

TABLE
CHAPITRE VI
Conversion de Madeleine après sa rechute. Jésus à Azanoth, à Damna, à
Gatepher, à Nazareth. Melchisédech et les précurseurs d'Abraham.
CHAPITRE VII
Décollation de saint
Jean- Baptiste
CHAPITRE VIII
Ensevelissement
du corps de S. Jean Baptiste
CHAPITRE IX
Prédication et miracles de Jésus à Capharnaüm et dans les environs.
CHAPITRE X
Jésus
dans la Haute Galilée et sur les confins de Tyr.
CHAPITRE XI
Jésus sur les confins de la Pérée septentrionale et de la basse Galilée.
CHAPITRE XII
La seconde fête de
Pâques à Jérusalem.
CHAPITRE XIII
La transfiguration sur le Thabor.
CHAPITRE XIV
Grande instruction sur la montagne près de Gabara Jésus va sur les
confins de Tyr et de Sidon. |
CHAPITRE SIXIÈME
Conversion de Madeleine après sa rechute. Jésus à Azanoth, à Damna, à
Gatepher, à Nazareth. Melchisédech et les précurseurs d'Abraham.
(Du 31
décembre 1822 jusqu'au 7 janvier 1823.)
(31 décembre.) Ce matin Jésus est allé à un
petit endroit, qui est à peu près à une lieue de Dothaïm et à la même
distance de Magdalum. Il possède une école et s'étend le long d'une
colline sur laquelle est un bel emplacement avec une chaire. Cet endroit
est situé au sud-est de Dothaim au pied de la montagne de Béthulie sur
le prolongement de laquelle se trouve aussi Cydessa. Je crois me
souvenir que son nom commence ou finit par Aza : car ce nom me fit
penser à Azarias, l'ange de Tobie. Il me revient maintenant ; c'est
Azanoth. Ce bourg est situé à l'extrémité nord-est de la montagne,
autour d'un mamelon élevé, sur lequel est une chaire où les prophètes
ont enseigné autrefois. Azanoth est le dernier endroit du territoire de
Séphoris de ce côté : quand on franchit la montagne et qu'on laisse
Cydessa sur la gauche, il y a de Séphoris ici trois ou quatre lieues
dans la direction du sud-ouest. On trouve près d'Azanoth beaucoup de
grottes sépulcrales : je crois qu'on enterre ici les morts de beaucoup
d'endroits environnants. Azanoth est rempli de jardins et d'avenues, ce
qui lui donne une certaine ressemblance avec Béthanie : aussi quand j'ai
vu isolement la conversion de Madeleine qui a eu lieu ici, j'ai cru plus
d'une fois qu'elle avait eu lieu à Béthanie. On s'occupe beaucoup de
jardinage à Azanoth. La température y est admirable en ce moment et tout
est déjà en fleurs du côté de Thabor. Beaucoup de gens, parmi lesquels
nombre de malades et de possédés, sont accourus ici de plusieurs lieues
à la ronde.
Sur le chemin Jésus
rencontra Marie, sa mère, et les saintes femmes qui étaient parties de
Damna pour assister à son instruction. Lazare c'était également ici
ainsi que les six apôtres et plusieurs disciples. Marie dit à Jésus que
Marthe était allée voir Madeleine et qu'elle viendrait l'entendre. Plus
de douze femmes s'étaient réunies ici à la sainte Vierge : parmi elles
étaient Anne, fille de Cléophas ; Suzanne, fille d'Alphée ; Suzanne de
Jérusalem, Véronique, Jeanne Chusa, Marie, mère de Jean Marc, Marie la
Suphanite, Dina, Maroni de Naïm et aussi la servante de Marthe. Marie de
Cléophas n'y était pas. Elles étaient dans une hôtellerie à part de
celle des hommes où Marthe vint les rejoindre plus tard5 tandis que
Madeleine qu'elle avait amenée resta dans une hôtellerie séparée avec
d'autres femmes mondaines. Madeleine, livrée à tous ses vices, était
devenue tout à fait insensée et elle avait traité Marthe avec beaucoup
de froideur et d'orgueil. Sa soeur avait eu beaucoup de peine à la
décider à ce voyage : elle était venue avec une toilette des plus
exagérées et des moins convenables.
On intercale ici les
détails qui suivent sur la visite de Marthe à Madeleine, d'après les
visions qu'eut Anne Catherine en juillet et août 1821, pendant et après
l'octave de la fête de sainte Madeleine, touchant la conversion de
celle-ci.
L'état de Madeleine était
devenu déplorable au dernier point. Depuis qu'elle était retombée après
sa conversion près de Gabara, sept démons s'étaient emparés d'elle. Son
entourage était devenu pire que jamais. Les saintes femmes, spécialement
la sainte Vierge, n'avaient cessé de prier instamment pour elle, et
enfin Marthe accompagnée de sa suivante était allée la voir à Magdalum
(dans l'après-midi du dernier dimanche) Elle fut reçue froidement et on
la fit attendre. Précisément une cohue de libertins et de femmes
galantes de Tibériade venait d'entrer pour prendre part à un festin.
Madeleine était occupée à sa toilette, elle fit dire à sa soeur qu'elle
ne pouvait pas lui parler maintenant. Marthe se mit en prière et
l'attendit ainsi avec une patience indicible. Enfin l'infortunée
Madeleine arriva, toute pleine de mauvaise humeur et d'irritation : elle
était dans un grand embarras : la simplicité des vêtements de Marthe lui
faisait honte, elle craignait que ses hôtes ne la vissent et elle
l'invita à se retirer. Marthe lui demanda seulement un coin où elle pût
se reposer : on la conduisit avec sa suivante dans une chambre vide des
bâtiments de service et elle y fut laissée ou plutôt oubliée : car on ne
lui donna même pas à boire et à manger ; on était dans l'après-midi.
Cependant Madeleine se Parait et s'asseyait sur un siège élégant à la
table du festin tandis que Marthe et sa servante priaient, accablées de
tristesse. A la fin du banquet Madeleine sortit et porta. quelque chose
à Marthe sur une petite assiette qui avait un rebord bleu : elle lui
porta aussi à boire. Elle lui parla d'un ton injurieux et méprisant. Il
y avait en elle un mélange d'orgueil, d'impudence, de désespoir et de
déchirement intérieur. Marthe l'engagea de la façon la plus humble et la
plus affectueuse À venir assister à la prédication solennelle que devait
faire Jésus dans le voisinage : elle lui dit que toutes les personnes
avec lesquelles elle s'était liée récemment dans une occasion semblable
se trouveraient, et qu'elles se feraient une fête de la revoir.
qu'elle-même avait déjà fait voir combien elle honorait Jésus, qu'elle
devait donner à sa soeur ainsi qu'à Lazare la joie de l'y voir venir :
qu'elle ne trouverait pas de si tôt une autre occasion d'entendre
l'admirable prophète dans un lieu si rapproché de sa demeure et de voir
en même temps tous ses amis. Dernièrement en répandant des parfums sur
Jésus au festin de Gabara. elle avait prouvé qu'elle savait rendre
hommage a tout ce qui était grand et beau partout où elle le rencontrât
; il fallait qu'elle vint saluer encore une fois ce qu'elle avait honoré
publiquement avec une hardiesse si magnanime, etc. etc. Il est
impossible de dire avec quelle affection et quelle patience Marthe lui
adressa ce discours et supporta ses manières odieuses et altières. A la
fin Madeleine lui dit : " J'irai, mais non pas avec toi. Tu peux prendre
les devants, car je ne veux pas me montrer en toilette si négligée : je
veux me parer suivant ma condition et avoir mes amies avec moi ".
Là-dessus elles se séparèrent. Il était très tard. Le jour suivant je la
vis occupée a sa toilette. Elle fit appeler Marthe et parla toujours en
sa présence avec aigreur et avec arrogance. Marthe la laissa dire, et
fit preuve d'une grande patience : elle ne cessait de prier en secret
pour qu'elle allât avec elle et devint meilleure. Je vis Madeleine se
faire laver et parfumer par ses deux suivantes. Elle était assise sur un
siège peu élevé, ayant devant elle un tablier de laine fine qui lui
allait jusqu'aux genoux, et sur les épaules et la poitrine un drap de
même étoffe, avec une ouverture au milieu pour passer le cou.
Deux servantes étaient
occupées à lui laver les pieds et les bras et à verser sur elle de l'eau
parfumée. Ses cheveux partagés en trois et rejetés derrière les oreilles
et sur la nuque, furent aussi lissés, peignés, parfumés et tressés. Elle
mit ensuite une tunique de laine extrêmement fine, un justaucorps vert
semé de grandes fleurs jaunes (j'en ai un morceau), et encore par
là-dessus une robe plissée. Elle portait sur la tête un bonnet froncé
très élevé qui faisait saillie en avant du front : ce bonnet ainsi que
ses cheveux étaient ornes d'une quantité de perles. Elle portait de
longs pendants d'oreille. Ses manches, très larges depuis l'épaule
jusqu'au coude, étaient étroitement serrées à l'avant-bras par des
fermoirs larges et brillants : la robe était plissée. La robe de dessous
était ouverte sur la poitrine et était
attachée avec des rubans chatoyants. Pendant qu'on l'habillait, elle
tenait à la main par le manche un miroir ovale de métal brillant. Un
corsage broché d'or, orné de perles et de pierres taillées à facettes,
lui couvrait entièrement la poitrine. Sa robe de dessous à manches
étroites était recouverte d'un pardessus avec des manches larges et
courtes et une longue queue traînante : il était de soie violette
chatoyante, broché de grandes fleurs de couleur et d'or. Les tresses de
sa chevelure étaient entrelacées de roses de soie brute, de cordons, de
perles et d'une étoffe travaillée à jour semblable à de. la dentelle. On
ne pouvait pas voir les cheveux sous cet amas d'ornements. Tout cela
s'élevait et s'avançait autour du visage : Par-dessus cette coiffure
elle avait une riche cape d'étoffe fine et transparente qui se relevait
par devant, retombait par derrière et s'abaissait le long des joues
jusque sur les épaules.
S'étant ainsi parée du haut
en bas, elle se montra à Marthe qui fut obligée de l'admirer. Elle
déposa ensuite une partie de ces atours et s'enveloppa d'un manteau de
voyage. Ses suivantes furent chargées d'empaqueter ses habits et les
attachèrent sur le des de la bête de somme qu'elle-même monta pour se
rendre à Azanoth avec son cortège. Marthe la quitta, accompagnée de sa
suivante. Elles allèrent à pied aux bains de Béthulie.
Madeleine n'avait cessé de
se montrer pleine d'irritation et d'arrogance, tandis que Marthe avait
pratiqué à un degré rare les vertus de patience et d'humilité. Le démon
tourmentait violemment Madeleine pour l'empêcher d'aller entendre Jésus,
et elle n'y serait pas allée si les autres pécheresses de Tibériade, qui
étaient chez elle, n'avaient pas formé de leur côté le projet de s'y
rendre pour voir le spectacle comme elles disaient. Elles firent aussi
leurs dispositions pour le voyage : elles étaient montées sur des ânes,
suivies de leurs gens et d'autres ânes chargés de bagages : car, de même
que Madeleine avait voulu emporter le riche siège dont elle se servait,
ces autres femmes avaient aussi avec elles des sièges du même genre, des
coussins et des tapis. Elles n'allèrent aujourd'hui que jusqu'à
l'hôtellerie des femmes, qui est près du lac des bains de Béthulie. Là,
Madeleine déposa son manteau de voyage et fit sa toilette pour manger
avec ses compagnes. Elles couchèrent là Ce qui m'étonna beaucoup, c'est
que Madeleine, laissant là les femmes de sa société, se rendit, la nuit,
à l'hôtellerie où était Marthe dont elle rougissait devant les autres,
et qui avait pris son repas toute seule.
Aujourd'hui mardi, ayant
fait une petite lieue, elles arrivèrent à Azanoth. Marthe alla rejoindre
les saintes femmes et raconta comment elle avait décidé sa soeur à
venir. Madeleine alla avec ses compagnes dans une hôtellerie où elle
déposa son manteau de voyage et se para de la manière la plus exagérée ;
puis elles arrivèrent à l'endroit ou la prédication devait avoir lieu
Attirant l'attention de tous les assistants par leurs allures bruyantes,
leurs conversations à haute voix et les regards insolents qu'elles
jetaient autour d'elles, elles allèrent se placer à part, bien en avant
des saintes femmes. Il y avait aussi près d'elles des hommes de leur
coterie. Elles s'étaient fait dresser une tente ouverte, où ces femmes
mondaines, ces pécheresses élégantes et parées prirent place sur leurs
sièges, leurs coussins et leurs tapis moelleux, se donnant en spectacle
à tous.
Madeleine était assise en
avant, pleine de hardiesse, d'effronterie et d'impertinence. Tout le
monde chuchotait et murmurait en la regardant : car dans ce pays, elle
était encore plus détestée et plus méprisée qu'à Gabara. Les Pharisiens
et d'autres personnes qui n'ignoraient pas sa première conversion si
éclatante au repas de Gabara, non plus que la rechute dont elle avait
été suivie, étaient particulièrement scandalisés et ne pouvaient
comprendre qu'elle osât se montrer ici.
Jésus, après avoir guéri
plusieurs malades, commença une grande et véhémente instruction. Je ne
me souviens plus bien des détails, mais je me rappelle encore qu'il cria
: Malheur à Capharnaum, a Bethsaide et à Corozaïn : je crois aussi
l'avoir entendu dire que la reine de Saba était venue des contrées du
midi pour entendre la sagesse de Salomon, et qu'il avait ici plus que
Salomon. Il y eut cela de merveilleux que, plus d'une fois pendant son
discours, des enfants portés dans les bras de leurs mères et qui
n'avaient jamais parlé, s'écrièrent à haute voix : " Jésus de Nazareth,
très saint prophète, fils de David, fils de Dieu "! Cela fit une vive
impression sur beaucoup d'assistants et sur Madeleine elle-même. Je me
rappelle entre autres choses que Jésus, faisant allusion à Madeleine,
dit que quand le démon avait été chassé et la maison nettoyée, il
revenait avec six autres et que les choses devenaient pires
qu'auparavant. Je vis Madeleine toute bouleversée par ces paroles. Après
avoir ainsi touché les coeurs d'un grand nombre de ses auditeurs, il se
tourna de tous les côtés et commanda en général au démon de sortir de
ceux qui aspiraient à être délivrés ; quant à ceux qui voulaient lui
rester unis, ils n'avaient qu'à se retirer et à l'emmener avec eux. Sur
ce commandement, les possédés s'écrièrent tout autour de lui : " Jésus,
fils de Dieu, etc. ", et l'on vit tomber plusieurs personnes en
défaillance.
Madeleine, dont l'attitude
arrogante avait attiré tous les yeux sur elle, tomba, elle aussi, dans
des convulsions violentes ; les autres pécheresses qui l'entouraient la
frottèrent avec des onguents parfumés et essayèrent de l'emmener :
c'était pour elles une occasion de se retirer sans faire de scandale, et
elles cherchaient à en profiter : car elles ne voulaient pas rompre
leurs liens avec le démon. Cependant la foule criait autour d'elle : "
Arrêtez, Maître! arrêtez, cette femme se meurt "! Alors Jésus
interrompit son discours et dit : " Placez-la sur son siège. La mort
dont elle meurt maintenant est une mort salutaire qui lui rendra la vie
". Quelques moments après, sur une autre parole de Jésus, elle tomba
encore, saisie de nouvelles convulsions, et je vis des figures sombres
sortir d'elle comme dans les guérisons de possédés. Il y eut alors
beaucoup de bruit et de tumulte, parce que son entourage se pressait
autour d'elle pour tâcher de lui faire reprendre connaissance, mais
bientôt elle s'assit de nouveau sur son riche siège et elle feignit de
n'avoir éprouvé qu'une défaillance ordinaire. Cependant l'émotion
générale devint de plus en plus vive, lorsque d'autres possédés qui se
trouvaient derrière elle, s'affaissèrent sur eux-mêmes comme elle
l'avait fait, et que leur délivrance s'ensuivit. Or, Madeleine étant
tombée pour la troisième fois en proie à des convulsions violentes, le
tumulte fut plus grand que jamais : Marthe courut à sa soeur, et
lorsqu'elle reprit ses sens, elle fut comme hors d'elle-même, pleura
abondamment et voulut aller s'asseoir a côté des saintes femmes. Ses
compagnes la retinrent de force, lui dirent qu'elle ne devait pas taire
de folles et on la conduisit dans l'intérieur de la ville. Alors Marthe,
Lazare et quelques autres personnes se rendirent auprès d'elle et la
menèrent à l'hôtellerie des saintes femmes qui étaient toutes accourues.
La tourbe mondaine qui était venue avec Madeleine s'était déjà éclipsée
Jésus guérit encore plusieurs aveugles et d'autres malades, puis il
regagna son logis. Il guérit certains malades qui étaient restés à
Azanoth même, après quoi il enseigna dans l'école. Madeleine était
présente : elle n'était pas encore complètement guérie, mais
profondément ébranlée. Elle n'était plus si magnifiquement vêtue : elle
avait mis de côté certains ornements où figuraient spécialement des
découpures d'une étoffe très fine, semblable à de la dentelle, qui ne
pouvaient servir qu'un petit nombre de fois à cause de leur extrême
délicatesse : en outre, elle était voilée. Jésus, dans son discours, fit
plus d'une allusion à son état, et comme il jetait sur elle un regard
pénétrant, elle tomba de nouveau en défaillance et il sortit encore
d'elle un mauvais esprit. Ses suivantes l'emportèrent, Marthe et Marie
la reçurent devant la synagogue et la ramenèrent à l'hôtellerie. Elle
était comme folle, poussait des cris, pleurait, courait à travers les
rues et criait aux passants qu'elle était une pécheresse livrée à tous
les vices, le rebut de l'humanité. Les saintes femmes avaient beaucoup
de peine à la calmer, elle déchirait ses habits, s'arrachait les cheveux
se cachait tout entière dans les plis de ses draperies. Lorsque plus
tard Jésus fut revenu à son hôtellerie, ou il mangea quelque chose
debout avec ses disciples et quelques Pharisiens, Madeleine trouva moyen
de se dérober aux soins des saintes femmes ; elle arriva les cheveux
épars et sanglotant au lieu ou était .Jésus, s'ouvrit passage à travers
les assistants, se jeta à ses pieds et lui demanda, en pleurant, si elle
pouvait encore être sauvée. Là-dessus, les Pharisiens et les disciples
se scandalisèrent et dirent à Jésus qu'il ne devait pas souffrir
davantage que cette femme perdue portât le trouble partout et qu'il
fallait la renvoyer une fois pour toutes. Mais Jésus répondit :
"Laissez-la pleurer et gémir. vous ne savez pas ce qui se passe en
elle".
Alors il se tourna vers
elle pour la consoler, lui dit qu'elle devait se repentir, croire et
espérer du fond du coeur, qu'elle trouverait bientôt le repos et que
pour le présent, elle pouvait s'en retourner avec confiance.
Cependant ses servantes et
Marthe l'avaient suivie et elles la ramenèrent au logis : pour élie,
elle ne faisait autre chose que se tordre les mains et sangloter car
elle n'était pas encore entièrement délivrée, le démon la déchirait et
la torturait, excitant en elle les remords de conscience les plus
terribles pour la pousser au désespoir ; elle ne pouvait pas trouver de
repos et se croyait perdue.
Lazare, sur la prière de
Madeleine, se rendit sans délai à Magdalum pour prendre possession de
tout ce qui appartenait à sa soeur, fermer sa maison et rompre toutes
les relations qu'elle avait là. Elle possédait près d'Azanoth et dans le
reste du pays, des champs et des vignes que Lazare avait mis
précédemment sous le séquestre, à cause de ses prodigalités.
L'affluence fut si
considérable aujourd'hui que Jésus, en compagnie des disciples, partit
secrètement pendant la nuit et alla à environ une lieue et demie au
nord-est, pour continuer sa prédication sur une autre montagne.
(Janvier
1823.) Jésus est parti cette nuit d'Azanoth pour éviter la foule.
Il est allé dans le voisinage de Damna, à l'extrémité orientale de la
chaîne de hauteurs sur laquelle se trouve Dothaïm. Il y a là une jolie
colline propre à la prédication et une hôtellerie tenue par deux
personnes. Ce matin, de bonne heure, les saintes femmes se rendirent
aussi là avec Madeleine et trouvèrent Jésus entouré déjà d'une foule de
gens qui venaient implorer son assistance. Dès qu'on avait su qu'il
était parti, une foule de gens l'avaient suivi : ils furent imités par
tous ceux qui s'étaient proposés d'aller le chercher à Azanoth, et
pendant toute son instruction il arriva continuellement de nouvelles
troupes.
Madeleine était assise près
des saintes femmes, elle était complètement abattue et comme brisée. Le
Seigneur parla en termes très sévères des péchés d'impureté : il dit que
chez ceux qui en faisaient métier, on trouvait tous les vices et toutes
les sortes d'abominations qui avaient fait descendre le feu du ciel sur
Sodome et Gomorrhe. Il parla aussi de la miséricorde de Dieu, des jours
de grâce qui étaient arrivés et il supplia pour ainsi dire ses auditeurs
d'accueillir cette grâce. Pendant cette prédication, il regarda trois
fois Madeleine, et trois fois je la vis tomber en défaillance, pendant
qu'une vapeur noire sortait d'elle. La troisième fois les saintes femmes
l'emportèrent : elle était comme anéantie, pâle, défaite et à peine
reconnaissable. Ses larmes coulaient sans interruption : elle était
toute transformée, elle gémissait pleine d'un ardent désir de confesser
ses péchés à Jésus et d'en recevoir le pardon. Jésus vint bientôt la
trouver dans un endroit écarté, Marie et Marthe la conduisirent à sa
rencontre. Elle se jeta à ses pieds la face contre terre, toute en
larmes et les cheveux épars. Jésus la consola et quand les autres se
furent retirées, elle demanda son pardon avec des cris de douleur, et
confessa ses nombreux péchés en répétant toujours : " Seigneur! puis-je
encore être sauvée " ? Jésus lui remit ses péchés et elle lui demanda
instamment la grâce de ne plus retomber. Jésus lui en fit la promesse,
la bénit et s'entretint avec elle de la vertu de pureté Il lui parla de
Marie, sa mère, qui était pure de toute atteinte du péché contraire à
cette vertu : il la loua hautement et en termes magnifiques que je
n'avais jamais entendu sortir de sa bouche, et prescrivit à Madeleine de
s'attacher entièrement à Marie et de chercher en toute occasion auprès
d'elle les conseils et les consolations dont elle aurait besoin.
Lorsqu'elle alla retrouver les saintes femmes avec Jésus, il dit qu'elle
avait été une grande pécheresse, mais qu'elle serait aussi le modèle des
pénitentes dans tous les temps.
Épuisée par tant de fortes
secousses, par la violence de son repentir et l'abondance de ses larmes,
Madeleine ne ressemblait plus à un être vivant : on l'aurait prise pour
une ombre errante ; mais elle était calme, quoique baignée de pleurs et
brisée de fatigue. On lui prodiguait les consolations et les marques de
sympathie, et elle demandait pardon à tout le monde. Comme les autres
femmes partaient pour Naïm et qu'elle était trop faible pour les suivre,
Marthe, Anne de Cléophas et Marie la Suphanite se rendirent avec elle à
Damna, pour qu'elle y prit quelque repos avant d'aller rejoindre les
autres le jour suivant. Le reste des saintes femmes se dirigea vers Naïm
par Cana où je crois qu'elles passèrent la nuit.
Jésus enseigna et guérit
encore, puis accompagné des disciples, il partit vers trois heures de
l'après-midi dans la direction du sud-ouest, et traversant la vallée du
lac des bains, il fit quatre ou cinq lieues jusqu'à Gatepher, grande
ville située au penchant d'une colline entre Cana et Séphoris : on n'y a
pas de vue du côté du midi. Jésus arriva vers le soir : il n'entra pas
dans la ville, mais un peu plus à l'ouest dans une hôtellerie voisine
d'une grotte qu'on appelle la grotte de Jean. Il y passa la nuit avec
les disciples : ils étaient arrivés tard et avaient fait une partie du
chemin au clair de la lune.
(2
janvier.) Le matin Jésus se dirigea vers Gatepher et je vis les
préposés des écoles et les Pharisiens venir à sa rencontre pour le
recevoir. Ils lui adressèrent des représentations de toute espèce et le
prièrent de ne pas troubler le repos de la ville et surtout de ne pas
permettre que les femmes et les enfants accourussent en foule avec leurs
acclamations. Il pouvait, disaient-ils, enseigner tranquillement dans la
synagogue, mais ils verraient avec peine qu'on agitât le peuple. Jésus
leur répondit avec beaucoup de gravité et de force qu'il venait à ceux
qui criaient vers lui et demandaient son assistance, et il repoussa
leurs remontrances hypocrites. Ces Pharisiens, sur la nouvelle que Jésus
allait venir, avaient fait défendre aux femmes de paraître dans les rues
avec leurs enfants, d'aller à la rencontre du Nazaréen et de crier vers
lui. Il était, disaient-ils, parfaitement scandaleux et absurde de faire
entendre des acclamations ou il était appelé Fils de Dieu (Christ,
etc.), car on savait très bien ici d'où il était, qui étaient ses
parents et ses frères et soeurs. Les malades pouvaient se rassembler
devant la synagogue et se faire guérir, mais on ne pouvait pas tolérer
qu'on fit du bruit et du tumulte. Ils avaient aussi rangé les malades
selon leur bon plaisir autour de la synagogue, comme s'ils eussent eu à
régler tout ce que Jésus devait faire. Mais lorsqu'ils se rendirent à la
ville avec Jésus, ils virent, à leur grand scandale que les mères
entourées de leurs enfants et leurs nourrissons sur les bras
remplissaient la rue et que les enfants tendaient les mains vers Jésus
et criaient : " Jésus de Nazareth, fils de David! Fils de Dieu ! Très
Saint Prophète " ! Les Pharisiens voulurent faire retirer ces femmes et
ces enfants, mais ce fut en vain : il en arrivait en toute de toutes les
rues et de toutes les maisons, et les Pharisiens pleins de dépit se
séparèrent du cortège de Jésus. Les disciples qui l'entouraient étaient
un peu inquiets et craintifs, ils auraient désiré que les choses se
passassent d'une façon plus calme et moins compromettante : ils
voulurent renvoyer les enfants et firent des remontrances à Jésus. Mais
Jésus leur reprocha leur pusillanimité et leur dit de se tenir
tranquilles : il laissa les enfants se presser autour de lui et fut très
affable et très amical avec eux. Il arriva ainsi sur la place qui était
devant la synagogue, au milieu des acclamations continuelles des enfants
qui criaient : " Jésus de Nazareth! Très Saint Prophète "! etc. Même
quelques nourrissons qui n'avaient jamais parlé tirent entendre des
acclamations semblables, lui rendant un témoignage bien fait pour
émouvoir et persuader le peuple. Les enfants se réunirent devant la
synagogue, garçons d'un côté et filles de l'autre ; les mères avec leurs
nourrissons se rangèrent derrière eux. Jésus enseigna et bénit les
enfants. Il enseigna aussi les mères et les gens de leurs maisons qui
s'approchèrent et dont il dit qu'ils étaient aussi ses enfants. Il parla
aussi à ses disciples du prix qu'avaient les enfants aux yeux de Dieu.
Il dit beaucoup d'autres choses analogues à ce que l'Évangile lui fait
dire dans d'autres occasions touchant les enfants. Cela fut fort
désagréable aux Pharisiens et les malades furent obligés d'attendre. Il
alla ensuite à eux et en guérit plusieurs, puis il enseigna dans la
synagogue sur le patriarche Joseph. Il parla aussi de la dignité des
enfants, parce que les Pharisiens se plaignirent de nouveau du tumulte
qui avait eu lieu aujourd'hui.
Lorsque Jésus sortit de la
synagogue, il vint à lui trois femmes qui voulaient lui parler en
particulier. Il se retira à l'écart avec elles, alors elles se jetèrent
à ses pieds et le prièrent, en pleurant, de leur venir en aide : leur
maris étaient tourmentes par des esprits impurs, et quand elles
s'approchaient d'eux, elles avaient aussi à subir des assauts
semblables. Elles avaient appris qu'il avait délivré Madeleine, et elles
le suppliaient d'avoir aussi pitié d'elles. Jésus les congédia et promit
de les visiter dans leurs maisons. Il alla ensuite avec les disciples
dans la maison d'un certain Siméon, homme simple et droit. Je crois
qu'il faisait partie des Esséniens mariés. C'était le fils d'un
Pharisien de Dabrath : il avait avec lui sa femme qui était d'un âge
moyen. Jésus et les disciples mangèrent là quelque chose sans s'asseoir.
Ce Siméon voulait donner tout ce qu'il possédait a la communauté ; il
s'entretint à ce sujet avec Jésus.
Il alla alors chez les
femmes qui avaient imploré son secours et s'entretint avec elles et avec
leurs maris. Elles n'avaient pas dit exactement la vérité en rejetant la
faute sur leurs maris : elles-mêmes étaient en proie à des tentations
d'impureté. Jésus exhorta les maris et les femmes à vivre unis, à prier,
à jeûner et à faire l'aumône. Après le sabbat, ces femmes malades le
suivirent pour assister à une prédication qu'il devait faire sur une
montagne, un peu au nord du Thabor.
Jésus ne s'arrêta pas ici,
mais il alla au midi, se dirigeant vers Kisloth où avaient déjà passé
aujourd'hui les saintes femmes allant à Naïm, et aussi celles qui
étaient restées en arrière avec Madeleine Sur le chemin, Jésus donna
encore des instructions aux apôtres sur ce qu'ils auraient à faire et
sur la conduite qu'ils devraient tenir lorsqu'ils se rendraient dans la
Judée, où ils ne seraient pas aussi bien accueillis qu'ils l'avaient été
jusqu'à présent. Il leur traça de nouveau des règles pour l'imposition
des mains et l'expulsion des démons, et leur donna encore une fois sa
bénédiction pour qu'ils reçussent par là une nouvelle force et une plus
grande abondance de grâce.
J'ai oublié de dire qu'il
était venu avec Lazare deux disciples de Jérusalem, parents de celui-ci
par un frère de sa mère, si je ne me trompe, et qui se réjouirent
singulièrement de la délivrance de Madeleine. Il avait été en outre
accompagné à Dothaïm par trois hommes venus d'Egypte, que Jésus avait
admis parmi ses disciples, après leur avoir représenté toutes les
épreuves qui les attendaient. L'un d'eux s'appelait Cyrinus. Ils avaient
été compagnons d'enfance de Jésus en Égypte: c'étaient des gens
d'environ trente ans. Leurs parents n'avaient cessé de regarder comme un
lieu sanctifié l'habitation de la sainte Famille dans ce pays avec la
fontaine qui l'avoisinait. Ils visitèrent Bethléhem et Béthanie : ils
rendirent aussi visite à Marie a Dothaïm et lui portèrent les
salutations de leurs parents.
3
janvier.) Dans la matinée, des Pharisiens de Nazareth vinrent
trouver Jésus à Kisloth pour l'inviter à venir dans sa patrie. Les
Pharisiens qui précédemment avaient voulu le précipiter du haut du
rocher, n'étaient plus à Nazareth : il y en avait d'autres venus d'une
grande ville où cette secte a de nombreux adhérents. Ils dirent à Jésus
qu'on espérait qu'il visiterait sa patrie et qu'il y ferait aussi des
signes et des miracles. Tous les habitants désiraient vivement
d'entendre ses enseignements, et il pourrait aussi guérir ses
compatriotes malades : seulement ils lui demandaient une fois pour
toutes de ne pas guérir le jour du sabbat. Jésus leur dit qu'il irait et
qu'il célébrerait le sabbat mais qu'ils se scandaliseraient à son sujet.
et quant à ce qui touchait les guérisons, qu'il aurait égard à leur
désir, mais que ce serait à leur détriment. Alors ils retournèrent à
Nazareth, et Jésus prit plus tard le même chemin instruisant ses
disciples sur la route.
Jésus arriva vers midi à
Nazareth : il vint à sa rencontre beaucoup de curieux et aussi plusieurs
gens de bien : on lava les pieds aux arrivants et on leur présenta la
réfection accoutumé. Jésus avait deux disciples de Nazareth, Parmenas et
Jonadab. Il alla avec sa suite chez la mère de Jonadab qui était veuve.
Les disciples en question avaient été ses amis d'enfance. C'étaient eux
qui l'avaient accompagné à Hébron lors de son premier voyage après la
mort de saint Joseph. Je crois qu'après cela on leur donna contre lui
des préventions qui durèrent un certain temps. Il les envoyait souvent
porter des messages.
Jésus alla visiter quelques
malades qui l'avaient fait prier de les assister et qu'il savait être
croyants et avoir besoin de son secours. Sur le chemin, plusieurs se
présentèrent devant lui, ou seulement pour l'éprouver, ou avec la
prétention d'être guéris : mais il passa outre. Cependant un jeune
Essénien qui avait un côté paralysé depuis sa naissance lui avant été
amené et ayant imploré son assistance, il le guérit dans la rue : il fit
de même pour deux aveugles. Ensuite il entra dans quelques maisons et
guérit plusieurs personnes atteintes de maladies très graves, notamment
des vieillards des deux sexes. Il y avait parmi eux des gens arrivés au
dernier degré de l'hydropisie et une femme dont le corps était
horriblement enfle. Il ne guérit en tout qu'une quinzaine de personnes.
Anne Catherine en fit alors le compte, rappelant ses souvenirs et disant
: " Tant d'aveugles, tant de sourds et muets, tant de paralytiques ", et
ainsi de suite. Jésus alla ensuite à la synagogue où des malades
s'étaient aussi rassemblés : mais il passa devant eux sans s'arrêter. Il
célébra le sabbat, et je ne me souviens pas qu'il y ait eu aucun
trouble. La lecture du sabbat était tirée de l'Exode, à l'endroit où
Dieu parle à Moise en Egypte, et des chapitres XXVIII et XXIX d'Ezéchiel.
Jésus a pris son repas et
passé la nuit dans la maison du disciple Jonadab. Les parents de
Parménas avaient suivi la sainte Famille lorsqu'elle quitta Nazareth
(voir tome 1, page 152)
(4
janvier.) Dans la matinée, je vis Jésus enseigner dans la
synagogue, mais il ne guérit plus personne. A midi, je le vis, en
compagnie de ses disciples et de quelques gens de bien de Nazareth,
faire la promenade qui se fait d'ordinaire le jour du sabbat : il alla
sur le chemin de Séphoris jusqu'à un petit endroit assez voisin. Le
chemin de Nazareth à Séphoris est assez uni et se dirige vers le nord ;
près de Séphoris il y a une montée d'un quart de lieue à peu près. J'ai
appris à cette occasion que Jésus n'ira plus jamais à Séphoris. Je vis
Jésus enseigner quelques troupes d'hommes dans le petit village en
question. Quelques ménages où il y avait des querelles ou des
dissensions vinrent se jeter à ses pieds et il réconcilia des époux, des
voisins, etc., mais il ne guérit personne. Sur ce chemin il fut accosté
de nouveau par les deux jeunes gens qui, plus d'une fois déjà, l'avaient
prié de les prendre avec lui. Il leur demanda encore s'ils voulaient
quitter leur maison et leurs parents, distribuer leur bien aux pauvres,
obéir aveuglément et souffrir la persécution mais ils haussèrent les
épaules et se retirèrent.
Je vis encore Jésus visiter
à Nazareth la maison de ses parents : elle était bien en ordre, mais
inhabitée. Il rendit aussi visite à la soeur aînée de Marie, mère de
Marie de Cléophas, qui prenait soin de cette maison, mais ne l'habitait
pas. Je crois que cette femme, qui est déjà vieille, est remariée. Elle
habite ici et possède des troupeaux. Jésus alla ensuite avec les
disciples a la synagogue, il parla avec beaucoup de force et de
véhémence, appela Dieu son Père céleste, et annonça les châtiments qui
allaient fondre sur Jérusalem et sur tous ceux qui ne l'écouleraient
pas. Il s'adressa aussi publiquement à ses disciples, parla d'une
persécution qu'ils auraient à subir et les exhorta à être persévérants
et fidèles, etc. Quand les Pharisiens apprirent qu'il ne voulait pas
rester ici et qu'il n'y guérissait plus personne, ils cessèrent de se
contenir et se mirent à tenir des propos comme ceux-ci : " Qui est-il
donc? Qui prétend-il être ?où a-t-il pris sa doctrine? Il est pourtant
d'ici, son père y était charpentier ; ses parents, ses frères, ses
soeurs, sont d'ici "! Ils désignaient par ces derniers mots Marie
d'Héli, fille aînée de sainte Anne, les enfants de celle-ci, Jacob,
Eliacim et Sadoch, disciples de Jean, leur soeur Marie de Cléophas ainsi
que ses fils et ses filles (Math. XIII, 55-57. Marc, VI, 3). Jésus ne
leur répondit pas et continua à enseigner tranquillement ses disciples.
Un Pharisien étranger du pays de Séphoris se montra particulièrement
insolent et dit : " Qui es-tu donc ? As-tu oublié qu'il y a quelques
années, un peu avant la mort de ton père, tu as travaillé avec lui dans
ma maison à faire dés cloisons en bois? "Comme Jésus ne répondait pas,
ils se mirent à crier : " Réponds donc! est-ce l'usage de ne pas
répondre à des hommes respectables "! Jésus alors parla à peu près en
ces termes à cet insolent : " J'ai travaillé autrefois ton bois, je t'ai
regardé et j'ai gémi de ne pouvoir te débarrasser toi-même de la dure
écorce dont ton coeur est resté enveloppé comme tu le fais voir
maintenant. Tu n'auras pas de part à mon royaume quoique je t'aie aidé à
construire ta demeure sur la terre "... Jésus dit encore : " Nulle part
un prophète n'est sans honneur, si ce n'est dans sa patrie, dans sa
maison, dans sa famille ".
Mais rien ne les scandalisa
plus que certains enseignements qu'il adressa à ses disciples et qu'on
trouve dans l'Evangile à un endroit où sont réunis ensemble tous les
enseignements de ce genre. C'étaient particulièrement des discours comme
ceux-ci : " Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. --
Sodome et Gomorrhe seront moins sévèrement traitées le jour du jugement
que ceux qui ne voudront pas vous recevoir. Je ne suis pas venu apporter
la paix, mais le glaive ".
Anne Catherine cita
plusieurs autres textes du même genre qui se trouvent dans saint Mathieu
(X, 5-42) : il y en a, parmi ceux que donne l'Evangéliste, qu'elle ne
croit pas avoir encore entendus. Ces discours ne s'adressaient qu'à ces
disciples qui se dirigeaient alors avec Jésus vers la Judée où il allait
affronter des persécutions.
Après le sabbat, il y avait
encore là beaucoup de gens qui voulaient être guéris, mais il ne les
guérit point, au grand scandale des Pharisiens : il se trouva quelques
individus pour imiter l'insolence du Pharisien de la synagogue : ils
criaient à Jésus : " Te souviens-tu de ceci, de cela " ? et ils citaient
les endroits où ils l'avaient vu autrefois. Les Pharisiens lui dirent
aussi qu'il avait cette fois une suite moins nombreuse qu'à son premier
voyage, et ils lui demandèrent s'il n'irait pas chez les Esséniens
qu'ils ne pouvaient pas souffrir. En général les Esséniens n'allaient
guère aux prédications publiques de Jésus. Lui, de son côté, parlait
d'eux rarement. Ceux des Esséniens qui avaient le plus de lumières
entrèrent plus tard dans la communauté chrétienne. Ils ne faisaient pas
d'opposition à Jésus et le reconnaissaient comme le Fils de Dieu.
Jésus alla encore voir ces
Esséniens chez lesquels il avait été à son précédent voyage : il y prit
un petit repas avec les disciples et y enseigna jusqu'assez avant dans
la nuit. Vers dix heures arrivèrent Pierre, Matthieu et Jacques le
Mineur : ils avaient laissé les autres apôtres dans les environs de
Séleucie, à l'est du lac Mérom : André, Thomas, Saturnin qui étaient
arrivés récemment et encore un autre apôtre, si je ne me trompe,
allèrent les remplacer.
Jésus, accompagné des
disciples, quitta Nazareth vers une heure après minuit : Jésus fit deux
lieues dans la direction du Thabor jusqu'au petit endroit où il avait
récemment guéri un lépreux, lors de son retour à Capharnaum après la
résurrection du jeune homme de Naïm.
On a annoncé depuis
quelques jours une prédication qui doit avoir lieu demain sur une
hauteur voisine du versant sud-ouest du Thabor, à une demi lieue environ
de l'endroit où commence le Thabor proprement dit : mon état de
souffrance m'a fait oublier de le dire plus tôt.
Sur tout le chemin qu'il
parcourut pendant la nuit, il vint des gens qui imploraient son
assistance. Jésus entra chez le maître d'école du village, lequel,
comptant sur son arrivée, avait déjà reçu chez lui plusieurs malades. Il
guérit ici un muet. Le jeune garçon qui l'autre fois s'était montré si
intelligent en portant à Jésus le message de son maître le lépreux, se
trouvait chez le maître d'école. Jésus s'entretint avec lui : il
s'appelle Samuel, et s'unira plus tard aux disciples.
(5
janvier.) L'homme auquel appartenait cet endroit et que Jésus
avait guéri de la lèpre le 22 novembre, vint aussi le voir et le
remercier. Il l'implora en faveur de plusieurs lépreux pour lesquels il
avait fait élever des cabanes de toile devant le village, près du chemin
où Jésus avait passé : il fit aussi des ouvertures a propos de certaines
parties de son bien, qu'il voulait donner pour fournir aux frais des
voyages de Jésus.
Comme le jour commençait à
poindre, Jésus sortit de la maison pour aller sur le chemin, où il
savait bien que quelques pécheurs honteux l'attendaient. Ils étaient
cinq, tant hommes que femmes, et ils l'imploraient se tenant en dehors
du chemin. Jésus alla à eux : ils se jetèrent à ses pieds, et une des
femmes prenant la parole, lui dit : " Seigneur, nous sommes de
Tibériade, nous n'avions pas osé jusqu'à présent implorer votre
assistance : mais nous avons appris comment vous avez eu pitié même de
Madeleine que vous avez délivrée et à laquelle vous avez pardonné ses
péchés. Cela nous a encourages et nous vous avons suivi ici. Seigneur,
ayez pitié de nous! Vous pouvez nous guérir, nous aussi, et nous
purifier, vous pouvez nous remettre nos péchés "! Les hommes et les
femmes se tenaient séparés les uns des autres. Ces gens avaient été
atteints de la lèpre et d'autres maladies, dont leurs désordres étaient
en partie la cause : l'une des femmes était tourmentée par un esprit
impur et sujette à des convulsions.
Jésus les rassura et il
alla à l'écart avec quelques-uns pour entendre leurs aveux détailles, en
tant que la chose était nécessaire pour augmenter leur repentir et
rendre leur contrition plus vive. Il ne fit pas cela avec d'autres,
parce qu'il savait qu'ils n'en avaient pas besoin. Ensuite il les guérit
et leur remit leurs péchés : ils fondirent en larmes de reconnaissance
et lui demandèrent ses ordres. Il leur ordonna de ne pas retourner à
Tibériade, mais de se rendre dans un autre endroit. J'appris aussi à
cette occasion que Jésus n'ira jamais à Tibériade, où du reste je ne
l'ai jamais vu. Ils allèrent plus tard l'entendre prêcher sur la
montagne.
Jésus se rendit alors à la
tente des lépreux : ils étaient au nombre de quatre ou cinq. Il les
guérit, les exhorta et leur ordonna d'aller à Nazareth se. montrer aux
prêtres.
Les guérisons de ce genre
ne retiennent pas longtemps Jésus : cependant il n'a jamais l'air pressé
: il procède avec dignité et avec mesure, mais avec décision et sans
beaucoup de paroles : il n'y a rien qui ne frappe et ne porte coup Les
consolations et les avis, la douceur et la sévérité se mêlent dans une
juste proportion : la patience et la charité surabondent : pourtant tout
se fait sans précipitation, tout va droit au but sans le perdre de vue
un seul instant. Il y en a plusieurs au devant desquels il va, il semble
même courir à eux en s'écartant de son chemin, comme un homme
compatissant qui vole au secours d'un de ses frères. Il y en a d'autres
dont il se détourne. les laissant aller à sa suite et l'implorer plus
longtemps.
Quant à l'instruction
donnée sur la montagne, la maladie m'en a ôté le souvenir et je n'en
puis rien répéter que confusément. L'endroit où Jésus enseigna était un
bel emplacement avec une chaire en pierre du haut de laquelle avaient
aussi enseigné les anciens prophètes. La vue s'étend de là par delà la
vallée d'Esdrelon et sur la contrée de Mageddo. Il était venu un grand
nombre de personnes des villes environnantes : il y avait beaucoup de
malades, dont plusieurs de Nazareth, que Jésus n'avait pas guéris lors
du séjour qu'il y fit et qu'il guérit ici. Il s'y trouvait aussi des
possédés qu'il délivra et qui le glorifièrent. Il enseigna de nouveau
ici sur les quatre premières béatitudes, raconta quelques paraboles,
parla de la pénitence et de l'avènement du royaume de Dieu, et pria ses
auditeurs en termes très touchants d'accueillir la grâce pendant qu'il
en était temps encore. Les apôtres étaient présents, parce qu'ils
devaient répéter ces enseignements à leur manière lors de leurs
prochaines excursions.
Vers midi, je vis Jésus au
bas de la montagne réunir en particulier autour de lui les apôtres et
les disciples. Il les envoya prêcher, à l'exception de Pierre, de Jean
et de quelques disciples qui devaient rester auprès de lui. Ils devaient
aller deux par deux et suivre trois routes différentes : les uns
devaient parcourir la vallée du Jourdain ; les autres, la vallée qui va
vers Dothan ; d'autres enfin, la partie occidentale du pays en se
rapprochant de Jérusalem C'est ici que je l'ai entendu leur donner pour
instructions d'aller sans argent, sans besace, avec un seul vêtement et
un bâton à la main, de ne pas s'adresser aux païens ni aux Samaritains,
mais seulement aux brebis perdues de la maison d'Israël ; leur dire
comment ils devaient se comporter dans les maisons, secouer la poussière
de leurs souliers et prêcher la pénitence (voyez Matthieu, X, 9, etc.
Marc, VI, 10-11. Luc, IX, 1-5). Il leur parlait ainsi parce que la
partie du pays où ils allaient était plus hostile et parce qu'après la
mort de Jean, qui était prochaine, on était menacé d'une persécution.
Ils trouvaient dans la contrée où ils allaient des hôtelleries préparées
pour eux : ce qui faisait qu'ils n'avaient pas besoin d'argent. Les
apôtres qui avaient été envoyés dans la haute Galilée et de l'autre côté
du lac avaient reçu un peu d'argent. Maintenant les temps étaient
changes et ils avaient affaire à un autre pays.
Avant le départ, Jésus leur
donna sa bénédiction : il leur donna encore quelques instructions sur la
manière d'opérer les guérisons et de chasser les démons, et il bénit
l'huile dont ils auraient à se servir pour guérir les malades. Il dit
aussi à quelques-uns d'entre eux en quel endroit ils devaient le
rejoindre.
Jésus guérit encore
plusieurs malades et congédia le peuple, puis accompagné de Pierre, de
Jean et des disciples, il fit trois lieues en se dirigeant au midi vers
Sunam. Plusieurs personnes de cette ville le suivirent, entre autres un
homme qui, lors de son dernier voyage de Samarie en Galilée, l'avait
prié un soir, dans l'auberge voisine d'Endor, de venir visiter son fils
malade. Cet homme adressa encore la même requête à Jésus qui alla avec
lui.
J'ai oublié de dire que les
deux femmes démoniaques de Gatepher avaient suivi Jésus ici pour
assister à sa prédication sur la montagne et qu'il les délivra en leur
imposant les mains.
Je vis, à une époque très
reculée, longtemps avant l'arrivée d'Abraham, trois hommes d'un teint
plus basané que ce patriarche, habiter ici dans des cavernes. Ils
n'avaient pour vêtements que des peaux de bêtes et ils attachaient une
large feuille d'arbre sur leur tête pour se préserver du soleil. Je
crois qu'ils vivaient déjà à l'époque où l'on éleva la tour de Babel car
je me rappelle confusément que l'un d'eux ne s'y trouvait pas. Ils
étaient, si je ne me trompe, du pays du grand chasseur qui habitait sur
la montagne (c'est ainsi qu'elle désigne ordinairement Nemrod ou Bélus).
C'étaient des gens dans le genre d'Hénoch ; ils menaient une vie sainte,
avaient une religion privée très simple, et recevaient diverses
révélations : leurs occupations étaient peu variées. C'était un point de
leur religion que Dieu voulait contracter une alliance avec les hommes
et qu'ils devaient s'employer de tout leur pouvoir à la préparer. Ils
offraient des espèces de sacrifices qui consistaient à exposer à la
chaleur du soleil, pour s'y consumer, la troisième partie de leurs
aliments : peut- être aussi la mettaient- ils de côté pour nourrir
d'autres hommes affamés ; du moins je les vis aussi faire ainsi. Je
voyais ces gens vivre très simplement, à part des habitants encore peu
nombreux du pays, lesquels demeuraient à de grandes distances les uns
des autres dans des endroits où s'élevaient comme des villes de tentes.
Je vis ces hommes parcourir les différentes parties du pays, creuser des
puits, défricher des terrains incultes et poser des fondements dans des
endroits où, plus tard, des villes furent bâties. Je les vis dans
certaines contrées, chasser les mauvais esprits répandus dans l'air et
les reléguer dans d'autres lieux malsains, marécageux, couverts de
brouillards. Je vis de nouveau à cette occasion que les mauvais esprits
se tenaient de préférence dans des contrées de ce genre. Je vis souvent
ces hommes en lutte avec ces esprits impurs et leur livrer des combats.
Je m'étonnais d'abord que des villes dussent s'élever sur les
emplacements où ils posaient des pierres, parce que les traces de leur
passage ne tardaient pas à disparaître sous une végétation sauvage, et
cependant j'eus une vision où me furent montrés beaucoup d'endroits qui
avaient été bâtis sur ces pierres, par exemple Saphet, Bethsaïde,
Nazareth, où ils travaillèrent à la grotte, dans laquelle plus tard
Marie reçut le message apporté par l'ange ; Gatepher, Séphoris, dans la
contrée voisine de Nazareth où fut la dernière résidence de sainte Anne,
Mageddo, Naïm, les sources d'Ainon, les grottes de Bethléhem : je vis
aussi des pierres posées près d'Hébron : je les vis encore jeter les
fondements de Michmethath et de beaucoup d'autres villes que j'ai
oubliées.
Je les voyais se réunir
tous les mois, avec Melchisédech, sur la montagne où Jésus enseigna :
Melchisédech leur apportait un grand pain de forme quadrangulaire : ce
pain avait bien trois pieds carrés, il était assez épais et partagé en
beaucoup de petits compartiments. Il était cuit sous la cendre et de
couleur brunâtre. Je vis Melchisédech se rendre toujours seul auprès
d'eux : je le voyais quelquefois porter ce pain sans le moindre effort,
comme s'il eût été soutenu en l'air dans sa main ; quelquefois,
lorsqu'il s'approchait d'eux, il le portait sur ses épaules, et semblait
éprouver quelque fatigue. C'était, à ce que je crois, parce qu'en
s'approchant d'eux, il devait avoir toute l'apparence d'un homme. Ils
lui témoignaient beaucoup de respect et se prosternaient devant lui la
face contre terre. Melchisédech venait les trouver tous les mois,
toujours seul et apportant ce pain. Je le vis aussi alors résider près
du Jourdain dans une espèce de château formé de tentes : il n'était pas
encore entouré de serviteurs de toute sorte. Ce ne fut que plus tard
qu'il posa des pierres fondamentales et commença à bâtir sur la montagne
du temple à Jérusalem. Melchisédech apprit à ces hommes à cultiver la
vigne sur les pentes du Thabor : ils propagèrent en beaucoup d'endroits
du pays les semences de divers végétaux qu'il leur avait donnés et qui
croissent encore dans ces contrées à l'état sauvage. Je les voyais
chaque jour couper une tranche de pain avec une bêche de couleur brune
dont ils se servaient pour leurs travaux. Ils mangeaient aussi des
oiseaux qui volaient à eux en grand nombre. Ils avaient des jours de
fête et connaissaient le cours des astres : ils fêtaient le huitième
jour par des sacrifices et des prières, et célébraient pendant quelques
jours le passage d'une année à l'autre. Je les vis aussi tracer dans la
contrée, alors impraticable, des chemins aboutissant aux lieux où ils
avaient posé des pierres fondamentales, creusé des puits, semé des
plantes utiles, en sorte que les hommes qui vinrent plus tard, suivirent
ces chemins et s'établirent tout naturellement près des puits et des
emplacements déjà préparés et produisant des fruits. Je vis que pendant
leurs travaux, ils étaient souvent entourés de troupes de mauvais
esprits visibles pour eux ; mais à l'aide de la prière et en leur
intimant des ordres, ils les reléguaient dans des lieux déserts et
marécageux, après quoi ils continuaient paisiblement leurs travaux,
nettoyaient le terrain et l'assainissaient.
Ils firent des chemins
conduisant à Cana, à Mageddo, à Naïm : ils préparèrent de cette manière
la fondation des villes Ou naquirent la plupart des prophètes. Ils
posèrent les fondements d'Abelmehola et de Dothaim, et creusèrent la
belle fontaine des bains de Béthulie. Melchisédech parcourait encore le
pays seul et comme un étranger ; on ne savait pas où il résidait. Ces
gens étaient vieux, mais encore très agiles. Dans la contrée où fut plus
tard la mer Morte et dans la Judée, il y avait déjà des villes : il s'en
trouvait aussi quelques-unes dans la partie supérieure du pays, mais pas
encore dans le centre.
Ces hommes creusèrent
eux-mêmes leurs tombeaux et s'y couchèrent avant de mourir. L'un d'eux
avait le sien près d'Hébron, l'autre ici au pied du Thabor, le troisième
dans une des grottes qui avoisinent Saphet. Ils furent à certains égards
pour Abraham ce que Jean-Baptiste fut pour Jésus. Ils disposèrent et
nettoyèrent le terrain, préparèrent le chemin et tracèrent aux eaux leur
cours pour l'ancêtre du peuple de Dieu : quant à Jean, il disposait les
coeurs à la pénitence et à la régénération en Jésus-Christ. Ils firent
pour Israël ce que Jean fit pour l'Église. J'ai vu encore dans d'autres
endroits quelques hommes semblables à ceux-là ; je crois qu'ils y
avaient été établis par Melchisédech '.
J'ai oublié de dire que
Jésus, lorsqu'il descendit de la montagne où il avait enseigné, guérit
encore, avant de passer le torrent de Cison, un pauvre lépreux tout à
fait abandonné et tombé dans le mépris. Il était déjà depuis vingt ans
dans ce misérable état ; on n'avait pas voulu le lui conduire et il
habitait seul une cabane de toile voisine du chemin. Jésus s'empressa
d'aller à lui, le guérit et l'envoya à la suite des autres se montrer
aux prêtres à Nazareth.
Note : Le moine Brocard,
qui visita la Palestine en 1238, dit dans le récit de son voyage qu'on
montrait au pied du Thabor, au midi, en face d'Endor, le lieu où
Melchisédech avait présenté à Abraham le pain et le vin. On trouve aussi
dans des récits de voyages postérieurs des traces de cette tradition,
qui selon d'autres, ne peut pas se soutenir, mais qui a peut-être pour
fondement un souvenir confus touchant cette montagne du pain.
Jésus arriva à Sunam au
crépuscule du soir et il entra avec Pierre et Jean chez l'homme qui
l'avait imploré en faveur de son enfant malade. Tous les enfants de cet
homme étaient dans un triste état : un de ses fils, âgé d'environ seize
ans et très grand pour son âge, était sourd et muet. Il était couché par
terre et sujet à des convulsions affreuses pendant lesquelles il se
tordait et se courbait en arrière, de telle sorte que sa tête allait
toucher ses talons : avec cela, il ne pouvait pas marcher et était
complètement paralytique. Un autre fils était idiot et s'effrayait de
tout : et il avait encore deux filles dans un état à peu près semblable.
Jésus guérit dès ce soir le muet attaqué de convulsions. Pierre et Jean
étaient allés dans la ville. Jésus était dans la chambre du malade, seul
avec les parents : il s'agenouilla près de sa couche et pria : puis,
s'appuyant sur la main, il se pencha sur je visage de l'adolescent comme
s'il lui eût soufflé dans la bouche : après quoi, il le prit par la main
et se leva. Le jeune homme se redressa sur ses pieds de toute sa hauteur
et Jésus lui fit faire quelques pas en avant et en arrière. Alors il le
conduisit seul dans une autre chambre, fit un mélange de terre et de
salive dont il lui frotta l'intérieur des oreilles, et lui passa sous la
langue les deux premiers doigts de la main droite : sur quoi le jeune
homme cria d'une voix perçante et étrange : " J'entends, je puis parler
". Les parents et les domestiques se précipitèrent dans la chambre et
l'embrassèrent fondant en larmes et poussant des cris d'allégresse. Ils
se prosternèrent devant Jésus et se roulèrent à ses pieds avec leur
enfant, transportés de joie et sanglotant. Jésus s'entretint en
particulier avec le père et lui dit qu'une faute dont son père s'était
rendu coupable pesait sur lui. Cet homme demanda à Jésus si le châtiment
s'étendrait jusqu'à la quatrième génération. Jésus lui répondit que s'il
l'expiait par la pénitence, cette faute pourrait être effacée.
(6
janvier. ) Le lendemain, Jésus guérit de leur idiotisme, par
l'imposition des mains, l'autre fils et les deux filles de son hôte.
Quand ils furent guéris, ils restèrent saisis d'étonnement, comme s'ils
fussent sortis d'un songe : auparavant ils croyaient toujours qu'on
voulait les tuer, et le feu leur inspirait une grande frayeur. Hier,
Jésus, après avoir guéri l'adolescent, lui dit, contre sa coutume,
d'aller raconter à tous ce qui lui était arrivé. Il s'ensuivit un grand
concours de peuple, une nombreuse affluence de malades, et ce matin, je
vis Jésus enseigner dans la rue, guérir et bénir beaucoup d'enfants.
Je le vis ensuite avec
Pierre et Jean marcher très vite tout le jour et toute la nuit ; ils
traversaient la plaine d'Esdrelon dans la direction de Ginnim et ils se
reposaient rarement. J'entendis Jésus dire sur le chemin que la fin de
Jean était proche et qu'ensuite on chercherait aussi à s'emparer de lui
: mais il ne convenait pas qu'il se livrât. Je crois avoir compris
qu'ils veulent aller à Hébron consoler les parents de Jean et empêcher
qu'on ne se soulève. J'ai vu plusieurs fois Jésus aller dans divers
lieux sur cette route et il y a eu plusieurs incidents dont je ne me
souviens plus.
Je vis cette nuit les
saintes femmes à Dothan près de Samarie : il y avait, outre Marie,
Véronique, Suzanne, Madeleine et Marie la Suphanite : elles logent chez
cet Issachar que Jésus a guéri récemment (le 2 novembre ou 19
Marcheswan). Celles-ci ne vont jamais dans s hôtelleries : mais Marthe,
Dina, Jeanne Chusa, Suzanne, fille d'Alphée, Anne de Cléophas, Marie,
mère de Jean Marc, et Maroni sont allées deux à deux visiter les
hôtelleries pour voir ce qui peut y manquer. Elles sont à peu près une
douzaine.
(7
janvier.) Je vis de très bonne heure dans la matinée Jésus et les
deux apôtres au midi de Samarie, et je vis les nouveaux disciples
égyptiens avec le fils de Jeanne Chusa venir les trouver en partant d'un
point situé à l'est. Ces disciples égyptiens ont déjà passé plus d'un an
à Hébron où ils ont étudié : depuis longtemps aussi ils se sont trouvés,
à Bethléem et à Béthanie, en rapports intimes avec Lazare et avec
d'autres disciples, en sorte qu'ils sont parfaitement informes.
Je vis plus tard Jésus avec
ses compagnons arriver près de ces maisons de bergers où les saintes
femmes s'étaient réunies à lui après son premier entretien avec la
Samaritaine (voir tome II, p. 195), et où il avait guéri le fils du
maître de la maison. Je suis portée à croire que ce jeune homme est l'un
des trois qui l'accompagnèrent plus tard dans sa visite aux trois rois.
Ils prirent ici une réfection et se reposèrent un peu.
Dans une vision
postérieure, j'ai vu Jésus enseigner près d'un puits les gens qui
travaillaient dans les champs d'alentour, et leur raconter la parabole
du trésor caché et celle de la drachme perdue et retrouvée. Cette
dernière parabole fit rire quelques-uns des auditeurs : ils trouvaient
étrange que la femme balayât toute la maison pour sa drachme perdue,
parce qu'ils avaient souvent perdu plus que cela sans se donner tant de
peine. Mais lorsque Jésus les traita d'insensés et leur expliqua ce que
c'était que cette drachme et quelle vertu représentaient ces recherches
minutieuses, ils restèrent confus et cessèrent de rire.
Ces gens étaient occupés à
battre le blé qui était resté amoncelé dans les champs. Ils employaient
pour cela des marteaux de bois qui se levaient et retombaient au moyen
d'un cylindre mis en mouvement : plusieurs hommes poussaient le blé sous
ces marteaux et le retiraient ensuite. Ils se servaient, en guise
d'aire, d'une cuve taillée dans le roc qui était fort consistant et
veiné de diverses couleurs : un grand arbre recouvrait le tout.
Jésus enseigna encore ça et
là dans les champs, après quoi il alla à la ville assez voisine de
Thanath-Silo, en compagnie de quelques-uns des ouvriers qu'étaient de
cet endroit. Les habitants le reçurent très amicalement devant la ville.
lui offrirent une réfection, lui lavèrent les pieds et voulurent lui
faire prendre d'autres vêtements, ce qu'il n'accepta pas. Il enseigna
dans la synagogue où il raconta la parabole du roi qui donne un grand
festin.
CHAPITRE SEPTIÈME
Décollation de saint Jean-
Baptiste
- Veille de la fête du jour de
naissance d'Hérode. - Jésus à Thanath-Silo. - Les architectes d'Hérode
sont écrasés par la chute d'un édifice. - Saint Jean-Baptiste est
décapité. - Jésus à Antipatris, -Béthoron, à Bethanie, dans le voisinage
de Jérusalem, à Juta et à Hébron.
(Du 8 janvier au 18 janvier 1823.)
(8
janvier.) Depuis une quinzaine de jours déjà, j'ai vu arriver à
Machérunte beaucoup de gens invités par Hérode, dont la plupart sont des
personnes du beau monde : j'en vis notamment beaucoup appartenant à la
société élégante et corrompue de Tibériade, passer le Jourdain à Ainon
pour se rendre à Machérunte. Je vis aussi une grande quantité de femmes
venir visiter Hérodiade et se succéder toute une série de fêtes et
d'orgies. Il y avait près du château un édifice circulaire et découvert,
entouré de sièges d'où l'on regardait des combats livrés par des
athlètes à des animaux féroces. Je vis aussi des danseurs et des
danseuses qui exécutaient des danses voluptueuses de toute espèce, et je
vis Salomé. la fille d'Hérodiade, s'exercer avec eux. en présence de sa
mère devant des miroirs de métal.
Zorobabel et
Cornélius de Capharnaum ne vinrent pas : ils s'étaient fait excuser.
Dans les derniers
temps on avait permis à Jean de circuler dans l'intérieur du château, et
ses disciples avaient la permission d'entrer et de sortir. Il avait
quelquefois enseigné publiquement dans le château et Hérode avait
assisté à ses prédications. On lui avait aussi promis la liberté s'il
voulait approuver le mariage d'Hérode ou du moins garder sur ce point le
silence le plus absolu : mais il s'était toujours élevé avec véhémence
contre cette union. Toutefois, Hérode avait l'intention de lui rendre la
liberté à l'occasion du jour de sa naissance : mais sa femme nourrissait
en secret d'autres pensées. Hérode désirait que Jean se fît voir en
public pendant la fête : il voulait se rendre ses hôtes favorables en
leur faisant voir qu'il traitait doucement son captif ; mais aussitôt
que les réunion et les jeux commencèrent, faisant de Machéronte le
théâtre de tous les désordres, Jean ne voulut plus quitter sa prison et
il ordonna aussi à ses disciples de se retirer. La plupart se rendirent
dans les environs d'Hébron, d'où étaient plusieurs d'entre eux.
Pendant cette fête et
en d'autres occasions encore, je vis aux côtés de l'infâme Hérodiade un
homme qui, même pendant la nuit, venait familièrement près de son lit ;
je crus reconnaître que c'était le démon sous la figure d'un amant ou
sous celle d'Hérode lui-même. J'ai toujours vu cette femme plongée dans
tous les vices, s'abandonnant à toutes les débauches et ourdissant toute
espèce de perfidies.
Sa fille avait été
formée par elle : elle la secondait en toutes choses depuis son enfance
et c'était déjà une fille perdue. Elle était jeune et dans tout l'éclat
de sa beauté qui avait quelque chose de sensuel et de lascif : elle
était très immodeste dans ses allures et dans ses vêtements. Depuis
longtemps déjà Hérode jetait sur elle des regards de convoitise et sa
mère avait dressé ses plans en conséquence.
Hérodiade avait un
extérieur qui frappait tout d'abord : tout y respirait l'effronterie et
il n'y avait point de moyens, point d'artifices auxquelles elle n'eût
recours pour rendre plus piquante son impudique beauté. Elle n'était
plus très jeune et avait dans la physionomie quelque chose de
singulièrement provoquant ou plutôt de diabolique qui charmait les
libertins, mais qui excitait en moi la répugnance et le dégoût comme eût
fait l'effrayante beauté d'un serpent. Je ne puis rien trouver à lui
comparer qu'en disant qu'elle ressemblait à une déesse, qu'elle était
tout à fait comme les déesses. (On ne trouvera rien de ridicule dans
cette expression quand on saura qu'Anne Catherine voyait sous forme de
déesses Dercéto, mère de Sémiramis, d'autres femmes du même genre
également divinisées, ainsi que plusieurs des filles des hommes dont
parle la Genèse, et que tous les dieux et toutes les déesses du
paganisme lui apparaissaient comme des personnages engendrés sous des
influences diaboliques dans les mystères d'un culte infernal ; du reste,
doués de facultés merveilleuses, possédant un pouvoir magique et
gouvernés par le démon.)
Ce soir, je vis
commencer la fête du jour de naissance d'Hérode. Hérodiade habitait un
palais bâti sur l'un des côtés d'une cour spacieuse : il dominait la
grande salle placée en face dans laquelle la fête avait lieu, et l'on
voyait tout ce qui s'y passait du haut des galeries ouvertes du palais
d'Hérodiade. On avait élevé dans la cour un magnifique arcs-de-triomphe
où l'on montait par des degrés et sous lequel on passait pour entrer
dans la salle. Celle-ci offrait à l'úil une perspective qui semblait
sans limites et dont la splendeur était incroyable : on ne voyait
partout que miroirs, dorures, bouquets de fleurs et arbrisseaux
verdoyants. On était complètement ébloui, car aussi loin que la vue
pouvait s'étendre, tout était inondé de lumière, grâce à une profusion
inouïe de flambeaux, de lampes, de transparents portant des inscriptions
ou ayant la forme de vases et de statues.
Hérodiade avec son
entourage de femmes, toutes parées de leurs plus beaux atours, regardait
la fête du haut de la galerie supérieure de son palais. Bientôt Hérode,
escorté d'une troupe de courtisans somptueusement vêtus et salué par des
voix qui chantaient en choeur, traversa la cour sur des tapis pour se
rendre à l'arc de triomphe au-dessus duquel un grand nombre de jeunes
garçons et de jeunes filles à peu près nus et couronnés de fleurs se
tenaient, agitant des guirlandes et jouant de divers instruments de
musique. Comme il montait les degrés qui menaient à l'arc-de-triomphe,
Salomé, entourée d'autres adolescents des deux sexes, vint au devant de
lui en dansant et lui présenta une couronne placée au milieu de joyaux
étincelants de toute espèce, et que des enfants de son cortège portaient
sous un voile diaphane. Ces enfants étaient à peine couverts d'une
légère draperie : ils portaient un vêtement collant qui les faisait
paraître nus et ils avaient des espèces d'ailes attachées aux épaules
Salomé portait également un vêtement court et par-dessus une longue robe
tout à fait transparente attachée par endroits autour des jambes avec
des agrafes brillantes. Ses bras étaient entourés d'anneaux d'or de
cordons de perles et de petites guirlandes de plumes : elle n'avait sur
le cou que des perles en grand nombre et des colliers étincelants : sa
poitrine n'était couverte que d'une gaze transparente. Elle dansa assez
longtemps devant Hérode qui, charmé et ébloui, lui témoigna la plus vive
admiration, ainsi que tous ses hôtes, et la pria de lui donner encore ce
plaisir le lendemain. Alors ils entrèrent dans la salle où commença le
festin. Les femmes mangèrent de leur côté dans le palais de la reine.
Pendant ce temps, je vis Jean dans sa prison : il était agenouillé, les
bras étendus, regardait le ciel et priait. Il était entouré de lumière,
mais c'était une toute autre lumière que celle de la salle d'Hérode.
Celle-ci en comparaison, paraissait trouble et rougeâtre comme une
flamme d'enfer, quoique Machérunte, illuminée par tant de flambeaux,
répandît au loin sur les montagnes une lueur semblable à celle d'un
incendie.
(
8 janvier. ) Ce matin, Jésus avait enseigné dans la synagogue de
Thenath-Silo et il avait expliqué entre autres choses la parabole du roi
qui donne un festin. Des gens venus de Jérusalem lui confirmèrent ici ce
qui avait été déjà rapporté comme un bruit par les quatre disciples qui
étaient venus le trouver près de Samarie, à savoir, qu'il était arrivé
un grand malheur à Jérusalem à l'occasion d'une construction que faisait
faire Pilate. et que, sans compter beaucoup d'autres personnes, dix-huit
architectes d'Hérode avaient été victimes de la chute de l'édifice.
Jésus plaignit ceux qui avaient péri sans qu'il y eut de leur faute,
avec ce sentiment que nous éprouvons quand il s'agit de la mort
d'enfants innocents, et il dit que ces dix-huit architectes qui étaient
des Hérodiens, n'étaient pas de plus grands pécheurs que les Pharisiens,
les Sadducéens et tous ceux qui travaillaient à l'encontre du royaume de
Dieu : ceux-ci devaient aussi périr sous les ruines de leur édifice
traîtreusement construit. Il raconta ensuite la parabole du figuier.
Hérode avait offert à
Pilate, pour ses bâtisses, des pierres excellentes d'une espèce
particulière, du ciment de bonne qualité et aussi des architectes de son
pays, ce que Pilate avait accepté. Mais toutes ces offres cachaient une
perfidie destinée à rendre Pilate odieux ; ainsi Hérode avait envoyé à
Jérusalem dix-huit architectes qui étaient Hérodiens ou membres d'une
société secrète comme celle des francs-maçons. Ils appuyèrent au
penchant septentrional de la montagne du temple, du côté de la porte des
Brebis, une construction qui devait servir d'égout pour les immondices
du temple. Mais les travaux avaient été mal faits à dessein, en sorte
qu'ils ne pouvaient manquer de s'écrouler, et Hérode pensait que leur
chute ferait périr les trois cents hommes qui travaillaient là en
qualité d'esclaves. C'étaient des gens qu'Hérode haïssait parce que la
plupart étaient partisans de Jean-Baptiste, et il y en avait aussi
plusieurs qui avaient été guéris par Jésus. La base de la construction
était large, mais creuse ; elle devenait plus étroite, plus compacte et
plus lourde à mesure qu'elle s'élevait, et la hauteur totale était
considérable. Il y avait près de là toute une rue habitée par de pauvres
ouvriers qui demeuraient sur la pente de la montagne du temple. Je vis
aussi sur une terrasse les dix-huit Hérodiens qui dirigeaient ce travail
où se cachait une trahison .Tout s'écroula à la fois sur les ouvriers,
mais, ce qu'on n'avait pas prévu, les dix-huit Hérodiens périrent aussi,
car la terrasse ou ils se tenaient s'éboula entraînant d'autres
constructions et ils furent ensevelis sous les ruines. Plusieurs des
petites habitations adossées à la montagne du temple, s'écroulèrent
aussi et bien des Innocents périrent. Il y eut bien une centaine
d'hommes écrasés sous les décombres. Cet événement eut lieu au moment où
commençaient les fêtes de Machérunte. Pilate fut très irrité contre
Hérode à cette occasion, et ce fut une des causes principales de leur
inimitié.
