AU NOM DE JÉSUS
CRUCIFIÉ, DE LA DOUCE VIERGE MARIE,
DU GLORIEUX PATRIARCHE DOMINIQUE.
1. Une âme qui
désire ardemment l'honneur de Dieu et le salut du prochain
s'applique d'abord aux exercices ordinaires et se renferme dans
l'étude de sa propre fragilité, afin de mieux connaître la bonté de
Dieu à son égard. Cette connaissance fait naître l'amour, et l'amour
cherche à suivre et à revêtir la vérité.
2. Rien ne donne
plus la douceur et la lumière de la vérité qu'une prière humble et
continuelle, qui a pour fondement la connaissance de Dieu et de
soi-même. Cette prière unit l'âme à en lui faisant suivre les traces
de Jésus crucifié, et en la rendant un autre lui-même par la
tendresse du désir et par l'intimité de l'amour. Notre-Seigneur
n'a-t-il pas dit : “Si quelqu'un m'aime, il gardera mes
commandements” ; et ailleurs : “Celui qui m'aime est aimé de mon
Père : je l'aimerai et je me manifesterai à lui ; il sera une même
chose avec moi, et moi avec lui” (S. Jean, XIV, 21).
3. Nous trouvons
dans l'Écriture plusieurs paroles semblables, qui nous prouvent que
l'âme, par l'effet de l'amour de Dieu, devient un autre lui-même ;
et pour nous en convaincre, voici ce qu'une servante de Dieu,
étroitement unie à lui dans la prière, avait appris de son bon
Maître au sujet de l'amour infini qu'il porte à ceux qui le
servent :
4. “Ouvre l’œil de
ton intelligence, lui disait-il, regarde en moi, et tu verras la
dignité et la beauté de ma créature raisonnable. Entre toutes les
grâces dont j'ai embelli l'âme en la créant à mon image et
ressemblance, admire le vêtement nuptial de la charité et l'ornement
des vertus que portent ceux qui me sont continuellement unis par
l'amour. Si tu me demandes qui sont ceux-là, je te répondrai,
ajoutait le très doux et très aimable Verbe de Dieu, ceux-là sont
d'autres moi-même qui ont voulu perdre et détruire leur volonté pour
se conformer à la mienne, et l'âme s'unit à moi en toute choses”. Il
est donc bien vrai que l'âme s'unit à Dieu par l'amour.
5. Lorsque cette
âme voulut connaître plus clairement la vérité, afin de pouvoir la
suivre davantage, elle fit à Dieu le Père quatre demandes humbles et
ferventes : la première était pour elle, parce qu'elle comprenait
qu'on ne peut être utile au prochain par son enseignement, ses
exemples et ses prières, si l'on n'acquiert pas la vertu soi-même ;
la seconde demande était pour la réforme de la sainte Église ; la
troisième demande était pour l'univers entier, afin d'obtenir
surtout le salut et la paix de ces chrétiens qui insultent et
persécutent l'Église avec tant d'acharnement ; par la quatrième
demande, elle implorait le secours de la divine Providence pour tous
les hommes et pour un cas particulier.
1. Ce désir de
l'honneur de Dieu et du salut des hommes était grand et continuel ;
mais il s'accrut bien davantage lorsque la Vérité suprême lui eut
montré la misère du monde, les périls et les vices où il est
plongé ; elle le comprit aussi en recevant une lettre dans laquelle
son père spirituel lui expliquait la peine et la douleur immense que
doivent causer l'outrage fait à Dieu, la perte des âmes et les
persécutions contre la sainte Église.
2. L'ardeur de son
désir augmentait alors ; elle pleurait l'offense de Dieu, mais elle
se réjouissait aussi dans l'espérance que la miséricorde infinie
voudrait bien arrêter de semblables malheurs. Et parce que, dans la
sainte communion, l'âme s'unit plus doucement à Dieu et connaît
davantage la. vérité, puisque alors elle est en Dieu, et Dieu est en
elle, comme les poissons qui sont dans la mer en sont eux-mêmes
pénétrés, cette âme avait hâte d'arriver au lendemain matin, afin de
pouvoir entendre la messe.
3. C'était une fête
de la Sainte Vierge : dès que le jour eut paru et que la messe fut
sonnée, elle y courut avec tous les désirs qui l'agitaient ; elle
avait une telle connaissance de sa faiblesse et de ses
imperfections, qu'elle croyait être la principale cause de tout le
mal qui se faisait dans le monde, et cette connaissance lui
inspirait une horreur d'elle-même et une soif de la justice qui la
purifiaient de toutes les taches qu'elle apercevait en elle. Elle
disait : O Père éternel, je m'accuse moi-même devant vous,
punissez-moi de mes offenses ; et puisque je suis la cause
principale des peines que supporte mon prochain, faites-les moi
souffrir, je vous en conjure.
1. L'éternelle
Vérité acceptait le désir de cette âme et l'attirait en haut comme
l'offrande des sacrifices de l'Ancien Testament, lorsque le feu du
ciel descendait et prenait ce qui était agréable à Dieu. La douce
Vérité faisait de même en cette âme ; elle lui envoyait le feu de
l'Esprit Saint qui consumait le sacrifice du désir qu'elle lui avait
offert, et elle lui disait : Ne sais-tu pas, ma fille, que toutes
les peines que souffre et que peut souffrir une âme dans cette vie,
sont incapables d'expier la faute la plus légère ? L'offense faite à
moi, qui suis le Bien infini, demande une satisfaction infinie.
2. Je veux que tu
saches que toutes les peines ne sont pas données en cette vie pour
expier, mais pour corriger. Ce sont les moyens que prend un père
pour changer un enfant qui l'offense. La satisfaction est dans
l'ardeur d'une âme qui se repent véritablement, et qui hait le
péché. La contrition parfaite satisfait à la faute et à la peiné,
non par la douleur qu'on éprouve, mais par le désir infini qu'on
ressent.
3. Celui qui est
infini veut un amour et une douleur infinis. Il veut la douleur
infinie de l'âme, d'abord pour les offenses qu'elle a faites à son
Créateur, et ensuite pour celles qu'elle voit commettre par le
prochain. Ceux qui ont ce désir infini, et qui me sont par
conséquent unis par l'amour, gémissent amèrement : lorsqu'ils
m'offensent ou qu'ils me voient offenser, Leurs peines, spirituelles
ou corporelles, de quelque côté qu'elles viennent, acquièrent un
mérite infini et satisfont à la faute qui méritait une peine
infinie, quoique ces œuvres elles-mêmes soient finies et accomplies
dans le temps qui est fini. Ils ont agi avec un désir infini et
leurs peines ont été supportées avec une contrition, un regret de
l'offense infinis, et c'est pour cela que la satisfaction est
parfaite.
4. C'est ce
qu'explique saint Paul lorsqu'il dit “J'aurais beau parler la langue
des anges et des hommes, prophétiser, donner tout mon bien aux
pauvres, et livrer mon corps aux flammes, si je n'ai pas la charité,
tout cela ne me servira de rien” (I Co., XIII, 1-3). L'Apôtre
prouve par là que les œuvres finies sont incapables d'expier et de
mériter sans le concours de la charité.
È
1. Je t'ai montré,
ma fille bien-aimée, que la faute n'est pas punie par la seule peine
qu'on souffre dans le temps comme expiation, mais par la peine qui
vient de l'amour et de la contrition du cœur. Ainsi l'efficacité
n'est pas dans la peine, mais dans le désir de l'âme ; et ce désir,
comme toutes les autres vertus, n'a de valeur et de force qu'en
Jésus-Christ, mon Fils unique ; sa mesure est l'amour que l'âme a
pour lui et sa fidélité à suivre ses traces. C'est là le seul et
véritable moyen.
2. Les peines ne
satisfont à la faute que par ce doux et intime amour qui naît de la
connaissance de ma bonté, et par cette amère et profonde contrition
du cœur qui vient de la connaissance de soi-même et de ses fautes.
Cette connaissance produit la haine et la fuite du péché et de la
sensualité. Elle fait comprendre qu'on est digne de toutes sortes de
châtiments et qu'on ne mérite aucune consolation.
3. La très douce
Vérité disait encore : Oui, la contrition du cœur et les sentiments
d'une patience sincère et d'une humilité véritable, font que l'âme
se trouve digne de peines et indigne de récompenses ; l'humilité
porte à tout souffrir avec patience, et c'est en cela que consiste
la satisfaction.
4. Tu me demandes
des peines pour satisfaire aux offenses que commettent contre moi
les créatures, et tu désires me connaître et m'aimer, moi qui suis
la Vérité suprême et la Source de la vie. Le moyen d'acquérir ma
connaissance et de goûter ma vérité éternelle, c'est de ne jamais
sortir de la connaissance de toi-même. En t'abaissant dans la vallée
de l'humilité, tu me connaîtras en toi, et tu trouveras dans cette
connaissance tout ce qui te sera nécessaire.
5. Aucune vertu ne
peut exister sans la charité et sans l'humilité, qui est la
gouvernante et la nourrice de la charité. La connaissance de
toi-même te donnera l'humilité, parce que tu verras que tu n'as pas
l'être par toi-même, mais par moi, qui vous aimais jusque dans les
profondeurs du néant ; et cet amour ineffable que j'ai eu pour vous
a voulu vous renouveler dans la grâce en vous lavant et vous
recréant par ce sang que mon Fils unique a répandu avec tant
d'ardeur. C'est ce sang qui enseigne la vérité à celui qui a dissipé
le nuage de l'amour-propre par la connaissance de soi-même ; et ce
sang est l'unique maître.
6. L'âme, en
recevant ces leçons, éprouve un amour immense, et cet amour lui
cause une peine continuelle, non pas une peine qui l'afflige et la
dessèche, mais qui l'engraisse au contraire. Elle a connu ma vertu,
et ses fautes, l'ingratitude et l'aveuglement des hommes ; elle en
ressent une peine inexprimable, mais elle souffre parce qu'elle
aime ; sans l'amour elle ne souffrirait pas ainsi. Dès que vous
aurez connu ma vérité, il faudra supporter jusqu'à la mort les
tribulations, les injures et les affronts de toutes sortes, en
l'honneur et à la gloire de mon nom.
7. Souffrez ces
épreuves avec une vraie patience, avec une douleur sincère de tout
ce qui m'offense, avec un amour ardent de tout ce qui peut glorifier
mon nom. Vous satisferez ainsi à vos fautes et à celles de mes
autres serviteurs. Vos peines, rendues efficaces par la puissance de
la charité, pourront. expier et mériter pour vous et. pour les
autres. Pour vous, vous recevrez le fruit de la vie ; les fautes qui
vous sont échappées seront effacées, et je ne me rappellerai pas que
vous les avez commises pour les autres, je prendrai votre charité en
considération, et je leur donnerai selon les dispositions avec
lesquelles ils les recevront. A ceux qui écouteront avec respect et
humilité mes serviteurs, je remettrai la faute et la peine, parce
qu'ils parviendront à la connaissance et à la contrition de leurs
péchés.
8. Les prières et
les ardents désirs de mes serviteurs seront pour eux des semences de
grâces ; en les recevant humblement ils en profiteront à des degrés
différents, selon les efforts de leur volonté. Oui, ils seront
pardonnés à cause de vos saints désirs, à moins que leur obstination
soit telle, qu'ils veuillent être séparés de moi par le désespoir et
qu'ils méprisent le sang de mon Fils, qui les a rachetés avec tant
d'amour.
9. Quel fruit en
retireront-ils ? Le fruit qu'ils en retireront, c'est que, contraint
par les prières de mes serviteurs, je les éclairerai ; j'exciterai
les aboiements de leur conscience, et je leur ferai sentir la bonne
odeur de la vertu, en leur rendant douce et profitable la société de
mes amis.
10. Quelquefois je
permettrai que le monde leur laisse entrevoir ses misères, les
passions qui l'agitent et le peu de stabilité qu'il présente, afin
que leurs désirs s'élèvent aux choses supérieures et qu'ils se
dirigent vers le ciel, leur patrie. J'emploierai mille moyens ;
l’œil ne saurait voir, la langue raconter, et le cœur imaginer
toutes les ruses qu'invente mon amour pour leur donner ma grâce et
les remplir de ma vérité. J'y suis poussé par cette inépuisable
charité qui me les a fait créer, et aussi par les prières, les
désirs et les angoisses de mes serviteurs. Je ne puis rester
insensible à leurs larmes, à leurs sueurs et à leurs humbles
demandes ; car c'est moi-même qui leur fais aimer ainsi leur
prochain et qui leur inspire cette douleur de la perte des âmes.
11. Je ne puis
cependant pas remettre la peine, mais seulement la faute, à ceux
qui, de leur côté, ne sont pas disposés à partager mon amour et
l'amour de mes serviteurs. Leur contrition est parfaite comme leur
amour, et ils n'obtiennent pas comme les autres la satisfaction de
la peine, mais seulement le pardon de la faute ; car il faut qu'il y
ait rapport entre celui qui donne et celui qui reçoit. Ils sont
imparfaits, et ils reçoivent imparfaitement la perfection des désirs
et des peines qui me sont offerts pour eux.
12. Je t'ai dit
qu'ils recevaient avec le pardon encore d'autres grâces, et c'est la
vérité ; car, lorsque la lumière de la conscience et les autres
moyens que je viens d'indiquer leur ont fait remettre leur faute,
ils commencent à connaître leur intérieur et à vomir la corruption
de leur péché ; ils se purifient et obtiennent de moi des grâces
particulières.
13. Ceux-là sont dans
la charité commune, qui acceptent en expiation les peines que je
leur envoie ; et s'ils ne font point résistance à la clémence du
Saint-Esprit, ils quittent le péché et reçoivent la vie de la grâce.
Mais par ignorance et par ingratitude, ils méconnaissent ma bonté et
les fatigues de mes serviteurs ; tout ce qu'ils ont reçu de ma
miséricorde leur tourne en ruine et en condamnation. Ce n'est pas la
miséricorde qui leur fait défaut, ni le secours de ceux qui l'ont
humblement obtenue pour eux, mais c'est leur libre arbitre qui a
malheureusement rendu leur cœur dur comme le diamant. Cette dureté,
ils peuvent la vaincre tant qu'ils sont maîtres de leur libre
arbitre, ils peuvent réclamer le sang de mon Fils et l'appliquer sur
leur cœur pour l'attendrir, et ils recevront le bénéfice de ce sang
qui a payé pour eux.
14. Mais s'ils
laissent passer le délai du temps, il n'y aura plus de remède, parce
qu'ils n'auront point fait fructifier le trésor que je leur avais
confié en leur donnant la mémoire pour se rappeler mes bienfaits,
l'intelligence pour voir et connaître la vérité, et l'amour pour les
attacher à moi, qui suis cette Vérité éternelle que l'intelligence
leur avait fait connaître ! C'est là le trésor que je vous ai donné
et qui doit me rapporter ; ils le vendent et l'aliènent au démon,
qui devient leur maître et le propriétaire de tout ce qu'ils ont
acquis pendant la vie. Ils ont rempli leur mémoire de plaisirs et de
souvenirs déshonnêtes ; ils sont souillés par l'orgueil, l'avarice,
l'amour-propre et la haine du prochain, qui leur devient
insupportable ; ils ont même persécuté mes serviteurs, et toutes ces
fautes ont égaré leur intelligence dans le désordre de la volonté.
Ils tomberont avec le démon dans les peines de l'enfer, parce qu'ils
n'auront pas satisfait à leurs fautes par la contrition et la haine
du péché.
15. Ainsi tu vois que
l'expiation de la faute est dans la parfaite contrition du cœur, et
non dans les souffrances temporelles ; non seulement la faute, mais
la peine qui en est la suite, est remise à ceux qui ont cette
contrition parfaite, et en général, comme je te l'ai dit, ceux qui
sont purifiés de la faute, c'est-à-dire qui sont exempts de péchés
mortels, reçoivent la grâce ; mais s'ils n'ont pas une contrition
suffisante et un amour capable de satisfaire la peine, ils vont
souffrir dans le purgatoire.
16. Tu vois que la
satisfaction est dans le désir de l'âme unie à moi, le Bien Infini,
et qu'elle est petite ou grande selon la mesure de l'amour de celui
qui fait la prière et du désir de celui qui reçoit. C'est cette
mesure de celui qui m'offre et de celui qui reçoit qui est la mesure
de ma bonté. Ainsi, travaille à augmenter les flammes de ton désir,
et ne te lasse pas un instant de crier humblement vers moi et de
m'offrir pour ton prochain d'infatigables prières. Je le dis pur toi
et pour le père spirituel que je t'ai donné sur terre, afin que vous
agissiez avec courage et que vous mouriez à toutes sortes de
sensualités.
1. Rien ne m'est
plus agréable que le désir de souffrir jusqu'à la mort des peines et
des épreuves pour le salut des âmes ; plus on souffre, plus on
prouve qu'on m'aime ; l'amour fait connaître davantage ma vérité ;
et plus on la connaît, plus on ressent de douleur des fautes qui
m'offensait. Ainsi, en me demandant de punir sur toi les péchés des
autres, tu me demandes l'amour, la lumière, la connaissance de la
vérité ; car l'amour se proportionne à la douleur, et augmente avec
elle.
2. Je vous ai
dit : Demandez, et vous recevrez ; je ne refuserai jamais celui qui
me demandera dans la vérité. L'ardeur de la divine charité est si
unie dans l'âme avec la patience parfaite, que l'une, ne peut y
subsister sans l'autre. Dès que l'âme veut m'aimer, elle doit
vouloir aussi supporter, par amour pour moi, toutes les peines que
je lui accorderai, quelles que soient leur mesure et leur forme. La
patience ne vit que de peines et la patience est la compagne
inséparable de la charité. Ainsi donc supportez tout avec courage ;
sans cela vous ne sauriez être les époux de ma vérité, les amis de
mon Fils, et vous ne pourriez montrer le désir que vous avez de mon
honneur et du salut des âmes.
1. Je veux que tu
saches que toute vertu et tout défaut se développent par le moyen du
prochain. Celui qui est dans ma disgrâce fait tort au prochain et à
lui-même, qui est son principal prochain. Ce tort est général et
particulier ; il est général parce que vous êtes obligé d'aimer
votre prochain comme vous-même, et qu'en l'aimant, vous devez lui
être utile spirituellement par vos prières et vos paroles ; vous
devez le Conseiller et l'aider dans son âme et dans son corps, selon
ses nécessités, au moins de désir, si vous ne pouvez le faire
autrement.
2. Celui qui ne
m'aime pas, n'aime pas son prochain, et ne l'aimant pas il ne peut
lui être utile. II se fait tort, puisqu'il se prive de la grâce ; il
fait tort au prochain, puisqu'il le prive des prières et des saints
désirs qu'il devait m'offrir pour lui, et dont la source est mon
amour et l'honneur de mon nom.
3. Ainsi tout mal
vient à l'occasion du, prochain qu'on n'aime pas, dès qu'on ne
m'aime pas ; et quand on n'a plus cette double charité, on fait le
mal puisqu'on n'accomplit plus le bien. A qui fait, ou le mal, si ce
n'est à soi-même ou au prochain ? Ce n'est pas à moi, car le mal ne
saurait m'atteindre, et je ne regarde fait à moi que celui qui est
fait aux autres.
4. On fait le mal
contre soi-même, puisqu'on se prive de ma grâce, et qu'on ne peut
par conséquent se nuire davantage. On fait le mal contre le
prochain, puisqu'on ne lui donne pas ce qui lui est dû au nom de
l'amour, et qu'on ne m'offre pas pour lui les prières et les saints
désirs de la charité.
5. C'est là une
dette générale envers toute créature raisonnable ; mais elle est
plus sacrée à l'égard de tous ceux qui vous entourent parce que vous
êtes obligés de vous soutenir les uns les autres par vos paroles et
vos bons, exemples, recherchant en toutes choses l'utilité de votre
prochain, comme celle de votre âme, sans passion et sans intérêt.
Celui qui n'agit pas ainsi manque de charité fraternelle, et fait
par conséquent tort à son prochain ; non seulement il lui fait tort
en ne lui faisant pas le bien qu'il pourrait lui faire, mais encore
en le portant au mal.
6. Le péché est
actuel ou mental dans l'homme : il se commet mentalement lorsqu'on
se délecte dans la pensée du péché, et lorsqu'on déteste la vertu
par un effet de l'amour sensitif, qui détruit la charité qu'on doit
avoir pour moi et pour le prochain. Dès qu'on a conçu ainsi le
péché, on l'enfante contre le prochain de diverses manières, selon
la perversité de la volonté sensitive. C'est quelquefois une cruauté
spirituelle et corporelle : elle est spirituelle, lorsqu'on se voit
ou qu'on voit les créatures en danger de mort et de damnation par la
perte de la grâce, et qu'on est assez cruel pour ne pas recourir à
l'amour de la vertu et à la haine du vice.
7. Quelquefois on
pousse cette cruauté jusqu'à vouloir la communiquer aux autres : non
seulement on ne lui donne pas l'exemple de la vertu, mais on fait
l'office du démon, en retirant les autres de la vertu autant qu'on
le peut, et en les conduisant au vice. Quelle cruauté plus grande
peut-on exercer envers l'âme que de lui ôter ainsi la vie de la
grâce et de lui donner la mort éternelle ? La cruauté envers le
corps a sa Source dans la cupidité. Non seulement on néglige
d'assister son prochain, mais encore on le dépouille jusque dans sa
pauvreté, soit par force, soit par fraude, en lui faisant racheter
son bien et sa vie.
8. O cruauté
impitoyable, pour laquelle je serai sans miséricorde, si elle n'est
pas rachetée par la compassion et la bienveillance envers le
prochain ! Elle enfante des paroles que suivent souvent la violence
et le meurtre, ou bien des impuretés qui souillent et changent. les
autres cri animaux immondes ; et ce n'est pas une personne ou deux
qui sont infectées, ce sont tous ceux qui fréquentent et approchent
seulement ce cruel corrupteur.
9. Que n'enfante
pas aussi l'orgueil, si avide de réputation et d'honneur! On méprise
le prochain, on s'élève au dessus de lui et on lui fait injure. Si
l'on est dans une position supérieure, on commet l'injustice, et on
devient le bourreau des autres.
10. O ma fille
bien-aimée, gémis sur toutes ces offenses et pleure sur tous ces
morts, afin que tes prières les ressuscitent. Tu vois quand et
comment les hommes commettent le péché contre le prochain et par son
moyen. Sans le prochain, il n'y aurait pas de péchés secrets ou
publics. Le péché secret, c'est de ne pas l'assister comme on doit
le faire ; le péché public, c'est cette génération de vices dont je
viens de parler. Il est donc vrai que toutes les offenses me sont
faites par le moyen du prochain.
1. Je t'ai dit que
tous les péchés se font par le moyen du prochain ; leur cause est
dans le défaut de la charité, qui seule fait naître, vivifie et
développe toute vertu. L'amour-propre qui détruit la charité et
l'amour du prochain, est le principe et le fondement de tout mal. Le
scandale, la haine, les cruautés, toutes les fautes viennent de
cette racine mauvaise, qui empoisonne le monde entier, et qui
trouble le corps de la sainte Église et toute la chrétienté.
2. Je t'ai dit que
les vertus avaient leur fondement dans l'amour du prochain, parce
que c'est la charité qui donne la vie à toutes les vertus ; il est
impossible d'acquérir aucune vertu sans la charité, c'est-à-dire
sans mon amour.
3. Dès que l'âme se
connaît, elle trouve l'humilité et la haine de la passion sensitive,
parce qu'elle connaît la loi mauvaise, qui captive la chair et
combat sans cesse l'esprit. Elle conçoit alors de la haine et de
l'horreur contre la sensualité, et elle s'applique avec zèle à la
soumettre à la raison.
4. Tous les
bienfaits qu'elle a reçus de moi lui font comprendre la grandeur de
ma bonté, et l'intelligence qu'elle en a lui donne l'humilité, parce
qu'elle sait que c'est ma grâce seule qui l'a tirée des ténèbres et
lui procure la clarté de cette lumière. Dès qu'elle a reconnu ma
bonté, elle aime d'une manière désintéressée, et d'une manière
intéressée d'une manière désintéressée, quant à son utilité
particulière ; d'une manière intéressée quant à la vertu qu'elle a
embrassée pour moi, parce qu'elle sait qu'elle ne me serait point
agréable Si elle n'avait pas la haine du péché et l'amour de la
vertu.
5. Dès qu'elle
m'aime, elle aime le prochain, sans cela son amour ne serait pas
véritable ; car mon amour et l'amour du prochain ne font qu'un. Plus
une âme m'aime, plus elle aime le prochain, parce que l'amour qu'on
a pour lui procède de mon amour.
6. C'est là le
moyen que je vous ai donné pour que vous exerciez et cultiviez en
vous la vertu. Votre vertu ne peut m'être utile, mais elle, doit
profiter au prochain. Vous montrez que vous avez ma grâce en
m'offrant pour lui de saintes prières et les désirs ardents que vous
avez de mon bonheur et du salut des âmes.
7. L'âme qui est
amoureuse de ma vérité ne cesse jamais d'être utile aux autres en
général et en particulier, peu ou beaucoup, selon la disposition de
celui qui reçoit, et selon l'ardent désir de celui qui demande et me
force de donner. Je te l'ai dit, en t'expliquant que, sans l'ardent
désir, la peine ne pouvait suffire, à expier la faute.
8. Lorsque l'âme
possède cet amour qu'elle puise en moi et qu'elle étend au prochain
et au salut du monde entier, elle cherche à faire partager aux
autres les avantages et la vie de la grâce qu’elle en retire. Elle
s'applique à satisfaire aux besoins particuliers de ceux qui
l’entourent. Elle montre la charité générale pour toutes les
créatures. Elle veut servir ses proches en leur communiquant, selon
leur nombre et leur mesure, les grâces dont je l'ai faite
dépositaire et ministre Car j'ai charge les uns de faire le bien
dans l'enseignement de la doctrine, sans avoir égard à leurs
intérêts, et j'ai chargé les autres de le faire par les saints
exemples que vous étés tous obliges de leur donner pour
l'édification du prochain.
9. Ces vertus et
bien d'autres, qu'il serait trop long de nommer, sont les fruits de
l'amour véritable du prochain, je les donne à chacun d'une manière
différente, afin qu'étant partagées entre tous, la vertu et la
charité naissent de leur harmonieux ensemble.
10. J'ai donné une
vertu à celui-ci, et une autre vertu à celui-là ; mais aucune vertu
ne peut être parfaite sans qu'on ait à un certain degré les autres ;
car toutes les vertus sont liées ensemble, et chaque vertu est le
commencement et le principe des autres. A l'un je donne la charité,
à l'autre la justice, l'humilité ou une foi vive, la prudence, la
tempérance, la patience ou la force. Je diversifie ainsi mes dons
dans les âmes, distribuant à toutes des grâces spéciales. Mais dès
que l'âme possède une vertu qu'elle pratique et qu'elle développe de
préférence, cette vertu entraîne naturellement les autres ; car,
comme je l'ai dit, toutes les vertus sont liées par les liens de la
charité.
11. Mes dons sont
temporels ou spirituels. J'appelle temporels toutes les choses
nécessaires à la vie de l'homme, et ces choses je les dispense avec
une grande inégalité. Je ne les donne pas toutes à un seul, afin que
des besoins réciproques deviennent une occasion de vertu et un moyen
d'exercer la charité. Il m'était très facile de donner à chacun ce
qui est utile à son corps et à son âme ; mais j'ai voulu que tous
les hommes eussent besoin les uns des autres pour devenir ainsi les
ministres et les dispensateurs des dons qu'ils ont reçus de moi. Que
l'homme le veuille ou non, il est forcé d'exercer la charité envers
son prochain : seulement, si cette charité ne s'exerce pas par amour
pour moi, elle ne sert de rien dans l'ordre de la grâce.
12. Ainsi tu vois
que c'est pour organiser la charité que j'ai rendu les hommes mes
ministres, et que je les ai placés dans des états et des rapports si
différents. Il y a bien des manières d'être dans ma maison, et
l'amour est la seule chose que je vous demande ; car c'est en
m'aimant qu'on aime le prochain, et celui qui aime le prochain
accomplit la loi ; quiconque possède l'amour rend avec bonheur à son
prochain tous les services qu'il peut lui rendre.
1. Je t'ai dit que
l'homme, en servant son prochain, prouve l'amour qu'il a pour moi.
J'ajoute que c'est par le prochain qu'on pratique les vertus et
surtout la patience, quand il en reçoit des injures. II exerce son
humilité avec le superbe, sa foi avec l'incrédule, son espérance
avec celui qui désespère, sa justice avec l'injuste, sa bonté avec
le méchant, sa douceur avec celui qui est en colère.
2. Le prochain est
l'occasion de toutes les vertus, comme il est aussi celle de tous
les vices. L'humilité brille par l'orgueil, car l'humilité détruit
l'orgueil et en triomphe. Le superbe ne peut nuire à celui qui est
humble, et l'infidélité de celui qui ne m'aime pas et n'espère pas
en moi ne peut nuire à celui qui m'est fidèle, ni affaiblir la foi
et l'espérance que lui donne mon amour. Elle les fortifie au
contraire et les montre dans la charité qu'il a pour le prochain ;
car, lorsque mon serviteur fidèle voit quelqu'un qui n'espère plus
en lui et en moi, il ne cesse pas pour cela de l'aimer, et il
demande au contraire son salut avec plus d'ardeur. Celui qui ne
m'aime pas ne peut avoir foi en moi ; son espérance est dans la
sensualité qui captive son cœur. Tu vois donc que c'est par
l'infidélité et par le défaut d'espérance des autres que la foi
s'exerce ; c'est là qu'elle trouve les occasions d'agir et de se
développer.
3. La justice aussi
n'est pas détruite par l'injustice ; la patience de celui qui
souffre montre au contraire la justice, comme la douceur et la
résignation brillent d'un plus grand éclat dans les orages de la
colère : l'envie, le mépris et la haine sont aussi vaincus par la
charité par le désir et la faim du salut des âmes.
4. Non seulement
ceux qui rendent le bien pour le mal montrent leur vertu, mais ils
la communiquent souvent. Ils mettent les charbons ardents de la
charité sur la tête de leur prochain ; ils chassent la haine qui
s'était emparée de son cœur, et la colère se charge tout à coup en
bienveillance c'est un miracle que produit l'affectueuse patience de
celui qui supporte la colère du méchant et qui lui pardon ne. La
force et la persévérance ont leurs aliments dans l'injure et dans la
calomnie des hommes qui, par la violence ou la séduction, veulent
détourner mes serviteurs du chemin de la vérité. Celui qui est fort
et persévérant le montre, dans sa conduite envers le prochain ;
celui qui succombe alors prouve que sa vertu n'est rien.
1. Les œuvres
douces et saintes que je réclame de mes serviteurs sont les vertus
intérieures d'une âme éprouvée, plutôt que les vertus qui
s'accomplissent au moyen du corps, par les abstinences et les
mortifications : ce sont là les instruments de la vertu plutôt que
la vertu. Celui qui les emploie sans la vertu me sera peu agréable,
et même, s'il les emploie sans discrétion en s'attachant d'une
manière exagérée à la pénitence, il nuira véritablement à la
perfection.
2. Le fondement de
la perfection est l'ardeur de mon amour, une sainte haine de
soi-même, une humilité vraie, une patience parfaite, et toutes ces
vertus intérieures de l'âme qui s'unissent à un désir insatiable de
ma gloire et du salut des âmes. Ces vertus prouvent que la volonté
est morte, et que la sensualité est vaincue par l'amour. C'est avec
cette discrétion qu'on doit faire pénitence : la vertu est le but
principal ; la pénitence n'est qu'un moyen pour l'atteindre, et il
faut toujours l'employer dans la seule mesure du possible.
3. En s'appuyant
trop sur la pénitence, on nuit à sa perfection, parce qu'on ne suit
pas la lumière de la connaissance de soi-même et de ma souveraine
bonté, et qu'on n'obéit pas à la vérité en dépassant les bornes de
ma haine ou de mon amour.
4. La discrétion
n'est autre chose qu'une connaissance vraie que l'âme doit avoir
d'elle-même et de moi, et c'est dans cette connaissance qu'elle
prend racine ; elle a un rejeton qui est lié et uni à la charité.
Elle en a beaucoup d'autres, comme un arbre a beaucoup de rameaux,
mais ce qui donne la vie à l'arbre et aux rameaux, c'est la racine ;
cette racine doit être plantée dans la terre de l'humilité, qui
porte et nourrit la charité, où est enté le rejeton et l'arbre de la
discrétion.
5. La discrétion ne
serait plus une vertu et ne produirait pas de fruits de vie si elle
n'était plantée dans l'humilité, parce que l'humilité vient de la
connaissance que l'âme a d'elle-même. Aussi t'ai-je dit que la
racine de la discrétion était une connaissance vraie de soi-même et
de ma bonté, qui fait rendre à chacun ce qui lui est du le plus
justement possible.
6. L'âme me rend
ce qui m'est dû en rendant gloire et louange à mon nom, en
m'attribuant les grâces et les dons qu'elle sait avoir reçus de
moi ; elle se rend à elle-même ce qui lui est dû en reconnaissant
qu'elle n'est pas, que son être lui vient uniquement de ma grâce, et
tout ce qu'elle a de plus vient de moi et non pas d'elle. Il lui
semble qu'elle est ingrate pour tant de bienfaits, qu'elle est
coupable d'avoir si peu profité du temps et des grâces reçues, et
qu'elle mérite d'en être sévèrement punie. Elle conçoit alors un
regret violent et une profonde haine de ses défauts.
7. Voici ce que
fait la discrétion fondée sur la connaissance de soi-même et sur une
humilité vraie. Sans l'humilité l'âme ne serait pas juste, et son
défaut de discrétion aurait sa source dans l'orgueil, comme la
discrétion a la sienne clans l'humilité. Elle me déroberait mon
honneur en se l'attribuant à elle-même, et elle m'attribuerait ce
qui lui appartient en se plaignant et en murmurant injustement de ce
que j'ai fait pour elle et pour mes autres créatures. Elle se
scandaliserait également de moi et du prochain.
8. Ceux qui ont la
discrétion n'agissent point ainsi. Lorsqu'ils m'ont rendu et qu'ils
se sont rendu justice, ils accomplissent aussi leur devoir envers le
prochain en l'aimant d'une charité sincère, en priant pour lui avec
une humble persévérance, comme il faut le faire les uns pour les
autres ; en lui donnant tous les enseignements et les bons exemples,
les conseils et les secours qui sont nécessaires à son salut. Quelle
que soit la position de l'homme, qu'il commande ou qu'il obéisse,
s'il a cette vertu, tout ce qu'il fera pour le prochain sera fait
avec discrétion et charité, car ces deux choses sont inséparables :
elles reposent sur une humilité sincère, qui vient de la
connaissance de soi-même.
1. Sais-tu dans
quel rapport sont ces trois vertus ? Suppose un cercle tracé sur la
terre, et au milieu un arbre avec un rejeton qui lui serait uni ;
l'arbre se nourrit de la terre contenue dans la largeur du cercle ;
s'il en était arraché, il mourrait et ne pourrait donner de fruits
tant qu'il n'y serait pas replanté. L'âme aussi est un arbre fait
pour l'amour et qui ne peut vivre que d'amour. Si l'âme n'a pas
l'amour divin d'une parfaite charité, elle ne donnera pas de fruits
de vie, mails des fruits de mort. Il faut que sa racine se nourrisse
dans le cercle d'une véritable connaissance d'elle-même, et cette
connaissance la fixe en moi, qui n'ai ni commencement ni fin. Quand
tu tournes dans un cercle, tu n'en trouves ni le commencement ni la
fin, et cependant tu t'y vois renfermée.
2. Cette
connaissance que l'âme a de moi et d'elle-même repose sur la terre
d'une véritable humilité, dont l'étendue est proportionnée à celle
du cercle de cette connaissance qu'elle a de moi en elle. Sans cela,
le cercle ne serait pas sans commencement et sans fin ; il aurait un
commencement, puisqu'il commencerait à la connaissance d'elle-même,
et finirait dans la confusion, parce que cette connaissance serait
séparée de moi.
3. L'arbre de la
charité se nourrit de l'humilité et produit le rejeton d'une
véritable discrétion, ainsi que je te l'ai montré. La moelle de
l'arbre, c'est-à-dire de la charité dans l'âme, est la patience qui
prouve que je suis dans l'âme et que l'âme est en moi. Quand cet
arbre est ainsi planté, il porte des fleurs d'une éclatante vertu et
les parfums les plus délicieux ; il donne des fruits excellents à
tous ceux qui désirent suivre et imiter mes serviteurs ; il rend
ainsi honneur et gloire à mon nom et il accomplit le but de la
création. Il arrive à son terme, à moi qui suis la vie véritable, et
rien ne peut le dépouiller s'il n'y consent pas. Tous les fruits de
cet arbre sont inséparables, et ils viennent de la discrétion.
1. Les fruits que
je demande d'une âme doivent prouver la réalité de la vertu au temps
de l'épreuve. Souviens-toi de ce que je t'enseignais autrefois,
lorsque tu désirais faire de grandes pénitences ; tu me disais :
“Que pourrais-je faire, que pourrais-je endurer pour vous ?” Je te
répondais intérieurement : “J'aime peu de paroles, mais beaucoup
d’œuvres” afin de te faire comprendre que je m'attache peu à celui
dont la bouche me dit : “Seigneur, Seigneur, que puis-je faire pour
vous ?” et qui désire par amour pour moi mortifier son corps par la
pénitence, sans vaincre et tuer sa volonté. Ce que je préfère, ce
sont les actes d'une courageuse patience et les oeuvres d'une vertu
intérieure, qui agit toujours sous' l'influence de la grâce ; tout
ce qu'on fait en dehors de ce principe, je le regarde comme de
simples paroles, parce que ce sont des actes bornés, et moi, qui
suis l'infini, je veux des actes et un amour sans borne.
2. Je veux que les
œuvres de pénitence et les autres pratiques corporelles soient le
moyen et non pas le but de l'âme ; si c'était le but, ce serait un
acte borné, comme la parole qui sort des lèvres et qui n'existe
plus, quand elle ne sort pas avec l'amour de l'âme qui conçoit et
enfante véritablement la vertu. Si ce que j'appelle une parole est
uni à l'ardeur de la charité, alors cette parole me devient
agréable, parce qu'elle n'est pas seule, mais qu'elle est
accompagnée d'une discrétion véritable, et que l'acte du corps est
un moyen et non pas le but principal.
3. Il ne convient
pas que le but principal de l'âme soit dans la pénitence et dans les
autres œuvres extérieures, car ces oeuvres sont finies et
s'accomplissent dans le temps ; il faut quelquefois que la créature
les abandonne ou qu'on les lui défende. Les circonstances et l'ordre
des supérieurs peuvent l'exiger : les accomplir alors serait, non
pas un mérite, mais une grande offense. Tu vois donc que ce sont des
œuvres bornées, qu'il faut prendre pour moyen et non pour but ; car,
en les prenant pour but, l'âme serait vide lorsqu'il faudrait les
laisser.
4. Aussi mon
Apôtre, le glorieux saint Paul, dit dans son Épître, de mortifier le
corps et de tuer. la volonté, c'est-à-dire de dompter le corps en
macérant la chair lorsqu'elle veut se révolter contra l'esprit. Mais
la volonté a besoin d'être entièrement vaincue, détruite et soumise
à ma volonté. On triomphe ainsi de la volonté par le moyen de la
vertu de discrétion, qui fait que l'âme déteste ses fautes et sa
sensualité en acquérant la connaissance d'elle-même ; c'est là
l'arme victorieuse qui tue l'amour-propre né de la volonté.
