
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Chapitre VI
Chapitre VII
Chapitre VIII
Chapitre IX
Chapitre X |
SUR LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST
EN GÉNÉRAL
- I -
Nécessité d'un Rédempteur et sa qualité
Incarnation du Verbe, sa vie - Erreur des Juifs - Prophéties
Adam pèche, il se révolte
contre Dieu et comme il est le premier homme, père de tous les hommes,
il entraîne dans sa perte le genre humain tout entier. L'injure ayant
été faite à Dieu, ni Adam ni les autres hommes, par tous les sacrifices,
même celui de leur propre vie ne pouvaient offrir à la Majesté divine
offensée une satisfaction digne pour l'apaiser pleinement. Il fallait
qu'une personne divine satisfit à la divine Justice. C'est pourquoi le
Fils de Dieu, touché de compassion pour les hommes et poussé par les
entrailles de sa miséricorde, consentit à se revêtir de la chair humaine
et à mourir pour les hommes, afin d'offrir ainsi à Dieu une satisfaction
complète pour tous leurs péchés et de leur rendre la grâce qu'ils
avaient perdue.
Notre tendre Rédempteur
vint donc sur la terre et voulut, en se faisant homme, remédier à tous
les maux que le péché avaient apportés aux hommes; il voulut, non
seulement par ses leçons, mais encore par les exemples de sa sainte vie,
amener les hommes à observer les commandements de Dieu et à gagner par
ce moyen la vie éternelle. À cette fin, Jésus-Christ renonça à tous les
honneurs, à tous les plaisirs et à toutes les richesses, dont il aurait
pu jouir ici-bas et qui lui appartenaient, puisqu'il était le Maître de
l'univers. Il choisit une vie humble, pauvre et pleine de tribulations,
au point de mourir de douleur sur une croix.
Ce fut une erreur des Juifs
de penser que le Messie devait venir en ce monde pour triompher de tous
ses ennemis par la force des armes, et qu'après avoir établi sa
domination sur toute la terre, il rendrait ses partisans riches et
glorieux. Si le Messie se fût montré tel que les Juifs se le figuraient,
un prince triomphant et honoré de tous les hommes comme souverain du
monde entier, il n'aurait pas été le Rédempteur que Dieu avait promis et
que les Prophètes avaient annoncé. C'est ce que Jésus-Christ a nettement
déclaré lui-même, lorsqu'il répondit à Pilate que son royaume n'était
point de ce monde (Jn 18, 36). Saint Fulgence a donc raison de reprocher
à Hérode la crainte qu'il avait d'être privé de son royaume par l'Enfant
de Bethléem, ce doux Sauveur n'étant pas venu pour vaincre les rois par
la guerre, mais pour les attirer à lui par sa mort.
Les Juifs tombèrent dans
une double erreur par rapport au Rédempteur qu'ils attendaient. D'abord,
ils voulurent entendre des biens terrestres et temporels ce que les
Prophètes avaient dit des biens spirituels et éternels dont le Messie
devait enrichir son peuple. Voici quelles devaient être les richesses du
salut promis: la foi, la connaissance des vertus et la crainte de Dieu.
Le Seigneur promettait encore aux pénitents le remède, aux pécheurs le
pardon, aux esclaves du démons la liberté (Is 33, 6; 61,1). Les Juifs se
trompèrent en outre en appliquant au premier avènement du Sauveur les
prophéties qui regardent le second, quand il viendra juger le monde à la
fin des siècles. David, il est vrai, a prédit du Messie qu'il doit
vaincre les princes de la terre et abattre l'orgueil d'un grand nombre
(Ps 109, 5). Jérémie annonce pareillement que l'épée du Seigneur
ravagera toute la terre (Jr 12,12). Mais tout cela se rapporte au
dernier avènement de Jésus-Christ, lorsqu'il paraîtra comme Juge, pour
condamner les méchants.
Quant au premier avènement
de Notre-Seigneur, où il devait consommer l'œuvre de notre rédemption,
les Prophètes ont annoncé, de la manière la plus claire, qu'il vivrait
ici-bas dans la pauvreté et l'humiliation. Zacharie a prédit qu'il
serait pauvre, et qu'on le verrait monté sur un ânon (Za 9, 9). Cette
prophétie se vérifia particulièrement lorsque Jésus-Christ fit son
entrée solennelle dans Jérusalem et qu'il y fut reçu avec honneur comme
le Messie désiré, ainsi que saint Jean le rapporte, en ne manquant pas
de rappeler la prédiction de Zacharie (Jn 12, 14). Nous savons
d'ailleurs qu'il fut pauvre dès sa naissance, qui eut lieu dans une
grotte et dans une ville obscure, Bethléem, suivant la prophétie de
Michée (Mi 5, 1), prophétie notée par saint Mathieu (Mt 2, 6) et par
saint Jean (Jn 7, 42). De plus, Osée a prédit que le Fils de Dieu se
trouverait en Égypte (Os 11, 1), ce qui se vérifia lorsque Jésus Enfant
fut porté dans cette contrée, où il demeura au milieu d'un peuple
étranger, y étant donc nécessairement fort pauvre (Mt 2, 13-15). De
retour en Judée, il continua de vivre dans la pauvreté; il avait
lui-même prédit par la bouche de David que toute sa vie devait être
pauvre et pleine de travaux (Ps 87, 16).
Dieu ne pouvait voir sa
justice pleinement satisfaite par tous les sacrifices que les hommes lui
eussent offerts, y compris celui de leur vie. Il permit donc que son
propre Fils prit un corps humain et s'offrit comme une victime digne de
le réconcilier avec les hommes et de leur obtenir le salut (He 10, 5).
Le Fils unique de Dieu consentit à s'immoler pour nous; il descendit sur
la terre pour accomplir ce sacrifice par sa mort, et opérer ainsi la
rédemption des hommes d'une manière parfaite selon la volonté de son
Père (He 10, 7).
« À quoi servirait de vous
frapper davantage? » dit le Seigneur en s'adressant aux pécheurs (Is 1,
5). Il nous fait entendre par là que, quel que soit le châtiment de ceux
qui l'outragent, leur supplice ne peut réparer son honneur blessé; c'est
pourquoi il charge son propre Fils de satisfaire pour les péchés des
hommes, le Fils de Dieu étant seul capable de donner une digne
compensation à la Justice divine. Après cela, le Seigneur déclare qu'il
a frappé Jésus-Christ comme la victime destinée à expier nos fautes (Is
53, 8). Il ne s'est pas contenté d'une satisfaction légère, mais il a
voulu voir cette victime consumée dans les tourments (Is 53, 10).
Ô mon Jésus! victime
d'amour consumée de douleur sur la croix pour expier mes péchés, je
voudrais mourir de regret, quand je pense que je vous ai tant de fois
méprisé, après avoir été tant aimé de vous! Ah! ne permettez pas que je
continue de répondre par l'ingratitude à tant de bonté! Attirez-moi tout
à vous; faites-le Seigneur, par les mérites de ce sang que vous avez
répandu pour moi.
- II -
Figures de l'Ancien Testament - Autre prophéties
Reconnaissance due au Père et au Fils
Lorsque le Verbe divin
s'offrit pour racheter les hommes, deux voies se présentèrent à lui pour
y parvenir, l'une de plaisir et de gloire, l'autre de souffrance et
d'opprobre. Cependant, comme il voulait venir sur la terre, non
seulement pour délivrer l'homme de la mort éternelle, mais encore pour
se concilier l'amour de tous les cœurs, il renonça au plaisir et à la
gloire et choisit les souffrances et les opprobres (He 12,12). Afin donc
de satisfaire pour nous à la Justice divine, et de nous enflammer en
même temps de son saint amour, il voulut se charger de toutes nos dettes
et, en mourant sur la croix, nous obtenir la grâce de la vie
bienheureuse. C'est ce qu'Isaïe exprime clairement quand il dit que le
Sauveur a pris sur lui les peines que nous avons méritées. (Is. 53, 4).
L'Ancien Testament contient
deux figures expresses de ce mystère. La première est la cérémonie
annuelle du Bouc Émissaire (Lv 16, 5). Le Grand Prêtre le chargeait,
avec imprécation, de tous les péchés du peuple; après quoi, on
l'envoyait dans un désert comme étant devenu l'objet de la colère de
Dieu. Ce bouc représentait notre Rédempteur, qui daigna se charger de
nos fautes, et devenir la malédiction même, suivant l'expression de
saint Paul (Ga 3, 13), afin de nous obtenir la bénédiction divine.
L'Apôtre dit ailleurs: « Celui qui n'avait pas connu le péché, il l'a
fait péché pour nous, afin que nous devenions en lui justice de Dieu »
(2 Co 5, 21). Comme l'expliquent saint Ambroise et saint Augustin, cela
signifie que celui qui était l'innocence même a paru devant Dieu comme
s'il eût été le péché même. En d'autres mots, il prit les dehors du
pêcheur et voulut subir les peines dues à tous les pécheurs, afin
d'obtenir leur pardon et de les rendre justes auprès de Dieu. La seconde
figure du sacrifice que Jésus a offert pour nous à son Père éternel sur
la croix est celle du Serpent d'Airain (Nb 21, 8) élevé sur un poteau.
Les Hébreux mordus par les serpents, dont le venin brûlant causait la
mort, n'avaient qu'à le regarder pour être guéris. Notre Sauveur a donné
lui-même l'explication de cette figure, en ces termes: « Comme Moïse
éleva le serpent dans le désert, il faut de même que le Fils de l'homme
soit élevé; afin que tout homme qui croit en lui, ne périsse point, mais
obtienne la vie éternelle » (Jn 3, 14-15).
Observons ici avec quelle
clarté la mort ignominieuse de Jésus-Christ est prédite dans le deuxième
chapitre du livre de la Sagesse. Quoique les paroles de ce chapitre
puissent s'entendre de la mort de tout homme de bien, selon saint
Cyprien, saint Jérôme et beaucoup d'autres Pères, elles conviennent
principalement à la mort du Sauveur. On y lit: « S'il est véritablement
le Fils de Dieu, Dieu prendra sa défense et le délivrera » (Sg 2, 18).
Ces paroles cadrent parfaitement avec ce que disaient les Juifs pendant
que Jésus était en croix: « Il met sa confiance en Dieu; si donc Dieu
l'aime, qu'il le délivre maintenant; car il a dit: Je suis le Fils de
Dieu » (Mt 27, 43). Le Sage continue: « Interrogeons-le par l'outrage et
le tourment (de la croix); éprouvons sa patience; condamnons-le à la
mort la plus infâme » (Sg 2, 19-20). Les Juifs choisirent pour Christ la
mort de la croix, comme la plus ignominieuse, afin que son fût à jamais
couvert d'infamie et entièrement oublié des hommes, ainsi que Jérémie
l'avait prédit (Jr 11, 19). Comment dont les Juifs peuvent-il nier
aujourd'hui que Jésus-Christ ait été le Messie promis, la vie lui ayant
été ôtée par le supplice le plus infamant, exactement comme les
prophètes l'avaient annoncé?
Jésus accepta une telle
mort, parce qu'il mourait pour expier nos péchés. C'est pour cela qu'il
voulut d'abord, comme s'il eût été un pécheur, être circoncis, être
racheté lorsqu'il fut présenté dans le temple, recevoir le baptême de
pénitence de la main de saint Jean-Baptiste. Il voulut enfin, dans sa
passion, être cloué à la croix, pour expier l'abus que nous avons fait
de notre liberté. Il voulut expier notre avarice par sa nudité, notre
orgueil par ses humiliations, notre envie de dominer par sa soumission
aux bourreaux, nos mauvaises pensées par sa couronne d'épines, notre
intempérance par le fiel qu'il goûta, et nos plaisirs sensuels par les
souffrances de son corps. Après un tel bienfait, nous devrions sans
cesse, avec des larmes d'attendrissement, rendre grâces au Père éternel,
qui nous a aimés au point de livrer à la mort son Fils innocent pour
nous délivrer de l'enfer, et qui, en nous donnant son Fils unique, nous
a tout donné (Rm 8, 32). Ainsi parle saint Paul, et comme Notre-Seigneur
l'a déclaré lui-même, tout cela est l'effet de l'amour de Dieu son Père
envers nous (Jn 3, 16). Aussi la Sainte Église s'écrie-t-elle dans son
office du Samedi-Saint: “Merveilleuse condescendance de ta grâce!
Imprévisible choix de ton amour! Pour racheter l'esclave, tu livres le
Fils”. Si nous croyons et confessons cette vérité, comment pouvons-nous
vivre sans brûler d'amour envers un Dieu si aimant et si aimable? Ô Dieu
éternel! ne regardez pas mon âme souillée de péchés; regardez votre Fils
innocent suspendu à une croix et vous offrant ses souffrances et ses
humiliations afin que vous ayez pitié de moi. Ô Dieu infiniment aimable
et véritablement Ami de mon âme, pour l'amour de ce Fils qui vous est si
cher, faites-moi miséricorde! La miséricorde que je vous demande, c'est
que vous me donniez votre saint amour. Ah! tirez-moi de la fange de mes
iniquités, et faites que je sois tout à vous! Ô Feu brûlant, consumez
tout ce qui se trouve d'impur dans mon âme et qui l'empêche d'être
entièrement à vous!
- III -
La Mort de Jésus-Christ est notre salut; elle est un
enseignement et un exemple, un motif de confiance
et d'amour
En somme, tout ce que nous
pouvons avoir de bien et d'espérance de salut, nous le devons aux
mérites de Jésus-Christ, ainsi que saint Pierre le déclare expressément:
« Il n'y a pas sous le ciel d'autre nom donné aux hommes pour lequel il
nous faille d'être sauvés » (Ac 4, 12). Les théologiens concluent de là,
avec saint Thomas, qu'après la promulgation de l'Évangile, nous devons
croire explicitement, non seulement de nécessité de précepte, mais
encore de nécessité de moyen, que nous ne pouvons nous sauver que par la
médiation de notre Rédempteur.
Tout le fondement de notre
salut est donc dans la rédemption des hommes opérée sur la terre par le
Verbe divin. Il faut observer en outre que, quoique toutes les actions
de Jésus-Christ en ce comme, comme émanant d'une personne divine,
fussent d'un prix infini, en sorte que la moindre eût suffit pour expier
tous les péchés des hommes, néanmoins la mort de Jésus-Christ fut le
grand sacrifice par lequel notre rédemption s'est accomplie. C'est pour
cela que, dans les saintes Écritures, la rédemption des hommes est
principalement attribuée à la mort de notre Sauveur sur la croix (Ph 2,
8). Ainsi, l'Apôtre dit qu'en recevant la Sainte Eucharistie, nous
devons nous souvenir de la mort du Seigneur (1 Co 11, 26). Pourquoi
parle-t-il de la mort, et non de l'incarnation, de la naissance, de la
résurrection? Il parle de la mort, parce que ce supplice, le plus
douloureux et le plus humiliant que Jésus-Christ ait souffert, est celui
par lequel il a consommé l'œuvre de notre rédemption.
Saint Paul disait encore
qu'il ne prétendait pas savoir autre chose que Jésus crucifié (1 Co 2,
2). L'Apôtre n'ignorait pas que Jésus-Christ est né dans une grotte,
qu'il a vécu trente années dans la maison d'un pauvre artisan, qu'il est
ressuscité après sa mort, et qu'il est monté au ciel; pourquoi donc
proteste-t-il que tout sa science consiste à connaître Jésus crucifié?
C'est que la mort soufferte par Jésus-Christ sur la croix était ce qui
l'excitait le plus vivement à aimer ce divin Sauveur, et à pratiquer
l'obéissance envers Dieu, la charité envers le prochain, la patience
dans les adversités, vertus spécialement exercées et enseignées par
Notre-Seigneur sur la croix, comme du haut d'une chaire élevée pour nous
instruire, suivant la pensée du Docteur Angélique et de saint Augustin.
Tâchons donc, âmes fidèles,
d'imiter l'Épouse des Cantiques, qui goûtait, disait-elle un doux repos
aux pieds de son Bien-Aimé (Ct 2, 3). Mettons-nous fréquemment devant
les yeux, surtout le vendredi, Jésus mourant sur la croix; arrêtons-nous
quelque temps aux pieds de ce divin Sauveur et contemplons avec
attendrissement les souffrances qu'il endure et l'amour qu'il nous
témoigne dans son agonie sur ce lit de douleur. Puissions-nous dire
aussi que nous nous sommes reposés à l'ombre de la croix. Oh! quel
heureux repos pour les âmes qui aiment Dieu, au milieu du tumulte de ce
monde, des tentations de l'enfer et des craintes qu'on éprouve à la
pensée des jugements de Dieu, que de considérer, dans la solitude et le
silence, notre tendre Rédempteur agonisant sur la croix, où l'on voit
son sang divin couler de tous ses membres percés et déchirés par les
fouets, les épines et les clous! Comme, à l'aspect de Jésus crucifié,
notre esprit se dégage de tout désir des honneurs mondains, des biens
terrestres et des plaisirs sensuels! Alors émane de la croix un souffle
céleste, qui nous détache doucement des choses de la terre. Ce souffle
allume en nous un saint désir de souffrir et de mourir pour l'amour de
celui qui a voulu souffrir et mourir pour l'amour de nous.
Si Jésus-Christ, au lieu
d'être ce qu'il est, Fils de Dieu et vrai Dieu, notre Créateur et notre
souverain Maître, n'était simplement qu'un homme, ah! qui serait
insensible à la vue de ce jeune homme de sang noble, innocent et saint,
expirant dans les tourments sur un gibet infâme, pour expier, non ses
propres fautes, mais les crimes de ses ennemis eux-mêmes, et pour les
délivrer par ce moyen de la mort qu'ils ont méritée? Comment donc un
Dieu n'obtient-il pas les affections de tous les cœurs, en mourant dans
un abîme d'humiliation et de douleur pour l'amour de ses créatures?
Comment, après cela, ces créatures peuvent-elles encore aimer autre
chose que ce Dieu? comment peuvent-elles penser à autre chose qu'à se
montrer reconnaissantes envers ce tendre bienfaiteur?
Que ne connais-tu le
mystère de la croix! disait saint André au tyran qui voulait lui faire
renier Jésus-Christ parce que Jésus a été crucifié comme un malfaiteur.
Oh! si tu comprenais l'amour que Jésus-Christ t'a porté en daignant
mourir sur la croix pour expier tes péchés et t'obtenir une félicité
éternelle, sans doute, loin de chercher à me persuader de le renier, tu
renoncerais toi-même à tout ce que tu possèdes et espères ici-bas, pour
obéir et plaire à un Dieu qui t'a tant aimé! Telle fut en effet la
conduite d'un si grand nombre de Martyrs et d'autres Saints qui ont tout
quitté pour Jésus-Christ. Ô honte pour nous! combien de jeunes vierges
ont refusé la main des grands, des princes, avec les richesses et tous
les délices de la terre, et se sont empressées de sacrifier leur vie
pour répondre par quelque marque de retour à l'amour que leur a témoigné
ce Dieu crucifié! D'où vient donc qu'il y a tant de chrétiens sur qui la
passion de Jésus-Christ fait peu d'impression? Cela provient de ce
qu'ils ne s'appliquent point à considérer combien Jésus-Christ a
souffert pour l'amour de nous.
Ah! mon doux Rédempteur,
j'ai été moi-même du nombre de ces ingrats! Vous avez sacrifié votre vie
sur une croix pour ne pas me voir perdu; et moi, j'ai tant de fois
consenti à vous perdre, vous qui êtes un bien infini, en perdant votre
grâce! Maintenant le démon, en m'offrant le tableau de mes péchés,
voudrait me faire croire que mon salut est devenu trop difficile; mais,
en vous voyant crucifié pour moi, mon Jésus, j'ai la confiance que vous
ne me rejetterez pas de votre présence, si je me repens de vous avoir
offensé et si je veux vous aimer. Oui, je m'en repens, Seigneur, et je
désire vous aimer de tout mon cœur. Je déteste ces plaisirs maudits qui
m'ont fait perdre votre grâce. Je vous aime, ô Amabilité infinie, et je
suis résolu de vous aimer toujours! Le souvenir de mes péchés ne servira
qu'à m'enflammer d'un plus grand amour pour vous, qui avez daigné me
chercher quand je vous fuyais. Non, mon Jésus, je ne veux plus me
séparer de vous ni cesser jamais de vous aimer!
Ô Refuge des pécheurs,
tendre Marie, vous qui avez eu tant de part aux douleurs votre divin
Fils dans sa passion, priez-le qu'il me pardonne et qu'il m'accorde la
grâce de l'aimer!
È
SUR LES PEINES QUE JÉSUS-CHRIST SOUFFRIT À SA MORT
- I -
Prophétie d'Isaïe - Abaissements du Rédempteur promis
Considérons maintenant les
peines particulières que Jésus-Christ endura dans sa passion, et qui ont
été prédites plusieurs siècles auparavant par les Prophètes,
spécialement dans le chapitre cinquante-troisième d'Isaïe. Ce dernier,
comme l'ont remarqué saint Irénée, saint Justin, saint Cyprien et
d'autres encore, a parlé si clairement des souffrances de notre
Rédempteur, qu'on pourrait le prendre pour un des Évangélistes. D'après
saint Augustin, les paroles d'Isaïe concernant la passion de
Jésus-Christ ont plutôt besoin de nos méditations et de nos larmes que
de l'explication des interprètes. Hughes Grotius dit que les anciens
Hébreux eux-mêmes n'ont pu mieux qu'Isaïe, principalement au chapitre
cinquante-troisième, n'ait eu en vue le Messie promis de Dieu.
Quelques-uns ont voulu appliquer les passages d'Isaïe à des personnes
nommées dans l'Écriture, autres que Jésus-Christ; mais Grotius répond
qu'on n'en peut trouver aucun à qui ces textes conviennent.
Isaïe commence par faire
pressentir l'incrédulité qui doit accueillir ce qu'il annonce du Messie
et le Messie lui-même: “Qui croirait ce que nous entendons dire, et le
bras du Seigneur, à qui a-t-il été dévoilé?” (Is 53, 1). C'est ce qui
s'est vérifié, comme le remarque saint Jean, lorsque les Juifs, malgré
les nombreux miracles opérés par Jésus-Christ, miracles qu'ils avaient
vus et qui prouvaient bien qu'il était le Messie envoyé de Dieu,
refusèrent de croire en lui (Jn 12, 37). Qui reconnaîtra le bras,
c'est-à-dire, la puissance du Seigneur? C'est ainsi qu'Isaïe prédit
l'obstination des Juifs à ne pas vouloir croire en Jésus-Christ comme en
leur Rédempteur. Ils se figuraient que le Messie devait faire éclater
parmi les hommes sa grandeur et sa puissance, et, après avoir triomphé
de tous ses ennemis, combler le peuple juif de richesses et d'honneurs;
ils pensaient que le Sauveur devait apparaître comme un superbe cèdre du
Liban; mais le Prophète déclare, au contraire, qu'il croîtra péniblement
comme un arbrisseau ou comme un faible rejeton qui sort d'une terre
sèche (Is 53, 2).
Isaïe se met ensuite à
décrire la passion du Seigneur: “Nous l'avons vu, s'écrie-t-il, et nous
avons voulu le reconnaître: mais nous ne l'avons pu. Il nous a paru un
objet de mépris, le dernier des hommes, et un homme de douleurs. Nous ne
l'avons point reconnu”. (Is 53, 2-3)
Adam, en refusant d'obéir à
la loi de Dieu, a causé la ruine de tous les hommes par son orgueil;
c'est pourquoi le Rédempteur a voulu réparer ce mal par son humilité, en
consentant à être traité comme le dernier et le plus abject des hommes;
c'est-à-dire, en se réduisant au plus profond abaissement. Saint Bernard
admire cette union prodigieuse de la suprême grandeur avec l'extrême
bassesse: “Ô toi, le plus bas et le plus élevé, ô toi le méprisé et le
sublime, ô opprobre des hommes et gloire des anges! Nul n'est plus grand
que toi, mais nul n'est plus humble”. Si donc, ajoute-t-il, le Seigneur,
qui est le premier de tous les êtres, a voulu paraître comme le dernier,
chacun de nous doit rechercher la dernière place, et craindre d'être
préféré à qui que ce soit. Mais moi, mon Jésus, je crains tout le
contraire; je voudrais être préféré à tout le monde. Seigneur!
donnez-moi l'humilité! Vous embrasez avec amour les humiliations, pour
m'apprendre à être humble, à aimer la vie obscure et méprisée, et je
voudrais être estimé de tous et paraître en tout! De grâce, mon Jésus!
donnez-moi votre amour; il me rendra semblable à vous! Ne me laissez pas
vivre plus longtemps dans l'ingratitude envers vous, après que vous
m'avez tant aimé. Vous êtes tout-puissant: faites que je sois humble,
que je sois saint, que je sois tout à vous.
- II -
Humiliations et souffrances de Jésus-Christ
Isaïe appelle notre Sauveur
un Homme de douleurs (Is 53, 3). Aussi applique-t-on justement à Jésus
crucifié ce texte de Jérémie: “Votre affliction est semblable à une mer”
(Lm, 2, 13). Comme toutes les eaux vont se jeter dans la mer, ainsi se
réunirent dans le cœur de Jésus, pour l'affliger, toutes les souffrances
des malades, toutes les austérités des anachorètes et toutes les
humiliations des martyrs. Il fut rassasié de douleurs dans l'âme et dans
le corps. Mon Père! disait-il par la bouche de David, vous avez fait
passer sur moi tous les flots de votre colère (Ps 87, 8)! Et il ajouta
en mourant, qu'il expirait abîmé dans un océan de douleurs et
d'opprobres (Ps 68, 3). L'Apôtre a écrit que Dieu en envoyant son propre
Fils au monde pour payer de son sang la dette de nos fautes, a voulu par
là montrer la grandeur de sa justice (Rm 3, 25). Remarquez ces derniers
mots.
Pour se faire une idée de
tout ce que Jésus-Christ eut à souffrir pendant sa vie, et surtout à sa
mort, il faut considérer ce que dit encore saint Paul dans sa Lettre aux
Romains: « Dieu, en envoyant son propre Fils avec une chair semblable à
celle du péché et en vue du péché, a condamné le péché dans sa chair » (Rm
8, 3). Jésus-Christ, envoyé par son Père pour racheter l'homme, se
revêtit de notre chair infectée du péché d'Adam. Quoiqu'il n'eût pas
contracté la tache du péché, il prit néanmoins sur lui les misères dont
la nature humaine était affligée en punition du péché, et il s'offrit
volontairement à son Père éternel, comme le dit Isaïe, afin de
satisfaire par ses souffrances à la Justice divine pour toutes les
dettes du genre humain; et Dieu le Père l'a chargé lui seul des
iniquités de nous tous (Is 53, 6-7). Voilà donc Jésus sous le poids de
tous les blasphèmes, de tous les sacrilèges, de toutes les impuretés, de
tous les forfaits que les hommes ont commis et commettront jamais; le
voilà, en un mot, devenu l'objet de toutes les malédictions divines que
nous avons méritées par nos fautes (Ga 3, 13).
Aussi saint Thomas
assure-t-il que les douleurs de Jésus-Christ, tant intérieures
qu'extérieures, ont surpassé tout ce qu'on peut souffrir en cette vie.
Pour comprendre quelles ont dû être ses souffrances extérieures, il
suffit de savoir que Dieu le Père lui avait formé un corps exprès pour
souffrir, ainsi que Notre-Seigneur le déclara lui-même (He 10, 5). Le
Docteur Angélique observe que Notre-Seigneur fut affligé dans tous les
sens: dans le toucher, toutes ses chairs ayant été déchirées; dans le
goût, par le fiel et le vinaigre; dans l'ouïe, par les blasphèmes et les
dérisions; dans la vue, en regardant sa Mère qui assistait à sa mort. Il
souffrit également dans tous ses membres: sa tête sacrée fut tourmentée
par les épines, ses mains et ses pieds par les clous, son visage par les
soufflets et les crachats, et tout son corps par les fouets, précisément
comme Isaïe l'avait prédit, ce Prophète ayant annoncé que Notre
Rédempteur, dans sa passion, semblable à un lépreux, dont la chair n'a
plus aucune partie saine, et qui fait horreur à voir, n'offrant aux
regards que plaies de la tête aux pieds. En un mot, Jésus flagellé parut
aux yeux de Pilate dans un tel état qu'il espérait fléchir les Juifs en
le leur montrant; il cru qu'il suffirait pour qu'on cessât de demander
sa mort, de le présenter du haut de son tribunal aux regards du peuple,
en disant: « Voilà l'Homme! » (Jn 19, 5).
Saint Isidore remarque en
outre que, chez les autres hommes, lorsqu'une douleur et lourde et dure
un certain temps, la violence même du mal fait perdre la sensation de
douleur. Il n'en fut pas ainsi pour notre Sauveur: les dernières
douleurs lui furent aussi sensibles que les dernières, et les premiers
coups de fouets ne le furent pas moins que les derniers; et cela, parce
que sa passion ne fut pas simplement l'ouvrage des hommes, mais ce fut
un acte de la justice de Dieu, qui a voulu faire subir en toute rigueur
à son Fils innocent le châtiment que méritaient les péchés de tous les
hommes. Ainsi, mon Jésus! dans votre passion, vous avez voulu porter la
peine qui m'était due pour mes péchés; si donc je vous avez moins
offensé, vous eussiez moins souffert en ce moment pour moi. Et moi,
sachant bien cela, pourrai-je encore vivre sans vous aimer, et sans
pleurer continuellement les offenses que je vous ai faites? Mon doux
Rédempteur, je me repens de vous avoir méprisé, et je vous aime
par-dessus toutes choses. De grâce, ne me rejetez point comme je l'ai
mérité; recevez-moi dans votre amour, maintenant que je vous aime et que
je ne veux plus aimer que vous. Je serais bien ingrat si, après toutes
les miséricordes que vous m'avez faites, j'aimais encore à l'avenir
autre chose que vous.
- III -
Jésus-Christ a souffert volontairement pour nous
Voici la suite des paroles
d'Isaïe: « Nous l'avons considéré comme un lépreux, comme un homme que
la main de Dieu a frappé et humilié. Mais il a été frappé pour nos
iniquités, il a été brisé pour nos crimes. Le châtiment qui devait nous
réconcilier avec Dieu, est tombé sur lui, et nous avons été guéris par
ses blessures. Nous, nous étions tous égarés comme des brebis errantes,
chacun s'était détourné pour suivre sa propre voie; et Dieu l'a chargé
lui seul de l'iniquité de nous tous ». (Is 53, 4-6) Et Jésus, plein de
charité, consentit volontiers, sans réplique, au dessein de son Père qui
voulut qu'il fût livré entre les mains des bourreaux pour être tourmenté
à leur gré. « Il fut offert parce que c'était son propre désir, et il
n'ouvrit pas la bouche; comme une brebis qu'on conduit à la boucherie,
comme devant les tondeurs d'une brebis muette » (Is 53, 7). Comme un
agneau qui se laisse tondre sans se plaindre, notre tendre Sauveur se
laissa enlever, non la laine, mais la peau, sans ouvrir la bouche.
Quelle obligation le Fils
de Dieu avait-il d'expier nos fautes? Aucune, sans doute; mais il a
voulu s'en charger, pour nous délivrer de la damnation éternelle; et
après s'être ainsi rendu volontairement, par pure bonté, débiteur de
toutes nos dettes, il a voulu se sacrifier entièrement pour nous,
jusqu'à expirer dans les tortures de la croix, comme il l'a déclaré
lui-même (Jn 10, 17). Chacun de nous doit donc lui rendre grâces, et lui
dire avec le prophète Isaïe: « Seigneur! vous avez arraché mon âme à sa
perte; vous avez pris sur vous et vous avez effacé vous-même tous mes
péchés » (Is 38, 17).
- IV -
Les souffrances de Jésus-Christ ont été extrêmes
Saint Ambroise, parlant de
la passion du Sauveur, dit que ses souffrances ne peuvent être égalées.
Les Saints ont tâché d'imiter Jésus-Christ dans ses souffrances pour se
rendre semblables à lui; mais, y en a-t-il un seul qui soit parvenu à
l'égaler? Il est certain que Notre-Seigneur a souffert plus que tous les
pénitents, tous les anachorètes, et tous les Martyrs; car Dieu l'a
chargé de satisfaire rigoureusement à sa justice pour tous les péchés
des hommes, et conséquemment, comme le dit saint Pierre, Jésus porta sur
la croix le fardeau de toutes nos iniquités, pour en subir la peine dans
son corps adorable (1 P 2, 24). Selon saint Thomas, en nous rachetant,
le Fils de Dieu n'a pas seulement eu égard à la vertu et au mérite
infini de ses souffrances, mais il a voulu souffrir autant qu'il le
fallait pour expier pleinement et rigoureusement tous les péchés du
genre humain. Et selon saint Bonaventure, il a voulu souffrir autant que
s'il eût été lui-même l'auteur de toutes nos fautes. Or Dieu sut
tellement aggraver les douleurs de Jésus-Christ, qu'elles atteignirent
les proportions requises pour acquitter complètement toutes nos dettes.
Ainsi s'est vérifiée cette parole d'Isaïe, que Dieu a voulu broyer son
Fils dans les souffrances, pour le salut du monde (Is 53, 10-11).
Quand on lit les Actes des
Martyrs, il semble que quelques-uns d'entre eux ont plus souffert que
Jésus-Christ; mais saint Bonaventure dit que les douleurs d'aucun Martyr
n'ont jamais pu égaler en vivacité celles de notre Sauveur, qui furent
les plus aiguës de toutes les douleurs. Saint Thomas assure pareillement
que la douleur sensible qui affligea Jésus-Christ fut la plus grande que
l'on puisse endurer dans la vie présente. Selon saint Laurent Justinien,
dans chaque tourment que Notre-Seigneur eut à subir, si l'on considère
la vivacité et l'intensité de la douleur, il souffrit tous les supplices
des Martyrs. Tout cela d'ailleurs a été prédit en peu de mots par le Roi
David lorsque, parlant à Dieu au nom du Messie, il s'écriait: “Sur moi
pèse ta colère; ... tes épouvantes m'ont réduit à rien” (Ps 87, 8.17),
ce qui signifie que toute la colère de Dieu excitée par nos péchés est
venue retomber sur la personne du Sauveur. On entend dans le même sens
ce que l'Apôtre dit: « Il est devenu malédiction pour nous » (Ga 3, 13).
Jésus devint la malédiction, c'est-à-dire l'objet de toutes les
malédictions que méritent les pécheurs.
- V -
Peines intérieures de notre Sauveur
Jusqu'ici, nous avons parlé
que des souffrances extérieures de Jésus-Christ; mais qui pourra jamais
expliquer, ou seulement concevoir, l'étendue de ses souffrances
intérieures, qui furent mille fois plus grandes que les premières? La
douleur de son âme fut si violente que, dans le jardin de Gethsémani,
elle lui causa une sueur de sang par tout le corps et lui fit dire
qu'elle suffisait pour lui donner la mort (Mt 26, 58). Mais, puisque
cette tristesse suffisait pour le faire mourir, pourquoi ne mourut-il
pas? C'est, répond saint Thomas, parce qu'il retarda lui-même sa mort,
voulant se conserver la vie pour la sacrifier bientôt après sur la
croix. Remarquons en outre que cette tristesse mortelle ne fit
qu'affliger plus sensiblement notre Sauveur; car elle fut le tourment de
toute sa vie: dès le premier moment de son existence, il eut devant les
yeux les causes de sa douleur intérieure; et de toutes ces causes, celle
qui l'affligea le plus, ce fut de voir l'ingratitude des hommes après
l'amour qu'il leur témoignait dans sa passion.
Il est vrai que, dans cette
extrême désolation, un Ange du ciel vint pour fortifier le Seigneur,
ainsi que saint Luc le rapporte. (Lc 22, 43). Mais le vénérable Bède
fait observer que ce secours, loin d'alléger sa peine, ne fit que
l'accroître, puisque l'Ange ranima ses forces pour qu'il souffrit avec
plus de constance pour le salut des hommes, en lui représentant, ajoute
le même auteur, la grandeur des fruits de notre passion, sans en
diminuer la douleur. Aussi, immédiatement après l'apparition de l'Ange,
l'Évangéliste dit que Jésus tomba en agonie et sua du sang en abondance
au point d'en baigner la terre (Lc 23, 44).
Selon saint Bonaventure, la
douleur de Jésus parvint au suprême degré; de telle sorte qu'à l'aspect
des tourments qui allaient terminer sa vie, il fut si épouvanté qu'il
supplia son Père de l'en délivrer (Mt 26, 39). Cependant, Notre-Seigneur
ne fit pas cette prière précisément pour échapper au supplice qui
l'attendait, puisqu'il s'y était soumis volontairement (Jn 10, 18); ce
fut pour nous faire entendre quelles angoisses il éprouvait en subissant
une mort si amère selon les sens. Mais, reprenant aussitôt selon
l'esprit, tant pour se conformer à la volonté de son Père que pour nous
obtenir le salut, ce qu'il désirait si ardemment, il ajouta:
« Néanmoins, que votre volonté soit faite, et non la mienne! » (Mt 26,
44). Et il continua de prier et de se résigner ainsi durant trois heures
(Mc 14, 39).
- VI -
Patience de Jésus-Christ - Fruits de sa mort
Reprenons les prophéties
d'Isaïe. Il a prédit les soufflets, les coups de poing, les crachats et
les autres mauvais traitements que Jésus-Christ souffrit dans la nuit
qui précéda sa mort, de la part des bourreaux, qui le tenaient
prisonnier dans le palais de Caïphe, en attendant le matin pour le
conduire à Pilate et le faire condamner au supplice de la croix: « J'ai
tendu le dos à ceux qui me frappaient, les joues à ceux qui
m'arrachaient la barbe; je n'ai pas soustrait ma face aux outrages et
aux crachats » (Is 50, 6). Ces outrages ont été décrits après
l'événement par saint Marc, qui ajoute que les bourreaux, voulant se
moquer de Notre-Seigneur comme d'un faux prophète, lui bandèrent les
yeux et se mirent ensuite à lui donner des coups de poing et des
soufflets, en lui disant de deviner qui l'avait frapper (Mc 14, 65).
Isaïe continue et dit que
le Messie sera mené à la mort comme une brebis qu'on va égorger (Is. 53,
7). C'est ce passage que lisait l'eunuque de la reine Candace, lorsque
saint Philippe vint le joindre par une inspiration divine, comme on le
voit dans les Actes des Apôtres (Ac 8, 32): il lui demanda de qui les
paroles devaient s'entendre, et le saint expliqua tout le mystère de la
Rédemption opérée par Jésus-Christ. Alors, l'eunuque, ouvrant les yeux à
la lumière que Dieu lui communiquait, voulut être baptisé sur-le-champ.
Le Prophète termine en
annonçant les fruits immenses que la mort du Sauveur devait produire
dans le monde, et la multitude de saints qui en devaient naître
spirituellement: « S'il offre sa vie en expiation, il verra une
postérité, il prolongera ses jours; et ce qui plaît au Seigneur
s'accomplira par lui. Il verra la lumière et sera comblé. Par ses
souffrances, mon Serviteur justifiera des multitudes ». (Is 53, 10-11).
- VII -
Prophéties de David - Diverses particularités
Avant Isaïe, le
Prophète-Roi avait prédit d'autres circonstances encore plus
particulières de la passion de Jésus-Christ, principalement dans le
Psaume 21, où il dit que le Sauveur aurait les mains et les pieds percés
de clous et que ses membres seraient tellement étendus qu'on pourrait
compter ses os (Ps 21, 15. 18). Il annonça également que, avant de le
crucifier, on lui ôterait ses vêtements; que ses vêtements extérieurs
seraient partagés entre les bourreaux, et que celui de dessous, étant
une tunique sans couture, serait tiré au sort (Ps. 21, 19). Cette
prophétie est rappelée par saint Matthieu et saint Jean (Mt 27, 35; Jn
19, 23).
Voici en outre ce que saint
Matthieu rapporte des blasphèmes et des sarcasmes des Juifs contre
Jésus, pendant qu'il était sur la croix: « Ceux qui passaient par là le
blasphémaient, en branlant la tête et en lui disant: Toi qui détruis le
temple de Dieu, et qui le rebâtis en trois jours, que ne te sauves-tu
toi-même? Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix! Les Princes
des prêtres se moquaient aussi de lui avec les Scribes et les Anciens,
en disant: Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même; s'il
est le Roi d'Israël, qu'il descende maintenant de la croix, et nous
croirons en lui. Il met sa confiance en Dieu; si donc Dieu l'aime, qu'il
le délivre maintenant; puisqu'il a dit; Je suis le Fils de Dieu ». (Mt
27, 40-43). Presque tous ces détails ont été prédits sommairement par
David, en ces termes: « Tous ceux qui me voyaient, se sont moqués de
moi; ils ont dit en branlant la tête: Il a mis son espérance dans le
Seigneur, que le Seigneur le délivre; qu'il le sauve, s'il est vrai
qu'il l'aime » (Ps 21, 8-9).
David a aussi prédit la
grande peine que Jésus devait éprouver sur la croix en se voyant
abandonner de tout le monde, même de ses disciples, à l'exception de
saint Jean et de la Très Sainte Vierge. Mais la présence de cette Mère
chérie n'adoucit point la peine d'un Fils si tendre; elle l'augmentait,
au contraire, par la compassion qu'il avait de la voir si affligée à
cause de sa mort. Notre-Seigneur, au milieu des angoisses de son cruel
supplice, ne trouva donc personne pour le consoler, précisément comme
David l'avait annoncé (Ps 68, 21). Mais, la douleur qui affligea le plus
profondément notre doux Rédempteur, ce fut d'être abandonné même de son
Père éternel; aussi s'écria-t-il alors, conformément à la prophétie de
David: « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné? Loin de me
sauver les paroles de ma bouche » (Ps 21, 2). C'est comme s'il eût dit:
« Mon Père! les péchés des hommes, que j'appelle les miens parce que je
m'en suis chargé, m'empêchent de me délivrer de ces souffrances qui
consument ma vie; mais vous, mon Dieu! dans cette extrême désolation,
pourquoi m'avez-vous abandonné? » Ces paroles du Prophète-Roi
correspondent parfaitement à celles que Jésus prononça sur la croix,
selon l'Évangile de saint Mathieu, peu de temps avant sa mort: « Eli!
Eli! lema sabachtani? » (Mt 27, 46).
- VIII -
Jésus-Christ est le vrai Messie - Surabondance de ses mérites
D'après toutes ces
citations, on peut juger du grand tort qu'ont les Juifs, lorsqu'ils
refusent de reconnaître Jésus-Christ comme leur Messie et leur Sauveur,
parce qu'il est mort d'un supplicie ignominieux. Mais, ne
s'aperçoivent-ils pas que, si Jésus-Christ, au lieu de mourir en croix
comme un criminel, avait eu une mort honorée et glorieuse aux yeux des
hommes, il n'aurait pas été le Messie promis de Dieu et prédit par les
Prophètes, qui annonçaient depuis tant de siècles que le Rédempteur
devait mourir rassasié d'opprobres? (Lm 3, 30) Au reste, toutes ces
humiliations et toutes ces souffrances du Fils de Dieu, si bien prédites
par les Prophètes, ne furent comprises, même de ses disciples, qu'après
sa résurrection et son ascension dans le ciel (Jn 12, 16).
Enfin, la passion de
Jésus-Christ a vérifié cette parole de David: « La Justice et la
Miséricorde se sont donné le baiser de paix » (Ps 84, 11). En effet,
d'un côté, par les mérites du Sauveur, les hommes ont été
miséricordieusement réconciliés avec Dieu; et de l'autre, par sa mort,
la Justice divine a été surabondamment satisfaite, puisque, pour nous
racheter, il n'était pas nécessaire que l'Homme-Dieu supportât tant de
souffrances et d'opprobres; il suffisait, comme nous l'avons dit, d'une
seule goutte de son sang, d'une simple prière de sa part, pour sauver le
monde entier. C'est pour nous inspirer plus de confiance et nous
enflammer d'un plus grand amour envers lui, qu'il a voulu que notre
rédemption fût, non seulement suffisante, mais encore surabondante,
ainsi que David l'annonçait: « Espère Israël dans le Seigneur, puisque
auprès du Seigneur est la grâce, près de lui l'abondance du rachat » (Ps
129, 6).
Job a aussi prophétisé
cette surabondance de la grâce lorsque, parlant au nom du Messie, il
déclara que son affliction était incomparablement plus grande que ses
péchés (Jb 6, 2). Ici encore, Jésus, par la bouche de Job, appelle ses
péchés ceux des hommes, parce qu'il s'était obligé à satisfaire pour
nous, afin que sa justice devint notre justice, suivant la pensée de
saint Augustin. La Glose commente le texte de Job en disant que, dans la
balance de la Justice divine, la passion de Jésus-Christ l'emporte sur
tous les péchés du genre humain. Toutes les vies des hommes ne
suffiraient point pour expier un seul péché, mais les souffrances du
Fils de Dieu ont satisfait pour toutes nos dettes (1 Jn 2, 2). De là,
saint Laurent Justinien encourage tout pécheur véritablement contrit à
espérer son pardon avec assurance par les mérites de Jésus-Christ.
Pauvre pécheur, lui dit-il, ne mesure point l'espérance d'obtenir le
pardon de tes fautes à la grandeur de ton repentir, car toutes tes
oeuvres ne peuvent te le mériter; mais mesure-la aux souffrances de ton
divin Rédempteur, qui a surabondamment satisfait pour toi. Ô Sauveur du
monde! dans vos chairs déchirées par les fouets, les épines et les
clous, je reconnais votre amour pour moi et l'ingratitude que j'aie eue
de répondre par tant d'injures à tant de bienfaits! Mais votre sang est
mon espérance puisque c'est au prix de votre sang que vous m'avez
délivré de l'enfer autant de fois que je l'ai mérité. Ah! qu'en
serait-il de moi pour toute l'éternité, si vous n'aviez pensé à me
sauver par votre mort? Malheureux que je suis! je savais qu'en perdant
votre grâce, je me condamnais moi-même à rester à jamais, sans espoir,
éloigné de vous en enfer, et j'ai souvent osé vous tourner le dos! Mais,
je le répète, votre sang est mon espérance. Ah! que ne suis-je mort sans
vous avoir jamais offensé! Ô bonté infinie, je méritais d'être aveuglé,
et vous m'avez éclairé de nouvelles lumières; je méritais d'être endurci
et vous m'avez attendri et touché de componction, au point que j'abhorre
maintenant plus que la mort les injures que je vous ai faites, et que je
me sens un grand désir de vous aimer! Ces grâces que j'ai reçues de
vous, me donnent l'assurance que vous m'avez pardonné et que vous voulez
me sauver. Ô mon Jésus! qui pourrait cesser encore de vous aimer, et
aimer autre chose que vous? Je vous aime, mon Jésus! et je me confie en
vous; augmentez cette confiance et cet amour, afin que désormais
j'oublie tout et ne pense plus qu'à vous aimer et à vous plaire.
Ô Marie, Mère de Dieu,
obtenez-moi la grâce d'être fidèle à Jésus, votre Fils et mon
Rédempteur!
È
SUR LA FLAGELLATION,
LE COURONNEMENT D'ÉPINES ET LE CRUCIFIEMENT
- I -
La flagellation
Saint Paul dit que
Jésus-Christ s'est abaissé jusqu'à prendre la forme de serviteur (Ph 2,
7). Sur ce texte, saint Bernard fait la réflexion suivante: « Notre
divin Rédempteur, qui est le Maître de l'univers, ne s'est pas contenté
de prendre la condition de serviteur; il a voulu paraître mauvais
serviteur, et d'expier ainsi nos fautes ».
Il est certain que la
flagellation fut le plus cruel des tourments que notre Sauveur eut à
souffrir et celui qui abrégea le plus sa vie; car la principale cause de
sa mort, ce fut la perte de son sang, qu'il devait répandre jusqu'à la
dernière goutte selon ce qu'il avait prédit (Mt 26, 28). Ce précieux
Sang, il est vrai, avait déjà coulé dans le jardin des Olives; il coula
encore dans le couronnement d'épines et le crucifiement; mais la plus
grande partie en fut répandue dans la flagellation. En outre, ce
supplice fut extrêmement humiliant pour Jésus-Christ, parce qu'il
n'était infligé qu'aux esclaves, conformément à la loi romaine. C'est
pourquoi les tyrans, après avoir prononcé leur sentence contre les
Martyrs, ordonnaient qu'ils fussent flagellés avant d'être mis à mort;
mais Notre-Seigneur fut flagellé avant sa condamnation. Il avait prédit
pendant sa vie, à ses disciples en particulier, qu'il subirait cette
peine ignominieuse (Lc 18, 32), et il leur donnait à entendre combien
elle devait être douloureuse pour lui.
Il a été révélé à sainte
Brigitte qu'un de ses bourreaux ordonna d'abord à Jésus de se dépouiller
lui-même de ses vêtements; il obéit et embrassa ensuite la colonne, où
il fut lié; on le flagella si cruellement que son corps fut tout
déchiré. La révélation ne dit pas simplement qu'on frappait, mais qu'on
sillonnait ses chairs sacrées. Les coups portèrent jusque sur la
poitrine, au point que les côtes furent mises à découvert. Tout cela est
conforme à ce que dit saint Jérôme, ainsi que saint Pierre Damien qui
assure que les bourreaux frappèrent Notre-Seigneur jusqu'à ce que les
forces leur manquèrent. Isaïe avait tout prédit par un mot: « Il sera
brisé (ou broyé) à cause des fautes des autres » (Is 53, 5).Me voici,
mon Jésus! je suis un de vos plus cruels bourreaux; je vous ai flagellé
par mes péchés: ayez pitié de moi. Ô mon aimable Sauveur, c'est peu d'un
cœur pour vous aimer. Je ne veux plus vivre pour moi-même, mais pour
vous seul, mon Amour, mon Tout! Je vous dirai donc avec sainte Catherine
de Gênes: « Ô Amour! ô Amour! plus de péchés! » Oui, mon Jésus! je vous
ai offensé; maintenant, j'ai la confiance que je suis à vous et,
moyennant votre grâce, je veux être à vous pour toujours, pour toute
l'éternité.
– II –
Le couronnement d'épines
La Mère de Dieu a encore
révélé à sainte Brigitte que la couronne d'épines ceignait la tête
sacrée de son Fils jusqu'au milieu du front, et que les épines furent si
violemment enfoncées que le sang ruissela sur toute la face, de telle
sorte qu'elle en parut toute couverte.
Origène dit que cette
horrible couronne ne fût ôtée de la tête de Notre-Seigneur qu'après
qu'il eût expiré. Cependant, le vêtement intérieur de Jésus n'avait
point de couture, il était d'un seul tissu; c'est pour cette raison que
les soldats ne le partagèrent point entre eux comme ses autres
vêtements, mais le tirèrent au sort, ainsi que l'atteste saint Jean (Jn
19, 23). Cette tunique devant donc se tirer du côté de la tête, il est
très probable, selon plusieurs auteurs, qu'on ôta la couronne à Jésus
pour faire passer la tunique, et qu'on la lui remit ensuite avant de le
clouer sur la croix.
On lit dans la Genèse: « La
terre sera maudite à cause de ton oeuvre; elle te produira des épines et
des ronces » (Gn 3, 17). C'est Dieu qui a prononcé cette malédiction
contre Adam et contre toute sa postérité; en cet endroit, par la terre,
encore la chair humaine qui, infectée par la faute de notre premier
père, ne produit plus que des épines de péchés. Pour remédier à cette
corruption de la chair, dit Tertullien, il a fallu que Jésus-Christ
offrit à Dieu en sacrifice cette affreuse torture du couronnement
d'épines.
Ce tourment, déjà si
douloureux, fut encore aggravé par d'autres mauvais traitements que
rapportent saint Matthieu et saint Jean. Les soldats avaient déshabillé
de nouveau leur innocente victime, et lui avaient jeté sur les épaules
un haillon de couleur rouge. Jésus, étant couronné d'épines, ils lui
mirent un roseau en guise de sceptre; puis ils fléchirent le genou
devant lui, par dérision, en le saluant Roi des Juifs. Ils lui
crachaient ensuite au visage, et prenaient le roseau pour lui en frapper
la tête; ils lui donnaient aussi des soufflets (Mt 27, 28; Jn 19, 3).Ô
mon Jésus! combien d'épines n'ai-je pas ajoutés à cette couronne pour
toutes les mauvaises pensées auxquelles j'ai consenti! Je voudrais en
mourir de douleur; pardonnez-moi, par les mérites de ce tourment même
que vous avez voulu souffrir pour me pardonner. Ah! mon doux Seigneur,
que je sois si maltraité et si humilié, vous endurez tant de douleurs et
tant d'opprobres pour me toucher, afin que je vous aime au moins par
compassion, et que je cesse de vous offenser. C'est assez, mon Jésus! ne
souffrez pas davantage; je suis persuadé de votre amour pour moi, et je
vous aime de toute mon âme! Mais que vois-je? vous n'êtes pas encore
satisfit; vous ne serez rassasié de souffrances que lorsque vous serez
mort de douleur sur la croix. Ô Bonté, ô Charité infinie! qu'il est
malheureux, le cœur qui ne vous aime pas!
- III -
Jésus porte sa croix
La croix commença à faire
souffrir notre Sauveur avant qu'il y fût cloué; car, après la sentence
prononcée par Pilate, on l'obligea à la porter jusqu'au Calvaire, où il
devait mourir; et Jésus, sans résister, la chargea sur ses épaules (Jn
19, 17). Saint Augustin fait ici cette réflexion: « Si l'on considère la
cruauté dont on usa envers Jésus-Christ, en le forçant de porter
lui-même l'instrument de son supplice, ce fut une grande ignominie;
mais, si l'on considère l'amour avec lequel ce divin Maître embrassa sa
croix, ce fut un grand mystère »; car, en portant sa croix, il a voulu,
comme notre Chef, arborer l'étendard sous lequel devaient s'enrôler et
combattre ceux qui voudraient le suivre, pour conquérir avec lui le
royaume des cieux.
« Il a reçu l'empire sur
les épaules » (Is 9, 5). Sur ce passage d'Isaïe, où le Prophète annonce
que le Messie portera sur son épaule la marque de principauté, saint
Basile observe que, tandis que les tyrans, pour accroître leur
puissance, surchargent injustement leurs sujets, Jésus-Christ a voulu se
charger de sa croix et la porter lui-même pour y sacrifier sa vie, afin
de nous procurer le salut. Remarquons en outre que les rois de la terre
fondent leur principauté sur la force des armes et l'accumulation des
richesses; Notre-Seigneur, au contraire, a fondé la sienne sur la croix,
c'est-à-dire, sur l'humiliation et la souffrance; et il s'est soumis
volontairement à porter sa croix sur le chemin douloureux du Calvaire,
pour nous encourager par son exemple, et pour engager chacun de nous à
se charger de sa croix avec résignation et à le suivre, comme il le dit
à tous ses disciples (Mt 16, 24).
Notons ici les beaux titres
que saint Jean Chrysostome donne à la Croix dans son homélie sur ce
sujet. Il l'appelle:
L'Espérance des chrétiens
et Le Salut des désespérés. Quelle espérance de salut auraient eu les
pécheurs sans la croix sur laquelle Jésus-Christ est mort pour les
sauver?
Le Guide des navigateurs.
L'humiliation qui vient de la croix, c'est-à-dire de l'adversité, nous
fait obtenir dans cette vie, qui ressemble à une mer remplie d'écueils,
la grâce d'observer la loi de Dieu, et de nous amender lorsque nous
l'avons transgressée, selon ce que dit le Psalmiste: « Seigneur, c'est
un bien pour moi que vous m'ayez humilié, afin que j'apprenne à garder
vos commandements » (Ps 118, 71).
Le Conseiller des Justes.
L'adversité éclaire les justes et les porte à s'unir plus étroitement à
Dieu.
Le Repos des affligés. Où,
en effet, ceux qui sont affligés trouvent-ils plus de consolation que
dans la croix, sur laquelle ils voient mourir de douleur, pour l'amour
d'eux, leur Rédempteur et leur Dieu?
La Gloire des Martyrs. Ce
qui fait la gloire des Saints Martyrs, c'est d'avoir pu unir leurs
souffrances et leur mort aux souffrances et à la mort de Jésus-Christ
sur la croix. Aussi l'Apôtre disait-il qu'il ne voulait point être
glorifié autrement (Ga 6, 14).
Le Remède dans les
maladies. Oh! quel heureux remède que la croix pour bien des personnes
atteintes de maladies spirituelles! Les tribulations les font rentrer en
elles-mêmes et les détachent du monde.
La Source qui désaltère
ceux qui ont soif. La croix, c'est-à-dire, souffrir pour Jésus-Christ,
c'est le désir, la soif des saints. Sainte-Thérèse disait: « Ou
souffrir, ou mourir! » Sainte Marie-Madeleine de Pazzi allait plus loi,
et s'écriait: « Souffrir, et ne pas mourir! » comme si elle eût refusé
de mourir et d'aller jouir du paradis, pour souffrir plus longtemps sur
la terre.
Du reste, généralement
parlant, juste ou pécheur, chacun a sa croix. Quoique les justes
jouissent de la paix du cœur, ils ont néanmoins leurs vicissitudes: ils
sont tantôt consolés par les douces visites du Seigneur, et tantôt
affligés par les contrariétés, les infirmités corporelles, et les
dégoûts spirituels, par les scrupules, les tentations, et les craintes
pour leur salut. Mais la croix des pécheurs est beaucoup plus pesante, à
cause des remords de leur conscience, des terreurs qui les saisissent
quand ils songent aux peines éternelles, et des tourments qu'ils
éprouvent dans les adversités. Les saints, dans l'adversité, se
résignent à la volonté divine, et supportent tout patiemment; mais le
pécheur, comment pourra-t-il trouver le repos dans la résignation à la
volonté de Dieu, s'il est ennemi de Dieu? Les peines des ennemis de Dieu
sont des peines sans mélange, sans consolation. C'est ce qui faisait
dire à sainte Thérèse que celui qui aime Dieu embrasse sa croix de bon
cœur et ne la sent pas, tandis que celui qui n'aime pas Dieu traîne la
sienne par force et ne peut ainsi ne la sentir que trop.
- IV -
Le crucifiement
D'après les révélations
faites à sainte Brigitte, quand notre Sauveur se vit sur la croix, il
étendit de lui-même sa main droit à l'endroit où elle devait être
clouée. Les bourreaux clouèrent ensuite sa main gauche, et enfin ses
pieds sacrés; après quoi, ils laissèrent Jésus mourir sur ce lit de
douleur. Saint Augustin dit que le supplice de la croix était
extrêmement cruel, parce qu'il rendait la mort la plus lente, afin de
prolonger la douleur.
Ô ciel! quel spectacle de
voir le Fils du Père éternel crucifié entre deux criminels! C'est là
précisément ce qu'Isaïe avait prédit (Is 53, 12). Saint Jean
Chrysostome, considérant Jésus en croix, s'écrie avec admiration et
amour: « Je vois mon Sauveur dans le ciel entre le Père et le
Saint-Esprit; je le vois sur le mont Thabor entre deux Saints, Moïse et
Élie; et comment le vois-je maintenant crucifié sur le Calvaire entre
deux voleurs? » Mais cela devait être ainsi; car, selon le décret divin,
c'est ainsi qu'il devait mourir, pour expier par sa mort les péchés des
hommes et les sauver, conformément à la prophétie d'Isaïe.
Le même Prophète fait cette
question: « Quel est cet homme si beau et si fort, qui vient d'Édom, les
vêtements couleur de sang? » (Is 63, 3). Édom marque la couleur rouge,
mais un peu foncée, comme on le voit dans la Genèse (Gn 25, 30). Cette
demande est suivie d'une réponse, et, d'après les interprètes, c'est
Notre-Seigneur qui parle: « C'est moi qui professe la justice, et qui me
montre grand pour sauver » (Is 63, 1).
Le Prophète interroge de
nouveau: « Pourquoi donc vos vêtements sont-ils rouges, comme les habits
de ceux qui foulent le vin dans le pressoir au temps de la vendange? »
(Is 63, 2). Et le Seigneur répond: « J'ai été seul à fouler le vin;
aucune homme ne s'est trouvé avec moi » (Is 63, 3). Par ce pressoir,
Tertullien, saint Cyprien et saint Augustin entendent la Passion de
Jésus-Christ, dans laquelle son vêtement, c'est-à-dire sa chair sacrée
fut tout couvert de sang et de plaies, selon ce que dit saint Jean dans
l'Apocalypse: « Le manteau qui l'enveloppe est trempé de sang; et son
nom? Le Verbe de Dieu » (Ap 19, 13). Saint Grégoire dit que, dans ce
pressoir dont parle Isaïe, notre Sauveur a été foulé et a foulé. Il a
foulé parce que, dans sa passion, il a vaincu les démons; et il a été
foulé, parce que son corps adorable a été brisé dans les tourments comme
le raisin dans le pressoir, suivant cet autre texte du même Prophète,
déjà cité: « Yahvé s'est plu à l'écraser par la souffrance » (Is 53,
10).
Voilà donc ce divin Maître,
qui était « le plus beau des hommes » (Ps 44, 3), le voilà, sur le
Calvaire, tellement défiguré à force de tortures, qu'il fait horreur à
qui le regarde. Mais il en paraît d'autant plus beau aux yeux des âmes
dont il est aimé; car ces plaies, ces meurtrissures, ces chairs
déchirées, sont autant de marques, autant de preuves de son amour pour
nous. Écoutons un poète exprimer fort bien ce sentiment:
Lorsqu'on te considère, ô
Sauveur de mon âme,
Si maltraité pour nous par la main du bourreau,
Le cœur reconnaissant de ton amour s'enflamme;
Plus on t'a déchiré, plus tu nous sembles beau.
Mais, ajoute saint
Augustin, ce que Notre-Seigneur perd en beauté, nous le gagnons. En
effet, c'est la difformité de Jésus crucifié qui fait la beauté de nos
âmes. Elles étaient toutes défigurées; mais, lavées dans son sang divin,
elles deviennent toutes pures et toutes belles, selon ce qu'on lit dans
l'Apocalypse (Ap 7, 13). Tous les Saints, comme enfants d'Adam, excepté
la Bienheureuse Vierge, ont été quelque temps couverts d'une robe
souillée du péché de leur premier père et de leurs propres fautes; mais,
purifiée par le sang de l'Agneau, elle est devenue toute blanche et
agréable aux yeux de Dieu. Vous aviez donc raison de dire, ô mon Jésus!
qu'une fois élevé en croix, vous attireriez tout à vous (Jn 12, 32).
Assurément, vous n'avez rien omis pour gagner l'affection de tous les
cœurs. Aussi, combien d'âmes heureuses, en vous voyant crucifié et mort
pour leur amour, ont tout abandonné, richesses, dignités, patrie,
parents, et ont osé bravé les tortures et la mort, pour se donner
entièrement à vous! Malheur à ceux qui rejettent les grâces que vous
leur avez procurées par tant de travaux et de douleurs! Ah! leur plus
grand tourment dans l'enfer, ce sera de penser qu'ils ont eu un Dieu
qui, pour les attirer à son amour, a donné sa vie sur une croix, et
qu'eux, de leur plain gré, ils ont voulu se perdre, se vouer à une ruine
irréparable à jamais, durant toute l'éternité. Eh quoi, mon doux
Rédempteur, j'ai moi-même mérité de tomber dans ce malheur, pour les
offenses que je vous ai faites! Combien de fois n'ai-je pas résisté à
votre grâce, par laquelle vous cherchiez à m'attacher à vous! Combien de
fois, méprisant votre amour, ne vous ai-je pas tourné le dos, pour
suivre mes inclinations! Ah! que ne suis-je mort plutôt que de vous
offenser! que ne vous ai-je toujours aimé! Je vous rends grâce, ô mon
Amour! de m'avoir supporté avec tant de patience, et même, au lieu de
m'abandonner comme je le méritais, d'avoir multiplié envers moi vos
invitations, vos traits de lumière, et vos miséricordieuses
inspirations. Je vous en remercierai éternellement: « L'amour du
Seigneur, à jamais je le chante » (Ps 88, 2). Mon Sauveur et mon
Espérance! je vous en conjure, ne cessez pas de m'attirer à vous et de
me fortifier de plus en plus par le secours de vos grâces, afin que dans
le ciel je puisse vous aimer avec plus d'ardeur, en me rappelant tant de
miséricordes que vous m'avez faites, après tant de déplaisirs que je
vous ai donnés. J'espère tout par les mérites de ce sang précieux que
vous avez répandu et de cette mort douloureuse que vous avez endurée
pour moi. Sainte Vierge Marie, protégez-moi, priez pour moi!
- V -
Jésus en croix
Jésus en croix fut un
spectacle qui remplit d'étonnement le ciel et la terre: voir un Dieu
tout-puissant, Maître de l'univers, condamné comme un malfaiteur et
mourant sur un gibet infâme entre deux malfaiteurs! Ce fut un spectacle
de justice: le Père Éternel, voulant que sa justice soit satisfaite,
punit les péchés des hommes dans la personne de son Fils unique qu'il
aime autant que lui-même. Ce fut un spectacle de miséricorde: ce Fils
innocent subit une mort si cruelle et si ignominieuse pour sauver ses
créatures coupables. Ce fut surtout un spectacle d'amour: un Dieu offre
et donne sa vie pour racheter des esclaves qui sont ses ennemis.
Ce spectacle a toujours été
et sera toujours l'objet favori de la contemplation des saints; c'est ce
qui leur a fait compter pour peu de se priver de tous les biens et de
tous les plaisirs terrestres, et d'accepter avec empressement et avec
joie toutes les peines et la mort même, afin de témoigner quelque
reconnaissance envers ce Dieu mort pour leur amour.
Fortifiés en voyant Jésus
méprisé sur la croix, les saints aiment les mépris plus que les mondains
n'aiment les honneurs du monde. En voyant Jésus mourir nu sur la croix,
ils cherchent à se dépouiller de tous les biens de la terre. en le
voyant tout en plaies, le sang dégouttant de tous ses membres, ils ont
horreur des plaisirs sensuels et ne pensent qu'à affliger leur chair le
plus qu'ils peuvent, afin de s'unir par leurs souffrances à Jésus
crucifié. En voyant comment Jésus obéit et se conforme en tout à la
volonté de son Père, ils s'efforcent de vaincre toutes leurs
inclinations peu conformes au bon plaisir du Seigneur. Beaucoup d'entre
eux, quoique adonnés aux oeuvres piété, sachant néanmoins que, renoncer
à sa propre volonté, c'est le sacrifice le plus agréable au cœur de
Dieu, prennent le parti d'entrer en religion pour mener une vie
d'obéissance, en soumettant leur volonté propre à celle d'un autre. En
voyant la patience avec laquelle Jésus endure tant de tourments et
d'opprobres pour l'amour de nous, ils supportent avec résignation, et
même avec joie, les injures, les maladies, les persécutions, et toutes
les cruautés des tyrans. En voyant enfin l'amour que Jésus-Christ nous
témoigne dans le sacrifice qu'il fait pour nous de sa vie sur la croix,
ils sacrifient à Jésus-Christ tout ce qu'ils ont biens, plaisirs,
honneurs, vie.
Et comment se fait-il après
cela que tant d'autres chrétiens, quoique sachant et croyant que
Jésus-Christ est mort pour eux, au lieu de se consacrer sans réserve à
son service et à son amour, ne font que l'offenser et le mépriser pour
des satisfactions viles et passagères? d'où vient une telle ingratitude?
De ce qu'ils perdent le souvenir de la passion et de la mort de
Jésus-Christ. Mais hélas! quels seront leurs remords et leur confusion
au jour du jugement, quand le Seigneur leur reprochera en face tout ce
qu'il a fait et souffert pour eux!
Pour nous, âmes dévotes, ne
cessent point d'avoir devant les yeux Jésus crucifié, expirant au milieu
de tant de douleurs et d'ignominies pour notre amour. Tous les Saints
ont puisé dans la passion de Jésus-Christ cette ardente charité qui leur
a fait mépriser tous les biens d'ici-bas, jusqu'à s'oublier eux-mêmes,
pour ne penser qu'à aimer et à servir ce bon Maître, lequel a témoigné
tant d'amour aux hommes qu'il semble ne pouvoir rien faire de plus pour
gagner leur affection. En un mot, c'est la croix, ou la passion de notre
Sauveur, qui nous procurera la victoire sur toutes nos passions et sur
tous les efforts que fera l'enfer pour nous séparer de Dieu. La croix
est le chemin et l'échelle pour monter au ciel. Heureux celui qui
embrasse la croix pendant sa vie et y demeure attaché jusqu'à sa mort!
Celui qui meurt en embrasant la croix a un gage assuré de la vie
éternelle promise à tous ceux qui portent leur croix à la suite de
Jésus-Christ.
Mon Jésus crucifié! vous
n'avez rien épargné pour vous faire aimer des hommes; vous êtes allé
jusqu'à sacrifier votre vie par une mort si cruelle; comment donc ces
hommes, qui aiment leurs parents, leurs amis, et même les animaux dont
ils reçoivent quelque signe d'affection, vous montrent-ils de
l'ingratitude au point de mépriser votre grâce et votre amour pour
s'attacher à des biens si méprisables et si faux? Hélas! je suis
moi-même un de ces malheureux ingrats! Pour des choses de néant, j'ai
renoncé à votre amitié et je vous ai tourné le dos! Je mériterais d'être
chassé de votre présence comme je vous ai chassé de mon âme; mais
j'entends que vous continuez à me demander mon cœur. Oui, mon Jésus,
puisque vous désirez encore que je vous aime, et que vous m'offrez mon
pardon, je renonce à toutes les créatures, et je ne veux plus aimer que
vous seul, mon Créateur et mon Rédempteur! Vous serez désormais l'unique
amour de mon âme.
Ô Marie, Mère de Dieu! ô
Refuge des pécheurs, priez pour moi, obtenez-moi la grâce d'aimer Dieu,
et je ne vous demande plus rien!
È
SUR LES SARCASMES ESSUYÉS PAR JÉSUS SUR LA CROIX
- I -
Agonie de Jésus sur la Croix
L'orgueil, comme nous
l'avons dit, a été la cause du péché d'Adam et, par conséquent, de la
perte du genre humain; c'est pourquoi Jésus-Christ a voulu réparer ce
malheur par son humilité, en acceptant sans résistance la confusion et
tous les opprobres que ses ennemis lui préparaient, ainsi qu'il l'avait
prédit par la bouche de David (Ps 68, 8). Toute la vie de notre divin
Rédempteur fut pleine de confusions et de mépris qu'il reçut des hommes;
et il ne refusa point de les souffrir jusqu'à la mort, afin de nous
délivrer de la confusion éternelle (He 12, 2).
Qui ne pleurerait
d'attendrissement, et qui n'aimerait pas Jésus-Christ, si chacun
considérait tout ce qu'il a souffert durant ses trois heures d'agonie
sur la croix? Tous ses membres étaient blessés et souffrants; l'un ne
pouvait secourir l'autre. Cruellement affligé sur ce lit de douleur,
Notre-Seigneur ne pouvait changer de position, ayant les mains et les
pieds cloués. Toutes ses chairs sacrées étaient en plaies, mais les
blessures de ses mains et de ses pieds, qui devaient soutenir tout son
corps, étaient les plus douloureuses; s'il voulait s'appuyer, soit sur
les mains, soit sur les pieds, il y éprouvait des douleurs plus vives.
On peut bien dire que Jésus endura autant de morts qu'il y eut
d'instants dans ces trois heures d'agonie. Ô innocent Agneau, qui
souffrez tant pour moi, ayez pitié de moi!
Telles étaient les
souffrances corporelles de notre Sauveur, et c'étaient les moindres; ses
peines intérieures étaient encore bien plus grandes. Son âme bénie était
toute désolée, privée de toute consolation ou de tout soulagement
possible; elle n'éprouvait qu'ennui, tristesse, et affliction. C'est ce
qu'il a voulu faire entendre par ces paroles: « Mon Dieu! mon Dieu!
pourquoi m'avez-vous abandonné? » (Mt 27, 46). Et c'est comme submergé
dans cet abîme de douleurs, intérieures et extérieures, que l'aimable
Jésus a voulu finir sa vie, conformément à la prophétie de David: « Je
suis entré dans l'abîme des eaux et le flot me submerge » (Ps 68, 3).
- II -
Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix (Mt 27, 40)
Tandis que notre divin
Rédempteur agonisait ainsi sur la croix et qu'il approchait de la mort,
tous ceux qui l'entouraient et passaient devant lui, prêtres, scribes,
anciens et soldats, cherchaient à l'affliger davantage par des injures
et des sarcasmes (Mt 27, 39). Ces dérisions ont encore été prédites par
le Prophète-Roi, parlant au nom du Seigneur! « Tous ceux qui me voient
me bafouent, leur bouche ricane, ils me bafouent » (Ps 21, 8).
Ils lui criaient: « C'est
toi qui t'es vanté d'abattre le Temple et de le relever en trois
jours! » (Mt 27, 40). Jésus n'avait point parlé du temple matériel, il
avait dit: « Détruisez ce temple, je le rétablirai en trois jours » (Jn
2, 19). Par ces mots, Notre-Seigneur entendait sans doute faire
connaître quelle était sa puissance, mais comme le remarquèrent
Euthymius et d'autres, c'était un langage allégorique; il prédisait que
les Juifs, en lui donnant la mort, sépareraient un jour son âme de son
corps, mais que, trois jours après, il ressusciterait.
Ils ajoutaient: « Que ne te
sauves-tu toi-même! » (Mt 27, 40). Hommes ingrats! si le Fils de Dieu,
après s'être fait homme, avait voulu se sauver lui-même, il ne se serait
pas volontairement dévoué à la mort.
Ils disaient encore: « Si
tu es le Fils de Dieu, descends de la croix » (Mt 27, 43). Mais, si
Jésus était descendu de la croix, sans accomplir par sa mort l’œuvre de
sa mort, nous n'eussions pas été délivrés de la mort éternelle; c'est
pour notre salut qu'il a voulu mourir sur ce gibet infâme, dit saint
Ambroise. Selon Théphlylacte, les Juifs parlaient ainsi à l'instigation
du démon, qui cherchait à empêcher notre salut que Jésus-Christ devait
procurer par la croix. Mais, ajoute-t-il, Notre-Seigneur en serait pas
monté sur la croix, s'il avait voulu en descendre sans consomme notre
rédemption.
Saint Jean Chrysostome
pense que l'intention des Juifs dans ce défi, était de faire en sorte
que Jésus-Christ mourût déshonoré aux yeux de tout le monde comme un
imposteur, convaincu de ne pouvoir se détacher de la croix, après s'être
vanté d'être le Fils de Dieu. Mais ils se trompaient, selon ce qu'ajoute
le saint Docteur; car, si Jésus était descendu de la croix sans y
laisser sa vie, il n'eût pas été ce Fils de Dieu qui nous était promis
comme devant nous sauver par sa mort sur la croix; ce n'est qu'à cette
fin qu'il était venu en ce monde. Cette dernière réflexion est faite
également par saint Athanase; il dit que notre Rédempteur a voulu se
faire reconnaître pour le vrai Fils de Dieu, non en descendant de la
croix, mais en y restant jusqu'à sa mort; puisque les Prophètes avaient
annoncé qu'il devait mourir crucifié, comme l'atteste ce passage de
saint Paul: « Jésus-Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi,
s'étant rendu lui-même malédiction pour nous, selon qu'il est écrit:
Maudit celui qui est pendu au bois » (G 3, 13).
- III -
Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même.
(Mt 27, 42)
Saint Matthieu continue de
rapporter les propos injurieux que les Juifs tenaient contre Jésus
crucifié. Ils lui reprochaient d'avoir sauvé les autres, et de pouvoir
ne se sauver lui-même. En parlant ainsi, ils l'accusaient d'imposture
quant aux miracles qu'il avait opérés pour rendre la vie à plusieurs
morts, et en outre d'impuissance à conserver sa propre vie.
Saint Léon leur rapporte
que ce n'était pas alors le moment pour le Sauveur, de manifester sa
divine puissance, et qu'il ne devait pas négliger la rédemption des
hommes pour empêcher les blasphèmes de ces insensés.
Voici, d'après saint
Grégoire, un autre motif pour lequel Jésus-Christ n'a pas voulu
descendre de la croix. Il pouvait se soustraire au supplice de la croix
et à tous ces outrages, mais ce n'était pas le temps opportun pour faire
éclater sa puissance; c'était celui de nous enseigner la patience dans
les peines et la résignation à la volonté de Dieu. De même, saint
Augustin nous dit que Jésus-Christ n'a pas voulu se préserver de la
mort, d'abord pour accomplir la volonté de son Père, et ensuite pour ne
pas nous priver de ce grand exemple de patience.
La patience que
Notre-Seigneur exerça sur la croix, en supportant la confusion de tant
d'injures que les Juifs lui ont faites ou dites, nous a valu la grâce de
souffrir patiemment et en paix les humiliations et les persécutions du
monde. Aussi l'Écriture, en parlant de Jésus chargé de sa croix sur le
chemin du Calvaire, nous invite à le suivre et à nous unir à lui dans
ses ignominies (He 13, 13). Les saints, en recevant les injures, loin de
penser à se venger et de se troubler, se réjouissent de se voir méprisés
comme Jésus-Christ l'a été. Ne rougissons donc point d'embrasser, pour
l'amour de Jésus-Christ, les humiliations que nous recevons, puisque
Jésus-Christ en a tant subi pour l'amour de nous. Mon doux Rédempteur!
je n'ai point fait ainsi par le passé, mais à l'avenir, je veux tout
supporter pour votre amour, donnez-moi la force d'exécuter cette
résolution.
- IV -
Si Dieu l'aime, qu'il le délivre maintenant. (Mt 27, 43)
Non contents de proférer
des injures et des blasphèmes contre Jésus-Christ, les Juifs osèrent en
outre s'attaquer à Dieu le Père: « Il met sa confiance en Dieu,
s'écriaient-ils; si donc Dieu l'aime, qu'il le délivre maintenant,
puisqu'il a dit: Je suis le Fils de Dieu » (Mt 27, 43).
Ce discours sacrilège tenu
par les Juifs avait été exactement prédit par David (Ps 21, 9). Or, ceux
qui parlaient ainsi, le Prophète-Roi les appelle, dans le même Psaume,
des Taureaux, des Chiens et des Lions. Lors donc que les Juifs
prononçaient ces mots rapportés par saint Matthieu; ils montraient
manifestement eux-mêmes qu'ils étaient les taureaux, les chiens et les
lions prédits par David.
Ces blasphèmes des Juifs
contre le Sauveur et contre Dieu avaient été annoncés encore plus
expressément par le Sage, en ces termes: « Il assure qu'il a la science
de Dieu, et il s'appelle le Fils de Dieu, et il se glorifie d'avoir Dieu
pour Père. S'il est véritablement le Fils de Dieu, Dieu prendra sa
défense, et il le délivrera des mains de ses ennemis. Interrogeons-le
par les outrages et les tourments, afin que nous reconnaissions quelle
est sa douceur, et que nous fassions l'épreuve de sa patience;
condamnons-le à la mort la plus infâme ». (Sg 2, 13-18).
Les Princes des Prêtres
étaient poussés par la haine et par l'envie à humilier Jésus-Christ;
mais, en même temps, ils n'étaient pas exempts de crainte d'un grand
châtiment, ne pouvant nier les miracles opérés par le Sauveur. Tous les
prêtres et les chefs de la Synagogue étaient donc en proie à une vive
inquiétude, et ils voulurent assister en personne à sa mort afin que sa
mort les délivrât de la crainte qui les tourmentait. Lorsqu'ils le
virent attachés à la croix sans que Dieu son Père vint à son secours,
ils conçurent une audace toujours croissante et se mirent à lui
reprocher son impuissance et la présomption qu'il avait eue de se faire
passer pour le Fils de Dieu. Ils disaient alors, comme nous l'avons vu:
« Puisqu'il se confie en Dieu, et qu'il le nomme son Père, pourquoi
maintenant Dieu ne le sauve-t-il pas, s'il l'aime comme son Fils? » (Mt
27, 43). Mais, dans leur malice, ils se trompaient grossièrement; car
Dieu aimait Jésus-Christ, et l'aimait comme son Fils; et il l'aimait
précisément parce qu'il sacrifiait sa vie sur la croix pour le salut des
hommes, par obéissance envers son Père. C'est ce que Notre-Seigneur
avait déclaré lui-même: « Je donne ma vie pour mes brebis... Si le Père
m'aime, c'est que je donne ma vie » (Jn 10, 14. 17). Dieu le Père
l'avait destiné pour être la victime de ce grand sacrifice qui devait
lui procurer une gloire infinie, cette victime étant un Homme-Dieu, et
opérer en même temps le salut de tous les hommes. Si le Père éternel
avait préservé son Fils de la Mort, le sacrifice serait resté incomplet;
ainsi, Dieu eût été privé de cette gloire, les hommes n'eussent point
obtenu leur salut.
- IV -
Jésus a souffert les humiliations; pour nous sauver,
nous devons l'imiter.
Tertullien observe que tous
les opprobres endurés par notre Sauveur sont un mystère de Salut, qui
répare au genre humain le dommage causé par l'orgueil. Et en parlant des
outrages faits à Jésus sur la croix, il dit que ce fut une injustice et
une indignité par rapport à lui, mais une chose nécessaire pour nous; ce
qui les rendait dignes aux yeux d'un Dieu qui voulait tout souffrir pour
sauver l'homme.
Rougissons donc, nous qui
nous vantons d'être disciples de Jésus-Christ, de recevoir avec
impatience les humiliations qui nous viennent des hommes, puisqu'un Dieu
fait homme les souffre avec tant de patience pour notre salut; et ne
rougissons pas, au contraire, d'imiter ce divin Maître, en pardonnant à
ceux qui nous offensent; car il déclare qu'au jour du jugement, il
rougira de ceux qui auront rougi de lui pendant leur vie (Lc 9, 26).Mon
Jésus! comment pourrais-je me plaindre d'un affront que je reçois, moi
qui ai tant de fois mérité d'être foulé aux pieds des démons dans
l'enfer? Ah! par le mérite de tant d'outrages que vous avez soufferts
dans votre passion, accordez-moi la grâce de supporter patiemment tous
ceux qui me seront faits, et cela pour l'amour de vous qui en avez tant
supporté pour l'amour de moi! Je vous aime par-dessus toutes choses et
je désire souffrir pour vous qui avez tant soufferts pour moi. J'espère
tout de vous qui m'avez racheté au prix de votre sang, et j'espère aussi
toutes les grâces par votre intercession, ô Marie, ma charitable Mère!
È
SUR LES SEPTS PAROLES PRONONCÉES
PAR JÉSUS-CHRIST SUR LA CROIX
- I -
Mon Père! pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font!
(Lc 23, 34)
Ô tendresse de l'amour de
Jésus-Christ envers les hommes! Saint Augustin observe que le Sauveur
demanda pardon pour ses ennemis dans le moment même où il était
maltraité par eux, considérant moins les injures et la mort reçues que
l'amour qui le faisait mourir pour eux.
Mais, dira-t-on, pourquoi
Jésus pria-t-il son Père de pardonner à ses ennemis, alors qu'il pouvait
leur remettre lui-même les injures qu'il en recevait? Ce fut, répond
saint Bernard pour nous apprendre à prier pour ceux qui nous
persécutent. Chose admirable, dit ailleurs le même Saint, Jésus criait:
« Pardonnez-leur! » et les Juifs: « Crucifiez-le! » Arnauld de Chartres
ajoute: « Tandis que Jésus s'efforçait de sauver les Juifs, ceux-ci
travaillaient à leur damnation; mais, auprès de Dieu, la charité de son
divin Fils l'emporta sur l'aveuglement de ce peuple ingrat ».
Saint Cyprien fait cette
réflexion: « Jésus-Christ eut, en mourant, un si grand désir de sauver
tous les hommes qu'il voulut faire participer aux mérites de son sang
ceux-là mêmes qui le faisaient couler à force de tourments ». « Regarde
donc ton Dieu attaché en croix, s'écrie saint Augustin, écoute comme il
prie pour ses bourreaux et ose ensuite refuser la paix à ton frère qui
t'a offensé! »
Saint Léon attribue à cette
prière de Jésus-Christ la conversation de tant de milliers de Juifs qui
se rendirent à la voix de saint Pierre, selon ce qu'on lit dans les
Actes des Apôtres (Ac 2, 41; 4, 1). Dieu, dit saint Jérôme, n'a pas
permis que la prière de notre Sauveur restât sans effet; il ouvrit à
l'instant les trésors de sa miséricorde, et aussitôt beaucoup de Juifs
embrassèrent la foi. « Mais, pourquoi ne se sont-ils pas tous convertis?
On répond que la prière du Seigneur était conditionnelle; elle ne devait
s'appliquer qu'à ceux qui n'étaient pas du nombre de ces endurcis à qui
saint Étienne reprocha de résister constamment à la grâce ». (Ac 7,
51).Jésus nous a aussi compris, nous pécheurs, dans la prière qu'il fit
alors: « Ô Père éternel! écoutez la voix de votre Fils bien-aimé, qui
vous prie de nous pardonner! Il est vrai que nous ne méritons pas cette
grâce, mais Jésus la mérite pour nous, lui qui, par sa mort, a satisfait
surabondamment pour nos péchés. Non, mon Dieu, je ne veux point
m'obstiner comme les Juifs. Mon Père! je me repens de tout mon cœur de
vous avoir offensé, et je vous en demande pardon par les mérites de
Jésus-Christ ». Et vous, mon Jésus, vous savez que je suis un pauvre
malade, que je me suis même perdu par mes péchés; mais vous êtes venu du
ciel sur la terre pour guérir les malades, et sauver ceux qui se sont
perdus, dès qu'ils se repentent de leurs fautes (cf. Is 61, 1 et Mt 18,
11). Ayez donc pitié de moi!
- II -
Je vous le dis en vérité:
Vous serez aujourd'hui avec moi dans le paradis (Lc 23, 43)
Saint Luc nous apprend que,
des deux larrons qui furent crucifiés avec Jésus-Christ, l'un s'endurcit
dans le péché, et l'autre se convertit. Celui-ci entendit que son
malheureux compagnon injuriait le Seigneur, en lui disant que, s'il
était le Messie, il devait se sauver lui-même et les sauver avec lui.
Aussitôt il l'en reprit et protesta que, pour eux, ils étaient punis
comme ils le méritaient, mais que Jésus était innocent. Et s'adressant
ensuite au Sauveur, il le pria de se souvenir de lui dans son royaume.
Par ces paroles, il le reconnaissait pour son véritable Seigneur et pour
le Roi du ciel. Jésus lui promit alors le paradis pour ce jour-là même.
Un savant auteur pense que, par suite de cette promesse, le Sauveur se
fit voir au Bon Larron à découvert le même jour, immédiatement après sa
mort, et qu'il le rendît parfaitement heureux, bien qu'il n'eût pas la
jouissance de toutes les délices du ciel avant d'y entrer.
Arnauld de Chartres énumère
toutes les vertus que saint Dismas, cet heureux converti, exerça sur la
croix au moment de sa mort: « Il crut, il se repentit, il proclama, il
aima, il eut confiance, il pria ». Reprenons chacun de ces termes.
Il pratiqua la foi, en
croyant que Jésus-Christ, après sa mort, entrerait victorieux dans le
royaume de sa gloire. Il crut au règne de celui qu'il voyait mourir, dit
saint Grégoire.
Il pratiqua la pénitence,
en se reconnaissant coupable. Saint Augustin remarque qu'il n'osa
espérer le pardon de ses péchés qu'après les avoir confessés. Par cette
généreuse confession, dit saint Athanase, il s'est emparé d'une couronne
immortelle.
Ce saint pénitent donna
encore de beaux exemples d'autres vertus dans ce moment suprême. Il
exerça même la prédication, en proclamant l'innocence de Jésus-Christ.
Il exerça l'amour envers
Dieu, en acceptant la mort avec résignation, comme la peine que
méritaient ses péchés. De là, saint Cyprien, saint Jérôme, saint
Augustin, n'hésitent pas à l'appeler Martyr; et, suivant la réflexion de
Silveira, il le fut en effet, car lorsque les bourreaux lui rompirent
les jambes, ils le firent avec plus de fureur et de cruauté, parce qu'il
avait reconnu l'innocence de Jésus, et le Saint accepta ce surcroît de
peine pour l'amour de son divin Maître.
D'autre part, admirons dans
ce fait la bonté de Dieu, qui donne toujours plus qu'on ne lui demande,
comme le dit saint Ambroise; le pauvre pécheur, dans sa confiance, fait
cette prière à Jésus de se souvenir de lui quand il sera dans son
royaume, et le Seigneur lui promet qu'ils s'y retrouveront ensemble ce
jour-là même. Saint Jean Chrysostome remarque en outre qu'avant le Bon
Larron personne n'avait mérité la promesse du paradis. On vit alors se
vérifier ce que Dieu a déclaré par l'organe d'Ézéchiel: lorsqu'un
pécheur se repent sincèrement de ses fautes, il lui pardonne
entièrement, comme s'il avait oublié les offenses qu'il en a reçues (Ez
18, 21). Isaïe nous assure que le Seigneur est tellement porté à nous
faire du bien que, quand nous le prions, il nous exauce aussitôt (Is 30,
19). Dieu, dit saint Augustin, est toujours prêt à embrasser les
pécheurs repentants.
Voilà comment la croix,
souffert avec impatience, par le mauvais larron, ne fit qu'augmenter son
malheur dans l'enfer, tandis qu'au Bon Larron, soufferte avec patience,
elle servit d'échelle pour monter au ciel. Ô saint pénitent! que tu as
été heureux d'unir ta mort à celle de ton Sauveur! Mon Jésus! dès à
présent, je vous sacrifie ma vie, et je vous demande la grâce de
pouvoir, à l'heure de ma mort, unir le sacrifice de ma vie à celui que
vous avez offert à Dieu sur la croix, j'espère mourir dans votre grâce
et en vous aimant d'un amour pur de toute affection terrestre, pour
continuer de vous aimer de toutes mes forces pendant toute l'éternité.
- III -
Femme, voici votre fils... Voici votre Mère (Jn 19, 26-27)
On lit dans l'Évangile de
saint Marc qu'il y avait sur le Calvaire plusieurs sainte femmes qui
regardaient Jésus crucifié, mais de loin (Mc 15, 40); on doit donc
croire que la Mère du Sauveur se trouvait avec elles. Cependant d'après
saint Jean, la Sainte Vierge était, non pas loin, mais près de la croix
avec Marie, femme de Cléophas, et Marie-Madeleine (Jn 19, 25). Euthymius
cherche à lever la difficulté en disant que la Sainte Vierge, voyant que
son divin Fils allait bientôt expirer, s'approcha de la croix. Pour
arriver plus près de son Fils bien-aimé, elle surmonta la crainte
qu'inspiraient les soldats, et supporta patiemment toutes les insultes
qu'elle eut à souffrir de la part des hommes qui gardaient les condamnés
et qui la repoussaient brutalement. Le savant auteur d'une Vie de
Jésus-Christ dit la même chose: « Il y avait là des amis qui
l'observaient de loin; mais la Sainte Vierge, sainte MArie-Madeleine et
une autre Marie se tenaient auprès de la croix avec saint Jean. Jésus,
voyant auprès de lui sa Mère et son cher disciple, leur adressa ces
paroles... » La mort douloureuse de son Fils ne peut ébranler cette Mère
incomparable, suivant la réflexion de l'abbé Gueric: "Telle est cette
Mère qui même dans la terreur de la mort ne déserte pas son Fils." Les
mères fuient à la mort de leurs enfants; les voir expirer dans pouvoir
les secourir, c'est un spectacle auquel leur tendresse ne leur permet
pas d'assister; Marie, au contraire, plus la mort de son Fils
approchait, plus elle approchait de la croix.
Cette Mère affligée était
donc debout près de la croix et, de même Jésus offrait le sacrifice de
sa vie, elle offrait le sacrifice de sa douleur pour le salut des
hommes, participant avec la plus parfaite résignation à toutes les
peines et à tous les opprobres que son divin Fils souffrait en mourant.
Un auteur observe qu'on ne fait pas honneur à la constance de Marie
lorsqu'on la représente évanouie au pied de la croix; elle fut la femme
forte, qui ne faiblit pas et ne pleure pas, comme le remarque saint
Ambroise.
La douleur qu'éprouva la
Sainte vierge dans la passion de son Fils surpassa tout ce que peut
souffrir un cœur humain; et ce ne fut pas une douleur stérile, comme
celles des mères ordinaires à la vue d'un enfant qui souffre, mais ce
fut une douleur qui produisit de grands fruits; car, par les mérites de
ses douleurs et par sa charité, suivant la pensée de saint Augustin, de
même que Marie est la Mère naturelle de Jésus-Christ, notre Chef, elle
devint alors la Mère spirituelle des fidèles, qui sont les membres de
Jésus-Christ, en coopérant pas sa charité à les faire naître et à les
rendre enfants de l'Église.
Saint Bernard dit que, sur
le Calvaire, ces deux grands Martyrs, Jésus et Marie souffraient en
silence: l'excès de la douleur qui les oppressait leur ôtait la faculté
de parler. La Mère regardait son Fils agonisant sur la croix, le Fils
regardait sa Mère agonisant au pied de la croix et mourant de compassion
pour les peines qu'il endurait.
Marie et Jean étaient donc
plus près de la croix que les saintes femmes qui les accompagnaient, de
sorte que, au milieu du tumulte, ils pouvaient plus facilement entendre
la voix et distinguer les regards du Sauveur. On lit dans l'Évangile que
Jésus aperçut sa Mère et son Disciple bien-aimé (Jn 19, 26). Mais si
Marie et Jean étaient accompagnés d'autres personnes, pourquoi est-il
dit que Jésus aperçut sa Mère et son Disciple, comme s'il n'avait pas vu
les femmes qui les suivaient? C'est là, répond saint Pierre Chrysologue,
un effet de l'amour; on voit toujours plus clairement les être qu'on
aime le plus. Saint Ambroise exprime la même pensée. La Bienheureuse
Vierge a révélé elle-même à sainte Brigitte que Jésus, pour voir sa
Mère, qui était auprès de la croix, dut presser ses paupières avec
effort, afin de dégager ses yeux du sang qui les couvrait et lui ôtait
la vue.
Jésus dit à sa Mère, en lui
désignant des yeux saint Jean qui était à côté d'elle: « Femme, voilà
votre fils ». Mais pourquoi l'appela-t-il Femme plutôt que Mère? Ce fut,
peut-on répondre, parce que se trouvant près de mourir, il lui parla en
prenant congé d'elle, comme s'il eût dit: « Femme, dans peu je serai
mort; vous n'aurez plus de fils sur la terre; c'est pourquoi je vous
laisse Jean qui vous servira et vous aimera comme un fils ». Le Seigneur
nous donne à entendre par là que saint Joseph n'était plus; car, s'il
eût été encore en vie, il ne l'aurait jamais séparé de sa sainte Épouse.
Toute l'antiquité atteste
que saint Jean resta toujours vierge, et que c'est principalement à
cause de ce mérite qu'il eut l'honneur d'être donné pour fils à Marie et
de remplacer Jésus-Christ auprès de sa Mère; aussi, la Sainte Église a
consacré dans ses chants cet éloge du Disciple bien-aimé. L'Évangile
constate qu'après la mort de Notre-Seigneur, saint Jean reçut Marie dans
sa maison, et qu'il l'assista et la servit comme sa propre mère tout le
temps qu'elle vécut encore. Jésus-Christ a voulu que ce Disciple
privilégié fût témoin oculaire de sa mort, afin qu'il pût ensuite
l'attester plus fermement, ainsi qu'il l'a fait dans ses écrits (Jn 19,
35; 1 Jn 1, 1). C'est pour cela que la Sauveur, quand ses autres
disciples l'abandonnèrent, donna à saint Jean la force de le suivre
jusqu'à sa mort au milieu de tant d'ennemis.
Mais revenons à la Sainte
Vierge, et tâchons de découvrir la raison plus intrinsèque pour laquelle
Jésus l'appela Femme, et non Mère. Il a voulu nous faire entendre par là
que Marie est la Femme par excellence, annoncé dans la Genèse comme
devant écraser la tête du Serpent (Gn 3, 15). Personne ne doute que
cette Femme ne soit la Bienheureuse Vierge Marie qui, par le moyen de
son divin Fils, si ce n'est ce Fils lui-même par le moyen de celle qui
l'a mis au monde, devait écraser la tête de Lucifer. Marie a
certainement dû être ennemie du Serpent, puisque Lucifer fut
orgueilleux, ingrat et rebelle, tandis qu'elle fut toujours humble,
reconnaissante et soumise. Il a été prédit qu'elle lui écraserait la
tête; car Marie en donnant le jour au Sauveur du monde, abattit
l'orgueil de Lucifer. Le Serpent s'efforça de mordre Jésus-Christ au
talon, par lequel il faut entendre sa sainte humanité, partie la plus
voisine de la terre; mais le Sauveur, par sa mort, eut la gloire de le
vaincre et de le priver de l'empire que le péché lui avait donné sur le
genre humain.
Dieu dit en outre au
Serpent qu'il établirait une inimité sans fin entre sa race et celle de
la Femme. Cela signifie qu'après la chute de l'homme causée par le
péché, nonobstant la rédemption opérée par Jésus-Christ, il devait y
avoir dans le monde deux familles et deux postérités: par la race de
Satan est désignée la famille des pécheurs, qui sont ses enfants, étant
imbus de son venin; par le race de Marie est désignée la famille sainte,
qui comprend tous les justes avec Jésus-Christ, leur Chef. Marie fut
donc destinée à être la Mère tant du Chef que de ses membres, qui sont
les fidèles; car, l'Apôtre le dit expressément: « Vous n'êtes qu'un dans
le Christ Jésus » (Ga 3, 28). Les fidèles ne forment qu'un seul corps
avec Jésus-Christ, le chef n'étant point séparé de ses membres; et ces
membres sont tous enfants spirituels de Marie, puisqu'ils ont le même
esprit que son propre Fils, qui est Jésus-Christ. Ainsi, sur le
Calvaire, saint Jean n'est pas désigné par son nom, il s'appelle le
Disciple aimé du Seigneur, afin que nous comprenions que Marie est la
Mère de tout chrétien fidèle, qui est aimé de Jésus-Christ, et en qui
Jésus-Christ vit par son esprit. Cela est conforme à la pensée
d'Origène: « Jésus dit à Marie: “Voici ton fils”, comme s'il lui avait
dit: “Voici Jésus que tu as enfanté”; car celui qui est parfait, ce
n'est plus lui qui vit, c'est le Christ qui vit en lui ».
Denis le Chartreux dit que,
dans la passion, le sein de Marie se remplit du sang qui coulait des
plaies de notre Sauveur, afin qu'elle pût en nourrir ses enfants. Il
ajoute que cette divine Mère, par ses prières et par les mérites qu'elle
acquit principalement en assistant à la mort de Jésus-Christ, nous
obtint la grâce de participer aux mérites de sa passion du Rédempteur. Ô
Mère de douleurs! vous savez que j'ai mérité l'enfer; je n'ai d'autre
espérance de salut que dans la participation aux mérites de
Jésus-Christ; c'est la grâce que j'attends de votre intercession, et je
vous en prie de me l'obtenir, pour l'amour de ce divin Fils que, sur le
Calvaire, vous avez vu de vos propres yeux baisser la tête et expirer! Ô
Reine des Martyrs! ô Avocate des pécheurs! secourez-moi toujours, et
spécialement à l'heure de ma mort! Il me semble déjà voir les démons se
presser autour de moi durant mon agonie, et faire tous leurs efforts
pour me jeter dans le désespoir à la vue de mes péchés; ah! quand vous
verrez mon âme ainsi assiégée, ne m'abandonnez pas, aidez-moi de vos
prières, pour que j'obtienne la confiance et la sainte persévérance.
Comme alors, perdant peut-être la parole et même l'usage des sens, je ne
pourrai plus prononcer votre saint nom ni celui de votre divin Fils, je
vous invoque dès ce moment et je vous dis: « Jésus et Marie, je vous
recommande mon âme! »
- IV -
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné?
(Mt 27, 46)
Saint Matthieu dit que
Notre-Seigneur prononça la parole « Mon Dieu! mon Dieu! pourquoi
m'avez-vous abandonné? » en jetant un grand cri (Mt 27, 46). Pourquoi ce
cri retentissant? Selon Euthymius, le Sauveur a voulu montrer par là sa
puissance divine en vertu de laquelle, quoique sur le point d'expirer,
il pouvait faire entendre une voix si forte; ce dont les hommes
agonisants sont incapables, à cause de l'extrême faiblesse dans laquelle
ils sont réduits. Ce fut en outre pour nous faire connaître combien il
souffrit en mourant. On eût pu croire que, Jésus-Christ étant homme et
Dieu, sa divinité aurait empêché les tourments de lui causer de la
douleur; pour écarter ce soupçon, il voulut témoigner par ce cri
plaintif que sa mort fut la plus douloureuse que jamais un homme ait
endurée, et que, tandis que les Martyrs furent soutenus dans leurs
tourments par les consolations divines, lui, comme Roi des Martyrs, il
voulut mourir privé de tout adoucissement, et satisfaire en toute
rigueur à la divine Justice pour tous les péchés des hommes. C'est aussi
pour cette raison, remarque Silveira, que, s'adressant à son Père, il
l'appela son Dieu, et non son Père; il devait lui parler alors comme un
coupable à son juge, et non comme un fils à son père.
D'après saint Léon, ce cri
du Seigneur sur la croix ne fut pas proprement une plainte, mais un
enseignement. Il a voulu nous apprendre, par cette expression de
douleur, combien est grande la malice du péché, puisque Dieu fut en
quelque sorte obligé de livrer son Fils bien-aimé au dernier supplice
sans lui accorder le moindre soulagement, et cela seulement pour s'être
chargé d'expier nos fautes. Cependant, même alors, Jésus-Christ ne fut
pas abandonné de la divinité ni privé de la gloire qui avait été
communiquée à son âme bénie dès le premier instant de sa création; mais
il fut privé de toutes les consolations sensibles que Dieu accorde
ordinairement à ses fidèles serviteurs, pour les fortifier dans leurs
souffrances; il resta abandonné dans un abîme de ténèbres, de craintes,
de dégoûts amers, autant de peines que nous avons méritées. Notre
Sauveur avait déjà subi, dans le jardin de Gethsémani cette privation de
la présence sensible de Dieu; mais celle qu'il souffrit sur la croix fut
encore plus grande et plus cruelle.
Ô Père éternel! quel
déplaisir vous a donc causé ce Fils innocent et obéissant, pour que vous
le punissiez par une mort remplie de tant d'amertume? Regardez-le sur
cette croix. Voyez comme sa tête y est tourmentée par les épines, comme
son corps y est attaché par trois crochets de fer et ne repose que sur
ses plaies! Il est abandonné de tout le monde, même de ses disciples;
ceux qui l'entourent ne font qu'augmenter son supplice par des dérisions
et des blasphèmes; pourquoi donc, vous qui l'aimez tant, l'avez-vous
abandonné aussi? Mais il ne faut pas oublier que Jésus s'était chargé de
tous les péchés du monde. Quoiqu'il fût le plus saint de tous les
hommes, ou plutôt la sainteté même, ayant pris sur lui la charge de
satisfaire pour tous nos péchés, il paraissait le plus grand pécheur de
l'univers. Comme tel, devenu responsable pour tous, il s'était offert à
payer toutes nos dettes envers la Justice divine; et comme nous
méritions d'être à jamais abandonnés dans l'enfer et livrés à un
désespoir éternel, il a voulu être lui-même abandonné à une mort sans
consolation, afin de nous délivrer de la mort éternelle.
Calvin, dans son
commentaire sur saint Jean, a eu l'audace d'avancer que Jésus-Christ,
pour réconcilier son Père avec les hommes, devait éprouver toute la
colère de Dieu contre le péché et subir toutes les peines des damnés,
spécialement celle du désespoir. C'est là une exagération et une erreur.
Comment le Fils de Dieu aurait-il pu expier nos péchés par un péché plus
grand, tel que le désespoir? et comment ce désespoir, rêvé par Calvin,
pouvait-il s'accorder avec la dernière parole de Jésus remettant son âme
entre les mains de son Père? La vérité, comme l'expliquent saint Jérôme,
saint Jean Chrysostome et d'autres interprètes, est que notre divin
Sauveur ne fit entendre un cri plaintif que pour monter, non son
désespoir, mais la douleur qu'il éprouvait en mourant ainsi privé de
toute consolation. D'ailleurs, le désespoir de Jésus-Christ n'aurait pu
provenir d'aucune autre cause que de se voir haï de Dieu; mais comment
Dieu pouvait-il haïr ce Fils qui, pour se conformer à sa volonté, avait
consenti à satisfaire à sa justice pour les péchés des hommes? Ce fut en
retour de cette obéissance que son Père lui accorda le salut du genre
humain, ainsi que l'Écriture nous l'enseigne (He 5, 7).
Du reste, cet abandon fut
la plus cruelle de toutes les peines que Jésus-Christ endura dans sa
passion; car nous savons qu'après avoir souffert tant de douleurs
atroces sans ouvrir la bouche, il ne se plaignit que dans cette dernière
circonstance, et que ce fut en poussant un grand cri (Mt 27, 50),
accompagné de beaucoup de larmes et de prières (He 5, 7). Mais, par ce
cri et ces larmes, le divin Maître a eu en vue de nous faire comprendre,
d'une part, combien il souffrait pour nous obtenir miséricorde auprès de
Dieu et, de l'autre, combien est horrible le malheur d'être rejeté de
Dieu et à jamais privé de son amour, selon la menace du Sauveur (Os 9,
15).
Saint Augustin observe en
outre que, si Jésus-Christ se troubla à l'aspect de sa mort, ce fut pour
la consolation de ses serviteurs, afin que, s'il leur arrive d'éprouver
quelque trouble lorsqu'ils se voient sur le point de mourir, ils ne se
regardent pas comme réprouvés et ne s'abandonnent pas au désespoir,
puisque le Seigneur lui-même se troubla dans cette circonstance.
Rendons grâces à la bonté
de notre Sauveur, qui a daigné prendre sur lui les peines qui nous
étaient dues et nous délivrer ainsi de la mort éternelle; et tâchons
d'être à l'avenir reconnaissants envers ce divin Libérateur, en
bannissant de notre cœur toute affection qui ne serait pas pour lui.
Lorsque nous nous trouvons dans la désolation spirituelle, et que Dieu
nous prive de sa présence sensible, unissons-nous à ce que Jésus-Christ
souffrit lui-même au moment de sa mort. Quelquefois, le Seigneur se
cache aux yeux des âmes qu'il chérit le plus, mais il ne s'éloigne pas
de leur cœur, et il continue des les soutenir intérieurement par sa
grâce. Il ne s'offense point si, dans cet abandon, nous lui disons ce
qu'il disait lui-même à Dieu son Père dans le jardin des Olives: « Mon
Père! s'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi! » (Mt 26, 39).
Mais il faut ajouter aussitôt avec lui: « Néanmoins, que votre volonté
soit faite, et non la mienne! » Si la désolation continue, il faut
continuer à répéter cet acte de résignation, comme Notre-Seigneur fit
lui-même durant les trois heures de son agonie. Saint François de Sales
dit que Jésus, soit qu'il se montre, soit qu'il se cache, est toujours
également aimable. Après tout, quand on a mérité l'enfer, et qu'on s'en
voit délivré, on n'a qu'une chose à dire: « Seigneur! je louerai votre
saint nom en tout temps » (Ps 33, 2). Je ne suis pas digne de vos
consolations; accordez-moi la grâce de vous aimer, et je consens à vivre
dans ma peine aussi longtemps qu'il vous plaira. Ah! si les damnés
pouvaient, dans leurs tourments, se conformer ainsi à la volonté divine,
leur enfer ne serait plus un enfer. « Mais vous, Seigneur, ne soyez pas
loin, ô ma force, vite à mon aide! » (Ps 21, 20). Ô mon Jésus! par les
mérites de votre mort désolée, ne me privez pas de votre secours dans ce
grand combat qu'au moment de ma mort j'aurai à soutenir contre l'enfer.
Quand tout le monde m'aura abandonné, et que personne ne pourra plus
m'aider, ne m'abandonnez pas, vous qui êtes mort pour moi et qui pouvez
seul me secourir dans cette extrémité. Exaucez-moi, Seigneur, par le
mérite de la grande peine que vous avez soufferte dans votre abandon sur
la croix, par lequel vous nous avez obtenu de n'être point abandonné de
la grâce comme nous l'avons mérité par nos fautes.
- V -
J'ai soif! (Jn 19, 28)
On lit dans saint Jean:
« Après cela, sachant que toutes choses était accomplies, afin qu'une
parole de l'Écriture s'accomplit encore, Jésus dit: J'ai soif! » (Jn 19,
28). Le passage des saintes Écritures auquel l'Évangéliste fait ici
allusion est cette parole prophétique de David: « Ils m'ont donné du
fiel pour ma nourriture, et dans ma soif ils m'ont présenté du vinaigre
à boire » (Ps 68, 22).
Grande fut la soif
corporelle qu'éprouva Jésus-Christ dans ses derniers moments, après
avoir répandu tant de sang; d'abord dans le jardin de Gethsémani,
ensuite dans le prétoire par sa flagellation et son couronnement
d'épines, et enfin sur la croix où jaillissaient, comment d'autant de
sources, quatre ruisseaux de sang. Mais bien plus grande fut sa soif
spirituelle, c'est-à-dire le désir ardent qu'il avait de sauver tous les
hommes et de souffrir encore plus pour nous, comme le remarque Louis de
Blois, afin de nous montrer la grandeur de son amour. Ce qui a fait dire
à saint Laurent Justinien que cette soif provenait de l'amour de notre
Sauveur pour nous. Ah! mon Jésus! vous aimez tant souffrir pour moi! je
répugne tant aux souffrances! La moindre chose qui me contrarie, me rend
si impatient, envers moi-même et envers les autres que je deviens
moi-même insupportable. Mon doux Sauveur! par le mérite de votre
patience, accordez-moi la patience et la résignation dans les maladies
et dans tout ce qui m'arrive de fâcheux; rendez-moi semblable à vous
avant que je meure.
- VI -
Tout est accompli! (Jn 19, 30)
Jésus prononça cette parole
lorsqu'il eut goûté du vinaigre qu'on lui présenta. Avant de rendre le
dernier soupir, le Seigneur se mit devant les yeux tous les sacrifices
de l'Ancienne Loi, lesquels étaient autant de figures du Sacrifice de la
croix, toutes les prières des anciens Patriarches, et tout ce que les
Prophètes avaient prédit sur les mauvais traitements et les humiliations
qu'il devait subir pendant sa vie et à sa mort et il vit et déclara que
tout était accompli.
La lettre aux Hébreux nous
exhorte à nous présenter généreusement et armés de patience au combat
que nous avons à soutenir en cette vie contre les ennemis de notre
salut; elle nous encourage à résister avec confiance aux tentations
jusqu'à la fin, à l'exemple de Jésus-Christ, qui ne voulut descendre de
la croix qu'après y avoir laissé la vie (He 12, 1). C'est pour nous
instruire et nous fortifier par son exemple, dit saint Augustin, que ce
divin Maître a voulu rester ainsi sur la croix. Il a voulu consommer son
sacrifice jusqu'à la mort, pour nous convaincre que Dieu n'accorde le
prix de la gloire qu'à ceux qui persévèrent dans le bien jusqu'à la fin,
selon ce qu'il a déclaré (Mt 10, 22).
Ainsi, lorsque agités par
nos passions, ou par les tentations du démon, ou par les persécutions
des hommes, nous nous sentons poussés à perdre la patience et à nous
livrer au péché, jetons un regard sur Jésus crucifié, qui a répandu tout
son sang pour notre salut, tandis que nous n'en avons pas encore versé
une goutte pour son amour (cf. He 12, 3). Et lorsqu'il nous arrive de
devoir faire le sacrifice de notre amour-propre, d'un ressentiment,
d'une satisfaction, d'une curiosité, ou de quelque autre chose qui n'est
d'aucune utilité pour notre âme, rougissons de refuser cela à
Jésus-Christ. Il n'a pas été avare envers nous, il nous a donné sa vie,
tout son sang; nous devons avoir honte d'être mesquins envers lui.
Opposons aux ennemis de
notre âme toute la résistance que nous devons leur offrir, mais
n'espérons la victoire que par les mérites de Jésus-Christ; c'est
uniquement par ses mérites que les Saints, et surtout les Saints
Martyrs, ont triomphé de toutes les souffrances et de la mort (Rm 8,
37). Si donc le démon nous présente à l'esprit certains obstacles qui
nous semblent fort difficiles à surmonter à cause de notre faiblesse,
tournons les yeux vers Jésus crucifié et, pleins de confiance en son
secours et en ses mérites, disons avec l'Apôtre: « Je ne puis rien par
moi-même, mais, avec l'aide de Jésus, je puis tout » (Ph 4, 15).
Que le vue des souffrances
de Jésus crucifié nous encourage donc à supporter les tribulations de la
vie présente. Regardez-moi, nous dit ce divin Sauveur du haut de la
croix, voyez la multitude de douleurs et d'opprobres que j'endure pour
vous sur ce gibet: mon corps y est attaché par trois clous et pèse de
tout son poids sur mes plaies; les malheureux qui m'entourent ne font
que m'injurier et me tourmenter; et intérieurement, mon esprit est
encore beaucoup plus affligé que mon corps. Je souffre tout pour votre
amour. Considérez donc l'affection que je vous porte, et aimez-moi; ne
craignez pas de souffrir quelque chose pour moi, qui ai mené une vie si
pénible et que vous voyez maintenant mourir d'une mort si douloureuse
pour vous. Ah! mon Jésus! vous m'avez mis au monde pour vous servir et
vous aimer; vous m'avez donné tant de lumières et de grâces pour m'aider
à vous être fidèle; et moi, combien de fois n'ai-je pas eu l'ingratitude
de renoncer à votre grâce et de vous abandonner, plutôt que de me priver
d'une misérable satisfaction! Pardonnez-moi, Seigneur, je vous en
conjure par cette mort désolée que vous avez bien voulu subir pour moi.
Accordez-moi la grâce de vous servir fidèlement le reste de mes jours;
je suis résolu de bannir désormais de mon cœur toute affection qui n'est
pas pour vous, mon Dieu, mon Amour, mon Tout!
Marie, ma douce Mère,
aidez-moi à être fidèle envers votre divin Fils, qui m'a tant aimé!
- VII -
Mon Père! je remets mon âme entre vos mains (Lc 23, 46)
Notre Sauveur proféra cette
dernière parole d'une voix forte, « en un grand cri » (Lc 23, 46). Selon
Euthymius, ce fut pour faire entendre à tout le monde qu'il était le
vrai Fils de Dieu, en l'appelant son Père. Mais selon saint Jean
Chrysostome, le Seigneur fit retentir sa voix avec tant de vigueur au
moment d'expirer, pour montrer qu'il mourait, non par nécessité, mais de
sa propre volonté, ce qui s'accorde d'ailleurs avec ce qu'il avait
déclaré d'avance, en disant qu'il donnait volontairement sa vie pour ses
brebis, et qu'il ne cédait nullement à la malice de ses ennemis (Jn 10,
13).
Saint Athanase ajoute que
Jésus-Christ, en se recommandant lui-même à son Père, lui recommanda
pareillement tous les fidèles, qui devaient recevoir par lui le salut
éternel, parce que la tête et les membres ne forment qu'un seul corps.
Jésus a donc voulu, dit ce saint Docteur, répéter en ce moment suprême
la prière qu'il avait faite auparavant: « Père saint! conservez en votre
nom ceux que vous m'avez donnés, afin qu'ils soient un comme nous... Je
désire que, là où je suis, il se trouvent avec moi » (Jn 17, 11 et 24).
C'est ce qui faisait dire à
saint Paul: « Je sais qui est celui à qui je me suis confié, et je suis
persuadé qu'il est assez puissant pour garder mon dépôt jusqu'au jour du
jugement » (2 Tm 1, 12). Voilà ce qu'écrivit l'Apôtre, du fond d'une
prison où il souffrit pour Jésus-Christ; il déposait entre les mais de
ce bon Maître le trésor de ses peines et toutes ses espérances, sachant
avec quelle fidélité il récompense ceux qui souffrent pour son amour.
David mettait toute son
espérance dans le Rédempteur futur: "En tes mains je remets mon esprit,
c'est toi qui me rachète, Dieu de vérité" (Ps 30, 6). À combien plus
forte raison ne devons-nous pas nous confier en Jésus-Christ, maintenant
qu'il a accompli l’œuvre de notre rédemption! Disons-lui donc avec une
confiance sans bornes, en empruntant les paroles du Roi-Prophète et ses
propres paroles: « Seigneur! c'est vous qui m'avez racheté; ô mon Père,
je remets mon esprit entre vos mains ». Ces paroles consolent et
fortifient beaucoup, au moment de la mort, contre les tentations de
l'enfer et contre les craintes qu'inspire le souvenir des fautes
passées. Pour moi, ô Jésus, mon Rédempteur, je ne veux pas attendre la
mort pour vous recommander mon âme; je vous la recommande dès
maintenant; ne permettez pas qu'elle s'éloigne encore de vous. Je vois
que jusqu'ici la vie ne m'a servi qu'à vous déshonorer; ne souffrez pas
que je continue à vous offenser le reste de mes jours. Ô Agneau de Dieu,
immolé sur la croix et mort pour moi comme une victime d'amour consumée
par les douleurs, faites que, par les mérites de votre mort, j'aie le
bonheur de vous aimer de tout mon cœur d'être tout à vous le reste de ma
vie! Et quand arrivera ma dernière heure, faites-moi mourir brûlant
d'amour pour vous! Vous êtes mort pour mon amour; je veux mourir pour
votre amour. Vous vous êtes donné tout à moi; je me donne tout à vous.
Vous avez versé tout votre sang, vous avez donné votre vie pour me
sauver; ne permettez pas que, par ma faute, tout cela soit perdu pour
moi. Mon Jésus! je vous aime, et j'espère par vos mérites vous aimer
éternellement: « En vous, Seigneur, j'ai espéré; sur moi pas de honte à
jamais » (Ps 30, 2).
Ô Marie, Mère de Dieu, j'ai
confiance en vos prières; obtenez-moi la grâce de vivre et de mourir
fidèle à votre divin Fils. Je vous dirai aussi, avec saint Bonaventure,
que je mets mon espérance en vous.
È
SUR LA MORT DE JÉSUS-CHRIST
- I -
Jésus meurt et triomphe de la mort
Saint Jean rapporte que
notre divin Rédempteur, avant d'expirer, baissa la tête (Jn 19, 30). Ce
fut pour marquer qu'il acceptait la mort de la main de son Père avec une
entière soumission, puisqu'il mettait alors le comble à son humble
obéissance en subissant le supplice de la croix (Ph 2, 8).
Ayant les mains et les
pieds cloués à la croix, Jésus ne pouvait mouvoir aucune partie de son
corps, excepté la tête. Or, la mort, dit saint Athanase, n'osait
s'avancer pour ôter la vie à l'Auteur de la vie; il a donc fallu qu'il
l'invitât lui-même, en inclinant la tête, à venir le frapper. Saint
Matthieu, parlant de la mort de Jésus-Christ, dit qu'il exhala ou envoya
hors de lui son esprit (Mt 27, 50). Selon saint Ambroise, l'Évangéliste
se sert de cette expression pour montrer que Notre-Seigneur mourut, non
par nécessité ni par le fait des bourreaux, mais parce qu'il voulut bien
mourir; il ne perdit point la vie, mais il la quitta de son plein gré.
Il mourut volontairement, afin de sauver l'homme de la mort à laquelle
il était condamné.
Tout cela avait été prédit
par le prophète Osée, en ces termes: « Je les délivrerai des mains de la
mort, je les rachèterai de la mort. Ô mort! je serai ta mort; ô enfer!
je serai ta ruine! » (Os 13, 14). Saint Jérôme, saint Augustin, saint
Grégoire et l'Apôtre lui-même, comme nous le verrons bientôt, appliquent
littéralement ce passage à Jésus-Christ qui, par sa mort, nous a
délivrés des mains de la mort, c'est-à-dire de l'enfer, où l'on souffre
une mort éternelle. Et proprement, suivant l'explication des
interprètes, dans le texte hébreu, au lieu de Mort, on lit le mot
Schéol, qui signifie Enfer.
Mais comment Jésus-Christ
a-t-il été la mort de la mort? C'est que notre Sauveur, par sa mort, a
vaincu et détruit la mort que le péché nous avait causée. L'Apôtre
demande ce qu'est devenue, après cette défaite, la mort de son
aiguillon, qui est le péché; il assure que la victoire du Sauveur a tout
fait disparaître: « La mort a été engloutie dans la victoire » (1 Co 15,
54). Par sa mort, l'Agneau divin a détruit le péché, qui était la cause
de notre mort. Tel fut donc le triomphe du Fils de Dieu: en mourant pour
nous, il a ôté du monde le péché, et nous a par conséquent délivrés de
la mort éternelle, à laquelle tout le genre humain était assujetti.
Ce que nous disons se
confirme par un autre texte de l'Écriture. On y lit que Jésus-Christ « a
réduit à l'impuissance, par sa mort, celui qui a la puissance de la
mort, c'est-à-dire, le diable » (He 2, 14). Jésus-Christ a détruit le
démon qui avait le pouvoir de donner la mort temporelle et éternelle à
tous les enfants d'Adam, infectés du péché. Et c'est là cette victoire
de la Croix chantée par l'Église: Jésus, qui est la Vie même, ou
l'Auteur de la vie, en mourant sur la croix, nous a procuré la vie
éternelle.
Ce prodige est l’œuvre de
l'Amour divin qui, faisant les fonctions de prêtre, offrit en sacrifice
au Père éternel la vie de son Fils unique pour le salut des hommes,
comme la Sainte Église l'exprime dans ses chants.
Sur quoi saint François de
Sales s'écrie: « Voyons-le, ce divin Rédempteur, étendu sur la croix
comme sur son bûcher d'amour, où il meurt d'amour pour nous. Eh! que ne
nous jetons-nous en esprit sur lui, pour mourir sur la croix avec lui
qui pour l'amour de nous a bien voulu mourir! » Oui, mon doux
Rédempteur, j'embrasse votre Croix! C'est ainsi que je veux vivre et
mourir, ne cessant jamais de baiser avec amour vos pieds sanglants,
transpercés pour moi.
- II -
Jésus mort en croix
Arrêtons-nous un instant,
et contemplons notre Sauveur mort sur la croix, en parlant d'abord à
Dieu son Père, et ensuite à lui-même.
Père éternel, « regardez la
face de votre Christ! » (Ps 83, 10). Regardez votre Fils unique qui,
pour accomplir votre volonté de sauver l'homme perdu, est venu sur la
terre, s'est revêtu de la chair humaine et, avec notre chair, a pris sur
lui toutes nos misères, excepté le péché. En un mot, il s'est fait
homme. Il a voulu passer toute sa vie parmi les hommes comme le plus
pauvre, le plus méprisé et le plus affligé de tous les hommes. Il a
voulu mourir comme vous le voyez, après que les hommes eux-mêmes lui
eussent déchiré les chairs à coups de fouets, mis la tête en plaies par
une couronne d'épines, et percé les mains et les pieds en les clouant
sur la croix. Il est mort de pure douleur sur ce gibet infâme, traité
comme l'homme le plus méprisable du monde, tourné en dérision comme un
faux prophète, outragé comme un imposteur sacrilège pour avoir dit qu'il
était votre Fils, condamné à subir cet horrible supplice comme le plus
grand des scélérats. Et vous-mêmes, Seigneur, vous avez augmenté les
horreurs de sa mort, en le privant de toute consolation! Dites-nous:
quelle faute a-t-il donc commise, ce Fils que vous aimez tant, pour
mériter un châtiment si cruel? Vous qui connaissez son innocence, sa
sainteté, pourquoi l'avez-vous traité ainsi? Ah! j'entends votre
réponse: « Pour les péchés de mon peuple, il a été frappé à mort » (Is
53, 8). Non, me dites-vous, mon Fils ne méritait et ne pouvait mériter
aucun châtiment, étant l'innocence même, la sainteté même; mais vous,
vous méritiez une peine pour vos fautes, vous méritiez la mort
éternelle; et moi, pour ne point vous voir perdues à jamais, vous, mes
créatures bien-aimées, pour vous délivrer d'un si grand malheur, j'ai
cette mort douloureuse. Considérez donc, ô hommes! quel a été mon amour
pour vous: « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique » (Jn
3, 16).
Permettez que je m'adresse
aussi à vous, ô Jésus, mon doux Rédempteur! Je vous vois sur cette
croix, abandonné de tout le monde, pâle et défiguré, sans parole, sans
respiration, sans vie, sans une seule goutte de sang, l'ayant versé
entièrement, comme vous l'aviez prédit (Mc 14, 24). Vous n'avez plus de
vie, parce que vous l'avez sacrifiée pour rendre la vie à mon âme, que
ses péchés avaient fait mourir; vous n'avez plus de sang, parce que vous
l'avez répandu pour laver mes iniquités. Mais qu'est-ce qui vous porte à
donner ainsi votre vie et tout votre sang pour de misérables pécheurs
tels que nous? Ah! votre Apôtre nous l'a déclaré, c'est l'amour dont
vous brûlez pour nous: « Il nous a aimés et s'est livré lui-même pour
nous » (Ep 5, 2).
- III -
Fruit de la mort du Sauveur
C'est ainsi que ce Pontife
divin, qui fut tout à la fois le sacrificateur et la victime, en
s'immolant pour le salut des hommes qu'il aimait, consomma le grand
sacrifice de la croix, et accomplit l’œuvre de notre rédemption.
Jésus-Christ, par sa mort,
a fait disparaître tout ce que notre mort avait d'horrible. Elle n'était
auparavant qu'un supplice infligé à des rebelles; mais, par la grâce et
les mérites de notre Sauveur, elle est devenue un sacrifice tellement
agréable à Dieu, qu'uni à celui de la mort de Jésus-Christ, il nous rend
dignes de jouir de la gloire dont Dieu jouit lui-même, et de l'entendre
un jour nous dire, comme nous l'espérons: « Entrez dans la joie de votre
Seigneur! » (Mt 25, 21).
Ainsi, grâce à la mort de
Jésus-Christ, notre mort a cessé d'être un sujet de douleur et de
crainte. Notre-Seigneur en a fait un passage du danger de se perdre
éternellement à l'assurance d'une félicité éternelle, un passage des
misères de ce monde aux délices ineffables du paradis.
De là vient que les justes
regardent la mort, non avec crainte, mais avec joie et désir. Saint
Augustin dit que ceux qui aiment Jésus crucifié supportent la vie avec
patience et reçoivent la mort avec plaisir. Et l'expérience ordinaire
fait voir que les personnes vertueuses qui ont le plus à souffrir durant
leur vie, à cause des persécutions, des tentations, des scrupules, ou
d'autres choses fâcheuses, sont celles que Jésus crucifié console le
plus dans leurs derniers moments, en leur procurant une grande paix au
milieu de toutes les craintes et de toutes les angoisses de la mort.
S'il est quelquefois arrivé que des Saints, selon ce qu'on lit dans leur
Vie, ont éprouvé beaucoup d'appréhension au moment de la mort, le
Seigneur l'a ainsi permis pour augmenter leurs mérites; car plus leur
sacrifice a été pénible, plus il est devenu précieux aux yeux de Dieu,
et profitable à eux-mêmes pour la vie éternelle.
Oh! qu'il était plus dur de
mourir, pour les fidèles, avant la mort de Jésus-Christ! Le Sauveur
n'avait pas encore paru, on soupirait après sa venue; on l'attendait
suivant sa promesse, mais on ne savait quand il viendrait; le démon
avait un grand empire sur la terre, et le ciel était entièrement fermé
pour les hommes. Mais à la mort de notre Rédempteur, l'enfer a été
vaincu, la grâce a été communiquée aux âmes, Dieu s'est réconcilié avec
les hommes, et la céleste patrie a été ouverte à tous ceux qui meurent
dans l'innocence ou qui ont expié leur fautes par la pénitence. Et si
quelques-uns, bien que mourant en état de grâce, n'entrent pas
immédiatement en paradis, c'est qu'ils ne sont pas encore entièrement
purifiés; du reste, la mort ne fait que rompre leurs liens, afin qu'ils
puissent aller s'unir parfaitement à Dieu, dont ils se trouvent éloignés
sur cette terre d'exil.
Tâchons donc, âmes
chrétiennes, tant que nous vivons dans cet exil, de regarder la mort,
non comme un malheur, mais comme la fin de notre pèlerinage si plein
d'angoisses et de périls, et comme l'arrivée de l'éternelle félicité que
nous espérons obtenir un jour par les mérites de Jésus-Christ. Cette
pensée doit nous porter à faire tous nos efforts pour nous détacher des
objets terrestres qui pourraient nous faire perdre le ciel et nous
conduire en enfer. Offrons-nous à Dieu, en protestant de cœur que nous
voulons mourir quand il lui plaira, en acceptant la mort qu'il nous a
destinée, quelle qu'elle soit, et en le priant toujours, par les mérites
de la mort de Jésus-Christ, de nous faire sortir de cette vie en état de
grâce. Mon Jésus et mon Sauveur qui, pour me procurer une bonne mort, en
avez choisi une si douloureuse et si désolée, je m'abandonne entre les
bras de votre miséricorde! Depuis plusieurs années, à cause des offenses
que je vous ai faites, je devrais être en enfer, séparé de vous à
jamais; et vous, au lieu de me punir comme je le mériterais, vous m'avez
appelé à la pénitence, et j'ai la confiance que vous m'avez maintenant
pardonné; si cependant, par ma faute, je n'ai pas encore obtenu mon
pardon, accordez-le-moi en ce moment que, prosterné à vos pieds, le cœur
contrit, j'implore votre miséricorde. Mon Jésus! je voudrais mourir de
douleur, quand je pense aux injures que je vous ai faites. Mon espérance
est dans le sang que vous avez répandu pour moi. Pardonnez-moi,
Seigneur, et aidez-moi à vous aimer de toutes mes forces jusqu'à la
mort. Quand mon heure arrivera, faites que je meure brûlant d'amour
envers vous, pour continuer de vous aimer éternellement. Dès à présent,
j'unis ma mort à votre sainte mort, par laquelle j'espère avec une
entière confiance me sauver: « En vous, Seigneur, j'ai mon abri, sur moi
pas de honte à jamais! » (Ps 30, 2).
Ô puissante Mère de Dieu!
après Jésus, vous êtes mon espérance; je suis sûr de n'être jamais
trompé quand je me confie en vous!
È
SUR LES PRODIGES ARRIVÉS À LA MORT DE JÉSUS-CHRIST
- I -
Deuil général de la nature - Les ténèbres
Cornelius rapporte que
saint Denis l'Aéropagite, se trouvant à Héliopolis, en Égypte, s'écria
un jour, au temps de la mort de Jésus-Christ: « Ou l'Auteur de la nature
souffre, ou le monde se dissout ». D'autres écrivains, tel que Michel
Syngelus et Suidas, racontent la même chose autrement; ils prétendent
que le Saint a dit: « Le Dieu inconnu souffre en son corps, c'est
pourquoi ces ténèbres couvrent l'univers ».
Eusèbe, d'après Plutarque,
dit que dans l'île de Paxis, une voix fit entendre ces mots: « Le grand
Pan est mort! », et qu'on entendit ensuite des cris de gens qui se
lamentaient. Selon Eusèbe, le nom de Pan désigne Lucifer qui, par suite
de la mort de Jésus-Christ, se trouvait comme mort lui-même, en se
voyant dépouillé de l'empire qu'il avait sur les hommes. Barrada, au
contraire, pense que c'est Notre-Seigneur qui est ainsi appelé; car, en
grec, le mot Pan signifie Tout, nom qui convient à Jésus-Christ, Fils de
Dieu et vrai Dieu: le Tout, c'est-à-dire celui en qui se trouvent tous
les biens.
Ce que nous lisons dans
l'Évangile, c'est que le jour de la mort du Sauveur, depuis la sixième
heure (midi) jusqu'à la neuvième heure (trois heures), toute la terre
fut couverte de ténèbres (Mt 27, 45). Et, au moment où Jésus expira, le
voile du Temple se déchira en deux, et il survint un tremblement de
terre universel qui fendit plusieurs rochers (Mt 27, 51).
Quant aux ténèbres, saint
Jérôme observe qu'elles ont été prédites par le prophète Amos, en ces
termes: « En ce jour-là, dit le Seigneur, le soleil se couchera en plein
midi; et je couvrirai la terre de ténèbres, lorsqu'elle devrait être
pleine de lumière » (Am 8, 9). Commentant ensuite ce texte, le saint
Docteur dit que le soleil semble avoir alors retiré sa lumière, afin que
les ennemis de Jésus en fussent privés. Il ajoute que l'astre du jour se
voila, comme s'il n'eût osé regarder le Seigneur élevé en croix. Mais
saint Léon est plus exact en disant que toutes les créatures voulurent
exprimer, à leur manière, la douleur qu'elles ressentaient de la mort de
leur Créateur. Cette pensée s'accorde avec celle de Tertullien qui,
parlant spécialement des ténèbres, dit que le monde, par cet aspect
lugubre, a voulu célébrer, en quelque sorte, les funérailles de notre
divin Rédempteur.
Saint Athanase, saint Jean
Chrysostome et saint Thomas font remarquer que cette obscurité fut toute
prodigieuse, car une éclipse de soleil ne peut avoir lieu qu'à la
nouvelle lune, et la lune était alors dans son plein. De plus, le soleil
étant beaucoup plus grand que la lune, celle-ci ne peut en intercepter
complètement la lumière; or, l'Évangile atteste que les ténèbres furent
répandues par toute la terre. Enfin, l'éclipse du soleil eût-elle été
totale, l'obscurité n'aurait pu se prolonger au-delà de quelques
minutes, vu la rapidité du mouvement des corps célestes; et il est
constaté par l'Évangile qu'elle dura trois heures.
Tertullien cite cet
événement dans son Apologétique, en s'adressant aux Gentils; il leur dit
qu'ils trouvent consigné dans leurs propres archives ce grand miracles
de l'obscurcissement du soleil, arrivé au moment de la mort de
Jésus-Christ. Eusèbe confirme le fait dans sa Chronique par un passage
de Phlégon, affranchi d'Adrien et auteur contemporain, qui parle d'une
obscurité sans exemple arrivée à cette époque, par la disparition du
soleil en plein midi, au point qu'on voyait les étoiles.
- II -
Le déchirement du voile du Temple
On lit en outre dans
l'Évangile de saint Matthieu, ainsi que nous l'avons déjà vu, que le
voile du Temple se déchira en deux de haut en bas (Mt 27, 51). Dans la
Lettre aux Hébreux (He 9, 2-5), on décrit l'intérieur du Tabernacle, ou
du Temple, lequel était divisé en deux sanctuaires fermés chacun par un
voile. Le second s'appelait le Saint des Saints. Là reposait l'Arche
d'Alliance, couverte par le Propitiatoire; elle contenait la Manne, le
rameau d'Aaron et les deux Tables de la Loi. L'entrée du premier
sanctuaire, qui précédait le Saint des Saints et qui était fermé par le
premier voile, n'était permise qu'aux prêtres qui venaient y offrit
leurs sacrifices. Le prêtre qui sacrifiait pour l'expiation des péchés,
ayant trempé son doigt dans le sang de la victime offert, en faisait
l'aspersion sept fois devant le voile du Saint des Saints (Lv 4, 6 et
17). Quand au second sanctuaire, qui était toujours fermé et
inaccessible même aux regards, nul ne pouvait y entrer si ce n'est le
Pontife, et cela seulement une fois l'an, en portant le sang des
victimes qu'il offrait pour lui-même et pour le peuple (Lv 16, 12 et
14).
Tout cela était mystérieux.
Le sanctuaire, toujours fermé signifiait la séparation qui existait
entre les hommes et la grâce de Dieu, qu'ils ne pouvaient obtenir que
par le moyen du grand sacrifice que Jésus-Christ devait offrir un jour
de lui-même et dont tous les anciens sacrifices étaient des figures.
C'est pourquoi notre Sauveur est appelé le Pontife des biens futurs qui,
par un tabernacle plus parfait, c'est-à-dire par le corps très saint
dont il s'est revêtu, devait entrer dans le sanctuaire de la présence de
Dieu, comme Médiateur entre Dieu et les hommes, en offrant, non le sang
des boucs et des veaux, mais son propre sang, pour consommer l’œuvre de
notre rédemption et ainsi nous ouvrir les portes du ciel (He 9, 11-12).
Considérons bien ce texte
inspiré. Il y est dit que Notre-Seigneur est le Pontife des biens
futurs; à la différence d'Aaron et des Pontifes de sa race, qui ne
procuraient que des biens présents et terrestres, Jésus-Christ devit
nous obtenir les biens futurs, qui sont des biens célestes et éternels.
Il est entré dans le sanctuaire par un tabernacle plus grand et plus
parfait; telle fut la sainte humanité du Sauveur, vrai tabernacle du
Verbe divin. Ce tabernacle n'a point été fait de main d'homme, puisque
le corps de Jésus-Christ a été formé, non par la voie commune et
ordinaire, mais par l'opération du Saint-Esprit. Le Sauveur n'a pas
offert le sang des boucs ou des veaux, mais son propre sang; le sang de
Jésus-Christ purifie les âmes en leur obtenant la rémission des péchés.
Et en entrant ainsi une fois dans le sanctuaire, il nous a acquis une
rédemption éternelle. Le mot acquis marque bien que nous ne pouvions
prétendre à une telle rédemption, ni l'espérer, avant la promesse que
Dieu nous en a faite; ce moyen de salut n'a pu être trouvé ou inventé
que par la Bonté divine. Enfin, notre réhabilitation ainsi opérée est
justement appelée éternelle: le pontife des Hébreux devait entrer chaque
année dans le sanctuaire pour l'expiation; mais Jésus-Christ, en offrant
une fois le sacrifice de sa vie, nous a mérité une rédemption éternelle,
qui doit suffire à jamais pour expier tous nos péchés, comme l'Écriture
le déclare (He 10, 14 et 9, 12).
C'est pourquoi, continue le
texte sacré, Jésus-Christ est appelé le Médiateur du Nouveau Testament (He
9, 15). Moïse fut le médiateur de l'Ancien Testament ou de l'Ancienne
Alliance, qui n'avait pas la vertu de réconcilier entièrement les hommes
avec Dieu en opérant leur salut, car la Loi Ancienne n'a rien conduit à
la perfection (He 7, 19). Mais dans la Nouvelle Alliance, notre Sauveur,
en satisfaisant pleinement à la Justice divine pour les péchés des
hommes, leur a obtenu par ses mérites le pardon et la grâce de Dieu. Les
Juifs s'offensaient d'entendre dire que le Messie opérerait la
rédemption des hommes en subissant le supplice infâme de la croix; ils
disaient que la Loi leur avait enseigné que le Christ devait, non
mourir, mais vivre éternellement (Jn 12, 34). Mais ils étaient tout à
fait dans l'erreur; Jésus-Christ s'est rendu Médiateur et Sauveur des
hommes, et c'est à cause de sa mort que la promesse de l'héritage
éternel a été faite à ceux qui y sont appelés (He 9, 15).
C'est pourquoi l'Écriture
nous engage à mettre toutes nos espérances dans les mérites de la mort
de notre Rédempteur (He 10, 19). Nous avons, nous dit-elle, un puissant
motif pour espérer la vie éternelle, dans le sang de Jésus-Christ. Il
nous a ouvert la voie du paradis, voie nouvelle, parce que ce divin
Sauveur l'a parcourue le premier et nous l'a frayée en sacrifiant sur la
croix sa chair sacrée, figurée par le voile du Temple. Comme le remarque
saint Jean Chrysostome, de même que le voile du Temple, déchiré à la
mort de Notre-Seigneur, a laissé ouvert le Saint des Saints, de même que
la chair de Jésus-Christ, déchirée dans sa passion, nous a ouvert le
ciel, qui jusque-là était fermé. C'est pourquoi on peut désormais nous
présenter avec confiance devant le trône de la grâce, afin d'y recevoir
miséricorde (He 4, 16). Ce trône de la grâce, c'est Jésus-Christ, en
qui, si nous avons recours à lui au milieu des périls qui nous menacent,
nous trouverons miséricordes, malgré notre indignité. (Cette pensée sera
développée plus loin, au Chapitre X, section II.)
Revenons au texte de saint
Matthieu que nous avons cité plus haut. Ce déchirement du voile sacré,
arrivé au moment même de la mort de Jésus-Christ, à la connaissance de
tous les prêtres et du peuple, n'a pu avoir lieu que par une cause
surnaturelle; le tremblement de terre seul n'aurait pu déchirer ce voile
entièrement de haut en bas. Par ce prodige, Dieu montra qu'il ne voulait
plus de ce sanctuaire fermé comme la Loi l'ordonnait, et qu'à l'avenir
il serait lui-même le sanctuaire ouvert à tous les hommes par
Jésus-Christ.
D'après saint Léon, par le
déchirement du voile, le Seigneur témoigna clairement de ce que dit la
lettre aux Hébreux: l'ancien sacerdoce avait pris fin pour faire place
au sacerdoce éternel de Jésus-Christ, que les anciens sacrifices étaient
abolis et une loi nouvelle instituée (He 7, 12). Par là, nous avons
acquis la certitude que Jésus-Christ est le fondateur de la première
comme de la seconde loi, et que la Loi Ancienne, son tabernacle, son
sacerdoce et ses sacrifices, n'existaient qu'en vue du Sacrifice de la
croix, qui devait opérer la rédemption du genre humain. Ainsi, tout ce
qu'il y avait auparavant d'obscur et de mystérieux dans la loi, les
sacrifices, les fêtes, les promesses divines, s'est éclairci par la mort
du Sauveur. Enfin, selon Euthymius, le voile déchiré signifiait que le
mur qui séparait le ciel et la terre était renversé, et que le paradis
était désormais accessible aux hommes.
- III -
Le tremblement de terre
Nous lisons encore, dans
l'Évangile, que la terre trembla et que les rochers se fendirent (Mt 27,
51). C'est un fait notoire qu'à la mort de Jésus-Christ il y eut un
tremblement de terre violent et universel, tellement que le globe entier
fut secoué, dit Paul Orose. Didyme assure que la terre frémit jusque
dans son centre. Phlégon, cité par Origène et Eusèbe, rapporte que ce
tremblement de terre causa la ruine d'un grand nombre d'édifices à
Nicée. en Bithynie. De même, Pline l'Ancien, qui vécut du temps de
Tibère, sous le règne duquel mourut Jésus-Christ, atteste qu'en Asie, à
cette époque, douze villes furent détruites par un grand tremblement de
terre; ce fait est confirmé par Suétone. Les savants prétendent qu'ainsi
est accomplie la prophétie d'Aggée: « Encore un peu de temps et
j'ébranlerai le ciel et la terre » (Ag 2, 7). Saint Paulin dit à ce
sujet que notre Sauveur, du haut de la croix même à laquelle il était
cloué, montra qui il était en frappant le monde de terreur.
Adrichomius observe qu'on
voit encore aujourd'hui des traces de cet événement au mont du Calvaire
même; on y découvre du côté gauche, une ouverture assez large pour
recevoir le corps d'un homme et si profonde qu'on a jamais pu la sonder.
D'après Baronius, la même cause a produit des effets semblables dans
beaucoup d'autres contrées. Notamment, au promontoire de Gaète, on voit
aujourd'hui un rocher ouvert par le milieu depuis le sommet jusqu'à la
base; on assure que cette ouverture date de la mort de Notre-Seigneur,
et elle paraît en effet manifestement prodigieuse, car elle est assez
grande pour donner passage à un bras de mer, et l'on remarque que les
inégalités des deux parties du rocher se rapportent parfaitement. La
même tradition existe relativement au mont Colombo, près de Rieti, au
Montserrat en Espagne, et à plusieurs autres montagnes voisines de
Cagliari dans l'île de Sardaigne. Mais, ce qu'on trouve de plus
remarquable, c'est le mont Alverne en Toscane, où saint François reçut
les sacrés stigmates: on y voit des masses énormes de rocher roulées les
unes sur les autres, et Walding rapporte qu'un Ange a révélé à saint
François que c'est une des montagnes qui s'écroulèrent à la mort du
Sauveur. Ô insensibilité des Juifs! s'écrie saint Ambroise; les pierres
se fendent, et leurs cœurs ne font que s'endurcir.
- IV -
Résurrections et conversions
Saint Matthieu signale
encore d'autres miracles arrivés à la mort de Jésus-Christ; il dit que
les sépulcres s'ouvrirent, et que plusieurs justes, qui y reposaient,
ressuscitèrent à la suite du Sauveur et apparurent à beaucoup de
personnes (Mt 27, 52). Cette ouverture des tombeaux, remarque saint
Ambroise, annonçait la défaite de la mort et la restitution de la vie
aux hommes par la résurrection.
Tout comme le vénérable
Bède et saint Thomas, saint Jérôme nous fait observer que, quoique les
tombeaux se soient ouverts au moment de la mort de Jésus-Christ,
cependant les coups qu'il renfermaient ne revinrent à la vie qu'après la
résurrection de Notre-Seigneur, afin qu'il fût le premier des
ressuscités. Cela est conforme au texte de l'Apôtre, où Jésus-Christ est
appelé « le Premier-Né d'entre les morts » (Col. 1, 18). Il n'était pas
convenable qu'un autre homme ressuscitât avant celui qui avait triomphé
de la mort.
L'Évangéliste dit que
plusieurs justes ressuscitèrent, et qu'étant sortis de leurs sépulcres,
ils apparurent à beaucoup de personnes. Ce furent ceux qui avaient cru
et espéré en Jésus-Christ. Dieu voulut ainsi honorer pour les
récompenser de leur foi et de leur confiance dans le Messie futur,
suivant la prédiction du prophète Zacharie, qui adressait ces paroles au
Rédempteur attendu: « Toi, par le sang de ton alliance, tu renvoies les
captifs de la fosse sans eau » (Za 9, 11). Et toi, ô Christ, par le
mérite de ton sang, tu es descendu dans la prison souterraine et aride,
dans les Limbes, où étaient retenues les âmes des Saints Patriarches, où
les eaux de la joie ne pouvaient pénétrer, et tu les as délivrées pour
les conduire dans la gloire éternelle!
Saint Matthieu nous apprend
encore que, malgré l'aveugle obstination des Juifs, qui ne cessèrent
point d'applaudir à la mort injuste du Sauveur, le centurion et ses
soldats, qui avaient été chargés d'exécuter la sentence, à la vue des
ténèbres et du tremblement de terre, furent frappés de ces prodiges et
reconnurent pour le vrai Fils de Dieu celui qu'ils venaient de faire
mourir (Mt 27, 52). Ces soldats furent les heureuses prémices des
Gentils qui embrassèrent la foi en Jésus-Christ après sa mort; par la
vertu de ses mérites, ils eurent le bonheur de reconnaître leur faute et
d'en espérer le pardon.
Saint Luc ajoute que tous
les autres qui assistaient à la mort de Jésus-Christ, après avoir vu les
prodiges qui s'opéraient, s'en retournèrent en se frappant la poitrine,
pour marquer leur repentir d'avoir coopéré, ou du moins consenti à cette
grande iniquité (Lc 23, 48). Nous voyons en outre, dans les Actes des
Apôtres, que beaucoup de Juifs, pénétrés de componction en entendant les
discours de saint Pierre, lui demandèrent ce qu'ils devaient faire pour
se sauver. Le Chef de l'Église naissante leur répondit qu'ils devaient
faire pénitence et recevoir le baptême; ce qu'ils exécutèrent aussitôt
au nombre de trois mille (Ac 2, 41).
- V -
Le cœur de Jésus est ouvert
Les soldats vinrent et
rompirent les jambes aux deux larrons. Quant à Jésus, voyant qu'il était
déjà mort, ils ne lui firent point subir le même traitement; mais l'un
d'eux lui ouvrit le côté avec sa lance, et il en sortit à l'instant du
sang et de l'eau (Jn 19, 32-34).
D'après saint Cyprien, la
lance alla directement frapper le cœur de Jésus-Christ; et c'est
précisément ce qui fut révélé à sainte Brigitte. On croit par conséquent
que l'eau sortit du côté de Notre-Seigneur avec le sang, attendu que la
lance, pour atteindre le cœur, a dû percer d'abord le péricarde, qui
l'enveloppe.
Saint Augustin remarque que
l'Évangéliste s'est servi du mot ouvrir parce que s'ouvrit alors dans le
cœur du Sauveur la porte de la vie, et que de là sortirent les
sacrements par lesquels on arrive à la vie éternelle. On dit que le sang
et l'eau qui sortirent du côté de Jésus-Christ figurent les sacrements,
parce que l'eau est le symbole du Baptême, qui est le premier des
sacrements, et que le sang su divin Sauveur est contenu dans
l'Eucharistie, qui est le plus grand des sacrements.
Saint Bernard ajoute que
Jésus-Christ voulut recevoir cette blessure visible pour nous donner à
entendre que son cœur portait une blessure invisible d'amour envers les
hommes. Qui donc, conclut-il, n'aimera pas ce cœur blessé d'amour?
Enfin, saint Augustin
observe, en parlant de l'Eucharistie, que le saint sacrifice de la Messe
n'est pas moins efficace aujourd'hui devant Dieu que ne le fut alors
celui du sang et de l'eau qui jaillirent de la blessure du Sauveur.
- VI -
Sépulture et Résurrection de Jésus-Christ
Terminons ce chapitre par
quelques réflexions sur la sépulture et la résurrection de notre divin
Rédempteur.
Le Fils de Dieu est venu au
monde non seulement pour nous racheter, mais encore pour nous enseigner
par son exemple toutes les vertus, et principalement l'humilité et la
sainte pauvreté, compagne inséparable de l'humilité. C'est pour cela
qu'il a voulu naître pauvre dans une grotte, vivre pauvre dans une
boutique durant trente ans, et enfin mourir pauvre et nu sur une croix,
après avoir vu ses propres vêtements partagés entre les soldats, sous
ses yeux, avant d'expirer. Et lorsqu'il fut mort, il lui fallut recevoir
en aumône un linceul pour être enseveli. Que les pauvres se consolent
donc, en voyant Jésus-Christ, le Roi du Ciel et de la terre, vivre et
mourir si pauvre, pour nous enrichir de ses mérites et de ses biens,
comme le dit l'Apôtre (2 Co 8, 9). Aussi, les Saints, désirant se rendre
semblables à Jésus pauvre, ont méprisé toutes les richesses et tous les
honneurs terrestres, afin d'aller un jour, avec leur divin Maître, jouir
des richesses et des honneurs célestes, que Dieu a préparés pour ceux
dont il est aimé, biens ineffables dont saint Paul nous apprend que
l'homme ne peut se faire aucune idée ici-bas (1 Co 2, 9).
Jésus-Christ ressuscita
ensuite avec la gloire de posséder, non seulement comme Dieu, mais
encore comme homme, tout pouvoir dans le ciel et sur la terre, de sorte
que tous les Anges aussi bien que les hommes sont ses sujets.
Réjouissons-nous donc de voir ainsi glorifié notre Sauveur, notre Père,
et le meilleur Ami que nous ayons. Réjouissons-nous-en pour nous-mêmes,
puisque la résurrection de Notre-Seigneur est un gage certain de notre
propre résurrection et de la gloire que nous espérons avoir un jour dans
le ciel, pour en jouir en corps et en âme. Cette espérance donna aux
Saints Martyr le courage et la force de souffrir avec joie tous les maux
de cette vie et les tourments les plus cruels inventés par les tyrans.
Mais il faut se persuader que, pour être uni à Jésus-Christ dans la joie
du paradis, il est nécessaire de prendre part à ses souffrances ici-bas:
on ne peut être couronné qu'après avoir combattu comme on le doit (2 Tm
2, 5). Tel est l'avertissement que nous donne l'Apôtre; mais soyons
persuadés en même temps de ce qu'il ajoute, que toutes les peines de
cette vie sont bien courtes et légères en comparaison des récompenses
immenses que nous espérons dans la vie future (2 Co 4, 17). Soyons donc
attentifs à nous maintenir toujours dans la grâce de Dieu et à lui
demander sans cesse la persévérance; car sans la prière, et une prière
continuelle, nous n'obtiendrons pas la persévérance, et sans la
persévérance, nous ne parviendrons pas au salut. Ô doux, ô aimable
Jésus, comment avez-vous pu tant aimer les hommes que, pour leur
témoigner votre amour, vous ayez consenti à mourir épuisé de douleurs
sur un bois infâme? et comment, après cela, y a-t-il si peu d'hommes qui
vous aiment cordialement? Ah! mon cher Rédempteur, je veux être de ce
petit nombre! Par le passé, j'ai eu le malheur de perdre le souvenir de
votre amour, et de renoncer à votre grâce pour de misérables plaisirs;
je reconnais ma faute, je m'en repens de tout mon cœur, je voudrais en
mourir de douleur. Maintenant, ô mon Sauveur, je vous aime plus que
moi-même, et je suis prêt à souffrir mille morts plutôt que de perdre
votre amitié! Je vous remercie des lumières que vous me donnez. Mon
Jésus, mon Espérance, ne m'abandonnez pas à moi-même, continuez à
m'aider jusqu'à la mort!
Ô Marie, Mère de Dieu,
priez Jésus pour moi!
È
SUR LA RECONNAISSANCE QUE NOUS DEVONS
À JÉSUS-CHRIST POUR SA PASSION
- I -
Jésus est mort pour nous;
nous devons vivre et mourir pour lui
Saint Augustin dit que
Jésus-Christ, en donnant le premier sa vie pour nous, nous a obligé à
donner notre vie pour lui. Puis le saint Docteur ajoute que lorsque nous
nous approchons de la Sainte Table pour communier, comme nous allons
nous nourrir du corps et du sang de Notre-Seigneur, nous devons
également, être prêts à donner, s'il le fallait, notre sang et notre vie
pour sa gloire.
« L'amour de Jésus-Christ
nous presse », dit l'Apôtre (2 Co 5, 14). Et qu'exige-t-il de nous? Que
nous l'aimions! Écoutons les belles paroles de saint François de Sales
sur ce texte: « Sachant que Jésus-Christ, vrai Dieu, nous a aimés
jusqu'à souffrir pour nous la mort, et la mort de la croix, n'est-ce pas
cela avoir nos cœurs sous le pressoir, et les sentir presser de force,
et en sentir exprimer de l'amour par une contrainte d'autant plus
violente qu'elle est tout aimable? ... Mon Jésus est tout à moi, et je
suis tout à lui! Je vivrai et mourrai sur sa poitrine; ni la mort ni la
vie ne me sépareront jamais de lui! »
Afin que nous n'oublions
pas la reconnaissance que nous devons à notre Sauveur, saint Pierre nous
rappelle que nous n'avons par été rachetés de l'esclavage de l'enfer à
prix d'or ou d'argent, mais par le précieux sang de Jésus-Christ, immolé
pour nous, comme un innocent agneau, sur l'autel de la croix (1 Pi. 1,
18). Grand sera donc le châtiment de ceux qui auront répondu par
l'ingratitude à un tel bienfait. Il est vrai que le Fils de Dieu est
venu au monde pour sauver tous les hommes de l'état de perdition où ils
étaient (Lc 19, 10). Mais, ce qui est vrai aussi, ce sont les paroles
prophétiques prononcées par saint Siméon dans le Temple, lorsque Jésus
Enfant y fut présenté par Marie: « Cet enfant est pour la ruine et pour
la résurrection de beaucoup d'âmes, et pour être en butte à la
contradiction » (Lc 2, 34). Le mot résurrection annonçait le salut que
Jésus-Christ devait procurer à ceux qui croiraient en lui, et qui, par
la foi, ressusciteraient de la mort du péché à la vie de la grâce; mais,
par le mot ruine, le saint vieillard a prédit en même temps que bien des
malheureux ne feraient qu'empirer leur état par leur ingratitude envers
le Fils de Dieu, descendu sur la terre pour s'exposer aux traits de ses
ennemis. Cela se vérifia littéralement lorsque le Sauveur supporta
toutes les calomnies, toutes les injures et tous les mauvais traitements
que les Juifs tramèrent contre lui. À présent, Jésus-Christ est en butte
à la contradiction, non seulement des Juifs qui refusent de le
reconnaître pour Messie, mais encore des chrétiens qui répondent à son
amour par des offenses et par le mépris de ses préceptes.
Notre Rédempteur, dit saint
Paul, est allé jusqu'à donner sa vie pour nous, afin de se rendre maître
absolu de nos cœurs, par le moyen de l'amour qu'il nous a témoigné en
mourant pour nous (Rm 14, 9). Ainsi, conclut l'Apôtre, après nous avoir
rachetés par le sang de Jésus-Christ, nous ne nous appartenons plus à
nous-mêmes; « soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes
au Seigneur » (Rm 14, 8). Il s'ensuit que, si nous ne l'aimons pas, si
nous n'observons pas ses préceptes, dont le premier est de l'aimer, nous
sommes non seulement ingrats, mais injustes, et nous méritons un double
châtiment. Le devoir d'un esclave racheté par Jésus-Christ des mains du
démon est de se consacrer tout entier à l'amour et au service de son
divin Maître, à la vie et à la mort.
Saint Jean Chrysostome fait
une belle réflexion sur le passage cité de saint Paul: « Dieu, dit-il,
s'occupe de nous plus que nous ne nous en occupons nous-mêmes. Il
regarde notre vie comme un bien et notre mort comme un mal pour lui; si
donc nous venons à mourir spirituellement, notre mort est une perte, non
seulement pour nous, mais encore pour Dieu ». Oh! quelle gloire et
quelle consolation pour nous de pouvoir dire, en vivant dans cette
vallée de larmes, au milieu de tant d'ennemis et de tant de périls qui
nous menacent: « Nous appartenons à Jésus-Christ, nous sommes son bien;
il aura soin de nous conserver dans sa grâce en cette vie, et de nous
tenir éternellement unis à lui dans la vie future ».
- II -
Ce que c'est que vivre et mourir pour Jésus
Jésus-Christ est donc mort
pour chacun de nous, afin que chacun de nous vive uniquement pour son
Rédempteur, qui a donné sa vie pour l'amour de lui. « Il est mort pour
nous tous, afin que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour
celui qui est mort et ressuscité pour eux » (2 Co 5, 15). Celui qui vit
pour lui-même se fait l'objet de tous ses désirs, de toutes ses
craintes, de toutes ses douleurs, et met en lui-même sa félicité; mais
celui qui vit pour Jésus-Christ, n'a d'autre joie que de lui plaire ni
d'autre crainte que de lui déplaire; il ne s'afflige que de voir son
Jésus méprisé, il ne se réjouit que de le voir aimé des autres. Voilà ce
qui s'appelle vivre pour Jésus-Christ, et ce qu'il exige justement de ce
chacun de nous: il n'a voulu souffrir tant de peines pour nous qu'afin
de gagner tout notre amour.
Est-ce là une prétention
excessive? Non, certes, répond saint Grégoire; c'est à bon droit que le
Seigneur veut être ainsi aimé de nous, après nous avoir donné de telles
preuves de son amour qu'il semble nous avoir aimé jusqu'à la folie. Il
s'est donné à nous tout entier, sans réserve; il a donc raison de
prétendre que nous nous donnions entièrement à lui et que nous lui
consacrions tout notre amour. Si nous lui en ôtons une partie, en aimant
quelque chose hors de lui ou non pour lui, il a juste sujet de se
plaindre de nous; car alors, nous ne l'aimons pas comme nous le devons,
dit saint Augustin.
Que pouvons-nous aimer hors
de Jésus-Christ, sinon des créatures? Et auprès de Jésus-Christ, les
créatures sont-elles autre chose que vers de terre, fange, fumée,
vanité? Le tyran qui martyrisa saint Clément, évêque d'Ancyre, lui ayant
offert un monceau d'argent, d'or et de pierreries, pourvu qu'il renonçât
à Jésus-Christ, le Saint poussa un profond soupir et s'écria: « Ah! mon
Jésus! vous qui êtes un bien infini, comment souffrez-vous que les
hommes vous estiment moins que la boue? »
Certes, dit saint Bernard,
ce n'est pas la témérité ou la démence qui portait les Martyrs à braver
les chevalets, les lames ardentes, et tous les supplices les plus
cruels; c'est l'amour dont ils brûlaient pour Jésus-Christ, en le voyant
mort sur la croix pour leur amour. Contentons-nous de citer l'exemple de
saint Marc et de saint Marcellien: après leur avoir fait clouer les
mains et les pieds, le tyran leur reprochait comme une folie de vouloir
souffrir un tel tourment plutôt que de renier Jésus-Christ; mais ils
répondirent qu'ils n'avaient jamais éprouvé de délices plus douces que
celles qu'ils goûtaient en se voyant percés de ces clous pour leur divin
Maître. Tous les Saints, pour plaire à Jésus-Christ, si maltraité et si
humilié pour nous, ont embrassé avec joie la pauvreté, les persécutions,
les mépris, les maladies, les douleurs et la mort. Les âmes qui ont
épousé le Sauveur sur la croix ne trouvent rien de plus glorieux que de
porter les insignes de Jésus crucifié: ces insignes sont les
souffrances.
Écoutons ce que dit saint
Augustin: « À nous, qui croyons par la foi qu'un Dieu est mort en croix
pour notre amour, il n'est pas permis de l'aimer faiblement; aucune
affection ne doit trouver place dans notre cœur, si ce n'est pour celui
qui a voulu mourir crucifié pour l'amour de nous ».
Unissons-nous donc tous à
saint Paul, et répétons avec lui: « J'ai été crucifié avec Jésus-Christ;
si je vis, ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus-Christ qui vit en moi,
lui qui m'a aimé au point de se livrer pour moi » (Ga 2, 19-20). Saint
Bernard, commentant ces paroles, s'exprime ainsi: « Voici ce que
l'Apôtre fait entendre, et ce que doit dire comme lui quiconque aime
Jésus crucifié: J'ai cessé de vivre pour moi-même depuis que je sais que
Jésus-Christ a daigné mourir pour moi, en prenant sur lui la peine de
mort qui m'était due; c'est pourquoi je suis mort à toutes les choses du
monde, je suis inattentif et insensible comme un mort à tout ce qui
n'est pas pour Jésus-Christ. Mais s'il se présente des choses qui
regardent son bon plaisir et sa gloire, elles me trouvent vivant et prêt
à embrasser quoi que ce soit, les travaux, les humiliations, les
souffrances, et la mort même ». « Ma vie c'est le Christ » (Ph 1, 21)
ajoutait saint Paul, c'est-à-dire: Jésus-Christ est ma vie; car il est
mon unique pensée, mon unique but, mon unique espérance, mon unique
désir, parce qu'il est tout mon amour.
Il dit encore: « La
promesse est certaine: si nous mourons avec Jésus-Christ, nous vivrons
éternellement avec lui; si nous supportons patiemment les souffrances
avec Jésus-Christ, nous régnerons avec Jésus-Christ » (2 Tm 2, 11-12).
Les rois de la terre, après la victoire, font part des biens acquis à
ceux qui ont combattu avec eux; de même, au jour du jugement,
Notre-Seigneur fera part des biens célestes à tous ceux qui auront
travaillé et souffert pour sa gloire. Mourir avec Jésus-Christ qui, au
grand jour des comptes, si nous l'avons renié, nous reniera justement à
son tour; il refusera de nous reconnaître pour siens (2 Tm 2, 12). Il
faut observer ici que nous renonçons à Jésus-Christ, non seulement quand
nous renions la foi, mais encore quand nous refusons de lui obéir en ce
qu'il exige de nous, comme de remettre au prochain, pour son amour, un
affront reçu, de ne pas tenir au vain point d'honneur, de rompre une
liaison qui nous met en danger de perdre l'amitié de Jésus-Christ, de
mépriser la crainte de passer pour ingrats devant les hommes, puisque
nous devons être avant tout reconnaissants envers Jésus-Christ, qui a
donné son sang et sa vie pour nous, ce que n'a fait aucune créature.
Ô Amour de Dieu! comment
peux-tu être si méprisé des hommes? Ô hommes! voyez sur cette croix le
Fils de Dieu s'immolant comme un innocent agneau, pour expier vos péchés
et gagner ainsi votre amour; regardez-le, contemplez-le et aimez-le!Mon
Jésus infiniment aimable! ne permettez plus que je sois ingrat envers
vous après tant de bonté. Par le passé, j'ai vécu dans l'oubli de votre
amour et de tout ce que vous avez souffert pour moi; mais à l'avenir, je
ne veux plus penser qu'à vous aimer. Ô Plaies de Jésus, blessez-moi
d'amour! Ô Sang de Jésus, enivrez-moi d'amour! Ô Mort de Jésus,
faites-moi mourir à tout amour qui n'est pas pour Jésus! Mon Jésus! je
vous aime par-dessus toutes choses, je vous aime de toute mon âme, je
vous aime plus que moi-même! Je vous aime, et parce que je vous aime, je
voudrais mourir de douleur, en pensant que j'ai tant de fois méprisé
votre grâce. Ah! par vos mérites, mon Sauveur crucifié, donnez-moi votre
amour, et faites que je sois tout à vous!
Ô Marie, mon Espérance,
faites-moi aimer Jésus-Christ, je ne vous demande rien de plus!
È
SUR NOTRE ESPÉRANCE ENTIÈRE
DANS LES MÉRITES DE JÉSUS-CHRIST
- I -
Jésus crucifié est notre ressource dans tous nos besoins
« Tout notre salut, dit
saint Pierre, est en Jésus-Christ » (Ac 4, 12). C'est lui qui, par le
moyen de la croix, où il a sacrifié sa vie pour nous, nous a ouvert la
voie pour espérer de Dieu tous les biens, si nous sommes fidèles à ses
préceptes.
Écoutons ce que dit de la
croix saint Jean Chrysostome: « La croix (ou Jésus crucifié) est
l'espérance des chrétiens, l'appui des boiteux, la consolation des
pauvres, la ruine de l'orgueil, la victoire sur les démons, l'école des
commençants, le guide des navigateurs, le port ouvert, le conseiller des
justes, le repos des affligés, le remède des malades, la gloire des
martyrs ». Chacune de ces appellations mérite un bref commentaire.
L'espérance des chrétiens.
Sans Jésus-Christ, nous n'aurions aucun espoir de salut.
L'appui des boiteux. Dans
notre état présent, qui est un état de dégradation, nous sommes tous
spirituellement boiteux; nous n'avons d'autre force pour marcher dans la
voie du salut que celle que nous recevons de la grâce de Jésus-Christ.
La consolation des pauvres.
Comment un chrétien ne se dirait-il pas pauvre? Tout ce que nous avons,
nous le devons à la charité de Jésus-Christ.
La ruine de l'orgueil. Les
disciples de Jésus crucifié ne sauraient être orgueilleux en voyant leur
divin Maître mourir sur la croix comme un malfaiteur.
La victoire sur les démons.
Le seul signe de la croix suffit pour mettre les démons en fuite.
L'école des commençants.
Quels beaux enseignements la croix donne à ceux qui commencent à marcher
dans les voies de Dieu!
Le guide des navigateurs.
Oh! comme la croix nous dirige bien au milieu des tempêtes de la vie
présente.
Le port ouvert. Tous ceux
que les tentations ou de violentes passions mettent en danger de se
perdre trouvent un abri sûr au pied de la croix.
Le conseiller des justes.
Que de salutaires conseils ne puise-t-on pas dans la croix, c'est-à-dire
dans les tribulations qu'on éprouve durant la vie!
Le repos des affligés. Où
les personnes affligées trouvent-elles plus de consolation qu'au pied de
la croix, sur laquelle elles voient un Dieu qui souffre pour leur amour?
Le remède des malades. Ceux
qui embrassent la croix dans les maladies sont bientôt guéris de toutes
les plaies de leur âme.
La gloire des Martyrs. Ce
qui fait surtout la gloire des Martyrs, c'est de ressembler à Jésus
crucifié, Roi des Martyrs.
En un mot, toutes nos
espérances sont dans les mérites de Jésus-Christ. Paraphrasant à peine
l'Apôtre (Ph 4, 12-13), on peut dire: Instruit par le Seigneur, je sais
comment je dois me conduire en toutes circonstances. Quand Dieu
m'humilie, je sais me résigner à sa volonté, et quand il m'élève, je
sais lui en rendre tout l'honneur. S'il me fait jouir de l'abondance, je
sais le remercier, et s'il me fait souffrir de la pénurie, je le bénis
encore; mais je n'agis pas ainsi pas ma propre vertu, c'est l'effet de
la grâce que Dieu me donne. Celui qui se défie de lui-même et se confie
en Jésus-Christ acquiert par son secours une force invincible.
Le Seigneur rend
tout-puissants ceux qui mettent en lui leur confiance. Ainsi parle saint
Bernard, et il ajoute qu'une âme qui ne présume point de ses propres
forces, mais qui est fortifiés par Jésus-Christ, pourra devenir
tellement maîtresse d'elle-même qu'elle ne se laissera dominer par aucun
péché. Il en conclut que, si quelqu'un s'appuie sur Jésus-Christ, il n'y
a ni violence, ni fraude, ni plaisir qui puisse l'abattre.
L'Apôtre ayant prié Dieu
par trois fois de le délivrer d'une épreuve qui le tenaillait, le
Seigneur lui répondit que sa grâce le suffisait, et que la vertu se
perfectionne dans la faiblesse (2 Co 12, 7-9). Mais, comment se fait-il
que la vertu se perfectionne dans la faiblesse? Saint Thomas nous
l'explique avec saint Jean Chrysostome: Plus nous sommes faibles et
enclins au mal, plus Dieu nous communique de force, dès que nous
recourons à lui avec confiance. C'est pourquoi l'Apôtre ajoute
immédiatement: « Je me glorifierai donc volontiers de mes faiblesses,
puisque ainsi la vertu de Jésus-Christ s'établira mieux en moi ». Et il
continue: « Je me plais conséquemment dans mes faiblesses, souffrant
avec joie, pour Jésus-Christ, les injures, la pauvreté, les
persécutions, les angoisses; car plus je me trouve faible, plus je me
confie en lui, et j'en deviens d'autant plus fort ». (2 Co 12, 9-10).
Saint Paul dit encore que
la croix paraît une folie à ceux qui suivent la voie de la perdition,
mais que pour nous, qui marchons dans la voie du salut, c'est la force
de Dieu (1 Co 1, 18). Par ces paroles, il nous engage à ne pas imiter
les mondains, qui mettent leur confiance dans les richesses, ou dans les
parents et leurs amis, et qui regardent comme insensés les saints, qui
font peu de cas des appuis terrestres. Au contraire, imitons ces
derniers en plaçant comme eux toutes nos espérances dans l'amour de la
croix, c'est-à-dire de Jésus crucifié, qui procure tous les biens à
quiconque se confie en lui.
Il faut remarquer ici que
la puissance du monde diffère entièrement de celle de Dieu: celle-là
s'acquiert par les richesses et les honneurs, tandis que celle-ci
s'obtient par l'humilité et la patience. Ce qui fait dire à saint
Augustin que notre force est dans la connaissance de notre faiblesse et
dans l'humble aveu de notre misère. Et, selon saint Jérôme, toute la
perfection de la vie présente consiste à reconnaître ses imperfections.
En effet, dès que nous nous reconnaissons imparfaits comme nous le
sommes, nous défiant alors de nos propres forces, nous nous abandonnons
entre les bras de Dieu, qui protège et sauve ceux qui se confient en
lui, comme en témoigne le Psalmiste (Ps 17, 31 et 16, 7). Celui qui met
sa confiance dans le Seigneur, ajoute-t-il, devient fort comme une
montagne; tous les efforts de ses ennemis ne sauraient l'ébranler (Ps
124, 1). De là, saint Augustin nous donne cet avis que, dans les
tentations, lorsque nous sommes en danger de pécher, nous devons
recourir à Jésus-Christ et nous appuyer entièrement sur lui; loin de se
retirer et de nous laisser tomber, il nous tiendra dans ses bras et
remédiera à notre faiblesse.
En prenant sur lui les
misères de notre humanité, Jésus-Christ nous a mérité une force qui
surpasse notre faiblesse; car, ayant été lui-même tenté, dit l'Écriture,
il peut nous secourir dans les tentations (He 2, 18). Comment cela?
c'est que notre Sauveur, après avoir éprouvé les tentations, en est plus
porté à compatir à nos maux et à nous aider lorsque nous sommes tentés.
Cette explication nous est donnés dans un autre passage du même texte:
« Nous n'avons pas un grand prêtre impuissant à compatir à nos
faiblesses, lui qui a été éprouvé en tout d'une manière semblable, à
l'exception du péché » (He 4, 15). L'auteur nous exhorte conséquemment à
recourir avec confiance au trône de la grâce, c'est-à-dire à la croix,
pour recevoir du Sauveur, qui y est attaché pour nous, les secours dont
nous avons besoin (He 4, 16).
L'Évangile atteste que
Jésus-Christ, dans le jardin de Gethsémani, la nuit qui précéda sa mort,
fut en proie à la crainte, à l'ennui, à la tristesse (Mc 14, 33; Mt 26,
37). En se soumettant à ces peines, notre Sauveur nous a mérité le
courage de résister aux menaces de ceux qui veulent nous pervertir, la
vigueur nécessaire pour surmonter l'ennui que nous éprouvons dans
l'oraison, dans les mortifications, et dans les autres exercices de
piété, et la force de souffrir en paix la tristesse qui nous afflige
dans les adversités.
Nous savons en outre que,
dans cette même circonstance, à la vue des douleurs et de la mort
désolée qu'on lui préparait, il voulut bien éprouver, dans son humanité,
une telle faiblesse qu'il dit à ses disciples: « L'esprit est prompt,
mais la chair est faible » (Mt 26, 41) et qu'il alla jusqu'à prier Dieu
son Père d'éloigner de lui cet horrible supplice. Mais il ajouta
aussitôt: « Néanmoins, non comme je veux, mais comme vous voulez » (Mt
26, 42). Durant tout le temps de sa pénible oraison dans le jardin des
Olives, il ne fit que répéter la même prière. Ce Fiat nous mérita et
nous obtint la résignation dans tout ce qui nous arrive de contraire, et
valut aux Martyrs et aux Confesseurs de la foi la force de résister à
toutes les persécutions et à toute la cruauté des tyrans, comme
l'enseigne saint Léon.
De même, par l'horreur
qu'il eut alors de nos péchés, et qui lui cause une si dure agonie (Lc
22,43), Jésus nous a mérité la grâce de la contrition. Par l'abandon
qu'il souffrit ensuite sur la croix, de la part de son Père, il nous a
mérité la grâce de ne pas nous décourager dans les désolations et les
obscurités spirituelles. En inclinant la tête, au moment d'expirer sur
ce gibet pour obéir à la volonté de son Père (Ph 2, 8), il nous a mérité
toutes les victoires que nous obtenons contre les passions et les
tentations, ainsi que la patience dans les maux de cette vie, et
principalement dans les douleurs et les angoisses qui accompagnent la
mort. En un mot, dit saint Léon, Jésus-Christ est venu prendre sur lui
nos infirmités et nos misères, pour nous communiquer sa vertu et sa
constance.
L'Écriture nous assure que
le Fils de Dieu a appris l'obéissance par tout ce qu'il a souffert (He
5, 8). Cela ne signifie pas que Jésus-Christ ait appris dans sa passion
ce que c'est que la vertu d'obéissance, comme s'il l'eût ignoré
auparavant; mais on entend par là, suivant l'explication de saint
Anselme, que Notre-Seigneur, outre la connaissance qu'il en avait déjà,
apprit par expérience, dans sa passion, combien était douloureuse la
mort qu'il devait souffrir pour obéir à son père. Il éprouva aussi alors
combien est grand le mérite de l'obéissance, puisque, par elle, il
obtint pour lui-même le plus haut degré de gloire, qui est d'être assis
à la droite de son Père, et pour nous le salut éternel. C'est pourquoi
l'auteur sacré ajoute qu'ayant exercé une obéissance parfaite, en
endurant patiemment tout ce qu'il eut à souffrir dans sa passion,
Jésus-Christ a mérité la grâce du salut à tous ceux qui se montrent
obéissants envers lui, en supportant avec patience les maux de la vie
présente (He 5, 9).
C'est cette patience du
divin Sauveur qui a procuré aux Saints Martyrs le courage et la force
d'embrasser avec patience les tourments les plus atroces que la cruauté
des tyrans ait pu inventer, et non seulement avec patience, mais avec
joie et avec le désir de souffrir encore davantage pour l'amour de
Jésus-Christ. Qu'on lise la célèbre lettre que saint Ignace Martyr,
condamné aux bêtes, écrivit aux Romains avant d'arriver au lieu de son
supplice: « Mes enfants, leur dit-il, je suis le froment de Dieu;
laissez-moi broyer par les dents des bêtes féroces, afin que je devienne
un pain agréable à mon Rédempteur. Je ne cherche que celui qui est mort
pour nous. Permettez que j'imite la passion de mon Dieu. Il est l'unique
objet de mon amour, il a été crucifié pour moi; l'amour que je lui
porte, me fait désirer d'être crucifié pour lui ». Saint Léon dit du
martyr saint Laurent, que le feu qui brûlait son corps sur le gril était
moins ardent que celui dont son âme était embrasée. Eusèbe et Pallade
rapportent de sainte Potamiène, vierge d'Alexandrie, qu'étant condamnée
à être jetée dans une chaudière de poix bouillante, et désirant souffrir
davantage pour l'amour de son Époux crucifié, elle pria le tyran de l'y
faire descendre peu à peu, afin que sa mort fût plus douloureuse. Elle
obtint ce qu'elle demandait: on commença par lui plonger les pieds dans
la poix, de sorte que son tourment dura trois heures; elle n'expira que
lorsque la poix lui fut arrivée au cou. Telles sont la patience et la
force que les Martyrs reçurent de la passion de Jésus-Christ.
Plein de ce courage que
Jésus crucifié inspire à ceux dont il est aimé, saint Paul s'écriait
qu'aucune peine, aucune privation, aucun danger, aucun supplice, n'était
capable de le séparer de l'amour de Jésus-Christ (Rm 8, 35). Il espérait
triompher de tout par la grâce et pour l'amour de son divin Maître (Rm
8, 37). L'amour des Martyrs envers Jésus-Christ était invincible, parce
qu'il recevait sa force de celui qui ne saurait être vaincu. Et ne
pensons pas qu'un miracle les ait rendus insensibles aux tourments, ni
que les consolations célestes aient absorbé la douleur qu'ils
éprouvaient; cela a pu arriver quelquefois, mais d'ordinaire ils
sentaient très bien leurs douleurs; on en voyait qui, par faiblesse,
cédaient à la violence des tortures. Quant à ceux qui avaient la
constance de résister jusqu'à la fin, c'est Dieu qui leur donnait la
patience et la force nécessaire pour tout souffrir.
Le premier objet de notre
espérance est la félicité éternelle, c'est-à-dire la jouissance de Dieu,
comme l'enseigne saint Thomas. Quant aux moyens d'arriver à cette
suprême béatitude, tels que le pardon des péchés commis, la persévérance
finale dans la grâce de Dieu et la bonne mort, nous devons tout attendre
des mérites et du secours de Jésus-Christ, sans compter sur nos propres
forces ni sur nos bonnes résolutions. Ainsi, pour que notre confiance
soit ferme, nous devons avoir la certitude infaillible que nous ne
pouvons obtenir ces moyens de salut que par les mérites de notre
Sauveur, et que nous en pouvons tout espérer.
- II -
De l'espérance que nous avons en Jésus-Christ
d'obtenir le pardon de nos péchés
Nous savons que c'est pour
procurer aux pécheurs le pardon et le salut que le Fils de Dieu est venu
sur la terre, comme il l'a déclaré lui-même (Mt 18, 11). Et lorsque
saint Jean-Baptiste annonça aux Juifs la présence du Messie qu'ils
attendaient, il s'exprima ainsi, en le montrant: « Voici l'Agneau de
Dieu, voici celui qui ôte les péchés du monde » (Jn 1, 29). Il dit
l'Agneau, avec l'article défini, d'après le texte grec; c'est donc comme
si le saint Précurseur eût parlé de cette manière: Voici l'Agneau divin
prédit par Isaïe (Is 53, 7) et par Jérémie (Jr 11, 19). Voici l'Agneau
préfiguré par Moïse dans l'agneau pascal, ainsi que dans le sacrifice de
l'agneau qu'on offrait à Dieu chaque matin, suivant la Loi, et dans
plusieurs autres qui se faisaient le soir pour les péchés. Mais tous ces
agneaux ne pouvaient abolir un seul péché; ils ne servaient qu'à
représenter le sacrifice de l'Agneau divin, qui devait laver nos âmes de
son sang, et les délivrer par ce moyen, tant de la tache du péché que de
la peine éternelle encourue par le péché, notre Sauveur prenant sur lui
la charge de satisfaire pour nous à la justice de Dieu par sa mort,
selon ce qu'Isaïe a prédit: « Le Seigneur a fait retomber sur lui les
crimes de nous tous » (Is 53, 6). C'est ce qui fait dire à saint
Cyrille: Jésus-Christ a voulu se dévouer à la mort, pour gagner à Dieu
tous les hommes qui étaient perdus.
Combien donc ne sommes-nous
pas obligés envers ce généreux Rédempteur! Si, au moment où un condamné
à mort est conduit au supplice, la corde au cou, un ami venait le
délivrer en prenant sur lui la corde fatale pour mourir à sa place, quel
droit cet ami n'aurait-il pas à sa reconnaissance et à son amour! Eh
bien! voilà ce que Jésus a fait pour nous; il est mort sur la croix pour
nous délivrer de la mort éternelle.
Notre-Seigneur, dit saint
Pierre, s'est chargé de tous nos péchés et les a portés sur la croix,
pour les expier par sa mort, nous en obtenir le pardon, et nous rendre
ainsi la vie que nous avions perdue (1 Pi. 2, 24). Qu'y-a-t-il de plus
admirable, s'écrie saint Bonaventure, que de voir les plaies de l'un
guérir les plaies des autres, et la mort d'un seul rappeler à la vie
tous ceux qui étaient morts? Saint Paul dit que, des pécheurs que nous
étions, odieux et abominables, Dieu nous a rendus, par Jésus-Christ,
agréables et aimables à ses yeux; car, par les mérites de son sang, il
nous a remis nos péchés, et nous a communiqué surabondamment les
richesses de sa grâce (Ep 1, 6). Tel fut l'effet du pacte de
Jésus-Christ avec son Père: le Seigneur nous a pardonné nos fautes et
nous a reçus dans son amitié, en considération des souffrances et de la
mort de son Fils bien-aimé.
C'est dans ce sens que
l'Écriture appelle Jésus-Christ Médiateur du Nouveau Testament (He 9,
15). Dans nos Saints Livres, le mot Testament se prend en deux sens:
celui de pacte, ou d'accord entre deux parties qui étaient en
opposition, et celui de promesse, ou de disposition de dernière volonté,
par laquelle on transmet son bien à des héritiers, disposition qui ne
devient irrévocable que par la mort du testateur. Nous parlerons plus
loin, à la section IV de ce chapitre, du Testament considéré comme
promesse. Ici, il ne s'agit que du Testament considéré comme pacte, tel
que l'entend l'Écriture lorsqu'elle dit que Jésus-Christ est le
Médiateur du Nouveau Testament.
Le péché avait rendu
l'homme débiteur envers la Justice divine et ennemi de Dieu. Le Fils de
Dieu vint sur la terre, se revêtit de la chair humaine, et, dès qu'il
fut tout à la fois Dieu et Homme, se fit Médiateur entre l'homme et
Dieu, agissant comme Dieu et comme Homme. Afin de rétablir la paix entre
eux, en obtenant pour l'homme la grâce de Dieu, il offrit de payer à la
justice de Dieu, au prix de son sang et de sa mort, la dette de l'homme.
Cette merveilleuse réconciliation avait été figurée d'avance, sous
l'Ancien Testament, dans tous les sacrifices qui se faisaient alors, et
dans tous les symboles que Dieu avait ordonnés, tels que le tabernacle,
l'autel, le voile, le chandelier d'or, l'encensoir, et l'arche qui
renfermait le rameau d'Aaron et les tables de la Loi. Tous ces objets
étaient des signes et des figures de la rédemption promise. Comme cette
rédemption devait s'accomplir par le sang de Jésus-Christ, Dieu avait
prescrit que le sang des animaux, représentant celui de l'Agneau divin,
fût versé dans tous les sacrifices, et que tous les objets symboliques
que nous venons de mentionner fussent arrosés de ce sang (He 9, 18).
Le premier Testament,
c'est-à-dire l'alliance, le pacte, ou la médiation, qui se fit dans
l'Ancienne Loi, et qui représentait la médiation de Jésus-Christ dans la
Loi Nouvelle, fut scellé par le sang des veaux et des boucs, que Moïse
prit avec de la laine rouge et de l'hysipe (He 9, 19). La laine rouge
était aussi une figure de notre Sauveur: comme la laine est
naturellement blanche, et qu'elle ne devient rouge que par la teinture,
de même Jésus, blanc par sa nature et par son innocence, parut tout
rougi de son sang sur la croix, où il fut supplicié comme un malfaiteur.
Ainsi s'est vérifié ce que l'Épouse des Cantiques disait de lui: « Mon
Bien-Aimé éclate par sa blancheur et par sa rougeur » (Ct 5, 10).
L'hysope, qui est une plante basse, marquait l'humilité de Jésus-Christ.
Le texte continue en ces
termes: « Moïse ayant pris du sang des victimes, en jeta sur le livre où
l'alliance était écrite, et sur tout le peuple, en disant: “C'est le
sang su Testament que Dieu a fait pour vous”. Il jeta encore du sang sur
le tabernacle et sur tous les vases sacrés. Enfin, selon la Loi, presque
tout se purifie avec le sang et les péchés ne sont pas remis sans
effusion de sang ». (He 9, 19-22), En parlant ainsi aux Hébreux,
l'auteur sacré a voulu répéter plusieurs fois le mot de sang, afin
d'imprimer dans l'esprit et dans le cœur de tous les hommes que, sans le
sang de Jésus-Christ, il n'y aurait aucun espoir de pardon. Et comme,
sous l'Ancienne Loi, le sang des victimes purifiait les Hébreux de la
tache extérieure des fautes qu'ils commettaient contre la Loi, et leur
remettait la peine temporelle que la Loi imposait, de même, sous la Loi
Nouvelle, le sang de Jésus-Christ nous lave de la tache intérieure de
nos péchés, suivant l'expression de saint Jean (Ap 4, 5), et il nous
délivre de la peine éternelle de l'enfer.
Dans le présent contexte,
il convient de reprendre ce qui a été dit plus haut, au Chapitre VII,
section II. Le Pontife de l'Ancienne Loi entrait par le tabernacle dans
le Saint des Saints et, au moyen de l'aspersion du sang des animaux, il
purgeait les délinquants de la tache extérieure qu'ils avaient
contractée et de la peine temporelle seulement. Pour obtenir la
rémission de la coulpe et de la peine éternelle, il était absolument
nécessaire aux Hébreux d'avoir la contrition avec la foi et l'espérance
dans le Messie futur, qui devait mourir pour procurer aux hommes le
pardon de leurs péchés; mais Jésus-Christ, le Pontife de la Loi
Nouvelle, par un tabernacle plus grand et plus parfait, c'est-à-dire par
son corps adorable, offert en sacrifice sur la croix, est entré dans le
sanctuaire du ciel, qui nous était fermé et qu'il nous a ouvert par la
rédemption.
Ensuite, pour porter à
espérer le pardon de toutes nos fautes, en mettant notre confiance dans
les mérites de notre Sauveur, le texte ajoute que, si le sang des
animaux offerts en sacrifice avait la vertu d'ôter les souillures
légales, à bien plus forte raison le sang de Jésus-Christ, qui s'est
offert lui-même à Dieu comme une victime sans tache, doit purifier notre
conscience des oeuvres mortes et nous rendre capables de servir Dieu
comme il convient. Notre divin Rédempteur s'est offert lui-même à Dieu,
pur de toute tache, sans aucune ombre de faute; autrement, il n'eût pas
été un digne médiateur, propre à réconcilier Dieu avec l'homme pécheur,
et son sang n'eût pas eu la vertu de purifier notre conscience des
oeuvres mortes, c'est-à-dire des péchés, qui sont des oeuvres mortes, ou
sans mérites, et des oeuvres de mort, dignes des peines éternelles. Le
Seigneur ne nous pardonne qu'à la condition que nous emploierons le
reste de notre vie à le servir et à l'aimer.
Voilà pourquoi, conclut
notre passage de la Lettre aux Hébreux, Jésus-Christ est le Médiateur du
Nouveau Testament. Ainsi, notre Rédempteur, poussé par l'amour immense
qu'il nous portait, a voulu nous racheter de la mort éternelle au prix
de son sang; c'est par ce moyen qu'il nous a obtenu de Dieu le pardon de
nos péchés, sa grâce en cette vie, et l'éternelle félicité en l'autre,
si nous le servons fidèlement jusqu'à la mort. Tel fut le Testament,
médiation ou pacte, entre Jésus-Christ et Dieu son Père, en vertu duquel
le pardon et le salut nous furent promis. (Cf. He 9
passim.)
Cette promesse du pardon
qui devait nous être accordé en considération des mérites du sang de
Jésus-Christ, nous a été confirmée par notre Sauveur lui-même, la veille
de la mort lorsqu'il dit en instituant le sacrement de l'Eucharistie:
« Ceci est mon Sang, le Sang de la Nouvelle Alliance, qui sera répandu
pour plusieurs pour la rémission des péchés » (Mt 26, 28). Par le mot
« répandu », il annonçait que son sacrifice était prochain, et qu'il
devait y laisser son sang, non en partie, mais entièrement, pour expier
nos péchés et nous en obtenir le pardon. Notre-Seigneur a voulu ensuite
que ce divin sacrifice se renouvelât tous les jours, à chaque Messe qui
serait célébrée, afin que son sang intercédât continuellement en notre
faveur.
C'est pour cela que
Jésus-Christ fut appelé Prêtre selon l'ordre de Melchisédech (Ps 109,
4). Aaron offrit des sacrifices d'animaux, tandis que le sacrifice de
Melchisédech fut de pain et de vin, figure du Sacrifice de l'autel.
Notre Sauveur institua cet auguste mystère lors de la dernière cène, en
offrant à Dieu, sous les espèces du pain et du vin, son corps et son
sang, qu'il devait sacrifier le lendemain dans sa passion, pour
continuer ensuite à les offrir tous les jours par la main des prêtres,
renouvelant sans cesse par leur ministère le Sacrifice de la croix.
La Lettre aux Hébreux
explique pourquoi David appelle Jésus-Christ, non seulement Prêtre, mais
Prêtre éternel. La mort mettait fin au sacerdoce des anciens Pontifes;
mais, comme Jésus-Christ demeure éternellement, son sacerdoce est
éternel (He 7, 24). Et si l'on demande comment Notre-Seigneur continue
dans le ciel l'exercice de son sacerdoce, le texte sacré fournit les
réponses au verset suivant: « Du fait qu'il demeure pour l'éternité, il
a un sacerdoce éternel » (He 7, 25). Le grand Sacrifice de la croix,
représenté et perpétué par le Sacrifice de l'autel, ne cesse pas d'avoir
la vertu de sauver tous ceux qui, dûment disposés par la foi et les
bonnes oeuvres, s'approchent de Dieu par l'entremise de Jésus-Christ. Ce
sacrifice, disent saint Ambroise et saint Augustin, le Fils de Dieu
continue comme homme de l'offrir pour nous à son Père, ne cessant point
de faire dans le ciel, comme il le faisait sur la terre, l'office de
notre Avocat et Médiateur, et même de notre Pontife, office qui consiste
à intercéder en notre faveur, suivant les dernières paroles du texte.
Saint Jean Chrysostome dit
que les plaies de Jésus-Christ sont autant de bouches ouvertes, pour
implorer de Dieu le pardon de nos péchés. C'est bien ce qu'affirme
l'Écriture lorsqu'elle indique que son précieux sang parle bien plus
efficacement en demandant miséricorde pour nous que celui d'Abel en
réclamant la vengeance divine contre Caïn (He 12, 22). On lit dans les
révélations de sainte Marie-Madeleine de Pazzi que Dieu lui adressa un
jour ces paroles: « Ma justice s'est changée en clémence par la
vengeance qu'a prise sur la chair innocente de mon Fils. Son Sang ne me
crie pas vengeance comme celui d'Abel; il ne demande que miséricorde et,
à sa voix, ma justice ne peut résister; le sang de Jésus lui lie les
mains, de sorte qu'elle ne peut plus les lever pour punir les péchés
comme auparavant ».
Le Seigneur nous avait
promis la rémission de nos péchés et la vie éternelle; mais, remarque
saint Augustin, il a fait pour nous plus qu'il avait promis. Pour nous
accorder le pardon et le paradis, il n'en eût rien coûté à Jésus-Christ;
mais, pour nous racheter, il a dû donner son sang et sa vie.
L'apôtre saint Jean nous
exhorte à fuir le péché; mais, de peur que nous perdions la confiance
envers Dieu, à cause des fautes que nous avons commises, il nous en fait
espérer le pardon, pourvu que nous ayons la ferme résolution de n'y plus
retomber. À cet effet, il nous dit que nous avons affaire à Jésus-Christ
qui, non seulement est mort pour nous pardonner, mais de plus, après sa
mort, s'est fait notre Avocat auprès de Dieu son Père (1 Jn 2, 1). Nos
péchés, selon la justice, méritent la disgrâce de Dieu et la damnation
éternelle; mais la passion du Sauveur réclame pour nous la grâce et le
salut, et cela en toute justice. Car le Père éternel, en considération
des mérites de son Fils, lui a promis de nous pardonner et de nous
sauver, dès que nous sommes disposés à recevoir sa grâce et à observer
ses commandements, selon ce que dit l'Écriture (He 5, 9). Ainsi,
Jésus-Christ, en mourant sur la croix consumé de douleurs, a obtenu le
salut éternel à tous ceux qui observent sa loi. De là cette exhortation:
Courons avec ardeur, armés de courage et de patience, au combat contre
les ennemis de notre salut, en tenant toujours les yeux fixés sur Jésus
crucifié, qui, renonçant à une vie de plaisirs sur la terre, a préféré
d'y passer ses jours dans des travaux pénibles, terminés par une mort
pleine de douleurs et d'opprobres et a voulu accomplir ainsi l’œuvre de
notre rédemption (He 12, 1-2).Ô précieux Sans de mon Sauveur, vous êtes
mon espérance; purifiez un pauvre pécheur qui se repent de ses fautes!
Mon Jésus! mes ennemis, après m'avoir entraîné à vous offenser, me
disent que je n'ai plus rien à espérer de vous, qu'il n'y a plus de
salut pour moi (Ps 3, 3). Mais au contraire, plein de confiance dans le
sang que vous avez répandu pour moi, je vous dirai avec David que vous
êtes mon refuge (Ps 3, 4). Mes ennemis cherchent à me troubler, en
disant qu'après tant de péchés, si je recours à vous, je serai repoussé;
mais saint Jean me rassure par votre promesse de ne point rejeter celui
qui revient à vous (Jn 6, 37). Je recours donc à vous avec une entière
confiance. Vous, mon Sauveur, qui avez répandu tout votre sang avec tant
de douleur et tant d'amour pour ne pas me voir perdu à jamais, ayez
pitié de moi, pardonnez-moi et sauvez-moi!
- III -
De l'espérance que nous avons en Jésus-Christ
d'obtenir la persévérance finale.
Pour persévérer dans le
bien, nous ne devons pas nous fier aux résolutions que nous avons
prises, ni aux promesses que nous avons faites à Dieu. Dès que nous
comptons sur nos propres forces, nous sommes perdus. C'est dans les
mérites de Jésus-Christ que nous devons placer toute notre espérance
pour nous maintenir dans l'état de grâce; son secours nous fera
persévérer jusqu'à la mort, fussions-nous combattus par toutes les
puissances de la terre et de l'enfer. Quelquefois, sans doute, nous nous
trouverons tellement abattus et assaillis de tant de tentations que
notre ruine nous paraîtra presque inévitable; gardons-nous alors de
perdre courage et de nous abandonner au désespoir; recourons à Jésus
crucifiés, et il nous empêchera de tomber.
Le Seigneur permet que les
saints eux-mêmes aient quelquefois à subir de pareilles tempêtes. Saint
Paul assure que les afflictions et les craintes qu'il souffrit en Asie
étaient telles qu'il avait pris du dégoût pour la vie (2 Co 1, 8).
L'Apôtre déclare ainsi ce qu'il était selon ses propres forces, pour
nous apprendre que Dieu nous laisse de temps en temps dans la
désolation, afin que nous connaissions notre misère et que, nous défiant
de nous-mêmes, et implorant humblement son assistance, nous obtenions de
lui la force qui nous manque pour ne pas succomber (2 Co 1, 9). Il
s'exprime plus clairement encore dans un autre endroit, où il dit:
« Nous nous sentons oppressés par la tristesse et par les passions, mais
sans nous abandonner au désespoir; nous sommes jetés sur des eaux
agitées, mais sans y être submergés; car le Seigneur, par sa grâce, nous
donne la force de résister à tous nos ennemis » (2 Co 4, 8). Mais en
même temps, l'Apôtre nous recommande de ne jamais oublier que nous
sommes fragile, que nous pouvons facilement perdre le trésor de la
grâce, et que le moyen de le conserver ne vient pas de nous, mais de
Dieu seul (2 Co 4, 7).
Soyons donc fermement
persuadés qu'en cette vie nous devons toujours nous garder d'avoir la
moindre confiance en ce que nous pouvons faire. Notre arme la plus
forte, avec laquelle nous ne manquerons jamais de remporter la victoire
dans nos luttes contre l'enfer, c'est la prière. Elle fait la principale
force de cette divine armure dont parle saint Paul, en nous recommandant
d'en être sans cesse revêtus, pour triompher des ruses de nos ennemis,
car, ajoute-t-il, nous n'avons pas à combattre contre les hommes,
créatures de chair et de sang, mais contre les puissances infernales (Ep
6, 11-12). Tâchons de bien comprendre la description que l'Apôtre donne
ici de l'armure du chrétien (Ep 6, 14-17).
Que la vérité soit la
ceinture de vos reins. — Allusion à la ceinture que les soldats
portaient comme une marque de la fidélité qu'ils avaient jurée à leur
souverain. La ceinture du chrétien doit être la vérité de la doctrine de
Jésus-Christ, suivant laquelle ils sont obligés de réprimer tous les
mouvements déréglés, et surtout les mouvements impurs, qui sont les plus
dangereux.
Que la justice soit votre
cuirasse. — Le chrétien doit avoir pour cuirasse une bonne vie; sans
quoi, il sera incapable de résister aux attaques de ses ennemis.
Que votre zèle à propager
l'Évangile de la paix soit vos chaussures. — La chaussure militaire dont
un chrétien doit faire usage pour arriver promptement où le bien
l'appelle, à la différence de celui qui, allant pieds nus, marche avec
peine et lenteur, c'est d'être toujours prêt à pratiquer les saintes
maximes de l'Évangile et à les insinuer aux autres par son exemple.
Servez-vous surtout du
bouclier de la foi, afin de pouvoir éteindre tous les traits enflammés
de Satan. — Le bouclier qui doit protéger le soldat de Jésus-Christ
contre les flèches ennemies, lesquelles pénètrent comme le feu, c'est
une foi constante, animée par la sainte espérance et principalement par
la divine charité.
Prenez encore le casque du
salut, et l'épée de la parole de Dieu. - Le casque, selon saint Anselme,
c'est l'espérance du salut éternel. Enfin, l'épée de l'esprit doit être
la parole sacrée par laquelle le Seigneur nous a promis plusieurs fois
d'exaucer nos prières: « Invoque moi et je te répondrai » (Jr 33, 3),
« Demandez et vous recevrez » (Mt 7, 7), « Quiconque demande reçoit »
(Lc 11, 10).
L'Apôtre termine son
tableau par ces paroles remarquables: Invoquant le Seigneur en esprit et
en tout temps, par toute sorte de supplications et de prières, et cela
avec vigilance, avec instance et persévérance, en priant aussi pour tous
les saints (Ep 6, 18). La prière est donc notre arme principale; c'est
par elle que nous obtenons de Dieu la victoire sur toutes nos mauvaises
inclinations et sur toutes les tentations de l'enfer. Mais il faut qu'on
prie en esprit, c'est-à-dire non seulement de bouche, mais encore de
cœur. Il faut en outre prier en tout temps, durant toute la vie; comme
nous avons toujours à combattre, notre prière ne doit jamais cesser. Il
faut prier avec instance et persévérance: si la tentation ne cède pas à
la première prière, on doit en faire une deuxième, une troisième, une
quatrième; et si elle persiste malgré cela, il faut prier avec
gémissements, avec larmes, jusqu'à l'importunité et la violence, comme
si nous voulions forcer le Seigneur à nous accorder la grâce de la
victoire; telle est la signification de ces mots. Enfin, l'Apôtre ajoute
pour tous les Saints, ce qui veut dire que nous devons prier, non
seulement pour nous, mais encore pour la persévérance de tous les
fidèles, spécialement pour celle des prêtres, afin qu'ils travaillent
avec zèle et avec fruit à la conversion des infidèles et de tous les
pécheurs. Il faut supplier fréquemment Notre-Seigneur, dans nos
oraisons, d'éclairer ceux qui sont aussi dans les ténèbres et dans les
ombres de la mort, selon ce que Zacharie annonçait dans son Cantique (Lc
1, 79).
Il est fort utile, pour
triompher dans les combats spirituels, de les prévenir dans nos
méditations, en nous disposant d'avance à résister de toutes nos forces
aux attaques qui peuvent nous surprendre. C'est ainsi qu'on a vu les
Saints parler avec douceur ou garder le silence, sans éprouver aucun
trouble, en recevant une injure grave, en se voyant tout à coup
persécutés avec violence, saisis d'une vive douleur dans le corps ou
dans l'âme, en perdant un objet de grande valeur ou une personne chérie.
De telles victoires sur soi-même ne s'obtiennent pas ordinairement sans
avoir cette fermeté qu'on puise dans une vie bien réglée, dans la
fréquentation des sacrements, et dans un continuel exercice de
méditations, de lectures spirituelles et de prières. On ne les voit
guère chez ceux qui ne sont pas fort attentifs à fuir les occasions
dangereuses, ou qui sont attachés aux vanités ou aux plaisirs du monde
et pratiquent peu la mortification des sens; chez ceux, en un mot, qui
mènent une vie molle. Saint Augustin enseigne que, dans le combat
spirituel, on doit vaincre d'abord le plaisir, et ensuite la douleur.
Lorsqu'on est abandonné aux plaisirs sensuels, on résiste difficilement
à une passion vive ou à une violente tentation; et lorsqu'on aime trop
l'estime du monde, on ne peut guère essuyer un affront grave sans perdre
la grâce de Dieu.
Il est vrai que c'est de
Jésus-Christ seul, et nullement de nous-mêmes, que nous devons attendre
la force nécessaire pour éviter le péché et faire de bonnes oeuvres;
mais, pour obtenir cette grâce, il faut que nous prenions grand soin de
ne pas nous rendre, par notre faute, de plue en plus faible. Certains
défauts dont nous ne tenons pas compte peuvent être cause que la lumière
divine nous manque, et que le démon devienne plus fort contre nous. Tels
sont, par exemple, le désir de passer dans le monde pour savant ou pour
noble, la vanité dans les habits, la recherche des commodités
superflues, l'habitude de se piquer de toute parole choquante ou d'un
simple manque d'attention, l'envie de plaire au monde au dépens du bien
spirituel, la négligence des pratiques de piété par respect humain, les
petites désobéissances, les petits murmures, les petites aversions
conservées dans le cœur, les légers mensonges, les légères dérisions, le
temps perdu en des conversations ou des curiosités inutiles. En un mot,
tout attachement aux biens terrestres, tout acte d'amour-propre
désordonné, peut servir à notre ennemi pour nous entraîner dans quelque
précipice. Par suite de pareilles fautes commises de propos délibéré,
Dieu nous privera de ses secours abondants, sans lesquels nous ferons
bientôt quelque lourde chute.
Nous nous plaignons de nous
trouver plein de sécheresse et de dégoût dans l'oraison, dans la
communion, et dans tous les exercices spirituels; mais, comment Dieu
voudrait-il nous faire jouir de sa présence et nous prodiguer les
marques de sa tendresse, lorsque nous sommes si avare envers lui et si
négligent dans son service? L'Apôtre nous en avertit: « Celui qui sème
peu moissonnera peu » (2 Co 9, 6). Si nous donnons à Dieu tant de
déplaisirs, quel droit avons-nous à ses consolations célestes? Tant que
nous ne serons pas entièrement détachés de la terre, nous ne serons
jamais tout entiers à Jésus-Christ; et qu sait où cela nous conduira? Et
cependant, notre Sauveur nous a mérité, par son humilité, la grâce de
vaincre l'orgueil; par sa pauvreté, la force de mépriser les biens
terrestres; par sa patience, le courage de supporter les affronts et les
injures. Ah! s'écrie saint Augustin, où en sommes-nous, si les exemples
du Fils de Dieu, et tant de grâces qu'il nous a obtenues, ne peuvent
nous guérir de nos vices? Si, d'un côté, nous laissons refroidir notre
amour envers Jésus-Christ, et si nous négligeons de le prier sans cesse
de nous secourir, tandis que, de l'autre, nous nourrissons dans notre
cœur quelque affection terrestre, il nous sera bien difficile de
persévérer dans la bonne voie. Prions donc, prions toujours; par la
prière, nous obtiendrons tout. Ô Rédempteur du monde! ô mon unique
Espérance! par les mérites de votre passion, délivrez-moi de toute
affection impure et de tout ce qui pourrait faire obstacle à l'amour que
je vous dois. Faites que je vive entièrement dépouillé de désirs
mondains, et que je n'aspire qu'à vous posséder, vous qui êtes le bien
suprême, le seul digne d'être aimé. Par vos plaies sacrées, guérissez
les infirmités de mon âme, et accordez-moi la grâce de tenir éloigné de
mon cœur tout sentiment qui n'est pas pour vous; c'est à vous que sont
dues toutes mes affections. Jésus, mon Amour, vous êtes mon espérance! Ô
douces paroles! ô douce consolation! Jésus, mon Amour, vous êtes mon
espérance!
- IV -
De l'espérance que nous avons en Jésus-Christ
d'obtenir la félicité éternelle.
Revenons à la Lettre aux
Hébreux, où on dit que Jésus-Christ est le Médiateur du Nouveau
Testament, afin que, par sa mort, nous recevions l'héritage éternel
qu'il nous a promis (He 9, 15). Dans la section II du présent chapitre,
on a parlé du Nouveau Testament comme pacte; ici, il en sera question
comme promesse, ou disposition de dernière volonté, par laquelle
Notre-Seigneur nous a institués héritiers du royaume des cieux. Or, un
testament n'étant valide qu'après la mort du testateur, il était
nécessaire que Jésus-Christ mourût, pour que nous pussions, comme ses
héritiers, entrer en possession du paradis (He 9, 16-17).
En vertu des mérites de
Jésus-Christ, notre Médiateur, nous avons reçu la grâce d'être élevés,
par le Baptême, à la dignité d'Enfants de Dieu, tandis que les Hébreux,
dans l'Ancien Testament, quoiqu'ils fussent le peuple élu de Dieu,
n'étaient cependant que ses serviteurs (cf. Ga 4, 24). La première
médiation eut lieu sur le mont Sinaï, lorsque Dieu promit aux Hébreux,
par l'entremise de Moïse, l'abondance des biens temporels, s'ils
observaient la loi qu'il leur donnait. Quant aux chrétiens, écoutons
saint Paul: « Vous, mes frères, à la manière d'Isaac, vous êtes mes
enfants de la promesse » (Ga 4, 28). Si donc, nous chrétiens, nous
sommes les enfants de Dieu, il s'ensuit, toujours d'après l'Apôtre, que
nous sommes aussi ses héritiers; car tous les enfants doivent avoir part
à l'héritage paternel; et l'héritage auquel nous avons droit —
cohéritiers de Jésus-Christ — c'est la gloire éternelle du paradis, que
Jésus-Christ nous a méritée par sa mort (Rm 8, 17).
Cependant, saint Paul
ajoute aussitôt une condition. Il est vrai qu'en vertu du titre
d'enfants de Dieu, que notre Sauveur nous a acquis au prix de son sang,
nous avons droit au paradis; mais cela s'entend, si nous correspondons
fidèlement à la grâce par la pratique des bonnes oeuvres, et surtout par
la patience. C'est pourquoi l'Apôtre dit que, pour obtenir la gloire
éternelle comme Jésus-Christ l'a obtenue, nous devons souffrir sur la
terre comme Jésus-Christ y a souffert (Rm 8, 17). Il marche en avant
comme notre Chef avec sa croix; c'est sous cette bannière que nous
devons le suivre, chacun portant sa croix, ainsi qu'il nous l'a déclaré
lui-même par ces paroles: « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il
renonce à lui-même, qu'il se charge de sa croix, et qu'il me suive » (Mt
16, 24).
L'Apôtre nous exhorte
ensuite à souffrir avec constance, soutenus comme nous le sommes par
l'espérance du ciel; il nous assure que la gloire qui nous attend dans
l'autre vie, sera incomparablement plus grande que le mérite de toutes
nos souffrances d'ici-bas, si nous les supportons avec résignation à la
volonté de Dieu (Rm 8, 18). Quel indigent serait assez insensé pour ne
pas donner avec joie tous ses haillons pour acquérir un grand royaume?
Nous ne jouissons pas à présent de cette gloire, parce que nous ne
sommes pas encore sauvés, n'ayant pas encore terminé notre vie dans la
grâce de Dieu; mais ce qui doit nous sauver, continue saint Paul, c'est
l'espérance dans les mérites de notre Rédempteur. Il ne manquera pas de
nous accorder toutes les grâces dont nous avons besoin pour nous sauver,
si nous lui sommes fidèles, et si nous persévérons à les lui demander,
vu la promesse qu'il a faite d'exaucer quiconque le prie (Lc 11, 10). On
me dira peut-être: Je ne crains pas que Dieu refuse de m'exaucer, si je
le prie; mais je crains de ne pas savoir prier comme il faut. Saint Paul
répond qu'on ne doit pas craindre cela non plus, car, lorsque nous
prions, Dieu vient lui-même au secours de notre faiblesse, et nous fait
prier de manière à être exaucés (Rm 8, 26). L'Esprit-Saint prie pour
nous, c'est-à-dire, selon saint Augustin, nous fait prier.
L'Apôtre augmente encore
notre confiance en disant que tout contribue au bien de ceux qui aiment
Dieu (Rm 8, 28). Il nous fait entendre par là que les opprobres, les
maladies, la pauvreté, les persécutions, ne sont point des disgrâces,
comme le pensent les gens du monde; car Dieu les fait tourner au bien et
à la gloire de ceux qui les supportent avec patience. Saint Paul dit
enfin que le Seigneur a prédestinés ses élus pour être conformes à
l'image de son divin Fils (Rm 8, 29). Par ces paroles, il veut nous
persuader que, pour nous sauver, il faut que nous prenions la résolution
de tout souffrir plutôt que de perdre la grâce de Dieu; car nul ne peut
être admis à la gloire des Bienheureux si, au jour du jugement, sa vie
ne se trouve pas avoir été conforme à celle de Jésus-Christ.
Mais, de peur que cette
sentence ne décourage les pécheurs et ne les jette dans le désespoir au
souvenir des fautes qu'ils ont commises, saint Paul les rassure en
disant que le Père éternel n'a pas voulu pardonner à son propre Fils,
qui s'était offert à expier nos péchés, et qu'il l'a livré à la mort
sans miséricorde, afin de pouvoir pardonner aux pécheurs. Et pour
accroître encore la confiance de ceux qui se repentent, il ajoute: « Qui
donc condamner? Le Christ Jésus qui est mort? », comme s'il disait:
Pécheurs, vous qui détestez vos fautes, pourquoi craignez-vous d'être
condamnés à l'enfer? Dites-moi: qui est-ce qui doit vous juger? n'est-ce
pas Jésus-Christ? Et comment pouvez-vous craindre d'être condamnés à la
mort éternelle par ce tendre Sauveur, qui, pour n'avoir pas à vous
condamner, a voulu se condamner lui-même au supplice ignominieux de la
croix? (Cf. Rm 8, 31-34). Ce langage s'adresse, bien entendu, à ceux
qui, pénétrés d'un sincère regret, ont purifié leurs âmes dans le sang
de l'Agneau sans tache, suivant l'expression de saint Jean (Ap 7,
14).Mon Jésus! quand je considère mes péchés, j'ai honte de vous
demander le ciel, après y avoir tant de fois renoncé en votre présence
pour des plaisirs indignes et fugitifs. Mais, quand je vous vois attaché
à cette croix, je ne puis m'empêcher d'espérer le paradis, sachant que
vous avec voulu mourir sur ce gibet douloureux pour expier mes péchés et
m'obtenir le bonheur céleste que j'ai méprisé. Ah! mon doux Rédempteur,
j'ai la confiance que, par les mérites de votre mort, vous m'avez déjà
pardonné les offenses que je vous ai faites; je m'en suis repenti, et
maintenant encore je voudrais en mourir de douleurs. Hélas! comment ne
pas penser que, quoique vous m'ayez pardonné, il sera toujours vrai que
j'ai eu l'ingratitude de vous causer ces graves déplaisirs, à vous qui
m'avez tant aimé! Malheureusement, ce qui est fait, est fait. Au moins,
Seigneur, pour le temps qu'il me reste à vivre, je veux vous aimer de
toutes mes forces, je ne veux plus aimer que vous, je veux être tout à
vous, tout entier et pour toujours. Mais c'est à vous de faire qu'il en
soit ainsi: détachez-moi de touts les objets terrestres, et donnez-moi
les lumières et la force dont j'ai besoin pour ne plus chercher que
vous, mon unique Bien, mon unique Amour, mon Tout!
Et vous, ô Marie, qui êtes
l'espérance des pauvres pécheurs, vous devez m'aider par vos prières;
priez donc, ô ma Mère, priez pour moi, et ne cessez pas de priez que
vous ne me voyiez tout à Dieu!
È
SUR LA PATIENCE QUE NOUS DEVONS PRATIQUER
À LA SUITE DE JÉSUS-CHRIST POUR PARVENIR AU SALUT
- I -
Il est nécessaire de souffrir, et de souffrir avec patience
Parler de patience et de
souffrance, c'est tenir un langage dont n'usent guère les personnes qui
aiment le monde, et qu'elles n'entendent même pas; il n'est à la portée
et à l'usage que des âmes qui aiment Dieu. « Seigneur! disait saint Jean
de la Croix à Jésus-Christ, je ne vous demande pas autre chose que de
souffrir et d'être méprisé pour vous ». Sainte Thérèse s'écriait
souvent: « Mon Jésus! ou souffrir ou mourir! » et sainte Marie-Madeleine
de Pazzi: « Souffrir, et ne pas mourir! » Ainsi parlent les âmes éprises
d'amour pour Dieu; c'est qu'elles savent qu'on ne peut donner à Dieu une
preuve plus certaine de son amour qu'en souffrant de bon cœur pour lui
plaire. Telle est aussi la plus grande preuve que Jésus-Christ nous ait
donnée de son amour pour nous. Comme Dieu, il nous a témoigné de son
amour en nous créant, en nous comblant de biens, en nous appelant à
partager la gloire dont il jouit; mais rien ne montre mieux combien il
nous aime que la charité qu'il a eue de se faire homme et de
s'assujettir pour nous à une vie si pénible et à une mort si pleine de
douleurs et d'ignominies. De notre côté, comment pouvons-nous montrer
notre amour envers ce tendre Sauveur? Est-ce en menant une vie remplie
de plaisirs et de jouissances terrestres?
Gardons-nous de penser que
Dieu jouisse de nos souffrances; il n'est pas d'une humeur si cruelle
qu'il se plaise à voir les douleurs et à entendre les gémissements de
ses créatures. C'est un Maître d'une bonté infinie, qui ne désire que de
nous voir pleinement satisfaits et heureux; il est toute douceur, toute
affabilité, toute compassion envers ceux qui l'invoquent (Ps 85, 5).
Mais notre malheureux état de pécheurs et la reconnaissance que nous
devons à Jésus-Christ exigent que nous renoncions, pour son amour, aux
plaisirs d'ici-bas, et que nous embrassions de bon cœur la croix qu'il
nous donne à porter en cette vie, pour le suivre dans la voie où il nous
précède, chargé d'une croix beaucoup plus pesante que la nôtre; tout
cela, afin de nous faire jouir, après notre mort, d'une vie bienheureuse
qui ne finira jamais. Dieu n'aime donc point à nous voir souffrir; mais,
comme il est la souveraine Justice, il ne peut laisser nos fautes
impunies; c'est pourquoi, afin que nos fautes soient expiées et que nous
parvenions un jour à la félicité éternelle, il veut qu'en souffrant avec
résignation, nous purgions nos consciences et méritions d'être
éternellement heureux. Quel ordre de choses plus beau et plus doux que
la divine Providence eût-elle pu inventer pour que la justice fût
satisfaite et que nous fussions en même temps sauvés et heureux?
Nous devons donc mettre
toutes nos espérances dans les mérites de Jésus-Christ, et attendre de
lui tous les secours dont nous avons besoin pour vivre saintement et
nous sauver; nous ne pouvons douter que son désir ne soit de nous voir
parvenir à la sainteté (1 Th 4, 3). Tout cela est vrai; cependant, nous
ne devons pas négliger de faire ce qui dépend de nous pour réparer les
injures dont nous sommes coupables envers Dieu, et pour mériter la vie
éternelle au moyen des bonnes oeuvres. C'est ce qu'indique l'Apôtre,
lorsqu'il dit: « J'accomplis dans ma chair ce qui manque à la passion de
Jésus-Christ » (Col 1, 24). S'ensuit-il que la passion de Jésus-Christ
ait été incomplète, et qu'elle n'ait pas suffi elle seule pour nous
sauver? Non, certainement; elle fut entière et complète quant à sa
valeur, et plus que suffisante pour sauver tous les hommes; néanmoins,
pour que ses mérites nous soient appliqués, dit saint Thomas, nous
devons coopérer de notre côté, en souffrant patiemment les croix que le
Seigneur nous envoie, afin de nous rendre conformes à Jésus-Christ,
notre Chef, selon ce que le même Apôtre écrivait aux Romains: « Ceux
qu'il a discernés, il les a aussi prédestinés à reproduire l'image de
son Fils, afin qu'il soit l'aîné d'une multitude de frères » (Rm 8, 29).
Il faut toutefois ne jamais perdre de vue, comme le Docteur Angélique
nous en avertit, que toute la vertu qu'ont nos oeuvres, expiations,
pénitences, leur est communiquée par les mérites de Jésus-Christ. C'est
ainsi qu'on répond à ceux qui prétendent que nos pénitences font injure
à la passion du Sauveur, comme si elle n'eût pas été suffisante pour
expier nos fautes.
Nous disons qu'afin de
pouvoir participer aux mérites de Jésus-Christ, il est nécessaire que
nous nous efforcions d'observer les commandements de Dieu, jusqu'à nous
faire violence pour ne pas céder aux tentations de l'enfer; c'est ce que
Notre-Seigneur nous fait entendre lorsqu'il déclare que le royaume des
cieux souffre violence, et que ce sont les violents qui l'emportent (Mt
11, 12). Il faut, dans les occasions, se faire violence à soi-même, et
mortifier ses sens, pour n'être pas vaincu par l'ennemi. Si l'on se
trouve coupable de quelque faute, dit saint Ambroise, on doit faire
violence au Seigneur, par les prières et les larmes, pour obtenir son
pardon. Le même Saint ajoute, pour nous encourager: Ô heureuse violence,
que Dieu ne punit point avec colère, mais qu'il accueille avec
miséricorde! Il dit encore que, plus cette sorte de violence est grande,
plus elle est agréable à Jésus-Christ. Et il conclut en affirmant que
nous devons d'abord régner sur nous-mêmes, en domptant nos passions,
pour pouvoir un jour conquérir le ciel, que notre Sauveur nous a mérité.
Il faut donc se faire violence, soit pour souffrir les contrariétés ou
les persécutions, soit pour vaincre les tentations et les mauvais
penchants.
Le Seigneur nous avertit
que, pour ne point perdre notre âme, nous devons nous tenir prêts à
subir toutes les épreuves, et même à mourir, quand cela est nécessaire;
mais il promet en même temps de combattre pour quiconque est ainsi
disposé, et de renverser ses ennemis (Si 4, 28). Saint Jean a vu devant
le trône de Dieu une grande multitude de Saints, vêtus de robes
blanches, car rien de souillé ne peut entrer dans le ciel, et tous
portant à la mais des palmes, symbole du martyre (Ap 7, 9). Quoi! les
Saints sont-ils donc tous martyrs? Oui, tous les adultes qui se sauvent,
doivent être au moins martyrs de patience, en résistant aux attaques du
démon et aux appétits déréglés de la chair. Les plaisirs charnels
entraînent en enfer une foule innombrable d'âmes; il faut qu'on prenne
la résolution de les mépriser avec une constance invincible. Soyons
persuadés que, si l'âme ne subjugue le corps, ce sera le corps qui
subjuguera l'âme.
Il faut donc, je le répète,
il faut se faire violence pour se sauver. Mais, dira quelqu'un, je n'en
suis pas capable, si Dieu ne me fortifie pas sa grâce. Saint Ambroise
lui répond: Vous dites bien: si vous regardez vos propres forces, vous
ne pouvez rien; mais, si vous mettez votre confiance en Dieu, en le
priant de vous aider, il vous donnera la force de résister à tous vos
ennemis du monde et de l'enfer. Toutefois, cela ne se peut faire sans
souffrir, il n'y a aucun moyen d'échapper à cette nécessité. L'Écriture
même nous le déclare: Si nous voulons entrer dans la gloire des Élus, il
faut auparavant que nous supportions avec patience beaucoup de
tribulations et de peines (Ac 14, 21). Aussi, comme saint Jean
contemplait la gloire des Saints dans le ciel, il lui fut dit: « Voilà
ceux qui sont venus ici après avoir passé par la grande tribulation, et
qui ont lavé et blanchi leurs robes dans le sang de l'Agneau » (Ap 7,
14). Il est donc vrai que tous se trouvaient au nombre des Bienheureux
pour avoir été purifiés par le sang de Jésus-Christ, mais aucun d'eux
n'était arrivé là qu'après avoir beaucoup souffert en cette vie.
Soyez assurés, écrivait
saint Paul à ses disciples, que Dieu est fidèle à ses promesses; il ne
permettra jamais que vous soyez tentés au-dessus de vos forces (1 Co 10,
13). Or, ce que le Seigneur a promis, c'est de nous donner son secours
pour vaincre toutes les tentations, pourvu que nous l'invoquions:
« Demandez et l'on vous donnera » (Mt 7, 7). Cette parole est
infaillible. Des hérétiques ont osé prétendre que Die commande des
choses que nous sommes dans l'impossibilité d'observer. Le Concile de
Trente, en condamnant cette détestable erreur, répond que Dieu n'ordonne
rien d'impossible; quand il ordonne, il nous avertit de faire ce que
nous pouvons, et de demander son secours pour ce que nous ne pouvons
pas; et alors il nous aide à tout accomplir. Si les hommes, dit sait
Ephrem, n'ont pas la cruauté de charger leurs bêtes de somme de plus
lourds fardeaux qu'elles n'en peuvent porter, à bien plus forte raison
Dieu, qui aime tant les hommes, ne souffrira pas qu'ils aient à subir
des tentations auxquelles ils ne sauraient résister.
On lit dans l'Imitation de
Jésus-Christ: « La croix t'attend partout, il est nécessaire pour toi de
prendre patience partout si tu veux avoir la paix. Si tu portes
volontiers la croix, elle portera vers la fin désirée ». Chacun ici-bas
désire la paix et voudrait la trouver sans souffrir, mais cela est
impossible dans notre état présent; il faut souffrir, en quelque lieu
que nous portions nos pas, nos croix nous attendent partout. Comment
donc trouverons-nous la paix au milieu de toutes ces croix? En
embrassant avec patience celle qui se présente à nous. Selon sainte
Thérèse, la croix semble pesante, fût-elle bien légère, lorsqu'on la
traîne malgré soi; mais, quand on l'embrasse de bon cœur, quelque grande
qu'elle soit, on ne la sent pas. Et Thomas a Kempis affirme que, si
quelqu'un porte sa croix avec résignation, elle le conduira au but
auquel tout chrétien doit tendre, et qui est de plaire à Dieu en cette
vie et de l'aimer éternellement en l'autre.
Le même auteur se demande
quel saint a été admis dans le ciel sans qu'il portât le signe de la
croix. Et comment pourrait-on y entrer sans croix, si la vie de
Jésus-Christ, notre Chef et notre Rédempteur, a été une croix, un
martyre continuel? Ainsi, tandis que Jésus, innocent, saint, Fils de
Dieu, a voulu souffrir durant toute sa vie, nous rechercherions les
plaisirs et le repos? Tandis que lui, pour nous enseigner la patience
par son exemple, a voulu mener une vie pleine d'ignominies et de
souffrances, extérieures et intérieures, nous voudrions nous sauver sans
souffrir, ou en souffrant sans patience, ce qui est souffrir doublement,
et cela sans fruit et avec un surcroît de châtiment? Mais, comment
pourrions-nous penser que nous aimons Jésus-Christ, si nous refusons de
souffrir pour l'amour de Jésus-Christ, qui a tant souffert pour l'amour
de nous? Comment pourrons-nous nous glorifier d'être disciples de Jésus
crucifié, si nous repoussons ou ne subissons qu'avec répugnance les
fruits de la croix, tels que les souffrances, les humiliations, la
pauvreté, les douleurs, les maladies et tout ce qui contrarie
l'amour-propre?
- II -
La vue de Jésus crucifié nous console et nous soutient
dans les souffrances
Ne perdons point courage,
regardons constamment les plaies de Jésus crucifié; nous y puiserons les
forces nécessaires pour souffrir les maux de cette vie, non seulement
avec patience, mais encore avec joie et allégresse, comme ont fait les
saints et comme l'annonçait Isaïe: « Vous puiserez de l'eau avec joie
aux sources du salut » (Is 12, 3). Suivant le commentaire de saint
Bonaventure, les sources du salut sont les plaies de Jésus-Christ. C'est
pourquoi le Docteur Séraphique nous engage à tenir sans cesse les yeux
de notre cœur fixés sur Jésus mourant en croix, si nous voulons vivre
toujours unis à Dieu et conserver en nous la véritable dévotion. La
dévotion consiste, selon saint Thomas, dans la disposition à nous
conformer en tout à ce que Dieu demande de nous.
Voici la belle instruction
que nous donne l'Écriture pour nous maintenir dans une continuelle union
avec Dieu et pour supporter patiemment toutes les tribulations. Parlant
de Jésus, elle dit: « Songez à celui qui a enduré de la part des
pécheurs une telle contradiction, afin de ne pas défaillir par lassitude
de vos âmes » (He 12, 3). Pour souffrir avec résignation et en paix les
maux présents, il ne suffit pas de penser légèrement, et quelquefois
seulement dans l'année, à la passion de Jésus-Christ, il faut y
réfléchir souvent et jeter au moins chaque jour un regard sur les peines
que Notre-Seigneur a souffertes pour l'amour de nous. Et quelles sont
ces peines? La contradiction que Jésus-Christ essuya de la part de ses
ennemis fut telle qu'il devint, ainsi que le Prophète l'avait prédit, le
dernier des hommes, un homme de douleurs (Is 53, 3). On alla jusqu'à le
faire mourir de pure douleur, rassasié d'opprobres, sur un gibet réservé
aux plus grands scélérats. Et pourquoi notre Sauveur a-t-il voulu
endurer tant de tourments et d'outrages? C'est afin que, voyant tout ce
qu'un Dieu a daigné souffrir pour nous donner l'exemple de la patience,
nous soyons prêts à tout supporter, sans jamais perdre courage, pour
nous délivrer du péché.
Et la Lettre aux Hébreux
nous demande ensuite, pour exciter notre ardeur, de songer que
Jésus-Christ, dans sa passion, a épuisé pour nous tout son sang dans la
violence des tortures. Elle dit aussi que les Saints Martyrs, à
l'exemple de leur Roi, ont enduré avec constance les lames ardentes, les
ongles de fer, qui leur ont déchiré jusqu'aux entrailles. Mais vous,
ajoute-t-elle, vous n'avez pas encore donné une goutte de votre sang
pour Jésus-Christ, bien que vous soyez obligés d'être toujours prêts à
sacrifier même votre vie plutôt que d'offenser Dieu (cf. He 12, 4 et 11,
37-38). Telles étaient les dispositions de saint Edmond: « Je sauterais
sur un bûcher ardent plutôt que de commettre un péché contre mon Dieu ».
Et saint Anselme, archevêque de Cantorbéry, disait: « Si je devais
endurer tous les corporels de l'enfer ou commettre un péché, je
choisirais l'enfer ».
Durant toute notre vie, le
lion infernal ne cesse de tourner autour de nous, cherchant à nous
dévorer. Pour résister à ses attaques, saint Pierre nous engage à nous
armer du souvenir continuel de la passion de Jésus-Christ (1 P 4, 1). En
effet, dit saint Thomas, le seul souvenir de la passion est une
puissante défense contre toutes les tentations de l'enfer. Si
Notre-Seigneur eût connu pour nous un autre moyen de salut, préférable à
celui des souffrances, il nous l'aurait indiqué; mais, en marchant
devant nous avec sa croix sur les épaules, il nous a montré que, le
meilleur moyen pour parvenir au salut, c'est de souffrir avec patience
et résignation; et il a voulu nous en donner lui-même un exemple dans sa
personne.
Saint Bernard dit qu'en
voyant les grandes afflictions de Jésus crucifié, nous devons trouver
les nôtres légères. Il demande si quelque chose peut nous paraître dur
quand nous considérons les peines endurées par notre divin Maître. Saint
Elzéar, interrogé un jour par sa vertueuse épouse, sainte Delphine,
comment il supportait tant d'injures avec un esprit si tranquille, il
répondit: « Quand je reçois des injures, je pense à celles de mon
Sauveur, et je ne perds point de vue cette pensée jusqu'à ce que je me
retrouve tout à fait dans le calme ».
Lorsqu'une âme désire
plaire à Jésus-Christ, dit encore saint Bernard, les outrages qu'elle
reçoit, loin de l'affliger, lui sont agréables. Qui, en effet, ne sera
pas disposé à embrasser avec joie les opprobres et les persécutions,
s'il considère seulement les outrages que notre Sauveur souffrit au
commencement de sa passion, lorsque, dans cette cruelle nuit qu'il passa
chez Caïphe, on prit plaisir à lui donner des coups de poing et des
soufflet, à lui cracher au visage, et à le tourner en dérision comme un
faux prophète en lui bandant les yeux, ainsi que le rapporte saint
Matthieu? (Mt 26, 67).
Comment les Martyrs
pouvaient-ils supporter avec tant de patience la cruauté des bourreaux?
On leur déchirait le corps avec le fer, on les brûlait vifs sur des
grils...; n'étaient-ils pas des hommes de chair comme nous, ou
étaient-ils devenus insensibles? Pierre de Blois répond que les Martyrs
ne regardaient pas leurs propres plaies, mais celles de leur divin
Rédempteur, et qu'ainsi ils sentaient peu la douleur qu'ils éprouvaient;
les tourments ne laissaient pas de les affliger, mais leur amour pour
Jésus-Christ les leur faisait mépriser. Il n'est point de souffrance, si
violente qu'elle soit, ajoute le même auteur, qu'on n'accepterait avec
empressement à la vue de Jésus mort sur la croix.
L'Apôtre nous déclare que,
par les mérites de Jésus-Christ, nous avons été enrichis de toutes
sortes de biens (1 Co 1, 5). Mais Notre-Seigneur exige que, pour obtenir
toutes les grâces que nous désirons, nous ayons recours à Dieu par la
prière, et que nous lui demandions de nous exaucer par les mérites de
son Fils. Jésus nous promet que, si nous faisons ainsi, son Père nous
accordera tout ce que nous lui demanderons (Jn 16, 23). Ainsi faisaient
les Martyrs; quand, dans les tortures, la douleur était fort aiguë, ils
recouraient à Dieu, et le Seigneur leur donnait la patience dont ils
avaient besoin. Saint Théodore, au milieu de tant de cruautés qu'on
exerça sur lui, éprouvant surtout une vive douleur causée par des
fragments de poterie rougis au feu, qu'on appliquait sur ses plaies,
pria Jésus-Christ de lui donner la force de souffrir cet horrible
supplice, et il remporta la couronne du martyre.
Ne craignons donc point les
combats que nous avons à soutenir contre le monde et l'enfer; si nous
avons toujours soin de recourir à Jésus-Christ par la prière, il nous
procurera tous les biens désirables, la patience dans les épreuves, la
persévérance, et enfin une bonne mort.
- III -
La passion du Sauveur fait notre force
dans notre dernière lutte
Ce sont de grandes
tribulations que celles qu'on souffre au moment de la mort. Jésus-Christ
seul peut nous donner la constance nécessaire pour les supporter avec
fruit. C'est alors surtout que nous avons à redouter les attaques de
l'enfer; il s'efforce d'autant plus de nous perdre qu'il nous voit près
de notre fin. Rainaldi rapporte de saint Elzéar, qui avait mené une vie
si pure, qu'aux approches de sa mort les démons lui livrèrent
d'horribles assauts, et qu'il dit alors: « Les tentations infernales
sont bien grandes en ce moment, mais Jésus-Christ, par les mérites de sa
passion, de leur ôte leur force ». Aussi saint François voulut qu'à
l'heure de sa mort on lui lût la Passion du Sauveur; et saint Charles
Borromée, se voyant près de mourir, fit placer autour de lui des images
représentant la Passion; c'est en considérant les souffrances de
Jésus-Christ qu'il voulut rendre à Dieu son âme bénie.
La Sainte Écriture affirme
que le Fils de Dieu a voulu mourir pour nous, afin d'abattre par ce
moyen la puissance du démon, qui exerçait l'empire de la mort, de nous
soustraire ainsi à sa domination, et de nous délivrer par conséquent de
la crainte de la mort éternelle (He 2, 14). Et le texte poursuit: « Il a
dû devenir en tout semblables à ses frères... car du fait qu'il a
lui-même souffert par l'épreuve, il est capable de venir en aide à ceux
qui sont éprouvés » (He 2, 17-18). Le Seigneur a donc daigné prendre
toutes les conditions et les infirmités de la nature humaine, hormis
toutefois l'ignorance, la concupiscence, et le péché; et cela à quelle
fin? Pour qu'en éprouvant en lui-même nos misères, il devint plus
compatissant envers nous. On connaît beaucoup mieux les maux en les
souffrant soi-même qu'en les considérant seulement dans les autres;
l'expérience propre de Jésus devait le rendre plus disposé à nous
secourir, lorsque nous sommes tentés en cette vie, et surtout au moment
de la mort. C'est à cela que saint Augustin fait allusion dans ce
passage que nous avons déjà cité: Jésus-Christ, aux approches de la
mort, a voulu sentir la peine d'en être troublé, afin que, si nous
éprouvons quelque trouble à notre mort, nous n'aillions pas jusqu'à
perdre confiance, puisque nous devons nous souvenir alors que notre
Sauveur lui-même est passé par cette épreuve.
Ainsi, dans nos derniers
moments, l'enfer mettra tout en oeuvre pour nous faire désespérer de la
divine miséricorde, en nous remettant devant les yeux tous les péchés de
notre vie; mais le souvenir de la mort de Jésus-Christ nous portera à
nous confier en ses mérites et nous ôtera la crainte de la mort, selon
ce que dit saint Thomas sur le texte de la Lettre aux Hébreux que nous
venons de citer. Voici comment le Docteur Angélique s'exprime: Lorsque
nous considérons que le Fils de Dieu a bien voulu souffrir la mort pour
nous obtenir le pardon de nos fautes, la crainte de la mort s'éloigne de
nous et fait place au désir de mourir. Pour les incrédules, rien n'est
plus redoutable que la mort, parce qu'ils la regardent comme la fin de
tous les biens; mais pour nous, la mort de Jésus-Christ nous donne la
ferme espérance que, si nous mourons dans la grâce de Dieu, nous
passerons de la mort à la vie éternelle. Saint Paul nous montre combien
cette espérance est fondée, en disant que le Père éternel a livré son
propre Fils à la mort par tous les hommes, et que par là il leur a tout
donné (Rm 8, 32). Nous ayant donné son propre Fils, Dieu ne peut rien
nous refuser; il nous accordera certainement le pardon de nos péchés, la
persévérance finale, son amour, une bonne mort, la vie éternelle, et
tous les biens.
Si donc le démon cherche à
nous troubler, soit dans le cours de la vie, soit à l'heure de la mort,
en nous représentant les fautes de notre jeunesse, répondons-lui avec
saint Bernard: Ce qui manque en moi-même pour aller en paradis, je le
prends dans les mérites de Jésus-Christ, qui a daigné souffrir et mourir
précisément pour me procurer la gloire éternelle, dont j'étais indigne.
Ajoutons les paroles suivantes de l'Apôtre, paroles bien consolantes
pour les pécheurs: « C'est Dieu qui justifie; qui donc nous condamnera?
Le Christ Jésus, celui qui est mort, que dis-je? ressuscité, qui est à
la droite de Dieu, qui intercède pour nous? » (Rm 8, 34). Dieu lui-même
pardonne nos péchés et nous justifie par sa grâce; or, si Dieu nous rend
justes, qui pourra nous condamner comme coupables? est-ce Jésus-Christ
qui nous condamnera, lui qui, pour ne pas nous condamner, s'est livré à
la mort, et qui continue d'intercéder pour nous devant le trône de son
Père; lui qui a versé son sang pour effacer nos péchés, et nous retirer
de la corruption? (Ga 1, 4).
L'Apôtre vient de nous
assurer que le Fils de Dieu, après s'être chargé de nos péchés, et avoir
daigné les expier lui-même en mourant pour nous, afin de nous délivrer
de ce monde d'iniquités et de nous conduire dans son royaume, s'y fait
encore, en attendant, notre Avocat auprès de son Père éternel. Saint
Thomas, expliquant ces paroles, dit que, dans le ciel, Jésus-Christ
intercède pour nous en présentant à son Père les plaies qu'il a
souffertes pour notre amour. Saint Grégoire le Grand ne fait pas
difficulté d'affirmer, chose que tous n'osent pas admettre, que notre
divin Rédempteur, comme homme proprement, n'a pas cessé de prier, même
après sa mort, pour l'Église militante, qui se compose de tous les
fidèles sur la terre. Tel est aussi le sentiment de saint Grégoire de
Naziance. Saint Augustin dit que Jésus-Christ prie pour nous dans le
ciel, non comme demandant pour nous quelque grâce nouvelle, puisqu'il
nous a obtenu pendant sa vie tout ce qu'il pouvait nous obtenir, mais
comme exigeant de son Père, en vertu de ses mérites, notre salut déjà
obtenu et promis.
- IV -
Confiance et Amour envers Jésus-Christ
Revenons à la confiance que
nous devons avoir en Jésus-Christ relativement au salut. Saint Augustin
continue de nous encourager, en disant que ce bon Maître, qui nous a
rachetés au prix de tout son sang, ne veut pas que nous nous perdions.
Si nos fautes nous séparent de Dieu, et nous rendent dignes d'en être
méprisés, notre Sauveur ne saurait mépriser le sang qu'il a répandu pour
nous. Suivons donc avec confiance le conseil de la Lettre aux Hébreux:
ne cesseront point de courir par la patience dans la carrière qui nous
est offerte par Jésus-Christ lui-même, notre Maître et notre Modèle,
préférant à tout comme lui les souffrances et les humiliations, et
persévérant jusqu'au dernier soupir (He 12, 1). Il nous servira peu
d'avoir bien commencé, si nous ne continuons pas jusqu'à la fin; c'est
par la patience et la persévérance dans le combat que nous obtiendrons
la victoire et la couronne promise au vainqueur.
Cette patience même sera
pour nous une cuirasse, qui nous protégera contre les traits de nos
ennemis. Mais, comment acquerrons-nous cette vertu? En tenant
constamment, durant la lutte, nos regards sur Jésus crucifié (He 12, 2),
qui, comme le remarque saint Augustin, a méprisé tous les biens de la
terre pour nous apprendre à les mépriser et à ne pas chercher en eux
notre bonheur, mais qui a voulu, au contraire, souffrir tous les maux
d'ici-bas, pour nous apprendre à ne pas les craindre. Voilà pourquoi ce
divin Maître s'est soumis lui-même à toutes les misères de cette vie, à
la pauvreté, à la faim, à la soif, aux faiblesses, aux ignominies, aux
douleurs et jusqu'à la mort de la croix.
Ensuite, par sa
résurrection glorieuse, il a voulu nous affermir contre la crainte de la
mort; puisque, si nous lui sommes fidèles jusqu'à notre dernier soupir,
nous entrerons alors dans la vie éternelle, qui est exempte de tous les
maux et pleine de tous les biens. C'est ce que signifient les paroles du
texte sacré, où Jésus-Christ est appelé « l'Auteur et le Consommateur de
la foi » (He 12, 2). En effet, comme il est pour nous l'Auteur de la
foi, en nous enseignant ce que nous devons croire, et en nous donnant la
grâce nécessaire pour le croire, il est aussi le Consommateur de la foi,
en nous promettant de nous faire jouir un jour de cette vie bienheureuse
que maintenant il nous enseigne à croire. Et afin que nous soyons
assurés de l'amour que ce divin Rédempteur nous porte et de la volonté
qu'il a de nous sauver, le passage de l'Écriture termine en nous
rappelant ce qu'il a fait pour nous: « Jésus, au lieu de la joie qui lui
était proposée, endura une croix, dont il méprisa l'infamie » (He 12,
2). Saint Jean Chrysostome, expliquant ces dernières paroles, dit que
Jésus-Christ pouvait nous sauver en menant sur la terre une vie douce et
heureuse; mais, pour nous rendre plus certains de son affection, a
préféré une vie pénible et une mort ignominieuse, au point d'être
condamné comme un malfaiteur et de subir le supplice de la croix.
Tâchons donc, ô âmes
reconnaissantes envers Jésus crucifié, tâchons, le reste de notre vie,
d'aimer autant que nous le pouvons notre aimable Rédempteur, et de
souffrir pour celui qui a daigné tant souffrir pour nous! Supplions-le
sans cesse de nous accorder le don de son saint amour! Quel bonheur pour
nous, si nous parvenons à avoir un ardent amour envers Jésus-Christ! Un
grand serviteur de Dieu, le vénérable Père Vincent Carafa, dans une
lettre adressée à quelques jeunes gens zélés et pieux, s'exprimait
ainsi: « Pour réformer toute notre vie, nous devons nous adonner
entièrement à l'exercice de l'amour divin. La charité envers Dieu, quand
elle entre dans un cœur et qu'elle parvient à le posséder, suffit pour
le délivrer de tout affection déréglée et le rendre aussitôt pur et
docile. Le cœur est pur, dit saint Augustin, lorsqu'il est vide de tout
désir terrestre. Saint Bernard disait pareillement: Celui qui aime Dieu,
ne souhaite pas autre chose que de l'aimer, et bannit de son cœur tout
ce qui n'est pas Dieu. Et ainsi un cœur vide devient un cœur pleine,
c'est-à-dire, rempli de Dieu, qui apporte avec lui tous les biens. Alors
les choses terrestres, ne trouvant plus aucune place dans son cœur,
n'ont plus la force de l'entraîner. Quelle force peuvent avoir sur nous
les plaisirs de la terre, quand nous jouissons des consolations divines?
Que peut la passion des vains honneurs et des richesses de ce monde,
quand nous avons l'honneur d'être aimés de Dieu, et quand nous
commençons à posséder les trésors du ciel? Si donc nous voulons mesurer
le progrès que nous avons fait dans les voies de Dieu, examinons celui
que nous avons fait dans son amour. Voyons si nous produisons souvent,
dans la journée, des actes d'amour envers Dieu, si nous parlons souvent
de l'amour divin, si nous tâchons de l'inspirer aux autres, si nous
faisons nos dévotions uniquement pour plaire à Dieu, si nous supportons
avec une entière résignation à la volonté divine tout ce qui nous arrive
de fâcheux, les maladies, les souffrances, la pauvreté, les mépris, les
persécutions. Les Saints disent qu'une âme qui aime véritablement Dieu a
besoin d'aimer autant que le corps a besoin de respirer; car la vie de
notre âme, dans le temps comme dans l'éternité, consiste à aimer le Bien
suprême, qui est Dieu ».
Mais soyons-en persuadés,
nous n'arriverons jamais à un haut degré d'amour divin que par le moyen
de Jésus-Christ et par une dévotion spéciale envers sa passion, qui nous
a fait rentrer en grâce avec Dieu. Tout accès près de lui nous serait
fermé, à nous pécheurs, et nous ne serions pas admis à lui demander des
faveurs, sans l'entremise de Jésus-Christ: « Par lui nous avons accès
auprès du Père » (Ep 2, 18). C'est Jésus qui nous ouvre la porte, dit
l'Apôtre, c'est lui qui nous introduit auprès de son Père, et qui, par
les mérites de sa passion, nous obtient le pardon de nos péchés et de
toutes les grâces que nous recevons. Que nous serions malheureux, si
nous n'avions pas Jésus-Christ! Pourrons-nous jamais assez louer et
reconnaître dignement l'amour et la bonté de ce généreux Rédempteur
envers nous, pauvres pécheurs, pour qui il a daigné mourir, et qu'il a
délivrés par ce moyen de la mort éternelle? À peine trouverait-on
quelqu'un qui consentit à mourir pour un homme juste, tandis que
Jésus-Christ a bien voulu donner sa vie pour nous, quand nous étions
plongés dans l'iniquité (Rm 5, 7).
Ainsi parle saint Paul.
Ensuite il nous assure que, si nous sommes déterminés à aimer
Jésus-Christ à tout prix, nous devons en espérer tous les secours dont
nous auront besoins et toutes les faveurs. Voici comment il raisonne:
Si, lorsque nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec
lui par la mort de son Fils, à bien plus forte raison, étant maintenant
réconciliés, nous serons sauvés par ce même Fils (Rm 5, 10). Ceux qui
aiment Jésus-Christ doivent donc remarquer ici que c'est faire injure à
l'amour que nous porte ce bon Sauveur de craindre qu'il ne leur refuse
les grâces nécessaires pour se sauver et se sanctifier. Et afin que nous
ne perdions pas confiance à cause de nos péchés, l'Apôtre ajoute que la
miséricorde de Dieu est infiniment plus grande que notre indignité. Par
ces paroles, il veut nous faire entendre que nous recevons plus de bien
du don de la grâce qui nous est acquise par la passion de notre
Rédempteur que le péché d'Adam ne nous a fait de mal; car les mérites de
Jésus-Christ ont plus de pouvoir pour nous faire aimer de Dieu que n'en
a eu le péché d'Adam pour nous en faire haïr. En un mot, dit saint Léon,
nous avons plus gagné par la grâce ineffable de notre Sauveur, que nous
n'avions perdu par la malice du démon.
Terminons. Âmes dévotes,
aimons Jésus-Christ, aimons ce divin Rédempteur qui mérite tant d'être
aimé, et qui nous a tant aimés, et qui a tant fait pour gagner notre
amour qu'il semble ne pouvoir rien faire de plus. C'est assez de savoir
que, pour notre amour, il a voulu mourir consumé de douleurs sur une
croix. Et non content de ce grand sacrifice, il s'est donné lui-même à
nous dans le sacrement de l'Eucharistie, où il nous présente à manger ce
même corps qu'il a immolé pour nous sur la croix, et à boire ce même
sang qu'il a répandu pour nous dans sa passion. Nous sommes donc
coupables d'une extrême ingratitude envers un tel Bienfaiteur, non
seulement quand nous l'offensons, mais encore quand nous l'aimons peu,
quand nous ne lui consacrons pas tout notre amour. Ô mon Jésus! que ne
puis-je me consumer tout entier pour vous, comme vous vous êtes consumé
tout entier pour moi! Ah! puisque vous m'avez tant aimé, et que vous
m'avez tant obligé à vous aimer, faites maintenant que je ne sois pas
ingrat envers vous! Et je serais bien ingrat, si j'aimais autre chose
que vous! Vous m'avez aimé sans réserve, je veux vous aimer aussi sans
réserve. Je laisse tout, je renonce à tout, pour me donner tout à vous,
et pour n'avoir dans mon cœur aucun autre amour que le vôtre. De grâce,
mon Amour, acceptez-moi, sans vous souvenir de tous les déplaisirs que
je vous ai donnés par le passé; ne voyez en moi qu'une de ces brebis
pour lesquelles vous avez répandu votre sang! Mon cher Sauveur, oubliez
toutes les offenses que je vous ai faites! Punissez-moi selon votre
volonté, pourvu que vous m'épargniez le malheur de ne plus pouvoir vous
aimer; disposez de moi comme il vous plaît. Privez-moi de tout, mais mon
Jésus, ne me privez pas de vous, qui êtes mon unique bien! Faites-moi
connaître ce que vous demandez de moi; je veux tout accomplir, moyennant
votre grâce. Faites que j'oublie tout, pour ne me souvenir que de vous
et de toutes les peines que vous avez endurées pour moi. Faites que je
ne pense plus qu'à vous plaire et à vous aimer. Ah! regardez-moi avec
cet amour avec lequel vous m'avez regardé du haut du Calvaire en
agonisant pour moi sur la croix, et exaucez-moi! Je remets en vous
toutes mes espérances, ô mon Jésus, mon Dieu, mon Tout!
Ô vierge Sainte, ma Mère et
mon Espérance, tendre Marie, recommandez-moi à votre divin Fils, et
obtenez-moi la fidélité à l'aimer jusqu'à la mort!
FIN
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