NOTE
: C'est l'événement que Jésus mentionne brièvement dans Saint Luc
(XIII, 4, lorsqu'on lui raconte le massacre des Galiléens dans le
temple.
Jésus guérit encore
ici plusieurs malades, entre autres des aveugles : ensuite il quitta
Thenath-Silo, accompagné de Pierre et de Jean. Les quatre disciples
allèrent directement à Béthoron où Marie, Marthe, Madeleine et les
autres femmes de Jérusalem doivent se rendre en quittant Dothan et où je
crois que Jésus les rejoindra. Jésus prit le chemin d'Antipatris : en
quittant Thenath, il se dirigea vers Sichem qu'il laissa à sa droite et
passant près du puits de Jacob, il arriva dans une vallée à droite du
mont Garizim et entra dans l'hôtellerie où il avait été le jour d'avant
l'entretien avec la Samaritaine. Sur la route, Pierre et Jean
demandèrent à plusieurs reprises à Jésus s'il ne voulait pas entrer à
Aruma ou dans d'autres endroits : mais il assura qu'on ne l'y recevrait
pas et il continua son chemin vers Antipatris.
(8
janvier.) J'ai vu aujourd'hui à midi un grand festin dans la
salle d'Hérode : cette salle était ouverte du côté qui faisait face à la
salle des femmes, située plus haut, en sorte que le tableau qu'offrait
cette réunion de femmes en grande toilette, mangeant, buvant et jouant,
venait par cette ouverture se réfléchir comme dans une glace sur une
surface polie. C'était peut-être de l'eau : car il y avait de tous côtés
des jets d'eau de senteur, qui jaillissaient au milieu de pyramides de
fleurs et d'arbres couverts de verdure. Après le repas où l'on avait
beaucoup bu, les convives prièrent Hérode de faire danser de nouveau
Salomé : on laissa libre à cet effet le milieu de la salle et on se
rangea tout autour, le long des murs.
Hérode siégeait sur
son trône : quelques-uns de ses familiers et seulement ceux qui étaient
Hérodiens s'assirent près de lui sur une extrade : je crois que le
tétrarque Philippe était parmi eux. Salomé reparut avec quelques
danseuses, l'air effronté et très légèrement vêtue : ses cheveux étaient
ou entrelacés de perles et de pierres précieuses, ou flottant en boucles
sur ses épaules. Elle avait une couronne sur la tête. Elle dansait au
milieu, les autres autour d'elle. Cette danse n'est pas aussi fougueuse
et aussi vive que les danses rustiques de nos paysans ; elle consiste à
ployer, courber et tordre continuellement le corps comme s'il était
désossé : on passe sans cesse d'une attitude à une autre. Ces femmes
balancent, plient et replient leurs membres avec une souplesse qui
rappelle celle du serpent : elles tiennent en outre à la main des
guirlandes et des drapeaux qu'elles agitent et déploient autour d'elles.
J'ai vu d'autres fois des danses juives et particulièrement des danses
païennes qui me plaisaient beaucoup par ce qu'elles avaient de doux et
de gracieux : mais cette danse-ci était par-dessus tout impudique et
exprimait les passions les plus honteuses. Salomé l'emportait sur toutes
les autres, et je vis à ses côtés le démon qui semblait assouplir et
agiter tous ses membres pour mieux parvenir à ses fins. Hérode était
charmé et bouleversé par ces infâmes attitudes : en finissant, elle vint
au pied du trône, et comme les autres danseuses continuaient à captiver
l'attention des spectateurs, quelques-uns des plus voisins seulement
entendirent Hérode lui dire : " Demande-moi ce que tu voudras, je te le
donnerai ; j'en fais le serment : quand ce serait la moitié de mon
royaume, je te le donnerai ". Salomé répondit. " Je vais consulter ma
mère sur ce que je dois demander ". Après quoi elle sortit de la salle,
se rendit à celle des femmes et parla à sa mère. Celle ci lui ordonna de
demander la tête de Jean-Baptiste sur un plat. Salomé revint près
d'Hérode et lui dit : "Je veux que vous me donniez tout de suite la tête
de Jean sur un plat!" Quelques-uns des plus proches voisins du roi
l'entendirent lorsqu'elle dit cela. Hérode était terrifié et comme
frappé d'apoplexie: mais elle lui rappela son serment. Alors il fit
appeler son bourreau par un Hérodien et lui ordonna de décapiter Jean et
de donner sa tête à Salomé sur un plat. L'exécuteur sortit et Salomé le
suivit au bout de quelques instants.
Cependant Hérode,
comme s'il eût été malade, quitta la salle avec quelques courtisans qui
avaient tout entendu : comme il était accablé de tristesse, je les
entendis lui dire qu'il aurait bien pu ne pas se croire obligé de lui
accorder sa demande : ils lui promirent du reste le secret le plus
absolu, afin de ne pas troubler la fête. Quant à lui, il était accablé
de tristesse et il errait comme un insensé dans les appartements les
plus reculés du palais. Pendant ce temps la fête allait son train.
Jean était en prière. Le bourreau et son valet firent entrer avec eux
les deux soldats qui montaient la garde à la porte de la prison. Les
soldats avaient des torches : mais je vis tant de lumières autour de
Jean que la lueur des torches me parut pâlir comme à la clarté du jour.
Salomé attendait avec une servante dans un vestibule qui précédait la
prison : celle-ci avait remis au bourreau un plat enveloppé d'un drap
rouge. L'exécuteur dit à Jean : " Le roi Hérode m'a chargé de porter ta
tête sur ce plat à sa fille Salomé ". Mais Jean ne le laissa pas achever
: il resta à genoux, tourna la tête vers lui comme il entrait, et lui
dit : " Je sais pourquoi tu viens : vous êtes des visiteurs que
j'attends depuis longtemps. Si tu savais ce que tu fais, tu ne voudrais
pas le faire. Je suis prêt ". Alors il reprit sa première position et se
remit à prier devant la pierre près de laquelle il avait coutume de
s'agenouiller. Le bourreau lui coupa la tête au moyen d'une machine que
je ne puis comparer qu'à un piège à renards : car on lui passa un anneau
de fer autour des épaules ; puis le bourreau, en donnant une secousse ou
en pressant un ressort, fit jouer des lames tranchantes qui lui
entrèrent dans le cou et la tête fut en un instant séparée du corps.
Jean resta agenouillé, la tête tomba à terre et il en jaillit un triple
jet de sang sur la tête et le corps du saint qui fut ainsi baptisé dans
son sang. Le valet du bourreau prit la tête par les cheveux en lui
jetant une insulte et la posa sur le plat que le bourreau prit et porta
à Salomé qui l'attendait. Elle la reçut avec une joie mêlée d'une
horreur secrète et de cette répugnance physique que les personnes
adonnées aux voluptés ressentent à la vue du sang et des blessures.
Accompagnée de sa suivante qui l'éclairait, elle emporta le saint chef à
travers les corridors souterrains, tenant le plat aussi loin d'elle que
possible et détournant sa tête chargée d'ornements avec une grimace de
dégoût. Les passages déserts qu'elle suivait la conduisirent, en montant
toujours, à une espèce de cuisine souterraine, située sous le palais
d'Hérodiade. Celle-ci vint aussitôt à sa rencontre, arracha la
couverture qui cachait la sainte tête et l'accabla d'injures et
d'outrages ; ayant pris une lardoire pointue, suspendue au mur avec
d'autres ustensiles du même genre, elle perça à coups redoublés la
langue de Jean, ses joues et ses yeux ; après quoi, plus semblable à un
démon qu'à une créature humaine, elle la lança violemment par terre et
la poussa du pied jusqu'à une ouverture circulaire par où elle tomba
dans une fosse qui servait de réceptacle à toutes les immondices de la
cuisine. Après quoi l'abominable créature revint avec sa fille, comme
s'il ne fût rien arrivé, se mêler au tumulte et aux scandales de la
fête. Je vis le saint corps recouvert de la peau de mouton qu'il portait
ordinairement, placé sur sa couche de pierre par les deux soldats. Ces
hommes étaient très émus, mais on les retira de là et on les enferma
pour les empêcher de parler. Un silence rigoureux fut imposé à tous ceux
qui savaient quelque chose de ce qui s'était passé. Les hôtes d'Hérode
ne pensaient pas à Jean.
Anne Catherine
raconta ceci les jours suivants :
(9
janvier.) Je vis le saint corps toujours étendu sur sa couche :
on continue à monter la garde devant la prison et on y porte des
aliments comme à l'ordinaire. La mort de Jean reste cachée ; Hérode
attend sans doute des circonstances plus favorables pour la faire
connaître.
Les fêtes continuent,
mais Hérode n'y prend aucune part. Je l'ai vu errer dans un jardin
écarté avec ses familiers : il était tout triste et tout bouleversé. Il
y a tout le jour des jeux de toute espèce et des tours de jongleurs : on
s'enivre de manière à perdre toute retenue toutefois on ne boit pas
jusqu'à perdre la raison comme on le fait chez nous : je n'ai vu
personne complètement ivre. Les femmes boivent aussi mais dans un
endroit à part, selon la coutume ; et cette séparation produit plus : de
mal que ne le ferait leur réunion en public avec les hommes, car elles
obéissent à la convoitise de leurs yeux, donnent des rendez-vous à qui
leur plaît sous des déguisements de toute sorte et commettent toute
espèce d'abominations. Tout ce monde se livre à d'affreux désordres.
(10 janvier.) Le saint corps est toujours gisant dans la prison
silencieuse. Le théâtre circulaire qui est dans le palais était
aujourd'hui plein de spectateurs assis sur les degrés : les femmes s'y
trouvaient : Hérode était absent. Je vis des bateleurs se livrer à
divers exercices : des hommes basanés, jaunes et noirs, n'ayant d'autre
vêtement qu'un linge autour des reins, se frottaient d'huile, sautaient,
couraient les uns après les autres, se frappaient à coups de bâton et se
renversaient par terre. Je vis aussi des bêtes féroces combattre entre
elles ou avec des hommes qui luttaient contre elles et les tuaient. On
jouait des farces de toute espèce ; quelquefois un des acteurs voulait
s'élancer dans une maisonnette placée sur une colonne, alors la
maisonnette et la colonne se mettaient en mouvement ; il y avait dedans
un homme qui bâtonnait le premier. Je vis aussi des ballons légers
semblables à des vessies, posés sur de hauts piliers : on lançait sur
eux des traits rougis au feu qui les perçaient : alors ils faisaient
explosion, s'enlevaient en l'air tout enflammés et allaient tomber çà et
là sur les toits.
(11 janvier.) J'ai encore Vu le saint corps étendu sur sa couche
: toutes choses vont en apparence comme a l'ordinaire. Dans le palais,
ce sont toujours les mêmes orgies. Aujourd'hui, on a élevé une haute ~
pleine de poix et de soufre. De pauvres esclaves y montaient, y
mettaient le feu et il en sortait une colonne de flamme qui s'élevait
très haut. Toutes les montagnes en étaient éclairées et on devait la
voir de Jérusalem. Malheureusement deux esclaves furent brûlés. Les
jeux, les costumes, les usages, la manière dont tout est disposé
rappellent tout à fait ce qui se passa au mariage de Datula dans l'île
de Crète 1 : seulement ici tout était plein d'abominations et de péchés,
tandis qu'en Crète tout était pur et innocent. De plus, à Machérunte,
les bâtiments, les lieux ou l'on joue, les cours et les salles se
trouvent resserrés et entassés dans un espace étroit : en Crète, au
contraire, tout était spacieux, avec un agréable mélange de chemins, de
jardins, de galeries, d'escaliers et de colonnades.
Je crois qu'il va y
avoir une guerre entre Hérode et le père de sa première femme, car elle
avait appris qu'Hérode allait la répudier pour prendre Hérodiade, avant
même que celle-ci ne fût prés de lui, et dès qu'il fut revenu de voyage
où il l'avait vue. Elle demanda alors à Hérode la permission d'aller à
Machérunte, mais au lieu de cela elle se rendit chez son père Aretas et
y resta. Il est très irrité ; c'est lui qui était allé secrètement
entendre Jean. Je crois que la guerre éclatera pendant un voyage de
Jésus à Tyr ou ailleurs.
NOTA
: Ceci fait allusion à l'histoire de la fille d'un roi de l'île de
Crète, convertie au christianisme dans les premiers siècles et dont
Anne Catherine a vu et raconté la vie, ainsi que cela sera rapporté
en son lieu.
(8
janvier. ) Jésus quitta aujourd'hui son hôtellerie : il alla à
l'ouest, suivant le plus souvent une vallée arrosée par un petit cours
d'eau. Ils passèrent près de plusieurs petits endroits sans s'y arrêter
et Jésus fit à Pierre et à Jean une instruction sur la prière. Je
l'entendis entre autres choses raconter la parabole de l'homme qui vient
frapper pendant la nuit à la porte de son ami et le prie de lui donner
trois pains. Vers le soir, ils arrivèrent dans une contrée très boisée
en avant d'Antipatris et ils s'arrêtèrent dans une hôtellerie qui se
trouve là.
Antipatris est une
très jolie ville, bâtie récemment par Hérode, en l'honneur d'Antipater,
à la place d'un endroit plus petit appelé Caphar-Saba. J'ai vu beaucoup
de choses touchant cet endroit je me souviens seulement qu'à l'époque de
la guerre des Machabées, un général, du nom de Lysias, campa à
Caphar-Saba, qu'il y avait alors des murailles avec des tours, et que ce
Lysias qui avait toujours été battu par Judas Machabée y fit un traité
avec lui, dissuada d'autres peuples d'attaquer la Judée et même envoya
des présents considérables pour la restauration du temple. C'était à
cette même époque que se trouvait à Samarie un très méchant homme,
nommé, je crois, Schamai : j'ai su bien des choses qui le concernaient,
mais je les ai oubliées comme tant d'autres. Je vis plus tard devant cet
endroit qui est à six lieues de la mer, un des Machabées bâtir un mur
long de plusieurs lieues et flanqué de plusieurs tours en bois. Je vis
aussi Paul passer par cette ville lorsqu'il fut conduit prisonnier à
Césarée.
(9
janvier. ) Ce matin, Jésus, accompagné de Pierre, de Jean et de
plusieurs autres personnes, alla à la ville sans que les habitants lui
fissent une réception particulière. Antipatris est située près d'un
petit cours d'eau et entourée de beaucoup d'arbres d'une grosseur
extraordinaire : il y a aussi dans la ville des jardins et de belles
avenues : tout y est recouvert de verdure. Antipatris est grande et
bâtie à la mode païenne ; presque toutes les rues sont bordées de
galeries avec des colonnes. Jésus alla chez un magistrat supérieur de la
ville, appelé Ozias : il était venu surtout à cause de cet homme dont
les chagrins lui étaient bien connus. Ozias lui avait, dès hier soir,
envoyé un messager à l'hôtellerie qui est devant la ville et il l'avait
invité à venir chez lui, car sa fille était très malade et Jésus lui
avait fait dire qu'il viendrait aujourd'hui. Ozias le reçut avec
beaucoup de déférence, ainsi que les deux apôtres ; il leur lava les
pieds et voulut leur faire prendre un peu de nourriture. Mais Jésus alla
tout de suite voir la malade, et les deux apôtres parcoururent la ville
pour annoncer qu'il enseignerait dans la synagogue. Ozias était un homme
d'une quarantaine d'années : sa fille s'appelait Michol, comme l'une des
filles de Saul : elle pouvait avoir quatorze ans. Elle était étendue de
tout son long sur sa couche ; sa pâleur et sa maigreur étaient extrêmes
et elle était tellement paralysée qu'elle ne pouvait mouvoir aucun de
ses membres, pas même lever la tête ou la remuer : elle n'était pas en
état de changer ses mains de place sans le secours d'autrui. Sa mère
était prés d'elle : elle était voilée et s'inclina profondément devant
Jésus quand il s'approcha de la couche de la malade. Elle se tenait
habituellement couchée de l'autre côté du lit, sur un matelas, pour
aider sa fille. Mais quand Jésus s'agenouilla près du lit, qui était
fort bas, elle se tint debout de l'autre côté dans une attitude
respectueuse : le Père était an pied de la couche.
Jésus parla à la
malade, pria et lui souffla sur je visage : puis il fit signe à la mère
de s'agenouiller en face de lui, ce qu'elle fit. Alors Jésus se versa
dans le creux de la main un peu d'huile qu'il portait avec lui, et avec
les deux premiers doigts de la main droite il oignit d'abord les tempes
et le front de la jeune malade, puis les articulations de ses mains, et
enfin il laissa reposer quelque temps sa propre main sur ces
articulations. Il commanda ensuite à la mère d'ouvrir la longue robe de
sa fille à la hauteur du creux de l'estomac qu'il oignit également
d'huile. Après cela la mère releva le bord de la couverture qui cachait
les pieds de la malade et Jésus les oignit aussi. Jésus dit alors : "
Michol, donnez-moi la main droite et la main gauche à votre mère ! "
Aussitôt elle leva, pour la première fois, les deux mains qu'elle
présenta ; Jésus dit : " Michol, levez- vous " ! Et il se leva ainsi que
la mère : alors cette enfant maigre et pâle se redressa d'abord sur son
séant, puis elle se mit sur ses pieds qui chancelaient faute d'habitude.
Jésus et la mère la conduisirent à son père qui lui ouvrait les bras :
la mère l'embrassa aussi, et ils pleurèrent de joie et se jetèrent tous
les trois aux pieds de Jésus. Les serviteurs et les servantes de la
maison vinrent à leur tour : ils se réjouirent grandement et louèrent le
Seigneur. Cependant Jésus ordonna qu'on lui apportât du pain et des
raisins dont il fit exprimer le jus. Il bénit le tout et dit à la jeune
fille d'en manger et d'en boire un peu et d'y revenir à plusieurs
reprises. On revêtit la jeune fille sur sa couche d'une longue tunique
de fine laine sans teinture : le corsage fut attaché sur les épaules, de
manière à ce qu'on pût l'ouvrir : ses bras étaient enveloppés de larges
bandes de la même étoffe, qui étaient serrées par derrière. Sous cette
tunique elle portait sur la poitrine et sur le des une couverture
attachée par des noeuds d'épaule comme un scapulaire et ouverte sur les
côtés.
Lorsque la jeune
fille se fut levée, la mère l'enveloppa encore d'un grand voile d'étoffe
légère. Au commencement, ses pas étaient encore très vacillants et très
mal affermis comme ceux d'une personne qui a tout à fait perdu
l'habitude de marcher et de se tenir debout. Elle se recoucha ensuite et
mangea. Mais ses amies et ses compagnes étant venues, pleines d'une
curiosité timide, pour s'assurer par leurs yeux de sa guérison dont le
bruit s'était répandu, elle se leva, alla au devant d'elles d'un pas
chancelant : il était touchant de voir sa mère la conduire comme un
petit enfant. Les jeunes filles étaient transportées de joie, elles
l'embrassaient et la conduisaient. Ozias demanda à Jésus si la maladie
de son enfant avait pour cause quelque faute de ses parents et je crois
que Jésus répondit : " Par une permission de Dieu ". Toutes les
compagnes de la malade guérie rendirent aussi grâces au Seigneur : Jésus
fit une exhortation devant une réunion nombreuse, puis il alla dans le
vestibule de la maison où beaucoup de personnes avaient amené des
malades sur la nouvelle de son arrivée. Pierre et Jean se trouvaient
aussi là.
Jésus guérit encore
plusieurs malades de toute espèce : puis, accompagné de beaucoup de
personnes il se rendit à la synagogue où l'attendaient déjà les
Pharisiens et une grande foule de peuple. Il raconta entre autres choses
une parabole où il était question d'un berger : il dit qu'il cherchait
ses brebis perdues, qu'il avait envoyé ses serviteurs à leur recherche
et qu'il voulait mourir pour ses brebis. Il dit encore qu'il avait un
troupeau qui était en sûreté sur sa montagne et que si le loup dévorait
quelque brebis, ce serait elle-même qui en serait cause. Il raconta
aussi une parabole où il parla de sa mission et dit : " Mon père a une
vigne ". Là-dessus les Pharisiens se regardèrent d'un air moqueur, et
quand il raconta toute la parabole, disant comment les serviteurs de son
père avaient été maltraités par les méchants vignerons et comment il
envoyait maintenant son fils qu'ils devaient repousser et mettre à mort,
ils se mirent à rire et à railler, se demandant entre eux : " Qui est-
il ? Que veut-il ? Où son père a-t-il jamais eu une vigne ? Il a perdu
l'esprit! C'est un fou, on le voit bien " ! Puis ils se moquèrent de lui
et l'injurièrent. Mais Jésus quitta la synagogue avec Pierre et Jean, et
ils le poursuivirent de leurs sarcasmes ; quant à ses prodiges, ils les
attribuaient à la magie et au démon.
Jésus retourna avec
Ozias dans la maison de celui-ci, guérit encore quelques malades dans le
vestibule et prit un peu de nourriture ; on lui donna en outre du pain
et du baume à emporter pour son voyage.
J'ai encore été
avisée intérieurement que chacun des divers procédés que Jésus employait
dans ses guérisons avait une signification mystérieuse qui lui était
propre : toutefois je ne puis pas rendre cela comme je l'ai vu. Il y
avait toujours quelque chose qui se rapportait à la cause secrète de la
maladie, à son caractère et aux besoins de l'âme du malade. Ainsi, par
exemple, ceux que Jésus oignait avec de l'huile recevaient un certain
accroissement de force et d'énergie spirituelle concordant avec la
signification de l'huile : il n'y avait aucun de ces actes qui n'eût sa
signification particulière. En outre, Jésus donnait par là leur forme à
diverses observances que plus tard les saints et les prêtres doués du
pouvoir de guérir, continuèrent à pratiquer en son nom et qui furent, ou
conservées par la tradition, ou renouvelées au nom de Jésus par
l'inspiration du Saint-Esprit.
De même que le Fils
de Dieu choisit pour s'incarner le sein de la plus pure des créatures et
ne parut pas sur la terre comme un homme étranger aux conditions
naturelles de l'humanité, de même il employait souvent aussi, comme
instruments de guérison, de simples créatures purifiées et bénies par
son esprit, ce qu'il faisait pour l'huile par exemple, après quoi il
donnait à ceux qu'il avait guéris du pain et du jus de raisin. D'autres
fois il guérissait par un commandement, même donné de loin, car il était
venu pour guérir les maux les plus divers par des voies également
diverses, et il devait satisfaire pour tous ceux qui croyaient en lui
par l'unique sacrifice de la croix qui contenait en lui seul tout
supplice et toute douleur, toute pénitence et satisfaction. Il employait
d'abord diverses clefs de charité pour faire tomber les chaînes et les
entraves de la souffrance et du châtiment temporel, multipliait et
variait les enseignements et les guérisons, puis il ouvrait la porte de
l'expiation, celle du ciel et du purgatoire ; avec la maîtresse clef, la
clef de la croix.
Michol, la fille d'Ozias,
était paralytique depuis son jeune âge : c'était par une grâce de Dieu
qu'elle était depuis si longtemps réduite à cet état d'impuissance.
Pendant le temps où elle aurait été exposée à pécher, elle s'était
trouvée enchaînée par son infirmité et elle avait donné à ses parents
l'occasion continuelle de pratiquer la charité et la patience. Si elle
fût restée dès son jeune âge en bonne santé, qui sait ce qui serait
advenu d'elle et de ses parents ? Ils n'auraient pas soupiré après
Jésus, il ne serait pas venu combler leurs désirs : ils n'auraient pas
cru en lui, elle n'eut pas reçu de lui la guérison et l'onction qui
devaient lui communiquer tant de force et de vigueur pour le corps et
pour l'âme. Sa maladie était une épreuve, la conséquence d'un héritage
de péché ou un exercice salutaire et un moyen de sanctification pour son
âme et celle de ses parents. Les uns et les autres coopérèrent à la
grâce par leur patience et leur persévérance et méritèrent, dans le
combat qui leur était imposé, la couronne de victoire, c'est-à-dire la
guérison corporelle et spirituelle par Jésus. Quelle grâce que d'être
enchaîné à l'égard du mal en conservant la liberté d'opérer le bien
spirituellement, jusqu'à ce que le Seigneur vienne délivrer à la fois le
corps et l'âme!
Jésus s'entretint
encore avec Ozias. Celui-ci parla, entre autres choses, de la chute de
la tour de Siloé et des malheureux qui en avaient été victimes ; il
exprima son horreur pour Hérode que quelques-uns soupçonnaient
secrètement. Jésus dit encore à cette occasion qu'il y avait d'autres
traîtres et d'autres architectes trompeurs auxquels de plus grands
châtiments étaient réservés, et que si Jérusalem n'accueillait pas le
salut, le temple aurait le sort de la tour de Siloë. Ozias parla aussi
du baptême de Jean et manifesta l'espoir qu'Hérode lui rendrait la
liberté à l'occasion de son jour de naissance. Jésus dit que Jean serait
délivré quand l'heure serait venue. Les Pharisiens lui avaient dit aussi
à la synagogue qu'il devait prendre garde, s'il continuait, qu'Hérode ne
l'emprisonnât comme Jean. Il n'avait rien répondu à cela.
Vers cinq heures de
l'après-midi, Jésus partit d'Antipatris avec Pierre et Jean, se
dirigeant au sud-ouest vers Ozensara, qui est éloignée de quatre ou cinq
lieues. Antipatris a une garnison de soldats romains : on voit souvent
passer ici d'énormes pièces de bois qu'on transporte au bord de la mer
pour servir à la construction des navires. Ils rencontrèrent sur le
chemin d'Ozensara plusieurs de ces grosses poutres traînées par des
boeufs, sous la garde de soldats romains. Dans les environs aussi on
abattait des arbres et on les équarrissait. Jésus enseigna un certain
nombre d'ouvriers occupés à des travaux de ce genre. Ils arrivèrent tard
à Ozensara. C'est une bourgade séparée en deux par un petit cours d'eau.
Jésus logea ici chez des personnes qu'il connaissait, enseigna et
exhorta un assez grand nombre de gens qui s'étaient rassembles autour de
la maison. Il est déjà venu ici une fois lorsqu'il allait recevoir le
baptême. Il guérit quelques personnes et bénit dés enfants malades.
(10-12 janvier.) il y a environ six lieues d'Ozensara à Béthoron.
Je vis plusieurs villes sur le chemin ou à quelque distance, notamment
Aiailon et Béaloth, mais je ne souviens plus du nom de toutes. Jésus et
les apôtres ont contourné tous ces endroits. Un peu avant Béthoron, Jean
et Pierre prirent les devants. Jésus alla seul jusqu'à la ville, où les
trois disciples égyptiens vinrent à sa rencontre avec le fils de Jeanne
Chusa. Il entra avec eux dans une maison connue adossée aux murs de la
ville' ils lui apprirent que les saintes femmes célébraient le sabbat à
trois lieues d'ici, à Machmas ville située près d'un défilé, à quatre
lieues au nord de Béthanie : elles avaient là des amis. Machmas est
l'endroit où Jésus, à l'âge de douze ans quitta la suite de ses parents
pour revenir au temple. Marie, ne l'y voyant pas, crut qu'il était allé
en avant jusqu'à Gophna et ne l'y ayant pas trouvé non plus, elle revint
à Jérusalem, pleine de tristesse et d'inquiétude. Il y a là un maître
d'école de la connaissance des saintes femmes.
A Béthoron, dans le
quartier pat lequel on sort quand on va à Béthanie, il y a aussi une
école de Lévites où la sainte Famille est connue et où sainte Anne et
son mari passèrent la nuit quand ils conduisirent Marie au temple :
Marie elle-même y logea aussi lorsqu'elle revint à Nazareth après ses
fiançailles avec saint Joseph. Il y est arrivé aujourd'hui plusieurs
disciples de Jérusalem, entre autres les neveux de Joseph d'Arimathie :
s'étant joints à Pierre et à Jean qui étaient venus en avant pour faire
les logements, ils sont allés trouver Jésus dans la maison située dans
la partie occidentale de la ville : on lui a lavé les pieds et donné une
réfection ; après quoi il a guéri quelques personnes et a dit qu'il
voulait aller ~a synagogue. Il s'y rendit en effet et y commenta la
lecture du sabbat devant les Pharisiens qui lui adressèrent plusieurs
objections. Après l'instruction, il enseigna de nouveau dans la maison
où les malades l'attendaient : il en guérit plusieurs, parmi lesquels
quelques femmes affligées de pertes de sang, et bénit des enfants
malades. Les Pharisiens l'avaient invité à un repas, et comme il tardait
à s'y rendre, ils vinrent le chercher et lui dirent que chaque chose
avait son temps, même les guérisons, que le sabbat appartenait à Dieu et
qu'il en avait assez fait. Jésus leur répondit : " Je n'ai pas d'autre
temps et d'autre mesure que la volonté du Père céleste ". Quand il eut
achevé ses guérisons, il se rendit à leur repas avec ses disciples.
Les Pharisiens
articulèrent encore différents griefs pendant le repas ; ils parlèrent
entre autres choses du bruit public suivant lequel des femmes de
mauvaise vie couraient le pays avec Jésus. Ils avaient entendu parler
des conversions de Madeleine, de Marie la Suphanite et de la
Samaritaine. Jésus répondit que s'ils savaient qui il était, ils
parleraient autrement : qu'il était venu pour avoir pitié des pécheurs,
etc. Il dit aussi qu'il y avait des plaies visibles à tous les yeux,
dont la guérison Purifiait celui qui en était affligé, et d'autres
plaies intérieures et secrètes par l'effet desquelles des gens purs en
apparence étaient au dedans pleins d'immondices. Les Pharisiens
objectèrent encore que ses disciples ne se lavaient pas avant le repas,
et Jésus fit une description frappante de l'hypocrisie et de la sainteté
apparente des Pharisiens, qu'il condamna en termes sévères. Lorsqu'ils
parlèrent des femmes de mauvaise vie, il raconta une parabole où il
était demandé quel était le meilleur débiteur, celui qui ayant une dette
considérable, demande humblement qu'elle lui soit remise et qui pourtant
veut sincèrement travailler à la payer, ou bien celui qui, étant
également insolvable, continue à vivre en prodigue et songe si peu à
s'acquitter qu'il injurie le débiteur qui reconnaît sa dette. Il raconta
encore. comme à Antipatris, les paraboles du bon Pasteur et de la vigne,
mais ils prirent tout cela froidement et superficiellement.
Jésus et les
disciples reçurent l'hospitalité dans l'école des Lévites, qui est dans
l'autre quartier de Béthoron. La partie haute de Béthoron est dans une
position si élevée, qu'on peut la voir de Jérusalem : la partie basse
est située au pied de la montagne.
(11 janvier.) Jésus enseigna et guérit encore aujourd'hui à
Béthoron et il eut encore des démêlés avec les Pharisiens. La narratrice
est dans un état de faiblesse qui ne lui permet pas d'en dire davantage.
(12 janvier.) il y a environ six lieues de Béthoron à Jérusalem.
Jésus fit le tour de tous les endroits situés dans l'intervalle ; il
n'entra qu'à Analtoth qui n'est Pas loin de Béthanie. Il s'y arrêta, y
guérit et y enseigna. Les saintes femmes n'avaient que quatre lieues à
faire pour aller de Machmas à Béthanie : hier après le sabbat, elles ont
pu revenir chez elles. L'endroit où elles ont célébré le sabbat, est
bien Machmas : j'ai vu le nom gravé sur une pierre en avant du bourg.
Lorsqu'Anne-Catherine
dit ceci, elle lut de nouveau les unes après les autres, les lettres
tracées sur la pierre, et les reproduisit comme si l'inscription eût
porté " Machemas " cependant en prononçant le mot tout entier, elle dit
: " Machmas ".
NOTE
: à cette occasion le Pèlerin donne une preuve remarquable de la
fidélité scrupuleuse de sa relation des visions : car ne connaissant
pas l'hébreu, il ne savait comment s'expliquer la présence de la
voyelle dans le mot Machmas épelé par la Soeur : mais dix ans plus
tard nota dans son journal ce qu'il avait lu dans Reland, que
Machmas était appelé par les Grecs Machêmas. d'où il suit qu'Anne
Catherine avait bien lu sur la pierre le mot écrit en caractères
grecs.
Lazare est déjà de
retour à Béthanie. Il a tout réglé à Magdalum, où il a laissé comme
intendant du château et du domaine, un homme qu'il avait amené avec lui.
J'espère que l'homme qui a vécu là dans le péché avec Madeleine se
convertira aussi car il n'a pas été chassé, mais Lazare, après lui avoir
adressé de sérieuses remontrances, lui a proposé un logement où il sera
pourvu à son entretien sur la propriété située près de Ginnim, ce que
l'autre a accepté sans difficulté. Madeleine, à son arrivée à Béthanie,
occupa l'habitation de sa soeur défunte, Marie la Silencieuse qui avait
tant d'affection pour elle. Elle passa toute la nuit à pleurer, et
lorsque Marthe vint la chercher le matin, elle la trouva prosternée, sur
la tombe de leur soeur, les cheveux épars et toute en larmes : il y
avait déjà longtemps qu'elle était là.
Les femmes de
Jérusalem y étaient revenues. Elles avaient fait tout le voyage à pied,
et quelque affaiblie que fût Madeleine par sa maladie et par la secousse
violente qu'elle avait reçue, quelque peu habituée qu'elle fût à la
marche, elle n'avait pourtant pas voulu faire autrement que les autres,
et elle s'était mis les pieds tout en sang. Les autres femmes qui,
depuis sa conversion, lui témoignaient l'affection la plus tendre, lui
servaient souvent de guides. Elle était pâle, défaite et absorbée dans
sa douleur : mais elle ne pouvait surmonter son ardent désir de
témoigner sa gratitude à Jésus. Elle sortit secrètement avec sa
suivante, alla au devant de lui à plus d'une lieue et se jeta à ses
pieds qu'elle baigna de larmes de reconnaissance et de repentir. Jésus
lui tendit la main, la releva et s'entretint amicalement avec elle : il
lui parla de sa défunte soeur Marie, et lui dit qu'elle devait marcher
sur ses traces et faire pénitence comme l'avait fait sa soeur, quoique
celle-ci n'eût point péché. Madeleine s'en retourna par un autre chemin
avec sa servante.
Jésus, arrivé devant
Béthanie, envoya une partie de ses disciples à Jérusalem : lui-même avec
Pierre et Jean entra dans les jardins de Lazare qui vint au devant de
lui, et, comme d'ordinaire, leur lava les pieds et leur offrit une
réfection dans la salle d'entrée. Joseph d'Arimathie y était, mais non
Nicodème qui prenait de plus grandes précautions. Jésus ne sortit pas de
l'intérieur de la maison et il ne parla à personne qu'aux gens qui
l'habitaient et aux femmes. Je l'ai entendu parler avec Marie de la mort
de Jean : elle en avait été informée par une révélation intérieure de
même que Jésus. Il lui dit de retourner en Galilée d'ici à huit jours,
avant que les hôtes galiléens d'Hérode ne revinssent de Machérunte, afin
de trouver les chemins libres et de ne rencontrer personne qui la
dérangeât.
Il me revient à
présent quelque chose que j'avais oublié de dire, c'est que les
disciples de Jésus qui faisaient le voyage de Judée en même temps que
lui, parcouraient le pays de leur côté, disséminés ça et là et souvent
peu éloignés du lieu où il séjournait ; ils allaient d'un endroit à
l'autre, visitant les cabanes isolées et les habitations de bergers et
demandaient : " N'y a-t-il pas de malades ici pour que nous les
guérissions au nom de Jésus notre Maître et que nous leur donnions
gratuitement ce qu'il nous a donné gratuitement ". Alors ils oignaient
les malades avec de l'huile et ceux-ci guérissaient. J'en ai vu beaucoup
faire ainsi : car il avait donné aussi ce pouvoir aux disciples, ainsi
que l'huile dont ils devaient se servir.
La mort de Jean est
encore tenue secrète : le bruit s'était même répandu, lors du voyage de
Jésus à Béthanie, que Jean avait été remis en liberté et avait assisté à
la fête de Machérunte. Je ne sais pas si ce bruit a été répandu à
dessein. Les fêtes continueront encore assez longtemps : car à celle
qu'Hérode a donnée a succédé immédiatement une autre fête donnée au
prince par l'abominable femme. Cinq personnes informées de ce qui
s'était passé ont été jetées en prison et mises au secret par l'ordre
d'Hérodiade : ce sont les deux gardes, l'exécuteur, son valet et la
suivante de Salomé, qui a laissé voir quelque compassion. Personne ne
soupçonnait rien, excepté les familiers du roi, qui savaient tout. Les
fêtes vont leur train, Hérode se tient encore à l'écart ; mais quand
commenceront les fêtes que doit donner Hérodiade, cette infâme saura
bien lui persuader de se montrer.
Ici l'écrivain fit
part à la pieuse Anne Catherine de ce que rapporte Marie d'Agreda dans
sa Vie de la sainte Vierge à savoir : " qu'Hérode a fait trois fois
flageller et torturer Jean par six hommes et que Jésus et Marie lui ont
apparu et l'ont guéri ; qu'il fut lié et enchaîné et qu'il serait mort
de faim si Jésus et Marie ne l'avaient pas nourri ; qu'ils ont apparu au
moment de son exécution, entourés d'anges innombrables ; que Marie a
pris dans ses mains la tête du martyr et qu'il y a eu assez de temps
pour tout cela, parce que les bourreaux se sont disputés à qui porterait
sa tête ". Là-dessus Anne Catherine répondit : " J'ai souvent entendu
des choses de ce genre qui sont tout à fait mal comprises : car chez
plusieurs les visions ne sont pas historiques et ne représentent pas les
choses comme elles se sont passées réellement : mais ce sont des
méditations Comme il s'y trouve aussi des tableaux, on croit y voir la
reproduction d'événements réels, mais on se trompe en cela, bien que
d'ailleurs elles soient vraies quant à leur sens spirituel. Quand les
visions ne sont pas fréquentes et ne forment pas une série successive,
toutes les choses y paraissent mêlées et liées les unes aux autres, sans
quoi on n'embrasserait pas tout ce que contient l'ensemble ".
Si, par exemple, on
doit voir qu'un homme, au moment d'être exécuté, prie en ces termes : "
Seigneur, je remets ma tête entre vos mains ", et en outre que Dieu
exauce cette prière, il peut arriver facilement qu'on voie l'homme
décapité mettre sa tête dans les mains du Seigneur qui se tient près de
lui, ce qui, du reste, se trouve véritable dans le sens spirituel, bien
qu'humainement parlant, la tête tombe par terre sous les yeux de tous
les assistants.
Ainsi, pour la
vénérable Marie d'Agreda, la rage d'Hérodiade peut avoir été représentée
par les chaînes et les entraves, les péchés et les abominations qui
avaient lieu dans le Palais et que Jean ressentait douloureusement par
les flagellations et les tortures ; la tête entre les mains de Marie
peut avoir signifié qu'au moment de sa mort, avant de naître à la vie
éternelle, Jean se souvint de celle dans le sein de laquelle, étant
encore lui-même dans les entrailles de sa mère, il avait salué et
annoncé Jésus avant sa naissance sur la terre. On peut aussi voir toutes
les pensées et les prières d'un homme représentées par des images où il
ne faut pas toujours voir des choses arrivées réellement De là vient que
les visions de différentes personnes sur le même sujet semblent souvent
se contredire et sont comprises de travers. Ce sont des méditations et
elles diffèrent suivant la manière d'être et les besoins des
contemplatifs.
J'ai vu que Jean fut
fouetté avant d'être relâché pour la première fois, mais d'une manière
insignifiante et plutôt pour la forme, parce qu'au lieu de céder à
l'injonction qui lui était faite d'approuver l'union d'Hérode avec cette
femme, il la leur avait reprochée en face devant toute l'assistance avec
plus de véhémence que jamais. On lui rendit ensuite la liberté, cela ne
devait être qu'un avertissement, et d'ailleurs c'était l'usage en
pareille occasion. J'ai vu souvent aussi la prison de Jean remplie de
lumière, surtout avant et pendant son supplice ; j'ai vu qu'il fut
souvent ravi en extase dans un excès d'amour et adora Jésus en esprit,
qu'il reçut de lui des intuitions intérieures, et qu'en pensant à la
Mère de Dieu, il la vit corporellement devant lui, comme cela lui était
déjà arrivé dans le désert pendant son enfance et plus tard.
(
13-14 janvier. ) Ce matin, je vis Jésus passer par le mont des
Oliviers, puis se diriger vers le midi et s'arrêter au pied de la
montagne dans une espèce de village ou de campement d'ouvriers, de
maçons et d'esclaves : il les enseigna, les consola et en guérit un
grand nombre. C'était là que séjournaient de pauvres journaliers et
maçons employés aux constructions qu'on ne cessait de faire près de la
montagne du temple et à d'autres travaux publics. Ils avaient là des
cuisines à leur usage, où de pauvres femmes apprêtaient leurs aliments
pour un prix modique. Il y avait parmi eux des gens très pauvres et
plusieurs Galiléens ; quelques-uns avaient assisté aux prédications de
Jésus en Galilée et avaient été témoins de ses miracles ou même avaient
été guéris par lui. Il s'y trouvait des gens de Giscala, d'autres qui
habitaient sur les propriétés de Zorobabel, le centurion de Capharnaüm,
et beaucoup surtout venus d'un petit endroit situé à peu de distance de
Tibériade, sur le coteau qui domine, au nord, la vallée de Magdalum, à
l'endroit où elle s'élargit vers la mer de Galilée, au midi des jardins
de Zorobabel. Il y a là un port où abordent les navires venant de
l'autre côté du lac, notamment ceux qui viennent de Chorozaïn,
transportant du fer. Cet endroit est habité presque entièrement par des
ouvriers. Jésus guérit plusieurs de leurs malades : ils lui parlèrent
avec douleur du grand malheur qu'avait causé, environ quinze jours
auparavant, la chute des constructions dont il a été parlé ailleurs, et
ils le prièrent d'aller visiter plusieurs des leurs blessés gravement
dans cette circonstance, mais qui étaient encore vivants. Quatre vingt
treize personnes périrent alors outre les dix-huit architectes. Jésus
alla voir ces blessés, il les consola et les guérit. Il en guérit
plusieurs qui avaient la tête meurtrie, en leur pressant le crâne après
l'avoir frotté d'huile ; d'autres qui avaient les mains écrasées, en
rapprochant les os brisés, en les maniant et en les oignant : d'autres
enfin avaient des bras fracturés et soutenus par des bandages : il les
guérit si bien en leur appliquant la même onction et en tenant quelque
temps leurs bras dans sa main, qu'ils purent les retirer des bandages et
les remuer facilement : il ferma les plaies laissées par des amputations
de membres, etc.
Je l'entendis dire à
ces gens rassemblés autour de lui qu'ils auraient encore plus à pleurer
quand l'épée frapperait les Galiléens. Il les exhorta à payer sans
murmures toutes les taxes imposées par l'empereur et dit à quelques-uns
que s'il ne le pouvaient pas, il leur en fournirait les moyens : qu'ils
n'avaient qu'à s'adresser de sa part à Lazare qui leur donnerait ce
qu'il faudrait. Jésus parla ici de la manière la plus touchante :
j'entendis ces gens se plaindre et dire qu'autrefois on pouvait trouver
assistance à la piscine de Béthesda, mais qu'à présent on n'y faisait
plus rien pour venir en aide aux pauvres ; du reste, ajoutaient ils, il
y avait longtemps qu'on n'avait entendu parlé d'une guérison qui s'y fût
opérée.
Je vis Jésus pleurer
quand il passa sur la montagne des Oliviers : il dit aussi aux Lévites :
" Si cette ville ne veut pas du salut qui lui est offert, le temple sera
détruit comme ces bâtiments qui se sont écroulés, et une multitude de
gens seront ensevelis sous ses ruines. "La catastrophe qui avait eu lieu
récemment devait, disait-il, leur servir d'avertissement ; ils devaient
y voir une figure prophétique.
J'ai vu aussi comment
les constructions se sont écroulées : cela eut lieu sur le côté
méridional de la montagne du temple. On voulait construire là un grand
aqueduc par où le sang des victimes immolées au temple se serait écoulé
dans la vallée où se décharge la piscine de Béthesda. Pilate s'est
procuré de l'argent dans ce but par des exactions de toute espèce il y a
dans le sanhédrin un misérable qui s'appelle . . . . . son nom ne me
revient pas : il est secrètement affilié aux Hérodiens et fait l'office
d'espion pour Hérode. Comme Pilate n'avait pas les pierres qu'il lui
fallait et manquait d'architectes, cet homme lui a fait fournir tout
cela par Hérode, puis à l'instigation de celui-ci et des Hérodiens, à la
secte desquels les architectes étaient affiliés, il a traîtreusement
fait disposer les choses de manière à ce que toutes les constructions
s'écroulassent et à ce que leur chute amenât de grands désastres et
augmentât notablement l'irritation qui existait contre Pilate. Les
dix-huit architectes hérodiens se tenant au haut d'un édifice qui est en
face de la montagne du temple, donnèrent l'ordre d'enlever tout
l'échafaudage à l'aide duquel on avait construit les voûtes, assurant
que tout était solide et n'avait plus besoin d'étais. Comme les pauvres
ouvriers étaient occupés à débarrasser les grandes arcades de l'aqueduc,
tout s'écroula à la fois : les murs énormes se fendirent et tombèrent
avec fracas, puis on n'entendit plus que des cris de douleur et des
gémissements, et tout le monde s'enfuit. Le bruit que fit la chute de
ces constructions fut épouvantable et l'air fut obscurci au loin par des
nuages de poussière : beaucoup de petites habitations furent entraînées
dans la ruine de l'édifice : il périt une quantité d'ouvriers et
d'autres personnes qui se trouvaient au pied de la montagne du temple
L'ébranlement se communiqua au bâtiment où se trouvaient les perfides
architectes : il s'écroula à son tour et ils furent écrasés et ensevelis
sous les décombres. Cela arriva très peu de temps avant les fêtes
données à Machérunte et c'est pourquoi il n'y vint pas un seul officier
ou fonctionnaire romain, car Pilate est très irrité contre Hérode et
médite des projets de vengeance. On est encore occupé à présent à
déblayer les décombres de dessous lesquels on retire des cadavres :
c'était une construction dont les dimensions étaient très considérables,
et le dommage est fort gland. La construction de cet aqueduc qui
s'écroula par suite de la perfidie d'Hérode, rendit ennemis Hérode et
Pilate, comme le dit Anne Catherine: ils se réconcilièrent à l'occasion
de la mort de Jésus ou de la destruction du véritable temple.
L'écroulement de l'aqueduc ensevelit sous ses ruines les traîtres qui
l'avaient préparé : cette autre destruction eut pour suite le décret de
condamnation qui frappa le peuple juif tout entier.
Vers midi, je vis
Jésus avec sa suite à un quart de lieue de la ville, en avant de la
porte par où l'on va à Bethléem, dans la maison où Joseph et Marie
s'arrêtèrent avec lui le quarantième jour après sa naissance, lorsqu'ils
allèrent le présenter au temple. Sainte Anne, allant je visiter dans sa
crèche, y avait de même passé la nuit : Jésus aussi y avait logé dans sa
douzième année lorsqu'il laissa ses parents à Machmas et revint au
temple. Cette petite hôtellerie est tenue par des gens très simples et
très pieux : les Esséniens viennent y loger, ainsi que d'autres
personnes pieuses. Elle avait maintenant pour habitants les enfants de
ceux qui vivaient à l'époque dont il vient d'être parlé : il restait
cependant un vieillard qui se souvenait de tout ce qui s'était passé
alors. Ils ne connaissaient plus Jésus qui n'y était pas retourné depuis
: en le voyant ils pensèrent que c'était peut-être Jean-Baptiste qui,
disait-on, avait été remis en liberté.
Je vis quelque chose
de très touchant. Ils montrèrent à Jésus, dans un coin de la maison, un
petit mannequin emmailloté comme il l'était lui-même lorsque Marie le
porta au temple et couché dans une crèche imitée de celle de Bethléem :
il y avait là devant des lampes et des flambeaux allumés, entourés de
quelque chose qui ressemblait à des cornets de papier. Ils lui dirent
que Jésus de Nazareth, le grand prophète, né à Bethléem trente-trois ans
auparavant, s'était arrêté chez eux avec sa mère. On devait,
disaient-ils, honorer ce qui venait de Dieu et c'est pourquoi ils
fêtaient le jour de sa naissance pendant six semaines, de même qu'on
fêtait le jour de la naissance d'Hérode qui n'était pas un prophète.
Ces gens, par suite
de leurs rapports avec sainte Anne, avec tous les amis de la sainte
Famille et avec les bergers de Bethléem, qui venaient aussi loger ici
lorsqu'ils allaient à Jérusalem, étaient restes pleins de foi en Jésus
et de vénération pour lui et pour toute la sainte Famille Lorsque Jésus
se fit connaître à eux, ils ressentirent une joie inexprimable. Ils lui
montrèrent dans la maison et dans le jardin tous les lieux où avaient
été Marie, Joseph et Anne. Jésus les enseigna et les consola, et il y
eut entre eux un échange de présents. Il leur fit remettre des pièces de
monnaie par ses disciples et ils lui donnèrent du pain, du miel et des
fruits à emporter pour sa route. Ils lui firent aussi la conduite assez
loin. Ces gens étaient de la race des bergers de Bethléem et ils
s'étaient mariés ici dans l'hôtellerie.
(
13-14 janvier,) Jésus et ses compagnons passèrent, sans y entrer,
près de Bethléhem et d'autres endroits : ils firent ainsi cinq lieues
jusqu'à Juta, lieu de naissance de Jean-Baptiste, situé à une heure
d'Hébron. ). Marie, Véronique, Suzanne, Jeanne Chusa, Marie mère de
Marc, Lazare, Joseph d'Arimathie et plusieurs disciples de Jérusalem
étaient aussi partis dès, . ce matin, par troupes séparées, pour s'y
rendre sans s'arrêter : ayant pris un chemin plus court qui traversait
Jérusalem, ils étaient arrivés plusieurs heures avant Jésus.
La maison de Zacharie
est à un quart de lieue avant Juta : c'est comme une métairie isolée sur
une colline. La maison et les biens, consistant principalement en
vignes, sont l'héritage de Jean-Baptiste. Le fils d'un frère de son
père, ayant aussi pour nom Zacharie, y habite et prend soin de tout. Il
est lévite et c'est lui qui, lié d'amitié avec Luc, a reçu, il y a peu
de temps, sa visite à Jérusalem et lui a raconté tant de choses
concernant la sainte Famille. Il est plus jeune que le précurseur et du
même âge que Jean l'Évangéliste. Pendant que Jean-Baptiste était dans le
désert, il avait passé sa jeunesse ici auprès d'Élisabeth. Il
appartenait à une catégorie de Lévites qui avaient quelque analogie avec
les Esséniens et qui, ayant reçu de leurs ancêtres la connaissance de
certaines traditions mystérieuses, attendaient avec un pieux désir
l'avènement du Messie. Il avait de grandes lumières et il ne s'était pas
marié. Il lava les pieds à Jésus et aux siens et leur offrit une
réfection, et le Sauveur, après avoir reçu les salutations de tous les
assistants, se rendit à Juta et alla à la synagogue.
Il y avait
aujourd'hui un jour de jeûne et ce soir commençait à Juta et à Hébron la
célébration d'une fête locale en mémoire de la victoire de David sur
Absalon : c'était à Hébron, lieu de sa naissance, que celui-ci avait
d'abord déployé l'étendard de la révolte. A l'occasion de cette fête, on
alluma un grand nombre de lampes qui brûlèrent même pendant la journée
dans la synagogue et dans les maisons. Les gens du pays remerciaient
Dieu de les avoir éclairés pour leur faire prendre le bon parti en cette
circonstance, et ils le priaient de les éclairer de manière qu'ils
pussent le prendre toujours.
Jésus enseigna dans
la synagogue devant une assemblée nombreuse, et les Lévites lui
témoignèrent beaucoup de respect et d'affection. Il prit un repas avec
eux. Jésus enseigna sur David.
(14 janvier.) Jésus parcourut aujourd'hui toute la contrée de
Juta et d'Hébron : ses disciples galiléens en firent autant de leur
côté. Il enseigna et guérit dans les environs et à Juta même.
Marie, dans son
voyage avec les saintes femmes pour venir ici, leur raconta beaucoup de
choses touchant la visite qu'elle avait faite à Élisabeth en compagnie
de Joseph : elle leur montra l'endroit où Joseph s'était séparé d'elle
pour se remettre en route, et dit combien elle avait ressenti
d'angoisses en pensant aux soupçons qu'aurait Joseph lorsqu'à son retour
il s'apercevrait de son état. Hier et aujourd'hui, en visitant tous ces
lieux avec les saintes femmes, elle leur raconta tous les mystères qui
s'étaient accomplis lors de sa visitation et de la- naissance de Jean.
Elle parla du tressaillement de Jean dans le sein de sa mère, de la
salutation d'Élisabeth et de la manière dont Dieu lui avait inspiré le
Magnificat qu'elle répétait tous les soirs
avec Élisabeth. Elle raconta comment Zacharie était devenu muet et
comment Dieu lui avait rendu la parole lorsqu'il avait indiqué le nom de
Jean que son fils devait porter. Elle leur révéla tous ces mystères
jusqu'alors inconnus, et ce pieux souvenir lui fit verser des larmes
ainsi qu'aux saintes femmes, mais pour celles-ci c'étaient des larmes de
joie, tandis que Marie pleurait en même temps sur la mort de Jean,
encore ignorée de ses compagnes. Elle leur fit voir aussi la source qui
avait jailli, à sa prière, dans le voisinage de la maison, et elles y
burent.
Le soir, je vis un
repas pris en commun pendant lequel Jésus enseigna. Les femmes étaient
assises à part, cependant elles pouvaient entendre. Quand elles se
furent retirées, la sainte Vierge avec Jésus, Pierre, Jean, et les trois
disciples de Jean, Jacob, Eliacin et Sadoch, fils de sa soeur aînée
Marie d'Héli, alla dans la chambre où Jean était né. Une grande
couverture d'un aspect singulier était étendue par terre, ils
s'agenouillèrent et s'assirent autour. Jésus resta debout et leur parla
de la sainteté de Jean et de la carrière qu'il avait fournie. La sainte
Vierge leur raconta dans quelles circonstances cette couverture avait
été faite. Elisabeth et elle y avaient travaillé ensemble lors de sa
visitation : elles l'avaient achevée avant la naissance de Jean et elle
servait de couche à Elisabeth lorsqu'elle mit son fils au monde. Elle
était en laine jaunâtre et garnie de fleurs : elle semblait piquée. Sur
le bord supérieur, on lisait brodées en grandes lettres, des paroles de
la salutation d'Elisabeth et du Magnificat.
J'y lus aussi un passage qui ne se trouve pas dans la Bible, mais
malheureusement je l'ai oublié. Au milieu de la couverture était ajustée
une espèce de grande poche pour l'accouchée qui pouvait y entrer par les
pieds comme dans un sac : la partie supérieure formait une sorte de
manteau dont on pouvait s'envelopper et qui avait un capuchon. Cette
poche était de laine jaunâtre avec des fleurs brunes. Cela ressemblait à
peu près comme à une robe de chambre qu'on aurait attachée par la partie
inférieure à une courtepointe. Je vis Marie élever devant elle le bord
supérieur de cette couverture pour lire et expliquer aux assistants les
textes et les prophéties qui y étaient brodés. Elle dit aussi qu'elle
avait prédit à Elisabeth que Jean ne verrait Jésus que trois fois
pendant sa vie et raconte comment cela s'était vérifié. Il ne l'avait vu
en effet que trois fois ; la première fois, dans le désert lorsqu'étant
encore enfant, il avait passé devant lui à quelque distance lors de la
fuite en Égypte : la seconde fois, à son baptême : la troisième fois,
lorsqu'il le vit passer sur le bord du Jourdain et qu'il rendit
témoignage de lui. Après cette préparation, Jésus leur révéla que Jean
avait été mis à mort par Hérode : tous ressentirent une grande tristesse
et ils baignèrent la couverture de leurs larmes : je vis spécialement
Jean l'Évangéliste prosterné par terre et pleurant. C'était un spectacle
qui fendait le coeur de les voir gémissant et sanglotant, je visage
baissé sur la couverture. Jésus et Marie se tenaient debout aux deux
extrémités : le Seigneur les consola par des paroles graves, les
préparant à une épreuve encore plus pénible : il leur ordonna de garder
le secret parce que personne n'en savait rien encore, excepté eux et
ceux qui avaient commis le crime.
J'eus cette nuit une
course terrible à faire pour pouvoir me joindre à eux. Je m'agenouillai
aussi près de la couverture, je pleurai avec eux et j'apportai trois
couronnes de fleurs que je donnai à la Mère de Dieu, deux petites et une
grande qui n'était qu'à moitié terminée. J'en étais honteuse, mais Marie
les reçut avec bonté et les plaça sur la couverture : elle mit au milieu
la grande à moitié faite qui était destinée à Jésus : sur les côtés, les
deux autres qui étaient pour elle et pour Jean. Je crois que plus tard
elle les a enveloppées dans la couverture en la roulant.
NOTE
: Ces couronnes sont des symboles des souffrances et des maladies de
la pieuse Anne Catherine, lesquelles ne sont pas encore arrivées
leur terme. Pendant les nuits de douleur, elle offre ses peines
Jésus à Marie et à Jean, et en tresse des couronnes symboliques, car
les fleurs et les couronnes sont le symbole des souffrances.
(15 janvier. ) Jésus enseigna ce matin, au midi d'Hébron, près du
bois de Mambré, à l'entrée de la grotte de Machpelah où Abraham et les
autres patriarches sont enterrés : il guérit aussi dans les environs
quelques malades, la plupart gens de la campagne, qui habitaient des
cabanes isolées. Le bois de Mambré est une vallée située au midi
d'Hébron, parsemée de chênes, de hêtres et de noyers. Cette vallée
communique avec une autre, et on trouve tout le long diverses grottes,
notamment la caverne de Machpelah où sont enterrés Abraham, Sara, Isaac,
Jacob et d'autres patriarches. Cette caverne est double et forme deux
caveaux : les tombeaux sont des bancs de pierre, les uns en saillie, les
autres taillés dans la paroi. Cette sépulture est toujours en grand
honneur : elle est précédée d'un verger et d'un emplacement où l'on
prêche : le rocher est tout tapissé de vignes : au-dessus, il y a un
plateau où l'on cultive le blé. Jésus entra dans la caverne avec les
disciples. On ouvrit plusieurs tombeaux : quelques squelettes étaient
réduits en poussière mais celui d'Abraham était encore entier et couché
à sa place. On déroula une épaisse couverture brune qui l'enveloppait,
elle était comme tressée avec des cordes de poil de chameau de la
grosseur du doigt. Jésus enseigna sur la grotte d'Abraham, sur la
promesse et son accomplissement. Il guérit aussi plusieurs paysans
malades. Les maladies régnantes sont ici la paralysie, la phtisie ou
l'hydropisie. Je ne vis pas de possédés furieux, mais des idiots et des
lunatiques. Cette contrée est très fertile : les blés y sont très beaux
: ils sont déjà jaunissants. On fait ici un pain excellent, et presque
tout le monde possède une vigne. Les montagnes se terminent par des
plateaux sur lesquels il y a du blé : leurs pentes sont couvertes de
vignobles et elles renferment des grottes curieuses.
Lorsque Jésus et les
disciples allèrent à la caverne de Machpelah, ils se déchaussèrent
devant l'entrée et entrèrent pieds nus. Ils se tinrent debout devant le
tombeau d'Abraham et témoignèrent beaucoup de respect : Jésus seul
parla. Il alla encore aujourd'hui à une lieue environ au sud-est de Juta
ou d'Hébron, dans une petite ville de Lévites appelée Béthaïn, à
laquelle on arrive par une montée très raide. Au-dessus le sol est assez
uni : c'est un bourg à peu près grand comme Dulmen. Il y guérit quelques
personnes et il y fit une instruction sur l'arche d'alliance et sur
David : car l'arche d'alliance a résidé quinze ans à Béthaïn. Il n'en
est pas fait mention dans l'Écriture Sainte, mais j'ai vu que David, par
ordre de Dieu, y fit transporter secrètement pendant la nuit l'arche
d'alliance qui était dans la maison d'Obededom et qu'il marcha devant
elle pieds nus. J'ai oublié pourquoi cela se fit : mais l'arche ne
devait plus rester chez Obededom. Lorsque David, plus tard. la retira
d'ici, les habitants entrèrent dans une telle colère. qu'il fut presque
lapidé par eux.
(La Soeur a oublié
comment tout cela se passa.)
Il y avait ici sur la
hauteur un puits très profond on y puisait l'eau avec une grande outre
de cuir. Je ne me souviens plus bien comment ils la fermaient, mais
quand ils la détachaient de la corde, elle tombait lourdement comme un
énorme pourceau bien gras. Les chemins de ce pays sont souvent creusés
dans un fond de rocher de couleur blanche : les petites pierres aussi
sont blanches.
Nicodème, Joseph
d'Arimathie, Lazare, les femmes de Jérusalem et Marie sont partis ce
matin de bonne heure. Lazare retourne à Jérusalem : il est de service au
temple pour une semaine. La sainte Vierge ne retourne pas à Béthanie,
mais elle se rend directement en Galilée par Machmas : elle a avec elle
Anne de Cléophas et une parente d'Elisabeth qui a fait le voyage avec
elle, ce que j'avais oublié de dire. Celle-ci est de Sapha, un endroit
situé au nord de Nazareth entre cette ville et Séphoris. C'est le lieu
de naissance de Jacques et de Jean : c'est là que Jésus est allé samedi
dernier en quittant Nazareth et qu'il a guéri quelques malades et opéré
des réconciliations. Elles ont des serviteurs qui les accompagnent.
Marie a pris avec elle la couverture d'Elisabeth, qu'un serviteur porte
roulée dans une corbeille. Je crois qu'un des motifs de son voyage à
Hébron était le désir de prendre cette couverture.
Jésus en consolant
ses amis rassemblés autour de la couverture, leur avait dit que Jean
avait désiré ardemment de voir son Rédempteur ; que toutefois il s'était
fait violence et n'avait cherché qu'à remplir sa mission qui était
d'aller devant lui et de lui préparer les voies, non de le suivre et de
prendre part à ses travaux. Il l'avait vu lorsqu'il était tout enfant.
Quand les parents de Jésus l'emmenaient en Egypte par le désert et que
Jean, petit enfant aussi, se trouvait dans le désert à deux lieues
d'Hébron, ils avaient passé à un trait de flèche de celui-ci, qui
s'était rois à courir près d'un ruisseau au milieu des buissons et qui,
frappant joyeusement la terre avec un petit bâton surmonté d'une
banderole d'écorce d'arbre, avait dansé et fait des signes jusqu'à qu'il
les eût perdus de vue. Les parents de Jésus l'avaient alors élevé en
l'air sur leurs bras et lui avaient dit : " voici Jean dans le désert "
! C'était ainsi que l'Esprit avait conduit l'enfant pour saluer son
maître qu'il avait déjà salué dans le sein de sa mère. Pendant que Jésus
racontait cela, les disciples pleuraient en pensant à la mort de Jean,
et je revis cette scène touchante. Jean était nu : il n'avait qu'une
peau de mouton jetée en travers sur l'épaule et attachée autour des
reins. Il eut le sentiment que son Sauveur approchait et qu'il souffrait
de la soif. Alors il pria et frappa la terre avec son petit bâton : une
source abondante jaillit : Jean courut en avant de l'eau qui coulait :
il s'arrêta, regardant passer la sainte Famille à l'endroit où l'eau
descendait par une pente rapide, et dansa joyeusement en agitant son
petit étendard. Je le vis ensuite revenir sur ses pas en courant jusqu'à
un grand rocher qui surplombait et près duquel le sol s'abaissait et
formait une grotte. Un filet d'eau venant de cette source qui avait
jailli arrivait là dans une petite fosse que Jean arrangea pour s'en
faire une fontaine. Plus tard il séjourna assez longtemps dans cette
grotte. La sainte Famille, dans ce voyage, franchit une hauteur qui
faisait partie de la montagne des Oliviers : à une demi lieue à l'est de
Bethléhem, ils firent une halte ; puis ayant toujours la mer Morte à
leur gauche, ils s'avancèrent à sept lieues au midi de Bethléhem, à deux
lieues au delà d'Hébron, et ils entrèrent dans le désert où était le
petit Jean-Baptiste. Je les ai vus passer ce petit ruisseau de récente
origine, s'y arrêter dans un endroit commode et s'y rafraîchir.
Lorsqu'ils revinrent d'Égypte, Jean vit encore Jésus en esprit et il
courut, en sautant de joie, dans la direction du chemin que suivait son
maître : mais il ne le vit pas des yeux du corps, car ce chemin passait
à deux lieues de là. Jésus parla encore de la grande violence que se
faisait Jean : même lors du baptême, il ne l'avait pas regardé plus que
ne le comportait le ministère qu'il avait à remplir, bien que son coeur
fût prêt à se briser de désir et d'amour : plus tard, il s'était tenu
humblement à distance de Jésus au lieu de céder à l'entraînement de son
amour et d'aller à sa recherche.
(
16 janvier. ) Je vis aujourd'hui Jésus à Hébron enseigner le
matin et l'après-midi à la synagogue : on y célébrait une fête en
mémoire de l'expulsion des Sadducéens du sanhédrin où ils avaient formé
la majorité sous Alexandre Jannée. On avait élevé autour de la synagogue
trois arcs de triomphe ornés de feuilles de vigne, d'épis et de
guirlandes de fleurs. On alla aussi en procession dans les rues et on y
jeta des fleurs, car la néoménie (fête de la nouvelle lune) tombait
aussi ce jour-là, ainsi que la fête destinée à célébrer le moment où la
sève monte dans les végétaux et où l'on émonde les arbres plantés depuis
quatre ans. C'était pour cela qu'on avait érigé tous ces arcs de verdure
et de fleurs : cela s'était fait dès aujourd'hui, parce que le lendemain
le sabbat coïncidait avec la néoménie. La fête commémorative de
l'expulsion des Sadducéens convenait bien an temps où la vie recommence
dans les arbres, parce que ces sectaires niaient la résurrection. A la
synagogue, Jésus s'éleva avec beaucoup de force contre les Sadducéens :
il parla aussi de la résurrection des morts. Des Pharisiens de Jérusalem
étaient venus assister à la fête : ils n'eurent pas de contestation avec
Jésus et montrèrent beaucoup de courtoisie. En général, il n'a pas
trouvé de contradicteurs ici : les habitants ont de la droiture et de
bons sentiments. Jésus guérit beaucoup de malades dans les maisons et
devant les synagogues : la plupart étaient des ouvriers : il y avait des
paralytiques, des gens atteints de consomption, des goutteux, quelques
idiots et quelques obsédés.
J'ai vu cette fois
que Juta et Hébron se tiennent ensemble, et quand j'ai cru que Jésus
était dans la ville de Juta, il était à Hébron. Juta est une espèce de
faubourg où les habitations sont plus disséminées, mais qui tient à
Hébron par une série de maisons. Les deux villes doivent avoir été
séparées autrefois, car il y a entre elles des restes de murs avec des
tours en ruines et une légère dépression de terrain. La maison de
Zacharie a dans ses dépendances la synagogue ou l'école de Juta : elle
est située sur une colline à un quart de lieue de la ville et entourée
de beaux jardins et de vignobles : il y a en outre une belle vigne un
peu plus éloignée avec une maisonnette. L'école est attenante par un
côté à la chambre dans laquelle Jean vint au monde : j'ai vu cela
lorsqu'ils déployèrent la couverture d'Élisabeth.
J'ai encore vu
aujourd'hui que Pilate, furieux de l'écroulement de ses constructions, a
envoyé à Machérunte quelques-uns de ses employés pour faire des
reproches à Hérode : mais qu'Hérode n'a pas voulu les voir et leur a
fait dire qu'il était absent. Le dommage est très considérable :
l'aqueduc avait bien un quart de lieue de longueur : il devait porter de
l'eau au temple et en même temps lui servir d'égout. Trois passages
voûtés conduisaient assez loin sous la montagne du temple : de longues
rangées d'arcades traversaient la vallée dans la direction du midi et
allaient chercher là, pour la conduire au temple, l'eau qui sortait de
la piscine de Béthesda. Jusqu'alors il n'y avait eu en cet endroit qu'un
marécage profond et couvert d'herbes. Toutes les constructions s'étant
écroulées à la fois, les décombres ont obstrué les passages par où l'eau
s'écoulait et tout s'est trouvé bouleversé. L'étang de Béthesda est
situé dans la partie supérieure de cette gorge et il est alimenté par là
fontaine de Gihon. L'aqueduc établi sur une haute rangée d'arcades
allait de Siloé à la montagne du temple en traversant la vallée : sa
direction était du midi au nord. Il, y avait là une haute tour au haut
de laquelle des roues faisaient monter l'eau au moyen d'outres qui
allaient la puiser dans le bas. Sur cette tour se tenaient des gens qui
furent jetés bien loin lorsqu'elle s'écroula, mais étant tombés dans
l'eau qui remplissait la vallée, ils ne se firent pas grand mal. On
avait commencé ces travaux depuis longtemps et ils étaient déjà fort
avancés lorsque les matériaux manquant à Pilate, il en livra la
direction aux architectes d'Hérode. Toute la partie de la vallée où
s'écoulait la piscine de Béthesda est maintenant obstruée par les
décombres et l'eau retenue par cet obstacle forme comme un grand étang.
Il est résulté de là une perturbation générale.
A l'occasion des
officiers envoyés par Pilate à Machéronte, je vis toujours le corps de
Jean, comme auparavant, gisant dans sa prison. Personne encore n'a de
soupçon sur sa mort. On relève comme à l'ordinaire les gardes qui
veillent devant l'enceinte des prisons : comme ils ne se tiennent pas
dans le voisinage immédiat du cachot de Jean et qu'ils voient toujours,
à l'heure accoutumée, un homme de confiance d'Hérode y entrer avec des
aliments, ils ne peuvent se douter de rien. On ne pense pas à enlever le
corps parce que cela pourrait ébruiter la chose avant le temps. Pour
moi, je vois le cachot tout rempli de lumière et près du corps comme un
ange debout avec une épée. Je crois bien que s'ils regardaient par un
trou dans l'intérieur, ils n'oseraient jamais entrer.
(
17 janvier. ) Je vis aujourd'hui Jésus enseigner et guérir à
Hébron il guérit tout le long du jour un grand nombre de personnes,
après quoi il enseigna a la synagogue. La synagogue était ouverte de
tous les côtés, et il y avait à l'entrée une chaire posée sur des
degrés, dans laquelle il prit place. Tous les habitants de la ville
étaient là, ainsi que beaucoup de personnes des environs. Les malades
étaient étendus sur de petits lits ou assis sur des nattes autour de la
chaire et la place était couverte de peuple. Les arcs de triomphe de la
fête étaient encore debout. Ce spectacle me toucha beaucoup, car tous
étaient émus et édifiés et il n'y axait pas de contradicteurs. Près de
l'arbre élevé pour la fête d'hier, les habitants distribuèrent aux
pauvres une grande quantité de fruits.