5. Ceux qui
agissent ainsi m'offrent non seulement des paroles, mais encore
beaucoup d'œuvres, et en disant beaucoup, je n'en fixe pas le
nombre, parce que la charité fait naître toutes les vertus, et l'âme
qui y est affermie ne doit pas connaître de limites. Je n'exclus pas
non plus les paroles, mais je dis qu'elles doivent être peu
nombreuses, parce que les œuvres extérieures sont bornées. Elles me
sont agréables cependant, lorsqu'elles sont le moyen de la vertu et
non pas le but principal.
6. Il faut bien se
garder de mesurer la perfection sur la pénitence. Celui qui tue son
corps par la mortification peut être moins parfait que celui qui le
traite plus doucement. La vertu et le mérite ne consistent pas dans
l'acte ; car que deviendrait celui qui, pour une cause légitime, ne
pourrait l'accomplir ? La vertu et le mérite sont dans la charité
unie à la discrétion, et la discrétion ne met pas de bornes à la
charité, parce que je suis la souveraine et éternelle Vérité.
7. Il ne peut y
avoir de mesure à mon amour, mais il y en a à l'amour du prochain :
c'est la lumière de la discrétion, née de la charité, qui le règle ;
car il n'est jamais permis de commettre une faute dans l'intérêt
même du prochain. Si l'on pouvait par un seul péché retirer le monde
entier de l'enfer ou produire un grand bien, il ne faudrait pas
commettre ce péché, parce que la charité ne serait pas discrète, et
qu'on ne doit pas faire le mal pour le bien et l'utilité du
prochain.
8. Une sainte
discrétion apprend aux puissances de l'âme à me servir avec
courage ; elle enseigne à aimer le prochain avec ardeur et à donner
la vie du corps pour le salut des âmes, si l'occasion s'en présente.
Elle fait souffrir mille tourments pour procurer aux autres la vie
de la grâce, et elle sacrifie le nécessaire même pour les assister
et les secourir dans leurs nécessités corporelles.
9. C'est ainsi
qu'agit la discrétion dans la lumière que lui donne la charité.
Toute âme qui veut vivre de ma grâce doit avoir pour moi un amour
sans borne et sans mesure, et avec cet amour aimer le prochain selon
les règles de la charité, sans jamais commettre de faute pour lui
être utile.
10. C'est
l'enseignement de saint Paul lorsqu'il dit que la charité bien
ordonnée est de commencer par soi-même ; autrement on ne servirait
pas parfaitement le prochain ; car lorsque la perfection n'est pas
dans l'âme, tout ce qu'elle fait pour elle et pour les autres est
imparfait. Serait-il convenable que, pour sauver des créatures qui
sont finies et créées, on m'offensât, moi qui sais le Bien éternel
et infini ? La faute ne pourrait jamais être compensée par le bien
qu'elle procurerait ; ainsi on ne doit jamais la commettre.
11. La véritable
charité le comprend, parce qu'elle porte avec elle la lumière d'une
sainte discrétion. Cette lumière dissipe les ténèbres, détruit
l'ignorance, prépare toutes les vertus et devient le principal
moyen. Elle est une prudence qui ne peut s'égarer, une force qui est
invincible, une persévérance qui unit les extrêmes, le ciel à la
terre, parce qu'elle conduit de ma connaissance à la connaissance de
soi-même, et de mon amour à l'amour du prochain.
12. Elle échappe par
l'humilité à tous les pièges du tentateur, et par la prudence à
toutes les séductions des créatures. Sa main, qui n'a d'autre arme
que la patience, triomphe du démon et de la chair avec l'aide de
cette douce et bonne lumière, parce qu'elle connaît sa fragilité, et
que, la connaissant, elle a pour elle la haine qu'elle mérite. Dès
lors elle dédaigne, méprise et foule aux pieds le monde ; elle en
reste maîtresse.
13. Tous les tyrans
de la terre ne peuvent ôter la vertu d'une âme ; leurs persécutions,
au contraire, la fortifient et l'augmentent. Cette vertu que mon
amour a fait naître s'éprouve et se développe par le prochain ; car
si elle ne se manifestait pas dans l'occasion, si elle ne répandait
pas ses clartés sur les créatures, ce serait une preuve qu'elle ne
viendrait pas de la vérité. La vertu ne peut être parfaite et utile
que par l'intermédiaire du prochain.
14. L'âme est comme
une femme qui conçoit un fils si elle ne le met pas au monde, si
elle ne le montre pas aux hommes, son époux ne peut pas dire qu'il a
un fils. Et moi qui suis l'époux de l'âme, si elle n'enfante pas ce
fils de la vertu dans la charité du prochain, si elle ne le montre
pas .quand l'occasion le demande, ne peut-on pas dire qu'elle est
stérile ? Ce que j'ai dit des vertus, on peut le dire des vices ;
ils s'exercent tous par l'intermédiaire du prochain.
1. Ma souveraine
bonté t'a montré la vérité et la doctrine par laquelle tu peux
acquérir une grande perfection et la conserver. Je t'ai dit comment
tu devais satisfaire à la faute et à la peine, en toi et en ton
prochain. La souffrance que supporte une créature attachée à un
corps mortel ne peut satisfaire à la faute et à la peine, si elle
n'est pas unie à une charité sincère, à une contrition véritable et
à une haine profonde du péché. La souffrance, lorsqu'elle est unie à
la charité, ne satisfait pas par sa propre vertu, mais par la vertu
de la charité et du regret qu'on a de ses péchés. La charité
s'acquiert par la lumière de l'intelligence et par la sincérité du
cœur qui se fixe en moi, qui suis la Charité. Je t'ai expliqué ces
choses lorsque tu m'as demandé de souffrir.
2. Je t'ai
enseigné comment mes serviteurs doivent s'offrir à moi en
sacrifice ; ce sacrifice doit être à la fois et corporel et
spirituel. Le vase n'est pas séparé de l'eau quand on la présente au
maître. L'eau sans le vase ne pourrait lui être présentée, et le
vase sans l'eau lui serait inutile. Vous devez donc m'offrir le vase
de toutes les peines que je vous envoie, sans en choisir le lieu, le
temps et la mesure, qui dépendent de mon bon plaisir. Mais ce vase
doit être plein, c'est-à-dire que vous devez endurer les peines avec
amour, avec résignation, et supporter avec patience les défauts du
prochain, ne haïssant que le péché. Votre vase alors est plein de
l'eau de ma grâce qui donne la vie, et je reçois avec délices ce
présent que me font mes épouses, les âmes fidèles. J'accepte leurs
ardents désirs, leurs larmes, leurs soupirs, leurs ferventes prières
et ces preuves de leur amour apaisent ma colère contre mes ennemis
et les hommes pervers, qui commettent contre moi tant d'offenses.
3. Ainsi donc,
souffrez avec courage jusqu'à la mort ; œ sera le signe évident de
votre amour pour moi. Après avoir mis la main à la charrue, ne
regardez pas en arrière par crainte de quelque créature ou de
quelque tribulation. Réjouissez-vous au contraire dans vos
épreuves ; le monde se complaît dans ses injustices ; pleurez-les,
et celles qui m'offensent vous offensent, et celles qui vous
offensent m'offensent. Ne suis-je pas .devenu une seule chose avec
vous ?
4. Je vous ai
donné mon image et ma ressemblance. Lorsque vous avez perdit la
grâce par le péché, pour vous rendre la vie, j'ai uni ma nature à la
vôtre en revêtant votre humanité. Vous avez mon image, et j'ai pris
la vôtre en me faisant homme. Je suis donc une même chose avec vous,
et si l'âme veut bien m'aimer, si elle ne me quitte pas par le péché
mortel, elle est en moi, et moi en elle. C'est pour cela que le
monde la persécute, parce que le monde n'a pas ma ressemblance et
qu'il a persécuté mon Fils unique jusqu'à la mort ignominieuse de la
Croix. Il agit de même envers vous ; il vous poursuit et vous
poursuivra jusqu'à la mort, parce qu'il ne m'aime pas ; si le monde
m'avait aimé, il vous aimerait ; mais réjouissez-vous, car votre
joie sera grande dans le ciel.
5. En vérité, je
vous le dis, plus la tribulation abondera dans le corps mystique de
la sainte Église, plus aussi abondera la douceur de la consolation.
Et quelle sera cette douceur ? Ce sera la réforme et la sainteté de
ses ministres qui fleuriront pour la gloire et l'honneur de mon nom,
et qui élèveront vers moi le parfum de toutes les vertus. Ce sont
les ministres de mon Église qui seront réformés, et non pas mon
Église, car la pureté de mon épouse ne peut être diminuée et
détruite par les fautes de ses serviteurs.
6. Réjouis-toi
donc, ma fille, avec le directeur de ton âme et avec mes autres
serviteurs ; réjouissez-vous dans votre douleur. Moi qui suis la
Vérité éternelle, je vous promets de vous soulager. Après la douleur
viendra la consolation, parce que vous aurez beaucoup souffert pour
la réforme de la sainte Église.
1. Alors cette âme
se sentit embrasée d'un ardent désir et d'un amour ineffable pour la
bonté infinie de Dieu. Elle voyait et connaissait l'étendue de cette
charité, qui avait bien voulu répondre avec tant de douceur à ses
demandes et les exaucer, en adoucissant par l'espérance la douleur
que lui avaient causée les offenses contre Dieu, le malheur de
l'Église et la connaissance de sa propre misère. Elle cessait ses
larmes, mais elle en versait bientôt de nouvelles lorsque Dieu lui
montrait la voie de la perfection, les péchés commis contre lui, et
le danger que couraient les âmes.
2. La connaissance
que cette âme avait d'elle-même lui faisait mieux connaître Dieu,
parce qu'elle lui montrait sa bonté ; et elle voyait dans la douce
connaissance de Dieu, comme dans un miroir, sa dignité et son
indignité sa dignité, car la création l'avait faite à l'image de
Dieu, et cela par grâce et non par mérite ; son indignité, car elle
était tombée d'elle-même dans le péché. L'âme apercevait ses
souillures dans la pureté divine, et elle désirait les effacer. Plus
cette lumière et cette connaissance augmentaient, plus sa douleur
augmentait ; mais plus aussi elle diminuait par l'espérance que lui
donnait la vérité.
3. Ainsi que le feu
s'accroît à mesure qu'on l'alimente, l'ardeur de cette âme
grandissait au point qu'il eût été impossible au corps de la
supporter, et que la mort serait venue, si elle n'avait puisé sa
force en celui qui est la force suprême. Purifiée par les flammes de
la charité qu'elle trouvait dans la connaissance de Dieu et
d'elle-même, de plus en plus excitée par l'espérance du salut du
monde et de la réforme de l'Église, dont elle voyait la lèpre et les
misères, elle s'éleva avec confiance devant le Seigneur, et lui dit
comme autrefois Moïse : Seigneur, jetez les regards de votre
miséricorde sur votre peuple et sur le corps mystique de la sainte
Église. Si vous pardonnez à tant de créatures, si votre bonté
infinie les retire du péché mortel et de l'éternelle damnation, vous
serez plus glorifié que si vous ne pardonnez qu'à moi, misérable,
qui vous ai tant offensé, qui suis l'occasion et l'instrument de
tant de mal.
4. Je vous en
conjure, ineffable Charité, vengez-vous sur moi et faites
miséricorde à votre peuple. Je gémirai en votre présence jusqu'à ce
que vous m'ayez exaucée. A quoi me sert d'avoir la vie, si votre
peuple est dans la mort, si votre épouse, qui doit être la lumière,
reste dans les ténèbres, et cela par ma faute plutôt que par celle
des autres créatures ? Aussi je vous en conjure, faites miséricorde
à votre peuple, au nom de cet amour qui vous a porté à créer l'homme
à votre image et à votre ressemblance.
5. En disant cette
ineffable parole : “Faisons l'homme à notre image et à notre
ressemblance”, et en l'accomplissant, vous avez voulu faire
participer l'homme à votre adorable Trinité. Vous lui avez donné la
mémoire, pour qu'il retînt vos bienfaits et qu'il participât à votre
puissance. O Père éternel, vous lui avez donné l'intelligence, pour
qu'il comprit votre bonté et qu'il participât à la sagesse de votre
Fils unique ; vous lui avez donné la volonté, pour qu'il aimât ce
que l'intelligence verrait et connaîtrait de la vérité, et qu'il
participât à l'ardeur du Saint-Esprit. Et qu'est-ce qui vous a fait
élever l'homme à une si haute dignité ? C'est cet amour,
incompréhensible avec lequel vous avez regardé en vous-même votre
créature ; vous, vous êtes passionné pour elle, ,vous l'avez créée,
vous lui avez donné l'être, afin de la faire jouir de vous, qui êtes
le Bien suprême.
6. Le péché
qu'elle a commis l'a fait déchoir du rang où vous l'aviez placée ;
sa révolte l'a mise en opposition avec votre bonté, et nous sommes
devenus vos ennemis. Alors le même amour qui vous avait porté à nous
créer, vous a porté à relever le genre humain de l'abîme où il était
tombé. La paix a remplacé la guerre ; vous nous avez donné le Verbe,
votre Fils unique, qui nous a réconciliés avec vous. Il a été notre
justice, parce qu'Il a pris sur lui nos injustices ; il s'est fait
obéissant pour nous, en revêtant, lorsque vous le lui avez ordonné,
la chair de notre humanité.
7. O abîme de
charité, comment le cœur ne se brise-t-il pas en voyant tant de
grandeur unie à tant de bassesse ? Nous étions faits à votre image,
et vous vous faites à la nôtre, en vous unissant à l'homme, en
cachant votre divinité sous la chair misérable et corrompue d'Adam ;
et pourquoi ? par amour. Dieu se fait homme, et l'homme devient
Dieu. Au nom de cet amour qui vous presse, faites miséricorde, je
vous en supplie, à toutes vos créatures.
1. Alors Dieu jeta
un regard miséricordieux sur cette âme qui l'invoquait avec des
larmes si ferventes ; il se laissa vaincre par l'ardeur de ses
désirs, et il lui dit : Ma bien douce fille, tes larmes sont toutes
puissantes, parce qu'elles sont unies à ma charité et qu'elles sont
répandues par amour pour moi. Je ne puis résister à tes désirs. Mais
regarde les souillures qui déshonorent le visage de mon épouse. Elle
porte comme une lèpre affreuse l'impureté, l'amour-propre, l'orgueil
et l'avarice de ceux qui vivent dans leurs péchés. Tous les
chrétiens en sont infectés, et le corps mystique de la sainte Église
n'en est point exempt !
2. Oui, mes
ministres, qui se nourrissent du lait de son sein, ne songent pas
qu'ils doivent le distribuer à tous les fidèles et à ceux qui
veulent quitter les ténèbres de l'erreur et s'attacher à I'Église.
Vois avec quelle ignorance, avec quelle ingratitude ils me servent.
Combien sont indignes et irrespectueuses les mains qui reçoivent le
lait de mon Épouse et le sang de mon Fils ! Ce qui donne la vie leur
cause la mort, parce qu'ils abusent de ce sang, qui doit vaincre les
ténèbres, répandre la lumière et confondre le mensonge.
3. Ce sang précieux
est la source de tout bien ; il sauve et rend parfait tout homme qui
s'applique à le recevoir ; il donne la vie et la grâce avec plus ou
moins d'abondance, selon les dispositions de l'âme ; mais il
n'apporte que la mort à celui qui vit dans le péché. C'est la faute
de celui qui vit dans le péché. C'est la faute de celui qui reçoit,
et non pas la faute du sang ou la faute de ceux qui l'administrent ;
ils pourraient être plus coupables sans en altérer la vertu ; leur
péché ne peut nuire à celui qui reçoit, mais à eux seulement, s'ils
ne se purifient pas dans la contrition et le repentir.
4. Oui, c'est un
grand malheur de recevoir indignement le sang de mon Fils ; c'est
souiller son âme et son corps ; c'est être bien cruel envers
soi-même et envers le prochain ; car c'est se priver de la grâce ;
c'est fouler aux pieds le bénéfice du sang reçu dans le baptême qui
a lavé la tache originelle. Je vous ai donné le Verbe, mon Fils
unique, parce que le genre humain tout entier était corrompu par le
péché du premier homme, et que, sortis de la chair viciée d'Adam,
vous ne pouviez plus acquérir la vie éternelle.
5. J'ai voulu unir
ma grandeur infinie à la bassesse de votre humanité, afin de guérir
votre corruption et votre mort, et de vous rendre la grâce qu'avait
détruite le péché. Je ne pouvais souffrir comme Dieu la peine que ma
justice réclamait pour le péché, et l'homme était incapable d'y
satisfaire. S'il le pouvait dans une certaine mesure pour lui, il ne
le pouvait pas pour les autres créatures raisonnables ; et
d'ailleurs sa satisfaction ne pouvait être complète, puisque
l'offense était commise contre moi, qui suis la bonté infinie.
6. Il fallait
racheter l'homme malgré sa faiblesse et sa misère, et c'est pour
cela que j'ai envoyé le Verbe mon Fils, revêtu de votre nature
déchue, afin qu'il souffrît dans la chair même qui m'avait offensé,
et qu'il apaisât ma colère en endurant la douleur jusqu'à la mort
ignominieuse de la croix. Il satisfit ainsi à ma justice, et ma
miséricorde put pardonner à l'homme, et lui rendre encore accessible
la félicité suprême pour laquelle il avait été créé. La nature
humaine unie à la nature divine racheta le genre humain, non
seulement par la peine qu'elle supporta dans la chair d'Adam, mais
par la vertu de la Divinité, dont la puissance est infinie.
7. Cette union des
deux natures m'a rendu agréable le sacrifice de mon Fils, et j'ai
accepté son sang, mêlé à la Divinité et tout embrasé du feu de cette
charité, qui l'attachait et le clouait à la croix. La nature humaine
satisfit au péché par le mérite de la nature divine : la tache
originelle d'Adam disparut, et il n'en resta qu'un penchant au mal,
et une faiblesse des sens qui est dans l'homme comme la cicatrice
d'une plaie.
8. La chute d'Adam
vous avait mortellement blessés ; mais le grand médecin, mon Fils
unique, est venu pour vous guérir ; il a bu le breuvage amer que
l'homme ne pouvait boire à cause de sa faiblesse ; il a fait comme
la nourrice qui prend une médecine pour guérir son enfant, parce
qu'elle est grande et forte, et que son enfant ne peut en supporter
l'amertume. Mon Fils a pris aussi, dans la grandeur et la force de
la Divinité unie à votre nature, l'amère médecine du Calvaire, la
mort douloureuse de la croix, pour guérir ses enfants et leur rendre
la vie que le péché avait détruite.
9. Il reste
seulement une trace du péché originel que vous a donné la
naissance ; cette trace même est effacée presque entièrement par le
baptême, qui contient et donne la vie de la grâce que lui communique
le glorieux et précieux sang de mon Fils. Dès que l'âme reçoit le
saint baptême, le péché originel disparaît, et la grâce y entre. Le
penchant au mal, qui est la cicatrice du péché originel, s'affaiblit
même, et l'âme peut le vaincre si elle le veut. Elle peut recevoir
et augmenter la grâce dans la mesure du désir qu'elle aura de
m'aimer et de me servir.
10. La grâce du
saint baptême lui laisse toute sa liberté pour le bien et pour le
mal... Quand vient le moment de jouir du libre arbitre, elle peut en
user dans toute la plénitude de sa volonté ; et cette liberté,
conquise par le sang glorieux de mon Fils, est si grande, que ni le
démon ni les créatures ne peuvent lui faire commettre la moindre
faute sans son consentement. La servitude du péché est détruite, et
l'homme peut dominer ses sens et acquérir le bonheur pour lequel il
a été créé.
11. O homme
misérable, qui te délectes dans la boue comme le fait l'animal, et
qui méconnais la grandeur du bienfait que tu as reçu de ma bonté ! O
malheureuse créature, tu ne pouvais recevoir davantage au milieu des
ténèbres épaisses de ton ignorance.
1. Tu le vois, ma
fille bien-aimée, les hommes ont été régénérés dans le sang de mon
Fils et rétablis dans la grâce, mais ils la méconnaissent et
s'enfoncent de plus en plus dans le mal ; ils me poursuivent de
leurs outrages et méprisent mes bienfaits. Non seulement ils
repoussent ma grâce, mais ils me la reprochent, comme si j'avais
d'autre but que leur sanctification. Plus ils s'endurciront, et plus
ils seront punis ; et leur châtiment sera plus terrible qu'il ne
l'aurait été avant la Rédemption, qui a effacé la tache du péché
originel. N'est-il pas juste que celui qui a beaucoup reçu doive
beaucoup ?
2. L'homme a reçu
beaucoup. Il a reçu l'être, il a été fait à mon image et à ma
ressemblance, il devait m'en rendre gloire, et il ne l'a pas fait
pour se glorifier lui-même. Il a violé les ordres que je lui avais
donnés, et il est devenu mon ennemi. J'ai détruit par l'humilité son
orgueil ; j'ai abaissé ma divinité jusqu'à revêtir votre humanité ;
je vous ai délivrés de l'esclavage du démon ; je vous ai rendus
libres. Non seulement je vous ai donné la liberté, mais j'ai fait
l'homme Dieu, comme j'ai fait Dieu homme, en unissant la nature
divine à la nature humaine.
3. Ne me
doivent-ils donc rien, ceux qui ont reçu le trésor de ce sang
précieux qui les a rachetés, et la dette n'est-elle pas plus grande
après la Rédemption qu'avant ?
Les hommes sont
obligés de me rendre gloire et honneur en suivant la parole incarnée
de mon Fils : ils me doivent l'amour envers moi et envers le
prochain. Ils me doivent des vertus sincères et véritables, et s'ils
ne s'acquittent pas, plus ils me doivent et plus ils m'offensent.
4. Ma justice
alors demande que je proportionne la peine à l'offense et que je les
frappe d'une damnation éternelle. Aussi le mauvais chrétien est-il
beaucoup plus puni que le païen. Le feu terrible de ma vengeance,
qui brûle sans consumer, le torture davantage, et le ver rongeur de
la conscience le dévore plus profondément. Quels que soient leurs
tourments, les damnés ne peuvent perdre l'être ; ils demandent la
mort sans pouvoir l'obtenir, le péché ne leur ôte que la vie de la
grâce. Oui, le péché est plus puni depuis la Rédemption qu'avant,
parce que les hommes ont plus reçu. Les malheureux n'y pensent pas,
et se font mes ennemis après avoir été réconciliés dans le sang
précieux de mon Fils.
5. Il y a cependant
un moyen d'apaiser ma colère ; mes serviteurs peuvent l'arrêter par
leurs larmes et la vaincre par l'ardeur de leurs désirs : c'est
ainsi que tu en as triomphé, parce que je t'en ai donné la
puissance, afin de pouvoir faire miséricorde au monde. Oui, j'excite
moi-même dans mes serviteurs une faim et une soif dévorantes du
salut des âmes, parce que leurs larmes tempèrent les rigueurs de ma
Justice. Versez donc des larmes abondantes ; puisez-les dans l'océan
de ma charité, et lavez avec des larmes la face de mon épouse
bien-aimée. Vous lui rendrez cette beauté que ne donnent pas la
guerre et la violence, mais que procurent les humbles et douces
prières de mes serviteurs et les larmes qu'ils répandent dans
l'ardeur de leurs désirs. Oui, je satisferai ces désirs ;
j'éclairerai avec la lumière de votre patience les ténèbres des
méchants. Ne craignez pas les persécutions du monde ; je serai
toujours avec vous, et ma providence ne vous manquera jamais.
1. Alors cette âme,
excitée par ces paroles qui l'éclairaient, se présenta pleine de
joie devant la Majesté divine. Elle se confiait dans sa miséricorde,
et l'amour ineffable qu'elle ressentait lui faisait comprendre que
Dieu désirait pardonner aux hommes, malgré tous leurs outrages.
C'était pour le pouvoir qu'il demandait à ses amis de lui faire une
sainte violence, et qu'il leur apprenait le moyen d'apaiser les
rigueurs de sa justice.
2. Alors toute
crainte se dissipait ; elle ne redoutait plus les persécutions du
monde, puisque le Seigneur devait l'assister et combattre pour elle.
L'ardeur de ses désirs augmentait, et ses prières s'étendaient au
monde tout entier. Non seulement elle priait pour le salut des
chrétiens et des infidèles qui tiennent à l'Église, mais encore
comme Dieu l'y poussait pour la conversion de tous les hommes.
Miséricorde, criait-elle, ô Père éternel ! miséricorde pour ces
pauvres brebis dont vous êtes le bon pasteur. Ne tardez pas à faire
miséricorde au monde ; hâtez-vous, car il se meurt, parce que les
hommes n'ont pas l'union de la charité envers vous ni envers
eux-mêmes ; ils ne s'aiment pas d'un amour fondé sur vous, ô
éternelle Vérité !
1. Dieu, tout
embrasé d'amour pour notre salut, excitait de plus en plus l'amour
et la douleur dans cette âme, en lui montrant avec quelle passion il
avait cherché l'homme, et il lui disait : Ma fille, ne vois-tu pas
que l'homme me frappe et m'offense, moi qui l'ai créé avec tant
d'amour, moi qui l'ai comblé de dons presque infinis, que je lui ai
accordés par grâce et non par mérite. Tu vois combien de péchés
différents il commet contre moi et combien il m'offense surtout par
ce misérable et abominable amour-propre d'où vient tout le mal.
2. C'est cet amour
qui empoisonne le monde entier ; car si mon amour produit toutes les
vertus qui s'appliquent au prochain, l'amour-propre renferme en lui
tout mal, parce qu'il vient de l'orgueil, comme le mien vient de la
charité. Ce mal s'accomplit par le moyen de la créature et détruit
la charité du prochain, parce que celui qui ne m'aime pas, n'aime
pas le prochain : ces deux amours sont unis ensemble. Je t'ai dit
que tout bien et tout mal se faisaient par le prochain.
3. N'ai-je pas
raison de me plaindre de l'homme, qui n'a reçu de moi que des
bienfaits, et qui ne me rend que de la haine et des offenses?
Cependant, je te l'ai dit et je- te le répète, les larmes de mes
serviteurs peuvent apaiser ma colère ; oui, vous tous qui me servez,
répandez sans cesse en ma présence Vos ferventes prières et vos
ardents désirs : pleurez amèrement les offenses qui me sont faites
et le malheur des âmes qui se perdent, et vous adoucirez la rigueur
de mes divins jugements.
1. Apprends, ma
fille, que personne ne peut échapper à mes mains, parce que je suis
celui qui suis. Vous n'avez pas l'être par vous-mêmes, mais vous
êtes faits par moi, qui suis le créateur de toutes les choses qui
participent à l'être, excepté du péché, qui n'est pas, car il n'à
pas été fait par moi, et comme il n'est pas en moi, il n'est pas
digne d'être aimé.
2. La créature se
rend coupable parce qu'elle aime le péché, qu'elle ne devrait pas
aimer, et parce qu'elle me hait, moi qu'elle devrait tant aimer,
puisque je suis le souverain Bien, et que je lui ai donné l'être
avec tant d'amour. Mais elle ne peut m'échapper : ou elle est punie
par ma justice pour ses fautes, ou elle est sauvée par ma
miséricorde. Ouvre donc l’œil de ton intelligence et regarde ma
main, et tu verras la vérité de ce que je te dis.
3. Cette âme, pour
obéir à l'ordre du Père suprême, regarda, et vit dans sa main
l'univers tout entier. Et Dieu lui disait : Ma fille, vois et
comprends que personne ne peut m'échapper ; tous sont les sujets de
ma justice ou de ma miséricorde, car tous ont été créés par moi, et
je les aime d'un amour ineffable ; malgré toutes leurs iniquités, je
leur ferai miséricorde, et je t'accorderai ce que tu m'as demandé
avec tant de larmes et d'ardeur.
1. Alors cette âme,
ivre d'amour et tout hors d'elle-même, dans l'ardeur toujours
croissante de ses saints désirs, était à la fois heureuse et pleine
de douleur. Elle était heureuse parce qu'elle était unie à Dieu,
jouissant des largesses de sa bonté et tout anéantie dans sa
miséricorde ; elle était pleine de douleur parce qu'elle voyait
offenser cette bonté infinie. Elle rendait grâces à la Majesté
divine en comprenant que Dieu lui avait manifesté les défauts de ses
créatures pour la contraindre à s'adresser à lui avec plus de zèle
et de désir.
2. Elle sentait
son amour se renouveler au sein de Dieu, et cette sainte flamme de
l'amour devenait si ardente, qu'elle désirait changer en sueurs de
sang ces sueurs que causaient à son corps les violences de son âme,
parce que l'union de son âme avec Dieu était plus grande que l'union
de son âme et de son corps. La force de l'amour la baignait de
sueurs, mais elle en avait honte, car c'était son sang qu'elle
aurait voulu voir couler. Elle se disait à elle-même : O ma pauvre
âme, tu as perdu tous les instants de ta vie ; il y a tant de péchés
dans le monde et dans l'Église, tant de malheurs généraux et
particuliers ! Je voudrais te les voir réparer par une sueur de
sang.
3. C'est que cette
âme avait bien compris les enseignements de l'éternelle Vérité, le
besoin de se connaître, la bonté de Dieu à son égard, et le moyen de
réparer le mal dans le monde et d'apaiser la justice irritée du Ciel
par d'humbles et continuelles prières. Elle excitait de plus en plus
ses désirs et appliquait davantage son intelligence à la
contemplation de la charité divine ; elle voyait et sentait combien
nous sommes tenus d'aimer et de chercher la gloire et la louange du
nom de Dieu dans le salut des âmes. Elle comprenait que c'était la
vocation des serviteurs de Dieu. C'était surtout celle à laquelle la
Vérité éternelle appelait le père de son âme, et elle l'offrait à la
bonté divine, demandant avec ferveur pour lui la lumière de la
grâce, afin qu'il accomplit véritablement la volonté de Dieu en
toutes choses.
1. Alors Dieu
répondit à cette demande que lui inspirait l'ardent désir qu'elle
avait du salut de son père spirituel. Il lui disait : Ma fille, ma
volonté est qu'il cherche à me plaire par sa faim et son zèle pour
le salut des âmes ; mais ni toi ni lui ne pourrez y parvenir sans
souffrir les nombreuses persécutions que je jugerai utile de vous
accorder.
2. Si vous désirez
me voir honorer dans l'Église, vous devez vouloir et aimer souffrir
avec patience : ce sera la preuve que toi, ton père spirituel, et
mes autres serviteurs, vous cherchez véritablement ma gloire. Vous
mériterez ainsi ma tendresse paternelle ; vous reposerez sur la
poitrine de mon Fils bien-aimé, que je vous ai donné comme un pont,
pour que tous vous puissiez atteindre votre fin dernière, et
recevoir le fruit des peines que vous aurez supportées
courageusement par amour pour moi.
1. Je t'ai dit que
j'avais fait du Verbe, mon Fils unique, un pont, et c'est la vérité.
Je veux que vous sachiez, vous qui êtes mes enfants, que la route a
été rompue par le péché et la désobéissance d'Adam. Personne ne
pouvait arriver à la vie éternelle, l'homme ne rendait plus la
gloire qu'il me devait et ne recevait plus le bien pour lequel je
l'avais créé à mon image et ressemblance, et dès lors ma vérité ne
s'accomplissait pas.
2. Cette vérité
était que je l'avais créé pour qu'il eût la vie éternelle, et qu'en
participant à moi, il goûtât les ineffables douceurs de ma bonté
suprême. Le péché l'empêchait d'arriver à ce but, et ainsi ma vérité
n'était pas accomplie, parce que la faute avait fermé le ciel et la
porte de la miséricorde. Cette faute produisit pour l'homme les
épines, les souffrances et les tribulations.
3. La créature
trouva la révolte en elle-même, dès qu'elle se fut révoltée contre
moi : la chair combattit l'esprit. L'homme, en perdant l'état
d'innocence, devint un être immonde contre lequel toutes les choses
créées se révoltèrent, tandis qu'elles lui auraient été toujours
soumises, s'il se fût conservé dans l'état où je l'avais placé. En
ne s'y conservant pas, il a violé l'obéissance et mérité la mort
éternelle de l'âme et du corps. Dès qu'il eut péché ; un fleuve
plein de tempêtes se précipita sur lui et l'inonda de peines et de
persécutions qui venaient de lui-même, du démon et du monde.
4. Vous périssiez
tous dans ce fleuve, car personne, par son propre mérite, ne pouvait
atteindre la vie éternelle. Pour vous préserver de ce malheur, je
vous ai donné mon Fils comme un pont sur lequel vous pouvez passer
sans danger le fleuve et les orages de cette vie. Vois combien la
créature me doit, et combien elle est aveugle en voulant toujours se
noyer dans ce fleuve et en ne prenant pas le remède que je lui ai
donné.
1. Ouvre l’œil de ton intelligence, ma
fille, et tu verras les pauvres aveugles, tu verras aussi les
imparfaits et les parfaits qui me suivent dans la vérité ; tu
pleureras sur la perte des aveugles, et tu te réjouiras de la
perfection de mes enfants bien-aimés. Tu verras comment font ceux
qui marchent dans la lumière et ceux qui marchent dans les
ténèbres ; mais avant, je veux que tu regardes ce pont de mon Fils
unique, et que tu voies sa grandeur qui s'étend du ciel à la terre,
car il comble la distance qui est entre l'infini et votre humanité,
il unit le ciel et la terre par l'union que j'ai faite des deux
natures.
2. Il fallait bien rétablir la route qui
était rompue, comme je te l'ai dit, afin que vous arriviez à la vie,
et que vous traversiez les flots amers du monde. La terre ne pouvait
suffire à ce grand travail, qui devait vous faire passer le fleuve
et vous procurer la vie éternelle. La nature de l'homme était
incapable de satisfaire à la faute, et d'effacer la souillure du
péché d'Adam qui corrompait et infectait tout le genre humain ; il
fallait l'unir à la grandeur de ma nature divine, afin qu'elle pût
satisfaire pour tous les hommes ; il fallait que la nature humaine
souffrît la peine, et que la nature divine unie à cette nature
humaine acceptât le sacrifice de mon Fils qui m'était offert pour
vous, pour vous délivrer de la mort et vous donner la vie.
3. La grandeur de la Divinité s'abaissa
jusqu'à la terre de votre humanité, et c'est cette union qui fit ce
pont et rétablit la route. Pourquoi mon Fils s'est-il fait lui-même
le chemin ? C'est pour que vous puissiez jouir de la vie éternelle
avec les anges. Mais pour acquérir le bonheur, il ne suffit pas que
mon Fils soit devenu un pont, il faut encore vous en servir.
1. L'éternelle Vérité montrait à cette âme
qu'elle nous avait créés sans nous, mais qu'elle ne pouvait nous
sauver sans nous. Il faut pour cela faire un bon usage du libre
arbitre et employer le temps à la pratique des vertus. Elle
ajoutait : Vous devez tous passer sur ce pont ; en cherchant sans
cesse la gloire de mon nom dans le salut des âmes et en supportant
toutes sortes de fatigues, à la suite du doux et tendre Verbe ; sans
cela vous ne pourrez jamais venir à moi.
2. Vous êtes les ouvriers que j'ai envoyés
travailler à la vigne de la sainte Église. Vous travaillez dans le
corps universel de la religion chrétienne. Je vous y ai conduits par
ma grâce lorsque je vous ai donné la lumière du saint baptême. Vous
recevez ce baptême dans le corps mystique de l'Église, par les mains
de ses ministres que j'ai envoyés travailler avec vous.
3. Vous êtes dans le corps universel, et
eux sont dans le corps mystique pour nourrir vos âmes et vous
administrer le sang de mon Fils dans les sacrements que vous recevez
d'eux, lorsqu'ils vous délivrent des épines du péché mortel et
qu'ils sèment en vous la grâce. Ce sont les ouvriers qui travaillent
à la vigne de vos âmes unie à la vigne de la sainte Église.
4. Toute créature qui a la raison possède
une vigne en elle-même : c'est la vigne de son âme, dont le libre
arbitre est le vigneron tant que dure la vie. Dès que le temps est
plissé, personne ne peut travailler ni bien ni mal ; mais tant qu'il
vit, il peut cultiver la vigne que je lui ai confiée. Chaque
vigneron a reçu une force si grande, que le démon ni aucune créature
ne peut le dépouiller sans son consentement. Il est devenu fort par
le saint baptême, et il a reçu comme instruments l'amour de la vertu
et la haine du péché. Cet amour et cette haine, il les trouve dans
le sang, parce que, par amour pour vous et par haine pour le péché,
mon Fils unique est mort et vous a donné son sang, qui vous
communique la vie dans le baptême.
5. Puisque vous êtes armés, votre libre
arbitre doit se servir de ce fer, pendant qu'il est temps, pour
arracher les épines du péché mortel et pour cultiver la vertu ; sans
cela vous ne recevriez pas le fruit du sang que doivent vous donner
les ouvriers que j'ai mis dans la sainte Église pour ôter le péché
mortel de la vigne de l'âme, et distribuer la grâce en administrant
le sang dans les Sacrements établis par l'Église.
6. Il faut donc exciter d'abord en vous la
contrition du cœur, l'horreur du péché, l'amour de la vertu ; et
alors vous recevrez le fruit du sang. Mais vous ne le pouvez
recevoir, si de votre côté vous n'êtes pas comme les rameaux de mon
Fils unique, qui est Fa vigne ; car il a dit : “Je suis la vigne
véritable, mon Père est le vigneron et vous êtes les rameaux” (S.
Jean, XV, 1-5) ; et cela est vrai.
7. Je suis le vigneron, car tout ce qui a
l'être est venu ou vient par moi. Ma puissance est infinie, c'est
elle qui gouverne l'univers, et rien n'est fait ni ordonné sans moi.
Je suis le vigneron qui ai mis mon Fils unique, la vigne véritable,
dans la terre de votre humanité, afin que vous en soyez les rameaux
qui portent le fruit.
8. Celui qui ne portera pas le fruit de
saintes et bonnes œuvres sera retranché de la vigne et se
dessèchera ; car, dès qu'il est séparé de la vigne, il perd la vie
de la grâce et est jeté au feu éternel. Ainsi le rameau qui ne porte
pas de fruit est retranché de la vigne et mise au feu ; il ne peut
servir à autre chose. Ceux qui sont retranchés par leur faute, et
qui meurent dans le péché mortel, sont jetés par la justice divine,
parce qu'ils sont inutiles, dans le feu qui dure éternellement.
9. Ceux-là n'ont pas cultivé leur vigne ;
ils l'ont au contraire détruite ainsi que celle des autres. Non
seulement ils ont négligé de produire des rejetons de vertus, mais
encore ils ont ôté la semence de la grâce qu'ils avaient reçue dans
la lumière du saint baptême, en participant au sang de mon Fils, qui
est le vin que porte cette vigne vérItable, ils ont enlevé cette
semence, et ils l'ont donnée en pâture aux animaux, c'est-à-dire à
leurs nombreuses iniquités. Ils l'ont foulée aux pieds de I'amour
déréglé avec lequel ils m'ont offensé, et ils ont nui à eux-mêmes et
à leur prochain.
