

TABLE
DEUXIÈME PARTIE
I
II
CHAPITRE I
Jésus sur
les confins de la Samarie et de la Judée.
CHAPITRE II
Jésus dans la Samarie
CHAPITRE III
Séjour de Jésus en Galilée.
CHAPITRE IV
Prédication et miracles de
Jésus.
CHAPITRE V
Prédications et
miracles de Jésus (suite). |
DEUXIÈME PARTIE
I
En publiant la seconde
partie des visions de la pieuse Anne Catherine, laquelle, par la beauté
et la variété des tableaux qu'elle met sous les yeux des lecteurs les
intéressera peut-être encore plus vivement que la première, l'éditeur
les prie de ne pas perdre de vue ce qui a été dit dans l'introduction au
premier volume, pour les mettre en garde contre toute tendance, soit à
exagérer mal à propos l'importance de ces visions. soit à les juger avec
un esprit prévenu et à les condamner de parti pris. Pour que ce but soit
plus sûrement atteint et pour qu'il n'y ait point d'obstacle aux fruits
de bénédiction que, suivant les très sages dispositions de la
miséricorde divine les visions sont appelées à produire pour tous ceux
qui ouvriront ce livre avec une véritable droiture d'intention,
l'éditeur croit devoir provoquer encore un examen approfondi sur les
points suivants.
1. Anne Catherine eut à la
vérité, pendant les trois dernières années de sa vie, des visions
journalières et non interrompues sur la vie de notre divin Sauveur, mais
elle ne put pas les communiquer jour par jour au pèlerin, ni surtout
mettre ses relations avec lui à l'abri d'interruptions et de
dérangements de toute nature. Quoiqu'il y ait eu une série de mois
pendant laquelle elle put lui raconter chaque jour ce qu'elle avait vu
ces communications n'avaient pourtant jamais lieu qu'à bâtons rompus :
elles étaient sans cesse entravées soit par des dérangements venant du
dehors, soit par les douleurs incroyables causées par les maladies qui
se succédaient continuellement chez elle et par les expiations dont elle
se chargeait : ce n'étaient jamais que les fragments singulièrement
incomplets et défectueux d'un ensemble de visions bien autrement riche
et étendu. La contemplation n'était pas son unique mission dans ce monde
: c'était bien plus encore la souffrance expiatoire pour tout le corps
de l'Église ; et c'est pourquoi Anne Catherine donnait à toute oeuvre de
pénitence de charité, à tout exercice imposé à sa patience par des
circonstances extérieures, la préférence sur sa tâche de narratrice.
Embrassant dans son activité tous les besoins de l'Église, elle
s'appliquait bien plus à régler intérieurement sa propre vie et à
recueillir constamment en Dieu toutes les puissances de son âme, qu'à
conserver dans sa mémoire les scènes qu'elle avait contemplées, l'ordre
dans lequel elles lui avaient été montrées et les calculs chronologiques
qui devaient en être la base, il était d'ailleurs impossible de rien
préciser dans ce genre toutes les fois que la vision ne se rattachait
pas à un moment déterminé, mais se présentait sous forme de tableaux
immenses, et pour ainsi dire illimités, où l'Ancien et le Nouveau
Testament venaient se rejoindre aux temps modernes, ou bien lorsqu'en
contemplant un fait particulier de la vie du Sauveur elle en apercevait
dans le passé le plus reculé comme la racine la plus lointaine, avec ses
diverses ramifications Dans tous ces cas elle ne pouvait donner que de
courts et maigres fragments détaches du cadre de ces vastes tableaux, et
c'était à l'écrivain qu'était laissée la tâche de les combiner et de les
mettre en ordre ; tâche dont il s'acquittait de son mieux, suivant le
plus ou le moins de secours qu'il trouvait dans les indications de la
voyante. Le lecteur trouvera un exemple de sa manière de procéder dans
un passage du présent volume (page 43), Ou se trouve intercalée dans le
récit l'histoire de Judith et d'Holopherne, et où sont présentés
ensemble, dans un exposé sommaire, des événements qui ne peuvent guère
avoir eu entre eux la liaison qu'on leur suppose en cet endroit.
L'éditeur déclare donc de nouveau, et de la manière la plus formelle,
qu'il n'admet nullement que la date historique de chaque événement soit
désignée par les jours du mois marqués, donnés dans le texte, ou qu'en
général les événements de la vie de Jésus se soient réellement succédés
suivant l'ordre indiqué dans la présente rédaction des visions, quant
aux jours, aux mois et aux années.
Ce n'était que bien
rarement qu'Anne Catherine, courbée sous le poids de souffrances qui se
renouvelaient continuellement pouvait retrouver distinctement dans ses
souvenirs les détails au moyen desquels on aurait pu rattacher sans
lacunes la vision de chaque jour à celles du jour précédent et du jour
suivant : la plupart du temps ce secours faisait complètement défaut
Aussi ne doit-on pas attacher une grande importance aux transitions qui
lient un récit à l'autre, non plus qu'à l'ordre dans lequel les
événements se succèdent dans le livré ; il n'y faut voir que les
conjectures du pèlerin, qui, ayant besoin d'un fit conducteur pour le
guider dans ses pénibles travaux, essayait de deviner, d'après
l'ensemble de ce qui lui avait été communiqué, comment chaque vision se
liait à celle du jour suivant, quoiqu'il fût obligé de se contenter de
recevoir d'Anne Catherine, en réponse à ses questions pressantes, des
indications comme celles-ci : " vous pouvez bien avoir raison.
c'est à peu près comme cela mais je ne puis m'en rendre compte
exactement. "Le lecteur tirera facilement cette conclusion en lisant
plus d'un récit du présent volume. Ainsi, la double résurrection de la
fille de Jaïre et les deux conversions de Madeleine, séparées par sa
rechute dans le péché, se suivent à si peu de distance, qu'on trouve à
peine le temps nécessaire pour placer les événements qui ont dû se
passer dans l'intervalle.
Donc, quoique l'éditeur se
croie autorisé à ne pas douter de l'origine surnaturelle des visions
d'Anne Catherine, et bien qu'il se propose d'apporter des preuves
nombreuses et importantes à l'appui de son opinion dans l'histoire
détaillée de la vie de la pieuse fille, il n'en est pas moins vrai qu'il
ne prétend attribuer aux visions présentées ici d'autre caractère que
celui d'une simple légende de la vie de Jésus, venant s'ajouter sans
ambition plus haute aux produits si nombreux de la vie contemplative
dans le sein de l'Église.
2. Il y a une autre raison
qui porte l'éditeur à ne pas réclamer pour les visions d'autorité
supérieure à celle d'une légende ; c'est que le pèlerin ne se présentait
pas à Anne Catherine comme un homme revêtu du pouvoir sacerdotal de
confesseur ou de directeur spirituel, mais comme un simple laïque que la
miséricorde de Dieu avait conduit avant tout pour le bien de sa propre
âme, près du lit de douleur de la malade. Anne Catherine pratiquait la
vertu d'obéissance, en matière spirituelle, avec une telle perfection,
que toutes ses actions, et même les mouvements involontaires de son âme,
étaient déterminés et réglés par cette vertu. Ainsi, il suffisait d'un
ordre de son confesseur, donné intérieurement et non exprimé en paroles
qui arrivassent à son oreille, pour suspendre chez elle la contemplation
extatique, et pour effacer en quelque sorte de son âme l'impression de
ce qu'elle avait vu. De même l'usage et l'application de tous ses dons
gratuits étaient tellement aux ordres de cette autorité spirituelle,
qu'il aurait suffi d'une coopération persévérante et d'injonctions
précises de la part de son confesseur, pour qu'elle rapportât ses
visions d'une manière incomparablement plus complète et plus fidèle ;
mais elle était pleinement inaccessible à toute autre influence, et
personne ne put jamais exercer sur cette âme absorbée en Dieu une action
qui pût modifier d'une manière quelconque ses intuitions intérieures.
Rien n'est donc plus contraire à la réalité des faits que l'hypothèse
complaisamment admise par quelques personnes, suivant laquelle les
riches facultés intellectuelles du pèlerin et son ascendant personnel
auraient exercé sur la pauvre religieuse une influence assez
prépondérante pour que les créations de son imagination se
communiquassent à la voyante en vertu de je ne sais quel rapport
involontaire, en sorte que celle-ci se serait bornée à répéter ce
qu'elle avait réellement reçu de lui. Des rapports de ce genre ne sont
pas impossibles à rencontrer dans les régions inférieures où une âme
peut se trouver transportée par l'effet d'une organisation maladive ou
d'une surexcitation artificielle ; mais il n'en peut être ainsi pour un
vase d'élection de la grâce, pour une personne comme Anne Catherine,
dont le fiancé de l'Église avait fait son épouse en lui octroyant ses
sacrés stigmates. En outre, qui pourrait croire sérieusement que le
domicile intime d'une âme si sainte fût resté ouvert aux empiétements
d'une curiosité profane ou aux influences même involontaires d'une
personnalité étrangère ? Qui pourrait le croire, encore une fois, quand
il s'agit d'une âme d'un si grand prix aux yeux de Dieu, qu'il l'avait
mise sous la protection d'un de ses saints anges, constamment et
visiblement présent.
Le pèlerin n'aurait jamais obtenu une parole d'Anne Catherine, si les
injonctions réitérées du vénérable Overberg, son confesseur
extraordinaire, et les avertissements constants de son ange gardien ne
lui avaient ouvert la bouche ; mais quelque éminent que fut le don de
compréhension intuitive propre au pèlerin, don qui lui faisait apprécier
à sa juste valeur les trésor inestimable, caché sous des apparences si
simples, dont le dépôt lui était confié, il ne pouvait toutefois tenir
lieu de ce qui lui manquait, savoir, d'une autorité spirituelle déléguée
par l'Église, qui, seule, lui aurait permis de se tenir près d'Anne
Catherine comme son protecteur attitré, de la mettre à l'abri des
dérangements extérieurs qui venaient sans cesse la troubler, de
l'obliger, en qualité de directeur spirituel, à fixer son attention sur
les détails de ses visions, de lui tracer des règles positives touchant
la manière de les communiquer, et enfin d'obtenir d'elle une
reproduction complète de ce qu'elle avait vu, au lieu de se borner à
recueillir des fragments et des lambeaux. Pour suppléer à ce pouvoir de
commander au nom de Dieu, il n'avait d'autre ressource que ses instances
et ses requêtes assidues ; mais la voyante leur accordait bien moins
d'attention qu'aux appels suppliants de tant de misères spirituelles et
corporelles qui, de près et de loin, livraient incessamment l'assaut à
son coeur brûlant de charité 'et la portaient à s'offrir en expiation
pour tous les péchés, à prendre sur elle toutes les douleurs, dut-elle
succomber à l'excès des souffrances dont elle se chargeait ainsi. En
outre, Anne Catherine n'était pas protégée par les barrières d'un
cloître, mais, suivant l'heureuse expression du pèlerin, " elle avait
été renvoyée dans le monde avec les stigmates de l'amour crucifié, pour
y rendre témoignage à la vérité de ce céleste amour ". C'était une
lourde tâche que de porter vivantes sur son propre corps les marques
triomphales de Jésus de Nazareth, le Fils du Dieu vivant, sous les
regards du monde et des courtisans du prince du monde. Quel courage
n'exigeait pas une semblable mission : il fallait être, pour le plus
grand nombre, un scandale, une occasion de doute et de soupçon ; pour
tous, une énigme, rester élevée en croix, comme un sujet livré à toutes
les observations, un thème pour les discours et les explications les
plus extravagantes, sur le carrefour où se croisent les chemins hantés
par l'incroyance et par la superstition, par la malice et par la
simplicité, par l'orgueil de la science humaine et la platitude servile
de la médiocrité prétentieuse. Pauvre, livrée sans secours à des
maladies incompréhensibles, martyrisée, méconnue de son entourage
immédiat qui, par cela même, la tourmentait souvent sans le vouloir,
accablée par le sentiment inévitable d'un isolement immense, d'autant
plus isolée que la foule des curieux se pressait plus nombreuse autour
d'elle, parce qu'il ne s'y trouvait personne qui lui ressemblât ; enfin,
ayant à subir sans relâche toutes les absurdités et toutes les
suspicions imaginables, et au milieu de tout cela, constamment tenue de
ne pas perdre patience un seul instant, d'être toujours condescendante,
humble, douce, sage, prudente selon la mesure de chacun, vis-à-vis des
personnes les plus diverses et les moins disposées à s'imposer à
elles-mêmes ce qu'elles exigeaient d'elle ! C'était assurément une tâche
gigantesque pour une pauvre religieuse, née de paysans obscurs, à une
époque où le véritable esprit religieux s'était retiré de la plupart des
couvents, et où l'on rencontrait bien peu de prêtres que les
circonstances eussent mis à même de s'instruire dans l'art de diriger
des âmes comme la sienne !
Il résulte de tout
ceci, que si l'on a à déplorer la perte irréparable de tant de
magnifiques tableaux, il faut l'imputer à l'époque elle-même et à
l'entourage de la pieuse fille, auxquels manquait ce qui eût été
nécessaire pour mieux apprécier et accueillir, comme il devait l'être,
le don qui leur était offert par la miséricorde de Dieu : mais on sera
d'autant plus tenu à la reconnaissance envers le pèlerin pour avoir
sauvé ce qui pouvait être sauvé, en y employant toutes ses forces, et au
prix des plus grandes fatigues et des plus grands sacrifices. Encore
qu'il n'ait pu recueillir dans son journal que " des débris et des
ombres ", il s'y trouve cependant assez de belles parties pour procurer
aux âmes simples une grande abondance de bénédictions et de saintes
joies.
II
Quelques personnes ont
voulu faire un reproche à l'éditeur d'avoir toujours cherché à
reproduire avec une fidélité scrupuleuse la rédaction primitive du
pèlerin, et de l'avoir donnée aux lecteurs telle qu'il l'a trouvée,
c'est-à-dire négligée et sans ornements ; mais qu'on veuille bien ne pas
oublier que dans tout son travail, il ne pouvait être question d'une
nouvelle rédaction des visions suivant les règles de l'art ou celles de
la théologie. En ce qui touche la forme, le pèlerin lui-même n'a rien
modifié, pour ne pas enlever à ce qu'il avait recueilli son cachet
d'originalité ; quant à l'autre point, l'éditeur n'avait pas à s'en
occuper, car il n'aurait jamais livré ces visions à la publicité si
elles avaient eu besoin d'être préalablement remaniées et corrigées par
lui, pour pouvoir satisfaire à toutes les exigences d'une censure
théologique. Comme néanmoins quelques lecteurs ont élevé certaines
objections, il répondra dans les pages suivantes à celles qui sont
venues à sa connaissance.
I. Plus d'un lecteur a
ressenti quelque défiance en retrouvant dans les visions certains faits
rapportés également dans ce qu'on appelle les Évangiles apocryphes.
C'est pourtant là quelque chose de très simple, et on ne pourrait y
trouver un motif de discréditer les visions qu'en admettant l'hypothèse
erronée suivant laquelle tout ce que renferment les apocryphes serait
fabuleux et mensonger. Or, il n'en est pas ainsi. Les livres apocryphes
sont, conformément au langage le plus anciennement usité dans l'Église,
ceux qui, à raison de leur contenu, des auteurs auxquels ils ont été
attribués ou des sources auxquelles ils ont puisé leurs récits, semblent
élever la prétention d'être mis sur la même ligne que les livres
canoniques du Nouveau Testament, mais que l'Église, pour prévenir toute
méprise, a expressément retranchés du canon, dont elle n'a pas voulu
qu'il fût fait usage dans sa liturgie et son enseignement, et qu'elle a
par là même signalés comme ne devant point être rangés au nombre des
monuments sur lesquels s'appuie la doctrine catholique. En agissant
ainsi, elle déclarait qu'il ne fallait y chercher ni l'autorité de la
parole divine, ni l'inspiration surnaturelle, avec son caractère
d'infaillibilité ; mais elle ne disait pas pour cela qu'on ne pût, dans
aucun cas, leur accorder une crédibilité humaine, ni que ce fussent des
écrits fabuleux, mensongers, et dont il ne pût résulter aucune
édification. Plus tard, quand les sectaires et les hérétiques
s'emparèrent de ces livres, les exploitèrent à leur profit, les
altérèrent (ce que certainement ils n'auraient pas fait, si, dès le
commencement, on ne leur eût accordé aucune autorité), lorsqu'enfin ils
mirent en circulation des écrits du même genre, les apocryphes devinrent
dangereux, et il fallut se mettre en garde contre tout usage qui
pourrait en être fait. Mais qu'il ait pu se conserver quelques débris de
vérité historique dans ce qui en est venu jusqu'à nous, c'est ce qui n'a
encore été contesté par personne. Si donc les visions d'Anne Catherine,
où sont rapportées beaucoup de choses que ne racontent pas expressément
les saints Évangiles, se trouvent quelquefois d'accord avec les
apocryphes, ce ne peut pas être une raison pour réprouver ces visions.
2. On a vu quelque chose de
nouveau et d'étrange dans ce que les visions racontent de Melchisédech,
lequel s'y montre, non comme un personnage humain, mais comme un ange
sacerdotal dont la mission et l'action ont une signification symbolique
et figurative en tant que préparant de loin à la Rédemption. Toutefois,
en considérant la chose de plus près, cette manière de l'envisager ne
vient pas contredire l'opinion plus répandue qui ne voit en lui qu'un
homme, mais elle se place à côté d'elle avec l'avantage très
considérable d'être particulièrement favorisée par le passage de
l'Épître aux Hébreux (VII, 3), où il est dit de Melchisédech : " Qu'il
n'a ni père, ni mère, ni généalogie, que sa vie n'a ni commencement, ni
fin ". Si toutes les conditions d'une existence et d'une personnalité
terrestres et humaines semblent ici être refusées à Melchisédech, d'un
autre côté, l'Ancien Testament parle en termes qui présupposent
nécessairement chez lui toutes les apparences humaines, lorsqu'il dit :
" Or, Melchisédech, roi de Salem, offrit du pain et du vin, car il était
prêtre du Très-Haut ; il bénit Abraham et dit, etc. " (Genèse, XIV, 18,
19.) On peut mentionner de très anciens auteurs ecclésiastiques,
notamment Origène et Didyme, qui ne veulent voir dans Melchisédech qu'un
personnage angélique ; toutefois, saint Jérôme, dans sa lettre à
Evagrins, cite un certain nombre de témoins importants qui s'attachant à
la manière toute humaine dont il se manifeste, affirment que
Melchisédech ne fut qu'un homme comme un autre, ce qui ne les empêche
pas de suivre les opinions les plus divergentes, lorsqu'ils veulent
exposer son origine d'une façon plus précise. On ne doit pas s'étonner
de voir prévaloir cette interprétation quand on se souvient quel rôle
est fait à Melchisédech dans les hérésies des Gnostiques et d'autres
sectaires, lesquels le représentent tantôt comme un Eon d'un rang
supérieur à celui de Jésus-Christ lui-même, tantôt comme le Saint-Esprit
en personne, ou comme une vertu particulière de Dieu. En présence de ces
dangereuses conceptions, il était nécessaire d'insister particulièrement
sur la signification et la position de Melchisédech en tant qu'il se
montre avec l'extérieur d'un homme semblable aux autres et de
revendiquer pour lui la qualité de personnage humain et historique, il
résulte de là que sa personnalité surhumaine et angélique fut de plus en
plus rejetée dans l'ombre, ce à quoi contribuèrent surtout des
théologiens d'une époque postérieure, lesquels s'attachaient trop
exclusivement à une opinion théologique qui ne fut pourtant jamais
universellement adoptée, celle suivant laquelle un homme ordinaire
(homo viator) pouvait seul sacrifier ou administrer un sacrement.
Mais si, d'après la doctrine des théologiens, à la hiérarchie de
l'Église sur la terre correspond dans le ciel une hiérarchie angélique
chargée de protéger et de diriger la première ; si, en outre, d'après
l'Écriture Sainte, Dieu confie aux anges certaines missions et certaines
opérations qui, par leur nature, ne dépassent pas le pouvoir de l'homme,
pourquoi un ange agissant sous forme humaine, ne pourrait-il pas aussi
exercer, par exception, une fonction sacerdotale ? Des théologiens qui
soutiennent positivement l'affirmative, distinguent à cet égard entre la
règle ordinaire (lex ordinaria) et la commission spéciale de Dieu
(commissio Dei spécialis), en vertu de laquelle des anges
peuvent, eux aussi, offrir un sacrifice de l'Ancien Testament ou
administrer des sacrements : selon eux, l'action sacerdotale attribuée à
l'ange Melchisédech, n'a rien de plus choquant que la mission
merveilleuse que, sur l'ordre de Dieu, l'archange Raphaël eut à remplir
auprès de la famille de Tobie, paraissant également sous la forme
humaine et agissant à la façon des hommes Mais ce qui donne un poids
particulier à la manière dont la chose est représentée dans les visions
d'Anne Catherine, c'est la position extrêmement importante que, d'après
elles, Melchisédech occupe relativement à l'économie du salut pour
l'Ancien Testament, et cela d'une manière qui répond parfaitement au
caractère de l'ordre établi par Dieu à cet égard. En effet, toutes les
manifestations de Dieu dans l'Ancien Testament ont pour intermédiaires
les anges qui annoncent les mystères du salut à nos premiers parents,
aux patriarches et aux prophètes, et qui en descendant le cours des âges
jusqu'à la plénitude des temps, sont les ordonnateurs et les exécuteurs
de tout ce que Dieu a disposé pour servir de préparation à son oeuvre.
Le présent volume fait voir cela, en ce qui touche Melchisédech, avec
plus de développements encore que le premier, notamment dans un tableau
du sens le plus profond (tome IV, page 28), où le lecteur trouvera une
confirmation de ce que disait Anne Catherine, que ses nombreuses et
surprenantes révélations sur l'Ancien Testament lui ont été communiquées
pour remettre au jour bien des choses scellées pour ainsi dire et
tombées dans l'oubli.
3. Un autre point semble
présenter plus de difficulté, c'est que les visions montrent le Sauveur
dès ses premières manifestations publiques faisant donner le baptême,
même à des païens, par les apôtres et les disciples. On serait aisément
tenté de croire qu'il y a là une contradiction avec le fait établi par
les Actes des apôtres, d'où il résulte que le centurion Corneille,
baptisé à Césarée par saint Pierre, est le premier païen qui ait reçu le
saint sacrement du baptême. Mais cette contradiction n'existe pas en
réalité, parce que le baptême des païens dont il est question dans les
visions, est très expressément et très positivement distingué du baptême
considéré comme sacrement. En effet, trois sortes de baptêmes sont
mentionnés dans les visions : 1° celui de saint Jean 2° le baptême
préparatoire et non sacramentel que Jésus fait donner par ses apôtres et
ses disciples ; 3° le saint baptême de l'esprit, ou le saint sacrement
de baptême qui n'est administré qu'après la Pentecôte et la promulgation
de la nouvelle alliance. Cette distinction n'a rien d'inusité ni qui
soit particulier aux visions, car elle est déjà établie par saint Jean
Chrysostome, dans sa 28ème homélie sur l'Évangile de saint Jean, où il
entreprend de montrer que ni le baptême de Jean, ni le baptême des
apôtres avant la Pentecôte, n'ont fait participer les néophytes au don
de l'Esprit-Saint, mais que ces deux espèces de baptême n'ont été
administrées qu'en vue de gagner des adhérents au Seigneur et de les
préparer à croire en lui. C'est là aussi, en substance, la doctrine des
visions, qui va être exposée plus au long dans les pages qui suivent,
pour montrer qu'elle est d'accord dans ses traits généraux avec le
Catéchisme du concile de Trente et l'enseignement des théologiens.
Le baptême de Jean est
appelé dans les visions " une première purification grossière, une
cérémonie préparatoire comme on en trouve dans les prescriptions de la
loi, " ou encore : " un baptême pour la pénitence. " Elles le décrivent
comme une cérémonie essentiellement semblable au baptême de pénitence de
l'Ancien Testament, et à ce qu'on appelait le baptême des prosélytes,
lequel préparait les païens a participer aux moyens de salut fournis par
la loi ancienne, car ce n'était que plus tard, par la circoncision,
qu'ils devenaient enfants d'Abraham. Aussi, lorsque Jean baptisait au
bord du Jourdain, le sanhédrin ne trouvait pas mauvais qu'il baptisât
des païens, mais bien qu'il baptisât aussi des Israélites : car ne
voulant pas croire à l'avènement de nouveaux moyens de salut, il ne
pouvait pas non plus admettre qu'il y eût lieu d'y préparer. Le baptême
de Jean se présente comme baptême de pénitence, parce qu'il avait
particulièrement en vue la vie passée des néophytes, parce qu'il voulait
réveiller chez eux l'horreur pour toutes les fautes dont ils s'étaient
rendus coupables, soit contre le Décalogue, s'ils étaient Juifs, soit
contre la loi naturelle, s'ils étaient païens, et provoquer par là chez
tous la résolution de commencer une vie nouvelle dans le Messie qui leur
était annoncé. C'est pourquoi leur baptême était précédé d'une
exhortation générale à la pénitence, et, du côté des néophytes, d'une
protestation de repentir avec la promesse de se corriger. Or, par la
réception du baptême, ils prenaient l'engagement de s'attacher à Celui
dont Jean se disait le précurseur et annonçait le royaume, et de
reconnaître sa suprématie. Le baptême de Jean n'avait d'efficacité pour
purifier et sanctifier, qu'autant qu'il était reçu avec une, véritable
douleur des péchés commis et la ferme résolution de commencer une vie
nouvelle à l'aide des secours qu'on avait à espérer du Messie promis. Si
les néophytes allaient au Seigneur avec ces dispositions, lorsqu'il se
manifestait à eux, ils n'avaient pas besoin d'un nouveau baptême comme
préparation, parce que leur coopération fidèle en développant les germes
semés en eux par Jean les rendait capables de comprendre successivement
les mystères du nouveau royaume, d'arriver à la vraie foi et par elle à
la réception du baptême de l'Esprit-Saint après la Pentecôte. Aussi,
est-il souvent répété dans les visions qu'aucun de ceux que Jean avait
baptisés ne reçut de nouveau le baptême, si ce n'est après la descente
du Saint-Esprit.
Lorsque le Sauveur, après
son jeûne de quarante jours, quitta le désert pour aller près du
Jourdain, il prit possession, nous disent les visions, d'un lieu où Jean
s'était établi précédemment pour baptiser ; il y fit tout remettre en
ordre par les disciples qui le suivaient, puis il y enseigna la foule
qui affluait, et la prépara au baptême, qui fut d'abord administré par
André et par Saturnin. Pour les baptisants comme pour les baptisés, le
mystère de l'Incarnation était encore un secret : ils ignoraient que
Jésus-Christ fût le Fils consubstantiel du Dieu vivant. Ils croyaient en
lui, mais seulement comme en celui touchant lequel Jean avait dit qu'il
était son précurseur et lui préparait la voie : ils l'honoraient comme
le Messie promis et attendu depuis si longtemps, et comme le plus grand
des prophètes ; toutefois, personne ne soupçonnait qu'il fût plus qu'un
homme, qu'il fût le Fils de Dieu et de même nature que son Père. Quoique
beaucoup de néophytes eussent été témoins du prodige qui avait signalé
le baptême de Jésus et eussent entendu les paroles : "Celui-ci est mon
Fils bien-aimé ! "aucun d'eux pourtant n'osait les prendre à la lettre,
et le Sauveur lui-même, au commencement, en laissait à peu près de côté
la signification littérale et en faisait ressortir de préférence le sens
moral, pour ne pas mettre ses auditeurs en présence d'un mystère qu'ils
ne pouvaient pas encore saisir, et pour lequel une préparation plus
longue leur était d'abord absolument nécessaire. Or, cette préparation,
indépendamment de l'enseignement et de l'action du Sauveur, était
précisément le baptême qu'il faisait donner par les disciples, lequel ne
donnait pas encore la grâce sanctifiante ou régénératrice, pas plus
qu'il n'imprimait dans l'âme un caractère ineffaçable, mais communiquait
pourtant des lumières et une force surnaturelles, avec la grâce
d'arriver par degrés à la foi véritable, et de persévérer dans la
fidélité au Sauveur jusqu'à la descente du Saint-Esprit, nonobstant ses
abaissements et le mystère de sa mort sanglante sur la croix. En
recevant ce baptême préparatoire, les néophytes faisaient une confession
détaillée de leurs péchés, et recevaient comme premier effet de la grâce
qui leur était départie, la douce et consolante certitude que l'envoyé
de Dieu, le Messie, était réellement présent devant eux, qu'ils voyaient
de leurs yeux celui que Moïse et les prophètes avaient annoncé, et
qu'ils n'avaient qu'à ouvrir leurs coeurs pour recevoir ses
enseignements salutaires. Toutefois, cette assurance, ainsi que la foi à
la mission divine du Messie, était encore pour tous comme enveloppée
dans les idées et les espérances héréditaires, et devenues, pour ainsi
dire, naturelles chez les Israélites touchant la restauration de Leur
ancienne gloire et de leur ancienne prospérité : ils s'attendaient à
être traités comme leurs pères, auxquels Dieu avait jadis accordé des
biens temporels de ce genre en récompense de leur fidélité, et comme le
gage visible de la possession future des biens invisibles et éternels.
Jusqu'à ce que cette écorce fût brisée, et que la foi au mystère du
Christ eût pris racine dans leurs coeurs, sans que sa beauté et sa
pureté y fussent obscurcies par aucun mélange d'idées étrangères, et de
manière à les rendre capables de supporter le décret rendu de toute
éternité sur la rédemption du genre humain par le sacrifice sanglant de
la croix, il leur fallait marcher sans relâche dans la voie de
l'abnégation et du détachement, et c'était précisément dans le baptême
de préparation que leur étaient accordés les secours et les grâces
nécessaires à cet effet. On peut donc y voir un préliminaire obligé au
saint sacrement de baptême, avec lequel il se trouve dans le même
rapport intérieur que les grâces prévenantes avec la grâce infuse qui
rend enfant de Dieu, ou que le catéchuménat de l'Église primitive avec
la réception réelle de la sainte Eucharistie, et cette affinité
intérieure se traduit aussi au dehors, en ce que la matière du baptême
préparatoire est la même eau consacrée qui sert à administrer plus tard
le baptême sacramentel lui-même. En effet, d'après les visions, l'eau
baptismale était consacrée, ou par une infusion de l'eau du Jourdain où
le Sauveur avait été baptisé, ou par une bénédiction directe de celui-ci
: de même encore, toujours d'après les visions, la forme du baptême
préparatoire paraît avoir été une forme analogue à celle qui fut usitée
plus tard dans le sacrement de baptême. Nonobstant cette similitude de
la matière et de la forme, les visions distinguent expressément ces deux
baptêmes, et elles confirment généralement la doctrine théologique
suivant laquelle la notion d'un sacrement de la nouvelle alliance, ou
d'un moyen de satisfaction agissant ex opere operato, présuppose
non seulement l'institution du Christ, mais la consommation de son
oeuvre (opus consummatum). C'est pourquoi aussi on lit dans le
Catéchisme du concile de Trente : Sacramenta novae legis ex Christi
latere manantia, eam gratiam quam significant Christi sanguinis virtute
operantur.
Les sacrements de la loi
nouvelle, découlant du côté de Jésus-Christ produisent la grâce dont ils
sont le signe par la vertu du sang de Jésus Christ.
Or, tant que ce sang
n'avait pas encore été versé, la consommation de l'oeuvre très sainte de
la rédemption était toujours à venir, quoique le Sauveur conversât déjà
parmi les hommes, et tant qu'il en était ainsi, aucun sacrement ne
pouvait agir ex opere operato, c'est-à-dire être un sacrement de
la nouvelle alliance. Aussi, quelque divergentes que semblent les
opinions des théologiens sur le moment de l'institution et de la
dispensation du baptême comme sacrement, toutes s'accordent entre elles
et avec les visions, en ce sens que les unes et les autres représentent
également l'institution inchoative du sacrement, c'est-à-dire la
consécration de la matière, comme ayant eu lieu par le baptême de Jésus
dans le Jourdain, et ne font commencer qu'après la descente du
Saint-Esprit, à la Pentecôte, l'obligation universelle du baptême comme
moyen nécessaire pour devenir enfant de Dieu.
D'après ce qui précède, on
voit clairement qu'il n'y avait pas lieu de s'occuper, à l'occasion du
baptême préparatoire, d'une question qui ne fut soulevée et décidée
qu'après la Pentecôte, celle de savoir si les païens ne devaient être
incorporés à l'Église par le baptême qu'après s'être soumis à la
circoncision, et avoir pris l'engagement d'obéir à toutes les lois et
observances de l'Ancien Testament. Le Sauveur, en outre, n'obligeait pas
les païens à la circoncision, pas plus qu'il ne les en détournait, si
par hasard ils la désiraient ; et ni les apôtres ni les autres Juifs ne
se scandalisaient du baptême des païens, parce que le Sauveur lui-même,
lorsqu'il en expliquait la signification, disait qu'il avait pour but de
les préparer à participer au royaume de Dieu.
Dans cette exposition, le
lecteur trouvera une nouvelle preuve du merveilleux progrès intérieur
suivant lequel, d'après les visions, se développe l'action du divin
Sauveur. De même que le Seigneur n'appela pas les saints apôtres une
fois pour toutes et tout d'un coup, mais les invita, par des appels
successifs et réitérés, à se dégager peu à peu, pour le suivre, des
affaires et des liens qui les attachaient au monde, et ne leur adressa
qu'en dernier lieu, et après les avoir ainsi préparés, les paroles
citées dans l'Évangile ; de même aussi que la plupart des guérisons
opérées par lui n'étaient pas des transformations soudaines et violentes
mais des modifications successives arrivant par degrés à une entière
délivrance, de même il ne voulut pas produire la foi par une infusion
subite dans l'âme de ceux qui étaient appelés au salut ; il ne voulut
pas les jeter comme par force et sans leur propre coopération dans le
royaume des enfants de lumière, mais les y conduire d'une façon
appropriée aux facultés humaines, et au bon usage qui serait fait des
secours surnaturels offerts par Dieu, afin d'assurer à chacun sa liberté
tout entière, et de lui laisser le mérite ou la culpabilité de ses
actes. C'est ainsi que nous voyons encore le Sauveur supporter avec une
patience et une condescendance incroyables les imperfections et les
défauts de ses disciples : il n'oppose que le silence à leurs murmures,
à leurs impatiences, à leurs découragements, après une journée dont le
travail leur a semblé trop pénible, parce que dans ses rapports avec les
hommes, il veut agir en tout à la manière humaine, et nous assurer, au
prix des plus rudes fatigues, le fruit de ses divers mérites. Il en est
de même de la révélation des mystères de son royaume, qui se dévoilent
plus complètement à mesure que l'intelligence de ses disciples s'éclaire
et que leurs sentiments deviennent plus élevés et plus purs, jusqu'au
moment où toute vérité et toute grâce, toute sanctification et toute
lumière arrivent à leur terme par la descente de l'Esprit-Saint.
4. Enfin, l'éditeur prie le
lecteur bienveillant, lorsqu'il lira le récit de la résurrection du fils
de la veuve de Naïm, tel qu'il est donné dans les visions, de ne pas
perdre de vue les observations suivantes. Les visions ne parlent pas du
jeune homme comme d'un mort à proprement parler, mais le représentent
comme " fortement enchaîné par la mort ", ou disent de lui " que la mort
avait voulu l'achever dans le tombeau ". Or, l'évangéliste saint Luc
parle simplement d'un défunt, d'un mort, et il pourrait sembler, à la
première vue, que les visions renferment une contradiction avec le récit
de l'écrivain sacré, contradiction qui toutefois n'existe pas
réellement. En effet, le jeune homme de Naïm, à ne consulter que le
point de vue humain et les données ordinaires de l'expérience, était
réellement mort. Cependant aussi, ce que personne autre que le Sauveur
ne pouvait savoir, son âme n'était pas encore entièrement séparée du
corps ; mais il en était venu à un état tellement voisin de la mort,
qu'il ne pouvait être sauvé par aucun moyen humain, et qu'il y fallait
une intervention surnaturelle et miraculeuse. La séparation totale de
l'âme et du corps se serait, suivant les visions, irrésistiblement
accomplie dans le tombeau, sans qu'aucun signe de vie corporelle se fût
préalablement produit, tant la mort, c'est-à-dire un ange de mort, avait
fortement saisi sa proie. Son état était donc quelque chose de plus
qu'une simple léthargie, car la léthargie implique la possibilité d'un
retour à la vie ; ici, au contraire, ce retour était impossible : le
jeune homme pouvait et devait être traité en mort, et le nom de mort
était bien celui qui lui convenait.
Ecce defunctus et Terebatur. VII, 12. Et resedit qui erat
mortuus.
5. Si le saint Évangéliste
avait voulu raconter le fait dans tous ses détails, en exposer les
causes internes et rapporter toutes les paroles prononcées par le
Sauveur à ce propos, il se serait aussi expliqué clairement sur cet état
mystérieux. Mais comme il s'est borné à relater les circonstances
extérieures de cette résurrection, sans s'occuper des faits intérieurs,
il ne pouvait pas employer d'autres termes, pour désigner ce jeune
homme, que ceux de mort et de défunt.
6. Pour conclure, l'éditeur
croit rendre service à bien des lecteurs en leur faisant connaître,
comme témoignage d'un grand poids, les termes dont se servait le
respectable comte Léopold de Stolberg, en parlant de la pieuse Anne
Catherine dans des lettres écrites du vivant de celle-ci à Christian
Brentano.
Sondermuhlen, le 2
juillet 1817.
Recommandez-nous, moi et
tous les miens, aux prières de notre martyre comblée de grâces, dont je
serais si heureux de pouvoir baiser encore une fois les mains marquées
du signe du salut.
Le 30 septembre 1817.
En ce qui touche la sainte
de Dulmen, j'ai la ferme espérance que, comme elle est l'objet d'une
miséricorde extraordinaire de la part de Dieu, elle sera aussi
l'instrument d'une miséricorde extraordinaire. Ce n'est pas en vue
d'elle seule qu'il l'a marquée des stigmates du salut, elle était déjà
marquée dans les mains divines (Is., XLLX, 16), avant qu'il la marquât
elle-même ; mais le temps viendra où il fera éclater sa gloire par elle.
Dut-elle être une pierre d'achoppement pour bien des gens qui ne veulent
pas voir, il y en aura bien d'autres dont les yeux et le coeur
s'ouvriront.
CHAPITRE I
Jésus sur
les confins de la Samarie et de la Judée.
Jésus se rend de la
Pérée septentrionale sur les confins de la Samarie et de la Judée. -
Séjour de Jésus à Dion, - à Jogbéha, - à Ainon, - à Sukkoth, - à
Acrabis, - à Silo, - à Koréa, - à Ophra, - à Hareth.
(Du 1er au 16 octobre
1822.)
(1 et 2 octobre.) La
narratrice fut aujourd'hui si malade et si souvent dérangée qu'elle ne :
put communiquer que ce qui suit :
Hier soir, avec le sabbat
du dix de Tisri, commença la fête de l'expiation, et toute la journée
d'aujourd'hui fut consacrée à la célébration de cette fête par les Juifs
de Dion. Jésus enseigna dans la synagogue de cette ville. Il fit des
exhortations à la pénitence et parla contre la purification qui se borne
seulement au corps sans qu'on pense à maîtriser l'âme. Je vis que
quelques Juifs se flagellaient les reins sous de larges manteaux. Les
païens de Dion célébraient aussi une fête avec une quantité prodigieuse
de fumigations : ils se mettaient sur des sièges sous lesquels on
brûlait des parfums.
J'ai vu beaucoup de détails
de la fête expiatoire à Jérusalem. Je vis beaucoup de purifications
faites par le grand prêtre, des préparations et des abstinences
pénibles, beaucoup de sacrifices, d'aspersions de sang et
d'encensements. J'ai vu aussi le bouc émissaire, et comment on tirait au
sort entre deux boucs. L'un était sacrifié, l'autre était chassé dans le
désert : on attachait à la queue de celui-ci quelque chose où l'on
mettait le feu, à ce que je crois. Dans le désert, il finit par se
précipiter dans un gouffre. David alla autrefois dans ce désert qui
commence au delà de la montagne des Oliviers. Aujourd'hui le grand
prêtre était très triste et dans un grand trouble : il avait désiré
qu'un autre pût faire la cérémonie à sa place ; il entra plein
d'angoisse dans le Saint des saints et demanda instamment au peuple de
prier pour lui. Le peuple pensait que le pontife devait être chargé de
quelque grand péché et craignait fort qu'il lui arrivât malheur dans le
Saint des saints. Sa conscience le tourmentait parce qu'il avait pris
part à l'assassinat de Zacharie, le père de Jean, et son péché porta ses
fruits dans son beau-fils qui condamna Jésus. Ce n'était pas Caïphe, je
crois que c'était son beau-père.
Je vis la cérémonie dans le
Saint des saints. L'objet saint de l'arche d'alliance n'y était plus,
mais il se trouvait encore des linges et des vases de toute espèce dans
l'arche qui était moderne et tout à fait à la nouvelle mode. Les anges
étaient autrement qu'autrefois : ils étaient assis, avec une jambe
relevée et l'autre pendante, la couronne était toujours placée entre
eux.
Il y avait dans l'arche divers objets sacrés, de l'huile et de l'encens.
J'ai vu toutes les cérémonies que lit le grand prêtre, mais je les ai
oubliées. Je me souviens seulement qu'il encensa et fit une aspersion de
sang ; qu'il tira du sanctuaire un petit linge et qu'il se blessa au
doigt, ou qu'ayant du sang au doigt, il le mêla avec de l'eau et donna
ce mélange à boire à une troupe de prêtres. C'était une espèce de
symbole figuratif de la sainte communion. Je ne sais pas bien s'il ne
mit pas aussi dans l'eau le petit linge tiré du sanctuaire. Du reste,
dans certaines occasions, on buvait de l'eau versée sur l'objet saint
comme je l'ai vu dans les mystères. Peut-être le linge vide y
suppléait-il maintenant. Je vis aussi que le grand prêtre par une
punition de Dieu était fort malade, et frappé de la lèpre. Il y avait
une grande confusion dans le temple. Dans cette vision, j'ai aussi
entendu dans le temple une prédication très effrayante tirée de Jérémie,
si je ne me trompe. J'ai vu aussi beaucoup de choses de la vie des
prophètes et touchant l'abomination de l'idolâtrie dans Israël : je ne
m'en rappelle que ce qui suit :
Je crois qu'il était arrivé
à cette même date, ou bien qu'on rappela dans l'enseignement de ce jour
qu'Élie après sa mort avait écrit une lettre au roi Joram. J'ai vu que
les Juifs et d'autres encore n'y croyaient pas, à mais expliquaient la
chose en disant qu'Élisée, porteur de cette lettre, l'avait reçue d'Élie
comme lettre prophétique. Il m'arriva alors quelque chose de singulier :
Je fus transportée
avec rapidité, mais très doucement, vers l'orient et en passant Je vis
la montagne des prophètes toute couverte de neige et de glace.
Note : Quand des
faits du passé sont mentionnés dans une lecture du sabbat ou dans
une instruction. elle les voit ordinairement à cette occasion dans
des visions historiques.
Il y avait déjà des tours
au-dessus, c'était peut-être une représentation de ce qu'elle était au
temps de Joram. J'allai ensuite plus à l'orient, jusqu'au paradis, et
j'y vis comme de coutume de beaux et merveilleux animaux se promener et
jouer ensemble : je vis aussi des murailles resplendissantes et comme je
l'avais vu d'autres fois, deux hommes couchés sous la porte et dormant
en face l'un de l'autre. Je vis qu'Élie voyait en esprit tout ce qui se
passait en Palestine, qu'un ange mit devant lui un beau rouleau blanc et
une plume de roseau, qu'il se redressa et écrivit sur son genou. Je vis
aussi un petit char, comme un siège, venir de l'intérieur près de la
porte sur une colline ou sur des degrés : trois animaux blancs d'une
beauté merveilleuse y étaient attelés. Je vis Élie y monter et se rendre
rapidement en Palestine comme sur un arc-en-ciel. Il s'arrêta au-dessus
d'une maison à Samarie ; je vis qu'Élisée y priait, qu'il regarda en
l'air, qu'Élie laissa tomber la lettre devant lui et qu'il la porta au
roi Joram. Les trois animaux étaient attelés au char d'Élie, deux par
derrière et l'autre par devant. C'étaient des animaux incroyablement
beaux et gracieux, ils étaient à peu près grands comme de petit
chevreuils, blancs comme la neige, avec de longs poils blancs et soyeux.
Ils avaient des jambes très fines et très élégantes, de petites têtes
toujours en mouvement et sur le front une jolie corne un peu recourbée
en avant. C'était des animaux semblables que j'avais vus attelés au char
sur lequel il monta au ciel.
Note : Elle ne
voulait pas croire à cette vision, l'appelait un rêve, etc.,
jusqu'au moment où le pèlerin lui dit que cette lettre était
mentionnée dans l'Écriture sainte, ainsi qu'il venait de l'y voir :
car il n'en savait rien auparavant et il trouva aussi l'explication
vulgaire réfutée par la vision qui avait été montrée à la Soeur. (II
Paralip. XXI, 12-15.)
Je vis aussi l'histoire
d'Élisée et de la Sunamite et beaucoup d'autres détails touchant ce
prophète qui a fait des choses encore plus merveilleuses qu'Élie. Ses
manières étaient moins rudes et ses vêtements moins grossiers que ceux
d'Élie. Élie était tout à fait un homme de Dieu et non à la mode des
hommes ; il avait quelque ressemblance avec Jean Baptiste qui était un
homme du même genre. Je vis aussi, en ce qui touche Élisée, comment son
serviteur Giezi courut après l'homme que le prophète avait guéri de la
lèpre (Naaman). Il courut après lui pendant la nuit, pendant qu'Élisée
dormait ; il le rejoignit sur le bord du Jourdain et lui demanda des
présents au nom de son maître.
Je vis aussi, le jour
suivant, le serviteur travailler tranquillement et comme s'il eût tout
ignoré, à des cloisons destinées à séparer des cellules, et Élisée lui
demander où il était allé. Le prophète lui dit alors tout ce qu'il avait
fait et lui annonça que ses enfants et lui seraient frappés de la lèpre.
Comme l'idolâtrie des
hommes et le culte rendu par eux dès les premiers temps aux bêtes et aux
images m'étaient montrés, ainsi que les rechutes continuelles des
Israélites dans l'idolâtrie et la grande miséricorde de Dieu dont les
prophètes étaient les instruments, et comme je m'étonnais grandement que
les hommes pussent se livrer à un culte si abominable, toutes : ces
mêmes abominations me furent montrées comme subsistant encore
maintenant, mais seulement d'une manière spirituelle. Je vis par des
tableaux innombrables dans le monde entier comment l'idolâtrie était
pratiquée au sein du christianisme, et je la vis sous des formes presque
aussi nombreuses que je l'avais vue dans les temps antérieurs. Je vis
des prêtres qui adoraient des serpents à côté du Saint-Sacrement ; leurs
diverses passions ressemblaient aux diverses formes de ces serpents. Je
vis aussi près des grands du monde et des savants, toute espèce de bêtes
semblables qu'ils arboraient tout en se croyant au-dessus de toute
religion. Je vis des crapauds et d'autres animaux plus hideux |près de
pauvres gens du commun dégradés. Je vis |aussi des paroisses livrées à
l'idolâtrie, par exemple |une sombre église réformée dans le Nord avec
un autel vide sur lequel se tenaient des corbeaux qu'ils adoraient. Ils
ne voyaient pas ces animaux, mais leur vanité et leur orgueilleuse
présomption étaient un culte qu'ils leur rendaient. Je vis des
ecclésiastiques auxquels de petites figures grotesques, semblables à des
doguins, tournaient les feuilles de leur bréviaire pendant qu'ils le
récitaient. Je vis même chez quelques-uns de véritables idoles de
l'antiquité, comme Moloch ou Baal, se tenir sur la table, trôner au
milieu des livres, et même leur donner quelque chose à manger.
Je vis aussi des gens
simples et pieux, semblables aux prophètes, qui étaient méprisés et
tournés en ridicule par eux.
Je vis qu'il y avait
aujourd'hui autant d'abominations qu'autrefois et que les idoles
n'avaient rien d'arbitraire, mais que si l'impiété et l'idolâtrie des
hommes d'à présent prenaient jamais une forme matérielle, si leurs
sentiments se traduisaient en actions, on reverrait les idoles de
l'antiquité.
(2-3 octobre.) Ce
matin Jésus enseigna encore à Dion. Plus tard, comme il sortait de la
ville, plusieurs personnes du quartier païen qui avaient entendu parler
des guérisons opérées par lui à Gadara vinrent à lui fort timidement et
lui apportèrent des enfants qu'il guérit. Il décida les parents à
prendre la résolution d'aller au baptême. Il alla ensuite à cinq lieues
plus au midi avec environ douze disciples et traversa le ruisseau qui
descend de la vallée d'Éphron. A une demi-lieue au midi de ce ruisseau,
se trouve dans une vallée où il y a une colline, un bourg du nom de
Jogbéha ou Jarbélia, caché au fond d'une gorge, derrière un bois.
C'est un petit endroit peu
connu. Il doit son origine à un prophète envoyé comme explorateur par
Moise et Jéthro, et dont le nom ressemble à Malachaï. Ce n'est point
Malachie le dernier des prophètes. Jéthro, beau-père de Moise, l'avait à
son service ; il était très intelligent, et Moïse l'envoya dans ce pays.
Deux ans avant que Moïse y vînt lui-même, il s'y avança assez loin en
remontant le lac et il prit toute espèce de renseignements. A cette
époque Jéthro habitait encore du côté de la mer Rouge, et ce ne fut
qu'après ses explorations qu'il se rendit à Arca avec la femme et les
enfants de Moise. Ce Malachaï fut poursuivi comme espion ; on chercha à
s'emparer de lui et on voulut le faire périr. Il n'y avait pas encore de
ville dans cet endroit ; mais il s'y trouvait quelques habitants qui
vivaient sous la tente. Malachaï se trouvant poursuivi se jeta dans un
marécage ou dans une citerne et se mit en prières. Je vis encore
beaucoup de choses dont je ne me souviens pas bien. Ainsi je vis un ange
lui apparaître et le secourir. Il lui apporta sur une longue et étroite
banderole l'ordre de rester là trois ans encore et de tout examiner. Les
gens qui habitaient sous la tente dans les environs le revêtirent
d'habits comme les leurs ; ils portaient de longues robes rouges et des
jaquettes rouges. Il vint aussi explorer dans la contrée de
Betharamptha. Il vécut ici à la façon de ces habitants des tentes et
leur fut très utile par les lumières qu'il leur communiqua.
Il y avait au fond de la
gorge un long fossé tout plein de joncs, et à l'endroit où Malachaï
s'était caché, se trouvait une source bouchée Je vis plus tard que cette
source se mit à jaillir au dehors et rejeta une très grande quantité de
sable ; il en sortait souvent une espèce de vapeur et de petits
cailloux. Peu à peu il se forma autour de la source une colline qui se
couvrit de gazon. Le marais fut comblé par l'éboulement d'une montagne
et on bâtit au-dessus ; c'est ainsi qu'autour de la source au-dessus de
laquelle on bâtit un bel édifice, s'éleva la ville de Jogbeha, dont le
nom signifie : " il sera élevé ". La citerne devenue marécage devait
avoir été déjà maçonnée à une époque beaucoup plus ancienne ; car il y
avait des restes de murs couverts de mousse et dans ces murs des trous
comme pour y mettre des poissons ou quelque autre chose. C'était une
ruine qui ressemblait à des fondations pour un château de tentes.
Malachai apprit aux gens du pays à maçonner avec du bitume.
NOTE
: Vis-à-vis Jogbéha s'élève une montagne qui est sur le bord
occidental du Jourdain : à une lieue du Jourdain, sur le coté
occidental de cette montagne, est située Thirza, l'ancienne
résidence des rois d'Israël avant Samarie. Il y avait là de belles
avenues et des jardins, et on appelait cette contrée le Jardin des
Prophètes. Scythopolis est à peu près en face de Dion. Une partie de
la ville est située sur le bord oriental du fleuve, une autre partie
sur le bord occidental à quelque distance du Jourdain : celle-ci est
unie au fleuve par un pont qui s'élève au-dessus du sol, comme s'il
était souvent inondé. Sur la rive orientale du Jourdain, est située
une ville appelée Saphon, au midi de l'embouchure du Hiéromax.
Lorsque Jésus dernièrement se rendit de Tarichée, où il avait guéri
des lépreux, à Gerasa qui est de l'autre côté du Jourdain, il
traversa l'embouchure du Hiéromax, qu'il laissa à sa droite ainsi
que Saphon qui est de l'autre côté.
Jésus fut très bien
accueilli par les habitants de ce lieu retiré. Il y a ici des gens qui
vivent à part : c'est une secte qu'on appelle les Caraïtes. Ils portent
de longs morceaux d'étoffe jaune, comme des scapulaires, pendant
derrière le des ; avec cela ils ont des vêtements blancs et des
ceintures de peaux de bêtes non préparées. Les jeunes gens portent un
vêtement plus court et ont les jambes enveloppées. Ils sont encore ici
au nombre d'environ quatre cents hommes : ils étaient plus nombreux,
mais ils ont eu beaucoup à souffrir. Ils tirent leur origine d'Esdras et
plus anciennement de Jéthro. Un de leurs docteurs soutint autrefois une
grande dispute. (Elle articula d'une façon peu distincte les noms
d'Hillel et de Schammaï.) Ils s'attachaient rigoureusement à la lettre
de la loi et rejetaient toutes les additions non écrites. Ils menaient
une vie simple et pauvre, et tous leurs biens étaient en commun : aucun
d'eux ne pouvait se retirer en emportant de l'argent. Ils ne souffraient
pas de pauvres parmi eux ; ils pourvoyaient à la subsistance les uns des
autres, et les étrangers mêmes étaient soutenus par eux. Ils avaient un
grand respect pour la vieillesse : il y avait parmi eux beaucoup de
vieillards. Les jeunes gens étaient très respectueux ; ils avaient des
préposés auxquels ils donnaient le nom d'anciens : ils étaient grands
adversaires des Pharisiens, qui défendaient les additions
traditionnelles à la loi.
Maspha, en Galaad, est
située au levant au delà de Dion, à deux lieues à l'ouest d'Éphron, au
pied de la montagne où la fille de Jephté vit son père au-devant duquel
elle allait. Au-dessus de Dion, se trouve l'autel qu'élevèrent ceux de
la tribu de Ruben, parce qu'ils ne voulaient pas sacrifier avec l'autre
tribu.
Jésus vit Pella à sa droite, à peu de distance, lorsqu'en quittant Azzo
il franchit la montagne du haut de laquelle le Madianite avait vu dans
son rêve rouler un pain. Pella est une grande ville où il y a beaucoup
de ruines.
Ils avaient quelque ressemblance avec les Sadducéens dans leurs
croyances, mais non pas dans leurs moeurs, qui étaient très austères ;
l'un d'eux avait autrefois épousé une femme de la tribu de Benjamin, et
ils l'avaient chassé : c'était à l'époque de la lutte contre les
Benjamites. Ils ne toléraient aucune espèce d'image, mais ils croyaient
que les âmes des morts passaient dans d'autres corps, même, je crois,
dans des corps d'animaux, et qu'elles se recréaient avec les beaux
animaux du paradis. Ils attendaient le Messie et priaient beaucoup pour
son avènement, mais ils l'attendaient comme roi temporel : ils
regardaient Jésus comme un prophète. Ils étaient d'une grande propreté,
mais ils n'attachaient aucune importance aux purifications, non plus
qu'aux observances de toute espèce concernant les plats, aux défenses et
aux préceptes qui n'étaient pas formellement écrits. Ils vivaient
strictement d'après la loi, mais ils l'interprétaient beaucoup plus
librement que les Pharisiens.
Ils vivaient ici très
tranquilles et très retirés, ne toléraient point les frivolités et le
luxe des parures, et gagnaient leur vie à faire de petits ouvrages. Le
sol produisait beaucoup d'osier avec lequel ils tressaient des
corbeilles et aussi des ruches, car il y avait dans le pays beaucoup
d'abeilles. Ils faisaient aussi des couvertures grossières et des vases
de bois légers ; ils travaillaient ensemble sous de grandes tentes. Ils
traitèrent Jésus avec du miel et du pain cuit sous la cendre. Jésus
enseigna ici. Ces gens étaient à peu près par rapport aux Juifs comme
des protestants très austères et très pieux par rapport aux catholiques
; seulement ils n'avaient pas, comme les protestants, perdu les choses
saintes. Jésus leur donna des instructions étendues, et ils l'écoutèrent
très respectueusement ; il leur exprima aussi le désir de les voir
habiter la Judée. J'ai su beaucoup d'autres choses sur le caractère
propre de cette secte, ses croyances, son origine, ses progrès et sa
décadence, sur l'enseignement de Jésus et la manière dont il rectifia
leurs croyances : j'ai appris aussi qu'elle existe encore, mais les
dérangements que j'ai eux m'ont tout fait oublier.
( 3 octobre. ) Jésus
enseigna à Jogbéha le matin et dans l'après-midi : il y guérit plusieurs
malades, entre autres des centenaires. Il donna des éloges à ces gens,
principalement à cause de la déférence des enfants envers leurs parents
et des écoliers envers leurs maîtres, et en général à cause de leur
grand respect pour la vieillesse. Il loua aussi le zèle avec lequel ils
s'occupaient des pauvres et des malades, lesquels étaient parfaitement
soignés dans des maisons bien tenues.
Jésus alla de là à Sukkoth,
qui est à environ sept lieues, au midi. Il laissa à droite Adama, ville
située près du Jourdain.
(4-6 octobre.) Jésus
partit le matin de Sukkoth : il passa le Jabok pour se rendre à Ainon ;
c'est une roué d'environ une lieue, mais très agréable, car elle est
toujours très animée par le passage des caravanes et celui des gens qui
vont au baptême. Le chemin est couvert de tentes et traverse de belles
plaines verdoyantes : on y rencontre maintenant une longue rangée de
cabanes de feuillage, parce que la fête des Tabernacles commence
immédiatement après le sabbat.
NOTE
: Elle fut aujourd'hui si souffrante, si assaillie et si troublée
par des ennuis extérieurs qu'elle oublia tout ce qu'elle avait vu
touchant l'arrivée de Jésus à Sukkoth et ce qui s'y était passé.
Elle fut principalement dérangée dans ses communications parce
qu'elle entra dans la vision pour y jouer un rôle elle-même Elle
reçut une mission semblable à celle de Malachai caché à Jogbéha. et
elle accomplit au milieu de beaucoup de difficultés quelque chose
qui sera communiqué en son temps dans l'histoire de sa vie.
Jésus enseigna et guérit ça
et là sur le chemin. Devant Ainon belle tente était dressée, et une
réception solennelle lui avait été préparée par Marie la Suphanite :
c'était le nom de la descendante d'Orpha, belle-soeur de Ruth, qu'il
avait guérie récemment.
Les gens les plus
considérables de la ville et les prêtres étaient là, ainsi que Marie
avec ses enfants et ses amies. Les hommes lavèrent les pieds à Jésus et
à ses disciples, et on leur présenta une réfection plus recherchée que
d'habitude. Les enfants de Marie et d'autres enfants s'y employaient.
Les femmes, couvertes de leurs voiles, se prosternèrent devant Jésus, la
face contre terre. Il salua amicalement et bénit tous les assistants.
Marie ne cessait de verser des larmes de joie et de reconnaissance, et
elle invita Jésus à venir dans sa maison. Lorsqu'il entra dans la ville,
les enfants de Marie, deux filles et un garçon, et d'autres enfants
encore, portaient devant et derrière lui de longues guirlandes avec des
bandelettes de laine. Jésus, avec quelques disciples, entra dans la cour
de la maison de Marie, sous un berceau de verdure : elle se jeta de
nouveau à ses pieds, pleura et rendit grâces, ainsi que ses enfants, que
le Seigneur caressa. Elle raconta à Jésus que Dina la Samaritaine était
venue à Ainon, et que son mari s'était fait baptiser. Elle connaissait
Dina, car son mari à elle vivait à Damas avec ses trois enfants
légitimes. Elle avait bien loué et exalté Jésus avec la Samaritaine ;
elle était comblée de joie, et elle montra à Jésus de beaux vêtements
sacerdotaux et une grande tiare qu'elle avait préparés pour le temps car
elle était singulièrement habile aux travaux de ce genre, et elle était
fort riche. Jésus fut très affectueux avec elle ; il lui parla de son
mari, lui dit qu'elle devait se réunir à lui et aller le trouver parce
qu'elle avait là du bien à faire : ses enfants illégitimes devaient être
conduits ailleurs. Je crois qu'elle devait d'abord envoyer un messager à
son mari pour le prier de venir la rejoindre.
Jésus, en sortant de sa
maison, alla à l'endroit où l'on baptisait et enseigna dans la chaire.
Lazare, Joseph d'Arimathie, Véronique, les fils de Siméon et d'autres
disciples de Jérusalem vinrent aussi le trouver : ils étaient venus ici
pour le sabbat. André, Jean et quelques disciples de Jean Baptiste
étaient encore ici : Jacques le Mineur était parti. Le bon précurseur
fit encore inviter Jésus à aller à Jérusalem, et à dire publiquement qui
il était. L'ardeur de son zèle le dévore, parce qu'il ne peut plus
annoncer Jésus lui-même, et cependant il s'y sent toujours poussé. Jésus
enseigna, puis il alla dans l'école pour célébrer le sabbat. Il parla de
la création du monde, des eaux, de la chute originelle, et il fit une
instruction très belle et très claire sur le Messie ; il commenta aussi
le chapitre XLII d'Isaïe (5-43), qu'il appliqua d'une manière très
frappante et très claire à lui-même et au peuple. Après le sabbat, il y
eut un repas dans la maison destinée aux fêtes publiques, où Marie la
Suphanite avait fait tous les arrangements nécessaires : la table et la
maison étaient très élégamment ornées avec de la verdure, des fleurs et
des lampes ; il y avait beaucoup de convives, parmi lesquels des gens
que Jésus avait guéris : les femmes étaient assises à part, séparées par
une cloison. Marie vint pendant le repas avec ses enfants : elle plaça
sur la table des aromates de grand prix, versa sur la tête de Jésus un
flacon d'essence parfumée et se prosterna à ses pieds. Il fut très
bienveillant, raconta des paraboles, et personne ne blâma cette femme,
car on l'aimait à cause de sa libéralité.
(5 octobre.) Jésus
guérit plusieurs malades dans la matinée : il enseigna dans la synagogue
et aussi en plein air, dans un lieu où les païens qui avaient reçu le
baptême et ceux qui l'attendaient encore pouvaient l'entendre. Il prêcha
encore dans la synagogue sur les mêmes sujets qu'hier ; mais dans
l'autre instruction il raconta, entre autres choses, la parabole de
l'enfant prodigue. Tout le peuple était assemblé, et il parla d'une
façon aussi naturelle et aussi animée que s'il eût été le père qui
retrouve son enfant. Il étendit les bras et dit : " voyez ! le voilà qui
vient, faisons-lui fête ".
Et tout cela était si
naturel, que les auditeurs regardaient de côté et d'autre, comme si ce
dont il parlait se fût passé là réellement. Pendant qu'il parlait ainsi,
je me rappelai le vieil Overberg, quand il racontait d'une façon si
vivante l'histoire de la Bible aux enfants. Lorsqu'il fut question du
veau que le père fait tuer pour le fils qu'il a retrouvé, il parla
autrement et d'une façon plus mystérieuse ; il dit à peu près : "
Combien grand est l'amour du Père céleste qui, pour sauver ses enfants
égarés, livre son propre fils comme victime ". Mais je ne puis pas
répéter ses propres termes. L'instruction était particulièrement à
l'adresse des pénitents, des baptisés et des païens, qui étaient
représentés ici comme l'enfant prodigue revenu à son père, et tous les
assistants étaient pleins de joie et d'affection mutuelle. Cette
instruction fit son effet et fut cause qu'à la fête des Tabernacles, les
païens furent traités ici très amicalement.
Après le repas, Jésus alla
avec les disciples et plut sieurs personnes de la ville se promener
entre Ainon et le Jourdain : il y avait là de belles prairies couvertes
de fleurs, et les païens y avaient dressé leurs tentes. Tous parlaient
encore de l'enfant prodigue : ils étaient joyeux et heureux, et pleins
de sentiments affectueux les uns pour les autres. La clôture du sabbat
commença plutôt qu'à l'ordinaire : Jésus, auparavant, enseigna encore et
guérit quelques malades. Tout le monde se rendit ensuite devant la
ville, mais pourtant dans ses dépendances, car elle était très
irrégulière, et les maisons étaient entremêlées d'espaces vides et de
jardins. On célébrait là une grande fête dans trois rangées de cabanes
de feuillage ornées de fleurs, d'arbustes, et de figures de toute espèce
faites avec des fruits et des rubans : il y avait aussi beaucoup de
lampes. Dans la rangée du milieu étaient assis Jésus, les disciples, lés
prêtres et les bourgeois de la ville, formant plusieurs groupes. Dans
l'une des rangées latérales étaient assises les femmes, dans l'autre les
enfants des écoles, venus de tout le pays et divisés en trois classes :
les garçons et les filles étaient séparés ; les maîtres étaient assis
près d'eux, et chaque classe avait ses chanteurs. Ces enfants, ornés de
couronnes, circulaient autour de toutes les tables avec des flûtes, des
harpes et d'autres instruments dont ils jouaient tout en chantant. Je
vis aussi que les hommes avaient à la main des palmes auxquelles étaient
suspendus de petits grelots des branches de saule avec des feuilles
effilées et des rameaux d'un arbuste que l'on met en pot chez nous. Ma
consoeur Sontchen avait dans des pots trois de ces arbrisseaux : ils
avaient de jolies petites feuilles et ils étaient tout jaunes
(vraisemblablement les myrtes qu'elle avait vus chez sa consoeur étaient
malades : mais là ils deviennent grands comme des lauriers. C'était un
myrte, mais on lui donne chez nous un autre nom. Dans l'autre main ils
tenaient une belle pomme de couleur jaune. (Elle lui donna le nom
d'Esrog, qui est celui qu'elle a entendu.) Ils agitaient ces branches en
chantant, au commencement, au milieu et à la fin de la fête. Ce fruit ne
croît pas en Palestine, il vient d'un pays plus chaud : on l'y trouve ça
et là, dans quelques endroits exposés au soleil, mais il n'y grossit pas
et n'y mûrit pas bien. Il leur arrive des contrées plus méridionales par
les caravanes. C'est un fruit jaune, ressemblant à un petit melon : il y
a en haut une petite couronne ; il est un peu aplati et il a des côtes ;
au milieu est la pulpe, rayée de raies rouges, et il s'y trouve cinq
petits pépins serrés les uns contre les autres ; la tige est un peu
courbée, la fleur est un grand bouquet blanc semblable à ceux que porte
chez nous le sureau d'Espagne ; les branches qui sont sur les grandes
feuilles s'enfoncent de nouveau dans la terre et donnent naissance à de
nouveaux arbres, en sorte qu'ils forment des berceaux de feuillage ; les
fruits sont sur des tiges attachées à la branche entre les feuilles.
Les païens, eux aussi,
prirent part à cette fête, ils avaient aussi leurs cabanes de feuillage,
et ceux qui étaient baptisés avaient les leurs prés de celles des juifs.
Ils furent hébergés amicalement par les Juifs. Tous étaient encore émus
de l'instruction sur l'enfant prodigue. Le repas se prolongea assez
avant dans la nuit. Jésus alla ça et là le long des tables : il
enseignait et, là où il manquait quelque chose, il le faisait apporter
par les disciples. On entendait partout un murmure joyeux, interrompu
par des prières et des chants. Dans toute la contrée on voyait briller
des lumières ; à Ainon aussi il y avait sur les toits des cabanes de
feuillage où les gens dormaient pendant la nuit ; et je vis tout cela de
haut. Dans les cabanes qui étaient devant la ville, beaucoup de gens de
la basse classe et de serviteurs passèrent la nuit comme veilleurs quand
la fête fut finie et que tout le monde fut allé se reposer.
(6-9 octobre.) Dans
la matinée Jésus enseigna et guérit à Ainon, puis vers dix heures,
accompagné de ses disciples et de beaucoup d'habitants de la ville, il
partit pour Sukkoth, qui était tout au plus à une lieue. La plus grande
partie de la route était couverte de cabanes de feuillage et de tentes ;
car beaucoup de gens des environs venaient célébrer la fête ici et les
caravanes qui passaient continuellement faisaient halte pendant qu'elle
durait. Sur toute la route on était en fête. Derrière le feuillage
étaient des buffets recouverts de tentes. On pouvait se procurer des
aliments pour de l'argent. Jésus passa plusieurs heures sur ce chemin ;
car partout on le saluait et il s'arrêtait ça et là pour enseigner ;
aussi ce ne fut que vers cinq heures après midi qu'il arriva à Sukkoth
où il alla dans la synagogue. Sukkoth était située sur le bord
septentrional du Jabok. Il le passa sur un petit pont ; dans un autre
endroit il y a un bac. Sur le bord méridional d'où Jésus venait, il y a
une ville située un peu plus au levant, ou Jésus passa récemment en
allant à Ramoth de Galaad. (Elle veut parler de Casbon.) Du même côté
que Sukkoth, plus au levant, se trouve aussi Mahanaïm. C'est l'endroit
où Jacob campa d'abord ; après quoi il alla du côté d'Ainon jusqu'où il
étendit ses pâturages.
Sukkoth était présentement
une jolie ville et il y avait une très belle synagogue. On y célébrait
aujourd'hui, outre la fête des Tabernacles, une autre fête en mémoire de
la réconciliation de Jacob et d'Ésaü. On s'en Occupa toute la journée.
Il était venu des gens de toute la contrée. Parmi les enfants des écoles
qui se trouvaient hier à Ainon, il se trouvait entre autres plusieurs
orphelins de l'école d'Abelmehola, où Jésus avait enseigné récemment.
Ils se trouvaient aussi aujourd'hui à Sukkoth. C'était vraiment le jour
anniversaire de la réconciliation de Jacob et d'Ésaü qui tombait
aujourd'hui suivant la tradition des Juifs. La synagogue, une des plus
belles que j'aie jamais vues, était aujourd'hui encore plus magnifique
avec sa grande parure de fête, les innombrables couronnes et guirlandes
de feuillage dont elle était ornée et les belles lampes qui y
brillaient. Elle est élevée et repose sur huit colonnes. Des deux côtés
de l'édifice courent des corridors qui conduisent à des battements d'une
grande longueur où sont les habitations des lévites et les écoles. Une
partie de la synagogue est exhaussée et il s'y trouve vers le milieu une
colonne historiée, et tout autour des cases et des compartiments où sont
les livres de la loi. Derrière tout cet attirail est placée une table
que l'on peut séparer du reste en baissant un rideau. Deux pas plus loin
sont rangés les sièges des prêtres et au milieu un siège un peu plus
élevé pour celui qui fait l'instruction. Derrière ces sièges est un
autel pour l'encens, au-dessus duquel se trouve une ouverture pratiquée
dans le toit et plus loin, à l'extrémité de l'édifice, des tables sur
lesquelles sont placées les offrandes. Au-dessous dans le milieu de la
synagogue se tiennent les hommes rangés par classes : à gauche sur un
petit exhaussement la place des femmes séparée par un grillage, et à
droite, la place des enfants des écoles rangés suivant leur classe et
leur sexe. Toute la fête d'aujourd'hui était une fête de la
réconciliation de Dieu et des hommes ; il y avait une confession
publique des péchés, et aussi une confession privée pour ceux qui le
désiraient. Tous allaient près de l'autel de l'encens et offraient des
dons en signe de réconciliation ; ils recevaient aussi une pénitence et
faisaient certains voeux à leur choix. Tout cela avait beaucoup de
ressemblance avec notre confession. Le prêtre qui était dans la chaire
fit une instruction sur Jacob et Ésaü qui aujourd'hui s'étaient
réconciliés avec Dieu et entre eux ; il parla aussi de la réconciliation
de Laban et de Jacob et du sacrifice qu'ils avaient offert, et exhorta
les auditeurs à la pénitence. Plusieurs des assistants avaient eu le
coeur touché, d'abord par l'enseignement de Jean, puis par l'instruction
que Jésus avait faite quelques jours auparavant ; seulement ils avaient
attendu le jour de cette fête. Les hommes qui se sentaient la conscience
chargée allèrent derrière l'autel et déposèrent sur les tables leurs
offrandes qu'un prêtre recevait. Ils allaient ensuite se présenter aux
prêtres derrière les coffres où étaient les livres de la loi, et ils
confessaient publiquement leurs péchés devant eux ou s'adressaient à
l'un des prêtres à ; leur choix. Celui-ci allait avec eux près de la
table derrière le rideau, ils se confessaient à lui en secret et il leur
imposait une pénitence. On répandait en même temps l'encens sur l'autel,
et la fumée de l'encens devait s'élever d'une certaine façon où ces gens
voyaient un signe que le repentir du pécheur était sincère et que ses
péchés lui étaient remis. Pendant ce temps le reste de l'assistance
chantait et priait. Les pécheurs faisaient une espèce de profession de
foi, relativement à la loi, à sa permanence dans Israël et au Saint des
saints. Ensuite ils se prosternaient par terre et confessaient leurs
fautes, souvent avec d'abondantes larmes.
Les femmes pénitentes
venaient après les hommes, leurs offrandes étaient reçues par les
prêtres et elles faisaient appeler les prêtres auxquels elles
confessaient leurs fautes derrière un grillage. Les Juifs s'accusaient
de diverses violations de leurs observances et aussi de leurs péchés
contre les dix commandements. Il y avait dans leur confession quelque
chose de singulier que je ne sais pas bien expliquer. Ils s'y accusaient
des péchés de leurs ancêtres et parlaient d'une âme souillée par le
péché qu'ils avaient reçue de ceux-ci et d'une âme sainte qu'ils avaient
reçue de Dieu ; il semblait qu'ils parlassent de deux âmes. Les docteurs
disaient aussi quelque chose à ce sujet : cela consistait à peu près à
dire " que leur âme pécheresse ne demeure pas en nous et que notre âme
sainte demeure en nous ". C'était un discours où il était question d'un
mélange, d'une union et d'une séparation d'âmes saintes et d'âmes
pécheresses, dont je ne me rends plus bien compte. Mais Jésus après cela
enseigna tout autrement à ce sujet : il dit qu'il n'en devait plus être
ainsi, que leurs âmes pécheresses ne devaient plus être en nous ; et
c'était une instruction touchante, car elle indiquait | qu'il devait,
lui, satisfaire pour toutes les âmes. Je le comprenais ainsi, mais les
Juifs d'alors ne le comprenaient pas. Ils s'accusaient ainsi des péchés
de leurs ancêtres : ils semblaient avoir l'assurance que des maux de
toute espèce en résultaient pour eux, et croire qu'eux-mêmes se
trouvaient par là dans l'habitude du péché.
Je vis à cette occasion un
spectacle touchant. Déjà, pendant que les premiers confessaient leurs
fautes et faisaient leurs offrandes, j'avais vu une femme de distinction
qui occupait seule un siège tout près de l'endroit séparé destiné aux
pénitents, manifester beaucoup d'émotion et d'inquiétude. Sa servante
était près d'elle, portant ses offrandes dans une corbeille placée sur
un escabeau. Elle avait peine à attendre que son tour vint ; et enfin,
ne pouvant plus résister à son agitation et à son désir de
réconciliation, elle franchit la grille, précédée de la servante qui
portait les offrandes, et s'avança voilée vers les prêtres, jusqu'à un
endroit où ce n'était pas l'usage que les femmes vinssent. Les
surveillants qui se trouvaient là voulaient les faire retirer, mais la
servante ne se laissa pas arrêter ; elle pénétra plus avant en criant :
" Place ! faites place à ma maîtresse ! elle veut présenter des
offrandes, elle veut faire pénitence. Faites-lui place ! elle veut
purifier son âme ! " La femme, toute émue et toute contrite, arriva
ainsi devant les prêtres dont quelques-uns vinrent à sa rencontre, et se
mettant à genoux, elle demanda à être réconciliée. Ils la rebutèrent,
disant que ce n'était pas là sa place : cependant un jeune prêtre la
prit par la main et dit : " Je vais vous réconcilier ; si ce n'est pas
ici la place de votre corps, c'est ici la place de votre âme, puisque
vous êtes pénitente ". Puis il se dirigea avec elle vers Jésus et lui
dit : " Maître, décidez vous-même ". Alors cette femme se prosterna
devant Jésus, et il dit : " Oui, c'est ici la place de son âme, laissez
cette fille des hommes faire pénitence. "Le prêtre entra dans la tente
avec elle : puis elle en sortit, se jeta tout en pleurs la face contre
terre et dit : " Essuyez vos pieds sur moi : car je suis une adultère !
", sur quoi les prêtres la touchèrent avec leurs pieds. On fit venir son
mari qui ne Savait rien de cela, et il fut très touché des discours de
Jésus qui était alors dans la chaire. Il pleura pendant que sa femme,
prosternée devant lui, fondant en larmes, et plus morte que vivante,
confessait sa faute, et Jésus lui dit : " Vos péchés vous sont remis.
Levez-vous, enfant de Dieu ! "sur quoi le mari, profondément ému, tendit
la main à sa femme. Leurs mains furent alors attachées ensemble avec le
voile de la femme et la longue bandelette que l'homme portait autour du
cou : puis on leur donna une bénédiction et on les délia. C'était comme
de nouvelles épousailles. La femme, après cette réconciliation, était
comme ivre de joie. Auparavant, en présentant son offrande, elle criait
: "Priez, priez, encensez, sacrifiez, afin que mes péchés me soient
remis ! "Maintenant elle balbutiait et récitait divers passages des
psaumes : le prêtre la ramena à son siège derrière la grille. Son
offrande consistait en un grand nombre de ces fruits précieux qui
figurent à la fête des Tabernacles : ils étaient artistement posés les
uns sur les autres, de manière à ce qu'il n'y eut pas de froissement :
elle offrit aussi du galon et des houppes de soie pour les vêtements des
prêtres. Elle fit brûler plusieurs beaux habillements dont elle s'était
parée pour plaire à son amant. Je me disais alors : " Que n'ai-je tout
cela pour en faire des petits bonnets d'enfant ! " C'était une grande et
forte femme de belle prestance, d'un caractère vif et ardent. A cause de
la vivacité de son repentir et de la confession spontanée qu'elle avait
faite, sa faute lui fut remise, et son mari se réconcilia sincèrement
avec elle. Elle n'avait pas d'enfants de son adultère : ses rapports
avec son complice avaient été secrets. Elle avait rompu elle-même cette
relation, et même poussé cet homme à faire pénitence. Il n'était pas
nécessaire qu'elle le nommât devant les prêtres : son mari non plus ne
devait pas le connaître, et il lui fut défendu d'interroger sa femme à
ce sujet. Le mari était pieux : il oublia et pardonna du fond du coeur.
Le peuple n'avait pas su le détail de ce qui s'était passé, mais on
avait compris qu'il arrivait quelque chose d'extraordinaire, et on avait
entendu cette femme demander à haute voix des prières et des sacrifices.
Tous prièrent du fond du coeur et se réjouirent de ce qu'elle avait fait
pénitence. Il y avait des gens excellents dans cet endroit, comme en
général sur toute la rive orientale du Jourdain. Ils avaient beaucoup
gardé des moeurs des anciens patriarches.
Jésus enseigna encore d'une
façon très belle et très touchante. Je me souviens clairement qu'il
parla des péchés des ancêtres et de la part qui nous en revient, et
qu'il rectifia quelques-unes des idées de ses auditeurs. Il se servit
une fois de cette expression : " Vos pères ont mangé du raisin vert, et
vos dents en ont été agacées ".
Les maîtres d'école furent
interrogés sur les fautes des enfants. Ceux-ci furent admonestés, et
selon qu'ils s'accusaient eux-mêmes et étaient touchés de repentir, ils
recevaient leur pardon.