Jésus fit
l'instruction du sabbat dans la synagogue et il y exposa une doctrine
singulièrement profonde La lecture avait trait aux ténèbres d'Egypte, à
l'institution de la Pâque et au rachat des premiers-nés : il y avait
aussi quelque chose de Jérémie Jésus donna sur le rachat des
premiers-nés des explications d'une profondeur merveilleuse. Je me
souviens, entre autres choses, qu'il s'exprima à peu près en ces termes
: " Quand le soleil et la lune s'obscurcissent, la mère porte l'enfant
au temple pour le racheter ". Il parla aujourd'hui, à plusieurs
reprises, de " cet obscurcissement du soleil et de la lune ". Il traita
de la conception, de la naissance, de la circoncision et de la
présentation au Temple, qu'il compara au règne des ténèbres et au
triomphe de la lumière. Je compris très bien ce qu'il dit, mais je n'en
puis rien reproduire d'une manière satisfaisante : tout ce que je peux
dire, c'est qu'il montra dans la sortie d'Egypte, dont le récit faisait
partie de la lecture du jour, des rapports mystérieux avec la naissance
de l'homme. Il parla encore de la circoncision comme d'une marque
distinctive qui devait un jour tomber en désuétude aussi bien que le
rachat des premiers-nés. Personne ne le contredit, tous étaient
silencieux et attentifs. Il parla aussi d'Hébron et d'Abraham, puis
enfin il en vint à Zacharie et à Jean. Il s'expliqua d'une façon plus
claire et avec plus de développements qu'il ne l'avait jamais fait sur
l'importance du rôle de Jean, sa naissance, sa vie dans le désert, ses
exhortations à la pénitence, son baptême, sa fidélité à préparer la voie
et enfin sur sa captivité. Il parla ensuite de la destinée des prophètes
et du grand-prêtre Zacharie qui avait été mis à mort entre le sanctuaire
et l'autel. Il dit encore quelque chose des souffrances de Jérémie dans
la fosse où on l'avait jeté à Jérusalem, et des persécutions subies par
les autres prophètes. Lorsqu'il parla du premier Zacharie mis à mort
entre le temple et l'autel, ceux des parents de Jean qui se trouvaient
là pensèrent à la triste fin du père de Jean-Baptiste qu'Hérode avait
invité à venir à Jérusalem et qu'il fit égorger dans une maison voisine
de la ville. Toutefois Jésus n'en parla pas. Zacharie avait été enseveli
près de sa maison de Juta, dans un caveau, à ce que je crois.
Pendant que Jésus
tenait des discours si touchants et si singulièrement frappants sur Jean
et sur la mort des prophètes, le plus profond silence régnait dans la
synagogue. Tout le monde était fortement remué : beaucoup de gens
pleuraient et même les Pharisiens qui se trouvaient là étaient émus.
Cependant plusieurs des parents et des amis de Jean connurent par une
lumière intérieure que lui aussi avait été mis à mort, et la douleur les
fit tomber en défaillance. Il s'ensuivit du trouble dans la synagogue.
Mais Jésus dit qu'il fallait se contenter de soutenir ceux qui tombaient
en faiblesse, qu'ils reviendraient bientôt à eux, et ils restèrent ainsi
pendant quelques minutes évanouis dans les bras de leurs amis, pendant
que Jésus continuait son instruction.
Il y avait pour moi
dans ces mots (" entre le temple et l'autel ") prononcés à propos du
meurtre du premier Zacharie, quelque chose de significatif qui se
rapportait à la mort de Jean ; comme si sa mort, considérée dans ses
rapports avec la vie de Jésus, avait lieu entre le temple et l'autel,
car il était mort entre la naissance du Sauveur et son crucifiement :
mais les assistants ne pouvaient pas comprendre cela. Quand la
prédication fut terminée, on ramena chez eux les gens qui avaient eu une
défaillance. Il y avait outre Zacharie, le cousin de Jean, une nièce
d'Élisabeth, mariée à Hébron, qui avait une douzaine d'enfants parmi
lesquels des filles déjà grandes : c'étaient eux, et quelques autres
personnes, qui avaient reçu cette violente commotion. Jésus, en
compagnie du jeune Zacharie et des disciples, se rendit dans la maison
de cette femme où il n'était pas encore allé, mais où les saintes femmes
avaient fait plusieurs visites avant leur départ. Il devait ce soir
prendre son repas chez elle, mais ce fut un repas bien triste.
Je vis Jésus seul
dans une chambre avec Pierre. Jean, Jacques, fils de Cléophas, Eliacim,
Sadoch, Zacharie, la nièce d'Elisabeth et le mari de celle-ci. Les
parents de Jean lui demandèrent en tremblant :
"Seigneur, ne
reverrons-nous pas Jean" ? La porte était fermée en sorte que personne
ne pouvait venir les déranger. Jésus leur répondit en pleurant : " Non,
vous ne le reverrez pas ". Et il parla de sa mort en termes très
touchants et très consolants. Comme dans leur tristesse ils exprimèrent
la crainte que son corps n'eût à subir des outrages, Jésus leur dit
qu'il n'y avait rien à craindre, que son corps était intact, que sa tête
avait été outragée et jetée au rebut, mais qu'elle aussi serait
conservée et reparaîtrait au jour. Il leur dit aussi qu'Hérode
quitterait Machérunte sous peu de jours et qu'alors le bruit de la mort
de Jean se répandrait ; que ses disciples diraient où ils l'avaient vu
pour la dernière fois et qu'on pourrait enlever son corps. Il pleura
cordialement avec les assistants et ils prirent ensuite un petit repas.
Ce repas, pris dans une chambre retirée, me rappela la sainte Cène, par
le silence et la gravité qui y régnaient, ainsi que par l'émotion de
Jésus et son attendrissement.
J'ai eu aujourd'hui
une vision où Marie me fut montrée allant présenter Jésus au temple.
Cela n'eut lieu que le quarante-troisième jour après sa naissance : car,
à cause d'une fête, ils avaient attendu trois jours chez les braves gens
qui tenaient la petite hôtellerie située devant la porte qui mène à
Bethléhem. Outre l'offrande ordinaire des colombes, Marie porta au
temple comme présents cinq petites plaques d'or triangulaires venant des
trois rois, et plusieurs pièces d'une belle étoffe pour faire des
broderies. Joseph avait vendu à un de ses parents l'âne qu'il lui avait
précédemment remis en gage. J'ai toujours cru que l'âne monté par Jésus
le dimanche des Rameaux provenait de celui-là.
(18 janvier.) Jésus enseigna encore aujourd'hui à Juta. Dans
l'après-midi il sortit accompagné d'une dizaine de Lévites et guérit
plusieurs malades des environs on ne rencontre pas dans ce pays de
lépreux, de possédés furieux, de grands pécheurs ni de grandes
pécheresses. Le soir il termina l'instruction du sabbat et il prit avec
les Lévites un repas frugal, composé d'oiseaux, de pain, de miel et de
fruits.
C'est ce qu'il à fait
ici plusieurs autres fois. Je me souviens que Joseph d'Arimathie et
plusieurs disciples sont venus, je ne sais pas bien si c'est aujourd'hui
ou le dimanche, pour inviter Jésus à se rendre à Jérusalem où beaucoup
de malades soupirent après lui. Il pouvait, disaient-ils, y séjourner
sans être inquiété, parce que Pilate et Hérode sont en querelle par
suite de l'écroulement des constructions, et que les autorités juives
ont tourné toute leur attention de ce côté. Jésus ne voulut pas y aller
quant à présent : cependant il promit de s'y rendre avant de retourner
en Galilée.
J'ai vu encore que
les femmes de la famille de Jean célébrèrent le sabbat dans leur maison
: elles étaient en habits de deuil et assises
par terre : il y avait au milieu de la chambre une grande quantité de
flambeaux ou de lampes placées les unes au-dessus des autres.
Des Esséniens
demeuraient dans le voisinage, assez près du tombeau d'Abraham. Lorsque
Jésus y alla, ils se rendirent auprès de lui, deux par deux, et
s'entretinrent avec lui : ils habitaient des cellules creusées dans le
roc autour d'une montagne et au-dessus desquelles ils avaient un jardin.
Je ne les ai pas vus près de lui dans la ville.
Il y a de très beaux
jardins autour de la maison de Zacharie ; on y voit des rosiers d'une
grosseur et d'une hauteur incroyables. La Soeur décrit tout cela dans
son patois rustique avec une foule de détails qu'on ne peut reproduire
ici, puis elle ajoute : " Quand on vient de Jérusalem ici' on voit la
maison de Zacharie sur une colline : un quart de lieue plus loin, on
voit son vignoble à droite sur une colline plus élevée : c'est au pied
de celle-ci qu'est la fontaine découverte par Marie. L'Hébron où Jésus a
séjourné n'est plus l'Hébron d'Abraham ; celui-ci est en ruines, au midi
de l'autre dont il est séparé par une espèce de ravin. Du temps
d'Abraham, c'était une ville qui avait de larges rues et où une partie
des habitations était creusée dans le roc à peu de distance de la maison
de Zacharie se trouvait un endroit appelé Iéther, où je vis plusieurs
fois aller Marie et Elisabeth ".
CHAPITRE HUITIÈME
Ensevelissement
du corps de S. Jean Baptiste
Ensevelissement du corps
de S. Jean Baptiste. Jésus à Jérusalem.--Guérison opérée près de la
piscine de Bethesda.
- Jésus à Juta ; -à
Libna ; -à Bethsur. - Enlèvement du corps de Jean à Machérunte. - Jésus
à Béthanie, -à Jérusalem, -à Lebona et à Thirza. - Retour en Galilée.
(Du 19 au 29 janvier
1823.)
(10-20 janvier.) On
commence à dire à Juta que Jean-Baptiste est mort. On semble l'induire
de l'extrême tristesse des membres de sa famille et des paroles
prononcées en public par Jésus.
Jésus alla visiter le
tombeau de Zacharie avec le neveu de celui ci et les disciples : il est
près de sa maison et même au-dessous en partie. Il ne ressemble pas aux
tombeaux ordinaires : c'est un grand caveau soutenu par des piliers
comme les catacombes, et c'est un lieu de sépulture très vénéré, réservé
pour des prêtres et des prophètes. Il avait été décidé qu'on enlèverait
le corps de Jean de Machéronte et qu'on l'enterrerait ici. On arrangeait
le caveau à cet effet et on disposait un emplacement. Il était bien
touchant de voir Jésus aider à préparer un tombeau pour son ami. Il
honora aussi les restes de Zacharie.
Élisabeth n'est pas
enterrée ici, mais sur une montagne voisine de la grotte du désert que
Jean avait habitée dans son enfance.
Je vis les disciples
charger sur un âne des linceuls, des bandelettes, des aromates et une
espèce de civière de cuir pour emporter le corps du précurseur. Ils
doivent probablement prendre ailleurs d'autres compagnons, car ils
suivirent Jésus qui partit aujourd'hui, et conduisirent avec eux la bête
de somme.
Jésus, accompagné d'une
vingtaine d'amis et de disciples, quitta la maison de Zacharie, se
dirigeant du côté du bois de Mambré. Les femmes de la famille de Jean se
joignirent à lui avec leurs filles devant la ville et lui firent la
conduite. Je vis les hommes prendre les devants. Les femmes allèrent
jusqu'à une lieue et demie environ, après quoi elles s'en retournèrent.
Elles s'agenouillèrent devant Jésus et voulurent lui baiser les pieds,
mais il s'y refusa. Elles pleuraient amèrement ; Jésus les bénit et
elles se retirèrent.
Jésus suivit le chemin de
Libna : toutefois ils n'allèrent pas aujourd'hui jusqu'à cette ville,
mais ils s'arrêtèrent à une hôtellerie située dans un petit endroit en
avant de Libna : les gens de Juta et d'Hébron repartirent de là pour
retourner chez eux, et des habitants de Libna y reçurent Jésus. Libna
est située dans une vallée, assez près d'une petite rivière qui va se
jeter dans la mer. La contrée où les gens d'Hébron prirent congé de
Jésus est, comme tout ce pays, un plateau élevé couvert de champs de blé
: on voit d'ici les montagnes de Jérusalem.
Je vis aussi plusieurs
choses touchant d'autres villes, par exemple Caphardagon, qui est à deux
lieues de Lydda, à peu de distance de la mer et de Sarona : où est cet
endroit ? Des apôtres et des disciples que Jésus avait envoyés en
Galilée sont maintenant dans ce pays : ils se réuniront bientôt à Jésus.
( 20 janvier. )
Aujourd'hui Saturnin, Jude Barsabas et deux autres disciples qui étaient
allés de la Galilée à Machéronte et qui ensuite s'étaient rendus ici
pour y rejoindre Jésus, vinrent le trouver à l'hôtellerie et lui
racontèrent avec beaucoup de tristesse le meurtre de Jean-Baptiste qu'il
connaissait déjà. Voici comment la nouvelle leur était arrivée.
Lorsqu'Hérode avec sa famille et une escorte de soldats fut parti de
Machérunte pour Hésébon, le bruit que Jean avait eu la tête tranchée fut
répandu par quelques déserteurs : il parvint aussi à quelques ouvriers
blessés par l'écroulement des constructions à Jérusalem, lesquels
étaient au service du centurion Zorobabel de Capharnaum et qui le lui
rapportèrent. Zorobabel fit aussitôt connaître ce triste événement à
Jude Barsabas qui se trouvait dans le voisinage, sur quoi celui-ci avec
Saturnin et deux autres disciples se rendirent en toute hâte dans la
contrée de Machérunte où ils reçurent partout, après le départ d'Hérode,
la confirmation de la nouvelle qui leur avait été donnée. Alors de
Machéronte ils gagnèrent rapidement la patrie de Jean afin de prendre
des mesures pour faire enlever son corps, et ayant appris que Jésus
était ici, ils allèrent le trouver à l'hôtellerie.
Jésus passa toute la journée avec eux. Le soir quelques Personnes de la
suite de Jésus. savoir. les fils de Marie d'Héli, Jacques, Eliacin et
Sadoch, le neveu de Zacharie, les neveux de Joseph d'Arimathie et les
fils de Jeanne Chusa et de Véronique s'associèrent à eux et tous
ensemble, conduisant l'âne qui portait les objets dont ils avaient
besoin, se rendirent à Machérunte, que tous les hôtes d'Hérode ont
quittée et où il n'y a presque personne, sauf une petite garnison de
soldats.
J'y vois toujours le corps
de Jean couché à la même place et près de lui un ange tenant une épée :
tout est inondé de lumière autour de lui.
Jésus s'arrêta quelque
temps dans le pays où il se trouvait, pour ne pas rencontrer Pilate qui,
accompagné d'une escorte de soldats, se rendait de Jérusalem par Bethsur
et Antipatris, à Apollonia où il devait s'embarquer pour Rome. Je crois
qu'il y va porter plainte contre Hérode.
Jésus est allé à Libna,
mais il n'y est pas resté longtemps. Les Lévites qui l'avaient accueilli
amicalement eurent bientôt à le reconduire, car il ne tarda pas à partir
pour Bethsur qui est à peu près à dix lieues au nord de Libna et qui
n'est qu'à deux lieues de Jérusalem. C'est une forteresse avec des
tours, des remparts et des fossés : tout cela est un peu délabré, moins
toutefois qu'à Béthulie. La ville n'est pas petite, elle est bien aussi
grande que Béthoron. On y arrive presque de plain pied du côté par où
venait Jésus : entre Bethsur et Jérusalem il y a une belle vallée. Des
points élevés de chacune des deux villes, on peut voir l'autre. Il y a
un côté que je n'ai pas encore bien vu, où les abords de Bethsur sont
escarpés et faciles à défendre contre des ennemis. Autrefois l'arche
d'alliance y séjourna publiquement pendant un certain espace de temps.
Je serais étonnée que cela ne fût pas mentionné dans l'Écriture. J'ai
oublié à quelle occasion : ce fut, je crois, lorsqu'elle fut rapportée.
David est venu plusieurs fois ici. Une fois, après que Saul eut jeté sa
lance contre lui, il s'était enfui de l'autre côté du Jourdain ; mais
Jonathas s'entremit de nouveau en sa faveur et il vint ici. Je crois
qu'il y vint encore à une époque postérieure, lorsqu'il fuyait devant
Absalon. Bethsur a été souvent assiégée par les ennemis des Machabées,
et Judas Machabée a remporté une grande victoire pendant un de ces
sièges ( II Mach. XIII, 19-22, I. Mach. VI, 31, etc. ; XI, 65-66).
Pilate a passé par ici et,
si je ne me trompe, par Saron et par Antipatris, pour aller à Apollonia
où il s'est embarqué aujourd'hui : il avait avec lui sa femme et une
escorte d'une cinquantaine de soldats et d'autres personnes. Il va, je
crois, à Rome pour y porter plainte contre Hérode Ils sont partis avec
un seul navire. Ordinairement il résidait à Césarée, mais depuis quelque
temps il avait établi son séjour à Jérusalem. Je crois que Jésus est
allé d'abord à Libna pour ne pas se trouver sur son chemin.
Pilate a déjà eu plusieurs
démêlés avec les Juifs, et ils le détestent. Il a fait une fois porter
les étendards romains dans la ville, ce qui a excité un soulèvement de
la part des Juifs. Une autre fois, lors d'une fête où les Juifs
s'abstiennent de porter des armes et de toucher de l'argent, je vis ses
soldats entrer dans le temple, briser le tronc des offrandes et prendre
tout l'argent qui s'y trouvait. Cela eut lieu lorsque Jean baptisait
encore à On près du Jourdain et lorsque Jésus
Jésus et sa suite furent
très bien accueillis, ce soir, à Bethsur. Lazare et d'autres amis de
Jérusalem s'y étaient déjà rendus. On lui lava les pieds ainsi qu'aux
disciples, et on leur offrit en abondance et avec beaucoup de cordialité
tout ce dont ils pouvaient avoir besoin. Il logea dans une hôtellerie
voisine de la synagogue.
Les trois rois passèrent
près de cet endroit en allant à la crèche : ce fut dans les environs que
l'étoile leur apparut de nouveau : ils donnèrent à manger à leurs bêtes
près d'un caravansérail. Il y a une bonne route qui va d'ici à Libna et
plus loin encore.
Le dimanche, je vis la Mère
de Dieu avec sa suite : elle était composée de cinq femmes qui, la robe
relevée et tenant leurs bras enveloppés dans leurs voiles, marchaient à
grands pas les unes derrière les autres et séparées par des intervalles
égaux dans le pays où se trouve l'hôtellerie située sur l'héritage de
Joseph. Les serviteurs qui les escortaient avaient pris les devants : je
vis les saintes femmes s'asseoir près d'un ruisseau et prendre quelques
rafraîchissements. Hier ou aujourd'hui, je les vis à Cana.
Il ne faut pas confondre
Bethsur avec un endroit appelé Bethsoron qui est entre Bethléhem et
Hébron, et près duquel Philippe baptisa le serviteur de la reine
Candace. On donne aussi quelquefois le nom de Bethsur à cet endroit.
Note : Cette assertion a de
l'importance, car le plus souvent on prend Bethsur pour Bethoron, et on
place près de Bethsur le baptême en question.
(22 janvier.) Je vis
aujourd'hui Jésus à Bethsur guérir dans quelques maisons, sans que
personne le dérangeât, de vieilles gens affligées de maladies graves,
entre autres des hydropiques. Les habitants de la ville étaient très
bien disposés et je vis les chefs de la synagogue conduire eux-mêmes
Jésus dans les maisons. Il enseigna aussi dans l'école et je le vis
bénir une grande quantité d'enfants, d'abord les garçons, puis les
filles. Il s'occupait beaucoup des enfants : il en guérit quelques-uns.
Je ne sais pas encore bien s'il ira à Jérusalem. Devant Bethsur il y a
une belle avenue.
Je vis dès hier soir les
disciples arriver devant Machérunte ; ils étaient dix : Saturnin, Jude
Barsabas, Jacques de Cléophas, Éliacin, Sadoch, les deux neveux de
Jeanne Chusa, les fils de Jeanne Chusa et de Véronique et le neveu de
Zacharie. Ils laissèrent l'âne chez un paysan et prirent avec eux les
objets qu'il portait. C'étaient trois barres larges comme la main,
faites d'un bois très fort et très léger et qu'ils portaient sous le
bras, une espèce de sac de cuir fort mince divisé en deux compartiments,
des outres de cuir, des boîtes, des linges roulés, des éponges et
quelques outils. Ils montèrent ainsi la montagne du palais. Quelques-uns
des disciples de Jean, les plus anciens et les plus connus ici,
notamment les cousins de Jésus, qui avaient eu autrefois la permission
d'y pénétrer et d'en sortir librement, prièrent la garde du palais de
les laisser entrer. Les soldats répondirent qu'ils ne le pouvaient pas,
quelques bonne volonté qu'ils eussent à cet égard.
Alors ils se retirèrent, firent le tour du rempart et, arrivés à
l'endroit qui correspondait à la prison de Jean, ils montèrent sur les
épaules les uns des autres et franchirent trois murs et trois fossés. Il
semblait que Dieu les aidât, car ils firent cela très promptement et
sans trouver d'obstacles. Ils descendirent alors dans la prison par une
ouverture ronde qui était en haut, et lorsque les deux soldats qui
montaient la garde dans les vestibules, les aperçurent et s'approchèrent
avec des torches, ils allèrent à leur rencontre et leur dirent : " Nous
sommes les disciples de Jean-Baptiste qu'Hérode a fait mettre à mort. et
nous voulons enlever son corps ". Les soldats ne firent pas de
résistance, mais leur ouvrirent la prison, soit parce qu'ils n'étaient
pas les plus forts, soit peut-être parce qu'indignés contre Hérode à
cause de la mort de Jean, ils voulaient participer à cette bonne oeuvre
: depuis quelques jours déjà plusieurs soldats avaient pris la fuite.
Lorsqu'ils entrèrent dans
la prison, leur torche s'éteignit et je vis toute la prison remplie de
lumière. Je ne sais pas si tous virent cette lumière, mais je suis
portée à croire qu'il en fut ainsi, car ils firent ce qu'ils avaient à
faire aussi promptement et aussi facilement qu'à la clarté du jour. Je
vis tous les disciples se précipiter vers le corps de Jean et se courber
sur lui en versant des larmes. Je vis en outre apparaître dans la prison
une grande figure de femme, brillante de lumière ; elle ressemblait un
peu à la Mère de Dieu au moment de sa mort, et je ne reconnus que plus
tard que c'était sainte Elisabeth qui apparaissait ainsi : car au
commencement tout me parut si naturel dans la manière dont elle prenait
part à ce qu'ils faisaient, alors je me demandai plus d'une fois qui
pouvait être cette personne et comment elle était entrée avec eux.
Le corps était, comme au
premier jour, recouvert de sa peau de mouton et les disciples
procédèrent en toute hâte à l'ensevelissement. Ils étendirent des draps
sur lesquels ils placèrent le corps pour le laver. Ils avaient apporté
de l'eau dans des outres et les soldats Leur fournirent quelques
écuelles de couleur brune. Jude Barsabas, Jacques et Eliacin se
chargèrent des arrangements principaux : les autres les aidèrent. Je vis
toujours l'apparition travailler avec eux et il semblait qu'elle fît
tout, soit qu'il s'agît de découvrir ou de recouvrir, de poser, de
retourner ou d'envelopper : elle prenait part à tout ce que faisait
chacun d'eux : il semblait qu'on lui dût la promptitude et la régularité
avec laquelle leur travail s'accomplissait. Je les vis ouvrir le corps
et en retirer les entrailles qu'ils mirent dans une outre : ensuite ils
entassèrent autour de lui des aromates de toute espèce et
l'enveloppèrent tout entier avec des bandelettes fortement serrées. Il
était extrêmement mince : du reste son corps était comme desséché.
Je vis pendant ce temps les
autres disciples laver la place où la tête était tombée pour recueillir
le sang qui y avait coulé en abondance : ils en remplirent les boîtes
vides qui avaient contenu les aromates. Ils mirent ensuite le corps dans
le sac de cuir qu'ils fermèrent avec un bâton placé en travers de
l'ouverture, et ils passèrent leurs deux barres de bois dans des
courroies attachées au sac : elles devaient être de ce bois si fort dont
j'ai parlé ailleurs, car quoique très minces, elles ne fléchirent pas.
Ils placèrent au-dessus la peau de mouton qui était le vêtement
ordinaire de Jean, et d'eux d'entre eux portèrent le saint corps. Les
autres portaient l'outre de cuir où étaient les entrailles et les boîtes
qui contenaient le sang. Les soldats quittèrent Machérunte avec eux et
les conduisirent hors des remparts en leur faisant suivre cet étroit
passage souterrain par lequel Jean avait été conduit dans sa prison.
Tout cela se fit avec une promptitude extraordinaire et une émotion
indicible de la part de tous. Je les vis d'abord sans lumière descendre
la montagne à grands pas : plus tard je les vis éclairés par une torche
: deux d'entre eux portaient le corps à l'aide des bâtons qu'ils
plaçaient sur leurs épaules, et les autres marchaient à leur suite Je ne
puis exprimer tout ce qu'il y avait de touchant dans ce cortège qui
s'avançait rapidement et silencieusement à travers la nuit à la lumière
de la torche. Je m'y suis jointe plusieurs fois en divers lieux. On eût
dit qu'ils ne touchaient pas la terre. Quels torrents de larmes ils
versèrent, lorsqu'à la faible lueur du crépuscule du matin, ils le
transportèrent au delà du Jourdain, à l'endroit où il avait commencé à
baptiser et où eux-mêmes s'étaient mis à sa suite Ils longèrent toujours
de près la mer Morte, suivant des chemins écartés ou passant par le
désert.
(23 janvier.) Ce
matin Jésus est allé de Bethsur à Béthanie avec Lazare et les disciples.
Ils firent une route de plusieurs lieues, car ils contournèrent
Jérusalem par le côté du nord. Ils passèrent près de plusieurs endroits,
notamment près d'Emmaus. Jésus enseigna ça et là sur le chemin. Ils
rencontrèrent à diverses reprises des gens occupés à attacher et à
tresser les haies, qui du reste étaient déjà vertes.
A une lieue à peu près de
Béthanie, Marthe et Madeleine vinrent à leur rencontre avec une veuve du
nom de Salomé, qui depuis longtemps habitait chez Marthe. Cette femme
étant comme Suzanne, la fille illégitime d'un des frères de saint
Joseph, se trouve ainsi alliée à la sainte Famille. Je ne sais plus bien
son histoire. Je sais qu'elle assista à la mise au tombeau du Sauveur.
Ces femmes vinrent au devant de Jésus jusqu'à l'hôtellerie que Lazare
possède dans le désert. Jésus s'y arrêta quelque temps avec elles et il
y enseigna. Ils partirent ensuite pour Béthanie où ils arrivèrent à la
chute du jour et où ils prirent un repas.
Les quatre apôtres et
plusieurs disciples auxquels Jésus avait donné leur mission près du
Thabor, vinrent le soir le rejoindre à Béthanie : ce fut là qu'ils
eurent pour la première fois des nouvelles certaines de la mort de Jean
qui les affligea beaucoup. Il racontèrent à leur tour qu'ils avaient
enseigné et guéri selon les instructions que Jésus leur avait données,
et que dans un endroit on les avait poursuivis à coups de pierre, mais
sans les atteindre. Ils avaient été en dernier lieu à Saron, tout près
de Lydda. Caphardagon non plus n'est pas loin de là. Lorsque Pierre alla
à Lydda après la mort de Jésus, on l'engagea aussi à venir à Saron. J'ai
vu dernièrement plusieurs choses concernant la position de ces lieux,
mais j'étais trop malade pour pouvoir en faire part.
Lorsque tout le monde fut
allé se reposer dans la maison de Lazare, je vis encore Jésus se rendre
seul la nuit au mont des Oliviers, et prier dans un lieu solitaire. Il
n'allait pas toujours dans ce cas au jardin de Gethsémani qui était trop
éloigné de Béthanie. Le mont des Oliviers était tout couvert de verdure
et planté de beaucoup d'arbres d'espèces précieuses : il s'y trouvait
beaucoup d'endroits solitaires.
Madeleine occupe le
logement de sa défunte soeur Marie la Silencieuse. L'appartement est
composé de petites chambres : je vois souvent Madeleine assise dans une
toute petite pièce ; on dirait l'intérieur d'une tourelle : c'est je
crois un réduit ou elle fait pénitence. Elle pleure encore beaucoup.
Elle n'est plus malade à la vérité, mais elle est amaigrie, pâle et
défaite : c'est l'effet de son repentir et de sa vie pénitente.
Il y a eu dernièrement deux
jours de jeûne, dont l'un était en mémoire de la mort des vieillards qui
avaient survécu à Josué (Jud. II, 10). On va célébrer maintenant une
fête qui donnera lieu à des réjouissances de toute espèce. Elle vient
tout de suite après le prochain sabbat et dure trois jours : j'en ai vu
beaucoup de circonstances que je ne me rappelle plus bien. Ils l'ont
remise jusqu'à ce jour, autrement elle serait tombée trop tôt. C'est une
fête où l'on rend grâces de tous les bienfaits reçus, à dater des
préliminaires de la sortie d'Égypte. Il n'y a pas d'obligation de la
célébrer à Jérusalem : on peut la célébrer partout. Du reste, la plupart
des princes des prêtres et des plus grands ennemis de Jésus sont en
voyage hors de Jérusalem, parce que, Pilate étant absent, ils n'ont rien
à craindre et ne sont pas obligés d'être toujours sur leurs gardes comme
lorsqu'il y est.
Il me revient à cette
occasion que Pilate une fois (c'était, je crois, lorsque Jésus quitta le
désert), avait fait apporter la nuit à Jérusalem les drapeaux romains
avec les figures qui les surmontent, et qu'il en résulta un grand
soulèvement, ce qui l'obligea à les retirer. Une autre fois pendant le
sabbat où il est interdit aux Juifs de se défendre, il fit briser par
ses soldats le tronc des offrandes et enlever une grande bourse pleine
d'or.
Hérode est à Hésebon : la
méchante femme n'est pas avec lui : elle est allée faire un voyage
ailleurs avec sa fille. Cette femme ressemble tout à fait à une des
déesses favorites de l'ancien monde païen : il y a dans tout son
extérieur quelque chose de lubrique et de provoquant, où se trahit je ne
sais quel venin et qui pourtant attire et séduit.
Le mont des Oliviers a
trois sommités : il s'y trouve beaucoup de jardins. Les abords de
Jérusalem ne sont pas très abruptes du côté du nord, tandis qu'au midi
la ville est bornée par des escarpements à pic. Au levant du mont des
Oliviers se trouve une vallée où coule un torrent qui est quelque fois à
sec et qui se jette dans le Cédron.
Aujourd'hui, vers midi,
j'ai vu les disciples arriver avec le corps de Jean à la vallée des
bergers par des chemins peu fréquentés. A une demi lieue à peu près de
Bethléhem, à l'endroit où finit la vallée des bergers, ils le portèrent
dans une grotte et firent une halte.
Ce soir ils le porteront
jusqu'à Juta, où quelques-uns d'entre eux sont allés d'avance pour faire
les préparatifs nécessaires. Ils n'ont cessé de suivre des sentiers peu
fréquentés autour de la mer Morte et à travers le désert. J'ai encore vu
souvent apparaître Elisabeth sur le chemin près du cortège. Je ne puis
dire à quel point ce cortège était touchant : ils allaient si vite
qu'ils semblaient planer au-dessus du sol.
(24 janvier.) Ce
matin je vis Jésus aller à Jérusalem avec les disciples et entrer chez
Jeanne Chusa. Marthe et Madeleine n'étaient pas à Jérusalem. Vers dix
heures du matin, je vis Jésus dans le temple avec les disciples. Il
enseigna et lut le livre de la loi du haut d'une chaire placée dans le
parvis des femmes. Sa doctrine et sa sagesse excitèrent l'admiration
générale. Il n'y avait là personne qui cherchât à l'empêcher de parler
ou qui lui adressât des objections. Parmi les prêtres présents, les uns
le connaissaient à peine, les autres qui le connaissaient ne lui étaient
pas contraires : ses principaux ennemis, les Pharisiens et les
Sadducéens, étaient pour la plupart en voyage. Il y avait bien encore
quelques espions, mais sans importance. Il enseigna jusqu'à
l'après-midi, après quoi ils allèrent prendre un petit repas dans la
maison de Jeanne Chusa.
Vers trois heures. Jésus
accompagné de quelques disciples, alla à la piscine de Bethesda. Il
entra à l'extrémité la plus éloignée du centre par une porte qui était
toujours fermée et dont on ne se servait plus. C'étaient là qu'étaient
relégués les malades les plus pauvres et les plus délaissés : tout près
de cette porte, à l'angle le plus reculé, était confiné un homme qui
était paralytique depuis trente-huit ans : il était couché dans l'une
des chambres assignées aux hommes.
Lorsque Jésus arriva à la
porte fermée, il y frappa et elle s'ouvrit devant lui. Il passa devant
les malades et descendit jusqu'aux degrés qui conduisaient à la piscine
et où étaient assis et couchés des malades de toute espèce. Il y donna
des enseignements à ces malades et les disciples distribuèrent aux plus
pauvres du pain, des vêtements, des couvertures et du linge que les
saintes femmes leur avaient donnés. Ces consolations et ces offices
charitables étaient quelque chose de tout nouveau pour ces malades qui
gisaient là, laissés à eux-mêmes ou à leurs serviteurs : ils furent
extrêmement touchés. Quand Jésus les eut enseignés, ce qu'il fit en
divers endroits, il demanda à plusieurs d'entre eux s'ils croyaient que
Dieu pouvait les secourir, s'ils désiraient être guéris, et s'ils
voulaient se repentir de leurs péchés, faire pénitence et recevoir le
baptême. Comme il avait dit à plusieurs de quels péchés ils s'étaient
rendus coupables, ils furent très troublés et lui dirent : " Maître,
vous êtes un prophète ! c'est vous sans doute qui êtes Jean "! Car la
mort du précurseur n'était pas encore généralement connue, et même dans
plusieurs endroits le bruit courait qu'il avait été remis en liberté.
Mais Jésus leur dit en termes généraux qui il était et en guérit
plusieurs, notamment des aveugles: il leur ordonna de se laver les yeux
avec de l'eau de la piscine à laquelle il mêla de l'huile et leur dit de
retourner tranquillement chez eux et de ne pas parler de ce qui leur
était arrivé jusqu'après le sabbat. Les disciples opérèrent aussi des
guérisons dans d'autres endroits : mais il fut enjoint à tous de se
laver dans la piscine.
Comme plusieurs de ces
malades guéris avaient attiré sur eux l'attention générale par
l'empressement avec lequel les uns et les autres couraient de divers
côtés à la piscine pour s'y laver, Jésus, accompagné des disciples,
revint à cette issue écartée dont il a été question. et il arriva à
l'endroit où était couché l'homme malade depuis trente-huit ans. C'était
un jardinier, un de ceux que je vois souvent travailler aux haies ; il
s'était aussi occupé autrefois de la culture des baumiers. Mais il était
depuis si longtemps malade et sans secours qu'il se trouvait dans la
plus extrême détresse, n'ayant de ressource que la mendicité et se
nourrissant des restes des autres malades. Comme il était là gisant
depuis nombre d'années, il était connu de tout le monde sous le nom du
malade incurable. Jésus lui ayant demandé s'il voulait recouvrer la
santé, cet homme qui n'avait pas l'idée que Jésus voulût le guérir, crut
qu'il lui demandait seulement en termes généraux pourquoi il restait
couché là ; il répondit qu'il n'avait personne pour venir à son secours,
pas de serviteur ni d'ami qui pût l'aider à descendre dans la piscine
quand l'eau était agitée, et qu'avant qu'il eût pu se tramer jusque-là,
d'autres le prévenaient et occupaient les marches des escaliers qui y
conduisaient. Jésus s'entretint quelque temps avec lui, lui mit ses
péchés devant les yeux, excita son repentir et lui dit qu'il ne devait
plus vivre dans l'impureté ni blasphémer contre le temple, car c'était
par là qu'autrefois il s'était attiré le châtiment qui l'avait frappé.
Il lui dit aussi que Dieu accueillait tous ceux qui revenaient à lui et
secourait quiconque se tournait vers lui avec un repentir sincère. Ce
pauvre homme qui n'avait jamais rencontré personne pour le consoler, qui
croupissait dans sa misère invétérée et qui murmurait souvent de ce que
personne ne venait à son secours, fut profondément touché de ces paroles
du Seigneur : alors Jésus lui dit : " Levez-vous, prenez votre lit et
marchez " ! Toutefois, ce n'est là que le résumé de ce que lui dit
Jésus, car il lui commanda aussi de descendre à la piscine pour s'y
laver ; il avait dit en outre à un disciple qui se trouvait là, de
conduire cet homme à l'une des petites habitations disposées pour
recevoir des pauvres par les soins des amis de Jésus et attenantes au
cénacle de la montagne de Sion où Joseph d'Arimathie avait son atelier
de sculpteur.
Cet homme qui, l'instant
d'auparavant, était complètement paralytique et affligé en outre d'un
mal impur au visage, ramassa son grabat en lambeaux, descendit
parfaitement guéri à la piscine et s'y lava : il était si joyeux et si
empressé qu'il avait failli oublier son lit. Le sabbat était déjà
commencé, et Jésus, accompagne de Jean, sortit sans être remarqué par la
porte voisine de l'endroit où se tenaient les malades. Le disciple
chargé de guider le paralytique prit les devants pour l'annoncer, car
cet homme connaissait l'endroit où il avait à se rendre. Lorsqu'il
sortit des bâtiments qui entouraient la piscine de Bethesda, quelques
Juifs voyant qu'il était guéri, crurent que c'était l'effet de la grâce
attachée à la piscine et ils lui dirent : " Ne sais-tu pas que c'est
jour de sabbat et que tu ne dois pas porter ton lit "? il leur répondit
: " Celui qui m'a guéri m'a dit de me lever, de prendre mon lit et de
marcher ". Alors ils lui demandèrent quel était l'homme qui lui avait
dit cela ; mais il ne sut pas le leur dire, car il ne connaissait pas
Jésus et ne l'avait jamais vu auparavant. Jésus était déjà parti et les
disciples aussi.
On lit à la vérité dans le récit que l'Evangile fait de ce miracle
(Jean, V, 15, etc.) que cet homme voyant Jésus dans le temple, le
désigna comme celui qui l'avait guéri et que Jésus eut à ce propos une
dispute avec les Pharisiens et les Sadducéens touchant les guérisons
opérées le jour du sabbat ; mais cela n'arriva qu'à une autre fête,
quoique saint Jean ait fait du tout un seul récit. C'est ainsi que la
chose m'a été positivement expliquée.
Cependant après que Jésus
eut quitté Jérusalem, ces Juifs qui avaient reproché au malade guéri de
porter son lit le jour du sabbat, répandirent la nouvelle de la guérison
de cet homme que beaucoup de gens connaissaient et tenaient pour
incurable, et la chose fit grand bruit. On ne fit pas grande attention
aux autres malades que le Sauveur et ses disciples avaient guéris près
de la piscine de Bethesda, parce qu'on attribua leur guérison à la vertu
miraculeuse des eaux de la piscine : elle n'avait pas eu lieu le jour du
sabbat et d'ailleurs l'on n'avait pas vu Jésus entrer ni sortir par les
portes où se tenaient les gardiens ou les surveillants de la piscine. En
outre, peu de gens s'étaient trouvés alors dans l'enceinte des bâtiments
attenant à la piscine, si l'on excepte les pauvres malades qui restaient
couchés dans les cellules pratiquées dans les murs. Ceux qui avaient de
l'aisance s'étaient pour la plupart déjà fait reconduire dans leurs
maisons, car à cette époque l'eau ne s'agitait plus que rarement et cela
n'arrivait guère qu'au lever du soleil : c'était donc avant l'aurore que
ceux qui avaient des serviteurs se faisaient porter là. Du reste on ne
recourait plus guère à ce moyen de guérison et une partie des murs de
l'établissement était en assez mauvais état. Il n'y venait plus la
plupart du temps que des gens animés d'une fois vive, comme ceux qui
chez nous fréquentent les lieux de pèlerinage.
Cet étang était celui où
Néhémie avait enfoui le feu sacré : une pièce de bois qui avait servi à
le recouvrir avait été plus tard jetée au rebut et elle entra dans la
construction de la croix de Jésus-Christ. La vertu miraculeuse de la
piscine s'était manifestée, lorsque le feu sacré y eut été déposé. Dans
les premiers temps, certains malades pieux et doués de l'esprit de
prophétie virent un ange descendre du ciel et agiter l'eau. Plus tard
cela ne fut plus visible que pour un petit nombre ou même pour personne,
et enfin l'esprit du temps devint tel que ceux qui voyaient encore
quelque chose se gardaient bien d'en parler : toutefois un grand nombre
voyait toujours l'eau s'agiter et bouillonner. Cette piscine servit de
baptistère aux apôtres après la descente du Saint-Esprit et la piscine
elle-même avec l'ange qui la remuait était une figure mystérieuse et
symbolique du sacrement de baptême en même temps que l'agneau pascal
était la figure prophétique de la sainte croix et de la mort du
rédempteur.
Ce matin, Jésus a encore
guéri quelques malades devant le temple, à l'endroit où se tiennent les
vendeurs.
Après la guérison du
paralytique, Jésus alla avec les disciples dans une synagogue voisine de
la montagne du temple où Nicodème et ses autres amis célébraient le
sabbat. Jésus n'y enseigna pas aujourd'hui, mais il pria et écouta avec
l'assistance les lectures du sabbat. On lut dans l'Exode le récit de la
sortie d'Egypte et du passage de la mer Rouge (Exod. XIII, 17 jusqu'à
XV-27), et dans le livre des Juges, l'histoire de la prophétesse Débora
(Jud. IV-4 jusqu'à V-32) ; On chanta en outre un cantique sur le passage
de la mer Rouge, où étaient rappelés successivement tous les bienfaits
de Dieu envers les Juifs, ceux surtout qui se rapportaient au culte
divin et au temple. On y trouva une longue énumération des vêtements et
des ornements prescrits par Dieu sur le mont Sinaï ; il est aussi
question de Salomon et de la reine de Saba, etc. Le sabbat de ce jour
s'appelle Beschallah, et immédiatement après commence la fête dont je
parlais hier. (Cette fête dure plusieurs jours, trois, si je ne me
trompe, et elle a un nom qui ressemble à Ennoroum. J'ai vu beaucoup de
choses qui s'y rapportent, mais l'état où je me suis trouvée me les a
encore fait oublier.
C'est à la fois une fin et
un commencement ; on y rend des actions de grâces pour tout et pour
toutes les fêtes. On chante des cantiques où l'on remercie Dieu pour
beaucoup de grâces qu'il a faites aux Israélites depuis le commencement,
pour la sortie d'Egypte et le passage de la mer Rouge, pour la loi,
l'arche d'alliance le tabernacle, les vêtements sacerdotaux, pour le
temple, pour le sage roi Salomon, et on le prie de donner encore un roi
aussi sage. A cette fête, qui fut instituée par un prophète, avant
Salomon et la fondation du temple, se lient des réjouissances établies
par Salomon à l'occasion des présents que lui fit la reine de Saba
lorsqu'elle vint lui rendre hommage. Au moyen de ces présents, il avait
donné un divertissement aux prêtres et au peuple, et on en avait
consacré le souvenir par des espèces de vacances qui subsistent encore,
et pendant lesquelles on s'amuse et on se récrée. Comme on peut célébrer
cette fête partout, les Pharisiens et les employés du temple qui peuvent
profiter de la liberté qu'elle donne voyagent et font des visites afin
de prendre de nouvelles forces pour les grandes fêtes des Purim et de
Pâques qui viennent ensuite.
Note : La fête d'Ennoroum
est en effet une fin et un commencement : elle termine le cycle des
fêtes pour l'année ecclésiastique qui finit, et l'ouvre pour celle qui
commence.
On fait aussi beaucoup
d'aumônes à l'occasion de cette fête : on fait cuire de beaux Pains très
blancs qu'on distribue aux pauvres en mémoire de la manne dans le
désert. Cette fête est comme l'Amen des autres fêles, la fête du
commencement et de la fin. En terminant, après avoir rendu grâce pour
tous les bienfaits accordés au temple, on remercie aussi Dieu d'avoir
fait mourir un certain homme méchant et dissolu qui fit placer de force
à l'entrée du temple, à l'endroit où se tiennent les marchands, des
images de prostituées, les statues de ses maîtresses. Cet homme n'était
pas un Juif ; il vivait au temps du roi Sennachérib. Il mourut d'une
façon miraculeuse : comme il voulait aller au temple, je le vis tomber
mort à l'entrée de cet édifice : son ventre creva tout à coup. (Il
s'agit évidemment d'un homme du nom de Niscalenus dont la mort est
célébrée par une fête de réjouissance marquée pour le 22 Sebath dans les
calendriers juifs : Cette fête, à ce que dit la Soeur, venait après la
fête d'Ennoroum.)
En quittant la synagogue,
Jésus alla encore au temple avec quelques disciples ; il s'y trouvait
peu de monde. Les Lévites allaient de côté et d'autre, mettaient tout en
ordre pour le lendemain et versaient de l'huile dans les lampes. Jésus
alla les chercher dans des endroits réservés où il n'était pas d'usage
que d'autres qu'eux pénétrassent. Il alla jusque dans le parvis du
sanctuaire où se trouve la grande chaire. Il tint aux Lévites des
discours pleins de choses très profondes ; ils l'écoutèrent un certain
temps ; puis ils reprochèrent d'avoir osé venir à une heure indue dans
des endroits où il n'était pas permis d'entrer. Ils le traitèrent de vil
Galiléen, etc. Jésus leur parla en termes sévères des droits qu'il avait
dans la maison de son père, après quoi il se retira. Ils se moquèrent de
lui, et pourtant ils éprouvaient, en sa présence, une terreur secrète
Jésus resta cette nuit dans la ville.
Hier, à midi (c'était le
jeudi, 6 du mois de Sebath), je vis les disciples qui ramenaient le
corps de Jean dans une grotte voisine de Bethléhem. Ils y restèrent
jusqu'à la nuit : alors ils le portèrent dans la direction de Juta, et
je vis encore, à diverses reprises. Elisabeth apparaître près du
cortège. Aujourd'hui, avant l'aurore, je les vis porter le corps dans
une caverne peu éloignée du tombeau d'Abraham et voisine des cellules
des Esséniens, dont quelques-uns étaient présents et firent la garde
près du corps pendant la journée.
Vers le soir, à l'heure où
Notre Seigneur, lui aussi, fut embauma et mis au tombeau (c'était aussi
un vendredi), je vis les Esséniens porter le corps au caveau où reposent
Zacharie et plusieurs prophètes, et que Jésus a fait disposer récemment.
Ce caveau est entre la maison de Zacharie et le puits de Marie :
celui-ci se trouve entre la maison et la vigne de Zacharie. La vigne est
située sur un point plus élevé que la maison : elle est au sud-ouest a
une demi lieue.
Les hommes et les femmes de
la famille du précurseur étaient tous rassemblés dans le caveau, pleins
de tristesse : les disciples qui avaient apporté le corps s'y trouvaient
également, ainsi que les deux soldats qui étaient venus avec eux de
Machérunte et plusieurs couples d'Esséniens, parmi lesquels des gens
très âgés en longs vêtements blancs. Il y en avait là quelques-uns qui
avaient pourvu à la subsistance de Jean dans les premiers temps de son
séjour dans le désert. Les femmes, vêtues de blanc, avaient de longs
manteaux et elles étaient voilées ; les hommes portaient des habits de
deuil de couleur noire' et ils avaient autour du cou d'étroites bandes
d'étoffe qui s'effilaient en franges à une de leurs extrémités.
Plusieurs lampes brûlaient dans le caveau.
Le corps fut placé sur un
tapis, on défit les linges qui l'enveloppaient, et on l'embauma avec de
l'onguent, des aromates et de la myrrhe ; tout cela se fit avec beaucoup
de larmes. Lorsqu'il virent ce corps sans tête, ce fut un spectacle
déchirant : ils étaient inconsolables de ne pouvoir pas voir son visage,
et leurs désirs le cherchaient encore au loin. Chacun des assistants
déposa sur le corps un bouquet de myrrhe ou d'autres aromates, puis ses
disciples, l'ayant fortement enveloppé, le déposèrent dans le sépulcre
taillé pour lui dans le roc au-dessus de celui de son père, lequel avait
été nettoyé récemment, et où les ossements de Zacharie avaient été
enveloppés dans un nouveau linceul.
Il y eut alors une espèce
de service religieux célébré par les Esséniens, qui regardaient Jean
comme un des leurs ou plutôt encore comme un prophète qui leur avait été
promis. Ils se formèrent sur deux rangs, des deux côtés d'un autel
portatif, et l'un d'eux fit la cérémonie avec deux assistants. Tons
déposèrent des petits pains sur l'autel au centre duquel était la figure
d'un agneau pascal : ils jetèrent sur cet agneau des herbes et des
petites branches de toute espèce. L'autel était recouvert d'un drap
rouge et blanc. Je ne me souviens plus bien comment il se fit que la
figure de l'agneau parut d'abord rouge et ensuite blanche, peut-être y
avait-il au-dessous des lampes, dont la lueur passait successivement à
travers la couverture rouge et à travers la blanche. Le prêtre lut des
passages des Écritures, encensa, bénit et aspergea avec de l'eau. Tous
chantaient une espèce de choeur : les disciples de Jean et ses parents
étaient aussi ranges alentour et chantaient avec les autres. Le plus
vieux fit un discours sur l'accomplissement des prophéties, dit des
choses vraiment surprenantes sur le rôle de Jean et d'autres encore qui
avaient trait au Messie. Je me souviens qu'il parla de la mort des
prophètes et de celle du grand-prêtre Zacharie, tué entre le temple et
l'autel. Il dit que Zacharie, le père de Jean, avait aussi été mis à
mort entre le temple et l'autel, en prenant la chose dans un sens plus
relevé : mais que Jean était le véritable martyr égorgé entre le temple
et l'autel. Il faisait par là allusion à la vie et à la mort du Christ.
Je ne puis plus rapporter tout cela bien exactement, mais c'était à peu
près le sens de son discours.
La cérémonie de l'agneau se
rattachait à une vision prophétique que Jean, dans le désert, avait
communiquée à un Essénien, et qui avait pour objet l'agneau pascal,
l'agneau de Dieu, Jésus, la sainte Cène, la Passion et le sacrifice
sanglant. Je ne crois pas qu'ils eussent la parfaite intelligence de
tout cela, ils le faisaient dans un sens symbolique et figuratif, sous
l'influence d'un esprit prophétique qui se manifestait parmi eux dans
bien des occasions.
Après la cérémonie le
vieillard leur distribua les petits pains qui avaient été déposés sur
l'autel, et leur donna une petite branche qui avait repose sur l'agneau.
Les assistants de la famille de Jean reçurent aussi un rameau, mais non
de ceux de l'agneau. Les Esséniens mangèrent les pains. Après cela, tous
se retirèrent pour aller célébrer le sabbat et le sépulcre fut fermé.
Il y avait chez certains
Esséniens, plus avancés que les autres dans les voies de la sainteté, de
grandes connaissances et des vues prophétiques touchant le Messie futur,
comme aussi sur la signification spirituelle des observances religieuses
des Juifs et sur leurs rapports avec le Messie. Quatre générations avant
la naissance de la sainte Vierge, ils cessèrent d'offrir des sacrifices
sanglants parce qu'ils connurent que l'agneau de Dieu était proche. Leur
chasteté et leur continence étaient aussi un culte qu'ils rendaient au
Sauveur futur. Ils voyaient dans l'humanité, son temple dans lequel il
allait venir bientôt, et ils voulaient tout faire pour maintenir ce
temple pur et sans tache ils savaient que souvent déjà l'avènement du
salut avait été retardé par les vices des hommes et par leur penchant à
l'impureté, et ils voulaient, par leur austérité et leur chasteté.
satisfaire Pour les péchés des autres.
Tout cela avait été établi
dans leur ordre d'une façon mystérieuse, par l'intermédiaire de divers
prophètes ; toutefois, du temps de Jésus, les Esséniens, pris en masse,
ne s'en rendaient pas compte bien clairement. Ils étaient en ce qui
touche les moeurs et le culte divin, des précurseurs de l'Eglise future.
C'était surtout chez eux, qu'à une époque antérieure, les ancêtres de
Marie et d'autres races de saints avaient trouvé des guides et des
directeurs spirituels : le soin qu'ils avaient pris de Jean, dans sa
jeunesse, avait été leur dernière oeuvre considérable.
Tous ceux d'entre eux qui
avaient des lumières Particulières, à l'époque de Jésus, se joignirent à
ses disciples ou plus tard à la communauté chrétienne : ils y servirent
de modèles à certains égards. par l'Esprit de renoncement et de
régularité auquel une longue habitude les avait formés, et ils y
apportèrent les principes sur lesquelles devait être basée la vie des
premiers ermites et des premiers cénobites chrétiens. Toutefois, un
grand nombre d'entre eux qui n'appartenaient pas aux fruits de l'arbre,
mais à son bois mort, restèrent cantonnés dans leurs observances, et,
s'y pétrifiant en quelque sorte, ils formèrent une secte où
s'introduisirent des rêveries païennes de toute espèce, et qui fut une
pépinière d'hérésies dès les premiers temps de l'Eglise.
Jésus n'eut jamais ni
relations intimes avec leur ordre, ni ressemblance avec eux dans la
manière de vivre. Les rapports qu'il eut avec des individus appartenant
à leur communauté ne furent pas plus étroits que ceux qu'il entretint
avec beaucoup d'autres personnes pieuses et bien disposées en sa faveur.
Il connaissait surtout plusieurs Esséniens mariés qui avaient été les
amis de sa famille terrestre.
Comme les Esséniens ne le
contredisaient pas, il n'avait jamais à lutter contre eux et il n'en est
pas fait mention dans l'Evangile parce qu'il n'avait rien d'autre à leur
reprocher qu'à tous les hommes en général. On n'y a pas dit non plus
qu'il y avait beaucoup à louer chez eux, parce que dans ce cas les
Pharisiens n'auraient pas manqué de dire que Jésus était de cette secte,
etc.
(25 janvier.) Samedi
dans la matinée Jésus et les autres guérirent une grande quantité de
malades dans les dépendances du cénacle, lequel s'élève sur la montagne
de Sion, au centre d'une grande cour. Joseph d'Arimathie le tient à
loyer: il a là son atelier de sculpture. Les saintes femmes de Jérusalem
étaient toutes présentes : elles avaient apporté des dons de toute
espèce et exerçaient tous les offices de charité possibles envers les
malades. C'était particulièrement à cause des malades assembles là que
Joseph d'Arimathie était allé a Hébron inviter Jésus à se rendre à
Jérusalem. La plupart étaient de braves gens pleins de foi, connus des
saintes femmes et des amis de Jésus ils avaient été amenés pendant la
nuit dans la cour du cénacle et Jésus les guérit depuis le matin jusqu'à
midi sans que rien vint le déranger. Il se trouvait là des malades de
toute espèce, hommes, femmes et enfants : des boiteux, des aveugles, des
paralytiques, des hydropiques, des gens dont les mains étaient
desséchées ou estropiées, d'autres qui étaient couverts d'ulcères.
Plusieurs étaient des hommes blessés par la chute de l'aqueduc, et qui
avaient la tête meurtrie ou quelque membre endommagés.
A Jérusalem, on s'occupe
activement de déblayer la vallée où tant de décombres se sont amoncelés.
Les murs qui retenaient l'eau se sont écroulés et on a fait descendre
des ouvriers dans le ravin pour creuser et remettre les choses en état.
Ils y jettent des arbres entiers avec de grosses pierres par derrière
pour servir de digues. Dans d'autres endroits où il doit y avoir un
écoulement, le canal est encombré et les eaux débordent de tous les
côtés. On a travaillé jusqu'au jour du sabbat.
Dans l'après-midi Jésus et
les disciples prirent un petit repas dans le cénacle : on distribua
aussi aux malades des aliments que Jésus bénit.
Après la réfection Jésus
alla au temple avec les disciples ; il monta dans la chaire publique où
étaient les livres de la loi et il demanda les saintes Ecritures, disant
qu'il voulait enseigner. On ne fit pas de difficultés à les lui donner :
il fit la lecture du sabbat et y ajouta des explications. L'instruction
roula sur le passage de la mer Rouge et sur Débora : on chanta aussi
quelques cantiques ayant trait à la fête. Il y a écrit dessus : " à
chanter de grand matin ou la veille au soir ".
Note : Cette indication,
mise en tête de certains psaumes, excite au plus haut degré la surprise
du Pèlerin : il l'a soulignée en rouge dans son journal après l'avoir
recueillie de la bouche de la narratrice, et l'a accompagnée d'un point
d'interrogation très accentué. De même quelques pages plus haut, la fête
appelée Ennoroum le surprend tellement qu'il n'en écrit pas le nom sans
le faire suivre chaque fois de points d'interrogation. On pourrait ainsi
mentionner une foule de cas où les communications de la voyante le
plongeaient dans l'étonnement, ce qui pourtant ne l'empêchait pas de
rapporter avec une fidélité scrupuleuse ce qu'il recueillait de sa
bouche et de le donner absolument comme il le recevait. Cela prouve
d'une manière frappante combien tout le théâtre des visions était peu
connu du Pèlerin, et combien peu il eut été en état d'ajouter quelque
chose de son propre fonds, ou d'exercer une influence décisive sur la
voyante ou sur ses visions.
Jésus enseigna d'une façon
qui étonna tout le monde. Personne n'osa le contredire: cependant à la
fin du sabbat quelques Pharisiens s'approchèrent et lui demandèrent où
il avait étudié, qui lui avait donné le droit d'enseigner et pourquoi il
prenait cette liberté. Jésus leur répondit en termes si forts et si
sévères qu'ils ne trouvèrent rien à répliquer : alors il quitta le
temple et se rendit à Béthanie avec les disciples et ses amis.
Son séjour à Jérusalem fut
peu remarque cette fois parce que ses principaux ennemis étaient
absents. Ce ne fut que lorsqu'il termina l'instruction du sabbat que la
multitude apprit qui il était et qu'on se mit à parler çà et là du
Galiléen. En ce moment il n'était question à Jérusalem que de
l'écroulement de l'aqueduc, de l'inimitié d'Hérode et de Pilate et du
départ de celui-ci pour Rome : on ne parlait guère d'autre chose, Pas
même de la mort de Jean. De même on ne s'occupait pas beaucoup de Jésus
quand il n'y avait pas quelque incident qui fît du bruit. Les choses se
passaient là comme dans d'autres villes. Quelques-uns disaient : " il
parait que Jésus le Galiléen est ici en ce moment " : à quoi d'autres
répondirent que s'il n'avait pas avec lui des milliers d'hommes, il ne
pourrait rien faire à Jérusalem.
Avant le départ de Pilate, j'entendis un entretien qu'il eut avec ses
fonctionnaires ; on parla de Jésus le Galiléen qui opérait de si grands
prodiges ; il devait être, disait-on, dans le voisinage de Jérusalem. "
Traîne-t-il beaucoup de monde à sa suite et sont ce des gens armés "?
demanda Pilate. " Non, " lui répondit-on, " il n'est accompagné que d'un
petit nombre d'écoliers paisibles et de gens sans emploi et de petite
condition : souvent aussi il va tout seul, il prêche sur des montagnes
ou dans des synagogues ! Il guérit des malades et donne des aumônes. Il
vient souvent un peuple nombreux à ses prédications, cela va quelquefois
à plusieurs milliers d'hommes! — "Ne prêche-t-il pas contre l'empereur"?
demanda encore Pilate. "Non", répondirent-ils, "il prêche la réforme des
moeurs et la miséricorde. Il dit aussi qu'on doit donner à l'empereur ce
qui est à lui et à Dieu ce qui est à lui, mais il paraît qu'il parle
souvent de son royaume et annonce qu'il est proche ". Là-dessus Pilate
répondit : " Tant qu'il ne parcourt pas le pays pour faire ses miracles
avec des gens de guerre ou une nombreuse multitude armée, il n'y a pas à
s'inquiéter de lui. Quand il aura quitte l'endroit où il aura fait des
prodiges pour aller dans un autre, on l'oubliera et on en dira du mal :
j'entends dire que les prêtres juifs eux-mêmes déblatèrent contre lui.
Il n'est pas dangereux. Mais s'il courait le pays avec un grand nombre
de gens armes, il faudrait y mettre ordre ".
Hérode se préoccupa
davantage de Jésus, il témoigna le désir de le voir et demanda si ce
n'était pas Jean Baptiste ressuscité d'entre les morts. (Matth. XIV,
1-2., Marc, VI, I4., Luc, IX, 7.) Mais ce ne fut, a ce que je crois, que
lorsque Jésus se montra de nouveau en Galilée.
Je vis ce soir, après leur
retour à Béthanie, Jésus, ses disciples et ses amis assister à un repas
dans la maison de Simon. Simon n'y était pas présent, la lèpre
commençait à l'envahir, il était couvert de taches rouges et se tenait
renferme dans un appartement retiré, enveloppé d'un manteau blanc. Jésus
s'entretint avec lui. Simon avait l'air de ne pas vouloir encore faire
connaître sa maladie, mais il ne pourra pas la cacher bien longtemps. Il
ne se montrait qu'avec réserve. Je vis ensuite Jésus dans la maison de
Lazare où il s'entretint avec les saintes femmes et prit congé d'elles.
Les disciples ne revinrent
de Juta qu'à une heure avancée de la nuit : ils étaient partis après la
clôture du sabbat. Ils racontèrent à Jésus comment ils avaient enlevé de
Machérunte le corps de Jean et comment ils l'avaient enterré près de son
père. Les deux soldats de Machérunte étaient avec eux et Jésus leur
parla. Lazare les tint cachés chez lui et voulut se charger d'eux.
Jésus dit à ses disciples :
"Nous allons nous retirer dans un lieu solitaire pour prendre un peu de
repos et pleurer, non sur la mort de Jean, mais sur ce qu'il a fallu que
les choses en vinssent là. "Je me demandai alors comment il allait se
reposer : car j'avais vu que les apôtres et les autres disciples étaient
arrivés aujourd'hui chez Marie, à Capharnaum, qu'il était venu une foule
de peuple innombrable de tous les endroits où ils étaient allés, ainsi
que de contrées plus éloignées, de la Syrie et de Basan, et que près de
Chorozaim, la montagne des Béatitudes était couverte de gens qui y
campaient attendant Jésus.
(26 janvier.)
Aujourd'hui Jésus quitta Béthanie de très bonne heure avec les six
apôtres et plusieurs disciples : ils étaient plus d'une vingtaine. Ils
marchèrent sans faire de séjour nulle part, se reposant rarement et
évitant tous les lieux habités : ils firent ainsi environ onze lieues
jusqu'à Lebona, située au pied du mont Garizim du côté du midi. Saint
Joseph a travaillé là en qualité de charpentier avant ses fiançailles
avec Marie et il avait conservé des relations l'amitié dans cet endroit.
Je vis Jésus avec sa
nombreuse suite arriver assez tard au lieu où saint Joseph avait eu son
atelier. Il y avait d'un des côtés de la ville, sur un contrefort de la
montagne, un château isolé où l'on allait de Lebona par un chemin
montant qui passait entre des maisons et de vieilles murailles.
L'atelier de Joseph était sur ce chemin. Ce fut dans cet endroit
solitaire, que Jésus entra avec tous ses disciples chez des gens de bien
qui ne l'attendaient pas, mais qui, malgré l'heure avancée,
l'accueillirent avec une grande joie et un grand respect : je crois que
c'était une famille de Lévites. La synagogue était un peu plus haut :
l'hôte de Jésus était un Lévite.
(Lundi 27 janvier.)
Jésus et les disciples quittèrent Lebona de grand matin : ils marchèrent
tout le jour à grands pas, traversant la Samarie et se dirigeant au
nord-ouest vers le Jourdain. Ils passèrent par Aser-Michmethath et
s'arrêtèrent quelque temps dans Leur hôtellerie à Aser ; cette ville est
à une lieue du Jourdain et à deux lieues de Thirza. Le soir, ils
allèrent jusqu'à Thirza, ville située dans une charmante contrée, à une
demi lieue du Jourdain et à deux lieues d'Abelmehola.
(28 janvier.) La
fête qui avait commencé à Jérusalem se célébrait partout sur le chemin :
hier, à Bezech on se livrait à toute espèce de réjouissances : il en
était de même aujourd'hui à Thirza lorsque Jésus entra dans une
hôtellerie, située devant la ville. Il y avait des jeux publics et des
arcs de triomphe très ornés. Les gens de l'endroit jouaient en plein air
et sautaient à l'envi par-dessus des guirlandes de feuillage, comme font
les enfants chez nous. Ils avaient près d'eux de grands tas de blé et de
fruits et en faisaient des distributions aux pauvres. Thirza est divisée
en deux parties : elle est située sur un plateau élevé où le sol est
très accidenté. Depuis la destruction de cette ville, qui a eu lieu à
une époque antérieure, les habitations y sont très disséminées, si bien
qu'un quartier qui en dépend s'étend jusqu'au Jourdain sur une longueur
d'une demi lieue. Le site est extraordinairement agréable. Les environs
sont couverts de ; verdure, et il y a tant d'arbres et de vergers qu'on
ne peut voir la ville que lorsqu'on est arrivé à l'entrée. Thirza est
tellement coupée de jardins et d'emplacements vides que le quartier le
plus éloigné du Jourdain ressemble bien moins à une ville qu'à des
groupes de maisons séparées, dispersées entre des jardins et des restes
de murs La partie qui s'étend vers le Jourdain est la mieux conservée et
elle forme une agglomération qui est bien aussi considérable que Dulmen.
Elle est bâtie à une telle hauteur au-dessus d'une vallée qu'elle repose
sur des piliers et qu'une grande route passe au dessus comme au-dessous
d'un pont. Ce chemin est charmant ; la vallée, toute plantée d'arbres
touffus, offre sous ses ombrages des abris pleins de fraîcheur par delà
lesquels l'oeil se perd dans un horizon lointain.
Thirza est située sur une
plate-forme de peu de largeur : on y a une vue extraordinairement belle
sur les montagnes qui sont au delà du Jourdain. On voit vis-à-vis de soi
la ville de Jogbeha, cachée dans les bois et située un peu plus au nord
: " droite le regard plonge dans la Pérée et on peut voir par-dessus la
mer Morte une vaste étendue de pays jusqu'à Machérunte. On a plusieurs
points de vue sur le Jourdain : on voit ça et là, aux endroits où il
change de direction, ses eaux briller au milieu de la verdure de ses
rives comme de longs rubans argentés. Au couchant s'élèvent de hautes
montagnes qui séparent Thirza de Dothan. Abelmehola est à deux lieues au
nord-ouest, dans une gorge située au midi de celle où Joseph fut vendu
par ses frères. Tout autour de Thirza on voit une quantité de jardins
verdoyants et de vergers pleins d'arbres fruitiers, de baumiers étalés
en espaliers le long des terrasses, et aussi de ces arbres ou croissent
les pommes de paradis (Esroghim) qui figurent à la fête des Tabernacles.
Il faut à ces arbres des terrains excellents et exposés au soleil : ils
viennent bien ici. On cultive en outre la canne à sucre, une espèce de
lin à longs filaments jaunes qui ressemblent à de la soie, le cotonnier
et une sorte de céréale à tiges très épaisses où il y a de la moelle. La
culture de ces vergers est l'occupation principale des habitants de ce
pays : plusieurs aussi livrent au commerce du lin, de la laine et des
cannes à sucre, après leur avoir lait subir une première préparation
grossière. La route qui passe sous la ville est la route militaire et
commerciale qui conduit dans la vallée du Jourdain à Tarichée et à
Tibériade : elle s'enfonce souvent entre des collines comme un chemin
creux et il en est de même ici où la ville est bâtie au-dessus d'elle
sur des piliers.
Au centre de la ville,
c'est-à-dire dans son ancienne enceinte, se trouve, à une assez grande
hauteur, une immense place vide au milieu de laquelle s'élève un
bâtiment d'une étendue considérable avec des murs épais, plusieurs cours
et des espèces de tours rondes, dans l'intérieur desquelles il y a aussi
des cours. C'est l'ancien palais en ruines des rois d'Israël : une
partie couvre le sol de ses décombres, l'autre est disposée de manière à
servir d'hôpital et de prison. Certaines portions de l'édifice ne sont
plus que des ruines recouvertes de végétation et au milieu desquelles on
a même établi des jardins. Sur la place qui est devant ce bâtiment il y
a un puits : l'eau monte dans des outres de cuir à l'aide d'une roue
qu'un âne fait tourner, et elle se déverse dans un grand bassin d'où
elle coule de tous les côtes par des rigoles dans des réservoirs placés
à une grande distance, en sorte que chaque quartier de la ville a le
sien.
Jésus et sa suite
rencontrèrent près de ce puits cinq disciples d'au delà du Jourdain :
c'étaient les deux jeunes gens guéris d'une possession incomplète, ces
deux autres hommes desquels Jésus avait chassé les démons qui étaient
entrés dans les pourceaux, et encore un cinquième. Conformément aux
ordres de Jésus, ils avaient parcouru les pays des Géraséniens et la
Décapole, racontant leur guérison et le prodige des pourceaux,
guérissant eux-mêmes des malades et annonçant l'avènement du royaume de
Dieu. Ils embrassèrent les disciples et se lavèrent les pieds les uns
aux autres près du puits. Jésus venait d'une maison située en avant de
la ville où il avait passé la nuit avec les autres disciples. Les
nouveaux arrivés apportèrent la nouvelle que tous les disciples qu'il
avait envoyés dans la haute Galilée étaient de retour à Capharnaüm : ils
dirent aussi qu'une grande foule de peuple était campée dans les
environs et l'attendait.
Jésus entra avec ses
disciples dans le palais pour parler au directeur de l'hôpital et il
témoigna le désir d'être introduit auprès des malades. Le directeur
l'introduisit, et Jésus parcourut les salles et les cours, entrant dans
les cellules et les réduits où se trouvaient des malades de toute espèce
; il enseigna, consola et guérit. Quelques-uns des disciples se tenaient
près de lui : d'autres aidaient à lever, à porter et à conduire les
malades, d'autres enfin étaient dans d'autres pièces, guérissaient
eux-mêmes et préparaient les malades. Il y avait dans une cour plusieurs
possédés enchaînés : ils crièrent et firent du bruit quand Jésus entra
dans la maison et il leur commanda de se tenir tranquilles.
Plus tard il alla à eux,
les guérit et chassa les démons. Il y avait aussi des lépreux dans une
partie du bâtiment tout à fait séparée du reste et il les guérit, mais
il alla seul les visiter. Les gens qui étaient de Thirza même furent
recueillis par leurs familles. Jésus leur fit donner à boire et à
manger, et il fit aussi distribuer aux pauvres des vêtements et des
couvertures qui avaient été apportés de Bezech, par les disciples,
d'abord à l'endroit où Jésus avait passé la nuit devant Thirza, de là
enfin à l'hôpital.