10. Mes serviteurs n'agissent pas ainsi, et
vous devez faire comme eux, c'est-à-dire être unis et greffés sur la
vigne véritable, et alors vous porterez des fruits abondants, parce
que vous participerez à la sève de la vigne.
11. Si vous êtes dans mon Fils bien-aimé,
vous êtes en moi, parce que je suis une même chose avec lui, et lui
avec moi. En étant avec lui, vous suivrez sa doctrine, et en suivant
sa doctrine, vous participerez à la substance du Verbe ;
c'est-à-dire vous participerez à la divinité unie à l'humanité, et
vous puiserez un amour divin qui enivre l'âme fidèle. En vérité, je
vous le dis, vous participerez à la substance de la vigne véritable.
1. Apprends, ma fille, ma conduite envers
mes serviteurs qui sont unis à mon Fils bien-aimé par leur fidélité
à suivre sa doctrine. Je les taille pour qu'ils portent beaucoup de
fruits, et que ce fruit soit excellent et non pas sauvage. Les
rameaux de la vigne sont coupés par le vigneron, pour que le vin
soit meilleur et plus abondant ; et les branches qui ne portent pas
de fruits sont retranchées et mises au feu. Je ferai de même, moi
qui suis le vigneron véritable ; je taille par la tribulation les
serviteurs qui sont en moi, afin que leur vertu soit éprouvée et
donne des fruits plus abondants et plus parfaits. Ceux qui sont
stériles sont retranchés et jetés au feu.
2. Les vrais ouvriers sont ceux qui
cultivent bien leurs âmes ; ils en arrachent l'amour-propre et
retournent en moi la terre de leur cœur, pour y nourrir et y
développer la semence de la grâce qu'ils ont reçue au saint baptême.
En, cultivant leur vigne, ils cultivent celle du prochain ; et ils
ne peuvent cultiver l'une sans l'autre ; car, je l'ai dit, tout le
bien et le mal se fait par le moyen du prochain. Vous êtes mes
ouvriers ; je vous ai choisis ; moi, je suis l'ouvrier éternel et
suprême ; et je vous ai unis et greffés à la vigne véritable par
l'union que j'ai faite avec vous.
3. Remarque, ma fille, que toutes les
créatures raisonnables ont en elles une vigne naturellement unie à
la vigne de leur prochain. Ces vignes sont tellement unies, qu'elles
ne peuvent agir sans que le bien ou le mal qu'elles font ne leur
soit commun. Vous formez tous la vigne universelle, qui est la
société des fidèles unie à la vigne mystique de la sainte Église, où
vous puisez la vie.
4. Dans cette vigne est plantée la vigne
de mon Fils unique, sur lequel vous devez être greffés. Si vous ne
l'êtes pas, vous êtes rebelles à la sainte Église, et vous êtes
comme les membres retranchés qui se corrompent sur-le-champ. Vous
avez, il est vrai, le temps pour détruire cette corruption du péché
par une contrition véritable et par le secours de mes ministres, qui
sont les ouvriers chargés de distribuer le vin, c'est-à-dire le sang
sorti de la vigne véritable. Ce sang est si pur et si parfait,
qu'aucun défaut de celui qui l'administre ne peut en altérer la
vertu.
5. C'est la charité qui lie les rameaux
avec les liens d'une humilité sincère, acquise par la connaissance
de soi-même et de moi. Tu vois que je vous ai tous envoyés
travailler, et je vous y invite de nouveau, parce que le monde
décline, et que les épines s'y sont tellement multipliées, qu'elles
étouffent la semence, et que les hommes ne veulent plus porter les
fruits de la grâce.
6. Je veux donc que vous soyez mes
ouvriers, et que vous alliez avec zèle travailler aux âmes dans le
corps mystique de la sainte Église. Je vous ai choisis pour cela,
parce que je veux faire miséricorde au monde, pour lequel tu
m'adresses de si ferventes prières.
1. Alors cette âme, dans son ardent amour,
s'écriait : O douce et ineffable Charité, qui ne s'enflammerait pas
à tant d'amour ? Quel cœur pourrait se défendre d'en être consumé ?
O abîme de charité, vous aimez si éperdument vos créatures, qu'il
semble que vous ne pouvez vivre sans elles ; et cependant vous êtes
notre Dieu, qui n'a pas besoin de nous. Notre bien n'ajoute rien à
votre grandeur, car vous êtes immuable ; notre mal ne peut vous
atteindre, car vous êtes l'éternelle et souveraine bonté. Qui vous
porte donc à tant de miséricorde ? L'amour, et non pas le devoir, ni
le besoin que vous avez de nous. Nous ne sommes que des enfants
coupables et de mauvais débiteurs.
2. Oui, je ne m'aveugle pas, ô souveraine
Vérité, j'ai fait le mal, et vous êtes puni pour moi ; je vois le
Verbe, votre Fils, attaché et cloué à la croix, et vous m'en avez
fait un pont, ainsi que vous me l'avez montré à moi votre misérable
servante. C'est pour cela que mon cœur se brise, et il ne se brise
pas autant que le voudrait l'ardent désir qui m'enflamme pour vous.
Je me rappelle que vous vouliez me montrer quels sont ceux qui
passent sur ce pont et ceux qui n'y passent pas. Qu'il plaise à
votre bonté de le faire. Je serai bienheureuse de le voir et de
l'entendre.
1. Alors le Dieu éternel, afin d'exciter et
d'enflammer de plus en plus cette âme pour le salut des hommes, lui
répondit : Avant de te montrer ce que je veux te montrer et ce que
tu me demandes, je vais te dire comme est fait ce pont. Je t'ai dit
qu'il tient du ciel à la terre par l'union que j'ai faite avec
l'homme, qui est formé du limon de la terre. Ce pont, qui est mon
Fils unique, a trois degrés. Deux furent faits sur le bois de la
sainte croix, et le troisième est dans la grande amertume qu'il
ressentit lorsqu'il fut abreuvé de fiel et de vinaigre. A ces trois
degrés correspondent trois états de l'âme que je t'expliquerai
bientôt.
2. Le premier degré c'est ses pieds, qui
signifient I'affection ; les pieds portent le corps, comme
l'affection porte l'âme. Ces pieds percés doivent te servir de
degrés pour arriver au côté, qui est le second degré où te sera
révélé le secret du cœur. car, dès que l'âme s'est élevée à
l'affection des pieds, elle commence à goûter l'affection du cœur ;
elle fixe l’œil de l'intelligence dans le cœur entrouvert de mon
Fils, où elle trouve la perfection de l'amour. Son amour est
parfait, car ce n'est pas l'intérêt qui l'inspire. En quoi
pouvez-vous lui être utile, puisqu'il est une même chose avec moi ?
3. Alors l'âme s'emplit d'amour en voyant
qu'elle est tant aimée. Elle monte du second degré au troisième,
c'est-à-dire à cette bouche pleine de douceur où elle trouve la
paix, après la grande guerre qu'avaient causée ses fautes. Le
premier degré la détache des affections de la terre et la dépouille
du vice ; le second degré la remplit d'amour pour la vertu ; le
troisième lui fait goûter la paix.
4. Ce pont a trois degrés, afin qu'en
montant le premier et le second vous puissiez arriver au dernier. Il
est élevé, pour que l'eau qui passe ne puisse vous nuire, et qu'il
n'y ait en vous aucun poison du péché. Ce pont touche au ciel, et il
n'est pourtant pas séparé de la terre. Sais-tu quand il a été
élevé ? Au moment où mon Fils a été sur le bois de la très sainte
croix, sans que sa nature divine fût séparée de la bassesse de votre
humanité. C'est ainsi que, malgré son élévation, il n'a pas été
séparé de la terre ; car ses deux natures étaient unies et mêlées
ensemble. Personne ne pouvait passer sur ce pont avant qu'il fût
élevé en haut ; et c'est pourquoi mon Fils a dit : “Si je suis élevé
de terre, j'attirerai tout à moi” (Jn, XII, 32).
5. Lorsque ma bonté vit que vous ne pouviez
être attirés d'une autre manière, j'ordonnai qu'il fût élevé sur
l'arbre de la Croix, et que l'humanité fût battue sur cette enclume,
pour qu'elle fût délivrée de la mort et revêtue de la vie de la
grâce. Mon Fils a attiré toute chose en montrant l'amour ineffable
qu'il avait pour vous ; car le cœur de l'homme est toujours attiré
par l'amour. Il ne pouvait vous montrer un plus grand amour qu'en
donnant sa vie pour vous. Cet amour doit donc faire violence à
l'homme, si son aveuglement et son ingratitude n'y mettent pas
obstacle. Il a dit que quand il serait élevé de terre il attirerait
toute chose à lui, et c'est la vérité.
6. Ceci-doit s'entendre de deux manières.
Premièrement, si l'amour attire le cœur de l'homme, avec lui sont
attirées toutes les puissances de l'âme, la mémoire, l'intelligence
et la volonté. Dès que ces trois puissances sont unies et assemblées
en mon nom, toutes les autres opérations, actuelles et mentales, se
fixent et s'unissent en moi par l'effet de l'amour. L'âme s'élève à
la suite de l'amour crucifié. Ainsi ma Vérité s'est donc bien
exprimée en disant : “Si je suis élevé de terre, j'attirerai tout à
moi” ; car, dès qu'il attire le cœur et les puissances de l'âme, il
attire tous leurs actes.
7. Secondement, tout a été créé pour le
service de l'homme. Les choses créées ont été faites pour lui être
utiles et fournir à ses besoins. La créature raisonnable n'est pas
faite pour les choses créées, mais pour moi, afin qu'elle me serve
de tout son cœur et de toutes ses forces. Dès que l'homme est
attiré, tout est attiré, puisque tout est fait pour lui. Il fallait
donc que le pont fût élevé et qu'il eût des degrés, pour que vous
puissiez monter plus facilement.
1. Ce pont est bâti avec des pierres, pour
que la pluie n'en intercepte pas le passage. Et quelles sont- ces
pierres ? ce sont les vertus sincères et véritables. Ces pierres
n'étaient pas réunies avant la Passion de mon Fils ; aussi personne
ne pouvait parvenir à sa fin, même en suivant la bonne route. Le
ciel n'était pas encore ouvert avec la clef du sang, et la pluie de
la justice empêchait de passer. Mais les pierres furent taillées et
posées, sur le corps de mon Fils bien-aimé qui est le pont : il les
réunit, et, pour les cimenter, il détrempa la chaux avec son sang,
c'est-à-dire que le sang fut mêlé à la chaux de la Divinité par-la
force et le feu de la charité.
2. Ma puissance posa les pierres des
vertus sur mon Fils, parce que toute vertu est éprouvée en lui ;
c'est de lui qu'elle reçoit la vie. Personne ne peut acquérir la
vertu qui manifeste la vie de la grâce, si ce n'est par lui,
c'est-à-dire s'il ne suit ses traces et sa doctrine. Il a posé les
vertus comme les pierres vives de l'édifice ; il les a fortement
cimentées avec son sang, afin que tous les fidèles pussent passer
sûrement et sans craindre servilement la pluie de la justice divine,
parce qu'ils sont abrités par la miséricorde. La mis,éricorde est
descendue du ciel dans l'incarnation de mon Fils. Et comment
a-t-elle ouvert le ciel ? avec la clef de son sang.
3. Ainsi, tu le vois, le pont est construit
de pierres ; il est abrité par .la miséricorde, et dessus se trouve
l'hôtellerie et le jardin de la sainte Église qui distribue le pain
de vie et donne à boire le sang précieux, afin que mes créatures qui
passent ne défaillent pas dans leur pèlerinage. C'est ma charité qui
vous fait distribuer ainsi le sang et le corps de mon Fils
bien-aimé, homme et Dieu tout ensemble.
4. Quand le pont est passé ; on arrive à
la porte qui en fait aussi partie ; c'est par elle que tous doivent
entrer, car il a dit : “Je suis la voie, la vérité, la vie”. (Jn,
XIV, 6). “Qui va par moi ne marche pas dans les ténèbres, mais
il aura la lumière de la vie”. (Jn, VIII, 12). Personne ne
peut venir à moi si ce n'est par lui. C'est la vérité. Et si tu te
le rappelles, je te l'ai montré en te faisant voir la voie. Il a dit
qu'il était la voie, et c'est la vérité ; je t'ai fait voir cette
voie sous la forme d'un pont. Il a dit qu'il est la vérité, et cela
est, car il est uni à moi qui suis la vérité. Celui qui le suit
marche par la vérité et la vie ; et celui qui suit cette vérité
reçoit la vie de la grâce et ne peut mourir de faim, car la vérité
devient sa nourriture.
5. Il ne peut tomber dans les ténèbres,
parce qu'il est la lumière sans aucune erreur. La vérité confond et
détruit le mensonge du démon, par qui Ève fut trompée. C'est ce
mensonge qui a rompu la voie du ciel, et la vérité l'a réparée et
consolidée avec son précieux sang. Ceux qui suivent cette voie sont
les fils de la vérité, parce qu'ils suivent la Vérité, et ils
passent par la porte de la vérité, et se trouvent unis en moi par
mon Fils, qui est la porte, la voie, l'éternelle vérité, la paix
infinie.
6. Celui qui ne suit pas cette voie passe
sous le pont, par la route du fleuve, qui n'est pas garnie de
pierres et qui est tout inondée ; et parce que l'eau n'a aucune
consistance, personne ne peut y marcher sans périr. Cette eau
dangereuse est le monde, avec ses plaisirs et ses honneurs.
7. L'âme n'y place pas ses affections sur
la pierre solide, car elle aime d'un amour déréglé les créatures ;
elle les aime et les possède hors de moi. Ces choses créées
ressemblent à des eaux courantes, l'homme est entraîné comme elles ;
il croit que ce sont les choses qu'il aime qui passent, et c'est lui
qui va sans cesse vers la mort. Il voudrait se retenir et fixer sa
vie dans les choses qu'il aime, mais tout lui échappe par la mort ou
par ma providence.
8. Ceux qui suivent la voie du mensonge
sont les fils du démon, qui est, le père du mensonge ; et parce
qu'ils passent par la porte du mensonge, ils tombent dans la
damnation éternelle. Mais je t'ai montré la vérité et je t'ai montré
le mensonge ; ma voie est la vérité, la voie du démon est le
mensonge.
1. Ce sont les deux voies ; dans l'une et
dans l'autre on marche péniblement. Regarde combien l'homme est
ignorant et aveugle : il veut passer par le fleuve, et il a une
autre route où tout ce qui est amer devient doux, et tout ce qui est
pesant devient léger. Au milieu des ténèbres du corps on y trouve la
lumière, et ceux qui meurent y acquièrent la vie immortelle, car ils
goûtent par l'amour et la lumière de la foi l'éternelle vérité, qui
a promis le repos à ceux qui se fatiguent pour moi.
2. Je suis fidèle, reconnaissant et
juste ; je donne à chacun selon ses mérites ; tout bien est
récompensé, et tout mal est puni. Le bonheur que possède celui qui
suit la voie véritable, la langue ne pourra jamais le raconter,
l'oreille l'entendre, et l’œil le contempler, car celui-là possède
et goûte déjà le bien qui est préparé pour la vie du ciel.
3. Qu'il est insensé celui qui méprise un
si grand bien et préfère avoir, dés cette vie, un avant-goût de
l'enfer, puisqu'il passe par le chemin du monde, où il ne trouve que
des fatigues sans repos et sans jouissance, car ses péchés le
privent de moi, qui suis le bien éternel et suprême.
4. Tu as donc bien raison de gémir, et je
veux que toi et mes autres serviteurs, vous pleuriez amèrement
l'offense qui m'est faite, et que vous ayez compassion de ces
pauvres aveugles qui perdent leurs âmes. Tu as vu et entendu comment
est fait ce pont, car je t'ai expliqué que mon Fils unique était le
moyen qui unit la grandeur de Dieu à la bassesse de l'homme.
1. Lorsque mon Fils retourna vers moi,
quarante jours après sa résurrection, le pont s'éleva de la terre,
c'est-à-dire de la société des hommes. Il monta jusqu'au ciel par la
vertu de ma nature divine et se fixa à ma droite, ainsi que l'ange
le dit aux disciples le jour de l'Ascension, lorsqu'ils étaient
comme morts, parce que leurs cœurs avaient quitté la terre pour le
ciel avec la sagesse de mon Fils. Il ne faut pas vous arrêter
davantage, leur dit-il, parce que le Seigneur Jésus est monté au
ciel, où il est assis à la droite du Père.
2. Lorsqu'il fut monté vers moi, avec son
corps qui ne se sépara jamais de la divinité, j'envoyai aux hommes
le grand maître, le Saint-Esprit, qui vint avec ma puissance, avec
la sagesse du Fils, et avec sa clémence ; car il est une même chose
avec moi le Père et avec mon Fils ; il complète la voie de la
doctrine que ma vérité avait laissée dans le monde. Mon Fils n'était
pas visible, mais sa doctrine y restait avec les vertus, qui sont
les pierres vives fondées sur la doctrine pour former la voie de ce
pont doux et glorieux. Il avait travaillé le premier, et ses œuvres
avaient tracé la voie ; car il vous a donné sa doctrine plutôt par
ses exemples que par ses paroles ; il agit avant de parler.
3. La clémence du Saint-Esprit confirma
cette doctrine en donnant aux disciples la force de confesser la
vérité et d'enseigner la voie véritable, c'est-à-dire la doctrine de
Jésus crucifié. Il convainquit par leur moyen le monde d'injustices
et de faux jugements. Je t'expliquerai bientôt quels sont ces
injustices et ces faux jugements.
4. Je t'ai dit tout ceci afin qu'aucune
erreur ne puisse obscurcir l'esprit, et qu'on ne dise pas : Le corps
de Jésus-Christ est bien un pont par l'union de la nature divine
avec la nature humaine, c'est la vérité ; mais ce pont s'est séparé
de nous en montant au ciel. Il était vraiment le chemin, du salut,
et il nous enseignait la vérité par ses paroles et ses exemples ;
maintenant, que nous est-il resté ? Où trouver la voie ? Je te le
dirai pour ceux qui sont tombés dans cet aveuglement. La doctrine de
mon Fils a été confirmée par les apôtres, prouvée par le sang des
martyrs, illuminée par les docteurs, reconnue par les confesseurs,
écrite par les évangélistes ; et tous ces témoins en ont confessé la
vérité dans le corps mystique de la sainte Église.
5. Ils sont comme le flambeau placé sur le
chandelier, pour montrer la voie de la vérité qui conduit à la vie
dans une parfaite lumière. Non seulement ils l'ont enseignée, mais
ils l'ont montrée en eux-mêmes, Chacun est assez éclairé pour
connaître la vérité, s'il le veut, et s'il n'étouffe pas la lumière
de sa raison par l'amour déréglé de soi-même. Oui, la doctrine de
mon Fils, qui est la vérité, est restée dans le monde, comme une
barque pour, sauver l'âme des tempêtes de la mer et la conduire au
port du salut.
6. Ainsi j'ai fait d'abord de mon Fils un
pont pour le salut du monde, lorsqu'il conversait parmi les hommes ;
et lorsque le pont s'est élevé de la terre, il y est cependant
resté, car c'est la voie de la doctrine inséparablement unie à ma
puissance, à la sagesse du Fils et à la clémence du Saint-Esprit. La
puissance donne la vertu de force à celui qui suit la voie ; la
sagesse donne la lumière pour connaître la vérité l'Esprit Saint
donne l'amour qui chasse l'amour-propre sensuel de l'âme, et n'y
laisse que l'amour de la vertu.
7. Ainsi de toute manière, par lui-même ou
par sa doctrine, mon Fils est la voie, la vérité, la vie, le pont
qui vous conduit jusqu'au ciel. C'est ce qu'il voulait dire par ces
paroles : “Je suis sorti du Père, et je suis venu d'ans le monde, et
maintenant je quitte le monde, et je retourne vers le Père” (Jn,
XVI, 28), et je viendrai vers vous ; c'est-à-dire, mon Père m'a
envoyé vers vous ; et je me suis fait votre pont pour que vous
passiez le fleuve, et que vous puissiez arriver à la vie. Et il
ajoute : “Je reviendrai vers vous, je ne vous laisserai pas
orphelins ; mais je vous enverrai le Consolateur” (Jn, XIV, 18) ;
c'est-à-dire, je retourne vers mon Père, et je reviendrai quand le
Saint-Esprit, qui est appelé le Consolateur, viendra plus clairement
vous montrer que je suis la voie de la vérité, et vous confirmer la
doctrine que je vous ai donnée.
8. II dit qu'il reviendra, et il revient ;
car le Saint-Esprit ne vient pas seul, mais il vient avec la
puissance du Père, avec la sagesse du Fils, et avec la clémence du
Saint-Esprit. Tu vois donc qu'il revient, non pas visiblement, mais
par sa vertu. Il fortifie la route de la doctrine, et cette route ne
peut être détruite ou fermée à celui qui veut la suivre, parce
qu'elle est sûre et solide, et qu'elle vient de moi, qui suis
immuable. Vous devez donc suivre cette route avec courage et sans
hésitation, puisque vous êtes éclairés par la lumière de la foi,
dont vous a revêtus le saint baptême.
9. Ainsi je t'ai clairement montré que le
pont et la doctrine sont une même chose ; et j'ai fait connaître aux
ignorants Celui qui a ouvert cette voie de vérité et ceux qui
l'enseignent. J'ai dit que c'étaient les apôtres, les évangélistes,
les martyrs, les confesseurs, les saints docteurs, placés comme des
lampes dans l'Église. Je t'ai expliqué comment mon Fils, en venant à
moi, est retourné à vous, non pas visiblement, mais virtuellement,
lorsque le Saint-Esprit descendit sur les disciples. Il ne
retournera visiblement qu'au dernier jour du jugement, lorsqu'il
viendra avec ma majesté et ma puissance pour juger le monde,
lorsqu'il glorifiera les bons et récompensera les fatigues de leur
âme et de leur corps, tandis qu'il punira d'une peine éternelle ceux
qui auront commis le mal pendant leur vie.
10. Maintenant je veux remplir ma promesse
et te montrer ceux qui marchent imparfaitement, ceux qui marchent
parfaitement et ceux qui avancent avec une plus grande perfection ;
comment ils marchent, et comment les méchants se noient dans le
fleuve et tombent par leur faute dans les supplices et les
tourments.
11. Je vous conjure, mes fils bien-aimés, de
passer sur le pont et non pas dessous, car ce n'est pas la voie de
la vérité, mais celle du mensonge, que suivent les pécheurs dont je
te parlerai ; c'est pour les pécheurs que je vous conjure de
m'adresser des prières, c'est pour eux que je réclame vos larmes et
vos sueurs, afin qu'ils reçoivent de moi miséricorde.
È
1. Alors cette âme, ivre d'amour, ne
pouvait plus se contenir, et elle disait en présence de Dieu : O
éternelle Miséricorde, qui couvrez toutes les fautes de vos
créatures, je ne m'étonne plus si vous dites à ceux qui sortent du
péché mortel et qui retournent à vous : Je ne me rappellerai pas vos
offenses. O Miséricorde ineffable, je ne m'étonne plus si vous dites
à ceux qui sortent du péché, puisque vous dites de ceux qui vous
persécutent : Je veux que vous me priiez pour eux afin de pouvoir
leur faire miséricorde.
2. O Miséricorde, qui venez du Père, et
qui gouvernez par votre puissance l'univers tout entier ! O Dieu,
c'est votre miséricorde qui nous a créés, qui nous a régénérés dans
le sang de votre Fils ; c'est votre miséricorde qui nous conserve ;
votre miséricorde a fait lutter votre Fils sur le bois de la croix.
Oui, la mort a lutté contre la vie, la vie contre la mort. La vie a
vaincu la mort du péché, et la mort du péché a ravi la vie
corporelle de l'innocent Agneau. Qui est resté vaincu ? la mort. Et
quelle en fut la cause ? votre miséricorde.
3. Votre miséricorde donne la vie ; elle
donne la lumière qui fait connaître votre clémence en toute
créature, dans les justes et dans les pécheurs. Votre miséricorde
brille au plus haut des cieux, dans vos saints ; et si je regarde
sur la terre, votre miséricorde y abonde. Votre miséricorde luit
même dans les ténèbres de l'enfer, car vous ne donnez pas aux damnés
tous les tourments qu'ils méritent.
4. Votre miséricorde adoucit votre
justice ; par miséricorde, vous nous avez purifiés dans le sang de
votre Fils ; par miséricorde, vous avez voulu habiter avec vos
créatures à force d'amour. Ce n'était pas assez de vous incarner,
vous avez voulu mourir ; ce n'était pas assez de mourir, vous avez
voulu descendre aux enfers et délivrer les saints, pour accomplir en
eux votre vérité et votre miséricorde. Votre bonté a promis de
récompenser ceux qui vous servaient fidèlement, et vous êtes
descendu aux limbes pour tirer de peine ceux qui vous avaient servi,
et leur rendre le fruit de leurs travaux.
5. Votre miséricorde vous a forcé à faire
encore davantage pour l'homme : vous vous êtes donné en nourriture,
afin que nous ayons un secours dans notre faiblesse, et que, malgré
notre oublieuse ignorance, nous ne perdions pas le souvenir de vos
bienfaits ; tous les jours vous vous offrez à l'homme dans le
Sacrement de l'autel, dans le corps mystique de la sainte Église. Et
qui a fait cela ? votre miséricorde. O Miséricorde, le cœur
s'enflamme en pensant à vous ; de quelque côté que je me tourne, je
ne trouve que miséricorde, O Père éternel, pardonnez à mon ignorance
qui ose parler devant vous ; mais l'amour de votre miséricorde me
servira d'excuse auprès de votre bonté.
1.- Lorsque cette âme eut un peu, par ces
paroles, dilaté son cœur dans la miséricorde divine, elle attendit
humblement l'accomplissement de la promesse qui lui avait été faite,
et Dieu continua de la sorte : Ma fille bien-aimée, tu as parlé
devant moi de ma miséricorde, parce que je te l'ai fait goûter et
voir en te disant : “C'est pour ceux qui m'offensent que je vous
demande de m'adresser vos prières”. Mais sois persuadée que, sans
aucune comparaison, ma miséricorde est beaucoup plus grande envers
vous que tu ne peux le voir ; car ta vue est imparfaite et finie,
tandis que ma miséricorde est infinie et parfaite. Il y a donc entre
ton appréciation et la réalité toute la distance du fini à l'infini.
2. J'ai voulu te faire connaître cette
miséricorde et aussi la dignité de l'homme, que je t'ai déjà
expliquée, afin de te faire mieux comprendre la méchanceté et
l'indignité des pécheurs qui passent par la route inférieure. Ouvre
donc l’œil de ton intelligence, et regarde ceux qui se noient
volontairement dans le fleuve du monde ; vois l'abîme où ils tombent
par leur faute.
3. Ils sont devenus d'abord infirmes et
malades, parce que, dès qu'ils conçoivent le péché mortel dans leur
âme et qu'ils l'enfantent par leurs oeuvres, ils perdent la vie de
la grâce : et comme les morts sont insensibles et n'ont d'autre
mouvement que ceux qui leur viennent de l'extérieur, ceux qui sont
noyés dans le fleuve de l'amour déréglé du monde sont morts à la
grâce ; et parce qu'ils sont morts, leur mémoire perd le souvenir de
ma miséricorde ; l’œil de leur intelligence ne voit plus, ne
reconnaît plus ma vérité ; car la sensibilité est détruite, et
l'intelligence est livrée à la mort de l'amour des sens. Leur
volonté aussi est morte à ma volonté, parce qu'elle n'aime que des
choses mortes, Les trois puissances de l'âme étant mortes, toutes
leurs opérations actuelles et mentales sont mortes, quant à la
grâce ; l'âme ne peut se défendre de ses ennemis et n'échappe
qu'autant que je la secoure moi-même.
4. Toutes les fois, il est vrai, que ce
mort, en qui reste encore le libre arbitre, demandera mon secours
pendant sa vie mortelle, il pourra l'obtenir, mais il ne pourra rien
par lui-même. Il est cause de son impuissance ; il a voulu asservir
le monde, et il a été asservi, par une chose qui n'est pas,
c'est-à-dire par le péché ; car le péché n'est rien que la privation
de la grâce, comme l'aveuglement est la privation de la lumière.
Ceux qui le commettent sont esclaves du péché. Je les avais faits
des arbres d'amour par la vie de la grâce, et ils se sont faits des
arbres de mort ; car ils sont morts, comme je te l'ai dit.
5. Sais-tu où est la racine de cet arbre ?
Dans l'élévation de l'orgueil, qu'entretient l'amour-propre. La
moelle est l'impatience, dont le fils est l'aveuglement. Ce sont ces
quatre vices qui tuent l'âme de celui qui est devenu un arbre de
mort, parce qu'il n'a pas puisé la vie dans la grâce ; à l'intérieur
de l'arbre se nourrit le ver de la conscience, que l'homme vivant
dans le péché sent bien peu, parce qu'il est aveuglé par
l'amour-propre. Les fruits de cet arbre sont mortels, car ils ont
tiré la sève de la racine empoisonnée de l'orgueil.
6. La pauvre âme est pleine d'ingratitude,
et de là vient tout le mal. Si elle était reconnaissante des
bienfaits reçus, elle me connaîtrait ; si elle me connaissait, elle
se connaîtrait elle-même et resterait dans mon amour ; mais elle est
si aveugle, qu'elle veut se fixer sur ce fleuve, sans s'apercevoir
que cette eau qui passe ne peut la soutenir.
1. Cet arbre donne autant de fruits
empoisonnés qu'il y a de sortes de péchés. Il y en a qui servent de
pâture aux animaux immondes : ce sont ceux que commettent ces hommes
qui abusent de leur esprit et de leur corps ; ils se vautrent dans
la boue de la chair, comme les pourceaux dans la fange. O âme
abrutie, qu'as-tu fait de ta dignité ? tu as été faite la sœur des
anges, et tu es devenue une brute grossière ! Ces pécheurs sont
tombés si bas, que non seulement moi, qui suis la pureté suprême, je
ne puis les souffrir, mais que les démons, dont ils se sont faits
les amis et les serviteurs, ne peuvent les regarder commettre leur
impureté.
2. Aucun péché n'est plus abominable et ne
détruit plus la lumière de l'intelligence. Les philosophes eux-mêmes
le savaient, non par la lumière de la grâce qu'ils n'avaient pas,
mais par celle que la nature leur donnait ; et comme ils
comprenaient que ce péché obscurcissait l'intelligence, ils
gardaient la continence afin de pouvoir mieux étudier. Ils jetaient
aussi les richesses loin d'eux, pour que le souci des richesses ne
troublât pas leur cœur. Ce n'est pas ce que fait l'aveugle et faux
chrétien, qui a perdu la grâce par sa faute.
1. Le fruit de quelques autres pécheurs est
de terre : c'est celui des avides et des avares, qui, comme la
taupe, vivent dans la terre jusqu'à la mort, et n'ont aucun secours
quand ils sont arrivés à leur dernier instant ; leur avarice insulte
ma richesse en vendant au prochain le temps qui ne leur appartient
pas. Ces usuriers tourmentent et volent leur prochain, parce que
leur mémoire ne garde pas le souvenir de ma miséricorde : ils ne
seraient pas sans cela si cruels envers eux et envers les autres ;
ils auraient de la compassion et de la miséricorde pour eux-mêmes en
pratiquant la vertu, et pour le prochain en le secourant par
l'aumône. Oh ! combien de maux viennent de ce péché maudit ! combien
d'homicides, de vols, de fourberies, de gains illicites, de coups
mortels et d'injustices ! Ce péché tue l'âme, et la rend tellement
esclave des richesses, qu'elle ne songe plus à observer mes
commandements ; l'avare n'aime personne, si ce n'est par intérêt.
2. Ce vice procède de l'orgueil et nourrit
l'orgueil ; l'un vient de l'autre, parce que l'avarice entraîne
toujours le désir de paraître, qui s'unit sur-le-champ à l'orgueil ;
et le mal augmente, parce que l'orgueil est plein d'estime de
lui-même. Alors s'allume un feu qui donne la fumée de la vaine
gloire et la vanité du cœur qui se glorifie de ce qui ne lui
appartient pas. C'est une racine qui a plusieurs rameaux : le
principal est l'estime de soi, d'où sort l'ambition d'être plus
grand que les autres ; et alors le cœur, au lieu d'être sincère et
généreux, devient hypocrite et menteur. La langue dit autre chose
que ce qu'il renferme ; elle cache la vérité et invente le mensonge
quand son intérêt le demande. Ce vice produit aussi l'envie, ce ver
qui ronge toujours et que ne peuvent rassasier les biens de l'avare
et les biens des autres.
3. Comment ces méchants tombés si bas
donneraient-ils leurs richesses aux pauvres, puisqu'ils volent leur
prochain ? Comment sauveraient-ils leur âme souillée, puisqu'ils la
traînent dans la fange ? Quelquefois ils s'abrutissent tellement,
qu'ils ne regardent plus leurs enfants et leurs familles qu'ils
laissent dans la misère. Cependant ma miséricorde les supporte et ne
commande pas à la terre de les engloutir, pour qu'ils puissent
reconnaître leurs fautes. Comment donneraient-ils leur vie pour le
salut des âmes, puisqu'ils ne donnent pas même leur argent ? Comment
aimeraient-ils leurs frères, puisqu'ils sont rongés d'envie ?
4. O vice misérable qui abaisse et détruit
le ciel de l'âme! oui, je dis le ciel, car j'ai fait de l'âme un
ciel où j'habite par ma grâce, où je me cache, où je me plais à
résider par l'amour ; et l'âme se sépare de moi comme une adultère ;
elle s'aime, elle aime les créatures et les choses créées plus que
moi ; elle fait d'elle un dieu et me poursuit de ses nombreux
péchés, et tout cela parce qu'elle oublie le bienfait de ce sang de
mon Fils répandu avec tant d'amour.
1. Il y en a qui sont fiers de leur
puissance et qui affichent l'injustice. Ils sont injustes envers
moi, envers le prochain, envers eux-mêmes : injustes envers eux, car
ils n'acquièrent pas la vertu qu'ils devraient avoir ; injustes
envers moi, car ils ne me rendent pas l'honneur qui m'est dû en ne
louant pas, ne glorifiant pas mon nom comme ils devraient le faire.
Ils prennent comme des voleurs ce qui m'appartient pour le donner
aux sens, qui sont faits pour les servir. Ils commettent l'injustice
envers moi et envers eux-mêmes, parce qu'ils ne me connaissent pas
en eux, tant ils sont aveuglés par leur ignorance et leur
amour-propre.
2. Ainsi firent les Juifs et les
Pharisiens, qu'aveuglèrent tellement l'amour-propre et l'envie,
qu'ils méconnurent mon Fils unique, et qu'ils ne rendirent pas
hommage à l'éternelle Vérité descendue parmi eux, comme elle disait
elle-même : Le royaume de Dieu est au milieu de vous (Lc, XVII,
21). Ils ne le reconnaissent pas parce qu'ils avaient perdu la
lumière de la raison ; et alors ils ne rendaient pas l'honneur et la
gloire qui sont dus à moi et à mon Fils qui est avec moi une même
chose. Dans leur aveuglement ils furent injustes, en poursuivant
d'opprobres mon Fils jusqu'à la mort ignominieuse de la croix. De
même ces hommes sont injustes envers eux, envers moi, et aussi
envers le prochain, en vendant le sang de ceux qui sont soumis à
leur puissance.
1. Leur égarement les fait tomber dans, de
faux jugements, comme je te l'expliquerai bientôt. Ils se
scandalisent de mes œuvres, qui toutes sont justes et véritablement
inspirées par l'amour et la miséricorde. Ce sont ces faux jugements
et le venin de l'orgueil et de l'envie, qui firent calomnier et
juger injustement les œuvres de mon Fils bien-aimé. Ces Juifs
menteurs disaient : “Celui-ci agit par la puissance de Béelzébut” (Mt.,
XII, 24) ; de même les méchants égarés dans l'amour-propre,
l'impureté, l'orgueil, l'avarice et l'envie, perdus par l'ignorance,
par l'impatience et par tous les péchés qu'ils commettent, se
scandalisent de moi et de mes serviteurs. Ils jugent la vertu une
hypocrisie, parce que leur cœur est corrompu et leur goût vicié. Ils
trouvent mauvaises les choses bonnes, et bonnes les choses
mauvaises, c'est-à-dire, les dérèglements de la vie.
2. O aveuglement de l'homme, qui ne voit
pas sa dignité ! De grand tu te fais petit ; de maître, tu deviens
esclave de la plus vile puissance qu'on puisse trouver, puisque tu
te fais serviteur et esclave du péché, et que tu deviens semblable à
ce que tu sers. Le pêché est un néant ; tu retournes au néant, tu
quittes la vie, tu te donnes la mort.
3. La vie et la puissance vous ont été
données par le Verbe, mon Fils unique : vous étiez les esclaves du
démon, et il vous a délivrés de sa servitude. Il s'est fait esclave
pour vous affranchir ; il a embrassé l'obéissance d'Adam, et il
s'est humilié jusqu'à l'opprobre de la croix pour confondre
l'orgueil ; il a vaincu tous les vices par sa mort, et personne ne
peut dire : Ce vice est resté impuni ; car tout vice a été frappé
sur son corps, qui a servi d'enclume à ma justice.
4. Tous les remèdes sont donnés à ces
hommes pour éviter la mort éternelle, et ils méprisent ce sang
précieux ; ils le foulent aux pieds de leur amour déréglé. C'est là
l'injustice et le faux jugement dont le monde sera convaincu au
dernier jour du jugement. C'est ce que signifiait cette parole de ma
Vérité : “J'enverrai le Consolateur, qui convaincra le monde
d'injustice et de faux jugement” ; et il en fut en effet convaincu,
lorsque j'envoyai le Saint-Esprit sur les Apôtres.
1. Il y a trois condamnations qui
confondent le monde. La première fut portée quand le Saint-Esprit
descendit sur les Apôtres, et qu'ils le reçurent dans sa plénitude,
fortifiés par ma puissance et illuminés par la sagesse de mon Fils
bien-aimé. Alors le Saint-Esprit, qui est une même chose avec moi et
avec mon Fils, accusa le monde par la bouche des disciples avec la
doctrine de ma Vérité. Les disciples et ceux qui leur ont succédé,
en suivant la vérité qu'ils en avaient reçue, accusèrent aussi le
monde ; et cette accusation est permanente. J'accuse le monde par le
moyen de la sainte Écriture et de mes serviteurs, sur la langue
desquels je mets l'Esprit Saint lorsqu'ils annoncent ma vérité,
comme le démon se met sur la langue de ses serviteurs qui suivent
les flots du monde. Mais cette accusation n'est qu'un doux reproche,
inspiré par l'ardent amour que j'ai pour le salut des âmes.
2. Personne ne peut dire : Je n'ai pas été
enseigné et repris, car la vérité a fait discerner le vice et la
vertu. J'ai révélé la récompense de la vertu et le châtiment du
vice, pour inspirer de bons désirs et une crainte salutaire, pour
faire aimer la vertu et détester le vice. La vérité n'a pas été
enseignée par un ange, pour qu'on ne dise pas : Un ange est un
esprit bienheureux qui ne peut pécher, et qui ne sent pas comme nous
les attaques de la chair, et le fardeau du corps.