Il y avait beaucoup de
malades devant la synagogue, et quoiqu'il ne fût pas d'usage de faire
venir les malades lors de la fête des Tabernacles, Jésus fit amener
ceux-ci par les disciples dans les passages qui étaient entre la
synagogue et les ; habitations des maîtres : il s'y rendit à la fin de
la fête, lorsque déjà depuis longtemps toute la synagogue était
brillamment éclairée par la lumière des lampes, et il guérit beaucoup de
malades.
Lorsqu'il entra dans ces
passages, la femme réconciliée lui envoya un messager pour lui demander
quelques moments d'entretien : Jésus alla la trouver au lieu où elle se
tenait, et la prit à part. Alors elle se prosterna devant lui et lui dit
: " Maître, l'homme avec lequel j'ai péché vous supplie de le
réconcilier ". Jésus lui dit qu'après le repas, il parlerait à cet homme
dans cet endroit même.
Après la guérison des
malades, il y eut un repas dans les cabanes sur les places de la ville.
Jésus, les disciples, les lévites et les principaux personnages du lieu
étaient assis dans une grande et belle cabane : les autres à l'entour.
Les hommes et les femmes étaient séparés. On donna à manger aux pauvres
et chacun leur envoyait des meilleurs morceaux qui étaient sur sa table.
Jésus alla d'une table à l'autre, il alla aussi a la table des femmes.
La femme réconciliée était pleine de joie et toutes ses amies
l'entouraient et la félicitaient cordialement. Pendant que Jésus
visitait les tables, elle était très agitée, ne cessait de le regarder,
et craignait qu'il n'oubliât d'admettre à la pénitence l'homme qui
l'attendait : car elle savait qu'il était déjà au rendez-vous indiqué.
Jésus s'approcha d'elle et la tranquillisa, lui dit qu'il savait ce qui
l'inquiétait et que tout se ferait en son temps.
Peu après les convives se
séparèrent et le Seigneur se rendit à son logis attenant à la synagogue.
Je vis cet homme qui attendait dans un des passages de la synagogue : il
se prosterna devant Jésus et confessa sa faute. Jésus le consola,
l'exhorta à ne plus retomber et lui donna une pénitence. Il devait,
pendant un certain temps, remettre toutes les semaines quelque chose aux
prêtres, je ne sais plus bien pourquoi. Il s'agissait d'une oeuvre de
charité : je crois que c'était là son offrande et qu'il avait fait un
voeu à ce sujet : car il n'avait pas fait d'offrande publique pour ne
pas causer de scandale vis-à-vis de l'homme qu'il avait si cruellement
offensé et il s'était tenu à l'écart dans le repentir et les larmes.
C'est ici, à Sukkoth, si je
ne me trompe, que Jacob, se dirigeant vers la Mésopotamie, vit deux
armées campées près de Mahanaïm ; c'était une vision prophétique. Il les
revit de nouveau à son retour, et la figure eut son accomplissement,
soit dans les deux divisions qu'il fit de ses troupeaux et de sa
famille, soit dans sa troupe et celle d'Ésaü.
(7 octobre.) Ce
matin Jésus revint de Sukkoth à Ainon, il enseigna à l'endroit où l'on
baptisait, guérit plusieurs malades, puis visita dans les environs les
gens qui étaient dans les cabanes de feuillage et les païens. Quelques
petites troupes furent baptisées. Il n'y avait pas ici d'autre
installation que celle de Jean, lequel avait ici une tente et une pierre
baptismale, de même qu'au premier endroit où il avait baptisé, au bord
du Jourdain, près de la ville d'On. Les néophytes s'appuyaient sur une
balustrade, avançant la tête au-dessus de la fontaine baptismale.
Plusieurs font à Jésus la confession de leurs péchés et il les absout.
Il a aussi donné ce pouvoir à quelques-uns de ses plus anciens
disciples, notamment à André. Jean l'Évangéliste ne baptise pas, il sert
de témoin et de parrain. Le soir, il y eut un repas dans les cabanes de
feuillage.
Jésus partit d'Ainon le
dix-sept du mois de Tisri avec un certain nombre de ses disciples, après
avoir fait une dernière instruction. Auparavant il s'est encore
entretenu avec Marie la Suphanite dans sa maison, l'a exhortée et
consolée. Cette femme est maintenant complètement transformée, quant à
son intérieur, elle est pleine de charité, de zèle, d'humilité et de
reconnaissance et ne s'occupe plus que des malades et des pauvres. J'ai
vu aujourd'hui quelque chose que j'avais oublié ; c'est que Jésus,
lorsqu'après l'avoir guérie, il alla à Basan par Ramoth, avait envoyé un
disciple à Béthanie pour annoncer aux saintes femmes la guérison de la
Suphanite et sa réconciliation avec Dieu et les engager à venir la
visiter. J'ai aussi vu que Véronique, Jeanne Chusa et Marthe aussi, à ce
que je crois, furent ici chez elle : maintenant elle est entièrement
unie à elles et elle en est bien heureuse. J'eus aussi une vision
confuse, du moins je ne m'en souviens que confusément, que son mari,
ayant reçu un message, vint de Damas la trouver, qu'avertie de sa venue
par un messager, elle alla au-devant de lui à deux lieues avec les
enfants, et qu'ils se réconcilièrent. Je crois qu'il vint aussi en
secret dans sa maison, mais je n'en ai pas la certitude. Il est reparti
: je crois qu'il mettra ordre à ses affaires et ira où Jésus lui dira
d'aller. Tout cela ne me revient maintenant que confusément, cependant
j'en ai connaissance.
Avant son départ, Jésus
reçut encore de riches présents de Marie et de plusieurs autres
personnes. Tout cela fut aussitôt distribué aux pauvres. Lors de sa
sortie de la ville, tout était orné de verdure et de guirlandes sur son
passage. Le peuple le saluait et chantait ses louanges : devant la ville
se trouvait Marie avec ses enfants, ainsi que beaucoup d'autres femmes
et d'autres enfants qui lui présentaient des couronnes de feuillage : je
crois que c'est l'usage à la fête des Tabernacles. Beaucoup de gens
l'accompagnèrent aussi à sa sortie d'Ainon. Il fit deux lieues au midi
le long de la vallée du Jourdain : ensuite ils traversèrent le fleuve et
se dirigèrent vers le couchant, marchèrent ainsi pendant une demi lieue,
puis allèrent de nouveau au midi après avoir passé un ruisseau et enfin
firent encore une demi lieue à l'ouest, se dirigeant vers la montagne où
ce ruisseau descend dans la ville d'Acrabis, qui est adossée a la
montagne.
Ils y arrivèrent vers le
soir. Jésus fut reçu très solennellement devant Acrabis où l'on savait
qu'il devait venir. Les cabanes de feuillage étaient dressées en cercle
devant la ville : on lui lava les pieds et on lui offrit une réfection
dans une belle et grande cabane. C'était près de là qu'on célébrait la
fête des Tabernacles : j'en ai oublié le détail.
Je croyais d'abord que
Jésus allait à Salem qui est à environ deux lieues du Jourdain : mais il
n'ira que plus tard. Salem est un bel endroit : il s'y trouve une très
belle fontaine qui est tenue pour sainte. Melchisédech a séjourné dans
les environs : alors on donnait le nom de Salem à toute une contrée où
il habitait et répandait ses bienfaits. Le nom s'est conserve pour Salem
et pour Jérusalem où il bâtit et posa des fondements. Melchisédech
résidait principalement sur la rive occidentale du Jourdain, à l'endroit
où il entre dans la Mer Morte qui était alors un large et beau bassin,
entrecoupé et entouré de villes, de jardins, de chaussées en pierre et
de canaux.
(9 octobre ) Acrabis
est un endroit assez considérable, situé contre une montagne, à environ
deux lieues du Jourdain : il y a cinq portes et la route de Samarie à
Jéricho le traverse. Tout ce qui va de là à cette partie de la contrée
du Jourdain, doit passer par Acrabis, et c'est ce qui fait vivre les
habitants. Devant la porte ou Jésus arriva, il y avait des hôtelleries
pour les caravanes : là se trouvaient aussi les cabanes de feuillage où
il a été reçu hier. C'est encore ici devant la porte qu'il a passé la
nuit.
Note : Salem est
au sud-est, à environ trois lieues du pied du mont Garizim et à une
petite lieue du Jourdain. A une lieue au sud-ouest d'Acrabis, se
trouve Silo sur une haute montagne. Jéricho est à peu près à cinq
lieues au midi, à trois lieues environ de Galgala. La Soeur croit
qu'Alexandrium est au midi de la montagne de Garizim, sur un de ses
contreforts méridionaux. Le Garizim est fort ondulé : son profil est
très dentelé : du côté de Sichar il a un sommet extrêmement escarpé.
A partir d'Acrabis, les vallées sont très étroites, les montagnes
plus rapprochées et plus abruptes, et les endroits habités beaucoup
plus nombreux. Acrabis est un endroit que traversent toutes les
caravanes qui vont de Samarie vers Jéricho, pour passer là le
Jourdain.
Aujourd'hui je vis Jésus
aller autour de la ville, car devant chaque porte, il y avait des
cabanes de feuillage : chaque quartier de la ville avait les siennes
devant la porte la plus voisine. Il alla du levant au nord, puis au
couchant et enfin au midi, qui est le côté où se trouve Silo. On ne
pouvait pas aller plus loin à cause de la disposition de la vallée :
alors il revint sur ses pas, visita les cabanes de feuillage et enseigna
ça et là.
Les habitants avaient des
coutumes particulières : par exemple en faisant leur repas du matin ils
mettaient quelque chose de côté pour les pauvres. Ils se livraient à
divers travaux pendant la journée : ces travaux étaient entremêlés de
chants et de prières et on leur disait quelques instructions. Jésus leur
en fit aussi. Lorsqu'il arriva et qu'il partit, il fut reçu et
accompagné par de jeunes garçons et des petites filles qui portaient
autour de lui des guirlandes de fleurs. C'était un usage du lieu, car
les corporations des divers quartiers portaient de semblables guirlandes
lorsqu'elles se visitaient réciproquement, pour assister à une
instruction ou à un repas.
Je vis les femmes se livrer
à diverses occupations dans les cabanes et dans leur voisinage : ainsi
plusieurs étaient assises devant de longues bandes d'étoffe et y
brodaient des fleurs : j'en vis aussi un certain nombre qui faisaient
des sandales : elles se servaient pour cela de gros poils bruns de
chèvre ou de chameau tressés ou tissés au métier. Les femmes avaient
leur ouvrage assujetti à la ceinture, c'était comme un tricot. On ajoute
aux sandales divers appendices devant et derrière : il y en a où l'on
ajuste des crochets ou des pointes pour mieux gravir les montagnes Le
peuple accueillit très bien Jésus : mais les docteurs ne montraient pas
la même cordialité que ceux de l'autre rive, à Ainon et à Sukkoth. Ils
étaient polis, mais se tenaient un peu sur la réserve. Dans l'après-midi
il alla au côté sud-est de la ville, où il n'y avait pas de cabanes de
feuillage, mais une école et une place sur laquelle se trouvaient de,
nombreux malades. Jésus en guérit plusieurs, parmi lesquels étaient des
femmes. Ensuite les docteurs lui amenèrent ainsi qu'à ses disciples un
repas frugal dans une salle ouverte par en haut. Vers le soir, il alla
deux lieues plus loin dans la direction de Silo.
(10 octobre.) Jésus
arriva hier soir à Silo, qui est un peu au sud-ouest d'Acrabis, à une
lieue seulement en ligne directe : mais le chemin a bien deux lieues
parce qu'il faut d'abord descendre dans une vallée, puis gravit une
montagne. Cette ville est dans une situation élevée, elle s'étend tout
autour de la montagne et on y a une vue très étendue : elle est un peu
déserte et abandonnée : elle entoure une hauteur sur laquelle était
autrefois l'arche d'alliance et où l'on trouve encore en plusieurs
endroits les restes d'une ancienne splendeur.
Ici aussi les habitants
étaient dans des cabanes de feuillage devant les portes. Ils avaient
entendu dire que Jésus venait et ils l'attendaient. Ils le virent monter
la montagne avec ses compagnons, et comme il ne se dirigea pas vers la
porte d'Acrabis, mais se détourna au nord-ouest pour gagner la porte de
Samarie, ils le firent savoir là : on l'y reçut dans les cabanes de
feuillage, on lui lava les pieds et on lui offrit à manger. Jésus se
rendit aussitôt dans la ville sur la hauteur où avait été autrefois
l'arche d'alliance. Sur l'un des côtés de cet emplacement régnait une
fosse se déchargeant dans un conduit sale et délabre, où se rendaient
autrefois le sang des victimes et les immondices. et où on jetait encore
tout cela quand on faisait des sacrifices dans cet endroit. D'un autre
côté se trouvait une très grande synagogue à moitié en ruines : il y
avait encore une école dans une partie de l'édifice et dans une salle
toute délabrée on conservait plusieurs exemplaires de la loi et d'autres
écrits. On voyait là aussi un trône de la loi, c'était une colonne
octogone historiée et au-dessous une espèce de caveau qui avait
autrefois servi de sanctuaire.
Jésus enseigna en plein air
dans une belle chaire en pierre. Sur cette hauteur on avait dressé aussi
des cabanes de feuillage et dans le voisinage étaient des hôtelleries où
l'on préparait tout ce qui devait servir aux repas dans les cabanes.
C'étaient des hommes qui faisaient la cuisine : il me sembla que ce
n'étaient pas de vrais Juifs, mais des esclaves. Jésus passa la nuit
là-haut près de la synagogue.
Le jeudi 19 Tisri, il y eut
comme un jour de fête dans la fête : je ne sais pas si c'était en vertu
d'une coutume locale, je l'ai oublié : mais un docteur devait adresser
du haut de la chaire qui était ici, des avertissements sévères qu'il
fallait écouter sans y contredire et Jésus était principalement venu
pour faire cette instruction Je vis dans la matinée tous les Juifs,
hommes, femmes ; jeunes gens, jeunes filles et enfants, venir ici en
procession de tous les groupes de cabanes de feuillage avec des
guirlandes de verdure entre chaque division, chaque famille ou chaque
classe. La chaire était surmontée d'une tenture élégante de toile et de
feuillage et il y avait une terrasse a l'entour. Jésus enseigna jusqu'à
midi. Il parla des miséricordes de Dieu envers son peuple, de la
décadence et de la dépravation de celui-ci, des jugements prononces sur
Jérusalem, des destructions du, temple et du temps actuel comme dernier
temps de grâce ; il dit que les Juifs, s'ils ne voulaient pas accueillir
la grâce maintenant, ne trouveraient plus de grâce, en tant que peuple,
jusqu'aux derniers jours du monde, que Jérusalem serait livrée à une
destruction bien plus complète que les précédentes, etc. Ce fut une
instruction faite pour produire une profonde émotion : tous l'écoutèrent
en silence et avec frayeur, car il indiquait clairement que c'était lui
qui apportait le salut par cela même qu'il appliquait au temps présent
toutes les prophéties. Les Pharisiens de l'endroit qui ne valaient pas
mieux que ceux l'Acrabis, et qui, eux aussi, ne l'avaient accueilli
qu'avec une déférence hypocrite et purement extérieure, gardaient le
silence, frappés d'étonnement et pleins d'irritation : une partie du
peuple était dans la joie et chantait des cantiques.
Jésus parla aussi des
docteurs de la loi, la manière dont ils altéraient les Écritures, de
leurs fausses explications et de leurs additions. Le soir, il y eut sous
les cabanes de feuillage un repas en compagnie des Pharisiens. Mais
Jésus se retira à la dérobée et descendit aux cabanes du peuple ou il
donna des enseignements et des consolations : je vis à un endroit
éloigné où les Pharisiens ne pouvaient pas l'observer, beaucoup de
personnes venir à lui, se prosterner à ses pieds, lui rendre hommage et
lui découvrir leurs maux et leurs péchés : il les consola et leur donna
des avis. C'était singulièrement touchant à voir dans la : nuit au
milieu des cabanes de feuillage tout éclairées : on ne voyait pas de
flambeaux, les lampes étaient voilées à cause des courants d'air ; mais
la lueur dorée jetait des reflets merveilleux sur la verdure, les fruits
et les personnes. De la hauteur où se trouvait Silo, la vue s'étendait à
l'entour sur un grand nombre d'endroits ; l'on voyait partout des
cabanes de feuillage éclairées pour la fête et l'on entendait des chants
dans le voisinage et dans le lointain. Jésus ne guérit pas ici :les
Pharisiens éloignèrent les malades et le peuple en général était
intimidé. Je crois que des Esséniens habitaient en dehors de la ville
dans le voisinage de l'entrée : je ne vis pas aujourd'hui Jésus chez
eux. A Acrabis et ici, les Pharisiens en apprenant qu'il arrivait
trahissaient leurs dispositions par des paroles comme celles-ci : " Que
vient-il encore apporter de nouveau ? Qu'a-t-il encore à faire ici " ?
Silo est une ancienne ville chananéenne et je crois qu'elle existait
déjà du temps de Jacob, car Dina y vint lorsqu'elle fut enlevée pour la
seconde fois par un Jébuséen. Jésus passa la nuit près de la synagogue.
(11 octobre.) Ce
matin, Jésus descendit de Silo et s'en alla à Koréa, ville située à une
lieue et demie au sud-est et que l'on pouvait voir de Silo. Il n'y a ni
murailles, ni retranchements. Devant la ville, les Pharisiens de
l'endroit vinrent à la rencontre de Jésus pour le recevoir et ils lui
amenèrent un aveugle-né parvenu à l'âge adulte, au moyen duquel ils
voulaient le tenter. Cet aveugle portait par-dessus ses vêtements,
autour des épaules, un large drap qui paraissait de toile de lin et qui
lui enveloppait la tête. C'était un grand et bel homme. Comme Jésus
approchait, l'aveugle se dirigea vers lui, au grand étonnement de tous
les assistants et se jeta à ses pieds. Jésus le releva et lui adressa
diverses questions sur sa religion, sur les dix commandements, sur la
loi et les prophéties. L'aveugle répondit avec une sagesse qu'on n'eut
pas attendue de sa part : c'était comme s'il eut prophétisé. Il parla
aussi des persécutions auxquelles Jésus était en butte dit qu'il ne
devait pas aller à Jérusalem parce qu'on voulait le faire périr : tous
les assistants furent terrifiés. Or il s'était rassemblé là beaucoup de
monde Jésus lui demanda s'il désirait voir les cabanes de feuillage
d'Israël, les montagnes, le Jourdain, ses parents et amis, le temple et
la ville sainte, et lui, Jésus, en présence duquel il se trouvait.
L'aveugle répondit qu'il le voyait ; il décrivit sa personne et son
vêtement, dit qu'il l'avait vu lorsqu'il s'était approché : il ajouta
qu'il désirait voir tout le reste et qu'il savait que Jésus pouvait le
faire voir s'il voulait. Là dessus Jésus lui posa la main sur le front,
pria, fit avec le pouce un signe en forme de croix sur ses paupières
fermées, puis les ouvrit en les relevant. Alors l'aveugle rejeta l'ample
couverture qui lui enveloppait la tête et les épaules, regarda autour
lui, plein d'étonnement et de joie et s'écria : " Les oeuvres du
Tout-Puissant sont grandes " ; puis il se prosterna devant Jésus qui le
bénit. Les Pharisiens gardèrent le silence, les parents de l'aveugle le
prirent au milieu d'eux, plusieurs des assistants entonnèrent des
psaumes et l'aveugle parla et chanta, faisant encore une espèce de
prophétie sur Jésus, sur l'accomplissement de la promesse, etc. Jésus
entra dans la ville et guérit plusieurs malades parmi lesquels d'autres
aveugles, qui se tenaient entre les maisons et l'enceinte de la ville.
Il avait pris une réfection et on lui avait lavé les pieds dans les
cabanes de feuillage qui étaient devant la ville. L'aveugle dans son
enthousiasme prophétique décrivit tout le chemin par lequel Jésus était
venu ; il parla aussi du Jourdain, de l'Esprit-Saint qui était descendu
sur lui et de la voix partie du ciel.
Le soir Jésus enseigna dans
la synagogue à l'occasion du sabbat. Il parla de la postérité de Noé, de
la construction de l'arche, de la vocation d'Abraham, et commenta des
textes d'Isaïe où il était fait mention de l'alliance de Dieu avec Noé
et de l'arc-en-ciel. (Is. LIV et LV) Je vis alors très distinctement
tout ce qui faisait le sujet de son enseignement, je vis toute la vie et
toutes les générations des patriarches, les branches collatérales qui se
séparaient et comment le paganisme prit naissance dans celles-ci. Quand
je vois cela, tout me paraît clair et bien ordonné : quand je m'éveille,
je m'afflige de ces aberrations, je ne puis m'en faire une idée, je
cesse de comprendre et j'oublie. J'ai aussi entendu Jésus parler de
l'interprétation erronée des Écritures, des faux calculs sur les temps :
il fit les calculs très simplement et expliqua comment tout était donné
exactement dans les Écritures. Je ne puis comprendre comment on a
tellement embrouillé et si complètement oublié tout cela.
Korea est à une lieue et
demie au sud-est de Silo : la ville est séparée en deux : une partie est
sih1te à une assez grande hauteur, sur une terrasse formée par la
montagne, l'autre dans une gorge placée plus à l'est. Celle-ci ne se lie
avec la première que par une étroite rangée de maisons. Des Pharisiens
et beaucoup de malades sont venus ici en même temps que Jésus.
(12 octobre).
Quoique la ville de Koréa soit située un peu plus au couchant
qu'Acrabis, elle est pourtant plus voisine du Jourdain parce que le
fleuve fait un coudé de ce côté. La ville n'est pas très grande et les
habitants ne sont pas riches. Ils font de petits ouvrages de tressage,
des ruches pour les abeilles, de longues nattes de paille, d'un travail
plus ou moins soigné : ils choisissent la paille ou le jonc dont ils se
servent et le font blanchir Ils font avec des nattes des cloisons
entières pour séparer les chambres à coucher. .
Il y a plusieurs autres bourgades dans le voisinage. Les montagnes dans
cette contrée sont escarpées et déchirées. A peu près en face d'Acrabis,
de l'autre coté du Jourdain, se trouve le pays où Jésus, à la fête des
Tabernacles de l'année dernière, a suivi une vallée pour aller à Dibon.
Le matin Jésus a enseigne dans la synagogue : plus tard, pendant que les
Juifs faisaient leur promenade accoutumée du jour du sabbat il a guéri
en parcourant leurs rangs beaucoup de malades qu'on avait amenés dans
une grande salle voisine de la synagogue : il leur a fait aussi une
instruction en commun. Ensuite il a fait la clôture du sabbat, et il a
assisté à un repas donné dans les cabanes de feuillage, en compagnie des
Pharisiens. Pendant ce repas il eut une discussion avec les Pharisiens :
il était question de l'aveugle-né guéri la veille et de la façon dont il
avait prophétisé. Ils disaient qu'antérieurement il avait fait diverses
prédictions confuses lesquelles, je crois, ne s'étaient pas vérifiées,
et Jésus répondit qu'alors il n'avait pas été inspiré par l'esprit de
Dieu. Dans la suite de la conversation ils en vinrent, je crois, à
parler d'Ézéchiel : ils dirent quelque chose contre lui, comme n'ayant
pas d'abord bien prophétisé sur Jérusalem. Jésus répondit que l'esprit
de Dieu n'était descendu sur lui qu'à Babylone, au bord du fleuve
Chobar, lorsqu'il lui fut ordonné d'avaler quelque chose. Jésus finit
par réduire tout à fait les Pharisiens au silence. (Elle vit tout cela ;
notamment la grande vision d'Ézéchiel, mais elle ne le raconta pas.) à
L'aveugle guéri parcourut
encore les rues de la ville, louant Dieu, chantant des psaumes et
prophétisant. Je crois qu'hier déjà il était venu à la synagogue, avait
mis une large ceinturé autour de son corps et avait fait un voeu.
Il était devenu Nazaréen,
un prêtre l'avait consacré à cet effet. Je crois que cet homme va
s'adjoindre aux disciples.
(13 octobre.) Le
samedi soir, après le sabbat, lorsqu'il faisait déjà nuit, il y a eu à
Koréa une grande fête et un grand repas i. Ce matin Jésus alla chez les
parents de l'aveugle guéri, sur l'invitation de celui-ci. Ce sont des
Esséniens, de ceux qui vivent dans l'état de mariage : ils ont une
alliance éloignée avec Zacharie et sont en rapport avec la communauté
des Esséniens de Maspha. Ils ont encore des fils et des filles, celui
qui a été guéri est le plus jeune. Ils habitent dans un quartier séparé
de la ville ; il y a dans leur voisinage, plusieurs autres familles
d'Esséniens apparentées à la leur. Ils ont de beaux champs situés au
penchant de la montagne : ils ne cultivent que du froment et de l'orge,
mais pas de seigle. Ils ne gardent que le tiers de la récolte ; un tiers
est donné aux pauvres et le dernier tiers à la communauté qui est à
Maspha.
Ils vinrent au-devant de
Jésus, le reçurent amicalement devant leur habitation et lui donnèrent
une réfection. Le père lui fit don de son fils, le priant de l'employer
comme le moindre des serviteurs et des messagers de ses disciples, à
courir devant lui et à lui préparer les logements. Jésus l'accepta et
l'envoya aussitôt à Béthanie avec Silas et un des disciples d'Hébron. Je
crois qu'il veut procurer à Lazare la joie de le voir guéri, car il l'a
connu aveugle, si je ne me trompe. Le père de ce jeune homme avait un
nom comme Syrus, Sirius ou Cyrus : c'était comme celui d'un roi du temps
de la captivité des Juifs.
NOTE
: C'était la clôture de la fête des Tabernacles qu'on célébrait le
21 de Tisri. Des dérangements l'empêchèrent d'en rien dire de plus.
J'ai plusieurs fois oublié
et retrouvé le nom du fils. Il portait autrefois une ceinture sous sa
robe, mais, après avoir recouvré la vue, il la mit par-dessus et fit un
voeu pour un certain temps. Il avait le don de prophétie : étant
aveugle, il assistait toujours aux prédications de Jean et il avait reçu
le baptême. Souvent aussi, à Koréa, il avait réuni autour de lui
plusieurs jeunes gens qu'il enseignait et devant lesquels il tenait des
discours prophétiques sur Jésus dont il parlait avec enthousiasme. Ses
parents l'aimaient beaucoup à cause de sa piété et de son zèle, et on le
voyait toujours très bien vêtu. Jésus, en le guérissant, lui dit : " Je
te donne une double lumière, la vue extérieure et la vue intérieure ".
Son nom me revient à présent : il s'appelait Manahem, comme l'Essénien
qui prédit à Hérode qu'il deviendrait roi. Les Pharisiens de l'endroit
se moquaient de lui à cause de ses prophéties qu'ils appelaient des
rêveries inintelligibles et assuraient que l'élégance de ses vêtements
le rendait vain. Ils l'amenèrent eux-mêmes à la rencontre de Jésus,
parce qu'ils étaient intimement convaincus qu'il ne pourrait pas le
guérir, car on n'avait jamais vu que du blanc dans ses yeux. Lorsqu'il
fut guéri, beaucoup de gens malveillants se mirent à dire : " Il n'a
jamais été aveugle, c'est un Essénien, il a peut-être fait voeu de jouer
le rôle d'aveugle, etc. "
Les Pharisiens qui
parlèrent hier d'Ézéchiel avec Jésus, méprisaient ce prophète, disant
que c'était un serviteur de Jérémie, qu'il avait eu dans l'école des
prophètes des rêves très obscurs et très absurdes, et que tout était
arrivé autrement qu'il ne l'avait dit. Je vis qu'alors Ézéchiel avait eu
des visions très obscures qui avaient été interprétées tout de travers,
et que l'Esprit vint sur lui pour la première fois au bord du fleuve
Khobar. Il vit d'abord dans le fleuve la lumière du ciel ouvert, et
regardant en haut, il eut la vision du char de Dieu, etc. Manahem avait
tenu aussi des discours prophétiques d'un sens très profond sur
Melchisédech, sur Malachie et sur Jésus.
Après midi, Jésus alla à
Ophra, n'ayant plus guère avec lui que sept disciples, car les autres
étaient retournés chez eux, soit à Jérusalem, soit dans la Samarie et la
Galilée.
(13 octobre.) Ophra
se trouve dans un fond entre des montagnes, à une lieue au sud-ouest de
Koréa, et à peu près à une lieue au midi de Silo. En partant de Koréa
pour y aller, il faut d'abord monter un peu, puis descendre ,. Trois
routes traversent Ophra : il y passe beaucoup de caravanes venant
d'Hébron. La ville ne se compose guère que d'auberges et de magasins.
Les habitants sont assez grossiers et intéressés. Des disciples de Jésus
étaient déjà venus ici l'année précédente, et les habitants, depuis ce
temps, s'étaient quelque peu amendés. Lorsque Jésus y arriva, les gens
de l'endroit étaient occupés dans les vignes, des deux côtés du chemin,
à recueillir des raisins et des petits fruits de toute espèce, car il y
avait ce soir encore une grande fête.
Note : Tout au
plus à deux lieues et demie à l'ouest de Koréa, au bord de la grande
plaine qui s'étend quelques lieues à l'ouest Jusqu'à Bethoron, le
long de la partie septentrionale du désert, se trouve sur une
hauteur la forteresse d'Alexandrium qui regarde au nord-ouest le
mont Garizim, au sud et à l'ouest, la plaine en question et les
montagnes de Benjamin. Marie a souvent passé par cette plaine : il
s'y trouve beaucoup d'habitations de bergers isolées et la ville de
Béthel y confine.
Je ne vis plus personne
dans les cabanes de feuillage, mais je vis les enfants, les jeunes gens
et les jeunes filles passer au milieu d'elles en procession avec des
bannières : les prêtres aussi avaient leur occupation : on retirait des
cabanes les livres de prières et les objets sacrés qu'on portait à la
synagogue, et on mettait un rouleau sur chaque siège. Pendant ce temps,
je vis les femmes assises dans les maisons, revêtues de leurs habits de
fêtes et lisant des prières.
Jésus fut aperçu par les
hommes devant la porte : ils vinrent à lui et le conduisirent dans la
ville. On lui lava les pieds, il prit un peu de nourriture à
l'hôtellerie près de la synagogue, puis il entra dans quelques maisons
où il guérit des malades et enseigna. Le soir, il y eut une grande fête
dans l'école, on lut quelque chose de tous les rouleaux, puis on fit
circuler le livre de la loi et chacun y lut à son tour : il y eut
ensuite un repas dans la maison destinée aux fêtes : il y avait des
agneaux sur la table. On mangea aussi les pommes d'Escog qui avaient
servi pour la fête. Ces pommes étaient préparées avec quelque chose :
chacune était divisée en cinq parties, lesquelles étaient de nouveau
liées ensemble avec un fil rouge. Il y avait une pomme pour cinq
personnes. Les mets étaient apprêtés par des serviteurs du sabbat :
c'étaient des espèces d'esclaves qui n'étaient pas juifs.
(14 octobre.) Le
matin, Jésus alla de maison en maison : il adressa quelques paroles aux
habitants pour les détourner de l'amour du gain et de la cupidité, et
les imita à venir entendre l'instruction dans la synagogue. Il adressa à
tous en commun une espèce de félicitation pour la clôture de la fête.
Les gens de l'endroit étaient si adonnés à l'usure et si grossiers,
qu'on les assimilait aux Publicains. Mais ils s'étaient déjà amendés.
Dans l'après-midi, les branches qui avaient servi à construire les
cabanes furent portées par un cortège d'enfants devant la synagogue : on
en fit un tas et l'on y mit le feu. Les Juifs observaient la manière
dont la flamme s'élevait, et tiraient de là divers présages heureux ou
défavorables. Jésus enseigna ensuite dans la synagogue sur le bonheur
d'Adam, sur sa chute et sur la promesse : il commenta aussi des textes
du livre de Josué. Il parla encore des sollicitudes exagérées, des ils
qui ne filent pas, des corbeaux qui ne sèment pas, etc. Il mentionna
Daniel et Job, comme des hommes pieux, accablés d'affaires, et cependant
dégagés de toute sollicitude mondaine.
Le soir, il y eut encore un repas dans la maison destinée aux fêtes. Ici
Jésus ne fut pas hébergé gratuitement : les disciples payèrent tout à
l'hôtellerie. Je crois qu'il va se diriger du côté de Samarie.
Le soir du 16 octobre, Anne
Catherine se ressouvint tout à coup, au milieu d'une conversation, de
quelque chose qu'elle avait vu à Ophra, puis oublié, et elle fit la
question suivante : "Chypre, où donc cela se trouve-t-il ? C'est une île
! Il y avait un homme de Chypre à Ophra, près de Jésus et de ses
disciples. Il venait de Machérunte, qui est à dix lieues d'Ophra ; il
avait été voir Jean, je l'ai entendu. Il fut conduit ici par un des
serviteurs du centurion Zorobabel de Capharnaüm, qu'il avait visité à sa
maison de campagne, car ce centurion ne résidait pas toujours à
Capharnaüm. Il a été envoyé par un homme considérable de Chypre, qui a
beaucoup entendu parler de Jean et de Jésus, et qui voudrait avoir sur
eux des renseignements sûrs. C'est quelque chose comme le message du roi
d'Édesse à Jésus. J'ai entrevu aussi que Jésus, pendant sa vie, est allé
une fois à Chypre, mais c'est encore à venir. Je l'y ai vu entouré de
beaucoup de gens de bien.
Cet homme partit d'Ophra en
toute hâte, car il devait s'embarquer sur un navire qui allait mettre à
la voile. C'était un païen très aimable et très humble. Le serviteur du
centurion l'avait, sur sa demande, conduit à Machérunte, près de Jean,
puis à Ophra, près de Jésus. Jésus s'entretint longtemps avec lui, et
les disciples mirent par écrit, en sa présence, tout ce qu'il désirait
savoir. Son maître a pour ancêtre un ancien roi de Chypre qui accueillit
beaucoup de Juifs pendant la persécution, et les nourrit à sa table.
Cette oeuvre de miséricorde porta ses fruits dans son descendant, qui
reçut la grâce de croire en Jésus-Christ. J'ai vu comme d'un coup oeil,
que Jésus, après la prochaine fête de Pâques, se réfugiera à Tyr et à
Sidon, s'embarquera pour cette île et y enseignera. Je l'ai vu sur le
navire, puis dans l'île parmi des gens de bien : je crois qu'il n'y
avait avec lui que des disciples inconnus, de même que dans un voyage
que je l'ai vu faire pour visiter les trois rois, après la résurrection
de Lazare.
(15 octobre.) La
Soeur fut dans un état de maladie et de souffrance intérieure qui ne lui
permit de raconter que ce qui suit et d'une manière très peu précise. Je
crois, dit-elle, que Jésus est allé dans une vallée entre Alexandrium et
Lebona, ville située au midi du mont Garizim : il a fait environ cinq
lieues, venant du nord-est, et il est arrivé par une plaine à un bois
qui est à l'ouest de Salem. Je me souviens confusément qu'il visita des
habitations isolées de paysans. Il y a dans cette contrée plusieurs
belles grottes, et c'est dans ces environs que doit être l'arbre sous
lequel Gédéon battait son blé. Le méchant Holopherne avait campé dans ce
bois : il venait de passer le Jourdain, et se trouvait là avant qu'on en
sût rien à Jérusalem. C'est ici que le Jourdain tourne à l'ouest vers
Jérusalem, tellement qu'il irait passer devant cette ville s'il pouvait
continuer à aller en droite ligne dans cette direction. Holopherne, chef
de l'armée de Nabuchodonosor, passa le fleuve en cet endroit. Ici elle
dit quelque chose de vague sur le cours d'eau qui passe près de Béthulie
pour se jeter dans le Jourdain, et elle ajouta qu'à Béthulie il n'y a
pas de fontaines. Holopherne établit son camp tout autour de Béthulie :
il s'étendait vers Cana, Jotapat, Tarichée, Thabor, Nazareth, etc.
L'invasion d'Holopherne eut lieu en partie ici, en partie sur l'autre
rive : tout fut pris ou exterminé près de cette ville du pays des
Philistins, où David avait résidé autrefois avec quatre cents hommes.
Son nom ressemble à celui d'Aïs ou d'Achzib, qui est près de la mer, au
nord de Ptolémaïs.
Deux jours après Anne
Catherine, tout en larmes à cause d'un grand délaissement où elle se
trouvait, reprit ainsi son récit :
Le mardi l5 octobre. Jésus
est allé à environ cinq lieues au nord et il a passé la nuit chez un
paysan. Je n'ai pas vu les cabanes de feuillage tout à fait défaites, on
avait seulement retiré quelque chose aux angles. Cette contrée est belle
et fertile, la mère de Dieu a coutume d'y passer quand elle ne passe pas
par les montagnes de Samarie. Jésus logea dans une de ces maisons de
bergers où l'on avait bien accueilli Marie lors du voyage de Bethlehem.
Ce peut être un peu à l'ouest au delà d'Acrabis. Ce n'est pas la contrée
où Jésus, la dernière fois qu'il partit de Jérusalem, parcourut beaucoup
d'endroits si rapidement, où il prêcha avec tant de véhémence, et ou les
disciples éprouvèrent tant de fatigues et d'ennuis ; cette contrée est
dans une autre partie plus à l'ouest. Jésus se dirigeait alors vers
Sichar, à l'ouest du mont Garizim. Il avait aussi visité l'endroit ou il
à passé la nuit aujourd'hui lorsqu'après la dernière Pâques, il
s'éloigna du Jourdain pour aller dans la direction de Tyr.
(16 octobre.) Ce
matin Jésus quittant la maison de paysan où il avait couché, alla deux
lieues plus au nord, à trois lieues environ à l'est de Sichar visiter
d'autres habitations de paysans situées près de la partie occidentale de
la forêt de Hareth qui, s'étendant du midi au nord sur une haute crête
de montagnes placée à l'ouest de Salem, borde au levant la plaine qui
est devant Sichar. (Ses souffrances lui firent oublier ce que Jésus fit
en cet endroit.)
Jésus se trouvait ici un
peu plus au nord que Salem Il traversa la forêt dans la direction du
sud-est et arriva dans la plaine de Salem. Cette forêt de grands et
beaux arbres où il y a plusieurs jolies grottes, est la forêt de Hareth
où Holopherne entra d'abord avec son armée après avoir passé le Jourdain
près d'ici. Cette invasion eut lieu pendant les derniers temps de la
démence du roi Nabuchodonosor. Béthulie recevait l'eau du côté du nord
par des conduits venant de la source près de laquelle sont les bains. de
l'autre côté. par d'autres conduits : cette eau coule ensuite dans le
Jourdain.
NOTE
: Comme du reste elle place Béthulie sur une hauteur entre Cana, les
bains et Gennabris, cette eau mentionnée en second lieu était
peut-être une dérivation du Cison venant de Thabor, ou empruntée à
un cours d'eau qui se jette dans le Jourdain. Elle en vint à parler
de cette eau, parce que vraisemblablement elle vit toute l'histoire
de Judith ; car elle dit qu'Holopherne avait coupé les conduits qui
amenaient l'eau à Béthulie. Judith était de la race d'Abigail, femme
de Nabal et de David Le camp d'Holopherne était au nord de Béthulie,
là où sont les bains. En sortant de la ville on traversait d'abord
un plateau, puis un ravin ; puis on arrivait au camp qui était dans
la vallée, et ce fut là que Judith tua Holopherne.
Le 27 (vraisemblablement du
mois de Tisri), les ennemis entrèrent dans le pays. Holopherne n'était
pas, a proprement parler, envoyé par Nabuchodonosor : c'était un Mède et
il était en rapport avec le roi Cyaxare près duquel était le prophète
que j'ai coutume d'appeler Étoile brillante (Zoroastre). Ce roi, dans un
festin, a rendu aux Juifs prosternés devant lui, les plats et les vases
d'or provenant du pillage du temple, qui lui avaient été donnés. Le mari
de Suzanne se trouvait là. Holopherne avait eu l'occasion de rendre un
service à ce Cyaxare qui, à cause de cela, lui avait donné l'armée à
commander. Il s'était alors vanté de tout conquérir : c'était une espèce
de Bonaparte : il ne savait guère ce qu'étaient les Juifs. Lorsqu'il fit
irruption dans le pays, le temple était encore en ruines et les Juifs
n'étaient pas entièrement sortis de la captivité.
Je vis toute cette histoire
comme elle se trouve dans l'Écriture. Achior fut conduit à Béthulie par
une troupe de cavaliers. Les Juifs en furent très effrayés, ils crurent
qu'ils venaient en reconnaissance ou comme avant-garde. L'armée
descendit des hauteurs et elle pénétra jusqu'à la tribu de Benjamin
Béthulie était la plus forte place du pays : Holopherne l'investit : il
voulait, après sa chute, marcher tout droit sur Jérusalem. La tente
d'Holopherne formait comme trois chambres : on mangeait dans cette du
milieu : ses gens se tenaient dans la partie antérieure et son lit était
dans la plus reculée.
Judith, lorsqu'elle se
présenta devant lui était, par une faveur divine, si majestueusement
belle qu'Holopherne fut saisi d'admiration et même intimidé à sa vue. Le
soir sa beauté devint encore plus éclatante et lorsqu'enhardi par le vin
il s'approcha d'elle et voulut l'embrasser, il vit en elle je ne sais
quoi de surhumain qui le fit reculer effrayé Elle se montrait en outre
extrêmement avenante, parlante et enjouée et l'engageait toujours à
boire encore. Lorsqu'il fut tout à fait ivre, ses serviteurs le
portèrent dans sa chambre à coucher et Judith se retira dans la sienne
qui n'était séparée que par un rideau. Leurs lits se touchaient par
leurs extrémités. Alors les serviteurs se retirèrent. La Soeur raconta
tout ce qui suit comme le fait l'Écriture, ajoutant seulement que Judith
avait coupé aux rideaux du lit et emporté avec elle plusieurs garnitures
de perles et de pierres précieuses. Lorsque Judith revint pendant la
nuit à Béthulie avec la tête d'Holopherne, elle monta sur une espèce de
siège en pierre qui se trouvait sur la place et d'où l'on faisait la
lecture des ordonnances. Alors elle entonna un cantique de louanges,
montra la tête d'Holopherne et parla au peuple qui s'était rassemblé
autour d'elle avec des flambeaux. Après la victoire remportée sur
l'armée ennemie, les prêtres de Jérusalem vinrent pour rendre hommage à
Judith et elle alla à Jérusalem avec eux. L'épée d'Holopherne avec
laquelle elle lui avait donné la mort fut déposée dans le temple.
CHAPITRE SECOND
Jésus dans la Samarie
Jésus enseigne à
Salem, - à Aruma, - à Thanath, - à Silo, - à Michmethath, - à Méroz et à
Dothan. - Vocation de Judas Iscariote.
Du 16 octobre au 4
novembre 1822.
(16 - 20 octobre) En
quittant son dernier séjour, Jésus alla à deux lieues au nord, dans un
endroit où se trouvait au bord de la forêt une des hôtelleries préparées
pour lui. Je crois qu'on y avait déjà fait les dispositions nécessaires.
Il alla ensuite un peu à l'est à travers la forêt et, franchissant une
hauteur, il descendit dans les champs où les gens de Salem travaillaient
près d'énormes monceaux de blé. Il les enseigna, puis il alla avec eux a
Salem qui était située un peu plus bas, à une lieue environ du Jourdain.
Avant Salem on voyait déjà
des jardins et de belles avenues : la situation de cette ville est très
agréable : elle n'est pas très grande, mais plus propre et plus
régulière que beaucoup d'autres dans les environs. Elle est bâtie en
forme d'étoile autour d'une fontaine placée au centre. Toutes les rues
aboutissent à la fontaine et les avenues traversent les rues : mais tout
cela est assez mal entretenu. La fontaine est sacrée à leurs yeux, car
l'eau en était autrefois mauvaise comme à celle qui est près de Jéricho,
et Élisée la rendit bonne comme l'autre en y jetant du sel et en y
versant de l'eau où l'on avait plongé l'objet sacré. On a bâti au-dessus
un bel édifice : au milieu de la ville, près de la fontaine, se trouve
un grand château en ruines avec de très grandes fenêtres vides. Il y a
une grosse tour ronde fort élevée, surmontée d'une plate-forme avec une
galerie au-dessus de laquelle s'élève une perche supportant un drapeau.
Aux quatre côtés de cette tour, aux deux tiers environ de sa hauteur, de
grosses boules sont suspendues à des poutres qui font saillie en dehors
des fenêtres. Ces globes qui brillent au soleil sont placés dans la
direction de diverses villes : ils sont là comme souvenirs du temps de
David. Il résida quelque temps en ce lieu avec Michel et lorsqu'il se
fut réfugié dans le pays de Galaad, Jonathas lui faisait des signaux
relativement à Saul et à sa persécution, à l'aide de ces boules qu'il
suspendait, tantôt d'une façon, tantôt d'une autre, suivant qu'ils en
étaient convenus, et David pouvait les voir. Je crois aussi qu'il déposa
un écrit que David y prit, mais Je ne sais plus bien le détail. La Soeur
indiqua encore diverses directions de ces boules, mais confusément.
Jésus fut très bien
accueilli dans cet endroit : les gens qu'il avait trouvés ramassant la
moisson l'accompagnèrent jusqu'à la ville et on vint de Salem à sa
rencontre. On le conduisit, lui et ses disciples, dans une maison, on
leur lava les pieds et on leur donna d'autres chaussures et d'autres
habits pendant qu'on battait et qu'on étendait les leurs. On donnait
souvent ainsi aux voyageurs des vêtements de rechange. Mais Jésus ne les
accepta pas : il avait le plus souvent un second habillement qu'un
disciple portait. Ils conduisirent ensuite Jésus à leur belle fontaine
où il prit une réfection.
Il y avait autour de la fontaine beaucoup de malades de toute espèce ;
ils étaient même couchés tout le long de certaines rues et il se mit
aussitôt à opérer des guérisons. Il alla tranquillement de l'un à
l'autre et guérit jusque vers quatre heures, après quoi il assista à un
repas dans l'hôtellerie et enseigna dans la synagogue. Il fut question
dans cette instruction de Melchisédech et aussi de Malachie qui avait
résidé ici et annoncé dans ses prophéties le sacrifice selon l'ordre de
Melchisédech. Jésus leur dit que ce temps était proche et que ces
prophètes auraient été heureux de voir et d'entendre de telles choses,
etc. Les habitants étaient tous de moyenne condition, ni pauvres, ni
riches, mais bien intentionnés et pleins d'affection les uns pour les
autres. Les docteurs de la synagogue étaient également bien disposés.
mais il y avait dans le voisinage plusieurs Pharisiens qui venaient
souvent ici et qui étaient à charge aux docteurs de l'endroit et aux
habitants. La ville avait certains privilèges : un district qui
l'entourait, et d'autres endroits voisins lui appartenaient. Jésus
séjourna volontiers ici et il fortifia les habitants dans leurs bonnes
dispositions
(17 octobre.) Le
matin Jésus visita, à une lieue au sud-est de Salem, un jardin de
plaisance, situé dans l'angle formé par le Jourdain et le petit cours
d'eau qui vient d'Acrabis se jeter dans le fleuve. Il y a dans cette
contrée semée de collines trois petits viviers l'un au-dessus de l'autre
qui tirent leur eau de cette petite rivière. Il y a ici des bains que
l'on peut chauffer. Beaucoup de personnes allèrent avec lui. On peut de
là très bien voir Ainon, de l'autre côté du Jourdain : quelques
personnes allèrent se promener sur l'autre rive du fleuve. Vers midi,
ils revinrent à Salem. Il y vint plusieurs Pharisiens d'une ville assez
grande, située à deux lieues à l'ouest prés d'une montagne. Prés de là,
à environ une lieue au nord-est, se trouve une ville récente comme
cachée dans un coin, où habitait le pieux Jaïre dont Jésus a ressuscité
la fille, il y a peu de temps. Parmi les Pharisiens dont il vient d'être
parlé se trouvait un frère de Simon le lépreux de Béthanie, qui était
l'un des plus importants parmi les siens. Il y avait aussi des
Sadducéens. Aujourd'hui ils étaient ici en qualité d'hôtes, car il était
d'usage que les docteurs s'invitassent réciproquement pendant les jours
qui suivaient la fête des Tabernacles. Il était venu encore des docteurs
d'autres endroits. — On donna aujourd'hui à Salem, dans une maison
destinée aux fêtes publiques, un repas auquel Jésus assista ainsi que
tous ces docteurs Ils craignaient que Jésus n'enseignât à Salem le jour
du sabbat, ce qu'ils auraient vu avec peine, parce que par ailleurs les
habitants ne les goûtaient pas beaucoup, et le frère de Simon, à cause
de cela, invita Jésus à venir à Aruma pour le jour du sabbat, ce que
celui-ci accepta. Phasaël est une ville moderne où Hérode séjournait
quand il était dans le pays. Il y a des palmiers autour de la ville :
dans le voisinage est la source d'une petite rivière qui se jette dans
le Jourdain à peu près en face de Sukkoth. Les habitants que Jaïre avait
rendus meilleurs qu'ils n'étaient semblent être venus là comme colons.
Phasaël a été bâti par Hérode. C'est une petite ville moderne située au
nord-est d'Aruma, enfoncée dans une gorge de la montagne et cachée par
un bois du côté de la vallée du Jourdain.
NOTE
: En regardant une carte de Kloeden, reproduite sur une grande
échelle et où les noms des lieux n'étaient pas écrits, elle marqua
la situation d'Aruma au levant du mont Garizim, un peu plus au nord
que celle qui est donnée sur la carte ordinaire de Kloeden. Cet
endroit serait, selon elle, sur la pente septentrionale d'une
montagne près d'un bassin. La montagne s'élève au midi derrière la
ville et il n'y a pas de vue de ce côté : à l'ouest est une autre
montagne couverte de bois et il n'y a pas de vue sur Sichem ; au
nord-est, entre les montagnes. on voit la plaine qui s'étend de
Sichem à Samarie : à l'est, par-dessus la côte boisée qui sépare
Aruma et Sichem, on aperçoit de l'autre côté du Jourdain, les
montagnes de Galaad. Le juge Abimélech a résidé ici. La ville doit
être ancienne, car Jacob aussi y a séjourné lorsqu'il se cachait
pour échapper à Ésaü.
(18 octobre.)
Aujourd'hui vendredi 27 Tisri, Jésus alla à Aruma qui est à deux lieues
de Salem, en franchissant un coteau couvert de bois. Les Pharisiens ne
le reçurent pas devant la porte. Il entra avec sa robe relevée, par la
porte de la ville, accompagné de sept disciples les moins connus parmi
ceux qui étaient avec lui. Il fut reçu là par quelques habitants bien
intentionnés, suivant l'usage du pays : c'est là qu'on reçoit les
voyageurs qui arrivent avec leur robe relevée, car ceux qui se
présentent, la robe flottante, ont déjà reçu l'hospitalité devant la
porte. Ils le conduisirent dans une maison où ils lui lavèrent les
pieds, nettoyèrent ses habits et lui offrirent quelque chose à manger.
De là Jésus alla à la
synagogue dans le logement des prêtres où se trouvait. frère de Simon et
plusieurs autres Pharisiens et Sadducéens venus de Thébez et d'autres
endroits. Ils prirent avec eux divers livres de l'Écriture et allèrent
avec Jésus à un jardin de plaisance ou l'on prenait des bains, situé
devant la ville : ils s'entretinrent avec 3ésu. s sur les passages de
l'Écriture qui devaient être lus aujourd'hui à l'occasion du sabbat :
c'était comme une préparation à la prédication. Ils furent très polis et
très obséquieux vis-à-vis Jésus et le prièrent de donner ce soir une
instruction, mais de ne rien dire pourtant qui excitât de l'agitation
dans le peuple : du moins ils le lui donnèrent à entendre. Jésus
répondit avec beaucoup de fermeté et très nettement qu'il enseignerait
ce que contient l'Écriture, la vérité : il parla aussi de loups revêtus
de peaux de brebis. Vers trois heures ils allèrent prendre un repas dans
la maison du frère de Simon : il avait une femme et des enfants que
Jésus salua.
Il y avait beaucoup
d'étrangers des deux sexes, qui mangèrent séparément avec les femmes. Le
soir Jésus enseigna dans la synagogue. Il parla de la vocation d'Abraham
et de son voyage en Égypte, de la langue hébraïque, de Noé, d'Héber, de
Phaleg, de Job, etc., et j'eus beaucoup de visions à l'occasion de cette
instruction. Elle roulait sur le chapitre XII de la Genèse et sur des
textes d'Isaïe. Il dit que déjà dans la personne d'Héber Dieu avait
séparé les Israélites, car il avait donné à ce patriarche une nouvelle
langue, la langue hébraïque, qui n'avait pas de rapport avec les autres
dialectes de ce temps, afin de séparer entièrement sa race de toutes les
autres. A une époque antérieure, Héber, de même qu'Adam, Seth et Noé,
parlait la langue mère primitive ; mais, lors de la construction de la
tour de Babel, elle s'était perdue et confondue dans plusieurs idiomes
différents. Alors, Dieu pour séparer entièrement Héber, lui donna une
langue sainte particulière, la vieille langue hébraïque : sans elle, sa
race ne serait pas restée pure et séparée des autres. Jésus enseigna
là-dessus et sur tout ce qui concernait la vocation d'Abraham.
(19 octobre.) Jésus
logeait ici dans la maison de Siméon, frère du lépreux : Simon de
Béthanie aussi est originaire de cet endroit : celui d'ici avait de la
capacité et de l'instruction : celui de Béthanie lui était inférieur,
avec de plus grandes prétentions. Dans cette maison tout était bien
ordonné, et, quoiqu'on ne traitât pas Jésus avec la vénération
qu'inspire la foi, cependant les règles de l'hospitalité étaient très
bien observées à son égard. Il avait une belle couche dans un endroit
séparé et un oratoire pour son usage : les vases et le linge pour la
toilette étaient très convenables, et le maître de la maison avait pris
les dispositions nécessaires pour que le service fût bien fait ; sa
femme et ses enfants se montraient peu. Jaïre de Phasaël, l'homme dont
Jésus avait ressuscité la fille, était aussi venu ici pour le sabbat, et
il avait parlé à Jésus ; il vit les disciples et se promena avec eux. Sa
fille, ressuscitée par Jésus, n'était pas à Phasaël ; elle était allée
voir les jeunes filles de l'école d'Abelmehola : beaucoup de jeunes
filles s'y réunissaient ces jours-là, de même que le jeudi, 26 Tisri,
les hommes s'étaient rendu des visites. Je ne sais pas quelle fête
c'était. Abelmehola peut être à cinq lieues de Phasaël. Les serviteurs
de Zorobabel, le centurion de Capharnaüm, étaient aussi venus à Ainon et
sur les bords du Jourdain pour la fête des Tabernacles : cela me revient
maintenant à la mémoire. Ils avaient déjà reçu le baptême antérieurement
: l'un d'eux était allé de Machérunte à Ophra avec cet homme de l'île de
Chypre qui voulait voir Jésus, et il était revenu avec lui à Capharnaüm.
Je crois que cet homme de Chypre est devenu disciple de Jésus. Jésus eut
un disciple natif de cette île, qui s'appelait Mnason : je ne sais pas
si ce n'est pas cet homme. — Jésus enseigna encore le matin à la
synagogue sur la vocation d'Abraham et sur des textes d'Isaïe. J'ai vu,
à cette occasion, beaucoup de choses touchant les patriarches.
A midi, il sortit de la
ville pour aller dans la partie occidentale, où se trouvait un grand
édifice fort ancien : il fallait sortir par le côté du midi et gagner la
partie occidentale en longeant les murs. Cette maison était comme une
habitation commune pour des vieillards et des veuves âgées. Ce n'étaient
pas des Esséniens, mais ils suivaient aussi un certain règlement de vie
et portaient de longs vêtements blancs. Jésus enseigna quelque temps les
uns et les autres, et les consola : j'ai oublié les détails.
Jésus se rendit ensuite à
un grand repas qui dura jusqu'au sabbat. Je ne vois jamais Jésus manger
beaucoup dans les repas de ce genre : il va d'une table à l'autre ; il
enseigne et raconte presque tout le temps : le soir, il y eut une fête à
la synagogue et dans les maisons. Quand le sabbat fut fini, on célébra
la fête de la dédicace du temple de Salomon ; la synagogue était toute
illuminée : au milieu était une pyramide de flambeaux. Ce n'était pas
proprement le jour de cette fête, laquelle tombait, à ce que je crois, à
la fin de la fête des Tabernacles : on la célébrait aujourd'hui par
translation. Jésus enseigna sur la Dédicace : il rappela comment Dieu
était apparu à Salomon et lui avait dit qu'il voulait maintenir Israël
et le temple, si son peuple lui restait fidèle ; mais qu'il le
détruirait s'il s'éloignait de lui. Jésus appliqua cela au temps
présent, disant que le moment était arrivé, et que, s'ils ne se
convertissaient pas, le temple serait détruit. Il parla là-dessus avec
beaucoup de force. Les Pharisiens se virent à disputer avec lui, et
prétendirent que Dieu n'avait pas ainsi parlé à Salomon, mais que
c'était une invention poétique et une imagination de Salomon. La dispute
fut très vive, et je vis Jésus parler avec beaucoup de chaleur ; il se
manifesta dans toute sa personne quelque chose qui les intimida, au
point qu'ils osaient à peine le regarder. Il leur parla, en citant des
textes empruntés à la lecture du jour du sabbat, des altérations et
falsifications des vérités éternelles, de l'histoire et de la
chronologie des anciens peuples païens, des Égyptiens, par exemple, et
il leur demanda comment ils osaient faire des reproches à ces païens,
quand eux-mêmes en étaient arrivés à rejeter ce qui les touchait de si
près, ce qui leur avait été transmis par une tradition si sainte, la
parole du Tout Puissant, sur laquelle était fondée son alliance avec son
saint temple, et à la traiter de fable et d'invention, suivant leurs
caprices et leurs convenances. Il certifia et répéta encore une fois la
promesse de Dieu à Salomon, et leur dit qu'à cause de leurs altérations
et de leurs interprétations criminelles, la vengeance de Jéhovah ne
tarderait pas à s'accomplir : car là où la foi à ses promesses les plus
saintes était ébranlée, là aussi étaient ébranlés les fondements de son
temple. Il leur dit : " Oui ! le temple sera renversé et détruit, parce
que vous ne croyez pas aux promesses, parce que vous ne savez pas
discerner les choses saintes et les honorer ; vous-mêmes travaillerez à
sa destruction, rien n'en sera épargné ; il sera réduit en poussière à
cause de vos péchés ! " Jésus parla à peu près dans ces termes et en
indiquant que, par le nom de temple, c'était lui-même qu'il désignait,
ainsi qu'il le dit plus clairement avant sa passion : "Je le rebâtirai
en trois jours. "il ne s'exprima pas cette fois en termes aussi précis,
mais cependant assez clairs pour qu'ils sentissent dans leur effroi et
dans leur colère, ce qu'il y avait de surprenant et de mystérieux dans
ses paroles. Ils murmurèrent et furent très mécontents ; mais Jésus ne
s'en inquiéta pas, et il continua son instruction avec tant d'éloquence,
qu'ils ne trouvèrent plus rien à répondre et que, malgré eux, ils se
sentirent intérieurement dominés. Au retour de la synagogue, ils lui
donnèrent la main, cherchèrent en quelque sorte à s'excuser, et parurent
vouloir faire la paix, au moins extérieurement. Jésus prononça encore,
avec beaucoup de douceur, quelques paroles pleines de gravité, puis il
quitta l'école, dont les portes furent fermées.
Je vis Salomon devant le
temple, près de l'autel : debout sur une colonne, il parla au peuple, et
adressa à Dieu une belle prière. La colonne était assez haute pour que
tout le monde put le voir. On y montait par l'intérieur : au-dessus
était une plate-forme assez spacieuse avec une espèce de siège ; la
colonne n'était pas fixée au sol : on pouvait la transporter ailleurs.
Je vis ensuite Salomon dans le château de Sion : il n'était pas encore
dans son nouveau palais. C'était dans ce lieu que Dieu avait parlé à
David, notamment quand Nathan fut venu le trouver. Il y avait là une
terrasse surmontée d'une tente, sous laquelle il dormait. Salomon y
était en prière. Alors une lumière dont la splendeur ne peut se rendre,
vint l'entourer, et il en sortit une voix : j'ai vu cela et j'ai entendu
les paroles. Ce fut une répétition de la promesse de Dieu, telle qu'elle
se trouve consignée dans la Bible. (III. Reg. IX, 2, etc.)
Salomon était un bel homme,
bien pris dans sa taille : il ne manquait pas d'embonpoint, et ses
membres étaient moins décharnés et moins anguleux que ceux de la plupart
des gens qui l'entouraient ; ses cheveux étaient bruns et lisses ; il
avait la barbe courte et bien tenue, des yeux bruns très perçants, un
visage rond et plein avec des joues un peu larges. A cette époque, il
n'avait pas encore cette multitude de femmes païennes auxquelles il se
livra plus tard. Il avait à la vérité plusieurs femmes, mais il s'en
abstint rigoureusement pendant tout le temps de la dédicace du temple.
Jésus ne guérit pas en
public à Aruma, pour ne pas donner de scandale : en outre les malades
étaient intimidés par la présence des Pharisiens et ils ne s'adressaient
pas à lui pendant le jour. Ce fut pour moi un spectacle singulièrement
touchant de le voir, pendant ces deux nuits, en compagnie de deux
disciples, parcourir les rues au clair de la lune, s'arrêter devant
quelques petites portes où des gens l'attendaient humblement, puis
entrer dans les cours et guérir plusieurs malades. C'étaient des gens
pieux qui croyaient en lui et lui avaient fait adresser des suppliques
par les disciples. Cela pouvait se faire sans éclat et sans bruit : car
les rues de la ville étaient très silencieuses : elles n'étaient bordées
que par les murs des cours intérieures où il y avait de petites portes.
Toutes les maisons avaient leurs fenêtres tournées vers l'intérieur,
donnant sur des cours et de petits jardins. Les malades attendaient
Jésus avec impatience. Je me souviens entr'autres d'une femme affligée
de pertes de sang que deux servantes portèrent toute enveloppée dans une
cour. Dans cette tournée nocturne, Jésus ne s'arrêta pas longtemps près
des malades. Ordinairement pour réveiller leur foi, il leur demandait
s'ils croyaient que Dieu pouvait les guérir et qu'il avait donné à
quelqu'un pouvoir pour cela sur la terre. Je ne puis pas bien exprimer
cela. Il fit aussi baiser sa ceinture à la femme affligée de pertes de
sang et lui dit quelques paroles dont le sens était à peu près celui-ci
: " je te guéris par le mystère de cette ceinture ", ou bien peut-être :
" par l'intention à laquelle est portée cette ceinture, depuis le
commencement jusqu'à la fin ". A d'autres il en posait les bouts sur la
tête. Cette ceinture était une bande d'étoffe longue et large, elle
était portée tantôt dans toute sa largeur, tantôt pliée et plus étroite
; les extrémités qui se terminaient par des houppes, tantôt étaient
raccourcies, tantôt pendaient dans toute leur longueur.
La vallée qui est au levant
d'Aruma et qui se dirige de l'est à l'ouest vers Sichem, puis au nord
jusqu'au delà de la montagne qui est au nord-est de Sichem, était
couverte de bois : à l'est de cette montagne qui est au milieu d'une
plaine devant Sichar était la partie qu'on appelle le bois de Mambré. Ce
fut là qu'Abraham planta d'abord ses tentes et que Dieu lui apparut et
lui promit une heureuse postérité. Il y avait là un grand arbre, dont
l'écorce était moins rude que celle du chêne : il portait à la fois des
fleurs mâles et femelles séparées et des fruits. Je l'ai déjà décrit
dans le pays de Basan. C'est l'arbre dont les noix servaient à faire des
têtes pour les bâtons de pèlerins. Le Seigneur apparut près de cet
arbre. C'est aussi là que Jacob enterra les idoles lorsqu'il s'éloigna
de Sichem. Mais c'est un autre arbre qui a succédé au premier. On fait
un breuvage avec le suc qui en découle.
La route en partant de
Sichem longe le côté gauche du bois et tourne autour du mont Garizim. Au
nord, en avant du bois, il y a dans la plaine une ville bâtie en mémoire
du séjour d'Abraham. Il doit en rester des traces. Elle est à trois
lieues au nord d'Aruma, à deux lieues au nord-ouest de Phasaël et
s'appelle Thanath-Silo.
(20-21 octobre.) Le
matin, Jésus parla encore avec beaucoup de sévérité contre les
Pharisiens, dit qu'ils avaient perdu l'esprit de la religion, ne tenant
qu'à des coutumes et à des observances qu'ils conservaient comme des
écorces vides pendant qu'ils laissaient le fruit se perdre. Ils
soutinrent contre lui la sainteté de ces formes, mais ils furent enfin
réduits au silence lorsque Jésus leur opposa l'exemple des païens pour
lesquels Satan a fini par remplir des formes restées vides. Plus tard
Jésus alla à trois lieues au nord, vers une ville située dans la vallée
qui est en avant de Samarie et où Abraham vint habiter d'abord. On
trouve avant d'y arriver, une hôtellerie établie par Lazare pour la
communauté : elle est confiée aux soins d'une famille de Nazareth alliée
de loin à celle de Jésus : je ne me rappelle plus les noms. Jésus y
passa la nuit.
(21 octobre.)
Aujourd'hui Jésus alla de côté et d'autre dans les champs où des hommes
et des femmes travaillaient à amasser de grands monceaux de blé. Jésus
fit une longue instruction aux paysans assemblés : il se tenait sur un
monticule près de l'arbre d'Abraham et d'un puits creusé par ce
patriarche. Abraham avait eu une contestation pour ce puits avec un
homme de Sichem qui ne voulait pas tolérer sa présence en ce lieu et à
la suite de laquelle il alla ailleurs. Cet homme lui acheta le puits et
Jésus parla aujourd'hui du prix de cette vente à propos de laquelle il
donna des explications. Il raconta aussi une parabole sur les
différentes espèces de terroir et sur la culture qui leur convient. Ces
gens étaient des esclaves et habitaient des cabanes mobiles pendant le
temps des travaux des champs. Ils étaient de la religion samaritaine.
La ville qui est tout
auprès de cette contrée et dont j'ai oublié le nom ne se composait
autrefois que de quelques cabanes : Abraham lorsqu'il s'éloigna établit
ici les familles de quelques-uns de ses esclaves appartenant à une
catégorie inférieure : elles s'allièrent par la suite aux habitants du
pays. Abraham avait beaucoup d'enfants des deux sexes qu'il avait eux de
plusieurs femmes avant de venir dans la terre de Chanaan Il reçut de
Dieu l'ordre de laisser les femmes et de prendre avec lui les enfants :
car se rattachant par lui à une meilleure souche, ils étaient destinés à
améliorer diverses races étrangères, quoiqu'ils ne dussent pas
contribuer à la formation du peuple de Dieu lequel devait sortir de Sara
et seulement après qu'Abraham aurait reçu la bénédiction. Sara était
réellement soeur d'Abraham, étant fille de Tharé, mais d'une autre mère.
Sa mère tirait son origine des enfants de Joctan, fils d'Héber, et
Abraham descendait de Phaleg, un autre fils de celui-ci. Ainsi les deux
races s'unissaient de nouveau dans Abraham et Sara.
La plupart des membres de
la nombreuse famille d'Abraham étaient ses enfants : il y avait eu en
Chaldée des mariages entre frères et soeurs. Il les dota tous et prit
soin d'eux. Ils étaient encore avec lui en Égypte. Lorsqu'il habita près
d'Hébron, il les établit dans un bon pays, voisin de Zoar, sur les bords
de la mer Morte. Ce fut là que Loth pécha avec ses filles. Il s'y
trouvait plusieurs tribus inférieures et ignorantes : c'étaient comme
des esclaves dont les descendants d'Abraham devinrent plus tard les
chefs et les rois et avec lesquels leur postérité s'allia pour relever
la race. Dans tout ce qui se faisait à cette époque, même en matière de
religion, la principale préoccupation était d'associer et de diriger les
races humaines de façon à ce qu'elles ne tombassent pas plus bas et
qu'elles s'améliorassent selon la chair et selon l'esprit.
La ville de Thanath-Silo,
près de laquelle se trouvent l'hôtellerie de Jésus et le puits
d'Abraham, se rendit Coupable de trahison dans la guerre des Machabées :
elle prit parti pour
Antiochus et Judas s'en empara et le châtia sévèrement. La mère des sept
Machabées habita aussi cet endroit : elle alla ensuite à Jérusalem Le
martyre de ses fils eut lieu à Jérusalem près de la montagne du temple.
J'ai vu beaucoup de choses à ces sujet, mais je les ai oubliées.
Ce soir, commençait la
nouvelle lune du premier de Marcheswan et les habitants de Thanath-Silo
vinrent prendre Jésus à son logis et le conduisirent dans la ville. Il
enseigna à la synagogue, mangea avec les docteurs, et revint passer la
nuit à l'hôtellerie devant la ville. C'était la fête de la nouvelle
lune, des guirlandes de fruits étaient suspendues devant la synagogue et
les autres édifices publics.
(12 octobre.)
Aujourd'hui Jésus guérit dans la ville un très grand nombre de malades
de toute espèce qui s'y étaient rassemblés : il y en avait notamment
beaucoup qui avaient un côté paralysé ou les bras perclus : il s'y
trouvait aussi des possédés et des femmes affligées de pertes de sang.
Il bénit plusieurs enfants malades et d'autres qui ne l'étaient pas.
Ceux qui avaient les mains ou le côté paralysés avaient gagné, la
plupart du temps, leur maladie dans les travaux des champs et en se
couchant sur la terre humide après de fortes sueurs occasionnées par le
travail : j'ai vu pareille chose dans les champs voisins de
Gennabris en Galilée. Jésus se rendit ensuite dans la plaine où l'on
faisait la moisson et là aussi il opéra beaucoup de guérisons. Vers midi
les gens de la ville apportèrent des aliments dans des corbeilles et il
y eut un grand repas sous une cabane de feuillage qui était encore
debout. Jésus fit alors une grande instruction, dirigée spécialement
contre les sollicitudes superflues et exagérées touchant la subsistance.
Il cita l'exemple des ils qui ne filent point et qui pourtant sont plus
magnifiquement vêtus que Salomon dans toute sa gloire : il dit encore
beaucoup de belles choses à propos des animaux d'espèces différentes et
des divers objets qui se rencontraient dans le pays. Il enseigna aussi
qu'on ne devait pas profaner le sabbat et les jours de fête par un
travail fait en vue du gain. Il leur était permis, disait-il, de
travailler par charité, de sauver des hommes ou des animaux, mais ils
devaient laisser la moisson et les récoltes à la garde de Dieu et ne pas
travailler le jour du sabbat chaque fois qu'il y avait une menace de
mauvais temps. Il fit sur tout cela une instruction très belle et très
détaillée ; c'était tout à fait dans le genre du sermon sur la montagne,
car il y répéta souvent : " Bienheureux ceux-ci, bienheureux ceux-là ".
Les gens de l'endroit en
avaient grand besoin, car ils étaient extraordinairement intéressés et
avides, soit comme agriculteurs, soit comme commerçants, et ils
accablaient leurs serviteurs de travail. Étant, en outre, chargés de
recueillir la dîme dans toute la contrée, ils retenaient souvent fort
longtemps ce qu'ils avaient reçu et en tiraient des profits usuraires.
Ils trafiquaient des produits de leurs champs. Je vis aussi de vieilles
gens aller de côté et d'autre avec des ouvrages en bois, dont le
voisinage de la forêt leur facilitait la confection Je les vis
spécialement faire en grande quantité des talons de bois qu'on mettait
sous les sandales. Il n'y avait pas de Pharisiens ici. Les gens étaient
quelque peu grossiers et intéressés : ils étaient aussi très fiers de
leur descendance d'Abraham. Mais les fils qu'Abraham avait installés ici
n'avaient pas tardé à dégénérer : ils s'étaient alliés avec les
Sichémites, et lorsque Jacob vint dans le pays, ils avaient déjà perdu
l'usage de la circoncision Jacob avait l'intention de rester à demeure
dans ces plaines, mais il en fut empêché par l'enlèvement de Dina. Il
connaissait les enfants d'Abraham qui habitaient ici, et il leur envoya
des présents. Dina était allée se promener près du puits voisin de Salem
: elle avait ensuite été invitée à venir dans les environs par les gens
auxquels son père avait fait des présents. Elle avait des servantes avec
elle, et la curiosité la poussa à se promener seule dans le pays : ce
fut là que le Sichémite la vit et la séduisit dans le champ ou dans la
forêt. Ces sortes d'attentats étaient alors envisagés d'un autre oeil
qu'aujourd'hui : les gens de cette époque étaient plus sensuels : ils ne
faisaient pas au. tant de résistance, ils étaient aisément entraînes, et
n'étaient retenus que par les lois sacrées de la famille et le mystère
des races. Du reste, ils ressemblaient aux troupeaux au milieu desquels
ils vivaient. Dina, l'innocente, s'éloigna du troupeau et ce fut sa
perte.
(22 octobre.) Dans
la matinée, Jésus avait encore enseigne et guéri a Thanath-Silo. Il ne
faut pas s'étonner de la quantité des malades, car à peine sait-on qu'il
est quelque part, qu'on les y amène de tous les villages et de toutes
les cabanes de la contrée. Cet endroit était habité par des Samaritains
et par des Juifs qui vivaient à part les uns des autres ; cependant les
Juifs étaient en plus grand nombre. Jésus enseigna aussi les
Samaritains, mais il se tint sur le territoire appartenant aux Juifs,
pendant que les Samaritains se tenaient à l'extrême limite de leur
quartier, à un endroit où aboutissait une rue. Il guérit aussi des
Samaritains. Les Juifs ici avaient moins de haine contre eux, parce
qu'en général ceux de cet endroit prennent les choses assez légèrement,
notamment en ce qui touche l'observation du sabbat.
Jésus guérit ici de plusieurs manières différentes. Il guérit quelques
malades à distance par un regard ou par une parole : il en toucha
quelques-uns : à d'autres il mit les mains sur la tête : il y en eut sur
lesquels il souffla, ou qu'il bénit, ou dont il frotta les yeux avec de
la salive. Plusieurs le touchèrent et furent guéris : il rendit la santé
à d'autres qui étaient éloignes, sans même se tourner vers eux. Il me
semble que dans les derniers temps de sa vie publique. Il guérit en
général plus vite qu'au commencement. J'étais portée à croire que les
guérisons s'opéraient suivant des modes si différents, pour montrer que
son action n'était pas liée à telle ou telle manière de procéder, et que
son pouvoir était le même, de quelque façon qu'il s'y prît ; mais Jésus
dit lui-même dans un passage de l'Évangile que telle espèce de démons se
classe autrement que telle autre. Certainement il guérissait chaque
malade de la façon qui était appropriée son mal, à son degré de foi et à
sa nature, de même qu'aujourd'hui encore il châtie différemment ou
convertit différemment chaque pécheur. Il ne renversait pas l'ordre de
la nature. seulement il la délivrait de ses liens. Il ne tranchait pas
le noeud, il le dénouait. et il n'y en avait aucun qu'il ne pût dénouer,
car il avait les clefs de tout, et en tant qu'il était devenu
Homme-Dieu, il agissait selon les formes humaines qu'il sanctifiait.
Déjà précédemment il m'a été enseigné que ces différents procédés dont
il usait étaient symboliques et figuratifs, pour enseigner à ses
disciples les formes qu'ils devaient suivre dans chaque occasion. A cela
se rapportent les diverses formes des bénédictions de l'Église des
consécrations et des sacrements.
Il y avait près de
Thanath-Silo un grand nombre de jardins plantés de figuiers. Jésus, en
quittant la ville, se dirigea vers le midi ; plusieurs personnes de
l'endroit l'accompagnèrent. Il suivit ensuite, dans la direction du
nord-est, une route assez large qui conduit à Scythopolis. Il laissa
alors Doch à sa droite et à sa gauche Thébez, placée à l'extrémité
orientale de la montagne sur laquelle est située Samarie. Il descendit
du côté de la vallée du Jourdain, dans une autre vallée où naît un cours
d'eau qui se jette dans le fleuve. Il était venu là à sa rencontre une
troupe de gens désireux de l'entendre, spécialement des ouvriers
samaritains. Ils l'attendaient et il les enseigna. A gauche sur la
hauteur, était un petit endroit consistant en une longue rangée de
maisons, et qui s'appelle Aser-Michmethath. Jésus y entra vers le soir.
Abelmehola peut être à sept lieues d'ici. Cet endroit est sur le chemin
que suivaient Marie et les saintes femmes quand elles voulaient aller en
Judée par les montagnes, sans passer par Samarie : la sainte Vierge y a
aussi passé avec saint Joseph lors de la fuite en Égypte. Ce soir-là,
Jésus alla encore au puits d'Abraham et au jardin de plaisance qui est
devant Aser-Michmethath, et il y guérit plusieurs malades, entre autres
deux Samaritains qu'on y avait amenés d'ici. Il fut très bien accueilli
par ces gens : ils étaient très bons ; chacun d'eux voulait le recevoir
chez soi, mais il entra en avant de la ville chez une famille
patriarcale dont le chef s'appelait Obed, et on l'y reçut très
affectueusement, lui et tous ses disciples. Le chemin de Thanath Silo
ici est beaucoup meilleur et plus large que celui qui mène à Jéricho par
Acrabis : celui-ci est extraordinairement étroit, pierreux et
rocailleux, au point que les bêtes de somme y passent difficilement avec
leur charge.
J'ai vu qu'au temps des
Juges, il y avait une prophétesse qui pratiquait des sortilèges de toute
espèce sous l'arbre voisin du puits d'Abraham et donnait des
consultations qui réussissaient toujours mal. Elle y faisait pendant la
nuit toutes sortes de cérémonies à la lueur des flambeaux et menait
ensemble des animaux et des figures étranges. Mais tous ses artifices
frappaient à faux et ses conseils réussissaient mal : c'est la même que,
dans le dernier voyage à Azo dans le pays de Basan, je vis clouée sur
une planche par les Madianites chez lesquels elle s'était fait passer
pour un homme. Elle habitait dans la forêt et faisait ici ses
sortilèges. Cet arbre est le même sous lequel Jacob enfouit les idoles
dérobées aux Sichémites.
J'ai vu aussi que saint
Joseph, la sainte Vierge et l'enfant Jésus se cachèrent et se reposèrent
une nuit et un jour dans le voisinage de cet arbre, lors de la fuite en
Égypte. La persécution d'Hérode était connue et il était peu sur de
voyager. Je crois aussi que dans le voyage de Bethléem, lorsque Marie
souffrit tant du froid, ce fut près de cet arbre qu'elle se sentit si
réchauffée.
Comme cette nuit j'étais
allé en vision de chez moi dans cet endroit de la terre promise, pour
voir le jour correspondant de la vie de Jésus, je passai par Lebona,
ville située au midi du mont Garizim, et j'y vis saint Joseph apprendre
son métier de charpentier lorsqu'il se fut enfui d'auprès de ses frères.
Il pouvait bien avoir vingt ans : je le vis habiter et travailler dans
une vieille muraille qui allait de la ville à un rebord étroit de
montagne : c'était comme une route conduisant à un château en ruines. Il
y avait des logements dans les murs. Je le vis entre de hautes murailles
où étaient pratiquées des ouvertures, travailler à de longues pièces de
bois auxquelles on adaptait les cloisons de clayonnage. Il était très
bon et très pieux. Plus tard il passa près d'ici avec Marie, et je crois
qu'il vint une fois visiter avec elle son ancienne résidence. Il
travailla encore dans un autre endroit avant son union avec Marie :
c'était près d'un cours d'eau qui se jette dans la mer : il me semble
que ce n'était pas loin d'Apheké, patrie de Thomas.
(24 octobre.)
