Sainte Catherine de Sienne
Dominicaine, sainte et Docteur de l'Église

Dialogue

PREMIÈRE PARTIE

TABLE

I

Une âme, avide de la gloire de Dieu et du prochain, s'applique humblement à la prière ; elle adresse quatre demandes à Dieu, lorsqu'elle lui est unie par la charité.

II

Dieu augmente le désir de l'âme en lui montrant la misère du monde.

III

Les œuvres de l'homme sont insuffisantes pour expier et mériter dès qu'elles sont séparées de la charité.

IV

Le désir et la contrition du cœur satisfont à la faute et à la peine pour soi et pour les autres, quelquefois à la faute seulement et non à la peine.

V

Combien plaît à Dieu le désir de souffrir pour lui.

VI

Toute vertu et tout défaut se développent par le moyen du prochain.

VII

Les vertus s'accomplissent par le moyen du prochain. Pourquoi elles sont si différentes dans les créatures.

VIII

Les vertus s'éprouvent et se fortifient par leurs contraires.

IX

On doit s'attacher plus aux vertus qu'à la pénitence. - La discrétion tire sa vie de l'humilité ; elle rend à chacun ce qui lui est dû.

X

La charité, l'humilité et la discrétion sont inséparables, et l'âme doit les posséder.

XI

La pénitence doit être le moyen d'acquérir la vertu et non le but principal de l'âme. Des lumières de la discrétion en diverses circonstances.

XII

Dieu promet aux souffrances de ses serviteurs le repos et la réforme de l'Église

XIII

L'âme consolée dans sa peine, et fortifiée dans ses espérances par les paroles de Dieu, prie pour la sainte Église et pour tous les hommes.

XIV

Dieu se plaint des péchés des chrétiens, et particulièrement de ceux de ses ministres. - Du sacrement de l'Eucharistie et des bienfaits de l'Incarnation.

XV

Le péché est plus gravement puni depuis la Passion de Jésus-Christ. Dieu promet de faire miséricorde, en considération des prières et des souffrances de ses serviteurs.

XVI

L'âme, à la vue de la bonté divine, prie pour l'Église et pour le monde.

XVII

Dieu se plaint de ses créatures raisonnables et surtout de leur amour-propre.

XVIII

Personne ne peut échapper aux mains de Dieu : tous éprouvent sa miséricorde ou sa justice.

XIX

L'âme, de plus en plus embrasée d'amour, désire répandre son sang. Elle s'accuse elle-même, et prie particulièrement pour son père spirituel.

XX

On ne peut plaire à Dieu qu'en supportant les tribulations avec patience.

XXI

Le chemin du ciel ayant été Interrompu par la désobéissance d'Adam, Dieu a fait de son Fils un pont par lequel on peut passer.

XXII

Dieu invite l'âme à regarder la grandeur de ce pont, et comment il va de la terre au Ciel.

XXIII

Tous sont des travailleurs que Dieu envoie travailler à la vigne de la sainte Église.

XXIV

Dieu taille les rameaux unis à la vigne véritable. La vigne de chacun est tellement unie à celle du prochain, que personne ne peut cultiver ou endommager la sienne sans cultiver ou endommager celle du prochains

XXV

L'âme rend grâces à Dieu, et le prie de lui montrer ceux qui passent sur le pont et ceux qui n'y passent pas.

XXVI

Le pont a trois degrés, qui sont trois états de l'âme. – Explication de cette parole : « Si je suis élevé de terre, j'attirerai tout à moi ».

XXVII

Ce pont est bâti de pierres qui signifient les véritables vertus. Ceux qui passent sur le pont vont à la vie, ceux qui passent dessous vont à la mort.

XXVIII

Du bonheur de l'âme qui passe sur le pont.

XXIX

Ce pont s'est élevé jusqu'au ciel le jour de l'Ascension, sans quitter cependant la terre.

XXX

L'âme, pleine d'admiration pour la miséricorde de Dieu, célèbre les dons et les grâces qu'en a reçu le genre humain.

XXXI

De l'indignité de ceux qui passent par le fleuve. L'âme qui suit cette route est un arbre de mort, dont les racines tiennent à quatre vices principaux.

XXXII

Les fruits de cet arbre sont aussi variés que les péchés ; et d'abord du péché de la chair.

XXXIII

De l'avarice et des maux qui en procèdent.

XXXIV

De ceux qui ont la puissance, et des injustices qu'ils commettent.

XXXV

Les vices conduisent aux faux jugements.

XXXVI

Explication de cette parole de Jésus-Christ : “J'enverrai le Consolateur, qui convaincra le monde d'injustice et de faux jugements” (Jn, VI, 8).

XXXVII

De la seconde condamnation, où l'homme est convaincu d'injustice et de faux jugements.

XXXVIII

Des quatre principaux supplices des damnés, auxquels se rapportent tous les autres.

XXXIX

De la troisième condamnation, qui aura lieu au jour du jugement.

XL

Les damnés ne peuvent vouloir ni désirer aucun bien.

XLI

De la gloire des Bienheureux.

XLII

Le jugement général augmentera la peine des damnés.

XLIII

L'utilité des tentations. L'âme, au moment de la mort, voit la peine ou la gloire qui lui est destinée, même avant d'être séparée de son corps.

XLIV

Le démon trompe toujours l'âme sous l'apparence de quelque bien.

XLV

Quels sont ceux que ne blessent pas les épines du monde, quoique personne, en cette vie, ne puisse éviter la souffrance.

XLVI

Des maux qui procèdent de l'aveuglement de l'intelligence. Le bien qui n'est pas fait en état de grâce ne sert pas à la vie éternelle.

XLVII

On ne peut observer les commandements, si on n'observe pas aussi les conseils.

XLVIII

Les serviteurs du monde ne sont pas rassasiés de leurs biens. Du supplice que leur cause leur volonté perverse.

XLIX

La crainte servile ne suffit pas pour acquérir la vie éternelle, mais elle peut conduire à l'amour de la vertu.

L

L'âme déplore l'aveuglement de ceux qui se noient dans le fleuve.

LI

Les trois degrés figurés sur le pont signifient les trois puissances de l'âme.

LII

Si les trois puissances de l'Âme ne sont pas unies ensemble, il lui est impossible d'avoir la persévérance nécessaire pour arriver à sa fin.

LIII

Explication de ces paroles de Jésus-Christ : “Qui a soif vienne à moi et boive”.

LIV

Quel moyen doit prendre toute créature raisonnable pour pouvoir sortir des flots du monde et passer par le pont divin.

LV

Résumé de plusieurs choses qui ont été déjà dites.

LVI

Les trois degrés du pont correspondent à trois états de l'âme.

LVII

L'âme, en regardant dans le divin miroir, voit les créatures marcher de différentes manières.

LVIII

La crainte servile ne suffit pas sans l'amour de la vertu. La loi de crainte et la loi d'amour sont unies ensemble.

LIX

Comment de la crainte servile, qui est l'état d'imperfection, on parvient à l'état de perfection.

LX

De l'imperfection de ceux qui aiment et servent Dieu pour leur utilité, leur plaisir et leur consolation.

LXI

Comment Dieu se manifeste à l'âme qui l'aime.

LXII

Pourquoi Jésus-Christ ne dit pas : “Je manifesterai mon Père”, mais : “Je me manifesterai”.

LXIII

Comment l'âme monte sur le second degré du pont.

LXIV

En aimant Jésus imparfaitement, on aime imparfaitement le prochain. Signes de cet amour imparfait.

TRAITÉ DE LA PRIÈRE

LXV

Du moyen que prend l'âme pour arriver à l'amour pur et généreux.

LXVI

L'âme doit passer de la prière vocale à la prière mentale.

LXVII

De l'erreur des gens du monde qui aiment et servent Dieu pour leur consolation.

LXVIII

Combien se trompent ceux qui aiment Dieu avec cet amour imparfait.

LXIX

De ceux qui, pour ne pas perdre la paix et la consolation, négligent d'assister le prochain.

LXX

De l'erreur de ceux qui mettent toute leur affection dans les consolations et les visions.

LXXI

Ceux qui s'attachent aux consolations spirituelles peuvent être trompés par le démon qui se transforme en ange de lumière. Des signes auxquels on peut reconnaître qu'une vision vient de Dieu ou du démon.

LXXII

L'âme qui se connaît évite les tromperies du démon.

LXXIII

Comment l'âme quitte l'amour imparfait et arrive à l'amour parfait.

LXXIV

Des signes auxquels on connaît que l'âme est arrivée à l'amour parfait.

LXXV

Les imparfaits veulent suivre seulement le Père, tandis que les parfaits suivent le Fils.

LXXVI

L'âme au troisième degré parvient à la bouche de Jésus-Christ.- La mort de la volonté propre est le signe qu'elle y est arrivée.

LXXVII

Des œuvres de l'âme parvenue au troisième degré.

LXXVIII

Du quatrième état, qui n'est pas séparé du troisième.- Des œuvres de l'âme arrivée à cet état, et comment Dieu ne se sépare jamais d'elle d'une manière sensible.

LXXIX

Dieu ne se sépare jamais des parfaits par grâce et par sentiment, mais par union.

LXXX

Les mondains rendent gloire à Dieu, qu'ils le veuillent ou ne le veuillent pas.

LXXXI

Comment les démons même rendent gloire à Dieu

LXXXII

L'âme, délivrée de cette vie, voit parfaitement la gloire de Dieu dans toute créature ; elle n'a plus la peine du désir, mais seulement le désir.

LXXXIII

Comment saint Paul, après avoir vu la gloire des Bienheureux, désirait être délivré de son corps.

LXXXIV

Des causes qui font désirer à l'âme d'être séparée de son corps.

LXXXV

Ceux qui sont arrivés à cet état unitif sont éclairés dans leur intelligence par une lumière surnaturelle et infuse de la grâce.- Il vaut mieux consulter, pour le salut de son âme, un humble qui a une conscience pure, qu'un savant qui a de l'orgueil.

LXXXVI

Résumé de ce qui précède.- Dieu invite l'âme à prier pour toute créature et pour la sainte Église.

LXXXVII

L'âme demande à Dieu de vouloir bien lui faire connaître les différentes sortes de larmes.

LXXXVIII

Des larmes qui se rapportent aux différents états de l'âme.

 

 

AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ, DE LA DOUCE VIERGE MARIE,
DU GLORIEUX PATRIARCHE DOMINIQUE.

I

Une âme, avide de la gloire de Dieu et du prochain, s'applique humblement à la prière ; elle adresse quatre demandes à Dieu, lorsqu'elle lui est unie par la charité.

1.     Une âme qui désire ardemment l'honneur de Dieu et le salut du prochain s'applique d'abord aux exercices ordinaires et se renferme dans l'étude de sa propre fragilité, afin de mieux connaître la bonté de Dieu à son égard. Cette connaissance fait naître l'amour, et l'amour cherche à suivre et à revêtir la vérité.

2.      Rien ne donne plus la douceur et la lumière de la vérité qu'une prière humble et continuelle, qui a pour fondement la connaissance de Dieu et de soi-même. Cette prière unit l'âme à en lui faisant suivre les traces de Jésus crucifié, et en la rendant un autre lui-même par la tendresse du désir et par l'intimité de l'amour. Notre-Seigneur n'a-t-il pas dit : “Si quelqu'un m'aime, il gardera mes commandements” ; et ailleurs : “Celui qui m'aime est aimé de mon Père : je l'aimerai et je me manifesterai à lui ; il sera une même chose avec moi, et moi avec lui” (S. Jean, XIV, 21).

3.     Nous trouvons dans l'Écriture plusieurs paroles semblables, qui nous prouvent que l'âme, par l'effet de l'amour de Dieu, devient un autre lui-même ; et pour nous en convaincre, voici ce qu'une servante de Dieu, étroitement unie à lui dans la prière, avait appris de son bon Maître au sujet de l'amour infini qu'il porte à ceux qui le servent :

4.      “Ouvre l’œil de ton intelligence, lui disait-il, regarde en moi, et tu verras la dignité et la beauté de ma créature raisonnable. Entre toutes les grâces dont j'ai embelli l'âme en la créant à mon image et ressemblance, admire le vêtement nuptial de la charité et l'ornement des vertus que portent ceux qui me sont continuellement unis par l'amour. Si tu me demandes qui sont ceux-là, je te répondrai, ajoutait le très doux et très aimable Verbe de Dieu, ceux-là sont d'autres moi-même qui ont voulu perdre et détruire leur volonté pour se conformer à la mienne, et l'âme s'unit à moi en toute choses”. Il est donc bien vrai que l'âme s'unit à Dieu par l'amour.

5.     Lorsque cette âme voulut connaître plus clairement la vérité, afin de pouvoir la suivre davantage, elle fit à Dieu le Père quatre demandes humbles et ferventes : la première était pour elle, parce qu'elle comprenait qu'on ne peut être utile au prochain par son enseignement, ses exemples et ses prières, si l'on n'acquiert pas la vertu soi-même ; la seconde demande était pour la réforme de la sainte Église ; la troisième demande était pour l'univers entier, afin d'obtenir surtout le salut et la paix de ces chrétiens qui insultent et persécutent l'Église avec tant d'acharnement ; par la quatrième demande, elle implorait le secours de la divine Providence pour tous les hommes et pour un cas particulier.

II

Dieu augmente le désir de l'âme en lui montrant la misère du monde.

1.     Ce désir de l'honneur de Dieu et du salut des hommes était grand et continuel ; mais il s'accrut bien davantage lorsque la Vérité suprême lui eut montré la misère du monde, les périls et les vices où il est plongé ; elle le comprit aussi en recevant une lettre dans laquelle son père spirituel lui expliquait la peine et la douleur immense que doivent causer l'outrage fait à Dieu, la perte des âmes et les persécutions contre la sainte Église.

2.      L'ardeur de son désir augmentait alors ; elle pleurait l'offense de Dieu, mais elle se réjouissait aussi dans l'espérance que la miséricorde infinie voudrait bien arrêter de semblables malheurs. Et parce que, dans la sainte communion, l'âme s'unit plus doucement à Dieu et connaît davantage la. vérité, puisque alors elle est en Dieu, et Dieu est en elle, comme les poissons qui sont dans la mer en sont eux-mêmes pénétrés, cette âme avait hâte d'arriver au lendemain matin, afin de pouvoir entendre la messe.

3.     C'était une fête de la Sainte Vierge : dès que le jour eut paru et que la messe fut sonnée, elle y courut avec tous les désirs qui l'agitaient ; elle avait une telle connaissance de sa faiblesse et de ses imperfections, qu'elle croyait être la principale cause de tout le mal qui se faisait dans le monde, et cette connaissance lui inspirait une horreur d'elle-même et une soif de la justice qui la purifiaient de toutes les taches qu'elle apercevait en elle. Elle disait : O Père éternel, je m'accuse moi-même devant vous, punissez-moi de mes offenses ; et puisque je suis la cause principale des peines que supporte mon prochain, faites-les moi souffrir, je vous en conjure.

III

Les œuvres de l'homme sont insuffisantes pour expier et mériter dès qu'elles sont séparées de la charité.

1.     L'éternelle Vérité acceptait le désir de cette âme et l'attirait en haut comme l'offrande des sacrifices de l'Ancien Testament, lorsque le feu du ciel descendait et prenait ce qui était agréable à Dieu. La douce Vérité faisait de même en cette âme ; elle lui envoyait le feu de l'Esprit Saint qui consumait le sacrifice du désir qu'elle lui avait offert, et elle lui disait : Ne sais-tu pas, ma fille, que toutes les peines que souffre et que peut souffrir une âme dans cette vie, sont incapables d'expier la faute la plus légère ? L'offense faite à moi, qui suis le Bien infini, demande une satisfaction infinie.

2.      Je veux que tu saches que toutes les peines ne sont pas données en cette vie pour expier, mais pour corriger. Ce sont les moyens que prend un père pour changer un enfant qui l'offense. La satisfaction est dans l'ardeur d'une âme qui se repent véritablement, et qui hait le péché. La contrition parfaite satisfait à la faute et à la peiné, non par la douleur qu'on éprouve, mais par le désir infini qu'on ressent.

3.     Celui qui est infini veut un amour et une douleur infinis. Il veut la douleur infinie de l'âme, d'abord pour les offenses qu'elle a faites à son Créateur, et ensuite pour celles qu'elle voit commettre par le prochain. Ceux qui ont ce désir infini, et qui me sont par conséquent unis par l'amour, gémissent amèrement : lorsqu'ils m'offensent ou qu'ils me voient offenser, Leurs peines, spirituelles ou corporelles, de quelque côté qu'elles viennent, acquièrent un mérite infini et satisfont à la faute qui méritait une peine infinie, quoique ces œuvres elles-mêmes soient finies et accomplies dans le temps qui est fini. Ils ont agi avec un désir infini et leurs peines ont été supportées avec une contrition, un regret de l'offense infinis, et c'est pour cela que la satisfaction est parfaite.

4.     C'est ce qu'explique saint Paul lorsqu'il dit “J'aurais beau parler la langue des anges et des hommes, prophétiser, donner tout mon bien aux pauvres, et livrer mon corps aux flammes, si je n'ai pas la charité, tout cela ne me servira de rien” (I Co., XIII, 1-3). L'Apôtre prouve par là que les œuvres finies sont incapables d'expier et de mériter sans le concours de la charité.

È

IV

Le désir et la contrition du cœur satisfont à la faute et à la peine pour soi et pour les autres, quelquefois à la faute seulement et non à la peine.

1.     Je t'ai montré, ma fille bien-aimée, que la faute n'est pas punie par la seule peine qu'on souffre dans le temps comme expiation, mais par la peine qui vient de l'amour et de la contrition du cœur. Ainsi l'efficacité n'est pas dans la peine, mais dans le désir de l'âme ; et ce désir, comme toutes les autres vertus, n'a de valeur et de force qu'en Jésus-Christ, mon Fils unique ; sa mesure est l'amour que l'âme a pour lui et sa fidélité à suivre ses traces. C'est là le seul et véritable moyen.

2.      Les peines ne satisfont à la faute que par ce doux et intime amour qui naît de la connaissance de ma bonté, et par cette amère et profonde contrition du cœur qui vient de la connaissance de soi-même et de ses fautes. Cette connaissance produit la haine et la fuite du péché et de la sensualité. Elle fait comprendre qu'on est digne de toutes sortes de châtiments et qu'on ne mérite aucune consolation.

3.     La très douce Vérité disait encore : Oui, la contrition du cœur et les sentiments d'une patience sincère et d'une humilité véritable, font que l'âme se trouve digne de peines et indigne de récompenses ; l'humilité porte à tout souffrir avec patience, et c'est en cela que consiste la satisfaction.

4.      Tu me demandes des peines pour satisfaire aux offenses que commettent contre moi les créatures, et tu désires me connaître et m'aimer, moi qui suis la Vérité suprême et la Source de la vie. Le moyen d'acquérir ma connaissance et de goûter ma vérité éternelle, c'est de ne jamais sortir de la connaissance de toi-même. En t'abaissant dans la vallée de l'humilité, tu me connaîtras en toi, et tu trouveras dans cette connaissance tout ce qui te sera nécessaire.

5.     Aucune vertu ne peut exister sans la charité et sans l'humilité, qui est la gouvernante et la nourrice de la charité. La connaissance de toi-même te donnera l'humilité, parce que tu verras que tu n'as pas l'être par toi-même, mais par moi, qui vous aimais jusque dans les profondeurs du néant ; et cet amour ineffable que j'ai eu pour vous a voulu vous renouveler dans la grâce en vous lavant et vous recréant par ce sang que mon Fils unique a répandu avec tant d'ardeur. C'est ce sang qui enseigne la vérité à celui qui a dissipé le nuage de l'amour-propre par la connaissance de soi-même ; et ce sang est l'unique maître.

6.      L'âme, en recevant ces leçons, éprouve un amour immense, et cet amour lui cause une peine continuelle, non pas une peine qui l'afflige et la dessèche, mais qui l'engraisse au contraire. Elle a connu ma vertu, et ses fautes, l'ingratitude et l'aveuglement des hommes ; elle en ressent une peine inexprimable, mais elle souffre parce qu'elle aime ; sans l'amour elle ne souffrirait pas ainsi. Dès que vous aurez connu ma vérité, il faudra supporter jusqu'à la mort les tribulations, les injures et les affronts de toutes sortes, en l'honneur et à la gloire de mon nom.

7.     Souffrez ces épreuves avec une vraie patience, avec une douleur sincère de tout ce qui m'offense, avec un amour ardent de tout ce qui peut glorifier mon nom. Vous satisferez ainsi à vos fautes et à celles de mes autres serviteurs. Vos peines, rendues efficaces par la puissance de la charité, pourront. expier et mériter pour vous et. pour les autres. Pour vous, vous recevrez le fruit de la vie ; les fautes qui vous sont échappées seront effacées, et je ne me rappellerai pas que vous les avez commises pour les autres, je prendrai votre charité en considération, et je leur donnerai selon les dispositions avec lesquelles ils les recevront. A ceux qui écouteront avec respect et humilité mes serviteurs, je remettrai la faute et la peine, parce qu'ils parviendront à la connaissance et à la contrition de leurs péchés.

8.      Les prières et les ardents désirs de mes serviteurs seront pour eux des semences de grâces ; en les recevant humblement ils en profiteront à des degrés différents, selon les efforts de leur volonté. Oui, ils seront pardonnés à cause de vos saints désirs, à moins que leur obstination soit telle, qu'ils veuillent être séparés de moi par le désespoir et qu'ils méprisent le sang de mon Fils, qui les a rachetés avec tant d'amour.

9.     Quel fruit en retireront-ils ? Le fruit qu'ils en retireront, c'est que, contraint par les prières de mes serviteurs, je les éclairerai ; j'exciterai les aboiements de leur conscience, et je leur ferai sentir la bonne odeur de la vertu, en leur rendant douce et profitable la société de mes amis.

10.    Quelquefois je permettrai que le monde leur laisse entrevoir ses misères, les passions qui l'agitent et le peu de stabilité qu'il présente, afin que leurs désirs s'élèvent aux choses supérieures et qu'ils se dirigent vers le ciel, leur patrie. J'emploierai mille moyens ; l’œil ne saurait voir, la langue raconter, et le cœur imaginer toutes les ruses qu'invente mon amour pour leur donner ma grâce et les remplir de ma vérité. J'y suis poussé par cette inépuisable charité qui me les a fait créer, et aussi par les prières, les désirs et les angoisses de mes serviteurs. Je ne puis rester insensible à leurs larmes, à leurs sueurs et à leurs humbles demandes ; car c'est moi-même qui leur fais aimer ainsi leur prochain et qui leur inspire cette douleur de la perte des âmes.

11.   Je ne puis cependant pas remettre la peine, mais seulement la faute, à ceux qui, de leur côté, ne sont pas disposés à partager mon amour et l'amour de mes serviteurs. Leur contrition est parfaite comme leur amour, et ils n'obtiennent pas comme les autres la satisfaction de la peine, mais seulement le pardon de la faute ; car il faut qu'il y ait rapport entre celui qui donne et celui qui reçoit. Ils sont imparfaits, et ils reçoivent imparfaitement la perfection des désirs et des peines qui me sont offerts pour eux.

12.    Je t'ai dit qu'ils recevaient avec le pardon encore d'autres grâces, et c'est la vérité ; car, lorsque la lumière de la conscience et les autres moyens que je viens d'indiquer leur ont fait remettre leur faute, ils commencent à connaître leur intérieur et à vomir la corruption de leur péché ; ils se purifient et obtiennent de moi des grâces particulières.

13.   Ceux-là sont dans la charité commune, qui acceptent en expiation les peines que je leur envoie ; et s'ils ne font point résistance à la clémence du Saint-Esprit, ils quittent le péché et reçoivent la vie de la grâce. Mais par ignorance et par ingratitude, ils méconnaissent ma bonté et les fatigues de mes serviteurs ; tout ce qu'ils ont reçu de ma miséricorde leur tourne en ruine et en condamnation. Ce n'est pas la miséricorde qui leur fait défaut, ni le secours de ceux qui l'ont humblement obtenue pour eux, mais c'est leur libre arbitre qui a malheureusement rendu leur cœur dur comme le diamant. Cette dureté, ils peuvent la vaincre tant qu'ils sont maîtres de leur libre arbitre, ils peuvent réclamer le sang de mon Fils et l'appliquer sur leur cœur pour l'attendrir, et ils recevront le bénéfice de ce sang qui a payé pour eux.

14.    Mais s'ils laissent passer le délai du temps, il n'y aura plus de remède, parce qu'ils n'auront point fait fructifier le trésor que je leur avais confié en leur donnant la mémoire pour se rappeler mes bienfaits, l'intelligence pour voir et connaître la vérité, et l'amour pour les attacher à moi, qui suis cette Vérité éternelle que l'intelligence leur avait fait connaître ! C'est là le trésor que je vous ai donné et qui doit me rapporter ; ils le vendent et l'aliènent au démon, qui devient leur maître et le propriétaire de tout ce qu'ils ont acquis pendant la vie. Ils ont rempli leur mémoire de plaisirs et de souvenirs déshonnêtes ; ils sont souillés par l'orgueil, l'avarice, l'amour-propre et la haine du prochain, qui leur devient insupportable ; ils ont même persécuté mes serviteurs, et toutes ces fautes ont égaré leur intelligence dans le désordre de la volonté. Ils tomberont avec le démon dans les peines de l'enfer, parce qu'ils n'auront pas satisfait à leurs fautes par la contrition et la haine du péché.

15.   Ainsi tu vois que l'expiation de la faute est dans la parfaite contrition du cœur, et non dans les souffrances temporelles ; non seulement la faute, mais la peine qui en est la suite, est remise à ceux qui ont cette contrition parfaite, et en général, comme je te l'ai dit, ceux qui sont purifiés de la faute, c'est-à-dire qui sont exempts de péchés mortels, reçoivent la grâce ; mais s'ils n'ont pas une contrition suffisante et un amour capable de satisfaire la peine, ils vont souffrir dans le purgatoire.

16.    Tu vois que la satisfaction est dans le désir de l'âme unie à moi, le Bien Infini, et qu'elle est petite ou grande selon la mesure de l'amour de celui qui fait la prière et du désir de celui qui reçoit. C'est cette mesure de celui qui m'offre et de celui qui reçoit qui est la mesure de ma bonté. Ainsi, travaille à augmenter les flammes de ton désir, et ne te lasse pas un instant de crier humblement vers moi et de m'offrir pour ton prochain d'infatigables prières. Je le dis pur toi et pour le père spirituel que je t'ai donné sur terre, afin que vous agissiez avec courage et que vous mouriez à toutes sortes de sensualités.

V

Combien plaît à Dieu le désir de souffrir pour lui.

1.     Rien ne m'est plus agréable que le désir de souffrir jusqu'à la mort des peines et des épreuves pour le salut des âmes ; plus on souffre, plus on prouve qu'on m'aime ; l'amour fait connaître davantage ma vérité ; et plus on la connaît, plus on ressent de douleur des fautes qui m'offensait. Ainsi, en me demandant de punir sur toi les péchés des autres, tu me demandes l'amour, la lumière, la connaissance de la vérité ; car l'amour se proportionne à la douleur, et augmente avec elle.

2.      Je vous ai dit : Demandez, et vous recevrez ; je ne refuserai jamais celui qui me demandera dans la vérité. L'ardeur de la divine charité est si unie dans l'âme avec la patience parfaite, que l'une, ne peut y subsister sans l'autre. Dès que l'âme veut m'aimer, elle doit vouloir aussi supporter, par amour pour moi, toutes les peines que je lui accorderai, quelles que soient leur mesure et leur forme. La patience ne vit que de peines et la patience est la compagne inséparable de la charité. Ainsi donc supportez tout avec courage ; sans cela vous ne sauriez être les époux de ma vérité, les amis de mon Fils, et vous ne pourriez montrer le désir que vous avez de mon honneur et du salut des âmes.

VI

Toute vertu et tout défaut se développent par le moyen du prochain.

1.     Je veux que tu saches que toute vertu et tout défaut se développent par le moyen du prochain. Celui qui est dans ma disgrâce fait tort au prochain et à lui-même, qui est son principal prochain. Ce tort est général et particulier ; il est général parce que vous êtes obligé d'aimer votre prochain comme vous-même, et qu'en l'aimant, vous devez lui être utile spirituellement par vos prières et vos paroles ; vous devez le Conseiller et l'aider dans son âme et dans son corps, selon ses nécessités, au moins de désir, si vous ne pouvez le faire autrement.

2.      Celui qui ne m'aime pas, n'aime pas son prochain, et ne l'aimant pas il ne peut lui être utile. II se fait tort, puisqu'il se prive de la grâce ; il fait tort au prochain, puisqu'il le prive des prières et des saints désirs qu'il devait m'offrir pour lui, et dont la source est mon amour et l'honneur de mon nom.

3.     Ainsi tout mal vient à l'occasion du, prochain qu'on n'aime pas, dès qu'on ne m'aime pas ; et quand on n'a plus cette double charité, on fait le mal puisqu'on n'accomplit plus le bien. A qui fait, ou le mal, si ce n'est à soi-même ou au prochain ? Ce n'est pas à moi, car le mal ne saurait m'atteindre, et je ne regarde fait à moi que celui qui est fait aux autres.

4.      On fait le mal contre soi-même, puisqu'on se prive de ma grâce, et qu'on ne peut par conséquent se nuire davantage. On fait le mal contre le prochain, puisqu'on ne lui donne pas ce qui lui est dû au nom de l'amour, et qu'on ne m'offre pas pour lui les prières et les saints désirs de la charité.

5.     C'est là une dette générale envers toute créature raisonnable ; mais elle est plus sacrée à l'égard de tous ceux qui vous entourent parce que vous êtes obligés de vous soutenir les uns les autres par vos paroles et vos bons, exemples, recherchant en toutes choses l'utilité de votre prochain, comme celle de votre âme, sans passion et sans intérêt. Celui qui n'agit pas ainsi manque de charité fraternelle, et fait par conséquent tort à son prochain ; non seulement il lui fait tort en ne lui faisant pas le bien qu'il pourrait lui faire, mais encore en le portant au mal.

6.      Le péché est actuel ou mental dans l'homme : il se commet mentalement lorsqu'on se délecte dans la pensée du péché, et lorsqu'on déteste la vertu par un effet de l'amour sensitif, qui détruit la charité qu'on doit avoir pour moi et pour le prochain. Dès qu'on a conçu ainsi le péché, on l'enfante contre le prochain de diverses manières, selon la perversité de la volonté sensitive. C'est quelquefois une cruauté spirituelle et corporelle : elle est spirituelle, lorsqu'on se voit ou qu'on voit les créatures en danger de mort et de damnation par la perte de la grâce, et qu'on est assez cruel pour ne pas recourir à l'amour de la vertu et à la haine du vice.

7.     Quelquefois on pousse cette cruauté jusqu'à vouloir la communiquer aux autres : non seulement on ne lui donne pas l'exemple de la vertu, mais on fait l'office du démon, en retirant les autres de la vertu autant qu'on le peut, et en les conduisant au vice. Quelle cruauté plus grande peut-on exercer envers l'âme que de lui ôter ainsi la vie de la grâce et de lui donner la mort éternelle ? La cruauté envers le corps a sa Source dans la cupidité. Non seulement on néglige d'assister son prochain, mais encore on le dépouille jusque dans sa pauvreté, soit par force, soit par fraude, en lui faisant racheter son bien et sa vie.

8.      O cruauté impitoyable, pour laquelle je serai sans miséricorde, si elle n'est pas rachetée par la compassion et la bienveillance envers le prochain ! Elle enfante des paroles que suivent souvent la violence et le meurtre, ou bien des impuretés qui souillent et changent. les autres cri animaux immondes ; et ce n'est pas une personne ou deux qui sont infectées, ce sont tous ceux qui fréquentent et approchent seulement ce cruel corrupteur.

9.     Que n'enfante pas aussi l'orgueil, si avide de réputation et d'honneur! On méprise le prochain, on s'élève au dessus de lui et on lui fait injure. Si l'on est dans une position supérieure, on commet l'injustice, et on devient le bourreau des autres.

10.    O ma fille bien-aimée, gémis sur toutes ces offenses et pleure sur tous ces morts, afin que tes prières les ressuscitent. Tu vois quand et comment les hommes commettent le péché contre le prochain et par son moyen. Sans le prochain, il n'y aurait pas de péchés secrets ou publics. Le péché secret, c'est de ne pas l'assister comme on doit le faire ; le péché public, c'est cette génération de vices dont je viens de parler. Il est donc vrai que toutes les offenses me sont faites par le moyen du prochain.

VII

Les vertus s'accomplissent par le moyen du prochain. Pourquoi elles sont si différentes dans les créatures.

1.     Je t'ai dit que tous les péchés se font par le moyen du prochain ; leur cause est dans le défaut de la charité, qui seule fait naître, vivifie et développe toute vertu. L'amour-propre qui détruit la charité et l'amour du prochain, est le principe et le fondement de tout mal. Le scandale, la haine, les cruautés, toutes les fautes viennent de cette racine mauvaise, qui empoisonne le monde entier, et qui trouble le corps de la sainte Église et toute la chrétienté.

2.      Je t'ai dit que les vertus avaient leur fondement dans l'amour du prochain, parce que c'est la charité qui donne la vie à toutes les vertus ; il est impossible d'acquérir aucune vertu sans la charité, c'est-à-dire sans mon amour.

3.     Dès que l'âme se connaît, elle trouve l'humilité et la haine de la passion sensitive, parce qu'elle connaît la loi mauvaise, qui captive la chair et combat sans cesse l'esprit. Elle conçoit alors de la haine et de l'horreur contre la sensualité, et elle s'applique avec zèle à la soumettre à la raison.

4.      Tous les bienfaits qu'elle a reçus de moi lui font comprendre la grandeur de ma bonté, et l'intelligence qu'elle en a lui donne l'humilité, parce qu'elle sait que c'est ma grâce seule qui l'a tirée des ténèbres et lui procure la clarté de cette lumière. Dès qu'elle a reconnu ma bonté, elle aime d'une manière désintéressée, et d'une manière intéressée d'une manière désintéressée, quant à son utilité particulière ; d'une manière intéressée quant à la vertu qu'elle a embrassée pour moi, parce qu'elle sait qu'elle ne me serait point agréable Si elle n'avait pas la haine du péché et l'amour de la vertu.

5.     Dès qu'elle m'aime, elle aime le prochain, sans cela son amour ne serait pas véritable ; car mon amour et l'amour du prochain ne font qu'un. Plus une âme m'aime, plus elle aime le prochain, parce que l'amour qu'on a pour lui procède de mon amour.

6.      C'est là le moyen que je vous ai donné pour que vous exerciez et cultiviez en vous la vertu. Votre vertu ne peut m'être utile, mais elle, doit profiter au prochain. Vous montrez que vous avez ma grâce en m'offrant pour lui de saintes prières et les désirs ardents que vous avez de mon bonheur et du salut des âmes.

7.     L'âme qui est amoureuse de ma vérité ne cesse jamais d'être utile aux autres en général et en particulier, peu ou beaucoup, selon la disposition de celui qui reçoit, et selon l'ardent désir de celui qui demande et me force de donner. Je te l'ai dit, en t'expliquant que, sans l'ardent désir, la peine ne pouvait suffire, à expier la faute.

8.      Lorsque l'âme possède cet amour qu'elle puise en moi et qu'elle étend au prochain et au salut du monde entier, elle cherche à faire partager aux autres les avantages et la vie de la grâce qu’elle en retire. Elle s'applique à satisfaire aux besoins particuliers de ceux qui l’entourent. Elle montre la charité générale pour toutes les créatures. Elle veut servir ses proches en leur communiquant, selon leur nombre et leur mesure, les grâces dont je l'ai faite dépositaire et ministre Car j'ai charge les uns de faire le bien dans l'enseignement de la doctrine, sans avoir égard à leurs intérêts, et j'ai chargé les autres de le faire par les saints exemples que vous étés tous obliges de leur donner pour l'édification du prochain.

9.     Ces vertus et bien d'autres, qu'il serait trop long de nommer, sont les fruits de l'amour véritable du prochain, je les donne à chacun d'une manière différente, afin qu'étant partagées entre tous, la vertu et la charité naissent de leur harmonieux ensemble.

10.    J'ai donné une vertu à celui-ci, et une autre vertu à celui-là ; mais aucune vertu ne peut être parfaite sans qu'on ait à un certain degré les autres ; car toutes les vertus sont liées ensemble, et chaque vertu est le commencement et le principe des autres. A l'un je donne la charité, à l'autre la justice, l'humilité ou une foi vive, la prudence, la tempérance, la patience ou la force. Je diversifie ainsi mes dons dans les âmes, distribuant à toutes des grâces spéciales. Mais dès que l'âme possède une vertu qu'elle pratique et qu'elle développe de préférence, cette vertu entraîne naturellement les autres ; car, comme je l'ai dit, toutes les vertus sont liées par les liens de la charité.

11.   Mes dons sont temporels ou spirituels. J'appelle temporels toutes les choses nécessaires à la vie de l'homme, et ces choses je les dispense avec une grande inégalité. Je ne les donne pas toutes à un seul, afin que des besoins réciproques deviennent une occasion de vertu et un moyen d'exercer la charité. Il m'était très facile de donner à chacun ce qui est utile à son corps et à son âme ; mais j'ai voulu que tous les hommes eussent besoin les uns des autres pour devenir ainsi les ministres et les dispensateurs des dons qu'ils ont reçus de moi. Que l'homme le veuille ou non, il est forcé d'exercer la charité envers son prochain : seulement, si cette charité ne s'exerce pas par amour pour moi, elle ne sert de rien dans l'ordre de la grâce.

12.    Ainsi tu vois que c'est pour organiser la charité que j'ai rendu les hommes mes ministres, et que je les ai placés dans des états et des rapports si différents. Il y a bien des manières d'être dans ma maison, et l'amour est la seule chose que je vous demande ; car c'est en m'aimant qu'on aime le prochain, et celui qui aime le prochain accomplit la loi ; quiconque possède l'amour rend avec bonheur à son prochain tous les services qu'il peut lui rendre.

VIII

Les vertus s'éprouvent et se fortifient par leurs contraires.

1.     Je t'ai dit que l'homme, en servant son prochain, prouve l'amour qu'il a pour moi. J'ajoute que c'est par le prochain qu'on pratique les vertus et surtout la patience, quand il en reçoit des injures. II exerce son humilité avec le superbe, sa foi avec l'incrédule, son espérance avec celui qui désespère, sa justice avec l'injuste, sa bonté avec le méchant, sa douceur avec celui qui est en colère.

2.      Le prochain est l'occasion de toutes les vertus, comme il est aussi celle de tous les vices. L'humilité brille par l'orgueil, car l'humilité détruit l'orgueil et en triomphe. Le superbe ne peut nuire à celui qui est humble, et l'infidélité de celui qui ne m'aime pas et n'espère pas en moi ne peut nuire à celui qui m'est fidèle, ni affaiblir la foi et l'espérance que lui donne mon amour. Elle les fortifie au contraire et les montre dans la charité qu'il a pour le prochain ; car, lorsque mon serviteur fidèle voit quelqu'un qui n'espère plus en lui et en moi, il ne cesse pas pour cela de l'aimer, et il demande au contraire son salut avec plus d'ardeur. Celui qui ne m'aime pas ne peut avoir foi en moi ; son espérance est dans la sensualité qui captive son cœur. Tu vois donc que c'est par l'infidélité et par le défaut d'espérance des autres que la foi s'exerce ; c'est là qu'elle trouve les occasions d'agir et de se développer.

3.     La justice aussi n'est pas détruite par l'injustice ; la patience de celui qui souffre montre au contraire la justice, comme la douceur et la résignation brillent d'un plus grand éclat dans les orages de la colère : l'envie, le mépris et la haine sont aussi vaincus par la charité par le désir et la faim du salut des âmes.

4.      Non seulement ceux qui rendent le bien pour le mal montrent leur vertu, mais ils la communiquent souvent. Ils mettent les charbons ardents de la charité sur la tête de leur prochain ; ils chassent la haine qui s'était emparée de son cœur, et la colère se charge tout à coup en bienveillance c'est un miracle que produit l'affectueuse patience de celui qui supporte la colère du méchant et qui lui pardon ne. La force et la persévérance ont leurs aliments dans l'injure et dans la calomnie des hommes qui, par la violence ou la séduction, veulent détourner mes serviteurs du chemin de la vérité. Celui qui est fort et persévérant le montre, dans sa conduite envers le prochain ; celui qui succombe alors prouve que sa vertu n'est rien.

IX

On doit s'attacher plus aux vertus qu'à la pénitence. - La discrétion tire sa vie de l'humilité ; elle rend à chacun ce qui lui est dû.

1.     Les œuvres douces et saintes que je réclame de mes serviteurs sont les vertus intérieures d'une âme éprouvée, plutôt que les vertus qui s'accomplissent au moyen du corps, par les abstinences et les mortifications : ce sont là les instruments de la vertu plutôt que la vertu. Celui qui les emploie sans la vertu me sera peu agréable, et même, s'il les emploie sans discrétion en s'attachant d'une manière exagérée à la pénitence, il nuira véritablement à la perfection.

2.      Le fondement de la perfection est l'ardeur de mon amour, une sainte haine de soi-même, une humilité vraie, une patience parfaite, et toutes ces vertus intérieures de l'âme qui s'unissent à un désir insatiable de ma gloire et du salut des âmes. Ces vertus prouvent que la volonté est morte, et que la sensualité est vaincue par l'amour. C'est avec cette discrétion qu'on doit faire pénitence : la vertu est le but principal ; la pénitence n'est qu'un moyen pour l'atteindre, et il faut toujours l'employer dans la seule mesure du possible.

3.     En s'appuyant trop sur la pénitence, on nuit à sa perfection, parce qu'on ne suit pas la lumière de la connaissance de soi-même et de ma souveraine bonté, et qu'on n'obéit pas à la vérité en dépassant les bornes de ma haine ou de mon amour.

4.      La discrétion n'est autre chose qu'une connaissance vraie que l'âme doit avoir d'elle-même et de moi, et c'est dans cette connaissance qu'elle prend racine ; elle a un rejeton qui est lié et uni à la charité. Elle en a beaucoup d'autres, comme un arbre a beaucoup de rameaux, mais ce qui donne la vie à l'arbre et aux rameaux, c'est la racine ; cette racine doit être plantée dans la terre de l'humilité, qui porte et nourrit la charité, où est enté le rejeton et l'arbre de la discrétion.

5.     La discrétion ne serait plus une vertu et ne produirait pas de fruits de vie si elle n'était plantée dans l'humilité, parce que l'humilité vient de la connaissance que l'âme a d'elle-même. Aussi t'ai-je dit que la racine de la discrétion était une connaissance vraie de soi-même et de ma bonté, qui fait rendre à chacun ce qui lui est du le plus justement possible.

6.      L'âme me rend ce qui m'est dû en rendant gloire et louange à mon nom, en m'attribuant les grâces et les dons qu'elle sait avoir reçus de moi ; elle se rend à elle-même ce qui lui est dû en reconnaissant qu'elle n'est pas, que son être lui vient uniquement de ma grâce, et tout ce qu'elle a de plus vient de moi et non pas d'elle. Il lui semble qu'elle est ingrate pour tant de bienfaits, qu'elle est coupable d'avoir si peu profité du temps et des grâces reçues, et qu'elle mérite d'en être sévèrement punie. Elle conçoit alors un regret violent et une profonde haine de ses défauts.

7.     Voici ce que fait la discrétion fondée sur la connaissance de soi-même et sur une humilité vraie. Sans l'humilité l'âme ne serait pas juste, et son défaut de discrétion aurait sa source dans l'orgueil, comme la discrétion a la sienne clans l'humilité. Elle me déroberait mon honneur en se l'attribuant à elle-même, et elle m'attribuerait ce qui lui appartient en se plaignant et en murmurant injustement de ce que j'ai fait pour elle et pour mes autres créatures. Elle se scandaliserait également de moi et du prochain.

8.      Ceux qui ont la discrétion n'agissent point ainsi. Lorsqu'ils m'ont rendu et qu'ils se sont rendu justice, ils accomplissent aussi leur devoir envers le prochain en l'aimant d'une charité sincère, en priant pour lui avec une humble persévérance, comme il faut le faire les uns pour les autres ; en lui donnant tous les enseignements et les bons exemples, les conseils et les secours qui sont nécessaires à son salut. Quelle que soit la position de l'homme, qu'il commande ou qu'il obéisse, s'il a cette vertu, tout ce qu'il fera pour le prochain sera fait avec discrétion et charité, car ces deux choses sont inséparables : elles reposent sur une humilité sincère, qui vient de la connaissance de soi-même.

X

La charité, l'humilité et la discrétion sont inséparables, et l'âme doit les posséder.

1.     Sais-tu dans quel rapport sont ces trois vertus ? Suppose un cercle tracé sur la terre, et au milieu un arbre avec un rejeton qui lui serait uni ; l'arbre se nourrit de la terre contenue dans la largeur du cercle ; s'il en était arraché, il mourrait et ne pourrait donner de fruits tant qu'il n'y serait pas replanté. L'âme aussi est un arbre fait pour l'amour et qui ne peut vivre que d'amour. Si l'âme n'a pas l'amour divin d'une parfaite charité, elle ne donnera pas de fruits de vie, mails des fruits de mort. Il faut que sa racine se nourrisse dans le cercle d'une véritable connaissance d'elle-même, et cette connaissance la fixe en moi, qui n'ai ni commencement ni fin. Quand tu tournes dans un cercle, tu n'en trouves ni le commencement ni la fin, et cependant tu t'y vois renfermée.

2.      Cette connaissance que l'âme a de moi et d'elle-même repose sur la terre d'une véritable humilité, dont l'étendue est proportionnée à celle du cercle de cette connaissance qu'elle a de moi en elle. Sans cela, le cercle ne serait pas sans commencement et sans fin ; il aurait un commencement, puisqu'il commencerait à la connaissance d'elle-même, et finirait dans la confusion, parce que cette connaissance serait séparée de moi.

3.     L'arbre de la charité se nourrit de l'humilité et produit le rejeton d'une véritable discrétion, ainsi que je te l'ai montré. La moelle de l'arbre, c'est-à-dire de la charité dans l'âme, est la patience qui prouve que je suis dans l'âme et que l'âme est en moi. Quand cet arbre est ainsi planté, il porte des fleurs d'une éclatante vertu et les parfums les plus délicieux ; il donne des fruits excellents à tous ceux qui désirent suivre et imiter mes serviteurs ; il rend ainsi honneur et gloire à mon nom et il accomplit le but de la création. Il arrive à son terme, à moi qui suis la vie véritable, et rien ne peut le dépouiller s'il n'y consent pas. Tous les fruits de cet arbre sont inséparables, et ils viennent de la discrétion.

XI

La pénitence doit être le moyen d'acquérir la vertu et non le but principal de l'âme. Des lumières de la discrétion en diverses circonstances.

1.     Les fruits que je demande d'une âme doivent prouver la réalité de la vertu au temps de l'épreuve. Souviens-toi de ce que je t'enseignais autrefois, lorsque tu désirais faire de grandes pénitences ; tu me disais : “Que pourrais-je faire, que pourrais-je endurer pour vous ?” Je te répondais intérieurement : “J'aime peu de paroles, mais beaucoup d’œuvres” afin de te faire comprendre que je m'attache peu à celui dont la bouche me dit : “Seigneur, Seigneur, que puis-je faire pour vous ?” et qui désire par amour pour moi mortifier son corps par la pénitence, sans vaincre et tuer sa volonté. Ce que je préfère, ce sont les actes d'une courageuse patience et les oeuvres d'une vertu intérieure, qui agit toujours sous' l'influence de la grâce ; tout ce qu'on fait en dehors de ce principe, je le regarde comme de simples paroles, parce que ce sont des actes bornés, et moi, qui suis l'infini, je veux des actes et un amour sans borne.

2.      Je veux que les œuvres de pénitence et les autres pratiques corporelles soient le moyen et non pas le but de l'âme ; si c'était le but, ce serait un acte borné, comme la parole qui sort des lèvres et qui n'existe plus, quand elle ne sort pas avec l'amour de l'âme qui conçoit et enfante véritablement la vertu. Si ce que j'appelle une parole est uni à l'ardeur de la charité, alors cette parole me devient agréable, parce qu'elle n'est pas seule, mais qu'elle est accompagnée d'une discrétion véritable, et que l'acte du corps est un moyen et non pas le but principal.

3.     Il ne convient pas que le but principal de l'âme soit dans la pénitence et dans les autres œuvres extérieures, car ces oeuvres sont finies et s'accomplissent dans le temps ; il faut quelquefois que la créature les abandonne ou qu'on les lui défende. Les circonstances et l'ordre des supérieurs peuvent l'exiger : les accomplir alors serait, non pas un mérite, mais une grande offense. Tu vois donc que ce sont des œuvres bornées, qu'il faut prendre pour moyen et non pour but ; car, en les prenant pour but, l'âme serait vide lorsqu'il faudrait les laisser.

4.      Aussi mon Apôtre, le glorieux saint Paul, dit dans son Épître, de mortifier le corps et de tuer. la volonté, c'est-à-dire de dompter le corps en macérant la chair lorsqu'elle veut se révolter contra l'esprit. Mais la volonté a besoin d'être entièrement vaincue, détruite et soumise à ma volonté. On triomphe ainsi de la volonté par le moyen de la vertu de discrétion, qui fait que l'âme déteste ses fautes et sa sensualité en acquérant la connaissance d'elle-même ; c'est là l'arme victorieuse qui tue l'amour-propre né de la volonté.

5.     Ceux qui agissent ainsi m'offrent non seulement des paroles, mais encore beaucoup d'œuvres, et en disant beaucoup, je n'en fixe pas le nombre, parce que la charité fait naître toutes les vertus, et l'âme qui y est affermie ne doit pas connaître de limites. Je n'exclus pas non plus les paroles, mais je dis qu'elles doivent être peu nombreuses, parce que les œuvres extérieures sont bornées. Elles me sont agréables cependant, lorsqu'elles sont le moyen de la vertu et non pas le but principal.

6.      Il faut bien se garder de mesurer la perfection sur la pénitence. Celui qui tue son corps par la mortification peut être moins parfait que celui qui le traite plus doucement. La vertu et le mérite ne consistent pas dans l'acte ; car que deviendrait celui qui, pour une cause légitime, ne pourrait l'accomplir ? La vertu et le mérite sont dans la charité unie à la discrétion, et la discrétion ne met pas de bornes à la charité, parce que je suis la souveraine et éternelle Vérité.

7.     Il ne peut y avoir de mesure à mon amour, mais il y en a à l'amour du prochain : c'est la lumière de la discrétion, née de la charité, qui le règle ; car il n'est jamais permis de commettre une faute dans l'intérêt même du prochain. Si l'on pouvait par un seul péché retirer le monde entier de l'enfer ou produire un grand bien, il ne faudrait pas commettre ce péché, parce que la charité ne serait pas discrète, et qu'on ne doit pas faire le mal pour le bien et l'utilité du prochain.

8.      Une sainte discrétion apprend aux puissances de l'âme à me servir avec courage ; elle enseigne à aimer le prochain avec ardeur et à donner la vie du corps pour le salut des âmes, si l'occasion s'en présente. Elle fait souffrir mille tourments pour procurer aux autres la vie de la grâce, et elle sacrifie le nécessaire même pour les assister et les secourir dans leurs nécessités corporelles.

9.     C'est ainsi qu'agit la discrétion dans la lumière que lui donne la charité. Toute âme qui veut vivre de ma grâce doit avoir pour moi un amour sans borne et sans mesure, et avec cet amour aimer le prochain selon les règles de la charité, sans jamais commettre de faute pour lui être utile.

10.    C'est l'enseignement de saint Paul lorsqu'il dit que la charité bien ordonnée est de commencer par soi-même ; autrement on ne servirait pas parfaitement le prochain ; car lorsque la perfection n'est pas dans l'âme, tout ce qu'elle fait pour elle et pour les autres est imparfait. Serait-il convenable que, pour sauver des créatures qui sont finies et créées, on m'offensât, moi qui sais le Bien éternel et infini ? La faute ne pourrait jamais être compensée par le bien qu'elle procurerait ; ainsi on ne doit jamais la commettre.

11.   La véritable charité le comprend, parce qu'elle porte avec elle la lumière d'une sainte discrétion. Cette lumière dissipe les ténèbres, détruit l'ignorance, prépare toutes les vertus et devient le principal moyen. Elle est une prudence qui ne peut s'égarer, une force qui est invincible, une persévérance qui unit les extrêmes, le ciel à la terre, parce qu'elle conduit de ma connaissance à la connaissance de soi-même, et de mon amour à l'amour du prochain.

12.    Elle échappe par l'humilité à tous les pièges du tentateur, et par la prudence à toutes les séductions des créatures. Sa main, qui n'a d'autre arme que la patience, triomphe du démon et de la chair avec l'aide de cette douce et bonne lumière, parce qu'elle connaît sa fragilité, et que, la connaissant, elle a pour elle la haine qu'elle mérite. Dès lors elle dédaigne, méprise et foule aux pieds le monde ; elle en reste maîtresse.

13.   Tous les tyrans de la terre ne peuvent ôter la vertu d'une âme ; leurs persécutions, au contraire, la fortifient et l'augmentent. Cette vertu que mon amour a fait naître s'éprouve et se développe par le prochain ; car si elle ne se manifestait pas dans l'occasion, si elle ne répandait pas ses clartés sur les créatures, ce serait une preuve qu'elle ne viendrait pas de la vérité. La vertu ne peut être parfaite et utile que par l'intermédiaire du prochain.

14.    L'âme est comme une femme qui conçoit un fils si elle ne le met pas au monde, si elle ne le montre pas aux hommes, son époux ne peut pas dire qu'il a un fils. Et moi qui suis l'époux de l'âme, si elle n'enfante pas ce fils de la vertu dans la charité du prochain, si elle ne le montre pas .quand l'occasion le demande, ne peut-on pas dire qu'elle est stérile ? Ce que j'ai dit des vertus, on peut le dire des vices ; ils s'exercent tous par l'intermédiaire du prochain.

XII

Dieu promet aux souffrances de ses serviteurs le repos et la réforme de l'Église.

1.     Ma souveraine bonté t'a montré la vérité et la doctrine par laquelle tu peux acquérir une grande perfection et la conserver. Je t'ai dit comment tu devais satisfaire à la faute et à la peine, en toi et en ton prochain. La souffrance que supporte une créature attachée à un corps mortel ne peut satisfaire à la faute et à la peine, si elle n'est pas unie à une charité sincère, à une contrition véritable et à une haine profonde du péché. La souffrance, lorsqu'elle est unie à la charité, ne satisfait pas par sa propre vertu, mais par la vertu de la charité et du regret qu'on a de ses péchés. La charité s'acquiert par la lumière de l'intelligence et par la sincérité du cœur qui se fixe en moi, qui suis la Charité. Je t'ai expliqué ces choses lorsque tu m'as demandé de souffrir.

2.      Je t'ai enseigné comment mes serviteurs doivent s'offrir à moi en sacrifice ; ce sacrifice doit être à la fois et corporel et spirituel. Le vase n'est pas séparé de l'eau quand on la présente au maître. L'eau sans le vase ne pourrait lui être présentée, et le vase sans l'eau lui serait inutile. Vous devez donc m'offrir le vase de toutes les peines que je vous envoie, sans en choisir le lieu, le temps et la mesure, qui dépendent de mon bon plaisir. Mais ce vase doit être plein, c'est-à-dire que vous devez endurer les peines avec amour, avec résignation, et supporter avec patience les défauts du prochain, ne haïssant que le péché. Votre vase alors est plein de l'eau de ma grâce qui donne la vie, et je reçois avec délices ce présent que me font mes épouses, les âmes fidèles. J'accepte leurs ardents désirs, leurs larmes, leurs soupirs, leurs ferventes prières et ces preuves de leur amour apaisent ma colère contre mes ennemis et les hommes pervers, qui commettent contre moi tant d'offenses.

3.     Ainsi donc, souffrez avec courage jusqu'à la mort ; œ sera le signe évident de votre amour pour moi. Après avoir mis la main à la charrue, ne regardez pas en arrière par crainte de quelque créature ou de quelque tribulation. Réjouissez-vous au contraire dans vos épreuves ; le monde se complaît dans ses injustices ; pleurez-les, et celles qui m'offensent vous offensent, et celles qui vous offensent m'offensent. Ne suis-je pas .devenu une seule chose avec vous ?

4.      Je vous ai donné mon image et ma ressemblance. Lorsque vous avez perdit la grâce par le péché, pour vous rendre la vie, j'ai uni ma nature à la vôtre en revêtant votre humanité. Vous avez mon image, et j'ai pris la vôtre en me faisant homme. Je suis donc une même chose avec vous, et si l'âme veut bien m'aimer, si elle ne me quitte pas par le péché mortel, elle est en moi, et moi en elle. C'est pour cela que le monde la persécute, parce que le monde n'a pas ma ressemblance et qu'il a persécuté mon Fils unique jusqu'à la mort ignominieuse de la Croix. Il agit de même envers vous ; il vous poursuit et vous poursuivra jusqu'à la mort, parce qu'il ne m'aime pas ; si le monde m'avait aimé, il vous aimerait ; mais réjouissez-vous, car votre joie sera grande dans le ciel.

5.     En vérité, je vous le dis, plus la tribulation abondera dans le corps mystique de la sainte Église, plus aussi abondera la douceur de la consolation. Et quelle sera cette douceur ? Ce sera la réforme et la sainteté de ses ministres qui fleuriront pour la gloire et l'honneur de mon nom, et qui élèveront vers moi le parfum de toutes les vertus. Ce sont les ministres de mon Église qui seront réformés, et non pas mon Église, car la pureté de mon épouse ne peut être diminuée et détruite par les fautes de ses serviteurs.

6.      Réjouis-toi donc, ma fille, avec le directeur de ton âme et avec mes autres serviteurs ; réjouissez-vous dans votre douleur. Moi qui suis la Vérité éternelle, je vous promets de vous soulager. Après la douleur viendra la consolation, parce que vous aurez beaucoup souffert pour la réforme de la sainte Église.

XIII

L'âme consolée dans sa peine, et fortifiée dans ses espérances par les paroles de Dieu, prie pour la sainte Église et pour tous les hommes.

1.     Alors cette âme se sentit embrasée d'un ardent désir et d'un amour ineffable pour la bonté infinie de Dieu. Elle voyait et connaissait l'étendue de cette charité, qui avait bien voulu répondre avec tant de douceur à ses demandes et les exaucer, en adoucissant par l'espérance la douleur que lui avaient causée les offenses contre Dieu, le malheur de l'Église et la connaissance de sa propre misère. Elle cessait ses larmes, mais elle en versait bientôt de nouvelles lorsque Dieu lui montrait la voie de la perfection, les péchés commis contre lui, et le danger que couraient les âmes.

2.      La connaissance que cette âme avait d'elle-même lui faisait mieux connaître Dieu, parce qu'elle lui montrait sa bonté ; et elle voyait dans la douce connaissance de Dieu, comme dans un miroir, sa dignité et son indignité sa dignité, car la création l'avait faite à l'image de Dieu, et cela par grâce et non par mérite ; son indignité, car elle était tombée d'elle-même dans le péché. L'âme apercevait ses souillures dans la pureté divine, et elle désirait les effacer. Plus cette lumière et cette connaissance augmentaient, plus sa douleur augmentait ; mais plus aussi elle diminuait par l'espérance que lui donnait la vérité.

3.     Ainsi que le feu s'accroît à mesure qu'on l'alimente, l'ardeur de cette âme grandissait au point qu'il eût été impossible au corps de la supporter, et que la mort serait venue, si elle n'avait puisé sa force en celui qui est la force suprême. Purifiée par les flammes de la charité qu'elle trouvait dans la connaissance de Dieu et d'elle-même, de plus en plus excitée par l'espérance du salut du monde et de la réforme de l'Église, dont elle voyait la lèpre et les misères, elle s'éleva avec confiance devant le Seigneur, et lui dit comme autrefois Moïse : Seigneur, jetez les regards de votre miséricorde sur votre peuple et sur le corps mystique de la sainte Église. Si vous pardonnez à tant de créatures, si votre bonté infinie les retire du péché mortel et de l'éternelle damnation, vous serez plus glorifié que si vous ne pardonnez qu'à moi, misérable, qui vous ai tant offensé, qui suis l'occasion et l'instrument de tant de mal.

4.      Je vous en conjure, ineffable Charité, vengez-vous sur moi et faites miséricorde à votre peuple. Je gémirai en votre présence jusqu'à ce que vous m'ayez exaucée. A quoi me sert d'avoir la vie, si votre peuple est dans la mort, si votre épouse, qui doit être la lumière, reste dans les ténèbres, et cela par ma faute plutôt que par celle des autres créatures ? Aussi je vous en conjure, faites miséricorde à votre peuple, au nom de cet amour qui vous a porté à créer l'homme à votre image et à votre ressemblance.

5.     En disant cette ineffable parole : “Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance”, et en l'accomplissant, vous avez voulu faire participer l'homme à votre adorable Trinité. Vous lui avez donné la mémoire, pour qu'il retînt vos bienfaits et qu'il participât à votre puissance. O Père éternel, vous lui avez donné l'intelligence, pour qu'il comprit votre bonté et qu'il participât à la sagesse de votre Fils unique ; vous lui avez donné la volonté, pour qu'il aimât ce que l'intelligence verrait et connaîtrait de la vérité, et qu'il participât à l'ardeur du Saint-Esprit. Et qu'est-ce qui vous a fait élever l'homme à une si haute dignité ? C'est cet amour, incompréhensible avec lequel vous avez regardé en vous-même votre créature ; vous, vous êtes passionné pour elle, ,vous l'avez créée, vous lui avez donné l'être, afin de la faire jouir de vous, qui êtes le Bien suprême.

6.      Le péché qu'elle a commis l'a fait déchoir du rang où vous l'aviez placée ; sa révolte l'a mise en opposition avec votre bonté, et nous sommes devenus vos ennemis. Alors le même amour qui vous avait porté à nous créer, vous a porté à relever le genre humain de l'abîme où il était tombé. La paix a remplacé la guerre ; vous nous avez donné le Verbe, votre Fils unique, qui nous a réconciliés avec vous. Il a été notre justice, parce qu'Il a pris sur lui nos injustices ; il s'est fait obéissant pour nous, en revêtant, lorsque vous le lui avez ordonné, la chair de notre humanité.

7.     O abîme de charité, comment le cœur ne se brise-t-il pas en voyant tant de grandeur unie à tant de bassesse ? Nous étions faits à votre image, et vous vous faites à la nôtre, en vous unissant à l'homme, en cachant votre divinité sous la chair misérable et corrompue d'Adam ; et pourquoi ? par amour. Dieu se fait homme, et l'homme devient Dieu. Au nom de cet amour qui vous presse, faites miséricorde, je vous en supplie, à toutes vos créatures.

XIV

Dieu se plaint des péchés des chrétiens, et particulièrement de ceux de ses ministres. - Du sacrement de l'Eucharistie et des bienfaits de l'Incarnation.

1.     Alors Dieu jeta un regard miséricordieux sur cette âme qui l'invoquait avec des larmes si ferventes ; il se laissa vaincre par l'ardeur de ses désirs, et il lui dit : Ma bien douce fille, tes larmes sont toutes puissantes, parce qu'elles sont unies à ma charité et qu'elles sont répandues par amour pour moi. Je ne puis résister à tes désirs. Mais regarde les souillures qui déshonorent le visage de mon épouse. Elle porte comme une lèpre affreuse l'impureté, l'amour-propre, l'orgueil et l'avarice de ceux qui vivent dans leurs péchés. Tous les chrétiens en sont infectés, et le corps mystique de la sainte Église n'en est point exempt !

2.      Oui, mes ministres, qui se nourrissent du lait de son sein, ne songent pas qu'ils doivent le distribuer à tous les fidèles et à ceux qui veulent quitter les ténèbres de l'erreur et s'attacher à I'Église. Vois avec quelle ignorance, avec quelle ingratitude ils me servent. Combien sont indignes et irrespectueuses les mains qui reçoivent le lait de mon Épouse et le sang de mon Fils ! Ce qui donne la vie leur cause la mort, parce qu'ils abusent de ce sang, qui doit vaincre les ténèbres, répandre la lumière et confondre le mensonge.

3.     Ce sang précieux est la source de tout bien ; il sauve et rend parfait tout homme qui s'applique à le recevoir ; il donne la vie et la grâce avec plus ou moins d'abondance, selon les dispositions de l'âme ; mais il n'apporte que la mort à celui qui vit dans le péché. C'est la faute de celui qui vit dans le péché. C'est la faute de celui qui reçoit, et non pas la faute du sang ou la faute de ceux qui l'administrent ; ils pourraient être plus coupables sans en altérer la vertu ; leur péché ne peut nuire à celui qui reçoit, mais à eux seulement, s'ils ne se purifient pas dans la contrition et le repentir.

4.      Oui, c'est un grand malheur de recevoir indignement le sang de mon Fils ; c'est souiller son âme et son corps ; c'est être bien cruel envers soi-même et envers le prochain ; car c'est se priver de la grâce ; c'est fouler aux pieds le bénéfice du sang reçu dans le baptême qui a lavé la tache originelle. Je vous ai donné le Verbe, mon Fils unique, parce que le genre humain tout entier était corrompu par le péché du premier homme, et que, sortis de la chair viciée d'Adam, vous ne pouviez plus acquérir la vie éternelle.

5.     J'ai voulu unir ma grandeur infinie à la bassesse de votre humanité, afin de guérir votre corruption et votre mort, et de vous rendre la grâce qu'avait détruite le péché. Je ne pouvais souffrir comme Dieu la peine que ma justice réclamait pour le péché, et l'homme était incapable d'y satisfaire. S'il le pouvait dans une certaine mesure pour lui, il ne le pouvait pas pour les autres créatures raisonnables ; et d'ailleurs sa satisfaction ne pouvait être complète, puisque l'offense était commise contre moi, qui suis la bonté infinie.

6.      Il fallait racheter l'homme malgré sa faiblesse et sa misère, et c'est pour cela que j'ai envoyé le Verbe mon Fils, revêtu de votre nature déchue, afin qu'il souffrît dans la chair même qui m'avait offensé, et qu'il apaisât ma colère en endurant la douleur jusqu'à la mort ignominieuse de la croix. Il satisfit ainsi à ma justice, et ma miséricorde put pardonner à l'homme, et lui rendre encore accessible la félicité suprême pour laquelle il avait été créé. La nature humaine unie à la nature divine racheta le genre humain, non seulement par la peine qu'elle supporta dans la chair d'Adam, mais par la vertu de la Divinité, dont la puissance est infinie.

7.     Cette union des deux natures m'a rendu agréable le sacrifice de mon Fils, et j'ai accepté son sang, mêlé à la Divinité et tout embrasé du feu de cette charité, qui l'attachait et le clouait à la croix. La nature humaine satisfit au péché par le mérite de la nature divine : la tache originelle d'Adam disparut, et il n'en resta qu'un penchant au mal, et une faiblesse des sens qui est dans l'homme comme la cicatrice d'une plaie.

8.      La chute d'Adam vous avait mortellement blessés ; mais le grand médecin, mon Fils unique, est venu pour vous guérir ; il a bu le breuvage amer que l'homme ne pouvait boire à cause de sa faiblesse ; il a fait comme la nourrice qui prend une médecine pour guérir son enfant, parce qu'elle est grande et forte, et que son enfant ne peut en supporter l'amertume. Mon Fils a pris aussi, dans la grandeur et la force de la Divinité unie à votre nature, l'amère médecine du Calvaire, la mort douloureuse de la croix, pour guérir ses enfants et leur rendre la vie que le péché avait détruite.

9.     Il reste seulement une trace du péché originel que vous a donné la naissance ; cette trace même est effacée presque entièrement par le baptême, qui contient et donne la vie de la grâce que lui communique le glorieux et précieux sang de mon Fils. Dès que l'âme reçoit le saint baptême, le péché originel disparaît, et la grâce y entre. Le penchant au mal, qui est la cicatrice du péché originel, s'affaiblit même, et l'âme peut le vaincre si elle le veut. Elle peut recevoir et augmenter la grâce dans la mesure du désir qu'elle aura de m'aimer et de me servir.

10.    La grâce du saint baptême lui laisse toute sa liberté pour le bien et pour le mal... Quand vient le moment de jouir du libre arbitre, elle peut en user dans toute la plénitude de sa volonté ; et cette liberté, conquise par le sang glorieux de mon Fils, est si grande, que ni le démon ni les créatures ne peuvent lui faire commettre la moindre faute sans son consentement. La servitude du péché est détruite, et l'homme peut dominer ses sens et acquérir le bonheur pour lequel il a été créé.

11.   O homme misérable, qui te délectes dans la boue comme le fait l'animal, et qui méconnais la grandeur du bienfait que tu as reçu de ma bonté ! O malheureuse créature, tu ne pouvais recevoir davantage au milieu des ténèbres épaisses de ton ignorance.

XV

Le péché est plus gravement puni depuis la Passion de Jésus-Christ. Dieu promet de faire miséricorde, en considération des prières et des souffrances de ses serviteurs.

1.     Tu le vois, ma fille bien-aimée, les hommes ont été régénérés dans le sang de mon Fils et rétablis dans la grâce, mais ils la méconnaissent et s'enfoncent de plus en plus dans le mal ; ils me poursuivent de leurs outrages et méprisent mes bienfaits. Non seulement ils repoussent ma grâce, mais ils me la reprochent, comme si j'avais d'autre but que leur sanctification. Plus ils s'endurciront, et plus ils seront punis ; et leur châtiment sera plus terrible qu'il ne l'aurait été avant la Rédemption, qui a effacé la tache du péché originel. N'est-il pas juste que celui qui a beaucoup reçu doive beaucoup ?

2.      L'homme a reçu beaucoup. Il a reçu l'être, il a été fait à mon image et à ma ressemblance, il devait m'en rendre gloire, et il ne l'a pas fait pour se glorifier lui-même. Il a violé les ordres que je lui avais donnés, et il est devenu mon ennemi. J'ai détruit par l'humilité son orgueil ; j'ai abaissé ma divinité jusqu'à revêtir votre humanité ; je vous ai délivrés de l'esclavage du démon ; je vous ai rendus libres. Non seulement je vous ai donné la liberté, mais j'ai fait l'homme Dieu, comme j'ai fait Dieu homme, en unissant la nature divine à la nature humaine.

3.     Ne me doivent-ils donc rien, ceux qui ont reçu le trésor de ce sang précieux qui les a rachetés, et la dette n'est-elle pas plus grande après la Rédemption qu'avant ?

        Les hommes sont obligés de me rendre gloire et honneur en suivant la parole incarnée de mon Fils : ils me doivent l'amour envers moi et envers le prochain. Ils me doivent des vertus sincères et véritables, et s'ils ne s'acquittent pas, plus ils me doivent et plus ils m'offensent.

4.      Ma justice alors demande que je proportionne la peine à l'offense et que je les frappe d'une damnation éternelle. Aussi le mauvais chrétien est-il beaucoup plus puni que le païen. Le feu terrible de ma vengeance, qui brûle sans consumer, le torture davantage, et le ver rongeur de la conscience le dévore plus profondément. Quels que soient leurs tourments, les damnés ne peuvent perdre l'être ; ils demandent la mort sans pouvoir l'obtenir, le péché ne leur ôte que la vie de la grâce. Oui, le péché est plus puni depuis la Rédemption qu'avant, parce que les hommes ont plus reçu. Les malheureux n'y pensent pas, et se font mes ennemis après avoir été réconciliés dans le sang précieux de mon Fils.

5.     Il y a cependant un moyen d'apaiser ma colère ; mes serviteurs peuvent l'arrêter par leurs larmes et la vaincre par l'ardeur de leurs désirs : c'est ainsi que tu en as triomphé, parce que je t'en ai donné la puissance, afin de pouvoir faire miséricorde au monde. Oui, j'excite moi-même dans mes serviteurs une faim et une soif dévorantes du salut des âmes, parce que leurs larmes tempèrent les rigueurs de ma Justice. Versez donc des larmes abondantes ; puisez-les dans l'océan de ma charité, et lavez avec des larmes la face de mon épouse bien-aimée. Vous lui rendrez cette beauté que ne donnent pas la guerre et la violence, mais que procurent les humbles et douces prières de mes serviteurs et les larmes qu'ils répandent dans l'ardeur de leurs désirs. Oui, je satisferai ces désirs ; j'éclairerai avec la lumière de votre patience les ténèbres des méchants. Ne craignez pas les persécutions du monde ; je serai toujours avec vous, et ma providence ne vous manquera jamais.

XVI

L'âme, à la vue de la bonté divine, prie pour l'Église et pour le monde.

1.     Alors cette âme, excitée par ces paroles qui l'éclairaient, se présenta pleine de joie devant la Majesté divine. Elle se confiait dans sa miséricorde, et l'amour ineffable qu'elle ressentait lui faisait comprendre que Dieu désirait pardonner aux hommes, malgré tous leurs outrages. C'était pour le pouvoir qu'il demandait à ses amis de lui faire une sainte violence, et qu'il leur apprenait le moyen d'apaiser les rigueurs de sa justice.

2.      Alors toute crainte se dissipait ; elle ne redoutait plus les persécutions du monde, puisque le Seigneur devait l'assister et combattre pour elle. L'ardeur de ses désirs augmentait, et ses prières s'étendaient au monde tout entier. Non seulement elle priait pour le salut des chrétiens et des infidèles qui tiennent à l'Église, mais encore comme Dieu l'y poussait pour la conversion de tous les hommes. Miséricorde, criait-elle, ô Père éternel ! miséricorde pour ces pauvres brebis dont vous êtes le bon pasteur. Ne tardez pas à faire miséricorde au monde ; hâtez-vous, car il se meurt, parce que les hommes n'ont pas l'union de la charité envers vous ni envers eux-mêmes ; ils ne s'aiment pas d'un amour fondé sur vous, ô éternelle Vérité !

XVII

Dieu se plaint de ses créatures raisonnables et surtout de leur amour-propre.

1.     Dieu, tout embrasé d'amour pour notre salut, excitait de plus en plus l'amour et la douleur dans cette âme, en lui montrant avec quelle passion il avait cherché l'homme, et il lui disait : Ma fille, ne vois-tu pas que l'homme me frappe et m'offense, moi qui l'ai créé avec tant d'amour, moi qui l'ai comblé de dons presque infinis, que je lui ai accordés par grâce et non par mérite. Tu vois combien de péchés différents il commet contre moi et combien il m'offense surtout par ce misérable et abominable amour-propre d'où vient tout le mal.

2.      C'est cet amour qui empoisonne le monde entier ; car si mon amour produit toutes les vertus qui s'appliquent au prochain, l'amour-propre renferme en lui tout mal, parce qu'il vient de l'orgueil, comme le mien vient de la charité. Ce mal s'accomplit par le moyen de la créature et détruit la charité du prochain, parce que celui qui ne m'aime pas, n'aime pas le prochain : ces deux amours sont unis ensemble. Je t'ai dit que tout bien et tout mal se faisaient par le prochain.

3.     N'ai-je pas raison de me plaindre de l'homme, qui n'a reçu de moi que des bienfaits, et qui ne me rend que de la haine et des offenses? Cependant, je te l'ai dit et je- te le répète, les larmes de mes serviteurs peuvent apaiser ma colère ; oui, vous tous qui me servez, répandez sans cesse en ma présence Vos ferventes prières et vos ardents désirs : pleurez amèrement les offenses qui me sont faites et le malheur des âmes qui se perdent, et vous adoucirez la rigueur de mes divins jugements.

XVIII

Personne ne peut échapper aux mains de Dieu : tous éprouvent sa miséricorde ou sa justice.

1.     Apprends, ma fille, que personne ne peut échapper à mes mains, parce que je suis celui qui suis. Vous n'avez pas l'être par vous-mêmes, mais vous êtes faits par moi, qui suis le créateur de toutes les choses qui participent à l'être, excepté du péché, qui n'est pas, car il n'à pas été fait par moi, et comme il n'est pas en moi, il n'est pas digne d'être aimé.

2.      La créature se rend coupable parce qu'elle aime le péché, qu'elle ne devrait pas aimer, et parce qu'elle me hait, moi qu'elle devrait tant aimer, puisque je suis le souverain Bien, et que je lui ai donné l'être avec tant d'amour. Mais elle ne peut m'échapper : ou elle est punie par ma justice pour ses fautes, ou elle est sauvée par ma miséricorde. Ouvre donc l’œil de ton intelligence et regarde ma main, et tu verras la vérité de ce que je te dis.

3.     Cette âme, pour obéir à l'ordre du Père suprême, regarda, et vit dans sa main l'univers tout entier. Et Dieu lui disait : Ma fille, vois et comprends que personne ne peut m'échapper ; tous sont les sujets de ma justice ou de ma miséricorde, car tous ont été créés par moi, et je les aime d'un amour ineffable ; malgré toutes leurs iniquités, je leur ferai miséricorde, et je t'accorderai ce que tu m'as demandé avec tant de larmes et d'ardeur.

XIX

L'âme, de plus en plus embrasée d'amour, désire répandre son sang. Elle s'accuse elle-même, et prie particulièrement pour son père spirituel.

1.     Alors cette âme, ivre d'amour et tout hors d'elle-même, dans l'ardeur toujours croissante de ses saints désirs, était à la fois heureuse et pleine de douleur. Elle était heureuse parce qu'elle était unie à Dieu, jouissant des largesses de sa bonté et tout anéantie dans sa miséricorde ; elle était pleine de douleur parce qu'elle voyait offenser cette bonté infinie. Elle rendait grâces à la Majesté divine en comprenant que Dieu lui avait manifesté les défauts de ses créatures pour la contraindre à s'adresser à lui avec plus de zèle et de désir.

2.      Elle sentait son amour se renouveler au sein de Dieu, et cette sainte flamme de l'amour devenait si ardente, qu'elle désirait changer en sueurs de sang ces sueurs que causaient à son corps les violences de son âme, parce que l'union de son âme avec Dieu était plus grande que l'union de son âme et de son corps. La force de l'amour la baignait de sueurs, mais elle en avait honte, car c'était son sang qu'elle aurait voulu voir couler. Elle se disait à elle-même : O ma pauvre âme, tu as perdu tous les instants de ta vie ; il y a tant de péchés dans le monde et dans l'Église, tant de malheurs généraux et particuliers ! Je voudrais te les voir réparer par une sueur de sang.

3.     C'est que cette âme avait bien compris les enseignements de l'éternelle Vérité, le besoin de se connaître, la bonté de Dieu à son égard, et le moyen de réparer le mal dans le monde et d'apaiser la justice irritée du Ciel par d'humbles et continuelles prières. Elle excitait de plus en plus ses désirs et appliquait davantage son intelligence à la contemplation de la charité divine ; elle voyait et sentait combien nous sommes tenus d'aimer et de chercher la gloire et la louange du nom de Dieu dans le salut des âmes. Elle comprenait que c'était la vocation des serviteurs de Dieu. C'était surtout celle à laquelle la Vérité éternelle appelait le père de son âme, et elle l'offrait à la bonté divine, demandant avec ferveur pour lui la lumière de la grâce, afin qu'il accomplit véritablement la volonté de Dieu en toutes choses.

XX

On ne peut plaire à Dieu qu'en supportant les tribulations avec patience.

1.     Alors Dieu répondit à cette demande que lui inspirait l'ardent désir qu'elle avait du salut de son père spirituel. Il lui disait : Ma fille, ma volonté est qu'il cherche à me plaire par sa faim et son zèle pour le salut des âmes ; mais ni toi ni lui ne pourrez y parvenir sans souffrir les nombreuses persécutions que je jugerai utile de vous accorder.

2.      Si vous désirez me voir honorer dans l'Église, vous devez vouloir et aimer souffrir avec patience : ce sera la preuve que toi, ton père spirituel, et mes autres serviteurs, vous cherchez véritablement ma gloire. Vous mériterez ainsi ma tendresse paternelle ; vous reposerez sur la poitrine de mon Fils bien-aimé, que je vous ai donné comme un pont, pour que tous vous puissiez atteindre votre fin dernière, et recevoir le fruit des peines que vous aurez supportées courageusement par amour pour moi.

XXI

Le chemin du ciel ayant été Interrompu par la désobéissance d'Adam, Dieu a fait de son Fils un pont par lequel on peut passer.

1.     Je t'ai dit que j'avais fait du Verbe, mon Fils unique, un pont, et c'est la vérité. Je veux que vous sachiez, vous qui êtes mes enfants, que la route a été rompue par le péché et la désobéissance d'Adam. Personne ne pouvait arriver à la vie éternelle, l'homme ne rendait plus la gloire qu'il me devait et ne recevait plus le bien pour lequel je l'avais créé à mon image et ressemblance, et dès lors ma vérité ne s'accomplissait pas.

2.      Cette vérité était que je l'avais créé pour qu'il eût la vie éternelle, et qu'en participant à moi, il goûtât les ineffables douceurs de ma bonté suprême. Le péché l'empêchait d'arriver à ce but, et ainsi ma vérité n'était pas accomplie, parce que la faute avait fermé le ciel et la porte de la miséricorde. Cette faute produisit pour l'homme les épines, les souffrances et les tribulations.

3.     La créature trouva la révolte en elle-même, dès qu'elle se fut révoltée contre moi : la chair combattit l'esprit. L'homme, en perdant l'état d'innocence, devint un être immonde contre lequel toutes les choses créées se révoltèrent, tandis qu'elles lui auraient été toujours soumises, s'il se fût conservé dans l'état où je l'avais placé. En ne s'y conservant pas, il a violé l'obéissance et mérité la mort éternelle de l'âme et du corps. Dès qu'il eut péché ; un fleuve plein de tempêtes se précipita sur lui et l'inonda de peines et de persécutions qui venaient de lui-même, du démon et du monde.

4.      Vous périssiez tous dans ce fleuve, car personne, par son propre mérite, ne pouvait atteindre la vie éternelle. Pour vous préserver de ce malheur, je vous ai donné mon Fils comme un pont sur lequel vous pouvez passer sans danger le fleuve et les orages de cette vie. Vois combien la créature me doit, et combien elle est aveugle en voulant toujours se noyer dans ce fleuve et en ne prenant pas le remède que je lui ai donné.

XXII

Dieu invite l'âme à regarder la grandeur de ce pont, et comment il va de la terre au Ciel.

1.     Ouvre l’œil de ton intelligence, ma fille, et tu verras les pauvres aveugles, tu verras aussi les imparfaits et les parfaits qui me suivent dans la vérité ; tu pleureras sur la perte des aveugles, et tu te réjouiras de la perfection de mes enfants bien-aimés. Tu verras comment font ceux qui marchent dans la lumière et ceux qui marchent dans les ténèbres ; mais avant, je veux que tu regardes ce pont de mon Fils unique, et que tu voies sa grandeur qui s'étend du ciel à la terre, car il comble la distance qui est entre l'infini et votre humanité, il unit le ciel et la terre par l'union que j'ai faite des deux natures.

2.      Il fallait bien rétablir la route qui était rompue, comme je te l'ai dit, afin que vous arriviez à la vie, et que vous traversiez les flots amers du monde. La terre ne pouvait suffire à ce grand travail, qui devait vous faire passer le fleuve et vous procurer la vie éternelle. La nature de l'homme était incapable de satisfaire à la faute, et d'effacer la souillure du péché d'Adam qui corrompait et infectait tout le genre humain ; il fallait l'unir à la grandeur de ma nature divine, afin qu'elle pût satisfaire pour tous les hommes ; il fallait que la nature humaine souffrît la peine, et que la nature divine unie à cette nature humaine acceptât le sacrifice de mon Fils qui m'était offert pour vous, pour vous délivrer de la mort et vous donner la vie.

3.     La grandeur de la Divinité s'abaissa jusqu'à la terre de votre humanité, et c'est cette union qui fit ce pont et rétablit la route. Pourquoi mon Fils s'est-il fait lui-même le chemin ? C'est pour que vous puissiez jouir de la vie éternelle avec les anges. Mais pour acquérir le bonheur, il ne suffit pas que mon Fils soit devenu un pont, il faut encore vous en servir.

XXIII

Tous sont des travailleurs que Dieu envoie travailler à la vigne de la sainte Église.

1.     L'éternelle Vérité montrait à cette âme qu'elle nous avait créés sans nous, mais qu'elle ne pouvait nous sauver sans nous. Il faut pour cela faire un bon usage du libre arbitre et employer le temps à la pratique des vertus. Elle ajoutait : Vous devez tous passer sur ce pont ; en cherchant sans cesse la gloire de mon nom dans le salut des âmes et en supportant toutes sortes de fatigues, à la suite du doux et tendre Verbe ; sans cela vous ne pourrez jamais venir à moi.

2.      Vous êtes les ouvriers que j'ai envoyés travailler à la vigne de la sainte Église. Vous travaillez dans le corps universel de la religion chrétienne. Je vous y ai conduits par ma grâce lorsque je vous ai donné la lumière du saint baptême. Vous recevez ce baptême dans le corps mystique de l'Église, par les mains de ses ministres que j'ai envoyés travailler avec vous.

3.     Vous êtes dans le corps universel, et eux sont dans le corps mystique pour nourrir vos âmes et vous administrer le sang de mon Fils dans les sacrements que vous recevez d'eux, lorsqu'ils vous délivrent des épines du péché mortel et qu'ils sèment en vous la grâce. Ce sont les ouvriers qui travaillent à la vigne de vos âmes unie à la vigne de la sainte Église.

4.      Toute créature qui a la raison possède une vigne en elle-même : c'est la vigne de son âme, dont le libre arbitre est le vigneron tant que dure la vie. Dès que le temps est plissé, personne ne peut travailler ni bien ni mal ; mais tant qu'il vit, il peut cultiver la vigne que je lui ai confiée. Chaque vigneron a reçu une force si grande, que le démon ni aucune créature ne peut le dépouiller sans son consentement. Il est devenu fort par le saint baptême, et il a reçu comme instruments l'amour de la vertu et la haine du péché. Cet amour et cette haine, il les trouve dans le sang, parce que, par amour pour vous et par haine pour le péché, mon Fils unique est mort et vous a donné son sang, qui vous communique la vie dans le baptême.

5.     Puisque vous êtes armés, votre libre arbitre doit se servir de ce fer, pendant qu'il est temps, pour arracher les épines du péché mortel et pour cultiver la vertu ; sans cela vous ne recevriez pas le fruit du sang que doivent vous donner les ouvriers que j'ai mis dans la sainte Église pour ôter le péché mortel de la vigne de l'âme, et distribuer la grâce en administrant le sang dans les Sacrements établis par l'Église.

6.      Il faut donc exciter d'abord en vous la contrition du cœur, l'horreur du péché, l'amour de la vertu ; et alors vous recevrez le fruit du sang. Mais vous ne le pouvez recevoir, si de votre côté vous n'êtes pas comme les rameaux de mon Fils unique, qui est Fa vigne ; car il a dit : “Je suis la vigne véritable, mon Père est le vigneron et vous êtes les rameaux” (S. Jean, XV, 1-5) ; et cela est vrai.

7.     Je suis le vigneron, car tout ce qui a l'être est venu ou vient par moi. Ma puissance est infinie, c'est elle qui gouverne l'univers, et rien n'est fait ni ordonné sans moi. Je suis le vigneron qui ai mis mon Fils unique, la vigne véritable, dans la terre de votre humanité, afin que vous en soyez les rameaux qui portent le fruit.

8.      Celui qui ne portera pas le fruit de saintes et bonnes œuvres sera retranché de la vigne et se dessèchera ; car, dès qu'il est séparé de la vigne, il perd la vie de la grâce et est jeté au feu éternel. Ainsi le rameau qui ne porte pas de fruit est retranché de la vigne et mise au feu ; il ne peut servir à autre chose. Ceux qui sont retranchés par leur faute, et qui meurent dans le péché mortel, sont jetés par la justice divine, parce qu'ils sont inutiles, dans le feu qui dure éternellement.

9.     Ceux-là n'ont pas cultivé leur vigne ; ils l'ont au contraire détruite ainsi que celle des autres. Non seulement ils ont négligé de produire des rejetons de vertus, mais encore ils ont ôté la semence de la grâce qu'ils avaient reçue dans la lumière du saint baptême, en participant au sang de mon Fils, qui est le vin que porte cette vigne vérItable, ils ont enlevé cette semence, et ils l'ont donnée en pâture aux animaux, c'est-à-dire à leurs nombreuses iniquités. Ils l'ont foulée aux pieds de I'amour déréglé avec lequel ils m'ont offensé, et ils ont nui à eux-mêmes et à leur prochain.

10.    Mes serviteurs n'agissent pas ainsi, et vous devez faire comme eux, c'est-à-dire être unis et greffés sur la vigne véritable, et alors vous porterez des fruits abondants, parce que vous participerez à la sève de la vigne.

11.   Si vous êtes dans mon Fils bien-aimé, vous êtes en moi, parce que je suis une même chose avec lui, et lui avec moi. En étant avec lui, vous suivrez sa doctrine, et en suivant sa doctrine, vous participerez à la substance du Verbe ; c'est-à-dire vous participerez à la divinité unie à l'humanité, et vous puiserez un amour divin qui enivre l'âme fidèle. En vérité, je vous le dis, vous participerez à la substance de la vigne véritable.

XXIV

Dieu taille les rameaux unis à la vigne véritable. La vigne de chacun est tellement unie à celle du prochain, que personne ne peut cultiver ou endommager la sienne sans cultiver ou endommager celle du prochains

1.     Apprends, ma fille, ma conduite envers mes serviteurs qui sont unis à mon Fils bien-aimé par leur fidélité à suivre sa doctrine. Je les taille pour qu'ils portent beaucoup de fruits, et que ce fruit soit excellent et non pas sauvage. Les rameaux de la vigne sont coupés par le vigneron, pour que le vin soit meilleur et plus abondant ; et les branches qui ne portent pas de fruits sont retranchées et mises au feu. Je ferai de même, moi qui suis le vigneron véritable ; je taille par la tribulation les serviteurs qui sont en moi, afin que leur vertu soit éprouvée et donne des fruits plus abondants et plus parfaits. Ceux qui sont stériles sont retranchés et jetés au feu.

2.      Les vrais ouvriers sont ceux qui cultivent bien leurs âmes ; ils en arrachent l'amour-propre et retournent en moi la terre de leur cœur, pour y nourrir et y développer la semence de la grâce qu'ils ont reçue au saint baptême. En, cultivant leur vigne, ils cultivent celle du prochain ; et ils ne peuvent cultiver l'une sans l'autre ; car, je l'ai dit, tout le bien et le mal se fait par le moyen du prochain. Vous êtes mes ouvriers ; je vous ai choisis ; moi, je suis l'ouvrier éternel et suprême ; et je vous ai unis et greffés à la vigne véritable par l'union que j'ai faite avec vous.

3.     Remarque, ma fille, que toutes les créatures raisonnables ont en elles une vigne naturellement unie à la vigne de leur prochain. Ces vignes sont tellement unies, qu'elles ne peuvent agir sans que le bien ou le mal qu'elles font ne leur soit commun. Vous formez tous la vigne universelle, qui est la société des fidèles unie à la vigne mystique de la sainte Église, où vous puisez la vie.

4.      Dans cette vigne est plantée la vigne de mon Fils unique, sur lequel vous devez être greffés. Si vous ne l'êtes pas, vous êtes rebelles à la sainte Église, et vous êtes comme les membres retranchés qui se corrompent sur-le-champ. Vous avez, il est vrai, le temps pour détruire cette corruption du péché par une contrition véritable et par le secours de mes ministres, qui sont les ouvriers chargés de distribuer le vin, c'est-à-dire le sang sorti de la vigne véritable. Ce sang est si pur et si parfait, qu'aucun défaut de celui qui l'administre ne peut en altérer la vertu.

5.     C'est la charité qui lie les rameaux avec les liens d'une humilité sincère, acquise par la connaissance de soi-même et de moi. Tu vois que je vous ai tous envoyés travailler, et je vous y invite de nouveau, parce que le monde décline, et que les épines s'y sont tellement multipliées, qu'elles étouffent la semence, et que les hommes ne veulent plus porter les fruits de la grâce.

6.      Je veux donc que vous soyez mes ouvriers, et que vous alliez avec zèle travailler aux âmes dans le corps mystique de la sainte Église. Je vous ai choisis pour cela, parce que je veux faire miséricorde au monde, pour lequel tu m'adresses de si ferventes prières.

XXV

L'âme rend grâces à Dieu, et le prie de lui montrer ceux qui passent sur le pont et ceux qui n'y passent pas.

1.     Alors cette âme, dans son ardent amour, s'écriait : O douce et ineffable Charité, qui ne s'enflammerait pas à tant d'amour ? Quel cœur pourrait se défendre d'en être consumé ? O abîme de charité, vous aimez si éperdument vos créatures, qu'il semble que vous ne pouvez vivre sans elles ; et cependant vous êtes notre Dieu, qui n'a pas besoin de nous. Notre bien n'ajoute rien à votre grandeur, car vous êtes immuable ; notre mal ne peut vous atteindre, car vous êtes l'éternelle et souveraine bonté. Qui vous porte donc à tant de miséricorde ? L'amour, et non pas le devoir, ni le besoin que vous avez de nous. Nous ne sommes que des enfants coupables et de mauvais débiteurs.

2.      Oui, je ne m'aveugle pas, ô souveraine Vérité, j'ai fait le mal, et vous êtes puni pour moi ; je vois le Verbe, votre Fils, attaché et cloué à la croix, et vous m'en avez fait un pont, ainsi que vous me l'avez montré à moi votre misérable servante. C'est pour cela que mon cœur se brise, et il ne se brise pas autant que le voudrait l'ardent désir qui m'enflamme pour vous. Je me rappelle que vous vouliez me montrer quels sont ceux qui passent sur ce pont et ceux qui n'y passent pas. Qu'il plaise à votre bonté de le faire. Je serai bienheureuse de le voir et de l'entendre.

XXVI

Le pont a trois degrés, qui sont trois états de l'âme. – Explication de cette parole : « Si je suis élevé de terre, j'attirerai tout à moi ».

1.     Alors le Dieu éternel, afin d'exciter et d'enflammer de plus en plus cette âme pour le salut des hommes, lui répondit : Avant de te montrer ce que je veux te montrer et ce que tu me demandes, je vais te dire comme est fait ce pont. Je t'ai dit qu'il tient du ciel à la terre par l'union que j'ai faite avec l'homme, qui est formé du limon de la terre. Ce pont, qui est mon Fils unique, a trois degrés. Deux furent faits sur le bois de la sainte croix, et le troisième est dans la grande amertume qu'il ressentit lorsqu'il fut abreuvé de fiel et de vinaigre. A ces trois degrés correspondent trois états de l'âme que je t'expliquerai bientôt.

2.      Le premier degré c'est ses pieds, qui signifient I'affection ; les pieds portent le corps, comme l'affection porte l'âme. Ces pieds percés doivent te servir de degrés pour arriver au côté, qui est le second degré où te sera révélé le secret du cœur. car, dès que l'âme s'est élevée à l'affection des pieds, elle commence à goûter l'affection du cœur ; elle fixe l’œil de l'intelligence dans le cœur entrouvert de mon Fils, où elle trouve la perfection de l'amour. Son amour est parfait, car ce n'est pas l'intérêt qui l'inspire. En quoi pouvez-vous lui être utile, puisqu'il est une même chose avec moi ?

3.     Alors l'âme s'emplit d'amour en voyant qu'elle est tant aimée. Elle monte du second degré au troisième, c'est-à-dire à cette bouche pleine de douceur où elle trouve la paix, après la grande guerre qu'avaient causée ses fautes. Le premier degré la détache des affections de la terre et la dépouille du vice ; le second degré la remplit d'amour pour la vertu ; le troisième lui fait goûter la paix.

4.      Ce pont a trois degrés, afin qu'en montant le premier et le second vous puissiez arriver au dernier. Il est élevé, pour que l'eau qui passe ne puisse vous nuire, et qu'il n'y ait en vous aucun poison du péché. Ce pont touche au ciel, et il n'est pourtant pas séparé de la terre. Sais-tu quand il a été élevé ? Au moment où mon Fils a été sur le bois de la très sainte croix, sans que sa nature divine fût séparée de la bassesse de votre humanité. C'est ainsi que, malgré son élévation, il n'a pas été séparé de la terre ; car ses deux natures étaient unies et mêlées ensemble. Personne ne pouvait passer sur ce pont avant qu'il fût élevé en haut ; et c'est pourquoi mon Fils a dit : “Si je suis élevé de terre, j'attirerai tout à moi” (Jn, XII, 32).

5.     Lorsque ma bonté vit que vous ne pouviez être attirés d'une autre manière, j'ordonnai qu'il fût élevé sur l'arbre de la Croix, et que l'humanité fût battue sur cette enclume, pour qu'elle fût délivrée de la mort et revêtue de la vie de la grâce. Mon Fils a attiré toute chose en montrant l'amour ineffable qu'il avait pour vous ; car le cœur de l'homme est toujours attiré par l'amour. Il ne pouvait vous montrer un plus grand amour qu'en donnant sa vie pour vous. Cet amour doit donc faire violence à l'homme, si son aveuglement et son ingratitude n'y mettent pas obstacle. Il a dit que quand il serait élevé de terre il attirerait toute chose à lui, et c'est la vérité.

6.      Ceci-doit s'entendre de deux manières. Premièrement, si l'amour attire le cœur de l'homme, avec lui sont attirées toutes les puissances de l'âme, la mémoire, l'intelligence et la volonté. Dès que ces trois puissances sont unies et assemblées en mon nom, toutes les autres opérations, actuelles et mentales, se fixent et s'unissent en moi par l'effet de l'amour. L'âme s'élève à la suite de l'amour crucifié. Ainsi ma Vérité s'est donc bien exprimée en disant : “Si je suis élevé de terre, j'attirerai tout à moi” ; car, dès qu'il attire le cœur et les puissances de l'âme, il attire tous leurs actes.

7.     Secondement, tout a été créé pour le service de l'homme. Les choses créées ont été faites pour lui être utiles et fournir à ses besoins. La créature raisonnable n'est pas faite pour les choses créées, mais pour moi, afin qu'elle me serve de tout son cœur et de toutes ses forces. Dès que l'homme est attiré, tout est attiré, puisque tout est fait pour lui. Il fallait donc que le pont fût élevé et qu'il eût des degrés, pour que vous puissiez monter plus facilement.

XXVII

Ce pont est bâti de pierres qui signifient les véritables vertus. Ceux qui passent sur le pont vont à la vie, ceux qui passent dessous vont à la mort.

1.     Ce pont est bâti avec des pierres, pour que la pluie n'en intercepte pas le passage. Et quelles sont- ces pierres ? ce sont les vertus sincères et véritables. Ces pierres n'étaient pas réunies avant la Passion de mon Fils ; aussi personne ne pouvait parvenir à sa fin, même en suivant la bonne route. Le ciel n'était pas encore ouvert avec la clef du sang, et la pluie de la justice empêchait de passer. Mais les pierres furent taillées et posées, sur le corps de mon Fils bien-aimé qui est le pont : il les réunit, et, pour les cimenter, il détrempa la chaux avec son sang, c'est-à-dire que le sang fut mêlé à la chaux de la Divinité par-la force et le feu de la charité.

2.      Ma puissance posa les pierres des vertus sur mon Fils, parce que toute vertu est éprouvée en lui ; c'est de lui qu'elle reçoit la vie. Personne ne peut acquérir la vertu qui manifeste la vie de la grâce, si ce n'est par lui, c'est-à-dire s'il ne suit ses traces et sa doctrine. Il a posé les vertus comme les pierres vives de l'édifice ; il les a fortement cimentées avec son sang, afin que tous les fidèles pussent passer sûrement et sans craindre servilement la pluie de la justice divine, parce qu'ils sont abrités par la miséricorde. La mis,éricorde est descendue du ciel dans l'incarnation de mon Fils. Et comment a-t-elle ouvert le ciel ? avec la clef de son sang.

3.     Ainsi, tu le vois, le pont est construit de pierres ; il est abrité par .la miséricorde, et dessus se trouve l'hôtellerie et le jardin de la sainte Église qui distribue le pain de vie et donne à boire le sang précieux, afin que mes créatures qui passent ne défaillent pas dans leur pèlerinage. C'est ma charité qui vous fait distribuer ainsi le sang et le corps de mon Fils bien-aimé, homme et Dieu tout ensemble.

4.      Quand le pont est passé ; on arrive à la porte qui en fait aussi partie ; c'est par elle que tous doivent entrer, car il a dit : “Je suis la voie, la vérité, la vie”. (Jn, XIV, 6). “Qui va par moi ne marche pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie”. (Jn, VIII, 12). Personne ne peut venir à moi si ce n'est par lui. C'est la vérité. Et si tu te le rappelles, je te l'ai montré en te faisant voir la voie. Il a dit qu'il était la voie, et c'est la vérité ; je t'ai fait voir cette voie sous la forme d'un pont. Il a dit qu'il est la vérité, et cela est, car il est uni à moi qui suis la vérité. Celui qui le suit marche par la vérité et la vie ; et celui qui suit cette vérité reçoit la vie de la grâce et ne peut mourir de faim, car la vérité devient sa nourriture.

5.     Il ne peut tomber dans les ténèbres, parce qu'il est la lumière sans aucune erreur. La vérité confond et détruit le mensonge du démon, par qui Ève fut trompée. C'est ce mensonge qui a rompu la voie du ciel, et la vérité l'a réparée et consolidée avec son précieux sang. Ceux qui suivent cette voie sont les fils de la vérité, parce qu'ils suivent la Vérité, et ils passent par la porte de la vérité, et se trouvent unis en moi par mon Fils, qui est la porte, la voie, l'éternelle vérité, la paix infinie.

6.      Celui qui ne suit pas cette voie passe sous le pont, par la route du fleuve, qui n'est pas garnie de pierres et qui est tout inondée ; et parce que l'eau n'a aucune consistance, personne ne peut y marcher sans périr. Cette eau dangereuse est le monde, avec ses plaisirs et ses honneurs.

7.     L'âme n'y place pas ses affections sur la pierre solide, car elle aime d'un amour déréglé les créatures ; elle les aime et les possède hors de moi. Ces choses créées ressemblent à des eaux courantes, l'homme est entraîné comme elles ; il croit que ce sont les choses qu'il aime qui passent, et c'est lui qui va sans cesse vers la mort. Il voudrait se retenir et fixer sa vie dans les choses qu'il aime, mais tout lui échappe par la mort ou par ma providence.

8.      Ceux qui suivent la voie du mensonge sont les fils du démon, qui est, le père du mensonge ; et parce qu'ils passent par la porte du mensonge, ils tombent dans la damnation éternelle. Mais je t'ai montré la vérité et je t'ai montré le mensonge ; ma voie est la vérité, la voie du démon est le mensonge.

XXVIII

Du bonheur de l'âme qui passe sur le pont.

1.     Ce sont les deux voies ; dans l'une et dans l'autre on marche péniblement. Regarde combien l'homme est ignorant et aveugle : il veut passer par le fleuve, et il a une autre route où tout ce qui est amer devient doux, et tout ce qui est pesant devient léger. Au milieu des ténèbres du corps on y trouve la lumière, et ceux qui meurent y acquièrent la vie immortelle, car ils goûtent par l'amour et la lumière de la foi l'éternelle vérité, qui a promis le repos à ceux qui se fatiguent pour moi.

2.      Je suis fidèle, reconnaissant et juste ; je donne à chacun selon ses mérites ; tout bien est récompensé, et tout mal est puni. Le bonheur que possède celui qui suit la voie véritable, la langue ne pourra jamais le raconter, l'oreille l'entendre, et l’œil le contempler, car celui-là possède et goûte déjà le bien qui est préparé pour la vie du ciel.

3.     Qu'il est insensé celui qui méprise un si grand bien et préfère avoir, dés cette vie, un avant-goût de l'enfer, puisqu'il passe par le chemin du monde, où il ne trouve que des fatigues sans repos et sans jouissance, car ses péchés le privent de moi, qui suis le bien éternel et suprême.

4.      Tu as donc bien raison de gémir, et je veux que toi et mes autres serviteurs, vous pleuriez amèrement l'offense qui m'est faite, et que vous ayez compassion de ces pauvres aveugles qui perdent leurs âmes. Tu as vu et entendu comment est fait ce pont, car je t'ai expliqué que mon Fils unique était le moyen qui unit la grandeur de Dieu à la bassesse de l'homme.

XXIX

Ce pont s'est élevé jusqu'au ciel le jour de l'Ascension, sans quitter cependant la terre.

1.     Lorsque mon Fils retourna vers moi, quarante jours après sa résurrection, le pont s'éleva de la terre, c'est-à-dire de la société des hommes. Il monta jusqu'au ciel par la vertu de ma nature divine et se fixa à ma droite, ainsi que l'ange le dit aux disciples le jour de l'Ascension, lorsqu'ils étaient comme morts, parce que leurs cœurs avaient quitté la terre pour le ciel avec la sagesse de mon Fils. Il ne faut pas vous arrêter davantage, leur dit-il, parce que le Seigneur Jésus est monté au ciel, où il est assis à la droite du Père.

2.      Lorsqu'il fut monté vers moi, avec son corps qui ne se sépara jamais de la divinité, j'envoyai aux hommes le grand maître, le Saint-Esprit, qui vint avec ma puissance, avec la sagesse du Fils, et avec sa clémence ; car il est une même chose avec moi le Père et avec mon Fils ; il complète la voie de la doctrine que ma vérité avait laissée dans le monde. Mon Fils n'était pas visible, mais sa doctrine y restait avec les vertus, qui sont les pierres vives fondées sur la doctrine pour former la voie de ce pont doux et glorieux. Il avait travaillé le premier, et ses œuvres avaient tracé la voie ; car il vous a donné sa doctrine plutôt par ses exemples que par ses paroles ; il agit avant de parler.

3.     La clémence du Saint-Esprit confirma cette doctrine en donnant aux disciples la force de confesser la vérité et d'enseigner la voie véritable, c'est-à-dire la doctrine de Jésus crucifié. Il convainquit par leur moyen le monde d'injustices et de faux jugements. Je t'expliquerai bientôt quels sont ces injustices et ces faux jugements.

4.      Je t'ai dit tout ceci afin qu'aucune erreur ne puisse obscurcir l'esprit, et qu'on ne dise pas : Le corps de Jésus-Christ est bien un pont par l'union de la nature divine avec la nature humaine, c'est la vérité ; mais ce pont s'est séparé de nous en montant au ciel. Il était vraiment le chemin, du salut, et il nous enseignait la vérité par ses paroles et ses exemples ; maintenant, que nous est-il resté ? Où trouver la voie ? Je te le dirai pour ceux qui sont tombés dans cet aveuglement. La doctrine de mon Fils a été confirmée par les apôtres, prouvée par le sang des martyrs, illuminée par les docteurs, reconnue par les confesseurs, écrite par les évangélistes ; et tous ces témoins en ont confessé la vérité dans le corps mystique de la sainte Église.

5.     Ils sont comme le flambeau placé sur le chandelier, pour montrer la voie de la vérité qui conduit à la vie dans une parfaite lumière. Non seulement ils l'ont enseignée, mais ils l'ont montrée en eux-mêmes, Chacun est assez éclairé pour connaître la vérité, s'il le veut, et s'il n'étouffe pas la lumière de sa raison par l'amour déréglé de soi-même. Oui, la doctrine de mon Fils, qui est la vérité, est restée dans le monde, comme une barque pour, sauver l'âme des tempêtes de la mer et la conduire au port du salut.

6.      Ainsi j'ai fait d'abord de mon Fils un pont pour le salut du monde, lorsqu'il conversait parmi les hommes ; et lorsque le pont s'est élevé de la terre, il y est cependant resté, car c'est la voie de la doctrine inséparablement unie à ma puissance, à la sagesse du Fils et à la clémence du Saint-Esprit. La puissance donne la vertu de force à celui qui suit la voie ; la sagesse donne la lumière pour connaître la vérité l'Esprit Saint donne l'amour qui chasse l'amour-propre sensuel de l'âme, et n'y laisse que l'amour de la vertu.

7.     Ainsi de toute manière, par lui-même ou par sa doctrine, mon Fils est la voie, la vérité, la vie, le pont qui vous conduit jusqu'au ciel. C'est ce qu'il voulait dire par ces paroles : “Je suis sorti du Père, et je suis venu d'ans le monde, et maintenant je quitte le monde, et je retourne vers le Père” (Jn, XVI, 28), et je viendrai vers vous ; c'est-à-dire, mon Père m'a envoyé vers vous ; et je me suis fait votre pont pour que vous passiez le fleuve, et que vous puissiez arriver à la vie. Et il ajoute : “Je reviendrai vers vous, je ne vous laisserai pas orphelins ; mais je vous enverrai le Consolateur” (Jn, XIV, 18) ; c'est-à-dire, je retourne vers mon Père, et je reviendrai quand le Saint-Esprit, qui est appelé le Consolateur, viendra plus clairement vous montrer que je suis la voie de la vérité, et vous confirmer la doctrine que je vous ai donnée.

8.      II dit qu'il reviendra, et il revient ; car le Saint-Esprit ne vient pas seul, mais il vient avec la puissance du Père, avec la sagesse du Fils, et avec la clémence du Saint-Esprit. Tu vois donc qu'il revient, non pas visiblement, mais par sa vertu. Il fortifie la route de la doctrine, et cette route ne peut être détruite ou fermée à celui qui veut la suivre, parce qu'elle est sûre et solide, et qu'elle vient de moi, qui suis immuable. Vous devez donc suivre cette route avec courage et sans hésitation, puisque vous êtes éclairés par la lumière de la foi, dont vous a revêtus le saint baptême.

9.     Ainsi je t'ai clairement montré que le pont et la doctrine sont une même chose ; et j'ai fait connaître aux ignorants Celui qui a ouvert cette voie de vérité et ceux qui l'enseignent. J'ai dit que c'étaient les apôtres, les évangélistes, les martyrs, les confesseurs, les saints docteurs, placés comme des lampes dans l'Église. Je t'ai expliqué comment mon Fils, en venant à moi, est retourné à vous, non pas visiblement, mais virtuellement, lorsque le Saint-Esprit descendit sur les disciples. Il ne retournera visiblement qu'au dernier jour du jugement, lorsqu'il viendra avec ma majesté et ma puissance pour juger le monde, lorsqu'il glorifiera les bons et récompensera les fatigues de leur âme et de leur corps, tandis qu'il punira d'une peine éternelle ceux qui auront commis le mal pendant leur vie.

10.    Maintenant je veux remplir ma promesse et te montrer ceux qui marchent imparfaitement, ceux qui marchent parfaitement et ceux qui avancent avec une plus grande perfection ; comment ils marchent, et comment les méchants se noient dans le fleuve et tombent par leur faute dans les supplices et les tourments.

11.   Je vous conjure, mes fils bien-aimés, de passer sur le pont et non pas dessous, car ce n'est pas la voie de la vérité, mais celle du mensonge, que suivent les pécheurs dont je te parlerai ; c'est pour les pécheurs que je vous conjure de m'adresser des prières, c'est pour eux que je réclame vos larmes et vos sueurs, afin qu'ils reçoivent de moi miséricorde.

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XXX

L'âme, pleine d'admiration pour la miséricorde de Dieu, célèbre les dons et les grâces qu'en a reçu le genre humain.

1.     Alors cette âme, ivre d'amour, ne pouvait plus se contenir, et elle disait en présence de Dieu : O éternelle Miséricorde, qui couvrez toutes les fautes de vos créatures, je ne m'étonne plus si vous dites à ceux qui sortent du péché mortel et qui retournent à vous : Je ne me rappellerai pas vos offenses. O Miséricorde ineffable, je ne m'étonne plus si vous dites à ceux qui sortent du péché, puisque vous dites de ceux qui vous persécutent : Je veux que vous me priiez pour eux afin de pouvoir leur faire miséricorde.

2.      O Miséricorde, qui venez du Père, et qui gouvernez par votre puissance l'univers tout entier ! O Dieu, c'est votre miséricorde qui nous a créés, qui nous a régénérés dans le sang de votre Fils ; c'est votre miséricorde qui nous conserve ; votre miséricorde a fait lutter votre Fils sur le bois de la croix. Oui, la mort a lutté contre la vie, la vie contre la mort. La vie a vaincu la mort du péché, et la mort du péché a ravi la vie corporelle de l'innocent Agneau. Qui est resté vaincu ? la mort. Et quelle en fut la cause ? votre miséricorde.

3.     Votre miséricorde donne la vie ; elle donne la lumière qui fait connaître votre clémence en toute créature, dans les justes et dans les pécheurs. Votre miséricorde brille au plus haut des cieux, dans vos saints ; et si je regarde sur la terre, votre miséricorde y abonde. Votre miséricorde luit même dans les ténèbres de l'enfer, car vous ne donnez pas aux damnés tous les tourments qu'ils méritent.

4.      Votre miséricorde adoucit votre justice ; par miséricorde, vous nous avez purifiés dans le sang de votre Fils ; par miséricorde, vous avez voulu habiter avec vos créatures à force d'amour. Ce n'était pas assez de vous incarner, vous avez voulu mourir ; ce n'était pas assez de mourir, vous avez voulu descendre aux enfers et délivrer les saints, pour accomplir en eux votre vérité et votre miséricorde. Votre bonté a promis de récompenser ceux qui vous servaient fidèlement, et vous êtes descendu aux limbes pour tirer de peine ceux qui vous avaient servi, et leur rendre le fruit de leurs travaux.

5.     Votre miséricorde vous a forcé à faire encore davantage pour l'homme : vous vous êtes donné en nourriture, afin que nous ayons un secours dans notre faiblesse, et que, malgré notre oublieuse ignorance, nous ne perdions pas le souvenir de vos bienfaits ; tous les jours vous vous offrez à l'homme dans le Sacrement de l'autel, dans le corps mystique de la sainte Église. Et qui a fait cela ? votre miséricorde. O Miséricorde, le cœur s'enflamme en pensant à vous ; de quelque côté que je me tourne, je ne trouve que miséricorde, O Père éternel, pardonnez à mon ignorance qui ose parler devant vous ; mais l'amour de votre miséricorde me servira d'excuse auprès de votre bonté.

XXXI

De l'indignité de ceux qui passent par le fleuve. L'âme qui suit cette route est un arbre de mort, dont les racines tiennent à quatre vices principaux.

1.- Lorsque cette âme eut un peu, par ces paroles, dilaté son cœur dans la miséricorde divine, elle attendit humblement l'accomplissement de la promesse qui lui avait été faite, et Dieu continua de la sorte : Ma fille bien-aimée, tu as parlé devant moi de ma miséricorde, parce que je te l'ai fait goûter et voir en te disant : “C'est pour ceux qui m'offensent que je vous demande de m'adresser vos prières”. Mais sois persuadée que, sans aucune comparaison, ma miséricorde est beaucoup plus grande envers vous que tu ne peux le voir ; car ta vue est imparfaite et finie, tandis que ma miséricorde est infinie et parfaite. Il y a donc entre ton appréciation et la réalité toute la distance du fini à l'infini.

2.      J'ai voulu te faire connaître cette miséricorde et aussi la dignité de l'homme, que je t'ai déjà expliquée, afin de te faire mieux comprendre la méchanceté et l'indignité des pécheurs qui passent par la route inférieure. Ouvre donc l’œil de ton intelligence, et regarde ceux qui se noient volontairement dans le fleuve du monde ; vois l'abîme où ils tombent par leur faute.

3.     Ils sont devenus d'abord infirmes et malades, parce que, dès qu'ils conçoivent le péché mortel dans leur âme et qu'ils l'enfantent par leurs oeuvres, ils perdent la vie de la grâce : et comme les morts sont insensibles et n'ont d'autre mouvement que ceux qui leur viennent de l'extérieur, ceux qui sont noyés dans le fleuve de l'amour déréglé du monde sont morts à la grâce ; et parce qu'ils sont morts, leur mémoire perd le souvenir de ma miséricorde ; l’œil de leur intelligence ne voit plus, ne reconnaît plus ma vérité ; car la sensibilité est détruite, et l'intelligence est livrée à la mort de l'amour des sens. Leur volonté aussi est morte à ma volonté, parce qu'elle n'aime que des choses mortes, Les trois puissances de l'âme étant mortes, toutes leurs opérations actuelles et mentales sont mortes, quant à la grâce ; l'âme ne peut se défendre de ses ennemis et n'échappe qu'autant que je la secoure moi-même.

4.      Toutes les fois, il est vrai, que ce mort, en qui reste encore le libre arbitre, demandera mon secours pendant sa vie mortelle, il pourra l'obtenir, mais il ne pourra rien par lui-même. Il est cause de son impuissance ; il a voulu asservir le monde, et il a été asservi, par une chose qui n'est pas, c'est-à-dire par le péché ; car le péché n'est rien que la privation de la grâce, comme l'aveuglement est la privation de la lumière. Ceux qui le commettent sont esclaves du péché. Je les avais faits des arbres d'amour par la vie de la grâce, et ils se sont faits des arbres de mort ; car ils sont morts, comme je te l'ai dit.

5.     Sais-tu où est la racine de cet arbre ? Dans l'élévation de l'orgueil, qu'entretient l'amour-propre. La moelle est l'impatience, dont le fils est l'aveuglement. Ce sont ces quatre vices qui tuent l'âme de celui qui est devenu un arbre de mort, parce qu'il n'a pas puisé la vie dans la grâce ; à l'intérieur de l'arbre se nourrit le ver de la conscience, que l'homme vivant dans le péché sent bien peu, parce qu'il est aveuglé par l'amour-propre. Les fruits de cet arbre sont mortels, car ils ont tiré la sève de la racine empoisonnée de l'orgueil.

6.      La pauvre âme est pleine d'ingratitude, et de là vient tout le mal. Si elle était reconnaissante des bienfaits reçus, elle me connaîtrait ; si elle me connaissait, elle se connaîtrait elle-même et resterait dans mon amour ; mais elle est si aveugle, qu'elle veut se fixer sur ce fleuve, sans s'apercevoir que cette eau qui passe ne peut la soutenir.

XXXII

Les fruits de cet arbre sont aussi variés que les péchés ; et d'abord du péché de la chair.

1.     Cet arbre donne autant de fruits empoisonnés qu'il y a de sortes de péchés. Il y en a qui servent de pâture aux animaux immondes : ce sont ceux que commettent ces hommes qui abusent de leur esprit et de leur corps ; ils se vautrent dans la boue de la chair, comme les pourceaux dans la fange. O âme abrutie, qu'as-tu fait de ta dignité ? tu as été faite la sœur des anges, et tu es devenue une brute grossière ! Ces pécheurs sont tombés si bas, que non seulement moi, qui suis la pureté suprême, je ne puis les souffrir, mais que les démons, dont ils se sont faits les amis et les serviteurs, ne peuvent les regarder commettre leur impureté.

2.      Aucun péché n'est plus abominable et ne détruit plus la lumière de l'intelligence. Les philosophes eux-mêmes le savaient, non par la lumière de la grâce qu'ils n'avaient pas, mais par celle que la nature leur donnait ; et comme ils comprenaient que ce péché obscurcissait l'intelligence, ils gardaient la continence afin de pouvoir mieux étudier. Ils jetaient aussi les richesses loin d'eux, pour que le souci des richesses ne troublât pas leur cœur. Ce n'est pas ce que fait l'aveugle et faux chrétien, qui a perdu la grâce par sa faute.

XXXIII

De l'avarice et des maux qui en procèdent.

1.     Le fruit de quelques autres pécheurs est de terre : c'est celui des avides et des avares, qui, comme la taupe, vivent dans la terre jusqu'à la mort, et n'ont aucun secours quand ils sont arrivés à leur dernier instant ; leur avarice insulte ma richesse en vendant au prochain le temps qui ne leur appartient pas. Ces usuriers tourmentent et volent leur prochain, parce que leur mémoire ne garde pas le souvenir de ma miséricorde : ils ne seraient pas sans cela si cruels envers eux et envers les autres ; ils auraient de la compassion et de la miséricorde pour eux-mêmes en pratiquant la vertu, et pour le prochain en le secourant par l'aumône. Oh ! combien de maux viennent de ce péché maudit ! combien d'homicides, de vols, de fourberies, de gains illicites, de coups mortels et d'injustices ! Ce péché tue l'âme, et la rend tellement esclave des richesses, qu'elle ne songe plus à observer mes commandements ; l'avare n'aime personne, si ce n'est par intérêt.

2.      Ce vice procède de l'orgueil et nourrit l'orgueil ; l'un vient de l'autre, parce que l'avarice entraîne toujours le désir de paraître, qui s'unit sur-le-champ à l'orgueil ; et le mal augmente, parce que l'orgueil est plein d'estime de lui-même. Alors s'allume un feu qui donne la fumée de la vaine gloire et la vanité du cœur qui se glorifie de ce qui ne lui appartient pas. C'est une racine qui a plusieurs rameaux : le principal est l'estime de soi, d'où sort l'ambition d'être plus grand que les autres ; et alors le cœur, au lieu d'être sincère et généreux, devient hypocrite et menteur. La langue dit autre chose que ce qu'il renferme ; elle cache la vérité et invente le mensonge quand son intérêt le demande. Ce vice produit aussi l'envie, ce ver qui ronge toujours et que ne peuvent rassasier les biens de l'avare et les biens des autres.

3.     Comment ces méchants tombés si bas donneraient-ils leurs richesses aux pauvres, puisqu'ils volent leur prochain ? Comment sauveraient-ils leur âme souillée, puisqu'ils la traînent dans la fange ? Quelquefois ils s'abrutissent tellement, qu'ils ne regardent plus leurs enfants et leurs familles qu'ils laissent dans la misère. Cependant ma miséricorde les supporte et ne commande pas à la terre de les engloutir, pour qu'ils puissent reconnaître leurs fautes. Comment donneraient-ils leur vie pour le salut des âmes, puisqu'ils ne donnent pas même leur argent ? Comment aimeraient-ils leurs frères, puisqu'ils sont rongés d'envie ?

4.      O vice misérable qui abaisse et détruit le ciel de l'âme! oui, je dis le ciel, car j'ai fait de l'âme un ciel où j'habite par ma grâce, où je me cache, où je me plais à résider par l'amour ; et l'âme se sépare de moi comme une adultère ; elle s'aime, elle aime les créatures et les choses créées plus que moi ; elle fait d'elle un dieu et me poursuit de ses nombreux péchés, et tout cela parce qu'elle oublie le bienfait de ce sang de mon Fils répandu avec tant d'amour.

XXXIV

De ceux qui ont la puissance, et des injustices qu'ils commettent.

1.     Il y en a qui sont fiers de leur puissance et qui affichent l'injustice. Ils sont injustes envers moi, envers le prochain, envers eux-mêmes : injustes envers eux, car ils n'acquièrent pas la vertu qu'ils devraient avoir ; injustes envers moi, car ils ne me rendent pas l'honneur qui m'est dû en ne louant pas, ne glorifiant pas mon nom comme ils devraient le faire. Ils prennent comme des voleurs ce qui m'appartient pour le donner aux sens, qui sont faits pour les servir. Ils commettent l'injustice envers moi et envers eux-mêmes, parce qu'ils ne me connaissent pas en eux, tant ils sont aveuglés par leur ignorance et leur amour-propre.

2.      Ainsi firent les Juifs et les Pharisiens, qu'aveuglèrent tellement l'amour-propre et l'envie, qu'ils méconnurent mon Fils unique, et qu'ils ne rendirent pas hommage à l'éternelle Vérité descendue parmi eux, comme elle disait elle-même : Le royaume de Dieu est au milieu de vous (Lc, XVII, 21). Ils ne le reconnaissent pas parce qu'ils avaient perdu la lumière de la raison ; et alors ils ne rendaient pas l'honneur et la gloire qui sont dus à moi et à mon Fils qui est avec moi une même chose. Dans leur aveuglement ils furent injustes, en poursuivant d'opprobres mon Fils jusqu'à la mort ignominieuse de la croix. De même ces hommes sont injustes envers eux, envers moi, et aussi envers le prochain, en vendant le sang de ceux qui sont soumis à leur puissance.

XXXV

Les vices conduisent aux faux jugements.

1.     Leur égarement les fait tomber dans, de faux jugements, comme je te l'expliquerai bientôt. Ils se scandalisent de mes œuvres, qui toutes sont justes et véritablement inspirées par l'amour et la miséricorde. Ce sont ces faux jugements et le venin de l'orgueil et de l'envie, qui firent calomnier et juger injustement les œuvres de mon Fils bien-aimé. Ces Juifs menteurs disaient : “Celui-ci agit par la puissance de Béelzébut” (Mt., XII, 24) ; de même les méchants égarés dans l'amour-propre, l'impureté, l'orgueil, l'avarice et l'envie, perdus par l'ignorance, par l'impatience et par tous les péchés qu'ils commettent, se scandalisent de moi et de mes serviteurs. Ils jugent la vertu une hypocrisie, parce que leur cœur est corrompu et leur goût vicié. Ils trouvent mauvaises les choses bonnes, et bonnes les choses mauvaises, c'est-à-dire, les dérèglements de la vie.

2.      O aveuglement de l'homme, qui ne voit pas sa dignité ! De grand tu te fais petit ; de maître, tu deviens esclave de la plus vile puissance qu'on puisse trouver, puisque tu te fais serviteur et esclave du péché, et que tu deviens semblable à ce que tu sers. Le pêché est un néant ; tu retournes au néant, tu quittes la vie, tu te donnes la mort.

3.     La vie et la puissance vous ont été données par le Verbe, mon Fils unique : vous étiez les esclaves du démon, et il vous a délivrés de sa servitude. Il s'est fait esclave pour vous affranchir ; il a embrassé l'obéissance d'Adam, et il s'est humilié jusqu'à l'opprobre de la croix pour confondre l'orgueil ; il a vaincu tous les vices par sa mort, et personne ne peut dire : Ce vice est resté impuni ; car tout vice a été frappé sur son corps, qui a servi d'enclume à ma justice.

4.      Tous les remèdes sont donnés à ces hommes pour éviter la mort éternelle, et ils méprisent ce sang précieux ; ils le foulent aux pieds de leur amour déréglé. C'est là l'injustice et le faux jugement dont le monde sera convaincu au dernier jour du jugement. C'est ce que signifiait cette parole de ma Vérité : “J'enverrai le Consolateur, qui convaincra le monde d'injustice et de faux jugement” ; et il en fut en effet convaincu, lorsque j'envoyai le Saint-Esprit sur les Apôtres.

XXXVI

Explication de cette parole de Jésus-Christ : “J'enverrai le Consolateur, qui convaincra le monde d'injustice et de faux jugements” (Jn, VI, 8).

1.     Il y a trois condamnations qui confondent le monde. La première fut portée quand le Saint-Esprit descendit sur les Apôtres, et qu'ils le reçurent dans sa plénitude, fortifiés par ma puissance et illuminés par la sagesse de mon Fils bien-aimé. Alors le Saint-Esprit, qui est une même chose avec moi et avec mon Fils, accusa le monde par la bouche des disciples avec la doctrine de ma Vérité. Les disciples et ceux qui leur ont succédé, en suivant la vérité qu'ils en avaient reçue, accusèrent aussi le monde ; et cette accusation est permanente. J'accuse le monde par le moyen de la sainte Écriture et de mes serviteurs, sur la langue desquels je mets l'Esprit Saint lorsqu'ils annoncent ma vérité, comme le démon se met sur la langue de ses serviteurs qui suivent les flots du monde. Mais cette accusation n'est qu'un doux reproche, inspiré par l'ardent amour que j'ai pour le salut des âmes.

2.      Personne ne peut dire : Je n'ai pas été enseigné et repris, car la vérité a fait discerner le vice et la vertu. J'ai révélé la récompense de la vertu et le châtiment du vice, pour inspirer de bons désirs et une crainte salutaire, pour faire aimer la vertu et détester le vice. La vérité n'a pas été enseignée par un ange, pour qu'on ne dise pas : Un ange est un esprit bienheureux qui ne peut pécher, et qui ne sent pas comme nous les attaques de la chair, et le fardeau du corps.

3.     Cette excuse n'est pas possible, car ma Vérité s'est revêtue d'une chair comme la vôtre. Et voyez ceux qui ont suivi mon Verbe, n'étaient-ils pas des hommes mortels et passibles comme vous ? n'éprouvaient-ils pas des révoltes de la chair contre l'esprit ? Mon héraut, le glorieux saint Paul, et tant d'autres saints, n'ont-ils pas eu à combattre ainsi d'une manière ou d'une autre ?

4.      J'ai permis, et je permets ces passions, pour accroître la grâce et augmenter la vertu dans les âmes. Les saints sont nés sous la loi du péché comme vous ; ils se sont nourris de la même nourriture, et je suis le même Dieu que j'étais alors. Ma puissance n'a pas faibli et ne peut faiblir ; je puis et je veux assister ceux qui réclament mon assistance. L'homme veut que je l'assiste, quand il quitte le fleuve du monde et va sur le pont de ma Vérité en suivant ma doctrine.

5.     Il n'y a donc pas d'excuse, puisque l'homme est prévenu et que la vérité lui est continuellement montrée. S'il ne se corrige pas quand il est temps encore, il sera condamné au second jugement. Au moment de la mort, lorsque ma justice criera : “Levez-vous, morts, venez au jugement”, c'est-à-dire : Vous qui êtes morts à la grâce et qui allez mourir à la vie, levez-vous, et venez devant le Juge suprême avec vos injustices et vos faux jugements, avec cette lumière éteinte de la foi, qu'avait allumée en vous le baptême, et qu'ont étouffée l'orgueil et les vanités, du cœur. Vous avez tendu votre voile à tous les vents contraires à votre salut ; le souffle de la flatterie a enflé le voile de l'amour-propre et vous avez descendu le fleuve des délices et des honneurs du monde, en suivant volontairement les faiblesses de la chair et les tentations du démon. Le démon, aidé par votre volonté, vous a menés par sa route d'en bas dans les eaux courantes, qui vous ont entraînés avec lui dans la damnation éternelle.

XXXVII

De la seconde condamnation, où l'homme est convaincu d'injustice et de faux jugements.

1.     Cette seconde condamnation a lieu, ma très chère fille, dans le moment suprême, où il n'y a plus de ressource. Quand paraît la mort, et que l'homme voit qu'il ne peut m'échapper, le ver de la conscience, engourdi par l'amour-propre, commence à se réveiller et à ronger l'âme, en la jugeant et en lui montrant l'abîme où elle va tomber par sa faute. Si l'âme alors avait assez de lumières pour connaître et pleurer sa faute, non pas à cause de la peine de l'enfer qui la menace, mais à cause de moi qu'elle a offensé, moi qui suis l'éternelle et souveraine bonté, l'âme trouverait encore miséricorde. Mais si elle passe cette limite de la mort sans ouvrir les yeux, sans espérer dans le sang de mon Fils, avec le seul remords de la conscience et le regret de son malheur, et non pas celui de mon offense, elle tombe dans la damnation éternelle.

2.      Alors elle est jugée rigoureusement par ma justice, et convaincue d'injustice et d'erreur : non seulement d'injustice et d'erreur générales parce qu'elle a suivi les-sentiers coupables du monde, mais d'injustice et d'erreur particulières, parce qu'à son dernier moment, elle aura jugé sa misère plus grande que ma miséricorde. C'est là le péché qui ne se pardonne ni en ce monde ni en l'autre. Elle a repoussé, méprisé ma miséricorde ; et ce péché est plus grand que tous ceux qu'elle a commis. Le désespoir de Judas m'a plus offensé et a été plus pénible à mon Fils que sa trahison même. L'homme est surtout condamné pour avoir faussement jugé son péché plus grand que ma miséricorde ; c'est pour cela qu'il est puni et torturé avec les démons éternellement.

3.     L'homme est convaincu d'injustice parce qu'il regrette plus son malheur que mon offense, car il est injuste en ne faisant pas ce qu'il me doit et ce qu'il se doit à lui-même. Il me doit l'amour et les larmes amères de son cœur pour l'injure qu'il m'a faite, et loin de me les offrir, il pleure, seulement par amour pour lui-même, la peine qu'il a méritée. Tu vois donc qu'il est coupable d'injustice et d'erreur, et qu'il est puni de l'une et de l'autre. Il a méprisé ma miséricorde, et ma justice le livre aux supplices avec ses sens et avec le démon, le cruel tyran dont il s'est rendu l'esclave par ces sens, qui devaient le servir, Ils seront tourmentés ensemble comme ils ont péché ensemble l'homme sera tourmenté par mes ministres, les démons, que ma justice a chargés de torturer ceux qui font le mal.

XXXVIII

Des quatre principaux supplices des damnés, auxquels se rapportent tous les autres.

1.     Ma fille, ma langue ne pourra jamais dire ce que souffrent ces pauvres âmes. Il y a trois vices principaux l'amour-propre, l'estime de soi-même et l'orgueil, qui en découle, avec toutes ses injustices, ses cruautés, ses débauches et ses excès ; il y a aussi dans l'enfer quatre supplices qui surpassent tous les autres : le damné est d'abord privé de ma vision, et cette peine est si grande, que, s'il était possible, il aimerait mieux souffrir le feu et les autres tourments, et me voir, qu'être exempt de toute souffrance et ne pas me voir.

2.      Cette peine en produit une seconde, qui est le ver de la conscience qui la ronge sans cesse. Le damné voit que, par sa faute, il s'est privé de ma vue et de la société des anges, et qu'il s'est rendu digne de la société et de la vue du démon.

3.     Cette vue du démon est la troisième peine, et cette peine double son malheur. Les saints trouvent leur bonheur éternel dans ma vision ; ils y goûtent dans la joie la récompense des épreuves qu'ils ont supportées avec tant d'amour pour moi et tant de mépris pour eux-mêmes. Ces infortunés, au contraire, trouvent sans cesse leur supplice dans la vision du démon, parce qu'en le voyant ils se connaissent et comprennent ce qu'ils ont mérité par leurs fautes. Alors le ver de la conscience les ronge plus cruellement et les dévore comme un feu insatiable. Ce qui rend cette peine terrible, c'est qu'ils voient le démon dans sa réalité ; et sa figure est si affreuse, que l'imagination de l'homme ne pourrait jamais le concevoir.

4.      Tu dois te rappeler que je te le montrai un seul instant au milieu des flammes, et que cet instant fut si pénible, que tu aurais préféré, en revenant à toi, marcher dans le feu jusqu'au jugement dernier plutôt que de le revoir ; et cependant ce que tu en as vu ne peut te faire comprendre combien il est horrible, car la justice divine le montre bien plus horrible encore à l'âme qui est séparée de moi, et cette peine est proportionnée à la grandeur de sa faute.

5.     Le quatrième supplice de l'enfer est le feu. Ce feu brûle et ne consume pas, parce que l'âme, qui est incorporelle, ne peut être consumée par le feu comme la matière ; ma justice veut que ce feu la brûle et la torture sans la détruire, et ce supplice est en rapport avec la diversité et la gravité de ses fautes.

6.      Ces quatre principaux tourments sont accompagnés de beaucoup d'autres, tels que le froid, le chaud et les grincements de dents. Voilà comment seront punis ceux qui, après avoir été convaincus d'injustice et d'erreur pendant, leur vie, ne se seront pas convertis et n'auront pas voulu, à l'heure de leur mort, espérer en moi et pleurer l'offense qu'ils m'avaient faite plus que la peine qu'ils avaient méritée.

XXXIX

De la troisième condamnation, qui aura lieu au jour du jugement.

1.     Il me reste à te parler de la troisième condamnation, qui aura lieu au dernier jour du jugement. Je t'ai parlé des deux autres, mais tu verras mieux, en connaissant la troisième, à quel point l'homme se trompe. Le jugement général renouvellera et augmentera le supplice de cette pauvre âme par la réunion de son corps, qui lui causera une confusion, une honte insupportable. Lorsqu'au dernier jour, le Verbe, mon Fils, viendra dans ma majesté juger le monde avec sa justice divine, il n'apparaîtra pas dans sa faiblesse, comme quand il naquit dans le sein d'une vierge, dans une étable, parmi des animaux, et mourut entre deux voleurs.

2.      Alors je cachais ma puissance en lui ; je le laissai souffrir et mourir comme homme, sans que la nature divine fût séparée de la nature humaine, afin qu'il pût satisfaire pour vous. Il ne viendra pas ainsi au dernier jour ; il viendra juger dans toute sa puissance et sa personnalité ; toute créature sera dans l'épouvante, et il rendra à chacun ce qui lui est dû.

3.     Les malheureux damnés éprouveront à son aspect un tel supplice, une si grande terreur, que des paroles ne pourraient jamais l'exprimer ; les justes éprouveront une crainte respectueuse mêlée d'une grande joie, Le visage du juge ne changera pas, parce qu'il est immuable ; selon la nature divine, il est une même chose avec moi ; et selon la nature humaine, il est immuable encore, car il a revêtu la gloire de la résurrection. Mais le réprouvé ne le verra que d'un œil ténébreux et vicié. L’œil malade qui regarde la lumière du soleil n'y voit que ténèbres, tandis que l’œil sain en admire la splendeur. Ce n'est pas la faute du soleil, qui ne change pas plus pour l'aveugle que pour celui qui voit, mais c'est la faute de l’œil qui est malade. De même les damnés verront mon Fils dans les ténèbres, la confusion et la haine. Ce sera leur faute et non celle de la majesté divine avec laquelle il viendra juger le monde.

XL

Les damnés ne peuvent vouloir ni désirer aucun bien.

1.     La haine des damnés est telle, qu'ils ne peuvent vouloir ni désirer aucun bien, mais ils blasphèment sans cesse contre moi. Pourquoi ne peuvent-ils désirer aucun bien ? parce qu'avec la vie de l'homme finit l'usage de son libre arbitre ; il a perdu le temps qu'il avait pour pouvoir mériter. Quand, par le péché mortel, on meurt dans la haine, la justice divine enchaîne pour toujours à la haine l'âme, qui reste éternellement obstinée dans le mal qu'elle a commis, se dévorant elle-même et augmentant sa peine des peines de ceux dont elle a causé la damnation.

2.      Le mauvais riche demandait en grâce que Lazare allât trouver ses frères qui étaient restés dans Je monde pour leur annoncer son supplice (Lc, XVI, 27-28). Ce n'était pas par charité qu'il le faisait, ni par compassion pour ses frères, puisqu'il était privé de charité et qu'il ne pouvait. désirer rien d'utile à mon honneur et au salut des autres. Je t'ai dit que les damnés ne peuvent vouloir aucun bien à leur prochain, et qu'ils me blasphèment, parce que leur vie a fini dans la haine de Dieu et de la vertu.

3.     Pourquoi la demande du mauvais riche ? Il la faisait parce qu'il avait été le plus grand parmi ses frères et qu'il leur avait fait partager les iniquités de sa vie. Il était ainsi cause de leur damnation, et il craignait de voir augmenter sa peine, leurs tourments devant s'ajouter aux siens ; car ceux qui meurent dans la haine se dévorent éternellement entre eux dans la haine.

XLI

De la gloire des Bienheureux.

1.     De même l'âme juste qui termine sa vie dans la charité est éternellement liée à l'amour. Elle ne peut plus croître en vertu parce que le temps est passé, mais elle peut toujours aimer avec l'ardeur qu'elle a eue pour venir à moi, et c'est cette ardeur qui est la mesure de sa félicité. Toujours elle me désire, toujours elle aime, et son désir n'est pas trompé : elle a faim et elle est rassasiée, elle est rassasiée et elle a faim, sans jamais éprouver l'ennui de- la satiété ni la peine de la faim.

2.      Les élus de l'amour jouissent de mon éternelle vision ; ils participent au bien que j'ai en moi-même, chacun selon sa mesure, et cette mesure est l'amour qu'ils avaient en venant à moi. Parce qu'ils ont eu ma charité et celle du prochain, et qu'ils sont unis ensemble par une charité générale et particulière qui vient du même principe, ils jouissent et participent par la charité au- bien de chacun, et ce bonheur s'ajoute au bonheur universel qu'ils ont tous ensemble ; ils jouissent avec les anges, parmi lesquels les saints sont placés selon les différentes vertus qu'ils ont eues dans le monde avant d'être liés dans les liens de la charité.

3.     Ils participent surtout d'une manière particulière au bonheur de ceux qu'ils aimaient plus étroitement sur terre. Cet amour était un moyen d'augmenter en eux la vertu ; ils étaient les uns pour les autres des occasions de glorifier mon nom en eux et dans leur prochain, et comme l'amour qui les unissait n'est pas détruit dans le ciel, ils en jouissent avec plus d'abondance, et cet amour augmente leur bonheur.

4.      Ne crois pas que les élus jouissent seuls, de leur bonheur particulier ; il est partagé par tous les heureux habitants du ciel, par les anges et par mes enfants bien-aimés. Dès qu'une âme parvient à la vie éternelle, tous participent au bonheur de cette âme, et cette âme participe au bonheur de tous. La coupe de leur bonheur ne s'agrandit pas et elle n'a pas besoin d'être remplie, car elle est pleine et ne peut plus dilater ses bords ; mais leur joie, leur félicité, leur ivresse s'augmentent à la vue de cette âme ; ils voient que ma miséricorde l'a sauvée de la terre par la plénitude de la grâce, et ils se réjouissent en moi du bonheur que cette âme a reçu de ma bonté.

5.     Cette âme est heureuse en moi, dans les âmes et dans les esprits bienheureux, parce qu'elle voit et goûte en eux la bonté et la douceur de ma charité. Leurs désirs s'élèvent toujours vers moi pour le salut du monde ; leur vie a fini dans l'amour du prochain, et cet amour ne les a pas quittés ; ils ont passé avec lui par la porte de mon Fils Bien-aimé, en prenant le moyen dont je te parlerai bientôt. Remarque qu'ils conservent et conserveront ce lien de l'amour, que n'a pas brisé la mort.

6.      Ils sont unis à ma volonté, et ils ne peuvent vouloir que ce que je veux, parce que leur libre arbitre est enchaîné par la charité, de sorte que la créature raisonnable qui se sépare du temps et meurt en état de grâce un peut plus pécher. Sa volonté est si unie à la mienne, qu'en voyant un père, une mère, un fils dans l'enfer, — elle ne peut en souffrir : elle est même heureuse de les voir punis, parce que ce sont mes ennemis ; elle ne peut être en désaccord avec moi en la moindre chose, et tous ses désirs sont satisfaits.

7.     Le désir des bienheureux est de me voir honoré en vous, pèlerins voyageurs qui précipitez sans cesse vos pas vers la mort. Le désir de ma gloire leur fait désirer votre salut, qu'ils me demandent toujours pour vous. Je satisfais ce désir, pourvu que dans votre aveuglement vous ne résistiez pas à ma miséricorde. Ils désirent aussi avoir la récompense de leurs corps, et ce désir n'est pas une peine quoiqu'il ne soit pas satisfait sur-le-champ, parce qu'ils jouissent de la certitude qu'il le sera un jour ; et ils ne souffrent pas d'attendre, car rien ne manque à leur félicité.

8.      Ne crois pas que la béatitude du corps, après la résurrection, ajoute à la béatitude de l'âme ; car il s'ensuivrait que tant qu'elle n'aurait pas son corps, l'âme n'aurait qu'une béatitude imparfaite, ce qui ne peut être, parce que rien ne manque à sa perfection. Ce n'est pas le corps qui donne la béatitude à l'âme, mais c'est l'âme qui donne la béatitude au corps ; elle l'enrichira de son abondance, lorsqu'au jour du jugement, elle se revêtira de la chair dont elle s'était séparée.

9.     L'âme est devenue immortelle et immuable en moi ; le corps, par cette union, deviendra immortel ; il perdra sa pesanteur et sera subtil et léger. Le corps glorifié passera à travers tous les obstacles et ne craindra ni l'eau ni le feu, non par sa vertu, mais par la vertu de l'âme, qui est ma vertu communiquée par la grâce et par cet amour ineffable avec lequel je l'ai créée à mon image et à ma ressemblance. Non, l’œil de ton intelligence ne peut voir, l'oreille entendre, la langue raconter et le cœur comprendre la félicité des bienheureux.

10.    Quel bonheur ils ont de me voir, moi qui suis le souverain bien ! Quel bonheur ils auront quand leur corps sera glorifié ! Ils n'en jouiront qu'au jugement dernier, mais ils ne souffrent pas d'attendre, parce que rien ne manque à la béatitude dont l'âme déborde et qu'elle épanchera sur son corps.

11.   Que te dire de cette joie ineffable des corps glorifiés dans l'humanité glorifiée de mon Fils unique, qui vous a donné la certitude de votre résurrection ! Ils tressailliront dans ses plaies, qui sont restées fraîches et ouvertes sur son corps, afin de crier sans cesse miséricorde pour vous, vers moi le Père éternel et souverain ; et tous seront conformes à lui dans la joie et l'allégresse. Oui, par vos yeux, vos mains, votre corps tout entier, vous serez unis aux yeux, aux mains, au corps de l'aimable Verbe, mon Fils bien-aimé. Étant en moi, vous serez en lui, parce qu'il est une même chose avec moi. L’œil de votre corps se dilatera dans l'humanité glorifiée du Verbe mon Fils unique : pourquoi ? parce que la vie qui finit dans les liens de ma charité durera éternellement.

12.    Les bienheureux ne peuvent faire aucun bien, mais ils jouissent de celui qu'ils ont fait ; le temps de mériter est passé pour eux, car c'est sur la terre seulement qu'on mérite ou qu'on pèche, selon l'usage que la volonté fait du libre arbitre. Les bienheureux attendent le jugement général, non dans la crainte, mais dans la joie. Le visage de mon Fils ne leur paraîtra pas terrible et plein de haine, parce qu'ils sont morts dans mon- amour et dans l'amour du prochain. Le visage du juge qui viendra dans ma majesté ne changera pas, mais il sera différent pour ceux qui seront jugés : ceux qui seront damnés le verront dans la haine et la justice, ceux qui seront sauvés le contempleront dans l'amour et la miséricorde.

XLII

Le jugement général augmentera la peine des damnés.

1.     Je t'ai parlé de la gloire des justes pour te faire mieux comprendre le malheur des damnés. Une de leurs peines sera de voir la béatitude des justes ; ce spectacle augmentera leurs tourments, comme la vue des damnés augmentera, dans les justes, la jouissance de ma honte : car la lumière se connaît mieux par les ténèbres et les ténèbres par la lumière. La vue du bonheur sera un supplice pour les damnés, et ils attendent avec effroi le jugement -dernier, parce qu'ils comprennent qu'il augmentera leur malheur.

2.      En effet, à cette parole terrible : Levez-vous, morts ; venez au jugement ! l'âme se réunira au corps pour le glorifier dans les justes et le torturer éternellement dans les méchants. Les damnés seront couverts de honte et de confusion en présence de ma Vérité et de tous les bienheureux.

3.     Alors le ver de la conscience rongera la moelle de l'arbre, c'est-à-dire l'âme, et sort écorce, c'est-à-dire le corps. Contre eux s'élèvera le sang précieux répandu pour les racheter et leur acquérir les miséricordes spirituelles et temporelles que je leur ai faites par mon Fils. Il leur sera demandé compte des obligations que l'Évangile leur imposait envers le prochain ; ils seront convaincus de cruauté pour les autres, d'orgueil, d'amour-propre et de débauche. La vue de la miséricorde dont ils étaient l'objet rendra leur condamnation plus terrible. Au moment de la mort, elle n'attaquait, que leur âme ; mais au jugement dernier, elle frappera à la fois leur âme et leur corps. Car le corps est le compagnon, l'instrument de l'âme pour le bien ou le mal, selon le bon plaisir de sa volonté.

4.      Tout acte, bon ou mauvais, s'accomplit par l'intermédiaire du corps. Il est donc juste, ma chère fille, que mes élus jouissent de la gloire et du souverain bien avec leur corps glorifié, pour que le corps et l'âme soient récompensés tous les deux des fatigues qu'ils ont supportées ensemble pour moi. De même, le corps des méchants partagera leurs peines éternelles, parce qu'il a été l'instrument du mal leur supplice se renouvellera et augmentera lorsqu ils reprendront leur corps en présence de mon Fils.

5.     Leur misérable sensualité et leurs débauches seront condamnées en voyant la nature humaine unie en Jésus-Christ à la pureté de la Divinité, en apercevant la chair d'Adam au dessus de tous les chœurs des anges, tandis qu'eux, par leur faute, sont plongés dans les profondeurs de l'enfer, ils verront la grandeur de ma miséricorde briller dans les bienheureux qui ont profité du sang de l'Agneau, et ils reconnaîtront que les peines souffertes par amour pour moi sont devenues pour le corps comme une belle frange sur un vêtement ; et cela non par la vertu du corps, mais par l'exubérance de l'âme qui donne aux corps le prix de sa peine, parce qu'il l'a aidée à pratiquer la vertu. Cette récompense est visible ; elle apparaît sur le corps comme le visage de l'homme se reflète dans un miroir.

6.      En présence de tant de gloire dont ils sont privés, les damnés sentiront augmenter leur peine et leur confusion. Dans leur corps apparaîtront les marques des péchés qu'ils ont commis, et les supplices qu'ils ont mérités. Quand retentira pour eux cette parole épouvantable : Allez, maudits, au feu éternel, l'âme et le corps iront demeurer avec les dénIons, sans aucune lueur d'espérance, dans cette sentine du monde, où chacun apportera l'infection de ses iniquités.

7.     L'avare y brûlera, avec les trésors de la terre qu'il a tant aimés ; le cruel y sera avec ses cruautés, le débauché avec ses excès, l'envieux avec son envie, et celui qui hait son prochain avec sa haine. Ceux qui se seront aimés de cet amour déréglé qui cause tous les maux, parce qu'il est avec l'orgueil le principe de tous les vices, ceux-là seront dévorés par un feu insupportable ; tous, selon leurs fautes, seront punis à la fois dans leur âme et dans leur corps.

8.      Voilà la fin déplorable de ceux qui .vont par la route inférieure, et qui suivent le fleuve du monde, sans vouloir se reconnaître et recourir à la miséricorde. Ainsi que je te l'ai dit, ils arrivent à la porte du mensonge, parce qu'ils suivent la doctrine du démon, qui est le père du mensonge ; et le démon est la porte par laquelle ils arrivent à la damnation éternelle.

9.     Mes élus, mes enfants bien-aimés, prennent la route supérieure, celle du pont ; ils suivent la voie de la vérité, et la vérité est la porte de ,la vie ; car mon Fils a dit : “Personne ne peut aller à mon Père, si ce n'est par moi” ; il est la porte et la voie qu'il faut prendre pour entrer en moi, l'Océan de la paix.

10.    Les réprouvés, au contraire, qui suivent la voie ténébreuse du mensonge, n'arrivent qu'à une eau morte ; le démon les y appelle, comme s'il disait : Que celui qui a soif d'eau morte vienne à moi, et je lui en donnerai. Les aveugles et les insensés ne s'en aperçoivent pas, car ils ont perdu la lumière de la foi.

XLIII

L'utilité des tentations. L'âme, au moment de la mort, voit la peine ou la gloire qui lui est destinée, même avant d'être séparée de son corps.

1.     Le démon est le bourreau que ma justice a chargé de tourmenter les âmes qui m'ont misérablement offensé. Je lui permets pendant cette vie de tenter et d'inquiéter mes créatures, non pas pour qu'elles soient vaincues, mais au contraire pour qu'elles triomphent et qu'elles reçoivent de moi la palme de la victoire qu'elles auront gagnée par la vertu. Personne ne doit craindre de combattre et d'être vaincu par les tentations du démon, parce que j'ai fait l'homme fort, en lui donnant la force de la volonté fortifiée dans le sang de mon Fils.

2.      Cette volonté, ni le démon, ni la créature ne peuvent la changer, parce qu'elle est à vous et que je vous l'ai donnée. Vous pouvez donc, avec le libre arbitre, résister ou céder, selon votre bon plaisir. La volonté est une arme que vous livrez au démon pour vous frapper et vous tuer. Mais si l'homme ne met pas cette arme entre les mains du démon, c'est-à-dire s'il ne cède pas à ses tentations et à ses attaques, il ne sera jamais blessé par le péché dans aucune tentation ; il sera fortifié, au contraire, parce que l’œil de son intelligence verra que ma charité permet la tentation pour éprouver et augmenter la vertu.

3.     L'homme acquiert la vertu en connaissant sa faiblesse et ma bonté. Cette connaissance est plus parfaite au temps de la tentation, parce qu'alors il comprend qu'il n'a pas l'être par lui-même, puisqu'il ne peut éviter les peines et les tentations qu'il voudrait fuir. Il me connaît dans sa volonté, à laquelle ma bonté donne la force de résister à ses tentations. Il comprend pourquoi ma charité les envoie. Le démon est impuissant ; il ne peut rien sans mon consentement, et si je le donne, c'est par amour, non par haine ; c'est pour que vous soyez vainqueur et non vaincu ; c'est pour que vous parveniez à une connaissance plus parfaite de vous-même et de moi, et que votre vertu soit éprouvée, car elle n'est éprouvée que par son contraire.

4.      Tu vois donc que les démons sont mes ministres chargés de tourmenter les damnés en enfer, et d'exercer, d'éprouver la vertu des âmes en cette vie. Leur intention n'est certainement pas d'éprouver la vertu, car ils n'ont pas la charité ; ils veulent la détruire en vous, mais ils ne pourront jamais le faire, si vous ne voulez pas y consentir.

5.     Maintenant, considère la folie de l'homme qui se rend faible par le moyen que je lui avais donné pour être fort, et qui se livre lui-même aux mains du démon. Aussi je veux que tu saches ce qui arrive au moment de la mort à ceux qui, pendant leur vie, ont volontairement accepté le joug du démon qui ne pouvait les y contraindre. Quand la mort les surprend dans ce honteux esclavage, ils n'ont d'autres juges qu'eux-mêmes ; l'arrêt de leur conscience suffit, et ils se précipitent avec désespoir dans l'éternelle damnation. Avant d'en passer les limites, ils l'acceptent par haine de la vertu et choisissent l'enfer pour le partager avec les démons, leurs maîtres.

6.      Les justes, au contraire, qui ont vécu dans la charité meurent dans l'amour. Quand vient leur dernier instant, s'ils ont pratiqué parfaitement la vertu, éclairés par la lumière de la foi et soutenus par l'espérance du sang de l'Agneau, ils voient le bien que je leur ai préparé ; ils l'embrassent avec amour et m'attirent à eux avec tendresse, moi, l'éternel et souverain Bonheur. Ils jouissent ainsi du ciel même avant que leur âme se sépare de leur corps.

7.     Pour ceux qui ont passe leur vie dans une charité moins parfaite, lorsqu'ils arrivent à la mort, ils se jettent dans les bras de ma miséricorde avec la même lumière de la foi et la même espérance qu ils ont eue a un degré inférieur. Malgré leur imperfection, ils embrassent ma miséricorde, parce qu'ils la trouvent plus grande que leurs fautes. Les pécheurs font le contraire : ils voient avec désespoir la place qui les attend, et ils l'acceptent avec haine.

8.      Les uns et les autres n'attendent pas leur jugement. Chacun, au sortir de la vie, prend lui-même possession de son sort ; il l'éprouve même avant de quitter son corps. Les damnés suivent la haine et le désespoir ; les parfaits suivent l'amour, la lumière de la foi, l'espérance du sang de l'Agneau ; les imparfaits se confient à ma miséricorde et vont en purgatoire.

XLIV

Le démon trompe toujours l'âme sous l'apparence de quelque bien.

1.     Je t'ai dit que le démon invite les hommes à boire l'eau morte qui est son partage ; il les trompe avec les délices et les honneurs du monde, il les séduit par l'apparence de quelque bien. Il ne pourrait réussir autrement, car ils ne se laisseraient pas attirer s'ils ne trouvaient quelque avantage personnel, quelque jouissance.

2.      L'âme, par sa nature, recherche toujours le bien ; mais comme elle est aveuglée par l'amour-propre, elle ne connaît et ne discerne pas le vrai bien, ce qui est utile à l'âme et au corps. Et alors le démon, dans sa méchanceté, voyant l'homme aveuglé par l'amour-propre sensitif, lui propose des fautes qui sont colorées de quelque utilité et de quelque bien, il les propose selon l'état de chacun et selon les vices auxquels il paraît le plus enclin. II tente diversement le séculier, le religieux et ceux qui ont des dignités spirituelles ou temporelles.

3.     Je t'ai déjà parlé de ceux qui se noient dans le fleuve, parce qu'ils ne pensent qu'à eux et m'outragent par leur coupable amour-propre. Tu verras combien ils se trompent. En voulant fuir la peine, ils tombent en de plus grandes. Il leur semble qu'il est bien dur de me suivre par la voie que-mon Fils vous a tracée ; ils reculent devant quelques épines. Qu'ils sont aveugles! ils ne voient pas la vérité et la méconnaissent. Je te l'ai expliquée au commencement de ta vie, quand tu me priais de faire, miséricorde ,au monde et-de le retirer des ténèbres du péché mortel.

4.      Tu sais que je me suis révélé à toi sous la figure d'un arbre dont tu n'apercevais pas le principe et la fin ; tu voyais seulement que sa racine s'unissait à la terre. C'était la nature divine unie à la terre de votre humanité. Au pied de l'arbre, s'il t'en souvient, il y avait quelques épines qui éloignaient tous ceux qui aiment leur sensualité ; ceux-là couraient à une montagne d'épis battus, qui représentait tous les plaisirs du monde. Ces épis paraissaient contenir du bon grain, mais ils étaient vides ; et les pauvres âmes périssaient de faim. Beaucoup reconnaissaient les tromperies du monde ; ils retournaient à l'arbre et traversaient les épines, c'est-à-dire les résolutions de la volonté.

5.     Ces résolutions, avant d'être prises, semblent des épices qui embarrassent le chemin de la vérité, parce qu'il y a un combat entre la conscience et la sensualité ; mais dès que la haine et le mépris de soi-même font dire avec courage : Je veux suivre Jésus crucifié, aussitôt ces épines s'émoussent et deviennent d'une douceur extrême. Chacun les sent plus ou moins, selon ses dispositions particulières.

6.      Je te disais alors : Je suis votre Dieu immuable ; je ne change pas, et je ne me retire jamais de la créature qui veut venir à moi. Je montre à tous la vérité ; je me rends visible, quoique je sois invisible ; et je fais voir ce que c'est que d'aimer quelque chose sans moi. Mais ceux qu'aveuglent les ténèbres de l'amour-propre ne me connaissent pas et ne se connaissent pas. Vois combien ils sont dans l'erreur, puisqu'ils aiment mieux mourir de faim que de traverser quelques épines. Et pourtant, ils ne peuvent éviter de souffrir des peines ; car, en cette vie, personne ne peut vivre sans souffrir, excepté ceux qui suivent le chemin d'en haut ; ceux-là rencontrent aussi la souffrance, mais cette souffrance leur devient une consolation.

7.     C'est le péché d'Adam qui a fait naître dans le monde les épines et les ronces ; c'est lui qui est la source de ce fleuve qui se précipite comme une mer orageuse ; et je vous ai donné un pont pour que vous n'y soyez pas engloutis. Ainsi, tu vois combien se trompent ceux qui craignent sans raison. Je suis votre Dieu, et je ne change pas ; je ne m'arrête pas aux personnes, mais aux saints désirs. C'est ce que je t'ai fait comprendre par la figure de cet arbre.

XLV

Quels sont ceux que ne blessent pas les épines du monde, quoique personne, en cette vie, ne puisse éviter la souffrance.

1.     Je veux maintenant te montrer ceux que blessent ou que ne blessent pas les épines et les ronces que la terre produit à cause du péché. Je t'ai fait voir jusqu'à présent ma bonté et la damnation des méchants qui sont trompés par leurs sens ; je te dis maintenant qu'eux seuls sont blessés par les épines du monde.

2.      Quiconque naît à la vie ne peut être exempt de peines corporelles ou spirituelles. Mes serviteurs ont des peines corporelles, mais leur âme est toujours libre. ils ne souffrent pas de la souffrance, parce que leur volonté est unie à la mienne ; et c'est par la volonté que l'homme souffre. Ils souffrent au contraire de l'esprit et du corps, ceux qui ont, dès cette vie, un avant-goût de l'enfer, comme mes serviteurs ont un avant-goût de la vie éternelle. Tu sais que le bonheur principal des bienheureux est d'avoir leur volonté pleine de ce qu'ils désirent. Ils me désirent ; en me désirant, ils me possèdent et me goûtent sans aucun obstacle, car ils ont laissé le poids de leur corps, qui était une force opposée à l'esprit.

3.     Le corps était un intermédiaire qui les empêchait de connaître la vérité ; ils ne pouvaient me voir face à face parce que le corps ne leur permettait pas de me contempler. Mais dès que l'âme est délivrée du corps, sa volonté est satisfaite ; elle désirait me voir, elle me voit, et c'est cette vision qui fait sa béatitude. Qui me voit me connaît, qui me connaît m'aime, et qui m'aime me possède, moi le bien suprême, éternel. Cette possession apaise et remplit sa volonté, qui était le désir de me voir et de me connaître. Dès lors il me désire et il me possède ; il me possède et il me désire ; et, comme je te l'ai dit, ce désir est sans peine et cette possession sans satiété.

4.      Ainsi, tu le vois, la grande cause de la béatitude de mes serviteurs est de me voir et de rue connaître. Cette vision et cette connaissance remplissent la volonté de ce qu'elle désire ; elle est donc heureuse. Jouir de la vie éternelle, c'est surtout posséder ce que la volonté désire. Me voir, me connaître et m'aimer, donne la félicité parfaite.

5.     Ceux qui, dans cette vie, ont un avant-goût de la vie éternelle, jouissent de ce qui fait le bonheur des bienheureux. Comment ont-ils cet avant-goût ? Par la vue de ma bonté envers eux et par la connaissance de ma vérité. Cette connaissance est dans l'entendement qui est l’œil de l'âme éclairé par moi. La pupille de cet oeil est la sainte foi, dont la lumière fait discerner, connaître et suivre la voie et la doctrine de ma Vérité, le Verbe incarné. Sans la foi, l'âme ne saurait voir : elle est comme celui dont un voile obscurcit la pupille, qui est la partie lumineuse de l’œil. La pupille de l’œil de l'âme ,est la foi. Si l'amour-propre la couvre du voile de l'infidélité, elle ne peut plus voir. Elle possède bien un oeil, mais non pas la lumière, dont elle s'est elle-même privée.

6.      Ainsi, tu le comprends, mes serviteurs en me voyant me connaissent, en me connaissant m'aiment, en m'aimant s'anéantissent et perdent toute volonté propre. Dès qu'ils ont perdu leur volonté, ils revêtent la mienne ; et moi, je ne veux que votre sanctification. Ils quittent aussitôt le chemin d'en bas et commencent à gravir le pont ; ils ne craignent plus les épines. Leurs pieds ne peuvent pas en être blessés, car ils sont garantis par l'amour de ma volonté. Ils souffrent du corps et non de l'esprit, parce que leur volonté sensitive est morte ; et c'est celle qui afflige et tourmente l'âme de la créature. Dès que la volonté n'existe plus, la peine disparaît ; ils supportent tout avec reconnaissance et se réjouissent d'être éprouvés pour moi, parce qu'ils ne désirent que ce que je veux.

7.     Je permets que le démon les tourmente et que les tentations éprouvent leur vertu ; ils résistent par leur volonté qui est affermie en moi. Ils s'humilient et se reconnaissent indignes de la paix, du repos de l'âme ; ils pensent qu'ils méritent la tribulation, et ils vivent ainsi dans la joie et la connaissance d'eux-mêmes, sans éprouver de véritables afflictions. Si l'épreuve leur vient des hommes, de la maladie, de la pauvreté, d'un revers de fortune, de la privation de leurs enfants ou des personnes qui leur sont chères, ils supportent ces épines que le péché a fait naître sur la terre, avec, la lumière de la raison et de la sainte foi. Leurs yeux sont fixés sur moi, qui suis la bonté suprême et qui ne peux vouloir que leur bien ; tout ce qui leur arrive, c'est l'amour et non la haine qui le leur envoie.

8.      Dès qu'ils voient que je les aime, ils s'examinent et reconnaissent leurs défauts ; ils voient à la lumière de la foi que tout bien doit être récompensé et toute faute punie. Ils comprennent que la moindre faute mérite une peine infinie, parce qu'elle est faite contre moi, qui suis le bien infini. Ils regardent comme une faveur d'en être punis pendant cette vie, qui passe si rapidement. Ils se purifient ainsi du péché par la contrition du cœur, et acquièrent des mérites par la perfection de leur patience. Leurs peines sont récompensées par un bien sans mesure ; ils savent que toute souffrance dans cette vie est fugitive comme le temps.

9.     Le temps n'est qu'un point ; le temps passe comme un éclair ; la souffrance passe avec lui, elle est donc bien petite. Ils la supportent avec patience et marchent sur les épines de la terre sans être blessés ; elles n'atteignent pas leur cœur, parce que leur cœur n'est plus à eux ; il en a été ôté avec l'amour sensitif pour m'être étroitement uni par les liens de l'amour, Il est donc bien vrai qu'il jouissent de la vie éternelle, qu'ils en ont un avant-goût dès cette vie ; ils traversent l'eau sans être mouillés ; ils marchent sur les épines sans être blessés, parce qu'ils me connaissent, moi le souverain bien, parce qu'ils le cherchent là où il se trouve, c'est-à-dire dans le Verbe, mon Fils bien-aimé.

XLVI

Des maux qui procèdent de l'aveuglement de l'intelligence. Le bien qui n'est pas fait en état de grâce ne sert pas à la vie éternelle.

1.     Je t'ai dit ces choses pour que tu comprennes mieux comment ceux dont je t'ai fait connaître l'erreur ont un avant-goût de l'enfer. Je te dirai maintenant d'où vient leur erreur et comment ils reçoivent cet avant-goût de l'enfer. C'est parce qu'ils ont aveuglé leur intelligence par l'infidélité de leur amour-propre. La vérité s'acquiert par la lumière de la foi et le mensonge par l'infidélité. Je parle de l'infidélité de ceux qui ont reçu le saine baptême, dans lequel la pupille de la foi est donnée à l’œil de l'intelligence.

2.      Lorsque vient l'âge de raison, ceux qui s'exercent à la vertu conservent la lumière de la foi et enfantent des vertus vivantes qui profitent au prochain. De même qu'une femme qui donne le jour à un enfant le présente avec joie à son époux, ils m'offrent leurs vertus vivantes, à moi qui suis l'époux de leur âme. Mais au contraire, les malheureux qui, à l'âge de raison, ne profitent pas de la lumière de la foi, n'enfantent pas les vertus de la vie de la grâce, et ne produisent que des œuvres mortes. Elles sont mortes, parce qu'elles sont faites dans la mort du péché, et sans la lumière de la foi. Ils ont. la forme du baptême, mais ils n'en ont plus la lumière, parce qu'ils en sont privés par les ténèbres de la faute que fait commettre l'amour-propre, qui couvre entièrement leur vue.

3.     On dit que ceux-là ont la foi sans les œuvres et que leur foi est morte. De même qu'un mort ne voit pas, de même l’œil de l'intelligence dont la pupille est obscurcie ne voit pas. L'âme ne se connaît pas et ne connaît pas les péchés qu'elle a commis ; elle ne connaît. pas ma bonté envers elle en lui donnant l'être et les grâces que j'y ai ajoutées. M'ignorant et s'ignorant elle-même, elle ne hait pas sa propre sensualité, mais elle l'aime et cherche à satisfaire ses désirs. Elle enfante ainsi les oeuvres mortes du péché. Elle ne m'aime pas, et ne m'aimant pas, elle n'aime pas ce que j'aime, c'est-à-dire le prochain, et elle ne se plaît point à faire ce qui peut m'être agréable.

4.      Ce sont les vraies et solides vertus qu'il m'est agréable de voir en vous, et ce n'est pas à cause de moi. De quelle utilité pouvez-vous être polir moi ? Je suis Celui qui agit, et rien ne se fait sans moi, excepté le péché, qui n'est que néant, puisqu'il prive l'âme de moi, qui suis le bien suprême, en la privant de la grâce. Les vertus me plaisent à cause de vous, parce que je puis les récompenser en moi, qui suis la vie éternelle.

5.     Tu vois que leur foi est morte, puisqu'elle est sans les oeuvres : les œuvres qu'ils font ne servent point pour la vie éternelle, puisqu'ils n'ont pas la vie de la grâce. Cependant on ne doit jamais cesser de faire le bien, qu'on soit en état de grâce ou qu'on n'y soit pas, parce que le bien est toujours récompensé comme la faute est toujours punie. Le bien qui se fait en état de grâce sert à la vie éternelle ; le bien qui se fait en état de péché mortel ne sert pas à la vie éternelle, mais il est récompensé de différentes manières, comme je te l'ai expliqué.

6.      Je le récompense quelquefois en accordant le temps nécessaire pour se reconnaître ; quelquefois en mettant au cœur, de mes serviteurs de ferventes prières qui retirent les coupables du mal et les sauvent de leur misère. D'autres fois je ne leur accorde ni temps ni prières, mais je les récompense par l'abondance des choses temporelles. Ils sont comme les animaux qu'on engraisse pour les mener à la boucherie, et cela arrive à ceux qui résistent de toute manière à ma bonté, et qui font cependant quelque bien en dehors de la grâce et dans le péché. Ils n'ont pas voulu profiter du temps qui leur était accordé, des prières qu'on faisait pour eux, et de tous les moyens que j'employais pour les attirer. Je les repousse à cause de leurs vices, mais ma bonté veut récompenser ce. qu'ils peuvent avoir fait d'utile ; je leur accorde des biens temporels qui les engraissent, et, s'ils ne se convertissent pas, ils vont ainsi au supplice de l'enfer.

7.     Tu vois quelle est leur erreur ; mais, s'ils y tombent, n'est-ce pas leur faute ? Ils se sont privés de la lumière de la foi, et ils marchent à tâtons comme des aveugles, s'attachant à tout, ce qu'ils touchent. Parce que leur vue est obscurcie, ils ne placent leur affection que dans des choses transitoires ; ils se trompent comme ces fous que séduit l'or, sans prendre garde au poison qu'il cache. Toutes les choses du monde, ses joies, ses plaisirs, si on les possède, si on les goûte sans moi, avec un amour déréglé, sont comme ces scorpions que je te montrais dans les commencements,, après la figure de l'arbre : ils portaient de l'or devant eux et du poison par derrière ; il n'y avait pas de poison sans or ni d'or sans poison ; mais c'était l'or qu'on voyait le premier, et personne n'évitait le poison, à moins d'être éclairé par la lumière de la foi.

XLVII

On ne peut observer les commandements, si on n'observe pas aussi les conseils.

1.     Je t'ai dit que ceux qui sont éclairés par la lumière de la foi, retranchaient le poison des sens avec le glaive à deux tranchants de la haine du vice et de l'amour de la vertu ; ceux qu'éclaire seulement la lumière de la raison acquièrent et possèdent l'or des choses terrestres qu'ils veulent conserver ; mais ceux qui veulent atteindre la perfection méprisent ces biens réellement et spirituellement, ils observent les conseils de ma Vérité.

2.      Les autres possèdent et observent les commandements et ne suivent les conseils que spirituellement ; mais comme les conseils sont liés aux commandements, personne ne peut observer les commandements sans observer les conseils, non pas réellement, mais spirituellement. En possédant les richesses du monde, on doit les posséder avec humilité, et non pas avec orgueil ; on doit les posséder comme une chose prêtée, car ma bonté ne vous les donne que pour votre usage. Vous ne les avez qu'autant que je vous les donne ; vous ne les conservez qu'autant que je vous les laisse, et je ne vous les laisse qu'autant que je vois qu'elles servent à votre salut. C'est ainsi que vous devez en user.

3.     Si l'homme en use de la sorte, il observe les commandements, puisqu'il m'aime par-dessus toutes choses et qu'il aime le prochain comme lui-même. Il vit avec un cœur libre, il ne s'attache pas aux richesses par le désir, il ne les aime pas et ne les tient que de ma volonté ; et, s'il les possède matériellement, il n'en observe pas moins le conseil dans son cœur, parce qu'il s'est purifié du poison de l'amour déréglé.

4.      Ceux qui agissent ainsi sont dans la charité commune, mais ceux qui observent les commandements et les conseils spirituellement et réellement sont dans la charité parfaite ; ils observent dans toute sa simplicité le conseil que ma Vérité, le Verbe incarné, donnait, à ce jeune homme qui lui demandait : Maître, que puis-je faire pour avoir la vie éternelle ? Mon Fils lui dit : Observez les commandements de la loi. Le jeune homme répondit : Je les observe ; et mon Fils lui dit : C'est bien. Si vous voulez être parfait, allez, vendez ce que vous avez et donnez-le aux pauvres (Mt, XIX, 16-21). Alors ce jeune homme devint triste, parce que les richesses qu'il avait, il les possédait encore avec trop d'amour : c'est ce qui causait sa peine. Mais les parfaits suivent le conseil ; ils abandonnent le monde et ses délices ; ils affligent leur corps par la pénitence, par les veilles, par d'humbles et continuelles prières.

5.     Ceux qui restent dans la charité commune ne perdent pas la vie éternelle en ne se séparant pas matériellement des richesses, parce qu'ils n'y sont pas obligés ; mais, s'ils veulent garder les choses du monde, ils doivent le faire comme je te l'ai enseigné. En les possédant ils ne pèchent pas ; car toutes ces choses sont bonnes, excellentes, parfaites et créées par moi, qui suis la bonté souveraine, elles sont faites pour servir à mes créatures raisonnables, mais non pas pour que mes créatures deviennent les esclaves des délices du monde. Ceux qui veulent les garder renoncent à la perfection ; ils doivent s'en servir, non pas comme des maîtres, mais comme des serviteurs. Tous leurs désirs doivent être pour moi ; il faut aimer et posséder le reste comme des choses qui leur sont prêtées et qui ne leur appartiennent pas.

6.      Je ne tiens aucun compte des personnes et des positions, je ne m'arrête qu'aux saints désirs. Dans tout état que l'homme choisit, qu'il ait une volonté bonne et sainte, et il me sera agréable. Qui pourra réussir ? Ceux qui détruiront le venin de l'amour-propre par la haine des sens et l'amour de la vertu. Dès que la volonté est purifiée de ce venin et réglée par l'amour et la sainte crainte de Dieu, l'homme peut choisir l'état qui lui plaît et y gagner la vie éternelle.

7.     Quoique la plus grande perfection, celle qui m'est le plus agréable, soit de se détacher spirituellement et matériellement de toutes les choses du monde, celui qui ne se sent pas capable d'atteindre cette perfection à cause de sa fragilité, peut rester dans la charité commune selon son état. Ma bonté l'a décidé, afin que personne ne puisse excuser son péché dans aucune condition. Y a-t-il en effet une excuse possible, puisque j'accorde aux passions et à la faiblesse de l'homme de pouvoir rester dans le monde, posséder la richesse, tenir un rang, vivre dans le mariage et travailler à établir ses enfants ? L'homme peut choisir l'état qu'il veut, pourvu qu'il se purifie du venin de la sensualité, qui donne la mort éternelle.

8.      La sensualité tue l'âme comme un poison qui tourmente le corps et le fait enfin mourir, si on ne le rejette pas et si on ne prend aucune médecine. Le monde est un scorpion qui empoisonne par ses jouissances. Ce ne sont pas les choses temporelles qui tuent par elles-mêmes, car elles sont bonnes et faites par moi, qui suis la bonté suprême ; on peut en user avec amour et crainte : le poison vient de la volonté perverse de l'homme. Il empoisonne l'âme et lui donne la mort, si elle ne le rejette par une sainte confession qui délivre le cœur. La confession est une médecine qui guérit de ce poison, mais ce remède paraît amer à la sensualité.

9.     Tu vois donc combien sont dans l'erreur ceux qui pourraient me posséder, fuir la tristesse et goûter la joie, la consolation. Ceux-là veulent le mal qui a l'apparence du bien, et ils s'attachent à l'or avec un amour déréglés Parce qu'ils sont aveuglés par de nombreuses infidélités, ils, ne reconnaissent pas le poison ; ils voient qu'ils sont empoisonnés, et ne prennent pas de remède ; ils portent la croix du démon et ils ont un avant-goût de l'enfer.

XLVIII

Les serviteurs du monde ne sont pas rassasiés de leurs biens. Du supplice que leur cause leur volonté perverse.

1.     Je t'ai dit que de la volonté venaient les peines de l'homme. Comme mes serviteurs se sont dépouillés de leur volonté et revêtus de la mienne, ils n'éprouvent aucune affliction ; ils sont toujours satisfaits, parce qu'ils sentent que je suis dans leur âme par la grâce. Ceux qui ne m'ont pas ne peuvent être satisfaits, lors même qu'ils possèderaient le monde tout entier car les choses créées sont moindres que l'homme, puisqu'elles sont faites pour l'homme, et non l'homme pour elles. L'homme ne peut s'en contenter ; moi seul je puis le satisfaire ; et pourtant ces malheureux sont si aveugles qu'ils se fatiguent inutilement à poursuivre ce qu'ils ne peuvent avoir, parce qu'ils ne s'adressent point à moi qui pourrais tout leur donner.

2.      Veux-tu connaître leur tourment ? Tu sais que l'amour souffre quand il perd la chose à laquelle il s'est identifié. Ceux qui s'identifient à la terre par l'amour deviennent semblables à la terre : les autres s'identifient à leurs richesses, à leurs honneurs, à leurs enfants ; les autres me perdent pour se donner aux créatures, d'autres font de leur corps un animal immonde ; tous ainsi désirent la terre et s'en repaissent. Ils voudraient que ces choses fussent durables, mais elles ne le sont pas ; elles passent comme le vent. La mort leur enlève ce qu'ils aiment, ou ma volonté les en prive.

3.     Cette privation est pour eux une peine intolérable ; leur douleur est aussi grande que leur amour avait été déréglé. S'ils avaient possédé ces choses comme des choses prêtées et qui ne leur appartenaient pas, ils les ,auraient quittées sans regret. Ils les regrettent, parce qu'ils n'ont plus ce qu'ils désirent ; car le monde, je te l'ai dit, ne peut les rassasier, et ils souffrent de ne pas l'être.

4.      Quel supplice cause les remords de la conscience ! quelle torture éprouve celui qui a soif de vengeance ! Il se dévore lui-même et tue son âme avant de tuer son ennemi, il se suicide avec le poignard de la haine. Que ne souffre pas l'avare qui par avarice se réduit à l'extrémité ? et l'envieux dont le cœur se ronge à la vue du bonheur d'autrui ? Toutes les choses qu'on aime d'un amour déréglé engendrent des peines et des frayeurs sans nombre. Ces infortunés portent la croix du démon et ont un avant-goût de l'enfer ; cette vie est pour eux pleine d'infirmités et de malheurs, et, s'ils ne se convertissent, ils n'ont à attendre que la mort éternelle.

5.     Ce sont ceux-là qui sont blessés par les épines de la tribulation, et qui se tourmentent eux-mêmes par leur volonté déréglée. Ils souffrent à l'intérieur et à l'extérieur ; leur âme et leur corps endurent des peines sans aucun mérite, parce qu'ils les reçoivent sans patience et avec colère. Ils possèdent l'or des délices du monde avec un amour déréglé ; ils sont privés de la vie de la grâce et de l'ardeur rie la charité. Ils deviennent des arbres de mort, toutes leurs actions sont mortes et ils s'en vont péniblement se noyer dans le fleuve, dont les eaux empoisonnées les engloutissent. Ils passent pleins de haine par la porte du démon, et reçoivent la damnation éternelle. Tu vois donc quelle est leur erreur, avec quelle peine ils arrivent à l'enfer et se font les martyrs du démon ; ce qui les aveugle, c'est le nuage de l'amour-propre qui intercepte la lumière de la foi.

6.      Les tribulations du monde qui entourent de toute part mes serviteurs, ne les atteignent qu'extérieurement. Ils sont persécutés, mais leur âme est tranquille parce qu'ils sont unis à ma volonté et qu'ils sont contents de souffrir pour moi. Les serviteurs du monde au contraire sont frappés au dedans et au dehors ; ils sont surtout tourmentés intérieurement par la crainte de perdre ce qu'ils possèdent, et par l'amour de ce qu'ils ne peuvent avoir. Les autres peines qui sont causées par ces deux peines principales sont innombrables, et ta langue ne pourrait les dire. Ainsi donc, même en cette vie, il vaut mieux être juste que pécheur ; tu connais maintenant la route et la fin des uns et des autres.

XLIX

La crainte servile ne suffit pas pour acquérir la vie éternelle, mais elle peut conduire à l'amour de la vertu.

1.     Quelques-uns se sentent éprouvés par les tribulations du monde, que j'envoie pour apprendre à l'âme que sa fin n'est pas en cette vie, que toutes ces choses étant imparfaites et transitoires, elle doit les prendre comme telles, et ne désirer que moi, qui suis sa fin véritable. Ils commencent à écarter le nuage de leurs yeux, à cause des peines qu'ils souffrent, et à cause de celles qui doivent punir leur péché. Cette crainte servile les fait sortir du fleuve et vomir le venin que le scorpion leur avait communiqué par l'appât de l'or qu'ils aimaient sans mesure. Ils aperçoivent ce qui donne la mort, et ils commencent à faire des efforts pour gagner la rive et atteindre le pont ; mais la crainte servile ne suffit pas pour arriver.

2.      Purifier du péché mortel sa demeure, sans la remplir des vertus fondées sur l'amour et non sur la crainte, ce n'est pas mériter la vie éternelle ; il faut placer les deux pieds sur le premier degré du pont, c'est-à-dire y parvenir par l'amour et le désir, qui sont les pieds de l'âme, pour atteindre la Vérité, dont je vous ai fait un pont. Il faut monter le premier degré que je t'ai fait voir, en te présentant comme un pont le corps de mon Fils.

3.     Il est vrai que presque toujours les serviteurs du monde commencent à se convertir par la crainte de la punition : les tribulations leur rendent souvent la vie insupportable et les détachent du monde. Si la lumière de la foi éclaire leur crainte, ils peuvent arriver à l'amour des vertus ; mais il y en a qui marchent avec tant de tiédeur, qu'ils retombent souvent dans leurs fautes. Lorsqu'ils sont sur la rive, ils rencontrent des vents contraires et sont battus par les flots orageux de cette vie ténébreuse.

4.      Le vent de la prospérité surtout les éprouve avant qu'ils aient monté le premier degré par l'amour ,des vertus ; ils retournent en arrière et s'attachent encore d'une manière déréglée aux jouissances du monde. Si c'est, le vent de l'adversité qui souffle, ils reculent par l'impatience, parce qu'ils ne détestent pas leurs fautes comme une offense qui m'est faite, mais par crainte de la punition qu'elle mérite. Sans cette crainte ils ne sel-aient pas convertis ; mais toute vertu veut la persévérance, et dès qu'ils ne persévèrent pas, ils ne peuvent atteindre le but de leurs désirs, ils abandonnent ce qu'ils avaient commencé ; la persévérance seule obtiendrait la récompense de leurs efforts.

5.     Ainsi les rechutes viennent de causes différentes : les uns succombent dans les combats de la chair contre l'esprit ; les autres sont vaincus par les créatures qu'ils aiment hors de moi, ou par l'impatience que leur cause les injures reçues ; d'autres par les attaques variées et nombreuses du démon, qui les décourage en dépréciant leurs œuvres. Ce bien que vous entreprenez, leur dit-il, ne sert à rien, à cause de vos fautes et de vos vices ; et il les fait ainsi retourner en arrière et abandonner le peu qu'ils avaient entrepris.

6.      Quelquefois il les abuse en leur donnant une fausse confiance dans ma miséricorde. Pourquoi, leur dit-il, tant vous fatiguer? Jouissez de la vie, et au dernier moment vous vous reconnaîtrez et vous obtiendrez miséricorde. Par ce moyen le démon leur fait perdre cette crainte par laquelle ils avaient commencé. Toutes ces ruses, ces attaques les empochent de persévérer, et cela arrive parce que la racine de l'amour-propre n'est pas arrachée de leur cœur ; c'est ce qui cause leur chute. Ils présument de ma miséricorde ; ils n'ont qu'une injuste et coupable espérance, puisqu'ils comptent sur ma miséricorde pour m'outrager sans cesse.

7.     La miséricorde ne leur est pas donnée pour m'offenser, mais pour les défendre de la malice du démon et les préserver du désespoir. ils font tout le contraire, puisqu'ils m'offensent en s'appuyant sur ma miséricorde elle-même. Il en est ainsi, parce qu'ils n'ont pas complété ce premier changement, qu'ils avaient opéré en se retirant du péché mortel par crainte du châtiment, lorsqu'ils avaient senti l'aiguillon de la tribulation. En s'arrêtant, ils n'arrivent pas à l'amour de la vertu et ils manquent de persévérance. L'âme ne peut rester immobile, il faut qu'elle avance ou qu'elle recule. Quand on avance dans la vertu, on abandonne l'imperfection de la crainte ; quand on n'arrive pas à l'amour, on retourne en arrière.

L

L'âme déplore l'aveuglement de ceux qui se noient dans le fleuve.

1.     Alors cette âme tourmentée de désirs considérait son imperfection et celle des autres ; elle souffrait d'entendre et de voir tant d'aveuglement dans les créatures, parce qu'elle savait combien grande était la bonté de Dieu, qui n'a rien mis dans cette vie qui puisse empêcher le salut et qui ne serve au contraire à exercer et à éprouver la vertu. Et malgré cela, elle voyait que l'amour-propre et les affections déréglées entraînent les hommes dans le fleuve, et causent, quand ils ne s'en corrigent pas, leur damnation éternelle.

2.      Beaucoup de ceux qui avaient bien commencé retournaient en arrière pour les raisons que l'ineffable bonté de Dieu avait daigné lui révéler, et cette vue la plongeait dans une douleur profonde ; elle fixait ses regards en Dieu le Père, et, elle lui disait : O amour inexprimable, combien grande est l'erreur de vos créatures ! Qu'il plaise à votre bonté de m'expliquer plus particulièrement les trois degrés figurés sur le corps de votre Fils bien-aimé, comment on doit faire pour sortir entièrement de ces flots et pour suivre la voie de votre vérité, et quels sont ceux qui montent ces degrés.

LI

Les trois degrés figurés sur le pont signifient les trois puissances de l'âme.

1.     Alors la divine Bonté, abaissant le regard de sa miséricorde sur le désir qui tourmentait cette âme, lui disait : Ma fille bien-aimée, je ne méprise pas les saints désirs, et je me plais à les satisfaire. Aussi je vais te montrer ce que tu me demandes. Tu me demandes que je t'explique la figure des trois degrés, et comment on peut sortir du fleuve et monter sur le pont. Je t'ai déjà dit l'erreur et l'aveuglement de ces hommes, qui, pendant leur vie, sont les martyrs du démon et acquièrent la damnation éternelle pour prix de leurs iniquités. Et en te disant ces choses, je t'ai indiqué par quels moyens ils doivent éviter ces malheurs. Mais maintenant je m'étendrai davantage, pour satisfaire ton désir.

2.      Tu sais que tout mal est fondé sur l'amour-propre. Cet amour est un nuage qui obscurcit la lumière de la raison, et la raison a en elle la lumière de la foi ; on ne perd pas l'une sans perdre I'autre. J'ai créé l'âme à mon image et ressemblance, en lui donnant la mémoire, l'intelligence et la volonté. L'intelligence est la plus noble partie de l'âme. L'intelligence est excitée par l'affection, et l'affection est nourrie par l'intelligence. C'est la main de l'amour, c'est-à-dire l'affection, qui remplit la mémoire de mon souvenir et du souvenir de mes bienfaits. Ce souvenir tend l'âme active et reconnaissante ; elle la préserve de négligence et d'ingratitude ; chaque puissance aide l'autre : ainsi se nourrit l'âme dans la vie de la grâce.

3.     L'âme ne peut vivre sans amour ; elle veut toujours aimer quelque chose, car elle est faite d'amour, et je l'ai créée par amour. L'affection excite l'intelligence elle lui dit : “Je veux aimer, parce que l'aliment dont je me nourris est l'amour”. Alors l'intelligence, éveillée par l'affection, se lève et lui dit : “Si tu veux aimer, je te donnerai un bien que tu puisses aimer”. Aussitôt elle se met à considérer la dignité que l'âme a reçue par la création, et l'indignité où elle est tombée par le péché, Dans la dignité de son être, elle admire mon ineffable bonté et la charité incréée avec laquelle je l'ai créée ; et dans la profondeur de sa misère, elle trouve et contemple ma miséricorde, qui lui a donné le temps du repentir et qui l'a sauvée des ténèbres.

4.      Alors l'affection se nourrit d'amour ; elle se rassasie par ses saints désirs de la haine des sens, et elle savoure dans cette haine l'humilité véritable et la parfaite patience. Une fois que les vertus ont germé, elles se développent parfaitement ou imparfaitement, selon que l'âme s'exerce à la perfection, comme je te le dirai bientôt.

5.     Mais au contraire, si l'affection est inclinée vers les choses sensibles, le regard de l'intelligence se tourne de ce côté, et n'offre plus pour objet que des choses transitoires, qui entretiennent l'amour-propre, le dégoût de la vertu et l'attrait du vice, ce qui fait naître l'orgueil et l'impatience. La mémoire ne se remplit que de ce que lui présente l'affection. Cet amour obscurcit la vue, qui ne distingue et ne voit qu'une fausse lumière. C'est cette lumière que l'intelligence voit en toute chose, et que l'affection aime à cause de son apparence de bien et de plaisir. Sans cette apparence l'homme ne pêcherait pas ; car, par sa nature, il ne peut désirer autre chose que le bien. Le vice est coloré d'une apparence de bien personnel qui fait pécher l'âme. Mais, parce que l’œil ne distingue plus rien dans son aveuglement, il méconnaît la vérité ; il s'égare en cherchant le bien et le plaisir où ils ne sont pas.

6.      Je t'ai dit que les plaisirs du monde sans moi sont des épines empoisonnées. Dès que l'intelligence se trompe dans ce qu'elle voit, la volonté se trompe dans son amour, puisqu'elle aime ce qu'elle ne devrait pas aimer. La mémoire s'abuse de ce qu'elle retient. L'intelligence fait comme un voleur qui dépouille les autres. La mémoire retient aussi continuellement des choses qui sont hors de moi, et l'âme est ainsi privée de la grâce.

7.     L'une de ces trois puissances de l'âme est si grande, que je ne puis être offensé par l'une sans que toutes les trois ne m'offensent ; car l'une communique à l'autre, ainsi que je te l'ai dit, le bien ou le mal, selon le bon plaisir du libre arbitre. Ce libre arbitre est uni à l'affection et l'excite selon qu'il lui plaît, avec ou sans la lumière de la raison. Vous avez votre raison unie à moi tant que le libre arbitre ne la sépare pas par un amour déréglé, et vous avez une loi perverse qui combat sans cesse contre l'esprit. Vous avez donc deux partis, la sensualité et la raison. La sensualité est servante, elle est faite pour obéir à l'âme ; c'est par le corps que s'éprouvent et s'exercent les vertus.

8.      L'âme est libre ; elle est affranchie du péché dans le sang de mon Fils ; elle ne peut être opprimée si elle n'y consent par la volonté. La volonté est unie au libre arbitre, et le libre arbitre ne fait qu'une chose avec la volonté en s'accordant avec elle. Il est placé entre la sensualité et la raison, et il peut se tourner du côté qu'il choisit. Il est vrai que quand l'âme veut, par l'intermédiaire du libre arbitre, réunir ses puissances en mon nom, comme je te l'ai dit, alors toutes ses opérations spirituelles et temporelles sont bien ordonnées. Le libre arbitre se détache de la sensualité et s'unit à la raison. Alors, par ma grâce, je me repose au milieu d'elles.

9.     Mon Verbe incarné a dit : “Quand deux ou trois seront réunis en mon nom, je serai au milieu d'eux” (Mt., XVIII, 20), et c'est la vérité. Car je te l'ai déjà dit : Personne ne peut venir à moi, si ce n'est par lui. Aussi est-il devenu pour le genre humain un pont à trois degrés, et ces trois degrés figurent également les trois états de l'âme, comme je te l'expliquerai bientôt.

LII

Si les trois puissances de l'Âme ne sont pas unies ensemble, il lui est impossible d'avoir la persévérance nécessaire pour arriver à sa fin.

1.     Je t'ai expliqué que les trois degrés figuraient en général les trois puissances de l'âme. Ces degrés ne peuvent être montés séparément, si l'on veut passer par la doctrine le pont de ma Vérité. Si l'âme n'accorde pas ces trois puissances, elle ne peut avoir la persévérance dont je t'ai parlé, lorsque tu me demandais comment ces voyageurs devaient sortir du fleuve. Je te disais que, sans la persévérance, personne ne peut atteindre le but. Il y a deux buts qu'atteint la persévérance, le vice ou ta vertu. Si tu veux arriver à la vie, il faut persévérer dans la vertu ; celui qui veut arriver à la mort éternelle persévère dans le vice. La persévérance conduit à moi, qui suis la vie, ou au démon, qui fait boire la mort.

LIII

Explication de ces paroles de Jésus-Christ : “Qui a soif vienne à moi et boive”.

1.     Ma vérité vous a tous généralement et particulièrement appelés, lorsque mon Fils, plein d'un ardent désir, criait dans le temple : “Que celui qui a soif vienne à moi et boive (Jn, VII, 37), car je suis la fontaine d'eau vive”. Il ne dit pas, qu'il aille à mon Père et boive ; mais il dit : “qu'il vienne à moi”, parce que la peine ne peut être en moi le Père, mais bien en mon Fils unique. Vous qui êtes voyageurs et pèlerins dans cette vie mortelle ; vous ne pouvez être sans peine, parce que le péché fait naître les épines sur la terre.

2.      Pourquoi dit-il : “Venez à moi et buvez” ? Parce qu'en suivant sa doctrine, ou par la voie des commandements et l'amour des conseils, ou par la pratique réelle des commandements et des conseils, c'est-à-dire par la charité parfaite ou par la vie commune, quelle que soit la route que vous preniez pour aller à lui en suivant sa doctrine, vous trouverez de quoi vous désaltérer, en trouvant et goûtant le fruit du sang par l'union de la nature divine à la nature humaine. En vous trouvant en lui, vous vous trouvez en moi qui suis l'océan pacifique, parce que je suis une même chose avec lui, et lui une même chose avec moi.

3.     Ainsi vous êtes invités à la fontaine d'eau vive de la grâce, mais c'est par mon Fils qu'il faut y aller avec persévérance, sans vous laisser arrêter par les épines, les vents contraires ; la prospérité, l'adversité et toutes les peines que vous rencontrerez. Vous devez persévérer jusqu'à ce que vous me trouviez, moi qui vous donne l'eau vive ; et je vous la donne par le moyen du doux Verbe, mon Fils unique et bien-aimé.

4.      Mais pourquoi dit-il : “Je suis la fontaine d'eau vive” ? Parce qu'il est la fontaine qui me contient, moi qui donne l'eau vive par l'union de la nature divine à la nature humaine. Pourquoi dit-il : “Qu'il vienne à moi et qu'il boive” ? Parce que vous ne pouvez éviter la peine, et que la peine ne peut se trouver en moi, mais en lui. C'est pour cela que je vous ai fait de mon Fils un pont, et personne ne peut venir à moi que par lui. Il l'a déclaré : “Personne ne peut aller au Père, si ce n'est par moi” ; et ma Vérité est la vérité même.

5.     Ainsi, tu as vu la voie qu'il faut prendre et suivre avec persévérance. Vous ne pourriez boire autrement de l'eau vive ; car la persévérance est la vertu qui reçoit la gloire et la couronne en moi, qui suis le bien suprême.

LIV

Quel moyen doit prendre toute créature raisonnable pour pouvoir sortir des flots du monde et passer par le pont divin.

1.     Je reviens aux trois degrés par lesquels il faut aller pour ne pas périr dans ce fleuve, pour atteindre l'eau vive à laquelle vous êtes appelés, et pour que je sois continuellement en vous ; car pendant votre pèlerinage, je suis en vous, et je me repose par la grâce au milieu de vos âmes. Il faut d'abord avoir soif ; il n'y a d'invités que ceux qui ont soif, puisqu'il est dit : “Qui a soif vienne à moi et boive”.

2.      Celui qui n'a pas soif ne saurait persévérer ; il se laissera arrêter par la fatigue ou le plaisir. Il ne prendra ni vase pour puiser, ni compagnon pour ne pas aller seul ; il retournera en arrière dès qu'il rencontrera la persécution, parce qu'il l'a en horreur. Il craint parce qu'il est seul, mais s'il était accompagné, rien ne l'effraierait. S'il avait monté les trois degrés, il serait en sûreté, parce qu'il ne serait pas seul.

3.     Il faut donc que vous ayez soif et que vous vous réunissiez ensemble, comme je vous l'ai dit, deux ou trois, ou davantage. Pourquoi deux ou trois ? Parce que deux ne sont pas sans trois, trois sans deux, ni trois et deux sans davantage. Celui qui est seul ne peut pas m'avoir en lui, parce qu'il n'a pas de compagnon, et je ne puis me tenir au milieu de lui. Il n'est rien parce qu'il est seul dans son amour-propre, et qu'il est séparé de ma grâce et privé de la charité du prochain. Dès qu'il est exclu de moi par sa faute, il est dans le néant, parce que je suis seul Celui qui suis ; il est isolé dans son amour-propre, et il n'est compté pour rien dans ma Vérité ; il est rejeté de moi.

4.      Il est dit : Quand ils seront deux ou trois, ou davantage, assemblés en mon nom, je serai au milieu d'eux. Je t'ai dit que deux n'étaient pas sans trois ni trois sans deux, et c'est la vérité. Tu sais que les commandements se réduisent à deux, sans lesquels toute la loi ne peut être observée : il faut m'aimer par-dessus toute chose et aimer le prochain comme soi-même ; c'est là le commencement, le milieu et la fin des commandements de la loi.

5.     Ces deux commandements ne peuvent être réunis en mon nom sans la réunion des trois puissances de l'âme, à savoir : la mémoire, l'intelligence et la volonté. La mémoire doit retenir ma bonté et mes bienfaits, l'intelligence doit contempler l'amour ineffable que je vous ai montré par le moyen de mon Fils unique : je l'ai donné pour objet à votre intelligence, pour qu'elle y voie le foyer de ma charité. La volonté alors s'unit à la mémoire et à l'intelligence, en m'aimant et me désirant comme sa fin.

6.      Quand ces trois puissances sont ainsi saintement assemblées, je suis au milieu d'elles par la grâce ; et alors, parce que l'homme se trouve plein de ma charité et de celle du prochain, il se trouve sur-le-champ dans la compagnie de nombreuses et solides vertus. Le désir de l'âme lui donne soif de la vertu, de mon honneur, du salut des âmes ; toute autre soif est éteinte et morte en elle. Elle marche en assurance et sans aucune crainte servile ; elle monte le premier degré de l'affection, parce qu'elle s'est dépouillée de l'amour-propre ; elle s'est élevée au-dessus d'elle-même et au-dessus des choses passagères ; elle les aime et les conserve si elle veut, mais par moi et jamais sans moi, avec une sainte et véritable crainte, avec l'amour de la vertu.

7.     Elle monte le second degré ; elle arrive à la lumière de l'intelligence et contemple l'amour infini, que je vous ai montré dans mon Fils crucifié. Alors elle trouve la paix et le repos, parce que la mémoire s'emplit jusqu'aux bords de ma charité. Tu sais qu'une chose vide résonne quand on la frappe, mais il n'en est pas de même quand elle est pleine. Quand la mémoire est pleine de la lumière de l'intelligence et des sentiments de l'amour, si elle est frappée par les tribulations ou par les plaisirs du monde, l'âme ne fait entendre ni les éclats de la joie, ni les cris de l'impatience, parce qu'elle est pleine de moi, qui suis le bien véritable.

8.      Dès qu'elle a monté ces degrés, elle se trouve en sainte compagnie ; elle possède la raison et les trois puissances de l'âme, qu'elle a réunies en mon nom : elle est avec l'amour de moi et du prochain, avec la mémoire pour retenir, l'intelligence pour voir, la volonté pour aimer. L'âme est avec moi, qui suis sa force et sa sûreté ; elle est entourée de vertus, et elle s'avance paisiblement, parce que je suis au milieu d'elles.

9.     Elle est poussée par un ardent désir, car elle a soif de suivre la voie de la Vérité, où se trouve la fontaine d'eau vive. Cette soif de mon honneur, de son salut et du salut du prochain lui fait désirer la voie, parce que sans cette voie elle ne pourrait y parvenir. Elle avance, et porte le vase de son cœur vide de tout désir et de tout amour déréglé du monde ; et aussitôt que son cœur est vide, il se remplit, parce que rien ne peut rester vide.

10.    Il ne se remplit pas de choses matérielles, mais d'un air pur. Le cœur est un vase qui ne peut rester vide ; dès que l'amour déréglé des choses terrestres, en est ôté, il se remplit des choses célestes, des douceurs de l'amour divin, qui conduit aux eaux de la grâce. Quand l'âme est arrivée, elle passe par la porte de Jésus crucifié, et elle goûte l'eau vive qui se trouve en moi, l'océan de la paix.

LV

Résumé de plusieurs choses qui ont été déjà dites.

1.     Je t'ai montré comment toute créature raisonnable peut sortir de la mer du monde et éviter la mort et la damnation éternelle : je t'ai montré trois degrés principaux qui sont les trois puissances de l'âme, et personne n'en peut monter un sans monter les autres. Je t'ai expliqué cette parole de mon Fils : Quand ils seront deux ou trois, ou plusieurs, réunis en mon nom. Cette réunion est celle des trois puissances de l'âme, qui s'accordent avec les deux principaux commandements de la loi : m'aimer par-dessus toutes choses et aimer le prochain comme soi-même. Dès que l'homme a fait cette réunion et monté ces degrés, il a soif de l'eau vive ; il avance ; il passe sur le pont en suivant la doctrine de ma Vérité.

2.      Et alors vous accourez à la voix qui vous crie comme dans le temple : Que celui qui a soif vienne à moi et boive, car je suis la fontaine d'eau vive. Je t'ai expliqué cette parole et comment il fallait l'entendre, afin que tu connaisses mieux l'abondance de ma charité et le honteux aveuglement de ceux qui se plaisent à courir par la route du démon, qui leur offre une eau empoisonnée.

3.     Tu me demandais les moyens de ne pas périr dans le fleuve ; je te les ai montrés, et je t'ai dit qu'il fallait monter sur le pont en unissant les deux commandements de la loi dans la charité du prochain et en m'apportant son cœur et son amour comme un vase ; car je donne à boire à qui m'en demande. Il faut suivre la voie de Jésus crucifié et y persévérer jusqu'à la mort ; voilà ce que doit faire l'homme, quel que soit son état, car l'état n'est jamais une excuse ; on peut et on doit toujours remplir cette obligation de toute créature raisonnable.

4.      Personne ne peut s'en défendre en disant : J'ai une position, des enfants et d'autres embarras du monde, et il m'est impossible de suivre cette route. On ne peut alléguer ces obstacles ; car je te l'ai dit, tout état m'est agréable, pourvu qu'on y apporte une bonne et sainte volonté. Toute chose est bonne et parfaite, puisqu'elle a été faite par moi, qui suis la souveraine bonté. Les créatures ne vous ont pas été données pour vous causer la mort, mais pour que vous ayez la vie. Ce que je vous demande est bien facile, car quoi de plus facile et de plus doux que l'amour ? Je ne réclame qu'une chose, l'amour ; m'aimer et aimer le prochain.

5.     En tout temps, en tout lieu, en tout état, l'homme peut aimer et se servir de tout, pour l'honneur et la gloire de mon nom. Mais, tu le sais, les aveugles ne suivent pas la lumière ; ils se couvrent de leur amour-propre ; ils aiment et possèdent les créatures en dehors de moi ; ils passent cette vie dans des peines insupportables qu'ils se causent ; et, s'ils ne changent de route, ils tombent dans la damnation éternelle. Ainsi je t'ai fait connaître ce que tout homme doit faire.

LVI

Les trois degrés du pont correspondent à trois états de l'âme.

1.     Je t'ai dit la route que doivent suivre et que suivent ceux qui sont dans la charité commune, c'est-à-dire ceux qui observent les commandements et qui acceptent les conseils spirituellement ; maintenant je veux te parler de ceux qui ont commencé à monter ces degrés, et qui veulent suivre la voie parfaite et observer complètement les commandements et les conseils dans les trois états que je vais t'expliquer plus particulièrement.

2.      L'âme a trois états auxquels s'appliquent ses trois puissances : le premier est imparfait, le second parfait, le troisième très parfait. Dans le premier, l'homme est pour moi un mercenaire, dans le second un serviteur fidèle, et. dans le troisième un fils qui m'aime sans songer à lui. Ces trois états peuvent se rencontrer en diverses créatures, et quelquefois se trouver dans une même personne. Ils se trouvent en une même personne lorsqu'elle court avec une ardeur parfaite dans la voie, employant son temps de manière qu'elle arrive de l'état servile à l'état généreux, et de l'état généreux à l'état filial.

3.     Élève-toi au-dessus de toi-même ; ouvre l’œil de ton intelligence et vois comment tous ces voyageurs s'avancent ; les uns marchent imparfaitement, les autres parfaitement dans la voie des commandements, d'autres très parfaitement dans la voie des conseils. Tu verras d'où vient l'imperfection, d'où vient la perfection, et quel est l'aveuglement de l'âme qui n'arrache pas d'elle-même la racine de l'amour-propre. En quelque état que se trouve l'homme, il a besoin de tuer en lui l'amour-propre.

LVII

L'âme, en regardant dans le divin miroir, voit les créatures marcher de différentes manières.

1.     Alors cette âme, embrasée d'un saint désir, contemplait dans le doux miroir de la Divinité les créatures qu'elle voyait prendre différentes routes et différents moyens pour arriver à leur fin. Beaucoup commençaient à monter en étant tourmentés par la crainte servile, c'est-à-dire en redoutant leur propre peine ; beaucoup d'autres triomphaient de cette crainte et parvenaient à la perfection, mais bien peu arrivaient à la grande et véritable perfection.

LVIII

La crainte servile ne suffit pas sans l'amour de la vertu. La loi de crainte et la loi d'amour sont unies ensemble.

1.     Alors la bonté de Dieu, voulant satisfaire le désir de cette âme, lui disait : Remarque ceux que la crainte servile à détachés de la corruption du péché mortel s'ils n'avancent pas avec l'amour de la vertu, la crainte servile ne leur suffira pas pour obtenir la vie bienheureuse ; mais I'amour uni à la crainte suffit, parce que la loi est fondée sur l'amour et la crainte.

2.      La loi de crainte est la loi ancienne que j'ai donnée à Moïse, et qui était fondée sur la crainte, parce que la peine punissait la faute commise. La loi d'amour est la loi nouvelle donnée par le Verbe, mon Fils unique ; elle est fondée sur l'amour. Mais cette loi nouvelle ne détruit pas l'ancienne : elle l'accomplit au contraire. Ma vérité a dit : “Je ne suis pas venu détruire la loi, mais l'accomplir” (Mt., V, 17).

3.     Il a uni la loi de crainte à la loi d'amour. L'amour a ôté l'imperfection de la crainte de la peine, mais il a laissé la perfection de la bonne crainte, c'est-à-dire la crainte de m'offenser, non pas à cause de la punition, mais à cause de moi, qui suis la bonté suprême. Ainsi la loi imparfaite est devenue parfaite par la loi d'amour.

4.      Mon Fils unique est Venu comme un char de feu, et il a répandu les flammes de ma charité dans votre humanité. L'abondance de ma miséricorde a éloigné la peine des fautes qui se commettent. Celui qui m'offense n'est pas puni sur-le-champ dès cette vie, comme le voulait autrefois la loi de Moïse. La punition est maintenant différée, et la crainte servile est inutile. La faute n'est pas pour cela impunie ; elle sera punie quand l'âme sera séparée du corps, si celui qui commet la faute ne la punit pas, dès cette vie, par une contrition parfaite.

5.     La vie est le temps de ma miséricorde, et la mort le temps de la justice. Il faut donc quitter la crainte servile et embrasser mon amour et ma sainte crainte. Sans cela l'homme retombe dans le fleuve, dès qu'il rencontre les flots de la tribulation, et les épines des consolations qui blessent l'âme qui les aime et les possède d'une manière déréglée.

LIX

Comment de la crainte servile, qui est l'état d'imperfection, on parvient à l'état de perfection.

1.     Je t'ai dit que personne ne pouvait sortir du fleuve et passer le pont sans monter trois degrés. On les monte imparfaitement, parfaitement et très parfaitement. Ceux qui sont conduits par la crainte servile montent et réunissent imparfaitement les puissances de leur âme. L'âme voit la peine qui suit la faute ; elle se lève et appelle la mémoire pour chasser la pensée du vice, l'intelligence pour voir la punition de la faute, afin que la volonté puisse la détester. Ce premier acte, ce premier effort doit être fait avec la vue de l'intelligence éclairée par la sainte foi.

2.      Elle doit non seulement regarder la peine, mais la récompense de la vertu et l'amour que je lui porte, afin qu'elle puisse monter par amour, avec une affection dégagée de toute crainte servile. On devient ainsi serviteur fidèle et non mercenaire, en me servant par amour et non par crainte, en s'efforçant d'arracher avec une sainte haine la racine de l'amour-propre, en agissant avec prudence, courage et persévérance. Mais il y en a beaucoup qui montent si lentement et qui me rendent ce qu'ils me doivent avec tant de mollesse et d'ignorance, qu'ils s'arrêtent bientôt et retournent en arrière au moindre vent qu'ils rencontrent. Et parce qu'ils ont monté si imparfaitement le premier degré de Jésus crucifié, ils n'arrivent pas au second, qui est son cœur.

LX

De l'imperfection de ceux qui aiment et servent Dieu pour leur utilité, leur plaisir et leur consolation.

1.     Il y en a qui deviennent mes serviteurs fidèles en me servant sans crainte de la punition et par amour. Mais cet amour est imparfait, parce qu'il vient de l'utilité, du plaisir et de la douceur qu'ils trouvent en moi. Sais-tu-ce qui montre que cet amour est imparfait ? C'est que, quand ils sont privés de la consolation qu'ils trouvent en moi, leur amour se refroidit et disparaît souvent. ils aiment le prochain avec la même imperfection.

2.      Si je veux éprouver mon serviteur dans son intérêt, pour le retirer de l'imperfection et l'exercer à la vertu, j'éloigne de lui la consolation qu'il goûtait en moi, et je le laisse attaquer par la tribulation : c'est le moyen de lui donner une connaissance plus parfaite de lui-même, et de lui montrer qu'il reçoit de moi seul l'être et la grâce. Ces combats le portent à se réfugier en moi, à reconnaître mes bienfaits et à me chercher seul avec une humilité sincère. C'est pour cela que je lui donne et que je lui retire la consolation, mais jamais la grâce.

3.     Beaucoup alors se refroidissent et reculent par défaut de patience. Ils abandonnent leurs pieux exercices et croient se justifier en disant : ces actes ne me profitent pas; puisque je n'en retire aucune consolation pour mon âme.

4.      C'est agir comme l'imparfait qui n'a pas encore dégagé la lumière de la foi du voile de son amour-propre spirituel ; car si ce voile était levé, l'âme verrait bien que toute chose vient de moi, et qu'une feuille d'arbre ne tombe pas sans ma providence. Tout ce que je donne, ou permets, arrive pour la sanctification de mes serviteurs, afin qu'ils possèdent le bien et la fin pour laquelle je les ai créés.

5.     Ils doivent voir et reconnaître que je ne veux autre chose que leur bonheur dans le sang de mon Fils unique, qui les purifie de leurs iniquités. Dans ce sang ils peuvent connaître ma vérité et voir que je les ai créés à mon image et à ma ressemblance, que je les ai créés de nouveau à la grâce par le sang de mon propre Fils, pour les rendre nies enfants adoptifs ; mais, parce qu'ils sont imparfaits, ils me servent par intérêt et n'aiment le prochain qu'avec tiédeur.

6.      Les uns perdent courage pour éviter la peine les autres se ralentissent dans le service de leur prochain et se refroidissent dans leur charité, parce qu'ils n'ont plus les avantages et les consolations qu'ils y trouvaient. Il ma est ainsi, parce que leur amour n'est pas pur, et qu'ils aiment leur prochain avec la même imperfection qu'ils m'aiment, c'est-à-dire par intérêt. S'ils ne reconnaissent pas leur imperfection, s'ils ne désirent pas s'en corriger, ils retournent nécessairement en arrière.

7.     Il faut que ceux qui veulent la vie éternelle aiment sans intérêt, parce qu'il ne suffit pas de fuir le péché par crainte du châtiment, ou d'embrasser la vertu par amour de ses avantages, il faut encore fuir le péché parce qu'il me déplaît, et aimer la vertu par amour pour moi.

8.      Il est vrai qu'ordinairement la crainte est le premier pas des pécheurs vers la pénitence. L'âme est imparfaite avant d'être parfaite ; mais de l'imperfection elle doit aller à la perfection, ou pendant la vie en pratiquant la vertu et en m'aimant d'un cœur libre, généreux et détaché, ou à la mort en reconnaissant son imperfection et en se promettant que si elle eu avait le temps, elle me servirait sans penser à elle.

9.     C'était cet amour imparfait que ressentait saint Pierre pour le doux et bon Jésus, mou Fils unique, lorsqu'il jouissait des délices de son intimité. Mais quand vint le temps de la tribulation, il l'abandonna ,et changea tellement, qu'au lieu de mourir pour lui, comme il avait dit, il le renia par peur et déclara qu'il ne l'avait jamais connu.

10.    L'âme succombe ainsi lorsqu' elle monte ces degrés par crainte servile ou par amour mercenaire. Il faut donc sortir de cette imperfection, m'aimer d'un amour filial et me servir sans intérêt ; car je sais récompenser toute peine, et je rends à chacun selon son état et ses efforts.

11.   Ceux qui n'abandonnent pas leurs prières et leurs bonnes œuvres, mais qui travaillent avec persévérance à augmenter leurs vertus, arriveront à l'amour des enfants. Je les aimerai avec cet amour, car je rends toujours l'amour qu'on me donne. Si quelqu'un m'aime comme le serviteur aime son maître, je le récompense comme un maître paie son serviteur, mais je ne me livre pas à lui, parce que les secrets ne se confient qu'à l'amitié : on ne fait qu'un avec son ami, mais non pas avec son serviteur. Il est vrai que le serviteur peut ‘augmenter tellement sa vertu et l'amour qu'il a pour son maître, qu'il deviendra son plus cher ami.

12.    Il en arrive ainsi à mes serviteurs : tant qu'ils restent dans l'amour mercenaire, je ne me manifeste point à eux. Mais s'ils rougissent de leur imperfection et s'ils aiment la vertu, s'ils arrachent avec une sainte haine la racine de l'amour-propre spirituel qui est en eux, si, montant sur le tribunal de leur conscience, ils font justice de la crainte servile et de l'amour mercenaire que n'a pas encore détruits dans leur cœur la lumière de la foi, alors ils me sont si agréables, que je les' aime comme des amis, je me manifesterai à eux, puisque nia Vérité a dit : “Celui qui m'aimera sera aimé de mon Père, et je l'aimerai ; je me manifesterai à lui, et nous demeurerons ensemble” (Jn, XIV, 21-35). C'est la condition des vrais amis d'être deux corps et une seule âme par l'amour, car l'amour transforme dans la chose aimée. S'ils n'ont qu'une âme, comment peuvent-ils avoir des secrets l'un pour l'autre ? Aussi mon Fils l'a dit : “Je viendrai, et nous demeurerons ensemble” ; et c'est la vérité.

LXI

Comment Dieu se manifeste à l'âme qui l'aime.

1.     Sais-tu comment je me manifeste dans l'âme qui m'aime en vérité et qui suit la doctrine de mon doux et bien-aimé Verbe ? Je manifeste de différentes manières ma vérité dans l'âme, selon son désir, et j'ai trois sortes de manifestations.

2.      Je manifeste premièrement dans l'âme mon amour et ma charité par le moyen du Verbe, mon Fils ; et cet amour, cette charité se voit dans son sang répandu avec tant d'ardeur. La charité se montre de deux manières l'une est générale et commune à tous ceux qui vivent dans la charité ordinaire. Ils la voient et l'éprouvent dans les nombreux bienfaits qu'ils reçoivent de moi l'autre manière est réservée à ceux qui sont devenus mes amis ; ils connaissent la charité plus que les autres, parce qu'ils la connaissent, la goûtent et l'éprouvent sensiblement dans leurs âmes.

3.     La seconde manifestation est pour ceux auxquels je me révèle par le sentiment de l'amour. Je ne regarde pas la créature, mais les saints désirs, et je me montre à l'âme avec la même perfection qu'elle me recherche. Quelquefois je me révèle, dans cette seconde manifestation, en dominant l'esprit de prophétie et cri montrant les choses futures : et cela de beaucoup de manières, selon les besoins de cette âme ou des autres créatures.

4.      D'autres fois, et c'est la troisième manifestation, je forme dans leur esprit la présence de ma Vérité, mon Fils unique, par plusieurs moyens, selon que l'âme le désire et le veut. Tantôt elle une cherche dans la prière en voulant connaître ma puissance, et je la satisfais en lui faisant goûter et sentir ma vertu ; tantôt elle me cherche dans la sagesse de mon Fils, et je la satisfais en l'offrant aux regards de son intelligence ; tantôt elle nie cherche dans la clémence de l'Esprit saint, et alors ma bonté lui fait goûter le feu de la divine charité, qui enfante les vraies et solides vertus, fondées sur la charité pure du prochain.

LXII

Pourquoi Jésus-Christ ne dit pas : “Je manifesterai mon Père”, mais : “Je me manifesterai”.

1.     Tu vois que mon Fils a dit la vérité dans cette parole : “Celui qui m'aimera sera une même chose avec moi” ; car en suivant sa doctrine avec amour vous êtes unis lui, et étant unis à lui vous êtes unis à moi, parce que nous sommes une même chose, et puisque nous sommes une même chose, je me manifesterai aussi à vous.

2.      Ainsi mon Fils a dit la vérité en disant : “Je me manifesterai à vous”, parce qu'en se manifestant il me manifeste, et en me manifestant il se manifeste. Mais pourquoi ne dit-il pas : Je vous manifesterai mon Père ? Pour trois raisons. La première est qu'il veut montrer que je ne suis pas séparé de lui, ni lui de moi ; et quand saint Philippe lui dit : “Montrez-nous le Père, et cela nous suffira”, il répond : “Qui me voit, voit le Père ; et qui voit le Père, me voit” (Jn, XIV, 8-9). Il le dit parce qu'il est une même chose avec moi ; et ce qu'il avait, il l'avait de moi, et non pas moi de lui. Aussi dit-il aux Juifs : “Ma doctrine n'est pas de moi, mais de mon Père, qui m'a envoyé”. Parce que mon Fils procède de moi, et non pas moi de lui. Mais comme je suis une même chose avec lui et lui avec moi, il ne dit pas ; Je manifesterai le Père, mais je me manifesterai ; parce que je suis une même chose avec le Père.

3.     La seconde raison, c'est qu'en se manifestant à vous il ne montrait que ce qu'il avait de moi, le Père ; comme s'il eût voulu dire : Le Père s'est manifesté entièrement en moi, puisque je suis une même chose avec lui. Je me manifesterai et je le manifesterai à vous par mon moyen.

4.      La troisième raison est, qu'étant invisible, je ne puis être vu de vous-tant que vous ne serez pas séparés de vos corps. Alors vous verrez ma divinité face à face, et vous verrez aussi le Verbe, mon Fils intellectuellement jusqu'au temps de la résurrection générale, lorsque votre humanité se conformera et se réjouira dans l'humanité du Verbe, comme je te l'ai dit en te parlant de la résurrection (Le texte dit : nel Trattato della resurrettione. Ces mots semblent indiquer un ouvrage de sainte Catherine de Sienne qui ne nous est pas parvenu).

5.     Vous ne pouvez me voir maintenant dans mon essence, et alors j'ai voilé la nature divine avec le voile de votre humanité, afin que vous pussiez me voir. Moi, l'invisible, je me suis fait pour ainsi dire visible en vous donnant le verbe, mon Fils, revêtu de votre nature ; Il m'a manifesté à vous. Il ne dit pas : Je manifesterai mon Père, mais : Je me manifesterai à vous ; comme s'il disait : Selon ce que m'a donné mon Père, je me manifesterai à vous. Tu vois que dans cette manifestation, en se manifestant il me manifeste. Tu ne lui a pas entendu dire : Je vous manifesterai le Père, car tant que vous êtes dans un corps mortel, vous ne pouvez me voir ; mais mon Fils est une même chose avec moi.

LXIII

Comment l'âme monte sur le second degré du pont.

1.     Tu as pu comprendre l'excellence de celui qui est parvenu à l'amour de l'ami ; il a monté par les pieds de l'affection, et il est arrivé au secret du cœur, c'est-à-dire au second degré, figuré sur le corps de mon Fils. Je t'ai dit que ces trois, degrés correspondaient aux trois puissances de l'âme ; et maintenant je les appliquerai aux trois états de l'âme. Avant de te conduire au troisième degré, je veux te montrer comment on parvient à être ami, et quand on est ami, comment on devient enfant par l'amour filial ; ce que fait celui qui est ami, et à quel signe on reconnaît l'ami.

2.      Premièrement, comment parvient-on à être ami ? L'homme était d'abord imparfait par la crainte servile ; mais avec l'exercice et la persévérance il parvient à l'amour de la jouissance et de l'utilité qu'il trouve en moi. Telle est la voie par laquelle passe celui qui désire arriver à l'amour parfait, c'est-à-dire à l'amour des amis et des enfants.

3.     Je dis que l'amour filial est parfait, parce que, dans l'amour du Fils, l'homme reçoit mon héritage, l'héritage du Père éternel ; et parce que l'amour du Fils comprend toujours l'amour de l'ami, je t'ai dit que l'ami était devenu fils. Quel est le moyen de parvenir à l'amour filial ? Le voici. Toute perfection et toute vertu procède de la charité, et la charité est nourrie par l'humilité ; l'humilité vient de la connaissance et de la haine de soi-même, c'est-à-dire de sa sensualité. Pour y arriver, il faut persévérer et rester dans la cellule de la connaissance de soi-même, où on connaîtra ma miséricorde dans le sang de mon Fils unique, en attirant par son amour ma charité divine, en s'exerçant à détruire toute mauvaise volonté spirituelle et temporelle, et en se cachant humblement dans son intérieur.

4.      C'est ce que fit Pierre avec les autres disciples : il gémit amèrement après avoir eu le malheur de renier mon Fils. Sa douleur était encore imparfaite, et elle fut imparfaite pendant quarante jours et jusqu'après l'Ascension ; car, mon Fils étant retourné vers moi quant à son humanité, Pierre et les autres disciples se cachèrent dans le cénacle pour attendre la venue du Saint-Esprit, que ma Vérité leur avait promis. Ils étaient renfermés par crainte, car l'âme craint toujours jusqu'à ce qu'elle soit arrivée à l'amour véritable ; mais en persévérant dans leurs veilles et dans leurs humbles prières jusqu'à ce qu'ils eussent reçu l'abondance de l'Esprit Saint, ils perdirent la crainte ; ils suivirent et prêchèrent Jésus crucifié.

5.     Ainsi, après s'être purifiée du péché mortel et s'être reconnue coupable, l'âme qui veut parvenir à la perfection commence à pleurer par crainte du châtiment ; puis elle s'élève à la considération de ma miséricorde, où elle trouve son bien-être et son avantage. Elle est encore imparfaite, et pour la faire arriver à la perfection, après quarante jours, c'est-à-dire après ces deux états, je me retire d'elle de temps en temps, non par grâce, mais par sentiment.

6.      C'est ce que mon Fils annonçait lorsqu'il disait aux disciples : “Je m'en vais, et je reviendrai vers vous”. Tout ce qu'il disait en particulier à ses disciples était dit en général à tous les hommes présents et futurs. Il dit : Je m'en vais, et je reviendrai vers vous ; et il en fut ainsi : car lorsque l'Esprit Saint fut descendu sur les disciples, il revint lui-même. Le Saint-Esprit ne vint pas seul, mais il vint avec ma puissance, avec la sagesse du Fils, qui est un avec moi, et avec la clémence du Saint-Esprit, qui procède du Père et du Fils.

7.     Or, je te le dis de même : Pour faire sortir l'âme de son imperfection, je me retire d'elle d'une manière sensible et je la prive de la consolation qu'elle avait d'abord. Lorsqu'elle était dans la souillure du péché mortel, elle s'est éloignée de moi, et je l'ai privée de ma grâce par sa faute ; parce qu'elle m'avait fermé la porte de son désir. Le soleil de la grâce ne brille plus au-dedans, non par la faute du soleil, mais par la faute de la créature, qui ne lui ouvre pas par le désir ; mais dès qu'elle reconnaît les ténèbres, elle ouvre la fenêtre et nettoie sa demeure par une sainte confession. Alors, par ma grâce, je retourne dans l'âme, et si je m'en retire quelquefois, elle ne perd pas la grâce, elle n'en perd que le sentiment.

8.      Je le fais pour la rendre humble, pour l'exercer âme chercher véritablement, pour l'éprouver à la lumière de la foi et lui faire acquérir la prudence. Alors, si elle aime d'une manière désintéressée, avec une foi vive et avec la haine d'elle-même, elle se réjouit dans la peine, parce qu'elle se trouve indigne de la paix et du repos de l'esprit. C'est la seconde des trois choses que je t'annonçais en te promettant de t'expliquer comment l'âme arrive à le perfection, et ce qu'elle fait quand elle y est arrivée. Voici ce qu'elle fait. Quand elle sent que je me suis retiré, elle ne retourne pas en arrière, mais elle persévère humblement dans ses exercices, et se renferme avec soin dans la connaissance d'elle-même.

9.     Elle y attend avec une foi vive l'avènement de l'Esprit Saint ; elle m'attend, moi, le feu de la charité. Comment m'attend-elle ? Elle m'attend, non dans l'oisiveté, mais dans les veilles et dans la prière continuelle ; non seulement dans les veilles du corps, mais dans les veilles de l'intelligence. L’œil de son intelligence ne se ferme jamais ; elle veille à la lumière de la foi pour arracher par la haine les pensées inutiles de son cœur ; elle attend l'ardeur de ma charité, car elle sait que je ne veux pas autre chose que la sanctification des âmes : le sang de mon Fils l'a bien prouvé.

10.    Pendant que son intelligence veille ainsi dans ma connaissance et dans la connaissance d'elle-même, l'âme prie toujours par une sainte et ferme volonté : c'est la prière continuelle. Elle prie aussi par la prière actuelle, c'est-à-dire qu'elle fait dans leur temps les prières ordonnées par l'Église. Voici ce que fait l'âme qui a quitté l'imperfection pour arriver à la perfection.

11.   C'est pour qu'elle y arrive que je me retire d'elle, non par la grâce, mais par le sentiment. Je m'en éloigne pour qu'elle voie et connaisse ses défauts, parce que, dès qu'elle se sent privée de la consolation, elle éprouve sa faiblesse ; elle comprend que seule elle ne peut être ferme et persévérante, et par là elle découvre la racine de l'amour-propre spirituel. Elle se connaît ainsi, elle s'élève au-dessus d'elle-même, et s'asseyant sur le tribunal de sa conscience, elle ne fait grâce à aucun sentiment blâmable en arrachant la racine de l'amour-propre avec la haine de cet amour et avec l'amour de la vertu.

LXIV

En aimant Jésus imparfaitement, on aime imparfaitement le prochain. Signes de cet amour imparfait.

1.     Je veux que tu saches que toute imperfection et toute perfection qui se manifestent et s'acquièrent en moi, se manifestent et s'acquièrent par le moyen du prochain. C'est ce qu'éprouvent les âmes simples qui aiment les créatures d'un amour spirituel. Si l'on m'aime d'un amour pur et désintéressé, on aime de même le prochain.

2.      Quand on remplit un vase à une fontaine, si on le retire de la fontaine pour boire, le vase est bientôt vide, mais si l'on boit en tenant le vase dans la fontaine, il ne se vide pas, mais il est toujours plein. Il en est de même de l'amour spirituel ou temporel du prochain, il faut y boire en moi, sans le tirer à soi.

3.     Je vous demande que vous m'aimiez comme je vous aime. Vous ne pouvez le faire complètement, puisque je vous ai aimés sans être aimé. L'amour que vous ayez pour moi est une dette que vous acquittez, et non pas une grâce que vous m'accordez. L'amour que j'ai pour vous au contraire est une grâce, et non une dette.

4.      Vous ne pouvez donner me rendre l'amour que je réclame, et cependant je vous en offre le moyen dans votre prochain faites pour lui ce que vous ne pouvez faire pour moi. Mon Fils l'a montré lorsqu'il disait a Paul qui me persécutait “Saul, Saul, pourquoi me persécutes tu ?” (Ac IX, 4). Il le disait parce que Paul me persécutait en persécutant mes fidèles.

5.     Il faut que votre amour soit pur et qu'avec cet amour dont vous m'aimez, vous aimiez les autres. Sais-tu, ma fille, comment on reconnaît que l'amour spirituel dont on aime n'est pas parfait ? Il est imparfait si l'âme souffre quand il lui semble que la créature qu'elle aime ne répond pas à son amour ou qu'elle n'en est pas aimée autant qu'elle croit l'aimer. Si elle souffre de la perte de sa présence, de ses consolations, ou de la préférence qu'elle donne à un autre.

6.      C'est à cela et à beaucoup d'autres choses semblables qu'on voit l'imperfection de l'amour que l'âme a pour moi et pour le prochain. Elle boit alors dans le vase hors de la fontaine, quoique l'amour l'ait rempli de moi. Mais parce qu'elle m'aime encore imparfaitement, elle montre qu'elle aime imparfaitement aussi le prochain. Cela vient de la racine de l'amour-propre spirituel, qui n'est pas encore arrachée.

7.     Je permets souvent ces épreuves de l'amour pour que l'âme se connaisse dans son imperfection. Je lui retire ma présence sensible pour qu'elle se renferme dans la connaissance d'elle-même, et qu'elle acquière ainsi la perfection. Je reviens ensuite avec une plus abondante lumière, avec une connaissance plus grande de ma vérité, pourvu qu'elle soit persuadée que c'est par ma grâce seulement qu'elle pourra tuer sa volonté.

8.     Qu'elle ne cesse jamais de travailler à sa vigne, d'en arracher les épines des pensées inutiles, et d'y mettre les pierres des vertus affermies dans le sang de Jésus crucifié, qu'elle a trouvées en allant par le pont de mon Fils bien-aimé. Car je te l'ai dit, si tu te le rappelles bien, sur ce pont de la doctrine de ma Vérité sont les pierres fondées sur la vertu de son sang, et les vertus vous donnent la vie par la vertu du sang.

È

TRAITÉ DE LA PRIÈRE

LXV

Du moyen que prend l'âme pour arriver à l'amour pur et généreux.

1.     Lorsque l'âme est entrée dans le chemin de la perfection, en passant par la doctrine de Jésus crucifié, avec l'amour véritable de la vertu et avec la haine du vice, lorsqu'elle est arrivée par une sainte persévérance à la cellule de la connaissance d'elle-même, elle s'y renferme dans les veilles et la prière continuelle, et elle se sépare de la conversation des hommes. Pourquoi se renferme-t-elle ? Elle se renferme par la crainte que lui cause la vue de son imperfection, et par le désir qu'elle a d'arriver à l'amour généreux et parfait. Elle voit et comprend qu'on ne peut y arriver par un autre moyen, et elle attend avec une foi vive ma venue par l'augmentation de la grâce en elle. A quoi se reconnaît cette foi vive ? A la persévérance dans la vertu et dans la sainte prière, quelque chose qui arrive. A moins que ce ne soit par obéissance ou par charité, vous ne devez jamais abandonner la prière.

2.      Souvent le démon obsède plus l'âme de ses tentations pendant le temps destiné à la prière que pendant le temps qui n'y est pas consacré : il voudrait vous inspirer l'ennui de la, prière. Quelquefois il dit : Cette prière ne vous sert de rien, parce qu'on ne doit pas être ainsi distrait. Le démon s'efforce par ce moyen de troubler et, de dégoûter l'âme de l'exercice de la prière, parce que la prière est une arme avec laquelle l'âme se défend contre tous ses ennemis, lorsqu'elle la prend avec la main de l'amour et le bras du libre arbitre, et qu'elle combat à la lumière de la sainte foi.

LXVI

L'âme doit passer de la prière vocale à la prière mentale.

1.     Tu sais, ma fille bien-aimée, que c'est en persévérant dans une prière humble, continuelle et fidèle, que l'âme acquiert toute vertu. Elle doit persévérer, et ne se laisser jamais arrêter par les illusions du démon ou par sa propre fragilité. Elle doit résister aux pensées, aux mouvements de la chair, et aux propos que l'esprit du mal met sur la langue des hommes pour la détourner de la prière. Oh ! que cette prière est douce à l'âme, et qu'elle m'est agréable, lorsqu'elle est faite avec la connaissance de sa bassesse et la connaissance de ma bonté, à la lumière de la sainte foi et avec l'ardeur de ma charité !

2.      Cette charité s'est rendue visible dans la personne de mon Fils unique, qui vous la montra en répandant son sang. Ce sang enivre l'âme et l'embrase du feu de la charité divine ; cette nourriture sacramentelle qui vous est offerte par la sainte Église est le corps et le sang de mon Fils, tout Dieu et tout homme. Mon Vicaire, qui tient la clef de ce précieux sang, est chargé de vous le distribuer. On le trouve dans cette hôtellerie établie sur le pont pour nourrir et assister les pèlerins qui passent par la doctrine de ma vérité, afin qu'ils ne périssent pas de faiblesse.

3.     Cette nourriture soutient peu ou beaucoup, selon le désir et les dispositions de celui qui la prend sacramentellement ou virtuellement : sacramentellement en recevant la sainte Hostie des mains du prêtre, virtuellement par le saint désir de la Communion ou par la pieuse contemplation du sang de Jésus crucifié. L'âme y trouve et goûte le sentiment de l'amour qui l'a fait répandre ; elle s'y enivre, s'y enflamme d'un saint désir, et se remplit uniquement de ma charité et de la charité du prochain. Où acquiert-elle cette charité ? Dans la cellule de la connaissance d'elle-même, par la sainte oraison, comme Pierre et les disciples, qui, en se renfermant dans les veilles et la prière, perdirent leur imperfection et acquirent la perfection. Par quel moyen ? Par la persévérance unie à la sainte foi.

4.      Mais ne pense pas qu'on reçoive cette ardeur et cette force divine par une prière purement vocale. Beaucoup me prient plutôt des lèvres que du cœur. Ils ne songent qu'à réciter un certain nombre de psaumes et de Pater noster. Dès qu'ils ont rempli leur tâche, ils ne pensent pas à autre chose ; ils mettent toute leur piété dans de simples paroles. Il ne faut pas agir de la sorte ; quand on ne fait pas davantage, on en retire peu de fruit et on m'est peu agréable. Faut-il quitter la prière vocale pour la prière mentale, à laquelle tous ne semblent pas appelés ? Non, mais il faut procéder avec ordre et mesure.

5.     Tu sais que l'âme est imparfaite avant d'être parfaite sa prière doit être de même. Pour ne pas tomber dans l'oisiveté, lorsqu'elle est encore imparfaite, l'âme doit s'appliquer à la prière vocale ; mais elle ne doit pas faire la prière vocale sans la faire mentale ; pendant que les lèvres prononcent des paroles, elle s'efforcera d'élever et de fixer son esprit dans mon amour, par la considération de ses défauts en général et du sang de mon Fils, où elle trouvera l'abondance de ma charité et la rémission de ses péchés.

6.      Elle doit le faire pour que la connaissance d'elle-même et la vue de ses fautes lui fassent connaître ma bonté envers clic et continuer sa prière avec une humilité véritable. Je ne veux pas qu'elle considère ses fautes en particulier, mais en général, pour qu'elle ne soit pas souillée par le souvenir de ses péchés honteux. Je dis aussi qu'elle ne doit pas considérer ses péchés en généraI et en particulier sans y joindre la considération du sang de mon Fils et les souvenirs de mon inépuisable miséricorde, afin qu'elle ne tombe pas dans la confusion.

7.     Si la connaissance d'elle-même et la vue de son péché n'étaient pas accompagnées de la mémoire du sang et de l'espérance de la miséricorde, elle serait nécessairement troublée, et le démon se servirait de sa confusion et de son regret pour la faire tomber dans la damnation éternelle. Ce trouble la conduirait au désespoir, parce qu'elle ne s'appuierait pas sur le bras de ma miséricorde.

8.      C'est là un des pièges les plus dangereux que le démon tende à mes serviteurs. Pour échapper à sa malice et pour m'être agréable, vous devez toujours dilater votre cœur et votre amour dans mon infinie miséricorde par une humilité sincère, tu sais que l'orgueil du démon ne peut supporter une âme humble, et qu'il est confondu par la grandeur de ma bonté et de ma miséricorde, dès que l'âme espère véritablement en moi.

9.     Souviens-toi que le démon voulait te perdre, en te troublant ; il tâchait de te persuader que ta vie était pleine d'égarements et que tu n'avais jamais suivi ma volonté. Tu fis alors ce que tu devais faire, et ce que ma bonté t'avait enseigné, car ma bonté est toujours présente à qui veut la recevoir. Tu t'appuyais avec humilité-sur ma miséricorde, et tu disais : Je confesse à mon Créateur que ma vie s'est passée dans les ténèbres, mais je me cacherai dans les -plaies de Jésus crucifié ; je me baignerai dans son sang. J'effacerai ainsi mes iniquités, et je me réjouirai par mon désir dans mon Créateur.

10.    Le démon prit la fuite, mais il revint avec une autre tentation, et voulut te porter à l'orgueil en te disant : Tu es parfaite et agréable à Dieu ; il est inutile de t'affliger davantage et de pleurer tes fautes. Ma lumière te fit voir alors la route que tu devais prendre ; c'était celle de l'humilité, et tu répondis au démon : Misérable que je suis ! Jean-Baptiste n'a jamais fait de péché, il a été sanctifié dans le sein de sa mère, et il a fait pourtant beaucoup pénitence : et moi qui ai commis tant de fautes, ai-je commencé à les reconnaître et à les pleurer ? ai-je compris ce qu'est Dieu, et ce que je suis, moi qui l'offense ?

11.   Alors le démon, ne pouvant supporter l'humilité de l'espérance en ma bonté, te cria : Sois maudite, car je ne puis rien faire avec toi si je veux t'abaisser parle désespoir, tu t'élèves par l'espérance de la miséricorde ; si je veux t'élever par l'orgueil, tu t'abaisses par l'humilité jusqu'aux enfers, où tu me poursuis. Je te fuirai maintenant, car tu me frappes toujours avec le bâton de la charité.

12.    L'âme doit donc sans cesse unir à la connaissance de ma bonté la connaissance d'elle-même, et à la connaissance d'elle-même ma connaissance. C'est ainsi que la prière vocale sera utile à l'âme qui la fera, et qu'elle me sera agréable ; de la prière vocale imparfaite elle arrivera par la pratique et la persévérance à la prière mentale parfaite. Mais si elle se contente de réciter un certain nombre de prières, et si pour la prière vocale elle laisse la prière mentale, elle n'y arrivera jamais.

13.   Souvent l'âme, dans son ignorance, s'obstine à réciter de vive voix certaines prières, lorsque je la visite, tantôt en lui donnant une claire connaissance d'elle-même et la contrition de ses fautes, tantôt en lui faisant comprendre la grandeur de ma charité, d'autres fois en lui manifestant de différentes manières, comme il me plaît et comme elle l'avait désiré, la présence dé mon Fils bien-aimé ; mais elle, pour accomplir la tâche qu'elle s'est imposée, néglige ma visite et se fait un cas de conscience de ne pas achever ce qu'elle a commencé.

14.    Elle ne doit pas agir ainsi, car ce serait' être le jouet du démon. Dès qu'elle sent au contraire ma visite par les moyens que je viens de dire, elle doit abandonner la prière vocale pour la prière mentale, et ne la reprendre que si elle a le temps. Si elle n'en a pas le temps, elle ne doit pas s'en attrister et se troubler, parce qu'elle a fait ce qu'elle devait faire. Il faut excepter cependant l'office divin, que les ecclésiastiques et les religieux sont obligés de dire : en ne le disant pas ils m'offensent, puisqu'ils y sont tenus jusqu'à la mort. S'ils sentent leur esprit attiré vers la prière mentale à l'heure qu'ils devaient consacrer à la récitation de l'office, ils doivent faire en sorte de le dire, avant ou après, parce qu'ils ne doivent jamais y manquer.

15.   L'âme doit commencer par la prière vocale pour arriver à la prière mentale, et dés qu'elle s'y trouve disposée, elle gardera le silence. La prière vocale, faite comme je l'ai dit, conduit à la prière parfaite ; il ne faut donc pas l'abandonner, mais suivre le mode que je t'ai enseigné : et ainsi, par la pratique et la persévérance, l'âme goûtera la prière véritable et se nourrira du sang de mon Fils bien-aimé.

16.    Je t'ai dit que quelques-uns participaient au corps et au sang du Christ virtuellement, quoique non sacramentellement, parce qu'ils participaient à l'ardeur de la charité, qui se goûte au moyen de la sainte prière, peu ou beaucoup, selon le désir de celui qui prie. Celui qui prie avec peu d'application recueille peu ; celui qui prie avec beaucoup d'application recueille beaucoup. Plus l'âme s'efforce d'affranchir son amour et de s'unir à moi par la lumière de l'intelligence, plus elle me connaît ; plus elle me connaît, plus elle m'aime ; plus elle m'aime, plus. Elle me goûte.

17.   Ainsi, tu vois que la prière parfaite ne consiste pas dans la multitude des paroles, mais dans l'ardeur du désir qui élève l'âme vers moi, par la connaissance de. son néant et la connaissance de ma bonté jointes ensemble : il faut donc unir la prière mentale et la prière vocale comme la vie active et la vie contemplative.

18.    Il y a différentes manières de comprendre la prière vocale et la prière mentale. Car je t'ai dit que le désir, c'est-à-dire une volonté bonne et sainte, était une prière continuelle. Cette volonté se manifeste dans un lieu et dans un moment donné, et surajoute à la prière continuelle du désir ; et ainsi la prière vocale, unie à la sainte volonté de l'âme, se fera dans le temps prescrit, ou quelquefois se continuera au delà, si la charité le demande pour le salut du prochain, ou si la position où je l'ai placée l'exige.

19.   Chacun, selon son état, doit coopérer au salut des âmes, comme l'inspire une sainte volonté. Tout ce qui se dit et se fait pour le salut du prochain est une prière méritoire, mais qui n'exempte pas de la prière vocale prescrite à un certain moment et dans un certain lieu. En dehors de cette prière obligatoire, tout ce qui se fait dans la charité de Dieu et du prochain, tout ce qu'on fait même pour soi avec une intention droite, peut être appelé une prière ; car, comme le dit mon apôtre saint Paul, on ne cesse pas de prier dès qu'on ne cesse pas de bien faire : aussi j'ai dit que la prière se faisait de plusieurs manières, en unissant la prière actuelle à la prière mentale. Cette prière actuelle est inspirée par l'ardeur de la charité, et cette ardeur de la charité est la prière continuelle.

20.    Je t'ai dit comment on parvenait à la prière mentale, par la pratique, par la persévérance, et en laissant la prière vocale pour la prière mentale lorsque je visite l'âme ; je t'ai dit ce qu'étaient la prière publique et la prière vocale faite en dehors du temps prescrit, la prière du désir, et comment tout ce qu'on fait pour soi ou pour son prochain avec une intention droite était une prière. Il faut donc que l'âme s'excite avec courage à la prière, qui enfante la vertu ; et l'âme y parviendra si elle se renferme dans la connaissance d'elle-même avec un amour tendre et filial. Si l'âme ne le fait pas, elle restera toujours dans sa tiédeur et son imperfection ; elle n'aimera qu'autant qu'elle trouvera son avantage et son plaisir en moi et dans le prochain.

LXVII

De l'erreur des gens du monde qui aiment et servent Dieu pour leur consolation.

1.     Je veux te parler de l'amour imparfait et de l'erreur de ceux qui m'aiment pour leur propre consolation. Tu sauras que le serviteur qui m'aime imparfaitement, cherche plutôt la consolation qu'il ne me cherche moi-même : cela est évident, puisqu'il se trouble dès qu'il manque de consolations spirituelles ou temporelles.

2.      Les consolations temporelles charment les hommes du monde, qui font quelque bien tant qu'ils sont dans la prospérité ; mais quand vient la tribulation que je leur donne dans leur intérêt, ils se troublent et abandonnent le peu de bien qu'ils faisaient. Si vous leur demandez : Pourquoi vous troublez-vous ? Ils répondront : Parce que je suis dans la peine, et le peu de bien que je faisais dans la prospérité me semble inutile, puisque je ne le fais plus avec le même amour et le même esprit. C'est la tribulation qui en est cause, car il me semble que j'agissais bien mieux, avec plus de paix et de calme autrefois que maintenant.

3.     Celui qui parle ainsi est aveuglé par l'intérêt. Il n'est pas vrai que ce soit la tribulation qui diminue son amour et ses œuvres. Ce qu'on fait dans la tribulation vaut autant que ce qu'on fait dans la consolation, et même Le mérite en augmenterait si l'on avait la patience. Mais cela vient de ce que ces hommes s'attachent trop à la prospérité. Ils m'aiment peu par vertu, et se reposent l'esprit dans quelques bonnes œuvres. Dès qu'ils sont privés de ce qui, les charme, il leur semble qu'ils n'ont plus la paix nécessaire pour bien faire ; il leur arrive comme à un homme qui est dans un beau jardin : parce qu'il s'y plaît, il aime y travailler ; il croit aimer son travail, mais c'est le beauté du jardin qu'il aime. Il est- facile de voir qu'il aime plus le jardin que le travail ; car, dès qu'il a quitté le jardin, il ne ressent plus de plaisir. Si son plaisir venait du travail, il ne l'aurait pas ainsi perdu ; il l'aurait toujours, parce que la faculté de bien faire ne peut se perdre sans la volonté de l'homme, même lorsqu'on ne jouit plus de la prospérité, comme l'homme ne jouit plus du jardin.

4.     La passion égare ceux qui agissent ainsi et qui disent : Je sais que je faisais mieux et que j'avais plus de consolations avant d'être éprouvé. J'aimais à faire le bien, mais maintenant je n'y ai aucun goût. Ils se font illusion ; s'ils eussent aimé le bien par amour du bien, ils n'auraient pas cessé de l'aimer et, loin d'en perdre le goût, ils l'auraient davantage ; mais ils faisaient le bien pour le plaisir qu'ils y trouvaient ; leur amour du bien cesse avec ce plaisir, et c'est là une erreur où tombent la plupart de ceux, qui font des bonnes oeuvres ; ils s'abusent sur le plaisir qu'elles leur causent.

LXVIII

Combien se trompent ceux qui aiment Dieu avec cet amour imparfait.

1.     Mes serviteurs qui sont encore dans l'amour imparfait me cherchent et m'aiment à cause de la consolation et du bonheur qu'ils trouvent en moi. Et comme je récompense tout le bien qui se fait, petit ou grand, scion la mesure de l'amour qui agit, je donne des consolations spirituelles, tantôt d'une manière, tantôt d'une autre, dans le temps de la prière, Je ne le fais pas pour que l'âme reçoive mal la consolation, c'est-à-dire quelle s'arrête plus à la consolation que je lui donne qu'à moi-même, mais bien pour qu'elle regarde plus l'ardeur de ma charité à donner et son indignité à recevoir, que le plaisir qu'elle trouve dans ces consolations. Mais si dans son ignorance, elle s'arrête à la seule jouissance, sans faire attention à mon amour envers elle, alors elle tombe dans un malheur et un égarement que je vais te faire connaître.

2.      Elle est trompée d'abord par cette consolation qu'elle cherche et dans laquelle elle se complaît. Car quelquefois je la console et je la visite plus qu'à l'ordinaire ; et quand je me retire, elle revient sur ses pas pour retrouver les jouissances dans la route qu'elle avait suivie. Je ne donne pas toujours de la même manière, afin qu'elle sache que je distribue ma grâce comme il plaît à ma bonté et comme le demandent ses besoins. Mais l'âme ignorante recherche la consolation dans les mêmes choses, comme si elle voulait imposer une règle à l'Esprit Saint.

3.     Elle ne doit pas agir ainsi, mais elle doit passer avec courage par ce pont de la doctrine de Jésus crucifié, et recevoir en la manière, au lieu et au moment choisis par ma bonté pour lui donner. Si je ne lui donne pas, je le fais par amour et non par haine, pour qu'elle me cherche en vérité et qu'elle ne m'aime pas seulement pour son plaisir, mais qu'elle s'attache plutôt à ma charité qu'à la consolation. Si elle ne le fait pas, et si elle cherche, la jouissance selon sa volonté et non selon la mienne, elle trouvera la peine et la honte, parce qu'elle se verra privée de ce plaisir où elle avait fixé le regard de son intelligence.

4.     Tels sont ceux qui s'arrêtent aux consolations : ils ont goûté ma visite d'une certaine manière, et ils veulent toujours y revenir. Leur ignorance est telle, que, si je les visite d'une autre façon, ils résistent et ne veulent me recevoir que comme ils le désirent. Cette erreur vient de leur attachement à la jouissance spirituelle qu'ils ont trouvée en moi.

5.      L'âme se trompe, parce qu'il est impossible qu'elle soit visitée toujours de la même manière. Elle ne peut rester stationnaire, elle avance ou elle recule dans la vertu, et alors elle ne peut recevoir de ma bonté les mêmes grâces ; je les varie au contraire, je lui donne tantôt la grâce spirituelle, tantôt une contrition et un regret qui semblent la bouleverser. Quelquefois je serai dans l'âme, et elle ne me sentira pas ; quelquefois je manifesterai ma volonté, c'est-à-dire mon Verbe incarné, de différentes manières aux yeux de son intelligence, et cependant il semblera que l'âme ne goûte pas l'ardeur et la joie que cette vision devrait lui donner. D'autres fois, au contraire, elle ne verra rien, et goûtera un grand bonheur.

6.     Je fais tout cela par amour, pour la sauver, pour la faire croître dans l'humilité et la persévérance, pour lui apprendre à ne pas vouloir me donner de règle, et à ne pas mettre sa fin dans la consolation, mais seulement dans la vertu, dont je suis le fondement. Qu'elle reçoive humblement les différents états où elle se trouve, qu'elle reconnaisse avec amour l'amour avec lequel je donne. Qu'elle croie fermement que j'agis toujours uniquement pour la sauver ou la faire parvenir à une plus grande perfection. Elle doit être toujours humble et placer son principe et sa fin dans la fidélité à ma charité, et recevoir dans cette charité le plaisir et la privation, selon ma volonté et non selon la sienne. Le moyen d'éviter les pièges de l'ennemi est de recevoir tout de moi par amour, parce que je suis la fin suprême de l'homme et que, toute chose doit être basée sur ma douce volonté.

LXIX

De ceux qui, pour ne pas perdre la paix et la consolation, négligent d'assister le prochain.

1.     Je t'ai parlé de l'erreur de ceux qui veulent me goûter et me recevoir à leur manière ; maintenant je veux te faire connaître combien se trompent ceux qui s'attachent tellement à la consolation, que, voyant les besoins spirituels ou temporels du prochain, ils ne font rien pour les soulager, sous prétexte de mieux faire ; ils disent : Cela m'ôte la paix de l'âme et m'empêche de réciter mes prières ordinaires.

2.      Ils croient m'offenser parce qu'ils n'ont plus de consolations, mais leur amour-propre spirituel les abuse ; car ils m'offensent bien plus en ne secourant pas leur prochain qu'en abandonnant toutes leurs consolations. Si j'ordonne des prières vocales et mentales, c'est pour que l'âme puisse arriver à la charité envers moi et envers le prochain, c'est pour qu'elle persévère dans cette charité.

3.     Elle m'offense plus en abandonnant la charité du prochain pour prier et pour conserver la paix, qu'en laissant ses exercices pour assister le prochain. Aussi l'âme me trouve dans la charité du prochain, tandis qu'elle me perd dans les consolations où elle me cherche. Car en n'assistant pas le prochain, la charité du prochain diminue par là même. Dès que la charité du prochain diminue, mon amour pour elle diminue, et avec mon amour diminue aussi la consolation.

4.      En voulant cagner on perd, en voulant perdre on gagne ; car celui qui renonce à la consolation pour le salut du prochain me gagne, et gagne le prochain en l'assistant et en le servant avec charité. Il goûte ainsi toujours la douceur de ma charité. Celui qui ne le fait pas, au contraire, est toujours dans la peine ; car souvent l'obéissance, les liens particuliers, les infirmités spirituelles ou temporelles des autres le contraindront à s'occuper du prochain : et alors il le fera avec chagrin, avec ennui et trouble de conscience ; il deviendra insupportable à lui-même et aux autres.

5.     Si vous lui demandez : Pourquoi ressentez-vous de la peine ? Il vous répondra : Il me semble que j'ai perdu la paix et la tranquillité d'esprit ; je n'ai pas fait mes exercices ordinaires, et je crois que j'ai offensé Dieu. Il n'en est rien ; mais parce qu'il ne regarde que sa propre consolation, il ne sait connaître et discerner véritablement où est son offense. S'il le savait, il verrait que l'offense ne consiste pas à être privé de consolation spirituelle et à laisser l'exercice de la prière lorsque les besoins du prochain le réclament, mais à manquer de charité pour le prochain, qu'on doit aimer et servir par amour pour moi. Tu vois donc que l'âme se trompe elle-même à cause de son, amour-propre spirituel.

LXX

De l'erreur de ceux qui mettent toute leur affection dans les consolations et les visions.

1.     L'amour-propre spirituel cause un mal plus grand à l'âme lorsqu'elle aime et recherche uniquement les consolations et les visions que j'accorde souvent à mes serviteurs. Dès qu'elle s'en voit privée, elle tombe dans le chagrin et l'ennui, parce qu'il lui semble qu'elle est privée de la grâce lorsqu'elle ne sent plus ma présence ; car, comme je te l'ai dit, je parais et je disparais dans l'âme, afin de la rendre parfaite. Elle tombe dans l'abattement et croit être réprouvée dès qu'elle perd la consolation et qu'elle sent les attaques de la tentation.

2.      Elle ne devrait pas se laisser ainsi abuser par l'amour-propre spirituel, qui lui cache la vérité. Qu'elle sache que moi, le souverain Bien, je suis en elle pour soutenir sa volonté pendant le combat, et pour l'empêcher de reculer en recherchant la consolation. Elle doit s'humilier et se reconnaître indigne de la paix et du repos de l'esprit. Je me retire d'elle pour qu'elle s'humilie et qu'elle reconnaisse ma charité dans la volonté droite que je lui conserve pendant le combat.

3.     II faut qu'elle ne reçoive pas seulement le lait de la douceur que je lui présente, mais il faut- qu'elle s'attache au sein de ma Vérité, et qu'elle reçoive le lait avec la chair, c'est-à-dire qu'elle se nourrisse du lait de ma douceur par le moyen de la chair de Jésus crucifié, dont j'ai fait un pont pour que vous arriviez à moi. C'est pour cela que je me retire. Si l'âme avance avec prudence et sagesse, je reviens bientôt à elle avec plus de douceur, de force et de charité ; mais si elle reçoit avec trouble et tristesse la privation des douceurs spirituelles, elle y gagne peu et reste dans sa tiédeur.

LXXI

Ceux qui s'attachent aux consolations spirituelles peuvent être trompés par le démon qui se transforme en ange de lumière. Des signes auxquels on peut reconnaître qu'une vision vient de Dieu ou du démon.

1.     Ceux qui s'attachent aux consolations spirituelles sont souvent exposés à d'autres pièges du démon, qui se transforme en ange de lumière. Le démon tente toujours l'âme sur ce qu'elle désire davantage, et, s'il la voit passionnée pour les consolations et les visions spirituelles, si elle y met tout son bonheur, au lieu de le mettre dans la vertu en se reconnaissant indigne des douceurs de mon amour, alors il revêt pour elle des formes de lumière :, tantôt il prend l'apparence d'un ange, tantôt celle de mon Fils, tantôt celle de quelque saint. Il agit ainsi pour prendre l'âme à l'amorce du plaisir qu'elle trouve dans les visions et les douceurs spirituelles. Si l'âme ne se retire pas avec une humilité profonde en repoussant la jouissance qui lui est offerte, elle tombe par ce piège dans les mains du démon. Mais si elle se sépare de la jouissance par l'humilité, si elle s'attache par l'amour à moi qui donne, plutôt qu'à mes présents, alors le démon est vaincu, parce que son orgueil ne peut supporter l'humilité de l'âme.

2.      Si tu me demandes comment on peut reconnaître. ce qui vient du démon et ce qui vient de moi, je te répondrai que c'est à ce signe. : Si c'est le démon qui se présente, à l'âme sous forme de lumière, elle en reçoit une vive joie ; mais plus la vision se prolonge, plus la joie diminue, et il ne reste bientôt que trouble, tristesse et ténèbres qui obscurcissent tout l'intérieur. Mais si c'est moi, l'éternelle Vérité, qui visite l'âme, elle éprouve au premier moment une sainte frayeur, et avec cette frayeur, la joie, l'assurance, une douce prudence qui fait qu'en doutant elle ne doute pas.

3.     La connaissance d'elle-même la persuade de son indignité. Elle dit : Je ne suis pas digne de recevoir votre visite, et, puisque je n'en suis pas digne, comment cela peut-il être ? Alors elle se confie à la grandeur de ma charité ; elle comprend que je puis lui donner ce qu'il me plaît, en ne regardant pas son indignité, mais ma dignité, qui me rend, capable de me recevoir en elle-même par grâce et d'une manière sensible. Je ne méprise pas son désir qui m'appelle, et elle me reçoit humblement en disant : Voici, votre servante, qu'il me soit fait selon votre volonté. Alors elle quitte l'oraison et les douceurs de ma présence avec joie, avec humilité, parce qu'elle se trouve indigne de tout ce qu'elle reçoit de ma charité.

4.     Tel est le signe qui montre si l'âme est visitée par moi ou par le démon. Ma visite commence par la crainte, elle continue et finit dans la joie et l'espoir de la vertu ; celle du démon commence par la joie, mais elle se termine dans la confusion et les ténèbres de l'esprit. Je vous ai donné ce signe pour que l'âme qui veut marcher avec humilité et prudence ne puisse être trompée ; elle le sera, quand elle voudra avancer seulement avec l'amour imparfait de sa propre consolation, et non pas avec mon amour.

LXXII

L'âme qui se connaît évite les tromperies du démon.

1.     Je n'ai pas voulu te cacher, ma fille bien-aimée, l'erreur où tombent ordinairement les hommes qui se complaisent dans le peu de bien qu'ils font au temps de la consolation, et celle de mes serviteurs qui s'attachent tellement aux douceurs spirituelles, qu'ils ne peuvent plus connaître la vérité de mon amour et discerner où se trouve le péché. Je t'ai dit le piège où le démon les prend par leur faute s'ils ne suivent pas le moyen que je t'ai enseigné. Ainsi toi et mes autres serviteurs, vous devez suivre la vertu par amour pour moi, et non par un autre, motif.

2.      Ces erreurs et ces dangers sont pour ceux dont l'amour est imparfait, c'est-à-dire pour ceux qui aiment plus mes bienfaits que moi-même. Mais l'âme qui est entrée dans la connaissance d'elle-même en s'exerçant à l'oraison parfaite, en rejetant l'imperfection de l'amour et de la prière, comme je te l'ai expliqué, cette âme me reçoit par l'amour ; elle s'efforce d'attirer à elle le lait de ma douceur sur le sein de la doctrine de Jésus crucifié.

3.     Elle est arrivée au troisième état, c'est-à-dire à l'amour tendre et filial ; elle n'a pas un amour mercenaire, mais elle agit avec moi comme un ami agit avec son ami qui lui fait un présent : il ne regarde pas au présent, mais au cœur de celui qui donne, et il n'aime le présent que par amour pour son ami. Ainsi fait l'âme qui est parvenue à l'amour parfait. Quand elle reçoit mes bienfaits et mes grâces, elle ne s'arrête pas au présent, mais son intelligence contemple la grandeur de ma charité qui donne.

4.- Pour que l'âme ne puisse s'excuser de ne pas faire ainsi, j'ai voulu unir le bienfait au bienfaiteur, en unissant la nature humaine à la nature divine, lorsque je vous ai donné le Verbe, mon Fils unique, qui est une même chose avec moi comme moi avec lui. Par cette union vous mie pouvez voir le présent sans voir celui qui vous le fait. Comprenez donc avec quel amour vous devez aimer le don et le donateur. Si vous faites cela, vous aurez un amour non pas mercenaire, mais pur et généreux, comme ceux qui se renferment dans la connaissance d'eux-mêmes.

LXXIII

Comment l'âme quitte l'amour imparfait et arrive à l'amour parfait.

1.     Jusqu'à présent je t'ai montré de différentes manières comment' l'âme quitte l'imperfection pour arriver à l'amour parfait, et comment elle agit quand elle est parvenue à l'amour intime et filial. Je t'ai dit et je te répète qu'elle y arrive par la persévérance, en se renfermant dans la connaissance d'elle-même, Cette connaissance d'elle-même doit être accompagnée de la connaissance de ma bonté, pour qu'elle n'en soit pas troublée. Car la connaissance d'elle-même lui donnera la haine de son amour, sensitif et de l'attrait qu'elle a pour les consolations. De cette haine fondée sur l'humilité doit naître la patience.

2.      La patience deviendra sa force contre les attaques du démon et contre les persécutions des hommes. Elle s'en servira avec moi, lorsque, pour son bien, je lui retire la consolation. Elle supportera tout au moyen de cette vertu. Si la sensualité voulait, dans quelques épreuves, se révolter contre la raison, le juge de la conscience s'élèverait au-dessus d'elle avec une sainte haine et ferait justice de tout mouvement coupable. Car l'âme qui ne s'aime pas se corrige toujours et se reprend non seulement des mouvements qui sont contre la raison, mais encore quelquefois de ceux qui viennent de moi.

3.     C'est ce que veut faire comprendre mon doux serviteur saint Grégoire, lorsqu'il dit qu'une conscience sainte et pure trouvait le péché là où il n'était pas, c'est-à-dire que sa délicatesse était si grande, qu'elle voyait une faute où il n'y en avait pas. L'âme doit faire de même si elle veut quitter l'imperfection, et si elle attend, dans la connaissance d'elle-même et à la lumière de la foi, ce qu'ordonnera ma Providence.

4.     Ainsi firent mes disciples, lorsqu'ils se renfermèrent dans le Cénacle, persévérant dans les veilles et la prière jusqu'à la descente du Saint-Esprit. L'âme, comme je te l'ai dit, fait de même. Elle s'éloigne de l'imperfection et se renferme en elle-même pour atteindre la perfection. Elle veille, et fixe le regard de son intelligence sur la doctrine de ma Vérité. Elle se connaît et persévère humblement dans la prière d'un saint désir, parce qu'elle éprouve en elle l'ardeur de ma charité.

LXXIV

Des signes auxquels on connaît que l'âme est arrivée à l'amour parfait.

1.     Je vais te dire maintenant quel signe prouve que l'âme est arrivée à l'amour parfait. Ce signe est le même signe qu'on vit dans mes disciples, lorsqu'ils eurent reçu l'Esprit Saint. Ils sortirent du Cénacle, perdirent toute crainte et annoncèrent ma parole, la doctrine du Verbe mon Fils bien-aimé. Loin de redouter la souffrance, ils s'en glorifiaient ; ils ne craignaient pas de paraître devant les tyrans du monde et de leur dire la vérité pour l'honneur et la gloire de mon nom.

2.      Ainsi, lorsque l'âme s'est renfermée dans la connaissance d'elle-même, comme je te l'ai dit, je retourne vers elle par le feu de ma charité. Cette charité, pondant qu'elle persévérait dans sa retraite, lui a fait concevoir la vertu par amour, en lui communiquant ma puissance ; avec cette puissance elle a dominé et vaincu sa passion sensitive.

3.     Par la même charité, je l'ai fait participer à la sagesse de mon Fils, et dans cette sagesse elle voit et connaît, par l’œil de l'intelligence, ma vérité et les égarements de l'amour-propre spirituel, c'est-à-dire l'amour imparfait de la consolation. Elle connaît la malice et les mensonges avec lesquels le démon abuse l'âme qui est liée à cet amour imparfait ; elle se lève avec la haine de l'imperfection et avec l'amour de la perfection.

4.      Par cette même charité, qui est le Saint-Esprit, je la fais participer à sa volonté, en fortifiant la volonté qu'elle a de supporter toute peine, de sortir de la retraite pour mon nom, et de produire des bonnes oeuvres envers le prochain. Elle ne sort pas de sa connaissance, mais elle fait sortir d'elle-même les vertus conçues par l'amour. Elle les montre de différentes manières, quand les besoins du prochain le réclament ; car elle n'a plus la crainte qu'elle avait de perdre ses consolations spirituelles.

5.     Elle est parvenue à l'amour généreux et parfait, et elle agit au dehors sans penser à elle-même. L'âme arrive au second degré de ce troisième état parfait, où elle goûte et enfante la charité du prochain. Elle obtient ce degré de parfaite union en moi. Ces deux derniers degrés sont unis ensemble, et l'un n'est pas sans l'autre ; mon amour n'est jamais sans l'amour du prochain, et celui du prochain, sans le mien, ils ne peuvent être jamais séparés : de même, ces deux degrés ne sont jamais l'un sans l'autre, comme je te le montrerai en t'expliquant le troisième état.

LXXV

Les imparfaits veulent suivre seulement le Père, tandis que les parfaits suivent le Fils.

1.     Je t'ai dit que ceux qui sortent ainsi dehors, montrent qu'ils ont quitté l'imperfection et sont arrivés à la perfection. Ouvre les yeux de ton intelligence, et vois-les courir sur le pont de Jésus crucifié, votre règle, votre loi et votre doctrine. Ils ne se proposent pas d'autre but que Jésus crucifié. Ce n'est pas moi le Père qu'ils se proposent, comme font ceux qui sont dans l'amour imparfait et qui ne veulent pas supporter de peine, parce qu'en moi ne peut se trouver la peine.

2.      Les imparfaits ne veulent suivre que la consolation qu'ils trouvent en moi. Je te le dis, ce n'est pas moi qu'ils suivent, c'est la consolation qu'ils trouvent en moi. Les parfaits, au contraire, font autrement : embrasés par l'amour, ils ont uni les trois puissances de l'âme et monté les trois degrés figurés sur le corps de Jésus crucifié. Avec les pieds de son affection, leur âme est parvenue des pieds de mon Fils à son côté, où elle trouve le secret du cœur et connaît le baptême de l'eau, qui a sa vertu par le sang. L'âme y reçoit la grâce du saint baptême et y devient un vase capable de contenir la grâce unie et mélangée de ce sang.

3.     Où l'âme connaît-elle la dignité d'être unie et mélangée au sang de l'Agneau, en recevant le saint baptême par la vertu de ce sang ? Dans le côté de mon Fils où elle connaît le feu de la divine charité. Si tu te le rappelles, ma Vérité incarnée te l'a révélé, lorsque tu l'interrogeais en lui disant : Doux Agneau sans tache, vous étiez mort quand votre côté a été ouvert. Pourquoi vouloir que votre cœur soit ainsi frappé et entrouvert ? Mon Fils te répondit, s'il t'en souvient, qu'il avait eu bien des raisons ; et il te dit les principales.

4.      Son désir de sauver le genre humain était infini, et son corps ne pouvait supporter la douleur et les tourments que dans une certaine mesure ; ce qui était fini ne pouvait donc montrer l'amour infini dont il vous aimait ; alors il voulut que vous vissiez le secret de son cœur, et il vous le montra ouvert, pour vous faire comprendre qu'il vous aimait plus que ne le pouvait montrer sa mort.

5.     L'eau et le sang qui en sortirent signifiaient le saint baptême de l'eau, que vous recevez en vertu du sang ; il répandit le sang et l'eau pour marquer deux baptêmes de sang : le premier, que reçoivent ceux qui répandent leur sang pour moi : ce sang tire sa vertu du sang de mon Fils, et remplace le baptême qu'ils n'ont pu recevoir ; le second est le baptême de feu, que reçoivent ceux qui désirent le baptême avec un ardent amour sans pouvoir l'obtenir ; et il n'y a pas de baptême de feu sans le sang ; parce que ce sang est pénétré par le feu de la divine charité qui l'a fait répandre.

6.      L'âme reçoit aussi le baptême de sang d'une autre manière, pour parler par figure ; ma divine charité l'accorde parce qu'elle Voit' l'infirmité et la fragilité de l'homme qui l'entraîne au péché. Sa fragilité, ni aucune autre cause ne l'entraînerait au péché, s'il n'y consentait pas ; mais il y tombe par faiblesse, et le péché lui fait perdre la grâce qu'il avait reçue au baptême en vertu du sang ; alors il fallait que ma divine bonté perpétuât le baptême du sang par la contrition du cœur et par la sainte confession, en s'adressant, quand on le peut, à mes ministres qui gardent les clefs du sang.

7.     Le sang est versé sur l'âme par l'absolution, et quand on ne peut se confesser, il suffit de la contrition du cœur : alors c'est la main de ma clémence qui vous donne le bénéfice du sang. Mais celui qui pourra se confesser devra le faire, et celui qui le pourra, et ne le fera pas, sera privé du bénéfice du sang.

8.      Il est vrai que, quand on le veut, au moment de la mort, et qu'on ne le peut pas, on reçoit le sang. Mais que personne ne soit assez insensé pour espérer se faire pardonner ses fautes au dernier instant ; car il peut craindre que, pour punir son obstination, ma divine justice lui dise : Tu ne t'es pas souvenu de moi pendant la vie, quand tu en avais le temps ; je ne me souviendrai pas de toi dans la mort. On ne doit donc jamais différer sa conversion ; mais, alors même, on doit jusqu'à la fin espérer dans le sang et en recevoir le baptême.

9.     Mais tu vois que le baptême de sang peut toujours couler sur l'âme ; et dans ce baptême tu reconnais l'action de mon Fils. La peine de la croix est finie, mais le fruit que vous en recevez est infini à cause de la nature divine infinie qui est unie à la nature humaine finie. La nature humaine souffrait dans mon Verbe revêtu de votre humanité, mais comme les deux natures sont unies et pénétrées l'une pour l'autre, La divinité attire à elle la peine qu'elle a supportée sur la croix avec un amour ineffable, et son action peut être appelée infinie.

10.    La peine n'était pas infinie, puisqu'elle était limitée par le corps, et que le désir de souffrir pour vous racheter a cessé sur la croix quand l'âme de mon Fils s'est séparée de son corps ; mais le fruit qui est sorti de cette peine est infini comme le désir de votre salut, et vous le recevez d'une manière infinie ; car s'il n'était pas infini, le genre humain ne pourrait pas être sauvé dans le passé, dans le présent et dans l'avenir. L'homme qui m'offense ne pourrait se relever sans cesse, si le baptême de sang ne lui était accordé d'une manière infinie, et si le fruit du sang n'était pas infini.

11.   C'est ce que mon Fils vous a montré par la blessure de son côté ; c'est là que vous trouvez le secret de son cœur, parce que vous y voyez qu'il vous aime plus qu'il ne peut vous le montrer par une peine finie. Il vous le montre d'une manière infinie, par le baptême du sang uni au feu de la charité divine, car c'est l'amour qui l'a fait répandre. Le baptême est donné à tous les chrétiens, et à quiconque veut le recevoir, dans l'eau unie au sang et au feu. L'âme est ainsi pénétrée par le sang de mon Fils, et c'est pour vous faire comprendre ces choses qu'il a fait sortir le sang et l'eau de son côté. J'ai maintenant répondu à ce que tu m'avais demandé.

LXXVI

L'âme au troisième degré parvient à la bouche de Jésus-Christ.- La mort de la volonté propre est le signe qu'elle y est arrivée.

1.     Tout ce que je viens de te dire, mon Fils te l'avait enseigné ; mais j'ai voulu te le répéter, en te parlant de lui pour te faire mieux comprendre l'excellence de l'âme parvenue au second degré, où elle connaît et acquiert si bien l'ardeur de l'amour, qu'elle court aussitôt au troisième degré, c'est-à-dire à la bouche : et là elle montre qu'elle est parvenue à l'état parfait. Par où passe-t-elle ? L'âme passe par le cœur, c'est-à-dire qu'elle se rappelle où elle a été baptisée, et laissant l'amour imparfait, par la connaissance que lui donne cet aimable cœur, elle voit, elle goûte et ressent le feu de ma charité.

2.      Ceux qui sont arrivés à la bouche font ce que fait la bouche. La bouche parle avec la langue qu'elle a ; elle goûte les aliments, elle les retient pour les donner à l'estomac, et les dents les broient pour qu'ils puissent être avalés. L'âme fait de même ; elle me parle d'abord avec la langue, qui est dans la bouche du saint désir, c'est-à-dire avec la langue d'une sainte et continuelle prière. Cette langue parle, réellement et mentalement : elle parle mentalement lorsqu'elle m'offre ses doux et amoureux désirs pour le salut des âmes ; elle parle réellement lorsqu'elle annonce la doctrine de ma Vérité, lorsqu'elle avertit et conseille le prochain, lorsqu'elle confesse la foi sans craindre ce que le monde peut lui faire souffrir. Elle parle hardiment devant toute créature, de toutes les manières et à chacun selon son état.

3.     L'âme aussi apaise la faim qu'elle a des âmes pour mon honneur sur la table de la très sainte Croix. Nulle autre chose et nulle autre table ne pourraient la rassasier parfaitement. Elle broie sa nourriture avec les dents, sans lesquelles elle ne peut rien avaler. La haine et l'amour sont comme deux rangées de dents dans la bouche du saint désir ; la nourriture qu'elle reçoit est préparée pas la haine d'elle-même et par l'amour de la vertu, en elle et dans son prochain. Elle broie l'injure, le mépris, les affronts, les reproches, les persécutions nombreuses ; elle supporte la faim, la soif, le froid, le chaud, les angoisses, les larmes et les sueurs pour le salut des âmes. Elle accepte tout pour mon honneur et ne rejette jamais son prochain.

4.      Quand tout est ainsi préparé, elle goûte et savoure le fruit de sa fatigue, et la douceur de ces âmes dont elle se rassasie dans ma charité et dans la charité du prochain. Cette nourriture parvient à l'estomac, qui est excité par le désir et la faim des âmes ; et cet organe est l'amour et le zèle de son cœur pour le prochain. Elle se plaît tant à savourer et à s'approprier cette nourriture, qu'elle perd le goût des délicatesses de la vie corporelle, afin de pouvoir mieux se rassasier de cet aliment, qu'elle trouve sur la table de la sainte Croix et de la doctrine de Jésus crucifié.

5.     Alors l'âme s'engraisse de solides et véritables vertus, et se développe tellement dans l'abondance, que le vêtement de la sensualité qui la couvre se déchire, c'est-à-dire que son corps perd tout désir sensuel. Ce qui est ainsi déchiré meurt, et la volonté sensitive disparaît ; car la volonté de l'âme qui vit en moi est revêtue de mon éternelle volonté : la sensualité meurt donc eu elle. Telle est l'âme arrivée au troisième degré de la bouche. Ce qui indique son progrès, c'est que la volonté propre est morte en goûtant l'ardeur de ma charité.

6.      L'âme trouve dans la bouche la paix et le repos. Tu sais que la bouche donne le baiser de paix : aussi à ce degré l'âme possède tellement la paix, que personne ne peut la troubler, parce qu'elle a perdu et détruit sa volonté propre, dont la mort seuls procure la paix et le repos. L'âme alors enfante sans douleur des vertus à l'égard du prochain : non pas qu'elle Soit exempte de peine, mais sa volonté, qui est morte, ne peut plus les ressentir, et elle supporte tout volontairement pour l'honneur de mon nom. Elle court avec ardeur dans la voie de Jésus crucifié ; elle ne se laisse point arrêter par l'injure, par les persécutions qu'elle rencontre ou par les plaisirs que le monde voudrait lui donner : elle surmonte tout avec force et persévérance.

7.     Son amour s'est revêtu du feu de ma charité ; il se rassasie du salut des âmes avec une patience sincère et parfaite. Cette patience est la preuve certaine que l'âme m'aime parfaitement et sans intérêt. Car si elle m'aimait et aimait le prochain pour sa consolation, elle serait impatiente et s'arrêterait dans sa route. Mais parce qu'elle m'aime pour moi, qui suis la souveraine Bonté, seule digne d'être aimée, parce qu'elle s'aime et qu'elle aime le prochain pour moi, pour louer et glorifier mon nom, elle est patiente, forte et persévérante.

LXXVII

Des œuvres de l'âme parvenue au troisième degré.

1.     Il y a trois glorieuses vertus qui sont fondées sur la charité, et qui sont les fruits de ses branches : ces vertus sont la patience, la force, la persévérance. Elles sont couronnées par la lumière de la très sainte foi ; cette lumière dissipe les ténèbres de l'âme qui court dans la voie de la Vérité ; l'âme est exaltée par un saint désir, et personne n'est capable de l'arrêter. Le démon ne peut lui nuire par ses tentations, car il craint l'âme embrasée du feu de la charité. Les persécutions et les injures des hommes sont impuissantes contre elle ; si le monde la poursuit, le monde aussi la redoute. Ma bonté le permet pour la fortifier et la faire grandir devant moi et devant le monde, parce qu'elle s'est faite petite par humilité.

2.      Ne le vois-tu pas dans mes saints, qui se sont abaissés pour moi et que j'ai élevés en moi, et dans le corps mystique de la sainte Église, qui parle toujours d'eux, parce que leurs noms sont écrits en moi, le livre de vie ? Oui, le monde les respecte, parce qu'ils ont méprisé le monde. Ils ne cachent pas leur vertu par crainte, mais par humilité ; et si le prochain a besoin de leurs services, ils ne se cachent pas de peur de souffrir et de perdre leur consolation ; mais ils le servent avec courage, s'oubliant et se sacrifiant eux-mêmes.

3.     De quelque manière qu'ils consacrent leur vie et leur temps à mon honneur, ils sont heureux et trouvent la paix et le repos de l'esprit. Pourquoi ? Parce qu'ils veulent me servir, non pas selon leur volonté, mais selon la mienne, et qu'ils aiment le temps de la consolation comme le temps de la tribulation, la prospérité comme l'adversité ; l'une ne leur pèse pas plus que l'autre, parce qu'en toute chose ils trouvent ma volonté, et qu'ils n'ont pas d'autre pensée que de s'y conformer dès qu'ils la connaissent.

4.      Ils ont vu que rien ne se fait sans moi et que tout est ordonné mystérieusement par ma providence, excepté le péché, qui est un néant. C'est pour cela qu'ils détestent le péché et qu'ils acceptent avec respect les autres choses. Ils sont fermes et inébranlables dans leur volonté de suivre la voie de la vérité. Ils ne se ralentissent jamais, et servent fidèlement leur prochain, sans s'arrêter à son ignorance et à son ingratitude. Si quelquefois le méchant leur dit des injures et leur fait des reproches, ils n'en continuent pas moins leurs bonnes oeuvres et les prières qu'ils m'offrent pour lui, et ils souffrent plus de l'offense qu'il me fait et du tort qu'il cause à son âme que de toutes les injures qui leur sont adressées. C'était ce que disait mon glorieux apôtre saint Paul : "Le monde nous maudit, et nous bénissons ; il nous persécute, et nous le souffrons avec patience et actions de grâce ; il blasphème, et nous prions ; nous sommes rejetés comme les ordures du monde, et nous le supportons" (I Cor., IV, 12-13).

5.     Tu vois, ma fille bien-aimée, le signe par excellence qui montre que l'âme a quitté l'amour imparfait pour, l'amour parfait : ce signe est la vertu de patience, qui lui fait suivre le doux Agneau sans tache, mon cher Fils. Lorsqu'il était sur la Croix où les clous de l'amour l'attachaient, il ne tint pas compte des injures des Juifs, qui lui criaient : "Descends, et nous croirons en toi" (S.Matth. XXVII, 42). Votre ingratitude ne l'empêcha pas de persévérer dans l'obéissance que je lui avais imposée, et sa patience fut si grande, qu'on n'entendit pas la moindre plainte sortir de ses lèvres.

6.      Ainsi font mes enfants bien-aimés, mes fidèles serviteurs qui suivent la doctrine et l'exemple de ma Vérité. Le monde a beau vouloir les faire reculer par ses caresses ou ses menaces ; ils ne tournent jamais la tête en arrière, et fixent toujours leurs regards sur ma Vérité. Ils ne veulent jamais quitter le champ de bataille, pour venir reprendre chez eux le vêtement qu'ils y ont laissé, c'est-à-dire cet amour qui fait préférer la créature au Créateur. Ils restent joyeusement dans la mêlée, tout enivrés du sang de Jésus crucifié, de ce sang que j'ai chargé la sainte Église de distribuer pour soutenir et animer mes vrais chevaliers, qui combattent la sensualité, la chair, le mondé et le démon, avec la haine de leurs ennemis et l'amour de la vertu. Cet amour est une armure qui résiste à tous les coups et rend invulnérable tant qu'on la conserve et que le libre arbitre ne livre pas volontairement à l'ennemi le glaive qu'il tient dans ses mains. Ceux qui sont enivrés du sang de mon Fils ne le font jamais ; ils persévèrent courageusement jusqu'à la mort, où tous leurs ennemis sont confondus.

7.     O glorieuse vertu, combien tu me plais! tu brilles dans le monde même, aux yeux ténébreux des ignorants qui ne peuvent s'empêcher de participer à la lumière de mes serviteurs. Dans la haine avec laquelle ils les poursuivent brille la bonté de mes serviteurs, qui désirent leur salut. Dans leur envie brille la grandeur de la charité, dans leur cruauté la pitié : car plus ils sont cruels, plus mes serviteurs sont compatissants. Dans l'injure triomphe la patience, qui règle et gouverne toutes les vertus, parce qu'elle est la moelle de la charité. Elle prouve et affermit les vertus de l'âme ; elle montre si elles sont fondées ou non en moi. Elle est victorieuse et jamais vaincue, car elle est accompagnée, comme je te l'ai dit, de la force et de la persévérance ; elle remporte la victoire, et quand elle quitte le champ de bataille, c'est pour venir à moi le Père, l'Éternel, qui récompense toute fatigue et qui lui donne la couronne de gloire.

LXXVIII

Du quatrième état, qui n'est pas séparé du troisième.- Des œuvres de l'âme arrivée à cet état, et comment Dieu ne se sépare jamais d'elle d'une manière sensible.

1.     Je t'ai dit comment on reconnaît que l'âme est arrivée à la perfection de l'amour sincère et filial ; maintenant je veux te dire le bonheur qu'elle goûte en moi, même dans son corps mortel. Lorsqu'elle est arrivée au troisième état dont je t'ai parlé, elle en atteint un quatrième, qui n'est pas séparé du troisième, mais qui lui est uni nécessairement, comme ma charité est toujours unie à la charité du prochain. C'est un fruit qui sort de ce troisième état par l'union parfaite que l'âme contracte avec moi ; elle y trouve une force si grande que non seulement elle souffre avec patience, mais qu'elle désire avec ardeur souffrir pour l'honneur et la gloire de mon nom.

2.      Elle se glorifie dans les opprobres de mon Fils unique, comme le disait mon apôtre saint Paul : "Je me glorifie dans la tribulation et dans les opprobres de Jésus crucifié" (II Cor., XII, 9). Et ailleurs : "Puis-je me glorifier en autre chose qu'en Jésus crucifié" ? Il disait aussi : "Je porte les stigmates de Jésus crucifié dans mon corps" (Gal., VI, 14-17). De même, ceux qui se passionnent pour mon honneur et qui sont affamés du salut des âmes, courent à la table de la très sainte Croix ; ils veulent souffrir beaucoup pour être utiles au prochain, pour conserver et acquérir des vertus en portant les stigmates du Christ dans leur corps. Car l'amour crucifié qui les brûle, brille dans leur corps, et ils le montrent en se méprisant eux-mêmes, en se réjouissant des opprobres, des peines que je leur accorde, de quelque côté ou de quelque manière qu' elles leur viennent.

3.     Pour ces fils bien aimés la peine est un plaisir et le plaisir une fatigue. Ils repoussent les consolations et les jouissances que leur offre le monde, non seulement ils ne veulent pas celles que le monde leur donne par ma permission, car quelquefois les serviteurs du monde sont forcés par ma bonté à les vénérer et à les assister dans leurs besoins, mais encore ils ne veulent pas des consolations spirituelles qu'ils reçoivent de moi, et cela par humilité et par haine d'eux-mêmes. Ils ne méprisent pas la consolation, le présent de ma grâce, mais le plaisir que l'âme trouve dans cette consolation. Ce qui les inspire, c'est la vertu d'une humilité sincère acquise par une sainte haine ; cette humilité est la gardienne et la nourrice de la charité que donne la connaissance de moi et d'eux-mêmes. Aussi tu vois briller dans leur esprit et dans leur corps la vertu et les stigmates de Jésus crucifié.

4.      Je leur fais la grâce de ne jamais me séparer d'eux d'une manière sensible, comme je le fais pour les autres dont je me rapproche et m'éloigne, non par la grâce mais par la douceur de ma présence. Je n'agis pas de la sorte avec ceux qui sont arrivés à la grande perfection et qui sont entièrement morts à leur volonté ; car je me repose continuellement dans leur âme par ma grâce et d'une manière sensible. Dès qu'ils veulent s'unir à moi par un regard d'amour, ils le peuvent, parce que leur désir les attache tellement à moi que rien ne peut les en séparer. Tous les lieux et les instants leur conviennent pour la prière, parce que leur conversation s'est élevée au-dessus de la terre, et s'est fixée dans le ciel. Ils ont perdu toute affection terrestre, tout amour-propre sensitif ; ils se sont élevés au-dessus d'eux-mêmes jusque dans les hauteurs des cieux, par l'échelle des vertus et les trois degrés que je t'ai montrés sur le corps de mon Fils.

5.     Au premier degré, ils ont dépouillé les pieds de leur affection de l'amour du vice ; au second, ils ont goûté le secret et l'affection du cœur, et ils ont conçu l'amour pour les vertus ; au troisième, où est la paix de l'esprit, ils ont acquis les vertus en quittant l'amour imparfait, et ils sont parvenus à la grande perfection, où ils ont trouvé le repos dans la doctrine de ma Vérité.

6.      Ils ont trouvé la table, la nourriture et le serviteur. La nourriture, ils la goûtent au moyen de la doctrine de Jésus crucifié. C'est moi qui suis le lit et la table ; mon doux et tendre Fils est la nourriture ; car ils se rassasient en lui du salut des âmes, et ils se nourrissent de lui-même. Je vous l'ai donné pour aliment ; vous recevez au Sacrement de l'Autel sa chair et son sang, sa divinité, son humanité tout entière, que ma bonté vous offre pour que vous ne tombiez pas de faiblesse pendant votre pèlerinage, pour que vous n'oubliiez pas le bénéfice du sang versé pour vous avec tant d'amour, mais pour que vous soyez toujours pleins de force et d'ardeur dans votre voyage.

7.     L'Esprit Saint les sert, car l'ardeur de ma charité leur distribue les dons et les grâces. Ce doux serviteur va et vient pour les servir ; il me porte leurs ardents et amoureux désirs, et il leur porte le fruit de leurs fatiguez, dont ils goûtent et savourent la douceur dans leurs âmes. Ainsi tu le vois, je suis la table, mon Fils est la nourriture, et le Saint-Esprit, qui procède du Père et du Fils, est le serviteur.

8.      Remarque qu'ils me possèdent toujours d'une manière sensible : plus ils ont rejeté les jouissances et voulu la peine, plus ils ont perdu la peine et trouvé la Jouissance. Pourquoi ? Parce qu'ils sont enflammés et embrasés de ma charité qui a Consumé leur volonté. Aussi le démon redoute les coups de leur charité ; il leur jette de loin ses flèches et n'ose pas en approcher.

9.     Le monde les frappe à l'extérieur, croyant les blesser, et c'est lui qui se blesse ; car le trait qui ne peut pénétrer revient sur celui qui le jette. Ainsi le monde, lorsqu'il lance les injures, la persécution et les murmures, sur mes parfaits serviteurs, ne trouve aucun endroit où il puisse les atteindre, parce que le jardin de leur âme est fermé ; et le trait revient sur celui qui l'a lancé, empoisonné par la faute. Il ne peut blesser d'aucun côté les parfaits, parce qu'en frappant le corps il n'atteint pas l'âme qui reste heureuse et affligée, affligée de la faute du prochain, et heureuse de la charité qu'elle possède.

10.    Elle suit ainsi l'Agneau sans tache, mon Fils bien-aimé, qui, sur la croix, était heureux et affligé. Il était affligé de la croix que souffrait son corps, et de la croix du désir qu'il avait d'expier la faute des hommes ; il était heureux, parce que la nature divine, unie à la nature humaine, ne pouvait souffrir et ravissait toujours son âme en se montrant à elle sans voile, li était heureux et affligé, parce que la chair souffrait, mais que la divinité ne pouvait souffrir, pas plus que son âme dans la partie supérieure de son entendement. De même, mes enfants bien-aimés, lorsqu'ils sont arrivés au troisième et au quatrième degré, sont affligés par des croix spirituelles et corporelles, puisqu'ils souffrent dans leur corps, comme je le permets, et qu'ils sont tourmentés du regret que leur causent mon offense et le malheur du prochain ; mais ils sont heureux parce que le trésor de la charité qu'ils possèdent ne peut leur être enlevé ; et c'est pour eux une source d'allégresse et de béatitude.

11.   Leur affliction n'est pas une douleur qui dessèche l'âme : elle l'engraisse, au contraire, dans l'ardeur de la charité. La peine augmente la vertu, la fortifie, la développe et l'excite. Elle n'affecte pas l'âme, mais elle la nourrit. Aucune douleur, aucune peine ne peut la retirer du foyer d'amour où elle est plongée. Un tison qui est embrasé dans une fournaise ne peut être saisi parce qu'il est tout en feu : de même l'âme qui est jetée dans la fournaise de ma charité n'est plus rien en dehors de moi ; sa volonté est détruite et elle est toute embrasée en moi ; personne ne peut la prendre et la retirer de ma grâce, parce qu'elle est devenue une même chose avec moi, et moi une même chose avec elle.

12.   Jamais je ne lui retire ma présence comme je le fais pour les autres dont je me rapproche et m'éloigne pour les conduire à la perfection. Lorsqu'ils y sont arrivés je cesse ce jeu de l'amour ; cette alternative de visites et d'absences est un jeu de l'amour ; c'est par amour que je pars, c'est par amour que je reviens. Je ne me retire pas réellement, car je suis un Dieu immuable et je ne change pas ; mais c'est l'effet sensible de ma charité dans l'âme qui parait et disparaît.

LXXIX

Dieu ne se sépare jamais des parfaits par grâce et par sentiment, mais par union.

Dans sa traduction latine, le bienheureux Raymond, confesseur de sainte Catherine, affirme ici que l'état dont il est question était celui de notre sainte.

1.     Je te disais que les parfaits ne perdent jamais le sentiment de ma présence. Je m'éloigne cependant d'une autre manière, parce que leur âme, qui est unie à leur corps, ne pourrait supporter continuellement l'union que je contracte avec elle. Et parce qu'elle ne le peut pas, je m'éloigne, non par sentiment ou par grâce, mais par union.

2.      Lorsque l'âme s'élance avec ardeur vers la vertu par le pont de la doctrine de Jésus crucifié, et qu'elle arrive à la porte divine, elle élève son esprit eu moi, elle se baigne et s'enivre du sang ; elle brûle du feu de l'amour et goûte en moi la divinité même. L'âme s'unit tellement à cet océan tranquille, qu'elle ne peut avoir de pensée qu'en moi. Dès sa vie mortelle elle goûte le bien de l'immortalité, et malgré le poids de son corps elle reçoit les joies de l'esprit.

3.     Souvent son corps est élevé de terre par la parfaite union de l'âme avec moi, comme si le corps était déjà devenu subtil. Il n'a pas perdu sa pesanteur, mais parce que l'union de l'âme avec moi est plus parfaite que son union avec le corps, la force de l'esprit fixé en moi soulève de terre le poids du corps, et le corps reste immobile et brisé par l'amour de l'âme : tellement que, comme tu l'as entendu dire de quelques personnes, il lui serait impossible de vivre si ma bonté ne lui en donnait pas la force. Et je veux que tu saches que c'est un plus grand miracle de voir l'âme ne pas quitter le corps dans cette union, que de voir plusieurs corps morts ressusciter.

4.      Aussi j'arrête pour quelque temps cette union de l'âme et je la fais retourner dans le vase de son corps ; la sensibilité de ses organes, qui avait été suspendue par l'ardeur de l'âme, recommence ses fonctions. Car l'âme n'est complètement séparée du corps que par la mort, mais elle perd seulement ses puissances par l'amour qui l'unit à moi. La mémoire ne contient d'autre chose que moi ; l'intelligence ne contemple d'autre objet que ma Vérité, et l'amour qui suit l'intelligence, n'aime et ne s'unit qu'à ce que voit l'intelligence. Toutes ses puissances sont unies, abîmées et consumées en moi. Le corps perd tout sentiment. L’œil en voyant ne voit pas, l'oreille en entendant n'entend pas, la langue en parlant ne parle pas, à moins que quelquefois, à cause de la plénitude du cœur, je ne permette à la langue de le laisser déborder et de parler pour la gloire de mon nom.

5.     Ainsi, la langue en parlant ne parle pas, la main en touchant ne touche pas, les pieds en marchant ne marchent pas ; tous les membres sont liés et retenus par les liens de l'amour, et ces liens les soumettent tellement à la raison et les unissent si étroitement à l'ardeur de l'âme, que tous ensemble, contrairement à la nature, ils crient vers moi le Père éternel pour que le corps soit séparé de l'âme et l'âme du corps. C'est ce que me criait le glorieux saint Paul : "Malheureux que je suis ! qui me délivrera de ce corps de mort ? Je vois dans mes membres une loi contraire à la loi de l'esprit" (Rom., VII, 23-24).

6.      Paul ne parlait pas seulement du combat de la chair contre l'esprit, car ma parole l'avait pour ainsi dire rassuré, lorsqu'il lui avait été dit : "Paul, ma grâce te suffit" (II Cor., XII, 9). Il parlait ainsi parce qu'il se sentait enfermé dans son corps, qui empêchait ma vision pour quelque temps. Jusqu'au moment de la mort, l’œil ne peut voir l'éternelle Trinité de la même vision que les Bienheureux qui rendent sans cesse honneur et gloire à mon nom. Tant que Paul se trouvait parmi les hommes qui sans cesse m'offensent, il était privé de me voir dans mon essence.

7.     Mes serviteurs me voient et me goûtent, non pas dans mon essence, mais dans l'effet de la charité, de différentes manières, selon qu'il plaît à ma bonté de me manifester ; mais cette vue de l'âme unie au corps est une obscurité quand on la compare à la vue de l'âme séparée du corps. Il semblait à Paul que la vue corporelle empêchait la vue spirituelle, et que ses sens grossiers privaient son âme de me contempler face à face. Sa volonté lui paraissait liée de telle sorte qu'il ne pouvait aimer autant qu'il devait aimer, parce que tout amour dans cette vie est imparfait jusqu'à ce qu'il arrive à sa perfection.

8.      L'amour de Paul, comme celui de mes autres vrais serviteurs, n'était pas imparfait quant à la grâce et à la charité ; il était parfait sous ce rapport, mais il était imparfait parce qu'il ne pouvait rassasier son amour. C'était là sa peine. S'il avait pu satisfaire son désir de ce qu'il aimait, il n'aurait eu aucune peine ; mais il souffrait parce que l'amour, tant qu'il est dans un corps mortel -n'a pas parfaitement ce qu'il aime.

9.     Dès que l'âme, au contraire, est séparée du corps, son désir est rempli et l'amour est sans peine. L'âme alors est rassasiée, mais elle l'est sans dégoût, parce qu'étant rassasiée elle a toujours faim, sans avoir la peine de la faim, car dès que l'âme est séparée du corps, elle déborde d'une félicite parfaite, et elle ne peut rien désirer sans la voir. Elle désire me voir, et elle me soit face a face, elle désire voir la gloire de mon nom dans mes saints, et elle la voit dans la nature angélique et dans la nature humaine.

LXXX

Les mondains rendent gloire à Dieu, qu'ils le veuillent ou ne le veuillent pas.

1.     La vue de l'âme bienheureuse est si parfaite qu'elle voit la gloire et l'honneur de mon nom, non seulement dans les habitants du ciel, mais encore dans ceux de la terre. Qu'il le veuille ou non, le monde me rend gloire. Il est vrai qu'il ne le fait pas comme il devrait, en m'aimant par dessus toute chose ; mais moi je trouve dans les hommes la gloire et la louange de mon nom, puisqu'en eux brillent ma miséricorde et la grandeur de ma charité.

2.      Je leur laisse le temps, et je ne commande pas à la terre de les engloutir pour leurs fautes ; je les attends, au contraire, et je dis à la terre de leur donner ses fruits, au soleil de les éclairer et de les chauffer de ses rayons ; je conserve au ciel la régularité de ses mouvements et je répands ma miséricordieuse bonté sur toutes les. choses qui sont faites pour eux. Non seulement je ne les leur retire pas à cause de leurs fautes, mais encore je les donne au pécheur comme au juste, et même souvent plus-au pécheur qu'au juste, parce que le juste peut souffrir, et que je le prive des biens de la terre pour lui donner plus abondamment les biens du ciel. Ainsi, ma miséricorde et ma charité brillent sur eux.

3.     Quelquefois, les persécutions que les serviteurs du monde font supporter à mes serviteurs éprouvent leur patience et leur charité ; elles ne servent qu'à me faire offrir d'humbles et continuelles prières ; elles tournent. ainsi à la gloire et à l'honneur de mon nom. Qu'il le veuille ou non, le méchant cause ma gloire, même par ce qu'il fait pour m'offenser.

LXXXI

Comment les démons même rendent gloire à Dieu

1.     De même que les pécheurs servent dans cette vie à augmenter la vertu de mes serviteurs, de même les dé-nions dans l'enfer sont les bourreaux et les ministres de ma justice sur les damnés. Ils servent aussi mes créatures, qui, dans leur pèlerinage terrestre, désirent arriver a moi, leur fin. Ils les servent en exerçant leur vertu par des attaques et des tentations de toute sorte, en les exposant aux injures et aux injustices des autres afin de leur faire perdre la chante, mais en voulant dépouiller mes serviteurs, ils les enrichissent en exerçant leur patience, leur force et leur persévérance. De cette manière ils rendent gloire et honneur à mon nom.

2.     Ainsi s'accomplit ma vérité en eux. Je les avais créés pour me louer, me glorifier et pour les faire participer à ma beauté ; mais ils se sont révoltés contre moi par orgueil, ils sont tombés, ils ont été privés de ma vision. Ils ne me rendent pas gloire par l'amour ; mais moi, la Vérité éternelle, je les ai faits des instruments pour exercer mes serviteurs à la vertu, et des bourreaux pour punir les damnés ou pour purifier ceux qui sont dans le purgatoire. Tu vois que ma vérité s'accomplit véritablement a eux, puisqu'ils me rendent gloire, non pas comme les habitants du ciel, dont ils sont exilés par leur faute, mais comme les ministres de ma justice dans les enfers et dans le purgatoire.

LXXXII

L'âme, délivrée de cette vie, voit parfaitement la gloire de Dieu dans toute créature ; elle n'a plus la peine du désir, mais seulement le désir.

1.     Qui est-ce qui voit et goûte en toute chose, dans les créatures raisonnables et dans les démons même la gloire et l'honneur de mon nom ? C'est l'âme dépouillée de son corps et parvenue à moi, qui suis sa fin. Elle voit parfaitement et connaît la Vérité. En me voyant, moi, le Père, elle aime ; en aimant, elle est rassasiée ; en étant rassasiée, elle connaît la vérité, et cette connaissance de la vérité fixe sa volonté dans la mienne ; elle y est tellement ferme et attachée, que rien ne peut lui causer de peine, parce qu'elle a ce qu'elle désirait avoir. Elle désirait avant tout me voir et voir glorifier mon nom ; elle le voit pleinement et véritablement dans mes saints, dans les anges, dans toutes les créatures, dans les démons mêmes.

2.      Elle voit l'offense qu'i m'est faite ; elle ne peut plus comme autrefois en ressentir de la douleur, elle en éprouve seulement de la compassion ; elle aime sans peine et prie toujours avec charité pour que je fasse miséricorde au monde. En elle la peine est passée, mais non la charité. Le Verbe, mon Fils, vit finir, dans la mort douloureuse de la Croix, la peine du désir de votre salut qui le tourmentait ; mais le désir de votre salut n'a pas cessé avec la peine.

3.     Si l'ardeur de ma charité que je vous ai montrée en mon Fils avait cessé pour vous, vous ne seriez pas. Vous êtes faits par amour ; si je retirais l'amour, c'est-à-dire si je n'aimais pas votre être, vous ne seriez pas ; mais mon amour vous a créés, mon amour vous conserve, et, parce que je suis une même chose avec mon Verbe et mon Verbe avec moi, la peine du désir a cessé, mais non pas le désir.

4.     De même les saints qui ont la vie éternelle conservent le désir du salut des âmes, mais sans en avoir la peine ; la peine s'est éteinte dans leur mort, mais non l’ardeur de la charité. Ils sont comme enivrés du sang de l'Agneau sans tache, et revêtus de la charité du prochain Ils ont passé par la porte étroite, tout inondés du sang de Jésus crucifié, et ils se trouvent en moi, l'océan de la paix, délivrés de l'imperfection, c'est-à-dire de la peine du désir, car ils sont arrivés à cette perfection où ils sont rassasiés de tout bien.

LXXXIII

Comment saint Paul, après avoir vu la gloire des Bienheureux, désirait être délivré de son corps.

1.     Paul avait vu et goûté ce bien quand je l'élevai au troisième ciel, c'est-à-dire à la hauteur de la Trinité. Il avait connu et goûté ma vérité en recevant la plénitude du Saint-Esprit, et en apprenant la doctrine de mon Verbe incarné. Son âme se revêtit de moi, le Père, par union et par sentiment, comme les Bienheureux dans le ciel, excepté que son âme n'était pas séparée de son corps. Il plut à ma bonté d'en faire un vase d'élection dans l'abîme de ma Trinité, et je le dépouillai de moi, parce qu'en moi ne peut être la peine ; et je voulais qu'il souffrît pour mon nom.

2.      Je donnai pour objet à son intelligence Jésus crucifié, le revêtant du vêtement de sa doctrine, le liant et l'enchaînant avec la clémence du Saint- Esprit, qui est le feu de la charité. Il devint par ma bonté un vase utile et nouveau ; il ne résista pas quand il fut frappé, mais il dit : "Seigneur, que voulez-vous que je fasse ; dites ce que vous voulez que je fasse et je le ferai". (Ac., IX, 6). Alors je l'enseignai en lui montrant Jésus crucifié, en le revêtant de la doctrine de ma charité. Je l'illuminai parfaitement par la lumière de la vraie contrition, avec laquelle il effaça ses fautes, en s'appuyant sur ma charité (La fin de ce chapitre et le commencement du chapitre suivant ne se trouvent pas dans l'édition italienne de Gigli. Nous les donnons d'après la traduction latine du bienheureux Raymond de Capoue.).

3.     Il se revêtit tellement de la doctrine de Jésus crucifié, il y fixa si fortement son âme, qu'il ne put en être dépouillé et séparé, ni par les tentations du démon, ni par les combats de la chair, que ma bonté permettait pour le faire croître en mérite et en grâce, pour conserver son humilité après qu'il eut joui des grandeurs de la Trinité. Jamais il ne quitta en la moindre chose ce vêtement de Jésus-Christ ; il le garda dans toutes ses épreuves et. ses tribulations, et il persévéra toujours dans la doctrine de la Croix. Il se l'était tellement incorporé, qu'il donna sa vie pour ne pas s'en séparer, et retourna vers moi avec ce vêtement divin.

4.      Paul avait goûté ce que c'était que jouir de moi sans le poids de son corps ; je lui avais permis d'en jouir par union, mais non pas complètement séparé de son corps. Quand il fut revenu à lui, revêtu de Jésus crucifié, il lui sembla que son amour était imparfait en le comparant à la perfection de l'amour qu'il avait goûté en moi, et qu'il avait vu dans les Bienheureux séparés de leurs corps. Il sentait que le poids de son corps était un obstacle qui empêchait la perfection et le rassasiement dont l'âme jouit après la mort. Sa mémoire lui paraissait faible et imparfaite, et cette faiblesse, cette imperfection le rendaient incapable de pouvoir me retenir, me recevoir, me goûter avec la perfection des saints dans le ciel.

5.     Il lui semblait que, tant qu'il était dans son corps mortel, il rencontrait en toute chose une loi mauvaise qui combattait l'esprit, non. par un entraînement au péché, puisque je lui avais dit : "Paul, ma grâce te suffit", mais par un empêchement à la perfection de l'esprit, qui consiste à me voir dans mon essence. Et comme cette vision est impossible avec la loi et la pesanteur du corps, Paul s'écriait : "O homme infortuné que je suis! qui me délivrera de ce corps de mort ? car j'ai dans mes membres une autre loi qui combat la loi de mon esprit".

6.     C'est la vérité ; car la mémoire est combattue par l'imperfection du corps, l'intelligence, arrêtée par sa pesanteur, ne peut me voir tel que je suis dans mon essence, et la volonté, enchaînée par ses liens, ne peut me goûter sans peine, comme je te l'ai fait comprendre. Ainsi Paul avait bien raison de dire : J'ai dans mon corps une loi qui combat la loi de mon esprit. De même mes serviteurs que je t'ai montrés parvenus au troisième et au quatrième degré d'union parfaite avec moi, crient aussi qu'ils désirent être délivrés et séparés des liens de leur corps.

LXXXIV

Des causes qui font désirer à l'âme d'être séparée de son corps.

1.     Mes, fidèles serviteurs ne connaissent pas la crainte, et l'angoisse de la mort, ils la désirent au contraire. Dans la rude guerre qu'ils ont faite à leurs corps avec une sainte haine, ils ont perdu cette tendresse naturelle qui unit le corps et l'âme ; ils ont vaincu et détruit l'amour d'eux-mêmes, et ils désirent mourir par amour pour moi. Ils disent : Qui me délivrera de ce corps de mort ? Je désire en être affranchi pour être avec le Christ. Ils disent avec l'Apôtre : La mort est mon désir, mais je prends la vie en patience. Dès que l'âme est élevée à l'union parfaite, elle ne souhaite plus que de me contempler et de me voir glorifié en tontes choses.

2.      (Le chapitre LXXXIV commence ici dans l'édition italienne ) Quand l'âme revient à ses sens corporels, qui avaient été absorbés en moi par l'effet de l'amour, elle supporte péniblement la vie, parce qu'elle se voit privée de l'union qu'elle avait avec moi, ‘et de la société désirable des Bienheureux qui nie rendent sans cesse gloire. Elle se retrouve parmi les hommes, dont elle voit les iniquités si nombreuses. Ce spectacle lui cause une amère douleur et augmente son désir de me voir. La vie lui devient insupportable.

3.     Cependant comme sa volonté ne lui appartient plus et qu'elle est devenue par l'amour une même chose avec moi, elle ne peut vouloir et désirer autre chose que ce que je veux. Elle désire venir, mais elle est contente de rester si je l'ordonne, et de souffrir beaucoup pour ma gloire et pour le salut des âmes. Elle ne s'éloigne en rien de ma volonté, mais elle court avec ardeur ; revêtue de Jésus crucifié, elle passe par le pont de sa doctrine, en se glorifiant dans les opprobres et dans la peine. Plus elle souffre, plus elle se réjouit : la multitude des tribulations calme le désir qu'elle a de la mort, et souvent l'amour des souffrances adoucit la peine qu'elle éprouve de n'être pas délivrée de son corps.

4.      Non seulement mes serviteurs souffrent alors avec patience comme ceux qui Sont au troisième degré, mais ils se glorifient encore de souffrir beaucoup en mon nom ; quand ils souffrent, ils se réjouissent ; et quand ils ne souffrent pas, ils s'en affligent, parce qu'ils craignent que je ne veuille les récompenser en cette vie, et que le sacrifice de leurs désirs ne me soit point agréable. Dès que je leur envoie au contraire beaucoup d'épreuves, ils sont heureux de se voir revêtus des peines et des opprobres de Jésus-Christ.

5.- S'ils pouvaient être vertueux sans fatigue, ils n'y consentiraient pas ; ils préféreraient se réjouir sur la croix avec le Christ, et acquérir la vie éternelle par la souffrance plutôt que par tout autre moyen. Pourquoi ? Parce qu'ils sont abîmés et embrasés dans ce sang où ils trouvent ma charité, ce feu qui sort de moi pour ravir leur cœur, leur esprit et consumer le sacrifice de leur désir. C'est ainsi que le regard de l'intelligence s'élève à cette contemplation de ma divinité, où l'amour s'unit et se développe en suivant l'entendement. Cette vue surnaturelle est une grâce infinie que je donne à l'âme qui m'aime et me sert en vérité.

LXXXV

Ceux qui sont arrivés à cet état unitif sont éclairés dans leur intelligence par une lumière surnaturelle et infuse de la grâce.- Il vaut mieux consulter, pour le salut de son âme, un humble qui a une conscience pure, qu'un savant qui a de l'orgueil.

1.     C'est avec cette lumière qui éclairait son intelligence que me vit saint Thomas d'Aquin et qu'il acquit, les clartés de la science, comme le firent saint Augustin saint Jérôme et mes autres saints docteurs. Ils étaient éclairés d'en haut et comprenaient dans les ténèbres ma vérité, c'est-à-dire la Sainte Écriture qui parait obscure parce qu'elle n'est pas comprise, non par le défaut de l'Écriture, mais par l'ignorance de celui qui ne la comprend pas. Aussi j'ai donné ces lampes pour éclairer les aveugles et les intelligences grossières, afin que l'homme puisse connaître la vérité dans les ténèbres.

2.      Moi, le feu qui consume le sacrifice, je les ai ravis en leur donnant la lumière surnaturelle qui fait comprendre la vérité dans les ténèbres. Et alors ce qui paraissait obscur est devenu évident pour les ignorants comme pour les savants. Chacun reçoit la lumière selon sa capacité et selon la préparation qu'il apporte à mie connaître ; car je ne méprise les bonnes dispositions de personne.

3.     L'intelligence reçoit une lumière infuse par la grâce, supérieure à la lumière naturelle, une lumière avec laquelle les saints docteurs et mes autres serviteurs ont connu la lumière dans les ténèbres. Des ténèbres est venue la lumière, car l'intelligence a été formée avant l'Écriture ; c'est dé l'intelligence que vient la science, puisque c'est en voyant qu'elle discerne.

4.      Avec cette lumière, les prophètes ont vu l'avènement et la mort de mon Fils ; les apôtres l'ont possédée après la descente du Saint-Esprit ; les évangélistes, les docteurs, les confesseurs, les vierges, les martyrs en ont tous été éclairés ; tous l'ont reçue selon que le demandaient leur salut, le salut des âmes et l'enseignement de la Sainte Écriture.

5.     Les docteurs l'ont reçue pour expliquer la doctrine de ma Vérité, la prédication des Apôtres et les textes des Évangélistes ; les martyrs, pour montrer par leur sang la lumière de la foi, le trésor et le fruit du sang de l'Agneau ; les vierges l'ont montrée par la charité et la pureté. Les obéissants ont fait briller l'obéissance du Verbe, cette obéissance parfaite que mon Fils a embrassée pour courir à la mort ignominieuse de la Croix.

6.      Cette lumière est visible dans l'Ancien et dans le Nouveau Testament. Dans l'Ancien Testament, par les prophètes dont l'intelligence a été surnaturellement éclairée par ma grâce ; dans le Nouveau Testament, par la vie évangélique révélée au chrétien fidèle. La nouvelle loi venait de la même lumière, car elle n'a pas détruit l'ancienne, elle en est inséparable ; elle en a seulement ôté l'imperfection, parce qu'elle était fondée sur la crainte.

7.     Lorsque le Verbe mon Fils vint avec la loi d'amour, il l'accomplit en lui donnant l'amour, en ôtant la crainte de la peine, et en ne lui laissant que la bonne et sainte, crainte. Aussi, mon Fils disait à ses disciples pour montrer qu'il ne détruisait pas la loi : "Je ne suis pas venu pour détruire la loi, mais l'accomplir" (S. Mt., V. 17). Comme s'il disait : Jusqu'à présent, la loi était imparfaite ; mais avec mon sang je la rendrai parfaite et je l'accomplirai en ce qui lui manque, parce que j'ôterai la crainte de la peine ; je l'établirai sur l'amour et sur la crainte sainte et filiale.

8.      Comment la Vérité est-elle connue ? Par la lumière surnaturelle qui est donnée à qui veut la recevoir de ma grâce. Toute lumière qui sort de la sainte Écriture, sort de cette lumière. Les ignorants, orgueilleux de leur science, s'aveuglent dans la lumière, parce que leur orgueil et les nuages de l'amour-propre en couvrent et en cachent la clarté. Ils comprennent la lettre et l'apparence de l'Écriture plus qu'ils n'en saisissent le sens ; ils goûtent la lettre en consultant beaucoup de livres, mais ils ne goûtent pas la moelle de l'Écriture, parce qu'ils sont privés de la lumière avec laquelle l'Écriture a été formée et présentée.

9.     Ceux-là s'étonnent et murmurent quand ils voient des gens sans instruction plus éclairés sur la vérité que ceux qui ont longtemps étudié. Ce n'est pas surprenant, puisqu'ils possèdent la cause de la lumière d'où vient la science ; mais, parce que, les superbes ont perdu la lumière, ils ne voient pas et ne connaissent pas ma bonté et la lumière de la grâce répandue sur mes serviteurs.

10.    Aussi je te dis qu'il vaut mieux prendre pour le conseiller de son âme une personne humble qui a une conscience droite et pure, qu'un savant orgueilleux qui a beaucoup étudié. Car on ne peut donner que ce qu'on a soi-même. Une vie de ténèbres change souvent en ténèbres pour les autres la lumière des Saintes Écritures. Tu trouveras le contraire dans mes serviteurs parce que la lumière qu'ils ont en eux, ils la présentent avec l'ardent désir du salut des âmes.

11.   Je te dis cela, ma très douce fille ; pour te faire connaître la perfection de l'état unitif, où l'intelligence est ravie par le feu de ma charité qui donne la lumière surnaturelle. L'âme m'aime avec cette lumière, parce que l'amour suit l'intelligence ; plus elle connaît, plus elle aime, et plus elle aime, plus elle connaît. L'intelligence et l'amour se nourrissent réciproquement.

12.   C'est par cette lumière que l'âme isolée du corps parvient à mon éternelle vision, où elle me goûte en vérité, comme je te l'ai dit en t'expliquant le bonheur que l'âme reçoit en moi. C'est l'état le plus élevé où l'âme dans sa vie mortelle puisse goûter la vie des Bienheureux. Souvent son union est si grande, qu'elle sait à peine si elle est avec son corps ou sans son corps. Elle a un avant-goût de la vie éternelle, parce qu'elle m'est étroitement unie, et que sa volonté est morte en elle : c'est cette mort qui l'unit à moi, et il n'y a pas d'autre moyen de s'unir à moi parfaitement. L'âme goûte la vie éternelle dès qu'elle est délivrée de l'enfer de sa volonté propre. L'homme souffre comme un damné quand il obéit à sa volonté sensitive.

LXXXVI

Résumé de ce qui précède.- Dieu invite l'âme à prier pour toute créature et pour la sainte Église.

1.     Tu as vu avec ton intelligence et tu a entendus avec ton cœur, comment tu devais profiter pour toi et pour ton prochain de la doctrine et de la connaissance de ma Vérité. Je te l'ai dit en commençant, tu dois arriver à la connaissance de la vérité par la connaissance de toi-même ; mais cette connaissance de toi-même doit être jointe et unie à la connaissance de moi-même en toi. C'est ce qui te donnera l'humilité, la haine, le mépris personnel et le feu de la charité que tu trouveras dans ma connaissance ; tu parviendras ainsi à l'amour du prochain, en lui étant utile par la doctrine et les exemples d'une vie sainte.

2.      Je t'ai montré un pont et les trois degrés qui représentent les trois puissances de l'âme. Personne ne peut avoir la vie le la grâce s'il ne monte ces trois degrés, c'est-à-dire, s'il ne réunit toutes ses puissances en mon nom. Je t'ai montré plus parfaitement ces trois degrés de l'âme figurés sur le corps de mon Fils unique, dont je fais un moyen de vous élever, en parvenant à ses pieds percés, à l'ouverture de son côté, et à sa bouche où l'âme goûte la paix et le repos.

3.     Je t'ai fait connaître l'imperfection de la crainte servile, et l'imperfection de l'amour de ceux qui m'aiment à cause de la douceur qu'ils trouvent en moi. Tu as vu la perfection du troisième degré, celle de ceux qui sont arrivés à la paix de la bouche, après avoir couru avec un ardent désir sur le pont de Jésus crucifié et avoir monté-les trois degrés principaux, en unissant les puissances de leur âme et toutes leurs opérations en mon nom, comme je te l'ai clairement expliqué. Tu les as vus, après avoir franchi les trois degrés particuliers, passer de l'état imparfait à l'état parfait dans lequel ils courent en vérité.

4.      Je t'ai fait goûter la perfection de l'âme et les parfums de ses vertus. Je t'ai montré aussi les pièges où elle peut tomber avant d'arriver à la perfection, si elle ne s'applique pas toujours à se connaître et à me connaître Je t'ai montré le malheur de ceux qui se noient dans le fleuve, en ne passant pas par le pont de la doctrine de ma Vérité, que je vous ai donné pour que vous ne périssiez pas ; mais les insensés ont préféré se noyer dans les misères et la fange du monde.

5.     Je t'ai montré ces choses pour augmenter en toi le feu des saints désirs et la douleur de la perte des âmes, afin que la douleur et l'amour te poussent à me faire violence par les larmes, les sueurs, les humbles et continuelles prières que tu m'offriras avec ardeur. Je t'ai parlé pour que beaucoup d'autres qui me servent m'entendent, et pour qu'enflammés de ma charité, vous m'imploriez tous et vous me forciez à faire miséricorde au monde et au corps mystique de la sainte Église pour lequel tu m'as tant prié.

6.      Je t'ai promis, si tu te le rappelles, d'exaucer vos saints désirs et de récompenser vos peines. Je réformerai la sainte Église en lui donnant de bons et saints pasteurs. Ce ne sera pas avec la guerre, le glaive et la cruauté, mais avec la paix, le calme, les larmes et les sueurs de mes amis ; je vous ai envoyés travailler à vos âmes et à celles du prochain, dans le corps mystique de la sainte Église, en agissant par la vertu, l'exemple et la doctrine, en m'offrant de continuelles prières pour le salut des hommes, et en produisant des vertus dans le prochain. Car je veux que vous soyez utiles à votre prochain, c'est le moyen véritable de faire fructifier votre vigne.

7.     Ne cessez jamais de faire monter vers moi le bon encens de vos prières pour le salut des âmes, parce que je veux faire miséricorde au monde. Je laverai avec vos prières, vos sueurs et vos larmes, la face de mon épouse, la sainte Église, que je t'ai montrée sous la forme d'une femme dont le visage est sali et pour ainsi dire couvert de lèpre, parce que les ministres de la religion et tous les chrétiens l'ont souillée de leurs fautes, comme je te l'expliquerai bientôt.

LXXXVII

L'âme demande à Dieu de vouloir bien lui faire connaître les différentes sortes de larmes.

1.     Alors cette âme tourmentée d'un immense désir, et tout enivrée de son union avec Dieu et de ce qu'elle avait entendu de la Vérité suprême, se désolait de l'aveuglement des créatures qui méconnaissaient leur bienfaiteur et l'ardeur de la charité divine. Elle se réjouissait cependant de l'espérance que Dieu lui avait donnée, en lui enseignant ce qu'elle devait faire avec ses autres serviteurs, pour obtenir sa miséricorde au monde. Elle fixa le regard de son intelligence dans la douce Vérité à laquelle elle était unie, parce qu'elle voulait savoir quelque chose des états de l'âme dont Dieu lui avait parlé. Et comme elle voyait que l'âme passe à ces états par les larmes, elle désirait apprendre de la Vérité la différence des larmes, ce qu'elles sont, d'où elles viennent et les fruits qu'elles produisent.

2.     La vérité ne pouvant être connue et comprise que par la Vérité même, elle s'adressait à la Vérité, où rien ne s'aperçoit que par l'intelligence. Celui qui veut la connaître doit s'élever vers elle par l'ardeur du désir, en ouvrant l’œil de son intelligence par la lumière de la foi, en fixant son regard sur la Vérité. Quand donc cette âme eut connu qu'elle ne s'était pas écartée de la doctrine que Dieu, la Vérité même, lui avait enseignée, et qu'il n'y avait pas d'autres moyens de connaître ce qu'elle voulait savoir des différentes larmes et de leurs fruits, elle s'éleva au dessus d'elle-même par un effort extraordinaire de son désir, et à la lumière d'une foi vive, elle fixait son regard dans la Vérité éternelle où elle vit et connut la vérité de ce qu'elle demandait. Dieu se manifestait à elle, et sa bonté condescendait à son ardent désir et accueillait favorablement sa demande.

LXXXVIII

Des larmes qui se rapportent aux différents états de l'âme.

1.     La Vérité suprême lui disait doucement : Ma très douce et très chère fille, tu me demandes de t'apprendre les causes des larmes et leurs résultats ; je veux satisfaire ton désir. Ouvre donc l’œil de ton intelligence, et je -te montrerai par les trois états de l'âme les larmes imparfaites qui viennent de la crainte. Mais avant je t'expliquerai celles que répandent les hommes coupables du monde : ce sont des larmes de damnation. ‘Les secondes larmes sont celles de la crainte, celles de ceux qui fuient le péché pour éviter le châtiment et qui pleurent par crainte. Les troisièmes sont celles de ceux qui, purifiés du péché, pleurent avec douceur en commençant à me goûter et à me servir. Mais, parce que leur amour est imparfait, leurs larmes sont encore imparfaites. Les quatrièmes sont celles de ceux qui sont arrivés à la perfection de la charité du prochain, en m'aimant sans intérêt pour eux-mêmes. Ceux-là pleurent, et leurs larmes sont parfaites. Les cinquièmes sont mêlées aux quatrièmes ; ces larmes sont d'une douceur extrême, et il y a un grand charrue à les répandre, comme je te le dirai bientôt.

2.     Je te parlerai aussi des larmes de feu, que l’œil ne verse pas, parce que ce sont celles de ceux qui voudraient pleurer et ne le peuvent pas. L'âme passe par ces différentes larmes en quittant la crainte et l'amour imparfait pour arriver à la charité parfaite de l'état unitif. Je vais t'expliquer toutes ces larmes.

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE

SOURCE: http://www.jesusmarie.com

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