3. Cette excuse n'est pas possible, car ma
Vérité s'est revêtue d'une chair comme la vôtre. Et voyez ceux qui
ont suivi mon Verbe, n'étaient-ils pas des hommes mortels et
passibles comme vous ? n'éprouvaient-ils pas des révoltes de la
chair contre l'esprit ? Mon héraut, le glorieux saint Paul, et tant
d'autres saints, n'ont-ils pas eu à combattre ainsi d'une manière ou
d'une autre ?
4. J'ai permis, et je permets ces
passions, pour accroître la grâce et augmenter la vertu dans les
âmes. Les saints sont nés sous la loi du péché comme vous ; ils se
sont nourris de la même nourriture, et je suis le même Dieu que
j'étais alors. Ma puissance n'a pas faibli et ne peut faiblir ; je
puis et je veux assister ceux qui réclament mon assistance. L'homme
veut que je l'assiste, quand il quitte le fleuve du monde et va sur
le pont de ma Vérité en suivant ma doctrine.
5. Il n'y a donc pas d'excuse, puisque
l'homme est prévenu et que la vérité lui est continuellement
montrée. S'il ne se corrige pas quand il est temps encore, il sera
condamné au second jugement. Au moment de la mort, lorsque ma
justice criera : “Levez-vous, morts, venez au jugement”,
c'est-à-dire : Vous qui êtes morts à la grâce et qui allez mourir à
la vie, levez-vous, et venez devant le Juge suprême avec vos
injustices et vos faux jugements, avec cette lumière éteinte de la
foi, qu'avait allumée en vous le baptême, et qu'ont étouffée
l'orgueil et les vanités, du cœur. Vous avez tendu votre voile à
tous les vents contraires à votre salut ; le souffle de la flatterie
a enflé le voile de l'amour-propre et vous avez descendu le fleuve
des délices et des honneurs du monde, en suivant volontairement les
faiblesses de la chair et les tentations du démon. Le démon, aidé
par votre volonté, vous a menés par sa route d'en bas dans les eaux
courantes, qui vous ont entraînés avec lui dans la damnation
éternelle.
1. Cette seconde condamnation a lieu, ma
très chère fille, dans le moment suprême, où il n'y a plus de
ressource. Quand paraît la mort, et que l'homme voit qu'il ne peut
m'échapper, le ver de la conscience, engourdi par l'amour-propre,
commence à se réveiller et à ronger l'âme, en la jugeant et en lui
montrant l'abîme où elle va tomber par sa faute. Si l'âme alors
avait assez de lumières pour connaître et pleurer sa faute, non pas
à cause de la peine de l'enfer qui la menace, mais à cause de moi
qu'elle a offensé, moi qui suis l'éternelle et souveraine bonté,
l'âme trouverait encore miséricorde. Mais si elle passe cette limite
de la mort sans ouvrir les yeux, sans espérer dans le sang de mon
Fils, avec le seul remords de la conscience et le regret de son
malheur, et non pas celui de mon offense, elle tombe dans la
damnation éternelle.
2. Alors elle est jugée rigoureusement par
ma justice, et convaincue d'injustice et d'erreur : non seulement
d'injustice et d'erreur générales parce qu'elle a suivi les-sentiers
coupables du monde, mais d'injustice et d'erreur particulières,
parce qu'à son dernier moment, elle aura jugé sa misère plus grande
que ma miséricorde. C'est là le péché qui ne se pardonne ni en ce
monde ni en l'autre. Elle a repoussé, méprisé ma miséricorde ; et ce
péché est plus grand que tous ceux qu'elle a commis. Le désespoir de
Judas m'a plus offensé et a été plus pénible à mon Fils que sa
trahison même. L'homme est surtout condamné pour avoir faussement
jugé son péché plus grand que ma miséricorde ; c'est pour cela qu'il
est puni et torturé avec les démons éternellement.
3. L'homme est convaincu d'injustice parce
qu'il regrette plus son malheur que mon offense, car il est injuste
en ne faisant pas ce qu'il me doit et ce qu'il se doit à lui-même.
Il me doit l'amour et les larmes amères de son cœur pour l'injure
qu'il m'a faite, et loin de me les offrir, il pleure, seulement par
amour pour lui-même, la peine qu'il a méritée. Tu vois donc qu'il
est coupable d'injustice et d'erreur, et qu'il est puni de l'une et
de l'autre. Il a méprisé ma miséricorde, et ma justice le livre aux
supplices avec ses sens et avec le démon, le cruel tyran dont il
s'est rendu l'esclave par ces sens, qui devaient le servir, Ils
seront tourmentés ensemble comme ils ont péché ensemble l'homme sera
tourmenté par mes ministres, les démons, que ma justice a chargés de
torturer ceux qui font le mal.
1. Ma fille, ma langue ne pourra jamais
dire ce que souffrent ces pauvres âmes. Il y a trois vices
principaux l'amour-propre, l'estime de soi-même et l'orgueil, qui en
découle, avec toutes ses injustices, ses cruautés, ses débauches et
ses excès ; il y a aussi dans l'enfer quatre supplices qui
surpassent tous les autres : le damné est d'abord privé de ma
vision, et cette peine est si grande, que, s'il était possible, il
aimerait mieux souffrir le feu et les autres tourments, et me voir,
qu'être exempt de toute souffrance et ne pas me voir.
2. Cette peine en produit une seconde, qui
est le ver de la conscience qui la ronge sans cesse. Le damné voit
que, par sa faute, il s'est privé de ma vue et de la société des
anges, et qu'il s'est rendu digne de la société et de la vue du
démon.
3. Cette vue du démon est la troisième
peine, et cette peine double son malheur. Les saints trouvent leur
bonheur éternel dans ma vision ; ils y goûtent dans la joie la
récompense des épreuves qu'ils ont supportées avec tant d'amour pour
moi et tant de mépris pour eux-mêmes. Ces infortunés, au contraire,
trouvent sans cesse leur supplice dans la vision du démon, parce
qu'en le voyant ils se connaissent et comprennent ce qu'ils ont
mérité par leurs fautes. Alors le ver de la conscience les ronge
plus cruellement et les dévore comme un feu insatiable. Ce qui rend
cette peine terrible, c'est qu'ils voient le démon dans sa réalité ;
et sa figure est si affreuse, que l'imagination de l'homme ne
pourrait jamais le concevoir.
4. Tu dois te rappeler que je te le
montrai un seul instant au milieu des flammes, et que cet instant
fut si pénible, que tu aurais préféré, en revenant à toi, marcher
dans le feu jusqu'au jugement dernier plutôt que de le revoir ; et
cependant ce que tu en as vu ne peut te faire comprendre combien il
est horrible, car la justice divine le montre bien plus horrible
encore à l'âme qui est séparée de moi, et cette peine est
proportionnée à la grandeur de sa faute.
5. Le quatrième supplice de l'enfer est le
feu. Ce feu brûle et ne consume pas, parce que l'âme, qui est
incorporelle, ne peut être consumée par le feu comme la matière ; ma
justice veut que ce feu la brûle et la torture sans la détruire, et
ce supplice est en rapport avec la diversité et la gravité de ses
fautes.
6. Ces quatre principaux tourments sont
accompagnés de beaucoup d'autres, tels que le froid, le chaud et les
grincements de dents. Voilà comment seront punis ceux qui, après
avoir été convaincus d'injustice et d'erreur pendant, leur vie, ne
se seront pas convertis et n'auront pas voulu, à l'heure de leur
mort, espérer en moi et pleurer l'offense qu'ils m'avaient faite
plus que la peine qu'ils avaient méritée.
1. Il me reste à te parler de la troisième
condamnation, qui aura lieu au dernier jour du jugement. Je t'ai
parlé des deux autres, mais tu verras mieux, en connaissant la
troisième, à quel point l'homme se trompe. Le jugement général
renouvellera et augmentera le supplice de cette pauvre âme par la
réunion de son corps, qui lui causera une confusion, une honte
insupportable. Lorsqu'au dernier jour, le Verbe, mon Fils, viendra
dans ma majesté juger le monde avec sa justice divine, il
n'apparaîtra pas dans sa faiblesse, comme quand il naquit dans le
sein d'une vierge, dans une étable, parmi des animaux, et mourut
entre deux voleurs.
2. Alors je cachais ma puissance en lui ;
je le laissai souffrir et mourir comme homme, sans que la nature
divine fût séparée de la nature humaine, afin qu'il pût satisfaire
pour vous. Il ne viendra pas ainsi au dernier jour ; il viendra
juger dans toute sa puissance et sa personnalité ; toute créature
sera dans l'épouvante, et il rendra à chacun ce qui lui est dû.
3. Les malheureux damnés éprouveront à son
aspect un tel supplice, une si grande terreur, que des paroles ne
pourraient jamais l'exprimer ; les justes éprouveront une crainte
respectueuse mêlée d'une grande joie, Le visage du juge ne changera
pas, parce qu'il est immuable ; selon la nature divine, il est une
même chose avec moi ; et selon la nature humaine, il est immuable
encore, car il a revêtu la gloire de la résurrection. Mais le
réprouvé ne le verra que d'un œil ténébreux et vicié. L’œil malade
qui regarde la lumière du soleil n'y voit que ténèbres, tandis que
l’œil sain en admire la splendeur. Ce n'est pas la faute du soleil,
qui ne change pas plus pour l'aveugle que pour celui qui voit, mais
c'est la faute de l’œil qui est malade. De même les damnés verront
mon Fils dans les ténèbres, la confusion et la haine. Ce sera leur
faute et non celle de la majesté divine avec laquelle il viendra
juger le monde.
1. La haine des damnés est telle, qu'ils ne
peuvent vouloir ni désirer aucun bien, mais ils blasphèment sans
cesse contre moi. Pourquoi ne peuvent-ils désirer aucun bien ? parce
qu'avec la vie de l'homme finit l'usage de son libre arbitre ; il a
perdu le temps qu'il avait pour pouvoir mériter. Quand, par le péché
mortel, on meurt dans la haine, la justice divine enchaîne pour
toujours à la haine l'âme, qui reste éternellement obstinée dans le
mal qu'elle a commis, se dévorant elle-même et augmentant sa peine
des peines de ceux dont elle a causé la damnation.
2. Le mauvais riche demandait en grâce que
Lazare allât trouver ses frères qui étaient restés dans Je monde
pour leur annoncer son supplice (Lc, XVI, 27-28). Ce n'était
pas par charité qu'il le faisait, ni par compassion pour ses frères,
puisqu'il était privé de charité et qu'il ne pouvait. désirer rien
d'utile à mon honneur et au salut des autres. Je t'ai dit que les
damnés ne peuvent vouloir aucun bien à leur prochain, et qu'ils me
blasphèment, parce que leur vie a fini dans la haine de Dieu et de
la vertu.
3. Pourquoi la demande du mauvais riche ?
Il la faisait parce qu'il avait été le plus grand parmi ses frères
et qu'il leur avait fait partager les iniquités de sa vie. Il était
ainsi cause de leur damnation, et il craignait de voir augmenter sa
peine, leurs tourments devant s'ajouter aux siens ; car ceux qui
meurent dans la haine se dévorent éternellement entre eux dans la
haine.
1. De même l'âme juste qui termine sa vie
dans la charité est éternellement liée à l'amour. Elle ne peut plus
croître en vertu parce que le temps est passé, mais elle peut
toujours aimer avec l'ardeur qu'elle a eue pour venir à moi, et
c'est cette ardeur qui est la mesure de sa félicité. Toujours elle
me désire, toujours elle aime, et son désir n'est pas trompé : elle
a faim et elle est rassasiée, elle est rassasiée et elle a faim,
sans jamais éprouver l'ennui de- la satiété ni la peine de la faim.
2. Les élus de l'amour jouissent de mon
éternelle vision ; ils participent au bien que j'ai en moi-même,
chacun selon sa mesure, et cette mesure est l'amour qu'ils avaient
en venant à moi. Parce qu'ils ont eu ma charité et celle du
prochain, et qu'ils sont unis ensemble par une charité générale et
particulière qui vient du même principe, ils jouissent et
participent par la charité au- bien de chacun, et ce bonheur
s'ajoute au bonheur universel qu'ils ont tous ensemble ; ils
jouissent avec les anges, parmi lesquels les saints sont placés
selon les différentes vertus qu'ils ont eues dans le monde avant
d'être liés dans les liens de la charité.
3. Ils participent surtout d'une manière
particulière au bonheur de ceux qu'ils aimaient plus étroitement sur
terre. Cet amour était un moyen d'augmenter en eux la vertu ; ils
étaient les uns pour les autres des occasions de glorifier mon nom
en eux et dans leur prochain, et comme l'amour qui les unissait
n'est pas détruit dans le ciel, ils en jouissent avec plus
d'abondance, et cet amour augmente leur bonheur.
4. Ne crois pas que les élus jouissent
seuls, de leur bonheur particulier ; il est partagé par tous les
heureux habitants du ciel, par les anges et par mes enfants
bien-aimés. Dès qu'une âme parvient à la vie éternelle, tous
participent au bonheur de cette âme, et cette âme participe au
bonheur de tous. La coupe de leur bonheur ne s'agrandit pas et elle
n'a pas besoin d'être remplie, car elle est pleine et ne peut plus
dilater ses bords ; mais leur joie, leur félicité, leur ivresse
s'augmentent à la vue de cette âme ; ils voient que ma miséricorde
l'a sauvée de la terre par la plénitude de la grâce, et ils se
réjouissent en moi du bonheur que cette âme a reçu de ma bonté.
5. Cette âme est heureuse en moi, dans les
âmes et dans les esprits bienheureux, parce qu'elle voit et goûte en
eux la bonté et la douceur de ma charité. Leurs désirs s'élèvent
toujours vers moi pour le salut du monde ; leur vie a fini dans
l'amour du prochain, et cet amour ne les a pas quittés ; ils ont
passé avec lui par la porte de mon Fils Bien-aimé, en prenant le
moyen dont je te parlerai bientôt. Remarque qu'ils conservent et
conserveront ce lien de l'amour, que n'a pas brisé la mort.
6. Ils sont unis à ma volonté, et ils ne
peuvent vouloir que ce que je veux, parce que leur libre arbitre est
enchaîné par la charité, de sorte que la créature raisonnable qui se
sépare du temps et meurt en état de grâce un peut plus pécher. Sa
volonté est si unie à la mienne, qu'en voyant un père, une mère, un
fils dans l'enfer, — elle ne peut en souffrir : elle est même
heureuse de les voir punis, parce que ce sont mes ennemis ; elle ne
peut être en désaccord avec moi en la moindre chose, et tous ses
désirs sont satisfaits.
7. Le désir des bienheureux est de me voir
honoré en vous, pèlerins voyageurs qui précipitez sans cesse vos pas
vers la mort. Le désir de ma gloire leur fait désirer votre salut,
qu'ils me demandent toujours pour vous. Je satisfais ce désir,
pourvu que dans votre aveuglement vous ne résistiez pas à ma
miséricorde. Ils désirent aussi avoir la récompense de leurs corps,
et ce désir n'est pas une peine quoiqu'il ne soit pas satisfait
sur-le-champ, parce qu'ils jouissent de la certitude qu'il le sera
un jour ; et ils ne souffrent pas d'attendre, car rien ne manque à
leur félicité.
8. Ne crois pas que la béatitude du corps,
après la résurrection, ajoute à la béatitude de l'âme ; car il
s'ensuivrait que tant qu'elle n'aurait pas son corps, l'âme n'aurait
qu'une béatitude imparfaite, ce qui ne peut être, parce que rien ne
manque à sa perfection. Ce n'est pas le corps qui donne la béatitude
à l'âme, mais c'est l'âme qui donne la béatitude au corps ; elle
l'enrichira de son abondance, lorsqu'au jour du jugement, elle se
revêtira de la chair dont elle s'était séparée.
9. L'âme est devenue immortelle et immuable
en moi ; le corps, par cette union, deviendra immortel ; il perdra
sa pesanteur et sera subtil et léger. Le corps glorifié passera à
travers tous les obstacles et ne craindra ni l'eau ni le feu, non
par sa vertu, mais par la vertu de l'âme, qui est ma vertu
communiquée par la grâce et par cet amour ineffable avec lequel je
l'ai créée à mon image et à ma ressemblance. Non, l’œil de ton
intelligence ne peut voir, l'oreille entendre, la langue raconter et
le cœur comprendre la félicité des bienheureux.
10. Quel bonheur ils ont de me voir, moi qui
suis le souverain bien ! Quel bonheur ils auront quand leur corps
sera glorifié ! Ils n'en jouiront qu'au jugement dernier, mais ils
ne souffrent pas d'attendre, parce que rien ne manque à la béatitude
dont l'âme déborde et qu'elle épanchera sur son corps.
11. Que te dire de cette joie ineffable des
corps glorifiés dans l'humanité glorifiée de mon Fils unique, qui
vous a donné la certitude de votre résurrection ! Ils tressailliront
dans ses plaies, qui sont restées fraîches et ouvertes sur son
corps, afin de crier sans cesse miséricorde pour vous, vers moi le
Père éternel et souverain ; et tous seront conformes à lui dans la
joie et l'allégresse. Oui, par vos yeux, vos mains, votre corps tout
entier, vous serez unis aux yeux, aux mains, au corps de l'aimable
Verbe, mon Fils bien-aimé. Étant en moi, vous serez en lui, parce
qu'il est une même chose avec moi. L’œil de votre corps se dilatera
dans l'humanité glorifiée du Verbe mon Fils unique : pourquoi ?
parce que la vie qui finit dans les liens de ma charité durera
éternellement.
12. Les bienheureux ne peuvent faire aucun
bien, mais ils jouissent de celui qu'ils ont fait ; le temps de
mériter est passé pour eux, car c'est sur la terre seulement qu'on
mérite ou qu'on pèche, selon l'usage que la volonté fait du libre
arbitre. Les bienheureux attendent le jugement général, non dans la
crainte, mais dans la joie. Le visage de mon Fils ne leur paraîtra
pas terrible et plein de haine, parce qu'ils sont morts dans mon-
amour et dans l'amour du prochain. Le visage du juge qui viendra
dans ma majesté ne changera pas, mais il sera différent pour ceux
qui seront jugés : ceux qui seront damnés le verront dans la haine
et la justice, ceux qui seront sauvés le contempleront dans l'amour
et la miséricorde.
1. Je t'ai parlé de la gloire des justes
pour te faire mieux comprendre le malheur des damnés. Une de leurs
peines sera de voir la béatitude des justes ; ce spectacle
augmentera leurs tourments, comme la vue des damnés augmentera, dans
les justes, la jouissance de ma honte : car la lumière se connaît
mieux par les ténèbres et les ténèbres par la lumière. La vue du
bonheur sera un supplice pour les damnés, et ils attendent avec
effroi le jugement -dernier, parce qu'ils comprennent qu'il
augmentera leur malheur.
2. En effet, à cette parole terrible :
Levez-vous, morts ; venez au jugement ! l'âme se réunira au corps
pour le glorifier dans les justes et le torturer éternellement dans
les méchants. Les damnés seront couverts de honte et de confusion en
présence de ma Vérité et de tous les bienheureux.
3. Alors le ver de la conscience rongera la
moelle de l'arbre, c'est-à-dire l'âme, et sort écorce, c'est-à-dire
le corps. Contre eux s'élèvera le sang précieux répandu pour les
racheter et leur acquérir les miséricordes spirituelles et
temporelles que je leur ai faites par mon Fils. Il leur sera demandé
compte des obligations que l'Évangile leur imposait envers le
prochain ; ils seront convaincus de cruauté pour les autres,
d'orgueil, d'amour-propre et de débauche. La vue de la miséricorde
dont ils étaient l'objet rendra leur condamnation plus terrible. Au
moment de la mort, elle n'attaquait, que leur âme ; mais au jugement
dernier, elle frappera à la fois leur âme et leur corps. Car le
corps est le compagnon, l'instrument de l'âme pour le bien ou le
mal, selon le bon plaisir de sa volonté.
4. Tout acte, bon ou mauvais, s'accomplit
par l'intermédiaire du corps. Il est donc juste, ma chère fille, que
mes élus jouissent de la gloire et du souverain bien avec leur corps
glorifié, pour que le corps et l'âme soient récompensés tous les
deux des fatigues qu'ils ont supportées ensemble pour moi. De même,
le corps des méchants partagera leurs peines éternelles, parce qu'il
a été l'instrument du mal leur supplice se renouvellera et
augmentera lorsqu ils reprendront leur corps en présence de mon
Fils.
5. Leur misérable sensualité et leurs
débauches seront condamnées en voyant la nature humaine unie en
Jésus-Christ à la pureté de la Divinité, en apercevant la chair
d'Adam au dessus de tous les chœurs des anges, tandis qu'eux, par
leur faute, sont plongés dans les profondeurs de l'enfer, ils
verront la grandeur de ma miséricorde briller dans les bienheureux
qui ont profité du sang de l'Agneau, et ils reconnaîtront que les
peines souffertes par amour pour moi sont devenues pour le corps
comme une belle frange sur un vêtement ; et cela non par la vertu du
corps, mais par l'exubérance de l'âme qui donne aux corps le prix de
sa peine, parce qu'il l'a aidée à pratiquer la vertu. Cette
récompense est visible ; elle apparaît sur le corps comme le visage
de l'homme se reflète dans un miroir.
6. En présence de tant de gloire dont ils
sont privés, les damnés sentiront augmenter leur peine et leur
confusion. Dans leur corps apparaîtront les marques des péchés
qu'ils ont commis, et les supplices qu'ils ont mérités. Quand
retentira pour eux cette parole épouvantable : Allez, maudits, au
feu éternel, l'âme et le corps iront demeurer avec les dénIons, sans
aucune lueur d'espérance, dans cette sentine du monde, où chacun
apportera l'infection de ses iniquités.
7. L'avare y brûlera, avec les trésors de
la terre qu'il a tant aimés ; le cruel y sera avec ses cruautés, le
débauché avec ses excès, l'envieux avec son envie, et celui qui hait
son prochain avec sa haine. Ceux qui se seront aimés de cet amour
déréglé qui cause tous les maux, parce qu'il est avec l'orgueil le
principe de tous les vices, ceux-là seront dévorés par un feu
insupportable ; tous, selon leurs fautes, seront punis à la fois
dans leur âme et dans leur corps.
8. Voilà la fin déplorable de ceux qui
.vont par la route inférieure, et qui suivent le fleuve du monde,
sans vouloir se reconnaître et recourir à la miséricorde. Ainsi que
je te l'ai dit, ils arrivent à la porte du mensonge, parce qu'ils
suivent la doctrine du démon, qui est le père du mensonge ; et le
démon est la porte par laquelle ils arrivent à la damnation
éternelle.
9. Mes élus, mes enfants bien-aimés,
prennent la route supérieure, celle du pont ; ils suivent la voie de
la vérité, et la vérité est la porte de ,la vie ; car mon Fils a
dit : “Personne ne peut aller à mon Père, si ce n'est par moi” ; il
est la porte et la voie qu'il faut prendre pour entrer en moi,
l'Océan de la paix.
10. Les réprouvés, au contraire, qui suivent
la voie ténébreuse du mensonge, n'arrivent qu'à une eau morte ; le
démon les y appelle, comme s'il disait : Que celui qui a soif d'eau
morte vienne à moi, et je lui en donnerai. Les aveugles et les
insensés ne s'en aperçoivent pas, car ils ont perdu la lumière de la
foi.
1. Le démon est le bourreau que ma justice
a chargé de tourmenter les âmes qui m'ont misérablement offensé. Je
lui permets pendant cette vie de tenter et d'inquiéter mes
créatures, non pas pour qu'elles soient vaincues, mais au contraire
pour qu'elles triomphent et qu'elles reçoivent de moi la palme de la
victoire qu'elles auront gagnée par la vertu. Personne ne doit
craindre de combattre et d'être vaincu par les tentations du démon,
parce que j'ai fait l'homme fort, en lui donnant la force de la
volonté fortifiée dans le sang de mon Fils.
2. Cette volonté, ni le démon, ni la
créature ne peuvent la changer, parce qu'elle est à vous et que je
vous l'ai donnée. Vous pouvez donc, avec le libre arbitre, résister
ou céder, selon votre bon plaisir. La volonté est une arme que vous
livrez au démon pour vous frapper et vous tuer. Mais si l'homme ne
met pas cette arme entre les mains du démon, c'est-à-dire s'il ne
cède pas à ses tentations et à ses attaques, il ne sera jamais
blessé par le péché dans aucune tentation ; il sera fortifié, au
contraire, parce que l’œil de son intelligence verra que ma charité
permet la tentation pour éprouver et augmenter la vertu.
3. L'homme acquiert la vertu en connaissant
sa faiblesse et ma bonté. Cette connaissance est plus parfaite au
temps de la tentation, parce qu'alors il comprend qu'il n'a pas
l'être par lui-même, puisqu'il ne peut éviter les peines et les
tentations qu'il voudrait fuir. Il me connaît dans sa volonté, à
laquelle ma bonté donne la force de résister à ses tentations. Il
comprend pourquoi ma charité les envoie. Le démon est impuissant ;
il ne peut rien sans mon consentement, et si je le donne, c'est par
amour, non par haine ; c'est pour que vous soyez vainqueur et non
vaincu ; c'est pour que vous parveniez à une connaissance plus
parfaite de vous-même et de moi, et que votre vertu soit éprouvée,
car elle n'est éprouvée que par son contraire.
4. Tu vois donc que les démons sont mes
ministres chargés de tourmenter les damnés en enfer, et d'exercer,
d'éprouver la vertu des âmes en cette vie. Leur intention n'est
certainement pas d'éprouver la vertu, car ils n'ont pas la charité ;
ils veulent la détruire en vous, mais ils ne pourront jamais le
faire, si vous ne voulez pas y consentir.
5. Maintenant, considère la folie de
l'homme qui se rend faible par le moyen que je lui avais donné pour
être fort, et qui se livre lui-même aux mains du démon. Aussi je
veux que tu saches ce qui arrive au moment de la mort à ceux qui,
pendant leur vie, ont volontairement accepté le joug du démon qui ne
pouvait les y contraindre. Quand la mort les surprend dans ce
honteux esclavage, ils n'ont d'autres juges qu'eux-mêmes ; l'arrêt
de leur conscience suffit, et ils se précipitent avec désespoir dans
l'éternelle damnation. Avant d'en passer les limites, ils
l'acceptent par haine de la vertu et choisissent l'enfer pour le
partager avec les démons, leurs maîtres.
6. Les justes, au contraire, qui ont vécu
dans la charité meurent dans l'amour. Quand vient leur dernier
instant, s'ils ont pratiqué parfaitement la vertu, éclairés par la
lumière de la foi et soutenus par l'espérance du sang de l'Agneau,
ils voient le bien que je leur ai préparé ; ils l'embrassent avec
amour et m'attirent à eux avec tendresse, moi, l'éternel et
souverain Bonheur. Ils jouissent ainsi du ciel même avant que leur
âme se sépare de leur corps.
7. Pour ceux qui ont passe leur vie dans
une charité moins parfaite, lorsqu'ils arrivent à la mort, ils se
jettent dans les bras de ma miséricorde avec la même lumière de la
foi et la même espérance qu ils ont eue a un degré inférieur. Malgré
leur imperfection, ils embrassent ma miséricorde, parce qu'ils la
trouvent plus grande que leurs fautes. Les pécheurs font le
contraire : ils voient avec désespoir la place qui les attend, et
ils l'acceptent avec haine.
8. Les uns et les autres n'attendent pas
leur jugement. Chacun, au sortir de la vie, prend lui-même
possession de son sort ; il l'éprouve même avant de quitter son
corps. Les damnés suivent la haine et le désespoir ; les parfaits
suivent l'amour, la lumière de la foi, l'espérance du sang de
l'Agneau ; les imparfaits se confient à ma miséricorde et vont en
purgatoire.
1. Je t'ai dit que le démon invite les
hommes à boire l'eau morte qui est son partage ; il les trompe avec
les délices et les honneurs du monde, il les séduit par l'apparence
de quelque bien. Il ne pourrait réussir autrement, car ils ne se
laisseraient pas attirer s'ils ne trouvaient quelque avantage
personnel, quelque jouissance.
2. L'âme, par sa nature, recherche
toujours le bien ; mais comme elle est aveuglée par l'amour-propre,
elle ne connaît et ne discerne pas le vrai bien, ce qui est utile à
l'âme et au corps. Et alors le démon, dans sa méchanceté, voyant
l'homme aveuglé par l'amour-propre sensitif, lui propose des fautes
qui sont colorées de quelque utilité et de quelque bien, il les
propose selon l'état de chacun et selon les vices auxquels il paraît
le plus enclin. II tente diversement le séculier, le religieux et
ceux qui ont des dignités spirituelles ou temporelles.
3. Je t'ai déjà parlé de ceux qui se noient
dans le fleuve, parce qu'ils ne pensent qu'à eux et m'outragent par
leur coupable amour-propre. Tu verras combien ils se trompent. En
voulant fuir la peine, ils tombent en de plus grandes. Il leur
semble qu'il est bien dur de me suivre par la voie que-mon Fils vous
a tracée ; ils reculent devant quelques épines. Qu'ils sont
aveugles! ils ne voient pas la vérité et la méconnaissent. Je te
l'ai expliquée au commencement de ta vie, quand tu me priais de
faire, miséricorde ,au monde et-de le retirer des ténèbres du péché
mortel.
4. Tu sais que je me suis révélé à toi
sous la figure d'un arbre dont tu n'apercevais pas le principe et la
fin ; tu voyais seulement que sa racine s'unissait à la terre.
C'était la nature divine unie à la terre de votre humanité. Au pied
de l'arbre, s'il t'en souvient, il y avait quelques épines qui
éloignaient tous ceux qui aiment leur sensualité ; ceux-là couraient
à une montagne d'épis battus, qui représentait tous les plaisirs du
monde. Ces épis paraissaient contenir du bon grain, mais ils étaient
vides ; et les pauvres âmes périssaient de faim. Beaucoup
reconnaissaient les tromperies du monde ; ils retournaient à l'arbre
et traversaient les épines, c'est-à-dire les résolutions de la
volonté.
5. Ces résolutions, avant d'être prises,
semblent des épices qui embarrassent le chemin de la vérité, parce
qu'il y a un combat entre la conscience et la sensualité ; mais dès
que la haine et le mépris de soi-même font dire avec courage : Je
veux suivre Jésus crucifié, aussitôt ces épines s'émoussent et
deviennent d'une douceur extrême. Chacun les sent plus ou moins,
selon ses dispositions particulières.
6. Je te disais alors : Je suis votre Dieu
immuable ; je ne change pas, et je ne me retire jamais de la
créature qui veut venir à moi. Je montre à tous la vérité ; je me
rends visible, quoique je sois invisible ; et je fais voir ce que
c'est que d'aimer quelque chose sans moi. Mais ceux qu'aveuglent les
ténèbres de l'amour-propre ne me connaissent pas et ne se
connaissent pas. Vois combien ils sont dans l'erreur, puisqu'ils
aiment mieux mourir de faim que de traverser quelques épines. Et
pourtant, ils ne peuvent éviter de souffrir des peines ; car, en
cette vie, personne ne peut vivre sans souffrir, excepté ceux qui
suivent le chemin d'en haut ; ceux-là rencontrent aussi la
souffrance, mais cette souffrance leur devient une consolation.
7. C'est le péché d'Adam qui a fait naître
dans le monde les épines et les ronces ; c'est lui qui est la source
de ce fleuve qui se précipite comme une mer orageuse ; et je vous ai
donné un pont pour que vous n'y soyez pas engloutis. Ainsi, tu vois
combien se trompent ceux qui craignent sans raison. Je suis votre
Dieu, et je ne change pas ; je ne m'arrête pas aux personnes, mais
aux saints désirs. C'est ce que je t'ai fait comprendre par la
figure de cet arbre.
1. Je veux maintenant te montrer ceux que
blessent ou que ne blessent pas les épines et les ronces que la
terre produit à cause du péché. Je t'ai fait voir jusqu'à présent ma
bonté et la damnation des méchants qui sont trompés par leurs sens ;
je te dis maintenant qu'eux seuls sont blessés par les épines du
monde.
2. Quiconque naît à la vie ne peut être
exempt de peines corporelles ou spirituelles. Mes serviteurs ont des
peines corporelles, mais leur âme est toujours libre. ils ne
souffrent pas de la souffrance, parce que leur volonté est unie à la
mienne ; et c'est par la volonté que l'homme souffre. Ils souffrent
au contraire de l'esprit et du corps, ceux qui ont, dès cette vie,
un avant-goût de l'enfer, comme mes serviteurs ont un avant-goût de
la vie éternelle. Tu sais que le bonheur principal des bienheureux
est d'avoir leur volonté pleine de ce qu'ils désirent. Ils me
désirent ; en me désirant, ils me possèdent et me goûtent sans aucun
obstacle, car ils ont laissé le poids de leur corps, qui était une
force opposée à l'esprit.
3. Le corps était un intermédiaire qui les
empêchait de connaître la vérité ; ils ne pouvaient me voir face à
face parce que le corps ne leur permettait pas de me contempler.
Mais dès que l'âme est délivrée du corps, sa volonté est
satisfaite ; elle désirait me voir, elle me voit, et c'est cette
vision qui fait sa béatitude. Qui me voit me connaît, qui me connaît
m'aime, et qui m'aime me possède, moi le bien suprême, éternel.
Cette possession apaise et remplit sa volonté, qui était le désir de
me voir et de me connaître. Dès lors il me désire et il me possède ;
il me possède et il me désire ; et, comme je te l'ai dit, ce désir
est sans peine et cette possession sans satiété.
4. Ainsi, tu le vois, la grande cause de
la béatitude de mes serviteurs est de me voir et de rue connaître.
Cette vision et cette connaissance remplissent la volonté de ce
qu'elle désire ; elle est donc heureuse. Jouir de la vie éternelle,
c'est surtout posséder ce que la volonté désire. Me voir, me
connaître et m'aimer, donne la félicité parfaite.
5. Ceux qui, dans cette vie, ont un
avant-goût de la vie éternelle, jouissent de ce qui fait le bonheur
des bienheureux. Comment ont-ils cet avant-goût ? Par la vue de ma
bonté envers eux et par la connaissance de ma vérité. Cette
connaissance est dans l'entendement qui est l’œil de l'âme éclairé
par moi. La pupille de cet oeil est la sainte foi, dont la lumière
fait discerner, connaître et suivre la voie et la doctrine de ma
Vérité, le Verbe incarné. Sans la foi, l'âme ne saurait voir : elle
est comme celui dont un voile obscurcit la pupille, qui est la
partie lumineuse de l’œil. La pupille de l’œil de l'âme ,est la foi.
Si l'amour-propre la couvre du voile de l'infidélité, elle ne peut
plus voir. Elle possède bien un oeil, mais non pas la lumière, dont
elle s'est elle-même privée.
6. Ainsi, tu le comprends, mes serviteurs
en me voyant me connaissent, en me connaissant m'aiment, en m'aimant
s'anéantissent et perdent toute volonté propre. Dès qu'ils ont perdu
leur volonté, ils revêtent la mienne ; et moi, je ne veux que votre
sanctification. Ils quittent aussitôt le chemin d'en bas et
commencent à gravir le pont ; ils ne craignent plus les épines.
Leurs pieds ne peuvent pas en être blessés, car ils sont garantis
par l'amour de ma volonté. Ils souffrent du corps et non de
l'esprit, parce que leur volonté sensitive est morte ; et c'est
celle qui afflige et tourmente l'âme de la créature. Dès que la
volonté n'existe plus, la peine disparaît ; ils supportent tout avec
reconnaissance et se réjouissent d'être éprouvés pour moi, parce
qu'ils ne désirent que ce que je veux.
7. Je permets que le démon les tourmente et
que les tentations éprouvent leur vertu ; ils résistent par leur
volonté qui est affermie en moi. Ils s'humilient et se reconnaissent
indignes de la paix, du repos de l'âme ; ils pensent qu'ils méritent
la tribulation, et ils vivent ainsi dans la joie et la connaissance
d'eux-mêmes, sans éprouver de véritables afflictions. Si l'épreuve
leur vient des hommes, de la maladie, de la pauvreté, d'un revers de
fortune, de la privation de leurs enfants ou des personnes qui leur
sont chères, ils supportent ces épines que le péché a fait naître
sur la terre, avec, la lumière de la raison et de la sainte foi.
Leurs yeux sont fixés sur moi, qui suis la bonté suprême et qui ne
peux vouloir que leur bien ; tout ce qui leur arrive, c'est l'amour
et non la haine qui le leur envoie.
8. Dès qu'ils voient que je les aime, ils
s'examinent et reconnaissent leurs défauts ; ils voient à la lumière
de la foi que tout bien doit être récompensé et toute faute punie.
Ils comprennent que la moindre faute mérite une peine infinie, parce
qu'elle est faite contre moi, qui suis le bien infini. Ils regardent
comme une faveur d'en être punis pendant cette vie, qui passe si
rapidement. Ils se purifient ainsi du péché par la contrition du
cœur, et acquièrent des mérites par la perfection de leur patience.
Leurs peines sont récompensées par un bien sans mesure ; ils savent
que toute souffrance dans cette vie est fugitive comme le temps.
9. Le temps n'est qu'un point ; le temps
passe comme un éclair ; la souffrance passe avec lui, elle est donc
bien petite. Ils la supportent avec patience et marchent sur les
épines de la terre sans être blessés ; elles n'atteignent pas leur
cœur, parce que leur cœur n'est plus à eux ; il en a été ôté avec
l'amour sensitif pour m'être étroitement uni par les liens de
l'amour, Il est donc bien vrai qu'il jouissent de la vie éternelle,
qu'ils en ont un avant-goût dès cette vie ; ils traversent l'eau
sans être mouillés ; ils marchent sur les épines sans être blessés,
parce qu'ils me connaissent, moi le souverain bien, parce qu'ils le
cherchent là où il se trouve, c'est-à-dire dans le Verbe, mon Fils
bien-aimé.
1. Je t'ai dit ces choses pour que tu
comprennes mieux comment ceux dont je t'ai fait connaître l'erreur
ont un avant-goût de l'enfer. Je te dirai maintenant d'où vient leur
erreur et comment ils reçoivent cet avant-goût de l'enfer. C'est
parce qu'ils ont aveuglé leur intelligence par l'infidélité de leur
amour-propre. La vérité s'acquiert par la lumière de la foi et le
mensonge par l'infidélité. Je parle de l'infidélité de ceux qui ont
reçu le saine baptême, dans lequel la pupille de la foi est donnée à
l’œil de l'intelligence.
2. Lorsque vient l'âge de raison, ceux qui
s'exercent à la vertu conservent la lumière de la foi et enfantent
des vertus vivantes qui profitent au prochain. De même qu'une femme
qui donne le jour à un enfant le présente avec joie à son époux, ils
m'offrent leurs vertus vivantes, à moi qui suis l'époux de leur âme.
Mais au contraire, les malheureux qui, à l'âge de raison, ne
profitent pas de la lumière de la foi, n'enfantent pas les vertus de
la vie de la grâce, et ne produisent que des œuvres mortes. Elles
sont mortes, parce qu'elles sont faites dans la mort du péché, et
sans la lumière de la foi. Ils ont. la forme du baptême, mais ils
n'en ont plus la lumière, parce qu'ils en sont privés par les
ténèbres de la faute que fait commettre l'amour-propre, qui couvre
entièrement leur vue.