Aser-Michmethath est à cheval sur une arête de montagne qui court vers
la vallée du Jourdain : le versant méridional appartient à la tribu
d'Éphraïm : le versant septentrional à celle de Manassé. Si je ne me
trompe, Michmethath est sur le côté d'Éphraïm, Aser sur celui de Manassé
et les deux ne forment qu'une seule ville, Aser-Michmethath, au milieu
de laquelle passe la limite des deux territoires. La synagogue est
placée à Aser dont les habitants ont dans leurs coutumes quelque chose
qui les distingue et les met un peu à part. Michmethath, la partie
éphraïmite de la ville, s'élève en amphithéâtre sur le penchant de la
montagne : au-dessous, dans la vallée, est une petite rivière près de
laquelle Jésus enseigna encore les Samaritains qui étaient venus à sa
rencontre. Un peu plus haut devant la ville est une belle fontaine
autour de laquelle il y a, comme de coutume, un jardin de plaisance avec
des bains. La source, à laquelle on descend par un bel escalier, est
contenue dans un bassin revêtu de maçonnerie au milieu duquel s'élève un
bel arbre sur une terrasse ; à l'aide de ce réservoir on peut remplir
d'eau plusieurs citernes creusées à l'entour et où l'on se baigne. Jésus
guérit ici, hier soir, deux femmes samaritaines.
Jésus reçut ici des
habitants un accueil hospitalier et il alla loger dans la maison d'un
homme respectable et de moeurs patriarcales, nommé Obed. C'était comme
une maison de campagne située en avant de Michmethath. Obed était comme
le principal personnage de l'endroit. Les habitants de cette partie de
la ville étaient pour la plupart alliés les uns aux autres et plusieurs
familles avaient pour chefs des enfants ou neveux d'Obed. Il était pour
eux tous un ami et comme un supérieur : il s'occupait de leurs affaires,
et les dirigeait dans leurs travaux agricoles et le soin de leurs
troupeaux. Sa femme vivait encore : elle habitait avec la portion
féminine de la famille une partie séparée de la maison. C'était une
petite vieille juive encore très alerte. Elle tenait une espèce d'école
et enseignait toutes sortes de travaux manuels aux jeunes filles des
autres familles. Du reste dans toute cette maison rien ne se faisait
qu'avec sagesse et charité. Obed avait dix-huit enfants dont
quelques-uns n'étaient pas encore mariés. Deux de ses filles l'étaient à
Aser, la partie de la ville qui était sur le territoire de Manassé, et
cela ne lui plaisait pas beaucoup, comme je l'appris par ses entretiens
avec Jésus, parce que les gens y étaient moins bons et avaient une autre
manière de vivre.
Le matin Jésus enseigna
près de la fontaine : il y avait bien quatre cents personnes sur la
rampe de gazon qui l'entourait et où étaient pratiqués des degrés. Il
parla en termes très clairs de l'avènement du Messie et de sa mission,
de la pénitence et du baptême. Il prépara aussi au baptême quelques
personnes parmi lesquelles étaient des enfants d'Obed. Jésus alla
ensuite dans les champs avec Obed visiter diverses habitations : il
enseigna et consola les serviteurs et les vieillards qui étaient restés
pour garder le logis pendant que les autres allaient à sa prédication.
Obed parla beaucoup avec
lui d'Abraham et de Jacob qui avaient résidé dans cette contrée et des
aventures de Dina. Les habitants de Michmethath se considéraient comme
de la race de Juda. Holopherne, l'aventurier mède, avait entièrement
dévasté cet endroit, lors de son invasion : alors leurs ancêtres étaient
venus de la Judée s'y établir, avec la ferme résolution d'y vivre
ensemble pieusement selon les anciennes moeurs, et ils avaient fait
ainsi jusqu'à présent. Obed avait tout à fait les moeurs des Israélites
pieux : il s'attachait spécialement à suivre l'exemple de Job ; il
dotait richement ses fils et ses filles et chaque fois qu'il mariait un
de ses enfants, il faisait des aumônes abondantes aux pauvres et au
temple.
Jésus bénit beaucoup
d'enfants que leurs mères lui avaient amenés. Il y eut dans l'après-midi
un grand repas autour de la maison d'Obed et dans la cour, sous des
cabanes de feuillage. Presque tous les habitants de Michmethath y
prirent part et spécialement tous les pauvres du pays. Jésus fit le tour
des tables, bénit, enseigna et distribua des aliments avec beaucoup
d'affabilité. Il raconta des paraboles. Les femmes étaient assises à
part sous le feuillage. Jésus alla ensuite voir quelques malades dans
les maisons et les guérit. Il bénit encore beaucoup d'enfants que leurs
mères lui présentèrent successivement. Il y avait là une très grande
quantité d'enfants, surtout près de la femme d'Obed qui les instruisait.
Obed avait un petit garçon d'environ sept ans avec lequel Jésus
s'entretint beaucoup et qu'il bénit : il vivait aux champs près d'un
frère plus âgé. Il était très pieux et s'agenouillait souvent la nuit
dans les champs pour prier. Le frère aîné ne voyait pas cela avec
plaisir, ce qui faisait de la peine à Obed. Jésus donna des avis à ce
sujet. Je me souviens confusément que cet enfant est venu se joindre aux
disciples avant la mort de Jésus. D'Aser-Michmethath on voit à l'orient
les montagnes qui sont au delà du Jourdain, à une lieue au nord de
Sukkoth et de l'embouchure du Jabok. Dans la guerre des Machabées,
Michmethath rendit de grands services aux Juifs et fut très fidèle à
leur cause. Judas Machabée y séjourna à diverses reprises. Obed prenait
Job pour modèle en toutes choses : il menait avec les siens une vie
presque semblable suivant la justice et les vieilles moeurs
patriarcales.
Les habitants de l'autre
partie de la ville étaient de la tribu d'Aser.
(25 octobre.) Jésus
alla aujourd'hui avec les disciples dans la partie septentrionale de la
ville, laquelle a le nom d'Aser, et se trouve située sur le territoire
de Manassé, au versant opposé de La montagne. Il y avait là, près de la
synagogue, beaucoup de Pharisiens assez mal disposés à l'égard de Jésus,
et d'autres hommes pleins d'orgueil. Ils s'associaient à des gens qui
avaient à lever des impôts et des redevances pour les Romains, et se
livraient ainsi à l'usure. Jésus y enseigna dans la matinée et guérit
plusieurs malades. Les Pharisiens et ces autres orgueilleux montrèrent
de la froideur et du mécontentement, parce que Jésus s'était d'abord
arrêté chez les gens simples et rustiques de Michmethath. Ils n'aimaient
pas Jésus, et pourtant ils auraient voulu, par amour-propre, qu'en
qualité de savant, il vint chez eux avant d'aller chez leurs voisins
dont ils dédaignaient la simplicité.
NOTE
: C'est peut-être de là qu'est venue la tradition que Job avait en
ce lieu un bien de campagne mentionné dans l'Itinerarium
Hierosolytanum.
Vers midi, Jésus,
accompagné de ces gens, revint à la fontaine qui est en avant de
Michmethath, et y prépara au baptême. Plusieurs confessèrent leurs
péchés en général, d'autres allèrent trouver Jésus en particulier, lui
confessèrent leurs péchés en détail et le prièrent de les leur remettre
en leur imposant une pénitence C'étaient Saturnin et, si je ne me
trompe, José Barsabas, qui baptisaient : d'autres disciples imposaient
les mains. Cela se faisait dans une grande citerne destinée a prendre
des bains. Après le baptême, Jésus prit un peu de nourriture, et ils
allèrent ensuite à Aser pour le sabbat. Jésus enseigna sur des textes de
la Genèse (XVIII, 23, etc.) : il parla de la destruction de Sodome et de
Gomorrhe, et exhorta à la pénitence en termes très sévères : il parla
aussi des miracles d'Élisée. Les Pharisiens furent très peu satisfaits,
car ensuite, pendant le repas, il leur reprocha de mépriser les
Publicains, tandis qu'eux-mêmes pratiquaient l'usure, seulement plus
secrètement et avec plus d'hypocrisie. Il passa la nuit chez Obed.
(26 octobre.) Le
matin, Jésus enseigna dans la synagogue d'Aser sur Abraham et sur Élisée
: il guérit ensuite plusieurs malades, parmi lesquels des démoniaques et
des hypocondriaques. Dans l'après-midi il y eut un grand repas dans
l'hôtellerie. C'étaient les Pharisiens qui avaient fait l'invitation,
mais Jésus y convoqua beaucoup de pauvres ainsi que les gens de
Michmethath, et il fit tout payer par ses disciples. Pendant le repas,
il eut à subir de violentes contradictions de la part des Pharisiens, et
à cette occasion il raconta la parabole du débiteur injuste qui voulait
qu'on lui remît sa dette, tout en restant sans miséricorde à l'égard de
ses débiteurs, etc. Il leur en fit l'application parce qu'ils
pressuraient les pauvres pour leur extorquer les redevances, puis
faisaient des mensonges aux Romains et s'appropriaient l'argent : en
outre, ils élevaient arbitrairement le taux des redevances et n'en
rendaient que le tiers aux Romains. Ils voulurent se justifier, mais il
leur dit : " Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à
Dieu. Ils finirent par se mettre très en colère, et par dire que cela ne
le regardait pas.
(27 octobre.) Hier
au soir commençait un jour de jeûne en mémoire de ce que Nabuchodonosor
fit crever les yeux à Sédécias. Aujourd'hui Jésus resta encore à
Michmethath chez Obed, les autres allèrent se promener un peu comme
c'était la coutume les jours de jeûne. Jésus enseigna dans la campagne
chez des bergers et en outre près du puits d'Abraham. Il parla du
royaume de Dieu, dit qu'il s'éloignerait des Juifs pour aller aux païens
et que les païens auraient la préférence. Obed lui dit à ce propos que
s'il parlait ainsi aux païens, cela pourrait les rendre orgueilleux.
Jésus lui expliqua amicalement pourquoi il leur donnait de tels
enseignements et que c'était précisément à cause de leur humilité qu'ils
seraient préférés. Il avertit aussi Obed et tous les siens de se tenir
en garde contre une certaine tendance qu'ils avaient à se croire justes
et à être contents d'eux-mêmes. Ils se séparaient des autres à quelques
égards : ils se sentaient heureux et satisfaits de leur vie simple et
modeste, de la régularité qui y présidait, du bien qui en résultait :
cela pouvait aisément, conduire à l'orgueil. Jésus à cette occasion
raconta la parabole des talents. Il enseigna aussi les femmes dans un
jardin de plaisance séparé où elles avaient leurs bains, et où il y
avait de beaux massifs de verdure. Jésus les enseigna en leur racontant
la parabole des vierges sages et des vierges folles. Il était debout au
milieu d'elles : elles étaient assises en cercle sur une terrasse, les
unes au-dessus des autres : la plupart avaient un genou en terre et
l'autre relevé, s'appuyant dessus avec les mains. Dans de semblables
occasions, toutes les femmes avaient de longs voiles qui les
enveloppaient ; ceux des riches étaient d'étoffe plus fine et plus
transparente : ceux des pauvres d'étoffe commune et grossière. Au
commencement elles étaient entièrement voilées : pendant l'instruction
elles se découvrirent à leur commodité.
Jésus fit baptiser ici une
trentaine d'hommes. C'étaient pour la plupart des gens de service venus
de loin qui ne s'étaient rendus ici qu'après l'emprisonnement de Jean.
Jésus était allé avec les gens du pays dans les vignes qui mûrissaient
ici pour la seconde fois.
(28-31 octobre.) Le
matin, Jésus quitta Michmethath avec cinq disciples : deux disciples de
Jean sont partis d'ici pour Machérunte. Il redescendit du côté par où il
était venu. La petite rivière qui coule dans la vallée au midi
d'Aser-Michmethath a sa principale source dans la fontaine où Jésus
avait fait baptiser. Il alla à l'ouest et fit environ trois lieues dans
la vallée, longeant la base méridionale des montagnes sur lesquelles
sont situées Thébez et Samarie. Il enseigna quelques bergers sur la
route et arriva vers midi sur le bien qui composait la principale part
de Joseph dans la succession de Jacob (Genèse, XLVIII, 32). Il est situé
dans la vallée au midi de Samarie et s'étend de l'est à l'ouest sur une
largeur d'une demi lieue et sur une longueur d'une lieue. Un ruisseau
coule dans la vallée vers le couchant. Des vignes qui sont sur la partie
la plus élevée on voit Sichem au midi, à environ deux lieues. Il y a de
tout : des vignes, des pâturages, du blé, du fruit et de l'eau : il s'y
trouve des bâtiments en bon état qui sont occupés par un métayer. Je
crois que ce bien appartient maintenant à Hérode. C'est la maison où, il
y a peu de temps, pendant que Jésus était à Sichem, la sainte Vierge
l'attendit avec les autres femmes et où il guérit le petit garçon. (Voir
le tome II, page 196.) Les gens qui habitent ici sont bons. Il fit une
instruction à une grande réunion de peuple et prit part à un repas
champêtre. Cet héritage particulier de Joseph n'était pas le champ
voisin de Sichem que Jacob acheta d'Hémor : c'était un beau territoire à
part, où habitaient des Amorrhéens qui étaient venus en troupe s'établir
là au milieu d'une autre population. Je crois qu'il était compris dans
la vente faite à Jacob, mais il fallait le délivrer de ceux qui
l'occupaient, car il ne voulait pas les avoir pour voisins, de peur que
son peuple ne se mêlât avec eux. Il y eut à ce sujet une espèce de duel
ou de combat, non pas à mort, mais pacifique. La terre devait appartenir
à celui qui enlèverait ou briserait l'épée ou le bouclier de son
adversaire : le vaincu devait se retirer. Il y avait en outre une autre
épreuve où il s'agissait de toucher un but avec une flèche. Jacob et le
chef des Amorrhéens se mesurèrent en présence d'une troupe de leurs
gens. Jacob l'emporta sur son adversaire et celui-ci fut obligé de se
retirer. Après le combat ils firent un traité d'alliance. Cela se passa
peu de temps après l'achat du terrain. Jacob demeura environ onze ans
près de Sichem.
Jésus en partant d'ici
remonta la montagne dans la direction du nord-est ; il alla à deux
lieues à l'est de Samarie, à Méroz, ville située au versant méridional
d'une montagne sur le côté septentrional de laquelle se trouve Atharoth.
Méroz est située un peu plus haut que Samarie, plus haut aussi que
Thébez qui est au midi, et qu'Aser-Michmethath qui est au levant.
Jésus n'était pas encore
venu à Méroz. La ville était entourée d'un fossé desséché dans lequel
parfois s'amassait un peu d'eau de pluie. Cet endroit avait un mauvais
renom dans Israël à cause de la mauvaise foi des habitants. J'ai entendu
diverses choses concernant ce lieu, le champ de Jacob, la prophétie de
ce patriarche au moment de sa mort, et aussi touchant l'histoire de
Débora. Mais je n'en ai pas retenu grand chose et je suis trop malade
pour recueillir mes souvenirs C'est à Méroz que s'établirent les
descendants d'Aser où de Gad, l'un et l'autre fils de Zelpha, servante
de Lia. Ces fils, outre leurs enfants légitimes, en avaient eu d'autres
dont les mères étaient des servantes et même des femmes païennes de
Sichem. C'est de ceux-ci que Méroz fut peuplée : on ne voulut pas les
admettre dans les tribus et par la suite ils se montrèrent lâches et peu
fidèles dans la guerre des Israélites contre Sisara. Ils avaient reçu de
l'argent des ennemis et n'avaient pas pris part à la lutte. Ils furent
poussés à agir ainsi par des faux prophètes qui se trouvaient parmi eux.
Ils eurent aussi des rapports avec la prophétesse Abinuem, qui fut
clouée sur une planche à Azo par les Madianites. Dans d'autres occasions
encore, ils s'étaient rendus coupables de trahison et ils étaient tombés
par là dans le mépris. Méroz était un endroit séparé des autres et où
l'on vivait dans l'isolement : de là venait que les habitants étaient
restés étrangers à beaucoup de bonnes choses et aussi à beaucoup de
mauvaises. Ils étaient arriérés, oubliés et dans une sorte de décadence.
J'ai vu à cette occasion quelque chose touchant la victoire remportée
sur Sisara et j'ai entendu le cantique de Débora. Il fut composé pour
elle, au moins en partie, par un homme, par Barach, à ce que je crois,
et il fut chanté par elle devant le peuple assemblé. On prononça alors
une malédiction contre Méroz. (Judic,V , 23.) C'était une chose
dont il ne fallait pas parler aux habitants. (La Soeur croit que dans le
cantique de Débora il y avait des allusions au Messie et aussi que Méroz
ne devait être délivrée de son opprobre qu'à la venue de Jésus.) Les
habitants de Méroz s'occupaient principalement de la préparation des
peaux de bêtes. Ils fabriquaient du cuir, et apprêtaient des fourrures
qu'ils cousaient ensemble pour en faire des vêtements : ils faisaient
avec leur cuir des sandales, des courroies, des ceintures, des
boucliers, des pourpoints de soldats. Ils allaient sur des ânes chercher
les peaux, quelquefois fort loin, et ils les apprêtaient en partie dans
une citerne où arrivait l'eau de la fontaine de la ville. Mais comme
celle-ci venait elle-même d'ailleurs par un aqueduc et qu'ils n'en
avaient pas toujours en abondance ; ils tannaient les peaux à Iscariote
; ainsi s'appelait un endroit où il y avait des marécages, situé à deux
lieues à l'est de Méroz et peu éloigné de Michmethath dans la direction
du nord. C'était un coin de terre triste et désert ou se trouvaient
quelques habitations : il y avait une gorge arrosée par une source et se
dirigeant vers la vallée du Jourdain : c'était là qu'ils préparaient
leurs cuirs. Judas ou ses parents avaient demeuré assez longtemps dans
cet endroit et il en portait le nom.
Jésus fut accueilli avec
beaucoup de joie par les pauvres habitants de Méroz qui savaient qu'il
allait venir. Ils vinrent a sa rencontre devant la ville, lui
apportèrent des habits et des sandales et voulurent nettoyer et battre
ses vêtements. Jésus les remercia et alla avec ses disciples dans une
hôtellerie de la ville où on lui lava les pieds et où on lui donna à
manger. Les Pharisiens vinrent le trouver et le soir il fit dans la
synagogue devant une nombreuse assistance une grande instruction sur le
serviteur paresseux et sur le talent enfoui. Il compara les habitants de
la ville à ce serviteur. N'ayant reçu qu'un talent, en qualité de fils
des servantes, ils auraient dû le faire fructifier, mais ils l'avaient
enfoui, or, le maître allait venir, et ils devaient se hâter de lui
faire produire quelque chose. Il leur reprocha aussi leur peu de charité
envers leurs voisins et leur haine pour les Samaritains.
Les Pharisiens ne furent
pas contents de lui, mais le peuple en fut d'autant plus satisfait : car
il était fort opprimé par les Pharisiens, et cet endroit était tellement
oublié que personne autre ne venait à leur aide .
Après l'instruction Jésus
alla devant la porte orientale de la ville dans une hôtellerie que
Lazare avait fait installer pour lui et ses disciples, près d'une
propriété rurale qu'il possédait dans ce pays. Barthélemy, Simon le
Zélateur, Jude Thaddée et Philippe vinrent l'y trouver : ils avaient
déjà auparavant parlé aux disciples, et il les reçut amicalement. Ils
prirent part au repas et passèrent la nuit ici. Jésus avait déjà vu
plusieurs fois Barthélemy et l'avait appelé intérieurement : il avait
aussi parlé de lui aux disciples Simon et Thaddée étaient ses cousins :
Philippe était aussi allié à sa famille, et faisait déjà partie de ses
disciples, de même que Thaddée. Il avait déjà désigné tous ceux-là pour
le suivre pendant son dernier séjour à Capharnaüm, lorsque, près de la
pêcherie de Pierre, il annonça qu'il faudrait bientôt marcher à sa
suite, et que Pierre demanda si instamment d'être laissé dans sa maison
comme incapable. (Voir tome II, p. 284.) Ce fut alors que furent dites
des paroles de Pierre que l'Évangile place beaucoup plus tard.
Judas Iscariote aussi était
venu à Méroz avec eux : toutefois ce soir il n'était pas encore près de
Jésus, mais dans une maison de la ville où il logeait souvent.
Barthélemy et Simon parlèrent à Jésus de Judas avec lequel ils avaient
fait connaissance, comme d'un homme entendu, intelligent et serviable,
qui désirait beaucoup être admis parmi ses disciples. Jésus, en les
entendant ainsi parler, soupira et parut contristé. Comme ils
l'interrogeaient à ce sujet, il dit : " il n'est pas encore temps de
parler de cela, mais il faut y réfléchir ". Il enseigna encore les
assistants pendant le repas, et ils passèrent la nuit ici. Les disciples
nouvellement arrivés venaient de Capharnaüm, où ils s'étaient réunis
chez Pierre et chez André. On leur avait donné là des commissions, et
ils apportaient à Jésus quelque argent recueilli par les saintes femmes
pour les frais du voyage et pour les aumônes. Judas les avait rencontrés
à Naïm et les avait accompagnés jusqu'ici. Il avait fait alors
connaissance avec presque tous les disciples. Il était allé récemment
dans l'île de Chypre : il y avait fait des récits multipliés sur Jésus,
sur ses miracles et sur tous les jugements qu'on en portait, les uns
l'appelant le fils de David, les autres le Messie, et la plupart le
tenant pour le plus grand des prophètes, ce qui avait rendu les païens
et les Juifs de ce pays encore plus désireux de voir Jésus, dont on leur
avait déjà raconté beaucoup de choses merveilleuses à la suite de son
séjour à Sidon et à Tyr. Le païen de l'île de Chypre, qui était venu
dernièrement trouver Jésus à Ophra, avait été envoyé par son maître, par
suite de ces discours de Judas, et Judas était revenu avec lui. Pendant
ce voyage, j'ai vu Judas dans une grande ville au-dessous de Sidon, dont
le nom signifie comme ville des oiseaux (Ornithopolis). Je crois que les
parents d'un disciple originaire de la Grèce y demeuraient alors ou y
vinrent plus tard : j'ai une idée confuse que c'étaient les parents de
Saturnin. A l'occasion de ce voyage, Judas alla encore dans une autre
ville de la tribu de Manassé où Jésus a été. J'en ai oublié le nom, et
je ne sais plus bien pourquoi je vis son séjour dans cette ville.
Lorsque Judas apprit que Jésus devait venir dans la contrée de Méroz où
il était, très connu, il se rendit à Dabbeseth près de Barthélemy qu'il
connaissait déjà, et l'engagea à aller avec lui a Méroz et à le
présenter à Jésus. Barthélemy y consentit, mais il alla d'abord à
Capharnaüm avec Jude Thaddée pour voir les disciples qui s'y trouvaient.
Barthélemy, Thaddée et Philippe se rendirent alors à Tibériade, où ils
prirent avec eux Simon le Zélateur, puis à Naïm, où ils retrouvèrent
Judas qui était venu au-devant d'eux. Il les pria de nouveau de le
proposer à Jésus comme disciple. Il leur avait plu par son esprit avisé,
son obligeance et son habit agréable.
Judas Iscariote pouvait
alors avoir vingt-cinq ans. Il était de taille moyenne, et son extérieur
n'était pas déplaisant. Il avait des cheveux très noirs et une barbe
roussâtre. Il était très soigné dans ses vêtements, et plus recherché
sous ce rapport que le commun des Juifs il était grand parleur,
officieux, et se donnait volontiers de l'importance. Il aimait à parler
sur le ton de la familiarité de gens distingués par leur rang ou leur
sainteté, et il prenait de grands airs là où on ne le connaissait pas.
Mais lorsque quelque personne mieux informée lui donnait un démenti, il
se retirait tout confus. Il était ambitieux et intéressé.
Il avait toujours visé au
succès, il aspirait à la réputation, aux emplois, aux distinctions, à la
richesse, sans s'en rendre encore bien compte. Ce qu'il vit de Jésus
l'attira fort : les disciples ne manquaient de rien ; l'opulent Lazare
prenait parti pour Jésus ; on croyait u il fonderait un royaume : on
tenait toute sorte de propos où il était question d'un roi des Juifs, du
Messie, du Prophète de Nazareth. Les miracles et la sagesse de Jésus
étaient dans toutes les bouches : Judas fut pris d'un grand désir d'être
appelé son disciple et d'avoir part un jour à sa gloire, qu'il croyait
devoir être une gloire selon le monde. Depuis longtemps déjà il avait
recueilli partout des renseignements sur Jésus, et il colportait les
nouvelles qui le concernaient : il avait fait connaissance avec
plusieurs de ses disciples, et enfin il s'était rapproché de lui. Il
désirait particulièrement faire partie de son entourage, parce qu'il
n'avait aucune occupation déterminée et qu'il était un demi savant. Il
s'était aussi livré aux spéculations et au trafic, et son avoir, qu'il
avait reçu de son père naturel, touchait à sa fin. Dans les derniers
temps, il avait fait toute espèce de commissions d'affaires et de
courtages pour bien des gens qui se servaient de lui, et il déployait
dans ces occasions beaucoup d'activité et de savoir-faire. Son père
était mort, et le frère de celui-ci, nommé Siméon, vivait de la culture
de ses champs à Iscariot, un petit endroit d'environ vingt maisons,
dépendant de la ville de Méroz, et situé à peu de distance à l'est de
cette ville. Ses parents y avaient séjourné un certain temps, et il
avait résidé le plus souvent après leur mort, ce qui lui avait fait
donner le nom d'Iscariote. Ses parents menaient une vie errante, car sa
mère était danseuse et chanteuse. Elle tirait son origine de la famille
de Jephté, de celle de sa femme, à ce que je crois, et du pays de Tob
(où Jephté s'était réfugié, parce que c'était vraisemblablement le pays
de sa femme) : c'était la contrée où Saul avait battu les Amalécites. Sa
mère s'occupait aussi de poésie ; elle composait des chansons et des
paraboles, et les chantait en s'accompagnant de la harpe. Elle apprenait
aussi à danser à l'autres jeunes femmes, et colportait d'un endroit à
l'autre des modes et des parures de femmes. Son mari n'était pas auprès
d'elle lorsqu'elle conçut ce malheureux fils dans les environs de Damas,
à la suite d'une liaison avec un militaire d'un grade élevé, si je ne me
trompe. Je crois que son époux légitime, un Juif de race, était alors à
Pella. Lorsque, dans le cours de sa vie errante, elle eut mis Judas au
monde à Ascalon, elle s'en débarrassa en l'exposant. C'était une
histoire comme celle de Moïse : Judas aussi, peu de temps après sa
naissance, fut exposé au bord d'un cours d'eau, et on le fit recueillir
par des gens riches et sans enfants, chez lesquels il reçut une
éducation distinguée ; mais plus tard il devint un mauvais sujet, et par
suite d'une supercherie il revint chez sa vraie mère où il fut comme en
pension. J'ai aussi une idée vague que le mari de sa mère, un Juif qui
habitait à Pella, le maudit lorsqu'il eut connaissance de son origine.
Judas possédait un peu de bien qu'il tenait de son père naturel ; il
était très avisé et savait toute sorte de choses. Après la mort de ses
parents, il résida la plupart du temps à Iscariot, chez son oncle
Siméon, qui était tanneur, et qui se servit de lui pour son trafic. Du
reste, jusqu'à présent, il n'était pas encore tout à fait perverti, mais
il était bavard, ambitieux, cupide et inconsistant. Il n'était pas non
plus libertin ni irréligieux. mais il se conformait exactement à toutes
les observances des Juifs. Il se présente à moi en ce moment comme un
homme qui peut aussi facilement se tourner vers le bien que vers le mal.
Avec toute sa dextérité, son affabilité et son obligeance, il avait dans
je visage une expression triste et sinistre qui avait pour cause son
avarice, sa cupidité et l'envie secrète que lui inspiraient même les
vertus d'autrui.
Le 21 février 1821, Anne
Catherine avait raconté ce qui suit sur Judas qui lui faisait grande
pitié : Judas est un petit homme nerveux. ramassé, d'ailleurs officieux,
adroit et parlant volontiers. Il n'était pas précisément laid, il y
avait dans sa physionomie quelque chose d'avenant, de flatteur, et
pourtant de repoussant et de bas. Ses parents ne valaient rien : sa mère
l'avait conçu dans l'adultère ; le mari de celle-ci avait dans son nom
quelque chose comme Béel ; c'était une signification qui se rapportait
au diable. Le vrai père de Judas avait encore du bon, et il en était
venu quelque chose à Judas. Lorsque, plus tard, il revint près de sa
mère qui l'avait éloigné de son mari, il y eut à cette occasion une
querelle violente entre les deux époux, et elle lui donna sa
malédiction. Elle gagnait sa vie à l'aide de tromperies de toute espèce
: son mari et elle étaient faiseurs de tours. Ils exerçaient toute sorte
de métiers et ils étaient tantôt à leur aise, tantôt dans l'indigence.
Au commencement, les
disciples le goûtaient assez parce qu'il était toujours prêt à rendre
service : il nettoyait même les chaussures. Il était d'une agilité
extraordinaire et faisait, dans les premiers temps, de grandes courses
pour la communauté. Je ne l'ai jamais vu faire de miracles. Il était
toujours jaloux et envieux, et, vers la fin de la vie de Jésus, il était
las de la vie errante qu'il menait, de l'obéissance qui lui était
imposée, et de ce qu'il y avait dans cette existence de mystérieux et
d'incompréhensible pour lui.
(29 octobre.) Au
milieu de la ville de Méroz, il y a un puits très bien disposé. Il
reçoit l'eau par un conduit de la montagne voisine, située au nord de la
ville. Il y a tout autour cinq enceintes avec des réservoirs dans
lesquels on fait couler l'eau du puits au moyen de pompes. Dans la
partie la plus éloignée du centre, on trouve aussi quelques petits
édifices dans lesquels on peut prendre des bains. Tout cet espace peut
être fermé. Aujourd'hui, dans ces passages autour du puits, on avait
apporté sur leurs lits un grand nombre de malades de la ville, regardés
comme incurables, et on avait placé les plus malades dans les
maisonnettes qui sont à l'extrémité du pourtour. Il y a dans cette ville
un nombre extraordinaire de gens atteints de graves maladies, car elle
est déchue, méprisée et laissée à l'abandon. Il s'y trouve de vieilles
gens hydropiques ou paralytiques depuis longues années et d'autres
infirmes de toute espèce. Jésus se rendit là avec ses disciples, à
l'exception de Judas qui ne lui avait pas encore été présenté. Les
Pharisiens du lieu et quelques étrangers venus d'ailleurs, étaient
présents : ils se tenaient près du réservoir du milieu d'où l'on pouvait
tout voir ; ils furent étonnés et en partie scandalisés des miracles de
Jésus, car c'étaient pour la plupart de vieilles gens très attachés à
leurs idées : ils n'avaient jamais accueilli ce que l'on en disait qu'en
hochant la tête d'un air capable, en ricanant et en levant les épaules,
et ils n'y avaient aucune foi ; mais maintenant ils ne pouvaient
s'empêcher d'être surpris et dépités en voyant les malades incurables de
leur ville contre les maux desquels ils avaient espéré que Jésus
échouerait, remporter leurs lits et revenir chez eux guéris et chantant
des cantiques Quant à Jésus, il enseignait ces malades, leur donnait des
avis et des consolations et ne faisait aucune attention aux Pharisiens.
Toute la ville était pleine de joie et retentissait du chant des
cantiques. Cela dura jusqu'à midi.
Alors Jésus retourna à son
logement près de la porte orientale. Sur son chemin, il fut poursuivi
par les cris de quelques possédés tout à fait furieux qu'on avait laissé
sortir du lieu où ils étaient renfermés. Jésus leur ordonna de se taire
: ils se turent aussitôt et vinrent, pleins d'humilité, se jeter à ses
pieds : il les guérit et leur enjoignit de se purifier. Jésus, partant
de son logis avec les disciples, sortit de la ville par un chemin assez
montant qui en contournait la partie septentrionale, et alla jusqu'à une
certaine distance de la maison des lépreux, qui était de ce côté. Il
ordonna alors à ses disciples de s'éloigner, et comme il y avait là deux
chemins, ils prirent celui du nord qui s'élevait sur la pente de la
montagne. Jésus alla à la maison des lépreux, les fit sortir, les
toucha, les guérit et leur enjoignit de se présenter aux prêtres pour la
purification légale. Il prit ensuite, au nord, un chemin qui rejoignait
celui qu'avaient suivi les disciples.
Judas Iscariote était venu
se joindre à eux, et Barthélemy et Simon le Zélateur le présentèrent à
Jésus, en lui disant : " Maître, voici Judas dont nous vous avons parlé
". Jésus le regarda très amicalement, mais avec un air de tristesse
inexprimable, et Judas, s'inclinant, lui dit : " Maître, je vous prie de
me permettre d'avoir part à votre enseignement ". Jésus lui répondit
avec beaucoup de douceur ces paroles prophétiques : " Tu peux en prendre
ta part, si lu ne veux pas la laisser à un autre ". Ce furent à peu près
ses expressions et je sentis qu'il faisait une allusion à Mathias qui
prit la place de Judas parmi les apôtres, et aussi au marché, par suite
duquel il devait vendre son maître. Les termes dont Jésus se servit
comprenaient plus de choses, mais j'y sentis cela.
Après cela Jésus parla et
enseigna, et ils gravirent tous ensemble la montagne au sommet de
laquelle s'était rassemblée u ne multitude de gens, venus de Méroz,
d'Atharoth qui est située au nord sur le penchant de la montagne et
généralement de toute la contrée : il s'y trouvait beaucoup de
Pharisiens de ces divers endroits. Déjà les jours précédents, Jésus
avait fait annoncer par les disciples qu'il ferait là une instruction,
et les disciples de Galilée y avaient été convoqués, vraisemblablement
par Judas. Jésus fit ici une instruction sévère sur le royaume de Dieu,
sur la pénitence, sur l'abandon où était ce peuple et sur l'obligation
où ils étaient de s'arracher à leur paresse. Je savais encore ce matin
tout ce qu'il dit, mais maintenant je l'ai oublié. Il n'y avait pas de
chaire en cet endroit, on prêchait sur un monticule entouré d'un fossé
circulaire, avec un revêtement en maçonnerie sur le bord duquel se
tenaient les auditeurs.
La vue est ici très belle
et très étendue : on voit au delà de Samarie, de Méroz, de Thébez et de
Michmethath : mais on ne domine pas le mont Garizim : on a en face de
soi les vieilles tours du temple qui le surmonte. Au sud-est, la vue
s'étend jusqu'à la mer Morte ; à l'est, au delà du Jourdain sur Galaad ;
cependant en regardant de côté vers le nord on aperçoit le Thabor et on
a une échappée de vue dans la direction de Capharnaüm. Lorsque le soir
vint, Jésus dit qu'il enseignerait encore le lendemain dans ce même
endroit. Beaucoup de gens passèrent ici la nuit sous des tentes parce
qu'ils étaient trop éloignés de leurs demeures. Jésus s'en retourna avec
les disciples à l'hôtellerie qui est devant Méroz, et tout en marchant
il donna beaucoup d'enseignements sur le bon emploi du temps, sur la
longue attente du salut, sur sa proximité, sur le renoncement à tout,
sur les conditions exigées pour le suivre, sur la charité envers les
nécessiteux, etc. Dans l'hôtellerie, Jésus prit un repas avec les
disciples. Sur la montagne il a fait distribuer aux pauvres l'argent que
les disciples avaient apporté de Capharnaüm, et Je remarquai à cette
occasion que Judas regardait cet argent avec une attention où se
trahissait la cupidité. Jésus enseigna dans l'hôtellerie pendant le
repas et encore assez avant dans la nuit. Je ne l'ai pas vu aller se
coucher. Ce fut aujourd'hui la première fois que Judas fut à table avec
Jésus et passa la nuit sous le même toit.
(30 octobre.) Le
matin, Jésus se rendit de nouveau au haut de la montagne et il y fit
pendant toute l'après-midi une grande instruction à peu près dans le
genre du sermon sur la montagne. Il y avait là une grande foule de
peuple. On distribua des aliments, du pain, du miel et des poissons
tirés d'étangs alimentés par les petits cours d'eau des environs. Jésus
avait chargé ses disciples de préparer des provisions pour les pauvres
vers la fin il parla de nouveau de l'unique talent que les gens de ce
pays avaient reçu comme fils des servantes et qu'ils avaient enfoui, et
il fit de vifs reproches aux Pharisiens qui ne faisaient qu'opprimer le
pauvre peuple et le laissaient engagé dans l'ignorance et le péché . Il
se trouvait ici des Samaritains convertis et Jésus demanda aux
Pharisiens pourquoi ils les haïssaient, pourquoi ils n'avaient pas
depuis longtemps ramené ces gens à la vraie doctrine. Les Pharisiens
pleins de dépit se mirent aussi à l'attaquer, lui reprochant
particulièrement qu'il laissait trop de liberté à ses disciples, qu'ils
n'étaient pas assez stricts en ce qui touchait les jeûnes, les
ablutions, les purifications, l'observation du sabbat, l'attention à
éviter les publicains et les sectaires, etc., qu'ils ne menaient
nullement le genre de vie qu'avaient coutume de suivre les disciples des
prophètes et des docteurs de la loi.
Jésus leur répondit par le
précepte sur l'amour du prochain : aimez Dieu par-dessus toutes choses
et votre prochain comme vous-même : c'est là le principal commandement.
Il demandait de ses disciples qu'ils apprissent à l'observer au lieu de
voiler des vices intérieurs sous des observances extérieures. Comme il
s'était exprimé à cette occasion en langage un peu allégorique, Philippe
et Thaddée lui dirent : " Maître, ils ne vous ont pas compris. "Alors
Jésus parla en termes parfaitement clairs et plaignit le pauvre peuple
ignorant et pécheur de ce qu'avec toutes leurs observances légales et
extérieures, ils l'avaient laissé se gâter à ce point : il déclara
hautement que ceux qui agissaient ainsi n'auraient pas de part à son
royaume. Il redescendit alors la montagne pour aller à son hôtellerie
qui était à peu près à une demi lieue de l'endroit où il avait enseigné
et à une égale distance de la ville Sur son chemin on avait apporté sur
des litières une grande quantité de malades de toute espèce qui
attendaient sous des tentes ; on les avait rassemblés là de tout le
pays. Jésus les guérit en employant différents procédés et il leur donna
des consolations et des avis.
Là se trouvait aussi Lais,
une veuve païenne venue de Naïm, afin d'implorer l'assistance de Jésus,
pour ses deux filles, Sabia et Athanie, qui étaient horriblement
possédées par le démon et enfermées à Naïm dans des chambres de sa
maison. J'ai vu ces pauvres créatures dans un état de frénésie complète
: elles étaient jetées violemment de côté et d'autre, mordaient et
frappaient tout ce qui les entourait : personne ne pouvait en approcher.
Quelquefois elles restaient étendues par terre, les membres contractés
par des convulsions et livides comme des cadavres. Leur mère était venue
ici avec des serviteurs et des servantes montés sur des ânes. Elle était
à quelque distance et attendait avec la plus vive impatience que Jésus
vînt près d'elle, mais il se détournait toujours pour aller à d'autres.
Elle ne pouvait pas se contenir et criait souvent lorsqu'il se
rapprochait d'elle : " Ah ! Seigneur ayez pitié de moi ! " Mais Jésus ne
semblait pas l'entendre. Les femmes qui étaient avec elle lui disaient
qu'il fallait crier : " Ayez pitié de mes filles ! " puisqu'elle-même
n'avait rien : mais elle répondit : " Elles sont ma chair, et s'il a
pitié de moi, il aura aussi pitié d'elles ! " et elle continua à crier.
Jésus lui dit alors : " il est convenable que je rompe le pain aux gens
de ma maison avant de le rompre aux étrangers ". Elle répondit : " Vous
avez raison, Seigneur : j'attendrai volontiers et même je reviendrai si
vous ne voulez pas m'assister aujourd'hui, car je ne suis pas digne de
votre assistance ! " Jésus avait terminé ses guérisons, les malades
emportaient leurs lits et se retiraient en chantant des cantiques de
louange : il ne se détourna pas vers cette malheureuse femme et il
sembla vouloir s'en aller : alors elle fut fort attristée et elle se
disait : " Hélas ! il ne veut pas me porter secours ". Dans ce moment
Jésus se tourna vers elle et lui dit :
"Femme, que désirez-vous de
moi ? "Elle était voilée et se jeta à ses pieds disant: "Seigneur,
secourez moi ! mes deux filles sont à Naïm, tourmentées par le démon: je
sais que vous pouvez les secourir, si vous le voulez car tout a été mis
en votre pouvoir". Jésus lui répondit : "Retournez chez vous : vos
filles viennent au-devant de vous. Mais purifiez-vous ! ce sont les
péchés des parents qui sont sur ces enfants ". Il lui dit ceci en
particulier et elle lui répondit : " Seigneur, je pleure depuis
longtemps sur ma faute : que dois-je faire ? " Jésus lui dit alors
qu'elle devait restituer le bien mal acquis, mortifier son corps, prier,
jeûner, faire l'aumône et prendre pitié des malades. Elle pleura
beaucoup, promit de faire tout cela et partit toute joyeuse. Les deux
filles de cette femme étaient le fruit de l'adultère, ses trois enfants
légitimes vivaient loin d'elle et elle possédait encore quelque chose
qui leur appartenait. Elle était fort riche et malgré tout son repentir
elle vivait dans le bien-être font les gens de distinction. J'eus le
spectacle de ce qui se passait à Naïm : je vis les filles enfermées dans
des chambres séparées : lorsque Jésus parla à leur mère, elles tombèrent
sans connaissance, et Satan sortit de leur corps, semblable à un sombre
nuage. Je les vis pleurer abondamment, puis, complètement transformées,
appeler leurs gardiennes et Leur faire voir qu'elles étaient guéries. Je
vis qu'on leur rendit la liberté, qu'elles prirent un bain et
s'habillèrent : puis quand elles surent que leur mère était allée
trouver le Prophète de Nazareth, elles coururent à sa rencontre,
accompagnées de beaucoup de personnes de leur connaissance. Elles
allèrent à peu près à une lieue de Naïm, trouvèrent là leur mère et lui
racontèrent tout. La mère retourna à la ville. et les filles avec leurs
gardiennes et les serviteurs se rendirent aussitôt à Méroz, pour se
présenter devant Jésus, parce qu'elles avaient entendu dire qu'il y
enseignerait encore le lendemain. Le moment où la mère vit ses filles
venir au devant d'elle fut extrêmement touchant.
Pendant que Jésus achevait
ses guérisons, Manahem, le disciple aveugle guéri à Coréa, que Jésus
avait envoyé à Lazare, était revenu de Béthanie ici avec les deux neveux
de Joseph d'Arimathie, et Jésus s'entretint avec eux. Les saintes femmes
leur avaient donné de l'argent et des présents pour la bourse de la
communauté. Pendant ce temps Dina, la Samaritaine, s'était rendue près
des saintes femmes à Capharnaüm, et avait apporté une riche
contribution. Véronique et Jeanne Chusa avaient aussi été à Capharnaüm,
près de Marie. A leur retour elles avaient rendu visite à Madeleine, en
qui elles avaient trouvé beaucoup de changement. Elle était triste et sa
folle paraissait déjà faire place à de meilleurs sentiments. En revenant
à Béthanie elles prirent avec elles la Samaritaine. Il y a une autre
veuve âgée et riche qui est allée trouver Marthe, et qui a donné tout
son bien pour le trésor de la communauté. Dans une occasion précédente,
j'ai parlé d'une femme âgée alliée à Jésus, qui demeure devant Béthanie,
et fait souvent des voyages pour la communauté : c'est de celle-là qu'il
s'agit : elle s'appelle Anne et elle est fille naturelle de Cléophas,
aujourd'hui défunt, lequel l'avait eue avant son mariage avec Marie, la
fille aînée de sainte Anne. (Elle est donc, du côté paternel, soeur de
Marie de Cléophas et de ses frères, qui sont encore distinctes de Jean,
et desquels. jusqu'à présent il a été peu parlé
Elle s'était mariée à
Nazareth et était devenue veuve. Deux de ses fils, qui furent plus tard
disciples, sont aujourd'hui employés à la pêche sur le navire de
Zébédée. Marie la Suphanite est allée trouver son mari, et je crois
qu'ils reviendront ensemble à Ainon.
Jésus fut invité à un repas
par les Pharisiens, et ils lui demandèrent si ses disciples, qui étaient
des jeunes gens sans expérience, peu faits pour frayer avec des savants,
en seraient aussi. Jésus répondit affirmativement : " car, disait-il,
quand on l'invitait, on invitait aussi ceux de sa maison : qui ne
voulait pas d'eux ne voulait pas de lui non plus ". Ils l'engagèrent
alors à amener ses disciples avec lui, et tous allèrent à la ville, dans
la maison destinée aux fêles, où Jésus enseigna encore et expliqua des
paraboles.
Le bien qu'avait Lazare
dans le voisinage de l'hôtellerie consistait en belles pièces de terre
et en plusieurs vergers où il y avait de belles avenues. Ceux qui en
avaient soin y habitaient et vendaient les fruits. Mais maintenant ils
étaient en outre spécialement chargés de l'hôtellerie. Le séjour
prolongé que Jésus devait faire ici était chose convenue avec Lazare
lors de leur dernière rencontre à Ainon. Les saintes femmes étaient
venues alors pour tout préparer, et les gens du pays attendaient Jésus.
(31 octobre.) Le
matin, Jésus enseigna à Méroz, près du puits, et il reprocha de nouveau
aux Pharisiens l'abandon où ils laissaient le peuple. Après le repas, il
alla de nouveau sur la hauteur, et fit une instruction dans le genre de
celle qui est connue sous le nom de sermon sur la montagne : en prenant
congé de ses auditeurs, il leur expliqua de nouveau la parabole du
talent enfoui. Il y avait des gens qui campaient là depuis trois jours
déjà : ceux auxquels les provisions faisaient défaut furent rangés à
part, et les disciples leur fournirent des aliments et ce qui leur était
nécessaire. Dès hier on a prié Jésus de visiter plusieurs autres
endroits. Aujourd'hui, 'oncle de Judas, Simon d'Iscariot, un vieillard
pieux, basané et robuste, lui a demandé de venir demain à Iscariot et
Jésus le lui a promis.
Des malades qui pouvaient
encore marcher étaient venus attendre Jésus à la descente de la
montagne, et il les guérit. C'était dans un endroit peu éloigné, sur le
chemin qui était entre son logis et le bien de Lazare, un peu au-dessous
du lieu où les disciples avaient distribué des aliments. Ici, à
l'endroit même où Laïs, la païenne de Naïm, s'était prosternée la veille
devant Jésus, l'implorant pour ses filles malades, celles-ci, Athanie et
Sabia, maintenant guéries, étaient venues attendre le Seigneur,
accompagnées de leurs serviteurs et de leurs servantes. Elles se
prosternèrent à ses pieds ainsi que toute leur suite, et lui dirent : "
Seigneur, nous ne nous sommes pas jugées dignes d'entendre vos paroles,
et nous vous attendions ici pour vous remercier au lieu même où vous
nous avez délivrées de la puissance de l'ennemi ". Jésus leur dit de se
relever, et il loua la patience, humilité et la foi de leur mère, qui
avait attendu, comme une étrangère, qu'il eût distribué le pain à ceux
de sa maison. Mais maintenant elle appartenait aussi à sa maison car
elle avait reconnu le Dieu d'Israël dans sa miséricorde, et il était
envoyé par le Père céleste pour distribuer le pain a tous ceux qui
croiraient à sa mission et feraient pénitence. Il fit ensuite apporter
des aliments par ses disciples, présenta aux jeunes filles et à chaque
personne de leur suite un morceau de pain et une part de poisson, et il
leur fit, à cette occasion, une belle et profonde instruction que j'ai
malheureusement oubliée : après quoi il gagna son hôtellerie avec les
disciples. L'une des jeunes filles avait vingt ans, l'autre vingt-cinq.
Elles étaient très blanches et très pâles par suite de Leur maladie et
de leur vie renfermée.
(1er novembre) Le
matin, Jésus partit de son hôtellerie, et fit, en compagnie des
disciples, une petite lieue à l'est pour aller à Iscariot. Il y a là
environ vingt-cinq maisons ; elles sont situées au fond d'une gorge, sur
un terrain marécageux, et rangées en ligne le long d'une eau noirâtre et
couverte de joncs. formant, à l'aide de retenues, des mares où l'on
prépare les cuirs. Souvent il n'y a pas assez d'eau, et il faut en faire
venir d'autres sources. Le bétail de Méroz vient ici pâturer : on tue
sur place les animaux dont on a besoin, on les écorche et on tanne leurs
peaux. Cette gorge est attenante à la partie septentrionale de
Michmethath. Le métier de tanneur est considéré par les Juifs comme un
métier inférieur, à cause de la mauvaise odeur que répand la préparation
des cuirs. Ils emploient pour tanner les peaux des animaux morts, des
esclaves païens et d'autres gens de bas étage, qui ont à Méroz un
quartier à part. A Iscariot, il n'y a que des tanneries, et il m'a
semblé que la plupart des maisons appartenaient au vieux Simon, l'oncle
de Judas.
Judas était fort aimé de
son vieil oncle, et lui était utile dans son commerce de cuirs : il
l'envoyait, tantôt avec des ânes pour acheter des peaux non préparées,
tantôt dans les villes maritimes pour y vendre des cuirs apprêtés. Il
était habile et rusé dans son métier de courtier et de trafiquant. Il
n'était pas encore perverti : s'il avait su se vaincre sur de petites
choses, il ne serait pas allé si loin La sainte Vierge lui donna souvent
des avertissements. Son caractère était très vacillant. Il était capable
d'un repentir très vif, mais jamais durable. Il avait toujours en tête
un royaume de ce monde, et comme le succès paraissait de plus en plus
incertain, il se mit à amasser de l'argent. Il avait fait quelquefois de
bons bénéfices, et lorsque Madeleine versa son onguent sur Jésus, il
s'irrita de ce que le prix ne lui en fût pas remis à titre d'aumône. Ce
fut à la dernière fête des Tabernacles où assista Jésus. qu'il commença
à tourner à mal. Lorsqu'il trahit Jésus pour de l'argent, il n'imaginait
pas que celui-ci fût mis à mort : il croyait qu'il recouvrerait sa
liberté ; et, quant à lui, il voulait seulement gagner son argent. Il
m'a toujours beaucoup contristée.
Judas se montrait à
Iscariote très obligeant et très serviable : il était la tout à fait
comme chez lui. Son oncle, le tanneur Simon, reçut Jésus et les
disciples à l'entrée du village : il leur lava les pieds et leur offrit
la réfection accoutumée. Cet homme est très actif et très robuste. Jésus
fut dans sa maison avec les disciples ; j'y ai vu une femme, des enfants
et des domestiques : je crois que c'est sa famille.
Jésus entra à l'autre
extrémité du bourg ; il y a là, dans un champ, un jardin d'agrément où
sont encore les cabanes de feuillage. Tous les gens de l'endroit y
étaient rassemblés, et Jésus fit une instruction sur la parabole du
semeur et des divers terrains où tombe la semence : il exhorta ses
auditeurs à préparer une bonne terre pour son instruction qu'ils avaient
déjà entendue en partie sur la montagne. Il prit aussi debout un petit
repas avec ses disciples et la famille, et le vieux Simon pria encore
Jésus de faire participer son neveu Judas, dont il vanta les qualités, à
son enseignement et à son royaume. Jésus lui fit une réponse du même
genre que celle qu'il avait faite à Judas lui-même, disant : " qu'il
était permis d'y prendre part a quiconque ne voulait pas céder sa part à
autrui ". Jésus n'opéra pas de guérisons ici : les malades avaient été
déjà guéris sur la montagne.
Dans l'après-midi, Jésus
revint avec ses disciples dans la direction de l'ouest, presque jusqu'à
l'hôtellerie à sa gauche la montagne où il avait enseigné, et à sa
droite une autre montagne. Il laissa Atharoth à gauche, tourna un peu au
nord-est, puis encore au nord, et côtoya une montagne dans la direction
de Dothan. De cette ville, la vue plonge dans la vallée qui est à l'est
de la plaine d'Esdrelon. On a, au levant, des montagnes au-dessus de
soi, et au couchant. on domine la vallée.
Jésus était accompagné sur
ce chemin par trois groupes de personnes qui suivaient cette roule
séparément, et qui revenaient de sa prédication sur la montagne pour
aller célébrer le sabbat dans divers endroits. Il se joignit
alternativement à ces groupes. A partir de l'hôtellerie, il y avait près
de trois lieues jusqu'à Dothan. C'est un endroit qui est bien aussi
considérable que Munster. J'ai vu qu'Élisée devait y être arrêté par les
soldats de Jéroboam mais que ceux-ci furent frappés d'aveuglement. Deux
grandes routes passent par Dothan, qui a cinq portes et autant de rues.
Une de ces routes va de la Galilée à la Samarie et à la Judée, l'autre
vient d'au delà du Jourdain, et conduit, à travers la vallée, à Apheké
et à Ptolémaïs, sur le bord de la mer. On fait ici le commerce de bois.
Les montagnes de cette contrée et celles `1ui avoisinent Samarie sont
encore très boisées ; elles sont beaucoup plus dépouillées au delà du
Jourdain, près d'Hébron et au bord de la mer Morte. je vis dans le
voisinage plusieurs endroits où l'on apprêtait le bois. C'étaient des
enfoncements de terrain recouverts de toiles tendues : on y équarrissait
des poutres qui devaient servir à la construction des navires ; on
apprêtait aussi de longues baguettes pour les cloisons en clayonnage.
Devant les portes, sur les grandes routes qui se croisent à Dothan. on
trouve plusieurs hôtelleries.
Jésus alla à la synagogue
avec les disciples : on y était déjà assemblé. Il s'y trouvait beaucoup
de Pharisiens et de docteurs. Ils devaient savoir d'avance que Jésus
viendrait, car ils se montrèrent très empressés à le recevoir sur la
place qui était devant la synagogue, à lui laver les pieds et à lui
présenter la réfection accoutumée. Ensuite ils le firent entrer et lui
donnèrent les livres de la loi. L'instruction eut pour sujets la mort de
Sara, le second mariage d'Abraham avec Cétura. et la dédicace du temple
de Salomon.
(2 novembre.) Après
l'instruction du sabbat, Jésus alla devant la ville, dans l'hôtellerie,
où il trouva Nathanaël le Fiancé, deux des fils de Cléophas et de la
soeur aînée de sa mère, et encore deux autres disciples qui tous
s'étaient réunis ici pour le sabbat, en sorte qu'il se trouvait près de
lui environ dix-sept disciples. Les gens de la maison, qui est sur les
propriétés de Lazare, près de Ginéa, et où Jésus était allé récemment
lors de son voyage à Atharoth, étaient aussi venus ici pour le sabbat.
Dothan est une ancienne
ville bien bâtie et agréablement située : elle est adossée à des
montagnes qui ne l'empêchent pas de s'étendre, et elle voit en face
d'elle la belle plaine d'Esdrelon. En outre, les montagnes ici sont
moins abruptes et moins déchirées qu'ailleurs ; ce sont de grandes
terrasses qui s'élèvent les unes au-dessus des autres, et il y a de
meilleurs chemins. Les maisons sont bâties à l'ancienne mode comme du
temps de David : plusieurs ont, aux angles de leurs toits en terrasses,
des tourelles surmontées de grosses boules rondes, dans l'intérieur
desquelles on peut s'asseoir, et d'où la vue s'étend dans toutes les
directions. C'est du haut d'une tourelle de ce genre que David regarda
Bethsabée. Il y a aussi sur les toits des galeries avec des rosiers et
même avec des arbres.
Le matin, Jésus alla à la
synagogue où il enseigna : puis il parcourut les rues et entra dans les
cours de plusieurs maisons où se trouvaient des gens malades. Les
habitants se tenaient aux portes pour implorer son secours, et il
entrait chez eux accompagné de deux disciples. On adressait aussi aux
autres disciples des demandes qu'ils lui transmettaient. Il guérit ainsi
plusieurs personnes : il se rendit aussi à un endroit écarté où étaient
les lépreux, et il les guérit. Il y avait beaucoup de lépreux dans la
ville, peut-être à cause des rapports fréquents avec les marchands
étrangers qui passaient par là. Outre le commerce de bois, on faisait
dans cet endroit beaucoup d'autres trafics. On y apportait des tapis, de
la soie brute et des objets du même genre, qu'on déchargeait et qu'on
réexpédiait.
Je vis des marchandises de
cette espèce déposées chez un homme malade que Nathanaël de Cana, qui
logeait chez lui avait dès hier prié Jésus de visiter. Il y alla vers
midi. C'est une maison de très belle apparence, avec des cours et des
galeries: elle n'est pas loin de la synagogue. Elle est habitée par un
homme riche âgé d'environ cinquante ans. Il s'appelle Issachar; il est
très malade d'une hydropisie et il a épousé, il y a peu de jours, une
jeune femme de vingt-cinq ans, nommée Salomé : mais le mariage n'est pas
encore consommé. Cette union a été motivée par une prescription de la
loi, dont je ne me souviens pas à présent ; il y a entre eux une
relation comme celle qui existait entre Ruth et Booz le bien doit échoir
à Salomé. Les méchantes langues de la ville, surtout les Pharisiens.
s'occupaient beaucoup de ce mariage, et c'était le sujet de toutes les
conversations. Mais Issachar et Salomé avaient mis leur confiance en
Jésus et ils avaient déjà espéré le voir la dernière fois qu'il avait
passé dans le voisinage.
Cette maison avait déjà
reçu la visite de Jésus du vivant des parents de Salomé ; car, lorsque
Marie, pendant sa grossesse, était partie de Nazareth avec saint Joseph
pour aller voir Elisabeth, elle avait fait là sa première station.
C'était un peu avant les fêtes de Pâques. Joseph alla d'Hébron à la fête
avec Zacharie ; lorsqu'il revint à Hébron, avant de retourner chez lui,
Marie s'arrêta encore ici. Jésus, étant encore dans le sein de sa mère,
avait donc reçu l'hospitalité dans cette maison, et il y venait
aujourd'hui, trente et un ans plus tard, en sa qualité de rédempteur,
pour récompenser, dans la personne du fils malade, cette oeuvre de
charité des parents.
Salomé était l'enfant de
cette maison et la veuve du frère d'Issachar qui était lui-même veuf de
la soeur de Salomé. La maison et tout le bien devaient revenir à
celle-ci. Ils étaient tous deux sans enfants, et les seuls rejetons
d'une bonne souche. Ils se marièrent, espérant que Jésus, dans sa bonté,
guérirait Issachar. Salomé comptait sur son alliance avec saint Joseph ;
elle était originaire de Bethlehem, et le père de Joseph avait coutume
de donner le nom de frère à son grand père, quoiqu'ils ne fussent point
frères selon la chair Elle comptait au nombre de ses ancêtres un
descendant de la famille de David, qui, je crois, avait été roi, lui
aussi. Son nom ressemblait à Ela. C'était par suite de cette ancienne
liaison que Joseph et Marie avaient logé ici.
Issachar était de la tribu
de Lévi. A l'entrée de la maison, Salomé vint au devant de Jésus avec
ses suivantes et ses serviteurs : elle se jeta à ses pieds et le pria de
guérir son mari. Jésus entra avec elle dans la chambre du malade. Il
était couché sur son lit, enveloppé dans des linges. Il était hydropique
et complètement paralysé d'un côté. Jésus Je salua et lui parla avec
bonté. Le malade se montra très ému et très affectueux : il ne pouvait
pas se redresser. Jésus pria, le toucha et lui donna la main. Alors il
se redressa, mit un autre vêtement et se leva de son lit : puis lui et
sa femme se prosternèrent devant Jésus. Le Seigneur leur donna des avis,
les bénit et leur promit qu'ils auraient des enfants : après quoi il
sortit avec eux de la chambre, en présence de tous les gens de la maison
qui s'étaient rassemblés et qui ressentirent une grande joie. Pendant la
journée d'aujourd'hui. on garda le silence sur cette guérison.
Jésus et les disciples
prirent ici un peu de nourriture : Issachar invita le Seigneur a loger
chez lui cette nuit avec tous les siens et à y accepter un repas après
la synagogue, ce à quoi Jésus consentit. Il alla alors à la synagogue où
il enseigna, mais vers la fin, les Pharisiens et les Sadducéens
entrèrent en dispute avec lui. A propos du mariage d'Abraham avec
Cétura, il en était venu à parler du mariage en général, et il dit
quelque chose dont je ne me souviens plus bien. Les Pharisiens étaient
d'avis que Cétura aurait dû être mieux partagée par Abraham l. Ils En
vinrent aussi à parler du mariage d'Issachar avec Salomé et blâmèrent
hautement, comme une chose insensée, l'union d'un homme de cet âge et si
infirme avec une jeune femme. Jésus répondit qu'ils s'étaient mariés
conformément aux prescriptions de la loi, et s'étonna qu'ils osassent
blâmer leur conduite, eux qui tenaient si fort à la loi. Ils demandèrent
comment il pouvait, dans ce cas, tenir pour l'observation de la loi. Un
homme de cet âge et si malade, disaient-ils, hors d'état d'avoir des
enfants, ne pouvait pas par là même accomplir la loi : cette union
n'était qu'un scandale Jésus leur répondit que sa foi lui avait assuré
une postérité. " Voulaient-ils mettre des bornes à la toute-puissance de
Dieu ? Ce malade avait-il contracté ce mariage par suite d'une
convoitise charnelle ou pour obéir à la loi ? s'il avait confiance en
Dieu et croyait que Dieu pouvait l'assister, il avait bien agi. Mais ce
n'était pas là la cause de leur mécontentement, ils avaient espéré que
cette famille s'éteindrait sans héritiers et qu'ils pourraient
s'approprier ses biens. Il mentionna aussi plusieurs personnages pieux,
d'un âge avancé, dont Dieu avait récompensé la foi en leur donnant une
postérité, et dit encore beaucoup de choses sur le mariage, de manière à
réduire les Pharisiens au silence, malgré la rage dont ils étaient
pleins.
NOTE
: Si elle avait pu dire ce qu'elle entendait par ces paroles, on
trouait certainement ici d'autres expressions. Depuis quelque temps
elle a beaucoup de peine à parler et en conséquence s'exprime avec
peu de clarté.
Lorsque le sabbat fut fini,
Jésus quitta la synagogue et revint avec ses disciples dans la maison
d'Issachar, où il y eut un grand repas. Issachar était assis à une table
avec Jésus et les disciples alliés à sa famille ; sa femme allait et
venait, s'occupant du service. Auparavant Jésus guérit encore, à la
chute du jour et à la lueur des flambeaux, plusieurs malades qui
s'étaient rassemblés devant la synagogue et près de la maison
d'Issachar.
Les autres disciples
mangeaient dans une salle voisine : là, se trouvaient Judas Iscariote,
Barthélemy et Thomas avec son frère et un beau-frère (il avait encore
deux autres beaux-frères). Ils étaient partis hier d'Apheké qui est à
sept lieues, et étaient arrivés ici le soir pour le sabbat. Ils
logeaient dans la maison d'Issachar où Thomas était bien connu par suite
de relations de commerce. Il n'avait pas encore parlé à Jésus mais
seulement à ceux des disciples qu'il connaissait, car il n'était
nullement indiscret. Jacques le Mineur aussi était venu de Capharnaüm
pour le sabbat, et en outre, un certain Nathanaël, fils d'Anne, cette
fille naturelle qu'avait eue Cléophas avant son mariage et dont j'ai dit
qu'elle était à présent auprès de Marthe. C'était le plus jeune de ses
fils qui était employé dans la pêcherie de Zébédée : il était âgé
d'environ vingt ans, très doux et très aimable ; il avait un peu du
caractère de Jean. Il avait été élevé dans la maison de son grand-père
Cléophas et on l'avait surnommé le petit Cléophas pour le distinguer des
autres Nathanaël. J'ai appris cela à ce sabbat ou j'entendis Jésus dire
: " Appelez-moi le petit Cléophas. "
On mangea au repas des
oiseaux, du poisson, du miel et du pain. Il y avait ici une quantité
énorme de tourterelles et de pigeons de toute espèce, et d'autres
oiseaux de couleurs variées. Ils couraient comme des poulets autour des
maisons. Ils avaient ici de belles excursions à faire dans les plaines
de Jezraël. Pendant le repas, Issachar parla de la mère de Jésus,
rappela qu'elle était venue dans cette maison lorsqu'il était jeune et
raconta ce que ses parents lui avaient souvent dit de sa jeunesse, de sa
beauté et de sa piété. Joseph était alors un homme déjà avancé en âge.
Il espérait que Dieu qui l'avait guéri par l'intermédiaire du fils de
Joseph, lui donnerait aussi une postérité. Il ne connaissait pas
l'origine divine de son Sauveur. Les disciples logèrent tous ici. Il y
avait autour de la maison de grands portiques avec des colonnes : on y
plaça des cloisons entre lesquelles on leur prépara des couches. Dothan
est une vieille ville fortifiée : parmi les habitants, il y en a de très
bons et de très mauvais. Dothan avec ses solides maisons à la vieille
mode fait le même effet, par rapport aux autres villes du pays, que
Cologne chez nous par rapport aux autres villes allemandes.
(3 novembre.) Ce
matin, Jésus s'est promené avec les disciples dans les jardins qui sont
devant la ville et il s'est entretenu avec eux. Quelques disciples ont
été dans la ville et aux environs convoquer à une instruction que Jésus
doit faire vers midi et à un repas qu'Issachar donnera pour fêter sa
guérison. Thomas qui était allé avec eux, s'approcha ici du Seigneur et
le pria de le recevoir au nombre de ses disciples : il voulait le
suivre, disait-il, et faire tout ce qu'il lui dirait ; son enseignement
et ses miracles qu'il avait vus, l'avaient convaincu que Jean et ceux de
ses disciples qu'il connaissait avaient dit la vérité par rapport à lui.
Il le priait de permettre qu'il eût part à son royaume. Jésus lui dit
qu'il le connaissait et savait d'avance qu'il viendrait à lui. Thomas ne
voulait pas le croire et assurait n'y avoir jamais pensé auparavant, car
il n'était nullement enclin à se séparer du reste des hommes ; il
n'avait pris son parti que tout récemment, convaincu par les miracles de
Jésus Le Seigneur lui répondit : " Tu parles comme Nathanaël, tu te
crois sage et tu dis des choses folles. Le jardinier ne doit-il pas
connaître ses arbres, le vigneron ses ceps, et quand il cultive sa
vigne, ne doit-il pas connaître les serviteurs qu'il veut y envoyer " ?
Il parla aussi, par manière de comparaison, de ceux qui veulent cueillir
des figues sur les ronces.
Deux disciples de Jean,
envoyés vers lui par le précurseur, lesquels avaient déjà assisté à sa
prédication sur la montagne de Méroz et vu les miracles qu'il y avait
opérés, s'entretinrent également ici avec Jésus, après quoi ils
retournèrent à Machérunte. Ils faisaient partie d'un groupe de disciples
qui étaient venus y résider et auxquels Jean faisait des instructions
devant sa prison. Ils lui étaient fortement attachés, et comme ils
n'avaient encore rien vu des actions de Jésus, Jean les lui envoya afin
qu'ils reconnussent la vérité de ce qu'il disait à son sujet. Il lui fit
aussi demander par eux de parler ouvertement et clairement, de dire qui
il était et de fonder son royaume sur la terre. Ils dirent à Jésus
qu'ils étaient persuadés de tout ce que Jean annonçait de lui et lui
demandèrent s'il ne viendrait pas bientôt le délivrer de sa prison.
Jean, disaient-ils, espérait être délivré par lui et le désirait
vivement ; il était temps qu'il établît son royaume et rendît la liberté
à leur maître : ils croyaient que ce serait un miracle plus utile que
ses autres guérisons. Jésus leur répondit qu'il savait bien que Jean
avait le désir et l'espoir d'être délivré de cette prison, qu'il en
serait délivré en effet, mais que son précurseur qui lui avait prépare
les voies, ne croyait pas qu'il allât à Machérunte le remettre en
liberté. Ils devaient faire connaître à Jean ce qu'ils avaient vu et lui
dire qu'il accomplirait sa mission.
Je ne sais pas si Jean savait que Jésus serait crucifié et que son
royaume n'était pas de ce monde : je pense qu'il croyait, lui aussi, que
Jésus convertirait le peu e le délivrerait et établirait sur la terre un
royaume saint. Vers midi, Jésus revint à la ville dans la maison
d'Issachar, où il s'était déjà rassemblé beaucoup de monde et où la
maîtresse de la maison et tous ses gens étaient occupés à préparer les
mets et tout ce qui était nécessaire pour le repas. En sortant de la
maison d'Issachar par la porte de derrière, on rencontrait une place
spacieuse où se trouvait une belle fontaine publique entourée de
diverses constructions. Cette fontaine était comme sainte, car Élisée
l'avait bénie : une belle chaire de pierre s'élevait à côté et des
enceintes avaient été disposées à l'entour pour qu'un nombreux auditoire
pût entendre, à l'ombre d'arbres touffus, les instructions données du
haut de cette chaire. On y faisait plusieurs fois dans l'année,
spécialement à la Pentecôte, des prédications publiques. Il y avait en
outre, auprès de la fontaine, des armoires et de longs bancs de pierre
ou d'étroites terrasses sur lesquelles on donnait à manger aux caravanes
ou aux troupes de voyageurs qui allaient à Jérusalem pour la fête de
Pâques. La maison d'Issachar, à raison du voisinage, avait vue sur cette
fontaine, et comme cette maison était une espèce d'entrepôt de roulage,
la partie qui donnait sur la place était disposée en conséquence : les
caravanes y embarquaient ou déballaient des marchandises sans que ce fût
pourtant une hôtellerie publique. C'était une entreprise comme celle du
père de la fiancée de Cana en Galilée (Voir t. I p. 402) La belle
fontaine qui se trouvait là avait seulement cela source était située à
une grande profondeur et qu'il fallait se donner beaucoup de peine pour
pomper l'eau qui coulait dans des bassins placés tout autour.
Une grande quantité de
personnes s'étaient rassemblées là sur l'invitation de Jésus et
d'Issachar, et Jésus du haut de la chaire fit au peuple une instruction
sur l'accomplissement de la promesse, sur l'approche du royaume de Dieu,
sur la pénitence et la conversion et sur la manière d'implorer la
miséricorde de Dieu et d'accueillir les grâces et les miracles. Il parla
aussi d'Élisée qui avait enseigné ici, dit comment les Syriens, ayant
voulu s'emparer de lui, avaient été frappés d'aveuglement, comment
Élisée les conduisit à Samarie entre les mains de leurs ennemis comment
il les fit héberger et au lieu de les livrer à la mort leur rendit la
vue et les renvoya à leur roi : ; il appliqua tout cela au Fils de
l'homme et aux persécutions des Pharisiens. Il enseigna encore
longuement sur la prière et sur les bonnes oeuvres, parla de la prière
du Pharisien et de celle du Publicain, dit que lorsqu'on jeûnait il
fallait se bien vêtir et se parfumer, et non faire parade de sa dévotion
aux yeux du peuple. etc., etc. Les gens de l'endroit qui étaient très
vexés par les Pharisiens et les Sadducéens furent fort consolés par la
prédication de Jésus. Mais les Pharisiens et les Sadducéens furent
transportés de rage en voyant cette réunion joyeuse et en écoutant dans
l'assistance Issachar, rendu à la santé, s'occuper avec les siens et les
disciples de Jésus, à distribuer joyeusement des aliments au peuple qui
s'était établi tout le long des bancs de pierre, ils devinrent tellement
furieux qu'ils se précipitèrent avec impétuosité sur Jésus. Ils firent
mine de vouloir se saisir de lui et ils se mirent encore à l'injurier
pour avoir guéri le jour du sabbat Jésus les engagea à l'écouter
tranquillement ; il les fit ranger en cercle autour de lui et, faisant
usage de la façon de parler proverbiale qui lui était familière, il dit
aux plus considérables d'entre eux : " Si vous étiez au fond de ce puits
le jour du sabbat, ne demanderiez-vous pas qu'on vous en retirât ? " Il
continua son instruction sur ce ton, en sorte qu'ils se retirèrent les
uns après les autres, couverts de confusion. Mais Jésus quitta la ville
avec quelques-uns de ses disciples et descendit dans la vallée qui court
du midi au nord, le long de la partie occidentale.
Issachar a fait
d'abondantes distributions à Dothan. Il a envoyé aux hôtelleries de la
communauté des ânes chargés de provisions de toute espèce : il a repris
aux disciples leurs provisions de bouche qui étaient trop vieilles et
leur en à donné de meilleures à la place. Il leur donna aussi pendant le
repas des coupes semblables a celles qui étaient à Cana et des urnes
aplaties faites d'une matière blanche avec des anneaux servant à les
suspendre et des bouchons faits d'une espèce d'éponge fortement
comprimée. Il y avait dedans un breuvage rafraîchissant et aussi du
baume. Il donna aussi à chacun des disciples de l'argent destiné à des
aumônes et à d'autres dépenses.
Judas Iscariote revint
d'ici chez lui ainsi que plusieurs autres disciples. Jésus n'en garda
que neuf environ avec lui, parmi lesquels étaient Thomas, Jacques le
Mineur, Jude Barsabas, Simon Thaddée, le petit Cléophas, Nathanaël,
Manahem et d'autres encore.
Lorsque Jésus fut parti, il
y eut une explosion de paroles et d'injures de la part des Pharisiens.
Ils dirent aux pauvres gens qui étaient là rassemblés : " On voit bien
qui il est, il s'est fait bien payer par Issachar. Ses disciples sont
des vagabonds et des paresseux qu'il nourrit et régale aux dépens
d'autrui. s'il avait quelque idée de ses devoirs, il resterait chez lui
et nourrirait sa pauvre mère ; son père était un pauvre charpentier ;
quant à lui, un métier honnête n'est point son affaire, il court le
monde et trouble la tranquillité du pays ".
Lorsqu'Issachar faisait ses
distributions, il ne cessait de dire : " Prenez, de grâce, prenez ! Cela
n'est pas à moi : cela appartient au Père céleste : c'est lui qu'il faut
remercier : ce n'est qu'un prêt qu'il m'a fait ".
CHAPITRE TROISIÈME
Séjour de Jésus en Galilée.
Jésus à Endor, - à
Abez, - à Dabrath, - à Giscala, - à Gabara.- Première conversion de
Madeleine.
(Du 4 au 14 novembre
1822. )
(3-4 novembre.)
Jésus accompagné des disciples alla d'abord au nord-ouest, en suivant la
vallée jusque vis-à-vis la petite rivière qui l'arrose au nord : alors
ils prirent une direction plus septentrionale et après avoir fait
environ cinq lieues, ils arrivèrent dans la nuit à une hôtellerie
isolée, où il n'y avait qu'un abri, un foyer et des places pour se
coucher. Il y avait dans le voisinage un puits qui remontait aussi à
Jacob. Les disciples recueillirent des branchages et des fruits sur les
hauteurs situées à l'est, et ils allumèrent du feu. Sur le chemin,
Jésus, à plusieurs reprises, avait eu des entretiens prolongés avec eux,
ce qu'il avait fait surtout pour l'instruction de Thomas, de Simon, de
Manattem, du petit Cléophas et en général des nouveaux disciples. Il
parla des conditions exigées pour le suivre, dit qu'il fallait
abandonner tout ce qu'on avait sans regret et sans retour, mais que,
s'ils étaient bien pénétrés du peu de valeur des biens terrestres, ils
retrouveraient tout cela multiplié par mille dans son royaume. Il leur
dit aussi qu'avant de renoncer ainsi à tout, ils devaient examiner
mûrement s'ils en étaient capables. Judas Iscariote ne plaisait pas
beaucoup à quelques-uns des disciples, notamment à Thomas : il déclara
ouvertement à Jésus, que ce Judas fils de Simon ne lui plaisait pas,
qu'il disait trop aisément oui et non : il lui demanda pourquoi il
l'avait admis quand il se montrait plus difficile pour d'autres. Jésus
répondit d'une manière évasive faisant allusion aux décrets divins
rendus de toute éternité sur lui comme sur tous les autres.
Lorsque les disciples se
furent retirés pour dormir, Jésus alla seul dans la montagne et y pria
pendant la nuit.
(4 novembre.)
Aujourd'hui de grand matin, quelques habitants de Sunem, qui est à deux
lieues à l'est, vinrent trouver Jésus à l'hôtellerie et le prièrent
instamment de venir les visiter le lendemain, car ils avaient des
enfants bien dangereusement malades ; il pouvait les guérir, et
précédemment ils l'avaient déjà attendu en vain. Jésus leur répondit
qu'il ne pouvait pas y aller pour le moment, parce que d'autres
l'attendaient, mais qu'il leur enverrait de ses disciples. Ces gens
répondirent qu'ils n'y avaient pas confiance, que quelques-uns d'entre
eux étaient déjà venus chez eux et qu'ils n'avaient point opéré la
guérison désirée. Jésus les exhorta à la patience, et ils se retirèrent.
Jésus se dirigea alors vers
Endor avec les disciples. Sur le chemin de Dothan à Endor, on trouve
deux puits de Jacob, où ses troupeaux allaient boire : il avait à ce
sujet des querelles et des combats continuels avec les Amorrhéens.
Enfin, ils voulurent aussi le chasser de l'héritage de Joseph, situé
dans le voisinage de Samarie, où Jésus s'était trouvé récemment : mais
Jacob résista et on vida la querelle dans un combat singulier où Jacob
fut vainqueur, et après lequel il y eut un traité. Lazare a des champs
près de Jezraël, avant Endor. Joachim et Anne en avaient à deux lieues
au nord-est d'Endor, et Anne accompagna Marie jusque-là lors du voyage
de Bethlehem. Ce fut là qu'ils prirent un âne qui fut donné à saint
Joseph et qui courait en liberté devant lui. Joachim et Joseph avaient
aussi des champs qui se touchaient de l'antre côté du Jourdain, à peu de
distance de Gazer : ils avaient pour limites au sud-est le désert et la
forêt d'Ephrem.
Ce fut sur ce bien que
Joachim alla se cacher pour prier lorsqu'il revint du temple, si triste,
et il y reçut l'ordre d'aller à Jérusalem où Anne le rencontra sous la
Porte-Dorée.
Jésus, en quittant
l'hôtellerie où il avait passé la nuit, fit encore deux lieues au nord
dans la direction d'Endor Il n'entra pas dans la ville, mais il resta
dans une hôtellerie faisant partie d'un groupe de maisons, qui se liait
à Endor en remontant la pente de la montagne. Il enseigna beaucoup de
personnes qui se rassemblèrent bientôt autour de lui, convoquées par les
disciples : sur la demande qui lui en fut faite, il entra dans quelques
maisons et guérit des malades dont plusieurs avaient été amenés d'Endor.
Parmi ces derniers se trouvaient des païens qui se tenaient à quelque
distance. Il vint aussi un païen d'Endor avec un petit garçon de sept
ans qui était possédé d'un démon muet et que souvent on ne pouvait
maîtriser. Lorsque cet homme s'approcha de Jésus, l'enfant devint tout à
fait furieux, s'arracha des mains de son père et alla se blottir dans
une grotte de la montagne. Alors le père alla à Jésus, et se jeta à ses
pieds en pleurant ; sur quoi Jésus alla à la grotte et ordonna à
l'enfant de : venir devant son Seigneur. Celui-ci sortit d'un air humble
et se prosterna devant Jésus qui lui imposa les mains et ordonna à Satan
de se retirer : aussitôt l'enfant tomba comme évanoui pour quelques
moments, et je vis une sombre vapeur sortir de lui, après quoi il se
releva, courut à son père et lui parla. Celui-ci l'embrassa et se
prosterna de nouveau avec lui devant Jésus pour lui rendre grâces. Jésus
donna des avis au père et lui enjoignit d'aller se faire baptiser à
Arnon. Jésus n'entra pas dans Endor. Le faubourg où il était, était
mieux bâti qu'Endor même, parce qu'il était plus près de la route. Endor
a quelque chose de mort et d'abandonné : une partie de la ville est
déserte et l'on y voit des murs en ruines. Il semble que l'herbe croît
dans les rues. Il s'y trouve beaucoup de païens soumis à une sorte de
servitude, à raison de laquelle ils sont astreints à des travaux publics
de toute espèce Le peu de Juifs riches qui y habitent, viennent faire le
guet d'un air effrayé à la porte de leurs maisons et regardent souvent
derrière eux, comme s'ils craignaient qu'on ne leur dérobe leur argent
quand ils ont le des tourné.