Jésus alla aussi à la tour
des femmes. C'est un édifice circulaire très élevé avec une cour au
centre. De cette cour, comme aussi de l'extérieur de l'édifice, on monte
aux étages supérieurs à l'aide de marches encastrées dans le mur et
faisant saillie au dehors. Dans l'intérieur du bâtiment il y a de petits
escaliers semblables aux nôtres. Les chambres qui donnaient sur
l'extérieur étaient occupées par des femmes affligées de maladies de
toute espèce. Jésus en guérit beaucoup. Dans les chambres qui donnaient
sur la cour intérieure, laquelle est fermée par une porte, se trouvaient
les détenues : les unes étaient en prison pour cause de désordres
scandaleux, les autres pour avoir parlé avec trop de liberté : d'autres
n'étaient coupables d'aucun délit. Ce bâtiment renfermait aussi beaucoup
de malheureux hommes condamnés à un emprisonnement plus ou moins
rigoureux, les uns pour dettes, les autres comme prévenus d'avoir pris
part à des mouvements séditieux : il y en avait aussi plusieurs qui
étaient victimes d'inimitiés ou de vengeances particulières, ou qu'on
avait mis là pour s'en débarrasser. Plusieurs étaient tout à fait
oubliés et dépérissaient dans leurs cachots. Les malades guéris et
d'autres personnes adressèrent à ce sujet de vives plaintes à Jésus. Il
savait bien ce qui en était, et s'il était venu là, c'était
principalement à cause de toutes les misères qui s'y trouvaient réunies.
Il y a dans cette ville
beaucoup de Pharisiens et de Sadducéens, et parmi ces derniers plusieurs
sont Hérodiens. Quant à la prison, elle est gardée par des soldats
romains et elle a un préposé romain. Devant les diverses prisons se
trouvent des habitations de surveillants et de soldats. Jésus s'adressa
à eux et ils le laissèrent voir ceux des prisonniers avec lesquels il
était permis de communiquer : Jésus écouta les plaintes de tous sur ce
qu'ils avaient à souffrir. leur fit donner des rafraîchissements, les
enseigna, les consola, et comme plusieurs lui firent l'aveu de leurs
péchés, il les leur remit. Il promit aux prisonniers pour dettes et à
beaucoup d'autres qu'ils seraient délivrés ; aux autres que leur sort
serait adouci.
Jésus alla ensuite voir le
commandant romain qui n'était pas un méchant homme : il lui parla des
prisonniers d'une façon très grave et très touchante, s'engagea à payer
leurs dettes et à donner caution pour quelques-uns dont il affirma
l'innocence ou garantissait l'amendement. Il demanda en outre à parler à
un certain nombre d'entre eux qui étaient condamnés à une détention
longue et rigoureuse. Le préposé écouta Jésus avec beaucoup de
déférence, mais il lui représenta que tous ces prisonniers étaient des
Juifs et que leur détention tenait à des circonstances à raison
desquelles il ne pouvait accepter ses offres, et l'autoriser à voir ces
gens avant de s'être entendu avec les magistrats juifs et les Pharisiens
de la ville. Jésus lui dit qu'il viendrait le voir avec les magistrats
lorsqu'il aurait enseigné à la synagogue. Il alla ensuite visiter les
femmes prisonnières, qu'il consola et qu'il exhorta, reçut aussi les
aveux et les protestations de repentir de plusieurs d'entre elles,
auxquelles il remit leurs péchés ; puis enfin leur fit distribuer des
présents et leur promit de les réconcilier avec leurs familles.
Jésus avait travaillé
depuis neuf heures du matin jusqu'à quatre heures de l'après-midi dans
cette maison pleine de douleurs et de misères ; il l'avait rempli de
joie et de consolation dans un jour où elle seule était condamnée à la
tristesse pendant que tout le reste de la ville était dans la jubilation
: car c'était le premier des jours de réjouissance que Salomon avait
ajoutés à la fête d'Ennoroum à l'occasion des présents de la reine de
Saba, et hier soir déjà, Jésus avait vu célébrer à Bezech le sabbat de
ce premier jour. Ici aussi, les réjouissances étaient générales dans le
quartier le plus habité de Thirza : il y avait également des
arcs-de-triomphe ; des luttes à qui sauterait le mieux et courrait le
plus vite, et des monceaux de blé dont on faisait des distributions. Au
contraire, un même silence régnait dans la demeure des malades et des
prisonniers : Jésus seul pensa à eux et leur apporta la joie véritable.
Il mangea avec les disciples dans la maison située devant la ville un
peu de pain, de fruits et de miel : il en envoya quelques-uns à la
prison avec des provisions et des rafraîchissements de toute espèce
pendant qu'il se rendait à la synagogue avec les autres.
Le bruit de ce qu'il avait
fait à l'hospice s'était déjà répandu dans toute la ville. Beaucoup de
malades guéris par lui y étaient revenus et allèrent à la synagogue,
d'autres étaient rassemblés devant cet édifice et Jésus ainsi que les
apôtres en guérirent encore là un grand nombre. Il se trouvait dans la
synagogue des Pharisiens et des Sadducéens et parmi eux plusieurs qui
étaient en secret Hérodiens. Il y en avait quelques-uns qui étaient
venus de Jérusalem pour se récréer et tous étaient pleins de fiel et de
ressentiment contre lui, parce que sa manière d'agir était pour eux un
sanglant reproche. L'école était pleine de monde : il était même venu à
sa suite des gens de Bezech. Jésus parla de la fête et de son but, qui
était de se récréer soi-même et de réjouir les autres en leur faisant du
bien. Il enseigna aussi sur celle des huit béatitudes où il est dit : "
Bienheureux les miséricordieux ", et raconta la parabole de l'enfant
prodigue qu'il avait déjà racontée aux prisonniers : il parla aussi de
ceux- ci et des malades, dit combien ils étaient négligés et oubliés et
comment d'autres s'enrichissaient de ce qui était destiné à leur
entretien. Il parla en termes sévères des administrateurs de ces
établissements, dont quelques-uns se trouvaient parmi les Pharisiens
présents, et l'écoutèrent avec une colère muette. Il appliqua la
parabole de l'enfant prodigue à ceux qui étaient en prison pour leurs
méfaits et qui s'en repentaient, afin de leur concilier ceux de leurs
proches qui se trouvaient présents : tout le monde fut très ému. Il
raconta aussi la parabole du roi miséricordieux et du serviteur sans
pitié et l'appliqua à ceux qui laissaient languir les pauvres gens en
prison pour de petites dettes, tandis que Dieu jusqu'à présent leur en
avait remis à eux-mêmes de si considérables.
Il y avait là beaucoup
d'Hérodiens cachés qui avaient contribué par des chicanes de toute
espèce à faire mettre ces pauvres gens en prison. Jésus les désigna
indirectement dans le discours qu'il fit le soir contre les Pharisiens
et où il s'exprima en ces termes : " il y en a plusieurs parmi vous qui
savent peut-être ce qu'on a fait de Jean ". Les Pharisiens se
déchaînèrent encore contre Jésus et dirent entre autres choses qu'il
faisait la guerre avec l'aide des femmes et parcourait le pays avec
elles, mais qu'il ne conquerrait pas de grand royaume avec une pareille
armée
Cependant Jésus exigea des
magistrats qu'ils allassent avec lui trouver le fonctionnaire romain
chargé de la surveillance des prisonniers et il demanda à payer les
dettes de ceux qui étaient tout à fait abandonnés. Tout cela fut dit
publiquement devant une nombreuse assistance et les Pharisiens ne purent
pas s'y opposer. Lorsque Jésus avec ses disciples alla trouver les
surveillants romains, il fut suivi par beaucoup de personnes qui le
vantaient hautement. L'inspecteur se montra beaucoup mieux disposé que
les Pharisiens qui, par malice, exagérèrent beaucoup le montant des
dettes : Jésus fut obligé de payer pour plusieurs le quadruple de ce
qu'ils devaient. Comme il n'avait pas avec lui la somme nécessaire, il
remit en gage une pièce de monnaie triangulaire à laquelle était
suspendu un morceau de parchemin sur lequel il écrivit quelques mots,
s'engageant à paver le tout à l'aide de ce que devait rapporter la vente
du bien de Magdalum dont Lazare avait l'intention de se défaire. Tout ce
qui devait en revenir était destiné par Madeleine et par Lazare à
secourir des pauvres, des prisonniers pour dettes. et des pécheurs. Or,
Magdalum était un bien plus considérable que Béthanie. Les côtés de la
pièce de monnaie triangulaire avaient bien trois pouces de longueur :
une inscription gravée au milieu en indiquait la valeur. Elle était
suspendue par une de ses extrémités à une espèce de chaîne de métal qui
n'avait qu'un petit nombre d'anneaux et à laquelle l'écrit était
attaché.
Quand ceci fut fait, le
surveillant fit élargir les pauvres prisonniers, auxquels Jésus et ses
disciples donnèrent charitablement leurs soins. Plusieurs furent retirés
de sombres cachots : leurs vêtements étaient en lambeaux ; ils étaient à
moitié nus et couverts de leurs longs cheveux. Les Pharisiens se
retirèrent pleins de rage. Plusieurs de ces gens étaient affaiblis et
malades ; ils se jetèrent en pleurant aux pieds de Jésus, qui les
consola et leur fit des exhortations. Il leur donna des vêtements, leur
fit prendre un bain et de la nourriture, et s'occupa de leur procurer,
dans l'enceinte de l'édifice où étaient la prison et l'hospice, des
logements où ils devaient être libres, quoique soumis à une certaine
surveillance, jusqu'à ce que le payement fût soldé, ce qui ne devait pas
tarder au delà de quelques jours. Il en fut de même pour les femmes
détenues. Tous prirent de la nourriture : Jésus et les disciples les
servirent et racontèrent de nouveau la parabole de l'enfant prodige.
C'est ainsi qu'il y eut un
jour de joie pour cette maison ; tout ce qui se passa en cette occasion
sembla être une figure prophétique de la délivrance des patriarches
retenus dans les limbes, ou Jean, après sa mort, annonça l'approche du
Rédempteur. Jésus et les disciples passèrent encore la nuit dans la
maison qui est devant Thirza.
Ce qui s'était passé à
Thirza fut rapporté à Hérode, et ce fut là ce qui attira son attention
sur Jésus, si bien qu'il dit de lui : " C'est Jean ressuscité d'entre
les morts ", et que plus tard il témoigna le désir de le voir. Hérode,
il est vrai, avait su quelque chose de Jésus soit par Jean, soit par le
bruit public ; toutefois, il ne s'en était pas beaucoup préoccupé ; mais
à présent, que sa conscience le tourmentait, il faisait attention à
tout. Il réside à Hésebon, et il a réuni autour de lui tous ses soldats
; il a aussi des soldats romains qu'il paie. Ceux qui tenaient garnison
à Giscala, à Tibériade et ailleurs, sont tous campés autour de sa
résidence. Je m'imagine qu'il sera bientôt en guerre avec Arétas, le
père de sa première femme.
(29 janvier.) Ce
matin, Jésus, accompagné de ses disciples, se mit de très bonne heure en
route pour Capharnaum ; il y a dix-huit lieues de chemin. Ils ne
remontèrent pas la vallée du Jourdain, mais passèrent plus à l'ouest au
pied des montagnes de Gelboë et traversèrent la vallée à l'endroit où se
trouve Abez. Ils marchèrent ainsi, évitant toutes les villes et laissant
le Thabor à gauche, jusqu'à une des hôtelleries qui sont près du lac de
Béthulie. Ils avaient fait à peu près autant de chemin qu'il y en a de
Billerbeck à Bockholt. Quelques-uns des Pharisiens de Thirza partirent
aussi pour Capharnaum où beaucoup sont déjà arrivés pour y prendre leurs
vacances. Pendant ce voyage, il y eut un peu de brouillard dans la
montagne.
Hier, Jeanne Chusa,
Séraphia (Véronique), et une parente de Jean-Baptiste sont arrivées à
Machérunte, venant d'Hébron. Jeanne Chusa a là beaucoup de connaissances
parmi les femmes des employés. Elles ont fait des tentatives pour
obtenir, par de bonnes paroles et des présents, la tête de Jean ; car il
leur est douloureux de penser que cette sainte tête gît ignominieusement
dans un cloaque immonde au lieu d'être réunie à son corps. On a su où
elle était par ce qu'ont rapporté les servantes d'Hérodiade, mais on ne
peut pas y parvenir, car c'est un cloaque souterrain On leur a pourtant
assuré, sous main, qu'elles pourraient l'avoir quand le cloaque serait
ouvert et vidé ; ce qui doit se faire aussitôt que la chose sera
possible, sans exciter l'attention. J'ai vu la tête : elle n'est pas
enfouie sous les immondices, mais elle s'est arrêtée sur une pierre qui
fait saillie hors du mur, comme si on l'y avait déposée à dessein.
CHAPITRE NEUVIÈME
Prédication et miracles de Jésus à Capharnaüm et dans les environs.
- Jésus rencontre sur le chemin de
Capharnaüm, Marie et plusieurs autres de ses saints amis. - Projets des
Pharisiens, -guérisons à Capharnaüm. - Qui est ma mère, qui sont mes
frères ? - Guérison de l'homme à la main desséchée et du possédé sourd
muet. - Les apôtres et les disciples rendent compte de leur mission. -
Jésus donne aux douze apôtres la prééminence sur les soixante-douze
disciples. - Multiplication des pains en faveur des cinq mille
personnes. - Jésus marche sur la mer pour la deuxième fois. - il
enseigne sur le pain de vie. - Connaissance qu'avait Marie du mystère de
l'Incarnation. - Les deux royaumes.
(du 30 janvier au 8
février 1823).
(30 janvier.) Jésus fit
aujourd'hui environ quatre lieues dans la direction de Damna: il entra
dans l'hôtellerie qui est devant cette ville. Il y arriva vers midi. Il
trouva là sa mère et plusieurs des saintes femmes, réunies aux six
autres apôtres et au reste de ses disciples. La joie fut très grande et
tous s'embrassèrent tendrement, mais le deuil fut encore plus grand ;
ils pleurèrent amèrement en entendant raconter les circonstances de la
mort de Jean-Baptiste. Jésus avait avec lui les deux soldats de
Machérunte, qui avaient quitté les insignes de leur profession et deux
disciples de Jérusalem. Après le départ de Jésus, Lazare les avait
envoyés directement par la Samarie, et ils avaient rejoint le Sauveur à
Azanoth, où avait eu lieu la conversion de Madeleine.
Parmi les parents de
Jésus qui se trouvaient ici, étaient trois filles de sainte Anne, issues
de son second et de son troisième mariage. Toutes trois avaient épousé
des bergers, qui descendaient comme elles, de David, mais par une autre
femme. Elles habitaient dans la plaine de Séphoris. Une des filles de
sainte Anne, née de son second mariage, est plus âgée que Jésus ; elle a
de grands enfants, des jeunes gens sont avec elle. Les deux autres
filles de sainte Anne sont plus jeunes et issues du troisième mariage
Elles n'ont pas amené leurs enfants. Toutes mènent le même genre de vie
qu'Anne et Joachim. J'ai toujours dit qu'Anne devait se remarier parce
que sa bénédiction n'était pas épuisée, et qu'elle devait encore donner
naissance à ces trois bonnes mères de famille. Il y avait là un mystère
que je ne puis pas exprimer clairement. Il y avait encore ici plusieurs
fils des frères de saint Joseph, venus de Dabrath, de Nazareth et de la
vallée de Zabulon ; sans compter quelques autres personnes, comme la
veuve de Naïm, etc.
Toutes les personnes
présentes représentèrent l'affluence du peuple à Capharnaum comme
dépassant tout ce qu'on pouvait imaginer et racontèrent toutes les
menaces proférées par les Pharisiens et toutes les démarches faites par
eux contre Jésus et les disciples. A Capharnaum, il y avait en ce moment
jusqu'à soixante quatre Pharisiens venus de toutes les parties du pays à
l'occasion de leurs vacances. Déjà, pendant leur voyage, ils avaient
fait des enquêtes sur les guérisons qui avaient fait le plus de bruit,
mandé à Capharnaüm la veuve de Naïm avec son fils et des témoins, ainsi
que l'enfant d'Achias, le centurion de Giscala. Ils avaient interrogé
Zorobabel et son fils, le centurion Cornélius et son serviteur, Jaïre et
sa fille, plusieurs aveugles et plusieurs paralytiques, et tout ce qu'il
avait dans le pays de gens guéris par Jésus : ils avaient fait les
enquêtes les plus rigoureuses, les recherches les plus minutieuses,
entendu beaucoup de témoins, et ils étaient d'autant plus furieux
qu'avec toute leur mauvaise volonté ils n'avaient pu rien trouver que
des preuves attestant la réalité des miracles de Jésus. Leur ressource
était encore de dire qu'il était en rapport avec le démon. Ils
répétaient aussi qu'il courait le pays avec des femmes de mauvaise vie,
qu'il agitait le peuple, qu'il retirait les aumônes à la synagogue,
qu'il profanait le sabbat, et ils se faisaient fort, cette fois, de
mettre ordre à ses menées.
Intimidés par toutes
ces menaces, inquiets de l'immense affluence du peuple, rendus
d'ailleurs plus craintifs encore par le supplice de Jean, tous les
proches de Jésus l'avaient supplié à l'envi de ne pas se rendre à
Capharnaüm et d'établir sa résidence ailleurs : ils lui proposaient à
cet effet divers endroits, Naïm, Hébron, la contrée au delà du Jourdain,
etc. Mais Jésus leur dit de se tranquilliser, qu'il irait à Capharnaüm,
qu'il y enseignerait, qu'il y guérirait et que quand il serait en
présence de ces gens, ils garderaient le silence.
Comme les disciples
l'interrogeaient sur ce qu'ils auraient à faire dorénavant, il leur
répondit qu'il le leur dirait bientôt, et qu'il confierait aux douze
apôtres sur les disciples une prééminence semblable à celle que lui-même
avait sur eux, etc.
Lorsqu'ils eurent
pris un peu de nourriture et que le soir fut venu, ils se séparèrent.
Jésus avec Marie, les saintes femmes et les proches du Sauveur se
rendirent, par groupes séparés, en passant à l'est par le village de
Zorobabel, à la vallée de Capharnaüm et à la maison de Marie. Les
apôtres et les disciples prirent d'autres chemins. Pendant la nuit,
Jaïre vint visiter Jésus et lui raconta toutes les persécutions qui
avaient eu lieu : Jésus le rassura. Jaïre avait perdu son emploi et il
était maintenant tout à fait dévoué à Jésus
(31 janvier.) A Capharnaüm, on ne voit partout qu'étrangers,
malades et bien portants, Juifs et païens. Tous les vallons et les
coteaux environnants sont couverts de campements. Des chameaux et des
ânes paissent dans tous les champs en friche et dans tous les recoins de
montagne : même de l'autre côté du lac, les vallées et les hauteurs sont
parsemées d'hommes, et tous attendent Jésus. Il y a des gens de toutes
les parties de la Terre Sainte : il en est venu aussi de la Syrie, de
l'Arabie, de la Phénicie, même de l'île de Chypre.
Ce matin de bonne
heure, Jésus visita Zorobabel, Cornélius et Jaïre. Celui-ci a été
destitué : sa famille et lui sont complètement convertis. Sa fille est
beaucoup mieux portante qu'elle ne l'a jamais été : elle est très
modeste et très pieuse. Jésus se rendit ensuite à l'hospice de la ville
qui était tout rempli de malades. Il s'y trouvait même des païens, ce
qui n'avait pas lieu autrefois. La foule était si grande que les
disciples avaient placé en divers endroits des échafaudages où les uns
étaient au-dessus des autres. Ce n'était pas seulement Jésus que l'on
appelait de tous côtés, et autour duquel on se pressait : on appelait
aussi les apôtres et les disciples, et on les implorait en ces termes :
" N'êtes-vous pas disciples du Prophète ? Ayez pitié de moi !
secourez-moi ! conduisez-moi à lui "! Jésus, les apôtres et les
disciples, au nombre de vingt-quatre environ, enseignèrent et guérirent
pendant toute la matinée. Il y avait ici des possédés qui poursuivirent
Jésus de leurs cris, et d'où les démons furent chassés. Les Pharisiens
n'étaient pas présents, mais il se trouvait là un certain nombre
d'espions et de gens dont les dispositions étaient équivoques.
Jésus, après avoir
opéré un grand nombre de guérisons, se rendit dans la salle publique et
enseigna. Beaucoup de gens guéris par lui et d'autres personnes l'y
suivirent. Quelques-uns des disciples continuèrent à guérir, d'autres
l'accompagnèrent. Il prêcha encore sur les béatitudes et raconta
plusieurs paraboles. Il enseigna, entre autres choses, sur la prière,
disant qu'on ne doit jamais l'abandonner, et expliqua la parabole du
juge inique (Luc, XVIII, l, etc.) qui finit par faire droit aux requêtes
incessantes de la veuve, afin de se débarrasser d'elle. Si un juge
injuste se conduit ainsi, combien plus le Père céleste se montrera-t-il
miséricordieux !
Il enseigna aussi
comment on devait prier, répéta les unes après les autres les sept
demandes du Pater (Luc, XI, l-12), et se mit à
les expliquer en commençant par la première : " Notre Père qui êtes aux
cieux ". Il avait déjà précédemment, pendant ses voyages, donné quelques
explications là-dessus à ses disciples, mais maintenant il enseignait
publiquement sur ce sujet comme sur les huit béatitudes: il donnera
successivement des enseignements sur tout cela, les répétera en divers
lieux et les fera répandre par les disciples. Il continue en même temps
à traiter des huit béatitudes. Il enseigna encore sur la prière et dit
que, si un enfant demande du pain à son père, celui- ci ne lui donne pas
une pierre, non plus qu'un serpent, ou un scorpion, au lieu d'un
poisson.
Il était déjà trois
heures après midi : la sainte Vierge avec ses demi soeurs et d'autres
femmes, et les neveux de saint Joseph, venus de Dabrath, de Nazareth et
de la vallée de Zabulon, se trouvaient dans un bâtiment dépendant de
l'hospice où ils avaient préparé à manger pour Jésus et ses disciples.
Car ceux-ci, ayant eu un surcroît de travail extraordinaire, n'avaient
pas pris de repas en règle depuis plusieurs jours. Cette salle était
séparée de la grande salle où Jésus enseignait, par une cour où s'était
entassée une foule de gens qui écoutaient la prédication de Jésus a
travers la colonnade ouverte de la salle Cependant Jésus continuant
toujours à enseigner sans relâche. ses proches commencèrent à
s'inquiéter relativement à lui et à ses disciples : Marie, pour ne pas
entrer seule dans la foule, s'avança avec les gens de sa famille, et ils
demandèrent à parler à Jésus pour l'engager à prendre un peu de
nourriture. Ils ne purent s'ouvrir un passage à travers le peuple et
leur requête arriva de bouche en bouche jusqu'à un homme qui se trouvait
à proximité de Jésus et qui était un affidé des Pharisiens. Comme Jésus
venait de parler plusieurs fois de son Père céleste, cet homme lui dit,
non sans une certaine intention ironique : " Voici votre mère et vos
frères qui sont dehors et qui désirent vous parler "! Jésus le regarda
et dit : " Qui est ma mère et qui sont mes frères " ? Puis il réunit les
: douze apôtres en un groupe, plaça les disciples près de lui, étendit
le bras au-dessus d'eux et dit, en désignant les apôtres : " Voici ma
mère " ; et en indiquant les disciples : " Et voici mes frères qui
écoutent et observent. la Parole de Dieu, car quiconque fait la volonté
de mon Père qui est dans le ciel, celui-là est mon frère, ma soeur et ma
mère "! (Matth. XII ; Marc, III ; Luc, VIII) Jésus ne sortit pas alors
pour manger, et il continua à enseigner ; mais il envoya successivement
les disciples prendre quelque nourriture.
Je le vis après cela
aller à la synagogue avec les disciples. Plusieurs malades qui étaient
encore en état de marcher implorèrent son secours et il les guérit. Or,
comme le sabbat venait de s'ouvrir, un homme vint à sa rencontre dans le
vestibule de la synagogue, lui montra sa main qui était réduite à rien,
tordue et desséchée, et le pria de lui venir en aide : mais Jésus lui
dit d'attendre encore un peu. Il fut aussi interpellé par des gens
conduisant avec des cordes un possédé sourd qui se démenait
horriblement. Jésus lui ordonna de se tenir tranquille et de l'attendre
à l'entrée de la synagogue. Le possédé s'assit aussitôt, les jambes
croisées, courba sa tête sur ses genoux, regardant toujours obliquement
du côté de Jésus, et, bien qu'agité encore par moments de quelques
mouvements convulsifs, il se tint en repos pendant toute l'instruction.
La lecture du sabbat
traitait de Jethro et du conseil qu'il donna a Moïse ; il y était dit
comment les Israélites arrivèrent près du mont Sinaï, comment Moïse y
monta et y reçut les dix commandements : puis venaient des passages du
prophète Isaïe, où il raconte comment il vit le trône de Dieu et comment
un séraphin lui purifia les lèvres avec un charbon ardent (Exode,
XVIII-XXI. Isaie VI, 1-13.) La synagogue était entièrement pleine et il
y avait encore une foule nombreuse à l'extérieur : car toutes les
ouvertures avaient été dégagées et beaucoup de gens regardaient des
bâtiments adjacents ce qui se passait dans l'intérieur. Il y avait là
beaucoup de Pharisiens et d'Hérodiens : ils étaient pleins de fiel et de
rage, mais la synagogue était remplie de gens guéris par Jésus. Tous les
disciples et les proches de Jésus étaient présents, et les habitants de
Capharnaüm aussi bien que les nombreux étrangers qui se trouvaient là
étaient pénétrés de respect et d'admiration pour lui, en sorte que les
Pharisiens n'osaient pas le contredire sans un prétexte spécieux. En
général, s'ils étaient là, c'était plutôt par suite d'une sorte de défi
qu'ils s'étaient porté les uns aux autres, que dans l'espoir de lui
opposer une résistance sérieuse qui était devenue impossible, et ils ne
se souciaient plus beaucoup de le contredire ouvertement, parce que la
plupart du temps ses réponses les couvraient de contusion devant tout le
peuple. Mais quand il était parti, ils cherchaient par tous les moyens
possibles à lui aliéner les esprits et à répandre contre lui des
imputations mensongères.
Ils savaient que
l'homme à la main desséchée était là et ils voulaient tenter Jésus pour
voir s'il guérirait le jour du sabbat, afin d'avoir occasion de
l'accuser. C'étaient surtout les nouveaux arrivés de Jérusalem qui
auraient été bien aises d'avoir quelque chose à rapporter devant le
sanhédrin. Mais comme ils n'avaient pas d'autre grief à présenter contre
lui, quoique depuis longtemps ses sentiments à ce sujet leur fussent
connus, ils reproduisaient toujours les mêmes accusations, et Jésus avec
une patience sans bornes leur faisait toujours à peu près les mêmes
réponses. Plusieurs d'entre eux lui demandèrent donc s'il était permis
de guérir le jour du sabbat. Jésus qui connaissait leurs pensées appela
l'homme à la main desséchée, et quand il se fut approché, il le plaça au
milieu d'eux et dit à son tour : " est-il permis de faire du bien ou du
mal le jour du sabbat ? de sauver un homme ou de le faire périr "? Aucun
d'eux ne répondit rien : alors Jésus répéta la comparaison qui lui était
familière en pareil cas : " Lequel d'entre vous, si sa brebis tombe dans
un fossé le jour du sabbat, ne l'en retirera pas ? Or, un homme a plus
de prix qu'une brebis. Il est donc permis de faire du bien le jour du
sabbat ". Il était très contristé de l'entêtement de ces hommes, il leur
lança à tous un regard plein de colère qui pénétra jusqu'au fond de leur
conscience, puis il prit de la main gauche le bras de l'homme, le long
duquel il passa la main droite, sépara ses doigts tout racornis, et lui
dit : " Étendez votre main " ! L'homme étendit la main et la remua elle
avait repris sa forme première et était aussi saine que l'autre. Ce fut
l'affaire d'un instant. Cet homme se jeta aux pieds de Jésus en lui
exprimant sa reconnaissance. Le peuple fut transporté de joie et les
Pharisiens pleins de rage allèrent se réunir à l'entrée de la synagogue
où ils se mirent à conférer ensemble. Quant à lui, il chassa encore le
démon du corps du possédé qui était assis là et qui recouvra l'ouïe et
la parole : cette guérison ayant excité de nouveaux transports de joie
parmi le peuple, les Pharisiens répétèrent encore : " il est possédé du
démon, il chasse un démon avec l'aide d'un autre ". Mais Jésus se tourna
vers eux et leur dit : " Qui d'entre vous peut me convaincre d'iniquité'
Si l'arbre est bon, son fruit est bon aussi : si l'arbre est mauvais,
son fruit l'est aussi. C'est au fruit qu'on reconnaît l'arbre. Race de
vipères, comment pourriez-vous dire de bonnes choses, vous qui êtes
mauvais. La bouche parle de l'abondance du coeur, etc. "
NOTE
: Anne Catherine ne put pas s'étendre davantage à ce sujet à cause
de son extrême fatigue à laquelle s'était joint un fort enrouement.
Alors ils
l'interrompirent par leurs clameurs : " Restons-en là ! en voilà assez
"! lui criaient-ils, et l'un d'eux eut l'insolence de lui demander s'il
ne savait pas qu'ils pouvaient l'expulser. La réponse de Jésus m'a
échappé, je me souviens seulement qu'après tout ce bruit, ses disciples
et lui se perdirent dans la foule à la lueur du crépuscule.
Ils se rendirent par
des chemins détournés à la maison de Marie et à la maison de Pierre
située au bord du lac. Jésus mangea chez Marie avec ses proches ; il
enseigna et consola les saintes femmes. Il passa la nuit ainsi que les
apôtres et environ vingt quatre disciples dans la maison de Pierre, près
de la fontaine baptismale. Depuis que Pierre s'est mis à la suite de
Jésus, sa femme habite son autre maison située tout près de la ville et
y a son ménage. Cette maison-ci, étant plus écartée, sert en quelque
sorte de refuge à Jésus et aux disciples.
(1er février.) Aujourd'hui Jésus se tint renfermé toute la
journée avec les douze apôtres et les disciples dans la maison de
Pierre, voisine de la fontaine baptismale. Le peuple qui l'attendait le
chercha en plusieurs endroits : mais ils ne sortirent pas de la maison.
C'est ici qu'il se
fit raconter pour la première fois par les apôtres et les disciples ce
qui leur était arrivé pendant leur mission : ils vinrent pour cela le
trouver les uns après les autres, toujours deux par deux, de même qu'ils
avaient fait leur voyage. Il éclaircit les doutes et les difficultés qui
les avaient embarrassés dans certaines occasions et leur donna des
instructions sur ce qu'ils auraient à faire à l'avenir. Il dit aussi que
le lendemain il leur donnerait une nouvelle mission.
Les six qui avaient
travaillé dans la haute Galilée avaient trouvé un bien meilleur accueil
et de beaucoup meilleures dispositions que les autres : ils avaient
donné le baptême à un grand nombre de personnes. Ceux qui étaient allés
dans la Judée n'avaient pas baptisé et ils avaient trouvé de la
résistance dans quelques endroits. Le jour du sabbat fut employé par eux
à faire leurs rapports et à écouter les instructions de Jésus, sauf le
temps donné à la prière et à un repas frugal. A la fin du sabbat la
foule commença à affluer autour de la maison ; mais ils se tinrent
toujours renfermés. Comme le navire de Pierre était à sa place, tout
prêt à prendre la mer, ils se rendirent secrètement à bord pendant la
nuit.
(2
février) Pendant la nuit d'après le sabbat, comme le peuple,
s'étant aperçu que Jésus était dans la maison de Pierre, se portait en
foule de ce côté, je vis Jésus et les siens s'éloigner en silence de la
maison et s'embarquer sur le navire de Pierre. La nuit était sereine et
le ciel brillant d'étoiles : il leur fallut se disperser et faire des
détours pour éviter les gens qui attendaient de tous les côtés. Mais
ceux-ci s'aperçurent bientôt de leur départ et ils se hâtèrent de
prendre leurs mesures pour les suivre. La nouvelle se répandit dans
toutes les tentes, et les troupes campées près de Bethsaïde,
s'embarquèrent pour traverser le Lac ou remontèrent plus haut pour
passer le Jourdain. Beaucoup de gens s'étaient portés sur l'autre rive,
et lorsqu'au point du jour ils virent l'embarcation de Pierre
s'approcher du bord, ils accoururent en foule. (Matth. XIV, 13. Marc, VI,
31-33. Luc, IX, 10-11.)
NOTE
: Le 2 février, Anne Catherine ne put rien raconter. Mais le 3, elle
rapporta quelque chose de ce qu'elle avait vu la veille.
Cependant Jésus
naviguait sur la barque de Pierre avec les apôtres et vingt-quatre
disciples environ, et ils prirent terre entre le bureau de péage de
Matthieu et le petit Chorozaim. Ils se rendirent de là sur la montagne
au pied de laquelle est le bureau de péage. Jésus voulait se retirer
dans la solitude avec les disciples pour leur donner ses instructions :
mais ils turent bientôt entourés de tous côtés par la foule, et Jésus
s'arrêta sur la montagne, à un endroit qui offrait toutes les facilités
désirables. Les disciples ayant fait ranger la multitude autour de lui,
il fit une instruction sur les béatitudes et sur la prière, et il
expliqua de nouveau le commencement du Pater.
Au bout de quelques heures la multitude avait beaucoup grossi : il
arrivait des gens de toutes les villes d'alentour, notamment de Juliade,
de Chorozain, de Gergesa, et ils amenaient des malades et des possédés :
Jésus et les disciples en guérirent un grand nombre. Vers midi vinrent
tous les autres disciples qui étaient restés à Capharnaum ou qui n'y
étaient arrivés qu'après le sabbat ; plusieurs aussi s'étaient occupés
de transporter des passagers au delà du lac.
Après midi, Jésus
congédia la multitude ; il leur dit qu'il enseignerait le lendemain à
l'endroit du sermon sur la montagne. nuis il monta Plus haut avec les
apôtres et les disciples et gagna un lieu solitaire et couvert d'arbres.
Il avait avec lui les douze apôtres et soixante-douze disciples, sans
compter les deux soldats de Machérunte qui l'avaient aussi accompagné.
Parmi les disciples, il y en avait plusieurs qui n'avaient pas encore
été envoyés en mission et qui n'avaient pas encore été envoyé en mission
et qui n'avaient pas encore reçu leur admission formelle : ils ne
s'étaient joints à lui que dans les derniers jours. Les neveux de saint
Joseph étaient présents. Ici Jésus parla en termes plus forts aux
disciples de tout ce qui devait arriver, il ne leur annonça pourtant pas
encore la persécution dans toute sa rigueur. Il leur dit plusieurs
choses qu'il ne leur avait pas dites lorsqu'il les avait envoyés la
première fois, par exemple, qu'ils ne devaient prendre avec eux ni
besace, ni pain, ni argent, mais seulement une robe et une paire de
chaussures. Ils devaient secouer la poussière de leurs souliers sur les
villes où ils seraient mal accueillis. Il leur dit encore autres choses
du même genre, cependant il ne leur donna pas encore là leur mission. Ce
furent seulement des instructions générales pour l'avenir sur leur
ministère d'apôtres et de disciples. Il leur dit bien des choses qui se
trouvent dans le discours que lui fait tenir l'Évangile au moment où il
les envoie en mission (Matth. X ,1-42), et dans lequel toutes ses
instructions sont renfermées. Il leur en dit d'autres qui se rencontrent
dans le sermon sur la montagne, ou qu'il leur avait déjà dites
antérieurement, par exemple : " Vous êtes le sel de la terre ". Il leur
parla aussi de la lumière qu'il ne faut pas mettre sous le boisseau, de
la ville placée sur la montagne, de l'abandon à la Providence, etc.
La principale chose
qu'il fit aujourd'hui fut d'assigner aux apôtres la prééminence sur les
simples disciples et de leur dire qu'ils auraient à appeler et à envoyer
ceux-ci, comme il les appelait et les envoyait eux-mêmes' c'est-à-dire
en vertu de leur mission spéciale. Il divisa aussi les disciples en
plusieurs classes et préposa les plus anciens et les plus instruits aux
plus jeunes et aux plus nouveaux. Il les rangea ensuite tous de la
manière suivante : les apôtres furent rangés deux par deux, ayant à leur
tête Pierre et Jean : les plus anciens disciples se tenaient en cercle
autour d'eux et derrière ceux-ci les autres disciples, suivant leur
grade. Quand cela fut fait, il leur tint un discours très grave et très
émouvant, et imposa de nouveau les mains aux apôtres pour leur donner
cette autorité dont il avait parlé. Quant aux disciples, il se contenta
de les bénir. Tout cela se fit d'une façon très calme et très touchante
et sans qu'aucun d'eux élevât des objections ou se sentît mécontent.
Cependant le soir
était venu : alors Jésus prenant avec lui André, Philippe, Jean et
Jacques le Mineur, s'enfonça plus avant dans la montagne où il passa la
nuit avec eux. Lui-même dormit peu. Il pria presque tout le temps, les
bras étendus et les yeux levés au ciel. Vers minuit tous se mirent en
prière. Jésus s'entretint aussi avec eux et leur donna des instructions.
Les autres descendirent et allèrent dormir sur les barques ou dans des
cabanes isolées au milieu des jardins.
(3
février.) Ce matin Jésus se rendit sur la montagne où il avait
fait déjà, à plusieurs reprises, son sermon sur les béatitudes. Tout le
peuple était déjà arrivé et beaucoup de malades avaient été rangés dans
un emplacement commode et abrité : les autres apôtres et les disciples
avaient tout préparé et ordonné. Jésus et les apôtres commencèrent à
guérir et à enseigner. Beaucoup de gens qui, en cette occurrence,
étaient venus à Capharnaüm pour la première fois, reçurent le baptême :
on les fit s'agenouiller en cercle et ils furent baptisés par aspersion,
trois par trois, avec de l'eau qu'on avait apportée dans des outres.
La sainte Vierge, ses
demi soeurs et d'autres femmes étaient venues et elles s'occupaient des
femmes et des enfants malades : mais elles ne parlèrent pas à Jésus et
elles retournèrent à Capharnaüm d'assez bonne heure dans l'après-midi.
Jésus enseigna encore sur les huit béatitudes et il arriva aujourd'hui à
la sixième. Il répéta aussi devant cette nombreuse assistance
l'enseignement sur la prière déjà commencé dans l'hospice de Capharnaüm,
et il leur expliqua les diverses demandes de l'oraison dominicale.
Cependant il était
déjà plus de quatre heures et la multitude qui était là n'avait rien à
manger. Ils étaient partis dès la veille pour le suivre, et les petites
provisions qu'ils avaient apportées étaient épuisées. Plusieurs d'entre
eux se sentaient très affaiblis et les femmes et les enfants souffraient
de la faim. Quand les apôtres en furent instruits, ils vinrent trouver
Jésus et le prièrent de terminer son instruction afin que ces gens
pussent avant la nuit chercher un abri et acheter du pain, car les
forces leur manquaient déjà. Jésus leur dit : " Il n'est pas nécessaire
qu'ils s'en aillent, donnez-leur à manger ". Philippe répondit : "
Devons-nous aller acheter pour deux cents deniers de pain pour leur
donner à manger " ? Il dit cela avec un peu de mécontentement, parce
qu'il croyait que Jésus entendait qu'ils allassent avec de grandes
fatigues recueillir du pain pour tout ce monde dans la contrée
environnante. Mais Jésus leur dit : " voyez ce que vous avez de pain ",
et il reprit son discours.
Il y avait là un
serviteur qui avait apporté cinq pains et deux poissons pour les apôtres
de la part de son maître et André le dit à Jésus en ajoutant ces mots :
"Mais qu'est-ce que cela pour tant de monde? "Jésus leur commanda
d'apporter ce qu'ils avaient et quand les pains et les poissons eurent
été déposés près de lui sur le gazon, il continua à expliquer l'oraison
dominicale et spécialement la demande relative au pain quotidien.
Quelques-uns des assistants commençaient à tomber en défaillance et
beaucoup d'enfants demandaient du pain en pleurant. Alors Jésus dit à
Philippe : " Ou achèterons-nous du pain pour donner à manger à ces gens
" ? Il disait cela pour l'éprouver, car il le savait préoccupé de la
pensée qu'il leur faudrait aller chercher du pain pour cette multitude.
Philippe répondit : " Deux cents deniers ne suffiraient pas pour nourrir
tout ce monde ".
Jésus dit alors : "
Faites asseoir le peuple, les plus affamés cinquante par cinquante, les
autres cent par cent et apportez-moi les corbeilles à pain que vous avez
là ". Ils lui présentèrent alors un certain nombre de corbeilles plates,
faites d'écorce tressée, d'une forme assez semblable à celle des
corbeilles à pain dont nous faisons usage en Westphalie, puis ils se
répandirent parmi le peuple et le firent asseoir par groupes de
cinquante et de cent autour de la montagne qui s'élevait en amphithéâtre
et qui était couverte d'une belle herbe touffue. Ils se placèrent tous
sur le penchant de la montagne, un peu plus bas que l'endroit où se
tenait Jésus.
Autour de la place où
Jésus enseignait, le sol avait été relevé et formait comme un grand banc
de gazon coupé par plusieurs brèches. Jésus y fit étendre une couverture
sur laquelle on mit les cinq pains et les deux poissons. Les pains
étaient placés les uns sur les autres : ils étaient plus longs que
larges et avaient environ deux pouces d'épaisseur : la croûte en était
jaune et mince ; à l'intérieur ils n'étaient pas parfaitement blancs,
mais compactes et de belle qualité.
Tous étaient comme
divisés en compartiments par des raies que suivait le couteau, ce qui
les rendait faciles à partager. Les poissons étaient de la longueur du
bras : ils avaient la tête un peu proéminente et ne ressemblaient pas à
nos poissons. Ils étaient déjà grillés et apprêtes : ils étaient déposés
sur de larges feuilles. Un autre homme avait apporté en outre deux
rayons de miel qu'on avait aussi placés sur des feuilles à côté du
reste.
Pendant que les
disciples faisaient le compte des assistants et les faisaient asseoir
par cinquantaines et par centaines, ainsi que Jésus l'avait prescrit,
Jésus entailla les cinq pains avec un couteau en os, il découpa
transversalement les poissons dont la chair était déjà détachée dans le
sens de leur longueur : après quoi il éleva un peu sur ses mains d'abord
un des pains, puis un des poissons, en faisant une prière : je ne me
souviens plus de ce qu'il fit pour le miel. Trois disciples étaient à
ses côtés. Jésus bénit alors les pains, les poissons et le miel, et il
commença à partager le pain en tranches dans le sens de la largeur, puis
ces tranches eu petites portions. Chaque portion grandissait, elle avait
aussi des entailles, et Jésus en faisait encore de nouvelles portions
qui étaient assez grandes pour qu'un homme y trouvât de quoi se
rassasier : il les donnait ensuite en y ajoutant des parts de poisson.
Saturnin qui était à ses côtés mettait continuellement une part de
poisson sur un morceau de pain, et un jeune disciple de Jean Baptiste,
un fils de berger qui devint plus tard évêque, mettait par-dessus un peu
de miel : et les poissons ne diminuèrent pas sensiblement et les rayons
de miel aussi semblaient prendre de l'accroissement. Thaddée mit dans
les corbeilles les portions de pain sur lesquelles était un morceau de
poisson et un peu de miel, et on les porta d'abord aux plus affamés,
ceux qui étaient assis par groupes de cinquante.
Les corbeilles qui
revenaient à vide étaient aussitôt remplacées par des corbeilles
pleines, et ce travail dura environ deux heures jusqu'à ce que tous
eussent reçu leur nourriture. Ceux qui avaient une femme et des enfants
(lesquels étaient assis à part des hommes), se trouvaient avoir une
portion assez forte pour pouvoir donner aussi à ceux-ci de quoi se
rassasier. On but de l'eau qu'on avait apportée dans des outres : la
plupart de ces gens avaient avec eux des gobelets d'écorce roulée en
forme de cornets ou des calebasses creuses.
Tout cela se fit avec
un grand déploiement d'activité, mais avec beaucoup d'ordre. Les apôtres
et les disciples furent occupés la plupart du temps à porter, à
rapporter et à distribuer ; mais tous étaient muets d'étonnement en
voyant se produire cette incroyable surabondance. Les pains avaient à
peu près cinq palmes de long (Anne Catherine les mesura sur son coude),
et un cinquième de moins en largeur. Les cinq pains furent divisés
chacun en vingt parties, cinq dans la longueur et quatre dans la
largeur, en sorte que la substance de chaque partie se multiplia
cinquante fois pour nourrir cinq mille personnes. Le pain était épais de
trois doigts. Les poissons découpés en deux moitiés dans le sens de leur
longueur étaient divisés par Jésus en un très grand nombre de parts, en
sorte qu'il ne restait jamais que deux poissons dont toutefois la
substance se multipliait d'une manière surprenante.
NOTE
: Il fut difficile à Anne Catherine à cause de ses grandes
souffrances, de décrire exactement la manière dont s'opéra
matériellement la multiplication : cependant il parait résulter de
ses paroles que ce fut moins une multiplication du nombre des pains
et des poissons qu'un accroissement intérieur de la substance, et
que cela ne se fit pas tout d'un coup, mais successivement à mesure
qu'on faisait la distribution.
Lorsque tous eurent
reçu leur part et furent rassasiés, Jésus dit aux disciples de parcourir
la foule avec des corbeilles et de recueillir tous les restes afin que
rien ne se perdît. Ils rapportèrent douze corbeilles pleines de
morceaux. Mais beaucoup de personnes demandèrent qu'il leur fût permis
de conserver de ces morceaux et les emportèrent avec eux comme souvenir.
Je vis par là que déjà à cette époque on conservait des objets
sanctifiés, ainsi que nous le faisons maintenant pour les rameaux de la
semaine sainte et d'autres objets semblables. Cette fois il ne se
trouvait pas ici de soldats quoique j'en aie vu toujours beaucoup
assister aux grandes prédications de Jésus. Ils étaient tous, en ce
moment, rassemblés autour d'Hésébon où Hérode résidait.
Le peuple s'étant
levé se divisa de nouveau en plusieurs groupes. Ce miracle du Seigneur
avait rempli tout le monde d'étonnement et d'admiration et on entendait
courir de bouche en bouche des paroles comme celles-ci : " C'est
vraiment lui! c'est le prophète qui doit venir dans le monde, celui qui
a été promis, etc. "
Le jour tombait déjà
et Jésus dit aux disciples d'aller près des navires et de s'embarquer
sans lui pour Bethsaïde, ajoutant qu'il les suivrait lorsqu'il aurait
congédié le peuple. Les disciples descendirent alors jusqu'au rivage
avec les corbeilles pleines de morceaux et une partie d'entre eux
s'embarqua pour Bethsaide. Ils prirent le pain avec eux pour le
distribuer aux pauvres de l'autre côté du lac. Les apôtres et
quelques-uns des disciples les plus anciens restèrent encore quelque
temps sur la montagne, puis ils descendirent jusqu'à l'embarcation de
Pierre, qui était encore toute seule et sur laquelle ils montèrent.
Jésus alors congédia
le peuple qui s'était rassemblé de nouveau autour de lui. Il leur parla
de ce que Dieu venait de faire pour eux et récita une prière d'actions
de grâces. La multitude était profondément émue, et à peine se fut-il
retiré, qu'on entendit ça et là des voix qui disaient : " il nous a
donné du pain! c'est notre roi! nous voulons qu'il soit notre roi "!
Alors ils se dirigèrent en hâte du côté où ils l'avaient vu aller. Mais
leur projet n'avait pas échappé à Jésus et ils ne le trouvèrent pas. Il
s'enfuit sur une montagne dans un lieu désert, et il y pria.
Je vis le navire de
Pierre sur lequel se trouvaient les apôtres et plusieurs disciples,
arrêté pendant la nuit par un vent contraire. Ils firent force de rames
et pourtant ils dérivèrent au midi par rapport à la direction qu'ils
voulaient suivre. J'ai vu toutes les deux heures de petits bateaux sur
lesquels il y a des falots, partir des deux rives du lac. Ils
transportent quelques gens attardés jusqu'aux navires de plus grande
dimension et aident ceux-ci à se diriger dans l'obscurité. On les relève
à des heures fixes comme des sentinelles, toutes les deux heures, par
exemple : ce qui fait qu'on les appelle ici gardes de nuit. Je vis en
route le quatrième relai de ces bateaux, quant au navire de Pierre il
était sortit de la ligne qu'il voulait suivre et avait été poussé un peu
au midi.
Ce fut alors que
Jésus marcha sur la mer, se dirigeant du nord-est au sud-ouest. Il était
tout lumineux et entouré de clarté : on voyait à ses pieds son image
réfléchie dans l'eau. Comme il allait de Bethsaïde Juliade dans la
direction de Tibériade, vis-à-vis de laquelle à peu près se trouvait le
navire de Pierre, il passa entre les deux bateaux gardes de nuit qui
étant partis, l'un de Capharnaüm, l'autre de la rive opposée, avaient
déjà fait un peu de chemin sur le lac. Les gens qui étaient dans ces
bateaux le virent marcher ainsi ; ils poussèrent des cris d'effroi et se
mirent à sonner du cor : ils le prenaient pour un fantôme. Pendant ce
temps, comme le navire de Pierre se dirigeait à force de rames vers la
lumière de ces bateaux pour se remettre dans le bon chemin, les apôtres
qui s'y trouvaient regardèrent et le virent venir à eux. Il semblait
qu'il planât et qu'il allât plus vite qu'on ne peut aller en marchant :
à son approche la mer se calmait. Il y avait une brume sur le lac et ils
ne le virent qu'étant déjà assez près. Quoiqu'ils l'eussent déjà vu une
fois marcher ainsi sur l'eau, cependant ce qu'il y avait d'étrange et de
fantastique dans ce spectacle les frappa de terreur et ils poussèrent
des cris d'effroi.
Comme pourtant ils se
rappelaient ce qu'ils avaient déjà vu une fois, Pierre voulut de nouveau
faire preuve de foi, et dans l'ardeur de son zèle, il s'écria encore : "
Seigneur, si c'est vous, commandez-moi d'aller à vous "! Et Jésus lui
répondit encore : " Viens ". Pierre fit cette fois beaucoup plus de
chemin vers Jésus que la première, pourtant sa foi ne persista pas
jusqu'au bout. Comme il était déjà tout près de Jésus, la pensée du
danger lui vint encore : il commença à enfoncer, tendit les mains et
cria : " Seigneur, sauvez-moi "! Mais il n'enfonça pas autant que la
première fois, et Jésus lui répéta les mêmes paroles : " Homme de peu de
foi, pourquoi as-tu douté "? lorsque Jésus monta sur la barque, tous
coururent à lui, se jetèrent à ses pieds et dirent : " Vous êtes
vraiment le Fils de Dieu "! Jésus leur reprocha leur pusillanimité et
leur peu de foi ; il leur fit à ce sujet une réprimande sévère, puis il
enseigna encore sur l'oraison Dominicale. Je ne sais pas vers quel point
ils se dirigèrent : Jésus leur ordonna de mettre le cap au midi. Ils
avaient bon vent et voguaient très rapidement : ils prirent un peu de
sommeil dans les cabines qui se trouvaient autour du mât au-dessous des
bancs des rameurs. La tempête n'était pas si forte que l'autre fois. Ils
étaient entrés dans le courant qui est très fort au milieu du lac, et
ils ne purent pas en sortir.
C'est ainsi que Jésus
laisse encore Pierre venir à lui sur l'eau afin de l'humilier devant lui
et devant les autres, car il sait bien qu'il enfoncera : Pierre est très
ardent, sa foi est très vive, et il se sent porté à en faire montre en
présence de Jésus et des disciples. Mais bientôt le pied lui manque et
cela le préserve de l'orgueil. Les autres n'ont pas assez de confiance
pour faire comme lui, et en admirant la foi de Pierre, ils reconnaissent
pourtant que cette foi, quoique supérieure à la leur, n'est pas encore
suffisante.
(4
février.) Au lever du soleil, je vis la barque de Pierre côtoyer
la rive orientale du lac entre Magdala et la ville de Dalmanutha, qui
est située sur une colline, à une petite lieue du lac ; ils se
dirigèrent vers un petit endroit consistant en deux groupes de maisons
et dépendant de Dalmanutha. C'est de cet endroit qu'il s'agit lorsque
l'Évangile dit : "Sur le territoire de Dalmanutha "(Marc, VIII, 10).
J'en ai oublié le nom.
De petits bateaux
vinrent à leur rencontre et les gens qui les montaient, prièrent Jésus
de les visiter. Alors il descendit à terre. Les habitants en voyant
approcher le navire, avaient mis en mouvement tous leurs malades et la
plupart se présentèrent à Jésus sur le rivage même. Je le vis guérir
dans les rues, ainsi que les disciples. Il s'avança ensuite un peu dans
les terres jusqu'à une colline située derrière la ville, où tous les
habitants, Juifs et païens, se rassemblèrent autour de lui. Il guérit
des malades et enseigna sur les huit béatitudes et sur le
Pater. Ils restèrent là jusqu'à midi, après
quoi ils se rembarquèrent.
Cet endroit, où il se
fait un transit assez considérable, possède un bureau de péage: il y
vient surtout de la ville d'Ephron, située dans le pays de Basan, une
grande quantité de fer qu'on expédie d'ici aux autres villes du littoral
pour toute la Galilée. Du haut des montagnes d'Ephron la vue s'étend
jusqu'ici.
Ils traversèrent le
lac pour aller à Tarichée, ville située à trois ou quatre lieues au midi
de Tibériade ; elle s'élève sur la pente d'une hauteur à un quart de
lieue du rivage ; cependant il y a des maisons dans l'intervalle qui la
sépare du lac. Tarichée domine un golfe terminé par une langue de terre
qui s'avance très loin : de là jusqu'à la sortie du Jourdain, le rivage
est bordé d'une chaussée solidement construite en pierres noirâtres sur
laquelle passe un chemin. La ville est jolie et nouvellement bâtie à la
mode des païens, avec des colonnades devant les maisons; toutefois elle
n'est pas grande. Il y a sur la place du marché un très beau puits
couvert et orné de colonnes.
Ce fut près de ce
puits que se rendit Jésus, et tout le peuple y accourut avec un grand
nombre de malades que le Seigneur guérit. Plusieurs femmes voilées,
accompagnées de leurs enfants, se tenaient à quelque distance derrière
les hommes. Il vint beaucoup de Pharisiens et de Sadducéens parmi
lesquels il y avait aussi des Hérodiens. Il enseigna sur les huit
béatitudes et sur l'oraison Dominicale. Les Pharisiens commencèrent à
lui adresser divers reproches, mais ce sont toujours les mêmes griefs :
il fraye avec des Publicains, des pécheurs et des femmes de mauvaise vie
; ses disciples ne se lavent pas les mains avant les repas, il guérit le
jour du sabbat, etc. Je me souviens qu'ici aussi Jésus les appela des
renards. Mais il ne tarda pas à rompre l'entretien avec eux et il appela
à lui les enfants qu'il enseigna, qu'il bénit et dont il guérit
quelques-uns. Il les montra aux Pharisiens, dit qu'ils devaient devenir
semblables à eux, etc. Il dit à ce propos sur les enfants et sur
l'estime qu'on doit en faire beaucoup de choses qu'il répéta plus tard.
Tarichée est située
plus bas que Tibériade. Au-dessous de la ville, un bras du lac coule
vers le Jourdain en traversant la chaussée dont j'ai parlé, à laquelle
il laisse un quart de lieue de largeur et dont il fait une île. Au
commencement, le canal est étroit et renfermé entre des bords revêtus de
maçonnerie ; au bout d'un quart de lieue, il passe sous un pont et se
décharge dans le Jourdain, après sa sortie du lac. Tarichée est en outre
traversée par un ruisseau qui vient d'une vallée se jeter dans ce canal.
On prépare ici beaucoup de poissons salés et séchés, et l'on voit devant
la ville beaucoup de grands établis en bois où l'on dépose le poisson à
cet effet.
Le pays d'alentour
est extraordinairement fertile et plantureux. Sur les hauteurs qui
entourent la ville, on voit partout des vignes et des terrasses
couvertes d'arbres fruitiers de toute espèce : toute la contrée jusqu'au
Thabor et au lac des bains de Béthulie est d'une beauté et d'une
richesse dont on ne peut pas se faire une idée. Gennabris est située
plus à l'ouest entre Tarichée et Tibériade.
Vers le soir, Jésus
quitta la ville et s'embarqua avec les disciples. Ils se dirigèrent vers
le nord-est. Plusieurs disciples sont partis d'ici pour Capharnaum sur
une petite embarcation. Pendant la traversée, Jésus fit encore aux
disciples des instructions sur l'oraison Dominicale. Il traita de la
quatrième demande. Il les prépare toujours ainsi, lorsqu'il est seul
avec eux, à recevoir des enseignements plus profonds. Je ne sais pas
encore où ils vont.
(5
février.) Le matin, je vis Jésus ayant pris terre entre le bureau
de péage de Matthieu et Bethsaide-Juliade. Il enseigna à quelque
distance du rivage. Il y avait autour de lui une certaine quantité de
personnes : c'étaient pour la plupart des gens du pays : parmi eux, se
trouvaient quelques-uns des Juifs qui avaient pris possession de là
demeure de Matthieu dont le ménage avait été transporté ailleurs. Il
enseigna encore ici sur l'oraison Dominicale. Les gens qui avaient été
témoins de la multiplication des pains et qui avaient voulu le faire
roi, avaient été surpris de ne pouvoir le trouver nulle part, car ils
savaient que ses disciples s'étaient embarqués sans lui, et qu'il ne
s'était trouvé là qu'un seul navire : dès hier, ils s'étaient retirés ;
plusieurs d'entre eux avaient traversé le lac pour se rendre à
Capharnaüm.
Jésus et ses
disciples avaient dormi cette nuit sur le navire près du lieu de
débarquement, et ils étaient venus là pour trouver un peu de repos, de
même que Jésus s'était éloigné la veille afin de laisser se refroidir un
peu l'enthousiasme du peuple qui voulait le faire roi.
Vers midi, ils firent
voile vers Capharnaüm et débarquèrent sans être vus. Jésus entra dans la
maison de Pierre où il trouva Lazare qui était venu d'Hébron avec le
fils de Véronique et deux autres personnes. Il était venu aussi trois
femmes, parmi lesquelles Marie Salomé, cette riche veuve qui était fille
illégitime d'un frère de saint Joseph. Elle demeurait déjà depuis
longtemps chez Marthe et elle fut de celles qui se tinrent au pied de la
croix de Jésus et assistèrent à sa mise au tombeau, aussi bien que la
mère de Jacques et de Jean, laquelle s'appelait seulement Salomé.
J'ai oublié de quoi
Jésus s'entretint avec Lazare : je crois que celui-ci est venu pour
vendre Magdalum ; probablement il aura été question de l'emploi du prix
de vente à la délivrance des prisonniers de Thirza.
Dans l'après-midi, je
vis Jésus aller derrière la maison de Pierre, sur la hauteur où passe le
chemin le plus court de Capharnaüm à Bethsaïde et où beaucoup
d'étrangers sont campés.
Antérieurement il a
guéri là beaucoup de malades. Il se rendit à un endroit commodément
situé, avec les apôtres et plusieurs disciples, et tout le peuple qui
était campé là y courut à sa suite. Plusieurs d'entre eux qui avaient
assisté à la multiplication des pains et qui l'avaient cherché
inutilement hier et aujourd'hui, lui demandèrent : " Maître, quand
avez-vous passé? nous vous avons cherché là-bas et ici " (Jean, VI, 27).
Mais Jésus leur répondit, et ce fut là le début de son instruction : "
En vérité, en vérité, vous ne me cherchez pas parce que vous avez vu des
miracles, mais parce que vous avez mangé de ce pain et que vous en avez
été rassasiés. Travaillez, non pour une nourriture périssable, mais pour
la nourriture qui se conserve jusque dans la vie éternelle et que le
Fils de l'homme vous donnera : car Dieu le père l'a marqué de son sceau
". Il dit cela avec beaucoup plus de développements qu'il n'y en a dans
l'Évangile où sont reproduits seulement les points essentiels. Ces gens
lui adressèrent des questions de toute espèce et plusieurs se disaient
tout bas les uns aux autres : " Que veut-il dire avec son Fils de
l'homme' Nous aussi nous sommes des enfants des hommes "!
Il leur dit encore
qu'ils devaient faire les oeuvres de Dieu, et comme ils demandaient ce
qu'il y avait à faire pour cela, il leur répondit : " Croire à celui que
Dieu a envoyé "! puis il continua à enseigner sur la foi. Ils lui
demandèrent quel prodige il voulait faire pour qu'ils eussent foi en
lui, disant que Moïse avait donné à leurs pères le pain du ciel,
c'est-à-dire la manne, afin qu'ils crussent en lui. " Que voulait-il
donc leur donner". Jésus répondit alors : " Je vous le dis, Moïse ne
vous a pas donné le pain du ciel, mais mon père vous donne le véritable
pain du ciel ; car le pain de Dieu est celui qui descend du ciel et qui
donne la vie au monde ".
Il parla longuement
sur ce sujet et quelques-uns dirent : " Seigneur, donnez-nous toujours
de ce pain ". D'autres, au contraire, disaient : " Son Père nous donne
le pain du ciel! qu'est-ce que cela peut vouloir dire ? Son père Joseph
n'est-il pas mort "? Jésus prolongea et multiplia ses enseignements sur
ce point et il s'expliqua très clairement ; mais peu le comprirent,
parce qu'ils se croyaient entendus et savants. Cependant il revint à son
premier enseignement sur l'oraison Dominicale et sur les béatitudes, et
il ne dit pas aujourd'hui que c'était lui qui était le pain de vie. Les
apôtres et les plus avancés des disciples ne l'interrogèrent pas : ils
méditaient ses paroles et les comprenaient en partie ; plus tard aussi
ils se firent donner des explications.
Le soir, Jésus alla
chez Zorobabel, le centurion de Capharnaüm, prendre un repas avec les
apôtres. Lazare, le centurion Cornélius et Jaïre y assistaient : on y
parla beaucoup de Jean.
(6
février.) Aujourd'hui je vis de nouveau Jésus enseigner sur la
hauteur qui est derrière la maison de Pierre ; c'était la suite de son
instruction de la veille. Il y avait là environ deux mille hommes qui se
succédaient les uns aux autres pour mieux entendre. Jésus, en outre, va
de temps en temps d'une place à l'autre, répète souvent son enseignement
avec infiniment de patience et de charité et fait plusieurs fois les
mêmes réponses à des objections qui sont toujours les mêmes. Il se
trouvait là plusieurs femmes voilées, à une place séparée ;
quelques-unes des amies de Jésus étaient parmi elles. Les Pharisiens
allaient et venaient ; ils faisaient des questions et cherchaient encore
à insinuer leurs doutes parmi le peuple.
Jésus répéta plus
brièvement ce qu'il avait dit hier, puis il s'exprima à peu près en ces
termes : " Je suis le pain de vie ; quiconque vient à moi n'aura plus
faim, quiconque croit en moi n'aura plus soif "! Il dit encore que ceux
que le Père lui donnait pouvaient venir à lui, qu'il ne les repousserait
pas : qu'il était venu du ciel pour faire, non pas sa volonté ; mais
celle de son Père : que c'était la volonté de son Père qu'il ne perdît
rien de ce qu'il lui avait donné, mais qu'il le ressuscitât au dernier
jour : que c'était la volonté du Père que quiconque voyait le Fils et
croyait en lui, eût la vie éternelle et que celui-là serait ressuscité
par lui au dernier jour.
Il y avait
aujourd'hui beaucoup d'auditeurs qui ne le comprenaient pas et qui
chuchotaient et murmuraient : les Pharisiens se mettaient plus souvent
en avant, l'interrogeaient, se retiraient en ricanant et en haussant les
épaules, et lançaient aux faibles des regards pleins d'un orgueilleux
mépris. Beaucoup se disaient les uns aux autres : " Comment peut-il dire
qu'il est le pain de vie et qu'il est descendu du ciel ? N'est-ce pas le
fils du charpentier Joseph ; sa mère n'est elle pas parmi nous? ses
cousins y sont aussi et nous connaissons les parents de son père Joseph.
Il dit aujourd'hui que Dieu est son père, puis il dit qu'il est le Fils
de l'Homme ". Et ils murmuraient d'autres propos du même genre et ils
questionnaient. Jésus leur dit qu'ils ne devaient pas ainsi murmurer,
qu'ils ne pouvaient pas venir d'eux-mêmes à lui, que c'était le Père
dont il était l'envoyé qui devait les attirer à lui ! Mais ils ne
pouvaient pas comprendre cela, demandaient ce que cela voulait dire et
prenaient ses paroles dans un sens tout matériel. Il dit encore : " On
lit dans les Prophètes que tous seront instruite par Dieu. Donc
quiconque entend la parole du Père et reçoit son enseignement vient à
moi ".
Plusieurs dirent
encore : " Ne sommes-nous pas près de lui et pourtant nous n'avons pas
entendu la parole du Père ni reçu son enseignement "? Alors il dit de
nouveau : " Nul n'a vu le Père que celui qui est de Dieu. Quiconque
croit en moi, a la vie éternelle. Je suis le pain descendu du ciel, le
pain de vie ".
Là-dessus ils
déclarèrent qu'ils ne connaissaient d'autre pain descendu du ciel que la
manne. Il leur répondit que ce n'était pas là le pain de vie, car leurs
pères qui l'avaient mangé étaient morts : mais il s'agissait ici du pain
descendu du ciel afin que quiconque en mangerait ne mourût Pas. Il était
ce pain de vie et quiconque en mangeait vivrait éternellement.
Toutes ces
instructions étaient longuement développées et accompagnées
d'explications et de citations de la loi et des prophètes : mais la
plupart ne voulant pas le comprendre, prenaient tout dans un sens
grossier et charnel : ils recommençaient leurs questions et disaient : "
Que veut dire cela qu'on doit le manger pour vivre éternellement? qui
peut vivre éternellement? qui peut manger de sa chair? Hénoch et Elie
ont été retirés du monde et on dit qu'ils ne sont pas morts : on ne sait
pas non plus où est allé Malachie : on ne sait rien de sa mort : mais
tous les autres hommes doivent mourir ". Jésus leur répondit à ce sujet
et leur demanda à son tour s'ils savaient où étaient Hénoch et Elie et
ce qu'était devenu Malachie. Quant à lui, il ne l'ignorait pas. Savaient
ils ce qu'Hénoch avait cru? ce qu'Elie et Malachie avaient prophétisé?
et il expliqua plusieurs de ces prophéties.
Il n'alla pas plus
loin aujourd'hui : les esprits étaient singulièrement excités et on se
livrait à des réflexions et à des discussions de toute espèce. Il y eut
même plusieurs des disciples les plus nouveaux qui se laissèrent aller
au doute et à l'erreur. C'étaient pour la plupart les nouveaux venus
parmi les disciples de Jean, mais non les plus anciens dont les uns
s'étaient joints tout de suite à Jésus, dont les autres avaient été
alternativement avec Jean et avec lui. Ceux qui doutaient étaient des
hommes superficiels, dominés par la passion et les préventions.
C'étaient eux qui venaient de compléter le nombre des soixante-dix : car
Jésus n'avait d'abord que trente-six disciples en titre. Il y en avait
pourtant plusieurs qui avaient déjà pris part à la dernière mission des
apôtres. Les femmes étaient environ au nombre de trente-quatre, mais en
comptant toutes les directrices, les servantes, les surveillantes des
hôtelleries, il y en avait aussi soixante dix au service de la
communauté dans les derniers temps.
(7
février.) Lazare est déjà reparti. Jésus enseigna de nouveau le
peuple sur la hauteur qui est devant la ville : toutefois il ne parla
pas du pain de vie, mais de l'oraison Dominicale et des sujets traités
dans le sermon sur la montagne. Il y avait beaucoup de monde, mais comme
la plupart des malades qui s'étaient trouvés là étaient déjà guéris,
l'affluence était moins considérable et moins tumultueuse : car
lorsqu'on amène et qu'on ramène les malades, il y a toujours grande
presse et grande confusion, parce que tous veulent être au premier rang
et bientôt après veulent se retirer. Tous les auditeurs et une partie
des nouveaux disciples, spécialement beaucoup de disciples de Jean sont
vivement préoccupés de ce que sera la conclusion de l'instruction
commencée par Jésus.
Le soir Jésus
enseigna dans la synagogue sur la lecture du sabbat. Elle était tirée de
l'Exode et contenait des prescriptions de toute espèce sur les esclaves,
les meurtriers, le vol et les jours de fête, ainsi que le récit de ce
que fit Moïse lorsqu'il monta sur le mont Sinaï : il y avait aussi des
passages de Jérémie où il était question de l'affranchissement des
esclaves. (Exod., XXI jusqu'à XXIV, 1-18. Jérém., XXXIV, 1-22.)
Jésus dit quelque
chose de tout cela, mais bientôt on l'interrompit et on l'interrogea de
nouveau à propos de ses enseignements de la veille sur le pain de vie. "
Comment pouvait-il, disait-on, s'appeler le pain de vie descendu du
ciel, lorsqu'on savait si bien qui il était "? Mais Jésus répéta ce
qu'il avait dit précédemment à ce sujet, et comme les Pharisiens
reproduisaient leurs objections, parlant d'Abraham leur père et de Moïse
et demandant pourquoi il appelait Dieu son père, il leur demanda
pourquoi ils appelaient Abraham leur père et Moïse leur maître, eux qui
ne suivaient pas les préceptes et les exemples d'Abraham et de Moïse ;
puis il leur mit sous les yeux toutes leurs actions perverses, leur
malice et leur hypocrisie, ce qui les couvrit de confusion et les rendit
furieux.
Il reprit ensuite son
enseignement sur le pain de vie et dit : " Le pain que je donnerai est
ma chair que je livrerai pour la vie du monde ". Là-dessus on se mit a
murmurer et à chuchoter : " Comment peut-il nous donner sa chair à
manger "? Mais Jésus continua avec beaucoup plus de développements que
dans l'Évangile, disant que qui ne boira pas son sang et ne mangera pas
sa chair n'aura pas la vie en lui . que qui fait cela a la vie éternelle
et sera ressuscité par lui au dernier jour ; "car ma chair est
véritablement viande et mon sang véritablement breuvage. Quiconque mange
ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. De même que le
Père qui est vivant m'a envoyé et de même que je vis par le Père, de
même qui me mange vivra par moi. Ceci est le pain descendu du ciel et
non un pain comme la manne que vos pères ont mangée et qu'elle n'a pas
empêchés de mourir. Qui mange ce pain vivra éternellement ". Il apporta
à l'appui de tout cela des textes des prophètes et surtout de Malachie :
il montra comment la prophétie de celui-ci avait eu son accomplissement
dans Jean-Baptiste sur lequel il s'étendit beaucoup. Comme ils lui
demandaient quand il leur donnerait cette nourriture, il répondit
nettement : " Quand le temps sera venu ", et il indiqua d'une certaine
façon une époque déterminée : je fis le calcul et je trouvai un an, six
semaines et quelques jours. L'émotion était grande dans l'assistance,
les Pharisiens agitaient les esprits tant qu'ils pouvaient.
NOTE
: Anne Catherine est malade à la mort, de violents vomissements
l'empêchent de parler : c'est pourquoi la narration est si peu
suivie et si pleine de lacunes.
(8
février.) Le matin et le soir Jésus enseigna à la synagogue
devant une nombreuse assemblée. Il expliqua la sixième et la septième
demandes de l'oraison Dominicale et l'une des béatitudes : " Bienheureux
les pauvres d'esprit ". Il ne réprouvait pas par là la science, il
disait seulement que ceux qui étaient savants devaient l'ignorer, et que
de même les riches ne devaient pas savoir qu'ils étaient riches.
Là-dessus ils murmurèrent de nouveau et dirent qu'on ne pouvait pas
faire usage de ce qu'on ne connaissait pas. Mais il répondit : "
Bienheureux les pauvres d'esprit "! Il fallait se sentir pauvre et
s'humilier devant Dieu duquel émane toute science et en dehors duquel
toute science est une abomination.
Cependant ils
l'interrogeaient encore à propos de son enseignement de la veille sur le
pain de vie et sur ce qu'il fallait manger sa chair et boire son sang ;
et comme Jésus maintint ce qu'il avait dit et continua à s'exprimer à ce
sujet en termes très forts et très nets, plusieurs de ses disciples se
mirent à murmurer et à dire : " Cette parole est dure, qui peut y prêter
l'oreille " ? Mais il leur répondit qu'ils ne devaient pas se
scandaliser, qu'ils verraient encore bien autre chose, et il leur prédit
qu'on le persécuterait et que les plus fidèles l'abandonneraient et
prendraient la fuite ; qu'alors il se jetterait dans les bras de son
ennemi et qu'on le ferait mourir ; que toutefois il n'abandonnerait pas
ceux qui auraient fui, mais que son esprit serait avec eux. Il ne dit
pas précisément " se jeter dans les bras de son ennemi ", c'était plutôt
quelque chose comme " embrasser son ennemi ou être embrassé par lui " ;
je ne m'en souviens plus bien.
Cela faisait
allusion, je crois, au baiser de Judas et à sa trahison.
Comme ils se
scandalisaient de plus en plus, il leur dit encore : " Que sera ce quand
vous verrez le Fils de l'Homme monter où il était auparavant? C'est
l'esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous
ai dites sont esprit et vie. Mais il y en a quelques-uns parmi vous qui
ne croient point, c'est pourquoi je vous ai dit : personne ne peut venir
à moi si cela ne lui est donné par mon Père ".
Comme il enseignait
ainsi dans la synagogue, il y eut beaucoup de murmures et d'invectives
contre lui : trente et quelques des plus nouveaux parmi ses disciples et
ses adhérents, spécialement des disciples de Jean, hommes superficiels
et prévenus, se rapprochèrent des Pharisiens, murmurant et chuchotant
avec eux : mais les apôtres et les anciens disciples se groupèrent
autour de Jésus, et il leur dit encore tout haut qu'il était bon que
ceux-là montrassent à quel esprit ils appartenaient avant de causer de
plus grands maux.
Lorsque Jésus voulut
sortir de la synagogue, on se pressa tumultueusement à sa sortie : les
Pharisiens et les disciples infidèles qui s'étaient concertés ensemble
voulurent le retenir. Il devait, disaient-ils, discuter encore avec eux,
ils avaient bien des explications à lui demander. Mais les apôtres, ses
disciples et ses amis l'entourèrent et il échappa à leurs efforts au
milieu de la presse, du tumulte et des clameurs. Or ces discours et ces
cris étaient ce qu'ils seraient aujourd'hui en pareille occasion: "Nous
y voilà! nous ne demandons rien de plus! il a montré clairement pour
tout homme de sens qu'il a complètement perdu la raison. Il propose des
choses insensées et révoltantes: il met en avant une doctrine inouïe. Il
faut manger sa chair, dit-il, et boire son sang ! Il vient du ciel! il
montera au ciel"!
Cependant Jésus gagna
avec les siens, qui se dispersèrent sur divers chemins, la hauteur qui
s'élève au nord de la ville et de la vallée, près des habitations de
Zorobabel et de Cornélius : quand ils se furent rejoints à un endroit
qui avait été désigné d'avance, il leur parla encore des scandales de la
journée et demanda aux douze s'ils voulaient aussi le quitter. Alors
Pierre lui dit au nom de tous : " Seigneur, à qui irions-nous? vous avez
les paroles de la vie éternelle, et nous avons cru et reconnu que vous
êtes le Christ, Fils du Dieu vivant "! Jésus leur répondit entre autres
choses : " Je vous ai choisis tous les douze et pourtant un de vous est
un démon "!
Ils se rendirent
ensuite à la maison que Pierre avait près du lac, et ils y prirent de la
nourriture : Jésus visita encore Marie.
J'eus encore une
vision que je ne puis rapporter complètement. La mère de Jésus s'était
trouvée présente à ses dernières instructions sur la hauteur et à la
synagogue. Quoiqu'elle eût eu de bonne heure la connaissance des
mystères que Jésus exposait, elle ne s'en était pourtant pas rendu
compte bien clairement. Car de même que la seconde des Personnes divines
s'était incarnée en elle-même, de même que le Verbe s'était fait homme
et était devenu son fils, de même aussi toutes ces profondes
connaissances étaient restées en elle comme enveloppées dans son amour
maternel pour Jésus, amour souverainement humble et respectueux. Mais
aujourd'hui Jésus ayant exposé clairement les mystères de son origine,
de sa présence actuelle et de son retour futur sur la terre, au grand
scandale des hommes aveuglés, les méditations de Marie furent
particulièrement attirées sur ces mystères. Cette nuit, je la vis en
prière dans sa chambre où elle eut une vision, une intuition intérieure
touchant la salutation Angélique, la naissance et l'enfance de Jésus, la
réalité de sa propre maternité et de la filiation du Seigneur qui
faisait qu'elle traitait comme son enfant celui qui était le fils de
Dieu. Cet enfant qui était le sien lui fut montré comme le fils de Dieu
et elle y reçut la connaissance des mystères les plus sublimes : alors
accablée par ses sentiments d'humilité et de vénération, elle versa des
torrents de larmes, et toutes ces intuitions se perdirent de nouveau
dans le sentiment de l'amour maternel pour son divin fils, de même que
le Dieu vivant se cache sous l'espèce du pain dans le sacrement de
l'autel.
Lors de la séparation
des disciples de Jésus j'eus encore une grande vision explicative, mais
je suis trop malade pour la rapporter. Je vis le royaume de Jésus et le
royaume de Satan formant deux sphères. Je vis une cité de Satan et une
femme, la prostituée de Babylone, avec les prophètes et les prophétesses
du démon, ses thaumaturges et ses apôtres ; tout cela m'apparaissait
revêtu d'une grande splendeur, bien plus magnifique, plus riche et plus
rempli que le royaume de Jésus. Je vis des rois, des empereurs et même
beaucoup de prêtres y accourir avec un cortège de chevaux et de
voitures. Satan avait un trône magnifique.
Je vis le royaume du
Christ sur la terre, pauvre, sans apparence, plein de douleurs et de
peines : je vis Marie figurant l'Eglise, et le Christ sur la croix
figurant aussi l'Eglise avec une entrée latérale par la blessure de son
côte, etc. Ici elle s'interrompit.
NOTE
: La pieuse Anne Catherine fut malheureusement tellement absorbée
pendant plusieurs jours par des visiteurs envers lesquels elle
pratiquait des oeuvres de miséricorde spirituelle, qu'elle ne put
communiquer au Pèlerin que quelques rares fragments des visions de
ces jours-là.
CHAPITRE DIXIÈME
Jésus
dans la Haute Galilée et sur les confins de Tyr.
- Jésus à Cana - à
Cydessa - à Elcèse - à Cadès - Nephthali - à Dan. - La
Syro-phénicienne et sa fille. - Jésus à Ornithopolis - à Sarepta
- à Gessur - près du lac Phiala.
(Du 9 février au 4
mars.)
(9 février.)
Aujourd'hui Jésus alla à Cana avec les apôtres et les disciples qui lui
étaient restés fidèles. Le fiancé de Cana, Nathanaël, est à Capharnaum
et lui a demandé à venir le rejoindre. Cana est à environ sept lieues de
Capharnaum. Tous les habitants de Capharnaum, même les ennemis de Jésus,
reconnaissent que Marie est une femme excellente et irréprochable.
(Lundi 10 février.)
Aujourd'hui je vis Jésus passer près de Giscala avec les apôtres et les
disciples. Il les enseigna, dit aux douze quelles étaient leurs
dispositions et l'état de leur âme et les rangea en trois groupes. Dans
le premier se trouvaient Pierre avec André, Jean, Jacques et Matthieu ;
dans le second Thaddée, Barthélémy, Jacques et Jude Barsabas ; dans le
troisième. Simon, Thomas, Philippe et Judas Iscariote.
Jésus dit encore à cette
occasion : " il y a un de mon parmi vous ". Il leur dit tout ce qu'ils
pensaient et tout ce qu'ils espéraient, ce qui les émut et les frappa
vivement. Ce fut dans une grande instruction sur leurs épreuves et leurs
souffrances futures qu'il les caractérisa ainsi. Il ne subordonna pas
ces différents groupes les uns aux autres, mais les plaça seulement
ensemble d'après leurs relations antérieures. Jude Barsabas se tenait
assez près des' groupes et en avant des autres disciples ; c'est
pourquoi il l'agrégea à l'un des groupes et dit aussi quelque chose de
lui.
(11 février.) Jésus
alla avec les apôtres et les disciples à Cydessa, ville située à
quelques lieues au nord de Béthulie et à l'ouest de Gabara, sur le côté
septentrional de la vallée où se trouvent les bains de Béthulie, et sur
une hauteur qui se dirige de l'ouest à l'est vers la vallée de Magdalum.
Il s'y trouve beaucoup de païens d'origine tyrienne et aussi des Juifs.
Des Pharisiens appartenant à la commission envoyée de Jérusalem étaient
venus ici de Capharnaum pour espionner Jésus.
(12 février.) Jésus
a enseigné et guéri dans cette ville, mais il ne s'y trouvait plus que
peu de malades. Aujourd'hui, après une longue instruction, les Scribes
et les Pharisiens ont demandé à Jésus un signe dans le ciel comme
confirmation de sa mission, et il leur a répondu devant tout le peuple
qui accourait en foule pour voir ce qui allait arriver : " Cette
génération perverse et adultère demande un signe, mais il ne lui sera
donne d'autre signe que celui du prophète Jonas !) (Matth, XII, 38-41.)
(13 février.) Hier,
Jésus est allé quelques lieues plus loin vers le nord, à Nephthali, où
il n'était pas encore allé, mais seulement ses disciples. Cet endroit
est à quelques lieues à l'ouest de Capharnaum et au midi de Saphet. Il y
enseigna aujourd'hui dans la synagogue. Je fus très frappée de
l'entendre dire aux disciples et aux apôtres, sur le chemin et dans
l'hôtellerie, que désormais pour guérir et chasser les démons, ils ne
devaient employer d'autres procédés que ceux dont lui-même se servirait
en pareil cas. Il leur donna une force spirituelle pour opérer toujours
comme lui-même opérerait, par l'imposition les mains et l'onction.
Quoique cela se fit sans imposition des mains, il n'y en eut pas moins
transmission effective de force. Ils se tenaient rangés autour de Jésus,
et je vis aller à eux des rayons de couleurs différentes, suivant la
qualité du don et les dispositions propres de chacun. Ils s'écrièrent :
" Seigneur, nous sentons une force en nous : vos paroles sont vérité et
vie ", et dès lors chacun sut comment il devait s'y prendre dans chaque
cas pour opérer des guérisons : ils procédaient alors sans examen
préalable et sans hésitation.
Je vis aujourd'hui dix
soldats avec quelques officiers d'Hérode arriver d'Hésébon à Capharnaüm.
Ils s'enquirent de Jésus, de ses miracles et de sa doctrine, d'abord
auprès du centurion Zorobabel, puis auprès des Pharisiens. Ils
désiraient l'emmener avec eux parce qu'Hérode voulait le voir.
Naturellement le centurion ne leur dit que du bien de Jésus ; il leur
raconta la guérison miraculeuse de son fils, et tous les autres miracles
plus éclatants qui avaient eu lieu en Galilée ; enfin, il leur rendit
compte de tout aussi bien qu'il put.
Note : Malheureusement
toutes les circonstances et les détails depuis longtemps attendus de cet
incident furent perdus, comme tout le reste l'avait été depuis quatre
jours, par la suite du dérangement qu'occasionnèrent des visites.
Les Pharisiens parlèrent
dans un sens tout opposé. Ils dirent qu'ils n'avaient aucune autorité
sur lui, que c'était un vagabond de basse extraction qui courait le pays
avec des gens de toute espèce, prêchait des doctrines tout à fait
étranges, et faisait divers prodiges probablement avec l'aide du démon.
Du reste, il n'était pas à craindre, parce que son parti se composait de
pauvres gens ignorants, de femmes infatuées de lui et de pécheresses.
Les soldats retournèrent
vers Hérode avec ces informations. Ils faisaient partie d'une nouvelle
cohorte attachée à la personne d'Hérode, et qui lui avait été fournie
par la femme avec laquelle il vivait en adultère.
Note : La Soeur pense
qu'ils sont venus des terres d'Hérodiade ou d'un de ses oncles. Elle
qualifie celle-ci de bâtarde aussi bien que sa mère Bérénice. Elle croit
aussi qu'Abigaïl, cette femme reléguée dans le château de Bétharamphtha,
était tante maternelle d'Hérodiade. Voir sur Abigail t. II p. 396.
Hérode Antipas, depuis
qu'il avait appris ce qui s'était passé à Thirza, se préoccupait
beaucoup de Jésus. Depuis le meurtre de Jean, sa conscience le tourmente
beaucoup, et il est plein de soucis et d'inquiétudes. Il a tenu conseil
avec les Hérodiens, et il a fait venir des Sadducéens de Jérusalem pour
les interroger au sujet de la résurrection des morts. Il en est venu a
penser que Jésus pourrait bien être Jean ressuscité, etc. Il s'est
enquis de tout ce que Jean a enseigné sur Jésus. Il a réuni autour de
lui un grand nombre de soldats, et a éloigné ceux qui avaient été le
plus en rapport avec Jean.
J'ai encore vu ces derniers
jours plusieurs choses relatives à la tête de Jean Baptiste. J'espère
que ses parents l'auront bientôt, quand le cloaque sera vidé. Les deux
soldats qui ont suivi Jésus ont pris des mesures à cet effet : ils
étaient précédemment Hérodiens, et faisaient partie de la troupe qui
s'empara de la personne de Jean.
(14-15 février.)
L'endroit où Jésus alla hier au soir avec les disciples est à une lieue
et demie environ au nord de Capharnaum et à trois quarts de lieue du
Jourdain. C'est sur la rive opposée que se trouve, un peu plus au midi,
Bethsaide-Juliade, qui n'est pas située au point précis où le fleuve
entre dans le lac : car entre cette ville et le lac il y a encore une
vallée qui est devant la montagne des Béatitudes. Le pont du Jourdain
est un quart de lieue plus au midi que l'endroit où se trouve à présent
Jésus. Cet endroit s'appelle Elkasa ou Elcèse, et il est divisé en deux
parties par une petite rivière qui va de là se jeter dans le Jourdain et
qui coule autour de Saphet. (Elle a parlé précédemment déjà d'une petite
rivière qui paraît être la même que celle-ci). L'un des quartiers de la
ville est plus élevé que l'autre qui descend vers la vallée du Jourdain.
Il y a ici des Juifs et des païens.
Jésus logea chez les gens
qui étaient venus le prendre pour l'amener ici. Il guérit ce matin
plusieurs malades dans les maisons et enseigna de côté et d'autre. Les
apôtres se répandirent dans les environs, où ils guérirent et
enseignèrent, eux aussi.
Le soir, Jésus alla à la
synagogue avec tous les disciples, et il y fit l'instruction du sabbat,
dans laquelle il était question du temple de Salomon. Il me revient
maintenant qu'il parla aux apôtres et aux disciples comme s'il se fût
adressé aux ouvriers qui abattaient et équarrissaient des cèdres sur la
montagne pour la construction du temple : il traita aussi de sa
décoration intérieure. Jésus, pendant son instruction, ne rencontra pas
de contradiction marquée. Mais quand il sortit de la synagogue où
s'étaient trouvés beaucoup de Pharisiens, notamment de ceux de
Capharnaüm, il fut invité à un repas. On mangea dans une salle ouverte
destinée aux fêtes publiques : beaucoup de personnes se tenaient à
l'entour pour entendre ce qu'il disait, et on distribua des aliments à
un grand nombre de pauvres. Les Pharisiens ayant remarqué que ses
disciples ne se lavaient pas les mains avant de manger, lui demandèrent
pourquoi ils n'observaient pas la tradition de leurs pères et ne
faisaient pas les ablutions accoutumées. Il leur demanda à son tour
pourquoi ils n'observaient pas la loi et ne faisaient pas passer avant
leurs traditions l'honneur dû à leurs pères et mères : il leur reprocha
leur hypocrisie et leur attachement à de pures formes extérieures comme
étaient leurs purifications.
Le repas ayant pris fin
après cette contestation, il sortit, appela à lui tout le peuple qui se
pressa en foule autour de lui, et dit : "Écoutez et comprenez ! Rien de
ce qui entre du dehors dans la bouche de l'homme ne peut le souiller :
ce qui le souille, c'est ce qui vient de l'intérieur au dehors. Que
celui-là entende, qui a des oreilles pour entendre "! Lorsqu'il fut
revenu à son logis, les disciples lui dirent que ces paroles avaient
scandalisé les Pharisiens, et il leur dit : " Toute plante que mon Père
n'a pas plantée sera arrachée. Laissez-les : ce sont des aveugles
conducteurs d'aveugles, et si un aveugle en conduit un autre, tous deux
tombent dans la fosse". Pierre lui dit alors : " Expliquez-nous cela " !
et Jésus répondit : " Êtes-vous sans intelligence, vous aussi "? et le
reste comme on le lit dans saint Matthieu, XV, 17-20.
(15 février.) Jésus
continua encore aujourd'hui son instruction du sabbat dans la synagogue.
Il parla de nouveau, comme il l'avait fait souvent dans les derniers
temps, sur des textes du prophète Malachie. Il prépara aussi au baptême
un grand nombre de Juifs et de païens qu'il alla visiter dans leurs
quartiers après le repas. On baptisa dans un jardin de bains, au bord du
ruisseau qui traverse la ville.
Le soir, il termina
l'instruction du sabbat, et les Pharisiens recommencèrent à lui
reprocher les irrégularités de ses disciples touchant le jeûne. Jésus
répliqua en reprochant à son tour aux Pharisiens leur cupidité et leur
dureté, et il dit, entre autres choses, que les disciples mangeaient
après avoir beaucoup travaillé, quand eux-mêmes et quand les autres
aussi avaient quelque chose : mais que quand les autres avaient faim,
ils leur donnaient ce qu'ils avaient, et que Dieu les bénissait. Il cita
à ce propos la multiplication des pains, où ils avaient donné aux
affamés leurs pains et leurs poissons, et il demanda à ses
contradicteurs s'ils en faisaient autant. Il répéta ici certaines choses
qu'il avait déjà dites.
Après la clôture du sabbat,
Jésus quitta la ville. Ils allèrent au nord-ouest, laissèrent Saphet à
gauche et passèrent la nuit dans des cabanes de toile abandonnées par
des paiens qui avaient campé là.
Ils ont fait environ trois
lieues de chemin. Pendant la route, Jésus ne cessa d'enseigner sur la
prière. Il leur expliqua le sens spirituel de l'oraison Dominicale et
leur dit que jusqu'à présent ils n'avaient pas encore prie comme il
fallait : comme ils cherchaient à se justifier à ce sujet, il leur dit
qu'ils priaient, comme Esau, pour obtenir la graisse de la terre, mais
qu'ils devaient prier, comme Jacob, pour obtenir la rosée du ciel ;
qu'ils ne demandaient point les biens spirituels et la grâce d'être
éclairés, qu'ils ne demandaient point le royaume du ciel, conformément à
la volonté de Dieu, mais conformément à leurs idées, et qu'ils
espéraient des avantages temporels.
Anne Catherine rapporta
encore, mais d'une façon trop peu précise pour qu'on puisse la
reproduire, une vision étendue qui se rattachait à ce qu'elle venait de
raconter, et qui était accompagnée de beaucoup d'éclaircissements et de
révélations sur l'état déplorable dans lequel est tombée, de nos jours,
la prière, tant publique que privée. Elle décrivit aussi le site de
plusieurs localités du pays, et mentionna une forteresse bâtie avec des
pierres noirâtres et située au delà de la vallée du Jourdain. Elle est
dans les montagnes qui sont au nord-ouest de Saphet. A l'ouest de ces
montagnes et à leur ombre, se trouve une contrée stérile et désolée qui
s'étend vers le sud : je crois que c'est la terre de Khaboul. Il y a là
plusieurs villes d'un aspect singulier : elles ressemblent presque à de
grandes flottes, tant on y voit de perches et de longues draperies
déployées au-dessus des maisons. (il s'y trouve probablement beaucoup de
tisserands et de teinturiers.) Ce pays, en outre, est très brumeux, et
j'ai souvent cru qu'ils tendaient ces toiles pour se préserver du
brouillard.
(16 février.)
Aujourd'hui vers midi, je vis Jésus avec les disciples, au nord-ouest de
Saphet, passer par cette forteresse noire qui est sur la hauteur. Elle
s'appelle Cadès, c'est une ville de Lévites et une ville de refuge : le
juge Barak qui défit Sisara, y était né. C'est une place forte avec une
double enceinte de murailles et de tours bâties en pierres noires
luisantes. Elle est située sur la hauteur à quelques lieues au nord de
Saphet, toutefois plus bas que celle-ci : elle domine un petit cours
d'eau qui se jette dans le Jourdain ou dans le lac Mérom. On voit de là,
au nord et à l'ouest, plusieurs endroits situés dans les montagnes que
Jésus doit franchir pour aller à Tyr.
Jésus n'a fait que
traverser Cadès qui est bien à dix lieues de l'endroit bu il a célébré
le sabbat. Aujourd'hui Jésus a rencontré souvent des troupes de païens
et de Juifs de la frontière qui allaient dans un sens ou dans l'autre,
et il les a enseignées sur la route tout en marchant. Une partie de ces
gens venaient de Capharnaum, où ils avaient assisté à ses instructions
et à ses guérisons, et ils retournaient chez eux. Il en guérit plusieurs
: les apôtres en guérirent aussi quelques-uns.
Il y a des mines de fer
dans le voisinage de Cadès. Nephthali. Jésus traversa Cadès et entra
dans une hôtellerie située de l'autre côté de la ville : il s'en
trouvait là plusieurs voisines les unes des autres. Les Pharisiens l'y
suivirent et il eut encore une contestation avec eux sur quelque chose
de connu, sur quelque chose qui s'était passé et que j'ai oublié ; puis
après avoir pris quelques rafraîchissements, il continua son chemin. Ils
descendirent du côté du nord, puis ils montèrent de nouveau : ils firent
ainsi environ quatre lieues.
Anne Catherine raconta cela
le soir vers cinq heures, elle l'avait vu dans l'après-midi d'une heure
à trois. Elle avait eu des visions pendant toute la journée : s'étant
mise sur son séant dans son lit et ayant appuyé sa tête sur ses genoux
qu'elle avait relevés, elle dit, en parfait état de veille : ils vont
maintenant plus au nord, à deux lieues de Cadès, par d'étroits sentiers
de montagne et ils descendent vers la vallée. Ils sont seuls et marchent
à la file les uns derrière les autres. Comme ils vont vite ! Ils
marchent à grands pas, le corps penché en avant, et le cortège se
déroule à travers les chemins comme un serpent. Jésus leur parle encore
de la prière. Il leur a dit que les païens eux-mêmes prisaient peu ces
prières qui se font pour obtenir des biens temporels et demandaient des
biens éternels. C'est ce que j'avais ignoré jusqu'à présent.
Ils se dirigèrent vers un
petit endroit situé sur le penchant méridional de la vallée et dont les
maisons sont disséminées parmi des jardins. Il y a là des espaliers et
une quantité d'arbres, de plantes et d'herbes aromatiques : il semble
qu'on s'y occupe exclusivement du jardinage. C'est là que Jésus et les
disciples trouvèrent la dernière hôtellerie préparée spécialement pour
eux : il y en avait aussi une à Elcèse. Quand Jésus est arrivé au sommet
de la haute arête de montagnes, il voit de l'autre côté un désert dans
la direction du midi : il traverse ensuite la pointe que fait au nord le
pays de Khaboul. En descendant de là vers le midi, on rencontre cet
endroit qui était chargé d'une dette et où, dans une vision, je
conduisis une fois les vaches des apôtres. Encore plus au midi, se
trouve l'endroit où je pris le nid d'oiseaux que je donnai au petit
garçon ; il est peu éloigné de la ville aquatique (Sichor Libnath).
NOTE
: Ceci se rapporte à une vision qui sera racontée en son temps dans
la biographie de la pieuse file.
(17 février.) Hier
au soir, Jésus et les disciples sont arrivés à Dan ou Laïs, qu'on
appelait ici Leschem. En venant de Cadès, ils avaient eu à faire environ
quatre lieues, d'abord en descendant, puis en montant. Dan est située à
la naissance d'une haute chaîne de montagnes. Près de là, coule une
petite rivière dont on a fait passer les eaux à travers la ville. Les
maisons y sont disséminées à de grandes distances avec un mélange
singulier de monticules, de terrasses et de murs d'espaliers. On dirait
un assemblage de maisons de campagne dont chacune a son monde établi
autour d'elle, en sorte que les habitations et les jardins se touchent.
Tout le monde ici s'occupe de jardinage. On cultive des fruits et des
plantes de toute espèce, notamment le calamus, la myrrhe, le baume, le
citronnier et un grand nombre de plantes aromatiques. Les habitants en
font le commerce avec Tyr et Sidon et en remplissent des paniers
d'écorce de jonc ou de roseau qu'on porte à dos d'hommes ou qu'on charge
sur des ânes ou des chameaux.
La manière dont la ville
est disposée fait que les païens et les Juifs vivent ici plus mêlés que
dans d'autres endroits. Quelque agréable et fertile que soit le pays, il
doit pourtant être malsain l'atmosphère y est souvent chargée de
brouillards qui descendent des montagnes, et les malades y sont en grand
nombre.
Jésus et les disciples
enseignèrent dans une hôtellerie à leur usage, qui est au centre de la
ville. Les apôtres et les disciples étaient déjà venus ici lors de leur
dernière mission, et ils avaient dispose cette hôtellerie. Jésus avait
avec lui une trentaine de disciples, les apôtres compris. Plusieurs
disciples de Jérusalem et d'autres encore étaient allés chez eux pour
leurs affaires ou pour celles de la communauté : d'autres avaient été
chargés d'autres missions. Ce matin, ceux des disciples qui étaient déjà
venus ici et auxquels les habitants s'étaient adressés à cause de cela,
conduisirent Jésus près de divers malades : après quoi les disciples se
séparèrent pour se répandre dans la contrée l'alentours.
Pierre, Jean et Jacques
restèrent près de Jésus : il alla avec eux dans plusieurs maisons où il
guérit des hydropiques, des hypocondriaques, des possédés, un assez
grand nombre de lépreux qui n'étaient pas très gravement atteints, des
paralytiques et surtout beaucoup d'aveugles et de gens qui avaient des
tumeurs aux joues ou ailleurs. Les aveugles et les gens qui avaient des
enflures aux membres, étaient en grand nombre ici, notamment parmi les
jardiniers et les journaliers.
La cécité était produite
par un petit insecte ailé dont il y avait partout de nombreux essaims :
il piquait les ouvriers aux yeux, ce qui les rendait promptement
aveugles. Jésus leur montra une plante dont les feuilles sont douces au
toucher et qui ne croît pas dans le pays ~ il leur dit d'en exprimer le
suc et de s'en frotter les yeux pour empêcher l'insecte en question de
les piquer. Il leur dit aussi quelque chose sur ce que représentait,
dans l'ordre moral, la vertu de cette plante. Les tumeurs qui
s'enflammaient, devenaient gangreneuses et causaient la mort, venaient
aussi d'un petit insecte que le vent faisait tomber des arbres comme la
nielle des blés. Ces insectes, qui sont d'un noir grisâtre, comme des
paillettes de fer, se multiplient énormément là où ils tombent et
souvent l'air en est obscurci comme par une sombre nuée. Ils se logent
sous l'épiderme et causent ensuite une grande enflure. Jésus montra aux
habitants un autre insecte avec lequel ils pouvaient se guérir en le
mettant sur la tumeur, soit mis en morceaux, soit tout entier. C'était
un scarabée assez semblable au cloporte, blanc avec quinze petits points
sur le dos : il était plat, gros à peu prés comme un oeuf de fourmi, et
pouvait se mettre en boule. Il y a chez nous des insectes semblables,
mais d'une autre couleur et marqués d'un moindre nombre de points.
Pendant toutes ces
guérisons, à l'occasion desquelles il se formait près de chaque maison
un petit rassemblement qui ensuite accompagnait Jésus, le Seigneur fut
constamment suivi par une femme âgée, toute courbée d'un côté. C'était
une païenne d'Ornithopolis, ville située assez près de Sarepta : elle se
tenait humblement à quelque distance de Jésus et implorait fréquemment
son assistance. Mais Jésus ne parut pas y faire attention et il
s'éloigna d'elle : car il ne guérissait pour le moment que les malades
juifs. Un serviteur l'accompagnait portant son bagage. Son costume la
faisait reconnaître pour étrangère : elle avait une robe d'étoffe rayée,
avec des rubans autour des bras et du cou : elle portait sur la tête un
bonnet pointu qui faisait saillie et autour duquel était roulée une
draperie rouge ; par dessus tout cela était un voile. Cette femme avait
une fille qui était possédée d'un démon impur et elle l'avait quittée
depuis un certain temps pour venir ici attendre Jésus. Elle s'y trouvait
déjà lorsque les apôtres y étaient venus, il n'y avait pas longtemps.
Les apôtres parlèrent d'elle à Jésus plusieurs fois dans la journée.
Mais il répondit qu'il n'était pas encore temps, qu'il ne voulait pas
donner de scandale, ni guérir les païens avant les Juifs.
Un peu après midi, Jésus,
avec Pierre, Jacques et Jean, alla dans la maison d'un vieillard qui
était l'un des anciens de la communauté juive : c'était un homme riche
et dont les sentiments étaient excellents. Il avait des relations
d'amitié avec Lazare et Nicodème, et il était partisan secret de Jésus
et des siens.
Il donnait beaucoup pour
les aumônes et les hôtelleries de la communauté : il avait deux fils et
trois filles d'un âge déjà mûr : c'était un vieillard tout à fait
impotent. Ses enfants n'étaient pas mariés : les fils étaient comme
soumis à un voeu : ils étaient Nazaréens, avaient de longues chevelures
séparées en deux par une raie, et des barbes que le fer n'avait pas
touchées. Les filles aussi avaient les cheveux partagés par une raie et
on les voyait sous leur coiffure. Tous étaient habillés de blanc. Le
vieux père avec sa longue barbe blanche fut amené au Seigneur par ses
fils qui le soutenaient sous les bras, car il ne pouvait pas marcher
seul. Il témoigna un profond respect et versa des larmes de joie. Les
fils lavèrent les pieds à Jésus et aux apôtres et leur offrirent une
collation consistant en fruits et en petits pains. Jésus se montra très
affable et très amical envers eux ; il parla de ses prochains voyages et
dit qu'il irait à Jérusalem pour la fête de Pâques, mais non
publiquement. Il ne resta pas longtemps là, car le peuple avait appris
où il était et se rassemblait autour de la maison et dans l'avant-cour.
Il était à peu prés trois
heures après midi, quand Jésus alla dans la cour et dans les jardins de
la maison, et bientôt tout fut rempli de malades sur son chemin. Il
guérit et enseigna pendant plusieurs heures entre des terrasses en
maçonnerie qui soutenaient les jardins. La femme païenne attendait déjà
depuis longtemps, se tenant à distance. Mais Jésus n'alla pas du côte où
elle était et elle n'osa pas s'approcher. Seulement elle criait de temps
en temps, comme elle l'avait déjà fait précédemment : " Seigneur, fils
de David, ayez pitié de moi! Ma fille est tourmentée par un esprit impur
". Les disciples engagèrent Jésus à lui venir en aide. Mais il leur dit
: " Je ne suis envoyé que pour les brebis égarées d'Israël ". Cependant
la femme se rapprocha, entra dans la salle et se jeta aux pieds de
Jésus, lui disant : " Seigneur, secourez-moi " !, Jésus répondit : "
Laissez d'abord les enfants se rassasier. Il ne convient pas de retirer
le pain aux enfants pour le jeter aux chiens ". Mais la femme continua à
l'implorer et répondit : " Il est vrai, Seigneur! Mais les petits chiens
aussi mangent, sous la table de leur maître, les miettes que les enfants
laissent tomber ". Alors le Seigneur lui dit : " Femme votre foi est
grande! à cause de cette parole soyez exaucée " !
Il lui demanda si elle ne
voulait pas aussi être guérie, car elle était toute courbée d'un côté :
mais elle ne s'en jugea pas digne et demanda seulement pour sa fille.
Alors Jésus lui mit une main sur la tête, l'autre sur le côté, et lui
dit : " Redressez-vous! Qu'il vous soit fait comme vous voulez! le démon
est sorti de votre fille ". Là-dessus, cette femme se redressa de toute
sa hauteur ; elle était grande et élancée : elle garda le silence
quelques instants, leva les mains au ciel et s'écria : " Seigneur, je
vois ma fille en pleine santé reposer paisiblement sur son lit ". Elle
était comme hors d'elle-même, tant sa joie était grande, et Jésus se
retira avec ses disciples.
Il y eut plus tard un repas
chez le Nazaréen : il s'y trouvait des Lévites de Cadès, ainsi que tous
les apôtres et disciples qui étaient revenus à l'hôtellerie. Ce fut un
repas splendide comme on n'en avait pas vu depuis longtemps : de larges
distributions furent faites aux pauvres par les disciples. Jésus revint
tard à son logis. Hier et aujourd'hui, il y avait fête de la nouvelle
lune.
(15 février.) Ce
matin, je vis Jésus guérir dans une salle ouverte, soutenue par des
colonnes, où se tient ordinairement le marché. La femme guérie hier
était encore là, se tenant à quelque distance avec toute sa suite : car
beaucoup de personnes étaient venues d'Ornithopolis avec elle. De ce
nombre était un de ses parents qui était paralysé du bras droit, et
sourd et muet : il n'était plus jeune. La femme pria Jésus de le guérir,
et lui demanda en outre de vouloir bien venir dans leur pays, afin
qu'ils Dussent lui témoigner leur gratitude.
Jésus emmena l'homme a
l'écart hors de la foule. Il posa la main sur le bras paralysé, fit une
prière et tira à lui ce bras qui se trouva guéri. Ensuite, il lui mit un
peu de salive dans les oreilles, et lui dit de porter à sa langue la
main qui venait d'être guérie. Le malade comprit parfaitement et fit ce
qu'il lui disait Jésus leva les yeux au ciel et pria, et l'homme,
s'étant redressé, lui adressa la parole pour le remercier. Jésus revint
avec lui vers le peuple qui se pressait en foule : mais cet homme se mit
à tenir des discours surprenants et prophétiques. Il se prosterna aux
pieds de Jésus et lui rendit grâces, puis se tournant vers les paiens et
les Juifs, il proféra des menaces contre Israël, nomma les uns après les
autres les lieux où Jésus avait fait des miracles, parla de
l'endurcissement des Juifs et dit : " La nourriture dont vous ne voulez
pas, vous enfants de la maison, nous autres qui étions rejetés, nous la
recueillons ; nous en vivrons pleins de reconnaissance, et aux miettes
que nous ramassons viendra s'ajouter tout ce que vous laissez perdre du
pain céleste " ! Il parla avec tant d'enthousiasme dit des choses si
surprenantes, qu'il y eut une grande émotion parmi le peuple.
Alors Jésus, s'étant dérobé
à grand peine, quitta la ville : il retrouva les disciples et les
apôtres au pied des montagnes qui sont à l'ouest de Leschem. Ils
arrivèrent en gravissant péniblement jusqu'à un sommet inaccessible.
C'était un lieu très retiré où il y avait une caverne spacieuse dont
l'intérieur était fort propre et où des bancs étaient taillés dans la
pierre : ces montagnes sont pleines de grottes semblables sur ce versant
et sur le versant opposé. Elles ont autrefois servi d'habitations :
maintenant ce sont des lieux de repos pour les voyageurs. Ils ont bien
fait deux lieues pour arriver jusque là, et ils y ont passé la nuit.
Jésus donna des instructions aux apôtres et aux disciples sur les
différentes formes à observer pour opérer la guérison des différentes
maladies : car ils lui avaient demandé pourquoi il avait prescrit au
muet de mettre sa propre main dans sa bouche et pourquoi il l'avait
emmené à l'écart. Il leur donna des explications à ce sujet : il
enseigna encore sur la prière, et loua la femme païenne qui n'avait
cessé de prier pour arriver à connaître la vérité. et non pour obtenir
des biens temporels. Ils avaient emporté avec eux quelques aliments.
Pendant la nuit, ils se levèrent à plusieurs reprise pour prier.
(19 février.) Jésus
prit un peu de repos dans la grotte avec les disciples. On jouissait ici
d'une très belle vue sur la vallée et sur Saphet : on avait au-dessous
de soi des villes nombreuses, de petites rivières et le lac Mérom.
Jésus donna ici ses
instructions aux apôtres et aux disciples sur tout ce qu'ils avaient à
observer lors de leur prochaine mission. Maintenant, au commencement du
prochain voyage qui se fera en pays paien, ils ne se sépareront pas :
plus tard une partie des disciples ira au midi, par Aser, si je ne me
trompe, quant à Jésus, il viendra avec les autres à travers la Décapole
jusqu'à la mer de Galilée. Hier, à Leschem lorsque la Syro-phénicienne
l'invita, il lui dit quelque chose du chemin qu'il allait suivre et il
nomma à cette occasion le malheureux pays de la Décapole où le peuple
est si délaissé.
Cette femme a laissé de
l'argent à Leschem, elle veut faire ériger un monument avec sa posture,
à l'endroit où Jésus a guéri sa fille et elle. Cette femme a dans son
nom quelque chose qui rappelle celui d'Adélaide : c'est un nom étranger
et on y trouve la syllabe laî ou aî .
Il y eut dans les
enseignements de Jésus aux apôtres plusieurs prescriptions qui se
trouvent dans l'Evangile à l'endroit où sont rapportées les instructions
relatives à leur mission : il dit par exemple qu'ils ne doivent rien
emporter avec eux, parce que l'ouvrier a droit à son salaire. Il leur
donna aussi certaines règles qu'ils devaient suivre : ainsi ils devaient
aller deux par deux, répéter ce qu'il leur avait enseigné en dernier
lieu et traiter tous en même temps les mêmes sujets ; se réunir souvent
et se communiquer mutuellement ce qui leur était arrivé ; alors les
disciples devaient apprendre des apôtres ce qu'ils auraient
prochainement à enseigner de concert, puis ils devaient prier tous
ensemble : sur les chemins, ils devaient s'entretenir uniquement de ce
qu'ils avaient à prêcher et faire la prière en commun. Il parla aussi de
la fête de Pâque, dit qu'il voulait aller secrètement à la fête et leur
dit qu'ils se rencontreraient là. Cette fête leur inspirait quelques
craintes.
Note : La narratrice se
sert de ce mot au lieu de celui de statue, et elle ne fait pas mention
d'une statue de Jésus. Des écrivains récents confondent souvent Leschem
avec Panéas, qui doit pourtant en être éloignée de quatre milles
romains. Eusèbe place à Panéas la célèbre statue de l'hémorrhoisse de
cette ville, guérie à Capharnaum. Les deux endroits n'en faisaient-ils
qu'un ? L'hémorrhoisse en faisant élever son monument, a-t-elle suivi
l'exemple donné par la Syro-phénicienne, ou bien a-t-on confondu à une
époque postérieure les sujets des monuments ? C'est ce qu'il est
difficile de décider (Note du Pèlerin.)
Cependant il était midi et
ils avaient remarqué depuis longtemps qu'un grand nombre de personnes se
dirigeaient par la ville vers la montagne sur laquelle ils se tenaient
cachés. Mais avant que ces gens eussent eu le temps de gravir la
montagne elle-même, Jésus se remit en marche avec les disciples.
Lorsqu'ils eurent regagné le chemin, ils montèrent quelque temps dans la
direction du sud-ouest et passèrent à un quart de lieue de distance
devant une ville située dans une position élevée et qui s'appelait
Amathor. Ils la laissèrent à gauche, tournèrent au nord-ouest et
gravirent une pente très escarpée jusqu'au haut de l'arête, d'où l'on
voyait la Méditerranée. Ils firent alors plusieurs lieues en descendant
toujours et passèrent une rivière qui se jette dans la mer au nord de
Tyr. Ils la passèrent sur un radeau qui se trouvait là. Je crois qu'ils
ont laissé Hétalon à leur droite. Ils entrèrent dans une hôtellerie qui
se trouvait près du chemin. Ils étaient encore à trois ou quatre lieues
d'Ornithopolis.
La Syro-phénicienne
occupait une position élevée dans sa ville natale. Elle était déjà
revenue chez elle en passant par ici et elle avait préparé un très bon
logement pour Jésus. Les païens vinrent dans une attitude très humble
au-devant de Jésus et de sa suite : ils les conduisirent à l'écart et
leur rendirent, avec beaucoup de timidité et de respect toute espèce de
services : ils considéraient Jésus comme un très grand prophète.
(20 février) J'ai vu
ce matin Jésus et les disciples peu de distance de l'hôtellerie où ils
avaient passé la nuit, dans le voisinage d'une petite ville païenne, se
diriger vers une hauteur où se trouvait une chaire en pierre qui datait
de l'époque des plus anciens prophètes dont quelques-uns avaient souvent
enseigné ici. Les païens de temps immémorial avaient un certain respect
pour ce lieu ; aujourd'hui ils l'ont décoré en tendant un beau pavillon
au-dessus de la chaire : ils ont, du reste, pour Jésus une déférence
extraordinaire.
Beaucoup de malades étaient
rassemblés là. Ils se tenaient respectueusement à quelque distance, et
ce fut Jésus lui-même qui s'approcha d'eux. Les disciples et lui en
guérirent plusieurs qui avaient des ulcères, d'autres qui étaient
paralytiques ou avaient des membre desséchés, et aussi des
mélancoliques, gens à moitié possédés qui lorsqu'ils étaient guéris
semblaient se réveiller d'un profond sommeil. Il se trouvait là encore
quelques personnes qui avaient à certains membres, par exemple autour
des coudes, de grosses tumeurs d'une mauvaise nature. Je ne sais plus
quelle en était la cause, mais je crois que c'était aussi la piqûre de
quelque insecte ou de quelque autre bête venimeuse. Jésus mettait la
main sur ces tumeurs qui s'aplatissaient et cessaient d'être
douloureuses, puis il faisait apporter par les disciples une plante qui
croissait là sur le roc nu et qui avait quelque ressemblance avec notre
joubarbe : elle avait de grandes feuilles épaisses et grasses, avec de
profondes entailles en dessous, et du milieu desquelles s'élevait une
longue dessous, et du milieu desquelles s'élevait une longue tige
portant la fleur. Jésus bénit une de ces feuilles sur laquelle il versa
de l'eau qu'il portait avec lui dans un flacon, et les disciples
l'appliquèrent par le côté entaillé suer les parties malades qu'ils
bandèrent ensuite.
Jésus fit sur cette hauteur
une instruction singulièrement touchante sur la vocation des païens : il
expliqua à ses auditeurs plusieurs passages des prophètes et fit
ressortir le néant de leurs idoles. Après quoi il guérit encore, puis il
partit avec les disciples et se dirigea du côté de la mer vers
Ornithopolis, qui en est encore éloignée de trois quarts de lieue à peu
près. Cette ville n'est pas très grande, mais il y a de beaux édifices.
Elle se compose de deux rangées de maisons placées des deux côtés de la
route : à l'est de la ville on voit sur une hauteur un beau temple
d'idoles.
Jésus y fut reçu avec une sympathie extraordinaire. La Syro-phénicienne,
qui est une des personnes les plus riches et les plus considérables de
l'endroit, avait fait de grands frais pour le recevoir de la manière la
plus honorable, et par humilité elle avait chargé de tous les
préparatifs le peu de pauvres familles juives qui habitaient la ville.
La délivrance de la fille, le redressement de la mère et surtout la
guérison de leur parent sourd-muet, lequel, ici comme ailleurs, en
racontant ce que Jésus avait fait pour lui, l'avait exalté dans son
langage prophétique, étaient déjà le sujet de tous les entretiens. Tout
le peuple était rassemblé devant les maisons, les païens se tenaient à
une distance respectueuse et tendaient de loin au cortège des branches
vertes.
Les Juifs qui étaient à peu près une vingtaine et parmi lesquels il y
avait des hommes d'un grand âge qu'il fallait conduire, vinrent au
devant de Jésus, ainsi que le maître d'école avec tous les enfants : les
femmes et les filles venaient à la suite couvertes de leurs voiles.
Une maison voisine de l'école avait été préparée pour Jésus et ses
disciples : la Syro-phénicienne l'avait fait garnir de beaux tapis, de
vases de toute espèce et de lampes. Les Juifs leur lavèrent les pieds
avec beaucoup d'humilité : on leur offrit une réfection composée de mets
très choisis, et on leur donna d'autres vêtements et d'autres chaussures
jusqu'à ce que les leurs eussent été battus et nettoyés. Après cela
Jésus enseigna les Juifs de l'endroit et s'entretint avec les préposés
de l'école.
Plus tard, il y eut un grand festin dans une salle ouverte. La
Syro-phénicienne avait présidé à tout, et l'on voyait, aux apprêts, à la
vaisselle, aux mets et à tout l'arrangement du repas, que tout avait été
disposé par une païenne. Il y avait trois tables : elles étaient
beaucoup plus hautes que celles dont les Juifs faisaient usage, et il en
était de même des lits où s'étendaient les convives. On voyait sur les
plats des figures singulières qui représentaient des animaux, des
arbres, des montagnes et des pyramides : il y avait des mets qui étaient
autre chose que ce qu'ils représentaient : spécialement des pâtisseries
et des fleurs artificielles de toute espèce, des poissons façonnés en
forme d'oiseaux, et des viandes en forme de poissons, des agneaux faits
d'épices et de fruits, de farine et de miel ; il y avait aussi de vrais
agneaux. Jésus mangeait à une table avec les apôtres et les plus vieux
d'entre les Juifs : aux deux autres étaient les disciples avec d'autres
Juifs : il y avait en outre pour les femmes et les enfants une autre
table séparée par une cloison. Pendant le repas, la Syro-phénicienne
vint avec sa fille et ses proches remercier Jésus de leur guérison. Elle
était suivie de quelques serviteurs qui portaient entre eux sur des
tapis des présents contenus dans plusieurs coffrets très élégants. La
fille vint, couverte de son voile, se placer derrière Jésus, et ayant
brisé au-dessus de sa tête une fiole d'onguent précieux, elle se retira
discrètement près de sa mère. Les serviteurs remirent les présents aux
disciples, c'étaient des présents de la fille. Jésus remercia, et la
mère lui dit qu'il était le bienvenu dans leur pays ; elle ajouta
qu'elle se trouverait heureuse de pouvoir lui témoigner sa bonne volonté
et, malgré son indignité, de réparer quelque peu les torts nombreux que
tant de gens de sa nation avaient envers lui. Elle dit tout cela en peu
de mots, avec beaucoup d'humilité et en se tenant à une distance
respectueuse. Je ne me rappelle plus ce que Jésus répondit, mais je vis
qu'il fit aussitôt distribuer sous ses yeux aux pauvres Juifs une grande
partie de l'or qui se trouvait parmi les Présents et aussi beaucoup des
mets qui étaient sur la table.
La Syro-phénicienne est une
veuve très riche, son mari est mort depuis cinq ans environ. Il avait
beaucoup de grands navires sur la mer et un grand nombre de serviteurs.
Je ne sais pas ce qu'il était, mais il avait de grands biens et
possédait des villages tout entiers. Il y a à peu de distance d'ici, sur
un promontoire qui s'avance dans la mer, tout un repaire de païens, qui
appartient à cette femme. Je crois que c'était un grand négociant. Sa
femme jouissait ici d'une grande considération. Les Pauvres Juifs ne
vivaient guère que de ses aumônes. Elle était très intelligente et très
bienfaisante et, malgré son paganisme, elle n'était pas sans quelques
lumières en matière de religion. Sa fille avait environ vingt-quatre ans
: elle était grande, belle et bien faite. Elle portait une robe bariolée
avec des rubans au cou et des anneaux autour des bras. Elle avait eu
beaucoup de prétendants à cause de sa richesse, et plus tard elle avait
été possédée d'un esprit immonde. Elle était sujette à des convulsions
effrayantes, et, dans son délire, elle s'élançait hors de son lit et
cherchait à s'échapper Il fallait la surveiller de près et même
l'attacher. Dans les intervalles de ses accès, elle était très bonne et
très vertueuse. C'était un affreux chagrin et une grande humiliation
pour la mère et la fille, et il fallait tenir celle-ci toujours cachée.
Il y avait déjà plusieurs années qu'elle était dans cet état. Lorsque la
mère revint chez elle, sa fille vint à sa rencontre et lui dit à quelle
heure elle s'était trouvée guérie : c'était précisément le moment où
Jésus avait annoncé sa guérison. Combien ne fut-elle pas réjouie et
surprise de revoir sa mère qui l'avait quittée toute courbée devenue une
femme grande et svelte ; d'entendre son cousin, le sourd-muet
paralytique, la saluer d'une voix distincte et joyeuse. Elle fut
pénétrée de reconnaissance et de respect pour Jésus et prit part à tous
les préparatifs qu'on faisait pour le recevoir.
Les présents que Jésus
avait reçus, ce soir, étaient les joyaux de la fille qu'elle avait
reçus, depuis sa jeunesse, de ses parents et particulièrement de son
père dont les relations commerciales étaient très étendues. C'étaient
uniquement des objets d'art païens très antiques et des bijoux comme on
en donne aux enfants de familles riches. Il y en avait que ses parents
avaient reçus en héritage de leurs ancêtres : beaucoup de petites idoles
très curieuses, faites de perles et de pierres précieuses enchâssées
dans de l'or, des pierreries rares de grand prix, de petits vases, des
animaux en or, des figures de la longueur du doigt dont les yeux et la
bouche étaient faits de pierres précieuses, des pierres odoriférantes,
des morceaux d'ambre et de petits lingots d'or ayant la forme d'arbustes
et où étaient enchâssées des pierres de couleur représentant des fruits,
enfin une multitude de choses. C'était tout un trésor, car il y avait là
différents objets qui vaudraient aujourd'hui un millier d'écus. Jésus
leur dit que tout cela devait être donné aux pauvres et aux nécessiteux,
et que son Père céleste leur en tiendrait compte.
(21 février. ) Le
jour du sabbat, Jésus visita tour à tour les familles juives de
l'endroit. Il en était venu encore d'autres des environs. Il distribua
des aumônes, guérit quelques malades et les consola. Ils vivaient ici
très pauvres et très délaissés : il les réunit à la synagogue et leur
tint des discours très touchants et très consolants, car ils se
regardaient comme rejetés d'Israël, et comme indignes d'en faire partie.
Il en prépara aussi beaucoup au baptême : après le dîner, une vingtaine
d'hommes furent baptisés dans un jardin où les Juifs prenaient des
bains: parmi ces néophytes était le sourd-muet, parent de la femme
païenne et guéri par Jésus.
Vers midi, Jésus alla avec
ses disciples chez la Syrophénicienne. Elle habitait une belle maison
entourée de cours et de jardins. On fit à Jésus une réception très
solennelle ; tout le monde était en habits de fête, et on étendit des
tapis sous ses pieds. A l'entrée d'une belle salle ornée de colonnes qui
donnait sur le jardin, la veuve et sa fille vinrent au devant de lui.
voilées, se jetèrent à ses pieds et le remercièrent, ainsi que le
sourd-muet guéri. Dans la salle, on lui présenta dans de la vaisselle
précieuse une magnifique collation composée de pâtisseries singulières
et de fruits de toute espèce. Les vases étaient pour la plupart d'une
espèce de verre formé de fils de couleur fondus ensemble et entremêlés.
J'ai vu parfois chez de riches Juifs quelques vases de ce genre, mais
ici ils étaient en grand nombre et comme dans leur pays. Dans les angles
de la salle s'élevaient contre les murs de grands dressoirs garnis de
vaisselle du même genre et recouverts de rideaux. Les plats étaient
servis sur plusieurs petites tables qui avaient aux pieds comme des
mufles de doguins i ; on pouvait réunir toutes ces petites tables rondes
et anguleuses de manière à en faire une seule grande table.
Je me souviens qu'on servit
dans ces vases dont j'ai parlé, de beaux raisins secs pendant encore aux
branches. Je me rappelle aussi des fruits secs d'une autre espèce, qui
étaient disposés sur des tiges comme sur des arbustes : c'étaient des
roseaux avec de longues feuilles en forme de coeur, au-dessus desquelles
étaient insérés des fruits réunis en grappes : ils étaient blancs,
peut-être couverts de sucre, et avaient l'aspect de la partie blanche du
chou-fleur : on les cueillait sur ces tiges pour les manger ; ils
avaient une saveur douce et agréable. Ces petits faisceaux de roseaux
étaient ornés de guirlandes d'herbes aromatiques en haut, en bas et au
milieu. Ce végétal se cultivait à peu de distance de la mer dans un
terrain marécageux qui appartenait à la Syro-phénicienne. Il y avait
encore toute sorte de mets arrangés en forme de poissons, d'agneaux et
d'oiseaux, mais composés d'autres ingrédients.
NOTE
: C'est ainsi que la Soeur avait coutume de désigner les masques ou
têtes d'animaux qui servaient d'ornement aux meubles paiens.
Dans une partie séparée de
la salle se tenaient beaucoup de jeunes filles païennes, amies de la
fille de la maison ou attachées à son service. Jésus s'approcha d'elles
et leur parla. La veuve fit de vives instances à Jésus pour qu'il voulût
bien visiter les pauvres gens de Sarepta et d'autres endroits voisins.
Elle était très intelligente et avait une manière très ingénieuse de
présenter les choses. Elle parla à peu près en ces termes : " Sarepta,
où une pauvre veuve partagea ce qu'elle avait avec Elle, est elle-même
une pauvre veuve dans la détresse. Ayez-en pitié' vous le plus grand des
prophètes, et pardonnez-moi, à moi qui suis aussi une pauvre veuve à
laquelle vous avez tout rendu, de vous implorer aussi pour Sarepta. ~
Jésus lui promit d'y aller. Elle lui dit encore qu'elle avait le désir
de faire bâtir une synagogue et elle le pria de lui en marquer la place.
Je ne me souviens plus de la réponse de Jésus.
Cette femme avait de
grandes fabriques de toiles et des teintureries. Je vis dans le petit
endroit, voisin de la mer, que j'ai mentionné comme lui appartenant, et
aussi à quelque distance de sa maison, de grands bâtiments au-dessus
desquels il y avait des échafaudages où étaient étendues des pièces
d'étoffe grise et jaune. Parmi les présents qu'elle avait envoyés hier,
il y avait entre autres choses de petites coupes, de petites boules et
des morceaux d'ambre jaune, substance très estimée dans ce pays.
Avant le sabbat Jésus
enseigna encore quelques groupes de païens dans la cour de cette femme ;
après quoi il alla célébrer le sabbat dans l'école des Juifs qui était
très élégamment ornée. Il fit une instruction indiciblement touchante et
consolante : les pauvres gens fondaient tous en larmes ; ils étaient
tout heureux et tout consolés. Ils étaient de la tribu d'Aser. Je ne
sais plus à la suite de quel méfait leurs ancêtres avaient été obligés
d'émigrer dans ce pays. Mais cela les rendait très timides, et dans leur
abandon ils se regardaient comme rejetés sans espoir de retour.
Jésus lut dans les
Écritures un passage d'Ézéchiel touchant l'autel du nouveau temple et
les chapitres de l'Exode qui traitent des vêtements sacerdotaux, de la
consécration des prêtres et des sacrifices. (Ezéch., XLIII, 10-27 ; Exod.,
ch. XXVII-XXX.) Mais pour la consolation particulière de ces pauvres
gens, il dit aussi qu'on ne devait plus se servir, dans Israel, de cette
locution proverbiale : " Nos pères ont mangé des raisins verts et leurs
enfants en ont eu les dents agacées ". Il leur dit que quiconque
accueillait la parole de Dieu qui lui était annoncée, faisait pénitence,
et recevait le baptême, n'était plus chargé des fautes de ses pères.
Cela réjouit infiniment ses auditeurs.
Je ne sais plus où Jésus
alla encore après être sorti de la synagogue, mais il se dirigea vers la
mer avec ses disciples, peut-être pour visiter des pauvres et des
malades. Il alla dans l'endroit où croissaient les roseaux dont il a été
parlé plus haut.
( 22 février.) Ce
matin j'ai vu Jésus dans l'école avec les enfants, puis ensuite avec les
Juifs. On baptisa quelques personnes parmi lesquelles il y avait des
enfants.
Dans l'après-midi, Jésus
prit congé de la Syro-phénicienne : celle-ci, sa fille et leur cousin
lui donnèrent encore des figures d'or, longues comme la main, qu'ils
possédaient ; on lui envoya aussi à son hôtellerie, comme provisions de
voyage, des pains, du baume, des fruits, du miel dans des corbeilles de
jonc, et de petits flacons ; il y avait aussi des présents pour les
pauvres de Sarepta. Jésus donna des avis à toute la famille, leur
recommanda d'avoir pitié des pauvres Juifs et de penser à leur propre
salut, puis il quitta la maison au milieu des larmes de tous les
assistants qui lui témoignèrent une humble déférence. La
Syro-phénicienne avait de grandes lumières et elle cherchait la vérité :
elle n'ira plus dorénavant au temple paien avec sa fille. Elle veut
s'attacher aux enseignements de Jésus et embrasser le judaïsme ; elle
s'efforcera aussi d'y décider successivement les gens qui dépendent
d'elle.
Jésus donna encore, à
plusieurs reprises, des instructions à ses disciples sur la marche
qu'ils avaient à suivre et sur les devoirs qu'ils avaient à remplir dans
leur mission actuelle. Thomas, Thaddée et Jacques le Mineur avec tous
les disciples, à l'exception de ceux qui restèrent auprès de Jésus, se
dirigèrent au midi vers le territoire de la tribu d'Aser. Ils ne
devaient rien porter avec eux. Quant à lui, accompagné des neuf autres
apôtres, de Saturnin, de Jude Barsabas et d'un troisième encore, il
partit après le sabbat, et se dirigea au nord vers Sarepta ; tous les
Juifs et plusieurs paiens lui firent la conduite pendant une partie du
chemin. Seize Juifs l'accompagnèrent jusqu'au bout.
Sarepta est à peu près à
deux lieues et demie au nord-est d'Ornithopolis, à trois lieues de la
mer, à l'endroit où les montagnes commencent. Elle ne serait pas si
éloignée de la côte, si la terre ici ne s'avançait dans la mer comme un
promontoire. Jésus n'entra pas à Sarepta même, mais il s'arrêta à une
rangée de maisons qui sont encore assez loin de la ville ; c'était là
que la veuve de Sarepta ramassait du bois mort lorsqu'elle vint à elle.
Il y a là une colonie de pauvres Juifs qui sont encore plus misérables
que ceux d'Ornithopolis auxquels viennent en aide les libéralités de la
Syrophénicienne. Ici aussi une hôtellerie avait été préparée pour Jésus
et pour les siens, par les soins de cette femme, et des présents
destinés aux pauvres y avaient déjà été envoyés d'avance pour lui. Les
habitants, transportés de joie et saisis de la plus vive émotion,
vinrent à sa rencontre avec leurs femmes et leurs enfants et lui
lavèrent les pieds. Jésus enseigna pendant le repas ; il commença dès
lors à distribuer des secours aux pauvres et il leur envoya des
aliments.
(23 février.) Jésus
n'entra pas à Sarepta même, mais plusieurs apôtres y étaient allés pour
acheter du pain et des vêtements que Jésus fit distribuer ici aux
habitants qui sont très pauvres. Il y a encore trois lieues à peu près
de Sarepta à la mer, et cette colonie de Juifs est bien à une demi lieue
de Sarepta.
Jésus consola et enseigna
les habitants ; après le repas il fit encore deux lieues en montant ;
les seize hommes d'Ornithopolis et d'autres personnes de Sarepta
l'accompagnèrent. Il fit encore une instruction sur une colline située
dans le voisinage d'une petite ville de paiens, en présence d'une
réunion nombreuse qui l'attendait, après quoi il alla plus loin. Il
passa la nuit dans une hôtellerie voisine d'une ville où ses compagnons
d'Ornithopolis le quittèrent.
(24 février.) Le
jour suivant, Jésus et les disciples se dirigèrent à l'est, montant vers
l'Hermon, qui parait être le point culminant de la haute chaîne de
montagnes qui enserre la Galilée supérieure. Il franchit l'Hermon par un
col situé à une grande élévation, et arriva à Rechob située au sud-ouest
au pied de l'Hermon, à environ une lieue au-dessous de Baal Hermon, qui
est une grande ville avec de nombreux temples d'idoles et qui domine
Rechob.
(Du 25 février au 1er
mars. ) Le jour suivant, Jésus fit environ sept lieues au nord-est,
allant de Rechob à Gessur. Il entra là chez des publicains, qui y sont
en assez grand nombre et habitent près de la grande route qui conduit à
Damas. Gessur est une grande et belle ville ; il y a une garnison de
soldats romains. Les païens et les Juifs y habitent des quartiers
séparés, mais pourtant ils sont en rapports très intimes et très
familiers, ce qui fait que les Juifs d'ici sont fort méprisés des autres
Juifs.
Beaucoup de Juifs et de
païens de Gessur étaient allés entendre les sermons prêchés sur la
montagne des Béatitudes ; quelques malades avaient été guéris par les
apôtres qui étaient venus ici récemment. Il y avait en outre un aveugle
qui avait recouvré la vue pendant la prédication qui précéda la
multiplication des pains. L'époux de Marie la Suphanite est de Gessur,
mais actuellement il habite avec elle à Ainon.
Absalon séjourna ici un
certain temps pour fuir la colère de David ; sa mère Maacha était fille
d'un roi de ce pays appelé Tholmaï (1. Paralip., III, 2.) L'apôtre
Barthélémy, qui est venu avec Jésus, descend de la famille de ce roi.
Son père avait eu besoin de suivre un long traitement aux eaux de
Béthulie : cela l'avait déterminé à aller résider à Cana, et plus tard
il avait acheté du bien dans la vallée de Zabulon. C'était ainsi que
Barthélémy était devenu habitant de ce pays. Mais il avait à Gessur un
vieil oncle maternel qui était païen et qui possédait de très grands
biens et de très grandes richesses. Ce vieillard habitait une grande
maison au centre de la ville, et il se fit conduire aujourd'hui à Jésus
dans le quartier des publicains, car le Seigneur y enseignait sur une
terrasse où les marchandises en transit étaient visitées et payaient les
droits d'entrée. Il s'entretint avec les apôtres, spécialement avec son
neveu Barthélémy, et il invita Jésus à venir le lendemain prendre un
repas chez lui. Jésus parla devant un auditoire mêlé, composé d'hommes
et de femmes, de païens et de Juifs. Il mangea aussi chez les publicains
avec plusieurs personnes, et cela produisit un grand effet, car ces gens
prirent leurs mesures pour distribuer tous leurs biens aux pauvres.
(27 février.) Jésus
alla le matin dans le quartier païen chez l'oncle de Barthélémy, où on
lui fit une réception magnifique ; on avait étendu des tapis sous ses
pieds et on lui offrit une belle collation à la mode païenne, quoique un
peu moins splendide que celle d'Ornithopolis. Il opéra quelques
guérisons dans la ,cour qui précédait la maison, et il fit aussi une
instruction ; du reste, il n'y avait plus beaucoup de malades dans cet
endroit.
Les païens d'ici adoraient
une idole à plusieurs bras, ayant sur la tête un boisseau plein d'épis
de blé. Mais leur idolâtrie paraissait être en pleine décadence ;
beaucoup inclinaient vers le judaïsme, et même le plus grand nombre vers
la doctrine de Jésus. Plusieurs avaient déjà été baptisés soit par Jean,
soit par les apôtres, à Capharnaum ; toutefois, il n'était pas question
de la circoncision à moins qu'ils ne voulussent embrasser complètement
le judaïsme, auquel cas ils s'adressaient aux Pharisiens. Le soir, Jésus
enseigna de nouveau chez les publicains, et il guérit encore quelques
malades.
(28 février.) Les
publicains distribuèrent la plus grande partie de leurs richesses. A
l'endroit où Jésus enseignait, ils avaient de grands tas de blé dont ils
faisaient des parts pour les pauvres ; ils donnèrent aussi des champs et
des jardins à de pauvres journaliers et à des esclaves, et ils firent
des restitutions pour tout le tort qu'ils avaient pu faire.
Ces jours-ci les disciples
et les apôtres parcoururent tous les environs ; ils allèrent à Maachati
et jusqu'à Aram.
Jésus enseigna près du
bureau de péage devant un auditoire composé de païens et de Juifs. Il
arriva aussi des Pharisiens étrangers pour le sabbat. Ici, ils
reprochèrent à Jésus d'avoir pris son logement chez des publicains et de
frayer avec eux et les païens. Le soir, Jésus enseigna à la synagogue et
il y eut quelques contestations entre lui et les Pharisiens. La
synagogue était quadrangulaire, la chaire était au milieu. Les auditeurs
se tenaient sur des gradins qui s'élevaient tout autour ; au dehors
était rassemblée une foule nombreuse de païens qui voyaient dans
l'intérieur à travers les salles qu'on avait laissées ouvertes, et qui
écoutaient en silence.
(1er mars.)
Aujourd'hui, l'oncle de Barthélémy et seize autres vieillards furent
baptisés dans un jardin de bains L'eau, prise à un des puits de la
ville, monte dans un canal placé à une certaine élévation par lequel
elle arrive dans le jardin. C'était Jude Barsabas qui baptisait. Tout le
jardin était orné comme pour une fête ; tout se fit solennellement et on
donna beaucoup aux pauvres. Aujourd'hui, Jésus prit encore un repas chez
l'oncle de Barthélémy, qui fit d'abondantes aumônes. Plus tard, Jésus
enseigna dans la synagogue pour la clôture du sabbat, puis il prit congé
de tout le peuple près du bureau de péage et fit des distributions aux
pauvres. Ce soir, accompagné de plusieurs personnes qui lui firent la
conduite assez loin, il alla d'abord au sud-ouest, puis encore à l'est,
et ayant fait ainsi cinq lieues, il arriva à un village de pêcheurs
situé au bord du lac Phiala. Ce lac se trouve sur un plateau élevé à
environ trois lieues à l'est de Panéas. Il arriva tard et entra près de
l'école dans l'habitation du maître. Cet endroit n'était guère habité
que par des Juifs.
(2-4 mars.) Le lac
Phiala a une lieue de long tout au plus, ses rives sont basses, ses eaux
sont limpides et elles coulent à l'est vers une montagne près de
laquelle elles se perdent. De petites barques y naviguent. Le pays
d'alentour est couvert de champs de blé et de belles prairies où
paissent beaucoup de chameaux, d'ânes et d'autres animaux ; on y voit
aussi des bois de châtaigniers. Sur les deux rives du lac, il y a des
villages de pêcheurs juifs dont chacun possède une école.
Jésus enseigna ici dans
l'école : il alla aussi en compagnie des apôtres et de quelques
habitants, visiter les demeures de bergers disséminées autour du lac.
Jean Baptiste a résidé dans cette contrée. Le soir, Jésus, avec Jean,
Barthélémy et un disciple, franchit une hauteur située au midi, et
descendit vers Nobah, ville de la Décapole, habitée par des païens et
des Juifs.
(3 mars.) Nobah est
divisée en deux parties, l'une juive, l'autre païenne : elles ne portent
pas précisément le même nom. La ville est située sur la pente
méridionale de la montagne. Toutes les villes de cette contrée sont
bâties en pierres noires et brillantes. Jésus arriva tard. logea à
l'hôtellerie, et ce matin, avec Jean et Barthélémy, il parcourut les
environs et fit à peu près deux lieues, visitant de petits endroits et
des métairies isolées. Les autres apôtres et disciples, ils sont en tout
une quinzaine, Jésus non compris, se dispersèrent aussi dans les
environs. Jésus enseigna dans quelques endroits et opéra quelques guéri
sons, mais en petit nombre. La plupart des malades de ce district ont
été guéris au bord de la mer de Galilée.
Il prépara aussi au
baptême, et Barthélémy et les autres baptisèrent plusieurs personnes.
vans ces endroits isolés, on ne trouvait que de l'eau noirâtre et
bourbeuse : mais ils avaient de grands bassins ronds en pierre où ils la
clarifiaient, et d'où elle se déversait dans d'autres bassins couverts.
Les apôtres y versaient d'autre eau qu'ils portaient avec eux dans des
vases à boire, et Jésus la bénissait. Les néophytes s'agenouillaient
autour du bassin, courbant la tête au-dessus lorsqu'il était petit : ils
y entraient lorsqu'il était de grande dimension. Je n'ai pas vu jusqu'à
présent donner le baptême par immersion.
Dans l'après-midi, Jésus
revint à Nobah, et il passa par la ville païenne où on lui fit une
réception très solennelle. Les habitants allèrent au devant de lui avec
des branches vertes et fleuries, et étendirent sous ses pieds des
couvertures et des bandes d'étoffe qu'ils plaçaient en travers de la
rue, et sur lesquelles il eut à marcher plusieurs fois, car quand il
était passe, ils les relevaient et couraient en avant pour les étendre
de nouveau devant lui. Arrivé à la ville juive, il y fut reçu par les
rabbins qui étaient pharisiens. Il enseigna dans la synagogue. On
célébrait le sabbat de la fête des Purim. Il y eut ensuite un grand
repas dans une maison destinée aux fêtes publiques : les Pharisiens y
eurent de grandes contestations avec lui et l'attaquèrent sur ce que ses
disciples mangeaient des fruits sur le chemin et arrachaient des épis.
Du reste' je n'ai pas encore vu cet incident des épis arrachés dont il
est parlé dans l'Evangile.
Jésus raconta la parabole
des ouvriers de la vigne et plus tard celle du mauvais riche et du
pauvre Lazare. Il reprocha particulièrement aux Pharisiens de ne pas
inviter les pauvres comme le voulait la coutume ; à quoi ils répondirent
que leurs revenus étaient trop bornés. Il leur demanda s'ils avaient
préparé ce repas pour lui, et comme ils répondirent que oui, il plaça
sur la table cinq grandes pièces jaunes de forme triangulaire attachées
à une chaînette, et leur dit de les appliquer au soulagement des pauvres
: il fit aussi appeler par ses disciples un grand nombre de pauvres
qu'il fit asseoir à table et auxquels il donna à manger. Il les servit,
les enseigna, et leur distribua beaucoup d'aliments. Cet argent qu'il
avait donné était peut-être l'impôt pour le temple qu'on avait coutume
de recueillir ce jour-là, ou le présent qu'il était d'usage de faire
pendant la fête ; car ici aussi on se faisait à cette occasion des
présents mutuels consistant en fruits, en pains, en blé et en vêtements.
(4 mars.)
Aujourd'hui, il y eut de grandes réjouissances. On lut l'histoire
d'Esther à la synagogue, dans un volume distinct des autres, et on alla
aussi la lire dans les maisons aux malades et aux vieillards. Jésus fit
une tournée, il lut à plusieurs gens âgés l'histoire d'Esther et guérit
quelques malades. Je vis aussi des jeux de toute espèce qui faisaient
partie de la célébration de la fête et des cortèges de jeunes filles et
de femmes : elles avaient de grands privilèges à cette fête. Il y eut un
moment ou elles vinrent comme en ambassade à la synagogue et se mirent
aux premières places : l'une d'elles, choisie par les autres, était
habillée en reine, et elles donnèrent aux prêtres de beaux ornements
sacerdotaux. Elles se rendirent aussi dans un jardin, où elles jouèrent
à certains jeux appropriés à la circonstance: elles élisaient pour reine
tantôt l'une tantôt l'autre, et la déposaient ensuite. Elles avaient
aussi un mannequin qu'on maltraita et auquel on coupa la tête ;
peut-être aussi qu'on le pendit, car je ne me rappelle pas la chose bien
distinctement ; en outre, des petites filles frappaient sur des planches
avec des marteaux et vociféraient des malédictions.
Le soir, Jésus alla encore
à la synagogue, mais ensuite il prit son repas seul avec les disciples.
CHAPITRE ONZIÈME
Jésus sur les confins de la Pérée
septentrionale et de la basse Galilée.
- Jésus à Gaulon, - à
Regaba, - à Césarée de Philippe, -chez Enoué, -à Argob, -dans la
forteresse de Regaba, -à Chorozaim. - Enseignements sur
l'expiation par la mort du Rédempteur. -Guérison d'un sourd muet-Fin du
sermon sur la montagne. - Les quatre mille hommes nourris dans le
désert. - Traversée sur le lac de Génésareth -Guérison
d'un aveugle-né. - Jésus à Bethsaïde-juliade - à Sogane -
Pierre reçoit les clefs du royaume des cieux. - Jésus près de Béthulie,
à Libona et à Koréa.
(Du 5 au 24 mars)
(5-8 mars.) La fête
durait encore aujourd'hui : toutefois il était permis de voyager, et
Jésus fit environ quatre lieues jusqu'à Gaulon. La route qu'il suivit
tournait à l'ouest autour de hautes montagnes. Gaulon est tout au plus à
deux lieues du Jourdain : des paiens et des Juifs y habitent. Jésus y
vint avec quelques disciples seulement, et il fut très bien accueilli Il
y avait encore là quelques gens qui n'avaient pas été guéris et auxquels
Jésus rendit la santé. On enseigna aussi et on baptisa.
Tout cela ne dura guère
qu'une heure et demie : ils allèrent ensuite au midi, et ayant fait deux
lieues, ils arrivèrent tout contre Argob. Cet endroit est dans une
situation élevée, à deux lieues à peu près du coude que fait le Jourdain
entre le lac Mérom et Bethsaïde-Juliade, en face de Lekkum qui est situé
sur la rive occidentale. De là Jésus fit encore deux lieues dans la
direction du levant ; il passa derrière la montagne des Béatitudes, en
cheminant toujours sur des hauteurs, et il arriva très tard devant
Regaba, forteresse située dans la montagne. Ils s'assirent sur l'herbe
pour se reposer dans un endroit solitaire qui est devant la ville, et
ils attendirent plusieurs des leurs, qui déjà, depuis Nobah, s'étaient
dispersés de différents côtés. Lorsque les quinze se furent réunis de
nouveau à Jésus, ils entrèrent dans l'hôtellerie préparée ici pour eux.
Regaba est un de ces bourgs
des Gergéséniens dont j'ai parlé à l'occasion de la délivrance des
possédés de Gergesa. C'était le plus avancé vers le nord, et l'un des
mieux disposés. Gaulon et l'autre petit endroit étaient à l'extrême
limite du territoire du tétrarque Philippe. Le pays des Géraséniens
avait, à ce qu'il me semble, certains privilèges qui en faisaient un
district à Part. Jésus alla aussi à Gaulon.
(6 mars. ) La
plupart des habitants, tant Juifs que paiens, sont déjà baptisés, et la
plupart des malades ont été guéris sur la montagne des Béatitudes. Jésus
a passé toute la journée à visiter diverses personnes, qu'il a consolées
instruites et affermies dans la foi.
NOTE
: Anne Catherine se trouvant dans un état d'épuisement complet ne
put dire que peu de chose ce jour-là, et pas beaucoup plus le jour
suivant.
(7 mars.) Jésus fit
aujourd'hui comme il avait fait la veille : mais il vint de tout le pays
pour le sabbat, une innombrable multitude de personnes, et en outre une
caravane arriva d'Arabie. Tous ces gens amenaient un très grand nombre
de boiteux, d'aveugles, de muets et d'autres malades, et ils devinrent
si incommodes par l'ardeur avec laquelle ils se pressaient en foule
autour de lui, qu'après la synagogue il s'enfuit de la ville sur une
montagne déserte. Une partie des disciples alla avec lui : les autres
restèrent et s'efforcèrent du mieux qu'ils purent de mettre un peu
d'ordre dans cette multitude.
(8 mars.) Jésus a
enseigné aujourd'hui sur une montagne Près de Regaba : le peuple l'avait
suivi. Il parla de l'oraison dominicale, dit qu'il fallait éviter de
prier en public et avec ostentation, et indiqua à quelles conditions on
pouvait être exaucé. Il guérit aussi plusieurs personnes, puis il revint
à Regaba et se rendit à la synagogue. Dans ces derniers temps, il a
fréquemment enseigné sur la prière, soit en route, soit dans les écoles.
Il y avait avec lui quelques disciples qui ne s'étaient pas trouvés
présents à son explication complète et détaillée de l'oraison
dominicale. Ils lui dirent : " Apprenez-nous donc à prier comme vous
avez fait pour les autres ". Alors il leur expliqua de nouveau le
Pater, et les mit en garde contre l'ostentation hypocrite dans la
prière.
Regaba est située sur un
point très élevé, et l'on y a une vue admirable. On peut voir par-dessus
d'autres hauteurs les navires qui voguent sur le lac, et la vue s'étend
au delà de Génésareth jusqu'au mont Thabor. Au-dessus de la ville, qui
n'est pas très grande, s'élève sur un rocher un édifice carré avec de
grandes murailles à pic qui ont l'air d'être taillées dans le roc : il y
a beaucoup de caveaux et de chambres. Des soldats y tiennent garnison.
Plus haut est une plate-forme sur laquelle il y a des arbres. La vue
qu'on a de là est d'une grande beauté. Ce doit être la citadelle. Il y a
d'ici au lac environ cinq lieues dans la direction du sud-ouest, trois à
quatre dans la direction de l'ouest jusqu'à la montagne des Béatitudes,
cinq jusqu'à Bethsaïde-Juliade, et sept à huit au sud-ouest jusqu'à
l'endroit où Jésus chassa les démons qu'il envoya dans le corps des
pourceaux. Césarée de Philippe peut être à quatre ou cinq lieues d'ici,
au nord-est. J'entendis dire que Jésus irait de ce côté : on y va d'ici
par un chemin de caravanes qui franchit une haute montagne. Jésus a
traversé une fois ce chemin en venant ici. C'est là qu'habite l'hémorrhoïsse
qu'il a guérie. Il s'y trouve aussi des Pharisiens.
Jésus parla à plusieurs
reprises des mauvais jours qui allaient venir. Il dit une fois que son
assomption était proche. Il désignait peut-être par ce mot sa
transfiguration, après laquelle on devait le poursuivre partout et
chercher à se défaire de lui. Depuis la scène tumultueuse de Capharnaum,
il n'a plus parlé en public du pain de vie ni de la nécessité de manger
sa chair et de boire son sang. Son principal but, en exposant cette
doctrine, avait été d'éprouver les disciples et d'éliminer les mauvais,
afin de n'avoir pas à les traîner continuellement à sa suite.
Le pays voisin de Regaba
est très beau, mais assez sauvage : au nord-est il est tout à fait
dépouillé, stérile et rocailleux. On ne voit pas ici de beaux arbres
fruitiers comme à Génésareth, mais il vient beaucoup de blé sur les
plateaux ; il y a aussi, sur les montagnes où Jésus se réfugia, des
pâturages étendus, avec de l'herbe longue, de l'herbe courte qui est
encore meilleure, et des plantes de toute espèce : on y voit errer de
grands troupeaux d'ânes et de vaches, quelques-unes avec des cornes très
larges et des mufles noirs qu'elles relèvent habituellement : d'autres
portent la tête plus basse et les cornes en avant : il y en a qui ont
les cornes brisées. On voit aussi là de grands troupeaux de chameaux
qui, dans le lointain, paraissent tout petits ; souvent ils dorment sur
leurs jambes, en s'appuyant pour cela à des arbres ou à des rochers.
Dans une contrée où l'on trouve des arbres qui ressemblent à des hêtres,
j'ai vu errer beaucoup de pourceaux : peut-être que les païens de tout
le pays d'alentour envoient les leurs ici, depuis le dommage qu'ils ont
éprouvé à Gergesa. Il y a ici de grands arbres, des châtaigniers, je
crois, et d'autres espèces : dans la contrée plus déserte du nord-est,
il n'y a que de petits arbres tordus. On voit ici beaucoup de petits
fruits et de jolis arbustes. Je n'ai jamais vu les Juifs ni les païens
fumer la viande : ils font sécher le poisson au soleil et le salent.
L'eau fait défaut dans ces régions élevées : on a des citernes pour
recueillir celle qui tombe du ciel, et on apporte l'eau de source dans
des outres.
(9-12 mars.)
Aujourd'hui, Jésus alla avec ses compagnons à Césarée de Philippe : la
caravane y était déjà ; il arriva vers midi. C'est à peu près à cinq
lieues au nord de Regaba. Jésus eut toujours à suivre les hauteurs. Il
laissa à sa gauche le lac Phiala : la contrée qu'il traversa était
souvent sauvage et stérile. La ville est assise entre cinq collines, et
le site est très beau : d'un côté elle a vue sur les montagnes. Elle a
une belle ceinture de jardins et d'avenues, et est bâtie en grande
partie à la manière païenne, avec beaucoup de colonnes et d'arcades. Il
s'y trouve environ sept palais et plusieurs temples païens. Cependant
les paiens et les juifs habitent des quartiers séparés. Devant la ville,
et plus bas qu'elle, est un grand et bel étang au milieu duquel se
trouve un petit édifice que l'on peut faire tourner sur lui-même. L'eau
en jaillit dans l'étang et se décharge ensuite dans le Jourdain. Il y
avait en outre dans la ville païenne un puits très profond surmonté
d'une construction très élégante : l'úil y plongeait à une grande
profondeur : je crois que ce puits communiquait, à travers la montagne,
avec les sources qui forment le lac Phiala. Je vis aussi devant la ville
des arcades et des conduits voûtés où l'eau coulait comme dans des caves
et sur des ponts. Jésus est récemment venu tout près de cette ville sans
y entrer : c'était, je crois, parce que le tétrarque Philippe s'y
trouvait : maintenant il est parti. Le reste des apôtres est en route
pour se rendre ici.
Jésus fut très bien
accueilli : on s'attendait à le voir, car la caravane avait annonce son
arrivée. Il lut reçu devant la ville près du puits par des gens de bien,
parmi lesquels étaient des parents de l'hémorrhoïsse qu'il avait guérie
: ils lui lavèrent les pieds et lui offrirent la réfection habituelle.
Il entra, à peu de distance de la synagogue, dans une hôtellerie de
Pharisiens. Il vint bientôt des malades et d'autres personnes. Les
apôtres opérèrent quelques guérisons. Ici aussi il y a des Pharisiens
malveillants. dont quelques-uns ont déjà assisté aux réunions de la
commission de Capharnaum, où ils sont remplacés par d'autres.
(10 mars.)
Aujourd'hui Jésus guérit et enseigna sur une colline devant la ville :
on avait amené des malades étrangers de tous les pays. Souvent ils
s'écriaient : " Seigneur, ordonnez à un de vos disciples de nous
secourir ". Le soir, Jésus mangea avec les Pharisiens, et ils lui dirent
des choses piquantes sur ce qu'il ne se faisait accompagner que par des
gens de bas étage et évitait de frayer avec les gens instruits.
(11 mars.) Ce matin
Jésus enseigna devant la ville sur une éminence en présence d'un
nombreux auditoire : il guérit beaucoup de malades et ses disciples
firent de même. On distribua ensuite beaucoup d'aumônes, des aliments et
aussi des vêtements. Enoué, l'hémorrhoisse qui demeure ici, et son oncle
encore païen s'étaient entendus avec les disciples pour pourvoir à ces
libéralités. Je crois que Jésus a déjà conféré hier avec cette
famille, car l'oncle doit être baptisé aujourd'hui dans sa maison.
Les trois apôtres et
presque tous les disciples que Jésus avait envoyés d'Ornithopolis à Tyr,
dans le pays de Khaboul et à Aser, vinrent ce matin le rejoindre devant
la ville. Il y a toujours quelque chose de très touchant dans la manière
dont ils s'accueillent lorsqu'ils se revoient après une absence : ils se
prennent les mains et s'embrassent. C'était ici qu'il leur avait donné
rendez-vous. Les autres disciples, aidés de quelques personnes qui
étaient là, leur lavant les pieds, après quoi ils se joignirent aux
autres pour distribuer des aliments et des aumônes et aussi pour opérer
des guérisons.
Vers midi Jésus avec tous
ses disciples et ses apôtres, qui étaient bien une soixantaine, alla
dans la maison de l'oncle d'Enoué où on lui fit une réception solennelle
à la manière paienne, avec des tapis étalés sous ses pieds, des branches
d'arbres et des guirlandes. L'oncle vint à la rencontre de Jésus, entre
Enoué et la fille de celle-ci, et les deux femmes se jetèrent aux pieds
du Seigneur. On offrit à Jésus et aux siens une très belle collation
déjà préparée dans une salle. C'était en partie à la prière de ce
vieillard que Jésus était venu ici. Il voulait se faire baptiser avec
plusieurs autres païens, mais il avait des scrupules à l'égard de la
circoncision et il eut à cause de cela un entretien particulier avec
Jésus. Jésus ne s'expliqua jamais en public à ce sujet : il ne
prescrivait jamais la circoncision quand des cas semblables se
présentaient : mais il ne disait pas non plus qu'on dût la laisser de
côté. Toutefois, quand de pieux vieillards païens se faisaient baptiser
et lui communiquaient confidentiellement leurs perplexités à ce sujet,
il les consolait et leur disait que s'ils ne voulaient pas se faire
Juifs, ils pouvaient s'en tenir là, à la condition de croire et de
pratiquer ce qu'il leur avait enseigné. Ces gens vivaient alors en
dehors du culte paien : ils priaient, faisaient des aumônes et
devenaient chrétiens sans avoir passé par le judaïsme. Même vis à vis
des apôtres, Jésus ne s'expliquait pas sur ce point de peur de les
scandaliser : aussi je ne me souviens pas que les Pharisiens qui
épiaient tout en aient jamais fait un chef d'accusation contre Jésus,
même au moment de sa passion.
NOTE
: Après la descente du Saint-Esprit, ils furent agrégés à l'Eglise
par la réception du saint sacrement de baptême, sans avoir été
circoncis préalablement.
Dans la cour intérieure de
la maison qui était pavée de belles dalles on avait tendu entre des
arbres et des guirlandes de fleurs une tente de belle étoffe blanche
ouverte par en haut, et au-dessus de cette ouverture était suspendue une
belle couronne. L ;e fat sous cette tente que le baptême fut administré.
Jésus enseigna encore auparavant : il s'entretint aussi en particulier
avec chacun des néophytes. Ils lui ouvraient entièrement leur coeur, lui
faisaient connaître leur vie passée, et Professaient la foi qu'ils
avaient en lui ; après quoi il leur remettait leurs péchés ils furent
baptisés par Saturnin' avec ne l'eau puisée dans un bassin que Jésus
bénit préalablement. Après cela il y eut encore un grand repas auquel
tous les disciples prirent part avec les amis de la maison. Le repas
était à la mode païenne : la table était plus haute que chez les Juifs :
les convives étaient couchés sur des espèces de lits, les pieds tournés
du côté opposé à la table : ils avaient le coude appuyé sur un coussin.
La table était découpée en sorte que chacun des convives en avait une
partie devant lui : peut-être aussi étaient ce de petites tables
séparées ajoutées les unes aux autres. Chacun avait de petits plats
devant lui : au milieu de la table étaient dressés de grands plateaux
couverts de mets.
Enoué depuis sa guérison
n'était plus reconnaissable : elle avait pris de l'embonpoint et
paraissait forte et bien portante : elle s'assit à table à côté de son
oncle, ainsi que sa fille, belle personne de vingt et un ans environ.
Mais pendant le repas la mère et la fille se levèrent et se retirèrent :
elles revinrent ensuite, la mère se tenant un peu en arrière, la fille
couverte d'un beau voile et portant à la main un petit verre d'une
blancheur semblable à celle de l'albâtre et plein d'une essence
parfumée. Elle alla se placer derrière Jésus et brisa le petit vase
au-dessus de sa tête, puis elle passa les deux mains sur sa chevelure à
droite et à gauche, et la frotta légèrement depuis les oreilles jusqu'à
la nuque ; alors, ramassant les extrémités de son long voile, elle en
essuya la tête du Sauveur, après quoi elle sortit de la salle. A la tin
du repas on envoya beaucoup de choses aux pauvres rassemblés devant la
maison.
Cette maison n'était pas
celle que l'oncle habitait antérieurement : c'en était une autre où il
était venu tout récemment s'établir avec Enoué, pour éviter les rapports
trop fréquents avec les païens et le voisinage` de leurs temples :
cependant elle n'était pas précisément dans le quartier des Juifs. Enoué
était fille de son frère ou de sa soeur : elle avait embrassé le
judaïsme et s'était mariée à un Juif qui était mort. Tout son bien lui
venait de ses parents paiens : en entrant dans leur nouveau ménage, ils
avaient mis de côté beaucoup de blé, de vêtements et de couvertures pour
les pauvres. Jésus enseigna et raconta des paraboles pendant le repas.
(12 mars.) Césarée
de Philippe est située à environ quatre lieues à l'est de Leschem ou
Laïs qui est l'endroit où la Syrophénicienne vint trouver Jésus :
toutefois elle est un peu plus au sud. Ces deux villes sont différentes.
NOTE
: Cette assertion donne à penser qu'Anne Catherine voyait à cette
occasion l'erreur de plusieurs écrivains, qui confondent ces deux
noms et de deux villes qui n'en font qu'une seule.
Ce matin, les paiens
célébraient une fête près du beau puits qui est dans la ville. La fête
se rapportait aux propriétés bienfaisantes de l'eau. Il y avait dans le
voisinage du puits une place ornée de colonnes et divers édifices
consacrés au culte. On fit fumer de l'encens sur des trépieds et je vis
une troupe de jeunes filles couronnées de fleurs. La fête avait lieu
devant une idole d'une forme singulière : on eût dit trois ou quatre
figures assises des à des. On voyait sur toutes les faces des têtes, des
mains et des pieds : les coudes étaient collés au corps et les mains
étendues en avant. Le puits était surmonté de magnifiques colonnes, et
de tous les côtés l'eau se déversait dans des bassins. Elle coulait par
un côté vers un emplacement pavé en belles dalles et entouré de murs, de
salles et de citernes : c'était là que les Juifs avaient leurs bains.
Quand la fête des païens fut finie, Jésus alla dans cet endroit et
prépara au baptême plusieurs Juifs qui furent ensuite baptisés par les
disciples. Jésus alla ensuite avec plusieurs disciples dans la maison d'Enoué
et de son oncle et il prit congé d'eux. Ils le reçurent debout et lui
firent leurs adieux en pleurant avec beaucoup d'humilité et de respect.
Ils avaient envoyé d'avance de nombreux présents consistant en pains, en
blé, en vêtements et en couvertures, devant la porte de la ville, où
Jésus guérit encore beaucoup de pauvres voyageurs faisant partie de la
caravane, et plusieurs malades de la ville qui s'étaient rassemblés là.
Il guérit encore ici beaucoup d'autres malades et les apôtres guérirent
aussi. Après cela tout ce qu'ils avaient reçu ici fut réparti entre les
nécessiteux : car beaucoup des plus pauvres de la caravane avaient
épuisé leurs provisions. Cet exemple charitable fut imité par d'autres
Juifs pieux et aussi par quelques-uns des nouveaux baptisés. Ils
distribuèrent du blé, du linge, des couvertures, dés manteaux et du pain
: ce fut un jour de joie pour les pauvres.
Jésus alla encore avec les,
disciples et quelques apôtres à l'auberge voisine de la synagogue : les
Pharisiens le contraignirent avec des manières très polies d'entrer avec
eux à la synagogue et de leur donner diverses explications. Les apôtres
le suivirent et il y eut encore d'autres auditeurs. Les Pharisiens
avaient préparé différentes questions captieuses sur le divorce, car il
y avait à Césarée beaucoup de querelles de ménage fort embrouillées et
Jésus avait réconcilié quelques époux qu'il avait remis dans la bonne
voie. Ils se mirent à disputer là-dessus avec Jésus d'une façon très
impertinente. Ensuite ils l'interpellèrent de nouveau sur ce qu'il
permettait à ses disciples. Il y avait avec eux un jeune homme qui leur
avait porté des dénonciations contre Jésus Il était riche et instruit ;
antérieurement il avait voulu, comme bien d'autres, s'imposer à Jésus
comme disciple, et Jésus lui avait prescrit plusieurs conditions que je
ne me rappelle plus bien, par exemple de quitter son père et sa mère, de
donner tout son bien aux pauvres et d'autres choses. Ici encore il
s'était de nouveau adressé à Jésus, mais il voulait garder son bien et
l'administrer, et Jésus l'avait éconduit. Il était maintenant avec les
Pharisiens et ils demandèrent raison à Jésus de ce qu'il exigeait des
hommes des choses inouïes ; le jeune homme mit encore en avant toute
sorte d'allégations fort confuses sur des discours tenus par Jésus (
j'ai oublié de quoi il s'agissait), et il somma les apôtres d'en rendre
témoignage, car il les avaient entendus. Les apôtres furent fort
embarrassés : ils n'étaient pas préparés de pareilles interpellations et
ne surent que répondre ; sur quoi les Pharisiens reprochèrent encore à
Jésus qu'il courait le pays avec des ignorants, et que s'il avait
repoussé ce jeune homme, c'était parce qu'il était trop savant pour lui.
Jésus leur répondit en termes très sévères, mais ils répliquèrent par
des injures, et il les laissa là pour se remettre en voyage.
Devant la ville, Jésus
donna des instructions aux apôtres et aux disciples qu'il envoya à l'est
et au nord-est dans des endroits assez éloignés. Ils avaient à faire un
long et pénible voyage du côté de Damas et de l'Arabie, pour visiter des
villes où ils n'étaient pas encore allés.
Jésus lui-même, accompagne
de deux disciples, revint à Regaba, et il prit encore des chemins
détournés, mais pas tout à fait les mêmes qu'il avait suivis récemment.
Partant de Césarée, il laissa le lac Phiala à gauche et n'alla pas
autant à l'ouest qu'il l'avait fait dernièrement en se rendant à Gaulon
; cette fois il passa par des points plus élevés et situés au midi, se
dirigeant vers Argob, tandis que dans son voyage précédent il avait
passé à deux lieues de cette ville. Argob est dans une situation très
élevée, à environ deux lieues du Jourdain. A l'époque des Juges, elle
avait été enlevée au roi Og avec tout le district qui en dépendait, par
Jaïr, fils de Manassé. Il y a de Césarée ici quatre lieues en ligne
directe : Jésus allant à Gaulon avait fait un détour de deux lieues à
l'ouest.
(13 mars.) Hier
Jésus accompagné seulement de deux disciples, alla de Césarée de
Philippe a Argob et il entra chez des Lévites près de la synagogue. Il
arriva tard. La plus grande partie de la population d'Argob est juive :
les païens en petit nombre qui y habitent sont pauvres et travaillent
pour les Juifs. Presque tout le monde s'occupe de la préparation du
coton. Je vis des femmes, des enfants et des hommes filer et tisser. La
ville est située à une grande hauteur et souffre du manque d'eau : on
l'y apporte dans des outres et l'on remplit ainsi une citerne. Le matin,
Jésus enseigna sur une place publique et guérit quelques malades il
visita ensuite dans leurs maisons d'autres malades et des gens âgés
qu'il guérit et consola. La plupart des habitants étaient déjà baptisés
: il n'y avait pas ici de Pharisiens. On a d'Argob une vue très étendue
sur la haute Galilée qui est de l'autre côté du fleuve : on a aussi en
face de soi la montagne des Béatitudes et l'on domine Bethsaide-Juliade
qui offre un point de vue remarquablement beau.
Dans l'après-midi, Jésus et
les deux disciples, suivis de plusieurs personnes de la ville, qui leur
firent la conduite jusqu'à une certaine distance, se dirigèrent vers la
hauteur qui est à l'est, du côté de Regaba : mais ils s'arrêtèrent à
deux lieues de cette ville dans une cabane qui servait d'hôtellerie à
des bergers et près de laquelle campent souvent des caravanes qui
suivent ce chemin trois fois l'année, maintenant, vers le temps de Noël
et une autre fois encore. Quatre des plus jeunes disciples vinrent le
trouver ici : ils portaient avec eux des provisions de bouche et
venaient, je crois, d'auprès des amis de Jérusalem : ils avaient passé
par Capharnaum. Ils ne faisaient pas partie de la troupe qui avait
travaillé ici avec Jésus. Je crois que le Seigneur célébrera le sabbat
dans la citadelle de Regaba dont j'ai parlé dernièrement. Il y a là une
école et des Juifs pauvres y habitent.
( 14 mars. ) Les
disciples qui étaient venus hier rejoindre Jésus portaient sur le des et
sur la poitrine deux paquets attachés l'un à l'autre par dessus les
épaules. Ils avaient sur le des de légères corbeilles d'écorce où
étaient entassés les uns sur les autres de larges poissons fendus en
deux, calés et desséchés sur la poitrine, ils portaient un certain
nombre de pains arrangés de manière à tenir le moins de place possible,
et aussi des vases avec des rayons de miel. Ils s'entendent bien mieux
qu'on ne le fait chez nous
Ce matin, Jésus fut encore
entouré d'une immense foule de peuple venue pour l'écouter, et bientôt
la presse fut si grande qu'il lui fallut se dérober et se réfugier dans
le désert. Ce ne fut qu'un peu après midi qu'il arriva à la citadelle de
Regaba, située sur une montagne, derrière la ville. Il s'y trouvait une
foule très nombreuse dont faisaient partie beaucoup de gens des
caravanes. Cette citadelle est comme taillée dans le roc il y a
cependant à l'entour quelques groupes de maisons, et dans l'intérieur,
il y a aussi plusieurs maisons et une synagogue. Jésus fut rejoint ici
par six des apôtres qui étaient allés à l'est de Césarée dans les
endroits les plus voisins. Les autres avaient poussé plus loin. Ils sont
allés dans un endroit nommé Astaroth qui n'est pas éloigné du lac Phiala.
Ceux qui étaient ici étaient Pierre, André, Jean, Jacques le Majeur,
Philippe et Jacques le Mineur. Plusieurs Pharisiens, parmi lesquels il y
en a de Capharnaum, sont venus ici pour espionner Jésus. La synagogue
était tellement remplie, que tout le monde était obligé de se tenir
debout. Jésus enseigna à l'occasion du sabbat sur la construction du
palais de Salomon et sur la consécration des vêtements sacerdotaux (III
Reg., VI-VII., Exod., XXVIII). Il parla aussi sur des textes de Jérémie,
pris, je crois, dans les Lamentations, et dit à cette occasion, que
maintenant on le cherchait, on voulait l'avoir, on se pressait en foule
autour de lui, mais que dans peu de temps tous l'abandonneraient,
l'injurieraient et le maltraiteraient. Il avait raconte à Césarée la
parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare et récemment encore celle
du fils du maître de la vigne que les vignerons mettent à mort.
(15 mars.)
Aujourd'hui Jésus a guéri un grand nombre de malades, surtout des
aveugles : dans ces derniers temps, il avait aussi délivré beaucoup de
possédés, ce que j'ai oublié de dire. Le soir, à la synagogue, les
Pharisiens ont eu de violentes contestations avec lui. C'était sur des
points tout à fait neufs et très importants : je m'en souvenais bien et
pourtant je l'ai oublié. Plus tard, après le repas, il y eut des
contestations encore plus vives. Ils lui reprochèrent de nouveau de
chasser les démons par Béelzébub il leur répondit que leur père était le
père du mensonge. Il dit aussi que Dieu ne demandait pas des sacrifices
sanglants : je l'entendis parler du sang des agneaux et des génisses, et
du sang innocent qu'ils devaient verser, après quoi leur culte prendrait
fin. Cela les rendit furieux : ils reproduisirent tous leurs anciens
griefs et l'attaquèrent aussi sur ce qu'il ne voulait pas admettre à sa
suite ce jeune homme de Césarée de Philippe lequel, disaient-ils, était
trop savant pour lui. J'ai oublié toute la marche de cette dispute :
mais les Pharisiens furent tellement transportés de fureur, que Jésus et
ses disciples s'éloignèrent et s'enfuirent dans le désert. J'ai vu
qu'ils le firent espionner par des gens armés de gros bâtons. Entre
autres injures qu'ils lui dirent, ils le traitèrent de Samaritain, et il
raconta alors la parabole du bon Samaritain et celle du grain de blé qui
tombe sur un sol pierreux. Il avertit ses disciples, à la face des
Pharisiens, de se tenir en garde contre ceux-ci. Il dit qu'ils
n'offriraient plus en sacrifice le sang des génisses. mais du sang
humain, que ceux qui croiraient en l'agneau immolé seraient réconciliés
par ce sacrifice et que les meurtriers seraient condamnés. Jamais encore
il ne les avait attaqués si hardiment.
(16-17 mars.) Hier
soir, Jésus se retira dans le désert au midi de Regaba et il y passa la
nuit. Il y a là beaucoup de vallons avec des pâturages et des abris tout
à fait retirés : quelques emplacements bien exposés sont couverts de
plantations d'oliviers. Ses disciples le rejoignirent là. Le matin, je
le vis en route pour Chorozaïn : il expliqua aux disciples pourquoi il
ne voulait pas admettre ce jeune homme, car eux-mêmes n'avaient pas pu
le comprendre. Ils arrivèrent d'assez bonne heure à Chorozain.
(17 mars.)
Aujourd'hui, Jésus se trouvait avec ses compagnons à Chorozaïn, qui est
à peine à quatre lieues au midi de Regaba et à trois lieues environ à
l'est du lac au delà du bureau de péage de Matthieu. La ville est
habitée par des Juifs et par des païens, dont beaucoup travaillent le
fer. Ici aussi une grande foule de peuple suivit Jésus : on avait porté
sur le chemin qu'il suivait à travers la ville, beaucoup de malades
couchés sur leurs grabats. En allant à la synagogue, il guérit un grand
nombre d'hydropiques, de paralytiques et d'aveugles.
Il annonça, en termes
prophétiques, au milieu des interruptions continuelles des Pharisiens,
ses souffrances futures et sa douloureuse Passion. Il parla du sacrifice
expiatoire qu'ils offraient sans interruption, mais qui ne les empêchait
pas de persévérer dans leurs péchés et leurs abominations, puis il en
vint à dire quelque chose du bouc émissaire, qu'à un jour marqué ils
chassaient de Jérusalem dans le désert avec tant d'ardeur et de fracas,
et qu'après l'avoir chargé de leurs péchés, ils faisaient mourir dans
les précipices il les accusa d'être altérés de sang et dit, en faisant
une allusion encore incompréhensible pour eux, que le temps approchait
où ils chasseraient et mettraient à mort avec des cris tumultueux un
innocent qui les aimait, qui avait tout fait pour eux et qui portait
réellement sur lui leurs péchés Là-dessus, les Pharisiens firent grand
bruit et l'accablèrent d'invectives : mais Jésus sortit de la synagogue
ils le suivirent et le sommèrent de s'expliquer plus clairement : mais
il leur répondit qu'ils ne pouvaient pas le comprendre quant à présent.
Pendant que Jésus était au
milieu de cette foule bruyante, on lui présenta un sourd-muet pour qu'il
le guérit. Cette guérison est de celles qui sont mentionnées dans
l'Évangile. C'était un berger des environs, un homme bon et pieux : il
fut conduit à Jésus par ses proches qui le prièrent de lui imposer les
mains. Alors Jésus le fit emmener hors de la foule, mais les Pharisiens
le suivirent et il le guérit en leur présence, afin qu'ils vissent qu'il
opérait ses guérisons en vertu de la prière et de la foi en son Père
céleste et non par le démon Jésus mit ses doigts dans les oreilles du
sourd-muet, les mouilla ensuite avec de la salive et lui toucha la
langue; puis il leva les yeux au ciel en soupirant et dit à cet homme :
" Ouvre-toi " ! L'homme recouvra sur-le-champ la parole et l'ouïe : il
rendit grâces à son bienfaiteur et reçut les félicitations de ses
proches transportés de joie comme lui Jésus leur ordonna, suivant sa
coutume après de semblables guérisons, de ne pas en parler ni en faire
part, parce qu'il résultait souvent de là que plusieurs faisaient servir
au péché les organes dont l'usage venait de leur être rendu et en
étaient punis par des rechutes.
Cependant la foule se
pressait toujours plus nombreuse autour de lui, car une caravane venait
d'arriver, et je vis Jésus avec ses compagnons se rendre à deux ou trois
lieues de la, au bureau de péage de Matthieu. Mais comme là aussi le
peuple accourait en foule, Jésus, laissant là deux disciples, s'embarqua
avec les autres et se dirigea du côté de Bethsaïde-Juliade ils
débarquèrent dans les environs et jusqu'à la nuit ils restèrent dans la
solitude au pied de la montagne des Béatitudes Jésus parla de son voyage
à Jérusalem et de sa prochaine assomption Pendant la nuit ils passèrent
le Jourdain pour se rendre sur le bord occidental du lac et ils
s'abouchèrent avec des messagers de Lazare dans la maison d'André
(18 mars.) Ils
partirent avant le jour de Bethsaïde pour repasser sur l'autre rive du
lac Jésus fit une instruction sur la montagne qui est au delà du bureau
de péage de Matthieu Il y avait beaucoup de monde, notamment des païens
de la Décapole et des gens des caravanes On avait amené un très grand
nombre de malades, portés sur des ânes ou sur des civières : Jésus les
guérit. Tous n'étaient pas nés aveugles, boiteux, muets, etc. Il y en
avait plusieurs qui l'étaient devenus, et quelques-uns même qui
l'étaient redevenus après avoir été guéris
Aujourd'hui Jésus, entre
autres choses, enseigna sur la prière; il dit où et comment il fallait
prier et parla de l'ardeur et de la persévérance dans la prière qu'il
s'exprima en ces termes : "si un enfant demande du pain, son père ne lui
donne pas une pierre : ni au lieu d'un poisson, un serpent, ni pour un
oeuf, un scorpion". Il cita aussi comme exemple, des païens à lui
connus, lesquels avaient une telle confiance en Dieu qu'ils ne lui
demandaient absolument rien, se bornant à lui rendre grâces pour fout ce
qu'ils recevaient, et il ajouta : "Si les esclaves et les étrangers ont
une telle confiance, quelle confiance ne doivent pas avoir les enfants
du Père?" Il parla des actions de grâces à rendre après une guérison ou
une conversion, et de la punition de ceux qui retombaient, disant que
l'état de leur âme devenait pire qu'auparavant. Voilà tout ce qui me
revient à la mémoire. Cependant la presse devint si grande qu'il
s'éloigna de nouveau, après avoir annoncé pour le jour d'après, une
grande instruction sur une haute montagne. Ils passèrent la nuit dans
l'ancienne habitation de Matthieu.
(19 mars.) Ce matin
Jésus se rendit avec les disciples sur une montagne située à l'est de la
montagne des Béatitudes. Le peuple accourut de tous côtés : car il y
avait des campements disséminés dans toute la contrée, sur les hauteurs
et dans les vallons, et on s'enquérait partout de l'endroit où Jésus se
rendait. Il n'y eut pas de guérisons aujourd'hui : Jésus traita de
nouveau des huit Béatitudes et dit qu'il voulait achever ce qu'il avait
a dire sur ce sujet : il enseigna sur la septième et la huitième
béatitudes : c'était là qu'il s'était arrêté la dernière fois. Vers le
soir, pour se dérober à la foule qui le pressait, il alla avec les
apôtres et les disciples s'embarquer sur le navire de Pierre et ils
naviguèrent au midi, mais ils ne descendirent pas à terre parce que la
multitude, elle aussi, était montée sur des barques et le suivait. Je
crois qu'ils reviendront demain de très bonne heure et que la seconde
multiplication des pains va avoir lieu.
La tête de Jean-Baptiste
n'a pas encore été retirée du cloaque de Machérunte. Après Pâque tout ce
qui reste de la suite d'Hérode quittera la ville et c'est alors qu'on
curera le cloaque.
(20 mars.) Ce matin
Jésus est débarqué de nouveau vis-à-vis de Bethsaïde, près Au petit
Chorozaïn. Il monta avec ses compagnons une bonne lieue au nord-est
derrière la montagne où avait eu lieu la première multiplication des
pains, et arriva au sommet d'une autre montagne plus élevée que
celle-ci. Elle était située à droite dans le désert de Chorozaïn, à deux
lieues et demie à l'ouest de Regaba dont la position est encore plus
élevée. Sur la hauteur où Jésus enseigna, il y avait un emplacement
spacieux, à peu de distance du chemin qu'il avait suivi récemment en
allant de Césarée de Philippe à Regaba. C'était un endroit où l'on
passait quelquefois : des voyageurs venaient à y camper et l'on y voyait
des restes de retranchements ; il y avait aussi un tertre et un long
bloc de rocher de forme quadrangulaire, semblable à un grand banc de
pierre dénudée où les voyageurs se reposaient et mangeaient. Ce n'en
était pas moins un endroit très solitaire et très écarté. Plus bas on
rencontrait de petites vallées et des bouquets de bois où erraient des
ânes et d'autres animaux herbivores. Une partie du peuple était déjà sur
la hauteur, d'autres arrivaient de tous les côtés. Jésus fit là sa
dernière instruction sur les huit béatitudes, et il termina ce qu'on
appelle vulgairement le sermon sur la montagne. Sa parole fut
singulièrement éloquente et touchante. Il y avait là beaucoup
d'étrangers et de païens : l'assistance montait bien à quatre mille
personnes, sans compter les femmes et les enfants. Vers le soir il fit
une pause et dit à Jean que ce peuple le suivait depuis trois jours et
qu'étant au moment de les quitter pour longtemps, il ne pouvait se
résoudre à les laisser partir affamés comme ils l'étaient Jean répondit
: " Nous sommes ici en plein désert : il faut aller bien loin pour
trouver du pain : devons-nous recueillir pour eux des baies sauvages et
les fruits qui sont restés aux arbres dans quelques endroits " ? Jésus
lui dit alors de demander aux autres combien de pains ils avaient.
Ceux-ci répondirent : " Sept pains et sept petits poissons ". Ces
poissons étaient toutefois de la longueur du bras. Là-dessus Jésus leur
ordonna de prendre aux assistants tout ce qu'ils avaient de corbeilles
vides et de placer sur le banc de pierre les pains et les poissons.
Pendant qu'ils exécutaient
ses ordres, Jésus reprit son instruction qui dura encore une bonne demi
heure. Il dit aujourd'hui en termes très clairs qu'il était le Messie.
Il parla aussi de la persécution qui le menaçait et de son assomption
prochaine. Ce jour-là ces montagnes devaient s'ébranler et cette pierre
se fendre (en disant cela il montra le banc de pierre), cette pierre
près de laquelle il avait annoncé la vérité sans pouvoir la faire
accepter. Il s'écria : " Malheur à Capharnaum et à Chorozain "! Il nomma
plusieurs autres villes du pays qui toutes sentiraient, le jour où il
quitterait la terre, qu'elles avaient repoussé le salut qui leur était
offert. Il parla des grâces faites à cette contrée à laquelle il avait
rompu le pain de vie : mais il ajouta que ces grâces seraient
recueillies par les voyageurs qui passaient, que les enfants de la
maison jetteraient le pain sous la table tandis que les étrangers, les
petits chiens, comme avait dit la Syro-phénicienne, ramasseraient les
miettes et en feraient part à des villages et à des bourgades tout
entières qu'elles vivifieraient et rempliraient d'ardeur. Il prit
ensuite congé de ses auditeurs, les supplia encore une fois de faire
pénitence et de se convertir, puis il redoubla ses menaces et dit que
cette instruction était la dernière qu'il ferait dans ce pays : les
assistants pleuraient, s'étonnaient et ne comprenaient ses paroles qu'à
moitié.
Cependant il leur ordonna
de se placer sur les pentes de la montagne. Les apôtres et les disciples
les rangèrent et les firent asseoir suivant l'ordre qui avait été
observé la fois précédente. Jésus bénit et partagea les pains et les
poissons comme il l'avait fait alors, et les disciples allèrent à droite
et à gauche avec des corbeilles porter à chacun sa portion. Plus tard on
recueillit sept corbeilles pleines de morceaux qui furent distribués aux
pauvres voyageurs.
A midi, il s'était trouvé
un grand nombre de Pharisiens dans son auditoire, mais ensuite ils
étaient descendus dans les vallées habitées par des bergers. Vers le
soir, il en était revenu un certain nombre qui avaient entendu en partie
ses paroles menaçantes et qui avaient été témoins de la multiplication
des pains, après quoi ils s'étaient retirés de nouveau pour délibérer
avec les autres sur ce qu'ils diraient à Jésus quand il descendrait. Ces
Pharisiens formaient une troupe d'une vingtaine de personnes qui, sous
prétexte de visiter les synagogues, avaient suivi Jésus jusqu'ici,
formés en petits groupes et se relayant successivement pour l'espionner.
C'étaient eux qui avaient disputé contre lui à Césarée de Philippe, à
Nobah, à Regaba et à Chorozaim, et ils faisaient sans cesse leurs
rapports à Capharnaum, soit en personne, soit par des messagers.
Jésus congédia le peuple
qui pleurait, rendait grâces et le glorifiait à haute voix. Il ne put se
dérober à leurs hommages qu'avec peine et il descendit vers le lac avec
ses disciples pour gagner la rive du sud-est et se porter sur les
confins de Magdala et de Dalmanutha. Mais avant qu'il fût arrivé au lieu
où il devait s'embarquer, au-dessus du bureau de péage de Mathieu, les
Pharisiens vinrent le trouver à une bonne demi lieue du lac, au pied de
la montagne où s'était faite la première multiplication des pains, et
sachant qu'il avait parlé de tremblements de terre et de signes
menaçants dans la nature, ils lui barrèrent insolemment le chemin pour
discuter avec lui et ils lui demandèrent de leur faire voir un signe
dans le ciel. Il leur fit la réponse qui est rapportée dans l'Evangile.
Mais je l'entendis aussi leur faire le compte des semaines après
lesquelles le signe du prophète Jonas devait être donné, et ce compte
aboutissait précisément à son crucifiement et à sa résurrection. Ensuite
il les quitta et se rendit avec les apôtres au bord du lac près de la
barque de Pierre : d'autres disciples avaient déjà tout préparé et ils
gagnèrent d'abord le large, puis ils se laissèrent dériver dans les
ténèbres. suivant la direction du courant du Jourdain : sortant ensuite
du courant, ils gouvernèrent un peu à l'est et dormirent sur le navire
dans le voisinage de Magdala et de Dalmanutha.
Il semblerait, d'après le
saint Evangile, que les Pharisiens ne vinrent trouver Jésus que sur les
confins de Dalmanutha : toutefois Anne Catherine dit que son départ est
d'abord mentionné sommairement dans l'Evangile et que cet incident est
raconté plus tard sans désignation de temps ni de lieu : mais qu'elle a
bien vu les choses dans l'ordre où elle les rapporte.
(21 mars.) Je n'ai
pas vu Jésus descendre à terre non plus que les disciples. Ils
continuent à ramer jusqu'au milieu du lac où est le courant du Jourdain
; alors ils laissent dériver la barque et ne se servent que du
gouvernait. Ils dorment, s'entretiennent ensemble et à certaines heures
de la nuit ils font des prières en commun : quand ils veulent remonter,
ils sortent du courant, se rapprochent de la terre et rament : quand le
vent est contraire, des matelots descendent à terre et tirent le navire
avec des cordes. Hier, ils avaient jeté l'ancre près du territoire de
Magdala et de Dalmanutha et ils passèrent la nuit sur le navire. Ce
matin ils se rapprochèrent de l'autre rive, et étant sortis de nouveau
du courant, ils remontèrent à la rame le long du bord occidental, parce
qu'ils s'aperçurent qu'ils avaient oublié leur provision de pain et
qu'ils n'avaient qu'un seul pain pour eux tous.
Ici Anne Catherine raconta
sommairement ce que leur dit Jésus du levain des Pharisiens et les
reproches qu'il leur adressa à ce sujet, tels qu'ils sont rapportés par
saint Matthieu et saint Marc (Matth. XV, 5-13. Marc, VIII, 14-22).
Aujourd'hui vendredi ils
remontèrent lentement le lac et Jésus leur fit diverses instructions. Il
parla de sa glorification prochaine, de sa passion et des persécutions
qui l'attendaient. Il leur dit plus clairement que Jamais qu'il était le
Messie. Ils écoutaient tous ces discours et même ils y croyaient : mais
ils les oubliaient aisément parce qu'ils ne pouvaient pas parvenir à les
mettre d'accord avec leurs idées bornées et charnelles et qu'ils
laissaient prendre le dessus à leurs imaginations accoutumées. Ils ne
cherchaient donc pas à les approfondir et n'y voyaient qu'un langage
prophétique obscur et mystérieux. Il parla aussi de son voyage à
Jérusalem et de la persécution qu'il aurait à subir : on devait,
disait-il, se scandaliser encore de lui et les choses en viendraient au
point qu'on le poursuivrait à coups de pierres. Il dit encore que
quiconque ne renonçait pas à ses biens et à ses proches et ne le suivait
pas avec foi dans la voie des tribulations, ne pouvait être son
disciple. Il parla des voyages et des travaux qui restaient à faire
avant les événements qu'il annonçait et du retour de plusieurs de ceux
qui s'étaient séparés de lui. Ils l'interrogèrent alors pour savoir si
celui qui avait demandé à aller d'abord ensevelir son père serait de
ceux-là et s'il ne l'admettrait pas parmi ses disciples, car il leur
semblait qu'il le méritait. Mais 3ésus leur dévoila les pensées de cet
homme qui n'avaient pour objet que les biens de ce monde : j'appris à
cette occasion que ces mots " ensevelir son père " étaient une locution
figurée qui signifiait le règlement et le partage de l'héritage entre
lui et son vieux père, ce qu'il voulait faire pour se séparer du
vieillard et s'assurer ce qui lui revenait.
Lorsque Jésus parla de
l'attachement de cet homme aux biens temporels, Pierre dans son ardeur
laissa échapper cette exclamation : " Grâce à Dieu ! je n'ai jamais eu
de semblables pensées quand je vous ai suivi ". Mais Jésus le réprimanda
et lui dit qu'il n'aurait pas dû parler de cela avant d'y avoir été
autorisé
Ils arrivèrent à Bethsaide
dans l'après-midi et ils allèrent dans la maison d'André pour prendre un
peu de nourriture et pour se procurer du pain et des aliments à
emporter. Ils ne furent pas gênés cette fois par l'affluence du peuple :
parce que la multitude ne savait pas où était resté Jésus et s'était
dispersée de divers côtés Il y avait à Bethsaide un homme d'un grand âge
qui était aveugle de naissance : jusqu'à présent Jésus s'était abstenu
de le guérir. Cette fois on le lui amena encore, et comme ils étaient
sur le point de retourner à leur navire, il implora l'assistance de
Jésus. Le Seigneur le prenant par la main le conduisit à quelque
distance, et là, en présence de ses apôtres et de ses disciples, il
humecta de sa salive les yeux de l'aveugle, puis il lui imposa les mains
et lui demanda s'il voyait quelque chose Cet homme ouvrit les yeux et
regardant fixement il répondit : "Je vois les hommes qui marchent grands
comme des arbres. "Alors Jésus lui mit de nouveau les mains sur les yeux
et les lui fit rouvrir : cette fois il vit toutes choses fort
distinctement. Jésus lui dit de retourner chez lui et de remercier Dieu,
mais de ne pas courir la ville pour parler de sa guérison et en faire
parade.
Après cela Jésus s'embarqua
vers trois heures avec les apôtres : ils descendirent de l'autre côté du
lac un peu au-dessous de l'entrée du Jourdain, et remontant la rive
gauche du fleuve. Ils prirent le chemin de Bethsaïde-Juliade. Ils
rencontrèrent sur ce chemin les autres apôtres et les disciples qui
avaient été envoyés à l'est de Césarée de Philippe : ils se réunirent à
eux au bas de la montagne dans la contrée où avait eu lieu la première
multiplication des pains et tous ensemble continuèrent leur route vers
Bethsaïde-Juliade, s'arrêtant souvent et écoutant les enseignements de
Jésus (Anne Catherine pense que Juliade est à une demi lieue en
remontant le Jourdain).
Jésus parla encore de sa
glorification et des dangers qui le menaçaient, et les apôtres le
prièrent de ne plus les envoyer au loin afin qu'ils pussent être près de
lui pour le défendre.
Ils arrivèrent à
Bethsaide-Juliade où on avait préparé une hôtellerie à leur usage.
L'arrivée de Jésus avait été annoncée par des gens qui allaient là pour
le sabbat : on vint amicalement à leur rencontre, et dans l'hôtellerie
on leur offrit la réfection et on leur lava les pieds. La ville avait
parmi ses habitants beaucoup de paiens qui saluèrent le Seigneur de loin
Jésus enseigna dans la
synagogue devant un nombreux auditoire : il s'y trouvait beaucoup de
scribes et de Pharisiens de l'endroit : il y avait dans la ville une
école supérieure où l'on enseignait les sciences religieuses et
profanes.
Tout le monde était dans la joie de ce que Jésus visitait aussi cette
ville où il venait pour la première fois et sans être attendu ; le menu
peuple s'en réjouissait sans arrière-pensée. les scribes par vanité,
parce que cela leur donnait l'occasion d'entendre et de juger ce docteur
autour auquel il s'était fait tant de bruit dans le pays et spécialement
à Capharnaum. Ils se montrèrent très polis, mais froids et guindés comme
des professeurs : ils discutèrent avec Jésus et lui proposèrent toute
espèce de questions sur la loi et les prophètes toutefois sans malignité
et Plutôt par curiosité et par ostentation, pour faire parade de leur
science devant le peuple. Jésus fit la lecture du sabbat et y ajouta des
explications
Après cela il fit encore
une très belle instruction sur le quatrième commandement : " Tu
honoreras ton père et ta mère afin de vivre longtemps sur la terre ".
Cette a longue vie sur la terre fut pour lui le sujet d'explications
admirables et d'une grande profondeur. Il y fut dit qu'un fleuve devait
forcément tarir si l'on bouchait sa source, etc. Mais je ne puis plus
bien me rappeler tout cela. Il y eut ensuite un festin très solennel où
figurèrent les enfants des écoles assis à une table à part. Ici aussi
Jésus a raconté et expliqué la parabole des ouvriers dans la vigne.
(22 mars.) Juliade
est une ville toute nouvelle qui n'est pas encore achevée : elle est
très jolie et bâtie à la mode paienne avec des arcades et des colonnes.
Elle s'étend le long du Jourdain, et dans le quartier oriental, où elle
e st adossée à une hauteur qui la domine, on rencontre beaucoup de
maisons dont une partie est creusée dans le roc.
Aujourd'hui Jésus enseigna
de nouveau dans la synagogue : il visita les écoles et je le vis aussi
faire une promenade. Les habitants le suivirent, l'accostèrent,
l'interrogèrent sur la vraie doctrine et sur ce qu'ils avaient à faire,
et le prièrent de les instruire. Il leur dit entre autres choses qu'ils
ne suivraient pas sa doctrine s'il la leur exposait et que la curiosité
seule les poussait. Déjà plus d'une fois dans ce pays ils l'avaient
entendu exposer sa doctrine : que lui voulaient-ils donc avec leurs
interrogations? Croyaient-ils par hasard qu'il eut d'autres
enseignements à leur donner? N'avait-il pas encore enseigné hier et
aujourd'hui? Ils l'accompagnèrent toutefois jusqu'à un endroit où ils
avaient des biens et des chantiers de constructions remplis de pierres
et de pièces de bois, et ils se mirent à vanter la beauté de leur
architecture moderne. Alors Jésus leur parla en paraboles où il était
question de l'homme qui bâtit sur le sable et de celui qui bâtit sur le
roc, de la pierre angulaire que les architectes rejetteraient et de la
ruine future de leurs édifices.
On lui amena sur le chemin
plusieurs malades, des paralytiques, des hydropiques et aussi un couple
de possédés idiots qu'il fallait porter : il les guérit tous. Le soir
Jésus fit la clôture du sabbat et les Pharisiens disputèrent encore avec
lui, mais sans y mettre précisément du mauvais vouloir : seulement ils
montrèrent beaucoup de froideur et prirent des airs d'importance.
Marie et d'autres saintes
femmes sont à Béthanie depuis plusieurs jours.
(23 mars.)
Aujourd'hui Jésus a quitté Juliade assez tard dans la matinée, en
compagnie des douze apôtres et d'une trentaine de disciples : à une
lieue à peu près au nord de Juliade, ils passèrent devant un pont de
pierre qui traverse le Jourdain et qui semble faire partie d'une grande
route. Les habitants de Juliade accompagnèrent Jésus jusqu'à une
certaine distance Il gravit ensuite les hauteurs un peu au nord-est et
arriva à un village appelé Sogané, situé dans la contrée ou le Jourdain
entre dans le lac Mérom, a une lieue et demie à peu près de Césarée de
Philippe.
Le Jourdain ressemble ici à
un ruisseau et il coule dans un lit très profond. Les habitants de
l'endroit s'empressèrent autour de Jésus et lui demandèrent de les
instruire. Il enseigna et guérit jusqu'au soir. Pendant tout le chemin
il avait donné aux disciples et aux apôtres des instructions
préparatoires et il s'était souvent arrêté. Le soir, accompagné des
disciples et des apôtres, il revint à une lieue au sud-est dans la
montagne ou plutôt sur un haut plateau coupé de ravins et où s'élevaient
plusieurs collines. Les disciples et les apôtres lui racontèrent tout ce
qu'ils avaient vu, entendu et fait dans leur dernier voyage Quand la
nuit fut venue, il se sépara d'eux et leur dit après qu'ils eurent pris
un peu de nourriture, de prier et de se reposer.
(24 mars.) Déjà hier
soir pendant la marche, et plus tard dans l'entretien qui avait eu lieu
pendant la nuit au milieu des collines, avant qu'ils se séparassent pour
prendre du repos, la conversation avait roulé sur l'impression et
l'effet produits par Jésus, son enseignement et ses oeuvres, dans les
endroits où les disciples avaient passé, enseignant et guérissant. Jésus
les avait écoutés, leur avait expliqué plusieurs choses, leur avait fait
des réprimandes et donné des ordres : il avait parlé de son voyage à
Jérusalem pour la fête, de sa glorification et de la manifestation
prochaine de son royaume! comme aussi de la destination que chacun d'eux
devait y avoir. Le soir il les avait aussi exhortés à prier et à se
préparer, parce qu'il avait à leur communiquer des choses graves et
importantes.
Jésus lui-même resta en
prière, couché ou debout, pendant la plus grande partie de la nuit,
ainsi qu'il avait coutume de faire avant certains actes solennels.
Ils se réunirent de nouveau
avant le jour et firent la prière ; puis, comme on s'était remis à
parler de quelque chose qu'ils avaient raconté la veille, Jésus
s'adressa aux apôtres et à quelques anciens disciples (ceux-ci se
tenaient en dehors du cercle), et les interrogea en ces termes : " Qui
les hommes disent-ils que je suis "? Or, les apôtres se tenaient rangés
en cercle autour de lui : Jean était à sa droite, puis venait son frère
Jacques : Pierre était le troisième. Alors les disciples et les apôtres
rapportèrent diverses opinions sur Jésus qu'ils avaient recueillies ça
et là ; ils dirent comment les uns le prenaient pour Jean-Baptiste, les
autres pour Elle, d'autres encore pour Jérémie ressuscité d'entre les
morts : ils citèrent encore divers autres prophètes pour lesquels on le
prenait.
Quand ils eurent fini de
parler, il ne leur répondit pas tout de suite, mais garda quelques
moments le silence jusqu'à ce qu'ils fussent redevenus parfaitement
calmes. Il avait l'air très sérieux, comme s'il allait se passer quelque
chose de considérable : pour eux, ils avaient les yeux fixés sur lui et
attendaient avec une sorte d'anxiété ; alors il dit : " Et vous, pour
qui me prenez-vous "? Aucun ne se sentait disposé à répondre : mais
Pierre se sentit tout à coup rempli d'énergie et d'ardeur ; il fit
vivement un pas en avant dans le cercle et faisant de la main un geste
d'affirmation solennelle, il dit d'une voix haute et forte comme parlant
au nom de tous : " Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant ". Jésus
lui répondit avec beaucoup de gravité : sa voix était puissante et comme
créatrice, il y avait dans toute sa personne quelque chose de solennel
et de prophétique ; il paraissait lumineux et comme élevé de terre
lorsqu'il prononça ces paroles : " Tu es heureux, Simon, fils de Jonas !
car ce n'est pas la chair ni le sang qui te l'ont révélé, mais mon Père
qui est dans le ciel ! Et moi je te dis : Tu es un rocher et sur ce
rocher je bâtirai mon Eglise, et les portes de l'enfer ne prévaudront
point contre elle, et je te donnerai les clefs du royaume des cieux ; ce
que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel et ce que tu délieras
sur la terre sera délié dans le ciel ".
Je vis que les paroles de
Jésus qui était une prophétie faisaient sur Pierre une impression
profonde, produite par le même esprit qui lui avait fait confesser la
divinité de son maître. Il en fut complètement pénétré. Quant aux autres
apôtres, ils paraissaient tout stupéfaits : ils se regardèrent les uns
les autres et ils regardèrent avec une sorte d'effroi Pierre et Jésus,
lorsque Pierre dit avec tant de véhémence : " vous êtes le Christ Fils
de Dieu "! Jean lui-même laissa voir si clairement combien il était
bouleversé, que plus tard sur le chemin, Jésus, marchant seul avec lui,
lui reprocha sévèrement le trouble où ces paroles l'avaient jeté. (Elle
ne se souvient plus en quels termes.)
Le soleil se levait lorsque
Jésus adressa à Pierre cette allocution. Elle reçut un caractère de
gravité et de solennité plus marqué de cette circonstance, que Jésus
s'était retiré à l'écart dans la montagne avec les disciples et leur
avait ordonné de prier. Les autres apôtres ne comprirent pas
parfaitement ses paroles : Pierre seul en eut le sentiment, et je
remarquai que les autres continuaient encore à les interpréter d'une
façon toute terrestre. Ils se figuraient que Jésus voulait donner à
Pierre dans son royaume la charge de grand prêtre, et j'entendis plus
tard Jacques en parler à Jean sur le chemin, et exprimer l'espoir que
vraisemblablement son frère et lui auraient les premières places après
Pierre.
Cependant Jésus dit encore
très clairement aux apôtres qu'il était le Messie promis: il fit
l'application à sa personne de tous les passages des prophètes et dit
que maintenant ils allaient se rendre à Jérusalem pour la fête Alors ils
revinrent au sud-ouest vers le pont du Jourdain.
Pierre était encore tout
plein des paroles de Jésus sur le pouvoir des clefs : sur le chemin il
s'approcha de lui pour lui demander des instructions et des
éclaircissements sur certains points qui restaient obscurs pour lui, car
dans l'ardeur de sa foi et de son zèle, il s'imaginait que sa tâche
allait commencer immédiatement ; d'autant qu'il ne savait pas encore
qu'il y fallait pour conditions préalables la passion du Christ et la
descente du Saint-Esprit. Il interrogea donc le Seigneur pour savoir si
dans tel ou tel cas il pouvait délier les péchés, et je me souviens
qu'il dit quelque chose des Publicains et de l'adultère public : mais
Jésus le tranquillisa en lui disant qu'il apprendrait tout cela à fond,
que c'était tout autre chose que ce qu'il croyait, qu'une autre loi
allait venir, etc.
Ils continuèrent leur
chemin et Jésus, tantôt sans cesser de marcher, tantôt s'arrêtant et les
rangeant en cercle autour de lui, commença à leur faire connaître tout
ce qui allait arriver : il leur dit qu'ils allaient se rendre à
Jérusalem, qu'ils mangeraient l'agneau pascal chez Lazare et qu'ils
auraient ensuite à supporter bien des fatigues, des travaux et des
persécutions il leur annonça en termes généraux beaucoup de voyages et
beaucoup d'événements: il leur dit aussi qu'il ressusciterait d'entre
les morts un de leurs meilleurs amis, qu'il soulèverait par là de
grandes colères et qu'il serait obligé de s'enfuir. Il ajouta qu'un an
après ils retourneraient à la fête, qu'un d'eux le trahirait, qu'il
serait maltraité, flagellé, injurié et livré à une mort ignominieuse,
qu'il mourrait pour les péchés des hommes et ressusciterait le troisième
jour. Il expliqua cela en détail, le prouva par des textes des prophètes
et se montra très affectueux et très grave. Pierre fut tellement
attristé de l'entendre dire qu'il serait accablé d'outrages et mis à
mort, que dans son zèle il s'approcha de Jésus pour lui parler en
particulier, lui adressa de vives remontrances et s'écria qu'il n'en
pouvait être ainsi, qu'il n'admettrait Jamais cela. Il aimait mieux
mourir que de supporter pareille chose ! "à Dieu ne plaise, Seigneur,
lui dit-il, il n'en sera pas ainsi pour vous! "Mais Jésus se tourna vers
lui d'un air très sévère et lui dit vivement : " Arrière, Satan! tu m'es
un sujet de scandale, tes sentiments ne sont pas selon Dieu, mais selon
les hommes! "Ayant ainsi parlé, Jésus passa outre et Pierre resta
consterné : il réfléchit à ce que Jésus avait dit précédemment, que ce
n'était pas en vertu de la chair et du sang, mais par une révélation de
Dieu qu'il l'avait proclamé comme étant le Christ, tandis que maintenant
il le traitait de Satan, d'homme qui ne parlait pas selon Dieu, mais
selon les sentiments et les désirs de l'homme, parce qu'il voulait
mettre obstacle à sa Passion : faisant cette comparaison, il s'humilia
et considéra Jésus avec de plus vifs sentiments d'admiration et de foi
Cependant il était accablé de tristesse parce que ses doutes sur la
réalité de la passion du Sauveur se dissipaient de plus en plus.
Je vis alors Jésus, les
apôtres et les disciples divisés en groupes séparés qui se succédaient
auprès du Seigneur, passer le pont du Jourdain et laissant à droite la
montagne où les apôtres avaient reçu leur mission, se diriger vers le
sud-ouest, au delà de l'extrémité occidentale de la vallée de Capharnaum.
Ils prirent alors la direction du midi, et tantôt écoutant les
instructions de Jésus, tantôt faisant de courtes haltes pour prendre
quelques rafraîchissements, ils continuèrent leur voyage jusqu'à la
nuit, marchant très vite, ne s'arrêtant nulle part et évitant même
autant que possible les lieux habités. Ils arrivèrent ainsi aux
hôtelleries voisines du lac de Béthulie, où Lazare attendait Jésus avec
quelques disciples de Jérusalem.
(25 mars.) Jésus se
réunit ici à Lazare dans l'hôtellerie. Il lui avait fait dire par Judas,
assez longtemps auparavant, qu'il voulait manger la Pâque avec les siens
dans sa maison de Béthanie, et j'ai oublié de dire que Lazare était déjà
venu récemment à Capharnaüm pour s'entretenir à ce sujet avec Jésus. Il
y avait huit jours, Jésus avait trouvé à Bethsaïde des messagers de
Lazare qui lui avaient annonce que celui-ci l'attendait près du lac des
bains, et il l'y trouva en effet.
Lazare était venu au devant
de Jésus pour lui donner, ainsi qu'aux disciples, quelques informations
touchant cette fête de Pâque. Il dit à Jésus qu'on craignait un
soulèvement pendant la fête. Je ne me souviens qu'en partie des motifs
qui le faisaient prévoir. Il raconta que Pilate voulait lever une
nouvelle taxe sur le temple, laquelle devait être employée, si je ne me
trompe, à élever une statue de l'empereur : qu'il demandait aussi qu'on
fit certains sacrifices en l'honneur de ce prince et qu'on lui donnât en
public certaines appellations honorifiques très respectueuses. Mes
souvenirs sont un peu confus, mais il y avait trois points principaux.
Ces projets devaient être mis à exécution, mais les Juifs avaient
préparé un soulèvement pour s'y opposer : un grand nombre de Galiléens
devaient y prendre part, et à leur tête un certain Judas, un homme de
Gaulon, qui avait beaucoup de partisans et qui prêchait ouvertement
contre la domination étrangère et le tribut que les Romains imposaient.
Lazare pensait donc que Jésus ferait bien de ne pas prendre part à la
fête, parce qu'elle pouvait donner lieu à de grands désordres. Mais
Jésus répondit à Lazare que son heure n'était pas encore venue, et qu'il
ne lui arriverait rien cette fois ; que ce soulèvement serait seulement
la figure prophétique d'un soulèvement beaucoup plus grand qui aurait
lieu un an après, lorsque l'heure du fils de l'homme viendrait et qu'il
serait livré entre les mains des pécheurs.
Dans la matinée, Jésus
envoya dans divers lieux les apôtres et les disciples divisés en groupes
séparés : il ne garda auprès de lui que Simon, Thaddée, Nathanaël Khased
et Jude Barsabas. Les autres devaient se rendre à la fête, soit en
descendant la vallée du Jourdain, soit en passant par Ephraim, à l'ouest
du mont Garizim ; ils devaient en outre visiter quelques endroits où ils
n'étaient pas encore allés. Lazare partit avec les disciples. Jésus leur
défendit d'aller dans les villes des Samaritains et leur donna encore
diverses règles de conduite. Je le vis plus tard visiter des bergers à
l'est du Thabor, et après une forte journée de voyage arriver tard sur
le bien de Lazare à Ginnim où il passa la nuit.
(26 mars.) Le
mercredi soir, Jésus est arrivé à Lebona, non sur la hauteur où est le
château, mais dans la ville. Plusieurs amis l'y attendaient, entre
autres, les parents de Manahem, ce jeune aveugle qu'il avait guéri à
Koréah.
Note : Le 16 mars 1823
était le mercredi de la semaine Sainte : c'est ce qui fait que les
communications sont si écourtées, parce qu'à cette époque de l'année la
voyante participait ordinairement à toutes les souffrances de la Passion
du Sauveur.
(27 mars.) à Lebona,
Jésus guérit dans les maisons quelques malades de sa connaissance. Les
parents de Manahem l'emmenèrent à Koréah, où ils habitaient. Il y guérit
quelques lépreux et d'autres malades, mais dans des maisons et comme en
secret. A Koréah aussi, on lui parla du soulèvement qui menaçait
d'éclater à Jérusalem : mais il répondit que son heure n'était pas
encore venue.
CHAPITRE DOUZIÈME
La seconde fête de
Pâques à Jérusalem.
- Jésus va de Koréah à Béthanie.
- Madeleine. - Jésus enseigne dans le temple. - Dispute avec les Pharisiens.
- L'homme guéri à la piscine de Béthesda. - Les agneaux de Pâque à Béthanie.
- Jésus va sur la montagne des Oliviers. - Repas pascal chez Lazare, Jésus au temple.
- L'histoire du mauvais riche et du pauvre Lazare. - une voix du ciel.
- Jésus va à Rama, - à Thenath-Silo, - à Atharoth, - à
Hadad-Rimmon. - Grand massacre à Jérusalem.
(Du 30 mars (10 Nisan) au 7 avril (20 Nisan).
(28 mars.) Ce matin, Jésus, accompagné de
quatre disciples, partit pour Béthanie par le désert. A trois lieues
environ de Béthanie, avant de sortir du désert, on rencontre une maison
de bergers isolée, dont les habitants vivent en grande partie des
bienfaits de Lazare. Madeleine s'était rendue jusque-là au devant de
Jésus avec Marie Salomé (la parente de Joseph) : elles étaient venues
toutes seules. Elles lui avaient préparé une collation, et quand il
approcha, Madeleine sortit en toute hâte et lui embrassa les pieds.
Jésus ne se reposa que peu de moments ; il s'entretint avec elles et
continua sa route jusqu'à l'hôtellerie de Lazare, qui est à une lieue de
Béthanie. Les deux femmes revinrent par un autre chemin.
Dans l'hôtellerie, Jésus trouva une partie des
disciples qu'il avait envoyés en mission ; d'autres arrivèrent bientôt,
et tous ensemble se rendirent à Béthanie. Jésus ne passa pas par la
ville, mais il gagna la maison de Lazare par les derrières.
Lorsqu'il arriva, on se porta à sa rencontre dans
la cour. Lazare lui lava les pieds, après quoi ils passèrent par les
jardins. Les femmes le saluèrent, couvertes de leurs voiles. Il y eut
quelque chose de très touchant dans son arrivée, car en ce moment même,
on amena quatre agneaux qu'on avait pris dans le troupeau pour les
mettre dans un parc séparé. La très sainte Vierge qui était ici et
Madeleine avaient fait des petites guirlandes qu'on leur passa autour du
cou.
Jésus était arrivé peu de temps avant le sabbat. Il
le célébra dans une salle avec tous les autres. Il avait l'air très
grave, et prononça à cette occasion quelques paroles très touchantes. Il
fit ensuite la lecture du sabbat sur laquelle il enseigna. Au repas du
soir, il parla encore beaucoup de l'Agneau pascal et de ses souffrances
futures. Je crois qu'il mangera la Pâque ici.
Les troubles ont commencé à Jérusalem cette
après-midi avant le sabbat, mais on n'en est pas encore venu aux mains.
Pilate était venu prendre place sur une terrasse de la forteresse
Antonia : il était entouré de soldats. Tout le peuple était rassemblé
sur la place du marché. La citadelle Antonia s'élève sur un rocher qui
fait saillie à l'angle nord-ouest du temple. On l'a à main gauche
lorsqu'en sortant du palais de Pilate, on passe sous l'arcade attenante
au bâtiment où eut lieu la flagellation. On lut au peuple les nouveaux
décrets de Pilate portant qu'une taxe serait levée sur le temple. Elle
devait être employée à la construction d'un aqueduc qui devait arriver
jusqu'au grand marché et communiquer avec le temple. Il fut aussi
question de certaines désignations honorifiques à donner à l'empereur et
de sacrifices à faire pour lui. Il s'ensuivit une grande agitation parmi
le peuple : on entendit beaucoup de murmures et de clameurs, surtout du
côté où les Galiléens s'étaient réunis : pourtant les choses se
passèrent encore assez tranquillement. Pilate dit qu'il voulait laisser
au peuple le temps de la réflexion mais qu'il devait se tenir pour
averti ; après quoi là foule se sépara en murmurant. C'étaient les
Hérodiens qui agitaient secrètement le peuple et qui le poussaient à se
soulever, mais on ne pouvait pas trouver contre eux de preuves
suffisantes. Ils avaient sous la main Judas de Gaulon, et celui-ci
disposait d'une secte nombreuse de Galiléens, qu'il ne cessait d'exciter
contre le tribut exigé au nom de l'empereur, et il mettait la religion
en jeu pour enflammer leurs désirs de liberté. Il en était précisément
des Hérodiens comme aujourd'hui des francs-maçons et des autres sociétés
secrètes, lesquelles poussent à la révolte une multitude ignorante qui
ne voit pas où on la mène, et qui paie sa folle de son sang.
(29 mars.) Jésus se tient toujours
tranquille à Béthanie. Le jour du sabbat, il enseigna dans la maison,
après quoi ils firent une promenade dans les jardins. Il est plus grave
qu'à l'ordinaire, parle souvent de ses souffrances futures, et dit plus
nettement qu'il est le Christ. Tous lui portent un respect et une
admiration qui vont toujours croissant.
Chez Madeleine, le repentir et l'amour ne peuvent
plus s'accroître. Elle suit Jésus partout, s'assoit à ses pieds,
n'espère qu'en lui, ne pense qu'à lui, ne voit que lui ne se souvient
plus que de ses péchés et de son Rédempteur. Jésus lui adresse souvent
des paroles de consolation. Elle est très changée : son extérieur et
toute sa personne sont encore pleins de distinction et de noblesse, mais
altérés par les larmes et les mortifications. Elle se tient presque
toujours seule dans son étroit réduit de pénitente, et exerce les
offices les plus humbles près des pauvres et des malades.
Le soir, il y eut un grand repas. Les amis de
Jérusalem y étaient tous, ainsi que les saintes femmes. Il y avait,
entre autres, Héli d'Hébron, veuf d'une soeur d'Elisabeth, lequel figura
comme majordome à la dernière cène de Jésus, son fils le lévite, qui
occupe la maison paternelle de Jean, et les cinq filles de celui-ci.
Elles appartiennent à une catégorie d'Esséniennes qui vivent dans le
célibat : il y avait cependant près d'elles quelques petits garçons : ce
sont peut-être les enfants de leur frère. On parle du soulèvement
populaire. Pilate a encore envoyé un renfort de soldats.
Lazare et les siens sont dans des rapports de
grande intimité avec Jésus et tous ses disciples : car ils ont mis leurs
biens et leurs personnes au service de la communauté, et ce sont eux qui
pourvoient à sa subsistance. On s'entretient, entre autres choses, de
certains arrangements à prendre dans son intérêt.
(30 mars.) Ce matin, vers dix heures, je vis
Jésus, avec une trentaine de disciples, se rendre au temple parla
montagne des Oliviers et par Ophel. Tous étaient vêtus de robes brunes
de laine commune, comme en portent ordinairement tous les Galiléens de
la classe du peuple. Jésus avait seulement une ceinture plus large où
étaient brodées des lettres. Il n'excita pas l'attention, car il y avait
de tous côtés des troupes de Galiléens habillés de même. La fête est
proche : il y a autour de la ville de grandes agglomérations de tentes
et de cabanes, et à chaque instant il arrive encore beaucoup de monde.
Jésus enseigna dans le temple pendant une bonne
heure en présence de ses disciples et d'un grand nombre d'auditeurs. Il
y avait plusieurs chaires où l'on enseignait ; mais tout le monde était
tellement absorbé par les préparatifs de la fête, et en outre tellement
préoccupé du soulèvement populaire qui a recommencé aujourd'hui,
qu'aucun prêtre considérable ne l'attaqua. Quelques-uns des moindres
parmi les Pharisiens l'interpellèrent malicieusement : ils s'étonnèrent
qu'il osât se montrer en ce lieu, et lui demandèrent combien cela
durerait encore, ajoutant qu'on mettrait bientôt un terme à ses
manoeuvres. Jésus leur répondit de manière à les couvrir de confusion ;
il continua son enseignement sans obstacle, après quoi il revint à
Bethanie.
J'ai vu encore aujourd'hui sur la place du marche,
devant la forteresse Antonia, un grand rassemblement de peuple qui
voulait parler à Pilate. Celui-ci était informé de tout, et il avait
parmi eux des espions et des soldats déguisés. Les Hérodiens avaient
excite Judas de Gaulon et ses partisans galiléens. Ceux-ci se
présentèrent avec beaucoup de hardiesse et dirent à Pilate qu'il devait
renoncer à son projet de prendre de l'argent dans le trésor du temple ;
et comme plusieurs d'entre eux tenaient des discours très séditieux.
Pilate les fit attaquer inopinément' et on en arrêta une cinquantaine ;
mais le peuple se précipita à leur secours et les délivra : il périt
dans la mêlée cinq Juifs inoffensifs et aussi un couple de soldats
romains. Tout cela fait qu'il y a plus d'irritation que jamais.
Jésus et ses disciples allèrent encore ce soir sur
la montagne des Oliviers ; Hérode est à Jérusalem.
(31 mars.) Ce matin, Jésus retourna au
temple avec tous les disciples. On savait qu'il devait venir, et dans le
vestibule du temple où il passa, il y avait des gens qui étaient venus
l'attendre avec un grand nombre de malades. Déjà, sur son chemin, on lui
avait présente un hydropique porté sur une civière. Il le guérit, et
guérit encore, à l'entrée du temple, un certain nombre de malades et de
perclus. Cela fit que beaucoup de personnes le suivirent.
Lorsque Jésus arriva au temple, où l'on était
encore occupé dans beaucoup d'endroits à tout ranger et a tout disposer
pour les sacrifices du matin, il passa devant l'homme qu'il avait guéri,
le 5 Sebath, à la piscine de Béthesda, et qui travaillait là comme
journalier. Jésus s'adressa à lui et lui dit : " Voici que vous avez
recouvré la santé : ne péchez plus, de peur qu'il ne vous arrive quelque
chose de pire ". Cet homme était fort connu, et on lui avait beaucoup
demandé qui l'avait guéri le jour du sabbat : mais il ne connaissait pas
Jésus, et il le revoyait aujourd'hui pour la première fois. La première
chose qu'il fit fut de dire aux Pharisiens qui passaient près de lui,
que ce Jésus qui venait d'opérer ici des guérisons, était celui qui
l'avait guéri précédemment à la piscine de Béthesda. Comme cette
guérison avait fait grand bruit, et que les Pharisiens s'étaient fort
déchaînés contre ce qu'ils appelaient une profanation du sabbat, ils
trouvèrent là un nouveau grief contre Jésus. Ils se rassemblèrent en
plus grand nombre autour de la chaire et reproduisirent leurs vieilles
accusations touchant la violation du sabbat. Cependant, quoique faisant
déjà beaucoup de bruit, ce ne fut pas proprement aujourd'hui qu'ils
éclatèrent.
Jésus enseigna dans le temple sur le sacrifice : il
parla environ deux heures devant une nombreuse assistance. Il dit que
son Père céleste ne leur demandait pas des holocaustes sanglants, mais
un coeur touché de repentir. Il parla aussi de l'Agneau pascal, comme de
la figure prophétique d'un sacrifice suprême qui devait s'accomplir
bientôt. Il vint beaucoup de Pharisiens qui étaient ses ennemis acharnés
: ils l'injurièrent, disputèrent contre lui, et, entre autres choses,
ils lui demandèrent dès le début, d'un ton moqueur, si le prophète
voulait leur faire l'honneur de manger la Pâque avec eux, à quoi Jésus
répondit, entre autres choses: " Le Fils de l'homme est lui-même une
victime offerte en expiation de vos péchés ".
Le jeune homme qui avait dit à Jésus qu'il voulait
aller d'abord ensevelir son père, et auquel Jésus avait répondu : "
Laissez les morts ensevelir leurs morts ", se trouvait alors à
Jérusalem. Il avait rapporté cette réponse aux Pharisiens, qui en
prirent occasion d'attaquer Jésus, et lui demandèrent ce qu'il avait
entendu dire, et comment un mort pouvait en ensevelir un autre. Jésus
leur dit que quiconque ne pratiquait pas ses enseignements, ne croyait
pas à sa mission et ne faisait pas pénitence, n'avait pas la vie en lui,
mais était mort : or, quand on tenait plus à ses biens et à ses
richesses qu'à son salut, on ne suivait pas ses engagements, on ne
croyait pas en lui, et par conséquent on n'avait pas la vie en soi, mais
la mort. Tel était le cas de ce jeune homme ; car s'il avait voulu
d'abord retourner auprès de son vieux père, c'était pour se faire
avancer son héritage moyennant une pension payée au vieillard : tant
qu'il restait attaché à un héritage périssable, il ne pouvait donc pas
être héritier de son royaume et de la vie : c'était Pour cela qu'il
l'avait engagé à laisser les morts ensevelir les morts, et à se tourner
lui-même vers la vie. Jésus continua ensuite son instruction, et il leur
reprocha sévèrement leur cupidité. Mais lorsqu'il avertit ses disciples
de se garder du levain des Pharisiens et qu'il raconta la parabole du
mauvais riche et du pauvre Lazare, les Pharisiens furent transportés de
fureur : ils excitèrent un violent tumulte, et Jésus fut obligé de se
dérober dans la foule et de s'enfuir : autrement ils se seraient saisis
de lui.
Les quatre petits agneaux qui devaient être mangés
chez Lazare, à Béthanie, pour la célébration de la Pâque, et qu'on avait
lavés chaque jour dans une fontaine et ornés de guirlandes fraîches,
furent conduits ce soir au temple de Jérusalem. Ils portaient,
suspendues à la guirlande qu'ils avaient autour du cou, des étiquettes
avec le nom et le signe distinctif de ceux qui devaient remplir à chaque
table les fonctions de père de famille. On les lava de nouveau, et on
les parqua sur une belle pelouse voisine du temple.
Tous les commensaux de Lazare se purifièrent et se
baignèrent aujourd'hui. Je les vis successivement aller au bain deux par
deux, les hommes d'un côté de la maison, les femmes de l'autre. Je vis
aussi Jésus y aller seul : mais je ne sais pas s'il se baigna en effet.
Du reste, je ne me souviens pas distinctement de l'avoir jamais vu se
baigner, quoique je l'aie souvent vu se laver je visage, les bras et les
pieds. Le soir, Lazare alla à une fontaine où il puisa de l'eau dans une
cruche qu'il rapporta à la maison et qu'on couvrit. Cette eau servit le
lendemain pour la préparation des pains azymes. Je vis ensuite Lazare,
accompagné de ses serviteurs, aller dans diverses parties des
appartements : le serviteur l'éclairait et lui-même, comme accomplissant
une cérémonie, donnait quelques coups de balai dans les coins, après
quoi les valets et les servantes firent un nettoyage et un balayage
général : ils lavèrent et récurèrent la vaisselle et les emplacements où
devaient être préparés les pains sans levain C'était là ce qu'on
appelait le balayage du levain.
Simon le Pharisien de Béthanie est venu voir Jésus
: il m'avait semblé récemment tout près d'avoir la lèpre : maintenant il
me paraît avoir la peau plus nette : il est partisan de Jésus, mais un
peu vacillant.
(1er avril.) Dans la matinée de ce jour qui
est le 11 du mois de Nisan, le pain sans levain de la Pâque fut pétri et
cuit chez Lazare par les servantes de la maison et par quelques femmes
au service de Marthe : je ne vis point là Marthe ni Madeleine.
L'homme guéri à la piscine de Béthesda courut hier
et aujourd'hui à Béthanie et partout où Jésus se fit voir : après quoi
il rapporta aux Pharisiens que c'était bien Jésus qui l'avait guéri. Les
Pharisiens formèrent le dessein de se saisir de Jésus, et de le faire
disparaître à la première occasion favorable.
Aujourd'hui, je vis plusieurs fois Jésus sur la
montagne des Oliviers, où il était allé avec les disciples et d'autres
amis. Marie, Madeleine et d'autres femmes le suivaient à quelque
distance. Je vis que les disciples, en passant dans des champs où les
blés étaient mûrs, cueillirent des épis dont ils mangèrent les grains :
ils cueillirent aussi ça et là des fruits et des baies. Je me demandai
encore à cette occasion si c'était là l'incident du même genre dont il
est question dans l'Evangile. Jésus, entre autres choses, leur donna des
enseignements très circonstanciés sur la prière, leur dit de se tenir en
garde contre l'hypocrisie, et les exhorta à persévérer sans relâche dans
la prière en sa présence et en présence de son Père.
Aujourd'hui l'agneau pascal ne fut pas immolé au
temple d'aussi bonne heure que le jour du crucifiement de Jésus où
l'immolation commença à midi et demi, au moment même où Jésus aussi
était attaché à la croix. Comme ce jour-là était un vendredi, on
commença de meilleure heure à cause du sabbat qui allait s'ouvrir.
Aujourd'hui on commença vers trois heures de l'après-midi. Quand tout
fut prêt, le son des trompettes se fit entendre et le peuple entra dans
le temple par groupes séparés. Tout se passait avec une promptitude et
une régularité surprenantes. On était serré les uns contre les autres :
toutefois il n'y avait pas de confusion : chacun sachant par où il
devait passer, arrivait à son tour, immolait son agneau et se retirait.
Les quatre agneaux destinés à la maison de Lazare
furent immolés par les quatre personnes qui devaient représenter les
chefs de famille. C'étaient Lazare, Héli d'Hébron, Jude Barsabas et
Eliachim, fils de Marie d'Héli et frère de Marie de Cléophas. Les
agneaux furent comme mis en croix sur une broche en bois à laquelle
était ajustée une traverse et placés tout debout dans le four où on les
fit rôtir. Les intestins, le coeur et le foie étaient replacés dans
l'intérieur de l'animal : quelquefois on les attachait près de la tête.
Béthanie et Bethphagé étant considérées comme des dépendances de
Jérusalem, on pouvait y manger la Pâque
Le soir, comme le 15 du mois de Nisan commençait,
ils mangèrent l'agneau pascal. Tous avaient leur robe relevée, des
chaussures neuves et des bâtons à la main. Ils commencèrent par chanter
les cantiques : "Béni soit le Seigneur, Dieu d'Israël", et "Louez le
Seigneur".Puis ils s'avancèrent, les mains élevées vers le ciel et
placés deux par deux en face les uns des autres. La table où se trouvait
Jésus avec les apôtres, était présidée par son cousin, Héli d'Hébron,
comme représentant le chef de famille ; Lazare présidait à une autre
table, entouré de ses commensaux et de ses amis : Eliacin, fils de
Cléophas, était à une troisième table avec des disciples : Jude Barsabas
à une quatrième. Trente-six disciples mangèrent la Pâque à Béthanie.
Après la prière, on apporta au président de chaque
table une coupe pleine de vin qu'il bénit : il y but et la fit passer à
la ronde, après quoi il se lava les mains. Il y avait sur la table,
outre l'agneau pascal, un gâteau de Pâque, un plat rempli d'une sauce
brunâtre, un autre avec de petits paquets d'herbes amères, et un
troisième où des brins d'herbe verte se dressaient les uns contre les
autres comme du gazon dans un champ. Je connais une herbe semblable :
j'essaierais de la trouver si j'étais en état de marcher. Etant enfant,
je la cherchais toujours et je la mangeais avec plaisir. Elle a une
belle petite tige, et elle est d'un vert jaunâtre : ses feuilles
ressemblent à celles du trèfle et ses fleurs sont blanches. Elle se
plaît sous les haies touffues : je l'y ai souvent plantée et cherchée.
J'ai vu aussi des Juifs la cueillir et en manger avec plaisir : mais je
ne sais pas s'ils la connaissent bien.
NOTE : Elle veut parler de la plante appelée
communément pied de lièvre.
Le père de famille découpa ensuite l'agneau pascal,
fit les parts à la ronde et on le mangea en grande hâte. Ils prenaient
en même temps de cette herbe verte, la trempaient dans la sauce et la
mangeaient. Le père de famille rompit ensuite un des gâteaux de Pâque,
dont il mit un petit morceau sous la nappe ; tout cela se fit très vite
avec un mélange de prières et de paroles sacramentelles : ils étaient
accoudés sur leurs sièges. Après cela on fit encore passer un verre à la
ronde, puis le père de famille plaça un petit paquet d'herbes amères sur
un morceau de pain, le trempa dans la sauce et en mangea, ce que les
autres firent aussi.
L'agneau pascal fut mangé en entier : les os bien
nettoyés avec des couteaux en os furent lavés, puis brûlés. Après cela,
ils chantèrent encore des cantiques et enfin ils se mirent tout à fait à
table pour le repas proprement dit. On servit différents mets auxquels
on avait donné des formes élégantes. La joie et l'allégresse régnaient
parmi les convives.
Chez Lazare tous les hôtes avaient de belles
assiettes sur lesquelles ils mangeaient. A la dernière cène du Sauveur,
elles étaient remplacées par des pains ronds et minces, placés dans des
creux de la table et sur lesquels diverses figures étaient empreintes.
Les femmes aussi prirent leur repas debout et en
habits de voyage : elles chantèrent aussi des psaumes mais il n'y eut
pas d'autre cérémonie. Elles ne découpèrent pas elles-mêmes leur agneau
: il leur fut envoyé de l'autre table, tout préparé. Les salles
attenantes au réfectoire étaient remplies de pauvres gens qui mangeaient
aussi leur agneau de Pâque : Lazare avait fait les frais de leur repas
et tous reçurent des présents.
Jésus enseigna et raconta des paraboles pendant le
repas : il fit spécialement une très belle instruction sur la vigne, sur
l'amélioration des plants, sur l'extirpation des mauvaises souches, sur
la culture des ceps de qualité supérieure, et sur la taille qu'il
fallait pratiquer sur chaque sarment qui poussait. Il dit aux apôtres et
aux disciples qu'ils étaient ces sarments et que le Fils de l'homme
était le vrai cep de vigne, qu'ils devaient demeurer en lui, et que
quand il aurait été mis sous le pressoir, ils devaient toujours
continuer à propager le vrai cep, qui n'était autre que lui-même, et le
planter dans tous les vignobles. Leur réunion se prolongea jusque très
avant dans la nuit : ils étaient en même temps très joyeux et très émus.
Jude Barsabas était, après André, le plus âgé des
disciples : il était marié et appartenait à une famille de bergers qui
habitait entre Michmethath et Iscariot. Eliacin aussi était marié et
avait mené la vie pastorale dans les plaines de Ginnim. Il était
beaucoup plus âgé que Jésus. Ces deux disciples furent rarement envoyés
dans leur pays.
Aujourd'hui la fête commença de très bonne heure au
temple qui fut ouvert aussitôt après minuit : il y avait des lampes
partout. Beaucoup de gens vinrent avant l'aube du jour avec leurs
offrandes d'actions de grâces, des animaux et des oiseaux de toute
espèce, qu'ils trouvaient à acheter là même, et qui étaient reçus et
examinés par les prêtres : ils apportaient aussi d'autres présents de
tout genre, de l'argent, des étoffes, de la farine, de l'huile, etc.
Jésus, les disciples, Lazare, ses commensaux et
aussi les saintes femmes allèrent au temple dès qu'il fit jour et Jésus
resta avec les siens dans la foule du peuple. On chanta plusieurs
psaumes, on joua des instruments, on sacrifia et on donna aussi une
bénédiction que tous reçurent à genoux. On ne laissait entrer à la fois
qu'un certain nombre de personnes qui se retiraient après leur
sacrifice. On fermait les portes dans l'intervalle pour éviter le
désordre. Après la bénédiction, beaucoup de gens, surtout des étrangers,
se rendirent dans les synagogues de la ville où l'on chanta, et où l'on
fit la lecture de la loi. Vers onze heures du matin, il y eut un temps
d'arrêt dans les sacrifices : beaucoup de gens s'étaient déjà retirés et
plusieurs étaient dans le parvis des femmes, près des cuisines, où l'on
préparait la chair des victimes, qui était ensuite mangée dans les
réfectoires par des compagnies entières. Les saintes femmes étaient
retournées à Béthanie.
Jésus était resté à sa place avec les siens
jusqu'au moment où l'on interrompit les sacrifices : alors toutes les
entrées étant rouvertes, il se rendit à la grande chaire du temple, qui
est dans le parvis du sanctuaire. Beaucoup de personnes s'y
rassemblèrent, parmi lesquelles il y avait des Pharisiens. L'homme guéri
à la piscine de Béthesda, se trouvait encore dans la foule : tous les
jours, il avait parlé de ce que Jésus avait fait pour lui, il n'en avait
même que trop parlé et il avait dit plus d'une fois que celui qui
faisait de pareilles oeuvres devait être le Fils de Dieu. Les Pharisiens
lui avaient ordonné de se taire, mais il n'en avait pas tenu compte. Or,
comme l'avant-veille Jésus avait enseigné dans le temple avec beaucoup
de hardiesse, ils craignaient qu'il ne les couvrit encore de confusion
en présence du peuple ; comme d'ailleurs tous les Pharisiens venus, pour
la fête, des diverses parties du pays, avaient déjà colporté leurs
accusations et leurs calomnies contre Jésus, ils résolurent de se jeter
sur lui en grand nombre à la première occasion, de l'arrêter et de le
mettre en jugement. Cette fois donc, lorsque Jésus commença à enseigner,
beaucoup d'entre eux l'entourèrent et interrompirent son discours par
beaucoup d'objections et de reproches. Ils lui demandèrent pourquoi il
n'avait pas mangé la Pâque avec eux dans le temple et s'il avait porté
aujourd'hui son offrande d'action de grâces. Jésus les renvoya aux pères
de famille qui avaient réglé les choses pour lui. Ils lui reprochèrent
de nouveau que ses disciples n'observaient pas les usages, mangeaient
sans s'être lavé les mains et cueillaient sur les chemins des épis et
des fruits, qu'on ne le voyait jamais amener de victimes pour les
sacrifices, qu'il y avait six jours destinés au travail, qu'on devait se
reposer le septième, qu'il avait guéri cet homme le jour du sabbat et
qu'il profanait le sabbat. Mais Jésus s'éleva avec beaucoup de
véhémence contre eux à propos des victimes; il dit de nouveau que le
Fils de l'homme était lui même une victime, et qu'ils profanaient le
sacrifice par leur avarice et leurs diffamations contre le prochain; que
Dieu ne demandait pas des sacrifices, mais des coeurs pénitents, que
leurs sacrifices auraient un terme, que le sabbat subsisterait, mais
qu'il était fait pour les hommes et pour leur sanctification et non les
hommes pour le sabbat. Ils l'interrogèrent aussi sur la parabole du
pauvre Lazare qu'il avait racontée récemment et la tournèrent en
ridicule. D'où savait il si bien cette histoire, ce qu'avaient dit
Lazare, Abraham et l'homme riche? disaient ils. S'était il donc trouvé
près d'eux dans le sein d'Abraham et dans l'enfer? N'avait il pas honte
de débiter au peuple de pareilles fables? Jésus prit de nouveau cette
parabole pour texte de son enseignement: il leur reprocha leur avarice,
leur dureté envers les pauvres, la confiance orgueilleuse qu'ils
mettaient dans leur fidélité à de vaines observances, tout en laissant
complètement de côté la charité. Il leur fit l'application de l'histoire
du mauvais riche : son histoire est véritable : elle était bien connue
et l'on se souvenait de sa mort, qui fut horrible. J'ai vu de nouveau à
cette occasion que le mauvais riche et le pauvre Lazare ont réellement
existé et que leur mort fit du bruit dans le pays. Ils ne demeuraient
pas à Jérusalem quoique plus tard on ait montré aux pèlerins, dans cette
ville, des maisons où l'on disait qu'ils avaient habité : je ne sais pas
d'où cela est venu. Ils moururent lorsque Jésus était encore très jeune
et on parlait beaucoup d'eux à cette époque dans les familles pieuses.
La ville où ils vivaient, s'appelle, je crois, Aram ou Amthar, et elle
est située dans les montagnes, à l'ouest de la mer de Galilée. Je ne me
souviens plus de l'histoire dans tous ses détails : voici ce que je me
rappelle encore. L'homme riche avait de grands biens et vivait dans les
délices : il était premier magistrat de sa ville : c'était un Pharisien
renommé qui observait strictement les prescriptions extérieures de la
loi, mais il était dur et impitoyable à l'égard des pauvres : je le vis
repousser sans miséricorde les pauvres de l'endroit, qui lui demandaient
de les secourir et de les assister, en sa qualité de magistrat. Il y
avait là un pauvre homme très pieux et très misérable, qui s'appelait
Lazare : il était couvert d'ulcères et accablé de maux de toute espèce :
mais son humilité et sa patience étaient admirables. Souffrant
cruellement de la faim, il se fit porter à la maison du riche pour
plaider la cause des pauvres que celui ci avait éconduits. Le riche
était à table et faisait grande chère et Lazare fut durement renvoyé par
lui comme impur. Alors ce pauvre homme resta couché devant la porte,
demandant un peu des miettes qui tombaient de la table du riche, mais
personne ne lui donnait rien. Les chiens étaient plus compatissants, et
léchaient ses ulcères : ce qui signifie que les païens sont plus
miséricordieux que les Juifs. Ensuite Lazare mourut d'une mort très
belle et très édifiante : le riche mourut aussi, mais sa mort fut
effrayante, et on entendit sortir une voix de son tombeau, ce qui fit
grand bruit dans tout le pays. Je ne me souviens pas du reste.
Jésus, pour qui rien n'était caché, termina sa
parabole en révélant des circonstances inconnues du reste des hommes.
C'est pourquoi les Pharisiens se moquèrent de lui et lui demandèrent
s'il s'était trouvé lui-même dans le sein d'Abraham pour entendre tous
ces discours. Comme le mauvais riche avait été un Pharisien très
scrupuleux à garder les observances, ce fut un grand sujet de scandale
pour les Pharisiens, d'autant plus qu'ils lui étaient comparés et que
d'eux aussi il était dit qu'ils n'écoutaient pas Moïse ni les prophètes.
Car Jésus leur déclara expressément que quiconque ne l'écoutait pas
n'écoutait pas les prophètes qui parlaient de lui ; que quiconque ne
l'écoutait pas, n'écoutait pas Moïse qui parlait de lui, et que quand
même les morts ressusciteraient, ils ne croiraient pas en lui. Mais les
morts devaient se lever et rendre témoignage de lui (ce qui eut lieu
l'année d'après dans ce même temple, au moment de la mort de Jésus), et
eux, ils ne croiraient pas : ils devaient aussi ressusciter et alors il
les jugerait. Tout ce qu'il faisait, c'était son Père qui le faisait en
lui, et il en était ainsi de la résurrection des morts. Il parla en
outre de Jean et de son témoignage et dit qu'il n'en avait pas besoin,
parce que ses oeuvres témoignaient de sa mission et que le Père lui-même
en rendait témoignage. Pour eux, ils ne connaissaient pas Dieu : ils
voulaient se sauver par l'Écriture et ils n'observaient pas les
commandements. Ce n'était pas lui qui les accuserait, ce serait Moïse à
qui ils ne croyaient pas et qui l'avait annoncé dans les Écritures.
Jésus dit encore beaucoup de choses du même genre
au milieu de nombreuses interruptions, et, à la fin, ils devinrent si
furieux, qu'ils se précipitèrent vers lui avec de grandes clameurs et
envoyèrent chercher la garde, car ils voulaient se 6aisir de lui.
En ce moment, le ciel s'assombrit et, au plus fort
du tumulte, Jésus leva les yeux au ciel et dit : " Père, rendez
témoignage à votre fils ". Alors un nuage sombre s'étendit sur la face
du ciel ; il y eut comme un coup de tonnerre et j'entendis une voix
éclatante retentir dans la salle et dire : " C'est mon fils bien-aimé en
qui je me complais ". Les ennemis de Jésus furent tout bouleversés et
regardèrent en l'air saisis d'effroi : les disciples qui étaient rangés
en demi cercle derrière Jésus, se mirent en mouvement et Jésus se
plaçant au milieu d'eux, passa sans obstacle à travers la foule qui
s'ouvrait : il gagna le côté occidental du temple, et sortit de la ville
par la porte de l'angle près de la maison de Lazare ils firent encore
aujourd'hui trois lieues, dans la direction de Rama, si je ne me trompe.
Les disciples n'entendirent pas la voix, mais
seulement le coup de tonnerre, car leur heure n'était pas encore venue :
mais plusieurs des Pharisiens les plus furieux l'entendirent. Quand la
clarté reparut, ils n'en parlèrent pas et se hâtèrent d'envoyer des
émissaires à la poursuite de Jésus. Mais il fut impossible de le
retrouver, et ils se dépitèrent de s'être ainsi laissé surprendre et de
ne l'avoir pas empêché de sortir.
Dans les instructions que Jésus fit précédemment,
soit au temple, soit à Béthanie devant les disciples, soit devant le
peuple, il dit, à plusieurs reprises, qu'il fallait le suivre et porter
la croix après lui, et encore : " Quiconque veut sauver sa vie, la
perdra ; et qui la perdra à cause de moi, la retrouvera. Que sert à
l'homme de gagner le monde entier, s'il vient à perdre son âme ? Celui
qui rougit de moi devant cette génération adultère et pécheresse, le
Fils de l'homme rougira de lui à son tour quand il viendra dans la
gloire de son Père céleste, pour rendre à chacun selon ses oeuvres ".
Jésus dit encore qu'il y en avait parmi ses auditeurs qui ne goûteraient
pas la mort avant d'avoir vu le royaume de Dieu venir dans sa force.
Quelques-uns des assistants firent encore des moqueries là-dessus : du
reste, je ne puis plus bien rendre compte de ce que Jésus a entendu dire
par là.
Les paroles qui sont consignées dans l'Évangile se
présentent toujours à moi comme ce qu'il y a de principal et de plus
saillant dans ses enseignements ; toutefois, j'entends tout cela
accompagné de développements bien plus étendus, et des textes qu'on peut
lire en deux minutes dans la sainte Écriture, lui fournissent souvent
l'occasion de parler des heures entières.
Je crois que la transfiguration aura lieu après le
prochain sabbat. Etienne est déjà en relation avec les disciples. Lors
de cette fête où Jésus guérit le malade de la piscine de Béthesda, il
avait déjà fait connaissance avec Jean et depuis ce temps il a eu des
rapports fréquents avec Lazare. Il est d'une taille très élancée et d'un
caractère très aimable : il fréquente l'école des scribes. Cette fois
encore il alla à Béthanie avec plusieurs autres disciples de Jérusalem
et assista aux instructions de Jésus.
Jésus alla avec les disciples à trois lieues au
nord : il passa, sans y entrer, devant Bethsur, où il avait enseigné
lors de son dernier séjour : il laissa cette ville à une demi lieue à
gauche. Il passa également devant Anathoth. Une lieue plus loin se
trouve le lieu où il logea. (Elle croit que c'est Rama, toutefois sans
en être bien sûre.) Michmas où Marie chercha inutilement l'enfant Jésus
est plus loin à droite.
( 3 avril. ) Aujourd'hui Jésus alla de Rama
à Thenath-Silo, cette ville de laboureurs, qui est près de Sichar. Il y
avait été bien reçu une première fois ; il le fut encore mieux cette
fois ; du reste, il en fut de même partout ailleurs, parce que tous les
Pharisiens étaient à Jérusalem, aussi bien que tous les hommes valides
et les jeunes gens. Il n'était guère resté que des gens âgés et malades,
des femmes avec leurs petits enfants et de vieux bergers laissés à la
garde des troupeaux.
Hier déjà je vis à Rama les habitants se rendre en
procession sur les champs de blé mur et couper des bouquets d'épis
qu'ils rapportaient au bout de longues perches à la synagogue et dans
les maisons. J'en vis faire autant dans les plaines voisines de
Thenath-Silo.
Jésus fut accueilli avec beaucoup de sympathie par
les pauvres, les malades, les vieillards, les mères et les enfants : car
en ce moment personne ne craignait de s'approcher de lui. Il enseigna de
côté et d'autre, soit dans les champs, soit dans la ville où il passa la
nuit. Il parla encore en termes très forts et très graves de sa fin
prochaine. Il les invita à venir tous à lui pour chercher de la
consolation et il dit qu'un coeur touché de repentir était le sacrifice
le plus agréable à Dieu.
Les habitants l'engagèrent à ne pas passer par
Samarie : c'était, je crois, parce que les Samaritains faisaient toute
sorte d'avanies aux gens qui revenaient de la fête de Pâques. Cependant
je ne m'en souviens plus bien.
J'ai vu aujourd'hui que Pilate avait fait défendre
à tous les Galiléens de quitter Jérusalem sans sa permission, les
menaçant, s'ils désobéissaient, de les faire égorger par ses troupes sur
les chemins : mais je ne me souviens de cela que confusément.
(4 avril.) Jésus alla de Thenath-Silo à
Atharoth, qui est un peu au nord de la montagne voisine de Meroz où il
avait fait une fois une grande prédication 1. C'est là que les
Pharisiens lui présentèrent un mort pour qu'il le guérit 2. Cet endroit
est à quatre lieues environ au nord de Thenath-Silo.
Jésus arriva vers midi devant Atharoth et il prêcha
là sur une colline ou beaucoup de vieilles gens, de malades, de femmes
et d'enfants le suivirent. Tous les malades et les gens que les
Pharisiens intimidaient se présentèrent aussi et implorèrent le secours
de Jésus : car à Atharoth, les Pharisiens et les Sadducéens étaient
tellement acharnés contre Jésus que dans une autre occasion, sachant
qu'il était dans le voisinage, ils avaient fait fermer les portes de
leur ville. Son dis cours fut plein de force et en même temps plein de
charité : il avertit ces pauvres gens de se tenir en garde contre la
malice des Pharisiens. Il parla encore en termes très clairs de sa
mission, de son Père céleste, de la persécution qui le menaçait, de la
résurrection des morts, de la voie où il fallait marcher à sa suite. Il
guérit plusieurs malades, paralytiques, aveugles, hydropiques et aussi
des enfants malades et des femmes affligées de pertes de sang.
Les disciples lui avaient préparé un logement
devant Atharoth, chez un maître d'école, vieillard simple et droit qui
habitait là parmi des jardins : ils se lavèrent les pieds, prirent une
réfection et se rendirent pour le sabbat à la synagogue d'Atharoth.
Beaucoup de gens venus des environs s'étaient rassemblés : tous les
malades qu'il avait guéris s'y trouvaient aussi. Le président de la
synagogue était un vieux coquin de Pharisien tout contrefait qui était
resté à la ville : il se donnait des airs d'importance qui le rendaient
assez ridicule aux yeux du peuple. La lecture d'aujourd'hui traitait de
l'impureté légale des femmes en couches, de la lèpre, de la
multiplication du pain et du blé nouveau par Elisée et de la guérison de
Naaman par ce prophète. (Lévit., XII-XIV-IV. Reg., IV-42, V-19.)
Après avoir enseigné assez longtemps, Jésus se
tourna du côté où se tenaient les femmes, et appela une veuve toute
courbée que ses filles avaient amenée à la synagogue à sa place
ordinaire. Elle ne pensait nullement à demander sa guérison : son
infirmité durait depuis dix-huit ans ; elle était toute courbée en
avant, à tel point que ses mains touchaient presque à terre. Ses filles
l'amenèrent devant Jésus qui lui dit : " Femme, soyez délivrée de votre
infirmité ", en même temps qu'il lui mettait la main sur le dos. Alors
elle se redressa de toute sa hauteur, s'écria : " Loué soit le Seigneur,
Dieu d'Israël "! et se jeta aux pieds de Jésus pendant que tous les
assistants rendaient gloire à Dieu.
Le vieux Pharisien contrefait, furieux qu'un tel
miracle eût été opéré le jour du sabbat pendant qu'il avait le
gouvernement d'Atharoth, n'osa pourtant pas s'en prendre à Jésus, mais
il se tourna d'un air d'autorité vers le peuple, et le gourmanda en ces
termes : " Il y a six jours destinés au travail : venez ces jours-là
vous faire guérir, mais non pas le jour du sabbat "! Là-dessus Jésus lui
dit : " Hypocrite, est-ce que chacun d'entre vous ne détache pas son
boeuf ou son âne le jour du sabbat pour le mener à l'abreuvoir ? Or,
cette femme, qui pourtant est fille d'Abraham, ne devait-elle pas être
délivrée, le jour du sabbat, de ce lien par lequel Satan la tenait
attachée depuis dix-huit ans " ? Alors le Pharisien contrefait fut
couvert de confusion, et tous les assistants glorifièrent Dieu et se
réjouirent du miracle.
Il était touchant de voir la joie des filles de
cette femme et de quelques jeunes garçons de sa famille qui étaient
autour d'elle. Du reste, tout le monde se réjouissait, car c'était une
personne riche, aimée et considérée dans la ville. On trouvait à la fois
ridicule et révoltant que le Pharisien contrefait, au lieu d'implorer sa
propre guérison, s'irritât de la guérison de cette pieuse femme
contrefaite comme lui. Jésus continua à enseigner ; il parla du sabbat,
et s'exprima aussi sévèrement qu'il l'avait fait dans le temple,
lorsqu'on lui avait fait un crime d'avoir guéri l'homme de la piscine de
Bethesda. Plus tard, il prit un repas et passa la nuit chez le maître
d'école d'Atharoth.
(5 avril.) Aujourd'hui, Jésus a guéri des
malades dans les maisons, distribué des aumônes et assisté a un repas
chez la femme guérie par lui : celle-ci fit manger beaucoup de pauvres
et leur fit d'abondantes largesses. Il fit encore la clôture du sabbat à
la synagogue, et alla ensuite à deux lieues plus loin jusqu'à une
hôtellerie voisine de Ginnim.
(6-7 avril.) Jésus partit de son hôtellerie
avec les disciples : il se dirigea vers le nord par la vallée
d'Esdrelon, passa le torrent de Cison, et ayant fait environ huit
lieues, il arriva à Adadremmon. Il a laissé à droite Endor, Jezraël et
Naïm. Adadremmon est à une lieue tout au plus de Mageddo, où l'année
précédente (voir T. III, p. 186) les disciples de Jean vinrent trouver
Jésus : cette ville n'est pas très éloignée non plus de Jezraël et de
Naim : elle est à trois lieues à l'ouest du Thabor et à peu de distance
de Nazareth, au sud-ouest. C'est un endroit considérable et il y a
beaucoup de mouvement, car y passe une route militaire et commerciale
allant de Tibériade à la mer.
Jésus logea devant la ville. Sur le chemin, il
enseigna des bergers et guérit de pauvres gens malades. Pendant ce
voyage, il a beaucoup parlé de l'amour du prochain, il a recommandé la
charité, même l'égard des Samaritains et de tous les hommes en général ;
il a aussi raconté et commenté la parabole du bon Samaritain. A
Adadremmon, il enseigna particulièrement sur la résurrection.
Cette nuit j'ai vu dans le temple une sanglante
mêlée entre les soldats de Pilate et les Galiléens révoltés. J'étais
venue à Jérusalem pour accomplir certaines oeuvres : je me trouvai dans
le temple au milieu de la mêlée et je vis tuer tout près de moi Judas de
Gaulon. Il me semblait qu'il me priait de le faire évader, mais je
n'aidai pas ce scélérat à s'enfuir. C'était un homme gros et fort.
Le jour d'après le départ de Jésus, Pilate avait
fait défendre, sous peine de mort, aux zélateurs Galiléen, de sortir de
Jérusalem, comme ils en avaient le projet. Plusieurs d'entre eux avaient
été emprisonnes comme otages pour les autres. Ce matin Pilate les fit
élargir et donna à tous la permission d'offrir leurs sacrifices et de
partir ensuite. Lui-même fit vers midi ses dispositions pour un voyage à
Césarée. Les Galiléens étaient tout joyeux et tout surpris de la liberté
qui leur était rendue, et ils se hâtèrent de conduire au temple leurs
victimes expiatoires, parce que quelques-uns d'entre eux étaient
coupables de transgressions et n'avaient pas pu offrir leurs sacrifices
avec les autres. Il était d'usage pendant ces jours de fête qu'on portât
au temple toute sorte d'offrandes et de présents.
Plusieurs achetèrent des bestiaux qu'ils conduisirent au temple pour y
être sacrifiés : la plupart vendirent tout ce qui ne leur était pas
absolument indispensable et en firent de l'argent qu'ils remirent dans
le tronc des offrandes au temple. Les plus aisés payèrent pour les plus
pauvres. Je les vis déposer leurs offrandes dans trois troncs
différents. Il y eut en outre des instructions et des prières. D'autres
s'étaient rendus avec leurs victimes à l'endroit où se faisaient les
immolations. Il y avait un assez grand nombre de personnes dans le
temple : cependant la foule n'était pas excessive : je vis a différentes
places de petits groupes d'Israélites penchés en avant, la tête voilée
et revêtus de manteaux de prière : les uns se tenaient debout, les
autres étaient agenouillés ou prosternés la face contre terre.
Judas de Gaulon était près du tronc avec ses
partisans qui étaient précisément ceux des Galiléens que Pilate avait
fait arrêter, puis relâcher. Ils s'étaient faits les instruments des
Hérodiens, les uns par crédulité, les autres par malice. Il y avait là
beaucoup de gens de Gaulon : un grand nombre était venu de Thirza, des
environs et d'autres repaires d'Hérodiens. Lorsque ces gens eurent
déposé toutes leurs offrandes en argent, ils se mirent à prier de leur
mieux, sans détourner la tête pour regarder de côté et d'autre. Je vis
alors une dizaine d'hommes, habillés comme eux, se glisser de divers
côtés et s'approcher sans bruit, puis tirer de dessous leurs manteaux de
courtes épées à lame triangulaire et frapper ceux qui se trouvaient le
plus près d'eux. Des cris horribles s'élevèrent la foule sans défense,
saisie d'effroi, s'enfuit dans toutes les directions. Mais alors aussi
ces gens que j'avais vu s'agenouiller enveloppés dans leurs manteaux et
qui n'étaient autres que des Romains déguisés, accoururent à leur tour,
frappant et égorgeant tout ce qui se trouva sur son passage. Plusieurs
se portèrent au tronc des offrandes qu'on avait abandonné et arrachèrent
les bourses avec l'argent qu'elles contenaient : toutefois ils ne purent
pas tout enlever et il en resta une bonne partie. Le tumulte fut si
grand que beaucoup de pièces d'argent furent jetées par terre dans le
temple : car les Romains coururent aussi à l'endroit où l'on immolait
les victimes et percèrent de coups les Galiléens. Je ne sais pas d'où
ces hommes venaient, j'en vis sortir de tous les coins : quelques-uns
même entraient ou sortaient par les fenêtres.
Comme tout ce qui était dans le temple était
accouru en entendant crier au meurtre, beaucoup de gens inoffensifs de
Jérusalem périrent dans la mêlée, ainsi que beaucoup de ces pauvres gens
qui vendaient des comestibles dans le vestibule et contre les murs du
temple. Dans ma vision, j'ai suivi quelques Galiléens dans un passage
obscur où ils voulaient se sauver. Ils avaient terrassé des Romains
auxquels ils avaient enlevé leurs armes. Alors Judas de Gaulon qui était
déjà là dans l'espoir de s'échapper, se présenta à eux : ils le prirent
pour un Romain et le percèrent de coups quoiqu'il leur criât qu'il était
Judas : car la confusion était si grande à cause du déguisement des
meurtriers habillés en Galiléens, que tous ceux qui se rencontraient se
précipitaient avec fureur les uns sur les autres.
Ce massacre dura environ une heure : alors le peuple en armes courut au
temple et les Romains se retirèrent dans la forteresse Antonia dont ils
fermèrent les portes. Pilate était déjà parti : la garnison de la ville
s'était mise partout sur la défensive : toutes les positions étaient
occupées et toutes les communications interceptées afin qu'il ne pût pas
se former de rassemblements.
Me trouvant sur l'un des points les plus escarpés,
je regardai dans les rues étroites qui étaient au-dessous de moi et je
vis des femmes et des enfants auxquels on venait d'annoncer que leurs
maris ou leurs pères étaient égorgés, courir en pleurant de maison en
maison : car il avait péri un grand nombre de ces pauvres ouvriers qui
étaient employés aux travaux du temple et qui habitaient dans le
voisinage. Une confusion effrayante régnait dans l'intérieur de
l'édifice et tout le monde s'enfuit dès qu'il y eut moyen de se frayer
passage. Les anciens et les magistrats accoururent accompagnes d'hommes
armés : il vint aussi des Pharisiens. Tout était plein de sang, de
cadavres, d'argent semé sur le pavé : des mourants et des blessés
gémissaient et se tordaient par terre.
Bientôt arrivèrent les proches des gens de
Jérusalem tués par hasard dans la mêlée, et ce fut de tous les côtés un
concert de lamentations, d'imprécations, de cris de rage et de
désespoir. Les Pharisiens et les princes des prêtres étaient saisis
d'horreur : le temple était profané : les prêtres n'osaient pas y entrer
de peur de se souiller par le contact des corps morts. La fête fut
forcément interrompue.
Je vis les proches des gens de Jérusalem qui
avaient péri là envelopper leurs corps dans des linceuls et les emporter
en pleurant sur des civières. Les autres cadavres furent retirés par des
esclaves appartenant à une race méprisée. Tout ce qu'il y avait de
bestiaux, de comestibles et d'ustensiles dans le temple fut laissé là,
parce que tout cela était devenu impur. Tout le monde se retira à
l'exception des surveillants et des ouvriers chargés de remettre les
choses en ordre. J'ai vu encore bien d'autres choses, mais je ne m'en
souviens plus que confusément. Il y eut un plus grand nombre de victimes
que n'en avait faites l'écroulement récent de l'aqueduc. Outre ces gens
inoffensifs de Jérusalem dont il a été parlé, la plupart étaient des
adhérents de Judas de Gaulon qui s'étaient élevés contre la taxe
impériale et contre l'application de l'argent des offrandes à la
construction de l'aqueduc, faite comme en violation des coutumes du
temple. C'étaient eux qui récemment avaient si vivement réclamé contre
la proposition de Pilate. Quelques Romains aussi avaient été tués dans
la mêlée. Pilate se vengea ainsi lorsqu'ils se trouvèrent sans défense :
il se vengea par la même occasion d'Hérode et de sa perfidie qui avait
cause récemment l'écroulement de l'aqueduc. Il y eut parmi les morts
beaucoup de personnes de Tibériade, de Gaulon, de la haute Galilée et de
Césarée de Philippe, mais surtout de Thirza.
(7 avril.) Jésus a envoyé les apôtres et les
disciples, à l'exception de quelques-uns, guérir et enseigner dans les
endroits environnants. Lui-même a enseigné à Adadremmon : il a parlé
notamment de la résurrection des morts, du jugement et aussi de la
miséricorde. Il guérit en outre- plusieurs malades qu'on lui avait
amenés et il vint à lui une multitude de gens qui étaient partis de
Jérusalem un jour après lui et qui n'avaient pas pu l'y entendre. Il les
enseigna et resta le soir à l'hôtellerie qui est en avant de la ville.
CHAPITRE TREIZIÈME
La transfiguration sur le Thabor.
- Jésus se transfigure sur le mont Thabor.
- Il guérit le jeune lunatique, - il va de Dothaim à Capharnaum, -
la pièce d'argent du tribut. - Qui est le plus grand dans le royaume des cieux.
- Répétition du sermon sur les Béatitudes. - Jésus à Bethsaide, - il enseigne sur la très sainte Incarnation.
- Jésus à Lekkum. - Grande prédication sur le mariage. - Jésus à Capharnaum.
- Parabole du grand festin et de la construction de la tour.
(Du 8 au 18 avril 1823.)
(8 avril, 21 Nisan.) Ce matin, de bonne
heure, Jésus, avec quelques disciples, partit de l'hôtellerie
d'Adadremmon et fit environ trois lieues à l'est pour aller à
Kisloth-Thabor, qui est située au pied du Thabor, du côté du midi.
Les disciples qu'il avait envoyés prêcher la veille
vinrent les uns après les autres le rejoindre sur le chemin. A Kisloth,
une troupe nombreuse de voyageurs venant de Jérusalem se rassembla
autour de Jésus. Il les enseigna et guérit quelques malades. Dans
l'après-midi, vers deux ou trois heures, il envoya les disciples à
droite et à gauche dans les endroits situés autour du Thabor, pour y
enseigner et y guérir. Lui-même retint près de lui Pierre, Jean et
Jacques, et gravit la montagne avec eux.
Il monta par un sentier qui faisait plusieurs
détours sur le flanc du Thabor. Ils auraient pu arriver plus vite : mais
ils firent environ deux heures de marche, parce que Jésus s'arrêta
souvent avec eux à des endroits et à des grottes où des prophètes
avaient séjourné, leur donna divers éclaircissements et pria avec eux.
Ils n'avaient pas emporté de quoi manger : Jésus le leur avait défendu,
leur disant qu'ils seraient abondamment rassasiés. Sur le sommet de la
montagne, d'où l'on a une vue très belle et très étendue, il y avait un
emplacement spacieux entouré d'un terrassement couvert de gazon et
d'arbres touffus. Le sol était couvert de fleurs et d'herbes
odoriférantes. Il y avait un réservoir caché dans le rocher, et en
tirant une cheville on en faisait jaillir une eau très limpide et très
fraîche. Les apôtres lavèrent les pieds de Jésus et les leurs, et se
rafraîchirent. Jésus se rendit avec eux dans un enfoncement situé devant
un rocher, et où s'ouvrait l'entrée d'une grotte semblable à un portail
: elle ressemblait à la grotte de l'agonie, au jardin des Oliviers : il
y avait un caveau où l'on pouvait descendre.
Jésus continua à leur donner des enseignements; il
leur parla, entre autres choses, de la prière qui se fait à genoux, et
leur dit qu'ils devaient maintenant prier avec ferveur, les mains
élevées. Il leur enseigna aussi l'oraison Dominicale, en y entremêlant
quelques pas. sages des Psaumes. Ils firent cette prière agenouillés et
rangés en demi cercle. Jésus s'agenouilla vis-à-vis d'eux, appuyé contre
un rocher qui sortait de terre, et il leur fit à diverses reprises une
instruction admirable, pleine de profondeur et de suavité, laquelle
traitait de la création et de la Rédemption. Je l'ai entendue, mais je
suis si malade et si oppressée, que je n'en puis rien reproduire. Jésus
parla avec une tendresse
et une chaleur extraordinaires, et les disciples étaient comme enivrés
de ses paroles.
Il avait dit en commençant qu'il voulait leur
montrer qui il était, qu'ils allaient le voir glorifié, afin que leur
foi ne fût pas ébranlée lorsqu'ils le verraient outragé, maltraité,
défiguré et livré à la mort. Le soleil était couché et le jour baissait,
mais ils ne s'en aperçurent pas, tant ils étaient captivés par ce qu'il
y avait de surhumain dans son langage et dans toute sa personne. Jésus
devint de plus en plus lumineux, et je vis apparaître autour de lui des
esprits célestes. Pierre aussi les vit, car il interrompit Jésus et lui
dit : " Maître, que veut dire ceci "? Jésus lui répondit : " Ils
viennent me servir "! Mais Pierre, dans son enthousiasme, étendit les
mains en avant et s'écria : " Maître, nous voici! nous voulons vous
servir en toutes choses ". Je ne me souviens plus de la réponse de
Jésus. Mais il continua à enseigner : or, avec ces apparitions d'anges
autour de Jésus, des courants successifs d'odeurs suaves se répandirent
dans l'air, et les disciples sentirent en eux comme un rassasiement
extraordinaire et un enivrement céleste. Cependant le Seigneur devenait
de plus en plus lumineux, et il était pour ainsi dire diaphane. Le
cercle dans lequel ils se trouvaient était tellement éclairé au milieu
des ténèbres de la nuit, qu'on pouvait distinguer aussi bien qu'au grand
jour les moindres brins d'herbe de la prairie. Comme cette lumière
allait toujours croissant, les disciples, sous l'empire du ravissement
intérieur qu'ils éprouvaient, se voilèrent la tête et se prosternèrent à
terre où ils restèrent immobiles.
Il était environ minuit lorsque je vis dans son
plus grand éclat cette manifestation de la gloire divine. Je vis
descendre du ciel une voie lumineuse le long de laquelle je vis se
succéder des anges de l'apparence la plus diverse. Quelques-uns étaient
petits et se montraient tout entiers, d'autres ne montraient que leurs
visages qui se détachaient dans la lumière ; plusieurs apparaissaient
revêtus d'habits sacerdotaux, d'autres ressemblaient à des guerriers.
Tous avaient un caractère particulier qui les distinguait. Avec eux
venaient, sous des formes diverses, la consolation, la force, la joie et
la lumière : ils étaient continuellement en action et en mouvement.
Les choses se passaient ainsi vers minuit. Les
apôtres étaient prosternés sur leurs faces, plutôt ravis en extase que
dormants ; alors je vis trois formes lumineuses paraître près de Jésus
dans la lumière. Je ne les vis qu'au moment où elles entrèrent dans la
sphère lumineuse. Elles parurent venir d'une façon toute naturelle,
comme quelqu'un qui passe d'un endroit plongé dans les ténèbres dans un
endroit éclairé. Deux d'entre elles paraissaient plus distinctement et
ressemblaient davantage à des corps : elles adressaient la parole à
Jésus, et s'entretenaient avec lui ; c'étaient Moïse et Élie. La
troisième ne parlait pas, elle était plus légère et plus incorporelle ;
c'était Malachie. En ce moment un accès de toux me réveilla.
J'entendis Moïse et Élie saluer Jésus, et celui-ci
s'entretenir avec eux de la Rédemption des hommes par sa Passion. Leur
rencontre me parut quelque chose de parfaitement simple et naturel, car
déjà je m'étais accoutumée à la lumière dont ils brillaient. Moïse et
Élie ne parurent pas sous la forme de vieillards décrépits comme
lorsqu'ils avaient quitté la terre, ils étaient dans toute la fleur de
la jeunesse. Moïse, plus grand, plus imposant et plus majestueux
qu'elle, avait sur le front comme deux excroissances :
Il était revêtu d'une longue robe. On reconnaissait
en lui un homme d'une grande énergie et un législateur sévère, mais avec
un caractère frappant de pureté, de droiture et de simplicité. Il dit à
Jésus combien il se réjouissait de le voir, lui qui l'avait tiré
d'Égypte ainsi que son peuple, et qui maintenant encore voulait le
racheter. Il rappela plusieurs figures prophétiques de son temps, et dit
des choses pleines d'un sens très profond sur l'agneau pascal et sur
l'Agneau de Dieu. Elle avait une tout autre apparence ; il y avait en
lui quelque chose de plus gracieux, de plus aimable et de plus doux.
Mais tous deux avaient un aspect très différent de celui que présentait
l'apparition de Malachie : on pouvait voir en eux, dans leurs figures et
dans tout leur extérieur, quelque chose d'humain et qui rappelait une
vie antérieure : on reconnaissait même dans leurs visages des traits de
famille. Malachie faisait une tout autre impression : il avait quelque
chose de surhumain comme un esprit angélique : c'était comme une pure
force, comme une mission sous forme sensible. (La Soeur s'efforce
d'exprimer cette pensée en d'autres termes qu'il est impossible de
reproduire à cause de leur obscurité, à laquelle ne contribue pas peu le
dialecte bas allemand dont elle se sert.) il y avait chez lui quelque
chose de plus impassible et de plus immatériel que chez les autres.
Or Jésus leur racontait tout ce qu'il avait eu à
souffrir jusqu'alors et tout ce qui l'attendait encore. Il leur raconta
toute sa passion point par point : Elie et Moise témoignèrent à
plusieurs reprises combien ils en étaient touchés et réjouis : ils ne
parlaient que pour compatir à ses peines, pour le consoler, pour lui
exprimer leur vénération, pour louer et glorifier Dieu.
Ils rappelèrent souvent les figures prophétiques
qui se rapportaient à ce que Jésus disait, et ils louaient Dieu d'avoir
Pris son peuple en pitié de toute éternité. Quant à Malachie, il gardait
le silence.
Cependant les disciples se réveillèrent et levèrent la tête ; ils
contemplèrent longtemps la gloire du Seigneur, et ils virent Moïse et
Elie. Je ne sais pas s'ils virent Malachie : toutefois je suis portée a
croire que Pierre le vit, à cause de la question qu'il avait adressée
antérieurement touchant les anges. Lorsque Jésus, décrivant sa Passion,
en vint au moment où il devait être élevé en croix, il étendit les bras
comme pour dire : c'est ainsi que le Fils de l'homme sera élevé : sa
face était tournée vers le midi. Alors il fut comme pénétré tout entier
par la lumière, son vêtement devint d'une blancheur éclatante avec un
léger reflet bleuâtre, et je le vis élevé au- dessus de terre ainsi que
les prophètes et même que les trois apôtres.
Cependant les prophètes se séparèrent de Jésus et
disparurent dans l'obscurité, Élie et Moïse au levant, Malachie au
couchant. Et Pierre, tout hors de lui, s'écria dans un transport de joie
: " Maître, il fait bon ici, faisons-y trois tentes, une pour vous, une
pour Moïse et une pour Élie " ! Il ne lui fallait pas d'autre paradis,
plongé comme il l'était dans d'ineffables délices : et par ce nom de
tentes, il entendait des lieux de repos dans la gloire, des demeures de
bienheureux. Il parla ainsi dans le délire de la joie et dans un état de
ravissement extatique, sans savoir ce qu'il disait.
Ce fut quand ils revinrent à l'état de veille
ordinaire que je vis une nuée blanche et lumineuse venir sur eux, comme
la rosée du matin s'étend sur les prairies. Je vis alors le ciel ouvert
au dessus de Jésus et une représentation de la très sainte Trinité,
telle que je la vois souvent, où Dieu le Père apparaît sous la forme
d'un vieillard semblable à un Pontife suprême, ayant à ses pieds
d'innombrables troupes d'anges et de figures célestes rangées par
hiérarchies : un torrent de lumière se répandit sur Jésus, et une voix
semblable au doux murmure d'un souffle léger se fit entendre au-dessus
des apôtres : " C'est mon Fils bien-aimé en lequel je me complais !
Écoutez-le "! Alors les apôtres furent saisis de crainte : ils se
prosternèrent la face contre terre : ils reprirent conscience
d'eux-mêmes pour la première fois : le souvenir du glorieux spectacle
dont ils avaient été les témoins leur fit sentir profondément leur
faiblesse et leur misère, et ils tremblèrent devant Jésus, auquel son
Père céleste avait rendu en leur présence cet éclatant témoignage.
Alors Jésus alla à eux, les toucha et leur dit : "
Levez-vous et, ne craignez point "! Les apôtres se levèrent et virent
Jésus seul. Il était environ trois heures du matin ; l'on voyait le ciel
blanchir à l'approche de l'aube du jour, et des nuées chargées de rosée
planaient sur la contrée au-dessous d'eux. Ils étaient très intimidés et
très pensifs. Jésus s'entretint avec eux, leur dit qu'il leur avait fait
voir la transfiguration du Fils de l'homme pour fortifier leur foi, afin
qu'ils ne fussent pas ébranlés lorsqu'ils le verraient livré pour les
péchés du monde entre les mains des méchants, afin qu'ils ne se
scandalisassent pas de ses abaissements dont ils devaient aussi être les
témoins, et afin qu'ils pussent alors fortifier les faibles. Il rappela
aussi la foi de Pierre, à qui Dieu avait fait connaître tout cela
antérieurement, et parla du rocher sur lequel il bâtirait son Église.
Alors ils prièrent encore et descendirent au lever de l'aurore par la
pente nord-ouest de la montagne.
En descendant, Jésus leur donna encore divers
enseignements touchant ce qu'ils avaient vu, et il leur dit qu'ils ne
devaient parler de cette vision à personne jusqu'à ce que le Fils de
l'homme fût ressuscité d'entre les morts. Cet ordre les fit beaucoup
réfléchir : ils étaient, du reste, fort émus et plus respectueux
qu'auparavant : depuis qu'ils avaient entendu la voix qui disait : "
Écoutez-le "! ils éprouvaient des inquiétudes et des remords en pensant
à leurs doutes et à leur incrédulité passée. Mais en descendant la
montagne, à mesure que la lumière du jour, se répandant sur la terre,
les ramenait à leurs impressions accoutumées, ils se firent part les uns
aux autres de la surprise où les avait jetés ces paroles : " Jusqu'à ce
que le Fils de l'homme soit ressuscité d'entre les morts "! Cependant
ils n'osaient pas encore interroger Jésus à ce sujet.
(9 avril.) Jésus n'était pas encore arrivé
au pied de la montagne que déjà l'on venait à sa rencontre avec un grand
nombre de malades qu'il guérit et consola Tous furent saisis, à sa vue,
d'une crainte respectueuse, car il y avait en lui quelque chose
d'extraordinaire, de surnaturel et de lumineux. Un peu plus bas, une
foule nombreuse, dans laquelle il y avait quelques scribes, était
rassemblée autour de ses disciples, qu'il avait envoyés, la veille, dans
le pays d'alentour. Cette troupe qui revenait de la fête, s'était
trouvée avec les disciples dans l'endroit où ils avaient passé la nuit
et les avait accompagnés jusqu'ici pour y attendre Jésus. Ces gens
étaient en pourparler avec les disciples, mais lorsqu'ils virent Jésus,
ils coururent au devant de lui, le saluèrent et furent frappés
d'étonnement en le voyant, car le reflet de sa transfiguration était
encore sur lui. Les disciples en outre soupçonnèrent à la contenance des
trois apôtres, lesquels suivaient Jésus d'un air plus pensif et plus
timide que de coutume, qu'il avait dû se passer entre eux quelque chose
d'extraordinaire.
Cependant Jésus leur demanda quel était le sujet de
leur discussion. Là-dessus, un homme d'Amthar, ville située dans les
montagnes de la Galilée, et où s'était passée l'histoire du pauvre
Lazare et du mauvais riche, sortit de la foule, s'agenouilla devant
Jésus et le supplia de venir en aide à son fils unique. Il était
lunatique et possédé d'un démon muet qui le jetait tantôt dans le feu,
tantôt dans l'eau, et l'agitait par des convulsions fréquentes pendant
lesquelles il souffrait horriblement et poussait des cris affreux. Il
l'avait déjà amené à ses disciples lorsqu'ils étaient venus à Amthar,
mais ils n'avaient pas pu le guérir et c'était là le sujet de leur
discussion avec lui et avec les scribes. Alors Jésus s'écria : " O
génération incrédule et perverse! combien de temps encore me faudra-t-il
être avec vous, combien de temps encore me faudra-t-il vous supporter? S
Puis il ordonna à cet homme de lui amener le jeune garçon. L'homme
rentra dans la foule et en sortit de nouveau tenant par la main l'enfant
que, pendant son voyage, il avait porté couché en travers sur son des
comme une brebis. Il pourrait bien avoir neuf ou dix ans. Sitôt qu'il
vit Jésus, il commença à faire des contorsions effrayantes et le mauvais
esprit le jeta violemment par terre. Il se tordait et se débattait, sa
gorge se serrait, il se roulait aux pieds de Jésus, et l'écume lui
venait à la bouche. Jésus lui ordonna de se tenir tranquille et il
obéit. Alors Jésus demanda au père depuis combien de temps son fils
était affligé de ce mal, et il répondit: "Depuis ses premières années.
Ah ! si vous en avez le pouvoir, secourez-nous! Prenez pitié de nous"!
Alors Jésus dit : "Si vous pouviez croire. Tout est possible à celui
qui croit". Et le père s'écria, en pleurant : "Je crois, Seigneur!
aidez mon incrédulité".
Sur ces paroles prononcées à haute voix par le
père, le peuple, que la crainte avait retenu à quelque distance, se
rapprocha : Jésus leva la main sur l'enfant avec un geste menaçant et
dit à l'esprit impur : " Esprit immonde et muet! je te l'ordonne, sors
de lui et n'y reviens jamais ". Alors l'esprit poussa des cris horribles
par la bouche de l'enfant, le tordit violemment et sortit de son corps.
L'enfant resta étendu par terre, pâle et sans mouvement, comme s'il eût
été mort, et comme on essayait vainement de le faire revenir à lui,
beaucoup de gens crièrent du milieu de la foule : " il est mort ! il est
vraiment mort "! Mais Jésus lui prit la main, le releva plein de vigueur
et de santé et le rendit à son père avec une exhortation. Celui-ci
remercia Jésus en pleurant et en chantant des cantiques de louanges, et
tous les assistants glorifièrent la puissance de Dieu. Tout cela se
passa à un quart de lieue à l'est de ce petit endroit voisin du Thabor
où Jésus, l'année précédente (le 23 novembre ou 3 Kisleu), avait guéri
le riche lépreux près duquel l'avait appelé un jeune garçon qui
l'attendait sur le chemin.
Jésus ne resta là que jusque vers neuf heures du
matin. Il n'entra pas dans le bourg ni nulle part ailleurs : mais, ayant
encore guéri quelques malades, il se remit en route, passa devant Cana
après avoir traversé la vallée des bains de Béthulie et alla jusqu'à la
petite fille de Dothaïm, située à trois lieues de Capharnaum, et près de
laquelle avait eu lieu la conversion de Marie-Madeleine. Ils suivirent,
la plupart du temps, des chemins de traverse et s'écartèrent des routes
fréquentées pour éviter la foule qui revenait en troupes de Jérusalem.
Ils marchaient par groupes séparés, et Jésus se joignait tantôt à l'un,
tantôt à l'autre.
Sur ce chemin, les apôtres, qui avaient été témoins
de la transfiguration, s'approchèrent de Jésus et lui demandèrent
l'explication de ses paroles de la nuit précédente : "Jusqu'à ce que le
Fils de l'homme soit ressuscité d'entre les morts", car ils n'avaient
cessé d'y penser et d'en parler entre eux. " Les docteurs de la loi, lui
dirent-ils, assurent qu'Élie doit venir avant la résurrection ". Jésus
leur répondit: " il est vrai qu'Élie viendra auparavant et rétablira
tout. Mais je vous le dis, Elie est déjà venu : ils ne l'ont pas connu,
mais ils ont fait de lui ce qu'ils ont voulu, ainsi que cela est écrit.
De même aussi le Fils de l'homme aura à souffrir de leur part ". Il leur
dit plusieurs autres choses desquelles ils conclurent qu'il voulait
parler de Jean-Baptiste.
Pendant les visions de ces derniers jours et des
jours précédents, Anne Catherine fut assaillie successivement par
diverses maladies dont elle s'était chargée et qui lui rendirent très
difficile de communiquer ce qu'elle avait vu. Ses souffrances lui firent
aussi oublier beaucoup de choses et ce ne fut qu'une semaine après
qu'elle répéta ce qui suit. Sur le chemin du Thabor à Dothaïm, un homme
des environs d'Aser-Michmethath, est venu trouver Jésus et l'a prié de
faire entre son frère et lui le partage de leur héritage.
Là-dessus, le pèlerin lui lut les discours de Jésus
qui se rattachent à cet incident dans l'Évangile de saint Luc, et elle
répondit : " Je me souviens que Jésus a dit tout cela sur ce chemin et
pendant les jours suivants " (Luc, XII, 15-29).
Quelques disciples avaient pris les devants pour
préparer les logements à Dothaïm: lorsque Jésus fut arrivé à
l'hôtellerie, ils se firent laver les pieds et prirent quelques
rafraîchissements, puis les disciples allèrent avec lui à l'écart, car
il y avait là beaucoup de Pharisiens et de scribes revenant de Jérusalem
et aussi d'autres voyageurs. Ils lui demandèrent pourquoi ils n'avaient
pas pu chasser ce démon muet et Jésus leur répondit : " à cause de votre
incrédulité : car si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous
pourriez dire à cette montagne : Retire-toi d'ici, et elle se
retirerait, et rien ne vous serait impossible. Mais cette espèce de
démons ne se chasse que par le jeûne et la prière ". Il leur donna
encore divers enseignements sur ce qui était nécessaire pour surmonter
la résistance du démon : il leur dit que la foi donnait aux actes la vie
et la force, mais qu'elle-même était fortifiée par le jeûne et la
prière, moyens par lesquels on enlevait tout pouvoir sur soi-même à cet
ennemi qu'on voulait chasser d'autrui. Il dit encore beaucoup de choses
sur les diverses espèces de possession et sur ce qu'il y avait à faire
pour délivrer ceux qui en étaient affligés.
Ce soir, la sainte Vierge et quatre autres femmes
de sa famille arrivèrent de Jérusalem ici. Elles avaient avec elles
quelques serviteurs de Lazare et des ânes chargés de provisions de toute
espèce pour la communauté. Les femmes les plus âgées montaient
alternativement sur les ânes. Ayant appris le départ de Jésus,
elles-mêmes étaient parties de Jérusalem le jour suivant et elles
s'étaient un peu arrêtées en route. Jésus s'entretint quelques moments
avec elles, puis il alla à un repas auquel les Pharisiens l'avaient
invité.
Ces Pharisiens s'étaient enquis, sur toute la
route, de ce que Jésus avait fait et dit: or, au dernier jour de
sabbat, ses disciples avaient cueilli, près d'Atharoth, quelques épis
dont ils avaient mangé les grains, ce qui avait été rapporté aux
Pharisiens par leurs espions, et ils firent des reproches à Jésus sur ce
point et sur ce que ses disciples, contrairement à toutes les traditions
des écoles des rabbins, laissaient de côté beaucoup de prescriptions,
comme celles de se laver les mains avant le repas et de faire certaines
purifications. Jésus eut avec eux, à ce sujet, une contestation
prolongée et il répondit, entre autres choses, ce que rapporte
l'Évangile en pareille circonstance.
Remarque. Saint Matthieu (XII--,1-8), saint
Marc (II, 23-28), saint Luc (VI, 1-6), rapportent les réclamations
faites par les Pharisiens à propos de ce que les disciples cueillaient
des épis comme ayant eu lieu antérieurement, peu de temps avant la
guérison de l'homme à la main desséchée, laquelle a été racontée par
Anne Catherine, à la date du 14 janvier ou 13 Sebat. En racontant
maintenant pour la première fois cet incident relatif aux épis et les
reproches auxquels il donna lieu elle ne se met nullement en
contradiction avec les saints Évangiles, car le fait qui y est mentionné
se rapporte sans aucun doute à une époque précédente où pareillement les
blés étaient mûrs et Anne Catherine a oublié d'en faire mention. Mais
maintenant elle voit ce même fait se répéter de la part des disciples et
le Sauveur faire les mêmes réponses à l'ancien reproche des Pharisiens,
ainsi qu'il avait coutume quand des cas semblables se reproduisaient à
diverses reprises.
(10 avril.) Ce matin, Jésus enseigna encore
à Dothaïm et dans les environs, et plusieurs disciples vinrent le
rejoindre. Après midi, il alla en droite ligne à Capharnaüm où l'on
faisait une réception solennelle aux gens qui revenaient de la fête.
Il avait été invité avec les disciples à un repas
que donnaient les Pharisiens, et comme ils allaient se mettre à table,
le disciple Manahem de Koréah amena à Jésus un jeune savant de Jéricho,
que le Seigneur avait déjà refusé une fois et qui lui demanda de nouveau
à être admis parmi ses disciples '. Il s'était adressé à Manahem qu'il
connaissait. Ce jeune homme avait de grands biens à Samarie, et Jésus
lui avait dit antérieurement qu'il lui fallait d'abord renoncer à tout.
Il revenait maintenant, après avoir tout réglé et partagé avec les gens
de sa famille, cependant il s'était réservé une propriété et il était
fort préoccupé des moyens de pourvoir à son entretien. C'est pourquoi
Jésus ne l'admit pas et il se retira fort mécontent. Les Pharisiens se
scandalisèrent beaucoup à ce sujet, car ils étaient favorables à ce
jeune homme et ils reprochèrent à Jésus de parler toujours de charité et
de manquer lui-même de charité ; de parler des fardeaux impossibles à
porter qu'imposaient les Pharisiens et d'imposer lui-même des fardeaux
insupportables. Ce jeune homme était savant, disaient-ils, et il ne
voulait avoir près de lui que des ignorants : il ne permettait pas des
choses dont on ne pouvait se dispenser et trouvait bon qu'on désobéît
aux prescriptions traditionnelles : puis ils revinrent encore sur la
violation du sabbat, les épis arrachés, les purifications, etc. Jésus
leur répondit comme à l'ordinaire et les confondit.
NOTE : La première rencontre de Jésus avec ce jeune
homme a été racontée dans le tome II, page 56.
(11 avril.) Hier déjà, j'avais vu des
Pharisiens aller de côté et d'autre pour recueillir un impôt destiné au
temple. Ce matin, Jésus se trouvait avec les disciples dans la maison de
Pierre qui est en face du lac. Les habitants interpellèrent Pierre
devant la maison pour lui demander si son maître ne payait pas les deux
drachmes. Pierre répondit que si, et lorsqu'il entra dans la maison,
Jésus lui dit : " Qu'en penses-tu, Simon ? de qui les rois de la terre
exigent-ils le tribut et le cens, de leurs enfants ou des étrangers "? ñ
" Des étrangers ", répondit Pierre, et Jésus lui dit : " Les enfants en
sont donc exemptés. Mais pour ne pas les scandaliser, jette ton hameçon
dans la mer et dans la bouche du premier poisson qui y mordra, tu
trouveras un statère 1 : paye alors pour moi et pour toi "! Pierre, dans
la simplicité de sa foi, alla à sa pêcherie, jeta à l'eau un des
hameçons qui se trouvaient là, puis il le leva et y prit un très gros
poisson. Il lui ouvrit la bouche et trouva une pièce de monnaie
oblongue, de couleur jaunâtre, qu'il donna ensuite aux habitants pour
lui-même et pour Jésus. Le poisson était si gros, qu'au repas du midi il
suffit pour les rassasier tous (Matth, XVII, 23-26).
Après cela Jésus demanda aux disciples sur quoi
avait roulé la contestation qu'ils avaient eue la veille sur le chemin
de Dothaïm. Ils se turent, car il s'était agi de savoir qui était le
plus grand parmi eux. Mais voyant leurs pensées, il s'assit et leur dit
: " Que celui qui veut être le premier, soit le dernier de tous, le
serviteur de tous ". Il leur donna des enseignements dans ce sens et
leur expliqua pourquoi il n'avait pas admis le disciple qui s'était
présenté la veille.
NOTE : Statère : Pièce de quatre drachmes
Après le dîner, accompagné des douze et de tous les
disciples, il se rendit à Capharnaüm où l'on donnait une espèce de fête
populaire aux gens qui revenaient de Jérusalem. Les rues et les maisons
étaient ornées de fleurs et de guirlandes de verdure. Les enfants, les
vieillards, les femmes et les élèves des écoles allaient à la rencontre
des arrivants, lesquels marchaient comme en procession le long des rues
et visitaient dans leurs maisons leurs amis et les gens considérables du
lieu. Les Pharisiens et beaucoup d'autres frayèrent très amicalement
avec Jésus et les disciples, tantôt marchant avec eux, tantôt allant de
leur côté.
Jésus s'arrêta aux maisons de plusieurs pauvres
gens et de quelques personnes de ses amies. On lui amena les enfants, il
les bénit et leur fit des présents. Sur la place du marché où se
trouvaient, en face l'une de l'autre, l'ancienne synagogue et la
nouvelle bâtie par Cornélius, il y avait d'un côté des salles devant les
maisons. Ce fut là que les jeunes élèves des écoles saluèrent Jésus, et
beaucoup de mères s'approchèrent de lui avec leurs enfants. Jésus
pendant toute la marche avait enseigné en différents endroits. Ici il
bénit les enfants, les enseigna et fit distribuer à tous, aux riches
comme aux pauvres, de petites robes fournies par les bienfaitrices de la
communauté et que les saintes femmes venues de Jérusalem avaient
apportées. Ils reçurent aussi des fruits, des tables à écrire et
d'autres cadeaux. Pendant qu'on faisait cette distribution, Jésus
enseigna encore les disciples et le peuple, et comme les disciples lui
demandèrent de nouveau qui était le plus grand dans le royaume des
cieux, Jésus appela la femme d'un marchand aisé, laquelle se tenait à
quelque distance sous la porte d'une maison avec son enfant de quatre
ans. Ayant baissé son voile, elle s'avança avec l'enfant qu'elle remit
entre les mains de Jésus, après quoi elle se retira. Jésus embrassa
l'enfant, le plaça en face de ses disciples, et comme beaucoup d'autres
enfants l'entouraient, il parla ainsi : " Quiconque ne devient pas
semblable aux enfants n'entre pas dans le royaume des cieux ; quiconque
reçoit un enfant en mon nom me reçoit, et non seulement moi, mais aussi
celui qui m'a envoyé. Celui qui s'humilie comme cet enfant, celui-là est
le plus grand dans le royaume des cieux ".
Comme Jésus parlait de recevoir en son nom, Jean
l'interrompit pour lui dire qu'ils avaient rencontré un homme qui
chassait les démons en son nom, quoique ne faisant pas partie des
disciples, et qu'ils l'en avaient empêché. Jésus les réprimanda à ce
sujet, après quoi il reprit son enseignement qui dura longtemps.
Anne Catherine mentionna encore l'interrogation
adressée par Pierre pour savoir combien de fois on devait pardonner et
la parabole du roi qui fait rendre leurs comptes à ses serviteurs : du
reste elle dit avoir entendu dans cette circonstance tout ce qui se
trouve dans le dix huitième chapitre de saint Matthieu.
Jésus ayant achevé ce qu'il avait à dire touchant
l'enfance et l'estime qu'on en doit faire, bénit le petit garçon de
quatre ans, qui était nu à l'exception d'un linge autour des reins et
qui était tout à fait aimable. Il l'embrassa, se fit donner des fruits
et une petite robe dont il lui fit présent, puis il fit signe à la mère
et le lui rendit en lui adressant quelques paroles prophétiques sur
l'avenir de l'enfant, lesquelles ne furent comprises que plus tard : car
il fut disciple des apôtres et reçut le nom d'Ignace. C'est lui qui
devint saint Ignace évêque et martyr.
Je fus extraordinairement touchée à la vue d'une
femme qui pendant toute la procession et l'instruction de Jésus se tint
toujours dans la foule, couverte de son voile. Son émotion et sa joie la
mettaient continuellement comme hors d'elle-même et elle répétait
souvent à mi-voix, cependant de manière à être entendue des femmes qui
l'entouraient, lesquelles en étaient touchées et édifiées, les paroles :
" Bienheureuses les entrailles qui vous ont porté! Bienheureuses les
mamelles qui vous ont allaité! Mais bienheureux surtout ceux qui
entendent la parole de Dieu et qui la gardent "! Elle répétait ces mots
du plus profond de son coeur, faisant des gestes touchants et versant
des larmes abondantes, à chaque petite pause que faisait Jésus dans son
discours, à la fin de chaque phrase qui sortait de sa bouche, et elle
exprimait ainsi son émotion, sen attendrissement et son admiration
profonde. La vie, la présence, l'enseignement plein d'amour du
Rédempteur, étaient pour elle l'objet d'une sympathie indicible,
entraînante, à laquelle elle se laissait aller avec la simplicité d'un
enfant. Cette femme était Léa, épouse d'un Pharisien malveillant de
Césarée de Philippe et soeur du défunt mari d'Énoué, l'hémorroïsse de
Césarée. Le 19 Kisleu (8 décembre), assistant ici même à la prédication
de Jésus, elle avait déjà fait entendre cette exclamation: "Bienheureuses les entrailles qui vous ont porté, etc.", et Jésus lui
avait répondu: "Bienheureux surtout ceux qui entendent la parole de
Dieu et la gardent ". Depuis ce temps elle avait continuellement à la
bouche son exclamation d'alors en y ajoutant la réponse de Jésus, et ces
paroles étaient devenues pour elle une prière fervente et affectueuse.
Elle était allée visiter les saintes femmes et avait donné à la
communauté une grande partie de ce qu'elle possédait.
Jésus continua à donner des enseignements du même
genre sur la place du marché, jusqu'au moment de l'ouverture du sabbat :
alors il enseigna à la synagogue. La lecture traitait de la purification
des lépreux et de la famine de Samarie qui avait cessé si promptement à
la suite de la prophétie d'Élisée. Il traita encore beaucoup d'autres
sujets.
(12 avril.) Dans l'après-midi, j'ai vu Jésus
à Bethsaïde avec les apôtres et quelques disciples. Plusieurs disciples
absents sont revenus soit de leur mission, soit de leur pays où ils
étaient allés. Une partie d'entre eux venait de l'autre côté du lac, de
la Décapole et de Gergesa ; leurs vêtements étaient tout en lambeaux et
ils avaient grand besoin de se refaire. Ils furent reçus au bord du lac
avec beaucoup de témoignages d'affection et on leur prodigua les soins
les plus empressés. Ils furent conduits dans la maison d'André où on
leur lava les pieds ; puis on leur prépara des bains, on leur donna
d'autres habits et enfin on leur apprêta un repas.
Comme Jésus s'empressait à les servir et mettait
lui-même la main à l'oeuvre, Pierre lui dit : " Seigneur, pourquoi les
servir vous-même? Laissez-nous ce soin ". Mais Jésus répondit qu'il
était envoyé pour servir, que ce qu'on faisait pour eux, on le faisait
pour son Père. Puis il enseigna de nouveau sur l'humilité, dit que celui
qui s'abaissait au-dessous de tous les autres pour les servir
deviendrait le plus grand de tous, toutefois que celui qui par un autre
motif que la charité, s'abaissait pour aider le prochain, non en vue de
soulager un frère dans le besoin, mais afin de devenir le premier à ce
prix, n'était qu'un hypocrite et un flatteur, et qu'il perdrait sa
récompense, car c'était lui-même qu'il servait et non son frère. Il y
avait bien là soixante-dix disciples : mais il y en a encore plusieurs à
Jérusalem et dans les environs.
Jésus fit encore aujourd'hui aux apôtres une
admirable et profonde instruction que j'ai entendue tout entière, dans
laquelle il dit en termes très clairs qu'il n'avait pas été engendré par
un homme, mais conçu du Saint-Esprit. A cette occasion il parla de sa
mère en termes pleins de vénération. Il l'appela le vase très pur et
très saint, le vase choisi après lequel tous les siècles avaient
soupiré, qu'avaient appelé de leurs veux les coeurs de tous les hommes
pieux et la bouche de tous les Prophètes. Il leur interpréta le
témoignage rendu par son Père céleste lors de son baptême : il ne fit
pas mention de celui qui avait été rendu sur le Thabor. Il appela
heureuse et sainte l'époque qui l'avait vu naître, et dit comment
l'alliance du genre humain avec Dieu était rétablie par lui. Il parla
avec une grande profondeur de la chute de l'humanité et de sa séparation
du Père céleste, du pouvoir de Satan et des mauvais esprits sur elle,
dit comment la naissance de la Vierge sans tache si longtemps désirée,
avait réalisé l'avènement du royaume de Dieu sur la terre, et comment
par lui et en lui tous recevaient de nouveau la qualité d'enfants de
Dieu. C'était par lui qu'était rétabli le lien naturel et surnaturel, le
pont entre Dieu et l'homme : quiconque voulait y passer, devait le faire
avec lui et en lui, mais il fallait pour cela renoncer aux choses de la
terre et aux jouissances de ce monde. Il dit aussi comment le pouvoir
des mauvais esprits et leur influence sur le monde et sur les hommes
étaient ruinés par lui, et comment la malédiction que ce pouvoir avait
fait tomber sur l'homme et sur la nature pouvait être détruite en son
nom par l'intime union avec lui dans la foi et la charité. Il y eut
quelque chose de très grave et de très solennel dans les discours qu'il
tint à ce sujet. Ils ne comprirent pas tout et ils furent très émus
parce que Jésus parla de sa passion. Les trois apôtres qui avaient été
avec Jésus sur le Thabor étaient depuis ce temps continuellement livrés
aux réflexions les plus sérieuses. -`
Tout cela se passa pendant et après le sabbat. Les
disciples logèrent, les uns à l'hospice de Capharnaum, les autres dans
la maison de Pierre devant la ville. Tous étaient entretenus aux frais
de la communauté, à peu près comme des religieux le sont par leur ordre.
(13 avril.) Je me souviens seulement
qu'aujourd'hui dimanche, Jésus alla avec les disciples au nord de
Capharnaum, vers la montagne où il avait donné aux apôtres leur première
mission ; que pendant environ deux heures il alla de côté et d'autre,
visitant les moissonneurs, et qu'il enseigna alternativement ces gens et
les disciples. On travaillait alors à la moisson.
Les blés avaient bien six pieds de haut : on les
coupait à une hauteur commode, à dix-huit pouces à peu près au-dessous
de l'épi. Les épis étaient plus grands et plus serrés que chez nous, et
pour empêcher les tiges de verser, on divisait les champs en petits
compartiments entourés d'un treillage. Les faucilles dont on se servait
différaient des nôtres : elles ressemblaient plutôt à l'extrémité d'une
crosse d'évêque : ils coupaient avec la main droite une masse d'épis
qu'ils soutenaient par derrière de la main gauche de façon à ce qu'elle
leur tombât dans les bras. Ils les liaient ensuite en petites gerbes.
C'était un travail pénible, mais qui pourtant se faisait assez
promptement. Tout ce qui tombait appartenait aux pauvres glaneurs qui
allaient à la suite des moissonneurs.
Jésus enseigna ces gens dans les intervalles de repos : il leur
demandait combien ils avaient semé, combien récolté, à qui le blé
appartenait, quelle était la nature du sol, comment ils le
travaillaient, et il en prenait occasion pour raconter des paraboles sur
les semailles, sur l'ivraie, sur le petit grain de froment, sur la
mauvaise herbe condamnée et jetée au feu. Il montra aussi à ses
disciples comment ils devaient répéter ses enseignements et il tira de
cette instruction une autre instruction à leur adresse où il expliqua la
moisson dans un sens spirituel, les appela ses semeurs et ses faucheurs,
et leur dit qu'ils devaient maintenant recueillir le blé de semence pour
en tirer par la suite d'abondantes moissons, parce qu'il n'avait plus
longtemps à rester avec eux. Les disciples furent saisis d'inquiétude et
demandaient s'il ne resterait pas encore avec eux jusqu'à la Pentecôte.
Alors Jésus leur répondit : " Que deviendriez-vous si je ne restais pas
plus longtemps " ?
Près des bergers Jésus amenait aussi de diverses
manières des questions comme celles-ci : Ce troupeau est-il à vous ? Ces
brebis appartiennent-elles à plusieurs troupeaux? Comment les
gardez-vous ? pourquoi vont-elles dispersées? etc., etc., et il liait à
cela ses enseignements sur la brebis perdue ou sur le bon Pasteur.
Ils passèrent la nuit dans un campement de bergers
entre l'enseignement et la prière.
(14 avril.) Aujourd'hui Jésus alla dans une
vallée qui se détourne vers l'ouest et qui est dans une situation plus
élevée que Capharnaüm. Il avait à sa droite la montagne de Saphet, et
comme la veille, enseignant tantôt ses disciples, tantôt des bergers et
des moissonneurs, il parcourut des vallées et des contrées solitaires.
Il fit l'énumération de tous les devoirs d'un bon pasteur, se fit à
lui-même l'application de ce qu'il avait dit et parla de la mort qu'il
allait subir pour ses brebis. Il donna en outre des directions aux
disciples et leur dit comment dans leurs courses ils devaient tenir des
discours du même genre à ces gens délaissés et isolés et répandre parmi
eux la bonne semence. Cet enseignement pacifique et charitable donné sur
les chemins, dans la solitude, avait quelque chose de singulièrement
touchant et pénétrant.
Dans l'après-midi, ils revinrent vers l'est, mais
un peu au nord du point d'où ils étaient partis, et ils entrèrent dans
la petite ville de Lekkum, située à une demi lieue du Jourdain, et que
les six apôtres avaient visitée au commencement de leur première
mission. Jésus n'y était pas encore venu. Ceux des habitants qui étaient
allés à Jérusalem étaient de retour, et il y avait parmi eux des scribes
et des Pharisiens. J'entendis quelques-uns des gens de la ville parler
du massacre des Galiléens à ceux des disciples qu'ils connaissaient déjà
pour avoir été visités par eux. Mais on n'en dit rien encore à Jésus :
les disciples en général étaient sobres de paroles avec lui, et ne se
pressaient pas de lui rapporter ce qu'ils entendaient dire.
(15 avril.) Lekkum est une bourgade de peu
d'importance, mais assez commerçante ; elle est à une demi lieue environ
du Jourdain et à deux lieues de l'endroit où ce fleuve entre dans le
lac. Les habitants sont tous juifs ; seulement, sur les points les plus
éloignés du centre, il y a des cabanes habitées par de pauvres paiens,
de ceux que souvent les caravanes laissent en route. Tout le monde s'y
occupe activement de la culture du coton ; on le prépare pour le filage
et on le tisse ; on fabrique aussi des couvertures et quelques étoffes ;
les enfants eux-mêmes sont employés à des travaux de ce genre.
On donnait ici aujourd'hui la bienvenue solennelle
à ceux qui revenaient de Jérusalem, ainsi qu'on l'avait fait
dernièrement à Capharnaüm. Les rues étaient ornées de fleurs et de
guirlandes de feuillage : les nouveaux arrivés faisaient des visites
chez tous leurs amis, les élèves des écoles allaient à leur rencontre.
Jésus visita plusieurs gens âges dans leurs
maisons, et guérit quelques malades. Il fit une longue instruction sur
la place du marché, devant la synagogue, s'adressant d'abord aux enfants
réunis qu'il caressa et qu'il bénit, puis aux adolescents et aux jeunes
filles qui étaient là avec leurs maîtres pour prendre part à la fête.
Lorsque ceux-ci furent rentrés chez eux, il fit successivement à divers
groupes d'hommes et de femmes de belles et profondes instructions sur le
mariage, entremêlées de comparaisons de toute espèce. Je ne puis pas
bien répéter tout cela ; je suis trop malade. Il dit que la nature
humaine était mélangée de beaucoup de mal, lequel devait être éliminé et
dompté par la prière et la mortification ; que lorsqu'on cédait à ses
passions brutales, on semait des passions brutales ; que l'oeuvre de
l'homme le suivait et portait accusation contre lui ; que notre corps
était fait à l'image du Créateur, et que Satan voulait la détruire en
nous ; que les excès amenaient à leur suite le péché et la maladie, que
tout excès était un désordre et une monstruosité Il les exhorta à la
chasteté, à la tempérance et à la prière. C'était la continence, la
prière et la chasteté des parents qui avaient donné au monde les saints
et les prophètes. Il expliqua tout cela par des comparaisons tirées de
l'ensemencement du blé, de l'enlèvement des mauvaises herbes et des
pierres (symboles de la sensualité, du vice et de la stérilité
spirituelle), des intervalles de repos laissés à la terre et de la
bénédiction que Dieu donne aux champs qui ont été acquis par des voies
légitimes. Il donna aussi une place considérable dans ses enseignements
à des digressions étendues sur la culture de la vigne et sur le
retranchement des branches gourmandes : il y a de même en nous des
pousses sauvages qu'il faut retrancher parce qu'elles ne donnent que du
bois et des feuilles, mais point de raisin ; c'est-à-dire des enfants
mal nés, inutiles, lesquels n'apportent aucune bénédiction et
ressemblent aux mauvaises herbes qui étouffent le bon grain. Il parla
aussi des ceps de qualité supérieure qui sont les familles pieuses ; des
vignes améliorées, qui sont les races relevées et converties, etc.
Il parla d'Abraham, le chef de leur race, de sa
sainteté, de l'alliance qui avait eu pour signe la circoncision ; il dit
comment tous ses descendants étaient maintenant abâtardis par suite de
leur indocilité et de leur fréquent mélange avec les païens : il parla
du maître de la vigne qui envoie son fils et de ce qui devait arriver à
celui-ci.
Tous les assistants étaient très émus et plusieurs
versaient des larmes La plupart ne le comprenaient pas, mais beaucoup se
sentaient intérieurement portés au bien. Ce qui engagea surtout Jésus à
leur donner ces enseignements, fut qu'ils s'adressaient à des gens qui
n'avaient jamais été instruits de tous ces mystères, et qui vivaient
sans retenue dans le mariage. Comme pendant le voyage de Jérusalem et le
temps pascal, ils se tenaient ordinairement séparés de leurs femmes, et
que cette séparation touchait à son terme, il les exhorta en général à
user du mariage avec modération et avec retenue ; il leur dit aussi que
le mariage avec la convoitise charnelle qui l'accompagnait était pour
des mariés pieux un souvenir de la chute de l'homme et de la dégradation
qui en avait été la conséquence, et qu'il devenait pour eux une oeuvre
de pénitence.
Il enseigna encore touchant l'efficacité de la
bonne volonté dans la prière et le renoncement, et sur la coopération à
la grâce. Il leur dit que quand ils se retranchaient quelque chose dans
le boire et le manger et qu'ils se privaient d'une partie de leur
superflu, ils devaient le déposer avec confiance entre les mains de Dieu
et le prier de vouloir bien en faire profiter les pauvres bergers du
désert ou d'autres indigents, et que le Père céleste, comme un économe
fidèle, exaucerait leur prière si eux-mêmes, en fidèles serviteurs,
faisaient part aux pauvres qui leur étaient connus ou à d'autres qu'ils
rechercheraient charitablement, de ce qu'il leur donnait avec
surabondance. C'était ainsi qu'on coopérait fidèlement, parce que Dieu
travaillait avec ses serviteurs fidèles et agissant en esprit de foi. Il
fit à ce sujet une comparaison tirée du palmier mâle qui, par son amour
et son désir, procure la nourriture et l'accroissement au palmier
femelle séparé de lui, sans entrer en contact avec lui.
Vers le soir, ils passèrent le Jourdain et se
dirigèrent vers Bethsaide-Juliade.
(16 avril.) Ces jours-ci, Anne Catherine fut
à peine en état de parler, ce qui naturellement rendit ses
communications très défectueuses.
Jésus a enseigné à Juliade. Là aussi on donnait une
fête aux gens qui arrivaient de Jérusalem. Je vis Jésus en compagnie des
disciples, de quelques Pharisiens et scribes, et d'autres personnes
considérables de Juliade se promener et enseigner.
On lui raconta ici comment les Galiléens avaient
été égorgés dans le temple. J'appris à cette occasion qu'une centaine de
personnes de Jérusalem avaient été massacrées avec cent cinquante
séditieux, partisans de Judas de Gaulon, car ceux-ci avaient déterminé
beaucoup de gens, en leur faisant peur, à aller avec eux présenter leurs
offrandes. Ces gens s'étaient ainsi adjoints aux agitateurs qu'ils
savaient prêts à se révolter contre l'empereur et à lui refuser l'impôt,
et ils avaient partagé leur sort.
Jésus fit à ceux qui lui racontaient cela la
réponse qu'on lit dans l'Evangile ; il raconta aussi la parabole du
figuier (Luc, XIII, 1-9).
(17 avril.) Je ne me souviens plus que d'une
chose! c'est que je vis Jésus parcourir un pays parsemé de jolies
collines, situé entre Juliade et le lac, au pied de la montagne des
Béatitudes : il y donna des enseignements aux disciples.
Cette contrée solitaire est charmante : elle est
extrêmement fertile, couverte de verdure, remplie de chameaux et d'ânes
qui paissent tranquillement, et peuplée d'oiseaux et d'animaux sauvages
de toute espèce, ce qui la fait ressembler à un parc. Il y a des
sentiers qui serpentent et vont aboutir au rivage : on y trouve aussi
plusieurs sources. Elle est exposée au soleil et on voit briller toute
la surface du lac. La grande route qui mène à Juliade passe le long le
Jourdain. Ici la contrée est solitaire. Le soir, ils traversèrent le
Jourdain et allèrent à Bethsaïde.
(18 avril.) Ce soir, Jésus enseigna, à
l'occasion du sabbat, dans la synagogue de Capharnaum. On lut des
chapitres du Lévitique relatifs au sacrifice expiatoire annuel, à
l'obligation de sacrifier devant le tabernacle, à la défense de se
nourrir du sang des animaux, et aux degrés de parenté qui rendent le
mariage illicite. On lut aussi des passages d'Ezéchiel sur les péchés de
la ville de Jérusalem (Lévit. XVI-XIX. Ezéch. XXII).
Je me souviens encore que Jésus assista avec les
disciples à un repas donné chez un Pharisien dont la maison était située
à l'extrémité de Capharnaum, non loin de la demeure du centurion
Cornélius. On ne cessa de l'espionner. Il y avait là un hydropique qui
implora son assistance, et Jésus demanda aux Pharisiens s'il était
permis de guérir le jour du sabbat. Comme ils ne répondaient rien, se
contentant de l'observer attentivement, il imposa les mains au malade et
le guérit. Celui-ci s'étant retiré après lui avoir rendu grâces, Jésus
dit aux Pharisiens, comme il avait coutume de faire en pareille
occasion, qu'aucun d'eux, si son boeuf ou son âne tombait dans une fosse
le jour du sabbat, ne se ferait faute de le retirer. Ils se
scandalisèrent et ne trouvèrent rien à répondre.
Le Pharisien n'avait invité que ses parents et ses
amis, et lorsque Jésus vit que ces Pharisiens prenaient les meilleures
places à table, il dit que quand on était invité à un repas, il ne
fallait pas se mettre aussitôt au haut bout : car un personnage plus
considérable pouvait arriver, et le maître de la maison pouvait vous
obliger à lui céder votre place, à votre grande confusion. Au contraire
quand on se mettait au bout inférieur, le maître de la maison vous
disait : " Mon ami, montez plus haut " ! et cela vous faisait honneur.
Car qui s'élève, sera abaissé, et qui s'abaisse sera élevé.
Après cela Jésus dit aussi à son hôte que celui qui
invitait à un repas ses parents, ses amis, ses voisins riches dont il
recevait à son tour les invitations, n'avait pas droit à une récompense
: tandis qu'en invitant des pauvres, des boiteux, des aveugles et
d'autres gens nécessiteux, qui ne pouvaient pas rendre ce qu'on faisait
pour eux, on s'assurait le bonheur d'être récompensé lors de la
résurrection. Comme là-dessus un des convies s'écria : " Heureux celui
qui prendra son repas dans le royaume de Dieu " ! Jésus se tourna vers
lui et raconta la parabole du grand festin (Luc, XIV, 1-24).
Jésus avait chargé ses disciples de faire venir un
grand nombre de pauvres à la porte de la maison : il demanda aux
Pharisiens si c'était pour lui qu'ils avaient fait préparer ce repas et
comme ils répondirent que oui, il les remercia et lorsque les convives
furent rassasiés, il fit distribuer aux pauvres tout ce qui resta.
Passant alors avec ses disciples sur la propriété
du centurion Zorobabel, il gagna une belle contrée solitaire située
entre Tibériade et Magdalum, et comme beaucoup de personnes le
suivaient, il leur dit que quiconque voulait marcher à sa suite et être
son disciple, devait l'aimer plus que ses parents les plus proches, bien
plus, l'aimer plus que soi-même et porter sa croix après lui : que
quiconque voulait construire une tour, devait d'abord faire le calcul de
la dépense, qu'autrement il ne pourrait aller jusqu'au bout et
deviendrait un objet de risée : que quiconque voulait faire la guerre,
devait d'abord s'assurer que son armée était égale à celle de l'ennemi,
et si elle ne l'était pas, demander la paix : enfin, que pour devenir
son disciple, il fallait renoncer à tout. (Luc, XIV, 25-35.)
CHAPITRE QUATORZIÈME
Grande instruction sur la montagne près de Gabara Jésus va sur les
confins de Tyr et de Sidon.
- Les disciples convoquent le peuple à entendre l'instruction prés de
Gabara.
- Jésus à Tarichée, - prés de Gabara.
- Premier, second et troisième jour de la prédication.
- On retrouve la tête de saint Jean Baptiste.
- Jésus à Garizima.
- Il prépare les apôtres à leur mission, - il va dans la contrée
d'Ornithopolis.
- Il y trouve une ancienne tribu juive séparée du reste de la nation.
(Du 20 au 30 avril 1823.)
(20 avril.) Jésus fit avec ses disciples une
promenade dans la vallée de Génésareth et il enseigna tout en marchant
Il envoya un grand nombre de disciples convoquer le peuple à une
instruction de plusieurs jours qu'il devait faire sur la montagne au
delà de Gabara, et qu'il voulait commencer le mercredi. J'entendis
désigner ce jour d'une autre manière dont je ne me souviens plus : mais
j'ai reconnu dans la vision et je sais positivement qu'il s'agissait de
mercredi prochain.
Jésus envoya les plus anciens disciples à de grandes distances :
plusieurs traversèrent le lac pour se rendre dans le pays des
Gergéséniens, à Dalmanutha et dans la Décapole. Ils devaient inviter
tout le monde et dire que Jésus n'avait plus longtemps à rester avec
eux. Ils devaient faire venir le plus de monde qu'ils pourraient. Il
partit environ quarante disciples. Il garda près de lui les plus jeunes
qui étaient revenus les derniers et continua à leur donner des
instructions : les apôtres aussi restèrent avec lui.
Le district de Génésareth est une contrée merveilleusement belle qui
commence au bord du lac, entre Tibériade et Tarichée, à quatre lieues
environ de Capharnaüm. Elle s'étend, à partir du lac, à trois lieues
environ dans l'intérieur des terres, et contourne Tarichée au midi,
jusqu'à la sortie du Jourdain. La charmante vallée des bains de Béthulie
en fait partie, et elle est arrosée par le ruisseau qui forme le lac des
bains et par d'autres cours d'eau qui se jettent dans la mer de Galilée.
Les eaux de ce ruisseau ménagées avec art forment une quantité de petits
étangs et de cascades dans le pays de Génésareth ; cette contrée n'est
qu'une suite continuelle de jardins d'agrément, de maisons de plaisance,
de châteaux, de pares, d'avenues, de vignobles et de vergers, et elle
est pendant toute l'année couverte de fruits et de fleurs de toute
espèce. Beaucoup de gens riches du pays et même de Jérusalem y ont des
maisons de campagne et des jardins : Hérode aussi y a un château et un
parc. Tout est cultivé et disposé pour le plaisir des yeux : on y voit
partout de jolies habitations, des plantations d'agrément, des
labyrinthes verdoyants et des monticules en forme de pyramides autour
desquels serpentent des sentiers. Il n'y a pas de bourgs considérables :
les habitants du pays sont attachés comme jardiniers et comme bergers au
service de ces riches propriétaires dont les troupeaux se composent de
montons d'une race très belle et très rare, et de jolies chèvres
d'espèces exotiques. On y nourrit du reste, toute sorte de beaux animaux
et de jolis oiseaux. Aucun grand chemin ne traverse ce district, mais il
est bordé par deux routes dont l'une part du lac et l'autre du Jourdain.
Jésus y a passé la nuit chez des bergers, où il a enseigné les disciples
et mangé du pain, du miel, des fruits et du poisson.
(21 avril.) Aujourd'hui Jésus alla avec les
siens à Tarichée située à l'extrémité méridionale du lac. On ne pourrait
pas aller jusqu'à cette ville en suivant le bord du lac. Deux lieues à
peu près avant Tarichée commencent des rochers escarpés qui s'étendent
tout le long du rivage ; Jésus alla à l'ouest en contournant Tarichée et
je le vis au midi de la ville passer un pont par lequel on arrivait à
une espèce de faubourg. Il y a là un bras marécageux du lac par-dessus
lequel le pont va rejoindre la chaussée en pierres noirâtres qui borde
le lac à partir de Tarichée jusqu'à la sortie du Jourdain. Le faubourg
est bâti sur cette chaussée. Il a un nom particulier que j'ai oublié. Il
y a près du pont deux rangées de maisons.
Avant d'arriver là, Jésus avait à passer devant cette maison de lépreux
où il en avait guéri plusieurs l'année précédente Ces gens ayant su
qu'il était proche, vinrent lui rendre grâces : d'autres lépreux, qui
depuis étaient venus habiter la maison en question, crièrent vers lui
pour l'implorer et il les guérit.
Plus tard, lorsque Jésus ayant passé le pont, arriva dans le faubourg
qui est sur la chaussée, on lui amena encore plusieurs malades qu'il
guérit ; même de Dalmanutha où les disciples étaient allés la veille, on
avait amené des malades auxquels on avait fait passer le lac sur des
barques, et il leur rendit aussi la santé. Il passa la nuit ici dans une
hôtellerie.
La chaussée dont il vient d'être parlé fut détruite ainsi que la plus
grande partie du faubourg par le tremblement de terre qui eut lieu à la
mort de Jésus On l'abandonna plus tard et il ne fut jamais rebâti parce
que les rivages du lac subirent des changements considérables. Tibériade
n'est encore bâtie qu'à moitié : il y a une partie de la ville où les
chantiers de construction sont encore en activité.
(22 avril.) Ce matin, Jésus alla plus au midi
de Tarichée, dans la direction du Jourdain : il y a là des maisons
séparées habitées par des malades dont il guérit un certain nombre.
On voit déjà de tous les côtés des troupes nombreuses se diriger vers la
montagne de Gabara : beaucoup de barques chargées de passagers arrivent
de l'autre rive du lac. Ils ont avec eux des tentes et des provisions de
toute espèce : ils amènent aussi des malades portés sur des ânes dans de
grands paniers. Dès hier soir, plusieurs disciples se sont rendus à
Gabara avec tout ce monde : quelques-uns sont venus rejoindre Jésus.
Aujourd'hui la plupart sont arrivés à Gabara : ils désignent aux
arrivants les places où ils doivent camper et leur rendent des services
de tout genre. Jésus aussi se dirigea aujourd'hui en compagnie des
apôtres et du reste des disciples vers la montagne de Gabara. Une
hôtellerie avait été préparée pour eux entre cette montagne et Magdalum
: c'était celle où Madeleine avait visité les saintes femmes avant sa
conversion. Elle était très spacieuse et soutenue par des piliers. Jésus
y passa la nuit.
Sur le chemin, des Pharisiens accostèrent Jésus et lui demandèrent ce
que signifiait cet immense concours de peuple se dirigeant vers la
montagne. Il semblait, disaient-ils, que tout le pays fût soulevé, Jésus
leur répondit qu'ils n'avaient qu'à venir l'entendre le lendemain. Il
avait convoqué le peuple parce qu'il n'avait plus que peu de temps à
rester avec eux.
Les saintes femmes étaient ce soir à Damna. Demain elles se rendront à
l'hôtellerie afin de pourvoir à ce que les disciples trouvent de quoi
manger.
(Mercredi 23 avril.) Jésus arriva ce matin
vers dix heures sur la montagne où il devait prêcher. Les disciples
avaient rangé le peuple en bon ordre et réglé comment les différents
groupes viendraient à tour de rôle écouter la prédication, car il y
avait beaucoup trop de monde pour que tous pussent entendre à la fois ce
qui se disait du haut de la chaire. Le peuple était campé sous des
tentes ; les gens de chaque pays se tenaient ensemble. Chaque district
avait décoré son campement avec les fruits que produisait ce canton,
arrangés de manière à former une espèce d'arc-de-triomphe sous lequel on
passait pour arriver à eux et au haut duquel étaient suspendus en
guirlande et en faisceau les produits les plus estimés de leur contrée
natale. Pour les uns c'étaient des branches de vigne et des épis de blé,
pour les autres, du coton, des cannes à sucre, des herbes aromatiques,
et des fruits de toute espèce. Tout cela, entremêle de fleurs et disposé
avec beaucoup d'élégance, produisait un effet très agréable. Une
quantité de pigeons, de cailles et d'autres oiseaux s'étaient installés
dans le camp pour recueillir les restes des repas, et ils étaient si
familiers qu'ils venaient les manger dans la main des gens.
Il était venu beaucoup de Pharisiens, de Sadducéens, d'Hérodiens, de
scribes et de magistrats locaux qui occupaient les places les plus
rapprochées de la chaire. Ils s'étaient fait préparer des sièges
commodes et plusieurs étaient assis sur des espèces de chaises qu'ils
avaient fait apporter. Un grand nombre d'entre eux étaient venus avec
des troupes de pèlerins qui, revenant en ce moment de Jérusalem,
s'étaient arrêtes là pour assister à l'instruction de Jésus C'était
peut-être quelques-uns d'entre eux qui, la veille, avaient interpellé
Jésus pour lui demander ce que signifiait ce concours de peuple se
dirigeant vers la montagne.
Jésus rassembla ses disciples tout autour de lui et les Pharisiens se
scandalisèrent de les voir prendre place en avant d'eux.
Jésus commença par prier, puis il adressa au peuple une petite
allocution pour recommander le bon ordre et l'attention Il voulait leur
donner des enseignements qu'ils n'avaient reçus d'aucun autre et qui
pourtant étaient nécessaires à leur salut. Ce qu'ils ne saisiraient pas
bien maintenant, disait-il, devait leur être répété et expliqué plus
tard par ses disciples qu'il leur enverrait, car il n'avait plus que peu
de temps à rester parmi eux.
Il se mit ensuite à enseigner à haute voix les disciples réunis autour
de lui, auxquels il recommanda de se tenir en garde contre les
Pharisiens et les prophètes de même espèce. Puis il enseigna le peuple
touchant la prière et l'amour du prochain. Les disciples amenaient à
tour de rôle des troupes d'auditeurs qui se retiraient au bout d'un
certain temps. Les Pharisiens et d'autres savants interrompirent souvent
Jésus pour le contredire et lui faire des objections : mais il n'en tint
aucun compte, parla d'eux en termes sévères et mit le peuple en garde
contre eux, ce qui les irrita vivement.
Aujourd'hui Jésus ne guérit pas, mais il ordonna que les malades couchés
sur leurs lits sous des tentes ouvertes fussent transportés
successivement à proximité de sa chaire pour entendre ses instructions.
Du reste, il fit dire à tous les malades qu'ils eussent à prendre
patience jusqu'à la fin de sa prédication. Il parla sans s'arrêter
jusqu'au soir. Les assistants allaient successivement prendre de la
nourriture. Je n'ai pas vu Jésus manger. Il enseigna si longtemps son
nombreux auditoire, que le soir sa voix était très fatiguée et très
faible.
Il redescendit dans la plaine et regagna l'hôtellerie dont il a été
parlé. Elle avait fait partie des propriétés qu'avait Madeleine à
Magdalum, et lors de la vente on l'avait réservée pour la communauté.
Lazare et Marthe, Dina et la Suphanite, Maroni de Naïm et la mère de
Jésus, ainsi que les autres femmes de la Galilée étaient arrivées ici,
apportant de nombreuses provisions de bouche, des étoffes pour faire des
habillements et aussi des vêtements tout faits. Elles avaient apprêté un
repas frugal pour Jésus et les disciples : ce qui en resta fut donné aux
nécessiteux.
(24 avril.) Jésus continua aujourd'hui son
instruction sur la montagne ; il parla encore de la prière, de l'amour
du prochain, de la vigilance, de la confiance . dans la bonté de Dieu,
et il exhorta le peuple à ne pas se laisser induire en erreur par les
oppresseurs et les calomniateurs.
Les Pharisiens furent encore plus turbulents qu'hier. Je vis qu'ils
s'étaient réunis en plus grand nombre que la veille et qu'ils eurent de
vives contestations avec Jésus. Ils le traitèrent d'agitateur et
d'instigateur de troubles et lui reprochèrent de détourner le peuple de
son travail et de l'entraîner à sa suite à travers le pays. Ils avaient,
disaient-ils, leur sabbat, leurs jours de fête et leur doctrine ; ils
n'avaient que faire de ses innovations. Ils ressassèrent contre lui et
ses disciples toutes les vieilles accusations mille fois réfutées et
finirent par le menacer d'Hérode, près duquel ils voulaient porter
plainte de ses menaces et de ses enseignements qui avait déjà l'úil sur
lui et qui mettrait un terme à ses déportements. Jésus répondit
vertement et dit qu'il enseignerait et guérirait sans se mettre en peine
d'Hérode, tant que sa mission ne serait pas accomplie. Les Pharisiens
furent si grossiers et si violents que le peuple se porta en avant et
qu'il y eut dans la foule un mouvement tumultueux, en sorte qu'ils
finirent par se retirer fort mécontents.
Jésus continua à enseigner dans un langage très touchant et très
entraînant, et comme beaucoup de ceux qui s'en revenaient de Jérusalem
et d'autres encore avaient consommé leurs provisions de bouche, il leur
fit distribuer des aliments par les plus anciens de ses disciples.
C'était du pain, du miel et des poissons qu'on avait apportés de
l'hôtellerie dans des corbeilles. Les saintes femmes avaient pris soin
de l'approvisionnement. On distribua aussi à ceux qui en avaient besoin
des habits, des pièces de drap, des couvertures, des chaussures et de
petites robes d'enfants. Les femmes avaient pourvu à ce que toutes
choses fussent en abondance ; elles firent les distributions aux
personnes de leur sexe : les disciples les firent aux hommes.
Pendant que les anciens disciples déjà formés s'occupaient de tout cela,
Jésus continua à instruire les disciples nouvellement arrivés.
Les femmes retournèrent ensuite à l'hôtellerie afin d'apprêter le repas
pour tous. Jésus enseigna le peuple et promit à ses auditeurs de leur
envoyer ses disciples qui leur porteraient des consolations, car
lui-même devait rester éloigné d'eux pour un temps. Ensuite il donna sa
bénédiction à l'assistance qu'il congédia, et annonça que le lendemain
il s'occuperait des malades. Il resta encore longtemps seul avec les
disciples auxquels il parla de la manière d'être des Pharisiens et de la
façon dont ils devaient se comporter à l'avenir. Il revint tard à
l'hôtellerie où il y eut un repas auquel tous prirent part.
Lazare parla ici du massacre des Galiléens dont on s'était beaucoup
préoccupé aujourd'hui parmi le peuple et parmi les disciples. Il raconta
aussi que les femmes d'Hébron, parentes de Jean-Baptiste, et quelques
personnes de Jérusalem s'étaient rendues à Machéronte pour se mettre en
possession de la tête du précurseur, parce qu'on faisait à cette
forteresse des travaux qui nécessitaient beaucoup de déblaiements.
Lazare lui-même avait fait plusieurs démarches à ce sujet ; je ne me
souviens plus bien s'ils reçurent ici la nouvelle que l'entreprise avait
réussi, mais voici ce que je vis parmi bien d'autres choses que j'ai
oubliées.
A Machérunte, on était fort occupé à déblayer et à bâtir. Je crois qu'on
se préparait à une guerre ; on démolissait beaucoup de constructions qui
avaient servi quand Hérode tenait là sa cour : on enlevait des
échafaudages et des décorations, et on disposait tout pour loger des
soldats et mettre la place en état de défense. On curait et on relevait
les fossés, on réparait les murs et on disposait tout autour de nouveaux
moyens de défense. Je vis à cette occasion quelque chose de singulier
dont je ne me rends plus bien compte : on creusait partout autour de la
ville des fossés qu'on remplissait de matières combustibles, après quoi
on les recouvrait et on plaçait des arbres par dessus de façon à les
dissimuler. On pouvait y mettre le feu secrètement, en sorte que tout
fit explosion et volât en éclats ; on fit des travaux de ce genre dans
un large rayon, tout autour des murs.
Il y avait là beaucoup de pauvres gens qui enlevaient les décombres
résultant des démolitions. Plusieurs aussi cherchaient dans les fossés
du bois, de gros ossements et d'autres objets de tout genre, et
transportaient la vase sur leurs champs.
Parmi ces pauvres gens, se trouvaient sous des déguisements qui les
rendaient méconnaissables, des femmes de la famille du précurseur.
C'étaient les filles d'Héli, beau-frère d'Elisabeth d'Hébron ; d'autres
encore, parmi lesquelles était la servante de Jeanne Chusa. Il y avait
en tout six femmes, dont quelques-unes de Jérusalem, et elles avaient
avec elles deux serviteurs Depuis plusieurs jours déjà, elles allaient
de côté et d'autre confondues parmi les gens qui cherchaient et qu1
travaillaient, jusqu'à ce qu'enfin l'on curât le fossé étroit et profond
où elles savaient qu'avait été jetée la tête de Jean : elles l'avaient
appris, je crois, par révélation. Elles prièrent toute la nuit et elles
jeûnèrent, demandant à Dieu de la leur faire retrouver. Le fond de ce
fossé allait en s'élevant du côté de la montagne. Toute l'extrémité
inférieure était déjà curée et vidée. Il fallait de là arriver au moyen
de pierres qui faisaient saillie en avant à un endroit plus élevé, à
celui où l'on jetait les os de la cuisine et où se trouvait la tête de
Jean. Il y avait là un tas énorme d'os et d'immondices de toute espèce ;
il fallait entrer très avant dans le fossé pour arriver à cet endroit.
Lorsque les ouvriers furent allés prendre leur repas quelques hommes,
gagnés à prix d'argent pour cela, introduisirent les femmes dans le
fossé, à l'entrée duquel ils restèrent Le fossé était nettoyé jusqu'à
l'endroit en question où d'ailleurs les débris qu'on y avait jetés
étaient parfaitement desséchés. Elles gravirent avec peine une pente
assez raide, priant toujours Dieu de leur faire trouver la sainte tête.
Bientôt quelques unes d'entre elles l'aperçurent posée toute droite sur
une pierre qui s'avançait : elle semblait les regarder et elles y virent
briller comme deux flammes : sans cela elles auraient pu s'y tromper,
car d'autres têtes humaines avaient été jetées dans ce cloaque. La tête
du précurseur faisait peine à voir : la peau brune du visage était
couverte de taches de sang ; la langue qu'Hérodiade avait transpercée
sortait de la bouche entrouverte, les cheveux d'un blond clair, par
lesquels les bourreaux et Hérodiade l'avaient saisie, étaient tout
hérissés. Les femmes l'enveloppèrent dans un linge qu'elles jetèrent
par-dessus et la placèrent dans une outre, puis elles se retirèrent à
pas précipités avec leur trésor.
Il était grand temps qu'elles s'en allassent, car elles s'étaient à
peine éloignées qu'un millier de soldats d'Hérode arriva au château pour
remplacer les deux cents qui s'y trouvaient. Elles se cachèrent dans une
caverne pour les laisser passer, mais lorsqu'elles se furent remises en
route, s'avançant à travers les montagnes, elles trouvèrent un soldat
qui s'était fait, en tombant, une blessure grave au genou, et qui était
resté sans connaissance sur le chemin. Près de là se trouvaient déjà le
lévite Zacharie, parent du père de Jean, et deux Esséniens qui étaient
venus au devant d'elles. Je les vis entourer le blessé, lui prodiguer
des soins compatissants, et comme elles ne pouvaient pas lui faire
reprendre ses sens, elles placèrent près de lui l'outre où était la
sainte tête. Aussitôt il revint a lui, put se relever, et dit qu'il
avait vu Jean Baptiste qui l'avait secouru. Elles furent profondément
touchées,
lavèrent ses blessures avec de l'huile et du vin, et le conduisirent à
une hôtellerie voisine, sans lui rien dire toutefois de la tête de Jean.
Je les vis ensuite se remettre en route et éviter les chemins
fréquentés, comme on l'avait fait en rapportant le corps de Jean. Je les
vis le jour suivant porter la sainte tête chez les Esséniens qui
demeuraient près d'Hébron : on la fit toucher là à quelques malades qui
furent guéris. Je vis les Esséniens la nettoyer, l'embaumer avec des
aromates précieux et la porter au tombeau avec les mêmes cérémonies
funéraires qu'ils avaient célébrées en transportant le corps.
J'ai toujours vu les Esséniens rendre des honneurs particuliers aux
saintes reliques. Ils possédaient des ossements des patriarches et des
prophètes précieusement enchâssés et enveloppés dans du coton, qu'ils
conservaient dans des niches, et auxquels des expériences fréquentes
leur avaient fait reconnaître une vertu miraculeuse De même, les
disciples de Jésus et d'autres Juifs pieux et éclairés ne partageaient
pas les idées des Pharisiens de cette époque touchant la souillure
communiquée par le contact des corps morts. Voilà tout ce qui me revient
à la mémoire quant à cet incident.
Lazare et les saintes femmes prirent aujourd'hui congé de Jésus. Lazare
n'avait pas assisté aux prédications publiques de Jésus, car il se
tenait un peu à l'écart à cause de ses relations à Jérusalem.
(25 avril.) Ce matin, Lazare et les saintes
femmes arrivèrent chez eux de très bonne heure. Quant à Jésus, il sortit
de l'hôtellerie avec les apôtres et les disciples, pour visiter les
malades qui hier soir déjà avaient été établis dans des cabanes et sous
des tentes, à peu de distance de l'hôtellerie, ou qui étaient restés
parmi la foule campée au pied de la montagne Les disciples et les femmes
leur distribuèrent ce qui restait de provisions de bouche, de vêtements
et de pièces d'étoffe.
Ceux qui étaient guéris et leurs amis faisaient retentir l'air de
cantiques d'actions de grâces, et tous se mirent en route pour regagner
leurs demeures avant le sabbat.
Jésus alla à Garisima, située sur la hauteur, à l'extrémité de la
vallée, à une lieue environ au nord de Séphoris. Il envoya d'avance les
disciples pour préparer les logements. Il fit un détour à cause des
malades, et je le vis avec sa suite s'arrêter quelque temps dans un
petit endroit voisin de Jotapat, appelé Capharoth. C'était à droite de
son hôtellerie et à gauche du chemin qu'il suivait, mais peu de temps
après y être entré. La route de Capharnaüm à Jérusalem passait par là,
et j'y ai souvent vu Jésus et les siens. Saul avait erré dans ce pays un
peu avant sa visite à la pythonisse d'Endor et le combat désastreux qui
la suivit.
Je n'ai plus bien présent à l'esprit ce qui se passa ici : je me
souviens seulement que Jésus y rencontra quelques Pharisiens de Garisima
qui revenaient de Jérusalem. Ils étaient favorablement disposés pour
lui, et ils l'avertirent, entre autres choses, de se défier d'Hérode,
parce qu'à Jérusalem et sur la route ils avaient entendu dire que ce
prince voulait faire arrêter Jésus et lui faire subir le même sort qu'à
Jean. Jésus leur dit, à eux aussi, qu'il n'avait rien à craindre de ce
renard, et qu'il continuerait à faire comme auparavant ce pour quoi son
Père l'avait envoyé. Je ne sais pas si c'est là qu'il faut rapporter le
passage de l'Évangile ou il donne à Hérode le nom de renard. (Luc, XIII,
31, 32.)
Il ne s'arrêta pas longtemps ici, et alla cinq lieues plus loin jusqu'à
Garisima. C'est un endroit dont la situation est élevée et qui est
entremêlé de vignobles.
l reçoit les rayons du soleil depuis son lever jusqu'un peu après midi
: plus tard ils ne lui arrivent plus.
Les disciples que Jésus avait envoyés d'avance, vinrent à sa rencontre
sur le chemin. Son hôtellerie était en avant de la ville. Ils se
lavèrent les pieds et prirent un peu de nourriture : après quoi Jésus
fit à la synagogue l'instruction du sabbat sur des textes tirés du
Lévitique et d'Ézéchiel. Il ne trouva pas ici de contradicteurs, et tous
furent surpris de sa profonde connaissance de la loi et des admirables
explications qu'il en donnait. Après l'instruction, il prit un repas à
l'hôtellerie seul avec les siens. Quelques-uns de ses parents des
environs de Séphoris se trouvaient ici et mangèrent avec lui. Ici aussi
il a parlé de sa fin prochaine.
Je crois qu'après le sabbat il enverra les apôtres et les disciples en
mission.
(26 avril.) J'ai vu Jésus célébrer
tranquillement le sabbat, et en outre donner publiquement aux disciples
des instructions touchant leur mission Il fit cela sur une colline
située au milieu des maisons et des vignes. Jésus raconta ici et
ailleurs, pendant les jours qui suivirent, les paraboles de la brebis
égaré, de la pièce de monnaie perdue, et aussi celle des dix vierges.
Il y a bien avec les apôtres une centaine de disciples près de Jésus.
Ils se sont réunis ici pour le sabbat ils recevront leur mission demain
ou après-demain Les deux fils de Cyrinus, qui a été baptisé à Dabrath
sont venus trouver Jésus sur le chemin de Gabara venant de Dabrath, où
ils étaient avec leur père Quelques autres Juifs de l'île de Chypre sont
en outre venus je visiter. Il y en a ici une troupe nombreuse : ils
reviennent chez eux de Jérusalem où ils sont allés pour les fêtes de
Pâques, et ils ont écouté avec admiration la prédication faite par Jésus
le jour du sabbat.
Jésus est très désiré à Chypre où il y a beaucoup de Juifs dont personne
ne s'occupe.
(27 avril.) Ayant eu plusieurs évanouissements
successifs, Anne Catherine ne put raconter que ce qui suit :
Ce matin Jésus a encore donné des enseignements aux disciples sur la
colline de Garisima. Plusieurs de ceux qui se trouvaient ici n'avaient
encore fait que le service de messagers entre les disciples dispersés et
les amis de Jésus : d'autres n'étaient guère sortis de chez eux ; il y
en avait donc un grand nombre qui n'étaient pas encore instruits et qui
avaient beaucoup à apprendre touchant la doctrine, la manière de la
répandre, l'application et l'interprétation des paraboles. C'est
pourquoi Jésus leur donna des instructions suivies, il expliqua tout aux
disciples de la manière la plus simple, reprenant et résumant tous les
enseignements qu'il avait donnés jusqu'alors et particulièrement les
derniers.
Dans l'après-midi, il alla avec eux tous dans la montagne, à cinq ou six
lieues au nord-ouest de Garisima ; ayant passé entre deux villes, ils
gagnèrent une contrée très solitaire où ils restèrent toute la nuit. Il
y avait là des troupeaux d'ânes, de chameau, ; et même de montons, mais
dans des vallées écartées. On se trouvait là sur le versant occidental
de la grande chaîne de montagnes qui s'étend à travers le pays. Les
vallées y sont très sinueuses et ressemblent aux zigzags que trace sur
la terre la plante appelée griffe de loup. Il y avait dans cette
solitude beaucoup de palmiers et d'autres arbres dont les branches
pendantes et entrelacées formaient des espèces de huttes sous lesquelles
on pouvait se blottir. Les bergers des environs s'y abritaient : c'est
ce que firent aussi cette nuit Jésus et ses disciples. Toutefois ils
passèrent la plus grande partie de leur temps à prier et à écouter les
instructions de Jésus. Il leur fit plusieurs injonctions déjà faites
lors des missions précédentes. Je remarquai particulièrement ce qu'il
leur dit, qu'ils ne devaient pas avoir de besaces, mais les remettre à
leur supérieur : il y en avait toujours un pour dix disciples. Il leur
dit à quoi ils reconnaîtraient les endroits où ils avaient du bien à
faire, comment ils devaient secouer la poussière de leurs souliers en
quittant les lieux où ils seraient mal accueillis et comment ils
devaient se justifier lorsqu'on voudrait les arrêter. Ils n'avaient pas
à s'inquiéter des réponses qu'ils auraient à faire elles leur seraient
inspirées au moment nécessaire. Ils ne devaient rien craindre : car leur
vie ne serait point menacée. Ils mangèrent ensemble du pain, du miel et
du poisson qu'ils avaient apportés avec eux.
Vers le soir, je vis dans divers endroits de cette contrée des hommes
isolés, se tenant debout, ayant à la main de longs bâtons terminés par
des crochets en fer. C'étaient des gens chargés de défendre les
troupeaux contre les attaques des bêtes sauvages qui venaient du bord de
la mer.
(28 avril.) Je vis ce matin de très bonne
heure. Jésus envoyer en mission les disciples et les apôtres. Il imposa
les mains aux apôtres et à plusieurs des anciens disciples : il se
contenta de bénir les autres Il les remplit par là d'une force et d'une
ardeur nouvelles. Ce n'est pas encore là la consécration sacerdotale,
mais ils recevaient par là une grâce qui les rendaient plus forts. Il
leur fit encore plusieurs recommandations touchant l'obéissance à leurs
supérieurs. Pierre et Jean n'accompagnèrent pas Jésus, mais ils allèrent
au midi. Pierre se dirigea vers la contrée de Joppée, Jean du même côté
; mais plus à l'est dans la Judée. Quelques-uns allèrent dans la haute
Galilée, d'autres dans la Décapole. Thomas fut envoyé dans le pays des
Gergéséniens. Je le vis s'y rendre en faisant un détour. Je le vis le
soir avec un groupe de disciples s'écarter du chemin dans la direction
du sud-ouest et arriver à une ville dont le nom ressemble à celui d'un
des disciples : c'est quelque chose comme Asach : cette ville est située
sur une hauteur entre deux vallées qui courent dans des directions
séparées comme les feuilles de la plante appelée griffe de loup. Je vis
briller un cours d'eau qui coule autour de cette ville et tombe en
cascades de l'un des côtés. Il vient d'un petit lac ou d'un marais situé
au nord, coule autour de la ville dans la direction du sud et forme une
cascade dont j'ai entendu le bruit. Il va se jeter dans la mer. Cet
endroit était à peu près à neuf lieues de Séphoris : il se trouvait à
une lieue tout au plus sur la gauche du chemin que suivait Jésus et plus
bas que ce chemin : car on le voyait de là au-dessous de soi. Il y a
beaucoup de Juifs dans cette ville qui, à ce que je crois, appartient
aux Lévites.
J'ai aussi entendu le nom d'Hakuk ou d'Hokuk, mais il y a une autre
ville dont le nom est à peu près le même.
NOTE : Dans le Theatrum terræ sanctæ
d'Adrichomius, il est fait mention d'Hakok, nommée ailleurs Hukok, Akok
et Asach. C'est une ville de Lévites sur le territoire de la tribu
d'Aser. Suivant le même écrivain, il y a dans les limites de Nephtali
une autre ville du nom d'Hukoka, qui parait être celle où, suivant les
visions d'Anne-Catherine, Jésus alla l'année précédente.
(Note du Pèlerin).
Jésus alla dans la direction du nord-ouest. Il prit avec lui cinq
apôtres dont chacun avait sous lui dix disciples. Je me souviens d'avoir
vu Judas, Jacques le Mineur, Thaddée, Saturnin, Nathanaël, Barnabé,
Asor, Mnason et les jeunes gens de l'île de Chypre. Ils firent bien six
à huit lieues aujourd'hui. Il y avait plusieurs villes à droite et à
gauche du chemin et quelques groupes se séparèrent du cortège pour y
aller. Jésus laissa à gauche, au-dessous de lui, Tyr et le rivage de la
mer. Autant qu'il m'en souvient, il a indiqué aux apôtres et aux
disciples un endroit où il viendra les rejoindre dans une trentaine de
jours. Il passa la nuit avec ceux qui étaient restés près de lui sous
des arbres formant des berceaux de feuillages, comme il avait fait la
nuit précédente.
Je vis Jésus accompagné d'un groupe de disciples et d'autres personnes
encore, au nombre d'une cinquantaine en tout, cheminer dans une gorge de
montagne très profonde. Je crois que c'était de bon matin car le ciel
était très clair. C'était une étrange montagne : pendant l'espace d'une
lieue il y avait, tout le long des parois qui s'élevaient des deux
côtés, des habitations précédées de petites constructions en solives
légères : quelques-unes étaient ouvertes et l'on en voyait l'intérieur
où les gens demeuraient comme dans des grottes. Souvent elles étaient
recouvertes de toits de roseaux, de mousse ou de gazon. Il y avait par
endroits comme des terrassements pour empêcher les éboulements de la
montagne d'obstruer le passage ; ces cabanes étaient habitées par de
pauvres païens chargés d'entretenir la route et de délivrer le pays
d'affreuses bêtes qui l'infestaient.
Ces gens vinrent à Jésus et lui demandèrent son assistance contre ces
bêtes. C'étaient de longs animaux tachetés, à larges pattes, qui
ressemblaient à de grands lézards. J'en vis courir quelques-uns. Jésus
bénit la contrée : il ordonna a ces animaux de se retirer dans un marais
voisin dont l'eau noirâtre semblait saturée de charbon, et je les vis
s'y rendre de tout le pays.
Sur le chemin que suivait Jésus, il y avait par intervalles des groupes
d'orangers sauvages et d'autres arbres du même genre : c'était à peu
prés à quatre lieues de Tyr.
Jésus se sépara ici d'une partie de ses compagnons : il n'en garda que
quelques-uns avec lesquels il continua à descendre le long de ce défilé
: il s'arrêta a plusieurs reprises devant les grottes pour donner des
enseignements et des avis à ceux qui les habitaient. Il était à neuf
lieues d'Asach, cette ville où Thomas était allé la veille lorsque les
apôtres s'étaient séparés. Le chemin descendait vers une rivière assez
forte, dont le cours était rapide et l'eau très claire (le Léontès).
Elle coule dans un lit profond et se jette dans la mer à deux lieues au
nord de Tyr.
Jésus traversa cette rivière sur un pont en pierre fort élevé ; la
maçonnerie en était épaisse et solide comme celle d'un rempart : on
voyait l'eau bouillonner au-dessous. De l'autre côté, le chemin était
encore bordé d'une longue suite d'habitations isolées. A peu de distance
du fleuve était une grande hôtellerie où les disciples vinrent rejoindre
Jésus.
Ici Jésus envoya plusieurs de ses compagnons dans les villes du pays de
Khaboul, et Judas Iscariote avec un certain nombre de disciples à Cana,
près de Sidon. Les disciples devaient donner à garder tout l'argent
qu'ils avaient sur eux à l'apôtre qui leur était préposé, et celui-ci
n'en devait rien distraire. Judas fut le seul auquel Jésus donna une
somme d'argent pour son usage. Il connaissait sa cupidité, et il ne
voulait pas l'exposer à la tentation de toucher à l'argent des autres,
car il avait bien remarqué combien il était intéressé, quoique Judas se
vantât de son désintéressement et du scrupule avec lequel il observait
le précepte de la pauvreté. Lorsqu'il reçut l'argent, il demanda à Jésus
combien il devait dépenser chaque Jour. Jésus lui répondit que quand on
se sentait si maître de soi, on n'avait pas besoin de prescriptions ni
d'injonctions particulières, qu'on portait sa règle en soi-même.
Jésus trouva dans l'hôtellerie une centaine de personnes de cette tribu
juive à laquelle il avait déjà adresse des paroles de consolation à
Ornithopolis et à Sarepta. Ils étaient venus à sa rencontre, et
quelques-uns d'entre eux habitaient ici et y avaient même une synagogue.
Ils reçurent Jésus et les siens avec beaucoup de joie et de respect,
leur lavèrent les pieds et leur offrirent une collation. Ces Juifs
vinrent dans leurs habits de fêtes, qui étaient tout à fait à l'ancienne
mode patriarcale : ils avaient de longues barbes, et portaient au bras
des manipules avec des franges. Ils avaient, comme les Esséniens,
plusieurs coutumes qui leur étaient propres et une manière d'être qui
les distinguait des autres. Les païens aussi se montrèrent très
respectueux pour Jésus : du reste, ils avaient de la déférence pour les
Juifs ; ce qui se voyait plus fréquemment dans tout ce district que dans
la Décapole.
Les Juifs d'ici descendent d'un fils de la main gauche du patriarche
Juda. Soué, femme de celui-ci, avait pour compagne et pour amie une
femme que Lia, sa belle-mère, avait amenée de la Mésopotamie.
Soué, ayant été assez longtemps stérile après là naissance d'Her et
d'Onan, donna son amie à Juda comme épouse de second ordre, et le fils
qui naquit de cette union fut l'ancêtre des Juifs en question. Il épousa
sa propre soeur (Anne-Catherine ne dit pas si c'était une soeur germaine
ou une demi-soeur) : elle s'appelait Ezette, comme qui dirait la petite
Eza, mais avec un diminutif hébreu.
Ce fils de Juda s'appelait comme l'endroit où Jésus se trouve à présent
: malheureusement j'ai oublié le nom. Après sa naissance, Soué redevint
féconde et mit au monde Sela, le troisième des fils légitimes de Juda.
Les deux fils de Juda, Her et Onan, moururent bientôt (Genèse, XIII,
1-10), mais auparavant ils avaient fait subir des persécutions de toute
espèce à ce frère de la main gauche. Celui-ci, chassé de la maison
paternelle avec sa famille, s'était établi ici et complètement séparé
des enfants d'Israël. Ses descendants s'allièrent aux païens du pays, et
ne suivirent pas en Egypte la famille de Jacob : ils s'étaient tout à
fait abâtardis.
Antérieurement déjà, les païens de ce pays, lorsque Jacob, après la
chute de Dina, s'était établi sur l'héritage de Joseph, près de Samarie,
avaient témoigné un grand désir de relever leur race par des mariages,
sinon avec les fils de Jacob, au moins avec ses serviteurs et ses
servantes. Ils étaient allés le trouver par delà les montagnes, et lui
avaient demandé très humblement à contracter des unions avec les gens de
sa suite ; ils avaient même offert de se faire circoncire, mais Jacob
avait absolument repoussé leurs propositions. Quand plus tard ce fils de
Juda, chassé par ses frères, vint chez eux avec sa famille, leur désir
de s'allier à la race de Jacob fut cause qu'ils l'accueillirent avec
beaucoup d'empressement, et ses enfants s'allièrent avec eux. Combien la
Providence de Dieu s'est montrée admirable en permettant que ce désir
instinctif des païens de s'allier à la race sainte sur laquelle reposait
la promesse, fût satisfait à quelques égards, et en disposant les choses
de manière à ce qu'un rejeton exilé de cette souche vînt relever leur
race!
Malgré l'abâtardissement causé par les mariages mixtes, une famille
pourtant s'était conservée pure parmi eux, et la loi de Dieu lui fut
enseignée par Elle, qui résida plus d'une fois dans ce pays. Salomon
s'était déjà donné beaucoup de peine pour les réunir de nouveau aux
Juifs, mais il n'avait pas pu y réussir. Beaucoup périrent dans les
guerres, surtout ceux qui s'étaient mêlés avec les païens. Maintenant il
reste encore parmi eux une centaine d'hommes pieux de la pure lignée de
Juda. Ce fut Elle qui le premier les fit rentrer dans le troupeau : ils
appartenaient aux brebis perdues d'Israël '.
Ces gens étaient très humbles et ne se jugeaient pas dignes de fouler le
sol de la Judée. Ils ont je ne sais quelles relations avec les habitants
de Saphet. Le Cypriote Cyrinus avait le premier parlé d'eux à Jésus à
Dabrath, et quoique le Sauveur sût bien tout ce qui les concernait, il
avait pris occasion de là pour s'entretenir fréquemment et familièrement
avec eux.
NOTE : Au milieu de ces récits, la narratrice laissa échapper cette
plainte : " Ah ! pourquoi faut-il que je voie tout cela ? à quoi cela
peut-il me servir ? Si l'on savait tout ce que j'ai à souffrir et à
subir pour raconter toutes ces choses " ? Ces souffrances venaient sans
doute du profond sentiment qu'elle avait de la sainteté de la lignée de
Jésus, de l'abomination de ces mariages mixtes et de l'égarement de tant
de générations séparées de la souche bénie. (Note du
Pèlerin.)
Jésus enseigna d'abord devant l'hôtellerie, en présence de deux
cents personnes. Ses auditeurs se tenaient sous des cabanes de
feuillages ou dans des hangars découverts. L'hôtellerie appartenait aux
Juifs ou était affermée par eux. Jésus enseigna aussi dans leur
synagogue, et beaucoup de païens l'écoutèrent du dehors. Cette synagogue
est un grand et bel édifice ; elle a un toit en terrasse où l'on peut se
promener et d'où l'on a une vue très étendue.
Pendant le reste de la journée, Jésus avec ses compagnons parcourut la
bourgade et les environs : il guérit plusieurs Juifs malades et aussi
des païens. Le soir il assista à un festin qu'ils lui donnèrent dans
l'hôtellerie et pour lequel ils firent de grands frais, afin de lui
témoigner leur reconnaissance de ce qu'il n'avait pas dédaigné de venir
leur annoncer le salut, à eux, les brebis perdues d'Israël. Ils avaient
leurs généalogies en bon ordre : ils les présentèrent à Jésus, et furent
profondément touchés de voir qu'ils descendaient de la même race que
lui.
Ce fut un joyeux repas : tous y étaient présents. Ils parlèrent beaucoup
des prophètes, surtout, et avec une prédilection marquée, d'Elie et de
ses prédictions touchant le Messie : la conversation roula aussi sur
Malachie et sur ce que les temps devaient être accomplis maintenant.
Jésus leur donna des explications sur tout cela, et leur promit de les
ramener en Judée. J'ai vu par avance que plus tard il les fit s'établir
entre Hébron et Gaza, sur la frontière méridionale de la Judée.
Jésus passa la nuit ici. Il porte une longue robe blanche comme habit de
voyage. Ses compagnons et lui portent des ceintures et ont leurs
vêtements relevés lorsqu'ils sont en route. Ils n'ont pas de bagage :
ils portent ce qui leur est nécessaire dans les larges plis de leurs
robes au-dessus de la ceinture. Quelques-uns ont des bâtons. Je n'ai
jamais vu Jésus la tête couverte, si ce n'est parfois d'une bande
d'étoffe qui est ordinairement roulée autour du cou.
Les gens d'ici font la chasse à d'affreuses bêtes tachetées qui ont des
ailes membraneuses avec lesquelles elles volent très rapidement. Ce sont
comme d'énormes chauves-souris qui sucent le sang des hommes et des
bestiaux pendant qu'ils dorment. Elles viennent de fourrés marécageux
impénétrables, situés au bord de la mer, et elles causent beaucoup de
dommages. Il y a eu aussi en Égypte beaucoup de bêtes de cette espèce.
Ce ne sont pas proprement des dragons, et elles sont moins horribles.
Les dragons sont plus rares et vivent solitaires dans des contrées tout
à fait désertes.
On récolte ici des fruits semblables à des noix : j'en ai vu d'autres
qui ressemblent à des châtaignes : il y a aussi des arbres qui portent
des baies jaunes pendantes en grappes : on trouve aussi par endroits
comme des sapins et des cèdres. La terre est peu profonde dans cette
contrée : on voit souvent les racines nues couvertes de mousse ramper
sur le sol comme des serpents.
J'ai vu peu de femmes ici : celles que j'ai aperçues ça et là portent
des fardeaux et semblent être des esclaves.
Le port où Jésus se rendra en partant d'ici est à trois lieues plus au
nord qu'Ornithopolis, qui est bien à trois quarts de lieue de la mer. De
Tyr à ce port il y a cinq lieues par mer et trois lieues par terre. Le
long du port il y a un promontoire qui s'avance dans la mer comme une
île, et sur lequel est située la ville païenne. Les Juifs, en petit
nombre, qui l'habitent, sont des gens pieux, et tous semblent vivre de
ce que les païens leur font gagner. J'ai vu dans la ville et à l'entour
une trentaine de temples d'idoles : il me semble quelquefois que ce port
dépend d'Ornithopolis. La Syro-phénicienne y possède encore tant
d'édifices, d'ateliers de tissage ou de teinture et de navires, que je
suis souvent portée à croire que cet endroit était sous la dépendance de
son défunt mari ou des ancêtres de celui-ci Elle n'habite pas à
Ornithopolis même, mais dans une espèce de faubourg. Derrière
Ornithopolis s'élève une haute montagne qui masque la vue, et au delà de
laquelle se trouve Sidon il y a encore un petit cours d'eau entre
Ornithopolis et le port. Le rivage entre Tyr et Sidon est peu abordable,
à l'exception de ce port, à cause des rochers, des marécages et des
fourrés dont il est couvert. Le port en question est le plus grand qu'il
y ait entre Sidon et Tyr Les nombreux navires qui s'y tiennent forment
eux-mêmes comme une petite ville.
L'habitation de la Syro-phénicienne, avec ses nombreuses dépendances,
ses cours et ses jardins, ressemble à un grand assemblage de fabriques
et de plantations où vivent beaucoup de familles d'ouvriers et
d'esclaves. Mais les travaux sont en partie suspendus, et il n'y règne
plus une grande activité.
Ornithopolis est à environ trois lieues de l'endroit où est le pont sur
la petite rivière, et où Jésus a passé la nuit précédente. Le village
des pauvres juifs est à une lieue et demie. Jésus, en se rendant
directement au port par ce village, laisse Ornithopolis à sa gauche. Le
village juif est dans la direction de Sarepta, qui reçoit les rayons du
soleil levant : car de ce côté la montagne s'élève en pente douce. Le
côté du nord, au contraire, est toujours dans l'ombre : la situation est
très avantageuse.
La narratrice parla avec des détails très circonstanciés de la position
de Sarepta, mais avec tant de volubilité, qu'on ne pouvait pas bien
saisir ce qu'elle disait : alors elle s'écria : " Ah ! si vous pouviez
voir cela aussi clairement que je le vois ! Entre Ornithopolis, le
village juif et le port, il y a tant d'édifices et d'établissements
isolés, qu'en regardant d'un point élevé, on peut croire que tout cela a
fait autrefois partie d'un même ensemble ".
FIN DU QUATRIÈME VOLUME.
SOURCE:
http://www.jesusmarie.com
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