3. On dit que ceux-là ont la foi sans les
œuvres et que leur foi est morte. De même qu'un mort ne voit pas, de
même l’œil de l'intelligence dont la pupille est obscurcie ne voit
pas. L'âme ne se connaît pas et ne connaît pas les péchés qu'elle a
commis ; elle ne connaît. pas ma bonté envers elle en lui donnant
l'être et les grâces que j'y ai ajoutées. M'ignorant et s'ignorant
elle-même, elle ne hait pas sa propre sensualité, mais elle l'aime
et cherche à satisfaire ses désirs. Elle enfante ainsi les oeuvres
mortes du péché. Elle ne m'aime pas, et ne m'aimant pas, elle n'aime
pas ce que j'aime, c'est-à-dire le prochain, et elle ne se plaît
point à faire ce qui peut m'être agréable.
4. Ce sont les vraies et solides vertus
qu'il m'est agréable de voir en vous, et ce n'est pas à cause de
moi. De quelle utilité pouvez-vous être polir moi ? Je suis Celui
qui agit, et rien ne se fait sans moi, excepté le péché, qui n'est
que néant, puisqu'il prive l'âme de moi, qui suis le bien suprême,
en la privant de la grâce. Les vertus me plaisent à cause de vous,
parce que je puis les récompenser en moi, qui suis la vie éternelle.
5. Tu vois que leur foi est morte,
puisqu'elle est sans les oeuvres : les œuvres qu'ils font ne servent
point pour la vie éternelle, puisqu'ils n'ont pas la vie de la
grâce. Cependant on ne doit jamais cesser de faire le bien, qu'on
soit en état de grâce ou qu'on n'y soit pas, parce que le bien est
toujours récompensé comme la faute est toujours punie. Le bien qui
se fait en état de grâce sert à la vie éternelle ; le bien qui se
fait en état de péché mortel ne sert pas à la vie éternelle, mais il
est récompensé de différentes manières, comme je te l'ai expliqué.
6. Je le récompense quelquefois en
accordant le temps nécessaire pour se reconnaître ; quelquefois en
mettant au cœur, de mes serviteurs de ferventes prières qui retirent
les coupables du mal et les sauvent de leur misère. D'autres fois je
ne leur accorde ni temps ni prières, mais je les récompense par
l'abondance des choses temporelles. Ils sont comme les animaux qu'on
engraisse pour les mener à la boucherie, et cela arrive à ceux qui
résistent de toute manière à ma bonté, et qui font cependant quelque
bien en dehors de la grâce et dans le péché. Ils n'ont pas voulu
profiter du temps qui leur était accordé, des prières qu'on faisait
pour eux, et de tous les moyens que j'employais pour les attirer. Je
les repousse à cause de leurs vices, mais ma bonté veut récompenser
ce. qu'ils peuvent avoir fait d'utile ; je leur accorde des biens
temporels qui les engraissent, et, s'ils ne se convertissent pas,
ils vont ainsi au supplice de l'enfer.
7. Tu vois quelle est leur erreur ; mais,
s'ils y tombent, n'est-ce pas leur faute ? Ils se sont privés de la
lumière de la foi, et ils marchent à tâtons comme des aveugles,
s'attachant à tout, ce qu'ils touchent. Parce que leur vue est
obscurcie, ils ne placent leur affection que dans des choses
transitoires ; ils se trompent comme ces fous que séduit l'or, sans
prendre garde au poison qu'il cache. Toutes les choses du monde, ses
joies, ses plaisirs, si on les possède, si on les goûte sans moi,
avec un amour déréglé, sont comme ces scorpions que je te montrais
dans les commencements,, après la figure de l'arbre : ils portaient
de l'or devant eux et du poison par derrière ; il n'y avait pas de
poison sans or ni d'or sans poison ; mais c'était l'or qu'on voyait
le premier, et personne n'évitait le poison, à moins d'être éclairé
par la lumière de la foi.
1. Je t'ai dit que ceux qui sont éclairés
par la lumière de la foi, retranchaient le poison des sens avec le
glaive à deux tranchants de la haine du vice et de l'amour de la
vertu ; ceux qu'éclaire seulement la lumière de la raison acquièrent
et possèdent l'or des choses terrestres qu'ils veulent conserver ;
mais ceux qui veulent atteindre la perfection méprisent ces biens
réellement et spirituellement, ils observent les conseils de ma
Vérité.
2. Les autres possèdent et observent les
commandements et ne suivent les conseils que spirituellement ; mais
comme les conseils sont liés aux commandements, personne ne peut
observer les commandements sans observer les conseils, non pas
réellement, mais spirituellement. En possédant les richesses du
monde, on doit les posséder avec humilité, et non pas avec orgueil ;
on doit les posséder comme une chose prêtée, car ma bonté ne vous
les donne que pour votre usage. Vous ne les avez qu'autant que je
vous les donne ; vous ne les conservez qu'autant que je vous les
laisse, et je ne vous les laisse qu'autant que je vois qu'elles
servent à votre salut. C'est ainsi que vous devez en user.
3. Si l'homme en use de la sorte, il
observe les commandements, puisqu'il m'aime par-dessus toutes choses
et qu'il aime le prochain comme lui-même. Il vit avec un cœur libre,
il ne s'attache pas aux richesses par le désir, il ne les aime pas
et ne les tient que de ma volonté ; et, s'il les possède
matériellement, il n'en observe pas moins le conseil dans son cœur,
parce qu'il s'est purifié du poison de l'amour déréglé.
4. Ceux qui agissent ainsi sont dans la
charité commune, mais ceux qui observent les commandements et les
conseils spirituellement et réellement sont dans la charité
parfaite ; ils observent dans toute sa simplicité le conseil que ma
Vérité, le Verbe incarné, donnait, à ce jeune homme qui lui
demandait : Maître, que puis-je faire pour avoir la vie éternelle ?
Mon Fils lui dit : Observez les commandements de la loi. Le jeune
homme répondit : Je les observe ; et mon Fils lui dit : C'est bien.
Si vous voulez être parfait, allez, vendez ce que vous avez et
donnez-le aux pauvres (Mt, XIX, 16-21). Alors ce jeune homme
devint triste, parce que les richesses qu'il avait, il les possédait
encore avec trop d'amour : c'est ce qui causait sa peine. Mais les
parfaits suivent le conseil ; ils abandonnent le monde et ses
délices ; ils affligent leur corps par la pénitence, par les
veilles, par d'humbles et continuelles prières.
5. Ceux qui restent dans la charité commune
ne perdent pas la vie éternelle en ne se séparant pas matériellement
des richesses, parce qu'ils n'y sont pas obligés ; mais, s'ils
veulent garder les choses du monde, ils doivent le faire comme je te
l'ai enseigné. En les possédant ils ne pèchent pas ; car toutes ces
choses sont bonnes, excellentes, parfaites et créées par moi, qui
suis la bonté souveraine, elles sont faites pour servir à mes
créatures raisonnables, mais non pas pour que mes créatures
deviennent les esclaves des délices du monde. Ceux qui veulent les
garder renoncent à la perfection ; ils doivent s'en servir, non pas
comme des maîtres, mais comme des serviteurs. Tous leurs désirs
doivent être pour moi ; il faut aimer et posséder le reste comme des
choses qui leur sont prêtées et qui ne leur appartiennent pas.
6. Je ne tiens aucun compte des personnes
et des positions, je ne m'arrête qu'aux saints désirs. Dans tout
état que l'homme choisit, qu'il ait une volonté bonne et sainte, et
il me sera agréable. Qui pourra réussir ? Ceux qui détruiront le
venin de l'amour-propre par la haine des sens et l'amour de la
vertu. Dès que la volonté est purifiée de ce venin et réglée par
l'amour et la sainte crainte de Dieu, l'homme peut choisir l'état
qui lui plaît et y gagner la vie éternelle.
7. Quoique la plus grande perfection, celle
qui m'est le plus agréable, soit de se détacher spirituellement et
matériellement de toutes les choses du monde, celui qui ne se sent
pas capable d'atteindre cette perfection à cause de sa fragilité,
peut rester dans la charité commune selon son état. Ma bonté l'a
décidé, afin que personne ne puisse excuser son péché dans aucune
condition. Y a-t-il en effet une excuse possible, puisque j'accorde
aux passions et à la faiblesse de l'homme de pouvoir rester dans le
monde, posséder la richesse, tenir un rang, vivre dans le mariage et
travailler à établir ses enfants ? L'homme peut choisir l'état qu'il
veut, pourvu qu'il se purifie du venin de la sensualité, qui donne
la mort éternelle.
8. La sensualité tue l'âme comme un poison
qui tourmente le corps et le fait enfin mourir, si on ne le rejette
pas et si on ne prend aucune médecine. Le monde est un scorpion qui
empoisonne par ses jouissances. Ce ne sont pas les choses
temporelles qui tuent par elles-mêmes, car elles sont bonnes et
faites par moi, qui suis la bonté suprême ; on peut en user avec
amour et crainte : le poison vient de la volonté perverse de
l'homme. Il empoisonne l'âme et lui donne la mort, si elle ne le
rejette par une sainte confession qui délivre le cœur. La confession
est une médecine qui guérit de ce poison, mais ce remède paraît amer
à la sensualité.
9. Tu vois donc combien sont dans l'erreur
ceux qui pourraient me posséder, fuir la tristesse et goûter la
joie, la consolation. Ceux-là veulent le mal qui a l'apparence du
bien, et ils s'attachent à l'or avec un amour déréglés Parce qu'ils
sont aveuglés par de nombreuses infidélités, ils, ne reconnaissent
pas le poison ; ils voient qu'ils sont empoisonnés, et ne prennent
pas de remède ; ils portent la croix du démon et ils ont un
avant-goût de l'enfer.
1. Je t'ai dit que de la volonté venaient
les peines de l'homme. Comme mes serviteurs se sont dépouillés de
leur volonté et revêtus de la mienne, ils n'éprouvent aucune
affliction ; ils sont toujours satisfaits, parce qu'ils sentent que
je suis dans leur âme par la grâce. Ceux qui ne m'ont pas ne peuvent
être satisfaits, lors même qu'ils possèderaient le monde tout entier
car les choses créées sont moindres que l'homme, puisqu'elles sont
faites pour l'homme, et non l'homme pour elles. L'homme ne peut s'en
contenter ; moi seul je puis le satisfaire ; et pourtant ces
malheureux sont si aveugles qu'ils se fatiguent inutilement à
poursuivre ce qu'ils ne peuvent avoir, parce qu'ils ne s'adressent
point à moi qui pourrais tout leur donner.
2. Veux-tu connaître leur tourment ? Tu
sais que l'amour souffre quand il perd la chose à laquelle il s'est
identifié. Ceux qui s'identifient à la terre par l'amour deviennent
semblables à la terre : les autres s'identifient à leurs richesses,
à leurs honneurs, à leurs enfants ; les autres me perdent pour se
donner aux créatures, d'autres font de leur corps un animal
immonde ; tous ainsi désirent la terre et s'en repaissent. Ils
voudraient que ces choses fussent durables, mais elles ne le sont
pas ; elles passent comme le vent. La mort leur enlève ce qu'ils
aiment, ou ma volonté les en prive.
3. Cette privation est pour eux une peine
intolérable ; leur douleur est aussi grande que leur amour avait été
déréglé. S'ils avaient possédé ces choses comme des choses prêtées
et qui ne leur appartenaient pas, ils les ,auraient quittées sans
regret. Ils les regrettent, parce qu'ils n'ont plus ce qu'ils
désirent ; car le monde, je te l'ai dit, ne peut les rassasier, et
ils souffrent de ne pas l'être.
4. Quel supplice cause les remords de la
conscience ! quelle torture éprouve celui qui a soif de vengeance !
Il se dévore lui-même et tue son âme avant de tuer son ennemi, il se
suicide avec le poignard de la haine. Que ne souffre pas l'avare qui
par avarice se réduit à l'extrémité ? et l'envieux dont le cœur se
ronge à la vue du bonheur d'autrui ? Toutes les choses qu'on aime
d'un amour déréglé engendrent des peines et des frayeurs sans
nombre. Ces infortunés portent la croix du démon et ont un
avant-goût de l'enfer ; cette vie est pour eux pleine d'infirmités
et de malheurs, et, s'ils ne se convertissent, ils n'ont à attendre
que la mort éternelle.
5. Ce sont ceux-là qui sont blessés par les
épines de la tribulation, et qui se tourmentent eux-mêmes par leur
volonté déréglée. Ils souffrent à l'intérieur et à l'extérieur ;
leur âme et leur corps endurent des peines sans aucun mérite, parce
qu'ils les reçoivent sans patience et avec colère. Ils possèdent
l'or des délices du monde avec un amour déréglé ; ils sont privés de
la vie de la grâce et de l'ardeur rie la charité. Ils deviennent des
arbres de mort, toutes leurs actions sont mortes et ils s'en vont
péniblement se noyer dans le fleuve, dont les eaux empoisonnées les
engloutissent. Ils passent pleins de haine par la porte du démon, et
reçoivent la damnation éternelle. Tu vois donc quelle est leur
erreur, avec quelle peine ils arrivent à l'enfer et se font les
martyrs du démon ; ce qui les aveugle, c'est le nuage de
l'amour-propre qui intercepte la lumière de la foi.
6. Les tribulations du monde qui entourent
de toute part mes serviteurs, ne les atteignent qu'extérieurement.
Ils sont persécutés, mais leur âme est tranquille parce qu'ils sont
unis à ma volonté et qu'ils sont contents de souffrir pour moi. Les
serviteurs du monde au contraire sont frappés au dedans et au
dehors ; ils sont surtout tourmentés intérieurement par la crainte
de perdre ce qu'ils possèdent, et par l'amour de ce qu'ils ne
peuvent avoir. Les autres peines qui sont causées par ces deux
peines principales sont innombrables, et ta langue ne pourrait les
dire. Ainsi donc, même en cette vie, il vaut mieux être juste que
pécheur ; tu connais maintenant la route et la fin des uns et des
autres.
1. Quelques-uns se sentent éprouvés par les
tribulations du monde, que j'envoie pour apprendre à l'âme que sa
fin n'est pas en cette vie, que toutes ces choses étant imparfaites
et transitoires, elle doit les prendre comme telles, et ne désirer
que moi, qui suis sa fin véritable. Ils commencent à écarter le
nuage de leurs yeux, à cause des peines qu'ils souffrent, et à cause
de celles qui doivent punir leur péché. Cette crainte servile les
fait sortir du fleuve et vomir le venin que le scorpion leur avait
communiqué par l'appât de l'or qu'ils aimaient sans mesure. Ils
aperçoivent ce qui donne la mort, et ils commencent à faire des
efforts pour gagner la rive et atteindre le pont ; mais la crainte
servile ne suffit pas pour arriver.
2. Purifier du péché mortel sa demeure,
sans la remplir des vertus fondées sur l'amour et non sur la
crainte, ce n'est pas mériter la vie éternelle ; il faut placer les
deux pieds sur le premier degré du pont, c'est-à-dire y parvenir par
l'amour et le désir, qui sont les pieds de l'âme, pour atteindre la
Vérité, dont je vous ai fait un pont. Il faut monter le premier
degré que je t'ai fait voir, en te présentant comme un pont le corps
de mon Fils.
3. Il est vrai que presque toujours les
serviteurs du monde commencent à se convertir par la crainte de la
punition : les tribulations leur rendent souvent la vie
insupportable et les détachent du monde. Si la lumière de la foi
éclaire leur crainte, ils peuvent arriver à l'amour des vertus ;
mais il y en a qui marchent avec tant de tiédeur, qu'ils retombent
souvent dans leurs fautes. Lorsqu'ils sont sur la rive, ils
rencontrent des vents contraires et sont battus par les flots
orageux de cette vie ténébreuse.
4. Le vent de la prospérité surtout les
éprouve avant qu'ils aient monté le premier degré par l'amour ,des
vertus ; ils retournent en arrière et s'attachent encore d'une
manière déréglée aux jouissances du monde. Si c'est, le vent de
l'adversité qui souffle, ils reculent par l'impatience, parce qu'ils
ne détestent pas leurs fautes comme une offense qui m'est faite,
mais par crainte de la punition qu'elle mérite. Sans cette crainte
ils ne sel-aient pas convertis ; mais toute vertu veut la
persévérance, et dès qu'ils ne persévèrent pas, ils ne peuvent
atteindre le but de leurs désirs, ils abandonnent ce qu'ils avaient
commencé ; la persévérance seule obtiendrait la récompense de leurs
efforts.
5. Ainsi les rechutes viennent de causes
différentes : les uns succombent dans les combats de la chair contre
l'esprit ; les autres sont vaincus par les créatures qu'ils aiment
hors de moi, ou par l'impatience que leur cause les injures reçues ;
d'autres par les attaques variées et nombreuses du démon, qui les
décourage en dépréciant leurs œuvres. Ce bien que vous entreprenez,
leur dit-il, ne sert à rien, à cause de vos fautes et de vos vices ;
et il les fait ainsi retourner en arrière et abandonner le peu
qu'ils avaient entrepris.
6. Quelquefois il les abuse en leur
donnant une fausse confiance dans ma miséricorde. Pourquoi, leur
dit-il, tant vous fatiguer? Jouissez de la vie, et au dernier moment
vous vous reconnaîtrez et vous obtiendrez miséricorde. Par ce moyen
le démon leur fait perdre cette crainte par laquelle ils avaient
commencé. Toutes ces ruses, ces attaques les empochent de
persévérer, et cela arrive parce que la racine de l'amour-propre
n'est pas arrachée de leur cœur ; c'est ce qui cause leur chute. Ils
présument de ma miséricorde ; ils n'ont qu'une injuste et coupable
espérance, puisqu'ils comptent sur ma miséricorde pour m'outrager
sans cesse.
7. La miséricorde ne leur est pas donnée
pour m'offenser, mais pour les défendre de la malice du démon et les
préserver du désespoir. ils font tout le contraire, puisqu'ils
m'offensent en s'appuyant sur ma miséricorde elle-même. Il en est
ainsi, parce qu'ils n'ont pas complété ce premier changement, qu'ils
avaient opéré en se retirant du péché mortel par crainte du
châtiment, lorsqu'ils avaient senti l'aiguillon de la tribulation.
En s'arrêtant, ils n'arrivent pas à l'amour de la vertu et ils
manquent de persévérance. L'âme ne peut rester immobile, il faut
qu'elle avance ou qu'elle recule. Quand on avance dans la vertu, on
abandonne l'imperfection de la crainte ; quand on n'arrive pas à
l'amour, on retourne en arrière.
1. Alors cette âme tourmentée de désirs
considérait son imperfection et celle des autres ; elle souffrait
d'entendre et de voir tant d'aveuglement dans les créatures, parce
qu'elle savait combien grande était la bonté de Dieu, qui n'a rien
mis dans cette vie qui puisse empêcher le salut et qui ne serve au
contraire à exercer et à éprouver la vertu. Et malgré cela, elle
voyait que l'amour-propre et les affections déréglées entraînent les
hommes dans le fleuve, et causent, quand ils ne s'en corrigent pas,
leur damnation éternelle.
2. Beaucoup de ceux qui avaient bien
commencé retournaient en arrière pour les raisons que l'ineffable
bonté de Dieu avait daigné lui révéler, et cette vue la plongeait
dans une douleur profonde ; elle fixait ses regards en Dieu le Père,
et, elle lui disait : O amour inexprimable, combien grande est
l'erreur de vos créatures ! Qu'il plaise à votre bonté de
m'expliquer plus particulièrement les trois degrés figurés sur le
corps de votre Fils bien-aimé, comment on doit faire pour sortir
entièrement de ces flots et pour suivre la voie de votre vérité, et
quels sont ceux qui montent ces degrés.
1. Alors la divine Bonté, abaissant le
regard de sa miséricorde sur le désir qui tourmentait cette âme, lui
disait : Ma fille bien-aimée, je ne méprise pas les saints désirs,
et je me plais à les satisfaire. Aussi je vais te montrer ce que tu
me demandes. Tu me demandes que je t'explique la figure des trois
degrés, et comment on peut sortir du fleuve et monter sur le pont.
Je t'ai déjà dit l'erreur et l'aveuglement de ces hommes, qui,
pendant leur vie, sont les martyrs du démon et acquièrent la
damnation éternelle pour prix de leurs iniquités. Et en te disant
ces choses, je t'ai indiqué par quels moyens ils doivent éviter ces
malheurs. Mais maintenant je m'étendrai davantage, pour satisfaire
ton désir.
2. Tu sais que tout mal est fondé sur
l'amour-propre. Cet amour est un nuage qui obscurcit la lumière de
la raison, et la raison a en elle la lumière de la foi ; on ne perd
pas l'une sans perdre I'autre. J'ai créé l'âme à mon image et
ressemblance, en lui donnant la mémoire, l'intelligence et la
volonté. L'intelligence est la plus noble partie de l'âme.
L'intelligence est excitée par l'affection, et l'affection est
nourrie par l'intelligence. C'est la main de l'amour, c'est-à-dire
l'affection, qui remplit la mémoire de mon souvenir et du souvenir
de mes bienfaits. Ce souvenir tend l'âme active et reconnaissante ;
elle la préserve de négligence et d'ingratitude ; chaque puissance
aide l'autre : ainsi se nourrit l'âme dans la vie de la grâce.
3. L'âme ne peut vivre sans amour ; elle
veut toujours aimer quelque chose, car elle est faite d'amour, et je
l'ai créée par amour. L'affection excite l'intelligence elle lui
dit : “Je veux aimer, parce que l'aliment dont je me nourris est
l'amour”. Alors l'intelligence, éveillée par l'affection, se lève et
lui dit : “Si tu veux aimer, je te donnerai un bien que tu puisses
aimer”. Aussitôt elle se met à considérer la dignité que l'âme a
reçue par la création, et l'indignité où elle est tombée par le
péché, Dans la dignité de son être, elle admire mon ineffable bonté
et la charité incréée avec laquelle je l'ai créée ; et dans la
profondeur de sa misère, elle trouve et contemple ma miséricorde,
qui lui a donné le temps du repentir et qui l'a sauvée des ténèbres.
4. Alors l'affection se nourrit d'amour ;
elle se rassasie par ses saints désirs de la haine des sens, et elle
savoure dans cette haine l'humilité véritable et la parfaite
patience. Une fois que les vertus ont germé, elles se développent
parfaitement ou imparfaitement, selon que l'âme s'exerce à la
perfection, comme je te le dirai bientôt.
5. Mais au contraire, si l'affection est
inclinée vers les choses sensibles, le regard de l'intelligence se
tourne de ce côté, et n'offre plus pour objet que des choses
transitoires, qui entretiennent l'amour-propre, le dégoût de la
vertu et l'attrait du vice, ce qui fait naître l'orgueil et
l'impatience. La mémoire ne se remplit que de ce que lui présente
l'affection. Cet amour obscurcit la vue, qui ne distingue et ne voit
qu'une fausse lumière. C'est cette lumière que l'intelligence voit
en toute chose, et que l'affection aime à cause de son apparence de
bien et de plaisir. Sans cette apparence l'homme ne pêcherait pas ;
car, par sa nature, il ne peut désirer autre chose que le bien. Le
vice est coloré d'une apparence de bien personnel qui fait pécher
l'âme. Mais, parce que l’œil ne distingue plus rien dans son
aveuglement, il méconnaît la vérité ; il s'égare en cherchant le
bien et le plaisir où ils ne sont pas.
6. Je t'ai dit que les plaisirs du monde
sans moi sont des épines empoisonnées. Dès que l'intelligence se
trompe dans ce qu'elle voit, la volonté se trompe dans son amour,
puisqu'elle aime ce qu'elle ne devrait pas aimer. La mémoire s'abuse
de ce qu'elle retient. L'intelligence fait comme un voleur qui
dépouille les autres. La mémoire retient aussi continuellement des
choses qui sont hors de moi, et l'âme est ainsi privée de la grâce.
7. L'une de ces trois puissances de l'âme
est si grande, que je ne puis être offensé par l'une sans que toutes
les trois ne m'offensent ; car l'une communique à l'autre, ainsi que
je te l'ai dit, le bien ou le mal, selon le bon plaisir du libre
arbitre. Ce libre arbitre est uni à l'affection et l'excite selon
qu'il lui plaît, avec ou sans la lumière de la raison. Vous avez
votre raison unie à moi tant que le libre arbitre ne la sépare pas
par un amour déréglé, et vous avez une loi perverse qui combat sans
cesse contre l'esprit. Vous avez donc deux partis, la sensualité et
la raison. La sensualité est servante, elle est faite pour obéir à
l'âme ; c'est par le corps que s'éprouvent et s'exercent les vertus.
8. L'âme est libre ; elle est affranchie
du péché dans le sang de mon Fils ; elle ne peut être opprimée si
elle n'y consent par la volonté. La volonté est unie au libre
arbitre, et le libre arbitre ne fait qu'une chose avec la volonté en
s'accordant avec elle. Il est placé entre la sensualité et la
raison, et il peut se tourner du côté qu'il choisit. Il est vrai que
quand l'âme veut, par l'intermédiaire du libre arbitre, réunir ses
puissances en mon nom, comme je te l'ai dit, alors toutes ses
opérations spirituelles et temporelles sont bien ordonnées. Le libre
arbitre se détache de la sensualité et s'unit à la raison. Alors,
par ma grâce, je me repose au milieu d'elles.
9. Mon Verbe incarné a dit : “Quand deux ou
trois seront réunis en mon nom, je serai au milieu d'eux” (Mt.,
XVIII, 20), et c'est la vérité. Car je te l'ai déjà dit :
Personne ne peut venir à moi, si ce n'est par lui. Aussi est-il
devenu pour le genre humain un pont à trois degrés, et ces trois
degrés figurent également les trois états de l'âme, comme je te
l'expliquerai bientôt.
1. Je t'ai expliqué que les trois degrés
figuraient en général les trois puissances de l'âme. Ces degrés ne
peuvent être montés séparément, si l'on veut passer par la doctrine
le pont de ma Vérité. Si l'âme n'accorde pas ces trois puissances,
elle ne peut avoir la persévérance dont je t'ai parlé, lorsque tu me
demandais comment ces voyageurs devaient sortir du fleuve. Je te
disais que, sans la persévérance, personne ne peut atteindre le but.
Il y a deux buts qu'atteint la persévérance, le vice ou ta vertu. Si
tu veux arriver à la vie, il faut persévérer dans la vertu ; celui
qui veut arriver à la mort éternelle persévère dans le vice. La
persévérance conduit à moi, qui suis la vie, ou au démon, qui fait
boire la mort.
1. Ma vérité vous a tous généralement et
particulièrement appelés, lorsque mon Fils, plein d'un ardent désir,
criait dans le temple : “Que celui qui a soif vienne à moi et boive
(Jn, VII, 37), car je suis la fontaine d'eau vive”. Il ne dit
pas, qu'il aille à mon Père et boive ; mais il dit : “qu'il vienne à
moi”, parce que la peine ne peut être en moi le Père, mais bien en
mon Fils unique. Vous qui êtes voyageurs et pèlerins dans cette vie
mortelle ; vous ne pouvez être sans peine, parce que le péché fait
naître les épines sur la terre.
2. Pourquoi dit-il : “Venez à moi et
buvez” ? Parce qu'en suivant sa doctrine, ou par la voie des
commandements et l'amour des conseils, ou par la pratique réelle des
commandements et des conseils, c'est-à-dire par la charité parfaite
ou par la vie commune, quelle que soit la route que vous preniez
pour aller à lui en suivant sa doctrine, vous trouverez de quoi vous
désaltérer, en trouvant et goûtant le fruit du sang par l'union de
la nature divine à la nature humaine. En vous trouvant en lui, vous
vous trouvez en moi qui suis l'océan pacifique, parce que je suis
une même chose avec lui, et lui une même chose avec moi.
3. Ainsi vous êtes invités à la fontaine
d'eau vive de la grâce, mais c'est par mon Fils qu'il faut y aller
avec persévérance, sans vous laisser arrêter par les épines, les
vents contraires ; la prospérité, l'adversité et toutes les peines
que vous rencontrerez. Vous devez persévérer jusqu'à ce que vous me
trouviez, moi qui vous donne l'eau vive ; et je vous la donne par le
moyen du doux Verbe, mon Fils unique et bien-aimé.
4. Mais pourquoi dit-il : “Je suis la
fontaine d'eau vive” ? Parce qu'il est la fontaine qui me contient,
moi qui donne l'eau vive par l'union de la nature divine à la nature
humaine. Pourquoi dit-il : “Qu'il vienne à moi et qu'il boive” ?
Parce que vous ne pouvez éviter la peine, et que la peine ne peut se
trouver en moi, mais en lui. C'est pour cela que je vous ai fait de
mon Fils un pont, et personne ne peut venir à moi que par lui. Il
l'a déclaré : “Personne ne peut aller au Père, si ce n'est par
moi” ; et ma Vérité est la vérité même.
5. Ainsi, tu as vu la voie qu'il faut
prendre et suivre avec persévérance. Vous ne pourriez boire
autrement de l'eau vive ; car la persévérance est la vertu qui
reçoit la gloire et la couronne en moi, qui suis le bien suprême.
1. Je reviens aux trois degrés par lesquels
il faut aller pour ne pas périr dans ce fleuve, pour atteindre l'eau
vive à laquelle vous êtes appelés, et pour que je sois
continuellement en vous ; car pendant votre pèlerinage, je suis en
vous, et je me repose par la grâce au milieu de vos âmes. Il faut
d'abord avoir soif ; il n'y a d'invités que ceux qui ont soif,
puisqu'il est dit : “Qui a soif vienne à moi et boive”.
2. Celui qui n'a pas soif ne saurait
persévérer ; il se laissera arrêter par la fatigue ou le plaisir. Il
ne prendra ni vase pour puiser, ni compagnon pour ne pas aller
seul ; il retournera en arrière dès qu'il rencontrera la
persécution, parce qu'il l'a en horreur. Il craint parce qu'il est
seul, mais s'il était accompagné, rien ne l'effraierait. S'il avait
monté les trois degrés, il serait en sûreté, parce qu'il ne serait
pas seul.
3. Il faut donc que vous ayez soif et que
vous vous réunissiez ensemble, comme je vous l'ai dit, deux ou
trois, ou davantage. Pourquoi deux ou trois ? Parce que deux ne sont
pas sans trois, trois sans deux, ni trois et deux sans davantage.
Celui qui est seul ne peut pas m'avoir en lui, parce qu'il n'a pas
de compagnon, et je ne puis me tenir au milieu de lui. Il n'est rien
parce qu'il est seul dans son amour-propre, et qu'il est séparé de
ma grâce et privé de la charité du prochain. Dès qu'il est exclu de
moi par sa faute, il est dans le néant, parce que je suis seul Celui
qui suis ; il est isolé dans son amour-propre, et il n'est compté
pour rien dans ma Vérité ; il est rejeté de moi.
4. Il est dit : Quand ils seront deux ou
trois, ou davantage, assemblés en mon nom, je serai au milieu d'eux.
Je t'ai dit que deux n'étaient pas sans trois ni trois sans deux, et
c'est la vérité. Tu sais que les commandements se réduisent à deux,
sans lesquels toute la loi ne peut être observée : il faut m'aimer
par-dessus toute chose et aimer le prochain comme soi-même ; c'est
là le commencement, le milieu et la fin des commandements de la loi.
5. Ces deux commandements ne peuvent être
réunis en mon nom sans la réunion des trois puissances de l'âme, à
savoir : la mémoire, l'intelligence et la volonté. La mémoire doit
retenir ma bonté et mes bienfaits, l'intelligence doit contempler
l'amour ineffable que je vous ai montré par le moyen de mon Fils
unique : je l'ai donné pour objet à votre intelligence, pour qu'elle
y voie le foyer de ma charité. La volonté alors s'unit à la mémoire
et à l'intelligence, en m'aimant et me désirant comme sa fin.
6. Quand ces trois puissances sont ainsi
saintement assemblées, je suis au milieu d'elles par la grâce ; et
alors, parce que l'homme se trouve plein de ma charité et de celle
du prochain, il se trouve sur-le-champ dans la compagnie de
nombreuses et solides vertus. Le désir de l'âme lui donne soif de la
vertu, de mon honneur, du salut des âmes ; toute autre soif est
éteinte et morte en elle. Elle marche en assurance et sans aucune
crainte servile ; elle monte le premier degré de l'affection, parce
qu'elle s'est dépouillée de l'amour-propre ; elle s'est élevée
au-dessus d'elle-même et au-dessus des choses passagères ; elle les
aime et les conserve si elle veut, mais par moi et jamais sans moi,
avec une sainte et véritable crainte, avec l'amour de la vertu.
7. Elle monte le second degré ; elle arrive
à la lumière de l'intelligence et contemple l'amour infini, que je
vous ai montré dans mon Fils crucifié. Alors elle trouve la paix et
le repos, parce que la mémoire s'emplit jusqu'aux bords de ma
charité. Tu sais qu'une chose vide résonne quand on la frappe, mais
il n'en est pas de même quand elle est pleine. Quand la mémoire est
pleine de la lumière de l'intelligence et des sentiments de l'amour,
si elle est frappée par les tribulations ou par les plaisirs du
monde, l'âme ne fait entendre ni les éclats de la joie, ni les cris
de l'impatience, parce qu'elle est pleine de moi, qui suis le bien
véritable.
8. Dès qu'elle a monté ces degrés, elle se
trouve en sainte compagnie ; elle possède la raison et les trois
puissances de l'âme, qu'elle a réunies en mon nom : elle est avec
l'amour de moi et du prochain, avec la mémoire pour retenir,
l'intelligence pour voir, la volonté pour aimer. L'âme est avec moi,
qui suis sa force et sa sûreté ; elle est entourée de vertus, et
elle s'avance paisiblement, parce que je suis au milieu d'elles.
9. Elle est poussée par un ardent désir,
car elle a soif de suivre la voie de la Vérité, où se trouve la
fontaine d'eau vive. Cette soif de mon honneur, de son salut et du
salut du prochain lui fait désirer la voie, parce que sans cette
voie elle ne pourrait y parvenir. Elle avance, et porte le vase de
son cœur vide de tout désir et de tout amour déréglé du monde ; et
aussitôt que son cœur est vide, il se remplit, parce que rien ne
peut rester vide.
10. Il ne se remplit pas de choses
matérielles, mais d'un air pur. Le cœur est un vase qui ne peut
rester vide ; dès que l'amour déréglé des choses terrestres, en est
ôté, il se remplit des choses célestes, des douceurs de l'amour
divin, qui conduit aux eaux de la grâce. Quand l'âme est arrivée,
elle passe par la porte de Jésus crucifié, et elle goûte l'eau vive
qui se trouve en moi, l'océan de la paix.
1. Je t'ai montré comment toute créature
raisonnable peut sortir de la mer du monde et éviter la mort et la
damnation éternelle : je t'ai montré trois degrés principaux qui
sont les trois puissances de l'âme, et personne n'en peut monter un
sans monter les autres. Je t'ai expliqué cette parole de mon Fils :
Quand ils seront deux ou trois, ou plusieurs, réunis en mon nom.
Cette réunion est celle des trois puissances de l'âme, qui
s'accordent avec les deux principaux commandements de la loi :
m'aimer par-dessus toutes choses et aimer le prochain comme
soi-même. Dès que l'homme a fait cette réunion et monté ces degrés,
il a soif de l'eau vive ; il avance ; il passe sur le pont en
suivant la doctrine de ma Vérité.
2. Et alors vous accourez à la voix qui
vous crie comme dans le temple : Que celui qui a soif vienne à moi
et boive, car je suis la fontaine d'eau vive. Je t'ai expliqué cette
parole et comment il fallait l'entendre, afin que tu connaisses
mieux l'abondance de ma charité et le honteux aveuglement de ceux
qui se plaisent à courir par la route du démon, qui leur offre une
eau empoisonnée.
3. Tu me demandais les moyens de ne pas
périr dans le fleuve ; je te les ai montrés, et je t'ai dit qu'il
fallait monter sur le pont en unissant les deux commandements de la
loi dans la charité du prochain et en m'apportant son cœur et son
amour comme un vase ; car je donne à boire à qui m'en demande. Il
faut suivre la voie de Jésus crucifié et y persévérer jusqu'à la
mort ; voilà ce que doit faire l'homme, quel que soit son état, car
l'état n'est jamais une excuse ; on peut et on doit toujours remplir
cette obligation de toute créature raisonnable.
4. Personne ne peut s'en défendre en
disant : J'ai une position, des enfants et d'autres embarras du
monde, et il m'est impossible de suivre cette route. On ne peut
alléguer ces obstacles ; car je te l'ai dit, tout état m'est
agréable, pourvu qu'on y apporte une bonne et sainte volonté. Toute
chose est bonne et parfaite, puisqu'elle a été faite par moi, qui
suis la souveraine bonté. Les créatures ne vous ont pas été données
pour vous causer la mort, mais pour que vous ayez la vie. Ce que je
vous demande est bien facile, car quoi de plus facile et de plus
doux que l'amour ? Je ne réclame qu'une chose, l'amour ; m'aimer et
aimer le prochain.
5. En tout temps, en tout lieu, en tout
état, l'homme peut aimer et se servir de tout, pour l'honneur et la
gloire de mon nom. Mais, tu le sais, les aveugles ne suivent pas la
lumière ; ils se couvrent de leur amour-propre ; ils aiment et
possèdent les créatures en dehors de moi ; ils passent cette vie
dans des peines insupportables qu'ils se causent ; et, s'ils ne
changent de route, ils tombent dans la damnation éternelle. Ainsi je
t'ai fait connaître ce que tout homme doit faire.
1. Je t'ai dit la route que doivent suivre
et que suivent ceux qui sont dans la charité commune, c'est-à-dire
ceux qui observent les commandements et qui acceptent les conseils
spirituellement ; maintenant je veux te parler de ceux qui ont
commencé à monter ces degrés, et qui veulent suivre la voie parfaite
et observer complètement les commandements et les conseils dans les
trois états que je vais t'expliquer plus particulièrement.
2. L'âme a trois états auxquels
s'appliquent ses trois puissances : le premier est imparfait, le
second parfait, le troisième très parfait. Dans le premier, l'homme
est pour moi un mercenaire, dans le second un serviteur fidèle, et.
dans le troisième un fils qui m'aime sans songer à lui. Ces trois
états peuvent se rencontrer en diverses créatures, et quelquefois se
trouver dans une même personne. Ils se trouvent en une même personne
lorsqu'elle court avec une ardeur parfaite dans la voie, employant
son temps de manière qu'elle arrive de l'état servile à l'état
généreux, et de l'état généreux à l'état filial.
3. Élève-toi au-dessus de toi-même ; ouvre
l’œil de ton intelligence et vois comment tous ces voyageurs
s'avancent ; les uns marchent imparfaitement, les autres
parfaitement dans la voie des commandements, d'autres très
parfaitement dans la voie des conseils. Tu verras d'où vient
l'imperfection, d'où vient la perfection, et quel est l'aveuglement
de l'âme qui n'arrache pas d'elle-même la racine de l'amour-propre.
En quelque état que se trouve l'homme, il a besoin de tuer en lui
l'amour-propre.
1. Alors cette âme, embrasée d'un saint
désir, contemplait dans le doux miroir de la Divinité les créatures
qu'elle voyait prendre différentes routes et différents moyens pour
arriver à leur fin. Beaucoup commençaient à monter en étant
tourmentés par la crainte servile, c'est-à-dire en redoutant leur
propre peine ; beaucoup d'autres triomphaient de cette crainte et
parvenaient à la perfection, mais bien peu arrivaient à la grande et
véritable perfection.