Jésus alla d'ici à une
lieue et demie ou deux lieues au nord-est, à l'entrée d'une vallée qui
va de la plaine d'Esdrelon au Jourdain le long du versant septentrional
des montagnes de Gelboë. Il y a une arête élevée au milieu de cette
vallée : elle est arrosée par un petit cours d'eau qui se jette dans le
Jourdain : il passe d'abord au midi de cette arête, puis il la coupe et
se dirige vers le nord pour se rendre au Jourdain. Dans cette vallée,
sur une éminence isolée comme une île, est située Abez, ville de moyenne
grandeur, entourée de jardins et d'avenues, près de laquelle passe le
petit cours d'eau : un quart de lieue plus à l'est dans la vallée, se
trouve un beau puits appelé Puits de Saul, parce que c'est là que Saul
fut blessé. Jésus n'entra pas non plus dans cette ville, mais il
contourna la pente septentrionale des montagnes de Gelboë, et passant au
midi de la ville, il se dirigea vers un groupe de maisons, entremêlées
de jardins et de champs : il y avait aussi là de grands tas de blé.
Jésus entra dans une hôtellerie ou l'attendaient des vieillards et des
femmes alliés à sa famille : ils lui lavèrent les pieds et lui
témoignèrent une déférence sincère et affectueuse. Ils étaient au nombre
de quinze, neuf hommes et six femmes ; ils lui avaient fait dire qu'ils
désiraient se rencontrer ici avec lui. Plusieurs avaient avec eux des
serviteurs et quelques enfants. C'étaient des gens très âgés, parents de
sainte Anne, de saint Joachim et de saint Joseph. L'un d'eux était un
demi frère de Joseph, plus jeune que lui, qui demeurait, je crois, dans
la vallée de Zabulon ; un autre était le père de la fiancée de Cana ; il
y avait aussi cette parente de sainte Anne, des environs de Séphoris,
chez laquelle il avait guéri l'enfant aveugle avant son dernier séjour à
Nazareth (voir tome II, page 239 ). J'ai oublié les autres. Ils
s'étaient réunis et étaient venus ici sur des ânes pour voir Jésus et
pour lui parler. Ils désiraient qu'il choisît quelque part un domicile
stable et qu'il cessât de courir le pays : ils voulaient lui chercher un
endroit où il pût enseigner tranquillement et où il n'y eût pas de
Pharisiens. Ils lui représentèrent le grand danger qu'il courait, à
cause de l'irritation des Pharisiens et des autres sectes contre lui. "
Nous savons bien, disaient-ils, les merveilles que vous opérez et les
grâces dont vous êtes la source, seulement choisissez une demeure fixe
pour y enseigner en repos, afin que nous se soyons pas dans une
inquiétude continuelle pour vous ". Ils se mirent alors à lui proposer
différents endroits.
Ces vieilles gens simples
et pieux faisaient cette proposition à Jésus par suite de leur grande
affection pour lui ; ils étaient scandalisés des sarcasmes incessants
des malveillants qui leur étaient répétés. Jésus s'entretint longuement
avec eux : il leur tint un langage très énergique et très affectueux,
mais tout différent de celui qu'il tenait au peuple et à ses disciples.
Il s'exprima plus nettement, il donna des éclaircissements sur la
promesse divine et sur l'obligation où il était d'accomplir la volonté
de son Père céleste : il dit qu'il n'était pas venu pour se reposer, ni
pour des individus ou pour les gens de sa parenté, mais pour tous les
hommes : que tous étaient ses frères et ses parents que la charité ne
connaissait pas le repos, que celui qui est envoyé pour secourir doit
aller à la recherche des pauvres, qu'il ne fallait pas avoir en vue les
commodités de cette vie, que son royaume n'était pas de ce monde, etc.
Il se donna beaucoup de peine pour éclairer ces bonnes gens, que ses
discours étonnaient de plus en plus, et dans l'esprit desquels la
lumière se faisait de plus en plus. Leur affection et leur intérêt pour
lui allaient toujours croissant. Il alla séparément avec les uns et les
autres se promener à l'ombre sur la montagne, il les instruisit, les
consola, puis il s'entretint encore avec tous ensemble. Ce fut à cela
qu'il passa la journée. Ils prirent avec lui un repas frugal, consistant
en pain, en miel et en fruits secs qu'ils avaient apportés.
Dans la soirée, les
disciples lui amenèrent le fils d'un maître d'école de l'endroit voisin.
Il avait étudié et voulait à son tour devenir maître dans quelque école.
Il pria Jésus de l'admettre parmi ses disciples, disant qu'il avait reçu
de l'éducation, qu'il pouvait dès à présent se servir de lui et lui
donner un emploi, etc. Jésus lui répondit que cela ne se pouvait pas,
que sa science n'était pas celle qui était requise ? qu'il était trop
attaché aux choses de la terre, etc. ; bref, il le refusa ; j'ai oublié
le reste.
(5 novembre.) Le
matin, Jésus visita encore ses cousins et leur donna des avis : ils
partirent vers midi, se dirigeant vers le mont Thabor, où ils se
séparèrent dans diverses directions. Il avait tout à fait réconforté,
consolé et éclairé ces bonnes gens, et quoiqu'ils n'eussent pas tout
compris, ils s'étaient tous tranquillisés intérieurement, et ils
partirent avec la ferme persuasion que ses paroles étaient des paroles
divines, que ce qu'il faisait était bien fait, et qu'il savait mieux
qu'eux par quelles voies il devait marcher Leurs adieux furent encore
plus touchants que leur première entrevue : ils prirent congé de lui en
versant des larmes et avec les témoignages de la déférence plus
affectueuse, puis, lui adressant des sourires et des gestes d'amitié,
ils remontèrent la vallée dans leur simple accoutrement de voyage, les
uns montes sur des ânes, les autres à pied, tenant à la main de longs
bât4)ils. Jésus et ses disciples leur firent quelque temps la conduite,
après les avoir aidés à charger leur bagage et à s'asseoir sur leurs
montures.
Jésus alla ensuite dans la
vallée à un beau puits, situé à un quart de lieue d'Abez, ou se
trouvaient plusieurs femmes de la ville qui étaient venues puiser de
l'eau. Lorsqu'elles le virent venir, quelques-unes allèrent en toute
hâte dans les maisons qui entouraient Abez, et bientôt il vint avec
elles un certain nombre d'hommes et de femmes apportant des bassins, des
linges, du pain et des fruits dans des corbeilles ; ils lui lavèrent les
pieds ainsi qu'aux disciples, et leur firent manger quelque chose. La
foule se grossit encore, et Jésus l'enseigna. On le conduisit ensuite
dans la ville, 'où dès la porte, il vint à sa rencontre, de toutes les
maisons et de tous les coins de rue, une foule d'enfants des deux sexes
avec des couronnes et des guirlandes de fleurs. Les disciples qui
l'entouraient trouvèrent que la presse était trop grande, et ils
voulurent éloigner les enfants. Mais Jésus leur dit : `` Faites place et
laissez les venir. ', Alors les enfants se précipitèrent tous vers lui,
et il les prit dans ses bras, les serra contre lui et les bénit. Les
pères et les mères se tenaient sur les portes et sur les galeries des
vestibules. Il alla à la synagogue, où la foule s'assembla, et il
enseigna. Le soir, il guérit quelques malades dans les maisons : il prit
aussi, sous une cabane de feuillage encore debout, un repas auquel
prirent part beaucoup de personnes de la ville.
Avant que Jésus allât dans
cette vallée, Thomas était revenu d'Endor à Apheké, qui est située à
l'ouest d'Abez. Je vis ici quelques femmes voilées affligées de pertes
de sang, se glisser à travers la foule derrière Jésus, baiser le bord de
sa robe et guérir aussitôt. Dans d'autres villes plus considérables. Ces
sortes de femmes étaient obligées de rester à une certaine distance :
dans de petits endroits comme celui-ci, on n'y regardait pas de si près.
(6 novembre.) J'ai
oublié la plus grande partie de ce que Jésus fit aujourd'hui. Je me
souviens seulement qu'il fut très bien accueilli ici et qu'il guérit
quelques malades dans les maisons. Vers midi, il enseigna aussi de
nouveau près du puis qui est devant la ville : il s'y trouvait beaucoup
de gens du voisinage.
Il lui vint ici un messager de Cana. Le principal magistrat de la
ville le faisait prier de venir tout de suite près de son fils
dangereusement malade. Jésus le tranquillisa, et lui dit qu'il pouvait
attendre encore. Il vint ensuite deux messagers juifs de Capharnaüm,
envoyés par ce païen qui avait déjà fait adresser à Jésus par ses
disciples une requête en faveur de son serviteur malade. Ils le
pressèrent vivement de vouloir bien aller avec eux à Capharnaüm,
autrement le serviteur mourrait. Mais Jésus leur dit qu'il irait en
temps opportun. et que le serviteur ne mourrait pas encore. Les
messagers assistèrent ensuite à son instruction.
Les habitants d'Abez étaient, pour la plupart, originaires de Jabez de
Galaad. Ils s'étaient établis ici à l'époque du sacerdoce d'Héli, à la
suite d'une contestation entre les habitants de Galaad : le juge qui
gouvernait alors s'y rendit, et y mit un terme en décidant qu'ils
viendraient s'établir ici. Saul fut blesse près du puits d'Abez, qu'on
appelle, à cause de cela, le puits de Saul, et il mourut sur la hauteur
qui est au midi. Les habitants sont, en général, de moyenne condition :
ils font des corbeilles et des nattes avec des joncs qui croissent en
abondance dans des marais voisins formés par l'eau qui coule des
montagnes. Ils font aussi de petites cabanes de clayonnages : en outre,
ils ont des champs qu'ils cultivent et des pâturages.
J'eus ici une vision sur
l'histoire de Saul. et voici ce que je m'en rappelle. Les Israélites se
tenaient a l'ouest d'Endor près de Jezraël, et les Philistins marchèrent
contre eux de Sunem. Le combat était delà commencé lorsque Satan avec
deux compagnons, habillés comme lui en prophètes, allèrent à Endor
trouver la sorcière à la tombée de la nuit. Elle habitait hors de la
ville dans une vieille muraille. C'était une femme décriée, sans moyens
d'existence : elle était encore assez jeune : c'était une personne
robuste, d'un aspect masculin : je vis son mari courir le pays, portant
sur son des une boite où étaient des marionnettes, et faire des tours de
toute espèce pour amuser les soldats et d'autres gens de même sorte.
Lorsque Saul vint à elle,
il était déjà presque réduit au désespoir. Elle ne voulait pas se rendre
à son désir, croyant qu'il la dénoncerait à Saul qui avait exterminé les
faiseurs de sortilèges. Il lui fit un serment solennel qu'il n'en serait
pas ainsi. Alors elle sortit avec lui de sa chambre qui était bien tenue
et le conduisit dans un caveau. Saul lui demanda d'évoquer l'esprit de
Samuel. Elle traça un cercle autour de Saul et de ses compagnons,
dessina certains signes autour de ce cercle et tendit de côté et d'autre
devant Satan, des fils de laine bariolée formant diverses figures. Elle
se tenait debout en face de lui et avait encore un espace libre à côté
d'elle. Devant elle était un bassin plein d'eau enfoncé dans le sol :
elle tenait en outre dans ses mains des plaques de métal, comme des
miroirs, qu'elle agitait les unes vis-à-vis des autres et au-dessus de
l'eau Elle prononçait aussi des paroles et quelquefois elle appelait à
haute voix : elle avait indiqué à Saul, dans lequel des compartiments
formés par les fils entrecroisés devait regarder. Elle pouvait ainsi à
l'aide de son art diabolique faire apparaître des troupes d'hommes
armés, des combats et des figures de toute espèce et c'était une
fantasmagorie de ce genre qu'elle voulait produire devant Saul. Mais
lorsqu'elle commença ses prestiges, elle vit près d'elle une apparition
et laissa tomber les miroirs sur le bassin d'eau : elle fut toute
bouleversée et s'écria : " Vous m'avez trompée vous êtes Saul ". Alors
Saul lui dit qu'elle n'avait rien à craindre et lui demanda ce qu'elle
voyait. " Des saints sortent du sein de la terre. "répondit-elle. Satan
ne voyait rien et dit : " à quoi ressemble-t-il ? " La femme saisie
d'épouvante répondit : " à un vieillard en habits sacerdotaux ". Elle
tira Saul à elle et s'enfuit hors du caveau. Mais Saul vit Samuel et
tomba la face contre terre. Samuel lui demanda pourquoi il troublait son
repos et lui dit que les châtiments de Dieu allaient l'atteindre, que le
lendemain il serait près de lui parmi les morts, que les Philistins
tailleraient en pièces les Israélites et que David deviendrait roi.
Ayant entendu ces paroles,
Saul dans sa douleur et son épouvante restait étendu par terre comme
s'il eût été mort. On le releva et on l'appuya contre le mur. Il ne
voulut pas manger. Ses compagnons cherchèrent à le persuader et la femme
apporta du pain et de la viande. Je ne l'avais pas vu tuer d'animal
auparavant : Peut-être cela m'a-t-il échappé : cependant tout ce que
j'avais vu avait pris trop peu de temps pour qu'elle eut pu le faire.
Cette femme conseilla à Saul, au lieu d'aller au combat, de se rendre à
Abez où les habitants. comme originaires de Galaad, étaient bien
disposes pour lui. Saul y alla à l'aube du jour. Cependant les
Israélites furent battus et mis en fuite sur les montagnes de Gelboë. Ce
ne fut pas le gros de l'armée qui vint à l'endroit où était Saul, mais
seulement un corps de partisans. Saul était assis sur un char et un
homme se tenait derrière lui. Les Philistins qui se précipitaient en
avant lui lancèrent des javelots et des flèches : ils ne savaient pas
que ce fût le roi. Il fut grièvement blessé et son compagnon conduisit
le char sur la pente méridionale de la vallée, hors du chemin où Jésus
se trouvait hier avec les gens de sa parenté. Lorsque Saul sentit que sa
mort était inévitable, il pria son compagnon de le tuer, mais celui-ci
s'y refusa. Alors Saul debout dans le char voulut se jeter sur la pointe
de son épée mais il ne put pas y réussir, empêché par un appui qui était
en avant du char. Mais son compagnon détacha cet appui qui était mobile
et qui s'abaissa : Saul alors se précipita sur son épée et son compagnon
l'imita. Sur ces entrefaites un Amalécite passa : il reconnut Saul, prit
ses ornements royaux et les porta à David. Après le combat on mit
ensemble le corps de Saul et ceux de ses fils. Ceux-ci avaient été tués
quelque temps avant lui, dans une partie du champ de bataille située
plus à l'est. Les Philistins taillèrent les corps en morceaux et Je vis
toutes choses se passer comme la Bible le raconte. J'ai été cette nuit
sur toutes ces hauteurs de Gelboë ; ces montagnes se croisent et
s'enchevêtrent d'une façon étrange.
Le ruisseau qui est dans cette vallée s'appelle Kadummim et il est
mentionné dans le cantique de Débora. Il est arrive ici autrefois
quelque chose que j'ai vu, mais dont je ne me souviens plus. Le prophète
Malachie a séjourné ici quelque temps et y a prophétisé. Abez est à
environ trois lieues de Scythopolis.
Dans l'après-midi Jésus
s'éloigna du puits dans la direction du levant, puis il tourna au nord.
Il franchit la hauteur qui domine la vallée du côte du nord puis ils
firent trois lieues jusqu'à une autre vallée située à l'est du Thabor,
et dans laquelle le torrent de Cison qui prend sa source sur la pente
nord-est tourne autour de la montagne avant de se rendre dans la plaine
d'Esdrelon. Au pied du Thabor, du côté du levant, se trouve la ville de
Dabrath, qui occupe un bassin formé par les premières assises de la
montagne : la vue s'étend de là, par-dessus la haute plaine de Saron,
vers la contrée où le Jourdain sort du lac Le Cison la traverse : une
partie de la ville est bâtie en deçà du torrent.
Jésus s'arrêta dans une
hôtellerie devant la ville. Je ne l'ai pas vu aller dormir. Il enseigna
jusqu'à une heure avancée des gens réunis autour de lui.
(7 novembre.) J'ai
oublié la plus grande partie de ce que fit Jésus aujourd'hui. Je me
souviens seulement qu'hier il est allé avec les gens chez lesquels il a
passé la nuit, se promener au bas de la montagne et qu'il y a enseigné.
Aujourd'hui, vers midi, il entra dans la ville de Dabrath et beaucoup de
personnes se pressèrent autour de lui. Je ne sais plus dans quel ordre
tout se succéda. Il guérit quelques malades. Il n'y en a pas beaucoup
ici, l'air est très sain. La ville est très bien bâtie : je me souviens
d'une maison précédée d'un grand péristyle avec des colonnes : des
escaliers conduit au-dessus du péristyle et l'on trouve là d'autres
escaliers qui montent jusqu'au toit de la maison. Je vis des gens
descendre de là dans la rue lors de l'entrée de Jésus. Derrière la ville
s'élève un contrefort du Thabor, et des chemins tortueux conduisent
jusqu'au haut de ce promontoire : il y a environ deux lieues depuis là
jusqu'au sommet. Des soldats romains sont établis dans une rue qui longe
les murs de la ville. Il y a ici un bureau pour la perception des
impôts. La ville a cinq rues dont chacune est habitée par des gens d'un
métier différent. Dabrath n'est pas sur le grand chemin : la route de
commerce la plus voisine passe à une bonne demi lieue d'ici. On y exerce
cependant toute espèce d'industries. La ville avec son revenu est une
ville de lévites. Les poteaux qui marquent les limites de la tribu
d'Issachar, sont à peine à un quart de lieue d'ici. La synagogue est sur
une place et la maison dont j'ai parlé tout à l'heure donne sur cette
place. Je me souviens que Jésus y entra et que lorsqu'il y fut reçu je
vis plusieurs personnes descendre les escaliers en toute hâte, car c'est
la demeure d'un allié de sa famille, du fils d'un des frères aînés de
saint Joseph, père nourricier du Sauveur.
Ce frère de saint Joseph s'appelait Elia : il avait cinq fils : celui
qui demeure ici se nomme Jessé et c'est déjà un homme âgé. Sa femme vit
encore et ils ont six enfants, trois fils et trois filles. Deux des fils
ont déjà dix-huit et vingt ans. Ils s'appellent Caleb et Aaron. Leur
père pria Jésus de les prendre pour disciples et il y consentit. Ils
doivent partir avec lui quand il redescendra dans le pays. Ce Jessé est
chargé d'une perception pour les lévites et il est à la tête d'une
fabrique de drap. Il achète de la laine qui est lavée, filée et tissée
ici. Il y a toute une rue qui travaille pour lui. Il y a aussi dans un
bâtiment allongé un pressoir où l'on exprime le suc de diverses herbes
qui croissent sur le Thabor ou que l'on fait venir d'ailleurs : les unes
servent à la teinture ; les autres à préparer des breuvages et des
parfums. J'ai vu dans des auges des cylindres creux où l'on introduit
les plantes que l'on presse avec. de lourds pilons : les tuyaux par
lesquels coule le suc ainsi exprimé aboutissent à l'extérieur de la
maison et sont pourvus de bondons. On prépare là entre autres choses de
l'huile de myrrhe. Jessé est très pieux ainsi que toute sa famille, ses
enfants vont tous les jours prier au Thabor et il va souvent avec eux.
Jésus logea chez lui avec ses disciples : il opéra des guérisons dans la
ville et enseigna dans la synagogue.
Il y avait ici des
Pharisiens et des Sadducéens. Ils formaient comme une espèce de
consistoire et ils délibérèrent ensemble sur la manière dont ils
contrediraient Jésus. Le soir, Jésus alla avec les disciples près du
mont Thabor, où une réunion d'hommes était convoquée et il les enseigna
au clair de la lune jusque très avant dans la nuit.
Sur la pente sud-est du
Thabor se trouve une grotte avec un petit jardin où le prophète Malachie
a souvent résidé : au haut de la montagne, il y a également une grotte
avec un jardin où Elle a séjourné avec ses disciples comme sur le
Carmel. J'ai vu les deux endroits. Ce sont des lieux de prière
fréquentés par les Juifs pieux.
Sur le versant
septentrional du Thabor, à une grande hauteur et tout contre la
montagne, se trouve un endroit nommé Thabor, qui a donné son nom à
celle-ci. Une petite lieue plus à l'ouest, en face de Séphoris, il y a
encore un endroit fortifié. Khasaloth est au pied de la montagne sur le
versant méridional, au nord de Naïm, ayant vue sur Apheké ; c'est là que
le territoire de Zabulon se prolonge le plus dans cette direction. Il y
a là un endroit qui, je crois, a porté plus tard le nom d'Affa : mais je
n'ai aucune certitude à cet égard. J'ai vu que des parents de Jésus
avaient habité cet endroit, notamment une soeur d'Elisabeth, fille de la
tante maternelle de sainte Anne. Elle s'appelait Rhode, comme la
servante de Marie, mère de Marc. Rhode avait trois filles et deux fils.
Une de ces deux filles était l'une des trois veuves amies de Marie, dont
il est si souvent question dans cette histoire. Elle avait deux fils
parmi les disciples. Un des deux fils de Rhode épousa Maroni et mourut :
sa veuve, restée sans enfants, épousa en secondes noces, conformément à
la loi, un homme de la même famille, Eliud, neveu de sainte Anne. Elle
eut de lui Martial et alla s'établir à Naïm. Elle devint veuve une
seconde fois, et c'est elle qui est la veuve de Naïm, dont le fils
Martial fut ressuscité par le Seigneur.
(8 novembre.) Ce
matin, Jésus enseigna dans la maison de son parent et guérit quelques
malades dans la ville. Après le repas, il enseigna sur une place devant
la synagogue. Beaucoup de malades étaient venus des environs et les
Pharisiens étaient très irrités. Il y avait à Dabrath une femme riche,
appelée Noémi. Elle avait trompé son mari et vécu dans l'adultère, en
sorte que celui-ci était mort accablé de chagrin. A présent, elle avait
un homme d'affaires auquel elle avait fait depuis longtemps la promesse
de l'épouser, mais elle le trompait et avait toujours d'autres amants.
Cette femme avait entendu Jésus prêcher à Dothan, et il s'était fait en
elle un grand changement. Elle était pénétrée de repentir et n'avait
plus qu'un désir, c'était qu'il lui remit ses péchés et lui indiquât une
pénitence à faire. Elle avait assisté ici à la prédication et aux
guérisons de Jésus, et elle cherchait à se rapprocher de lui, mais il se
détournait toujours d'elle. C'était une femme de distinction et qui
n'était las tombée dans le mépris public. Comme elle s'efforçait par
tous les moyens possibles de pénétrer jusqu'à Jésus, les Pharisiens se
mirent à la traverse : ils cherchèrent à lui faire honte de son
insistance et l'engagèrent à retourner dans sa maison. Mais elle ne se
laissa pas arrêter par là : son désir ardent d'être pardonnée la mettait
comme hors d'elle-même et elle s'ouvrit passage à travers la foule. Elle
se prosterna à terre devant Jésus et s'écria : " Seigneur, y a-t-il
encore espoir de grâce et de pardon pour moi ? Seigneur, je ne puis plus
vivre ainsi ! " Jésus l'engagea à se calmer, et elle lui dit : "J'ai
gravement péché contre mon mari. J'ai trompé l'homme qui est maintenant
à la tête de ma maison, "et elle proclama ainsi sa faute devant tout le
monde. — Cependant tous ne l'entendirent pas, car Jésus s'était retiré à
l'écart, et les Pharisiens qui se pressaient en foule, faisaient grand
bruit tout autour de lui. Mais lorsque Jésus lui dit : " Levez-vous, vos
péchés vous sont remis ! "elle demanda une pénitence. Jésus la remit à
un autre moment et elle se dépouilla de tous ses ornements. Elle avait
des perles autour de sa coiffure, des anneaux, des agrafes, des colliers
et des bracelets : elle remit tout cela aux Pharisiens pour qu'ils le
donnassent aux pauvres et elle se voila le visage.
Jésus alla à la synagogue,
car le sabbat commençait, et les Pharisiens et les Sadducéens le
suivirent pleins de dépit L'instruction de ce soir roula sur Jacob et
Ésaü (Genèse, XXV, 19-34. Malachie, I et II). Jésus appliqua à son temps
ce qui est dit de la naissance de Jacob et d'Ésaü. Ésaüet Jacob étaient
entrés en lutte dans le sein de leur mère, il en était ainsi de la
synagogue et de ceux qui aspiraient à la sainteté. La loi est rude et
sauvage ; elle est née la première comme Esau, mais elle vend son droit
d'aînesse pour un plat de lentilles, pour le parfum de quelques petites
observances et pratiques extérieures ; elle le vend à Jacob qui reçoit
la bénédiction, et Jacob devient un grand peuple dont Esau doit être le
serviteur, etc. Toute cette explication fut très belle : les Pharisiens
ne trouvèrent rien à y opposer, mais ils disputèrent contre lui bien
longtemps : j'ai entendu tout cela, mais je ne puis le rapporter.
Les Pharisiens lui
reprochèrent de se faire un parti, d'établir dans tout le pays des
hôtelleries où se dépensait beaucoup d'argent donné par de riches veuves
et qui aurait pu profiter à la synagogue et à ses docteurs. Il en sera
encore de même pour Noémi, disaient-ils : " comment peut-il lui remettre
ses péchés " ?
Jésus passa la nuit et
enseigna encore chez le parent de saint Joseph.
(9 novembre.) Ce
matin, Jésus n'alla pas à la synagogue, mais dans l'école des garçons et
des filles. Ces enfants vinrent encore près de lui, avant le repas, dans
le vestibule de la maison de son parent où il leur donna des avis et les
bénit. La femme convertie hier est aussi venue le trouver avec son
intendant. Jésus s'entretint d'abord avec chacun d'eux en particulier,
puis avec tous les deux ensemble. La femme, avec ses dispositions
actuelles, ne devait plus se marier, d'autant plus que l'homme était
d'une condition inférieure. Elle lui céda une partie de son bien et
donna le reste aux pauvres, sauf ce qui était nécessaire pour sa
subsistance. Après le repas du jour du sabbat, au moment où les Juifs,-
en général, ont l'habitude de faire une promenade, plusieurs femmes
juives vinrent chez Jessé visiter la maîtresse de la maison et Jésus les
fit jouer à un jeu instructif, approprié au jour du sabbat : Noémi, la
convertie, était aussi là. Je ne me souviens plus de la marche de ce
jeu, mais il consistait en une série de paraboles ou d'énigmes, dont
chacune portait coup et qui les toucha profondément. On demandait, par
exemple, où chacune avait son trésor, si elle en tirait intérêt, si elle
le cachait, en faisait part à son mari, l'abandonnait aux soins de ses
domestiques, le traînait à la synagogue, si c'était là qu'était son
coeur ? On faisait de même différentes questions sur l'éducation des
enfants, les relations avec les domestiques, etc. Je me souviens qu'il
parla aussi de l'huile et de la lampe, de la manière dont la lampe brûle
lorsqu'elle est remplie, de l'huile répandue inutilement, tout cela
entendu dans le sens spirituel ; qu'une femme, interrogée à ce sujet,
répondit toute joyeuse : " Oui, Maître, je prends toujours grand soin de
la lampe du sabbat. " et que ses voisines se mirent à rire parce qu'elle
n'avait pas du tout compris le sens des paroles de Jésus. Il donna
ensuite des explications très frappantes sur ce qu'il avait dit, et la
femme qui avait répondu de travers, dut faire un présent pour les
pauvres, ce quoi toutes s'étaient préparées d'avance. Celle-là donna une
pièce d'étoffe.
Jésus écrivit aussi une
énigme sur le sable devant chacune d'elles et il leur fallait écrire la
réponse à côté. Il leur donna ensuite des enseignements, dans lesquels
il exposa toutes leurs mauvaises inclinations et leurs défauts d'une
façon qui les émut vivement, sans qu'aucune pourtant eût à rougir devant
les autres. Ces avis se rapportaient plus particulièrement aux fautes
qu'elles avaient commises lors de la fête des Tabernacles, qui devenait
facilement l'occasion de péché par suite de la liberté qui y régnait et
des réjouissances qui l'accompagnaient. Plusieurs de ces femmes
s'entretinrent ensuite en particulier avec Jésus, elles confessèrent
leurs manquements, le prièrent de leur pardonner en leur imposant une
pénitence et il les consola et les réconcilia. Pendant cette
instruction, les femmes étaient assises sur des tapis et des coffres, le
des appuyé contre des bancs de pierre et rangées en demi-cercle sous les
colonnes du vestibule. Les disciples et les amis de la maison se
tenaient des deux côtés à quelque distance. On ne parlait pas très haut,
parce qu'autrement des gens de la rue auraient pu grimper sur le mur
pour espionner et causer du désordre ; car on était là en plein air. Les
femmes avaient apporté des aromates, des conserves et des parfums de
toute espèce, pour en faire présent à Jésus. Il remit tout cela aux
disciples pour être distribué aux pauvres malades qui ne recevaient
jamais de pareils cadeaux.
Avant que Jésus allât à la
synagogue pour la clôture du sabbat, des Hérodiens lui envoyèrent un
message pour le prier de se rendre à un certain endroit de la ville où
ils voulaient s'entretenir avec lui. Jésus répondit aux messagers d'un
ton sévère: "Dites à ces hypocrites qu'ils n'ont qu'à venir à la
synagogue ouvrir contre moi leurs bouches perfides, c'est là que je leur
répondrai ainsi qu'aux autres". il leur donna encore d'autres sévères
qualifications que je n'ai pas retenues, puis il se rendit à l'école.
Je ne me souviens plus de
l'instruction du sabbat, je sais seulement qu'il y fut question de Jacob
et d'Esau, de la grâce et de la loi, des enfants et des serviteurs du
père, qu'il parla avec tant de force contre les Pharisiens, les
Sadducéens et les Hérodiens, que leur rage alla toujours croissant. Il
compara aussi les voyages d'Isaac d'un lieu à l'autre pendant la famine
et les puits comblés par les Philistins, à sa prédication et à la
persécution des Pharisiens ; il enseigna sur Malachie et dit comment
s'accomplissait maintenant la prédiction de ce prophète : " Mon nom sera
grand dans les limites d'Israël ; mon nom sera glorifié du levant au
couchant parmi les nations ". Il leur parla de tous les chemins qu'il
avait parcourus pour glorifier le nom du Seigneur, en deçà et au delà du
Jourdain, et ajouta qu'il les parcourrait jusqu'au bout : puis il
commenta très sévèrement ces paroles : " Le fils doit honorer son père
et le serviteur son maître. " (Malach. I,5,6,11), etc. Ils furent
couverts de confusion et ne purent rien lui répondre.
Mais lorsque le peuple
quitta la synagogue, et que Jésus à son tour en sortit avec ses
disciples, tous lui barrèrent le chemin dans un vestibule, et lui
demandèrent des explications, disant qu'il n'était pas nécessaire que le
bas peuple entendît tout ce qu'on avait à dire. Ils lui adressèrent
toute sorte de questions captieuses, particulièrement sur ses rapports
avec les Romains qui étaient en garnison ici : je ne sais plus bien de
quoi il s'agissait. II leur répondit de manière à les réduire au
silence, et comme à la fin ils exigeaient de lui, avec un mélange de
flatteries et de menaces, qu'il cessât de parcourir le pays avec ses
disciples, d'enseigner et de guérir les malades, faute de quoi ils
l'accuseraient et le poursuivraient comme instigateur de troubles et de
soulèvements, il leur répondit : " Jusqu'à la fin, vous trouverez à ma
suite, partout où j'irai, les disciples, les ignorants, les pécheurs,
les pauvres, les malades, que vous laissez dans l'ignorance, dans le
péché, dans la pauvreté et dans la maladie ". Comme ils ne pouvaient
rien lui répondre, ils quittèrent la synagogue avec lui et furent très
polis en apparence. Intérieurement ils étaient pleins de dépit et tout
déconcertés.
Jésus partit de là, à la
lueur du crépuscule, avec ses disciples et plusieurs personnes qui
l'attendaient devant la synagogue et il se dirigea au nord-est vers le
Thabor. Il y trouva réunies d'autres personnes parmi lesquelles étaient
ses cousins. Il s'assit au penchant de la montagne : ses auditeurs
s'assirent et s'étendirent à ses pieds : les étoiles brillaient dans un
ciel serein et il y avait même un peu de clair de lune. Il enseigna
jusque bien avant dans la nuit. Il faisait souvent ainsi pour quelques
groupes de braves gens quand ils avaient terminé une rude journée de
travail. Tout alors est plus tranquille, rien ne distrait les assistants
; le ciel, les étoiles, la belle vue la fraîcheur agréable du soir et le
calme de la nature rendent les hommes plus recueillis : ils entendent
mieux sa voix, avouent plus aisément leurs fautes, sont moins exposés à
rougir, emportent son enseignement chez eux et le méditent ensuite avec
moins de distractions. Il en fut ainsi particulièrement dans cette
occasion, au milieu des magnifiques aspects que présente cette belle
contrée du Thabor : de plus, cette montagne était pour les gens du pays
une montagne sainte, à cause d'Elie et de Malachie qui y avaient
séjourné.
Comme Jésus revenait à son
logis avec la foule, à une heure avancée de la nuit, un marchand païen
de l'île de Chypre, qui avait assisté à son instruction, s'approcha de
lui sur le chemin. Il habitait dans les bâtiments appartenant à Jessé
avec lequel il était en relations de commerce : jusqu'alors il s'était
tenu à l'écart par discrétion. Maintenant il vint trouver Jésus en
particulier dans une salle de la maison et Jésus s'assit avec lui comme
il avait fait avec Nicodème et répondit a toutes les questions que cet
homme lui adressa avec beaucoup d'1mmilité et un grand désir de
s'instruire.
Ce païen était un homme
très sage et de sentiments très élevés : il s'appelait Cyrinus ; il
parlait très pertinemment de toutes choses et il reçut l'enseignement de
Jésus avec une humilité et une joie incroyables Jésus fut aussi très
affable et très confiant avec lui Cyrinus dit au Seigneur qu'il avait vu
depuis longtemps le néant de l'idolâtrie et qu'il aurait voulu devenir
Juif ; seulement il y avait une chose qui lui inspirait une répugnance
insurmontable : c'était la circoncision ; n'était-il donc pas possible
d'arriver au salut sans la circoncision ? Jésus lui parla d'une manière
très profonde et très confidentielle sur ce mystère : il lui dit qu'il
pouvait circoncire ses sens par le retranchement des convoitises de la
chair, qu'il en pouvait faire autant pour son coeur et pour sa langue,
et aller à Capharnaüm afin d'y recevoir le baptême. Là-dessus Cyrinus
demanda à Jésus pourquoi il n'enseignait pas cela publiquement : il
croyait que dans ce cas bien des païens, désireux du salut, se
convertiraient Jésus répondit que ce peuple aveuglé le mettrait à mort,
s'il parlait ainsi devant lui et il ajouta qu'il ne fallait pas
scandaliser les faibles. Il pouvait aussi naître de là des sectes de
toute espèce ; d'ailleurs, pour beaucoup de païens, cette prescription
subsistait encore comme une épreuve et un sacrifice ; mais maintenant
que le royaume de Dieu était proche, l'alliance qui avait pour signe la
circoncision corporelle, allait prendre fin et elle devait être
remplacée par la circoncision du coeur et de l'esprit. Cet homme
l'interrogea encore sur la valeur du baptême de pénitence donné par Jean
et Jésus lui dit à ce sujet quelque chose dont je ne me souviens plus.
Cyrinus parla aussi de
plusieurs personnes de Chypre, qui désiraient vivement voir Jésus, et il
se plaignit de ce que ses deux fils, dont au reste il vanta la vertu,
étaient des ennemis déclarés du judaïsme. Jésus le consola à ce sujet et
lui promit que ses fils deviendraient de zélés ouvriers dans sa vigne,
lorsqu'il aurait accompli son oeuvre. Ils s'appelaient, à ce que je
crois, Aristarque et Trophime, et ils devinrent plus tard disciples des
apôtres, de saint Pierre ou de saint Paul, si je ne me trompe...
(Toutefois elle s'exprima à ce sujet d'une manière très vague, mais plus
tard elle dit très positivement qu'il y avait eu deux disciples du nom
d'Aristarque : ainsi, celui dont il est question ici ne serait pas le
même que celui qui est nommé dans les Actes des apôtres). L'entretien
nocturne de Jésus avec ce païen se prolongea jusqu'au matin : il fut
très touchant et profondément instructif : cet homme était plein
d'intelligence et de généreux sentiments, et cela me rappela la nuit que
Jésus avait passée avec Nicodème.
Sur le versant méridional
du Thabor, Jessé a pratiqué dans les parois des rochers des espèces de
niches pour y placer des vases où l'on prépare des parfums tirés des
herbes et d'autres substances. Une liqueur coule de ces vases dans
d'autres placés plus bas et on la remue souvent : c'est peut-être de la
distillation.
Avant midi Jésus fit avec
les disciples trois lieues au nord-est il alla visiter le territoire et
le bourg de Giscala, qui est à une petite lieue avant Béthulie. Au
commencement de son voyage, il pouvait voir au levant un endroit que je
crois être Japhia, et au couchant un autre endroit, situé au nord du
bourg de Thabor. La montagne qui est de ce côté est, si je ne me trompe,
l'un des lieux où il opéra la multiplication des pains. Giscala est sur
une éminence, mais moins élevée que celle où se trouve Béthulie.
Holopherne y a campé : le bourg n'existait pas à cette époque : il n'y
avait que quelques maisons. Giscala est une forteresse pleine de soldats
païens ; je crois que ce sont des Romains. Hé rode est obligé de les
solder, et les Juifs habitent un petit faubourg, à un demi quart de
lieue de là Giscala n'est pas une ville comme une autre : on y voit
quelques places et quelques bâtiments entourant des enceintes
palissadées comme pour y tenir des chevaux en liberté : tout autour
s'élevait des tours isolées à plusieurs étages ; elles sont environnées
de murs et une garnison peut s'y détendre. Tout cet ensemble compose une
ville singulière ; à l'une de ces tours s'adossent des bâtiments
entourés de colonnes des quatre côtes : c'est là qu'est le temple païen.
Les Juifs qui habitent le petit faubourg en avant de la forteresse, sont
en très bons rapports avec la garnison : ils fabriquent toute sorte
d'ouvrages en cuir, des harnais pour les chevaux et des objets
d'équipement pour les soldats : ils sont les uns propriétaires, les
autres surveillants et intendants de la contrée environnante qui est
d'une merveilleuse fertilité : car c'est de là à Capharnaüm que s'étend
le magnifique pays de Génésareth. La forteresse est au point culminant
de la hauteur : on y monte par des chemins couverts construits en
maçonnerie. Le quartier des Juifs est ouvert et situé sur la pente : il
est précédé d'une fontaine ou plutôt d'un abreuvoir où l'eau arrive par
des conduites. Jésus s'arrêta d'abord près de cette fontaine avec les
disciples.
Les habitants du quartier
juif célébraient une fête, car grands et petits étaient dispersés dans
les jardins et les champs d'alentour. Les enfants païens étaient aussi
sortis de la ville et s'étaient rassemblés de leur côté. Lorsqu'on vit
Jésus s'approcher de la fontaine, les magistrats vinrent le trouver avec
leur maître d'école, qui était un homme instruit. Ils souhaitèrent la
bienvenue à Jésus et à ses disciples, leur lavèrent les pieds et leur
offrirent des fruits de diverses espèces. Jésus enseigna près de la
fontaine en paraboles touchant la récolte, car cette contrée faisait
alors sa seconde récolte de raisins et d'autres fruits. Jésus alla aussi
près des enfants païens, s'entretint avec leurs mères, les bénit et en
guérit quelques-uns qui étaient malades. Les Juifs de Giscala
célébraient aujourd'hui une fête en mémoire de leur délivrance d'un
oppresseur qui était le fondateur de la secte sadducéenne. Il vivait
plus de deux siècles avant Jésus-Christ, j'ai oublié son nom qui
ressemblait à Man ou Melan : du moins la syllabe an s'y trouvait
et je crois qu'il commençait par une m. Un certain Antigonus avait aussi
pris part à l'établissement des Sadducéens, mais ce n'est pas de lui
dont je parle : il n'avait joué qu'un rôle subordonné à celui du
premier. Celui-ci avait un emploi dans le sanhédrin de Jérusalem et
était chargé de maintenir les doctrines religieuses qui existaient en
dehors de la loi. Il tourmenta horriblement les gens d'ici : c'était un
très méchant homme. Il disait qu'on n'avait à espérer de Dieu aucune
récompense et qu'on devait agir en tout comme des esclaves. Il était de
ce pays : ces habitants avaient conservé de lui de terribles souvenirs
et ils célébraient une fête en mémoire de sa mort. Je vis toute
l'origine des Sadducéens : je ne m'en souviens plus. Il y avait aussi
avec lui un homme de Samarie. Sadoch fut le continuateur de son
enseignement : il était disciple de l'autre (Antigonus) et soutenait
qu'il n'y aurait pas de résurrection : il avait aussi avec lui un
Samaritain. (Elle décrit en termes si forts la haine des habitants de
Giscala et la tyrannie exercée sur eux, qu'on doit croire qu'il avait eu
là plus que des vexations en matière de conscience.
Jésus avec ses disciples alla passer la nuit chez le chef de la
synagogue. Il enseigna encore là dans le vestibule ; on lui amena
quelques malades qu'il guérit, entre autres une vieille femme
hydropique. Le docteur de la synagogue était un excellent homme très
instruit : les gens de cet endroit avaient de l'antipathie pour les
Pharisiens et les Sadducéens et ils s'étaient procuré ce maître
eux-mêmes. Ils lui avaient fait faire des voyages jusqu'en Égypte. Jésus
s'entretint longtemps avec lui et avec les disciples : comme il arrivait
ordinairement en pareil cas, cet homme en vint à parler de Jean. Il le
vanta beaucoup et dit à Jésus que s'il avait autant de lumières et de
pouvoir qu'il en faisait paraître et que lui en attribuait la renommée,
il ne comprenait pas qu'il ne fît rien pour remettre en liberté cet
homme admirable
Aujourd'hui, Jésus, dans
une belle instruction, adressa à ses disciples des paroles prophétiques
sur cet endroit. Trois zélateurs devaient sortir de Giscala : le premier
était celui qui avait fondé la secte sadducéenne et à propos duquel les
Juifs célébraient leur fête d'aujourd'hui ; le second était un grand
scélérat encore à venir, Jean de Giscala, qui excita un grand
soulèvement en Galilée et commit des actions horribles lors du siège de
Jérusalem : j'ai vu un autre homme lui reprocher en face ses méfaits. Il
y en avait un troisième qui était vivant et chez lequel la fureur devait
se transformer en charité : celui-là devait enseigner la vérité dans cet
endroit même et tout remettre dans la bonne voie. Ce troisième était
Paul qui était né ici, mais dont les parents étaient allés s'établir à
Tarse.
Je vis en effet qu'allant à
Jérusalem, après sa conversion, il annonça ici l'Évangile avec beaucoup
de zèle. La maison de ses parents existait encore : elle était affermée
: elle est à l'extrémité de ce faubourg la plus rapprochée de Giscala,
et il y a de ce côté une série d'enceintes palissadées très spacieuses
et de maisonnettes semblables à des cabanes de blanchisseurs qui s'étend
presque jusqu'à Giscala. Les parents de Paul ont été, je crois, à la
tête d'une fabrique de toile. Cette maison est louée par un officier
païen du nom d'Achias, qui y habite.
(11 novembre.) On ne
saurait exprimer à quel point cette contrée est fertile : les habitants
font maintenant leur seconde récolte de vins, de fruits, d'herbes
aromatiques et de coton. Il y a ici un roseau que j'appelle toujours
canne à sucre : il vient en groupes : ses feuilles sont plus grandes en
bas qu'en haut : un liquide sucré en découle goutte à goutte comme de la
résine, de baies placées les unes au-dessus des autres.
C'est aussi dans ce pays
que se trouvent les arbres sur lesquels viennent les fruits dont on orne
les cabanes de feuillage à la fête des Tabernacles. On les appelait
pommes des patriarches, parce qu'ils avaient été apportés par les
patriarches d'un pays plus chaud situé à l'Orient. Les troncs ne
s'élèvent pas tout droit, mais tous sont, comme chez nous les arbres
d'espaliers, courbes et étendus sur des murs, quoique l'arbre ait
souvent plus d'un pied de diamètre.
(Tarse) NOTE
: C'est ce qu'atteste une très ancienne tradition, confirmée par
saint Jérôme.
Il y a aussi beaucoup de
cotonniers et des champs entiers pleins de plantes odoriférantes, entre
autres de celle dont on tire l'huile de nard. Je crois qu'il en vient
aussi chez nous dans les bons terrains une espèce plus commune. Il y a
ici beaucoup de figuiers, d'oliviers, de ceps de vigne et des melons
magnifiques qu'on voit en quantité dans les champs et au bord du chemin.
On rencontre aussi beaucoup de palmiers et de dattiers. De nombreux
troupeaux paissent au milieu de toute cette richesse dans de belles
prairies couvertes de gazon et d'herbe de toute espèce. Il croit encore
ici de grands arbres avec de grosses noix, d'une espèce qui m'est
inconnue, et un bel arbre qui fournit un bois de charpente
singulièrement solide et compacte l.
J'ai vu ce matin, Jésus
aller à travers les champs et les jardins qui sont remplis de gens
faisant la récolte. De temps à autre une troupe se rassemblait autour de
lui et il les enseignait en sentences brèves et en paraboles dont il
empruntait les sujets à leurs travaux habituels. Les enfants païens se
mêlaient ici assez familièrement avec ceux des Juifs pendant la récolte,
cependant ils étaient vêtus un peu différemment.
Dans la maison où saint
Paul est né, habite maintenant un centurion des soldats païens qui
occupent la forteresse : il s'appelle Achias et il a un fils de sept ans
malade, auquel il a donné le nom du héros juif Jephté.
NOTE
: La Soeur décrit tout cela et bien d'autres choses avec une grande
vivacité ; elle regarde tout autour d'elle avec une sorte
d'exaltation joyeuse ; elle décrit les collines, les chemine et tout
le terrain, mais tout cela très vile et avec ses locutions
provinciales, en sorte qu'il n'a pas été possible d'en recueillir
davantage.
Achias était un homme de
bien et il désirait vivement l'assistance de Jésus, mais aucun des
habitants ne voulait parler de lui au Sauveur : quant aux disciples, les
uns étaient avec leur maître, les autres dispersés parmi les gens qui
faisaient la récolte et auxquels ils parlaient de Jésus et répétaient
quelques-uns de ses enseignements. D'autres étaient allés en avant pour
porter des messages à Capharnaum et dans la contrée voisine. Les
habitants n'aimaient pas le centurion qui habitait trop près d'eux et
ils auraient voulu le voir aller ailleurs : en général ils n'étaient pas
très affables, et même ils ne s'empressaient guère autour de Jésus.
Ainsi ils suspendaient leur travail et l'écoutaient, mais ils ne
témoignaient pas une sympathie vive et chaleureuse. Le centurion, dans
son chagrin, suivait donc Jésus de loin et comme à la dérobée : mais le
Seigneur s'étant rapproché de lui, il s'avança, s'inclina et dit : "
Maître, ne dédaignez pas votre serviteur et prenez pitié de mon enfant
que la maladie retient au lit chez moi. "Jésus lui répondit : " Il est
convenable de distribuer le pain aux enfants de la maison avant d'en
donner aux étrangers qui se tiennent dehors". Achias lui dit : "
Seigneur, je crois que vous êtes l'envoyé de Dieu et l'accomplissement
de la promesse, je crois que vous pouvez me secourir et je sais que vous
avez dit que ceux qui croient cela sont des enfants et non pas des
étrangers. Seigneur, ayez pitié de mon enfant ". Alors Jésus lui dit : "
Votre foi vous a sauvé ". Et il alla avec quelques disciples dans la
maison natale de Paul, où Achias habitait. Cette maison avait un peu
plus d'apparence que les maisons juives ordinaires ; toutefois elle
était distribuée de même. Elle était précédée d'un vestibule, puis on
entrait dans une grande salle des deux côtés de laquelle étaient des
chambres à coucher formées par des cloisons mobiles : on arrivait
ensuite au foyer qui était au centre de la maison et autour duquel
étaient quelques grandes chambres et quelques salles : il y avait le
long des murs de larges bancs de pierre sur lesquels étaient placés des
tapis et des coussins : les fenêtres étaient toutes dans le haut. Achias
conduisit Jésus au milieu de la maison : ses serviteurs apportèrent
devant le Seigneur l'enfant couché dans son lit. La femme d'Achias le
suivait couverte d'un voile, elle s'inclina timidement et se tint un peu
en arrière dans une attente pleine d'anxiété. Achias était plein de
joie, il appela les gens de sa maison, les serviteurs et les servantes
que la curiosité avait déjà attirés et qui restèrent à quelque distance.
Le petit garçon était un bel enfant d'environ six ans, il avait une
longue tunique de laine et autour du cou une bande de fourrure qui était
croisée sur sa poitrine. Il était muet et complètement paralysé, mais il
Paraissait aimable et intelligent : il regarda Jésus
Jésus adressa la parole aux
parents et à tous les assistants, il parla de la vocation des gentils,
de l'approche du royaume de Dieu, de la pénitence, de l'entrée dans la
maison du Père par le baptême. Il pria, leva l'enfant de sa couche et le
prit dans ses bras : puis il se courba vers lui, lui passa les doigts
sous la langue, et l'ayant posé à terre, il le conduisit au centurion
qui se précipita vers lui avec la mère tremblante de joie et l'embrassa
en pleurant. L'enfant étendit les bras vers ses parents et dit : " Ah !
mon père, ah ! ma mère, je puis marcher, je puis parler ". Jésus dit
alors : " Prenez cet enfant, vous ne savez pas quel trésor vous a été
donné en lui. Il vous est rendu et il vous sera demandé ". Ses parents
le ramenèrent près de Jésus et se jetèrent à ses pieds avec lui, le
remerciant avec larmes. Il bénit l'enfant et lui parla très
an4ectueusement. Le centurion pria Jésus d'entrer avec lui dans une
pièce voisine et d'accepter une collation, que le Seigneur prit avec ses
disciples. Ils mangèrent debout du pain, du miel et de petits fruits,
puis ils burent. Jésus s'entretint encore avec Achias : il lui dit
d'aller à Capharnaüm pour y recevoir le baptême et l'engagea à
s'adresser là à Zorobabel : ce qu'il fit plus tard avec les parents de
sa maison. Le petit Jephté devint par la suite un disciple très actif de
saint Thomas.
Les soldats qui tenaient
garnison à Giscala, assistèrent comme gardes au crucifiement de Jésus.
On les employait pour faire la police dans de semblables occasions. Je
ne sais plus de quel pays ils étaient.
NOTE
: Lorsque le pèlerin rechercha dans l'Histoire de la guerre des
Juifs de Flavius Josèphe ce qui y est dit de Gabara et de Giscala,
il y trouva, à sa grande surprise, dans le neuvième chapitre du
quatrième livre, que Titus se rendit de Giscala à un endroit voisin
appelé Cydessa, lequel appartenait aux Tyriens et s'était toujours
montrés hostile aux Galiléens. Ce voisinage de Giscala et d'une
ville prétendue tyrienne, paraissait concorder assez peu avec les
allégations d'Anne Catherine. Le pèlerin lui fit part de sa
découverte et elle lui répondit à l'instant même : "Oui, je connais
très bien Cydessa qui est à l'ouest de Damna, à une lieue environ.
On voit de là Cana qui est au midi. Il est vrai qu'il y a des
Tyriens, mais la ville est dans la tribu de Zabulon. La chose
remonte à un homme de Tyr, nommé Livias, auquel Alexandre le Grand
donna cette ville avec son district en récompense de ses services.
Elle était alors complètement dévastée, mais Livias la restaura et y
attira beaucoup de Tyriens ses compatriotes. Ceux-ci continuèrent
d'y habiter, et il n'y avait qu'un petit nombre de Juifs. C'est
ainsi que Cydessa devint une ville païenne au milieu du territoire
de Zabulon. Maintenant Cydessa n'a plus de seigneur ; mais il y a
encore des païens et un grand dépôt de marchandises tyriennes. J'ai
toujours aimé cet endroit : la position en est si agréable et si
dégagée, et on y a une si belle vue sur la magnifique et fertile
contrée d'alentour ! C'est de là que vinrent les premiers paiens au
baptême de Jean : maintenant ils vont la prédication de Jésus sur la
montagne près de Gabara.
Jésus quitta ensuite la
demeure de l'heureux Achias et parla à ses disciples de cet enfant,
disant qu'un jour il porterait des fruits : il dit aussi de cette maison
qu'il en était sorti quelqu'un qui ferait de grandes choses dans son
royaume. Jésus partit pour Giscala, mais il n'alla pas à Bethulie qui en
était tout près, ce que je pressentis tout de suite. Il me semble
toujours que cette ville aujourd'hui dépeuplée et oubliée, n'a plus pour
habitants que des fossoyeurs. Il laissa à sa gauche la hauteur où est
Béthulie, et longeant une vallée qui se dirige au nord-est entre des
montagnes, il gagna la plaine où sont les bains de Béthulie. De là il
fit encore environ trois lieues et arriva à Gabara, ville assez
considérable, placée au bas du revers occidental de la montagne dont le
côté tourné au sud-est cache dans ses anfractuosités ce singulier nid
d'Hérodiens qu'on appelle Jotapat, et où Jésus a été récemment (voir t.
II, p. 298). Jotapat se trouve à peu prés à une lieue de Gabara, en
tournant autour de la montagne.
Cette montagne s'élève à
pic comme une muraille derrière Gabara : on y monte par des degrés
taillés dans le roc. Les habitants de la ville travaillent du coton qui
ressemble à de la soie. Ils fabriquent des étoffes et aussi des espèces
de matelas à l'usage des gens riches avec du coton rouge, jaune et bleu.
Ces matelas sont tendus à l'aide de crochets et solidement attachés.
C'est là tout le lit. Ils salent aussi des poissons qu'ils envoient au
loin.
J'ai encore vu a Giscala
que, quelque temps avant le malheureux combat livré prés de Jezraël,
Saul, avait rassemblé son armée dans les montagnes de Gelboë, parcourut
les environs de cette ville avec quelques compagnons, cherchant des
devins ; car il ne les avait pas tous exterminés dans ce pays, mais ceux
qui restaient s'étaient enfuis à son approche. Il s'était trop avancé,
et les Philistins, avertis qu'il était dans leur voisinage, envoyèrent
un détachement qui avait faillit s'emparer de lui ; mais deux hommes
dévoués de la ville le sauvèrent et le cachèrent. Cela fut cause ;que
plus tard David accorda des faveurs à la ville. On célébrait tous les
ans une fête locale en mémoire de cette aventure de Saul.
A Gabara, on ne fit pas à Jésus de réception particulière : il alla dans
une hôtellerie, et il vint un ou plusieurs Hérodiens de Jotapat qui lui
témoignèrent une feinte déférence et lui adressèrent plusieurs questions
insidieuses. Il leur répondit avec une grande liberté, et il enseigna
aussi dans la synagogue.
(11 novembre.) II y
a environ dix jours, comme on l'a dit, Marthe, Véronique et Jeanne
Chusa, avec Anne, fille de Cléophas, ont fait le voyage de Béthanie à
Capharnaüm. Sur la route, Dina, la Samaritaine, et Marie, la Suphanite
d'Ainon, se sont jointes à elles dans une hôtellerie où elles avaient
amené quelques disciples de Jérusalem, qui étaient allés avec Lazare
trouver Jésus, près d'Ophra, si je ne me trompe. C'était de là que
provenaient les informations sur l'état moral de Madeleine qui a été
mentionné récemment. La visite de Jacques le Majeur à Madeleine
correspond au temps du séjour de Jésus à Méroz. J'ai vu aujourd'hui que
les saintes femmes sont allées à trois lieues au midi de Capharnaüm,
dans une ville de lévites appelée Damna, elles avaient une hôtellerie,
et que Marthe partit de là pour aller à une lieue au sud-ouest voir
Madeleine à Magdalum.
Magdalum, avec ses châteaux
et ses jardins, est situé au nord de la montagne à l'ouest de laquelle
se trouve Gabara : Jotapat est à une lieue au sud-est de cette dernière
ville. Magdalum est situé dans un bassin, sur la crête méridionale d'une
vallée qui va de l'ouest à l'est dans la direction du lac de Génézareth
à une demi lieue à peu près de l'extrémité occidentale de la vallée. La
ville est bâtie sur le penchant de la montagne. Tibériade est à deux
petites lieues au sud-est de Magdalum, sur le bord du lac. On peut aller
à Magdalum d'en haut et d'en bas.
Marthe alla surtout voir
Madeleine pour la déterminer à aller avec Dina la Samaritaine et Marie
la Suphanite écouter une grande instruction que Jésus fera mercredi sur
la montagne située au delà de Gabara Madeleine la reçut assez
amicalement dans l'une des ailes de son château, qui est un peu délabré,
et elle la conduisit dans une chambre voisine de ses appartements de
réception, mais non pas précisément dans ceux-ci. Il y avait en elle un
mélange de vraie et de fausse honte : d'une part, elle rougissait de sa
soeur, pieuse, simple, mal vêtue, qui parcourait le pays avec les
adhérents de Jésus, voués aux mépris des compagnons de plaisir de
Madeleine : d'autre part, elle rougissait devant Marthe et n'osait pas
la mener dans les appartements qui étaient le théâtre de ses folles et
de ses désordres. Madeleine avait un certain abattement moral : mais
elle n'avait pas la force de rompre avec ses habitudes : elle était pâle
et un peu défaite. Déjà, les dernières fois que j'ai porté mes regards
sur sa vie privée, sa position m'a paru moins indépendante et moins
brillante. L'homme avec lequel elle vivait dans le péché lui était à
charge, et elle se sentait un peu abaissée par cette relation, car il
avait des sentiments vulgaires. En outre, elle avait déjà été remuée une
fois par l'enseignement de Jésus.
Marthe s'y prit avec elle
d'une façon très affectueuse et très adroite. Elle lui dit : " Dina la
Samaritaine et Marie la Suphanite, deux personnes aimables et
intelligentes que tu connais, t'engagent à aller avec elles entendre
Jésus prêcher sur la montagne. C'est si près de toi ! elles seraient
bien aises d'avoir ta compagnie dans cette occasion. Tu n'auras pas à
rougir d'elles devant le peuple : tu sais qu'elles ont bon air, que leur
mise est élégante et leurs manières distinguées. Ce sera un beau
spectacle : rien n'est plus intéressant à voir que cette multitude
innombrable écoutant la voix éloquente du Prophète, les malades qu'il
guérit, la hardiesse avec laquelle il interpelle les Pharisiens !
Véronique, Jeanne Chusa, et la mère de Jésus, qui te veut tant de bien,
sont toutes persuadées ainsi que moi que tu nous remercieras de cette
invitation. Je pense que ce sera pour toi une distraction agréable : tu
sembles maintenant ici tout à fait délaissée : tu ne trouves pas de gens
qui sachent apprécier ton coeur et tes talents. Où ! si tu voulais
passer quelque temps avec nous à Béthanie ! Nous entendons tant de
choses merveilleuses, et nous avons tant de bien à faire ! et tu as
toujours été si charitable et si compatissante ! Mais au moins il faut
que demain tu viennes à Damna avec nous : nous sommes à l'hôtellerie,
nous autres femmes : mais tu pourras avoir un logement a part et ne
parler qu'à celles que tu connais, etc ". Ce fut de cette manière que
Marthe parla à sa soeur, évitant avec soin tout ce qui pouvait la
blesser. Madeleine, dans sa mélancolie, accepta volontiers. Elle fit
d'abord quelques petites objections, mais elle finit par consentir, et
promit à Marthe de partir avec elle pour Damna le lendemain matin. Elle
mangea avec elle, et dans la soirée elle quitta plusieurs fois sec
appartements pour venir la visiter. Le soir, Marthe et Anne de
Cléophas adressèrent leurs prières à Dieu pour qu'il rendit ce voyage
profitable à Madeleine. Madeleine semble disposée à recevoir une forte
impression : mais je crois qu'elle retombera encore une fois. Je n'ai
pas encore vu comment Jésus la délivra de sept démons.
(12 novembre.)
Demain 23 Marcheswan, il devait y avoir une grande prédication sur la
montagne qui domine Gabara, et des disciples avaient été envoyés pour
l'annoncer plusieurs jours a l'avance : de nombreuses troupes se
rendirent sur cette montagne de tous les endroits situés à plusieurs
lieues à la ronde et campèrent tout autour du sommet, où il y avait au
haut une enceinte fermée avec une chaire en pierre dont on n'avait pas
fait usage depuis longtemps. Il vint aussi des païens de Cydessa et de
la contrée et Adama, qui est au bord du lac Mérom. Tous ces gens
portaient avec eux des provisions de bouche en abondance, et ils
amenaient un grand nombre de malades de toute espèce. Pierre, André,
Jacques, Jean, tous les autres disciples, y compris Nathanaël Khased,
vinrent à Gabara trouver Jésus : la plupart des disciples de Jean et les
trois fils de la soeur aînée de Marie y étaient aussi. Il y avait bien
là soixante disciples, amis ou parents de Jésus. Il eut ce jour-là
quelques entretiens enseigna et guérit en divers endroits de la ville :
le reste du temps se passa en promenades et en entretiens avec les amis
nouvellement arrivés. Il accueillait les disciples alliés à sa famille
et appartenant à son intimité, en leur prenant les deux mains et en leur
donnant une accolade qui était comme un baiser fraternel.
Pierre est un caractère
singulier, facilement accessible à tout ce qui est bon et juste : il est
zélé et ardent au delà de toute expression, et quand il se fourvoie en
quelque chose, qu'il parle ou agit mal à propos, il devient au premier
avertissement tout à fait timide, craintif et réservé. André procède
avec calme, il a de la fermeté et de la persévérance, et ne se trouble
ni ne s'inquiète aisément. L'Évangile ne donne quelques détails que sur
les personnes et les disciples dont l'individualité représente certains
types dans l'Église. Tout ce qui est superflu ou fait double emploi est
laissé de côté. Ainsi, les histoires de beaucoup de pécheresses ne sont
représentées que par l'histoire de Madeleine : on n'y trouve non plus
que quelques paroles particulièrement caractéristiques des apôtres.
C'est comme lorsqu'on parle d'un homme et qu'on dit de lui : Il a une
tête bien organisée, un coeur tendre, des mains actives et des pieds
agiles ; sa bile s'émeut facilement. On mentionne seulement ces organes
caractéristiques ; mais si l'on parle des genoux, des épaules, des
oreilles, de l'estomac, de la poitrine, etc., on ne leur attribue pas
une vertu ou un vice dominant. Ainsi, il est peu parlé de Marie, il est
plus souvent question de Madeleine et de Marthe, et tout cela pour le
profit et le plus grand bien des hommes de tous les temps, non de ceux
d'une époque particulière : car on passe sous silence ce qui aurait pu
édifier tel siècle ou tel peuple, mais être un sujet de scandale pour
les autres. Ainsi, ce qui est rapporté des prédications et des
enseignements de Jésus, donne seulement les points principaux et les
expressions les plus fortes d'instructions ou d'exhortations qui
duraient souvent plusieurs heures : ce sont uniquement les résumés des
doctrines qu'il exposait, des directions et des encouragements qu'il
donnait en instruisant le peuple : car il enseignait ce qui était
nécessaire à chaque catégorie de personnes ; et comme il revenait
souvent dans les mêmes endroits, il répétait aussi les mêmes
enseignements en les renforçant et en les développant. (Tel fut le sens
des explications données par Anne Catherine dans cette occasion.)
(12 novembre.)
Aujourd'hui à midi, je vis Marie Madeleine avec sa suivante faire route
de Magdalum à Damna en compagnie de Marthe et d'Anne de Cléophas. Elle
était assise sur un âne, car elle n'avait pas l'habitude de la marche.
Elle était habillée avec élégance, mais non avec ce faste exagéré
qu'elle déploya dans une occasion postérieure, lorsqu'elle se convertit
pour la seconde fois. Damna peut être à deux lieues de Magdalum. Elle
descendit dans la même hôtellerie que ses compagnes, mais prit un
logement séparé et ne parla pas à Marie, ni à Véronique. La Suphanite et
la Samaritaine la visitèrent tour à tour. Je les vis se traiter avec
beaucoup de courtoisie et de bienveillance mutuelles. Toutefois il y
avait dans son attitude vis-à-vis des pécheresses converties quelque
chose de particulier ; il me semblait voir un officier retrouvant un
ancien camarade qui s'est fait prêtre. Mais ce léger embarras se dissipa
bientôt en larmes et en témoignages de sympathie féminine. Dans
l'après-midi, je vis Madeleine, avec la Suphanite, la Samaritaine, sa
suivante et Anne de Cléophas, entrer dans une hôtellerie située au pied
de la montagne où devait se faire l'instruction. Les autres femmes
n'allèrent pas entendre Jésus pour ne pas troubler Madeleine. Elles
étaient venues à Damna parce qu'elles désiraient que Jésus vînt les voir
là et n'allât pas à Capharnaüm, où les Pharisiens, comme la dernière
fois (voir tome II, page 268), s'étaient réunis au nombre de seize
environ. Ils étaient, comme alors, venus de divers endroits et
demeuraient dans la même maison. Ils comptent y faire leur résidence
permanente, parce que Capharnaüm est le point central des pérégrinations
de Jésus.
Le jeune Pharisien de
Samarie, qui était là l'autre fois, n'y est point cette fois-ci : il y
en a un autre à sa place. A Nazareth aussi et dans d'autres endroits,
ils ont formé une ligue. Les saintes femmes et Marie surtout étaient
très inquiètes, car les Pharisiens s'étaient déjà exprimés publiquement
en termes menaçants. Elles envoyèrent un message à Jésus pour le prier
de venir les trouver à Damna après sa prédication et de ne pas aller à
Capharnaüm : il valait mieux qu'il allât à droite ou à gauche, surtout
de l'autre côté du lac, dans les villes païennes, pour ne pas s'exposer
au danger. Mais il leur fit répondre qu'elles devaient s'en rapporter à
lui sur ce qui le touchait, qu'il savait ce qu'il avait à faire et qu'il
irait les visiter à Capharnaüm.
(13 novembre, 23
Marcheswan.) Madeleine avec sa suivante, Marie la Suphanite, Dina et
Anne de Cléophas, se trouvèrent le matin de bonne heure sur la montagne
qui s'élevait du côté de Magdalum, entourée de plusieurs collines. Une
multitude innombrable était campée tout autour et on avait apporté des
vivres sur des ânes. Des malades de toute espèce avaient été amenés et
placés ensemble suivant la nature de leurs maladies, les uns plus près,
les autres plus loin. On avait dressé, pour les mettre à couvert, des
tentes légères et des cabanes de feuillage. Au point le plus élevé se
tenaient des disciples de Jésus, qui assignaient à chacun sa place avec
beaucoup de bienveillance et rendaient toute espèce de bons offices.
Autour de la chaire était une enceinte demi circulaire en maçonnerie. La
chaire était abritée par une couverture : des toiles étaient tendues par
endroits au-dessus des auditeurs. Madeleine et ses quatre compagnes
étaient commodément placées à quelque distance : les femmes étaient
ensemble.
Jésus arriva vers dix
heures avec les disciples : les Pharisiens, les Hérodiens et les
Sadducéens vinrent en même temps. Jésus monta dans la chaire : les
disciples se tenaient d'un côté, rangés en cercle ; les Pharisiens de
l'autre côté. Il y eut dans l'instruction plusieurs pauses pendant
lesquelles les auditeurs se retiraient pour faire place à de nouveaux
arrivants. Plusieurs choses furent répétées, et dans les intervalles,
les assistants prenaient quelques rafraîchissements : Jésus lui-même
prit une fois une petite réfection. La prédication fut une des plus
fortes et des plus véhémentes que Jésus eût jamais faites. Avant de
faire la prière, il commença par dire à l'auditoire de ne pas se
scandaliser s'il appelait Dieu son père, car, disait-il, celui qui fait
la volonté du Père céleste est son fils, et il leur montra qu'il faisait
la volonté du Père. Là-dessus, il pria son Père à haute voix et commença
à leur prêcher la pénitence à la manière des anciens prophètes. Il
embrassa tout ce qui s'était passé depuis le temps de la promesse : il
cita les menaces des prophètes et leur accomplissement comme figures du
temps actuel et de l'avenir prochain ; puis il prouva la venue du Messie
par l'accomplissement des prophéties. Il parla de Jean le précurseur qui
avait préparé les voies, dit avec quelle fidélité il avait rempli sa
mission et comment ils étaient toujours restés dans l'endurcissement. Il
leur reprocha tous leurs vices, leur hypocrisie et leur idolâtrie de la
chair et du péché. Il peignit en traits pleins de vivacité les
Pharisiens, les Sadducéens et les Hérodiens. Il parla avec beaucoup de
véhémence de la colère de Dieu et du jugement qui approchait, de la
destruction de Jérusalem et du Temple, et des malheurs qui allaient
fondre sur le pays. Il cita beaucoup de passages du prophète Malachie,
qu'il interpréta et qu'il expliqua ; ses textes sur le précurseur, sur
le Messie, sur une nouvelle oblation sans tache, ce que j'entendis du
saint sacrifice de la messe, et que les Juifs ne comprirent pas. Il
parla encore du retour du Messie au dernier jour de la confiance que
devaient avoir ceux qui craignaient Dieu et des consolations qui leur
étaient réservées. Il parla aussi de la translation de la grâce aux
païens.
Il s'adressa aux disciples,
les exhorta à la fidélité et à la persévérance. Il leur dit qu'il
voulait les envoyer à tous pour enseigner la voie du salut. Il ajouta
qu'ils ne devaient pas s'attacher aux Pharisiens, ni aux Sadducéens, ni
aux Hérodiens ; il caractérisa sévèrement ceux-ci à l'aide de
comparaisons frappantes, et il les désigna clairement. Cela fut d'autant
plus déplaisant pour eux, que personne ne voulait accepter ouvertement
la qualité d'Hérodien : la plupart n'avaient que des liens secrets avec
cette secte.
Jésus, dans cette
instruction, cita fréquemment les prophètes. Il dit entre autres choses
que s'ils ne voulaient pas recevoir le salut, il leur arriverait pis
qu'à Sodome et à Gomorrhe. Là-dessus, les Pharisiens crurent pouvoir le
prendre en défaut et, pendant une pause, ils lui demandèrent si cette
montagne, cette ville. tout ce pays devaient être engloutis avec eux
tous et comment il était possible qu'il arrivât quelque chose de pire.
Il répondit qu'à Sodome les pierres s'étaient englouties, mais non pas
toutes les âmes, car ils n'avaient pas connu la promesse, n'avaient pas
reçu la loi, n'avaient pas eu de prophètes : il prononça d'autres
paroles qui me parurent s'appliquer à sa descente aux enfers et à la
délivrance d'un grand nombre d'âmes. Les Juifs ne comprirent pas cela :
mais moi, j'eus une joie d'enfant d'apprendre que tous ces hommes
n'étaient pas perdus. Quant aux Juifs actuels, Jésus dit que tout leur
avait été donné, que Dieu les avait choisis, et avait fait d'eux son
peuple, qu'ils avaient reçu toute espèce d'avertissements et de
remontrances. que beaucoup de promesses leur avaient été faites et
s'étaient accomplies, mais que s'ils repoussaient tout cela et
persistaient dans l'incrédulité, ce ne seraient pas les pierres et les
montagnes, choses du domaine de leur Seigneur, qui seraient englouties
par l'abîme, mais leurs coeurs et leurs âmes, durs comme la pierre. Or,
c'était là quelque chose de plus terrible que le sort de Sodome.
Apres avoir si sévèrement
exhorté les pécheurs à la pénitence, et annoncé en termes si forts les
jugements de condamnation, Jésus se montra de nouveau plein d'amour : il
appela à lui tous les pécheurs et versa même des larmes
d'attendrissement. Il pria son Père de toucher les coeurs. Où ! s'ils
pouvaient venir à lui, ne fût-ce qu'une troupe, ne fût- ce que
quelques-uns, ou même un seul, quand même il serait chargé de tous les
crimes imaginables : s'il pouvait seulement gagner une âme, il voulait
tout partager avec elle, il voulait tout donner pour elle, il la
rachèterait volontiers au prix de sa vie. Il étendit les bras vers tous,
il s'écria : " Venez, venez, vous qui êtes fatigues et chargés ; venez,
pécheurs, faites pénitence, croyez et entrez en partage du royaume avec
moi ! " Il tendit aussi les bras vers les Pharisiens et vers tous ses
ennemis, n'y en eut-il qu'un seul qui voulût venir à lui !
Au commencement, Madeleine
avait pris place près des autres femmes, jouant son rôle de belle dame,
de personne de distinction assez maîtresse d'elle-même, ou du moins
voulant paraître telle ; toutefois, dès son arrivée, elle s'était déjà
sentie honteuse et intérieurement émue. Elle regarda d'abord autour
d'elle dans la foule : mais lorsque Jésus parut et parla, ses yeux et
son âme furent de plus en plus ravis. Elle fut fortement ébranlée par
son exhortation à la pénitence, par sa description des vices, par ses
menaces de châtiment : elle ne pouvait pas résister5 elle tremblait et
pleurait sous son voile. Lorsqu'enfin il conjura les pécheurs de venir à
lui en termes si affectueux et si pressants, beaucoup de personnes
furent transportées : il y eut un mouvement dans l'auditoire et la foule
se porta en avant : Madeleine aussi et les autres femmes, à son exemple,
se rapprochèrent de Jésus. Mais lorsqu'il dit : " Ah ! si une seule âme
voulait venir à moi ! "Madeleine ressentit une telle émotion, qu'elle
voulut aller jusqu'à lui. Elle fit un pas en avant, mais les autres la
retinrent pour ne pas causer de trouble, et lui dirent : " Plus tard,
plus tard ! " Son agitation excita à peine l'attention de ses voisins,
parce que tous étaient comme suspendus aux lèvres de Jésus ; mais le
Sauveur, ayant connaissance de l'émotion de Madeleine, lui répondit
aussitôt par des paroles de consolation, lorsqu'il ajouta que, " quand
même une seule étincelle de pénitence, de repentir, d'amour, de foi,
d'espérance, serait tombée avec ses paroles dans une pauvre âme égaré,
elle devait porter des fruits, elle devait vivre et prendre de
l'accroissement : il voulait la nourrir, l'élever et la ramener au Père
". Ces paroles consolèrent Madeleine : elle en fut profondément pénétrée
et reprit sa place parmi les autres.
Il était environ six heures
: le soleil baissait déjà et descendait derrière la montagne. Jésus,
pendant son instruction, était tourné vers le couchant : c'était de ce
côté que se tenait l'auditoire : il n'y avait personne derrière lui. Il
pria, bénit la foule et la congédia. Il dit aux disciples d'acheter des
aliments aux gens qui en avaient et de les distribuer aux pauvres et aux
nécessiteux : en général, ils devaient acheter tout ce que les uns ou
les autres avaient de trop et le distribuer aux pauvres, même de manière
à ce que ceux-ci eussent quelque chose à emporter avec eux. Ils ne
devaient rien laisser perdre, mais se faire tout remettre, soit
gratuitement, soit à prix d'argent, et le donner à ceux qui en avaient
besoin. Une partie des disciples s'y employa aussitôt : la plupart des
assistants donnèrent de bon coeur et les autres vendirent volontiers.
Les disciples étaient pour la plupart connus dans le pays, ils firent ce
dont ils étaient chargés avec beaucoup de charité : ainsi les pauvres
furent bien pourvus et témoignèrent leur gratitude pour la bonté du
Seigneur. Pendant ce temps, les autres disciples allèrent avec Jésus
près des nombreux malades qui étaient couchés sur le bord du chemin. La
plupart des Pharisiens et des gens de leur sorte revinrent à Gabara,
scandalisés, touchés, étonnés, dépités, et Simon Zabulon, le plus
considérable d'entre eux, rappela à Jésus, avant de partir, qu'il
l'avait invité à souper dans sa maison. Jésus lui répondit qu'il irait.
En attendant, ils descendirent et, pendant le chemin, ils firent tant
d'observations et de critiques sur Jésus, son enseignement et sa
personne, parce que chacun d'eux avait honte de laisser voir son émotion
aux autres, qu'à leur retour dans la ville ils avaient tout à fait
repris leur assurance et leur confiance en leur propre justice.
Madeleine et les autres
femmes suivirent Jésus : elles se tinrent dans la foule près des femmes
malades et se montrèrent disposées à se rendre utiles selon leur
pouvoir. Madeleine était très émue et les tristes spectacles qu'elle
avait sous les yeux ajoutaient encore à son émotion. Jésus commença par
s'occuper des hommes ; ce qui dura assez longtemps. Il guérit des
malades de toute espèce : l'air retentissait des cantiques de
réjouissance chantés par ces gens qui s'en retournaient guéris et par
leurs compagnons. Lorsqu'il s'approcha des femmes malades avec ses
disciples, la foule qui se portait là et l'espace qu'il fallait pour
Jésus et les siens forcèrent Madeleine et ses compagnes de s'éloigner un
peu davantage. Cependant elle cherchait toujours à s'ouvrir un passage
dans la foule et à se rapprocher du Seigneur, mais il se dirigeait
toujours d'un autre côté.
Jésus guérit quelques
femmes affligées de pertes de sang qui se tenaient à part : ce qui alla
particulièrement au coeur de la délicate Madeleine, tout à fait
étrangère jusqu'alors au spectacle des misères humaines. Quels
souvenirs, quels sentiments de reconnaissance se réveillèrent dans l'âme
de Marie la Suphanite, lorsque six femmes, attachées ensemble trois par
trois, furent amenées à Jésus par de robustes filles qui les traînaient
de force après elle avec de longues pièces d'étoffe ou des courroies.
Ces malheureuses étaient horriblement possédées par des esprits impurs.
Ce sont les premières femmes démoniaques que j'aie vu amener à Jésus en
public. Elles venaient les unes de Samarie, les autres d'au delà du lac
de Génésareth. Il y avait des païennes parmi elles. Ce n'était qu'ici au
haut de la montagne qu'on les avait ainsi attachées ensemble. Elles
étaient le plus souvent douces et paisibles et elles n'essayaient pas de
se faire du mal les unes aux autres : mais quand elles venaient dans le
voisinage des hommes, elles devenaient furieuses, se précipitaient sur
eux, criaient, étaient lancées de côté et d'autre, et se roulaient par
terre dans les convulsions les plus affreuses. C'était un spectacle
effrayant : on les attacha et on les tint à l'écart pendant que Jésus
prêchait et ce ne fut que plus tard qu'on les lui amena. Lorsqu'elles
s'approchèrent de Jésus et de ses disciples, elles firent une vive
résistance : Satan redoutait le Seigneur et leur faisait faire des
contorsions horribles. Elles poussaient les cris les plus déchirants et
leurs membres se tordaient de la manière la plus affreuse. Jésus se
tourna vers elles : il leur ordonna de se taire et de rester tranquilles
: alors elles restèrent silencieuses et immobiles. Il s'approcha
d'elles, les fit délier et leur dit de se mettre à genoux ; puis il pria
et leur imposa les mains et elles tombèrent sous sa main dans une courte
défaillance. Je vis alors l'ennemi sortir d'elles comme une sombre
vapeur ; elles furent relevées par leurs proches et se tinrent voilées
et fondant en larmes devant Jésus, après quoi elles se prosternèrent à
ses pieds et lui rendirent grâces. Jésus les exhorta à se convertir, à
se purifier et à faire pénitence afin de ne pas retomber dans un état
encore plus affreux.
