des amis parmi ses
subordonnés : les enfants du siècle sont plus habiles dans leurs voies
que les enfants de lumière, qui font rarement pour le bien comme il a
fait pour le mal : car autrement ils seraient récompensés comme celui-ci
sera puni. "Je vis que ce bossu malhonnête perdit sa place et fut
renvoyé dans le désert. Le sol y était jaunâtre, dur, stérile, et il y
venait des aunes. (signe de stérilité dans les visions de la soeur.) Cet
homme était tout bouleversé et tout abattu. Je vis pourtant qu'il finit
par se mettre à piocher et à travailler la terre. Les deux paysans
furent aussi renvoyés. et on leur assigna un terrain sablonneux mais un
peu meilleur. Les pauvres subordonnés eurent à cultiver les champs
dévastés, car tout leur avait été enlevé.
(14 et 15 juillet)
Aujourd'hui, Jésus et les disciples parcoururent séparément toute la
ville : Jésus la partie la plus centrale, les disciples les parties les
plus éloignées jusqu'aux maisons des païens. Ils allèrent presque de
maison en maison, et convoquèrent les gens qui étaient préparés, soit à
l'instruction et au baptême pour le lendemain, soit à une grande
instruction pour le surlendemain ; elle devait avoir lie u de l'autre
côté du lac, à un endroit couvert de verdure et entouré d'une enceinte.
Ils enseignèrent, tout en faisant cette invitation. Cela se prolongea
jusqu'à la chute du jour.
Je vis ensuite les
disciples hors de la ville, remonter la rive occidentale du lac et aller
visiter des pêcheurs qui pêchaient sur leurs barques avec des flambeaux,
dans un endroit où le lac s'élargissait au-dessous de l'entrée du
Jourdain. Ils attiraient les poissons au moyen de la lumière des
torches, et les prenaient avec des dards et des hameçons. Les disciples
montèrent sur les barques pour les aider : ils enseignèrent les pêcheurs
et leur dirent de porter leur poisson à un endroit voisin de Séleucie,
où devait se faire l'instruction et où ils seraient bien payés. cet
endroit était une espèce de parc entouré de murs et de haies, où on
avait coutume d'enfermer les bêtes sauvages qu'on prenait vivantes. On y
avait creuse des fosses pour elles. Cet endroit dépendait d'Adama et
était à peu près à une lieue et demie de Séleucie.
Vers le matin Jésus vint
trouver les disciples et ils revinrent avec lui à la ville par un chemin
détourné le long duquel était un grand nombre de cabanes : on fit dans
ces cabanes ce qu'on avait fait dans les maisons. Jésus alla avec eux
dans la ville, dans la maison du premier magistrat qui était sur la
grande place, et il prit avec eux quelque nourriture. C'étaient des
petits pains, attachés ensemble deux à deux : il y avait aussi sur la
table de petits poissons avec des têtes relevées, sur un grand plat en
forme de navire, brillant comme du verre de diverses couleurs ; et Jésus
servit à chacun des disciples un de ces poissons sur un petit pain.
Autour de la table étaient des trous creusés comme des assiettes où l'on
mettait des portions.
Après ce repas, Jésus fit
une instruction dans la salle ouverte qui était en face de la cour,
devant le premier magistrat et les gens de sa maison qui devaient être
baptisés.
Jésus se rendit ensuite
devant la ville à un endroit où beaucoup de personnes l'attendaient déjà
et il y prépara aussi au baptême. Les gens venaient et se retiraient
successivement par troupes séparées. Ils allèrent de là dans la
synagogue, où ils prièrent, et se mirent de la cendre sur la tête en
signe de pénitence, puis ils se rendirent au lieu de grâce où ils firent
leurs ablutions deux par deux dans un bassin où ils étaient séparés par
des rideaux.
Quand tous eurent quitté le
lieu où l'instruction avait eu lieu, Jésus se rendit au lieu de grâce
avec ses disciples. La fontaine baptismale était ce réservoir dans
lequel l'eau venait par un bras du Jourdain. Ici aussi était le bassin,
entouré d'un fossé dans lequel deux personnes pouvaient passer l'une à
coté de l'autre à ce fossé aboutissaient cinq conduits venant du bassin
central et qu'on pouvait fermer.
Ce réservoir d'eau avec ses
cinq conduits n'avait pas précisément été arrangé ainsi pour le baptême.
C'était une forme qui se retrouvait fréquemment en Palestine et dont les
rapports avec les cinq entrées de la piscine de Béthesda, avec la
fontaine de Jean dans le désert, avec la fontaine baptismale de Jésus et
avec les cinq plaies du Sauveur doivent avoir une signification
symbolique et religieuse.
Jésus enseigna encore ici,
pour préparer prochainement au baptême. Ceux qui devaient être baptisés
étaient en manteaux longs qu'ils déposaient ; après quoi ayant les reins
enveloppés d’un linge et un petit manteau sur la poitrines ils
descendaient dans le fossé circulaire où l'on faisait entrer l'eau du
bassin du milieu. Ceux qui baptisaient elles parrains se tenaient sur
les passages. L'eau était versée trois fois sur la tête au nom de
Jéhovah et de son envoyé. Il y avait toujours quatre disciples qui
baptisaient en même temps et deux imposaient les mains. Cela dura
jusqu'au soir. Plusieurs furent refusés et renvoyés.
(16 juillet) Au point du
jour les disciples s'embarquèrent pour Séleucie, et l'endroit où devait
avoir lieu l'instruction. à quelque distance d'Adama, le lac, qui avait
la forme d'un violon, se rétrécissait : il avait environ un quart de
lieue de large. Séleucie, ville de moyenne grandeur, était une
forteresse : elle avait une muraille, puis un retranchement et encore
une muraille. Le côté du nord était escarpé et elle était tout à fait
inaccessible par là. Elle n'était habitée que par des soldats païens. Je
vis, dans un quartier séparé, les femmes qui habitaient de longs
bâtiments où elles avaient chacune leur chambre. Les Juifs en petit
nombre qui demeuraient ici vivaient très retirés et logeaient dans de
misérables trous de murailles. Ils étaient chargés de travaux pénibles
et rebutants dans les fossés et le marécage.
Je ne vis pas là de
synagogue, mais un temple rond. Il était supporté par des colonnes et
aussi par de grandes figures. Au milieu s'élevait une très grosse
colonne dans laquelle étaient pratiqués des degrés qui conduisaient dans
le temple. Il y avait au-dessous des caveaux souterrains où l'on
déposait, je crois, les urnes contenant les cendres de leurs morts. Il y
avait aussi près de là une place noircie où je suppose qu'on brûlait les
cadavres. Dans le temple étaient des images de serpents avec des visages
d'hommes, des figures humaines avec des têtes de chiens, et aussi une
figure avec la lune et un poisson.
Le pays d'alentour était
peu fertile, mais les gens étaient très laborieux, ils faisaient toute
espèce d'ouvrages en cordes pour le harnachement des chevaux : il y
avait là aussi plusieurs armuriers : on fabriquait tout ce qui était à
l'usage des soldats.
Les disciples allèrent de
côté et d'autre et invitèrent les gens à l'instruction et au repas qui
devait avoir lieu à l'endroit désigné. Pendant ce temps Jésus faisait de
même dans les maisons païennes d'Adama. Les disciples se rendirent
ensuite au parc des animaux, à un endroit où il y avait de beau gazon,
des fleurs et des arbustes, et ils préparèrent tout pour le repas avec
l'aide de plusieurs pêcheurs qui avaient déposé leur poisson dans une
citerne voisine. Les tables étaient de grandes poutres, larges d'environ
deux pieds, qu'on avait tirées du lac. Derrière le jardin étaient des
foyers où l'on faisait griller le poisson. Il semblait qu'on donnât
souvent des repas en cet endroit. car il se trouvait là, dans des caves
souterraines, des espèces d'écuelles plates en pierre qui paraissaient
formées par la nature et sur lesquelles on apportait les mets :
c'étaient des pains, du poisson, des herbes vertes et aussi des fruits.
Quand tout cela fut préparé
et qu'une centaine de paiens furent rassemblés Jésus vint aussi en
traversant le lac. Il était suivi d'environ douze Juifs, du magistrat
supérieur et en outre de plusieurs païens d'Adama. Jésus prêcha sur une
colline. Le magistrat et les autres Juifs prirent part aux préparatifs
du repas et ils servirent à table avec les disciples. Jésus parla de la
créature humaine, dit comment elle était composée d'un corps et d'une
âme, et il traita de la nourriture corporelle et spirituelle. Il ajouta
qu'ils étaient libres d'écouter son instruction ou de manger. Il dit
cela pour les éprouver, et alors quelques-uns allèrent se mettre à
table, suivis bientôt de plusieurs autres, en sorte qu'il n'en resta
guère que le tiers pour l'écouter. Il enseigna aussi sur la vocation des
païens et leur raconta la venue des trois rois qui ne leur étaient pas
inconnus.
Quand l'instruction et le
repas furent finis, Jésus vers le soir alla avec ses disciples et les
Juifs à Séleucie qui était au midi, à une lieue et demie environ, et qui
n'était pas tout à fait au bord du lac : les gens y étaient déjà
retournés. Il fut accueilli par les hommes les plus considérables de la
ville et on lui offrit à boire et à manger, ainsi qu'aux disciples et
aux Juifs. On les fit entrer dans la ville : Jésus salua et enseigna les
femmes païennes, à peu de distance de la porte, dans un endroit où on
avait coutume de les instruire et où elles s'étaient rassemblées pour le
voir. Elles ont le même costume que les Juives, mais ne sont point aussi
décemment voilées ; elles ne sont pas très belles : en général les gens
de ce pays ne sont pas grands, mais vigoureux et trapus.
Jésus se rendit alors à une
grande hôtellerie où on lui avait préparé un grand festin : on en donne
beaucoup dans ce pays. Jésus, les disciples et les Juifs mangeaient
seuls à une table. Au commencement les Juifs ne voulaient pas manger
ici. Mais Jésus leur dit que ce qui entre dans la bouche, ne souille
point l’homme, que s'ils ne voulaient pas manger avec lui, ils ne se
conformaient pas à son enseignement, etc.
Il enseigna sans relâche
pendant tout le repas. Les païens avaient des tables plus hautes que les
Juifs et aussi de petites tables isolées : ils s'asseyaient sur des
coussins les jambes croisées comme les gens du pays des trois rois. Les
mets étaient du poisson, des légumes verts, du miel et des fruits. Je
vis de la viande rôtie de couleur brune.
Jésus les toucha beaucoup
par son enseignement et le soir ils furent très affligés lorsqu'il prit
congé d'eux. Ils le prièrent instamment de rester, et il leur laissa
André et Nathanaël. Les païens étaient en général fort curieux de
nouvelles choses.
Le soleil était déjà couché
lorsqu'il les quitta. Les habitations des femmes étaient appuyées par
derrière au mur de la forteresse et au rempart : le devant donnait sur
une large rue. Il y avait là de très belles maisons séparées quelquefois
par des jardins et des cours, où ces femmes faisaient le ménage et la
lessive. Jésus s'entretint avec elles dans un lieu de réunion. Jésus à
Séleucie a parlé du baptême comme d'une ablution et comme ils voulaient
le garder plus longtemps, il dit que pour le moment ils ne pouvaient pas
en porter davantage.
(17 et 18 juillet)
Aujourd’hui je vis baptiser de nouveau à Adama ; il y eut auparavant une
fête d'actions de grâces des nouveaux baptisés dans la synagogue où ils
occupaient les premières places et où ils chantaient des cantiques de
louanges : Jésus y enseigna. André et Nathanaël revinrent de Séleucie.
Le Juif converti s'est mis à la disposition de Jésus, et il rend toute
espèce de services. Il est parfaitement humble et obligeant.
Jeudi. Ce matin, de très
bonne heure, les quatre disciples qui sont venus de Galilée, allèrent
dans quelques villes situées plus au nord, entre autres à Azor, à Cadès
et je crois aussi à Berotha, car je me souviens de la terminaison otha.
Cadès est au nord-ouest d'Adama à environ deux ou trois lieues, Azor ou
Khazor à deux lieues au nord-ouest de Cadès, Berotha à l'ouest de Cadés
: elles forment un triangle. Outre ces trois villes, la Sœur en
mentionne une quatrième dont elle a oublié le nom, mais elle croit qu'un
oncle de Tobie habitait dans les environs. D'Azor descend une petite
rivière qui passe aussi près de Cadès. C'est près de Berotha que les
Chananéens se rassemblèrent pour combattre Josué. Cadès est beaucoup
plus grand qu'Azor.
Entre ces deux villes est
une montagne élevée sur laquelle on a coutume d'enseigner. Les disciples
ont invité à s'y rendre, pour entendre une instruction de Jésus, les
habitants de ces villes et aussi des bergers qui habitent un groupe de
maisons dans les environs. Le quatrième endroit est Thisbé, je vois que
Tobie (Tob. 1-2) y fut autrefois fait prisonnier : la situation est très
élevée. La montagne dont j'ai parlé monte en pente douce de Cadès à
Berotha : Berotha est plus haut. Sur les pentes de cette montagne qui
regardent le nord et le midi, sont des groupes de maisons où habitent
les bergers.
Au sommet de la montagne
qui est couverte de verdure se trouve une enceinte où il y a une chaire.
Quelque chose de remarquable s'est passé là autrefois ; c'est, je crois,
pendant la guerre entre les Chananéens et Josué. Je vis que les
disciples allaient séparément dans ces endroits : dans les plus
importants, ils se rendaient chez les magistrats et les chargeaient
d'inviter le peuple à l'instruction que Jésus, le prophète de Galilée,
devait donner sur la montagne le jour d'après le sabbat : ailleurs, ils
allaient eux-mêmes inviter les gens dans leurs maisons. Parmi les
nombreuses villes que je vis, je me souviens d'Hétalon, où dernièrement
j'ai eu quelque chose à faire dans un songe. Hétalon est au penchant
oriental des premières hauteurs du Liban.
Je vis Jésus à Adama, avec
Saturnin et le disciple allié à sa famille, visiter et guérir une grande
quantité de malades qui n'avaient pas pu venir à ses instructions et au
baptême. Il alla chez des riches et des pauvres, soit juifs, soit
païens, et il guérit des hydropiques, des perclus, des aveugles et des
personnes affligées de pertes de sang. Je me souviens particulièrement
de dix possédés, parmi lesquels il y avait des femmes : tous étaient
Juifs : je ne vis jamais autant de possédés parmi les païens.
Quelques-uns étaient des gens considérables, enchaînés dans des chambres
grillées ou dans le vestibule des maisons. Quand Jésus s'approchait du
lieu où ils étaient, ils se mettaient à pousser des cris affreux et
devenaient furieux, mais quand il venait à eux lui-même, ils se
taisaient et le regardaient immobiles et terrifies. Je vis aussi qu'il
suffisait de son regard pour chasser d'eux le démon qui se retirait
visiblement, d'abord comme une vapeur laquelle formait ensuite une ombre
hideuse de forme humaine et disparaissait. Les assistants s'étonnaient
et restaient stupéfaits, les délivrés devenaient pâles et tombaient en
défaillance. Jésus leur adressait la parole, les prenait par la main et
leur ordonnait de se lever : alors ils avaient l’air de sortir d'un
songe, se mettaient à genoux, remerciaient et devenaient tout autres.
Jésus leur faisait des exhortations et leur indiquait les fautes dont
ils avaient à se corriger. C'est ainsi que se passa le jeudi tout entier
jusqu'au soir.
Les disciples ne revinrent
à Adama que vers midi et ils prirent un repas avec Jésus, chez le
magistrat principal. Ils avaient acheté des poissons et des pains dans
les lieux qu'ils avaient visités et avaient fait porter tout cela sur la
montagne où devait avoir lieu l'instruction, pour la nourriture des
auditeurs. Jésus reçut aussi des présents de diverses personnes. Je vis
des petits bâtons comme d'or natif. Ces dons servaient à faire les frais
des repas dans de semblables occasions. Jésus n'avait encore rien mangé
depuis le repas de Séleucie.
(19 et 20 juillet) Je vis,
hier soir, la célébration solennelle du sabbat : Jésus enseigna dans la
synagogue ; il fit de même aujourd'hui toute la journée. Je vis les
disciples se reposer et prier avec Jésus.
Du reste il y a à Adama, un
parti opposé à Jésus. Ils ont envoyé deux pharisiens à la prédication de
Jean, pour savoir ce que celui-ci dit de Jésus, et aussi à Bethabara et
à Capharnaum. Ils ont annoncé là à leurs pareils que Jésus parcourt
maintenant leur pays, qu'il y baptise et y fait des disciples. Ces gens
sont revenus : ils racontent ce qu'ils ont entendu dire, calomnient
Jésus et murmurent contre lui, mais ils n'ont qu'un petit nombre
d'adhérents.
Ces jours derniers, ou même
aujourd'hui, les principaux d'Adama demandèrent à Jésus, pendant le
repas, ce qu'il pensait des Esséniens. Ils voulaient l'induire en
tentation, parce qu'ils croyaient avoir remarque une certaine
ressemblance entre leurs principes et les siens, et parce que Jacques le
Mineur, son parent, qui était avec lui, appartenait aux Esséniens. Ils
leur firent divers reproches touchant l'observation de la continence et
spécialement touchant le célibat. Jésus leur répondit en termes très
généraux qu'on ne pouvait rien leur reprocher : que, si telle était leur
vocation, ils étaient très louables de la suivre : que cependant chacun
avait sa vocation particulière et que si, par exemple, un boiteux
voulait marcher droit, cela ne lui réussirait pas et ne lui siérait pas.
Comme ils objectaient qu'ils donnaient naissance à très peu de familles,
Jésus leur énuméra un grand nombre de familles d'Esséniens, et il parla
de la bonne éducation qu'ils donnaient à leurs enfants. Il parla de la
bonne et de la mauvaise propagation des races, il ne prit pas parti pour
les Esséniens, mais il ne les condamna pas non plus, et ils ne le
comprirent pas. Ils avaient eu cela en vue parce que Jésus avait parmi
eux des membres de sa famille et était en rapport avec eux, et qu'eux
aussi vivaient dans la continence.
(21 et 22 juillet) Dans la
nuit du sabbat au dimanche, avant le jour, je vis Jésus, qui avait pris
congé après le sabbat, sans dire toutefois qu'il ne reviendrait pas,
partir d'Adama, accompagné de ses disciples et de plusieurs Juifs, et se
rendre sur la montagne pour y enseigner.
Il passa un pont près de la
porte d'Adama par laquelle il était entré. s’ils avaient passé par
l'autre porte, ils auraient eu à traverser le cours d'eau qui va d'Azor
à Cadès, et qui se jette dans le Jourdain, près d'Adama, en passant
devant la ville. Ils laissèrent Cadès à droite et se dirigèrent vers
l'ouest, gravissant des rampes de montagnes dont la pente était douce.
Il se trouvait dans ce pays de hautes arêtes de montagnes qui formaient
de grands plateaux, et il n'y avait pas autant de ravins et de sommets
abruptes et déchirés que dans la Palestine méridionale. Thisbé, qui
était située à une grande hauteur, se trouvait à leur gauche. Tobie y
avait habité autrefois : il avait un beau-frère ou un frère de sa femme
marié là : il avait aussi résidé à Anichorès (la ville aquatique), et il
aurait pu s'y retirer ; mais il préféra aller en captivité avec son
peuple pour lui être utile. Elie résidait aussi à Thisbé, et Jésus y
avait déjà passé une fois, si je ne me trompe. Les villes étaient ainsi
placées à peu près. (Ici elle marqua avec son doigt sur la couverture du
lit leurs diverses positions.)
La foule était déjà
rassemblée sur la montagne. Dès la soirée précédente, des gens étaient
venus après le sabbat et avaient tout préparé. Il y avait au point le
plus élevé une enceinte avec une chaire. Ceux qui habitaient des deux
côtés de la montagne les groupes de maisons que j'ai mentionnés
précédemment, s'occupaient à préparer des tentes, et ils en avaient déjà
dressé quelques-unes avec des perches et des cordes. Ils les avaient
apportées avec eux, et ils avaient tendu des toiles au-dessus de la
chaire et en d'autres endroits. Ce lieu était mémorable, car Josué y
avait célébré une fête d'actions de grâces après avoir vaincu les
Chananéens. On avait apporté de l'eau dans des outres, ainsi que du pain
et du poisson dans des corbeilles Ces corbeilles ressemblaient à nos
ruches d'osier ; on pouvait les mettre l'une au-dessus de l'autre, et il
y avait des cases où l'on pouvait placer différentes choses.
Lorsque Jésus arriva sur le
sommet de la montagne, au milieu du peuple, il fut reçu par des
acclamations a : Vous êtes le véritable Prophète, le Sauveur, etc., lui
criait-on et quand il passait à travers la foule, on s'inclinait
profondément devant lui. Il pouvait être neuf heures quand il arriva,
car il y avait bien six ou sept lieues d'Adama jusque-là. On avait amené
beaucoup de possédés qui criaient et s'agitaient violemment. Mais Jésus
les regarda et leur commanda de se taire, et il suffit de son regard et
de son commandement pour les calmer et les guérir.
Quand Jésus fut arrivé à
l'endroit où il devait parler, le peuple ayant été placé par les
disciples et le silence s'étant établi, il adressa une prière au Père
céleste, duquel tout procède, et le peuple pria aussi. Il parla de ce
lieu, de ce qui s'y était passé, des enfants d'Israël : il dit comment
Josué avait paru là autrefois et avait délivré ce pays des Chananéens et
de l'idolâtrie, et comment Azor avait été détruite : il expliqua tout
cela comme des symboles : maintenant la vérité et la lumière venaient à
eux avec mansuétude pour les combler de grâces et les délivrer de
l'empire du péché ; ils ne devaient pas résister comme les Chananéens,
afin que la punition divine ne tombât pas sur eux comme elle était
tombée sur Azor. Il raconta aussi une parabole, dont il fit encore usage
plus tard ; elle se trouve dans le livre des Evangiles : je crois qu'il
y était question de blé et de labourage. Il enseigna aussi sur la
pénitence et l’avènement du royaume de Dieu ; il parla cette fois plus
clairement de lui-même et du Père céleste qu'il ne l'avait fait dans ce
pays.
Le fils de Jeanne Chusa et
celui de Véronique vinrent le trouver ici, envoyés par Lazare pour
l'avertir à propos de deux émissaires que les 1lharisiens de Jérusalem
avaient envoyés à Adama. Les disciples les lui amenèrent pendant une
pause, et il leur dit qu'ils ne devaient pas s'inquiéter à son sujet,
qu'il remplirait sa mission, qu'il les remerciait de leur attachement,
etc.
Les envoyés des pharisiens vinrent aussi ici avec les Juifs mécontents
d'Adama, mais Jésus ne leur parla point. Dans sa prédication, il
s'expliqua sans détour, dit qu'on l'espionnait et qu'on le poursuivait,
mais qu'on ne réussirait pas à l'empêcher de faire ce dont le Père
céleste l'avait chargé, qu'il paraîtrait encore parmi eux, pour leur
annoncer la vérité et le royaume de Dieu, etc. Il y avait là plusieurs
femmes avec leurs enfants, et elles lui demandèrent sa bénédiction. Les
disciples avaient quelques craintes et pensaient qu'il ne devait pas
faire cela à cause des espions qui étaient présents : Jésus leur
reprocha de s’inquiéter ainsi : il leur dit qu'il voyait de bonnes
dispositions dans ces femmes, que les enfants deviendraient bons, puis
il traversa la foule et les bénit.
L'instruction dura depuis
dix heures du matin jusque vers le soir, après quoi la multitude s'assit
pour manger. Il y avait d'un côté de la montagne du feu avec des grils
sur lesquels on faisait cuire le poisson : tout était bien réglé : les
habitants de chaque ville étaient placés ensemble, puis distribués par
rues et par familles. Il y avait pour chaque rue un homme qui faisait
les parts et distribuait les aliments. Les convives isolés, ou l'un
d'eux, dans une compagnie qui mangeait ensemble, avaient un cuir roulé
qui, déployé, servait d'assiette ; ils avaient aussi des couteaux et des
cuillers en os. Les uns avaient des calebasses, les autres des verres
faits d'écorce roulée où ils recevaient l'eau qu'on versait des outres.
Plusieurs savaient se faire des verres de ce genre sur le lieu même ou
bien en route. Les préposés recevaient les mets de la main des disciples
et partageaient une portion entre quatre ou cinq personnes assises
ensemble, pour lesquelles ils mettaient de la viande et du pain sur le
cuir placé devant elles. Jésus bénit les mets avant qu'on ne fit les
parts, et il se fit ici aussi une multiplication des aliments, car ce
qu'il y avait n'aurait pas suffi, à beaucoup près, pour les deux mille
hommes qui étaient présents. Chaque groupe ne reçut qu'une petite
portion, mais quand ils eurent mangé, tous furent rassasiés, et il y eut
encore beaucoup de restes que les pauvres recueillirent dans des
corbeilles et emportèrent avec eux.
Il y avait quelques soldats
romains mêlés parmi les auditeurs : ils étaient de ceux qui
connaissaient Lentulus à Rome ou qui étaient sous ses ordres : car il
avait des soldats sous lui. Peut-être avaient-ils été chargés par lui de
prendre des informations sur Jésus, car ils vinrent trouver les
disciples et leur demandèrent quelques-uns des pains bénis par Jésus,
pour les faire parvenir à Lentulus. Ils reçurent de ces petits pains et
les mirent dans un sac qu'ils portaient sur leurs épaules.
Lorsque le repas prit fin,
il faisait déjà nuit, et l'on avait allumé des flambeaux. Jésus bénit le
peuple et quitta la montagne avec ses disciples. Mais il se sépara d'eux
: ils prirent un chemin plus court pour revenir à Bethsaïde et à
Capharnaum. Quant à lui, il se dirigea au sud-ouest, avec Saturnin et le
disciple son parent, vers une ville qui est à côté de Bérotha, et qui
s'appelle Zédad. Il passa la nuit dans une hôtellerie devant cette
ville.
(23 et 24 juillet) Dans la
nuit du lundi au mardi, je vis Jésus dans la montagne avec Saturnin et
l'autre disciple. Comme il marchait seul et priait, ils lui demandèrent
pourquoi il faisait ainsi, et il leur donna des enseignements sur la
prière faite en particulier et sur la prière en général. Il leur parla
comme exemple, de serpents et de scorpions. (il dit probablement que
quand un enfant demande un poisson, son père ne lui donne pas un
scorpion, etc.) Je le vis ce jour-là dans divers petits endroits habités
par des bergers, guérir et exhorter : je le vis aussi dans une ville
appelée Hépher (Gatepher), où Jonas est né, et où habitaient, à ce que
je crois, des parents de Jésus (peut-être est-il question des neveux de
sainte Anne qui demeuraient près de là à Séphoris). Il y fit aussi des
guérisons, puis vers le soir il alla jusqu'à Capharnaum. Il avait fait
un détour, en passant beaucoup plus au midi, et il n'arriva qu'après
minuit.
Je pense en ce moment
combien il était infatigable et à quels efforts il obligeait les
disciples et les apôtres. Au commencement surtout ils étaient souvent
excessivement fatigués et tombaient de sommeil. Quelle différence avec
le temps d'à présent, où souvent les apôtres s'endorment d'ennui ! ils
couraient après les gens et au-devant d'eux parfois sur la grande route,
et leur donnaient quelques bonnes instructions ou les convoquaient à la
prédication.
Lazare, Obed, fils de
Siméon, les neveux de Joseph d'Arimathie, le fiancé de Cana et quelques
autres disciples, étaient venus dans la maison de Marie : il s'y
trouvait aussi environ sept femmes, parentes ou amies de la sainte
Vierge : tous attendaient Jésus. On allait et on venait, et on regardait
sur la route par laquelle il devait venir. Les disciples de Jean vinrent
aussi et apportèrent la nouvelle de son emprisonnement qui causa une
grande tristesse. Ces disciples allèrent au-devant de Jésus qu'ils
rencontrèrent a peu de distance de Capharnaum, et ils lui annoncèrent ce
qui était arrivé. Il les tranquillisa et vint chez sa mère.
Jésus arriva seul : il
avait envoyé ses disciples en avant. Lazare alla à sa rencontre, et lui
lava les pieds dans le vestibule de la maison. Il se trouvait là
d'autres disciples : mais ceux qui avaient été à Adama étaient tous à
leurs pêcheries.
Pendant que Jésus
approchait, les disciples et tous les autres étaient agiles, comme
lorsqu'on attend quelqu'un avec impatience. Ils étaient dans la pièce
antérieure, en avant de la chambre du foyer où habitait Marie : celle-ci
était avec eux : les autres femmes, parmi lesquelles étaient les veuves,
la fiancée de Cana, et Marie de Cléophas, se trouvaient dans un bâtiment
attenant.
Lorsque Jésus entra, les
hommes s'inclinèrent profondément. Il les salua tous et vint à sa mère,
à laquelle il tendit les mains : elle aussi s'inclina avec beaucoup de
tendresse et d'humilité. On ne se précipitait pas ici dans les bras les
uns des autres ; on restait maître de soi mais avec une simplicité
affectueuse qui donnait aux cœurs, aux attitudes et aux visages, une
expression pleine de bonté et de cordialité. Jésus alla aussi aux autres
femmes qui se voilèrent et s'agenouillèrent devant lui. Il les bénissait
toutes quand il arrivait ainsi ou qu'il partait.
Je vis apprêter un repas :
les hommes étaient couchés autour de la table : à l'autre extrémité, les
femmes étaient assises les jambes croisées On parla de l'emprisonnement
de Jean avec quelque amertume : Jésus leur en fit des reproches. Il leur
dit qu'ils ne devaient pas juger ni s'irriter, que tout cela devait être
ainsi : que si Jean n'était mis de côté, il ne pouvait pas, lui,
commencer son œuvre et aller maintenant à Béthanie. Il dit ensuite
quelque chose des gens chez lesquels il avait été. L'arrivée de Jésus
ici fut secrète, personne n'en savait rien si ce n'est les personnes ici
présentes et quelques disciples affidés. Jésus passa la nuit, ainsi que
les autres étrangers, dans le bâtiment adjacent à l'un des côtés de la
maison, les saintes femmes dans celui qui était de l'autre côté ou dans
la maison même. excepté quelques-unes d'entre elles qui avaient leur
demeure dans le voisinage.
(24 juillet) Jésus resta
depuis hier jusqu'à ce matin dans la maison de Marie. Il raconta et
enseigna : quelques disciples allaient et venaient, et parmi eux
quelques-uns des pêcheurs qui étaient revenus : il leur donna à tous
rendez-vous, après le sabbat suivant, dans le voisinage de Bethoron,
dans une maison isolée, située sur une hauteur, où Jésus et Marie
avaient logé plus d'une fois.
Je le vis s'entretenir seul
avec Marie : elle pleurait parce qu'il allait du côté de Jérusalem
s'exposer au danger. Il la consola et lui dit de ne pas s'inquiéter,
qu'il accomplirait sa tâche, et que les jours de l'affliction n'étaient
pas encore venus il lui recommanda de se tenir constamment en prière ;
il dit à tous les autres qu'ils devaient s'abstenir de tout jugement et
de toute remarque sur l'emprisonnement de Jean et sur les procédés des
pharisiens envers lui, qu'autrement ils ne feraient que rendre le danger
plus grand. Il ajouta que les pharisiens aussi concouraient à
l'accomplissement des desseins de Dieu, que c'était contre eux-mêmes
qu'ils travaillaient.
Il fut aussi question de
Madeleine ; on répéta ce que Véronique avait raconté d'elle. Il leur dit
qu'ils devaient prier pour elle, n'avoir que des pensées charitables à
son égard, qu'elle viendrait bientôt, et deviendrait si bonne qu'elle
serait un modèle pour plusieurs.
Jésus partit de bonne heure
pour Béthanie avec Lazare et environ cinq disciples de Jérusalem.
Aujourd'hui l'on fêtait le commencement de la nouvelle lune : je vis à
Capharnaum, et partout où je passai, de longs draps avec des nœuds
suspendus à l'extérieur des synagogues, et d'autres édifices décorés
avec des guirlandes de fruits.
(19-22 juillet) J'ai passé
aujourd'hui, à l'occasion de ce voyage, près de l'endroit où avait
enseigné Jean Baptiste. Je passai près de Jérusalem et j'arrivai, par
Jéricho, à la fontaine baptismale abandonnée : elle était restée dans le
même état, sauf que la décoration était flétrie. Je vis aussi les douze
pierres des enfants d'Israël sur l'île du baptême de Jésus, qui était
restée comme auparavant, seulement les feuillages avaient été retirés.
Je vis Hérode et sa femme, avec un cortège de soldats, voyager de
l'autre côté du Jourdain et aller vers le lieu où Jean enseignait. Il
allait de son château à Liviade, qui était à douze lieues de chemin : il
passa près de Dibon, où il traversa les deux bras d'une petite rivière,
et par Bethzobra, d'où était la femme à laquelle la faim fit manger son
enfant. Je me souviens de cet endroit, parce que Jésus passa par là lors
de la dernière fête des Tabernacles. Jusqu'à Dibon le chemin était très
bon, plus loin il devenait difficile et inégal, ne convenant qu'aux
piétons et aux bêtes de somme. Hérode voyageait sur un chariot long et
étroit, où l'on était assis de côté : plusieurs autres personnes étaient
assises près de lui. Il était traîné par des ânes : les roues ordinaires
étaient des disques sans rayons, épais et bas : il y avait encore
d'autres roues plus grandes et des rouleaux attachés par derrière. Le
chemin était très inégal, et tout cela marchait très difficilement. La
femme d'Hérode était assise sur une voiture semblable avec des femmes de
chambre. Les chariots étaient traînés par des ânes, des soldats allaient
devant et derrière ainsi que d'autres suivants.
Hérode allait là, parce que
Jean prêchait de nouveau et avec plus de netteté et de force que jamais
; il voulait l'entendre pour savoir s'il ne disait rien contre lui. Il
l'avait récemment fait conduire près de lui et l'avait retenu assez
longtemps, dans l'espoir de le faire changer de sentiment et de
l'intimider il le relâcha par crainte de la foule innombrable de peuple
qui s'était portée pour l'entendre.
Je vis que la femme
d'Hérode n'attendait qu'une occasion pour le pousser à des mesures
extrêmes contre Jean, mais qu'elle feignait d'avoir des intentions
bienveillantes, quoiqu'elle n'allât avec lui que dans le dessein de le
circonvenir. Hérode était poussé par un motif secret : il avait appris
qu'Aretas, un roi arabe, père de la première femme répudiée par lui,
était allé trouver Jean et se tenait parmi ses disciples. Il voulait
l'observer pour voir s'il ne tramait rien là contre lui parmi le peuple.
Cette première épouse était
une femme très belle et très vertueuse elle était en ce moment près de
son père, lequel ayant entendu parler de la prédication de Jean et de
son blâme de la conduite d'Hérode, voulait s'en convaincre lui-même pour
sa consolation : il ne paraissait pas de manière à être remarqué, mais
il était vêtu très simplement et caché parmi les disciples de Jean
auxquels il s'était adjoint comme l'un d'entre eux.
Jean enseigne maintenant
vis-à-vis Salem, à une lieue et demie à l'est du Jourdain, à deux lieues
au midi de Sukkoth, près d'un joli petit lac ou plutôt d'un étang qui a
bien un quart de lieue de long et duquel sortent deux ruisseaux qui,
après avoir fait le tour d'une colline, vont se perdre dans le Jourdain.
Sur cette colline s'élèvent de vieux édifices d'un aspect seigneurial et
aussi d'autres habitations autour desquelles il y a des avenues et des
jardins. Cette contrée dépendait de Philippe, mais pénétrait comme une
enclave dans les terres d'Hérode, qui, à cause de cela craignait un peu
de mettre à exécution ses desseins à l'égard de Jean Il y avait encore
là un vieux château un peu délabré : c'était, pris en masse, un lieu de
plaisance qu'on n'entretenait plus. Jean était quelquefois à Sukkoth,
ville située dans le voisinage.
L’étang qui est très
limpide et très poissonneux est à l'est de la colline : entre les deux
est la fontaine baptismale, puis vient la colline, qui se termine par
une plate-forme très spacieuse environnée de retranchements écroulés.
Sur ce rebord se trouvent les restes d'un château avec des tours, qui
est encore habité et où Hérode entra.
Au milieu de la plate-forme
s'élève un tertre maçonné avec des degrés et un rebord, et au-dessus il
y a encore une élévation recouverte d'une tente que les disciples ont
dressée : c'est là que Jean prêche. Il y a tout autour une immense
affluence de gens venus pour l'entendre, des caravanes entières venant
d'Arabie avec des chameaux et des ânes et plusieurs centaines d'hommes
et de femmes de Jérusalem et de la Judée Ces troupes vont et viennent
alternativement, - se tiennent au haut de la colline et campent sur le
rebord.
Les disciples de Jean
maintiennent un grand ordre parmi tout ce monde. Les uns sont couchés,
d'autres sont à genoux, d'autres debout, en sorte que tous peuvent voir
les uns par-dessus les autres. Les païens et les Juifs sont séparés : il
en est de même des hommes et des femmes : celles-ci se tiennent en
arrière. Ceux qui se tiennent sur le penchant sont pour la plupart
accroupis, la tête appuyée sur les genoux, ou bien couchés sur une
hanche et les bras passés autour du genou resté libre.
Depuis qu’Hérode lui a
rendu la liberté, Jean semble plein d'un nouveau feu : sa voix a un
accent singulièrement agréable, et pourtant elle est très forte et a une
portée extraordinaire de sorte qu'on ne perd pas un mot il se fait
entendre très loin, et sa parole arrive à deux mille personnes à la
fois. Il est de nouveau couvert de peaux de bêtes, et vêtu plus
grossièrement que je ne l'ai vu prés d'Ono : alors il portait souvent
une longue robe.
Il disait d'une voix
tonnante comment on avait persécuté Jésus à Jérusalem ; il montrait du
doigt la haute Galilée : C'est là, disait-il, qu'il parcourt le pays,
qu'il guérit, qu'il enseigne ; il viendra bientôt, ses persécuteurs ne
pourront rien contre lui jusqu'à ce qu'il ait achevé son œuvre.
Hérode était assis sur une
terrasse avec des degrés attenante aux bâtiments du château, sa femme
était plus loin entourée de ses gens et de ses gardes, assise sur de
beaux coussins, protégée par un pavillon. Jean cria au peuple qu'il ne
fallait pas se scandaliser du mariage d'Hérode, qu'il fallait l'honorer
et ne pas l'imiter : cela fit plaisir à Hérode tout en l'irritant.
(21 juillet) Je passai de
nouveau le Jourdain, près du lieu du baptême de Jésus, et j'arrivai à
travers la Pérée, près de Jean que je vis prêcher avec encore plus de
véhémence qu'hier : il parle avec une force incroyable : sa voix est
comme un tonnerre et cependant si agréable et si intelligible ! Je crois
qu'il sera bientôt arrêté, car on dirait qu'il veut jouer de son reste.
Il a déjà dit à ses disciples que son temps tirait à sa fin, en les
exhortant toutefois à ne pas l'abandonner et à je visiter quand il
serait en prison. Il n'a rien mangé ni bu depuis trois jours, et il n'a
pas cessé de prêcher et de parler de Jésus avec une grande véhémence.
Aujourd'hui il a
publiquement reproché à Hérode son adultère. Les disciples l'ont prié
instamment de se reposer et de prendre quelques rafraîchissements, mais
il ne l'a pas voulu : il est dans un état d'enthousiasme extraordinaire.
La foule est maintenant
très grande : il y a plusieurs campements dans le pays d'alentour. De la
hauteur où Jean prêche, la vue est merveilleusement belle : on peut
apercevoir le Jourdain dans le lointain, on voit les villes
environnantes et entre elles : des champs et des vergers. Il doit y
avoir eu ici autrefois un grand édifice, car je vois de grandes arcades
sur lesquelles l'herbe a poussé : ce sont comme des ponts ou des arches
de grosses pierres. Le château où Hérode habite est en partie détruit et
dévasté, mais on a récemment restauré deux tours et c'est là qu'Hérode
se tient.
Je crois que cet endroit
pourrait bien être Ennon ou Ainon près de Salem, car Salem est située
vis-à-vis et Jean a déjà baptisé là ; (plus haut, elle a décrit
vaguement le lieu du baptême comme une enceinte ruinée près de Salem, au
bord du Jourdain : elle ne savait pas bien d'où l'eau y venait et disait
alors que c'étaient les restes d'un château de tentes de Melchisédech).
Les sources sont très abondantes ici et la fontaine où l'on se baigne
est en très bon état : c'est même un ouvrage d'art, car la source sort
par un canal voûté de la colline sur laquelle Jean enseigne. Le bassin
ovale de la fontaine est entouré de trois belles terrasses couvertes de
verdure qui sont coupées par cinq conduits. Quoique plus petit, il est
plus beau que celui de Béthesda à Jérusalem, où il y a des joncs en
quelques endroits et dans lequel tombent les feuilles des arbres
environnants. Ici il y a aussi des arbres, mais tout est très bien tenu
'. Le bassin de la fontaine est derrière la colline et environ cinquante
pas plus loin est le grand étang, dans lequel il y a beaucoup de
poissons, parmi lesquels de fort gros : je les ai vas se presser du côté
où Jean prêchait comme s'ils eussent voulu l'écouter. Il y a sur l'étang
de petites barques ; ce sont des poutres creusées, où deux hommes tout
au plus peuvent tenir, avec des sièges au milieu pour pêcher. J'ai vu
plus d'une fois Jean s'y embarquer avec les disciples Jean mange très
peu et des choses fort communes : quand je le voyais manger avec ses
disciples, il ne prenait presque rien. Je le vois souvent prier seul,
quelquefois aussi, pendant la nuit, couché sur le des et regardant le
ciel.
(23 juillet, mardi matin)
Je me suis trouvée près de Jean, il est arrêté. Des soldats d'Hérode
l'ont emmené ; j'ai poussé des cris et j'ai couru : je voulais dire à
ses disciples consternés quel chemin ils devaient prendre pour le suivre
: ils ne le savaient pas et ne me comprenaient pas : ils couraient ça et
là et semblaient ne pas me voir.
Note : Elle
voit toujours le lieu où Jean baptise très bien entretenu,
probablement par les soins des disciples et à cause du fréquent
usage.
C'est quelque chose de bien
triste ; j'ai beaucoup pleuré avec eux. Je savais bien que son
arrestation était proche : c'était pour cela qu'il se pressait tant de
parler et qu'il était si animé ces jours derniers : il a aussi pris
congé d'eux. Il avait annoncé Jésus plus clairement qu'il ne l'avait
encore fait, comme quelqu'un qui venait, à qui il devait faire place et
auquel il fallait aller. Il prêcha encore lundi, il dit à ses auditeurs
qu'il serait bientôt enlevé, qu'ils étaient des gens grossiers et à la
tête dure, qu'ils devaient se souvenir comment il était venu d'abord ;
il avait, disait-il, préparé les voies du Seigneur, construit les ponts
et les chemins, enlevé les pierres, arrangé les fontaines pour le
baptême, conduit les eaux ; ç'avait été un travail rude et difficile,
car la terre était dure, les rochers réfractaires, le bois noueux ; et
il lui avait fallu faire tout cela avec ce peuple qui était aussi
endurci, grossier et opiniâtre. Ceux dont il avait touché le coeur
devaient maintenant aller au Seigneur, au Fils bien-aimé du Père : celui
qu'il recevrait serait reçu, celui qu'il rejetterait serait rejeté : il
venait maintenant, il allait enseigner, baptiser et accomplir ce que
lui, Jean, avait préparé. Il reprocha encore vivement à Hérode son
adultère devant tout le peuple, et Hérode, qui d'ailleurs l'écoutait et
le respectait ressentit une vive irritation intérieure, mais n'en laissa
rien apercevoir.
Du reste ce jour-là parut
être la clôture de sa prédication, car les troupes s'en allèrent
successivement de tous les côtés ; ainsi faisaient aussi les gens venus
d'Arabie et avec eux Aretas, le beau-père d’Hérode. Hérode n'était pas
parvenu à le voir. La femme d'Hérode est déjà partie hier ou avant-hier.
Les soldats se relayèrent
plusieurs fois : il en était arrivé de nouveaux aujourd'hui. Hérode
partit aussi : il dissimulait sa colère et il prit congé de Jean, d'un
air tout à fait amical. Il avait beaucoup de bagage qui le précédait ou
le suivait, porté par des chameaux : il monta de nouveau sur son
chariot.
Jean sentait bien que la
liberté ne tarderait pas à lui être enlevée : il ignorait que ce dût
être sitôt. Il envoya plusieurs de ses disciples avec des messages de
différents côtés : parmi ceux-ci se trouvaient les deux que Saturnin,
sur l'ordre de Jésus, lui avait envoyés de Galilée, lorsqu'il y était
venu pour convoquer, à Tyr, les futurs apôtres. Je crois qu'Obed, fils
de Siméon, était là.
Vers le soir, plusieurs des
disciples étaient de retour auprès de lui : il n'y avait plus personne
dans le voisinage ; seulement on voyait encore quelques tentes à une
certaine distance. Jean entra dans sa tente et congédia ses disciples :
il voulait se reposer et se recueillir dans la prière. Comme il faisait
déjà nuit et que les disciples s'étaient retirés, je vis s'approcher les
soldats d'Hérode, qui étaient arrivés hier, et dont une partie était
restée en arrière. Environ vingt hommes s'avancèrent de plusieurs côtés
vers la tente après avoir placé des sentinelles sur les chemins qui y
aboutissaient. Il n'en entra d'abord qu'un seul qui parla à Jean, puis
d'autres vinrent successivement. Jean leur dit qu'il les suivrait sans
résistance, qu'il savait que son heure était venue et qu'il devait faire
place à Jésus : qu'ils n'avaient pas besoin de l'enchaîner, qu'il allait
avec eux de sa pleine volonté. Il les engagea en outre à l'emmener sans
bruit pour ne pas exciter de tumulte. Alors vingt hommes partirent de là
avec lui, marchant à grands pas. Il n'avait que son grossier vêtement de
peau et son bâton à la main. Quelques disciples s'approchèrent pendant
qu'on l'emmenait : il les regarda comme pour prendre congé d'eux et leur
dit de venir je visiter dans sa prison.
Il y eut ensuite un grand
concours de disciples et de peuple : on disait qu'on avait enlevé Jean,
on pleurait, on se lamentait. Ils voulaient le suivre, mais ils ne
savaient pas de quel côté, car les soldats n'avaient pas tardé à quitter
la route ordinaire et avaient pris un chemin peu fréquenté, se dirigeant
vers le midi. La contusion était grande : ce n'étaient que pleurs et
gémissements ;moi aussi je pleurais avec eux, je criais à haute voix et
voulais leur dire quel chemin les soldats avaient pris, mais on ne
semblait ni me voir ni m'entendre. Les disciples se dispersèrent de tous
les côtés : ils s'enfuirent comme ceux de Jésus, lors de son
arrestation, et répandirent la nouvelle dans tout le pays.
Je me hâtai d'aller vers Jésus, et je le trouvai avec Saturnin et les
autres disciples qui passaient près de la ville aquatique, se dirigeant
vers Gatepher. Il allait par un chemin détourné à Capharnaum, où ses
disciples étaient allés directement. Je le vis un instant pendant qu'il
marchait, puis je le perdis de vue, et je me mis à pleurer et à gémir
parce que je l'avais perdu.
Le lieu où Jean baptisait quand il fut fait prisonnier est en effet cet
Ainon que l'Ecriture dit être voisin de Salem. Melchisédech avait établi
ses tentes sur les fondations voisines du lieu où enseignait le
précurseur. Je crois qu'il demeurait déjà là quand Abraham vint dans le
pays : c'est aussi lui qui a établi le premier la fontaine du baptême et
l'étang. Il avait en outre posé plusieurs fondements à Jérusalem.
Melchisédech appartient aux chœurs des anges préposés aux divers pays.
Ces anges font partie de ces chœurs qui vinrent visiter les patriarches
et leur porter différents messages, entre autres à Abraham. Ils se
tiennent en face des anges Gabriel, Raphaël, Michel, etc.
L'endroit du baptême dont
il vient d'être parlé est entre Bethabara et l’embouchure de la petite
rivière à deux bras qui va de Dibon se jeter dans le Jourdain. Il était
tout au plus à deux lieues de Bethabara, en remontant le fleuve, en face
de Galgala, à environ un quart de lieue du Jourdain, dans le coin d'une
vallée.
Voici comment il était situé. (En disant cela, elle marqua les divers
points avec les plis de sa couverture).
Elle pensait que l'eau
était conduite là du Jourdain par un ruisseau ou un canal, qui allait en
se rétrécissant à partir du Jourdain, et que dans la vallée elle passait
à travers la montagne par des conduits de plomb. (Elle se trompe le plus
souvent sur le cours des rivières : vraisemblablement la source venait
de la montagne même ou, à travers la montagne, du Jourdain dans
l'étang.) L'étang est plus dégarni que les deux autres, cependant la
vallée est couverte de beaux arbres.
Je vis ce matin saint Jean
conduit par les soldats à Hésebon, dans la tour d'un château assez
délabré. Il y avait de beaux étangs et quelques allées devant ce
château. Ils avaient voyagé la nuit avec Jean, et vers le matin d'autres
soldats vinrent d'Hésebon à leur rencontre, car c'était déjà le bruit
public que Jean avait été arrêté, et il y avait ça et là des
rassemblements de peuple. Les soldats qui conduisaient Jean ne me
parurent pas être des soldats ordinaires, mais des espèces de gardes du
corps d'Hérode, car ils avaient des casques sur la tête, des écailles et
des anneaux pour protéger la poitrine et les épaules : ils avaient aussi
de longues piques.
Je vis qu'ici beaucoup de
gens se rassemblèrent devant la prison de Jean, et que les gardes eurent
fort à faire pour les chasser. Il y avait des ouvertures au haut de la
prison, et je vis que Jean, debout dans son cachot, parlait en élevant
beaucoup la voix, en sorte que ceux qui étaient au dehors l'entendaient.
Il avait, disait-il, préparé les voies, brisé des rochers, abattu des
arbres, conduit des sources, creusé des puits, construit des ponts ; il
avait eu à lutter contre des matériaux résistants et rebelles : tel
était aussi ce peuple, et c'était pour cela qu'il était en prison. Il
ajoutait qu'ils devaient aller à celui qu’il avait annoncé, à celui qui
venait sur le chemin qu'il avait frayé ; que quand le maître vient, ceux
qui ont préparé la route se retirent, qu'ils devaient tous aller à Jésus
; qu'il n'était pas digne, lai, de délier les courroies de ses
chaussures : que Jésus était la lumière et la vérité, le Fils du Père,
etc. Ses disciples devaient je visiter dans sa prison, car on n'oserait
pas encore mettre la main sur lui, son heure n'était pas encore venue,
etc. Il parlait et enseignait ainsi, aussi hautement et aussi nettement
que s'il eût été encore sur sa chaire au milieu du peuple assemblé. à la
fin les gardes forcèrent le peuple à se retirer. Il y eut à plusieurs
reprises dans la matinée grande affluence de peuple, et Jean répéta les
mêmes discours. Le soir je vis Jean, accompagné des soldats, placé sur
un chariot bas et étroit, surmonté d'une espèce de caisse couverte, où
plusieurs d'entre eux s'assirent près de lui : ce chariot était traîné
par des ânes.
(25 juillet) Ce matin ou ce
soir, à l'heure du crépuscule, je vis conduire Jean dans la prison de
Machérunte. Machérunte est située dans un lieu très élevé et très
escarpe. Ils firent d'abord gravir à Jean un sentier très raide, ensuite
on l'introduisit dans la forteresse, non par une porte, mais par une
ouverture pratiquée dans le mur et couverte de gazon. Ils l'y firent
passer sans bruit et le firent d'abord descendre jusqu'à une grande
porte de bronze suivie d'un corridor. Il passa sous la porte de la
forteresse, et ensuite dans un grand caveau voûté qui se trouvait sous
l'édifice, et recevait le jour d'en haut par des ouvertures : le cachot
était très propre, mais entièrement nu.
Je vis ensuite Hérode dans
un château qu'avait bâti le vieil Hérode, et où il avait une fois fait
noyer des gens dans l'étang pour se récréer. Ce château s'appelait
Hérodium. Le roi s'était caché là, tout découragé : il ne voulait voir
personne, et comme beaucoup de personnes demandaient à lui parler pour
lui faire des remontrances sur l’emprisonnement de Jean, je le vis,
inquiet et troublé, errer ça et là dans les appartements, puis enfin se
tenir caché. Sa femme n'était pas ici.
(21 juillet) C'est demain
la fête de Madeleine. C'est pourquoi, dans mon voyage, j'allai d'auprès
de Jean vers Madeleine à Magdalum, et il me fallut d'abord repasser le
Jourdain. Je trouvai des hôtes chez elle ; ils étaient autour d'une
table, dans la salle où sont les miroirs et les arbres verts : le repas
paraissait à sa fin. Il y avait bien une douzaine d'hommes, tant juifs
que paiens. L'un d’eux semblait avoir là son domicile et être considéré
par les autres comme le maître de la maison ou le mari de Madeleine.
Mais ce n'était qu'un amant qui s'était impatronisé depuis quelque temps
et avec lequel elle vivait : les autres étaient des compagnons de
celui-ci, des étrangers de passage et des officiers, dont il y avait un
grand nombre en cet endroit. Il se trouvait aussi parmi eux des Romains.
En général, ce n'étaient pas des gens de distinction, mais des artistes,
des officiers et des aventuriers : Madeleine semblait être un peu déchue
par suite de sa mauvaise réputation, quoiqu'elle fût encore très belle.
Elle était vêtue d'une
façon originale et distinguée, mais non pas très richement ; elle ne
portait pas de voile. Il y avait tous les jours ici de semblables
réunions, car elle était très hospitalière et très dépensière. La maison
et les jardins étaient négligés : tout semblait se dégrader, à
l’exception des appartements qu'elle habitait.
Au commencement Madeleine
assistait au repas, et j'entendis les hommes tenir des propos qui
ressemblaient parfaitement à ceux que l'on. tient aujourd'hui sur les
choses saintes. Madeleine parla avec respect et avec une émotion secrète
de Jésus, qu'elle avait vu une fois à Jezrael. Elle fit aussi mention de
Véronique, une femme de distinction qui lui avait fait une visite huit
jours auparavant, ainsi que de la vénération et du dévouement absolu que
celle-ci témoignait pour Jésus. Alors les hommes s'emportèrent à toutes
sortes de paroles injurieuses, et oubliant qu'ils étaient eux-mêmes gens
de mauvaise compagnie, les uns païens, les autres juifs, violateurs de
la loi, ils s'étonnèrent qu'on pût prendre la défense de cet homme et de
son entourage, disant que la femme dont elle parlait devait être bien
aveuglée pour s'attacher à des gens de cette espèce : que Jésus était
d'une famille de petites gens tombés dans la pauvreté, et qu'il courait
le pays pieds nus, comme un fou. Après la mort de son père, au lieu de
prendra un métier honnête et de nourrir sa mère, il l'avait laissée dans
l'embarras pour courir le pays et ameuter le peuple : il avait trouvé en
Galilée une brillante société d'ignorants et de pêcheurs paresseux, qui
laissaient aussi leurs familles dans l'embarras et le suivaient au lieu
de travailler. Mais on savait bien ce qu'il était : il avait été chassé
de Jérusalem à cause de ses fausses doctrines et des troubles qu'il
avait excités à la fête de Pâques : sa mère aussi avait été renvoyée
chez elle Mais au lieu de profiter de cette leçon. Il courait maintenant
la haute Galilée, tournait la tête aux gens et portait partout le
trouble et le désordre. Il y avait aussi dans cette société des Romains
qui disaient qu'il était étonnant que cet homme fit tant de bruit :
qu'il avait des amis jusque dans Rome ; qu'un homme considérable,
Lentulus, était tout engoué de lui, chargeait une quantité de gens de
lui envoyer des informations sur Jésus, et quand des navires arrivaient
de Judée, y courait aussitôt pour apprendre quelque chose sur lui et sur
ce qu'il faisait.
Au commencement, je vis ces
propos refroidir les bonnes dispositions de Madeleine : elle semblait
prêter l'oreille à ces bavardages ; mais quand à la fin ils devinrent
trop ignobles, elle se retira dans une chambre voisine où elle faisait
sa résidence. Ces manières vulgaires et grossières blessaient sa fierté
: accoutumée comme elle l'était à des relations plus relevées, elle
sentit combien elle était descendue, elle eut le sentiment de son
esclavage, elle pensa aux paroles de Véronique, à la manière d'être de
ses proches à elle, elle sentit sa misère et quand l'homme auquel elle
semblait intimement attachée : c'était un très bel homme, - la suivit
pour lui demander ce qu'elle avait, elle se mit à pleurer et demanda
qu'on la laissât seule. Ses femmes de chambre étaient auprès d'elle :
elle en avait deux, l’une qui ne valait rien, l’autre qui était bonne,
et informait habituellement sa famille de ce qu'elle faisait et de ce
qui se passait chez elle.
Je vis par là quel était alors l'état de Madeleine : elle était
profondément déchue : elle avait été fort émue lors de sa rencontre avec
Jésus à Jezraël, mais cette impression avait été fugitive et elle était
tombée encore plus bas : toutefois, le souvenir de sa vie antérieure,
criminelle toujours, mais bien autrement brillante, rouvrait la voie à
l'émotion : elle était en proie à une lutte intérieure.
Lorsque Véronique était chez elle, elle y passait la nuit. Cette femme
âgée et respectable venait toujours la voir lorsqu'elle allait visiter
Marie ; elle était en liaison intime avec sa famille, et cherchait à
produire sur elle une bonne impression. Les amis qui venaient ainsi la
visiter n'allaient jamais dans la partie du château où Madeleine menait
sa vie dissipée : ils allaient dans l'aile opposée, en passant sous la
porte d'entrée, et Madeleine, de son côté, se rendait auprès d'eux par
un passage pratiqué au-dessus de cette porte. Ces sortes de visites lui
étaient pénibles par un côté, parce qu'elle recevait des avertissements
qui la faisaient rougir : d'un autre côté, elles satisfaisaient son
orgueil ; elle croyait sa situation aux yeux du monde moins mauvaise,
par cela seul qu'elle n'empêchait pas ses parents, gens de distinction
et considérés, de venir la visiter.
Je vis une fois Jacques le Majeur chez Madeleine : poussé par un vif
sentiment de compassion, quelque temps avant que Marthe l'invitât à
entendre la prédication de Jésus par laquelle elle fut convertie, il
était allé la trouver à Magdalum pour la décider à prendre cette
résolution : il voulait voir jusqu'à quel point elle était récalcitrante
: je le vis plusieurs fois chez elle Il prenait occasion de quelque
message de la part de Marthe. Elle ne le recevait pas dans le château,
mais dans un bâtiment attenant. Elle prenait plaisir à le voir : il
avait un extérieur imposant, parlait avec gravité et sagesse, et, quand
il le fallait, avec bienveillance. Elle lui permettait de la visiter
quelquefois quand il venait dans le pays. Elle se cachait quelque peu
pour recevoir ces visites : car alors elle était engagée dans certains
liens. L'homme avec lequel elle vivait ne savait rien de ses entretiens
avec Jacques. Celui-ci ne lui parlait pas sévèrement, mais avec égards
et amicalement. Il louait son esprit et l'engageait à aller une fois
entendre Jésus, lui disant qu'on ne pouvait rien entendre de plus
ingénieux, de plus éloquent ; qu'il y avait là quelque chose à
apprendre. Elle ne devait pas, ajoutait-il, se préoccuper de ce
qu'étaient les auditeurs et de leur manière d'être ; elle n'avait qu'à
venir vêtue comme elle l'était habituellement. Elle prenait en bonne
part ses invitations ;elle croyait vouloir en tenir compte. Elle y
était, en effet, très disposée, et pourtant plus tard elle se montra
encore très dédaigneuse quand Marthe la pressa de s’y décider. Du reste,
elle ne savait pas bien quelles étaient les relations de Jacques. Je le
vis quelquefois chez elle.
(22 juillet) Je me trouvai
encore aujourd'hui à Magdalum, près de Madeleine ; comme j'allais à
Capharnaum. C'était l'après-midi, vers le soir. Il y avait une fête chez
Madeleine, et l'on y dansait : je crois que c'était le jour de naissance
de l'homme avec lequel elle vivait alors. Il était Juif et militaire, et
il se trouvait en garnison à Magdalum.
Je vis danser environ vingt
à trente couples dans une grande et belle salle, voisine de la salle à
manger. Dans cette salle aussi il y avait des miroirs ou les danseurs
pouvaient voir leurs mouvements répétés. Sur un des côtés était un large
siège, un peu exhausse, avec des coussins et des draperies. Madeleine
s'y tenait assise, ou bien elle allait parler aux uns et aux autres. Je
ne vis pas qu'elle prît part à la danse. Elle ne s’occupait pas beaucoup
des hôtes, ni ceux-ci d'elle : cela paraissait plutôt l'affaire de
l'homme qui tranchait ici du maître : on paraissait, du reste, se
trouver là comme à une réunion habituelle où il n'y a pas à se gêner
beaucoup. La société se composait de gens légers et frivoles ; c'étaient
des femmes et des filles vivant selon le monde et non selon la loi, des
officiers, des employés de Magdalum et des aventuriers. Les musiciens
étaient presque exclusivement des enfants des deux sexes avec des
couronnes, des flûtes et des triangles. La danse n'était pas sautillante
ou tournoyante comme chez nous, c'était une série de figures artistement
combinées, où l'on passait les uns au milieu des autres en faisant de
petits pas élastiques et avec un mouvement continuel et gracieux de tout
le corps, de la tête et des mains. Tout cela était bien mesuré et
habilement ordonné, mais destiné à exprimer des passions et des folles
de toute espèce, et l'on y faisait continuellement parade de son corps.
Lés femmes avaient de très longues queues, mais elles n'étaient pas
voilées comme les juives de mœurs plus sévères l'étaient en dansant ;
leurs mains non plus n'étaient pas recouvertes comme chez celles-ci ;
toutefois, on ne se touchait qu'avec des espèces de mouchoirs qu'on
tenait à la main. En général, je n'ai jamais vu même les juives de mœurs
légères, avoir en public des familiarités choquantes avec les hommes ;
tandis que chez les paiens et les Romains les rapports entre les deux
sexes étaient très indécents.
Les danseurs appartenaient
à ce monde élégant et pécheur qui vit selon la chair et recouvre sa
honte et son infamie de beaux habits et de manières gracieuses ; mais
ils étaient pourtant très inférieurs à l’entourage antérieur de
Madeleine, qui se composait plutôt de gens d'esprit, de savants et
d'artistes, où l'on lisait et composait des poésies et des énigmes. Elle
ressentait vivement en cela sa déchéance, et prenait peu de part à ce
qui se faisait.
La danse eut lieu le jour.
Je les vis ensuite dans la chambre des miroirs, devant une table
richement servie. Les femmes étaient assises ensemble d’un côté, les
hommes étaient étendus de l'autre côté, et Madeleine avait entre eux un
siège formé de coussins. Comme ils étaient à table, il vint quelques
nouveaux convives, lesquels apportèrent la nouvelle qu'Hérode avait mis
Jean en prison. Là-dessus il y eut des marques d'approbation et des
applaudissements indécents. Mais comme Madeleine en parut affligée et le
fit voir par quelques paroles, les hommes se mirent à rire et firent des
plaisanteries sur Jean. .Je vis qu'elle en fut très mécontente : elle
quitta bientôt la table et se retira toute pensive dans une pièce
entourée de coussins, voisine de la salle à manger. C'est là que je la
laissai.
Le père de Lazare était du
pays où allèrent les trois rois à leur retour de Bethléhem. Le
grand-père venait d'Egypte. Il était prince syrien : mais plus tard il
fut dépossédé. Il avait acquis à la guerre les biens près de Jérusalem
et en Galilée dont il a été parlé ; il s'était fait juif et avait épousé
une juive de distinction appartenant à une famille de pharisiens.
Ils avaient de grands biens
: le château de Lazare, à Béthanie, était fort vaste, avec beaucoup de
jardins, de terrasses, de fontaines et une double enceinte de fossés. La
famille avait connaissance des prophéties d'Anne et de Siméon. Elle
attendait le Messie, et déjà, lorsque Jésus était jeune, elle avait
établi avec la sainte famille des relations semblables à celles qu'on
voit souvent s'établir entre des gens pieux d'un rang élevé et d'autres
gens pieux de moindre condition.
Ils avaient quinze enfants,
dont six moururent de bonne heure ; neuf arrivèrent à l'âge adulte :
quatre seulement vivaient encore à l'époque de la prédication de Jésus.
Ces quatre étaient Lazare, Marthe, plus jeune de deux ans, Marie la
silencieuse, qui avait deux ans de moins que Marthe, enfin Marie
Madeleine venue au monde cinq ans après celle-ci. J'ai appris que cette
soeur malade d'esprit n'est pas nommée, ni mentionnée dans l'Ecriture,
mais elle n'est pas en oubli devant Dieu. Elle est tout à fait inconnue
: toutefois, je l'ai vue dans les visions relatives à la vie de
Madeleine.
Madeleine, la plus jeune
des soeurs, était très belle grande et formée de bonne heure. Elle
était, dès son jeune âge, comme une grande fille ; du reste, très
fantasque et très capricieuse. Elle avait sept ans lorsque ses parents
moururent. Dès sa petite enfance elle les avait pris en aversion à cause
de leurs jeûnes rigoureux. J'ai vu beaucoup de choses de son enfance.
Elle était incroyablement vaniteuse, friande, orgueilleuse, délicate et
capricieuse : elle était singulièrement volage et se laissait aller à
tous ses penchants. Elle était en outre dépensière, bienfaisante par
l’effet de sa sensibilité naturelle ; elle avait très bon coeur, mais se
laissait séduire par tout ce qui avait de l'éclat et de l'apparence. Sa
mère l'avait assez mal élevée, et elle tenait d'elle cette sensibilité
compatissante qui la distinguait.
La mère et les tantes de
Madeleine la gâtaient, elles la mettaient toujours en avant et voulaient
qu'on admirât ses espiègleries et ses gentillesses : elles la faisaient
asseoir avec elles à la fenêtre, où elles se tenaient souvent en grande
parure. Cette habitude de se mettre ainsi en vue fut la première origine
de sa perte. Je la voyais sans cesse à la fenêtre, ou sur les terrasses
attenantes à la maison, assise sur de beaux tapis et de riches coussins.
Elle se montrait là, dans tous ses atours, aux gens qui passaient dans
la rue. Elle commença ses coquetteries et sa vie splendide dès l'âge de
neuf ans.
A mesure que ses talents et
ses charmes allaient croissant, elle attirait de plus en plus
l'attention et l'admiration. Elle voyait beaucoup de monde ; du reste,
elle avait l'esprit cultivé et se plaisait à écrire des maximes
amoureuses sur de petits rouleaux de parchemin ; je la voyais compter
sur ses doigts en faisant cela. Elle faisait circuler ces écrits, en
faisait ; des échanges avec ses adorateurs, et partout on la vantait et
on l'admirait.
Je n’ai jamais vu qu'elle
ressentit ou inspirât un attachement véritable : tout cela n'était que
vanité, mollesse, adoration de soi-même et jactance fondée sur sa
beauté. Je vis qu'elle était un scandale pour ses frères et sœurs : elle
les méprisait à cause de la simplicité de leur vie, et elle rougissait
d'eux.
Lorsque l'on fît le partage
des biens de la famille, elle eut dans son lot le château de Magdalum.
Magdalum était une très belle habitation de plaisance : elle y était
allée souvent dans son enfance et avait pour ce lieu une prédilection
particulière. Madeleine n'avait guère plus de onze ans lorsqu'elle alla
s'y établir en grande pompe, avec tout un attirail de servantes et de
serviteurs : ses amants la suivirent et tous ceux qui menaient avec elle
une vie de plaisir et de désordre, et par lesquels elle avait été
pervertie, irrités de ses infidélités ou dégoûtés d'elle pour quelque
autre raison, devinrent ses ennemis et ses calomniateurs.
Au commencement, ceux qui
venaient la visiter a Magdalum n'étaient pas précisément des gens de
mauvaise vie, mais plutôt des personnes riches et considérables des deux
sexes, vivant selon les maximes du monde. Mais quand cette vie dissipée
devint une vie dissolue, les gens de distinction et ceux qui tenaient à
leur réputation s'éloignèrent, et les choses ne cessèrent d'aller de mal
en pis. Le château et ses dépendances se délabrèrent et se dégradèrent ;
il n'y eut que les appartements où Madeleine se tenait habituellement
qui conservèrent leur magnificence et leur éclat. Je vis une chambre ou
les murs étaient tout couverts de miroirs de métal, entre lesquels
étaient des arbustes verdoyants et des fleurs. Madeleine se trouva une
fois dans une grande détresse. Elle était tombée dans le mépris, sans
ressources, malade, dévorée de chagrin ; en outre elle était délaissée
et n'avait plus de courtisans. Alors elle rechercha la solitude et le
repos, recouvra sa santé et sa beauté, et revint a son ancien genre de
vie. Sa vie pécheresse à Magdalum a duré environ quatorze ans, et elle
était dans sa vingt-cinquième année lorsqu'elle fut convertie par la
prédication de Jésus.
ONZIÈME CHAPITRE.
Jésus
à Béthanie et au puits de Jacob.
Dina la Samaritaine.
(Du 5 juillet au 9
août.)
Jésus va à Béthanie avec Lazare.- Mesures prises à Béthanie afin de
pourvoir aux besoins de Jésus et des apôtres pendant leurs voyages de
prédication.- Jeu de loterie des femmes.- La perle perdue et retrouvée.-
Jésus à Béthoron et dans la contrée voisine.- Souffrances des disciples
: leurs sentiments.- Le puits de Jacob près de Sichar.- La samaritaine.
(23 juillet.) Pendant la
nuit dernière, je vis Jésus avec Lazare et les disciples de Jérusalem,
au nombre de cinq, dans le pays voisin de Béthulie. La ville était
située très haut, et je croyais qu'ils allaient la traverser : mais le
chemin tournait autour. Je les vis ensuite vers le matin, devant Jezraël,
entrer dans une métairie et un jardin qui appartenaient à Lazare. Ce
n'était qu'une espèce de pied` à terre, il y avait pourtant un jardin.
Les disciples étaient allés en avant pour faire préparer une collation
il y avait là un homme de confiance de Lazare. Ils arrivèrent de grand
matin, se lavèrent les pieds là, nettoyèrent leurs habits, mangèrent
quelque chose et se reposèrent. En quittant Jezraël, ils traversèrent un
petit cours d'eau, laissèrent à gauche Scythopolis, puis Salem, et se
dirigèrent vers le Jourdain, en franchissant les dernières pentes d'une
montagne. Ils allèrent ensuite plus au midi que Samarie, au delà du
Jourdain, et comme il était déjà nuit, ils se reposèrent au pied d'une
hauteur qui est au bord du fleuve et où habitaient des bergers de leur
connaissance.
(26 juillet.) Je vis Jésus
avec Lazare (les disciples étaient partis séparément par des chemins
plus courts) traverser le Jourdain avant le jour et entrer dans le
désert de Jéricho, en passant entre Haï et Galgala. Ils marchèrent tout
le jour sans être vus, suivant des sentiers solitaires et évitant les
lieux habités. Quelques lieues avant Béthanie, Lazare prit les devants
et Jésus continua seul sa route. Ils contournèrent aussi les hôtelleries
que Lazare avait dans cette partie du désert.
Dans le château de Béthanie
on savait déjà que Jésus arrivait. Il y avait là Saturnin, Nicodème,
Joseph d'Arimathie et ses neveux, Jean Marc, les fils de Siméon, les
fils de Jeanne Chusa et de Véronique, et trois fils d'un employé au
temple appelé Obed, mort assez récemment : avec eux étaient les
disciples venus de Galilée, y avait avec Lazare une quinzaine d'hommes
et aussi plusieurs femmes : la veuve d'Obed, femme de distinction âgée,
qui était parente de Lazare par la mère de celui-ci, Véronique, Jeanne
Chusa, Marie, mère de Jean Marc, Marthe et sa vieille servante, personne
très intelligente qui plus tard s"attacha à la communauté chrétienne et
servit le Sauveur. Toutes ces femmes attendaient en silence et cachées
dans le château ; elles se tenaient dans la pièce souterraine ou grand
caveau voûté où je les vis rassemblées avant la douloureuse passion.
Jésus arriva après le
repas, vers quatre heures ; il entra par une porte de derrière dans les
jardins de Lazare qui vint le recevoir dans une salle où il lui lava les
pieds. Je vis dans cette salle un bassin dans le sol où aboutissait un
conduit venant de la maison, et je vis à l'intérieur du logis Marthe
verser de l'eau tiède qui coula dans le bassin par ce conduit : Jésus
assis sur le bord y plaça ses pieds que Lazare lava et essuya. Il battit
ensuite les habits du Seigneur, lui mit d'autres chaussures et lui
offrit à boire et à manger.
Alors Jésus se rendit avec
lui dans la maison par un long berceau de feuillage et descendit dans la
pièce voûtée. Les femmes se voilèrent et s'agenouillèrent devant lui,
les hommes firent seulement une inclination profonde. Il les salua et
les bénit tous. Aussitôt après on se mit à table. Les femmes étaient
assises d'un côté sur des coussins, les jambes croisées.
Nicodème était
extraordinairement touché et très désireux d'entendre Jésus. Les hommes
parlèrent avec amertume de l'emprisonnement de Jean. Jésus dit que cela
avait dû arriver et que c'était la volonté de Dieu : qu'ils ne devaient
pas parler de ces sortes de choses pour ne pas se faire remarquer et
attirer par là le danger. Si Jean n'avait pas été mis de côté, il
n'aurait pas pu encore se mettre à l'œuvre. Les fleurs doivent tomber
quand le fruit vient
Ils parlèrent aussi avec
amertume de l'espionnage et de la persécution des pharisiens et Jésus
leur enjoignit également à ce sujet la paix et le silence. Il plaignit
les pharisiens et raconta la parabole de l'économe infidèle. Il me fut
expliqué que les pharisiens aussi étaient des économes infidèles, mais
qu'ils n'agissaient pas avec l'habileté de celui-ci et qu"ils ne
savaient pas se préparer un asile pour le jour où ils seraient rejetés.
Après le repas ils allèrent dans une autre pièce où les lampes étaient
allumées : Jésus fit la prière et ils célébrèrent le sabbat. Jésus
s'entretint ensuite avec les hommes et ils allèrent prendre du repos.
Jésus ne coucha pas, comme il l'avait fait d'autres fois, dans une pièce
qui était en haut et donnait sur la rue, mais ils dormirent dans une
rangée de chambres séparées, au-dessus desquelles passait une galerie ou
un chemin. Cela me fit penser aux maisons de Fribourg en Suisse, qui
sont au-dessous de la rue.
Lorsque le silence régna et
que tout fut plongé dans le sommeil, Jésus se releva de sa couche et
alla seul, sans être vu de personne, dans la grotte du mont des
Oliviers, où il lutta dans la prière le jour de sa douloureuse passion :
cette fois aussi il y pria son Père céleste de le fortifier dans ses
travaux. Il revint à Béthanie avant le jour sans avoir été vu.
(27 juillet.) Je vis encore
Jésus caché à Béthanie avec ses amis rassemblés. Les trois fils d'Obed
qui étaient attachés au service du temple et d'autres qui avaient
affaire au temple se rendirent à Jérusalem Ce jour-là je ne vis personne
sortir de la maison. Tout était calme et personne ne savait que Jésus
fût présent. Cette fois je ne vis pas Simon le lépreux avec eux.
Aujourd'hui, pendant le
repas, Jésus parla de son séjour dans la haute Galilée, chez les
habitants d'Amead, d'Adama et de Séleucie : comme les hommes à cette
occasion s'élevèrent contre les sectes avec un zèle amer, il leur
reprocha leur dureté et leur raconta une parabole touchant un homme qui
était tombé entre les mains des voleurs sur le chemin de Jéricho, et
dont un Samaritain avait eu plus de pitié qu'un lévite. J'ai souvent
entendu raconter cette parabole et toujours avec de nouvelles
explications. Il parla aussi du sort qui était réservé à Jérusalem.
Cette nuit, pendant que
tout le monde reposait, Jésus alla encore prier dans la grotte de la
montagne des Oliviers. Il pleura beaucoup et éprouva de violentes
angoisses. Il était comme un fils qui part pour de grandes entreprises
et qui auparavant se jette sur le sein de son père pour recevoir de la
force et de la consolation.
Mon conducteur me dit que
chaque fois que le Seigneur s'était trouvé à Béthanie, pour peu qu'il
eût une heure de liberté, il était allé prier là pendant la nuit, et que
c'était une préparation à sa dernière agonie sur la montagne des
Oliviers. Il me fut aussi montré que Jésus priait et pleurait là de
préférence, parce que c'était sur cette montagne qu'Adam et Eve chasses
du paradis avaient pour la première fois foulé la terre inhospitalière.
Je les vis pleurer et prier dans cette grotte. Je vis que ce fut dans le
jardin des Oliviers où il faisait des plantations, que Caïn, dominé par
son ressentiment, prit la résolution de tuer Abel. Cela me fit penser à
Judas. Je vis Cain commettre son fratricide dans les environs de la
montagne du Calvaire, et Dieu lui en demander compte sur celle des
Oliviers. Jésus était de retour à Béthanie au point du jour. Je crois
que la nuit prochaine il ira à Béthoron, où les douze disciples sont
convoqués.
(28 juillet.) Aujourd'hui,
le sabbat étant passé, on s'occupa de l'affaire qui avait principalement
motivé la venue de Jésus à Béthanie. Les saintes femmes avaient appris
avec peine combien lui et ses compagnons avaient à supporter de
privations en voyage, et comment dans le dernier voyage qu'il avait fait
en toute hâte à Tyr, il lui avait fallu tremper dans l'eau pour pouvoir
les manger, les croûtes de pain desséchées que Saturnin avait
recueillies pour lui en demandant l"aumône. C'est pourquoi ces amies de
Jésus s'étaient offertes pour lui préparer des logements fournis de
toutes les choses nécessaires et Jésus avait accepté. Or il était venu
pour s'entendre avec elles sur ce qu'il y aurait à faire.
Lorsqu'il annonça que
dorénavant il prêcherait publiquement en tous lieux, Lazare et ses amies
offrirent de nouveau de lui préparer des logements, d'autant plus que
les Juifs, excités par les pharisiens, spécialement dans les villes des
alentours de Jérusalem, n'offraient rien à Jésus et à ses disciples. Ils
prièrent donc le Seigneur de leur indiquer les principaux points où il
devait s'arrêter pendant ses voyages de prédication et le nombre des
disciples qu'il aurait avec lui, afin de calculer là-dessus le nombre
des gîtes et la quantité des provisions. Jésus leur fit connaître alors
la direction et les temps d'arrêt de ses voyages, et approximativement
le nombre de ses disciples On résolut de préparer une quinzaine
d'hôtelleries dont la direction serait confiée à des personnes de
confiance, quelquefois à des parents, et cela dans tout le pays, puis en
dehors de la Galilée, dans le pays de Khabul, en se dirigeant vers Tyr
et au midi.
Les saintes femmes
examinèrent ensemble de quel district et de quelle espèce de soins
chacune d'elles aurait à se charger. Ainsi, elles se partagèrent le
choix des hommes de confiance, la fourniture des objets nécessaires,
comme couvertures, vêtements, chaussures, etc., leur nettoyage et leur
réparation, et le soin du pain et des autres provisions de bouche ; tout
cela se fit avant et pendant le repas : Marthe était bien là à sa place.
Après le repas, on devait tirer au sort la répartition des frais entre
elles. Je vis, quand on fut sorti de table, Jésus, Lazare, les amis du
Seigneur et les saintes femmes, se réunir en particulier dans une grande
pièce voûtée. Jésus était assis d'un côté de la salle sur un siège élevé
: les hommes se tenaient debout ou assis autour de lui : les femmes
étaient assises à l'autre bout, sur une terrasse avec des degrés,
recouverte de tapis et de coussins. Jésus enseigna sur la miséricorde de
Dieu envers son peuple, dit comment il avait envoyé les prophètes l'un
après l"autre, comment tous avaient été méconnus et maltraités, comment
ce peuple rejetait aussi le dernier temps de grâce, et ce qui
adviendrait de lui. Après qu'il eut longtemps parlé sur ce sujet,
quelques-uns lui dirent :"Seigneur, racontez-nous cela dans une belle
parabole." Alors Jésus raconta de nouveau la parabole du roi qui envoya
son fils à sa vigne après que tous ses serviteurs eurent été mis à mort
par des vignerons infidèles, et comment ils firent aussi mourir le fils,
etc.
A la fin de cette
prédication, quelques uns des hommes sortirent, et Jésus se promena de
long en large dans la salle avec les autres : Marthe, qui allait et
venait, s'approcha de lui et lui parla avec beaucoup d'anxiété de sa
sœur Madeleine, d"après ce que Véronique lui avait rapporté d'elle.
Pendant qu'il allait et
venait dans la salle avec les hommes, les femmes étaient assises et
jouaient à une espèce de jeu de loterie au profit de l'administration
dont elles s'étaient chargées. Elles avaient entre elles une table à
roulettes placée sur une 'extrade élevée. C'était comme une espèce de
coffre haut d"environ deux pouces. Au centre était comme une étoile
rayonnant vers cinq extrémités. Sur la face supérieure de ce coffre, qui
était creux intérieurement et partagé en divers compartiments, cinq
rainures profondes allaient des cinq coins au centre, et entre ces
rainures étaient percés divers trous qui correspondaient à l'intérieur
de la boîte. Toutes ces femmes avaient apporté de longs cordons de
perles enfilées et beaucoup d'autres pierres précieuses, et chacune,
selon que son tour de jouer était venu, en entassait un certain nombre
dans une des rainures. Alors, l"une après l'autre, elles plaçaient au
bout des rainures, derrière la dernière perle, un joli petit appareil
qui, pressé avec la main, lançait une petite flèche contre la perle la
plus rapprochée ; cela donnait une secousse à toute la ligne, en sorte
que les perles ou les pierres précieuses sortaient de la rangée et
tombaient dans l'intérieur de là boîte par les ouvertures ou sautaient
sur d'autres rainures. Quand toutes les perles furent ainsi poussées
ailleurs, on remua à droite et à gauche la table qui était posée sur des
roulettes : alors les perles et les pierres précieuses, tombées dans
l'intérieur, allèrent se rendre dans plusieurs petites cassettes que
l'on pouvait retirer par le bord de la table, et dont chacune
appartenait à l'une des personnes qui prenaient part au jeu. Ainsi,
chacune de ces saintes femmes tira une de ces petites cassettes et vit
ce qu'elle avait perdu de ses bijoux et gagné au profit de la charge
qu'elle avait prise.
Dans ce jeu des saintes
femmes, une perle très précieuse qui était tombée entre elles, s'était
perdue elles la cherchèrent partout avec beaucoup de soin, et la
retrouvèrent enfin à leur grand contentement : alors Jésus vint à elles
et leur raconta la parabole de la drachme perdue et retrouvée avec tant
de joie ; puis de leur perle égarée, cherchée si soigneusement et si
heureusement retrouvée, il tira une nouvelle comparaison appliquée à
Madeleine. Il l"appela une perle plus précieuse que bien d'autres,
laquelle, de la table de jeu du saint amour, était tombée sur la terre
et s'était perdue. Avec quelle joie, dit-il, vous retrouverez cette
perle précieuse ! Alors les femmes, profondément émues, lui répondirent
: Ah ! Seigneur, cette perle se retrouvera-t-elle ? et Jésus leur dit :
Il faut chercher avec encore plus de diligence que la femme de la
parabole ne cherche sa drachme et le pasteur sa brebis perdue. Sur ce
discours, toutes, vivement touchées, promirent de chercher Madeleine
avec encore plus de soin que leur perle, de se réjouir bien davantage si
elle se retrouvait, etc. Quelques-unes des femmes prièrent aujourd'hui
le Seigneur de vouloir bien admettre parmi ses disciples le jeune homme
de Samarie qui lui avait demandé cette faveur après la Pâque, comme il
passait à Samarie : elles lui parlèrent de la grande vertu et de la
science de ce jeune homme, qui était, je crois, parent de l'une d'elles.
Mais Jésus leur répondit qu'il viendrait difficilement, et qu'il était
aveugle par un côté, entendant par là qu'il tenait trop aux biens de ce
monde
Le soir, plusieurs des
hommes et des femmes prirent leurs mesures pour se rendre à Béthoron, ou
Jésus voulait prêcher le lendemain. Quant au Seigneur, il alla encore en
secret sur la montagne des Oliviers, et il y pria avec beaucoup
d"ardeur, après quoi il partit avec Lazare et Saturnin pour Béthoron,
qui est éloigné d'environ six lieues.
(29 juillet.) A une heure
après minuit je vis Jésus avec Lazare, Saturnin et deux autres traverser
le désert, dans la direction du nord-ouest, pour aller à Béthoron. Les
disciples chargés de se rendre d'avance s'étaient déjà réunis la veille
dans l'hôtellerie placée entre les deux déserts qui se coupent ici, à
environ une lieue à l'est de Béthoron, ville située sur une montagne :
dès le matin ils vinrent à deux lieues à la rencontre de Jésus C'étaient
Pierre, André et leur demi frère Jonathan, Jacques le Majeur, Jean,
Jacques le Mineur et Jude Thaddée, qui venait avec eux pour la première
fois, puis Philippe, Nathanael Khased, et je crois aussi le fiancé de
Cana, avec un ou deux des fils des trois veuves Je vis Jésus avec eux
dans le désert ; il s'assit pendant quelque temps sous un arbre et
enseigna. Il parla de nouveau de la parabole du maître de la vigne qui
envoie son fils. Ils revinrent à l'hôtellerie de bon matin. Je les vis
manger quelque chose : Saturnin avait dans une bourse des pièces de
monnaie qu'il avait reçues des saintes femmes, et il s'était occupé de
trouver des aliments.
Vers huit heures du matin,
ils allèrent à Béthoron. Deux disciples prirent les devants : ils se
rendirent à la demeure du chef de la synagogue et demandèrent les clefs,
parce que leur maître voulait enseigner : d'autres se répandirent dans
les rues et y convoquèrent le peuple. Jésus entra avec les autres, et la
synagogue fut bientôt remplie de monde : il parla encore ici très
fortement à l'occasion de la parabole du maître de la vigne, et dont les
serviteurs avaient été tués par les vignerons infidèles, lesquels
mettent aussi à mort son fils qu'il leur envoie : après quoi le maître
donnera sa vigne à d'autres. Il parla aussi de la persécution des
prophètes, de l'emprisonnement de Jean, ajouta qu'on le poursuivait, lui
aussi, et qu'on mettrait la main sur lui, et enfin annonça le jugement
qui menaçait Jérusalem. Ses discours produisirent une grande émotion
parmi les Juifs ; quelques-uns se réjouissaient, d'autres étaient pleins
de rage et murmuraient : "D'où celui-ci vient-il ainsi tout à coup ?
disaient-ils ; personne n'a su qu'il dût venir. " Quelques-uns d'entre
eux, ayant appris qu'il y avait dans l'hôtellerie de la vallée des
femmes qui étaient du nombre des adhérents de Jésus, s'y rendirent pour
les interroger sur ce qu'il se proposait.;
Il guérit plusieurs malades
de la fièvre et quitta la ville au bout de quelques heures.
Véronique, Jeanne Chusa et
la veuve d'Obed étaient arrivées à l"hôtellerie et avaient préparé à
manger : le Seigneur et ses disciples mangèrent et burent debout, ils se
ceignirent et continuèrent leur route. Je le vis ce même jour enseigner
de la même manière à Kibzaïm et dans quelques hameaux de bergers. Les
disciples n'étaient pas tous à Kibzaïm, mais ils se réunirent de nouveau
dans une maison de bergers fort spacieuse avec des dépendances, située
sur les frontières de la Samarie, et où Marie et Joseph avaient été
accueillis lors du voyage à Bethléhem, après avoir vainement demande
qu'on les reçût chez d'autres Ils mangèrent et dormirent ici. Ils
étaient environ une quinzaine. Lazare et les femmes étaient repartis.
(30 juillet.) Aujourd"hui,
je vis Jésus et les disciples, tantôt ensemble, tantôt séparément,
traverser en grande hâte plusieurs endroits grands et petits qui se
trouvaient ici dans un rayon de quelques lieues. Je me souviens d'avoir
entendu nommer Gabaa et aussi Naïoth, qui peut être à quatre lieues de
Kibzaïm, où Jésus était hier. Dans tous ces endroits, le Seigneur ne
prit pas le temps d'enseigner dans les synagogues. Il prêcha sur des
collines en plein air, sur des places publiques et dans les rues où le
peuple se rassemblait une partie des disciples allait en avant dans les
vallées, les petits villages et les maisons de bergers disséminées, pour
convoquer le peuple aux endroits où Jésus devait s'arrêter. Plusieurs
toutefois restaient près de lui. Tout ce travail, fait successivement en
divers endroits, fut extrêmement fatigant et pénible.
Il guérit beaucoup de
malades qui lui furent amenés dans les lieux où il passait, et qui
invoquèrent son assistance. Il y avait dans le nombre plusieurs
lunatiques. Beaucoup de possédés coururent après lui en criant, et il
leur ordonna de se taire et de se retirer. Ce qui rendait la tâche de ce
jour plus difficile, c'était la mauvaise disposition du peuple et les
injures des pharisiens. Ces endroits, voisins de Jérusalem, étaient
pleins de gens qui avaient pris parti contre Jésus. Il en était alors
comme aujourd'hui dans les petits endroits où l'on répétait des
bavardages et où l'on n'approfondissait rien. Là-dessus venait
l'apparition subite de Jésus avec un grand nombre de disciples, et sa
prédication très sévère et très menaçante : car il enseignait partout
comme à Bethoron : il parlait du temps de la grâce qui touchait à sa
fin, et le la justice qui devait venir après. Il revenait toujours sur
les mauvais traitements qu'avaient soufferts les prophètes, sur
l'emprisonnement de Jean, et sur la persécution à laquelle lui-même
était en butte. Il racontait ordinairement la parabole du maître de la
vigne qui avait envoyé son fils, et annonçait l"avènement du royaume
dont le fils du roi devait prendre possession. Il criait aussi malheur à
Jérusalem et à ceux qui ne recevraient pas son royaume et ne feraient
pas pénitence. Ces discours sévères et menaçants étaient interrompus par
beaucoup d'actes de charité et de guérisons, et il allait ainsi d'un
lieu à l'autre.
Les disciples avaient
beaucoup à endurer, ce qui leur était parfois très pénible. Là où ils
allaient et annonçaient leur maître, ils entendaient souvent des paroles
très injurieuses : " Voilà qu'il vient encore ! que veut-il ? d'où
sort-il ? ne le lui a-t-on pas défendu. En outre, on riait d'eux, on
criait après eux et on les insultait. Il y avait pourtant des gens qui
les recevaient avec joie, mais ils n'étaient pas en grand nombre.
Personne n'osait s'attaquer à Jésus lui-même : quand il enseignait et
que les disciples se tenaient autour de lui ou le suivaient dans la rue,
c'était à eux que s'adressaient tous ceux qui voulaient faire du bruit.
Ils les arrêtaient, leur faisaient des questions ; ils n'avaient compris
qu'à demi ou à contresens les sévères paroles de Jésus, et ils voulaient
avoir des explications : au milieu de tout cela on entendait retentir
aussi des. cris de joie. C"est que le Seigneur avait guéri des malades ;
cela irritait les contradicteurs et ils se retiraient. Il en fut de même
jusqu'au soir : et à tout cela se joignait une marche fatigante et
rapide, sans repos, sans nourriture, sans rien qui donnât du
soulagement.
Je les vis encore
aujourd'hui entrer dans la maison des bergers d'hier. Il me semble avoir
vu qu'on leur lavait les pieds.
Je remarquai que les
disciples étaient encore bien faibles et bien charnels ; que souvent,
lorsque Jésus enseignait et qu'on les interrogeait, ils chuchotaient
ensemble, te comprenant pas au juste ce qu'il voulait dire. Ils étaient
peu satisfaits de la situation qui leur était faite : ils se disaient à
eux-mêmes : " Voilà que nous avons tout laissé là, et nous nous trouvons
jetés au milieu du bruit et du tumulte. Qu'est-ce que ce royaume dont il
parle ? est-ce que réellement il en fera la conquête. Telles étaient
leurs pensées : mais ils les cachaient en eux-mêmes : seulement ils
laissaient souvent voir leur embarras. Jean seul suivait son maître
comme un enfant, entièrement soumis et sans arrière-pensée. Et pourtant
ils avaient vu tant de miracles et en voyaient tant encore !
Il était singulièrement
touchant de voir Jésus, qui connaissait toutes leurs pensées, n'en tenir
aucun compte, leur montrer toujours le même visage, et continuer à faire
son œuvre, toujours serein, affectueux et grave.
Ils ont encore marché
jusqu'à une heure très avancée, et ils ont passé la nuit dans la vallée,
en deçà de la petite rivière qui sert de limite à la Samarie, chez des
bergers, où ils n'ont presque rien trouvé. L'eau de cette rivière
n'était pas bonne à boire ; elle était étroite et coulait rapidement
vers l'ouest, étant ici à peu de distance de sa source qui est au pied
du mont Garizim.
(31 juillet.) Aujourd'hui,
Jésus passa la petite rivière avec ses compagnons ; ils firent le tour
du mont Garizim sur leur droite, et se dirigèrent vers Sichar. André,
Jacques le Majeur et Saturnin restèrent seuls avec Jésus sur ce chemin ;
tous les autres allèrent dans d"autres directions : je ne sais plus bien
de quoi ils étaient chargés. Jésus alla au puits de Jacob, qui est au
nord du mont Garizim et au sud du mont Hébal, dans l'héritage de Joseph,
sur une petite colline à l'ouest de laquelle se trouve Sichar, à environ
un quart de lieue. Sichar est placée dans une vallée qui se prolonge
encore à une lieue à l'ouest en longeant la ville. Samarie est située
sur une montagne à deux grandes lieues au nord-ouest de Sichar.
Plusieurs chemins creusés
dans le roc viennent de divers côtés, en montant la petite colline,
aboutir au bâtiment octogone entouré d'arbres et de bancs de gazon qui
renferme le puits de Jacob. Cet édifice est entouré d'arcades sous
lesquelles une vingtaine d'hommes peuvent trouver place. En face du
chemin de Sichar, une porte ordinairement fermée conduit sous cette
galerie dans l'intérieur du bâtiment. Il y a dans la partie supérieure
du toit une ouverture au-dessus de laquelle on met souvent une espèce de
couvercle. L'intérieur du petit bâtiment est assez spacieux pour qu'on
puisse circuler commodément entre la margelle de pierre du puits et la
muraille. Le puits est fermé avec un couvercle en bois : quand il est
ouvert ? on voit un lourd cylindre placé en travers, du côté opposé à
l'entrée : le seau à puiser y est suspendu et on le fait mouvoir assez
péniblement au moyen d'une manivelle. Vis-à-vis la porte se trouve une
pompe par laquelle on peut faire monter l'eau à la hauteur du mur de
l"édifice. Cette eau coule à l'extérieur au levant, au midi et au
couchant, dans trois petits bassins creusés sous le péristyle : les
voyageurs s'y lavent les pieds et y font leurs ablutions : on peut aussi
y faire boire le bétail.
Il était environ midi quand
Jésus arriva à la colline avec les trois disciples. Il les envoya à
Sichar chercher de quoi manger, car il avait faim. Il monta seul la
colline pour les attendre. C'était une journée très chaude, Jésus était
très fatigué et il avait soif. Il se plaça tout pensif à quelque
distance du puits, au bord du chemin qui venait de Sichar, et la tête
appuyée sur la main, il semblait attendre et désirer quelqu'un qui
ouvrit le puits et lui donnât à boire. Je vis alors une femme
samaritaine d'environ trente ans, agréable et bien faite, qui venait de
Sichar, portant une outre suspendue au bras, et gravissait la colline
pour prendre de l'eau Elle était belle, et je la regardai avec un vrai
plaisir, comme elle montait la colline à grands pas, tant elle était
gracieuse, leste et vigoureuse. Son ajustement avait quelque chose de
distingué ; on pouvait même y voir un peu de recherché. Son vêtement
rayé de bleu et de rouge, était broché de grandes fleurs jaunes ; les
manches, attachées en deux endroits du bras avec des bracelets de
couleur jaune, paraissaient froncées autour des coudes. Elle portait un
corsage blanc, orné de lacets de soie jaunâtre. Elle avait le cou
recouvert tout entier d'une collerette de laine jaune, toute garnie de
cordons de perles et de coraux. Son voile, d'un tissu de laine fin et
riche, descendait très bas par derrière cette partie postérieure était
assez longue pour qu'elle pût la rassembler et l"attacher autour de son
corps. Ainsi ramassé, le voile se terminait en pointe par derrière, et
formait des deux côtés du corps deux plis dans lesquels les bras et les
coudes pouvaient reposer commodément. Quand elle rapprochait les deux
côtés du voile devant la poitrine, tout le haut du corps était couvert
comme d'un petit manteau.
Note : C'est ainsi qu'elle
s'exprima : peut-être était-ce cette large bandelette ornée d'or,
d'argent, etc., et appelée strophium, avec laquelle les femmes de
l'antiquité avaient coutume de se ceindre autour de la poitrine.
La tête de cette femme
était toute couverte de bandelettes, et l'on ne voyait pas ses cheveux.
Cette coiffure se terminait par quelque chose qui faisait saillie en
avant du front : c'était comme une petite tour derrière laquelle se
plaçait la partie antérieure du voile lorsqu'il était relevé : quand il
était abaissé sur je visage, il tombait jusqu'à la poitrine.
Cette femme gracieuse,
agile et forte, avait rejeté sur le bras droit son gros tablier brun de
poil de chèvre ou de chameau, de sorte qu'il couvrait un peu l'outre de
peau qu'elle portait suspendue à ce bras. C'était comme un tablier de
travail dont il semble qu'on se servait en puisant de l'eau, pour
préserver les vêtements du contact du seau ou de l'outre.
L'outre était de cuir :
c'était comme un sac sans couture : elle était un peu rebondie de deux
côtés, comme si elle eût été doublée avec des plaques de bois cintrées :
les deux autres côtés se repliaient sur eux-mêmes quand elle était vide,
comme les plis d'un portefeuille Aux deux côtés saillants étaient
assujetties des poignées recouvertes de cuir, à travers lesquelles
passait une courroie par laquelle la femme portait l'outre à son bras.
L'ouverture de l'outre était rétrécie : on pouvait' pour y verser l'eau,
en séparer les côtés, de manière à lui donner la forme d'un entonnoir,
puis on la fermait de nouveau comme on ferme un sac à ouvrage. L'outre,
quand elle était vide, pendait à plat sur le côté ; remplie, elle
s'arrondissait et contenait autant qu'un seau d'eau ordinaire.
Je vis donc cette femme
gravir d'un pas agile la colline, où elle allait prendre de l'eau au
puits de Jacob pour elle et pour d'autres : je l'aime beaucoup, elle est
si bienveillante, si intelligente et si franche.
Elle s'appelle Dina, elle
est née d'un mariage mixte et appartient à la secte samaritaine. Elle
réside à Sichar, qui n'est pourtant pas son lieu de naissance ; elle y
porte le nom de Salomé et on n'y sait rien de ce qui la concerne, mais
on les voit sans peine dans cet endroit, elle et son mari, à cause de
leur caractère franc, bienveillant et serviable.
A cause des détours que
faisait le sentier, Dina ne put voir le Seigneur que quand elle fut
devant lui. Il était là, seul, en proie à la soif, assis sur le chemin
du puits, et son aspect avait quelque chose de singulièrement frappant.
Il était revêtu d'une longue robe de fine laine blanche, avec une large
ceinture ; elle me faisait l'effet d'une aube. C'était une robe de
prophète que les disciples portaient avec eux quand ils allaient à sa
suite. Il la mettait lorsqu'il enseignait dans des occasions solennelles
ou qu'il agissait prophétiquement.
A un tournant du chemin,
Dina se trouva inopinément en face de Jésus : elle s'arrêta court à sa
vue, baissa son voile sur son visage et hésita à passer outre : le
Seigneur était assis tout contre le chemin. Je vis aussitôt dans son
intérieur s'élever rapidement cette pensée : " un homme ! que fait-il là
? Serait-ce une tentation ? "Jésus, en qui elle reconnut un Juif, la
regarda avec sérénité et bienveillance, et retirant ses pieds en
arrière, parce que le chemin était très étroit, il lui dit : "Passez et
donnez-moi à boire !
Note : Dans
le martyrologe romain, elle est nommée Photina.
Elle se sentit touchée de
ces paroles, parce que les Juifs et les Samaritains étaient accoutumés à
ne se regarder mutuellement qu'avec horreur ; elle s'arrêta encore un
moment et dit : "Pourquoi êtes-vous ici tout sent à cette heure ? Si
l'on me voyait ici avec vous, on s'en scandaliserait. "Jésus répondit
que ses compagnons étaient allés à la ville chercher des aliments, et
Dina lui dit : " Ce sont sans doute les trois hommes que j'ai rencontrés
! mais ils trouveront peu de chose à cette heure ; les Sichémites ont
besoin pour eux-mêmes de ce qu'ils ont préparé aujourd'hui. " Elle parla
comme s'il y avait aujourd'hui une fête ou un jour de jeûne à Sichar, et
nomma un autre endroit où ils auraient dû aller pour se procurer des
vivres.
Jésus lui dit encore :
"Passez et donnez-moi à boire ! "Alors Dina passa devant lui : il se
leva et la suivit au puits, qu'elle ouvrit. Tout en marchant elle lui
dit : "Comment vous, qui êtes Juif, pouvez-vous demander à boire à une
Samaritaine ?,' Et Jésus lui répondit : "Si vous connaissiez le don de
Dieu et si vous saviez quel est celui qui vous demande à boire, vous lui
auriez demandé vous-même et il vous aurait donné de l"eau vive. "
Alors Dina leva le
couvercle du puits, détacha le seau et dit à Jésus qui s'assit sur le
bord du puits : " Seigneur, vous n'avez pas de vase pour puiser, et le
puits est très profond ; d'où pourriez-vous avoir de l'eau vive ? Etes-vous
donc plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits et qui y
a bu lui-même avec ses enfants et ses troupeaux ? "Comme elle parlait
ainsi, j"eus une vision où il me fut montré comment Jacob creusa ce
puits et comment l'eau jaillit devant lui. Mais la femme entendait les
paroles de Jésus comme s'appliquant à de l'eau de source : en parlant
ainsi, elle fit descendre le seau à l'aide du cylindre qui marchait
difficilement, puis le tira, et je vis qu'elle relevait ses manches avec
leurs agrafes, en sorte que l"étoffe bouffait par le haut. Alors avec
son bras nu elle vida le seau dans son outre, et présenta à Jésus un
petit cornet d'écorce rempli d'eau. Jésus, assis sur le rebord du puits,
but et loi dit : "Qui boit de cette eau aura encore soif ; mais celui
qui boira de l'eau vive que je lui donnerai n'aura plus jamais soif.
L'eau que je donne deviendra en lui une source qui jaillira jusque dans
la vie éternelle '. "
Note : Les
sources d'eau montent et se déversent de nouveau suivant la hauteur
du point d'où elles sont parties. L'eau vive, le Saint-Esprit, est
descendu au puits scellé de l'humanité du fils, de Jésus-Christ, et
Jésus est monté à son tour avec la divinité et l'humanité jusqu'à la
droite du Père. Le Seigneur lui-même a dit : "Qui croit en moi, des
torrents d'eau vive couleront de ses entrailles, comme dit l'Ecriture.
Il disait cela de l'Esprit Suint que devaient recevoir ceux qui
croiraient en lui (Joan., VII, 38-39). Mais qui a reçu le
Saint-Esprit dans une mesure égale à celle de la sainte Vierge ?
Pour faire comprendre à quelques égards dans ce qu'elle a de plus
profond la signification particulière de l'entretien de Jésus avec
la Samaritaine au puits de Jacob, nous devons remarquer que comme
dans la nature, de même dans le langage général prophétique et
biblique, aux idées d'eau, de source, de puits, de fleuves, de
fontaines, de pluie, etc., sont liées le plus souvent les idées de
fécondation, d'origine, de propagation, de bénédiction du mariage,
de maternité, etc. L'alliance de Dieu avec l'homme a toujours dans
l'Ecriture le caractère d'un mariage légitime, sacramentel, car le
contraire, qui est l'idolâtrie, est toujours désigné par le nom de
prostitution, d'union illégitime des sexes. La mère est souvent
désignée par le nom de fontaine. Quand Dieu par la bouche de Jérémie
(II, 12), menace son peuple parce qu'il s'est uni dans l'idolâtrie
et l'impureté aux Egyptiens et aux Assyriens, il dit : " Mon peuple
m'a quitté, moi qui suis la source d'eau vive, et il s'est creusé
des citernes qui ne retiennent pas les eaux. " Isaie (XLVIII, 1),
s'adressant à son peuple parle ainsi : " Écoutez, maison de Jacob,
vous qui êtes sortie des eaux de Juda, c"est-à-dire qui êtes sa
postérité. " Balaam, prophétisant sur la race de Jacob, s'exprime en
ces termes : (Num., XXIV, 7.) L'eau découlera de ses seaux et sa
bénédiction sera comme les grandes eaux. Il est souvent parlé dans
l'Ecriture d'eau vive, de torrents d'eau (Ezéchiel, XLVII, 1 ; Joël,
III, 18 ; Zach., XIV, 88 : Apocalypse, VII, 17-21 ; XI, 22, 1-17,
etc.) Les saints Pères entendent par là la grâce du Christ l'envoi
du Saint-Esprit dans le baptême. Plusieurs vieilles traductions
appellent l'ancien Testament l'ancien mariage, le nouveau, le
nouveau mariage, et cela avec un grand sens. L'Eglise aussi est une
mère, nous devons dans ses fonts baptismaux naître de nouveau de
l'eau et de l'Esprit-Saint ; autrement, nous ne pouvons pas entrer
dans le royaume de Dieu. (Note de l'écrivain.)
Dina la Samaritaine était
d'une humeur libre et enjouée, et elle dit en souriant à Jésus : "
Seigneur, donnez-moi de cette eau vive, afin que je n'aie plus soif et
que je n'aie plus à me tant fatiguer pour prendre de l'eau ici ". Mais
elle était pourtant émue par ce qu'il avait dit de l'eau vive' et elle
soupçonnait, sans bien s'en rendre compte, que Jésus entendait par là
l'accomplissement de la promesse. Ainsi sa demande d'eau vive lui fut
inspirée par un mouvement prophétique du cœur. J'ai toujours senti et
reconnu que les personnages avec lesquels le Sauveur se mettait en
relations ne devaient pas être considérés seulement comme des individus
isolés, mais qu'ils étaient en outre la représentation complète de toute
une classe de personnes. Il en était ainsi, parce que les temps étaient
accomplis : c'est pourquoi Dina la Samaritaine représentait proprement
devant le Rédempteur, toute la secte des Samaritains, séparée de la
vraie foi d'Israël, qui était la source d'eau vive.
Jésus au puits de Jacob
avait soif des âmes élues de Samarie, qu'il voulait désaltérer avec les
eaux vives dont elles s'étaient éloignées. Et c'était ici la partie
encore guérissable de la secte schismatique, qui avait soif de cette eau
vive et tendait en quelque manière la main ouverte pour la recevoir.
Samarie disait par la bouche de Dina : " Seigneur, donnez-moi la
bénédiction de la promesse, étanchez ma soif, qui dure depuis si
longtemps ; aidez-moi à trouver l'eau vive, afin que je reçoive plus de
consolation que ne m'en donne cette fontaine terrestre de Jacob, par
laquelle seule nous avons encore quelque communauté avec les Juifs. "
Quand Dina eut ainsi parlé,
Jésus lui dit : "Allez dans votre maison, appelez votre mari et revenez.
"J'entendis qu'il lui dit cela deux fois, en ce sens qu'il n'était pas
là pour l'instruire elle toute seule. Le Sauveur disait par là à la
secte : " Samarie, appelle au près de moi celui auquel tu appartiens,
celui qui engendre de toi dans un mariage légitime, dans une sainte
alliance. n Dina répondit au Seigneur : "Je n'ai pas de mari. "
Samarie avouait au fiancé
des âmes qu'elle n'avait pas d'alliance, qu'elle n'appartenait à
personne, qu'il ne sortait d'elle aucune fleur que l'Esprit-Saint pût
féconder, qu'elle n'avait pas de mère du Messie Jésus reprit : " Vous
dites bien, car vous avez vécu avec cinq hommes, et celui avec lequel
vous vivez maintenant n'est pas votre mari ; en cela vous avez dit vrai.
"Par ces paroles, le Messie disait à la secte : "Samarie, tu dis vrai :
tu as été mariée avec les idoles de cinq peuples, ton union actuelle
avec Dieu n'est qu'une fornication et non un véritable mariage '. "Ici
Dina, baissant les veux et courbant la tête, répondit : " Seigneur, je
vois que vous êtes un prophète, "et elle baissa de nouveau son voile.
C'est ainsi que la secte samaritaine reconnut la mission divine du
Seigneur et s'avoua coupable.
Note : Ces paroles de Jésus
faisaient allusion à cinq diverses peuplades païennes que le roi
d'Assyrie avait transportées à Samarie avec leur culte idolâtrique (IV
Reg., XVII, 24), lorsque la plus grande partie du peuple eut été
conduite en captivité à Babylone. Ce qui était resté à Samarie du peuple
de Dieu s'était mélangé avec ces païens et avait participé à leur
idolâtrie, et il s'était formé ainsi un mélange abominable du culte de
Dieu et du culte du démon. Cette circonstance que l'homme avec lequel
vivait actuellement Dina n'était pas son vrai mari, signifiait que
Samarie, à l'époque de Jésus, n'était plus livrée au culte des idoles,
mais cependant n"honorait le vrai Dieu que d'une manière illégitime et
suivant son propre caprice. Le culte qu'elle rendait à Dieu avait été
établi par des Juifs qui, ayant contracté des mariages illicites avec
des Samaritaines et des paiennes, et s'étant rendus coupables d'autres
prévarications, étaient passés aux Samaritains. un prêtre juif,
petit-fils d'un grand-prêtre, s'était épris de la fille d'un gouverneur
paien de Samarie et l'avait épousée. Ayant été excommunié pour ce fait,
il s'était séparé du vrai temple de Dieu avec plusieurs autres Juifs
coupables de la même faute et s'était retiré chez les Samaritains qui
l'avaient reçu à In as ouverts lui et tous ses pareils. Alors son
beau-père avait construit pour cet apostat un temple sur le mont Garizim
et l'avait établi grand-prêtre. Ils adoraient là le vrai Dieu à leur
manière et imitaient ce qui leur convenait dans le culte israélite.
L'élément juif avait repris la prépondérance à Samarie, mais parce que
ce nouveau culte n'avait été introduit que par des Juifs apostats, le
nouveau temple avait rendu les Samaritains encore plus abominables aux
yeux des Juifs, et comme eux-mêmes ne pouvaient nier qu'il était dit
dans plusieurs écrits de l'ancien Testament que Dieu ne voulait être
adoré que dans le temple de Jérusalem, ils rejetaient tous les livres où
cela est dit expressément et n'admettaient que ceux où leur infidélité
ne paraissait pas condamnée. Ils tombèrent par là dans des erreurs de
toute espèce et comme ils cherchaient toujours des excuses et
rougissaient jusqu'à un certain point de la vraie cause de leur
séparation, ils prétendaient s'être déjà séparés des Juifs à une époque
antérieure, à cause de l'impiété de ceux-ci. Ils changèrent souvent
leurs professions de foi, suivant que leur intérêt l'exigeait sous les
différents maîtres auxquels ils étaient assujettis. Si les Juifs se
relevaient, ils s'appelaient les vrais et purs Israélites des tribus d'Ephraïm
et de Manassé ; si les choses allaient mal pour les Juifs, ils ne
voulaient rien avoir de commun avec eux et se qualifiaient de peuple
étranger, etc. Mais tous les Samaritains étaient sous l'excommunication
ecclésiastique et séparés du temple et de l'alliance de Dieu avec Israel.
Ainsi donc la participation au puits terrestre de Jacob était restée le
seul lien qui rattachât les Samaritains aux Juifs et à la promesse faite
à ceux-ci, ou, en d'autres termes, ce qui subsistait encore du sang de
Jacob dans le sang des Samaritains mélangé de tant d"impures sources
paiennes, était la seule chose qui leur conservait encore une relation
avec l'œuvre du salut. Le Rédempteur avait soif de leur salut au puits
de Jacob ; Samarie y puisa de l'eau et lui donna à boire.
Comme si Dina eût compris
le sens prophétique de ces paroles de Jésus : " Celui avec lequel tu vis
maintenant n'est pas ton mari, "c'est-à-dire, "ton union actuelle avec
le vrai Dieu est illégitime, en dehors de la loi ; le culte des
Samaritains est par le péché et l'absence d'autorité, séparé de
l'alliance de Dieu avec Jacob"" comme si elle eût compris, dis-je, la
signification de ces paroles, elle montra du doigt le midi et le temple
élevé près de là sur le mont Garizim, et cherchant à s'éclairer, elle
dit : "Nos pères ont adoré sur cette montagne et vous dites que c'est à
Jérusalem qu'on doit adorer. "Alors Jésus la redressa en ces termes : "
Femme, croyez-moi, l'heure vient où vous n'adorerez le Père ni sur le
mont Garizim, ni à Jérusalem. " Ce qui équivalait à dire : "Samarie,
l'heure vient où l'on n'adorera Dieu ni ici, ni dans le temple de Dieu
et dans le sanctuaire, parce qu'il est présent au milieu de vous. "Puis
il continua ainsi : "Vous ne savez pas ce que vous adorez, mais nous
savons ce que nous adorons, car le salut vient des Juifs. ·, Ici il lui
proposa une comparaison tirée des arbres et de certains rejetons
sauvages et inutiles qui produisent abondamment du bois et des feuilles
et ne portent pas de fruit. Le Sauveur disait par-là à la secte :
"Samarie, tu n'as rien d"assuré dans ton culte : tu n'as pas d'alliance,
pas de sacrement, pas de gage de l'alliance, pas de fruit : les Juifs
ont tout cela, ils ont la promesse et son accomplissement, c'est d'eux
que le Messie doit naître. "
Jésus dit encore : "Mais
l'heure vient et elle est déjà venue où les vrais adorateurs adoreront
le Père en esprit et en vérité, car le Père veut de tels adorateurs.
Dieu est esprit et ceux qui l'adorent doivent l'adorer en esprit et en
vérité ". Le Rédempteur disait par-là : " Samarie, l"heure vient, elle
est déjà venue, où le Père doit être adoré par les vrais adorateurs dans
le Saint-Esprit, et dans le Fils qui est la voie et la vérité ". Dina
répondit à Jésus : " Je sais que le Messie vient. Quand il viendra, il
nous manifestera toutes choses. Dans ces paroles la portion de la secte
samaritaine qui pouvait prétendre à avoir quelque part à la promesse,
disait ici, près du puits de Jacob : " J'espère et je crois à la venue
du Messie. Il nous secourra. " Jésus lui répondit : "C'est moi, moi qui
vous parle. "
Et c'était comme s'il avait
dit à tous ceux de Samarie qui voulaient se convertir : " Samarie, je
suis venu au puits de Jacob ; j'ai eu soif de toi, qui es l'eau de ce
puits, et comme lu m'as donné à boire je t'ai promis de l'eau vive qui
ne laisse jamais revenir la soif : tu m'avoues, avec des sentiments de
foi et d'espérance, que aspires à cette eau. Voici que je te récompense,
car tu as apaisé la soif que j'ai de toi par le désir que tu as de moi.
Samarie, je suis la source des eaux vives, je suis le Messie qui te
parle. "
Note
: Il est remarquable que saint Athanase dit aussi dans une de ses
quatre lettres à l'évêque égyptien Sérapion, qu'adorer le Père en
esprit et en vérité veut dire adorer dans le Fils et le Saint-Esprit
celui qui est à la lois trois et un. Relativement à l'explication
plus approfondie de l'entretien entre Jésus et la Samaritaine, qui
est ici intercalée dans l'entretien lui-même, la sœur Emmerich
disait : J'ai dès ma jeunesse reçu sur ce point des explications de
ce genre, mais je n'ai pas voulu les communiquer alors pour ne pas
avoir l'air d'en faire vanité.
Lorsque Jésus dit : "C'est
moi, moi qui vous parle, "Dina le regarda tout étonnée et tremblante
d'une sainte joie, puis tout d'un coup elle se leva, laissa là son outre
pleine d'eau et, sans fermer le puits, descendit en toute hâte la
colline dans la direction de Sichar, pour annoncer à son mari et à tout
le monde ce qui lui était arrivé. Il était sévèrement détendu de laisser
ouvert le puits de Jacob, mais que lui importait le puits de Jacob, que
lui importait son vase plein d'eau terrestre ! Elle avait goûté l'eau
vive, et son coeur aimant, comblé de joie, aspirait à désaltérer tous
les autres avec cette eau. Pendant qu'elle s'éloignait rapidement du
bâtiment du puits laissé ouvert, elle passa devant les trois disciples
qui apportaient de la nourriture et qui, depuis quelque temps déjà, se
tenaient à peu de distance de la porte, tout surpris de ce que leur
maître pouvait avoir un si long entretien. avec une femme samaritaine.
Mais leur respect pour lui les empêcha de l'interroger à ce sujet. Dina
descendit à Sichar en courant, et dit avec un grand empressement à son
mari et aux autres personnes qu'elle rencontra dans la rue : 0 Venez au
puits de Jacob, vous y verrez un homme qui m'a dit tout ce que j'ai fait
de plus secret ; venez, c'est vraiment le Messie ! "
Pendant ce temps les trois
apôtres s'approchèrent de Jésus qui était près du puits, lui offrirent
des petits pains et du miel qu'ils avaient dans leur corbeille et lui
dirent : " Maître, mangez. "Jésus se leva, quitta le puits et leur dit :
" J'ai une nourriture que vous ne connaissez pas. "Les disciples se
dirent entre eux : " Quelqu'un lui a-t-il apporté de la nourriture ? a
et ils eurent la secrète pensée que la femme samaritaine lui en avait
peut-être apporté. Jésus ne voulut pas s'arrêter là pour manger, mais il
descendit la colline dans la direction de Sichar, et pendant que les
disciples mangeaient en marchant derrière lui, il leur dit : "Ma
nourriture est de faire la volonté de Celui qui m'a envoyé, afin que
j'achève son œuvre. " Il voulait dire par-là qu'il avait à convertir les
gens de Sichar, du salut desquels son âme était affamée. Il leur dit
encore d'autres choses de ce genre.
Dans le voisinage de la
ville, Dina, la Samaritaine, se présenta de nouveau, courant au-devant
de Jésus. Elle s'approcha de lui très humblement, mais pleine de joie et
de confiance, et Jésus lui dit encore plusieurs choses, tantôt
s'arrêtant, tantôt marchant à pas. lents. Il lui révéla tout ce qu'elle
avait fait et tous ses sentiments intérieurs. Elle fut très émue et
promit, pour elle et pour son mari, de tout quitter et de suivre Jésus
qui lui indiqua plusieurs moyens pour expier et pour effacer ses fautes
personnelles.
Dina était une femme de
condition, très intelligente, issue d'un mariage mixte, née d'une mère
juive et d'un père païen dans un bien de campagne voisin de Damas. Elle
perdit ses parents de bonne heure et fut confiée aux soins d'une
nourrice débauchée, ce qui fit qu'elle suça avec le lait de mauvaises
passions. Elle avait eu cinq maris successivement : ils Jurent éloignés
d'elle soit par le chagrin, soit par ses amants. C'est ainsi que les
choses se passent quand on vit dans l'adultère, cherchant son plaisir de
tous les côtés ; on ne peut pas quitter l'un et on ne veut pas fuir
l'autre. On reçoit d'abord l'un en se cachant de l'autre qui gêne : on
cherche ensuite toutes les occasions de se voir, des fêles sont
arrangées et dans le tumulte de l'orgie le mari devient la victime de
l'amant : puis quand celui-ci est devenu mari, sa condition n'est pas
meilleure.
Dina avait trois filles et
deux fils déjà assez grands nés de ces mariages, ils étaient restés dans
les familles de leurs pères respectifs lorsqu'elle fut obligée de
quitter Damas. Les fils furent plus lard du nombre des soixante-douze
disciples. L'homme avec lequel elle vivait actuellement était un riche
marchand, parent d'un de ses premiers maris : comme elle était de la
religion samaritaine, elle alla avec lui à Sichar où elle tenait son
ménage et vivait avec lui dans un commerce illégitime. à Sichar on les
croyait mariés. C'était un homme robuste, d'environ trente-six ans qui
avait le teint coloré et une barbe rousse. Il y avait beaucoup de
rapports entre la vie de Dina et celle de Madeleine, mais elle était
tombée encore plus bas .
Note
: Si Dina eût été comme Madeleine le rejeton d'une famille pieuse et
élevée dans les préceptes de la vraie foi, elle ne serait pas tombée
si bas. Madeleine avait grandi protégée, cultivée dans le jardin de
la loi au milieu des plus nobles plantes : mais poussée par la
vanité, par une curiosité imprudente, par le désir de briller, elle
passa par-dessus la haie en s'appuyant sur un roseau fragile et
tomba dans le marécage avec toutes ses belles soeurs ; elle y resta
enfoncée jusqu'au moment où elle embrassa les pieds de Jésus, versa
son parfum sur sa tête et s'éleva vers la lumière au pied de la
croix de la rédemption.
Dina grandit hors du jardin de la loi, sur la lande déserte, sans
appui et sans exemples, livrée aux orages des sens et à l"impulsion
de tous ses penchants. N'étant ni greffée ni taillée, elle serpenta
comme une vigne sauvage à travers les ronces, les épines et les
pierres entassées ; les serpents et les dragons pullulèrent sous ses
branches, dont le feuillage était riche, mais dont les fruits
étaient amers, jusqu'à ce qu'au puits de Jacob, le fils que son père
avait envoyé dans sa vigne, lui donna de l'eau vive, retrancha les
pousses sauvages, l"enta elle-même sur le vrai cep de vigne et
l'enlaça à la croix.
Madeleine, sous la loi, devint pécheresse par infidélité à la grâce.
Dina, presque étrangère à la loi, moins gardée contre la nature
déchue, tomba entièrement sous son joug et fut entraînée à de plus
grandes fautes encore : mais elle correspondit à la grâce plus
vivement et plus promptement, par cela même qu'elle était tombée
plus bas. La grâce les chercha et les trouva toutes les deux, et
cette grâce était un fruit de la promesse, ne et cultivé dans le
jardin de la loi. Du reste, tout ce qui leur arriva fut typique et
figuratif.
Cependant, je vis aussi une
fois que dans les commencements de la vie dissolue de Madeleine à
Magdalum, un de ses amants fut tué par un autre. Mais je n'osais jamais
le dire. Dina était une femme singulièrement intelligente, franche,
facilement dévouée, attrayante, très vive et très prompte, mais toujours
gênée dans sa conscience. Son existence actuelle avait une apparence
plus décente : elle vivait seule avec cet homme qui passait pour son
mari, dans une maison séparée, entourée d'un fossé plein d'eau, et
voisine de la porte du puits ; les habitants de Sichar, sans la
mépriser, ne frayaient pourtant pas beaucoup avec elle, parce qu'elle
avait des habitudes différentes des leurs et qu'elle s'habillait un peu
autrement et avec un peu plus de recherche, ce qu'on lui passait
pourtant en sa qualité d'étrangère.
Pendant que Jésus
s'entretenait avec la Samaritaine, les disciples le suivaient, se tenant
toujours à quelque distance, et se demandant intérieurement ce qu'il
pouvait avoir à dire à cette femme. " Nous avons eu tant de peine à nous
procurer des aliments, pensaient-ils, pourquoi ne mange-t-il pas ? "
Quand on fut près de Sichar,
Dina quitta le Seigneur et courut en avant, à la rencontre de son mari
et de beaucoup d'autres qui sortaient en foule de la porte, curieux de
voir Jésus : quand Jésus s'approcha, elle se tint un peu en avant d'eux
et leur montra le Seigneur. Ces gens étaient dans la jubilation et lui
souhaitaient la bienvenue avec des cris d'allégresse. Jésus s'arrêtant
leur fit signe de se taire avec la main, il leur adressa quelques
paroles amicales et leur dit entre autres choses qu'ils devaient croire
tout ce que la femme leur avait dit. Il était, en leur parlant, si
merveilleusement affectueux, et son regard était si brillant et si
pénétrant que tous les cœurs étaient remués et attirés fortement vers
lui. Ils le prièrent instamment de venir dans leur ville et d'y
enseigner. Il le leur promit, mais il passa outre pour le moment. Tout
cela eut lieu à peu près entre trois et quatre heures de l'après-midi.
Pendant qu'il parlait ainsi
devant la porte avec les Samaritains, tous les autres disciples, qui
étaient allés prendre quelques arrangements d'un autre côté, et parmi
lesquels se trouvait Pierre, revinrent se joindre à lui. Eux aussi
furent surpris et même assez mécontents de ce qu'il s'entretenait si
longtemps avec les Samaritains. Cela leur faisait éprouver un certain
embarras : car ils avaient été élevés dans l'idée qu'on ne devait frayer
en aucune manière avec ce peuple, et par conséquent ils n'étaient pas
accoutumés à voir pareille chose. Ils furent tentés de se scandaliser.
Ils pensaient aux fatigues de ce jour et du jour précédent, aux injures,
aux moqueries, aux rudes privations qu'ils avaient eu à subir, et
pourtant ils savaient que les saintes femmes, à Béthanie, avaient fait
des avances considérables, et ils s'étaient attendus à être mieux
pourvus. Maintenant ils voyaient des rapports établis avec les
Samaritains et pensaient en eux-mêmes qu'avec cette façon d'agir il
n'était pas étonnant qu'on ne les accueillît pas mieux. Ils avaient
aussi toujours dans l'esprit des idées extravagantes, toutes charnelles
sur le royaume que Jésus devait fonder, et pensaient que si tout ceci
venait à être su en Galilée, il en résulterait peut-être des affronts
pour eux, etc.
Pierre s'était beaucoup
entretenu à Samarie avec le jeune homme qui voulait être admis parmi les
disciples, mais qui pourtant hésitait toujours, et il en parla à Jésus.
Jésus alla avec eux tous à
environ une demi lieue, en faisant le tour de la ville par le côté du
nord-est, et ils se reposèrent là sous des arbres. Sur le chemin et en
cet endroit. le Seigneur leur parla de la moisson. Il leur cita un
proverbe qu'ils avaient souvent à la bouche : " encore quatre mois et la
moisson se fera. n Les paresseux, disait-il, voulaient toujours ajourner
toute espèce de travail, mais ils devaient voir que les campagnes
blanchissaient sous la moisson déjà mûre. Il entendait parler des
Samaritains et de bien d'autres qui étaient murs pour la conversion.
"Eux, ses disciples, étaient appelés à moissonner, mais ils n'avaient
pas semé : d'autres avaient semé, savoir les prophètes, Jean et
lui-même. Celui qui moissonne, reçoit un salaire et recueille les fruits
pour la vie éternelle, en sorte que le semeur et les moissonneurs se
réjouissent ensemble : car en cette occurrence, le proverbe dit vrai :
l"un sème et l'autre recueille. Je vous ai envoyés pour moissonner ce
que vous n'avez pas cultivé, d'autres ont cultivé, vous êtes entrés dans
leur travail. "il parla ainsi aux disciples pour les encourager au
travail. Ils ne se reposèrent que peu de temps et ensuite ils se
séparèrent : il ne resta avec Jésus qu'André, Philippe, Saturnin et Jean
: les autres se dirigèrent vers la Galilée, entre Thébez et Samarie.
Quant à Jésus, laissant
Sichar à droite, il alla avec les disciples à une lieue au sud-est, dans
une plaine où étaient disséminées, au nombre d'une vingtaine, des
maisons et des tentes habitées par des bergers ; Dans une de ces
maisons, ils trouvèrent la sainte Vierge qui les attendait avec Marie de
Cléophas, la femme de Jacques le Majeur et deux de celles que j'appelle
les veuves. Elles avaient passé là toute la journée. Elles avaient
apporté des aliments avec elles et elles préparèrent un repas. Jésus, en
voyant sa mère, lui tendit les deux mains et elle inclina la tête devant
lui ; les autres femmes le saluèrent en faisant une inclination
profonde, les mains croisées sur la poitrine. Il y avait devant la
maison un arbre sous lequel eut lieu le repas. Ce fut en ce lieu que
Jésus bénit les enfants avant la résurrection de Lazaret.
Parmi les bergers qui
demeuraient dans les environs étaient les parents des disciples que
Jésus, après la résurrection de Lazare, prit avec lui pour sa course en
Arabie et en Egypte. C'étaient des hommes qui avaient accompagné les
trois rois à Bethléhem ; lors du retour précipité de ceux-ci, ils
étaient restés dans le pays et avaient épousé des filles de bergers
établis dans les vallées voisines de Bethléhem. Les gens qui demeuraient
ici cultivaient aussi la terre sur l'héritage de Joseph, ils le tenaient
à ferme des Sichémites. Plu sieurs de ces bergers étaient rassemblés ici
: il n'y avait pas de Samaritains.
Note
: Il ne faut pas oublier que les dernières années de la prédication
ont été racontées les premières.
Peu après l'arrivée de
Jésus, la sainte Vierge le pria de guérir un enfant paralytique que les
bergers du voisinage avaient apporté. Ils avaient déjà demandé à Marie
d'intercéder pour eux ; cela arrivait souvent et rien n'était plus
touchant que de la voir implorer Jésus. Jésus fit apporter l'enfant :
les parents le portèrent sur une litière devant la maison ; il était âgé
d'environ neuf ans Jésus exhorta les parents, et comme ils s'étaient
retirés en arrière, un peu intimidés, les disciples se rangèrent auprès
de Jésus. Il adressa la parole à l'enfant et se courba un peu sur lui,
puis il le prit par la main et le releva. L'enfant descendit alors du
lit, se mit à marcher et courut se jeter dans les bras de ses parents
qui se prosternèrent avec lui devant Jésus. Tous ceux qui étaient là
furent transportés de joie, mais Jésus les exhorta à rendre grâces au
Père céleste. Il fit aussi une courte instruction aux bergers rassemblés
et prit avec les disciples un petit repas que les femmes avaient préparé
sous un berceau de verdure qui était devant la maison, auprès d'un grand
arbre. Marie et les femmes étaient assises à part à l'extrémité de la
table. Je crois que cette maison deviendra peut-être un logement à
l'usage de Jésus et de ses disciples, confié aux soins des femmes de
Capharnaum.
Alors des gens de Sichar
s'approchèrent timidement ; Dina était parmi eux. D'abord ils n'osaient
pas approcher, parce qu'ils n'avaient pas l'habitude de frayer avec ces
bergers juifs. Mais Dina s'avança la première, et je la vis s'entretenir
avec les femmes et la sainte Vierge. Après le repas, Jésus prit congé
des saintes femmes, qui se disposèrent aussitôt à retourner en Galilée,
où Jésus doit se rendre après-demain.
Jésus alla alors à Sichar
avec Dina et les autres Samaritains. Cette ville n'est pas très grande,
mais elle a des rues larges et des places spacieuses. La maison de
prière des Samaritains est plus ornée et plus élégamment bâtie à
l'extérieur que ne le sont les synagogues dans les petites bourgades
juives.
Les femmes ne vivent pas
aussi retirées que les juives ; elles ont des relations plus fréquentes
avec les hommes. Lorsque Jésus arriva à Sichar, une grande foule de
peuple l'entoura aussitôt. Il n'entra pas dans la synagogue ; il
enseigna tout en marchant dans les rues, et sur la place publique où il
y avait une chaire. Partout l'affluence du peuple était très grande :
ils étaient pleins de joie de ce que le Messie était venu les visiter.
Dina, quoique très touchée
et très recueillie, est avec les autres femmes, se tenant aussi près que
possible de Jésus. On a maintenant des égards particuliers pour elle,
parce que c'est elle qui, la première, a trouvé Jésus. Elle envoya
l'homme avec lequel elle vit à Jésus qui lui adressa quelques paroles
d'exhortation. Cet homme se tenait devant lui tout intimidé et
rougissant de son péché. Jésus ne s'arrêta pas longtemps à Sichar ; il
sortit par la porte opposée et enseigna encore devant la ville, dans des
maisons et des jardins qui s'étendaient assez loin dans la vallée il
s"arrêta dans une hôtellerie, à une bonne demi lieue en avant de Sichar,
et promit d'enseigner encore à Sichar le jour suivant.
(1er août.) Jésus est
retourné aujourd'hui à Sichar, et il a enseigné tout le jour dans la
ville, sur la chaire et sur les places, devant la ville sur des
collines, et le soir dans l'hôtellerie où il était hier. Il y avait là
des gens de tout le pays ; ils venaient l'entendre tantôt dans un lieu,
tantôt dans l'autre. On entendait dire "C'est ici ou c'est là qu'il
prêche maintenant. "Le jeune homme de Samarie vint une fois l'écouter,
mais il ne lui parla pas.
Dina se tient partout en
avant, et elle marche à grands pas a travers la foule pour aller à
Jésus. Elle est très attentive, très émue et très sérieuse. Elle s'est
encore entretenue avec lui, elle veut se séparer sans délai de son
amant. Ils veulent donner tout ce qu'ils ont, s'il y consent, pour la
communauté future et pour les pauvres. Jésus lui a indiqué ce qu'elle
aura à faire. Beaucoup de gens sont touchés, et ils disent à la
Samaritaine : " Vous avez eu raison de le dire : nous l'avons maintenant
entendu nous-mêmes ; c'est le Messie." Cette excellente femme est
maintenant tout à fait sur le pinacle : combien elle est grave et
heureuse ! J'ai toujours eu pour elle une affection particulière Jésus
parla ici, comme dans les lieux où il avait été précédemment, de la
prison de Jean, de la persécution des prophètes, du précurseur qui avait
préparé la voie, du fils envoyé dans la vigne et mis à mort par les
vignerons. Il dit très expressément qu'il était envoyé par le Père. Il
répéta aussi tout ce qu'il avait dit à la Samaritaine auprès du puits de
Jacob, parla du mont Garizim, du salut qui vient des Juifs, de
l"avènement prochain du royaume de Dieu, de l'approche du jugement, et
du châtiment des mauvais serviteurs qui ont fait mourir le fils du
maître de la vigne. Plusieurs lui demandèrent où ils iraient se faire
baptiser et purifier, maintenant que Jean était en prison ; il leur
répondit que les disciples de Jean baptisaient de nouveau près d'Ainon,
de l'autre côté du Jourdain, et que jusqu'à ce qu'il vînt lui-même faire
baptiser, c'était là qu'ils devaient aller. Beaucoup y allèrent dès le
jour suivant.
Note
: Anne Catherine aimait beaucoup la Samaritaine, et celle-ci
paraissait la payer de retour, car elle lui apparut trois fois
pendant ces jours-là, indépendamment de ses visions touchant la vie
du Sauveur. Elle la vit sous la forme d'une femme tout habillée de
blanc avec une couronne sur la tête, qui s'inclinait profondément et
humblement devant Jésus. une autre fois elle vit tout à coup Dina
sous cette même forme, comme si, étant dans la rue, elle la
regardait par la fenêtre sur son lit de douleur et lut faisait un
signe amical. Elle vit cela étant éveillée. une fois elle eut une
vision de ce genre en présence de l'écrivain. Elle avait alors à
combattre une tentation d'impatience. Au milieu de ses plaintes à ce
sujet, il semblait qu'on voulut d'en haut la distraire de sa
faiblesse et l'en faire rire : ayant encore les yeux pleins de
larmes, elle s'écria tout à coup : " Voilà la Samaritaine devant moi
et voilà Jésus ! Elle s'incline devant lui au détour du chemin '
avec quelle humilité elle le regarde ! Elle est maintenant tout
autre : elle est blanche comme la neige et modestement vêtue. Cela
n'est pas encore maintenant, c'est encore à venir.
Comme on lui faisait remarquer combien tout cela s'accordait peu
avec ses plaintes, elle ne put s"empêcher de rire et de rougir, mais
avoua qu'il lui était difficile de s'ôter de la tête cette pensée
extravagante. Des tableaux de ce genre lui sont souvent présentés
tout à coup pour la récréer : c'est ainsi qu'une tendre mère
s'applique à distraire de son chagrin son enfant malade et
gémissant, ou à le récompenser d'avoir pris sur lui en lui montrant
un livre d'images.
Vers le soir Jésus revint
dans l'hôtellerie où il était hier : il y enseigna et y dormit. Ce soir
commence, à ce que je crois, un jour de jeûne. Le jour suivant, je n'ai
pas vu manger du tout, ce soir seulement des aliments froids.
(2 août.) Ce matin Jésus
enseigna des gens de toute espèce dans l'hôtellerie et sur les collines
qui sont dans le voisinage. Il eut pour auditeurs des ouvriers, et aussi
ces esclaves qu'onze mois auparavant il avait consolés après son baptême
dans la plaine des bergers, voisine de Betharaba. Hier et encore
aujourd'hui plusieurs espions envoyés par les pharisiens du pays étaient
présents. Ils entendirent avec colère tous ses enseignements ; ils
chuchotaient ensemble et murmuraient d'un air insolent ; mais ils
n'osaient pas lui adresser la parole, et lui de son côté ne les
regardait pas. Il y avait aussi là des docteurs samaritains et d'autres
gens de cette secte qui se montraient récalcitrants et mécontents.
DOUZIÈME CHAPITRE.
Jésus sur les frontières de la Samarie
et dans la basse Galilée.
(Du 2 au 17 août 1822.)
Jésus à Ghinea.- Atharoth.-Engannim.- Naïm.-Cana.- Le centurion de
Capharnaum.- Jésus à Bethsaïde ; - au petit Sephoris;- à Nazareth où on
veut le précipiter du haut de la montagne.
(2 et 3 août.) Dans
l'après-midi, je vis Jésus avec les cinq disciples quitter l'hôtellerie
voisine de Sichar, et laissant Thébez à gauche et Samarie à droite,
aller à six lieues de là dans une ville appelée Ghinéa ou Ghinnim Cette
ville est située sur l'autre versant des montagnes, et sert de limite
entre la Samarie et la Galilée. à trois quarts de lieue plus près de
Samarie est situé le bien de Lazare, une grande maison dans la montagne
d'où l'on peut voir très loin.
Comme il était déjà tard,
ils se rendirent en toute hâte pour le sabbat dans la ville de Ghinéa
qui est en plaine. Ils y arrivèrent avec leurs robes retroussées, et
entrèrent aussitôt dans la synagogue, car il était déjà près de huit
heures. Les disciples partis antérieurement étaient aussi là. Les
saintes femmes avaient passé la première nuit à Thébez, à trois lieues
environ de la maison des bergers, puis le jeudi elles étaient revenues à
Capharnaum. Il y avait, aujourd'hui vendredi, un jeûne commémoratif des
murmures des enfants d'Israël lorsque Dieu leur interdit la terre
promise : c'est pour cela que les autres disciples étaient restés ici.
Ils avaient tous reçu l'hospitalité sur la propriété de Lazare, et au
sortir de la synagogue, ils y revinrent avec Jésus et y passèrent la
nuit. C'est là que Marie entra lors de son voyage à Bethléhem, et aussi
dans un autre voyage. L'intendant était un homme de grande taille, d'une
simplicité qui rappelait l'ancien temps : il avait plusieurs enfants Il
y avait là de magnifiques jardins avec beaucoup de fruits, et tout ce
pays en général était beau et charmant à voir. Ils prirent ici un repas
et y passèrent la nuit.
J'ai vu Jean dans sa
prison, il y a deux ou trois jours : plusieurs de ses disciples
s'entretenaient avec lui. Ils ne peuvent pas arriver jusqu'à lui, mais
ils peuvent pourtant le voir et lui faire passer quelque chose à travers
la grille. Il est permis d'en laisser venir quelques-uns, mais quand il
s'en présente un grand nombre, les soldats les forcent de s'éloigner.
Ils l'interrogèrent au sujet du baptême, et il leur ordonna de continuer
à baptiser à Ainon, jusqu'à ce que Jésus y fît baptiser lui-même. La
prison de Jean est spacieuse et claire, mais il n'a pour se reposer
qu'un banc de pierre taillé en forme de couche. Il est comme à
l'ordinaire, très grave : il a toujours eu dans je visage quelque chose
de méditatif et de mélancolique, comme mi homme qui attendait l'Agneau
de Dieu, le voyait, l'aimait et savait qu'on le mettrait à mort.
(3 août.) Aujourd'hui ils
célébrèrent tous le sabbat à Ghinéa. Jésus enseigna dans la synagogue.
On lut dans les écritures des passages relatifs à la marche des enfants
d'Israël dans le désert et à la répartition de la terre de Chanaan. On
lut aussi quelque chose de Jérémie. Il y avait ici douze pharisiens
entêtés qui disputèrent avec Jésus. Jésus parla de l'approche du royaume
de Dieu : il dit qu'on ne devait pas se comporter par rapport à ce
royaume comme on avait fait pour la terre de Chanaan. C'est ainsi qu'il
appliquait tout au royaume de Dieu. Il ajouta qu'ils erraient encore
dans le désert et que ceux qui murmureraient contre le royaume de Dieu
mourraient dans ce désert. Il parla aussi du châtiment de Jérusalem, dit
qu'il viendrait un temps où le temple ne subsisterait plus et où
Jérusalem ne serait plus reconnaissable. Il parla encore du maître de la
signe qui avait envoyé son fils et de la manière dont celui-ci serait
repoussé et mis à mort ; il cita le passage des psaumes sur la pierre
angulaire rejetée par les architectes, ce qu'il appliqua au fils du
maître de la vigne : il parla aussi d'Elie et d'Elisée.
Ils lui posèrent des
questions insidieuses : ils lui montrèrent un écrit et lui demandèrent
ce que signifiaient les trois jours que Jonas avait passés dans le
ventre de la baleine. Il expliqua cela d'une manière générale, mais très
intelligible pour eux disant que le Messie mis à mort reposerait trois
jours dans le tombeau, qu'il irait dans le sein d'Abraham, et
ressusciterait ensuite. Là-dessus ils se mirent à rire et la plupart
quittèrent la synagogue.
L'un d'eux écouta
l'instruction jusqu'à la fin et l'invita à un repas avec ses disciples :
toutefois il espionnait encore, quoiqu'il valût mieux que les autres.
Lorsque Jésus revint à la synagogue, on lui avait amené des malades
devant la porte et on le priait de les guérir et de faire voir un
prodige. Mais Jésus ne guérit pas ces malades et il ajouta que comme ils
ne voulaient pas croire en lui, il ne voulait pas non plus leur faire
voir de prodige. Or ils voulaient l'induire en tentation en le faisant
guérir le jour du sabbat pour l'accuser ensuite à ce sujet.
Quand le sabbat fut fini,
les plus considérables des disciples galiléens partirent pour retourner
chez eux. Mais Jésus avec Saturnin et deux autres, se rendit sur le bien
de Lazare, où il est encore. Je crois que demain il parcourra les
environs et ira un peu plus au midi dans la montagne. Il me semble que
l'endroit s'appelle Atharoth.
C'était un spectacle très
touchant de voir Jésus instruire dans le jardin les enfants du maître de
la maison. Il les avait tantôt devant lui, tantôt contre lui ;
quelquefois il prenait dans ses bras deux des plus petits. Il les
instruisait sur l'obéissance envers leurs parents et sur le respect dû à
la vieillesse. Il parla aussi aux enfants des fils de Jacob et des
Israélites, leur dit qu'ils avaient murmuré et qu'à cause de cela ils
n'étaient point entrés dans la terre promise qui pourtant était si belle
: alors il leur montrait les beaux arbres et les fruits du jardin et
parlait du royaume des cieux : ce royaume leur était promis s'ils
observaient les commandements de Dieu, et c'était un pays bien plus
beau, en comparaison duquel celui qu'ils voyaient était un désert : ils
devaient donc obéir et supporter avec actions de grâces tout ce que Dieu
leur enverrait. Ils ne devaient jamais murmurer s'ils voulaient entrer
dans le royaume des cieux : ils ne devaient jamais douter de sa beauté
comme les Israélites dans le désert, ils devaient croire que tout y
était meilleur qu'ici-bas et incomparablement plus beau. Ils devaient
l'avoir toujours présent à la pensée et le mériter par toute espèce de
peines et de travaux. Voilà à quoi Jésus s'occupa ce Jour-là.
Dans l'après-midi la soeur
Emmerich raconta encore ce qui suit sur l'instruction faite par Jésus,
et à laquelle assistaient douze pharisiens. Il parla des Israélites qui,
n'étant pas contents d'avoir Samuel pour juge, demandèrent un roi,
lequel leur fut donné dans la personne de Saul. Maintenant que la
prophétie était accomplie et que le sceptre était retiré de Juda à cause
de leur impiété, ils demandaient de nouveau un roi et le rétablissement
du royaume, et Dieu allait leur envoyer un roi, leur véritable roi comme
le maître de la vigne envoya son fils lorsque ses serviteurs eurent été
tués par les vignerons impies : eux aussi devaient mettre à mort ce roi
qui était le leur Mais il leur en arriverait malheur, car Dieu les
replacerait sous le pouvoir des juges. Il parla encore de la destruction
de Jérusalem, de la pierre angulaire rejetée et du salut qui devait être
retiré aux Juifs.
Lorsqu'ils l'interrogèrent
sur Jonas, il répondit que leur roi serait de même trois jours dans le
tombeau, et qu'ensuite il reviendrait ; sur quoi ils se mirent à rire
entre eux. Il parla encore de la colère des Israélites dans le désert,
dit qu'ils auraient pu arriver à la terre promise par un chemin beaucoup
plus court, s'ils avaient gardé les commandements que Dieu avait donnés
sur le mont Sinaï, mais qu'à cause de leurs péchés ils avaient toujours
été ramenés en arrière, et que les murmurateurs étaient morts dans le
désert. Maintenant que le royaume de Dieu et ses dernières miséricordes
approchaient, maintenant que leur vie était de nouveau une course
errante dans le désert, ils devaient prendre le chemin le plus court
pour arriver au royaume promis, et ce chemin leur était montré en ce
moment.
Alors trois pharisiens
s'avancèrent d'un air hypocrite et lui dirent : " Vénérable Maître, vous
parlez toujours de la voie la plus courte, dites nous quelle est cette
voie plus courte. Jésus leur répondit : "Connaissez-vous les dix
commandements du Sinaï ? "- "Oui ", dirent ils. Et il reprit : " Gardez
le premier d'entre eux, aimez votre prochain comme vous-mêmes, et
n'imposez pas à ceux qui vous sont subordonnés de lourds fardeaux que
vous ne portez pas vous-mêmes. C'est là la voie. " Ce que vous dites là,
nous le savions, nous aussi, répondirent-ils." Et Jésus leur dit : "
Vous savez et vous ne faites pas, c'est là votre faute, pour laquelle
vous serez châtiés. "Alors il leur reprocha, ce qu'ils faisaient
particulièrement dans cette ville, d'imposer aux autres une foule de
fardeaux, tandis qu"eux-mêmes n'observaient pas la loi. Il parla encore
des vêtements sacerdotaux faits suivant les prescriptions de Dieu à
Moïse, et de ce qu'ils signifiaient ; il leur dit qu'ils
n'accomplissaient pas ces prescriptions et y ajoutaient en outre
beaucoup de choses purement extérieures et souvent déraisonnables. cela
les rendit tous furieux, mais ils ne purent rien lui répliquer. Souvent
ils disaient entre eux : `` C'est donc là le prophète de Nazareth ; oui,
le fils du charpentier, etc. "
Le bien de Lazare était
tout au plus à trois quarts de lieue d'ici : Jésus y retourna pendant le
sabbat, le matin et l'après-midi, il enseigna les enfants et revint.
(4 août.) Le dimanche dans
la matinée, Jésus fit une très longue instruction aux enfants dans la
maison de campagne de Lazare, près de Ghinea : il y avait là d'autres
enfants du voisinage. Il instruisit d'abord les garçons, puis les filles
seules, de là manière que j'ai dite hier. Vers midi, il alla avec les
disciples au sud-est, à quatre lieues en arrière, dans un petit endroit
nommé Atharoth, situé sur un point élevé, à environ deux lieues de
Samarie.
C'était comme un chef-lieu
pour les sadducéens, et ceux qui y habitaient lors de la persécution des
disciples après la pâque, en avaient arrêté plusieurs, à l'exemple des
pharisiens de Gennabris, et les avaient tourmentés par leurs
interrogatoires. Quelques-uns de ces sadducéens avaient déjà espionné
Jésus pendant ses instructions dans l'hôtellerie voisine de Sichar, où
il avait blâmé spécialement la dureté des pharisiens et des sadducéens
envers les Samaritains. Ils avaient dès lors formé le projet d'induire
Jésus en tentation et l'avaient engagé à célébrer le sabbat à Atharoth.
Mais il connaissait leurs premières manœuvres et il avait continué son
chemin vers Ghinéa. Après s'être consultés avec les pharisiens de cet
endroit, ils lui envoyèrent des messagers le samedi matin. "Puisqu'il
avait, disaient-ils, si bien prêché sur la charité et si souvent répété
qu'on doit aimer son prochain comme soi-même, il devait venir à Atharoth,
guérir un malade : s'il leur faisait ce miracle, ils voulaient tous
croire en lui, ainsi que les pharisiens de Ghinéa, et propager sa
doctrine dans le pays. "
Jésus connaissait leur
malice et leur fourberie. L'homme dont ils parlaient, depuis plusieurs
jours déjà, gisait immobile et mort, et ils affirmaient devant tous les
habitants de la ville qu'il était plongé dans l'extase : sa femme même
ne savait pas qu'il fût mort. Si Jésus l'avait ressuscité, ils auraient
nié qu'il fût mort. Ils vinrent au-devant de Jésus et le conduisirent
devant la maison du défunt. Cet homme avait été un des principaux
sadducéens et il avait intrigué très activement contre les disciples.
Ils le portèrent dans la rue sur une litière lorsque Jésus arriva. une
quinzaine de sadducéens et tout le peuple se tenaient autour de lui. Le
corps avait une belle apparence, ils l'avaient ouvert et embaumé pour
tromper Jésus. Mais Jésus leur dit : "Cet homme est mort et restera mort
; "alors ils dirent qu'il était seulement ravi en esprit, et que s'il
était mort, il venait de mourir à l'instant. Mais Jésus reprit : "il a
nié la résurrection et il ne ressuscitera pas ici : vous l'avez rempli
d'aromates, mais voyez quels aromates ! découvrez-lui la poitrine ! "
Alors je vis l'un d'eux soulever la peau comme une soupape sur la
poitrine du mort et il en sortit une quantité de vers qui se tordaient
et se pressaient les uns contre les autres. Les sadducéens furent outrés
de colère, car Jésus révéla tout haut et publiquement les péchés et les
prévarications de cet homme, et il dit que c'étaient les vers de sa
mauvaise conscience qu'il avait cachés jusque-là et qui maintenant lui
rongeaient le cœur. Il fit entendre aussi des paroles menaçantes sur
leurs fourberies et leurs mauvais desseins : il parla très sévèrement
des sadducéens et annonça le jugement qui allait frapper Jérusalem et
tous ceux qui n'accueilleraient pas le salut. Ils remportèrent en toute
hâte le mort dans sa maison et il s'éleva un affreux tumulte avec
beaucoup de vociférations et d'injures. Lorsque Jésus se dirigea vers la
porte avec ses disciples, la populace excitée leur jeta des pierres par
derrière : car la vue des vers et la révélation de leur malice les
avaient violemment irrités.
Je vis dans la foule de ces
méchantes gens quelques personnes bien intentionnées qui pleuraient.
Dans une rue voisine demeuraient, séparées du peuple, des femmes
malades, affligées de pertes de sang, qui croyaient en Jésus et
l'imploraient de loin : car dans leur état d'impureté légale, elles
n'osaient pas s'approcher. Comme il ne l'ignorait pas, touché de
compassion, il passa par leur rue : quand il fut passé, elles vinrent
après lui et baisèrent les traces de ses pas : il se retourna pour les
regarder et elles furent guéries.
Jésus fit encore près de
trois lieues jusqu'à une colline dans le voisinage d'Engannim : cet
endroit est à peu près sur la même ligne que Ghinéa, mais quelques
lieues plus à l'est, dans une autre vallée : c'est le chemin direct de
Nazareth par Endor et Naïm. De Naïm il y a environ sept lieues.
Jésus passa la nuit sur
cette colline où plusieurs disciples de la Galilée étaient venus à sa
rencontre dans un hangar ou hôtellerie ouverte : ils mangèrent quelque
chose que les disciples avaient apporté. C'étaient André, Nathanaël le
fiancé et deux serviteurs du centurion de Capharnaum. Ceux-ci le
prièrent très instamment de ne pas différer d'aller chez cet homme dont
le fils était fort malade. Mais il répondit qu"il irait en temps
opportun.
Ce centurion après avoir
été préposé par Hérode Antipas, à une partie de la Galilée, avait été
mis à la retraite. Il était bien disposé, et dans la persécution,
excitée récemment contre les disciples, il avait protégé ceux-ci contre
les pharisiens, et les avait même assistés de sa bourse. Il n'avait pas
encore une foi entière, quoiqu'il crût aux miracles. Il désirait
vivement, à cause de son enfant et aussi pour faire honte aux
pharisiens, que Jésus fit un miracle en faveur de son fils : les
disciples aussi le désiraient : ils avaient dit comme lui : " C'est
alors que les pharisiens seront pleins de dépit et verront qui est celui
dont nous sommes les compagnons. "
Voilà pourquoi André et
Nathanael s'étaient aussi chargés du message, et Jésus le savait. Il
leur fit, une instruction le matin, et les deux serviteurs qui ? étaient
des esclaves païens se convertirent.
(5 et 6 août.) Aujourd'hui
dimanche, dans la matinée, Jésus séjourna encore avec les disciples dans
l'hôtellerie qui était sur la colline. Il est arrivé hier, à une heure
avancée de la nuit. Après midi les disciples retournèrent es Galilée, et
il alla avec Saturnin, le fils de la tante du fiancé de Cana, et un
jeune homme d'environ seize ans, fils de la veuve d'Obed de Jérusalem,
dans la ville voisine d'Engannim.
Jésus avait là des parents
éloignés : c'étaient des Esséniens, alliés à la famille de sainte Anne.
J'ai appris de nouveau à cette occasion que les ancêtres de sainte Anne
avaient des relations fréquentes avec les Esséniens et qu'il y avait
même eu des Esséniens parmi eux. Ces gens reçurent Jésus avec beaucoup
d'humilité, de simplicité et de cordialité : ils demeuraient à part dans
un quartier de la ville. J'appris beaucoup de choses sur leur manière de
vivre. Ceux qui étaient mariés vivaient ensemble très strictement :
aussitôt que la femme avait conçu, ils observaient strictement la
continence. Plusieurs autres vivaient dans le célibat ; ils se
réunissaient pour les repas comme dans un couvent. Cependant ceux de cet
endroit n'observaient plus l'ancienne règle dans toute sa rigueur : ils
étaient vêtus comme les autres Juifs et allaient avec eux aux écoles. Je
vis aujourd'hui Jésus dans la synagogue. Il y avait là des gens de bien
et je ne remarquai pas de pharisiens dans cet endroit, si ce n'est
quelques espions venus d'ailleurs.
Mardi, Jésus a enseigné
tout le jour dans la synagogue d'Engannim. Une très grande quantité de
personnes étaient accourues de tout le pays : ils se reposaient par
troupes devant la synagogue qui ne pouvait pas les contenir tous et
quand une troupe était sortie, une autre la remplaçait. Il enseigna à
peu près les mêmes choses que dans tout ce voyage, seulement il ne fit
pas autant de menaces, parce que ses auditeurs avaient de bons
sentiments. C'était alors comme à présent : chaque petit endroit avait
des dispositions différentes suivant les dispositions des prêtres.
Jésus, après avoir
enseigné, dit qu'il voulait aussi guérir. Il parla de l'approche du
royaume de Dieu et de la venue du Messie. Il cita tous les passages de
l'Écriture et des prophètes, et les appliqua à l'époque. Il parla
d'Élie, de ce qu'il avait dit et vu et indiqua un calcul d'années que
j'ai oublié. Il ajouta que ce prophète avait élevé dans une grotte un
autel en l'honneur de la future mère du Messie. Il caractérisa aussi
l'époque qui ne pouvait être une autre que l'époque présente, fit
remarquer que le sceptre avait été retiré de Juda, et mentionna aussi le
voyage des trois rois. Il dit tout cela en termes généraux, comme s'il
eût parlé d'un tiers, sans faire une mention expresse de lui-même ni de
sa mère. Il parla aussi de la compassion et des bons procédés envers les
Samaritains. Il raconta la parabole du Samaritain, cependant il ne nomma
pas Jéricho. Il dit aussi qu'il avait éprouvé par lui-même qu'ils
étaient plus secourables envers les Juifs que ceux-ci envers eux. Il
raconta l"histoire de la femme samaritaine, et comment elle lui avait
donné à boire, ce qu'un Juif n'eût pas fait si facilement pour un
Samaritain : il parla de la manière bienveillante dont ils l'avaient
accueilli. Il annonça encore le jugement et le châtiment de Jérusalem.
Du reste, le jour de jeûne du 9 se rattachait au souvenir de la
destruction de cette capitale. Il parla en outre des publicains : il y
en avait quelques-uns qui résidaient dans le pays.
Je vis que les Esséniens
avaient une espèce d'hôpital où ils soignaient les malades : ils
donnaient aussi à manger aux pauvres sur de longues tables.
Engannim est une ville de
lévites : elle est placée au penchant d'une vallée qui court vers
Jezraël, à cheval sur un contrefort de la longue chaîne de montagnes
située au levant. Le ruisseau qui arrose la vallée coule dans la
direction du nord :Les habitants tissent des étoffes pour les vêtements
sacerdotaux. Ils confectionnent aussi des houppes, des franges de soie
et des glands qui pendent à l"extrémité de ces vêtements. Il y a ici une
très bonne population.
L'hôpital tenu par les
Esséniens est rempli de malades et d'infirmes venus de tous les côtés :
ils reçoivent tous ceux qui se présentent et, en outre des soins qu'ils
leur donnent, ils les instruisent et les rendent meilleurs. Leur
établissement est très bien organisé : ils ont toujours soin de placer
un méchant homme entre deux bons qui l'exhortent et travaillent à le
corriger. Jésus y passa et y guérit quelques malades. Pendant que Jésus
enseignait encore dans la synagogue, on avait déjà amené de la ville et
de tout le pays une grande quantité de malades. On les plaçait le long
des maisons sur des litières et des coussins, là où Jésus devait passer
: on avait étendu des toiles sur leur tête, et leurs parents se tenaient
près d'eux Les choses étaient ordonnées de manière à ce que les malades
de chaque catégorie fussent ensemble. C'était comme une exposition de
toutes les misères humaines.
Jésus sortit après
l'instruction, et passa le long des malades qui l'imploraient humblement
: il guérit, tout en leur donnant des instructions et des avis, une
quarantaine de paralytiques, aveugles, muets, goutteux, fiévreux,
hydropiques, etc. Je ne vis pas ici de possédés. Il enseigna ensuite en
plein air à cause de l'affluence du peuple : la presse était si grande à
la fin que les gens entraient dans les maisons, montaient sur les toits
et perçaient les murailles. Lorsque ce désordre commença, Jésus se
perdit dans la foule, quitta la ville et prit dans la montagne un chemin
de traverse très escarpé, où il ne rencontra personne. Ses trois
disciples le suivirent : ils le cherchèrent longtemps et ils ne le
rejoignirent que dans la nuit ; ils le trouvèrent occupé à prier.
(7 août.) Je crois que
Jésus a passé la nuit dans la montagne avec les disciples : je vis
qu'ils le trouvèrent en prière et quand ils se reposèrent, ils lui
demandèrent comment ils devaient prier, alors que lui-même priait Alors
il leur enseigna brièvement quelques-unes des demandes du Pater. Il leur
dit : "Que votre nom soit sanctifié, pardonnez-nous nos offenses comme
nous pardonnons à ceux qui nous offensés et délivrez-nous du mal. "il
ajouta : "Bornez-vous maintenant à dire ces prières et agissez en
conséquence "Il leur fit d'admirables instructions à ce sujet. Je vis
qu"ils observaient fidèlement ce qu'il leur avait prescrit, quand il ne
s'entretenait pas avec eux et qu'il marchait seul. Maintenant ils
portaient toujours avec eux quelques aliments dans leurs besaces, et je
vis que quand d'autres voyageurs passaient, même sur des chemins
détournés, Jésus leur avait prescrit d'aller à eux et de leur donner ce
dont ils pouvaient avoir besoin, surtout quand c'étaient des pauvres.
Jésus passa près de Jezraël
et d'Endor, et vers onze heures ou midi, il arriva devant Naïm Il entra
sans bruit dans une hôtellerie qui était devant la ville.
La veuve de Naïm, sœur de
la femme de Jacques le Majeur, savait par Nathanaël qu'il viendrait
prochainement, et elle avait pris ses mesures pour être avertie de son
arrivée Je vis qu'elle vint le trouver dans l'hôtellerie avec une autre
veuve que je ne connaissais pas encore. Elles se prosternèrent devant
lui, couvertes de leurs voiles, et la veuve de Naim le pria d'accueillir
les offres de cette autre bonne veuve qui voulait donner tout son bien à
la caisse des saintes femmes destinée à l'entretien des disciples et au
soulagement des pauvres : elle désirait aussi se mettre personnellement
à son service. Jésus accepta les offres de cette veuve, puis il les
instruisit et les consola toutes deux. Elles portèrent aussi quelques
dons pour un repas que prirent les disciples, et la veuve leur donna
immédiatement une somme d'argent, qu'ils envoyèrent aux saintes femmes à
Capharnaum. Jésus se reposa ici avec les disciples, car le jour
précédent, à Engannim, il s'était excessivement fatigué à prêcher et à
guérir, et depuis lors il avait fait environ sept lieues. Je l'ai vu
encore, pendant la nuit, passer près du Thabor ; il laissa Nazareth à sa
gauche et je l'entendis de nouveau donner à ses disciples des
instructions sur la prière.
La veuve nouvellement
arrivée parla à Jésus d'une autre femme, appelée Marie, qui m'est
inconnue et qui voulait aussi donner son avoir. Jésus répondit qu'elle
devait le conserver jusqu'au temps où il en aurait besoin.
(8 août.) Aujourd'hui dès
l'aube du jour, Jésus arriva à Cana et entra chez un scribe près de la
synagogue : Il se reposa et prit quelque nourriture : la cour antérieure
de la maison fut bientôt remplie de monde, car on avait appris d'Engannim
qu'il allait venir, et tous l'attendaient.
Il enseigna toute la
matinée et il était entouré d'une grande foule de peuple quand le
centurion de Capharnaum arriva. Il vint avec plusieurs serviteurs et
plusieurs mulets. Il se hâtait beaucoup, paraissait plein d'inquiétude
et de souci, et cherchait en vain de tous les côtés à pénétrer jusqu'à
Jésus à travers la foule, mais sans pouvoir y réussir. L'ayant
inutilement tenté plusieurs fois, il se mit à crier de toutes ses forces
: `` Respectable maître, laissez venir à vous votre serviteur ! Je suis
ici comme envoyé de mon maître de Capharnaum, je parle en son nom et
comme père de son fils : je vous supplie de venir tout de suite avec
moi, car mon fils est très malade et va mourir. "Jésus ne l'entendit pas
: mais comme il avait excité l'attention, il chercha à pénétrer plus
avant : toutefois il n'y parvint pas et se mit à crier de nouveau.
"Venez sans délai avec moi, mon fils est à la mort. "Comme il criait de
toutes ses forces, Jésus tourna la tête vers lui et lui dit, de manière
à être entendu du peuple : " Si vous ne voyez pas des signes et des
miracles, vous ne croyez pas. Je sais ce qui vous amène : vous voulez
vous glorifier et défier les pharisiens et vous n'avez pas moins de
besoins qu'eux. " Ma mission n'est pas de faire des miracles pour
remplir vos vues. Votre témoignage ne m'est pas nécessaire : je me
manifesterai quand ce sera la volonté de mon Père, et je ferai des
miracles lorsque ma mission le demandera ". Il parla longtemps sur ce
ton et gourmanda cet homme devant le peuple, lui reprochant de chercher
depuis longtemps une occasion pour faire guérir son fils par lui, afin
d'en tirer gloire en face des pharisiens : "il ne fallait pas,
ajouta-t-il, demander des miracles pour soi en vue des autres, mais il
fallait croire et se convertir "
Ces discours ne
produisirent aucun effet sur cet homme : il ne se laissa pas détourner
de son dessein, mais s'approcha plus près et cria de nouveau : " Maître,
à quoi bon tout cela ! venez avec moi tout de suite, il est peut-être
déjà mort. "Alors Jésus lui dit : " Allez, votre fils est vivant ".
L"homme répondit : " est-ce bien sûr ? " et Jésus dit : " il est sain et
sauf à cette heure, sur ma parole. "
Alors l'homme le crut, il
ne lui demanda plus de partir avec lui, et retourna en toute hâte à
Capharnaum. Jésus ajouta que cette fois encore il voulait bien faire ce
qui lui était demandé, mais que si un cas semblable se représentait, il
ne le ferait plus. Je vis en cet homme, non l'officier royal lui-même,
mais pourtant le père de son fils. C'était lui qui tenait la première
place dans la maison du centurion de Capharnaum. Celui-ci n'avait pas
d'enfants, il en avait longtemps désiré, et avait adopté comme sien un
fils de cet homme de confiance et de sa femme ; l'enfant avait alors
quatorze ans. Le messager vint comme envoyé, et aussi comme s'il eût été
lui-même le maître et le père. J'ai vu tout cela et toutes les relations
entre ces personnes m'ont été expliquées, et c'est pour cela peut-être
que Jésus le laissa si longtemps crier. Du reste ces choses étaient
restées secrètes.
L'enfant soupirait depuis
longtemps après l'arrivée de Jésus. Dans les commencements la maladie
était bénigne, alors c'était à cause des pharisiens qu'on désirait
Jésus. Depuis quinze jours l'état du malade était devenu plus grave et
le jeune homme, auquel on donnait toute sorte de remèdes, ne cessait de
dire : `` Toutes ces boissons ne me servent de rien : c'est Jésus, le
prophète de Nazareth, qui seul me guérira. "Comme le danger devenait
imminent, ils envoyèrent un message à Samarie avec les saintes femmes,
puis André et Nathanaël à Engannim ; enfin l'intendant lui-même partit
pour Cana où il trouva Jésus. Jésus fit longtemps attendre son secours
en punition de la première intention qu'on avait eue.
De Cana à Capharnaum, il y
avait une journée de voyage, mais cet homme fit tant de diligence, qu'il
arriva avant la nuit. Deux serviteurs vinrent à sa rencontre à deux
lieues avant Capharnaum, et lui dirent que l'enfant était guéri : ils
étaient partis pour courir après lui et l'engager, dans le cas où il
n'aurait pas trouvé Jésus, à s'épargner la fatigue et les frais d'un
nouveau voyage : car à la septième heure l'enfant s'était trouvé guéri
subitement, comme si la chose se fût faite d'elle-même : alors il leur
raconta ce qu'avait dit Jésus, et ils furent remplis d'admiration et se
rendirent avec lui à la maison. Je vis le centurion Zorobabel avec
l'enfant le recevoir sous la porte. L'enfant l'embrassa ; il raconta ce
qu'avait dit Jésus, et les serviteurs qui l'avaient accompagné
attestèrent la vérité de son récit : ce fut pour tous une glande joie.
Je vis préparer un repas. Le jeune homme était assis entre son père
adoptif et son père véritable : la mère était présente. L'enfant aimait
son vrai père autant que son père putatif et le premier avait aussi une
grande autorité dans la maison.
Lorsque Jésus eut congédié
l'homme de Capharnaum, il guérit encore plusieurs malades qu'on avait
amenés dans une cour de la maison. Il y avait là plusieurs possédés,
mais non de la pire espèce. On conduisait souvent des possédés à ses
instructions : quand ils arrivaient, ils faisaient grand bruit et se
démenaient terriblement : mais Jésus leur ordonnait de se tenir
tranquilles, et ils devenaient très calmes ; puis au bout d'un certain
temps ils paraissaient ne pouvoir plus se maîtriser, et ils
recommençaient à entrer en convulsions : alors Jésus leur faisait signe
de la main et ils se calmaient de nouveau. Après l"instruction il
commandait à Satan de se retirer, sur quoi ordinairement ils tombaient
comme sans connaissance pendant quelques instants, puis se réveillaient
tout joyeux, le remerciaient, et ne savaient plus rien de ce qui leur
était arrivé. Ceux-là sont des gens dont la possession n'est pas d'une
mauvaise nature, qui sont possédés sans qu'il y ait de leur faute. Je ne
puis pas expliquer cela clairement, mais j'ai vu distinctement cette
fois et d'autre fois encore, comment il arrive que près d'un méchant
homme qui reste épargné par l'effet de la miséricorde et de la
longanimité divine, souvent Satan prend possession d'un homme innocent
et faible qui est parent du premier. Il semble que celui-là prenne à sa
charge une partie du châtiment dû à l"autre. Je ne puis m'expliquer très
clairement sur ce point : cela tient à la relation qui existe entre nous
tous comme membres d'un seul et même corps ; et c'est comme lorsqu'un
membre sain contracte, en vertu d'un rapport intime et mystérieux, une
maladie qui a pour cause les péchés d'un autre membre. Il y avait ici
des possédés de cette espèce. Ceux dont la possession est d'une mauvaise
nature, sont beaucoup plus effrayants et coopèrent avec Satan : les
autres sont purement passifs ; dans l'intervalle des accès, ils sont
bons et pieux.
Jésus enseigna encore dans
la synagogue où plusieurs scribes de Nazareth qui étaient présents
l"engagèrent à venir. Ils lui dirent que le bruit des grands miracles
qu'il avait opérés dans la Judée, la Samarie et l'avant veille à
Engannim, s'était répandu dans sa patrie. Or il savait bien qu'à
Nazareth on ne croyait pas qu"un homme pût être vraiment savant, s'il
n'avait pas étudié à l'école des pharisiens. Ils désiraient donc,
disaient-ils qu'il vint les visiter et redresser leurs idées. En lui
tenant ces discours, ils croyaient qu'il s"y laisserait prendre. Jésus
leur dit qu'il n'irait pas encore, et que quand il viendrait, ils
n'auraient pas de lui ce qu'ils désiraient. Après la synagogue il
assista à un grand repas dans la maison du père de la fiancée de Cana ;
sa fille y assistait ainsi que le fiancé Nathanael et la veuve, tante de
celui-ci. Nathanael s"était attaché à Jésus comme son disciple, et il
avait aidé à maintenir l'ordre lors de ses prédications et de ses
guérisons de malades. Le fiancé et la fiancée demeurent seuls ; ils
n'ont pas de ménage et reçoivent leur nourriture de chez les parents de
la fiancée. (Ce sont des gens de bien : le père est un peu boiteux. Cana
est une belle ville, située sur un plateau élevé : plusieurs grandes
routes y passent. Il y a un chemin direct d'ici à Capharnaum qui est, je
crois, à une distance de sept lieues. Le chemin s'abaisse un peu vers
Capharnaüm Après le repas, Jésus revint à son logis et guérit encore
plusieurs malades qui l'attendaient. Il ne guérit pas toujours de la
même manière. Tantôt il commande, tantôt il impose les mains ou se
courbe sur les malades : d'autres fois il leur ordonne de prendre un
bain, d'autres fois encore il mêle de la poussière avec sa salive et
leur frotte les yeux. Aux uns il donne des avis, aux autres il révèle
leurs péchés : il y en a aussi qu'il refuse de guérir.
(9 - 11 août.) Jésus alla
mardi de Cana à Capharnaum avec ses disciples : Nathanaël aussi le
suivit : sa femme, sa tante et quelques autres personnes étaient allées
en avant. La route peut être de sept lieues : elle est assez directe :
vers Capharnaum elle descend. Sur ce chemin on laisse à droite un étang
ou petit lac qui ressemble à celui d'Ainon : un ruisseau coule au milieu
: il y a sur l'eau plusieurs petites barques. à l'entour sont des
jardins et des maisons de plaisance : on aperçoit de vieilles tours sur
une montagne. C'est là que commence le magnifique et fertile district de
Génésareth. Il y a dans la plaine quelques vigies comme celles qui sont
autour de la plaine de Magdalum : prés de la montagne où sont les tours,
il y a des bains chauds.
Lorsque Jésus arriva dans
le voisinage de Capharnaum, plusieurs possédés s'agitèrent devant les
portes et dans la ville ; ils criaient : "Le prophète vient, que veut-il
ici, qu'a-t-il à faire avec nous ? "Je vis Jésus arriver vers deux
heures devant Capharnaum, et les possédés se dispersèrent. un peu en
avant de la ville on avait dressé une tente. Le centurion vint avec le
père de l'enfant et l'enfant lui-même, placé entre eux deux, à la
rencontre de Jésus ; il était suivi de toute sa famille, de ses
serviteurs, de ses subordonnés et de ses esclaves : ceux-ci étaient des
païens qu'Hérode lui envoyait. C'était toute une procession, tous se
prosternèrent devant Jésus et lui rendirent grâces. On lava ici les
pieds à Jésus et on lui présenta a boire et à manger. Jésus mit la main
sur la tête de l'enfant agenouillé devant lui et lui adressa quelques
exhortations : il reçut alors le nom de Jessé au lieu de celui de Joël
qu'il portait auparavant : le centurion s'appelait Zorobabel. Celui-ci
pria instamment Jésus d'entrer dans sa maison à Capharnaum et d'y
accepter un repas, mais Jésus s'y refusa et lui reprocha encore son
désir de le voir faire des miracles pour exciter le dépit d'autres
personnes. Il lui dit : " Je n'aurais pas guéri l'enfant, si la foi du
messager n'avait pas été si énergique et si pressante. "Là-dessus Jésus
continua son chemin.
Cependant Zorobabel avait
fait préparer un grand festin Tous les serviteurs et les ouvriers qui
travaillaient dans les nombreux jardins qu'il possédait dans les
environs avaient été convoqués. On leur raconta le miracle ; tous furent
profondément émus et crurent en Jésus. Pendant le repas, ces gens, ainsi
que beaucoup de pauvres auxquels on avait distribué des présents,
chantèrent un cantique de louanges dans le vestibule.
Le miracle avait été connu
dès le matin dans Capharnaum. Zorobabel en envoya la nouvelle à la mère
de Jésus et aux apôtres que je vis tous occupés de nouveau à leurs
pêcheries. Je vis aussi que la nouvelle fut portée à la belle-mère de
Pierre qui était malade et gardait le lit.
Jésus tourna autour de
Capharnaüm pour gagner l'habitation de sa mère, ou se trouvaient réunies
environ cinq femmes avec Pierre, André, Jacques et Jean. Ils allèrent
au-devant de Jésus et il y eut une grande joie à cause de son arrivée et
de ses miracles. Il prit ici un repas et se rendit aussitôt à Capharnaum
pour le sabbat avec ses disciples : les femmes restèrent à la maison.
Une grande foule de peuple et beaucoup de malades étaient rassemblés à
Capharnaum. Les possédés couraient et criaient dans les rues lorsqu'il
arriva. Il leur ordonna de se taire et se rendit à la synagogue en
passant au milieu d'eux. Après la prière, un pharisien obstiné, du nom
de Manassé, fut appelé à faire la lecture, parce que c'était son tour.
Mais Jésus demanda les rouleaux d'écriture, et annonça qu'il allait
lire. Il lut d'abord depuis le commencement du cinquième livre de Moïse
jusqu'aux murmures des enfants d'Israël : puis il fit une instruction
sur l'ingratitude de leurs pères, sur la miséricorde de Dieu à leur
égard, et sur l'approche du royaume de Dieu : il dit qu'on devait bien
se garder aujourd'hui de suivre leur exemple : il présenta toutes leurs
marches et leurs courses vagabondes comme des symboles des erreurs
contemporaines et fit des rapprochements entre la terre promise d'alors
et le royaume de Dieu, si voisin maintenant. Il lut ensuite le premier
chapitre d'Isaïe qu'il appliqua au temps présent : il parla des
prévarications des Juifs et de leur châtiment, rappela leur longue
attente d'un prophète, et dit comment ils allaient traiter celui qu'ils
possédaient maintenant. Il parla d'animaux de diverses espèces qui
savent reconnaître leur maître, tandis qu'eux ne reconnaîtraient pas le
leur : il dit aussi comment celui qui venait pour les secourir se ferait
reconnaître, aux mauvais traitements qu'il souffrirait d'eux, comment
Jérusalem serait châtiée, et combien la communauté des saints serait peu
nombreuse. Mais le Seigneur devait lui donner l'accroissement, et les
autres devaient être exterminés. Il les exhorta à se convertir, à crier
vers le Seigneur qui les rendrait purs quand même ils seraient tout
couverts de sang. Il parla ensuite du roi Manassé, qui, ayant prévariqué
devant Dieu et commis des actes abominables, avait été, pour sa
punition, réduit en captivité et emmené à Babylone, mais qui s'était
converti, avait imploré Dieu et reçu son pardon. Il déplia aussi comme
par hasard un rouleau où il lut le passage d'Isaïe (VII, 14.) "Voici que
la Vierge concevra, "et il appliqua ce texte à lui même et à la venue du
Messie.
Il avait fait un
commentaire semblable lors de son séjour à Nazareth, avant son baptême,
et ils s'étaient moqués de lui, disant : "Nous ne l'avons pas vu manger
beaucoup de beurre et de miel chez son père, le pauvre charpentier. "
Les pharisiens et beaucoup
d'autres personnes de Capharnaum étaient mécontents qu'il leur fit
aujourd'hui un enseignement si sévère sur l'ingratitude ; car ils
s'étaient attendus à quelques paroles flatteuses pour l"avoir si bien
reçu. L'instruction dura assez longtemps, et lorsqu'il sortit,
j'entendis deux pharisiens se dire tout bas l'un à l'autre : "ils ont
amené des malades, osera-t-il les guérir le jour du sabbat ? "On avait
éclairé la rue avec des flambeaux et plusieurs maisons avec des lampes.
Quelques habitations de gens mal intentionnés étaient restées dans
l'ombre. Là où il passait, on avait placé des malades devant les maisons
et de la lumière à côté. Il y avait beaucoup de tumulte et de bruit dans
les rues, quelques possédés le poursuivirent de leurs clameurs, et il
les délivra par un simple commandement. J'en vis un tout furieux qui
s'élançait sur lui et lui criait avec un visage effrayant et les cheveux
dressés sur la tète : " C'est toi ! que veux-tu ? qu'as-tu à faire ici ?
" Jésus le repoussa en arrière en lui disant : "Retire-toi, Satan ! " Je
vis alors cet homme tomber par terre si violemment qu'il aurait dû se
rompre le cou et se briser les jambes ; mais bientôt il se releva tout
changé et particulièrement calme, s'agenouilla devant Jésus et lui
rendit grâces. Jésus lui ordonna de se corriger. Je le vis ainsi en
guérir plusieurs comme il passait devant eux.
Je le vis ensuite se
diriger dans la nuit avec ses disciples vers la maison de sa mère, et
pendant qu'ils marchaient, j'entendis leur conversation qui était toute
simple et toute naturelle.
Pierre parlait de son
ménage, disait qu'il avait laissé bien des choses en souffrance dans sa
pêcherie, à cause de sa longue absence : "Pourtant, disait-il, c'était
son devoir de veiller à la subsistance de sa femme, de ses enfants et de
sa belle-mère." Jean lui répondit : "que lui aussi, ainsi que Jacques,
devaient prendre soin de leurs parents, que c'était là quelque chose de
plus important qu'une belle-mère." C'est ainsi qu'ils s"entretenaient
avec beaucoup de simplicité, quelquefois mente en badinant, et
j"entendis Jésus leur dire que le temps viendrait bientôt ou ils
laisseraient entièrement cette pêche, et où ils prendraient d'autres
poissons. Jean était plus naïf et plus confiant avec Jésus que les
autres : il était aimant et dévoué, ne s'inquiétait pas et ne
contredisait pas. Jésus alla chez sa mère, les autres chez eux.
(10 août.) Le jour du
sabbat Jésus alla de bonne heure à Capharnaüm avec ses disciples.
L'habitation de sa mère est à environ trois quarts de lieue, du côté de
Bethsaïde. Le chemin, à partir de là, monte un peu, puis redescend vers
Capharnaum. Peu avant la porte, dans un enfoncement, se trouve une
maison qu'un pieux vieillard habite en qualité de gardien. Cette maison
est destinée à recevoir ici Jésus et ses disciples. Tous les disciples
de Bethsaïde et des environs se trouvaient à Capharnaum. Marie et les
saintes femmes s'y rendirent plus tard. Lorsque Jésus vint dans la
ville, il trouva placés sur son chemin un très grand nombre de malades
qui étaient venus la veille et qui n'avaient pas été guéris. Il en
guérit beaucoup en se rendant à la synagogue, dans laquelle il enseigna
et expliqua entre autres choses une parabole que j'ai oubliée.
Comme, en s'en allant, il
enseignait encore devant la synagogue plusieurs personnes se
prosternèrent devant lui et demandèrent le pardon de leurs péchés.
C'étaient deux femmes adultères renvoyées par leurs maris, et environ
quatre hommes parmi lesquels se trouvaient des complices de ces femmes.
Ils fondaient en larmes et voulaient confesser leurs péchés devant le
peuple assemblé. Jésus leur dit que leurs péchés lui étaient connus,
qu'un temps viendrait où la confession publique serait prescrite, mais
que, dans la circonstance présente, elle ne pouvait amener que du
scandale et des persécutions pour eux. Il les exhorta en outre à veiller
sur eux-mêmes afin de ne pas retomber, a ne jamais désespérer, même en
cas de rechute, mais à avoir recours à Dieu et à la pénitence. Il leur
remit aussi leurs péchés, et comme les hommes demandaient à quel baptême
ils devaient aller, s'ils devaient aller à celui de Jean, ou attendre
que ses disciples baptisassent, il leur dit d'aller au baptême des
disciples de Jean.
Les pharisiens qui étaient
présents s'étonnèrent beaucoup qu'il osât remettre les péchés, et ils
lui demandèrent des explications à ce sujet. Il les réduisit au silence
par ses réponses, et leur dit qu'il lui était plus aisé de remettre les
péchés que de guérir : que les péchés étaient remis à celui qui se
repentait sincèrement, et qu'il lui devenait facile de ne pas retomber,
tandis que les malades qui étaient guéris corporellement, restaient
souvent avec l'âme malade et faisaient servir leur corps au péché. Ils
lui demandèrent aussi si, maintenant que ces femmes avaient reçu le
pardon de leurs péchés, les maris qui les avaient renvoyées, devaient
les reprendre. Jésus dit que le temps ne lui permettait pas de
s'expliquer à cet égard, qu"une autre fois il donnerait des instructions
sur ce point. Ils l'interrogèrent aussi sur les guérisons opérées le
jour du sabbat, il se justifia en disant que si une de leurs bêtes de
somme tombait dans un puits le jour du sabbat, ils la retireraient, etc.
L'après-midi il se rendit
avec tous les disciples dans la maison qui était devant Capharnaum ; les
saintes femmes y étaient déjà. Il y eut un repas dont le centurion
Zorobabel avait fait les trais : il était au nombre des convives ainsi
que Salathiel, le père de l'enfant guéri. Cet enfant qui avait changé
son nom de Joël pour celui de Jessé, servait à table ; les femmes
étaient à une table séparée. Jésus parla et enseigna. On lui apporta des
malades jusque dans cette maison : on forçait l'entrée de la salle où se
faisait le repas, en implorant son secours à grands cris. Il en guérit
plusieurs. Après le repas, il alla de nouveau à la synagogue, et je
l'entendis, entre autres choses, prêcher sur Isaie et sur sa prophétie
au roi Achaz : " Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils.
"(XII.)
Lorsqu'il quitta la
synagogue, il guérit encore plusieurs personnes dans les rues jusqu'à la
nuit. Parmi celles-ci se trouvaient plusieurs femmes affligées de pertes
de sang qui se tenaient à distance, tristes et voilées, et n'osaient pas
s'approcher de lui ni du peuple. Jésus connaissait leur état, il se
tourna vers elles et les guérit en les regardant. Il ne touchait jamais
ces sortes de malades. Il y a là un mystère que je ne puis pas expliquer
maintenant. Ce soir-là commençait un jour de jeûne.
Lorsqu'il revint avec ses
disciples dans la maison de sa mère, on y disait que le lendemain il
voulait aller au lac avec eux, et j'entendis que Pierre s'excusait à
cause du mauvais état de sa barque. Les gens auxquels il avait remis
leurs péchés étaient en habits de pénitents et voilés. à l'avant-dernier
sabbat, les Juifs étaient vêtus de noir ; tous les derniers jours
avaient été des jours de pénitence parce qu'on y faisait commémoration
de la destruction de Jérusalem : de là aussi les paroles sévères de
Jésus sur le châtiment qui menaçait cette ville.
Lorsque Jésus, le sabbat
fini, quitta Capharnaum après ses nombreuses guérisons, pour se rendre
dans la maison de sa mère, il passa dans la ville devant un bâtiment
entouré d'eau où il y avait un pont j on y enfermait le soir les
possédés de la pire espèce. Lorsque le Sauveur passa près d'eux, ils
tirent grand bruit et crièrent : " Le voilà qui passe, que veut-il ?
pourquoi veut-il nous chasser ? "Mais Jésus leur dit : " Taisez-vous et
attendez que je revienne : c"est alors qu'il faudra partir. " Alors ils
se tinrent tranquilles.
Lorsqu'il fut parti, je vis
que les pharisiens et les principaux de la ville s'assemblèrent : le
centurion Zorobabel était présent. Ils délibérèrent sur tout ce qu'ils
avaient vu, sur ce qu'ils devaient penser de Jésus et sur les mesures
qu'il fallait prendre. a Quelle agitation et quel tumulte excite cet
homme ! n disaient-ils. `' Il n'y a plus de tranquillité possible ! Les
gens abandonnent leur travail et le suivent partout. Il trouble tout le
monde par ses discours et ses invectives. Il parle toujours de son père
: mais n'est-il pas de Nazareth, n'est-ce pas le fils d'un pauvre
charpentier ? Où prend-il tant de hardiesse et d'assurance ? Sur quel
droit s'appuie-t-il ? Il guérit le jour du sabbat et trouble la paix :
il remet les péchés : sa force vient-elle d'en haut ? est-ce un art
magique dont il fait usage ? D'où tire-t-il toutes ses explications de
l'Ecriture ? N'est-il pas allé à l'école à Nazareth j il doit avoir des
relations secrètes avec un peuple étranger. Il parle toujours de
l"avènement du royaume, de l'approche du Messie, de la ruine de
Jérusalem. Son père Joseph était d'origine illustre ; peut-être est-ce
un enfant supposé, le fils de quelque homme puissant, qui cherche à se
faire un parti dans le pays et à s'emparer de la souveraineté en Judée.
Il doit avoir derrière lui des appuis mystérieux, un soutien inconnu sur
lequel il compte ; autrement, il ne pourrait pas procéder avec tant
d'assurance et de hardiesse, aller à l'encontre de tous les usages et de
toutes les autorités, comme si c'était son droit d'en agir de la sorte.
Il a fait souvent de longues absences : quelles alliances peut-il avoir
formé ? où peut-il avoir pris son art et sa science ? qu'y a-t-il à
faire avec lui ? "(XL, 11.) C'est ainsi qu'ils parlaient entre eux dans
leur dépit et se livraient à des conjectures de toute espèce. Le
centurion Zorobabel restait très calme, et il trouva enfin moyen de les
calmer aussi ; il les exhorta à ne pas s"inquiéter à ce sujet : "Si son
pouvoir vient de Dieu, " leur dit-il, " il s'affermira certainement :
s'il en est autrement, il tombera. Mais tant qu'il nous guérira et nous
fera du bien, nous devrons lui en savoir gré et remercier celui qui l'a
envoyé. " Jésus passa la nuit dans la demeure de sa mère en avant de
Capharnaum.
(11 août.) Les disciples
étaient restés tous avec Jésus dans la maison de Marie. Jésus voulait en
ce jour qui était un jour de jeûne, se promener avec eux, les instruire
et les préparer. Il alla le matin vers le lac avec une vingtaine de
disciples. Outre ceux qui étaient du pays, il y avait avec lui ceux de
Cana, les fils des veuves, Saturnin et ceux qui l'accompagnaient
ordinairement. Il n'alla pas directement au lac, qui est tout au plus à
une lieue, mais au midi en contournant la hauteur qui domine au levant
la maison de Marie. Cette montagne n'est que le prolongement de celle
qui court au nord, mais elle en est un peu séparée par une dépression du
terrain. Jésus alla au midi avec les disciples : c'était une promenade
destinée à les instruire. Il y avait là plusieurs jolis petits cours
d'eau qui des hauteurs coulaient dans le lac : la petite rivière de
Capharnaum coulait aussi dans cette direction. Des sources abondantes
coupaient ici le pays et coulaient autour de Bethsaïde. Jésus se reposa
plusieurs fois avec eux à des endroits agréables : souvent aussi il
s'arrêta pour enseigner.
Note
: Ce jour de jeûne est présenté comme ayant lieu en commémoration de
à lampe du temple qui s'éteignit sous Achaz. Comme ce fut à ce roi
qu'Isaïe fit la célèbre prédiction : " Une Vierge enfantera, " la
citation de cette prophétie faite hier soir pouvait se rapporter à
l'approche de ce jour de jeûne.
Il parla de la dîme : ils
se plaignaient de grandes vexations qui avaient eu lieu à Jérusalem à
propos des dîmes et se demandaient si cela ne pouvait pas être corrigé.
Il répondit que Dieu avait ordonné de donner au temple et à ses
ministres la dixième partie de tous les fruits, afin que les hommes se
souvinssent qu'ils n'étaient pas propriétaires, mais seulement
usufruitiers ; qu'on devait en outre, par esprit de renoncement, donner
la dîme des légumes, etc. Ses disciples parlèrent aussi de Samarie et
dirent qu'ils regrettaient d'avoir peut-être été cause qu'il avait
quitté ce pays, qu'ils ne savaient pas que les habitants fussent aussi
avides de son enseignement, et l'eussent si bien accueilli : sans leurs
instances, il y serait peut-être resté plus longtemps. Mais Jésus leur
dit que les deux jours qu'il y était resté, avaient été suffisants, que
les Sichimites étaient très ardents et très prompts à s'émouvoir, que
parmi les convertis il n'y en avait peut-être qu'une vingtaine qui
persévérât encore, qu'il leur réservait la moisson future, laquelle
serait plus abondante.
Les disciples émus par sa
dernière instruction parlèrent avec sympathie des Samaritains et
rappelèrent à leur louange l'histoire de l'homme qui, allant à Jéricho
était tombé entre les mains des voleurs et près duquel le prêtre et le
lévite avaient passé sans s'arrêter, tandis que le Samaritain l'avait
recueilli et l'avait oint d'huile et de vin. Cette histoire était
connue, elle était arrivée réellement près de Jéricho à une époque déjà
ancienne. La pitié qu'ils montraient pour le blessé et la joie que leur
causait l'action charitable du Samaritain donnèrent occasion à Jésus de
leur raconter une parabole du même genre. Il commença par Adam et Eve et
par la chute originelle qu'il raconta simplement, comme elle est dans la
Bible, dit comment, étant chassés du paradis, ils vinrent eux aussi,
avec leurs enfants. dans un désert plein de voleurs et d"assassins, et
comment l'homme renversé et blessé par le péché resta gisant dans ce
désert. C'est alors que le roi du ciel et de la terre a fait tout ce qui
était possible pour venir en aide à l'homme dans son malheur. Il a
envoyé sa loi, des prêtres en grand appareil et beaucoup de prophètes,
mais tous ont passé et nul n'a secouru le malade, lequel, de son côté, a
plus d'une fois refusé toute assistance Enfin à cet homme misérable il a
envoyé son propre fils sous un extérieur pauvre (ici il décrivit sa
propre pauvreté) : sans chaussures, sans rien pour se couvrir la tête,
sans ceinture, etc. ; et celui-ci a versé de l'huile et du vin dans les
plaies du blessé pour le guérir. Mais ceux-là mêmes qui, pourvus de
tout, n'avaient pas eu pitié du malheureux, se saisirent du fils du roi
et le mirent à mort, lui qui avait guéri le pauvre blessé avec de
l'huile et du vin. Il leur donna cette parabole pour la méditer et lui
dire ce qu'ils en pensaient, après quoi, il la leur expliquerait. Ils ne
la comprirent pas, toutefois ils remarquèrent qu'il s'était décrit
lui-même dans la personne du fils du roi il leur venait toute sorte de
pensées et ils se demandaient entre eux, à voix basse, qui pouvait être
son père dont il parlait si souvent ?-il fit aussi allusion à leurs
préoccupations de la veille touchant leurs pêcheries, et leur présenta
l"exemple de ce fils de roi qui avait tout quitté et qui lorsque les
autres regorgeant de tout, avaient laissé languir le pauvre blessé,
l"avait oint d'huile et de vin. Il assura que le père n'abandonnerait
pas les serviteurs de son fils et qu'ils recevraient tout en abondance
quand il les rassemblerait autour de lui dans son royaume.
Tout en disant ces choses
et d'autres encore, il arriva avec eux au-dessous de Bethsaïde à
l'endroit du lac où étaient les barques de Pierre et de Zébédée ; sur le
rivage on avait dressé plusieurs cabanes de terre pour les pêcheurs Sur
les navires étaient des esclaves païens occupés à pêcher : il n'y avait
pas de juifs parce que c'était un jour de jeûne. Zébédée était dans une
cabane sur le rivage. Jésus leur dit de laisser là leur pêche et de
venir à terre, ce qu'ils firent. Là aussi il enseigna.
Il remonta ensuite le lac
vers Bethsaide qui est à une bonne demi lieue d'ici. Pierre a le
privilège de la pêche sur une étendue d'une lieue le long du rivage.
Entre la station des barques et Bethsaide on rencontrait une anse : là
plusieurs petits ruisseaux se jetaient dans le lac ; c'étaient des bras
de la petite rivière qui vient de Capharnaum à travers la vallée et qui
reçoit plusieurs autres cours d'eau : devant Capharnaum elle forme un
grand étang. Jésus n'alla pas jusqu'à Bethsaïde, mais ils tournèrent à
l'ouest et se dirigèrent par la partie septentrionale de la vallée, vers
la maison de Pierre, laquelle est adossée au côté oriental de la hauteur
qui domine de l'autre côté la maison de Marie.
Jésus alla avec Pierre dans
la maison de celui-ci, où Marie et les autres saintes femmes de la
contrée étaient réunies, ainsi que celles de Cana. Les autres disciples
n'y entrèrent pas, ils se tinrent dans le jardin qui avoisinait, ou
allèrent en avant, du côté de l'habitation de Marie. Lorsque Pierre
entra dans la maison avec Jésus, il lui dit : " Seigneur, quoique ce fût
un Jour de jeûne, vous nous avez rassasiés. " La maison de Pierre était
bien tenue, il y avait une cour et un jardin ; elle était longue et on
pouvait se promener sur le toit, d'où l'on avait une belle vue sur le
lac. Je ne vis ni la belle-fille de Pierre, ni les fils de sa femme, je
crois qu'ils étaient à l'école. Sa femme était près des saintes femmes :
elle n'avait pas d'enfants avec elle. Sa belle-mère, une femme maladive,
grande et maigre, marchait en s"appuyant aux murs.
Jésus s'entretint longtemps
avec les femmes des arrangements à prendre sur cette partie du littoral
où il avait l'intention de résider souvent. Il les exhorta à ne Pas
faire de dépenses inutiles et pourtant a ne s'inquiéter de rien. Il lui
fallait peu de chose pour lui-même et il n'avait de besoins que pour les
disciples et pour les pauvres. Je pense qu'il se tiendra surtout ici
dans la saison d'hiver et avant ce temps, à ce que je crois, il fera
encore baptiser. Il alla avec les disciples dans la demeure de Marie où
il s'entretint encore avec eux, après quoi il se retira à part.
Le ruisseau de Capharnaum
coule le long de la maison de Pierre : Il peut de là aller jusqu'au lac
avec ses instruments de pèche sur un petit canot au milieu duquel est un
siège.
Lorsque les saintes femmes
apprirent de Jésus qu'il voulait aller le surlendemain, pour le sabbat à
Nazareth qui est à neuf ou dix lieues d'ici, elles en eurent du
déplaisir et témoignèrent le désir qu'il restât ici ou du moins qu'il
revînt bientôt. Il dit qu'il ne croyait pas rester longtemps à Nazareth,
vu que les habitants seraient mécontents de lui parce qu'il ne pouvait
pas faire ce qu'ils désiraient. Il parla de plusieurs choses qu'on lui
reprocherait et sur lesquelles il appela attention de sa mère. Il
voulait lui dire d'avance ce qui arriverait. Je savais encore ces choses
il y a peu de temps, mais je les ai oubliées. Les saintes femmes
passèrent la nuit dans la maison de Pierre.
(12 août.) Jésus quitta la
maison de Marie avec les disciples et se rendit à Bethsaïde, qui était à
peu près à une petite lieue, par le côté septentrional de la vallée, en
suivant la pente de la montagne. Les saintes femmes s'y rendirent de la
maison de Pierre : elles entrèrent dans la maison d'André, située à
l"extrémité de Bethsaide, vers le nord : elle était en bon état, mais
moins grande que celle de Pierre.
Bethsaide est une petite ville de pêcheurs dont la partie centrale est
seule tournée vers l'intérieur des terres et qui s'étend en deux bras
très minces jusqu"au lac. De la station de la barque de Pierre, on la
voit devant soi au nord. Elle est habité en grande partie par des
pêcheurs : il y a en outre des gens qui tissent des couvertures et
d'autres qui font des tentes : ce sont des gens rudes et simples et ils
me font toujours l"effet d"être ce que sont chez nous ceux qui
travaillent aux tourbières compares au reste de la population. Les
couvertures sont faites de poil de chèvre et de chameau. Les longs poils
qu'ont les chameaux sur le cou et sur la poitrine forment sur les bords
comme des franges et des galons parce qu'ils ont un brillant agréable.
Le vieux centurion
Zorobabel n'était pas ici avec eux : c'était un homme débile et qui ne
pouvait pas marcher beaucoup. Il aurait pu venir à cheval, mais alors il
n'aurait pas entendu les instructions données en route par Jésus :
d'ailleurs il n'était pas encore baptisé. Il y avait ici beaucoup de
gens des lieux environnants, et aussi beaucoup d'étrangers venus, de
l'autre côté du lac, du pays de Khorosaïn et de Bethsaïde-Juliade qui
est en face.
Jésus enseigna ici dans la
synagogue qui n'est pas très grande, sur l'approche du royaume de Dieu
et il dit assez clairement qu'il était le roi de ce royaume, il excita
comme à l'ordinaire l'étonnement de ses disciples et des auditeurs. Il
prêcha en termes généraux comme tous ces jours-ci et guérit plusieurs
malades qu'on avait amenés devant la synagogue. Il y avait plusieurs
possédés qui lui criaient : "Jésus de Nazareth, prophète, roi des Juifs,
etc. "Jésus leur ordonna de se taire parce que le temps n'était pas
encore venu de révéler ce qu'il était.
Lorsqu'il eut fini
d'instruire et de guérir, ils allèrent à la maison d'André pour manger,
mais Jésus n'entra pas et dit qu'il avait faim d'une autre nourriture.
Il alla avec Saturnin et un autre disciple, en remontant le lac jusqu'à
une demi lieue de la maison d'André, dans un hôpital écarté, situé au
bord de l'eau, où languissaient des lépreux, des idiots et d'autres
malheureux sans ressource et presque entièrement délaissés. Il y en
avait parmi eux qui étaient à peu près tout nus. Personne de la ville ne
le suivit parce qu'on craignait de se souiller. Les cellules de ces
pauvres gens étaient disposées en rond autour d'une cour : ils n'en
sortaient jamais et on leur donnait à manger par des trous qui étaient
aux portes. Jésus les fit conduire dehors par le surveillant de la
maison et il fit apporter par ses disciples des couvertures et des
vêtements pour les couvrir. Il les instruisit et les consola, fit le
tour en allant de l'un à l'antre et en guérit un grand nombre par
l'imposition des mains. Il en laissa plusieurs de côté, et ordonna à
quelques-uns de se baigner et leur fit d'autres prescriptions. Ceux
qu'il avait guéris se prosternèrent devant lui et le remercièrent en
pleurant : c'était un spectacle très touchant. Jésus prit avec lui le
directeur de la maison et l'emmena chez André au repas. Il y vint, de
Bethsaïde, des parents de quelques-uns de ceux qui avaient été guéris :
ils vinrent les prendre, pleins de joie, leur apportèrent des vêtements
et les conduisirent chez eux et dans la synagogue pour remercier Dieu.
Il y avait chez André un
beau repas de gros et bons poissons. On mangea dans une salle ouverte,
les femmes étaient seules à leur table. André s'occupait du service. Sa
femme était très affairée et très empressée, elle De sortait guère de la
maison. Elle avait une espèce d'industrie pour la confection des cordes
de filets et elle employait à cela plusieurs filles pauvres dont elle
avait formé un atelier fort bien tenu. Il y avait en outre parmi elles
de pauvres femmes mariées rejetées de la société pour quelque faute et
qui n'avaient pas d'asile ; elle en prenait pitié, elle les occupait,
les ramenait au bien et les faisait prier avec elle.
Le soir, après le repas,
Jésus enseigna encore dans la synagogue, puis il partit avec les
disciples. Il passa de nouveau devant plusieurs malades : mais il ne les
guérit pas, disant que leur temps n'était pas encore venu.
Il avait pris congé de sa
mère et il alla avec les disciples dans la maison en avant de Capharnaum,
qui est à peu près à une lieue et demie du lac. Cette maison appartient
à Pierre qui l"a mise à sa disposition. Jésus s'y entretint encore
longtemps avec les disciples et il se retira à part sur une colline
terminée en pointe aiguë, comme il y en avait plusieurs dans cette
contrée : elle était couverte jusqu'en haut d'une espèce d'arbre
semblable au genévrier et d'ifs ou de cyprès : il y passa la nuit en
prière.
Au point du jour il revint
dans la maison et réveilla les disciples avant de se mettre en route
pour Nazareth : ils voulurent l'accompagner jusqu'à une certaine
distance. Capharnaüm est située au penchant de la montagne où elle forme
un demi arc de cercle. Il y a beaucoup de jardins en terrasses et aussi
des vignes : en haut croît une espèce de blé dont la tige a la grosseur
d'un roseau : c'est un endroit considérable et d'un agréable aspect. Il
y a une grande variété de terrains dans le voisinage. Non loin de là
sont des décombres de toute espèce, comme des ruines. La ville était
autrefois plus grande ou peut-être qu'il y avait là encore une autre
ville.
(13-15 août.) Aujourd'hui
mardi, Jésus alla de Capharnaum à Nazareth, les disciples galiléens
l'accompagnèrent jusqu'à une distance de cinq lieues. Il ne cessa
d'enseigner pendant la marche. Il parla de leur destination future, et
comme Pierre lui parlait de son métier qu'il lui faudrait abandonner, il
lui conseilla de quitter le voisinage du lac et d'aller dans sa maison
en avant de Capharnaum. Ils passèrent devant plusieurs villes et aussi
devant le petit lac dont il a été fait mention dernièrement. Sur la
roule, dans une maison de bergers, deux possédés coururent vers Jésus et
le prièrent de les guérir. Ils avaient des troupeaux dans les environs
et étaient seulement tourmentés de temps en temps par le démon ; ils
étaient alors dans un de leurs bons intervalles. Jésus ne les guérit pas
: il leur ordonna d'abord de changer de vie, et compara leur état à
celui d'un homme qui a l'estomac surchargé et qui voudrait guérir de son
mal d'estomac pour se livrer à de nouveaux excès. Ces gens se retirèrent
tout honteux. Les disciples quittèrent Jésus deux lieues avant Séphoris,
Saturnin aussi revint avec eux dans la maison de Pierre. Il ne resta
avec Jésus que deux disciples venus de Jérusalem où ils voulaient
retourner. Il alla à Séphoris d'en bas qui est une petite ville, et
entra chez des parents de sainte Anne. Ce n'est pas la maison paternelle
d'Anne, laquelle est située entre ce Séphoris et le haut Séphoris, deux
villes situées à une lieue l'une de l'autre. Il y a dans un rayon de
cinq lieues beaucoup de maisons dépendantes de Séphoris. Il n'alla pas
cette fois au grand Séphoris. Il y a là de grandes écoles de toutes les
sectes et des tribunaux.
A Séphoris d'en bas il n'y
a pas beaucoup de gens riches : on y confectionne des draps, et les
femmes font des houppes de soie et des galons pour le temple. Tout le
pays est comme un jardin de plaisance, couvert de petits villages et de
maisons de campagne disséminées, séparées par des jardins et des
avenues. Le grand Séphoris est un lieu très important, il y a des
châteaux à une assez grande distance les uns des autres. Le pays est
très beau : on y trouve des fontaines et il nourrit un bétail nombreux.
Les parents de Jésus
avaient trois fils dont un nommé Kolaïa était disciple de Jésus: : la
mère désirait qu'il prit aussi les autres. Elle parla aussi des fils de
Marie Cléophas. Jésus lui donna des espérances à ce sujet. Ces fils
après la mort du Christ, furent ordonnés prêtres à Éleutheropolis, par
José Barsabas qui y était évêque.
(Mercredi 14 août.)
Aujourd'hui Jésus enseigna ici dans la synagogue. Il s'y trouvait
beaucoup de personnes du pays environnant. Il alla aussi dans les
environs avec ses cousins et enseigna ça et là de petites troupes de
gens qui le suivaient ou l'attendaient : en revenant il guérit plusieurs
malades devant la synagogue et y fit ensuite une instruction sur le
mariage et sur le divorce. Il reprocha aux docteurs d'ajuster toute
sorte de choses à la loi, montra à un vieux docteur dans un écrit un
passage qu'il y avait intercalé, lui en prouva la fausseté et lui
ordonna de l"effacer. Je vis aussi que le docteur s'habilla devant lui,
que même il se prosterna à ses pieds, reconnut sa faute et le remercia
de son avertissement.
Jésus mangea et dormit chez
ses parents, et il fut encore question de l'admission des fils parmi les
disciples. Ces gens sont, je crois, alliés à Jésus par un des époux de
Marie de Cléophas, car j'entendis parler beaucoup ici de Joses Barabbas
qui ne me parait pas être du même père que Jacques Thaddée et Simon le
Chananéen.
(15 août.) Dans la nuit du
mercredi Jésus sortit à minuit de la maison de ses parents du petit
Séphoris, et se retira à part pour prier. Je le vis aujourd'hui entre le
petit et le grand Séphoris sur l'ancienne propriété patrimoniale de
sainte Anne. Il n'avait qu'un disciple avec lui. Ceux qui en étaient
devenus les possesseurs par des mariages n'étaient plus ses proches
alliés. Il y avait cependant une vieille femme hydropique alitée qui
tenait à lui de plus près ; un petit garçon aveugle se tenait
habituellement assis près d'elle. Il pria avec la vieille femme à
laquelle il fit répéter ses paroles : il lui tint la main pendant à peu
près une minute sur la tête et sur la région de l'estomac, alors elle
rentra complètement en elle-même, eut une défaillance qui dura près
d'une minute, et se sentit tout à fait soulagée. Alors Jésus lui ordonna
de se lever. L'enflure de l"hydropisie ne disparut pas à l'instant, mais
la malade put marcher, et elle fut en peu de temps débarrassée de son
mal par des sueurs et des évacuations. Cette femme l'implora en faveur
de l'enfant aveugle qui avait environ huit ans ; il n'avait jamais vu ni
parlé, mais il entendait : elle louait sa piété et son obéissance. Jésus
lui mit l'index dans la bouche, et souffla ensuite sur ses deux pouces
ou peut-être les humecta avec sa salive ; puis, priant et regardant au
ciel, il les tint sur les yeux de l'enfant qui étaient fermés ; celui-ci
alors ouvrit les yeux et la première chose qu'il vit fut Jésus, son
libérateur. L'enfant était tout bouleversé par la joie et l'étonnement
que lui causait un état si nouveau pour lui : il courut d'un pas mal
assuré vers Jésus, le remercia en bégayant et pleura à ses pieds. Jésus
lui donna des avis sur l'obéissance et la piété filiale, lui dit
qu'ayant pratiqué ces devoirs étant aveugle, il devait les pratiquer
encore plus fidèlement maintenant qu'il voyait, et ne pas faire servir
ses yeux au péché, etc. Alors survinrent les parents et les gens de la
maison, et il y eut une grande joie et un concert de louanges.
Jésus ne guérissait pas un
malade comme l'autre. Il ne guérissait pas non plus autrement que les
apôtres, les saints des temps postérieurs et les prêtres jusqu'à notre
époque. Il imposait les mains et priait avec les malades. Mais il
faisait cela plus vite que les apôtres. Il faisait aussi ses guérisons
et ses miracles pour qu'ils servissent de modèle à ses successeurs et à
ses disciples. Il les faisait toujours d'une façon qui était appropriée
au mal et aux besoins de chacun. Il touchait les paralytiques, leurs
muscles s'assouplissaient, et il les relevait. Dans les cas de fracture,
il prenait les membres à l'endroit où ils étaient brisés et les os se
rejoignaient ensemble : quant aux lépreux, je voyais qu'aussitôt qu'il
les avait touchés, leurs plaies se séchaient et il en tombait comme des
écailles, mais il restait des marques rouges qui disparaissaient peu à
peu, toutefois plus vite qu'à l'ordinaire et suivant le degré où la
guérison avait été méritée. le n'ai jamais vu un homme contrefait
devenir à l"instant droit comme un cierge, ni un os disloqué se
redresser tout à coup : non qu'il n'eut pu le faire, mais il ne le
faisait pas parce que ses prodiges n'étaient pas un spectacle, mais
c'étaient des œuvres de miséricorde ; c'était une figure de sa mission,
une délivrance, une réconciliation, un enseignement, un développement,
une éducation, une rédemption : et de même qu'il voulait la coopération
des hommes pour les rendre participants de sa rédemption, de même dans
les guérisons la foi, l"espérance, l"amour, le repentir, la conversion
des cœurs, devaient se produire comme coopérant à la réception de la
grâce. à chaque état était assigné le traitement qu'il réclamait, en
sorte que chaque maladie et sa guérison étaient le symbole, l'une d'une
maladie spirituelle, l'autre d'une guérison de l'âme, d'un pardon et
d'un amendement. Ce ne fut qu'à l'égard des paiens que je le vis faire
des miracles plus éclatants et plus extraordinaires. Les miracles des
apôtres et des saints qui vinrent ensuite avaient quelque chose de
beaucoup plus frappant, et de plus contraire à la marché ordinaire de la
nature, car les païens avaient besoin d'être ébranlés, les juifs
seulement d'être dégagés, etc. Souvent il guérissait à distance par la
prière, souvent par un regard, et cela arrivait surtout pour des femmes
affligées de pertes de sang qui n'osaient pas s'approcher de lui, et qui
d'ailleurs ne le devaient pas d'après les lois juives. Il se conformait
à celles de ces lois qui avaient une signification mystérieuse et non
aux autres. J'ai vu à Atharoth dés femmes affligées de perles de sang
baiser la trace de ses pieds et guérir. J'en ai vu d'autres à Capharnaum
le regarder de loin et guérir.
Jésus enseigna encore ça et
là dans les environs. Vers le soir il alla à une école isolée située
prés de quelques habitations, à une égale distance de Nazareth et du
petit Séphoris. Ici le second disciple dont il se faisait accompagner et
le disciple Parménas vinrent de Nazareth le trouver. Ils prirent un peu
de nourriture, en plein air, près d'une hôtellerie. Je vis des
serviteurs de la synagogue du grand Séphoris y apporter des rouleaux
d'écritures : c'est, je crois, parce qu'une instruction doit être faite
dans cet endroit le jour suivant. Parménas était déjà un ami d'enfance
de Jésus et il l'aurait suivi dès le principe avec les autres disciples,
s'il n'avait pas eu à Nazareth des père et mère pauvres qu"il soutenait
par toute sorte de moyens, spécialement en portant des messages.
(16 août.) Je vis ce matin
plusieurs docteurs et pharisiens du grand et du petit Séphoris et des
environs, et quelques autres personnes encore, se réunir dans l'école
isolée près de laquelle Jésus s'était trouvé hier. Ils venaient pour
disputer avec lui sur le passage relatif au divorce qu'il avait signalé
le mercredi dans la synagogue, à l'un des docteurs, comme illicitement
intercalé. Ils avaient très mal pris cela au grand Séphoris, car cette
explication interpolée provenait de leur enseignement. On divorçait très
facilement dans cette ville, et il y avait une maison particulière où
l'on faisait entrer les femmes séparées de leurs maris. Ce docteur qui
avait confessé sa faute, avait copié un cahier de la loi et y avait
intercalé de petites gloses pleines d'erreurs. Ils disputèrent longtemps
contre Jésus ; ils ne voulaient pas examiner pourquoi il prenait sur lui
d'effacer cela : mais il les réduisit au silence, non toutefois à l'aveu
de leur faute comme le premier. Il leur prouva qu'il était détendu de
rien interpoler, et que par conséquent il y avait obligation d'effacer :
il leur démontra la fausseté de l'explication en question, et leur
reprocha vivement la manière dont on éludait la loi sur le divorce dans
leur ville. Il dit dans quel cas il était absolument détendu à l'homme
de renvoyer sa femme, il ajouta que quand un des conjoints avait une
aversion insurmontable pour l'autre, il pouvait y avoir séparation à
l'amiable, mais que le plus fort ne devait pas chasser l'autre contre sa
volonté et sans qu'il y eût de la faute de celui-ci. Toutefois il eut
peu de succès auprès d'eux : ils étaient dépités et enflés d'orgueil,
quoiqu'ils ne trouvassent rien a lui répondre.
Le scribe repris et
converti précédemment par Jésus se sépara tout à fait des pharisiens :
il déclara à sa communauté que dorénavant il enseignerait la loi sans y
rien ajouter, et que, s'ils le trouvaient mauvais, il se retirerait. Le
passage intercalé dans la loi sur le divorce était ainsi conçu : " Quand
l'un des deux époux a eu antérieurement commerce avec une autre
personne, le mariage n'est pas valide et cette autre personne peut
réclamer le premier comme lui appartenant, quand même les époux
vivraient en bonne intelligence. "C'est là ce que Jésus rejeta, et il
parla de la loi sur le divorce comme donnée seulement pour un peuple
grossier.
Il permettait bien de se
séparer, mais non de se remarier. Or deux des principaux pharisiens qui
prenaient part à cette dispute se trouvaient en position de profiter de
ce commentaire sur la séparation (ici elle raconta longuement, mais un
peu confusément leurs rapports matrimoniaux) : c'est pourquoi ils
avaient depuis longtemps mis en circulation de semblables additions à la
loi. Cela n'était pas connu, mais Jésus le savait et il leur dit : "Dans
cette altération de la loi ce ne sont point vos propres convoitises
charnelles que vous défendez"". Ces paroles les remplirent d'une rage
inexprimable.
(16 et 17 août.) Dans
l'après-midi, Jésus alla à Nazareth qui était à environ deux lieues de
l'endroit où il se trouvait, à la même distance à peu près que le petit
Séphoris qui était situé plus à l'est. En avant de la ville, le Seigneur
entra dans la demeure qu'occupaient les héritiers de son ami défunt,
l'Essénien Eliud. Ils lui lavèrent les pieds et lui offrirent une
réfection. C'étaient des gens paisibles, serviables et affectueux. Ils
lui dirent combien les habitants de Nazareth se réjouissaient de son
arrivée. Mais il leur répondit que cette joie ne serait pas de longue
durée, parce qu'ils ne voudraient pas entendre ce qu'il avait à leur
dire.
Il entra ensuite dans la
ville : il y avait à la porte des gens chargés de signaler son arrivée.
à peine parut-il qu'un certain nombre de pharisiens et de gens de
distinction vinrent à sa rencontre, accompagnes d'une grande foule de
peuple. On le reçut très solennellement et on voulut le conduire dans
une hôtellerie publique ou ils avaient préparé un festin pour le
recevoir. Il n'accepta pas, disant qu'il avait pour le moment autre
chose a faire ; il se rendit aussitôt à la synagogue où ils le
suivirent, et où il y eut une grande affluence de peuple. Ceci se
passait un peu avant l'ouverture du sabbat.
Il enseigna sur l"avènement
du royaume de Dieu et sur l'accomplissement des prophètes, demanda le
volume d'Isaïe, le déroula et lut ce passage : (XXI, 1) a L'esprit du
Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m'a oint, il m'a envoyé
porter la bonne nouvelle aux pauvres, afin que je guérisse ceux qui ont
le cœur oppressé, que j'annonce aux captifs leur délivrance, et aux
prisonniers leur élargissement. (Luc, IV, 18, et Matth., V, 3.) il
récita ce passage comme s'appliquant à lui-même, faisant entendre
clairement que c'était bien sur lui qu'était l'esprit de Dieu, lui qui
était venu pour annoncer le salut aux pauvres et aux souffrants, par qui
toute injustice devait être supprimée, les veuves consolées, les malades
guéris, les pécheurs pardonnés, etc. Cela se trouvait en partie dans le
texte, et résultait en partie des explications qu'il donnait. Son
discours fut très beau et très attachant. Tous étaient dans l"admiration
: et ce soir encore ils lui étaient très favorables. Toutefois ils se
disaient de temps en temps les uns aux autres : "il parle absolument
comme si lui-même était le Messie. "Mais l'admiration les dominait
tellement, qu'ils étaient tout fiers de l'avoir pour compatriote, et ils
l'écoutèrent avec grand plaisir. Jésus parla encore, lorsque le sabbat
s'ouvrit, sur la voix de celui qui prépare les chemins dans le désert ',
et dit comment tout devait être égalisé et aplani.
Il alla ensuite manger avec
eux : ils se montrèrent très bienveillants pour lui. Ils lui dirent
qu'il y avait là beaucoup de malades, qu'il devrait bien les guérir !
Jésus déclina cette proposition et ils n'insistèrent pas pour le moment,
pensant que ce serait pour le lendemain. Après le repas, il alla
retrouver les Esséniens.
Note
: Isaïe, XL, 3. C'est d'après la tradition juive, la lecture du
sabbat d'aujourd'hui.
Comme ceux-ci se
réjouissaient fort du bon accueil qu'on lui avait fait, il leur dit
d'attendre jusqu'au jour suivant, qu'alors ils verraient tout autre
chose.
(17 août.) Le samedi matin
Jésus enseigna de nouveau dans la synagogue. un autre 3uif voulut
prendre le livre des Ecritures, parce que c'était son tour de lire :
mais Jésus demanda le volume et prenant pour texte le Deutéronome (ch.
n), il enseigna sur l"obéissance aux commandements auxquels on ne devait
rien ajouter ni rien retrancher ; il rappela comment Moïse avait répété
aux enfants d'Israel tous les préceptes donnés par Dieu et combien on
les avait mal observés. Vint ensuite la lecture des dix commandements et
l'explication du premier commandement sur l'amour de Dieu. Jésus parla
très sévèrement à ce sujet : il leur reprocha d"ajouter toutes sortes de
choses à la loi, et d'imposer de lourds fardeaux au pauvre peuple,
tandis qu'eux-mêmes n'accomplissaient point les préceptes. Il les
attaqua avec tant de force qu'ils devinrent furieux, car ils ne
pouvaient pas dire qu'il parlât contrairement à la vérité. Mais ils
murmuraient et se disaient les uns aux autres : " Comme il est impudent
! il a quitté ce pays il y a quelque temps à peine, et voilà qu'il se
donne pour un personnage merveilleux ! il parle comme s'il était le
Messie, et pourtant nous connaissons bien son père, le pauvre
charpentier, et nous le connaissons bien aussi : où a-t-il étudié,
Comment ose-t-il nous présenter pareille chose ?, Et ils commencèrent à
se mettre en fureur contre lui, mais en secret, car ils étaient
confondus et réduits au silence devant tout le peuple.
Jésus continua à enseigner
tranquillement, et quand il eut fini, il sortit pour aller retrouver la
famille essénienne et prendre quelque nourriture il y fut visité là par
les fils d'un homme riche qui, d'autres fois déjà, avaient demandé
instamment à être admis parmi ses disciples, mais dont les parents ne
cherchaient pour eux que la science et la réputation humaine. Ils
l'invitèrent à venir manger chez eux, ce qu'il n'accepta pas. Ils le
prièrent encore de lés admettre et dirent qu'ils avaient accompli tout
ce qu'il leur avait prescrit. Alors il leur répondit : "Si vous avez
fait cela, vous n'avez pas besoin de venir à mon école, vous êtes
maîtres vous-mêmes. "Et là-dessus il les congédia.
Il mangea et enseigna dans
le cercle de la famille, chez les Esséniens, et ceux-ci lui racontèrent
toutes les vexations qu'ils avaient à endurer. Il leur conseilla d'aller
à Capharnaum, où il comptait résider dorénavant.
Pendant ce temps les
pharisiens s'étaient consultés ensemble et s'excitant les uns les
autres, ils résolurent, si ce soir il parlait encore aussi librement, de
lui montrer qu'il n'y avait pas ici de privilège pour lui, et de le
traiter comme depuis longtemps à Jérusalem on souhaitait qu'il fût
traité. Cependant ils espéraient encore qu'il chercherait à rester en
faveur auprès d'eux, et qu'il ferait quelque miracle par déférence pour
eux. Lorsqu'il vint à la synagogue pour la clôture du sabbat, ils
avaient amené des malades devant l'entrée. Mais il passa au milieu d'eux
et n'en guérit aucun. Dans la synagogue, il parla comme auparavant, de
l'accomplissement des temps, de sa mission, dés derniers jours de grâce,
de leur perversité, du châtiment qui les attendait s'ils ne se
corrigeaient pas ; et il répéta qu'il était venu pour secourir, pour
guérir et pour enseigner. Comme leur colère allait toujours croissant et
qu'ils murmuraient, il leur parla ainsi : " Vous dites : médecin,
guéris-toi toi-même ; les miracles que tu as faits à Capharnaum et
ailleurs, fais-les aussi dans ta patrie ! Mais, nul n'est prophète dans
son pays. Ils s"irritèrent et murmurèrent de plus belle : alors, il
compara le temps présent à une époque de grande famine, et les
différentes villes à de pauvres veuves, et il ajouta : "Lors de la
famine qui eut lieu à l"époque d'Elle, il y avait beaucoup de veuves
dans le pays, et pourtant le prophète ne fut envoyé à aucune d'elles,
mais seulement à la veuve de Sarepta : à l'époque d'Elisée, il y avait
beaucoup de lépreux, et il ne guérit que Naaman, le Syrien, "comparant
ainsi leur ville à un lépreux qui ne devait pas être guéri. Cette
comparaison les mit hors d'eux-mêmes : ils se levèrent de leurs sièges
en grand tumulte et voulurent mettre la main sur lui Mais il leur dit :
" Observez ce que vous enseignez et ne violez pas le sabbat ! Plus lard,
vous ferez ce que vous avez résolu. "Alors, lui répondant par des
murmures et des invectives, ils le laissèrent poursuivre sa prédication,
quittèrent leurs places et se dirigèrent ers la porte.
Mais Jésus enseigna encore
: il ajouta quelques explications à ses dernières paroles, puis il
sortit de la synagogue. Devant la porte, une vingtaine de pharisiens
furieux l'entourèrent, le saisirent et lui dirent : "Viens maintenant
avec nous à une place d'honneur où tu pourras exposer encore ta doctrine
: alors nous te répondrons comme il faut te répondre. " Il leur dit de
le laisser libre, qu'il allait les suivre de son plein gré, et ils
partirent, l'entourant comme une garde, et suivis d'une grande foule de
peuple. Il y eut une violente explosion d'injures et d'invectives au
moment où le sabbat finit. Ils luttaient à l'envi à qui lui adresserait
les insultes les plus grossières : " Nous voulons te répondre ! Va
trouver la veuve de Sarepta. a guérir le syrien Naaman ! Si tu es Elie,
monte au ciel, nous te montrerons une bonne place ! Qui es-tu ? Pourquoi
n'as-tu pas amené ici ta sequelle avec toi, Tu n'en as pas eu le courage
? N'as-tu pas trouvé ici du pain avec tes pauvres parents ? Et
maintenant que tu es repu, tu viens nous injurier ! mais nous voulons
t'entendre ! il faut que tu parles en plein air devant tout le peuple :
nous voulons te répondre ". C'est ainsi qu'on suivit, au milieu des cris
de la foule, le chemin qui conduisait au haut de la montagne. Mais Jésus
continuait à enseigner avec un grand calme : il répondait à leurs propos
par de saintes sentences et des paroles pleines de sagesse qui tantôt
les couvraient de contusion, tantôt redoublaient leur rage.
La synagogue était à
l'extrémité occidentale de Nazareth : comme il faisait déjà nuit, ils
avaient deux falots avec eux. Ils conduisirent Jésus au côté oriental de
la synagogue ; puis, s'en éloignant, ils tournèrent dans une large rue
qui revenait au couchant et conduisait hors de la ville.
Gravissant la montagne, ils
arrivèrent à une haute crête au bas de laquelle était un marais du côté
du nord, tandis qu'au midi un rocher en saillie s'avançait au-dessus
d'un précipice. Il y avait là une place d'où ils avaient coutume de
précipiter les criminels, et c'était en ce lieu qu'ils voulaient encore
une fois interroger Jésus, puis le précipiter du haut du rocher. Le
précipice aboutissait à une gorge étroite. Comme ils approchaient de cet
endroit, je vis Jésus qui était au milieu d'eux comme un prisonnier,
s'arrêter pendant qu'ils continuaient à marcher, vomissant des injures
et des malédictions. Je vis en cet instant prés de Jésus deux longues
figures lumineuses. Je le vis ensuite revenir un peu sur ses pas à
travers la foule qui se pressait, puis passer le long du mur de la ville
sur l'arête de la montagne de Nazareth et gagner la porte par laquelle
il était entré hier. Il revint dans la maison des Esséniens. Ceux-ci
n'avaient pas eu d"inquiétudes à son sujet : ils croyaient en lui et
l'attendaient. Il prit une petite réfection, parla de ce qui venait de
se passer, les engagea de nouveau à se retirer à Capharnaum, leur
rappela qu'il leur avait annoncé d'avance comment on le traiterait :
puis au bout d'une demi heure, il quitta la ville, se dirigeant d'abord
comme s'il eût voulu aller à Cana.
Rien n'était plus risible
que l'exaspération dés pharisiens, le trouble où ils furent et le bruit
qu'ils firent lorsqu'ils s'aperçurent qu'il n'était plus au milieu
d'eux. Tous se mirent à crier : Où est-il ? Arrêtez ! Pendant que la
foule compacte se portait en avant, eux cherchaient à revenir sur leurs
pas, et il y eut sur l'étroit sentier une presse et un tumulte
incroyables. Chacun portait la main sur son voisin : ils se disputaient,
criaient, couraient dans tous les ravins, approchaient la lumière du
creux des rochers et croyaient qu'il s'était blotti quelque part. Ils
s'exposaient eux-mêmes à se rompre le cou et les jambes, et se
reprochaient mutuellement de l'avoir laissé échapper par leur faute. Ils
finirent par s'en retourner en silence, longtemps après que Jésus fut
sorti de la ville. Toutefois ils mirent des hommes en sentinelle sur
tous les points de la montagne et ils disaient en revenant. "On voit
bien ce que c'est : c'est un escamoteur : le diable est venu à son aide,
maintenant il va reparaître inopinément dans un autre coin et mettre le
désordre partout."
TREIZIÈME CHAPITRE.
Prédication de Jésus sur les bords
du lac de Génésareth.
(Du 18 au 24 août.)
Jésus guérit des lépreux à Tarichée. - La veuve possédée à Naim. - Sa
guérison opérée de loin. - Entretiens de Jésus avec ses disciples sur le
chemin. - Instruction faite aux paiens, confusion des pharisiens. -
Jésus dans la maison de Pierre. - Guérisons de malades. - Jésus à
Capharnaum. - Humilité de Pierre.
(18 août.) Les trois
disciples suivant les instructions de Jésus avaient quitté Nazareth
aussitôt après que la synagogue eut été fermée et ils l'attendaient dans
un endroit qu'il avait désigné, sur le chemin qui va dans la direction
du levant vers Tarichée. Je vis Jésus marcher seul pendant la nuit et
rejoindre les disciples vers le matin : je vis aussi Saturnin qui venait
de Capharnaum les rencontrer et se joindre à eux il avait été mandé ici
et les autres disciples étaient allés à sa rencontre il portait avec lui
du pain, du miel et d'autres provisions. Je les vis avec Jésus se
reposer et prendre quelque chose près d'une cabane, dans une vallée
solitaire habitée par des bergers. Jésus parla de ce qui s'était passé à
Nazareth et leur recommanda de rester paisibles et obéissants pour ne
pas faire obstacle à son travail par des démonstrations bruyantes. Je
les vis ensuite suivre des chemins solitaires, passer devant des villes
et se rendre par des vallées à l'endroit où le Jourdain sort de la mer
de Galilée. Il y avait là une grande ville fortifiée, située au pied
d'une montagne, à l'extrémité méridionale de la mer de Galilée, non loin
de la sortie du Jourdain. Elle était sur une langue de terre et l'eau la
bordait au midi. Il s'y trouvait un grand pont et aussi une digue :
c'était une situation singulière. De la ville au lac une plaine
verdoyante descendait en pente douce. La ville s'appelle Tarichée.
Je n'ai jamais vu Jésus
ici. Il n'entra pas dans la ville, mais il prit un sentier qui le
conduisit le long d'un mur méridional, à peu de distance d'une porte. Il
y a en dehors de ce mur un groupe de cabanes destinées à recevoir des
lépreux. Ce n'était pas proprement le mur d'enceinte de la ville ; mais
un mur extérieur de la banlieue. Il était environ quatre heures de
l"après-midi ; étant encore à quelque distance de cet endroit, il dit
aux disciples : "Appelez les lépreux de loin afin qu'ils me suivent et
que je les guérisse ! mais éloignez-vous quand ils sortiront, afin de ne
pas vous souiller, et ne dites rien de ce que vous verrez ; car vous
savez quelle est la fureur des gens de Nazareth et vous ne devez
scandaliser personne. "Alors Jésus s'avança un peu dans la direction du
Jourdain et les disciples crièrent aux malades : "Sortez et suivez le
prophète de Nazareth ! Il vous viendra en aide. "Et quand ils virent ces
gens sortir ils se retirèrent en toute hâte.
Jésus marchait lentement,
se rapprochant de la ville, dans la direction du Jourdain.
Je vis cinq hommes de
différents âges, en longs vêtements blancs sans ceintures, coiffes d'un
capuchon d'où s'abaissait sur le visage un morceau d'étoffe noire, avec
des trous pour les yeux, sortir des cellules adjacentes au mur. Ils
suivirent le Seigneur à la file les uns des autres, jusqu'à un endroit
isolé où Jésus s'arrêta. Alors celui qui était en avant se prosterna à
terre et baisa le bas de sa robe ; Jésus se retourna vers lui, lui mit
la main sur la tête, pria, le bénit et lui dit de se ranger de côté. Le
second fit de même et ainsi de suite jusqu'au cinquième. Ils
découvrirent leur visage et leurs mains et la croûte de la lèpre s'en
détacha. Jésus leur fit une exhortation sur le péché qui était la cause
de leur maladie et sur la manière dont ils devaient vivre dorénavant,
puis il leur défendit de dire qu'il les avait guéris. Mais ils
répondirent : " Seigneur, Vous vous montrez à nous inopinément : il y a
longtemps que nous vous espérions. que nous soupirions après vous, et
nous n'avions personne pour vous parler de notre misère et vous conduire
vers nous : Seigneur, vous vous montrez si soudainement comment
pourrions-nous cacher notre joie et taire vos miracles ? "il leur dit
encore qu'ils ne devaient pas en parler jusqu'à ce qu'ils eussent fait
ce que la loi commande ; qu'ils devaient se montrer aux prêtres qui
constateraient leur guérison, et faire les offrandes et les
purifications prescrites ; qu'après cela ils pourraient dire qui les
avait guéris. Ils se prosternèrent de nouveau pour le remercier et
retournèrent dans leurs cellules. Quant à Jésus, il alla du côté du
Jourdain retrouver les disciples. Ces lépreux n'étaient pas tout à fait
renfermés, ils avaient à leur disposition un espace désigné dans les
limites duquel ils pouvaient se promener. Personne ne s'approchait
d'eux, et on ne leur parlait que de loin : on leur portait de la
nourriture à certains endroits, dans des plats qu'on ne reprenait pas,
mais qui étaient brisés et enfouis par eux : on apportait chaque fois de
nouveaux vases de peu de valeur.
Jésus s'avança encore avec
les disciples dans la direction du Jourdain à travers des bosquets et
des les avenues : ils se reposèrent dans un endroit solitaire où ils
prirent quelque nourriture, et il les enseigna. Ils i : se reposèrent
assez longtemps : je crois même qu'ils dormirent : ce ne fut que dans la
nuit que je les vis traverser le fleuve sur une poutre qui était placée
là.
Pendant que Jésus était
absent de Capharnaum, je vis Marthe qui s'y rendait avec Jeanne Chusa et
Véronique. à Cana, où elles s'arrêtèrent (probablement pendant le
sabbat), une parente de la sainte famille, une veuve d'environ trente
ans, nommée Marie, vint trouver Marthe et la pria d'intercéder pour elle
auprès de Jésus. C'était cette veuve que précédemment l'amie de la veuve
de Naïm avait recommandée à Jésus, mais sans rien obtenir encore de lui.
Elle avait vécu dans le désordre dans d'autres endroits, et elle avait
fini par empoisonner un de ses amants. On ne savait pas cela dans le
pays : quant à elle, elle avait été vivement touchée en entendant parler
de la miséricorde de Jésus à l'égard des pécheurs, et elle ne demandait
qu'à faire pénitence et à rentrer en grâce. Elle vint chercher Marthe à
Cana, la pria de parler en sa faveur à la mère de Jésus et lui avoua
toutes ses fautes : elle apportait une partie de son bien convertie en
petits lingots d'or, et voulait en outre donner tout le reste. Les
saintes femmes, n'oubliant pas ce que Jésus leur avait dit à Béthanie à
l'occasion de la perle perdue, l'accueillirent avec bonté et
l'accompagnèrent à Capharnaum parce qu'elle était alors possédée d'un
démon muet. Il fallait donc la surveiller : car dans ses attaques elle
ne pouvait pas appeler au secours ; elle était alors tout à fait muette,
et le démon la poussait tantôt dans le feu, tantôt dans l'eau. Quand
elle revenait à elle, elle s"asseyait ou se couchait dans un coin et
pleurait amèrement. Cette veuve était la fille ou la petite-fille d'une
sœur de sainte Anne ; du côté paternel elle était alliée à la mère de
Lazare, qui était de Jérusalem. Elle était aussi parente de Maroni, la
veuve de Naïm, par Eliud, mari de celle-ci et fils d'une soeur de sainte
Anne : voilà pourquoi l'amie de Maroni l'avait recommandée à Jésus, lors
de son passage à Naïm.
(19 août.) Hier, comme on
l'a dit, Jésus traversa le Jourdain avec les quatre disciples au-dessous
de Tarichée. Il y avait en divers endroits du fleuve des barques sur
lesquelles on passait soi-même et elles étaient toujours ramenées à leur
place par des gens qui travaillaient sur les bords, et qui habitaient
des cabanes disséminées de loin en loin le long du fleuve sur une grande
étendue. Jésus ne suivit pas le bord du lac, mais il monta au levant
vers la ville de Galaad. Les quatre disciples qui étaient avec lui
étaient Parménas de Nazareth, Saturnin, et deux autres déjà mentionnés
qui étaient de Jérusalem, et dont l'un s'appelait comme une ville qui a
des rapports avec saint Paul, Tarsus, ou peut-être Tharzissus ; l"autre
qui était frère du premier, avait aussi comme un nom de ville terminé
par bolus (elle dit plus tard : Aristobolus). Tharzissus devint évêque
d'Athènes. Aristobolus fut plus tard subordonné à Barnabé : j'entendis
le mot de fraternité : mais il était seulement son frère spirituel
2.
Notes
: C'est ce que dit aussi Dorotheus, dans la Synopsis discipulorum.
2 Dans plusieurs légendes, il est appelé frater Barnabae : dans
d"autres on lui donne aussi le nom de Zébédée.
Il alla souvent avec Paul
et Barnabé, et, je crois, fut évêque à Britannia. Il avait été présenté
à Jésus par Lazare, lors de son dernier voyage en Galilée, si je ne me
trompe ils étaient étrangers, Grecs, à ce que je crois. Leur père
s'était établi à Jérusalem, il n'y avait pas longtemps. C'étaient des
gens qui faisaient le commerce maritime : leurs esclaves ou serviteurs,
transportant des marchandises sur leurs bêtes de somme, étaient venus
entendre prêcher Jean et s'étaient fait baptiser par lui. Ces serviteurs
avaient fait des rapports sur Jean et sur Jésus à leurs maîtres,
lesquels allèrent eux-mêmes trouver Jean avec leurs fils. Le père et les
fils se firent baptiser, reçurent la circoncision et la famille revint à
Jérusalem. Ils avaient quelque aisance, et je crois que dans la suite
ils donnèrent tout ce qu'ils possédaient à la communauté. Les deux
frères étaient grands, bruns, intelligents, et ils avaient reçu une
bonne éducation. C'étaient des jeunes gens arrivés à l'âge adulte. Je
les voyais en route tout arranger et mettre en ordre avec beaucoup
d'adresse et de dextérité.
Une petite rivière descend de l'endroit où montait Jésus : je crois
qu'il la traversa. Le prophète Elie avait séjourné là autrefois : Jésus
raconta quelque chose à ce sujet.
Jésus fit des instructions
aux disciples pendant toute la route : j'en avais retenu beaucoup de
choses, mais une visite que j'ai reçue ce matin me l'a fait oublier. Il
enseigna en paraboles tirées de divers états et de divers métiers, et
aussi des buissons, des pierres, des plantes, des lieux et de ce qui se
présentait sur le chemin, Les disciples firent des questions sur
diverses circonstances où ils s'étaient trouvés avec lui à Séphoris et à
Nazareth.
Note :
Dorotheus écrit à tort Béthanie.
Il leur parla du mariage, à
propos de la dispute avec les pharisiens de Séphoris et s'éleva contre
le divorce. Il parla de l"irrévocabilité du consentement, ajoutant que
Moise n'avait permis la répudiation que parce qu'il avait affaire à un
peuple grossier et pécheur.
Ils l'interrogèrent encore
sur le reproche qu'on lui avait fait à Nazareth de ne pas aimer son
prochain, parce qu'il n'avait pas voulu opérer de guérisons dans sa
patrie, qui était ce qu'il avait de plus proche : ne devait-on donc pas,
disaient-ils, regarder ses compatriotes comme son prochain ? Là-dessus
Jésus enseigna fort au long sur l'amour du prochain et leur présenta des
comparaisons et des questions de toute espèce. Il tira ces comparaisons
des divers états qui sont dans le monde, et tout en parlant il montrait
du doigt certains endroits qu'on pouvait voir dans le lointain et ou ces
métiers étaient particulièrement exercés. Il dit aussi que, quand on
voulait le suivre, on devait quitter son père et sa mère et pourtant
observer le quatrième commandement ; qu'on devait traiter sa patrie
comme il avait fait à Nazareth, si elle le méritait, et pourtant
pratiquer l'amour du prochain ; que le prochain était, avant tout, Dieu
le Père céleste, et celui qu'il avait envoyé. Il parla ensuite de
l'amour du prochain selon le monde : il parla des publicains de Galaad
où ils allaient alors, lesquels aimaient pardessus tout ceux qui leur
payaient exactement la taxe : il montra Dalmanutha qui était à leur
gauche et dit : "Ces faiseurs de tentes et de tapis aiment leur prochain
quand il leur achète beaucoup de leurs produits : mais ils laissent sans
abri leurs propres pauvres.
Il tira du métier des
cordonniers une comparaison qui avait rapport à la curiosité des gens de
Nazareth. Je ne la sais plus bien : mais il disait à peu près : "Je n'ai
pas besoin de l'honneur du monde qui a de belles couleurs comme les
sandales bariolées, exposées sur les établis des cordonniers, lesquelles
ensuite sont mises sous les pieds et foulées dans la boue." Il dit
encore : "ils sont comme les cordonniers de cette ville (qu'il montrait
du doigt), leurs propres enfants les injurient et les méprisent, et ils
sont ainsi poussés vers l'étranger : s'ils ont entendu parler des
chaussures vertes à la nouvelle mode, ils en font venir par curiosité et
veulent ensuite se pavaner avec ces chaussures qui sont foulées aux
pieds comme cet honneur dont je parle." Il parla de la même manière des
pêcheurs, des architectes et de diverses autres professions.
Ils lui demandèrent où il
voulait habiter dorénavant, et s'il voulait bâtir une maison à
Capharnaum ? Il répondit qu'il ne voulait pas bâtir sur le sable, et il
parla d'une autre ville qu'il voulait bâtir. Je ne comprenais pas
toujours ce qu'ils disaient lorsqu'ils marchaient : je comprenais mieux
quand ils étaient assis Je crois me rappeler qu'il voulait avoir un
petit navire à lui pour aller et venir sur le lac. Il voulait enseigner
sur l'eau et sur la terre.
Ils allèrent dans le pays
de Galaad : Abraham y avait séjourné avec Loth : ils avaient déjà fait
un partage entre eux à cette époque. Il leur dit quelque chose à ce
sujet. Il leur enjoignit de ne pas parler de la guérison des lépreux
afin de ne scandaliser personne, et d'éviter avec soin tout ce qui
pouvait faire de l'éclat, parce que certainement les gens de Nazareth
chercheraient à faire du bruit et soulèveraient les passions. Il
voulait, à ce que je crois, enseigner encore à Capharnaum le jour du
sabbat : c'était là qu'ils pourraient apprendre ce que c'était que
l"amour du prochain et la reconnaissance des hommes : car il devait y
être reçu d'une toute autre façon que lorsqu'il avait guéri le fils du
centurion.
Ayant fait quelques lieues
au nord-est ils arrivèrent dans l'après-midi en face de Galaad (?), au
sud de Gamala. Il y avait dans cette ville des Juifs et des paiens comme
dans la plupart des villes de cette contrée. Les disciples y seraient
entrés volontiers, mais Jésus leur dit que s'il allait aux Juifs, ils le
recevraient mal et le laisseraient manquer de tout ; que s'il allait aux
païens, les Juifs s'en scandaliseraient et le calomnieraient. Il dit
aussi de cette ville qu'elle serait entièrement détruite et qu'elle
était très mauvaise. Je ne sais à quelle occasion, peut-être par suite
de ce qu"ils avaient entendu dans l'hôtellerie les disciples lui
parlèrent d'un certain Agabus, un prophète d'Argob, résidant alors dans
les environs, qui depuis longtemps avait eu des visions relatives à
Jésus, et avait encore prophétisé à son sujet assez récemment. Il devint
plus tard son disciple. Jésus dit de lui que ses parents étaient
hérodiens et l'avaient élevé dans cette secte mais qu'il s'était
converti. Il parla ensuite des sectes qu"il compara à des sépulcres,
beaux à l'extérieur, mais pleins de pourriture au dedans.
Les hérodiens se rencontraient fréquemment à l'est du Jourdain, dans la
Pérée, la Trachonitide et l"Iturée : ils ne voulaient pas être connus et
agissaient dans l'ombre : ils se soutenaient les uns les autres en
secret : des gens pauvres qui entraient dans leur société étaient
aussitôt secourus et trouvaient des ressources. Ils avaient des dehors
très Pharisaïques, travaillaient sous-main à délivrer les Juifs du joug
des Romains et avaient des rapports intimes avec Hérode. Ils formaient
une société comme celle des francs-maçons. Je compris par les paroles de
Jésus, qu'ils affichaient une haute vertu et une grande sainteté, mais
que c'étaient des hypocrites.
Jésus resta avec les
disciples à quelque distance de Galaad, dans une hôtellerie de
publicains : il y avait là plusieurs publicains auxquels les païens
payaient un droit Pour les marchandises qu'ils faisaient entrer. Ils
avaient aujourd"hui rencontré çà et là plusieurs personnes sur le
chemin, mais elles ne paraissaient pas connaître Jésus et il ne leur
adressa pas la parole. Jésus enseigna ici sur l'approche du royaume de
Dieu, sur le Père qui envoie son Fils dans sa vigne et il donna
clairement à entendre qu'il était lui-même ce Fils, mais il ajouta que
tous ceux qui faisaient la volonté du Père étaient ses enfants, ce qui
les laissa encore dans l'incertitude à ce sujet Il les exhorta aussi a
recevoir le baptême et plusieurs se convertirent. Ils lui demandèrent
s'ils devaient se faire baptiser par les disciples de Jean ; il leur
répondit qu'il fallait attendre jusqu'au moment où ses disciples
baptiseraient dans cet endroit. Les disciples lui demandèrent aussi
aujourd'hui si son baptême était autre chose que celui de Jean, parce
qu'ils avaient reçu celui de Jean. Il fit une différence et appela le
sien une ablution de pénitence, etc. (Elle ne se souvient plus bien de
ce qu'il dit à ce sujet).
Dans l'instruction qu'il
fit aux publicains, il y eut quelque chose sur la sainte Trinité sur le
Père. le Fils, le Saint-Esprit et leur unité toutefois en termes tout
différents. Les disciples ici ne se firent pas de scrupules de frayer
avec les publicains.
Comme Jésus, à Nazareth, avait logé chez les Esséniens et que les
pharisiens lui en avaient fait un reproche, les disciples lui tirent des
questions sur les Esséniens, et j'entendis Jésus les louer sous forme
d'interrogation. Il parla de diverses fautes contre l'amour du prochain
et la justice, en ajoutant à chaque fois : les Esséniens font-ils ceci,
les Esséniens font-ils cela ? etc.
Dans le voisinage de
Galaad, quelques possédés qui couraient autour de la ville dans une
contrée déserte poursuivirent Jésus de leurs cris. Ils étaient tout à
fait abandonnés, ils volaient et tuaient les gens qui passaient par là
et commettaient toute espèce d"abominations. Il les regarda et les bénit
: alors ils furent délivrés, coururent à lui et se jetèrent à ses pieds.
Il les exhorta au baptême et à la pénitence, et leur dit d'attendre le
moment où ses disciples viendraient baptiser à Ainon. Près de Galaad le
sol était pierreux, c'était un fond de rocher blanc et friable.
(20 août.) Jésus traversa
aujourd'hui les montagnes à l'extrémité méridionale desquelles se trouve
Gamala ; il alla au nord-ouest dans la direction du lac. Dans cette
marche à travers les montagnes situées au levant de la mer de Galilée,
il passa à une lieue environ à l'est de Gergesa, où plus tard il chassa
les démons dans les pourceaux. Gergesa était située dans un enfoncement
résultant d'une dépression de l'arête de la montagne, et il y avait tout
auprès un marais formé par le barrage d'un ruisseau qui se jette dans le
lac près de Magdalum, à travers un ravin. Sur le chemin Jésus parla de
cet endroit avec les disciples : il dit qu'un prophète (dont j'ai oublié
le nom) avait eu a essuyer les moqueries des gens de Gergesa, à cause de
sa taille contrefaite et qu'il leur avait dit : "` Écoutez, vous qui
vous moquez de moi ; vos enfants resteront endurcis quand un plus grand
que moi enseignera et guérira ici, et vous n'accueillerez pas le salut
avec joie à cause du chagrin que vous causera la perte d'animaux
immondes.
Note
: Aujourd'hui Anne Catherine essaya de représenter, au moyen des
plis qu'elle faisait dans ça couverture, la vallée de la petite
rivière qui se jette dans le Jourdain, au midi du lac de Génésareth,
et aussi les montagnes et la position des lieux au levant du lac.
Elle fit cela pour mieux faire comprendre à l'écrivain la direction
du voyage de Jésus, et il vit avec plaisir que beaucoup de ses
indications étaient d'accord avec les meilleures cartes. Vis-à-vis
de Tarichée, dit-elle, à une lieue dans l'intérieur des terres, se
trouve Dalmanutha, située sur une hauteur. On l'a à gauche quand on
entre dans la vallée de la petite rivière. à droite, au côté
méridional de la vallée, se trouve Gadara, placée sur une hauteur
au-dessous de laquelle un autre ruisseau s'unit au Hiéromax : la
vallée de celui-ci descend du nord derrière les montagnes placées à
l'est du lac et tourne à l'ouest vers le Jourdain. Les montagnes au
levant du lac forment plusieurs terrasses superposées. Au point
culminant on a une vue étendue sur les montagnes, le lac et
plusieurs villes. De cette hauteur en abaissant ses regards vers le
couchant, on voit dans un enfoncement Gergesa d'où part un ravin qui
aboutit au lac. Au delà du lac, au nord-ouest on voit Capharnaum ;
si l'on regarde au nord, sur la rive orientale du Jourdain, on voit
Bethsaïde-Juliade, et en avant de celle-ci à peu de distance, dans
la direction du sud-est, Gerasa dominant une vallée qui descend au
lac. un peu au nord de Gerasa est le pays de Chorozaim. Au nord, par
delà Gerasa, on voit une arête élevée, se terminant par une haute
chaîne où se dressent de nombreux sommets et où il y a beaucoup de
bois et de rochers blancs ; c'est a l'ouest de cette chaîne qu'est
située Séleucie au bord du lac Mérom. Si de la hauteur d'où j'ai vu
tout cela, on regarde vers le midi, on voit à son extrémité
méridionale sur une sommité escarpée la ville forte de Gamala, et
au-dessous, à une lieue au sud, autour d'une éminence, la ville où
était allé Jésus, et qui, si je ne me trompe, s'appelle Galaad.
Galaad a une position admirable ; la ville est étagée autour d'une
hauteur. On y voit des jardins s'élever en amphithéâtre par dessus
des temples et des maisons. Sur le point culminant s'élève Gamala.
Cette prédiction se
rapportait au Christ et aux démons envoyés dans les pourceaux. Jésus
parla à ses disciples de ce qui l'attendait à Capharnaum. Il leur dit
que les pharisiens de Séphoris irrités de son enseignement sur le
mariage avaient envoyé à Jérusalem, que les habitants de Nazareth
avaient aussi porté des accusations contre lui et que toute une troupe
de pharisiens de Jérusalem, de Nazareth et de Séphoris, avait été
envoyée à Capharnaum, pour l'espionner et lutter contre lui.
Aujourd'hui sur le chemin
ils rencontrèrent de grands cortèges de païens avec des mulets et des
bœufs qui avaient des mufles épais, de larges et fortes cornes, et qui
marchaient la tête baissée. Il y avait là des caravanes de commerce qui
venaient de la Syrie et de l'Arabie, et qui, arrivées dans la contrée de
Gerasa, s'embarquaient sur le lac ou passaient plus haut sur le pont du
Jourdain. Il s'y trouvait beaucoup de gens qui s'étaient adjoints à ces
caravanes pour entendre le prophète. Quelques troupes allaient sur des
chemins séparés, mais plusieurs personnes d'une troupe vinrent à lui sur
la route et lui demandèrent si le prophète enseignait à Capharnaum. Il
leur dit de ne pas aller pour le moment à Capharnaum, mais de s'arrêter
sur la pente de la montagne au nord de Gerasa, où le prophète irait
bientôt. La manière dont il leur parla fit qu'ils lui dirent :
"Seigneur, vous aussi, vous êtes un prophète ! "et en le voyant ils
furent en doute s'il n'était pas celui qu'ils cherchaient.
Pendant ce voyage, un
messager de la sainte Vierge vint trouver Jésus, je ne sais plus bien
dans quel endroit. Elle le faisait prier de venir à Capharnaum et de
délivrer la veuve Marie, que Marthe lui avait amenée et qui était
possédée d'un démon muet. Je vis à cette occasion comment Marthe l'avait
amenée à la sainte Vierge et lui avait demandé son intercession. La mère
de Jésus jeta un regard sévère sur cette malheureuse femme et la fit
rester longtemps à une certaine distance. Alors le repentir devint plus
vif dans le cœur de la veuve et elle l'implora en ces termes avec une
grande abondance de larmes : " O Mère du Prophète, priez votre Fils pour
moi afin que je puisse rentrer en grâce avec Dieu. "La Mère de Jésus,
ayant reconnu qu'elle était sincèrement repentante, envoya un messager à
son Fils. Mais Jésus le renvoya disant que la malade était guérie
maintenant et qu'il viendrait en temps opportun. Il la guérit de loin
comme le fils du centurion de Capharnaum. Au moment même où il parlait
ainsi, je vis la veuve tomber par terre comme morte et les femmes la
porter sur un lit : mais elle revint bientôt à elle et se trouva
complètement délivrée. Je crois que précédemment déjà, pendant qu'elle
exprimait son repentir, d'autres démons étaient sortis d'elle. Marthe et
ses compagnes repartirent avec elle pour Béthanie, avant l'arrivée de
Jésus. Marthe l'établit dans un bâtiment voisin de sa maison où elle
avait déjà à demeure plusieurs femmes qui préparaient des pièces
d'habillement de toute sorte pour les pauvres et pour les disciples.
Elle vécut là retirée dans la pénitence et le travail, et donna tout ce
qu'elle possédait à la communauté. Sa vie avait beaucoup de rapports
avec celle de Madeleine, sinon qu'elle avait été mariée. Elle
connaissait très bien Dina, la Samaritaine, qui était, comme elle, de
Damas.
(21 août.) Jésus vers le
soir entra avec ses disciples dans une hôtellerie, devant Gérasa. Il y
avait là une telle affluence de paiens et de voyageurs, que Jésus se
retira aussitôt à part : les disciples s'entretinrent du prophète avec
les païens et les instruisirent. Je crois confusément que Jésus
s'entretint encore ce soir avec un maître d'école juif. Gérasa est
située au penchant d'une vallée qui est a peu près à deux lieues de
l'extrémité septentrionale du lac, et à une lieue et demie environ du
lac lui-même. C'est une ville plus grande et aussi plus propre que
Capharnaum, Gérasa, comme presque tous les lieux de cette contrée, a une
population à moitié païenne : il s'y trouve des temples. Les Juifs sont
la partie opprimée : ils ont toutefois une école et des maîtres. Il y a
ici beaucoup de commerce et d'industrie : car il y passe des caravanes
allant de Syrie et d'Asie en Egypte. J'ai vu devant la porte un bâtiment
long d'un demi quart de lieue, où l'on forge de longues barres de fer et
des tuyaux du même métal. On forgeait les barres à plat, puis on les
soudait ensemble circulairement : on fabriquait aussi des tuyaux de
plomb. On ne se servait pas de charbon de bois pour ces travaux, mais on
brûlait des masses noires qu'on tirait de terre. Il vient ici du fer d'Argob,
la patrie du prophète Agabus, car je vois qu'en cet endroit le sol est
ferrugineux : c'est un fond d'ocre jaune : je n'y vis pas de mines.
Les païens qui passaient
avaient planté leurs tentes au nord de Gérasa, sur la pente méridionale
du promontoire : il y avait là aussi des païens de la ville, et quelques
Juifs qui se tenaient à part. Les païens étaient autrement habillés que
les Juifs : ils avaient des robes qui leur venaient à mi jambe. Il
devait y avoir parmi eux des gens riches, car je vis des femmes qui
étaient toutes coiffées de perles : quelques-unes avaient au-dessus de
leur voile les cheveux tressés avec des perles et formant ensemble un
petit réseau.
Jésus se rendit sur cette
hauteur et il enseigna tout en gravissant la montagne ; il passait le
long des divers groupes, et s'arrêtait tantôt ici, tantôt là. Il
enseignait sous forme de conversation avec les voyageurs. Il les
interrogeait et laissait des réponses instructives aux questions qu'ils
lui adressaient eux-mêmes. Il leur demandait : "D'où êtes-vous ? Quel
est l'objet de votre voyage ? Qu'attendez-vous du prophète ? " Il leur
enseignait ce qu'ils avaient à faire, s'ils voulaient avoir part au
salut. Il leur disait : "Heureux ceux qui viennent chercher le salut, en
faisant un voyage si long et si pénible. Malheur à ceux parmi lesquels
il se lève et qui ne l'accueillent pas. n Il expliquait les prophéties
sur le Messie, la vocation des païens, et racontait la vocation et le
voyage des trois rois, etc. Ces gens en savaient quelque chose.
Il y avait parmi eux des
gens du pays et de la ville où le serviteur d'Abgare, roi d"Édesse,
rapportant à son maître le portrait de Jésus et sa lettre, avait passé
la nuit près d'une tuilerie. Jésus leur raconta différentes paraboles.
Il ne guérit pas de malades. Ces gens étaient pour la plupart d'un bon
naturel. Quelques-uns d'entre eux toutefois regrettaient d'être venus :
ils s'attendaient à toute autre chose de la part du prophète, à quelque
chose qui frappât davantage leur imagination.
Vers midi, Jésus alla avec
les quatre disciples manger chez un docteur juif de la secte des
pharisiens, qui demeurait devant la ville. Cet homme avait invité hier
soir, ou ce matin, à venir chez lui, mais il était trop orgueilleux pour
assister aux instructions que Jésus donnait aux paiens. D'autres
pharisiens de la ville étaient présents. Ils accueillirent Jésus avec
une bienveillance apparente, mais hypocrite, et il se présenta pendant
le repas une occasion de leur dire nettement la vérité. Un esclave ou
serviteur païen ayant apporté sur la table un beau plat de couleurs
varices, avec des gâteaux pétris d'épices recherchées, et figurant des
oiseaux, des fleurs et d'autres objets du même genre, un des assistants
fit grand bruit de ce que le plat n'était pas propre, repoussa très
grossièrement le pauvre esclave, l"injuria et le renvoya parmi les
autres serviteurs. Jésus dit alors : " Ce n'est pas le plat, c'est ce
qui est dedans qui est plein d'impureté. "Le maître de la maison
répondit que c'était une erreur, que les gâteaux étaient très propres et
faits avec des ingrédients exquis "Jésus fit une réponse, dont voici à
peu près le sens : " Rien n'est plus impur, car ce ne sont que des
friandises pétries avec la soeur, le sang, la moelle et les larmes des
veuves, des orphelins et des pauvres. a Puis il leur adressa des leçons
sévères sur leurs intrigues, leur prodigalité, leur cupidité et leur
hypocrisie ils en furent fort dépités : mais ils ne trouvèrent rien à
répliquer, et quittèrent la maison sauf le maître, qui continuait à
flatter hypocritement Jésus, parce qu'il espérait découvrir quelque
chose dont il put l'accuser devant les pharisiens réunis à Capharnaum.
Vers le soir Jésus
instruisit encore les Païens sur la montagne. Ils lui demandèrent s'ils
devaient se faire baptiser par les disciples de Jean, et exprimèrent le
désir de s'établir ici dans le pays. Jésus leur conseilla d'attendre
qu'ils fussent mieux instruits pour recevoir le baptême, et d'aller
d'abord de l'autre côté du Jourdain, vers la haute Galilée, dans la
contrée d'Adama, où il y avait déjà des païens convertis et des gens de
bien, et où il devait enseigner de nouveau. Il leur encore une
instruction à la lueur des flambeaux, parce qu'il était déjà tard, puis
il les quitta.
(21-22 août.) Il se dirigea
alors vers le nord-ouest, et franchissant la montagne, il se rendit à
l'endroit où les serviteurs de Pierre l'attendaient avec une barque. Il
descendit sur le bord du lac et s'embarqua à une demi lieue à peu près
au-dessous de Bethsaide-Juliade, qui est entourée de murs comme une
ville. On était déjà à une heure avancée du soir, et les trois mariniers
qui étaient des esclaves païens de Pierre avaient avec eux des lanternes
à l'aide desquelles ils se dirigeaient sur le lac. Jésus monta sur un
petit navire que Pierre et André avaient construit eux-mêmes pour Jésus
avec leurs serviteurs, car ils n'étaient pas seulement mariniers et
pêcheurs, ils construisaient en outre leurs barques eux-mêmes. Pierre en
avait trois, dont une était très grande, aussi longue qu'une maison. La
barque où était Jésus pouvait contenir environ dix personnes : quant à
la proportion entre la longueur et la largeur, elle avait à peu près la
forme d'un œuf. à l'avant et à l'arrière était comme une cave fermée où
l'on pouvait déposer toutes sortes de choses, et même se laver les
pieds. Au milieu s'élevait le mât, contre lequel venaient s'appuyer des
perches partant du rebord de la barque. On pouvait faire tourner par en
haut la voile autour de ces perches. Des sièges étaient adossés au mât.
Plus tard Jésus enseigna souvent sur cette barque : elle le fit souvent
aborder au rivage en passant au milieu des autres embarcations. Les
grands navires avaient autour du mat des plates-formes circulaires,
comme des galeries superposées, à travers lesquelles on pouvait voir ce
qui se passait, et où l'on pouvait se faire des niches séparées avec de
la toile à voiles. Les perches qui s'appuyaient aux mâts étaient garnies
d'échelons pour grimper ; des deux côtés du navire étaient des caisses
ou des tonnes flottantes, faisant l'effet d'ailes ou de nageoires, en
sorte que le bâtiment ne pouvait pas chavirer dans la tempête : on les
allégeait ou on en augmentait le poids selon qu'on voulait que
l'embarcation tirât plus ou moins d'eau. Quelquefois elles étaient
remplies d'eau, quelquefois vides Elles servaient encore à conserver le
poisson qu'on avait pris. De l'avant et de l'arrière du navire on
faisait sortir des planches mobiles pour arriver plus facilement à ces
caisses ou aux barques voisines, et aussi pour tirer les filets. Quand
on ne pêchait pas, ces navires servaient à passer des caravanes ou des
voyageurs d'un bord du lac à l'autre. Les gens employés en sous-ordre à
la pêche et à la manœuvre étaient pour la plupart des esclaves païens :
Pierre aussi avait des esclaves.
Jésus débarqua au-dessus de
Bethsaïde, non loin de la maison des lépreux où Pierre, André, Jean,
Jacques le Majeur, Jacques le Mineur, Philippe, et un autre encore
l'attendaient. Il ne passèrent pas par Bethsaïde, mais prirent le chemin
le plus court qui passait devant l'extrémité septentrionale de la ville,
et franchissant le coteau, ils se rendirent à la maison de Pierre dans
la vallée entre Capharnaum et Bethsaide.
La mère de Jésus et les
autres femmes étaient dans cette maison. La belle-mère de Pierre était
malade et couchée. Jésus la visita, mais il ne la guérit pas encore. On
lui lava les pieds et il y eut un repas où l'on s'entretint beaucoup de
l'arrivée à Capharnaüm de quinze pharisiens envoyés pour espionner Jésus
par les principales écoles de la Judée et de Jérusalem. Quelques
endroits d'une certaine importance en avaient envoyé chacun deux : il
n'y en avait qu'un de Séphoris ; le jeune homme de Nazareth qui, à
plusieurs reprises, avait prié Jésus de le prendre avec lui et qu'il
avait encore refusé récemment, était maintenant adjoint en qualité de
scribe à cette commission. Il s'était marié peu de temps auparavant, et
Jésus dit à ses disciples : " voyez qui vous m'aviez recommandé ! Il
vient pour m'espionner et il voudrait être mon disciple!" Ce jeune homme
avait voulu se joindre à Jésus par vanité, et parce qu'il n'avait pas
été accueilli par lui, il se rangeait maintenant parmi ses ennemis. Ces
pharisiens devaient séjourner un certain temps à Capharnaum. De ceux qui
étaient arrivés par couples, l"un devait revenir et faire son rapport,
l'autre rester à Capharnaum pour surveiller les actes et les
enseignements de Jésus Ils avaient déjà eu une réunion où ils avaient
fait venir le centurion Zorobabel qu'ils avaient interrogé ainsi que
plusieurs autres personnes sur les guérisons opérées par le Sauveur et
les enseignements donnés par lui. Ils ne pouvaient pas nier les
guérisons ni rejeter la doctrine : toutefois ils n'étaient jamais
satisfaits, quoi qu'il arrivât. Ils se scandalisaient de ce que Jésus
n'étudiait pas chez eux, de ce qu'il frayait avec des gens du commun,
Esséniens, pêcheurs, publicains, etc., de ce qu'il n'avait pas de
mission de Jérusalem, de ce qu'il ne leur demandait pas conseil comme à
des savants, de ce qu'il n'était ni pharisien, ni sadducéen, de ce qu'il
avait enseigné chez les samaritains et guéri le jour du sabbat. En un
mot ils le trouvaient en faute, parce qu'ils n'auraient pu lui rendre
justice sans avoir à se mépriser eux-mêmes. Le jeune homme de Nazareth
était surtout un ennemi acharné des Samaritains qu'il persécutait de
toutes les manières.
Les amis et parents de
Jésus désiraient qu'il n'enseignât pas à Capharnaum le jour du sabbat ;
sa mère elle-même était inquiète et disait qu'il ferait mieux d'aller
encore sur l'autre rive du lac. Dans ces occasions, Jésus répondait
brièvement et se refusait à ce qu'on lui demandait sans donner
d'explications.
Il était venu à Bethsaïde,
et aussi a Capharnaüm, une foule de malades, de païens et de juifs.
Plusieurs troupes de voyageur3 qui l'avant-veille avaient rencontré
Jésus de l'autre côté du lac l'attendaient ici. Prés de Bethsaïde. Il y
avait de grandes hôtelleries couvertes avec des toits de roseaux, où
païens et juifs logeaient séparément ; au-dessus de cet endroit, se
trouvaient des bains pour les païens, au-dessous d'autres bains pour les
juifs.
Pierre avait reçu beaucoup
de malades juifs dans l'intérieur de sa maison, et Jésus en guérit
plusieurs ce matin. Il avait dit hier soir à Pierre, qu'il devait pour
aujourd'hui laisser là sa pêche et l'aider à pêcher des hommes, que
bientôt il l'appellerait définitivement. Pierre obéit, mais cela le
mettait un peu dans l'embarras. Il avait toujours la pensée que vivre
avec le Seigneur était quelque chose de trop relevé pour lui, que
c'était au-dessus de sa portée. Il croyait, il voyait les miracles, il
s'ouvrait volontiers, faisait ce qui lui était demandé : mais il
s'imaginait qu'il n'était pas fait pour cela, qu'il était trop simple,
qu'il n'en était pas digne ; à cela se joignait une secrète inquiétude
touchant ses affaires privées. Souvent aussi il était fatigué des
reproches injurieux qui lui étaient adressés sur ce qu'un simple pêcheur
comme lui allait partout avec le prophète, faisait de sa maison an foyer
de fanatisme et de rébellion, laissait ses affaires en souffrance. Il y
avait en lui un combat intérieur, car alors il n'était pas aussi plein
d'ardeur et d'enthousiasme qu'André et les autres. Il était pourtant
plein de foi et d'amour, mais en outre il était humble, timide, ne
connaissait que son métier et ne demandait pas mieux que de s'y tenir en
toute simplicité.
Jésus alla de la maison de
Pierre à l'extrémité septentrionale de Bethsaide. Tout le chemin était
couvert de malades païens et juifs, toutefois ils étaient séparés les
uns des autres et les lépreux se tenaient à part à une grande distance.
Il y avait des aveugles, des paralytiques, des muets, des sourds, des
goutteux et particulièrement beaucoup de Juifs hydropiques. Les
guérisons se firent aujourd'hui avec plus d'ordre et de solennité que
dans d'autres occasions antérieures. La plupart des malades étaient ici
depuis deux jours, et les disciples du pays, André, Pierre et les autres
auxquels Jésus avait annoncé son arrivée, les avaient placés commodément
suivant les instructions qu'il leur avait données d'avance : il y avait
sur cette route plusieurs massifs de verdure isolés et quelques petits
jardins Jésus enseigna et exhorta les malades qu'on portait ou qu'on
amenait par troupes autour d"eux. Plusieurs demandaient à lui confesser
leurs fautes, et il se retirait à l"écart avec eux. Je les voyais
s'agenouiller devant lui, confesser leurs fautes et pleurer. Parmi les
païens, il y en avait plusieurs qui s'étaient rendus coupables de vols
et de meurtres dans leurs voyages. Il en laissait quelques-uns couchés
par terre pendant un certain temps, allait d'abord aux autres, puis
revenait à eux et leur disait : " Lève-toi ; tes péchés te sont remis'
"Parmi les Juifs il y avait des adultères et des usuriers. Quand il les
voyait sincèrement repentants et leur avait prescrit la restitution, il
priait avec eux, leur imposait les mains et les guérissait. Il ordonna à
plusieurs de se purifier en prenant un bain. Il envoya un certain nombre
de paiens au baptême ou vers les païens convertis de la haute Galilée.
Les troupes passaient l'une après l'autre devant lui, et les disciples
maintenaient l'ordre. Aujourd'hui je ne vis pas d'enfants en bas âge,
hier près de Gérasa, il y avait des femmes païennes avec des enfants
tout petits et d'autres un peu plus grands.
Jésus passa ensuite par
Bethsaïde où il y avait foule comme à un grand pèlerinage. Je le vis
aussi guérir dans différentes hôtelleries et sur la route. Après cela il
se rendit dans la maison d'André où une collation était préparée. Je vis
ici des enfants, la belle-fille de Pierre, âgée d'environ dix ans, avec
d'autres jeunes filles de son âge, deux autres d'à peu prés dix et huit
ans, et un petit garçon d'André, qui avait une robe jaune avec une
ceinture. Il y avait avec eux des femmes âgées. Ils se tenaient sous un
hangar de la maison et parlaient du prophète ; ils demandaient s'il
viendrait bientôt, et couraient ça et là regardant s'il arrivait. On les
avait amenés là pour le voir, car d'ordinaire les enfants étaient tenus
très à l'écart. Jésus en passant les regarda et les bénit. Je le vis
ensuite revenir à la maison de Pierre et guérir en chemin beaucoup de
gens : il a bien guéri aujourd'hui une centaine de personnes, leur a
remis leurs péchés et leur a. donné des instructions sur ce qu'ils
auront à faire à l'avenir.
J'ai vu encore aujourd'hui
qu'il y avait une grande diversité dans la manière dont Jésus opérait
ses guérisons : vraisemblablement, il procédait ainsi pour montrer aux
disciples comment eux-mêmes plus tard et l'Eglise jusqu'à la fin des
temps auraient à agir en pareil cas. Dans toute sa manière d'agir, les
choses se passaient d'une façon simple et naturelle ; il n'y avait rien
de prestigieux, pas de métamorphoses soudaines. Je vis dans toutes les
guérisons certaines transitions conformes à la nature des maladies et
des péchés. Je vis tous ceux sur lesquels il priait ou auxquels il
imposait les mains rester calmes et recueillis pendant quelques moments
: leur guérison était précédée comme d'une légère défaillance. Les
paralytiques se relevaient doucement, se prosternaient devant lui, et se
trouvaient guéris, mais ce n'était qu'au bout d'un certain temps que les
membres recouvraient toute leur force et toute leur souplesse : chez
quelques- uns, après quelques heures, chez d"autres après quelques
jours, etc. Je vis des hydropiques qui pouvaient se traîner près de lui,
d'autres qu'il fallait porter. Il leur mettait la plupart du temps la
main sur la tète et sur l'estomac. Aussitôt après qu'il avait parlé, ils
étaient en état de se lever et de marcher, ils se sentaient tout allégés
et l'eau s'en allait par les sueurs. Des lépreux perdaient leurs
écailles tout de suite après leur guérison, mais il leur restait des
taches rouges aux endroits que la lèpre avait atteints. Ceux qui
recouvraient la vue, l'ouïe, la parole, se ressentaient encore au
commencement d'avoir été longtemps privés de l'usage de ces sens. Je le
vis guérir des gens enflés par la goutte : ils n'avaient plus de
douleurs et pouvaient marcher ; mais l"enflure ne disparaissait pas à
l'instant même : elle ne s'en allait que peu à peu, quoique très
promptement. Les gens affligés de convulsions en étaient délivrés
sur-le-champ : les fièvres s'en allaient, mais les malades ne se
trouvaient pas immédiatement frais et dispos : leur guérison était comme
celle d'une plante flétrie qui reverdit, arrosée par la pluie. Les
possédés ordinairement perdaient connaissance pendant quelques instants
: en revenant à eux, ils se sentaient délivrés, mais fatigués,
quoiqu'avec je visage reposé. Tout procédait avec ordre et tranquillité,
et les prodiges de Jésus n'avaient rien qui pût effrayer personne, si ce
n'est les incrédules et ses ennemis.
Les païens qui étaient
venus ici y avaient été poussés pour la plupart par des gens qui avaient
été au baptême et à la prédication de Jean, et aussi par d'autres païens
de la haute Galilée et des autres endroits où Jésus avait enseigné et
guéri : ils avaient un vif désir d'être instruits. Plusieurs avaient
reçu le baptême de Jean, d'autres ne l'avaient pas reçu. Jésus ne leur
prescrivait pas la circoncision : quand ils l'interrogeaient à ce sujet,
il parlait de la circoncision du cœur et de tons les sens. Il leur
donnait des règles de conduite, il leur enseignait l'amour du prochain,
la tempérance, le détachement ; leur ordonnait de garder les dix
commandements, leur apprenait les diverses parties d'une prière à
réciter : c'était comme les demandes du Pater, prises à part. Il leur
disait en outre qu'il leur enverrait ses disciples et je vis en effet
les disciples aller principalement chez des gens comme ceux-ci.
(23 août.) Hier soir, déjà,
je vis à Bethsaïde et à Capharnaum, déployer sur la synagogue et sur
d'autres édifices publics, des étendards avec des noeuds et des
guirlandes de fruits, parce que le dernier jour du mois d'Ab commence et
que ce soir, le mois d'Elul s'ouvre avec le sabbat. Jésus guérit encore
ce matin plusieurs Juifs malades à Bethsaide : il mangea chez Pierre, et
alla ensuite avec les disciples dans la maison que celui-ci possède en
avant de Capharnaum, tout près de la ville. Les femmes s'y étaient
rendues d'avance et beaucoup de malades l'y attendaient. Il y avait là
deux sourds auxquels Jésus mit les doigts dans les oreilles On en amena
deux autres qui pouvaient à peine marcher, dont les bras étaient raides
et immobiles et dont les mains étaient très enflées. Jésus posa la main
sur eux, fit une prière, leur prit les deux mains auxquelles il fit
faire un mouvement de haut en bas et ils furent guéris. L'enflure ne
disparut pas à l'instant, mais peu à peu, dans l'espace de deux heures.
Il les exhorta à employer
dorénavant leurs mains au service de Dieu, car c'était à cause de leurs
péchés qu'ils étaient dans cet état. Il en guérit encore plusieurs, puis
il alla dans la ville pour le sabbat. Il s'y trouvait une foule
innombrable et l'on avait fait sortir les possédés du lieu où ils
étaient renfermés. Ils couraient au-devant de lui dans les rues et le
poursuivaient de leurs cris. Il leur ordonna de se taire et de
s'éloigner ; alors, au grand étonnement de tous, ils le suivirent
tranquillement à la synagogue et écoutèrent ses enseignements. Les
pharisiens et notamment les quinze qui étaient nouvellement arrivés
étaient assis autour de sa chaire : on l'accueillit avec un respect
simulé qui cachait une véritable frayeur. On lui donna les Écritures et
il prit pour texte un passage d'Isaïe (XLIX), disant que Dieu n'avait
pas oublié son peuple Je me souviens qu'il y était dit que quand même
une mère oublierait son enfant, Dieu pourtant n'oublierait pas son
peuple. Il lut ce passage et les suivants, puis il les expliqua, disant
que Dieu ne pouvait pas être empêché par l'impiété des hommes d'avoir
pitié des délaissés ; que le temps dont le prophète parle était venu,
que Dieu avait toujours les yeux fixés sur les murs de Sion. Maintenant
le moment était arrivé où les démolisseurs devaient s'enfuir et où les
architectes devaient venir. Dieu allait en rassembler un grand nombre
pour orner son sanctuaire. Beaucoup devaient être bons et pieux ; les
bienfaiteurs et les guides du pauvre peuple devaient être si nombreux
que la synagogue stérile s'écrierait : Qui m'a engendré ces enfants ?
Les païens devaient se convertir à l'Eglise, les rois être ses
serviteurs. Le Dieu de Jacob devait les enlever au pouvoir de l'ennemi,
les tirer des mains de la synagogue pervertie et faire en sorte que ceux
qui s"attaqueraient au Sauveur comme des meurtriers, tourneraient leur
fureur les uns contre les autres et s'extermineraient mutuellement (Isaie,
L, 1, etc.). Il appliqua ce texte à la ruine de Jérusalem, qui devait
périr si elle n"accueillait pas le royaume de la grâce. Demandez à Dieu
s'il s'est séparé de la synagogue, s'il l'a répudiée, s'il a vendu son
peuple ! Oui, ils sont vendus à cause de leurs péchés, la synagogue est
abandonnée à cause de ses prévarications. Il a appelé et averti,
personne n'a répondu. Mais Dieu est tout-puissant, il peut ébranler le
ciel et la terre. Jésus appliqua tout cela à son temps. Il prouva que
tout était accompli. Il dit que le Père l'avait envoyé pour annoncer et
pour apporter le salut, pour rassembler ceux qui étaient délaissés et
égarés par la synagogue ; puis il cita comme s'appliquant à lui-même le
passage où il est dit : " Dieu le Seigneur m'a donné une langue savante
afin que je puisse ramener les délaissés, les égarés ; il m'a ouvert les
oreilles de bonne heure pour écouter ses préceptes et je ne l'ai point
contredit. "Lorsque Jésus dit cela, les pharisiens prirent ses paroles
dans un sens tout grossier comme s'il se fût glorifié lui-même.
Quoiqu'ébranlés par son
discours et se disant les uns aux autres après l'instruction : "Jamais
prophète n'a enseigné de la sorte : "ils se mirent pourtant à chuchoter
entre eux. Il appliqua ensuite ce que dit le prophète : qu"il a
travaillé et souffert pour eux, qu'il s'est laissé frapper au visage et
fouetter, à la persécution qu'il subissait déjà et qu'il aurait encore à
subir. Il parla des mauvais traitements qu'il avait soufferts à Nazareth
: il ajouta que tous ses ennemis passeraient et tomberaient avec leur
doctrine ; car leur juge allait venir à eux. Ceux qui avaient la crainte
de Dieu devaient écouter sa voix, les ignorants qui marchaient dans les
ténèbres invoquer Dieu et espérer ! Le jugement était proche et alors
ceux qui avaient allumé le feu seraient anéantis (Isaie, L, II). Il
appliqua encore cela à la ruine du peuple juif et de Jérusalem.
Ils ne pouvaient rien lui
répondre et ils l'écoutaient en silence, seulement ils chuchotaient
ensemble d'un air moqueur et pourtant tous étaient entraînés et remues.
Il expliqua ensuite un passage de Moïse, mais cela vient toujours en
dernier lieu. Il termina par une parabole qu'il adressa plus directement
à ses disciples et aussi au jeune scribe de Nazareth qui avait agi
traîtreusement à son égard. C'était la parabole des talents confiés par
le maître, allusion aux connaissances dont ce jeune homme était si vain.
Il en ressentit intérieurement une grande confusion, mais il n'en devint
pas meilleur. Jésus ne raconta pas tout à fait cette parabole comme elle
est dans l'Evangile, mais d"une façon assez analogue.
Il guérit encore dans la
rue devant la synagogue, puis il se rendit dans la maison de Pierre,
située devant la porte. Nathanaël Khased, Nathanaël le fiancé et Thaddée
étaient venus de Cana pour ce sabbat. Thaddée venait souvent ici :
d'habitude il allait ça et là dans le pays, car il faisait le commerce
de filets de pêche, de toile à voiles, de cordages, etc.
La maison se remplit encore
de malades pendant la nuit. Il s'y trouvait plusieurs femmes affligées
de pertes de sang, qui se tenaient à part : on lui en conduisit
quelques-unes : d'autres étaient portées par des femmes sur une civière,
tout enveloppées de linges. Elles paraissaient pâles et souffrantes, et
avaient, depuis longtemps, un vif désir d'être secourues par lui. Je le
vis cette fois leur imposer les mains et les bénir, puis il fit dégager
de leurs enveloppes celles qui étaient couchées et leur commanda de se
lever. Elles s'aidaient les unes les autres. Il leur donna des avis et
les congédia.
On prit encore une petite
collation, comme de coutume, et il s'entretint de nouveau avec ses
disciples. Lorsqu'ils furent allés se coucher, il se retira à part pour
prier pendant la nuit.
Les pharisiens, venus à
Capharnaum pour l'espionner, n'avaient pas fait connaître publiquement
le but de leur mission, ils avaient seulement interrogé en secret le
centurion Zorobabel. Ils s'étaient arrêtés là sous prétexte du sabbat
que bien des Juifs allaient célébrer ailleurs que chez eux, et surtout
dans les endroits où se trouvait un docteur célèbre ; en outre, beaucoup
de personnes viennent dans la contrée de Génésareth pour se reposer de
leurs occupations et jouir de la beauté et de la fertilité du pays.
(24 août.) Jésus alla de
très grand matin à Capharnaum ; une foule innombrable, dans laquelle
étaient beaucoup de malades, s'était rassemblée devant la synagogue. Il
guérit plusieurs personnes. Lorsqu'il entra dans la synagogue où,
pendant ce temps, les pharisiens s'étaient rassemblés, plusieurs
possédés vinrent à sa rencontre en poussant des cris, et l'un d'eux, qui
était des plus furieux, courut vers lui et s'écria : " Qu'y a-t-il entre
nous et toi, Jésus de Nazareth ? Tu viens pour nous perdre ! Je le sais,
tu es le Saint de Dieu ! ,' Jésus lui ordonna de se taire et de
s'éloigner. Cet homme se rejeta vivement en arrière parmi les autres et
il se débattit un peu : après quoi le démon sortit de lui : il redevint
calme et se jeta aux pieds de Jésus. Alors beaucoup de gens, et
notamment les disciples, dirent, au grand scandale des pharisiens qui
les écoutaient : "Qu'est-ce donc que ce nouvel enseignement? Qui
peut-être celui-ci qui a pouvoir sur les esprits immondes?"
Il y avait une affluence si
extraordinaire et une telle quantité de malades dans la synagogue et à
l'entour, que Jésus fut obligé de prêcher à une place d'où l'on allait
vue non seulement dans l'intérieur, mais encore dans le vestibule tout
rempli d'auditeurs. Les pharisiens se tenaient autour de lui dans la
synagogue, et il adressait son enseignement au peuple qui était dehors
et vers lequel il se tournait souvent. Les salles qui entouraient la
synagogue étaient ouvertes, et il y avait autour de la cour des édifices
avec des degrés sur lesquels on se tenait pour écouter et d'où l'on
pouvait aller dans le vestibule en descendant par l'autre côté.
Au-dessous étaient des cellules et des chambres pour les pénitents et
les gens qui voulaient prier. Tout était plein d'auditeurs, et, à
certaines places, plein de malades.
Jésus prêcha encore sur des
textes d'Isaïe : il parla avec beaucoup de chaleur et il appliqua tous
les passages du prophète à l'époque présente et à lui-même.
Il dit que les temps
étaient accomplis, et que le royaume de Dieu était proche. Ils n'avaient
cessé, disait-il, de soupirer après l'accomplissement des prophéties,
d'implorer le prophète et le Messie, qui devait les soulager de leurs
fardeaux, mais quand il viendrait, ils ne voudraient pas de lui parce
qu'il ne répondrait pas aux idées fausses qu'ils s'en faisaient. Il
énuméra ensuite les signes de l"avènement du prophète, signes qu'ils
désiraient si vivement voir paraître, qui se trouvaient marqués dans les
Ecritures qu'ils lisaient dans leurs écoles, et qu'ils appelaient de
leurs prières : il leu r montra que tout était accompli. a Les boiteux
marcheront, dit-il, les aveugles verront, les sourds entendront. Or,
cela n'a-t-il pas lieu ? Que signifie cette affluence de paiens qui
veulent être instruits ? Que crient les possédés ? Pourquoi les démons
s'en vont-ils ? Pourquoi tant de malades guéris rendent-ils grâces à
Dieu ? N'est-il pas persécuté par les corrupteurs ? N'est-il pas entouré
d'espions ? Ils chasseront et mettront a mort le fils du maître de la
vigne, mais que leur en reviendra-t-il ? Si vous ne voulez pas recevoir
te salut, Il ne doit pourtant pas se perdre, et vous ne devez pas y
faire obstacle pour les pauvres, les malades, les pécheurs, les
publicains, les pénitents, les païens eux-mêmes vers lesquels il ira en
se détournant de vous. C'était à peu près en ces termes qu'il parlait.
Il dit encore : "Vous reconnaissez comme prophète Jean qu'ils ont
emprisonné : allez à lui dans sa prison, demandez-lui pour qui il a
préparé les voies et de qui il rend témoignage.' Pendant qu'il parlait
ainsi, la rage des pharisiens allait toujours croissant, ils ne
cessaient de chuchoter entre eux et de murmurer.
Or, pendant qu'il prêchait,
huit hommes à moitié infirmes en traînèrent quatre autres affligés d'une
maladie impure dans le vestibule de la synagogue, à une place où ils
pouvaient voir Jésus et entendre ce qu'il disait. C'étaient des gens
considérables de Capharnaum. à cause de leur maladie, ils ne pouvaient
être introduits que par un côté qui était envahi par la foule, et pour
ce motif les autres qui les conduisaient durent faire ranger ceux qui
étaient sur des grabats de l'autre côté d'un ouvrage en maçonnerie et se
faire faire place à travers les gens qui se retiraient devant eux parce
qu'ils étaient impurs. Lorsque les pharisiens virent cela, ils se
scandalisèrent, et murmurèrent contre ces gens, comme contre des
pécheurs publics atteints d'une maladie impure, et se plaignirent
hautement d'un désordre à la faveur duquel des hommes de cette sorte
osaient venir dans leur voisinage. Comme ces propos, passant par la
bouche du peuple, arrivaient jusqu'aux malades, ils en furent très
contristés, et craignirent que Jésus, instruit de leurs péchés, ne
voulût pas les guérir. Ils étaient du reste pleins de repentir et
soupiraient après lui depuis longtemps. Lorsque Jésus entendit ces
murmures des pharisiens, il se tourna, tout en parlant, du côté du
vestibule où se tenaient ces malades, et cela, au moment même où ils
s'étaient sentis si découragés. Il les regarda gravement et
affectueusement, et leur cria : " Vos péchés vous sont remis ! " Alors
ces pauvres gens fondirent en larmes et les pharisiens murmurèrent avec
plus d'aigreur : "Comment ose-t-il tenir ce langage" Comment peut-il
remettre les péchés, "Mais il leur dit : " Suivez-moi et voyez ce que je
fais : pourquoi vous scandalisez-vous de ce que j'accomplis la volonté
de mon Père ? Si vous ne voulez pas du salut, au moins ne l'enviez pas à
ceux qui se repentent. Vous vous scandalisez de ce que je guéris le jour
du sabbat : est-ce que la main du Tout-Puissant cesse le jour du sabbat
de faire le bien et de punir le mal ? est ce qu'il cesse ce jour-là, de
nourrir, de guérir, de bénir ? Ne vous envoie-t-il pas des maladies, ne
vous laisse-t-il pas mourir le jour du sabbat ? Ne vous scandalisez pas
que le Fils fasse le jour du sabbat la volonté et les œuvres de son
Père. "Quand il fut arrivé près des malades, il fit ranger les
pharisiens assez loin d'eux et leur dit : "Restez ici, car ils sont
impurs pour vous, pour moi ils ne le sont pas ; car leurs péchés leur
sont remis : et maintenant dites-moi s'il est plus difficile de dire à
un pécheur repentant : Tes péchés te sont remis, que de dire à un malade
: Lève-toi et emporte ton lit ? ils ne trouvèrent rien à répondre, alors
Jésus s'approcha des malades, leur mit successivement la main sur la
tête, fit sur eux une courte prière, les releva en leur prenant les
mains : puis il leur ordonna de remercier Dieu, de ne plus pécher et
d'emporter leurs lits. Ils se levèrent sur leur séant tous les quatre ;
les huit qui les avaient portés et qui, eux aussi, étaient assez
infirmes, recouvrèrent toutes leurs forces ; ils aidèrent les autres à
se débarrasser des couvertures qui les enveloppaient, et ceux-ci
parurent seulement un peu fatigués et étonnés : ils rassemblèrent les
bâtons de leurs litières, qu'ils mirent su r leurs épaules : puis tous
les douze s'en allèrent joyeux à travers la foule émerveillée et
transportée d'allégresse et ils chantaient : " Loué soit le Seigneur, le
Dieu d'Israël : il a fait en nous de grandes choses, il a eu pitié de
son peuple et nous a guéris par son prophète."
Cependant les pharisiens,
pleins de dépit et couverts de confusion, s'en allèrent sans prendre
congé. Ils étaient scandalisés de tout ce qu'il faisait j de ce qu'il ne
jugeait pas comme eux, de ce qu'ils n'étaient pas à ses yeux les justes,
les sages, les élus, de ce qu'il frayait avec des gens qu'ils
méprisaient. Ils avaient mille objections à faire : ils lui reprochaient
de ne pas observer exactement les jeûnes, d'aller avec des pécheurs, des
paiens, des Samaritains et toute sorte de gens de bas étage, d'être
lui-même de basse extraction, de laisser trop de liberté à ses disciples
et de ne pas les tenir suffisamment en respect : en un mot, rien n'était
à leur gré et pourtant ils ne trouvaient rien à lui répondre, ils ne
pouvaient nier sa sagesse et ses miracles surprenants, mais ils
s'engageaient toujours plus avant dans la voie de la haine et de la
calomnie. Quand on considère ainsi la vie de Jésus, on reconnaît que le
peuple juif et ses prêtres étaient alors ce que beaucoup de gens sont
aujourd'hui : si Jésus venait maintenant, il lui arriverait encore pis
avec bien des docteurs et avec la police.
La maladie de ces gens qui
venaient d'être guéris, était un écoulement impur : il en était résulté
un état de consomption, d'amaigrissement général et de paralysie des
membres, comme s'ils eussent été frappes d'apoplexie. Les huit autres
étaient en partie paralysés d'un côté. Les lits se composaient de deux
perches avec des pieds et une barre transversale. Au milieu était tendue
une natte ; on roulait le tout ensemble et on l'emportait sur ses
épaules, comme une couple de perches. Il y avait quelque chose de
singulièrement touchant à voir ces gens passer, en chantant, à travers
le peuple.
Jésus sans s'arrêter plus
longtemps gagna la porte de la ville avec les disciples et s'en alla en
longeant la montagne à la maison de Pierre près de Bethsaide ; car on
l'avait fait prier de venir en toute hâte parce qu'on croyait que la
belle-mère de Pierre allait mourir. Sa maladie s'était fort aggravée et
elle avait une fièvre ardente. Jésus alla tout droit dans sa chambre. Il
y avait d'autres personnes avec lui, parmi lesquelles était, je crois,
la fille de Pierre. Il vint auprès du lit de la malade, du coté où
reposait sa tête. et il se pencha sur la couche. Il lui dit quelques
paroles, puis il lui mit la main sur la tête et sur la poitrine ; et le
calme lui revint avec le complet usage de ses facultés. Alors debout
devant elle, il la prit par la main, la releva sur son séant et dit :
"Donnez-lui à boire." La fille de Pierre lui donna à boire dans un vase
qui avait la forme d'un navire. Jésus bénit le breuvage : il lui ordonna
de se lever et elle se leva de sa couche qui était très basse. Elle
avait la partie inférieure du corps toute enveloppée et avait encore par
là-dessus une grande robe de chambre. Elle se débarrassa des linges qui
l'entouraient, descendit du lit et remercia le Seigneur, ce que fit
aussi toute la maison.
Ils se mirent ensuite à
table et la malade, entièrement revenue à la santé, les servit avec
d'autres femmes. Il pouvait être midi lorsqu'elle fut guérie et deux ou
trois heures lorsqu'ils mangèrent.
Après le repas Jésus
accompagné de Pierre, d'André, de Jacques, de Jean et de plusieurs
autres disciples, alla se promener au bord de la mer, à l'endroit où
était la pêcherie de Pierre ; il les enseigna et insista principalement
sur ce que bientôt ils auraient à quitter tout à fait leur travail pour
le suivre. Pierre devint alors tout soucieux. Il se jeta aux pieds de
Jésus et le pria d'avoir égard à son ignorance et à sa faiblesse et de
ne pas exiger de lui qu'il se mêlât de choses si importantes : il n'en
était pas digne, disait-il. et n'était pas en état d'enseigner les
autres. Jésus répondit qu'ils ne devaient pas se préoccuper des choses
de ce monde et que celui qui donnait la santé aux malades leur donnerait
aussi la nourriture avec la force nécessaire pour faire ce dont ils
seraient chargés. Les autres éprouvaient un grand contentement : Pierre
seul dans son humilité et sa simplicité ne pouvait pas comprendre que,
de pêcheur, il pût devenir docteur. Ce n'était pas encore là la vocation
des apôtres rapportée dans l'Evangile. Celle-là n'a pas encore eu lieu.
Cependant Pierre a déjà presque entièrement remis ses affaires entre les
mains de Zébédée. Après cette promenade au bord de la mer, Jésus revint
à Capharnaum et trouva une énorme quantité de malades devant la ville
autour de la maison de Pierre. Il en guérit plusieurs et enseigna encore
dans la synagogue.
Mais comme la presse
devenait toujours plus grande, Jésus se retira sans être aperçu : il
gagna, près de la synagogue, le jardin placé dans un ravin où, l'année
précédente, après le sabbat du 30 kisleu (29 décembre) il s'était retiré
avec plusieurs disciples ; il arriva par là à une gorge sauvage d'un
aspect très agréable qui s'étend, au midi de Capharnaum, entre la
demeure de Zorobabel et un petit village qu'habitent ses serviteurs et
ses ouvriers. Dans cette gorge il y avait de belles grottes, des
bosquets, des sources et des plantes de toute espèce : on y conservait
en outre beaucoup d'oiseaux et des animaux rares apprivoisés. C'était
une solitude artistement arrangée, appartenant à Zorobabel, mais qui du
reste était à l'usage du public Jésus y passa la nuit en prière : ses
disciples ne savaient pas où il était. Les gens qui étaient à Capharnaum
partirent, les uns le soir, les autres le matin. On faisait alors la
seconde...
QUATORZIÈME CHAPITRE.
Jésus aux bains de Béthulie, à Jotapat,
à Dothaim et à Gennabris.
(Du 25 août au 1er
septembre 1821.)
Jésus quitte Capharnaum et se rend aux bains de Béthulie. - Jésus à
Jotapat. - Fête de la moisson à Dothaim. - Jean-Baptiste. - Jésus à
Gennabris.
(25-27 août.) Jésus passa
toute la nuit seul, en prière, dans l'agréable solitude située derrière
la demeure du centurion Zorobabel. Pierre et d'autres disciples vinrent
le trouver de bon matin et lui dirent que beaucoup de malades
réclamaient encore son secours. Il répondit que pour le moment il devait
aller plus loin, qu'il reviendrait pour le prochain sabbat, si je ne me
trompe, et que jusque-là ils devaient continuer à exercer tranquillement
leur profession. Il les chargea d'envoyer Parménas, Saturnin, Aristobole
et Tharzissus à un certain endroit où il devait les rejoindre
aujourd'hui. Alors ils le quittèrent et il se mit seul en route. Il
suivit la vallée dans la direction du sud-ouest comme s'il eût voulu
aller à Magdalum. Il guérit deux lépreux en passant par le petit village
de Zorobabel, puis il continua son chemin.
Note
: Ses souffrances lui firent oublier ce détail, qu'elle ne
communiqua que le 14 novembre, lorsque ces gens remercièrent Jésus
de leur guérison. On l'a intercalé ici.
Je l'ai vu pendant cette
journée marcher, se reposer et se réunir à ses quatre disciples. Il leur
donna divers enseignements, tout à fait dans le genre de ceux qu'il
donna la dernière fois en venant de Nazareth. J'étais si malade que j'en
ai oublié la plus grande partie. Il fit aujourd'hui cinq ou six lieues
dans diverses directions. Il fit le tour de la hauteur qui domine la
vallée où se trouve Magdalum : il laissa cet endroit à sa gauche à deux
lieues à l'est : Magdalum est située dans la vallée au nord d'une
montagne. Sur la pente méridionale de cette même montagne se trouve,
entourée de bois et de vallées, une ville singulière : elle a un nom
étrange, il me semble que ce n'est pas un vrai nom de lieu et que je me
suis méprise : cela a l'air d'une plaisanterie : je crois qu'elle
s'appelle Jotapata. Jésus n'y était pas encore allé : je vis ce pays à
vol d'oiseau. Je croyais d'abord que Jésus irait à Gennabris, qui est
située entre des montagnes, à environ huit lieues à l'ouest de
Tibériade, mais il n'y alla pas aujourd'hui. Je le vis arriver par le
côté septentrional de la vallée, à un endroit où j'ai remarqué récemment
un joli lac et des bains. C'est la fontaine de Béthulie ou Béthuel qui
est située vers le midi de cette vallée, et plus éloignée d'environ deux
lieues dans la montagne. Cana est à une lieue plus à l'ouest dans la
vallée au-dessous de Béthuel. Ce bain et cette vallée qui est un lieu de
plaisir dépendent de Béthulie. Beaucoup de gens considérables et riches
de la Galilée et aussi de la Judée ont ici des maisons de plaisance et
des jardins qu'ils habitent dans la belle saison.
Au midi du lac, sur la
pente septentrionale des hauteurs de Béthuel, il y a des groupes de
maisons et des eaux thermales. Celles qui sont au levant sont plus
chaudes, celles qui sont au couchant plus tièdes. Il y a un grand bassin
commun à l'usage des baigneurs, et tout autour des enceintes de toiles,
où l'on a des baignoires séparées, et d'où l'on peut, si l'on veut, se
réunir dans le grand bassin. On trouve ici plusieurs hôtelleries, on
peut aussi louer pour un temps des maisons particulières avec des
jardins et l'on a tout le reste gratuitement. La recette profite à
Béthanie et sert à entretenir l'ensemble de l'établissement. Le lac
lui-même a une eau singulièrement pure et transparente à travers
laquelle on voit le fond parsemé de beaux cailloux blancs. Il est formé
par un cours d'eau qui vient du couchant et qui au sortir de l'étang des
baigneurs, va arroser la vallée de Magdalum. Le lac est couvert de
petites barques d'agrément qui de loin font l'effet d'une troupe de
canards. Au nord sont les habitations des baigneuses qui sont exposées
au midi. Leurs promenades et les lieux où elles prennent leur récréation
confinent aux lieux qui sont à l'usage des hommes près du ruisseau qui
coule dans le lac. Des deux côtés, la vallée descend au lac en pente
douce. Devant les habitations, devant les bains et autour du lac
s'étendent des chemins de communication, des allées, des berceaux de
verdure, des massifs avec des arbres dont les branches couvrent un large
espace : dans les intervalles, on trouve des prairies avec un beau gazon
touffu, des jardins fruitiers et potagers, et des lices. La vue est
ravissante ; le pays est très accidenté et d'une richesse merveilleuse,
surtout en raisins et en fruits. On fait ici en ce moment la seconde
récolte de l'année.
Jésus resta le soir, sur le
côté du lac où il était arrivé, dans une hôtellerie de voyageurs. Il se
trouvait là des gens de toute espèce, et il enseigna devant l'hôtellerie
avec une bonté et une mansuétude extraordinaires : plusieurs femmes
vinrent l'écouter. Il y avait là de mauvaises gens de Jotapat qui s'en
allèrent sans vouloir l'entendre. Je ne sais plus ce qui se passa ;
j'étais malade.
Le matin je vis venir
plusieurs petites barques du côté méridional du lac où étaient les bains
: c'était une société composée de gens de distinction qui venait avec
beaucoup de politesse engager Jésus à les visiter et à les enseigner.
Jésus accepta leur invitation et passa le lac avec eux. Il alla dans une
hôtellerie où il prit quelque nourriture, et il resta là Tout le jour,
tantôt se promenant, tantôt se reposant, tantôt enseignant. Il enseigna
le matin par la fraîcheur, et le soir devant l'auberge, sous des arbres
qui s'élevaient près d'une colline. La plupart des gens qui étaient là
se tenaient autour de lui : les femmes étaient à part, couvertes de
leurs voiles. Tout se passait avec beaucoup d'ordre et de bonne grâce :
il n'y avait guère là que des personnes riches et bien élevées', dont
beaucoup avaient de bons sentiments et des dispositions très
bienveillantes ; comme il n'y avait pas là de partis, personne ne
craignait de s'ouvrir entièrement devant les autres : tous se montraient
pleins d'égards et de prévenances envers Jésus, et s'ils témoignaient de
la curiosité, c'était avec beaucoup de courtoisie. Le premier discours
qu'il leur tint ne leur laissa que des impressions agréables et
consolantes. Son enseignement ici n'eut rien de sévère : il parla de la
purification par l'eau des bains, de leur réunion ici, des sentiments
d'intimité qui régnaient entre eux, du mystère de l'eau, de l’ablution
des péchés, du bain du baptême, de Jean Baptiste, de l'union et de la
charité réciproque parmi les baptisés, parmi les convertis, etc., etc.
Outre cela, il assaisonna son discours de comparaisons charmantes tirées
de la belle saison, de la contrée, des montagnes, des fruits, des
troupeaux et de tout ce qui les environnait. Je les vis se former en
cercle autour de lui avec beaucoup d'ordre, puis céder la place à
d'autres auditeurs, et il reprenait devant les groupes qui se relayaient
les divers points qu'il avait déjà traites. Je ne sais plus bien dans
quel ordre tout se succéda pendant la journée. Je vis un petit nombre de
malades légèrement atteints de la goutte se traîner dans les alentours.
C'étaient pour la plupart des fonctionnaires publics et aussi des
officiers qui étaient venus pour leur santé : je les reconnus à leur
habit, lorsqu'ils quittèrent ce lieu et retournèrent à leurs diverses
garnisons dans le voisinage, car pendant le séjour tous étaient vêtus de
la même manière,. Les hommes avaient des vêtements très légers, faits
d'une laine très fine, de couleur jaunâtre : ils portaient une robe
semblable à celle des femmes, formée de quatre pièces séparées qui les
enveloppaient autour dés reins et s'arrêtaient aux genoux, comme formant
une espèce de haut de chausses : leurs pieds étaient nus ou chaussés de
sandales. Le haut du corps était revêtu d'un scapulaire ouvert sur le
côté, qu'une large ceinture serrait autour du corps. Leurs épaules
étaient couvertes de manches qui ne dépassaient pas la moitié de
l'avant-bras : ils avaient la tête nue. Avec ce costume, ils portaient
tous des barbes plus ou moins longues de différentes couleurs. Je les
vis jouer à toute sorte de jeux ils s'escrimaient avec des petits bâtons
et des boucliers de feuillage. Ils luttaient les uns contre les autres,
soit par groupes, soit individuellement. Ils se défiaient à la course et
sautaient par-dessus des cordes et à travers des cerceaux, auxquels
étaient suspendues toute sorte de choses brillantes qu'il ne fallait pas
toucher, autrement elles tombaient par terre en faisant un bruit comme
celui d'une sonnette, et on perdait en proportion du nombre des objets
tombés. C'étaient souvent des fruits qui servaient d'enjeux. J'en vis
quelques-uns faire résonner des flûtes de roseau, d'autres avaient de
gros et longs tubes de jonc, dont ils faisaient usage comme de
longues-vues : ils soufflaient aussi dedans et lançaient ainsi dans le
lac des balles ou de petits dards, comme s'ils eussent tiré sur les
poissons. Ils attachaient aussi à l'extrémité de ces tubes des boules de
verre de toutes couleurs, puis les balançant de côté et d'autre ils les
faisaient miroiter au soleil ; alors tout le paysage s'y réfléchissait
renversé, et il semblait que le lac passât sur leur tête, ce qui
divertissait tout le monde.
Il y avait ici de très
beaux fruits, surtout en fait de raisins, et je vis quelques personnes
offrir les plus beaux fruits à Jésus d'une façon très respectueuse et
très bienveillante Cette vallée est celle où Jésus vit Nathanael sous le
figuier pendant qu'il regardait les femmes. Barthélémy se trouvait aussi
là alors, et Jésus lui adressa, je crois, un regard touchant. Il le
salua aussi en passant, ce qui émut beaucoup Barthélémy, lequel
s'appelle aussi Nephtali.
Les logements des femmes
sont de l'autre côté de la vallée, leurs bains toutefois sont de
celui-ci, mais plus au couchant, et les hommes ne peuvent pas voir
l'endroit où elles se baignent. Au bord du petit ruisseau qui se jette
dans le lac, je vis des petits garçons avec des robes de laine blanche
retroussées, à peu près semblables à celle que portait Jean Baptiste
étant enfant, pousser devant eux avec des baguettes de saule bariolées
des troupes d'oiseaux aquatiques de diverses espèces. On amène l'eau de
ce ruisseau et celle du lac jusqu'aux hôtelleries placées sur la hauteur
et aux bains, à l'aide de conduits qui la font monter dans des bassins
plus élevés, et de là plus haut. Je vis les femmes jouer à divers jeux
dans la prairie. Elles portaient toutes des tuniques de laine blanche,
légères, fines et amples, avec beaucoup de plis. Ces vêtements, quoique
d'une étoffe très mince et très légère, n'avaient rien qui ne fût
décent. Les manches étaient larges, arrêtées par des agrafes en haut et
en bas : autour des mains elles portaient des manchettes grandes et
raides comme des queues de paon. Elles avaient des coiffures comme j'en
vis une fois à Madeleine : c'était un bonnet formé de plusieurs anneaux
qui allaient toujours en diminuant de grosseur, et qui étaient garnis de
soie ou de plumes blanches : cela ressemblait à une coquille de limaçon
en plumes. Elles ne portaient pas de voile, mais avaient sur je visage
deux demi éventails bien plissés, blancs, diaphanes, qui, rabattus,
recouvraient le nez ; des ouvertures étaient ménagées devant les yeux.
Elles pouvaient les replier tout à fait ou à moitié, selon qu'elles
voulaient se garantir du soleil. Dans la compagnie des hommes elles les
rabattaient.
Je vis ces femmes jouer à
un jeu plaisant : toutes avaient autour du corps une ceinture où était
attaché un anneau : elles se mettaient en rond, chacune tenant sa
voisine par cet anneau et conservant une main libre. On cachait un bijou
dans l'herbe, et la ronde tournait de côté et d'autre jusqu'à ce qu'une
d'elles l'aperçût. Quand elle se baissait pour le prendre, les autres
entraînaient la ronde dans un mouvement plus rapide. Celle qui venait
ensuite se baissait à son tour, tout en tâchant de ne pas se laisser
tomber ; mais parfois elles roulaient toutes les unes sur les autres
avec de grands éclats de rire.
Je vis aujourd'hui André et
Jacques partir de très bon matin de Capharnaum pour venir ici : ils
arrivèrent vers midi et s'entretinrent avec Jésus : je crois, sans en
être certaine, qu'il était question du baptême. Jésus doit, je pense,
faire baptiser à Ainon. Ils ne tardèrent pas à repartir.
Béthulie est à une lieue et
demie au midi d'ici, dans la montagne ; elle est sur une hauteur, dans
un site très solitaire et très sauvage. Elle est dominée par une grande
tour d'un aspect bizarre : il y a beaucoup de vieilles murailles et de
vieilles tours en ruines. Cette ville a dû être autrefois très forte et
plus grande qu'à présent : des arbres croissent sur les murs qui sont
assez larges pour qu'on puisse y aller en voiture. Je vis des personnes
qui, des bains, allaient s'y promener. Elle est située à une grande
hauteur, autour de la montagne. C'est là que Judith a vécu : le camp d'Holoferne
s'étendait, en parlant du lac, par la gorge qui entoure Jotapat jusque
vers Dothan qui est à environ deux lieues au midi de Béthulie.
Le soir du premier jour
quelques femmes légères vinrent encore ici avec des hommes de Jotapat
mais ils n'assistèrent pas à l'instruction de Jésus. Ils retournèrent à
Jotapat où ils racontèrent que Jésus était ici.
Jotapat est à peu près à
une demi lieue à l'est d'ici, ayant devant elle une montagne : elle est
bâtie dans une gorge comme dans une grande caverne. Elle est encore
dominée par une colline d'où l'on descend pour arriver dans la ville en
franchissant des fossés profonds et escarpés. C'était comme une grande
carrière au-dessus de laquelle la montagne surplombait.
Au nord de cette montagne,
à une distance d'environ deux lieues, on voyait Magdalum au bord d'une
gorge : les avenues, les jardins et les tours en ruines qui
l’entouraient s'étendaient jusqu'au milieu de cette gorge. Entre la
montagne et Magdalum subsistaient encore les restes d'un aqueduc,
recouverts de végétation ; on avait à travers ses arcades une vue très
agréable sur le paysage. Au midi de Jotapat on voyait une autre montagne
d'un aspect sauvage et à droite et à gauche de larges ravins. C'était un
endroit étrange et bizarrement caché. Beaucoup d'hérodiens résidaient à
Jotapat. Ils avaient un lieu de réunion secret dans un mur de la
forteresse. Cette secte ne se composait guère que de gens habiles et
instruits et elle avait des chefs secrets. Ils avaient des signes de
reconnaissance et, quand un membre commettait quelque trahison, les
supérieurs pouvaient en avoir connaissance, je ne sais plus bien
comment. Ils étaient les ennemis cachés des Romains et travaillaient à
préparer une rébellion en faveur d'Hérode ; ils étaient partisans
secrets des sadducéens. mais extérieurement ils paraissaient pharisiens
: ils croyaient mener les deux partis et les conduire à leurs fins. Ils
savaient bien que l'époque du roi des Juifs était venue et ils se
proposaient à certains égards de faire servir cette croyance à leurs
desseins. Il leur était prescrit d'être extérieurement très affables et
très tolérants, mais c'étaient réellement des fourbes et des traîtres.
Ils n'avaient au fond aucune croyance, et travaillaient sous le manteau
de la religion à préparer an royaume terrestre indépendant : Hérode les
soutenait.
Lorsque la synagogue de
Jotapat apprit que Jésus était dans le voisinage, elle envoya deux
hérodiens aux bains de Béthanie pour l'observer et l'inviter à visiter
Jotapat. Je vis ces deux personnages qui se donnaient pour des
baigneurs, se rapprocher souvent de lui et l'espionner d'un air
prévenant et respectueux. Jésus fit peu d'attention à eux. Ils
l'invitèrent à venir à Jotapat : mais il ne leur donna pas de réponse
positive.
J'ai vu aussi venir ici
aujourd'hui environ sept disciples de Jésus qui précédemment l'avaient
accompagné dans ses voyages pendant une quinzaine de jours. C'étaient
deux disciples de Jean, des disciples alliés à la famille de Jésus,
venus des environs d'Hébron et un de ses cousins du petit Séphoris. Ils
l'avaient cherché dans la Galilée et le trouvèrent ici. Je l'ai vu aussi
pendant le jour s'entretenir familièrement avec diverses personnes. Il
devait y avoir parmi elles quelques-uns de ses adhérents. Je le vis
prendre une seule espèce d'aliments avec ses disciples et parfois manger
quelques-uns des fruits qu'on lui avait donnés. Les baigneurs mangeaient
tantôt dans leurs habitations, tantôt en commun sous les arbres.
(27 août.) Les hérodiens
étaient retournés à Jotapat, et on y travaillait le peuple pour le cas
où Jésus viendrait. On disait aux habitants que Jésus, le prophète de
Nazareth, qui avait fait tant de bruit à Capharnaum le sabbat précédent
et à Nazareth celui d'avant, se trouvant dans le voisinage, à la
fontaine de Béthulie, viendrait peut-être à Jotapat pour y célébrer
aussi le sabbat. On les mettait en garde pour qu'ils ne se laissassent
pas séduire : ils ne devaient pas, disait-on, l’accueillir avec des
acclamations, ni le laisser parler trop longtemps, mais l'interrompre
par des murmures et des interpellations toutes les fois qu'il leur
dirait des choses nouvelles et difficiles à comprendre. C'était ainsi
qu'on préparait le peuple.
Jésus était encore ce matin
aux bains de Béthulie. Je le vis de nouveau faire une instruction
familière. Il y avait plusieurs hommes rangés en cercle autour de lui,
il se tenait au milieu d'eux et allait de l'un à l'autre. à quelque
distance se tenaient timidement plusieurs hommes perclus qui étaient
venus prendre les bains et qui n'avaient jamais osé aborder Jésus. Il
répéta en termes généraux ce qu'il avait enseigné la veille et
l'avant-veille, et les exhorta à se purifier de leurs péchés. Tous
l'avaient pris en affection et ses paroles les touchaient. Plusieurs
disaient : " Seigneur, quand on vous entend, on ne peut pas vous
résister." Jésus les interrogea en ces termes : " Vous avez beaucoup
entendu parler de moi et vous m'avez entendu vous-mêmes, qui croyez-vous
que je sois ? "Les uns répondirent : "Seigneur vous êtes un prophète,
"d'autres : " Vous êtes plus qu'un prophète : aucun prophète n'enseigne
comme vous, aucun ne fait ce que vous faites. " D'autres gardaient le
silence Jésus qui savait ce qu'ils pensaient, montra du doigt ceux qui
se taisaient et dit : " Ceux-ci ont raison. " Un d'eux dit aussi : "
Seigneur, vous pouvez tout. est-il vrai. comme on le dit, que vous avez
déjà ressuscité des morts, par exemple la fille de Jaïre ? "il voulait
parler de ce Jaïre qui demeurait dans une ville voisine de Gabaa, où
Jésus avait prêché des gens si pervers. J'en ai parlé antérieurement. "
Oui » répondit Jésus, et alors cet homme demanda pourquoi Jaïre vivait
dans un endroit si mal habité. Là-dessus Jésus parla de sources dans le
désert ; il dit entre autres choses qu'il était bon que les faibles
eussent quelqu'un pour les diriger. Les interlocuteurs étaient très en
confiance. Il leur demanda encore : "Que savez-vous de moi ? quel mal
vous dit-on de moi ? Quelques-uns répondirent : " On vous accuse de ne
pas interrompre vos oeuvres et de guérir les malades le jour du sabbat.
n Alors il leur montra un petit étang voisin près duquel des petits
bergers faisaient paître des agneaux et d'autres jeunes animaux et il
leur dit : "voyez ces petits bergers si faibles, ces jeunes agneaux si
délicats. Si l'un d'eux tombait dans le marécage et se mettait à bêler,
tous les autres ne courraient-ils pas autour de lui en poussant des cris
plaintifs : et si les jeunes garçons n'étaient pas assez forts pour le
secourir et que le fils du maître du troupeau passât le jour du sabbat,
envoyé pour garder ces agneaux et pour les paître, n'aurait-il pas pitié
de l'agneau et ne le tirerait-il pas du bourbier? "
Alors ils levèrent tous les
mains comme font les enfants au catéchisme et s'écrièrent : "Oui, oui,
il le ferait ! "Alors Jésus reprit : " Et si ce n'était pas un agneau,
si c'étaient les enfants déchus du Père céleste, si c'étaient vos
frères, si c'étaient vous-mêmes ! Le fils du Père céleste devrait-il
s'abstenir de les secourir le jour du sabbat ? "Sur quoi ils répétèrent
tous : " Oui, oui !" Et Jésus leur montrant les hommes perclus qui se
tenaient éloignés, leur dit : " voyez ces frères malades ! Dois je ne
pas leur venir en aide, s'ils me demandent secours le jour du sabbat ?
Ne doivent-ils pas recevoir la rémission de leurs péchés, s'ils se sont
repentis le jour du sabbat, si le jour du sabbat ils confessent leurs
péchés et crient vers le Père qui est au ciel ? " Alors tous crièrent en
levant encore les mains : "Oui, oui ! ".
Cependant Jésus fit signe à
ces malades et ils se traînèrent à grand peine dans le cercle. Il leur
dit quelques mots sur la foi, fit une prière, et dit : " Etendez vos
bras ! ’ ils étendirent vers lui leurs bras malades : alors il leur
passa la main sur les bras, et souffla un instant sur leurs mains : et
ils se sentirent guéris et recouvrèrent l'usage de leurs membres. Jésus
leur prescrivit en outre de prendre un bain, et il les avertit de
s'abstenir de certaines boissons. Ils se jetèrent à ses pieds pour le
remercier, et tous les assistants se mirent à le louer et à l'exalter.
Comme il voulait se retirer, ils le prièrent de rester encore et lui
témoignèrent toute espèce d'affection et de bons sentiments : plusieurs
furent très touchés. Jésus leur dit qu'il devait aller plus loin et
continuer sa mission. Ils lui firent quelque temps la conduite avec les
disciples : puis il les bénit et se dirigea vers Jotapat qui est située
à l'est, à environ une lieue et demie.
(27 Août.) Il arriva à
Jotapat dans l'après-midi. Il se lava les pieds et mangea quelque chose
dans une hôtellerie devant la ville. Les disciples y entrèrent avant
lui, et allèrent trouver le préposé de la synagogue, auquel ils
demandèrent les clefs pour leur maître qui voulait enseigner. Alors une
foule nombreuse se rassembla, et les scribes et les hérodiens étaient
pleins d'espoir de le prendre en faute dans son enseignement.
Lorsqu'il fut dans la
synagogue, ils lui adressèrent des questions sur l'approche du royaume
de Dieu, sur le calcul et l'accomplissement des semaines de Daniel, et
sur la venue du Messie. Jésus fit à ce sujet une longue instruction et
prouva que la prophétie devait s'accomplir à l'époque qui commençait Il
parla aussi de Jean et de ce qu'il avait prédit. Ils lui dirent alors
d'un air plein d’hypocrisie "qu'il devait s'observer un peu dans son
enseignement pour ne pas blesser les coutumes des Juifs, que
l'emprisonnement de Jean pouvait lui servir d'avertissement : que ce
qu'il disait de l'accomplissement des semaines de Daniel et de
l'approche du Messie, roi des Juifs, était excellent ; qu'ils étaient de
la même opinion que lui mais que, pourtant ils ne pouvaient trouver le
Messie nulle part, de quelque côté qu'ils tournassent leurs regards.
"Or, Jésus avait appliqué la prophétie à sa personne en termes généraux,
et ils l'avaient très bien compris ; mais ils feignaient de ne pas
l'entendre et de croire que pareille chose ne pouvait se présenter à
l'esprit de personne : car ils désiraient qu'il s'exprimât en termes
très précis, afin de pouvoir l'accuser. Alors Jésus leur dit : "Pourquoi
jouez-vous la comédie ? Pourquoi vous détournez-vous de moi et me
méprisez-vous ? Vous m'espionnez et vous voulez tramer un nouveau
complot avec les sadducéens, comme on a fait à Jérusalem, à la fête de
Pâques ? Pourquoi m'avertissez-vous, à propos de Jean, de prendre garde
à Hérode?" Alors il énuméra en face d'eux tous les crimes d'Hérode, tous
ses meurtres, ses terreurs à propos du roi des Juifs nouvellement né,
son horrible massacre d'enfants et sa fin effrayante, puis il rappela
les méfaits de ses successeurs, l'adultère d'Antipas et l’emprisonnement
de Jean. Il parla encore de la secte secrète et hypocrite des hérodiens,
qui s'entendaient avec les sadducéens, dit quel Messie et quel royaume
de Dieu ils attendaient. Il montra dans le lointain divers endroits, et
ajouta : "ils ne pourront rien contre moi jusqu'à ce que ma mission soit
remplie. Je parcourrai encore deux fois la Samarie, la Judée et la
Galilée ; vous m'avez vu opérer de grands prodiges, vous en verrez de
plus grands encore, et vous resterez aveugles. "Puis il parla encore du
jugement, de la mort des prophètes, de la punition de Jérusalem, etc.
Cependant les hérodiens, qui formaient une société secrète qu'ils
n'aimaient pas à voir signalée publiquement devinrent tout pâles
lorsqu'il parla des crimes d'Hérode, et qu'il dévoila devant le peuple
les secrets de leur secte. Ils gardèrent le silence et quittèrent la
synagogue les uns après les autres : il en fut de même des sadducéens,
lesquels tenaient les écoles de la ville. Il n'y avait pas ici de
pharisiens.
Alors il resta seul avec les sept disciples et avec le peuple qu’il
instruisit encore un certain temps. Plusieurs étaient touchés et
disaient qu'ils n'avaient jamais entendu enseigner ainsi, et qu'il
enseignait mieux que leurs maîtres Ils changèrent de vie et le suivirent
plus lard. Mais une grande partie du peuple, excitée par les sadducéens
et les hérodiens, se mit à murmurer et devint tumultueuse. Jésus quitta
la ville avec les disciples et s'en alla au midi par la vallée ; puis,
ayant monté pendant deux lieues, il arriva dans une plaine où l'on
faisait la moisson, entre Béthulie et Gennabris, et il entra dans une
grande maison de paysans. Cette maison était habitée par des gens de
bien qui lui étaient connus : les saintes femmes y passaient souvent la
nuit lors de leurs voyages à Béthanie, et les porteurs de messages s'y
arrêtaient en passant.
(28 août.) Jésus a enseigné
parmi les faucheurs, les moissonneurs et les faiseuses de gerbes dans
cette plaine de blé, qui est la même où plus tard il arracha des épis
avec les disciples, ainsi qu'il est rapporté dans l’Evangile. Il alla ça
et là dans la plaine, et parla du semeur et de la semence tombée dans un
terrain pierreux : le sol ici était rocailleux. Il dit que lui aussi
était venu pour recueillir les bons épis, et il raconta la parabole de
l'ivraie arrachée au temps de la moisson. Il compara la moisson au
royaume de Dieu. Il tint ces discours pendant les moments d'interruption
dans les travaux, et il alla d'un champ à l'autre. On laissait les
chaumes très hauts : on coupait seulement les épis qu'on liait en croix.
Le soir, après la moisson,
il fit une grande instruction devant tous les ouvriers près d'une
colline. Il tira ses comparaisons d'un ruisseau qui coulait là, et de
son cours paisible, portant avec lui la fécondité. Il parla, à cette
occasion, des eaux de la Grâce qui passent devant nous et qu'il faut
conduire sur notre champ, etc. Il envoya ensuite les deux disciples de
Jean à Ainon, aux autres disciples du précurseur, et fit dire à ceux-ci
de se rendre à Machérunte pour apaiser le peuple, car il savait qu'un
soulèvement avait éclaté devant cette ville. Beaucoup de gens étaient
venus à Ainon pour s'y faire baptiser. Ayant appris que le prophète
était en prison, ils se dirigèrent vers Machérunte et y firent des
démonstrations bruyantes, demandant qu'on rendît la liberté à Jean, afin
qu'il pût les instruire et les baptiser ; ils allèrent jusqu’à lancer
des pierres. Les gardes fermèrent toutes les entrées, et Hérode feignit
d'être absent.
(29 août.) Jésus est entré
ce soir dans une autre maison de paysans, un peu plus rapprochée de
Gennabris : il y a enseigné aujourd'hui et hier. Il parla du petit grain
de sénevé. (La Sœur n'avait retenu de cette instruction que quelques
fragments dont on ne pouvait tirer aucun parti.) il y eut une chose qui
me parut merveilleuse : l’homme chez lequel Jésus logeait se plaignit à
lui d’un voisin qui, depuis longtemps déjà, empiétait de toute manière
sur son champ et sur ses droits : Jésus alla avec lui dans le champ, et
se fit montrer de combien il était diminué à la longue. L’usurpation
était devenue considérable, et il se plaignit de ne pouvoir rien obtenir
de cet homme. Jésus lui demanda s’il ne lui restait pas de quoi
entretenir lui et sa famille. Il répondit que si, qu'il avait encore de
quoi vivre. Alors Jésus lui dit qu'il n'avait rien perdu en réalité, car
rien ne nous appartient en propre, et quand notre subsistance est
assurée, nous avons tout ce qu'il nous faut. Il l'engagea à donner à son
voisin encore plus que celui-ci ne demandait, afin d'assouvir son
avidité. Il ajouta que tout ce qu'il abandonnerait ici de bon cœur pour
maintenir la paix, il le retrouverait dans son royaume. Ce voisin,
disait-il, avait raison à sa manière, car il avait son royaume sur la
terre, et il cherchait pour cela à accroître ses biens terrestres ; il
ne voulait rien avoir dans son royaume, à lui Jésus. Il fallait
apprendre de lui comment on devait s'agrandir et chercher à acquérir des
biens dans le royaume de Dieu. Il prit pour sujet de comparaison un
fleuve qui emporte la terre d'un de ses bords et la dépose sur l'autre.
Ce fut un enseignement
analogue à la parabole de l'économe infidèle, où l'avidité des biens de
ce monde et l'adresse à s'enrichir étaient donnés comme exemple de ce
qu'il y avait a faire pour acquérir les biens spirituels. La richesse
terrestre était mise en face de la richesse céleste : l’enseignement
paraissait avoir quelque chose d'obscur, mais il était intelligible pour
les auditeurs et approprié aux idées, à la religion et à la situation
des Juifs, parce que tout arrivait à ce peuple en figures sensibles.
C'était ici que se trouvait
le champ dans lequel était le puits de Joseph. Jésus raconta, d'après
l'Ancien Testament, une contestation semblable à celle dont il vient
d’être parlé. Elle avait eu lieu, je crois, entre Abraham et Loth, et
Abraham céda à Loth plus que celui-ci ne demandait. Jésus tira de là des
instructions : " Qu'étaient devenus les enfants de Loth ? demanda-t-il ;
tout n'était-il pas resté à Abraham9 N'en résulte-t-il pas que nous
devrions agir comme Abraham ? N'est-ce pas à lui que ce royaume avait
été promis ? ne l'avait-il pas eu en partage ? Mais ce royaume était une
figure du royaume de Dieu, et la contestation entre Loth et Abraham une
figure de la contestation présente : il fallait donc faire comme Abraham
et gagner le royaume de Dieu. "Jésus cita le passage de l'Ecriture où il
est question de ce démêlé (Gen., XIII, 7).
Jésus enseigna encore sur
ce sujet et sur le royaume de Dieu devant tous les moissonneurs réunis.
Le paysan qui avait commis l'injustice était présent avec ses partisans
: mais il n’ouvrait pas la bouche et se tenait à distance. Il avait
poussé ses amis à interrompre de temps en temps Jésus par des questions
insidieuses. Ainsi, l’un d'eux lui demanda où il en voulait venir avec
son enseignement et ce qui adviendrait de tout cela. Je ne sais plus
bien ce que Jésus répondit, mais ce fut une réponse évasive dont ils ne
pouvaient tirer aucun parti : cela revenait à dire que ce qui semblerait
ici trop long à l'un, paraîtrait trop court à l'autre. Il exprimait tout
cela par des comparaisons où il était question de la moisson, des
semailles, de la mise en grange, du rejet des mauvaises herbes, du pain
et de la nourriture de la vie éternelle2 etc. Cet homme, qui avait été
l'hôte de Jésus, obéit à ses enseignements : il ne porta pas plainte
contre son adversaire, donna le reste de ses biens pour la communauté,
et ses fils devinrent disciples du Sauveur.
Il fut aussi beaucoup question des hérodiens : les paysans se
plaignaient de leur espionnage continuel et de ce que, peu de temps
auparavant, ils avaient traduit en justice plusieurs personnes coupables
d'adultère, demeurant ici ou à Capharnaum, et les avaient arrêtées, puis
emmenées à Jérusalem où on devait les juger. Ils se félicitaient à la
vérité de ne plus avoir dans leur voisinage des gens de cette espèce,
mais il leur était insupportable de se savoir constamment espionnés.
Jésus s'exprima très librement sur le compte de ces hérodiens. Il
exhorta ses auditeurs à se tenir en garde contre le péché, et aussi
contre l'hypocrisie et les jugements téméraires. Avant de juger les
autres, disait-il, on devait commencer par reconnaître ses propres
torts. Il décrivit alors les mauvaises pratiques de ces hérodiens, et
parla, d'après le chapitre du prophète le Isaïe qui avait été lu à la
synagogue le sabbat précédent, des chiens muets qui n'aboient point, qui
ne repoussent pas le péché et qui déchirent les hommes en secret. Il
rappela que, pendant que ceux-ci livraient avec tant de zèle les
adultères à la justice, Hérode, leur ami, vivait dans l’adultère public.
Il dit aussi à quoi on pouvait reconnaître les hérodiens : je l'ai
oublié.
Il y avait des malades dans
plusieurs cabanes environnantes : c'étaient des hommes devenus perclus
par excès de travail. Jésus visita les cabanes et guérit ces braves gens
: il leur dit d'aller à l'instruction et au travail, ce qu'ils firent en
chantant des cantiques d'actions de grâce...
Jésus envoya d'ici même
quelques bergers à Machérunte pour engager les disciples de Jean a
apaiser le peuple et à le renvoyer, parce que leur tumulte pouvait
amener pour Jean un emprisonnement plus dur ou même la mort.
Hérode et sa femme étaient
à Machérunte. Je vis Hérode faire venir Jean Baptiste devant lui. Hérode
était assis dans une grande salle voisine des cachots, entouré de
gardes, d'employés, de scribes, et principalement d'hérodiens et de
sadducéens. Jean fut conduit dans cette salle par un passage, et il se
tenait debout au milieu des gardes devant la grande porte qui était
ouverte. Je vis la femme d'Hérode entrer dans la salle : elle passa
devant Jean d'un air impudent et moqueur, et alla s'asseoir sur un siège
élevé. Cette femme avait une forme de visage autre que celle de la
plupart des Juives : toutes ses formes étaient arrêtées et anguleuses :
sa tête même se terminait en pointe. Toutes ses mines, tous ses
mouvements étaient provocants : elle avait une belle taille ; il y avait
dans son ajustement quelque chose d'exagéré et d'effronté : elle était
très serrée dans sa ceinture. On voyait toutes les formes de son corps,
et chacun de ses membres se montrait et se dérobait tour à tour, comme
s'il eût voulu se mettre en avant et attirer l'attention sur sa beauté.
Elle devait être un objet de scandale pour tout homme vertueux, et
pourtant elle attirait tous les yeux sur elle.
Hérode demanda à Jean de
lui dire nettement ce qu'il pensait de ce Jésus qui faisait tant de
bruit en Galilée ; qui était cet homme et s'il venait le remplacer. On
lui avait bien dit que Jean avait parle de Jésus précédemment, mais il
n'y avait pas fait particulièrement attention : il voulait maintenant
savoir tout ce qu'il en pensait, car cet homme tenait des discours
étranges, parlait d'un royaume nouveau, se donnait à l'aide de ses
paraboles pour un fils de roi, etc., bien qu'il ne fût que le fils d'un
pauvre charpentier. Alors Jean, élevant la voix, comme s'il eût parlé
devant le peuple assemblé, rendit témoignage de Jésus, dit que lui,
Jean, était uniquement chargé de lui préparer la voie et n'était rien en
comparaison de lui, que jamais homme ni prophète n'avait été et ne
serait ce qu'était Jésus : qu'il était le fils du Père, le Christ, le
roi des rois, le Sauveur, le restaurateur du royaume, qu'aucun pouvoir
n'était au-dessus du sien, qu'il était l'agneau de Dieu qui efface les
péchés du monde, etc. C'est ainsi qu'il parla de Jésus à haute voix,
s'appelant son précurseur, chargé de lui préparer les voies, et le
moindre de ses serviteurs. Il dit tout cela du ton d'un homme inspiré,
et toute sa personne prit alors quelque chose de tellement surhumain
qu'Hérode lut en proie à la plus vive anxiété et finit par se boucher
les oreilles. Il dit alors à Jean : "Tu sais que je te veux du bien,
mais tu excites des soulèvements contre moi en attaquant mon honneur
devant le peuple. Si tu veux modérer ton zèle déraisonnable et donner un
assentiment public à l'union que j'ai formée je te rendrai la liberté et
tu pourras encore enseigner et baptiser." Mais Jean éleva de nouveau la
voix avec une grande sévérité contre Hérode, et lui dit : " Je connais
vos sentiments : je sais que vous n'ignorez pas où est la justice et que
vous redoutez le jugement qui vous menace, mais vous traînez après vous
toutes sortes de liens et vous restez captif dans les filets de
l'impudicité." A ces discours la femme d'Hérode fut saisie d'une rage
inexprimable : quant au roi, son trouble fut si grand qu’il ordonna de
faire retirer Jean en toute hâte. Il le fit conduire dans une autre
prison qui n'avait pas vue sur le dehors, en sorte qu'il ne Pouvait plus
être entendu du peuple.
Hérode tint cette audience, poussé par l'inquiétude que lui avait
inspirée le soulèvement des aspirants au baptême et les rapports faits
par les hérodiens touchant les miracles de Jésus.
Cependant on parlait dans
tout le pays de la sévère exécution qui avait eu lieu à Jérusalem sur
quelques adultères livrés à la justice par les hérodiens de Galilée. On
disait que les petits coupables étaient punis tandis qu'on laissait
tranquilles les grands criminels ; que ces accusateurs, les hérodiens,
étaient dévoués à Hérode l'adultère, et que celui-ci avait fait arrêter
Jean parce qu'il lui avait reproché sa coupable union. Tout cela
mécontentait fort Hérode J'ai vu juger ces adultères. On leur lut leur
sentence, puis on les conduisit dans une salle voisine et on les poussa
dans un trou étroit au bord duquel ils se tenaient. Ils tombèrent sur
une lame tranchante qui leur coupa la gorge : au-dessous dans une cave
étaient des archers qui retirèrent les corps. C'était une machine dans
laquelle ils tombaient. Jacques fut jugé dans le même endroit.
(30 août-1er septembre.)
Jésus enseigna encore ce matin parmi les laboureurs, ainsi qu'il l'avait
fait hier. André, Jacques et Jean sont venus le trouver ici. Nathanaël
était dans sa maison du faubourg de Gennabris. J'ai entendu Jésus dire
aux disciples qu'il irait prochainement du côté du Jourdain par la
Samarie. Je crois qu'ils iront à un endroit où l'on baptise. Le champ où
il enseigna hier, avait été autrefois, sous l'Ancien Testament, le
théâtre d'un combat livré à l'occasion d'un puits : je crois que c'était
le puits de Dothaïm qui n'était pas très loin d'ici et près duquel
Joseph fut vendu. Jésus rappela à ce sujet le partage qui fut fait entre
Abraham et Loth.
Les disciples demandèrent à
Jésus, s'ils ne feraient pas bien de nourrir plusieurs pauvres ouvriers
perclus qui ne pouvaient plus travailler. Jésus leur dit qu'ils feraient
leur devoir, mais qu'ils ne devaient pas s'en vanter, qu'autrement ils
perdraient leur récompense. Il alla ensuite dans les cabanes de ces
malades, guérit plusieurs d'entre eux et les envoya à l'instruction et
au travail : ils vinrent et louèrent Dieu.
Jésus n'alla à Gennabris
que pour le sabbat, en sorte qu'il se rendit directement à la synagogue.
Gennabris est bien aussi grand que Munster. Cette ville est à environ
une lieue à l'est du plateau sur lequel Jésus se trouvait : elle est
située sur le penchant d'un coteau au bas duquel sont des jardins, des
bains et des lieux de plaisance qui en dépendent. Du côté par où Jésus
vint, la ville était défendue par des fossés pleins d'eau, profondément
creusés dans le roc. Après une demi heure de marche, Jésus arriva avec
les disciples dans l'enceinte de la ville : il y a là des murs et une
porte surmontée d'une tour. Plusieurs autres disciples des environs
s'étaient réunis là et ils entrèrent avec lui dans la ville, au nombre
de douze à peu près.
Beaucoup de pharisiens, de
sadducéens et particulièrement d’hérodiens s'étaient rassemblés pour ce
sabbat. Ils s'étaient proposé de prendre Jésus dans ses paroles par des
questions captieuses. Ils disaient entre eux que c'était plus difficile
dans les petits endroits, où il se montrait plus hardi que dans les
villes : ils se réjouissaient et se croyaient sûrs de leur fait. Ils
avaient tout préparé pour que la foule nombreuse qui était là restât
parfaitement paisible et ne s'émût pas à l'arrivée de Jésus.
Il entra tranquillement
dans la ville et les disciples lui lavèrent les pieds devant la
synagogue. Les scribes et le peuple y étaient déjà rassemblés. On le
reçut sans grandes démonstrations, mais avec un respect affecté. Ils le
laissèrent lire et expliquer. Il lut et commenta successivement
plusieurs passages d'Isaïe, pris dans les chapitres LIV, LV et LVI. Je
me souviens qu'il y était dit comment Dieu relèverait son Eglise,
comment il voulait la bâtir magnifiquement, comment tous devaient venir
y boire de l'eau et y manger du pain gratuitement. Ils cherchaient à se
rassasier dans la synagogue, où il n'y avait pas de pain, mais c'était
la parole de sa bouche, c'est-à-dire le Messie, qui devait accomplir son
oeuvre. Dans le royaume de Dieu, dans l'Eglise, les étrangers, les
païens aussi devaient agir et porter des fruits s'ils avaient la foi. Il
appela les païens les mutiles parce qu'ils ne devaient pas avoir part à
la génération du Messie. Il appliqua beaucoup de ces textes à son
royaume, à l’Eglise et au ciel. Il compara aussi les docteurs actuels
des Juifs à des chiens muets qui ne font pas la garde avec vigilance,
mais qui s'engraissent, mangent et boivent avec excès : il indiqua par
là les hérodiens et les sadducéens qui se contentaient d'espionner
secrètement, et qui sans aboyer se jetaient sur les hommes et sur les
bergers eux-mêmes. Il parla d'une façon très pénétrante et très
frappante.
A la fin il lut un passage
du Deutéronome (XI, 29, etc.), touchant la bénédiction et la malédiction
données sur le mont Garizim et le mont Hebal, et plusieurs autres textes
touchant les commandements et la terré promise. Mais il expliqua tout
cela du royaume de Dieu.
Un hérodien s'avança vers
lui d'un air très obséquieux et le pria de dire quel serait le nombre de
ceux qui entreraient dans son royaume. Ils voulaient l'embarrasser par
cette question captieuse parce que tous par la circoncision devaient y
avoir part, parce qu'il venait de parler à ce propos des païens et des
mutilés ainsi que de la réprobation de beaucoup de Juifs. Jésus ne fit
pas une réponse directe à cette interrogation, mais il la tourna pour
ainsi dire et finit par toucher un point qui tranchait tout à fait la
question. Il répondit en demandant à son tour combien d'Israélites
étaient sortis du désert pour entrer dans la terre de Chanaan9 Tous
n'avaient-ils pas passé le Jourdain ? Combien d'entre eux avaient-ils en
réalité pris possession de la terre promise ? L’avaient-ils plus tard
conquise toute entière ? Ne doivent-ils pas encore maintenant la
partager en partie avec les païens9 N'en ont-ils jamais été chassés et
sur aucun point ? Il dit encore que personne n'entrerait dans son
royaume que par la voie étroite et par la porte de la fiancée : et il me
fut expliqué qu'il entendait parler de Marie et aussi de l'Eglise dans
laquelle nous sommes régénérés par le baptême et de laquelle est né le
fiancé afin qu'il nous engendre de nouveau en elle et par elle en Dieu :
mais ce sont là des choses qu'il n'est pas possible d'exprimer. Il
opposa à l'entrée par la porte de la fiancée l'entrée par là porte
dérobée. C'était une comparaison semblable à celle du bon pasteur et du
mercenaire dans saint Jean (c. x, 1). Ici aussi il dit qu'on ne pouvait
entrer que par la porte. Les paroles de Jésus sur la croix, avant sa
mort, lorsqu'il appelle Marie la Mère de Jean et celui-ci le fils de
Marie, ont un sens mystérieux qui se rapporte à cette nouvelle naissance
de l'un dans l'autre par l'effet de la mort du Rédempteur.
Ils ne purent, ce soir-là,
trouver prise sur lui : du reste ils ne s'étaient préparés que pour la
clôture du sabbat. Rien n'est plus curieux que de voir avec quelle
jactance ils se promettent, quand ils sont ensemble, de prendre Jésus
par ses paroles et de le réduire au silence : puis quand il est là, ils
ne savent plus que dire ; ils sont profondément étonnés, quelquefois
même intérieurement persuadés mais pleins de rage et de dépit.
Jésus quitta la synagogue
fort tranquillement et ils le conduisirent à un repas chez un pharisien.
Il y raconta une parabole touchant un festin auquel le père de famille
invite les convives pour une heure déterminée, après laquelle la porte
est fermée et on ne laisse pas entrer ceux qui arrivent trop tard.
Il alla ensuite avec les
disciples passer la nuit dans la maison d'un pharisien qui était de la
connaissance d'André : c'était un homme plein de droiture : il avait
loyalement pris la défense d'André et de quelques autres disciples,
lesquels, après les fêtes de Pâques, avaient été traduits devant les
tribunaux de cette ville. Il était encore jeune, veuf depuis peu de
temps et il ne tarda pas à se réunir aux disciples de Jésus : il
s'appelait Dinocus ou Dinotus, il avait un fils de douze ans appelé
Josaphat. Sa maison était en dehors de la ville, du côté du couchant,
Jésus était entré dans la ville par le côté méridional : car il était
descendu du plateau vers Dothaïm qui est plus au midi que Gennabris, et
il était revenu en faisant un coude.
Je vis aujourd'hui
qu'Hérode après cette audience où il avait entendu Jean, envoya vers le
peuple soulevé quelques-uns de ses agents, lesquels représentèrent à la
foule avec beaucoup de douceur qu'elle ne devait concevoir aucune
inquiétude en ce qui touchait Jean, et l’engagèrent à se retirer
paisiblement. Ils assurèrent qu'il se trouvait bien et qu’on avait de
bons procédés à son égard. Hérode, disaient-ils, avait voulu seulement
l'avoir près de lui : leur soulèvement n'était propre qu'à le rendre
suspect et à empirer sa situation. Ils n'avaient donc rien de mieux à
faire qu'à se retirer chez eux, car Jean repartirait bientôt pour
baptiser. Comme les messagers envoyés par Jésus et par les disciples de
Jean vinrent bientôt après leur dire ce dont ils étaient chargés pour
eux, ils se dispersèrent successivement. Cependant Hérode était très
inquiet et très agité. L'exécution des adultères à Jérusalem avait
réveillé dans le peuple le souvenir de son mariage adultère et on
murmurait hautement de ce qu'il tenait Jean en prison pour avoir dit la
vérité et protesté au nom de la loi suivant laquelle ces hommes avaient
été mis à mort à Jérusalem. En outre, il entendait beaucoup parler des
actes et des enseignements de Jésus en Galilée, et il lui était venu aux
oreilles qu'il voulait maintenant descendre vers le Jourdain et y
enseigner. Il craignait fort que le peuple déjà excité ne trouvât là une
nouvelle cause d'agitation, et je le vis dans son anxiété convoquer
aujourd'hui une réunion de pharisiens et d'hérodiens, afin de délibérer
sur les moyens à prendre pour empêcher Jésus de venir. La conclusion fut
qu'il envoya à Jésus huit d'entre eux, chargés de lui donner adroitement
à entendre qu'il pouvait rester dans la haute Galilée et de l'autre côté
du lac à donner ses enseignements et à faire ses miracles, mais qu'il
ferait bien de ne pas aller sur le territoire d'Hérode, soit en Galilée.
soit plus bas sur le Jourdain. Ils devaient lui mettre devant les yeux
l'exemple de Jean et lui insinuer qu’Hérode pouvait être facilement
conduit à lui faire partager la captivité de Jean. Cette ambassade
partit aujourd'hui pour la Galilée.
(31 août.) Le matin Jésus
enseigna encore dans la synagogue sans beaucoup de contradictions, car
ils voulaient l'attaquer tous ensemble à l'instruction de midi. Il
commenta encore alternativement des textes d'Isaïe et du Deutéronome. Il
se présenta une occasion de parler du sabbat et de la manière de
l'observer dignement, et il s'étendit beaucoup sur ce sujet. Les malades
de cette ville n'avaient pas osé implorer son assistance, tant ils
étaient intimidés.
Jésus parla en outre à ceux
qui l'espionnaient dans la synagogue, de l'ambassade qu'Hérode lui
envoyait, et que j'ai vu partir hier de Machérunte. Il leur dit que
quand elle arriverait, ils pourraient dire à ces renards d'annoncer au
renard qu'il n'eût pas à s'inquiéter de lui ; qu'il pouvait sans que
personne l'en empêchât continuer comme il avait commencé et en finir
avec Jean. Quant à lui, Jésus, il ne s'occuperait pas d'Hérode, et
enseignerait là où il était, et à Jérusalem, quand cela serait
nécessaire. Il voulait accomplir sa tâche dont il avait à rendre compte
à son Père céleste. Ils se scandalisèrent fort de ces discours.
Après midi Jésus sortit de
la maison du pharisien Dinotus pour se promener un peu avec les
disciples, et quand ils arrivèrent devant la porte où était la maison de
Nathanaël, André entra et l'appela. Nathanaël présenta à Jésus son
cousin, un homme fort jeune encore entre les mains duquel il voulait
remettre ses affaires pour suivre entièrement Jésus. Je crois que dès à
présent il partira avec Jésus.
Après la promenade, ils
rentrèrent dans la ville c'était de ce côté qu'était la synagogue.
Cependant une douzaine de pauvres journaliers du pays affligés
d'infirmités causées par l'excès du travail avaient entendu parler des
guérisons opérées parmi des ouvriers comme eux sur le champ de moisson,
et dans l'espérance d'obtenir la même faveur, ils s'étaient traînés à la
ville et se tenaient rangés devant la synagogue pour implorer son
assistance. Jésus passa devant eux ; il les consola et les exhorta à la
patience Les scribes le suivaient de près : ils s’indignèrent que des
étrangers osassent venir demander à Jésus de les guérir quand ils
avaient réussi jusque-là à retenir les malades de la ville. Ils
rudoyèrent grossièrement ces pauvres malheureux, toutefois avec
l'apparence du zèle religieux : ils ne devaient pas, leur disaient-ils,
mettre le trouble ici par leurs démonstrations, mais se retirer au plus
tôt. Jésus avait des affaires plus importantes à traiter, il n'avait pas
maintenant le temps de s'occuper d'eux : et comme ces pauvres malheureux
ne pouvaient pas quitter la place immédiatement, ils les firent
expulser.
Jésus dans la synagogue
enseigna principalement sur le sabbat et sa sanctification ; il était,
du reste, parlé de ce précepte dans les passages d'Isaïe qui furent lus
aujourd'hui. Quand il eut enseigné à ce sujet, il montra du doigt le
fossé profond qui entourait la ville et au bord duquel leurs ânes
paissaient, puis il leur demanda ce qu'ils feraient si un de ces ânes
tombait dans le fossé le jour du sabbat ? a Ne l'en retireraient-ils pas
pour l'empêcher de mourir?, ils gardèrent le silence. a Ne feraient-ils
pas aussi cela pour un homme ? ils se turent. "Permettraient-ils qu'il
leur arrivât à eux-mêmes le jour du sabbat quelque chose d'avantageux
pour l'âme et pour le corps ? une œuvre de miséricorde était-elle
permise le jour du sabbat ? " Ils gardèrent encore le silence. Alors
Jésus reprit : " Puisque vous vous taisez, je dois admettre que vous
n'avez rien à répondre à cela. Où sont tous les pauvres malades qui
demandaient mon assistance devant la synagogue ? Amenez-les ici !" Comme
ils s'y refusaient, Jésus leur dit : " Puisque vous ne le voulez pas, je
vais le faire faire par mes disciples." Alors ils se ravisèrent et
firent chercher les malades. Ceux-ci arrivèrent, se traînant à grand
peine ; il y en avait une douzaine, les uns perclus, les autres
horriblement enflés par l'hydropisie. Ces pauvres gens étaient tout
réjouis, car leur expulsion par les scribes les avait fort affligés.
Jésus leur ordonna de se
mettre en rang et c'était une chose touchante de voir les moins malades
mettre eux-mêmes en avant les plus malades afin que Jésus les guérît les
premiers. Jésus descendit deux marches pour aller à eux et appela les
premiers : la plupart avaient les bras paralysés. Jésus les yeux levés
au ciel, pria sur eux en silence et il passa doucement la main le long
de leurs bras : alors il imprima à leurs mains un mouvement de haut en
bas et leur ordonna de se retirer et de remercier Dieu : ils étaient
guéris. Les hydropiques pouvaient à peine marcher. Il leur mit la main
sur la tète et sur la poitrine, ils reprirent des forces, purent s'en
retourner et l'hydropisie les quitta entièrement au bout de peu de
jours.
Pendant que ceci se
passait, il y avait une grande affluence de peuple et d'autres pauvres
malades qui louaient Dieu à haute voix avec ceux qui étaient guéris. La
foule était si grande que les scribes pleins de rage et de confusion
furent obligés de faire place, et que plusieurs se retirèrent. Jésus
enseigna la foule assemblée sur l'approche du royaume, sur la pénitence
et sur la conversion jusqu'à la clôture du sabbat : et les scribes ne
l'interrompirent plus avec leurs objections et leurs subtilités. C’était
une chose extrêmement visible de voir qu'après s'être tant vantés entre
eux, ils ne prirent pas une seule fois la parole, ne firent pas la
moindre protestation contre ce que faisait Jésus et ne trouvèrent rien à
lui répondre.
Après le sabbat il y eut
dans un lieu public de la ville un grand repas, à l'occasion de la fin
de la moisson, et Jésus y fut invité avec ses disciples. Les principaux
habitants y assistaient pour la plupart ainsi que beaucoup d'étrangers
et même quelques riches paysans. On mangeait à plusieurs tables. On
avait mis sur la table de toute sorte de produits, fruits et céréales,
même des volailles, et en plus grande abondance les objets dont la
récolte avait été particulièrement productive : il y avait aussi des
animaux, les uns rôtis pour être mangés, les autres tués et préparés,
comme une image de l'abondance. On avait donné les premières places à
Jésus et à ses disciples.
Cependant un pharisien
orgueilleux avait occupé d'avance le haut bout de la table. Jésus
s'approchant de lui, lui parla tout bas et lui demanda pourquoi il
s'était mis à cette place. Il répondit : "Parce que l'on a ici la
louable coutume de placer au haut bout les savants et les gens de
distinction.’ Alors Jésus lui dit que ceux qui s'empressaient de prendre
les premières places sur la terre ne trouveraient pas de place pour eux
dans le royaume de son Père. Il lui dit encore autre chose que j'ai
oublie : sur quoi cet homme tout confus descendit plus bas et pourtant
il s'établit à sa nouvelle place comme s'il y était venu par son propre
choix. Pendant le repas, Jésus expliqua encore quelque chose touchant le
sabbat, spécialement le texte d'Isaïe (LVIII, 7). " Donne de ton pain a
ceux qui ont faim et conduis dans ta maison ceux qui sont dans la
misère." Jésus demanda si, à cette fête qui était une fête d'actions de
grâces pour l'abondance de la récolte, ce n'était pas la coutume
d'inviter les pauvres au repas et de partager avec eux. Il s'étonnait
qu'on eût laissé tomber cet usage : Où donc étaient les pauvres,
demanda-t-il. Puisqu'ils l'avaient invité, l’avaient placé au haut bout
et lui avaient pour ainsi dire donné la direction du repas, il avait à
s'occuper des convives qui devaient légitimement y figurer. Il fallait
faire venir les gens qu'il avait guéris et tous les autres pauvres.
Comme ils tardaient à le faire, ses disciples allèrent dans toutes les
rues appeler les pauvres. Ils arrivèrent bientôt : Jésus et ses
disciples leur donnèrent leurs places, et les scribes se retirèrent les
uns après les autres. Mais Jésus, lés siens et quelques gens de bien
servirent les pauvres et leur distribuèrent tout ce qui restait, ce qui
excita parmi eux une grande joie. Alors il se retira avec les siens pour
prendre du repos chez le pharisien Dinotus, en avant de la partie
occidentale de la ville.
(1er septembre.)
Aujourd'hui dimanche, dès le matin, d'innombrables malades de la ville
et des environs vinrent devant la maison ou logeait Jésus, et il guérit
toute la matinée. C'étaient surtout des gens qui avaient les mains
paralysées et des hydropiques. Le pharisien Dinotus, chez lequel Jésus
avait logé, était un excellent homme, un veuf âgé d'environ trente ans,
il avait un fils d'une douzaine d'années, nommé Josaphat, qui suivit son
père lorsque celui-ci se mit définitivement à la suite de Jésus Les
jeunes garçons juifs portaient une longue robe terminée en pointe par
devant et par derrière, et fendue par en bas comme une chemise d'homme ;
la partie antérieure était toute garnie de boutons et de lacets. Quand
ils étaient plus grands, ils avaient des espèces de chausses qui leur
enveloppaient les jambes et d'autres robes semblables à celles des
adultes.
Dans l'après-midi, après
avoir mangé, Jésus prit congé de son hôte ; il le pressa contre son
sein, et cet homme fondit en larmes.
Cependant Jésus, suivi de
Nathanaël, d'André, de Jacques, de Saturnin, d'Aristobule, de Tharsissus,
de Parmenas et de quatre autres disciples, fit environ deux ou trois
lieues au midi, en suivant des vallées : il passa la nuit dans un hangar
de moissonneurs qui se trouvait inoccupé, sur le penchant d'un coteau
qui. séparait deux villes. La ville située à gauche s'appelait Ulama,
celle qui était à droite Japhia, si je ne me trompe (elle n'en était pas
bien sûre). Ulama est vis-à-vis Tarichée, à peu près comme Gennabris
vis-à-vis Tibériade. La ville qui est à droite est située plus bas que
Béthulie, et elle en est assez éloignée, mais la montagne se dérobe à la
vue, de telle façon que Béthulie semble placée au-dessus de cette autre
ville. Celle-ci se montre en face du chemin que suit Jésus, comme s'il y
allait directement : mais il se détourne bientôt et on la perd tout à
fait de vue.
La plaine où Jésus enseigna
les moissonneurs s'appelle, dans la dernière contrée où eut lieu la
contestation à l'occasion du puits et du champ. la plaine de Dothaim.
C'est véritablement la plaine où Joseph trouva ses frères avec leurs
troupeaux, et le puits qui est en forme de carré long est la citerne
dans laquelle ils descendirent Joseph. La Sœur croit qu'elle est située
dans une vallée au midi de Béthulie, et que Dothaïm est un peu plus
loin.
QUINZIÈME CHAPITRE.
Jésus
à Abelmehola et à Bezech-Ainon.
(Du 2 au 9 septembre
1822.)
Jésus à Abelmehola. - Détails relatifs à l'Ancien Testament. - Jésus à
Bézech - à Ainon. - Mara la Suphanite.
(2 septembre) Le matin
Jésus alla avec les disciples à environ cinq lieues plus loin dans la
direction du midi et arriva vers les deux heures à la petite ville d'Abelmehola,
lieu de naissance du prophète Élisée. Elle était située sur une pente du
mont Hermon, en sorte que les tours étaient au niveau de l'arête de la
montagne. Elle n'était qu'à deux lieues de Scythopolis en s'en éloignant
du côté du couchant, on arrivait dans la vallée de Jezraël. Elle était à
peu près sur la même ligne que la ville de Jezraël elle-même. Pas très
loin d'Abelmehola et plus près du Jourdain était un endroit appelé
Bezech que j'ai vu dans le lointain en accompagnant le Seigneur. Samarie
était à plusieurs lieues au sud-ouest. Je crois qu'Abelmehola est située
dans les limites ou sur les confins de la Samarie, mais elle est habitée
par des Juifs.
Jésus et ses disciples
s'arrêtèrent devant la ville à un endroit où se reposaient les
voyageurs, comme c'était l'usage dans la Palestine, et où venaient
ordinairement les prendre des personnes hospitalières de la ville qui
les recevaient dans leurs maisons. C'est aussi ce qui arriva ici. Des
gens qui passaient sur le chemin reconnurent Jésus qui était venu ici
précédemment, à l'époque de la fête des tabernacles on à un autre
moment, et ils le dirent en rentrant chez eux. Alors un paysan aisé de
l'endroit vint avec ses serviteurs ; il apporta à boire et à manger pour
Jésus et les disciples, les invita à venir chez lui et ils le suivirent.
Il leur lava les pieds et leur donna d'autres habits, pendant qu'il
battait et nettoyait les leurs. Il fit aussi préparer un repas, et
inviter aussitôt plusieurs pharisiens avec lesquels il était en bons
termes et qui ne tardèrent pas à paraître. Cet homme faisait de grandes
démonstrations d’amitié ; mais au fond il ne valait pas grand chose : il
voulait se faire gloire devant le monde de ce que le prophète était venu
chez lui : il voulait de plus le faire examiner par les pharisiens. Ils
pensaient, les uns et les autres, que cela se ferait mieux à table en
particulier qu'à la synagogue, en présence du peuple assemblé.
Mais à peine la table
était-elle préparée, que tous les malades transportables de l'endroit se
rassemblèrent devant la maison et dans la cour, ce qui déplut fort au
maître et aux pharisiens. Il sortit et voulut les faire retirer. Mais
Jésus dit : " J'ai à prendre une autre nourriture dont je suis affamé.
"Et au lieu de se mettre à table, il sortit pour aller trouver les
malades et commença à les guérir : tous ses disciples le suivirent. Je
leur aurais su mauvais gré de ne pas le faire. Il y avait là plusieurs
possédés qui poussaient des cris vers lui. Il les guérit d'un regard et
d'un simple commandement. Plusieurs malades étaient perclus d'une main
ou des deux mains : il leur passa la main sur les bras et leur imprima
un mouvement de haut en bas. D'autres étaient hydropiques, il leur mit
la main sur la tête et sur la poitrine. D'autres étaient atteints de
consomption, d’autres avaient de petits ulcères, qui du reste n'étaient
pas d'une nature maligne. Je l'entendis dire à quelques-uns de se
baigner, à d'autres qu'ils se porteraient tout à fait bien sous peu de
jours et il leur prescrivit certaines œuvres. Bien en arrière d'eux, se
tenaient appuyées contre un mur plusieurs femmes hydropiques couvertes
de leurs voiles et jetant timidement vers Jésus un regard oblique ou
soulevant par instants leur voile pour lui montrer un visage défait.
Jésus alla à elles en dernier lieu : il les toucha et les guérit ; et
elles se jetèrent à ses pieds.
Tous ces gens étaient
transportés de joie et chantaient des cantiques de louange, mais les
pharisiens qui étaient dans la maison en avaient fermé toutes les
ouvertures : ils s'indignaient près de leur hôte et regardaient souvent
à travers le grillage. Ces guérisons durèrent longtemps, et, comme ils
voulurent retourner chez eux, il leur fallut traverser la cour, au
milieu des malades, des guéris et de leur jubilation, ce qui fut pour
eux un vrai crève-cœur. la foule était si grande à la fin que Jésus fut
obligé de se cacher dans la maison jusqu'à ce qu'ils se fussent retirés.
Le jour tombait déjà
lorsque cinq lévites vinrent inviter Jésus et ses disciples à prendre
leur logement dans la maison d'école à laquelle ces lévites étaient
préposés. Ils quittèrent le paysan pharisien en le remerciant : Jésus
lui fit encore une courte admonition et se servit d’une expression comme
celle de renards qu'il avait appliquée aux hérodiens. Cet homme ne cessa
pas de faire des démonstrations amicales. Dans la maison d'école Jésus
et ses disciples mangèrent quelque chose, puis ils dormirent dans un
long corridor, étendus sur un tapis : les couches étaient séparées par
des cloisons. Dans cette maison on faisait l'école aux garçons. Il y
avait aussi une pièce où l'on instruisait des femmes adultes qui
désiraient prendre une connaissance approfondie de la loi de Moise pour
se faire juives.
Cette école existait déjà
ici dès le temps de Jacob : elle avait été transmise de main en main aux
Juifs actuels. Je vis ce qui suit sur son origine, et à cette occasion
je vis de nouveau en esprit plusieurs scènes de l'Ancien Testament.
Voici ce que j'en ai retenu:
Isaac demeurait à peu de
distance d'Hébron, dans le pays des Héthéens, où Abraham avait acheté un
champ : il possédait de grands troupeaux et de nombreux esclaves, et il
était devenu aveugle de bonne heure. Esau et Jacob étaient déjà des
hommes faits lorsque Jacob reçut avant Esau la bénédiction de son père,
c'est-à-dire la transmission réelle et sacramentelle d'une bénédiction
mystérieuse en vertu de laquelle il était assuré que le Messie sortirait
de sa race. Esau était déjà marié, il avait des femmes païennes et
plusieurs enfants. Il persécuta Jacob de toutes les manières, et Rébecca
envoya secrètement celui-ci à Abelmehola où il avait des troupeaux et
des serviteurs, et où il habitait sous la tente. Rébecca avait établi là
une école pour des Chananéennes et d'autres filles paiennes. Comme Esau,
ses enfants et ses serviteurs, ainsi que d'autres hommes au service
d'Isaac, contractaient des alliances avec cette sorte de femmes, Rébécca
qui voyait cela avec répugnance faisait instruire là dans la religion
d'Abraham les jeunes filles qui le désiraient, car ce territoire lui
appartenait.
Jacob se tint longtemps
caché dans cet endroit, et quand on s'enquérait de lui, elle disait
qu'il était en pays étranger paissant les troupeaux d'autrui.
Quelquefois il allait la voir la nuit et elle le tenait caché de crainte
d'Esau. Il creusa près d'Abelmehola un puits, le même près duquel Jésus
s'était assis devant la ville Les habitants tenaient ce puits fort en
honneur, et il était toujours recouvert. Il creusa aussi près de là une
citerne en forme de carré long, dans laquelle on pouvait descendre par
des marches. Plus tard son séjour fut connu et comme on remarqua qu'à
l'exemple d'Esau, il recherchait aussi une femme chananéenne, Isaac et
Rébecca l'envoyèrent dans la patrie de celle-ci, prés de Laban son
oncle, au service duquel il se mit et dont il épousa les filles
Rébecca n'avait placé son
école si loin du pays de Heth, où était sa demeure, que parce qu'Isaac
avait des luttes continuelles à soutenir contre les Philistins lesquels
souvent ravageaient tout chez lui. Elle avait établi là un homme venu
comme elle de la Mésopotamie, et sa propre nourrice, qui était, je
crois, la femme de cet homme Les écolières habitaient sous des tentes,
et on leur apprenait tout ce qu'une femme devait savoir pour tenir un
ménage de bergers nomades. On leur enseignait aussi les devoirs d'une
femme appartenant à la race et à la religion d'Abraham. Elles avaient
des jardins et cultivaient toute espèce de plantes grimpantes, comme des
courges, des melons, des concombres, et aussi une espèce de blé. Elles
possédaient, en outre, des brebis de grande taille dont elles buvaient
le lait.
J'ai vu aussi qu'elles
apprenaient à lire et à écrire, et avec quelle difficulté. On écrivait
alors d'une façon très étrange sur quelque chose de brun et d'épais. Ce
n'étaient pas des rouleaux de parchemin, comme plus tard, c'étaient des
morceaux d’écorce : j'en vis quelquefois prendre sur les arbres. On y
imprimait les lettres au moyen du feu. Elles avaient des boîtes à
compartiments, et je vis reluire la surface de ces compartiments : car
il y avait toute sorte de types en métal qu'on faisait chauffer dans la
flamme et qu'on imprimait successivement sur l'écorce. Voici comment
j'ai vu préparer le feu avec lequel elles les faisaient chauffer, et qui
leur servait eu outre pour la cuisine, pour rôtir, pour faire cuire le
pain, et même pour l'éclairage ; et je pensais, à cette occasion, que
tout le monde ici mettait la lumière sous le boisseau. Dans un vase dont
la forme me rappelait l'espèce de coiffure que plusieurs idoles paiennes
ont sur la tête, brûlait une masse noire au milieu de laquelle était
creusé un trou, peut-être pour donner de l'air. Les petits cylindres qui
entouraient le vase étaient creux, et on y versait souvent un liquide
qu'on y faisait chauffer. Au-dessus de ce réchaud, elles renversaient
une espèce de boisseau, dont la partie supérieure était mince et comme
percée de petits trous : il était également entouré de petits cylindres
où l'on pouvait faire chauffer quelque chose. Autour de ce boisseau
étaient des ouvertures avec des châssis, et quand on voulait avoir de la
lumière, on ouvrait une petite fenêtre, par laquelle arrivait la lumière
de la flamme. On ouvrait toujours par les côtés où il ne venait pas de
courant d'air comme il y en avait fréquemment sous les tentes. Sous le
bassin où était le feu il y avait un petit cendrier dans lequel on
faisait cuire des petits pains fort minces ; plus haut, sur le boisseau,
on faisait chauffer dans des vases peu élevés, l'eau dont on j faisait
usage pour les bains, pour la lessive et pour la cuisine. Elles y
faisaient aussi griller et rôtir les aliments. Ces ustensiles étaient
légers et minces ; on les avait avec soi en voyage, et on pouvait les
transporter facilement d'un endroit à l'autre. On faisait chauffer sur
un réchaud de ce genre les lettres dont on marquait les morceaux
d'écorce.
Les Chananéens avaient les
cheveux noirs ; ils étaient plus basanés qu'Abraham et ses compatriotes
: ceux-ci avaient le teint plus jaune avec une nuance vermeille. Les
femmes chananéennes étaient autrement vêtues que les filles d'Israël.
Elles portaient un ample vêtement d'étoffe de laine jaunâtre descendant
jusqu'aux genoux. Il se composait de quatre morceaux qui se réunissaient
et s'attachaient au-dessous des genoux, et formaient un large caleçon,
lequel était aussi assujetti autour du corps. Des pièces d’étoffe
semblables recouvraient le des, la poitrine et le ventre. Ces pièces
étaient attachées ensemble sur les épaulés, et cette espèce d'ample
scapulaire, ouvert sur les deux côtés, était serré autour du corps par
un lacet au-dessus duquel il bouffait. Le tout faisait l'effet d'un
large sac, lié par le milieu et s'arrêtant brusquement au-dessous des
genoux. Elles étaient chaussées de sandales, et depuis les pieds
jusqu'aux genoux s'étendaient des courroies qui se croisaient, et entre
lesquelles on voyait la jambe nue. Les bras étaient couverts d'un
morceau d'étoffe fine et transparente, qui formait une manche assujettie
par plusieurs anneaux de métal brillant. Elles portaient sur la tête un
bonnet de petites plumes qui finissait eu pointe, et derrière lequel
s’arrondissait comme le cimier d'un casque avec un panache touffu. Elles
étaient belles et bien faites, mais du reste beaucoup plus ignorantes
que les femmes de la race d'Abraham. Quelques-unes avaient aussi de
longs manteaux, plus étroits du haut que de bas. Les femmes israélites
portaient sur la chair une pièce d'étoffe qui couvrait les reins et
enveloppait le corps : elles mettaient par là-dessus une longue tunique,
puis une longue robe boutonnée sur le devant : elles avaient la tête
couverte d'un voile.
Je vis et j'entendis aussi
ce qu'apprenaient ces Chananéennes : il s'agissait de la religion
d’Abraham. Voici ce que j'en ai retenu. On les instruisait sur la
création du monde, sur celle d'Adam et d'Eve, et leur introduction dans
le paradis ; sur la tentation d'Eve par Satan, et sur la chute du
premier couple humain, amenée par la violation de l'abstinence que Dieu
leur avait prescrite. J'ai toujours vu que ce fut de la manducation du
fruit défendu que naquirent dans l'homme toutes les convoitises
coupables. On leur enseignait que Satan avait promis à nos premiers
parents une lumière et une science toutes divines, mais que les hommes,
après le péché, étaient devenus aveugles qu'il leur était tombé comme
une taie sur les yeux qu'une faculté d'intuition qu'ils avaient
antérieurement leur avait été retirée, et que depuis lors ils
travaillaient à la soeur de leur front, enfantaient dans la douleur, et
ne pouvaient acquérir aucune science que péniblement et humblement.
Elles apprenaient encore qu’il avait été promis à la femme un fils qui
écraserait la tête du serpent : on leur parlait d'Abel, de Caïn et des
descendants de Caïn ; on leur disait comment ils avaient dégénéré et
étaient devenus mauvais ; comment les enfants de Dieu, attirés par la
beauté des filles des hommes, s'étaient unis à elles et avaient donné
naissance à une race de géants, d'hommes forts et impies, pratiquant la
magie et versés dans toute espèce de mauvaises sciences ; race qui avait
inventé et enseigné toutes les voluptés et toute, les maximes de la
fausse sagesse, en un mot, tout ce qui attire au péché et détourne de
Dieu ; elle avait tellement perverti et corrompu les hommes, que Dieu
avait résolu de les détruire tous, à l'exception de Noé et de sa
famille. Ce peuple avait eu sa résidence principale sur une haute chaîne
de montagnes, et il avait cherché à s'élever toujours plus haut ; mais
dans le déluge ces montagnes s'étaient affaissées et avaient fait place
à une mer. On leur parlait ensuite du déluge ; de Noé, sauvé dans
l'arche avec ses fils Sem, Cham et,Japhet j du péché de Cham, et de la
perversité qui s'était de nouveau montrée chez les hommes lors de la
construction de la tour de Babel. L'histoire de cette tentative. suivie
de la destruction de l'édifice, de la confusion des langues et de la
séparation des hommes, devenus ennemis les uns des autres, était
rapprochée de celle de ces hommes méchants, robustes, adonnés à la
magie, qui habitaient les hautes montagnes ; on montrait tout cela comme
le résultat de mariages illicites, détendus par la loi de Dieu, et
contractés uniquement pour satisfaire les convoitises de la chair. Sur
la tour de Babel aussi, on pratiquait la magie et l'idolâtrie, on se
livrait à l'impudicité. Par ces enseignements, les jeunes filles,
converties, étaient mises en garde contre toute union avec des
idolâtres, contre tout penchant à la superstition et à la magie, contre
l'attrait des jouissances sensuelles. contre le goût des raffinements
dangereux pour l’esprit et le corps, et enfin contre tout ce qui ne
conduit pas à Dieu ; toutes ces choses leur étaient montrées comme
faisant partie des péchés à cause desquels Dieu avait exterminé le genre
humain. On leur inculquait, au contraire. la crainte de Dieu,
l’obéissance, la soumission et la pratique simple et fidèle des devoirs
de la vie pastorale. On leur apprenait les préceptes donnés par Dieu à
Noé, par exemple, celui de ne pas manger de chair crue ; j'ai oublié les
autres. On leur enseignait encore comment Dieu avait choisi la race
d'Abraham pour en faire sortir son peuple d'élection, au sein duquel
devait naître le Rédempteur, et comment il avait fait sortir Abraham de
la terre d’Ur et l'avait séparé du reste des hommes : comment il lui
avait envoyé des hommes blancs, c'est-à-dire des hommes qui
apparaissaient éclatants de blancheur et de lumière, et comment ceux-ci
avaient donné à Abraham le mystère de la bénédiction de Dieu, afin que
sa postérité fût élevée au-dessus de tous les peuples de la terre. On ne
faisait mention de ce mystère qu'en termes généraux et avec une sorte de
crainte religieuse, on leur disait avec quel respect cette bénédiction
de Dieu devait être conservée dans la sainteté du mariage chez les
enfants d'Abraham, parce que d'elle devait sortir le peuple de Dieu et
la rédemption ; on leur présentait Melchisédech comme un de ces hommes
blancs dont il a été parlé, et on leur racontait comment il avait offert
du pain et du vin et béni Abraham
Je crois que c'est
Melchisédech qui a introduit dans le pays la culture du blé et de la
vigne, qui n'y existaient pas encore mais je ne le sais plus bien
exactement. On leur faisait aussi connaître le jugement de Dieu sur
Sodome et Gomorrhe.
Celles de ces Chananéennes
qui se mariaient avec des hommes appartenant à Abraham étaient
instruites sur l'alliance sainte et le signe de l'alliance de Dieu avec
Abraham et sa postérité. J'appris à cette occasion que dans ces premiers
temps les filles de pure race d'Abraham étaient marquées, elles aussi,
d'un signe sur le corps : ce qui se faisait le 25. jour après leur
naissance ; c'était pour leur rappeler, à elles et à d'autres encore,
qu'elles étaient les vases sacrés du peuple de Dieu. Cet usage ne dura
pas très longtemps ; il était déjà tombé en désuétude longtemps avant la
sortie d'Egypte. Je vis que quand une de ces Chananéennes épousait un
homme de la race d'Abraham, on lui imprimait auparavant un signe
ineffaçable sur le creux de l'estomac. Ces signes étaient divers ;
c'étaient tantôt des lignes entières, tantôt des lettres isolées. Il
semblait qu'on les marquât du sceau de leur nouvelle famille ou des
armoiries d'Abraham. Je ne sais plus les détails. Le signe de l'alliance
entre Dieu et la race d'Abraham n'avait pas été donné par Dieu comme un
signe entièrement nouveau, mais comme le sceau sacré et perpétuel de
l'alliance de Dieu avec la postérité d'Abraham, dont il avait fait son
peuple. C'était un signe élevé à la dignité de sacrement, que toutefois
d'autres races humaines portaient aussi, comme étant simplement la
marque d'une extraction plus pure, sans qu'il y eût chez celles-ci,
comme chez les Israélites, un précepte sacré donné par Dieu, obligatoire
sous peine de retranchement. Il en était de même du baptême, qui était
comme une purification symbolique chez d'autres peuples, et chez les
Juifs eux-mêmes, avant d'être élevé par le Rédempteur à la dignité de
sacrement régénérateur de la nouvelle alliance. Je reconnus aussi que le
signe de l'alliance donné à Abraham existait déjà chez divers autres
peuples, et notamment chez des races sacerdotales, par exemple en Egypte
et même en Chaldée ; les femmes paiennes qui épousaient des patriarches
comme Céthura, la femme noire d'Abraham, appartenaient à une de ces
racés marquées du signe en question. Je ne me souviens pas à présent
d'où les autres peuples avaient appris à distinguer aussi leurs races
par un signe particulier. Du reste, leur condition en cela différait de
celle des descendants d'Abraham, chez lesquels c'était le sceau divin de
leur union conjugale qui devait produire le plus pur et le plus saint
des fruits, puisque le Verbe lui-même devait s'y incarner par
l'opération du Saint-Esprit. La tâche la plus sacrée de la religion
était alors de coopérer avec les desseins miséricordieux du Seigneur à
l'égard des hommes, en procurant le développement d'une race d'hommes
très pure par la séparation ou la réunion des couples humains destinés à
former une souche sanctifiée, de laquelle sortirent tous les prophètes,
tous les ancêtres de la sainte famille, et enfin la sainte famille
elle-même. Ce rejet des mauvais éléments et cette réunion des bons
éléments dispersés pour en former de saintes générations se continuent
encore à présent dans l'union nuptiale de Jésus-Christ avec l'Eglise, sa
fiancée, et celui qui comprend bien cela doit aussi comprendre quelle
chose grave et contraire aux desseins de Dieu sont les mariages mixtes.
Ces sortes de choses paraissent bien étranges, et cependant elles nous
touchent de bien près, comme la parabole du froment recueilli et vanné
sur l'aire et des pailles jetées au feu. Oh ! combien il est touchant de
voir le saint roi Venceslas recueillir lui-même les grains de blé les
plus purs, les grappes de raisin les plus exquises, et les offrir pour
servir de matière au très saint Sacrement de l'autel !
Dans ces temps anciens,
beaucoup d'hommes avaient sur eux certains signes semblables à des
signes de naissance, et souvent parmi les enfants il y en avait qui
apportaient au monde des signes de ce genre, comme rejetons élus de
leurs races, désignés et marqués par Dieu même pour être prophètes, ou
rois, ou remplir d'autres fonctions élevées. On en tenait grand compte,
et c'était à peu près comme il arrive encore aujourd'hui chez les gens
de la campagne, qui se livrent à toute sorte de prévisions et
d'espérances quand un enfant naît ce qu'on appelle coiffé. Il y avait de
ces enfants des deux sexes, naissant déjà avec des marques naturelles
aux endroits du corps où, sans cela, on avait coutume de leur imprimer
des marques artificielles. On voyait des enfants mâles naître ainsi avec
un signe sur la hanche. C'étaient des hommes marqués pour une certaine
destination. Il y avait des gens qui comprenaient et recherchaient le
sens de ces signes ; ils devaient être pour les parents les titres
naturels que leurs enfants apportaient au monde, comme il y a des gens
qui expliquent aujourd’hui aux paysans les titres concernant leurs
propriétés : car ces signes naturels, eux aussi, étaient souvent
falsifiés pour introduire un intrus dans une race plus noble ou le faire
arriver à quelque dignité, ce qui pouvait avoir lés suites les plus
funestes. On doit voir dans tout cela quelque chose de semblable aux
procédés dont on se sert pour améliorer des espèces d'arbres ou des
races d'animaux. On se garde bien de marier des rejetons sauvages à des
souches de qualité supérieure ou de la laine grossière avec des toisons
plus fines : et de même qu'un jardinier soigneux ou un propriétaire de
troupeaux entendu envoient souvent bien loin des hommes de confiance
pour leur rapporter des sujets d'une espèce plus relevée, de même nous
voyons Abraham lui-même envoyer en Mésopotamie son serviteur affidé,
Eliézer, pour y chercher une femme de noble race, et Éliézer poser sa
main sous la hanche d'Abraham et lui jurer par le seigneur du ciel et de
la terre qu'il ne prendra pas parmi les filles des Chananéens la femme
destinée à son fils Isaac.
Quoique les patriarches
eux-mêmes ne prissent point chez ce peuple de femmes légitimes, il leur
arrivait pourtant souvent de marier à des Chananéennes des gens qui leur
appartenaient, et c'est pour cela que Rébecca, sous ses tentes d'Abelmehola,
faisait élever des jeunes filles de cette nation dans la religion et les
coutumes de sa race.
Le 3, dans la matinée,
Jésus alla avec les disciples dans l'école des garçons, près de laquelle
il avait logé. Cette école était actuellement une fondation pour les
enfants juifs des deux sexes, enfants trouvés, orphelins ou rachetés de
l'esclavage. Il s'en trouvait qui avaient été enlevés et élevés dans
l'ignorance de la doctrine israélite. Il y avait des différences d'âge
chez les garçons et plus encore chez les filles, en sorte que les
grandes instruisaient les plus petites. Parmi les maîtres de celle école
il se trouvait des pharisiens et des sadducéens, lesquels ne vinrent
qu'après Jésus.
Note : " cette occasion
Anne Catherine raconta aussi touchant Abraham que ses parents étaient
païens et adoraient de petites idoles, qu'Abraham lui-même, dans le
commencement, avait eu de ces idoles. Elle dit que le texte de l'Ecriture
où Dieu le fit sortir du feu des Chaldéens (2, Esdras, IX, 7),
équivalait à dire qu'il l’avait conservé pur au milieu d'un peuple
horriblement dépravé, l’avait préservé de l'adoration du feu, et conduit
hors de la ville d’Ur, dont le nom veut dire feu. De plus elle se
rappelait confusément une histoire d'après laquelle on avait voulu la
faire périr dans le feu comme Moise dans l'eau, lorsqu'il était enfant ;
mais sa nourrice l'avait caché parce qu'une prophétie particulière
reposait sur lui ; puis cette nourrice était morte et on lui en avait
donné une autre.
Les garçons avaient à
faire, entre autres choses, un calcul d'après le livre de Job, et ils ne
pouvaient pas en venir à bout. Jésus le leur fit comprendre à l'aide de
quelques lettres qu'il traça : il leur expliqua aussi quelque chose
touchant une certaine mesure : j'en ai oublié le nom ; je crois que
c'était celle qui désigne une route de deux lieues ou une durée de deux
heures : je ne m'en souviens plus bien.
Jésus expliqua aux garçons
plusieurs choses touchant le livre de Job ; il fit ainsi, parce que
quelques rabbins avaient nié la réalité de cette histoire, embarrassés
de ce que les Iduméens, de la race desquels venait Hérode, raillaient et
persiflaient les Juifs à ce sujet, les trouvant absurdes de croire à la
réalité de cette histoire d'un homme du pays d'Edom, dont pourtant aucun
habitant de ce pays n'avait connaissance, et prétendant que c'était une
pure fable destinée à récréer les Israélites dans le désert. Jésus
expliqua aux enfants l'histoire de Job comme elle avait eu lieu
réellement. Il la raconta à la fois à la façon d'un prophète et d'un
maître d’école : il semblait qu'il eût les choses devant les yeux, que
ce fût sa propre histoire, qu'il eût tout vu et tout entendu, ou que Job
lui eût tout raconté : on ne savait pas s'il avait vécu dans ce
temps-là, s'il était un ange de Dieu ou Dieu lui-même. Cela ne parut pas
très étrange aux enfants, car ils eurent bientôt le sentiment que Jésus
était un prophète : ils se souvenaient aussi de ce qu'on leur avait dit
touchant Melchisédech que nul ne savait ce qu'il était. Malheureusement
l'angoisse et la souffrance m'ont fait oublier la plus grande partie de
tout cela ; j’ai pourtant retenu quelque chose de ce qui fut dit sur
Job.
Note
: Elle ne savait plus bien clairement ce que les enfants avaient à
calculer ; elle croyait tantôt qu'il s’agissait de l'époque de Job,
tantôt de sa généalogie, tantôt des divers lieux où il avait réside,
tantôt dés intervalles entre ses épreuves.
Job était ancêtre d'Abraham
du côté maternel : il y avait quatre générations entre eux (il était
trisaïeul de la mère d'Abraham). Son histoire et ses entretiens avec
Dieu furent écrits tout au long par deux de ses plus fidèles serviteurs,
qui étaient comme ses intendants : ils les avaient recueillis de sa
propre bouche. Ces deux serviteurs s'appelaient Haï et Uis ou Oïs. Ils
écrivaient sur des écorces d'arbres. Cette histoire fut conservée comme
une chose sacrée chez ses descendants, et elle fut transmise de
génération en génération jusqu'à Abraham : on la racontait aux
Chananéennes dans l'école de Rébecca, pour leur enseigner la soumission
aux épreuves envoyées par Dieu.
Cette histoire arriva, par
Jacob et Joseph, aux enfants d'Israël en Egypte, et Moïse en fit un
abrégé approprié à l'usage des Israélites pendant leur oppression chez
les Egyptiens, et leurs tribulations dans le désert : sous sa première
forme, elle était beaucoup plus étendue, et il s'y trouvait beaucoup de
choses qu'ils n'auraient pas comprises et qui ne leur auraient été
d'aucune utilité. Salomon la remania plus tard entièrement, laissa
beaucoup de choses de côté et ajouta beaucoup du sien. C'est ainsi que
cette histoire véritable devint un livre d'édification rempli de la
sagesse de Job, de Moïse et de Salomon : l’on ne pouvait plus y
retrouver que difficilement l'histoire proprement dite : car elle avait
été placée plus près de la terre de Chanaan par le changement de
plusieurs noms de lieux et de peuples : c'était là ce qui faisait croire
que Job était un Iduméen.
Note
: Le père de la race arménienne porte le nom d'Hai.
Job a habité différents
lieux et subi ses épreuves en trois endroits divers. La première fois il
eut neuf ans de repos, puis sept et ensuite douze, et toujours l'épreuve
l'atteignit dans une résidence différente. Son père était un grand chef
de races, il habitait dans le voisinage d'une montagne où il fait chaud
sur l'un des versants, tandis qu'il fait froid et qu'il gèle de l'autre
côté. Job était le plus jeune de treize frères ; dans les derniers temps
quelques-uns d'entre eux étaient près de lui. C'était peu de temps avant
son époque qu'avait eu lieu la dispersion de la tour de Babel. Il ne
pouvait pas rester près de ses parents, car il avait d'autres sentiments
et adorait Dieu seul dans la nature, spécialement dans les étoiles et
les vicissitudes du jour et de la nuit. Il s'entretenait avec Dieu des
merveilles de la création et il avait un culte plus épuré. Il alla avec
les siens au nord du Caucase. Il y avait là une contrée très misérable
et beaucoup de marécages : je crois qu'elle est habitée à présent par
des gens qui ont le nez épaté, des pommettes saillantes et de petits
yeux. C'est là que Job débuta et tout lui réussit d'abord : il rassembla
de pauvres hommes abandonnés qui habitaient les cavernes et les bois, et
qui n'avaient pour nourriture que des oiseaux et d'autres bêtes dont ils
mangeaient la chair crue. Il cultiva la terre avec eux et il leur apprit
à la remuer. Job et ses gens allaient alors presque nus : ils n'avaient
qu'une espèce de petit tablier autour des reins. Les femmes étaient
singulièrement vêtues : elles avaient sur les seins comme des étuis,
puis le corps était nu jusqu'au nombril : elles avaient le bas du corps
et les reins couverts d'un vêtement semblable à des chausses qui étaient
larges et froncées autour des genoux : leurs jambes étaient nues. Je vis
tout cela pendant que Jésus parlait de ce peuple. Tout réussissait à Job
: il demeurait sous des tentes, ses troupeaux se multipliaient et il lui
naquit à la fois, d'abord trois fils, puis trois filles. Il n'avait
alors qu'une femme : plus tard il en eut trois. Il n'y avait pas encore
là de ville, mais il parcourait les plaines, s'arrêtant tantôt dans un
endroit, tantôt dans l'autre. Ils ne faisaient pas de pain avec le blé,
ils le mangeaient en bouillie et grillé. Ils mangeaient encore la viande
crue, mais plus tard il leur apprit à la faire cuire.
Il était incroyablement
doux, bon, juste et bienfaisant, et il secourait tous les pauvres gens.
Il était aussi très chaste et regardait les convoitises de la chair
comme une punition du péché.
Il était très familier avec
Dieu qui lui apparaissait souvent par l'intermédiaire d’un ange ou d'un
homme blanc, comme on disait alors. Il n'était pas idolâtre comme ses
voisins, qui fabriquaient différentes figures d'animaux et les
adoraient. Il avait imaginé pour son usage une représentation du Dieu
tout-puissant. C'était une figure d'enfant dont la tête était entourée
de rayons : les mains étaient placées l'une au-dessous de l'autre : dans
l'une d'elles il tenait un globe sur lequel étaient représentés des
flots et un petit navire : je crois que ce devait être une
représentation du déluge Cette figure était brillante comme si elle eût
été faite de métal et il la portait avec lui partout. Il priait devant
elle et lui présentait une oblation de grains de blé qu'il brûlait. La
fumée s'élevait en l'air comme à travers un entonnoir.
Je n'ai pas vu que la
circoncision fût en usage chez lui : mais quand les enfants étaient nés,
on les tenait un certain temps dans une fosse pleine d'eau ; s'ils ne
pouvaient pas supporter cette épreuve et qu'elle les rendît malades, on
n'en tenait aucun compte et on les regardait comme ayant peu de valeur.
(Peut-être était-ce un usage emprunté au souvenir du déluge.) C'est ici
que Job eut son premier malheur. Entre chacune de ses épreuves, il eut
encore des combats et des luttes à soutenir, car il était entouré de
beaucoup de races perverses. Plus tard il alla plus avant dans les
montagnes (le Caucase), où il recommença à nouveau et où tout lui
réussit encore. Dans ce nouveau séjour ses gens et lui commençaient à
être mieux vêtus et ils étaient beaucoup plus civilisés dans leur
manière de vivre. Il y avait là un roi qui le prit en grande estime et
il accompagna une fiancée royale en Egypte avec un cortège de chameaux
et de serviteurs : il demeura environ cinq ans en Egypte où il fut très
honoré. Je crois qu'alors les Egyptiens plaçaient les enfants dans des
idoles rougies au feu et, si je ne me trompe, il fit abolir cet usage :
ce fut plus tard qu'ils fabriquèrent leurs étranges figures de bœufs.
Lorsqu'il revint chez lui,
il eut à subir sa seconde épreuve et lorsque la troisième survint, après
un intervalle de douze ans, il habitait une contrée plus méridionale,
située à la hauteur de Jéricho, mais plus à l'orient. Je crois que ce
pays lui avait été donné après sa seconde épreuve parce qu'il était
partout très aimé et très honoré à cause de son extrême droiture, de sa
grande crainte de Dieu et de ses lumières.
Ici encore il avait
commencé à nouveau. Sur une hauteur où le sol était fertile, couraient
toute espèce de nobles animaux, notamment des chameaux à l'état sauvage
: on les prenait là comme chez nous les chevaux indomptés dans les
bruyères.
Il s'établit sur celle
hauteur, devint très riche, bâtit une ville et prospéra de plus en plus.
La ville était sur des fondements en pierre, au-dessus desquels étaient
tendues des tentes : ce fut lorsqu'il était de nouveau en pleine
prospérité que la troisième épreuve vint l'assaillir et qu'il fut
affligé d'une si horrible maladie. L'ayant supportée comme les autres
avec beaucoup de patience et de sagesse, il revint entièrement à la
santé et il eut encore beaucoup de fils et de filles. Je crois qu'il
moulut à une époque très postérieure, lorsqu'un peuple étranger fit
irruption dans ce pays.
Quoique l’histoire de Job
ait été entièrement remaniée, il s'y trouve pourtant beaucoup de choses
dites réellement par Job, et je crois que je pourrais toutes les
reconnaître. Dans le récit où l'on voit les serviteurs arriver si
promptement les uns après les autres, les mots " comme il parlait encore
" équivalent à ceux-ci : "comme la dernière épreuve était encore dans la
mémoire des hommes, n'en était pas encore effacée. "
Quand il est dit que Satan
vint avec les enfants de Dieu et accusa Job, ce n'est qu'une façon
abrégée de parler. Il avait alors un commerce fréquent entre les mauvais
esprits et les hommes impies auxquels les démons apparaissaient sous la
forme d'hommes blancs (la Sœur veut désigner par ces mots la figure que
prenaient les anges). C'est ainsi que de méchants voisins furent excités
contre Job ; ils le calomnièrent, ils prétendirent qu'il ne servait pas
Dieu comme il fallait, qu'ayant tout en abondance, il lui était facile
d'être bon. Alors Dieu voulut montrer que les souffrances ne sont
souvent que des épreuves, etc. (Tout ceci a été mal retenu et n'a été
expliqué que d'une manière assez confuse.)
Les discours des amis qui
entourent Job, montrent les idées que ses malheurs faisaient naître chez
les gens qui étaient en relations d'amitié avec lui. Job attendait le
Rédempteur avec un ardent désir et il fut l'un des ancêtres de David.
Par la mère d'Abraham, qui descendait de lui, il se trouve avec ce
patriarche dans la même relation que les ancêtres de sainte Anne avec la
sainte Vierge, etc.
Jésus alla aussi dans
l'école des jeunes filles : celle-ci avaient à faire des calculs
d'époques en ce qui touchait la venue du Messie, et tous leurs calculs
aboutissaient au temps présent. Comme elles en étaient là, Jésus entra
dans l'école avec ses disciples, et son entrée fit une très vive
impression. Il enseigna sur le passage dont elles s'occupaient et
expliqua tout beaucoup plus clairement. Il dit aussi que le Messie était
déjà venu, mais qu'on ne le reconnaissait pas. Il parla du Messie
inconnu et de l'accomplissement de tous les signes de son avènement. Il
s'exprima en termes voilés sur le texte : " une Vierge, enfantera un
Fils", disant que c'était encore trop difficile à comprendre pour elles.
Il les exhorta à se regarder comme heureuses d'être venues au monde à
une époque après laquelle les patriarches et les prophètes avaient si
longtemps soupiré. Il parla encore des persécutions et des souffrances
du Messie, et leur expliqua des passages qui s'y rapportaient. Il leur
indiqua aussi d'avance un temps qui était, je crois, celui de la
prochaine fête des Tabernacles, et leur dit de faire attention à ce qui
arriverait alors à Jéricho. Je pense qu'il leur annonça d'avance
plusieurs miracles, entre autres, celui d'une guérison d'aveugles.
Les jeunes filles étaient
assises dans l'école, les jambes croisées ; elles avaient quelquefois un
genou relevé. Chacune avait près d'elle un petit banc qui se terminait
en angle. Elles s'appuyaient par côté sur l'un des bouts : elles
posaient sur le plus large les rouleaux sur lesquels elles écrivaient ;
souvent aussi elles se levaient pour écouter.
Jésus leur fit encore un
calcul sur les temps du Messie. Ce qui rendait si difficile le calcul
des garçons touchant Job, était que, selon les Juifs, il devait être
Iduméen, tandis qu'à son époque les Iduméens n'existaient pas encore.
Il parla en outre aux
enfants de Jean et du baptême et il leur demanda s'ils ne désiraient pas
être baptisés. Il raconta aussi des paraboles à ces orphelins, il parla
aux garçons de la signification du sel et leur raconta quelque chose de
l'enfant prodigue. Il parla aux filles de la drachme perdue. Pendant que
Jésus prêchait dans l'école sur le Messie, les maîtres pharisiens y
vinrent et ils se scandalisèrent beaucoup parce qu'ils remarquèrent
qu'il appliquait tout à lui même.
Il mangea ce jour-là chez
les lévites : le soir, il alla avec eux et les enfants se promener
devant la ville. Les petites filles le suivirent, conduites par les plus
grandes ; plusieurs fois il s'arrêta jusqu'à ce qu'elles l'eussent
rejoint, laissant les garçons prendre les devants : il les enseigna en
leur présentant de beaux exemples pris dans la nature, qu'il tira de
tous les objets, des arbres, des fruits, des fleurs, des abeilles, des
oiseaux, du soleil, de la terre, de l'eau, des troupeaux et des Travaux
de la campagne. Ses enseignements aux garçons furent d'une beauté
inexprimable. J'en ai oublié les détails par suite de plusieurs
dérangements. Il parla aux garçons de Jacob, du puits creusé ici par
lui, leur dit comment l'eau vive s'épanchait maintenant vers eux, leur
expliqua ce que c'était que boucher et combler les puits, comme
l'avaient fait les ennemis d'Abraham et de Jacob, et ce que cela
signifiait. Ainsi faisaient, disait-il, ceux qui voulaient étouffer
l'enseignement et les miracles des prophètes. Il indiqua clairement par
là les pharisiens.
Il alla avec les enfants à
l’ouest près de la hauteur d'Abelmehola, à environ une lieue d'ici ;
plus avant dans la vallée se trouvait un endroit appelé Thabat.
(4 septembre.) Jésus alla
ce matin à la synagogue. Tous les pharisiens et les sadducéens de
l'endroit y vinrent avec une grande foule de peuple. Il ouvrit les
Ecritures et expliqua des passages des prophètes : ils disputèrent
contre lui avec beaucoup d'obstination, mais il les confondit tous.
Cependant un homme, qui avait les bras et les mains paralysés, s'était
tramé jusqu'à la porte de la synagogue : il avait longtemps désiré voir
Jésus et il était enfin parvenu à arriver à l’endroit où il devait
passer lorsqu'il sortirait. Quelques pharisiens se mirent en colère
contre lui et lui ordonnèrent de s'en aller : mais comme il s'y refusait
ils essayèrent de le tirer de là. Il s'appuyait comme il pouvait à la
porte et regardait tristement du côté de Jésus qui, placé sur une sorte
d’estrade, était séparé de lui par la foule et se trouvait d'ailleurs
assez éloigné. Jésus se tourna vers lui et lui dit : "Que me
demandez-vous ?" Cet homme répondit : "Seigneur, je vous supplie de me
guérir, car vous le pouvez, si vous le voulez. "Jésus lui dit : " Votre
foi vous a guéri : Etendez vos mains au-dessus du peuple, "et aussitôt
l’homme fut guéri à distance : il leva les mains en l’air et rendit
grâces à Dieu. Jésus lui dit alors : "Retournez chez vous, et ne faites
pas d'éclat. "Mais il répondit : " Seigneur, comment puis-je taire un si
grand bienfait ?’ Puis il partit et raconta à tout le monde ce qui lui
était arrivé. Il vint alors beaucoup de malades devant la synagogue et
Jésus les guérit lorsqu'il sortit. Il assista ensuite à un repas avec
les pharisiens qui, malgré leur irritation intérieure, le traitèrent
toujours avec beaucoup de politesse, afin de pouvoir mieux l'espionner.
Le soir, il opéra encore des guérisons.
(5 septembre.) Jésus alla
encore le matin dans l'école d'Abelmehola. à la fin il fut entouré par
les petites filles qui se pressaient près de lui, lui prenaient la main
et s'attachaient à ses habits. Il fut extraordinairement affectueux et
exhorta ces' enfants à l'obéissance et à la crainte de Dieu. Les plus
grands se tenaient plus en arrière. Les disciples présents étaient un
peu embarrassés et soucieux, il leur tardait qu'il se retirât. Ils
pensaient, suivant les idées juives, que cette familiarité avec les
enfants ne convenait pas à un prophète et pouvait nuire à sa réputation.
Jésus ne s'inquiéta pas
d'eux, et lorsqu'il eut donné ses instructions à tous les enfants,
exhorté les adultes et fortifié les maîtres dans le bien, il dit à un
des disciples de faire un cadeau à chacune des plus petites filles : on
leur donna des petites pièces de monnaie qui étaient attachées ensemble
; je crois que chacune fut deux drachmes. Il bénit ensuite les enfants
en commun et ils quittèrent cet endroit, se dirigeant au levant vers le
Jourdain.
Pendant la route, Jésus
enseigna encore dans la plaine, devant des cabanes isolées, où se
rassemblèrent des groupes de laboureurs et de bergers. Ce ne fut que
dans l'après-midi, vers quatre heures, qu'ils arrivèrent devant Bezech,
ville située près du Jourdain, à peu près à deux lieues à l'est d'Abelmehola.
Elle est comme divisée en deux parties placées des deux côtés d'un
ruisseau qui tombe dans le Jourdain.
Le pays est ici montueux et
accidenté, et les maisons sont un peu disséminées : Bezech devrait
plutôt être appelé un double village qu'une ville. Les habitants vivent
isolés et ont peu de relations au dehors : la plupart sont laboureurs et
ils aplanissent avec beaucoup de fatigue leur sol accidenté et déchiré.
En outre ils fabriquent des instruments d'agriculture pour les vendre et
confectionnent des tapis grossiers et des toiles pour les tentes.
A environ une lieue et
demie d'ici, le Jourdain fait un détour vers l'ouest comme s'il voulait
couler directement vers le mont des Oliviers, mais il se détourne
bientôt et revient en arrière : il forme ainsi une sorte de presqu'île
sur sa rive orientale : il y a là une ville et une série de
maisons.-Avant que Jésus arrivât de Galilée à Abelmehola, il avait eu
une petite rivière à traverser.-Ainon pouvait être à environ quatre
lieues de Bezech, de l'autre côté du fleuve. Jésus entra dans une
hôtellerie devant cet endroit : c'était le premier logement préparé pour
lui et ses disciples par les soins des femmes de Béthanie qu'il eût
rencontré dans ce voyage. On y avait placé un homme pieux et animé de
bons sentiments. Il vint au devant des arrivants, leur lava les pieds et
les hébergea. Jésus alla à Bezech, où les préposés de l'école le
reçurent dans la rue. Il entra dans différentes maisons où il guérit des
malades.
(6 et 7 septembre.) Il y a
ici une trentaine de disciples de Jérusalem et des environs, qui sont
venus avec Lazare, ainsi que plusieurs disciples de Jean. Quelques uns
sont venus directement de Machérunte avec un message de Jean pour Jésus.
Il le faisait prier instamment de se manifester hautement et de déclarer
qu'il était le Messie. J'ai oublié le reste : ce n'est pas là le message
qui est mentionné dans l'Evangile. Parmi les envoyés de Jean se trouvait
le fils d'un certain Cléophas qui était veuf. Je crois que c'est le
disciple d'Emmaus qui est allié à l'autre Cléophas, mari de la soeur
aînée de la sainte Vierge. un autre disciple était Jude Barsabas, allié
à Zacharie d'Hébron. Ses parents avaient antérieurement demeuré à
Nazareth et habitaient maintenant à Cana. Je me souviens de quelques
autres de ces disciples de Jean. Trois fils de Marie d'Héli, sœur aînée
de la sainte Vierge, étaient disciples de Jean : l’un d'eux s'appelait
Matthias ou Matthieu. Ils étaient nés si longtemps après leur soeur
Marie de Cléophas, qu'ils étaient à peine plus âgés que ses fils. Ils
suivirent le Précurseur jusqu'à sa décollation, et se réunirent ensuite
aux disciples de Jésus. Aucun d'eux ne devint apôtre. Leur mère, sœur
très aînée de Marie, était déjà fort âgée à cette époque, aussi vieille
que la prophétesse Anne : elle sortait peu et vivait très retirée. Je me
rappelle maintenant comment s'appelait le fils de Cléophas d'Emmaus ; il
s'appelait Azo (vraisemblablement Azor ou Hazor). Ce Cléophas d'Emmaus
était un neveu de l'autre Cléophas. Les Juifs donnaient souvent aux
enfants, lors de leur circoncision, les noms de parents proches et
particulièrement aimés.
Les deux époux qui étaient
préposés à l'hôtellerie de Bezech étaient des gens pieux qui vivaient
dans la continence, s'y étant astreints par un vœu, quoiqu'ils ne
fussent pas Esséniens. Ils avaient avec la sainte famille une alliance
qu'on tenait secrète, parce qu'elle avait été contractée des deux côtés
hors des liens du mariage. L'homme était parent de Suzanne de Jérusalem,
qui était fille naturelle d'un frère de saint Joseph, et je crois
presque qu'il était frère de cette Suzanne. La femme était une fille
illégitime de la famille de sainte Anne : je ne sais pas si sa naissance
n'était pas la conséquence de cette faute à l'occasion de laquelle je
vis sainte Anne toute consternée, parce qu'une personne de ses parentes
qui était à son service avait été séduite par un cousin de Joachim,
accoucher avant terme de sa fille aînée. Cette alliance des gens de
l'hôtellerie avec Jésus n'était connue que d'un petit nombre de
personnes de la famille. Les Juifs cherchaient à couvrir d'un voile
charitable les fautes de cette nature, mais les fruits de ces unions
illégitimes restaient toujours dans une position subalterne. Jésus
pendant son séjour ici s'entretint plusieurs fois en particulier avec
ces gens.
Il y avait ici dix
disciples de Jean parmi lesquels Matthias ou Matthieu fils de Cléophas
et ses deux frères, puis Azor fils de Cléophas d'Emmaus et Jude Barsabas.
Dix autres étaient venus avec Lazare de Jérusalem et de Béthanie. Ce ne
fut qu'à la fin que Cléophas d'Emmaus devint tout à fait disciple et
compagnon du Sauveur, mais dès cette époque il lui était déjà dévoué,
s'entretenait souvent de lui avec Joseph d'Arimathie et contribuait
aussi à faire les frais de ses logements. Tous les amis et les disciples
présents mangèrent et passèrent la nuit avec Jésus dans l'hôtellerie
nouvellement installée. Elle était pourvue à leur intention d'ustensiles
de cuisine, de tapis, de couches, de cloisons, et aussi de sandales et
de différentes pièces d'habillement, tout cela par les soins de Lazare
et des saintes femmes. Marthe avait dans le voisinage du désert de
Jéricho une maison habitée par des femmes qui préparaient là toute sorte
d'objets de ce genre. Elle y logeait et y faisait travailler de pauvres
veuves, de pauvres personnes ruinées qui cherchaient une meilleure
condition, et tout cela se faisait en silence et sans que le public en
fût instruit. Or ce n'était pas une petite affaire que d'entretenir les
logements nécessaires pour un si grand nombre de personnes, d'y exercer
une surveillance incessante, d'envoyer partout des messagers ou
d'inspecter soi-même.
Le matin, Jésus fit une
grande instruction sur un monticule situé au milieu du bourg, où les
habitants lui avaient préparé une chaire. Il y avait là beaucoup
d'auditeurs, entre autres une dizaine de pharisiens qui étaient venus
des endroits voisins pour l'espionner. Il enseigna avec beaucoup de
douceur et de charité | pour cette population qui était d'un bon naturel
et déjà très améliorée par l'assistance aux prédications de Jean et par
le baptême que plusieurs avaient reçu. Il les exhorta à rester
satisfaits de leur condition peu relevée, à être laborieux et
miséricordieux. Il parla du temps de la grâce, du royaume de Dieu, du
Messie, et plus clairement qu'à l'ordinaire, de lui-même. Il parla de
Jean et du témoignage qu'il avait rendu, de son emprisonnement et de la
persécution qu'il subissait, et aussi des personnes royales auxquelles
il avait reproché leur union adultère, ce qui l'avait fait mettre en
prison. Il rappela qu'à Jérusalem on avait livré au supplice des
adultères qui n'avaient pas commis le mal avec cette publicité. Il
s'exprima d'une façon très précise et très frappante. Il fit des
exhortations pour toutes les conditions, pour tous les sexes, pour tous
les âges. un pharisien lui demanda s'il devait prendre la place de Jean
ou s'il était celui dont Jean avait parlé. Il répondit d'une manière
évasive, et lui reprocha ses questions insidieuses.
Il fit encore plus tard une
exhortation très touchante aux jeunes garçons et aux jeunes filles. Il
engagea les garçons à user de patience les uns envers les autres, et si
un autre les frappait ou les jetait par terre, à ne pas en tirer
vengeance, mais à le souffrir patiemment, à se retirer et à pardonner.
Ils ne devaient rendre aux autres que la charité : il fallait la rendre
au double et témoigner de l'affection même à ses ennemis. Ils ne
devaient pas désirer le bien d'autrui ; mais si un de leurs compagnons
avait envie de leurs plumes, de leur écritoire, de leurs jouets, de
leurs fruits, ils devaient lui donner plus qu'il ne demandait, et
satisfaire entièrement sa cupidité aux dépens de ce qui leur appartenait
; car, disait-il, les patients, les charitables et les généreux auraient
seuls un siège dans son royaume, et il leur décrivait ce siège d'une
façon toute appropriée à leur âge, comme un trône magnifique.
Il parla des biens de la
terre auxquels il fallait renoncer pour acquérir les biens célestes. Il
exhorta entre autres choses les jeunes filles à s'abstenir de porter
envie a leurs compagnes, à raison de leurs avantages extérieurs ou de
leurs beaux habits, et il recommanda à tous l'obéissance, l'amour
filial. la douceur et la crainte de Dieu.
A la fin de l'instruction
donnée au public, il se tourna vers ses disciples, les exhorta et les
consola avec une bonté inexprimable, et les engagea à tout supporter
avec lui et à ne se laisser dominer par aucun soucis touchant les choses
de ce monde. Il leur dit que son Père les récompenserait magnifiquement
dans le ciel, et qu'ils posséderaient son royaume avec lui. Il parla de
la persécution qu'eux et lui auraient à souffrir en commun. Il leur dit
nettement que si les pharisiens, les sadducéens, les hérodiens les
affectionnaient et les vantaient, ils devraient reconnaître à ce signe
qu'ils s'étaient écartés de sa doctrine et n'étaient plus ses vrais
disciples. Il donna à ces diverses sectes des surnoms caractéristiques.
Il donna des éloges aux habitants de l’endroit, principalement à raison
de leur bienfaisance, car ils prenaient souvent chez eux, comme
serviteurs ou comme ouvriers, de pauvres orphelins de l'école d'Abelmehola.
Il les loua aussi à propos d'une nouvelle synagogue qu'ils avaient bâtie
en s’imposant une contribution et aussi avec l'assistance de quelques
personnes pieuses de Capharnaum. Ensuite il guérit plusieurs malades,
mangea avec ses disciples dans l'hôtellerie, et le soir, comme le jour
du sabbat commençait, il alla à la synagogue.
Il y enseigna sur le texte
d'Isaie : " Je suis votre consolateur· (LI, 12). Il parla contre le
respect humain, les exhorta à ne pas redouter les pharisiens et les
autres oppresseurs, et à ne pas oublier que Dieu les avait créés et les
avait conservés jusqu'à présent. Il expliqua ces mots : " Je mets ma
parole dans ta bouche ;" en ce sens que Dieu avait envoyé le Messie, que
celui-ci était la parole de Dieu dans la bouche de son peuple, que les
paroles de ce Messie étaient les paroles de Dieu et qu'eux, ils étaient
son peuple. Il s'appliqua tout cela à lui-même si clairement que les
pharisiens chuchotèrent entre eux, disant qu'il se donnait pour le
Messie.-Il dit ensuite que Jérusalem devait se réveiller de son ivresse,
que le temps de la colère était passé, que celui de la grâce était venu
: La synagogue stérile n'avait engendré et mis au monde personne qui pût
guider et relever le pauvre peuple, mais maintenant les corrupteurs, les
hypocrites et les oppresseurs allaient être châtiés et réprimés. Il
fallait que Jérusalem se relevât, que Sion sortît de son sommeil. Il
appliqua tout cela dans le sens spirituel aux gens pieux et saints, à
ceux qui faisaient pénitence, à ceux qui, passant par l'eau du baptême,
traverseraient en quelque sorte le Jourdain et entreraient dans la terre
promise, dans le royaume de son père. Aucun incirconcis, aucun impur,
aucun de ceux qui ne domptent pas leur chair, aucun pécheur ne devait
plus corrompre le peuple. Il continua ainsi à parler de la Rédemption,
et du nom de Dieu, qui devait maintenant être annoncé parmi eux, etc. Il
enseigna aussi, en prenant pour texte le Deutéronome (XVI, XVIII), sur
les juges et les magistrats, sur ceux qui faussent les lois, ceux qui
achètent ou vendent la justice, et il attaqua vivement les pharisiens :
il parla encore des prêtres, de l’idolâtrie, etc. II guérit ensuite
plusieurs malades devant la synagogue.
(7 septembre) Une grande
foule de peuple était venue à Bezech, des deux rives du Jourdain. Tous
les auditeurs de Jean voulaient maintenant entendre aussi Jésus. Il y
avait là beaucoup d'aspirants au baptême, et une grande caravane de
païens qui avaient voulu aller à Ainon, était venue du bord oriental de
la mer de Galilée pour entendre Jésus, et campait en dehors de Bezech.
Il y avait aussi une grande quantité de malades et plusieurs possédés.
Bezech n'était pas sur le bord même du Jourdain, mais à environ trois
quarts de lieue du fleuve, près d'un petit torrent qui divisait la ville
en deux parties, dont la première était plus élevée que l'autre :
celle-ci était plus rapprochée du Jourdain. Jésus enseigna encore dans
la synagogue sur des textes d'Isaïe (LI-LII), et du Deutéronome (XVI à
XXI). Il parla de Jean et du Messie. Il indiqua les signes auxquels on
reconnaîtrait le Messie, et enseigna ici autrement qu'à l'ordinaire, car
il dit expressément qu'il était le Messie, parce qu'un fort grand nombre
des assistants était déjà très bien préparé par les prédications de
Jean. Cet enseignement s'appuyait sur Isaïe (LII, 13, 15.) Il dit que le
Messie les rassemblerait, qu'il serait rempli de sagesse, qu'il serait
exalté et glorifié : et que de même que plusieurs avaient vu avec
horreur Jérusalem dévastée et foulée aux pieds par les païens pervers,
de même aussi son libérateur serait sans éclat parmi les hommes, et
qu'on le verrait persécuté et méprisé. Il devait baptiser et purifier
beaucoup de païens ; les rois écouteraient ses enseignements en silence,
et ceux auxquels il n'avait pas été annoncé le verraient et recevraient
sa doctrine. Il revint aussi sur toutes ses actions et ses miracles
depuis son baptême, sur la persécution qu'il avait eu à souffrir à
Jérusalem et à Nazareth, sur les mépris, l’espionnage et les rires
moqueurs des pharisiens. Il fit mention du miracle de Cana, de la
guérison des aveugles, des muets, des sourds, des boiteux, de la
résurrection de la fille de Jaïre à Phasaël. Il montra du doigt
différents points à l'horizon, et il dit : " Ce n'est pas loin d'ici :
allez et demandez s'il n'en est pas ainsi ! "il ajouta : "Vous avez vu
et reconnu Jean : il vous a dit qu'il était son précurseur, celui qui
lui préparait la voie : Jean était-il un homme mou, délicat, élégant !
Ou bien ressemblait-il à un homme qui tient du désert, Habitait-il les
palais, mangeait-il des mets exquis, portait-il des vêtements précieux,
parlait-il en termes choisis ? Or il a dit qu'il était le précurseur :
le serviteur ne porte-t-il pas les habits de son maître ? un rai, un
seigneur brillant, puissant et riche comme le Messie que vous attendez
aurait-il un tel précurseur Vous possédez le Rédempteur et vous ne
voulez pas le reconnaître ; il ne satisfait pas votre orgueil, et parce
qu'il n'est pas comme vous, vous ne voulez pas le reconnaître ! D
Il dit encore beaucoup de
choses sur le texte du Deutéronome (XVIII,18,19) : " Je vous susciterai
un prophète parmi vos frères, et celui qui n'écoutera pas les paroles
qu'il dira en mon nom, je lui en demanderai compte. "Ce fut un
enseignement plein d'autorité et personne n'osa le contredire. Il leur
dit encore : (` Jean vivait solitaire dans le désert et n'allait visiter
personne, cela ne vous convenait pas. Je vais de lieu en lieu,
j'enseigne, je guéris, et cela aussi ne vous convient pas. Quel Messie
voulez-vous ? Vous voulez tous quelque chose de différent, vous êtes
comme les enfants qui courent dans les rues : chacun d'eux se fait un
instrument à sa façon pour y souffler : l’un un cornet en écorce.
l’autre une longue flûte de roseau. Il leur énuméra alors toute espèce
de jouets d'enfants et comment chacun voulait que tout le monde chantât
sur le même ton que lui et qu'on ne prît plaisir qu'à son jeu .
Vers le soir, quand Jésus
sortit de la synagogue, une grande foule de malades était rassemblée
devant cet édifice.
Note
: Quoique l’ensemble de ce discours et la circonstance des deux
disciples envoyés par Jean rappellent tout à fait ce qui est dit
dans saint Luc (VII, 17, 36), la Sœur assurait pourtant qu'il ne
s’agissait pas ici du message raconté par l’Evangéliste, mais
seulement d'une prédication analogue : car Jésus reproduisait très
souvent, outre ses paraboles, la substance de ses enseignements et
même certains détails, comme les exemples et les comparaisons.
Plusieurs étaient couchés
sur des litières, et on avait étendu des toiles au-dessus d'eux. Jésus,
accompagné de ses disciples, alla de l'un à l'autre et les guérit. Il se
trouvait parmi eux quelques possédés qui eurent des convulsions et
poussèrent des cris en le voyant. Il les délivra en passant devant eux,
et en leur ordonnant de se taire. Il y avait là des boiteux, des
phtisiques, des hydropiques avec des abcès au cou, semblables à des
glandes, des sourds et muets. Il les guérit tous les uns après les
autres, par l'imposition des mains, cependant il ne procédait pas de
même pour tous. Quelques-uns étaient entièrement guéris à l'instant
même, seulement il leur restait encore un peu de faiblesse ; d'autres
éprouvaient un grand soulagement, et la guérison complète suivait
promptement : tout cela, selon la nature du mal et la disposition du
malade. Ceux qui étaient guéris se retiraient en chantant un psaume de
David. Il y avait un si grand nombre de malades que Jésus ne pouvait pas
arriver jusqu'à tous : les disciples l'aidèrent en soulevant ces pauvres
gens, en les faisant mettre sur leur séant, en les dégageant de leurs
entraves ; et Jésus mit la main sur la tête d'André, de Jean et de Jude
Barsabas, prit leurs mains dans les siennes, et leur ordonna de faire en
son nom à une partie des malades ce qu'il faisait lui-même aux autres.
Ils suivirent ses instructions et en guérirent aussi beaucoup.
Après cela Jésus se rendit
avec ses disciples à l'hôtellerie, où ils prirent un repas auquel nulle
autre personne n'assistait. Il bénit les mets qui étaient restés et les
fit porter aux pauvres païens campés devant Bezech et à d'autres
pauvres. Cette caravane de paiens avait été catéchisée par les
disciples.
(8 septembre.) Jésus
enseigna et guérit encore devant l'hôtellerie. Les gens qui allaient au
baptême, la caravane des païens et beaucoup d'autres personnes se
dirigèrent vers le Jourdain pour passer de l'autre côté. Le passage
était à une lieue et demie au midi de Bezech, près d'une ville appelée
Zarthan, qui est située au bord du Jourdain à une lieue au-dessous de
Bezech. De l'autre côté se trouve, entre Bezech et Zarthan, un endroit
appelé Adam. C'est près de Zarthan que le Jourdain s'arrêta lorsque les
enfants d'Israël passèrent : c'est aussi là que Salomon fit couler des
vases de métal : on y exerce encore cette industrie. Au delà du détour
que le Jourdain fait à l'ouest, il y a dans une montagne, une mine qui
s'étend jusqu'à Samarie : on trouvait la quelque chose qui chez nous
s'appelle du bronze. Jésus enseigna constamment sur la route, tantôt
dans un lieu, tantôt dans un autre. Comme on lui demandait s'il ne
voulait pas enseigner à Zarthan, il répondit que d'autres en avaient un
plus grand besoin : il ajouta que Jean y avait été souvent, il leur dit
de demander s'il y avait fait bonne chère et s'il y avait mangé des mets
délicats. Il y avait là un passage du Jourdain très fréquenté : c'est
plus bas que le Jourdain tourne à l'ouest. Ils firent de l'autre côté
environ deux lieues vers le levant sur la rive septentrionale d'une
petite rivière qui se jetait dans le Jourdain un peu au-dessous du
passage. Ils traversèrent ensuite un petit cours d'eau, après quoi ils
eurent Sukkoth à leur gauche. Ils se reposèrent sous des tentes entre
Sukkoth et Ainon. Ces deux endroits pouvaient être à quatre lieues l'un
de l'autre. Jésus avait enseigné et guéri dans l'endroit où ils avaient
passé la nuit. Après avoir traversé le Jourdain et l'avoir remonté
quelque temps, ils pouvaient, en regardant derrière eux, entre l'ouest
et le midi, voir de l'autre côté du fleuve Salem qui leur avait été
caché auparavant par l'élévation des rives : cette ville était en face
d'Ainon, un peu au-dessous du point central du détour que le Jourdain
faisait à l'ouest.
(9 septembre.) Jésus n'est
arrivé à Ainon que vers midi. Il a encore enseigné dans la matinée. Il
répéta la plupart du temps des choses qu'il avait dites ailleurs sur
Jean et sur le Messie. une foule innombrable s'était rassemblée à Ainon
; les gens qui étaient de l'autre côté y étaient venus ainsi que la
caravane. Les païens campèrent entre la colline sur laquelle se trouvent
Ainon et le Jourdain. Il y avait aussi ici une dizaine de pharisiens,
les uns d'Ainon, les autres d'ailleurs : parmi ceux-ci se trouvait le
fils de Simon de Béthanie. Quelques-uns étaient des gens sages et
modérés.
Cette fois, j'ai mieux vu
Ainon que précédemment, lorsque je vins par le côté méridional où il n'y
a pas- beaucoup de maisons. Quand on vient du côté du nord, en
descendant la pente de la colline, cela fait l'effet d'une petite ville
composée de maisons de plaisance qui se touchent. Plusieurs de ces
maisons sont belles.
De ce côté en avant de la
ville s'écoulaient les eaux de la source qui formait la fontaine
baptismale. Elle était située à l'est de la colline, et j'ai déjà dit
ailleurs qu'elle était conduite à travers cette colline par des tuyaux
de fer On retenait les eaux quelquefois : on ne les laissait s'écouler
que selon les besoins. Il y avait là à cet effet un château d'eau.
Ce fut là que les
pharisiens parmi lesquels était Simon fils du lépreux, vinrent à la
rencontre de Jésus et des disciples : ils les accueillirent très
courtoisement et avec beaucoup de déférence, ils les conduisirent sous
une tente, leur lavèrent les pieds, battirent leurs habits et leur
présentèrent comme réfection du miel et du pain dans un verre. Jésus
n'ignorait pas qu'il y avait parmi eux des gens bien disposés et il le
leur dit, mais en leur témoignant son regret qu'ils appartinssent à
cette secte. Il les suivit dans la ville, et ne tarda pas à entrer dans
une cour où l'attendaient en très grand nombre des malades de toute
espèce, étrangers et indigènes. Ils étaient couchés, les uns sous des
tentes, les autres dans des salles ouvertes en face de la cour.
Plusieurs pouvaient encore marcher, et Jésus les guérit les uns après
les autres, leur imposant les mains et leur faisant des exhortations.
Les disciples l'assistaient : ils apportaient les malades, les
relevaient, les débarrassant de leurs entraves : les pharisiens étaient
présents ainsi que beaucoup d'autres personnes. Plusieurs .femmes
affligées de pertes de sang se tenaient à distance, pâles et enveloppées
de leurs manteaux : lorsque Jésus en eut fini avec les autres, il alla
aussi à elles, leur imposa les mains et les guérit. Il y avait là des
paralytiques, des hydropiques, des gens atteints de consomption, ayant
au cou et sur le corps des ulcères qui ne les rendaient pas impurs ; des
muets, des sourds, en un mot des infirmes de toute espèce.
Cette cour se terminait par
une vaste salle à colonnes, avec une entrée sur la rue et j'y vis des
spectateurs en grand nombre, des pharisiens et aussi plusieurs femmes.
Comme il y avait des gens de bien parmi les pharisiens d'ici, et comme
ils l'avaient accueilli avec une déférence assez sincère, Jésus leur
témoigna des égards assez marqués, en comparaison de ce qu'il avait fait
dans d'autres endroits ; car il voulait prévenir le reproche qu'on lui
adressait de ne jamais frayer qu'avec des publicains, des pécheurs et
des mendiants : il voulait leur montrer qu'il leur rendait tout ce à
quoi ils pouvaient prétendre, lorsqu'ils se comportaient convenablement
et se montraient bien disposés. C'est pourquoi ils offrirent leur
concours pour maintenir le bon ordre parmi le peuple, et il les laissa
faire.
Je vis alors, pendant que
Jésus guérissait, près de la porte de derrière de la grande salle,
s'avancer une belle femme de moyen âge vêtue à l'étrangère. Sa tête et
ses cheveux étaient entourés d'un voile léger semé de perles. Elle avait
le haut du corps couvert depuis le cou jusqu'aux hanches par un
justaucorps qui se terminait en forme de cœur et qui était ouvert sur
les côtés. Ces justaucorps étaient passés comme un scapulaire,
rassemblés autour de la taille, et attachés autour des hanches par des
cordons qui venaient en avant. Ce corsage était orné de lacets de perles
autour du cou et de la poitrine. De là partait une robe plissée qui
tombait jusqu'à mi-jambe, recouvrant une autre robe semblable qui allait
aux chevilles : ces deux robes étaient de fine laine blanche, sur
laquelle étaient appliquées de grandes fleurs de couleurs variées. Les
manches étaient larges et retenues par des bracelets ; sur les épaules
était agrafé un mantelet qui tombait par dessous les deux bras jusqu'aux
hanches. Par dessus ce vêtement, elle portait un long manteau de laine
blanche qui l'enveloppait tout entière.
Elle s'avança, triste et
agitée, pleine de confusion et d'angoisse : son pâle visage était arrosé
de larmes et bouleversé par la douleur. Elle voulait aller à Jésus, mais
la foule qui se pressait l'empêchait d'arriver jusqu'à lui : les
pharisiens, d'un air affairé, allèrent à sa rencontre "Conduisez-moi au
Prophète, leur dit-elle ; qu'il me pardonne mes péchés et me guérisse !
" Sur quoi ils lui répondirent : " Femme, retournez chez vous ! Que
cherchez-vous ici ? Il ne vous parlera pas : comment pourrait-il vous
remettre vos péchés ? il ne s'occupera pas de vous ; vous êtes une
adultère. "Les entendant parler ainsi, elle changea de couleur, son
visage devint effrayant, elle se jeta par terre, déchira son manteau du
haut en bas, arracha sa coiffure et s'écria : "Ah ! je suis donc perdue
! Voilà qu'ils me saisissent ! ils me déchirent ! ils sont là ! ', Alors
elle montra quelque chose du doigt, se jeta à droite et à gauche comme
pour fuir, et nomma cinq démons qui entraient en elle : le démon de son
mari et quatre autres, qui étaient ceux de quatre amants avec lesquels
elle avait péché. C'était un spectacle horrible. Quelques femmes qui se
trouvaient là s'emparèrent d'elle et la ramenèrent à sa demeure, livrée
à d'affreuses souffrances et ne cessant de sangloter. Rien de tout cela
n'échappait à Jésus ; mais il ne voulait pas humilier les pharisiens de
cet endroit. Il laissa donc faire et continua ses guérisons, car l'heure
de cette femme n'était pas encore venue.
Ensuite il traversa la
ville avec les disciples et les pharisiens, et le peuple le suivit en
foule. Il gravit la hauteur où Jean avait coutume de prêcher. C'était
une colline environnée de vieux remparts qui disparaissaient sous la
végétation et de maisons isolées : ils passèrent, en s'y rendant, près
du château à moitié ruiné, dont une tour avait servi de logement à
Hérode pendant la prédication de Jean. Tout le rebord de la colline
était déjà couvert de personnes qui attendaient, et Jésus monta sur
l’éminence où Jean avait coutume de prêcher, et au-dessus de laquelle on
avait tendu une tente ouverte de tous les côtés. Il fit une grande
instruction dans laquelle, parcourant toute l'Ecriture, il traita de la
miséricorde de Dieu envers les hommes, et particulièrement envers son
peuple, de la manière dont il l'avait conduit, des promesses qu'il lui
avait faites ; après quoi il montra que tout était accompli
présentement. Il ne dit pourtant pas aussi clairement qu'à Bezech qu'il
était lui-même le Messie. Il parla aussi de Jean, de sa prison, de ses
travaux, et des troupes d'auditeurs se succédèrent pour l'écouter. Il
leur demanda pourquoi ils voulaient recevoir le baptême, pourquoi ils
avaient attendu jusqu'à présent, et ce qu'ils entendaient par le
baptême. Il les partagea aussi en catégories qui devaient être
baptisées, les unes plus tôt, les autres plus lard, après avoir été
catéchisées plusieurs fois. Je me rappelle la réponse d'un groupe
d'aspirants au baptême, lorsqu'il leur demanda pourquoi ils avaient
attendu jusqu'à présent. " C'était, répondit l'un d'eux, parce que Jean
avait toujours enseigné qu'un plus grand que lui venait après lui : ils
avaient attendu celui-là pour recevoir des grâces encore plus grandes. "
Là-dessus, tous ceux qui étaient du même sentiment levèrent les mains en
l'air et formèrent une association à laquelle Jésus donna ensuite
certains enseignements, certaines indications sur la préparation au
baptême et sur le temps où il faudrait le recevoir.
Cette instruction finit
vers trois heures de l’après-midi, et Jésus, en compagnie des disciples
et des pharisiens, redescendit de la colline à la ville, où on lui avait
préparé un grand repas dans une salle de réception publique. Lorsqu'ils
arrivèrent près de cet endroit, Jésus dit : "J'ai faim d'antre chose ;
"et il demanda, quoiqu'il le sût bien, où demeurait la femme qu'on avait
éloignée de lui le matin. On lui montra la maison à peu de distance :
alors il quitta ceux qui l'accompagnaient et entra par la cour
antérieure.
Je vis déjà dans la maison,
au moment où Jésus approchait, cette femme en proie à de cruels
tourments et à une grande angoisse. Le démon qui la possédait la
poussait d'un coin à l'autre ; elle était comme un animal effrayé qui
veut se blottir quelque part. Lorsque Jésus entra dans la cour et
s'approcha de l'endroit où elle était, elle s'enfuit par un passage dans
un cellier, et monta là dans un vase grand comme un tonneau, plus étroit
d'en haut que d'en bas : mais en cherchant à s'y cacher, elle le brisa
avec grand fracas. Je crois que c'était un grand vase de terre. Jésus
s'arrêta et cria : " Mara de Suphan, femme de (ici il dit le nom de son
mari que j'ai oublié), je te le commandé au nom de Dieu, viens à moi. "
Alors la femme arriva tout enveloppée de la tête aux pieds, comme si le
démon la forçait de se cacher encore dans son manteau, et vint comme un
chien qui s'attend à être battu, se traînant sur les mains jusqu'aux
pieds de Jésus. Mais Jésus lui dit : " Levez-vous. n Alors elle se leva,
mais tira son manteau sur son visage et autour de son cou avec tant de
violence, qu'on eût dit qu'elle voulait s'étrangler. Le Seigneur lui dit
: " Découvrez votre visage, "et elle retira son voile de dessus sa face.
Ses traits étaient tout bouleversés et exprimaient la terreur : elle
baissait et détournait les yeux : il semblait qu'une force intérieure la
poussât à fuir Jésus. Mais il approcha sa tête de la sienne, il lui dit
: " Regardez-moi, " et elle obéit. Je crois qu'il souffla sur elle ;
alors elle se mit à trembler. Je vis comme une vapeur noire sortir
d'elle de tous les côtés, et elle s'affaissa sur ses genoux devant
Jésus. Cependant ses servantes s'étaient approchées au bruit de vase qui
se brisait, et se tenaient à quelque distance ; Jésus leur dit de
rapporter leur maîtresse dans la maison et de la placer sur un lit de
repos. Jésus la suivit avec deux disciples qui étaient près de lui. Il
la trouva qui fondait en larmes. Il s'approcha d'elle, lui mit la main
sur la tête et dit : "Vos péchés vous sont remis. » Elle pleura
abondamment et se releva Alors ses trois enfants vinrent dans la chambre
; c'étaient un garçon d'environ douze ans, et deux petites filles d'à
peu près neuf et sept ans : celles-ci avaient des robes à manches
courtes avec des broderies jaunes. Jésus alla à ces enfants, leur parla
amicalement, les questionna et les enseigna. La mère leur dit :
"Remerciez le Prophète, il m'a guérie, "et les enfants se prosternèrent
aux pieds de Jésus. Il les bénit et les conduisit l'un après l'autre à
leur mère, par rang d'âge : il plaça leurs mains dans celles de leur
mère, et il me sembla que par là il enlevait une tache à ces enfants,
qu'il les légitimait en quelque sorte : car elle les avait conçus dans
l'adultère. Jésus consola encore cette femme ; je crois qu'elle pourrait
encore se réconcilier avec son mari. Il l'exhorta à persévérer dans le
repentir et la pénitence, puis il se rendit avec les disciples au repas
que les pharisiens donnaient dans le voisinage. Cette femme était des
environs de Supha l, dans le pays des Moabites, et elle descendait d'Orpha
(Ruth, I, 1-14), veuve de Chélion, et belle-fille de Noémi qui, sur le
conseil de celle-ci, n'alla pas avec elle à Bethléhem, tandis que Ruth,
son autre belle-fille, veuve de son fils Mahalon, l'accompagna.
Note
: Cette Supha doit être le lieu qui est indiqué comme voisin de
l'Aron, dans le texte hébreu du Lévitique (XXI, 14, 15) ; la Vulgate
ne la nomme pas. voyez le commentaire de dom Calmet sur ce passage.
(Cette note a été écrite le 7 juillet 1838.)
Cette Orpha, veuve de
Chélion, fils d'Elimélech de Bethléhem, se remaria dans le pays de Moab,
et c'était de ce mariage que descendait Mara la Suphanite. Elle était
femme d'un Juif, et riche : elle avait vécu dans l'adultère, et avait eu
successivement quatre amants, dont étaient les enfants qu'elle avait
avec elle. Son mari l'avait chassée, gardant près de lui les enfants
légitimes. Elle demeurait à Ainon, dans une maison qui lui appartenait :
depuis longtemps déjà elle était touchée d'un vif repentir et faisait
pénitence ; elle se conduisait très bien, vivait très retirée, et
plusieurs femmes de bien d'Ainon lui témoignaient beaucoup de
bienveillance. La prédication de Jean Baptiste contre l'adultère, à
l'occasion du mariage illicite d'Hérode, l’avait profondément remuée.
Elle était souvent possédée par cinq démons. Ils s'emparèrent d'elle
subitement, lorsque n'ayant plus d'espérance qu'en Jésus, elle vint dans
la cour où il guérissait, et d'où les pharisiens la renvoyèrent. Abattue
comme elle l'était, elle prit pour vrai ce qu'ils lui dirent, et le
désespoir s'empara d'elle.
Je vis que cette femme, par
sa descendance d'Orpha, belle-soeur de Ruth, avait un point de contact
avec David, ancêtre de Jésus, et il me fut montré comment ce courant
dévoyé, qui, dans sa personne, avait abouti à de si grands péchés, se
purifiait avec elle par la grâce de Jésus, et entrait dans le sein de l'Eglise.
Je ne puis exprimer de quelle manière je vois cela se perdre dans des
millions de petites racines menues qui se croisent et s'entrelacent,
pais reparaître de nouveau au jour. à cette occasion j'ai revu
l'histoire de Noëmi et de Ruth, dont je dirai quelque chose plus tard.
Jésus vint retrouver les
pharisiens et les disciples, et il se mit à table avec eux. Ils étaient
quelque peu scandalisés de ce qu'il les avait laissés là pour aller
chercher cette femme qu'ils avaient renvoyée si durement devant tant de
monde : mais ils n'en dirent rien, parce qu'ils craignaient une
réprimande. Pendant le repas, Jésus continua à les traiter avec
déférence. Il enseigna en usant fréquemment de comparaisons et de
paraboles. Vers le milieu du repas, les trois enfants de la Suphanite
entrèrent vêtus de leurs plus beaux habits : l’une des petites filles
portait un petit vase blanc, plein d'eau de senteur, et la seconde un
tout semblable plein d'huile de nard : le petit garçon portait également
un vase. Ils s'avancèrent dans la salle vers le côté libre de la table,
se prosternèrent devant Jésus et placèrent leurs présents devant lui ;
elle-même les suivait avec les servantes : mais elle n'osait pas
avancer. Elle était voilée et portait un plat de verre brillant, avec
des veines marbrées de diverses couleurs, dans lequel étaient des
aromates d'un très grand prix, entourés de belles plantes vertes qui se
tenaient debout : ses enfants avaient aussi placé devant Jésus des plats
semblables, mais plus petits. Les pharisiens regardèrent d'un air
mécontent cette femme et ses enfants. Mais Jésus lui dit :
"Approchez-vous, Mara ! " Alors elle s'avança humblement derrière lui,
et ses enfants auxquels elle remit son présent le déposèrent sur la
table avec les autres. Jésus la remercia. Les pharisiens murmurèrent,
comme plus tard lors du présent de Madeleine, ils se disaient que
c'était là une grande prodigalité, contraire aux règles de la modération
et aux devoirs de charité envers les pauvres. Il leur fallait trouver
quelque reproche à faire à cette pauvre femme. Jésus lui parla avec
beaucoup de bonté ainsi qu'aux enfants : il leur donna quelques fruits,
après quoi ils se retirèrent. La Suphanite, toujours voilée, se tenait
humblement derrière Jésus, et celui-ci dit aux pharisiens que tous les
dons venaient de Dieu ; que la reconnaissance donnait ce qu'elle avait
de plus précieux ; que ceci n'était pas une prodigalité, que les gens
qui recueillaient et préparaient ces aromates devaient aussi trouver à
gagner leur vie. Il ordonna ensuite à un des disciples d'en distribuer
le prix aux pauvres. Il dit encore quelque chose sur la conversion et le
repentir de cette femme, la releva dans l'estime publique devant tout le
monde et engagea les habitants à lui témoigner de la bienveillance. Mara
ne prononça pas une parole : elle ne cessait de pleurer en silence sous
son voile, puis elle se jeta sans rien dire aux pieds de Jésus et quitta
la salle du festin.
Jésus dit encore plusieurs
choses profondes sur l'adultère : lequel d’entre eux se sentait pur de
l'adultère spirituel, demanda-t-il. Il dit que Jean n'avait pas converti
Hérode, tandis que cette femme s'était convertie. Il parla de la brebis
perdue et retrouvée, etc. Il l'avait déjà consolée chez elle en lui
disant que ses enfants auraient une postérité de gens de bien, et il lui
avait fait espérer qu'elle pourrait se réunir aux femmes qui
travaillaient, près de Marthe, pour lui et ses disciples. Après le
repas, je vis de nouveau les disciples distribuer beaucoup de choses aux
pauvres. Mais Jésus se rendit encore sur le côté occidental de la
colline d'Ainon où l'on voyait à quelque distance le camp des païens :
c'était aussi, je crois, de ce côté qu'il avait un logement sous une
tente. Il enseigna de nouveau les païens. Ainon était dans le territoire
d'Hérode, mais appartenait en propriété au tétrarque Philippe quoique
étant au delà de ses frontières. Toutefois il s'y trouvait plusieurs
soldats d'Hérode chargés de tout observer.
A l'occasion de l'histoire
de Mara de Suphan, je vis toute sa généalogie à partir d'Orpha, veuve de
Chelion, fils de Noémi (Quoique n'ayant jamais lu le livre de Ruth, elle
raconta toute l'histoire à peu près dans les mêmes termes que la Bible.
Elle a raconté de plus ce qui suit.) Ruth ne voulait pas se séparer de
Noëmi lorsqu'elle quitta le pays de Moab. Sur le chemin, lorsqu'elle lui
dit : " Mon peuple est votre peuple, etc., " et que Noëmi lui fit encore
des représentations, Ruth lui dit avoir l'assurance qu'elle devait
rester dans Israël, car elle était née avec un signe sur la poitrine, et
elle avait appris de son mari que c'était un signe sacré aux yeux des
Israélites. Alors elle ouvrit son vêtement et fit voir à Noëmi ce signe
qui ressemblait, je crois, à une lettre de l'alphabet. Noëmi l'embrassa
et la prit avec elle. Ruth était belle, svelte, agile, et avait une
humilité charmante.
Les épis qu'on cueillait
chez Booz étaient ceux d'un blé à grosse tige, et ils étaient plus longs
que la main Booz dormait sous une tente près des tas de blé. Elle dit
aussi l'époque de la moisson ; l’écrivain l'a oubliée. C'est là le peu
qui reste d'une vision beaucoup plus circonstanciée.
SEIZIEME CHAPITRE.
Jésus sur le bord
oriental du Jourdain.
(Du 10 au 30 septembre
1822.)
- Jésus à Ramoth Galaad, - à Arga, - à Azo, - à Ephron, - à
Bétharamphtha-Juliade, - à Abila, - à Gadara et à Dium.
(10 septembre.) Aujourd'hui
Jésus est allé avec une douzaine de disciples à une petite rivière
nommée Jabok et dans les endroits voisins. Parmi ses compagnons étaient
les trois disciples de Jean attachés à sa famille, dont l'un s'appelait
Matthias et était plus âgé que Jésus. André, Jacques, Jean et plusieurs
autres étaient restés à Ainon et baptisaient. Le bassin baptismal était
au levant de la colline, de laquelle l'eau venait dans le bassin,
remplissait un petit étang qui se trouvait derrière, arrosait ensuite
plusieurs prairies en formant un petit ruisseau, puis était recueillie
de nouveau, au nord d'Ainon, dans une fontaine ` ; d'où on pouvait la
faire écouler dans le Jourdain. Je vis Jésus avec les disciples à
environ une lieue à l'est de Sukkoth, sur la rive méridionale du Jabok,
enseigner dans une ville dont je ne sais pas bien le nom, et guérir
plusieurs malades. Il y avait là un homme qui avait un œil fermé depuis
sa naissance : Jésus humecta cet œil avec sa salive, il l'ouvrit et
l'homme recouvra la vue. Quant au nom de la ville, il me semble avoir
entendu les syllabes Ka et On, mais je ne me souviens pas bien
(peut-être Kamon ?)
Jésus traversa ensuite le
Jabok qui coule dans la vallée, et se dirigea vers l'est jusque devant
Mahanaïm, une ville très propre, divisée en deux parties. Il s'arrêta
devant cet endroit près d'un puits : bientôt les préposés de la
synagogue et d'autres anciens de la ville vinrent avec un bassin plein
d'eau et des aliments. Ils lui souhaitèrent la bienvenue, lui lavèrent
les pieds ainsi qu'aux disciples et lui versèrent aussi de l'onguent sur
la tête : ils lui donnèrent à manger et à boire, et le conduisirent dans
la ville avec beaucoup de bienveillance et de simplicité. Jésus fit une
courte instruction sur le patriarche Jacob et tout ce qui lui était
arrivé dans ce pays. Ces gens avaient été pour la plupart baptisés par
Jean. bans tous les endroits d'alentour il régnait une simplicité
patriarcale et beaucoup d'anciens usages. Jésus ne s'arrêta pas
longtemps ici.
De Mahanaïm, suivant la
rive septentrionale du Jabok, il alla à une lieue plus à l'est, a
l'endroit où avait eu lieu la rencontre de Jacob et d'Esau. La vallée
s'élargissait ici et formait un bassin. Il enseigna les disciples sur
tous ces chemins. Après une petite balte, ils repassèrent le Jabok et
vinrent sur sa rive méridionale, à peu de distance d'un endroit ou il
reçoit deux petits cours d'eau. Ils allèrent ensuite environ deux lieues
à l'est, ils avaient à main droite le désert d'Ephraïm.
Ici, au levant de la forêt
d'Ephraïm, se trouve Ramoth Galaad, situé sur une arête de montagne de
l'autre côté de la vallée : c'est une jolie ville, régulière et bien
bâtie, dans laquelle les paiens occupaient quelques rues et possédaient
un temple. Dans cet endroit le service divin était fait par des lévites.
un disciple était allé en avant pour annoncer l'arrivée de Jésus : les
lévites et d'autres personnes de considération l'attendaient déjà sous
une tente devant la ville, près d'un puits. Ils lavèrent les pieds aux
arrivants, leur donnèrent à manger et à boire, et les conduisirent dans
la ville où déjà beaucoup de malades étaient rassemblés sur une place et
imploraient l'assistance de Jésus. Il en guérit plusieurs. Lorsque le
soir vint, il enseigna aussi dans la synagogue, car c'était le sabbat où
l'on fêtait le sacrifice de la fille de Jephté : on célébrait dans cette
ville, à cette occasion, une fête de deuil a laquelle tout le peuple
prenait part. Il y avait notamment ici beaucoup de jeunes filles et
aussi d'autres personnes des environs Je dirai demain ce que je puis me
rappeler de l'instruction.
Jésus et les disciples
assistèrent à un repas chez les lévites et passèrent la nuit dans une
maison voisine de la synagogue. Dans ce pays, il n'y avait pas de
logements préparés d'avance pour lui, mais à Ainon, à Kamon et à
Mahanaïm, les hôtelleries avaient été louées d'avance, et le nombre des
hôtes déterminé. Ramoth est situé sur une colline faisant partie d'une
terrasse de montagne : derrière cette colline, dans une petite vallée,
devant une muraille de rochers escarpés, se trouve la partie de la ville
que les païens habitent. On peut reconnaître leurs maisons aux figures
placées sur les toits. Sur le toit du temple il y avait un groupe de
statues. Au milieu était une figure couronnée, portant un bassin à la
main et se tenant elle-même dans un bassin ou sur des sources. Plusieurs
figures d'enfants rangées à l'entour puisaient l'eau et se la passaient
l'un à l'autre, puis la versaient en dernier lieu dans le bassin que
tenait la figure placée au centre.
Toutes les villes de cette
contrée sont plus jolies et mieux bâties que les vieilles villes juives.
Les rues forment comme u ne étoile ; elles viennent aboutir à un point
central, et les angles sont arrondis : les murs de la ville courent
aussi de même en zigzag. Il y avait autrefois ici un lieu d'asile pour
les criminels (voyez le Deutéronome, IV, 43 ; Josué, XX, 8) : on voit un
grand édifice séparé qui devait autrefois servir à les loger, mais il
est en ruines et paraît hors d'usage. On fabrique dans cet endroit des
couvertures de toute espèce sur lesquelles on brode des fleurs et des
animaux ; on en vend une partie, le reste est destiné au temple. Je vis
beaucoup de femmes et de jeunes filles occupées sous des tentes à ce
genre de travail. Les gens d'ici sont habillés d'une façon qui se
rapproche assez de celle des anciens patriarches. Ils sont très propres.
Leurs habits sont de laine fine, je crois avoir vu aussi des habits de
soie.
(11 septembre.) Jésus
assista aujourd'hui à une grande fête en mémoire du sacrifice de la
fille de Jephté. Il alla avec ses disciples et les lévites devant le
côté oriental de la ville, sur une belle place en plein air où on avait
tout disposé pour la fête. Toute la population de Ramoth Galaad était là
rassemblée en groupes nombreux. On voyait encore sur la colline l'autel
où la fille de Jephté avait été sacrifiée : en face étaient des sièges
de gazon en demi cercle pour les jeunes filles : il y avait aussi des
sièges pour les lévites et les juges de la ville. On se rendit à cet
endroit en longue procession. Toutes les jeunes filles de Ramoth et
beaucoup d'autres venues des villes voisines étaient à la fêle et
portaient des habits de deuil. L'une d'elles, habillée de blanc et
voilée, représentait la fille de Jephté. Il y avait un groupe avec des
vêtements de couleur sombre ; elles avaient le menton voilé et portaient
à l'avant-bras des cordons avec des franges noires. Elles représentaient
les compagnes de la fille de Jephté, pleurant sur son sort Des petites
filles semaient des fleurs devant le cortège ; quelques-unes avaient des
petites flûtes dont elles tiraient des sons mélancoliques : on
conduisait aussi trois agneaux. C'était une fête très touchante et très
longue, entremêlée de cérémonies, de chants et d'instructions. Tout y
était très bien ordonné : tantôt on représentait des scènes du lugubre
sacrifice, tantôt on chantait des cantiques qui s'y rapportaient, et des
psaumes. C'était en chœur que ses compagnes consolaient celle qui
représentait la fille de Jephté, ou se lamentaient sur sa destinée :
elle-même désirait et demandait la mort. Les lévites, partagés en
chœurs, eux aussi, tenaient comme un conseil à son sujet. Elle
comparaissait devant eux et prononçait quelques paroles où elle de.
mandait que le vœu de son père fût accompli. Pour toutes ces scènes on
avait des rôles écrits qu’on récitait par cœur ou qu'on lisait.
Jésus assista à cette fête
et il y prit une part active. Il représenta lui-même le grand juge ou le
grand prêtre : tantôt il tint quelques discours appropriés à la
circonstance, tantôt il fit des instructions étendues, avant et pendant
la fête. Trois agneaux furent immolés en mémoire de la fille de Jephté,
le sang fut répandu autour de l'autel, et la chair rôtie donnée aux
pauvres. Jésus parla devant les jeunes filles contre la vanité, et je
crois qu'il fut dit à cette occasion, du moins j'en eux le sentiment,
que la fille de Jephté aurait pu échapper à la mort, si elle eût été
moins vaine.
La fête dura jusqu'après
midi. Pendant toute sa durée, les jeunes filles se succédèrent dans le
rôle de la fille de Jephté : c'était tantôt l'une, tantôt l'autre, qui
venait se placer au milieu du cercle et s'asseoir sur le siège de
pierre, après avoir changé d'habits sous une tente avec celle qui
faisait précédemment ce personnage. Le costume était encore le même
qu'avait porté la fille de Jephté pour le sacrifice.
Son tombeau subsistait là
sur une colline, et tout auprès était le lieu où les agneaux étaient
sacrifiés. Le tombeau était un sarcophage carré, on pouvait l'ouvrir par
en haut. Lorsque la graisse des victimes et les parties offertes en
sacrifice étaient à peu près consumées, on portait ce qui restait avec
la cendre et quelques débris au tombeau voisin, et on le plaçait sur
l’ouverture, de manière à ce que tout cela tombât dans le sépulcre.
Lorsque les agneaux furent immolés, je vis le sang jaillir autour de
l'autel et les jeunes filles y tremper une baguette et en teindre
l’extrémité de la longue bandelette qu'elles portaient sur les épaules.
Jésus fit une instruction :
"Fille de Jephté, tu aurais dû remercier Dieu dans ta maison de la
victoire qu'il avait donnée à ton peuple, mais tu sortis poussée par la
vanité pour prendre ta part de gloire comme fille d'un vainqueur, pour
étaler tes vains ajustements dans la pompe d'une fête et te glorifier
devant les filles d'Israël. "Ce fut à peu près dans ces termes qu'il
parla. Lorsque les cérémonies de la fête prirent fin, on alla dans un
jardin de plaisance voisin où il y avait de la verdure et des tentes :
un repas y était prépare. Jésus y prit part et se mit à une table à
laquelle on faisait manger les pauvres. Il raconta une parabole, mais
comme il s'agit presque toujours de celles que tout le monde connaît,
j'oublie la plupart du temps si c'est celle-ci ou celle-là. Les jeunes
filles mangèrent sous la même tente, mais séparées par une cloison à
hauteur d'appui. Quand on était table, on ne se voyait pas, mais debout
on pouvait se voir.
Après le repas, Jésus alla
à la ville avec les lévites et beaucoup d'autres personnes Plusieurs
malades l'attendaient et il les guérit. Il y avait parmi eux des
mélancoliques et des lunatiques il enseigna encore dans la synagogue. Il
parla beaucoup de Jacob, et aussi de Joseph vendu aux Egyptiens : il dit
qu'un autre serait vendu par un de ses frères pour la même somme : mais
que celui-là aussi accueillerait ses frères repentants et les nourrirait
dans la famille avec le pain de la vie éternelle. J'appris ainsi que
Joseph avait été vendu pour trente pièces d'argent.
Ce soir-là quelques païens
de la ville demandèrent avec beaucoup d'humilité aux disciples s'ils ne
pourraient pas, eux aussi, avoir part aux bienfaits du grand prophète ;
les disciples en parlèrent à Jésus qui leur promit d'aller les visiter
le lendemain.
Jephté était comme un
bâtard, étant né d'une mère paienne ; les enfants légitimes de son père
le chassèrent de Ramoth qui s'appelle aussi Maspha ; il se retira alors
dans la contrée voisine de Tob, où il s'associa à d'autres gens de
guerre et où il vécut de pillage Il avait de sa femme qu’il avait perdue
et qui était aussi une bâtarde de sang païen, une fille unique qui était
belle bien faite, remarquablement spirituelle, et aussi passablement
vaine. Jephté était un homme robuste, énergique, d'une grande vivacité,
très ambitieux de la gloire des armes et esclave de sa parole. Quoique
Juif, il ressemblait à un héros païen. C'était un instrument dans la
main de Dieu. Désirant ardemment la victoire et voulant devenir le chef
du pays d'où il avait été chassé, il fit le voeu solennel de sacrifier
au Seigneur en holocauste, quiconque, après la victoire, viendrait de sa
maison à sa rencontre. Il ne s’attendait pas à ce que ce fût sa fille
unique ; quant aux autres personnes de sa maison, il ne leur portait pas
grande affection.
Le voeu ne plut pas à Dieu,
mais il le permit et il disposa les choses pour que son accomplissement
fût le châtiment de Jephté et de sa fille et éteignit sa postérité dans
Israël. Sa fille serait peut-être devenue très mauvaise à la suite de la
victoire et de l'élévation de son père ; au lieu qu'elle fit pénitence
pendant deux mois, mourut pour Dieu et put en outre amener son père à
résipiscence et le rendre plus pieux. Cette jeune fille, accompagnée
d'un grand cortège de vierges qui chantaient et jouaient des
instruments, vint au-devant de son père à une lieue de la ville, avant
qu'il eût vu aucune autre personne.
La fille de Jephté,
lorsqu'elle sut quel sort lui était réservé, rentra en elle-même et
demanda à aller avec ses compagnes passer deux mois dans la solitude
pour y pleurer sur ce que, mourant avec sa virginité, elle était cause
que son père n'aurait pas de descendance dans Israël, et aussi pour se
préparer à son immolation par la pénitence. Elle alla avec plusieurs
jeunes filles au delà de la vallée de Ramoth, dans les montagnes qui
sont vis-à-vis, et elle vécut là sous la tente, priant, jeûnant et
portant un habit de pénitente. Les jeunes filles de Ramoth allaient
alternativement la visiter. Elle pleura particulièrement sur sa vanité
et sa passion pour la gloire humaine.
J'ai vu de plus qu'on tint
un conseil pour savoir si on ne pourrait pas lui laisser la vie : mais
cela fut jugé impossible, car son père l’avait vouée avec un serment
solennel ; elle était dès lors une victime qui ne pouvait être
soustraite au sacrifice. Je vis en outre qu'elle demanda elle-même
l'accomplissement du vœu, et parla d'une façon très sage et très
touchante. J'ai aussi vu son sacrifice et je m'en rappelle quelque
chose. Il se fit avec toute espèce de signes de deuil, ses compagnes
chantaient autour d'elle des lamentations. Elle s'assit au lieu même où
on la représentait à la fête On tint encore un conseil pour voir si on
ne pouvait pas lui laisser la vie : mais elle s'avança et demanda à
mourir, comme cela se fit aussi à la cérémonie de la fête. Elle était
revêtue d'une robe d'une blancheur éclatante et toute enveloppée de la
tête aux pieds, mais depuis la tête jusqu'à la poitrine elle n'avait
qu'un voile d'une étoffe blanche, légère et transparente, au travers de
laquelle on voyait son visage, ses épaules et son cou. Elle s'avança
elle-même devant l'autel, son père ne prit pas congé d'elle et quitta le
lieu du sacrifice. Elle but dans une coupe je ne sais quelle ligueur
rouge, qui, je crois, devait la rendre insensible. un des guerriers de
Jephté devait l'immoler : il avait les yeux bandés, je ne sais plus bien
pourquoi ; c'était peut-être pour qu'il ne la vît pas découverte ou pour
qu'il ne se troublât pas : peut-être aussi était-ce une manière
d'indiquer qu'il n'était pas un meurtrier, puisqu'il la tuait sans voir
ce qu'il faisait. Elle fut placée de façon à ce qu'il passât le bras
gauche autour d'elle : alors il approcha de son cou un fer court et
pointu et lui trancha la gorge. Après avoir bu le breuvage rouge, elle
était restée comme sans connaissance, et ce fut alors que le guerrier la
saisit. Deux de ses compagnes vêtues aussi de blanc et qui étaient comme
ses demoiselles d'honneur, recueillirent le sang dans une coupe et le
versèrent sur l'autel. Elle fut ensuite enveloppée dans un linceul par
les vierges, et placée de tout son long sur l'autel dont la partie
supérieure était recouverte d'une grille On alluma du feu par-dessus :
puis, quand ses vêtements furent calcinés et qu'on ne vit plus qu'une
masse notre, quoique le corps lui-même ne fût pas consumé, des hommes
portèrent la grille sur le bord du tombeau ouvert qui était près de là,
et levant cette grille obliquement, ils laissèrent glisser le corps dans
le sépulcre. qui fut fermé aussitôt. Ce sépulcre subsistait encore à
l'époque de Jésus.
Les compagnes de la fille
de Jephté, ainsi que beaucoup d'assistants, trempèrent leurs voiles et
leurs linges dans son sang On recueillit aussi une partie des cendres du
sacrifice. Avant qu'elle se présentât dans son vêtement de victime, ses
compagnes lui avaient fait prendre un bain sous une tente.
Il y avait plus de deux
heures à faire dans la montagne au nord de Ramoth pour arriver au lieu
où la fille de Jephté, suivie de ses compagnes, avait rencontré son
père. Elles étaient montées sur de petits ânes ornés de rubans et
portant plusieurs sonnettes bruyantes. L'une des jeunes filles allait en
avant de la fille de Jephté, deux autres étaient à ses côtés, le reste
suivait, chantant et jouant des instruments. Elles chantaient le
cantique de Moïse sur la défaite des Egyptiens. Lorsque Jephté aperçut
sa fille, il déchira ses vêtements et fut inconsolable. Sa fille fut
moins affligée elle resta calme lorsqu'elle apprit le sort qui lui était
réservé.
Lorsqu'elle alla au désert
avec ses compagnes, lesquelles emportèrent avec elles ce qu'il fallait
d'aliments pour des personnes qui allaient jeûner, son père s'entretint
avec elle pour la dernière fois : ce fut déjà, en quelque manière, le
commencement du sacrifice : car il lui mit la main sur la tête comme on
le fait aux victimes qui doivent être immolées, puis il lui dit
seulement ces mots : "Va-t-en, tu n'auras pas d'époux : "à quoi elle
répondit : "Non, je n'aurai pas d'époux. D Ce fut la dernière fois qu'il
loi parla. Quand elle eut cessé de vivre, il fit ériger à Ramoth un beau
monument tant en l'honneur de sa fille qu'en l’honneur de sa victoire :
il éleva un petit Temple et fonda une fête commémorative qui devait
avoir lieu chaque année le jour du sacrifice, afin de conserver la
mémoire de son funeste vœu, comme leçon pour tous les téméraires. (Jud.
XI, 39-40.)
La mère de Jephté était une
paienne qui devint juive : sa femme avait pour père un homme né d'un
commerce illégitime entre paiens et juifs : lorsqu'il fut exilé, sa
fille n'alla pas avec lui dans le pays de Tob : elle était restée à
Ramoth où elle perdit sa mère. Jephté n'était pas encore revenu dans sa
ville natale depuis que ses concitoyens l'avaient rappelé du pays de Tob
: il avait traité toutes les affaires dans le camp de Maspha et il y
avait assemblé le peuple. Il n'avait pas encore revu sa maison ni sa
fille. Lorsqu'il fit son vœu, il ne pensa pas à elle, mais à ses autres
parents qui l'avaient repoussé, et c'est pourquoi Dieu le punit.
La fête à laquelle Jésus
assista ici dura encore quelques jours.
(12 septembre.)
Aujourd'hui, de très bonne heure, je vis Jésus aller avec ses disciples
dans le quartier des paiens à Ramoth : ils le reçurent très
respectueusement à l'entrée de leur rue. Il alla assez près de leur
temple, à un endroit ou on les enseignait, et on y amena beaucoup de
malades et de vieillards infirmes qu'il guérit. Ceux qui l'avaient fait
appeler semblaient être des savants, des prêtres et des philosophes ;
ils avaient entendu parler du voyage des trois Rois, de la manière dont
ceux-ci avaient appris par les étoiles la naissance d'on Roi des Juifs ;
car ils avaient des croyances analogues à celles des Mages et
s'occupaient aussi d'observer les astres. Il y avait à peu de distance
d'ici sur une colline, une espèce d'observatoire comme celui que j'avais
vu dans le pays des trois Rois. Ils désiraient depuis longtemps être
instruits, et maintenant c'était Jésus lui-même qui venait les
enseigner. Il leur exposa des doctrines pleines de profondeur sur la
sainte Trinité, et j'entendis ces paroles qui me frappèrent beaucoup :
"Il y en a trois qui rendent témoignage, l’eau, le sang et l'esprit, et
ces trois ne font qu'un. "Il parla encore de la chute originelle, du
Rédempteur promis, et ajouta beaucoup de choses sur les voies de Dieu
dans la conduite des hommes, sur le déluge, sur le passage de la mer
Rouge, sur celui du Jourdain, et sur le baptême. Il leur dit que les
Juifs n'avaient pas occupé la terre promise tout entière, qu'il y était
resté beaucoup de paiens, qu'il venait maintenant pour prendre
possession de ce qu'ils avaient laissé inoccupé et l'incorporer à son
royaume, non par l’épée, mais par la charité et la grâce. Plusieurs des
auditeurs furent extraordinairement touches, et il les envoya à Ainon se
faire baptiser. Toutefois il fit baptiser ici par deux disciples sept
hommes très âgés qui n'étaient pas en état de faire ce voyage. On
apporta un bassin qu'on plaça devant eux : eux-mêmes descendirent dans
une citerne voisine où l'on prenait des bains, de manière à être dans
l'eau jusqu'aux genoux : au-dessus du bassin plein d'eau on plaça une
balustrade sur laquelle ils s'appuyaient. Deux disciples leur mirent les
mains sur les épaules. et Mathias. le disciple de Jean (le plus âgé des
trois fils de Marie d'Héli, soeur de la sainte Vierge), leur versa
successivement de l'eau sur la tête avec une coupe qui avait une anse.
Jésus apprit d’abord aux disciples la formule qu'ils devaient réciter en
donnant le baptême : je ne m’en souviens plus bien. Ces gens étaient
tous très bien habilles : leurs vêtements étaient d'une grande blancheur
Jésus donna encore au peuple des instructions générales sur la chasteté
et sur le mariage : il parla particulièrement aux femmes de
l'obéissance, de l'humilité et de la bonne éducation des enfants. Ces
gens étaient très bons, et quand il partit, ils l'accompagnèrent avec de
grands témoignages d’affection. Jésus revint dans la ville juive vers
neuf heures, et il opéra encore des guérisons devant la synagogue. Les
lévites n'avaient pas vu avec plaisir qu'il allât visiter les païens ;
aussi enseigna-t-il dans la synagogue, où l'on continuait à célébrer la
fêle en l'honneur de Jephté, sur la vocation des gentils. Il dit que
beaucoup d'entre eux prendraient place dans son royaume avant les
enfants d'Israël ; qu'il était venu pour rattacher à la terre promise
par la grâce, l’enseignement et le baptême, ceux des paiens que les
Israélites n'avaient pas subjugués, etc. Il parla aussi de la victoire
de Jephté et de son vœu.
Pendant que Jésus
enseignait dans la synagogue, les jeunes filles célébraient leur fête
près du monument que Jephté avait élevé à sa fille, et qui plus tard
avait été restauré et embelli, grâce au don fait par plusieurs jeunes
filles des bijoux et des ornements portés par elles aux fêtes
anniversaires. Ce monument était renfermé dans un temple rond dont le
toit avait une ouverture. C'était comme un autre temple plus petit
également circulaire. reposant sur des colonnes dégagées et surmonté
d'une espèce de coupole, à laquelle conduisait un escalier caché dans
une des colonnes. Autour de la coupole régnait un chemin en spirale le
long duquel des figures de la taille d'un enfant représentaient le
cortège triomphal de Jephté. Elles étaient faites d'une matière mince et
brillante : on aurait dit des lames de métal : il y avait des ouvertures
par lesquelles les figures avaient l'air de regarder en bas dans le
temple. Arrivé en haut, on se trouvait sur une plate-forme circulaire en
métal, du milieu de laquelle partait une espèce de mât garni d'échelons
qui passait par l'ouverture du toit du temple, de sorte qu'en y montant
par cette ouverture, on avait la vue de la ville et des environs. La
plate-forme était assez spacieuse pour que deux jeunes filles se donnant
la main pussent circuler autour du mât auquel se tenait l'une d'elles.
Sur un piédestal, au milieu du petit temple, se trouvait la statue en
marbre blanc de la fille de Jephté, assise sur un siège comme celui où
elle se tenait avant le sacrifice. La tête arrivait à la hauteur de la
première spirale de la coupole. Autour de la statue, il y avait assez
d'espace pour que trois hommes pussent y passer de front.
Les colonnes du petit
temple étaient reliées entre elles par de belles grilles. L'extérieur
était d'une pierre marbrée de veines de diverses couleurs. Le chemin qui
tournait autour de la coupole devenait plus blanc à mesure qu'il
s'élevait.
Aujourd'hui les jeunes
filles célébraient dans le temple et autour de ce monument la fête de la
fille de Jephté. La statue qui représente celle-ci tient d'une main une
draperie qu'elle met devant ses yeux, comme si elle pleurait ; l’autre
main est abaissée et tient quelque chose qui ressemble à une branche
brisée ou à une fleur. Aujourd’hui encore c'était aux jeunes filles que
se rapportait toute l'ordonnance de la tète. Tantôt elles étendaient des
rideaux qui allaient de la circonférence du temple au monument : puis,
se formant en petits groupes séparés, elles s'asseyaient dans plusieurs
réduits qui tous aboutissaient au point central, où l'on voyait la
statue, et là elles priaient en silence, soupiraient et gémissaient :
tantôt elles chantaient en chœur, tantôt alternativement. Ensuite elles
s’étendaient deux à deux auprès de la statue, lui jetaient des fleurs,
l’ornaient de guirlandes et chantaient des cantiques de consolation où
il était question de la brièveté de la vie. Je me souviens de ces
paroles : "Aujourd'hui c'est moi, demain ce sera toi. "Puis elles
louaient la fille de Jephté, sa force d'âme et son dévouement, et
l'exaltaient comme ayant été le prix de la victoire : puis elles se
rendaient de nouveau par groupes sur le chemin tournant au sommet du
monument et chantaient des chants de victoire : quelques-unes montaient
sur le mât, regardaient du côté par où devait venir le vainqueur et
prononçaient le terrible vœu. Alors le cortège redescendait en pleurant
prés du monument : elles se lamentaient et consolaient la jeune vierge
de ce qu'elle allait mourir sans avol1 eu d'époux. Le tout était
entremêlé de chants d'actions de grâces à Dieu, de considérations sur la
justice divine, etc. Leurs gestes et leurs attitudes étaient souvent
très touchants, et c'était un beau spectacle que ces scènes où se
succédaient alternativement la joie, la douleur et la prière. Il y eut
aussi un repas dans le temple : je ne vis pas les vierges se placer
toutes à une même table : mais il y avait dans l'enceinte du temple des
espèces de gradins sur lesquels elles s'assirent, les jambes croisées,
de manière à être trois l’une au-dessus de l'autre : elles avaient près
d’elles de petites tables rondes. On leur servit quelques plats
singuliers et des mets façonnés en figures ; je me souviens, par exemple
d'une figure d'agneau couché sur le des faite avec je ne sais quel objet
bon à manger, et je les vis tirer de son corps des légumes verts et
d'autres aliments.
(12-15 septembre.)
Aujourd'hui Jésus, après avoir assiste à un repas donné par les lévites
partit de Ramoth avec ses disciples et quelques autres personnes : il
passa le Jabok, se dirigeant vers le nord, puis s'élevant dans les
montagnes, il fit environ trois lieues à l'ouest, et arriva dans
l'ancien royaume de Basan, près d'une ville située entre deux pics
élevés et une longue arête de montagne. Elle s'appelle Arga et
appartient au district d'Argob, dans la demi tribu de Manassé. à une
lieue et demie ou deux lieues an levant d'Arga, près de la source d'un
ruisseau du nom d'Og, se trouve une grande ville, qui est Gérasa. Au
sud-est on voit Jabès-Galaad, située à une grande élévation. Cette
contrée est pierreuse, et de loin on croirait qu'il n'y a pas d'arbres ;
cependant, dans beaucoup d'endroits, le sol est couvert de petits
buissons verdoyants. Le royaume de Basan vient jusqu'ici, et Arga en est
la première ville ; toutefois, la demi tribu de Manassé s'étend encore
un peu au midi. à environ une lieue au nord du Jabok, je vis une ligne
frontière indiquée par des poteaux.
Le pays de Basan a la forme
d'une paire de chausses : un district appartenant à un autre pays y
pénètre profondément et y fait une séparation. Il y a sur l'un des côtés
un certain nombre de belles villes. à l'époque de Moïse, cette contrée
appartenait au roi Og, qui était un homme d'une grandeur démesurée.
(Elle le décrit comme ayant environ huit pieds de haut.) il était très
rude et très brutal, et on le craignait fort : il parcourait le pays et
s'emparait de ce qui lui convenait. Le ruisseau de la vallée de Gérasa
s'appelle Og.
Jésus passa la nuit avec
ses compagnons à environ une demi lieue en avant de la ville, dans un
logement public placé sur une des grandes routes commerciales qui
conduisent de l'Orient vers Arga. Pendant la nuit, lorsque tous
dormaient, Jésus se leva et alla seul prier en plein air. Arga est une
grande ville, très populeuse et extrêmement propre. Comme la plupart des
villes de ce pays, dans lesquelles habitent aussi des paiens, elle a des
rues droites, larges et construites sur un plan en forme d'étoile. Les
habitants ont une` toute autre manière de vivre que dans la Judée et la
Galilée, et des mœurs beaucoup meilleures. Il y a ici des lévites,
envoyés de Jérusalem et d'ailleurs, qui enseignent dans la synagogue, et
on les congédie de temps en temps. Quand les habitants ne sont pas
contents d'eux, ils ont le droit de se plaindre et on leur en donne
d'autres. Les mauvais sujets ne sont pas tolérés ici, et il y a un lieu
de correction où on les envoie. Les habitants ne tiennent point
proprement de ménage, c'est-à-dire qu'ils ne préparent pas leurs
aliments chez eux ; il y a de grandes cuisines communes où l'on prépare
tous les mets : ils vont y manger ou ils y font prendre leur nourriture.
On dort ici sur les toits des maisons, sous des tentes. Il y a de grands
ateliers de teinture où l'industrie est très perfectionnée : on y fait
spécialement de très beau violet. Pour la confection et la broderie des
tapis, on est ici beaucoup plus habile et plus avancé qu'à Ramoth. Entre
la ville et les murs d'enceinte s'étendent plusieurs séries de tentes où
des femmes assises travaillent sous de longues bandes tendues. Tout ce
courant d'affaires est cause que la plus grande propreté règne de temps
immémorial dans cet endroit. On récolte dans le pays beaucoup d'huile
d'excellente qualité. Les oliviers sont en longues rangées et
ordinairement déployés en espaliers. Il y a aussi dans les vallées qui
descendent au Jourdain de très bons pâturages avec de nombreux chameaux.
C'est dans cette contrée qu'on trouve un bois précieux qui fut employé
pour l'arche d'alliance et la table des pains de proposition. L'arbre
est à peu près gros comme moi à la ceinture : il a une belle écorce
lisse, ses branches sont pendantes comme celles du saule, les feuilles
ont à peu près la forme des feuilles du poirier, mais elles sont
beaucoup plus grandes, vertes d'un côté et grises de l'autre, comme si
elles étaient couvertes de rosée : il a des haies comme celles de
l'églantier, mais plus grosses. Le bois est excessivement dur et
compacte, et il se laisse diviser en planches très minces, aussi minces
que de l'écorce ; puis il est blanchi, séché, et devient alors très beau
et comme indestructible. Il y a au dedans de l'arbre une très fine
moelle, mais un coup de scie fait périr le conduit de la moelle, et il
ne reste rien qu'une une veine rougeâtre dans le milieu des planches
prises à l'intérieur. On fabrique avec ce bois de petites tables et
d'autres objets travaillés en marqueterie. On possède ici des vaches et
des brebis de très grande taille. On fait aussi le commerce de myrrhe et
d'autres aromates qui toutefois ne sont pas un produit du pays, mais on
les reçoit des caravanes qui souvent se reposent ici toute une semaine
et y font des chargements. Elles laissent ici ces aromates en ballots,
et on les prépare de façon à ce qu'elles puissent être employées par les
Juifs pour embaumer les corps.
(13 septembre.) Ce matin,
Jésus alla à la ville avec les disciples, et s'assit près d'un puits.
Les lévites et les principaux de la ville, avertis par les disciples
envoyés à l'avance, l’attendaient : ils lui témoignèrent beaucoup de
respect, le conduisirent dans une tente, lui lavèrent les pieds et lui
offrirent à manger. Il alla enseigner dans la synagogue, et guérit
ensuite beaucoup de malades qui s'étaient rassemblés là, et parmi
lesquels il y avait beaucoup de phtisiques. Il alla aussi visiter des
malades dans plusieurs maisons. Vers trois heures il y eut un repas : il
mangea avec les lévites et plusieurs personnes dans une maison publique
; les plats furent apportés de la maison commune où on les préparait. Le
soir, Jésus fit dans la synagogue, à l'ouverture du sabbat, une
instruction dont je parlerai plus tard. Le matin, il parla beaucoup de
Moïse dans le désert, au mont Sinaï et au mont Horeb ; de la
construction de l'arche d'alliance, de la table des pains de
proposition, etc., car les gens de cet endroit avaient donné des
offrandes à cet effet : il dit que leur offrande avait été figurative,
et il les exhorta, maintenant que le temps de l'accomplissement des
figures était arrivé, à offrir aussi leurs cœurs et leurs âmes par la
pénitence et la conversion. Il établit, je ne sais plus bien comment, un
rapport entre leurs anciennes offrandes et leur état présent. Voici
quels étaient les points fondamentaux de cette instruction.
Je vis, pendant la
prédication de Jésus, très en détail et d'une manière très
circonstanciée, qu'au temps de la sortie d'Egypte, Raguel beau-père de
Moise, son beau-frère Jethro et sa femme Séphora, habitaient à Arga avec
ses deux fils et une fille. Je vis que Jethro, la femme de Moise et ses
enfants, allèrent le trouver au mont Horeb ; que Moïse les reçut avec
joie, qu'il leur raconta tout ce que Dieu avait fait pour les tirer d'Egypte,
et que Jethro offrit un sacrifice. Je vis aussi que Moïse jugeait
lui-même tous les Israélites et que Jethro lui conseilla d'établir des
juges subordonnés ; après quoi il retourna chez lui ; mais la femme et
les enfants de Moïse restèrent près de lui. Je vis que Jethro raconta à
Arga tous les prodiges qu'il avait vus, que beaucoup de gens en
conçurent un grand respect pour le Dieu des Israélites, et que Jethro
envoya sur des chameaux des présents et des offrandes auxquels
contribuèrent beaucoup d'habitants d'Arga.
Ces présents consistaient
en huile fine qu'on fit brûler ensuite dans le tabernacle, en poils de
chameaux très fins et très longs pour filer et tisser des couvertures,
et en très beau bois, appelé setim, dont on fit plus tard les bâtons de
l'arche d'alliance et la table des pains de proposition. Je crois qu'ils
envoyèrent aussi une espèce de farine avec laquelle on St ces pains
eux-mêmes : c'était cette moelle tirée d'une plante semblable au roseau,
dont je vis Marie faire de la bouillie pour Jésus peu après sa
naissance.
Le jour du sabbat, Jésus
enseigna dans la synagogue sur des passages d'Isaie et du Deutéronome
(XXI, 26). Le matin déjà il avait parlé de Balac et du prophète Balaam,
et je vis touchant ces deux personnages beaucoup de choses que je ne
peux plus coordonner. Ce soir, dans la prédication du sabbat, il raconta
sous forme d'exemple, en prenant pour texte ce qui avait été lu de la
loi de Moïse, l’histoire de Zambri, qui fut tué par Phinées avec la
femme madianite (Num., XXV). (Anne Catherine rapporta encore d'une façon
vraiment surprenante une quantité de préceptes de Moïse dont elle
n'avait jamais rien lu ni entendu dire, tels qu'ils se trouvent dans le
Deutéronome (XXI, XXVI), et particulièrement certains de ces préceptes
correspondant à son état et à sa manière de sentir, comme, par exemple,
celui qui prescrit, lorsqu'on prend un nid d’oiseau, de laisser aller le
père et la mère ; ceux qui concernent les indigents auxquels on doit
permettre de glaner après la moisson ; les règles à suivre touchant le
prêt, touchant les objets donnés en gage par les pauvres, etc. Jésus
enseigna sur tout cela, et il insista particulièrement sur l'obligation
qu'il y a de ne pas retenir le salaire des ouvriers, parce qu'il y a ici
beaucoup d'ouvriers. Elle se réjouit fort d'apprendre que tout cela se
trouve dans la Bible, et s'étonna d'avoir si bien entendu et retenu les
paroles du Sauveur.)
(14 septembre.) Encore
aujourd'hui Jésus enseigna dans l'école sur les préceptes de Moïse, puis
il guérit dans la ville, et alla après le sabbat dans L'hôtellerie des
païens qui l'avaient fait prier instamment de les visiter. Ils le
reçurent avec beaucoup d'humilité et de cordialité, et il leur parla de
la vocation des païens, et leur dit qu'il venait maintenant pour
subjuguer ces païens qu'Israël n'avait pas vaincus. Ils l'interrogèrent
sur l’accomplissement des prophéties : entre autres choses, sur celle
d'après laquelle le sceptre devait être retiré de Juda à l'époque du
Messie : il enseigna sur ce sujet. Ils désiraient aussi recevoir le
baptême, et avaient connaissance du voyage des trois Rois. Il les
instruisit sur le baptême et leur dit que c'était pour eux une
préparation à prendre part au royaume du Messie. Ces païens si bien
disposés étaient des voyageurs qui devaient rester là deux semaines pour
attendre le passage d'une caravane. Il y avait cinq familles et en tout
trente-sept personnes. Ils ne pouvaient pas aller à Ainon pour le
baptême, parce qu'ils craignaient de manquer la caravane. Ils
demandèrent aussi à Jésus où ils devaient s'établir, et il leur indiqua
le lieu. Je ne l'ai jamais entendu parler aux païens de la circoncision,
mais bien de la continence, et leur dire qu'ils ne devaient avoir qu'une
femme.
(15 septembre.) Aujourd'hui
je vis Jésus instruire encore les païens, qui furent ensuite baptisés
par Saturnin et Juda Barsabas. Ils descendirent dans une citerne qui
servait à prendre des bains, et se courbèrent au-dessus d'un grand
bassin placé devant eux, et que Jésus avait bénit. L'eau fut versée
trois fois sur leur tête. Je ne sais plus bien quelle fut la formule du
baptême : je crois qu'on les baptisa au nom de Jéhovah et de son envoyé
: les disciples de Jean disaient seulement : au nom de l'envoyé de
Jehovah : cependant je ne m'en souviens pas bien exactement : je me sens
trop malade et trop troublée.
Les païens étaient tous
habillés de blanc : ils offrirent à Jésus, pour la caisse des disciples,
des agrafes d'or et des pendants d'oreilles : ils faisaient le commerce
d'objets de ce genre. On en fit de l'argent qu'on distribua aux pauvres.
Jésus enseigna ensuite dans la synagogue : il guérit encore et prit un
repas avec les lévites.
(15-17 septembre.) Après le
repas, Jésus, accompagné de plusieurs personnes de l'endroit, alla à
deux lieues au nord, vers une petite ville qui s'appelait Azo l. Il y
était venu beaucoup de monde à l'occasion d'une fête en mémoire de
Gédéon qui commençait le soir même.
Note : Elle chercha
longtemps le nom de cet endroit, l’appela tantôt Gozzo. tantôt Ozo, et
finit par s’arrêter au nom d'Azo, disant qu'il n'y avait que trois
lettres.
Jésus fut reçu devant la
ville par les lévites : on lui lava les pieds et on lui offrit à manger,
puis il alla à la synagogue où il enseigna. J'ai vu beaucoup de choses
relatives à cette ville et aux événements qui s'y sont passés, pendant
que Jésus et les habitants s'entretenaient ensemble, et qu'il parlait de
ces événements. J'en ai oublié la plus grande partie ; je raconterai ce
que j'ai retenu. Azo doit être une des plus anciennes villes du pays de
Basan, car j’ai vu quelque chose concernant Samson : mais je ne sais
plus bien ce que c'est : je crois qu'il y vint faire certaines
recherches ou qu'il y séjourna avec ses parents. Azo était une place
forte du temps de Jephté : elle fut détruite pendant la guerre à
l'occasion de laquelle celui-ci fut rappelé du pays de Tob. Maintenant
Azo était un petit endroit très propre, consistant en une longue rangée
de maisons : il n'y avait pas de païens : les habitants étaient bons,
actifs et polis. On récolte ici beaucoup d'huile. Les oliviers sont
devant la ville, plantés sur des terrasses et cultivés avec soin On
s'occupe également ici à préparer et à broder des étoffes La manière de
vivre est comme celle d'Arga : les habitants se considèrent comme des
juifs de race très pure, de la tribu de Manassé, parce qu'ils n'ont
jamais d'alliances avec les païens : le chemin qui mène à Azo descend le
long d'une vallée en pente douce dans laquelle la ville est située, à
l'ouest d'une montagne. (Elle donna beaucoup d'autres détails
topographiques très exacts à leur manière, mais impossibles à
reproduire, parce qu'il y a souvent des lacunes considérables ; et
qu'elle parle comme si ses auditeurs voyaient les lieux et les
connaissaient.)
J'ai vu une curieuse
histoire qui s'est passée ici, pendant une guerre, à l'époque où Débora
jugeait en Israël et où Sisara fut mis à mort par Jahel (Judic., IV, 17,
20). Voici ce que j'en ai retenu : une fille qui tirait son origine
d'une femme échappée à l'extermination de la tribu de Benjamin, avait
longtemps vécu à Maspha sous des habits d'homme, et elle était parvenue
à dissimuler son sexe de manière à tromper tout le monde. Elle avait des
visions, prophétisait, et servait souvent d'espion aux Israélites ; mais
partout où ils l'employaient, les choses tournaient mal pour eux. J'ai
oublié beaucoup de choses qui la concernaient.-Il y avait alors ici des
troupes ennemies, des Madianites, à ce que je crois : elle vint habillée
en homme, ayant toute l'apparence d'un soldat de belle prestance, et
elle se donna pour Abinoëm, un des guerriers qui s'étaient trouvés à la
défaite de Sisara.
Elle venait pour espionner
: déjà elle avait traversé plusieurs campements, et elle se présenta ici
dans la tente du chef de l'armée, promettant de mettre en son pouvoir
tous les Israélites. Ordinairement elle ne buvait pas de vin, et se
montrait très circonspecte et très chaste. Mais ici elle s'enivra, ce
qui fit découvrir son sexe. Elle fut livrée et clouée sur une planche
par les mains et par les pieds. On la laissa languir quelque temps, dans
ce supplice ignominieux, puis on la jeta dans un trou, en retournant la
planche sur elle, et j'entendis dire à cette occasion : "Qu'elle soit
ensevelie ici avec son nom, "probablement parce que personne ne savait
qui elle était. Elle prophétisait et espionnait pour de l'argent. Après
cela, les ennemis descendirent vers le Jourdain.
Ce fut d'Azo que Gédéon
partit pour attaquer le camp ennemi. J'ai vu diverses circonstances de
cette histoire. Gédéon était de la tribu de Manassé ; il habitait avec
son père, prés de Silo. C'était une époque de détresse pour Israël ; les
Madianites et d'autres païens envahissaient le pays de toutes parts,
dévastaient les champs et enlevaient les moissons. Gédéon, fils de Joas
d’Ezri, qui habitait à Ephra, était très vaillant et aussi très
bienfaisant : il battait souvent son blé un peu plus tôt que les autres
et le partageait avec les indigents. Je le vis le matin, avant le jour,
aller dans la rosée à un arbre d'une grosseur extraordinaire, sous
lequel il avait caché son aire. C’était un homme très beau et très
robuste. Le chêne couvrait de ses larges branches une espèce de cuve
fort spacieuse que formait le rocher où il plongeait ses racines ; ce
bassin était entouré d'un rebord montueux qui s'élevait jusqu'à la
hauteur des branches, en sorte qu'on ne pouvait pas être vu de
l'extérieur et qu’on était au pied du chêne comme dans un vaste caveau.
Le fond était de rocher : tout autour, dans la paroi, étaient des trous
où le blé était conserve dans des vases d'écorce. On battait le grain à
l'aide d'un rouleau placé sur des roues qu'on faisait tourner autour de
l'arbre et auquel étaient adaptés des marteaux de bois qui tombaient sur
les épis. Il y avait dans le haut de l’arbre un siège d'où l'on pouvait
voir tout autour de soi. Ce fut ici que Gédéon trouva un ange, un jeune
homme blanc assis sur une pierre, près du chêne. (Elle raconta alors
l'histoire d'une manière peu différente du récit de la Bible ; seulement
elle dit que Gédéon laissa l'ange attendre tout un jour avant de revenir
avec la victime et que le bois de Baal, détruit par lui, consistait en
un groupe d'arbres. Elle se réjouissait particulièrement de la réponse
de Joas aux ministres des idoles, qui demandaient que Gédéon leur fût
livré. Il y a bien des choses qu'elle omit ou qu'elle ne vit pas jusqu'à
l'irruption de Gédéon avec trois cents hommes dans le camp des
Madianites. Voici ce qu'elle en dit : (Les Madianites occupaient le pays
depuis Basan jusqu'au delà du Jourdain : ils se tenaient dans la plaine
d'Esdrelon, et la vallée du Jourdain était couverte de chameaux qui
paissaient. Cela fut très utile à Gédéon : il observa tout avec soin
pendant plusieurs semaines et se glissa assez loin, jusque vers Azo,
avec ses trois cents hommes. Je le vis pénétrer dans le camp des
Madianites et s'arrêter près d'une tente ou il entendit un soldat disant
à l'autre : "J'ai rêvé qu'un pain tombait du haut de la montagne et
renversait la tente.-Ce n'est pas un bon signe, répondit l'autre,
sûrement Gédéon tombera sur nous avec les Israélites. "Je vis la nuit
suivante Gédéon, accompagné un petit nombre d'hommes, partir d'ici, et
faire irruption dans le camp ; ils sonnaient de la trompette et tenaient
des lampes à la main : ses autres soldats en firent autant d'un autre
côté. La confusion se mit partout dans le camp ennemi : ils se tuaient
les uns les autres, et ils furent ensuite chassés de toutes parts et
taillés en pièces par les enfants d’Israël. La montagne, du haut de
laquelle le soldat avait vu en songe rouler un pain, se trouvait
derrière Azo : c'est aussi de là que Gédéon attaqua en personne. La sœur
raconta encore plusieurs choses touchant les fils de Gédéon, légitimes
et illégitimes ; elle parla de 'idolâtrie dans laquelle il tomba plus
tard, et aussi de la mort d'Abimélech, mais tout cela d'une manière très
sommaire. Barech était le frère du mari de Débora.
(16 septembre.) Le matin du
24 Elul on célébra à Azo la fête anniversaire de la victoire de Gédéon.
Devant la ville, au pied
d'une colline, se trouve un grand chêne sous lequel est un autel de
pierres entassées. Entre cet arbre et les montagnes d'où le soldat vit
rouler le pain, était enterrée la prophétesse déguisée. Ces sortes
d'arbres sont différents de nos chênes : ils portent un fruit
volumineux, qui a extérieurement une coque verte, sous laquelle se
trouve un noyau extraordinairement dur, placé aussi dans un petit
réceptacle comme nos glands. De ce noyau les Juifs du pays font des
têtes à leurs bâtons. Entre ce chêne et la ville on voyait une longue
rangée de cabanes de feuillage ornées de toutes sortes de fruits :
c'étaient des abris pour la foule de peuple qui affluait en cet endroit.
Jésus et ses disciples allèrent en procession au chêne avec les lévites.
On conduisait en avant cinq petits chevreaux avec des guirlandes rouges
autour du cou, et on les enferma dans de petits trous fermés par des
grilles, pratiqués autour de l'arbre dans la paroi du rocher. On portait
aussi des gâteaux pour le sacrifice, et en même temps on sonnait de la
trompette. On lut divers passages de l’Écriture relatifs à Gédéon, et on
chanta des chants de triomphe, puis les chevreaux furent immolés et
dépecés : on mit aussi sur l'autel plusieurs portions des gâteaux. On
fit ensuite une aspersion autour de l'autel avec le sang ; un des
1évites avait un roseau dans lequel il soufflait pour allumer le bois
placé sous la grille de l'autel : je pense que c'était en mémoire de ce
que l'ange avait mis le feu au sacrifice de Gédéon en le touchant avec
un bâton.
Jésus fit encore une
instruction au peuple assemblé. Ce qui resta de viande fut distribué aux
pauvres. Cette fête dura jusqu'au matin. Dans l'après-midi, Jésus alla
avec les lévites et les plus considérables des habitants dans la vallée
qui est située au midi devant la ville : il y avait là un lieu de
plaisance où l'on prenait des bains : une petite source y jaillissait.
Il s'y trouvait des femmes et des jeunes filles réunies dans un jardin à
part, où elles jouaient et se divertissaient. un repas y était préparé,
et les pauvres étaient assis aux tables d'en haut, d'après un ancien
usage. Jésus se mit à la table des pauvres. Il raconta la parabole de
l'enfant prodigue et du veau gras que le père fit tuer pour lui.
Jésus passa la nuit sur le
toit de la synagogue, sous une tente : les gens de ce pays avaient
coutume de dormir sur les toits.
La fête continua encore le
jour suivant, et l'on disposa dès lors les cabanes de feuillages pour la
fête des tabernacles, qui commence dans quinze jours. Le matin, Jésus
enseigna dans la synagogue : il guérit devant l'école beaucoup
d'aveugles, de phtisiques, et aussi plusieurs possédés d'une bonne
catégorie. Il y eut encore un repas, après quoi Jésus quitta la ville.
(17-18 septembre.) Les
lévites et une trentaine de personnes en tout accompagnèrent Jésus. Le
chemin franchissait d'abord la montagne d'où le soldat vit en songe un
pain d'orge rouler dans le camp des Madianites : ils entrèrent ensuite
dans une gorge qui les conduisit sur une haute crête de montagne très
étroite et très allongée. Ils firent encore une lieue au nord de l'autre
côté, et arrivèrent dans une vallée près d'un joli petit étang, au bord
duquel s'élevaient quelques édifices : ce petit endroit appartient aux
lévites d'Azo. un ruisseau coule à travers l'étang, arrose la vallée et
va se jeter dans le Jourdain.
A environ six lieues au
nord-est se trouve Bétharamphtha-Juliade, qui s'étend autour d'une
montagne. Pendant la route, j'ai vu cette ville et plusieurs autres
encore.
Jésus prit quelque
nourriture sur le bord de l'étang. Ils avaient apporté avec eux du
poisson grillé, du miel, du pain et une petite cruche de baume. Il
fallait environ trois heures pour venir d'Azo ici. Jésus raconta en
chemin des paraboles sur le semeur et la semence jetée dans un champ
pierreux, car le sol était très rocailleux sur toute la route. Il
raconta une parabole où il était question de pêche et de poissons : mais
je ne m'en souviens plus. Il y avait de petites barques sur l'étang, on
y pêchait à la trouble : les poissons qu'on prit furent rapportés pour
être donnés aux pauvres. à environ une lieue et demie d'ici se trouve
Ephron, ville située au penchant d'un ravin. On ne peut pas la voir
d'ici, mais on a en face de soi les montagnes qui la dominent. Jésus se
sépara ici des gens d'Azo, qui était la meilleure ville qu'il eût
visitée dans ce pays, et il alla à Ephron. Il fut reçu, comme à
l'ordinaire, par les lévites en avant d'Ephron. Il y avait déjà beaucoup
de malades devant la ville : le Seigneur les guérit.
Note
: Elle reconnut ces montagnes comme assez exactement indiquées sur
la carte de Klœde ; il lui sembla que celle dont il est question ici
était représentée sur cette carte sous la forme d'une semelle, mais
que la gorge n'y était pas marquée.
Ephron est sur une hauteur
qui domine au midi un passage étroit où coule un ruisseau qui tarit
souvent. Il se rend au Jourdain que l'on aperçoit dans le lointain à
l'extrémité de la gorge. Vis-à-vis est une montagne plus élevée sur
laquelle la fille de Jephté avec ses suivantes attendit un signal qui
devait lui annoncer la victoire de son père ; ce signal fut donné au
moyen d'une fumée abondante s'élevant dans les airs. Là-dessus elle
revint en toute hâte à Ramoth et alla en grande pompe au-devant de son
père. Jésus guérit ici beaucoup de malades et les instruisit.
Les lévites d'ici étaient
de l'ancienne secte des Réchabites, Jésus leur reprocha d'être trop
sévères et trop rigoureux dans leurs maximes, et il conseilla au peuple
de ne pas tenir compte de plusieurs de leurs préceptes. Dans cette
instruction il fit mention de ces lévites de Bethsamès qui avaient
regardé l'arche d'alliance revenue de chez les Philistins, sans que cela
leur fût permis (peut être étaient ils en état d'impureté ou avaient-ils
été poussés par une vaine curiosité), et qui avaient été punis pour cela
: je ne sais plus comment ce fait trouvait ici son application. Les
Réchabites descendent de Jethro, le beau-frère de Moïse. Ils vivaient
autrefois sous la tente, ne cultivaient pas la terre et ne buvaient
jamais de vin. Ils faisaient dans le temple l'office de chantres et de
portiers. Ceux qui près de Bethsamés regardèrent l'arche d'alliance,
contrairement à ce qui était prescrit, étaient des Réchabites qui
habitaient là sous la tente. Jérémie autrefois les engagea inutilement à
boire du vin dans le temple, et leur obéissance à leurs traditions fut
donnée en exemple aux Israélites. à l’époque de Jésus, ils n'étaient
plus sous la tente, mais ils avaient encore plusieurs usages singuliers.
Ils portaient sur la chair nue un ephod ou scapulaire de crin en guise
de cilice, et par là-dessus un habit de peau, puis en outre un beau
vêtement blanc avec une ceinture très large. Ils se distinguaient des
Esséniens parce qu'ils étaient mieux vêtus. Ils avaient des préceptes
exagérés quant à la pureté, particulièrement en ce qui touche le
mariage. Ils s'abstenaient d'en user trois jours avant d'offrir un
sacrifice, et ils se regardaient comme souillés par des désirs
involontaires. Ils avaient d'étranges usages relativement au mariage ;
ils jugeaient d'après le sang qu'on tirait à un homme, s'il devait
prendre femme ou non, et c'était en se guidant d'après ces signes qu'ils
mariaient les hommes de leur race, ou qu'ils leur imposaient parfois le
célibat. Je n'ai pas vu qu'à l'époque présente il y en eût en Palestine,
ailleurs qu'à Ephron. Autrefois il y en avait aussi à Argob, à Jabès et
dans la Judée. Ils ne contredirent pas, se montrèrent pleins d'humilité
et prirent bien l'enseignement et les reproches de Jésus. J'ai l'idée
que la population juive, gouvernée par Judith dans l'Abyssinie, descend
en partie des Réchabites. J'ai vu quelque chose à ce sujet : ces Juifs
sont aussi pour la plupart vêtus d'habits de peau. Il en est resté là
plusieurs qui avaient été emmenés en captivité. Jésus leur reprocha
principalement leur sévérité incroyable pour les adultères et les
meurtriers qu'ils ne voulaient admettre en aucune façon à la
réconciliation. Ils pratiquaient aussi le jeune avec une extrême
rigueur.- Il y avait ici contre la montagne beaucoup de fonderies et de
forges ; on fabriquait des pots, des rigoles et aussi des tuyaux pour
les conduites d'eau, formés de deux rigoles soudées ensemble.
Note
: Ceci se rapporte à une principauté juive située dans les montagnes
de la Lune en Abyssinie ; elle y alla souvent dans ses visions et la
souveraine actuelle avec laquelle elle eut beaucoup de rapports
portait disait-elle, le nom de Judith. Elle disait que ces juifs
n'avaient pris aucune part à la mort de Jésus, qu'ils étaient venus
longtemps auparavant en Abyssinie.
(19-23 septembre.) Jésus
avait encore opéré des guérisons à Ephron : il alla ensuite avec ses
disciples et plusieurs Réchabites à cinq lieues au nord-est, à
Bétharamphtha-Juliade, une belle ville, située à une assez grande
élévation : il avait enseigné en route, près d'une mine d'où l'on
retirait le bronze qui était mis en œuvre à Ephron. à Bétharamphtha, il
y avait aussi des Réchabites, parmi lesquels des prêtres. Ceux d'Ephron
me semblaient être subordonnés à ceux-ci. La ville est grande et s'étend
autour de la montagne. (Elle croyait la reconnaître exactement sur la
carte de Klœde). Le quartier occidental est habité par des Juifs, le
quartier oriental et une partie du haut de la ville par les paiens. Les
deux quartiers sont séparés par un chemin bordé d’un mur et par un lieu
de plaisance avec des avenues (Elle indique les quartiers de la ville en
promenant le doigt ça et là sur la couverture de son lit, comme
quelqu'un qui connaît bien ce dont il parle, mais qui le décrit d'une
manière assez confuse) En haut, sur la montagne, se trouve un beau
château avec des tours : il y a aussi des jardins et des arbres. une
femme répudiée du tétrarque Philippe y demeurait, et les revenus de
cette contrée lui étaient assignés pour son entretien. Elle avait avec
elle cinq filles déjà grandes. Elle était de race Jébuséenne et païenne,
et descendait des rois de Gessur. Elle s'appelait Abigail : c'était une
femme déjà d'un certain âge, forte et belle, et d'un caractère bon et
bienfaisant.
Philippe était plus âgé que
l'Hérode de la Pérée et de la Galilée. C'était un païen inoffensif, mais
voluptueux ; demi frère de l'autre Hérode, qui était né d'une autre
mère. Ce Philippe avait d'abord épousé une veuve qui avait une fille,
mais le mari de cette Abigail je visita, étant en voyage, à l'occasion
d'une guerre, à ce que je crois, ou peut-être en se rendant à Rome, et
il laissa sa femme chez lui. Elle fut pendant l’absence de son mari,
séduite et épousée par Philippe, ce qui fit mourir le mari de chagrin.
Quelques années après, la première femme que Philippe avait répudiée à
cause d'Abigail, étant au moment de mourir, pria Philippe d'avoir au
moins pitié de sa fille. Or, le tétrarque, fatigué d’Abigaïl, épousa
cette belle-fille et renvoya Abigaïl avec ses cinq filles à Bétharam,
qu'on appelait aussi Juliade, en l’honneur d'une dame romaine de la
famille impériale. Elle vivait là, faisant beaucoup de bien, et se
montrant très favorable aux Juifs. Elle avait un grand désir de
connaître la voie du salut ; mais elle était étroitement surveillée par
quelques agents de Philippe. Philippe avait aussi un fils. Sa femme
actuelle était beaucoup plus jeune que lui.
Jésus fut bien accueilli et
bien hébergé à Bétharam. Le matin d'après son arrivée, il guérit
beaucoup de malades juifs, enseigna le soir dans la synagogue, et le
jour suivant encore, sur les dîmes et les prémices. (Deutér., XXVI-XXIX,
et Isaïe, LX.)
Abigaïl était en très bon
renom parmi les habitants ; elle envoya des présents aux Juifs pour les
aider à traiter Jésus et ses disciples. Le premier jour du mois de Tisri,
on faisait la fête de la nouvelle année. On jouait de divers instruments
de musique au haut de la synagogue. Il y avait des harpes, mais surtout
on jouait beaucoup de certaines grandes trompettes qui avaient plusieurs
embouchures. Je vis encore ce singulier instrument avec des soufflets
que j'avais vus à la synagogue de Capharnaum. Je vis que tout était orné
de fruits et de fleurs pour la fête, et je remarquai diverses coutumes
en usage dans les différentes classes de la population. Je vis pendant
la nuit beaucoup de personnes, surtout des femmes, avec des lumières
recouvertes de boisseaux, se prosterner et prier sur les tombeaux,
habillées de longs vêtements. Tous en outre se baignaient, les femmes
dans les maisons, les hommes dans les bains publics.
Les hommes mariés et les
jeunes gens se baignaient séparément, il en était de même pour les
femmes et les jeunes filles. Les bains étaient très fréquents chez les
Juifs ; mais comme on n'avait pas partout de l'eau en abondance, on les
prenait souvent d'une manière économique. Ils se couchaient sur le des
dans dés auges et versaient de l'eau sur eux avec une coquille : souvent
c'était plutôt une ablution qu'un bain. Ils se baignèrent aujourd'hui
devant la ville, dans de l'eau tout à fait froide. Ils avaient coutume
aussi, à cette occasion, de se faire mutuellement des présents, et on en
faisait spécialement aux pauvres. Il y eut ensuite un grand repas : on
avait placé sur un long mur beaucoup de présents, consistant en
aliments, en vêtements et en couvertures : chacun recevait de ses amis
les cadeaux qui lui étaient destinés et en donnait quelque chose aux
pauvres : les Réchabites, qui étaient là dirigeaient et réglaient tout :
ils regardaient ce que chacun distribuait aux pauvres, et ils avaient
trois registres où ils prenaient note des libéralités qui avaient été
faites, mais sans que les personnes intéressées en eussent connaissance.
L'un de ces registres
s'appelait le livre de vie, l'autre la route du milieu, le troisième le
livre de mort. Les Réchabites avaient diverses attributions de ce genre
: du reste, ils remplissaient dans le temple l'office de portiers, de
teneurs de comptes, et surtout de chantres, et ils exerçaient ces mêmes
fonctions à la fête d'aujourd'hui : toutefois, ici et ailleurs, il y
avait ordinairement des prêtres parmi eux. Jésus reçut à Bétharamphtha
des présents consistait en habits, couvertures et pièces de monnaie : il
fit tout distribuer aux pauvres.
Pendant cette fête
publique, Jésus alla visiter les païens. Abigaïl ! 'avait fait prier
instamment de venir la voir, et les Juifs eux-mêmes, auxquels elle
faisait beaucoup de bien, le prièrent de s'entretenir avec elle. Le
matin, je le vis avec quelques-uns de ses disciples traverser la ville
juive et se rendre au quartier des paiens, en passant par un jardin
public planté d'arbres, qui séparait les deux parties de la ville, et où
les Juifs et les païens se rencontraient ordinairement pour traiter
d'affaires. Abigaïl s'y trouvait avec sa suite et ses cinq grandes
filles : il y avait aussi plusieurs jeunes filles païennes et d'autres
personnes. Abigail était une grande et forte femme d'environ cinquante
ans : elle devait être du même âge que Philippe t. Il y avait chez elle
quelque chose de triste et de languissant. Elle désirait vivement être
assistée et éclairée, mais elle ne savait par où s'y prendre, car elle
était gênée dans ses relations et espionnée par des surveillants. Elle
se prosterna devant Jésus qui la releva et qui lui donna des
enseignements à elle et à tous les assistants, tout en se promenant de
long en large. Il parla de l'accomplissement des prophéties, de la
vocation des païens et du baptême.
Je dois mentionner ici que
depuis que Jésus avait quitté Ainon, il y venait continuellement, de
tous les endroits qu'il avait visités depuis lors, des troupes de juifs
et de païens pour recevoir le baptême de la main des disciples qu'il y
avait renvoyés. André, Jacques le Mineur, Jean et les disciples de Jean
Baptiste, y étaient encore occupés à baptiser. Lazare était retourné
immédiatement chez lui. Des messagers allaient et venaient visitant Jean
Baptiste dans sa prison et rapportant ce qu'il avait dit.
Note
: La Sœur dit une autre fois que Philippe était l'aîné d'Hérode
Antipas, lequel était beaucoup plus actif et plus fort, et aussi
moins gras et moins mou que son frère.
Jésus reçut d'Abigaïl, à
l'endroit où il devait enseigner, les honneurs rendus habituellement en
pareille circonstance. Elle avait chargé des serviteurs juifs de lui
laver les pieds et de lui offrir une réfection pour sa bienvenue. Elle
le pria très humblement de lui pardonner le désir qu'elle avait eu de
s'entretenir avec lui : elle lui dit que depuis longtemps elle désirait
l'entendre, et l'invita à prendre part à une fête qu'elle avait préparée
pour lui. Jésus se montra plein de bonté envers tous, et spécialement
envers elle ; toutes ses paroles aussi bien que son aspect l'émurent
profondément, car elle était accablée de chagrins et n'avait qu'une
instruction bien incomplète. Cet enseignement des païens dura
jusqu'après midi. Jésus se rendit, sur l'invitation d'Abigaïl, dans la
partie orientale de la ville, non loin de temple des païens : il y avait
là beaucoup de bains et une espèce de fête populaire, car les païens
fêtaient aussi la nouvelle lune de ce jour avec une pompe particulière.
Il eut à suivre le chemin qui séparait la ville juive de la ville
païenne, Et le long duquel il rencontra plusieurs pauvres malades païens
qui faisaient leur demeure dans la muraille, couchés dans des caisses
pleines de paille et de balle d'avoine. Les païens avaient ici beaucoup
de pauvres. Jésus n'en guérit aucun pour le moment.
Dans le jardin de plaisance
où le festin avait lieu, Jésus enseigna longtemps les paiens, tantôt
allant et venant, tantôt pendant le repas. Il raconta des paraboles où
il était question de bêtes de toute espèce, auxquelles il les comparait
à cause des occupations auxquelles ils se livraient et du peu de fruit
qu'ils en retiraient. Il parla du travail incessant, souvent si peu
profitable de l'araignée, de l'activité désordonnée des fourmis et des
guêpes, et l'opposa au travail si bien ordonné des abeilles. Le repas,
auquel Abigaïl prit part, fut en grande partie distribué aux pauvres sur
l'ordre de Jésus. Je vis aussi ce même jour une grande fête dans le
temple des païens, lequel était d'une grande magnificence. Il y avait de
cinq côtés de grands péristyles ouverts, à travers lesquels on pouvait
voir ce qui se faisait. Au centre était une haute coupole. On voyait
plusieurs dieux dans différentes salles de ce temple, mais le principal
dieu s'appelait Dagon ; il avait le haut du corps comme un homme et se
terminait en poisson. Il y avait aussi là d'antres dieux avec des
figures d'animaux, mais nulle part d'aussi belles figures que chez les
Grecs et les Romains. Je vis des jeunes filles suspendre des guirlandes
aux idoles, et chanter et danser l'entour. Je vis aussi des prêtres des
idoles brûler de l'encens sur une petite table à trois pieds. Sur la
coupole de ce temple se trouvait un appareil singulier très artistement
arrangé, qu'on mettait en mouvement pendant la nuit. C'était un globe
lumineux entouré d'étoiles qui tournait au-dessus du toit ; on pouvait
le voir de l'extérieur et aussi de l'intérieur du temple. Le cours des
astres y était représenté en partie, ainsi que la nouvelle lune ou la
nouvelle année. Le mouvement était lent, et quand la face opposée se
montrait, les jeux et les fêtes cessaient de ce côté du temple et
commençaient du côté ou la lune arrivait. Non loin du lieu ou le repas
fut donné à Jésus se trouvait un grand jardin d’agrément où les jeunes
filles jouaient j leurs robes étaient retroussées et leurs jambes
enveloppées ; elles avaient des arcs, des flèches et de petits épieux
entourés de fleurs, et couraient devant un singulier échafaudage de
branches, de fleurs et d'ornements de toute espèce ; sans cesser leur
course, elles lançaient leurs traits sur des oiseaux qu'on y avait
attachés ou sur d'autres animaux parmi lesquels étaient des chevreaux et
des bêtes ressemblant à de petits ânes qu'on avait enfermés dans des
enceintes au pied de l'échafaudage. Tout cela servait de décoration a
une idole hideuse qui ouvrait une large gueule comme celle d'une bête
féroce ; pour le reste, elle ressemblait à un homme : elle avait les
bras pendants : elle était creuse et il y avait du feu au-dessous. Les
animaux tués étaient mis dans sa gueule ; ils y rôtissaient et tombaient
dans le feu. Ceux qui n’étaient pas atteints étaient mis à part : je
crois qu'on les regardait alors comme sacrés, que les prêtres mettaient
sur eux les péchés du peuple et leur rendaient la liberté. C'était
quelque chose comme les animaux expiatoires des Juifs : si ce n'eût été
le supplice infligé aux animaux, et surtout l'aspect de l'affreuse
idole, l’agilité et l'adresse des jeunes filles m'auraient beaucoup plût
à voir. La fête dura jusqu'au soir, et quand la lune se leva, les
animaux furent immolés. Le soir, tout le temple fut illuminé ainsi que
le château d'Abigaïl.
Jésus enseigna encore après
le repas, et il se convertit plusieurs paiens qui allèrent à Ainon se
faire baptiser.
Le soir je vis Jésus monter
de nouveau la montagne, à la lueur des flambeaux, et s'entretenir avec
Abigail sous un vestibule à colonnes, dans un jardin attenant à son
château. Il y avait près d'elle quelques agents de Philippe qui la
surveillaient constamment. Cela la gênait beaucoup dans toutes ses
actions, et elle le donna à entendre au Seigneur par un regard qu'elle
jeta sur ces hommes. Mais Jésus connaissait tout son intérieur et les
liens qui la tenaient captive. Il était touché de compassion pour elle.
Elle demanda si elle pouvait être réconciliée avec Dieu : il y avait un
point qui était pour elle l'objet d'un remords incessant : c'était la
violation de la foi conjugale envers son légitime époux et la mort de
celui-ci. Jésus la consola et lui dit que ses péchés lui étaient remis,
qu'elle devait persévérer dans les bonnes œuvres, attendre patiemment et
prier. Elle était de la race des Jébuséens : c'étaient des paiens qui
faisaient périr leurs enfants quand ils naissaient contrefaits, et qui
avaient beaucoup de croyances superstitieuses touchant les signes de
naissance.
(23 septembre.) Dans tous
les lieux où Jésus avait passé dernièrement, on était déjà occupé à
faire des préparatifs de toute espèce pour la fête des tabernacles. On
rassemblait des lattes de tous côtés, et à Bétharamphtha on dressait sur
les toits de beaucoup de maisons des tentes et des huttes de feuillage.
Les jeunes filles étaient occupées à se pourvoir de plantes et de
fleurs, qu'elles 1nettaient dans l'eau pour les tenir fraîches. Il y a
tant de jours de jeûne avant la fête, et on a besoin de tant de choses
pour les repas dont elle est accompagnée, que l'on fait déjà tout
apporter d'avance. Plusieurs personnes se partagent le soin de fournir
tons les objets nécessaires. à cette occasion, les pauvres sont
rétribués et défrayés, et à la fin on leur donne une belle fête et une
gratification.
Dans tous ces endroits on
ne voit pas de boutiques publiques. Il y a, à Jérusalem, autour de
l'enceinte extérieure du temple, quelques endroits où se trouvent des
boutiques en certain nombre ; dans les autres villes, c'est tout au plus
si l'on rencontre parfois auprès de la porte une tente où l'on vend des
couvertures ; cela se voit principalement dans les endroits où il passe
des caravanes. On ne voit pas non plus de gens assis ensemble dans les
auberges, comme chez nous. On trouve çà et là au coin d'un mur un homme
qui se tient près d'une tente, muni d'une outre ou d'une cruche : un
voyageur passe et se fait remplir un cruchon : il est rare qu'il
s’arrête pour boire. On ne rencontre pas de gens ivres dans les rues. On
voit aussi des gens qui vendent de l'eau : ils portent sur le dos des
outres suspendues des deux côtés à une perche : quant à la vaisselle et
à la ferraille, chacun va les prendre avec des ânes aux endroits où on
les confectionne.
Jésus, après son entretien
d'hier avec Abigail, revint dans la ville juive, où il passa la nuit
chez les lévites. Le lundi 2 Tisri je le vis de bon matin, sur le chemin
bordé d'un mur qui séparait le quartier des Juifs du quartier des
païens, guérir tous les pauvres païens malades qui gisaient là si
misérablement dans des trous, et les disciples leur distribuèrent les
aumônes qu'ils avaient recueillies. Plus tard, il enseigna encore dans
la synagogue pour prendre congé, et comme à cette fête se lie une autre
fête commémorative du sacrifice d'Abraham, il parla de l'Isaac réel et
véritable, ce qui toutefois ne fut pas compris par les auditeurs. Dans
tous ces endroits il parle très clairement du Messie, mais sans dire
expressément que c'est lui.
(23-26 septembre.) Jésus,
accompagné des disciples et de quelques lévites, alla à deux ou trois
lieues au nord-ouest vers une gorge par laquelle le ruisseau de Chrit se
jette dans le Hiéromax : au fond de cette gorge est la jolie ville d'Abila.
Les lévites l'accompagnèrent jusqu'à une montagne qui est à moitié
chemin et s'en retournèrent. Il était trois heures après midi lorsque
Jésus arriva devant Abila, qui est bâtie près de la source du ruisseau
de Chrit : il y fut reçu par les lévites de la ville, auxquels s'étaient
joints plusieurs Réchabites. Il y avait en outre avec eux trois
disciples de Galilée qui attendaient Jésus, j'ai oublié ce qui les
amenait. Ils le conduisirent aussitôt dans la ville, près d'une très
belle fontaine. C'était la source du ruisseau de Chrit, autour de
laquelle la ville était bâtie. La fontaine était surmontée d'un bel
édifice reposant sur des colonnes et environnée de péristyles qui
unissaient la synagogue et d'autres bâtiments avec ce point central. La
ville s'élevait en pente douce sur les deux côtés de la hauteur,
s'étendait tout autour avec ses rues disposées en forme d'étoiles, en
sorte que de toutes les rues on pouvait voir la fontaine. Les lévites
lavèrent les pieds à Jésus et à ses disciples, et on leur offrit la
réfection d'usage.
Je vis dans les jardins
voisins et près de divers édifices des jeunes filles et des hommes
occupés à faire des préparatifs pour la fête des tabernacles.
D'ici Jésus alla avec eux
plus au nord dans la vallée, à environ une demi lieue de la ville, à un
endroit où se trouvait un large pont de pierre bâti sur le lit du
ruisseau. Sur ce pont s'élevait, en mémoire d'Elle, une espèce de chaire
surmontée d'un petit temple que supportaient huit colonnes. Les deux
rives du petit cours d'eau étaient disposées en forme de gradins pour
les auditeurs et toutes couvertes de monde. La chaire était au haut
d'une petite colonne, dans l'intérieur de laquelle on montait. Jésus y
enseigna en se tournant successivement de tous les côtés.
On célébrait aujourd'hui
dans cette ville une fête en mémoire d'Elle, parce qu'il lui était
arrivé auprès de ce ruisseau quelque chose dont je ne me souviens plus
bien. Après l'instruction, il y eut un repas dans un jardin de plaisance
où l'on prenait des bains : mais il finit avec le sabbat, parce que le
lendemain était un jour de jeûne en mémoire du meurtre de Godolias.
C'était l'usage d'aller
pleurer les morts sur leurs tombeaux au commencement du mois de Tisri.
Je vis ici quelque chose de ce genre ; je ne sais pourtant pas si
c'était le jour anniversaire de la mort d'un personnage quelconque ou
une commémoration générale des morts. Je vis sur le penchant de la
montagne, à l'est de la ville d'Abila, un beau sépulcre isolé, en avant
duquel était un petit jardin ou les femmes de trois familles d'Abila
célébraient une cérémonie funèbre. Elles étaient assises et voilées,
pleuraient, chantaient des lamentations et se prosternaient souvent je
visage contre terre : elles tuèrent aussi plusieurs oiseaux d'un très
beau plumage, les plumèrent, et brûlèrent sur le tombeau les belles
plumes brillantes qu'elles avaient arrachées. La chair des oiseaux fut
donnée aux pauvres.
Note
: Godolias était un lieutenant de Nabuchodonosor bien disposé pour
les Juifs, qui fut assassiné par le roi des Ammonites Baalim. Après
le retour de la captivité, les Juifs instituèrent un jeûne annuel le
jour de sa mort (IV Reg. XXV, 24-25.)
C'était le tombeau d'une
femme égyptienne dont elles descendaient. Avant la sortie des enfants
d'Israël, il y avait en Egypte une parente illégitime du Pharaon
d'alors, qui était très attachée à Moise, et qui rendit de grands
services aux Israélites. Elle était prophétesse et dans la dernière nuit
elle découvrit à Moïse le lieu où était la momie de Joseph. Elle avait
je ne sais quel lien de parenté avec les Israélites. On l'appelait
Segola. Une fille de cette Segola fut concubine d’Aaron, mais il se
sépara d'elle quoiqu'ils eussent des enfants, et épousa Elisabeth, fille
d'Aminadab, de la tribu de Juda. La femme répudiée avait aussi avec cet
Aminadab une relation que je ne me. rappelle plus. La fille de Segola
qui avait été bien pourvue par Aaron et par sa mère, et qui avait
emporté d'Egypte beaucoup de richesses, suivit les Israélites et prit un
autre mari. Elle s'attacha plus tard aux Madianites, spécialement à la
famille de Jethro. Ses descendants s'établirent près d'Abila, où ils
habitaient sous la tente, et son corps y fut enterre. Abila ne fut bâtie
qu'après l'époque d'Elle, et ce fut alors que les descendants de l'Egyptienne
s'y fixèrent : car au temps d'Elle je ne vis pas la ville, elle devait
donc avoir été détruite antérieurement. Il s'y trouvait encore trois
familles de cette race. Je me souviens confusément que les trésors
laissés par Segola et le généreux emploi qu'en avaient fait ses
descendants avaient beaucoup aidé à bâtir la ville. Voilà que la mémoire
me revient. On était au jour anniversaire de la mort de la fille de
Segola : sa momie apportée du désert avait été ensevelie ici. Les femmes
offrirent aux lévites en mémoire d'elle des pendants d'oreille et des
joyaux. Jésus fit l'éloge de cette femme, et du haut de la chaire d'Elle
il loua la bienfaisance de sa mère Segola. Les femmes écoutaient, debout
derrière les hommes. Au repas qui eut lieu dans le jardin des bains, il
était venu beaucoup de pauvres, et chaque convive devait prendre quelque
chose sur sa portion pour le leur donner.
(24 septembre.) Ce matin je
vis Jésus conduit par les lévites dans une grande cour entourée de
cellules Ou dés sourds-muets et des aveugles étaient soignés comme dans
un hôpital. Il y avait près d'eux des gardiens et deux personnages qui
paraissaient être des médecins. Les uns étaient sourds-muets de
naissance, les autres, aveugles-nés. Plusieurs d'entre eux étaient déjà
vieux : ils étaient en tout environ une vingtaine. Les sourds-muets
étaient tout à lait comme des enfants : chacun avait un petit jardin où
il s'amusait et qu'il cultivait : tous vinrent bientôt entourer Jésus,
ils riaient et faisaient des signes en mettant le doigt sur la bouche.
Jésus écrivit avec le doigt quelques caractères sur le sable, ils le
regardèrent attentivement, et à chaque chose qu'il écrivait, ils
montraient tel ou tel objet autour d'eux. Je crois qu'il leur fit ainsi
comprendre quelque chose relativement à Dieu. Je ne sais pas s'il traça
des signes ou des figures : j'ignore également si on les avait déjà
instruits de cette façon. Après cela Jésus leur mit les doigts dans les
oreilles et les toucha sous la langue avec les pouces et l'index : alors
ils ressentirent une commotion violente et regardèrent autour d'eux, ils
entendirent, ils pleurèrent, ils balbutièrent et parlèrent ; puis ils se
prosternèrent devant Jésus et finirent par entonner un cantique de
quelques paroles seulement, d'une mélodie monotone, mais très touchante.
Cela rappelait beaucoup le cantique si émouvant des trois rois pendant
leur voyage.
Jésus alla ensuite aux
aveugles qui se tenaient rangés en silence. Il pria et leur mit les deux
pouces sur les yeux : ils ouvrirent les yeux, virent leur sauveur et
leur rédempteur, et mêlèrent leur chant d'action de grâces à celui des
sourds-muets qui avaient maintenant la faculté de louer et d'entendre
son enseignement. C'était un spectacle plein de charme et qui
remplissait le cœur d'une joie indicible. Toute la ville accourut
transportée d'allégresse, lorsque Jésus sortit avec les gens qu'il avait
guéris et auxquels il ordonna de prendre un bain.
Lui-même se rendit à
travers la ville jusqu'à la chaire d'Elle, en compagnie de ses disciples
et des lévites. Il y eut une grande émotion dans la ville. Sur la
nouvelle du prodige, on avait mis en liberté plusieurs, possédés. à un
coin de rue plusieurs femmes idiotes coururent vers Jésus, elles
parlaient toutes à la fois avec une grande volubilité, lui disant :
"Jésus de Nazareth, prophète ! Tu es prophète ! Tu es Jésus ! Tu es le
Christ, le prophète, etc." C'étaient des folles d'un bon naturel. Jésus
leur imposa silence, et elles se turent. Il leur mit la main sur la
tête, alors elles tombèrent à genoux, pleurèrent, devinrent tout à fait
calmes, se prirent à rougir et furent emmenées paisiblement par les
leurs. Plusieurs possédés furieux se firent aussi jour à travers la
foule : il semblait qu'ils voulussent mettre Jésus en pièces. Il les
regarda : alors ils vinrent se mettre à ses pieds comme des chiens
couchants, et par un commandement il chassa les démons dont ils étaient
possédés : ils s'affaissèrent sur eux-mêmes, et il sortit d'eux une
vapeur noirâtre : puis ils reprirent connaissance, pleurèrent, rendirent
grâces et furent ramenés chez eux par les leurs. Ordinairement Jésus
leur ordonnait de se purifier. Il enseigna encore dans la chaire qui est
sur le pont du ruisseau. Il parla beaucoup d'Elie, de Moïse et de la
sortie d'Egypte, puis des malades guéris et des prophètes qui disaient
qu'au temps du Messie les muets parleraient et les aveugles verraient.
Il parla encore de ceux qui voient ces signes et ne les comprennent pas,
etc.
Je vis à cette occasion
beaucoup de choses concernant Elie : j'en ai oublié une partie. C'était
un grand homme maigre ; il avait les joues creuses, mais vermeilles, un
regard brillant et perçant, une longue barbe peu fournie, la tête
chauve, et par derrière seulement une couronne de cheveux. Sur le sommet
de la tête il avait trois grosseurs, ayant à peu près la forme d'oignons
: une au milieu, les deux autres plus en avant sur le front. Son
vêtement se composait de deux peaux de bête qui se réunissaient sur lés
épaules ; il était ouvert par le côté, et lié autour du corps avec une
corde. Il portait un bâton à la main : le devant de ses jambes était
beaucoup plus brun que son visage. Elie séjourna ici neuf mois : il
résida deux ans et trois mois chez la veuve de Sarepta il vivait ici
dans une grotte creusée sur la pente orientale de la vallée, à peu de
distance du ruisseau. J'ai vu l'oiseau lui porter sa nourriture. Il vint
d'abord à lui une petite figure sombre ; elle sortit de terre comme une
ombre, tenant à la main un gâteau de peu d'épaisseur. Ce n'était ni un
homme, ni un animal : c'était l'ennemi qui le tentait. Elie n'accepta
pas ce pain et renvoya celui qui l’apportait Je vis ensuite un oiseau
gros comme une oie arriver dans le voisinage de la grotte ; il portait
dans ses pattes du pain et d'autres aliments qu'il cacha en les
recouvrant avec des feuilles. Il semblait que cet oiseau les cachât pour
lui-même. Ce ne pouvait pas être un corbeau, ce devait être un oiseau
aquatique, car ses pattes étaient palmées. Sa tête était aplatie ; des
deux côtés de son bec, il y avait comme deux poches pendantes : il avait
aussi sous le bec une espèce de goitre. Il claquetait à la façon d'une
cigogne. Je vis aussi que cet oiseau était tout à fait familier avec
Elle, en sorte que celui-ci lui indiquait la droite ou la gauche comme
pour l'envoyer quelque part ou le faire venir à lui. J'ai souvent vu des
oiseaux de cette espèce près des anachorètes, et aussi près de Zosime et
de Marie Egyptienne. Lorsqu'elle demeurait chez la veuve de Sarepta,
indépendamment de la multiplication de l’huile et de la farine, un
corbeau leur apportait souvent des aliments.
Je vis Jésus aller avec les
lévites à la grotte d'Elie. Au penchant oriental de la vallée, sous une
masse de rocher qui surplombait, on voyait un étroit banc de pierre où
le prophète dormait, protégé par le rocher. La couche était encore
couverte de mousse. Lorsque le sabbat du quatrième jour de Tisri
commença et que le jour de jeûne fut passé, il y eut dans le jardin des
bains un repas à la suite duquel des aliments furent distribués aux
pauvres.
(25 septembre.) Je vis le
matin Jésus enseigner et guérir dans la synagogue. Les hommes et les
jeunes gens allèrent ensuite se baigner séparément, de même que les
femmes et les jeunes filles. Les vieilles gens restèrent chez eux, et
lorsque les autres furent de retour, je vis, vers midi, les vieillards
et les femmes âgées aller ensemble à un lieu de plaisance situé près de
la ville. Ils se conduisaient les uns les autres : il y avait là des
gens si vieux, qu'il fallait les soutenir des deux côtés.
Je vis, Jésus en compagnie
des disciples, des lévites, des Réchabites et d'autres personnes se
promener et enseigner au milieu des vignes, sur la hauteur occidentale
de la montagne, dans un rayon d'une lieue. Il y avait sur ces montagnes,
jusqu'à Gadara, beaucoup de monticules, les uns naturels. les autres
formés artificiellement avec des amas de pierres, autour desquels les
ceps étaient plantés. Les souches étaient grosses comme le bras et assez
éloignées les unes des autres, mais les branches s'étendaient au loin.
Les grappes de raisin étaient souvent de la longueur du bras et avaient
des grains gros comme des prunes. Les feuilles étaient aussi plus
grandes que chez nous, toutefois elles paraissaient petites en
comparaison des grappes. Les lévites interrogèrent Jésus sur divers
passages des psaumes qui ont trait au Messie : ils disaient : "Vous êtes
certainement celui qui a le plus de rapports avec le Messie, vous nous
direz ce qui en est. "il s'agissait du texte : Dixit Dominus Domino meo
et encore d'un autre passage où il est question de vin changé en sang
(peut-être du texte d'Isaïe où celui qui foule le pressoir est tout
arrosé de sang : il fut lu à Gadara le sabbat suivant. Malheureusement
la Sœur avait presque tout oublié). Jésus leur expliqua tout cela d'une
manière très profonde, et il l'appliqua à lui-même, etc. Pendant cette
explication, ils étaient assis autour d'une colline couverte de vigne et
mangeaient des grains de raisin. Les Réchabites n'avaient pas voulu en
manger avec eux, parce que le vin leur était interdit. Mais Jésus les y
engagea et même le leur enjoignit, disant que s'ils péchaient en cela,
il prenait le péché sur lui. Comme on parlait de cette loi qui leur
était imposée, on rappela qu'autrefois Jérémie, par ordre de Dieu, leur
avait donné un ordre semblable, auquel ils n'avaient pas obéi : mais
cette fois Jésus le leur commanda, et ils le firent. Ils revinrent vers
le soir. Il y eut encore un repas ou l’on donna à manger aux pauvres :
ensuite Jésus enseigna dans la synagogue et dormit dans la maison des
lévites sous une tente dressée sur le toit.
(26 septembre.) Jeudi 15
Tisri. Jésus enseigna aujourd'hui dans l'école : il guérit plusieurs
malades, alla dans l'après-midi, en compagnie des lévites, au midi des
vignobles, dans la direction de l'ouest, et le soir, quand le jour de
jeûne fut fini il prit avec eux en route un petit repas. Il dit ensuite
adieu aux Abiléniens et continua sa route vers Gadara. Il arriva le soir
par le côté du midi devant le quartier juif : il est séparé du quartier
païen, qui est beaucoup plus grand et où il y a bien quatre temples
d'idoles. Je reconnus tout de suite que Gadara était une ville païenne,
en voyant l'idole du dieu Baal érigée sous un grand arbre Jésus fut très
bien accueilli : il y avait ici des pharisiens, des sadducéens et un
sanhédrin pour cette contrée, quoique la ville n'eût guère parmi ses
habitants que trois à quatre cents Juifs. Quelques nouveaux disciples
Galiléens vinrent ici rejoindre Jésus : parmi eux étaient Nathanaël
Khased, Jonathan, demi frère de Pierre, et je crois aussi Philippe.
Jésus logea devant le quartier juif, dans une hôtellerie où on avait
préparé beaucoup de cabanes de feuillage pour la fête des tabernacles.
(27 septembre.) Ce matin,
lorsque Jésus alla à la synagogue pour y enseigner, une grande foule de
malades était rassemblée devant cet édifice : il y avait aussi plusieurs
possédés furieux. Les pharisiens et les sadducéens qui, du reste,
paraissaient très bien disposés, voulaient renvoyer ces gens, disant
qu'ils ne devaient pas être si importuns, que ce n'était pas le moment,
etc. Mais Jésus parla encore avec une grande bonté : il dit qu'ils
pouvaient rester là, qu'il était venu pour eux, et il en guérit
plusieurs.
Le sanhédrin juif de
l'endroit avait pendant ce temps mis en délibération si on laisserait
enseigner un homme contre lequel il s'élevait tant de contradiction :
toutefois ils donnèrent leur assentiment à l’unanimité Ils avaient déjà
entendu parler de lui très favorablement, surtout à propos de la
guérison opérée à distance du fils du centurion de Capharnaum.
Les disciples nouvellement arrivés parlèrent hier soir à Jésus d'un
autre malade de Capharnaum qui, disaient-ils, méritait fort qu'il lui
vînt en aide. Jésus enseigna ensuite dans la synagogue. Il parla
beaucoup d'Elie, d'Achab, de Jézabel, et de l'idole de Baal qui avait
été érigée à Samarie Je vis tout ce dont il parla. Après midi il y eut
un repas et il guérit encore. Le soir commença le sabbat : l'instruction
fut tirée du Deutéronome (XXIX, 10-31) et d'Isaïe (LXI, 10 jusqu'à LXIV,
1) Il y était dit comment Moïse, avant de transmettre sa charge à Josué,
renouvela l'alliance de Dieu avec Israël. Dans l'explication il fut fort
question de l'idolâtrie à Samarie, d'Achab, de Jézabel et d'Elle. Jésus
parla aussi de Jonas, auquel le corbeau n'avait pas apporté de pain
parce qu'il avait été désobéissant (je crois qu'il doit s'être passé ici
quelque chose de relatif à ce prophète : mais je l'ai oublié). Il fut
aussi question de Balthazar, roi de Babylone, qui profana les vases
sacrés et vit des caractères écrits sur la muraille. Je vis tout cela.
Il enseigna longtemps et avec force sur les textes d'Isaïe, se les
appliqua à lui-même d'une manière admirable, et dit aussi des choses
très profondes sur ses souffrances et sur son triomphe. Il parla de
celui qui foule le pressoir et de son vêtement tout rouge de sang, de
travaux solitaires, de l’oppression des peuples foulés aux pieds.
Auparavant il avait parlé du renouvellement de Sion et des gardiens
veillant sur les murs de Sion : je sentis qu’il entendait par là l’Eglise.
Il enseigna d'une façon si claire pour moi, mais si grave et si
profonde, que les savants juifs furent émus et ébranlés sans pourtant le
bien comprendre. Ils se réunirent encore dans la nuit, feuilletèrent des
écritures et tinrent toute sorte de propos, ils pensaient qu'il devait
avoir fait alliance avec quelque peuple voisin, et qu'il avait dessein
de venir avant peu conquérir la Judée avec une grande armée.
Jésus passa encore la nuit
devant la ville, dans cette auberge où les cabanes de feuillage étaient
construites et rangées.
L’idole de Baal, qui était
à l'entrée du quartier païen, était en métal. Elle était assise sous un
grand arbre. Elle avait une large tête et une énorme bouche : la tête
était pointue par en haut, comme un pain de sucre, et entourée d'une
guirlande de feuilles comme d'une couronne. L'idole était large, grosse
et courte : assise comme elle l'était, elle ressemblait à un animal, à
un bœuf dressé sur ses jambes de derrière. Elle tenait d'une main un
bouquet d'épis, de l'autre, comme une plante qui pendait, je ne sais pas
si c'était du raisin ou un végétal quelconque. Elle avait sept
ouvertures dans le corps, et se tenait assise dans une espèce de
chaudière où l'on pouvait faire du feu sous elle. Les jours de ses fêtes
on l'habillait.
Gadara est une forteresse :
la ville païenne est assez grande : elle est un peu au-dessous du point
culminant de la montagne. Au pied de cette montagne, au nord, sont des
bains chauds avec de beaux bâtiments.
(28 septembre.) Le matin,
je vis près de Jésus, devant la ville, beaucoup) de malades qu'il
guérit. Il y avait beaucoup de monde sous les cabanes de feuillage.
Lorsque les prêtres vinrent à lui, il leur dit : "Pourquoi cette nuit
vous êtes-vous tant inquiétés de mon enseignement ? Pourquoi
craignez-vous une armée, puisque Dieu protège les justes ? Accomplissez
la loi et les prophètes. Pourquoi vous effrayez-vous ? "Il enseigna
ensuite comme hier dans la synagogue.
Vers midi, une femme
païenne vint timidement trouver les disciples et pria Jésus de venir
chez elle guérir son enfant. Après le repas, Jésus alla avec plusieurs
disciples dans la ville païenne. Le mari de cette femme le reçut à la
porte et le fit entrer dans sa maison. Alors la femme se jeta à ses
pieds et dit : "Seigneur, j'ai entendu parler de vous : on dit que vous
faites de plus grandes choses qu’elle. Voilà que mon unique enfant est à
la mort, et notre devineresse ne peut pas le secourir. Ayez pitié de
nous ! "L'enfant était dans un coin couché dans un petit coffre : il
avait environ trois ans. Son père était allé hier soir à la vigne et
l'enfant avec lui : il avait mangé quelques grains, et le père l’avait
rapporté pleurant et sanglotant. La mère, jusqu'à présent, l’avait
toujours tenu dans ses bras, et avait tout essayé sans succès. Il était
déjà comme mort : il semblait même réellement mort. Alors elle courut à
la ville juive et implora Jésus. Jésus lui dit : " Laissez-moi seul avec
l'enfant et envoyez-moi deux de mes disciples. "Jude Barsabas et
Nathanael le fiancé arrivèrent. Jésus retira l'enfant de sa couche et le
prit dans ses bras : il approcha sa poitrine de la sienne, le tenant
étendu en travers contre lui et serré contre lui : il courba son visage
sur je visage de l'enfant et souffla sur lui. Alors l'enfant ouvrit les
yeux, remua, et Jésus, le tenant élevé devant lui, ordonna aux deux
disciples de lui poser les mains sur la tête et de le bénir. Ils firent
comme il disait : alors l'enfant se trouva tout à fait guéri, et il le
ramena aux parents qui attendaient avec impatience et qui, l’ayant
embrassé, se prosternèrent en pleurant . devant Jésus. La femme dit
encore : " Le Dieu d'Israël est grand : il est au-dessus de tous les
dieux ! Mon mari me l'a déjà dit et je ne veux plus servir d'autre Dieu.
" Il se forma bientôt un rassemblement, et on amena encore plusieurs
enfants au Seigneur. Il guérit un petit garçon d'un an en lui imposant
les mains. un enfant de sept ans avait des convulsions. ce qui le
rendait comme idiot : il était démoniaque, mais sans accès violents, et
souvent il semblait perclus et muet. Jésus le bénit et ordonna de le
mettre dans un bain mélangé de trois espèces d'eaux différentes, puisées
à la source chaude d'Amathus, qui est au nord de la montagne de Gadara,
au ruisseau de Chrit, près d'Abila, et enfin au Jourdain. Les Juifs de
l'endroit avaient dans des outres une provision d'eau du Jourdain, prise
à l'endroit où Elie avait passé le fleuve, et dont ils faisaient usage
pour les lépreux.
Les mères païennes se
plaignaient de ce qu'il arrivait bien souvent malheur à leurs enfants,
et de ce que la prêtresse ne pouvait pas toujours les guérir. Alors
Jésus leur commanda de faire venir la prêtresse en question. Cette femme
vint à contrecœur, et elle ne voulait pas entrer. Elle était entièrement
voilée. Jésus lui dit de s'approcher : mais elle ne le regarda pas et
détourna son visage : ses allures ressemblaient à celles des possédés
qu'une force intérieure pousse à fuir la présence de Jésus, mais qui
cependant lui obéissent quand il leur ordonne de s'approcher. Jésus dit
aux paiennes et aux hommes rassemblés là : " Je veux vous montrer ce que
c'est que la science que vous révérez dans cette femme et dans ses
pratiques." Et en même temps il ordonna à ses esprits de l'abandonner.
Alors il sortit d'elle comme une vapeur noire, et dans cette vapeu1r des
figures de bêtes malfaisantes de toute espèce, serpents, crapauds, rats,
dragons, qui s'éloignaient comme des ombres. L'était un spectacle
effrayant, et Jésus leur dit : " voyez quels enseignements vous suivez !
cependant la femme s'affaissa sur ses genoux, se mit à pleurer et à
sangloter. Elle était devenue traitable et docile, et Jésus lui ordonna
de dire comment elle faisait pour guérir les enfants. Elle raconta, en
versant des larmes, et en partie contre sa volonté, quels enseignements
elle avait reçus, et l'on sut par là qu'elle rendait les enfants malades
par des sortilèges, afin de les guérir ensuite et d'en faire honneur à
ses dieux. Jésus-Christ lui ordonna alors de venir avec lui et les
disciples à l'endroit où était le dieu Moloch, et il fit convoquer là
plusieurs prêtres païens. Il s'y trouva aussi une foule nombreuse, car
le bruit de la guérison des enfants s'était déjà répandu. Ce lieu
n'était pas un temple, mais une colline toute entourée de tombeaux, et
le dieu lui-même était sous terre parmi les sépulcres, dans un caveau
au-dessus duquel était un couvercle.
Note
: Les tombeaux qui entouraient Moloch étaient dans le caveau
souterrain où il était placé. Je ne vis pas de cercueil. Ces païens
brûlaient les morts : il y avait là beaucoup de grands vases, grands
comme de petits tonneaux, en métal fondu, à ce que je crois ; car
cela ne ressemblait pas à de la poterie : ils étaient remplis de
cendres et d'ossements. Je vis, prés de plusieurs, des espèces de
petites poupées rembourrées comme des momies : je crois qu'elles
étaient destinées à représenter certains morts, mais je ne sais pas
si elles contenaient quelque chose ; peut-être contenaient- elles
des restes d'enfants. En Égypte, on voyait souvent près des momies
les effigies des décédés : mais il n’en était pas ainsi quant à la
momie de Joseph : elle se trouvait à l'entrée, comme si l'on eût eu
l'intention de l'emporter ailleurs d'un moment à l'autre. Les
enfants d'Esau et les autres descendants d’Abraham séparés du peuple
de Dieu enterraient leurs morts.
Jésus dit alors aux prêtres
des idoles de faire paraître leur dieu ; et comme ils le firent monter à
l'aide d'une machine. Jésus les plaignit d'avoir un dieu qui ne pouvait
pas se mouvoir lui-même.
Il dit à la prêtresse
qu'elle devait maintenant raconter tout haut et exalter la gloire de son
dieu, la manière dont on l'honorait et ce qu'il donnait pour cela. Alors
il arriva à cette femme ce qui était arrivé au prophète Balaam, elle
raconta à haute voix toutes les abominations de ce culte et annonça les
merveilles du Dieu d'Israël devant tout le peuple. Jésus ordonna alors à
ses disciples de renverser l'idole du haut en bas, et de la tourner dans
tous les sens, ce qu'ils firent : puis il dit : "voyez quelle idole vous
servez ; voyez les esprits que vous adorez. D On vit alors sortir de
l'idole, sous les yeux de tous les assistants, toute sorte de figures
diaboliques qui tremblaient, qui rampaient et qui disparurent enfin sous
la terre près des tombeaux. Les païens furent saisis d’horreur et
couverts de confusion. Jésus leur dit : " Si vous rejetez votre idole
dans la fosse, elle tombera en morceaux. " Mais les prêtres le prièrent
de ne pas la briser : et il les laissa la redresser et la faire
redescendre. La plupart des paiens étaient très émus et très honteux,
spécialement les prêtres. Quelques-uns pourtant étaient très mécontents
: mais le peuple était décidément du côté de Jésus. Il leur lit encore
une belle instruction et beaucoup se convertirent. Le dieu Moloch était
assis comme un bœuf sur les jambes de derrière, il ouvrait lés bras
comme quelqu'un qui veut serrer quelque chose contre sa poitrine, et il
pouvait en effet ramener ses bras à lui, à l'aide d'une mécanique. Il
était grand et gros : c'était comme un bœuf assis : sa tête avait en
haut une large ouverture, et sur le front il portait une corne
recourbée. Le dieu était assis dans un large bassin : il avait autour du
corps plusieurs appendices qui ressemblaient à des poches ouvertes. Les
jours de fête on l'habillait. Son vêtement était fait d'une espèce de
longues bandelettes qui lui pendaient autour du cou. Lors des sacrifices
on allumait du feu dans le bassin placé au-dessous de lui. Plusieurs
lampes brûlaient constamment devant lui autour du bassin. Autrefois on
lui sacrifiait des animaux de toute espèce, qu'on faisait brûler dans
les ouvertures de son corps, ou qu'on jetait à l'intérieur par
l'ouverture de la tête. La plus belle victime qu'on pût lui offrir était
une chèvre de Syrie à longs poils. Il y avait aussi là des appareils au
moyen desquels on se faisait descendre jusqu'au dieu. Il était tout à
fait sous la terre et au milieu des tombeaux. Son culte n'était plus en
plein exercice, on l'invoquait seulement dans les opérations magiques,
et la prêtresse spécialement s'adressait à lui pour les enfants malades.
Dans chacune des poches adhérentes à son corps, il recevait des
offrandes particulières. Autrefois on lui mettait des enfants dans les
bras, et ils étaient consumés par le feu allumé sous la statue et dans
l'intérieur qui était creux : il retirait ses bras à lui et les
étouffait pour les empêcher de crier. Il avait une mécanique dans les
jambes, et on pouvait le mettre debout. Il était entouré de rayons.
Les païens dont Jésus avait
guéri hier les enfants à Gadara lui demandèrent ce qu'ils avaient à
faire : car ils voulaient renoncer au culte des idoles. Jésus leur parla
du baptême : il leur dit de rester tranquilles et d'attendre jusqu'à
nouvel ordre : il leur parla de Dieu, comme d'un père auquel nous devons
sacrifier nos mauvaises convoitises, et qui n'a besoin d'aucun autre
sacrifice que de celui de nos cœurs, etc. Avec les païens il disait plus
nettement qu'aux Juifs que Dieu n'a pas besoin de nos sacrifices. Il les
exhorta à se repentir et à faire pénitence. à se montrer reconnaissants
pour les bienfaits et compatissants envers les malheureux. Il alla pour
la fin du sabbat dans la ville juive, où il prit un repas ; aussitôt
après commençait le jour de jeûne commémoratif de l'adoration du veau
d'or, qui fut observé le huit de Tisri, parce que le sept du même mois,
jour de jeûne ordinaire, coïncidait cette année avec le sabbat.
Jésus enseigna encore à Gadara dans la matinée du huit de Tisri : il
quitta la ville dans l'après-midi. Les païens dont il avait guéri les
enfants lui adressèrent encore des actions de grâces devant la ville
païenne. Il les bénit et descendit avec une douzaine de disciples la
vallée qui est au sud de Gadara, puis il franchit une montagne, et alla
toujours dans la direction du midi, jusqu’à un petit cours d'eau qui
coule dans la vallée, et qui vient des montagnes placées au-dessous de
Bétharamphtha-Juliade, où sont des mines situées au levant.
Jésus s'arrêta le soir près
de ce petit cours d'eau, dans une hôtellerie, qui est a environ trois
lieues au midi de Gadara. Des gens de toute espèce étaient occupés là à
récolter des fruits : il alla parmi eux et les enseigna. Ceux - ci
étaient des Juifs il y avait aussi dans les environs une troupe de
païens qui recueillaient sur les bords du petit cours d'eau les fleurs
blanches d'une plante de haies : je ne sais pas à quel usage elles
servaient. Ils ramassaient aussi d'affreux scarabées très grands et des
insectes dont la vue me faisait horreur. Jésus s'approcha d'eux. Ils
s'éloignèrent et parurent intimidés. J’eus alors une Vision étrange qui
me fait encore frissonner : cela me parut si abominable que je fus toute
bouleversée par la frayeur et le dégoût.
Pendant que les païens ramassaient leurs scarabées, je jetai un regard à
environ une lieue plus au midi, sur le côté occidental d'une pente de
montagne ou était une ville appelée Dion ou Dium : là Je vis devant la
porte de la ville une horrible idole, assise sous un arbre grand comme
un noyer et qui était, je crois, un saule. Elle avait une figure à peu
près humaine, mais qui pourtant tenait plutôt du singe, avec des bras
courts et des jambes grêles. Sa tête était très pointue par le haut, et
surmontée de deux petites cornes recourbées, comme des croissants ; elle
avait un visage humain, mais horrible ; le nez était droit et très
allongé, le bas du visage relativement très court, le menton saillant,
la bouche grande et bestiale, le corps mince, les jambes assez grêles,
les pieds longs avec des griffes aux orteils : il avait un tablier
devant lui. D'une main il tenait une coupe placée sur une tige : de
l'autre une grande figure de papillon qui paraissait sortir de sa
chrysalide, et vouloir se précipiter sur la coupe. Mais ce papillon
faisait en partie l'effet d'un oiseau, en partie celui d'un insecte
dégoûtant. Par derrière, du côté où l'idole le tenait, il était comme
une larve tordue et roulée sur elle-même. En avant de la main, il
déployait une paire d'ailes, et sa tête, où étincelaient deux yeux
rouges, se terminait par une espèce de bec ouvert. L'idole était assise
sur un trône circulaire. Entre ses jambes séparées, il y avait un foyer
dans le siège même. Le papillon étalait partout des couleurs brillantes
et variées, mais ce qui me faisait le plus d'horreur, c'est que l'idole
avait sur le front et tout autour de la tête une guirlande comme une
couronne de gros scarabées affreusement dégoûtants et de vers ailés :
ils étaient serrés les uns contre les autres, et sur le front, entre les
cornes, il y en avait un plus gros et plus dégoûtant que tous les
autres, auxquels aboutissaient les extrémités de la guirlande. Ils
étaient brillants et de couleurs variées, mais leur forme était
horrible, et ils ressemblaient à des bêtes venimeuses, avec leurs
ventres allongés, leurs longues pattes leurs grandes pinces et leurs
aiguillons. Les bêtes de cette espèce m'inspirent toujours de la
répugnance : mais combien celles-ci me faisaient horreur ! Je venais à
peine de les regarder, et je me figurais, parce qu'elles ne bougeaient
pas, qu'elles devaient être artificielles, lorsque tout d'un coup, au
moment où Jésus passa près des païens qui cherchaient de ces bêtes pour
leur dieu au bord de la petite rivière. Je vis toute la couronne se
disjoindre et s'envoler ; et je fus saisie de frayeur, comme si elles
venaient se poser sur moi, mais je les vis comme un sombre essaim qui se
disperse, voler de tous côtes dans des coins et des trous, et je vis
aussi de noires et hideuses figures d'esprits qui semblaient se cacher
avec elles, et comme elles, se précipiter tout effrayés dans des trous.
C'étaient les mauvais esprits qu'on honorait en Béelzébub, avec ces
scarabées. Ce qui faisait tenir les scarabées tranquilles était, je
crois, qu'on enduisait le front de l’idole avec du sang ou quelque autre
chose. (La Sœur ne peut trouver de termes qui expriment à son gré
combien ces bêtes étaient affreuses.)
(30 septembre) Le lundi
vers dix heures du matin. Jésus arriva devant Dium, qui est a une lieue
au midi de l'hôtellerie voisine du petit cours d'eau, située sur le
penchant oriental de la montagne en face du Jourdain, à deux lieues à
l'est de Scythopolis. Il arriva devant le quartier juif, beaucoup plus
petit que le quartier païen, lequel est bien bâti et possède plusieurs
temples. La ville juive est tout à fait séparée de l'autre, et Béelzébub
n'est pas de ce côté. à l'endroit où Jésus arriva, devant la ville, les
cabanes de feuillages étaient déjà préparées en grande partie, et ce fut
sous l'une d'elles qu'il fut reçu solennellement par les prêtres et les
préposés de l'endroit : comme à l'ordinaire, on lui lava les pieds et on
lui offrit une réfection. Il commença par visiter un grand nombre de
malades qui étaient couchés ou se tenaient debout sous les cabanes de
feuillage. Les disciples l'assistaient et maintenaient l'ordre. Il y
avait des malades de toute espèce, paralytiques, muets, aveugles,
hydropiques, perclus : il en guérit beaucoup et leur fit des
exhortations. Il y en avait parmi eux quelques-uns qui se tenaient
debout, soutenus par des béquilles à trois pieds, sur lesquelles ils
pouvaient s'appuyer sans faire usage de leurs jambes : c'était à peu
près comme des sièges à roulettes. Il alla en dernier lieu voir les
femmes malades, elle étaient couchées, accoudées ou assises, dans un
endroit plus rapproché de la ville, sous une longue cabane de feuillage,
élevée sur un banc de terre en forme de terrasse. Ce banc était couvert
d'un beau gazon très fin dont la tige retombait et pendait comme des
cheveux doux et soyeux : on y avait étendu des tapis. Il y avait plus
loin plusieurs femmes affligées de flux de sang, tout enveloppées de
leurs voiles, et aussi quelques hypocondriaques au visage pâle, à l'air
triste et sombre, et d'autres malades encore.
Jésus leur adressa la
parole avec une grande bonté ; il les guérit l'un après l'autre, leur
ordonna des bains pour se purifier, et leur indiqua quelques moyens à
prendre pour se corriger de leurs fautes et expier leurs péchés. Il
guérit et bénit aussi plusieurs enfants que leurs mères avaient amenés.
Tout cela dura jusque dans l'après-midi, et donna lieu à de grandes
démonstrations d'allégresse. Tous ceux qui étaient guéris partaient en
chantant des cantiques de louange, emportant leurs lits et leurs
béquilles, pleins de contentement et de joie, accompagnés de leurs
parents, amis et serviteurs, joyeux comme eux-mêmes : ils se retiraient
en bon ordre à mesure qu'ils étaient guéris, et ils entrèrent ainsi dans
la ville, ayant au milieu d'eux Jésus avec les disciples et les lévites.
L'humilité et la gravité de Jésus dans ces occasions sont chose
impossible à décrire. Les enfants et les femmes allaient en avant, et
tous chantaient le quarantième psaume de David : "heureux celui qui sait
comment il faut assister les malheureux !" ils allèrent à la synagogue
où ils rendirent grâces à Dieu. Il y eut ensuite, sous une cabane de
feuillage, un repas de fruits, d'oiseaux, de rayons de miel et de pain
grillé. Lorsque le sabbat commença, tous se rendirent en habits de deuil
à la synagogue, car c'était le 16 du mois de Tisri, le grand jour
d'expiation des Juifs.
FIN DU TOME SECOND.
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