1. Alors la bonté de Dieu, voulant
satisfaire le désir de cette âme, lui disait : Remarque ceux que la
crainte servile à détachés de la corruption du péché mortel s'ils
n'avancent pas avec l'amour de la vertu, la crainte servile ne leur
suffira pas pour obtenir la vie bienheureuse ; mais I'amour uni à la
crainte suffit, parce que la loi est fondée sur l'amour et la
crainte.
2. La loi de crainte est la loi ancienne
que j'ai donnée à Moïse, et qui était fondée sur la crainte, parce
que la peine punissait la faute commise. La loi d'amour est la loi
nouvelle donnée par le Verbe, mon Fils unique ; elle est fondée sur
l'amour. Mais cette loi nouvelle ne détruit pas l'ancienne : elle
l'accomplit au contraire. Ma vérité a dit : “Je ne suis pas venu
détruire la loi, mais l'accomplir” (Mt., V, 17).
3. Il a uni la loi de crainte à la loi
d'amour. L'amour a ôté l'imperfection de la crainte de la peine,
mais il a laissé la perfection de la bonne crainte, c'est-à-dire la
crainte de m'offenser, non pas à cause de la punition, mais à cause
de moi, qui suis la bonté suprême. Ainsi la loi imparfaite est
devenue parfaite par la loi d'amour.
4. Mon Fils unique est Venu comme un char
de feu, et il a répandu les flammes de ma charité dans votre
humanité. L'abondance de ma miséricorde a éloigné la peine des
fautes qui se commettent. Celui qui m'offense n'est pas puni
sur-le-champ dès cette vie, comme le voulait autrefois la loi de
Moïse. La punition est maintenant différée, et la crainte servile
est inutile. La faute n'est pas pour cela impunie ; elle sera punie
quand l'âme sera séparée du corps, si celui qui commet la faute ne
la punit pas, dès cette vie, par une contrition parfaite.
5. La vie est le temps de ma miséricorde,
et la mort le temps de la justice. Il faut donc quitter la crainte
servile et embrasser mon amour et ma sainte crainte. Sans cela
l'homme retombe dans le fleuve, dès qu'il rencontre les flots de la
tribulation, et les épines des consolations qui blessent l'âme qui
les aime et les possède d'une manière déréglée.
1. Je t'ai dit que personne ne pouvait
sortir du fleuve et passer le pont sans monter trois degrés. On les
monte imparfaitement, parfaitement et très parfaitement. Ceux qui
sont conduits par la crainte servile montent et réunissent
imparfaitement les puissances de leur âme. L'âme voit la peine qui
suit la faute ; elle se lève et appelle la mémoire pour chasser la
pensée du vice, l'intelligence pour voir la punition de la faute,
afin que la volonté puisse la détester. Ce premier acte, ce premier
effort doit être fait avec la vue de l'intelligence éclairée par la
sainte foi.
2. Elle doit non seulement regarder la
peine, mais la récompense de la vertu et l'amour que je lui porte,
afin qu'elle puisse monter par amour, avec une affection dégagée de
toute crainte servile. On devient ainsi serviteur fidèle et non
mercenaire, en me servant par amour et non par crainte, en
s'efforçant d'arracher avec une sainte haine la racine de
l'amour-propre, en agissant avec prudence, courage et persévérance.
Mais il y en a beaucoup qui montent si lentement et qui me rendent
ce qu'ils me doivent avec tant de mollesse et d'ignorance, qu'ils
s'arrêtent bientôt et retournent en arrière au moindre vent qu'ils
rencontrent. Et parce qu'ils ont monté si imparfaitement le premier
degré de Jésus crucifié, ils n'arrivent pas au second, qui est son
cœur.
1. Il y en a qui deviennent mes serviteurs
fidèles en me servant sans crainte de la punition et par amour. Mais
cet amour est imparfait, parce qu'il vient de l'utilité, du plaisir
et de la douceur qu'ils trouvent en moi. Sais-tu-ce qui montre que
cet amour est imparfait ? C'est que, quand ils sont privés de la
consolation qu'ils trouvent en moi, leur amour se refroidit et
disparaît souvent. ils aiment le prochain avec la même imperfection.
2. Si je veux éprouver mon serviteur dans
son intérêt, pour le retirer de l'imperfection et l'exercer à la
vertu, j'éloigne de lui la consolation qu'il goûtait en moi, et je
le laisse attaquer par la tribulation : c'est le moyen de lui donner
une connaissance plus parfaite de lui-même, et de lui montrer qu'il
reçoit de moi seul l'être et la grâce. Ces combats le portent à se
réfugier en moi, à reconnaître mes bienfaits et à me chercher seul
avec une humilité sincère. C'est pour cela que je lui donne et que
je lui retire la consolation, mais jamais la grâce.
3. Beaucoup alors se refroidissent et
reculent par défaut de patience. Ils abandonnent leurs pieux
exercices et croient se justifier en disant : ces actes ne me
profitent pas; puisque je n'en retire aucune consolation pour mon
âme.
4. C'est agir comme l'imparfait qui n'a
pas encore dégagé la lumière de la foi du voile de son amour-propre
spirituel ; car si ce voile était levé, l'âme verrait bien que toute
chose vient de moi, et qu'une feuille d'arbre ne tombe pas sans ma
providence. Tout ce que je donne, ou permets, arrive pour la
sanctification de mes serviteurs, afin qu'ils possèdent le bien et
la fin pour laquelle je les ai créés.
5. Ils doivent voir et reconnaître que je
ne veux autre chose que leur bonheur dans le sang de mon Fils
unique, qui les purifie de leurs iniquités. Dans ce sang ils peuvent
connaître ma vérité et voir que je les ai créés à mon image et à ma
ressemblance, que je les ai créés de nouveau à la grâce par le sang
de mon propre Fils, pour les rendre nies enfants adoptifs ; mais,
parce qu'ils sont imparfaits, ils me servent par intérêt et n'aiment
le prochain qu'avec tiédeur.
6. Les uns perdent courage pour éviter la
peine les autres se ralentissent dans le service de leur prochain et
se refroidissent dans leur charité, parce qu'ils n'ont plus les
avantages et les consolations qu'ils y trouvaient. Il ma est ainsi,
parce que leur amour n'est pas pur, et qu'ils aiment leur prochain
avec la même imperfection qu'ils m'aiment, c'est-à-dire par intérêt.
S'ils ne reconnaissent pas leur imperfection, s'ils ne désirent pas
s'en corriger, ils retournent nécessairement en arrière.
7. Il faut que ceux qui veulent la vie
éternelle aiment sans intérêt, parce qu'il ne suffit pas de fuir le
péché par crainte du châtiment, ou d'embrasser la vertu par amour de
ses avantages, il faut encore fuir le péché parce qu'il me déplaît,
et aimer la vertu par amour pour moi.
8. Il est vrai qu'ordinairement la crainte
est le premier pas des pécheurs vers la pénitence. L'âme est
imparfaite avant d'être parfaite ; mais de l'imperfection elle doit
aller à la perfection, ou pendant la vie en pratiquant la vertu et
en m'aimant d'un cœur libre, généreux et détaché, ou à la mort en
reconnaissant son imperfection et en se promettant que si elle eu
avait le temps, elle me servirait sans penser à elle.
9. C'était cet amour imparfait que
ressentait saint Pierre pour le doux et bon Jésus, mou Fils unique,
lorsqu'il jouissait des délices de son intimité. Mais quand vint le
temps de la tribulation, il l'abandonna ,et changea tellement, qu'au
lieu de mourir pour lui, comme il avait dit, il le renia par peur et
déclara qu'il ne l'avait jamais connu.
10. L'âme succombe ainsi lorsqu' elle monte
ces degrés par crainte servile ou par amour mercenaire. Il faut donc
sortir de cette imperfection, m'aimer d'un amour filial et me servir
sans intérêt ; car je sais récompenser toute peine, et je rends à
chacun selon son état et ses efforts.
11. Ceux qui n'abandonnent pas leurs prières
et leurs bonnes œuvres, mais qui travaillent avec persévérance à
augmenter leurs vertus, arriveront à l'amour des enfants. Je les
aimerai avec cet amour, car je rends toujours l'amour qu'on me
donne. Si quelqu'un m'aime comme le serviteur aime son maître, je le
récompense comme un maître paie son serviteur, mais je ne me livre
pas à lui, parce que les secrets ne se confient qu'à l'amitié : on
ne fait qu'un avec son ami, mais non pas avec son serviteur. Il est
vrai que le serviteur peut ‘augmenter tellement sa vertu et l'amour
qu'il a pour son maître, qu'il deviendra son plus cher ami.
12. Il en arrive ainsi à mes serviteurs :
tant qu'ils restent dans l'amour mercenaire, je ne me manifeste
point à eux. Mais s'ils rougissent de leur imperfection et s'ils
aiment la vertu, s'ils arrachent avec une sainte haine la racine de
l'amour-propre spirituel qui est en eux, si, montant sur le tribunal
de leur conscience, ils font justice de la crainte servile et de
l'amour mercenaire que n'a pas encore détruits dans leur cœur la
lumière de la foi, alors ils me sont si agréables, que je les' aime
comme des amis, je me manifesterai à eux, puisque nia Vérité a dit :
“Celui qui m'aimera sera aimé de mon Père, et je l'aimerai ; je me
manifesterai à lui, et nous demeurerons ensemble” (Jn, XIV, 21-35).
C'est la condition des vrais amis d'être deux corps et une seule âme
par l'amour, car l'amour transforme dans la chose aimée. S'ils n'ont
qu'une âme, comment peuvent-ils avoir des secrets l'un pour
l'autre ? Aussi mon Fils l'a dit : “Je viendrai, et nous demeurerons
ensemble” ; et c'est la vérité.
1. Sais-tu comment je me manifeste dans
l'âme qui m'aime en vérité et qui suit la doctrine de mon doux et
bien-aimé Verbe ? Je manifeste de différentes manières ma vérité
dans l'âme, selon son désir, et j'ai trois sortes de manifestations.
2. Je manifeste premièrement dans l'âme
mon amour et ma charité par le moyen du Verbe, mon Fils ; et cet
amour, cette charité se voit dans son sang répandu avec tant
d'ardeur. La charité se montre de deux manières l'une est générale
et commune à tous ceux qui vivent dans la charité ordinaire. Ils la
voient et l'éprouvent dans les nombreux bienfaits qu'ils reçoivent
de moi l'autre manière est réservée à ceux qui sont devenus mes
amis ; ils connaissent la charité plus que les autres, parce qu'ils
la connaissent, la goûtent et l'éprouvent sensiblement dans leurs
âmes.
3. La seconde manifestation est pour ceux
auxquels je me révèle par le sentiment de l'amour. Je ne regarde pas
la créature, mais les saints désirs, et je me montre à l'âme avec la
même perfection qu'elle me recherche. Quelquefois je me révèle, dans
cette seconde manifestation, en dominant l'esprit de prophétie et
cri montrant les choses futures : et cela de beaucoup de manières,
selon les besoins de cette âme ou des autres créatures.
4. D'autres fois, et c'est la troisième
manifestation, je forme dans leur esprit la présence de ma Vérité,
mon Fils unique, par plusieurs moyens, selon que l'âme le désire et
le veut. Tantôt elle une cherche dans la prière en voulant connaître
ma puissance, et je la satisfais en lui faisant goûter et sentir ma
vertu ; tantôt elle me cherche dans la sagesse de mon Fils, et je la
satisfais en l'offrant aux regards de son intelligence ; tantôt elle
nie cherche dans la clémence de l'Esprit saint, et alors ma bonté
lui fait goûter le feu de la divine charité, qui enfante les vraies
et solides vertus, fondées sur la charité pure du prochain.
1. Tu vois que mon Fils a dit la vérité
dans cette parole : “Celui qui m'aimera sera une même chose avec
moi” ; car en suivant sa doctrine avec amour vous êtes unis lui, et
étant unis à lui vous êtes unis à moi, parce que nous sommes une
même chose, et puisque nous sommes une même chose, je me
manifesterai aussi à vous.
2. Ainsi mon Fils a dit la vérité en
disant : “Je me manifesterai à vous”, parce qu'en se manifestant il
me manifeste, et en me manifestant il se manifeste. Mais pourquoi ne
dit-il pas : Je vous manifesterai mon Père ? Pour trois raisons. La
première est qu'il veut montrer que je ne suis pas séparé de lui, ni
lui de moi ; et quand saint Philippe lui dit : “Montrez-nous le
Père, et cela nous suffira”, il répond : “Qui me voit, voit le
Père ; et qui voit le Père, me voit” (Jn, XIV, 8-9). Il le
dit parce qu'il est une même chose avec moi ; et ce qu'il avait, il
l'avait de moi, et non pas moi de lui. Aussi dit-il aux Juifs : “Ma
doctrine n'est pas de moi, mais de mon Père, qui m'a envoyé”. Parce
que mon Fils procède de moi, et non pas moi de lui. Mais comme je
suis une même chose avec lui et lui avec moi, il ne dit pas ; Je
manifesterai le Père, mais je me manifesterai ; parce que je suis
une même chose avec le Père.
3. La seconde raison, c'est qu'en se
manifestant à vous il ne montrait que ce qu'il avait de moi, le
Père ; comme s'il eût voulu dire : Le Père s'est manifesté
entièrement en moi, puisque je suis une même chose avec lui. Je me
manifesterai et je le manifesterai à vous par mon moyen.
4. La troisième raison est, qu'étant
invisible, je ne puis être vu de vous-tant que vous ne serez pas
séparés de vos corps. Alors vous verrez ma divinité face à face, et
vous verrez aussi le Verbe, mon Fils intellectuellement jusqu'au
temps de la résurrection générale, lorsque votre humanité se
conformera et se réjouira dans l'humanité du Verbe, comme je te l'ai
dit en te parlant de la résurrection (Le texte dit : nel Trattato
della resurrettione. Ces mots semblent indiquer un ouvrage de
sainte Catherine de Sienne qui ne nous est pas parvenu).
5. Vous ne pouvez me voir maintenant dans
mon essence, et alors j'ai voilé la nature divine avec le voile de
votre humanité, afin que vous pussiez me voir. Moi, l'invisible, je
me suis fait pour ainsi dire visible en vous donnant le verbe, mon
Fils, revêtu de votre nature ; Il m'a manifesté à vous. Il ne dit
pas : Je manifesterai mon Père, mais : Je me manifesterai à vous ;
comme s'il disait : Selon ce que m'a donné mon Père, je me
manifesterai à vous. Tu vois que dans cette manifestation, en se
manifestant il me manifeste. Tu ne lui a pas entendu dire : Je vous
manifesterai le Père, car tant que vous êtes dans un corps mortel,
vous ne pouvez me voir ; mais mon Fils est une même chose avec moi.
1. Tu as pu comprendre l'excellence de
celui qui est parvenu à l'amour de l'ami ; il a monté par les pieds
de l'affection, et il est arrivé au secret du cœur, c'est-à-dire au
second degré, figuré sur le corps de mon Fils. Je t'ai dit que ces
trois, degrés correspondaient aux trois puissances de l'âme ; et
maintenant je les appliquerai aux trois états de l'âme. Avant de te
conduire au troisième degré, je veux te montrer comment on parvient
à être ami, et quand on est ami, comment on devient enfant par
l'amour filial ; ce que fait celui qui est ami, et à quel signe on
reconnaît l'ami.
2. Premièrement, comment parvient-on à
être ami ? L'homme était d'abord imparfait par la crainte servile ;
mais avec l'exercice et la persévérance il parvient à l'amour de la
jouissance et de l'utilité qu'il trouve en moi. Telle est la voie
par laquelle passe celui qui désire arriver à l'amour parfait,
c'est-à-dire à l'amour des amis et des enfants.
3. Je dis que l'amour filial est parfait,
parce que, dans l'amour du Fils, l'homme reçoit mon héritage,
l'héritage du Père éternel ; et parce que l'amour du Fils comprend
toujours l'amour de l'ami, je t'ai dit que l'ami était devenu fils.
Quel est le moyen de parvenir à l'amour filial ? Le voici. Toute
perfection et toute vertu procède de la charité, et la charité est
nourrie par l'humilité ; l'humilité vient de la connaissance et de
la haine de soi-même, c'est-à-dire de sa sensualité. Pour y arriver,
il faut persévérer et rester dans la cellule de la connaissance de
soi-même, où on connaîtra ma miséricorde dans le sang de mon Fils
unique, en attirant par son amour ma charité divine, en s'exerçant à
détruire toute mauvaise volonté spirituelle et temporelle, et en se
cachant humblement dans son intérieur.
4. C'est ce que fit Pierre avec les autres
disciples : il gémit amèrement après avoir eu le malheur de renier
mon Fils. Sa douleur était encore imparfaite, et elle fut imparfaite
pendant quarante jours et jusqu'après l'Ascension ; car, mon Fils
étant retourné vers moi quant à son humanité, Pierre et les autres
disciples se cachèrent dans le cénacle pour attendre la venue du
Saint-Esprit, que ma Vérité leur avait promis. Ils étaient renfermés
par crainte, car l'âme craint toujours jusqu'à ce qu'elle soit
arrivée à l'amour véritable ; mais en persévérant dans leurs veilles
et dans leurs humbles prières jusqu'à ce qu'ils eussent reçu
l'abondance de l'Esprit Saint, ils perdirent la crainte ; ils
suivirent et prêchèrent Jésus crucifié.
5. Ainsi, après s'être purifiée du péché
mortel et s'être reconnue coupable, l'âme qui veut parvenir à la
perfection commence à pleurer par crainte du châtiment ; puis elle
s'élève à la considération de ma miséricorde, où elle trouve son
bien-être et son avantage. Elle est encore imparfaite, et pour la
faire arriver à la perfection, après quarante jours, c'est-à-dire
après ces deux états, je me retire d'elle de temps en temps, non par
grâce, mais par sentiment.
6. C'est ce que mon Fils annonçait
lorsqu'il disait aux disciples : “Je m'en vais, et je reviendrai
vers vous”. Tout ce qu'il disait en particulier à ses disciples
était dit en général à tous les hommes présents et futurs. Il dit :
Je m'en vais, et je reviendrai vers vous ; et il en fut ainsi : car
lorsque l'Esprit Saint fut descendu sur les disciples, il revint
lui-même. Le Saint-Esprit ne vint pas seul, mais il vint avec ma
puissance, avec la sagesse du Fils, qui est un avec moi, et avec la
clémence du Saint-Esprit, qui procède du Père et du Fils.
7. Or, je te le dis de même : Pour faire
sortir l'âme de son imperfection, je me retire d'elle d'une manière
sensible et je la prive de la consolation qu'elle avait d'abord.
Lorsqu'elle était dans la souillure du péché mortel, elle s'est
éloignée de moi, et je l'ai privée de ma grâce par sa faute ; parce
qu'elle m'avait fermé la porte de son désir. Le soleil de la grâce
ne brille plus au-dedans, non par la faute du soleil, mais par la
faute de la créature, qui ne lui ouvre pas par le désir ; mais dès
qu'elle reconnaît les ténèbres, elle ouvre la fenêtre et nettoie sa
demeure par une sainte confession. Alors, par ma grâce, je retourne
dans l'âme, et si je m'en retire quelquefois, elle ne perd pas la
grâce, elle n'en perd que le sentiment.
8. Je le fais pour la rendre humble, pour
l'exercer âme chercher véritablement, pour l'éprouver à la lumière
de la foi et lui faire acquérir la prudence. Alors, si elle aime
d'une manière désintéressée, avec une foi vive et avec la haine
d'elle-même, elle se réjouit dans la peine, parce qu'elle se trouve
indigne de la paix et du repos de l'esprit. C'est la seconde des
trois choses que je t'annonçais en te promettant de t'expliquer
comment l'âme arrive à le perfection, et ce qu'elle fait quand elle
y est arrivée. Voici ce qu'elle fait. Quand elle sent que je me suis
retiré, elle ne retourne pas en arrière, mais elle persévère
humblement dans ses exercices, et se renferme avec soin dans la
connaissance d'elle-même.
9. Elle y attend avec une foi vive
l'avènement de l'Esprit Saint ; elle m'attend, moi, le feu de la
charité. Comment m'attend-elle ? Elle m'attend, non dans l'oisiveté,
mais dans les veilles et dans la prière continuelle ; non seulement
dans les veilles du corps, mais dans les veilles de l'intelligence.
L’œil de son intelligence ne se ferme jamais ; elle veille à la
lumière de la foi pour arracher par la haine les pensées inutiles de
son cœur ; elle attend l'ardeur de ma charité, car elle sait que je
ne veux pas autre chose que la sanctification des âmes : le sang de
mon Fils l'a bien prouvé.
10. Pendant que son intelligence veille
ainsi dans ma connaissance et dans la connaissance d'elle-même,
l'âme prie toujours par une sainte et ferme volonté : c'est la
prière continuelle. Elle prie aussi par la prière actuelle,
c'est-à-dire qu'elle fait dans leur temps les prières ordonnées par
l'Église. Voici ce que fait l'âme qui a quitté l'imperfection pour
arriver à la perfection.
11. C'est pour qu'elle y arrive que je me
retire d'elle, non par la grâce, mais par le sentiment. Je m'en
éloigne pour qu'elle voie et connaisse ses défauts, parce que, dès
qu'elle se sent privée de la consolation, elle éprouve sa
faiblesse ; elle comprend que seule elle ne peut être ferme et
persévérante, et par là elle découvre la racine de l'amour-propre
spirituel. Elle se connaît ainsi, elle s'élève au-dessus
d'elle-même, et s'asseyant sur le tribunal de sa conscience, elle ne
fait grâce à aucun sentiment blâmable en arrachant la racine de
l'amour-propre avec la haine de cet amour et avec l'amour de la
vertu.
1. Je veux que tu
saches que toute imperfection et toute perfection qui se manifestent
et s'acquièrent en moi, se manifestent et s'acquièrent par le moyen
du prochain. C'est ce qu'éprouvent les âmes simples qui aiment les
créatures d'un amour spirituel. Si l'on m'aime d'un amour pur et
désintéressé, on aime de même le prochain.
2. Quand on
remplit un vase à une fontaine, si on le retire de la fontaine pour
boire, le vase est bientôt vide, mais si l'on boit en tenant le vase
dans la fontaine, il ne se vide pas, mais il est toujours plein. Il
en est de même de l'amour spirituel ou temporel du prochain, il faut
y boire en moi, sans le tirer à soi.
3. Je vous demande
que vous m'aimiez comme je vous aime. Vous ne pouvez le faire
complètement, puisque je vous ai aimés sans être aimé. L'amour que
vous ayez pour moi est une dette que vous acquittez, et non pas une
grâce que vous m'accordez. L'amour que j'ai pour vous au contraire
est une grâce, et non une dette.
4. Vous ne pouvez
donner me rendre l'amour que je réclame, et cependant je vous en
offre le moyen dans votre prochain faites pour lui ce que vous ne
pouvez faire pour moi. Mon Fils l'a montré lorsqu'il disait a Paul
qui me persécutait “Saul, Saul, pourquoi me persécutes tu ?” (Ac
IX, 4). Il le disait parce que Paul me persécutait en
persécutant mes fidèles.
5. Il faut que
votre amour soit pur et qu'avec cet amour dont vous m'aimez, vous
aimiez les autres. Sais-tu, ma fille, comment on reconnaît que
l'amour spirituel dont on aime n'est pas parfait ? Il est imparfait
si l'âme souffre quand il lui semble que la créature qu'elle aime ne
répond pas à son amour ou qu'elle n'en est pas aimée autant qu'elle
croit l'aimer. Si elle souffre de la perte de sa présence, de ses
consolations, ou de la préférence qu'elle donne à un autre.
6. C'est à cela et
à beaucoup d'autres choses semblables qu'on voit l'imperfection de
l'amour que l'âme a pour moi et pour le prochain. Elle boit alors
dans le vase hors de la fontaine, quoique l'amour l'ait rempli de
moi. Mais parce qu'elle m'aime encore imparfaitement, elle montre
qu'elle aime imparfaitement aussi le prochain. Cela vient de la
racine de l'amour-propre spirituel, qui n'est pas encore arrachée.
7. Je permets
souvent ces épreuves de l'amour pour que l'âme se connaisse dans son
imperfection. Je lui retire ma présence sensible pour qu'elle se
renferme dans la connaissance d'elle-même, et qu'elle acquière ainsi
la perfection. Je reviens ensuite avec une plus abondante lumière,
avec une connaissance plus grande de ma vérité, pourvu qu'elle soit
persuadée que c'est par ma grâce seulement qu'elle pourra tuer sa
volonté.
8. Qu'elle ne cesse
jamais de travailler à sa vigne, d'en arracher les épines des
pensées inutiles, et d'y mettre les pierres des vertus affermies
dans le sang de Jésus crucifié, qu'elle a trouvées en allant par le
pont de mon Fils bien-aimé. Car je te l'ai dit, si tu te le
rappelles bien, sur ce pont de la doctrine de ma Vérité sont les
pierres fondées sur la vertu de son sang, et les vertus vous donnent
la vie par la vertu du sang.
È
TRAITÉ DE LA PRIÈRE
1. Lorsque l'âme est entrée dans le chemin
de la perfection, en passant par la doctrine de Jésus crucifié, avec
l'amour véritable de la vertu et avec la haine du vice, lorsqu'elle
est arrivée par une sainte persévérance à la cellule de la
connaissance d'elle-même, elle s'y renferme dans les veilles et la
prière continuelle, et elle se sépare de la conversation des hommes.
Pourquoi se renferme-t-elle ? Elle se renferme par la crainte que
lui cause la vue de son imperfection, et par le désir qu'elle a
d'arriver à l'amour généreux et parfait. Elle voit et comprend qu'on
ne peut y arriver par un autre moyen, et elle attend avec une foi
vive ma venue par l'augmentation de la grâce en elle. A quoi se
reconnaît cette foi vive ? A la persévérance dans la vertu et dans
la sainte prière, quelque chose qui arrive. A moins que ce ne soit
par obéissance ou par charité, vous ne devez jamais abandonner la
prière.
2. Souvent le démon obsède plus l'âme de
ses tentations pendant le temps destiné à la prière que pendant le
temps qui n'y est pas consacré : il voudrait vous inspirer l'ennui
de la, prière. Quelquefois il dit : Cette prière ne vous sert de
rien, parce qu'on ne doit pas être ainsi distrait. Le démon
s'efforce par ce moyen de troubler et, de dégoûter l'âme de
l'exercice de la prière, parce que la prière est une arme avec
laquelle l'âme se défend contre tous ses ennemis, lorsqu'elle la
prend avec la main de l'amour et le bras du libre arbitre, et
qu'elle combat à la lumière de la sainte foi.
1. Tu sais, ma fille bien-aimée, que c'est
en persévérant dans une prière humble, continuelle et fidèle, que
l'âme acquiert toute vertu. Elle doit persévérer, et ne se laisser
jamais arrêter par les illusions du démon ou par sa propre
fragilité. Elle doit résister aux pensées, aux mouvements de la
chair, et aux propos que l'esprit du mal met sur la langue des
hommes pour la détourner de la prière. Oh ! que cette prière est
douce à l'âme, et qu'elle m'est agréable, lorsqu'elle est faite avec
la connaissance de sa bassesse et la connaissance de ma bonté, à la
lumière de la sainte foi et avec l'ardeur de ma charité !
2. Cette charité s'est rendue visible dans
la personne de mon Fils unique, qui vous la montra en répandant son
sang. Ce sang enivre l'âme et l'embrase du feu de la charité
divine ; cette nourriture sacramentelle qui vous est offerte par la
sainte Église est le corps et le sang de mon Fils, tout Dieu et tout
homme. Mon Vicaire, qui tient la clef de ce précieux sang, est
chargé de vous le distribuer. On le trouve dans cette hôtellerie
établie sur le pont pour nourrir et assister les pèlerins qui
passent par la doctrine de ma vérité, afin qu'ils ne périssent pas
de faiblesse.
3. Cette nourriture soutient peu ou
beaucoup, selon le désir et les dispositions de celui qui la prend
sacramentellement ou virtuellement : sacramentellement en recevant
la sainte Hostie des mains du prêtre, virtuellement par le saint
désir de la Communion ou par la pieuse contemplation du sang de
Jésus crucifié. L'âme y trouve et goûte le sentiment de l'amour qui
l'a fait répandre ; elle s'y enivre, s'y enflamme d'un saint désir,
et se remplit uniquement de ma charité et de la charité du prochain.
Où acquiert-elle cette charité ? Dans la cellule de la connaissance
d'elle-même, par la sainte oraison, comme Pierre et les disciples,
qui, en se renfermant dans les veilles et la prière, perdirent leur
imperfection et acquirent la perfection. Par quel moyen ? Par la
persévérance unie à la sainte foi.
4. Mais ne pense pas qu'on reçoive cette
ardeur et cette force divine par une prière purement vocale.
Beaucoup me prient plutôt des lèvres que du cœur. Ils ne songent
qu'à réciter un certain nombre de psaumes et de Pater noster. Dès
qu'ils ont rempli leur tâche, ils ne pensent pas à autre chose ; ils
mettent toute leur piété dans de simples paroles. Il ne faut pas
agir de la sorte ; quand on ne fait pas davantage, on en retire peu
de fruit et on m'est peu agréable. Faut-il quitter la prière vocale
pour la prière mentale, à laquelle tous ne semblent pas appelés ?
Non, mais il faut procéder avec ordre et mesure.
5. Tu sais que l'âme est imparfaite avant
d'être parfaite sa prière doit être de même. Pour ne pas tomber dans
l'oisiveté, lorsqu'elle est encore imparfaite, l'âme doit
s'appliquer à la prière vocale ; mais elle ne doit pas faire la
prière vocale sans la faire mentale ; pendant que les lèvres
prononcent des paroles, elle s'efforcera d'élever et de fixer son
esprit dans mon amour, par la considération de ses défauts en
général et du sang de mon Fils, où elle trouvera l'abondance de ma
charité et la rémission de ses péchés.
6. Elle doit le faire pour que la
connaissance d'elle-même et la vue de ses fautes lui fassent
connaître ma bonté envers clic et continuer sa prière avec une
humilité véritable. Je ne veux pas qu'elle considère ses fautes en
particulier, mais en général, pour qu'elle ne soit pas souillée par
le souvenir de ses péchés honteux. Je dis aussi qu'elle ne doit pas
considérer ses péchés en généraI et en particulier sans y joindre la
considération du sang de mon Fils et les souvenirs de mon
inépuisable miséricorde, afin qu'elle ne tombe pas dans la
confusion.
7. Si la connaissance d'elle-même et la vue
de son péché n'étaient pas accompagnées de la mémoire du sang et de
l'espérance de la miséricorde, elle serait nécessairement troublée,
et le démon se servirait de sa confusion et de son regret pour la
faire tomber dans la damnation éternelle. Ce trouble la conduirait
au désespoir, parce qu'elle ne s'appuierait pas sur le bras de ma
miséricorde.
8. C'est là un des pièges les plus
dangereux que le démon tende à mes serviteurs. Pour échapper à sa
malice et pour m'être agréable, vous devez toujours dilater votre
cœur et votre amour dans mon infinie miséricorde par une humilité
sincère, tu sais que l'orgueil du démon ne peut supporter une âme
humble, et qu'il est confondu par la grandeur de ma bonté et de ma
miséricorde, dès que l'âme espère véritablement en moi.
9. Souviens-toi que le démon voulait te
perdre, en te troublant ; il tâchait de te persuader que ta vie
était pleine d'égarements et que tu n'avais jamais suivi ma volonté.
Tu fis alors ce que tu devais faire, et ce que ma bonté t'avait
enseigné, car ma bonté est toujours présente à qui veut la recevoir.
Tu t'appuyais avec humilité-sur ma miséricorde, et tu disais : Je
confesse à mon Créateur que ma vie s'est passée dans les ténèbres,
mais je me cacherai dans les -plaies de Jésus crucifié ; je me
baignerai dans son sang. J'effacerai ainsi mes iniquités, et je me
réjouirai par mon désir dans mon Créateur.
10. Le démon prit la fuite, mais il revint
avec une autre tentation, et voulut te porter à l'orgueil en te
disant : Tu es parfaite et agréable à Dieu ; il est inutile de
t'affliger davantage et de pleurer tes fautes. Ma lumière te fit
voir alors la route que tu devais prendre ; c'était celle de
l'humilité, et tu répondis au démon : Misérable que je suis !
Jean-Baptiste n'a jamais fait de péché, il a été sanctifié dans le
sein de sa mère, et il a fait pourtant beaucoup pénitence : et moi
qui ai commis tant de fautes, ai-je commencé à les reconnaître et à
les pleurer ? ai-je compris ce qu'est Dieu, et ce que je suis, moi
qui l'offense ?
11. Alors le démon, ne pouvant supporter
l'humilité de l'espérance en ma bonté, te cria : Sois maudite, car
je ne puis rien faire avec toi si je veux t'abaisser parle
désespoir, tu t'élèves par l'espérance de la miséricorde ; si je
veux t'élever par l'orgueil, tu t'abaisses par l'humilité jusqu'aux
enfers, où tu me poursuis. Je te fuirai maintenant, car tu me
frappes toujours avec le bâton de la charité.
12. L'âme doit donc sans cesse unir à la
connaissance de ma bonté la connaissance d'elle-même, et à la
connaissance d'elle-même ma connaissance. C'est ainsi que la prière
vocale sera utile à l'âme qui la fera, et qu'elle me sera agréable ;
de la prière vocale imparfaite elle arrivera par la pratique et la
persévérance à la prière mentale parfaite. Mais si elle se contente
de réciter un certain nombre de prières, et si pour la prière vocale
elle laisse la prière mentale, elle n'y arrivera jamais.
13. Souvent l'âme, dans son ignorance,
s'obstine à réciter de vive voix certaines prières, lorsque je la
visite, tantôt en lui donnant une claire connaissance d'elle-même et
la contrition de ses fautes, tantôt en lui faisant comprendre la
grandeur de ma charité, d'autres fois en lui manifestant de
différentes manières, comme il me plaît et comme elle l'avait
désiré, la présence dé mon Fils bien-aimé ; mais elle, pour
accomplir la tâche qu'elle s'est imposée, néglige ma visite et se
fait un cas de conscience de ne pas achever ce qu'elle a commencé.
14. Elle ne doit pas agir ainsi, car ce
serait' être le jouet du démon. Dès qu'elle sent au contraire ma
visite par les moyens que je viens de dire, elle doit abandonner la
prière vocale pour la prière mentale, et ne la reprendre que si elle
a le temps. Si elle n'en a pas le temps, elle ne doit pas s'en
attrister et se troubler, parce qu'elle a fait ce qu'elle devait
faire. Il faut excepter cependant l'office divin, que les
ecclésiastiques et les religieux sont obligés de dire : en ne le
disant pas ils m'offensent, puisqu'ils y sont tenus jusqu'à la mort.
S'ils sentent leur esprit attiré vers la prière mentale à l'heure
qu'ils devaient consacrer à la récitation de l'office, ils doivent
faire en sorte de le dire, avant ou après, parce qu'ils ne doivent
jamais y manquer.
15. L'âme doit commencer par la prière vocale
pour arriver à la prière mentale, et dés qu'elle s'y trouve
disposée, elle gardera le silence. La prière vocale, faite comme je
l'ai dit, conduit à la prière parfaite ; il ne faut donc pas
l'abandonner, mais suivre le mode que je t'ai enseigné : et ainsi,
par la pratique et la persévérance, l'âme goûtera la prière
véritable et se nourrira du sang de mon Fils bien-aimé.
16. Je t'ai dit que quelques-uns
participaient au corps et au sang du Christ virtuellement, quoique
non sacramentellement, parce qu'ils participaient à l'ardeur de la
charité, qui se goûte au moyen de la sainte prière, peu ou beaucoup,
selon le désir de celui qui prie. Celui qui prie avec peu
d'application recueille peu ; celui qui prie avec beaucoup
d'application recueille beaucoup. Plus l'âme s'efforce d'affranchir
son amour et de s'unir à moi par la lumière de l'intelligence, plus
elle me connaît ; plus elle me connaît, plus elle m'aime ; plus elle
m'aime, plus. Elle me goûte.
17. Ainsi, tu vois que la prière parfaite ne
consiste pas dans la multitude des paroles, mais dans l'ardeur du
désir qui élève l'âme vers moi, par la connaissance de. son néant et
la connaissance de ma bonté jointes ensemble : il faut donc unir la
prière mentale et la prière vocale comme la vie active et la vie
contemplative.
18. Il y a différentes manières de
comprendre la prière vocale et la prière mentale. Car je t'ai dit
que le désir, c'est-à-dire une volonté bonne et sainte, était une
prière continuelle. Cette volonté se manifeste dans un lieu et dans
un moment donné, et surajoute à la prière continuelle du désir ; et
ainsi la prière vocale, unie à la sainte volonté de l'âme, se fera
dans le temps prescrit, ou quelquefois se continuera au delà, si la
charité le demande pour le salut du prochain, ou si la position où
je l'ai placée l'exige.
19. Chacun, selon son état, doit coopérer au
salut des âmes, comme l'inspire une sainte volonté. Tout ce qui se
dit et se fait pour le salut du prochain est une prière méritoire,
mais qui n'exempte pas de la prière vocale prescrite à un certain
moment et dans un certain lieu. En dehors de cette prière
obligatoire, tout ce qui se fait dans la charité de Dieu et du
prochain, tout ce qu'on fait même pour soi avec une intention
droite, peut être appelé une prière ; car, comme le dit mon apôtre
saint Paul, on ne cesse pas de prier dès qu'on ne cesse pas de bien
faire : aussi j'ai dit que la prière se faisait de plusieurs
manières, en unissant la prière actuelle à la prière mentale. Cette
prière actuelle est inspirée par l'ardeur de la charité, et cette
ardeur de la charité est la prière continuelle.
20. Je t'ai dit comment on parvenait à la
prière mentale, par la pratique, par la persévérance, et en laissant
la prière vocale pour la prière mentale lorsque je visite l'âme ; je
t'ai dit ce qu'étaient la prière publique et la prière vocale faite
en dehors du temps prescrit, la prière du désir, et comment tout ce
qu'on fait pour soi ou pour son prochain avec une intention droite
était une prière. Il faut donc que l'âme s'excite avec courage à la
prière, qui enfante la vertu ; et l'âme y parviendra si elle se
renferme dans la connaissance d'elle-même avec un amour tendre et
filial. Si l'âme ne le fait pas, elle restera toujours dans sa
tiédeur et son imperfection ; elle n'aimera qu'autant qu'elle
trouvera son avantage et son plaisir en moi et dans le prochain.
1. Je veux te parler de l'amour imparfait
et de l'erreur de ceux qui m'aiment pour leur propre consolation. Tu
sauras que le serviteur qui m'aime imparfaitement, cherche plutôt la
consolation qu'il ne me cherche moi-même : cela est évident,
puisqu'il se trouble dès qu'il manque de consolations spirituelles
ou temporelles.
2. Les consolations temporelles charment
les hommes du monde, qui font quelque bien tant qu'ils sont dans la
prospérité ; mais quand vient la tribulation que je leur donne dans
leur intérêt, ils se troublent et abandonnent le peu de bien qu'ils
faisaient. Si vous leur demandez : Pourquoi vous troublez-vous ? Ils
répondront : Parce que je suis dans la peine, et le peu de bien que
je faisais dans la prospérité me semble inutile, puisque je ne le
fais plus avec le même amour et le même esprit. C'est la tribulation
qui en est cause, car il me semble que j'agissais bien mieux, avec
plus de paix et de calme autrefois que maintenant.