Le jour tombait déjà et
Jésus, accompagné de ses disciples, descendit à Gabara. Plusieurs
groupes de personnes et aussi quelques-uns des Pharisiens allaient
devant et derrière lui. Pour Madeleine, livrée tout entière à ses
impressions et ne tenant aucun compte du reste, elle le suivait de près
dans la foule des disciples et les quatre autres femmes en faisaient
autant à cause d'elle. Elle cherchait toujours à être aussi près de
Jésus que possible. Comme c'était là quelque chose de tout à fait
contraire à l'usage pour des femmes, quelques-uns des disciples en
parlèrent à Jésus. Mais il se retourna et dit : "Laissez-les faire, ce
n'est pas là votre affaire. Jésus arriva ainsi à la ville et quand il
fut prés de la maison destinée aux fêtes publiques dans laquelle Simon
Zabulon avait fait préparer le repas, il trouva le vestibule rempli de
malades et de pauvres qui y étaient entrés à son approche : ils
implorèrent l'assistance de Jésus qui se rendit aussitôt près d'eux, les
exhorta, les consola et les guérit. Pendant ce temps Simon Zabulon vint
avec quelques autres Pharisiens et dit à Jésus qu'il était temps qu'il
vînt au repas, qu'on l'attendait, qu'il avait fait bien assez de choses
aujourd'hui et que ces gens pouvaient être remis à une autre fois. Mais
Jésus lui dit que c'étaient là ses hôtes, à lui, ceux qu'il avait
invités et qu'il devait d'abord assister ; qu'en invitant Jésus, Simon
avait aussi invité ceux-ci, et qu'il n'irait à son repas qu'après les
avoir secourus et avec eux. Là-dessus les Pharisiens furent obligés de
se retirer et en outre de faire dresser des tables pour les malades
guéris et les pauvres dans les salles qui entouraient le vestibule.
Jésus les guérit tous : les disciples conduisirent ceux qui voulurent
rester aux tables qu'on avait dressées pour eux, et on leur alluma des
lampes.
Madeleine et ses compagnes
avaient suivi Jésus jusqu'ici, et elles se tenaient dans une partie du
vestibule qui touchait à la salle du banquet. Cependant Jésus vint se
mettre à table avec une partie des disciples. C'était un festin opulent
et Jésus envoya souvent ses disciples porter des différents mets aux
tables des pauvres qu'ils servirent et avec lesquels ils mangèrent. Il
enseigna pendant le repas et les Pharisiens se disputèrent vivement avec
lui ; j'ai oublié à quelle occasion, parce que je regardais toujours
Madeleine qui s'était approchée de l'entrée de la salle avec ses
compagnes. Elle s'avançait toujours davantage et les autres femmes la
suivaient à quelque distance. Enfin elle entra, humblement inclinée, la
tête voilée, tenant à la main un petit flacon de couleur blanche, qui
était bouché avec un paquet d'herbes ; elle vint d'un pas rapide se
placer derrière Jésus et lui versa le flacon sur la tête, puis elle prit
à deux mains l'extrémité de son long voile qu'elle passa sur la tête de
Jésus, comme si elle eût voulu lui lisser les cheveux et les essuyer.
Ayant fait tout cela très vite, elle se retira quelques pas en arrière.
La conversation qui était très animée fut interrompue. Tout le monde
gardait le silence, regardant Madeleine et Jésus. L'odeur du parfum se
répandait dans la salle. Jésus était calme, mais plusieurs secouaient la
tête, regardaient Madeleine d'un air mécontent et chuchotaient. Simon
Zabulon paraissait particulièrement irrité et Jésus lui dit : " Je sais
quelles sont tes pensées, Simon : tu penses qu'il n'est pas convenable
que je me laisse oindre la tète par cette femme. Tu te dis que c'est une
pécheresse : mais tu as tort, car son affection l'a poussée à faire ce
que tu as négligé. Tu ne m'as pas témoigné les égards dus à un hôte ".
Alors il se tourna vers Madeleine qui se tenait encore là debout et dit
: " Allez en paix ! il vous est beaucoup pardonné ". Sur quoi Madeleine
revint près des autres femmes et elles quittèrent la maison : Jésus
parla d'elle aux convives, dit qu'elle était bonne et très compatissante
: il parla des jugements qu'on porte sur autrui, de la facilité avec
laquelle on condamne des fautes connues et publiques, tandis que souvent
on en cache de beaucoup plus grandes dans le secret de sa conscience. Il
enseigna encore assez longtemps, puis il revint à son logis avec les
siens.
Madeleine avait été
profondément remuée par tout ce qu'elle avait vu et entendu : elle était
vaincue intérieurement et parce qu'il y avait en elle une certaine
ardeur de dévouement et de générosité, elle avait voulu honorer Jésus et
lui témoigner combien elle était touchée. Elle avait vu avec peine que
pour lui, le plus admirable, le plus saint, le plus éloquent des
prédicateurs, le plus compatissant et le plus secourable des
thaumaturges, il n'y avait eu de la part de ces Pharisiens aucun
hommage, aucune distinction particulière, ni lorsqu'ils l'avaient reçu
comme leur hôte, ni pendant le repas qu'ils lui avaient donné : elle se
sentit intérieurement poussée à suppléer, elle seule, à tout ce qu'ils
avaient omis : car elle n'avait pas oublié les paroles de Jésus : "
Quand il n'y en aurait qu'un seul qui fût touché et qui vint à moi ".
Elle portait habituellement sur elle, comme le font habituellement les
grandes dames du pays, le flacon, grand à peu près comme la main, dont
elle s'était servi. Elle portait un vêtement de dessus blanc, brodé de
grandes fleurs rouges et de petites feuilles : il avait de larges
manches froncées, retenues par des bracelets, s'étalait amplement sur le
des et tombait tout d'une pièce sans être assujetti à la taille. Il
était ouvert par devant et attaché seulement au-dessus des genoux par
des cordons ou des courroies. La poitrine et le des étaient couverts
d'une pièce d'étoffe ornée de noeuds et de bijoux, placée sur les
épaules en forme de scapulaire et attachée par côtés : là-dessous était
une autre robe bariolée. Cette fois son voile qu'ordinairement elle
repliait autour du cou, se déployait dans toute sa longueur. Sa taille
était au-dessus de l'ordinaire : quoiqu'ayant de l'embonpoint, elle
était pourtant svelte : elle avait des doigts très menus et très
effilés, de petits pieds très minces, une démarche noble, une chevelure
très belle et très abondante.
(14 novembre) Les
saintes femmes sont allées aux bains de Béthulie, une lieue plus loin
que Damna. Il y a dans la vallée sur le bord septentrional du lac, une
série de maisons où Jésus passa la nuit la dernière fois qu'il se rendit
à ces bains, venant de Capharnaüm. De ce côté sont aussi les logements
des femmes qui prennent les bains. Les saintes femmes sont parties hier
de Damna pour aller là à la rencontre de Madeleine et de ses compagnes.
Elles occupèrent ici une longue salle : il y avait une lampe et avec des
couvertures : les compartiments où des sièges que l'on couchait étaient
séparés par des rideaux. Marthe et une autre des saintes femmes allèrent
hier soir avec un âne au-devant de Madeleine à mi-chemin de Gabara.
Elles étaient à une lieue environ de cette ville. Hier soir et cette
nuit, je vis Madeleine avec les saintes femmes. Marie aussi s'entretint
avec elle. Celle-ci parla de la prédication de Jésus, les deux autres de
l'hommage que lui avait rendu Madeleine, et de ce que le Sauveur avait
dit. Je vis les saintes femmes aller et venir et s'entretenir ensemble :
Madeleine, le plus souvent restait assise. Toutes la prièrent de rester
avec elles, ou au moins de venir passer quelque temps à Béthanie : mais
elle répondit qu'il lui fallait retourner d'abord à Magdalum pour mettre
ordre à sa maison. Cela ne leur plaisait pas. Du reste, elle ne cessait
de parler de son émotion, de la majesté de Jésus, de son pouvoir, de sa
douceur et de ses miracles : elle sentait qu'elle devait le suivre,
qu'elle menait une vie indigne d'elle : elle voulait se réunir aux
autres, etc. Elle était très recueillie et très pensive, et pleurait
souvent : mais elle avait le coeur allégé et rasséréné. Malgré les
instances qu'on lui fit, elle voulut retourner à Magdalum avec sa
suivante. Marthe l'accompagna quelques temps puis elle rejoignit les
saintes femmes qui s'en revenaient à Capharnaüm. Madeleine, je le
crains bien, retombera encore car je l'ai vue plus tard montrer bien de
l'orgueil et de la mauvaise humeur, lorsqu'elle alla avec Marthe
entendre prêcher Jésus sur la montagne voisine de Dothaïm : ce fut là
qu'elle se convertit.
Elle est plus grande et plus belle que les autres femmes. Dina la
Samaritaine est belle aussi, mais bien plus active et plus remuante que
Madeleine : elle est très vive, très affable et très serviable en toute
occasion ; on dirait d'une servante alerte, avisée et prévenante : elle
est, avec cela, pleine d'humilité. Mais la sainte Vierge les dépasse
toutes en merveilleuse beauté : quoiqu'elle ne soit point sans égale
pour les avantages extérieurs, et que Madeleine ait dans les traits
quelque chose de plus frappant, cependant il y a chez elle une pureté,
une simplicité, une naïveté, une gravité, une mansuétude inexprimables
qui la mettent hors de toute comparaison : elle est si merveilleusement
pure, si inaccessible à toute impression étrangère, qu'on ne voit eu
elle que l'image de Dieu réfléchie dans l'humanité. Personne n'a de
ressemblance avec elle, si ce n'est son fils. Sa physionomie se
distingue de celle des femmes qui l'entourent et de toutes celles que
j'ai jamais vues, par une expression de candeur, d'innocence, de
gravité, de sagesse, de paix et d'amabilité douce et recueillie
qu'aucune parole ne peut rendre. On voit en elle une incomparable
majesté et la simplicité innocente d'un enfant. Elle est très sérieuse,
très calme, souvent triste, jamais abattue ni agitée : les larmes
coulent doucement sur son visage paisible.
CHAPITRE QUATRIÈME
Prédication et miracles de
Jésus.
- Prédication et
miracles de Jésus à Capharnaüm et dans les environs. Il guérit le
serviteur du centurion Cornélius. Il ressuscite le fils de la veuve de
Naïm et la fille de Jaïre. Rechute de Madeleine. Vocation de saint
Matthieu. Vocation définitive de Pierre, d'André, de Jacques et de Jean.
La tempête apaisée. Guérisons de malades. La pêche miraculeuse.
(14 novembre.) Je
vis déjà dans la journée d'hier e dans la nuit suivante plusieurs
disciples qui demeuraient dans le voisinage, retourner chez eux : Pierre
André et quelques autres se rendirent à Capharnaüm et a Bethsaïde. Jésus
enseigna et guérit encore quelques malades dans l'après-midi ; puis,
accompagne dl reste des disciples et de plusieurs autres personnes,
descendit, par le côté au nord-est de la montagne de Gabara, dans la
vallée qui est au levant de Magdalum après quoi, suivant une côte élevée
qui domine la rive du lac, il arriva près d'une colline qui termine les
hauteurs méridionales de la vallée de Capharnaüm, dans la direction du
lac. Il y a là un petit endroit d'une cinquantaine d'habitations, qui
fait partie d'un bien appartenant à Zorobabel, le centurion de
Capharnaüm. C'est là qu'aboutit cette gorge où sont parqués de beaux
animaux de toute espèce, et où Jésus se retira, lors de son dernier
séjour à Capharnaüm, avant de quitter le pays. (Voir tome II, page 285.)
Les deux lépreux qu'il y avait guéris vinrent le trouver et lui rendre
grâces de leur guérison, car alors il ne s'était arrêté près d'eux que
fort peu de temps. Cet endroit se composait de divers jardins séparés et
entourés de murs, et les habitations que j'ai vues, au nombre d'une
cinquantaine, étaient presque toutes des cabanes et de petits celliers
pratiqués dans les terrassements en maçonnerie qui soutenaient les
jardins. Elles n'étaient habitées que par des jardiniers, des gens de
service, des esclaves et des métayers du centurion Zorobabel,
propriétaire de ce terrain, auquel venait aboutir, de la vallée de
Capharnaüm, cette gorge sauvage dont on avait fait une espèce de parc
très bien arrangé, et par laquelle Jésus était venu ici en secret.
Il y trouva aujourd'hui
l'intendant avec tous les serviteurs et le fils de Zorobabel qu'il avait
guéri : tous avaient été baptisés. Jésus les enseigna ainsi que ses
compagnons et les habitants de l'endroit : il guérit en outre plusieurs
malades, et il prit un petit repas. A la chute du jour il se rendit dans
la vallée de Capharnaüm, à la maison de sa mère : ses disciples
l'avaient quitté pour se rendre dans leurs familles. Toutes les saintes
femmes s'étaient réunies et sa présence causa une grande joie ; Pierre
et les alliés de la sainte Famille assistèrent au repas. J'ai encore
cette fois entendu Marie et les saintes femmes prier Jésus de passer de
l'autre côté du lac le lendemain matin, à cause de la fureur dont le
comité des Pharisiens était animé contre lui Mais il les engagea à se
calmer. Marie lui recommanda de nouveau le centurion Cornélius, à propos
de son esclave malade, disant que c'était un excellent homme, lequel,
quoique païen, avait bâti une synagogue par affection pour les Juifs :
elle le pria aussi de guérir la fille de Jaïre, le chef de la synagogue.
Celui-ci demeure, à ce que je crois, dans un petit endroit voisin de
Capharnaüm.
(15 novembre.) Ce
matin, Jésus prit le chemin de Capharnaüm avec plusieurs disciples : il
voulait aller chez le centurion Cornélius : mais comme il arrivait
devant la ville, dans le voisinage de la maison qui appartient à Pierre,
il vit venir à sa rencontre deux Juifs que Cornélius lui avait déjà
envoyés récemment. Ils le prièrent de nouveau d'avoir pitié du serviteur
du centurion, lui disant que Cornélius le méritait bien qu'il était
l'ami des Juifs, qu'il leur avait fait bâtir une nouvelle synagogue, et
qu'il s'était trouvé honoré de pouvoir faire cela pour eux. Jésus leur
répondit qu'ils pouvaient lui annoncer sa visite. Alors ils lui
envoyèrent un messager pour le prévenir. Cornélius habitait au nord de
Capharnaüm, tout contre la ville, sur le penchant de la hauteur qui la
dominait. Jésus prit aussitôt sur sa droite le chemin qui était entre la
ville et les murs de la ville, et il passa devant la cabane d'un lépreux
auquel on avait permis de se faire un logement dans la muraille. Mais
lorsque, s'étant avance un peu plus loin, il se trouva en vue de la
maison de Cornélius, l'humble centurion vint à quelque distance et se
mit à genoux pendant que son messager courait à la rencontre de Jésus et
lui disait : " Le centurion vous fait dire : Seigneur, je ne suis pas
digne que vous entriez sous mon toit, dites seulement une parole, et mon
serviteur sera guéri, car si moi, qui suis peu de chose et soumis à des
supérieurs, je puis dire à mes serviteurs : Faites ceci ! faites cela !
et ils le font, combien vous est-il plus facile d'ordonner à votre
serviteur de guérir, moyennant quoi il sera guéri ! " Quand le messager
eut répété ces paroles de Cornélius, qui ne se jugeait pas digne de
s'approcher de Jésus et de lui parler lui-même, le Seigneur se tourna
vers les assistants et dit : " Je vous le dis en vérité, je n'ai pas
trouvé une telle foi parmi les Israélites. Sachez-le donc : beaucoup
viendront de l'orient et de l'occident et seront dans le ciel avec
Abraham, Isaac et Jacob, pendant que beaucoup d'enfants du royaume de
Dieu, beaucoup d'Israélites, seront repoussés dans les ténèbres
extérieures, là où il y aura des pleurs et des grincements de dents ".
Il se tourna ensuite vers le centurion et dit : " Allez ! qu'il vous
soit fait selon votre foi ! " et le messager s'empressa de porter ces
paroles au centurion agenouillé. Celui-ci se courba jusqu'à terre, se
releva et retourna chez lui. Mais devant la maison, son serviteur vint à
sa rencontre : il était enveloppé dans un grand drap et avait un linge
autour de la tête : ce n'était pas un homme du pays, il avait le teint
d'un brun jaunâtre. Pendant ce temps, Jésus était retourné vers la
cabane du lépreux, ayant à passer devant pour entrer dans la ville. Le
lépreux sortit, se prosterna et dit : " Seigneur, si vous voulez, vous
pouvez me guérir ". Jésus lui répondit : " Étends les mains ", puis il
les toucha et lui dit : " Je le veux, sois guéri ". Alors sa lèpre se
détacha et tomba, et Jésus lui ordonna de se présenter aux prêtres pour
qu'ils l'examinassent, et de faire les offrandes prescrites, mais du
reste de ne parler de cela à personne. Cet homme, qui était très connu
dans la ville, alla alors trouver les Pharisiens pour faire examiner si
sa guérison était bien réelle : ils furent fort dépités, lui firent
subir un examen très rigoureux, et furent obligés de le déclarer libre.
Ils lui cherchèrent pourtant querelle, et le chassèrent à peu près de
leur présence.
Après cela, Jésus reprit le
chemin qui conduisait au milieu de la ville. On y avait apporté beaucoup
de malades, on y amena aussi des possédés, et il passa bien encore une
heure à opérer des guérisons. Les malades étaient couchés sur une place,
la plupart autour d'un puits où se trouvaient des cabanes. Jésus sortit
ensuite de la ville avec plusieurs disciples, et, suivant la vallée, il
se rendit à une lieue et demie de là dans la gorge qui est au-dessus de
Magdalum, non loin de Damna : il y avait là une hôtellerie publique.
Plusieurs femmes, qui voulaient lui parler, l'y attendaient : c'étaient
Maroni, la veuve de Naïm, Laïs la païenne de Naïm, avec ses deux filles
Sabia et Athalie que Jésus, étant à Méroz, avait guéries à distance et
délivrées, et je ne sais plus quelle autre femme. La veuve Maroni était
venue supplier Jésus de venir près de son fils Martial, âgé de douze
ans, lequel était si malade, qu'elle craignait de le trouver mort en
rentrant dans sa maison. Jésus lui dit de s'en retourner tranquillement
chez elle, et lui promit de venir : mais il ne dit pas quand. Elle était
venue avec un âne et apportait des dons pour la communauté, qui furent
portés à la ville voisine de Damna, où l'on avait établi une hôtellerie.
Jésus la consola, et elle partit aussitôt, montée sur l'âne, et
accompagnée d'un serviteur. Naïm était à environ neuf lieues de là. Je
ne me souviens plus si, à raison du danger imminent de son fils, elle ne
continua pas son voyage ce soir après l'ouverture du sabbat : je crois
que Jésus lui en donna la permission. C'était une femme riche, de
beaucoup de vertu, et qui était comme une Mère pour tous les enfants
pauvres de Naïm. Je crois qu'elle était nièce, non du père, mais du
beau-père de Pierre.
Barthélemy était aussi
venu, amenant avec lui le petit José, fils de sa soeur, qui était veuve,
peut-être pour le faire baptiser. Thomas était là également, et avec lui
Jephté, l'enfant d'Achias, le centurion de Giscala, que Jésus avait
guéri récemment. Thomas était allé voir un de ses parents, et je ne sais
plus à quelle occasion il avait pris avec lui ce jeune garçon. Achias,
son père, n'y était pas, mais Judas Iscariote était venu avec eux de
Méroz. Laïs et ses deux filles avaient déjà embrassé le judaïsme à Naïm,
et avaient renoncé à tout en présence des prêtres. Il y avait dans ces
occasions une espèce de baptême donné par les prêtres, lequel consistait
seulement en une aspersion avec un goupillon et en diverses
purifications. Quand ce cas se présentait, on baptisait aussi les femmes
chez les juifs. Mais aucune n'eut part au baptême de Jean ni à celui de
Jésus avant la Pentecôte.
Jésus s'entretint ici avec
ces femmes touchant leurs projets pour l'avenir, ce qu'il n'avait pas eu
le temps de faire à Capharnaüm. A l'exception de Maroni, elles
célébrèrent le sabbat à Damna, parce qu'elles étaient trop fatiguées
pour pouvoir se rendre à Capharnaüm avant qu'il fût ouvert. Jésus leur
donna des instructions et les consola : il mangea aussi avec elles,
ainsi que les disciples, un peu des aliments qu'elles avaient apportés.
Il revint ensuite à Capharnaüm pour le sabbat, accompagne des disciples
et des hommes qui étaient venus le joindre : les femmes allèrent à
Damna.
Arrivé à Capharnaüm, Jésus
alla à la synagogue tous les futurs apôtres étaient présents, à
l'exception de Matthieu, ainsi que beaucoup de disciples et de parents
de Jésus, et plusieurs femmes de ses parentes et de ses amies. Marie
d'Héli, soeur aînée de la sainte Vierge, était aussi venue chez
celle-ci, en compagnie d'Obed, son second mari, avec un âne qui portait
des présents. Elle habitait à Japha, petit endroit situé à une lieue de
Nazareth tout au plus, où Zébédée avait habité autrefois et où ses fils
étaient nés. Elle s'était fait une fête de revoir, outre les autres
personnes ses trois fils, les disciples de Jean, Jacob, Sadoch et
Héliacin. Ce Jacob était du même âge qu'André ; c'est le même qui eut
une contestation avec Paul au sujet de la circoncision, ainsi qu'un
disciple du nom de Céphas et un autre appelé Jean. Il fut fait prêtre
après la mort de Jésus : c'était l'un des plus considérables et des plus
âgés parmi les soixante-dix disciples. Il alla avec Jacques le Majeur en
Espagne, et aussi dans les îles, notamment à Chypre et dans les contrées
païennes limitrophes de la Judée. Ce n'est pas lui, mais Jacques le
Mineur, fils d'Alphée et de Marie de Cléophas, qui fut le premier évêque
de Jérusalem.
Cette
communication remarquable éclaircit d'une manière surprenante le
second chapitre de l'Épître aux Galates et confirme la tradition
rapportée par Eusèbe, selon laquelle le Céphas mentionné par saint
Paul ne serait pas saint Pierre, mais un des soixante-dix.
Les Pharisiens et les
Sadducéens avaient formé le projet de faire aujourd'hui dans la
synagogue une vive opposition à Jésus et, à la faveur d'un tumulte
préparé d'avance que devaient exciter des gens apostés par eux, de le
chasser ou de se saisir de lui : mais les choses tournèrent tout
autrement. Jésus commença son instruction à la synagogue par une
allocution très forte et très véhémente, et il parla sans aucun
ménagement, comme quelqu'un qui a pouvoir et autorité pour parler ainsi.
La fureur des Pharisiens fut à son comble, et ils étaient au moment de
se précipiter sur lui, lorsque tout à coup il se fit un grand mouvement
dans la synagogue. Un homme de la ville, qui était possédé d'un démon
impur et qu'on tenait enchaîné à cause de ses accès de fureur, avait
brisé ses liens pendant que ses gardiens étaient à la synagogue. Il se
jeta comme un furieux au milieu de l'assemblée, passa, en poussant des
cris horribles, à travers la foule qu'il écarta et qui se mit aussi a
crier, courut ainsi jusqu'à la place où Jésus enseignait et s'écria : "
Jésus de Nazareth, qu'y a-t-il entre nous et toi ? Tu es venu pour nous
chasser ? Je sais qui tu es ; tu es le Saint de Dieu ". Mais Jésus, sans
s'émouvoir, se tourna à peine vers lui du haut de l'extrade ; il fit un
geste de menace de son côté et dit tranquillement : " Tais-toi et sors
de cet homme ". Alors l'homme resta silencieux : puis après avoir été
jeté de côté et d'autre, il s'affaissa sur lui-même et je vis Satan se
retirer de lui comme une épaisse vapeur noire. Quant à l'homme qui avait
beaucoup pâli, et qui était complètement calmé, il se prosterne la face
contre terre et pleura.
Tous avaient vu cette scène
terrible et surprenante ou éclatait le pouvoir de Jésus. L'effroi des
assistants fit bientôt place à un murmure d'admiration : les Pharisiens
avaient perdu toute leur assurance : ils se disaient même les uns aux
autres, dans leur étonnement : " Qu'est-ce donc que cet homme ? Il
commande aux esprits et ils s'en vont ". Jésus continua à enseigner sans
contradicteurs. Le possédé délivré, dont la faiblesse et la maigreur
étaient extrêmes, fut ramené chez lui par les siens et par sa femme qui
était à la synagogue. Quand Jésus sortit, après avoir achevé son
instruction, cet homme vint à lui, le remercia et lui demanda des
conseils. Jésus lui recommanda de renoncer à ses pratiques vicieuses, de
peur qu'il ne lui arrivât quelque chose de pis, et l'exhorta à la
pénitence et au baptême. C'est un tisserand : il confectionne de ces
tissus de coton minces et légers, que les Juifs portent autour du cou.
Il retourna à son travail ayant recouvré le calme et la santé. Des
esprits impurs de cette espèce prenaient souvent possession des hommes
qui se livraient avec excès et sans retenue à leurs passions impures.
Après cette scène, les
Pharisiens avaient perdu toute idée d'attaquer Jésus aujourd'hui ils
restèrent fort tranquilles et il enseigna ce soir sur la lecture du
sabbat, qui était tirée du Pentateuque et du prophète Osée : cela dura
ainsi, sans aucun nouvel incident, jusqu'à la clôture, où il parla
encore avec beaucoup de force et de gravité. Son attitude et ses paroles
furent aujourd'hui beaucoup plus sévères que de coutume, et il parla
tout à fait comme quelqu'un qui a autorité.
Il se rendit ensuite à la
maison de Marie, où toutes les femmes étaient réunies, ainsi que
beaucoup de ses parents et de ses disciples. On `prit là un petit repas.
J'ai compté cette nuit toutes les saintes femmes qui, jusqu'à la mort de
Jésus, firent partie de la communauté chargée de l'assister. Il y en eut
soixante dix : cette fois, j'en ai compté déjà trente-sept qui prennent
dès à présent une part active à cette oeuvre. Les filles de Lais de
Naïm, Sabia et Athalie, furent à la fin du nombre de celles qui se
portaient partout où leur présence pouvait être utile. Je les ai vues,
au temps de saint Etienne, parmi les fidèles qui avaient établi leur
domicile à Jérusalem.
(17 novembre.) Jésus
enseigna ce matin dans la synagogue sans que personne s'y opposât. Les
Pharisiens s'étaient dit les uns aux autres : " Nous ne pouvons rien
entreprendre contre lui pour le moment : ses partisans sont trop
nombreux : nous nous bornerons à le contredire de temps en temps, et à
rendre compte de tout à Jérusalem, puis nous attendrons qu'il vienne au
Temple pour la fête de Pâques ". Il y avait derechef un grand nombre de
malades dans les rues : les uns étaient arrivés la veille un peu avant
le sabbat, les autres, d'abord incrédules, venaient de tous les coins de
la ville sur le bruit qu'avaient fait les guérisons du jour précédent :
j'en vis aussi beaucoup qui étaient venus plusieurs fois, mais qui
n'avaient reçu qu'un soulagement temporaire et qui revenaient. Une
explication me fut donnée à ce sujet : ces malades sont les âmes tièdes,
inconstantes, paresseuses, lesquelles se convertissent plus
difficilement que les grands pécheurs à passions violentes. Madeleine ne
se convertit qu'à grand peine après plusieurs rechutes, mais alors elle
déploya une grande énergie. La conversion de Dina fut rapide : celle de
Marie la Suphanite fut précédée de désirs persévérants et s'accomplit
tout à coup. Celle de toutes les grandes pécheresses fut prompte et
complète : de même pour l'énergique Paul, ce fut comme un coup de
foudre. Judas fut toujours indécis et finit par se perdre. Il en est de
même pour certains maux terribles et violents, que je vois Jésus, dans
sa sagesse, faire disparaître instantanément, parce que ceux qui en sont
affectés, ou sont entièrement privés de l'exercice de leur volonté,
comme les possédés dans leurs accès, ou sont irrésistiblement dominés
par leurs souffrances, comme dans quelques maladies très graves. Quant à
d'autres gens valétudinaires, que leurs souffrances empêchent seulement
de pécher aussi facilement et qui ne sont pas véritablement convertis,
je vois souvent, ou qu'il les renvoie en les exhortant à se corriger, ou
qu'il se borne à les soulager un peu, afin que leur âme s'assouplisse
davantage sous le poids des chaînes qu'ils portent. Jésus pourrait les
guérir tous immédiatement, mais il ne guérit que ceux qui croient et qui
font pénitence, et souvent il les avertit de prendre garde aux rechutes.
Souvent aussi je l'ai vu guérir promptement des gens atteints de
maladies légères, quand cela était profitable pour leur âme. Il n'est
pas venu rendre la santé aux malades pour leur rendre le péché plus
facile, mais guérir les corps afin de sauver et de racheter les âmes. Je
vois toujours dans chaque espèce de maladie une disposition divine et
l'image symbolique d'une dette personnelle ou étrangère pesant sur
l'individu, et qu'il doit payer sciemment ou à son insu, ou bien encore
un capital d'épreuves, qui lui est alloué et qu'il doit faire fructifier
par la patience, en sorte qu'à proprement parler, personne ne souffre
sans l'avoir mérité. Car nul homme ne peut se dire innocent, puisque le
Fils de Dieu a dû prendre sur lui les péchés du monde pour qu'ils
fussent effacés, et puisque nous devons porter notre croix à sa suite
afin de l'imiter en tout.
La patience poussée jusqu'à
la joie au milieu des afflictions et l'union de nos souffrances avec
celles de Jésus-Christ faisant partie des conditions de la perfection,
le désir de ne pas souffrir est déjà en lui-même une imperfection. Or,
nous avons été créés parfaits et nous devons renaître parfaits. C'est
pourquoi toute guérison est pure grâce et miséricorde gratuite envers
les pauvres pécheurs qui ont mérité plus que la maladie, car ils ont
mérité la mort dont le Seigneur, en mourant lui-même, a sauvé ceux qui
croient en lui et qui agissent conformément à leur foi.
C'est ainsi que je vis
Jésus guérir aujourd'hui beaucoup de possédés, de paralytiques,
d'hydropiques, de goutteux, de muets, d'aveugles et d'autres personnes
atteintes de graves infirmités. Devant plusieurs malades qui pouvaient
encore se tenir debout, je le vis souvent passer outre. Il y en avait
parmi eux qui avaient déjà reçu de lui un soulagement à leurs maux, mais
qui ne s'étant pas convertis sérieusement, étaient retombés quant au
corps et quant à l'âme. Comme Jésus passait devant eux sans s'arrêter,
ils s'écrièrent : " Seigneur, Seigneur, vous guérissez tous ces gens
malades, et nous, vous ne nous guérissez pas ! Seigneur, ayez pitié ! je
suis redevenu malade ! " Alors Jésus répondit : " Pourquoi ne
tendez-vous pas vos mains vers moi " ? Tous alors tendirent les mains
vers lui en disant : " ce Seigneur, voici nos mains ! " Mais il répondit
: " Ces mains-là, vous les tendez, il est vrai ; mais il y a les mains
de votre coeur auxquelles je ne puis atteindre : vous les retirez et les
fermez, car il n'y a en vous que ténèbres ". Là-dessus, il donna encore
quelques enseignements et en guérit plusieurs qui s'étaient convertis :
d'autres furent de nouveau soulagés : il y en eut enfin devant lesquels
il passa sans s'arrêter.
Vers midi, il s'assit avec
les siens. Il y avait là plusieurs personnes de sa parenté, notamment
deux qui étaient venues de Nazareth. Dans l'après-midi, il alla avec
tous ses disciples et ses parents faire du côté du lac une promenade
pendant laquelle il enseigna. Ils visitèrent aussi dans la partie
méridionale de la vallée de Capharnaüm, un jardin de plaisance arrosé
par le ruisseau de Capharnaüm, et où l'on prenait des bains : Je crois
qu'on y baptisera. J'avais pensé d'abord que ce serait dans le voisinage
de la maison de Marie, qu'il y a également une belle fontaine
baptismale. mais cela aurait occasionne trop de dérangement. La sainte
Vierge de son côté est allée se promener près de Bethsaïde, au-dessus de
la maison des lépreux, avec plusieurs des autres femmes parmi lesquelles
se trouvent Dina, Marie la Suphanite, Laïs, Athanie. Sabia et Marthe.
Une caravane de païens, dont beaucoup de femmes font partie, a établi là
son camp. Je crois que ce sont des gens de la haute Galilée. Le sainte
Vierge les visita et leur donna des consolations et des enseignements.
Les femmes étaient assises en cercle : Marie s'asseyait ou marchait au
milieu d'elles. Elles lui adressèrent des interrogations de toute espèce
: Marie leur expliqua ce qu'elles ignoraient, les consola et leur
raconta bien des choses relatives aux patriarches, aux prophètes et à
Jésus.
Jésus enseigna une
nombreuse assistance près de la hauteur où est le jardin de Zorobabel.
Il parla souvent en paraboles. Les disciples ne le comprenaient pas
encore et quand ensuite il se retira à part avec les principaux d'entre
eux, il leur expliqua une parabole où il était question du semeur, de
l'ivraie mêlée au bon grain et du danger d'arracher le froment avec
l'ivraie. C'était entre autres Jacques le Majeur qui lui avait dit qu'on
ne le comprenait pas et qui lui avait demandé pourquoi il ne parlait
pas Plus clairement. Jésus répondit qu'il leur expliquerait tout, mais
qu'a cause des faibles et des païens le royaume de Dieu ne devait
pas être présenté dans toute sa nudité. Puisque dès à présent ils s'en
effrayaient, parce qu'ils le trouvaient trop au-dessus de leur portée,
ils devaient apprendre à le connaître sous le voile des paraboles ; il
fallait qu'il prît croissance en eux comme une semence dans laquelle
l'épi est enveloppé et qui, elle-même, est cachée dans le sein de la
terre. · Il leur expliqua une parabole qui faisait allusion à leur
mission en tant qu'appelés à travailler à la moisson. Il parla des
conditions nécessaires pour le suivre, leur dit que bientôt ils
l'accompagneraient tous dans ses courses et qu'il leur expliquerait
tout. Je me souviens encore que Jacques le Majeur lui dit : "Maître,
pourquoi nous expliquez-vous cela, à nous qui sommes des ignorants, afin
que nous l'enseignions aux autres ? Dites-le plutôt à Jean Baptiste qui
a une si grande foi à ce que vous êtes réellement, et qui pourrait le
propager et l'annoncer. "Je ne me souviens plus de ce qu'il répondit à
cela.
Vers le soir, Jésus
retourna à la synagogue et termina l'instruction du sabbat. Les
Pharisiens avaient un peu repris courage et vers la fin ils se mirent
encore à disputer avec lui sur ce qu'il remettait les péchés :
Il y en avait là quelques-uns qui avaient assiste au repas donné à
Gabara : ils lui reprochèrent d'avoir dit à Marie Madeleine, que ses
péchés lui étaient remis. D'où le savait-il ? Comment cela était-il en
son pouvoir ? C'était un blasphème. Jésus les réduisit au silence par
ses réponses. Ils voulaient l'amener à dire qu'il n'était pas un homme,
qu'il était un Dieu. Mais Jésus confondait tous leurs discours. Cela se
passa dans le parvis devant la synagogue : ils en vinrent enfin à faire
grand bruit et à pousser des clameurs tumultueuses, et Jésus se déroba
au milieu de la foule en sorte qu'ils ne surent plus ce qu'il était
devenu. Il gagna par le ravin qui était derrière la synagogue les
jardins de Zorobabel, puis il revint par des sentiers détournés dans la
maison de sa mère. Il y passa une partie de la nuit et s'entretint avec
elle et avec les autres femmes. Il fit dire de là à Pierre et à
plusieurs autres disciples qu'il irait avec eux à Naïm, le jour suivant
et leur donna rendez-vous de l'autre côté de la vallée au-dessus de
l'endroit où se tenaient les barques de Pierre. J'ai oublié de dire
qu'hier le centurion Cornélius et son serviteur lui firent demander ce
qu'il avait à faire : il lui dit de se faire baptiser avec tous les
siens.
(17 novembre.)
Aujourd'hui dimanche, je vis, de très bon matin, Jésus accompagné des
futurs apôtres, d'un bon nombre de disciples et de plusieurs autres
personnes qui l'avaient suivi de Gabara à Capharnaüm, se diriger vers la
plaine d'Esdrelon. Il y avait deux troupes : l'une allait en avant,
l'autre en arrière : Jésus était la plupart du temps entre les deux avec
quelques compagnons. Il alla parfois enseigner dans les champs, là où il
se trouva des gens pour l'écouter : ils se reposèrent aussi par moments.
Le chemin passait au-dessus de la pêcherie de Pierre, coupait la vallée
de Magdalum, longeait à l'est la montagne qui domine Gabara, puis
suivait la vallée à l'est de Béthulie et de Giscala, et traversait le
territoire des deux villes qui se trouvaient à droite et à gauche du
chemin lors du récent voyage de Dabrath à Giscala. Jésus marcha bien
neuf ou dix heures aujourd'hui. Ils entrèrent dans une maison de bergers
située sur le chemin, à trois ou quatre lieues de Naïm. Ils avaient
passé précédemment le torrent de Cison. Jésus a fréquemment enseigné
pendant la route : il a dit entre autres choses à quoi on pouvait
reconnaître les faux docteurs.
(18 novembre.) Naïm
est une jolie ville avec des maisons bien bâties : elle s'est aussi
appelée Engannim. Elle est située sur une colline agréable, près du
torrent de Cison, à une petite lieue de l'endroit où commence la montée
du Thabor. On voit Endor au sud-ouest. Jezraël est plus au midi, mais on
ne peut pas voir cette ville à cause des hauteurs qui la cachent. On a
devant soi la belle plaine d'Esdrelon. Naïm peut être à trois ou quatre
lieues au sud-est de Nazareth, sur le bord septentrional du torrent de
Cison, que Jésus avait passé en allant du nord-est à l'ouest. Cette
contrée produit une très grande abondance de blé, de vin et de fruits,
et la veuve Maroni possède toute une montagne couverte de vignes
magnifiques. Jésus arriva à Naïm avec une trentaine de compagnons :
plusieurs s'était séparés de lui en route pour aller chez eux. Le chemin
qui passait par les collines était ici fort étroit : un groupe allait
devant, un autre derrière et Jésus entre les deux. Il était environ neuf
heures du matin, lorsqu'ils arrivèrent près de Naïm. J'avais été
récemment informée que Jésus, étant très proche de Naïm, s'était abstenu
à dessein d'y aller quoique le jeune homme fût déjà malade, parce qu'il
devait l'arracher à la mort et par là propager la foi.
Comme les disciples,
suivant un étroit sentier, approchaient de la porte, j'y vis arriver le
corps accompagne d'une troupe de Juifs en manteaux de deuil. J'ai
toujours entendu dire que les Juifs couraient tumultueusement lorsqu'ils
portaient leurs morts en terre et c'est bien ainsi qu'ils faisaient en
cette occasion : ils s'agitaient autour du corps comme un essaim
d'abeilles. Quatre hommes le portaient dans une bière posée sur des
bâtons recourbés au milieu La bière avait la forme d'un corps humain :
elle était légère comme une corbeille d'osier et il y avait un couvercle
par-dessus. Jésus, passant à travers les disciples qui s'étaient rangés
sur deux lignes, alla au devant de ceux qui accompagnaient le corps et
leur dit : " Arrêtez vous ". Puis mettant la main sur le cercueil, il
ajouta : " Déposez le cercueil ". Ils le mirent par terre et se
retirèrent en arrière : les disciples se tenaient des deux côtés. La
mère suivait le convoi, avec plusieurs femmes, parmi lesquelles les
trois veuves déjà mentionnées, dont l'une avait eu pour premier mari un
frère de Khasaloth ; elles venaient de sortir de la porte et se tinrent
à quelques pas du Seigneur. Elles étaient voilées et dans une grande
affliction. La mère était en avant, elle pleurait en silence et se
disait sans doute : " Hélas ! il vient trop tard ! " Jésus lui dit d'un
ton affectueux quoique très grave : " Femme. ne pleurez pas ". Il était
touché de la douleur de tous les assistants, car on aimait beaucoup la
veuve, dans la ville, à cause de sa grande charité envers les orphelins
et les pauvres de toute espèce. Toutefois il y avait aussi dans la foule
plusieurs personnes malveillantes, et il en arrivait encore d'autres de
la ville. Jésus demanda de l'eau et une branche d'arbre : on apporta à
l'un des disciples un vase plein d'eau et une branche d'hysope qu'on
cueillit dans un jardin : on présenta tout cela au Seigneur qui dit aux
porteurs : " Ouvrez le cercueil et détachez les bandages ". Pendant
qu'ils exécutaient ses ordres, Jésus leva les yeux au ciel et dit : " Je
vous loue, mon Père, seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous
avez caché tout cela aux sages et aux habiles pour le manifester aux
simples. Oui, mon Père tel a été votre bon Plaisir. Toutes choses ont
été mises en mon pouvoir par le Père, et personne ne connaît le Père si
ce n'est le Fils et ceux auxquels le Fils veut le révéler. Venez à moi,
vous qui êtes fatigués et accablés ! Je vous renouvellerai. Prenez mon
joug sur vous et apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur :
vous trouverez du repos pour vos âmes, car mon joug est doux et mon
fardeau est léger ". Lorsqu'ils eurent levé le couvercle, je vis le
corps couché dans le cercueil où il était comme emmailloté. Ils
délièrent et détachèrent les bandes d'étoffe qui l'enveloppaient, mirent
à découvert je visage et les mains en sorte que le corps ne se trouva
plus recouvert que d'un linceul. Jésus bénit l'eau, y trempa la branche
d'hysope et aspergea l'assistance. Alors je vis beaucoup de petites
figures ténébreuses comme des insectes, des scarabées, des crapauds, des
serpents et de Petits oiseaux de couleur sombre sortir de plusieurs
personnes qui se trouvaient là. Personne à la vérité ne sembla voir
cela. mais il y eut chez les gens plus de recueillement et d'émotion,
c'était comme si tout devenait plus serein et plus pur. Alors Jésus
aspergea le jeune homme et fit une croix sur lui avec la main. Je vis
sortir du corps une forme noire semblable à un nuage sombre, et Jésus
dit au jeune homme : " Lève-toi ". Il se mit sur son séant et Promena
autour de lui des regards curieux et étonnés. Jésus dit alors : "
Donnez-lui un vêtement ", et on l'enveloppa d'un manteau. Il se leva
tout à fait et dit : " Qu'est-ce que ceci ? Comment suis-je ici ? " On
lui mit des chaussures : il marcha, puis Jésus le prenant par la main,
le conduisit dans les bras de sa mère qui accourait en toute hâte et à
laquelle il dit : " Voici que votre fils vous est rendu, mais je vous le
redemanderai quand il aura reçu une nouvelle naissance dans le baptême
". La mère était hors d'elle-même dans l'excès de sa joie, de son
étonnement, de sa vénération : elle ne remerciait pas, mais fondait en
larmes et serrait le jeune homme dans ses bras. On le ramena chez lui :
le peuple chantait des cantiques de louange. Jésus les suivit avec ses
disciples jusqu'à la maison de la veuve, qui est très grande et entourée
de cours et de jardins. Alors il arriva des amis de tous les côtés : on
se pressait en foule pour voir le jeune homme. Il prit un bain et on le
revêtit d'une robe blanche avec une ceinture. On lava les pieds à Jésus
et aux disciples, et on leur offrit à manger : puis aussitôt on fit
joyeusement d'abondantes distributions aux pauvres qui s'étaient
rassemblés autour de la maison pour présenter leurs félicitations. On
leur donna des habits, du linge, du blé, du pain, des agneaux, des
oiseaux et aussi de l'argent : pendant ce temps Jésus enseigna la foule
qui s'était rassemblée dans la cour de la veuve.
Martial avec sa robe
blanche était tout joyeux : il courait ça et là, se montrait aux uns et
aux autres et distribuait des aumônes. Il avait une joie d'enfant : et
il y eut des scènes divertissantes lorsque les enfants de l'école, ses
camarades, furent conduits dans la cour par leurs maîtres et qu'il
s'approcha d'eux. Plusieurs de ces enfants furent tout effrayés, pensant
que c'était peut-être un esprit, et il courut sur eux et s'amusa à leur
faire peur en grossissant sa voix. Comme ils reculaient intimidés,
d'autres se moquèrent d'eux et firent les braves : ils lui donnèrent la
main, en regardant les peureux d'un air triomphant. C'était comme
lorsqu'un garçon déjà grand touche un cheval ou un autre animal qui fait
peur à de plus Petits que lui :
On avait préparé dans la maison et dans les cours un repas auquel tous
prirent part. Pierre en qualité de parent de la veuve, car elle était
fille du frère de son beau-père, témoignait particulièrement sa joie et
se montrait à l'aise dans la maison où il tenait en quelque façon la
place du père de famille. Jésus, à plusieurs reprises, fit venir le
jeune homme près de lui en présence de la foule assemblée ; je vis qu'il
lui parlait de manière à être entendu des assistants, et que ce qu'il
disait faisait impression sur eux. Je ne l'ai jamais entendu parler de
ce jeune homme comme d'un mort. Il semblait dire que la mort, introduite
dans le monde par le péché, l'avait lié et enchaîné pour l'achever
ensuite dans le tombeau : qu'il avait été jeté, les yeux fermés, dans
les ténèbres, et qu'il les aurait ouverts trop tard, là où il n'y a plus
de miséricorde, plus de secours ; mais avant qu'il n'y entrât, la
miséricorde de Dieu l'avait délivré de ses chaînes à cause de la piété
de ses parents et de quelques-uns de ses ancêtres : maintenant il lui
restait à se faire délivrer par le baptême de la maladie du péché, afin
de ne pas tomber dans une captivité plus terrible. Comme les vertus des
parents profitent plus tard à leurs enfants, Dieu, en considération des
patriarches, avait jusqu'à présent conduit et épargné Israël : mais
maintenant, que lié et enveloppé par la mort du péché, il se trouvait,
comme ce jeune garçon, aux portes du tombeau, la miséricorde du Seigneur
était venue pour la dernière fois visiter son peuple. Jean avait préparé
les voies, crié d'une voix forte pour réveiller les coeurs du sommeil de
la mort : le Père les prenait en pitié pour la dernière fois et ouvrait
à la vie les yeux de ceux qui ne voulaient pas les fermer obstinément.
Il compara le peuple, dans son aveuglement, à un adolescent enveloppé
dans les draps mortuaires et renfermé dans le cercueil, au devant duquel
le salut était venu près du tombeau, lorsqu'il était déjà hors des
portes de la ville. Si les porteurs n'avaient pas écouté sa voix, s'ils
n'avaient pas déposé et ouvert le cercueil, s'ils n'avaient pas dégagé
le corps de ses liens ; si, persistant à marcher en avant, ils avaient
enterré celui qui vivait encore, quoique fortement enchaîné par la mort
; combien cela eût été horrible et épouvantable ! il tira de là une
comparaison avec les faux docteurs, les Pharisiens, qui éloignaient le
peuple de la vie de la pénitence, l'enlaçaient dans les liens de leurs
lois, l'enfermaient dans le cercueil de leurs coutumes, et le jetaient
ainsi dans le tombeau pour jamais. Il conjura ses auditeurs d'accueillir
les offres miséricordieuses de son Père céleste, les exhorta à courir à
la vie, à la pénitence, au baptême.
Il y eut en cette occasion
quelque chose de remarquable dans l'usage que fit Jésus de l'eau bénite
: je pense que ce fut pour chasser les mauvais esprits qui exerçaient
leur empire sur certains d'entre les assistants, lesquels étaient ou
scandalisés, ou dévorés d'envie, ou secrètement animés d'une joie
maligne, et qui croyaient que Jésus ne réveillerait pas ce jeune homme.
Je vis cette mauvaise disposition sortir d'eux sous la forme d'insectes
de toute espèce. Lors du retour du jeune homme à la vie, je vis aussi,
au moment de l'aspersion avec l'eau bénite, comme un petit nuage de
figures ou d'ombres hideuses de diverses grandeurs s'élever du corps et
disparaître dans le sein de la terre. Je me souviens, à cette occasion,
de ce qui s'était passé lorsque j'avais vu d'autres morts ressuscités
par Jésus. Alors il avait rappelé l'âme du mort que je voyais séparée et
éloignée de lui dans le cercle où elle devait subir sa peine : elle
venait au-dessus du corps et s'y introduisait, après quoi il se
relevait. Mais pour l'adolescent de Naïm les choses se passèrent tout
autrement : je ne vis pas l'âme séparée du corps et s'y unir de nouveau
: je vis la mort se retirer, pour ainsi dire, du corps comme un fardeau
dont le poids l'étouffait.
Après le repas, comme le
soir approchait, Jésus se rendit avec les disciples à un beau jardin que
possédait la veuve Maroni à l'extrémité méridionale de la ville. Tout le
chemin qu'il fit à travers la ville était garni de malades de toute
espèce qu'il guérit. Il y avait un grand mouvement dans la ville. Le
jour était déjà tombé lorsque Jésus arriva au jardin. Maroni s'y
trouvait avec les trois veuves, les gens de sa maison, ses amis et
quelques docteurs de la synagogue ; son fils était aussi là avec
quelques autres adolescents. Il y avait plusieurs pavillons dans le
jardin : devant le plus beau dont le toit reposait sur des colonnes, on
avait placé sous des palmiers, à une assez grande hauteur, un flambeau
qui éclairait l'intérieur de la salle. La lumière se reflétait
agréablement sur les longues palmes verdoyantes, et là où elle arrivait,
on voyait les fruits briller sur les arbres et se détacher plus
distinctement qu'en plein jour. Au commencement Jésus enseigna et
raconta en se promenant : ensuite on mangea quelques fruits, et Jésus
fit une belle instruction dans l'intérieur du pavillon. Souvent aussi il
s'entretint avec le jeune homme rappelé à la vie, de manière à être
entendu des autres. On passa dans le jardin une charmante soirée après
laquelle on revint à la maison de Maroni, où il y eut place pour tous
dans les dépendances.
(19 novembre.) Sur
la nouvelle de la présence de Jésus à Naïm et de la résurrection du
jeune garçon, beaucoup de personnes et de malades étaient venus de toute
la contrée pendant la nuit, et ils s'étaient rangés en longues files
dans la rue qui était devant la maison de Maroni. Jésus guérit pendant
une partie de la matinée et il rétablit aussi la paix dans plusieurs
familles. Il vint notamment plusieurs femmes qui demandèrent s'il ne
pouvait pas leur donner des lettres de divorce et qui portèrent force
plaintes contre leurs maris, avec lesquels elles ne pouvaient pas vivre.
C'était un piège que lui tendaient les Pharisiens : réduits à la
confusion par ses miracles, ils ne pouvaient rien lui opposer, et comme
pourtant ils voyaient tout cela avec une rage secrète, ils voulaient
l'induire en tentation, lui faire dire quelque chose contre les
dispositions de la loi relatives au divorce, afin de pouvoir l'accuser à
ce sujet comme enseignant de fausses rumeurs. Mais Jésus dit aux femmes
mariées qui se plaignaient : " Apportez-moi un vase de lait et un vase
d'eau. alors je vous répondrai ". Elles allèrent dans une maison voisine
et apportèrent deux écuelles lune d'eau, l'autre de lait ; Jésus mêla
ensemble les deux liquides et dit : " Séparez-moi ceci de façon à ce que
l'eau soit d'un côté et le lait de l'autre, comme tout à l'heure : alors
je vous séparerai " Comme elles répondirent qu'elles ne le pouvaient
pas, il parla de l'indissolubilité du mariage, dit que le divorce
n'avait été permis par Moïse qu'à cause de la dureté des coeurs ; mais
il ne pouvait jamais y avoir séparation complète, car le mari et la
femme n'étaient qu'un même corps et une même chair, et quoiqu'ils ne
vécussent pas ensemble, le mari devait pourtant nourrir la femme et les
enfants, et les époux ne devaient pas se remarier. Il alla ensuite avec
elles dans la maison de leurs maris. parla à ceux-ci en particulier,
puis aux hommes et aux femmes ensemble : il donna tort aux deux parties,
mais surtout aux femmes, et il les réconcilia : les uns et les autres
versèrent des larmes, ils ne pensèrent plus à se séparer et trouvèrent
des lors dans leur fidélité à leurs devoirs un bonheur qu'ils n'avaient
pas connu auparavant. Quant aux Pharisiens, ils furent très dépités de
ce que leurs desseins avaient échoué.
Jésus guérit ce matin plusieurs aveugles en leur frottant les yeux avec
de la terre qu'il avait pétrie avec sa salive.
Vers midi il quitta Naïm, Maroni, son fils, tous les siens, les malades
guéris, et plusieurs personnes de la ville l'accompagnèrent ;
quelques-uns l'attendirent devant la porte, tenant eu main des branches
vertes, et l'accueillirent en chantant des psaumes à sa louange. Suivi
de ses disciples, il se dirigea vers le couchant, le long de la rive
septentrionale du Cison. Il avait à sa droite les montagnes qui ferment
au midi la vallée de Nazareth, et il passa un petit cours d'eau qui va,
du nord au midi, se jeter dans le Cison : on dirait qu'il vient de
Nazareth. De l'autre côté de ce petit cours d'eau il enseigna des
ouvriers occupés à ensemencer les champs. Ce ne fut que vers le soir
qu'il entra, avec ses disciples, dans le nouveau faubourg de Mageddo,
ville située au pied des montagnes, à l'ouest desquelles s'étend la
vallée de Zabulon. Il entra dans une hôtellerie devant laquelle il
enseigna encore le soir. Quand les gens qui étaient occupes dans les
champs virent Jésus s'approcher avec son cortège je les vis courir et
mettre leurs habits qu'ils avaient quitté pour travailler.
(20 novembre)
Mageddo est située sur une hauteur : c'est une ville déchue et assez
déserte. Au milieu se trouve un édifice en ruines, où l'herbe croit sur
des décombres : on y voit encore des restes d'arcades. Ce devait être,
autrefois, un château des rois Chananéens (Josué, XII, 21. III Reg. IX,
15). J'appris qu'Abraham avait aussi résidé dans cette contrée. C'est
dans le voisinage que le pieux roi Josias fut battu par les Égyptiens et
blessa. Je vis qu'il mourut dans cette ville. Il y a à Mageddo un
quartier moderne et animé : c'est le faubourg où Jésus est entré. Il se
compose d'une longue rangée d'édifices au pied de la hauteur, où passe
une route de commerce allant à Ptolémais. De là vient qu'il y a là
plusieurs grandes hôtelleries : il y demeure aussi des publicains qui,
ayant assisté hier à une instruction de Jésus, sont venus le voir
aujourd'hui et ont pris la résolution de faire pénitence et de recevoir
le baptême. Les Pharisiens de l'endroit se sont scandalisés à cette
occasion. Une foule nombreuse de malades s'est rassemblée ici, et il en
est venu encore dans la matinée. Jésus leur fit dire qu'il irait les
visiter vers le soir, et chargea ses disciples de les faire mettre en
rang. Il y avait devant l'entrée de Mageddo une grande pelouse
circulaire entourée de murs et de portiques : tout cela était un peu
délabré. Les malades furent rangés tout autour, sur leurs couches, et
classés suivant la nature de leurs maladies.
Dans l'après-midi, Jésus
retourna avec les disciples dans les champs situés à l'est de la ville,
au fond d'une vallée, et il les parcourut, enseignant en paraboles les
laboureurs occupés aux semailles. Plusieurs des disciples les plus
instruits enseignaient aussi : ils préparaient des groupes éloignés
avant que le Seigneur vînt à eux, et ils expliquaient à ceux que Jésus
quittait ; certaines choses qui n'avaient pas été bien comprises : ils
racontaient aussi quelques-uns des miracles du Seigneur. Comme, le plus
souvent, la même instruction se répétait plusieurs fois, quand, plus
tard, les gens se réunissaient et en parlaient ensemble, tous savaient
ce qui avait été dit : seulement la doctrine avait pénétré plus avant
chez les auditeurs les plus réfléchis, qui donnaient ensuite des
explications aux autres. Comme dans ce climat si chaud ils suspendaient
souvent leur travail, Jésus enseignait pendant ces pauses ou bien encore
quand ils s'asseyaient pour prendre une réfection.
Pendant que Jésus
parcourait les champs avec ses disciples, je vis arriver des disciples
de Jean, au nombre de quatre, à ce que je crois : ils saluèrent les
disciples, s'arrêtèrent près d'eux et se mirent à écouter. Ils avaient
des bandes de fourrure autour du cou et des ceintures de cuir. Ils
n'étaient pas envoyés par Jean, quoiqu'ils fussent en rapport avec lui
et ses adhérents : c'étaient des disciples de Jean engagés dans une
fausse voie ; ils avaient des relations secrètes avec les Hérodiens, et
ils avaient mission d'espionner particulièrement ce que Jésus enseignait
touchant son royaume. Ils étaient beaucoup plus stricts et plus
obséquieux que les disciples de Jésus : chez eux, la peau de mouton de
Jean avait pris la forme d'une espèce d'étole, et son enseignement avait
donné naissance à une secte entêtée. Vers cinq heures il vint encore une
autre troupe de disciples de Jean : ils étaient douze, dont deux envoyés
par Jean ; les autres étaient venus avec eux comme témoins. Comme ils
s'approchaient, Jésus reprit le chemin de Mageddo, et ils suivirent les
disciples : quelques-uns avaient été présents aux derniers miracles de
Jésus et étaient retournés vers Jean. Lors qu'il eut rendu la vie au
jeune homme de Naim, des disciples de Jean qui se trouvaient dans la
foule étaient allés en toute hâte à Machérunte et avaient dit au
précurseur : " Qu'est-ce à dire et où en sommes-nous ? Voilà ce que nous
l'avons vu faire, ce que nous lui avons entendu dire ; mais ses
disciples sont beaucoup plus libres que nous en ce qui touche le jeûne
et les observances légales. Qui devons-nous suivre ? Qui est-il ?
pourquoi guérit-il tout le monde, console-t-il et assiste-t-il des
étrangers, tandis qu'il ne fait pas un pas pour vous délivrer ? n
Jean avait toujours fort à
faire avec ses disciples : ils ne voulaient pas se séparer de lui, et il
les envoyait souvent à Jésus par petits groupes afin qu'ils apprissent à
le connaître et se missent a sa suite ; mais ils avaient peine à s'y
résoudre, à cause de la haute opinion d'eux-mêmes que leur mettait en
tête leur qualité de disciples de Jean. C'était aussi pour cela qu'il
faisait si souvent prier Jésus de dire ouvertement qui il était, afin
que ses disciples apprissent à le connaître et se convertissent à lui,
ainsi que tous les hommes. Comme cette fois ils étaient revenus vers lui
doutant encore, il voulut mettre Jésus dans la nécessité de confesser
hautement qu'il était le Messie, le Fils de Dieu, et il lui envoya deux
disciples pour lui demander à ce sujet une réponse positive.
Jésus, entré dans la ville,
se rendit aussitôt à la place circulaire où étaient rassemblés les
malades de tout le pays. Il y avait parmi eux des gens de Nazareth qui
le connaissaient : des paralytiques, des aveugles, des sourds, des
muets, des malades de toute espèce, et aussi un assez grand nombre de
possédés. Il parcourut leurs rangs et il guérit les possédés de
plusieurs manières. Ceux-ci n'étaient pas aussi furieux que ceux que
j'avais vus en d'autres occasions, mais ils avaient des convulsions et
leurs membres se tordaient horriblement. Jésus les guérit de loin par un
commandement donné en passant devant eux à quelque distance. Je vis
comme à l'ordinaire une vapeur ténébreuse sortir de leur corps : ils
tombèrent en faiblesse et se trouvèrent tout changés en revenant à eux.
La vapeur qui sortait d'eux était assez légère, mais ensuite elle se
ramassait et se condensait ; quelquefois elle se dissipait dans l'air,
quelquefois elle se perdait dans le sein de la terre Souvent, quand le
mauvais esprit sort des possédés comme une ombre obscure ayant à peu
près une forme humaine, je ne vois pas cette ombre s'évanouir à
l'instant, mais errer parmi les hommes, puis enfin disparaître.
Comme Jésus commençait à
parcourir les rangs des malades et à opérer ses guérisons, les disciples
envoyés par Jean se présentèrent à lui avec un certain empressement,
comme chargés d'une mission. et voulurent lui adresser la parole ; mais
il ne parut pas y faire attention et continua à guérir. Cela ne leur
plut pas, parce qu'ils ne savaient pas pourquoi. En général, beaucoup
des disciples de Jean avaient des idées très étroites et comme une
espèce de jalousie de métier. Jean ne faisait pas de miracles ; Jésus en
faisait : Jean parlait en termes très relevés de Jésus, et celui-ci ne
faisait rien pour le tirer de sa prison. Après avoir été subjugués par
ses miracles et ses enseignements, ils s'y laissaient de nouveau
influencer par les propos de ceux qui disaient : " Qui est donc cet
homme ? Tout le monde ne connaît-il pas ses pauvres parents ? " Puis ils
ne pouvaient s'expliquer ce qu'il disait de son royaume : ils ne
voyaient ni royaume, ni dispositions prises pour en établir un. Comme
Jean, dans sa prison, restait considéré et entouré d'un respect presque
universel, ils pensaient que si Jésus l'y laissait languir et ne faisait
rien pour le délivrer, c'était pour mieux travailler à étendre sa propre
renommée Ils se scandalisaient aussi de la liberté laissée à ses
disciples. Plusieurs trouvaient que c'était une humilité exagérée de la
part de Jean de vanter tellement Jésus et de les envoyer sans cesse à
lui pour le prier de se déclarer, de se faire connaître publiquement.
Comme Jésus répondait toujours d'une manière évasive et qu'ils ne
devinaient pas que Jean leur faisait faire ces voyages pour qu'ils
reconnussent Jésus, cela leur était plus difficile qu'à l'enfant le plus
simple, à cause de l'idée qu'ils avaient d'eux-mêmes.
Pendant que Jésus
guérissait les malades rangés autour de lui, il rencontra parmi eux un
homme de Nazareth qui se mit à lui parler de gens de leur connaissance :
il lui demanda s'il se souvenait de sa vingt cinquième année, époque de
la mort de son grand-père, et il se rappelait les relations fréquentes
qu'ils avaient elles alors. Il voulait parler du second ou du troisième
mari de sainte Anne, autant que je puis m'en souvenir. Jésus ne répondit
point à tout et la. Il lui dit qu'en effet il le connaissait, puis il en
vint aussitôt à lui parler de ses péchés et de ses souffrances, et quand
il le vit repentant et croyant, il le guérit, lui fit une exhortation et
passa au malade suivant. Quand il les eut tous passés en revue, les
envoyés de Jean qui, pendant tout ce temps, s'étaient tenus au milieu du
cercle, le regardant avec stupéfaction opérer tous ses miracles, se
présentèrent à lui et lui dirent : " Jean Baptiste nous a envoyés vers
vous, et vous fait demander si vous êtes celui qui doit venir, ou si
nous devons en attendre un autre ". Jésus leur répondit : " Allez et
annoncez à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles voient,
les sourds entendent, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés,
les morts se lèvent, les veuves sont consolées, et la parole de Dieu est
annoncée aux pauvres : ce qui est tordu est redressé, et bienheureux est
celui qui ne se scandalise pas de moi ". Alors Jésus s'éloigna d'eux, et
ils se retirèrent aussitôt.
Jésus ne pouvait pas parler
de lui-même plus clairement car qui l'aurait compris ? Ses disciples
étaient tous ou des hommes simples et bons, ou de nobles et pieuses
âmes, mais incapables de recevoir une pareille révélation. Plusieurs
étaient ses parents selon la chair, et ils se seraient scandalisés ou se
seraient mis en tête des idées déraisonnables. Le peuple n'était
nullement préparé à entendre la vérité, et Jésus était entouré d'espions
; même parmi les disciples de Jean, les Pharisiens et les Hérodiens
avaient des affidés.
Après le départ des envoyés
de Jean, Jésus se mit à enseigner sur la place. Il avait pour auditeurs
les malades qu'il avait guéris, une foule nombreuse, plusieurs scribes
de l'endroit, ses disciples et les cinq publicains qui habitaient cette
ville. Il enseigna longtemps à la lueur des flambeaux, car les dernières
guérisons avaient clé opérées après la chute du jour. Il prit pour point
de départ de son instruction la réponse qu'il avait faite aux disciples
de Jean. Il dit comment on devait user des bienfaits qu'on avait reçus
de Dieu, prêcha la pénitence et la conversion, et comme il savait que
quelques Pharisiens qui étaient présents avaient pris occasion de sa
réponse brève et en termes généraux aux envoyés de Jean pour dire au
peuple qu'il ne tenait aucun compte de Jean et le laissait languir dans
l'oubli pour devenir lui-même plus célèbre, il expliqua pourquoi il
avait répondu de la sorte en les renvoyant eux-mêmes à Jean qu'ils
avaient entendu et qui avait parlé de Jésus d'une façon qui leur était
connue. Pourquoi donc doutaient-ils toujours ? Que cherchaient-ils donc
près de Jean ? Il leur dit : "Qu'êtes-vous allés voir quand vous êtes
allés à Jean ? un roseau agité par le vent ? un homme vêtu avec
recherche et magnificence ? Mais les gens richement vêtus et qui vivent
dans les délices se trouvent à la cour des rois. Qu'avez-vous donc voulu
voir quand vous l'avez été chercher ? Etait-ce un prophète ? Oui, je
vous le dis, c'est plus qu'un prophète que vous avez vu en lui. C'est
celui dont il est écrit : Voici que j'envoie mon messager devant ta
face, afin qu'il prépare le chemin devant toi. En vérité, je vous le
dis, parmi les enfants des femmes, il n'y a pas de plus grand prophète
que Jean Baptiste, et pourtant le moindre dans le royaume des cieux est
plus grand que lui. Mais à dater de Jean Baptiste le royaume des cieux
souffre violence et ceux qui usent de violence s'en emparent. Car tous
les prophètes et la loi jusqu'à Jean ont prophétisé à ce sujet, et si
vous voulez le comprendre, c'est lui qui est Élie qui doit venir. Que
celui-là entende qui a des oreilles pour entendre ! "
Les assistants furent très
émus, ils adhéraient aux paroles de Jésus et voulaient se faire baptiser
: mais il y avait là des docteurs de la loi qui murmuraient et qui
étaient surtout scandalisés de ce que Jésus, hier soir et ce matin,
avait frayé avec les publicains qui, ici aussi, bisaient partie de
l'auditoire. Alors il expliqua pourquoi on s'était élevé contre lui et
contre Jean, et répondit au reproche qu'on lui faisait de fréquenter les
pécheurs et les publicains, etc.
Jésus alla ensuite dans la
maison d'un publicain où se trouvaient aussi les quatre autres
publicains : il y prit un repas avec ses disciples et il enseigna. Il y
avait là des gens qui étaient complètement résolus à se convertir et à
se faire baptiser. Cette maison était tout contre la place où Jésus
avait guéri. Il y avait une autre maison de publicain à l'entrée de la
ville : d'autres étaient plus loin. En venant de Naïm ici, on pouvait
sur la première partie de chemin voir Dabbeseth où était la demeure de
Barthélémy : plus loin, la vue était interceptée par les hauteurs de
Mageddo. Dabbeseth était à peu près à une lieue et demie à l'ouest, près
du torrent de Cison et en avant de la vallée de Zabulon.
(21 novembre.) Jésus
partit aujourd'hui pour retourner à Capharnaum. La fête de la nouvelle
lune avait déjà commence hier. Il était accompagné par vingt-quatre
disciples et par les quatre disciples équivoques de Jean venus hier à
Mageddo. Quelques publicains de Mageddo s'étaient joints a eux : ils
voulaient être baptisés à Capharnaum. Ils allaient très lentement et
s'arrêtaient ou s'asseyaient souvent dans des endroits agréables, car
Jésus enseigna pendant tout le chemin qui partant de Mageddo suivait au
nord-est les hauteurs et traversant la vallée qui passe devant Nazareth
conduisait au versant nord-ouest du Thabor. Son enseignement me parut
destiné à préparer les apôtres à leur vocation définitive et à leur
mission prochaine. Je m'en rappelais encore une grande partie ce matin,
mais malheureusement des dérangements m'ont fait tout oublier. Il les
exhorta beaucoup à se dégager de toute sollicitude terrestre et à
renoncer à tous les biens de ce monde. Il tint un langage affectueux et
touchant, cueillit une fleur sur le chemin et dit : " Cette fleur n'a
souci de rien ! voyez sa couleur, ses beaux filaments ! Le sage Salomon
dans sa gloire était-il plus richement vêtu . "
(Le pèlerin
chercha où se trouvent dans l'Evangile ces paroles de Jésus : mais
elle lui dit : " Cela n'y est pas : il n'y avait pas de lys ici :
c'étaient d'autres fleurs. Jésus a souvent répété quelque chose de
semblable ".)
Une fois son discours fut
tel que chacun des apôtres crut s'y trouver dépeint d'une manière
frappante : j'ai entendu alors quelque chose que j'ai oublié, mais qui
me fit dire en moi-même : " Certainement Judas a du remarquer cela ". il
leur parla aussi de son royaume, dit qu'ils ne devaient pas avoir un si
grand désir d'y avoir des emplois, ni se le représenter d'une façon si
terrestre. Il parla ainsi avec intention parce que les quatre disciples
de Jean, affidés secrets des Hérodiens, observaient particulièrement ce
qu'il disait à ce sujet. Il mit en garde les disciples contre les gens
dont ils devaient se défier, et décrivit ces Hérodiens d'une façon si
claire qu'on ne pouvait pas les méconnaître. Je regrette d'avoir oublié
quelques comparaisons relatives à leur habillement. Il dit entre autres
choses qu'il fallait se défier de certaines gens portant des peaux de
brebis et de longues ceintures de cuir. Il les désigna par un nom que je
ne compris pas : il se servit d'un mot dont on se sert chez nous pour
désigner l'huile la plus fine : c'est quelque chose comme Provence.
Provence ! Qu'est-ce donc que cela ? Il disait : " Gardez-vous des
profanes qui ont des peaux de brebis et de longues ceintures ". Il
entendait parler de ces disciples de Jean, espions des Hérodiens, qui, à
l'imitation des véritables disciples de Jean, portaient autour du cou et
sur la poitrine une sorte d'étole en peau de brebis. Il dit qu'on
pouvait les reconnaître à ce qu'ils ne regardaient personne en face et
que quand eux, les disciples, voudraient, pleins de joie et d'ardeur
s'épancher, avec ces hommes, ils les reconnaîtraient à ce signe que leur
coeur chercherait à s'échapper en se tournant de côté et d'autre comme
un animal qu'on enferme et qui cherche une ouverture pour s'évader (il
nomma ici un scarabée, un insecte que j'ai oublié). Une fois, il courba
un buisson d'épines et dit: " voyez si vous trouverez là des fruits ".
Quelques disciples y regardèrent en toute simplicité. Mais Jésus dit : "
Cherche-t-on des figues sur les chardons et des raisins parmi les épines
? " Cheminant ainsi, ils arrivèrent vers le soir, à trois lieues environ
de Mageddo, à un hameau composé d'une vingtaine de maisons avec une
école, et situé au pied du Thabor, contre le versant du nord-ouest. Cet
endroit est à une lieue et demie ou deux lieues au levant de Nazareth,
d'une demi lieue de la ville de Thabor, qui est située contre le versant
septentrional de la montagne. Il y a encore un endroit au midi de
celui-ci également au pied du Thabor. Les gens d'ici étaient
bienveillants : ils connaissaient Jésus depuis sa jeunesse, du temps ou
il faisait avec ses amis des promenades dans les environs de Nazareth.
C'étaient des bergers pour la plupart, et tout en gardant leurs
troupeaux ils étaient occupés à recueillir du coton qu'ils empaquetaient
pour le rapporter chez eux lorsqu'ils virent venir Jésus. Ils
accoururent en toute hâte à sa rencontre. Je vis qu'ils avaient à la
main leurs bonnets grossiers de peau de mouton : mais dans l'école ils
avaient la tête couverte. On reçut Jésus près du puits, on lui lava les
pieds ainsi qu'aux disciples et on leur donna une réfection. Il n'y
avait pas de Synagogue dans cet endroit, mais une école et un maître
d'école. Jésus y alla et fit une instruction aux habitants. Après cela
ils mangèrent et il enseigna en paraboles dans l'école et dans une
auberge.
Cet endroit était comme la
propriété d'un homme considérable qui habitait avec sa femme dans une
grande maison isolée avec une cour. Je vis que cet homme avait commis
des péchés graves et qu'il était horriblement lépreux. Il s'était, à
cause de cela, séparé de sa femme : elle habitait le haut de la maison
et lui dans des bâtiments attenants. Il n'avait pas fait connaître sa
maladie pour ne pas avoir à subir les ennuis de la séquestration :
cependant on avait appris ce qui en était et on feignait de n'en rien
savoir. On ne l'ignorait pas dans l'endroit et on ne suivait pas le
chemin qui passait devant sa maison, quoique ce fût la route ordinaire :
on aimait mieux faire un détour. Dans la soirée, les habitants parlèrent
de cela aux disciples. Cet homme lépreux était depuis longtemps pénétré
d'un repentir sincère et il désirait vivement que Jésus vint : sachant
son arrivée, il appela un garçon d'environ huit ans, qui était son
esclave et lui donnait ce qui lui était nécessaire : il lui dit : " Va
vers Jésus de Nazareth et observe le moment ou il se trouvera sépare de
ses disciples, devant ou derrière eux : alors jette-toi à ses pieds et
dis-lui : Seigneur, mon maître est malade et croit que vous pouvez le
secourir si vous voulez prendre le chemin qui passe devant sa maison et
où personne ne va il vous supplie humblement d'avoir pitié de sa misère
et de prendre ce chemin, car alors il est sûr d'être guéri. "L'enfant ;
vint trouver Jésus, fit très bien la commission dont il était chargé, et
Jésus lui dit : " Dis ton maître que j'irai demain : "puis il le prit
par la main et lui mit l'autre main sur la tête en lui donnant des
éloges. Ceci se passa comme il allait de l'école Ç à l'hôtellerie. Jésus
qui savait bien pourquoi il venait, était resté à dessein un peu en
arrière de ses disciples. L'enfant avait une petite robe jaune.
La propriété de sainte Anne
est sur une hauteur, à une lieue à l'ouest de Nazareth, entre la vallée
de Nazareth et celle de Zabulon. Une gorge plantée d'arbres conduisait
de là à Nazareth et sainte Anne pouvait gagner la maison de Marie sans
entrer dans la ville.
(22 novembre.) Le
matin, au point du jour, Jésus sortit de l'hôtellerie avec ses
disciples, et comme il voulait suivre le chemin qui passait devant la
maison du lépreux, ils lui dirent qu'il ne fallait pas aller par là,
qu'on le leur avait recommandé, etc. Mais Jésus prit ce chemin et leur
ordonna de le suivre : ils étaient effrayés parce qu'ils craignaient
qu'on tînt à ce sujet des propos qui seraient répétés à Capharnaum. Les
disciples de Jean n'allèrent pas avec lui.
L'enfant avait guetté
l'arrivée de Jésus et l'avait annoncée à son maître. Celui-ci vint
jusqu'à un sentier qui allait de sa maison au chemin et il se tint à
distance. Lorsque Jésus approcha, il cria : " Seigneur, ne venez pas à
moi ! pourvu que vous veuillez que je sois guéri, je serai délivré de
mon mal. "Les disciples s'arrêtèrent et Jésus dit à cet homme : "Je le
veux ;"puis il alla à lui, le toucha et s'entretint avec lui. Cet homme
se prosterna devant lui et il fut purifié : sa lèpre disparut. Il
expliqua à Jésus sa situation et Jésus lui dit de retourner près de sa
femme et de reprendre peu à peu ses relations avec les autres hommes. Il
lui donna aussi des avis touchant ses péchés, lui imposa le baptême de
pénitence et certaines aumônes. Puis il revint trouver les disciples et
leur dit que lorsqu'on croit et que l'on a le coeur pur, on peut, pour
leur venir en aide, toucher même les lépreux.
Je vis ensuite l'homme qui
avait été guéri prendre un bain et s'habiller, puis se rendre auprès de
sa femme et lui raconter le miracle de Jésus. Je vis aussi que des gens
malveillants de l'endroit allèrent l'annoncer aux Pharisiens et aux
prêtres de la ville de Thabor située à une demi lieue à l'est ; que
ceux-ci ayant formé comme une commission d'enquête, allèrent trouver ce
pauvre homme, l'examinèrent rigoureusement, lui demandèrent compte du
secret qu'il avait gardé sur sa maladie et voulurent s'assurer s'il
était réellement guéri : ils étaient poussés par leur envie contre Jésus
à faire grand bruit de cette affaire sur laquelle jusqu'alors ils
avaient notoirement fermé les veux.
Je vis toute cette journée
Jésus marcher très vite avec les disciples : seulement ils se reposèrent
de temps en temps et ils prirent une réfection. Tout en marchant il leur
donna des enseignements sur le renoncement aux biens de ce monde, parla
du royaume de Dieu en paraboles, disant qu'il ne pouvait pas encore
rendre tout cela bien intelligible pour eux, mais que le temps viendrait
où ils comprendraient tout. Il parla du dégagement des sollicitudes
terrestres touchant la nourriture et le vêtement : bientôt, leur dit-il,
ils verraient devant eux plus d'affamés que d'aliments pour les
satisfaire ; ils diraient : " Où trouver de quoi les nourrir ?", et
pourtant il y aurait surabondance. Il les engagea à bâtir des maisons
qui fussent solides. Il sembla leur dire qu'avec des sacrifices et des
efforts ils s'assureraient ces maisons, c'est-à-dire des emplois et des
dignités dans son royaume. Ils comprirent cela humainement ; cela
réjouit beaucoup Judas qui prit des airs importants et dit devant tous
les autres qu'il voulait dès à présent travailler et faire de son mieux.
Alors Jésus qui marchait s'arrêta et dit : " Nous ne sommes pas encore
au bout ; il n'en sera pas toujours comme à présent où vous êtes bien
reçus, bien nourris et hébergés, et où vous avez tout en abondance : un
temps viendra où vous serez persécutés et chassés, où vous n'aurez pas
d'abri, pas de pain, pas de vêtements, pas de chaussures ". Il dit
encore qu'ils devaient réfléchir mûrement, se bien préparer et tout
abandonner, car il avait des affaires importantes à traiter avec eux. Il
parla de deux royaumes qui sont opposes l'un à l'autre, dit que personne
ne pouvait servir deux maîtres à la fois, et que quiconque voulait
servir dans son royaume devait abandonner l'autre. Il parla des
Pharisiens et de leurs suppôts, il fit mention de quelque chose qu'ils
portaient sur je visage comme un masque ou comme des besicles, dit que
tout leur enseignement portait sur des formes extérieures sans vie dont
ils imposaient l'observation, laissant entièrement de côté l'intérieur,
c'est-à-dire la charité, le pardon, la miséricorde. Quant à lui, sa
doctrine était tout l'opposé de la leur : il enseignait que l'écorce
sans le fruit était morte et stérile, qu'il fallait commencer par
l'intérieur pour accomplir la loi, que le fruit devait prendre son
accroissement avec l'écorce. Il leur donna aussi des instructions sur la
prière, leur dit qu'ils devaient prier dans la solitude et non avec
ostentation, et beaucoup d'autres choses de ce genre.
Quand il cheminait avec les
disciples, il leur donnait toujours de ces instructions préparatoires
afin qu'ils comprissent mieux ce qui se reproduisait dans ses
prédications publiques et pussent ensuite l'expliquer au peuple. Il
enseignait très souvent les mêmes choses, seulement en termes différents
et suivant un autre ordre.
Parmi ceux qui l'accompagnaient aujourd'hui, ceux qui l'interrogeaient
le plus souvent étaient Jacques le Majeur et aussi Jude Barsabas :
Pierre le faisait aussi quelquefois. Judas tient souvent des discours
présomptueux : André ne s'émeut pas facilement : Thomas réfléchit et
semble se rendre compte : Jean prend tout avec une aimable simplicité :
ceux des disciples qui ont plus de savoir se taisent, soit par
discrétion, soit parce que souvent ils ne veulent pas laisser voir
qu'ils n'ont pas compris.
Marchant ainsi à travers
les vallées, ils arrivèrent un peu avant l'ouverture du sabbat à la
vallée qui est au levant de Magdalum, où ils rencontrèrent le païen
Cyrinus de Dabrath et le centurion Achias de Giscala, qui allaient se
faire baptiser à Capharnaüm.
Comme on approchait déjà de
Capharnaüm, Jésus enseigna les disciples : il leur dit notamment qu'ils
devaient déjà s'exercer à l'obéissance comme préparation a leur mission
et s'appliquer à instruire le peuple sur leur chemin, quand il les
enverrait quelque part. Il leur donna aussi quelques règles générales
sur la manière dont ils devaient se comporter envers certains compagnons
de voyage : il dit cela un peu avant de se séparer des quatre Hérodiens
qui l'avaient suivi et afin qu'ils l'entendissent, comme je le vis bien.
Il leur dit que quand des profanes se joindraient à eux en route, ils
les reconnaîtraient bien à leurs manières flatteuses, souriantes, à leur
promptitude à écouter et a interroger, que ces sortes de gens ne se
laissaient pas rebuter, mais que tantôt approuvant, tantôt contredisant
doucement, ils ne cessaient de faire des questions sur les sujets qui
pouvaient provoquer des épanchements : qu'alors ils devaient prendre
tous les moyens possibles pour se débarrasser d'eux, parce qu'ils
étaient encore trop faibles et trop confiants et qu'ils pouvaient
facilement tomber dans les filets de ces espions. Pour lui, il ne
cherchait pas à les éviter, car il les connaissait et il voulait qu'ils
entendissent son enseignement. etc.
Jésus passa près du village
du centurion Zorobabel, ainsi qu'il l'avait fait lors de son départ. Le
sabbat allait commencer et ils se hâtaient. Or, il y avait ici dans les
jardins, grâce à la bonté compatissante de Zorobabel, deux jeunes
scribes d'environ vingt-cinq ans qui, par suite de leurs désordres,
étaient atteints d'une lèpre hideuse et auxquels Zorobabel, par pitié,
avait permis de résider là. Ils étaient tout à fait perdus de réputation
et leur état misérable n'excitait que le mépris universel. Ils étaient
enveloppés dans des manteaux rouges, couverts d'ulcères et enflés d'une
manière dégoûtante. Ils étaient arrivés là à la suite d'une vie de
débauche : ils avaient d'abord fréquenté la société de gens d'esprit qui
se réunissait chez Madeleine, à Magdalum, puis ils s'étaient tournés
d'un autre côté jusqu'au moment où ils étaient tombes dans ce misérable
état. Dernièrement, lorsque Jésus était venu ici, ils avaient eu honte
de se présenter devant lui : mais cette fois, persuadés de son pouvoir
miraculeux et de sa bonté par les nombreuses expériences qui en avaient
été faites, ils se firent conduire dans le voisinage du chemin où il
devait passer et implorèrent son secours. Mais Jésus passa outre et dit
à deux des gens de Zorobabel, qui couraient après lui, intercédant pour
ces malheureux, qu'il fallait les conduire à Capharnaüm, a la synagogue
et quand le peuple y serait assemblé, les faire monter au-dessus des
salles attenantes, hautes d'un étage, afin qu'ils pussent de là entendre
l'instruction qui serait faite dans l'intérieur. Ils devaient rester là
priant et s'excitant au repentir jusqu'à ce qu'il les fit appeler. Les
messagers retournèrent alors sur leurs pas et conduisirent ces
infortunés à Capharnaüm par le chemin le plus court celui du ravin
transformé en jardin, et ils les firent monter péniblement, par les
degrés attenant aux murs, sur la terrasse des portiques où, seuls et en
plein air, appuyés aux fenêtres qui donnaient dans, la synagogue, ils
purent entendre l'instruction de Jésus et s'exciter au repentir en
attendant leur libérateur.
Jésus et les disciples
vinrent à leur tour à la synagogue après s'être lavé les pieds et avoir
détaché leurs robes de leurs ceintures : comme le Seigneur s'approchait
du pupitre où siégeait déjà un homme qui faisait la lecture de la loi,
celui-ci se leva et fit place à Jésus qui prit aussitôt le livre et
commença à enseigner sur la rencontre de Jacob et de Laban, la lutte
avec l'ange, la réconciliation avec Ésaü, et l'enlèvement de Dina : il
commenta aussi des textes du prophète Osée. Jésus ayant pris le livre
pour faire la lecture, sans faire mine de le refuser, les Pharisiens
ricanèrent comme si en cela il eût manqué à la politesse. Ils étaient
furieux de le voir reparaître, car la nouvelle de la résurrection du
jeune homme de Naïm, était déjà connue à Capharnaüm, comme aussi les
nombreuses guérisons opérées par lui à Mageddo. Ils l'observèrent
attentivement, curieux de savoir ce qu'il allait entreprendre ici.
Aujourd'hui la plupart des membres de la famille de Jésus étaient à la
synagogue, ainsi que toutes les saintes femmes.
Lorsque le peuple sortit de
la synagogue, suivi bientôt de Jésus, de ses disciples et dés
Pharisiens, ceux-ci voulurent encore entrer en discussion avec lui dans
le vestibule. Mais ils furent pris au dépourvu et ne purent pas y
parvenir : car Jésus, dès qu'il eut franchi le seuil, se dirigea vers le
portique au-dessus duquel se tenaient les deux hommes impurs et leur
cria de descendre. Ils furent si confus et si intimidés a l'idée de
paraître devant les Pharisiens, qu'ils ne lui obéirent pas sur-le-champ,
et Jésus leur commanda de venir, invoquant un nom que je ne me rappelle
pas. Alors au grand étonnement de tous ils purent descendre seuls
l'escalier. Le vestibule était éclairé par des flambeaux pour la sortie
de la foule, et les Pharisiens furent transportés de rage lorsque dans
l'ombre ils reconnurent à leurs manteaux rouges ces deux pauvres
pécheurs si méprisés. Ceux-ci s'agenouillèrent tout tremblants devant
Jésus. Il leur imposa les mains, leur souffla au visage et dit : " Vos
péchés vous sont remis ". Puis il les exhorta à la continence et au
baptême de pénitence. Il leur ordonna aussi de laisser là leur
profession de scribes, parce qu'il voulait leur enseigner la vérité et
la voie. Ils se levèrent et un changement visible s'opéra en eux : leurs
ulcères se scellèrent et les croûtes de la lèpre disparurent. Ils
remercièrent en versant des larmes et se retirèrent avec les serviteurs
de Zorobabel. Plusieurs personnes bien intentionnées se pressèrent
autour d'eux et les félicitèrent à cause de leur pénitence et de leur
guérison.
Cependant les Pharisiens
étaient comme hors d'eux-mêmes : ils poursuivaient Jésus de leur
clameurs : " Tu guéris le jour du sabbat, disaient-ils, et tu remets les
péchés ! Comment peux-tu, toi, remettre les péchés ? Il a le diable qui
lui vient en aide. C'est un fou frénétique, on le voit bien à la manière
dont il court de tous côtés. A peine a-t-il donné ici sa représentation
qu'on le voit à Naim, où il réveille les morts, puis à Mageddo, puis
encore ailleurs. Ce ne peut pas être un homme de bien ni qui ait sa
raison : il a un mauvais esprit puissant qui lui vient en aide ". Je les
entendis encore dire : " Quand Hérode en aura fini avec Jean, le tour de
celui-ci viendra s'il ne se dérobe pas par la fuite ". Mais Jésus sortit
de la en passant au milieu d'eux et j'entendis les femmes, ses parentes
et ses amies, pleurer et se lamenter à la vue du déchaînement des
Pharisiens contre lui car avant de regagner leur logis elles l'avaient
attendu dans le voisinage.
Jésus sortit de la ville en
suivant le chemin qui passe au nord-est sur la hauteur, au-dessus de la
vallée où est la maison de Marie et où il a une fois guéri des païens :
on allait par là directement de Bethsaïde a Capharnaüm, sans passer par
la vallée qui fait un circuit. Il y a là des massifs de verdure et des
grottes ou il pria. Je le vis plus tard aller à la maison de Marie,
consoler et exhorter les femmes, puis sortir de nouveau et passer la
nuit en prière.
(23 novembre. )
Pierre avait appris sans doute de Marie en quel lieu Jésus était en
prière cette nuit. Je le vis ce matin aller trouver Jésus et lui dire
que Jaïre, le chef de la synagogue de Capharnaüm, étai dans sa maison.
Jésus fit dire à Jaïre de ne pas s'inquiéter, que sa fille ne mourrait
pas encore, qu'il irait le voir après le repas. Je vis ensuite le
Seigneur guérir encore quelques malades près de la maison de Pierre, et
se rendre vers neuf heures au lieu où l'on baptisait : beaucoup de
personnes s'y trouvaient réunies. Ce lieu n'était pas loin de la maison
de Pierre, toutefois plus au midi dans la vallée, dans un jardin clos de
haies où il y avait plusieurs citernes rondes servant à prendre des
bains et dans lesquelles on faisait venir l'eau du ruisseau voisin. Il y
avait là un long berceau de feuillage, divisé par des rideaux et des
cloisons portatives en petits réduits où se déshabillaient ceux qui
devaient être baptisés. Tout était disposé pour donner le baptême. Jésus
se tenait à l'endroit le plus élevé. Les disciples étaient tous présents
avec u ne cinquante d'aspirants au baptême. Il y avait parmi eux
plusieurs personnes de la parenté de Jésus, un homme âgé et trois jeunes
gens venus de Séphoris, l'un desquels était le jeune garçon muet que
Jésus avait guéri a Séphoris (voir t. II p. 239), et dont une vieille
parente était venue récemment trouver le Seigneur à Abez. Il y avait en
outre Cyrinus, l'homme de l'île de Chypre, converti nouvellement à
Dabrath, Achias le centurion romain de Giscala, et son petit garçon
Jephté, le centurion Cornélius avec son esclave basané guéri par Jésus,
et plusieurs personnes de sa maison, et un certain nombre d'autres
païens de la haute Galilée. De plus un esclave presque noir de Zorobabel
ou Cornélius, cinq publicains de Mageddo, cinq adolescents parmi
lesquels José, neveu de Barthélémy, enfin tous les lépreux ou possédés
guéris dans les environs ainsi que les deux hommes impurs guéris la
veille. Ceux-ci avaient assez mauvaise mine, ils n'avaient plus le corps
enflé et couvert d'ulcères, mais leur visage était défait et couvert de
taches noirâtres avec des marques luisantes aux endroits d'où les
croûtes étaient tombées ; la peau était par endroits rude et écailleuse.
Tous les néophytes avaient
des habits de pénitents en laine grise, et sur la tête une espèce de
drap mortuaire de forme carrée. Jésus enseigna et prépara les néophytes
; puis ils passèrent sous le berceau de feuillage, où ils déposèrent,
chacun de leur côté, leurs habits de pénitence pour se revêtir de robes
baptismales : c'était une tunique blanche, longue et ample : ils avaient
la tête nue et sur les épaules ce drap dont il a été parlé. Ils
allèrent, les mains croisées sur la poitrine, se placer au bord de la
citerne. André et Saturnin baptisaient ; Thomas, Barthélémy, Jean et
d'autres disciples leur mettaient les mains sur la tête et leur
servaient de parrains. Celui qui devait être baptisé avait les épaules
nues et se courbait au-dessus du puits : un disciple apportait dans un
bassin l'eau bénie par Jésus, et le baptisant la versait par trois fois
avec la main sur la tête du néophyte. Thomas fut le parrain de Jephté,
le fils d'Achias. On en baptisait un certain nombre à la fois, et
pourtant la cérémonie dura jusqu'à deux heures de l'après-midi.
Après cela Jésus prit un
peu de nourriture ainsi que les disciples, puis il se rendit à
Capharnaüm et guérit plusieurs malades sur la place qui était devant la
synagogue. Pendant qu'il était occupé à cela, Jaïre, le chef de la
synagogue, vint se jeter a ses pieds, et le pria de venir en aide à sa
fille malade, qui était à toute extrémité. Or, Jésus était occupé à
opérer d'autres guérisons, et lorsqu'il voulut suivre Jaïre, les malades
le prièrent instamment de rester et ne voulurent pas le laisser partir ;
mais il leur dit qu'il reviendrait à eux avant la clôture du sabbat.
Comme il allait partir, il vint de la maison de Jaïre des messagers qui
lui dirent : " Votre fille est morte : il n'est plus nécessaire que vous
importuniez le maître ". Mais Jésus lui dit : " Ne craignez point,
croyez en moi, et vous serez secouru ". Ils allèrent alors vers la
partie septentrionale de la ville où était la maison de Cornélius, dont
celle de Jaïre n'était pas éloignée Comme ils étaient déjà près de
celle-ci, ils virent des gens en deuil et des pleureuses devant la porte
et dans le vestibule. Jésus ne prit avec lui pour y entrer que Pierre,
Jacques le Majeur et Jean. Dans la cour, il dit à ceux qui se
lamentaient : " Pourquoi ces pleurs et ces lamentations ? Allez-vous-en
: la jeune fille n'est pas morte, mais elle dort ". Les pleureurs
commencèrent alors à le railler, parce qu'ils savaient qu'elle était
morte. Mais Jésus leur ordonna de se retirer et de sortir de la cour,
dont la porte fut fermée. Il entra alors dans la cuisine, ou la mère
affligée et sa servante étaient occupées à préparer les linceuls ; puis,
accompagné du père, de la mère et des trois disciples, il entra dans la
chambre où la jeune fille était couchée. Jésus s'approcha du lit : les
parents se tenaient derrière lui et les disciples à sa droite, au pied
de la couche. La mère ne me plut pas ; elle n'avait aucune confiance et
restait froide. Le père n'était pas précisément un ami dévoué de Jésus :
il était de caractère à ne pas vouloir se compromettre vis-à-vis des
Pharisiens, et ce n'étaient que l'inquiétude et la douleur qui l'avaient
porté à s'adresser à Jésus. Si le Seigneur guérissait sa fille, se
disait-il, elle lui serait rendue : dans le cas contraire, il aurait
préparé un triomphe pour les Pharisiens. Cependant, en dernier lieu, la
guérison du serviteur de Cornélius l'avait particulièrement ému et lui
avait donné plus de confiance. La jeune fille n'était pas grande, et la
maladie l'avait fort amaigrie : elle me parut âgée de onze ans tout au
plus et petite pour son âge, surtout dans un pays comme celui-ci où l'on
trouve des filles de douze ans qui sont complètement formées. Elle était
étendue sur sa couche, enveloppée dans un long vêtement. Jésus la prit
doucement dans ses bras, la plaça contre sa poitrine et souffla sur
elle. Je vis alors quelque chose d'extraordinaire. J'avais vu près du
corps, à sa droite, une petite forme diaphane dans une sphère lumineuse,
et lorsque Jésus souffla sur la jeune fille, je vis cette lumière
s'arrêter au-dessus d'elle et entrer dans sa bouche avec l'apparence
d'une petite figure humaine. Jésus replaça le corps sur le lit, prit le
poignet de la jeune fille comme eût fait un médecin, et lui dit : "
Jeune fille, lève-toi ! " Alors elle se mit sur son séant dans le lit,
et comme il continuait à lui tenir la main, elle se leva tout à fait,
ouvrit les yeux et descendit de sa couche ; puis Jésus la conduisit,
encore faible et chancelante, dans les bras de ses parents qui l'avaient
regardé faire, d'abord froidement, puis avec crainte et tremblement,
mais qui maintenant étaient hors d'eux-mêmes par l'excès de leur joie.
Jésus leur dit de donner à manger à l'enfant, et de ne pas ébruiter
inutilement cette affaire ; puis, après avoir repu les remerciements du
père, il revint dans la ville. La femme était confuse et ébahie : elle
remercia à peine. Mais le bruit se répandit parmi les pleureurs que la
jeune fille était en vie. Ils quittèrent leur poste, les uns tout
confus, les autres ricanant d'une façon ignoble, entrèrent dans la
maison et virent la jeune fille manger.
Jésus, en s'en retournant,
parla de cette guérison avec les disciples et leur dit que ces gens
n'avaient eu ni une foi sincère, ni des intentions vraiment droites ;
mais que leur fille avait été rendue à la vie à cause d'elle-même et
pour l'honneur du royaume de Dieu. Il n'y avait rien de coupable dans
cette mort : c'était contre la mort de l'âme qu'elle devait se tenir en
garde. Il revint alors sur la place de la ville et guérit encore
plusieurs malades qui l'attendaient, puis il enseigna dans la synagogue
jusqu'à la clôture du sabbat. Les Pharisiens étaient tellement agités,
si pleins de dépit et de rage, qu'ils se seraient facilement portés à
mettre la main sur lui s'il s'était encore commis avec eux après cela.
Ils recommencèrent à dire que ces miracles étaient de la sorcellerie ;
mais Jésus se perdit dans la foule et quitta la ville en passant par les
jardins de Zorobabel : les disciples, de leur côté, se dispersèrent.
La narratrice ne vit pas la
guérison de l'hémorroïsse s'opérer au milieu de la foule, dans
l'intervalle compris entre l'invitation adressée à Jésus par Jaïre et la
guérison de sa fille, quoiqu'elle se trouve ainsi placée dans les
Evangiles de saint Matthieu, de saint Marc et de saint Luc. Elle ne vit
pas cet incident aujourd'hui, et dit que la presse n'avait pas été
grande sur le chemin, ni lors du miracle : il n'y avait eu un peu de
foule que le matin, près de la maison de Pierre. Elle ne se rappelait
pas avoir vu cette guérison aujourd'hui, pas même parmi les autres
guérisons qui n'avaient rien eu de particulier. Elle dit qu'elle se
souvenait de cette guérison comme d'une vision antérieure, et
l'expression dont se servit Jésus, disant qu'il avait senti une force
sortir de lui, lui avait été ainsi expliquée : cette femme avait eu le
sentiment de la puissance divine résidant en Jésus ; elle l'avait
longtemps invoquée avec ardeur, et elle avait touché le manteau du
Sauveur avec le désir d'être guérie et la ferme confiance qu'elle le
serait, c'était alors que ce pouvoir divin lui était venu en aide, et
que Jésus avait senti qu'une vertu sortait de lui. Cette femme est bien
connue d'Anne Catherine, et elle a parlé antérieurement d'un monument
qu'elle fit élever et des grâces qui y étaient attachées.
(24 novembre.) Jésus
a encore passé une partie de la nuit à prier à l'écart. Ces prières
qu'il fait contribuent beaucoup à convertir les pécheurs ainsi qu'à
déconcerter et à rendre impuissants les projets des Pharisiens : car il
fait tout à la manière humaine, pour que nous puissions l'imiter. C'est
pourquoi il priait son Père céleste pour l'accomplissement de son
oeuvre. Suivant toutes les probabilités humaines, on pouvait croire que
ses ennemis le mettraient en pièces. Cependant il leur échappa, et le
jour suivant, qui est le jour même du sabbat, il guérit de nouveau
devant la synagogue où il alla ensuite enseigner.
Pourquoi ne chassaient-ils pas les malades ? Pourquoi ne lui
interdisaient-ils pas la prédication dans la synagogue ? C'est que les
prophètes et les docteurs avaient eu de tout temps le droit d'enseigner
dans les synagogues, d'assister et de guérir : ils ne pouvaient attaquer
Jésus que pour cause de blasphème et d'hérésie : or, il leur était
impossible de rien prouver contre lui sur ces deux chefs. Quant au
baptême qu'il faisait administrer, ils s'en inquiétaient peu, et ils ne
venaient pas y assister : puis la grande roule ne passait pas par la
vallée : elle conduisait à Bethsaïde par les hauteurs. Dans la vallée il
n'y avait que des sentiers à l'usage des pécheurs et des gens de la
campagne qui allaient au lac.
Marthe, les saintes femmes
de Jérusalem, Dina et d'autres encore, étaient parties pour retourner
chez elles après le départ de Jésus pour Naïm. J'ai vu qu'il y eut près
de Maroni et de son fils une telle affluence de visiteurs, curieux de
voir le ressuscité, qu'ils furent obligés de se cacher. Je vis aussi, je
ne sais plus à quelle occasion, que Madeleine est malheureusement
retombée dans ses anciennes habitudes. Des hommes du pays sont venus lui
rendre visite. On a parlé de Jésus, de sa manière de vivre, de ses
rapports et de ses liaisons avec toute sorte de gens de bas étage ; on
l'a tournée en ridicule à propos de ce qu'on a entendu dire d'elle : en
outre on l'a trouvée, beaucoup plus belle et plus attrayante que dans
les derniers temps ; car depuis quelques jours il s'est opéré un
changement avantageux dans son extérieur. Malheureusement elle s'est
laissé prendre à ces discours, elle est en voie de s'engager de nouveau
dans des relations criminelles et de tomber plus bas qu'auparavant,
comme il arrive dans les rechutes. Ah ! pourquoi est elle revenue à
Magdalum ? Elle a d'ailleurs un très mauvais voisinage, excepté à Damna,
où se trouvent des gens de bien : à Gabara, à Jotapat et à Tibériade, il
règne beaucoup de corruption et de légèreté. Il y a peut-être dans tout
ce monde bien des ennemis de Jésus, qui, ayant eu connaissance de la
vive impression que Madeleine a ressentie dernièrement, cherchent à la
retenir dans le mal. Les quatre Hérodiens, disciples de Jean, qui
étaient récemment près de Jésus, ont leur demeure à Jotapat : depuis le
repas, ils ne se sont plus montres.
Il y avait fête aujourd'hui
chez le centurion Cornélius, à l'occasion de la guérison de son
serviteur. Un grand nombre de païens, parmi lesquels beaucoup de
pauvres, s'y rendirent. Aussitôt après la guérison, il avait fait dire à
Jésus qu'il voulait faire offrir plusieurs holocaustes de toute espèce
d'animaux ; mais Jésus lui fit répondre qu'il ferait mieux d'inviter ses
ennemis pour se réconcilier avec eux, ses amis pour leur dire des choses
édifiantes, les pauvres pour les soulager et leur donner un repas avec
les viandes destinées aux sacrifices, car Dieu ne prenait pas plaisir
aux holocaustes, etc. Je vis, après cela, un très grand nombre de païens
passer par Bethsaïde et par le chemin d'en haut pour se rendre à la
maison de Cornélius où la fête avait lieu. Dans la matinée, je vis Jésus
et plusieurs des disciples à l'endroit où l'on baptisait. Saturnin eut
une grande joie : il eut à baptiser deux de ses frères cadets et son
oncle qui étaient païens. Sa mère, qui a déjà embrassé le judaïsme est
venue avec eux. Saturnin a des rois pour aïeux. Ses parents vivaient à
Patras ; son père était mort : une belle-mère et deux filles vivaient
encore. Saturnin apprit d'abord par un homme d'un teint très brun, qui
était allié au plus basané des trois rois mages, et qui avait fait le
voyage avec lui l'histoire de l'étoile et de la naissance de Jésus. Il
s'était, je crois, trouvé en rapport avec lui pendant une guerre ou dans
un voyage. Là-dessus, Saturnin alla à Jérusalem, et lorsque Jean
commença sa prédication, il fut au nombre de ses premiers disciples :
puis aussitôt que Jésus reparut après son baptême, il alla le trouver
avec André (voir tome I, page 370). Sa belle-mère était allée plus tard
à Jérusalem avec les deux jeunes filles. Ses deux jeunes frères étaient
restes près d'un oncle, et maintenant ils venaient d'arriver. Ils
étaient riches.
Dans la matinée, on baptisa
encore une douzaine d'autres néophytes. Quand ils descendent dans le
tossé qui est autour du bassin, ils relèvent leur longue robe et
s'appuient, lorsqu'ils reçoivent le baptême, sur la margelle du bassin :
ils retournent ensuite sous les arbres et mettent d'autres vêtements.
Leur longue tunique blanche n'est, a ce que je crois, qu'un manteau
baptismal sous lequel ils sont nus jusqu'à la ceinture. Les juifs ont
peu de souci des païens baptisés : quand ceux-ci ne viennent pas
demander aux prêtres à être circoncis, ils ne font pas attention à eux,
et il leur semble d'ailleurs qu'il n'y a pas beaucoup à s'en occuper,
car ils sont fort peu zélés et n'aiment pas à se donner de la peine.
Cornélius, qui habite parmi eux et qui a fait bâtir la synagogue, sera
obligé de recevoir la circoncision, s'il veut s'associer à eux plus
étroitement.
Jésus mangea chez sa mère
et s'entretint avec les femmes qui étaient là : il dit à plusieurs
malades qui voulaient être guéris ce qu'ils avaient à faire en attendant
qu'il revint. Je le vis ensuite dans l'après-midi enseigner au bord du
lac, non loin de l'endroit où se tenaient les barques de Pierre : il
était allé là avec les disciples en franchissant la hauteur qui se
dirige vers Bethsaïde, derrière la maison de Marie et celle de Pierre.
Les bords du lac sont élevés près de Bethsaïde : ici ils descendent en
pente douce et offrent un abord facile. Le navire de Pierre était amarré
ici, aussi bien que la petite embarcation de Jésus : elle était moins
grande et contenait au plus quinze personnes.
Une grande partie des
païens qui avaient été à la fête donnée chez Cornélius étaient
rassemblés ici. Jésus les enseigna. et comme la presse était trop
grande, il monta sur sa barque avec quelques disciples : les autres et
les publicains montèrent sur le navire de Pierre. Du haut de la barque,
il raconta aux païens et à d'autres personnes qui étaient sur la plage,
la parabole du semeur et de l'ivraie : ensuite ils s'éloignèrent. Le
navire de Pierre marchait à la rame, traînant après lui l'embarcation de
Jésus. Les disciples se relayaient pour ramer. Jésus était assis au pied
du mât, les autres autour de lui et sur le bord du navire de Pierre. Ils
lui demandèrent ce que signifiait cette parabole et pourquoi il parlait
en paraboles. Alors il la leur expliqua. (Elle se référa ici à un texte
de saint Matthieu (XIII, 1-24) dont le pèlerin lui fit la lecture, et
dit : " il a fait cela pendant la traversée : il était quatre heures du
soir ". Je crois aussi que c'est cette fois que Jésus appellera à lui
saint Matthieu, car je les ai vus débarquer entre la vallée de Gérasa et
Bethsaïde Juliade On monta d'abord sur une éminence, au delà de laquelle
se trouvent les demeures des publicains, placées les unes derrière les
autres. Je l'ai entendu dire en chemin qu'on se scandaliserait à son
sujet. Ce sera sans doute parce qu'il admettra parmi ses disciples le
publicain Matthieu.
(25 novembre.) Elle
dit le jour suivant : " Lorsque Jésus arriva ici, il était tout au plus
cinq heures ; il était donc de meilleure heure lorsqu'ils
s'embarquèrent. A partir du rivage, il y avait un chemin qui conduisait
aux maisons des publicains, et les publicains qui étaient avec Jésus le
prirent. Quant à Jésus, il prit à droite en suivant le bord du lac, en
sorte qu'ils passèrent devant la maison de Matthieu qui était à quelque
distance. Le chemin qu'ils suivaient avait un embranchement qui
aboutissait au comptoir de Matthieu, et quand Jésus se dirigea de ce
côté, les disciples s'arrêtèrent, n'osant pas aller plus loin. Lorsque
Matthieu, devant la maison duquel je vis des serviteurs et des
publicains occupés à examiner diverses marchandises, vit du haut d'une
éminence Jésus et les disciples venir vers lui, la honte le prit et il
rentra dans sa cabane. Mais Jésus s'approcha et l'appela de l'autre côté
du chemin. Alors Matthieu sortit plein d'empressement : il se prosterna
devant Jésus la face contre terre, et dit qu'il ne s'était pas cru digne
que Jésus lui parlât. Mais le Seigneur lui dit : " Matthieu, lève-toi et
suis-moi ". Matthieu se leva et lui dit qu'il allait tout quitter avec
joie pour le suivre puis il alla avec Jésus jusqu'à l'endroit où les
disciples s'étaient arrêtés. Ceux-ci le saluèrent et lui tendirent la
main. Thaddée, Simon et Jacques le Mineur, étaient particulièrement
réjouis, car ils étaient ses frères par leur père Alphée, qui, avant son
mariage avec Marie de Cléophas, avait eu Matthieu d'une première femme.
Il voulait leur donner à tous l'hospitalité, mais Jésus lui dit qu'ils
prendraient leur repas chez lui le lendemain, et ils allèrent plus loin.
Alors Matthieu revint en hâte à sa maison, qui était à un quart de lieue
du lac, dans un enfoncement du coteau. Le petit cours d'eau qui va de
Gérasa se jeter dans le lac, passe devant à peu de distance. La vue s'y
étend sur le lac et sur la campagne. Matthieu chargea aussitôt un homme
de l'embarcation de Pierre de faire son office à sa place jusqu'à nouvel
ordre. Il était marié et avait quatre enfants. Il raconta tout à sa
femme ce qui lui arrivait d'heureux, et lui dit qu'il voulait tout
quitter et se mettre à la suite de Jésus, ce qui la réjouit aussi
beaucoup. Ensuite il ordonna de préparer le repas pour le lendemain, et
s'occupa lui-même à donner des ordres et à faire des invitations à cet
effet. Matthieu était à peu près de l'âge de Pierre, il aurait pu être
le père de José Barsabas son jeune demi-frère. C'était un gros homme
fortement constitué : il avait la barbe et les cheveux noirs. Depuis
qu'il avait fait connaissance avec Jésus sur le chemin de Sidon, il
avait reçu le baptême de Jean et réglé sa vie de la manière la plus
consciencieuse. Jésus franchit la hauteur qui était derrière la maison
de Matthieu, et alla au nord dans la vallée de Bethsaïde Juliade : il
passa un petit cours d'eau. Il y avait là un campement de caravanes et
de païens en voyage qu'il enseigna : ils passèrent la nuit dans une
hôtellerie de Bethsaïde Juliade.
(25 novembre.) Ce
matin, Jésus enseigna encore parmi les païens campés dans les environs :
vers midi, il revint à la maison de Matthieu, où beaucoup de publicains
invités par lui s'étaient réunis. Sur le chemin, quelques Pharisiens et
des disciples de Jean se joignirent à Jésus ; toutefois, ils n'entrèrent
pas avec lui dans la maison, mais ils allèrent avec les disciples dans
le jardin qui y était attenant, et ils leur dirent : " Comment
pouvez-vous souffrir qu'il fraye si familièrement avec des pécheurs et
des publicains ? " Ils répondirent : " Dites-le-lui vous-mêmes ! " Mais
les Pharisiens répliquèrent : " il n'y a rien à dire à un homme qui veut
toujours avoir raison ".
Matthieu reçut Jésus et les
siens avec beaucoup de cordialité et d'humilité et il leur lava les
pieds. Ses demi frères l'embrassèrent tendrement. Il amena à Jésus sa
femme et ses enfants. Jésus s'entretint avec la femme et bénit les
enfants : passé cela, les enfants ne reparurent plus. Je me suis souvent
étonnée de voir que les enfants, quand il les avait bénis, ne se
remontraient plus Je vis que Jésus s'assit et que Matthieu s'agenouilla
devant lui : Jésus lui mit la main sur la tête, le bénit et lui donna
quelques avis. Matthieu s'appelait auparavant Lévi et il reçut alors le
nom de Matthieu. Il y eut un grand repas dans une salle découverte, sur
une table disposée en forme de croix. Jésus était assis au milieu des
publicains : on se levait dans les intervalles des services et on
conversait, puis on se rasseyait quand de nouveaux plats avaient été mis
sur la table. Il vint de pauvres voyageurs qui passaient près de là :
les disciples leur distribuèrent des aliments. Le chemin qui menait à
l'endroit où l'on s'embarquait pour traverser le lac passait devant la
maison. Cependant les Pharisiens accostèrent les disciples et il y eut
entre eux des discussions qui se trouvent dans l'Évangile de saint Luc
(V. 30-39), Ils parlèrent principalement du jeûne, parce que ce soir
commençait pour les Juifs de la stricte observance un jour de jeûne en
mémoire de la destruction des écrits de Jérémie par le roi Joachim et
aussi parce que Jésus permettait à ses disciples de cueillir des fruits
sur les chemins, ce qui ne se faisait pas chez les Juifs, spécialement
en Judée. Lorsque Jésus donna la réponse, il était à table avec les
publicains, tandis que les disciples que les pharisiens avaient
interpellés se tenaient debout ou allaient et venaient. Jésus tourna la
tête et répondit. Je crois que Jésus passa ici la nuit et que ceux des
disciples qui étaient pêcheurs de profession restèrent dans les barques.
La barque de Zébédée était venue avec les gens qui étaient à son
service. Je ne me souviens plus bien s'ils péchèrent cette nuit, mais
j'ai l'idée vague qu'il y eut en effet une pêche.
Capharnaüm est beaucoup
plus animé qu'à l'ordinaire : il y vient beaucoup d'étrangers à cause de
Jésus. Les uns sont ses adversaires, les autres ses partisans: il s'y
trouve un certain nombre de païens qui se joignent à Zorobabel et à
Cornélius.
J'ai vu aussi cette nuit à
Capharnaüm beaucoup de choses relatives à Jaïre, à sa fille et à
l'hémorroïsse, mais j'en ai oublié la plus grande partie. Je me souviens
seulement que la fille de Jaïre, pour la punition de ses parents et des
gens de sa famille, qui même après sa guérison avaient encore accueilli
Jésus avec des rires moqueurs, est de nouveau retombée, et que Jésus
vient encore une fois à son secours, c'est alors, si je ne me trompe,
qu'aura lieu la guérison de l'hémorroïsse. Je ne sais plus bien jusqu'à
quel point la jeune fille avait participé au péché des autres, mais
lorsqu'elle fut rendue à la vie tous se montrèrent peu touchés, et la
mère en particulier se comporta d'une manière très inconvenante.
L'hémorroïsse n'est pas encore guérie. Elle est depuis longtemps à
Capharnaüm et emploie plusieurs médecins : elle est dans un état de
maigreur et de dépérissement complet. C'est une païenne, veuve d'un Juif
de Panéas ou Césarée, capitale de Philippe. Jusqu'à présent elle n'a pas
eu une foi ferme et elle est entre les mains des médecins. Mais elle
vient de faire connaissance avec Marie qui visite les malades, et
celle-ci l'a consolée et l'a beaucoup affermie dans la foi.
(26 novembre ) Ce
matin Jésus alla près du lac qui est environ à un quart de lieue de la
maison de Matthieu où il a passé la nuit. Je vis Pierre et André occupés
à disposer Leurs filets et se préparant à aller au large. Jésus leur
cria : " Venez et suivez-moi : je ferai de vous des pêcheurs d'hommes ".
Alors ils laissèrent là leur travail, abordèrent et descendirent à
terre. Jésus marcha encore un peu le long du rivage jusqu'à l'endroit où
était la barque de Zébédée qui avec ses fils Jacques et Jean, réparait
ses filets sur le navire : Jésus leur cria aussi de venir. Alors ils
descendirent à terre. Zébédée resta dans la barque avec les serviteurs.
Je vis que Jésus les envoya
dans la montagne avec l'ordre de donner le baptême aux païens qui le
demanderaient. Il les avait déjà préparés hier matin et avant-hier.
Lui-même alla d'un autre côté avec Saturnin et les autres disciples. Ils
devaient se retrouver ensemble, le soir, chez Matthieu. Je le vis leur
indiquer du doigt le chemin qu'ils devaient prendre. Les autres
disciples attendaient en haut près du chemin, pendant qu'il appelait
ceux-ci. Quand ils furent tous réunis, il leur ordonna d'aller baptiser
dans les endroits qu'il leur avait désignes.
Comme les Évangiles ne
devaient pas contenir le récit circonstancié de tout ce que fit Jésus
avec ses disciples, mais en donner seulement un court abrégé, cet appel
adressé à certains d'entre eux pour qu'ils eussent à laisser là leurs
barques et la pêche qu'ils allaient faire pour devenir des pêcheurs
d'hommes y est placé au commencement comme résumant toute la vocation de
Pierre, d'André, de Jean et de Jacques : après quoi les écrivains sacrés
rapportent un certain nombre de paraboles, de miracles et de discours de
Jésus, sans s'astreindre à suivre un ordre chronologique.
Je vis Jésus et une partie
des disciples, parmi lesquels Saturnin était spécialement chargé de
baptiser, se rendre dans les environs de Bethsaïde Juliade, tandis que
Pierre avec André comme ministres du baptême, les autres pêcheurs et
quelques disciples encore, gravirent la montagne au nord-est et
descendirent dans une vallée arrosée par un petit ruisseau. Il y avait
là un campement de païens dont Jésus, les jours précédents, avait déjà
préparé une partie au baptême. Je vis ceux-ci aller À la rencontre des
disciples auxquels ils demandèrent le baptême, et André les baptisa
d'une nouvelle manière, différente de la précédente. On apporta dans un
bassin de l'eau puisée au ruisseau : les néophytes se rangèrent en
cercle et s'agenouillèrent, mettant les mains en croix sur la poitrine.
Il y avait parmi eux des enfants de trois à six ans, je n'en avais
jamais vu d'aussi petits en pareille circonstance. Pierre tenait le
bassin : André prenait de l'eau dans sa main, en aspergeait trois fois
la tête de trois néophytes et prononçait les paroles sacramentelles :
les autres disciples circulaient autour d'eux et leur imposaient les
mains. Ceux qui venaient d'être baptises étaient aussitôt remplacés par
d'autres. Il y eut des pauses par intervalles, et les disciples
racontèrent les paraboles qui étaient à leur portée, parlèrent de Jésus,
de ses enseignements, de ses miracles, et expliquèrent aux Juifs ce
qu'ils ne connaissaient pas encore des lois et des promesses divines.
Pierre se distinguait surtout par le zèle et la chaleur avec laquelle il
racontait : Jean parlait aussi très bien ainsi que Jacques. Jésus, de
son côté, enseignait dans une autre vallée, et Saturnin baptisait près
de lui.
Je ne me souviens plus de
ce qui suivit ce jour-là ; je me rappelle seulement qu'ils se réunirent
le soir près de la maison de Matthieu, et qu'il y avait là une foule
très nombreuse qui se pressait autour de Jésus, ce qui fit qu'il monta
dans la barque de Pierre avec les douze futurs apôtres et Saturnin, et
qu'il leur ordonna de se diriger vers Tibériade : il fallait pour cela
traverser le lac dans toute sa largeur. Il me sembla que Jésus voulait
seulement se dérober à l'empressement de la foule et prendre quelque
repos, car il était très fatigué. Il se coucha sur le pont dans une des
cahutes placées autour du mât et où se tiennent habituellement ceux qui
sont en vedette : il s'endormit aussitôt, tant sa fatigue était grande.
Les rameurs étaient au-dessus de lui. Le temps était très calme et très
beau lorsqu'ils quittèrent le rivage. Ils étaient à peu près au milieu
du lac lorsqu'il s'éleva une violente tempête. Je trouvais étrange que
le ciel étant tout assombri on pût pourtant voir les étoiles. Le vent
était terrible et les vagues venaient jusque dans le navire : la voile
avait été amenée. Je vis par moments une lueur voltiger sur les flots
agités : je crois qu'il y avait aussi des éclairs. Comme le danger
allait toujours croissant, les disciples furent saisis d'une grande
inquiétude : ils éveillèrent Jésus et lui dirent : " Maître, n'avez-vous
point souci de nous ? nous périssons ". Jésus se leva, regarda autour de
lui et dit d'un ton calme et grave, comme s'il eût parle à l'orage : "
Tais-toi, fais silence ". Alors la mer s'apaisa subitement : tous furent
effrayés et se dirent à voix basse les uns aux autres : " Quel est
celui-ci qui peut commander aux flots " ? Cependant il leur reprocha
leur peu de foi parce qu'ils avaient craint, et leur ordonna de revenir
à Chorozaïn : on donne ce nom à l'endroit où est le bureau de douanes de
Matthieu, à cause de la ville de Chorozaïn, de même que de l'autre côté
la contrée de Capharnaüm jusqu'à Giscala, s'appelle Génésareth. La
barque de Zébédée revint avec eux : une autre conduisant des passagers
alla à Capharnaüm. Il était venu des messagers pour prier Jésus de venir
en toute hâle parce que Marie de Cléophas était très malade.
(27 novembre.) Les
deux barques étant revenues avant le jour à leur point de départ,
restèrent immobiles près du rivage : Jésus et tous ses compagnons
étaient endormis. Pendant l'orage, il y avait en tout quinze hommes sur
la barque avec Jésus. Il ne faut pas s'étonner que les rameurs se
tinssent au-dessus de l'endroit où Jésus reposait et que pourtant
celui-ci pût voir au delà du navire. Comme les rames appuyées sur le
bordage élevé de la barque plongeaient profondément dans l'eau, elles
avaient de longs manches et les rameurs étaient placés très haut : c'est
pourquoi des degrés étaient disposés autour du mât. Je vis plus tard
Jésus avec les disciples gagner par les hauteurs le midi de la vallée de
Chorozaïn où s'était rassemblée une grande foule de peuple qui allait
toujours grossissant. Cet endroit était à peu près à une lieue au
sud-ouest de Chorozaïn et un peu plus éloigné de Gergesa qui était au
midi dans une situation moins élevée. J'ai vu pendant ces jours-là que
le marais couvert de roseaux, situé à l'est de Gergesa, et dominé au
nord par la montagne de Gamala, se déchargeait au sud-ouest dans un
profond ravin qui aboutissait au lac. C'est dans cet étang que les
pourceaux dans lesquels Jésus permit aux démons d'entrer se
précipitèrent du haut de la montagne : nais cela n'a pas encore eu lieu.
Dans l'endroit où Jésus
enseigna aujourd'hui, il y avait une chaire en pierre. Cette prédication
avait été annoncée déjà deux jours auparavant. Les troupes d'auditeurs
se succédaient les uns aux autres et il y eut certainement aujourd'hui
deux mille personnes à l'entendre. Il guérit une grande quantité de
malades, aveugles, paralytiques, muets et lépreux. Lorsqu'il commença
son instruction, plusieurs possédés qu'on avait amenés devinrent furieux
et firent grand bruit : mais il leur commanda de se taire et de se
coucher par terre : alors ils se mirent à plat ventre comme des chiens
craintifs et ne bougèrent plus jusqu'à la fin de l'instruction après
laquelle il alla à eux et les délivra.
Parmi les nombreux malades
qu'il guérit, je me souviens d'un homme qui avait le bras tout desséché
et la main tordue et déformée. Jésus lui passa la main sur le bras, lui
prit la main, lui redressa les doigts en les pliant et les pressant
doucement. Tout cela se fit en aussi peu de temps qu'il en faut pour
montrer comment il s'y prit : aussitôt la main de cet homme se redressa,
revint à son état normal, et il put la remuer quoiqu'elle fût encore
amaigrie et faible : mais elle reprit de la force promptement.
Il y avait parmi ces gens
plusieurs femmes avec des enfants de tout âge. Jésus se fit amener
successivement tous les enfants, les bénit en passant au milieu d'eux et
parla d'eux de manière à ce que les assistants l'entendissent. Je vis
que tout en parlant il tournait et retournait un enfant dans tous les
sens, pour faire voir que les hommes devaient se laisser ainsi conduire
par Dieu sans résistance, et rester calmes et patients sous sa main. Il
s'occupait beaucoup des enfants. La plupart des assistants étaient des
païens : il y avait aussi des Juifs de la Syrie et de la Décapole que la
renommée de Jésus avait attirés et qui étaient venus en caravanes avec
leurs serviteurs, leurs enfants et leurs malades, pour se faire
instruire, guérir et baptiser. Jésus était venu ici à leur rencontre
afin que l'affluence ne fût pas trop grande à Capharnaüm. Je vis parmi
eux des gens de Panéas, parents de l'hémorroïsse qui résidait à
Capharnaüm et dont il est parlé dans L'Évangile. C'étaient l'oncle de
son époux défunt, dans la maison duquel elle s'était mariée, sa fille
déjà grande et encore une autre femme : ils s'adressèrent aux disciples
pour être conduits par eux, le soir, à Capharnaüm, et ils firent
annoncer leur arrivée a leur parente malade. Ils assistèrent à la
prédication de Jésus et l'oncle fut baptisé avec beaucoup d'autres.
On baptisa toute la journée
de la même manière qu'hier en rangeant en cercle les néophytes
agenouillés. Je vis encore baptiser beaucoup de petits garçons : ils se
tenaient rangés en cercle, vêtus de leurs petites robes et leurs petites
mains croisées sur la poitrine. On apporta l'eau de la vallée de
Chorozaïn dans des outres. A cette prédication il y avait encore
beaucoup de Pharisiens des environs qui espionnaient, et aussi de faux
disciples de Jean. Le soir, Jésus se rendit à la maison de Matthieu avec
les disciples. Il raconta encore une parabole touchant le trésor caché
dans un champ étranger : celui qui le trouve l'y laisse et achète le
champ au prix de tout ce qu'il possède. Il faisait allusion par là au
grand désir du salut qu'avaient les païens et indiquait qu'ils
attireraient à eux le royaume de Dieu. Jésus, à cause de la foule qui le
pressait, s'assit encore dans une barque d'où il enseigna. Il ne
s'éloigna pas beaucoup du rivage, mais il revint bientôt et passa la
nuit en prière. Ils avaient pris quelque nourriture chez Matthieu. Les
disciples conduisirent de l'autre côté du lac les parents de
l'hémorroïsse. Ils passèrent aussi des disciples de Jean, lesquels se
plaignaient de ce que Jésus ne venait pas en aide à leur maître et de ce
que ses disciples ne jeûnaient pas.
(28 novembre.) Les
disciples sont revenus ce matin de leur traversée : ils ont apporté à
Jésus la nouvelle que Marie de Cléophas était très malade dans la maison
de Pierre, que sa mère le priait de venir bientôt et qu'un très grand
nombre de malades, dont plusieurs venus de Nazareth, l'attendaient.
Jésus enseigna encore et guérit beaucoup de gens sur le bord du lac. Il
était venu encore plusieurs possédés qu'il délivra. L'affluence est de
plus en plus considérable et l'on ne peut dire quelle persévérance
infatigable il apporte dans ses travaux charitables.
Après midi, il s'embarqua
pour Bethsaïde avec tous les apôtres. Matthieu a confié son comptoir à
un des mariniers déjà, depuis qu'il avait reçu le baptême de Jean, il
exerçait sa profession avec la plus grande probité. Tous les autres
Publicains exerçaient aussi leur emploi avec beaucoup de droiture et de
charité : ils ont donné beaucoup aux pauvres, spécialement ces jours-ci.
Judas, quant à présent, est encore très bon ; il est singulièrement
entendu et serviable : c'est lui particulièrement qui règle les
distributions et fait les comptes. Beaucoup de païens se sont embarques
encore aujourd'hui. Ceux qui ne vont pas plus loin que Capharnaüm
laissent ici leurs chameaux : ceux de ces animaux qu'on emmène sont
placés, ainsi que les ânes, sur des caisses que les navires traînent
après eux, ou remontent le long du lac pour aller passer le pont du
Jourdain. Jésus arriva vers quatre heures à Bethsaïde où Marie
l'attendait, ainsi que Maroni et son fils qui sont ici depuis deux
jours. Il prit un peu de nourriture. Les fils de Marie de Cléophas se
rendirent auprès de leur mère malade. Jésus enseigna et guérit encore
jusque dans la nuit beaucoup de gens rassemblés devant la maison
d'André.
(29 novembre.)
L'affluence des étrangers et des Juifs à Capharnaüm est au delà de tout
ce qu'on peut dire. De grandes troupes sont campées dans les environs,
et mon guide me disait aujourd'hui qu'il y avait alors dans le pays
jusqu'à douze mille étrangers venus à cause de Jésus. Dans toutes les
vallées, dans tous 'es recoins du pays circonvoisin, on voit paître des
chameaux et des ânes : mais le plus souvent ils sont attaches et on
place le fourrage devant eux. Ils broutent beaucoup de bourgeons sur les
haies et y font beaucoup de dégâts. Des camps sont établis de tous les
côtés. Capharnaüm s'est enrichie et agrandie depuis que Jésus y réside :
beaucoup de familles viennent s'établir et les nombreux étrangers
apportent de l'argent dans la ville. On bâtit aussi beaucoup et les
maisons de Zorobabel et de Cornélius seront bientôt jointes à la ville
sans interruption.
La maison de Pierre, qui est devant la ville et tout contre, est grande
et longue : il y a sur l'un des côtés une cour spacieuse entourée de
petits bâtiments, de salles et de hangars : le ruisseau de Capharnaüm
passe devant ; de l'autre côté de la maison il est arrêté par un barrage
et forme un joli réservoir où l'on conserve du poisson. Il y a aussi des
pelouses de gazon où l'on fait blanchir des toiles, et j'y vois des
filets étendus. Une partie des maisonnettes qui sont à l'entour est
louée : il y habite aussi des domestiques : car Pierre a des champs et
du bétail et il est à la tête d'une grande exploitation. Aussi lui
est-il plus difficile qu'à un autre de renoncer à tout ce qu'il possède,
surtout avec le vif sentiment qu'il a de son indignité. J'ai vu que deux
fois déjà, depuis le commencement de sa prédication, Jésus a appelé les
pêcheurs à lui, mais qu'ils sont toujours retournés à leur travail.
Cela, du reste, ne s'est pas fait contrairement à sa volonté, d'autant
plus qu'ils ont rendu beaucoup de services pendant son séjour à
Capharnaüm en transportant les passagers sur leurs barques et en
établissant des rapports très utiles avec les caravanes païennes :
d'ailleurs tant qu'ils n'enseignaient pas eux-mêmes, il n'était pas
nécessaire qu'ils s'attachassent complètement à lui. André qui, depuis
longtemps, s'était mis à la suite de Jean Baptiste, avait presque
entièrement laissé là ses affaires et Jésus l'employa plutôt que Pierre
à administrer le baptême. Jacques et Jean jusqu'à présent étaient
toujours revenus à Leurs filets, car c'étaient des fils très obéissants
: le vieux Zébédée et leur mère, Marie Salomé, étaient assez préoccupés
de leur avenir : ils pensaient que leurs fils auraient quelque charge à
exercer auprès de Jésus, et ils espéraient jusqu'à un certain point
qu'il fonderait un royaume temporel. Je crois pourtant à présent que
Pierre, André, Jacques et Jean resteront plus constamment près de Jésus
; voilà pourquoi, si je ne me trompe, le dernier appel que Jésus, après
avoir complété le nombre des apôtres par l'adjonction de Matthieu, a
adressé à ces quatre pêcheurs pour qu'ils eussent à laisser là leurs
barques et leur travail, et pour qu'ils allassent immédiatement
baptiser, se trouve consigné dans l'Évangile comme le signe de la
vocation en vertu de laquelle ils devenaient ses compagnons.
Lorsqu'après la dernière Pâque, Jésus, avant de se réfugier du côté de
Sidon et de Tyr, les avait réunis auprès de lui et chargés d'administrer
le baptême, ils avaient enseigné en divers lieux : ils avaient même
opéré des guérisons, mais sans y réussir toujours, parce que leur foi
était trop faible. C'est alors qu'ils furent arrêtés et conduits devant
les Pharisiens à Gennabris. Jésus, à cette époque, leur avait déjà
enseigné à bénir l'eau pour le baptême, et il leur avait conféré les
pouvoirs nécessaires, non par l'imposition des mains, mais par une
simple bénédiction. C'est ainsi que récemment ils ont béni l'eau
baptismale à Bethsaïde-Juliade, à Chorozaïn et à Capharnaüm.
Il y a déjà, depuis deux
jours, une grande quantité de malades à Capharnaüm, et il en est venu
d'endroits très reculés, car la résurrection du jeune homme de Naïm et
les autres guérisons éclatantes opérées en grand nombre ont mis tout le
monde en mouvement : on en a même amené beaucoup de Nazareth, qu'on
avait longtemps jugés incurables, parmi lesquels des moribonds qu'on
espère que Jésus sauvera. Dans la maison que Pierre possède prés de la
ville, le vestibule, les dépendances et les hangars en sont remplis : sa
femme et ses gens ont été obligés, pendant son absence, de faire de
grandes installations pour leur donner place à tous. On a dressé des
tentes et des cabanes de feuillage et l'on a fait provision d'aliments.
La veuve de Naïm, qui est parente de Pierre, habite ici, ainsi que Marie
de Cléophas qui a une alliance avec lui par son troisième mari. Celle-ci
réside ordinairement à Cana C'est là que Maroni, la veuve de Naïm,
venant ici avec son fils, l'a prise ainsi que le petit Siméon, enfant de
huit ans, né de son troisième mariage. Elle est arrivée ayant déjà la
fièvre, et sa maladie devient de plus en plus grave. Cependant Jésus
n'est pas encore venu la voir. Aujourd'hui il enseigna et opéra des
guérisons parmi les païens dans les environs. Il y a ici des gens venus
de la Grèce et notamment de Patras, ville natale de Saturnin.
Aujourd'hui dans
l'après-midi, avant le sabbat, plusieurs disciples de Jean envoyés par
lui sont venus de Machérunte à Capharnaüm ; ils étaient au nombre de ses
disciples les plus anciens et les plus intimes je crois que les frères
de Marie de Cléophas, Jacob, Sadoch et Eliacin, se trouvaient parmi eux.
Ils firent venir les magistrats et le comité des Pharisiens dans le
parvis de la synagogue, et leur présentèrent un rouleau de parchemin
long et étroit, ayant la forme d'un cornet : c'était une lettre que Jean
leur adressait et où il rendait témoignage à Jésus en termes très clairs
et très énergiques. Pendant qu'ils la lisaient et qu'ils en conféraient
entre eux, non sans un certain trouble, le peuple se rassembla en foule,
et les messagers lui répétèrent à haute voix ce que Jean avait dit dans
un grand discours prononcé à Machérunte en présence de ses disciples,
d'Hérode et d'un nombreux auditoire. J'ai vu Jean faire ce discours.
Lorsque les disciples que
Jean avait envoyés à Mageddo près de Jésus, furent revenus avec la
réponse de celui-ci, et lui eurent communiqué en outre beaucoup de
renseignements sur ses miracles, son enseignement et la persécution
qu'il avait à souffrir de la part des Pharisiens, lui répétant en outre
les divers propos qui couraient sur Jésus et les plaintes que faisaient
beaucoup de gens de ce qu'il ne le délivrait pas ; Jean se sentit poussé
à rendre encore hautement témoignage à Jésus, qu'il n'avait pu
déterminer par ses interrogations à se rendre témoignage à lui-même. Il
fit donc prier Hérode de lui permettre d'adresser un discours à ses
disciples et à quiconque voudrait l'entendre ; car, disait-il, il se
tairait bientôt pour jamais. Je vis qu'Hérode l'y autorisa volontiers.
On permit donc à tous ses disciples et à une foule nombreuse d'entrer
dans une cour du château, et Hérode avec sa méchante femme s'assit sur
une extrade environnée de soldats. Alors Jean sortit de sa prison et les
enseigna. Hérode s'y était prêté de bon coeur : il voulait, pour se
concilier le peuple, donner à croire que la captivité de Jean était très
peu rigoureuse. J'entendis le précurseur parler de Jésus avec un grand
enthousiasme, dire de lui-même qu'il n'avait été envoyé que pour
préparer la voie à Jésus, qu'il n'avait jamais annoncé que lui, mais que
ce peuple obstiné ne voulait pas le reconnaître. Avaient-ils donc oublié
ses enseignements à ce sujet ? il voulait les leur répéter encore une
fois en termes bien clairs, car sa fin était proche ! Lorsqu'il dit
cela, tous les assistants furent très émus, et plusieurs de ses
disciples versèrent des larmes. Hérode fut inquiet et embarrassé, car il
n'avait nullement l'intention de le faire mourir ; quant à sa maîtresse,
elle fit la meilleure contenance qu'elle put, et Jean continua à parler
avec beaucoup de chaleur : il rappela le miracle qui avait eu lieu lors
du baptême de Jésus, et affirma qu'il était le fils bien-aimé de Dieu
que les prophètes avaient annoncé ; que tout ce qu'il enseignait était
l'enseignement de son Père ; que ce qu'il faisait, le Père le faisait ;
que personne n'allait au Père que par lui, etc. Il parla longtemps sur
ce ton, et réfuta tous les reproches adressés à Jésus par les
Pharisiens, et spécialement ceux qui avaient trait à l'observation du
sabbat. Il dit que tout le monde devait sanctifier le sabbat, mais que
les Pharisiens le profanaient, parce qu'ils ne suivaient pas les
enseignements de Jésus, fils de celui qui avait institué le sabbat. Il
dit encore beaucoup de choses de ce genre et annonça Jésus comme celui
hors duquel il n'y avait pas de salut à espérer ; car quiconque ne
croirait point en lui et ne suivrait pas ses enseignements serait
condamné. Il exhorta aussi tous ses disciples à se tourner vers Jésus et
à ne pas rester près de lui sur le seuil comme frappés d'aveuglement,
mais à entrer dans le temple même.
Après avoir fini son
discours, il envoya plusieurs d'entre eux avec une lettre adressée à la
synagogue de Capharnaüm, lettre dans laquelle il déclarait de nouveau
que Jésus était le Fils de Dieu, l'accomplissement de la promesse, et
que tout ce qu'il faisait et enseignait était juste et saint Il réfutait
ensuite toutes leurs objections, les menaçait du jugement de Dieu et les
exhortait à ne pas repousser le salut loin d'eux Il ordonna aussi à ses
disciples de lire au peuple une autre lettre conçue dans les mêmes
termes, et de lui répéter tout ce qu'ils avaient entendu à Machérunte Je
ils maintenant les disciples de Jean faire tout cela a Capharnaüm. Une
foule très considérable se rassembla autour d'eux, car les rues de la
ville regorgeaient de gens venus pour ce sabbat. Il y avait ici des
Juifs de tous les pays : ils entendirent avec beaucoup de plaisir les
paroles de Jean touchant Jésus : beaucoup furent transportés de joie, et
leur foi prit de nouvelles forces.
Les Pharisiens furent
obligés de céder au nombre : ils ne trouvaient rien à opposer, mais ils
se regardaient, haussaient les épaules et secouaient la tête tout en
affectant des dispositions bienveillantes ; cependant ils prirent un ton
d'autorité et dirent aux disciples de Jean qu'ils ne feraient point
d'opposition à Jésus s'il ne transgressait pas les lois et s'il ne
troublait pas la tranquillité publique Sans doute il se présentait avec
de merveilleux avantages, mais ils devaient veiller au bon ordre et à ce
que rien ne dépassât la mesure. Jean était un homme de bien ; il
pouvait, dans sa prison, ignorer bien des choses ; il n'avait pas eu
beaucoup de rapports avec Jésus, etc. Là-dessus le sabbat s'ouvrit et
tout le monde se porta à la synagogue. Jésus vint aussi avec ses
disciples, et tout le monde l'écouta aujourd'hui avec beaucoup
d'admiration. Il enseigna sur l'histoire de Joseph vendu par ses frères
(Genèse, XXXVII, 1-41) et sur des textes d'Amos (II, 6. --III, 9)
renfermant des menaces contre les péchés d'Israël.
Je me souviens encore qu'au
commencement de l'instruction il fut question de l'oppression des
pauvres, de l'inceste et de l'impudicité. On ne le troubla pas, et les
Pharisiens l'écoutèrent avec une envie secrète et un étonnement mal
dissimulé. Le témoignage de Jean, proclamé devant tout le peuple, les
avait un peu intimidés.
Mais tout à coup des
hurlements effroyables se firent entendre dans la synagogue On y avait
introduit un possédé furieux qui était de Capharnaüm : il fut tout à
coup pris d'un violent accès et voulut déchirer avec ses dents les
personnes qui étaient autour de lui. Alors Jésus se tourna de son côté
et dit : " Tais-toi ! Emmenez-le dehors ". Aussitôt cet homme
redevint parfaitement tranquille. On l'emmena : il s'assit par terre
devant la synagogue et parut tout intimidé Lorsque Jésus eut fini
l'instruction du sabbat et sortit, il alla trouver cet homme devant la
porte et le délivra du démon qui le possédait. Il se rendit ensuite avec
les disciples à la maison de Pierre qui est près du lac parce qu'il y
régnait plus de tranquillité. Ils prirent la quelque nourriture et il
enseigna. La nuit, il se retirait d'ordinaire pour prier à l'écart.
Je n'ai jamais vu de fous
proprement dits parmi ceux dont Jésus opéra la guérison: tous étaient
guéris comme démoniaques et possédés.
Les Pharisiens se réunirent
encore, ils feuilletèrent toute espèce d'anciens écrits touchant les
prophètes leur manière de vivre, leur doctrine et leurs actions
spécialement touchant Malachie, sur lequel il subsistait encore quelques
traditions : ils cherchèrent des comparaisons avec l'enseignement de
Jésus ; ils furent forces de reconnaître sa supériorité et d'admirer ses
dons, puis à la fin pourtant ils firent des critiques sur sa doctrine.
(30 novembre.) Ce
matin Jésus enseigna à la synagogue devant un nombreux auditoire.
Cependant Marie de Cléophas était si gravement malade, que la sainte
Vierge envoya prier Jésus de venir à son secours. Il vint vers midi à la
maison de Pierre, qui est tout prés de la ville : la mère de Jésus et la
veuve de Naim s'y trouvaient, ainsi que les fils de la malade (disciples
de Jésus) et ses frères (disciples de Jean)
Personne n'était plus
affligé de son état que Siméon son fils, âgé de huit ans, né de son
troisième mariage avec Jonas, frère cadet du beau-père de Pierre, lequel
avait été employé par celui-ci sur son navire et était mort depuis
environ six mois. Jésus s'approcha du lit de la malade, pria et lui
imposa les mains : elle était extrêmement affaiblie par la fièvre. Il la
prit par la main et lui dit de cesser d'être malade. Il ordonna e lui
donner à boire, et on lui apporta un breuvage : il voulut aussi qu'elle
mangeât quelque chose. Il donnait cet ordre à presque tous les malades
qu'il guérissait, et j'appris que cela faisait allusion au Saint
Sacrement : le plus souvent il bénissait ce qu'on leur donnait. La joie
de ses fils, et spécialement du petit Siméon, fut au delà de toute
expression lorsque leur mère se retrouva en santé, se leva et se mit à
soigner les autres malades de son sexe. Jésus se retira aussitôt et
commença à guérir les nombreux malades qui étaient aux alentours de la
maison : c'étaient, pour la plupart, des gens abandonnés depuis
longtemps des médecins et regardés comme incurables ou même déjà
moribonds On les avait amenés de loin ; il y en aval de Nazareth que
Jésus avait connus dans sa jeunesse. Je vis des gens affaissés sur
eux-mêmes, comme s'ils eussent été morts, que d'autres apportaient sur
leurs épaules en sa présence. Je ne l'ai jamais vu guérir tant de gens
dans un état si désespéré.
Les disciples de Jean, qui
étaient arrivés la veille, vinrent le trouver ici, et s'accusèrent
d'avoir été mécontents de lui, parce qu'il n'avait pas pris à coeur la
captivité de leur maître : ils dirent quels jeûnes rigoureux ils
s'étaient imposés à la seule fin d'obtenir de Dieu qu'il le portât à
délivrer Jean. Ils me touchèrent beaucoup par leur grand attachement
pour leur maître Jésus les consola : je ne me souviens plus de ses
paroles, mais il vanta encore Jean comme un homme de la plus haute
sainteté. J'entendis ensuite ces disciples demander à ceux de Jésus
pourquoi il ne baptisait pas lui-même quand leur maître s'était tant
fatigué a administrer le baptême. Ils répondirent à peu près que Jean
avait baptisé parce qu'il était le Baptiseur, et que Jésus guérissait
parce qu'il était le Sauveur. Jean, en effet, n'avait pas opéré de
guérisons. Il vint aussi a Jésus des Scribes de Nazareth, qui lui firent
beaucoup de politesses et l'engagèrent à visiter de nouveau Nazareth, sa
patrie : ils semblaient vouloir s'excuser de ce qui s'y était passé.
Jésus leur répondit que nul prophète n'était en honneur dans son pays et
il leur dit d'autres choses qui se rapportaient à cette maxime. Il alla
ensuite à la synagogue : il y fit un discours ou '1 enseigna jusqu'à la
clôture du sabbat . Il s'y trouvait un aveugle qu'il guérit en sortant.
Il revint encore chez
Pierre pour le repas : Marie de Cléophas était si bien remise qu'elle
put servir à table avec les autres C'est la femme de Pierre qui tient le
ménage dans cette maison située à la porte de la ville dans l'autre
maison près du lac, c'est sa belle-mère et sa belle-fille. Après cela,
Jésus se retira à l'écart pour prier : il permit, sur leur demande, aux
disciples qui étaient pêcheurs de profession, d'aller à leurs barques et
de pêcher pendant la nuit : car on avait grand besoin de poisson pour
nourrir l'immense quantité d'étrangers qui étaient venus : en outre, il
y avait toujours là bien des gens qui voulaient passer le lac
(Dimanche 1er décembre.)
Les disciples dont il vient d'être parlé passèrent toute la matinée
à pêcher, et ce matin ils conduisirent en outre quelques personnes de
l'autre cote du lac : Jésus, avec les disciples restés prés de lui,
s'occupa de distribuer des aumônes à ceux des malades guéris qui étaient
pauvres, et à d'autres voyageurs nécessiteux. Il enseignait en même
temps, et remettait lui-même à chacun ce dont il avait besoin, avec des
consolations et des avis. On distribua des vêtements, des étoffes, des
couvertures, du pain et même de l'argent. Les saintes femmes donnèrent
de leurs provisions, et le reste fut fourni par des personnes riches et
bienfaisantes. Les disciples portaient les vêtements et les pains dans
des corbeilles, et en faisaient la répartition suivant les ordres de
Jésus.
Dans l'après-midi, il
enseigna près de l'endroit ou Pierre amarrait ses barques, au milieu
d'une foule extraordinairement nombreuse. Les embarcations de Pierre et
de Zébédée se tenaient à peu de distance de la terre, et les disciples
pêcheurs étaient sur le rivage assez loin de la foule, occupés à
nettoyer leurs filets. Le petit navire de Jésus était dans le voisinage
des grandes embarcations ; mais lorsque la presse devint trop grande,
car il y a peu de place sur le rivage, a cause des rochers escarpés qui
s'élèvent à peu de distance, Jésus fit un signe aux pêcheurs, et ils
amenèrent sa barque près du bord Pendant ce temps, un Scribe de
Nazareth, qui était venu avec les malades guéris hier par Jésus,
s'approcha de lui et lui dit : " Maître, je vous suivrai partout où vous
irez ! " Jésus lui répondit : " Les renards ont leurs tanières et les
oiseaux du ciel leurs nids : mais le fils de l'homme n'a pas ou reposer
sa tête ".
Alors la barque s'approcha
: il y monta avec quelques disciples qui l'éloignèrent un peu de terre
et le conduisirent tantôt à un endroit, tantôt à un autre : Jésus
enseigna les auditeurs qui étaient sur le rivage, et il leur raconta
plusieurs paraboles touchant le royaume de Dieu, entre autres celle où
le royaume des cieux est comparé à un filet jeté dans la mer, et celle
de l'ivraie semée au milieu du froment.
Comme le soir était proche,
Jésus dit à Pierre de gagner le large et de jeter ses filets pour la
pêche. Pierre répondit d'un ton un peu découragé : " Nous avons
travaillé toute la nuit et nous n'avons rien pris cependant je jetterai
les filets sur votre parole ". Ils prirent alors leurs filets sur leurs
barques et allèrent au large. Jésus congédia le peuple, et sa barque,
sur laquelle étaient Saturnin, le fils de Véronique, qui était arrivé la
veille, et quelques autres disciples, suivit la barque de Pierre. Il
leur expliqua encore les paraboles, et lorsqu'ils furent au large, il
leur dit ou ils devaient jeter leurs flets. Puis il s'éloigna dans sa
barque, et alla prendre terre à l'endroit du rivage le plus voisin de la
maison de Matthieu.
Pendant ce temps la nuit
était venue. Des flambeaux étaient allumés au bord des navires,
vis-à-vis des filets. Les pêcheurs jetèrent les filets dans un endroit
profond, et ils se dirigèrent vers Chorozaïn : mais ils ne purent pas
les retirer. Lorsqu'enfin ? à force de rames, ils les eurent fait
arriver sur un bas-fond, ils se trouvèrent tellement chargés, qu'ils
rompaient par endroits. Ils entrèrent alors avec de petits canots dans
l'enceinte des filets, prirent les poissons à la main, les mirent dans
des filets plus petits et dans des caisses qui surnageaient attachées
près des navires, puis ils hélèrent la barque de Zébédée qui les aida
dans leur travail.
Ils étaient tout stupéfaits de cette pêche : car jamais ils n'en avaient
vu de semblable. Pierre était confondu . Il sentait que jusqu'alors ils
n'avaient pas eu pour Jésus tout le respect qui lui était dû : il
comprenait combien il était inutile de tant s'inquiéter de sa pêche, car
ils n'avaient rien pu faire en réunissant tous leurs efforts, et en
obéissant à sa parole ils avaient pris d'un seul coup de filet plus
qu'ils ne faisaient d'ordinaire en plusieurs mois. Quand le filet fut
allégé, ils le ramenèrent à terre, et furent encore stupéfaits de la
multitude de poissons qu'il contenait. Jésus était debout sur le rivage,
et Pierre, tout confus, se jeta à ses pieds et lui dit : " Seigneur,
retirez-vous de moi, parce que je suis un pécheur ". Mais Jésus répondit
: " Ne crains rien, Pierre ! à l'avenir, tu seras un pêcheur d'hommes ".
Pierre était profondément humilié en songeant à son indignité et à ses
vaines préoccupations des choses terrestres. Il était trois ou quatre
heures du matin, et le jour commençait à poindre.
(2 décembre.)
Lorsque les disciples eurent mis les poissons en lieu sûr, ils prirent
un peu de sommeil sur leurs barques : quant à Jésus, il partit seul avec
Saturnin et le fils de Véronique, et gravit à l'est le haut plateau à
l'autre bout duquel s'élève Gamala. Il se trouvait à une lieue à l'est
de la chaire du haut de laquelle il avait enseigné récemment. Il y a là
des collines et des bosquets de bois. Il donna à Saturnin et au fils de
Véronique des instructions sur la prière, et leur indiqua d'autres
points à méditer, puis il s'éloigna et s'enfonça dans la solitude. Pour
eux, ils s'entretinrent ensemble, s'assirent, se reposèrent, marchèrent
et prièrent.
Les disciples employèrent
la journée à transporter leur poisson. Une grande partie fut, sur le
lieu même, distribuée aux pauvres, et ils racontèrent à tout le monde ce
qui s'était passé. Ils en vendirent beaucoup aux païens de ce côté du
lac, et en portèrent beaucoup à Capharnaum et à Bethsaïde. Tous étaient
maintenant persuadés que leur sollicitude au sujet de leur subsistance
était insensée ; car, de même que la mer en fureur obéissait à Jésus, de
même aussi les poissons lui obéissaient et venaient se faire prendre à
son commandement.
Vers le soir, ils revinrent
aux atterrages de la rive orientale, et Jésus, accompagné des deux
disciples, se fit conduire par eux vers Capharnaüm. Il se rendit à la
maison de Pierre, devant la ville, et y guérit jusque assez avant dans
la nuit, à la lueur des torches plusieurs malades des deux sexes.
C'étaient des gens abandonnés de tous comme impurs, et qui n'osaient pas
se faire amener en public avec les autres. Il les guérit pendant la nuit
et sans témoins dans la cour de Pierre. Il s'en trouvait parmi eux qui
étaient séquestrés depuis des années et tombés dans le marasme.
Jésus passa le reste de la nuit en prières.
Je vis encore aujourd'hui
pourquoi la fille de Jaire devait retomber malade. Jaïre est un homme
tiède, indolent, qui, sans être mauvais, est tout à fait dépourvu de
zèle : il est âgé de trente-six ans, sa femme d'environ vingt-cinq ;
elle n'est pas pieuse, mais vaine et sensuelle. La fille est une enfant
délicate, débile, élevée dans des habitudes molles et recherchées : elle
est très faible pour son âge, car, quoiqu'elle ait bien onze ans, on la
prendrait pour une enfant de huit ans, surtout comparée aux autres
jeunes Juives. Ils ont pris très légèrement la guérison de leur fille et
ne se sont pas corrigés : leur péché principal est de manquer de retenue
en présence de cette enfant dans leurs paroles et leurs actions, et
d'avoir éveillé chez cette créature maladive des convoitises qui seront
pour elle la cause d'une rechute. Les parents de l'hémorroïsse sont
encore ici ; mais, comme elle vit conformément aux lois juives, ils
n'ont pas de rapports avec elle. C'est aussi pour cause d'impureté
légale qu'elle a quitté Panéas pour venir ici. Sa foi fait chaque jour
de nouveaux progrès.
CHAPITRE CINQUIÈME.
Prédications et
miracles de Jésus (suite).
Jésus prêche sur la
montagne de Bethsaide-Juliade. - Rechute de la fille de Jaire.
-Guérisons miraculeuses. -Jésus chasse les démons dans un troupeau de
porcs à Gergesa. -Premier envoi des Apôtres. -Jésus marche sur la mer ;
-il enseigne à Hukok, -à Bethanath, -à Elcesea, -à Kiriathaim, -à Abram.
(Du 3 au 31 décembre
1822. )
(3 décembre.) Ce
matin, Jésus s'embarqua sur le lac avec plusieurs disciples et prit
terre au nord de la maison de Matthieu. Déjà beaucoup de païens, de
malades guéris par lui et de nouveaux baptisés s'étaient rendus à la
montagne qui est à l'est de Bethsaïde-Juliade, sachant qu'il avait
l'intention de prêcher là : une partie des païens y avaient établi leur
campement. Les disciples qui étaient pêcheurs de profession et plusieurs
autres dont était Saturnin n'accompagnèrent pas Jésus dans cet endroit :
ils lui firent seulement passer le lac. Ils lui avaient demandé s'ils
devaient le suivre : car la pêche récente les avait délivrés de tout
souci touchant la nourriture : ils sentaient que tout pouvoir lui avait
été donné. Jésus leur répondit qu'ils devaient aujourd'hui donner le
baptême aux gens restés à Capharnaum qui ne l'avaient pas encore reçu et
consacrer le reste du temps aux occupations de leur métier : car il
fallait trouver de quoi nourrir la grande multitude d'hommes qui
affluait dans tout le pays.
Avant de s'embarquer, il
leur fit une instruction générale. Il leur donna un aperçu de tout ce
qu'il allait enseigner, leur parla des huit béatitudes, et leur dit
qu'il prêcherait longtemps sur ce sujet et célébrerait le sabbat dans
les intervalles de ses prédications. Il leur dit encore touchant
eux-mêmes qu'ils étaient le sel de la terre, qu'ils étaient choisis pour
fortifier et conserver les autres, et qu'ils ne devaient pas perdre leur
vertu. Il leur expliqua cela par des exemples et des paraboles, après
quoi il s'embarqua.
Les disciples et Saturnin
baptisèrent dans la vallée de Capharnaum. Le fils de la veuve de Naïm
fut baptisé : il reçut plus tard le nom de Martial : j'ai su pourquoi,
mais je ne m'en souviens plus. Saturnin lui imposa les mains. On baptisa
aussi un grand nombre d'hommes guéris récemment. Les saintes femmes
n'avaient pas suivi Jésus. Elles restèrent près de la veuve de Naïm et
fêtèrent avec elle le baptême de son fils.
Jésus avait avec lui le
fils de Simon, les neveux de Joseph d'Arimathie, qui étaient arrivés
hier de Jérusalem, Nathanaël qui avait fait une absence et plusieurs
autres disciples. Jésus arriva avec eux sur la montagne vers dix heures.
Quand on avait pris terre
sur la rive orientale du lac, au-dessous de l'embouchure du Jourdain, on
allait a l'est en montant toujours, puis quand on était arrivé sur la
hauteur, on revenait un peu au couchant pour gagner le lieu où devait se
faire l'instruction. On pouvait aussi arriver par le nord en passant le
Jourdain sur un pont. Mais le chemin qui menait sur la montagne de ce
côté n'était pas facile, parce que le sol était très accidenté et coupé
par des ravins. Bethsaïde Juliade est située à l'est du Jourdain, dans
l'angle qu'il forme avec le lac à son embouchure : le rivage est très
élevé au-dessus de l'eau et un chemin y passe : mais quand on veut
entrer dans la ville, ce n'est pas là qu'on débarque, et jusqu'à présent
Jésus a toujours fait le tour.
Sur la montagne il n'y
avait pas de chaire, mais un tertre entouré d'un terrassement, et
au-dessus duquel on avait tendu un pavillon pour Jésus. Au couchant et
.au sud-ouest, la vue s'étendait sur le lac et sur les montagnes de
l'autre côté : on voyait même le sommet du Thabor. Une grande multitude
d'hommes, surtout de paiens, dont la plupart étaient baptisés, était
campée tout autour : il s'y trouvait aussi des Juifs. Ils n'étaient pas
ici très rigoureusement séparés, parce que dans cette contrée il y avait
des rapports fréquents entre eux et que les païens y avaient le droit,
comme du reste il l'avaient en Judée depuis la domination romaine, de ne
plus être autant tenus à distance.
Jésus commença par
enseigner en général sur les huit béatitudes, puis il expliqua la
première : " Bienheureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux
est à eux ". Il allégua beaucoup d'exemples, raconta des paraboles et
parla aussi du Messie. Mais il traita surtout de la conversion des
paiens, cita le prophète Aggée et annonça l'accomplissement de ce qu'il
avait prédit de la consolation des Gentils, dans ce texte : " Je mettrai
les peuples en mouvement, et alors viendra pour eux la consolation "
(Aggée, II, 8.).
Il n'y eut pas de guérisons
aujourd'hui, car tous les malades avaient été guéris le jour précédant.
Les Pharisiens étaient venus dans une barque a eux et ils écoutèrent
pleins d'envie et de dépit. La foule avait apporté des aliments et on
mangeait pendant les pauses. Jésus et les disciples avaient aussi des
poissons, du pain, du miel et de petits vases avec une liqueur ou un
baume dont on versait quelques gouttes dans l'eau.
Vers le soir, les gens de
Capharnaum, de Bethsaïde et des autres endroits peu éloignés
retournèrent chez eux : des barques les attendaient sur le lac. Jésus et
ses disciples descendirent la montagne du côté du nord, se dirigeant
vers la vallée du Jourdain et s'arrêtèrent dans une hôtellerie de
bergers. Il donna encore des enseignements aux disciples pour les
préparer à leur destination future.
En ce qui touche le sermon
sur la montagne, j'ai été informée que Jésus enseignera pendant une
quinzaine de jours sur les huit béatitudes, et qu'il ira célébrer à
Capharnaum le sabbat qui se trouvera dans l'intervalle. Il ira aussi
dans la haute Galilée, où il enseignera pendant deux jours sur l'une des
béatitudes : il y dira beaucoup de choses sur les Prophètes, le royaume
de Dieu et le Messie. Les avis aux disciples continueront à leur être
donnés en particulier avant et après l'instruction. C'est ce qui a eu
lieu aujourd'hui quand il leur a dit : " Vous êtes le sel de la terre,
"et je crois que plus tard, il en sera de même à la synagogue a propos
du cinquième commandement : " Tu ne tueras point ". Je crois aussi que
la première multiplication des pains pour les cinq mille hommes viendra
à la suite de ces instructions. Il n'est pas étonnant que les aliments
aient fini par manquer, vu la multitude toujours croissante des gens à
nourrir. Ce qui est donné dans l'Evangile sous le nom de Sermon sur la
montagne, contient les points principaux et le résumé des instructions
données aux disciples. Mais il s'est passé beaucoup de temps et il s'est
fait beaucoup de choses dans les intervalles.
(4 décembre.)
Aujourd'hui, Jésus a continué son instruction sur la montagne, et il a
commencé par expliquer la seconde des huit béatitudes La sainte Vierge,
Marie de Cléophas, Maroni de Naïm et deux autres femmes étaient
présentes, ainsi que tous les apôtres. Les saintes femmes se retirèrent
les premières. Je vis Jésus retourner au bord du lac avec les apôtres et
les disciples : il leur parla de leur vocation : ("Vous êtes la lumière
du monde "), de la ville située sur la montagne, de la lumière sur le
chandelier et de l'accomplissement de la loi. Lorsqu'ils s'embarquèrent,
il resta en arrière avec deux disciples des moins connus, auxquels il
donna des instructions, puis il traversa le lac pour aller à Bethsaide
et s'arrêta dans la maison d'André. La mère de Dieu part demain pour
Cana avec Marie de Cléophas, Maroni de Naïm et le fils de celle-ci.
Jésus s'entretint encore avec elle et les saintes femmes avant leur
départ. On parla avec tristesse de la rechute de Madeleine, revenue à
ses égarements, et les femmes demandèrent si elles ne devaient pas lui
adresser un message. Mais Jésus répondit qu'il fallait prendre patience.
J'ai vu que la rechute de Madeleine a donné au démon un plus grand
pouvoir sur elle, et qu'elle a souvent des attaques de nerfs et des
convulsions. Satan lui livre des assauts plus violents, parce qu'il
prévoit qu'elle va lui échapper. Peut-être est-ce en cela que consiste
sa possession. Je crois que sa conversion définitive aura lieu bientôt,
pendant une instruction de Jésus, dans un endroit qui est tout au plus à
une journée de Magdalum.
(5 décembre. ) Jésus
continua aujourd'hui sur la montagne son instruction touchant la seconde
béatitude, et il expliqua en outre plusieurs passages des prophètes.
Marie est partie aujourd'hui pour Cana avec la veuve de Naïm et Marie de
Cléophas. Saturnin baptisa encore près de Capharnaüm avec quelques
autres disciples : il y avait, entre autres, plusieurs Juifs d'Achaïe
qui étaient venus pour recevoir le baptême. Leurs ancêtres s'étaient
réfugiés dans ce pays à l'époque de la captivité de Babylone. Les
disciples ont dressé aujourd'hui sur la montagne une tente séparée pour
Jésus. Je les y ai vus manger ensemble quelque chose. Ils ont apporté
cette tente de Bethsaïde-Juliade Cela me donna occasion de voir
l'intérieur de cette ville. (On y fabrique beaucoup de tentes et de
grandes couvertures grossières. C'est une jolie ville moderne, bâtie à
la façon des païens : il s'y trouve aussi des Juifs : ils sont éclairés
et d'humeur caustique. Il y a là une école où l'on enseigne toute espèce
de sciences. Jésus n'est pas allé à Bethsaïde, mais ses habitants sont
allés l'entendre prêcher : ils sont aussi allés à Capharnaüm, et c'est
là que leurs malades ont été guéris Bethsaïde a une belle situation dans
l'étroite vallée du Jourdain. Elle est bâtie en partie sur le penchant
de la hauteur qui est au levant, à une bonne demi lieue de l'endroit où
le Jourdain entre dans le lac. A une lieue au nord, il y a sur le fleuve
un pont massif en maçonnerie. Aujourd'hui, Jésus parla encore aux
disciples de leurs épreuves futures, de la persécution qu'ils auraient à
subir, etc. Il dormit sur le navire de Pierre.
Le jour de naissance
d'Hérode est proche, et par conséquent la décollation de Jean Baptiste.
Car j'ai vu faire à Machérunte des préparatifs pour la fête : on arrange
et on orne les salles : bons et mauvais voient venir la fête avec joie,
mais surtout Salomé, fille d'Hérodiade, qui prépare déjà avec d'autres
femmes des costumes de toute espèce, et qui répète les danses qu'elle
doit exécuter.
(6 décembre.) Le
matin, Jésus se rendit encore du rivage à la montagne, où il continua
l'explication des huit béatitudes. Je crois qu'arrivé à la quatrième, il
interrompra sa prédication et fera un voyage dans la haute Galilée. Du
bord du lac à l'endroit où il prêchait, il y avait à peu près aussi loin
que de Dulmen à Annenberg (une lieue et demie) : de là à Capharnaüm, la
distance était celle de Dulmen à Annenberg, près de Haltern (deux lieues
et demie).
Vers midi, je vis Jésus et
les disciples au milieu d'une grande foule à l'endroit où abordent les
barques près de chez Matthieu. Beaucoup de gens passaient de l'autre
côté du lac et je vis que dans la presse quelques femmes inconnues
affligées de pertes de sang touchèrent en secret son vêtement et furent
guéries. Il monta avec quelques disciples dans sa petite embarcation qui
fut attachée au navire de Pierre, car le temps était orageux. Dans la
barque de Jésus, il y avait place pour quinze ou vingt personnes tout au
plus. Le navire de Pierre avait de chaque côté trois ou quatre rameurs
placés au milieu ; à l'avant et à l'arrière il y avait un gouvernait, en
sorte qu'on n'avait pas besoin de virer. Pendant la tempête on abaissait
les voiles. Il y avait un vent violent, du tonnerre et de la pluie. A
cette époque de l'année, il y a souvent du brouillard dans les vallées
autour des hauteurs ; et il tombe du givre sur le versant septentrional
des montagnes pendant qu'il fait très beau sur le versant opposé : la
vallée du lac des bains, près de Béthulie, est encore charmante et
couverte de la plus belle verdure, ainsi que toute la contrée jusqu'au
Thabor.
Lorsque Jésus prit terre
près de la vallée de Capharnaüm, une grande foule de peuple s'y trouvait
déjà rassemblée et lui souhaita la bienvenue. Mais il se rendit à une
maison de Capharnaüm, qui se trouvait à main droite lorsqu'on entrait
par la porte qui est du côté de la vallée. Pierre l'avait louée pour
Jésus et les disciples. Elle était entourée d'une grande cour et quand
Jésus devait s'y rendre pour enseigner et pour guérir, Pierre faisait
ouvrir la porte et on laissait entrer les malades qui l'attendaient là.
Lorsqu'on sut que Jésus était dans cette maison avec ses disciples,
beaucoup de personnes se rassemblèrent autour de lui : il vint aussi des
Pharisiens et des Scribes, et toute la cour se remplit autour du
vestibule ouvert où Jésus enseignait, assis au milieu de ses disciples
et des docteurs de la loi. Beaucoup de malades avaient été guéris
antérieurement : plusieurs d'entre eux n'avaient fait que le toucher.
Lorsqu'il se fut assis pour
enseigner, il parla entre autres choses aux Pharisiens des deux
commandements : il leur reprocha de s'en tenir uniquement à la lettre et
il leur dit comme dans le sermon sur la montagne de l'Évangile : " Vous
avez entendu qu'il a été dit aux anciens : " Vous ne tuerez pas ". Et il
leur exposa ensuite sa doctrine sur le pardon des injures et l'amour des
ennemis. Ils étaient en pleine discussion quand on entendit du bruit sur
le toit de la salle : puis l'on vit descendre par l'ouverture ordinaire
de la toiture un paralytique couché dans son lit soutenu par des cordes
que faisaient mouvoir quatre hommes. Ils le déposèrent ainsi aux pieds
de Jésus, en criant : " Seigneur, ayez pitié d'un pauvre malade ". Les
gens qui le portaient avaient cherché inutilement depuis le commencement
à s'ouvrir un passage à travers la foule : ils avaient fini par le
hisser sur le toit à l'aide des degrés attenant au mur de la maison, ils
s'étaient procuré des cordes et l'avaient fait descendre par l'ouverture
qui était au haut de la salle. Il y eut alors une interruption soudaine,
tous les regards se portèrent sur le malade qu'on avait ainsi introduit
: les Pharisiens se scandalisèrent de ce qui leur semblait une
inconvenance, une témérité. Mais Jésus vit avec plaisir la foi de ces
gens, il s'avança et dit au malade incapable de mouvement : "
Consolez-vous, mon fils, vos péchés vous sont remis ". Ce langage était
toujours un sujet particulier de scandale pour les Pharisiens : et ils
se disaient intérieurement : " C'est un blasphème : qui peut remettre
les péchés si ce n'est Dieu " ? Et ils avaient le coeur plein de fiel et
de colère. Mais Jésus connaissait leurs pensées et il dit en face à
chacun d'eux ce qu'il avait dans l'esprit : il leur cita un passage
d'Isaïe que j'ai oublié, et il ajouta : " Pourquoi avez-vous dans le
coeur ces mauvaises pensées " ? Quel est le plus facile de dire à ce
paralytique : vos péchés vous sont remis : ou de lui dire : "
Levez-vous, prenez votre lit et marchez ? Mais pour que vous sachiez que
le Fils de l'homme a le pouvoir de remettre les péchés sur la terre, je
vous le dis (et ici il se retourna vers le paralytique), levez-vous,
prenez votre lit et retournez chez vous ! " Alors cet homme se leva
parfaitement guéri en leur présence, il roula son lit, fit un faisceau
des bâtons qui servaient à le porter, prit le tout sous son bras et sur
ses épaules, puis chantant un cantique d'actions de grâces, il sortit
accompagné de ses amis au milieu des acclamations joyeuses de la
multitude. Pendant ce temps, les Pharisiens pleins de rage s'étaient
retires les uns après les autres et Jésus resta seul avec les siens au
milieu du peuple. Il parla encore quelque temps et quand le sabbat
commença il se rendit à la synagogue, accompagné de la foule. Le
paralytique guéri avait sa demeure dans un groupe de maisons isolées,
voisin de Capharnaüm. A la synagogue Jésus lut et commenta l'histoire de
Joseph, expliquant les songes dans sa prison en Égypte, et celle du
jugement de Salomon. (Genèse, XLI, 1.-- III Reg. XVI, 28.) Il continua
aussi en partie le sermon sur la montagne. Tout se passa assez
tranquillement.
Jaïre, le chef de la
synagogue, était présent : il était fort triste et dévoré de remords.
Lorsqu'il avait quitté sa maison, il y avait encore laissé sa fille
mourante et menacée cette fois d'une mort plus terrible : car elle était
le châtiment de ses péchés et de ceux de ses parents. La fièvre l'avait
déjà reprise le jour du sabbat précédent. Sa mère, la soeur de celle-ci
et la mère de Jaïre, qui habitaient ensemble la maison, avaient, aussi
bien que la jeune fille elle-même, pris avec beaucoup de légèreté la
guérison opérée par Jésus : elles ne s'étaient pas montrées
reconnaissantes et ne s'étaient pas amendées. Jaïre avait de la piété,
mais il était tiède, inconsistant et gouverné par sa femme qui était
belle et vaine : il avait laissé les choses aller au gré de celle-ci.
Les femmes de la maison étaient fort mondaines et très occupées à se
parer comme les païennes, suivant les modes les plus nouvelles. Lorsque
la jeune fille eut été rendue à la vie, ces femmes se mirent à ricaner
et à se moquer de Jésus, et elle-même les imita. Elle était dans sa
onzième année et presque nubile. Jusqu'alors elle avait conservé son
innocence, mais plus tard le peu de retenue de ses parents en sa
présence, les festins donnés après sa guérison et où elle avait figuré
avec de riches parures, les visites fréquentes de quelques jeunes gens
qui lui faisaient la cour, ainsi que les familiarités, les oeillades et
les désirs immodestes dont elles avaient été l'occasion, tout cela avait
porte atteinte à sa pureté. Elle fut prise d'une fièvre brûlante
accompagnée d'une soif ardente, et dans la dernière semaine elle en
était arrivée à un état de délire continuel. Elle parlait et se
lamentait sans cesse de ce que ses galants la faisaient tant souffrir.
Ainsi elle était aujourd'hui presque mourante ; ses parents, chacun de
son côté, avaient deviné que c'était une punition de leur légèreté
depuis le commencement de la semaine, enfin ils se l'étaient avoué
mutuellement et la mère était si honteuse et tellement bouleversée
qu'elle dit elle-même à Jaïre : " Est-ce que Jésus aura encore une fois
pitié de nous " ? Puis elle engagea son mari à adresser de nouveau au
Sauveur une humble requête. Mais Jaïre avait honte de se présenter
devant lui et il attendit jusqu'après l'instruction du sabbat : car il
croyait fermement que Jésus pourrait lui venir en aide en tout temps
s'il le voulait : peut-être aussi n'osait-il pas venir l'implorer encore
en plein jour devant tout le monde.
Lorsque Jésus sortit de la
synagogue, une foule nombreuse se pressa autour de lui. Il y avait là
beaucoup de gens et de malades qui voulaient lui parler. Jaïre
s'approcha, se prosterna devant lui plein d'affliction et le supplia
d'avoir encore une fois pitié de sa fille qu'il avait laissée mourante.
Jésus lui promit d'aller avec lui. Mais il vint de la maison de Jaïre un
homme que lui envoyait sa femme, parce qu'il tardait longtemps à
revenir, ce qui avait fait croire à celle-ci que Jésus refusait de
l'accompagner : le messager annonça que la jeune fille venait de mourir.
Mais Jésus consola Jaïre et l'exhorta à avoir confiance.
Il faisait déjà nuit : les
disciples de Jésus, ses amis et les Pharisiens curieux d'entendre ce qui
se disait se pressaient en foule autour de lui. Or l'hémorroïsse s'était
glissée dans les rangs du peuple à la faveur des ténèbres : ses
suivantes l'avaient amenée en la soutenant sous les bras. Elle demeurait
assez près de la synagogue. Des femmes affligées de la même maladie
quoique non pas au même degré, avaient été guéries aujourd'hui même en
touchant la robe de Jésus, au milieu de la foule qui l'entourait
lorsqu'il s'était embarqué ; ces femmes s'étaient entretenues avec elle
et une foi vive s'était éveillée en elle. Elle espérait à la faveur de
l'obscurité pouvoir le toucher sans être vue, en se glissant parmi les
gens qui sortaient de la synagogue en même temps que lui. Jésus savait
ce qu'elle avait dans l'esprit, et tout en parlant, il ralentit un peu
sa marche. Alors elle fut amenée tout près de lui : sa fille, ainsi que
Léa, l'autre femme et l'oncle de son mari se trouvaient dans son
voisinage. Elle se mit à genoux, puis s'appuyant sur une main, elle
toucha de l'autre à travers la foule l'extrémité de la robe de Jésus, et
se sentit aussitôt guérie. Cependant Jésus s'arrêta, se tourna vers ses
disciples et dit : " Qui m'a touché " ? Pierre et les autres lui
répondirent : "Vous demandez qui vous a touché ? Vous voyez bien que la
foule vous entoure et vous presse de tous les côtés ? "Mais Jésus reprit
: " Quelqu'un m'a touché, car j'ai senti qu'une vertu sortait de moi.
"Alors il regarda autour de lui et comme il s'était fait un peu de vide,
la femme ne put plus rester cachée : elle s'approcha timide et
craintive, se jeta à ses pieds, avoua devant tout le peuple ce qu'elle
avait fait, et dit qu'après avoir si longtemps souffert de sa perte de
sang, elle se croyait guérie par cet attouchement : après quoi elle le
pria de lui pardonner. Alors Jésus lui répondit : " Ayez confiance, ma
fille, votre foi vous a secouru, allez en paix et soyez délivrée de vos
souffrances ".
Elle est âgée de trente et
quelques années, grande, mais très maigre et très pâle. Elle s'appelle
Enoué. Son mari défunt était Juif : elle n'a qu'une fille, élevée chez
un oncle qui est venu ici pour recevoir le baptême, en compagnie de
cette fille et d'une belle-soeur, nommée Léa, dont le mari est du nombre
des Pharisiens ennemis de Jésus. Enoué, devenue veuve, a voulu
contracter une alliance qui a paru trop peu relevée à sa famille,
composée de gens très riches qui s'y sont opposés. Dans ces
circonstances, sa conduite n'est pas restée sans reproche : c'est pour
cela aussi qu'elle a quitté son pays pour venir à Capharnaum.
Cependant Jésus hâta le pas
pour se rendre à la maison de Jaïre. Il avait avec lui Pierre, Jacques,
Jean, Saturnin et Matthieu. Le vestibule était rempli de nouveau de gens
qui se lamentaient et pleuraient : mais à présent ils ne se moquaient
plus. Cette fois Jésus ne dit pas : " Elle n'est qu'endormie ". Il passa
à travers tout ce monde : la mère de Jaïre, sa femme et la soeur de
celle-ci vinrent à sa rencontre en habits de deuil, versant des larmes
et timides dans leur contenance. Jésus laissa Saturnin et Matthieu dans
le vestibule, et il entra dans la chambre où la morte était couchée,
accompagne de Pierre, De Jacques, de Jean, du père, de la mère et de la
grand mère. C'était une pièce différente de la petite chambre où elle
était la première fois. Celle ci était située derrière le foyer. Jésus
tenait une petite branche qu'il avait fait prendre dans le jardin et il
se fit apporter un bassin plein d'eau qu'il bénit. Le corps était tout à
fait raide et l'aspect en était plus déplaisant que l'autre fois. Alors
j'avais vu l'âme se tenir tout près du corps dans une sphère lumineuse,
cette fois je ne vis pas cela. Jésus avait dit : " Elle dort ", cette
fois il ne dit rien de pareil. Elle était morte. Il fit sur elle avec la
petite branche une aspersion d'eau bénite, il pria, puis il la prit par
la main et dit : " Jeune fille, je te le commande, lève-toi ! "
Pendant qu'il priait, je
vis l'âme de la morte dans un globe ténébreux s'approcher de sa bouche
et y entrer. Elle ouvrit les yeux, suivit la main de Jésus qui
l'attirait à lui, se redressa et descendit de sa couche : alors il la
remit à ses parents qui la reçurent en sanglotant et en versant des
larmes abondantes, et tombèrent aux pieds de Jésus. Il dit qu'il fallait
lui donner quelque chose à manger, particulièrement du raisin et du
pain. On fit comme il avait dit. Elle mangea et parla et Jésus donna de
graves avertissements à ses parents : il les exhorta à recevoir avec
reconnaissance la grâce que Dieu leur faisait, à renoncer entièrement
aux vanités et aux plaisirs du monde, à entrer dans les voies de la
pénitence qui leur était prêchée, et enfin à cesser d'élever pour la
mort leur enfant revenue à la vie une seconde fois. Il leur reprocha la
manière dont ils s'étaient comportés, la légèreté avec laquelle ils
avaient accueilli la première grâce, leur rappela ce qu'ils avaient fait
après l'avoir reçue et comment dans un si court espace de temps la jeune
fille s'était exposée à une mort bien plus terrible, à la mort de l'âme.
La jeune fille fut vivement touchée et versa des larmes : Jésus lui
recommanda de se tenir en garde contre la convoitise des yeux et le
péché : lorsqu'elle eut mangé du raisin et du pain qu'il avait bénits
pour elle, il lui dit qu'à l'avenir elle ne devait plus vivre selon la
chair, mais se nourrir du pain de vie, de la parole de Dieu, faire
pénitence, croire, prier et faire des oeuvres saintes. Les parents
furent très émus et un grand changement s'opéra en eux : le père promit
de renoncer à tout pour suivre Jésus : la femme aussi et tous les autres
assistants promirent de se corriger, pleurèrent et remercièrent. Jaïre
est entièrement transformé ; il a sur-le-champ donné aux pauvres une
grande partie de ses biens. Sa fille s'appelait Salomé.
Beaucoup de gens s'étaient
rassemblés devant la maison, et Jésus dit à Jaïre qu'ils devaient
s'abstenir de faire du bruit et de tenir des propos inutiles au sujet de
ce qui s'était passé. Il parlait très souvent ainsi aux gens qu'il avait
guéris et cela pour divers motifs. C'était surtout parce que les
discours sans fin où l'on tirait vanité de la grâce qu'on avait reçue,
dissipaient l'émotion intérieure et empêchaient de méditer sur la
miséricorde de Dieu. Il désirait que ceux qui avaient été guéris se
tinssent dans le recueillement et pensassent aux moyens de devenir
meilleurs au lieu de courir de côté et d'autre et de n'user que pour
leur divertissement, de la vie et la santé qui leur avaient été rendues,
ce qui les exposait à tomber facilement dans le péché. Souvent aussi son
but était de faire voir aux disciples qu'ils devaient toujours éviter la
vaine gloire et qu'il ne fallait jamais faire le bien que par charité et
en vue de Dieu. Quelquefois aussi c'était pour ne pas augmenter le
nombre des curieux et des importuns, et pour ne pas attirer des malades
qui n'étaient pas poussés vers lui par l'impulsion intérieure de la foi,
car plusieurs venaient pour faire une expérience, et ils retombaient
ensuite dans le péché et la maladie, ainsi qu'il était arrivé pour la
fille de Jaïre.
Jésus accompagné des cinq
disciples sortit de chez Jaire par une porte de derrière, afin d'éviter
la foule rassemblée devant la maison. La première guérison de la jeune
fille avait eu lieu peu après midi : celle d'aujourd'hui fut opérée
après la clôture du sabbat, à la lueur des lampes. La maison de Jaïre
était au nord de la ville et Jésus prit la direction du nord-ouest vers
le mur d'enceinte. Mais deux aveugles avec leurs conducteurs s'étaient
mis à sa recherche. Il semblait qu'ils l'eussent senti, car ils le
suivaient de près et criaient : " Jésus, Fils de David, ayez pitié de
nous ". Cependant Jésus entra dans la maison d'un homme avec lequel il
était en relations : elle faisait corps avec la muraille et il y avait
de l'autre côté une issue pour sortir de la ville. Les disciples y
entraient souvent. L'homme qui y habitait faisait l'office de gardien
pour cette partie de la ville. Les aveugles entrèrent après lui dans la
maison en répétant : " Ayez pitié de nous, Fils de David ". Jésus se
retourna vers eux et leur dit : " Croyez-vous que je puisse faire ce que
vous me demandez ? ", " Oui, Seigneur " répondirent-ils. Il tira alors
un flacon de son sein : je crois qu'il y avait dedans du baume ou de
l'huile, et il en versa dans une petite soucoupe de la grandeur d'un écu
qui était de couleur brune et peu profonde. Il la plaça dans la paume de
sa main gauche, y mit un peu de terre qu'il remua avec le pouce et
l'index de la main droite, puis il toucha les yeux des aveugles et dit :
" Qu'il vous soit fait selon votre désir ". Alors ils ouvrirent les yeux
et ils virent : après quoi ils se mirent à genoux pour le remercier, et
Jésus dit encore à ceux-ci qu'il ne fallait pas ébruiter la chose. Il
leur dit cela cette fois pour qu'on ne vînt pas le poursuivre ici, et
particulièrement pour ne pas redoubler l'irritation des Pharisiens. Mais
les cris des aveugles pendant qu'ils le suivaient avaient déjà trahi sa
présence dans cet endroit et, en s'en retournant, ils ne cessaient de
parler de leur bonne fortune. Alors la foule arriva de nouveau.
Jésus avait à peine le temps de se reposer un peu, lorsqu'arrivèrent
plusieurs de ses parents éloignés du cote de sainte Anne, qui habitaient
les environs de Séphoris ; ils amenaient un homme possédé par un démon
muet ; ils lui avaient lié les mains et ils le traînèrent de force dans
la maison avec des cordes passées autour de son corps. On l'avait ainsi
attaché, parce qu'il était tout à fait furieux et effrayant, et que
d'ailleurs il était sujet à se mettre dans un état de nudité complète ;
c'était un Pharisien membre de la commission chargée d'espionner Jésus :
il s'appelait Joas, et il avait été l'un de ceux avec lesquels Jésus
avait disputé le 16 août (23 du mois d'Ob), dans l'école isolée située
entre Séphoris et Nazareth (voir tome II, p. 241). Le démon s'était
emparé de lui, il y avait environ quinze jours, lorsque Jésus était
revenu de Naim. Alors, contrairement à sa conviction intérieure, et
uniquement pour complaire aux autres pharisiens, il s'était associé à
leurs blasphèmes contre Jésus, répétant après eux qu'il errait dans le
pays comme un insensé et qu'il était certainement possédé du démon.
Jésus avait disputé avec lui sur le divorce, près de Séphoris. Il était
coupable de péchés d'impureté. Lorsqu'il entra, il était comme hors de
lui, et il se précipita sur Jésus comme s'il eut voulu lui cracher au
visage. Mais Jésus lui fit un signe de la main qui le fit s'arrêter
court, et il ordonna au démon de sortir. Alors cet homme fut pris de
mouvements convulsifs : je vis une vapeur noire sortir de la bouche, et
il tomba à genoux devant Jésus ; lui avoua ses péchés et en demanda le
pardon. Jésus lui pardonna. et lui imposa pour pénitence un certain
nombre de jeûnes et d'aumônes : il dut aussi s'abstenir pendant un temps
assez long de plusieurs aliments, par exemple d'ail, dont les Juifs
mangent beaucoup. L'étonnement fut très grand parmi les assistants, car
on regardait comme très difficile de chasser les démons muets, et les
Pharisiens s'étaient déjà donné beaucoup de peine pour le délivrer. Si
ses compatriotes de Nazareth n'étaient pas venus et ne l'avaient pas
amené à Jésus, il ne se serait jamais présenté devant lui. Les
Pharisiens furent très irrités qu'un des leurs eût été guéri par lui, et
qu'il eût confessé publiquement son péché, auquel ils avaient participé.
Lorsqu'il se fut retiré, le bruit de sa délivrance se répandit dans
Capharnaum : on disait qu'un semblable prodige ne s'était jamais vu dans
Israël ; mais lés Pharisiens étaient transportés de rage et disaient : "
Il chasse les démons par le prince des démons ". Jésus sortit de la
maison avec les disciples par la porte de derrière, et il longea
extérieurement le côté occidental de la ville jusqu'à la maison de
Pierre, où il prit quelque nourriture et passa la nuit.
(7 décembre.) Dans
la matinée, un certain nombre de paiens et de Juifs furent baptisés à la
fontaine baptismale de la vallée qui est devant Capharnaüm ; puis Jésus
enseigna dans la synagogue. Il visita ensuite le centurion Cornélius,
instruisit et fortifia dans la foi tous les gens de sa maison. Il alla
aussi chez Jaïre, où il donna des encouragements et des avis à la
famille, spécialement à Salomé, la jeune fille ressuscitée. Je vis qu'il
la prit par la main pour la conduire devant ses parents, et qu'il lui
recommanda la vie retirée, l'obéissance, et surtout la chasteté et la
prière. Tout ce monde était maintenant sincèrement converti. Je vis
aussi que cette jeune fille sera mariée plus tard à un Scribe de
Nazareth qui est ici maintenant, et qu'après la mort de Jésus elle se
réunira à la communauté chrétienne à Jérusalem. Ce Scribe s'appelle
Sarazeth : il est du nombre de ceux qui sont venus de Nazareth avec des
malades guéris récemment : je crois qu'il a une alliance éloignée avec
la famille de Jésus.
Jésus enseigna encore et
opéra quelques guérisons dans une maison de la ville qui est près de la
porte. Il parla de Jean aux disciples et lui rendit témoignage comme il
l'avait déjà fait récemment ; il le vanta peut-être encore davantage,
dit qu'il était pur comme un ange, que rien d'impur n'était jamais entré
dans sa bouche, et qu'il n'en était jamais sorti rien de répréhensible
ni de mensonger. Comme on lui demandait si la vie de Jean se
prolongerait encore longtemps, Jésus répondit qu'il. mourrait quand son
heure viendrait, et que son heure n'était pas éloignée : que, du reste,
il s'expliquerait plus clairement une autre fois sur ce sujet. Les
disciples furent très attristés à cette nouvelle. Il leur dit encore
différentes choses qui se trouvent dans le sermon sur la montagne.
Il se rendit ensuite à la
synagogue pour y enseigner, et comme les Pharisiens sortirent avant la
fin, il parla à ses disciples de l'adultère, du serment et de la réponse
par oui et par non, comme on le voit dans l'Évangile, à l'endroit où est
rapporté le sermon sur la montagne (Matth. V, 31-38).
Cependant les Pharisiens
lui avaient encore tendu un piège. Il y avait dans un coin de la
synagogue un homme qui avait une main desséchée : il n'avait pas osé
paraître devant Jésus, et maintenant, quoique les Pharisiens se fussent
retirés, il avait encore peur d'eux. Les Pharisiens avaient reproché à
Jésus d'être venu ici en compagnie d'un publicain tel qu'était Matthieu,
et Jésus leur avait répondu, entre autres choses, qu'il était venu pour
consoler et convertir les pécheurs, et qu'il ne cherchait pas à avoir
des Pharisiens pour disciples. Or, ils revinrent à la synagogue et lui
dirent d'un ton railleur : " Maître, il y a ici un homme que vous
voudrez peut-être guérir ". Alors Jésus appela l'homme à la main
desséchée et lui dit de s'avancer au milieu de l'assemblée, puis il lui
dit : " Vos péchés vous sont remis ". Les Pharisiens méprisaient cet
homme qui ne jouissait pas d'une bonne réputation, et dirent : " Sa main
desséchée ne l'a pas empêché de pécher ". Mais Jésus lui prit la main,
dont il redressa les doigts, et lui dit : " tendez votre main ". Cet
homme étendit la main : il fut guéri et s'en alla, rendant des actions
de grâces. Jésus alors le justifia contre leurs calomnies, témoigna de
la compassion pour ses faiblesses ; et dit de lui qu'il avait le coeur
bon. Les Pharisiens furent couverts de confusion et outrés de dépit :
ils qualifièrent Jésus de profanateur du sabbat, dirent qu'ils
porteraient plainte contre lui, et se retirèrent. Il y avait dans le
voisinage de la synagogue des Hérodiens avec lesquels ils se
concertèrent pour lui tendre des pièges lors de la fête de Pâques à
Jérusalem, etc. Jésus mangea et dormit dans la maison de Pierre.
(8 décembre.) Ce
matin, on a baptisé : puis Jésus opéra quelques guérisons dans la maison
qui est à droite de la porte de la ville ; il enseigna ensuite les
disciples devant tout le peuple touchant quelques points du sermon sur
la montagne. Il se trouvait là des femmes, entre autres Léa, belle-soeur
de l'hémorroïsse guérie. Son mari était un Pharisien, violent adversaire
de Jésus : quant à elle, il avait produit sur elle une vive impression.
Je la vis au commencement calme et triste, changer fréquemment de place
parmi le peuple, comme si elle eût cherché quelqu'un : mais ce n'était
que l'effet du mouvement intérieur qui la poussait à manifester
ouvertement sa vénération pour Jésus.
Dans l'après-midi, la mère
de Jésus revint de son voyage accompagnée de plusieurs des saintes
femmes. Elle ne paraît pas avoir célébré le sabbat à Cana, puisqu'elle
est déjà de retour ici. Elle avait avec elle Marthe, Suzanne de
Jérusalem, Dina la Samaritaine, et une autre Suzanne, fille d'Alphée et
de Marie de Cléophas, par conséquent soeur des apôtres. Celle-ci était
âgée d'une trentaine d'années : elle avait de grands enfants : son mari
habitait Nazareth où les saintes femmes l'avaient prise. Elle désirait
s'associer aux femmes chargées de subvenir aux besoins de Jésus et des
siens. Marie et ses compagnes entrèrent dans la cour qui est devant la
salle où enseignait Jésus. Dans sa prédication, il avait reproché aux
Pharisiens leurs fourberies et leur impureté, et comme il mêlait à cela
l'enseignement des huit béatitudes, il dit à ce propos : 0 Bienheureux
ceux qui ont le coeur pur, parce qu'ils verront Dieu. "Alors Léa, voyant
entrer Marie, ne put plus se contenir et dans une espèce d'enivrement de
joie, elle s'écria au milieu de la foule : " Plus heureuses encore "
(c'est ainsi que je l'ai entendu) " plus heureuses les entrailles qui
vous ont porté et les mamelles que vous avez sucées ! " Alors Jésus la
regarda tranquillement et dit : " Heureux plutôt ceux qui entendent la
parole de Dieu et qui la gardent ! "
Après cela Jésus continua à
enseigner. Léa s'approcha de Marie et la salua : elle lui raconta, toute
joyeuse, la guérison d'Enoué, veuve de son frère, et lui dit qu'elle
était décidée à donner tout son bien à la communauté : elle désirait que
Marie demandât à son fils de convertir son mari. C'était un Pharisien de
Panéas. Marie lui parla avec beaucoup de calme et d'abandon : elle
n'avait aucune connaissance de son acclamation : elle se retira ensuite
avec les saintes femmes.
NOTE
: Cette réponse de Jésus est une confirmation de l'acclamation de
Lea, car Jésus est lui-même la parole de Dieu. Le mot ·` entendre
équivaut à concevoir et à porter. Or c'est ce qu'a fait Marie.
"Garder · la parole, signifie aussi la nourrir et l'allaiter
maternellement. Du reste Anne Catherine n'a pas su cette fois Jésus
dire : " Qui est ma mère et qui sont mes frères ? " (Note du
pèlerin.)
Il y avait chez Marie une
simplicité qu'on ne peut exprimer. Devant le monde, Jésus ne lui donnait
d'autre témoignage de distinction que de la traiter avec déférence. Elle
ne s'empressait auprès de personne, sinon auprès des malades et des
ignorants, et elle se montrait toujours humble, recueillie, calme et
simple au delà de toute expression. Tous l'honorent, même les ennemis de
Jésus : pourtant elle ne recherche personne et elle n'aime que le
silence et la solitude.
Jésus alla ensuite,
accompagné d'une grande foule de peuple, à l'endroit où se tenaient les
navires de Pierre, et il enseigna en paraboles touchant le royaume de
Dieu. Il le compara d'abord à la semence qu'un homme jette en terre,
etc., puis au grain de sénevé, puis au levain dans la pâte. Il monta sur
son embarcation et il enseigna encore de là. Un Scribe de Nazareth,
appelé Saraseth, s'étant offert à le suivre partout où il irait, Jésus
lui dit : " Les renards ont leurs tanières, etc. "Cet homme était le
futur époux de Salomé, et après la mort de Jésus tous deux se réunirent
à la communauté chrétienne.
Outre ce Scribe, j'en vis
éconduire deux autres qui, pendant quelque temps, avaient suivi Jésus
comme disciples. L'un d'eux lui demanda s'il n'allait pas bientôt
prendre possession de son royaume. Il avait, disait-il, donné des
preuves suffisantes de sa mission : n'était-il pas temps qu'il s'assît
bientôt sur le trône de David,
Comme Jésus, l'ayant repris
à ce sujet, lui commandait de le suivre, il répondit qu'il voulait
auparavant aller prendre congé des siens. Là-dessus Jésus lui dit : "
Celui qui met la main à la charrue, etc. ', (Luc, IX, 62). Un troisième,
qui était déjà venu trouver Jésus prés de Séphoris, dit qu'il voulait
d'abord ensevelir son père. Jésus lui répondit : " Laissez les morts
ensevelir leurs morts ". Mais cela avait une signification particulière
dont je ne me souviens plus bien, car son père n'était pas mort
réellement ; je crois que c'était une manière de parler pour indiquer le
partage des biens et les mesures à prendre pour assurer la subsistance
du père.
Vers le soir, Jésus a
traversé le lac et beaucoup de gens ont été le rejoindre successivement.
Il parla encore en présence du peuple et ordonna à ses disciples de
distribuer tout ce qu'ils avaient de pain et de poissons. Il alla
ensuite dans la montagne avec les disciples et passa la nuit en prière
sous une tente ou dans une grotte près de Chorozaïn.
(9 décembre.) Jésus
a passé la nuit en prière avec deux disciples, sous une tente dressée
sur la montagne voisine de Chorozaïn. Le matin, il se réunit aux autres
disciples et se rendit sur la hauteur où il avait déjà fait une partie
du sermon sur la montagne. Il expliqua aujourd'hui la quatrième
béatitude et le passage d'Isaïe : "Voici mon serviteur que j'ai choisi,
mon bien-aimé en qui mon âme se complaît ! Je mettrai mon esprit sur lui
et il annoncera le jugement aux peuples " (Isaïe, XLII, 1, etc. ; voir
aussi Matth. XII, 17). Il y eut en outre plusieurs guérisons
remarquables que j'ai oubliées. La foule aujourd'hui était
extraordinairement nombreuse : il y avait entre autres une troupe de
soldats romains venus de diverses garnisons du pays. Ils avaient été
envoyés pour voir ce que faisait et enseignait Jésus et pour faire des
rapports à ce sujet. Diverses personnes avaient écrit à Rome de la Gaule
et d'autres provinces pour avoir des renseignements sur le prophète de
la Judée, parce que ce pays était sous la domination romaine : puis de
Rome, on s'était adressé à cet effet aux officiers qui tenaient garnison
dans la Palestine. Ceux-ci avaient donné commission aux gens qui étaient
sous leurs ordres · il y avait bien ici une centaine de soldats envoyés
à cet effet. Ils se tenaient là où ils pouvaient le mieux voir et le
mieux entendre.
Dans l'après-midi, Jésus,
accompagné des disciples, descendit dans la vallée qui est au midi de la
montagne et où il y avait une source. Cependant les autres disciples,
avec l'aide de Marthe, de Suzanne, de ses suivantes et des femmes de
Pierre, d'André, et, je crois aussi, de Jacques le Majeur, avaient
préparé là un repas consistant en pain et en poissons. La foule campait
sur la pente, et les divers groupes envoyaient quelqu'un chercher des
aliments, à l'exception de ceux qui avaient apporté avec eux de quoi se
nourrir, et ceux-là étaient en grand nombre. Les pains et les poissons
étaient dans des corbeilles sur une terrasse gazonnée. Jésus bénit
toutes les corbeilles et fit lui-même la distribution avec les
disciples. Il me sembla que les aliments n'étaient pas, à beaucoup près,
en quantité suffisante : cependant tous ceux qui en avaient besoin en
reçurent. J'entendis qu'on disait dans le peuple : "Cela se multiplie
entre ses mains. "Les soldats romains demandèrent aux disciples quelques
morceaux des pains bénits par Jésus pour les envoyer à Rome en
témoignage de ce qu'il avaient vu et entendu. Jésus ordonna de leur
donner de ce qui resterait : et il se trouva assez de pains pour en
donner aux plus considérables d'entre eux qui les conservèrent
soigneusement et les emportèrent avec eux.
Cependant Jésus quitta ce
lieu, accompagné des apôtres et de quelques autres disciples, et il se
rapprocha davantage du lac. Pendant les derniers jours, il les avait
souvent préparés à leur mission, notamment dans les intervalles de ses
prédications publiques et de ses discours sur la montagne, en cheminant,
pendant les traversées, et quand il était seul avec eux. Hier déjà, dans
la maison de Capharnaüm, il leur avait dit que la moisson était
considérable, qu'il y avait peu d'ouvriers dans la vigne, et qu'il
voulait les y envoyer. Cette fois, se trouvant dans un endroit écarté,
sur une belle pelouse verdoyante, il rangea ensemble les douze apôtres
suivant la désignation qui se trouve dans l'Évangile ; il donna à Simon
le nom de Pierre, à Jacques et à Jean celui d'Enfants du tonnerre, puis
il leur donna des instructions sur la manière dont ils devraient se
comporter, maintenant qu'ils allaient commencer à guérir et à chasser
les démons en son nom. Il leur tint un discours touchant, ne leur dit
rien qui pût les effrayer, mais leur promit d'être toujours là pour les
assister, et de tout partager avec eux. Il donna pouvoir aux douze
apôtres pour guérir et pour chasser les démons, et aux autres disciples
présents pour baptiser et imposer les mains. Il leur conféra ces
pouvoirs en leur donnant une bénédiction ils pleurèrent tous, et Jésus
lui-même était très ému. Il leur dit en finissant qu'il y avait encore
beaucoup de choses à régler, et qu'ils iraient bientôt à Jérusalem,
parce que le temps de l'accomplissement était proche. Comme ils disaient
tous avec un grand enthousiasme qu'ils voulaient faire tout ce qu'il
leur commanderait et lui être fidèles en toutes choses, il répondit
qu'il se passerait encore par la suite des choses tristes et pénibles,
et que le mal se produirait même parmi eux. Il faisait allusion à Judas.
Tout en poursuivant ces entretiens, ils arrivèrent près du navire et
s'embarquèrent. Jésus les douze apôtres et cinq autres disciples, dont
était Saturnin, passèrent en vue d'Hippos, qui est environ à une lieue
plus au midi, et prirent terre près d'un petit endroit appelé Magdala,
qui est situé tout près du lac, un peu plus au nord que cette gorge
sombre et couverte de brouillard, dans laquelle se décharge le marais
voisin de Gergesa.
Ce village de Magdala n'est
pas plus grand que Haus-Dulmen (un hameau voisin de Dulmen). Il est
adossé à un promontoire qui s'avance dans le lac, de façon à ne voir le
soleil que de midi à son coucher L'atmosphère est humide et chargée de
brouillard ; surtout dans la gorge de montagnes qui est tout près de là.
Ils n'arrivèrent pas directement au bourg : la barque de Pierre resta
contre un banc de sable séparé du rivage par un pont. Lorsqu'ils prirent
terre, plusieurs possédés accoururent poussant des cris, demandant à
Jésus ce qu'il venait faire là, et le priant de les laisser en repos :
pourtant ils étaient venus d'eux-mêmes. Il les délivra, et après l'avoir
remercié, ils entrèrent dans le bourg, d'où sortirent des gens qui
amenaient d'autres possédés. Pierre, André, Jean, Jacques et les cousins
de Jésus allèrent avec eux et guérirent un certain nombre de malades et
de possédés, parmi lesquels étaient des femmes convulsionnaires. Ils
chassèrent les démons et commandèrent aux maladies de se retirer au nom
de Jésus de Nazareth. J'entendis quelques-uns d'entre eux ajouter :
"auquel la tempête et la mer obéissent ", ou faire allusion à quelque
miracle du même genre. Plusieurs de ceux qu'ils avaient guéris allèrent
trouver Jésus et écoutèrent ses exhortations et ses instructions. Il
leur expliqua, ainsi qu'aux disciples, pourquoi il y avait tant de
possessions dans cet endroit. Les habitants étaient très adonnés à leurs
passions et uniquement préoccupés des choses de cette vie. Parmi ces
possédés, il y en avait plusieurs de Gergesa, qui était située sur la
hauteur, à une lieue plus à l'est. Ils erraient çà et là dans la
campagne environnante. Il y a dans cette contrée montueuse et accidentée
beaucoup de cavernes Ou ils se tenaient. Jésus opéra ensuite des
guérisons à la chute du jour. Il dormit sur le navire ainsi que les
disciples.
Dans la matinée, Jésus alla
à l'entrée de Magdala et y opéra des guérisons : les apôtres en
opérèrent dans le village même. Il gravit alors la hauteur située au
levant, où deux jeunes possédés qui appartenaient à des familles
considérables de Gergesa, vinrent à sa rencontre. Ils n'étaient pas
encore dans un état de fureur continuelle, ils avaient seulement des
accès fréquents. Ils ne pouvaient tenir en place et rodaient de tous les
côtés. Ils étaient déjà venus le trouver antérieurement, lorsque, ayant
quitté Tarichée et traversé le Jourdain, il avait passé près de Gergesa
en suivant la vallée du fleuve Hiéromax ; ils avaient alors demandé à
devenir ses disciples et il les avait éconduits. Cette fois il les
délivra, et ils lui demandèrent de nouveau à le suivre. Ils lui dirent
que les possédés des environs de Gergesa, l'avaient alors prié de venir
guérir, sur quoi il leur avait répondu qu'il viendrait en temps
opportun, avaient été mis aux fers depuis lors ; mais ils brisaient
toutes les chaînes et couraient furieux autour de la ville, répandant
partout la terreur. Eux-mêmes, disaient-ils, ne seraient pas tombés dans
ce malheureux état s'il les avait pris avec lui à cette époque. Mais il
leur répondit qu'en réalité cela ne leur serait pas arrivé s'ils
n'avaient pas péché et s'ils ne s'étaient pas laissés aller à
l'impureté. Il les exhorta à se convertir, et leur dit de retourner chez
eux et d'annoncer comment le salut leur était venu. Alors ils se
retirèrent. Or, pendant qu'il poursuivait son chemin, enseignant sa et
là des groupes d'hommes devant des maisons et des cabanes de bergers, il
vint encore des possédés et des maniaques qui, se montrant derrière des
haies et sur des tertres élevés, criaient et gesticulaient, lui disant
de ne pas aller plus loin et de les laisser en repos : mais il les
appela et les délivra, quoique plusieurs lui demandassent à grands cris
de ne pas les chasser dans l'abîme. Quelques-uns des apôtres opérèrent
des guérisons dans la campagne en imposant les mains aux malades, et ils
donnèrent rendez vous à ceux qui les entouraient sur la hauteur qui est
au midi au delà de Magdala.
Après le repas, je vis
Jésus enseigner ici en présence des disciples et devant une réunion
d'hommes très considérable : il les exhorta à la pénitence, parla de
l'approche du royaume de Dieu et leur reprocha leur attachement aux
biens de ce monde. Il parla de la valeur de l'âme, qui a un grand prix
devant Dieu, tandis que toutes les choses terrestres qu'un homme possède
n'en ont aucun. Autant que je pus le comprendre, il faisait allusion au
troupeau de pores qui devait bientôt se précipiter dans l'eau, car ces
gens l'invitèrent de nouveau à venir à Gergesa. Il Leur répondit qu'il
n'irait que trop tôt à leur gré, et qu'il ne serait pas précisément le
bienvenu pour eux. Ils lui dirent de ne pas s'y rendre en passant par le
ravin, parce que deux énergumènes qui avaient brisé toutes les chaînes
erraient tout nus de ce côté, parcourant les chemins et se cachant dans
les cavernes, et qu'ils avaient déjà étranglé des passants. Jésus
répondit qu'il irait précisément à cause d'eux, quand le temps serait
venu, car c'était pour les misérables qu'il était envoyé. Il prononça
aussi des paroles qui sont rapportées dans l'Evangile (Matth. XI, 20) à
l'endroit où il est dit que si Sodome et Gomorrhe avaient entendu et vu
ce qui se faisait ici en Galilée, elles se seraient converties.
Lorsqu'il voulut partir, ses auditeurs le prièrent de rester, disant
qu'ils n'avaient jamais entendu parler avec tant de charme, que c'était
comme si le soleil levant éclairait de ses rayons leur bourgade sombre
et brumeuse (il n'y pénètre jamais). Il fallait bien qu'il restât, car
il allait être nuit. Jésus répondit par une comparaison touchant la nuit
: il ne craignait pas cette nuit-là, mais eux devaient craindre de
rester dans les ténèbres éternelles, alors que la lumière de la parole
de Dieu était venue à eux. Il se retira ensuite sur la barque avec les
disciples, et ils firent mine de traverser le lac dans la direction de
Tibériade, mais bientôt ils revinrent à l'est et jetèrent l'ancre à une
lieue au midi du ravin : ils mangèrent et dormirent sur le navire.
Ce Magdala n'est ni une
forteresse, ni un château ; ce n'est qu'une bourgade insignifiante, plus
petite que Bethsaïde. On ne peut pas aller de là directement dans la
gorge, parce que l'une des parois de rochers qui la forment s'avance à
une grande distance dans le lac, et qu'elle est impraticable. Il n'y a
ici qu'un lieu d'abordage pour les barques : le village tire
principalement sa subsistance d'Hippos, où il y a beaucoup de commerce
et d'industrie. Il vient du levant à Hippos une route commerciale qui
passe devant Gergesa. On dit indistinctement sur les confins de Magdala
et sur les confins de Dalmanutha : ce dernier endroit est à deux
lieues au midi de l'autre, au delà de la gorge.
(11 décembre.) Cette
nuit, Jésus et les disciples ont dormi sur la barque de Pierre : le
matin il descendit à terre, et comme il marchait le long du rivage, il
vint à lui plusieurs démoniaques qu'il guérit en leur imposant les
mains. J'appris que ces gens, qui sont adonnés à toute espèce
d'affreuses pratiques magiques, s'y préparaient souvent en mangeant
d'une herbe qu'on trouve en abondance dans la gorge qui est près d'ici
et sur la pente des montagnes voisines : elle les enivrait et leur
faisait perdre la raison ; alors ils se livraient à toute espèce
d'impuretés et étaient pris de convulsions. Il y avait là une autre
herbe qui servait d'antidote, mais depuis quelque temps elle n'avait
plus de vertu, en sorte qu'ils restaient dans leur état misérable. La
contrée des Gergeséniens est un district long d'environ cinq lieues et
large d'une demi lieue, plus ou moins, qui a son histoire à part et qui
se distingue des pays voisins par le caractère de ses habitants, dont il
n'y a pas grand bien à dire. Il commence au midi, à partir du défilé qui
est entre Magdala et Dalmanutha, ce défilé compris, et renferme, outre
'a ville de Gergesa et celle de Gérasa, où il prend fin, une dizaine
d'endroits qui, pour la plupart, ne sont que des bourgades. Ils sont
disséminés sur une seule ligne tout du long de cet étroit district.
Derrière Gérasa il confine au territoire de Chorozaim et à une contrée
en grande partie déserte, qu'on appelle le pays de Zin. La frontière des
Gergeséniens, à l'est, est la longue arête de montagnes à l'extrémité
méridionale de laquelle s'élève la forteresse de Gamala ; au sud, c'est
le défilé, au couchant la rive du lac, sur laquelle sont situés
Dalmanutha, Magdala et Hippos, qui n'appartiennent pas à ce district, à
l'exception du défilé qui est au midi de Magdala. Au nord se trouve
Chorozain, situé sur la première terrasse de la rive orientale du lac,
qui occupe une étroite bande de terre au-dessous de Gamala. Il ne faut
pas confondre ce district des dix bourgades avec la Décapole ou district
des dix villes, qui s'étend au loin autour du premier et qui en est tout
à fait distinct.
J'ai eu une vision sur
l'histoire de cette contrée : je ne m'en rappelle que ce qui suit. Ces
dix villages appartinrent aux Israélites jusqu'à la guerre de Gédéon
contre les Madianites. Lors de cette guerre, ils ne voulurent pas
secourir Gédéon ; ils s'allièrent aux païens et Gédéon les abandonna.
Depuis ce temps les paiens y ont toujours eu la prépondérance, et ils
ont cruellement vexé et opprimé les Juifs.
Dans tous ces endroits on
élève une grande quantité de pourceaux, au grand scandale des Juifs qui
y habitent : tous ces troupeaux de plusieurs milliers de têtes vont
ensemble chercher leur pâture sur la hauteur qui domine la gorge au
nord, autour d'un grand marais verdâtre, et ils sont gardés par une
centaine de porchers païens commis à ce soin par les différents
propriétaires. Ils fouillent et se vautrent dans le marécage ; ils
courent en troupes parmi les buissons, le long de la paroi de rochers
escarpée, et on les entend de tous côtés crier et grogner. Le marais,
qui est situé à trois quarts de lieue au sud-est de Gergesa, au pied des
montagnes de Gamala, se décharge au midi dans la gorge, formant une
chute d'eau par-dessus un barrage de planches et de poutres qui arrête
le ruisseau supérieur et en fait un étang : l'eau se rend par cette
gorge à la mer de Galilée. Il y a sur le bord du marais, et aussi sur
les pentes de la gorge, plusieurs chênes d'une grosseur énorme. Toute
cette contrée n'est pas très fertile : on cultive la vigne dans quelques
endroits exposés au soleil. Il y croît aussi une espèce de roseau dont
on peut tirer du sucre : on envoie de ces roseaux au loin.'
Ce n'est pas tant
l'idolâtrie qui les met à un tel degré en la puissance du diable que
leur penchant invétéré pour la magie. Gergesa et les bourgades
environnantes sont remplies de sorciers et de sorcières de bas étage ;
ils se livrent à toute espèce de mauvaises pratiques où figurent des
chats, des chiens, des crapauds, des serpents et d'autres animaux. Ils
font apparaître de ces bêtes ; il semble qu'eux-mêmes prennent la figure
de ces animaux et rôdent de tous côtés pour nuire au bétail ou pour le
faire mourir. Je n'ai pas le souvenir distinct de ce qui m'a été
expliqué touchant leurs abominations ; je me souviens seulement que
c'était quelque chose comme des loups garous : ils nuisaient aux hommes,
même de loin, se vengeaient à longs intervalles de ceux qu'ils
n'aimaient pas, excitaient des ouragans soudains et des tempêtes sur le
lac. Les femmes préparaient des philtres qui donnaient la mort ou
produisaient des effets ignominieux : elles faisaient entrer comme
ingrédients dans ces breuvages les ordures les plus dégoûtantes. J'ai
toujours besoin de me faire violence pour parler de ces abominations
révoltantes de la sorcellerie ; j'aime mieux, dans ces occasions, dire
simplement qu'ils s'occupent de maléfices, de sortilèges, et s'adonnent
à toute espèce de mauvaises pratiques.
Des armées considérables
ont campé ici à plusieurs reprises : je ne me souviens plus bien des
époques. Je crois que cela a eu lieu, entre autres fois, un peu avant
l'époque de Jésus et plus tard après sa mort lors de la prise de Gamala
par Vespasien. Dans ces occasions, les gens du pays firent un si affreux
usage de leurs maléfices contre les soldats, que les généraux furent
obligés de faire venir un des derniers prophètes pour y porter remède.
Ils eurent aussi avec Balaam des rapports dont je ne me souviens plus
bien, mais à la suite desquels ils furent si rudement châtiés par deux
prophètes, que depuis lors ils ne pouvaient plus souffrir les prophètes,
et c'est pourquoi maintenant ils ne voulaient pas entendre parler de
Jésus. Aussi, jusqu'à présent, se sont-ils toujours tenus en dehors de
ses enseignements ; Satan s'était mis en possession de cette contrée de
temps immémorial, et il s'y trouvait un nombre incalculable de possédés,
de frénétiques et d'énergumènes.
Il était, je crois, environ
dix heures lorsque je vis Jésus, en compagnie de quelques disciples,
remonter le ruisseau dans la direction de la chute d'eau qui tombe dans
la gorge, sur un canot qui se trouvait toujours là à cet effet. Cette
voie était plus prompte que la voie de terre, une partie des disciples
étaient encore occupés à opérer des guérisons. Jésus ayant débarqué
monta par la paroi septentrionale de la gorge, et les disciples se
réunirent à lui successivement. Dans une région plus élevée, je vis,
pendant que Jésus approchait, courir de côté et d'autre deux énergumènes
tout nus, dont les cheveux épars volaient sur leurs épaules Ils se
frappaient avec de grosses pierres qu'ils se jetaient, et tantôt ils
entraient dans des tombeaux qui étaient en ce lieu, tantôt ils en
sortaient furieux et se jetaient à la tête des ossements de morts. Ils
poussaient des cris affreux, mais ils étaient comme retenus par une
force secrète : car ils ne s'enfuirent pas et même se rapprochèrent de
Jésus. s'étant arrêtés devant lui à quelque distance derrière des haies
et des pierres, ils entrèrent en fureur et crièrent : "Venez, accourez à
notre secours, puissances et principautés ! En voici un plus fort que
nous qui vient. "Jésus leva la main de leur côté et leur commanda de se
coucher par terre. Alors ils se prosternèrent à plat ventre et je
compris que Jésus voulait qu'ils fissent ainsi par un sentiment de
pudeur à cause de leur nudité. Ils relevèrent la tète et se mirent à
crier : "Jésus, Fils du Dieu très haut, qu'avons-nous à faire avec toi ?
Pourquoi es-tu venu nous tourmenter avant le temps, Nous t'en conjurons
au nom de Dieu, ne nous tourmente pas ? "Jésus et les disciples se
trouvaient maintenant près d'eux et tout leur corps tremblait et
s'agitait horriblement. Jésus ordonna aux disciples de leur donner de
quoi se couvrir, et aux possédés de cacher leur nudité. Alors les
disciples leur jetèrent de ces bandes d'étoffe qu'ils portent autour du
cou et dans lesquels on s'enveloppe aussi la tête. et les possédés les
roulèrent autour de leurs reins, avec des tremblements convulsifs
incessants et comme forcés d'agir contrairement à leur volonté. Ils
s'étaient levés et continuaient a crier, suppliant Jésus de ne pas les
tourmenter, mais il dit : " Combien êtes-vous " ? Ils répondirent : "
Légion. " Ils parlaient aussi au pluriel par la bouche des possédés et
dirent que les convoitises de ces hommes avaient été innombrables.
Cette fois le diable disait
la vérité, car ces hommes avaient vécu dix-sept ans en rapport avec les
démons et adonnés à toute sorte de sortilèges, et pendant ce temps ils
avaient eu, par intervalles, des accès de ce genre : mais depuis deux
ans, ils avaient brisé les chaînes dont on les avait chargés et ils
erraient continuellement dans la solitude. Ils se sont aussi livrés à
tous les vices qui accompagnent la sorcellerie.
Il y avait près de là, dans un endroit exposé au soleil, une vigne où se
trouvait une grande cuve faite d'énormes pièces de bois jointes
ensemble. Elle était presque de la hauteur d'un homme et assez large
pour que douze personnes pussent se tenir dedans. Les Gergéséniens y
foulaient des raisins mêlés avec cette herbe qui faisait perdre la
raison. Le jus coulait dans des auges plus petites, et de celles-ci dans
de grands vases de terre avec un col étroit qu'ils enterraient dans la
vigne lorsqu'ils étaient pleins. C'était là ce breuvage enivrant,
empoisonné, qui faisait tomber ceux qui en buvaient dans une espèce
d'épilepsie. La plante enivrante était à peu près de la longueur du bras
avec plusieurs feuilles grasses placées les unes au-dessus des autres,
semblables à celles de la joubarbe : elle se terminait par un bouton.
Ils faisaient usage de ce breuvage pour se procurer des extases
diaboliques. On le préparait en plein air à cause des vapeurs enivrantes
qui s'en dégageaient : cependant on dressait alors une tente au-dessus
de la Cuve. Les gens chargés de ce travail étaient venus près de là pour
s'y livrer : mais Jésus commanda aux possédés ou plutôt à la Légion qui
résidait en eux de renverser cette cuve : ils se ruèrent alors comme des
insensés, saisirent l'énorme cuve qui était pleine et la jetèrent sans
aucune peine sur le côté, en sorte que tout ce qui était dedans se
répandit et que les ouvriers s'enfuirent en poussant des cris
d'épouvante. Les possédés revinrent, toujours tremblants de tous leurs
membres et les disciples furent très effrayés. Les diables qui étaient
dans le corps des possédés poussaient des cris affreux, le suppliant de
ne pas les précipiter dans l'abîme et de ne pas les chasser de cette
contrée : enfin ils lui dirent : " Laisse-nous entrer dans ces pourceaux
". Jésus répondit : " Allez ! ". A ces paroles les malheureux possédés
tombèrent par terre avec de violentes convulsions et il sortit de tout
leur corps une vapeur formant un nuage. J'y vis d'innombrables figures
d'insectes de toute espèce, de crapauds, de vers, surtout de
taupes-grillons. Je vis ce nuage s'étendre au loin sur le pays, et au
bout de quelques instants, l'énorme troupeau de porcs, comme saisi de
vertige, se mit à courir avec d'affreux grognements pendant que les
porchers le poursuivaient en poussant de grands cris. Les pourceaux, au
nombre de quelques milliers, sortaient de tous les coins et se
précipitaient de toutes les pentes à travers les buissons : c'était
comme le fracas d'un orage auquel se mêlaient des cris d'animaux
furieux. Et ce ne fut pas l'affaire de quelques minutes seulement, mais
cela dura bien deux heures, car pendant longtemps on vit les pourceaux
se ruer follement de tous côtés, se jeter les uns sur les autres et se
faire de cruelles morsures. Beaucoup se précipitèrent dans le marais et
arrivèrent à la chute d'eau qui les entraîna. Mais tous se lancèrent
furieux vers le lac.
Les disciples de Jésus
étaient assez mécontents parce qu'ils croyaient que cela rendait impure
l'eau où ils avaient coutume de pêcher, et par suite les poissons qui
l'habitaient. Jésus connaissant leur pensée leur dit de ne rien
craindre, que les pourceaux s'engloutiraient tous dans le gouffre qui
était à la sortie de la gorge. Il y avait là une espèce de lagune
séparée du lac proprement dit par un banc de sable ou une langue de
terre couverte de roseaux et de broussailles, et qui était souvent
inondée dans les grandes eaux. C'était un gouffre profond où l'eau du
lac pénétrait à travers le banc de sable, mais qui n'avait pas
d'écoulement dans le lac. Il y avait là un tourbillon. Ce fut dans ce
bassin que tous les pourceaux se précipitèrent. Les porchers, ayant
couru après eux inutilement, vinrent trouver Jésus prés duquel ils
virent les deux possédés guéris, et ils se plaignirent vivement du
dommage qui leur était fait : mais Jésus leur répondit que le salut de
ces âmes était d'un plus grand prix que tous les pourceaux du monde. Ils
se retirèrent et allèrent dire aux propriétaires des pourceaux que les
démons attirés dans le corps des hommes par l'impiété des habitants du
pays en avaient été chassés par lui et étaient entrés dans les
pourceaux. Il renvoya les possédés guéris dans leurs maisons pour y
prendre des vêtements, et il se dirigea vers Gergesa avec les disciples.
Plusieurs des porchers s'étaient déjà rendus à la ville en toute hâte.
On voyait courir des gens de tous les côtés : ceux qui avaient été
guéris hier à Magdala et dans les environs étaient déjà allés attendre
Jésus à un endroit désigné, ainsi que les deux jeunes Israélites
délivrés la veille et la plupart des Juifs de la ville. Les deux
possédés guéris revinrent décemment habillés et assistèrent à une
instruction de Jésus. C'étaient des païens considérables de la ville :
ils étaient même parents des prêtres paiens.
Les hommes chargés de
préparer le vin, et dont la cuve avait été renversée, avaient aussi
couru à la ville et ils avaient fait connaître le dommage occasionné par
les possédés : on en avait fait grand bruit, et il s'était élevé un
grand tumulte à ce sujet. Beaucoup de gens de la ville et des environs
couraient après les pourceaux pour essayer d'en sauver quelques-uns :
d'autres s'empressaient près de la cuve. Cela dura jusque assez avant
dans la nuit.
Tous les Juifs et beaucoup
de païens se rassemblèrent auprès de Jésus, qui enseigna sur une
colline, à une demi lieue environ de Gergesa. Cependant les magistrats
de la ville et les prêtres des idoles cherchèrent à retenir le peuple,
et ils firent publier que Jésus était un puissant magicien, et que sa
présence les menaçait de grands malheurs. Après avoir délibéré entre
eux, ils envoyèrent à Jésus une députation pour lui demander de ne pas
prolonger son séjour dans le pays et de ne pas leur faire d'autre
dommage : ils reconnaissaient en lui un grand magicien, mais ils le
priaient de sortir de leurs confins. Ils se plaignirent beaucoup au
sujet des pourceaux et du breuvage répandu : et ils furent très surpris
et très effrayés de voir assis à ses pieds, parmi les auditeurs, les
deux possédés guéris. Jésus leur dit d'être sans inquiétude, qu'il ne
leur serait pas longtemps à charge, qu'il n'était venu qu'à cause de ces
malheureux possédés et de ces malades, et qu'il savait bien que leurs
animaux impurs et leur abominable boisson avaient plus de prix à leurs
yeux que le salut de leurs âmes : mais il n'en était pas ainsi de son
Père céleste, qui lui avait donné le pouvoir de sauver ces hommes
infortunés et de détruire les pourceaux. Ensuite il leur mit devant les
yeux toutes leurs infamies, leur vie criminelle, leurs maléfices, leur
impureté, leurs usures et le culte qu'ils rendaient aux démons : il
avertit spécialement leurs femmes, qui pratiquaient secrètement toutes
ces abominations. Il les exhorta à la pénitence, au baptême, et leur
offrit le salut. Mais ils n'avaient en tête que le dommage qu'ils
avaient éprouvé et la perte de leurs pourceaux, et ils persistèrent à
lui demander d'une manière à la fois pressante et craintive de quitter
leur pays : après quoi ils retournèrent à la ville.
Judas Iscariote se montra
aujourd'hui particulièrement actif et empressé près de ces gens : car il
était connu dans le pays. Sa mère y avait résidé avec lui un certain
temps, lorsqu'il était jeune encore, aussitôt après qu'il eut quitté la
famille dans laquelle il avait été élevé en secret. Il avait connu alors
les deux possédés. C'est pour cela qu'antérieurement, par suite d'un
souvenir confus, je croyais qu'il s'était présenté ici à Jésus pour la
première fois.
Les Juifs du pays
ressentaient une joie secrète du dommage qu'avaient éprouvé les païens
avec leurs pourceaux, car ils étaient fort vexés par les païens et fort
scandalisés de cette quantité de pourceaux. Toutefois il avait ici
beaucoup d'autres Juifs qui avaient formé des alliances avec les paiens
et s'étaient engagés dans leurs pratiques superstitieuses.
Jésus enseigna encore et
prépara ses auditeurs au baptême : car tous ceux qui avaient été guéris
hier et aujourd'hui, notamment les deux derniers possédés, furent
baptisés ici par les disciples. Ces gens étaient fort touchés et
complètement transformés. Ils le supplièrent, ainsi que les deux jeunes
gens, de leur permettre de rester avec lui et de devenir ses disciples.
Mais lorsqu'après avoir reçu le baptême, ils lui présentèrent leur
requête, il dit aux deux possédés guéris en dernier lieu qu'il voulait
leur donner une mission : qu'ils devaient parcourir les dix bourgades
des Gergéséniens, se montrer partout, raconter partout ce qui leur était
arrivé, ce qu'ils avaient vu et entendu, exhorter les gens à la
pénitence et au baptême et les lui envoyer : ils ne devaient pas se
laisser effrayer quand même on les poursuivrait à coups de pierres.
s'ils étaient fidèles à accomplir ce qu'il demandait d'eux, ils le
reconnaîtraient à ce signe qu'ils recevraient l'esprit de prophétie,
lequel descendrait sur eux pendant la nuit ; alors ils se lèveraient et
auraient des visions ; alors aussi ils sauraient toujours où Jésus
serait ; ils lui enverraient les gens qui auraient besoin d'être
instruits par lui ; ils imposeraient les mains aux malades et ceux-ci
seraient guéris. Ils commencèrent le jour suivant à s'acquitter de leur
mission, et plus tard ils devinrent ses disciples.
Les apôtres baptisaient ici
avec de l'eau qu'ils avaient apportée dans une outre : les choses se
passaient comme la dernière fois. Les gens s'agenouillaient en cercle
autour d'eux, et ils les baptisaient trois par trois avec de l'eau du
bassin que l'un d'eux tenait, et dont ils les aspergeaient à trois
reprises avec la main. Le soir, Jésus, avec ses disciples, alla à
Gergesa chez le chef de la synagogue, et ils y prirent quelque
nourriture. Les principaux de la ville vinrent, à cette occasion, faire
des menaces à ce préposé, afin qu'il s'efforçât de faire partir Jésus,
sans quoi ils le rendraient responsable des dommages ultérieurs que la
ville pourrait éprouver. Là-dessus Jésus partit, et ils passèrent la
nuit dans une maison de bergers. J'entendis Jésus dire à ses disciples
qu'il avait permis aux démons de renverser la cuve et d'entrer dans les
pourceaux, afin que ces païens orgueilleux vissent qu'il était le
prophète des Juifs, si opprimés et si outragés par eux : il avait voulu
aussi que le dommage qu'avaient éprouvé tant de païens en perdant leurs
pourceaux, les rendit attentifs au danger qui menaçait leurs âmes, et
que ce peuple endormi dans l'ivresse du vice se réveillât et vînt se
faire instruire. Il avait fait renverser l'affreux breuvage comme une
des causes principales des péchés de ce peuple et de l'empire que le
démon avait sur lui.
(12 décembre.) Les
apôtres ont guéri dans les environs des hydropiques, des boiteux et des
paralytiques. Quant à Jésus, près duquel il restait toujours quelques
disciples, il se rassembla autour de lui, vers dix heures du matin, une
foule de gens attirés par ses miracles et ceux de ses disciples, et
frappés surtout de l'aventure des pourceaux : il pouvait bien, y avoir
deux mille personnes. Jésus appela encore leur attention sur leur
déplorable état, et beaucoup se convertirent. Beaucoup de Juifs aussi
voulaient se séparer des païens et quitter le pays.
Après midi, les apôtres qui
avaient opéré des guérisons vinrent à la prédication de Jésus avec
plusieurs de ceux qu'ils avaient guéris. Il s'y trouvait des femmes
portant dans des corbeilles des volailles qu'elles donnèrent aux
apôtres. Pendant que la foule se pressait autour de Jésus, une femme de
Magdala, affligée de pertes de sang, s'approcha de lui comme la nuit
tombait. Elle n'avait pas pu marcher jusqu'alors, mais poussée par sa
foi elle se traîna seule jusqu'à lui sans le secours de personne, baisa
son vêtement et fut guérie : Jésus continua à enseigner, mais après
quelque temps il dit : " J'ai guéri quelqu'un : qui est-ce ? " Alors
cette femme s'approcha et lui témoigna sa reconnaissance. Elle avait
entendu parler de la guérison d'Enoué, et elle fit comme elle. Le soir,
Jésus s'embarqua avec les disciples et les deux jeunes Juifs de Gergesa,
qui avaient été démoniaques et qu'il avait guéris. Il côtoya Magdala, se
dirigeant au nord d'Hippos qui n'est pas tout au bord du lac, mais sur
le penchant d'une hauteur. Ils descendirent à terre et mangèrent des
oiseaux, du pain et du miel dans une maison de bergers.
J'entendis Jésus dire aux
disciples que le jour de la naissance d'Hérode était proche et qu'il
avait dessein de monter à Jérusalem. Ils voulurent l'en dissuader,
disant que la fête de Pâques approchait et que ce serait alors le moment
d'y aller. Jésus répondit comme si son intention eût été de ne pas se
montrer en public pendant la fête. Ensuite il leur dit de s'embarquer.
Les deux jeunes gens de Gergesa le prièrent encore de les prendre avec
lui. Mais il leur dit qu'il leur avait réservé une autre destination et
il leur donna pour mission de parcourir les dix villes (de la Décapole),
depuis Cédar jusqu'à Panéas, et d'annoncer aux Juifs ce qu'ils avaient
vu et entendu. Il leur donna sa bénédiction et leur promit comme il
l'avait fait aux autres, que s'ils accomplissaient fidèlement leur
mission, l'esprit prophétique viendrait sur eux : qu'ils sauraient où il
serait, proclameraient les jugements de Dieu et guériraient les malades
en son nom. Cela ne devait arriver pour eux comme pour les deux autres
qu'après un certain temps. Les autres devaient l'annoncer d'abord dans
les dix bourgades des Gergéséniens et plus tard aux païens de la
Décapole. Les jeunes gens le quittèrent là-dessus et il ordonna aux
disciples de se diriger vers Bethsaïde. Lui-même resta seul à terre
malgré toutes leurs prières et, côtoyant le rivage, il se retira dans un
lieu désert pour prier. Je le vis passer entre des hauteurs escarpées :
il y avait là quelques rochers qui ressemblaient dans les ténèbres à de
grands fantômes noirs.
Il était tout à fait nuit
lorsque je vis Jésus marcher sur la mer : ce fut à peu près en face de
Tibériade, plus à l'est que le milieu du lac qu'il sembla vouloir
traverser à une certaine distance en avant de la barque des disciples.
Le vent était contraire et très violent et les disciples marchaient à la
rame avec beaucoup de peine. Ils virent une figure humaine et furent
saisis d'épouvante : ils ne savaient pas si c'était lui ou son esprit et
tous jetèrent des cris d'effroi. Mais Jésus leur dit : " N'ayez point
peur : c'est moi ". Alors Pierre lui cria : " Seigneur, si c'est vous,
ordonnez moi d'aller à vous sur l'eau ! " Jésus lui dit : " Viens ! " Et
Pierre plein d'ardeur descendit du navire par la petite échelle et se
hâtant d'aller à Jésus, s'avança à une petite distance sur l'eau agitée
comme il eût fait sur la terre ferme. Il me fit l'effet de planer
au-dessus, car les flots soulevés ne lui faisaient pas obstacle. Mais
comme il s'émerveillait et pensait plus à l'eau, au vent et aux vagues
qu'à la parole de Jésus, l'inquiétude le prit : il commença à perdre
pied et, dans son effroi, il cria à Jésus : " Seigneur, sauvez-moi !
"alors il enfonça jusqu'à la poitrine et étendit la main en avant. Jésus
se trouva à l'instant près de lui, le prit par la main et lui dit : "
Homme de peu de foi, pourquoi doutes-tu ? " Ils se trouvèrent aussitôt
près de la barque : ils y montèrent et Jésus leur reprocha leur peur, à
lui et aux autres. Le vent tomba immédiatement et ils se dirigèrent vers
Bethsaïde. Vraisemblablement pendant la traversée les uns dormirent
tandis que les autres ramaient. Pour les faire monter on abaissa une
échelle hors de la barque.
NOTE.
Après cette communication le pèlerin lut à la narratrice le passage
des Évangiles où il est dit que Jésus marcha sur la mer et que
Pierre enfonça, et il lui demanda si elle n'avait pas oublié
différentes choses qui, dans le texte sacré, sont représentées comme
étant liées à cet événement. Elle répondit qu'elle pouvait bien
avoir oublié de raconter certains détails, mais qu'ils allaient lui
revenir maintenant qu'elle les entendait lire. Elle dit que
l'incident rapporté par les Évangiles ne devait pas être le même que
celui qu'elle avait vu cette nuit et que peut-être il lui serait
représenté plus tard. Elle ne se souvenait pas d'avoir vu cette fois
les disciples se prosterner devant Jésus dans le navire et lui dire
: " Vous êtes véritablement le Fils de Dieu ! " Dans l'Évangile
Jésus marche sur l'eau après la mort de Jean, mais ici Jean n'est
pas encore mort, car le jour de naissance d'Hérode ne tombe que dans
le mois de janvier, ce qu'elle a appris en entendant Jésus dire à ce
propos qu'il voulait aller en Judée. Dans l'Évangile ce prodige
vient après la première multiplication des pains laquelle n'a pas
encore eu lieu. A la vérité il y a eu aussi lundi une multiplication
des pains dans la vallée attenant à la montagne des huit béatitudes,
mais ce n'est pas celle des sept pains et des deux poissons : il est
arrivé seulement que la provision de pain, étant fort au-dessous de
ce qui était nécessaire, s'est pourtant trouvée suffisante, au point
qu'on a pu en donner des morceaux aux gens de guerre romains qui
voulaient les conserver comme souvenir. Cette multiplication des
pains de lundi est passée sous silence dans l'Évangile où du reste
tous les enseignements de cette prédication faite en plusieurs fois
sur les béatitudes, ainsi que les instructions données dans les
intervalles, sont résumés et donnés, quant aux points principaux,
comme une seule prédication : il en est de même des paraboles. La
multiplication des cinq pains et des deux poissons, viendra plus
tard et elle croit qu'alors il marchera sur la mer encore une autre
fois. Cette fois-ci il n'y avait pas de gens à s'étonner de le voir
arriver quoiqu'ils ne l'eussent pas vu s'embarquer, car personne, à
l'exception des disciples, ne savait qu'il était resté sur l'autre
rive du lac. Il faudra maintenant voir si en ceci il se présentera
des différences comme celles qui ont été récemment notées en ce qui
concerne la fille de Jaïre et l'hémorroïsse.
(13 décembre.)
Lorsque Jésus prit terre à Bethsaïde, il fut accueilli par les cris de
deux aveugles qui vinrent à sa rencontre, se servant de conducteurs l'un
à l'autre, contrairement au proverbe. Il les guérit et guérit encore des
muets et des boiteux : partout où il passait, le peuple accourait en
foule avec des malades : plusieurs le touchaient et étaient guéris. On
était venu l'attendre parce qu'on savait qu'il viendrait avant le
sabbat. L'histoire des possédés et des pourceaux avait été connue ici la
veille, et elle avait fait un grand effet. Une partie des disciples
baptisa le matin, près de la maison de Pierre, plusieurs malades guéris
: pendant ce temps Jésus continuait à opérer des guérisons sans qu'il
lui fût possible d'aller se reposer, et comme on ne pouvait pas même
trouver le temps de manger, les disciples allèrent le chercher pour
tâcher de lui faire prendre un peu de repos et de nourriture.
Comme ensuite il se
dirigeait vers Capharnaüm, il vint à sa rencontre un possédé qui était
muet et aveugle et qu'il guérit sur-le-champ. Cette guérison excita une
grande surprise, car cet homme rien qu'en approchant de Jésus, recouvra
la parole et cria : " Jésus, Fils de David, ayez pitié de moi ". Jésus
lui frotta les veux et la vue lui fut rendue. Cet homme était possédé de
plusieurs démons, car il était entièrement tombé au pouvoir des païens
de l'autre côté du lac. Les sorciers et les jongleurs du pays des
Gergéséniens s'étaient emparés de lui, ils le traînaient partout au bout
d'une corde et le faisaient voir en divers lieux ou il était obligé de
faire toute espèce de tours de force : ils montraient comme quoi, étant
aveugle et muet, il faisait tout, comprenait tout, allait partout,
cherchait et reconnaissait tout au moyen de certaines conjurations : car
c'était le diable qui faisait tout cela en lui.
C'était ainsi que les jongleurs païens qui allaient de Gergesa visiter
les villes de la Décapole et d'autres encore faisaient servir à leur
subsistance le démon qui possédait ce malheureux. Quand ils traversaient
le lac, ils ne le prenaient pas dans la barque, mais ils lui
commandaient de la suivre à la nage comme un chien. Personne n'avait
plus souci de lui : on le regardait comme un homme perdu. Le plus
souvent il n'avait pas d'abri. Il couchait dans des fossés et dans des
trous et ceux qui l'exploitaient le maltraitaient encore par là-dessus.
Il était déjà depuis longtemps à Capharnaüm, mais il n'avait trouvé
personne pour le conduire à Jésus. Il y alla de lui-même et fut guéri.
Jésus enseigna et guérit
encore au commencement du sabbat dans la maison mentionnée précédemment,
qui est près de la porte de Capharnaüm ; il reprit quelques points déjà
traités dans le sermon sur la montagne ; il dit aussi aux apôtres qu'il
les enverrait à leur mission après le sabbat, et qu'il leur donnerait sa
bénédiction. Il voulait en garder six près de lui et en envoyer six, en
adjoignant à chaque moitié un certain nombre de disciples.
Cependant il y eut avant le
sabbat, pendant qu'il enseignait, un soulèvement tumultueux dans la
ville. Le prodige accompli sur les pourceaux et la guérison du possédé
aveugle et muet avaient produit une grande impression. Aujourd'hui, dans
l'après-midi, il était venu plusieurs barques remplies de Juifs de
Gergesa qui racontaient les merveilles qu'ils avaient vues ; mais les
Pharisiens répandaient partout que Jésus chassait les démons par les
démons. Cela déplut au peuple, et une foule considérable se rassembla
devant la synagogue. Le possédé aveugle et muet était complètement
furieux, lorsque Jésus s'approcha de la ville : il avait couru à sa
rencontre, à travers les rues, sans être conduit par personne, et
beaucoup de gens qui le poursuivaient avaient été témoins du miracle.
Tout cela les avait tellement transportés d'admiration qu'ils
s'indignaient hautement contre les Pharisiens, lesquels, pendant que
Jésus était sur l'autre bord et maintenant encore, se déchaînaient
contre lui, l'accusant de guérir par le moyen du diable. Je vis que
plusieurs de ceux qui faisaient partie du rassemblement portaient avec
eux une arme de trait d'une forme singulière. Il y avait une sorte de
grosse crosse ronde recouverte de cuir, et aussi une baguette : l'arme
était percée de trous, et on s'en servait pour lancer des traits de peu
de longueur : c'était vraisemblablement une espèce d'arbalète ; la
baguette, insérée transversalement dans les trous, en formait l'arc. Ces
gens firent appeler les Pharisiens et insistèrent pour qu'ils cessassent
d'injurier Jésus. Pourquoi, disait-on, ne lui rendaient-ils pas justice
et n'avouaient-ils pas qu'on n'avait jamais rien vu de pareil en Israël,
que jamais prophète n'avait opéré de semblables prodiges ? Que si ses
ennemis ne se désistaient pas de leur résistance opiniâtre, ils étaient
décidés à quitter Capharnaüm, car ils ne voulaient pas supporter plus
longtemps ces blasphèmes et cette ingratitude, etc.
Les Pharisiens prirent la
chose très courtoisement : il sortit de leurs rangs un homme gros et
court qui se mit à endoctriner le peuple de la manière la plus
astucieuse. Il dit qu'en effet on n'avait jamais entendu parler dans
Israël de semblables prodiges, d'actes et d'enseignements de ce genre ;
que jamais prophète n'avait rien fait de pareil. Mais il demandait au
peuple d'examiner ce qu'il fallait penser de ces démons chassés à
Gergesa, de ce possédé délivré ici aujourd'hui et qui, à vrai dire,
pouvait être considéré comme un Gergésénien ; car on ne pouvait apporter
trop de maturité dans le jugement à porter sur des choses de ce genre.
Il fit ensuite une longue digression sur le royaume des mauvais esprits,
dit qu'il y existait une hiérarchie et différents degrés, qu'il s'en
trouvait parmi eux qui en avaient d'autres sous leurs ordres, et que
Jésus avait fait alliance avec un des plus puissants ; car, sans cela,
pourquoi n'avait-il pas guéri depuis longtemps le possédé de Capharnaüm
? Pourquoi, s'il était le Fils de Dieu, n'avait-il pas, d'ici, chassé
les démons qui étaient dans le pays des Gergéséniens ? Or c'est ce qu'il
n'avait pas fait. Il lui avait fallu d'abord aller dans ce pays et
conclure un traité avec le chef des démons de Gergesa : il avait fallu
qu'il se mît d'accord avec lui et qu'il lui livrât les pourceaux en
proie, car celui-ci était inférieur à Béelzébub, mais pourtant d'un rang
élevé. C'était ainsi qu'après lui avoir donné satisfaction à Gergesa, il
avait pu délivrer l'homme d'ici par le moyen de Béelzébub. Il présenta
d'autres arguments du même genre avec beaucoup d'adresse et de faconde,
puis il engagea le peuple à se calmer et à attendre la fin : d'ailleurs,
ajoutait-il, leur conduite, à eux-mêmes, montrait bien quels étaient les
fruits de tout cela : le peuple ne travaillait plus les jours ouvriers,
il courait à la suite du docteur et de ses miracles, et le jour du
sabbat était devenu un jour de bruit et de tumulte. Il fallait donc
qu'ils pensassent à la sainteté de ce jour, qu'ils se tinssent en repos
et se préparassent pour la fête qui était proche. Il réussit par là à
obtenir que la foule se dispersât et beaucoup de gens irréfléchis furent
à moitié convaincus par son verbiage.
C'était aujourd'hui le
vendredi 24 du mois de Kislen, et comme le soir de ce jour, le
commencement du sabbat coïncidait avec la fête de la Dédicace du temple
qui tombait le 25, cette fête avait déjà commencé la veille au soir,
avec le 24 Kislen. Plusieurs pyramides formées de lampes allumées
avaient été dressées dans les maisons et les écoles : dans les jardins
aussi, dans les cours et près des fontaines on avait disposé des lampes
et des torches suivant des dessins de toute espèce. Jésus accompagné des
disciples vint à la synagogue pour le sabbat et il enseigna sans
obstacle, parce qu'on craignait le peuple, sur l'histoire de Joseph et
sur des textes d'Ézéchiel. (Genèse, XLIV, 18 - jusqu'à XLVII, 17. -
Ezéch. LVII, 17, etc., etc.) Il expliqua aussi quelque chose du prophète
Daniel. Il connaissait leurs pensées et savait tous les propos qu'ils
avaient tenus au peuple, aussi il les interpella à ce sujet et leur dit
: " Tout royaume divisé d'avec lui-même ne subsistera pas : si Satan
chasse Satan, il est divisé contre lui-même ; comment donc son royaume
se maintiendrait-il ? Si je chasse les démons par Béelzébub, vos fils,
par qui les chassent-ils ? ".
Jésus les réduisit au
silence par des paroles de ce genre et il sortit de la synagogue sans
qu'on l'eût vivement contredit. Il passa la nuit dans la maison de
Pierre.
Lorsque la Soeur communiqua
ces paroles, le pèlerin lui lut tout ce que les Évangélistes y ajoutent
: mais elle ne se souvint d'avoir entendu aujourd'hui que ce qu'elle
venait de rapporter, et cela comme toujours avec un peu plus de détails
et de développements La plupart du temps, quand elle mentionne de ces
discours de Jésus, le pèlerin a coutume de lui lire ce qui en est
rapporté dans l'Évangile et de noter ce dont elle se souvient. Très
souvent elle dit de certaines choses qu'elle ne les a pas entendues
alors et qu'elles ont été dites dans quelque autre circonstance
analogue. Mais quand ces circonstances ne sont pas mentionnées dans
l'Évangile, le pèlerin ne peut pas les rappeler à son souvenir, et
elle-même, avec tout ce qui vit et se remue dans son âme de merveilleux
et d'inconnu, ne revient que bien rarement sur le passé, d'où il résulte
nécessairement que c'est autant de perdu pour la narration.
(14 décembre.) Les
apôtres ont aujourd'hui baptisé de nouveau chez Pierre. Jésus accompagné
de quelques disciples visita aujourd'hui la famille de Jaïre, à laquelle
il donna des avis et des consolations. Ils sont très humbles et tout à
fait changés : ils ont fait trois parts de leur bien, une pour les
pauvres, une autre pour la communauté, la troisième pour eux-mêmes. La
vieille mère de Jaire, notamment, a été très touchée et elle est devenue
excellente. La fille ne vint que lorsqu'on l'appela : elle était voilée
et sa contenance était très humble. Il semble qu'elle ait grandi : elle
se tient très droite et a toute l'apparence d'une personne parfaitement
guérie. C'est toutefois une personne de petite taille et d'une
complexion délicate.
Jésus alla ensuite visiter
le centurion païen Cornélius, il le consola et l'enseigna ainsi que sa
famille et ses serviteurs, puis il l'accompagna chez Zorobabel, le
centurion de Capharnaum : là aussi il enseigna et consola. La
conversation tomba sur le jour de naissance d'Hérode et sur Jean
Baptiste. Zorobabel et Cornélius dirent qu'Hérode avait invité tous les
gens considérables et eux-mêmes à venir à Machérunte pour le 8 janvier,
qui était son jour de naissance : ils demandèrent à Jésus s'il leur
permettrait d'y aller Jésus leur dit que s'ils se sentaient assurés de
ne participer à rien de ce qui se passerait là, il ne leur était pas
interdit de s'y rendre, mais que pourtant ils feraient mieux de
s'excuser et de rester chez eux, s'ils le pouvaient. Ils exprimèrent le
déplaisir que leur causaient la liaison adultère d'Hérode et la
captivité de Jean : mais ils ne doutaient pas qu'Hérode ne rendît la
liberté au précurseur à l'occasion de son jour de naissance.
Jésus alla ensuite visiter
sa mère chez laquelle se trouvaient Suzanne, fille d'Alphée et de Marie
de Cléophas, venue de Nazareth, Suzanne de Jérusalem, Dina la
Samaritaine et Marthe. Il annonça son départ pour le lendemain. Marthe
était très affligée de la rechute de Madeleine et de l'empire que le
démon avait pris sur elle. Elle demanda à Jésus si elle ne ferait pas
bien de se rendre auprès d'elle. Mais Jésus lui dit d'attendre encore.
J'ai vu la possession de
Madeleine. Elle est souvent hors de son bon sens, agitée par la colère
ou par l'orgueil, elle frappe et injurie ceux qui l'entourent, elle
tourmente ses suivantes et ne cesse pas de se parer avec une recherche
extravagante. J'ai vu qu'elle frappait l'homme qui vit dans sa maison où
il agit en maître, et que celui-ci à son tour la maltraitait. Par
intervalles elle tombe dans une affreuse tristesse, se répand en larmes
et en sanglots, parcourt la maison en tout sens, cherche Jésus et
s'écrie : " Où est le Maître, où est-il ? Il m'a abandonnée ! " Puis
quelques jours après, elle se montre de nouveau libre et effrontée dans
ses allures, donne des festins et se livre au péché : car il lui arrive
sans cesse de nouveaux amants poussés par la curiosité et la malice.
Elle est tout à fait sous le joug du méchant homme qui demeure avec elle
et il se fait donner de l'argent par ses amants.
J'ai une idée vague que
Lazare a mis un terme à ses prodigalités et qu'on lui a assigné un
certain revenu. Elle est dans un état effrayant : l'orgueil,
l'incontinence, la vanité, la colère ont pris sur elle un empire qui est
l'effet d'une possession manifeste. En outre elle a des convulsions qui
ressemblent à des attaques d'épilepsie.
On peut se figurer quelle
est la douleur de ses proches en voyant une personne de si noble race et
si richement douée tombée dans cet horrible état.
Rien n'est touchant comme
de voir Jésus marcher le long des rues, la robe tantôt flottante, tantôt
relevée, sans beaucoup d'action et pourtant sans aucune raideur : son
allure est calme : il semble planer plutôt que marcher : il a une
simplicité ; et une majesté que n'ont pas les autres hommes. Rien dans
sa démarche qui ne soit harmonieux et assuré : pas un regard, pas un
pas, pas un geste inutile et pourtant rien d'affecté ni qui vise en rien
à l'effet.
J'ai vu de nouveau des
choses que j'avais oublié de dire dernièrement lorsque Marie fit un
voyage à Cana et revint ici avec les autres femmes. Marthe, accompagnée
de Suzanne, avait visité les hôtelleries de Galilée jusqu'à Samarie.
Elle en avait comme la surintendance. Les petits districts étaient
confiés aux soins de celles des saintes femmes qui en étaient le plus
voisines. Je les vis se réunir dans certaines hôtelleries : on apportait
sur des ânes des provisions de toute espèce. Je vis une fois avec elles
Marie la Suphanite, ce qui fit dire parmi les gens de l'endroit que
Marie Madeleine était maintenant avec les femmes qui prenaient soin des
gens attachés au prophète de Nazareth : car Marie la Suphanite avait une
grande ressemblance extérieure avec Madeleine, et elle n'était pas très
connue de ce côté du Jourdain. De plus elle s'appelait aussi Marie ;
elle avait versé aussi des parfums sur Jésus, à un repas chez des
Pharisiens ; enfin elle avait aussi une mauvaise réputation : et tout
cela 1. faisait qu'on la confondait avec Madeleine dans les propos qui
couraient. Plus tard cette confusion fut faite encore plus souvent par
tous ceux qui n'avaient pas des relations intimes avec la communauté.
Les saintes femmes
veillaient à ce qu'on fût pourvu de lits, de couvertures, de vêtements
de laine, de vases à boire, de cruches de baume et d'huile, etc., car
quoique Jésus eût peu de besoins, il voulait pourtant que ses disciples
ne fussent à charge à personne et qu'ils trouvassent partout le
nécessaire, afin d'enlever tout prétexte aux reproches des Pharisiens.
Avant la clôture du sabbat
Jésus alla encore dans la maison voisine de la porte : il continua à
enseigner le peuple touchant les béatitudes et répéta beaucoup de choses
déjà dites : il a jusqu'à présent expliqué quatre des béatitudes. Il
enseigna aujourd'hui sur le texte : " Bienheureux les pauvres d'esprit
", et il fit plusieurs allusions dirigées contre les Pharisiens. Les
saintes femmes faisaient partie de son auditoire.
Après cela il instruisit
encore les disciples en particulier et leur dit qu'il leur donnerait
leur mission le lendemain : six des apôtres devaient le suivre, les six
autres aller dans la haute Galilée : dix-huit disciples devaient
accompagner ceux-ci, douze autres rester près de lui. Il voulait leur
donner sa bénédiction : ils devaient enseigner, guérir, chasser les
démons, etc. Il leur donna ensuite d'autres instructions préparatoires.
En réglant ainsi les choses, il avait pour but de prévenir la trop
grande affluence de peuple en un même endroit et de répartir en quelque
sorte le mouvement sur plusieurs points : car il ne pouvait plus rester
ici, la multitude était trop excitée, trop nombreuse, et elle le
pressait de tous les côtés. Il renvoya chez eux plusieurs disciples qui
auraient été bien aises de le suivre.
Il était arrivé un grand
nombre de Gergéséniens, notamment beaucoup de pauvres qui voulaient
aller avec lui ; la plupart d'entre eux qui étaient sans ressources et
accoutumés à une vie errante, croyaient qu'avec lui ils auraient tout en
abondance. Ils parlaient souvent entre eux de son royaume, demandaient
s'il n'en prendrait pas bientôt possession, et s'imaginaient qu'il ne
tarderait pas à recevoir l'onction royale comme Saul ou David, à occuper
le royaume d'Israël et à monter sur le trône à Jérusalem. Là-dessus ils
se berçaient d'avoir leur part des avantages réservés en ce cas à ses
partisans. Jésus s'entretint avec ces gens et leur dit de retourner chez
eux, de faire pénitence, d'observer les lois et de mettre en pratique ce
qu'ils avaient entendu. Il leur expliqua que son royaume était tout
autre chose que ce qu'ils croyaient et que les pécheurs n'y étaient pas
admis. Il congédia ainsi, en leur donnant des consolations, plusieurs
troupes d'hommes.
A la clôture du sabbat il
enseigna encore dans la synagogue et s'éleva avec force contre
l'assertion des Pharisiens qu'il chassait les démons par les démons et
qu'il était possédé d'un esprit immonde. Je l'entendis aujourd'hui les
sommer de lui dire si ses doctrines et ses actes n'étaient pas d'accord,
s'il ne pratiquait pas ce qu'il enseignait. Ils ne purent rien alléguer
contre lui et il leur dit : " Si l'arbre est bon, son fruit aussi sera
bon ", et le reste jusqu'au passage : " Vous serez condamné sur vos
paroles ". (Matth. XII, 37.)
(15 décembre.) Ce
matin, vers dix heures, Jésus est parti de Capharnaum dans la direction
du nord, en compagnie des douze apôtres et de trente disciples. Beaucoup
de gens réunis en troupes prirent aussi ce chemin. Il s'arrêta souvent
pour enseigner tantôt les uns, tantôt les autres, avant qu'ils se
séparassent de lui pour rentrer chez eux.
Vers trois heures de
l'après-midi, il arriva au haut d'une belle montagne qui est à environ
trois lieues de Capharnaüm et à une moindre distance du Jourdain. Cinq
chemins y conduisaient. Il a déjà enseigné là une fois, le 10 janvier
(12 de Thébet) (t. II, p. 2). Il y a dans les environs cinq petites
bourgades. Les gens qui étaient allés de compagnie avec Jésus jusque-là,
furent congédiés par lui au bas de la montagne, et il monta au sommet
avec les siens qui s'étaient munis auparavant de quelques provisions de
bouche. Sur le point culminant, où il y avait une chaire, Jésus fit
encore aux apôtres et aux disciples une instruction relative à leur
mission. Il leur dit qu'ils auraient désormais à communiquer aux autres
les enseignements qu'ils avaient reçus, qu'ils devaient annoncer
l'approche du royaume de Dieu, que le dernier temps laissé à la
pénitence était arrivé et que la fin de Jean Baptiste était imminente.
Ils devaient baptiser, imposer les mains, chasser les démons. Il leur
enseigna comment ils devraient se comporter dans les discussions, ce
qu'ils auraient à faire pour reconnaître et éviter les adhérents
intéressés et les faux amis. Il leur dit que quant à présent aucun d'eux
n'était plus que les autres. Dans les endroits qu'ils visiteraient ils
devaient aller chez les gens pieux, vivre de peu et pauvrement, n'être à
charge à personne, etc. Il leur dit encore de quelle façon ils devaient
se diviser et se réunir de nouveau, comment deux apôtres et quelques
disciples devaient aller ensemble et se faire précéder d'autres
disciples chargés de convoquer le peuple et d'annoncer leur arrivée,
etc. Les apôtres portaient avec eux de petits flacons d'huile : il leur
apprit à la consacrer et à en faire usage pour guérir les malades.
(Marc, VI, 7-13. Matth. X. Luc, IX.) Il leur donna aujourd'hui tous les
enseignements qui se trouvent dans l'Évangile touchant leur mission : il
ne leur annonça encore aucun danger qu'ils eussent à courir, il dit
seulement : " Aujourd'hui vous serez les bienvenus partout, mais il
viendra un temps où l'on vous Persécutera ".
Ils s'agenouillèrent en
cercle autour de lui : il pria et leur mit les mains sur la tête : quant
aux disciples il se borna à les bénir. Ensuite ils s'embrassèrent et se
séparèrent.
Il leur avait indiqué des
directions et assigné un temps où ils auraient à se rapprocher de lui :
alors les disciples devaient se remplacer tour à tour près de lui et
près des apôtres et porter des messages des uns aux autres. Les six
apôtres qui l'accompagnèrent furent Pierre, Jacques le Mineur, Jean,
Philippe, Thomas et Judas, outre douze disciples dont étaient les trois
frères Jacques, Sadoch et Eliachim, fils de Marie d'Héli, Manahem,
Nathanaël, surnommé le petit Cléophas, et plusieurs autres des plus
jeunes. Les six autres apôtres avaient avec eux dix-huit disciples,
parmi lesquels José Barsabas, Jude Barsabas, Saturnin et Nathanaël
Khased. Nathanaël, le fiancé de Cana, n'alla pas avec eux, il était
chargé d'autres affaires pour la communauté et il exerçait son action
dans un cercle plus rapproché de lui comme Lazare. Ils pleurèrent tous
en se séparant. Les apôtres qui partaient descendirent à l'est vers le
Jourdain : je vis de ce côté un endroit nommé Lekkum à environ un quart
de lieue du fleuve. Je ne sais pas s'ils y allèrent aujourd'hui ou s'ils
commencèrent à travailler dans un des villages voisins. Jésus, quand il
eut descendu la montagne, fut encore entouré d'une quantité de gens qui
revenaient de Capharnaüm chez eux, et je crois qu'il passa ta nuit dans
la petite bourgade qui est au pied de cette montagne.
(16-18 décembre.) Ce
matin je vis Jésus en compagnie des disciples quitter ce petit endroit.
Je l'ai vu au midi de Saphet, ville située sur une haute montagne qu'on
voit de loin. Cet endroit, où l'on voit plusieurs tours demi
circulaires, est situé plus haut que le lieu où Jésus donna leur mission
aux disciples. Je croyais que Jésus voulait y aller : mais vers trois ou
quatre heures, je le vis arriver près d'un endroit qui est trois lieues
plus au midi que Saphet. Le chemin allait le plus souvent en descendant
; quelquefois pourtant il y avait des montées. Quoique cet endroit fût
sur une colline, on ne pouvait pas le voir à cause de la quantité
d'arbres et de buissons qui l'entouraient. C'est Hukoke (Hukaka), ou
plutôt le faubourg de cette ville qui est à un quart de lieue de là.
Beaucoup de personnes vinrent au-devant de Jésus et l'accueillirent avec
beaucoup de joie, lui et ses disciples.
Non loin de là était un
puits près duquel l'attendaient un aveugle et plusieurs boiteux qui
implorèrent son secours. L'aveugle avait les yeux malpropres. Jésus lui
ordonna de se laver je visage à la fontaine : quand il eut fait cela,
Jésus lui oignit les yeux avec de l'huile, puis il cueillit une petite
branche sur un arbuste, la lui mit devant les yeux et lui demanda s'il
voyait quelque chose. Cet homme ayant répondu qu'il voyait un très grand
arbre, Jésus lui frotta les yeux de nouveau et lui répéta sa question :
alors cet homme se jeta à ses pieds transporté de joie et lui dit :
"Seigneur, je vois des montagnes, des arbres, des hommes : je vois tout
! "Il y eut une grande allégresse parmi les assistants, et l'aveugle fut
ramené à la ville. Jésus guérit encore les boiteux et les paralytiques
qui l'entouraient, s'appuyant sur des béquilles. Ces béquilles étaient
d'un bois léger, mais très fort : chacune d'elles avait trois pieds et
se tenait debout toute seule : on pouvait les lier ensemble de manière à
ce que les malades s'y appuyassent sur la poitrine.
Quand l'aveugle fut revenu
à la ville, faisant éclater sa joie, beaucoup de personnes en sortirent
encore, parmi lesquelles les chefs de la synagogue et les maîtres d'à
côté avec une troupe d'enfants. Jésus, suivi de la foule, se rendit à
l'école ; il y enseigna sur quelques-unes des béatitudes, et raconta
aussi des paraboles. Il exhorta tous ses auditeurs à la pénitence, parce
que le royaume de Dieu était proche, etc. Il expliqua les paraboles en
grand détail : ses disciples étaient présents. Il leur avait dit de
faire bien attention à ce qu'il dirait, afin de le répéter lorsqu'ils se
disperseraient dans les hameaux et les maisons des environs. C'est ainsi
qu'en écoutant ses prédications publiques, ils s'instruisaient de ce
qu'ils enseignaient à leur tour dans le pays ; car les apôtres,
accompagnés de plusieurs disciples, se divisaient ordinairement pour
aller guérir et enseigner dans les bourgades voisines, après quoi ils se
réunissaient de nouveau le soir devant l'endroit où Jésus était allé. Il
entra ici avec les disciples chez le chef de la synagogue, et ils y
mangèrent du poisson, du miel, des petits pains et des fruits.
Les apôtres en mission
passèrent, je crois, la journée d'aujourd'hui à Lekkum et dans les
environs.
(17 décembre.) Hukok
est à cinq lieues à peu près au nord-ouest de Capharnaüm, à cinq lieues
au sud-ouest de la montagne où les apôtres ont reçu leur mission, et à
trois lieues au sud de Saphet. Il n'y a ici que des Juifs qui sont assez
bien disposés. Ils ont reçu, pour la plupart, le baptême de Jean. Les
habitants fabriquent de belles étoffes ; ils font des bandelettes de
laine fine, et aussi des houppes et des franges de soie : ils
confectionnent beaucoup d'objets en soie : ils font, en outre, des
chaussures de tricot sous lesquelles on met des semelles et qui se
plient par le milieu : elles sont très commodes : il y a des ouvertures
par lesquelles la poussière s'échappe.
Le matin, Jésus enseigna et
guérit encore dans le faubourg. Vers midi je le vis entrer à Hukok même
en compagnie de beaucoup de personnes. Les apôtres et plusieurs
disciples se répandirent deux par deux dans la ville et dans les
environs. La ville doit avoir été autrefois une place forte. Elle est
entourée de plusieurs fossés et on y entre par un pont. De la porte on
voit la synagogue, bel édifice situé assez avant dans l'intérieur de la
ville. Les fossés sont à présent desséchés. Il y a autour de la ville
des avenues et un grand nombre d'arbres : on ne voit les maisons que
lorsqu'on en est tout près. Le préposé et ses assesseurs du faubourg
font aussi le service à la synagogue de la ville, qui est
extraordinairement belle. Elle est tout entourée de colonnes que l'on
peut dégager pour l'agrandir lorsque la foule est considérable. Elle se
termine par un hémicycle qui est fermé. Elle est située sur une place au
bout de la rue par laquelle on entre. La ville tout entière est propre
et bien bâtie.
Tout le peuple se rassembla
dans la synagogue. Jésus alla auparavant dans deux portiques séparés, et
il guérit dans l'un des hommes, dans l'autre des femmes affligées de
maladies de toute espèce. On lui amena un grand nombre d'enfants
malades, dont quelques-uns étaient dans les bras de leurs mères : il les
guérit et bénit plusieurs enfants bien portants.
Dans la synagogue, Jésus
enseigna sur la prière et sur le Messie. Il dit que le Messie était déjà
dans le monde, qu'il était leur contemporain, qu'il enseignait sa
doctrine. Il parla de l'adoration en esprit et en vérité, et je compris
qu'il s'agissait de l'adoration en esprit et en Jésus-Christ, car il
était la vérité, le vrai Dieu, le Dieu vivant incarné, le fils conçu du
Saint-Esprit. Les docteurs lui demandèrent à ce sujet d'une façon tout
amicale de dire qui il était réellement, d'où il venait, et si ses
parents et ses alliés avaient véritablement droit à ce titre. Ils le
priaient de dire nettement s'il était bien le Messie, le Fils de Dieu.
Il serait bon, ajoutaient-ils, que les docteurs de la loi sussent à quoi
s'en tenir : ils avaient autorité sur le peuple, et il serait bon qu'ils
le reconnussent, etc. Jésus leur répondit, d'une manière évasive, que
s'il disait : " C'est moi ! " ils ne le croiraient pas, et répéteraient
qu'il est le fils de telle et telle personne. Il ne fallait pas
ajouta-t-il, faire de questions sur son origine, mais considérer ses
enseignements et ses actions : le Fils du Père est celui qui accomplit
la volonté du Père, car le Fils est dans le Père et le Père dans le
Fils, et quiconque fait la volonté du Fils fait la volonté du Père ". Ce
qu'il dit à ce sujet, et aussi sur la prière, fut si beau, que plusieurs
s'écrièrent : " Seigneur, vous êtes le Christ ! vous êtes la vérité ! "
et se prosternèrent devant lui pour l'adorer. Mais il dit encore : "
dorez le Père en esprit et en vérité ". Puis il se rendit de la ville
dans le faubourg avec le chef de la synagogue, chez lequel il mangea et
passa la nuit ainsi que les disciples. Dans ce faubourg, il y a une
école et pas de synagogue : mais cette école est très fréquentée. On
continua à célébrer la fête des lumières (de la Dédicace).
(18 décembre.) Ce
matin, Jésus enseigna encore à Hukok : il revint sur les interrogations
qui lui avaient été adressées pour savoir s'il était le Messie : il
expliqua la parabole du semeur, et les différentes manières dont la
semence est reçue : puis il parla du bon pasteur, qui est venu pour
chercher les brebis égarées, quand même il n'en devrait rapporter qu'une
seule sur ses épaules. Il dit que le bon pasteur continuerait son oeuvre
jusqu'au moment où ses ennemis le mettraient à mort ; que ses serviteurs
et les serviteurs de ceux-ci feraient de même jusqu'à la fin des temps.
Quand même tout cela n'aboutirait qu'à sauver une seule brebis, l'amour
y trouverait sa joie, etc. Il parla à ce sujet d'une manière très
touchante.
Les apôtres et quelques
disciples ayant pris les devants, lui-même partit, vers midi, en
compagnie de quelques autres disciples, et suivit à peu près le chemin
par lequel il était venu, se dirigeant vers Bethanath, à une lieue et
demie au sud-est de Saphet.
Comme il était à peu près à
une demi lieue de Bethanath, un aveugle vint à sa rencontre, conduit par
deux jolis enfants ils avaient de petites robes courtes de couleur jaune
et de grands chapeaux d'écorce tressée : c'étaient des fils de Lévites.
L'aveugle était un homme de condition, déjà vieux : il attendait depuis
longtemps l'arrivée de Jésus. Il vint en toute hâte à sa rencontre
lorsque ses jeunes conducteurs le virent venir, et il lui cria de loin :
"Jésus, fils de David, secourez-moi ! ayez pitié de moi ! "Quand il fut
devant lui, il se jeta à ses pieds et dit : " Seigneur, vous me rendrez
certainement la lumière ! je vous attends depuis si longtemps ! j'avais
depuis si longtemps l'assurance intérieure que vous viendriez et que
vous me guéririez ! " Jésus lui dit : " si vous croyez, qu'il vous soit
fait selon votre foi ! " Puis il alla avec lui à une source qui était
dans le bois voisin, et lui dit de se laver les yeux. Or, les yeux de
cet homme ainsi que son front étaient pleins d'ulcères et recouverts
d'une espèce de croûte : quand il se fut lave, cette croûte tomba, et
Jésus lui oignit avec de l'huile les yeux, le front et les tempes. Alors
il recouvra la vue et rendit grâces à Jésus, qui bénit en outre les deux
enfants et dit qu'ils annonceraient un jour la parole de Dieu.
Ils se rapprochèrent alors
de la ville, devant laquelle les apôtres et les autres disciples se
réunirent à eux. Beaucoup d'habitants de la ville s'étaient rassemblés
là, et quand ils virent l'aveugle revenir guéri, la joie fut grande
parmi eux. Cet homme s'appelle Ctésiphon : mais ce n'est pas cet autre
aveugle du même nom, également guéri par Jésus, qui plus tard, devint
disciple et alla dans les Gaules avec Lazare.
Jésus, accompagné des
Lévites et de tout le peuple, alla à la synagogue où il enseigna. On
continue toujours à célébrer la fête des Lumières, et c'est comme un
temps de vacances. Jésus commenta encore ici les paraboles du semeur et
du bon pasteur. Ses auditeurs étaient bien disposés et heureux de
l'avoir au milieu d'eux. Il logea et prit sa nourriture dans la maison
des Lévites, près de l'école. Il n'y avait pas de Pharisiens ici. Les
lévites vivaient en commun comme dans un couvent, et ils envoyaient
quelques uns des leurs en mission dans d'autres endroits. Cette ville de
Bethanath était autrefois fortifiée et habitée par des païens que les
enfants de Nephtali, au lien de lés exterminer, avaient laissé subsister
à la condition de payer un tribut. Maintenant il n'y a plus de païens.
Ils furent chassés lorsque le temple fut rebâti et qu'Esdras et Néhémie
contraignirent les Juifs à se séparer des femmes païennes qu'ils avaient
épousées. Dieu, par la bouche des prophètes, avait menacé les Israélites
de châtiments sévères s'ils ne renonçaient pas à ces sortes d'unions et
s'ils ne chassaient pas les païens du pays, afin de ne pas rester
exposés à la tentation de se mêler avec eux par ces mariages mixtes. Ces
menaces ont eu leur accomplissement car, autour du Thabor et dans la
chaîne qui sépare Endor de Scythopolis, là où les montagnes sont si
enchevêtrées et où je vois dans le sein de la terre une si grande
quantité d'or qu'on n'en retire pas, les païens n'ont pas été chassés et
le pays est devenu un désert.
Lorsque Jésus alla à Abez
et près d'Endor, et que Je vis à cette occasion la défaite de Saul,
j'eus un aperçu général de cet amas confus de montagnes qui se trouve
entre Endor, Dothain, Scythopolis et Aser Michmethath. Je vis courir là
beaucoup d'ânes sauvages : je crois aussi y avoir vu des chameaux qui,
lorsqu'ils se dérobaient à un danger par la fuite, prenaient entre leurs
dents leurs petits encore inexpérimentés et les plaçaient ainsi sur leur
des. Peut-être aussi étaient ce d'autres animaux. Je vis alors dans ces
montagnes beaucoup d'airain, ayant l'éclat de l'or, lequel n'a jamais
été exploité et doit un jour être retiré du sein de la terre ; peut-être
est-ce quelque autre métal brillant. Il m'est impossible de décrire la
manière dont ces montagnes s'enchevêtrent les unes dans les autres. Je
vis alors aussi le champ où Joseph fut vendu : c'est dans une gorge en
face de la vallée du Jourdain. A deux lieues à l'est de Dothain et au
nord d'Aser Michmethath.
J'ai vu cette nuit Marthe
délibérer avec les saintes femmes chez la sainte Vierge ; elle veut, si
Jésus fait encore quelque part une instruction solennelle, se rendre
auprès de Madeleine et essayer de la décider par tous les moyens
possibles, à aller avec elle entendre cette instruction : toutes veulent
supplier Jésus de lui venir en aide. Elle espère que sa pauvre soeur
pourra revenir à Béthanie vers Pâques.
(19 décembre.)
Aujourd'hui Jésus, accompagné des apôtres et des disciples, parcourut
jusqu'au soir les environs de Saphet ; les apôtres se dispersèrent dans
le pays et ils vinrent ensuite le rejoindre, quelquefois deux à deux,
quelquefois en plus grand nombre. De Bethanath Jésus se dirigea au nord
vers Galgala, un grand et bel endroit situé des deux côtés d'une grande
route. Il alla à la synagogue avec plusieurs disciples : il y avait là
des Pharisiens, et il parla contre eux en termes très sévères ; il
commenta tous les passages du prophète Malachie où il est parlé du
Messie, du précurseur et du nouveau sacrifice sans tâche, et il annonça
que les temps prédits par le prophète étaient arrivés.
D'ici il se dirigea à l'est
vers Elkèse lieu de naissance du prophète Nahum, situé au nord de Saphet
; il y enseigna quelque temps. On trouve dans le voisinage un étang
formé par une source dont l'eau se sépare en deux bras qui vont, l'un à
l'ouest, l'autre au sud, se jeter dans le Jourdain supérieur et dans la
mer de Galilée. Il y a près de cet étang une maison de lépreux : Jésus
en guérit sept à huit et leur ordonna d'aller à Saphet se présenter aux
prêtres. Il enseigna aussi des bergers. On trouve là des prairies dont
l'herbe est d'une hauteur extraordinaire : beaucoup de chameaux vont y
paître. Jésus alla encore aujourd'hui près d'une montagne où sont de
nombreuses grottes, habitées par des païens qu'il enseigna. Il fut en
marche toute la journée enseignant et guérissant, car partout sur sa
route on lui amenait des malades.
Vers le soir il arriva à
Béthan, bourgade située à l'ouest au-dessous de la montagne de Saphet, à
une lieue environ de Bethanath d'où il était parti le matin. Ce petit
endroit est une colonie de Bethanath ; car ce sont des habitants de
cette ville qui se sont établis là : il est placé au pied du versant
occidental de la hauteur escarpée que couronne Saphet, et du haut de
laquelle le regard plonge dans l'intérieur de Bethan. Jésus y alla chez
des gens alliés à sa famille La fille d'une soeur d'Elisabeth s'était
mariée là : je ne la connaissais pas encore. Elle avait cinq enfants
dont le plus jeune était une fille âgée d'environ douze ans ; les fils
avaient déjà dix-huit à vingt ans. Cette famille et d'autres familles
animées des mêmes sentiments s'étaient agglomérées sous les murs de la
ville et occupaient une série d'habitations pratiquées dans le mur même
ou dans le rocher : tous appartenaient à cette catégorie d'Esséniens qui
vivaient dans l'état du mariage, et le mari de la nièce d'Elisabeth
était leur chef Cette famille avait ici un bien patrimonial c'étaient
des gens très pieux. Ils parlèrent de Jean à Jésus et demandèrent avec
inquiétude s'il ne serait pas bientôt mis en liberté. Jésus leur
répondit d'une façon qui les rendit pensifs et mélancoliques : toutefois
Jean était venu les voir lorsqu'il quitta pour la première fois le
désert qui avoisine les sources du Jourdain, et ils étaient allés des
premiers recevoir le baptême de sa main. Ils parlèrent aussi à Jésus de
leurs fils, disant qu'ils voulaient les envoyer prochainement partager
les travaux des pêcheurs de Capharnaum Jésus dit à ce sujet que les
pêcheurs en question avaient entrepris un autre genre de pêche, et que
ces jeunes gens se joindraient aussi à lui quand le temps serait venu.
Ils ont fait partie en effet des soixante-douze disciples. Jésus prêcha
et guérit ici Je l'entendis dire, je ne sais plus à quelle occasion, que
les autres disciples étaient sur les confins de Tyr et de Sidon, et que
lui-même voulait aller en Judée.
Je remarquai que Thomas se
réjouissait fort de ce voyage, parce qu'il prévoyait que les Pharisiens
de la Judée feraient à Jésus une opposition plus vive et qu'il espérait
avoir l'occasion de disputer contre eux. Il parla dans ce sens aux
autres disciples, qui ne voyaient pas ce projet d'aussi bon oeil. Mais
Jésus blâma son zèle excessif et lui dit que lui-même un jour se
refuserait à croire : c'était ce que Thomas ne pouvait pas se figurer.
(20 décembre.) Le
matin Jésus guérit et enseigna à Béthan en compagnie des disciples. Il
expliqua dans l'école la seconde béatitude Dans l'après-midi il donna
des instructions aux disciples sur la manière dont ils devaient
enseigner. Cependant des Pharisiens de Saphet étaient descendus pour
l'inviter au sabbat. Il expliqua encore la parabole des différents
terrains sur lesquels tombe la semence : ils ne voulurent pas comprendre
ce qu'il disait du terrain pierreux, et ils disputèrent contre lui à ce
sujet ; mais il les réduisit au silence, et quand ils l'invitèrent pour
le sabbat, il répondit qu'il irait avec eux à cause de la brebis égarée,
mais qu'eux, les Sadducéens (il y en avait parmi eux), se
scandaliseraient à son sujet. " Maître, lui répondirent-ils, c'est notre
affaire ". Il leur dit encore qu'il les connaissait bien, et qu'il
savait combien ils commettaient d'iniquités dans le pays. Il sortit
ensuite de Bethan en compagnie nombreuse et monta à Saphet qui, de ce
côté, est bâtie sur la pente escarpée de la montagne, de façon que les
maisons sont les unes au-dessus des autres. Les chemins se trouvent plus
bas que les maisons, auxquelles on monte par des degrés taillés dans le
rocher ; il y a bien une demie lieue à faire pour arriver jusqu'au
sommet, où se trouve la synagogue : il y a là un plateau d'une certaine
étendue, après lequel la montagne s'abaisse vers le nord-est par une
pente moins escarpée. A l'entrée de la ville, les meilleurs d'entre les
habitants firent à Jésus une réception solennelle : ils portaient des
branches d'arbre à la main et chantaient des cantiques ; on lui lava les
pieds ainsi qu'à ses disciples, et on leur offrit des rafraîchissements.
Il se rendit alors à la synagogue, où une foule nombreuse était
rassemblée ; car on faisait la clôture de la fête des Lumières, en même
temps qu'on célébrait celle de la nouvelle lune et le sabbat :
d'ailleurs on était venu de toutes parts pour voir Jésus et ses
disciples.
Il y avait à Saphet
beaucoup de Pharisiens, de Sadducéens et de Scribes : il s'y trouvait
aussi de simples Lévites. La ville possédait une espèce d'école pour
l'enseignement de la loi, où un grand nombre de jeunes gens
s'instruisaient dans les arts libéraux et la théologie judaïque. Thomas
y avait été deux ans auparavant en qualité d'étudiant, et il rendit
visite à un Pharisien qui avait été son principal professeur, et qui
s'étonna fort de le voir en compagnie de gens de cette sorte. Mais
Thomas parla avec tant de chaleur de la doctrine de Jésus et de ses
actions qu'il le réduisit au silence. Des Pharisiens et des Sadducéens
de Jérusalem s'étaient introduits dans cette école : ils s'y montraient
fort arrogants, et ils étaient à charge même aux Pharisiens et aux
docteurs de l'endroit. Quelques-uns d'entre eux s'étaient joints à ceux
qui étaient allés inviter Jésus, et ils parlaient d'un ton doucereux de
sa réputation et de ses miracles, mais en ajoutant qu'il devait bien
prendre garde de causer ici du désordre et de l'agitation ; car ils
avaient vu avec dépit qu'on lui eût fait une réception aussi solennelle.
Jésus leur répondit à ce sujet devant tout le peuple ; c'était dans le
vestibule, avant l'ouverture du sabbat : il parla en termes sévères du
trouble et du scandale qu'ils excitaient dans le pays, mais sans
s'expliquer plus clairement, et il les somma de s'expliquer et de dire
s'ils avaient à lui reprocher quelque violation de la loi, à lui qui
était envoyé par son Père pour lui donner son accomplissement. Pendant
qu'il était en discussion avec eux, sept ou huit lépreux qu'il avait
guéris la veille à Elkèse vinrent, suivant son ordre, se présenter à
l'examen des prêtres, et Jésus dit : "voyez comment j'accomplis la loi !
J'ai commandé à ces gens de se présenter devant vous, quoiqu'ils n'y
soient pas obligés ayant été guéris en un instant par l'ordre de Dieu et
non par la médecine humaine. "Cette coïncidence irrita fort les
Pharisiens, et ils allèrent examiner ces gens : on se contentait, en
pareil cas, de regarder leur poitrine ; s'il n'y avait plus de lèpre,
c'était un signe qu'ils étaient entièrement purifiés. Les Pharisiens,
surpris et irrités de les trouver parfaitement sains, furent obligés de
les déclarer libres.
Jésus enseigna dans la
synagogue sur la lecture du sabbat, puis sur la Genèse et sur le premier
livre des Rois et aussi sur les dix commandements : il toucha plusieurs
points à propos desquels les Pharisiens et les Sadducéens ne purent se
dissimuler qu'il faisait allusion à eux. Il parla encore de
l'accomplissement des promesses, et annonça les jugements de Dieu qui
allaient frapper tous ceux que l'exhortation à la pénitence trouverait
insensibles. Il parla de la destruction du temple et de la dévastation
de plusieurs villes. Il parla de la loi véritable qu'ils ne comprenaient
pas et de leur loi datant d'hier, comme il l'appelait, qu'il rejeta
complètement. J'eus l'impression qu'il entendait par là quelque chose de
semblable aux livres actuels des Juifs, au Talmud par exemple, parce que
les gens d'ici étudiaient des livres de ce genre et y attachaient
beaucoup d'importance.
Après la synagogue il alla
avec les disciples prendre son repas chez un Pharisien de l'endroit qui
était chargé d'héberger les docteurs et les rabbins : les autres
Pharisiens mangèrent avec lui. Pendant ce repas Jésus réprimanda
sévèrement les Pharisiens parce qu'ils reprochaient aux disciples de ne
pas se laver les mains en se mettant à table et d'omettre diverses
observations relatives aux aliments, et parce qu'ils rudoyaient les gens
de service à propos de quelques petites négligences touchant la
préparation des mets et la propreté de la vaisselle. Ce fut quelque
chose de tout à fait analogue à ce qui est rapporté dans certains
passages de l'Ecriture (par exemple Matth. XV, I, etc. Marc, VII).
Dans la matinée on avait
amené de la ville avec beaucoup de peine, à cause de la difficulté des
chemins, beaucoup de gens atteints de maladies graves, dont quelques-uns
étaient très âgés ; on les avait fait entrer dans la cour de la maison
où Jésus logeait, et il les guérit les uns après les autres. Il y avait
des sourds, des aveugles, des paralytiques, des boiteux, des infirmes de
toute espèce. Jésus opéra ses guérisons d'aujourd'hui par la prière, par
l'imposition des mains, par des onctions d'huile bénite, et en général
avec plus de cérémonies qu'à l'ordinaire, il s'entretint à ce sujet avec
les disciples et leur apprit comment ils devaient faire usage de ces
procédés : puis il donna aux malades des avis appropriés à l'état de
chacun.
Les Pharisiens et les
Sadducéens venus ici de Jérusalem se scandalisèrent fort à ce sujet :
ils voulaient renvoyer les nouveaux malades qui arrivaient et ils
commencèrent à contester vivement, disant qu'ils ne pouvaient pas
tolérer ces violations du sabbat. Comme ils faisaient grand bruit, Jésus
les interpella et leur demanda ce qu'ils voulaient. Ils entrèrent alors
en dispute avec lui sur son enseignement, où il ne cessait de parler du
père et du fils, tandis qu'on savait bien quels étaient ses parents.
Jésus répondit, à sa manière accoutumée, que celui qui faisait la
volonté du Père était le fils du Père, tandis que celui qui n'observait
pas les commandements n'avait pas le droit de rien décider et devait se
trouver heureux de n'être pas chassé de la maison comme un étranger et
un intrus ; mais ils mirent encore en avant des griefs de toute espèce
contre ses guérisons ; ils lui firent aussi un crime de ne s'être pas
lavé la veille avant le repas et, comme ils réclamaient vivement contre
le reproche qu'il leur avait fait de ne pas observer la loi, la chose
alla si loin que Jésus écrivit sur la muraille en caractères qu'eux
seuls pouvaient lire, leurs péchés et leurs prévarications secrètes, ce
qui les frappa de terreur.
Je ne me souviens plus bien
comment il fit cela : je crois que ce fut avec le doigt : peut-être
avait-il à la main la boîte de couleurs dont il s'était servi pour
écrire sa lettre à Abgare. Il demanda aux Pharisiens s'ils voulaient que
cela restât écrit et vînt à la connaissance de tous, ou s'ils aimaient
mieux le laisser opérer tranquillement ses guérisons, auquel cas ils
pourraient l'effacer. Cela les effraya beaucoup : alors il se remit à
guérir et eux ils effacèrent ce qu'il avait écrit et se retirèrent. Ils
avaient commis diverses malversations avec l'argent de certaines
fondations pour les veuves et les orphelins, qu'ils avaient appliqué à
des bâtisses de toute espèce. Saphet était pourvu de plusieurs
fondations de ce genre et pourtant il s'y trouvait beaucoup de gens dans
la détresse.
Le soir Jésus acheva
d'enseigner dans la synagogue et il passa la nuit dans la maison où il
avait mangé. Près de la synagogue il y a une source d'eau jaillissante.
La montagne de Saphet est couverte de bocages et de jardins déjà
verdoyants : on rencontre sur le chemin qui y mène une grande quantité
de myrtes qui répandent une odeur très agréable. Il y a ici beaucoup de
grandes maisons carrées et des substructions sur lesquelles on dresse
dés tentes. On confectionne dans la ville beaucoup de vêtements
sacerdotaux et il s'y trouve un grand nombre d'étudiants et de savants.
(22-24 décembre.) Ce
matin Jésus a visité les dépendances extérieures de la ville qui est
disséminée sur un grand espace, et il a guéri beaucoup de malades qu'on
lui amenait sur son chemin devant les maisons. Un neveu de Joseph
d'Arimathie et un fils de Séraphia étaient déjà partis dès l'aurore pour
Kiriathaim, ville située au sud-ouest, à trois lieues d'ici, afin d'y
préparer les logements. Jésus lui-même partit vers le midi de Saphet.
Les disciples quand ils sont en route se dispersent de côté et d'autre :
Jésus enseigne et guérit, s'arrêtant souvent. Il se dirigea vers l'ouest
entre Bethan et Elkèse, puis il prit sa route vers le midi.
Un peu en arrière d'Elkèse,
où il y a une belle fontaine, on rencontre un petit lac ovale, grand
comme celui des bains de Béthulie : il en sort un cours d'eau qui
descend au midi et arrose la vallée qui va rejoindre au sud-est, en
avant de Kiriathaim, celle de Capharnaum. Cette vallée, dont la largeur
varie souvent, s'étend jusqu'à Capharnaum sur une longueur de sept
lieues. En allant à Kiriathaim, Jésus eut à passer la petite rivière qui
sort du lac. Il vint à lui sur le chemin quelques démoniaques qui le
prièrent de les secourir. Ils dirent que les disciples n'avaient pas pu
les délivrer. Ils croyaient qu'il y réussirait mieux. Jésus leur
répondit qu'ils ne devaient pas s'en prendre aux disciples, mais à
eux-mêmes et à leur manque de foi, et il leur commanda d'aller à
Kiriathaim et de jeûner jusqu'à ce qu'il lui plut de les guérir. Ils
devaient l'attendre en faisant pénitence. A une demi lieue environ de
Kiriathaim les Lévites de l'endroit vinrent à sa rencontre, ainsi que
beaucoup de gens de bien et les maîtres d'école en compagnie des
enfants. Les deux disciples qui avaient retenu les logements s'y
trouvaient aussi. On le reçut près d'un jardin d'agrément. C'était un
endroit où l'on prenait des bains et où l'eau du petit cours d'eau
arrivait par un canal. Il y avait dans ce jardin beaucoup de beaux
arbres, de bosquets et d'allées couvertes : il était entouré d'un
terrassement et d'une haie extrêmement épaisse. On lava les pieds à
Jésus et aux disciples et on leur offrit une réfection.
Jésus : enseigna quelque
temps les enfants et les bénit. Il pouvait être cinq heures lorsqu'ils
allèrent à la ville. Elle est située sur une colline et domine une
vallée. En allant à la synagogue il guérit dans les rues des malades de
toute espèce rangés sur son passage. A la synagogue Jésus enseigna de
nouveau sur les béatitudes : il parla aussi du châtiment des Lévites qui
avaient porté la main à l'arche d'alliance et dit qu'un châtiment encore
plus terrible était réservé à ceux qui porteraient la main sur le fils
de Dieu dont l'arche n'était que la figure.
Il logea ici dans
l'hôtellerie qu'on avait louée pour lui. Elle était vide et je vis les
disciples la garnir d'objets appartenant à la communauté qu'on avait
envoyés ici. On leur portait leur nourriture d'une maison de la ville où
l'on faisait aussi la cuisine pour des malades. Les Lévites mangèrent
avec eux.
(23 décembre.)
Kiriathaim est une ville de Lévites. Il n'y a pas de Pharisiens. Il s'y
trouve deux familles alliées à celle de Zacharie. Jésus les visita : ils
étaient inquiets de Jean. Jésus leur exposa tout ce qui avait précédé la
naissance de Jean, tout ce qui l'avait accompagnée, ainsi que son genre
de vie merveilleux et sa mission. Il rappela aussi à leur souvenir
beaucoup de choses relatives à la naissance du fils de Marie, et leur
fit voir que ce qui arrivait à Jean était dans les desseins de Dieu et
qu'il devait mourir quand il aurait accompli sa mission. Il les prépara
ainsi à sa mort prochaine.
Jésus rencontra près de la
synagogue les deux possédés qui étaient venus la veille et beaucoup
d'autres malades qui le conjurèrent de les guérir. Il en guérit
plusieurs, il en renvoya d'autres, après leur avoir imposé un certain
nombre de jeûnes, d'aumônes et de prières. Il donna ici de ces sortes
d'injonctions plus qu'il ne le faisait ordinairement : ce fut peut-être
parce qu'on y observait la loi plus strictement qu'ailleurs. Il alla
ensuite avec les disciples au jardin où on l'avait reçu hier. Il y
enseigna et les disciples baptisèrent. Il y avait dans le voisinage
quelques troupes de païens campés sous des tentes qui l'attendaient ici.
De Capharnaum on les avait adressés ici. On baptisa aussi quelques Juifs
guéris par Jésus : il y eut bien en tout une centaine de personnes. Ils
se tenaient dans l'eau autour d'un bassin. Pierre et Jacques le Mineur
administrèrent le baptême, les autres imposèrent les mains.
Le soir, Jésus revint à la
ville : il enseigna sur les huit béatitudes et aussi sur les assurances
trompeuses des faux prophètes qui avaient contredit aux menaces des
prophètes véritables, tandis que les prédictions de ceux-ci s'étaient
toujours accomplies. Il répéta ses avertissements prophétiques touchant
ceux qui ne recevraient pas l'envoyé de Dieu. Les parents de Zacharie
qui étaient Lévites, mangèrent avec lui ainsi que d'autres personnes.
(24 décembre.)
Aujourd'hui vers midi, Jésus est parti de Kiriathaim avec les disciples,
se dirigeant vers le midi. Les Lévites et les enfants des écoles
l'escortèrent solennellement à son départ comme ils l'avaient fait pour
son entrée. Il y a dans cet endroit un transit considérable de
marchandises : les habitants confectionnent des habits sacerdotaux et
travaillent la soie qui leur vient de l'étranger. Ils ont aussi de
l'autre côté de la vallée, sur le coteau méridional ou se trouve un
endroit appelé Naasson, des plantations de cannes à sucre dont ils font
le commerce. Jésus traversa la vallée et franchit ce coteau. Les
disciples se dispersèrent et se rendirent soit à la ville qui est près
de là, soit dans quelques endroits qui sont dans la vallée plus au
levant. Jésus enseigna sur une éminence près de Naasson : il rencontra
encore des gens venant de Capharnaum, notamment des païens. Souvent des
troupes entières l'accompagnaient assez longtemps. Je le vis encore chez
des bergers et ailleurs guérir plusieurs personnes, parmi lesquelles
deux hommes tout contrefaits qui étaient couchés au bord de la route,
ayant une de leurs jambes toute contractée et l'autre étendue dans toute
sa longueur. Il les prit par la main et leur commanda de se lever. Ils
auraient désiré le suivre, mais il ne le leur permit pas. Il traversa
encore une vallée et arriva sur une hauteur devant une ville : je crois
que ce peut être Abram sur le territoire de la tribu d'Aser. Il s'arrêta
à l'entrée dans une hôtellerie. Il y a devant la ville de beaux jardins
et des espaliers. Il entra dans l'hôtellerie avec deux disciples
seulement : je crois que les autres ne le rejoindront pas encore. La
hauteur se prolonge à l'est entre la vallée de Magdalum et le village du
centurion Zorobabel, qui est bien à sept ou huit lieues. Cette contrée,
située au levant d'un contrefort du Liban qui descend vers la vallée de
Zabulon, est très agréable et très riche en pâturages : beaucoup de
bestiaux et de chameaux paissent dans le gazon touffu. Au levant du côté
du lac il y a surtout des arbres fruitiers.
Lorsque Jésus alla de
Bethanath à Galgala, il avait Thisbé à sa droite : on laisse cette ville
à gauche quand on va de Saphet à Adama qui est près du lac Mérom.
Beaucoup de partisans
d'Hérode sont déjà en route pour Machérunte à l'occasion de la fête de
ce Prince.
Je crois que Jésus fera bientôt une grande instruction en Galilée, et
que c'est peut-être là que Madeleine se convertira. Abram est à trois
lieues environ au midi de Kiriathaim. Mais Jésus n'a pas pris le chemin
direct et il a fait au moins cinq lieues.
(25 décembre.) La
ville devant laquelle Jésus est arrivé hier, est Abram : elle est située
dans l'angle qui termine au nord le territoire de la tribu d'Aser, tout
prés de l'extrémité nord-ouest de celui de la tribu de Zabulon. Dans la
vallée au nord se trouve la limite entre Nephtali et Zabulon, qui court
de l'ouest à l'est. La ville s'étend sur la montagne au nord et au
levant et elle est traversée par une arête élevée qui sépare Aser et
Zabulon.
Sur le soir, Thomas, Jean
et Nathanaël revinrent trouver .Jésus à l'hôtellerie. Les autres
disciples étaient encore dans les villes d'alentour. La limite qui
sépare les tribus d'Aser et de Nepthali ; divise dans sa longueur la
montagne sur laquelle Abram est située : je crois l'avoir portée trop au
nord hier.
Jésus resta hier soir dans
l'hôtellerie qui est devant la ville et il y enseigna. Beaucoup de
personnes s'y étaient rassemblées. Ce matin, le maître de l'hôtellerie
soumit à sa décision une contestation relative à un puits voisin qui
servait à abreuver les troupeaux et dont il avait la surveillance. Le
voisinage des tribus et la grande quantité de pâturages qui se
trouvaient sur la hauteur occasionnaient des disputes fréquentes
concernant le puits. Le maître de l'hôtellerie lui dit : " Seigneur,
nous ne vous laisserons point partir que vous n'ayez tranché notre
contestation. "Jésus rendit une décision que je ne me rappelle plus
bien, mais dont voici à peu près le sens. On devait de chaque côté
laisser en liberté la même quantité de bétail, et le droit principal à
l'usage du puits devait échoir à ceux dont les bestiaux s'y rendraient
d'eux-mêmes en plus grand nombre. Il prit occasion de là pour leur
donner des enseignements très profonds sur l'eau vive qu'il voulait leur
donner et qui devait appartenir à ceux qui la désireraient le plus
ardemment. C'était un enseignement plus profond encore que celui qu'il
avait donné près du puits de Jacob, à Dina, la Samaritaine. Il enseigna
encore jusque vers dix heures devant la ville, puis il y entra. Abram
est divisée en deux parties situées sur deux rues et qui forment comme
deux gros bourgs : il s'y trouve beaucoup de jardins et de champs
cultivés. Les habitants et les docteurs préposés aux écoles vinrent
encore à la rencontre de Jésus devant la ville : ils lui lavèrent les
pieds, lui offrirent une réfection et le conduisirent à la synagogue.
En y allant il guérit
encore plusieurs malades couchés le long du chemin : la plupart étaient
estropiés : il y avait aussi quelques vieillards d'une maigreur
effrayante et quelques démoniaques qui n'étaient pas furieux, mais qui
erraient ça et là murmurant entre leurs dents, répétant des mots sans
suite, toujours les mêmes, ou bien injuriant les passants : c'étaient
des gens de même espèce que ces idiots, souvent assez méchants, qu'on
voit parfois errer dans nos villes. Ils vinrent comme malgré eux aux
endroits où était Jésus, et ils répétaient sans cesse les mêmes paroles
: " Jésus de Nazareth ! Jésus prophète ! Fils de Dieu ! Jésus de
Nazareth ! " Il les délivra en les bénissant. Dans la synagogue il
enseigna et commenta une des béatitudes, et en outre des textes du
prophète Malachie sur Jean, sur le Messie, sur le nouveau sacrifice,
etc.
Il y avait ici des
Pharisiens, des Sadducéens et des Lévites, et deux synagogues dans les
deux parties de la ville. Les Sadducéens avaient leur synagogue
particulière où Jésus n'enseigna pas. Les Pharisiens furent tout à fait
convenables à son égard. Le soir, il retourna à son hôtellerie : elle
était à un bon quart de lieue de l'entrée méridionale de la ville.
C'est une hôtellerie
spéciale établie ici par Lazare pour Jésus et ses disciples. Lazare est
venu ici récemment : il s'est rendu avec Marthe de Judée en Galilée,
pour préparer des logements en divers lieux : toutefois il est revenu
sans accompagner sa soeur à Capharnaum. L'hôtellerie est tenue par des
gens de la vallée de Zabulon, alliés à la famille de Jésus. Ce sont des
Esséniens vivant dans l'état du mariage. Le mari descend de la famille
d'un Zacharie qui fut tué entre le temple et l'autel : la femme est
petite-fille d'une des soeurs de sainte Anne, dont le nom ne me revient
pas maintenant. Ils ont de grands enfants. Ils sont propriétaires de
troupeaux et ils possèdent des pâturages dans le voisinage de Jazer,
près du champ où Joachim pria avant la conception de Marie. Comme ils
ont peu d'occupation chez eux en ce moment, ils sont venus ici :
d'autres les remplaceront plus lard. L'hôtellerie était comme le sont
toutes les autres, bien tenue, mais modestement. On y avait pour
nourriture du pain, du miel, des fruits et du poisson. Il y a dans ses
dépendances un jardin, un champ et un puits. A Abram comme à Saphet on
rencontre souvent des substructions en pierre sur lesquelles on peut
dresser des tentes : il en est de même a Kiritbaïn1 et à Naasson. Il n'y
a pas de paiens dans la ville, mais seulement sur la pente de la
montagne dans quelques groupes de maisons.
(26 décembre.) Ce
matin, de bonne heure, quelques-uns des apôtres et des disciples qui
s'étaient séparés de Jésus devant Kiriathaim, sont venus ici : André et
Matthieu, qui faisaient partie d'une autre troupe, sont aussi revenus,
et Thomas et Jacques le Mineur sont allés les remplacer près des autres,
lesquels sont maintenant à Achzib, ville maritime de la tribu d'Aser,
qui est à dix ou douze lieues à l'ouest d'ici. Il est venu avec André
quinze à vingt personnes, étrangers ou malades récemment guéris qui
veulent entendre la prédication de Jésus. Les deux apôtres ont raconté
en détail ce qui s'est passé : tout leur a réussi partout où ils sont
allés : guérisons, expulsions de démons, prédications et baptêmes. Il
vint dans la matinée, à l'hôtellerie de Jésus, un très grand nombre de
malades et de gens avant besoin de conseils ou de consolations.
C'étaient encore pour la plupart des boiteux avec les membres tordus, de
vieilles gens tout décharnés, des démoniaques murmurant des paroles
inarticulées : il y avait aussi des femmes malades qui se tenaient dans
un endroit séparé. Les paralytiques guéris hier par Jésus voulaient se
faire ses aides auprès des autres malades, mais il les remercia en
disant qu'il était venu pour servir et non pour être servi. Jésus guérit
et enseigna toute la matinée, et il eut ensuite à apaiser une
contestation concernant un puits. Comme les frontières des trois tribus
d'Aser, de Nephtali et de Zabulon se touchaient ici, et que l'on y
faisait paître beaucoup de troupeaux, il y avait sans cesse des démêlés
à propos des puits. Un de ces bergers se plaignait que d'autres que lui
fissent usage d'un puits creuse par ses pères : il consentait du reste à
se soumettre à la décision de Jésus, mais il ne voulait pas aliéner
complètement les droits de ses descendants. Jésus décida (j'ai oublié
sur quels motifs) qu'il devait creuser un puits dans un autre endroit
qu'il lui désigna, disant qu'il y trouverait de meilleure eau et en plus
grande abondance. Les disciples et Jésus prirent encore un petit repas
dans l'hôtellerie, après quoi il allèrent à la ville. Sur le chemin et
jusqu'à la synagogue Jésus guérit encore plusieurs malades. J'ai oublié
de dire que, dans la matinée on a baptisé vingt à trente Juifs et parmi
eux, de ceux qui étaient venus avec André et Matthieu. Il n'y avait pas
ici de pièce d'eau où l'on pût descendre : on les baptisa rangés en
cercle et agenouillés, avec de l'eau prise dans un bassin.
Les gens que Jésus guérit
dans la ville étaient presque tous affectés des maladies décrites plus
haut : ces maladies devaient tenir à certains égards à la situation
élevée de la ville et à la manière de vivre de ses habitants. Il entra
encore dans deux maisons pour y guérir et il s'occupa beaucoup des
enfants qui se tenaient rangés pour l'attendre au coin des rues et
partout où ils trouvaient de la place. Il les questionna, leur donna des
instructions et les bénit. Des mères lui apportèrent aussi quelques
enfants malades qu'il guérit. Il s'était rassemblé ici beaucoup de gens
des environs.
Dans la synagogue les
Pharisiens furent pleins d'égards pour lui : ils lui cédèrent la
première place, firent ranger ses disciples autour de lui et lui
présentèrent un volume des Écritures. Il enseigna encore sur l'une des
huit béatitudes ; il parla en outre des grandes persécutions auxquelles
lui et les siens seraient en butte, ainsi que des terribles châtiments
et de la destruction dont Jérusalem et le pays étaient menacés. Les
Pharisiens l'interrompirent plusieurs fois pour le prier d'expliquer
telle ou telle de ses paroles. C'est chose assez ordinaire.
Les gens d'ici sont très
laborieux, ils apprêtent du coton pour le vendre et fabriquent de larges
pièces d'étoffe de moyenne finesse ; ils filent aussi une plante qui
ressemble au lin. La tige est plus grosse que celle du lin : on la
divise dans le sens de la longueur en parties très minces qu'on passe
sur un os ou sur un morceau de bois pointu de manière à en tirer des
fils très longs et très fins. Ils sont d'un jaune brillant et on les
file pour faire des robes. Ce n'est pas du lin ni du chanvre comme il y
en a chez nous. Ils font aussi des couvertures de tentes et des cloisons
légères en nattes.
(27 décembre.)
Pendant toute la matinée et une partie de l'après-midi, Jésus et les
apôtres visitèrent différentes maisons du quartier méridional de la
ville ; ils enseignèrent, consolèrent, réconcilièrent et exhortèrent à
l'union, à la charité, à la concorde, etc. Quand la famille était
nombreuse, l'enseignement était pour elle seule : le plus souvent les
disciples convoquaient plusieurs familles voisines à se réunir. Tous les
commensaux de la maison étaient présents. Il pacifiait alors toutes les
querelles et réglait tous les différends. Ces visites se faisaient la
plupart du temps dans des maisons où se trouvaient de très vieilles gens
qui ne pouvaient pas quitter leurs lits pour aller l'entendre à la
synagogue. Je vis aussi des hommes très âgés recevoir le baptême sur
leurs couches. Il y en avait deux qui ne pouvaient se mettre sur leur
séant qu'avec le secours d'autrui : ils furent baptisés avec de l'eau
qu'on prit dans un bassin.
Dès le premier jour de son
arrivée à Abram, Jésus exhorta deux couples de fiancés et assista aux
fiançailles. Aujourd'hui trois couples se réunirent dans une maison :
les pères et mères étaient présents ainsi que les plus proches parents :
les Pharisiens s'y trouvaient aussi et Jésus fit une instruction sur le
mariage. Il parla de la soumission de la femme comme prescrite par le
décret divin rendu après le péché de nos premiers parents : il ajouta
que les hommes devaient honorer dans leurs femmes la promesse ; " que la
semence de la femme écraserait la tête du serpent ". Maintenant surtout
que le temps de l'accomplissement était proche et que la grâce allait
prendre la place de la loi, les femmes devaient obéir par un sentiment
de respect et d'humilité et les hommes commander avec amour et avec
indulgence. Il dit encore dans cette instruction qu'il ne fallait pas
demander comment le péché était entré dans le monde ; qu'il était entré
par la désobéissance, comme le salut par l'obéissance et par la foi. Je
ne puis pas bien répéter cela comme il le dit. Il parla aussi du divorce
: et que le mari et la femme n'étaient qu'une seule chair et qu'ils ne
devaient pas être séparés : que dans le cas où il résulterait un grand
mal de leur cohabitation, ils pouvaient vivre à part l'un de l'autre,
mais sans pouvoir se remarier. Les lois, disait-il sont faites, à
certains égards, pour les peuples enfants et grossiers : mais maintenant
que l'enfance est passée et que la plénitude des temps est arrivée, les
époux séparés ne peuvent se remarier sans violer les lois éternelles de
la nature : quant à la séparation, elle peut être tolérée pour éviter un
plus grand mal, mais seulement après une épreuve sérieuse. Il adressa
cette exhortation dans une maison de belle apparence appartenant aux
parents de l'un des couples de fiancés : tous les couples étaient
rassemblés et un rideau séparait les hommes des femmes. Jésus se tenait
à l'extrémité de ce rideau et enseignait : les pères et les mères se
tenaient aussi là, rangés, selon leur sexe, derrière leurs enfants :
quelques disciples et quelques Pharisiens étaient debout à côté de
Jésus.
Ce fut à propos de cet
enseignement sur le mariage qu'il eut pour la première fois à éprouver
quelques contradictions de la part des Pharisiens. (Toutefois ce ne fut
pas ici qu'ils commencèrent à entrer en discussion à ce sujet) mais le
soir, à la synagogue, après la lecture du sabbat. Il enseigna à la
synagogue sur l'oppression des enfants d'Israël en Egypte et sur le
passage d'Isaie relatif à la pierre angulaire. Je ne sais plus à propos
de quoi il présenta dans son explication une comparaison où figurait un
manteau, mais cela donna lieu pour moi à une vision qui me fut montrée
pendant qu'il parlait. Je vis comme un manteau, d'abord de petite
dimension mais qui allait s'élargissant toujours et qui finit par
embrasser tout un monde avec ses habitants. Cette vision symbolique
pendant que je la regardais s'étendit jusqu'au temps actuel et je vis
des ecclésiastiques faire une déchirure dans le manteau et regarder à
travers : j'en reconnus plusieurs. J'eus aussi une vision sur la pierre
angulaire, mais je ne m'en souviens plus bien. Dans la synagogue les
Pharisiens commencèrent à contester la doctrine qu'il avait exposée
aujourd'hui sur le mariage. Elle était selon eux trop indulgente en ce
qui touche la soumission des femmes à leurs maris, trop rigoureuse à
l'endroit du divorce : ils avaient compulsé des écrits de toute espèce
et, malgré les explications données par lui sur son enseignement, ils se
refusaient à l'accepter. Cependant leur opposition quoique vive resta
dans la limite des convenances.
Voici que je place une
pierre dans les fondements de Sion, une pierre éprouvée, angulaire,
précieuse, fortement établie dans les fondements. "(Isaïe, XXVIII, 16,)
Jésus accompagné de deux
disciples assista aujourd'hui en qualité de témoin au mariage des
couples dont il a été parlé plus haut. Ils furent conduits devant le
coffre qui renfermait le livre de la loi ; cela se fit en plein air, car
on avait enlevé la coupole qui recouvrait la synagogue. Je vis les
fiancés faire couler dans un verre de vin où ils burent, quelques
gouttes de sang tiré du doigt annulaire. Il y eut un échange d'anneaux
et encore d'autres cérémonies. Après la synagogue, les noces
commencèrent par des danses, des jeux et un festin où Jésus et les
disciples furent invités. Cela eut lieu dans la maison destinée aux
fêtes publiques, bel édifice soutenu par des colonnes. Les couples de
fiancés n'étaient pas tous de la ville : plusieurs demeuraient dans le
voisinage : il y en avait qui appartenaient à la classe pauvre. Mais
tous aujourd'hui célébrèrent ici leurs noces ensemble : ils avaient pris
leurs mesures pour cela à la nouvelle de l'arrivée de Jésus.
Quelques-uns des jeunes époux et des parents avaient assisté à ses
prédications à Capharnaum. Du reste, les habitants de la ville étaient
bons et hospitaliers, et les noces des pauvres célébrées avec celles des
riches furent par là plus solennelles et entraînèrent moins de frais.
Je remarquai que les
conviés apportaient certains cadeaux et que Jésus aussi fit un présent
en argent pour lui et pour ses disciples : il lui fut renvoyé à son
logis avec quelques corbeilles remplies de pains de belle qualité : le
tout fut distribué aux pauvres par ses ordres.
On commença par des danses
nuptiales très modestes et avec des allures très lentes : les fiancées
étaient voilées, les couples se tenaient vis-à-vis les uns des autres,
et chaque fiancé dansait une fois avec sa fiancée. Les danseurs ne se
touchaient pas, mais prenaient seulement en passant le bout de certains
morceaux d'étoffe que tous avaient à la main. La danse dura jusqu'à ce
que chacun eût dansé avec tous ; puis ils dansèrent tous ensemble. Cela
dura bien une heure à cause de la lenteur des mouvements. Le banquet
vint ensuite ; alors les hommes et les femmes se séparèrent. Les
musiciens étaient des enfants des deux sexes, portant aux bras et sur la
tête des bandelettes de laine. Ils avaient des fifres, des cors
recourbés et d'autres instruments. Les tables étaient séparées de façon
à ce qu'on pût s'entendre, mais non se voir. Jésus vint près de la table
des fiancées, et leur raconta une parabole dans le genre de celle des
Vierges sages et des Vierges folles et il l'appliqua à la fois à la vie
domestique et à la vie spirituelle. Il dit à chacune comment elle devait
soigner son nouveau ménage et l'approvisionner de telle ou telle chose ;
ses paroles, en outre, avaient toujours un sens spirituel, et se
rapportaient parfaitement au caractère et au défaut de chacune : le
symbole de la lampe y figurait aussi.
Après le repas, on joua à
des jeux où il s'agissait de deviner des énigmes. Les énigmes proposées
tombaient dans des bourses par les trous d'une planche sur laquelle on
les jetait, et chacun devait deviner celle qui était tombée dans sa
bourse ou payer une amende. Les énigmes qui n'étaient pas devinées
étaient remises au jeu, et celui qui en trouvait le mot gagnait ce
qu'elles avaient fait perdre à d'autres. Jésus les regardait jouer, et
il faisait continuellement des applications aussi agréables
qu'instructives. Malheureusement, je suis si malade et j'ai été
tellement dérangée par des visites, que j'ai oublié les détails : sans
cela je rapporterais certainement quelqu'une de ces énigmes, car il m'a
semblé cette nuit que je prenais part au jeu.
Après la fête, Jésus alla à
son hôtellerie avec les disciples, et plusieurs personnes lui firent la
conduite avec des torches.
La ville a d'épaisses
murailles et des tours. Il y a eu un jour de jeûne depuis le jeudi soir
jusqu'à l'ouverture du sabbat, et j'ai vu que, pendant tout ce temps, on
ne fit aucun repas : on se borna à boire et à prendre une légère
réfection.
(28 décembre.) Le
matin, Jésus enseigna dans la synagogue, puis il visita l'école des
petits garçons et des adolescents, les interrogea et les enseigna :
après quoi il alla faire ses adieux à plusieurs personnes. Après le
repas, pendant le temps consacré d'ordinaire à la promenade du sabbat,
il visita avec deux disciples une école de jeunes filles, qui était en
même temps un atelier de broderie. Les jeunes filles avaient de six à
quatorze ans : elles étaient en grand nombre : toutes aujourd'hui
avaient leurs beaux habits. Il y avait aussi là deux maîtres qui leur
donnaient tous les jours des enseignements sur la loi . Ils étaient
également en habits de fête, portaient de larges ceintures et avaient au
bras de longs manipules avec des franges. Une dizaine de veuves étaient
à la tête de l'établissement. Les jeunes filles apprenaient à lire la
loi, à écrire et à compter : en outre, elles faisaient des broderies
qu'on mettait en vente. On voyait, tendues tout le long d'une enfilade
de salles, de longues bandes de diverses étoffes, de la largeur d'une
aune ou plus étroites : car quelques-unes n'avaient que la dimension
d'une large ceinture. La partie achevée était toujours repliée. Les
modèles d'après lesquels elles travaillaient étaient devant elles,
peints sur des étoffes. C'étaient des fleurs, des feuilles, des arbustes
et de grandes arabesques. L'étoffe était un tissu de laine très fine,
semblable à celui dont étaient faits les manteaux légers des trois rois,
seulement un peu plus fort et de couleurs variées. Elles travaillaient
avec de la laine fine de diverses nuances, et aussi avec de la soie Le
jaune était une des couleurs les plus employées Elles ne se servaient
pas d'aiguilles, mais de petits crochets. Quelques-unes travaillaient
aussi sur des bandes d'étoffe blanche plus étroites. D'autres faisaient
des ceintures sur lesquelles elles brodaient des lettres : les jeunes
filles se livraient à ces occupations les unes à côté des autres : Le
travail était divisé et réparti suivant l'âge et le talent. Je vis les
plus jeunes apprêter des fils, d'autres carder de la laine ou la filer :
c'étaient toujours les plus petites qui présentaient aux brodeuses tous
les fils et les outils dont elles avaient besoin. Aujourd'hui on ne
travaillait pas : mais pendant que les enfants faisaient voir leurs
ouvrages à Jésus, et qu'il parcourait les salles avec les maîtresses,
toute l'organisation de l'atelier me fut représentée dans une vision.
J'en vis quelques-unes montrer des figures de diverses grandeurs brodées
sur des pièces d'étoffes séparées. C'étaient des ouvrages commandés et
qui allaient être livrés. Les païens les recherchaient et donnaient en
échange des étoffes et d'autres objets.
Quelques-unes des jeunes
filles avaient leur logement dans la maison, d'autres venaient de la
ville.
La maison avait deux étages
et tout y était disposé en vue de l'établissement. Il y avait une salle
pour les leçons : Jésus y enseigna et interrogea les enfants, qui
tenaient à la main leurs petits rouleaux. Les plus petites étaient en
avant : les maîtresses se tenaient derrière. Elles s'approchèrent les
unes après les autres de la chaire de Jésus. Après avoir béni les
enfants et leur avoir donné des avis sous forme de paraboles relatives à
leurs occupations, il sortit de la maison, et elles lui envoyèrent en
présent des étoles et des ceintures qui furent ensuite données à la
synagogue.
Jésus fit la clôture du
sabbat à la synagogue. La ville était remplie de gens qui étaient `venus
de tous les environs. Plusieurs disciples avaient visité aujourd'hui des
maisons isolées dispersées autour de la ville. A la synagogue, Jésus
prit congé de tous les assistants et répéta ce qu'il avait enseigné
précédemment. Les auditeurs étaient tous très émus et désiraient qu'il
restât encore.
Après cela Jésus alla de
nouveau au lieu où l'on célébrait les noces : il y eut encore des jeux,
des instructions et un repas ; tous les restes de ce repas et de celui
de la veille furent distribués aux pauvres, car le lendemain tout devait
être servi sur nouveaux frais. On ne dansa pas, mais les enfants firent
encore de la musique : ils avaient de petites robes jaunes, faites d'une
seule pièce, attachées par devant avec des courroies et des cordons
d'étoffe bariolée. Ici aussi Jésus prit congé : il bénit l'assemblée et
retourna à l'hôtellerie.
Aussitôt après le sabbat
deux apôtres sont partis pour Capharnaüm avec un message ; deux autres
se sont dirigés au sud-est, vers Cydessa, si je ne me trompe. D'autres
disciples sont allés en avant. Jésus n'a près de lui qu'André et
Matthieu, avec deux des plus jeunes parmi les nouveaux disciples. Je
crois qu'il fera prochainement une grande instruction sur une montagne
qui n'est pas loin de Cana : elle est située à deux lieues au nord de
Thabor et domine la vallée où sont les bains de Béthulie.
A Machéronte, beaucoup
d'invités sont déjà arrivés et les fêles commencent. Il est venu des
visiteurs chez la femme d'Hérode, qui habite dans un château séparé.
Jean est plus libre qu'il ne l'était : il enseigne et se promène dans le
château ; cela fait croire à tout le monde qu'il sera remis en liberté
le jour où l'on fêtera la naissance d'Hérode.
(29 décembre) Jésus
suivit aujourd'hui pendant environ cinq lieues le plateau de la
montagne, se dirigeant au sud-est vers Dothaïm ; il n'était accompagné
que d'un petit nombre de disciples : une partie d'entre eux était allée
au nord-est, vers Nephtali ; une autre partie à Arbel, qui est à deux
lieues au sud-ouest d'Abram. Sur le chemin je vis plusieurs fous à
moitié nus sortir de derrière les rochers et les buissons, en murmurant
des mots qu'ils répétaient sans cesse. et lui crier : " Fils de Dieu !
Tu es le Fils de Dieu, le prophète ! Jésus prophète de Nazareth ! etc.
"Il ne les guérit pas et leur commanda de se taire. Souvent des gens se
joignirent à lui sur la route : il s'arrêtait de temps en temps pour
enseigner. A la fin je le vis devant Dothaïm, entouré de beaucoup de
personnes : je crois qu'ils étaient sortis de la ville pour aller à sa
rencontre. Il y avait parmi eux beaucoup de Pharisiens. Du reste, les
gens de ce pays se montrèrent assez froids à l'égard de Jésus.
(30 décembre.)
Dothaïm, où Jésus est entré hier soir, est située sur un plateau élevé
entouré de deux collines : la vigne et l'olivier y croissent. La ville
est grande, mais les maisons ne sont pas agglomérées : il y a beaucoup
de jardins. Les gens que je vis hier en grand nombre près de Jésus, à
son arrivée devant Dothaïm, sont venus de toute la Galilée ; car Jésus
doit faire une grande prédication près d'ici Dothaïm est à environ deux
lieues de Magdalum, à deux lieues et demie ou trois lieues de
Capharnaüm, à une lieue de Damna, à une demi lieue au nord-est de la
montagne de Béthulie : c'est sur cette montagne qu'est située Cydessa;
Holopherne y avait établi une partie de son camp. Dothaim est à environ
trois lieues au nord de Béthulie.
Marthe est allée voir Madeleine avec sa suivante ; Marie est venue ici
avec les autres femmes. Je ne me rappelle plus rien de ce que fit Jésus
aujourd'hui, sinon qu'il s'occupa avec les disciples de toute espèce de
préparatifs, à cause de la grande prédication qu'il doit faire demain
sur une hauteur voisine d'ici il loge dans une hôtellerie établie
spécialement pour lui : il y a rencontré Lazare, qui est venu avec deux
disciples de Jérusalem, fils des frères de sa mère Je ne sais pas si
j'ai déjà fait mention de ces deux parents de Lazare : peut-être l'ai je
fait à l'occasion d'un certain Obed. Les saintes femmes de Jérusalem
étaient venues aussi en compagnie de Lazare : elles avaient fait le
voyage, soit pour préparer les hôtelleries, soit à cause de Madeleine.
FIN DU TROISIEME
VOLUME
SOURCE:
http://www.jesusmarie.com
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