3. Celui qui parle ainsi est aveuglé par
l'intérêt. Il n'est pas vrai que ce soit la tribulation qui diminue
son amour et ses œuvres. Ce qu'on fait dans la tribulation vaut
autant que ce qu'on fait dans la consolation, et même Le mérite en
augmenterait si l'on avait la patience. Mais cela vient de ce que
ces hommes s'attachent trop à la prospérité. Ils m'aiment peu par
vertu, et se reposent l'esprit dans quelques bonnes œuvres. Dès
qu'ils sont privés de ce qui, les charme, il leur semble qu'ils
n'ont plus la paix nécessaire pour bien faire ; il leur arrive comme
à un homme qui est dans un beau jardin : parce qu'il s'y plaît, il
aime y travailler ; il croit aimer son travail, mais c'est le beauté
du jardin qu'il aime. Il est- facile de voir qu'il aime plus le
jardin que le travail ; car, dès qu'il a quitté le jardin, il ne
ressent plus de plaisir. Si son plaisir venait du travail, il ne
l'aurait pas ainsi perdu ; il l'aurait toujours, parce que la
faculté de bien faire ne peut se perdre sans la volonté de l'homme,
même lorsqu'on ne jouit plus de la prospérité, comme l'homme ne
jouit plus du jardin.
4. La passion égare ceux qui agissent ainsi
et qui disent : Je sais que je faisais mieux et que j'avais plus de
consolations avant d'être éprouvé. J'aimais à faire le bien, mais
maintenant je n'y ai aucun goût. Ils se font illusion ; s'ils
eussent aimé le bien par amour du bien, ils n'auraient pas cessé de
l'aimer et, loin d'en perdre le goût, ils l'auraient davantage ;
mais ils faisaient le bien pour le plaisir qu'ils y trouvaient ;
leur amour du bien cesse avec ce plaisir, et c'est là une erreur où
tombent la plupart de ceux, qui font des bonnes oeuvres ; ils
s'abusent sur le plaisir qu'elles leur causent.
1. Mes serviteurs qui sont encore dans
l'amour imparfait me cherchent et m'aiment à cause de la consolation
et du bonheur qu'ils trouvent en moi. Et comme je récompense tout le
bien qui se fait, petit ou grand, scion la mesure de l'amour qui
agit, je donne des consolations spirituelles, tantôt d'une manière,
tantôt d'une autre, dans le temps de la prière, Je ne le fais pas
pour que l'âme reçoive mal la consolation, c'est-à-dire quelle
s'arrête plus à la consolation que je lui donne qu'à moi-même, mais
bien pour qu'elle regarde plus l'ardeur de ma charité à donner et
son indignité à recevoir, que le plaisir qu'elle trouve dans ces
consolations. Mais si dans son ignorance, elle s'arrête à la seule
jouissance, sans faire attention à mon amour envers elle, alors elle
tombe dans un malheur et un égarement que je vais te faire
connaître.
2. Elle est trompée d'abord par cette
consolation qu'elle cherche et dans laquelle elle se complaît. Car
quelquefois je la console et je la visite plus qu'à l'ordinaire ; et
quand je me retire, elle revient sur ses pas pour retrouver les
jouissances dans la route qu'elle avait suivie. Je ne donne pas
toujours de la même manière, afin qu'elle sache que je distribue ma
grâce comme il plaît à ma bonté et comme le demandent ses besoins.
Mais l'âme ignorante recherche la consolation dans les mêmes choses,
comme si elle voulait imposer une règle à l'Esprit Saint.
3. Elle ne doit pas agir ainsi, mais elle
doit passer avec courage par ce pont de la doctrine de Jésus
crucifié, et recevoir en la manière, au lieu et au moment choisis
par ma bonté pour lui donner. Si je ne lui donne pas, je le fais par
amour et non par haine, pour qu'elle me cherche en vérité et qu'elle
ne m'aime pas seulement pour son plaisir, mais qu'elle s'attache
plutôt à ma charité qu'à la consolation. Si elle ne le fait pas, et
si elle cherche, la jouissance selon sa volonté et non selon la
mienne, elle trouvera la peine et la honte, parce qu'elle se verra
privée de ce plaisir où elle avait fixé le regard de son
intelligence.
4. Tels sont ceux qui s'arrêtent aux
consolations : ils ont goûté ma visite d'une certaine manière, et
ils veulent toujours y revenir. Leur ignorance est telle, que, si je
les visite d'une autre façon, ils résistent et ne veulent me
recevoir que comme ils le désirent. Cette erreur vient de leur
attachement à la jouissance spirituelle qu'ils ont trouvée en moi.
5. L'âme se trompe, parce qu'il est
impossible qu'elle soit visitée toujours de la même manière. Elle ne
peut rester stationnaire, elle avance ou elle recule dans la vertu,
et alors elle ne peut recevoir de ma bonté les mêmes grâces ; je les
varie au contraire, je lui donne tantôt la grâce spirituelle, tantôt
une contrition et un regret qui semblent la bouleverser. Quelquefois
je serai dans l'âme, et elle ne me sentira pas ; quelquefois je
manifesterai ma volonté, c'est-à-dire mon Verbe incarné, de
différentes manières aux yeux de son intelligence, et cependant il
semblera que l'âme ne goûte pas l'ardeur et la joie que cette vision
devrait lui donner. D'autres fois, au contraire, elle ne verra rien,
et goûtera un grand bonheur.
6. Je fais tout cela par amour, pour la
sauver, pour la faire croître dans l'humilité et la persévérance,
pour lui apprendre à ne pas vouloir me donner de règle, et à ne pas
mettre sa fin dans la consolation, mais seulement dans la vertu,
dont je suis le fondement. Qu'elle reçoive humblement les différents
états où elle se trouve, qu'elle reconnaisse avec amour l'amour avec
lequel je donne. Qu'elle croie fermement que j'agis toujours
uniquement pour la sauver ou la faire parvenir à une plus grande
perfection. Elle doit être toujours humble et placer son principe et
sa fin dans la fidélité à ma charité, et recevoir dans cette charité
le plaisir et la privation, selon ma volonté et non selon la sienne.
Le moyen d'éviter les pièges de l'ennemi est de recevoir tout de moi
par amour, parce que je suis la fin suprême de l'homme et que, toute
chose doit être basée sur ma douce volonté.
1. Je t'ai parlé de l'erreur de ceux qui
veulent me goûter et me recevoir à leur manière ; maintenant je veux
te faire connaître combien se trompent ceux qui s'attachent
tellement à la consolation, que, voyant les besoins spirituels ou
temporels du prochain, ils ne font rien pour les soulager, sous
prétexte de mieux faire ; ils disent : Cela m'ôte la paix de l'âme
et m'empêche de réciter mes prières ordinaires.
2. Ils croient m'offenser parce qu'ils
n'ont plus de consolations, mais leur amour-propre spirituel les
abuse ; car ils m'offensent bien plus en ne secourant pas leur
prochain qu'en abandonnant toutes leurs consolations. Si j'ordonne
des prières vocales et mentales, c'est pour que l'âme puisse arriver
à la charité envers moi et envers le prochain, c'est pour qu'elle
persévère dans cette charité.
3. Elle m'offense plus en abandonnant la
charité du prochain pour prier et pour conserver la paix, qu'en
laissant ses exercices pour assister le prochain. Aussi l'âme me
trouve dans la charité du prochain, tandis qu'elle me perd dans les
consolations où elle me cherche. Car en n'assistant pas le prochain,
la charité du prochain diminue par là même. Dès que la charité du
prochain diminue, mon amour pour elle diminue, et avec mon amour
diminue aussi la consolation.
4. En voulant cagner on perd, en voulant
perdre on gagne ; car celui qui renonce à la consolation pour le
salut du prochain me gagne, et gagne le prochain en l'assistant et
en le servant avec charité. Il goûte ainsi toujours la douceur de ma
charité. Celui qui ne le fait pas, au contraire, est toujours dans
la peine ; car souvent l'obéissance, les liens particuliers, les
infirmités spirituelles ou temporelles des autres le contraindront à
s'occuper du prochain : et alors il le fera avec chagrin, avec ennui
et trouble de conscience ; il deviendra insupportable à lui-même et
aux autres.
5. Si vous lui demandez : Pourquoi
ressentez-vous de la peine ? Il vous répondra : Il me semble que
j'ai perdu la paix et la tranquillité d'esprit ; je n'ai pas fait
mes exercices ordinaires, et je crois que j'ai offensé Dieu. Il n'en
est rien ; mais parce qu'il ne regarde que sa propre consolation, il
ne sait connaître et discerner véritablement où est son offense.
S'il le savait, il verrait que l'offense ne consiste pas à être
privé de consolation spirituelle et à laisser l'exercice de la
prière lorsque les besoins du prochain le réclament, mais à manquer
de charité pour le prochain, qu'on doit aimer et servir par amour
pour moi. Tu vois donc que l'âme se trompe elle-même à cause de son,
amour-propre spirituel.
1. L'amour-propre spirituel cause un mal
plus grand à l'âme lorsqu'elle aime et recherche uniquement les
consolations et les visions que j'accorde souvent à mes serviteurs.
Dès qu'elle s'en voit privée, elle tombe dans le chagrin et l'ennui,
parce qu'il lui semble qu'elle est privée de la grâce lorsqu'elle ne
sent plus ma présence ; car, comme je te l'ai dit, je parais et je
disparais dans l'âme, afin de la rendre parfaite. Elle tombe dans
l'abattement et croit être réprouvée dès qu'elle perd la consolation
et qu'elle sent les attaques de la tentation.
2. Elle ne devrait pas se laisser ainsi
abuser par l'amour-propre spirituel, qui lui cache la vérité.
Qu'elle sache que moi, le souverain Bien, je suis en elle pour
soutenir sa volonté pendant le combat, et pour l'empêcher de reculer
en recherchant la consolation. Elle doit s'humilier et se
reconnaître indigne de la paix et du repos de l'esprit. Je me retire
d'elle pour qu'elle s'humilie et qu'elle reconnaisse ma charité dans
la volonté droite que je lui conserve pendant le combat.
3. II faut qu'elle ne reçoive pas seulement
le lait de la douceur que je lui présente, mais il faut- qu'elle
s'attache au sein de ma Vérité, et qu'elle reçoive le lait avec la
chair, c'est-à-dire qu'elle se nourrisse du lait de ma douceur par
le moyen de la chair de Jésus crucifié, dont j'ai fait un pont pour
que vous arriviez à moi. C'est pour cela que je me retire. Si l'âme
avance avec prudence et sagesse, je reviens bientôt à elle avec plus
de douceur, de force et de charité ; mais si elle reçoit avec
trouble et tristesse la privation des douceurs spirituelles, elle y
gagne peu et reste dans sa tiédeur.
1. Ceux qui s'attachent aux consolations
spirituelles sont souvent exposés à d'autres pièges du démon, qui se
transforme en ange de lumière. Le démon tente toujours l'âme sur ce
qu'elle désire davantage, et, s'il la voit passionnée pour les
consolations et les visions spirituelles, si elle y met tout son
bonheur, au lieu de le mettre dans la vertu en se reconnaissant
indigne des douceurs de mon amour, alors il revêt pour elle des
formes de lumière :, tantôt il prend l'apparence d'un ange, tantôt
celle de mon Fils, tantôt celle de quelque saint. Il agit ainsi pour
prendre l'âme à l'amorce du plaisir qu'elle trouve dans les visions
et les douceurs spirituelles. Si l'âme ne se retire pas avec une
humilité profonde en repoussant la jouissance qui lui est offerte,
elle tombe par ce piège dans les mains du démon. Mais si elle se
sépare de la jouissance par l'humilité, si elle s'attache par
l'amour à moi qui donne, plutôt qu'à mes présents, alors le démon
est vaincu, parce que son orgueil ne peut supporter l'humilité de
l'âme.
2. Si tu me demandes comment on peut
reconnaître. ce qui vient du démon et ce qui vient de moi, je te
répondrai que c'est à ce signe. : Si c'est le démon qui se présente,
à l'âme sous forme de lumière, elle en reçoit une vive joie ; mais
plus la vision se prolonge, plus la joie diminue, et il ne reste
bientôt que trouble, tristesse et ténèbres qui obscurcissent tout
l'intérieur. Mais si c'est moi, l'éternelle Vérité, qui visite
l'âme, elle éprouve au premier moment une sainte frayeur, et avec
cette frayeur, la joie, l'assurance, une douce prudence qui fait
qu'en doutant elle ne doute pas.
3. La connaissance d'elle-même la persuade
de son indignité. Elle dit : Je ne suis pas digne de recevoir votre
visite, et, puisque je n'en suis pas digne, comment cela peut-il
être ? Alors elle se confie à la grandeur de ma charité ; elle
comprend que je puis lui donner ce qu'il me plaît, en ne regardant
pas son indignité, mais ma dignité, qui me rend, capable de me
recevoir en elle-même par grâce et d'une manière sensible. Je ne
méprise pas son désir qui m'appelle, et elle me reçoit humblement en
disant : Voici, votre servante, qu'il me soit fait selon votre
volonté. Alors elle quitte l'oraison et les douceurs de ma présence
avec joie, avec humilité, parce qu'elle se trouve indigne de tout ce
qu'elle reçoit de ma charité.
4. Tel est le signe qui montre si l'âme est
visitée par moi ou par le démon. Ma visite commence par la crainte,
elle continue et finit dans la joie et l'espoir de la vertu ; celle
du démon commence par la joie, mais elle se termine dans la
confusion et les ténèbres de l'esprit. Je vous ai donné ce signe
pour que l'âme qui veut marcher avec humilité et prudence ne puisse
être trompée ; elle le sera, quand elle voudra avancer seulement
avec l'amour imparfait de sa propre consolation, et non pas avec mon
amour.
1. Je n'ai pas voulu te cacher, ma fille
bien-aimée, l'erreur où tombent ordinairement les hommes qui se
complaisent dans le peu de bien qu'ils font au temps de la
consolation, et celle de mes serviteurs qui s'attachent tellement
aux douceurs spirituelles, qu'ils ne peuvent plus connaître la
vérité de mon amour et discerner où se trouve le péché. Je t'ai dit
le piège où le démon les prend par leur faute s'ils ne suivent pas
le moyen que je t'ai enseigné. Ainsi toi et mes autres serviteurs,
vous devez suivre la vertu par amour pour moi, et non par un autre,
motif.
2. Ces erreurs et ces dangers sont pour
ceux dont l'amour est imparfait, c'est-à-dire pour ceux qui aiment
plus mes bienfaits que moi-même. Mais l'âme qui est entrée dans la
connaissance d'elle-même en s'exerçant à l'oraison parfaite, en
rejetant l'imperfection de l'amour et de la prière, comme je te l'ai
expliqué, cette âme me reçoit par l'amour ; elle s'efforce d'attirer
à elle le lait de ma douceur sur le sein de la doctrine de Jésus
crucifié.
3. Elle est arrivée au troisième état,
c'est-à-dire à l'amour tendre et filial ; elle n'a pas un amour
mercenaire, mais elle agit avec moi comme un ami agit avec son ami
qui lui fait un présent : il ne regarde pas au présent, mais au cœur
de celui qui donne, et il n'aime le présent que par amour pour son
ami. Ainsi fait l'âme qui est parvenue à l'amour parfait. Quand elle
reçoit mes bienfaits et mes grâces, elle ne s'arrête pas au présent,
mais son intelligence contemple la grandeur de ma charité qui donne.
4.- Pour que l'âme ne puisse s'excuser de ne
pas faire ainsi, j'ai voulu unir le bienfait au bienfaiteur, en
unissant la nature humaine à la nature divine, lorsque je vous ai
donné le Verbe, mon Fils unique, qui est une même chose avec moi
comme moi avec lui. Par cette union vous mie pouvez voir le présent
sans voir celui qui vous le fait. Comprenez donc avec quel amour
vous devez aimer le don et le donateur. Si vous faites cela, vous
aurez un amour non pas mercenaire, mais pur et généreux, comme ceux
qui se renferment dans la connaissance d'eux-mêmes.
1. Jusqu'à présent je t'ai montré de
différentes manières comment' l'âme quitte l'imperfection pour
arriver à l'amour parfait, et comment elle agit quand elle est
parvenue à l'amour intime et filial. Je t'ai dit et je te répète
qu'elle y arrive par la persévérance, en se renfermant dans la
connaissance d'elle-même, Cette connaissance d'elle-même doit être
accompagnée de la connaissance de ma bonté, pour qu'elle n'en soit
pas troublée. Car la connaissance d'elle-même lui donnera la haine
de son amour, sensitif et de l'attrait qu'elle a pour les
consolations. De cette haine fondée sur l'humilité doit naître la
patience.
2. La patience deviendra sa force contre
les attaques du démon et contre les persécutions des hommes. Elle
s'en servira avec moi, lorsque, pour son bien, je lui retire la
consolation. Elle supportera tout au moyen de cette vertu. Si la
sensualité voulait, dans quelques épreuves, se révolter contre la
raison, le juge de la conscience s'élèverait au-dessus d'elle avec
une sainte haine et ferait justice de tout mouvement coupable. Car
l'âme qui ne s'aime pas se corrige toujours et se reprend non
seulement des mouvements qui sont contre la raison, mais encore
quelquefois de ceux qui viennent de moi.
3. C'est ce que veut faire comprendre mon
doux serviteur saint Grégoire, lorsqu'il dit qu'une conscience
sainte et pure trouvait le péché là où il n'était pas, c'est-à-dire
que sa délicatesse était si grande, qu'elle voyait une faute où il
n'y en avait pas. L'âme doit faire de même si elle veut quitter
l'imperfection, et si elle attend, dans la connaissance d'elle-même
et à la lumière de la foi, ce qu'ordonnera ma Providence.
4. Ainsi firent mes disciples, lorsqu'ils
se renfermèrent dans le Cénacle, persévérant dans les veilles et la
prière jusqu'à la descente du Saint-Esprit. L'âme, comme je te l'ai
dit, fait de même. Elle s'éloigne de l'imperfection et se renferme
en elle-même pour atteindre la perfection. Elle veille, et fixe le
regard de son intelligence sur la doctrine de ma Vérité. Elle se
connaît et persévère humblement dans la prière d'un saint désir,
parce qu'elle éprouve en elle l'ardeur de ma charité.
1. Je vais te dire maintenant quel signe
prouve que l'âme est arrivée à l'amour parfait. Ce signe est le même
signe qu'on vit dans mes disciples, lorsqu'ils eurent reçu l'Esprit
Saint. Ils sortirent du Cénacle, perdirent toute crainte et
annoncèrent ma parole, la doctrine du Verbe mon Fils bien-aimé. Loin
de redouter la souffrance, ils s'en glorifiaient ; ils ne
craignaient pas de paraître devant les tyrans du monde et de leur
dire la vérité pour l'honneur et la gloire de mon nom.
2. Ainsi, lorsque l'âme s'est renfermée
dans la connaissance d'elle-même, comme je te l'ai dit, je retourne
vers elle par le feu de ma charité. Cette charité, pondant qu'elle
persévérait dans sa retraite, lui a fait concevoir la vertu par
amour, en lui communiquant ma puissance ; avec cette puissance elle
a dominé et vaincu sa passion sensitive.
3. Par la même charité, je l'ai fait
participer à la sagesse de mon Fils, et dans cette sagesse elle voit
et connaît, par l’œil de l'intelligence, ma vérité et les égarements
de l'amour-propre spirituel, c'est-à-dire l'amour imparfait de la
consolation. Elle connaît la malice et les mensonges avec lesquels
le démon abuse l'âme qui est liée à cet amour imparfait ; elle se
lève avec la haine de l'imperfection et avec l'amour de la
perfection.
4. Par cette même charité, qui est le
Saint-Esprit, je la fais participer à sa volonté, en fortifiant la
volonté qu'elle a de supporter toute peine, de sortir de la retraite
pour mon nom, et de produire des bonnes oeuvres envers le prochain.
Elle ne sort pas de sa connaissance, mais elle fait sortir
d'elle-même les vertus conçues par l'amour. Elle les montre de
différentes manières, quand les besoins du prochain le réclament ;
car elle n'a plus la crainte qu'elle avait de perdre ses
consolations spirituelles.
5. Elle est parvenue à l'amour généreux et
parfait, et elle agit au dehors sans penser à elle-même. L'âme
arrive au second degré de ce troisième état parfait, où elle goûte
et enfante la charité du prochain. Elle obtient ce degré de parfaite
union en moi. Ces deux derniers degrés sont unis ensemble, et l'un
n'est pas sans l'autre ; mon amour n'est jamais sans l'amour du
prochain, et celui du prochain, sans le mien, ils ne peuvent être
jamais séparés : de même, ces deux degrés ne sont jamais l'un sans
l'autre, comme je te le montrerai en t'expliquant le troisième état.
1. Je t'ai dit que ceux qui sortent ainsi
dehors, montrent qu'ils ont quitté l'imperfection et sont arrivés à
la perfection. Ouvre les yeux de ton intelligence, et vois-les
courir sur le pont de Jésus crucifié, votre règle, votre loi et
votre doctrine. Ils ne se proposent pas d'autre but que Jésus
crucifié. Ce n'est pas moi le Père qu'ils se proposent, comme font
ceux qui sont dans l'amour imparfait et qui ne veulent pas supporter
de peine, parce qu'en moi ne peut se trouver la peine.
2. Les imparfaits ne veulent suivre que la
consolation qu'ils trouvent en moi. Je te le dis, ce n'est pas moi
qu'ils suivent, c'est la consolation qu'ils trouvent en moi. Les
parfaits, au contraire, font autrement : embrasés par l'amour, ils
ont uni les trois puissances de l'âme et monté les trois degrés
figurés sur le corps de Jésus crucifié. Avec les pieds de son
affection, leur âme est parvenue des pieds de mon Fils à son côté,
où elle trouve le secret du cœur et connaît le baptême de l'eau, qui
a sa vertu par le sang. L'âme y reçoit la grâce du saint baptême et
y devient un vase capable de contenir la grâce unie et mélangée de
ce sang.
3. Où l'âme connaît-elle la dignité d'être
unie et mélangée au sang de l'Agneau, en recevant le saint baptême
par la vertu de ce sang ? Dans le côté de mon Fils où elle connaît
le feu de la divine charité. Si tu te le rappelles, ma Vérité
incarnée te l'a révélé, lorsque tu l'interrogeais en lui disant :
Doux Agneau sans tache, vous étiez mort quand votre côté a été
ouvert. Pourquoi vouloir que votre cœur soit ainsi frappé et
entrouvert ? Mon Fils te répondit, s'il t'en souvient, qu'il avait
eu bien des raisons ; et il te dit les principales.
4. Son désir de sauver le genre humain
était infini, et son corps ne pouvait supporter la douleur et les
tourments que dans une certaine mesure ; ce qui était fini ne
pouvait donc montrer l'amour infini dont il vous aimait ; alors il
voulut que vous vissiez le secret de son cœur, et il vous le montra
ouvert, pour vous faire comprendre qu'il vous aimait plus que ne le
pouvait montrer sa mort.
5. L'eau et le sang qui en sortirent
signifiaient le saint baptême de l'eau, que vous recevez en vertu du
sang ; il répandit le sang et l'eau pour marquer deux baptêmes de
sang : le premier, que reçoivent ceux qui répandent leur sang pour
moi : ce sang tire sa vertu du sang de mon Fils, et remplace le
baptême qu'ils n'ont pu recevoir ; le second est le baptême de feu,
que reçoivent ceux qui désirent le baptême avec un ardent amour sans
pouvoir l'obtenir ; et il n'y a pas de baptême de feu sans le sang ;
parce que ce sang est pénétré par le feu de la divine charité qui
l'a fait répandre.
6. L'âme reçoit aussi le baptême de sang
d'une autre manière, pour parler par figure ; ma divine charité
l'accorde parce qu'elle Voit' l'infirmité et la fragilité de l'homme
qui l'entraîne au péché. Sa fragilité, ni aucune autre cause ne
l'entraînerait au péché, s'il n'y consentait pas ; mais il y tombe
par faiblesse, et le péché lui fait perdre la grâce qu'il avait
reçue au baptême en vertu du sang ; alors il fallait que ma divine
bonté perpétuât le baptême du sang par la contrition du cœur et par
la sainte confession, en s'adressant, quand on le peut, à mes
ministres qui gardent les clefs du sang.
7. Le sang est versé sur l'âme par
l'absolution, et quand on ne peut se confesser, il suffit de la
contrition du cœur : alors c'est la main de ma clémence qui vous
donne le bénéfice du sang. Mais celui qui pourra se confesser devra
le faire, et celui qui le pourra, et ne le fera pas, sera privé du
bénéfice du sang.
8. Il est vrai que, quand on le veut, au
moment de la mort, et qu'on ne le peut pas, on reçoit le sang. Mais
que personne ne soit assez insensé pour espérer se faire pardonner
ses fautes au dernier instant ; car il peut craindre que, pour punir
son obstination, ma divine justice lui dise : Tu ne t'es pas souvenu
de moi pendant la vie, quand tu en avais le temps ; je ne me
souviendrai pas de toi dans la mort. On ne doit donc jamais différer
sa conversion ; mais, alors même, on doit jusqu'à la fin espérer
dans le sang et en recevoir le baptême.
9. Mais tu vois que le baptême de sang peut
toujours couler sur l'âme ; et dans ce baptême tu reconnais l'action
de mon Fils. La peine de la croix est finie, mais le fruit que vous
en recevez est infini à cause de la nature divine infinie qui est
unie à la nature humaine finie. La nature humaine souffrait dans mon
Verbe revêtu de votre humanité, mais comme les deux natures sont
unies et pénétrées l'une pour l'autre, La divinité attire à elle la
peine qu'elle a supportée sur la croix avec un amour ineffable, et
son action peut être appelée infinie.
10. La peine n'était pas infinie,
puisqu'elle était limitée par le corps, et que le désir de souffrir
pour vous racheter a cessé sur la croix quand l'âme de mon Fils
s'est séparée de son corps ; mais le fruit qui est sorti de cette
peine est infini comme le désir de votre salut, et vous le recevez
d'une manière infinie ; car s'il n'était pas infini, le genre humain
ne pourrait pas être sauvé dans le passé, dans le présent et dans
l'avenir. L'homme qui m'offense ne pourrait se relever sans cesse,
si le baptême de sang ne lui était accordé d'une manière infinie, et
si le fruit du sang n'était pas infini.
11. C'est ce que mon Fils vous a montré par
la blessure de son côté ; c'est là que vous trouvez le secret de son
cœur, parce que vous y voyez qu'il vous aime plus qu'il ne peut vous
le montrer par une peine finie. Il vous le montre d'une manière
infinie, par le baptême du sang uni au feu de la charité divine, car
c'est l'amour qui l'a fait répandre. Le baptême est donné à tous les
chrétiens, et à quiconque veut le recevoir, dans l'eau unie au sang
et au feu. L'âme est ainsi pénétrée par le sang de mon Fils, et
c'est pour vous faire comprendre ces choses qu'il a fait sortir le
sang et l'eau de son côté. J'ai maintenant répondu à ce que tu
m'avais demandé.
1. Tout ce que je viens de te dire, mon
Fils te l'avait enseigné ; mais j'ai voulu te le répéter, en te
parlant de lui pour te faire mieux comprendre l'excellence de l'âme
parvenue au second degré, où elle connaît et acquiert si bien
l'ardeur de l'amour, qu'elle court aussitôt au troisième degré,
c'est-à-dire à la bouche : et là elle montre qu'elle est parvenue à
l'état parfait. Par où passe-t-elle ? L'âme passe par le cœur,
c'est-à-dire qu'elle se rappelle où elle a été baptisée, et laissant
l'amour imparfait, par la connaissance que lui donne cet aimable
cœur, elle voit, elle goûte et ressent le feu de ma charité.
2. Ceux qui sont arrivés à la bouche font
ce que fait la bouche. La bouche parle avec la langue qu'elle a ;
elle goûte les aliments, elle les retient pour les donner à
l'estomac, et les dents les broient pour qu'ils puissent être
avalés. L'âme fait de même ; elle me parle d'abord avec la langue,
qui est dans la bouche du saint désir, c'est-à-dire avec la langue
d'une sainte et continuelle prière. Cette langue parle, réellement
et mentalement : elle parle mentalement lorsqu'elle m'offre ses doux
et amoureux désirs pour le salut des âmes ; elle parle réellement
lorsqu'elle annonce la doctrine de ma Vérité, lorsqu'elle avertit et
conseille le prochain, lorsqu'elle confesse la foi sans craindre ce
que le monde peut lui faire souffrir. Elle parle hardiment devant
toute créature, de toutes les manières et à chacun selon son état.
3. L'âme aussi apaise la faim qu'elle a des
âmes pour mon honneur sur la table de la très sainte Croix. Nulle
autre chose et nulle autre table ne pourraient la rassasier
parfaitement. Elle broie sa nourriture avec les dents, sans
lesquelles elle ne peut rien avaler. La haine et l'amour sont comme
deux rangées de dents dans la bouche du saint désir ; la nourriture
qu'elle reçoit est préparée pas la haine d'elle-même et par l'amour
de la vertu, en elle et dans son prochain. Elle broie l'injure, le
mépris, les affronts, les reproches, les persécutions nombreuses ;
elle supporte la faim, la soif, le froid, le chaud, les angoisses,
les larmes et les sueurs pour le salut des âmes. Elle accepte tout
pour mon honneur et ne rejette jamais son prochain.
4. Quand tout est ainsi préparé, elle
goûte et savoure le fruit de sa fatigue, et la douceur de ces âmes
dont elle se rassasie dans ma charité et dans la charité du
prochain. Cette nourriture parvient à l'estomac, qui est excité par
le désir et la faim des âmes ; et cet organe est l'amour et le zèle
de son cœur pour le prochain. Elle se plaît tant à savourer et à
s'approprier cette nourriture, qu'elle perd le goût des délicatesses
de la vie corporelle, afin de pouvoir mieux se rassasier de cet
aliment, qu'elle trouve sur la table de la sainte Croix et de la
doctrine de Jésus crucifié.
5. Alors l'âme s'engraisse de solides et
véritables vertus, et se développe tellement dans l'abondance, que
le vêtement de la sensualité qui la couvre se déchire, c'est-à-dire
que son corps perd tout désir sensuel. Ce qui est ainsi déchiré
meurt, et la volonté sensitive disparaît ; car la volonté de l'âme
qui vit en moi est revêtue de mon éternelle volonté : la sensualité
meurt donc eu elle. Telle est l'âme arrivée au troisième degré de la
bouche. Ce qui indique son progrès, c'est que la volonté propre est
morte en goûtant l'ardeur de ma charité.
6. L'âme trouve dans la bouche la paix et
le repos. Tu sais que la bouche donne le baiser de paix : aussi à ce
degré l'âme possède tellement la paix, que personne ne peut la
troubler, parce qu'elle a perdu et détruit sa volonté propre, dont
la mort seuls procure la paix et le repos. L'âme alors enfante sans
douleur des vertus à l'égard du prochain : non pas qu'elle Soit
exempte de peine, mais sa volonté, qui est morte, ne peut plus les
ressentir, et elle supporte tout volontairement pour l'honneur de
mon nom. Elle court avec ardeur dans la voie de Jésus crucifié ;
elle ne se laisse point arrêter par l'injure, par les persécutions
qu'elle rencontre ou par les plaisirs que le monde voudrait lui
donner : elle surmonte tout avec force et persévérance.
7. Son amour s'est revêtu du feu de ma
charité ; il se rassasie du salut des âmes avec une patience sincère
et parfaite. Cette patience est la preuve certaine que l'âme m'aime
parfaitement et sans intérêt. Car si elle m'aimait et aimait le
prochain pour sa consolation, elle serait impatiente et s'arrêterait
dans sa route. Mais parce qu'elle m'aime pour moi, qui suis la
souveraine Bonté, seule digne d'être aimée, parce qu'elle s'aime et
qu'elle aime le prochain pour moi, pour louer et glorifier mon nom,
elle est patiente, forte et persévérante.
1. Il y a trois glorieuses vertus qui sont
fondées sur la charité, et qui sont les fruits de ses branches : ces
vertus sont la patience, la force, la persévérance. Elles sont
couronnées par la lumière de la très sainte foi ; cette lumière
dissipe les ténèbres de l'âme qui court dans la voie de la Vérité ;
l'âme est exaltée par un saint désir, et personne n'est capable de
l'arrêter. Le démon ne peut lui nuire par ses tentations, car il
craint l'âme embrasée du feu de la charité. Les persécutions et les
injures des hommes sont impuissantes contre elle ; si le monde la
poursuit, le monde aussi la redoute. Ma bonté le permet pour la
fortifier et la faire grandir devant moi et devant le monde, parce
qu'elle s'est faite petite par humilité.
2. Ne le vois-tu pas dans mes saints, qui
se sont abaissés pour moi et que j'ai élevés en moi, et dans le
corps mystique de la sainte Église, qui parle toujours d'eux, parce
que leurs noms sont écrits en moi, le livre de vie ? Oui, le monde
les respecte, parce qu'ils ont méprisé le monde. Ils ne cachent pas
leur vertu par crainte, mais par humilité ; et si le prochain a
besoin de leurs services, ils ne se cachent pas de peur de souffrir
et de perdre leur consolation ; mais ils le servent avec courage,
s'oubliant et se sacrifiant eux-mêmes.
3. De quelque manière qu'ils consacrent
leur vie et leur temps à mon honneur, ils sont heureux et trouvent
la paix et le repos de l'esprit. Pourquoi ? Parce qu'ils veulent me
servir, non pas selon leur volonté, mais selon la mienne, et qu'ils
aiment le temps de la consolation comme le temps de la tribulation,
la prospérité comme l'adversité ; l'une ne leur pèse pas plus que
l'autre, parce qu'en toute chose ils trouvent ma volonté, et qu'ils
n'ont pas d'autre pensée que de s'y conformer dès qu'ils la
connaissent.
4. Ils ont vu que rien ne se fait sans moi
et que tout est ordonné mystérieusement par ma providence, excepté
le péché, qui est un néant. C'est pour cela qu'ils détestent le
péché et qu'ils acceptent avec respect les autres choses. Ils sont
fermes et inébranlables dans leur volonté de suivre la voie de la
vérité. Ils ne se ralentissent jamais, et servent fidèlement leur
prochain, sans s'arrêter à son ignorance et à son ingratitude. Si
quelquefois le méchant leur dit des injures et leur fait des
reproches, ils n'en continuent pas moins leurs bonnes oeuvres et les
prières qu'ils m'offrent pour lui, et ils souffrent plus de
l'offense qu'il me fait et du tort qu'il cause à son âme que de
toutes les injures qui leur sont adressées. C'était ce que disait
mon glorieux apôtre saint Paul : "Le monde nous maudit, et nous
bénissons ; il nous persécute, et nous le souffrons avec patience et
actions de grâce ; il blasphème, et nous prions ; nous sommes
rejetés comme les ordures du monde, et nous le supportons" (I
Cor., IV, 12-13).
5. Tu vois, ma fille bien-aimée, le signe
par excellence qui montre que l'âme a quitté l'amour imparfait pour,
l'amour parfait : ce signe est la vertu de patience, qui lui fait
suivre le doux Agneau sans tache, mon cher Fils. Lorsqu'il était sur
la Croix où les clous de l'amour l'attachaient, il ne tint pas
compte des injures des Juifs, qui lui criaient : "Descends, et nous
croirons en toi" (S.Matth. XXVII, 42). Votre ingratitude ne
l'empêcha pas de persévérer dans l'obéissance que je lui avais
imposée, et sa patience fut si grande, qu'on n'entendit pas la
moindre plainte sortir de ses lèvres.
6. Ainsi font mes enfants bien-aimés, mes
fidèles serviteurs qui suivent la doctrine et l'exemple de ma
Vérité. Le monde a beau vouloir les faire reculer par ses caresses
ou ses menaces ; ils ne tournent jamais la tête en arrière, et
fixent toujours leurs regards sur ma Vérité. Ils ne veulent jamais
quitter le champ de bataille, pour venir reprendre chez eux le
vêtement qu'ils y ont laissé, c'est-à-dire cet amour qui fait
préférer la créature au Créateur. Ils restent joyeusement dans la
mêlée, tout enivrés du sang de Jésus crucifié, de ce sang que j'ai
chargé la sainte Église de distribuer pour soutenir et animer mes
vrais chevaliers, qui combattent la sensualité, la chair, le mondé
et le démon, avec la haine de leurs ennemis et l'amour de la vertu.
Cet amour est une armure qui résiste à tous les coups et rend
invulnérable tant qu'on la conserve et que le libre arbitre ne livre
pas volontairement à l'ennemi le glaive qu'il tient dans ses mains.
Ceux qui sont enivrés du sang de mon Fils ne le font jamais ; ils
persévèrent courageusement jusqu'à la mort, où tous leurs ennemis
sont confondus.
7. O glorieuse vertu, combien tu me plais!
tu brilles dans le monde même, aux yeux ténébreux des ignorants qui
ne peuvent s'empêcher de participer à la lumière de mes serviteurs.
Dans la haine avec laquelle ils les poursuivent brille la bonté de
mes serviteurs, qui désirent leur salut. Dans leur envie brille la
grandeur de la charité, dans leur cruauté la pitié : car plus ils
sont cruels, plus mes serviteurs sont compatissants. Dans l'injure
triomphe la patience, qui règle et gouverne toutes les vertus, parce
qu'elle est la moelle de la charité. Elle prouve et affermit les
vertus de l'âme ; elle montre si elles sont fondées ou non en moi.
Elle est victorieuse et jamais vaincue, car elle est accompagnée,
comme je te l'ai dit, de la force et de la persévérance ; elle
remporte la victoire, et quand elle quitte le champ de bataille,
c'est pour venir à moi le Père, l'Éternel, qui récompense toute
fatigue et qui lui donne la couronne de gloire.
1. Je t'ai dit comment on reconnaît que
l'âme est arrivée à la perfection de l'amour sincère et filial ;
maintenant je veux te dire le bonheur qu'elle goûte en moi, même
dans son corps mortel. Lorsqu'elle est arrivée au troisième état
dont je t'ai parlé, elle en atteint un quatrième, qui n'est pas
séparé du troisième, mais qui lui est uni nécessairement, comme ma
charité est toujours unie à la charité du prochain. C'est un fruit
qui sort de ce troisième état par l'union parfaite que l'âme
contracte avec moi ; elle y trouve une force si grande que non
seulement elle souffre avec patience, mais qu'elle désire avec
ardeur souffrir pour l'honneur et la gloire de mon nom.
2. Elle se glorifie dans les opprobres de
mon Fils unique, comme le disait mon apôtre saint Paul : "Je me
glorifie dans la tribulation et dans les opprobres de Jésus
crucifié" (II Cor., XII, 9). Et ailleurs : "Puis-je me
glorifier en autre chose qu'en Jésus crucifié" ? Il disait aussi :
"Je porte les stigmates de Jésus crucifié dans mon corps" (Gal.,
VI, 14-17). De même, ceux qui se passionnent pour mon honneur et
qui sont affamés du salut des âmes, courent à la table de la très
sainte Croix ; ils veulent souffrir beaucoup pour être utiles au
prochain, pour conserver et acquérir des vertus en portant les
stigmates du Christ dans leur corps. Car l'amour crucifié qui les
brûle, brille dans leur corps, et ils le montrent en se méprisant
eux-mêmes, en se réjouissant des opprobres, des peines que je leur
accorde, de quelque côté ou de quelque manière qu' elles leur
viennent.
3. Pour ces fils bien aimés la peine est un
plaisir et le plaisir une fatigue. Ils repoussent les consolations
et les jouissances que leur offre le monde, non seulement ils ne
veulent pas celles que le monde leur donne par ma permission, car
quelquefois les serviteurs du monde sont forcés par ma bonté à les
vénérer et à les assister dans leurs besoins, mais encore ils ne
veulent pas des consolations spirituelles qu'ils reçoivent de moi,
et cela par humilité et par haine d'eux-mêmes. Ils ne méprisent pas
la consolation, le présent de ma grâce, mais le plaisir que l'âme
trouve dans cette consolation. Ce qui les inspire, c'est la vertu
d'une humilité sincère acquise par une sainte haine ; cette humilité
est la gardienne et la nourrice de la charité que donne la
connaissance de moi et d'eux-mêmes. Aussi tu vois briller dans leur
esprit et dans leur corps la vertu et les stigmates de Jésus
crucifié.
4. Je leur fais la grâce de ne jamais me
séparer d'eux d'une manière sensible, comme je le fais pour les
autres dont je me rapproche et m'éloigne, non par la grâce mais par
la douceur de ma présence. Je n'agis pas de la sorte avec ceux qui
sont arrivés à la grande perfection et qui sont entièrement morts à
leur volonté ; car je me repose continuellement dans leur âme par ma
grâce et d'une manière sensible. Dès qu'ils veulent s'unir à moi par
un regard d'amour, ils le peuvent, parce que leur désir les attache
tellement à moi que rien ne peut les en séparer. Tous les lieux et
les instants leur conviennent pour la prière, parce que leur
conversation s'est élevée au-dessus de la terre, et s'est fixée dans
le ciel. Ils ont perdu toute affection terrestre, tout amour-propre
sensitif ; ils se sont élevés au-dessus d'eux-mêmes jusque dans les
hauteurs des cieux, par l'échelle des vertus et les trois degrés que
je t'ai montrés sur le corps de mon Fils.
5. Au premier degré, ils ont dépouillé les
pieds de leur affection de l'amour du vice ; au second, ils ont
goûté le secret et l'affection du cœur, et ils ont conçu l'amour
pour les vertus ; au troisième, où est la paix de l'esprit, ils ont
acquis les vertus en quittant l'amour imparfait, et ils sont
parvenus à la grande perfection, où ils ont trouvé le repos dans la
doctrine de ma Vérité.
6. Ils ont trouvé la table, la nourriture
et le serviteur. La nourriture, ils la goûtent au moyen de la
doctrine de Jésus crucifié. C'est moi qui suis le lit et la table ;
mon doux et tendre Fils est la nourriture ; car ils se rassasient en
lui du salut des âmes, et ils se nourrissent de lui-même. Je vous
l'ai donné pour aliment ; vous recevez au Sacrement de l'Autel sa
chair et son sang, sa divinité, son humanité tout entière, que ma
bonté vous offre pour que vous ne tombiez pas de faiblesse pendant
votre pèlerinage, pour que vous n'oubliiez pas le bénéfice du sang
versé pour vous avec tant d'amour, mais pour que vous soyez toujours
pleins de force et d'ardeur dans votre voyage.
7. L'Esprit Saint les sert, car l'ardeur de
ma charité leur distribue les dons et les grâces. Ce doux serviteur
va et vient pour les servir ; il me porte leurs ardents et amoureux
désirs, et il leur porte le fruit de leurs fatiguez, dont ils
goûtent et savourent la douceur dans leurs âmes. Ainsi tu le vois,
je suis la table, mon Fils est la nourriture, et le Saint-Esprit,
qui procède du Père et du Fils, est le serviteur.
8. Remarque qu'ils me possèdent toujours
d'une manière sensible : plus ils ont rejeté les jouissances et
voulu la peine, plus ils ont perdu la peine et trouvé la Jouissance.
Pourquoi ? Parce qu'ils sont enflammés et embrasés de ma charité qui
a Consumé leur volonté. Aussi le démon redoute les coups de leur
charité ; il leur jette de loin ses flèches et n'ose pas en
approcher.
9. Le monde les frappe à l'extérieur,
croyant les blesser, et c'est lui qui se blesse ; car le trait qui
ne peut pénétrer revient sur celui qui le jette. Ainsi le monde,
lorsqu'il lance les injures, la persécution et les murmures, sur mes
parfaits serviteurs, ne trouve aucun endroit où il puisse les
atteindre, parce que le jardin de leur âme est fermé ; et le trait
revient sur celui qui l'a lancé, empoisonné par la faute. Il ne peut
blesser d'aucun côté les parfaits, parce qu'en frappant le corps il
n'atteint pas l'âme qui reste heureuse et affligée, affligée de la
faute du prochain, et heureuse de la charité qu'elle possède.
10. Elle suit ainsi l'Agneau sans tache, mon
Fils bien-aimé, qui, sur la croix, était heureux et affligé. Il
était affligé de la croix que souffrait son corps, et de la croix du
désir qu'il avait d'expier la faute des hommes ; il était heureux,
parce que la nature divine, unie à la nature humaine, ne pouvait
souffrir et ravissait toujours son âme en se montrant à elle sans
voile, li était heureux et affligé, parce que la chair souffrait,
mais que la divinité ne pouvait souffrir, pas plus que son âme dans
la partie supérieure de son entendement. De même, mes enfants
bien-aimés, lorsqu'ils sont arrivés au troisième et au quatrième
degré, sont affligés par des croix spirituelles et corporelles,
puisqu'ils souffrent dans leur corps, comme je le permets, et qu'ils
sont tourmentés du regret que leur causent mon offense et le malheur
du prochain ; mais ils sont heureux parce que le trésor de la
charité qu'ils possèdent ne peut leur être enlevé ; et c'est pour
eux une source d'allégresse et de béatitude.
11. Leur affliction n'est pas une douleur qui
dessèche l'âme : elle l'engraisse, au contraire, dans l'ardeur de la
charité. La peine augmente la vertu, la fortifie, la développe et
l'excite. Elle n'affecte pas l'âme, mais elle la nourrit. Aucune
douleur, aucune peine ne peut la retirer du foyer d'amour où elle
est plongée. Un tison qui est embrasé dans une fournaise ne peut
être saisi parce qu'il est tout en feu : de même l'âme qui est jetée
dans la fournaise de ma charité n'est plus rien en dehors de moi ;
sa volonté est détruite et elle est toute embrasée en moi ; personne
ne peut la prendre et la retirer de ma grâce, parce qu'elle est
devenue une même chose avec moi, et moi une même chose avec elle.
12. Jamais je ne lui retire ma présence comme
je le fais pour les autres dont je me rapproche et m'éloigne pour
les conduire à la perfection. Lorsqu'ils y sont arrivés je cesse ce
jeu de l'amour ; cette alternative de visites et d'absences est un
jeu de l'amour ; c'est par amour que je pars, c'est par amour que je
reviens. Je ne me retire pas réellement, car je suis un Dieu
immuable et je ne change pas ; mais c'est l'effet sensible de ma
charité dans l'âme qui parait et disparaît.
Dans sa traduction latine, le bienheureux
Raymond, confesseur de sainte Catherine, affirme ici que l'état dont
il est question était celui de notre sainte.
1. Je te disais que les parfaits ne perdent
jamais le sentiment de ma présence. Je m'éloigne cependant d'une
autre manière, parce que leur âme, qui est unie à leur corps, ne
pourrait supporter continuellement l'union que je contracte avec
elle. Et parce qu'elle ne le peut pas, je m'éloigne, non par
sentiment ou par grâce, mais par union.
2. Lorsque l'âme s'élance avec ardeur vers
la vertu par le pont de la doctrine de Jésus crucifié, et qu'elle
arrive à la porte divine, elle élève son esprit eu moi, elle se
baigne et s'enivre du sang ; elle brûle du feu de l'amour et goûte
en moi la divinité même. L'âme s'unit tellement à cet océan
tranquille, qu'elle ne peut avoir de pensée qu'en moi. Dès sa vie
mortelle elle goûte le bien de l'immortalité, et malgré le poids de
son corps elle reçoit les joies de l'esprit.
3. Souvent son corps est élevé de terre par
la parfaite union de l'âme avec moi, comme si le corps était déjà
devenu subtil. Il n'a pas perdu sa pesanteur, mais parce que l'union
de l'âme avec moi est plus parfaite que son union avec le corps, la
force de l'esprit fixé en moi soulève de terre le poids du corps, et
le corps reste immobile et brisé par l'amour de l'âme : tellement
que, comme tu l'as entendu dire de quelques personnes, il lui serait
impossible de vivre si ma bonté ne lui en donnait pas la force. Et
je veux que tu saches que c'est un plus grand miracle de voir l'âme
ne pas quitter le corps dans cette union, que de voir plusieurs
corps morts ressusciter.
4. Aussi j'arrête pour quelque temps cette
union de l'âme et je la fais retourner dans le vase de son corps ;
la sensibilité de ses organes, qui avait été suspendue par l'ardeur
de l'âme, recommence ses fonctions. Car l'âme n'est complètement
séparée du corps que par la mort, mais elle perd seulement ses
puissances par l'amour qui l'unit à moi. La mémoire ne contient
d'autre chose que moi ; l'intelligence ne contemple d'autre objet
que ma Vérité, et l'amour qui suit l'intelligence, n'aime et ne
s'unit qu'à ce que voit l'intelligence. Toutes ses puissances sont
unies, abîmées et consumées en moi. Le corps perd tout sentiment.
L’œil en voyant ne voit pas, l'oreille en entendant n'entend pas, la
langue en parlant ne parle pas, à moins que quelquefois, à cause de
la plénitude du cœur, je ne permette à la langue de le laisser
déborder et de parler pour la gloire de mon nom.
5. Ainsi, la langue en parlant ne parle
pas, la main en touchant ne touche pas, les pieds en marchant ne
marchent pas ; tous les membres sont liés et retenus par les liens
de l'amour, et ces liens les soumettent tellement à la raison et les
unissent si étroitement à l'ardeur de l'âme, que tous ensemble,
contrairement à la nature, ils crient vers moi le Père éternel pour
que le corps soit séparé de l'âme et l'âme du corps. C'est ce que me
criait le glorieux saint Paul : "Malheureux que je suis ! qui me
délivrera de ce corps de mort ? Je vois dans mes membres une loi
contraire à la loi de l'esprit" (Rom., VII, 23-24).
6. Paul ne parlait pas seulement du combat
de la chair contre l'esprit, car ma parole l'avait pour ainsi dire
rassuré, lorsqu'il lui avait été dit : "Paul, ma grâce te suffit" (II
Cor., XII, 9). Il parlait ainsi parce qu'il se sentait enfermé
dans son corps, qui empêchait ma vision pour quelque temps. Jusqu'au
moment de la mort, l’œil ne peut voir l'éternelle Trinité de la même
vision que les Bienheureux qui rendent sans cesse honneur et gloire
à mon nom. Tant que Paul se trouvait parmi les hommes qui sans cesse
m'offensent, il était privé de me voir dans mon essence.
7. Mes serviteurs me voient et me goûtent,
non pas dans mon essence, mais dans l'effet de la charité, de
différentes manières, selon qu'il plaît à ma bonté de me
manifester ; mais cette vue de l'âme unie au corps est une obscurité
quand on la compare à la vue de l'âme séparée du corps. Il semblait
à Paul que la vue corporelle empêchait la vue spirituelle, et que
ses sens grossiers privaient son âme de me contempler face à face.
Sa volonté lui paraissait liée de telle sorte qu'il ne pouvait aimer
autant qu'il devait aimer, parce que tout amour dans cette vie est
imparfait jusqu'à ce qu'il arrive à sa perfection.
8. L'amour de Paul, comme celui de mes
autres vrais serviteurs, n'était pas imparfait quant à la grâce et à
la charité ; il était parfait sous ce rapport, mais il était
imparfait parce qu'il ne pouvait rassasier son amour. C'était là sa
peine. S'il avait pu satisfaire son désir de ce qu'il aimait, il
n'aurait eu aucune peine ; mais il souffrait parce que l'amour, tant
qu'il est dans un corps mortel -n'a pas parfaitement ce qu'il aime.
9. Dès que l'âme, au contraire, est séparée
du corps, son désir est rempli et l'amour est sans peine. L'âme
alors est rassasiée, mais elle l'est sans dégoût, parce qu'étant
rassasiée elle a toujours faim, sans avoir la peine de la faim, car
dès que l'âme est séparée du corps, elle déborde d'une félicite
parfaite, et elle ne peut rien désirer sans la voir. Elle désire me
voir, et elle me soit face a face, elle désire voir la gloire de mon
nom dans mes saints, et elle la voit dans la nature angélique et
dans la nature humaine.
1. La vue de l'âme bienheureuse est si
parfaite qu'elle voit la gloire et l'honneur de mon nom, non
seulement dans les habitants du ciel, mais encore dans ceux de la
terre. Qu'il le veuille ou non, le monde me rend gloire. Il est vrai
qu'il ne le fait pas comme il devrait, en m'aimant par dessus toute
chose ; mais moi je trouve dans les hommes la gloire et la louange
de mon nom, puisqu'en eux brillent ma miséricorde et la grandeur de
ma charité.
2. Je leur laisse le temps, et je ne
commande pas à la terre de les engloutir pour leurs fautes ; je les
attends, au contraire, et je dis à la terre de leur donner ses
fruits, au soleil de les éclairer et de les chauffer de ses rayons ;
je conserve au ciel la régularité de ses mouvements et je répands ma
miséricordieuse bonté sur toutes les. choses qui sont faites pour
eux. Non seulement je ne les leur retire pas à cause de leurs
fautes, mais encore je les donne au pécheur comme au juste, et même
souvent plus-au pécheur qu'au juste, parce que le juste peut
souffrir, et que je le prive des biens de la terre pour lui donner
plus abondamment les biens du ciel. Ainsi, ma miséricorde et ma
charité brillent sur eux.
3. Quelquefois, les persécutions que les
serviteurs du monde font supporter à mes serviteurs éprouvent leur
patience et leur charité ; elles ne servent qu'à me faire offrir
d'humbles et continuelles prières ; elles tournent. ainsi à la
gloire et à l'honneur de mon nom. Qu'il le veuille ou non, le
méchant cause ma gloire, même par ce qu'il fait pour m'offenser.
1. De même que les pécheurs servent dans
cette vie à augmenter la vertu de mes serviteurs, de même les
dé-nions dans l'enfer sont les bourreaux et les ministres de ma
justice sur les damnés. Ils servent aussi mes créatures, qui, dans
leur pèlerinage terrestre, désirent arriver a moi, leur fin. Ils les
servent en exerçant leur vertu par des attaques et des tentations de
toute sorte, en les exposant aux injures et aux injustices des
autres afin de leur faire perdre la chante, mais en voulant
dépouiller mes serviteurs, ils les enrichissent en exerçant leur
patience, leur force et leur persévérance. De cette manière ils
rendent gloire et honneur à mon nom.
2. Ainsi s'accomplit ma vérité en eux. Je
les avais créés pour me louer, me glorifier et pour les faire
participer à ma beauté ; mais ils se sont révoltés contre moi par
orgueil, ils sont tombés, ils ont été privés de ma vision. Ils ne me
rendent pas gloire par l'amour ; mais moi, la Vérité éternelle, je
les ai faits des instruments pour exercer mes serviteurs à la vertu,
et des bourreaux pour punir les damnés ou pour purifier ceux qui
sont dans le purgatoire. Tu vois que ma vérité s'accomplit
véritablement a eux, puisqu'ils me rendent gloire, non pas comme les
habitants du ciel, dont ils sont exilés par leur faute, mais comme
les ministres de ma justice dans les enfers et dans le purgatoire.
1. Qui est-ce qui voit et goûte en toute
chose, dans les créatures raisonnables et dans les démons même la
gloire et l'honneur de mon nom ? C'est l'âme dépouillée de son corps
et parvenue à moi, qui suis sa fin. Elle voit parfaitement et
connaît la Vérité. En me voyant, moi, le Père, elle aime ; en
aimant, elle est rassasiée ; en étant rassasiée, elle connaît la
vérité, et cette connaissance de la vérité fixe sa volonté dans la
mienne ; elle y est tellement ferme et attachée, que rien ne peut
lui causer de peine, parce qu'elle a ce qu'elle désirait avoir. Elle
désirait avant tout me voir et voir glorifier mon nom ; elle le voit
pleinement et véritablement dans mes saints, dans les anges, dans
toutes les créatures, dans les démons mêmes.
2. Elle voit l'offense qu'i m'est faite ;
elle ne peut plus comme autrefois en ressentir de la douleur, elle
en éprouve seulement de la compassion ; elle aime sans peine et prie
toujours avec charité pour que je fasse miséricorde au monde. En
elle la peine est passée, mais non la charité. Le Verbe, mon Fils,
vit finir, dans la mort douloureuse de la Croix, la peine du désir
de votre salut qui le tourmentait ; mais le désir de votre salut n'a
pas cessé avec la peine.
3. Si l'ardeur de ma charité que je vous ai
montrée en mon Fils avait cessé pour vous, vous ne seriez pas. Vous
êtes faits par amour ; si je retirais l'amour, c'est-à-dire si je
n'aimais pas votre être, vous ne seriez pas ; mais mon amour vous a
créés, mon amour vous conserve, et, parce que je suis une même chose
avec mon Verbe et mon Verbe avec moi, la peine du désir a cessé,
mais non pas le désir.
4. De même les saints qui ont la vie
éternelle conservent le désir du salut des âmes, mais sans en avoir
la peine ; la peine s'est éteinte dans leur mort, mais non l’ardeur
de la charité. Ils sont comme enivrés du sang de l'Agneau sans
tache, et revêtus de la charité du prochain Ils ont passé par la
porte étroite, tout inondés du sang de Jésus crucifié, et ils se
trouvent en moi, l'océan de la paix, délivrés de l'imperfection,
c'est-à-dire de la peine du désir, car ils sont arrivés à cette
perfection où ils sont rassasiés de tout bien.
1. Paul avait vu et goûté ce bien quand je
l'élevai au troisième ciel, c'est-à-dire à la hauteur de la Trinité.
Il avait connu et goûté ma vérité en recevant la plénitude du
Saint-Esprit, et en apprenant la doctrine de mon Verbe incarné. Son
âme se revêtit de moi, le Père, par union et par sentiment, comme
les Bienheureux dans le ciel, excepté que son âme n'était pas
séparée de son corps. Il plut à ma bonté d'en faire un vase
d'élection dans l'abîme de ma Trinité, et je le dépouillai de moi,
parce qu'en moi ne peut être la peine ; et je voulais qu'il souffrît
pour mon nom.
2. Je donnai pour objet à son intelligence
Jésus crucifié, le revêtant du vêtement de sa doctrine, le liant et
l'enchaînant avec la clémence du Saint- Esprit, qui est le feu de la
charité. Il devint par ma bonté un vase utile et nouveau ; il ne
résista pas quand il fut frappé, mais il dit : "Seigneur, que
voulez-vous que je fasse ; dites ce que vous voulez que je fasse et
je le ferai". (Ac., IX, 6). Alors je l'enseignai en lui
montrant Jésus crucifié, en le revêtant de la doctrine de ma
charité. Je l'illuminai parfaitement par la lumière de la vraie
contrition, avec laquelle il effaça ses fautes, en s'appuyant sur ma
charité (La fin de ce chapitre et le commencement du chapitre
suivant ne se trouvent pas dans l'édition italienne de Gigli. Nous
les donnons d'après la traduction latine du bienheureux Raymond de
Capoue.).
3. Il se revêtit tellement de la doctrine
de Jésus crucifié, il y fixa si fortement son âme, qu'il ne put en
être dépouillé et séparé, ni par les tentations du démon, ni par les
combats de la chair, que ma bonté permettait pour le faire croître
en mérite et en grâce, pour conserver son humilité après qu'il eut
joui des grandeurs de la Trinité. Jamais il ne quitta en la moindre
chose ce vêtement de Jésus-Christ ; il le garda dans toutes ses
épreuves et. ses tribulations, et il persévéra toujours dans la
doctrine de la Croix. Il se l'était tellement incorporé, qu'il donna
sa vie pour ne pas s'en séparer, et retourna vers moi avec ce
vêtement divin.
4. Paul avait goûté ce que c'était que
jouir de moi sans le poids de son corps ; je lui avais permis d'en
jouir par union, mais non pas complètement séparé de son corps.
Quand il fut revenu à lui, revêtu de Jésus crucifié, il lui sembla
que son amour était imparfait en le comparant à la perfection de
l'amour qu'il avait goûté en moi, et qu'il avait vu dans les
Bienheureux séparés de leurs corps. Il sentait que le poids de son
corps était un obstacle qui empêchait la perfection et le
rassasiement dont l'âme jouit après la mort. Sa mémoire lui
paraissait faible et imparfaite, et cette faiblesse, cette
imperfection le rendaient incapable de pouvoir me retenir, me
recevoir, me goûter avec la perfection des saints dans le ciel.
5. Il lui semblait que, tant qu'il était
dans son corps mortel, il rencontrait en toute chose une loi
mauvaise qui combattait l'esprit, non. par un entraînement au péché,
puisque je lui avais dit : "Paul, ma grâce te suffit", mais par un
empêchement à la perfection de l'esprit, qui consiste à me voir dans
mon essence. Et comme cette vision est impossible avec la loi et la
pesanteur du corps, Paul s'écriait : "O homme infortuné que je suis!
qui me délivrera de ce corps de mort ? car j'ai dans mes membres une
autre loi qui combat la loi de mon esprit".
6. C'est la vérité ; car la mémoire est
combattue par l'imperfection du corps, l'intelligence, arrêtée par
sa pesanteur, ne peut me voir tel que je suis dans mon essence, et
la volonté, enchaînée par ses liens, ne peut me goûter sans peine,
comme je te l'ai fait comprendre. Ainsi Paul avait bien raison de
dire : J'ai dans mon corps une loi qui combat la loi de mon esprit.
De même mes serviteurs que je t'ai montrés parvenus au troisième et
au quatrième degré d'union parfaite avec moi, crient aussi qu'ils
désirent être délivrés et séparés des liens de leur corps.
1. Mes, fidèles serviteurs ne connaissent
pas la crainte, et l'angoisse de la mort, ils la désirent au
contraire. Dans la rude guerre qu'ils ont faite à leurs corps avec
une sainte haine, ils ont perdu cette tendresse naturelle qui unit
le corps et l'âme ; ils ont vaincu et détruit l'amour d'eux-mêmes,
et ils désirent mourir par amour pour moi. Ils disent : Qui me
délivrera de ce corps de mort ? Je désire en être affranchi pour
être avec le Christ. Ils disent avec l'Apôtre : La mort est mon
désir, mais je prends la vie en patience. Dès que l'âme est élevée à
l'union parfaite, elle ne souhaite plus que de me contempler et de
me voir glorifié en tontes choses.
2. (Le chapitre LXXXIV commence ici
dans l'édition italienne ) Quand l'âme revient à ses sens
corporels, qui avaient été absorbés en moi par l'effet de l'amour,
elle supporte péniblement la vie, parce qu'elle se voit privée de
l'union qu'elle avait avec moi, ‘et de la société désirable des
Bienheureux qui nie rendent sans cesse gloire. Elle se retrouve
parmi les hommes, dont elle voit les iniquités si nombreuses. Ce
spectacle lui cause une amère douleur et augmente son désir de me
voir. La vie lui devient insupportable.
3. Cependant comme sa volonté ne lui
appartient plus et qu'elle est devenue par l'amour une même chose
avec moi, elle ne peut vouloir et désirer autre chose que ce que je
veux. Elle désire venir, mais elle est contente de rester si je
l'ordonne, et de souffrir beaucoup pour ma gloire et pour le salut
des âmes. Elle ne s'éloigne en rien de ma volonté, mais elle court
avec ardeur ; revêtue de Jésus crucifié, elle passe par le pont de
sa doctrine, en se glorifiant dans les opprobres et dans la peine.
Plus elle souffre, plus elle se réjouit : la multitude des
tribulations calme le désir qu'elle a de la mort, et souvent l'amour
des souffrances adoucit la peine qu'elle éprouve de n'être pas
délivrée de son corps.
4. Non seulement mes serviteurs souffrent
alors avec patience comme ceux qui Sont au troisième degré, mais ils
se glorifient encore de souffrir beaucoup en mon nom ; quand ils
souffrent, ils se réjouissent ; et quand ils ne souffrent pas, ils
s'en affligent, parce qu'ils craignent que je ne veuille les
récompenser en cette vie, et que le sacrifice de leurs désirs ne me
soit point agréable. Dès que je leur envoie au contraire beaucoup
d'épreuves, ils sont heureux de se voir revêtus des peines et des
opprobres de Jésus-Christ.
5.- S'ils pouvaient être vertueux sans fatigue,
ils n'y consentiraient pas ; ils préféreraient se réjouir sur la
croix avec le Christ, et acquérir la vie éternelle par la souffrance
plutôt que par tout autre moyen. Pourquoi ? Parce qu'ils sont abîmés
et embrasés dans ce sang où ils trouvent ma charité, ce feu qui sort
de moi pour ravir leur cœur, leur esprit et consumer le sacrifice de
leur désir. C'est ainsi que le regard de l'intelligence s'élève à
cette contemplation de ma divinité, où l'amour s'unit et se
développe en suivant l'entendement. Cette vue surnaturelle est une
grâce infinie que je donne à l'âme qui m'aime et me sert en vérité.
1. C'est avec cette lumière qui éclairait
son intelligence que me vit saint Thomas d'Aquin et qu'il acquit,
les clartés de la science, comme le firent saint Augustin saint
Jérôme et mes autres saints docteurs. Ils étaient éclairés d'en haut
et comprenaient dans les ténèbres ma vérité, c'est-à-dire la Sainte
Écriture qui parait obscure parce qu'elle n'est pas comprise, non
par le défaut de l'Écriture, mais par l'ignorance de celui qui ne la
comprend pas. Aussi j'ai donné ces lampes pour éclairer les aveugles
et les intelligences grossières, afin que l'homme puisse connaître
la vérité dans les ténèbres.
2. Moi, le feu qui consume le sacrifice,
je les ai ravis en leur donnant la lumière surnaturelle qui fait
comprendre la vérité dans les ténèbres. Et alors ce qui paraissait
obscur est devenu évident pour les ignorants comme pour les savants.
Chacun reçoit la lumière selon sa capacité et selon la préparation
qu'il apporte à mie connaître ; car je ne méprise les bonnes
dispositions de personne.
3. L'intelligence reçoit une lumière infuse
par la grâce, supérieure à la lumière naturelle, une lumière avec
laquelle les saints docteurs et mes autres serviteurs ont connu la
lumière dans les ténèbres. Des ténèbres est venue la lumière, car
l'intelligence a été formée avant l'Écriture ; c'est dé
l'intelligence que vient la science, puisque c'est en voyant qu'elle
discerne.
4. Avec cette lumière, les prophètes ont
vu l'avènement et la mort de mon Fils ; les apôtres l'ont possédée
après la descente du Saint-Esprit ; les évangélistes, les docteurs,
les confesseurs, les vierges, les martyrs en ont tous été éclairés ;
tous l'ont reçue selon que le demandaient leur salut, le salut des
âmes et l'enseignement de la Sainte Écriture.
5. Les docteurs l'ont reçue pour expliquer
la doctrine de ma Vérité, la prédication des Apôtres et les textes
des Évangélistes ; les martyrs, pour montrer par leur sang la
lumière de la foi, le trésor et le fruit du sang de l'Agneau ; les
vierges l'ont montrée par la charité et la pureté. Les obéissants
ont fait briller l'obéissance du Verbe, cette obéissance parfaite
que mon Fils a embrassée pour courir à la mort ignominieuse de la
Croix.
6. Cette lumière est visible dans l'Ancien
et dans le Nouveau Testament. Dans l'Ancien Testament, par les
prophètes dont l'intelligence a été surnaturellement éclairée par ma
grâce ; dans le Nouveau Testament, par la vie évangélique révélée au
chrétien fidèle. La nouvelle loi venait de la même lumière, car elle
n'a pas détruit l'ancienne, elle en est inséparable ; elle en a
seulement ôté l'imperfection, parce qu'elle était fondée sur la
crainte.
7. Lorsque le Verbe mon Fils vint avec la
loi d'amour, il l'accomplit en lui donnant l'amour, en ôtant la
crainte de la peine, et en ne lui laissant que la bonne et sainte,
crainte. Aussi, mon Fils disait à ses disciples pour montrer qu'il
ne détruisait pas la loi : "Je ne suis pas venu pour détruire la
loi, mais l'accomplir" (S. Mt., V. 17). Comme s'il disait :
Jusqu'à présent, la loi était imparfaite ; mais avec mon sang je la
rendrai parfaite et je l'accomplirai en ce qui lui manque, parce que
j'ôterai la crainte de la peine ; je l'établirai sur l'amour et sur
la crainte sainte et filiale.
8. Comment la Vérité est-elle connue ? Par
la lumière surnaturelle qui est donnée à qui veut la recevoir de ma
grâce. Toute lumière qui sort de la sainte Écriture, sort de cette
lumière. Les ignorants, orgueilleux de leur science, s'aveuglent
dans la lumière, parce que leur orgueil et les nuages de
l'amour-propre en couvrent et en cachent la clarté. Ils comprennent
la lettre et l'apparence de l'Écriture plus qu'ils n'en saisissent
le sens ; ils goûtent la lettre en consultant beaucoup de livres,
mais ils ne goûtent pas la moelle de l'Écriture, parce qu'ils sont
privés de la lumière avec laquelle l'Écriture a été formée et
présentée.
9. Ceux-là s'étonnent et murmurent quand
ils voient des gens sans instruction plus éclairés sur la vérité que
ceux qui ont longtemps étudié. Ce n'est pas surprenant, puisqu'ils
possèdent la cause de la lumière d'où vient la science ; mais, parce
que, les superbes ont perdu la lumière, ils ne voient pas et ne
connaissent pas ma bonté et la lumière de la grâce répandue sur mes
serviteurs.
10. Aussi je te dis qu'il vaut mieux prendre
pour le conseiller de son âme une personne humble qui a une
conscience droite et pure, qu'un savant orgueilleux qui a beaucoup
étudié. Car on ne peut donner que ce qu'on a soi-même. Une vie de
ténèbres change souvent en ténèbres pour les autres la lumière des
Saintes Écritures. Tu trouveras le contraire dans mes serviteurs
parce que la lumière qu'ils ont en eux, ils la présentent avec
l'ardent désir du salut des âmes.
11. Je te dis cela, ma très douce fille ;
pour te faire connaître la perfection de l'état unitif, où
l'intelligence est ravie par le feu de ma charité qui donne la
lumière surnaturelle. L'âme m'aime avec cette lumière, parce que
l'amour suit l'intelligence ; plus elle connaît, plus elle aime, et
plus elle aime, plus elle connaît. L'intelligence et l'amour se
nourrissent réciproquement.
12. C'est par cette lumière que l'âme isolée
du corps parvient à mon éternelle vision, où elle me goûte en
vérité, comme je te l'ai dit en t'expliquant le bonheur que l'âme
reçoit en moi. C'est l'état le plus élevé où l'âme dans sa vie
mortelle puisse goûter la vie des Bienheureux. Souvent son union est
si grande, qu'elle sait à peine si elle est avec son corps ou sans
son corps. Elle a un avant-goût de la vie éternelle, parce qu'elle
m'est étroitement unie, et que sa volonté est morte en elle : c'est
cette mort qui l'unit à moi, et il n'y a pas d'autre moyen de s'unir
à moi parfaitement. L'âme goûte la vie éternelle dès qu'elle est
délivrée de l'enfer de sa volonté propre. L'homme souffre comme un
damné quand il obéit à sa volonté sensitive.
1. Tu as vu avec ton intelligence et tu a
entendus avec ton cœur, comment tu devais profiter pour toi et pour
ton prochain de la doctrine et de la connaissance de ma Vérité. Je
te l'ai dit en commençant, tu dois arriver à la connaissance de la
vérité par la connaissance de toi-même ; mais cette connaissance de
toi-même doit être jointe et unie à la connaissance de moi-même en
toi. C'est ce qui te donnera l'humilité, la haine, le mépris
personnel et le feu de la charité que tu trouveras dans ma
connaissance ; tu parviendras ainsi à l'amour du prochain, en lui
étant utile par la doctrine et les exemples d'une vie sainte.
2. Je t'ai montré un pont et les trois
degrés qui représentent les trois puissances de l'âme. Personne ne
peut avoir la vie le la grâce s'il ne monte ces trois degrés,
c'est-à-dire, s'il ne réunit toutes ses puissances en mon nom. Je
t'ai montré plus parfaitement ces trois degrés de l'âme figurés sur
le corps de mon Fils unique, dont je fais un moyen de vous élever,
en parvenant à ses pieds percés, à l'ouverture de son côté, et à sa
bouche où l'âme goûte la paix et le repos.
3. Je t'ai fait connaître l'imperfection de
la crainte servile, et l'imperfection de l'amour de ceux qui
m'aiment à cause de la douceur qu'ils trouvent en moi. Tu as vu la
perfection du troisième degré, celle de ceux qui sont arrivés à la
paix de la bouche, après avoir couru avec un ardent désir sur le
pont de Jésus crucifié et avoir monté-les trois degrés principaux,
en unissant les puissances de leur âme et toutes leurs opérations en
mon nom, comme je te l'ai clairement expliqué. Tu les as vus, après
avoir franchi les trois degrés particuliers, passer de l'état
imparfait à l'état parfait dans lequel ils courent en vérité.
4. Je t'ai fait goûter la perfection de
l'âme et les parfums de ses vertus. Je t'ai montré aussi les pièges
où elle peut tomber avant d'arriver à la perfection, si elle ne
s'applique pas toujours à se connaître et à me connaître Je t'ai
montré le malheur de ceux qui se noient dans le fleuve, en ne
passant pas par le pont de la doctrine de ma Vérité, que je vous ai
donné pour que vous ne périssiez pas ; mais les insensés ont préféré
se noyer dans les misères et la fange du monde.
5. Je t'ai montré ces choses pour augmenter
en toi le feu des saints désirs et la douleur de la perte des âmes,
afin que la douleur et l'amour te poussent à me faire violence par
les larmes, les sueurs, les humbles et continuelles prières que tu
m'offriras avec ardeur. Je t'ai parlé pour que beaucoup d'autres qui
me servent m'entendent, et pour qu'enflammés de ma charité, vous
m'imploriez tous et vous me forciez à faire miséricorde au monde et
au corps mystique de la sainte Église pour lequel tu m'as tant prié.
6. Je t'ai promis, si tu te le rappelles,
d'exaucer vos saints désirs et de récompenser vos peines. Je
réformerai la sainte Église en lui donnant de bons et saints
pasteurs. Ce ne sera pas avec la guerre, le glaive et la cruauté,
mais avec la paix, le calme, les larmes et les sueurs de mes amis ;
je vous ai envoyés travailler à vos âmes et à celles du prochain,
dans le corps mystique de la sainte Église, en agissant par la
vertu, l'exemple et la doctrine, en m'offrant de continuelles
prières pour le salut des hommes, et en produisant des vertus dans
le prochain. Car je veux que vous soyez utiles à votre prochain,
c'est le moyen véritable de faire fructifier votre vigne.
7. Ne cessez jamais de faire monter vers
moi le bon encens de vos prières pour le salut des âmes, parce que
je veux faire miséricorde au monde. Je laverai avec vos prières, vos
sueurs et vos larmes, la face de mon épouse, la sainte Église, que
je t'ai montrée sous la forme d'une femme dont le visage est sali et
pour ainsi dire couvert de lèpre, parce que les ministres de la
religion et tous les chrétiens l'ont souillée de leurs fautes, comme
je te l'expliquerai bientôt.
1. Alors cette âme tourmentée d'un immense
désir, et tout enivrée de son union avec Dieu et de ce qu'elle avait
entendu de la Vérité suprême, se désolait de l'aveuglement des
créatures qui méconnaissaient leur bienfaiteur et l'ardeur de la
charité divine. Elle se réjouissait cependant de l'espérance que
Dieu lui avait donnée, en lui enseignant ce qu'elle devait faire
avec ses autres serviteurs, pour obtenir sa miséricorde au monde.
Elle fixa le regard de son intelligence dans la douce Vérité à
laquelle elle était unie, parce qu'elle voulait savoir quelque chose
des états de l'âme dont Dieu lui avait parlé. Et comme elle voyait
que l'âme passe à ces états par les larmes, elle désirait apprendre
de la Vérité la différence des larmes, ce qu'elles sont, d'où elles
viennent et les fruits qu'elles produisent.
2. La vérité ne pouvant être connue et
comprise que par la Vérité même, elle s'adressait à la Vérité, où
rien ne s'aperçoit que par l'intelligence. Celui qui veut la
connaître doit s'élever vers elle par l'ardeur du désir, en ouvrant
l’œil de son intelligence par la lumière de la foi, en fixant son
regard sur la Vérité. Quand donc cette âme eut connu qu'elle ne
s'était pas écartée de la doctrine que Dieu, la Vérité même, lui
avait enseignée, et qu'il n'y avait pas d'autres moyens de connaître
ce qu'elle voulait savoir des différentes larmes et de leurs fruits,
elle s'éleva au dessus d'elle-même par un effort extraordinaire de
son désir, et à la lumière d'une foi vive, elle fixait son regard
dans la Vérité éternelle où elle vit et connut la vérité de ce
qu'elle demandait. Dieu se manifestait à elle, et sa bonté
condescendait à son ardent désir et accueillait favorablement sa
demande.
1. La Vérité suprême lui disait doucement :
Ma très douce et très chère fille, tu me demandes de t'apprendre les
causes des larmes et leurs résultats ; je veux satisfaire ton désir.
Ouvre donc l’œil de ton intelligence, et je -te montrerai par les
trois états de l'âme les larmes imparfaites qui viennent de la
crainte. Mais avant je t'expliquerai celles que répandent les hommes
coupables du monde : ce sont des larmes de damnation. ‘Les secondes
larmes sont celles de la crainte, celles de ceux qui fuient le péché
pour éviter le châtiment et qui pleurent par crainte. Les troisièmes
sont celles de ceux qui, purifiés du péché, pleurent avec douceur en
commençant à me goûter et à me servir. Mais, parce que leur amour
est imparfait, leurs larmes sont encore imparfaites. Les quatrièmes
sont celles de ceux qui sont arrivés à la perfection de la charité
du prochain, en m'aimant sans intérêt pour eux-mêmes. Ceux-là
pleurent, et leurs larmes sont parfaites. Les cinquièmes sont mêlées
aux quatrièmes ; ces larmes sont d'une douceur extrême, et il y a un
grand charrue à les répandre, comme je te le dirai bientôt.
2. Je te parlerai aussi des larmes de feu,
que l’œil ne verse pas, parce que ce sont celles de ceux qui
voudraient pleurer et ne le peuvent pas. L'âme passe par ces
différentes larmes en quittant la crainte et l'amour imparfait pour
arriver à la charité parfaite de l'état unitif. Je vais t'expliquer
toutes ces larmes.
FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE