VISIONS
TOME 1
La Vie de Notre Seigneur
Jésus Christ d'après les visions d'Anne Catherine Emmerich, qu'offre ici
aux lecteurs français le
traducteur de la Douloureuse Passion et de la
Vie de la Sainte Vierge, est le complément longtemps attendu de ces deux
ouvrages, publié l'année dernière en Allemagne par le dépositaire des
manuscrits de Clément Brentano, lequel est, autant que nous pouvons le
savoir, un religieux de la congrégation du très saint Rédempteur, fondée
par saint Alphonse de Liguori. Ce complément est considérable, car il
embrasse toute la vie publique du Sauveur, à partir de la prédication de
saint Jean Baptiste. D'après l'étendue des deux premières parties, les
seules publiées jusqu'à présent et qui forment, suivant toute apparence,
plus des deux tiers de l'ouvrage entier, on peut présumer que le tout
n'aura pas moins de cinq ou six volumes.
Les considérations que le
traducteur (1)
a mises en tête de la Douloureuse Passion et de la Vie de la sainte
Vierge s'appliquent également au présent ouvrage. Il se bornerait à y
renvoyer les lecteurs, si les questions qui se rattachent à
l'appréciation d'une œuvre de cette nature ne se trouvaient traitées
avec des développements bien plus considérables dans la longue et
savante introduction dont l'éditeur allemand a fait précéder la Vie de
Notre Seigneur Jésus Christ. Il ne peut que s'en référer à ce travail
remarquable, où sont exposées aussi clairement et aussi complètement que
possible les règles adoptées dans l'Église catholique, en ce qui touche
les visions et les révélations privées, et où l'application de ces
règles aux écrits dictés par Anne Catherine Emmerich amène une foule
d'éclaircissements du plus haut intérêt sur la vie de la pieuse
extatique et sur ses rapports avec l'homme éminent qui s'était fait son
secrétaire.
Quant au livre lui-même, il
suffit de dire qu'il a la même origine que la Douloureuse Passion et la
Vie de la Sainte Vierge, qu'il en est le complément et le lien, qu'il a
le même caractère, les mêmes mérites, qu'il est destiné à produire la
même impression. Sans doute, comme ses devanciers, il soulèvera plus
d'une objection (2),
il donnera lieu à plus d'une critique ; mais, comme eux aussi, il
touchera, il édifiera les âmes simples et pieuses ; il fournira un
nouvel aliment à leur dévotion, et leur fera aimer davantage l'adorable
personne de Celui qui a habité parmi nous, plein de grâce et de vérité
(Jn 1, 14). Telle est du moins l'espérance que nous avons conçue, et
sans laquelle nous n'eussions jamais songé à entreprendre ce long et
pénible travail.
Lorsque Clément Brentano,
il y a plus de vingt ans, publia les visions d'Anne Catherine Emmerich
sur la Douloureuse Passion de N. S. Jésus Christ, il les appela “des
méditations” pour lesquelles il ne demandait qu'une chose, c'est qu'on y
vit tout au plus “les méditations de Carême d'une dévote religieuse”,
peut être aussi incomplètement saisies et reproduites qu’inhabilement
rédigées. Toutefois la grande masse de lecteurs que ces “méditations”
ont immédiatement trouvée, les a involontairement prises pour ce
qu'elles sont en réalité, c'est à dire pour des visions ou des
communications dérivées et d'un don d'intuition surnaturelle, et non
pour le produit de l'intelligence humaine travaillant dans sa propre
sphère. On crut pouvoir trouver une garantie pour la justesse de cette
appréciation dans la courte biographie d'Anne Catherine Emmerich que
Brentano avait fait imprimer comme étant ce qui pouvait le mieux les
recommander. Il y décrivait en effet d'une manière si simple et si
persuasive les directions merveilleuses, les grâces accordées à Anne
Catherine et ses souffrances extraordinaires, que raisonnablement il ne
restait au lecteur d'autre alternative que de rejeter la biographie
comme une œuvre d'imagination et par là même les visions comme une
illusion et une imposture, ou de reconnaître dans l'une comme dans les
autres tous les caractères de l'authenticité. Malgré tout ce qu'il y
avait là d'extraordinaire, personne ne s'est arrêté sérieusement au
premier parti car la bénédiction attachée aux visions est trop grande et
trop évidente pour qu'on puisse en chercher l'origine dans le mensonge.
Qui les a jamais prises en main sans en retirer les consolations les
plus multipliées et une nouvelle ardeur pour la piété ? Qui s'est laissé
aller à l'impression puissante de leur vérité naïve sans se sentir
pénétré d'un amour plus ardent pour le très Saint-Sacrement, pour Marie
et pour l'Église.
Ce fait doublement
consolant dans un temps comme le nôtre, et le désir ardent ressenti par
tant de personnes de posséder aussi complètes que possible les visions
d'Anne Catherine sont cause qu'on a entrepris de publier toutes les
visions qui se rapportent à la vie de Jésus.
L'éditeur se rend
parfaitement compte de la grande responsabilité que lui impose son
travail dans une matière aussi grave et aussi féconde en conséquences :
aussi n'a t il rien négligé de ce qu'on a le droit d'exiger de quiconque
se charge d'une semblable entreprise. Non seulement il a pris la
connaissance la plus exacte de toutes les notes que Clément Brentano a
écrites jour par jour avec une conscience scrupuleuse pendant un séjour
d'environ six ans auprès d'Anne Catherine, mais il a soumis tout ce
qu'il y a pris pour la présente publication à l'examen rigoureux de
théologiens compétents. En outre, il mettra le lecteur lui même en
mesure de se former avec assurance un jugement précis et éclairé sur
tout ce dont il s'agit. C'est pourquoi dans l'introduction on donne des
éclaircissements sur le don d'intuition d'Anne Catherine et en
particulier sur le caractère et l'objet de ses visions : en outre, on y
rend compte aussi exactement que possible de la manière dont Anne
Catherine a communiqué ses visions à Clément Brentano et dont celui ci
les a reproduites. On commence par établir avant tout les principes
suivant lesquels on doit juger les visions ou les soi disant
révélations, tels qu'ils sont admis dans l'Église. Ils ont servi de
règle à l'éditeur pour se diriger : c'est pourquoi il prie le lecteur de
les prendre aussi pour guides dans l'appréciation de son travail.
Fête du Saint Nom de Marie,
1857.
L'Éditeur.
I
Anne Catherine Emmerich
fut, pendant l'espace de trois ans, favorisée de visions journalières,
se succédant sans interruption dans un enchaînement historique, sur la
carrière de prédication de Jésus Christ. Elles prirent commencement dans
les derniers jours du mois de juillet 1890 ; en outre dans les années
précédentes, Anne Catherine avait aussi vu les mystères de la vie de
Jésus, non dans des tableaux journaliers formant une série continue,
mais avec des interruptions et suivant l'ordre des dimanches et des
fêtes de l'année ecclésiastique.
Le jeudi 19 juillet 1820,
le pèlerin (3) se désole encore de ce qu'il ne lui est
pas possible de se reconnaître dans les visions sur les évangiles des
dimanches parce qu'Anne Catherine les oublie en partie, ne les raconte
pas d'une manière assez circonstanciée et n'indique point les noms des
lieux, et parce qu'il ne peut pas savoir à quelle année de la vie du
Christ les visions correspondent ni dans quel ordre les évangiles qu'on
lit à l'église sont disposés les uns par rapport aux autres.
Ainsi Anne Catherine, le
dimanche précédent sixième après la Pentecôte, avait eu une vision sur
l'évangile de la multiplication des pains pour la nourriture des quatre
mille hommes : les jours suivants elle avait encore communiqué quelques
fragments de ses visions relatives à cet événement, qu'elle croyait en
connexion historique avec l'évangile du dimanche. Cependant le pèlerin
ne pouvait pas bien se reconnaître dans cette communication incomplète
et il écrivait dans son journal cette remarque : “il est affligeant que
le pèlerin n'ait aucun secours qui l'aide à trouver ici quelque chose de
suivi”.
Or le secours qu'il
désirait devait lui être donné quelques jours plus tard d'une façon
merveilleuse et qu'il n'aurait jamais soupçonnée : car, le 30 juillet
1820, Anne Catherine commença, ce qui semblait au pèlerin tout à fait
inattendu et même tout à fait “inouï”, à voir jour par jour les années
de prédication de Jésus dans des visions où tout était parfaitement lié,
et cela sans interruption jusqu'à la fin de mai 1821. Ces visions
successives commencèrent par l'enseignement de Jésus sur le divorce et
la bénédiction donnée aux enfants à Bethabara au-delà du Jourdain,
conformément à ce qui est rapporté dans saint Matthieu (XIX, 1), et
elles comprirent le dernier voyage du Sauveur à Jérusalem pour la fête
de Pâques, la Passion, la Résurrection, l'Ascension, la Pentecôte et
quelques semaines des Actes des apôtres, conséquemment les huit ou neuf
derniers mois de la prédication de Jésus.
Le pèlerin fait précéder
ses reproductions des visions de cette époque de la remarque suivante :
“Celui qui écrivait n'était orienté ni quant à la direction des Voyages
du Seigneur, ni quant à la topographie de la Palestine : la voyante de
son côté était souvent très malade et au milieu de ses souffrances sans
mesure elle ne racontait qu'avec peine et quelquefois en intervertissant
l'ordre : souvent aussi elle oubliait quelques jours. En outre son
attention n'était dirigée ni sur les noms de lieux, ni sur les
distances, ce qui fait que dans cette période les noms des lieux ne sont
souvent désignés que d'une manière vague et générale d'après les
contrées auxquelles ils appartiennent.”
Toutefois les visions ne
cessèrent pas à la fin de mai, mais elles passèrent à cette période de
la vie de Jésus qui commence à la mort de saint Joseph et à la
prédication publique de Jean Baptiste. Ainsi pendant quatre mois,
savoir, depuis le 2 juin jusqu'au 28 septembre 1821, Anne Catherine vit
jour par jour tous les voyages et tous les actes de Jésus aussi bien que
ceux de son saint précurseur ; elle entendit toutes ses paroles et le
pèlerin mit par écrit avec la plus scrupuleuse exactitude tout ce
qu'elle fut en état de lui raconter de ces visions. Le 28 septembre,
elle vit le baptême de Jésus dans le Jourdain, et à partir de là elle
suivit le Sauveur dans des visions qui se succédèrent chaque jour
pendant vingt et un mois et demi, c'est à dire jusqu'au 17 juillet 1823,
sur tous les chemins où le conduisit sa sainte carrière de prédication,
en sorte qu'il y eut très peu de lacunes, et que la fin des visions de
l'année 1823 s'était exactement rejointe au commencement de ces mêmes
visions en juillet 1820.
De même que les visions,
les communications au pèlerin se succédaient journellement : seulement
une fois, du 27 avril au 17 juillet 1823, Anne Catherine épuisée et
presque mourante se trouva tout à fait hors d'état de proférer une seule
parole, mais même pendant ce temps les visions ne furent pas
interrompues. Elle les eut pour la seconde fois du 21 octobre 1823 au 8
janvier 182l, et les communiqua de nouveau au pèlerin. A dater de ce
moment toute communication cessa, car la mort s'approchait avec
d'horribles souffrances, et elle mourut en effet le 19 février 1824,
après un silence continuel de quatre semaines. une seule fois pendant ce
temps, sans que rien d'extérieur eut provoquée, et comme si elle eût
fait intérieurement la revue de ses visions passées, elle demanda, à la
grande surprise de l'écrivain : “Quel jour sommes nous, Le 14 janvier !”
lui fut il dit. “Ah ! répondit elle, je ne suis plus capable de rien :
encore quelques jours et j'aurais fini de raconter entièrement la vie de
Jésus.”
II
Avant d'entrer dans des
éclaircissements sur le don d'intuition et de traiter plus à fond de ce
qu'embrassent les visions d'Anne Catherine, il est à propos de parler
des principes qui, selon Benoît XIV (4), servent à
reconnaître la vérité ou la fausseté de prétendues visions ou
révélations et à établir le degré de valeur et d'autorité qu'on peut
accorder à celles que le jugement de l'Église a déclarées véritables et
authentiques. En exposant ces principes, l'éditeur n'a d'autre dessein
que de faire connaître les règles qui l'ont dirigé dans tout le cours de
son travail. Il ne prétend nullement donner un jugement définitif sur la
valeur des visions d'Anne Catherine ; c'est chose réservée à une plus
haute autorité : mais il prie le lecteur de juger, lui aussi, d'après
les règles indiquées : c'est le plus sûr moyen d'éviter l'exagération
qui s'enthousiasme à faux et la prévention qui rabaisse injustement,
double tendance à laquelle on est également exposé sur ce terrain.
Benoît XIV traite dans
trois chapitres du discernement des visions et des révélations : il
donne d'abord les règles générales pour reconnaître si elles sont
authentiques ou non ; puis il expose plus en détail les principes qu'on
applique dans les procès de béatification ou de canonisation, lorsqu'il
est question des visions ou des révélations d'un serviteur de Dieu.
Comme première règle,
“règle d'or”, Benoît cite les paroles de Gerson : “Quand l'humilité
précède, accompagne et suit, quand rien ne se mêle qui puisse la
compromettre, c'est un signe que les visions viennent de Dieu ou d'un de
ses bons anges : car (ceci sont les termes de P. Tanner) la tromperie,
même d'une femme, ne peut rester longtemps cachée. Lorsque tout n'est
pas fondé sur l'humilité la plus profonde, l'édifice s'écroule bientôt
honteusement : mais là où se trouve la pure simplicité particulièrement
nécessaire à ceux qui veulent s'unir à Dieu par un amour chaste, pur et
irrépréhensible, il ne peut y avoir ni illusion personnelle, ni
tromperie provenant d'autrui.”
Il y a aussi une grande
garantie de l'authenticité des visions dans l'utilité qu'on voit
d'autres personnes en retirer : car il n'est pas possible qu'un mauvais
arbre porte de bons fruits. S'il arrive donc que certaines visions aient
pour résultat chez ceux auxquels elles sont communiquées plus de
lumières spirituelles, l'amendement de la vie ou un élan plus marqué
vers la piété et la dévotion, s'il en est ainsi non seulement pour
quelques individus, mais pour un grand nombre de personnes, et cela
pendant un long espace de temps, on doit voir là un témoignage assuré
que ces visions sont l'œuvre du Saint Esprit : car des visions fausses
et mensongères ou provenant du démon ne peuvent manquer de porter
atteinte à la foi catholique et aux bonnes mœurs. On doit juger qu'il y
a illusion lorsque dans une soi disant révélation une chose mauvaise en
soi, ou même bonne en soi, est conseillée dans l'intention d'empêcher
par là quelque chose de meilleur, ou bien encore quand il s'y rencontre
des faussetés ou des contradictions manifestes et des choses qui ne sont
propres qu'à satisfaire une vaine curiosité.
En ce qui touche
l'application des règles en question à la pieuse Anne Catherine
Emmerich, il pourrait suffire de signaler l'esprit qui domine dans ses
visions sur la Douloureuse Passion, esprit qui produit encore
aujourd'hui si abondamment ces fruits qui sont donnés par le pape Benoît
XIV comme les signes de la bonté d'un arbre : mais l'éditeur attache
encore plus d'importance à l'ensemble des visions publiées dans le
présent ouvrage. Celles ci en effet montrent au lecteur attentif la vie
du Sauveur sur la terre, toute sa manière d'agir et celle de sa sainte
Mère avec tant de simplicité, de clarté, de vérité intime, qu'après
l'Écriture sainte, on aurait peine à citer un livre qui mette dans un
jour aussi frappant, même pour l'œil le plus faible, le sens de ces
paroles que le Sauveur adresse à tous sans exception : “Apprenez de moi
que, je Suis doux et humble de cœur.”
N'y a t il pas une immense
consolation, une satisfaction qui persiste au milieu de toutes les
traverses de la vie, a pouvoir accompagner pas à pas notre Seigneur et
Sauveur, le considérer jour par jour dans l'accomplissement pénible de
la tâche qu'il s'est imposée sur la terre, et ranimer la trop faible
ardeur de notre amour par la contemplation de sa mansuétude et de sa
miséricorde inaltérables. Bien des personnes assurément remercieront
Dieu du fond du cœur d'avoir mis à leur portée une aussi précieuse
faveur et de leur avoir préparé dans des jours si mauvais une telle
abondance de consolations. Mais, s'il y a une chose qui n'ait pas besoin
d'autre démonstration, c'est que l'âme qui a pu devenir le miroir d'ou
devaient rayonner des images si sublimes et si sanctifiantes, a dû
nécessairement être solidement fondée dans l'humilité et conserver sans
tache et dans toute sa pureté l'éclat de la grâce baptismale. Anne
Catherine, pendant toute sa vie, fut l'enfant toujours simple,
inoffensif, innocent, qui ne ressentait et ne comprenait autre chose
dans ce monde que la misère et la détresse des hommes, qui n'eut jamais
d'autre désir que celui de souffrir pour autrui. C'est pourquoi aussi la
force de son esprit et la paix de son âme croissaient en proportion de
ses peines, au point que dans l'excès de ses douleurs sans nom elle
remerciait Dieu, toute joyeuse, de ce qu'il craignait la rendre plus
semblable à son Sauveur. Jamais la patiente ne s'est plainte de ce
qu'elle avait à supporter, mais ce qui lui était plus sensible et plus
insupportable qu'aucune de ses souffrances, c était qu'on la louât et
qu'on eût d'elle une idée avantageuse, à tel point que dans sa dernière
agonie elle supplia instamment d'une voix mourante qu'aucune parole ne
fut dite à sa louange.
Le pape Benoît, dans la
suite de son examen, traite de la créance qu'on doit accorder à la
personne qui se présente comme favorisée de visions et de révélations.
Elle a selon lui pour
conditions : d'une part, la grande vertu et la sainteté connue par
ailleurs de la personne en question ; d'autre part, la manière dont elle
se comporte pendant et après les visions. En ce qui touche ce dernier
point, Benoît XIV tire des théologiens et des maîtres de la vie
spirituelle les plus autorisés, douze points auxquels on doit attacher
une importance particulière. Il faut examiner : 1 Si la personne
favorisée n'a jamais demandé ou désiré des visions ; et si au contraire
elle a prié Dieu de la conduire par la voie commune et n'a accepté les
visions que par obéissance, un pareil désir, d'après saint Vincent
Ferrier, proviendrait d'un orgueil secret et d'une curiosité téméraire :
il indiquerait en outre une foi faible et mal assurée. 2 Si elle a reçu
constamment de son guide spirituel l'ordre de communiquer ses visions à
des hommes instruits et clairvoyants. 3 Si elle a toujours pratiqué
l'obéissance absolue envers ses directeurs et si, à la suite de ses
visions, elle a fait des progrès dans l'humilité et l'amour de Dieu. 4
Si elle a recherché de préférence les personnes les moins disposées à
lui donner croyance et si elle a aimé ceux qui lui avaient donné des
chagrins et des peines. 5 Si son âme a joui d'un calme et d'un
contentement parfaits et si son cœur a toujours été plein d'un zèle
ardent pour la perfection. 6 Si son directeur n'a jamais eu à lui
reprocher certaines imperfections. 7 Si elle a reçu la promesse que Dieu
exaucerait ses justes demandes et si, s'adressant à lui avec une pleine
confiance, elle a obtenu d'être exaucée en quelque point important. 8 Si
ceux qui étaient en relations avec elle, ont été excités à aimer Dieu
davantage lorsque l'endurcissement de leur cœur n'y mettait pas
obstacle. 9 Si les visions lui ont été départies le plus ordinairement
après une longue et fervente prière, ou après la sainte Communion, et si
elles ont allumé en elle un ardent désir de souffrir pour Dieu. 10 Si
elle a crucifié sa chair et s'est réjouie dans la tribulation, au milieu
des contradictions et des souffrances. 11 Si elle a aimé la solitude et
fui le commerce des hommes, si elle a montré un détachement parfait de
toutes choses. Aussi dans la bonne et la mauvaise fortune elle a
toujours conservé la même tranquillité d'âme, et si enfin des hommes
instruis n'ont pas aperçu dans ses visions quelque chose qui s'écartât
de la règle de la foi ou qui pût paraître répréhensible d'une façon
quelconque.
Ces douze points renferment
les règles les plus sûres et les plus dignes de confiance, et il a
fallu, pour les établir, toute l'expérience d'un grand nombre de
docteurs aussi savants qu'éclairés dans les voies de la vie spirituelle.
La mesure dans laquelle les conditions qui y sont exigées se rencontrent
chez une personne favorisée de grâces extraordinaires est aussi, selon
Benoît XIV, celle de l'assurance avec laquelle on peut conclure en
faveur de la véracité de cette personne, de la confiance qu'elle mérite
et en même temps de celle que méritent ses visions. Maintenant, le
lecteur ne sera pas surpris moins agréablement que l'éditeur quand il
pourra se convaincre, à l'aide de la biographie donnée par Clément
Brentano et aussi de la présente introduction' que ces conditions sont
remplies de la manière la plus incontestable dans toute l'existence
d'Anne Catherine, et cela si parfaitement qu'elles ne se rencontrent au
même degré que chez les grands saints.
En premier lieu, les
visions ne furent jamais pour Anne Catherine, l'objet de ses désirs,
mais une source de douleurs et de tribulations indicibles, au point que
souvent elle pria Dieu instamment de les lui retirer. En outre, la grâce
de la contemplation lui fut départie à un âge si tendre que ce désir
n'aurait pu naître en elle : c'est pourquoi sa première ouverture sur
les visions qui lui ont été envoyées est celle d'un enfant plein de
naïveté qui n'en soupçonne pas la portée. En second lieu, Anne Catherine
ne pouvait être décidée à communiquer ce qu'elle avait vu que par les
ordres réitérés de son guide spirituel. En troisième lieu, lorsque ses
confesseurs rejetaient ses visions et ne se donnaient pas la peine
d'examiner quelle valeur elles pouvaient avoir, elle s'efforçait d'y
mettre fin par tous les moyens possibles. Mais la lutte dans laquelle
elle s'engageait par là avec son guide invisible, dont les exigences ne
s'arrêtaient pas devant les idées erronées des confesseurs, était pour
elle la cause de souffrances impossibles à décrire. En quatrième lieu,
cela ne l'empêchait pas de chercher uniquement des confesseurs dont elle
n'avait à attendre que de la sévérité et des humiliations journalières,
parce qu'elle laissait à Dieu le soin de les persuader, s'il le jugeait
convenable, de la réalité des dons gratuits qui lui étaient accordes. De
plus, elle résistait toujours autant qu'elle le pouvait à toute
tentative qui pouvait avoir pour objet de la soulager ou d'améliorer sa
situation matérielle : car du reste pour tous ceux qui lui
occasionnaient des ennuis ou des tribulations, il n'y avait chez elle
que charité, patience et mansuétude. Enfin, pour ce qui touche les
autres points, il n'est pas nécessaire de les énumérer ici suivant leur
ordre, parce que l'introduction doit s'en occuper longuement et d'une
manière très détaillée.
Pour le moment l'éditeur se
bornera à faire remarquer que Dieu, dans ses desseins impénétrables,
permit qu'Anne Catherine, dans les dernières années de sa vie, fût deux
fois soumise à une enquête provoquée par les autorités spirituelle et
temporelle, sur la réalité de ses stigmates et d'autres phénomènes
merveilleux qui se produisaient chez elle. On ne peut pas rendre ce
qu'elle eut à souffrir à cette occasion : car le siècle des lumières
sembla vouloir décharger toute sa colère sur la pauvre religieuse, qui
flétrissait sa prétendue sagesse comme un aveuglement déplorable et une
vanité insensée. Mais Anne Catherine, au milieu de ces souffrances,
resta encore l'image de son divin fiancé ! elle supporta tout en silence
et absorbée en Dieu, et se réjouit d'avoir eu, par l'ignominie de la
croix, une ressemblance de plus avec son Rédempteur.
Nous passerons maintenant
au dernier des douze points, celui qui traite de la conformité des
visions avec la règle de foi de l’Église ; car il est juste de lui
donner une attention toute particulière quand on s'occupe de visions qui
renferment en même temps des révélations. Benoît XIV, à cet égard, s'en
réfère principalement au vénérable P. Suarez, lequel établit, comme
premier principe, qu'en matière de révélations, la question de leur
conformité à la règle de la foi et des mœurs doit être la base de tout
examen ultérieur, de telle sorte que si l'on découvre quelque chose qui
soit en contradiction avec l’Écriture et la tradition, avec les
décisions doctrinales de l’Église et l'interprétation unanime des saints
Pères et des théologiens, la soi disant révélation doit être rejetée
comme mensonge et illusion diabolique. Il en doit être ainsi, même quand
il s'agit de révélations qui, à la vérité, ne portent pas atteinte à la
foi, mais présentent des choses impliquant contradiction ou propres
seulement à satisfaire une vaine curiosité, qui peuvent être considérées
comme le produit de l'imagination humaine, ou qui évidemment ne sont pas
en rapport avec la sagesse et les autres attributs de Dieu.
Le pape Benoît XIV soulève
ensuite une question difficile : “Que faut il penser d'une soi disant
révélation où se rencontrent des choses qui paraissent contraires, non
pas précisément à la tradition unanime des Pères et des théologiens,
mais à ce qu'on appelle communis sententia (le sentiment
commun) ; qui sont tout à fait nouvelles, qui donnent comme révélés des
points sur lesquels l’Église n'a pas encore donné de décision
doctrinale ?” s'appuyant sur des autorités imposantes, Benoît répond
qu'il n'y a pas là motif suffisant pour rejeter, sans autre examen, une
pareille révélation comme imaginaire et trompeuse ; car, ajoute t il :
1° une chose qui
paraît contraire au sentiment le plus commun peut être soutenue à l'aide
d'une appréciation plus approfondie et plus judicieuse, et trouver à
s'appuyer sur des autorités respectables et des raisons solides.
2° une révélation
n'est pas fausse en soi, par cela seul qu'elle fait connaître un mystère
ou une circonstance de la vie du Sauveur ou de sa sainte Mère, dont
l’Écriture sainte, la tradition ou les écrits des saints Pères ne font
pas mention.
3° On ne se met pas
nécessairement en contradiction avec les décisions du Saint Siège ou
avec les Pères et les théologiens, par cela seul qu'on explique une
chose qu'ils n'expliquent pas ou sur laquelle ils se taisent absolument.
4° Enfin, on ne doit
pas poser à la toute puissance de Dieu des limites en dehors desquelles
il lui serait interdit de révéler à un particulier ce qui, comme point
de controverse théologique, reste encore soumis au jugement de l’Église.
Benoît XIV cite ici, entre
autres choses, le fameux mémoire du P Jean Cortesius Ossorius sur les
révélations de la vénérable Marie d'Agreda, remis par lui à
l'inquisition d'Espagne, et dans lequel il prouve longuement que les
motifs allégués ne sont pas suffisants pour faire rejeter des
révélations privées, puisqu'ils n'ont pas empêché les révélations de
sainte Brigitte et de sainte Marie Madeleine de Pazzi d'obtenir
l'approbation du Saint Siège. Toutefois Benoît XIV, après avoir cité ces
autorités, ajoute une restriction : il ne trouverait pas sans doute dans
des révélations de cette nature un obstacle à poursuivre un procès de
béatification : seulement il les regarderait comme n'étant pas tout à
fait sans mélange, mais comme modifiées par la manière particulière de
voir et de sentir qui existait auparavant et indépendamment de ces
révélations, chez le serviteur ou la servante de Dieu. Conséquemment,
dans l'approbation quelconque qu'on leur donnerait, on ne devrait rien
admettre qui pût laisser croire que le Saint Siège aurait l'intention
d’improuver tout ce qui pourrait être dit à l'encontre.
Cette dernière remarque du
pape Benoît XIV est de la plus haute importance, car elle accorde que la
sainteté de la vie chez une personne favorisée de grâces
extraordinaires, et la manière dont elle se comporte à l'égard des
visions et des autres circonstances qui les accompagnent, permettent de
conclure avec assurance en faveur de l'origine divine de ces visions,
lors même qu'on devrait concéder qu'elles ont pu subir une altération
quelconque, soit dans leur passage à travers les facultés
intellectuelles de celui qui les a reçues, soit dans la communication
qui en a été faite à d'autres. En effet, avec les visions et les
révélations particulières, le contemplatif ne reçoit pas le don d'une
compréhension à l'abri de toute erreur et de tout obscurcissement, non
plus que le don de les transmettre dans leur complète intégrité ; et de
là vient que les théologiens exigent, pour les juger, une pie et
modesta intelligentia. Il n'y a que les prophètes, les apôtres, les
auteurs des écrits canoniques, et, en seconde ligne, les successeurs de
saint Pierre et les conciles œcuméniques qui aient le privilège de
l'infaillibilité. Aussi rien ne peut il être communiqué avec une
certitude infaillible à l'ensemble des fidèles que ce qui leur est
présenté à croire par l'autorité de l’Église, comme révélé par Dieu pour
être l'objet de la foi surnaturelle et nécessaire au salut éternel.
Il ressort naturellement de
là que des visions et des révélations privées, lors même qu'elles sont
confirmées par le Saint Siège comme authentiques et venant de Dieu, ne
peuvent prétendre en aucune façon à être un objet de foi divine ou
surnaturelle. Elles peuvent seulement, pour ceux qui les lisent ou
auxquels on les raconte, avoir la valeur d'une autorité purement
humaine, et n'exigent pas plus de respect et de soumission que tout
catholique n'a coutume d'en accorder aux vies des saints autorisées ou
aux écrits ascétiques de pieux et saints auteurs. On ne blesse donc pas
la foi catholique en refusant son assentiment à des visions et
révélations même approuvées ou en étant d'une opinion différente, pourvu
que cela se fasse pour de bonnes raisons, sans irrévérence et sans
présomption téméraire.
Si maintenant le lecteur
veut appliquer les principes qui viennent d'être exposés aux visions
d'Anne Catherine contenues dans le présent ouvrage, il n'y rencontrera
rien qui contredise le moins du monde la foi catholique. Au contraire,
il reconnaîtra avec un grand plaisir qu'il n'y a guère de livre qui
fasse pénétrer avec cette simplicité et cette profondeur dans les
mystères de notre sainte foi, et qui donne, même aux moins exercés, plus
de secours pour atteindre à ce grand art dont parle le bienheureux
Thomas à Kempis a In vitâ Jesu Christi meditari. Quant à ce qui y
semblera nouveau, on s'en rendra compte sans beaucoup de peine en le
rapprochant de ce qui est ancien.
III
Dans le travail auquel nous
allons maintenant nous livrer pour faire connaître le don de
contemplation que la pieuse Anne Catherine posséda à un degré peu
commun, même chez les âmes les plus privilégiées, nous pouvons prendre
pour guides ses propres communications, avec d'autant plus de confiance
qu'elles sont éclaircies et confirmées par les dires de beaucoup de
personnes favorisées de grâces semblables.
Sainte Hildegarde, d'après
son propre aveu, fut favorisée, dès sa première jeunesse, du don de
contemplation : “N'étant encore âgée que de trois ans, dit-elle (5),
je reçus du Ciel une si grande lumière que mon âme en fut ébranlée
profondément ; mais j'étais trop jeune pour pouvoir rien dire à ce sujet
à dater de ma cinquième année, j'eus une intelligence surprenante de ces
visions, et quand j'en racontais quelque chose en toute simplicité, ceux
qui m'entendaient étaient dans l'étonnement et se demandaient de qui je
tenais ces choses et d'où elles me venaient. Moi aussi, je m'étonnais
beaucoup de ce qu'ayant intérieurement des visions, je percevais en même
temps le monde extérieur par les sens, mais je n'entendais pas dire que
pareille chose arrivât à d'autres personnes. C'est pourquoi je fus
saisie d'une grande crainte et je n'osais plus parler à d'autres de ma
lumière intérieure”.
Anne Catherine reçut cette
lumière surnaturelle à un âge encore moins avancé. Le 8 septembre 1821,
qui était le cinquante septième anniversaire de sa naissance, elle
raconta a ce sujet ce qui suit : Comme je suis née le 8 septembre, j'ai
eu aujourd'hui une intuition merveilleuse sur ma naissance et sur mon
baptême. J'ai ressenti à cette occasion des impressions singulières. Je
me sentais comme un enfant nouveau né dans les bras des femmes qui me
portaient à Coesfeld pour y être baptisée, et j'étais confuse de
l'impression que j'avais d'être à la fois si petite et si faible et
pourtant si vieille : car tout ce que j'avais déjà senti et éprouvé
alors, en qualité d'enfant nouveau né, je le vis et je le connus de
nouveau, toutefois mêlé avec mon entendement actuel. Dès cette époque,
mon ange gardien se montrait à moi visiblement présent, comme il le fit
toujours plus tard. Je regardais tout autour de moi, la vieille grange
dans laquelle nous habitions, et toutes sortes de choses que je ne vis
plus par la suite, parce qu'on fit beaucoup de changements. Je me sentis
porter, et cela avec une pleine conscience, tout le long du chemin qui
va de notre chaumière de Flamske à l'église paroissiale de Saint Jacques
à Coesfeld ; je sentais tout et je regardais tout autour de moi. Je vis
accomplir sur moi toute la sainte cérémonie du baptême, et mes yeux et
mon cœur s'ouvrirent pour cela d'une façon merveilleuse. Je vis,
lorsqu'on me baptisa, mon ange gardien et mes saintes patronnes, sainte
Anne et sainte Catherine, assister à la cérémonie. Je vis la mère de
Dieu, avec le petit enfant Jésus, auquel je fus mariée et qui me donna
un anneau. Tout ce qui est saint, tout ce qui est bénit, tout ce qui
tient à l’Église, se faisait déjà sentir à moi aussi vivement que cela
m'arrive à présent. Je vis ce que l’Église est en soi manifesté par des
images merveilleusement significatives. Je sentis la présence de Dieu
dans le très Saint-Sacrement. Je vis briller dans l'église les ossements
des saints, et je reconnus les saints qui apparaissaient au dessus
d'eux. Je vis tous mes ancêtres, en remontant jusqu'au premier d'entre
eux qui avait été baptisé. Je reconnus, dans une longue série de
tableaux symboliques, toutes les épreuves de ma vie future. Lorsqu'on me
rapporta de l'église à la maison en passant par le cimetière, j'eus un
sentiment très vif de l'état des âmes dont les corps reposaient là pour
y attendre la résurrection, et je remarquai avec respect quelques saints
corps brillant d'une clarté éblouissante.
Il résulte de cette
communication qu'Anne Catherine avait déjà reçu, dans le sein de sa
mère, une disposition naturelle à la contemplation, et cela avec un si
haut degré de force et de puissance, qu'aussitôt après sa naissance sa
faculté de vision spirituelle aussi bien que les sens corporels qui lui
servaient d'instruments, étaient capables de perception et d'activité
bien au delà de la mesure ordinaire. Toutefois la contemplation en tant
que faculté purement naturelle, ne s'exerce que dans la sphère des
choses naturelles : elle se rattache à la contemplation surnaturelle ou
prophétique comme point de départ ou prédisposition, mais non comme
condition nécessaire, car cette intuition supérieure peut être accordée
par Dieu comme grâce gratuite à une âme qui n'y a pas une prédisposition
naturelle ou qui ne la possède que dans une très faible mesure. La
sphère de la contemplation surnaturelle est le royaume de la grâce ou
l’Église à laquelle l'homme est incorporé par le saint baptême : c'est
pourquoi Anne Catherine ne reçoit cette lumière que lorsqu'elle est
devenue, par l'infusion de la grâce sanctifiante, un membre vivant du
corps de l’Église. C'est alors seulement “que ses yeux et son cœur
s'ouvrent d'une façon merveilleuse,” et qu'elle voit les effets du
sacrement, l’Église avec ses mystères et tout ce qui est dans un rapport
vivant avec elle. Ainsi, elle ne voit briller dans les tombeaux les
corps des âmes saintes que lorsqu'après son baptême, elle est rapportée
à travers le cimetière ; elle ne les voit pas lorsqu'on la porte à
l'église. Toutefois, quelque grande et élevée que fût la lumière de
contemplation supérieure versée avec la grâce baptismale dans l'âme
d'Anne Catherine, elle s'abaissait à la capacité de l'enfant, et d'une
façon appropriée à un âge si tendre. C'est pourquoi elle se comporte,
dans cette contemplation, comme ferait un enfant du même âge par rapport
à la lumière qu'il perçoit naturellement. Ainsi, de même qu'un
nourrisson aussitôt qu'il connaît sa mère, cherche son sein et se calme
dans ses bras, tout cela sans en avoir la conscience, par pur instinct
naturel ; de même Anne Catherine, aussitôt après le baptême, comprit et
reconnut la mère dans le sein de laquelle elle venait de recevoir une
naissance nouvelle ; elle eut le sentiment de ses bienfaits et de toute
sa beauté, sans pouvoir juger et se rendre compte qu'il y a une
connaissance, plus méritoire en elle même, de ces mystères, celle qui se
trouve dans la lumière de la foi. L'intelligence réfléchie de l'objet de
la contemplation marche plus tard du même pas que le développement
naturel de la conscience en général, comme on le voit par une autre
communication d'Anne Catherine ; « J'avais à peu près quatre ans, dit
elle, quand mes parents me menèrent à l'église. Je me souviens que je
croyais fermement y trouver Dieu et des hommes tout différents de ceux
que je connaissais, bien plus beaux et plus brillants. Lorsque j'entrai,
je regardai de tous les côtés, et rien n'était comme je me l'étais
imaginé. Le prêtre était à l'autel ; je pensai que ce pouvait être
Dieu ; mais je cherchai partout la sainte vierge Marie : je me figurais
que là on devait avoir tout au dessous de soi, car c'était mon plus
grand plaisir, mais je ne trouvai pas ce que je croyais. Deux ans plus
tard, j'eus encore des idées du même genre et je ne cessais de regarder
deux filles d'un certain âge, qui portaient dés mantes et qui avaient un
air modeste et réservé ; je crus que ce pouvait bien être ce que je
cherchais, mais ce n'était pas encore cela. Je croyais toujours que
Marie devait avoir un manteau bleu de ciel, un voile blanc et une robe
blanche toute unie. J'avais eu une vision du paradis, et je cherchai
dans l'église Adam et Ève, beaux comme ils l'étaient avant la chute, et
je me dis : “Quand tu te seras confessée, tu les trouveras”. Je me
confessai, mais je ne les trouvai pas. Je vis enfin une pieuse famille
noble dans l'église ; les filles étaient vêtues de blanc : je pensai
qu'elles avaient quelque chose de ce que je cherchais et elles
m'inspiraient un grand respect ; mais ce n'était pas encore cela.
J'avais toujours l'impression que tout ce que je voyais avait été très
laid et très sale. J'étais constamment absorbée dans des pensées de ce
genre, et j'en oubliais le boire et le manger, si bien que j'entendais
mes parents dire souvent : “Qu'a donc cet enfant ? Qu'est ce qui arrive
à la petite Anne Catherine ?” »
D'après ce qui vient d'être
rapporté, le lecteur peut reconnaître facilement qu'Anne Catherine, dès
sa plus tendre enfance, avait aperçu l'incomparable beauté de
l'innocence du paradis, mais qu'elle ne pouvait se rendre compte de la
différence de ce qui l'entourait présentement avec l'objet de ses
contemplations, que successivement et dans la mesure de son expérience
enfantine. Aussi dit elle une autre fois : « Avant de savoir ce que
signifiait le mot prophète, j'avais eu déjà des visions sur un chariot
merveilleux, aux roues duquel se tenaient les quatre animaux de
l'Apocalypse. Pourquoi cela ? Je ne le sais pas... J'eus des visions de
si bonne heure, que je me souviens qu'une fois mon père me prit toute
petite sur ses genoux, au coin du feu, et qu'il me dit : “Tu es dans ma
petite chambre, raconte moi quelque chose !” Et alors je lui racontai
toutes sortes d'histoires de la Bible, et comme il n'avait rien vu de
semblable ou ne l'avait pas vu de cette façon, il se mit à pleurer. Ses
larmes tombaient sur moi et il me dit : “Enfant, où as tu pris tout
cela ?” Alors je lui répondis que je voyais toutes ces choses, sur quoi
il devint silencieux et ne me dit plus rien ».
Dans sa cinquième année, il
arriva à Anne Catherine ce qui était arrivé à sainte Hildegarde ; il lui
vint avec la contemplation une intelligence plus profonde de ce qu'elle
voyait, et elle fut en état de se rendre compte plus exactement du
contenu de ses visions et dé les distinguer des actes de foi ainsi que
de la certitude et du mérite attachés à la foi. Voici ce qu'elle dit a
ce sujet a Dans ma cinquième ou sixième année, comme je méditais lé
premier article du symbole catholique : Je crois en Dieu, le Père tout
puissant, qui a fait le ciel et la terre, des tableaux de la création du
ciel et de la terre passèrent devant mon âme. Je vis la chute des anges,
la création de la terre et du paradis, celle d'Adam et d'Ève, et la
chute originelle. Je me figurai que tout le monde voyait cela, de même
que les autres objets qui nous entourent, et j'en par lai en toute
simplicité à mes parents, à mes frères et sœurs et à mes compagnons ;
mais je m'aperçus qu'on riait de moi et qu'on me demandait si j'avais un
livre où tout cela se trouvait. Alors je commençai à prendre l'habitude
de garder le silence sur ces choses : je pensai qu'il ne convenait pas
d'en parler, sans pourtant me former à ce sujet des idées précises. J'ai
eu ces visions non seulement la nuit, mais encore en plein jour, dans
les champs, à la maison, en marchant, en travaillant, en me livrant à
toutes sortes d'occupations. Comme une fois à l'école je disais tout
naïvement, touchant la résurrection, d'autres choses que celles qu'on
nous enseignait, et cela avec assurance, croyant dans ma simplicité que
tout le monde devait savoir cela comme moi, et ne soupçonnant nullement
qu'il y avait là une faculté qui m'était personnelle, les autres enfants
tout surpris se moquèrent de moi et portèrent plainte au magister, qui
me détendit sévèrement de me livrer à de pareilles imaginations.
“Mais je continuai à avoir
ces visions sans en rien dire, comme un enfant qui regarde des images et
qui s'en rend compte à sa manière sans trop demander ce que signifie
ceci ou cela. Comme je voyais souvent dans les images des saints ou les
figures de l'histoire de la Bible les mêmes objets représentés tantôt
d'une manière, tantôt d'une autre, sans que cela eût jamais apporté
d'altération dans ma foi, je pensais que les visions que j'avais étaient
mon livre d'images et je les contemplais en paix, pensant toujours que
tout était pour la plus grande gloire de Dieu. Eu fait de choses
touchant à la religion, je n'ai jamais rien cru que ce que le Seigneur a
révélé et proposé à notre croyance par l’Église catholique, que ce soit
expressément écrit ou non. Et je n'ai jamais cru de la même manière à ce
que j'ai vu en vision. Je regardais ces choses de même que je
considérais avec dévotion les différentes crèches de Noël, exposées en
divers lieux, sans me troubler de ce que toutes n'étaient pas faites sur
le même modèle. Dans les unes et les autres, je n'adorais que le même
cher enfant Jésus, et il en était de même pour moi quant à ces tableaux
de la création du ciel et de la terre et de la création de l'homme ; j'y
adorais Dieu le Seigneur, le créateur tout puissant du ciel et de la
terre".
IV
Anne Catherine n'a jamais
donné d'éclaircissements détaillés sur la lumière surnaturelle dans
laquelle et par laquelle elle percevait ses visions ; elle s'est bornée
à dire une fois : "Il m'a été expliqué d'une très belle façon comme quoi
voir avec les yeux n'est point voir, et qu'il y a une autre vue
intérieure : mais maintenant cela m'est sorti de la mémoire. "Nous
pouvons donc avoir recours aux révélations de sainte Hildegarde sur le
même sujet, pour y trouver l'explication désirée. Voici ce qu'elle dit :
"Il est difficile à l'homme charnel de comprendre de quelle manière les
visions sont perçues. Depuis mon enfance jusqu'à mon âge actuel de
soixante dix ans, je n'ai pas cessé de voir dans mon âme la lumière que
Dieu m'a donnée, mais je ne la perçois pas avec les yeux du corps, ni
par les pensées de mon cœur, ni par l'intermédiaire des cinq sens.
Toutefois les yeux du corps ne perdent pas plus leur faculté visuelle
auprès de cette lumière que les autres sens leur activité. Car la
lumière que je possède n'est point circonscrite dans l'espace, ni
matérielle, mais elle est plus éclatante que celle de l'astre du jour :
je ne vois en elle ni profondeur, ni longueur, ni largeur. On me dit
qu'elle s'appelle l'ombre de la lumière vivante ; et de même que le
soleil, la lune et les étoiles se réfléchissent dans l'eau, de même ce
qui est écrit, ce qui est dit, les qualités et les œuvres des hommes me
deviennent visibles en elle. Ce que j'aperçois et apprends dans cette
intuition, je le conserve longtemps ; et je vois, je perçois, je sais
tout à la fois, comme en un clin d’œil, ce que je dois savoir et
apprendre. Mais ce que je ne contemple pas, je ne le sais pas non plus :
car je suis comme une personne qui n'a jamais reçu d'enseignement, et
pour ce que je dois écrire de cette lumière, je ne me sers d'autres
paroles que de celles que j'entends. Mais je n'entends pas ces paroles
comme celles qui rendent un son en sortant de la bouche d'un homme, je
les vois comme une flamme, comme une nuée lumineuse : dans le pur éther.
Je ne puis pas plus distinguer une forme dans cette lumière que je ne
suis en état de regarder fixement le disque du soleil".
Outre cela, dans cette
lumière, j'en vois quelquefois une autre dont il m'est dit qu'elle
s'appelle la lumière vivante. Cependant je ne la vois pas si souvent, et
je puis encore moins exprimer son essence que celle de la première. Mais
quand je la perçois, alors toute tristesse et toute peine sensible
s'évanouissent pour moi, en sorte que je suis comme un enfant naïf, et
non comme une vieille femme. Mon âme n'est jamais privée de la première
lumière, de l'ombre de la lumière vivante, et je la vois quelquefois de
même qu'à travers un nuage transparent, je regarde le firmament sans
étoiles, et que je contemple en lui ce que je dis de l'éclat de la
lumière vivante".
La lumière dont parle
sainte Hildegarde est, suivant la doctrine de l'école, l'irradiation de
la lumière divine passant, par l'intermédiaire d'un ange, dans l'âme du
contemplatif ; par cette lumière toutes les forces de l'âme sont élevées
au dessus de leur puissance naturelle, en sorte que l'homme est par là
rendu capable de voir comme un pur esprit incorporel, c'est à dire
indépendant de l'action des sens et des autres organes, ce que Dieu veut
lui communiquer dans cette lumière. Cette lumière confère donc à l'âme
une double faculté : la faculté de vision surnaturelle et le milieu dans
lequel celle ci peut s'exercer. Elle est pour cette faculté ce qu'est
pour les yeux du corps la lumière du soleil, ou pour la faculté
naturelle de connaître la lumière intérieure innée dans chaque homme.
Tout, dit sainte
Hildegarde, est réfléchi dans cette lumière pour le contemplatif, c'est
à dire tout ce que Dieu veut lui faire connaître : car le choix des
objets contemplés ne dépend pas de la volonté de celui qui contemple,
mais Dieu les détermine lui même, selon la tâche particulière imposée à
l'âme favorisée d'une grâce de cette nature. C'est donc en vertu d'une
disposition divine que cette âme voit et connaît l'avenir ou le passé,
les choses cachées ou éloignées, les mystères de l'ordre naturel ou
surnaturel, les pensées des hommes et de certains hommes déterminés : de
même aussi le degré de clarté de l'intuition et l'exactitude avec
laquelle ce qui est vu est conservé dans la mémoire et communiqué aux
autres, dépendent de la mesure de lumière donnée par Dieu.
Ainsi donc, plus la mesure
de lumière départie est grande, plus la sphère de l'intuition est
étendue. Si des objets situés à une grande distance dans l'espace
doivent y être aperçus, elle acquiert la clairvoyance, laquelle, en tant
que grâce surnaturelle, ne doit pas être confondue avec la clairvoyance
naturelle ou le somnambulisme. Par elle, les objets eux mêmes sont
aperçus, soit par la pure vue à distance, soit que le contemplatif soit
ravi jusqu'au lieu même où les objets se trouvent, où l'événement se
passe ou s'est passé. Mais quand il s'agit de voir dans le passé ou dans
l'avenir, les images de ce qui n'existe plus ou n'existe pas encore dans
l'espace et le temps sont présentées par Dieu d'une manière surnaturelle
à l'imagination du contemplatif. Quand donc, par exemple, un événement
de l'Ancien ou du Nouveau Testament est montré à Anne Catherine, les
images des individus qui agissent, celle des lieux et de toutes les
circonstances lui sont présentées dans la lumière infuse aussi
fidèlement et aussi complètement que dans un miroir ; de sorte qu'à
certains égards elles se gravent dans l'imagination et dans la mémoire,
aussi naturellement que si elles arrivaient à la voyante par les sens
extérieurs et par la faculté de vision naturelle, ou que si Anne
Catherine avait été présente personnellement et avait figuré comme
contemporaine dans l'événement lui même. La seule différence consiste
dans le degré infiniment plus élevé de netteté et de clarté qui trouve
place dans l'intuition, parce qu'elle voit non seulement le fait
matériel, mais encore les motifs intérieurs et leur enchaînement, ainsi
que les dispositions les plus secrètes et les sentiments intimes des
personnages en action.
La clairvoyance ou le
ravissement peuvent coïncider avec cette intuition des images dans la
lumière infuse, car Anne Catherine voit les événements de la vie de
Jésus au lieu précis où ils se sont réellement passés autrefois, soit à
Jérusalem, soit en d'autres endroits de la Terre Sainte. Elle est ravie
dans ces endroits et, y étant arrivée, elle voit les événements et les
actions en tableaux qui se succèdent avec la plus grande fidélité à
l'ordre historique, comme on peut en juger par l'exemple suivant, auquel
on en pourrait joindre infiniment d'autres. Voici ce qu'elle raconte le
10 décembre 1819 : "Cette nuit, j'ai parcouru dans plusieurs directions
la terre promise, telle qu'elle était à l'époque du Sauveur. Mes
stations ordinaires de l'Avent me conduisirent d'abord à la rencontre de
la sainte famille, en voyage pour Bethléem. Je suivais ensuite plusieurs
chemins à moi connus, allant d'un endroit du pays à l'autre, et je vis
plusieurs scènes de la vie de prédication de Notre Seigneur, que j'avais
vues en partie précédemment.
Je vis entre autres une
instruction et une distribution de pain dont je ne me rappelle que
quelques détails. Sur le penchant d'une colline beaucoup de gens étaient
assis sous des arbres très grands et très élancés, qui n'ont leur
couronne de feuillage que tout en haut au sommet. Le Seigneur Jésus
était debout devant eux sur un terrain exhaussé. Entre les arbres se
trouvaient des arbrisseaux avec des baies rouges et jaunes ressemblant à
peu près à des mûres de ronces. Plusieurs filets d'eau descendaient de
la hauteur en murmurant. Il y avait là un gazon fin et doux comme de la
soie, sous lequel le sol était tapissé comme d'une mousse épaisse Je
pris le gazon et je le touchai : d'autres objets échappèrent à mes
mains, comme si c'étaient des images de choses passées Mais quant au
gazon je le touchai Qu'est ce donc que cela peut être ?"
Sainte Hildegarde dit de
cette lumière qu'elle est incirconscrite, immatérielle et inaccessible à
nos facultés purement naturelles : car en vertu de son essence, elle
supprime pour le voyant toute limite de temps et d'espace, et affranchit
sa pensée et son intelligence de toutes les entraves auxquelles elles
sont assujetties dans l'état ordinaire. L'avenir le plus reculé ou le
passé le plus lointain sont en elle actuellement présents, et les
vérités les plus profondes, les mystères les plus cachés de l'ordre
naturel ou surnaturel se laissent embrasser d'un seul regard jusque dans
leurs fondements. L'activité des sens et les relations avec le monde
extérieur, dont ils sont les instruments, ne sont pas nécessairement
suspendus pour celui qui contemple a l'ombre de la lumière vivante "Tant
que l'âme ne voit pas Dieu ou la vérité en elle même, tant que ses
visions ont pour objet des choses créées, la lumière naturelle n'est
point un obstacle à la lumière surnaturelle, et c'est pourquoi il n'est
pas nécessaire que le contemplatif soit pleinement abstrait de toute
activité sensible. Seulement il arrive qu'à la clarté de la lumière
surnaturelle le monde sensible apparaît comme un rêve, et la lumière qui
lui est propre comme une nuit ténébreuse".
Anne Catherine éclaircit
d'une manière surprenante ce qui vient d'être dit quand elle décrit
ainsi sa vie visionnaire : "Pendant mon travail (elle veut parler des
travaux de couture pour les pauvres et les malades auxquels elle
s'occupait nuit et jour avec le plus grand zèle, quand ses souffrances
le permettaient), pendant mon travail, j'ai des visions tellement
continuelles, que je vois comme en songe courir le tranchant des ciseaux
et que parfois il me semble que je coupe au beau milieu des objets dont
je suis entourée dans la vision. Ce qui m'entoure réellement est pour
moi comme un rêve : tout s'y montre si trouble, si opaque et si décousu
que c'est comme un songe informe du milieu duquel je regarde dans un
monde lumineux, tout pénétré de clarté, où les choses bonnes et saintes
réjouissent plus profondément parce qu'on voit comment elles viennent de
Dieu et vont à Dieu, et où les choses mauvaises et impies affligent plus
profondément parce qu'on reconnaît la voie par laquelle elles vont du
démon au démon, contre Dieu et sa créature. Cette vie dans laquelle rien
ne fait obstacle, où il n'y a ni temps, ni espace, rien de matériel,
rien de caché ; cette vie où tout parle et où tout reluit, apparaît si
parfaite et si libre que la réalité aveugle, boiteuse et bégayante y
semble un vain songe. Ainsi, par exemple, je vois toujours les reliques
briller auprès de moi, et je vois souvent comme des troupes de petites
figures humaines planer au dessus de ces reliques dans le lointain des
nuages ; mais quand je reviens à moi, je vois reparaître les formes des
châsses et des endroits où reposent ces ossements lumineux". En ce qui
touche l'auréole des reliques, elle s'exprimait ainsi dans une autre
occasion : "Je ne puis décrire ce que je ressens, je ne vois pas
seulement, je sens une lumière, tantôt plus vive, tantôt plus pâle.
Cette lumière semble se diriger vers moi, comme la flamme suit la
direction du courant d'air. Mais je sens encore la liaison de ce rayon
avec tout un corps lumineux et de ce corps avec un monde de lumière qui
prend lui même sa source dans une autre lumière ; mais qui peut exprimer
ces choses. Ce rayon me ravit, je ne puis m'empêcher de le presser
contre mon cœur (elle portait toujours involontairement à son cœur les
fragments de reliques qu'on lui présentait) ; puis c'est comme si
j'entrais, par ce rayon, dans le corps auquel il appartient, dans les
scènes de sa vie et dans ses états de lutte, de souffrance ou de
triomphe. Car dans la vision je suis la direction qu'il plaît à Dieu de
me donner. Il y a des rapports intimes, merveilleux entre notre corps et
notre âme. L'âme sanctifie et profane le corps, autrement aucune
expiation, aucune pénitence ne pourrait s'accomplir par le corps. Comme
les saints pendant leur vie agissaient au moyen de leur corps, de même
ils agissent séparés de lui, et même encore par lui sur les croyants ;
mais la foi est la condition qui seule rend capable d'en ressentir la
sainte influence”.
De même qu'Anne Catherine
avait des visions et reconnaissait les reliques dans l'état de veille
naturel, de même aussi elle voyait dans toute l'église la célébration
non interrompue du saint sacrifice de la messe.
Un jour le pèlerin entra
dans sa chambre pendant qu'on sonnait la sainte messe ; elle priait dans
un profond recueillement, et elle lui dit ensuite : "Je voyais en ce
moment la scène du Vendredi Saint, le Seigneur s'offrant en victime sur
la croix, avec Marie et le disciple au pied de la croix, sur l'autel où
le prêtre célébrait la messe. Je vois cela à chaque heure du jour et de
la nuit ; je vois toute la paroisse, comment elle prie, bien ou mal ; je
vois aussi comment le prêtre remplit sa fonction. Je vois d'abord
l'église d'ici, puis les églises et les paroisses des environs, à peu
près comme on voit un arbre voisin chargé de fruits et éclairé par le
soleil, puis d'autres groupes d'arbres dans le lointain ou toute une
forêt. Je vois célébrer la messe dans le monde, à toutes les heures du
jour : je vois même des pays lointains où on la célèbre encore tout à
fait comme du temps des apôtres. Je vis, au dessus de l'autel, une
liturgie céleste ou les anges suppléent à tout ce qui est omis par le
prêtre. J'offre aussi mon cœur en sacrifice pour l’indévotion de
l'assemblée, et je supplie le Seigneur de faire miséricorde. Je vois
beaucoup de prêtres célébrer d'une manière déplorable. Ceux qui raides
et empesés, s'appliquent par dessus tout à être bien en règle pour
l'extérieur, sont généralement les pires, parce que souvent cette
préoccupation leur fait négliger toute dévotion intérieure. Ils se
disent toujours : "quel effet ferai je sur le peuple ?" et ils ne
pensent pas à Dieu. J'ai cette impression depuis ma jeunesse. Quand le
pèlerin est entré, j'étais à contempler la sainte messe ; je continue à
le voir et je parle comme on le fait, lorsque sans cesser de travailler,
on répond à un enfant qui fait une question. Il m'arrive dans la journée
de voir à distance cette sainte cérémonie. Jésus nous aime tant qu'il
continue éternellement son œuvre de rédemption dans le saint sacrifice
de l'autel, et la sainte messe est la rédemption historique, couverte
d'un voile et devenue sacrement. Toute opération de Dieu est éternelle,
mais dans ses rapports avec notre vie temporelle qui est successive,
elle est promesse avant d'entrer dans cette succession, et quand elle
est passée dans le temps fini, elle y apparaît sous forme de mystère et
s'y continue ainsi. Je voyais déjà tout cela dès ma première jeunesse,
et je croyais que tout le monde le voyait de même".
La communication suivante
nous donne des éclaircissements encore plus précis sur la manière dont
Anne Catherine, pendant cette double vue, restait en rapport avec les
personnes qui l'entouraient. Voici ce qu'elle dit une fois en octobre
1819 : "Depuis deux ou trois jours je suis continuellement entre la vue
sensible et celle qui est au dessus des sens. J'ai sans cesse à me faire
violence : car tout en conversant avec ceux qui m'approchent, je vois
tout à coup devant moi de tout autres choses et de tout autres scènes.
Alors mes propres paroles me font l'effet de la voix d'une autre
personne qui se ferait entendre, sourde et mal articulée, de fond d'un
tonneau vide. C'est aussi comme si j'étais ivre et au moment de tomber :
toutefois ma conversation va tranquillement son train, et souvent elle
est plus animée qu'à l'ordinaire, sans que je sache ensuite ce que j'ai
dit ; et cependant mes discours sont bien suivis. C'est une grande
fatigue pour moi que de me tenir ainsi dans deux états à la fois. Les
objets présents que je vois avec les yeux m'apparaissent confusément :
je suis à leur égard comme une personne assoupie à laquelle il vient un
songe : l'autre vue m'entraîne impérieusement : elle est plus lucide que
la vue naturelle, et ce n'est pas par les yeux qu'elle se produit".
V
Sainte Hildegarde disait
qu'elle ne savait rien que ce qu'elle contemplait et ce qu'elle
apprenait dans la contemplation : de même Anne Catherine indique ses
visions comme la source exclusive de ce qu'elle sait et de toutes ses
connaissances. Dans sa septième année, après avoir fréquenté l'école
quatre mois à peine, elle fut congédiée parce que le maître déclarait
qu'il n'avait rien à lui apprendre vu qu'elle savait d'avance tout ce
qu'il devait dire avant qu'il lui donnât sa leçon. Ce fait mérite une
attention particulière, car le procédé purement intuitif d'Anne
Catherine, à toutes les époques de sa vie et dans toutes les situations
où elle se trouvait, lui rendait presque impossible, parce qu'elle la
rendait superflue, toute réflexion rétroactive et en général toute
opération discursive de l'esprit : cela rendait souvent difficile, comme
on le fera mieux voir plus tard, la communication complète de ses
visions au pèlerin. Dans son journal de 1819, le pèlerin à consigné, à
la date du 8 mai, une observation qui trouve ici sa place : "Elle me
disait, écrit il, qu'elle n'avait jamais pu rien tirer des livres pour
son usage. Elle n'a jamais rien retenu de l'Écriture sainte, mais elle
possède si parfaite ment la vie du Sauveur, en vertu de la grâce de la
contemplation, que souvent je ne puis m'empêcher de trembler eu pensant
aux rapports si intimes et si familiers dans lesquels je vis avec la
créature la plus merveilleuse, la plus favorisée dont on ait peut être
jamais eu à parler. Une autre fois elle racontait au pèlerin : "Je n'ai
jamais rien retenu par cœur des Évangiles ni de l'Ancien Testament : car
j'ai tout vu moi même pendant tout le cours de ma vie : j'ai revu tous
les ans les mêmes choses, exactement de la même manière et avec les
mêmes circonstances quoique souvent avec l'adjonction d'autres scènes.
Souvent je me suis trouvée à l'endroit même avec les auditeurs et j'ai
assisté à l'événement comme y prenant part, cependant je ne suis pas
restée chaque fois à la même place : le plus souvent j'étais élevée au
dessus de la scène et je la voyais au dessous de moi. Il y avait
d'autres choses, principalement le côté mystérieux, que je voyais
intérieurement comme dans ma conscience, tandis que certains détails
m'apparaissaient en images hors de la scène. J'avais dans tous les cas
la faculté de voir à travers toutes choses, en sorte qu'aucun corps ne
pouvait cacher l'autre : sans cela il s'y serait mis de la confusion".
Même dans un âge plus
avancé, Anne Catherine ne pouvait pas se familiariser avec les livres :
"Au couvent, disait elle, je voulais quelquefois regarder dans les
livres, mais c'était toujours pour moi une misère. Grâce à Dieu je n'ai
presque rien lu et quand je vois un livre, il me semble que je le sais
par cœur. "Cette dernière observation s'applique surtout aux livres
ascétiques ou aux vies des saints, et elle en donne la raison dans cette
remarque singulièrement frappante sur la vie de saint François Xavier
par le P. Croiset : "il n'y a aucun saint touchant lequel j'aie tant vu
de choses ; je crois que j'ai vu toute sa vie. Ce récit qui en est fait
se présente à moi comme ces étiquettes qu'on suspend çà et là à des fils
sur un carré de jardin ensemencé, pour savoir quelle graine a été mise
dans tel et tel endroit : mais tout le carré ressemble encore à une
terre où rien n'a poussé. Cela m'aide pourtant à me rappeler le jardin
tout couvert de fleurs que j'ai vu".
Toutefois ce n'étaient pas
seulement les choses surnaturelles et les mystères de la foi qu'elle
connaissait par les visions, mais elle était instruite même en ce qui
concernait les choses de la vie commune d'une manière analogue à sa
contemplation. Elle parle à ce sujet d'une façon touchante dans une
communication relative au temps de son enfance : "Combien Dieu a
toujours été bon avec moi ! Je pouvais tout : il a travaillé avec moi
quand j'étais enfant. Je m'en souviens ; à l'âge de six ans je faisais
déjà comme à présent (dans sa 55e
année). Mon frère cadet n'était pas encore né ; je gardais les vaches et
je savais qu'il me naîtrait un frère. Je ne puis dire comment je le
savais ; mais j'avais envie de faire pour ma mère quelque chose qui pût
servir à l'enfant et pourtant je n'étais pas encore en état de coudre :
j'avais pris avec moi les habits de ma poupée et le jeune homme (son
ange gardien) vint à moi, il me donna des leçons et m'aida à faire avec
les habits de ma poupée un très joli bonnet d'enfant et d'autres petits
objets que je donnai tous à ma mère. Elle fut très surprise que j'eusse
pu en venir à bout ; elle les prit pourtant et s'en servit : je la vis
pleurer en secret et montrer tout cela à mon père et à d'autres
personnes. Elle me cacha sa surprise. A cette époque j'ai fait aussi des
bas pour de pauvres enfants avec le jeune homme. Décembre 1819.
VI
Sainte Hildegarde a
distingué une double lumière ; l'ombre de la lumière vivante et la
lumière vivante elle même. Cette dernière, ajoutait-elle, lui était
communiquée beaucoup plus rarement Elle donne à la première le nom
d'ombre parce que celle ci moins subtile et plus accommodée à la nature
humaine est avec l'autre, qui est infiniment plus vive et plus
pénétrante, dans le même rapport que l'ombre avec la clarté du soleil.
Aussi, dès qu'elle reçoit la lumière vivante, elle est ravie hors de la
sphère de sa vie ordinaire et se trouve avec la sérénité et la liberté
d'esprit d'un enfant auquel toutes les nécessités et les misères de ce
bas monde sont complètement étrangères, soit que dans ce haut degré
d'extase, elle soit privée de l'usage de ses sens et tout absorbée en
Dieu, soit que dans cette lumière supérieure elle contemple des mystères
qui ferment ses sens au monde extérieur et la remplissent d'une
consolation et d'une joie merveilleuses, afin qu'elle puisse retourner
ainsi fortifiée aux fatigues de la vie terrestre. Pareille chose se
retrouve dans la vie d'Anne Catherine. Nous ne citerons qu'un exemple
entre mille pour éclaircir ce qui vient d'être dit. La veille de Noël
1819, elle vit célébrer cette sainte fête dans l'Église triomphante et
il lui fut permis de prendre part à sa joie. "Sa jubilation fut alors si
grande que le pèlerin dominé par le sentiment de sa misère et de celle
de tous les pécheurs ne put s'empêcher de pleurer : pour elle, elle
rayonnait de joie ; son esprit, son langage et son visage étaient
vivifiés par une allégresse impossible à décrire : il y avait dans son
langage une telle profondeur, une telle facilité à exprimer les choses
lés plus sublimes et les plus mystérieuses, que le pèlerin en était
remue jusqu'au fond de l'âme. Il ne peut reproduire qu'à l'état de
misérable ébauche ce que sa parole vivement colorée ou plutôt enflammée
faisait briller au sein des ténèbres de cette vie. "
A cette catégorie
appartiennent en général tontes les visions qui mettaient Anne Catherine
en relation avec l'Eglise triomphante aux fêtes de laquelle il lui était
donné de prendre part suivant l'ordre de l'année ecclésiastique, comme
cela était arrivé autrefois à la bienheureuse Lidwine de Schiedam, avec
laquelle elle a tant de ressemblance. Dans ces occasions, elle était
tellement inondée de joie qu'elle éclatait en chants de jubilation pour
célébrer les louanges de Dieu avec les choeurs des bienheureux. C'était
aussi dans la lumière vivante qu'elle contemplait ces autres visions où
son fiancé divin venait lui même la consoler dans ses douleurs
indicibles et où elle recevait la force nécessaire pour prendre sur elle
de nouvelles souffrances.
Sainte Hildegarde dit que
son âme n'était jamais privée de l'ombre de la lumière vivante, et cela
convient aussi parfaitement à Anne Catherine : car elle non plus n'en
fut jamais privée depuis sa plus tendre enfance et elle vivait plus dans
ses visions que dans les rapports avec le monde sensible. Étant encore
au couvent,. elle eut, jour et nuit, pendant des mois entiers des
visions où elle accomplissait dans l'oraison des travaux symboliques, ce
qui ne l'empêchait pas de se livrer en même temps à des travaux de toute
espèce, soit dans la maison, soit dans l'église. Toutefois elle ne
recevait pas par cela seul l'intelligence complète de tout ce qu'elle
voyait dans cette lumière : comme sainte Hildegarde, elle avait encore
besoin de là lumière vivante pour comprendre ce qu'elle avait vu et en
pénétrer la signification. Anne Catherine, en effet, se comportait à
l'égard de toutes ses visions d'une manière purement passive, elle
recevait la vision avec candeur et comme une personne qui d'abord ne
sait pas positivement ce qui lui est montre, ni ce qui doit suivre, elle
exprimait naïvement son admiration ou sa surprise ; souvent aussi elle
demandait avec instance que telle ou telle représentation lui fût
épargnée : " Que puis je faire de cela, moi chétive ? disait elle. Elle
reçoit ensuite l'intelligence par la lumière vivante, ce qu'elle exprime
à peu près en ces termes a Mon fiancé me montrait tout clairement,
distinctement et intelligiblement, d'une manière plus claire que la
lumière du jour ; il me semblait alors qu'un enfant pouvait comprendre
tout cela, et maintenant je n'en puis plus rien rapporter.. Je voyais
infiniment de choses que le langage ne peut pas rendre. Comment exprimer
avec la langue ce qu'on voit autrement qu'avec les yeux ?
VII
A la grâce des visions
furent unies, pour Anne Catherine, des souffrances et des tortures dans
le corps et dans l'âme dont la grandeur fait trembler la nature humaine,
même lorsque pour les supporter courageusement pendant de longues années
la patience reçoit des secours qui l'élèvent au plus haut degré de
l'héroïsme : de là les supplications qu'elle adressait si souvent à Dieu
pour qu'il lui épargnât tel ou tel spectacle, de là ses plaintes
exprimées en ces termes : "Hélas ! pourquoi faut il que je voie toutes
ces choses ? à quoi cela peut il me servir ? Si l'on savait quelles
horribles souffrances je dois endurer pour pouvoir raconter tout cela ?
" Ces souffrances avaient leur source dans sa profonde connaissance de
la sainteté de Dieu et de la misère du monde, telle que le péché l'a
fait ; et comme toutes les abominations et toutes les misères de
l'humanité pécheresse lui étaient montrées à elle, la pure et innocente
enfant, afin qu'elle se chargeât de faire pénitence pour ces
innombrables offenses, elle crut souvent qu'elle ne pourrait résister à
la douleur de ce spectacle. Voici, par exemple, ce qu'elle raconta le 13
décembre 1819 : `' Toute cette nuit, j'ai eu à combattre sans relâche,
et je suis encore toute épuisée des efforts que j'ai faits pour échapper
aux spectacles lamentables que j'ai vos. Mon conducteur m'a fait faire
tout le tour de la terre, et cela en passant incessamment par de grandes
cavernes faites de ténèbres, où je voyais errer une foule innombrable
d'hommes adonnés aux oeuvres de la nuit. Souvent, quand ma tristesse
était telle que je ne pouvais plus la supporter, mon guide me conduisait
pour quelques moments à la lumière, puis il me fallait rentrer dans les
ténèbres et voir de nouveau toutes les formes de l'impiété. Souvent je
m'éveillais (du sommeil extatique ) à force d'angoisse et de terreur ;
je voyais la lune briller paisiblement à la fenêtre, et priais Dieu en
gémissant de ne pas me faire voir ces horribles images mais il me
fallait de nouveau descendre dans ces affreuses ténèbres et voir les
abominations, etc. "
Le 19 juillet 1820, l'état
où se trouvait alors l'Eglise d'Espagne et les persécutions qui devaient
plus tard fondre sur elle, furent montrés à Anne Catherine dans une
grande vision. Elle en fut si profondément affligée que cette pensée
s'éveilla en elle : " Pourquoi faut il que je voie tout cela, moi,
pauvre pécheresse ; je ne puis pas le raconter, et il y a tant de choses
que je ne comprends pas ! " Alors, elle reçut cette réponse de son
conducteur " Tu demandes pourquoi tout cela " tu ne peux pas savoir
combien d'âmes liront un jour cela et seront par là consolées, ranimées
et excitées au bien. Il existe beaucoup de récits de grâces semblables
accordées à d'autres, mais la plupart du temps ils ne sont pas faits
comme il faudrait ; puis les anciennes choses sont devenues étrangères
aux hommes de ce temps, et elles ont été discréditées par des
inculpations téméraires : ce que tu peux raconter est suffisamment
intelligible, et cela peut produire beaucoup de bien que tu ne peux pas
apprécier. Ces paroles me consolèrent.
VIII
D'après ce qui a été cité,
le lecteur peut facilement deviner combien les visions d'Anne Catherine
ont embrassé d'objets. Goerrès le père, qui avait pris connaissance des
notes du pèlerin, et qui était aussi compétent qu'aucun de ses
contemporains pour apprécier l'esprit qui inspirait la servante de Dieu,
s'exprime ainsi dans le second volume de sa Mystique, p. 348 : " Ses
visions ne se sont pas bornées à la Passion, mais, durant trois ans,
elles suivent le Seigneur pas à pas dans toutes ses courses à travers
toute la Palestine. La nature du pays, les rivières, les montagnes, les
forêts, les lieux habités, les moeurs et les coutumes, le costume et la
manière de vivre, tout passe devant ses yeux de la manière la plus
claire et la plus distincte. Aux personnages, aux localités, aux
tableaux de l'année ecclésiastique qui servent d'intermèdes, se
rattachent épisodiquement des scènes qu'un regard jeté en arrière va
chercher dans un passé encore plus reculé, en sorte que sa vue embrasse
tout ce passé en remontant jusqu'à l'origine des choses. Tout cet
ensemble se résume dans une puissante épopée religieuse qui, se jouant
entre le ciel et la terre, se divise avec les époques du monde et se
subdivise avec les générations humaines. C'est comme un océan, sorti
d'une source cachée pour entourer la terre de ses flots, et tandis que
sa surface réfléchit la magnificence de ses rivages et les richesses
accumulées par les siècles, il n'en reste pas moins transparent jusqu'au
fond, en sorte que le regard découvre dans ses profondeurs un monde de
merveilles et y saisit les liens intimes et cachés des choses : aussi
peut on voir là le spectacle le plus admirable, le plus riche, le plus
vaste, le plus profond et le plus saisissant qui se soit jamais produit
devant le sens contemplatif, même dans ce mode de compréhension
mystique. "Mais pour que le lecteur puisse arriver à une vue plus claire
et entrer davantage dans le détail de ce qu'embrassent les visions
d'Anne Catherine, on essayera, dans ce qui va suivre, de lui donner une
clef qui puisse lui ouvrir l'entrée de ce cercle merveilleux.
Comme on l'a déjà fait
remarquer plus haut, les premières visions de sa jeunesse appartenaient
pour la plupart à l'Ancien Testament : elle en eut plus tard sur la vie
du Sauveur, d'abord rares, puis de plus en plus fréquentes. Elle voyait
tout l'Ancien Testament dans sa signification figurative et éternelle,
c'est à dire dans la liaison intime qui le rattache par tous les points
au mystère de la très sainte Incarnation et à celui de la Rédemption.
Elle voyait ce rapport comme quelque chose de vivant qui descendait le
cours des siècles à travers des séries d'époques et de générations
déterminées par Dieu. Elle voyait les personnages qui, dans cet ordre
disposé Par Dieu étaient appelés par lui à avancer pour leur part la
plénitude des temps toute leur histoire et tous leurs actes jusque dans
les plus petits détails. Elle connaissait la position et la
signification particulière que chacun d'eux avait dans l'ordre du salut
par rapport à son époque et par rapport au Sauveur lui même. Elle voyait
toutes les grâces que Dieu leur avait accordées, comment Dieu les avait
dirigés et comment les fruits de bénédiction produits par l'action
qu'ils avaient exercée s'étaient perpétués de génération en génération.
Elle voyait en outre le travail de l'enfer, les formes infiniment
variées et les influences diaboliques de l'idolâtrie. Elle apercevait
toutes les perturbations suscitées par la puissance ennemie toutes les
attaques par lesquelles le royaume de Satan menaçait. dès l'origine.
l'économie du salut.
Elle voyait toutes ces
images dans un rapport continuel avec le présent. Ainsi, à la vision sur
le bâton d'Elisée, se liait pour elle la signification du bâton pastoral
des évêques, la cause de son pouvoir intérieur et de sa dignité, et la
relation de toutes ces choses avec celui qui donne à tous leur mission,
et avec la foi qui donne l'efficacité à tout pouvoir conféré par lui.
Rien donc qui ne trouve sa
place dans la sphère des visions de cette enfant humble et naïve : de
même que les plus profonds mystères de la grâce sont à découvert devant
ses yeux, de même aussi une foule de détails qui paraissent appartenir
davantage au cadre de l'Histoire Sainte sont visibles pour elle. Ainsi,
par exemple, pendant qu'elle voit le corps d'Adam dans sa gloire avant
la chute et les conséquences humiliantes que la chute entraîne pour lui
dans on rapport mystérieux avec les cinq plaies du corps du Christ, dans
les mérites infinis desquelles elle voit la restitution des cinq
effluves de lumière qu'Adam avait perdus dans la chute, mais qui lui
seront rendues dans son corps glorifié, elle voit une fois la source du
Jourdain ouverte par Melchisédech et le lit du fleuve lui être désigné
d'avance. C'est Melchisédech qu'elle voit mesurer l'emplacement de la
piscine de Bethesda, de même que les chemins et les sentiers que les
prophètes ont suivis en annonçant le Messie, et sur lesquels lui même,
pour accomplir cette figure, devait parfaire sa sainte carrière de
prédicateur. Melchisédech sépare et conduit les familles et les races de
peuples, il pose à Sion la pierre sur laquelle doit s'élever plus tard
le sanctuaire de Dieu, il planté dans le Jourdain comme des semences les
pierres qui auront à supporter l'arche d'alliance quand le peuple de
Dieu reprendra possession de l'héritage de ses pères et qui, après un
long oubli, sortent de nouveau des flots du Jourdain, afin que celui que
figurait l'arche d'alliance, le fils de Marie, reçoive sur elles le
baptême. De même enfin qu'Anne Catherine voit tous les événements de la
vie extérieure de Noé, Hénoch, d'Abraham et des patriarches, elle
reconnaît aussi la signification figurative de chacune de leurs actions
et aperçoit les liens intérieurs de la grâce et ses influences
mystérieuses, le noeud vivant et éternel par lequel les personnes, les
générations et les époques sont rattachées entre elles et au point
central de tous les temps, et elle met cela devant les yeux, dans des
visions pleines du sens le plus profond sur la bénédiction des
patriarches, l'arche d'alliance et les ancêtres de Marie.
C'est ainsi qu'elle arrive
à l'époque de l'accomplissement, et comme, auparavant, elle a vu ce qui
est nouveau dans ce qui est ancien, elle voit maintenant ce qui est
ancien dans ce qui est nouveau : toute la vie de l'Homme Dieu sur la
terre, depuis l'instant de la très sainte Incarnation jusqu'à celui où
il monte au ciel, passe devant ses yeux dans les tableaux les plus
complets, avec tout le théâtre de sa carrière et de ses opérations, avec
toutes les personnes qui se sont trouvées en rapport intime avec le
Seigneur. Elle voit le Seigneur dans les fruits de ses mérites infinis,
elle le voit par conséquent comme la tête de l'humanité régénérée en
lui, c'est à dire de son corps mystique, l'Eglise, et elle voit celle ci
dans toute sa hiérarchie, dans toutes ses parties et à tous ses degrés,
sans être limitée par le temps ou l'espace. Car en Jésus Christ qu'est
la tête, les rangs de l'Eglise triomphante lui sont ouverts : elle est
ravie en esprit pour assister à ses fêtes, suivant l'ordre de l'année
ecclésiastique, et elle y reçoit des consolations qui l'aident à
supporter les fatigues de sa course sur la terre. En lui aussi les rangs
de l'Eglise souffrante lui sont ouverts ; et en les parcourant, non
seulement elle regarde, mais elle console, assiste, délie et délivre.
En lui, enfin, toutes les
époques de l'Eglise lui sont présentes ainsi que la vie de tous ses
saints et l'action exercée par eux, à partir du temps des apôtres
jusqu'au moment où elle vit, et, semblable à une abeille, elle recueille
les fruits bénis de leurs mérites pour en tirer de quoi fortifier et
soulager tous les nécessiteux de son époque.
IX
Toutes ces visions ont le
caractère historique le plus rigoureux ; ce ne sont pas des réflexions
sur les événements, c'est le reflet immédiat, complet des faits eux
mêmes, lesquels sont présentés à la voyante comme l'image dans le miroir
(6). C'est là ce qui donne aux visions d'Anne Catherine
une supériorité marquée sur les visions de Marie d'Agreda, telles
qu'elles sont consignées dans le livre si célèbre autrefois de la Cité
mystique de Dieu. Autant ces deux personnes se ressemblent en ce qui
touche la sainteté de la vie, autant est grande d'un autre côté la
différence qui existe dans leurs prédispositions naturelles et par suite
dans la manière dont elles perçoivent la lumière d'en haut et usent du
don de contemplation qu'elles ont reçu.
La vénérable Marie
d'Agreda, favorisée dès sa jeunesse, comme Anne Catherine,
d'illuminations divines, est par nature un esprit spéculatif, viril,
qu'il est tout simple de voir procéder à la façon des théologiens et
faire usage, sans avoir besoin pour ainsi dire de les chercher, de tous
les termes et de toutes les subtilités de l'école : ce n'est qu'après
une longue préparation et après avoir longtemps exercé ses facultés
contemplatives sur tous les mystères de la foi et de la vie spirituelle
qu'elle en vient à retracer ses visions.
Mais dans la contemplation
même un esprit ainsi formé et comme armé de toutes pièces ne peut pas se
comporter d'une façon purement passive : il s'empare de l'objet, non
pour le regarder, mais pour en scruter la vérité et la profondeur, en
saisir le rapport immédiat avec sa propre manière d'être et en tirer
tout le profit possible pour soi et pour autrui. Au sein de l'abondante
lumière dont elle est favorisée, Marie d'Agreda pénètre dans les
mystères contemplés et l'intelligence qu'elle en a est aussi profonde et
aussi claire que la contemplation elle même : mais la méditation ne
cesse pas d'être méditation et ne peut s'appeler vision qu'à cause de la
lumière surnaturelle dans laquelle les mystères se manifestent a elle.
Ses visions ne sont donc pas des intuitions de faits ou d'événements
dans des tableaux strictement historiques, mais sont plutôt la
perception d'un sujet de méditation choisi par elle même dans la lumière
supérieure infuse.
Il en est tout autrement
d'Anne Catherine qui, sans choix, sans désir, n'agissant pas mais se
bornant à recevoir, voit les images qui lui sont présentées, tantôt les
accueille avec une adhésion joyeuse, tantôt s'efforce en vain d'y
échapper lorsque la peine causée par ce qu'elle voit lui semble au
dessus de ses forces. Elle est, pendant toute sa vie, la petite paysanne
simple, illettrée, tout à fait incapable de réflexion, qui ne va jamais
au delà de ce qui est immédiatement contemple ; qui vit, souffre et agit
dans la contemplation, de telle façon que le pèlerin, peu avant sa mort,
lorsqu'elle ne peut pas rendre compte d'une instruction du Sauveur, dit
en gémissant : "Je n'ai jamais vu se produire en elle une science
particulière résultant des enseignements qu'elle avait entendus, mais
seulement un ascétisme pratique toujours semblable à lui même dans ses
traits généraux. La vie de son âme est magiquement active et passive
sans raisonnement. " Le raisonnement ne pouvait assurément être son
affaire, parce que vivant exclusivement dans la contemplation actuelle,
elle n'avait besoin d'aucune idée qui en dérivât. C'est pourquoi dans
ses visions Anne Catherine se comporte d'une manière purement passive,
elle ne les comprend pas quand elles ne lui sont pas expliquées par son
conducteur spirituel ou par son fiancé divin : c'est pourquoi encore
tout ce qu'elle raconte de ses visions se distingue par une admirable
simplicité et par une clarté qui fait presque toucher les choses au
doigt, bien qu'il y ait en même temps une profondeur mystérieuse qui
partout fait dire au lecteur : il n'y a rien là d'inventé, rien qui soit
d'invention humaine. Nulle part non plus il ne rencontre l'ombre d'une
application ornée de réflexions morales ce qu'il trouve toujours devant
lui, c'est la force irrésistible de la vérité toute simple, qui dans son
caractère rigoureusement historique ne peut faire naître chez personne
la tentation de coudre ça et la quelque chose ou d'amplifier et de
moraliser. Il en est tout autrement dans les visions de la vénérable
Marie d'Agreda. comme elles se sont produites avec le concours de
l'activité humaine, elles pouvaient plus facilement donner lieu à ce
qu'un zèle peu éclairé ne se fît aucun scrupule de les dénaturer par des
additions insipides et des changements arbitraires, comme cela s'est
fait d'une manière qu'on ne saurait trop déplorer dans la Cité de Dieu (7).
Nulle part la différence
signalée entré les deux contemplatives ne frappe les yeux plus vivement
que dans ce que Marie d'Agreda et Anne Catherine disent du premier
article du symbole. Ce fut dans sa cinquième année qu'Anne Catherine eut
sa première vision sur la création du monde, le paradis terrestre et nos
premiers parents : elle contempla ces tableaux profondément
significatifs avec toute la simplicité d'un enfant, et dans sa quarante
huitième année, après les avoir vus de nouveau, elle les raconta
absolument comme elle l'aurait fait dans son enfance, rapportant
simplement ce qu'elle avait vu, sans y joindre aucune réflexion et sans
paraître le moins du monde vouloir donner des explications sur des
mystères aussi difficiles à comprendre. C'est tout autre chose chez
Marie d'Agreda, qui ne voit pas le tableau historique, mais qui sait
quelles controverses théologiques préoccupent les esprits à son époque
et de combien de façons la spéculation s'est efforcée de résoudre la
question de savoir si le Fils de Dieu se serait fait homme lorsqu'Adam
n'aurait pas péché. Elle répond à cette question d'une façon si
lumineuse et discute tous les points fondamentaux avec tant de
profondeur que le lecteur se sent très porté à croire que la réponse lui
est venue par une illumination surnaturelle.
Mais même là où elle ne
donne pas de décisions théologiques et où elle se borne à raconter des
faits comme Anne Catherine, celle ci a l'avantage de la vision purement
historique et par conséquent de la pleine vérité historique. C'est ce
que le lecteur peut voir expliqué avec une clarté surprenante dans
l'extrait suivant du journal du pèlerin.
Au récit de la mort de
saint Jean Baptiste fait par Anne Catherine, à la date du 12 janvier
1823, il objectait que Marie d'Agreda raconte la chose autrement ; elle
dit en effet qu'Hérodiade avant fait fouetter trois fois et torturer
saint Jean, Jésus et Marie lui apparurent et le guérirent, qu'il fut mis
aux fers et serait bientôt mort de faim si Jésus et Marie ne l'avaient
pas nourri ; qu'en outre, lors de son exécution, ils lui apparurent,
suivis d'une troupe innombrable d'anges, et que Marie prit dans ses
mains la tête du : précurseur. Or, voici ce qu'Anne Catherine répondit à
cela : " J'ai souvent entendu des choses de ce genre qui sont tout à
fait mal comprises : car chez plusieurs les visions ne sont pas
historiques et ne représentent pas les choses comme elles se sont
passées réellement ; mais ce sont des méditations : c'est à tort qu'on
les prend pour l'image de la réalité, ce qu'elles ne sont point, bien
que d'ailleurs elles soient vraies quant à leur signification
intérieure. Quand les visions ne sont pas fréquentes et ne forment pas
une série successive, toutes les choses y paraissent mêlées et liées les
unes aux autres, sans quoi l'on n'embrasserait pas tout ce que contient
l'ensemble. Si par exemple on doit voir qu'un homme près d'être exécuté
prie en ces termes : " Seigneur, je remets ma tête entre vos mains, "et
en outre que Dieu exauce cette prière, il peut facilement arriver qu'on
voie l'homme décapité mettre sa tête dans les mains du Seigneur qui se
tient prés de lui, ce qui du reste se trouve véritable dans le sens
spirituel, bien qu'humainement parlant, la tête tombe par terre aux yeux
de tous les assistants. Ainsi, pour la vénérable Marie d'Agreda, la rage
d'Hérodiade peut avoir été représentée par "les chaînes et les entraves
; les actes honteux et les péchés commis dans le château que Jean
ressentait douloureusement par "les flagellations et les tortures : " et
la tête entre les mains de Marie peut avoir signifié qu'au moment de sa
mort, avant de naître à la vie éternelle, Jean se souvint encore de
celle dans le sein de laquelle il avait salué et annoncé Jésus, avant sa
naissance sur la terre. On peut aussi voir toutes les pensées et les
prières d'un homme, représentées par des images où il ne faut pas
toujours voir les choses arrivées réellement. Ce sont des méditations et
elles diffèrent suivant la manière d'être et les besoins des
contemplatifs.
Si, comme on l'a déjà
remarqué, on peut admettre comme certain que la Cité de Dieu ne se
trouve pas entre nos mains dans sa forme primitive, parfaitement
correspondante à la contemplation de Marie d'Agreda, mais altérée de
mille manières par l'addition des réflexions prolixes ; si, en outre,
plusieurs lecteurs des visions présentées ici se sentent tentés
d'établir de plus près la comparaison entre celles ci et la Cité de
Dieu, c'est le cas de leur mettre sous les yeux, une vision allégorique,
d'un sens très profond dans sa simplicité, qu'Anne Catherine eut sur cet
objet.
Le 25 juillet 1822, Anne
Catherine vit beaucoup de choses touchant la vie de l'apôtre saint
Jacques, et particulièrement touchant son séjour en Espagne. Mais comme
elle avait oublié les détails d'une apparition de la mère de Dieu à
Sarragosse, le pèlerin lui lut dans l'après midi du 24 juillet le récit
de cette apparition, avec la circonstance de l'image miraculeuse
apportée par un ange, tel que le récit se trouve dans la Cité de Dieu.
Or Anne Catherine ne pouvait pas comprendre comment Marie d'Agreda, qui
était censée avoir vu la chose avec autant de détails, ne décrivait
pourtant rien et ne donnait que de pures phrases. "Je ne sais pas ce qui
en est, dit elle, mais je n'entends jamais ni Jésus, ni Marie parler
ainsi. Marie est d'une simplicité que rien ne peut rendre : tout son
être est comme un fil de soie blanche, d'une délicatesse infinie. Je ne
sens pas d'onction dans ces paroles ni dans tout ce que j'ai lu : il n'y
a là que du bruit et des ornements recherchés : il me semble voir une
belle dame avec un large éventail de toilette. "
Le lendemain elle raconta
par fragments la vision suivante sans s'apercevoir le moins du monde de
sa liaison avec les visions des jours précédents. " Il était impossible,
disait elle, d'expliquer à quoi cela pouvait avoir trait. On finit par
savoir qu'elle avait pensé au miracle de Sarragosse, et désiré le voir
de nouveau : mais elle avait été surprise a de voir tout cela d'une
autre manière, bien plus naturelle et plus claire : seulement elle ne
savait pas ce que c'était que cette personne si larges Elle avait été
introduite par son guide dans la scène suivante qui cette nuit avait
pris la place des voyages qu'elle faisait ordinairement pour porter
secours, après les visions journalières de la vie de Jésus : car elle
était allée comme de coutume par les chemins qui menaient aux pays où
elle avait quelque chose à voir.
Elle raconta donc ce qui
suit : J'ai eu aujourd'hui une curieuse histoire d'un enfant avec un
seul oeil. Je suivais avec mon conducteur le chemin qui mène d'ici en
Espagne à travers la France et, dans le voisinage de l'Espagne, à un
endroit sur le bord de la mer, où nous devions nous embarquer, nous
rencontrâmes deux personnages étranges, un vieillard à l'air grave qui
était vraiment excellent et qui possédait tout en lui même, et une large
femme, qui était singulièrement pompeuse, prolixe, contournée et
cérémonieuse. Elle portait une robe ridiculement large, qui ressemblait
par derrière à une vieille ville. Elle était avec cela couverte de
cordons avec toute sorte de collerettes et de garnitures, et elle n'en
finissait jamais avec ce qu'elle avait à faire et à dire. Ces deux
personnages avaient près d'eux un enfant merveilleux couché sous un
buisson au bord de la mer. à vrai dire l'enfant ne leur appartenait pas
: ils l'avaient pris, trouvé ou dérobé : enfin ils s'en étaient emparés
et ils voulaient s'en faire honneur ou le faire voir pour de l'argent.
Je ne sais pas bien de quoi il s'agissait, mais ce qu'ils se proposait
fit d'en faire, surtout la femme, n'était pas dans les règles. Je vis
aussi dans une vision qui faisait le pendant de l'autre que cette large
p nue qui faisait la dévote, et qui était très obstinée dans ses idées,
portant l'enfant qu'elle étouffait sous ses immenses vêtements, voulait
entrer dans l'église par un passage très étroit ; mais elle n'en venait
pas à bout et restait toujours sans pouvoir avancer, dans l'étroit
passage : elle était obligée de sortir, puis elle essayait encore
d'entrer avec une nouvelle obstination, mais sans vouloir déposer ses
vains ajustements.
L'enfant, lorsque je le
rencontrai, avait, je crois, cinq semaines ; je le pris avec moi, car je
le connaissais déjà, et je le mis dans mon tablier. Il ne voulait pas me
quitter, je lui donnai à manger, et cette femme fut obligée de se
retirer. Je ne sais plus bien comment cela se fit, mais le bon vieillard
resta toujours prés de moi. Cet enfant était celui d'un roi céleste et
d'une impératrice de la terre : je ne sais plus cette histoire. une
chose singulière fut qu'étant avec moi, l'enfant prit une croissance
très rapide : il fut tout de suite en état de parler et de marcher, bien
qu'il n'eût que cinq mois. Dans ce voyage en Espagne, il y avait
toujours des gens près de moi, c'étaient saint Jacques et ses disciples.
Je vis dans le lointain diverses personnes du temps actuel : quand nous
passions quelque part, il venait plusieurs saints qui avaient vécu dans
cet endroit ; ils étaient surpris à la vue de l'enfant qui partout se
tenait debout et enseignait, qui donnait toute espèce d'indications et
restait toujours près de moi. Mais ce qu'il y avait de surprenant dans
cet enfant, c'est que ses yeux étaient fermés, et qu'il avait sur le
front un oeil semblable à un soleil, semblable à l'oeil de Dieu ; et
qu'en parcourant avec moi toute l'Espagne, en passant dans les endroits
où saint Jacques était allé, il me montrait tout et m'expliquait tout.
Je vis aussi une seconde fois la scène de l'apparition de Marie à saint
Jacques, à Saragosse, et tout s'y passait très naturellement. "
Si nous cherchons
maintenant à découvrir le sens de cette vision, nous pouvons voir
Marseille dans cet endroit au bord de la mer, où Anne Catherine
s'embarque pour l'Espagne. C'est là que parut la première traduction de
la Ciudad de Dios, sous le titre de : La mystique cité de Dieu. Les deux
étranges personnages qu'elle rencontre symbolisent la double disposition
avec laquelle furent reçues les visions de la vénérable Marie d'Agreda.
Le vieil homme qui a tout en lui même est la vraie simplicité qui reçoit
avec une humble reconnaissance ce don précieux de la grâce sans se
permettre d'y ajouter des embellissements de sa façon. C'est avec cette
simplicité que la vénérable Marie d'Agreda avait reçu ses visions, et
les avait communiquées à d'autres pour obéir à l'ordre de Dieu : mais
ceux ci, ne pouvant souffrir la simplicité, font subir aux visions des
remaniements qui sont indiqués d'une manière si pittoresque par le
symbole de la femme en robe à paniers comme on les portait en Espagne au
XVII siècle. C'est pourquoi ce faux zèle qui, sacrifiant au mauvais goût
de l'époque, a dénaturé la Cité de Dieu et en a fait une pomme de
discorde théologique, n'a pas réussi à obtenir pour elle l'approbation
de l'Eglise. Le don gratuit de prophétie, tel que Marie d'Agreda l'a
reçu dans toute sa pureté, est représenté par le symbole de l'enfant né
du mariage de Jésus Christ le roi céleste avec sa fiancée l'impératrice
de la terre, c'est à dire l'Eglise. Anne Catherine le rencontre sous un
buisson au bord de la mer : car la femme aux larges atours l'a traité
comme un enfant trouvé et en a usé indignement avec lui, s'imaginant
faire une bonne oeuvre. Cet enfant de prophétie avec la vénérable Marie
d'Agreda n'a que cinq semaines et ne sait pas encore parler : avec Anne
Catherine, il grandit au quadruple et se trouve en état de parler et de
marcher. C'est un symbole non seulement de la différence de degré dans
la grâce gratuite départie à l'une et à l'autre, mais aussi de son
caractère intime. Marie d'Agreda parle elle même à la place de l'enfant
prophétique qui avec elle n'a pas encore l'usage de la parole, parce
que, recevant dans la contemplation la lumière de la science infuse,
elle laisse prédominer son activité propre tandis qu'avec Anne Catherine
l'enfant avant acquis promptement l'usage de la Parole Parle lui même
par sa bouche, parce qu'elle se borne à recevoir, et que son activité
même est passive. Elle nourrit l'enfant parce qu'elle use avec fidélité
et simplicité du don de la grâce, et le vieillard reste toujours près
d'elle, car le pèlerin reproduit les visions aussi fidèlement et aussi
simplement qu'Anne Catherine les lui communique.
Anne Catherine continua
ainsi son récit : " Partout où nous allions' il arrivait d'en haut des
troupes entières de saints qui avaient eu aussi des visions : tous
étaient émerveillés de l'enfant, et l'enfant me les montrait du doigt,
me faisant connaître comment chacun d'eux avait vu et prophétisé, et je
vis là combien il y a de diversité et de variété dans les procédés. Et
cela s'est fait sur toute la terre dans tous les temps et par les
prophètes de l'Ancien Testament en remontant jusqu'à Adam. C'était
incroyablement multiple et varié, mais pourtant suivant un ordre
régulier, en Sorte que je pouvais saisir l'ensemble. Je me rappelle
encore comment la mère de Samuel pria devant l'arche d'alliance ; Héli
voulait la renvoyer, car elle avait je visage enflammé par l'ardeur de
son désir, et il la croyait ivre. Mais un rayon partit de l'arche et
vint sur elle. J'y vis comme un petit enfant, et Héli lui dit que sa
prière était exaucée et qu'elle aurait un fils. Il tenait comme une
cassette en face d'elle (8) lorsqu'il la bénit. Je vis aussi infiniment
de choses sur tous les prophètes et sur toutes les sortes de visions et
de prophéties. Mais tous s'émerveillaient à la vue de l'enfant comme si
personne encore n'avait possédé cet enfant de la même manière que moi. "
" Je vis aussi la prophétie
qui émane de l'empire des ténèbres et celle qui appartient à l'ordre
naturel, celle ci se liant de près à l'autre. Je vis ces divers règnes
comme de grosses boules rondes de couleur sombre, les unes plus
obscures, les autres plus claires, et semblables à des sphères
terrestres : toutes les choses que l'on voit ainsi en général comme dans
un seul ensemble, on les voit comme des globes terrestres. Je vis des
esprits au centre et je vis certaines influences passer d'un de ces
globes dans les autres et à travers les autres. Je vis les somnambules
magnétiques, soit dans une de ces sphères ténébreuses, soit influencés
par elle, car la plupart du temps je vis devant le magnétiseur un esprit
ténébreux venant de ces sombres royaumes entrer dans ceux qui parlent en
rêvant et en prendre possession (8).
Je vis que leur divination
était, la plupart du temps d'origine terrestre, et qu'il y avait là
quelque chose d'indécent et de dangereux, mais à divers degrés. Je vis
des religieux et des religieuses visionnaires auxquels arrivaient
quelques rayons partant de ces sphères ténébreuses : il y en avait
plusieurs en Espagne, jusque parmi ceux qui voyaient des choses de
l'ordre spirituel, même des représentations de la passion et de la vie
du Christ. Il s'en trouvait parmi ceux là qui se macéraient et se
mortifiaient beaucoup, et pourtant des forces venant des régions
inférieures, traversaient leurs apparitions et en altéraient le
caractère par des influences appartenant aux sphères diaboliques ou
naturelles, avec lesquelles ils se trouvaient en quelque rapport par
leurs faiblesses. Le caractère personnel de leurs supérieurs
ecclésiastiques et les sphères du ressort desquelles étaient ceux ci
exerçaient aussi une action. J'en vis qui étaient entièrement dominés
par les puissances mauvaises. "
"Je vis tous ces rapports
avec des esprits et des démons jusque parmi les anciens païens et chez
les Maures et les sauvages. Si je pouvais redire tout ce que j'ai vu, on
en ferait un gros livre. "
Je vis aussi les modes tout
à fait divers de l'intuition. Quelques uns étaient subitement entourés
par les figures : ils les retraçaient sous une forme abrégée et elles
restaient tout ce temps devant eux. D'autres étaient remués au fond de
l'âme, parlaient longuement et écrivaient de grands sermons. D'autres se
sentaient intérieurement réconfortés ils recevaient toute espèce
d'images allégoriques mêlées à des scènes historiques, et quand ils les
racontaient, ils ne savaient pas faire la distinction mais je n'en vis
aucun qui eût vu les scènes jour par jour et simplement comme elles
s'étaient passées.
Je crois que la nuit
dernière, je dois avoir parcouru toute la. terre avec l'enfant : quand
j'arrivais à un endroit où je pouvais assister des malades ou des
mourants, ou rendre quelque autre service, je quittais l'enfant et
faisais mon travail : car mon guide était toujours là. Mais je voyais
dans le lointain autour de l'enfant et aussi autour de moi beaucoup de
personnes de mon temps et de ma connaissance qui s'émerveillaient. Ce
sont peut être ceux qui dans l'avenir acquerront une connaissance plus
détaillée de ces choses.
"Je m'éveillai enfin après
ces tableaux, et je vis l'enfant qui était couché près de moi, ce qui me
fit peur. Je m'endormis de nouveau, et alors je me trouvai toute petite
à Flamske dans notre maison : comme je suivais mon chemin derrière le
troupeau sur la lande, je trouvai dans un buisson l'enfant redevenu tout
petit : je courus chercher de la bouillie et je lui donnai à manger. Je
vis ensuite toute une série de tableaux, comprenant toute ma vie
jusqu'au moment présent ; je vis arriver l'enfant, j'eus une répétition
complète de mes destinées, de mes consolations et aussi de toutes les
douleurs que j'ai eu à endurer et j'étais toute brisée par la
souffrance. J'eus aussi à subir de nouveau les deux enquêtes et la
dernière avec tout ce qu'elle avait d'affreux. Je vis aussi l'enfant à
Rome où il montrait toute sorte de choses. Je vis encore l'enfant
enseigner à Munster à une autre époque. Là où était le château, beaucoup
de choses avaient disparu. Je vis une autre manière de vivre : quelques
messieurs de l'époque actuelle passèrent devant moi : ils étaient vieux
et mécontents, et parlaient de changements qu'ils trouvaient incommodes.
Je vis sous la figure d'un enfant l'évêque qui devait commencer à bien
arranger les choses. Peut être qu'il est encore enfant : il n'était pas
du pays. à l'époque où ces dernières choses auront lieu, je serai déjà
morte. "
Dans ces tableaux j'ai
souvent vu le pèlerin près de moi. Je n'avais pas peur de lui, et
l'enfant non plus : il l'accompagnait tranquillement et sans s'étonner.
Je vis aussi mon confesseur qui souvent ne comprenait pas l'enfant et
voulait le chasser ou le cacher, mais toujours inutilement : il restait
près de moi et revenait aussitôt. Il se tenait souvent loin de lui, puis
il se familiarisait de nouveau avec lui, mais il ne le comprenait jamais
parfaitement et il en avait peur. Je vis encore que le père Lambert
comprima souvent l'enfant et tout le mal qu'on lui fit. Je vis aussi
beaucoup de gens pour lesquels il fut plus tard un sujet de grande joie
et de grande admiration.
Le pèlerin ajoute ce qui
suit à son compte rendu de cette singulière vision : "D'après cette
misérable esquisse bien embrouillée, on peut juger dans quelle mesure
elle a vu, et se figurer tout ce qu'elle a vu et tout ce qui manque ici.
"
Maintenant que le lecteur,
pour avoir la pleine confirmation de la vision allégorique, compare ce
qu'Anne Catherine a communiqué sur l'apparition de Marie à Saragosse,
avec ce que la Cité de Dieu met dans la bouche de Marie d'Agreda sur le
même sujet. Voici le récit d'Anne Catherine : «Je
vis saint Jacques, accablé de tristesse à l'approche d'une persécution
qui menaçait l'existence de la communauté chrétienne de Saragosse, prier
pendant la nuit au bord du fleuve, devant le mur de la ville : il avait
avec lui quelques disciples qui étaient dispersés ça et là, et couchés
par terre ; je me disais : c'est comme le Christ sur le mont des
Oliviers. Jacques était couché sur le des, les bras étendus en croix. Il
priait Dieu de lui faire connaître s'il devait rester ou fuir : il
pensait à la sainte Vierge et demandait qu'elle priât avec lui pour
obtenir conseil et assistance de son Fils qui l'exaucerait certainement.
je vis alors quelque chose resplendir dans le ciel au dessus de lui :
c'était une colonne dont la base envoyait un rayon plus brillant à deux
pas en avant des pieds de l'apôtre comme pour désigner par là une place
déterminée. Cette colonne répandait une lueur rougeâtre où se montraient
comme des veines de diverses couleurs. Elle était haute et mince et se
terminait au sommet comme par une fleur de ils, formée de langues de feu
qui se déployaient tout autour, tandis que l'une d'elles s'agitait au
loin vers le couchant dans la direction de Compostelle. Dans cette fleur
lumineuse je vis la figure de la sainte Vierge : elle était d'une
blancheur diaphane, plus douce et plus agréable à l'oeil que le brillant
de la soie écrue, et se tenait dans l'attitude qui était habituelle à
Marie lorsqu'elle était en prière. Elle avait les mains jointes et son
long voile était relevé d'un côté sur la tête, mais l'autre extrémité
descendait jusqu'aux talons et l'enveloppait entièrement, et ses pieds
posaient légèrement sur la fleur lumineuse formée de cinq langues de
feu. Il y avait dans ce spectacle un charme et une beauté que rien ne
peut rendre. Je vis Jacques se redresser sur ses genoux en priant, et
averti intérieurement qu'il devait aller en Galice, pour y annoncer la
foi, et que la prière de Marie l'y précéderait et s'y enracinerait comme
une colonne. Je vis alors la colonne s'élever et se perdre dans la
lumière. Jacques se leva, il appela les disciples qui vinrent à lui en
toute hâte, leur raconta l'apparition merveilleuse, et ils suivirent
tous des yeux la clarté qui s'évanouissait peu à peu. Je vis aussi
Jacques, avant son départ pour la Galice, enseigner en ce lieu et parler
de cette vision ; à l'endroit qu'avait désigné le rayon parti de la
colonne, on érigea une pierre avec un creux où l'on planta quelque
chose. Je ne vis pas d'anges accompagner cette apparition, et je
n'entendis aucune parole sortir de la bouche de Marie ; elle se tenait
debout, priant tranquillement, comme peut être en ce moment même elle
priait dans sa chambre. Je vis aussi la colonne et l'image de la mère de
Dieu qu'on révère aujourd'hui en cet endroit comme y ayant été apportée
du ciel. Elle est toute différente : elle est belle à la vérité, mais
elle est très petite et n'est pas ressemblante. J'ai oublié d'où elle
tire son origine. Je vis aussi que ce ne fut qu'assez tard qu'une église
s'éleva à cette place et seulement quand cette apparition eut été
confirmée par un miracle. " Pendant que je voyais cela, il se trouvait
là beaucoup de saints, et d'autres personnages qui devaient attester ce
que disait l'enfant prophétique.»
X
Le pèlerin fait une
distinction entre les visions historiques d'Anne Catherine et ses
visions allégoriques, et outre celles ci, il distingue encore ce qu'on
appelle la clairvoyance. En ce qui touche les visions allégoriques, on
verra bientôt qu'elles ne peuvent être nommées ainsi que par rapport à
nous qui ne sommes point contemplatifs, mais que pour Anne Catherine
elles ont quelque chose de réel, d'immédiat et d'actuel comme celles qui
sont proprement historiques.
En effet, l'intuition
d'Anne Catherine étant l'oeuvre de la grâce qui saisit l'homme tout
entier, l'âme avec toutes ses puissances se trouve introduite dans
l'ordre supérieur qui lui est ouvert par la lumière divine infuse : il
s'ensuit que la faculté de connaître n'est pas seule à percevoir et à
agir, mais qu'il en est aussi de même de la volonté ; c'est à dire que
la contemplation est aussi amour et action dans l'amour, et que ces deux
puissances agissent de concert. Mais cette action en tant que méritoire
a un double caractère. Car elle est dépendante des lois de l'ordre
surnaturel dans lequel la contemplation se meut, comme des lois de la
vie terrestre à laquelle elle continue d'appartenir et de payer son
tribut.
Un exemple servira à
éclaircir ce qui vient d'être dit. Une fois, dans ses visions sur les
années de prédication du Sauveur, Anne Catherine le voit parcourir la
haute Galilée avec six de ses disciples par une admirable nuit d'été
qu'éclaire la lumière des étoiles. Elle fait des actes d'adoration et
d'amour, elle demande pour elle même et pour l'Eglise de son temps la
communication des grâces attachées à la très sainte vie du Sauveur sur
la terre, puis dans un travail en oraison qui s'intercale dans cette
vision historique il lui est accordé de puiser pour elle et pour
d'autres à la source éternelle, inépuisable de ces mérites de son
Rédempteur : " Lorsque je me rapprochai du Sauveur, dit elle ? je vis
errer autour de moi un bétail innombrable, des vaches, des brebis de
très grande taille et de petits animaux sauteurs avec des oreilles
pointues. Je voulais rassembler les vaches, mais elles s'échappaient
toujours les unes d'un côté, les autres de l'autre, et j'avais beaucoup
à faire. une chose singulière, c'est que ce bétail appartenait à Jésus
et aux apôtres, et qu'un des apôtres me dit de le mener à une étable
qu'il me montra. Cette étable ressemblait tout à fait aux grandes
hôtelleries où s'arrêtèrent les trois rois dans leur voyage ; j'y fis
entrer ces animaux. C'est tout en me livrant à ce travail de bergère que
je vis lé tableau du voyage de Jésus. L'apôtre ne s'éloigna pas de Jésus
pour me parler. Ce fut plutôt une apparition. Le jour suivant Anne
Catherine continua en ces termes : " il m'a fallu maintenant faire
sortir les vaches que j'avais rassemblées hier. J'avais à les conduire
dans notre pays : la route ne me paraissait pas plus longue que celle de
Dulmen à Coesfeld. le ne passai pas parle chemin ordinaire, c'était un
chemin imaginaire. J'eus une peine et une difficulté incroyables à
rallier ces vaches et à les faire marcher ensemble. Je voulais le savoir
par couples, mais je n'en pus garder que trois fois sept que j'amenai à
bon port. Et avec quelle fatigue ! à tout moment quelques unes
retournaient leurs cornes contre moi, et j'eus une peine infinie à en
venir à bout. " Ici elle parla avec beaucoup de détails sur la
difficulté de faire rentrer les vaches quand il pleut, et de toute la
peine que cela lui donnait dans sa jeunesse. "J'avais bien des saints où
des personnes en prière qui m'aidaient, mais je n'avais qu'un sentiment
confus de leur présence : quand je regardais de leur côté, ils n'étaient
plus là. Lorsque j'allai chercher le bétail, je vis comme du haut d'une
montagne, Jésus et les disciples se diriger le jour du sabbat vers un
petit endroit. Je remis les vaches à l'endroit où on les attendait :
elles furent reçues par des ecclésiastiques et d'autres personnes qui
les conduisirent dans plusieurs paroisses, je crois que c'était dans les
environs de Coesfeld. "
Mon guide m'a expliqué
cette vision, et j'en ai eu beaucoup de joie. Ce sont des prières
exaucées, des grâces que j'ai obtenues pour vingtaine paroisses qui s
étaient recommandées à mes prières. J'ai trouvé les vaches errant ça et
là dans la terre promise, ce qui veut dire que dans ce pays il reste
beaucoup de grâces et de mérites de Jésus et des apôtres, dont on ne
profite pas et qui se perdent, que je les ai recueillis et conduits,
pour ainsi dire, avec beaucoup de fatigues à ceux qui s'étaient
recommandés à mes prières. Quand les vaches se détournaient, cela
indiquait que certains pasteurs ne persévéraient pas dans la prière,
qu'ils avaient prié avec tiédeur, que la grâce ne voulait pas aller à
eux : les zélés allaient au devant des grâces, représentées par les
vaches ( des vases vivants de la grâce, des vases de lait). Il me
fallait suppléer par des efforts extraordinaires à la tiédeur des
premiers. J'avais vingt et une de ces vaches pour différents pays : il y
en avait pour l'Irlande, pour la Hollande, et aussi pour des endroits
qui sont dans les environs de Coesfeld, d'Osnabruck et de Paderborn."
Le lecteur voit ici comment
ce qu'Anne Catherine demande pour autrui dans ses visions doit être
mérité par elle, au moyen d'oeuvres qui satisfassent pour les offenses
de ceux qui doivent participer aux fruits de sa prière. Ces oeuvres sont
à la fois image et réalité, allégorie et histoire : car elles
correspondent à l'état supérieur d'extase dans lequel elles sont une
action essentielle, positive, avec résultat réel et effectif, de la même
manière qu'elles correspondent aux choses terrestres auxquelles est
empruntée la forme ou le mode de travail fait en oraison, puisque celui
ci se rattache aux occupations habituelles de la contemplative dans sa
jeunesse.
Il y a ainsi toute espèce
de travaux de labourage, de jardinage, propres à la vie du pâtre ou à
celle du vigneron, sous la forme desquels s'accomplissent les oeuvres
d'Anne Catherine dans l'ordre spirituel. Elle connaît en général leur
sens et leur signification et sait aussi quel en est le but : car l'état
de pénurie et de détresse où se trouvent des paroisses, des districts,
des diocèses, même des pays tout entiers, lui est montré sous des images
qui répondent aux diverses formes de travail : mais elle ne racontait de
tout cela que la moindre partie et si elle le faisait, c'était
uniquement parce que cette ouvrière humble et zélée ne tenait aucun
compte de ce qu'elle accomplissait elle même, mais se plaisait à
raconter les grâces et les miséricordes de Dieu envers elle. Or ce ne
sont pas seulement des travaux, mais encore des souffrances et des
maladies se succédant constamment les unes aux autres, qui lui sont
montrées dans les visions et dont elle se charge dans ces visions. Elle
voit dans des tableaux merveilleux la signification spirituelle de
chaque maladie et sa relation mystérieuse avec la nature de l'offense
pour laquelle Anne Catherine se charge de faire pénitence. Ainsi ces
maladies ont un double caractère, le caractère physique conforme à
l'ordre naturel, et le caractère méritoire et expiatoire dans l'ordre
surnaturel. Le premier fait qu'elles suivent leurs cours avec tous les
symptômes, toutes les crises, toutes les douleurs, y compris celles de
l'agonie, que des maladies de ce genre amènent avec elles et qui ne
cessent pas lors même qu'Anne Catherine se trouve à l'état d'extase.
Dans cet état, au contraire tous les phénomènes intellectuels et
corporels se produisent avec d'autant plus d'intensité, puisqu'Anne
Catherine non seulement éprouve les sensations qui résultent de la
maladie, mais la voit clairement et la pénètre jusqu'au fond, et que par
dessus cela la faute étrangère qu'elle expie corporellement par cette
maladie, lui fait en même temps souffrir dans l'âme des douleurs
excessives.
Ce sont ces dernières
douleurs qui ont le caractère vraiment surnaturel, méritoire et
expiatoire, parce que leur source n'est pas la détresse du corps ou la
peine sensible, mais l'ardeur du plus pur amour de Dieu pour lequel rien
n'est si intolérable que de voir Dieu offensé et la perte des aines
rachetées à un si haut prix. La grandeur de cet amour est ce qui rend
Anne Catherine capable de prendre sur elle à la place d'autrui des
souffrances expiatoires, et ce qui donne devant Dieu à ce qu'elle fait
et à ce qu'elle souffre, la valeur d'un sacrifice pur auquel les mérites
du Sauveur communiquent un prix infini.
Un jour, Anne Catherine
ayant pendant tout un mois souffert des douleurs indicibles causées par
des maladies mortelles qui s'étaient succédées sans interruption,
raconta ce qui suit : "Pendant toute la nuit, j'ai eu une série de
visions d'ensemble sur ma maladie et sur les travaux auxquels il a fallu
me livrer. J'ai vu tout cela dans une grande plaine où je travaille
ordinairement. Il reste encore à labourer un coin qui est entouré d'une
épaisse haie d'épines avec une grande quantité de roses (10).
Je me suis vu moi même figurée dans différentes situations. J'étais
tantôt dans une chapelle, tantôt sur une croix, tantôt sur un rocher,
tantôt dans un marais ou au milieu des épines, etc., et j'étais étouffée
par des fleurs et des épines : j'ai été aussi transpercée avec des
flèches et des lances. une fois une valse flamboyante s'exécutait sur
mon corps, qui était entouré de plumes et d'ailes, symboles de la
fièvre.
Rien n'a été plus terrible
pour moi que la torture des convulsions, représentées par des globes de
diverses couleurs, qui se développaient, s'enflammaient, et se perdaient
les uns dans les autres en laissant échapper une vapeur brûlante. Je
commençais d'abord par franchir des précipices dangereux sur des ponts
jonchés de fleurs et de roses de toute espèce ; puis à ce travail
général venaient s'ajouter des douleurs qu'il fallait subir à la place
de certains malades qui demandaient des prières. Je me vis donc livrée à
des tortures de toute espèce, et je vis beaucoup de malades guéris. Je
vis que de pauvres gens qui ne connaissent personne, qui ne peuvent
écrire à personne, et qui pourtant réclament l'intercession d'autres
chrétiens, figurent plus souvent dans ces tableaux que ceux qui
connaissent quelqu'un, se font recommander et écrivent des lettres. J'ai
eu particulièrement à m'occuper de beaucoup de personnes malades de la
goutte.
Anne Catherine pouvait
quelquefois donner de ces informations vagues et générales sur les
travaux et sur les maladies dont elle se chargeait, comme aussi sur ces
travaux eux mêmes et sur leur but ou sur leur relation avec ce qui
devait être procuré par eux : mais quant au rapport intime entre telle
ou telle forme de travail déterminée, et tel ou tel résultat déterminé,
le plus souvent, dans l'état de veille ordinaire, elle pouvait à peine
donner quelques indications : "Car, avait elle coutume de dire, c'est
chose difficile à décrire. La nature tout entière et l'humanité sont
tellement déchues, assujetties à tant de liens et d'entraves, que, s'il
m'arrive de faire là (c'est à dire dans l'état d'extase) quelque chose
de tout à fait essentiel, et en comprenant clairement ce que je fais,
aussitôt que je suis éveillée et dans l'état naturel, ces choses me
paraissent aussi étranges qu'a toute autre personne éveillée. "
XI
Le cercle des visions
d'Anne Catherine ne serait pas complet, et il manquerait une condition
essentielle à ce qu'elle souffre et à ce qu'elle fait pour expier et
satisfaire, si sa sphère d'activité n'embrassait pas, avec toutes les
époques de l'Eglise, toutes ses parties dans le monde entier, et si elle
ne pouvait pas avoir devant les yeux toute leur hiérarchie et leurs
divisions, et même individuellement les plus ignorés de ses membres
nécessiteux, bien plus, si elle ne pouvait pas s'approcher d'eux et
frayer avec eux. Cette intuition et cette action à distance n'est
toutefois pas une clairvoyance dans le sens ordinaire du mot, mais elle
a pour condition l'infusion de la lumière surnaturelle : elle est par
conséquent l'oeuvre de la grâce comme ses visions historiques : car à la
vue à distance, se lie toujours une action en vertu de laquelle Anne
Catherine porte secours, prend des souffrances sur elle, satisfait à la
justice divine, acquiert des mérites qui profitent à ceux avec lesquels
elle est dans un rapport spirituel.
Toutes les douleurs du
corps et de l'âme que l'homme peut avoir à endurer, tous les dangers qui
menacent sa vie terrestre et temporelle, ou sa vie spirituelle et
éternelle, sont montrés à Anne Catherine ; et cela non seulement dans
leur généralité, mais dans des cas particuliers s'appliquant à des
personnes déterminées, lesquelles, suivant l'ordre mystérieux établi par
Dieu, doivent être secourues par l'intermédiaire de sa fidèle servante.
Ainsi il y a dans les prisons, dans les hospices, dans les hôpitaux,
dans les cabanes où s'abrite la misère, dans les maisons de correction,
dans les bagnes et sur les navires des pirates, des pauvres et des
malades auxquels elle vient en assistance. Ce sont encore des
malheureux, délaissés et oubliés de tous, non seulement dans son pays et
dans les pays voisins, mais en Russie, en Chine et dans les îles de
l'Océan Pacifique ; dans les vallées les plus reculées de la Suisse, du
Tyrol et de la Savoie, comme sur les montagnes de la haute Asie, que
tantôt elle console, tantôt elle conduit à l'Eglise, et par là au salut
éternel. Elle assiste des mourants, sauve des personnes en danger de
mort, empêche des crimes, convertit des pécheurs, pousse à la confession
et au repentir des criminels qui ont caché leurs péchés pendant de
longues années ; mais surtout ce qui est l'objet incessant de ses
contemplations et par là même de ses souffrances expiatoires et de ses
peines sans nom, c'est tout le mal qui est fait à l'Eglise, soit par le
pouvoir temporel ou par la haine et les attaques des incrédules, soit
par le manque de conscience et la mondanité des prêtres et des pasteurs,
ou par l'indifférence, la dissipation et l'abus des grâces. Elle va à
l'encontre des menées secrètes des loges maçonniques, qu'elle voit comme
la contrepartie de l'Eglise, avec toute leurs ramifications et toute
leur histoire et qui ourdissent leurs trames comme les fils d'une toile
d'araignée ; et d'autre part elle fait pénitence pour des fautes contre
les rubriques commises dans la sainte messe, comme pour toute
irrévérence envers le très Saint-Sacrement. Elle met obstacle à des vols
sacrilèges et à des profanations d'églises, assiste à des assemblées
ecclésiastiques pour empêcher au moins des mesures dictées par une
fausse sagesse humaine et un sot pédantisme. Elle voit toutes les formes
du culte rendu au monde, par lequel bien des prêtres aveuglés deviennent
les serviteurs du prince des ténèbres, et voit dans des visions remplies
de douleurs indicibles toute l'irrévérence et le mépris avec lequel ils
traitent les choses les plus saintes et perdent toute espèce de grâces
pour eux et pour leurs troupeaux. Elle souffre pour des séminaires et
des communautés religieuses ; dans les dernières années du pontificat de
Pie VII, elle fait journellement des voyages en esprit à Rome, pour
consoler le Saint Père, l'éclairer et lui dévoiler les plans de
l'impiété. Mais sa première vision de ce genre eut lieu dans sa onzième
année lorsque Marie Antoinette, l'infortunée reine de France, lui fut
montrée dans sa prison, afin qu'elle priât pour elle.
Si le lecteur trouve
inconcevable et impossible à admettre ce don merveilleux, inou' de vue
et d'action à distance, et juge qu'on lui demande trop en voulant lui
faire croire qu'Anne Catherine qui, pendant l'espace de douze ans, fut
hors d'état de quitter son lit, parcourait, semblable à un ange gardien,
toutes les parties de l'Eglise pour assister et sauver dans leur corps
et dans leur âme un nombre infini de personnes, il éprouvera moins de
répugnance à admettre une chose aussi extraordinaire, s'il veut bien se
représenter sur quel fondement ce don reposait et de quelle manière
celle qui en était favorisée était obligée de le mériter chaque fois
comme de nouveau. C'était le plus pur, le plus saint amour de Dieu et du
prochain qui, dès ses premières années remplissait avec une telle
puissance le coeur d'Anne Catherine, que son unique désir était de
procurer la gloire de Dieu et de souffrir pour les hommes ses frères.
Elle était dès le principe douée d'un sentiment si élevé et si vivant du
travail intérieur qui se fait dans tous les membres du corps de l'Eglise,
elle comprenait d'une façon si pénétrante comment un membre peut opérer
pour l'autre par la prière, par l'expiation, par la pénitence, que les
misères du monde, des pécheurs, des affligés de toute espèce lui
causaient la plus amère tristesse et qu'un désir insatiable la poussait
continuellement à implorer Dieu pour toutes les nécessités du monde et à
s'offrir à lui en sacrifice pour tous. Etant encore enfant, elle se
refusait toute douceur et s'exerçait à toutes les mortifications
corporelles ; en outre, quand elle voyait pleurer des enfants malades,
elle demandait à Dieu de pouvoir prendre leurs souffrances, et ses
prières étaient la plupart du temps instantanément exaucées. Mais si
elle était témoin d'une offense faite à Dieu, cela lui allait au coeur
encore plus profondément, et elle ne pouvait pas trouver de repos
qu'elle ne l'eût réparée aussi bien qu'il lui était possible. Etant une
fois aux champs avec d'autres enfants, elle vit que quelques uns d'entre
eux se comportaient indécemment dans leurs jeux : cela lui inspira une
telle horreur qu'elle se retira en toute bâte et se roula dans des
orties pour punir ce péché sur elle même, elle à qui Dieu avait daigné
accorder le rare privilège de ne jamais soupçonner le moins du monde,
pendant tout le cours de sa vie, ce que c'était qu'une révolte des sens
ou un désir charnel.
Toute sa manière d'être et
tout son extérieur étaient un reflet de cet amour saint et naïf, et
exerçaient sur tous ceux qui l'approchaient une influence secrète qui
les faisait s'adresser à elle avec confiance pour être assistés. " Je ne
sais pas d'où vient cela, disait elle un jour au pèlerin, mais déjà,
quand j'étais jeune fille, tous ceux qui avaient un mal venaient à moi
et me le montraient pour savoir ce que j'en pensais. Je suçais alors les
blessures et je disais que cela ne me dégoûtait nullement (11),
et que le mal se guérirait. Du reste il me venait souvent à l'esprit
toute sorte de remèdes innocents. Au couvent une pauvre femme vint une
fois me trouver : elle avait un doigt malade ; tout son bras était
devenu noir, et le docteur K... l'avait grondée d'avoir laissé
s'envenimer le mal au point de rendre nécessaire l'amputation du doigt.
Cette femme était toute pâle, elle vint se plaindre à moi et pleurait
beaucoup, me priant de lui venir en aide. Je priai pour elle et il me
vint l'idée d'un remède. J'en fis part à la révérende mère qui me permit
d'essayer de la guérir. Je pris de la sauge, de la myrrhe et de l'herbe
de la sainte Vierge que je fis bouillir dans de l'eau avec un peu de vin
blanc, j'y ajoutai de l'eau bénite et je fis un cataplasme pour le bras.
Ce fut sans doute Dieu lui même qui m'inspira : car le jour suivant le
bras était désenflé. Quand au doigt qui était encore très malade, je lui
dis de le tremper dans de la cendre de lessive mêlée d'huile. L'abcès
s'ouvrit, il en sortit une grosse épine et elle guérit complètement. "
Avec le don d'intuition, la
sphère d'activité la plus étendue était départie à cette charité
infatigable, qui ne reculait devant aucun sacrifice : " Dans mon
enfance, dit elle, j'étais toujours absorbée en Dieu ; mon guide me
menait prier devant des cavernes et des prisons, et quand il n'en
résultait rien, je me couchais devant l'ouverture, je pleurais sans
relâche et je criais vers Dieu les bras étendus. Je me suis toujours
mortifiée pour les pauvres âmes, je me suis toujours recueillie ; et
quand on disait ou qu'on faisait quelque chose de mal, je faisais une
croix sur ma poitrine, comme ma mère me l'avait enseigné. J'étais
intérieurement absente tout en me livrant à mes occupations, et j'avais
toujours des visions, Quand j'allais aux champs ou ailleurs avec mes
parents, je n'étais jamais sur la terre. Tout ici bas n'était pour moi
qu'un rêve obscur et confus, c'était ailleurs qu'étaient la vérité et la
clarté céleste, et il en est encore de même aujourd'hui. Oh ! combien
j'ai eu de tentations à souffrir de la part du diable ! C'étaient des
choses dont je n'avais aucune idée. Je voyais des noces et des orgies où
on commettait les péchés les plus abominables, et j`implorais Dieu et il
me retirait ces visions. "Dans une vision elle guérit ses parents
malades ; d'autres fois elle assiste des gens à Alger ou à Siam ; elle
voit des navires en détresse, des voyageurs en péril, et elle court à
leur aide en priant. Pendant qu'elle porte secours dans un lieu, elle
voit tout à coup dans un autre, même au delà de la mer, un danger encore
plus imminent.
C'est pour elle comme si
elle pouvait étendre la main jusque là, à atteindre en esprit et y faire
sentir son assistance ; et dans le fait elle l'y fait sentir. Elle se
retrouve plus tard au même endroit, voit comment elle a porté secours et
si ceux qu'elle a sauvés, ranimes, consolés, profitent de l'assistance
qu'ils ont reçue ou en conservent les fruits. En quoi consiste cette
assistance donnée par sa prière dans l'état de contemplation, c'est ce
dont le lecteur peut juger d'après la communication suivante :
" Quand je prie en général
pour ceux qui souffrent, je fais ordinairement le Chemin de la Croix à
Coesfeld et à chaque station de la Passion du Seigneur, je prie pour une
nouvelle catégorie d'affligés, et il me vient alors des visions où les
gens qui ont besoin de secours me sont montrés autour de moi, selon la
position des lieux où ils se trouvent, car, de la station, je vois dans
le lointain une scène à droite ou à gauche. Ainsi aujourd'hui (2
décembre 1818), je m'agenouillai à la première station et je priai pour
ceux qui se préparaient à la confession pour la fête, afin que Dieu
voulût bien leur accorder la grâce de se repentir sincèrement de leurs
péchés et de ne rien passer sous silence. Alors je vis en différents
endroits des gens prier dans leurs maisons ou aller de côté et d'autre
pour leurs affaires ; je les vis aussi penser à leur conscience, je vis
quel était l'état de leur coeur et je les excitais par ma prière à ne
pas se rendormir dans le sommeil du péché. Je voyais les personnes au
moment même où je priais. Je vis deux filles prier à genoux dans la même
chambre, mais chacune de son côté à la deuxième station, je priai pour
ceux auxquels leur mission et leur détresse ôtent le sommeil, afin que
Dieu leur donnât consolation et espérance. Je vis alors dans plusieurs
misérables huttes des gens qui se retournaient sur la paille en pensant
qu'ils n'avaient rien à manger pour le lendemain. et je vis que ma
prière leur procurait le sommeil. à la troisième station, je priai pour
empêcher les contestations et les querelles, et je vis dans une maison
de paysans un mari et sa femme qui se querellaient étant au lit et qui
se donnaient méchamment de grands coups de coude. Ah ! Pensai je, cela
fera une mauvaise nuit ! Alors je priai pour eux, ils s'apaisèrent, se
pardonnèrent mutuellement et se donnèrent la main. A la quatrième
station, je priai pour les voyageurs, afin qu'ils laissassent de côté
toute pensée mondaine et allassent en esprit visiter à Bethléhem le cher
enfant Jésus ; je vis alors autour de moi, dans le lointain, plusieurs
personnes voyageant dans diverses directions avec des fardeaux sur le
des, et l'un d'eux était un curieux personnage qui allait devant lui
comme un fou, avec les allures d'un paillasse ; il me semblait avoir
trop bu et s'avançait en chancelant de côté et d'autre. Comme je priais
pour lui, je le vis tomber tout de son long sur une pierre et dire :
`C'est le diable qui a mis des pierres sur mon chemin. Mais aussitôt il
se releva, ôta son chapeau et se mit à prier tout bas et à penser à
Dieu. Je ne pus m'empêcher de rire à la cinquième station, je priai pour
les prisonniers qui, dans leur désespoir, ne se souviennent pas du saint
temps de l'Avent et qui sont privés de cette puissante consolation ; là
aussi je fus consolée, etc. "
Voici une autre
communication non moins instructive d'Anne Catherine, qui montrera au
lecteur combien lui coûtait cher chaque secours qu'elle portait : "
J'étais hier au soir si misérable et je désirais tant qu'on me retirât
de mon lit, que je me croyais au moment de mourir ; et comme je ne
recevais aucune assistance, j'offris ma peine à Dieu pour tous les
malheureux et les délaissés qui languissaient sans secours, sans
consolations et sans sacrements. J'étais complètement éveillée et je vis
tout à coup autour de moi d'innombrables scènes de douleur, les unes
tout près, les autres à de grandes distances, sur toute la surface de la
terre ; c'étaient des gens délaissés, languissants, affamés, sans
prêtres et sans sacrements, malades, égarés, mourants, captifs, dans des
huttes, des cavernes, des cachots, sur des navires, dans le désert, même
dans de grandes villes, etc. ; j'eus un ardent désir qu'ils fussent
secourus et j'implorai Dieu à cet effet. Mais il me fut dit : " Tu ne
peux pas obtenir cela gratuitement, il y faut du travail. "Sur quoi, m'y
étant résignée, je me trouvai dans un état épouvantable. Je me vis
fortement garrottée avec des cordes passées autour des bras, des jambes
et du cou, et je fus alors si horriblement tirée dans tous les sens, que
c'était comme si l'on m'eût arraché tous les membres et tous les nerfs.
Mon cou serré m'étranglait, ma langue était toute raidie, les os de la
poitrine se soulevaient convulsivement : j'étais à l'agonie à force de
douleurs. Je vis pendant ce temps là le secours arriver à beaucoup, de
ces malheureux, et pendant que j'étais dans cet état on refit mon lit. "
Ces souffrances durèrent plusieurs jours ; elles allèrent même en
augmentant. Anne Catherine fut formellement crucifiée. Le pèlerin la
trouva ayant le cou et la langue tout gonflés, ce qui rendait
horriblement douloureux les vomissements continuels auxquels elle était
sujette. Aux scènes de malades succédèrent des visions relatives à l'Eglise,
et Anne Catherine eut à souffrir pour les besoins et les misères de l'Eglise.
XII
Dans les deux cas qui
viennent d'être mentionnés, l'intuition à distance eut pour point de
départ une ardente prière pour le soulagement des douleurs d'autrui ;
mais il arrivait d'autres fois qu'Anne Catherine passait avec sa
clairvoyance d'une vision historique au présent immédiat, pour procurer
à quelque affligé la grâce éternelle, inépuisable du mystère ou du
mérite qu'elle avait contemplé dans la sainte vie du Sauveur sur la
terre. Il y avait des cas fréquents où Anne Catherine était appelée par
son guide et conduite par lui dans des lieux déterminés et à des
personnes qui avaient besoin d'assistance. Comme, en outre, ainsi qu'on
en a dit quelque chose plus haut, elle fut conduite en esprit et en
corps aux saints lieux de la Palestine, pour ses visions historiques sur
les années de prédication du Christ, il est nécessaire de dire quelque
chose de plus spécial sur ces voyages extatiques Sur ce terrain
mystérieux on peut prendre pour guide la bienheureuse Lidwine de
Schiedam, car en ce point il y a une telle ressemblance entre elle et
Anne Catherine, que des détails un peu étendus sur la première,
serviront beaucoup à faire mieux comprendre l'autre.
La bienheureuse Lidwine ne
fut favorisée de visions qu'à un âge plus mûr et après une période
d'épreuves excessivement pénibles. Vers la fin de sa quinzième année,
elle avait été renversée sur un tas de glaçons par une amie qui patinait
et elle s'était brisé une côte. La conséquence immédiate de cette chute
fut un apostème incurable qui la jeta sur un lit de douleur, duquel,
sauf de rares exceptions dans les deux ou trois premières années, elle
ne put plus se relever jusqu'à sa mort c'est à dire durant trente six
ans. Quelques années se passèrent d'abord pendant lesquelles elle ne fit
que gémir et se lamenter sur sa malheureuse situation, surtout que ses
anciennes compagnes, qui jouissaient d'une santé florissante, venaient
lui rendre visite. Mais enfin son confesseur parvint à la consoler en
lui montrant comment elle pouvait arriver à une parfaite conformité à la
volonté de Dieu en méditant sur la douloureuse Passion de notre Sauveur.
Il la forma à cet exercice spirituel auquel, malgré les répugnances de
la nature, elle s'appliqua avec une grande ardeur, divisant chaque jour
ses méditations, suivant l'ordre des sept heures canoniques. Cela lui
fit prendre tellement ses propres souffrances en affection qu'elle
assurait que si elle pouvait obtenir sa guérison par une seule
récitation de la Salutation angélique, elle ne le ferait pas et ne
demanderait pas à être délivrée Le premier don qui lui fut accordé en
récompense de sa fidélité fut le don des larmes et pendant quinze ans
elle pleura amèrement sa première impatience : mais elle reçut aussi
d'abondantes consolations intérieures qui s'accrurent en proportion de
ses souffrances, lesquelles devinrent toujours plus extraordinaires ;
huit ans se passèrent ainsi et ce ne fut qu'alors que se produisirent
des visions et des extases dans lesquelles durant vingt quatre ans elle
fut chaque nuit, pendant une heure au moins, conduite en différents
lieux, tantôt dans le paradis et parmi les bienheureux, tantôt dans le
purgatoire et dans l'enfer, et aussi dans la Terre Sainte, à Rome et
tans d'autres endroits renommés par leurs sanctuaires, comme aussi dans
différentes communautés religieuses, sur l'état spirituel desquelles
elle reçut en général comme en particulier les informations les plus
exactes.
Dans ces voyages
extatiques, Lidwine était accompagnée de son guide spirituel, c'est à
dire de son ange gardien, qui lui apparaissait toujours brillant d'une
clarté merveilleuse et avec une croix sur le front, afin qu'elle ne pût
pas être induite en erreur par l'ange de ténèbres. " Lorsqu'elle fut
ravie pour la première fois, dit son biographe (12),
cette inexprimable séparation, qui retirait son esprit de la sphère de
la vie corporelle, lié causa une telle oppression dans le coeur et dans
le corps, qu'elle perdit la respiration et crut qu'elle allait mourir :
mais ensuite s'étant accoutumée aux ravissements, elle n'éprouva plus
rien de semblable. Tout le temps qu'elle était ravie aux lieux dont il a
été parlé, son corps restait couché dans son lit comme séparé de son âme
et privé de sentiment. "
Le plus souvent, au début
de ses voyages, l'ange prenant l'extatique par la main la conduisait
d'abord dans l'Eglise de Schiedam, devant l'autel de la sainte Vierge,
puis quand Lidwine y avait fait sa prière, il s'élançait avec elle vers
l'orient Souvent le chemin passait à travers des prairies verdoyantes
pleines de fleurs d'une odeur admirable, tellement que Lidwine hésitait
à suivre le guide qui allait devant elle, de peur de briser sous ses pas
les tiges de ces fleurs. Ce n'était qu'après avoir été avertie qu'il n'y
avait rien de semblable à craindre, qu'elle se décidait à aller plus
avant une fois il se trouva sur son chemin un fourré si haut et si
épais, qu'elle ne pouvait pas passer au travers : cependant elle se
trouva tout à coup transportée au delà par son guide, et le voyage
continua sans obstacle.
Le vénérable biographe de
Lidwine rapporte en termes exprès que ces voyages n'avaient pas lien
seulement en esprit, mais que souvent aussi il y avait ravissement
corporel. Voici ce qu'il dit à ce sujet : "Quoique cette pieuse vierge,
dans son état ordinaire, fût dans l'impossibilité de remuer le pied,
elle acquérait de bien des façons la certitude qu'elle avait été ravie
corporellement en divers lieux. Elle racontait que par la force de son
élan spirituel, elle avait souvent été enlevée jusqu'au plafond de sa
chambre avec son corps et la couche grossière sur laquelle elle
reposait. Quelque fois aussi elle était ravie corporellement par un
guide jusqu'en Terre Sainte, où elle visitait le Calvaire et d'autres
lieux consacrés qu'elle couvrait de ses baisers et baignait de ses
larmes. Revenue de là, elle trouvait à son réveil ses lèvres couvertes
de durillons, et son ange lui disait : "Tu portes ces marques afin que
tu saches que tu as été aussi ravie corporellement. "Une autre fois,
dans un voyage du même genre, elle fit un faux pas sur un terrain
glissant et se blessa dans sa chute à la jambe droite, qui resta enflée
plusieurs jours et où elle ressentit une vive douleur Comme une fois
elle visitait les principales églises de Rome, et qu'en allant de l'une
à l'autre elle se frayait avec les bras un passage à travers des
buissons, il lui entra dans le doigt une épine qui s'y trouva encore au
moment de son réveil. Lors de semblables lésions corporelles elle avait
coutume de dire, en répétant les paroles de son guide : "qu'elle croyait
avoir été ravie corporellement. Comment cela se faisait il ? ajoute le
biographe ; c'est ce qui n'est su que de l'ange qui l'attestait et au
témoignage duquel Lidwine s'en référait.
Comme la bienheureuse
Lidwine, Anne Catherine aussi était accompagnée dans ses voyages
extatiques par un guide qui commençait le voyage avec elle en partant de
l'église de son village ou du chemin de la croix de Coesfeld. On peut se
faire une idée générale du caractère de ces voyages, d'après ces paroles
d'Anne Catherine a Dans mes voyages, je pars toujours d'endroits qui me
sont connus pour aller dans des pays toujours plus étrangers pour moi à
mesure que j'avance. J'ai le sentiment de distances énormes : tantôt on
passe par des chemins unis, tantôt à travers les champs, les montagnes,
les mers et les fleuves. Je dois mesurer tout cela en pieds, souvent
gravir avec effort des montagnes escarpées. Alors mes genoux sont
fatigués, mes pieds sont brûlants, je suis toujours pieds nus ; mon
guide plane tantôt en avant, tantôt près de moi, sans remuer les pieds,
parlant très peu, faisant rarement un mouvement, si ce n'est un signe
avec la main ou une inclination avec la tête lors de ses réponses qui
sont très brèves. La plupart du temps il se trouve tout à coup près de
moi, il sort lumineux de la nuit ; j'aperçois d'abord une clarté, puis
une forme distincte : c'est comme une lanterne sourde qu'on ouvrirait
tout à coup. La nuit est dans le ciel. et une lueur voltige sur la
terre' se dirigeant vers l'endroit où nous allons. Quand j'arrive devant
de grandes eaux et que je ne sais plus comment avancer, je me trouve
tout à coup de l'autre côté et je regarde derrière moi toute surprise.
Nous passons souvent par des villes."
Dans un de ces voyages à la
Terre Sainte, Anne Catherine fut aussi une fois accompagnée par Marie
enfant : " Nous étions comme deux personnes qui marchent réellement : je
lui faisais des questions en chemin et elle m'instruisait. C'est
singulier, disais je à Marie, qu'est ce donc que cela ? Presque toutes
les nuits il me faut faire ainsi des voyages lointains où j'ai toute
sorte de choses à faire, et tout me parait si naturel et si vrai, comme
maintenant que je suis avec vous, allant dans la Palestine, et quoique
pourtant je sois dans mon lit à la maison, malade et souffrante. "Alors
Marie me répond : " Tout ce qu'on désire du fond du coeur faire et
souffrir pour mon fils, pour son Eglise et pour le prochain, on le fait
réellement dans la prière, et tu vois de quelle manière tu le fais. Elle
me dit aussi que son cher fils était toujours tout près de nous. Anne
Catherine reçut aussi une explication semblable sur les secours qu'elle
avait à procurer dans ses voyages aux gens en détresse et aux malades :
" Mon fiancé me dit que le vif désir de donner un secours de ce genre le
procurait effectivement, et que comme en ce moment je ne pouvais pas le
donner en réalité, j'avais à le donner en esprit.
Ces voyages étaient donc
réels, quoique faits en esprit, et Anne Catherine était réellement dans
les lieux où son guide la conduisait et réellement sur les chemins par
lesquels il la menait, parce que le ravissement spirituel était en même
temps un ravissement corporel. Cela pourrait être confirmé par des
expériences presque quotidiennes : mais les faits suivants peuvent
suffire. une fois Anne Catherine eut à empêcher un vol sacrilège et à
chasser les voleurs de l'ossuaire attenant à l'église où ils s'étaient
enterrés. Au moment où elle entrait en esprit dans l'ossuaire, elle eut
dans son lit un violent accès de toux, et cela à cause de la mauvaise
odeur du tabac mie ces misérables avaient fumé là. Le 17 janvier 1821,
faisant un voyage du même genre, elle eut encore de fréquents accès de
toux et elle dit : "qu'il lui fallait voyager si rapidement et dans tant
de pays différents, et que l'air lui faisait bien mal. " Une fois elle
eut un tressaillement subit, chercha autour d'elle, et ayant trouvé son
crucifix, le mit devant elle et dit : "Il y a là un ours qui me guette
dans un buisson, à travers lequel je dois passer ; avec ma croix, je
pourrai le chasser. "Aussitôt après elle arriva près du Jourdain et
parla de la vie de Jésus. Le mercredi des Cendres de la même année, elle
s'écria tout à coup : "Encore des danses ! "et elle se tordit sur elle
même et remua convulsivement les pieds ; ensuite elle parut effrayée et
sembla vouloir se défendre : " ces gens, dit elle, ont un méchant petit
chien qu'ils ont excité contre moi et qui est tout furieux. "Le jour
suivant elle dit : `' J'ai été envoyée dans un village où l'on dansait
encore. J'avais quelque chose à dire à ces gens : mais la voix me
manquait et je ne pouvais que souffler. Or, c'était comme s'ils
excitaient contre moi un petit chien très méchant : d'abord j'eus grand
peur, mais ensuite il me vint à l'esprit que je n'étais pas là avec mon
corps et qu'il ne pouvait pas me mordre. Alors je me serrai dans un
petit coin, et je vis que ce chien était le diable. Je le chassai ; je
pus alors remplir ma tâche et la danse se dispersa.
Mais le fait le plus
remarquable est le suivant :
Le 11 janvier 1823, une
fièvre inflammatoire se déclara tout à coup chez Anne Catherine, elle
eut de grandes douleurs dans le côté et perdit souvent la respiration.
Elle fit bouillir de l'orge et des figues et en fit faire un cataplasme
qu'on lui mit sur le côté : elle but aussi de ce breuvage et cela lui
procura du soulagement. Elle dit alors : "J'ai une inflammation dans le
côté : " il y a une rupture ; j'ai entendu un craquement. Je sens couler
le sang à l'intérieur : il y a engorgement dans cette partie du corps.
Je ne puis être sauvée que par un miracle. Voici ce qu'elle raconta
ensuite, pouvant à peine respirer : " il m'a fallu aller à la demeure du
pasteur (13) (Rome), où le danger était pressant. On
voulait tuer le maître valet et le petit chien, alors je me suis
précipitée, et le couteau m'est entré par le côté droit jusque dans le
dos. Le bon maître valet s'en allait chez lui ; un assassin vint à sa
rencontre sur des chemins par où il pouvait s'enfuir facilement ; il
avait sous son manteau un couteau triangulaire. Il feignit de vouloir
aborder amicalement le maître valet. Mais je me précipitai sous le
manteau, et je reçus le coup qui pénétra jusqu'au des. Il y eut un
craquement ; je pense qu'il doit y avoir quelque chose de brisé. Le
maître valet se détourna et tomba en faiblesse, l'autre s'enfuit j il
vint du monde autour de lui. Je crois que le misérable se heurta à
quelque chose de dur, et j'eus l'idée que le maître valet portait une
cuirasse. Lorsque j'eus détourné le coup, le diable m'assaillit encore
par là dessus ; il était comme enragé, me poussait de côté et d'autre et
m'injuriait : Qu'as tu à faire ici. disait il : faut il que tu sois
partout ? Mais j'aurai raison de toi.
De ces phénomènes, d'autres
lésions matérielles qu'Anne Catherine rapporta, par exemple, de
Jérusalem, ou, dans une course précipitée à travers les rues, elle se
blessa la rotule contre une pierre, ou qui furent la suite de travaux
faits dans ses visions, il résulte indubitablement que sa vie corporelle
était élevée au dessus de la sphère naturelle de la même manière que les
facultés de son âme. Il n'est pas nécessaire pour cela de se figurer le
ravissement corporel d'une manière grossièrement sensible, comme si tout
le corps était enlevé : c'est seulement la vie corporelle ou le principe
vital, élevé en même temps que la vie de l'âme au dessus de sa sphère
habituelle, et, à cause de cela même, sentant, affecté et souffrant à
distance avec ses organes sensibles de même que l'âme avec ses
puissances voit et agit à distance. De là vient que comme le dit Anne
Catherine, bien que son corps malade et souffrant reste gisant dans son
lit, c'est pourtant en lui qu'elle a le sentiment du chemin qu'elle
fait, des divers accidents du voyage, de toute la fatigue qu'elle s'y
donne, et cela de telle façon que toutes les impressions et les
occurrences qui s'y rencontrent agissent non seulement sur
l'imagination, mais aussi sur le corps lui même et y laissent des
traces.
La clef de cette
merveilleuse élévation de la vie corporelle se trouve dans la grâce de
la stigmatisation, cette transformation du corps de l'homme au corps de
Jésus Christ, la plus haute qui puisse avoir lieu Sur cette terre ; elle
se trouve aussi dans le Très Saint-Sacrement. Par cela même qu'Anne
Catherine a reçu la grâce de porter sur son corps les stigmates du
Sauveur, c'est à dire de prendre sur elle les souffrances et les
douleurs du corps physique du Christ, elle a été aussi rendue capable de
se substituer aux souffrances de sa vie mystique et d'exercer l'action
la plus étendue en souffrant par tout le corps de l'Eglise, et pour lui.
Sa vie corporelle se trouve donc nécessairement élevée au dessus des
conditions ordinaires de l'existence et de l'action terrestres. N'étant
plus confinée dans les bornes de l'espace, elle n'a besoin ni du sommeil
naturel, ni de la nourriture naturelle ; car, étant spiritualisée, elle
est active à la façon de l'âme, avec laquelle elle se soutient, vit
seulement et uniquement par le pain des anges et les rafraîchissements
célestes qui lui Sont quelquefois présentés pour qu'elle ne succombe pas
sous le poids des travaux pénibles et des oeuvres expiatoires dont elle
se charge.
XIII
Il en était aussi de même
pour la bienheureuse Lidwine, qui vivait dans un corps auquel manquait
tout ce qu'exige la vie naturelle pour pouvoir subsister même
misérablement. Dans l'apothème de Lidwine, dont il a été question plus
haut, il s'était formé des vers d'environ un pouce de long, qui la
rongeaient en trois endroits, au bas ventre et au dessus des hanches, et
dont là quantité était telle qu'il fallait leur donner de la bouillie à
manger pour sauver la malheureuse de leurs morsures. L'épaule droite
était atteinte de la même putréfaction ; l'avant bras était desséché au
point qu'on n'y voyait plus qu'un os avec des nerfs et des tendons.
Ainsi Lidwine incapable de
faire un mouvement et de recevoir le moindre soulagement, était obligée
de rester couchée sur le des et toujours sur le même endroit ; car sa
tête aussi était horriblement déformée et elle ne pouvait la remuer que
très peu et très péniblement par suite de douleurs qui ne cessaient
jamais.
Elle avait sur te front une
large fente qui descendait jusqu'à la moitié du nez ; sa lèvre
inférieure et son menton étaient également fendus, et souvent il lui
était impossible de parler à raison de l'abondance du sang qui s'en
échappait. L'oeil gauche était tout à fait perdu le droit ne pouvait pas
supporter la lumière et rendait du sang quand la clarté du jour
l'atteignait. Elle avait en outre des rages de dents qui souvent la
tourmentaient sans relâche pendant des mois entiers, et dont la violence
était telle qu'elle craignait d'en perdre la raison. Elle vomissait des
morceaux de foie et de poumon, et ses intestins vides restaient à
découvert dans ce corps rongé par la pourriture et les vers, qui,
pendant dix neuf ans, ne fut réconforté ni par la nourriture ni par la
boisson, ni par le sommeil jusqu'à ce qu'enfin le chirurgien de
Marguerite de Hollande les retira, en présence de cette princesse. On en
enterra une partie, une autre fut conservée comme souvenir de ces
merveilleuses souffrances mais plus tard Lidwine fit aussi enterrer
celle là, pour mettre un terme à l'affluence d'un grand nombre de
personnes qu'attirait le désir de voir un spectacle inouï, et l'odeur
suave qui s'exhalait continuellement des parties du corps de
l'extatique. Chose remarquable encore, il sortait chaque jour de ses
membres une telle abondance de sang et d'eau, que, suivant l'assertion
de son biographe, deux hommes auraient eu peine à emporter la quantité
qui s'en était écoulée pendant l'espace d'un mois. Comme on demandait
avec surprise d'où elle tirait cette abondance de liquide, Lidwine
répondit une fois : Dites moi où la vigne prend sa sève, quoique pendant
l'hiver elle paraisse desséchée et comme morte. En outre et suivant le
rapport de son biographe, il n'y avait aucune maladie et aucune
souffrance du corps que Lidwine n'eût éprouvée, et cela avec un
délaissement si extrême qu'une fois, dans une vision, ses larmes se
gelèrent, pendant que son corps était tout à fait glacé sur la planche
qui lui servait de lit.
Le corps de cette
bienheureuse vierge était donc privé de tout ce qui pouvait prolonger
son existence terrestre, mais Dieu y suppléait d'autant plus abondamment
par les dons de sa grâce, afin de donner à tous, dans la personne de
Lidwine, la preuve évidente que le Seigneur vit et opère lui même dans
les membres de son corps mystique qui est l'Eglise selon qu'il trouve en
eux des imitateurs fidèles. Le vénérable biographe de Lidwine rapporte
que le Très Saint-Sacrement, non seulement lui servait de nourriture
spirituelle, mais encore entretenait la vie de son corps : car moins
elle était en état de prendre la nourriture ordinaire, plus elle avait
faim de la manne céleste, sans laquelle elle ne croyait pas pouvoir
vivre. Il arriva une fois que le nouveau curé de Schiedam, lui entendant
dire qu'elle vivait uniquement de la grâce et non du pain terrestre,
prit ses paroles en méfiance et lui retira la sainte communion pendant
un long espace de temps ; puis enfin, ne pouvant plus résister à ses
supplications, il lui présenta une hostie non consacrée mais il fut
impossible à Lidwine de l'avaler, elle la rejeta de sa bouche, assurant
qu'il l'avait trompée, que ce n'était pas le sacrement qu'il lui avait
donné. Cela arriva en 1408, le jour de la Nativité de la sainte Vierge.
Le curé ne se relâcha point de sa rigueur, et la bienheureuse resta
privée de la communion jusqu'à la fête de la Conception de Marie : mais
ce jour là, un ange vint à elle et la consola, en lui promettant que
bientôt elle contemplerait dans sa chair, son Seigneur et Sauveur qui
était mort et qui avait été mis en croix pour elle. Le jour d'avant la
vigile de saint Thomas, entre huit et neuf heures du matin, comme
Lidwine méditait, les yeux fermés, une lumière extraordinaire remplit sa
chambre : elle ouvrit les yeux et vit auprès de sa couche une petite
croix à laquelle était attaché un enfant vivant, avec cinq plaies
saignantes. Elle reconnut son fiancé divin, dont la présence la combla
d'une douce joie. Lorsque la croix, en s'élevant vers le plafond de la
chambre, sembla indiquer qu'il voulait la quitter, Lidwine, enflammée
d'un ardent amour, lui cria : "O Seigneur, si c'est vraiment vous, et si
vous voulez me quitter, laissez au moins après vous un signe auquel je
puisse reconnaître que vous avez été présent ici. Là dessus il
redescendit, se transformant en une hostie entourée de beaux rayons de
lumière, et où la place des cinq plaies était marquée par cinq points
brillants : elle resta en l'air au dessus de la couche de Lidwine,
jusqu'à ce que plusieurs personnes eussent vu le miracle, et qu'on eût
aussi fait venir le curé. Quant à Lidwine, elle entra dans de tels
transports d'allégresse, qu'il fallut lui tenir le coeur, parce qu'il
semblait que la joie allait lé faire éclater. Elle obtint du curé, à
force de prières, de lui donner la communion avec cette hostie
miraculeuse.
Ce seul fait, attesté sous
serment par témoins oculaires, peut suffire ici : on pourrait en
rapporter beaucoup d'autres qui établissent d'une manière non moins
merveilleuse ce que le Seigneur opère dans ses saints, et avec quelle
fidélité il récompense dès ce monde, ce que l'on supporte, ou ce que
l'on abandonne pour lui.
XIV
Afin que le lecteur puisse
aussi se faire une juste idée de ce que Dieu exigeait d'Anne Catherine,
sa fidèle servante, pour les grâces inconcevables qui loi avaient été
départies pour le bien de son Eglise, on donnera ci après le compte
rendu du mois de janvier 1822, d'après le journal du pèlerin. Qu'on
veuille bien, eu le lisant, avoir toujours présent à l'esprit que les
maladies qui y sont décrites étaient endurées par un corps qui portait
déjà les douloureux stigmates de Jésus Christ, et qui, en outre,
souffrait d'autres lésions occasionnées par des accidents extérieurs, et
dont chacune était mortelle. Mais le résultat qu'elles auraient du avoir
était suspendu d'une façon miraculeuse, afin que dans les cruelles
maladies qui se succédaient sans relâche, elles servissent à élever
chaque douleur à sa pins haute puissance. Enfin le lecteur pourra
conclure facilement lui même du rapport suivant, qu'aucun mal ne venait
assaillir isolément Anne Catherine, mais qu'il y avait toujours action
commune des formes de maladie les plus diverses, souvent les plus
opposées, lesquelles étant imposées à la patiente pour une fin toute
spirituelle, se trouvaient entre elles dans un rapport plutôt spirituel
que physique.
1 au 12 janvier. Anne
Catherine a été, ces jours ci, malade à la mort. Sa maladie, accompagnée
d'une fièvre continuelle. avait pour caractères des crampes dans le bas
ventre, une toux convulsive, des sueurs excessives, des douleurs dans
les membres, la paralysie des intestins, un amaigrissement tel qu'on
voyait les petites éminences des os et des lésions douloureuses au dos.
Le 13 elle eut une journée passable. Cela semblait être un passage à un
nouvel état. Le soir étant en extase, elle parla de sa maladie d'une
rare naïveté comme s'il se fût agi d'une tierce personne racontant ``
qu'elle avait été près de la soeur Emmerich. Combien son état est
triste, disait elle ; elle a été bien près de mourir ; elle n'a dû son
salut qu'à sa patience, à la charité et aux soins des personnes qui
l'entouraient "( lesquelles, dans de pareils cas, ne pouvaient lui être
d'aucun secours). Alors, elle parla des fautes de cette personne, qui
avaient aggravé sa maladie. "Elle mange de la soupe pour faire plaisir
aux gens, dit elle, et cela lui fait grand mal, etc. "
14 janvier. La fièvre
diminue, la faiblesse augmente, l'amaigrissement arrive à un degré qu'on
ne peut s'imaginer. Elle souffre tant, qu'elle ne peut plus rester
couchée. Le 15 au soir, elle vomit des torrents de sang. Elle ne cesse
de dire qu'elle voit un feu allumé au dessus d'elle ; qu'il y a dans le
monde une lutte entre l'eau et le vin, que cela se passe au dessus
d'elle et que le feu doit décider.
Quoique Anne Catherine eût
annoncé d'avance ces cruelles maladies ainsi que leur durée qui devait
se prolonger jusqu'à la Chandeleur, elle avait pourtant toujours le
sentiment des approches de la mort, et par suite une tendance à croire
qu'elle allait mourir, de sorte qu'elle voyait avec peine que les
personnes de son entourage ne vissent pas dans cet état un pronostic
certain. Mais ce sentiment de la mort, est une preuve que dans toutes
ses maladies rien n'était épargné pour qu'elle eût à en supporter tous
les effets sur le corps et l'âme, et pour qu'elle en eût toute la
douleur, tout l'abattement, toutes les angoisses. Certainement son
entourage en jugeait la plupart du temps tout autrement, et le pèlerin
fait à ce propos l'aveu sincère que : " Ces dangers de mort continuels,
qui pourtant n'aboutissent jamais à une aggravation sérieuse de son
état, finissent par rendre très calme devant toutes ces maladies
désespérées et inexplicables, et l'on s'habitue prés de la malade à
regarder ce triste spectacle où l'on ne comprend rien, avec un mélange
de compassion, de consolation et de patience où l'âme ne trouve aucun
profit et dans lequel on sent un arrière goût de politique humaine qui
cherche des échappatoires spécieux.
15 au 21 janvier. Sa fièvre
continuelle et son incroyable dépérissement n'ont pas cessé jusqu'au 21
: en outre, des désordres inouïs dans le bas ventre accompagnés des
phénomènes les plus douloureux résultant des lésions dont il a été
parlé. Des crampes horribles dans lesquelles les intestins vides se
soulèvent, semblables à un paquet de cordes entortillées, et des accès
de toux convulsive qui aboutissent ordinairement à des vomissements de
sang, se succèdent presque chaque jour et quelquefois très rapidement. à
cela s'ajoute un amaigrissement qu'on ne peut se figurer, et poussé à ce
point que les petites éminences des os sont visibles. Il est touchant de
voir les stigmates imprimés sur ce squelette, où il n'y a pas un seul
point qui ne soit douloureux et qui, jour et nuit, verse de ses membres
décharnés des flots de soeur toujours mêles de sang. Du reste, la paix
de son âme va croissant avec la faiblesse de son corps et la grandeur de
ses peines. Elle supporte tout avec une résignation touchante, et il
paraît que la réception plus fréquente du Saint-Sacrement la ranime
intérieurement beaucoup depuis plusieurs jours. Au milieu de ces
souffrances, elle continue toujours à avoir des visions, où elle
travaille incessamment pour l'Eglise, et elle reste convaincue que sa
vie va prendre fin,' Le 18, elle eut une nuit un peu meilleure et un
jour d'intermittence dans la fièvre. Elle dit : "J'ai tant prié Dieu de
me secourir. Je n'ai pas reçu de réponse précise, et il m'a été demandé
si je ne m'étais pas donnée a lui comme sa fiancée, s'il ne pouvait 'pas
faire de moi ce qu'il voulait aussitôt il m'a ordonné "de faire un petit
fagot "(c'est à dire de faire des fascines de branchage pour boucher les
ornières des chemins dans la campagne, afin que les chariots de la
moisson puissent passer plus facilement. Cela se rapportait aux travaux
faits pour l'Eglise dans les visions).
Le 20 et le 21 elle resta
en proie à une fièvre continuelle, avec des alternatives de sueurs
abondantes. Le 21, où elle avait à faire des prières pour des malades,
en union avec le Prince de Hohenlohe, elle fut dans un état
d'abstraction continuelle depuis le matin où elle reçut la sainte
communion jusqu'au soir, mais toujours avec une fièvre ardente :
toutefois, intérieurement, elle était tout à fait calme et sereine.
C'était la fête de sainte Agnès, patronne de son couvent : elle crut
être assise à la table céleste avec elle et sainte Emerentienne. Elle
dit une fois : "il y a deux feux allumés en moi, l'un dans la poitrine
et l'autre dans tout le corps : ils se combattent, et je ne sais pas si
je me tirerai de là : cela dépend de celui qui aura le dessus. J'ai plus
d'une fois prié Dieu bien instamment de me délivrer de ma plus grande
souffrance, le mal confus que j'ai dans le bas ventre. Mon fiancé m'a
répondu d'un air sévère : "Pourquoi aujourd'hui ? Ne serait ce pas aussi
bien demain, ne t'es tu pas donnée à moi ? ne puis je pas faire de toi
ce qui me plaît ? "Ainsi je suis encore dans l'incertitude, et
maintenant je ne veux plus rien demander pour moi, mais je m'abandonne
entièrement à lui. O quelle grâce que de pouvoir souffrir ! Heureux
celui qui est méprisé et injurié ! il n'y a rien que je ne mérite, et je
n'ai joui que de trop d'estime. Ah ! que ne suis je couverte de crachats
et foulée aux pieds dans la rue ! Je voudrais leur baiser les pieds ! "
Lorsque le 19 au soir le
docteur L... vint la voir et la questionner sur son mal, elle dit peu de
chose ; mais le pèlerin lui donna une idée de la maladie. Plus tard,
étant passée à l'état d'extase, elle dit au pèlerin : " Comment peux tu
te mettre au milieu de mes fleurs, tu vas les écraser toutes. Elle vit
donc les indications données sur ses souffrances comme la destruction de
ses fleurs. Elle voyait souvent le commencement de nouvelles souffrances
sous l'image d'un petit garçon qui jetait des fleurs sur elle.
Le 23, elle dit : " Cette
nuit, j'ai eu à faire en sus un nouveau travail. Les souffrances se
prolongent ; elle s'en réjouit et aussi a de ce que depuis la nouvelle
année elle est toujours en campagne, et de ce qu'elle a déjà fait bien
de l'ouvrage. " Son confesseur, ému et touché des souffrances de plus en
plus horribles qu'elle éprouvait dans le bas ventre, et dont elle avait
demandé a être délivrée le jour précédent, lui donna un peu d'huile
bénite, pria sur elle et ordonna au mal de se retirer au nom de Jésus.
Le secours lui vint aussitôt : elle se sentit entièrement soulagée, et
ainsi s'accomplit ce qui lui avait été dit pour demain. Le soir, la
garde malade vint trop près d'elle avec une mèche soufrée allumée, ce
qui fit qu'Anne Catherine fut prise d'une toux mortelle avec des
vomissements de sang, à la suite desquels elle crut s'être disloqué
quelque chose dans le corps.
Les anciens accidents au
bas ventre revinrent. cependant l'huile bénite la soulagea encore.
Maintenant les symptômes de
la maladie changent. Anne Catherine prie pour une malade dont les
membres sont tout déformés par la goutte. Elle a maintenant dans tout le
corps des sueurs tout à fait semblables à celles des goutteux ; elle
ressent des douleurs de goutte dans toutes les articulations, surtout
aux mains et aux doigts, qui sont horriblement défigurés chez cette
personne. Dans le sommeil extatique elle demande qu'on lui coupe les
orteils, ils l'empêchent de marcher ; ils sont tout tordus et rentrés en
eux mêmes, et elle craint qu'ils ne se dessèchent. En outre, elle croit
porter sur ses épaules une lourde pièce de bois triangulaire, et prie
son confesseur de la lui retirer. Celui ci lui frictionna les épaules et
dit : " Elle n'y est plus. Mais quand il a fini ses frictions, Anne
Catherine dit : " il ne l'a qu'un peu déplacée, il faut que je supporte
aussi cela. "
27 Janvier. La maladie est
toujours la même : son corps maigrit encore, s'il est possible ; les
sueurs continuent, ainsi que les douleurs de goutte, qui changent
continuellement de place, et le sentiment des pouces et des doigts
tordus. La fièvre est plus rare, pouls comme celui d'un mourant. Le 25,
elle fut prise de nausées subites et d'un fort vomissement de sang, son
corps ressemblait à une masse informe. Elle resta ainsi plusieurs heures
livrée à de grandes douleurs, mais souffrant patiemment et priant en
silence : puis cet état disparut, et Anne Catherine dit qu'elle avait vu
une personne malade dont le corps était ainsi déformé. Elle avait prié
pour elle, et c'était alors qu'elle s'était trouvée si mal et qu'elle
était tombée dans cet état.
Le 29 janvier la fièvre
semble diminuer un peu, elle est dans un état de prostration effrayante
et ressent de nouvelles douleurs dans le bas ventre. Toutes ces
souffrances et ces états correspondent exactement à des états et à des
travaux spirituels et relatifs à l'Eglise. Anne Catherine le sait bien,
mais dans l'état de veille, elle est rarement en état d'en rendre
compte.
Le 29 au soir, ses tortures
augmentèrent encore après une journée de souffrances. Elle dit tout à
coup : "Qu'est ce que cette clarté qui est au dessus de moi avec une
couronne de fleurs ? " Et aussitôt ses douleurs l'assaillirent. La
douleur la faisait trembler de tous ses membres, ses muscles se
retiraient convulsivement, tous les symptômes d'une fièvre inflammatoire
se manifestaient.
Le 30 au soir, elle voit de
nouveau une pluie de feu tomber sur elle, et ses douleurs de bas ventre
augmentent, prenant sans cesse de nouvelles formes. Elle raconte le 31
au matin, que quelque chose s'est détaché en elle, lui a monté dans le
cou, et qu'elle a retiré de son gosier avec le doigt un corps visqueux,
compact de la longueur du doigt. Elle avait eu une vision sur le danger
de son état, et elle se fit mettre sur le ventre des cataplasmes de
camomille et de rue trempés dans du vin chaud : elle se fit aussi
frictionner avec de l'huile bénite. Cet état dura trois jours, "car elle
s'était chargée de quelque chose à souffrir " disait elle. Sa plus
cruelle souffrance était dans les reins et dans la rate, et la douleur
montait jusqu'aux cavités des bras. Ses souffrances étaient grandes mais
sa patience les égalait. Tout en gémissant elle ne parlait que de Dieu
et du bonheur de souffrir, priait pour les pauvres âmes qui avaient
encore plus à souffrir qu'elle, et conseillait d'étendre la souffrance
sur toute la vie, car il est plus difficile de mourir que de vivre.
Plus d'une fois Anne
Catherine, au milieu de ses horribles douleurs dont l'extase elle même
ne diminuait pas la vivacité, s'était soulevée le soir sur son lit et
avait prié d'une manière touchante, comme si elle en rendait grâces à
Dieu. Elle trouvait la force de supporter tout cela non seulement dans
le Saint-Sacrement, mais encore dans d'autres consolations sur
lesquelles elle ne s'expliqua qu'en peu de mots dans les premiers jours
du mois de février : " Combien, disait elle, j'ai été merveilleusement
soutenue par Dieu au milieu de ces souffrances ! La plupart du temps, je
voyais devant moi ou près de moi, planer comme une table de marbre blanc
sur laquelle se trouvaient des vases de toute espèce avec des sucs et
des herbes. Je voyais tantôt un saint martyre, tantôt un autre, homme ou
femme, venir à moi et m'apprêter un remède : c'était parfois un mélange,
parfois quelque chose qu'on pesait comme sur une balance d'or. Souvent
on me donnait à sentir des bouquets de fleurs, souvent quelque chose à
sucer. Ces remèdes calment souvent la douleur, plus souvent encore ce
sont des moyens fortifiants qui aident à supporter beaucoup de
souffrances qui s'entremêlent et qui viennent immédiatement après. Je
vois cela si distinctement et dans un ordre si régulier, que j'ai
quelquefois peur que mon confesseur en allant et venant ne renverse
cette pharmacie céleste. " Il en fut ainsi tout le temps que dura la
maladie.
Tel est le compte rendu
d'un seul mois : on pourrait en donner de semblables sur tous les mois
de sa vie, mais celui ci suffira au lecteur pour reconnaître sur quel
arbre de tortures sans nom ont mûri les fruits précieux qui lui sont
présentés dans les visions de cette servante de Dieu si accomplie et
favorisée de tant de grâces. Ce furent précisément les belles visions
relatives aux noces de Cana et à l'Enfant Jésus parmi les docteurs du
temple, qu'Anne Catherine eut pendant ce mois Combien ne lui a t il pas
été difficile d'en communiquer les fragments que le pèlerin a sauvés si
fidèlement de cet océan de souffrances !
XV
Il reste encore à parler
plus au long de la manière dont les visions étaient communiquées au`
pèlerin par Anne Catherine, et de la manière dont celui ci s'y prenait
pour les recueillir. Mais ce dernier point né serait pas bien apprécié,
si l'on n'exposait pas l'ensemble des rapports dans lesquels le pèlerin
se trouvait avec Anne Catherine.
On a déjà dit plus haut
qu'Anne Catherine avait eu de visions dès sa première jeunesse, qu'elle
en avait eu l'intelligence, et en avait parlé avec une simplicité naïve
aux personnes de son entourage. Mais bientôt ces communications furent
repoussées, et, malgré les fréquentes injonctions d'en faire part qui
lui furent données intérieurement, ce ne fut que dans sa quarante
troisième année qu'il arriva à Anne Catherine de trouver quelqu'un
auquel elle pût s'ouvrir conformément aux avertissements donnés. Bien
des fois elle avait demandé à ses confesseurs de vouloir bien l'écouter
pour l'amour de Dieu ; mais elle n'avait jamais obtenu qu'aucun d'eux se
donnât la peine de prendre une connaissance approfondie de ces
communications, et d'examiner avec quelle attention quelle en pouvait
être la valeur. Elle avait lieu de se féliciter quand on ne la rebutait
pas comme un cerveau malade, infatué de rêveries extravagantes, et qu'on
se bornait à lui exprimer le désir de ne plus entendre de pareilles
choses. On peut trouver ces procédés inexplicables et même inexcusables,
car, puisqu'il s'agissait d'une personne d'une sainteté notoire, la plus
simple équité exigeait qu'on reçût au moins ses communications comme à
l'essai, sauf à aller plus avant, après examen, en se dirigeant d'après
les règles d'une direction spirituelle éclairée j mais on s'étonnera
moins en pensant à la faiblesse humaine prise en général, et au
caractère particulier de l'époque à laquelle vivait Anne Catherine.
Dans sa vingt huitième
année, elle entra au couvent des Augustines, à Dulmen. Elle y fut comme
une apparition étrange et tout à fait incomprise, car avec l'austérité
de la discipline claustrale et la pratique de la vie vraiment intérieure
et contemplative, on avait ` aussi perdu la règle d'après laquelle
devait être appréciée une créature si merveilleuse et comblée de tant de
grâces. La perfection exemplaire d'Anne Catherine, loin d'être
considérée comme un modèle à imiter pour ses compagnes, faisait plutôt
qu'on l'évitait et qu'on la craignait comme un moniteur incommode et
importun. En outre, le temps de son séjour au couvent fut trop court
pour qu'elle pût accomplir une réforme semblable à celles dont des âmes
favorisées de grâces analogues furent souvent les instruments à d'autres
époques.
Lorsqu'après la suppression
violente du couvent elle fut forcée de rentrer dans le monde, ce fut un
religieux français émigré, le bon et pieux P. Lambert, qui se chargea de
sa direction spirituelle. Mais d'une part, la vieillesse, les
infirmités, les soins d'une existence précaire ; d'autre part la
méfiance poussée jusqu'à la persécution avec laquelle laïques et
ecclésiastiques observaient Anne Catherine et la soumettaient à des
enquêtes impitoyables, jusqu'à mettre sa vie en danger, avaient rendu ce
pauvre homme tellement timide que souvent il suppliait sa fille
spirituelle de garder le silence sur ses visions, et de tout étouffer
plutôt que d'exposer elle et lui à de nouvelles vexations. Quoique
pleinement persuadé de la vérité de ses assertions et de la sainteté de
sa vie, le P. Lambert ne possédait pas la forcé d'esprit nécessaire pour
apprécier tout ce qu'il y avait là d'important, et pour pouvoir se
mettre en mesure de comprendre et de recueillir les communications comme
il l'eût fallu. Ce qui caractérise bien toute la manière d'être de cet
excellent homme, c'est qu'au bout de quelques années, Anne Catherine fut
obligée de prendre un autre confesseur, car, accoutumé à avoir recours,
pour toutes ses affaires temporelles, aux conseils éclairés et à
l'assistance d'Anne Catherine, il en vint à peu près à s'en remettre
pour tout le reste à son intelligence supérieure, et Anne Catherine vit
bien qu'elle ne tarderait pas à conduire au lieu d'être conduite, et
qu'ainsi elle serait privée de toute direction spirituelle Mais elle lui
voua jusqu'à sa mort la sollicitude la plus touchante et la plus
dévouée, prenant ses douleurs sur elle, lui obtenant des grâces sans
nombre et lui donnant toute espèce d'assistance ; aussi, le P. Lambert,
dans sa dernière maladie. Lorsqu'il recevait un soulagement inattendu ou
une consolation intérieure, s'écriait souvent en versant des larmes de
reconnaissance : "C'est ma Soeur qui a fait cela "
Son successeur fut un homme
beaucoup plus jeune, l'ex dominicain Limberg, religieux d'une grande
piété, mais d'un caractère difficile et scrupuleux, qui ne voulait pas
entendre parler de visions, et qui qualifiait tout simplement de
rêveries tout ce qu'Anne Catherine voulait lui exposer pour obéir à des
injonctions de plus en plus pressantes.
Même à l'époque où le
pèlerin vint entreprendre le travail si pénible de la mise en oeuvre des
visions, rien ne put décider Limberg à venir en aide a la Soeur accablée
sous le poids de ses continuelles et indicibles souffrances, et à faire
usage de son autorité de confesseur pour faciliter, régler bien des
choses, et empêcher les dérangements venant du dehors. Il se réjouissait
à la vérité, quand le pèlerin réussissait à sauver tel ou tel récit ;
mais bientôt après il tombait dans le trouble et l'inquiétude pour peu
qu'il eût avoir à craindre que cela ne fit du bruit, ou ne fit tenir des
propos.
Les choses allèrent ainsi
jusqu'au moment ou Overberg devint le confesseur extraordinaire d'Anne
Catherine. S'étant convaincu, après un long et scrupuleux examen, de la
réalité de son état merveilleux, il ne pouvait manquer de désirer que
ses visions tussent conservées, pour le plus grand bien des
contemporains et de la postérité ; mais ses devoirs d'office ne lui
permettaient pas de quitter longtemps Munster et de se charger lui même
de ce difficile travail. Le pieux comte de Stolberg et l'évêque de
Ratisbonne, Sailer (14), arrivèrent à la même
conviction qu'Overberg, et ce fut par leur intermédiaire que Clément
Brentano trouva accès et accueil très bienveillant auprès Anne
Catherine.
Anne Catherine parlant plus
tard au docteur Wesener de la visite de Sailer, lui dit qu'elle en avait
retiré beaucoup de consolation et un grand profit pour son âme. (Extrait
du journal de Wesener.)
On doit encore, à cette
occasion, mentionner avec reconnaissance un homme qui, depuis l'année
1813 jusqu'à la mort d'Anne Catherine fut le plus fidèle ami de
celle-ci : nous voulons parler du docteur Wesener de Dulmen.
L'éditeur possède une copie
de son journal, et même le procès verbal qu'il avait dressé le 22 mars
1813 sur les stigmates d'Anne Catherine. à dater de ce jour, il la
visita journellement pendant une suite d'années, et il tint sur ses
observations médicales un journal exact, dans lequel il consignait avec
une simplicité touchante tous les entretiens qu'Anne Catherine avait
d'ordinaire avec lui sur des sujets religieux. Comme une fois il
exprimait un regret sur ce que les saints Evangiles disent si peu de
chose de la jeunesse du Sauveur, Anne Catherine lui répondit, à ce qu'il
rapporte dans son journal du le' mai 1813 : "Je connais tout dans les
plus petits détails, comme si je l'avais vu moi même Je sais aussi très
exactement l'histoire de la mère de Jésus. "Elle s'étonnait elle même,
ajoute Wesener, de ce que tout se présentait à elle avec des traits si
vifs, quoiqu'elle n'eût pas pu lire tout cela. Elle promit de me
raconter deux choses. Le 27 mai, comme il lui rappelait sa promesse,
elle commença par me parler de l'assurance donnée à sainte Anne que le
Messie naîtrait de sa race. Anne, à la vérité, avait eu plusieurs
enfants, mais elle avait bien vu que le vrai rejeton n'était pas encore
venu, et pour cela elle avait imploré l'accomplissement de la promesse,
en multipliant les jeunes, les prières et les sacrifices. Wesener
continue de cette manière à rendre compte de ce qui lui a été communiqué
jusqu'au mariage de Marie avec saint Joseph, et il termine son compte
rendu en rapportant ce que lui a dit Anne Catherine : " qu'elle voudrait
seulement être en état d'écrire, parce qu'alors, croit elle, elle
écrirait tout un livre rempli des visions qu'elle a déjà eues. "Or, ce
que donne Wesener est une fidèle esquisse de ce que le pèlerin put
recueillir plus tard à la suite d'un récit plus détaillé d'Anne
Catherine. Wesener fut donc le premier qui, ravi de la profondeur et de
la beauté intérieure de plusieurs choses sorties de la bouche d'Anne
Catherine, mit par écrit ce qu'il put en entendre. Cela se réduit
assurément à peu de chose, mais ce peu, par sa conformité avec les
rédactions du pèlerin, non seulement quant à la substance, mais aussi
quant à la forme, en tout ce qui est essentiel, est de la plus haute
importance ; car ces notes écrites avec une grande simplicité et tout à
fait sans prétention prouvent avec quelle fidélité consciencieuse le
pèlerin a reçu et reproduit les communications d'Anne Catherine.
Le pèlerin fut introduit
par Wesener auprès d'Anne Catherine. Voici ce que ce dernier dit à ce
sujet dans son journal : "Jeudi 24 septembre 1818, le frère de M.
Brentano est venu chez moi, avec le désir de pouvoir faire connaissance
avec la malade. il s'appelle Clément, et jusqu'à ce moment il a vécu à
Berlin sans y avoir de profession. Comme il me paraît avoir très bonne
volonté, je l'ai annoncé à la malade. Celle ci s'est montrée disposée à
le recevoir tout de suite, et je lui ai amené. "
2 octobre "La malade a pris
Clément Brentano en affection, quoiqu'à certains égards elle paraisse
préférer son frère. Du reste, ce que je prévoyais est arrivé. La maladie
trouve de l'édification et un plus grand recueillement dans ses rapports
avec Brentano, parce qu'il la préserve, par ses fréquentes visites, de
beaucoup d'ennuis venant du dehors. M. Clément Brentano a loué un
logement dans la maison de la malade, et il l'observe avec beaucoup de
soin. "
Mercredi 23 décembre. " Il
y a une lacune depuis le 18 octobre jusqu'à ce jour ; mais cette lacune
est comblée par un trésor d'expériences faites par un observateur qui
m'est bien supérieur en pénétration et en instruction : c'est M. Clément
Brentano, dont j'ai déjà parlé. "
Voyons maintenant comment
le pèlerin lui même s'exprime dans son journal sur sa première visite à
Anne Catherine. "J'arrivai à Dulmen vers dix heures Wesener, médecin de
la soeur Emmerich, m'annonça à elle afin qu'elle ne fût pas trop
intimidée. Elle se montra fort aise de me voir. Après avoir traversé une
grange et de vieux celliers, on monte par un escalier tournant en pierre
: nous frappâmes à la porte : sa soeur, qui la sert, ouvrit la porte :
nous entrâmes par la petite cuisine dans la chambre de l'angle où elle
est couchée. Elle me tendit joyeusement ses mains stigmatisées et me dit
: "voyez comme il ressemble à son frère ! "(Elle voulait parler de
Christian Brentano avec lequel elle avait fait connaissance cinq mois
auparavant ) Je ne ressentis aucune émotion pénible en voyant les
cicatrices de ses mains. Je me réjouissais de ce qu'elle portait sur
elle un signe si noble et si saint, et je me sentais porté à une joie
intérieure extraordinaire par son visage pur et candide et par la
vivacité doucement enjouée de sa conversation. J'étais tout à fait comme
chez moi, j'avais l'intelligence et le sentiment de tout ce qui
m'entourait.
Je ne trouvai dans toute sa
personne aucune trace de tension ni d'exaltation, mais un enjouement
plein de simplicité pure et une espièglerie innocente. Tout ce qu'elle
dit est prompt, bref, simple, naïf, sans retours complaisants sur elle
même, avec cela plein de profondeur, plein d'amour, plein de vie, et
pourtant tout à fait rustique. On y reconnaît une âme délicate, sensée,
fraîche, chaste, éprouvée, parfaitement saine. Elle vit au milieu de
l'entourage le plus incommode et le plus inintelligent, composé de bons
ecclésiastiques, de braves gens simples et grossiers, et d'une méchante
soeur : toujours malade à la mort, soignée d'une façon maladroite et
grossière, dirigeant tout, menant tout le ménage, travaillant,
abandonnée, martyrisée, entourée de bruit, tantôt regardée curieusement
comme une bête extraordinaire, tantôt vexée par sa soeur comme une
Cendrillon, menant une vie misérable, mais toujours affectueuse,
toujours en lutte avec d'immenses douleurs qu'elle souffre pour les
péchés d'autrui. Tout ce qui la gêne extérieurement pourrait être changé
sans qu'il y eût la plus petite dépense à faire à ce ne sont que de
petites misères, mais qui la tourmentent comme un essaim de mouches, et
il est difficile d'y remédier. Regardant bien plus haut que toutes ces
personnes, elle honore en elles les desseins de Dieu, qui veut
l'éprouver et l'humilier. Faisant de Jésus sa société et jouissant de
son Seigneur, la fiancée de Dieu se courbe, joyeuse, sous le fouet des
valets. Elle ne se borne pas à porter les stigmates : elle est
incessamment crucifiée et prie pour ses bourreaux : il n'y a pas jusqu'à
l'affection que plusieurs lui témoignent qui ne soit une lourde peine. "
Son confesseur, le
dominicain Limberg, homme simple, innocent, humble, du coeur le plus
pur, mais peu instruit, a en elle un fardeau merveilleux qui le porte à
son tour. Que de choses inouïes, étourdissantes, il découvre tous les
jours en elle ! Si elle est en extase, et que par hasard il approche
d'elle ses doigts consacrés, elle lève la tête et les suit des yeux, et
quand il les retire elle retombe sur elle même. Et il en est de même
pour tous les prêtres : dans l'extase, elle saisit vivement les doigts
consacrés, et avec tant de force, qu'on ne peut pas les retirer. une
fois, étant tombée en extase pendant une conversation sur le sacrement
de l'Ordre, elle dit que, même dans l'enfer, ces doigts du prêtre se
reconnaissaient encore à une marque particulière. Celui qui, comme moi,
a vu cela fortuitement sent bien que la consécration sacerdotale est
quelque chose de plus qu'une pure cérémonie : c'est un fleuve vivant qui
a sa source dans la vie de Jésus. "
Anne Catherine témoigna
tout d'abord au pèlerin une naïve et touchante confiance : car tout son
intérieur était complètement dévoilé à ses yeux : elle voyait cette âme
noble et élevée avec la plénitude des dons si rares qui plaçaient
Clément si fort au dessus de la plupart de ses contemporains, décidée
maintenant à vouer le reste de ses jours à la tâche qu'elle même avait à
remplir, et qu'elle n'aurait pas pu mener à bien sans lui. Elle lisait
dans ses pensées les plus secrètes, les lui faisait souvent connaître
avant qu'il en eût clairement la conscience ; lui même, dans sa droiture
et dans sa simplicité, n'hésitait pas à consigner dans son journal, avec
une fidélité surprenante, celles mêmes de ces révélations qui pouvaient
le faire rougir.
Anne Catherine reçut de son
conducteur spirituel l'injonction d'être communicative à l'endroit du
pèlerin et elle avoua à celui ci a qu'elle sentait qu'elle avait eu
inutilement des grâces et des visions innombrables, parce qu'elle
n'avait personne à qui elle pût en faire part. Le Père l'avait souvent
jetée dans les plus grand doutes, parce que, sans vouloir rien examiner,
il traitait tout cela de pures rêveries : mais son ange lui avait
toujours réitéré les mêmes injonctions : il faut que tu le dises même
quand on se moquerait de toi. Si elle cherchait à s'excuser en disant :
Mais je ne sais pas m'exprimer, la réponse était toujours : Dis le comme
tu pourras. Elle avait raconté cela au Père, mais il ne voulait pas
l'écouter. "
Le pèlerin lui ayant dit
une fois qu'il ne pouvait pas croire que tout ce qu'elle avait vu depuis
sa jeunesse lui eût été donné pour elle seule, Anne Catherine en tomba
d'accord : "J'ai la même persuasion, lui dit elle, car il m'a été
ordonné, depuis longtemps déjà, de tout raconter, quand même le monde
devrait me regarder comme folle : mais personne n'avait jamais voulu
m'écouter et les choses les plus saintes que j'eusse vues et apprises,
étaient si mal entendues s et accueillies d'une façon si injurieuse que,
craignant de les exposer au mépris, je renfermais tout en moi même avec
une grande tristesse ; Plus tard, j'ai vu dans le lointain un homme
étranger (15) qui venait à moi et écrivait beaucoup
auprès de moi : cet homme, je l'ai retrouvé et reconnu dans la personne
du pèlerin. "
"J'ai, depuis mon enfance,
l'habitude de prier tous les soirs pour tous les accidents, comme
chutes, naufrages, incendies, etc., et je vois toujours, après avoir
prié, des scènes en grand nombre ou des accidents de ce genre qui
aboutissent heureusement. Mais quand j'ai omis cette prière, j'apprends
ou je vois toujours quelque grand malheur, ce qui me fait voir non
seulement la nécessité de cette prière spéciale, mais le profit qu'il y
a à ce que je communique cette persuasion que j'ai et les avertissements
intérieurs que Je reçois à ce sujet, parce que cela peut suggérer la
pensée de cette oeuvre de charité à d'autres personnes qui n'en voient
pas les effets comme moi. "
"Les nombreuses et
surprenantes communications de l'Ancien et du Nouveau Testament, les
scènes innombrables de la Vie des saints, etc., m'ont toutes été données
par la miséricorde de Dieu, non seulement pour mon instruction, car il y
a bien des choses que je ne pouvais pas saisir, mais pour être
communiquées, et pour remettre au jour des choses cachées et plongées
dans l'oubli. J'en ai toujours reçu l'ordre à plusieurs reprises : je
l'ai raconté aussi bien que je l'ai pu, mais on ne se donnait même pas
la peine de m'écouter : il me fallait donc le renfermer en moi même et
j'oubliais nécessairement une foule de choses. Mais j'espère que
maintenant Dieu donnera ce qui sera nécessaire. "
Une autre ouverture, sur le
même sujet, que fit Anne Catherine étant en extase, mérite aussi
considération : " Je sais, dit elle, que je devrais être morte depuis de
longues années, car je viens d'avoir une vision où j'ai appris que je
serais morte il y a longtemps si tout ne devait pas être connu par le
moyen du pèlerin. Il doit tout écrire car mon affaire à moi est de
prophétiser, c'est à dire de faire connaître les visions. Et quand le
pèlerin aura tout mis en ordre et que tout sera fini, il mourra aussi. "
Ceci s'est accompli à la lettre.
Mais la communication la
plus étendue et la plus caractéristique qu'Anne Catherine ait faite sur
ses visions et sur sa tâche prophétique eut lieu le 2 février 1821.
Comme le pèlerin lui parlait des grâces singulières qu'elle recevait si
abondamment et dont une grande partie se perdait parce qu'elle était
dérangée, ou troublée, ou accablée par la souffrance : " Oui, dit elle,
mon fiancé m'a aussi dit cela cette nuit, comme je me plaignais de ma
détresse, de ma misère, de voir tant de choses que je ne comprenais pas,
etc. Il m'a dit qu'il ne me donnait pas mes visions pour moi, qu'elles
m'étaient envoyées pour que je les fisse recueillir, et que je devais
les communiquer. Ce n'est pas maintenant le temps de faire des miracles
extérieurs. Il donne ces visions et il en a toujours agi de même, pour
prouver qu'il veut être avec son Eglise jusqu'à la fin des siècles Les
visions (c'est à dire la contemplation seule) ne sauvent personne : il
faut pratiquer la charité, la patience et toutes les vertus. Il me fit
voir ensuite une série de saints qui avaient eu des visions de toute
nature, mais qui n'étaient arrivés au salut qu'en utilisant ce qu'ils y
avaient appris. Je vis ensuite des scènes de la vie de différents saints
et je vis que la plupart du temps leurs visions avaient été tronquées et
mal comprises de ceux qui les avaient mises par écrit. Je vis combien
plusieurs d'entre eux eurent à souffrir à ce sujet et comment sainte
Thérèse craignit bien longtemps d'être le jouet d'une illusion
diabolique, par suite de l'absurdité de ses confesseurs. Elle nomme
alors sainte Thérèse, sainte Catherine de Sienne, sainte Claire de
Montefalco, sainte Brigitte, sainte Hildegarde, sainte Véronique
Giuliani, la vénérable Marie de Jésus, etc., comme lui ayant toutes été
montrées, et Elle dit beaucoup de choses sur la nature de leurs visions,
dont elle. n'a qu'une connaissance intérieure. Elle voit que l'effet de
ces visions a été détruit en grande partie par les suppressions ou les
changements qu'y ont faits des prêtres savants, mais manquant de
simplicité et ne comprenant pas la manière dont ces tableaux se
produisent. On a souvent rejeté beaucoup de choses parce qu'on ne
pouvait pas dégager la pure vision historique d'autres représentations
qui s'y mêlaient et où le contemplatif agissait par la prière. J'en vois
d'autres étonnamment prolixes où chaque grâce est accompagnée d'un tel
flux de paroles que personne ne trouve plus rien de substantiel qu'il
puisse s'approprier. Les visions de sainte Hildegarde ont été écrites
par elle même avec la plus grande fidélité, parce qu'avec elles elle a
reçu de Dieu le don d'écrire. Cependant, il y a beaucoup d'altérations
dans ce qui en a été imprimé. Même dans les écrits imprimés de sainte
Thérèse, on a fait des changements. Sainte Françoise Romaine a eu
beaucoup de visions du même genre (qu'Anne Catherine), mais elles ont
été très mal reproduites. Elle a vu comment la manie des confesseurs de
tout accommoder à leur manière d'entendre l'Evangile a fait disparaître
bien des choses. Et pourtant, peu de semaines auparavant, avant que
cette injonction répétée lui eût été faite, Anne Catherine, assaillie de
douleurs innombrables et craignant de ne pouvoir pas en supporter la
violence, avait supplié Dieu de lui retirer les visions.
Voici ce qu'elle raconta le
1er janvier 1821 : " J'ai demandé de tout mon coeur près de la crèche
que Dieu me soulageât un peu et voulût bien me décharger d'un fardeau ;
qu'au moins il retirât à l'enfant son affreuse toux convulsive (c'était
l'enfant de son frère qui demeurait près d'elle, et dont l'interminable
toux convulsive allait bien plus au coeur d'Anne Catherine que ses
propres souffrances) : mais je n'ai pas été écoutée et aucune espérance
ne m'a été donnée ! j'ai fait à Dieu une querelle dans les règles, je
lui ai rappelé comment il a promis de tout exaucer, et dans quels cas ;
je lui ai cité plusieurs exemples, mais il ne m'a pas écoutée et j'ai
compris que cette année je serais encore plus fortement éprouvée qu'à
l'ordinaire. Hier encore, j'ai prié Dieu ardemment de me retirer les
visions, afin d'être délivrée de l'obligation de les raconter et de la
responsabilité qui s'y attache. Mais je n'a' pas été exaucée, et il m'a
été dit, comme de coutume je dois raconter tout ce que je serais en état
de, et cela quand même on se moquerait de moi. Je ne puis comprendre à
qui cela servira. Il m'a été dit encore que personne n'a vu tout cela de
la même manière et dans la même' mesure que moi : que d'ailleurs ce ne
sont pas mes affaires, que `c'est l'affaire de l'Eglise. C'est un grand
malheur qu'il s'en perde tant, et il en résulte une grande
responsabilité. Bien des personnes, qui sont cause que je n'ai jamais de
repos et le clergé qui manque d'hommes et qui manque de foi pour faire
cela, auront un terrible compte à rendre. J'ai vu aussi tous les
obstacles que le démon a suscités. "
XVI
Le pèlerin était donc le
premier homme pourvu de tous les dons nécessaires que la Providence eût
amené près de la voyante, afin qu'elle dévoilât devant lui les trésors
de grâce qu'il devait maintenant recueillir au profit des contemporains
et de la postérité avec des peines et des fatigues auxquelles
probablement bien peu de ses lecteurs auraient consenti à se soumettre.
D'une part, son sens droit et lucide le préservait de l'excès et de
l'exagération, d'autre part sa foi simple et candide jointe au sentiment
inné du vrai et du beau, ainsi que les trésors d'expérience recueillis
pendant une vie agitée et mêlée à celle des plus distingués et des
meilleurs de ses contemporains le disposait à apprécier sans prévention
les phénomènes et les faits, à ne pas renfermer dans des limites trop
étroites ce qui sortait des règles ordinaires, et à ne pas rejeter
timidement tout un ordre de choses étranger aux habitudes de la vie
commune et aux idées qui en découlent. Si le pèlerin, avec la
délicatesse de son sentiment artistique et la puissance créatrice de son
propre talent, était incapable de s'approprier l'oeuvre d'un tiers en la
corrigeant, en l'altérant ; en y effaçant le cachet de l'originalité, il
était encore bien moins homme à traiter ainsi les tableaux merveilleux
que la voyante faisait passer devant son regard étonné et qu'il
accueillait humblement comme un don de Dieu, en versant des larmes de
reconnaissance. Le goût et la piété s'accordaient pour l'empêcher de
parer de ses propres pensées ce que la voyante lui confiait ou de
réduire à la mesure de sa lumière bornée ce qui avait été aperçu dans la
lumière vivante.
Il était trop au dessus de
son temps et en même temps trop peu théologien pour avoir en poche une "
théorie de la révélation " à appliquer avec une critique minutieuse au
mystère de la rédemption et aux miracles de l'histoire du Rédempteur, En
outre son audacieuse fantaisie poétique avait depuis longtemps parcouru
toutes les routes et s'était exercée sur tout ce qui peut émouvoir des
natures aussi richement douées que la sienne, et il ne lui restait plus
qu'à la courber sous le joug de la croix et à la consacrer avec joie et
sans réserve au service de l'Eglise.
Du reste, plusieurs des qualités distinctives du pèlerin n'étaient que
des dons naturels, mais elles reposaient sur une base plus profonde que
ne le laissait voir extérieurement la vivacité native de cet esprit si
riche et si indépendant, et elles étaient dominées et dirigées par un
principe infiniment plus élevé que celui qu'on voudrait trouver dans la
"pure fantaisie ou le besoin poétique. " Ce n'est pas là qu'on puise la
persévérance qui fait rester au besoin, des années entières près du lit
de douleur d'une pauvre malade luttant journellement avec la mort et
gémissant sans secours sous le poids de peines sans nom, pour n'y
recueillir souvent que bien peu de chose au prix d'humiliations
pénibles. Le pèlerin ne tarda pas à apprendre qu'il était venu à l'école
de la croix, et que cet essaim de mouches qui environnait Anne Catherine
ne l'épargnerait pas non plus, mais il n'en tenait aucun compte et
supportait des épreuves bien plus grandes encore avec la simplicité d'un
enfant et l'énergie d'un homme.
Il s'exprime à ce sujet en
termes touchants, la veille de Noël 1819 : "En commençant à écrire, je
ressentis une profonde tristesse à cause des misères de cette vie, où
les suites et les effets de l'obscurcissement qui s'est fait en nous
m'empêchent de saisir et de reproduire avec calme ce que découvre dans
les plus saints mystères le regard d'une simple et na've créature,
merveilleusement favorisée de Dieu. Je ne puis sauver pour mes frères
que des ébauches grossières, des lambeaux misérables de tableaux qui
prouvent la présence et la réalité éternelles de tous les mystères des
relations divines, aujourd'hui perdues pour nous. Et ces ébauches il me
faut les dérober et les obtenir par artifice ! Je ne puis dire ce que je
sens, ce que je vois, ce que je devine à cet égard : mais ceux qui,
pendant des années, ont étouffé et méprisé ces grâces, ceux qui, forcés
maintenant de les reconnaître les troublent cependant e. ne les
recherchent pas et n'en tiennent pas compte, ceux là, dis je, pleureront
avec moi quand leur miroir aura été obscurci par la mort. Enfant Jésus,
mon Sauveur, donnez moi la patience. "il décrit ensuite la situation
d'Anne Catherine pendant cette sainte vigile : "Elle ressent des
douleurs atroces dans toutes ses plaies et tous ses membres. Elle les
supporte et lutte avec joie. Quelquefois elle ne peut s'empêcher de
pousser des cris aigus. Ses mains et ses doigts tremblent et se ferment
convulsivement, les doigts sont froids, la paume des mains est brûlante.
Elle a fait tous ses présents aux pauvres), fini tous ses travaux : elle
place et range tout ce qui lui reste de morceaux d'étoffe et de bouts de
fil, et s'affaisse épuisée de fatigue pour porter à la crèche son
offrande de Noël, consistant en douleurs infinies qui lui apparaissent
comme des fleurs qu'elle porte. Ces douleurs ne sont pas les effets
naturels d'une maladie : ce sont des souffrances déterminées qu'elle
désire supporter à la place d'autres personnes qui ne peuvent pas
souffrir avec patience. Elle sait que par là elle leur procure du
soulagement, et elle satisfait avec amour les dettes d'autrui envers la
justice divine. J'ai ressenti moi même l'année passée cette translation
de mes propres souffrances intérieures à Anne Catherine. Ainsi, à
l'occasion de ces saints jours où l'on fête le mystère de notre
rédemption, elle recueille pour elle une quantité de douleurs et de
souffrances qu'elle apporte au Rédempteur. C'est ainsi qu'il lui a perce
les pieds, les mains et le côté le jour de sa propre nativité, afin
qu'elle rende du sang en mémoire de l'amour de son Sauveur duquel, le
sien tire sa vie. Les paroles du pèlerin ne peuvent rien avoir de
surprenant pour le lecteur, car il aura lui même reconnu, d'après tout
ce qui a été dit plus haut, combien, il est contraire à l'état réel des
choses de se représenter Anne Catherine comme placée dans une région
lumineuse du sein de laquelle elle aurait, dans une contemplation
paisible, raconté ses visions au pèlerin pour que celui ci les
reproduisît sans fatigue : il n'y a pas moins d'absurdité dans cette
autre opinion suivant laquelle la fantaisie puissante du poète richement
doué se serait donné carrière sur le terrain de la poésie sacrée comme
elle l'avait fait autrefois dans les régions sans limites du monde des
fables, tandis qu'Anne Catherine n'aurait fait que prêter son nom à ce
qu'il aurait rapporté de ces excursions. Pour apprécier complètement la
tâche du pèlerin, le lecteur doit se représenter ce qui a été dit plus
haut de la vie extatique d'Anne Catherine et se rappeler qu'ayant, dès
sa jeunesse, vécu, souffert et agi dans la sphère de la contemplation,
elle n'avait jamais pu trouver l'occasion de se communiquer à autrui
avec réflexion, ni s'exercer à traduire dans un langage intelligible
pour nous ce qu'elle a perçu non dans des parole faites pour l'oreille
des hommes, mais dans l'irradiation de la lumière vivante. Et maintenant
pour la première fois, dans les six dernières années de sa vie, il lui
fallait se livrer à cet exercice, lorsque ses souffrances et ses peines
de toute espèce devenaient de plus en plus extraordinaires, et
augmentaient chaque jour en durée et en intensité Le lecteur
reconnaîtra, non sans surprise, que le pèlerin était ; peut être le seul
homme sur la terre que Dieu pût vouloir prendre comme instrument afin de
sauver pour la postérité, fût ce même incomplètement, les grâces
attachées à l'un des dons les plus merveilleux qui aient jamais été
départis à un mortel et les fruits de la plus sainte fidélité et des
souffrances les plus inou'es. Il fallait un esprit aussi flexible et
aussi délicat que celui du pèlerin, une oreille aussi parfaite !n1lent
exercée, capable de deviner l'harmonie tout entière à l'aide d'un son à
peine articulé, il fallait de plus sa patience invincible et son
opiniâtreté infatigable pour dérober, dans des moments souvent bien
courts, à cette femme épuisée jusqu'à la mort les fragments de ses
visions, pour conserver chaque parole isolée, quoique souvent encore
inexpliquée, jusqu'à ce qu'une heure plus libre de souffrances offrît
l'occasion d'obtenir de la voyante le complément nécessaire pour en
révéler le sens et en donner l'intelligence. Jamais le pèlerin n'a
risqué une combinaison, jamais il n'a cherché à compléter à l'aide
d'autres communications analogues un fragment imparfait quant au sens ou
à l'expression, sans en avertir expressément et sans expliquer tout au
long de quelle manière il a procédé encore ne l'a t il fait que dans des
cas bien rares. Il était toujours comme un enfant candide qui n'a
d'autre désir que d'entendre ce qui sort de la bouche d'une mère remplie
de sagesse et de reproduire ce qu'il a entendu avec une fidélité aussi
littérale que possible. La plupart de ces choses étaient pour lui aussi
étrangères, aussi inaccoutumées, aussi nouvelles qu'elles peuvent l'être
pour le lecteur : mais cela ne l'empêchait pas de tout donner exactement
comme il l'avait reçu. Il ne s'est effarouché de rien, quelque contraire
que ce put être à sa manière antérieure de voir ou de penser ; il
l'acceptait avec reconnaissance comme un mineur qui tombe sur un filon
inespéré et le creuse joyeusement dans l'espoir d'y trouver de l'or
natif. Beaucoup de choses et notamment les plus belles parties des
visions de l'Ancien Testament sont accompagnées de points
d'interrogation et d'exclamation dans la première rédaction du pèlerin
parce qu'il ne les a pas bien comprises : mais il a reproduit ce qu'il a
entendu avec une extrême fidélité. L'expérience lui avait appris qu'Anne
Catherine ne voyait pas chaque mystère ou chaque objet dans un tableau
délimité, complet en lui même, mais que souvent, suivant l'ordre des
fêtes de l'année ecclésiastique, son regard embrassait avec le temps
présent l'Ancien et le Nouveau Testament et qu'elle contemplait à une
fête telle face du mystère, à une autre fête telle autre face, en sorte
que l'ensemble n'était complet qu'après une série de visions. C'était le
cas pour les visions touchant l'arche d'alliance, la bénédiction des
Patriarches et l'état paradisiaque, qu'Anne Catherine avait aux diverses
fêtes de la Mère de Dieu suivant leur rapport avec le saint mystère de
l'incarnation et que par conséquent elle ne communiquait que par
parties. Mais comme à la fin de l'année ecclésiastique ces parties se
réunissaient pour former un ensemble dans lequel l'une était le
complément de l'autre, il y avait là une garantie complète tant pour la
vérité des visions que pour la fidélité parfaite de la reproduction.
Anne Catherine, la plupart
du temps, faisait ses récits dans son patois westphalien. Pendant
qu'elle parlait, le pèlerin notait sur des carrés de papier les points
principaux qu'aussitôt après il mettait au net en complétant de mémoire.
Il lisait la rédaction ainsi faite à Anne Catherine, puis il corrigeait,
complétait, effaçait d'après les indications qu'elle lui donnait, et ne
conservait rien où elle n'eût reconnu expressément la reproduction
fidèle de ce qu'elle avait dit. On peut se figurer aisément qu'un pareil
exercice répété tous les jours, pendant plusieurs années, dut, avec là
force d'esprit et la constance du pèlerin, lui faire acquérir une
facilité particulière ; si l'on ajoute qu'il regardait son travail comme
une oeuvre sainte, à laquelle il ne manquait pas de se préparer par la
grâce et par de pieux exercices, il sera d'autant plus permis de croire
que la grâce divine non plus ne lui aura pas fait défaut. Le scrupule
consciencieux avec lequel le pèlerin a fait tout ce travail, lui a
interdit, dans les années subséquentes, de rien répondre à ceux qui
prétendaient que les visions étaient en grande partie son oeuvre, car
cela équivalait a dire qu'un homme grave comme lui avait consacré la fin
de sa vie, en se donnant pour cela une peine incroyable, à préparer
sciemment une tromperie pour lui et pour les autres.
Afin de mettre le lecteur
en mesure de mieux se rendre compte des faits, nous lui donnerons
quelques extraits du journal du pèlerin :
Un jour qu'Anne Catherine avait décrit le cercueil de saint Jean
Baptiste d'une manière peu intelligible pour le pèlerin, il consigna
dans son journal les remarques suivantes : " Elle a décrit cela d'une
façon très difficile ou même impossible à comprendre, et il ne faut pas
lui faire de questions, autrement elle se trouble. Comme elle est très
peu capable de décrire les objets avec précision, elle attribue toutes
les questions au manque d'intelligence de l'auditeur. Elle n'a jamais
été exercée à pareille chose et n'a jamais eu de rapport qu'avec des
gens qui ne demandent pas qu'on leur donne des objets une idée précise.
On ne lui a jamais dit que ce sont deux choses différentes, que de voir
les objets et de les décrire pour autrui. Comme elle même voit à
l'instant su r une simple désignation, elle croit tour parfaitement
clair, et se figure qu'on doit comprendre ce qu'elle dit d'une manière
très confuse et même ce que souvent elle ne dit pas, croyant l'avoir
dit. il se peut du reste que cela tienne à un état comme le sien.
Certainement il en est ainsi, car s'il y a une chose évidente dans la
vie merveilleuse d'Anne Catherine, c'est qu'il lui fallait acheter par
des souffrances chaque grâce qui lui était accordée et qu'elle ne
pouvait la rendre profitable aux autres qu'au prix de nouvelles
souffrances. C'est pourquoi elle n'avait pas reçu avec ses visions le
don de les communiquer facilement et sans fatigue ; c'est pourquoi il
n'y eut jamais une assez longue interruption dans ses souffrances pour
qu'elle pût une seule fois dire au pèlerin ce qu'il aurait tant désiré
entendre sortir de sa bouche : "Cherchons tranquillement ensemble à
exprimer cela comme il faut. "Toujours il lui fallait interroger avec
précaution et prier doucement, toujours elle se plaignait et s'étonnait
qu'on ne la comprit pas. Et si enfin, à force de prières et d'instances,
on obtenait une communication, on avait à craindre la peine et
l'humiliation d'être obligé de céder la place à quelque visite
indifférente comme celle d'une servante ou d'un enfant. Les choses
sérieuses ou nécessaires n'étaient pas respectées, et il fallait
qu'elles se retirassent avec le pauvre écrivain qui leur avait voué le
temps précieux d'une vie déjà sur son déclin. "
Des plaintes de ce genre se
représentent fréquemment dans le journal du pèlerin, elles sont
l'expression de la profonde douleur qu'il éprouvait toutes les fois
qu'un dérangement partant du dehors venait interrompre une communication
commencée. L'impression du moment lui faisait perdre de vue ce qui avait
été si souvent répété à Anne Catherine, que ce n'était pas la
contemplation seulement, mais l'application pratique de ce qu'elle y
avait vu qui lui était profitable, ce qui lui faisait considérer
l'exercice de la charité et le support humble et patient de toutes les
contrariétés comme la principale tache de sa vie. Quant au pèlerin, il
ne croyait pas pouvoir mieux employer, en vue de la gloire de Dieu,
toutes les facultés de son esprit et tout le temps qui lui restait à
vivre, qu'en les consacrant entièrement à la reproduction des visions :
c'est pourquoi toute interruption lui causait souvent une si amère
tristesse, et s'il survenait une série de dérangements, il lui arrivait
parfois a de passer toute la nuit à pleurer et à supplier Dieu de venir
à son aide. "
Non seulement Anne
Catherine prenait souvent à son compte les maladies d'autres personnes
souffrantes, mais, dans ce cas, leurs dispositions morales lui étaient
aussi transmises, afin qu'en surmontant l'impatience, les différentes
tentations spirituelles de tristesse, de trouble, de mauvaise humeur
auxquelles tant de malades succombent, elle leur méritait la grâce de se
repentir et de se bien préparer à la mort.
Mais pour qu'Anne Catherine ressentît réellement comme siennes de
semblables tentations, et eût de grands efforts à faire pour les
vaincre, son entourage pourvoyait abondamment à ce qu'il ne lui manquât
jamais de quoi exercer sa patience de toutes les manières. Et maintenant
que le lecteur se représente cette pauvre femme, luttant péniblement
sous le poids de ses peines corporelles, abreuvée en outre de toutes les
amertumes de l'âme, arrivée au dernier degré de la faiblesse, et livrée
au sentiment du délaissement le plus absolu ; alors il s'expliquera
facilement que le pèlerin, au lieu de reproduire une vision, consigne
dans son journal les paroles suivantes : "C'est une expérience des plus
émouvantes que de voir une personne favorisée de tant de grâces, si
misérable, si dénuée et si débile quand la grâce se cache pour elle.
Quel pauvre vaisseau que l'homme ! de quelle miséricorde, de quelle
patience Dieu use envers lui ! C'était par cette rude école de
l'humilité qu'avait à passer cette créature privilégiée, par les mains
de laquelle Dieu a daigné répandre sur son Eglise des faveurs si
innombrables. Mais le lecteur peut apprécier lui même combien les
communications devaient être défectueuses dans un état où des douleurs
extérieures et intérieures de toute nature venaient comme un déluge
oppresser l'humble servante de Dieu.
On doit faire encore
remarquer qu'Anne Catherine racontait de mémoire dans l'état naturel ce
qu'elle avait appris de a la lumière vivante, c'est à dire pendant
qu'elle était entièrement ravie hors de ses sens ; il en était de même
pour la substance des instructions du Christ qu'elle percevait
complètement et textuellement dans ses visions ; toutefois, comme on l'a
observé plus haut, non comme des paroles qu'on entend, mais sous forme
d'irradiations, de flots de lumière émanés de la lumière vivante. Or,
comme pour pouvoir communiquer ce qu'elle avait perçu dans la
contemplation, elle était obligée de le traduire dans le langage
ordinaire, ce qu'elle reproduisait de cette manière était la plupart du
temps très défectueux. Rarement elle pouvait faire autre chose
qu'ébaucher une légère esquisse : le plus souvent elle se bornait à dire
: "il a fait une très belle instruction que malheureusement je ne puis
pas rapporter. Sa provision naturelle de mots et d'idées était trop peu
abondante pour qu'elle pût reproduire tout ce dont elle avait eu
connaissance dans la contemplation. Si elle eût eu de bonne heure
l'avantage d'une direction spirituelle en règle, qui, appréciant sans
prévention les grâces gratuites qui lui étaient départies, l'eût exercée
à rendre un compte détaillé de ses visions et l'eût préservée des
dérangements extérieurs, on aurait pu sauver la plus grande partie de ce
qui malheureusement est aujourd'hui perdu pour toujours par suite de
l'incurie d'hommes négligents.
Très souvent Anne Catherine
racontait au moment même où elle avait ses visions lesquelles suivant ce
qui a été dit plus haut, étant aperçues " dans l'ombre de la lumière
vivante, " n'interrompaient pas ses rapports avec le monde sensible.
Ainsi par exemple, le 13 juillet 1822, dans l'après midi, étant à l'état
de veille, elle eut en même temps une vision touchant une grande
agitation à Jérusalem à l'époque d'Elie. Le tableau s'étendit en peu de
temps dans toutes les directions de la Palestine, et il s'y mêlait une
foule d'allusions et d'explications relatives au baptême de Jean qu'elle
voyait précisément ce mois là, d'une manière suivie. Mais voyant devant
elle le pèlerin qui écrivait pendant que d'autre part ses visions
suivaient leur cours, elle ne pouvait s'empêcher de rire du contraste
entre le moment présent, et un passe antérieur de près de trois mille
ans et elle était dans un état d'excitation enjouée. Elle raconta alors
: " Il y a étonnamment de courses, d'allées et de venues, d'envois de
messagers ; tout est en mouvement dans le temple, ils consultent une
quantité d'écrits et ils écrivent avec des plumes de roseaux. Ce sont
des clameurs et des discours sans fin : j'entends une foule de paroles
et de noms hébreux mêlés ensemble que je ne comprends pas tout de suite
; cela me fait rire. Je vois maintenant que c'est l'époque d'Elie : on
prie pour la pluie et on crie vers Dieu ; on envoie des messagers et on
cherche partout Elie. " De même quand Anne Catherine décrivait les
voyages du Sauveur à l'époque de sa prédication, les contrées et les
villes par lesquelles il passait, tout en racontant elle les voyait dans
le plus grand détail, ainsi que toute la topographie des montagnes, des
vallées, des déserts, toutes les directions des fleuves et des cours
d'eau : mais elle les décrivait, surtout les jours où elle était
distraite par quelque aggravation extraordinaire dans ses souffrances,
d'une manière peu intelligible pour le pèlerin. Car dans sa
contemplation elle parcourait les pays en grande hâte, indiquant dans
l'air de côté et d'autre où se trouvait tel ou tel lieu ce qui n'était
pas facile à comprendre parce que le pèlerin ne pouvait pas toujours
savoir comment elle s'orientait lorsqu'elle voyait et donnait ses
descriptions. D'autres difficultés venaient de l'idiome très peu précis
de son pays et de la brièveté des descriptions dans lesquelles Anne
Catherine indiquait un lieu avec ce seul mot : " C'est là, " montrant en
même temps du doigt comme si le pèlerin eût dû voir ce qu'elle voyait.
Mais comme il ne le voyait pas et qu'en conséquence il lui arrivait
souvent de ne pas la comprendre, elle disait : " Cela vient de ce qu'on
n'est pas homme d'église. Dans le sens supérieur du mot, dit le pèlerin,
cela est certainement très vrai : mais dans le sens ordinaire, jamais
elle n'a trouvé un ecclésiastique qui la comprît. . .
Le pèlerin avoue lui même
qu'il ne s'est jamais occupé d'études géographiques : malgré cela il a
reproduit avec une patience et une persévérance sans exemple les
indications de ce genre données par la narratrice, et quand il lui est
arrivé de décrire plus d'une fois le même pays, il a cherché à compléter
les uns par les autres les récits d'Anne Catherine, en sorte que le
lecteur, s'il peut avoir recours aux cartes les plus exactes, ne pourra
manquer le s'étonner en voyant à quel point les indications des visions
sont précises, frappantes et propres à concilier ce que plusieurs cartes
présentent de contradictions. Le pèlerin a pu espérer que
l'incontestable conformité des indications géographiques, topographiques
et archéologiques données dans les visions avec l'état réel des choses,
tel qu'on peut le constater à l'aide des sources profanes, serait une
arme puissante destinée à défendre l'authenticité des visions contre les
attaques de ceux qui voudraient les rendre suspectes : c'est pourquoi il
n'a pas reculé devant le travail extrêmement pénible auquel il lui a
fallu se livrer pour donner d'une manière aussi claire et aussi
détaillée que possible ce qu'il a pu tirer des communications de la
voyante.
XVII
D'après ce qui a été dit,
le lecteur ne trouvera pas étrange de voir Anne Catherine elle même
s'exprimer dans ses visions sur le travail du pèlerin dans des termes où
il est merveilleusement apprécié, mais non au delà de ce qu'il mérite.
Au mois de janvier 1820, comme elle méditait sur la vie de la
bienheureuse Madeleine de Hadamar, religieuse stigmatisée comme elle,
elle raconta ce qui suit : "Je l'ai vue souffrir beaucoup à la suite de
visites et de fausses démonstrations de respect, soit à cause du
dérangement qui en était la suite, soit parce que cela la mettait en
danger de se regarder comme quelque chose, ce dont elle était
fréquemment tentée. Du reste, ce qui la concernait fut en général très
maladroitement exagéré, ce qui lui donna beaucoup d'ennuis, comme elle
me l'a dit elle même. Je vis aussi son confesseur écrire sur elle, mais
il ne s'y prenait pas bien, et parlait bien plus de son admiration que
des choses elles mêmes. Cela me fit penser à ce que le pèlerin écrit de
moi, et je vis qu'il n'éprouvait presque pas d'admiration, et que la
plupart du temps il écrivait moins que Je n'ai vu ; parce que je ne
pouvais pas tout lui dire et que je ne raconte jamais ce que je ne sais
pas bien. " Le 3 mai 1820, comme le pèlerin lui racontait quelque chose
de la vie de sainte Véronique Giuliani, elle lui dit : " Je n'ai jamais
rien entendu ou lu sur la vie et l'état intérieur des saints qui ne fût
pauvre, grossier et sans vie, même quand on s'efforçait de faire du beau
et de l'ingénieux, en comparaison de ce que je vois d'eux : même ce que
sainte Thérèse a écrit sur sa vie ne répond pas à ce que je vois d'elle.
Tout cela est comme un soleil de terre jaune, comparé au soleil réel Il
en est de même pour Madeleine. Le pèlerin écrit passablement ces sortes
de choses. "
Mais jamais elle ne
s'exprima sur le travail du pèlerin en termes aussi significatifs que le
30 décembre 1819 dans un moment où elle avait une vision sur la montagne
des prophètes. Elle était pendant ce temps couchée sans mouvement dans
sa chambre mal éclairée : mais le pèlerin ayant pris en face d'elle une
feuille de son manuscrit, elle s'écria tout à coup : " Ces papiers sont
couverts de caractères lumineux. Cela a été écrit par l'homme que j'ai
vu la nuit dernière assis et écrivant. Il devrait aller près de cette
autre personne qui a le coeur tout déchiré et que j'ai vue dernièrement,
elle lui dirait bien des choses. (C'était d'elle qu'il s'agissait, car
elle parlait d'elle même comme d'une personne étrangère toutes les fois
qu'elle avait une vision sur son propre état.) C'est écrit avec du lait,
c'est d'une blancheur éclatante. Les écrits qui sont sur la montagne
sont écrits avec l'eau sainte et limpide ; les deux liquides se mêleront
: ce sera un mélange excellent. Oh ! si tu pouvais voir quelle lumière
les rayons partant de la mer jettent sur la montagne des prophètes, et
comment tout cela coule ensemble ! Je ne puis pas l'exprimer. Cet homme
(le pèlerin) n'écrit pas ainsi 1ui même : il a grâce de Dieu pour cela.
Nul autre ne pourrait faire cela comme lui, il est comme s'il voyait lui
même. "
Ceci est une preuve que, de
même que les reliques des saints et les objets bénits lui apparaissaient
lumineux, ce qui arrivait aussi pour ses propres cheveux et pour les
croûtes de ses stigmates, de même elle a vu non pas allégoriquement,
mais réellement et à la lettre, écrire avec un liquide lumineux le
manuscrit où ses visions étaient relatées, et les feuilles mêmes de ce
manuscrit lui sont apparu éclatantes de lumière.
XVIII
L'éditeur, ne pouvant
conclure sans dire quelque chose de son propre travail, se bornera
simplement à faire remarquer qu'il s'est toujours appliqué avec le plus
grand soin à extraire du journal du pèlerin la rédaction première et
originelle des visions. C'est pourquoi il a tout à fait laissé de côté
la démonstration que le pèlerin a essayé de donner, dans ses dernières
années, de la coïncidence du jour de la vision avec le jour historique
de l'événement contemplé, aussi bien que l'application de ce système à
la chronologie de l'Ancien testament. Si Anne Catherine avait été en
état de donner exactement jour par jour ses visions journalières, au
moins sous forme d'esquisses arrêtées, il n'y aurait rien de décisif à
opposer au calcul en question ; mais bien souvent elle ne pouvait que se
rappeler à grand peine et par fragments, un jour où elle était moins
dérangée qu'à l'ordinaire, les visions de plusieurs semaines, ou même de
plusieurs mois ; en sorte que pour assigner à chaque vision un jour
déterminé, il fallait se contenter de conjecture assez incertaines.
Quand donc l'éditeur marque les jours des visions, la seule conséquence
qu'on en doive tirer, c'est qu'il donne simplement, d'après ce qui est
rapporté dans le journal, le moment où la scène dont il est question a
été vue par Anne Catherine, et, quand cela est possible, celui où elle
l'a raconté au pèlerin. Dans le texte même on n'a pas changé un mot :
seulement l'éditeur, pour en rendre la lecture plus facile, a ajouté la
division par chapitres. les intitulés des diverses visions, et, quand
cela a paru nécessaire, des remarques explicatives.

È
VIE DE N. S. JESUS CHRIST
·
10-11 juillet 1819.
Je vis à Nazareth la sainte
Famille, composée seulement de trois personnes, Jésus, Marie et Joseph ;
depuis la dixième jusqu'à la vingtième année de Jésus, à peu près, je
les y vis deux fois habiter une maison étrangère ; c'était comme un
logement pris à loyer chez d'autres personnes. De la vingtième à la
trentième année de Jésus environ, je les vis dans une maison où ils
étaient seuls.
Il y avait dans la maison
trois chambres séparées celle de la Mère de Dieu était la plus grande et
la plus agréable : c'était là qu'ils se réunissaient pour la prière. Du
reste je les voyais rarement tous trois ensemble. Ils se tenaient debout
lorsqu'ils priaient ; ils avaient les mains croisées sur la poitrine et
semblaient parler à haute voix. Je les voyais souvent prier à la lumière
sous une lampe à plusieurs mèches. Peut être aussi était ce une espèce
de chandelier à plusieurs branches fixé à la muraille Jésus se tenait le
plus souvent seul dans sa chambre. Joseph s'occupait dans la sienne à
des travaux de son métier. Je le voyais façonner des bâtons et des
lattes, polir des morceaux ne bois, quelquefois même apporter une
poutre, et je vis Jésus l'aider.
Marie était le plus souvent occupée à coudre faire une espèce de tricot
avec des petits bâtons. Elle était alors assise et avait une petite
corbeille près d'elle.
Je vis Jésus rechercher de plus en plus la solitude et la méditation à
mesure que le temps où il devait enseigner s'approchait. Chacun dormait
à part dans son réduit et la couche consistait en une couverture qu'on
roulait le matin.
Je vis Jésus jusque vers sa
douzième année donner toute l'assistance possible à ses parents : je le
vis aussi, hors de la maison et partout où l'occasion s'en présentait,
se montrer amical pour chacun, aider les autres et leur rendre toute
espèce de service Dans ses premières années il était un modèle pour tous
tes enfants de Nazareth. Ils l'aimaient et craignaient de lui déplaire.
Les parents de ses compagnons disaient souvent à ceux ci lorsqu'ils se
conduisaient mal ou commettaient quelque faute : " Que dira le fils de
Joseph si je lui raconte ceci ? Comme il en sera fâché ! Quelquefois
aussi ils lui portaient des plaintes amicales contre leurs enfants en
présence de ceux ci et lui disaient : " Dis lui donc de ne plus faire
ceci ou cela. " Jésus prenait cela avec simplicité et comme par manière
de jeu, puis du ton le plus affectueux, il engageait ses amis à faire
telle ou telle chose. il priait avec eux pour leur obtenir du Père
céleste la force de se corriger, il les exhortait à faire des excuses et
à avouer leurs fautes sans délai.
La narratrice avait eu une vision étendue et très précise sur toute la
jeunesse de Jésus : mais la maladie et les dérangements ne m'ont Permis
d'en rapporter que ce qui suit :
A une lieue à peu près au
nord est de Nazareth, du côté de Séphoris, se trouve un endroit nommé
Gophna : c'était là qu'au temps de la jeunesse de Jésus, habitaient les
parents de Jean et de Jacques le Majeur. Ceux ci dans leurs premières
années étaient souvent avec Jésus jusqu'au moment où leurs parents
allèrent à Bethsaïde et où eux mêmes devinrent Pêcheurs.
A Nazareth demeurait un
homme nommé Zebedia ou Sebadia, qui n'était pas le Zébédée, père de Jean
et de Jacques. Il avait une fille mariée à un Essénien, parent de
Joachim : je ne me souviens plus de leurs noms. Ces époux avaient quatre
fils un peu plus âgés ou un peu plus jeunes que Jésus. Ils s'appelaient
Cléophas, Jacob, Juda et Japhet ; plus tard ils sont devenus disciples
de Jean Baptiste et après sa mort disciples de Jésus. Cléophas est le
même auquel Jésus s'apparut à Emmaus en compagnie de Luc. Il était marié
et demeurait alors à Emmaus. Sa femme se réunit plus tard aux femmes de
la communauté chrétienne. Ces quatre disciples allèrent trouver Jean
vers le temps du baptême de Jésus et ils restèrent près de lui jusqu'à
la fin. Lorsqu'André et Saturnin allèrent rejoindre Jésus de l'autre
côté au Jourdain, ils les suivirent et restèrent avec lui toute la
journée. Ils étaient aussi du nombre des disciples de Jean que Jésus
amena avec lui aux noces de Cana.
Ces jeunes gens dans leur enfance étaient aussi du nombre des camarades
de Jésus : leurs parents et eux allaient ordinairement à Jérusalem pour
la fête de Pâques en compagnie de la sainte Famille.
(Le dimanche dans l'octave
de l'Epiphanie 1820) Le Sauveur était d'une taille mince et élancée :
son visage de forme allongée, était tout lumineux, il paraissait d'une
bonne santé, quoique pâle. Ses cheveux d'un blond rougeâtre étaient
parfaitement lisses : ils étaient séparés sur son front ouvert et élevé
et tombaient sur ses épaules. Il portait une longue tunique d'un gris
brunâtre, qui paraissait faite au métier et lui descendait Jusqu'aux
pieds Les manches étaient assez larges aux poignets.
(Le dimanche dans l'octave
de l'Epiphanie 1822) Jésus avait huit ans (16)
lorsqu'il alla pour la première fois à Jérusalem avec ses parents pour
la fête de Pâques : il y retourna les années suivantes.
Déjà dans ses premiers voyages Jésus avait été remarqué chez les amis
qui leur donnaient l'hospitalité à Jérusalem : il l'avait été aussi par
des prêtres et des docteurs. Chez beaucoup de personnes de leur
connaissance à Jérusalem, on parlait du sage et pieux enfant, de
l'étonnant fils de Joseph, comme chez nous, aux pèlerinages annuels, on
remarque telle ou telle personne simple et pieuse, ou quelque petite
paysanne avisée. et. quand elle revient, on se la rappelle.
Ainsi Jésus, lorsque dans sa douzième année il alla à Jérusalem en
compagnie de ses parents et de leurs amis était déjà connu de diverses
personnes de la ville.
Les parents avaient coutume
pendant le voyage d'aller de côté et d'autre avec les gens de leur pays,
et à ce voyage ci, le cinquième que faisait Jésus, ils savaient qu'il
allait toujours avec les jeunes gens de Nazareth. Or Jésus cette fois
s'était séparé de ses compagnons aux environs du mont des Oliviers et
ceux ci croyaient qu'il s'était réuni à ses parents qui venaient à leur
suites mais il était allé vers le côté de Jérusalem qui regarde
Bethléem, dans cette hôtellerie où la sainte Famille avait logé avant la
purification de Marie. La sainte Famille le croyait en avant avec les
autres personnes de Nazareth, tandis que ceux ci croyaient qu'il suivait
avec ses parents. Jusqu'au retour tous se trouvèrent ensemble à Gophna,
Marie et Joseph furent extraordinairement inquiets de son absence. Ils
retournèrent aussitôt à Jérusalem ; sur la route et à Jérusalem, ils
s'enquirent de lui partout, mais ils ne purent pas le trouver d'abord
parce qu'il n'avait pas été là où ils séjournaient d'habitude. Jésus
avait passé la nuit dans l'hôtellerie de la porte de Bethléem où ses
parents et lui étaient connus.
S'étant réuni là à plusieurs jeunes gens, il était allé avec eux dans
deux écoles de la ville : le premier jour dans l'une, le second jour
dans l'autre. Le troisième jour il avait été le matin, dans une
troisième école près du temple et l'après midi, dans le temple même où
ses parents le trouvèrent. Ces écoles étaient de différente espèce et
toutes n'étaient pas précisément des écoles où l'on enseignât la loi :
on y enseignait aussi d'autres sciences. La dernière était dans le
voisinage du temple et on y formait des prêtres et des lévites.
Jésus, par ses demandes et
ses réponses, jeta les maîtres et les rabbins dans un tel étonnement et
même dans un tel embarras qu'ils se proposèrent le troisième jour après
midi de faire humilier l'enfant Jésus sur différents points par les
rabbins les plus savants, dans le temple même et du haut de la chaire.
Les docteurs et les scribes se concertèrent ensemble pour cela : car
d'abord ils avaient pris plaisir à l'entendre ; puis ils s'étaient
irrités contre lui. Ceci eut lieu à l'endroit où l'on enseignait
publiquement, au milieu du vestibule du temple devant le sanctuaire,
dans la salle ronde où Jésus enseigna encore plus tard. Je vis là Jésus
assis sur un grand siège qu'il ne remplissait pas tout entier à beaucoup
près. Il était entouré d'une quantité de vieux Juifs revêtus d'habits
sacerdotaux. Ils écoutaient attentivement et paraissaient pleins de
dépit : je craignais qu'ils ne voulussent mettre la main sur lui. Le
siège où il était assis était orné de têtes brunes semblables à des
têtes de chiens : elles étaient d'un brun verdâtre et le haut était
reluisant, avec un reflet jaune. Des têtes et des figures du même genre
ornaient plusieurs longues tables ou dressoirs placés latéralement dans
cet endroit du temple et qui étaient couverts d'offrandes. Cette pièce
était si vaste et si remplie de monde qu'on n'avait pas le sentiment
qu'on fût dans une église.
Comme Jésus dans les écoles
avait fait usage pour ses réponses et ses explications d'exemples de
toute espèce, tires des choses naturelles, des arts et des sciences, on
avait réuni ici des hommes versés dans ces différentes branches des
connaissances humaines : comme ils commençaient, chacun de son côté, à
disputer avec Jésus, il leur dit que ces sortes de discussions n'étaient
pas précisément à leur place dans le temple, mais que pourtant il leur
répondrait même ici, parce que telle était la volonté de son Père. Ils
ne comprirent pas qu'il entendait parler de son Père céleste, mais ils
crurent que Joseph lui avait ordonné de faire montre de toutes ses
connaissances.
Jésus répondit et enseigna
sur la médecine et il décrivit tout le corps humain d'une façon inconnue
aux plus savants d'entre eux : il fit de même pour l'astronomie,
l'architecture, l'agriculture, la géométrie et l'arithmétique, la
science du droit, en un mot pour tout ce qui fut mis en avant (17)
il ramena tout d'une façon si ingénieuse à la loi et à la promesse, aux
prophéties, au temple et aux mystères du culte et du sacrifice que les
uns étaient saisis d'admiration, les autres confus et dépités, et cela
alternativement tous fussent couverts de confusion et outrés de dépit :
ce qui venait surtout de ce qu'ils entendaient des choses qu'ils
n'avaient jamais sues, ni jamais comprises de cette sorte.
Il y avait déjà deux heures
qu'il enseignait ainsi, lorsque Joseph et Marie vinrent aussi dans le
temple et s'enquirent de leur enfant près de quelques lévites qu'ils
connaissaient. ils apprirent alors qu'il était avec les scribes dans la
salle où l'on enseignait. Comme ce n'était pas un lieu où il leur fût
permis d'entrer, ils y envoyèrent le lévite pour prier Jésus de venir,
mais Jésus leur fit dire qu'il voulait finir d'abord ce qu'il avait à
faire. Marie fut très attristée de ce qu'il ne venait pas tout de suite.
C'était la première fois qu'il faisait sentir à ses parents qu'il avait
à obéir à d'autres ordres encore qu'aux leurs. il continua à enseigner
pendant une bonne heure, et quand tous eurent été réfutés et confondus
au grand dépit de la plupart d'entre eux, il quitta la salle et vint
trouver ses parents dans le parvis des Israélites et des femmes. Joseph
était intimidé et étonné : il ne disait rien. Mais Marie s'approcha de
Jésus et lui dit : " Mon fils, pourquoi en as tu agi ainsi envers nous,
voilà que ton père et moi nous te cherchions tout affligés.
Mais Jésus était encore plein de gravité et il répondit : "Pourquoi me
cherchiez vous ? ne saviez vous pas que je dois m'occuper des affaires
de mon Père, "ils ne comprirent pas cela et se remirent en route avec
lui pour revenir. Les assistants étaient tout étonnés et les regardaient
avec curiosité. J'étais très inquiète, craignant qu'ils ne se saisissent
de l'enfant, car j'en vis quelques uns pleins de colère. Mais à ma
grande surprise, ils laissèrent la sainte Famille se retirer
tranquillement : la foule pressée autour d'eux s'ouvrit pour les laisser
passer. je vis tout cela très en détail, et j'entendis la plus grande
partie de ses instructions, mais la souffrance et les soucis font que je
ne puis pas tout retenir. Son enseignement fit un grand effet chez tous
les scribes : quelques uns en prirent note comme d'une chose
remarquable. On en parla beaucoup de divers côtés, et il y eut à ce
sujet bien des bavardages et des mensonges. Mais ils tinrent secrète
entre eux toute la manière dont la chose s'était passée, ils parlèrent
de Jésus comme d'un enfant inconsidéré qu'on avait remis a sa place : il
avait de belles facultés, disaient ils, mais cela avait encore besoin
d'être poli par l'éducation.
Je vis la sainte Famille
revenir à Jérusalem : ils se joignirent devant la ville à une troupe
composée de trois hommes, de deux femmes et de quelques enfants que je
ne connaissais pas, mais qui paraissaient être aussi de Nazareth. En
compagnie de ces personnes, ils suivirent encore divers chemins autour
de Jérusalem ; ils allèrent au mont des Oliviers, s'arrêtèrent ça et là
dans les beaux jardins d'agrément qui s'y trouvent et prièrent les mains
croisées sur la poitrine. Je les vis aussi passer un ruisseau sur un
grand pont. Ces allées et venues et ces prières de la petite compagnie
me donnèrent tout à fait l'idée d'un pèlerinage.
Quand Jésus fut de retour à
Nazareth, je vis préparer dans la maison d'Anne une fêle où l'on réunit
tous les jeunes garçons et les jeunes filles appartenant aux familles de
leurs parents et de leurs amis. Je ne sais pas si c'était une fête pour
se réjouir d'avoir retrouvé Jésus ; peut être aussi était ce une fête
qui avait lieu après le retour de la fête de Pâques ou bien encore qu'on
célébrait quand les garçons atteignaient leur douzième année. Mais Jésus
était là comme le principal personnage.
On avait élevé au dessus de
la table de jolies cabanes de feuillage : des guirlandes de feuilles de
vigne et d'épis y étaient suspendues : les enfants avaient aussi des
raisins et des petits pains. Il y avait à cette fête trente trois
enfants, tous disciples futurs de Jésus, et je vis qu'il y avait là
quelque chose qui se rapportait au nombre des années de la vie de Jésus,
mais je l'ai oublié comme beaucoup d'autres choses. Jésus enseigna, et
pendant toute la fête il raconta aux autres enfants une parabole
merveilleuse et qui ne fut pas comprise pour la plus grande partie,
touchant des noces où l'eau devait être changée en vin et les convives
indifférents en amis zélés, puis encore touchant des noces où le vin
devait être changé en sang et le pain en chair, ce qui devait se
perpétuer parmi les convives jusqu'à la fin du monde pour les consoler
et les fortifier et pour établir entre eux un lien vivant. Il dit aussi
à un jeune homme de ses parents, nommé Nathanael : " Je serai à tes
noces. " C'est tout ce que j'ai retenu.
A dater de cette douzième
année, Jésus fut toujours comme le précepteur de ses compagnons : il
s'asseyait souvent au milieu d'eux, leur faisait des récits et se
promenait avec eux dans les environs. Dans sa dix huitième année, il
commença à aider saint Joseph dans les travaux de sa profession.
(Commencement de mai 1821.) Vers la trentième année de la vie de Jésus,
saint Joseph s'affaiblit de plus en plus, et je vis plus souvent Jésus
et Marie réunis près de lui. Marie était souvent assise devant sa
couche, soit par terre, soit sur une table ronde tort basse, qui avait
trois pieds et dont ils se servaient aussi pour faire leurs repas. Je
les vis manger rarement ; quand ils mangeaient, ou qu'ils portaient à
saint Joseph une réfection dans son lit, c'étaient trois petites
tranches blanches, larges d'environ deux doigts, placées l'une près de
l'autre sur une petite assiette ou de petits fruits dans une petite
écuelle : ils lui donnaient aussi à boire d'un breuvage contenu dans une
espèce de cruche.
Lorsque Joseph mourut,
Marie était assise à la tête de son lit et le tenait dans ses bras,
Jésus se tenait à la tête de son lit et le tenait dans ses bras, Jésus
se tenait à la hauteur de sa poitrine. Je vis la chambre remplie de
lumière et pleine d'anges. Il fut enveloppé dans un linceul blanc, les
mains croisées sur la poitrine, couché dans une bière étroite et déposé
dans un très beau caveau sépulcral qu'il tenait d'un homme de bien. Peu
de personnes, outre Jésus et Marie, suivirent son cercueil : mais je le
vis entouré de lumière et accompagné par des anges.
Joseph devait mourir avant le Seigneur, car il n'aurait pu supporter son
crucifiement. Il était trop faible et trop affectueux. Il avait déjà
beaucoup souffert par suite des persécutions que la malice secrète des
Juifs fit endurer au Sauveur, depuis sa vingtième jusqu'à sa trentième
année. Ils ne pouvaient pas le souffrir, et disaient toujours, pleins
d'envie, que le Fils du charpentier voulait tout savoir mieux que les
autres parce qu'il contredisait souvent la doctrine des pharisiens et
qu'il était habituellement entouré de jeunes gens qui s'étaient attachés
à lui.
Marie a infiniment souffert
de ces persécutions. Les souffrances de ce genre m'ont toujours paru
plus grandes que des supplices corporels.
On ne peut dire avec quelle charité Jésus supportait, dans sa jeunesse,
les persécutions et les méchancetés des Juifs.
( 2 juillet 1821 ) Joseph,
le père nourricier de Notre Seigneur, est mort depuis environ deux mois.
Il est mort à Nazareth et y a été enterré. un homme de bien lui a
procuré une très belle sépulture. Son corps fut plus tard porté à
Bethléem par des chrétiens qui l'y enterrèrent. Il me semble que je l'y
vois encore maintenant et qu'il n'a éprouvé aucune altération.
Avant la mort de Joseph je
vis Jésus aller seulement dans le voisinage sans jamais s'éloigner
beaucoup. Les derniers jours, j'ai vu qu'après la mort de Joseph, Jésus
et Marie allèrent à Capharnaum. La maison de Nazareth était fermée. Le
lieu où ils allèrent n'était pas la ville même de Capharnaum, mais comme
un hameau de quelques maisons entre Capharnaum et Bethsaide. C'était
l'endroit où alla le père de Pierre lorsqu'il remit à celui ci la
pêcherie voisine de Bethsaïde. Jésus reçu là une maison d'un certain
Lévi de Capharnaum. Ce Lévi aimait la sainte Famille, et il donna à
Jésus cette maison pour y demeurer. Elle était isolée et entourée d'un
fossé d'eau dormante : il y avait près de là plusieurs autres maisons.
Quelques uns des gens de Lévi y demeuraient pour faire le service et
celui ci envoyait de Capharnaum les aliments nécessaires.
Beaucoup de jeunes gens de
Nazareth s'étaient attachés à Jésus dès le temps de son adolescence,
mais ils l'abandonnèrent les uns après les autres. Il parcourait souvent
les bords du lac avec ses compagnons ; il allait aussi à Jérusalem pour
les fêtes, et la famille de Lazare, à Bethanie, était dès lors en
relation avec la sainte Famille. C'est pourquoi les pharisiens de
Nazareth l'appelaient un vagabond et se scandalisaient à son sujet. Lévi
lui avait donné cette maison pour qu'il eût plus de liberté, et qu'il
pût y réunir ceux qui voudraient l'entendre.
Il y avait près du lac,
autour de Capharnaum, une contrée coupée de vallées singulièrement
fertiles et riantes. On y faisait plusieurs récoltes dans l'année ; la
végétation y était admirablement belle : on y voyait en même temps des
fleurs et des fruits. Beaucoup de Juifs de distinction avaient là des
jardins et des châteaux ; Hérode aussi. Les Juifs, au temps de Jésus,
n'étaient plus comme leurs pères, ils s'étaient fort gâtés par le
commerce et les rapports avec les païens. Je n'ai jamais vu les femmes
se montrer en public, pas même pour la culture des champs, si ce n'est
des personnes très pauvres qui allaient glaner des épis. On ne les
voyait que dans les pèlerinages à Jérusalem et à d'autres lieux de
prière. C'étaient presque toujours des esclaves qui cultivaient la terre
et qui faisaient les emplettes de toute espèce. J'ai vu toutes les
villes de la Galilée dans les dernières nuits. Là où l'on rencontre à
peine aujourd'hui trois bourgades en ruines on en trouvait alors une
centaine, et la population était innombrable.
3 juin. A midi, je vis que
Marie, fille de Cléophas, qui habitait la maison de sainte Anne, près de
Nazareth, avec son troisième mari, père de Siméon de Jérusalem, était
venu dans la maison de la sainte Vierge à Nazareth. Elle avait avec elle
Siméon, son fils du troisième lit ; les serviteurs étaient restés dans
la maison d'Anne. Je vis Jésus et Marie s'y rendre de Capharnaum : je
crois que Marie y restera et qu'elle avait seulement accompagné Jésus à
Capharnaum : elle est bien touchante à voir quand elle le suit. J'ai
aussi appris que Jésus veut aller ces jours ci dans le pays d'Hébron, où
habitait Zacharie.
José Barsabas. fils de
Marie de Cléophas, de son second mariage avec Sabas, était à la maison.
Les trois fils de son premier mariage avec Alphée, Simon, Jacques le
Mineur et Thaddée, qui ont déjà des occupations hors de la maison, y
sont venus aussi pour consoler la sainte Famille après la mort de Joseph
et pour revoir Jésus avec lequel ils n'ont eu que peu de rapport depuis
son enfance. Ils avaient quelque connaissance vague et générale des
prophéties de Siméon et d'Anne lors de la présentation de Jésus au
Temple, mais ils n'y ajoutaient pas beaucoup de foi. Ils préférèrent
s'attacher à Jean Baptiste qui traversa le pays peu de temps après.
È
(Du 2 juin au 27
septembre 1821.)
– Jésus va à Hébron, à la
mer Morte, sur la rive orientale du Jourdain, sur la rive occidentale,
près du lac de Génésareth, à Sidon et à Sarepta, il revient à Nazareth.
– Le sanhédrin se déclare contre Jésus.
– Jésus à Nazareth, à Capharnaûm, à Bethsaide, à Bethulie, à Kedès, à
Jezrael, au séjour des publicains, à Kimki.
– Promenades et conversations avec l'essénien Eliud, dans la vallée d'Esdrelon,
à Nazareth, à Gophna, à Bethanie.
– Marie la Silencieuse sœur de Lazare. – Séjour à Bethanie.
- Jésus se rend avec Lazare au lieu où l'on baptise près du Jourdain.
·
Remarque de
l'éditeur.
Plus d'un lecteur pourra
d'abord trouver étrange que les visions de ce chapitre lui montrent déjà
le Sauveur enseignant et opérant des miracles, tandis qu'on est
généralement habitué à se représenter la prédication de Jésus et son
action miraculeuse comme ne commençant qu'après son baptême. Il pourrait
facilement arriver qu'on voulût voir là une contradiction entre les
visions et les saints Evangiles, parce que saint Jean (II, 11), rapporte
que le Sauveur a donné commencement à ses miracles par le changement de
l'eau en vin a Cana. Cette contradiction toutefois n'est qu'apparente,
et il est facile de l'expliquer. En effet, c'est dans les quatre mois
qui, d'après les visions, se sont écoulés depuis la mort de saint Joseph
jusqu'au baptême de Jésus dans le Jourdain, que tombe l'action publique
de Jean Baptiste, le précurseur chargé de préparer les voies du
Seigneur. Celui ci commença à baptiser et à prêcher sur les bords du
Jourdain, à peu près au moment même où Jésus, encore inconnu et regardé
seulement comme un saint docteur et un prophète à cause de la charité
inexprimable, de la majesté et de la mansuétude qui se manifestaient
dans sa personne, parcourait la Judée, la Pérée et la Galilée, allant
même jusqu'à Sidon et à Sarepta. Dans ces courses le Sauveur suivait les
traces des anciens prophètes, visitait tous les lieux où il s'était
passé quelque chose de figuratif se rapportant à lui, afin de donner
leur accomplissement à toutes les promesses, à toutes les préparations,
à toutes les figures. En même temps il pratiquait les oeuvres de charité
les plus pénibles et les plus humbles qu'il ne devait plus opérer de la
même manière dans les années de prédication qui devaient suivre, parce
que son temps devait être autrement employé : mais surtout il adressait
à Jean tous ceux qui l'écoutaient, les exhortant à aller au Jourdain et
à recevoir le baptême de la main de Jean. Dans cette période, le Sauveur
ne parle nulle part de lui même, il ne révèle nulle part qu'il est le
Messie annoncé par Jean. Il parle uniquement de Jean, de la pénitence
qu'il prêche et de son baptême.
A cela correspond aussi le
caractère du petit nombre de guérisons miraculeuses dont parlent les
visions de cette période. Elles font partie de ces prodiges que Maldonat
et après lui Cornélius a Lapide rangent parmi ceux que Jésus a opérés
plus secrètement et sans avoir directement en vue de se manifester comme
le Messie attendu. Quant aux miracles opérés dans ce dernier but, le
Sauveur leur a donné commencement à Cana, ainsi que cela est expliqué en
son lieu d'après les visions de la manière la plus profonde : mais à
vouloir affirmer que le miracle de Cana fut la première de toutes les
opérations miraculeuses de Jésus, on serait aussi peu croyable, dit
Maldonat, qu'en prétendant que la première instruction de Jésus après
son baptême fut aussi la première qu'il eût jamais faite.
***
(Du 3 au 22 juin ) Comme
Jésus allait de Capharnaum à Hébron, par Nazareth, il vint dans la
contrée où plus tard il nourrit un peuple nombreux en multipliant les
pains et aussi dans le voisinage de l'endroit où il fit dans la suite
une partie du sermon sur la montagne. Vis à vis de cette montagne, à peu
près à une lieue, du côté exposé au soleil où tout mûrit si bien, il y
avait une fête populaire dans un endroit très agréable, situé tout
contre la route (plus tard elle dit d'une manière plus précise qu'il
s'agissait des bains attenant au lac de Bethulie, situé dans le district
de Génésareth, et qu'on appelait aussi la fontaine de Capharnaûm). Jésus
en passant vit là des hommes et des femmes séparés en groupes qui
jouaient aux gageures : l'enjeu consistait en fruits.
Ce fut là que Jésus vit
Nathanaël, surnommé Khased, debout à l'endroit où se tenaient les
hommes, sous un figuier et comme Nathanaël, en regardant jouer les
femmes, était assailli d'une tentation de la chair contre laquelle il
luttait, Jésus en passant le regarda fixement comme pour l'avertir.
Nathanaël, sans connaître Jésus, fut profondément ému de ce regard : cet
homme, pensa t il, a l'oeil pénétrant. Jésus lui fit l'effet d'être plus
qu'un homme ordinaire. Il se sentit atteint, rentra en lui même,
surmonta la tentation et fut, à dater de ce moment, beaucoup plus fort
contre lui même. Il me semble avoir aussi vu là Nephtali, surnommé
Barthélémy, et je crois que lui aussi fut vivement touché d'un regard de
Jésus.
Marie resta à Nazareth avec
Marie de Cléophas, dont le troisième mari Jonas, dirigeait le ménage
dans la maison de sainte Anne. Jésus alla avec deux de ses amis
d'enfance à Hébron, dans la Judée. Ceux ci ne lui restèrent pas fidèles
; ils devinrent ses ennemis, et ce ne fut qu'après la résurrection, lors
de sa manifestation sur la montagne de Thébez, en Galilée, qu'ils se
convertirent et se réunirent à la communauté chrétienne.
(5 juin ) J'ai vu Jésus
visiter Lazare à Bethanie. Lazare paraissait beaucoup plus âgé que Jésus
: il me semblait au moins avoir huit ans de plus. il avait un grand étal
de maison avec beaucoup de serviteurs, de propriétés et de jardins.
Marthe avait sa maison à elle, et une autre soeur, nommée Marie, qui
vivait tout à fait retirée, avait aussi sa demeure à part Madeleine
habitait dans le château de Magdalum. Lazare connaissait depuis
longtemps déjà la sainte Famille : il avait précédemment aidé Joseph et
Marie dans leurs nombreuses aumônes. Je vis aussi plus clairement que je
ne l'avais fait encore, combien Lazare a fait pour la communauté
chrétienne depuis le commencement jusqu'à la fin : c'était lui qui
remplissait la bourse que portait Judas et qui avait fait les premiers
frais de tout. Jésus fut aussi au temple à Jérusalem.
(6 juin) à Hébron Jésus se
sépara de ses compagnons. Il dit qu'il avait un autre ami à visiter.
Zacharie et Elisabeth ne vivent plus. Jésus alla dans le désert où
Elisabeth avait porté Jean encore enfant. Il était situé au midi entre
Hébron et la mer Morte. On franchissait d'abord une montagne élevée,
couverte de cailloux blancs, et on descendait ensuite dans une jolie
vallée où il y avait des palmiers. C'est là que je vis aller Jésus.
( 7 juin ) Jésus est allé
dans la grotte où Jean fut d'abord conduit par Elisabeth. Il a passé
ensuite une petite rivière que Jean aussi avait traversée. Je le vis
seul et en prières, comme s'il se préparait à sa carrière de
prédication.
(8 11 juin) Je vis Jésus revenir du désert à Hébron Partout il prêtait
une main secourable. Ainsi je vis que près d'un grand amas d'eau,
c'était de l'eau salée (vraisemblablement la mer Morte), il vint en aide
à des gens embarqués sur une espèce de radeau, au dessus duquel était
dressé un pavillon. Il y avait là des hommes, des animaux et des
bagages. Jésus les appela et poussa une poutre du rivage jusqu'à leur
embarcation. Il les aida à débarquer et travailla avec eux à réparer
leur bateau. Ces gens ne pouvaient s'imaginer qui il était, car sans
avoir rien qui le distinguât des autres dans ses vêtements, toute sa
personne était si merveilleusement attrayante et si pleine de dignité
qu'ils en étaient grandement émus. Ils crurent d'abord que c'était Jean
Baptiste, qui avait déjà paru sur les bords du Jourdain : mais ils
reconnurent bientôt que ce n'était pas lui, car Jean était plus brun et
avait des dehors plus rudes. Jésus célébra le sabbat à Hébron. Il
congédia là ses compagnons de voyage. il alla visiter des malades dans
leurs maisons, les consola, les assista, les soulevant, les portant,
arrangeant leurs couches ; mais je ne je vis pas guérir. il se montrait
bienfaisant envers tous et excitait partout l'admiration. Je le vis
aller vers des possédés, qui devinrent tranquilles quand il fut près
d'eux : cependant il ne chassa pas de démons. Il relevait ceux qui
tombaient, donnait à boire à ceux qui avaient soif, indiquait les
sentiers et les gués à ceux qui cheminaient, et tous étaient dans
l'admiration de ce voyageur si charitable. Dans la nuit du samedi il
quitta Hébron, et le dimanche au matin il arriva à l'embouchure du
Jourdain dans la mer Morte. Il traversa là le Jourdain et, remontant la
rive orientale du fleuve, il se dirigea vers la Galilée.
(12 juin) Je vis Jésus dans
ces derniers jours aller à l'orient de la mer de Galilée, entre Pella et
la contrée de Gergesa. Il fait de petits voyages, et partout il se
montre secourable. Il va visiter tous 16 ; malades et même les lépreux :
il les console, arrange leur couche, les exhorte à prier, leur indique
un régime et des remèdes, et tous l'admirent. J'ai vu aussi dans un
endroit deux personnes qui avaient connaissance des prophéties de Siméon
et d'Anne, et `qui lui demandèrent si c'était de lui qu'il s'agissait.
Ordinairement des gens qui l'avaient pris en affection l'accompagnaient
d'un lieu à l'autre. Les possédés devenaient tranquilles près de lui. Je
l'ai vu cette nuit au bord d'un petit torrent (le Hiéromax)qui tombe
dans le Jourdain au dessous de la mer de Galilée, non loin de cette
montagne escarpée de laquelle, plus tard, il précipita les pourceaux
dans la mer Au bord du torrent était une rangée de petites huttes en
terre, semblables à des cabanes de bergers ; il s'y trouvait des gens
qui construisaient des bateaux sur le rivage et qui ne pouvaient pas en
venir à bout. Je vis Jésus aller à eux et les conseiller amicalement ;
et je vis apporter des poutres, mettre là main à leur travail, leur
montrer divers procédés à employer, et pendant le travail les exhorter à
la charité et à la patience, etc.
(20 juin) J'ai vu Jésus
plusieurs autres fois depuis que je l'avais vu sur la rive orientale de
la mer de Galilée, mais j'ai toujours tout oublié. Il revint sur le bord
occidental, et je le vis cette nuit dans un petit endroit composé de
maisons dispersées et situé sur un plateau élevé, entre deux collines,
non loin de Capharnaum, de Magdalum et de Domna, au nord est de Séphoris.
Il s'y trouvait une synagogue. Les habitants étaient des gens dont
personne ne s'occupait ; toutefois ils n'étaient pas méchants. Abraham
avait possédé là des prairies pour les bêtes destinées aux sacrifices ;
Joseph et ses frères gardaient leurs troupeaux dans les environs, et
c'est dans cette contrée que Joseph fut vendu. Le lieu s'appelle Dothaim
et doit être distingué de Dothan, qui est à environ quatre lieues de
Samarie. C'était maintenant un petit endroit peu habité : mais le
terroir était bon, et il s'y trouvait de nombreux pâturages qui
s'étendaient de plain pied jusqu'à la mer de Galilée. Il y avait là une
grande maison, comme une maison de fous, où demeuraient plusieurs
possédés. Ils étaient furieux et se battaient à outrance lorsque Jésus
arriva. Personne ne pouvait en venir à bout. Jésus entra pour les
visiter et s'entretint avec eux. Alors ils devinrent parfaitement
paisibles. Il leur fit une exhortation, et ils sortirent tranquillement
de cette maison pour s'en retourner chez eux Les habitants étaient très
étonnés de cela, ils ne voulaient plus laisser partir Jésus et on
l'invita à un mariage. J'y ai vu pratiquer les mêmes usages qu'à Cana.
Il n'assista à la fête que comme un étranger qu'on honore. Il tint des
discours bienveillants et pleins de sagesse, et donna des avis au,
fiancés. Ceux ci dans la suite, se joignirent aux disciples lors de
l'apparition sur le mont Thébez.
(22 juin) Aujourd'hui je
vis notre Seigneur Jésus de retour à Nazareth : il y visita
successivement les connaissances qu'y avaient ses parents, mais partout
il fut reçu très froidement. Je vis cette nuit qu'il voulait aller dans
la synagogue pour y enseigner, et qu'ils l'en empêchèrent : je vis aussi
qu'il parla du Messie sur une place publique devant beaucoup de monde,
devant des sadducéens et des pharisiens, disant que le Messie ne serait
pas comme chacun se le figurait d'après ses désirs : il parla aussi de
Jean Baptiste, qui était la voix dans le désert. Il avait été accompagné
depuis le pays d'Hébron par deux jeunes gens qui portaient de longs
vêtements avec une ceinture, comme les prêtres Je les vis ici, mais ils
n'allaient pas toujours avec lui. Il célébra ici le sabbat.
(25 juin) Je vis Jésus et
Marie, en compagnie de Marie de Cléophas, des parents de Parménas et
d'autres personnes, faisant une vingtaine en tout, quitter Nazareth et
se rendre à Capharnaüm. Ils avaient avec eux des ânes portant des
bagages. La maison de Nazareth resta parfaitement nettoyée et arrangée :
comme on en avait tout enlevé et qu'on avait seulement disposé quelques
couvertures à l'intérieur, elle me faisait l'effet d'une église ; Elle
resta inhabitée. La maison de sainte Anne est toujours occupée par le
troisième époux de Marie de Cléophas ; il y a aussi là habituellement
quelques uns des fils de celle ci, lesquels prennent soin de la maison.
José Barsabas, le plus jeune, était parti avec sa mère, et il se rendit
a la pêcherie : le petit Siméon, né du troisième mariage, était aussi
avec elle. Je vis les jours suivants Jésus et Marie dans la maison
située entre Capharnaum et Bethsaïda. Marie de Cléophas demeurait tout
près de là, et les parents de Parménas à peu de distance.
(28 juin) Je vis Jésus de
nouveau en course ; il s'arrêta dans un petit endroit où il parla dans
la synagogue du baptême de Jean, de l'approche du Messie et de la
pénitence. Les auditeurs murmuraient, le regardant, avec mépris, et j'en
entendis quelques uns dire : " il y a trois mois, son père, le
charpentier, vivait encore : il travaillait alors avec lui : maintenant
il a un peu couru à l'étranger, et il revient pour nous enseigner ce
qu'il a appris. Je riais en moi même de ce qu'ils croyaient qu'il était
allé en pays étranger, tandis qu'il était dans le désert pour se
préparer.
(14 juillet) La Soeur,
pendant ces jours là, ne cessa pas de voir toutes les allées et venues
de Jésus et de Jean. Elle voit encore le Seigneur aller de lieu en lieu
et se montrer particulièrement là où Jean a passé. Il va dans les
synagogues : il enseigne, console et assiste les malades. Elle le vit à
Cana, où il avait des parents qu'il visita et où il enseigna aussi. Elle
ne le voit pas encore avec aucun de ses futurs disciples. On dirait
qu'il apprend d'abord à connaître les hommes, et qu'il continue ce que
Jean a commencé à produire en eux. Souvent un homme de bien l'accompagne
d'un lieu à l'autre.
(6 juillet ) Je vis
aujourd'hui quatre hommes parmi lesquels étaient de futurs disciples de
Jésus dans la contrée entre Samarie et Nazareth, sous des arbres voisins
de la grande route : ils attendaient Jésus, qui était en course avec un
compagnon. Ils allèrent au devant du Seigneur et lui racontèrent qu'ils
avaient été baptisés par Jean, et qu'il parlait de l'approche du Messie.
Ils lui racontèrent encore avec quelle sévérité il avait parlé aux
soldats, et qu'il n'avait baptisé que quelques uns d'entre eux. Il leur
avait dit, entre autres choses, qu'il ferait aussi bien de prendre des
pierres dans le Jourdain et de les baptiser. Je les vis aller plus loin
avec Jésus.
(11 juillet) Ces jours ci,
je vis le Seigneur remonter vers le nord le long de la mer de Galilée.
Il parla déjà plus clairement du Messie, et dans beaucoup d'endroits les
possédés poussèrent des cris derrière lui : il chassa aussi un démon
d'un homme. il enseigna dans des écoles.
Il fut rencontré par six
personnes qui venaient du baptême de Jean, et dont étaient Lévi, nommé
plus tard Matthieu et deux des fils des trois veuves : Nathanaël, le
fiancé de Cana, n'en était pas. Ils le connaissaient comme ayant avec
lui des rapports de parenté, et par ce qu'ils en avaient entendu dire :
ils pressentaient aussi qu'il pouvait bien être celui dont Jean avait
parlé, mais ils n'en avaient pas la certitude ils racontèrent des choses
relatives à Jean, parlèrent de Lazare et de ses soeurs, et aussi de
Magdeleine qui devait être possédée du démon. Elle demeurait seule déjà
dans son château. ils firent route avec Jésus, dont les discours les
émerveillaient. Ceux qui allaient de Galilée vers Jean pour être
baptisés, lui racontaient ordinairement ce qu'ils savaient de Jésus et
ce qu'ils en avaient entendu dire, tandis que ceux qui venaient d'Ainon,
le lieu où Jean baptisait, faisaient à leur tour à Jésus des récits sur
Jean.
Je vis Jésus, sans ses compagnons, entrer près du lac dans une pêcherie
entourée d'une haie, où il y avait cinq barques. Sur le rivage étaient
plusieurs cabanes où se tenaient les pêcheurs. Cette pêcherie
appartenait à Pierre ; il était dans une des cabanes avec André. Jean et
Jacques, avec leur père Zébédée et plusieurs autres, étaient sur les
barque Dans la barque qui était au milieu se trouvait le père de la
femme de Pierre avec trois de ses fils. J'ai su tous leurs noms, mais je
les ai oubliés. Le père était surnommé le Zélateur, parce qu'il avait
soutenu sur le lac un combat contre les Romains au sujet d'un droit
relatif à la navigation ; c était de là que lui venait ce nom. Il y
avait environ trente hommes sur les barques.
Jésus suivit le chemin
bordé d'une haie, qui était entre les cabanes et les barques ; il
s'entretint avec André et avec d'autres ; je ne sais pas s'il parla
aussi à Pierre. ils ne le connaissaient pas encore. Il parla de Jean et
de l'approche du Messie. André était déjà baptisé et disciple de Jean.
Jésus leur dit qu'il reviendrait les voir.
(Du 11 au 26 juillet) Jésus
s'éloigna du lac et se ! dirigea vers le Liban ; il prit ce parti parce
qu'on parlait beaucoup de lai dans le pays et qu'il en résultait une
certaine agitation. Plusieurs regardaient Jésus comme le Messie.
D'autres parlaient d'un autre personnage que Jean aurait désigné.
Jésus était accompagné de
six à douze personnes dont le nombre croissait ou diminuait
successivement pendant le voyage. Ils écoutaient ses instructions avec
joie, et ils soupçonnaient parfois qu'il devait être celui auquel Jean
faisait allusion. Jésus ne s'adjoignit particulièrement aucun d'eux ; à
vrai dire, il était seul, mais il semait et préparait d'avance. Dans
toutes ses courses, je vis plusieurs choses qui se rapportaient aux
courses et aux actions des prophètes, surtout d'Elie.
Je vis Jésus, avec environ
dix compagnons, sur une éminence dépendant du Liban, vis à vis d'une
grande ville située le long de la mer Méditerranée. On avait, de cette
hauteur, une vue d'une beauté incomparable. La ville paraissait placée
tout au bord de la mer, mais, quand on se trouvait dans son enceinte, on
voyait qu'elle en était bien éloignée de trois quarts de lieue. Elle
était très grande et très tumultueuse ; lorsqu'on la regardait du haut
de la montagne, on croyait voir une quantité innombrable de navires ;
car, sur ses nombreux toits en terrasse, il y avait une forêt de perches
et d'échafaudages où étaient suspendues et déployées de longues
banderoles d'étoffe rouge et d'autres étoffes de diverses couleurs, et,
dans les intervalles, on voyait une fourmilière d'hommes qui
travaillaient. Le pays d'alentour était plein de petits endroits très
fertiles : tout était couvert de fruits. Il y avait partout de grands
arbres, autour desquels régnaient des sièges, d'autres où l'on montait
par des escaliers si bien que des sociétés entières pouvaient s'asseoir
au milieu des branches, comme dans des maisons aériennes. La plaine dans
laquelle la ville se trouve, entre la montagne et la mer, n'est pas très
large.
Il y avait dans cette ville
des païens et des juifs qui trafiquaient ensemble. L'idolâtrie y était
très répandue. Le Seigneur, tout en cheminant, enseigna et prêcha dans
les petits endroits, sous les grands arbres ; il parla de Jean, de son
baptême et de la pénitence.
Dans la ville, Jésus fut
bien accueilli. Il y est allé déjà une fois. Il parla dans l'école de la
venue prochaine du Messie et de la destruction des idoles. La reine
Jézabel, qui persécuta Elie avec tant d'acharnement, était de cette
ville.
Jésus laissa ses compagnons à Sidon et alla dans un petit endroit, situé
plus au midi, à quelque distance de la mer. Il veut s'y tenir quelque
temps à l'écart pour prier. La ville est toute entourée de bois d'un
côté, elle a des murs épais, et il y a des vignes à l'entour. C'est
Sarepta, où Elie fut nourri par la veuve. Je vis toute cette histoire.
Il en était résulté pour les juifs une superstition qui avait gagné
aussi les païens ; c'était de faire en sorte qu'il y eut toujours de
pieuses veuves logées dans les murs qui entouraient la ville. ils
croyaient que cela les garantissait de tout danger et leur permettait de
se livrer impunément à toute espèce de désordres. Actuellement c'étaient
des vieillards qui habitaient là. Jésus logea chez un vieillard, dans
une maison pratiquée dans la muraille. Ces vieilles gens sont des
espèces d'ermites Jésus leur parla du Messie et de Jean. Il alla aussi à
la synagogue instruisit les enfants et célébra le sabbat.
(14 juillet) Jésus restera
encore quelque temps ici ; il ira ensuite au baptême de Jean. Il se
tient principalement chez de vieux juifs pieux logés dans les murs de
Sarepta, qui vivent là par suite d'un vieil usage, et pour honorer le
souvenir d'Elie. Ils se livrent à la méditation et à l'interprétation
des prophéties et prient beaucoup pour l'avènement du Messie. Jésus Leur
donne des instructions sur le Messie et sur le baptême de Jean. Ils sont
pieux, mais ils ont beaucoup d'idées fausses : ils croient, par exemple,
que le Messie doit venir avec une pompe mondaine. Jésus va souvent prier
seul dans la forêt voisine de Sarepta il enseigne dans la synagogue, et
s'occupe aussi à instruire les enfants.
Le jour suivant, la Soeur vit Jésus enseigner dans divers endroits où il
y avait beaucoup de pa'ens il exhortait les juifs à ne pas se mêler avec
les paiens. Il y avait là des gens de bien, il y en avait aussi de très
mauvais. Jésus n'est accompagné de personne, si ce n'est parfois de
quelques habitants du pays. Je le vois souvent enseigner en plein air
devant des hommes et des femmes, sur de petits tertres ou sous des
arbres.
La saison est telle dans ce
pays, qu'il me semble toujours être au mois de mai, parce que dans ta
terre Promise les semailles faites pour la seconde récolte sont en ce
moment au même point où elles sont chez nous au mois de mai. On ne coupe
pas ici le blé si près de terre : on prend la tige avec la main un peu
au dessous de l'épi, et on la coupe à peu près une coudée plus bas. On
ne bat pas le grain : les petites gerbes sont posées verticalement, et
on fait passer dessus un rouleau placé entre deux boeufs. Le grain est
beaucoup plus sec qu'ici et se détache très facilement. Cela se fait en
plein air, ou bien dans une grange ouverte de tous côtés, et couverte
seulement d'un toit de paille.
Dans ces derniers jours je
vis Jésus aller au nord est de Sarepta, dans un endroit peu éloigné du
champ de bataille où Ezéchiel, ravi en esprit, eut la vision dans
laquelle il vit les ossements des morts se ranger en ordre dans une
grande plaine, puis se revêtir de nerfs et de chair, après quoi il vint
un souffle qui leur inspira l'esprit et la vie. Il me fut expliqué que
les os qui se rassemblaient et se recouvraient de chair étaient la
figure du baptême de Jean et de son enseignement, tandis que l'esprit et
la vie qui venaient les animer signifiaient la rédemption de Jésus et la
descente du Saint Esprit.
Jésus consola les habitants de ce lieu qui étaient très languissants et
très abattus, et il leur expliqua aussi la vision d'Ezéchiel.
De là il se dirigea encore
plus au nord, jusque dans la contrée où Jean était venu d'abord en
sortant du désert. C'est un petit village de bergers où Noémi résida
assez longtemps avec sa fille Ruth. Elle avait laissé un si bon
souvenir, que ces gens en parlaient encore. Plus tard elle demeura à
Bethléem. Le Seigneur prêcha ici avec beaucoup de chaleur. Le temps
approche où il doit se diriger vers le midi, puis se rendre à Samarie
pour son baptême. Le village des bergers est arrosé par un petit cours
d'eau derrière lequel se trouvait, à une grande élévation, le puits du
désert de Jean. Près de ce puits, le chemin descend à pic vers le champ
de bataille d'Ezéchiel ; on descend là à une grande profondeur : cela
rappelle l'endroit par où Adam et Eve furent chassés du Paradis Sur leur
chemin les arbres devenaient toujours plus petits et plus rabougris ;
ensuite il n'y avait plus que des broussailles, et tout autour d'eux
était stérile et désolé. Le Paradis était aussi élevé que le soleil, et
il descendit comme derrière une montagne qui parut s'élever devant lui.
Le Sauveur passa par le
chemin que suivit. Elle lorsqu'en partant du torrent de Khrit, il alla à
Sarepta. Il revient du village des bergers à Sarepta. Il enseigne ça et
là sur sa route et passe devant Sidon. De Sarepta il ira bientôt au midi
pour son baptême. Il célèbre encore le sabbat à Sarepta.
(Du 27 au 29 juillet) Après
la clôture du sabbat, Jésus partit de Sarepta pour se diriger vers la
Galilée et Nazareth. Il enseigna ça et là : en dernier lieu, je le vis
enseigner sur une colline'' Elle dit encore : Jésus est en route pour
Nazareth. Il enseigne ça et là. Il a quelquefois des compagnons.
Quelquefois il erre seul pendant la nuit. Il marche maintenant les pieds
nus ; il a avec lui ses sandales, qu'il met lors qu'il entre dans un
village. Il est à présent dans les vallées qui sont vis à vis du mont
Carmel. Il est venu une fois très près de la route qui va de cette
contrée en Egypte mais il s'est détourné vers le levant. Je crois qu'il
va à Nazareth, puis à Samarie et au baptême. Ce voyage durera bien
encore deux semaines.
La mère de Dieu, Marie de
Cléophas, la mère de Parménas et deux autres femmes, sont aussi en route
pour Nazareth. La maison de Marie est toujours silencieuse et bien en
ordre : je vois la chambre où Jésus dormait et priait habituellement.
Des femmes de Jérusalem
sont aussi en route pour Nazareth : ce sont Séraphia (Véronique), Jeanne
Chusa, encore une autre, comment s'appelle t elle donc ? et le fils de
Véronique qui plus tard se joignit aux disciples. Ils vont, je crois,
pour visiter Marie. Je les ai déjà vus à l'occasion des voyages annuels
à Jérusalem.
Il y a trois endroits où
les familles pieuses vont prier tous les ans, ce que faisaient aussi
Joseph et Marie. C'est au temple de Jérusalem, à Bethléem, près du
Térébinthe, à un endroit où l'on célèbre un fait de l'Ancien Testament,
je ne sais plus lequel (18), et au mont Carmel, où se
trouve aussi un oratoire. La famille d'Anne et d'autres personnes
pieuses y passent ordinairement en revenant de Jérusalem : c'est en
général au mois de mai. Il est arrivé là à Elle quelque chose qui a
rapport au Messie. Je ne m'en souviens pas distinctement à présent :
mais je pense que le prophète eut là la Vision d'une grande figure de
femme : c'était quelque chose qui se rapportait à la sainte Vierge. Il y
avait aussi là une fontaine et une grotte d'Elle où la pierre était
tendre : c'était comme une chapelle. Il venait toujours là de temps en
temps des juifs pieux qui priaient pour l'avènement du Messie : il y
avait aussi des anachorètes juifs : il y eut plus tard des ermites
chrétiens.
(30 juillet) J'ai été cette
nuit et suis encore aujourd'hui dans la contrée du mont Thabor : Jésus
est dans une petite ville située sur le revers occidental de la
montagne, et il enseigne dans l'école sur le baptême de Jean. Il a cinq
compagnons. Quelques uns seront plus tard ses disciples futurs. J'ai su
le nom de quelques uns. J'ai très bien vu le pays et toute la montagne.
La Mère de Dieu et les
autres femmes sont a Nazareth : il en est de même de Véronique, qui est
partie précédemment de Jérusalem avec 'ses compagnes, et qui a pris les
saintes femmes à Capharnaum. Il y a avec elle Jeanne Chusa, une soeur de
la prophétesse Anne, qui est attachée au service du temple, et un fils
de Véronique, qui plus tard alla en France.
(1er août) Je vis le
sanhédrin de Jérusalem envoyer des messagers avec des lettres dans les
principaux endroits de la Terre Promise où il y avait des écoles juives
: il avertissait ceux qui y étaient préposés d'avoir l'oeil sur un homme
dont Jean Baptiste avait dit qu'il était celui qui devait venir, et
qu'il viendrait à son baptême. Ils devaient veiller sur cet homme et
faire des rapports sur lui : car si c'est le Messie, disaient ils, il
n'a pas besoin du baptême de Jean. Tout cela les importunait beaucoup ;
ils avaient entendu dire que c'était le même qui, étant enfant, avait
enseigné dans le temple, etc.
Je vis ces messagers
arriver dans une ville située près de la mer, à quatre lieues du chemin
d'Hébron, dans la contrée où les messagers de Mo'se et d'Aaron
trouvèrent les grosses grappes de raisin. La ville s'appelle Gaza. Je
vis aussi Gaza dans l'état où elle fut longtemps après, peut être comme
elle est à présent. Je vis peu de maisons, et seulement quelques
vieilles substructions : je vis une longue rangée de tentes qui
s'étendaient, je crois, jusqu'à la mer : il y avait beaucoup d'étoffes
et de soieries mises en vente.
Il ne reste presque plus
rien de l'ancien Nazareth : mais on peut encore reconnaître à peu près
les montagnes : seulement tout est impraticable, dégradé par les pluies
et couvert de décombres. Il y a la des rochers tout nus et surplombant
tellement, qu'on est tout enraye d'y voir monter quelqu'un. Le pays est
encore fertile ; il y a beaucoup d'animaux sauvages, spécialement des
colombes : toutes les maisons et les vignes sont couvertes de
tourterelles sauvages aussi grosses que nos pigeons domestiques.
Sur le mont Carmel, il y a
encore plusieurs grottes où habitent des ermites : il s'y trouve, en
outre, un couvent. J'ai vu hier, dans la nuit, beaucoup de choses
touchant cette montagne. Les ermites sont en ce moment très inquiets et
prient beaucoup, car il y a à peu de distance de là des soulèvements et
des combats entre les Turcs et un autre peuple voisin du Liban.
(4 août) Jésus, accompagné
de cinq disciples, enseigna ça et là jusque dans la contrée où est le
puits de Jacob : ce fut aussi là qu'il célébra le sabbat. Il me semble
qu'il ira bientôt à Nazareth les saintes femmes y sont.
(5 août) Je vis Jésus
quitter la contrée où est le puits de Jacob, et revenir à Nazareth avec
ses cinq compagnons. La sainte Vierge vint à sa rencontre ; mais quand
elle vit qu'il avait des compagnons avec lui, elle resta a quelque
distance et revint sur ses pas sans l'avoir salué. J'admirai son
abnégation. Je vis Jésus enseigner ici dans l'école. Les saintes femmes
étaient présentes.
(7 août) J'allai à Nazareth
et je vis Jésus dans la synagogue avec les cinq disciples et une
vingtaine de ses compagnons de jeunesse de Nazareth. il y avait beaucoup
de monde. Les saintes femmes n'étaient pas présentes. Il fit une
instruction. J'entendis les auditeurs murmurer et chuchoter : " il veut
peut être, disaient ils, s'établir à l'endroit où Jean baptisait et que
celui ci a abandonné, puis baptiser lui même et se faire passer pour un
personnage de même espèce. Mais ce n'est pas du tout la même chose. Jean
a vécu dans le désert : quant à celui ci, nous le connaissons bien : ce
n'est pas lui qui nous séduira ". Après avoir un peu regardé cette
scène, je fus conduite vers Jean Baptiste.
(9 août) Je vis que Jésus
se préparait à quitter Nazareth avec deux compagnons, pour se rendre à
Bethsaïda où il put encore réveiller quelques âmes par son enseignement.
Les saintes femmes et d'autres compagnons de Jésus sont encore à
Nazareth. Je vis Jésus dans la maison de sa mère où ses autres amis
étaient aussi rassemblés. Il leur expliqua qu'à cause des murmures et du
mécontentement qui s'étaient élevés contre lui à Nazareth, il voulait
aller à Bethsaide, d'où il reviendrait plus tard. Je le vis quitter la
maison avec trois disciples. C'étaient Amandor, le fils de Véronique, un
fils d'une des trois veuves parentes de Jésus, son nom était comme
Sirach, et un parent de Pierre, qui fut plus tard un disciple connu.
(10 avril) Comme le il août
était la fête de sainte Suzanne, martyre, et que la narratrice avait
près d'elle une de ses reliques, elle la vit toute la nuit près d'elle
pendant son voyage. Elle dit à cette occasion : "Suzanne a voyagé avec
moi, elle était toujours près de moi, souvent aussi elle me parlait,
mais elle était autrement que moi, à cause de son extrême légèreté, et
quand je voulais la saisir, je ne pouvais pas. J'allais avec elle d'une
scène à l'autre et elle me donnait des consolations : mais quand
j'entrai dans une scène bien distincte, comme par exemple ici, à
Bethsaide, elle disparut.
Je vis Jésus à Bethsaïda,
prêcher avec beaucoup de force dans la synagogue, le jour du sabbat. Il
leur dit qu'ils devaient maintenant accepter ce qui leur était notifie,
aller au baptême de Jean et se purifier par la pénitence : qu'autrement
il viendrait un temps ou ils crieraient : Malheur à nous. Il y avait
beaucoup de personnes dans la synagogue, mais aucun des futurs apôtres,
excepté Philippe, si je ne me trompe. Les autres apôtres de Bethsaïda et
des environs étaient allés ailleurs pour le sabbat. Ils se tenaient dans
une maison près de la pêcherie, dans le voisinage de Capharnaum.
Pendant l'instruction de
Jésus à Bethsaïda, j'avais prié pour que ces gens allassent au baptême
de Jean et se convertissent sincèrement. Là dessus un tableau me fut
présenté. Je vis Jean comme le préparateur qui, au moyen d'une première
ablution, enlevait les souillures les plus fortes et les plus
grossières. Je le vis se livrer à ce travail avec bien de l'énergie et
de l'activité, avec bien de la rudesse et de la sévérité, et la peau qui
le couvrait tombait tantôt d'une épaule, tantôt de l'autre. Ce devait
être un symbole figuratif, car je vis quelques uns des baptisés desquels
se détachaient des espèces d'écailles, d'autres dont il sortait comme de
noires vapeurs, et plusieurs sur lesquels s'abaissaient des nuées
lumineuses et brillantes.
De ce tableau, je revins, en compagnie de sainte Suzanne à un autre
tableau du séjour de Marie à Ephèse.
12 août (19)
Je vis Jésus et ses compagnons aller entre Bethsaïda et Capharnaum, à
l'endroit où était la maison qu'il habitait. Ils allaient ça et là dans
les maisons disséminées, et invitaient les gens à venir entendre
l'instruction. Beaucoup de personnes se rassemblèrent et Jésus fit une
longue instruction. Je ne vis pas là d'apôtres.
(13 août) J'ai vu Jésus à
Capharnaum se rendant à l'école. Il va tout droit devant lui, sans se
détourner, comme s'il était tout à fait inconnu. Les trois disciples
marchent près de lui. Il vient des groupes de tous les côtés. Il s'y
trouve des pêcheurs. Je vois Pierre, André, et d'autres encore dont
plusieurs ont déjà été baptisés par Jean. Ils avaient déjà vu Jésus : il
s'était entretenu avec eux près du lac avant son voyage à Sidon.
Maintenant ils avaient entendu parler de lui soit dans d'autres
endroits, soit après sa dernière instruction à Bethsaide.
Les habitants de Capharnaum
étaient fort satisfaits ; et désiraient vivement savoir ce que c'était
que cette nouvelle doctrine. L'école est bien tenue Jésus monte à la
place d'où l'on parle par des degrés qui se trouvent à l'un des côtés de
la salle : une foule si nombreuse se presse autour de lui qu'il monte
encore plus haut... (Ici elle fut interrompue.)
(15 août) Jésus a quitté
Capharnaum. Je l'ai vu, à deux lieues au midi, enseigner devant beaucoup
de monde. Il n'y avait avec lui que les trois disciples. Les futurs
apôtres qui l'avaient entendu à Capharnaum, étaient retournés au lac,
sans qu'il se fût entretenu en particulier avec aucun d'eux. Ici aussi,
il parla du baptême de Jean et de l'accomplissement de la promesse.
(16 août) Jésus, hier et
aujourd'hui, traversa la basse Galilée, où il enseigna ça et là, se
dirigeant au midi vers Samarie. Je ne sais plus où il célébra le sabbat.
(19 août) Jésus fut le jour
du sabbat dans une école entre Nazareth et Séphoris. Les saintes femmes
de Nazareth étaient présentes, ainsi que la femme de Pierre et celles de
quelques autres des futurs apôtres. Plusieurs de ceux ci qui avaient
reçu le baptême de Jean, étaient venus également pour le sabbat. il n'y
avait là que quelques maisons et une école : cet endroit n'était séparé
que par une borne d'héritage de l'ancienne maison de sainte Anne. Je ne
sais plus si elle était habitée maintenant. Ceux des futurs apôtres qui
étaient venus là pour l'entendre étaient Pierre, André, Jacques le
Mineur et Philippe, tous disciples de Jean. Philippe était de Bethsaïda,
il était assez intelligent et avait à s'occuper de certains travaux de
bureau. Parmi les femmes était l'épouse d'un frère de la femme de
Pierre. Jésus ne séjourna pas dans cet endroit : il n'y prit pas son
repas, il ne fit qu'enseigner. Les apôtres ont vraisemblablement célébré
le sabbat dans le voisinage : car les juifs vont souvent pour le sabbat
dans d'autres lieux que celui de leur résidence ils sont venus en cet
endroit parce qu'ils ont appris que Jésus y était. Jésus ne Leur parla
pas en particulier.
(Du 19 août au 2 septembre)
Je vis Jésus avec les trois disciples aller à Séphoris, qui est à quatre
lieues de Nazareth, en franchissant une montagne. Il logea chez sa
grande tante Maraha, soeur cadette de sainte Anne : elle avait une fille
et deux fils. Je les vis en longs vêtements blancs aller et venir dans
la maison : ils s'appellent Arastaria et Cocharia, et se sont, je crois,
plus tard, réunis aux disciples.
La sainte Vierge, Marie de
Cléophas et d'autres femmes sont aussi venues ici. On lava les pieds à
Jésus. Il y eut aussi un repas. Il coucha dans la maison de Maraha :
c'était là qu'avaient demeuré les parents de sainte Anne à Séphoris.
Séphoris est une grande : " Il s'y trouve des pharisiens, des sadducéens
et des esséniens : les trois sectes ont chacune leur école. Cette ville
a souvent eu beaucoup à souffrir dans les guerres. Aujourd'hui il n'en
reste presque plus rien.
(22 août) Avant hier et
hier Jésus enseigna ici. Ce soir aussi, je le vis enseigner dans la
synagogue et exhorter au baptême. Les femmes se tenaient en arrière,
mais dans une tribune élevée. Je vis Jésus enseigner ici dans deux
synagogues, l'une plus spacieuse et plus élevée, l'autre plus petite.
Dans la plus grande étaient les pharisiens : ils étaient mécontents et
murmuraient contre Jésus. Les femmes étaient présentes à cette
instruction. Dans l'autre synagogue qui était plus petite, il n'y avait
pas de place réservée aux femmes : il y fut traité amicalement. C'était
vraisemblablement l'école des Esséniens.
Un des trois disciples qui
allaient avec Jésus en ce temps là était fils d'une des trois veuves et
s'appelait Eustache. Il était essénien. Je le vois maintenant sortir
d'une grotte du Carmel et aller vers Jésus. C'est une figure pour me
montrer ce qu'il est.
(23 août) Je vis Jésus
enseigner dans l'école des sadducéens à Séphoris. je vis là une chose
merveilleuse. Il y avait à Séphoris beaucoup de démoniaques, d'idiots et
d'autres fous et possédés. On leur faisait des instructions dans une
école voisine de la synagogue, et quand les gens raisonnables se
réunissaient dans la synagogue pour l'instruction et la prière, on les y
faisait aussi entrer. Ils se tenaient derrière les autres dans une salle
à part d'où ils écoutaient l'instruction. Il y avait parmi eux des
surveillants armés de fouets et chacun en avait un nombre plus ou moins
grand à surveiller selon qu'ils étaient plus ou moins méchants. Avant
que Jésus entrât dans l'école, je les vis pendant l'instruction des
sadducéens faire des contorsions et entrer en convulsion : je vis aussi
que les surveillants les faisaient tenir tranquilles en leur donnant des
coups de fouets quand Jésus vint, ils restèrent d'abord très paisibles,
mais au bout d'un peu de temps, quelques uns commencèrent à dire :
"(C'est Jésus de Nazareth, né à Bethléem, visité par les sages de
l'Orient, etc. Sa mère est chez Maraha, etc. Il introduit une nouvelle
doctrine qu'on ne doit pas tolérer, etc. "C'est ainsi que ces hommes en
démence décriaient toute la vie de Jésus et parlaient de ce qui lui
était arrivé jusqu'alors. C'était tantôt l'un, tantôt l'autre et les
coups de fouet des surveillants n'y faisaient rien. Ils se mirent
bientôt a crier tous ensemble et la confusion fut générale. Jésus dit
alors qu'on les lui amenât devant la synagogue : en même temps il envoya
deux disciples dans la ville, pour faire venir tous les gens de cette
espèce qui s'y trouvaient encore, bientôt il y eut autour de lui une
cinquantaine de ces hommes et avec ceux ci une grande foule. Les
maniaques continuèrent toujours à pousser leurs cris. Alors Jésus dit :
"L'esprit qui parle ainsi par votre bouche est d'en bas et doit
retourner en bas " . A l'instant même tous s'apaisèrent et furent guéris
: j'en vis plusieurs tomber par terre.
Je vis aussi un soulèvement
dans la ville au sujet de cette guérison. Je vis Jésus et les siens en
grand danger. Le tumulte était si grand que le Seigneur se réfugia dans
une maison et quitta la ville dans la nuit, de même que ses trois
disciples et Cocharia et Arastaria, les fils de la soeur de sainte Anne.
Les saintes, femmes quittèrent aussi la ville. La mère de Jésus était
dans la douleur et dans l'angoisse parce qu'elle voyait pour la première
fois la persécution s'élever contre lui. Ils s'étaient donné rendez vous
sous des arbres devant la ville.
Les gens guéris par Jésus
allèrent pour la plupart au baptême de Jean, et ce fut parmi eux
principalement que Jésus plus tard trouva ici des adhérents.
(24 août) Dans la nuit du
jeudi, les trois disciples et les fils de la soeur de sainte Anne, qui
s'étaient enfuis séparément de Séphoris, se réunirent au Seigneur sous
des arbres, sur le chemin de Bethulie. La mère de Jésus et les saintes
femmes s'étaient aussi rendues là.
Bethulie est la ville
pendant le siège de laquelle Judith tua Holopherne. Elle est au sud est
de Séphoris, sur une montagne : on y a une vue étendue de tous les
côtés. Il n'y a pas loin de là à Magdalum et au château de Madeleine
dont la vie alors n'était consacrée qu'au plaisir. Il y a un château à
Bethulie : c'est un endroit abondant en sources. Je crois que le puits
de Joseph n'est pas très loin de là.
Je vis Jésus et ses
disciples entrer dans une hôtellerie devant Bethulie. Marie et les
saintes femmes l'y rejoignirent. J'entendis Marie dire à Jésus qu'elle
le priait de ne pas enseigner ici, qu'elle était pleine d'anxiété, qu'il
pouvait encore y avoir un soulèvement. Jésus répondit qu'il savait ce
qu'il avait à accomplir. Mais Marie lui dit : " N'irons nous pas
maintenant au baptême de Jean ? " Jésus lui répondit avec beaucoup de
gravité : "Pourquoi irions nous maintenant au baptême de Jean, En avons
nous besoin ? J'irai encore là où je dois recueillir, et je dirai quand
il faudra aller au baptême de Jean. À. Marie garda le silence comme à
Cana. Ce n'est qu'après la Pentecôte que j'ai vu les saintes femmes
recevoir le baptême à la piscine de Bethesda. Les saintes femmes
entrèrent à Bethulie. Jésus enseigna à Bethulie le jour du sabbat.
(25 août) Je vis Jésus bien
accueilli ici. Il alla à la synagogue pour enseigner : beaucoup de
personnes étaient venues des environs, pour l'entendre. Je vis aussi
beaucoup d'idiots et de possédés sur le chemin devant la ville, et sur
divers points de la route. Lorsque Jésus passa, ils redevinrent
paisibles et furent délivrés de leurs accès, et je vis de côté et
d'autre des gens qui disaient : "Cet homme doit avoir un pouvoir
semblable à celui des anciens prophètes, pour que ces malheureux
deviennent tranquilles lorsqu'il se montre. Car ces gens sentaient qu'il
les secourait, quoiqu'il ne leur fît rien, et ils vinrent à lui dans
l'hôtellerie pour le remercier. Il enseigna et exhorta à aller au
baptême de Jean. Il parla cette fois, avec beaucoup de force tout à fait
à la façon de Jean.
(26 août) Je vis que les
habitants de Bethulie avaient beaucoup de considération pour Jésus et
pour les siens. Ils ne voulaient pas le laisser s'arrêter devant la
ville ; plusieurs se disputaient à qui l'aurait dans sa maison, et ceux
qui ne pouvaient pas l'avoir, voulaient au moins avoir un des cinq
disciples qui étaient avec lui.
Ils restèrent près de Jésus
et il leur promit d'aller successivement chez les uns et les autres.
Toutefois leur grand empressement et leur sympathie pour Jésus n'étaient
pas entièrement désintéressés, et Jésus le leur fit remarquer dans les
instructions qu'il fit à la synagogue. Ils avaient une arrière pensée,
ils voulaient, en s'attachant au nouveau prophète, procurer à leur ville
une certaine considération qu'elle avait perdue, je ne sais plus
comment, peut être par le commerce, les rapports ou les alliances avec
les pa'ens. Ce n'était donc pas chez eux pur amour de la vérité.
(27 août) Jésus est parti
aujourd'hui de Bethulie. Je l'ai vu dans une vallée enseigner sous des
arbres, près d'une hôtellerie. Il n'est venu à sa suite que trois
disciples et environ vingt autres personnes. Les saintes femmes étaient
déjà allées en avant, pour se rendre à Nazareth, à ce que je crois. Je
l'ai vu quitter Bethulie parce qu'il y était trop importuné. Il était
venu des environs une foule de malades et de possédés, et il ne voulait
pas encore se manifester par des guérisons si publiques. il partit en
tournant le des à la mer de Galilée.
(29 août) Je n'ai vu Jésus
dans aucune ville ; pendant tout ce jour, il enseigna dans une vallée,
sous des arbres, à un endroit où anciennement des esséniens ou des
prophètes avaient enseigné. il y avait là un siège de gazon élevé,
entouré de petits bancs de terre où l'on pouvait s'asseoir pour écouter.
Environ trente personnes se tenaient autour de Jésus. Le soir, je vis le
Seigneur avec ses compagnons à une lieue de Nazareth, dans le petit
endroit avec une synagogue où il avait été dernièrement avant d'aller à
Séphoris. On l'accueillit très amicalement. Il fut reçu dans une grande
maison précédée d'une cour. On lui lava les pieds ainsi qu'aux disciples
: on leur prit leurs habits de voyage pour les nettoyer et les battre,
et on leur prépara un repas. Jésus enseigna dans la synagogue. Les
femmes étaient à Nazareth.
(30 août) Le jeudi 30, je
vis Jésus et ses disciples à environ quatre lieues du précédent endroit,
dans une ville de Lévites, appelée Kedès (I Paralip., VI, 72), ou Kision
(Josué, XXI, 28). Quand Jésus arriva dans ce pays, il était suivi
d'environ sept possédés qui proclamaient sa mission et son histoire
encore plus clairement que ceux de Séphoris. Il vint de la ville à sa
rencontre de vieux prêtres et des jeunes gens en longs vêtements blancs
; car quelques uns de ceux qui l'accompagnaient, étaient arrivés avant
lui à la ville.
Jésus ne guérit pas ici les
possédés, et les prêtres les enfermèrent dans une maison pour qu'ils ne
causassent pas de trouble. J'ai su que Jésus les guérit plus tard, après
son baptême. Le Seigneur fut très bien accueilli ici ; mais comme il
voulait enseigner, ils lui demandèrent quelle mission il avait pour
cela, lui, fils de Joseph et de Marie. J'entendis Jésus répondre d'une
manier e évasive, que Celui qui l'avait envoyé, et dont il tirait son
origine, se manifesterait lors de son baptême. Il dit encore plusieurs
choses à ce sujet et touchant le baptême de Jean sur une hauteur au
milieu de la ville ; il y avait là, comme sur la colline voisine de
Thébez, un lieu destiné à l'enseignement, qui n'était pas tout à fait en
plein air, mais sous une tente ou sous un hangar recouvert de joncs. Il
y avait à peu de distance plusieurs autres lieux habités. Elle reconnaît
les noms de Késiloth, Césarée, etc. : le Seigneur passa la nuit dans cet
endroit.
(31 août) Jésus traversa
aujourd'hui une contrée habitée par des bergers, où plus tard, après la
seconde pâque, si je ne me trompe, il guérit un lépreux. Il enseigna
dans diverses bourgades. Le soir, Jésus vint pour le sabbat à Jezraël,
un endroit consistant en divers groupes de maisons séparés par des
jardins, de vieux édifices et d'anciennes tours. Il y passe une grande
route, appelée route Royale. Plusieurs de ses compagnons l'avaient
précédé. Il en était venu trois avec lui.
Il se trouvait dans cet
endroit de stricts observateurs de la loi juive : ce n'étaient pas des
esséniens, on les nommait Naziréens. ils avaient fait des veux pour un
temps plus ou moins long et s'abstenaient de certaines choses. Ils
possédaient une grande école et un certain nombre de maisons. Les jeunes
gens vivaient en commun dans une maison, les jeunes filles dans une
autre : les gens mariés faisaient aussi pour un temps assez long voeu de
continence, et alors les hommes couchaient dans une maison voisine de
celle des jeunes gens, les femmes dans la maison des jeunes filles. Ces
gens portaient tous des vêtements gris et blancs. Leur supérieur portait
un long vêtement gris, bordé par en bas de fruits et de houppes
blanches, et une ceinture grise avec des lettres blanches : il avait
autour du bras une bande d'étoffe grise et blanche, fort épaisse et
comme tressée ; c'était comme une serviette tordue : il y avait un bout
assez court qui pendait et qui était terminé par des bouffettes. Cet
homme portait en outre un collet ou un petit manteau, à peu près comme
Argos l'essénien, mais qui était de couleur grise et ouvert par derrière
au lieu de l'être par devant. une plaque de métal poli était assujettie
sur le devant, et on le fermait par derrière avec des espèces de lacets
ou de cordons. Des morceaux d'étoffe tailladés recouvraient les épaules.
ils avaient un bonnet noir et brillant en forme de bourrelet, avec des
lettres tracées sur le devant : il était surmonté d'un bouton ou d'une
pomme. Ces gens avaient des chevelures et dés barbes longues, épaisses
et frisées. Je leur trouvais une grande ressemblance avec un des
apôtres, mais je ne savais plus lequel. Enfin. je me rappelai que saint
Paul portait les cheveux comme eux et était habillé de même, lorsqu'il
persécutait encore les chrétiens. Je le vis aussi plus tard avec des
naziréens : il l'était lui même. Ils laissaient croître leurs cheveux
jusqu'à ce que leur voeu fût accompli ; alors ils les coupaient et les
brûlaient en guise de sacrifice ; ils sacrifiaient aussi des colombes.
L'un pouvait se charger d'accomplir le voeu de l'autre. Jésus célébra le
sabbat avec eux. Jezraël est séparé de Nazareth par des montagnes. il y
a à peu de distance une fontaine, près de laquelle Saul campa autrefois
avec son armée.
(1er septembre) Jésus
enseigna le jour du sabbat sur le baptême de Jean. Il dit aussi que la
piété était une belle chose, mais que l'exagération était dangereuse que
les voies du salut sont diverses, et que la vie à part dans une
communauté donne aisément naissance à l'esprit de secte : qu'on regarde
du haut de son orgueil les pauvres frères qui ne peuvent pas suivre et
qui cependant devraient être aidés par les plus forts à marcher en
avant. Cet enseignement était nécessaire ici : car aux extrémités de la
ville il y avait des gens qui s'étaient mêlés avec les païens, et qui
n'étaient ni dirigés, ni stimulés, parce que les naziréens se tenaient à
part. Jésus alla visiter ces gens dans leurs demeures ; il les convoqua
à l'instruction et leur parla du baptême.
Le 9, je vis encore Jésus à
un repas, dans la maison des naziréens. Il fut question de la
circoncision, et de ce qu'elle était par rapport au baptême. Ce fut
alors que j'entendis Jésus parler pour la première fois du signe de
l'alliance entre Dieu et Abraham ; mais je ne puis rapporter exactement
ses paroles. Le sens de ses paroles était que ce signe avait en lui une
raison d'être qui cesserait lorsque le peuple de Dieu ne sortirait plus
selon la chair de la souche d'Abraham mais serait engendré
spirituellement dans le baptême du Saint Esprit.
Parmi les naziréens
beaucoup se firent chrétiens mais ils étaient si fortement attachés à la
loi juive, que plusieurs voulurent mêler ensemble le juda'sme et le
christianisme, et tombèrent dans l'hérésie.
Le 3, Jésus quitta Jezraël,
et, après avoir marché assez longtemps vers l'orient, il se dirigea vers
le nord, vers Nazareth, en tournant autour de la montagne qui sépare ces
deux villes ; il s'arrêta à deux lieues de Jezrael, au milieu d'une
série de maisons placées des deux côtés d'une grande route. Cet endroit
n'était habité que par des publicains ; il y avait aussi quelques juifs
pauvres demeurant sous des tentes, mais ceux ci étaient assez éloignés
de la route. Le chemin le long duquel étaient les demeures des
publicains était bordé d'un grillage et fermé à l'entrée et à la sortie.
Il demeurait là de riches
publicains qui tenaient à ferme plusieurs douanes dans le pays et les
affermaient ensuite à d'autres publicains en sous ordre. Matthieu était
un de ces derniers : il demeurait dans un autre endroit. C'est ici
qu'avait demeuré Marie, fille de la soeur d'Elisabeth. Je crois qu'étant
devenue veuve, elle était allée à Nazareth d'abord, puis à Capharnaum ;
c'était elle qui était présente à la mort de la sainte Vierge.
La route commerciale entre
la Syrie, l'Arabie, Sidon et l'Egypte passait par ici. On transportait
ici sur des chameaux et sur des ânes, de gros ballots de soie blanche en
liasse comme du lin, de belles étoffes blanches et bariolées, de longues
bandes épaisses et tressées dont on faisait des tapis, et aussi des
aromates. On fermait l'enceinte quand les chameaux y étaient entrés ; on
déchargeait les ballots et tout était visité. Il y avait un droit à
payer, partie en marchandises, partie en argent. C'étaient, la plupart
du temps, des pièces triangulaires ou carrées, jaunes, blanches ou
rougeâtres, sur lesquelles était l'empreinte d'une figure, creuse d'un
côté, en saillie de l'autre ; il y avait là aussi d'autres monnaies. Je
vis sur les monnaies de petites tours, une jeune fille et aussi un
enfant dans un petit navire. Quant à ces petits bâtons d'or natif que
les rois offrirent à la crèche, je n'en vis plus depuis lors qu'entre
les mains de quelques étrangers qui allaient visiter Jean Baptiste.
Les publicains formaient
comme une ligue, et lors même que même que quelques uns gagnaient plus
que les autres par leurs fraudes, tout était partagé entre eux ils
avaient dans l'aisance et vivaient bien Les maisons étaient entourées de
cours, de jardins et de murs : ils me faisaient l'effet de riches
cultivateurs de chez nous, dans leurs habitations. Ils vivaient entre
eux, et personne autre n'avait de rapports avec eux. Ils avaient là une
école et un maître.
Jésus fut bien reçu par eux
et ses compagnons aussi. Je vis arriver ici plusieurs femmes : je crois
que la femme de Pierre en était. L'une d'elles parla à Jésus. Elles
repartirent ensuite : peut être venaient elles de Nazareth ou y allaient
elles, et se chargeaient elles de quelque message pour la mère de Jésus.
Jésus alla alternativement chez l'un ou l'autre des publicains, et il
enseigna dans leur école. Il leur reprocha surtout d'extorquer souvent
des voyageurs plus que le droit de douane qui était dû. Ils furent très
honteux, et ils ne pouvaient pas comprendre d'où il savait cela. Ils
étaient plus humbles et accueillaient plus volontiers ses enseignements
que les autres juifs. Il les exhorta à recevoir le baptême.
(5 septembre) Le mercredi
5, Jésus quitta l'endroit habité par les publicains, après y avoir
enseigné toute la nuit. Plusieurs d'entre eux voulaient lui faire des
présents, mais il n'accepta rien. beaucoup de ces gens partirent avec
lui, ils voulaient le suivre au baptême. il traversa ce jour là la
contrée de Dothaim, et passa devant la maison de fous où une première
fois, venant de Nazareth, il avait calmé les énergumènes et les
possédés. Comme il passait. ils l'appelèrent par son nom en criant, et
firent de violents efforts pour sortir. Jésus commanda aux surveillants
de les laisser aller, disant qu'il répondait de toutes les conséquences.
On leur rendit la liberté : tous alors s'abaissèrent, furent délivrés et
le suivirent.
Il arriva le soir à Kisloth,
ville située sur le Thabor. La plupart des habitants étaient pharisiens
: ils avaient entendu parler de lui, et se scandalisèrent de voir à sa
suite des publicains qu'ils regardaient comme des malfaiteurs, des
possédés connus comme tels, et des gens de toute espèce. Il alla dans
l'école et enseigna sur le baptême de Jean ; il dit à ceux qui
l'accompagnaient qu'avant de le suivre, ils devaient bien examiner s'ils
se sentaient capables d'aller jusqu'au bout : car il ne fallait pas
croire que son chemin fût un chemin commode : il leur raconta plusieurs
paraboles relatives à la construction des maisons. "Quand un homme veut
bâtir une maison quelque part, disait il, il faut qu'il sache si le
propriétaire du sol voudra le permettre : ils devaient donc, avant tout,
expier leurs péchés et faire pénitence. De même, quand un homme veut
bâtir une tour, il doit d'abord calculer la dépense. Il donna beaucoup
d'autres enseignements qui ne plurent pas aux Pharisiens. Mais ils ne
l'écoutaient pas ; ils se contentaient d'espionner ; et je les vis
convenir entre eux qu'ils lui donneraient un repas pour mieux observer
ce qu'il dirait.
Ils lui préparèrent un
grand repas dans une salle publique. Il y avait trois tables, les unes à
côté des autres ; à droite et à gauche brûlaient des lampes ; au dessus
de la table du milieu, à laquelle était assis Jésus avec quelques
disciples et quelques pharisiens, se trouvait l'ouverture ordinaire dans
le toit ; aux deux tables latérales étaient assis les compagnons de
Jésus.
Il fallait que dans cette
ville il existât une vieille coutume en vertu de laquelle, quand on
donnait un repas à un étranger, on y invitait les pauvres, fort nombreux
du reste dans cet endroit et fort négligés ; car lorsque Jésus se fut
mis à table, il demanda aussitôt aux pharisiens où étaient les pauvres
et si ce n'était pas leur droit de prendre part au repas.
Les pharisiens furent embarrassés et dirent que depuis longtemps cela ne
se faisait plus. Alors Jésus envoya ses disciples Arastaria et Cocharia,
fils de Maraha, avec Klaia, fils de la veuve Séba, inviter les pauvres
de la ville à se rendre au repas. Cela irrita beaucoup les pharisiens et
fit beaucoup de sensation dans la ville. Plusieurs de ces pauvres
étaient déjà couchés et dormaient ; les disciples les firent lever, et
je vis dans des cabanes toute espèce de scènes joyeuses. Les pauvres
étant arrivés, Jésus et les disciples les reçurent et les servirent, et
Jésus fit une très belle instruction. Les pharisiens étaient pleins de
dépit, mais ils ne pouvaient rien empêcher, car Jésus avait le droit
pour lui et la masse du peuple était fort satisfaite ; il y avait une
grande excitation dans la ville. Quand les pauvres eurent mangé, ils
emportèrent tous quelque chose avec eux pour leurs familles. Jésus avait
béni les mets ; il avait fait la prière avec eux et les avait exhortés à
aller au baptême de Jean.
Mais il ne voulut pas
rester plus longtemps dans cette ville, et le 6, il partit dans la nuit
avec les siens. Or, plusieurs de ceux qui l'avaient accompagné,
s'étaient retirés, découragés par ses avertissements ; d'autres
partirent pour se rendre au baptême de Jean.
(7 septembre) Dans la nuit
du 6 au 7, Jésus passa par deux vallées. Je le vis parfois s'entretenir
avec ses compagnons, parfois rester en arrière et prier Dieu à genoux,
puis les rejoindre de nouveau. Le 7, dans l'après midi, je vis Jésus
arriver à un village de bergers, nommé Kimki. Il y avait là une école,
mais pas de prêtres. Ceux ci devaient venir d'un lieu éloigné. L'école
était fermée. Jésus réunit les bergers dans une salle d'hôtellerie et
enseigna. Le sabbat était proche. Le soir, il vint des prêtres de la
secte des pharisiens, parmi lesquels quelques uns étaient de Nazareth.
Jésus enseigna sur le baptême et sur l'approche du Messie. Les
pharisiens se déclaraient fort contre lui, ils parlèrent de sa basse
extraction et cherchèrent à le rabaisser. Il passa la nuit ici.
(8 septembre) Jésus fit
encore aujourd'hui une instruction où il raconta plusieurs paraboles. Il
demanda un grain de sénevé qu'on lui apporta. Il dit beaucoup de choses
à ce propos et leur dit que s'ils avaient de la foi comme un grain de
sénevé, ils pourraient transporter ce poirier dans la mer. Il y avait là
un grand poirier chargé de fruits. Les pharisiens se moquaient de ce
genre d'enseignement qu'ils trouvaient guérit. Il donna des
explications, mais je les ai oubliées. il parla aussi de l'économe
infidèle.
Les gens qui se trouvaient
sur tout le chemin que fit Jésus ces jours là, étaient dans l'admiration
de lui ; il leur rappelait, disaient ils, tout ce que leurs ancêtres
leur avaient transmis de l'enseignement et de la manière d'être des
derniers prophètes, mais il avait quelque chose de beaucoup plus doux.
(9 septembre.) Jésus était
encore dans le village des bergers où il célébra le sabbat. On pouvait
voir de là les montagnes de Nazareth, qui n'est guère qu'à deux lieues.
Cette bourgade consiste en maisons disséminées, ce n'est qu'autour de la
synagogue qu'on en trouve quelques unes agglomérées. Son nom ressemble à
un nom d'homme hébraïque, je l'ai oublié (20). Il prit
son logement chez de pauvres gens : la maîtresse de la maison était
hydropique.
Il eut pitié d'elle et la
guérit en lui mettant la main sur la tête et sur lés joues. Elle fut
entièrement délivrée de son mal et servit à table. Il lui défendit d'en
parler jusqu'à ce qu'il fût revenu du baptême. Elle lui demanda ce qui
pouvait l'empêcher de l'annoncer partout. Mais il répondit : Puisque
vous voulez en parler, vous allez devenir muette. "Et en effet elle
devint muette jusqu'à ce qu'il fût revenu de son baptême. Il y a bien
encore quinze jours d'ici là, car il me semble qu'à Bethulie ou à
Jezraël il a parlé de trois semaines.
Le 9, il enseigna encore
ici dans la synagogue. Les pharisiens lui étaient très opposés. Il parla
de la venue prochaine du Messie. Il leur dit : "Vous vous attendez à le
voir venir dans tout l'éclat d'une pompe mondaine ; mais il est déjà
venu, il apparaîtra dans la pauvreté : il apportera la vérité, il
recevra plus de blâme que de louange, car il veut la justice, etc.
Toutefois ne vous laissez pas séparer de lui, de peur que vous ne
périssiez comme ces enfants de Noé qui se moquaient de lui lorsqu'il se
fatiguait à construire l'arche qui devait les sauver du déluge. Tous
ceux qui ne se moquèrent pas de Noé, entrèrent dans l'arche et furent
sauvés. "Ensuite se tournant vers ses disciples, il leur dit : "Ne vous
séparez pas de moi, comme Loth se sépara d'Abraham, et cherchant les
meilleurs pâturages, vint à Sodome et à Gomorrhe. Ne regardez pas les
pompes du monde que le feu du ciel détruit, afin que vous ne soyez pas
changés en statues de sel. Restez avec moi dans toutes les tribulations,
je vous viendrai toujours en aide, etc. Les pharisiens étaient de plus
en plus mécontents, et ils disaient : "Que leur promet il donc, quand il
ne possède rien lui même ! N'es tu pas de Nazareth, le fils de Joseph et
de Marie ? " il dit alors, sans s'expliquer clairement, de qui il était
fils, et qui le proclamerait : et comme ils disaient : "Comment parles
tu du Messie ici et partout où tu vas enseigner, comme nous en avons été
informés ? Crois tu que nous devions penser que tu te donnes pour le
Messie ? Et Jésus leur dit : à cette question je n'ai qu'une réponse à
faire : Oui, vous le pensez. "il y eut alors un grand tumulte dans la
synagogue ; les pharisiens éteignirent les lampes ; Jésus et ses
disciples quittèrent cet endroit et partirent dans la nuit par la grande
route. Je les vis dormir sous un arbre. Le dimanche 9, dans la soirée,
je vis Jésus avec ceux qui l'accompagnaient quitter le village des
bergers passer la nuit sous un arbre sur la grand route.
(10 septembre.) Le lundi
10, je vis sur la route se joindre à Jésus des gens qui avaient campé
sur le chemin pour l'attendre. Ils n'étaient pas allés avec lui dans
l'endroit d'où il venait, mais une partie d'entre eux avait pris les
devants. Je le vis se détourner du chemin avec eux, et vers trois heures
après midi, je le vis se diriger vers une station de bergers, consistant
seulement en quelques cabanes, que les bergers habitaient au temps des
pâturages. Il n'y avait pas de femmes ici. Les bergers allèrent à sa
rencontre. Ils savaient sans doute sa prochaine arrivée par ceux qui
l'avaient précédé. Pendant qu'une partie d'entre eux allait au devant de
lui, les autres tuaient des oiseaux et faisaient du feu pour préparer un
repas. Cela se passait dans une salle d'hôtellerie. Il y avait devant le
foyer un mur qui l'isolait. à l'entour régnait un banc de gazon dont le
dossier était de branches vertes tressées ensemble. Ils conduisirent là
le Seigneur et ceux qui l'accompagnaient. Il y avait bien vingt
personnes et quand ils furent tous réunis, il devait se trouver là un
bon nombre de bergers. Ils lavèrent les pieds à tous et à Jésus dans un
bassin à part. Il avait demandé un peu plus d'eau qu'à l'ordinaire et il
donna ordre de ne pas la verser. Comme on allait se mettre à table,
Jésus demanda aux bergers qui semblaient un peu agités, ce qui les
inquiétait et s'il n'en manquait pas quelques uns parmi eux ? Alors ils
lui avouèrent qu'ils étaient inquiets parce qu'ils avaient parmi eux
deux personnes malades de la lèpre, qu'ils craignaient que ce ne fût la
lèpre impure et que Jésus, à cause de cela, ne pût pas venir chez eux :
ils les avaient cachés pour ce motif. Jésus leur ordonna de les amener
et envoya ses disciples les chercher. Ces gens vinrent enveloppés dans
des draps de la tête aux pieds, en sorte qu'ils avaient peine à marcher,
et que chacun d'eux était conduit par deux personnes. Jésus les exhorta
et leur dit que leur lèpre ne venait pas de l'intérieur, mais qu'elle
était venue extérieurement par contagion : il me fut expliqué, selon le
sens spirituel, qu'ils n'avaient pas péché par malice, mais entraînés
par d'autres. Il ordonna de les laver avec l'eau qui avait servi à lui
laver les pieds. Quand cela fut fait je vis tomber les croûtes de la
lèpre, laissant seulement après elles une marque sur la peau. L'eau fut
ensuite jetée dans une fosse et couverte de terre. L'un de ces lépreux
était des environs de Samarie, l'autre de... Jésus encore cette fois
défendit très sévèrement à ces braves gens de rien dire de leur
guérison, jusqu'à ce qu'il fût revenu du baptême.
Il fit ensuite une autre
instruction sur Jean, sur le baptême et sur la venue prochaine du
Messie. Alors, ils lui demandèrent en toute simplicité qui ils devaient
suivre de lui, ou de Jean, et quel était le plus grand des deux ? "il
leur expliqua que le plus grand était celui qui servait avec la plus
parfaite humilité et qui s'abaissait le plus profondément dans la
charité. Il les exhorta aussi à aller au baptême. il parla encore de la
difficulté qu'il y avait à le suivre et les congédia tous, ne gardant
avec lui que les cinq disciples. Il donna rendez vous aux autres à un
endroit situé dans le désert, non loin de Jéricho : je crois que c'est
dans la contrée d'Ophra, où Joachim avait un pâturage. une partie de ces
gens l'abandonna tout à fait : d'autres allèrent directement trouver
Jean : d'autres enfin retournèrent d'abord chez eux pour se préparer au
baptême.
Jésus et les cinq disciples
arrivèrent tard devant Nazareth, qui était à tout au plus une petite
lieue de là. Ils n'y entrèrent pas : ils s'approchèrent du côté de la
porte qui conduisait à l'orient, vers la mer de Galilée.
Nazareth avait cinq portes.
à un petit quart d'heure de la ville était la montagne terminée de
l'autre côté par un escarpement à pic d'où ils précipitaient souvent des
criminels, et d'où ils voulurent plus tard précipiter Jésus t. Au pied
de cette montagne étaient des cabanes isolées. Jésus ordonna aux cinq
disciples d'y chercher des logements pour eux et il entra lui même dans
une d'elles pour y passer la nuit. On leur donna de l'eau pour laver
leurs pieds, un morceau de pain et une place pour dormir. le les laissai
là, le 10 au soir. La propriété de sainte Anne était au levant de
Nazareth. Les bergers avaient fait cuire du pain sous la cendre. Ils
avaient un puits creusé dans la terre, mais qui n'était pas revêtu de
maçonnerie.
Note : On montre aujourd'hui la montagne du précipice à une demi lieue
au midi de Nazareth. Nazareth doit donc avoir changé de place, ou bien
l'indication donnée par la Soeur est peu précise.
(11 septembre) Le 10, au
soir, je vis, comme je l'ai dit, Jésus arriver devant Nazareth. La
vallée qu'il avait suivie pendant la nuit en venant de Kisloth Thabor,
s'appelait Edron, et le village des bergers avec la synagogue où les
pharisiens de Nazareth l'avaient tellement injurié, s'appelait Kimki.
Les gens chez lesquels Jésus et les cinq disciples étaient entrés devant
Nazareth étaient des esséniens, amis de la sainte Famille. Ils
demeuraient là sous des voûtes de vieux murs en ruines ; il y avait des
hommes et quelques femmes, vivant sépares et dans le célibat. Ils
avaient de petits jardins, portaient de longs vêtements blancs et les
femmes des manteaux. Ils avaient habité autrefois dans la vallée de
Zabulon, près du château d'Hérode, et ils étaient venus ici par amitié
pour la sainte famille.
Celui chez lequel Jésus entra se nommait Eliud c'était un vieillard
vénérable avec une longue barbe. Il était veuf ; sa fille prenait soin
de lui. C'était le fils d'un frère de Zacharie. Ces gens vivaient ici
très retirés ; ils fréquentaient la synagogue de Nazareth, étaient très
dévoués à la sainte Famille, et c'était à eux qu'avait été confiée la
garde de la maison de Marie lors de son départ.
Le matin, les cinq
disciples se rendirent à Nazareth visitèrent leurs parents et leurs amis
et entrèrent à l'école : mais Jésus resta prés d'Eliud. Il pria avec lui
et s'entretint avec lui très intimement. Cet homme simple et pieux avait
connaissance de plusieurs mystères. Dans la maison de Marie il y avait
avec elle quatre femmes : sa nièce, Marie de Cléophas, Jeanne Chusa,
cousine de la prophétesse Anne, Marie, mère de Jean Marc, parente de
Siméon, et la veuve Léa. Véronique n'était plus là, non plus que la
femme de Pierre, que j'ai vue récemment prés de l'endroit où habitent
les publicains.
Le matin, je vis la sainte
Vierge et Marie de Cléophas venir trouver Jésus. Jésus tendit la main à
sa mère. Sa manière d'être avec elle était affectueuse, mais toujours
très grave et très calme. Elle était inquiète et le pria de ne pas aller
à Nazareth où l'on était fort irrité. Les pharisiens de Nazareth qui
l'avaient entendu dans la synagogue de Kimki, avaient soulevé de nouveau
les esprits contre lui. Jésus lui dit qu'il voulait attendre ici les
personnes qui devaient aller avec lui au baptême de Jean, et qu'alors il
passerait par Nazareth. Il s'entretint encore beaucoup avec elle ce jour
là où elle vint le trouver deux ou trois fois il 1ui dit entre autres
choses qu'il irait quatre fois à Jérusalem pour la Pâque et que la
dernière fois elle aurait un grand sujet d'affliction. Il lui révéla
d'autres choses encore, mais je les ai oubliées.
Marie de Cléophas, qui
était une femme de belle prestance, lui parla, le matin, de ses cinq
fils, et le pria de les prendre avec lui. Elle lui exposa que l'un d'eux
était scribe, chargé de faire des arbitrages : il s'appelait Simon :
deux autres, Jacques le Mineur et Jude Thaddée, étaient pêcheurs : elle
les avait eux Alphée, son premier mari, qui lui avait amené un fils d'un
premier lit, nommé Matthieu, sur lequel elle pleurait amèrement parce
qu'il était publicain. De Sabas, Son second mari, elle avait un autre
fils, José Barsabas, qui était aussi pêcheur (Elle avait encore un petit
garçon, nommé Siméon, né d'un troisième mariage avec le pécheur Jonas).
Jésus la consola, lui dit qu'ils viendraient à lui, il la rassura aussi
au sujet de Matthieu (qui avait déjà eu des rapports avec lui lors de
son voyage à Sidon). et lui dit qu'il serait un des meilleurs.
Je vis dans l'après midi la
sainte Vierge avec quelques unes de ses parentes de Nazareth revenir à
sa demeure : près de Capharnaum. Les serviteurs étaient venus de là avec
des ânes pour la ramener. Ils prirent encore beaucoup d'objets qu'on
avait laissés à Nazareth, des couvertures, des ballots et aussi des
vases : tout était porté par les ânes dans des paniers d'écorce d'arbre
tressée. La maison de Marie à Nazareth avait, en son absence, quelque
chose de l'aspect d'une chapelle : le foyer faisait l'effet d'un autel.
On y avait placé un coffre et au dessus un vase avec de la verdure
fraîche. Maintenant, après son départ, la maison sera habitée par les
esséniens.
Je vis toute cette journée
Jésus s'entretenir très intimement avec Eliud, sur lequel j'ai appris
beaucoup de choses que malheureusement je ne puis me rappeler. Eliud
l'interrogea sur sa mission, et Jésus lui expliqua tout. Il lui dit
qu'il était le Messie et s'entretint avec lui de sa généalogie humaine
et du mystère de l'arche d'alliance. J'appris alors que cet objet
mystérieux avait été porté avant le déluge dans l'arche de Noé, comment
il s'était transmis de génération en génération, comment il avait été
retiré par intervalles, puis rendu de nouveau, Jésus dit à ce propos que
Marie en naissant était devenue l'arche d'alliance du mystère (21).
Alors Eliud, qui pendant ce temps là parcourait divers écrits et
marquait certains passages des prophètes, que Jésus lui expliquait, lui
demanda pourquoi il n'était pas venu plus tôt. Jésus lui répondit qu'il
n'avait pu naître que d'une femme conçue comme les hommes l'auraient été
sans la chute originelle, et que depuis les premiers parents il ne
s'était rencontré pour cela aucun couple d'époux qui fût aussi pur de
part et d'autre qu'Anne et Joachim. Il lui développa tout cela et lui
fit connaître tout ce qui avait jusque là empêche, entravé et retardé
l'oeuvre du salut.
J'appris dans ces
entretiens beaucoup de choses touchant l'histoire de l'arche d'alliance.
Lorsqu'elle tombait dans les mains des ennemis, cet objet mystérieux n'y
était plus, parce que les prêtres le retiraient toutes les fois qu'il y
avait du danger, et cependant l'arche qui l'avait contenu restait si
sainte que les ennemis étaient punis pour l'avoir propagée et obligés de
la restituer. Je vis aussi qu'une famille chargée plus particulièrement
par Moïse de la garde de l'arche d'alliance, avait subsisté jusqu'au
temps d'Hérode. Jérémie, à l'époque de la captivité de Babylone, fit
cacher près du mont Sinaï l'arche d'alliance et d'autres objets sacrés ;
et plus lard on ne la retrouva pas. Mais la chose sainte n'y était plus.
à une époque postérieure. on fit une imitation de l'arche d'alliance :
mais tout ce qui y avait été précédemment ne s'y trouvait pas : la verge
d'Aaron, ainsi qu'une partie de l'objet mystérieux, étaient chez les
esséniens du mont Horeb ; mais le sacrement de la bénédiction y revint
par l'intermédiaire de je ne sais plus quel prêtre. Je vis là en
tableaux plusieurs choses que Jésus expliqua à Eliud ; j'entendis une
partie de ce qu'il lui dit, mais je ne puis pas me rappeler tout.
Il dit comment il avait
pris chair du germe béni que Dieu avait retiré d'Adam avant sa chute
comment ce germe béni, afin que tout Israël méritât bien de lui, avait
dû se transmettre à travers plusieurs générations, comment il avait été
souvent retiré, et comment les vases s'étaient ternis. je vis tout cela
en réalité ; je vis tous les a'eux de Jésus comment les patriarches au
moment de leur mort transmettaient réellement cette bénédiction à leurs
premiers nés, dans une cérémonie sacramentelle, et comment le morceau de
pain et le breuvage contenu dans la sainte coupe qu'Abraham avait reçus
de l'ange qui lui promit Isaac, étaient une figure du très
Saint-Sacrement de la nouvelle alliance et donnaient la force pour
coopérer à la formation de la chair et du sang du Messie futur. je vis
comment la ligne des ancêtres de Jésus reçut ce sacrement pour concourir
à l'incarnation de Dieu, et que Jésus fit de la chair et du sang reçus
de ses ancêtres un sacrement plus sublime pour opérer l'union des hommes
avec Dieu.
Jésus parla aussi beaucoup avec Eliud de la sainteté d'Anne et de
Joachim et de la conception surnaturelle de Marie sous la porte dorée,
mais je ne m'en souviens plus bien. il dit aussi qu'il n'avait pas été
conçu de Joseph, mais de Marie selon la chair, et que la conception de
celle ci provenait de ce germe pur et béni, retiré à Adam avant la
chute, qui avait été transmis a Joseph, en Egypte, par le canal
d'Abraham, puis était arrivé dans l'arche d'alliance et de l'arche avait
passé dans Joachim et dans Anne.
Il dit que, devant racheter
les hommes, il avait été envoyé avec toute la faiblesse de la créature
humaine, qu'il sentait et éprouvait toutes choses à la façon d'un homme
ordinaire ; que, comme le serpent de Moïse dans le désert, il serait
élevé en l'air sur la montagne du Calvaire où le corps du premier homme
avait son tombeau. Ah ! Combien il aurait d'afflictions à endurer, et
combien les hommes seraient ingrats, etc. Eliud l'interrogeait toujours
avec beaucoup de simplicité et de droiture de coeur, mais il comprenait
tout mieux que ne firent les apôtres au commencement ; il entendait tout
dans un sens plus spirituel : cependant il ne pouvait pas encore se bien
rendre compte de ce qui allait se faire. Il demanda à Jésus où serait
son royaume, si ce serait à Jérusalem, à Jéricho ou à Engaddi. Jésus
répondit que là où il était, là était son royaume, qu'il n'avait point
de royaume apparent.
J'entendis aussi
aujourd'hui et le jour suivant mentionner plus d'un passage de
l'Écriture où la lettre ne rend pas le sens intérieur, où la prophétie
exprimée par des images sensibles est comprise trop matériellement.
Le vieillard parlait à
Jésus avec beaucoup de naturel et de simplicité : il lui raconta
plusieurs choses relatives à sa mère, comme s'il les eût ignorées, et
Jésus l'écouta avec une grande bienveillance. Il parla de saint Joachim
et de sainte Anne. Jésus dit qu'aucune femme n'avait été plus chaste que
sainte Anne, et que si elle s'était remariée deux fois après la mort de
Joachim, ç'avait été par ordre de Dieu. Cette souche devait produire un
nombre déterminé de rejetons qui avait ainsi été complété.
Eliud raconta quelque chose touchant la mort de sainte Anne, et je vis
un tableau de sa mort. Je vis Anne, à la façon de Marie, dans la pièce
située sur le derrière de sa grande maison, étendue sur une couche un
peu exhaussée ; je vis qu'elle était très animée, très parlante et
nullement comme une personne à l'article de la mort. Je la vis bénir ses
plus jeunes filles et les autres personnes de la maison ; celles ci
étaient dans la pièce antérieure ; je vis que Marie était à son chevet
et Jésus au pied de son lit. Elle bénit Marie et demanda la bénédiction
de Jésus qui était arrivé à l'âge d'homme et avait une barbe naissante.
Je la vis encore parler joyeusement ; elle leva les yeux au ciel, puis
elle devint blanche comme la neige et je vis sur son front des gouttes
comme des perles. Alors je m'écriai : " Elle meurt, elle meurt ! " Et je
désirais ardemment la prendre dans mes bras. Alors ce fut comme si elle
venait à moi et reposait dans mes bras ; et en m'éveillant je croyais
encore la tenir.
Eliud parla encore des
vertus pratiquées par Marie dans le temple. Je vis aussi tout cela en
tableaux. Je vis que sa maîtresse Noémi était parente de Lazare, et que
cette femme, âgée d'environ cinquante ans, était essénienne, ainsi que
toutes les autres femmes attachées au service du temple Je vis que Marie
apprit près d'elle à tricoter, qu'étant encore enfant elle allait déjà
avec elle, quand Noémi nettoyait les vases et les ustensiles tachés par
le sang des victimes, et recevait certaines portions de la chair des
animaux sacrifiés qu'elle découpait et préparait pour l'usage des
servantes du temple et des prêtres : car ceux ci tiraient de là en
partie leur nourriture. Plus tard je vis la sainte Vierge l'aider dans
tout cela. Je vis aussi que Zacharie, quand il était de service,
visitait la petite Marie : Siméon aussi la connaissait. Je vis ainsi
toute sa pieuse et humble manière de vivre et de servir dans le temple,
comme Eliud la décrivait au Seigneur.
Ils s'entretinrent encore
de la conception du Messie et Eliud parla de la visite de Marie à
Elisabeth. J'appris là de nouveau que le Sauveur a été conçu deux mois
après notre fête actuelle de Noël ainsi que je l'ai toujours vu, et je
vis aussi quelque chose que j'ai oublié sur ce qui a fait que la fête de
Noël a été mise plus tard elle raconta en outre que Marie avait trouvé
là une source, ce que j'ai vu. J'ai vu comment la sainte Vierge, avec
Elisabeth, Zacharie et Joseph étaient allés de la maison de Zacharie
dans un petit bien qui appartenait à celui ci et où l'on manquait d'eau
; je vis la sainte Vierge aller seule devant le jardin avec un petit
bâton ; elle pria, et quand elle toucha la terre avec le petit bâton, il
en jaillit un filet d'eau qui coula autour d'un petit tertre. Lorsque
Zacharie et Joseph arrivèrent, ils enlevèrent le monticule avec une
bêche ; l'eau sortit de tous les côtés à cette place et il y eut là une
très belle fontaine. Zacharie habitait au sud ouest de Jérusalem à
environ cinq lieues.
Dans cet entretien si
intime dont les intervalles étaient remplis par la prière, je vis Eliud
marquer du respect à Jésus, mais se livrer à un enjouement na'f et ne le
traiter que comme un homme élu. La fille d'Eliud ne demeurait pas dans
la même maison que son père : elle habitait à part une grotte creusée
dans le roc.
Les esséniens qui
habitaient contre la montagne étaient environ une vingtaine ; les
femmes, au nombre de cinq ou six, avaient une habitation séparée où
elles demeuraient ensemble. Tous ces gens honoraient Eliud comme un
supérieur, et ils se réunissaient tous les jours pour faire la prière
avec lui. Jésus prit avec Eliud un repas composé de fruits, de miel et
de poisson. mais il mangea peu. Ces esséniens s'occupaient pour la
plupart de tissage et de jardinage.
La montagne au pied de
laquelle ils habitaient était la plus haute cime de l'arête sur laquelle
Nazareth était bâti ; mais elle était séparée de la ville par une
vallée. Du côté opposé se trouvait un escarpement à pic couvert de
verdure et de vignobles. Au dessous de cet escarpement, d'où plus tard
les pharisiens voulurent précipiter Jésus, il y avait des décombres, des
immondices et des ossements. La maison de Marie était située en avant
dans la ville, contre une colline, en sorte que certaines parties de la
maison formaient comme des grottes dans la colline. Cependant le haut de
la maison dépassait cette éminence, au delà de laquelle se trouvaient
d'autres habitations.
Ce soir, Marie et les
femmes, en compagnie de Colaya, fils de Léa, revinrent dans leur maison
de la vallée de Capharnaum. Leurs amies des environs vinrent au devant
d'elles. La maison qu'habitait Marie, près de Capharnaum, appartenait à
un homme nommé Lévi, qui demeurait à peu de distance de là, dans une
grande maison. La famille de Pierre l'avait louée de Lévi et cédée à la
sainte Famille ; car Pierre et André connaissaient la sainte Famille,
soit par eux mêmes, soit par Jean Baptiste, dont ils étaient disciples.
Il y avait plusieurs bâtiments adjacents où des disciples et des parents
pouvaient loger. Cette maison semblait avoir été choisie à cause de
cela. Marie de Cléophas avait avec elle son fils Siméon petit garçon de
deux ans, né de son troisième mariage. Je crois que son père Jonas était
mort, mais je n'en suis pas bien sûre : il y a trop de gens allant et
venant : il est difficile d'en savoir au juste le compte.
Vers le soir, Je vis Jésus
aller à Nazareth avec Eliud En avant des murs de la ville, à l'endroit
où Joseph avait Son atelier de charpentier, demeuraient de pauvres et
honnêtes familles, connues de Joseph. et où quelques uns des enfants
avaient été du nombre des compagnons de Jésus pendant son adolescence.
Eliud conduisit Jésus près d'eux. Ils donnèrent à leurs hôtes un morceau
de pain et de l'eau qui était très fraîche. à Nazareth, l'eau était
remarquablement bonne. Je vis Jésus s'asseoir par terre chez ces gens et
les exhorter à aller au baptême de Jean. Ces gens sont un peu timides
avec Jésus, dans lequel ils ne voyaient autrefois qu'un de leurs
pareils, mais qui maintenant leur est amené d'une façon si solennelle
par Eliud, personnage très respecté parmi eux, près duquel tous vont
chercher des conseils et des consolations, et qui les exhorte au
baptême. Ils ont bien entendu parler du Messie, mais ils ne peuvent
penser que ce soit lui, etc.
Le 13 au matin je vis Jésus
sortir de Nazareth avec Eliud. Ils allèrent du côté du midi sur le
chemin de Jérusalem. On appelle cette contrée la vallée d'Esdrelon.
Etant allés à environ deux lieues au delà du petit torrent de Kison, ils
arrivèrent à un endroit consistant en une synagogue, une hôtellerie et
quelques maisons. C'est, je crois, un faubourg de la ville d'Endor qui
est tout près de là. à peu de distance de là se trouve une fontaine
renommée. Jésus entra dans une hôtellerie. Les gens du lieu étaient peu
sympathiques, sans être précisément hostiles. Eliud aussi, de son côté,
n'avait pas grand crédit chez eux : car leurs tendances étaient plutôt
pharisiennes. Jésus dit aux préposés qu'il voulait enseigner dans la
synagogue. ils dirent que ce n'était pas l'usage de le permettre à des
étrangers. Mais il leur déclara qu'il avait mission pour cela : il entra
dans l'école et enseigna sur le Messie, dont le royaume n'est pas de ce
monde et qui ne doit pas paraître avec une pompe extérieure ; il parla
aussi du baptême de Jean. Les prêtres attachés à la synagogue ne lui
étaient pas favorables. Il se lit donner des écrits, qu'il ouvrit, et il
en expliqua divers passages des prophètes.
Je fus encore
singulièrement touchée de la conversation intime qu'il eut avec le vieil
Eliud : celui ci connaissait sa mission, son origine surnaturelle, et il
y croyait ; toutefois il ne paraissait pas soupçonner que c'était Dieu
lui même. Comme ils marchaient ensemble, Eliud lui raconta avec beaucoup
de simplicité diverses choses touchant sa jeunesse, ce que la
prophétesse Anne lui avait dit, et ce que celle ci, après le retour de
la sainte Famille d'Egypte, avait appris de Marie, qu'elle avait visitée
quelquefois à Jérusalem Jésus lui raconta aussi des choses qu'il ne
savait pas, et ses récits étaient accompagnés d'explications très
profondes : mais tout cela se passait simplement et naturellement :
c'était la conversation d'un bon vieillard avec un jeune ami qu'il
affectionne. Pendant qu'Eliud racontait ce qu'Anne avait appris de Marie
et lui avait répété, je vis tout cela en visions, et je me réjouis de
voir que c'étaient toujours les mêmes choses que j'avais déjà vues et
dont j'avais oublié une partie. J'ai beaucoup vu et entendu à ce sujet,
mais malheureusement j'en ai oublié la plus grande partie, parce que
j'ai été dérangée.(22)
Jésus parla aussi avec
Eliud du voyage qu'il devait faire à l'occasion de son baptême. Il avait
réuni beaucoup de personnes qu'il avait envoyées dans le désert, près d'Ophra
; quant à lui, il voulait aller seul en passant par Bethanie, où il
voulait parler à Lazare Il le nomma d'un autre nom que j'ai oublié : il
parla de son père et de ce qu'il avait été lors de la guerre. Il dit que
Lazare et ses soeurs étaient riches et sacrifieraient tout au service de
l'oeuvre du salut.
Lazare avait trois soeurs :
Marthe, l'aînée ; Marie Madeleine, la plus jeune, et une entre les deux
qui s'appelait aussi Marie : celle ci vivait tout à fait à part ; elle
était silencieuse et comme idiote : on ne l'appelle que Marie la
Silencieuse. Jésus, parlant d'elles, dit à Eliud que Marthe était bonne
et pieuse, et qu'elle le suivrait ainsi que son frère. Il dit de
l'idiote : "Celle là avait un grand esprit et beaucoup d'intelligence ;
mais ces dons lui ont été retirés pour son salut. Elle n'est pas laite
pour le monde et sa vie est toute intérieure, mais elle ne pèche pas":
si je m'entretenais avec elle, elle comprendrait les mystères les plus
cachés. Elle ne survivra pas longtemps au moment où Lazare et ses soeurs
me suivront et donneront tout pour la communauté. La plus jeune soeur,
Marie, est égarée : mais elle reviendra et surpassera Marthe, etc."
Précédemment, lorsque la
narratrice vit le Seigneur dans le voisinage de Magdalum, elle eut la
vision suivante touchant Madeleine :
" voyez un peu ! je l'aperçois au haut de son château : derrière elle
brille un corps lumineux semblable à une lune, mais devant elle s'élève
comme une montagne noire qu'elle doit mettre sous ses pieds, car une
assistance lui est donnée. Elle est stérile, autrement ce qu'il y a de
ténébreux en elle se serait répandu au dehors et l'aurait fortement
attachée au monde. Lorsqu'elle a reconnu Jésus et fait pénitence, elle a
mis au monde beaucoup d'enfants selon l'esprit. Je vois aussi là la Mère
de Dieu : elle met le pied sur la montagne noire qui s'enfonce : alors
Madeleine est toute entière dans la clarté de la lune, elle est toute
lumineuse, mais la Mère de Dieu se tient au dessus de la lune. La lune a
une signification importante et joue un rôle considérable : elle est en
rapport avec beaucoup de mauvaises choses qui sont en nous. Mais il y a
tant à dire là dessus, que je ne puis en parler maintenant. Quand la
Mère de Dieu vint, elle foula aux pieds le mal avec ses ténèbres ; elle
a reçu l'empire sur lui : je ne puis pas bien expliquer la chose
maintenant, mais c'est pour cela qu'elle est représentée au dessus de la
lune, ayant le serpent sous ses pieds. C'est une réalité qui nous est
ainsi montrée sous forme d'image. "
Eliud parla encore de Jean
Baptiste, le cousin de Jésus : il ne l'avait jamais vu et n'était pas
encore baptisé. Ils passèrent la nuit dans l'hôtellerie voisine de la
synagogue.
(14 septembre.) Ce matin
Jésus alla avec Eliud le long de la montagne d'Hermon qui n'est pas cet
Hermon où Joachim avait des pâturages. Ils allèrent a Endor, ville en
partie ruine. Déjà près du lieu où ils avaient logé, il y avait sur le
penchant de la montagne, des restes de murs tellement larges qu'on
aurait pu y aller en voiture. La ville d'Endor était peu habitée, pleine
de décombres ; il y avait beaucoup de jardins. D'un côté s'élevaient de
grands édifices semblables à des palais : en d'autres endroits la ville
était en ruines, ayant été dévastée par la guerre. Il me semble qu'il
habitait là une race d'hommes distincte des Juifs. Jésus n'alla pas dans
la synagogue, il n'y en avait pas ici. Il se rendit avec Eliud sur une
grande place où il y avait trois édifices contenant une quantité de
petites chambres bâties près d'un étang entouré d'une pelouse et sur
lequel flottaient de petites barques de baigneurs : il y avait aussi une
pompe près de cet étang. Cela ressemblait à un établissement d'eaux
minérales : les petites chambres étaient habitées par des malades. Jésus
alla avec Eliud dans une de ces grandes maisons : on lui lava les pieds
et on l'hébergea. Il fit ensuite une instruction à ces gens sur la place
où on lui avait préparé un siège élevé. Les femmes qui habitaient dans
une des ailes vinrent se ranger derrière les auditeurs. Ces gens
n'étaient pas de vrais juifs : c'étaient plutôt comme des esclaves
expulsés : ils avaient à payer un tribut sur les fruits qu'ils
recueillaient. Ils étaient restés dans la ville à la suite d'une guerre
: je crois que Sisara leur chef fut battu assez près de cette ville et
ensuite tué par une femme. (Judic.IV, 2.) Ces gens étaient répandu dans
tout le pays en qualité d'esclaves : il y en avait encore là environ
quatre cents. On leur avait fait autrefois exploiter des carrières pour
la construction du temple sous David et Salomon. Ils étaient toujours
employés à des travaux de ce genre. Le défunt roi Hérode s'était servi
d'eux pour construire un aqueduc long de plusieurs lieues qui amenait
l'eau à la montagne de Sion. Ces gens s'assistaient constamment les uns
les autres et ils étaient charitables. Ils portaient de longues robes
avec des ceintures et des capuchons pointus qui couvraient les oreilles,
comme les anciens ermites. Ils n'avaient aucun commerce avec les juifs :
mais il leur était permis d'envoyer leurs enfants à l'école : toutefois
ils étaient si opprimés et si méprisés qu'ils n'usaient pas de ce droit.
Jésus fut très compatissant avec eux : il fit aussi venir les malades.
Ceux ci étaient assis sur des espèces de lit semblables à mon fauteuil
et` qui m'y faisaient penser y avait un dossier mobile avec des appuis :
quand ce dossier s'abaissait, le fauteuil était comme un lit. Lorsque
Jésus enseigna sur le baptême et sur le Messie, et leur fit des
exhortations à ce sujet, ils se montrèrent très timides, disant qu'ils
ne pouvaient prétendre à de telles choses, qu'ils étaient des cens
expulsés. Alors Jésus rectifia leurs idées au moyen d'une parabole
touchant l'économe infidèle. J'en ai oublié l'explication que j'avais
bien comprise et qui m'a occupé tout le jour. Je la retrouverai une
autre fois. Il raconta aussi la parabole du fils que son père envoie
prendre possession de sa vigne : il la racontait toujours aux pa'ens
dont personne ne s'occupait. Ces gens préparèrent un repas en plein air
pour Jésus. Il y invita les pauvres et les malades et les servit à table
avec Eliud. Ils en furent extrêmement touchés. Le soir Jésus retourna
avec Eliud à la synagogue du faubourg, ils y célébrèrent le sabbat et y
passèrent la nuit.
(15 septembre) Aujourd'hui
Jésus alla encore avec Eliud à Endor, qui par conséquent n'était éloigné
de l'hôtellerie que de la distance qu'on pouvait parcourir un jour de
sabbat. Il y enseigna. Ces gens étaient Chananéens, et originaires de
Sichem. à ce que je crois : car j'entendis aujourd'hui prononcer le nom
de Sichémites. Ils avaient dans une salle une idole cachée dans un
souterrain, laquelle au moyen d'une mécanique que l'on faisait jouer,
sortait tout à coup de terre et venait se placer sur un autel élégamment
paré : on la faisait rentrer par le même procédé. C'était une idole de
femme qu'ils tenaient de l'Egypte et qui s'appelait Astarté : hier
j'avais pris ce nom pour celui d'Esther. Elle avait un visage rond comme
une lune. Elle avançait les bras sur lesquels elle tenait couche devant
elle un objet assez long, emmailloté comme une chrysalide de papillon,
plus épais au milieu, et effilé aux deux extrémités : ce pouvait bien
être un poisson. Sur le des de l'idole était placé comme un socle sur
lequel était un boisseau ou une hotte qui dépassait le haut de la tête.
Il y avait dedans comme des épis dans des cosses vertes avec d'autres
feuilles vertes et des fruits. Depuis les pieds jusqu'au bas ventre ;
l'idole était comme dans un muid et elle était entourée de pots où
étaient diverses plantes. Ils pratiquaient en secret leur culte
idolâtrique, et Jésus leur fit des reproches à ce sujet dans son
instruction. Autrefois ils sacrifiaient à leur déesse des enfants mal
conformés. à cette déesse correspondait un dieu Adonis, qui, si je ne me
trompe, était comme son mari. Ces gens étaient venus dans le pays sous
la conduite de leur chef Sisara : ils y avaient été battus, et depuis ce
temps, ils étaient répandus dans la contrée où ils servaient comme
esclaves. Ils étaient très opprimés et très méprisés. Peu de temps avant
Jésus Christ ils avaient excité des troubles prés du château d'Hérode
dans cette partie de la Galilée, et depuis lors ils avaient été soumis à
une oppression plus dure. Dans l'après midi Jésus revint avec Eliud dans
la synagogue pour la clôture du sabbat. Les juifs avaient très mal pris
sa visite à Endor, mais il leur reprocha très sévèrement leur dureté
envers ces hommes abandonnés, leur recommanda d'être charitables à leur
égard et les exhorta a les mener avec eux au baptême, auquel eux mêmes,
d'après ses avis, s'étaient décidés à aller. Ils étaient devenus plus
favorables à Jésus après l'avoir entendue le soir, Jésus revint à
Nazareth avec Eliud et je les vis s'entretenir sur la route comme
l'ordinaire : souvent ils s'arrêtaient et parlaient. Eliud raconta
beaucoup de choses de la fuite en Egypte et je vis tout cela en visions
il fut amené à en parler parce qu'il avait demandé à Jésus si son
royaume ne s'étendrait pas jusqu'à ces bonnes gens d'Egypte qui
l'avaient vu enfant et que sa présence avait touchés.
Ici je vis de nouveau que
ce que j'avais vu d'un voyage fait par Jésus en Egypte, à travers l'Asie
pa'enne, après la résurrection de Lazare, n'était pas un rêve de ma
façon : car Jésus dit à Eliud, que partout où la semence avait été
jetée, il irait avant sa fin recueillir les épis séparés. Eliud avait
aussi quelques notions sur le pain et le vin et sur Melchisédech, il ne
pouvait pas se faire une idée de ce qu'était Jésus et il lui demanda
s'il n'était pas quelque chose comme Melchisédech. Jésus répondit : "
Non ; il devait préparer mon sacrifice, mais c'est moi même qui serai le
sacrifice. "
J'appris aussi dans cet
entretien que Noémi, la maîtresse de Marie au temple, était tante de
Lazare, et soeur de sa mère. Le père de Lazare était le fils d'un roi
syrien : il avait servi dans les guerres et acquis de grands biens. Sa
femme était une juive de distinction, de la race sacerdotale d'Aaron
(alliée à sainte Anne par Manassé). Ils avaient trois châteaux à
Bethanie, près d'Herodium et à Magdalum sur la mer de Galilée, non loin
de Tibériade et de Gabara : Hérode avait aussi un château dans le
voisinage de Magdalum. Ils parlèrent aussi du scandale que Madeleine
donnait à sa famille, etc.
Jésus entra chez Eliud où
se trouvaient les cinq disciples, tous les autres esséniens et diverses
personnes qui voulaient aller au baptême.
(16 septembre) Le matin,
quand Jésus arriva avec Eliud, il y avait beaucoup de monde rassemblé
près de la maison de celui ci ; c'étaient les autres esséniens, les cinq
disciples et plusieurs personnes qui voulaient aller au baptême. Jésus
les instruisit. Il était aussi arrivé à Nazareth des publicains qui
voulaient aller au baptême : plusieurs troupes étaient déjà parties.
Plus tard dans la matinée, Jésus enseigna de nouveau : il vint ensuite à
lui deux pharisiens de Nazareth qui l'invitèrent à les suivre jusqu'à
l'école de la ville : ils avaient, disaient ils, tant entendu parler de
son enseignement dans le pays, qu'ils désiraient, eux aussi, entendre
ses explications sur les prophètes. Jésus alla avec eux. Ils le
conduisirent dans la maison d'un pharisien où plusieurs autres étaient
réunis. Ses cinq disciples étaient avec lui. Les pharisiens qui
formaient son auditoire furent très bienveillants pour lui : il leur
raconta de si belles paraboles, qu'ils parurent prendre grand plaisir à
son enseignement et qu'ils le conduisirent à la synagogue. Beaucoup de
gens s'y étaient rassemblés il parla de Moise et leur expliqua des
prophéties relatives au Messie. Mais comme d'après son langage, ils
soupçonnèrent qu'il pouvait bien parler de lui même, ils furent fort
scandalisés. Ils lui donnèrent pourtant un repas chez un pharisien. Il
passa la nuit avec cinq disciples dans une hôtellerie voisine de
l'école.
(7 septembre ) Jésus
enseigna aujourd'hui une troupe de publicains qui allaient au baptême.
il enseigna aussi dans la synagogue et parla du grain de blé qui doit
tomber en terre.
Les pharisiens se scandalisèrent à nouveau à son sujet et recommencèrent
leurs propos sur le fils du charpentier Joseph.. Ils lui reprochèrent
aussi ses rapports et son commerce avec les publicains et les pécheurs,
et il leur répondit très vertement. Ils lui parlèrent en outre des
esséniens, disant que c'étaient des hypocrites qui ne vivaient pas selon
la loi. Mais Jésus leur fit voir qu'ils observaient la loi mieux que les
pharisiens et le reproche d'hypocrisie retomba sur eux. Ils étaient
arrivés à s'occuper des esséniens à propos des bénédictions : car ils
s'étaient scandalisés de voir Jésus bénir plusieurs enfants et ils en
parlèrent parce que les bénédictions étaient fort en usage parmi les
esséniens. Or, quand Jésus entrait dans la synagogue ou en sortait,
beaucoup de femmes se présentaient devant lui avec leurs enfants et le
priaient de vouloir bien les bénir. Lorsque Jésus demeurait encore à
Nazareth, il s'occupait toujours beaucoup des enfants, qui devenaient
paisibles et silencieux près de lui quand il les bénissait, même ceux
qui, un instant auparavant, pleuraient et se montraient ingouvernables.
Les mères se souvenant de cela lui amenaient leurs enfants et voulaient
voir s'il n'était pas devenu plus fier. il y avait là quelques enfants
qui se rejetaient et se renversaient sur eux mêmes : ils avaient comme
des convulsions et poussaient de grands cris. Mais aussitôt après sa
bénédiction ils se tinrent tranquilles. Je vis sortir de quelques uns
comme une noire vapeur. Il mettait la main sur la tête des enfants et
les bénissait à la manière des patriarches en marquant trois lignes,
parlant de la tête et des deux épaules jusqu'à la poitrine où elles se
réunissaient. Il faisait de même pour les petites filles, mais sans leur
imposer les mains. Il faisait à celles ci un signe sur la bouche, je me
disais que c'était Pour qu'elles fussent moins bavardes : mais cela
avait encore un autre sens caché. Il passa la nuit avec ses disciples
dans la maison d'un pharisien.
(18 septembre) Hier 17, je
vis Jésus passer la nuit à Nazareth, dans la maison d'un pharisien. à
ses cinq compagnons, il s'en était joint quatre autres qui étaient aussi
parents et amis de la sainte Famille : je crois qu'il s'y trouvait des
fils des trois veuves, et un homme de Bethléem qui avait découvert qu'il
descendait de Ruth, devenue l'épouse de Booz à Bethléem. Il les admit au
nombre de ses disciples. il y avait à Nazareth deux familles riches, où
il y avait trois fils qui, dans leur jeunesse, avaient eu des relations
avec Jésus : ces fils étaient intelligents et instruits. Les parents qui
avaient assisté à l'instruction de Jésus et qui avaient beaucoup ou'
vanter sa sagesse, convinrent entre eux que leurs enfants iraient encore
aujourd'hui l'entendre et qu'ensuite ils lui offriraient de l'argent
pour qu'il leur permît de voyager avec lui et de participer à sa
science. Ces braves gens avaient leurs fils en grande estime et
pensaient que Jésus devait être leur précepteur. Les jeunes gens vinrent
aujourd'hui dans la synagogue : tout ce qu'il y avait de gens instruits
à Nazareth fit de même, sur l'invitation des pharisiens et de ces riches
personnages. Ils voulaient mettre Jésus à l'épreuve de toute manière. Il
y avait là un docteur de la loi et un médecin, grand et gros homme avec
une longue barbe, une ceinture et un insigne qu'il portait à l'épaule
sur son vêtement. Je vis Jésus à son entrée dans l'école bénir de
nouveau plusieurs enfants que leurs mères lui apportaient : et parmi
lesquels j'en vis de lépreux qu'il guérit. Je vis comment enseignant
dans l'école il fut interrompu plusieurs fois par les savants qui lui
proposaient toute sorte de questions compliquées, et comment il les
réduisit tous au silence par la sagesse de ses paroles. Aux discours du
docteur de la loi il fit des réponses admirables tirées de la loi de
Moïse, et quand on parla du divorce, il le condamna entièrement. Il dit
que le mariage ne pouvait être dissous ; que, si le mari ne pouvait pas
absolument vivre avec sa femme, il pouvait se séparer d'elle, mais
qu'ils restaient toujours une seule chair et ne pouvaient pas se
remarier. Cela ne fut nullement agréable aux juifs. Le médecin lui
demanda s'il savait distinguer les tempéraments secs ou humides, sous
quelle planète un homme était né, quelles herbes il fallait donner aux
uns ou aux autres et comment était fait le corps humain. Jésus lui
répondit avec une grande sagesse, il parla de la complexion de quelques
uns des assistants, de leurs maladies et des moyens curatifs à employer,
et il dit sur le corps humain des choses tout à fait inconnues au
médecin. Il parla de la substance spirituelle et de la manière dont elle
agit sur le corps, il dit qu'il y avait des maladies qui ne pouvaient
être guéries que par la prière et la conversion, d'autres qui avaient
besoin des secours de la médecine, et tout cela avec tant de profondeur
et dans un si beau langage que le médecin tout émerveillé reconnut que
son art était surpassé et qu'il n'avait jamais rencontré une pareille
science. Je crois qu'il suivra Jésus. Il décrivit le corps humain avec
ses membres, ses veines, ses nerfs et ses intestins, leur destination et
leurs rapports entre eux avec tant d'exactitude quoique dans un résume
rapide, et avec des vues si profondes que le médecin se sentit tout
humble devant lui. Il y avait aussi là un astronome et il parla du cours
des astres, de l'action que les étoiles ont les unes sur les autres, de
leurs influences diverses, des comètes et des signes du ciel. Il dit
aussi à un des assistants des choses d'un sens très profond sur
l'architecture. il parla en outre du commerce et du trafic avec les
peuples étrangers, et s'exprima en termes sévères sur des modes et des
frivolités de toute espèce qui étaient venues d'Athènes. Diverses sortes
de jeux et de tours d'escamotage étaient venus de là dans le pays : la
mode s'en était répandue jusqu'à Nazareth et dans plusieurs autres
lieux. il dit que c'étaient là des choses impardonnables, parce qu'on ne
les regardait pas comme mauvaises et qu'on n'en faisait pas pénitence.
Tous étaient ravis de la
sagesse qui éclatait dans ses discours : ses auditeurs l'engagèrent
instamment à s'établir parmi eux, promettant de lui donner une maison et
de pourvoir à tous ses besoins. Ils lui demandèrent aussi pourquoi il
était allé avec sa mère à Capharnaum. Mais il répondit qu'il ne
resterait pas ici. Il parla de sa destination et de sa mission ; dit
qu'ils étaient allés à Capharnaum parce qu'il voulait habiter un point
central du pays, etc. ils ne comprirent pas tout cela et furent fort
mécontents de ce qu'il refusait d'habiter parmi eux. Ils croyaient lui
avoir fait des offres très avantageuses et considéraient comme dicté par
l'orgueil ce qu'il disait de sa mission et de sa destination. Ils
quittèrent l'école vers le soir.
Les trois jeunes gens qui
étaient âgés d'environ vingt ans, désiraient lui parler ; mais il ne
voulut pas les entendre jusqu'à ce que ses neuf disciples fussent autour
de lui : cela les chagrina. Mais il dit qu'il en agissait ainsi pour
qu'il y eût des témoins de ce qu'il leur dirait. Alors ils lui
exprimèrent en termes réservés et très modestes leur désir et celui de
leurs parents qu'il voulût bien les prendre pour élèves, ajoutant que
leurs parents lui donneraient de l'argent et qu'eux l'accompagneraient,
le serviraient et l'assisteraient dans ses travaux... Je vis qu'il en
coûtait à Jésus de leur refuser ce qu'ils demandaient, tant à cause
d'eux mêmes, qu'à cause de ses disciples, car il avait à leur donner des
raisons qu'ils n'étaient pas encore en état de comprendre. Il leur dit
que celui qui se procurait quelque chose à prix d'argent, voulait
retirer de son argent un avantage temporel : mais que celui qui voulait
marcher dans sa voie à lui, devait renoncer à tous les biens de ce monde
; que quiconque voulait le suivre devait aussi abandonner ses parents et
ses amis : enfin, que ses disciples ne cherchaient point femme et ne se
mariaient pas. Il leur présenta ainsi des conditions très difficiles :
ils en furent très découragés et lui parlèrent des esséniens parmi
lesquels il y avait des gens mariés. Jésus répondit qu'ils se
conformaient à leurs règles et faisaient bien, mais qu'ils n'avaient
fait que préparer ce que son enseignement devait mener à terme, etc. Il
les congédia et les engagea à réfléchir mûrement. Ses disciples étaient
effrayés de ses paroles et de ce qu'il avait présenté sa doctrine comme
si difficile à suivre : ils ne pouvaient pas le comprendre et se
sentaient découragés. Il alla avec eux de Nazareth à la maison d'Eliud,
et leur dit sur le chemin qu'ils ne devaient pas perdre courage ; qu'il
avait eu des raisons graves pour parler ainsi à ces jeunes gens, qu'ils
ne viendraient jamais à lui ou qu'ils y viendraient tardivement, que
pour eux ils devaient le suivre tranquillement et ne point s'inquiéter,
etc. Ils arrivèrent ainsi à la maison d'Eliud... Je ne crois pas qu'il
revienne de nouveau voir Eliud, car on parle beaucoup et on s'agite
beaucoup à Nazareth. Ils sont irrités de ce qu'il n'a pas voulu y rester
: ils s'imaginent qu'il a appris tout cela dans ses voyages. "C'est
assurément, disent ils, un homme extraordinaire et d'un grand esprit,
mais il est trop fier pour le fils d'un charpentier. " Je vis aussi les
trois jeunes gens revenir chez eux. Les parents prirent très mal les
difficultés que Jésus avait faites, les enfants abondèrent dans le même
sens et tout se tourna en mécontentement contre lui.
(19 septembre) Jésus
enseigna de nouveau dans la maison d'Eliud. Ses auditeurs étaient pour
la plupart des esséniens : il y avait aussi quelques étrangers qui se
disposaient à recevoir le baptême.
Les trois jeunes gens de
Nazareth vinrent le trouver ici et le prièrent encore de les prendre
avec lui. Ils lui promirent de lui obéir en tout et de le servir. Jésus
refusa de nouveau et je vis qu'il était contristé de ce qu'ils ne
pouvaient pas comprendre les motifs de son refus. Il s'entretint ensuite
avec les neuf disciples qui d'après ses instructions, se disposaient à
faire encore quelques courses et à aller après cela trouver Jean. Il
leur parla de ceux qu'il venait de rejeter, leur dit qu'ils avaient en
vue certains avantages : mais qu'ils n'étaient pas disposés à tout
donner par charité : que pour eux, ses disciples, ils ne demandaient
rien et qu'à cause de cela ils recevraient, etc. Il dit encore des
choses très belles et très profondes sur le baptême. il leur dit de
passer par Capharnaum et de dire à sa mère qu'il allait au baptême, de
s'entendre relativement à Jean, avec les disciples de celui ci, Pierre,
André, etc., et enfin d'annoncer à Jean qu'il allait venir.
Je vis Jésus, dans la nuit
du 19 au 20, marcher avec Eliud dans la direction du sud ouest. Ce
n'était pas le chemin direct. Jésus voulait aller à Chim (23),
un endroit habité par des lépreux. Ils y arrivèrent au point du jour et
je vis qu'Eliud voulait empêcher Jésus d'aller dans ce lieu, de peur
qu'il ne contractât une impureté : il disait qu'il ne serait pas admis
au baptême, si on venait à le savoir, etc. Jésus lui répondit qu'il
connaissait sa mission, qu'il irait dans cet endroit parce qu'il s'y
trouvait un homme de bien qui désirait ardemment le voir. Il leur fallut
ici traverser le torrent de Cison. L'endroit était situé au bord d'un
petit ruisseau qui conduisait l'eau du Cison dans un petit étang où les
lépreux se lavaient. L'eau ne retournait pas au Cison. Ce lieu était
tout à fait écarté, personne n'y allait : les lépreux habitaient dans
des cabanes dispersées : eux exceptés, il ne demeurait là que les gens
chargés de les surveiller. Eliud se tint à quelque distance et attendit
le Seigneur. Jésus alla dans une cabane écartée où un de ces malheureux
était étendu par terre, tout enveloppé dans des draps. Jésus s'entretint
avec lui. C'était un homme de bien, j'ai oublié comment la lèpre lui
était venue. Il se redressa et fut extraordinairement touché de ce que
le Seigneur était venu à lui. Jésus lui ordonna de se mettre dans une
auge pleine d'eau qui était près de la cabane. Il obéit et Jésus tint
ses mains étendues au dessus de l'eau, alors cet homme recouvra l'usage
de ses mouvements et fut délivré de sa lèpre : il mit d'autres vêtements
et Jésus lui défendit de parler de sa guérison jusqu'à ce qu'il fût
revenu du baptême.
Cet homme accompagna Jésus
et Eliud pendant quelque temps, après quoi Jésus lui ordonna de s'en
retourner. Je vis pendant la journée Jésus et Eliud aller vers le midi
en suivant la vallée d'Esdrelon. Ils s'entretinrent ensemble à plusieurs
reprises, souvent aussi ils marchaient séparés, et semblaient prier et
méditer. La température n'est pas très agréable en ce moment : le ciel
est couvert et il y a du brouillard dans la vallée. Jésus n'avait pas de
bâton, il n'en portait jamais : les autres portaient un bâton, souvent
avec une petite pelle au bout comme ceux des bergers : Jésus n'avait aux
pieds que des sandales, d'autres avaient des espèces de souliers plus
complets dont le dessus était de coton tressé très épais. Je les vis
vers midi, se reposer près d'une source et manger du pain.
Dans la nuit du 20 au 21
septembre, je les vis de nouveau en route, tantôt ensemble, tantôt
séparés. Je vis alors une chose merveilleuse, une scène admirablement
belle. Eliud parlait à Jésus qui marchait devant lui de la beauté et de
la parfaite conformation de son corps. Jésus lui dit : " si tu revoyais
ce corps dans deux années d'ici, tu n'y trouverais plus ni beauté, ni
bonne apparence, tant je serai défiguré par leurs outrages et leurs
mauvais traitements. " Eliud ne comprit pas cela ; en général il ne
pouvait pas comprendre pourquoi Jésus parlait ordinairement de son règne
comme devant être de si courte durée ; il s'imaginait toujours qu'il
faudrait bien dix ans, ou peut être vingt à Jésus pour fonder son
royaume : il ne pouvait pais avoir d'autre idée à cet égard, parce qu'il
ne se le représentait que comme un royaume terrestre. Quand ils eurent
fait encore un peu de chemin, Jésus, s'arrêtant, dit à Eliud qui
marchait tout pensif derrière lui, de se rapprocher de lui, parce qu'il
voulait lui montrer qui il était, ce que c'était que son corps et ce que
c'était que son royaume. Eliud s'arrêta à quelques pas de Jésus, et
Jésus leva les yeux au ciel en priant. Alors une nuée descendit et les
enveloppa tous deux comme une tempête. On ne pouvait pas les voir du
dehors, mais un ciel lumineux s'ouvrit au dessus de leur tête et sembla
s'abaisser vers eux. Je vis en haut comme une ville avec des murailles
resplendissantes, je vis la Jérusalem céleste. Tout y était environné
d'une clarté ou brillaient les couleurs de l'arc en ciel. Je vis une
forme comme Dieu le Père et je vis Jésus participer à sa lumière. Jésus
apparut dans sa forme humaine, resplendissant et diaphane. Eliud au
commencement regardait en haut comme ravi en extase, ensuite il se
prosterna sur sa face jusqu'à ce que la lumière et toute l'apparition se
fussent évanouies. Alors Jésus se remit en marche et Eliud le suivit,
muet et intimidé par ce qu'il avait vu. C'était une scène comme celle de
la Transfiguration, mais je ne vis pas Jésus s'élever de terre. Je ne
crois pas qu'Eliud ait vécu jusqu'au crucifiement de Jésus. Jésus
s'ouvrait plus avec lui qu'avec les apôtres, car il avait reçu de
grandes lumières et il était initié à beaucoup de secrets touchant sa
famille. Il l'avait accueilli comme un ami intime et lui avait accordé
un grand ascendant sur lui ; il fit aussi beaucoup pour la communauté de
Jésus. C'était l'un des plus instruits parmi les esséniens. à l'époque
de Jésus, ils n'habitaient plus sur les montagnes autant qu'autrefois :
ils s'étaient répandus davantage dans les villes. J'eus cette belle
vision à minuit et je me réveillais dans un cruel état de souffrance. Le
matin je vis Eliud et Jésus arriver à une station de bergers. Le jour
commençait à Poindre. Les bergers étaient déjà hors de leurs cabanes et
près des troupeaux ; ils vinrent au devant de Jésus qu'ils connaissaient
et se prosternèrent devant lui ; ils les conduisirent tous deux à un
hangar où ils avaient leurs effets. Ils leur lavèrent les pieds, leur
préparèrent une couche et mirent devant eux du pain et de petites
coupes. Ils firent aussitôt rôtir des tourterelles qui nichaient dans
les cabanes et qui étaient là en grande quantité, courant ça et là comme
des poulets. Je vis après cela Jésus renvoyer Eliud, qui s'agenouilla
devant lui pour recevoir sa bénédiction. Les bergers étaient présents.
Jésus lui dit d'attendre en paix le terme de ses jours : car le chemin
qu'il avait à parcourir était trop pénible pour lui. Il ajouta qu'il le
considérait comme un des siens qui avait déjà fait sa part de travail
dans la vigne et qui serait récompensé dans son royaume il expliqua ceci
en racontant la parabole des ouvriers de la vigne. Eliud était très
sérieux depuis la vision de cette nuit ; il gardait le silence et son
émotion était profonde. Je crois avoir entendu qu'il ne reverrait plus
Jésus sur la terre ? je n'en suis pourtant pas sûre. (La narratrice
s'est trompée ici, car à la fête des Purim, elle vit de nouveau le
Sauveur avec Eliud ainsi que cela sera raconté plus tard.) Je crois
qu'il a été baptisé par les disciples. Eliud accompagna encore Jésus à
quelque distance du séjour des bergers. Le Seigneur l'embrassa et il se
sépara de lui avec une mâle émotion.
On peut voir d'ici le lieu
où Jésus va pour le sabbat. Des parents de Jésus y ont habité autrefois.
Cet endroit où Jésus allait maintenant tout seul, n'était pas Jezraël,
comme je l'avais cru d'abord, parce que je voyais aussi Jezraël ; son
nom était Gur et il était situé sur une montagne. un frère de saint
Joseph, qui était allé plus tard demeurer a Zabulon et qui avait eu des
rapports fréquents avec la sainte Famille, avait habité ici. Jésus alla,
sans être remarqué, dans une hôtellerie où or lui lava les pieds et où
on lui donna à manger. Il avait une chambre pour lui seul ; il se fit
apporter de la synagogue un rouleau d'écritures et il pria tout en
lisant, tantôt agenouillé, tantôt debout. Il n'alla pas dans l'école. Je
vis une fois venir des gens qui voulaient lui parler, mais il ne les
reçut pas.
Je vis les disciples
envoyés en avant par Jésus arriver avant hier à Capharnaum ; je n'en vis
pourtant là que cinq des plus connus. Ils s'entretinrent avec Marie ;
deux d'entre eux allèrent à Bethsaide où ils prirent Pierre et André.
Jacques le Mineur, Simon, Thaddée, Jean et Jacques le Majeur étaient
aussi présents. Les disciples vantèrent la charité, la douceur et la
sagesse de Jésus ; les autres parlèrent avec le plus grand enthousiasme
de Jean Baptiste, de l'austérité de sa vie et de son enseignement,
disant qu'ils n'avaient jamais entendu interpréter comme lui les
prophètes et la loi ; Jean lui même se montra très enthousiaste de Jean
Baptiste, bien qu'il connût Jésus : car à une époque antérieure ses
parents ne demeuraient qu'à deux lieues de Nazareth, et Jésus l'aimait
déjà quand il était enfant, ce que j'avais ignoré jusqu'à présent. Ils
célébrèrent là le sabbat. Le dimanche 23, j'ai vu les neuf disciples,
accompagnés des six qui viennent'` d'être nommés, sur le chemin de
Tibériade, d'où ils se dirigèrent vers Ephron, par le désert, pour
gagner ensuite Jéricho et se rendre auprès de Jean. Pierre et André
relevaient les mérites de Jean Baptiste, disant qu'il était issu d'une
famille sacerdotale distinguée, qu'il avait été instruit par des
esséniens dans le désert, qu'il ne tolérait aucun désordre, qu'il était.
Aussi austère que sage. Les disciples s'étendaient sur la bonté de Jésus
et sur sa sagesse, les autres leur objectaient que sa condescendance
donnait lieu à plus d'un désordre et alléguaient des exemples à l'appui
; ils disaient aussi qu'il avait été instruit par des esséniens lors des
voyages qu'il avait faits récemment, etc. Cette fois je n'entendis plus
rien dire à Jean. Ils ne firent pas ensemble tout le chemin mais
seulement quelques lieues. Je me disais pendant cette conversation que
les hommes de ce temps là étaient comme ceux d'aujourd'hui.
Le samedi 22 septembre, je
vis Jésus prier seul dans l'hôtellerie de Gur ; cet endroit n'était pas
très éloigné d'une ville appelée Mageddo et d'une plaine du même nom, et
j'ai vu précédemment que vers la fin du monde une bataille sera livrée
contre l'Antéchrist dans cette plaine. Jésus se leva au point du jour,
il roula sa couche, mit sa ceinture, laissa une pièce de monnaie sur la
couche et se mit en marche. Je le vis suivre des sentiers qui tournaient
autour de plusieurs villages. Il ne communiqua avec personne ; je le vis
passer au pied du mont Garizim, près de Samarie ; il le laissa à gauche
; il se dirigeait vers le midi. Je le vis à diverses reprises manger des
baies et quelques fruits et boire de l'eau qu'il puisait dans le creux
de sa main ou dans une feuille pliée de manière à la rendre concave.
Le dimanche au soir, il
arriva dans une ville appelée Gophna, placée au pied de la montagne d'Ephraim.
Elle était située sur un terrain très accidenté, et il y avait des
jardins et des champs cultivés entre les maisons. il s'y trouvait des
parents de Joachim, mais qui n'avaient pas entretenu de relations
particulières avec la sainte Famille. Jésus entra dans une hôtellerie.
On lui lava les pieds et on lui donna une petite réfection Mais bientôt
ses parents vinrent avec deux pharisiens des meilleurs de leur secte, et
ils l'emmenèrent dans leur maison. C'était une des maisons les plus
considérables de la ville. La ville elle même était importante et elle
était le siège de l'administration d'un district. Le parent de Jésus
avait aussi un emploi et il tenait des écritures. La ville dépendait, à
ce que je crois, de Samarie. Jésus fut reçu avec déférence. Il se
trouvait là plusieurs autres personnes, et on prit un repas dans un lieu
de plaisance ; les uns marchaient, les autres se tenaient debout. Jésus
passa là la nuit. Il y avait une journée de voyage de là à Jérusalem ;
une petite rivière coulait dans les environs. Lorsque la sainte Famille
eut perdu Jésus dans le temple, elle était venue jusqu'ici. Ne l'ayant
pas trouvé à Michmas, ils pensèrent qu'il était peut être allé en avant
pour visiter leurs cousins. Marie craignait qu'il ne fût tombé dans
l'eau.
Jésus alla à la synagogue
où il demanda les écrits d'un prophète, et il enseigna sur le baptême et
sur le Messie. Il leur expliqua une prophétie de laquelle il conclut que
le temps de l'avènement du Messie devait être arrivé ; il parla
d'événements qui devaient le précéder et qui avaient eu lieu en effet.
Il en mentionna un qui s'était passé huit ans auparavant ; je ne sais
plus bien s'il s'agissait d'une guerre ou du sceptre retiré à Juda. Il
exposa ainsi plusieurs témoignages relatifs à des signes déjà accomplis
qui devaient précéder l'avènement du Messie : il fit mention des
différentes sectes qui existaient chez les juifs, et rappela combien de
chose' étaient devenues de vaines formalités. Il parla ensuite de la
manière dont le Messie paraîtrait au milieu d'eux, et dit qu'ils ne le
reconnaîtraient pas. Il décrivit parfaitement tout ce qui devait se
passer entre lui et Jean : il dit à peu près que quelqu'un le
désignerait, et qu'on ne le reconnaîtrait pas : on s'attendrait à voir
un brillant vainqueur, entouré d'une pompe mondaine, et ayant auprès de
lui des hommes éminents par la science : aussi ne le reconnaîtrait on
pas, lui qui devait paraître sans éclat, sans beauté, sans richesse,
sans pompe ; qui devait avoir pour cortège des hommes simples, paysans
et ouvriers ; qui devait frayer avec des mendiants, des infirmes, des
lépreux et des pécheurs, etc. il parla longtemps dans ce sens, prouva
tout par les prophéties, présenta toutes choses comme elles devaient se
passer entre lui et Jean Baptiste, toutefois il ne dit jamais : " C'est
moi ", mais parla toujours comme s'il se fût agi d'une tierce personne.
Cette instruction remplit la plus grande partie de la journée. Les
assistants, ses parents, finirent par croire qu'il était un envoyé, un
précurseur de ce Messie.
Quand il fut de retour à la
maison, ils consultèrent en sa présence un livre où ils avaient écrit ce
qui était arrivé dans le temple, à Jésus, fils de Marie, alors âgé de
douze ans ; ils se souvinrent alors d'une ressemblance entre ce qu'il
avait dit à cette époque et ses paroles d'aujourd'hui, et quand ils
eurent relu leur écrit, ils furent grandement étonnés.
Le maître de la maison
était un veuf d'un âge avancé et il avait deux filles veuves. J'entendis
ces deux femmes dire ensemble qu'elles avaient assisté au mariage de
Joseph et de Marie, à Jérusalem, et combien la noce avait été belle ;
elles ajoutèrent qu'Anne avait eu une grande aisance, mais que cette
famille était bien déchue. Elles parlaient de cela, comme on a coutume
de le faire dans le monde, avec une nuance de blâme et de mépris, comme
si la famille était tombée très bas. Pendant qu'elles remémoraient
longuement, comme le font les femmes, les circonstances de ce mariage et
le costume de fiancée que portait Marie ; je vis tous les détails de ces
épousailles et spécialement de la parure nuptiale de la sainte Vierge (24).
Pendant ce temps, les hommes, comme je l'ai dit, s'occupaient de
l'enseignement de Jésus enfant dans le temple, dont on avait tenu note
chez eux. Les parents de Jésus l'avant cherché ici pleins d'inquiétude,
le lieu et les circonstances dans lesquelles il avait été retrouvé y
avaient produit un grand effet, d'autant plus que les familles étaient
alliées. Comme ses cousins s'émerveillaient de la ressemblance entre son
enseignement d'alors et celui d'aujourd'hui, et qu'ils se montraient de
plus en plus prévenus en sa faveur, Jésus leur déclara qu'il lui fallait
prendre congé d'eux, et il se mit en route malgré leurs prières.
Plusieurs hommes l'accompagnèrent. Ils eurent à traverser une petite
rivière, sur un pont en maçonnerie qui était planté d'arbres. Ils
l'accompagnèrent quelques lieues jusqu'à une plaine où il y avait des
pâturages et par où avait passé le patriarche Joseph lorsque son père
Jacob l'envoya à Sichem vers ses frères. Jacob aussi s'était souvent
trouvé dans les endroits d'où venait Jésus. Jésus arriva assez tard dans
la soirée à un village de bergers situé en deçà d'un petit cours d'eau,
et ses compagnons le quittèrent. L'endroit s'étendait encore de l'autre
côté de la petite rivière ; la synagogue était de ce côté ci. Le
Seigneur entra dans une hôtellerie Deux troupes d'aspirants au baptême,
qui voulaient se rendre auprès de Jean, en passant par le désert,
s'étaient réunies ici et avaient déjà parlé de l'arrivée de Jésus. Il
s'entretint avec eux dans la soirée, et ils continuèrent leur route le
lendemain matin. On lava les pieds au Seigneur ; il prit un peu de
nourriture, puis il se retira pour prier et se reposer.
(25 septembre) Le matin il
alla à l'école où beaucoup de personnes se rassemblèrent. Il enseigna
comme à l'ordinaire sur le baptême et sur l'approche du Messie, disant
toujours qu'on ne le reconnaîtrait pas. Il leur reprocha leur
attachement opiniâtre à d'anciennes coutumes devenues de vaines
formalités ; c'était un tort particulier à ces gens. Du reste, ils
étaient assez simples et prirent bien tout ce qu'il dit. Jésus se fit
ensuite conduire par le chef de la synagogue près d'une dizaine de
malades. Il n'en guérit aucun ; car il avait déjà dit à Eliud et à ses
cinq disciples qu'avant son baptême, il n'opérerait pas de guérisons
dans le voisinage de Jérusalem. C'étaient principalement des hydropiques
et des goutteux ; il y avait aussi des femmes infirmes. Il leur fit des
exhortations et dit à chacun en particulier ce qu'il avait à faire pour
le bien de son âme ; car leurs maladies étaient, jusqu'à un certain
point, des punitions de leurs péchés. Il ordonna à quelques uns de se
purifier et d'aller au baptême.
Il y eut encore un souper
dans l'hôtellerie ; plusieurs habitants du lieu y assistaient. Avant le
repas, ils parlèrent d'Hérode, de sa liaison illégitime qu'ils
blâmèrent, et ils demandèrent à Jésus de se prononcer à ce sujet. Jésus
qualifia sévèrement la conduite d'Hérode, mais il ajouta qu'avant de
juger les autres, on devait aussi se juger soi même, et il parla avec
force des péchés qui se commettent dans le mariage.
Il y avait dans cet endroit
plusieurs pécheurs notoires. Jésus les prit en particulier les uns après
les autres, et leur reprocha sévèrement leurs adultères. Il révéla à
plusieurs leurs péchés les plus secrets ; en sorte qu'ils furent
effrayés et promirent de faire pénitence. Il se dirigea ensuite vers
Bethanie, qui était environ à six lieues, et il alla de nouveau dans les
montagnes. La température y est maintenant comme en hiver : le
brouillard est épais, le ciel est sombre, et il y a souvent pendant la
nuit une gelée blanche très froide. Jésus a la tête enveloppée dans un
linge Il va maintenant tout à fait au levant. J'ai aussi vu Marie et
quatre des saintes femmes faisant route dans une plaine près de
Tibériade. Je les ai vues sortir de leur maison, où il est resté
quelqu'un. Elles ont deux valets de pêcheurs avec elles. L'un va en
avant, l'autre derrière ; ils portent le bagage, un sac sur la poitrine,
un autre sur le des, et un bâton sur l'épaule. Il y a là Jeanne Chusa,
Marie de Cléophas, une des trois veuves, et encore une autre femme, je
ne sais plus si c'est Marie Salomé, ou la femme de Pierre ou celle
d'André. Elles se rendent aussi à Bethanie, elles suivent la route
ordinaire, et passent devant Sichar qu'elles laissent à droite, tandis
que Jésus l'a laissée à gauche. Les saintes femmes vont la plupart du
temps l'une après l'autre, à environ deux pas de distance, probablement
parce que la plupart des chemins, à l'exception des grandes routes, sont
des sentiers étroits à l'usage des piétons, et traversant souvent des
montagnes. Elles marchent vite, à grands pas, et n'ont pas la démarche
incertaine des gens d'ici ; c'est sans doute parce que, dans leur pays,
on est accoutumé, dès son jeune âge, à faire de longs voyages a pied.
Quand elles sont en route, elles retroussent leur robe jusqu'à mi jambe
; leurs jambes sont enveloppées jusqu'à la cheville avec une bande
d'étoffe ; elles ont des sandales épaisses et rembourrées, attachées
sous la plante des pieds. Elles portent sur la tête un voile assujetti
autour de la nuque par un linge long et étroit. Ce linge se croise sur
la poitrine et, revenant autour de la taille, se passe dans la ceinture
; il sert aussi à faire reposer leurs mains qu'elles y placent
alternativement. L'homme qui marche en avant prépare le chemin, ouvre
des passages dans les haies, enlève les pierres, pose des planches sur
les fondrières, veille à tout ce qui peut arriver, et commande les
logements. Celui qui va derrière remet les choses comme elles étaient.
(26 septembre.) Jésus
pendant son voyage de Bethanie alla encore dans les montagnes. Le soir
il arriva, deux lieues environ au nord de Jérusalem, dans une ville qui
n'est autre chose qu'une rue d'une demi lieue de long, passant à travers
une montagne. Bethanie est bien à trois lieues d'ici. On peut en voir
d'ici les environs : car c'est beaucoup plus bas dans la plaine. Au nord
est de cette montagne s'étend un désert d'environ trois lieues, dans la
direction du désert d'Ephron. Je vis Marie et ses compagnes loger cette
nuit entre les deux déserts.
La montagne est celle où
Joab et Abisai cessèrent de poursuivre Abner lorsque celui ci entra en
pourparlers avec eux. Son nom est Amma et elle est située au nord de
Jérusalem. De l'endroit où était Jésus, la vue s'étendait au levant et
au nord : je crois qu'il s'appelait Giah ; je vis le désert de Gabaon
qui commençait au bas de la hauteur et allait rejoindre le désert d'Ephron.
Il était long d'environ trois lieues. Jésus arriva ici le soir et entra
dans une maison, désirant prendre un peu de nourriture. On lui lava les
pieds, on lui donna à boire et on lui offrit des petits pains. il vint
bientôt près de lui plusieurs personnes qui, voyant qu'il venait de la
Galilée, lui firent des questions sur ce docteur de Nazareth dont on
parlait tant et dont Jean Baptiste disait tant de choses : ils lui
demandèrent aussi si le baptême de Jean était bon. Jésus leur fit ses
instructions accoutumées, et les exhorta au baptême et à la pénitence :
il parla du prophète de Nazareth et du Messie, dit qu'il paraîtrait au
milieu d'eux et qu'ils ne le reconnaîtraient pas, que même ils le
persécuteraient et le maltraiteraient : qu'ils devaient bien faire
attention à tout que les temps étaient accomplis ; qu'il ne paraîtrait
pas dans une pompe triomphale mais qu'il serait pauvre et marcherait
entouré d'hommes simples, etc. : ces gens ne le reconnurent pas, mais
ils l'accueillirent bien et lui témoignèrent beaucoup de respect.
C'étaient des aspirants au baptême qui, passant par ici, avaient parlé
de Jésus. Ils lui firent la conduite sur la route après qu'il se fut
reposé environ deux heures.
Jésus arriva à Bethanie
dans la nuit. Lazare avait été quelques jours auparavant dans sa
propriété de Jérusalem située sur le penchant du Calvaire, près du côté
occidental de la montagne de Sion, mais il était de retour à Bethanie :
car il avait su par des disciples que Jésus allait arriver, Le château
de Bethanie était la propriété personnelle de Marthe. Mais Lazare y
résidait volontiers et ils faisaient ménage ensemble. I
Ils attendaient Jésus et un repas était préparé. Marthe habitait un
bâtiment situé sur l'un des côtés de la cour. Il y avait des hôtes dans
la maison. Chez Marthe se trouvaient Séraphia (Véronique), Marie, mère
de Marc et une femme âgée de Jérusalem. Elle avait quitté le temple
lorsque Marie y était entrée : elle y serait restée volontiers, mais
elle s'était mariée par suite d'une indication d'en haut. Chez Lazare se
trouvaient Nicodème, Jean Marc, un des fils de Siméon, et un vieillard,
nommé Obed, frère ou neveu de la prophétesse Anne. Tous étaient
secrètement amis de Jésus, qu'ils connaissaient soit par Jean Baptiste,
soit par des relations avec sa famille, soit par les prophéties de
Siméon et d'Anne dans le temple.
Nicodème était un homme
réfléchi, observateur, très curieux, et qui fondait des espérances sur
Jésus. Tous avaient reçu le baptême de Jean. Ils étaient venus
secrètement sur l'invitation de Lazare. Nicodème par la suite servit
Jésus et son oeuvre, mais toujours en secret.
Lazare avait envoyé des
serviteurs sur la roule au devant de Jésus. Il fut joint à une demi
lieue environ de Bethanie par un vieux et fidèle domestique, devenu plus
tard disciple, qui se prosterna à ses pieds et lui dit : "Je suis le
serviteur de Lazare ; si je trouve grâce devant vous, mon Seigneur,
suivez moi jusque chez lui. Jésus lui dit de se relever et le suivit. Il
se montra très amical pour cet homme, sans toutefois rien faire qui ne
fût conforme à sa dignité. Cela même avait un charme irrésistible. On
aimait l'homme et on sentait le Dieu. Le serviteur le conduisit dans un
vestibule à l'entrée du château, près " d'une fontaine " . Tout était
préparé pour le recevoir. On lui lava les pieds et on lui mit d'autres
sandales. Jésus, en arrivant, avait une paire de sandales épaisses,
rembourrées et doublées de vert. Il les laissa ici et mit une paire de
fortes chaussures avec des courroies de cuir, qu'il continua à porter.
Le serviteur mit ensuite ses habits à l'air et les épousseta. Quand il
se fut lavé les pieds, Lazare vint avec ses amis, lui apportant à boire
et quelques aliments. Jésus embrassa Lazare et salua les autres en leur
donnant la main. Tous lé servirent avec empressement et l'accompagnèrent
à la maison : mais Lazare le mena d'abord à l'habitation de Marthe. Les
femmes qui étaient là se prosternèrent, couvertes de leurs voiles :
Jésus les releva et dit à Marthe que sa mère viendrait ici pour l'y
attendre à son retour du baptême.
Ils se rendirent ensuite à
la maison de Lazare, où ils prirent un repas. il y avait un agneau rôti
et des colombes, en outre du miel, des petits pains, des fruits et des
légumes verts. Ils étaient placés à table sur des bancs à dossier,
toujours deux par deux : les femmes mangeaient dans une salle
antérieure. Jésus pria avant le repas et bénit tous les mets il était
très sérieux, et même triste. Il leur dit pendant le repas que des temps
difficiles approchaient, qu'il allait entrer dans une voie laborieuse
dont le terme serait douloureux. Il les exhorta à la persévérance,
puisqu'ils étaient ses amis ; car ils devaient avoir beaucoup de
souffrances à partager avec lui. Il parla d'une façon si touchante
qu'ils en furent émus jusqu'aux larmes, mais ils ne le comprirent pas
parfaitement, ils ne savaient pas qu'il était Dieu.
Ici la narratrice
interrompit son récit et dit : " Je suis toujours surprise de ce manque
d'intelligence, moi qui ai une conviction si profonde touchant la
divinité de Jésus et sa mission. Je ne puis m'empêcher de me dire :
Pourquoi donc ce que je vois si clairement devant mes yeux n'a t il pas
été montré à ces hommes ? J'ai vu Dieu créer l'homme, tirer de lui
l'élément féminin, en faire la femme et la lui donner pour compagne,
puis l'un et l'autre tomber : j'ai vu la promesse du Messie, et la
dispersion de l'humanité engendrée dans le péché, les directions
merveilleuses et les sacrements destinés par Dieu à préparer la venue de
la sainte Vierge sur la terre. J'ai vu la bénédiction, de laquelle le
Verbe a pris chair, suivre son cours, comme une voie lumineuse, à
travers toutes les générations des ancêtres de Marie : j'ai vu enfin le
message porté par l'ange à Marie et le rayon de la divinité qui pénétra
en elle quand elle conçut le Sauveur. Et après tout cela, combien il
doit être surprenant pour moi, indigne et misérable pécheresse, de voir
en présence de Jésus, ces saints personnages, ses contemporains, ses
amis, qui l'aiment et qui le vénèrent, croire pourtant tous que son
royaume doit être un royaume de la terre, le regarder comme le Messie
promis, mais non toutefois comme Dieu lui même ! Il était encore pour
eux le fils de Joseph et de Marie : aucun d'eux ne soupçonnait que Marie
était vierge, car ils n'avaient pas même l'idée d'une conception
surnaturelle et immaculée. Ils ne savaient même rien du mystère de
l'arche d'alliance. C'était déjà beaucoup et le signe d'une grâce de
choix qu'ils l'aimassent et le reconnussent. Les Pharisiens qui savaient
que Siméon et Anne avaient prophétisé lors de sa présentation, qui
avaient entendu le merveilleux enseignement qu'il avait donne dans le
temple étant encore enfant, étaient tout à fait endurcis. Ils s'étaient
enquis alors de la famille de l'enfant, plus tard de celle du docteur ;
mais cette famille était à leurs yeux trop humble, trop pauvre, trop
méprisable : ils voulaient un Messie glorieux. Lazare, Nicodème et
beaucoup de ses adhérents croyaient toujours, sans en rien dire, que sa
mission était de prendre possession de Jérusalem avec ses disciples, de
les délivrer du joug des Romains et de rétablir le royaume de Juda.
Il en était alors comme
aujourd'hui, où chacun croirait voir un Sauveur dans celui qui
procurerait à sa patrie l'ancien gouvernement de prédilection et
l'antique liberté. Alors aussi ils ne savaient pas que le royaume où
nous pouvons trouver la fin de nos maux n'est pas de ce monde, qui est
un lieu de pénitence. Ils se réjouissaient par moments à la pensée que
c'en serait bientôt fait de. la grandeur et de la puissance de tel ou
tel oppresseur. Mais ils n'osaient pas parler de cela à Jésus : car ils
restaient tous confus et intimidés, parce qu'ils sentaient bien que dans
aucune de ses allures, dans aucune de ses paroles, il n'y avait rien qui
répondit à leur attente.
Après le repas ils se
rendirent dans un oratoire, et ; Jésus fit une prière où il rendit
grâces de ce que son temps était venu et de ce que sa mission
commençait. Cette prière fut très touchante, et tous versèrent des
larmes. Les femmes étaient présentes, mais se tenaient en arrière. Ils
firent encore ensemble des prières d'une application générale. Jésus les
bénit, et Lazare le conduisit au lieu où il devait prendre son repos
C'était une grande pièce où tous les hommes couchaient et avaient des
compartiments séparés : tout y était mieux disposé que dans les maisons
ordinaires. Le lit n'était pas roulé comme il l'était ailleurs. Il avait
plus de hauteur que les lits habituels qui étaient par terre : il était
fixe, et il y avait au devant une balustrade avec un grillage, laquelle
était décorée avec des couvertures et des franges. Au mur auquel le lit
s'appuyait était suspendue une belle natte roulée qu'on pouvait relever
ou abaisser devant le lit, sur lequel elle formait comme un toit oblique
quand on cachait la couche vide. Près du lit était une petite table
servant d'escabeau, et il y avait dans le creux du mur un bassin avec un
grand vase plein d'eau et un autre vase plus petit pour puiser et
verser. une lampe était fixée en avant du mur, et un linge à essuyer y
était suspendu. Lazare alluma la lampe, se prosterna devant Jésus qui le
bénit encore, et ils se séparèrent.
Je ne vis pas cette soeur
de Lazare qu'on appelait Marie la Silencieuse : elle ne se montrait pas
en public et ne prononçait jamais une parole devant personne ; mais
quand elle était seule dans sa chambre ou dans son jardin, elle parlait
tout haut, s'adressant la parole à elle même et à tous les objets qui
l'entouraient. Il semblait que toutes ces choses fussent vivantes : ce
n'était qu'aux hommes qu'elle ne parlait pas. En présence d'autres
personnes, elle ne faisait pas un mouvement, tenait les yeux baissés et
restait comme une statue. Elle faisait pourtant une inclination de tête
pour saluer, et sa tenue était parfaitement convenable, seulement elle
était muette. Quand elle était seule, elle se livrait à diverses
occupations, travaillait à ses vêtements, et faisait tout cela comme une
autre. Elle était très pieuse, toutefois elle ne paraissait jamais à la
synagogue, mais faisait ses prières dans sa chambre. Je crois qu'elle
avait des visions et qu'elle conversait avec des esprits qui lui
apparaissaient. Elle avait une affection indicible pour ses frères et
soeurs, particulièrement pour Madeleine. Elle était ainsi depuis sa
première jeunesse. Elle avait des femmes qui prenaient soin d'elle, mais
elle était très propre, et il n'y avait rien en elle qui sentit la
folie.
Jusqu'à présent on n'a pas parlé de Madeleine devant Jésus : elle menait
à Magdalum la vie la plus magnifique.
La nuit où Jésus arriva chez Lazare, je vis la sainte Vierge, Jeanne
Chusa, Marie de Cléophas, la veuve Léa et Marie Salomé dans une
hôtellerie entre le désert de Gabaa et le désert d'Ephraim, à environ
cinq lieues de Bethanie. Elles dormirent dans un hangar, fermé de tous
les côtés par de légères cloisons. Il était divisé en deux pièces :
celle de devant était divisée en deux rangées de compartiments avec des
couches où les saintes femmes s'étaient installées ; celle de derrière
servait de cuisine. Devant la maison était une cabane ouverte, dans
laquelle était un feu allumé : je crois que les hommes qui les
accompagnaient dormaient ou veillaient là À l'habitation du maître de
l'hôtellerie était dans le voisinage. Elles seront à Bethanie demain 27
vers midi. A l'occasion de Marie de Cléophas, je vis de nouveau qu'elle
était fille de la soeur aînée de la sainte Vierge et de Cléophas, un
neveu de saint Joseph. J'ai oublié le reste : ce Cléophas, outre cette
fille, en avait eu encore une autre qui s'était mariée, etc. Ce n'est
point le disciple d'Emmaus.
(27 septembre) Je vis Jésus
dans la maison de Lazare avec celui ci et les amis de Jérusalem. Il
n'entra pas à Bethanie, mais il se promena dans les cours et les jardins
du château. il parlait et enseignait, tout en marchant, d'une façon très
grave et très touchante. Quelque affectueux qu'il fût, il restait
toujours plein de dignité, et ne proférait pas une parole inutile. Tous
l'aimaient et le suivaient, et cependant tous se sentaient intimidés.
C'était Lazare qui en usait le plus familièrement avec lui : les autres
étaient plus dominés par l'admiration, et se tenaient davantage sur la
réserve.
Jésus, accompagne de
Lazare, alla visiter les femmes, et Marthe le conduisit à sa soeur Marie
la Silencieuse, avec laquelle il voulait s'entretenir. Ils allèrent par
une porte pratiquée dans le mur de la grande cour dans une autre cour
plantée, plus petite et pourtant spacieuse, à laquelle l'habitation de
Marie était attenante. Jésus resta dans le petit jardin et Marthe alla
chercher sa soeur. Le petit jardin était très agréable ; au milieu
s'élevait un grand dattier : il y avait, en outre, des plantes
aromatiques et des arbustes de toute espèce. Il s'y trouvait aussi une
fontaine avec un rebord, et au milieu de la fontaine un siège en pierre,
où Marie la Silencieuse pouvait arriver en passant sur une planche et
s'asseoir sous un pavillon tendu au dessus de la fontaine. Marthe alla
la trouver et lui dit de venir dans la cour, ou quelqu'un l'attendait.
Elle obéit à l'instant, mit son voile et se rendit, sans dire un mot,
dans la cour, après quoi Marthe se retira. Elle était grande et belle,
âgée d'environ trente ans : le plus souvent elle regardait le ciel, et
si parfois elle tournait les yeux du côté par où venait Jésus, ce
n'était qu'un regard vague et peu arrêté comme si elle eût regardé dans
le lointain. Elle ne disait jamais " je " , mais " toi " , quand elle
parlait d'elle même, comme s'il se fût agi d'une autre personne qu'elle
voyait devant elle et à laquelle elle adressait la parole. Elle ne parla
pas à Jésus et ne se prosterna pas devant lui. Jésus lui parla le
premier et ils marchèrent dans le petit jardin : à proprement parler,
ils ne s'entretenaient pas ensemble. Marie regardait toujours en haut et
parlait des choses du ciel, comme si elle les eût vues. Jésus faisait de
même : il parlait de son Père et avec son Père. Elle ne regardait pas
Jésus : seulement en parlant elle se tournait souvent à moitié vers lui.
L'entretien qu'ils avaient ensemble était plutôt une prière, un cantique
de louange, une méditation sur des mystères, qu'un entretien proprement
dit. Marie ne paraissait pas avoir la conscience de sa vie sur la terre
: son âme était dans un autre monde pendant que son corps demeurait ici
bas.
Je me souviens, entre
autres choses, que, levant les yeux au ciel, elle parla de l'Incarnation
du Christ, comme si elle avait vu cette affaire se traiter dans le sein
de la très sainte Trinité. Je ne puis répéter ses paroles na'ves et
pourtant pleines de gravité. Elle disait, comme si elle eût eu la chose
sous les veux : "Le Père dit au Fils qu'il doit descendre parmi les
hommes et que la Vierge doit le concevoir. Puis elle décrivait la joie
qui se manifestait parmi tous les anges et la mission donnée à Gabriel
de se rendre auprès d'une vierge : elle adressait la parole aux choeurs
des anges qui tous descendaient avec Gabriel, comme un enfant qui
parlerait à une procession passant devant lui, témoignerait sa joie et
louerait le recueillement et la ferveur de ceux qui en font partie. Elle
vit ensuite l'intérieur de la chambre de la sainte Vierge, s'adressa à
elle en exprimant le désir qu'elle accueille le message de l'ange ; elle
vit l'ange venir et lui annoncer le Seigneur, et elle raconta tout cela
en regardant dans le lointain, comme voyant cette scène, et disant tout
haut les pensées qui lui venaient à celle vue. Elle s'exprima d'une
façon tout à fait naïve sur ce que la sainte Vierge avait réfléchi avant
de répondre : "Tu avais fait voeu de rester vierge, dit elle ; mais si
tu avais refusé de devenir mère du Seigneur, comment aurait on fait ?
aurait on pu trouver une autre vierge' Israël, pauvre orphelin ; tu
aurais eu longtemps encore à soupirer ! "Elle se livra alors à la joie
de ce que la Vierge avait donné son consentement, et elle la combla
d'éloges ; de la, elle passa à la naissance de Jésus, parla à l'enfant
auquel elle dit : "il1 mangeras du beurre et du miel "et entremêla ses
discours d'autres passages des Prophètes ; elle parla des prophéties de
Siméon et d'Anne, et continua ainsi, toujours comme si les choses se
passaient sous ses yeux, et adressant la parole à tous, comme si elle
eût été présente à tous ces événements. Elle arriva même jusqu'au moment
présent et dit : "Maintenant, tu entres dans la voie pénible et
douloureuse, etc. " Pendant tout cela, elle était toujours comme si elle
eût été seule, et quoiqu'elle sût que le Seigneur était près d'elle, il
semblait pourtant qu'il ne fût pas plus rapproché que toutes les autres
scènes dont elle parlait. Jésus l'interrompait par des prières et des
actions de grâces à Dieu ; il glorifiait son père et priai t pour les
hommes ; chaque chose venait en son lieu. Tout cet entretien fut
touchant et admirable au delà de toute expression.
Jésus la quitta ; elle
resta calme et immobile comme auparavant et rentra dans son habitation.
Lorsque Jésus fut revenu près de Lazare et de Marthe, il leur parla à
peu près en ces termes : "Elle n'est pas privée de raison, mais son âme
n'est pas dans ce monde : elle ne voit pas ce monde et ce monde ne la
comprend pas : elle est heureuse, elle ne pèche pas. "
Marie la Silencieuse dans
son état de contemplation purement spirituelle ne savait réellement pas
ce qui se faisait pour elle et autour d'elle, et elle était toujours
dans cet état d'absence. Elle n'avait encore parlé devant personne comme
devant Jésus ; devant tous les autres elle se taisait, non par manque
d'ouverture ou par orgueil, mais parce qu'elle ne voyait pas ces
personnes de sa vue intérieure : elle ne les voyait pas en rapport avec
ce qu'elle seule voyait, les choses du ciel et la rédemption. Parfois
des amis de la maison, gens pieux et savants, lui adressaient la parole
; alors elle prononçait bien quelques paroles, mais elles étaient
entièrement inintelligibles pour eux : car ce n'était pas une réponse à
ce qu'ils avaient dit, c'était quelque chose qui se rapportait à cet
ensemble qu'elle voyait, mais qui restait caché aux savants. Aussi était
elle regardée par toute la famille comme imbécile, et elle menait une
vie solitaire, la seule qu'elle pût et dût mener : car son âme
n'habitait pas dans le temps. Elle s'occupait de la culture de son
jardin et de travaux à l'aiguille destinés au temple, que Marthe lui
donnait à faire ; elle était adroite pour ces sortes de choses et elle
les faisait sans sortir de son état continuel de méditation et de
contemplation. Elle priait avec beaucoup de piété et de ferveur et avait
aussi une certaine nature de souffrances à endurer pour les péchés
d'autrui, car souvent son âme était oppressée d'un poids tellement
lourd, qu'il semblait que le monde fût tombé sur elle. Son habitation
était commode : il y avait des lits de repos et des meubles de toute
espèce ; elle mangeait peu et toujours seule. Lorsque son frère et ses
soeurs se furent mis à la suite de Jésus, elle mourut de douleur à la
vue de ses immenses souffrances qui lui furent montrées en vision.
Marthe parla aussi à Jésus de Madeleine et du grand chagrin qu'elle lui
causait ; Jésus la consola et lui dit qu'elle reviendrait certainement,
que seulement ils ne devaient pas se lasser de prier pour elle et de
l'encourager.
Vers une heure et demie, la
sainte Vierge arriva avec Jeanne Chusa, Léa, Marie Salomé et Marie de
Cléophas. L'homme qui allait en avant annonça leur arrivée ; alors
Marthe, Séraphia, Marie, mère de Marc et Suzanne allèrent avec tout ce
qui était nécessaire les recevoir dans la salle située à l'entrée du
château, où Jésus avait reçu la veille par Lazare. Elles se souhaitèrent
la bienvenue et on lava les pieds aux arrivantes ; les saintes femmes
mirent aussi d'autres habits et d'autres voiles. Elles étaient toutes
vêtues de laine sans teinture, blanche, jaunâtre ou brune. Elles prirent
une petite réfection et se rendirent a l'habitation de Marthe. Jésus et
les hommes vinrent les saluer ; Jésus alla à l'écart avec la sainte
Vierge et s'entretint avec elle. Il lui dit d'un ton très affectueux et
très grave que sa carrière publique allait commencer, qu'il se rendait
au baptême de Jean d'où il reviendrait la visiter ; qu'il passerait
encore quelque temps avec elle dans la contrée de Samarie, mais
qu'ensuite il irait dans le désert et y resterait quarante jours.
Lorsque Marie l'entendit parler du désert, elle fut très attristée et le
pria instamment de ne pas aller dans cet affreux séjour pour y mourir
d'inanition. Jésus lui répondit que dorénavant elle ne devait pas
essayer de l'arrêter par des inquiétudes tout humaines ; qu'il ferait ce
qu'il avait à faire,' qu'il entrait dans une voie laborieuse ; que ceux
qui étaient avec lui devaient partager ses souffrances ; que pour lui il
allait maintenant où sa mission l'appelait et qu'elle devait faire le
sacrifice de tous ses sentiments personnels ; qu'il l'aimerait comme
auparavant, mais qu'il appartenait maintenant à tous les hommes ;
qu'elle devait faire ce qu'il lui dirait et que son père céleste la
récompenserait : car il fallait maintenant que la prédiction que Siméon
lui avait faite reçût son accomplissement et qu'un glaive traversât son
âme, etc. La sainte Vierge était très sérieuse et très attristée, mais
elle était en même temps pleine de force et de résignation à la volonté
de Dieu, car son fils était très saint et très affectueux.
Le soir il y eut encore un
grand repas dans la maison de Lazare ; Simon le pharisien et quelques
autres pharisiens avaient été invités. Les femmes mangèrent dans une
pièce attenante, séparées seulement par un grillage, en sorte qu'elles
pouvaient entendre l'enseignement de Jésus.
Jésus parla de la foi, de
l'espérance, de la charité et de l'obéissance ; ceux qui voulaient le
suivre, disait il, ne devaient pas regarder derrière eux, mais faire ce
qu'il enseignait, et supporter les souffrances qui viendraient les
assaillir : quant à lui il ne les abandonnera pas. Il de nouveau de la
voie pénible dans laquelle il entrait, dit comment il serait maltraité
et persécuté et combien tous ses amis souffriraient avec lui. Tous
l'écoutèrent avec surprise et émotion : mais. ils ne comprirent pas ce
qu'il disait des grandes souffrances à endurer ; leur foi manquait de
simplicité ; ils s'imaginaient que c'était une façon de parler
prophétique qu'il ne fallait pas prendre à la lettre. Ses discours ne
choquèrent pas les pharisiens quoiqu'ils fussent plus prévenus que les
autres, mais cette fois il ne parla qu'avec une certaine réserve.
Après le repas, Jésus prit
un peu de repos ; puis il partit seul avec Lazare, dans la direction de
Jéricho, pour aller au baptême. Au commencement, un serviteur de Lazare
les accompagna avec une lanterne, car il faisait nuit. Après avoir
marché environ une demi heure, ils arrivèrent à une hôtellerie qui
appartenait à Lazare et où les disciples s'arrêtèrent souvent dans la
suite. Il ne faut pas la confondre avec une autre dont j'ai fait mention
plus d'une fois, parce qu'elle fut mise aussi au service des disciples,
mais qui est plus éloignée et dans une autre direction. Quant à la salle
où Jésus d'abord et ensuite Marie furent reçus par Lazare, c'était celle
où Jésus s'arrêta et enseigna avant la résurrection de Lazare, lorsque
Madeleine alla à sa rencontre (25). Lorsqu'ils furent
arrivés à l'hôtellerie, Jésus ôta ses sandales et marcha pieds nus
Lazare, saisi de compassion parce que le chemin était difficile et
rocailleux, le pria de n'en rien faire ; mais Jésus lui répondit d'un
ton très grave : "Ne t'en inquiète pas ; je sais ce que j'ai à faire.
"Et ils s'avancèrent ainsi dans la solitude. Je ne pouvais m'empêcher de
pleurer de la pitié que me faisait Notre Seigneur. Le de sert, avec ses
gorges étroites au milieu des rochers, s étend à cinq lieues dans la
direction de Jéricho ; puis vient la fertile vallée de Jéricho, longue
de deux lieues, où il y a pourtant aussi par intervalles des parties
incultes. De là il y a encore deux lieues jusqu'à l'endroit où Jean
baptise. Jésus allait beaucoup plus vite que Lazare. et il était souvent
une lieue en avant.
Je vis une troupe de gens
qu'il avait envoyés de la Galilée au baptême et parmi lesquels il y
avait des publicains, revenir du baptême et se rendre à Béthanie en
suivant pendant quelque temps, dans le désert, une direction parallèle à
la sienne. Je ne vis Jésus s'arrêter nulle part. il laissa Jéricho à
gauche. il y avait encore deux autres endroits, peu éloignés du chemin
qu'il suivait, mais il passa outre. Je ne me souviens pas bien de leurs
noms.
Les amis de Lazare,
Nicodème, le fils de Siméon, Jean Marc, ne s'étaient guère entretenus
avec Jésus pendant la journée d'hier, mais ils ne cessaient de parler
entre eux de l'admiration que leur inspirait toute sa personne, sa
sagesse, les qualités qui le distribuaient comme homme et même son
extérieur ; quand il n'était pas là ou qu'ils marchaient derrière lui,
ils se disaient les uns aux autres : " Quel homme ! on n'en n'a jamais
vu, on n'en verra jamais de semblable ; quelle gravité, quelle douceur,
quelle sagesse, quelle pénétration, quelle simplicité ! Je ne comprends
pas entièrement ce qu'il dit, et je ne puis pourtant m'empêcher de le
croire parce qu'il le dit. On ne peut pas le regarder en face, il semble
qu'il lit dans la pensée de chacun. Quelle taille ! quel port majestueux
! quelle promptitude sans qu'il y ait pourtant rien de précipité ! Quel
homme a des allures comme les siennes ? avec quelle vitesse il chemine !
il arrive sans être fatigué et repart à son heure ! Quel homme il est
devenu ! "Puis ils parlaient de son enfance, de son enseignement dans le
temple, etc. Ils répétaient aussi ce qu'ils avaient entendu dire des
dangers qu'il avait courus sur la mer Morte, lors de son premier voyage,
et de la manière dont il avait secouru les mariniers. Mais aucun d'eux
ne soupçonnait que celui dont ils parlaient était le fils de Dieu ; ils
le trouvaient supérieur à tous les autres hommes, ils l'honoraient et il
leur inspirait une crainte respectueuse, mais il n'était à leurs yeux
qu'un homme merveilleux. Obed, de Jérusalem, était un homme âge, neveu
de la prophétesse Anne ; il était un de ceux qu'on appelait les anciens
du temple et membre du grand conseil ; c'était un homme pieux, disciple
caché de Jésus et tant qu'il vécut il aida la communauté.
J'ai vu beaucoup de choses
touchant Suzanne ; voici ce que j'en ai retenu : elle a été élevée par
Marie dans le temple, elle est riche et alliée par le sang à la sainte
Famille : car elle est fille naturelle d'un frère aîné de saint Joseph
et d'une mère issue égale. ment d'un commerce illégitime. un prince
persan, dont la famille était restée établie à Jérusalem depuis la
dernière conquête de la Judée, avait eu la mère de Suzanne d'une juive
qui n'était pas sa femme, et il avait laissé à la mère et à l'enfant de
grands biens qu'il possédait à Jérusalem. Je vis en vision comment la
mère de Suzanne avait fait connaissance à un bal avec un frère aîné de
saint Joseph, appelé Cléophas. C'était là qu'avait commencé cette
malheureuse liaison qui avait eu pour suite la naissance de Suzanne. Le
frère de Joseph était riche et vivait dans l'oisiveté. Je crois qu'il
était déjà marié. Mais on ne doit pas dire ces choses, car elles sont
restées assez secrètes. Suzanne fut élevée au temple et mariée plus tard
à un homme nommé Matthias, qui était parent de l'apôtre du même nom et
qui avait un emploi public. Suzanne avait une grande maison à l'ouest de
la montagne de Sion, à peu de distance de celle de Lazare. Entre autre.
visions qui la concernaient, j'ai vu la fête qui fut l'occasion de la
chute de sa mère. à l'exception de la danse d'Hérodiade, c'était, autant
qu'il m'en souvient, la première danse que j'eusse vue chez les Juifs.
On célébrait le jour de la fête d'un homme considérable. Je vis une
grande salle et aux deux côtés des personnes de distinction sur des
sièges élevés ; au milieu de la salle dansaient environ vingt femmes et
vingt hommes qui étaient en face les uns des autres. Il y avait toujours
deux hommes et deux femmes qui dansaient en se croisant. Au dessus des
danseurs plusieurs flambeaux étaient suspendus au plafond, et ces
flambeaux étaient placés de minière à indiquer les figures qu'on devait
faire. Les femmes qui dansaient étaient vêtues convenablement et leurs
robes avaient de longues queues ; cependant ces habits laissaient trop
voir la forme du corps. La danse n'était pas vive et sautillante, et les
danseurs ne se touchaient pas : on allait seulement en avant et en
arrière et on passait les uns devant les autres ; il y avait une grande
variété d'attitudes et de mouvements. On avait beaucoup d'occasions de
se regarder et de se considérer, ce qui devait donner naissance à de
mauvaises pensées. Les musiciens étaient sur une extrade à côté des
danseurs ; il y avait, je crois, de chaque côté, trois hommes ou jeunes
garçons avec des flûtes. Je me souviens de deux instruments : d'une
grande caisse triangulaire, avec des cordes tendues aux trois côtés et
d'un singulier instrument à vent, fait d'un gros roseau creux dans
lequel on soufflait et auquel étaient ajustés plusieurs cornets de
différente grandeur, que l'on attachait ou que l'on détachait suivant
les circonstances ; ils étaient placés les uns sous les autres et
tournaient autour de la tige principale On démontait l'instrument quand
on l'apportait ou qu'on le remportait.
Le matin les amis de
Jérusalem revinrent à la ville ainsi que Suzanne, Marie, mère de Marc,
et Véronique. Marie et les saintes femmes restées avec elle
travailleront ensemble. Marie était très attristée de ce que Jésus lui
avait dit. Elle raconta beaucoup de choses sur là sagesse et la vertu
merveilleuse de son fils quand il était enfant. Elles visitèrent aussi
des malades à Béthanie, les consolèrent et les assistèrent. Elles
doivent aller ensemble à Jérusalem.
È
(De la fin de mai au 26
septembre 1821.)
(24 juin 1820.) Je vis Jean
qui grandissait ; il habitait très avant dans le désert, et il se
mortifiait de toutes les manières. Il dormait en plein air sur le rocher
nu, il courait de toutes ses forces sur des pierres ou à travers les
chardons et les ronces ; il se flagellait avec des épines ; il
travaillait jusqu'à l'épuisement à façonner des arbres et des pierres,
et restait de longues heures en prière et en contemplation. Je vis
souvent des figures lumineuses près de lui dans la solitude ; à l'âge de
dix sept ans environ. je le vis visiter secrètement et sans être vu la
maison de ses parents. Zacharie était mort, mais Élisabeth vivait
encore. Après cette visite, il s'enfonça beaucoup plus avant dans le
désert qu'il ne l'avait fait jusqu'alors : il s'avançait toujours dans
la direction du nord est et se rapprochait de la contrée où je vois dans
mes visions la merveilleuse montagne des prophètes et les eaux qui en
découlent sur la terre. Il alla dans une contrée où longtemps après je
vis saint Jean l'Évangéliste se reposer et écrire sous de grands arbres.
Il y avait là des arbres très élevés, et au dessous de ceux ci des
arbrisseaux avec des baies dont il mangeait. Je le vis aussi manger
d'une herbe qui a cinq feuilles rondes comme celles du trèfle et une
fleur blanche. Il y avait des herbes semblables, quoique plus petites,
près de chez nous, sous des haies (c'est la plante appelée pied de
lièvre, OXALIS) : les feuilles avaient un goût acide. J'en mangeais
souvent étant enfant quand je gardais mon troupeau, parce que dès ce
temps, j'avais vu Jean en manger. Je le vis aussi retirer du creux des
arbres et de dessous la mousse qui couvrait la terre quelque chose de
brun qu'il mangeait et qui me semblait être du miel sauvage : on en
trouvait là fréquemment. Je le vis, lorsqu'il fut devenu plus grand,
porter autour des reins la peau de mouton qu'il avait apportée avec lui
: il n'eut pas d'autre vêtement jusqu'à ce qu'il se fût tressé lui même
une couverture brune à longs poils, qu'il portait attachée sur ses
épaules. Il y avait dans cette solitude des animaux avec une toison
laineuse qui l'approchaient familièrement ; et aussi des chameaux qui se
laissaient arracher par lui les longs poils qu'ils avaient autour du
cou. Je le vis en faire des tresses avec lesquelles il confectionna une
couverture qu'il avait encore sur lui lorsqu'il parut de nouveau au
milieu des hommes pour baptiser. Je le vis dans ce désert s'imposer des
pénitences et des mortifications de plus en plus rudes et s'adonner à la
prière avec une assiduité et une ferveur toujours croissantes.
Jean, dans tout le cours de
sa vie, n'a vu le Sauveur que trois fois. La première fois, ce fut dans
le désert quand la sainte Famille passa dans son voisinage lors de la
fuite en l'Egypte. Je vis à plusieurs reprises, le spectacle
incroyablement touchant de Jean conduit par l'esprit et accourant pour
saluer son maître qu'il avait déjà salué dans le sein de sa mère. (26)
Il portait sa peau de mouton jetée sur l'épaule et rattachée autour du
corps. Il sentit que son Sauveur était près de lui et souffrait de la
soif. Alors l'enfant pria et de son petit bâton il frappa la terre d'où
jaillit une source abondante. Jean courut en avant dans la direction que
l'eau allait prendre. il s'arrêta pour voir passer Jésus avec Marie et
Joseph, puis il sauta joyeusement et fit un signe avec son petit
drapeau.
La seconde fois qu'il vit
Jésus fut lors de son baptême, la troisième fois, lorsqu'il le vit
passer le long du Jourdain et rendit témoignage de lui. J'entendis une
fois le Sauveur parler à ses apôtres du grand empire que Jean avait sur
lui même : il dit que, même du baptême, il s'était borné à la contempler
pendant la cérémonie, quoique son coeur fut prêt à se briser a force
d'amour. Plus tard il avait mieux aimé se retirer humblement d'auprès de
lui que de céder à son amour et de chercher à se rapprocher de lui.
Jean voyait toujours le
Seigneur en esprit, car il était constamment dans l'état prophétique. Il
voyait Jésus comme l'accomplissement de sa mission, comme la raison
d'être de sa vocation prophétique.
Jésus n'était pas pour lui
un contemporain, un homme vivant de la même vie ; c'était le Rédempteur
du monde, le Fils de Dieu fait homme, l'Eternel se manifestant dans le
temps C'est pourquoi la pensée de chercher à frayer avec lui ne pouvait
pas entrer dans son esprit. En outre, Jean ne se sentait pas lui même
vivant dans le temps et dans le monde, ni mêlé aux choses de la terre,
comme les autres hommes. Dès le sein de sa mère, il s'était trouvé en
contact avec les choses éternelles et le Saint Esprit avait établi entre
son Rédempteur et lui des rapports qui existaient hors du temps. Encore
enfant, il avait été enlevé au monde, et son éducation, livrée à des
influences d'un ordre supérieur, s'était faite au sein de la nature
toute imprégnée de Dieu. il vécut séparé des hommes, au fond des
solitudes les plus reculées, ne sachant rien, si ce n'est son
Rédempteur, jusqu'à ce qu'il sortit du désert, comme ayant reçu une
nouvelle naissance et commençât sa carrière publique, toujours austère,
enthousiaste, ardent, ne craignant rien et ne s'inquiétant de rien. La
Judée est maintenant pour lui le désert ; dans la solitude, il frayait
avec les sources, les rochers, les arbres et les bêtes sauvages, vivait
et conversait avec eux ; c'est de même qu'il parle et qu'il agit
maintenant parmi les hommes et les pécheurs, sans penser à lui même. Il
ne voit, ne connaît que Jésus ; il ne parle que de lui. Ses discours se
bornent à dire : " il vient préparer les voies : faites pénitence,
recevez le baptême. Voici l'agneau de Dieu qui porte les péchés du monde
! "Dans le désert, il était pur et innocent comme un enfant dans le
ventre de sa mère, il est sorti du désert pur et candide comme un enfant
suspendu au sein de sa mère. J'entendis le Seigneur dire aux apôtres :
"Il est pur comme un ange, rien d'impur n'est entré dans sa bouche, pas
plus qu'un péché ou un mensonge n'est sorti de sa bouche. "
(Mai 1821) Je vis que Jean
eut une révélation sur le baptême, et que par suite de cette révélation,
un peu avant de sortir du désert, il construisit une fontaine à peu de
distance des lieux habités.
Avant que Jean eut commencé
à creuser cette fontaine, je le vis devant sa grotte, au côté occidental
d'un rocher escarpé. à sa gauche était un ruisseau, peut être une des
sources du Jourdain, qui prend naissance dans une grotte au pied du
Liban, entre deux montagnes ; on voit ce ruisseau quand on est tout
auprès ; à sa droite était une place unie, ayant le désert de tous les
côtés : c'était là que devait être la fontaine. Jean avait un genou en
terre : sur l'autre, il tenait un long rouleau d'écorce, sur lequel il
écrivait avec un roseau. un soleil ardent brillait sur sa tête. Il
regardait le Liban, qui était au couchant par rapport à lui. Pendant
qu'il écrivait ainsi, il fut comme frappé d'immobilité : je le vis tout
absorbé et comme ravi en extase. Je vis debout devant lui un homme qui,
pendant son extase, écrivait et dessinait beaucoup de choses sur le
rouleau. Lorsque Jean revint à lui, il lut ce qui était sur le rouleau
et commença à travailler à la fontaine avec beaucoup d'ardeur. Pendant
qu'il travaillait, le rouleau était par terre, maintenu avec deux
pierres qui le tenaient étendu, et il y regardait souvent, car tout ce
qu'il avait à faire semblait y être indiqué.
A l'occasion de la fontaine
et de sa situation, je vis ce qui suit de la vie du prophète Elle. Le
prophète s'était assis tout chagrin, à cause d'une faute commise dans le
désert, et il s'endormit. Alors il vit en songe un enfant qui le
poussait avec un petit bâton, et près de lui une fontaine dans laquelle
il craignait de tomber ; car je le vis, à la suite du coup, rouler à
quelque distance. Je vis ensuite un ange le réveiller et lui donner à
boire. Cela se passa au lieu même où maintenant Jean creusait la
fontaine.
Je connus la signification
des diverses couches de terre à travers lesquelles Jean creusait la
fontaine et de tous les travaux qu'il fit pour l'achever. Tout se
rapportait à la dureté et à d'autres mauvaises qualités du coeur qu'il
devait vaincre chez les hommes, afin que la grâce du Seigneur pût agir
sur eux. Je fus informée alors que ce travail qu'il faisait, ainsi que
toute sa vie et toutes ses actions, était un symbole et une figure ; en
tout cela, non seulement il était instruit par l'Esprit Saint de ce
qu'il avait à faire, mais encore il faisait réellement ce que
signifiaient ces travaux, parce que Dieu exauçait la bonne intention
qu'il y joignait. C'était le Saint Esprit qui le poussait à tout cela,
comme les prophètes.
Il enleva le gazon
circulairement et creusa avec beaucoup de soin et d'adresse dans le sol
dur et marneux un bassin spacieux, de forme ronde, qu'il garnit de
différentes pierres, excepté au milieu, à l'endroit le plus profond, où
il avait creusé jusqu'à une petite veine d'eau. De la terre qu'il avait
rejetée il fit autour du bassin un rebord où il y avait cinq coupures.
En face de quatre de ces brèches il planta, à égale distance autour du
bassin, quatre tiges minces, dont le haut était couvert de feuilles
vertes. Elles étaient de quatre espèces différentes et chacune
signifiait quelque chose. Au milieu du bassin, il planta un arbre d'une
espèce particulière avec des feuilles effilées et dés bouquets de fleurs
en forme pyramidale avec un fruit à pointe épineuse déjà noué. Cet
arbre, un peu flétri, avait été longtemps devant sa grotte.
Les quatre tiges qui
étaient alentour me semblaient être celles d'arbustes élancés qui
portaient des baies. Il en entoura le pied de terre un peu exhaussée.
Lorsqu'en creusant le bassin il fut arrivé à l'eau, à l'endroit où
ensuite l'arbre du milieu fut planté, il creusa une rigole allant du
ruisseau qui était près de sa grotte jusqu'au bassin ; après quoi je le
vis cueillir des roseaux dans le désert, les ajuster les uns au bout des
autres, conduire ainsi l'eau du ruisseau dans le bassin et recouvrir de
terre ce conduit qui pouvait être fermé.
Il avait pratiqué un
sentier à travers les broussailles jusqu'à la brèche qui se trouvait en
face, dans le rebord du bassin. Ce sentier faisait le tour du bassin
entre le rebord et les quatre arbres qu'il avait plantés en face des
quatre coupures du rebord. à la coupure qui formait l'entrée, il n'y
avait pas d'arbre, De ce côté seulement la fontaine était dégagée, des
autres côtés elle n'était séparée des broussailles et des rochers que
par le sentier qui en faisait le tour. Il planta sur les petits tertres
de gazon qui étaient au pied des quatre arbres une plante qui ne m'est
pas inconnue (27). Je l'aimais beaucoup quand j'étais
enfant, et lorsque je la trouvais, je la plantais dans le voisinage de
notre maison. Elle a une tige grosse, assez élevée, porte des globules
d'un rouge brun et elle est très efficace contre les abcès et les maux
de gorge, comme je l'ai éprouvé aujourd'hui i. Il plaça encore à
l'entour des plantes de toute espèce et de petits arbustes.
Pendant tous ces travaux,
il regardait de temps en temps sur le rouleau d'écorce étendu devant lui
et prenait ses mesures avec un bâton : car il me semblait que tout y
était indiqué, même les arbres qu'il plantait. Je me souviens d'y avoir
vu figuré l'arbre du milieu ; j'ai eu aussi la signification de tout
cela, mais je l'ai oubliée.
Il travailla ainsi
plusieurs semaines et ce ne fut que quand il eut fini, qu'une petite
veine d'eau commença à sourdre au fond du bassin. L'arbre du milieu,
dont les feuilles étaient flétries et noirâtres, reverdit ; Jean prit
dans un vase fait d'un grand morceau d'écorce d'arbre et enduit de poix
aux côtés, de l'eau d'une autre source qu'il versa dans le bassin. Cette
eau venait d'une source (28) qui avait jailli du
rocher près d'un de ses séjours antérieurs, lorsqu'il avait frappé le
rocher avec son petit bâton. J'ai oublié ce qui avait pu se passer
d'important à cette occasion. J'appris aussi qu'en ce lieu où il avait
séjourné antérieurement, il n'avait pas pu creuser de fontaine, parce
que là il n'y avait que le roc pur ; et cela aussi avait sa
signification. Il fit ensuite arriver du ruisseau dans le bassin autant
d'eau qu'il était nécessaire : quand il y en avait surabondance, elle
coulait par les ouvertures sur le sol environnant et rafraîchissait les
plantes.
Je vis ensuite que Jean
descendit dans l'eau jusqu'à la ceinture, saisit d'une main l'arbre du
milieu et avec son bâton, qu'il avait surmonté d'une croix et d'une
banderole, frappa dans l'eau de manière à la faire rejaillir au dessus
de sa tête. Je vis que dans ce moment il vint sur lui d'en haut une nuée
lumineuse et comme une effusion du Saint Esprit, et que deux anges
parurent au bord du bassin et lui dirent quelque chose. Je vis cela
comme la dernière chose qu'il fit dans le désert.
En juin 1820, entre autres
fragments de la vie de Jean Baptiste, elle raconta la vision suivante :
Je le vis une autre fois près d'une fosse desséchée dans le désert.
C'était alors un homme robuste parvenu à l'âge viril. Il paraissait
prier et il descendit sur lui une clarté, comme une nuée lumineuse, qui
me sembla venir de la hauteur où sont les eaux sur la montagne des
prophètes ; c'était comme un courant d'eau lumineuse et brillante qui
tombait sur lui et de là dans le bassin. Pendant qu'il regardait cette
effusion, je ne je vis plus sur le bord du bassin, mais dans le bassin
même ; il était inondé de l'eau lumineuse, et le bassin en était tout
rempli ; je le vis ensuite de nouveau se tenir sur le bord, comme au
commencement. Je ne je vis pas descendre ni remonter, et je crois que
c'était peut être une vision qu'il eut pour lui faire connaître qu'il
devait commencer à baptiser, ou bien un baptême spirituel qu'il reçut
dans la vision.
J'ai vu la fontaine dont
j'ai parle servir encore après la mort de Jésus. Lorsque les chrétiens
étaient en fuite, on baptisait là des voyageurs et des malades ; on
venait aussi y prier. à cette époque, au temps de Pierre, la fontaine
était entourée d'un mur.
(Juin 1820 et juillet l821)
Bientôt après l'achèvement de la fontaine baptismale, je vis Jean sortir
du désert en montant vers la source du Jourdain et revenir parmi les
hommes.
Il produisait une
impression merveilleuse. Il est de grande taille, amaigri parle jeûne et
les mortifications corporelles, mais fort et nerveux ; il y a en lui une
dignité, une pureté, une simplicité incroyable ; il va toujours droit au
but et son ton est celui du commandement. Il a le teint brun ; son
visage est maigre et tire, grave et austère ; ses cheveux sont frisés et
d'un brun rougeâtre ; sa barbe est courte. Il a au milieu du corps un
drap qui l'enveloppe et qui tombe jusqu'aux genoux. Il porte un manteau
grossier de couleur brune qui parait fait de trois morceaux. il le
couvre entièrement par derrière et il est assujetti par une courroie
autour de la taille. Les bras et la poitrine sont libres et découverts.
La poitrine est toute couverte de poils, qui sont à peu près de la
couleur du manteau. Il porte un bâton recourbé comme une houlette.
Lorsqu'il sortit du désert,
je le vis d'abord établir un petit pont sur un ruisseau. Il ne pensait
pas à aller chercher un passage qui se trouvait un peu plus bas : mais
il travaillait droit devant lui, dans la direction du chemin qu'il avait
à suivre. Il y avait là une ancienne route de grande communication. Je
l'ai vu près de Cydessa enseigner les gens qui étaient autour de lui :
ce furent les premiers pa'ens qui vinrent à son baptême. Ils vivaient là
dans l'abandon et habitaient des cabanes en terre. C'étaient les
descendants de gens de toute espèce qui s'étaient établis là à ;'époque
de t la dernière destruction du temple avant Jésus. J'ai vu quelque
chose touchant un des derniers prophètes, qui leur avait dit qu'ils
devaient demeurer là, jusqu'à la venue d'un homme semblable à Jean, qui
leur dirait ce qu'ils auraient à faire. J'ai aussi vu que dans la suite
ils sont allés à Nazareth.
Jean allait droit aux
hommes, sans que rien le détournât, et il ne parlait que d'une chose :
de la pénitence et de l'approche du Seigneur. Tous s'étonnaient et
devenaient sérieux quand il paraissait. Sa voix était perçante comme une
épée, claire, forte, et cependant agréable. Il traitait tous les hommes,
quels qu'ils fussent. comme des enfants. Partout il allait droit son
chemin : rien ne pouvait le détourner de sa voie, il ne regardait à
rien, il n'avait besoin de rien.
Je le vis ainsi parcourir
les bois et les déserts, creuser ça et là, rouler des pierres, enlever
des arbres, préparer des lieux de repos, rassembler autour de lui les
hommes qui le regardaient avec surprise, et même aller les chercher dans
leurs cabanes pour les faire travailler avec lui. Je vis que tous le
regardaient avec étonnement et admiration, qu'il ne s'arrêtait longtemps
nulle part et allait sans cesse d'un endroit à l'autre. Je le vis suivre
le bord de la mer de Galilée, descendre la vallée du Jourdain au dessous
de Tarichée ; puis, près de Salem, aller vers Bethel par le désert, et
passer devant Jérusalem, ou il n'alla jamais, et qu'il regardait avec
tristesse et en gémissant. Tout entier à sa mission, grave, austère,
simple, inspiré, il criait sans cesse : "Faites pénitence, préparez vous
; le Sauveur vient !" il alla ensuite dans sa patrie par la vallée des
bergers. Son père et sa mère étaient morts : quelques jeunes gens, ses
parents du côté de Zacharie, furent ses premiers disciples. Lorsque Jean
passa par Bethsaide, Capharnaum et Nazareth, la sainte Vierge ne le vit
point : elle sortait peu de chez elle depuis la mort de saint Joseph :
mais des hommes de sa famille entendirent ses exhortations et
l'accompagnèrent quelque temps sur le chemin.
Pendant les trois mois qui
précédèrent le baptême, Jean parcourut API]y fois le pays. annonçant
celui qui devait venir après lui. il y avait dans toutes ses allures une
autorité, incroyable : il s'avançait d'un pas ferme et rapide, mais sans
précipitation. Ce n'était pas une démarche calme, comme celle du
Sauveur. Là où il n'avait rien à faire, je l'ai vu courir d'un champ à
un autre. Il entre dans les maisons, il va enseigner dans les écoles et
rassemble aussi le peuple autour de lui dans les rues et sur les places.
Je vis quelquefois des prêtres et des magistrats l'arrêter et lui
demander des explications, mais bientôt, saisis d'étonnement et
d'admiration, ils le laissaient aller librement.
Je vis que l'expression
"préparer les voies du Seigneur " n'était pas une simple figure, car je
le vis commencer ses fonctions en préparant des chemins, et parcourir
tous les lieux et tous les chemins où passèrent plus tard Jésus et ses
disciples. Il enlevait ça et là des broussailles et des pierres, et
pratiquait des sentiers. Il établissait des passages sur les ruisseaux.
nettoyait leur lit. creusait des réservoirs et des fontaines, préparait
des sièges, des lieux de repos, et faisait des toits de feuillage. Je
l'ai vu faire divers arrangements dans des endroits où, par la suite, le
Seigneur s'est reposé, a enseigné, a agi. En se livrant à ces travaux.
cet homme grave, simple et solitaire, avec son vêtement grossier et son
aspect austère, attirait sur lui l'attention des gens de la campagne :
il excitait l'étonnement dans les cabanes ou il entrait, afin d'y
emprunter les outils nécessaires pour son travail, et où il prenait
aussi des gens pour l'aider. Partout où il allait, on l'entourait
aussitôt, et il exhortait gravement et hardiment à la pénitence,
annonçant que le Messie venait après lui et qu'il lui préparait les
voies. Souvent je le vis montrer du doigt la contrée où Jésus se
trouvait alors.
Cependant je ne les vis
jamais ensemble, quoique souvent il y eût à peine entre eux une heure de
chemin. une fois je le vis à une petite lieue de Jésus tout au plus :
alors il cria aux auditeurs qu'il n'était pas le Sauveur attendu, mais
un pauvre pionnier ; et, montrant un point de l'horizon : "C est là, dit
il, que se trouve le Sauveur. "
(4 juillet l821) Jean
baptisa en divers endroits : d'abord près d'Ainon, dans la contrée de
Salem, puis à On, vis à vis Bethabara, sur la rive occidentale du
Jourdain, à peu de distance de Jéricho : c'est là que dans quelques
semaines il baptisera Jésus. Le troisième endroit était au levant du
Jourdain, deux lieues plus au nord que le premier. Enfin, en dernier
lieu, il baptisa encore à Ainon, et c'est là qu'il fut arrêté.
Le cours d'eau (29)
où Jean baptise est comme un bras du Jourdain qui fait un détour
d'environ une lieue au levant du fleuve. Ce bras est quelquefois si
étroit, qu'on peut le franchir d'un saut ; d'autres fois il est plus
large. Il peut avoir changé de lit en quelques endroits, car alors déjà
je voyais bien des places sans eau. La courbe que fait ce bras du
Jourdain renferme de petits étangs et des fontaines qui en tirent leur
eau. un de ces étangs, séparé du bras par une chaussée, est le lieu où
Jean baptise à Ainon. Il y avait sous la chaussée des conduits par
lesquels on pouvait faire arriver l'eau ou la faire écouler. Jean avait
fait divers arrangements dans cet endroit. On avait creusé dans le
rivage une petite baie dans laquelle s'avançaient des langues de terre.
L'homme qui allait être
baptisé se tenait entre deux d'entre elles, plongé dans l'eau jusqu'à la
ceinture, et s'appuyait sur une barrière qui courait en avant de tous
ces prolongements. Jean se tenait sur l'un d'eux et versait de l'eau
avec une écuelle sur la tête du néophyte ; de l'autre côté était un
homme déjà baptisé qui mettait la main sur la tête de celui ci. Jean
avait lui même imposé les mains au premier. Les néophytes n'avaient pas
le haut du corps entièrement nu : ils étaient enveloppés dans une espèce
de drap blanc, les épaules seules paraissaient. Il y avait aussi là une
cabane ou ils se déshabillaient et se rhabillaient. Je n'ai pas vu
baptiser de femmes ici. Jean, lorsqu'il baptise, met une longue robe
blanche.
Il y a une contrée très
agréable et très abondante en eau, où l'on donne le baptême : elle
s'appelle Salem. Le bourg même de Salem lui même est situé sur les deux
rives d'un bras du fleuve, tandis qu'Ainon, au contraire, est au delà du
Jourdain, plus au nord que Salem, plus prés du fleuve et plus
considérable. Des troupeaux paissent dans les environs : beaucoup d'ânes
broutent dans les prairies verdoyantes au bord des eaux. Il y a eu ici,
près d'Ainon et de Salem, une espèce de terre libre, où il existait une
sorte de privilège traditionnel, à raison duquel on ne pouvait en
chasser personne.
Jean avait sa cabane à
Ainon sur de vieilles substructions, sur lesquelles s'élevait autrefois
un grand édifice. Ce n'étaient plus que des ruines où l'herbe poussait :
on y avait bâti quelques cabanes. C'étaient les fondations d'un château
formé de tentes que Melchisédech avait ici. J'ai vu différentes scènes
qui se sont passées là à une époque plus reculée : la seule chose dont
je me souvienne est Abraham eut ici une vision et érigea deux pierres :
l'une où il s'agenouillait l'autre qui était comme une espèce d'autel.
Je vis ce qui lui avait été montré : c'était une cité de Dieu comme la
Jérusalem céleste, et il en descendit des courants d'eau sous forme de
rayons. Il lui fut aussi ordonné de prier pour l'avènement de la cité de
Dieu. L'eau qui sortait de la ville se répandait de tous les côtés.
Abraham eut cette vision environ cinq ans avant que Melchisédech bâtît
ici son château de tentes.
J'ai aussi vu que
Melchisédech bâtit un château près de Salem. C'était plutôt une grande
tente avec des galeries et des escaliers, comme le château de Mensor en
Arabie : seulement les fondements étaient en pierre et très solides. Je
crois avoir vu encore, à l'époque de Jean, les quatre angles où étaient
plantés les principaux pieux. Il en restait seulement des fondations en
pierre très solidement bâties, lesquelles ressemblaient alors à un
rempart sur lequel l'herbe a poussé et sur lesquelles Jean avait une
petite cabane de roseaux.
Ce château de tentes était
un lieu où logeaient beaucoup d'étrangers et de passants, une sorte
d'hôtellerie gratuite et magnifique au bord de ces belles eaux. Peut
être Melchisédech, que j'ai toujours vu servir de conseiller et de guide
aux peuples et aux races qui allaient d'un lieu à l'autre, avait il bâti
ce château pour y donner l'hospitalité ou pour y enseigner ; mais il y
avait dès lors quelque chose qui se rapportait au baptême.
Cet endroit était pour
Melchisédech comme un point central d'où il se rendait soit à Jérusalem
où il bâtissait, soit auprès d'Abraham, soit ailleurs : il y réunissait
des familles et des individus auxquels il assignait des résidences et
qui s'établissaient dans un endroit ou dans un autre. Ceci se passait
avant l'oblation du pain et du vin qui eut lieu, je crois, dans une
vallée au midi de Jérusalem. il bâtit cet édifice avant de bâtir à
Jérusalem. J'ai vu aussi sur la montagne du Calvaire quelque chose
touchant le baptême d'eau et le baptême de sang : mais je l'ai oublié
ainsi que les diverses significations qui s'y rattachaient.
Melchisédech avait
l'apparence d'un jeune homme d'environ vingt cinq ans. Je le vis à
différentes époques, mais jamais plus vieux. Son extérieur tenait moins
de l'homme que celui de Jésus. Il n'avait jamais la tête couverte : sa
chevelure blonde était passée derrière ses oreilles. Je le vis souvent
absent, et alors il me semblait être ailleurs que sur la terre, par
exemple dans le paradis ou en quelque autre endroit habité par de purs
esprits. Souvent je le vis aller seul, souvent avec des gens et des
bêtes de somme. Je ne vis jamais près de lui des personnages de sa
sorte, parents ou prêtres. Là où il agissait et bâtissait, il semblait
poser la pierre fondamentale d'une grâce future, attirer l'attention sur
un lieu, commencer quelque chose qui était destiné à un grand avenir. Je
n'ai jamais beaucoup réfléchi là dessus : je prends les choses comme
elles se présentent
Une autre fois, Anne
Catherine dit de Melchisédech : Il était comme préposé à un grand nombre
d'anges. Je l'ai déjà vu antérieurement paraître en divers endroits de
la Terre Promise, lorsqu'elle était encore tout à fait déserte,
longtemps avant le temps de Sémiramis et d'Abraham ; il semblait
disposer le pays d'avance, désigner et préparer certains lieux : ainsi
je crois qu'il a ouvert la source du Jourdain. J'ai ne souvent une
vision où je voyais un homme absolument seul dans un pays et je ne
pouvais m'empêcher de me dire : `` Que fait donc cet homme ici à une
époque si reculée, quand il ne s'y trouve encore personne ? C'est ainsi
que le je vis percer une montagne pour en faire sortir une fontaine :
c'était la source du Jourdain. Il avait pour percer un long et bel
instrument qui entra comme un rayon dans la montagne. Je le `vis ainsi
ouvrir des sources en divers lieux de la terre. Dans les premiers temps
du monde, avant le déluge, je ne voyais pas les rivières jaillir et
couler comme aujourd'hui ; mais je voyais une très grande quantité d'eau
descendre d'une montagne située à l'orient. J'ai toujours vu
Melchisédech seul, excepté lorsqu'il était occupe à réconcilier à
séparer ou à ruiner des familles et des races de peuples.
Jacob aussi avait résidé
longtemps près d'Ainon avec ses troupeaux. La citerne de la fontaine
baptismale existait déjà alors et je vis Jacob la réparer. Les restes du
château de Melchisédech étaient au bord de l'eau, près du lieu où l'on
baptisait ; dans les premiers temps du Christianisme, je vis une église
s'élever à l'endroit où Jean avait baptisé. J'ai vu cette église
subsister encore lorsque sainte Marie Égyptienne passa par là pour aller
dans le désert. Salem était une belle ville, mais elle avait été
dévastée pendant une guerre, lors de la destruction du temple antérieure
à Jésus, si je ne me trompe. Le dernier des prophètes avait aussi
séjourné ici.
(26 28 juin) Il y avait
environ deux semaines que Jean était devenu célèbre par sa prédication
et son baptême, lorsque je vis des messagers d'Hérode venir à lui de
Callirrhoé. Hérode habitait là un château au levant de la mer Morte dans
un lieu où il y a beaucoup de bains et de sources d'eaux chaudes. Hérode
voulait que Jean vînt le visiter : mais Jean répondit à ses envoyés
qu'il avait beaucoup à faire et que si Hérode voulait lui parler, il
n'avait qu'à venir lui même le trouver. Après cela, je vis Hérode sur un
chariot à roues basses, surmonté d'un siège élevé d'où il pouvait tout
voir de loin comme du haut d'un trône ; il était entouré de soldats et
il allait à une petite ville, située à environ cinq lieues au midi d'Ainon,
d'où il fit inviter Jean à venir. Jean se rendit devant cet endroit et
il entra dans une cabane qui servait aux étrangers, où Hérode vint le
trouver sans être accompagné de personne. Ils eurent un court entretien,
dont je me rappelle seulement qu'Hérode lui demanda pourquoi il logeait
à Ainon dans une si misérable cabane, ajoutant qu'il voulait lui faire
bâtir une maison ; à quoi Jean répondit qu'il n'avait pas besoin de
maison, qu'il avait ce qu'il lui fallait et qu'il faisait la volonté
d'un plus grand que lui Il parla avec gravité et sévérité et s'en
retourna. Il se tint toujours à une certaine distance d'Hérode et lui
parla peu sans le regarder.
(30 juin) J'ai vu que les
fils d'Alphée et de Marie de Cléophas, Simon, Jacques le Mineur et
Thaddée, et le fils de son second mariage avec Sabas, José Barsabas, se
sont fait baptiser par Jean à Ainon. André et Philippe aussi sont déjà
venus le voir. André a été baptisé par lui, Philippe aussi, à ce que je
crois. Ils sont ensuite retournés à leurs affaires. Jean Baptiste a déjà
une vingtaine de disciples.
(4 juillet) La plupart des
apôtres et plusieurs disciples ont déjà reçu le baptême : Nathanaël pas
encore, non plus qu'un autre dont le nom ne me revient pas. Ici, on
demanda si elle ne se rappelait rien du baptême de Marie : elle répondit
que non, qu'elle n'en avait pas de souvenir distinct ; qu'elle avait une
idée confuse que Marie avait été baptisée seule à la piscine de Bethesda
(30) par l'apôtre saint Jean après l'Ascension du
Sauveur' : que toutefois elle n'en était pas sûre. Quant aux autres
femmes, elles furent toutes baptisées alors dans la piscine de Bethesda
: elle s'en souvenait parfaitement.
(4 juillet) Aujourd'hui, je
vis plusieurs magistrats et prêtres venir vers Jean des endroits
environnants et de Jérusalem : ils lui demandèrent qui il était, qui
l'avait envoyé, ce qu'il enseignait et ainsi de suite : je le vis
répondre avec une sévérité et une hardiesse extraordinaires, annoncer la
venue prochaine du Messie, et les accuser d'endurcissement et
d'hypocrisie. Ce ne fut portant pas encore cette fois qu'il employa
l'expression de " race de vipères ".
(7 11 juillet) Je vis de
trois endroits, Nazareth, Jérusalem et Hébron, envoyer vers Jean des
troupes entières de magistrats et de pharisiens, chargés de l'interroger
au sujet de sa mission il y avait en outre un grief contre lui, c'était
d'avoir occupé de sa propre autorité le lieu où il baptisait. Beaucoup
de publicains aussi étaient allés le trouver : il les avait baptisés et
il avait fortement remue leur conscience. De ce nombre était le
publicain Lévi, appelé plus tard Matthieu, fils d'un premier mariage
d'Alphée, l'époux de Marie de Cléophas.
Il fut très touché et
changea de vie. On le méprisait dans sa famille. Je vis Jean adresser à
ces gens des avertissements sévères, en renvoyer beaucoup et en baptiser
aussi beaucoup.
Je vis aussi ces jours là
les fils de trois veuves qui étaient apparentées entre elles et avec la
sainte Famille par naissance et par mariage, venir au baptême de Jean
Par la suite, après le temps de Jésus, on reprocha a leurs descendants
de se vanter à tort de cette parenté ; elle était pourtant réelle.
(Elle parle de toutes ces personnes comme si elle les connaissait mieux
que ses propres parents encore vivants). Ces trois veuves, dit elle,
vivaient d'abord à Nazareth et dans la contrée du Thabor ; et elles
quittèrent ce pays, soit au temps de la jeunesse de Jésus, lorsque leurs
fils se firent pécheurs, soit plus tard pour aller avec Marie à
Capharnaum : car je vis l'une d'elles bien affligée et pleurant
beaucoup, parce que son fils, âgé de cinq ans, qui s'appelait le petit
Simon, était mort. Elles furent du nombre des premières personnes qui
s'attachèrent au Seigneur et furent toujours amies de la sainte Vierge
Elles étaient très bonnes et très pieuses. Combien elles s'aimaient
entre elles et de quel coeur elles s'assistaient mutuellement !
Ces trois veuves étaient
des cousines germaines de la mère d'Elisabeth. Elles étaient parentes de
la première femme d'Alphée : je ne sais pas si c'était par elles mêmes
ou par leurs maris Deux de ces veuves étaient soeurs. L'une d'elles
était la mère du fiancé de Cana, Nathanaël. lequel, devenu disciple,
porta un nom qui ressemble à Amandor et auquel Jésus enfant, revenu de
Jérusalem où il avait enseigné dans le Temple, prédit quelque chose,
lors d'une fête qui eut lieu chez sainte Anne il lui dit aussi qu'il
assisterait à son mariage (une de ces veuves est ailleurs appelée Séba
et son fils Colaya, l'un des disciples : une seconde Léa ; une fois elle
donna au fils de l'une d'elles le nom d'Eustache. Toutefois, les noms
sont fréquemment changés).
Elles avaient plusieurs
fils : trois, je crois, qui furent les compagnons d'enfance de Jésus et
se firent pêcheurs : ils devinrent aussi disciples.
(4 19 juillet) A Dothaim,
où Jésus avait calmé les possédés furieux, des pa'ens et des juifs
vivaient mêlés ensemble depuis le temps de la captivité de Babylone. Les
pa'ens avaient leurs idoles et un autel pour les sacrifices su : une
colline dans le voisinage. Maintenant les juifs, excités par tout ce qui
se disait de la venue prochaine du Messie, lequel devait venir de
Galilée, ne voulaient plus tolérer les pa'ens dans leur voisinage. Ce
bruit avait été répandu là à la suite d'un voyage de Jean dans ce pays,
et il avait été propagé par ceux qu'il avait baptisés. un prince voisin,
résidant à Sidon, avait envoyé des soldats pour protéger les idolâtres
et Hérode en envoya aussi pour contenir le peuple.
Ces soldats étaient des
gens de toute espèce. Je vis qu'étant à Callirrhoé, près d'Hérode, ils
lui dirent qu'ils voulaient d'abord se faire baptiser par Jean. Ce
n'était guère qu'un calcul de leur part, ils voulaient par là obtenir
plus de considération parmi le peuple. Hérode leur répondit qu'il
n'était pas précisément nécessaire de se faire baptiser par Jean, et que
comme il ne faisait pas de miracles, il n'y avait pas lieu de lui
reconnaître une mission. Il ajouta que du reste ils pouvaient prendre
des informations à Jérusalem. Je les vis ensuite à Jérusalem. Ils
s'adressèrent à trois autorités différentes pour se renseigner, et je
vis par là qu'il y avait trois sectes différentes.
Cela se passa dans la cour
du tribunal où Pierre renia le Seigneur. Plusieurs personnages
siégeaient là pour juger, et il s'y trouvait beaucoup de monde. Les
prêtres leur dirent d'un ton moqueur qu'ils pouvaient faire comme ils
l'entendraient, que cela était tout à fait indifférent. Je vis ensuite
une trentaine de ces soldats près de Jean : il les réprimanda
sévèrement, comme s'ils eussent été incorrigibles. C'est pourquoi Jean
après leur avoir vivement reproché leur hypocrisie, n'en baptisa qu'un
petit nombre dans lesquels il vit quelques bonnes dispositions.
Il y a une grande affluence
de peuple à Ainon. Pendant plusieurs jours, Jean ne baptisa pas, mais il
prêcha avec beaucoup de force et de vivacité. De nombreuses troupes de
juifs, de samaritains et de pa'ens se tenaient séparées les unes des
autres sur les collines et sur les chaussées, les uns à l'ombre, les
autres en plein air, autour de l'endroit où Jean enseignait, et ils
l'écoutaient. Ils étaient autour de lui par centaines ; ils venaient
pour l'entendre prêcher et recevoir le baptême, après quoi ils se
retiraient. une fois entre autres je vis plusieurs pa'ens et d'autres
personnes qui étaient venues de l'Arabie et de pays encore plus à
l'orient. Ils conduisent avec eux des ânes et des moutons de grande
taille. Ils ont des parents dans le pays. Ils sont venus ici nu passent
par ici, et ils sont allés voir Jean.
Il y eut une longue
délibération au sujet de Jean, dans le grand conseil de Jérusalem. Neuf
hommes furent députés près de lui par trois autorités différentes. Anne
envoya Joseph d'Arimathie, le fils aîné de Siméon et un prêtre qui était
chargé de l'inspection des victimes offertes en sacrifice. On envoya
aussi trois membres du conseil et trois simples particuliers. Ils
devaient demander à Jean qui il était et l'inviter à se rendre à
Jérusalem. Si sa mission était légitime, disait on, il aurait dû d'abord
se présenter au temple. Ils trouvaient à redire à l'étrangeté de son
costume, et aussi à ce qu'il baptisait des Juifs, tandis
qu'ordinairement on ne baptisait que les pa'ens. Quelques uns croyaient
que c'était Elle revenu de l'autre monde.
André et Jean l'évangéliste
sont près de Jean Baptiste. La plupart des futurs apôtres et beaucoup de
disciples ont été maintenant le trouver, excepté Pierre, qui a été
baptisé précédemment, et le traître Judas, qui toutefois est allé déjà
chez les pêcheurs des environs de Bethsa'de, et s'est enquis de Jésus et
de Jean.
Lorsque les envoyés de
Jérusalem arrivèrent près de Jean, il avait cessé de baptiser pendant
trois jours, mais il venait de s'y remettre de nouveau. Les envoyés
voulaient qu'il leur donnât audience : mais il leur dit d'attendre qu'il
eût fini. Il leur répondit vertement et en peu de mots. ils lui
représentèrent qu'il agissait de son autorité privée ; qu'il devait se
présenter à Jérusalem et s'habiller d'une manière plus convenable.
Lorsqu'ils se furent retirés, Joseph d'Arimathie et le fils de Simon
restèrent près de Jean et se firent baptiser par lui. Il se trouvait là
bien des gens qu'il ne voulait pas baptiser ; ceux là allèrent trouver
les envoyés et l'accusèrent de partialité.
Les futurs apôtres
reviennent dans leur pays, parlent beaucoup de Jean et font plus
d'attention à Jésus. Ils soupçonnent que c'est à lui que la prédication
de Jean fait allusion. Joseph d'Arimathie, revenant à Jérusalem,
rencontra Obed, cousin de Véronique, qui était attaché au service du
temple. Il répondit à ses questions en lui racontant beaucoup de choses
touchant Jean. Obed alla aussi se faire baptiser par Jean. Comme il
était employé au temple, il resta parmi les disciples cachés de Jésus,
lorsque plus tard, il vint à lui.
Le 19 juillet, par une
grande chaleur qui la fatiguait beaucoup, la narratrice se mit à rire
d'une façon qui ne lui était pas ordinaire, et, comme on la
questionnait, elle répondit : "J'ai vu Jean passer le Jourdain pour
aller baptiser des malades. Je pensais qu'il devait avoir aussi chaud
que moi. Il n'avait que son drap jeté autour du corps et son manteau sur
les épaules. Il portait, suspendue d'un côté, une outre pleine d'eau
pour le baptême, et, de l'autre, l'écuelle avec laquelle il y puisait.
Beaucoup de malades ont été portés au bord du Jourdain, en face du lieu
où Jean baptise, sur des litières et sur des espèces de brouettes. Ils
n'étaient pas en état de passer l'eau sur le radeau, et ils l'ont fait
prier de venir. il vint avec deux disciples. Il prépara une belle fosse
séparée du Jourdain par une chaussée en terre. Il fit ce travail lui
même, car il avait toujours une bêche avec lui. Il fit entrer l'eau par
une rigole qu'il pouvait fermer, et il y ajouta l'eau baptismale qui
était dans son outre. Il instruisit les malades et les baptisa ensuite :
on les plaçait au bord de la fontaine, et il versait de l'eau sur eux Je
le vois, après avoir baptisé les malades, revenir à Ainon sur la rive
orientale du Jourdain.
Une fois, pendant qu'il
dormait couché dans sa cabane, je vis un ange venir à lui et lui dire
qu'il devait aller de l'autre côté du Jourdain, près de Jéricho, parce
que celui qui devait venir était proche, et qu'il devait le faire
connaître.
Je vis ensuite Jean et ses
disciples, à l'endroit où il baptisait, près d'Ainon, défaire les
cabanes de toile et descendre à quelques lieues plus bas sur la rive
orientale du Jourdain, après avoir traversé une bourgade, ils passèrent
le Jourdain et remontèrent un peu le long de la rive occidentale.
Il y avait là des endroits
où l'on se baignait, des fosses dont les parois étaient blanches et
comme recouvertes de maçonnerie, avec un canal qu'on ouvrait et qu'on
fermait à volonté, communiquant avec le Jourdain qui, en cet endroit
n'avait pas d'îles.
Il m'a été montré qu'à
cette époque les hommes étaient disposés comme ils le sont à présent.
( Du 25 juillet au 14 août.
) Le 25 juillet dans l'après midi, la narratrice, tout en sommeillant,
dit d'une façon toute na've, dans son patois : " Maintenant, je vais
trouver Jean, l'homme qui est près du Jourdain : il fait meilleur là
qu'ici. " Plus tard, elle dit ce qui suit : " L'endroit où l'on baptise
est près du Jourdain, entre Jéricho et Bethagla. Jean annonce l'approche
du Messie. Il y a là une centaine d'hommes, des disciples et plusieurs
pa'ens. Les uns travaillent à disposer le lieu et les cabanes, les
autres écoutent ce que dit Jean de la venue prochaine du Messie. "
" On comprend mal les
choses quand on croit qu'il baptisa près de Bethabara (31)
qui est de l'autre côté du Jourdain ; ce qui est dit, "qu'il baptisa
près de Bethabara au delà du Jourdain, équivaut à ceci : en face de
Bethabara, en remontant le fleuve, à deux lieues environs de Jéricho et
de Bethagla. "Cette seconde place consacrée au baptême est sur la rive
occidentale du Jourdain et Bethabara est un peu plus bas, sur la rive
orientale.
Il y a environ cinq milles
d'Allemagne (dix lieues) d'ici à Jérusalem. Le chemin direct y conduit
par Bethanie, à travers un désert. On passe devant une hôtellerie qui se
trouve un peu en dehors de la route. Il y a ici un très joli pays entre
Jéricho et Bethagla. L'eau du Jourdain est belle ; elle est si claire
quand on la laisse reposer. Dans plusieurs endroits, elle a même une
odeur agréable, parce qu'il y a une quantité de boissons fleuris sur le
bord et que les lieurs tombent dans l'eau. Parfois le fleuve est si bas
et si exigu qu'il est à peine visible. Je vois près des bords des trous
profonds creusés dans les rochers J'aime tant à être dans la Terre
Promise, mais je ne sais jamais dans quelle saison on est. Quand nous
sommes ici en hiver. Là tout est déjà en fleurs ; et, quand nous sommes
en été, la seconde moisson fleurit déjà. il y a aussi une saison où le
ciel est très nébuleux et où il pleut beaucoup. Il y a dans le pays des
montagnes au haut desquelles il fait très froid, et, quand on se tourne
d'un autre côte, tout est vert et plein de soleil
La montagne où Jésus jeûna
n'est qu'à quatre lieues de la première grotte de Jean. Cette montagne
est très sauvage et très élevée, et il y a dans les rochers des trous si
profonds, que j'ai toujours peur d'y regarder. Le second désert où Jean
séjourna, a huit lieues de tour. Lorsqu'il creusa la fontaine, il
embellit aussi sa grotte ; elle était très spacieuse. (Elle faisait
souvent de ces observations naives).
J'ai vu encore apporter
toute sorte de choses ne l'endroit où l'on baptisait, près d'Ainon ; on
arrange tout pour le mieux. On portait aussi des malades sur des lits.
Plusieurs événements de
l'Ancien Testament ont eu lieu dans cet endroit. C'est ici qu'elle a
divisé les eaux du fleuve avec son manteau, et qu'il l'a traversé avec
Elisée, lequel a fait la même chose à son retour. Elisée s'est aussi
reposé ici. C'est encore ici que les enfants d'Israël ont passé le
fleuve.
On envoie à Jean, de
Jérusalem, des gens du temple, des pharisiens et des sadducéens ; car il
est maintenant en deçà du Jourdain et quelques lieues plus près de
Jérusalem qu'auparavant. Il a appris leur arrivée par l'ange et il
rendra témoignage de Jésus. Vers le soir, déjà, six députés de Jérusalem
sont venus au Jourdain. Ils avaient envoyé un courrier devant eux, et
fait dire à Jean de se rendre auprès d'eux à un endroit du voisinage.
Jean ne s'inquiéta pas d'eux, et continua à baptiser et à enseigner. Il
leur fit répondre par leur courrier que s'ils voulaient lui parler, ils
pouvaient venir le trouver. Ils vinrent donc eux mêmes, mais Jean ne
s'aboucha pas avec eux ; il continua à baptiser et a prêcher : ils
entendirent sa prédication et se retirèrent. Quand il eut fini, il leur
donna rendez vous sous un hangar ou sous une tente que les disciples
avaient dressée.
Jean s'y rendit accompagne
de ses disciples et de plusieurs autres personnes, et ils lui
adressèrent différentes questions, lui demandant s'il était ceci ou
cela. Je le vis toujours faire des réponses négatives. Ils demandèrent
aussi qui était cet homme dont on parlait. Il existait, disaient ils,
d'anciennes prophéties, et maintenant le bruit courait parmi le peuple
que le Messie était venu. Jean répondit qu'il s'était levé parmi eux
quelqu'un qu'ils ne connaissaient pas ; que pour lui, il ne l'avait
jamais vu, mais qu'avant sa naissance, il lui avait commandé de préparer
ses voies et de le baptiser. Ils n'avaient qu'à venir à un moment qu'il
indiqua (dans trois semaines, je crois) : alors celui dont il parlait
serait ici pour recevoir le baptême. Il parla encore avec beaucoup de
sévérité, et leur dit qu'ils n'étaient pas venus pour se faire baptiser,
mais pour espionner. Ils lui répondirent qu'ils savaient maintenant qui
il était, qu'il baptisait sans mission, qu'il n'était qu'un hypocrite en
habits grossiers, etc., etc. Après quoi ils se retirèrent.
Bientôt après il vint
encore des envoyés du grand conseil de Jérusalem, cette fois au nombre
de vingt. Ils étaient de toute profession ; il y avait parmi eux des
prêtres avec des bonnets, de larges ceintures et de longues bandes
suspendues au bras, à l'extrémité desquelles il y avait comme de la
fourrure. Ils lui dirent avec beaucoup d'insistance qu'ils étaient
députés par le grand conseil tout entier ; qu'il devait comparaître
devant lui pour s'expliquer sur sa vocation et sa mission. s'il
n'obéissait pas au grand conseil, disaient ils, c'était une marque qu'il
n'avait pas de mission... J'entendis Jean leur dire nettement qu'ils
n'avaient qu'à attendre, que celui qui l'avait envoyé viendrait bientôt
à lui. Il désigna Jésus clairement, disant qu'il était né à Bethléem,
qu'il avait été élevé à Nazareth, qu'il s'était enfui en Égypte, etc. Il
ne l'avait jamais vu, ajoutait il. Ils lui reprochèrent d'être
d'intelligence avec lui, de communiquer avec lui par des messagers. Jean
répondit qu'il ne pouvait pas montrer à leurs yeux aveuglés les
messagers qu'ils s'envoyaient réciproquement ; que ces messagers
n'étaient pas visibles pour eux. Je vis les envoyés le quitter très
mécontents.
Il vient de tous les côtés
de nombreuses troupes d'hommes, païens et juifs. Hérode aussi envoie
souvent des émissaires pour écouter Jean et lui rapporter ensuite ce
qu'il a dit. Maintenant tout est beaucoup mieux arrangé à l'endroit où
se donne le baptême. Jean et ses disciples ont dressé une grande tente
où les malades et les gens fatigués sont réconfortés, et où l'on fait
aussi des instructions. Ils chantent des cantiques : je les ai entendus
chanter un psaume sur le passage des enfants d'Israël à travers la mer
Rouge.
Il se forme là
successivement comme une petite ville de cabanes et de tentes. Elles
sont couvertes en partie avec des peaux, en partie avec des joncs. Il y
a là un grand passage d'étrangers venant de l'extrémité du pays où
habitent les trois rois. Ils ont beaucoup de chameaux et d'ânes, et de
beaux chevaux fringants. C'est toujours dans cet équipage qu'ils vont en
Égypte. Ils ont tous établi leur camp autour du lieu où Jean baptise,
ils écoutent ses prédications et reçoivent le baptême. D'ici ils se
rendent en troupes à Bethléem. Non loin de la grotte de la crèche, en
face de la plaine des Bergers, se trouvait un puits portant le nom
d'Abraham. Ce patriarche avait demeuré avec Sara dans cette contrée.
Étant malade, il avait éprouvé un violent désir d'avoir de l'eau de ce
puits, et quand on lui en apporta dans une outre, il surmonta son désir
pour honorer Dieu, s'abstint de boire, et fut récompensé par une
guérison instantanée. Ce puits dut sa naissance à un miracle, mais je
l'ai oublié. Il était difficile d'y puiser de l'eau, à cause de sa
grande profondeur. Il y a un grand arbre à côté, et près de là est la
grotte où est enterrée Maraha, nourrice d'Abraham, qui était très âgée,
et qu'il conduisait avec lui sur un chameau. C'est un lieu de pèlerinage
pour les juifs pieux, de même que le mont Carmel et le mont Moreb. Les
trois rois aussi sont venus prier là.
Il n'y avait pas encore
beaucoup de Galiléens près de Jean, excepté ceux qui devinrent plus tard
disciples de Jésus. Il vient plus de monde du pays d'Hébron : il y a
aussi beaucoup de païens. C'est pour cela que Jésus, dans ses courses à
travers la Galilée, exhorte si vivement ses auditeurs à aller au baptême
de Jean.
(28 30 août.) à une petite
lieue de distance de l'endroit où Jean avait coutume de baptiser, se
trouvait celui où il enseignait. C'était un lieu sacré pour les Juifs à
cause des souvenirs qui s'y rattachaient. Il était entouré de murs comme
un jardin. Dans l'intérieur étaient des cabanes couvertes de jonc,
appuyées aux murs ; au milieu se trouvait une pierre de forme oblongue
terminée par des pans coupés à l'une de ses extrémités. Elle était à la
place où les Israélites, après avoir passé le Jourdain, avaient déposé
pour la première fois l'arche d'alliance et avaient célébré une fête
d'actions de grâces. Au dessus de cette pierre Jean avait dressé pour sa
prédication une grande tente soutenue par du clayonnage et couverte de
roseaux. Sa chaire à prêcher était appuyée à la pierre. il enseignait là
devant tous ses disciples lorsque Hérode arriva, mais il ne se dérangea
pas pour lui.
Hérode était à Jérusalem
avec la femme de son frère qui l'y avait rejoint en compagnie de sa
fille Salomé, âgée d'environ seize ans. Il désirait l'épouser et il
avait demandé inutilement au sanhédrin de déclarer que ce mariage était
illicite : ce qui l'avait mis en lutte avec le sanhédrin. Il craignait
la voix publique et voulait apaiser le peuple par une décision de Jean
le prophète. Il s'imaginait que Jean, pour gagner ses bonnes grâces, se
prononcerait en sa faveur.
Je vis Hérode avec Salomé,
la fille d'Hérodiade, les femmes de celle ci et une suite d'environ
trente personnes se diriger en grand cortège vers le Jourdain. Il était
assis sur un char ainsi que les femmes. Il avait envoyé un messager à
Jean. Mais celui ci ne voulait pas qu'il vint à l'endroit où il
baptisait, jugeant qu'un tel homme avec sa troupe de femmes et ses
suivants, profanerait la sainte cérémonie. Il discontinua donc le
baptême, se rendit avec ses disciples au lieu où il enseignait et y
parla en termes très sévères de l'affaire sur laquelle Hérode voulait
avoir son avis. Il dit qu'il lui fallait attendre celui qui devait venir
après lui, qu'il ne baptiserait plus longtemps ici, qu'il devait faire
place à celui dont il était le précurseur.
Il parla contre Hérode de
telle façon que celui ci vit bien que ses intentions lui étaient
connues. Hérode lui fit remettre un gros rouleau qui contenait l'exposé
de son affaire. On le déposa devant Jean, car il ne voulait pas souiller
en le touchant sa main consacrée à baptiser. Sur quoi je vis Hérode se
retirer fort mécontent avec sa suite. Il résidait encore alors aux bains
de Callirrhoé, à quelques lieues de l'endroit où Jean baptisait. Il
avait laissé des gens de sa suite avec le rouleau d'écritures, pour
engager Jean à en prendre connaissance, mais ce fut inutilement. Jean
revint au lieu du baptême. Les femmes étaient magnifiquement habillées,
mais assez décemment. Madeleine avait quelque chose de plus original
dans ses ajustements.
Il y a maintenant une fête
de trois jours, près de la pierre de l'arche d'alliance, où est la tente
de Jean. Je ne sais plus bien si c'est en mémoire du passage du Jourdain
par les Israélites ou si c'est à quelque autre occasion. Les disciples
de Jean ornent le lieu de la fête avec des arbres, dès guirlandes de
feuillage et des fleurs. Pierre, André, Philippe, Jacques le Mineur,
Simon et Thaddée se trouvent là ainsi que plusieurs autres futurs
disciples de Jésus. Ce lieu n'avait pas cessé d'être un lieu sanctifié
aux yeux des Juifs pieux, toutefois on l'avait un peu oublié et négligé.
Jean l'avait remis de nouveau en honneur. Je vis le précurseur et
quelques uns de ses disciples revêtus d'habits sacerdotaux. Jean portait
sur un habit de dessous de couleur grise, un vêtement blanc, long et
large, attaché autour du corps par une espèce d'écharpe, marquetée de
jaune et de blanc : il y avait des franges à l'extrémité. Sur les deux
épaules étaient fixées comme deux pierres précieuses longues et
recourbées sur chacune desquelles étaient les noms de six tribus
d'Israël. Sur sa poitrine était un pectoral carré, jaune r et blanc,
maintenu aux quatre angles par des chaînettes d'or et où étaient
incrustées douze pierres précieuses de différentes couleurs sur
lesquelles étaient gravés les noms des douze tribus. Sur ses épaules
était jetée une espèce d'étole, marquetée de jaune et de blanc, avec des
franges aux extrémités. Au bas de la robe pendaient des boutons de soie
jaune et blanche. Sa tête était découverte, mais il avait sous ses
vêtements autour du cou une pièce d'étoffe légère qu'il pouvait ramener
sur sa tête comme un capuchon et qui alors descendait en pointe sur le
front.
Devant la pierre de l'arche
d'alliance était un petit autel, pas tout à fait carré, creusé au milieu
et recouvert d'un grillage. Au dessous était un trou destiné à recevoir
les cendres et aux quatre coins des tuyaux creux recourbes en forme de
cornes. Plusieurs disciples étaient là avec des vêtements blancs et de
larges ceintures, habillés comme les apôtres dans leurs premières
réunions pour la célébration du culte divin. Il y avait une espèce de
sacrifice auquel ils prenaient part comme servants. On encensait et Jean
brûlait sur l'autel de l'encens qui était portatif, des herbes et des
aromates de diverses espèces, et, aussi, je crois, des épis de blé. Tout
était orné de guirlandes de fleurs et de feuillage. Il y avait là une
multitude d'aspirants au baptême.
Les habits sacerdotaux et
les ornements que portait Jean Baptiste avaient été préparés à l'endroit
où il baptisait actuellement. Il y avait là des femmes qui vivaient à
part au bord du Jourdain : on ne leur donnait pas le baptême, mais elles
confectionnaient toute sorte d'objets et de vêtements de cérémonie pour
le précurseur. (La narratrice explique dans deux récits postérieurs d'où
venaient les pierres précieuses.)
En tout Jean semblait
inaugurer une nouvelle Eglise. Il ne faisait plus ici de ces travaux
manuels auxquels il se livrait auparavant et pour baptiser il mettait
une longue robe blanche. Il n'y eut que le lieu où fut baptisé Jésus,
qu'il prépara encore de ses propres mains avec l'aide de ses disciples.
Je vis Jean prêcher
longtemps et avec beaucoup de feu au lieu où l'on célébrait la fête. Il
se tenait au haut de sa tente revêtu de ses ornements sacerdotaux. Cette
tente était construite avec des galeries à l'entour comme les tentes des
rois en Arabie. Tout autour, au pied des murs dont ce lieu était
entouré, on avait disposé des sièges en amphithéâtre pour les auditeurs
dont le nombre était immense. Il parla du Sauveur qui l'avait envoyé et
qu'il n'avait jamais vu, et du passage à travers le Jourdain. Il y eut
encore dans la tente une offrande d'encens et on y brûla des herbes. Je
vois qu'on avait annoncé depuis Maspha jusque dans la Galilée, que Jean
ferait aujourd'hui une grande instruction et il était venu une grande
quantité de monde Les esséniens étaient presque tous présents. La
plupart des assistants avaient de longs vêtements blancs. Je vis arriver
des hommes et des femmes. Ces femmes étaient assises sur des ânes que
les hommes conduisaient, entre des paniers où étaient des colombes. Les
hommes présentaient des pains comme offrandes et les femmes des
colombes. Jean se tenait derrière une grille et recevait les pains : on
enlevait la farine qui s'y était attachée au dessus d'une longue table à
claire voie et on les empilait sur des plats : après quoi Jean les
bénissait et les élevait comme pour l'oblation. Ces pains étaient en
suite coupés en morceaux pour être distribués et les gens qui venaient
de plus loin en recevaient davantage comme en ayant plus besoin. La
farine enlevée de dessus lés pains et ce qui tombait quand on les
coupait allait se rendre dans une boîte placée sous la table à claire
voie : tout cela était brûlé sur l'autel. On distribua aussi les
colombes que les femmes avaient apportées. Cela dura bien une demi
journée. Toute la fête, le sabbat compris, avait duré trois jours. Je
vis après cela Jean reprendre ses occupations dans l'endroit où il
baptisait.
(23 et 24 août.) Je vis
aujourd'hui Jean faire près du Jourdain (32) à ses
disciples une instruction sur l'approche du moment où le Messie
recevrait le baptême. il dit encore qu'il ne l'avait jamais vu, etc. Il
ajouta : " En témoignage de ce que je dis, je vais vous faire voir la
place où il sera baptisé.
Voici que les eaux du
Jourdain vont se diviser et qu'il va se former une île. "Au même instant
je vis les eaux du fleuve se diviser et une petite île blanche de forme
ovale paraître à la surface de l'eau, sans en dépasser le niveau. C'est
là la place où les Israélites traversèrent le Jourdain avec l'arche
d'alliance : c'est aussi là qu'Elie divisa les eaux du fleuve avec son
manteau.
Je vis une grande émotion
parmi les assistants : ils prièrent et entonnèrent des cantiques de
louange. Jean et les disciples placèrent de grosses pierres dans l'eau,
et par dessus des arbres et des branches : ils firent ainsi un pont
jusqu'à l'île, et jetèrent dessus de petits cailloux blancs. Quand il
fut fini, l'eau put passer au dessous en murmurant. Jean et ses
disciples plantèrent douze petits arbres autour de l'île : ils étaient
vivants, et ils les réunirent par le haut de manière à former un berceau
de feuillage.
Je les vis en outre placer
entre ces arbres des arbrisseaux qui croissaient en abondance sur les
bords du Jourdain. Ils avaient des fleurs blanches et rouges, et des
fruits jaunes avec une petite couronne comme des nèfles. C'était très
agréable à voir : car les uns étaient en fleurs, les autres étaient
chargés de fruits.
L'île qui s'était élevée
sur l'eau à l'endroit où l'arche d'alliance s'était arrêtée lors du
passage du Jourdain paraissait rocailleuse ; comme le lit du fleuve
était plus découvert et les eaux plus basses qu'au temps de Josué, je ne
sais pas si l'eau se retira ou si l'île s'éleva lorsque Jean l'appela
pour être le lieu du baptême de Jésus.
A gauche, en avant du pont
non pas au milieu de l'île, mais plus près du bord, on fit une fosse
dans laquelle monta une eau limpide ; quelques marches y conduisaient,
et au niveau de la surface de l'eau était une pierre rouge et polie, de
forme triangulaire, sur laquelle Jésus devait se tenir pour le baptême.
à droite de cette pierre était un beau palmier couvert de fruits, autour
duquel Jésus avait le bras passé lorsqu'il fut baptisé. Le bord de la
fontaine était orné d'une marqueterie élégante : tout ce travail était
très bien exécuté. Je le décrirai une autre fois plus en détail.
Lorsque Josué conduisit les
Israélites à travers le Jourdain, je vis que les eaux du fleuve étaient
très gonflées. L'arche d'alliance fut portée bien en avant du peuple
jusqu'au Jourdain. Parmi les douze hommes qui l'accompagnaient et la
portaient (j'ai su les noms de tous), se trouvaient Josué, Caleb et un
autre dont le nom ressemblait à Eno'. Au bord du Jourdain, l'un d'eux se
plaça tout seul à la partie antérieure de l'arche, que deux hommes
portaient auparavant : les autres la soutenaient par derrière. Quand il
mit les pieds de l'arche dans le fleuve, l'eau qui arrivait s'arrêta
aussitôt : elle se gonfla, parut consistante comme de la gelée, et
s'accumula en s'élevant comme une montagne, à une telle hauteur, qu'on
pouvait la voir d'auprès de la ville de Zarthan, qui est assez éloignée.
Les eaux de la partie intérieure s'écoulèrent vers la mer Morte, et l'on
put traverser à pied sec le lit du fleuve. Les Israélites qui étaient
éloignés de l'arche d'alliance allèrent passer plus bas.
L'arche d'alliance fut
portée par les lévites dans le lit du fleuve jusqu'à une place où quatre
pierres quadrangulaires se trouvaient posées régulièrement. Elles
étaient d'un rouge sanguin, et de chaque côté étaient deux rangées de
six pierres triangulaires, aussi polies que si on les eût taillées ; il
y en avait par conséquent douze de chaque côté. Les douze lévites
déposèrent l'arche sur les quatre pierres du milieu, et se placèrent,
six à droite, six à gauche, sur les douze pierres triangulaires les plus
rapprochées, lesquelles étaient enfoncées en terre par la pointe.
Plus loin étaient douze
autres pierres, également triangulaires, très grandes et très grosses,
avec des veines de différentes couleurs, qui formaient sur quelques unes
des figures et des fleurs. Josué choisit dans les douze tribus douze
hommes qu'il chargea de porter ces pierres sur le bord et de les déposer
sur deux rangs, pour servir de souvenir, à une place assez éloignée,
près de laquelle un village se forma plus tard. Les noms des douze
tribus et ceux des porteurs y furent gravés. Les pierres sur lesquelles
se tenaient les lévites étaient plus grosses, et quand ils quittèrent le
lit du fleuve elles furent dressées, la pointe en haut. Les pierres
portées à terre n'étaient plus visibles du temps de Jean. Je ne sais pas
si elles avaient été enterrées ou détruites pendant la guerre. Jean
avait dressé sa tente au milieu d'elles.(33) Plus
tard, une église fut bâtie là, par Sainte Hélène, à ce que je crois.
La place où l'arche
d'alliance avait reposé dans le Jourdain est précisément le lieu de la
fontaine baptismale de Jésus sur l'île qui a paru récemment au dessus
des eaux.
Lorsque les Israélites et
l'arche d'alliance eurent traversé le fleuve, et que les douze pierres
eurent été dressées, le Jourdain recommença à couler comme auparavant.
(29 août) Le niveau de
l'eau de la fontaine baptismale était à une telle profondeur, que du
bord le baptisé ne pouvait être vu plus bas que la poitrine.
L'enfoncement n'était pas très marqué, et le bassin octogone, qui avait
environ cinq pieds de diamètre, était entouré d'un rebord coupé en cinq
endroits, sur lequel il y avait place pour plusieurs personnes.
J'ai vu encore que les douze pierres triangulaires sur lesquelles les
lévites s'étaient tenus, et qu'ils avaient dressées la pointe en haut,
comme douze petites pyramides, montraient leurs pointes hors de terre
des deux côtés de la fontaine baptismale de Jésus. Dans la fontaine
même, au dessous de l'eau, se trouvaient ces quatre pierres carrées sur
lesquelles avait reposé l'arche d'alliance. Je pensai alors qu'elles
devaient s'être enfoncées ou que les pierres des lévites s'étaient
élevées, car, lors du passage du Jourdain, elles étaient de niveau. Ces
pierres, à une époque antérieure. avaient montré leurs pointes hors du
Jourdain, au temps des basses eaux.
Tout près du bord de la fontaine était une pierre en forme de pyramide,
placée la pointe en bas, sur laquelle Jésus se tenait pendant le baptême
lorsque le Saint Esprit descendit sur lui ; à sa droite, tout près du
bord, s'élevait le beau palmier autour duquel il passait le bras. Jean
Baptiste se tenait à sa gauche.
Cette pierre triangulaire
où se tenait le Christ n'était pas, autant qu'il m'en souvient, une des
douze pierres dont j'ai parlé : je crois que Jean l'avait apportée. Il y
avait aussi quelque chose de mystérieux qui s'y rapportait : elle était
veinée et fleurie. Les douze autres pierres étaient de couleurs
différentes : elles étaient également veinées et fleuries d'une façon
variée. Elles étaient plus grosses que celles qui avaient été apportées
sur le rivage. J'ai un souvenir qui n'est pas bien précis en ce moment,
mais qui me fait croire que ces pierres étaient des pierres précieuses,
ayant quelque chose de mystérieux, et que Melchisédech les avait posées
là toutes petites à une époque où le Jourdain n'y coulait pas encore.
C'est ainsi qu'en divers lieux il avait posé comme des fondements qui
longtemps couverts de terre ou cachés sous des marécages, parurent
ensuite au jour et devinrent des lieux sanctifiés par quelque événement.
Plus tard, dans une autre
occasion, Anne Catherine compléta cette communication en ces termes :
"Melchisédech prit possession de plusieurs points de la Terre Promise,
qu'il désigna d'une certaine façon. il mesura l'emplacement de la
piscine de Bethesda. Avant que Jérusalem existât, il posa une pierre à
l'endroit où le temple devait s'élever. Je le vis également semer comme
des grains de blé les douze pierres qui étaient dans le Jourdain, et où
se tinrent les prêtres avec l'arche d'alliance lors du passage des
enfants d'Israël : à la longue elles prirent des accroissements.
On laissa reposer
tranquillement ces précieuses pierres, considérées comme sacrées : plus
tard, elles cessèrent d'être visibles et elles furent oubliées. à une
époque postérieure elles furent employées à orner des églises.
Je crois aussi me rappeler,
quoique confusément, que c'était de ces douze pierres ou de celles qui
avaient été portées sur le rivage qu'étaient tirées les pierres
précieuses qui ornaient le pectoral du précurseur à la fête actuelle.
(Du 3 au 17 septembre)
Après la fête, lorsque Jean était revenu de nouveau à l'endroit où il
baptisait, je vis encore s'approcher de lui une vingtaine de personnes
envoyées par toutes les autorités de Jérusalem, pour lui demander compte
de sa façon d'agir. Ils attendirent à l'endroit où la fête avait été
célébrée et mandèrent Jean près d'eux ; mais il ne vint pas. Je les vis
le jour d'après à une petite demi lieue en avant du lieu du baptême.
Jean ne les fit pas même entrer dans l'enceinte formée par les
nombreuses habitations qui se trouvaient à l'entour. Cette enceinte
était fermée par une barrière. Je vis Jean, après son travail,
s'entretenir avec eux en se tenant à une certaine distance. Il leur
parla comme à l'ordinaire, ne répondit pas à toutes leurs interrogations
et s'en référa à celui qui devait bientôt venir à son baptême, qui lui
était supérieur et qu'il n'avait jamais vu.
Je vis ensuite Hérode assis
sur un mulet dans une espèce de caisse, et aussi la femme de son frère
avec laquelle il vivait, assise également sur un mulet : elle était
pompeusement et effrontément ajustée et portait un vêtement ample et
plissé. Ils vinrent ainsi, accompagnés de quelques serviteurs, jusque
dans le voisinage du lieu où Jean baptisait. La femme resta à quelque
distance sur son mulet. Hérode descendit e s'approcha davantage ; et
Jean se tenant assez loin, entra en pourparler avec lui. Hérode discuta
avec Jean : car celui ci avait prononcé récemment une excommunication
contre lui après qu'il lui eut présenté l'écrit qui contenait l'apologie
de son union illicite. Jean l'avait exclu de toute participation au
baptême et au salut apporté par le Messie, à moins qu'il ne renonçât à
ces relations scandaleuses. Hérode lui demanda s'il connaissait un
certain Jésus de Nazareth dont on parlait dans le pays, s'il recevait
des messages de sa part, si c'était là celui dont il annonçait toujours
la venue : il le priait de lui dire ce qui en était parce qu'il voulait
s'adresser à lui pour son affaire. Jean répondit que celui dont il
parlait l'écouterait aussi peu que lui même ; qu'il était et restait un
adultère, qu'il pouvait exposer son cas à qui il voudrait, que ce ne
serait jamais autre chose qu'un adultère. Alors Hérode lui ayant demandé
pourquoi il ne s'approchait pas de lui davantage et pourquoi il lui
criait toujours de loin ce qu'il avait à lui dire ; Jean répondit : "
vous étiez déjà aveugle et l'adultère vous a rendu plus aveugle encore :
plus je m'approcherais de vous, plus votre aveuglement augmenterait :
mais quand je serai en votre pouvoir, vous ferez une chose dont vous
vous repentirez, etc. C'était une prophétie touchant sa mort. Hérode et
la femme quittèrent Jean très irrités.
J'ai vu ces derniers jours
Jean dans une grande tristesse. Il semble que sa mission touche à sa
fin, car il n'agit plus avec la même ardeur autour de lui. J'ai vu qu'il
était très tourmenté On est venu successivement tantôt de Jéricho,
tantôt de Jérusalem, tantôt de la part d'Hérode pour le chasser du lieu
où il baptise. Ses adhérents occupaient un grand espace autour de cet
endroit et ils y étaient comme campes. Maintenant on exigeait de Jean
qu'il se retirât de là et allât de l'autre côté du Jourdain. Je vis même
des soldats d'Hérode enlever sur une certaine étendue les enceintes
qu'avaient établies les auditeurs de Jean et les en chasser. Toutefois
ils ne sont pas encore venus jusqu'à la tente dressée par Jean, entre
les douze pierres. Je vis le précurseur triste et abattu s'entre tenir à
ce sujet avec ses disciples. Il désirait ardemment que Jésus vînt au
baptême, car, disait il, il devait se retirer devant lui et aller de
l'autre côté du Jourdain ; il ajoutait qu'après cela il ne resterait
plus longtemps parmi eux. Ses disciples étaient très attristés de ces
discours et ne voulaient pas qu'il les abandonnât.
(Du 19 au 26 septembre) Il
est venu ces jours ci près de Jean, plusieurs troupes de ceux que Jésus
a dernièrement exhortés à aller au baptême : Parménas et ses parents
sont arrivés ici de Nazareth ; il y a aussi des publicains. Je vis Jean,
lorsqu'il apprit que Jésus allait arriver. se mettre à baptiser avec une
nouvelle ardeur.
Il fit encore une belle instruction sur le Messie auquel il devait
bientôt céder la place, et il se rabaissa tellement devant lui que ses
disciples en furent tout contristés.
L'île où est la fontaine
baptismale de Jésus, est maintenant toute verdoyante : personne n'y va,
si ce n'est Jean quelquefois. Il a coupe le pont qui y mène. Après les
dernières agressions d'Hérode et des Juifs Jean était tout abattu. Il
était touchant de voir combien il perdait de sa véhémence à mesure que
Jésus approchait : mais maintenant qu'il a eu de ses nouvelles il a
repris un nouveau courage. Je crois que Jésus pourra être ici dans huit
à dix jours.
Plusieurs troupes de gens
qui avaient suivi Jésus et qu'il avait congédiés à Nazareth, sont
arrivées près de Jean. Je les ai vus dans sa tente parler de Jésus avec
lui. Il y avait une telle ardeur dans son amour pour lui, qu'il
s'impatientait presque de ce que Jésus ne disait pas plus clairement
qu'il était le Messie. C'était un sentiment tout à fait humain. Pendant
qu'il baptisait ces gens de la suite de Jésus, il reçut l'assurance
certaine que le Sauveur approchait, car une nuée lumineuse descendit sur
lui et il eut une vision où Jésus lui apparut avec tous ses disciples
autour de lui. Depuis ce moment Jean est plein d'une joie indicible et
enflammé d'un désir ardent : il regarde toujours à l'horizon pour voir
si le Seigneur n'arrive pas.
(28 septembre.) Jésus,
marchant plus vite que Lazare, arriva deux heures avant lui au lieu où
Jean baptisait. Le jour commençait à poindre lorsqu'il se trouva dans le
voisinage de ce lieu, au milieu d'une troupe de gens qui allaient aussi
au baptême. Il faisait route avec eux et ils ne le connaissaient pas :
toutefois ils le regardaient attentivement, car il y avait en lui
quelque chose qui les frappait. Quand ils arrivèrent, il était tout à
fait jour. une multitude considérable était rassemblée et Jean prêchait
avec beaucoup de feu sur l'approche du Messie, sur la pénitence et sur
ce qu'il devait se retirer bientôt. Jésus se tenait au milieu de la
foule des auditeurs. Jean eut le sentiment de sa présence ; il le vit et
fut rempli d'une joie et d'une ardeur inaccoutumées : mais il
n'interrompit pas son discours et se mit ensuite à baptiser.
Il avait déjà donné le
baptême à plusieurs personnes et il était environ dix heures lorsque
Jésus, confondu dans les rangs des néophytes, descendit aussi à son tour
au réservoir. Alors Jean s'inclina devant lui et dit : " J'ai besoin
d'être baptisé par vous et c'est vous qui venez à moi ? ". Jésus lui
répondit : " Laissez faire, car il convient que nous accomplissions
toute justice, que vous me baptisiez et que je sois baptisé par vous. "
il lui dit aussi : `` Vous recevrez baptême du Saint Esprit et du sang.
" Alors Jean l'invita à le suivre à l'île. Jésus répondit qu'il le
ferait, mais qu'alors il fallait porter dans l'autre bassin de l'eau
dont tous avaient été baptisés ; que tous ceux qui étaient ici avec lui
fussent aussi baptisés là et que l'arbre auquel il se tiendrait fût
transplanté plus tard au lieu ordinaire du baptême afin que tous fissent
comme lui.
Le Sauveur Suivit donc Jean
et deux de ses disciples André et Saturnin (André était venu ici de
Capharnaü avec les neuf disciples et compagnons du Seigneur dont il a
été parlé plus haut) il se rendit sur l'île en passant le pont et entra
dans une petite tente dressée au côté oriental de la fontaine baptismale
pour qu'on pût s'y déshabiller et s'y rhabiller. Les disciples vinrent
avec lui sur l'île, mais les hommes se tinrent au bout du pont pendant
qu'une grande foule se pressait sur le rivage. Trois hommes environ
pouvaient se tenir sur le pont à côté les uns des autres : Lazare était
l'un de ceux qui se trouvaient le plus en avant.
La fontaine baptismale
était dans une excavation octogone, descendant en pente douce, au fond
de laquelle un rebord également octogone entourait la fontaine elle même
: celle ci était en communication avec le Jourdain par cinq conduits
souterrains. L'eau entourait le rebord tout entier et entrait dans la
fontaine par des brèches qu'on y avait laissées. Trois de ces coupures
étaient visibles au côté septentrional de la fontaine par où l'eau
entrait, les deux autres par où l'eau s'écoulait, placées au côté
méridional, étaient recouvertes, car c'était là le lieu de la cérémonie
et celui par lequel on avait accès à la fontaine : c'est pourquoi l'on
n'y voyait pas l'eau circuler autour du rebord. De ce côté, des marches
recouvertes de gazon conduisaient jusqu'à la fontaine en descendant la
pente de l'excavation qui avait à peu près trois pieds de hauteur.
Au sud est, sur le bord de
l'eau était une pierre triangulaire d'un rouge brillant encastrée dans
le rebord de la fontaine : un des côtés était tout contre l'eau et la
pointe était tournée vers la terre. Ce côté du rebord auquel les marches
conduisaient était un peu plus élevé que celui du nord où étaient les
trois ouvertures pour laisser arriver l'eau. Du côté du sud ouest on
descendait par une marche sur l'autre partie du rebord qui était un peu
plus basse et c'était par là seulement qu'on pouvait y arriver. Dans la
fontaine même, devant la pierre triangulaire, s'élevait un arbre
verdoyant à la tige élancée.
L'île n'était pas
parfaitement unie, mais un peu plus élevée au milieu : elle était en
partie sur fond de rocher ; il y avait aussi des places où le sol était
moins dur. Elle était couverte de gazon. Au milieu s'élevait un arbre
dont les branches s'étendaient au loin ; les douze arbres plantés autour
de l'île s'unissaient par le sommet aux branches de cet arbre qui était
au centre, et entre ces douze arbres il y avait une haie formée de
plusieurs petits arbustes.
Les neuf disciples de Jésus
qui avaient toujours été avec lui dans les derniers temps descendirent a
la fontaine et se tinrent sur le rebord. Jésus ôta son manteau dans la
tente, puis sa ceinture et une robe de laine jaunâtre, ouverte par
devant et qui se fermait avec des lacets, puis cette bande de laine
étroite qu'on portait autour du cou, croisant sur la poitrine et qu'on
roulait autour de la tête la nuit et par le mauvais temps. Il lui
restait encore sur le corps une chemise brune faite au métier avec
laquelle il sortit et descendit au bord de la fontaine où il l'ôta en la
retirant par la tête. Il avait autour des reins une bande d'étoffe qui
enveloppait chacune des jambes jusqu'à la moitié des pieds. Saturnin
reçut tous ces vêtements et les donna à garder à Lazare, qui se tenait
au bord de l'île.
Alors Jésus descendit dans
la fontaine où l'eau lui venait jusqu'à la poitrine. Il avait le bras
gauche passé autour de l'arbre, et il tenait la main droite sur sa
poitrine ; la bandelette qui ceignait les reins était détachée aux
extrémités, et flottait sur l'eau. Jean était debout au bord méridional
de la fontaine : il tenait un plat avec un large rebord, à travers
lequel couraient trois cannelures : il se baissa, puisa de l'eau et la
fit couler en trois filets sur la tête du Seigneur. un filet coula sur
le derrière de la tête, un autre sur le milieu, le troisième sur le
front et le visage.
Je ne sais plus bien les
paroles que Jean prononçait en administrant le baptême, mais c'étaient à
peu près celles ci : “Que Jéhova, par les chérubins et les séraphins,
répande sa bénédiction sur toi, avec la sagesse, l'intelligence et la
force”. Je ne sais pas bien si ce furent précisément ces trois derniers
mots ; mais c'étaient trois dons pour l'esprit, l'âme et le corps ; et
là dedans était aussi compris tout ce dont chacun avait besoin pour
rapporter au Seigneur un esprit, une âme et un corps renouvelés.
Pendant que Jésus sortait
de la fontaine, André et Saturnin, qui se tenaient auprès de la pierre
triangulaire, à la droite du précurseur, l'enveloppèrent d'un drap, pour
qu'il s'essuyât, et lui passèrent une longue robe baptismale de couleur
blanche (34) ; et, quand il fut monté sur la pierre
rouge triangulaire qui était à droite de la fontaine, ils lui mirent la
main sur les épaules pendant que Jean la lui mettait sur la tête.
Quand cela fut fait, au
moment où ils se préparaient à remonter les degrés, la voix de Dieu se
fit entendre au dessus de Jésus, qui se tenait, seul, en prière, sur la
pierre. Il vint du ciel un grand bruit, comme le bruit du tonnerre, et
tous les assistants tremblèrent et levèrent les yeux en haut. une noce
blanche et lumineuse s'abaissa, et je vis au dessus de Jésus une forme
ailée resplendissante, dont la lumière l'inonda comme un fleuve. Je vis
aussi comme le ciel ouvert, et l'apparition du Père céleste sous sa
forme accoutumée, et j'entendis, dans la voix du tonnerre, ces paroles :
“C'est mon Fils bien aimé en qui je me complais”.
Jésus était tout inondé de
lumière, et on pouvait à peine le regarder : toute sa personne était
transparente ; je vis aussi des anges autour de lui.
Je vis, à quelque distance,
Satan paraître au dessus des eaux du Jourdain : c'était une forme noire
et ténébreuse, semblable à un nuage, et, dans ce nuage, je vis s'agiter
des dragons noirs et d'autres bêtes hideuses qui se pressaient autour de
lui. Il semblait que, pendant cette effusion de l'Esprit Saint, tout ce
qu'il y avait de mal, de péché, de venin dans le pays tout entier, se
montrât sous des formes visibles, et se retirât dans cette figure
ténébreuse comme dans sa source. C'était un spectacle horrible, mais
rehaussant l'éclat indescriptible, la joie et la clarté qui se
répandaient sur le Seigneur et sur l'île. La sainte fontaine brillait
jusqu'au fond, et tout était transfiguré. On vit alors les quatre
pierres sur lesquelles l'arche d'alliance avait reposé, resplendir
joyeusement au fond de la fontaine : sur les douze pierres où s'étaient
tenus les lévites, se montrèrent des anges en adoration ; car l'esprit
de Dieu avait rendu témoignage, devant tous les hommes, à la pierre
vivante et fondamentale, à la pierre angulaire de l'Église, pierre
choisie et précieuse, autour de laquelle nous devons être posés comme
des pierres vivantes pour former un édifice spirituel, un sacerdoce
saint, afin de pouvoir offrir à Dieu, par son fils bien aimé en qui il
se complaît, un sacrifice spirituel qui lui soit agréable.
Cependant Jésus remonta les
degrés et se rendit sous la tente voisine de la fontaine ; Saturnin lui
porta ses habits que Lazare avait gardés, et Jésus s'en revêtit. Il
sortit alors de la tente, et, entouré de ses disciples, il alla sur la
partie découverte de l'île, près de l'arbre du milieu. Pendant ce temps,
Jean parlait au peuple, en faisant éclater sa joie, et il rendait
témoignage de Jésus, proclamant qu'il était le Fils de Dieu et le Messie
promis. Il rappela toutes les promesses faites aux patriarches et aux
prophètes, lesquelles se trouvaient accomplies maintenant ; il parla de
ce qu'il avait vu, de la voix de Dieu que tous avaient entendue, et
déclara qu'il se retirerait bientôt, lorsque Jésus reviendrait ; il dit
encore que l'arche d'alliance s'était reposée en ce lieu, lorsque Israël
avait pris possession de la Terre Promise, et qu'en ce même lieu, celui
qui était le sceau à l'alliance avait reçu le témoignage de son Père, le
Dieu tout puissant, Il dit à tous d'aller à lui désormais, et proclama
bienheureux le jour où l'attente d'Israël avait été remplie.
Pendant ce temps, il était
encore venu beaucoup de personnes parmi lesquelles se trouvaient des
amis de Jésus ; je vis dans la foule Nicodème, Obed, Joseph d'Arimathie,
Jean Marc et d'autres encore. Jean invita André à annoncer dans la
Galilée que le Messie avait reçu le baptême. Jésus, déclara simplement
que Jean avait dit la vérité ; il ajouta qu'il allait s'éloigner pour un
peu de temps ; qu'ensuite tous les malades et les affligés pourraient
venir à lui ; qu'il voulait les consoler et les secourir ; jusque là,
ils devaient se préparer, puis il entrerait dans le royaume que lui
avait donné son Père céleste. Jésus dit cela sous forme de parabole,
prenant pour comparaison un fils de roi, qui avant de prendre possession
de son trône, se retire à l'écart, demande l'assistance de son père, et
se recueille, etc.
Il y avait parmi les
assistants quelques pharisiens qui interprétaient ces paroles de la
façon la plus ridicule. Ils disaient : “Il n'est peut être pas le fils
du charpentier, mais l'enfant substitué de quelque roi, qui maintenant
va partir, rassembler ses gens et entrer à Jérusalem”. Cela leur
paraissait étrange et extravagant, etc.
Jean continua, ce jour là,
à baptiser tous les assistants sur l'île, dans la fontaine baptismale de
Jésus. La plupart étaient des gens qui plus tard se réunirent aux
disciples de Jésus. Ils se mettaient dans l'eau qui entourait le rebord
de la fontaine, et Jean, debout sur ce rebord, les baptisait.
Quant à Jésus, il quitta ce
lieu avec les neuf disciples et quelques autres qui se joignirent à lui
ici. Lazare, André et Saturnin le suivirent. Ils avaient, par son ordre,
rempli une outre d'eau de la fontaine où il avait été baptisé, et ils la
portaient avec eux. Les assistants se jetèrent aux pieds de Jésus, et le
supplièrent de rester avec eux. Il leur promit de revenir et s'en alla.
(29 et 30 septembre) Jésus,
avec ses compagnons, fit encore ce jour là environ deux lieues dans la
direction de Jérusalem, et il arriva à un petit endroit dont le nom
ressemblait à Bethel. Il y avait là une espèce d'hôpital où se
trouvaient beaucoup de malades, et où Jésus entra. Je le vis prendre là
de la nourriture avec ceux qui l'accompagnaient. Il vint aussi plusieurs
gens âgés. On salua Jésus très solennellement, en qualité de prophète,
car on savait déjà par des gens venus du baptême, ce que Jean avait dit
de lui. Jésus alla avec ses disciples dans la chambre de tous les
malades. Il les consola tous et leur dit qu'il reviendrait les guérir,
s'ils croyaient en lui. Je crois qu'il en guérit un. il était tout
décharné, il avait en outre des ulcères à la tête, et une lèpre blanche.
Jésus le bénit et lui commanda de se lever ; il se leva et s'agenouilla
devant Jésus. Plusieurs personnes furent baptisées ici par le ministère
d'André et de Saturnin. Jésus fit placer sur un escabeau, dans une pièce
de la maison, un grand bassin plein d'eau dans lequel un enfant aurait
pu tenir couché ; qu'il bénit cette eau et y fit une aspersion avec une
branche. C était, je crois, avec de l'eau baptismale prise dans l'outre
apportée par les disciples.
Les néophytes se
dépouillaient jusqu'à la poitrine, courbaient la tête au dessus du
bassin, et Saturnin les baptisait. Je crois qu'il se servait d'une
formule indiquée par Jésus, et qui était autre que celle de Jean, mais
je ne m'en souviens pas bien clairement. Jésus célébra le sabbat en ce
lieu : le lendemain André partit pour la Galilée.
Quant à Jésus, il se rendit
dans une ville nommée Luz. Il alla à la synagogue, et fit un long
discours où il expliqua le sens mystérieux de plusieurs anciennes
figures des Ecritures. Je me souviens qu'il parla des enfants d'Israël,
rappela qu'après avoir traversé la mer Rouge, ils errèrent longtemps
dans le désert, à cause de leurs péchés ; qu'ensuite, ayant traversé le
Jourdain, ils possédèrent la Terre Promise. Maintenant, disait il, le
temps était venu où cela devait arriver réellement par le baptême dans
le Jourdain : ce n'avait été alors qu'une figure, mais maintenant, s'ils
étaient fidèles et observaient les commandements de Dieu, ils
entreraient en possession de la Terre Promise et de la cité de Dieu. Il
entendait cela spirituellement de la Jérusalem céleste. Mais eux
croyaient toujours qu'il s'agissait d'un royaume de ce monde et de leur
affranchissement du joug des Romains. Il parla de l'arche d'alliance et
de la rigueur de la loi ancienne, sous laquelle celui qui s'approchait
je l'arche pour la toucher, était puni de mort : mais maintenant la loi
était accomplie, et la grâce était venue dans la personne du Fils de
l'homme il dit encore que le temps était arrivé où l'ange devait ramener
Tobie dans la Terre Promise, après la longue captivité où il avait
langui, toujours fidèle aux préceptes divins. Il parla encore de Judith,
la veuve qui avait tranche la tète à l'Assyrien Holopherne pendant son
ivresse, et délivré Bethulie réduite à l'extrémité : mais maintenant
c'était la vierge qui, ayant été dès l'éternité ; allait croître et
grandir, et beaucoup de têtes orgueilleuses qui menaçaient Bethulie,
allaient tomber. Il entendait parler de l'Eglise et de sa victoire sur
le prince de ce monde.
Jésus parla encore de
beaucoup de symboles du même genre, qui maintenant trouvaient tous leur
accomplissement. Toutefois il ne disait jamais : " C'est moi ", mais
parlait toujours comme d'une tierce personne. Il parla en outre de ce
qu'il fallait pour le suivre, dit qu'on devait tout quitter et ne pas
s'inquiéter outre mesure de sa subsistance ; car c'était chose plus
importante d'être régénéré que de trouver à se nourrir ; que s'ils
renaissaient de l'eau et du Saint Esprit, celui là les nourrirait qui
les aurait régénérés. Il ajouta que ceux qui voulaient le suivre
devaient quitter tous les leurs et s'abstenir du mariage, car ce n'était
pas le temps de semer, mais le temps de récolter. Il parla aussi du pain
céleste. Ses auditeurs étaient saisis d'admiration et de respect, mais
ils entendaient tous ses enseignements dans un sens matériel et
terrestre.
Lazare le quitta ici : les
autres amis de Jérusalem l'avaient déjà quitté près du Jourdain. Les
saintes femmes, qui étaient chez Suzanne à Jérusalem, se sont mises en
route par le désert. Je crois qu'elles vont à Thébez, où Jésus doit les
retrouver.
(1er octobre) Jésus quitta
Luz et traversa le désert. Il alla dans la direction du midi avec ses
disciples, dont une douzaine à peu près était avec lui. Il y en a deux,
outre Saturnin, qui l'ont suivi après le baptême. Le fils de Véronique
est déjà parti hier, peut être pour porter des nouvelles aux saintes
femmes. Dans la suite de ce voyage, je vis une fois Jésus et les
disciples marcher entre deux rangées de dattiers, et comme les disciples
hésitaient à ramasser les fruits tombés par terre et à les manger, Jésus
leur dit qu'ils pouvaient manger ces fruits en toute sécurité ; il
ajouta que dorénavant ils ne devaient pas être si scrupuleux, qu'ils
devaient chercher la pureté dans les affections de leur âme et dans
leurs discours, et non la faire dépendre de ce qui entre dans la bouche.
Je vis Jésus sur la route
visiter une dizaine de malades dans une rangée de maisons isolées, les
consoler et en guérir quelques uns. Plusieurs personnes se mirent là à
sa suite.
Il vint après cela dans un
petit endroit appelé Ensemès, dont les habitants allèrent à sa
rencontre. On avait déjà annoncé l'arrivée prochaine du nouveau
prophète. Il vint beaucoup de gens tenant des enfants par la main, qui
le saluèrent et se prosternèrent devant lui. Jésus les accueillit avec
bonté. C'étaient des gens considérables de l'endroit qui le conduisirent
chez eux ; mais les pharisiens l'emmenèrent de là à l'école. Ils étaient
bien disposés et se réjouissaient d'avoir un prophète chez eux ; mais
quand ils apprirent par les disciples que Jésus était le fils de Joseph,
le charpentier de Nazareth, ils trouvèrent dans leur for intérieur bien
des choses à blâmer en lui. Ils avaient cru avoir affaire à un autre
prophète. Comme Jésus parla du baptême, ils lui demandèrent quel baptême
était le meilleur, le sien ou celui de Jean' Jésus répéta ce que Jean
avait dit de son baptême et de celui du Messie, mais il ajouta que ceux
qui méprisaient le baptême du précurseur tiendraient également peu de
compte du baptême du Messie. Il ne dit pourtant jamais : " C'est moi "
mais parla toujours à la troisième personne, de même que nous le voyons,
dans l'Evangile, dire : " le Fils de l'homme . " Il prit encore un repas
dans la maison où il était entré, et fit la prière en commun avec ses
disciples avant qu'on ne se retirât pour dormir.
De Luz à Ensemès, Jésus
allait dans la direction du midi. Près d'Ensemès coulait le torrent de
Cédron : il vient de la vallée où Judas se pendit ; il coule le long de
la vallée de Josaphat, au pied de la montagne des Oliviers, puis ensuite
va à l'orient se jeter dans la mer Morte. Il y avait ici beaucoup de
montagnes : la chaîne s'étend jusqu'au mont Amon, près du désert de Giah,
où Jésus se trouvait le soir qui précéda son arrivée à Bethanie.
(2 octobre.) Le jour
suivant je vis Jésus avec ses compagnons quitter Ensemès et entrer dans
la Judée en traversant le torrent de Cédron. Il va le plus souvent par
des chemins détournés ; il me semble qu'il veut passer par les bourgades
situées à un certain rayon autour du lieu où Jean baptise, et suivre les
vallées où la sainte Vierge s'est arrêtée dans son voyage à Bethléem
avec saint Joseph. Il veut visiter Bethléem même, et aussi quelques
lieux où la sainte Vierge a passé la nuit lors de la fuite en Egypte. Il
veut enseigner et guérir dans tous ces endroits, puis, en revenant,
passer devant le lieu du baptême.
Le temps est nébuleux et
assez frais : je vois parfois de la neige ou de la gelée blanche dans
les vallées profondes ; mais du côté exposé au soleil tout est vert et
riant. Partout on voit encore des fruits sur les arbres. Le Seigneur et
les disciples en mangent sur leur chemin.
Jésus maintenant n'entre
pas dans les villes, parce que déjà partout on parle beaucoup de son
baptême, de ce qui s'y est passé et de ce qui a été dit par Jean à
Jérusalem aussi il n'est bruit que de cela. Jésus veut aussitôt après
son retour du désert, prendre la Galilée pour point de départ, et il ne
parcourt maintenant ce pays ci que dans le désir charitable de décider
encore quelques personnes à aller au baptême il ne va pas toujours avec
tous les disciples ensemble ; souvent il n'y en a que deux avec lui. Ils
se dispersent dans des maisons de bergers isolées et écartées de la
route, et ils redressent les idées de ces gens ; car tous ont une si
haute opinion de Jean, qu'ils regardent Jésus comme n'étant que l'un de
ceux qui l'assistent, et ils le nomment seulement l'Assistant. Les
disciples leur font connaître l'apparition du Saint Esprit et les
paroles qui se sont fait entendre pendant le baptême. Ils leur disent ce
que Jean a déclaré, qu'il n'est que celui qui prépare les voies du
Seigneur, et que c'est pour cela aussi qu'il fraye le chemin avec tant
d'ardeur et de véhémence Alors les bergers et les tisserands, qui sont
ici en grand nombre dans les vallées, viennent à Jésus, et écoutent sous
des arbres et des hangars ses courtes instructions : ils se prosternent
devant lui : il les bénit et les exhorte.
Pendant qu'ils étaient en
route, il expliqua aussi aux disciples, dont quelques uns avaient
entendu les paroles proférées lors du baptême : " C'est mon Fils bien
aimé" ; que son Père céleste a dit cela de tous ceux qui ont reçu sans
péché le baptême du Saint Esprit.
Cette contrée est celle par
laquelle passèrent Joseph et Marie allant à Bethléhem. Joseph avait
appris ici que son père avait possédé des pâturages dans les environs.
Il avait fait un détour d'une journée et demie environ du côté de
Jérusalem ; il avait évité toutes les villes, et avait préféré passer
par ici en faisant de petites journées de deux heures, parce que les
maisons de bergers étaient très rapprochées les unes des autres : car la
sainte Vierge ne pouvait ni marcher ni rester longtemps assise sur sa
selle sans se fatiguer beaucoup.
Les deux stations
principales dé Jésus furent aujourd'hui deux maisons de bergers où ses
parents s'étaient adressés alors Il arriva avant midi à cette maison où
Marie avait été mal accueillie, et il enseigna la foule qui s'était
rassemblée. Le maître de la maison en question était un vieillard
grossier ; il ne voulut pas non plus recevoir Jésus, et il se comporta
brutalement, à la façon de certains de nos paysans qui disent souvent :
" Qu'ai je à faire de ceci ou de cela ? Je paie mes redevances et je
vais à l'église ", vivant du reste comme il leur plaît. Les gens de
cette maison disaient aussi : " Qu'avons nous besoin de cela ? Nous
avons notre loi qui date de Mo'se ; c'est Dieu même qui nous l'a donnée
; il ne nous faut rien de plus. "Alors Jésus leur parla de l'hospitalité
et de la miséricorde que tous les anciens patriarches avaient exercée,
car où serait cette bénédiction et ce qui la conserve, si Abraham avait
repoussé les anges qui la lui apportèrent ? Le Seigneur leur dit encore
en paraboles : que celui qui a repoussé la mère portant son enfant dans
son sein, lorsqu'elle frappait à la porte, épuisée par la fatigue du
voyage ; celui qui s'est moqué de son mari cherchant un gîte
hospitalier, repoussait aussi le fils et le salut venant de lui et
apporté par lui. Il leur dit cela en termes expressifs, que je vis ses
paroles entrer dans le coeur de cet homme comme un coup de foudre : car
c'était là la maison où l'on avait refusé d'accueillir Joseph et Marie
lors de leur voyage à Bethléem, et où on l'avait repoussés avec des
paroles injurieuses. Je reconnus bien la maison, et les plus vieux parmi
ceux qui étaient présents furent frappés de stupeur : car sans nommer ni
lui même ni sa mère, ni Joseph, il avait dit sous forme de parabole tout
ce qu'ils avaient fait.
Alors l'un d'eux se jeta à
ses pieds et le pria de vouloir bien entrer chez lui et y prendre de la
nourriture ; car il était certainement prophète, puisqu'il savait tout
ce qui s'était passé en ce lieu trente ans auparavant. Mais Jésus ne
voulut rien accepter de lui. il enseigna encore les bergers assemblés ;
il leur dit que toutes les actions étaient la figure et le germe de
celles qui leur succédaient ; que le repentir et la pénitence
extirpaient les vieilles racines, et que l'homme qui se convertissait
renaissait dans le baptême du Saint Esprit, et portait des fruits pour
la vie éternelle.
Je les vis aller plus loin
à travers les vallées, et enseigner ça et là ; il y avait des possédés
qui le poursuivaient de leurs cris, et se taisaient à son commandement.
Dans l'après midi, Jésus
arriva à une seconde maison de bergers, placée sur une hauteur, et où la
sainte Vierge avait aussi logé. Le maître était à la tête de plusieurs
troupeaux. Des bergers et des gens qui fabriquaient des tentes
habitaient de longues rangées de maisons situées dans ces vallées. Ils
tenaient de longues bandes d'étoffe déployées et travaillaient les uns
en face des autres. Il y avait dans ces parages beaucoup de troupeaux de
montons et aussi beaucoup d'animaux sauvages. Les colombes se
promenaient en troupes comme des poulets, ainsi qu'une autre espèce de
gros oiseaux à longue queue. On voyait aussi courir dans le désert des
animaux avec de petites cornes, qui ressemblaient à des chevreuils. Ils
n'étaient pas timides et se mêlaient aux troupeaux. Ici, Jésus fut
accueilli très amicalement Les gens de la maison ainsi que les voisins
et les enfants allèrent joyeusement à sa rencontre et se prosternèrent
devant lui. La sainte Vierge et Joseph avaient reçu dans cette maison
une hospitalité très bienveillante. Il s'y trouvait deux jeunes gens,
enfants du maître du logis qui vivait encore, et un petit vieillard tout
courbé, portant une petite houlette. Jésus prit de la nourriture :
c'étaient des fruits et des herbes qu'on trempait dans une sauce, et des
petits pains cuits sous la cendre. Ces gens étaient pieux et éclairés.
Ils conduisirent Jésus dans
la chambre où la sainte Vierge avait passé la nuit. Ils en avaient fait
depuis longtemps un oratoire. Ce n'était autrefois qu'une division de la
pièce où ils habitaient, mais plus tard ils l'avaient séparée du reste,
et y avaient fait une entrée particulière. Ils avaient coupé les quatre
angles de la chambre qu'ils avaient ainsi rendue octogone et surmonté la
toiture d'une pointe tronquée. Au milieu, était suspendue une lampe ; on
pouvait aussi ouvrir un jour dans le toit. Devant la lampe, était une
espèce de table étroite comme nos tables de communion, ou ils pouvaient
s'appuyer en priant. C'était joli et propre comme une chapelle. Le
vieillard y conduisit Jésus et lui montra l'endroit où sa sainte Mère
avait reposé ; il lui montra encore un endroit où avait dormi sa grand
mère, sainte Anne, qui, elle aussi, s'était arrêtée là, lorsqu'elle
avait été visiter la sainte Vierge à Bethléem.
Ces gens avaient
connaissance de la nativité de Jésus, de l'adoration des rois, des
prédictions de Siméon et d'Anne dans le temple, de la fuite en Egypte et
du merveilleux enseignement de Jésus au temple. Ils avaient fête
plusieurs de ces anniversaires par des prières dans leur oratoire, et,
dès le commencement, ils avaient fidèlement cru, espéré et aimé. Ils
interrogèrent Jésus en toute simplicité et à la façon des gens de la
campagne : " Que se passe t il donc maintenant, dirent ils, à Jérusalem,
chez les grands personnages ? "
On dit que le nouveau
Messie viendra, comme roi des Juifs, rétablir le royaume et les délivrer
du joug des Romains ; est ce donc que cela aura lieu ? Jésus leur
expliqua tout par une parabole sur un fils de roi que son père envoie
prendre possession de son trône, rétablir le sanctuaire, et délivrer ses
frères de l'esclavage ; mais ils ne devaient pas reconnaître ce fils,
ils devaient le persécuter et le maltraiter ; toutefois il devait être
exalté et tirer à lui, dans le royaume de son Père céleste, tous ceux
qui observeraient ses préceptes.
Beaucoup de personnes
entrèrent avec Jésus dans l'oratoire et je crois qu'il y enseigna. Il a
aussi guéri ici. Le vieux berger le conduisit chez une voisine que la
goutte retenait au lit depuis des années. Jésus la prit par la main et
lui ordonna de se lever ; elle se leva aussitôt, remercia le Seigneur à
genoux, et le reconduisit jusqu'à la porte. Elle marchait toute courbée,
comme la belle mère de Pierre.
Jésus se fit ensuite
conduire par ces gens dans une vallée très profonde, où il y avait
beaucoup de malades. Il en guérit plusieurs et donna des consolations à
tous. Il guérit au moins dix personnes. Ici je ne vis plus rien. Jésus a
passé la nuit chez les bergers.
Jean continue toujours à
baptiser. L'affluence est de plus en plus grande. L'arbre de la fontaine
baptismale de Jésus a été placé dans le grand bassin qui sert pour le
baptême, et il est d'un très beau vert. On descend dans ce bassin par
des degrés ; il y entre plusieurs langues de terre sur lesquelles les
gens viennent à la suite les uns des autres. Ils arrivent par un côté et
s'en vont par l'autre.
( 3 octobre ) Lorsque Jésus
quitta la maison des bergers, qui est à environ cinq lieues de Bethléem,
ces gens l'accompagnèrent. Ils étaient en relations intimes avec les
bergers qui avaient visité Jésus dans la crèche ; voilà pourquoi ils
étaient si bien disposés.
Le Seigneur et les
disciples firent hier beaucoup de détours ; des troupes de bergers et
d'ouvriers se rassemblaient ça et là autour de lui, et il les
instruisait par des comparaisons tirées de leur profession. Il les
exhortait encore au baptême et à la pénitence, et parlait de l'approche
du Messie et des jours de salut.
Sur le chemin de Jésus, je
vis au penchant de la montagne, dans une situation favorable, beaucoup
de gens occupés de divers travaux dans les champs. Dans quelques
endroits, je vis des vignes et des gens qui y travaillaient : je vis
aussi serrer le grain entassé : je vis labourer, semer et planter. La
fertilité était grande ici, quoique dans d'autres parties de ces y
allées il y eût de la gelée blanche ou de la neige. Le blé n'était pas
en gerbes : on le coupait à un demi pied environ au dessous de l'épi, et
on attachait ensemble par le milieu deux faisceaux d'épis, de façon à ce
que la tête des épis fît saillie des deux côtés. Ces faisceaux étaient
entassés les uns sur les autres. On ne les rapportait pas comme si la
moisson eût été faite tout récemment, car elle était faite depuis
longtemps : les épis étaient restés accumulés en meules larges et
élevées, semblables à des collines ; et maintenant que la saison des
pluies arrivait, et qu'on préparait de nouveau la terre, on les couvrait
avec de la paille. On coupait les épis avec une faucille ; la paille
était ensuite arrachée et jetée en tas. Je vis qu'on rentrait le grain
sur des civières portées par quatre hommes : la paille était aussi
rangée et mise en faisceaux pour être brûlée, à ce que je crois. Dans
d'autres endroits on labourait. La charrue n'avait pas de roues, et elle
était tirée par des hommes. La charrue que je vis ressemblait à un
traîneau avec trois lames tranchantes, entre lesquelles était
l'attelage. Ordinairement elle était tirée par des hommes ou des ânes,
et personne ne la tenait par derrière. On labourait en long et en large.
Leur herse que je vis était triangulaire, la pointe était en arrière.
Tout cela marchait très bien. Là où le fond était rocailleux, on jetait
un peu de terre pardessus et la semence y poussait aussi. Les semeurs
portaient leur sac sur le cou, avec les deux extrémités sur la poitrine.
Les plantes que je vis mettre en terre étaient de l'ail et une autre
plante qui avait de grandes feuilles ; je crois que c'était un légume :
il y en avait un qu'on appelait dourra.
Les disciples rassemblaient
ces gens près du chemin, et Jésus les enseigna en paraboles où il était
question de charrues, de semence et de moisson il parla avec les
disciples de la semence qu'ils devaient répandre par le baptême. Il en
désigna deux, dont l'un était Saturnin, pour baptiser dans quelque temps
près du Jourdain. Il leur dit que c'étaient là les semailles, et que
comme les laboureurs d'ici, ils récolteraient aussi dans deux mois. Il
parla encore de la paille qui devait être jetée au feu.
Pendant que Jésus
enseignait, une troupe de travailleurs, venant de Sichar, passa tout
près du chemin. Ils avaient des pelles, des pioches et de longues
perches : ils ressemblaient à des esclaves, et je crois qu'ils
revenaient chez eux après avoir travaillé à des édifices publies ou à
des routes. Ils se tinrent timidement à quelque distance ; ils n'osaient
pas s'approcher près des Juifs et ils écoutaient. Jésus les fit venir et
dit que son Père céleste appelait tous les hommes à lui par son
ministère : il parla de l'égalité de tous ceux qui font pénitence et se
font baptiser. Ces pauvres gens étaient tellement touchés de sa bonté
qu'ils se jetèrent à ses pieds pour le prier de venir aussi les visiter
et de les assister à Samarie. Il répondit qu'il irait les voir, mais que
maintenant il devait se retirer à part pour se préparer à entrer dans
son royaume, suivant la mission qu'il avait reçue de son Père céleste.
Les bergers conduisirent
encore Jésus par divers chemins où sa mère axait passé, et il
connaissait ces lieux mieux que ses conducteurs, en sorte qu'ils
s'écriaient pleins d'admiration : " Seigneur, vous êtes un prophète et
un fils pieux, puisque vous reconnaissez et suivez les traces de votre
heureuse mère "Après avoir enseigné et exhorté tout ce monde, Jésus alla
à la petite ville de Betharaba. Il y arriva dans l'après midi sur une
place découverte, et il monta sur une chaire en pierre qui était sous
des arbres. Beaucoup d'auditeurs se rassemblèrent autour de lui et il
les enseigna. C'étaient des gens bien disposés. Ici je cessai de voir
cette scène.
(1 octobre) Jésus quitta
cet endroit accompagné de plusieurs de ses auditeurs, et marcha dans la
direction de la vallée des Bergers, qui est à environ trois lieues et
demie d'ici. Je ne sais pas où il passa la nuit ; je le vis une fois
seul avec les disciples sous un hangar ouvert : ils mangeaient des
fruits, des baies rouges qu'ils avaient cueillies et des épis, et ils
buvaient de l'eau.
La nuit, ils vont chacun de
leur côté ; Jésus leur désigne un lieu où il se trouvera à tel ou tel
moment, et ils se répandent au loin dans le pays, font des rapports sur
lui, et exhortent au baptême et à la pénitence ceux qui ne sont pas
encore réalises : ces gens viennent pour la plupart avec eux aux
endroits où ces instructions doivent être faites. Jésus aussi fait de
longs circuits : je le vois souvent monter seul sur des collines et
prier, en sorte que tout le temps du voyage trouve son emploi.
J'entendis les disciples de
Jésus, à cause de sa vie austère, de son habitude d'aller pieds nus, de
ses jeûnes et de ses veilles nocturnes dans cette saison froide et
humide, l'engager à ménager un peu son corps. Mais il les éconduisit
avec bonté et continua à faire comme auparavant.
Le matin, au crépuscule, je
vis Jésus avec ses disciples descendre par une pente escarpée dans la
vallée des Bergers. Les bergers qui habitaient là savaient déjà qu'il
allait venir. Ils avaient tous été baptisés par Jean. Il s'en trouvait
même parmi eux qui avaient eu des songes et des visions sur l'approche
du Seigneur. Quelques uns veillaient et regardaient toujours du côté par
où il devait venir. Ils le virent tout entouré de lumière descendre dans
la vallée : car plusieurs de ces gens simples étaient favorisés de
grâces particulières. Aussitôt ils soufflèrent dans un cornet pour
réveiller et convoquer ceux qui demeuraient à distance. Ils avaient
coutume de faire ainsi dans les occasions de quelque importance. Tous
accoururent au devant du Seigneur et se prosternèrent devant lui,
allongeant humblement le cou et ayant leurs longs bâtons sous le bras.
Plusieurs avaient la face contre terre. Ils avaient des jaquettes
courtes, le plus souvent en peau de mouton, les unes ouvertes sur la
poitrine, les autres tout à fait fermées, et qui leur allaient jusqu'aux
genoux : ils portaient des sacs jetés en travers sur les épaules. Ils
saluèrent Jésus avec des passages des psaumes qui se rapportent à
l'avènement du Sauveur, et expriment la reconnaissance d'Israël pour
l'accomplissement de la promesse. Jésus fut très affectueux avec eux, et
il leur parla du bonheur de leur condition. Il enseigna ça et là dans
les cabanes qui étaient rangées tout autour de la large vallée des
prairies : ce fut le plus souvent en paraboles tirées de la vie
pastorale.
Il s'avança ensuite avec
eux dans la vallée, dans la direction de Bethléem, jusqu'à la tour des
Bergers (35). Il leur parla de la visite qu'il leur
faisait maintenant, à eux qui l'avaient salué dans son berceau, et qui
s'étaient montrés charitables envers lui et ses parents. Il enseigna
aussi en paraboles, où il parlait de pasteur et de troupeau, disant que
lui aussi serait un pasteur, rassemblerait le troupeau, le guérirait et
le conduirait jusqu'à la fin des temps.
Les bergers firent des
récits sur l'apparition des anges, sur la sainte Famille et l'Enfant ;
ils racontèrent comment, eux aussi, avaient vu l'image de l'Enfant dans
l'Etoile au dessus de la grotte de la crèche.
Ils parlèrent aussi des
rois mages qui avaient vu la tour des Bergers dans les astres, et des
nombreux présents que les rois leur avaient faits en partant. Parmi ces
présents, il y avait de grosses étoffes pour les tentes dont ils
s'étaient servis ici, à la tour des Bergers et dans leurs cabanes. Il se
trouvait là quelques vieillards qui avaient été à la crèche dans leur
jeunesse. Ils redirent à Jésus tout ce qui s'était passé alors.
(5 octobre) Le jour
d'après, Jésus et les disciples furent conduits par les bergers plus
près de Bethléem, à l'endroit où demeuraient les fils survivants des
trois vieux bergers auxquels les anges étaient apparus d'abord, lors de
la nativité du Christ, et qui lui avaient présenté leurs hommages les
premiers. Ils étaient enterrés à peu de distance de l'habitation qui
était à peu près à une lieue de la grotte de la crèche. Trois fils de
ces vieux bergers étaient vivants et déjà avancés en âge. Les autres les
respectaient beaucoup. Cette famille de bergers jouissait d'une certaine
prééminence parmi les autres, comme les trois rois parmi leurs
compagnons. Ils accueillirent Jésus avec beaucoup de joie et d'humilité,
et le conduisirent à la sépulture de leurs pères C'était une colline où
il y avait un vignoble : elle était isolée et entourée par le bas d'une
toiture sous laquelle était l'entrée de divers celliers et de plusieurs
grottes. Plus haut, sur la colline, était la grotte sépulcrale des vieux
bergers. Le jour y entrait par en haut. Les tombeaux étaient disposés
dans le sol suivant la direction indiquée par ces lignes : I I. Il y
avait des portes qui étaient fermées Les bergers les ouvrirent pour
Jésus, et je vis les corps emmaillotés avec leur visage noirâtre. On
avait comblé les places vides autour des cercueils en y jetant une
quantité de petits fragments de pierre.
Les bergers montrèrent
aussi à Jésus leur trésor : c'était ce qui était resté à leurs pères des
présents des trois rois : ils le conservaient enfoui dans la grotte. Il
consistait en petites barres d'or natif, enveloppées dans des pièces
d'étoffe très précieuse brochée d'or. Ils demandèrent à Jésus s'ils
devaient donner tout cela au temple. Il leur dit de le conserver pour la
communauté qui serait le nouveau temple. Il leur dit aussi qu'un jour on
élèverait une église au dessus de ce tombeau ( ce qui fut fait par
sainte Hélène ). à cette colline commençaient des vignobles qui
s'étendaient jusqu'à Gaza. C'était le cimetière commun des bergers.
Ils conduisirent ensuite le
Seigneur à la grotte de la crèche (36), lieu de sa
nativité, qui était environ à cinq lieues de là. On suivait, pour y
aller, une vallée charmante que longeaient trois sentiers passant entre
des groupes d'arbres fruitiers taillés.
Ils parlaient en chemin du
cantique des anges, et je vis de nouveau toutes ces scènes. Les anges
apparurent en trois endroits : d'abord aux trois bergers ; dans la nuit
suivante, à la tour des Bergers, et, enfin, près de la fontaine où Jésus
avait été reçu hier matin par les bergers. Ils se montrèrent en plus
grand nombre à la tour des bergers. C'étaient de grandes figures qui
n'avaient pas d'ailes. Sur le chemin de la grotte de la crèche, les
bergers firent entrer le Seigneur dans la grotte du tombeau de Maraha,
nourrice d'Abraham, près du grand térébinthe.
Ils conduisirent ensuite
Jésus à la grotte de la crèche. De ce côté, qui était celui du levant,
il n'y avait pas de chemin par lequel on pût aller directement à
Bethléhem : on pouvait à peine de là voir la ville, qui était séparée de
la vallée des Bergers par des remparts écroulés et toutes sortes de
décombres, au milieu desquels passaient des chemins creux. L'entrée de
la ville la plus rapprochée était la porte du midi, laquelle conduisait
à Hébron. En sortant de cette porte, il fallait contourner la ville au
levant pour se rendre aux environs de la crèche qui se liaient à la
vallée des Bergers. On y arrivait, de cette vallée, sans toucher
Bethléhem. La grotte de la crèche et les grottes adjacentes
appartenaient aux bergers ; de tout temps ils s'en étaient servis pour y
loger du bétail et y déposer toutes sortes d'objets, et aucune personne
de Bethléhem n'avait rien à y faire. Joseph, dont la maison paternelle
était dans la partie méridionale de la ville, y était souvent venu dans
son enfance, et y était entré en rapport avec les bergers ; il s'y était
aussi caché de ses frères et s'y était retiré pour prier.
Les bergers allèrent avec
Jésus à la grotte, où beaucoup de choses avaient été changées : ils en
avaient fait comme un petit oratoire. Pour que personne ne mît le pied
sur ce sol sacré, ils avaient entouré d'un grillage la place de la
crèche ; ils avaient fait un passage autour et agrandi la grotte à cet
effet. Le long de ce passage, étaient des cellules creusées dans le
rocher, comme autour d'un cloître. Les parois et le sol avaient été
tapissés avec des couvertures laissées par les rois mages ; elles
étaient de diverses couleurs, et des pyramides étaient dessinées dans le
tissu même, en plusieurs endroits. (C'étaient vraisemblablement des
triangles de couleur différente dont on ornait souvent les murs chez les
Juifs ; la Soeur mentionne souvent ce genre d'ornement, notamment en
décrivant la chambre à coucher de Marie au temple.)
Ils avaient, en outre,
pratiqué deux escaliers conduisant, du passage dont on vient de parler,
au haut de la grotte de la crèche ; au dessus de la grotte proprement
dite, ils avaient enlevé le plafond avec ses ouvertures étroites pour
laisser passer le jour, et construit à la place une espèce de coupole
par où la lumière tombait d'en haut. On pouvait, par l'un des escaliers,
monter sur la colline, et de là gagner Bethléhem. Ils avaient pu faire
tous ces changements, grâce à ce que les rois mages avaient laissés.
On était au vendredi soir,
à l'ouverture du sabbat, lorsqu'ils conduisirent là Jésus ; ils avaient
allumé des lampes dans la grotte de la crèche. La crèche elle même était
restée à son ancienne place Jésus leur montra l'endroit où il était né,
qu'ils ne connaissaient pas. Il leur fit une instruction, et ils
célébrèrent le sabbat. Il leur dit comment son Père céleste avait
désigné ce lieu par avance, lors de la conception de Marie, et j'eus
aussi connaissance de divers événements figuratifs de l'Ancien
Testament, qui s'étaient passés en cet endroit Abraham y était venu
ainsi que Jacob. Seth, l'enfant de la promesse, y avait été engendré
après une pénitence de sept années, et Eve l'y avait mis au monde.
C'était là qu'un ange avait dit à Eve que Dieu lui donnait ce rejeton à
la place d'Abel. Il y avait été longtemps caché aussi bien que dans la
grotte du tombeau de la nourrice Maraha, parce que ses frères en
voulaient à sa vie comme les fils de Jacob à la vie de Joseph.
Les bergers conduisirent
encore Jésus dans la grotte voisine, où la sainte Famille avait habité
quelque temps. Ils avaient enclos avec soin la fontaine qui avait jailli
là à la naissance du Christ, et ils faisaient usage de son eau dans
leurs maladies. Jésus fit prendre de cette eau pour l'emporter.
(7 octobre) Remarque. A
cette époque, la narratrice était devenue malade à la mort, par suite de
la douleur que lui causait la corruption des hommes, et les visions sur
la vie de Jésus, qui se rapportaient à ces jours là paraissaient tout à
fait perdues. Le 8 octobre au soir, elle tendit la main à l'écrivain, et
lui dit comme pour le consoler : J'ai tout vu ; il est encore chez les
bergers. C'est toujours dans la souffrance qu'elle est le plus
affectueuse. Elle communiqua les fragments qui suivent.
Jésus visita aujourd'hui
avec les disciples les différentes habitations des bergers qui se
trouvent dans les environs ; il y consola et enseigna. Les disciples
allaient parfois seuls dans quelques unes d'entre elles, les unes après
les autres ; ils expliquaient les enseignements de Jésus et racontaient
ce qui s'était passé à son baptême.
Saturnin baptisa plusieurs
vieillards qui n'étaient pas en état d'aller au baptême de Jean. On
mêlait pour cela de l'eau de la fontaine baptismale de Jésus, dans l'île
du Jourdain, avec celle de la source qui était dans la grotte voisine de
ha crèche.
Au baptême de Jean, on
confessait ses péchés en général, mais ceux qui recevaient le baptême de
Jésus confessaient individuellement leurs péchés les plus graves,
témoignaient leur repentir et recevaient l'absolution. Les gens âgés
s'agenouillaient ; leur corps était nu jusqu'à la ceinture. Il y avait
devant eux un grand bassin au dessus duquel ils courbaient la tète, et
on les baptisait. à ce baptême, comme dans la formule dont Jean fit
usage en baptisant Jésus, on prononçait le nom de Jehovah, et on faisait
mention des trois dons célestes, mais on parlait aussi au nom de
l'envoyé de Dieu.
Jésus, le plus souvent,
passait les nuits, seul, en prière sur les collines. A la fin de son
séjour chez lest bergers, il dit aux disciples, qu'il voulait aller seul
visiter des gens qui l'avaient accueilli avec bienveillance, lui et ses
parents, lors, de leur fuite en Egypte, ajoutant qu'il avait là des
malades à guérir et un pécheur à convertir. Aucune trace de ses saints
parents ne devait rester sans bénédiction. Il allait rechercher, pour
les mettre dans la voie du salut, tous ceux qui, autrefois, s'étaient
montrés hospitaliers et charitables envers eux. Toute bonne oeuvre,
toute oeuvre de miséricorde avait été ici une participation à l'oeuvre
du salut, et devait l'être pour toujours ; de même qu'il visitait tous
ceux qui, autrefois, s'étaient montrés charitables envers lui et envers
les siens, de même, son Père céleste se souviendrait de tous ceux qui
auraient témoigné de la charité et fait du bien au moindre de ses
frères. Il donna rendez vous à ses disciples à un certain endroit voisin
d'une ville ou d'une montagne d'Ephraim, près d'une grotte où ils
devaient l'attendre les jours suivants.
Le 8 octobre, je vis Jésus,
seul, à la frontière du territoire d'Hérode, se diriger vers le désert,
près d'Anim ou Engannim, à deux lieues de la mer Morte, dans un pays
sauvage, mais assez fertile. (Elle dit plus tard de cette ville, qu'elle
était habitée par des gens rejetés de la société. La fuite en Egypte eut
lieu par la partie orientale de la Judée, le retour par le côté qui
longe la mer Méditerranée, par Gaza.) On voyait, dans Et` pays,
plusieurs chameaux qui paissaient ; il y en avait bien une quarantaine,
et ils étaient parqués. J'avais déjà vu Jésus sur la route, passer au
milieu de semblables troupeaux. Il y avait une espèce d'hôtellerie pour
les gens qui allaient au désert vers lequel Jésus se dirigeait. On
voyait plusieurs cabanes et hangars à côte les uns des autres ; ces gens
avaient beaucoup de chameaux et ils étaient, je crois, chameliers de
profession. Les maisons étaient adossées à une hauteur. Il se trouvait à
l'entour des fruits sauvages.
Cet endroit avait été le
dernier du territoire d'Hérode où la sainte Famille s'était arrêtée,
lors de la fuite en Egypte. Ceux qui habitaient là, quoique ce fussent
de méchantes gens qui souvent exerçaient le brigandage, avaient pourtant
bien reçu la sainte Famille. La ville voisine était aussi habitée par
des hommes de vie irrégulière qui s'y étaient établis à la suite de
quelques guerres.
Jésus entra dans la maison
et demanda l'hospitalité. Le maître s'appelait Ruben, il avait environ
cinquante ans et se trouvait déjà ici lors de la fuite en Egypte.
Lorsque Jésus lui adressa la parole et fixa les yeux sur lui, il en
partit comme un rayon qui lui entra dans la poitrine ; il fut tout
bouleversé. Les paroles et la salutation de Jésus furent comme une
bénédiction, et cet homme, tout ému, lui répondit : " Seigneur, c'est
comme si la Terre Promise venait avec vous dans ma maison. "Jésus lui
dit que s'il croyait à la promesse et n'en repoussait pas loin de lui
l'accomplissement, il aurait aussi part à la Terre Promise. Il parla
aussi des bonnes oeuvres et de leurs conséquences, lui dit qu'il venait
à lui pour lui annoncer le salut, parce que, trente ans auparavant, sa
mère et son père nourricier, fugitifs, avaient été bien accueillis dans
sa maison ; que cette bonne action portait son fruit ; que chaque oeuvre
portait le sien, bon ou mauvais. Alors cet homme, tout bouleversé, se
prosterna par terre et lui dit : " Seigneur, comment peut il se faire
que vous entriez dans la maison d'un misérable réprouvé comme moi ? "
Jésus lui expliqua qu'il était venu pour ramener les pécheurs et les
purifier. Cet homme ne cessait de parler de la réprobation qui le
poursuivait ; il disait que tous les gens de ce lieu étaient une race
maudite et le rebut de l'humanité. Il dit encore que ses petits enfants
étaient malades, et dans un triste état. Jésus lui répondit que s'il
croyait en lui et voulait se faire baptiser, il rendrait la santé à ses
petits enfants. Il lava les pieds de Jésus, et lui donna ce qu'il avait
pour sa réfection.
Les voisins vinrent alors,
et il leur dit qui était Jésus et ce qu'il lui avait promis. Il y avait
là un de ses parents qui s'appelait Issachar. Il conduisit aussi Jésus à
ses petits enfants malades. Ils étaient ou lépreux ou perclus, et dans
un état de rachitisme complet. Jésus alla aussi voir les femmes qui
étaient malades et affligées de pertes de sang. Il commanda aux enfants
de se lever et ils furent guéris : il donna l'ordre de leur apprêter un
bain. On plaça un grand vase plein d'eau sous une tente, et Jésus y
versa un peu de l'eau baptismale du Jourdain qu'il portait à son côté
sous sa longue robe dans deux flacons attachés avec des courroies, puis
il bénit l'eau. Les malades s'y lavèrent : tous en sortirent guéris et
remercièrent le Seigneur. Il ne les baptisa pas lui même, mais cette
ablution fut comme un ondoiement, et il les exhorta à aller au Jourdain
recevoir le baptême.
Ils lui demandèrent si le
Jourdain avait donc une vertu particulière, et il leur répondit que la
voie du Jourdain avait été mesurée et établie, et que tous les lieux
saints de la Terre Promise avaient été marqués par son Père céleste
avant qu'il y eût des habitants, bien plus, avant que cette terre et le
Jourdain existassent. Il dit à ce sujet d'admirables choses que j'ai
oubliées. Il parla en outre du mariage, s'entretint avec les femmes,
recommanda la chasteté et continence, et représenta l'abaissement des
gens de cet endroit et l'état misérable des enfants, comme étant la
suite d'unions contraires à la règle, qui avaient lieu dans cette
contrée : il parla de la part qu'avaient les parents à l'état misérable
des enfants, des moyens d'arrêter le mal, qui étaient la pénitence et la
satisfaction, et de la renaissance par le baptême.
Il parla de tout ce qu'ils
avaient fait pour la sainte Famille lors de sa fuite, et enseigna dans
les endroits ou elle avait pris sa nourriture et s'était reposée. Joseph
et Marie avaient avec eux, pendant la fuite en Egypte, un âne et une
ânesse. Il leur montra tous leurs actes d'alors comme des figures
prophétiques de ce qu'ils faisaient actuellement pour passer de l'état
de péché à l'état de grâce. Ils apprêtèrent pour le Seigneur un repas
aussi bon que cela leur fut possible. Il se composait d'une espèce de
laitage épais semblable à du fromage blanc, de miel, de petits pains
cuits sous la cendre, de raisins et d'oiseaux.
(9 octobre) Aujourd'hui
j'ai vu Jésus revenir d'Anim en compagnie de quelques uns de ces hommes,
mais par un autre chemin. Il arriva vers le soir près d'un endroit situé
sur les deux côtés d'une montagne ; il y avait là une vallée sauvage
venant de l'orient, et coupée de ravins profonds. Cet endroit ou cette
montagne avait un nom qui ressemblait à Ephraim ou Ephron. La direction
des montagnes était vers Gaza. Jésus était venu par le pays d'Hébron On
voyait aussi à quelque distance du chemin qu'il avait suivi un bourg en
ruines, avec une tour dont le nom ressemblait à Malaga
(vraisemblablement Malada, que Flavius Josèphe, XVIII, 7, 2, appelle
Malatha). A une lieue d'ici à peu près était le bois de Mambré ou les
anges apportèrent à Abraham la promesse qu'il aurait un fils. La double
caverne qu'il avait achetée d'Ephron, l'Héthéen, et où était sa
sépulture, n'était pas éloignée de là non plus que le lieu du combat de
David contre Goliath.
Jésus, que ses compagnons
avaient quitté, fit le tour d'un côté de la ville, divisée en deux
parties, et ses disciples, auxquels il avait assigné cet endroit, le
trouvèrent dans la vallée, suivant un sentier escarpé. Laissant de côté
cette gorge, il les conduisit à une grotte située dans un endroit tout à
fait sauvage et d'un accès difficile, mais très spacieuse. Ils y
passèrent la nuit. C'était là qu'avait été la sixième station de la
sainte Famille lors de la fuite en Egypte. Voici ce qu'elle dit de cet
endroit, le 18 octobre : " La grotte où s'était réfugiée Marie, près d'Ephraim,
fut appelée dans la suite lieu du séjour de Marie (37),
et des pèlerins la visitaient sans qu'on sût exactement le fait qui s'y
rattachait. Plus tard. il ne demeurait là que de pauvres gens."
Jésus raconta cela aux
disciples, qui, à l'aide d'une mécanique avec laquelle on fait tourner
rapidement un morceau de bois dans un autre. avaient allumé du feu. Il
leur parla de la sainteté de ce lieu. un prophète, Samuel, si je ne me
trompe, y était souvent venu prier. David avait gardé les troupeaux de
son père dans les environs ; il avait prié dans cette grotte et y avait
reçu des ordres de Dieu, apportés par les anges : ce fut là aussi qu'il
lui fut commandé d'aller tuer Goliath. J'ai vu là d'autres choses dont
je ne me souviens plus.
Je vis que la sainte Famille, dans sa fuite, arriva là très fatiguée et
très abattue ; que la sainte Vierge en particulier était fort triste et
pleurait : ils manquaient de tout, car ils allaient par des sentiers
détournés, évitant les grandes villes et les hôtelleries fréquentées :
ce fut leur sixième station. Ils se reposèrent là tout un jour Il y eut
là aussi plusieurs grâces miraculeuses pour leur soulagement : une
source jaillit dans la grotte, et une chèvre sauvage vint à eux et se
laissa traire. Je crois aussi qu'un ange vint les consoler.
Jésus parla aux disciples des grandes souffrances qui les attendaient,
eux et tous ceux qui voudraient le suivre. Il parla beaucoup des peines
que sa sainte mère et lui avaient endurées ici, de la miséricorde de son
Père céleste, et de la sainteté de ce lieu. Il ajouta qu'on y bâtirait
un jour une église, et il bénit cette grotte comme s'il l'eût consacrée.
Ils mangèrent là quelques fruits et quelques petits pains que les
disciples avaient apportés avec eux.
(10 octobre.) Ce matin,
Jésus quitta la grotte, et ils se dirigèrent vers Bethléhem, en
contournant l'autre côté de la montagne et de la bourgade. Ils
arrivèrent près de quelques maisons isolées et entrèrent dans une
hôtellerie où ils prirent un peu de nourriture et où on leur lava les
pieds. Les gens étaient bons et curieux. Jésus enseigna sur la
pénitence, sur l'approche du salut` et sur ce qu'il fallait faire pour
le suivre. On lui demanda pourquoi sa mère avait fait le long voyage de
Nazareth à Bethléhem, lorsqu'elle aurait pu rester chez elle où elle
aurait été si bien. Alors Jésus parla de la promesse, dit qu'il avait dû
naître dans la pauvreté, à Bethléhem, et parmi les bergers, comme étant
lui même un berger qui devait rassembler le troupeau : c'était pour cela
qu'il avait voulu parcourir ces contrées habitées par des bergers,
aussitôt après que son Père céleste avait rendu témoignage de lui.
D'ici il alla vers la
partie méridionale de Bethléhem, qui n'était guère qu'à deux lieues,
suivit quelque temps la vallée des Bergers, là où elle se dirigeait vers
le midi, et contourna la partie occidentale de Bethléhem. Il laissa à
droite la maison paternelle de Joseph, et arriva le soir à Maspha,
petite ville aujourd'hui, et située à quelques lieues de Bethléhem.
On pouvait voir Maspha de
loin. Autour de la ville brillaient des feux allumés dans des lanternes
de fer, placées sur les routes principales. La ville avait des remparts
et des tours, et plusieurs grandes routes la traversaient. Elle avait
été longtemps un chef lieu religieux. Judas Macchabée (Macch.,III,46) y
avait présidé à des prières solennelles avant le combat, et rappelé à
Dieu ses promesses et l'injure que lui faisaient les édits de ses
ennemis ; il avait aussi déposé, en présence du peuple, ses vêtements
sacerdotaux. Alors cinq anges lui apparurent devant la ville et lui
promirent la victoire. C'est ici aussi que les Israélites s'assemblèrent
pour combattre contre la tribu de Benjamin, à cause des outrages faits à
la femme d'un lévite qui voyageait, et de la mort de cette femme qui en
avait été la suite. Ce crime fut commis près d'un arbre ; l'endroit
était encore entouré d'un mur et personne n'en approchait. Samuel aussi
a jugé à Maspha ; et c'est là qu'était le couvent des Esséniens, où
habitait Manahem, qui, dans son enfance, avait prédit la royauté à
Hérode. Il avait été bâti par un Essénien du nom de Kharioth. Il vivait
environ cent ans avant Jésus Christ. C'était un homme marié des environs
de Jéricho. Il s'était séparé de sa femme, et tous deux avaient fondé
plusieurs communautés pour les Esséniens, l'une pour les hommes, l'autre
pour les femmes. Il avait aussi établi un autre couvent à peu de
distance de Bethléhem, et il était mort. Il avait été un si saint homme,
qu'à la mort du Christ, il fut un des premiers qui sortirent de leur
tombeau et apparurent.
Il y avait en cet endroit
un grand nombre d'hôtelleries, et on y savait très promptement quand un
étranger était arrivé. Jésus était à peine dans l'hôtellerie, que
beaucoup de gens se pressèrent autour de lui. On le conduisit à la
synagogue, où il expliqua la loi. Il y avait là des espions dont les
intentions n'étaient pas droites et qui voulurent lui tendre des pièges,
parce qu'ils avaient entendu dire qu'il voulait amener les païens eux
mêmes au royaume de Dieu, et qu'il avait parlé des trois rois chez les
bergers. Jésus prêcha en termes très sévères : il dit que le temps de
l'accomplissement de la promesse était venu, que tous ceux qui
renaîtraient par le baptême, qui croiraient à celui que le Père avait
envoyé et observeraient ses préceptes, auraient part au royaume de Dieu
; mais que si les juifs ne croyaient pas, la promesse leur serait
retirée et passerait aux gentils.
Je ne sais pas bien
m'exprimer, mais il dit qu'il n'ignorait pas qu'on l'espionnait, que du
reste ils pouvaient aller à Jérusalem y rapporter ce qu'ils venaient
d'entendre. Jésus dit aussi quelque chose de Judas Macchabée, et
d'autres événements arrivés ici. Comme on lui parlait de la magnificence
du temple et de la prééminence des Juifs sur les gentils, il leur
expliqua que le but de l'élection du peuple juif et de son temple était
atteint : car celui que le Seigneur avait promis par la bouche des
prophètes, était venu pour fonder le royaume et le temple du Père
céleste, etc.
Après avoir ainsi enseigné,
Jésus quitta Maspha et alla à une lieue plus à l'est. Il passa d'abord à
travers un groupe de maisons et arriva à une ferme isolée, chez des gens
alliés à saint Joseph ; un beau fils du père de saint Joseph, fils d'une
veuve qu'il avait épousée, s'était marié ici et ses descendants y
habitaient. Ils avaient eux mêmes des enfants, ils étaient baptisés et
ils accueillirent Jésus avec une bienveillance respectueuse. il vint
aussi chez eux plusieurs voisins. Jésus leur fit une instruction et prit
un repas chez eux. Après le repas, il sortit seul avec deux de ces
hommes qui s'appelaient Aminadab et Manassé. Ils lui demandèrent s'il
connaissait leurs relations de famille, et s'ils devaient le suivre dès
à présent. Il leur dit que non ; qu'ils devaient se borner maintenant à
être ses disciples en secret. Ils se mirent à genoux et il les bénit`.
ils se réunirent ouvertement aux disciples avant sa mort. Il passa ici
la nuit.
(1er octobre) Le 1er
octobre, Jésus alla deux lieues plus loin avec ses disciples, et arriva
près d'une ferme qui avait été l'avant dernier séjour de Marie avant
Bethléhem, dont elle pouvait être éloignée d'environ quatre lieues. Des
hommes de cette maison vinrent à sa rencontre et se prosternèrent devant
lui sur le chemin, pour l'inviter à venir chez eux. On l'y accueillit
avec beaucoup de joie. Ces gens allaient presque journellement à 1a
prédication de Jean. et ils savaient ce qui s'était passé de merveilleux
au baptême de Jésus. On lui prépara un repas et un bain chaud ; ils lui
avaient aussi préparé une belle couche. Jésus enseigna ici comme à
l'ordinaire.
La femme qui, trente ans
auparavant, reçut ici la sainte Famille, vivait encore. Elle habitait
seule dans le bâtiment principal, ses enfants demeuraient près de là, et
lui envoyaient sa nourriture. Quand Jésus se fut baigné, il alla visiter
cette femme, elle était aveugle et tout à fait courbée depuis plusieurs
années. Jésus parla de la miséricorde et de l'hospitalité, des oeuvres
incomplètes et de l'amour propre. Il lui représenta le triste état où
elle était, comme un châtiment de péchés de ce genre. Elle fut très
émue, se confessa coupable, et Jésus la guérit. Il lui prescrivit de se
mettre dans l'eau où il s'était lavé. Alors elle recouvra la vue, et
redevint droite et bien portante. Il lui défendit de parler de cela à
personne.
Ces gens lui demandèrent en
toute simplicité quel était le plus grand de lui ou de Jean. Il répondit
: " celui auquel Jean rend témoignage. " Ils parlèrent aussi de
l'énergie et du zèle de Jean, puis de la belle taille et de la robuste
apparence de Jésus. Jésus leur dit que, dans moins de quatre ans, ils ne
verraient plus rien d'apparent en lui, et ne le reconnaîtraient plus,
tant ce corps serait défiguré. Il parla de l'ardeur et du zèle de Jean,
le comparant à un homme qui frappe à la porte de ceux qui dorment avant
l'arrivée du maître, à un ouvrier qui fraye le chemin à travers le
désert pour que le roi puisse passer, à un torrent d'eau qui nettoie le
lit du fleuve.
(12 octobre) Le matin, dès
l'aube du jour, Jésus partit avec ses disciples et une troupe de gens
qui s'étaient réunis ici à lui ; il se dirigea vers le Jourdain, qui
pouvait être à trois lieues de distance, si ce n'est davantage. Le
Jourdain coule dans une large vallée qui s'étend bien à une demi lieue
de chaque côté. La pierre de l'arche d'alliance, placée dans l'endroit
clos de murs où l'on avait célébré la fête dont il a été parlé, se
trouvait à une lieue à peu près en avant de l'endroit où Jean baptisait,
quand on allait directement vers Jérusalem. La cabane de Jean, près des
douze pierres, était dans la direction de Bethabara, un peu plus au nord
que la pierre de l'arche d'alliance. Les douze pierres elles mêmes
étaient à une demi lieue de l'endroit où l'on baptisait, dans la
direction de Galgala. Galgala est sur le côté occidental de la hauteur à
un point où elle s'abaisse un peu.
Du bassin baptismal de
Jean, on avait une belle vue sur les deux rives en amont du fleuve, où
la fertilité était très grande. Le district le plus renommé par les
agréments du paysage, l'abondance des fruits et la richesse du sol se
trouvait au bord de la mer de Galilée ; ici et ; autour de Bethléem,
c'étaient plutôt des champs de blé des prairies ? des plantations de
dourra, d'ail et de concombres.
Jésus avait déjà passé la
pierre de l'arche d'alliance, et, se trouvant à un quart de lieue de la
cabane de Jean, où celui ci enseignait, il passa devant une ouverture de
vallée, à un endroit d'où l'on pouvait ` voir Jean dans le lointain.
Jésus ne fut en vue du précurseur que pendant deux minutes. Mais Jean
fut saisi de l'esprit. Il montra Jésus du doigt et s'écria `' Voici
l'agneau de Dieu, qui efface les péchés du monde. etc. "Jésus passa
outre ; ses disciples étaient en groupes séparés, en avant et en
arrière. La troupe qui s'était adjointe à lui en dernier lieu, venait
ensuite. On était au commencement de la matinée. Beaucoup de personnes
ayant entendu les paroles de Jean coururent de ce côté, mais Jésus était
déjà passé. Ils le suivirent de leurs acclamations, mais ils ne lui
parlèrent pas autrement.
(Note de l'écrivain.
Comme le lundi suivant, 17 octobre, Jésus arriva le soir à Dibon pour
la fête des Tabernacles, ce soir du 15 octobre est nécessairement le
commencement du 15 du mois de Tisri où s'ouvrait ; la fête des
Tabernacles ; le jour d'aujourd'hui est alors le 11 Tisri ou le second
jour de la fête expiatoire, dans laquelle le grand prêtre maudissait
dans le temple un bouc chargé de ses péchés et de ceux de tout le
peuple, et le faisait chasser dans le désert. La coïncidence de cette
cérémonie avec les paroles du précurseur, jette une lumière sur les mots
: " Voici l'agneau de Dieu qui porte les péchés du monde ! ")
Lorsque ces gens revinrent,
ils dirent à Jean qu'il allait bien du monde avec Jésus. Ils avaient
aussi entendu dire que ses disciples avaient déjà baptisé ; qu'allait il
advenir de tout cela ? Jean leur répéta encore une fois qu'il quitterait
bientôt ce lieu pour faire place à Jésus, car il n'était que le
précurseur et le serviteur. Cela ne plaisait pas beaucoup à ses
disciples ; ils étaient un peu jaloux des disciples de Jésus.
Jésus dirigea sa marche
vers le nord ouest, laissa Jéricho à droite, et alla vers Galgala, qui
était à environ deux lieues de Jéricho. Sur son chemin, il s'était
arrêté dans plusieurs endroits, où les enfants l'accompagnaient en
chantant des cantiques de louange, ou bien couraient dans les maisons
pour faire venir leurs parents.
On appelait Galgala toute
la plaine située à une certaine élévation au dessus du niveau de la
vallée du Jourdain, et elle est entourée dans une circonférence de cinq
lieues, de ruisseaux qui vont se jeter dans le fleuve. Mais l'endroit
nommé Galgala, dont Jésus s'approcha avant le soir, s'étend sur une
longueur d'environ une lieue dans la direction de la contrée où
séjournait le précurseur. Les maisons sont disséminées et il y a des
jardins dans les intervalles.
Jésus entra d'abord en
avant de la ville, dans un lieu considéré comme saint, où l'on menait
les prophètes et les docteurs renommés. Ce fut là que Josué communiqua
aux enfants d'Israël quelque chose que Moïse, avant de mourir, avait
fait connaître à Eléazar et à lui. C'étaient six malédictions et six
bénédictions. La colline où les Israélites furent circoncis était
voisine de ce lieu et entourée d'un mur.
Je vis à cette occasion la
mort de Mose. Il mourut sur une petite colline escarpée, qui est au
milieu des montagnes de Nébo, entre l'Arabie et Moab. Le camp des
Israélites s'étendait au loin à l'entoure : seulement quelques postes
s'avançaient dans la vallée qui tournait autour de la colline. Cette
colline était toute recouverte d'une plante verte comme le lierre, qui
venait en touffes assez semblables à celles du genévrier. Moïse s'en
servait pour s'aider à monter. Josué et Eléazar étaient près de lui. Je
ne sais plus bien tout ce qui se passa là. Je crois qu'il eut une vision
de Dieu que les autres ne virent pas. Il donna à Josué un rouleau où
étaient écrites six malédictions et six bénédictions, qu'il devait faire
connaître au peuple lorsqu'il serait entré dans la Terre Promise.
Ensuite, les ayant embrassés, il leur ordonna de se retirer sans
regarder derrière eux. Alors il se mit à genoux les bras étendus, et il
tomba mort sur le côté. Je vis la terre s'ouvrir pour ainsi dire sous
lui, et se refermer après l'avoir reçu comme dans une belle sépulture.
Lorsque Moïse apparut sur le Thabor au moment de la transfiguration de
Jésus, je le vis venir de cet endroit. Josué lut au peuple les six
bénédictions et les six malédictions.
Plusieurs amis de Jésus
étaient venus l'attendre ici ; c'étaient Lazare, Joseph d'Arimathie,
Obed, le fils d'une des veuves de Nazareth, et d'autres encore. Il y
avait ici une hôtellerie. On lava les pieds au Seigneur et ses
compagnons, et on leur offrit quelque chose à manger.
Jésus fit une instruction
devant une grande foule d'auditeurs, parmi lesquels il y en avait
plusieurs qui voulaient aller au baptême de Jean ; c'était près du bras
du fleuve, où l'on avait ménage, contre la rive qui s'élevait en
terrasse et qui était coupée par des marches, un emplacement pour se
baigner ou faire ses ablutions. un pavillon était étendu au dessus, et
il y avait à l'entour des jardins d'agrément avec des arbres, des
massifs de verdure et du gazon. Saturnin et, je crois, deux autres
disciples auxquels Jean se joignit, baptisèrent ici après une
instruction de Jésus sur le Saint Esprit. Il parla de ses divers
attributs, et dit à quels signes on pouvait reconnaître qu'on l'avait
reçu.
Le baptême de Jean était
précédé d'une exhortation générale à la pénitence, puis d'une
protestation de repentir et d'une promesse de ne plus pécher. Au baptême
de Jésus, il n'y avait pas seulement confession des péchés en général,
mais chacun s'accusait à part et confessait ses vices dominants, puis
Jésus adressait des exhortations et disait souvent leurs péchés en face
à ceux que l'orgueil ou la mauvaise honte retenait, afin de les porter
par là à la contrition. Jésus enseigna encore sur le passage du Jourdain
et sur la circoncision oui avait eu lieu ici, ajoutant que le baptême
s'y donnait maintenant pour ce motif, afin qu'il opérât la circoncision
du coeur chez ceux qui le recevaient ; il parla aussi de
l'accomplissement de la loi, etc.
Ceux qu'on baptisait ici
n'entraient pas dans l'eau ; ils courbaient seulement la tête au dessus
; on ne les revêtait pas non plus d'une robe baptismale, on se bornait
.`l leur mettre un drap blanc sur les épaules. Les disciples n'avaient
pas une écuelle avec trois rainures comme Jean, mais ils puisaient trois
fois avec la main dans un bassin placé devant eux Jésus avait béni l'eau
et y avait versé de celle de son baptême. Lorsque les baptisés, qui
étaient bien au nombre de trente, sortirent de là, ils étaient très émus
et très joyeux, et disaient qu'ils sentaient bien maintenant qu'il
avaient reçu le Saint Esprit.
Jésus alla à Galgala pour
le sabbat, suivi des acclamations de la foule.
Le jour du sabbat, je vis Jésus, accompagné d'une suite nombreuse, aller
à la synagogue de Galgala. Elle était située dans la partie orientale de
la ville, du reste, très grande et très ancienne. Elle était en forme de
carré long, avec des pans coupés : par conséquent, elle était plutôt
octogone. Elle avait trois étages où étaient des écoles placées l'une au
dessus de l'autre. Autour de chaque étage régnait une galerie
extérieure, et les escaliers montaient au dehors le long des murs. Au
dessus, dans les pans coupés de l'édifice, se trouvaient des niches dans
lesquelles on pouvait se tenir et d'où l'on voyait à une grande distance
autour de soi. La synagogue était dégagée de deux côtés et bordée de
petits jardins. Devant l'entrée étaient un vestibule et une chaire,
comme au temple de Jérusalem. Elle était précédée d'une cour antérieure
avec un autel en plein air où on avait sacrifié autrefois : il y avait
aussi des places couvertes pour les femmes et les enfants. On retrouvait
là les traces de toute une organisation semblable à celle du temple ; on
voyait que l'arche d'alliance y avait séjourné et qu'on y avait
sacrifié.
Dans l'école d'en bas, où
tout était particulièrement bien disposé, il y avait, à l'extrémité qui
correspondait à l'emplacement du Saint des Saints dans le temple, une
colonne octogone autour de laquelle étaient des tablettes avec des
rouleaux d'écritures. Plus bas s'étendait une table qui entourait la
colonne, et au dessous se trouvait un caveau ou l'Arche d'alliance avait
reposé. Je ne sais pas si cette colonne était déjà là à cette époque :
je crois qu'elle fut placée plus tard pour indiquer la sainteté de ce
lieu qui était encore révéré. Cette colonne était d'une belle pierre
blanche polie.
Jésus enseigna dans l'école
d'en bas, devant le peuple, les prêtres et les docteurs. Il dit, entre
autres choses, que le royaume promis avait d'abord été fondé ici, qu'on
y avait pratiqué plus tard une idolâtrie abominable, si bien qu'il s'y
trouvait a peine sept justes. Ninive était cinq fois plus grande, et il
n'y avait que cinq justes. Galgala avait été épargnée par Dieu ; mais
maintenant il ne fallait pas qu'ils repoussassent la promesse d'un
envoyé de Dieu au moment où elle s'accomplissait ; il fallait faire
pénitence et renaître par le baptême, etc. Il ouvrit alors les écrits
qui étaient devant la colonne, et y lut des textes qu'il commenta.,
Il enseigna ensuite les
jeunes gens au second étage, et puis les enfants au troisième. Étant
descendu, il enseigna encore les femmes, sous une halle qui était sur la
place, et il s'entretint ensuite avec les jeunes filles. Il traita ici
de la chasteté et de la discipline, de la curiosité qu'il fallait
surmonter, de la décence dans les habillements, dit qu'il fallait cacher
sa chevelure et porter un voile sur la tête, au temple et à l'école. Il
parla de la présence de Dieu et de celle des anges dans les lieux
sanctifiés, et dit que les anges eux mêmes voilaient leur visage. Il dit
encore qu'au temple ou à l'école, ils étaient présents parmi les hommes
; il expliqua en outre pourquoi les femmes devaient avoir la tête
voilée. Je l'ai oublié. Jésus fut très affectueux envers les enfants :
il les bénit et les prit dans ses bras : ils montraient beaucoup de
penchant pour lui. Sa présence ici causa en général beaucoup de
satisfaction et de joie ; lorsqu'il quitta l'école, le peuple faisait
entendre devant lui et derrière lui des acclamations dont le sens était
à peu près celui ci : " Que la promesse s'accomplisse, qu'elle reste
avec nous, qu'elle ne nous quitte pas. "
Le 14, après que Jésus eut
enseigné à Galgala, on voulait lui amener des malades, mais il s'y
refusa, disant que ce n'était pas le lieu ni le moment, qu'il devait
s'en aller, qu'il était appelé ailleurs. Lazare et les amis de Jérusalem
étaient retournés chez eux. Il fit dire à la sainte Vierge en quel
endroit il irait la trouver avant de s'en aller au désert, je crois que
c'était à Corozaïm. Les saintes femmes n'étaient plus à Thébez, elles
étaient déjà en route pour l'endroit où elles devaient se rencontrer
avec Jésus. Mais elles n'allèrent pas à Capharnaum, parce qu'on y tenait
beaucoup de propos sur leurs fréquents voyages.
(14 octobre) à Jérusalem,
il y avait de grandes contestations touchant Jésus, dont on avait
entendu beaucoup parler : car ils avaient partout des gens à leurs gages
qui leur faisaient des rapports. Il y eut une longue délibération sur
Jésus dans un tribunal appelé le sanhédrin, qui se composait de soixante
et onze prêtres et docteurs : l'affaire fut traitée dans un comité de
vingt personnes, qui se divisaient encore cinq par cinq pour consulter
et discuter. Ils firent des recherches dans les registres généalogiques,
et il leur fut impossible de nier que Joseph et Marie fussent de la race
de David, et la mère de Marie de la race d'Aaron ; mais, disaient ils,
ces familles étaient tombées dans l'obscurité la plus complète, et Jésus
allait ça et là avec des gens de bas étage ; il se souillait en frayant
avec des publicains et des païens et caressait les esclaves. Ils avaient
ou' dire que, tout récemment, dans les environs de Bethléem, Jésus
s'était entretenu familièrement avec les Sichémites qui revenaient de
leur travail : ils supposaient qu'il pourrait bien avoir le dessein de
soulever la populace. Quelques uns prétendaient que c'était peut être un
enfant supposé, puisqu'il s'était une fois donné pour un fils de roi.
C'était une fausse interprétation de sa parabole. Il devait avoir été
instruit secrètement, croyaient ils, et ce ne pouvait être que par le
diable ; car il se retirait souvent à part et passait les nuits, seul,
dans des lieux déserts ou sur des collines. Ils avaient déjà pris des
informations sur tout cela. Parmi ces vingt personnes, il s'en trouvait
plusieurs qui connaissaient mieux Jésus et ses adhérents, qui avaient
été fort touchées de ses discours, et qui étaient au nombre de ses amis
secrets. Mais ils ne contredisaient pas les autres, afin de rester en
position de rendre des services à Jésus et à ses disciples auxquels,
dans la suite, ils envoyèrent fréquemment des informations. On finit par
répandre dans Jérusalem la décision suprême des vingt ; c'est ainsi
qu'on qualifiait leur opinion que Jésus devait avoir été instruit par le
diable.
Le baptême qui avait eu
lieu à Galala fut annoncé à Jean par ses disciples et représenté comme
une usurpation sur ses droits. Mais il continua à déclarer, comme
toujours, en s'humiliant profondément, qu'il céderait bientôt la place à
son Seigneur, dont il avait été le précurseur, et auquel il avait
préparé la voie. Toutefois, ses disciples ne le comprirent pas.
Le 14, Jésus, accompagné
d'une vingtaine de personnes, s'avança à deux lieues vers le nord, dans
la plaine de Galgala : ils passèrent un cours d'eau à l'aide d'un tronc
d'arbre, après quoi ils traversèrent un bois et se dirigèrent au levant,
par un chemin qui menait au Jourdain. Ils passèrent le fleuve sur un
radeau dirigé par des rameurs. Il y avait des bancs le long de ce radeau
; au milieu se trouvaient de grands baquets où l'on plaçait les chameaux
qui, autrement, auraient pu enfoncer leurs pieds dans l'eau, entre les
poutres. Il y avait place pour trois chameaux. En ce moment, il n'y en
avait point ; le Seigneur et ses disciples étaient seuls. C'était le
soir, et le passage se faisait aux flambeaux. Jésus raconta la parabole
du semeur, qu'il expliqua encore le lendemain. Le passage durait bien un
bon quart d'heure, car le fleuve était très rapide en cet endroit ; il
fallait d'abord remonter à une certaine hauteur, puis se laisser porter
parle courant. Le lieu où ils abordèrent n'était pas tout à fait en face
de celui d'où ils étaient partis. Le Jourdain est un singulier fleuve :
en beaucoup d'endroits on ne peut pas le passer, et il n'y a pas de
chemin le long de ses rives escarpées. Souvent il tourne très court, et
semble couler vers un point autour duquel il fait un détour. Souvent il
est hérissé de rochers où ses eaux se brisent en mille endroits ; il y a
aussi beaucoup d'îles. Il est tantôt trouble, tantôt limpide, selon la
nature du sol.
Il y a aussi quelques chutes ; son eau est douce et tiède.
A l'endroit où ils
débarquèrent, il y avait des maisons de publicains. Il passait là une
grande route qui descendait du pays de Cédar, vers lequel se dirigeait
une vallée. Jésus entra chez des publicains qui avaient déjà reçu le
baptême de Jean. Plusieurs de ses compagnons furent choqués de ce qu'il
en agissait si familièrement avec ces gens méprisés, et ils se tinrent à
l'écart. Jésus et ses disciples passèrent ici la nuit ; les publicains
les hébergèrent avec beaucoup d'humilité. Leurs maisons étaient dans le
fond de la vallée, tout contre le Jourdain ; un peu plus loin étaient
les hôtelleries pour les marchands et les chameaux. Il y en avait un
grand nombre pour le moment : ils se trouvaient arrêtés là, parce qu'ils
ne pouvaient pas se mettre en route à cause de la fête des Tabernacles
qui commençait le lendemain. La plupart étaient pa'ens, mais ils étaient
obligés d'observer le repos des jours de fête.
Les publicains demandèrent
à Jésus ce qu'ils devaient faire du bien mal acquis. Jésus répondit
qu'il fallait le porter au temple : il entendait cela dans le sens
spirituel, et voulait parler de la communauté chrétienne qui se forma
par la suite. On devait acheter de cet argent un champ pour de pauvres
veuves, près de Jérusalem. Il leur expliqua aussi pourquoi ce devait
être un champ : cela se liait à un développement de la parabole du
semeur.
Le jour suivant, Jésus alla
avec eux dans les environs, sans quitter les bords du fleuve. Il parla
encore là du semeur et de la moisson à venir. C'était probablement à
cause de la fête des Tabernacles, qui est en même temps la fête de la
récolte des fruits et du vin.
J'ai oublié de dire que, tout récemment, lorsqu'il vit faire la moisson
dans la vallée des Bergers, où il parla aux Sichémites on faisait aussi
la vendange dans cet endroit.
Quand le Seigneur eut
marché quelque temps avec les publicains, et leur eut donné des
enseignements dont j'ai oublié une grande partie, je le vis, ce même
jour, continuer sa route en suivant la vallée jusqu'à un endroit peu
éloigné où s'élevaient des deux côtés des rangées de maisons qui
bordaient le chemin pendant une demi lieue en bas et en haut des
montagnes. On allait par là à Dibon, dont cet endroit semblait être un
faubourg. Dans toutes ces maisons on célébrait la fête des Tabernacles ;
à côté des maisons étaient dressées des cabanes de feuillage, ornées de
bouquets, de guirlandes de fruits et de grappes de raisin. Je vis d'un
côté du chemin les cabanes de feuillage, et à part des cabanes plus
petites pour les femmes : de l'autre côté, celles où l'on tuait les
animaux. Dés gens portant toute espèce d'aliments traversaient le
chemin, ainsi que des troupes d'enfants, allant d'une cabane à l'autre.
Ils faisaient de la musique et chantaient ; ils étaient couronnés de
guirlandes et avaient des instruments triangulaires avec des anneaux ;
ils les faisaient sonner. Ils avaient aussi des triangles où étaient
tendues des cordes, et un instrument à vent auquel étaient adaptés
plusieurs tuyaux roulés comme des serpents.
Jésus s'arrêtait ça et là
et enseignait : on lui offrit à manger ainsi qu'aux disciples, notamment
des grappes de raisin portées par deux personnes sur des bâtons. Le
soir, le Seigneur logea dans une hôtellerie, à l'extrémité de cette
rangée de maisons, non loin de la grande et belle synagogue de Dibon,
qui était située entre Dibon et ces habitations, sur une large place au
milieu du chemin ; elle était entourée d'arbres. Jésus fut aussi hébergé
dans une cabane de feuillage et il y enseigna.
Le jour d'après, Jésus
enseigna dans la synagogue. Il raconta encore la parabole du semeur, il
enseigna sur le baptême et sur l'approche du royaume de Dieu, parla
aussi de la fête des Tabernacles et de la manière dont on la célébrait
ici. Il reprocha à ces gens de mêler des choses païennes à leur culte,
car il y avait encore ici des Moabites, et les habitants avaient
contracté des alliances avec eux. Lorsque Jésus sortit de la synagogue,
il trouva sur la place beaucoup de malades qu'on avait apportés dans des
litières. Ils criaient : " Seigneur, vous êtes un prophète ! vous êtes
l'envoyé de Dieu, vous pouvez nous secourir. Secourez nous, Seigneur ? "
Il en guérit plusieurs. Le soir, on lui donna, ainsi qu'aux siens, un
grand repas dans l'hôtellerie. Il y avait dans le voisinage beaucoup de
marchands païens qui écoutaient. Il parla de la vocation des gentils, de
l'étoile qui avait paru dans le pays des rois mages, et du voyage
qu'avaient fait les rois pour visiter l'Enfant.
Il quitta cet endroit
pendant la nuit, et alla seul prier sur une montagne. Il donna rendez
vous à ses disciples pour le jour suivant sur la route du côté du Dibon.
Dibon est à six lieues de Galgala ; c'est un endroit où il y a beaucoup
de sources et de prairies ; on y voit beaucoup de jardins et de
terrasses.
Remarque. Aujourd'hui, 17
octobre et les jours suivants, la narratrice, qui était très souffrante,
fut tellement gênée et dérangée par des visites, qu'elle oublia beaucoup
de choses, et fit peut être plus d'une confusion dans son récit.
Jésus, pendant la nuit, n'alla pas par la route du commerce qui passait
par Dibon, mais il prit un chemin de traverse, à deux lieues du
Jourdain, en remontant le fleuve. Le mercredi matin, je le vis avec les
disciples passer par un misérable village dont les maisons étaient
recouvertes avec des joncs. Les habitants dormaient encore dans les
cabanes de feuillage. Le nom de cet endroit signifie la maison de l'Hyssope.
Jésus ne fit que le
traverser, mais sur le chemin, il parla aux disciples des jugements
terribles qui devaient venir, d'une époque de détresse et de dépravation
où la mère mangerait son propre enfant. Je vis alors une scène de la
destruction de Jérusalem ; je vis une femme qui alors n'était pas encore
née, sortir de cette ville, et, poussée a bout par le désespoir, faire
rôtir son enfant et le manger.
Il alla encore dans une
petite ville où il enseigna ; mais les habitants étaient mal disposés
pour lui. Il se trouvait là des espions de Jérusalem qui le
contredisaient et lui reprochaient ce qu'il disait de son Père céleste.
Il s'arrêta là quelque temps, et quitta cet endroit. Je le vis traverser
une petite rivière.
Vers le soir il arriva à
Sukkoth. La ville n'était pas très grande ; mais il vint à lui une foule
extraordinairement nombreuse où se trouvaient plusieurs malades. Il
enseigna dans la synagogue, et fit donner le baptême. Outre Saturnin,
quatre autres disciples baptisaient. Lorsque Jésus passa devant Jean, il
se trouva entre autres, parmi ceux qui le suivirent, deux frères, neveux
de Joseph d'Arimathie par leur mère : l'un s'appelait Aram, le nom de
l'autre était comme Thémé ou Théméni. Ils étaient de Jérusalem et
orphelins. C'était principalement à cause d'eux que Joseph, qui était
leur tuteur, était venu d'Arimathie. Ils avaient une part de propriété
dans le jardin où Jésus fut enseveli. Leur souvenir m'est revenu à la
fête de saint Luc. Ils furent disciples de saint Luc, qu'ils avaient
connu antérieurement, lorsqu'il voyageait encore en qualité de médecin
et de peintre, et auquel ils communiquaient fréquemment des nouvelles de
toute espèce. Ils furent aussi avec saint Paul, mais alors ils avaient
reçu d'autres noms. Ils allèrent avec Luc en Egypte, et aussi en
Bithynie, ou il fut martyrisé : c'est un pays par rapport auquel la
Judée est très élevée.
A Sukkoth, le baptême se
donnait près d'une fontaine située dans une grotte creusée dans le roc,
et tournée au couchant vers le Jourdain. Toutefois, on ne pouvait pas
voir le fleuve de là, à cause d'une colline qui interceptait la vue.
L'eau de la fontaine venait pourtant du Jourdain ; elle était très
profonde. La lumière y arrivait d'en haut par des ouvertures : devant la
grotte était un lieu de plaisance spacieux, élégamment arrangé, avec des
arbustes, des touffes de plantes aromatiques et du gazon. Il y avait là
une ancienne pierre monumentale qui avait rapport à une apparition de
Melchisédech à Abraham.
Jésus enseigna ici sur le
baptême de Jean : c'était un baptême de pénitence qui devait bientôt
cesser et être remplacé par le baptême du Saint Esprit pour la rémission
des péchés. Il leur fit faire une confession de leurs péchés en général,
après quoi ils s'accusèrent individuellement de leurs principales
transgressions les plus graves et de leurs passions dominantes. Il en
terrifia plusieurs en leur disant les péchés dont ils s'étaient rendus
coupables. Il leur imposa les mains pour les absoudre. Ils ne furent pas
plongés dans l'eau. Près de la pierre commémorative d'Abraham, il y
avait un grand bassin au dessus duquel ceux qui devaient être baptisés
se courbaient, les épaules nées. Celui qui administrait le baptême leur
versait trois fois de l'eau sur la tête avec la main ; un grand nombre
de personnes furent baptisées ici.
Abraham a habité à Sukkoth
avec sa nourrice Maraha. Il y avait des champs en trois endroits. Il fit
déjà ici un partage avec Loth. Ce fut ici que Melchisédech vint pour la
première fois visiter Abraham : ce fut une visite semblable à celle que
lui faisaient souvent les anges. Il lui prescrivit un triple sacrifice
de colombes, d'oiseaux à long bec et d'autres animaux. Il lui dit aussi
qu'il viendrait plus tard à lui pour faire une oblation de pain et de
vin, lui fit connaître différentes choses pour lesquelles il fallait
qu'il priât, et lui annonça aussi des événements futurs concernant
Sodome et Loth. Melchisédech, à cette époque, n'avait plus sa résidence
terrestre à Salem. Jacob aussi demeura ici.
Pendant que Jésus était à
Dibon, je vis Luc dans la vallée de Zabulon chez Barthélémy qui y avait
son établissement. Ils parlaient du baptême de Jean que Barthélémy avait
reçu, et des bruits qui couraient sur Jésus. Luc ne pouvait pas
comprendre qu'il frayât avec des gens de si bas étage. Je ne sais pas
trop de quelle religion était Luc. Il n'était ni juif ni païen : c'était
un savant qui recueillait partout des informations. Il était d'Antioche
et portait un costume plutôt romain que juif : il avait étudié en Egypte,
exerçait la médecine, recueillait des plantes, et il choisissait aussi
des idoles qu'il envoyait en Egypte. Il eut des relations fréquentes
avec les disciples de Jésus, mais ce ne fut que peu de temps avant la
mort du Sauveur qu'il s'adjoignit définitivement à eux.
(18 octobre. ) Jésus
continua son voyage vers le grand Chorazim, où il avait donné rendez
vous à sa mère et aux saintes femmes dans une hôtellerie située près de
là. Il passa par Geras où il célébra le sabbat. Après le sabbat, il se
rendit à une hôtellerie située dans le désert, à quelques lieues de la
mer de Galilée. Les gens qui la tenaient demeuraient dans le voisinage.
On l'avait ornée comme une cabane de feuillage. Les saintes femmes
l'avaient louée depuis quelques jours et y avaient tout disposé ; elles
y célébraient vraisemblablement pour leur compte la fête des
Tabernacles. Elles faisaient venir leur nourriture de Gerasa. La femme
de Pierre était avec elles ainsi que toutes les autres, même Suzanne de
Jérusalem, mais non Véronique. Jésus s'entretint en particulier avec sa
mère ; il lui dit qu'il irait encore à Bethanie, puis au désert. Marie
était sérieuse et triste : elle le pria de ne pas aller à Jérusalem,
parce qu'elle avait entendu parler de la délibération qui y avait eu
lieu à son sujet. Jésus passa la nuit ici.
Plus tard, il enseigna sur
une colline où était un siège de pierre qui avait autrefois servi de
chaire. Il y avait là beaucoup de gens du pays et une trentaine de
femmes. Celles ci se tenaient à part toutes ensemble. l
Après l'instruction, il dit
à ses compagnons qu'il se séparerait bientôt d'eux pour un temps, qu'ils
devraient alors s'en aller chacun de leur côté, et les femmes de même,
jusqu'à ce qu'il fût de retour. Il parla aussi du baptême de Jean qui
allait cesser, et de persécutions qui l'attendaient lui et tous les
siens.
(23 octobre) Le dimanche
soir, Jésus quitta l'hôtellerie avec une vingtaine de disciples et de
compagnons, et alla au sud ouest dans un district situé à environ douze
lieues. Sur sa route étaient plusieurs villes dont j'ai oublié les noms
en partie. J'ai vu cette nuit tant de villes dont il ne reste plus trace
! Il arriva près d'une ville devant laquelle était une hôtellerie qui
avait été louée à perpétuité pour lui et les siens. : Marthe, qui venait
de voyager pour la première fois en compagnie des saintes femmes
lorsqu'elles étaient allées à Gerasa, avait, lors de ce voyage, tout
disposé dans cette hôtellerie. Les gens qui la tenaient demeuraient dans
le voisinage. Les amis de Jérusalem en faisaient les frais. Les femmes
l'avaient indiquée hier à Jésus, lors de son départ. La ville est à
environ neuf lieues de Jérusalem et à six ou sept de Jéricho.
Des Esséniens demeuraient
dans le voisinage de l'hôtellerie ; ils vinrent trouver Jésus, lui
parlèrent et mangèrent avec lui. Il alla aussi à la synagogue et
enseigna sur le baptême de Jean, disant que c'était un baptême de
pénitence, une première purification incomplète, cérémonie préparatoire,
comme il s'en trouve quelques unes dans la loi, et qu'il différait du t
baptême de Celui que Jean annonçait. Je n'ai vu rebaptiser ceux qui
avaient reçu le baptême de Jean qu'après la mort de Jésus et la descente
du Saint Esprit : cela se fit à la piscine de Bethesda. Les pharisiens
de l'endroit lui demandèrent à quels signes on devait reconnaître le
Messie, et il le leur dit. Il prêcha contre les mariages mixtes avec les
Samaritains et avec les païens.
Judas Iscariote, qui fut
plus tard apôtre, avait assisté ici à la prédication de Jésus. Il vint
seul et non pas avec les disciples. Après avoir écouté Jésus deux jours
de suite, et bavardé à ce sujet avec les pharisiens qui contredisaient
le Sauveur, il était allé à un endroit voisin assez mal famé, et il
avait parlé avec emphase à un homme pieux de l'enseignement de Jésus.
Cet homme fit prier Jésus de venir le voir.
Judas s'occupait de trafic,
tenait des écritures et se chargeait de toute espèce de commissions pour
les uns et les autres. Il avait hautement vanté Jésus ici, car c'était
un flatteur, et il disait à chacun ce qu'il croyait devoir lui plaire.
Il partit avant l'arrivée de Jésus.
(24 octobre) Jésus, sur
l'invitation de l'homme dont il a été question, se rendit chez lui avec
ses disciples, après avoir fini son instruction. Ce bourg n'était pas
grand, il était d'origine nouvelle et en assez mauvais renom, à cause
des gens de toute espèce qui l'habitaient. Il doit s'être passé près
d'ici quelque chose qui a rapport aux Benjamites : car il y avait dans
le voisinage un arbre entouré d'un mur dont personne n'approchait. il y
avait aussi un endroit où Abraham et Jacob avaient offert des
sacrifices. Esau s'y était retiré lorsque Jacob et lui se brouillèrent
au sujet de la bénédiction paternelle. Isaac résidait alors près de
Sichar.
L'homme que Jésus vint
visiter ici s'appelait Ja're. C'était un Essénien de ceux qui vivaient
dans l'état de mariage. Il avait une femme et plusieurs enfants. Ses
deux fils s'appelaient Ammon et Caleb. Il avait aussi une fille que
Jésus guérit plus tard ; mais ce n'est pas le Jaire de l'Evangile. Il
était de la race de l'Essénien Khariot, qui avait fondé les couvents de
Bethléhem et de Maspha, et il savait beaucoup de choses touchant les
parents et la jeunesse de Jésus. Il alla au devant de lui avec son fils,
et le reçut avec beaucoup de déférence. Sa charité faisait de lui le
principal personnage de cet endroit mal famé. Il prenait soin des
pauvres, instruisait, à certains jours fixés, les enfants et les
ignorants, car il n'y avait en ce lieu ni école, ni prêtres. Il
assistait aussi les malades. Jésus mangea et logea chez lui. Le Seigneur
enseigna ici, comme à l'ordinaire, sur le baptême de Jean, l'approche du
royaume de Dieu, etc. Il alla avec Ja're voir les malades et les consola
: toutefois, il ne voulut pas opérer de guérisons. Il promit qu'il
reviendrait dans quatre mois, et qu'alors il les guérirait. Dans sa
prédication, il fit allusion aux événements qui s'étaient passés ici,
rapprocha la conduite d'Esau, qui dans son ressentiment s'était éloigné
de son frère, des sentiments de mépris et de répulsion que cet endroit
inspirait aux autres juifs. Il parla de la miséricorde du Père céleste,
en vertu de laquelle la promesse était accomplie pour tous ceux qui
croyaient à celui qu'il avait envoyé, recevaient le baptême, faisaient
pénitence, et dit comment la pénitence interrompait les suites des
mauvaises actions.
Le soir, Jésus partit pour
Bethanie, accompagné de Jaïre, des fils de celui ci et des disciples.
Les premiers allèrent avec lui jusqu'à moitié chemin. Le jour suivant,
Jésus était avec ses disciples dans une hôtellerie voisine de Bethanie.
Il y enseigna longtemps, et en prenant congé de ses auditeurs, il parla
des dangers qu'il aurait à courir ainsi que tous ceux qui
l'accompagneraient dans la carrière où il allait entrer. Il leur dit
aussi qu'ils étaient libres de le quitter, et qu'il leur fallait
mûrement réfléchir s'ils voulaient à l'avenir persévérer avec lui.
Lazare vint ici à sa
rencontre, et lorsque les disciples furent partis pour retourner chez
eux, il ne resta avec lui qu'Aram et Théméni qui l'accompagnèrent à
Bethanie, où plusieurs de ses amis de Jérusalem l'attendaient. Les
saintes femmes y étaient aussi, entre autres Véronique.
(26 octobre) Je vis
aujourd'hui Jésus à Bethanie chez Lazare. Nicodème, Joseph d'Arimathie,
Obed, fils de Véronique, Jean Marc et Simon le lépreux, un pharisien de
Bethanie, ami de Lazare, se trouvaient là. Jésus enseigna sur le baptême
de Jean et sur celui du Messie, sur la loi et son accomplissement, sur
toutes les sectes des juifs et sur les caractères qui les distinguaient.
On avait apporté de Jérusalem des livres de l'Ecriture, et il leur
expliqua des passages des prophètes qui se rapportaient au Messie. Tous
n'étaient pas présents à cette explication, mais seulement Lazare et
quelques uns des plus intimes. Jésus parla de sa résidence future : ils
lui conseillèrent de ne pas s'établir à Jérusalem, et ils lui firent
part de tout ce qu'on y disait de lui. Ils l'engagèrent à résider à
Salem, parce qu'il y avait peu de pharisiens. Il parla de tous ces
lieux, et parla aussi de Melchisédech, dont le sacerdoce devait avoir
son accomplissement, ajoutant que Melchisédech avait mesuré les chemins
et posé les fondements des lieux où le Père céleste voulait que le Fils
de l'homme passât. Il leur dit encore qu'il serait le plus souvent sur
les bords du lac de Génésareth, etc. Jésus eut cet entretien avec eux
dans un lieu retiré des appartements qui donnaient sur le jardin.
Jésus s'entretint aussi
avec les femmes. Ce fut dans les anciens appartements de Madeleine, qui
avaient vue sur la route de Jérusalem. Sur la demande de Jésus, Lazare
lui amena sa soeur Marie la Silencieuse et le laissa avec elle : les
autres femmes se retirèrent dans le vestibule.
Aujourd'hui, Marie se
comporta avec Jésus tout autrement que la première fois. Elle se
prosterna devant lui et lui baisa les pieds. Jésus la laissa faire et la
releva en la prenant par la main. Comme l'autre fois, elle parla les
yeux levés au ciel, et tint les discours les plus profonds et les plus
merveilleux, ce qu'elle fit de la façon la plus simple et la plus
naturelle. Elle parla de Dieu, de son Fils et de son royaume, comme une
fille de la campagne parlerait du père de son seigneur et de l'héritage
de celui ci. Tout ce qu'elle disait était prophétie, parce qu'elle
voyait tout devant ses yeux. Elle parla des dettes énormes qu'avait
accumulées une mauvaise administration dirigée par des serviteurs et des
servantes infidèles ; maintenant le Père avait envoyé son Fils pour tout
remettre en ordre et tout payer ; mais il devait être mal accueilli,
mourir dans les tourments, racheter son royaume au prix de son sang, et
acquitter les dettes des serviteurs, afin qu'ils pussent redevenir les
enfants de son Père Elle disait tout cela en très beaux termes, d'une
façon toute naturelle, comme si elle eût parlé de quelque chose qui se
passait près d'elle : elle s'en réjouissait, puis elle s'attristait de
ce qu'elle aussi était une servante inutile, et de ce qu'un si rude
labeur était imposé au Fils du Seigneur et du Père miséricordieux. Elle
gémissait aussi de ce que les serviteurs ne voulaient pas comprendre
cela : c'était pourtant bien naturel et il en devait être ainsi. Elle
parla encore de la résurrection, dit que le Fils devait aller aussi
visiter ces serviteurs qui languissent dans les prisons souterraines,
pour les consoler et les délivrer après qu'il les aurait rachetés ;
qu'alors il reviendrait avec eux vers son Père, et que tous ceux qui ne
le reconnaîtraient pas comme leur Rédempteur et continueraient leurs
mauvaises pratiques, seraient jetés dans le feu quand il reviendrait
pour juger. Elle parla de la mort et de la résurrection de Lazare. "Il
quitte ce pays, disait elle, il regarde tout, et on pleure autour de lui
comme s'il ne devait jamais revenir : mais le Fils le rappelle, et il
travaille à la vigne. " Elle parla aussi de Madeleine et dit : "La jeune
fille est dans l'affreux désert où étaient les enfants d'Israël (38),
à la mauvaise place où il fait si sombre et que le pied de l'homme n'a
jamais foulée : mais elle en sortira pour aller dans un autre désert où
elle réparera tout par la pénitence. "
Marie la Silencieuse
parlait d'elle même comme d'une prisonnière. Son corps lui paraissait
une prison. Elle ne savait pas que c'était là la vie, et elle désirait
ardemment retourner dans sa maison. Tout était étroit ici et personne ne
la comprenait ; ils étaient comme des aveugles. Elle se résignait
pourtant volontiers à rester : elle voulait attendre tranquillement :
certainement elle ne méritait pas mieux.
Jésus lui parla très
affectueusement : il la consola et lui dit : " Tu retourneras dans la
patrie après la Pâque, lorsque je reviendrai ici. "Ensuite il lui donna
sa bénédiction, qu'elle reçut à genoux. Il lui imposa les mains, et il
me sembla qu'il lui versait quelque chose sur la tête avec une fiole :
je ne sais pas bien si c'était de l'huile ou de l'eau. J'eus l'idée
confuse que c'était un baptême. Mais je n'en puis rien dire : cela est
resté obscur pour moi, et je crois maintenant que peut être je ne dois
pas le savoir. " Après un intervalle de silence, la narratrice continua
en ces termes : " Marie la Silencieuse était une très sainte personne.
Nul ne la connaissait et ne la comprenait ; elle vivait entièrement
absorbée dans des visions touchant l'oeuvre de la Rédemption que
personne ne pressentait, mais qu'elle comprenait d'une façon tout à fait
na've. On la croyait idiote. Lorsque Jésus lui fit connaître l'époque où
elle mourrait, et lui dit qu'elle sortirait alors de sa prison pour
retourner dans sa demeure, il lui fit une onction sur le corps en vue de
sa mort. On peut induire de là que le corps a plus de valeur que
beaucoup de gens ne le croient. Jésus prit pitié de Marie la
Silencieuse, qui, étant considérée comme aliénée, ne devait pas être
embaumée. Sa sainteté était un secret. Jésus congédia Marie la
Silencieuse, et elle retourna dans son appartement.
Jésus s'entretint ensuite
avec les hommes, et leur parla du baptême de Jean et du baptême du Saint
Esprit. Je ne me souviens d'aucune différence considérable entre le
baptême de Jean et le premier baptême donné par les disciples de Jésus :
celui ci seulement se rapportait d'une manière plus prochaine à la
rémission des péchés. Je n'ai vu rebaptiser aucun de ceux qui avaient
reçu le baptême de Jean qu'après la descente du Saint Esprit. Avant le
sabbat, les amis de Jérusalem retournèrent à la ville. Aram et Théméni
allèrent avec Joseph d'Arimathie. Jésus leur avait dit qu'il voulait se
séparer des hommes pendant quelque temps, afin de se préparer à sa
laborieuse prédication. Il ne leur dit pas qu'il voulait jeûner.
CHAPITRE
CINQUIEME.
Jésus dans
le désert. Son jeûne de quarante jour.
Avant le sabbat, Jésus,
accompagné de Lazare, alla à l'hôtellerie que celui ci possédait sur le
chemin du désert. Il lui dit en particulier qu'il reviendrait dans
quarante jours. à partir de l'hôtellerie, il continua son chemin seul et
pieds nus. Il n'alla pas d'abord dans la direction de Jéricho, mais vers
le midi, comme s'il eût voulu aller à Bethléhem, en passant entre la
résidence des parents de sainte Anne et celle des parents de saint
Joseph près de Maspha : alors il se dirigea vers le Jourdain, faisant le
tour de tous les villages par des sentiers ; il passa tout contre le
lieu où l'arche d'alliance s'était arrêtée, et où Jean avait célébré une
fête.
Il commença à gravir la montagne à une lieue environ de Jéricho ; et il
entra dans une caverne spacieuse. Cette chaîne de montagne, à partir de
Jéricho, court entre le levant et le midi, et, de l'autre côté du
Jourdain, elle se dirige vers Madian. Jésus commença son jeûne ici, près
de Jéricho ; il le continua en divers endroits situés au delà du
Jourdain et revint le terminer sur cette première montagne, qui est
celle où le diable le transporta. Au sommet de cette montagne, on a une
vue très étendue. Elle est en partie couverte de buissons, en partie nue
et sauvage. Elle ne s'élève pas jusqu'au niveau de Jérusalem, mais sa
base est située beaucoup plus bas, et elle est dans une situation plus
isolée. Lé point lé plus élevé des hauteurs de Jérusalem est la colline
du Calvaire qui se trouve au niveau du faîte du temple. Du côté de
Bethléhem, et vers le midi, Jérusalem aboutit à des escarpements coupés
à pic : de ce côté aussi il n'y a pas d'entrée, et tout l'emplacement
est occupé par des palais.
Jésus gravit pendant la
nuit la montagne escarpée et sauvage qu'on appelle aujourd'hui montagne
de la Quarantaine. Il y a trois crêtes et trois grottes placées l'une au
dessus de l'autre. Derrière la grotte supérieure dans laquelle entra
Jésus, l'oeil plongeait dans les sombres profondeurs d'un précipice
escarpé : toute la montagne était pleine de fentes effroyables et
dangereuses. Cette même grotte, quatre siècles auparavant avait été
habitée par un prophète dont j'ai oublié le nom. Elle aussi, à une
époque, a longtemps résidé ici en secret : il élargit même l'une des
grottes. Il descendit de là parmi le peuple sans que personne sût d'où
il venait ; il prophétisait et pacifiait. Cent cinquante ans avant
Jésus, des Esséniens, au nombre d'environ vingt cinq, y avaient fait
leur demeure. Le camp des Israélites était au pied de cette montagne
lorsqu'ils firent le tour de Jéricho en portant l'Arche d'alliance au
son des trompettes. La fontaine dont Élisée rendit douces les eaux
amères, est aussi dans les environs. Sainte Hélène fit disposer des
chapelles dans ces grottes. J'ai vu sur le mur de l'une d'elles une
peinture représentant la Tentation. Il y eut plus tard un couvent sur
cette hauteur. Je ne puis m'imaginer comment les ouvriers pouvaient
venir travailler là.
Sainte Hélène a fait
construire des églises dans beaucoup de lieux saints de la Palestine. Ce
fut elle qui bâtit l'église placée au lieu de la naissance de sainte
Anne, deux lieues avant Séphoris. Les parents d'Anne avaient aussi une
maison à Séphoris même. Combien il est triste que la plupart de ces
saints lieux aient été tellement dévastés, que le souvenir même s'en est
perdu ! Lorsque étant jeune fille, j'allais avant le jour dans la neige
à l'église de Coesfeld, je voyais distinctement tous ces lieux
sanctifiés, et je vis souvent des hommes pieux qui se prosternaient à
terre dans le chemin devant les guerriers qui les dévastaient, afin de
les préserver de la destruction.
Les paroles de l'Ecriture :
" II fut conduit par l'Esprit dans le désert, "doivent s'interpréter
ainsi : " Le Saint Esprit qui vint sur lui dans le baptême " , en ce
sens que Jésus fit participer son humanité à tout ce qui appartient à la
Divinité, le poussa à aller dans le désert, et à se préparer, en tant
qu'homme, en présence de son Père céleste, aux souffrances auxquelles il
était appelé.
(27 et 28 octobre) Je vis
Jésus à genoux et les bras étendus dans la grotte. Il demandait à son
Père céleste de le fortifier et de le consoler dans toutes les
souffrances qui lui étaient préparées. Il vit d'avance toutes ses
souffrances, et demanda la grâce nécessaire pour chacune d'elles en
particulier. Je vis cette vision depuis deux heures jusqu'à quatre
heures trois quarts du matin : elle contenait tant de choses, que
c'était comme si elle eut duré pour moi une année.
Je vis des représentations
de toutes les peines, de toutes les douleurs de Jésus jusqu'à sa mort.
Je le vis implorer son Père, et recevoir pour chacune d'elles la force,
la consolation et tout ce qui la rendait méritoire. Je vis s'abaisser
sur lui une nuée blanche et lumineuse aussi grande qu'une église, et
après chacune de ses prières, s'approcher de lui de grandes figures
incorporelles, lesquelles prenaient la forme humaine quand elles étaient
près de lui, lui rendaient hommage et lui apportaient chacune une
consolation et une promesse. Je ne puis exprimer tout ce que je vis et
comment je le vis. Je vis que Jésus conquit pour nous dans le désert
tout ce qui nous est donné de consolations, d'encouragements, de
secours, de victoires dans les luttes que nous avons à soutenir ; qu'il
acheta pour nous tout ce qui peut rendre méritoires nos combats et nos
triomphes ; qu'il prépara d'avance pour nous tout ce qui fait la valeur
de nos mortifications et de nos jeûnes ; qu'enfin il offrit à Dieu le
Père tous les travaux et toutes les souffrances qui l'attendaient pour
donner du prix aux travaux futurs, aux luttes spirituelles, aux efforts
faits dans la prière par tous ceux qui croiraient en lui. Je vis aussi
le trésor que Jésus amassait par là pour l'Eglise et qu'elle ouvre dans
le temps du Carême. Je vis Jésus avoir une soeur de sang pendant cette
prière, et je me trouvai moi même, lors de cette vision, ha tête et la
poitrine inondées de sang. En ce moment, le jour commençait à poindre.
Aujourd'hui, Jésus
descendit de la montagne vers le Jourdain, entre Galgala et le lieu où
Jean baptisait, qui était environ une lieue plus au midi. Il s'embarqua
lui même sur une poutre qui se trouvait là pour traverser le Jourdain
dans cet endroit étroit et profond que je ne connaissais pas auparavant.
Il passa sur la rive orientale, puis, laissant à droite Bethabara et
coupant plusieurs routes qui conduisaient au Jourdain, il entra dans les
montagnes par le désert, en suivant des sentiers escarpés qui se
dirigeaient entre le levant et le midi il passa par une vallée qui va
vers Callirrhoé, et où il traversa une petite rivière, puis il s'avança
plus au nord, en suivant une arête de montagne jusqu'à un endroit où
l'on a en face de soi, dans la vallée, la ville de Jachza. C'était là
que les enfants d'Israël avaient battu Sehon, roi des Amorrhéens. Dans
ce combat, les Israélites étaient trois contre seize : mais il y eut un
miracle en leur faveur. un bruit effrayant se fit entendre au dessus des
Amorrhéens et les frappa de terreur.
Jésus était alors sur des
montagnes extrêmement sauvages : c'était quelque chose d'encore plus
âpre que la montagne voisine de Jéricho. On se trouve à peu près en face
de celle ci. Le mont du désert où est Jésus est à environ neuf lieues du
Jourdain. C'est ici que Jésus fera son jeûne de quarante jours.
Ici aussi il a prié et vu dans toute leur étendue les souffrances qui
l'attendent. Satan n'est pas encore venu près du Sauveur. La divinité et
la mission de Jésus lui sont tout à fait cachées. Il n'a compris les
paroles : ' C'est mon Fils bien aimé dans lequel je me complais, "que
comme s'il s'agissait d'un homme, d'un prophète. Toutefois, Jésus a déjà
à souffrir des luttes intérieures fréquentes et de diverse nature. La
première tentation fut cette pensée : " Ce peuple est trop pervers :
dois je souffrir tout cela pour eux, sans pourtant faire l'oeuvre
complètement ". Mais sa charité et sa miséricorde infinies lui firent
vaincre cette tentation causée par la vue de toutes ses souffrances.
(29 octobre) Je vis Jésus
dans une étroite grotte de montagne située dans la contrée de Jachza. Il
était à genoux, priait sans relâche et parlait à son Père. Je vis tous
les péchés du monde entier se présenter devant ses yeux, à partir de la
chute originelle de l'homme. Tout cela vint sur lui comme de grands
nuages orageux : il vit tout ce qu'il avait à souffrir pour cela, ce qui
serait gagné et ce qui serait perdu. Des anges vinrent encore près de
lui.
Je vis Satan se glisser
près de là : il s'approcha de l'entrée de la grotte et y fit du bruit.
Il avait pris la figure d'un des fils des trois veuves que Jésus
affectionnait particulièrement. Il pensait que Jésus se mettrait en
colère en voyant que ce disciple l'avait suivi malgré sa défense.
C'était ridicule et absurde à Satan. Jésus ne tourna même pas les yeux
de son côté. Satan regarda dans la grotte et se mit à tenir toute espèce
de propos sur Jean Baptiste, qui, disait il, en voulait beaucoup à Jésus
de ce qu'il faisait baptiser en certains endroits, ce qu'il ne lui
appartenait pas de faire.
Le 30 octobre, la
narratrice ne communiqua aucune vision, mais le mercredi 31 octobre,
elle dit : "Jusqu'à quatre heures du matin, j'ai eu la vision qui suit.
Je vins près de Jésus dans la grotte. Elle me parut cette fois plus
spacieuse : hier je n'en avais vu que l'entrée. Il s'y trouvait une
ouverture par laquelle entrait un air pénétrant et froid. Dans cette
saison de l'année, le temps ici est très froid et très nébuleux. La
grotte était âpre et rocailleuse et le sol très inégal. Elle était
formée d'une pierre veinée de couleurs variées, qu'on aurait prises pour
de la peinture si elle eût été polie. Aux alentours du rocher, il venait
quelques broussailles : on voyait là aussi des quartiers de roc qui
ressemblaient presque à des buissons. La grotte était assez spacieuse
pour que Jésus put s'agenouiller et se prosterner à une place où il
n'avait pas l'ouverture au dessus de sa tête.
Lorsque je vins près de
Jésus, il était étendu la face contre terre. Je me tins longtemps près
de lui, et je regardai ses pieds que sa robe laissait découverts
jusqu'aux chevilles : ils étaient rouges et blessés par les rudes
sentiers qu'il avait suivis, car il était allé pieds nus dans le désert.
Je le vis tantôt se redresser, tantôt prier la face contre terre. Je pus
tout voir, car il était environné de lumière. une fois un bruit partit
du ciel, et une grande clarté se répandit dans la grotte : il vint toute
une troupe d'anges qui portaient divers objets. Je me sentis tellement
oppressée et accablée, qu'il me sembla entrer, pour ainsi dire, dans la
paroi du rocher : j'eus l'impression que j'enfonçais, et je me mis à
crier : "J'enfonce ! je vais enfoncer près de mon Jésus ! "Là dessus je
m'éveillai, j'allumai ma lumière, j'entendis sonner l'heure, et je vis
tout ce qui suit étant éveillée.
Je vis les anges s'incliner
devant Jésus, lui rendre hommage et lui demander s'ils devaient lui
présenter ce qu'ils étaient chargés de lui apporter ; ils lui
demandèrent aussi si c'était toujours sa volonté de souffrir comme homme
pour les hommes, ainsi que ç'avait été sa volonté lorsqu'il était
descendu du sein de son Père céleste et s'était incarné dans le sein de
la Vierge. Jésus ayant accepté de nouveau ces souffrances, les anges
érigèrent devant lui une grande croix dont ils avaient apporté
séparément les différentes parties. Cette croix avait la forme que je
lui ai toujours vue, mais elle se composait de quatre pièces de même que
les pressoirs en forme de croix, que je vois dans mes visions. Ainsi, la
partie supérieure de l'arbre de la croix, qui s'élève entre les deux
bras, était séparée. Je crois avoir vu là environ vingt cinq anges. Cinq
portaient la partie inférieure de la croix, trois la partie supérieure,
trois le bras gauche, trois le bras droit, trois le morceau de bois où
posaient les pieds, trois portaient une échelle, un autre une corbeille
avec des cordes et des outils, d'autres une lance, un roseau, des
verges, des fouets, une couronne d'épines, des clous et aussi les habits
dont il devait être revêtu par dérision ; enfin tout ce qui figura dans
sa passion se trouvait là.
La croix était creuse :
elle s'ouvrait comme une armoire, et elle était remplie partout
d'innombrables instruments de martyre de toute espèce. Au milieu, à
l'endroit où le coeur de Jésus fut percé, un assemblage des instruments
de supplice les plus variés représentait toutes les tortures
imaginables. La couleur de la croix était d'un rouge de sang dont la vue
causait une émotion douloureuse. Toutes les parties et toutes les places
de cette croix étaient teintes de couleurs différentes d'après
lesquelles on pouvait reconnaître la peine qui y serait endurée ; de
chacun de ces endroits partaient des rayons qui aboutissaient au coeur.
Les instruments mis chacun à leur place étaient également la figure des
tortures qu'ils devaient causer.
Il y avait en outre dans la
croix des vases avec du fiel et du vinaigre, puis aussi de l'onguent, de
la myrrhe et quelque chose qui ressemblait à des aromates ; tout cela
vraisemblablement avait rapport à la mort du Sauveur et à sa sépulture.
Il y avait encore une quantité de longues banderoles déroulées comme des
écriteaux de différentes couleurs, de la largeur de la main, sur
lesquelles étaient inscrites des souffrances de divers genres. Les
couleurs indiquaient avec leur différents degrés d'épaisseur les
ténèbres où les souffrances du Sauveur avaient à faire pénétrer la
lumière.
La couleur noire désignait
ce qui devait se perdre ; la couleur brune, ce qui était trouble,
desséché, mélangé, souillé ; la couleur rouge, ce qui était appesanti,
terrestre, sensuel ; la couleur jaune marquait la mollesse et la
répugnance à souffrir. Il y avait des bandes moitié jaunes, moitié
rouges, qui devaient devenir entièrement blanches ; d'autres étaient
complètement blanches, d'une blancheur de lait, et l'écriture y était
lumineuse ; on voyait à travers. Celles ci désignaient ce qui était
gagné, ce qui était accompli.
Tous ces rubans avec leurs
couleurs donnaient comme le compte des douleurs et des travaux de toute
espèce, que Jésus aurait à supporter dans sa carrière avec ses disciples
et d'autres personnes.
On lui mit aussi devant les
yeux, tous les hommes par lesquels devaient lui venir le plus souvent
des souffrances cachées ; ainsi les Pharisiens avec leur malignité, le
traître Judas, les Juifs sans pitié pour sa mort cruelle et
ignominieuse. Les anges disposèrent et firent passer tout cela sous les
yeux du Sauveur avec un respect indicible et une solennité sacerdotale ;
quand toute la passion fut figurée et représentée devant lui, je le vis
pleurer ainsi que les anges. Ensuite les anges se retirèrent et je fus
ravie dans une vision concernant les pauvres âmes du purgatoire.
(2 novembre) Comme j'étais
près du Seigneur, je le vis prier, la face contre terre. Le diable avait
fait apparaître devant lui sept à huit de ses disciples. Ils entrèrent
un à un dans la grotte et dirent qu'ils avaient appris par Eustache où
il était, qu'ils l'avaient cherché pleins d'inquiétude, qu'il ne devait
pas les abandonner pour se réduire à la dernière détresse sur le haut de
cette montagne. On tenait tant de propos sur son compte, disaient ils ;
il ne devait pourtant pas se laisser imputer telle et telle chose. Mais
Jésus ne répondit rien, si ce n'est : `` Retire toi de moi, Satan, le
temps n'est pas encore venu. " Alors tout disparut.
(3 novembre) Je vis le
Seigneur prier dans la grotte, la face contre terre. I| était tantôt
agenouillé, tantôt debout ; je l'ai vu aussi une fois couché sur le
côté. Je vis un homme très vieux, très faible, d'un aspect vénérable,
gravir péniblement la montagne escarpée. C'était chose si difficile pour
lui que j'en avais pitié. Il s'approcha de la grotte et tomba tout
épuisé à l'entrée en poussant un gémissement plaintif. J'étais presque
chagrine de ce que Jésus ne venait pas à son aide ; mais il ne le
regarda même pas.
Le vieillard se releva lui
même et dit à Jésus qu'il était un Essénien du mont Carmel, qu'il avait
entendu parler de lui et que, quoique mourant, il était venu à sa suite
jusqu'ici. Il le priait donc de vouloir bien l'accueillir et
s'entretenir avec lui de choses saintes ; lui aussi savait ce que
c'était que jeûner et prier, disait il, quand deux personnes s'unissent
ensemble en Dieu, l'édification est plus grand, etc. Jésus ne répondit
que quelques mots, comme : " Arrière, Satan, le temps n'est pas encore
venu. " Alors, je commençai à voir que c'était Satan, car lorsqu'il se
retira et s'évanouit, je le vis devenir sombre et plein de rage. Alors
je trouvai risible qu'il se fût jeté par terre et qu'il eût été obligé
de se relever à lui tout seul.
Satan ne connaissait pas la
divinité du Christ. Il le prenait pour un prophète ordinaire. Il avait
vu sa sainteté dès sa jeunesse et aussi la sainteté de sa mère qui ne
faisait aucune attention à Satan. Elle n'était accessible à aucune
tentation. Il n'y avait rien en elle à quoi il pût se prendre. Elle
était la plus belle des 20 vierges et des femmes, mais elle n'avait
jamais eu sciemment de prétendants, sinon lors de l'épreuve qui fut
faite dans le temple avec des branches d'arbre, et à la suite de
laquelle il lui fallut prendre un mari. Ce qui induisait le mauvais
esprit en erreur, c'était que Jésus n'avait point vis à vis de ses
disciples la même sévérité que les pharisiens, en ce qui touchait
certains usages de peu d'importance. Il le croyait un homme parce que
quelques irrégularités de ses disciples scandalisaient les Juifs. Comme
il avait souvent vu Jésus plein de feu et d'ardeur, il chercha d'abord à
l'irriter en lui montrant ses disciples le suivant malgré lui ; l'ayant
vu plein de miséricorde, il voulut le toucher en se montrant sous la
figure d'un pauvre vieillard tombant en défaillance, puis entrer en
discussion avec lui en qualité d'Essénien.
(4 et 5 novembre) Je vis
près de la grotte une nuée lumineuse dans laquelle j'aperçus comme des
visages. Il en sortit des anges qui avaient la forme humaine. Ils
allèrent à Jésus, le fortifièrent et le consolèrent.
Le dixième jour, 5
novembre, je vis Jésus prosterné dans la grotte, la face contre terre.
Je le vis prier agenouillé et debout et je vis des anges entrer et
sortir.
(6 novembre) Je vis Jésus
dans la grotte couché sur le côté et je vis apparaître l'essénien Eliud
qui s'approchait de lui. C'était encore Satan, et je compris qu'il
devait avoir connaissance que tout récemment la croix avait été
présentée à Jésus, car il lui dit avoir appris par une révélation quels
terribles combats lui avaient été montrés, combats qu'il avait bien
senti être au dessus des forces de Jésus. Il n'était pas non plus,
disait il, en état de jeûner quarante jours, c'est pourquoi il était
venu, poussé par l'affection qu'il lui portait, pour le voir encore une
fois, et pour le prier de lui permettre de lui tenir compagnie dans sa
solitude, ajoutant qu'il voulait se charger d'une partie de son voeu.
Jésus ne prêta aucune attention à tout cela. Il se releva, leva les
mains au ciel et dit : " Mon père, retirez moi cette tentation ! " Je
vis alors Satan se montrer plein de rage et disparaître.
Jésus alors se mit à genoux
pour prier. Au bout de quelque temps, je vis s'approcher trois jeunes
gens (39) qui l'avaient accompagné lorsqu'il était
sorti pour la première fois de Nazareth et qui l'avaient quitté plus
tard. Ces jeunes gens s'avancèrent d'un air timide, se prosternèrent
devant Jésus et se plaignirent de ne pouvoir trouver de repos nulle part
tant qu'il ne leur avait pas pardonné. Ils le prièrent de les prendre en
pitié, de les admettre de nouveau et de les laisser jeûner avec lui
comme pénitence. Ils voulaient, dorénavant, être les plus fidèles de ses
disciples. Ils se lamentaient très haut et ils étaient entrés dans la
grotte en faisant toute sorte de bruit autour de lui. Jésus se releva,
étendit les mains et invoqua Dieu, et ils disparurent.
(7 et 8 novembre) Comme je
regardais Jésus qui priait à genoux dans la grotte, je vis Satan, vêtu
d'une robe resplendissante, arriver à travers les airs et planer près de
l'endroit où le rocher était coupé à pic. De ce côté, il n'y a pas
d'entrée dans la grotte, mais seulement quelques fissures : c'est le
côté du levant.
Jésus ne regarda pas Satan
qui voulait faire l'ange : dans ce cas, sa lumière n'est jamais
transparente, mais comme étendue à la surface et sa robe fait l'effet de
quelque chose de raide, tandis que la robe des anges paraît légère et
diaphane. Il vola à l'entrée de la grotte et dit : Je suis envoyé par
ton Père pour te consoler. "Jésus ne le regarda pas. Alors il reparut à
une des ouvertures de la grotte du côté ou elle est tout à fait
inaccessible et dit à Jésus qu'il devait reconnaître en lui un ange à la
manière dont il planait au dessus du rocher. Mais Jésus ne tourna pas
les yeux de son côté. Alors Satan entra en fureur et fit comme s'il eût
voulu le saisir avec ses griffes à travers l'ouverture ; son aspect
devint horrible, et il disparut. Mais Jésus ne le regarda pas. Le 8, je
vis Jésus s'agenouiller et prier dans la grotte.
(9 novembre.) Remarque
de l'écrivain le 8 novembre 1821 : La vision de ce jour
sur le jeûne de Jésus fut continuellement mêlée à d'autres visions où la
narratrice se livrait à ces travaux qu'elle avait coutume de faire la
nuit dans son oraison : c'est du reste ce qui arrive le plus souvent et
de là vient qu'elle a rarement le temps de faire des communications
complètes.
Toute la série de ses
contemplations nocturnes a la forme d'un voyage qu'elle fait sous {a
conduite de son ange gardien. Le but spirituel de ce voyage se détermine
d'après les travaux en oraison qui lui sont assignés, suivant les
circonstances de l'époque où elle vit ou suivant le temps de l'année
ecclésiastique. Le point central de ce voyage est la Terre Promise, où
elle retrouve chaque jour ses visions sur la vie de Jésus et où la tâche
qu'elle a pour le moment, remplir dans son oraison s'unit aux mérites de
ce jour de la vie du Rédempteur. Dans ce voyage, elle passe par les
contrées où ont vécu les saints dont on fait la fête ce jour là, elle se
mêle à leur vie, unit leurs mérites aux mérites de Jésus, et les
applique au succès des prières qu'elle a à faire pour les pays avec
lesquels ces saints ont quelque relation particulière. Il en est ainsi
sur tout le chemin qu'elle parcourt soit pour aller, soit pour revenir
et à cela se mêle la vue de tous les besoins et de toutes les misères du
présent et de l'avenir. Or depuis le 2 novembre, jour des Morts, sa
principale occupation était de prier pour l'Eglise souffrante. Elle
faisait ainsi l'oeuvre d'un chrétien, qui, priant et contemplant. suit,
à travers le temps, comme un fit conducteur, la série des jours de
l'année ecclésiastique. La vision d'aujourd'hui sur la vie de Jésus se
présenta de la manière suivante :
Je vis cette nuit Jésus
prier dans la grotte, tantôt couché, tantôt à genoux, tantôt debout.
Pendant la plus grande partie de la nuit, j'ai été dans la grotte près
de Jésus, agenouillée moi même et priant. J'ai eu une terrible nuit. Il
faisait si mauvais et si froid sur cette montagne. Il y eut de l'orage
et il est tombé beaucoup de pluie et de grésil. J'ai vu les misères
morales du monde entier et aussi ma propre abjection. J'ai vu le triste
état de l'Eglise et les chutes de tout genre des prêtres. J'ai vu les
grâces et les ressources innombrables que Jésus nous a octroyées, et
j'ai eu le sentiment de tout ce qu'il a déjà conduis pour nous, rien que
dans ce pénible jeûne du désert. J'étais toute brisée et comme broyée :
j'éprouvais en outre pour Jésus qui était près de moi, une compassion
qui me déchirait le coeur, et j'avais en même temps le sentiment de ma
propre méchanceté. Et pourtant au milieu de toutes ces douleurs, ma
faiblesse faisait que je ne pouvais m'empêcher de me dire de temps en
temps : " Pourquoi Jésus ne me dit il rien ? Pourquoi ne me dit il pas :
Lève toi ! " car je me croyais hors d'état de supporter toutes ces
peines.
Comme j'étais prête à
m'impatienter, il ne me dit rien que ce seul mot : Patience ! et je me
sentis soulagée. Je restai là encore quelque temps étendue par terre et
j'eus le sentiment complet du désert, avec son âpre température et celui
des douleurs de Jésus. Alors à travers le froid, il m'arriva un air
tiède et une sensation agréable. Trois âmes pleuraient près de moi dans
la grotte et chacune avait deux anges à côté d'elles : elles
remercièrent à propos de souffrances qui les avaient soulagées et
disparurent. Je les connaissais alors, maintenant je ne les connais
plus. Je suis encore dans un état misérable. Il m'a été aussi ordonné de
prier pour prévenir des malheurs imminents que j'ai vus, mais surtout à
l'occasion des mariages mixtes à propos desquels il m'a été montré que
des maux innombrables en résultent pour l'Eglise.
(10 et 11 novembre) Je vis
Jésus comme toujours prier dans la grotte prosterné, agenouillé ou
debout. Il porte son vêtement ordinaire. Seulement sa robe est lâche et
n'est pas attachée : il n'a pas de ceinture et il a les pieds nus. Son
manteau est posé par terre avec sa ceinture et une paire de poches comme
en portent les Juifs, et il s'y appuie quelquefois il ne mange ni ne
boit : il souffre souvent de la faim. Des anges le réconfortent. Alors
il descend sur lui comme une nuée légère, et il coule dans sa bouche
comme une espèce de rosée.
Les quarante jours, dans le
désert, sont un nombre mystérieux et se rapportant, comme les quarante
années des Israélites dans le désert, à quelque chose que j'ai oublié.
Jésus a chaque jour un nouveau travail à accomplir par sa prière ;
chaque jour il conquiert pour nous de nouvelles Grâces, et ce qui a
précédé ne se représente jamais. Sans ce travail auquel il s'est soumis,
jamais notre résistance aux tentations n'aurait pu être méritoire. Le il
j'ai vu Jésus prier comme précédemment dans différentes postures.
(12 novembre) Je vis Satan
sous la figure d'un vieil ermite du mont Sina' venir vers Jésus dans là
grotte. Il gravissait péniblement la montagne ; il était à moitié nu ;
son corps était couvert comme de peaux de bêtes, et il avait une longue
barbe ; il y avait dans sa physionomie quelque chose de moqueur et
d'astucieux. Il lui dit qu'un Essénien du mont Carmel, qui était venu le
voir, lui avait parlé du baptême de Jésus, de sa sagesse, de ses
miracles et du jeûne rigoureux qu'il faisait actuellement. Là dessus,
malgré son grand âge, il avait entrepris ce long voyage pour venir le
trouver : il voulait s'entretenir avec lui, d'autant plus qu'il avait
une longue expérience de la mortification. Il pensait que Jésus en avait
assez fait et devait maintenant se reposer : il voulait, lui, se charger
d'une partie de ce qu'il s'était imposé. Il dit beaucoup de choses dans
ce sens. Jésus regarda de côté et dit : "Retire toi de moi, Satan !
"Alors je vis Satan tout ténébreux et, sous la forme d'un globe noir,
rouler avec fracas jusqu'au bas de la montagne.
Je demandai alors
intérieurement comment il se faisait que la divinité de Jésus restât si
parfaitement cachée pour Satan, et je reçus à ce sujet de belles et
admirables instructions ; je me préoccupais vivement de savoir comment
je pourrais raconter tout cela, mais je l'ai tout à fait oublié : je vis
clairement l'extrême avantage qu'il y avait pour les hommes à ce que ni
Satan, ni eux n'en eussent connaissance ; il leur fallait apprendre à
croire. Le Seigneur me dit notamment quelque chose que j'ai retenu.
"L'homme n'a pas su que le serpent qui l'a séduit était Satan, c'est
pourquoi Satan, non plus, ne doit pas savoir que c'est Dieu qui rachète
l'homme. c J'eus, à cette occasion, de très belles visions, et je vis
que Satan ne connut la divinité du Christ que lorsqu'il délivra les âmes
des limbes.
Du 14 au 16 novembre, elle fut trop malade pour pouvoir rien raconter.
Le 17, elle dit : J'ai vu tous ces jours ci Jésus prier dans la grotte
et jeûner. J'ai oublié les détails La grotte n'est pas tout à fait au
sommet de la montagne.
(18 novembre) Je vis
aujourd'hui Satan entrer dans la grotte sous la figure d'un homme de
distinction de Jérusalem (40). Il dit qu'il venait par
suite du grand intérêt qu'il lui portait, car il situait que sa mission
était de rendre la liberté aux Juifs. Il lui raconta en outre toutes les
contestations qui avaient eu lieu à Jérusalem à son sujet et tout ce qui
avait été dit. Il venait le voir pour prendre sa cause en main. Il
voulait aller avec lui à Jérusalem où ils demeureraient ensemble dans le
palais d'Hérode (elle croit qu'il s'agit de l'Hérode dont l'autre
Hérode, qui habitait à Callirrhoé, avait enlevé la femme). Il me sembla
que c'était un agent de cet Hérode. Il ajouta que Jésus pouvait faire
venir là ses disciples en secret et procéder à la réalisation de ses
projets. Il le pressa de venir avec lui sans retard. Il débita tout cela
à Jésus très au long. Jésus ne le regarda pas, nais il pria avec ardeur,
et je vis Satan se retirer ; sa figure devint hideuse, et il sortit de
son nez comme du feu et de la vapeur, après quoi il disparut.
(19 20 novembre) Pendant
cette nuit où je fus malade à mourir, j'étais depuis la veille au soir
en contemplation prés de Jésus dans la grotte, et je vis toute sa
passion grandir devant lui comme un arbre qui croît. J'en vis tous les
détails dans des tableaux merveilleux jusqu'à son crucifiement avec ses
tortures et ses affreuses souffrances. Dans ces représentations je vis,
comme toujours, la croix faite de cinq espèces de bois, avec des bras
insérés dans le tronc, un coin sous chaque bras et un morceau de bois
pour soutenir les pieds. La partie de l'arbre qui était au dessus de la
tête et où l'écriteau était attaché était surajoutée, car d'abord
l'arbre était trop court pour qu'on pût placer l'inscription au dessus
de la tête. à propos de cette addition, la Soeur mentionne quelque chose
comme des feuilles : elle dit aussi une fois : " C'est placé au dessus
comme un couvercle sur un étui. "
Je vis tout cela dans un
merveilleux tableau symbolique, et je vis en outre toutes sortes de
transformations mystérieuses dans le Saint-Sacrement. Je crois que Jésus
eut aussi ces visions, car je vis près de lui des anges qui vénéraient
ces mystères. Je m'éveillai alors dans les douleurs les plus cruelles,
mais je me réjouissais toujours de m'endormir de nouveau pour éprouver
ces souffrances.
Tous ces jours ci je vis
Jésus dans la grotte p riant et jeûnant, et je m'unis à lui pour prier,
pour renoncer et pour surmonter toute répugnance.
Le 28 novembre, elle dit :
J'ai vu aujourd'hui des anges montrer à Jésus, dans plusieurs tableaux,
l'ingratitude des hommes, le doute, la raillerie, l'injure, la trahison,
le reniement, tout ce que devaient faire ses amis et ses ennemis jusqu'à
sa mort et après sa mort, et tout ce qui devait se perdre de ses travaux
et de ses peines. Il vit tout cela, et dans son angoisse, il eut une
soeur de sang. Pour le consoler, ils lui montrèrent alors tout ce qui
était gagné. Ils lui montraient tout du doigt, à mesure que les tableaux
se succédaient.
Le 29, elle dit : J'ai vu
aujourd'hui Jésus tout épuisé de ses luttes et plongé dans la tristesse,
en considérant la grandeur des pertes et l'inutilité de ses efforts pour
le salut d'un bien grand nombre d'hommes.
(30 novembre) J'ai vu
aujourd'hui Jésus soumis à une tentation : il commençait à avoir grand
faim et surtout à souffrir beaucoup de la soif. Je le vis, il est vrai
réconforté quelquefois par des anges, mais jamais manger ni boire : je
ne je vis jamais non plus hors de la grotte. il n'y avait pas en lui
d'amaigrissement sensible, mais il était devenu très blanc et très pâle.
Je vis Satan s'approcher de
lui sous la figure d'un vieil ermite et lui dire : " J'ai bien faim, je
vous prie de me donner des fruits qui sont là sur la montagne devant la
grotte, car je ne peux pas en cueillir sans la permission du
propriétaire (il feignait de prendre Jésus pour le propriétaire) ;
asseyons nous donc ensemble et parlons de choses édifiantes. À, Il y
avait, non pas à l'entrée, mais ailleurs, à quelque distance, près du
côté opposé de la grotte qui regardait le levant, des figues et une
espèce de fruit semblable à la noix, mais avec une enveloppe plus molle,
comme celle des nèfles : il y avait aussi des baies. Jésus lui dit : "
Retire toi de moi ! toi qui es menteur depuis le commencement des
siècles, et n'endommage pas ces fruits '. Alors je vis l'ermite,
transformé en une petite figure noire, fuir comme un trait par dessus la
montagne et une vapeur sombre sortir de sa bouche. Je ne savais pas
qu'il pût endommager ces fruits, quoique je pensas bien qu'il laissait
après lui une odeur infecte.
Aujourd'hui, jour de la
fête de saint André, elle parla de lui et raconta ceci entre autres
choses : André est allé aujourd'hui chez un frère ou demi frère qu'il
avait, indépendamment de Pierre, et qui est devenu disciple. André
s'entretint avec lui : il était triste et inquiet de ce que Jésus était
dans le désert depuis si longtemps : il était agité au sujet de son
retour, et il avait des doutes à combattre. Il s'entretint aujourd'hui
avec son frère à ce sujet.
(2 décembre) Satan vint
encore trouver Jésus sous la figure d'un voyageur. Il lui demanda s'il
ne voulait pas manger des beaux raisins qui étaient dans le voisinage et
qui étaient si bons pour apaiser la soif. Jésus ne répondit rien et ne
tourna même pas les yeux de son côté. Le jour d'après, il le tenta de la
même façon en lui parlant d'une source.
(3 décembre) Vers midi, je
vis Satan venir vers Jésus dans la grotte. Il vint en qualité de savant
faiseur de tours : il lui dit qu'il venait à lui comme à un sage, et
voulait lui montrer que lui aussi savait faire quelque chose,
l'engageant à le regarder faire. Alors il lui fit voir, suspendue à son
bras, une machine semblable à une boule, ou plutôt à une cage d'oiseau.
Jésus ne le regarda pas, tourna le des et entra plus avant dans la
grotte. Ce fut la première fois que je vis pareille chose.
J'ai vu ce qu'il y avait à
voir dans la boîte. On y avait sous les yeux un paysage ravissant, un
jardin de plaisance agréable, plantureux, plein de beaux ombrages, de
sources fraîches, d'arbres chargés de fruits et de raisins magnifiques.
Tout cela était si rapproché, qu'on semblait le toucher, et il s'y
produisait des changements à vue de plus en plus attrayants. Jésus lui
tourna le des, et Satan disparut.
Cette tentation avait
encore pour but d'interrompre le jeûne de Jésus, qui maintenant
commençait à ressentir vivement la faim et la soif. Satan ne sait pas
comment s'y prendre avec lui. Il connaît les prédictions faites à son
sujet, et il sent aussi que Jésus a autorité sur lui, mais ignore qu'il
est Dieu, qu'il est le Messie que rien ne peut empêcher de faire son
oeuvre, parce qu'il le voit jeûner, soutenir des luttes, avoir faim, en
un mot, parce qu'il le voit pauvre, sujet à bien des souffrances,
semblable en tout à un homme ordinaire. En cela, Satan est, à quelques
égards, aussi aveugle que les pharisiens : mais il le regarde comme un
saint homme que dans tous les cas il peut tenter et faire faillir.
(4 décembre) Je vis Jésus
agité et très combattu il souffrait de la faim et de la soif. Je le vis
plusieurs fois devant la grotte. Je vis vers le soir Satan gravir la
montagne sous la figure d'un homme grand et robuste ; il avait pris en
bas deux pierres qui étaient de la grandeur de deux petits pains, mais
anguleuses, et je vis qu'en montant il les maniait et leur donnait
complètement la forme de pains. Il y avait dans son aspect quelque chose
d'incroyablement farouche lorsqu'il vint vers Jésus dans la grotte. Il
tenait une des pierres dans chaque main, et il lui parla à peu près en
ces termes : " Tu fais bien de ne pas manger de fruits, ils ne font
qu'irriter l'appétit ; mais si tu es le Fils bien aimé de Dieu sur qui
l'Esprit est descendu à son baptême, vois ces pierres auxquelles j'ai
fait prendre la forme de pains : change les maintenant en pain." Jésus
ne regarda pas Satan : je l'entendis seulement prononcer ces paroles : "
L'homme ne vit pas seulement de pain. "Je n'ai entendu distinctement ou
retenu que ces paroles : dans l'Evangile il y en a d'autres encore qui
vraisemblablement m'ont échappé, car alors je vis Satan au comble de la
rage. Il étendit ses griffes vers Jésus, et je vis alors les deux
pierres posées sur ses bras. Après cela il s'enfuit, et je ne pus
m'empêcher de rire en le voyant obligé de remporter ses pierres.
Vers le soir du jour
suivant, je vis Satan, sous la figure d'un ange puissant, voler vers
Jésus avec grand bruit Il avait une espèce de vêtement de guerre, comme
je le vois aux apparitions de saint Michel ; mais à travers son plus
grand éclat on peut toujours distinguer quelque chose de sombre et de
furieux. Il se vanta en présence de Jésus, et lui dit à peu près : " Je
veux te faire voir qui je suis, ce que je puis, et comment les anges me
portent dans leurs mains. Voilà Jérusalem ! voilà le temple ! Je te
porterai sur son faite le plus élevé. Montre alors ce que tu peux faire
: voyons si les anges te porteront jusqu'en bas. "Pendant qu'il parlait
ainsi, il me sembla voir Jérusalem et le temple tout contre la montagne,
mais je crois que c'était seulement une vision. Jésus ne lui fit aucune
réponse. Alors Satan le prit par les épaules et le porta à travers les
airs, à Jérusalem, mais en volant près de terre : il le posa sur la cime
d'une des quatre tours qui s'élevaient aux quatre coins de l'enceinte du
temple, et que jusqu'alors je n'avais pas remarquées.
Cette tour était du côté
occidental, vis à vis la forteresse Antonia. La montagne du temple était
presque à pic en cet endroit. Ces tours étaient comme des prisons : dans
une d'elles on gardait les vêtements précieux du grand prêtre. Elles
étaient terminées par une plate forme autour de laquelle on pouvait
marcher. Au milieu s'élevait encore une coupole creuse que surmontait
une grosse boule sur laquelle il y avait place pour deux personnes. On
pouvait de là voir au dessous de soi le temple tout entier.
Ce fut sur ce point
culminant de la tour que Satan plaça Jésus : celui ci gardait le
silence. Mais Satan vola d'en haut jusqu'au sol et lui dit : "Si tu es
le Fils de Dieu, montre ta puissance et descends à ton tour, car il est
écrit : il ordonnera à ses anges de te porter dans leurs mains, de peur
que tu ne te heurtes contre la pierre. "Mais Jésus répondit : `il est
écrit aussi : Tu ne tenteras pas ton Seigneur. "Sur quoi Satan revint à
lui plein de rage, et Jésus dit : " use du pouvoir qui t'a été donné.
Alors Satan, saisi d'une
nouvelle fureur, le saisit de nouveau par les épaules et vola avec lui
au dessus du désert, dans la direction de Jéricho. Satan, cette fois, me
parut voler plus lentement. Je le vis, dans sa colère et sa rage contre
Jésus, planer tantôt haut, tantôt bas, et en vacillant, comme quelqu'un
qui veut décharger sa colère, et qui n'est pas maître de le faire. Il
porta Jésus à sept lieues de Jérusalem, sur cette même montagne ou il
avait commencé son jeûne.
J'ai vu qu'en le portant il
passa tout contre le grand et vieux térébinthe dont j'ai eu récemment
près de moi une relique que j'ai reconnue. Ce bel et grand arbre s'élève
dans l'ancien jardin d'un Essénien, de ceux qui ont autrefois habité ici
: Elle aussi y séjourna. Le térébinthe était derrière la grotte, à peu
de distance de l'escarpement à pic. Trois fois par an on fait des
entailles aux arbres de celle espèce, et on en tire un baume d'assez
médiocre qualité.
Satan posa le Sauveur au
point culminant de la montagne sur un rocher inaccessible qui
surplombait : ce point est beaucoup plus haut que la grotte. Il faisait
nuit : mais pendant que Satan montrait les divers points de l'horizon,
tout était éclairé, et on voyait dans toutes les directions les plus
beaux pays du monde. Le démon parla à peu près en ces termes : "Je sais
que tu es un grand docteur, que lu veux rassembler des disciples autour
de toi et répandre ta doctrine. Vois tous ces magnifiques pays, ces
puissantes nations, et vois aussi ce qu'est en comparaison d'eux la
petite Judée. C'est là qu'il faut aller : Je te donnerai tous ces pays
si tu te prosternes devant moi pour m'adorer. Par cette adoration, le
démon entendait une posture humble et suppliante que prenaient souvent
les Juifs d'alors et en particulier les Pharisiens devant de grands
personnages et des rois quand ils voulaient obtenir d'eux quelque chose.
Le démon présentait ici à Jésus, sur une plus grande échelle, une
tentation semblable à celle par laquelle il avait cherché à le séduire
lorsqu'il était venu le trouver, sous la figure de l'agent d'un Hérode
de Jérusalem, et l'avait engagé à venir dans le palais que le roi avait
dans cette ville, en lui promettant de l'aider dans son entreprise.
Lorsque Satan montrait ainsi les divers points de l'horizon, on voyait
apparaître de grands pays avec les mers qui les baignaient, puis leurs
villes, puis leurs monarques dans tout l'éclat d'une pompe triomphale,
avec leur cortège et leurs armées.
On voyait tout cela aussi
distinctement que si l'on en eût été tout près et même encore plus
distinctement ; on était réellement dans tous ces lieux, et chaque
scène, chaque peuple se montrait avec la pompe et l'éclat qui lui
étaient propres, avec ses moeurs et ses usages particuliers.
Satan fit ressortir les
prérogatives de chaque peuple et montra avec une insistance particulière
un pays où l'on voyait de grands et beaux hommes magnifiquement vêtus,
ressemblant presque à des géants. Je crois que c'était la Perse : il
conseilla à Jésus d'aller de préférence enseigner là. Il lui montra là
Palestine comme une petite contrée insignifiante. C'était un spectacle
merveilleux : on voyait tant de choses et si clairement, et tout était
si brillant et si magnifique !
Jésus ne dit que ces mots :
"Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et tu ne serviras que lui seul.
Retire toi de moi, Satan. Alors je vis Satan, sous une forme
incroyablement hideuse, s'élancer du haut du rocher dans le précipice,
et disparaître comme si la terre l'eut englouti.
Aussitôt après, je vis une
troupe d'anges s'approcher de Jésus et s'incliner devant lui : ils le
portèrent, je ne sais de quelle manière, comme sur leurs mains, et,
planant doucement avec lui près du rocher, ils le ramenèrent dans la
grotte où il avait commencé son jeûne de quarante jours. Il y avait
douze anges principaux avec d'autres troupes d'assistants qui formaient
aussi un nombre déterminé : je ne sais plus bien s'ils étaient soixante
douze, mais je suis portée à le croire : car il y eut dans toute cette
vision quelque chose qui me rappela les apôtres et les disciples. Il y
eut alors dans la grotte comme une fêle d'actions de grâces pour une
victoire et comme un festin solennel. Je vis la grotte tapissée
intérieurement de feuilles de vigne par les anges : elle était ouverte,
et une couronne triomphale de feuillage était suspendue en l'air au
dessus de la tête de Jésus. Tout cela se fit avec un ordre et une
solennité merveilleuse : tout y était clair, symbolique et lumineux, et
ce fut promptement fait, car ce qui était planté ou apporté dans une
intention répondait comme de soi même à cette intention et se
développait suivant la destination qui lui était assignée.
Les anges apportèrent aussi
une table couverte d'aliments célestes qui, petite au commencement,
s'accrut et grandit rapidement. Les mets et les vases étaient semblables
à ceux que je vois toujours sur les tables du ciel : je vis Jésus, les
douze anges principaux et les autres aussi en prendre leur part. On ne
faisait pas passer les aliments par la bouche, et pourtant on se les
assimilait ; l'essence des fruits passait jans ceux qui les prenaient,
et il y avait réfection et participation. C'est quelque chose qu'il est
impossible d'exprimer.
A l'extrémité de la table
se trouvait seul un grand calice lumineux, entouré de petites coupes :
il était de la même forme que celui qui figura à l'institution de la
sainte Cène ; seulement il était plus grand et avait quelque chose de
plus immatériel. il y avait aussi une assiette avec des petits pains
ronds très minces. Je vis Jésus verser quelque chose du calice dans les
coupes et y tremper des morceaux de pain : après quoi les anges les
prirent et les emportèrent. Dans ce moment, le tableau disparut, et
Jésus quitta la grotte et descendit vers le Jourdain.
Les anges qui servaient
Jésus parurent sous des formes différentes et suivant un ordre
hiérarchique : ceux qui, en dernier lieu, disparurent avec le pain et le
vin étaient en habits sacerdotaux. Je vis, dans le même instant, des
consolations : merveilleuses de toute espèce arriver aux amis présents
et futurs de Jésus. Je vis à Cana Jésus apparaître en vision à la sainte
Vierge et la réconforter. Je vis Lazare et Marthe très émus et remplis
d'un nouvel amour pour Jésus. Je vis Marie la Silencieuse recevoir
réellement de la main d'un ange un aliment pris sur la table du Sauveur.
Je vis l'ange près d'elle, et elle reçut ce qu'il lui apportait avec la
simplicité d'un enfant. Elle avait vu constamment toutes les souffrances
et les tentations de Jésus ; sa vie se passait à les contempler et à y
compatir, et elle n'éprouva aucune surprise. Je vis aussi Madeleine
singulièrement remuée. Elle était occupée à se parer pour une fête,
lorsqu'elle fut saisie inopinément d'une vive inquiétude sur sa vie et
d'un ardent désir du salut, si bien qu'elle jeta là sa parure, ce qui
lui attira force moqueries de la part de son entourage. Je vis aussi
plusieurs des futurs apôtres réconfortés et pleins d'ardeur. Je vis
Nathanaël dans sa demeure pensant à tout ce qu'il avait entendu dire de
Jésus et très ému à ce sujet, mais chassant encore ces pensées de son
esprit. Je vis Pierre, André et tous les autres fortifiés et touchés.
C'était une vision admirable dont je ne me rappelle que peu de chose.
Au moment où Jésus
commençait son jeûne, Marie résidait dans sa maison, près de CapharnaÛm.
Il en était alors comme à présent, et la faiblesse humaine reste
toujours la même. Il venait s'installer chez la sainte Vierge des
voisines indiscrètes, qui, sous prétexte de la consoler, reprochaient à
Jésus de s'en aller on ne savait ou, de la négliger complètement, quoi
que ce fût son devoir, depuis la mort de Joseph, de prendre une
profession pour soutenir sa mère, etc. En général, on tenait beaucoup de
propos sur Jésus dans tout le pays, car les circonstances merveilleuses
de son baptême, le témoignage de Jean, les récits de ses disciples
dispersés, tout concourait à attirer l'attention sur lui. Il n'y eut
autant dé bruit à son sujet que plus tard, lors de la résurrection de
Lazare et avant sa passion.
La sainte Vierge était très
sérieuse et concentrée en elle même : lorsque Jésus était séparé d'elle,
elle avait toujours des mouvements intérieurs et des pressentiments, et
souffrait avec lui.
Vers la fin des quarante
jours, Marie était allée à Cana, en Galilée, chez les parents de la
fiancée de Cana. Ce sont des gens considérés et comme les principaux
personnages de l'endroit : ils ont une belle maison presque au centre de
la ville, qui est très agréable et bien bâtie. Elle est traversée par
une route, je crois que c'est celle de Ptolémaïs : on voit la route
descendre des hauteurs qui s'élèvent en face de la ville. Les rues sont
moins tortueuses, et le terrain moins inégal que dans bien d'autres
endroits. Le mariage doit se faire dans cette maison. Ils en ont une
autre qu'ils donnent toute meublée avec leur fille. La sainte Vierge y
habite pour le moment. Le fiancé est à peu près de l'âge de Jésus :
c'est, je crois, un fils du premier lit d'une des trois veuves de
Nazareth : il n'est pas de ceux qui suivirent une fois Jésus jusqu'à
Hébron. Il est, chez sa mère, comme maître de la maison : il est à la
tête de son ménage. Il est maintenant près d'elle : je crois que plus
tard il doit assister son beau père dans son emploi. Ces bonnes gens
consultent la sainte Vierge pour l'éducation de leurs enfants et ils lui
confient tout : elle s'entretient aussi avec la fiancée, qui est une
belle jeune fille. Je vois celle ci se rencontrer avec son fiancé en
présence d'autres personnes, mais toujours voilée.
Je vis Jean pendant ce
temps continuer toujours à baptiser. Hérode s'efforçait d'obtenir de lui
qu'il vint le voir : il lui envoyait aussi des messagers pour tâcher de
savoir de lui quelque chose sur Jésus. Mais Jean le traitait toujours
avec aussi peu d'égards que précédemment, et il répétait ce qu'il avait
dit de Jésus.
Des envoyés de Jérusalem
sont encore venus près de lui pour lui faire subir un interrogatoire sur
Jésus et sur lui même. Jean répondit comme toujours qu'il n'avait pas vu
Jésus de ses yeux, antérieurement à son baptême, mais qu'il était envoyé
pour lui préparer la voie.
Je vis que Jean, depuis ce
temps, enseignait toujours que l'eau avait été sanctifiée par le baptême
de Jésus et par le Saint Esprit qui était venu sur lui. J'appris que la
descente du Saint Esprit sur Jésus, pendant qu'on le baptisait, avait
donné plus de sainteté au baptême, et qu'il était alors sorti de l'eau
beaucoup de mauvais éléments. C'était pour cela que j'avais vu la noire
figure de Satan et toutes ces affreuses bêtes se presser au sein du
nuage qui était sur le Jourdain, au moment où le Saint Esprit descendit.
C'était comme un exorcisme de l'eau. Jésus voulut recevoir le baptême,
afin que l'eau tût sanctifiée par là, car il n'en avait aucun besoin. Le
baptême de Jean fut dès lors plus pur et plus saint : c'est pourquoi je
vis Jésus baptisé dans un bassin séparé qu'on mit en communication avec
le Jourdain et avec le réservoir où l'on baptisait tout le monde : c'est
aussi pour cela que Jésus et ses disciples y prirent de l'eau et
l'emportèrent avec eux pour qu'elle servît dans d'autres baptêmes.
CHAPITRE SIXIÈME.
Commencement de la vie publique et de la prédication du Sauveur
jusqu'aux noces de Cana.
- Jésus vient sur les bords du Jourdain. - Jésus à Ophra, à Dibon, à
Eléalé, à Bethjésimoth, à Siloh, à Kibza'm, à Thébez, à Capharnaum. - Il
guérit à distance un jeune garçon. - Il appelle à lui Pierre, Philippe
et Nathanael.
(Du 6 au 30 décembre).
(6 décembre) Au point du
jour, je vis Jésus traverser le Jourdain à cet endroit où le fleuve est
si étroit et où il l'avait traversé quarante jours auparavant. Il y
avait là des poutres à l'aide desquelles on pouvait passer soi même. Ce
n'était pas là le passage où aboutissait le chemin le plus fréquenté,
mais un passage secondaire. Jésus alors descendit la rive orientale du
Jourdain jusque vis à vis de l'endroit où Jean donnait le baptême. Je
vis là Jean qui enseignait et baptisait, le montrer au doigt aussitôt et
crier : "Voici l'agneau de Dieu qui efface les péchés du monde. " Jésus
revint du bord du fleuve à Bethabara.
Cependant André et Saturnin
qui étaient auprès de Jean passèrent le fleuve en toute hâte : ils
prirent le chemin que Jésus avait pris. Ils furent suivis par un des
parents de Joseph d'Arimathie et par deux autres disciples de Jean.
Lorsqu'ils furent de l'autre côté du fleuve, ils coururent après Jésus,
et je vis Jésus se retourner, aller à leur rencontre et leur demander ce
qu'ils cherchaient. Sur quoi, André, tout joyeux de l'avoir retrouvé,
lui demanda où il demeurait, et Jésus leur dit de le suivre, puis il les
conduisit à une hôtellerie située en avant de Bethabara, vis à vis le
fleuve ; ce fut là qu'ils s'arrêtèrent. Jésus resta aujourd'hui à
Bethabara avec les cinq disciples et il prit ses repas avec eux. Il leur
dit qu'il allait commencer sa carrière de prédication et réunir des
disciples autour de lui. André lui parla de plusieurs personnes de sa
connaissance dont il lui fit l'éloge à cet effet ; il fit mention de
Pierre, de Philippe et de Nathanaël. Jésus parla du baptême à donner ici
dans le Jourdain, et dit que quelques uns d'entre eux auraient à
baptiser dans cet endroit, qu'il n'y avait près d'ici d'emplacement
approprié que celui où Jean baptisait, et que pourtant il né convenait
pas que celui ci fût dépossédé. Alors Jésus parla de la destination et
de la mission de Jean dont le terme était proche, et il confirma tout ce
qu'avait dit Jean de lui même et du Messie. Jésus parla aussi de la
préparation à sa prédication publique faite dans le désert et de la
préparation qui doit précéder toute oeuvre importante. Il se montra
affectueux et confiant vis à vis des disciples, ceux ci étaient
respectueux et un peu intimidés. Ils passèrent la nuit ici.
(7 décembre) Le matin,
Jésus en compagnie des disciples, alla de Bethabara aux maisons voisines
du passage du Jourdain et il enseigna dans une réunion. Plus tard il
passa le fleuve et enseigna dans une bourgade située à une lieue avant
Jéricho. Il n'y avait guère qu'une vingtaine de maisons. une foule
d'aspirants au baptême et de disciples de Jean allaient et venaient pour
l'entendre et pour rapporter à Jean ce qu'ils savaient de lui. Il était
environ midi lorsqu'il enseigna ici.
Jésus chargea plusieurs
disciples d'aller, après le sabbat, de l'autre côté du Jourdain, à une
lieue au dessus de Bethabara et d'y remettre en état une fontaine
baptismale où Jean, venant d'Ainon, avait donné le baptême avant d'aller
baptiser sur la rive occidentale du Jourdain en face de Bethabara. On
voulut préparer ici un repas pour Jésus j mais il partit et revint avant
le sabbat à Bethabara où il célébra le sabbat jusqu'au samedi soir et où
il enseigna dans la synagogue. Il mangea chez le préposé de l'école et
coucha dans sa maison.
(9 décembre) Je vis Jésus
accompagné d'André, de Saturnin et d'une foule nombreuse dans laquelle
se trouvaient aussi des disciples de Jean, aller il la fontaine
baptismale située à une lieue au nord de Bethabara, en face de la
contrée de Galgala. Cet endroit, où Jean avait baptisé quelque temps,
avant d'aller s'établir près de Jéricho, avait été remis en état par ses
disciples. La fontaine baptismale n'était pas aussi grande que celle de
Jean près de Jéricho. Il y avait un rebord élevé avec une langue de
terre qui s'avançait dans l'eau et ou se tenait celui qui administrait
le baptême. Le rebord était entouré d'un petit canal d'ou l'on pouvait
faire entrer l'eau dans la fontaine baptismale. Il y a maintenant dans
ce quartier trois fontaines baptismales ; celle qui est au dessus de
Bethabara, celle où Jésus a été baptisé sur l'île qui s'est élevée dans
le Jourdain, et enfin celle où Jean baptise.
Jésus arrivé ici versa dans
la fontaine baptismale de l'eau de la fontaine de l'île dans laquelle il
avait été baptisé et qu'André avait apportée dans une outre ; puis il la
bénit. Tous les baptisés furent singulièrement émus. André et Saturnin
baptisèrent. Ce n'était pas une immersion complète. Les néophytes
entraient dans l'eau près du rebord ; on leur mettait les mains sur les
épaules ; le baptisant versait trois fois de l'eau sur eux avec la main
et baptisait au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit ; ce que ne
faisait pas Jean qui se servait d'un vase à trois rainures. Beaucoup de
personnes venaient se faire baptiser, particulièrement des gens de la
Pérée.
Jésus enseigna debout, sur
un petit tertre de gazon qui se trouvait près de là ; il parla de la
pénitence, du baptême et du Saint Esprit. Il dit : " Mon Père a envoyé
le Saint Esprit lorsque j'ai été baptisé, et il a dit : C'est mon Fils
bien aimé dans lequel je me complais. Il en dit autant à tout homme qui
aime son Père céleste et qui se repent de ses péchés ; il envoie son
Saint Esprit sur tous ceux qui sont baptisés au nom du Père, du Fils et
du Saint Esprit, et tous alors sont ses fils dans lesquels il se
complaît : car il est le père de tous ceux qui reçoivent son baptême et
reçoivent de lui par là une nouvelle naissance."
Je m'étonne toujours que
tout soit raconté si brièvement dans l'Evangile, et d'y voir Jésus,
lorsque André l'a suivi après le témoignage rendu par Jean, se
rencontrer aussitôt avec Pierre qui pourtant n'était pas là, mais en
Galilée. Ce qui m'étonne encore davantage, c'est d'y voir la Cène et la
Passion suivre de si près l'entrée à Jérusalem du dimanche des Rameaux,
lorsque dans l'intervalle j'entends Jésus faire de si nombreuses
instructions. Je pense que Jésus séjournera bien ici une quinzaine de
jours avant d'aller en Galilée.
André, à proprement parler,
n'était pas encore admis comme disciple. Jésus ne l'avait pas appelé, il
était venu de lui même et s'était offert ; il avait le désir d'être avec
Jésus : Il est plus empressé et se met plus en avant que Pierre qui
était porté à se dire : " Je suis trop peu de chose pour cela, cela
surpasse mes forces, " et qui là dessus retournait à ses affaires.
Saturnin et les deux neveux de Joseph d'Arimathie, Aram et Théméni,
s'étaient joints à Jésus de la même manière qu'André.
Plusieurs autres disciples
de Jean seraient venus à Jésus, s'ils n'en avaient été empêchés par
quelques uns de leurs compagnons, dont l'amour propre était blessé. Ceux
ci se plaignaient à Jean, et trouvaient que Jésus commettait une
usurpation en baptisant ici, que ce n'était pas là sa mission, et Jean
avait fort à faire pour redresser leurs idées bornées. Il leur disait de
se souvenir de ses discours dans lesquels il leur avait toujours annoncé
d'avance qu'il ne faisait que préparer le chemin, qu'il se retirerait
quand les voies seraient préparées, et que ce serait bientôt. Mais ils
étaient très attachés à Jean, et cela ne pouvait pas leur entrer dans
l'esprit. Aujourd'hui, il y avait déjà tant de monde à l'endroit où
Jésus baptisait, qu'il dit aux disciples que le lendemain il fallait
aller ailleurs. il passa encore la nuit à Bethabara, chez le chef de la
synagogue.
(10 décembre) Ce matin, je
vis Jésus, accompagné d'une vingtaine de personnes, dont étaient André,
Saturnin, Aram et Théméni, quitter Bethabara, traverser le Jourdain à
l'endroit où était le passage le plus fréquenté et le plus facile, et
laissant Galgala à droite, se rendre dans une ville appelée Ophra, qui
était cachée dans une étroite vallée au milieu des montagnes. Il y
passait fréquemment des gens venant du pays qui est derrière Sodome et
Gomorrhe lesquels allaient à l'orient du Jourdain, sur des chameaux
chargés de marchandises, et se faisaient baptiser par Jean. Il y avait
ici un chemin de traverse menant de la Judée au Jourdain : c'était du
reste un endroit fort peu fréquenté, situé à trois ou quatre lieues de
l'endroit où Jean baptisait : je crois qu'il était moins éloigné de
Jéricho : il y avait environ sept lieues de là à Jérusalem. La
température y était froide et il y avait peu de soleil : la ville était
bien bâtie. Les habitants, presque tous marchands, publicains ou
contrebandiers, avaient de l'aisance : ils semblaient faire de bonnes
affaires avec les gens qui passaient. Ils n'étaient pas méchants, mais
indifférents, comme le sont souvent des marchands et des hôteliers
auxquels tout vient à souhait. Je n'avais pas encore été dans cet
endroit, je n'y avais jamais vu Jésus jusqu'à aujourd'hui. Les habitants
ne s'étaient pas encore préoccupés du baptême de Jean. Ils n'aspiraient
pas au salut : leur ville était de celles dont on a coutume de dire :
C'est un endroit ou l'on vit bien.
Lorsqu'ils approchèrent de
la ville, Jésus envoya en avant les neveux de Joseph d'Arimathie pour
demander les clefs de la synagogue et pour convoquer le peuple à venir
l'entendre. Il se servait toujours d'eux pour de semblables missions :
car ils étaient avenants et avisés. à son entrée dans la ville, des
possédés et démoniaques accoururent autour de lui et ils criaient de
loin : " Voici le prophète, Fils de Dieu, le Christ Jésus, notre ennemi
: il vient nous chasser. "Jésus leur commanda de se taire et de se tenir
tranquilles.
Ils s'apaisèrent aussitôt et l'accompagnèrent à la synagogue qui était
presque à l'autre extrémité de la ville. Il y enseigna jusqu'au soir, et
n'en sortit qu'une fois pour prendre quelque chose. Il parla de
l'approche du règne de Dieu, de la nécessité du baptême ; il pressa
vivement les habitants de se réveiller de leur tiédeur et de leur fausse
sécurité, afin que le jugement ne les atteignît pas. Il parla aussi
fortement contre leurs pratiques usuraires, leur commerce frauduleux, et
contre les péchés habituels aux marchands et aux publicains. Ils ne le
contredirent pas, mais d'autre part ils n'étaient pas très faciles à
émouvoir : car ils étaient esclaves de leurs habitudes mercantiles ;
quelques uns, pourtant furent très touchés et prirent d'autres
sentiments. Le soir, plusieurs d'entre eux, hommes considérables ou gens
de moindre importance, vinrent je visiter à l'endroit où il logeait, et
se montrèrent très décidés à se faire baptiser. Dès les jours suivants
ils allèrent trouver Jean. Jésus passa la nuit dans l'hôtellerie.
(11 décembre) Aujourd'hui
Jésus quitta Ophra de bonne heure, et revint vers Bethabara avec ses
disciples. Ils se séparèrent sur le chemin. Il envoya André en avant
avec la plupart de ses compagnons, par la roule qu'ils avaient suivie en
venant ici ; lui même avec Saturnin et le neveu de Joseph d'Arimathie
(je crois qu'il n'y en avait qu'un avec lui), passa plus près du lieu où
Jean baptisait, suivant le chemin par où il avait passé, lorsque celui
ci, pour la première fois après le baptême, avait rendu témoignage de
lui. Cette fois il n'arriva rien de particulier. Près du chemin qui est
en face du passage du Jourdain, Jésus entra dans quelques maisons,
enseigna et exhorta au baptême.
Ce ne fut que dans l'après
midi qu'ils arrivèrent à Bethabara, et je vis le même jour Jésus
enseigner encore au lieu du baptême, où André et Saturnin baptisèrent'
Comme c'étaient chaque jour de nouveaux auditeurs qui venaient pour se
faire baptiser, son enseignement était presque toujours le même : il
répéta souvent que son Père céleste disait à tous ceux qui faisaient
pénitence et recevaient le baptême : "Voici mon Fils bien aimé ", qu'ils
seraient tous ses enfants, etc. : la plupart d'entre eux venaient du
pays de Philippe le Tétrarque, qui était un bon prince. Ses sujets
étaient assez heureux, et c'est pourquoi ils n'avaient guère pensé
jusqu'alors à se faire baptiser." Le soir, elle dit en termes peu précis
: " Jésus, après la fin de son jeûne, s'arrête ici environ vingt jours :
donc encore quinze jours, et il ira à Cana où sa mère l'attend. "
(12 décembre) Du 12 au 13,
elle fut malade à la mort : le 13 au soir, se trouvant mieux, elle
raconta ce qui suit :
Aujourd'hui, Jésus, en
compagnie de trois disciples, est parti de Bethabara pour cette ville,
où il s'était trouvé le 15 octobre pour la fête des Tabernacles. C'était
à Dibon qu'il allait. Sur la route, il enseigna dans plusieurs maisons
placées les unes à côté des autres. Arrivé à la ville, il enseigna dans
la synagogue, qui est séparée de la ville et située dans le fond de la
vallée qu'il avait parcourue lors de la fête des Tabernacles. Il passa
la nuit dans une hôtellerie ou une échoppe située un peu à l'écart' où
des laboureurs des environs venaient loger et prendre leur nourriture.
On fait à présent les semailles sur le côté de la montagne qui est
exposé au soleil, et on récoltera à Pâques. Ici l'on bêche la terre, car
le sol est pierreux et sablonneux ; on ne peut pas faire usage de
l'instrument avec lequel on laboure ordinairement. On plante aussi
certaines herbes, et on a commencé à rentrer une partie de la récolte
arriérée. Jésus raconta dans la synagogue et aux laboureurs la parabole
du semeur qu'il leur expliqua. Il n'expliquait pas toujours ses
paraboles : devant les pharisiens il les racontait souvent sans
commentaires.
Le 13, il était encore ici
et occupé de la même manière. Aujourd'hui, André, Saturnin et d'autres
disciples qui baptisaient hier près de Bethabara, sont allés
Ophra pour confirmer les
gens de l'endroit dans les bons sentiments que la prédication de Jésus a
réveillés en eux.
Dans l'habitation où se
tient Jésus, près de Dibon, il y a un endroit séparé où les femmes des
gens de la campagne viennent préparer leurs aliments. Ce sont tous de
bonnes gens, vivant simplement. Les habitants du pays ne sont pas bien
disposés pour Jésus, qui, lors de la fête des Tabernacles, a guéri
plusieurs malades à Dibon. Il n'était pas proprement à Dibon même, ni
chez les publicains qui demeuraient plus près du Jourdain, mais dans la
vallée qui avait une longueur d'environ trois lieues.
(14 15 décembre) Jésus
partit aujourd'hui de l'hôtellerie de Dibon. Ces habitations étaient
disséminées dans la vallée entre Dibon et le Jourdain, laquelle peut
avoir trois lieues de long. Il se dirigea vers le midi, et prit un
chemin qui conduisait au levant et qui était deux lieues plus au midi du
Jourdain que celui de Bethabara par lequel il était venu. Il arriva à
quatre lieues environ de Dibon, dans un endroit qui a un nom singulier.
Je ne voulais pas croire que ce fût un nom de lieu. Existe t il un lieu
ainsi nommé ?
Le nom me parut étrange parce qu'étant enfants, en conduisant les vaches
à travers champs, nous criions toujours : Hélo ! hélo ! et il me fallut
entendre plusieurs fois ce nom avant de l'accepter. Quoi donc, me disais
je, c'est là Hélo ! hélo ! le cri des enfants quand ils conduisent les
vaches ? Lorsque nous courions les champs et que nous criions à nos
compagnons de faire aller leurs vaches` de tel ou tel côté, ils me
criaient à leur tour : Hélo ! hélo ? Anne Catherine Emmerich, si tu veux
venir avec nous au gué, viens donc vite : hélo ! hé, loh loh ! Elle
répéta cela en imitant les modulations du cornet avec lequel on appelle
les vaches en prononçant les noms de tous ses compagnons d'enfance et en
regrettant ce temps d'innocence et de piété.
Jésus arriva à Eléalé avec
environ sept disciples : il doit lui en être venu quelques uns que j'ai
oubliés. André, Saturnin et d'autres qui étaient allés à Ophra, sont
revenus je ne sais plus bien où : ils doivent bientôt venir le
retrouver. Jésus entra chez le chef de la synagogue. Le soir du sabbat,
il enseigna dans la synagogue sur une parabole où il était question de
branches d'arbres vacillantes qui laissaient tomber les fleurs et ne
portaient pas de fruits. Tout ce que je me rappelle à ce sujet, est
qu'il voulut par là reprocher à ses auditeurs que la plupart du temps le
baptême de Jean ne les rendait pas meilleurs, et qu'ils laissaient
emporter par tous les vents les fleurs de la pénitence sans qu'elles
arrivassent à porter des fruits. C'est ainsi qu'ils étaient dans cet
endroit. Il choisit de préférence cette comparaison, parce qu'ils
vivaient pour la plupart du produit de leurs arbres fruitiers. Ils
allaient vendre leurs fruits très loin, car l'endroit était écarté, et
il n'y avait pas de grande route. ils faisaient aussi beaucoup de
couvertures et des broderies grossières. Jésus, jusqu'à présent, n'avait
pas rencontré de contradicteurs ; les gens de Dibon et des alentours
l'avaient pris à gré, et ne cessaient pas de dire qu'ils n'avaient
jamais entendu personne enseigner comme lui : les vieillards le
comparaient toujours aux prophètes, de l'enseignement desquels leurs
ancêtres leur avaient parlé.
Jésus a récemment envoyé un
message à sa mère à Cana : il lui a fait dire à quel moment il
viendrait. Il n'y avait encore personne de Jérusalem près de lui, mais
la plupart de ceux qui l'avaient suivi après le baptême de Jean, se
trouvèrent de nouveau avec lui à Bethabara et ils allaient et venaient
de Jean à lui et de lui à Jean.
Le samedi 15, Jésus fit ici
la clôture du sabbat.
(16 17 décembre) Le
dimanche 16, Jésus alla à environ trois lieues vers le couchant dans un
endroit nommé Bethjésimoth, situé sur les pentes orientale et
méridionale d'une montagne, auprès d'une petite rivière, à environ une
lieue du Jourdain. Pendant qu'il était e tête pour s'y rendre, André,
Saturnin, et beaucoup d'autres disciples de Jean vinrent se joindre à
lui, et j'entendis sur le chemin le Seigneur leur parler des enfants
d'Israël qui avaient campé ici et de ce que Mo'se et Josué leur avaient
dit. Il en fit une application au temps présent et à son enseignement.
Bethjésimoth n'est pas très grand, mais très fertile, surtout en vins.
Lorsque Jésus arriva, on
venait de faire sortir des démoniaques d'une maison où ils étaient
renfermés ensemble, pour les mener prendre l'air. Ils se mirent à faire
du bruit et à crier : " Voilà qu'il vient, le Prophète ! Il va nous
chasser, etc. " Jésus se retourna vers eux et leur commanda de se taire,
leur disant que leurs chaînes allaient tomber et qu'ils devaient le
suivre à la synagogue. Leurs chaînes tombèrent en effet par un miracle,
et ces gens, devenus tout à fait paisibles, se prosternèrent devant
Jésus, le remercièrent et le suivirent. Il enseigna en paraboles où il
était question de la fertilité de la terre et de la culture de la vigne.
Ensuite il visita plusieurs malades dans les maisons et les guérit. Cet
endroit ne se trouve sur aucune grande route, les habitants sont obligés
de porter eux mêmes leurs fruits au marché.
(18 20 décembre) Jésus
partit aujourd'hui quoique les habitants le priassent instamment de
`rester, parce que c'était là qu'il avait guéri pour la première fois
depuis son séjour au désert : il était accompagné d'André, de Saturnin,
des neveux de Joseph d'Arimathie, en tout d'une douzaine de personnes.
Il alla obliquement vers le nord, pendant deux lieues, jusqu'à ce
passage fréquenté du Jourdain auquel conduisait la route de Dibon et où
il avait passé lors de la fête des Tabernacles en se rendant de Galgala
à Dibon. On mettait un temps assez long à passer parce que, vu
l'escarpement des rives, les lieux de débarquement n'étaient pas en face
l'un de l'autre. Sur la rive occidentale, je les vis faire encore à peu
près une lieue dans la direction de Samarie, puis, longeant la base
d'une montagne, arriver dans un petit endroit qui consistait en un
groupe de maisons sans école. A quelques lieues de là, au couchant, se
trouve dans un coin de la montagne le lieu où Jésus, du 22 au 23
octobre, visita l'essénien Ja're. Ce petit endroit était habité par des
bergers et d'autres braves gens qui étaient vêtus à peu près comme les
bergers à la crèche. Jésus enseigna sur un lieu élevé où une chaire de
pierre était dressée en plein air. Ces gens avaient reçu le baptême de
Jean.
Le 10 vers le soir, je vis
Jésus arriver sur le haut d'une montagne qui s'élevait en pente douce, à
Silo, ville assez délabrée, aux portes de laquelle se trouvaient de
grandes tours en ruines. Devant la ville, à quelque distance était un
couvent d'Esséniens a moitié détruit et en outre une maison peu éloignée
de l'entrée de la ville où jadis les Benjamites avaient renfermé des
jeunes filles qu'ils avaient enlevées à Silo, lors de la fête des
Tabernacles. La synagogue de Silo était dans une situation très élevée,
tout au haut de la ville, et on avait de là une vue extraordinairement
étendue. On voyait les montagnes de Jérusalem, la mer de Galilée et une
quantité de montagnes. Les habitants ne me semblèrent pas bons : ils
étaient orgueilleux, pleins de présomption et d'assurance.
Je vis Jésus, avec ses
compagnons qui pouvaient bien être au nombre de douze, en y comprenant
André et Saturnin, entrer dans une grande maison qui semblait habitée
par plusieurs pharisiens et scribes. Tout au moins ils la fréquentaient,
car j'en vis bien une vingtaine rassemblés autour de lui avec leurs
longues robes, leurs ceintures et de longs appendices d'un travail
grossier pendant aux manches. Je crois qu'il trouvera ici des
contradicteurs, car ils faisaient semblant de ne pas connaître Jésus et
lui adressaient des paroles piquantes comme celle ci : "Qu'est ce à dire
? Il y a maintenant deux baptêmes, celui de Jean et celui de Jésus, le
fils du charpentier de Galilée : lequel est donc le bon ? On entend dire
aussi que des femmes s'attachent à la mère de ce fils de charpentier,
par exemple telle veuve avec ses deux fils (j'ai oublié le nom), et
qu'elle court ainsi de côté et d'autre pour faire des partisans à son
fils. Quant à eux, disaient ils, ils n'avaient que faire de semblables
nouveautés, ils avaient la promesse et leur loi. " Ils ne disaient pas
ces choses ouvertement et brutalement, mais ils traitaient Jésus avec
une politesse aigre et moqueuse, et cela me rappelait la malveillance
astucieuse et cachée sous une douceur hypocrite que j'ai souvent
rencontrée sur mon chemin de croix de la part de gens éclairés qui
m'observaient comme une personne suspecte.
A l'endroit où Jésus entra
dans Silo avec les disciples se trouvait une maison où les docteurs et
les prophètes en voyage avaient le droit de loger ; elle était attenante
aux habitations et aux écoles des pharisiens et des sadducéens de
l'endroit ; c'était comme un séminaire. Elle n'était pas éloignée du
point culminant de la montagne où le tabernacle et l'arche d'alliance
avaient séjourné autrefois. Ce point culminant était comme un rocher
isolé et escarpé, termine par une vaste plate forme, grande presque
comme Dulmen (lieu où habitait la narratrice), si je ne me trompe. Il y
avait là un grand emplacement entouré d'un mur à moitié écroulé et où se
trouvaient les restes des fondements d'un ancien édifice en pierre,
élevé au dessus du tabernacle. Peut être aussi n'y avait il eu là qu'un
beau mur et une grande halle. à la place où l'arche d'alliance avait
reposé autrefois, il y avait, sous un toit soutenu par une arcade, une
colonne comme celle de Galgala ; sous cette colonne, se trouvait
également une espèce de caveau, creusé dans le roc, où l'arche
d'alliance avait été déposée. Sur cette hauteur, entourée d'un mur, il y
avait en outre une synagogue, et non loin de la place de l'arche
d'alliance un lieu pour les sacrifices et une fosse couverte ou l'on
jetait les immondices lors de l'immolation des victimes ; car j'entendis
dire qu'il était encore permis de sacrifier là trois ou quatre fois dans
l'année.
Je ne sais plus dans quel
ordre se succédèrent ici les actes et les prédications de Jésus ; je me
souviens seulement qu'il répondit à leurs sarcasmes qu'il était celui
dont ils parlaient. Et comme il faisait mention de la voix qui s'était
fait entendre à son baptême, il dit que c'était la voix de son père qui
était aussi le père de quiconque se repentait de ses péchés et
renaissait par le baptême. Ils ne voulaient pas le laisser aller, non
plus que ses disciples, à la place de l'arche d'alliance, parce que
c'était un lieu très saint ; il y alla pourtant et leur reprocha que
leurs pères avaient perdu l'arche d'alliance à cause de leur méchanceté
; maintenant, ajouta t il, ils continuaient à faire de même près de
cette place vide ; ils avaient violé la loi autrefois et ils la
violaient encore ; mais de même que l'arche d'alliance s'était éloignée
d'eux, de même aussi l'accomplissement de la promesse allait s'éloigner
d'eux maintenant. Comme là dessus ils voulurent entrer en dispute avec
lui en lui alléguant des passages de la loi ; il les plaça deux par
deux, les interrogea comme des enfants, leur proposa diverses questions
difficiles sur des textes de la loi, et ils ne trouvèrent rien à
répondre.
Ils étaient très confus et
très irrités, ils se poussaient les uns les autres et murmuraient, mais
ils commencèrent à se retirer. Jésus les conduisit aussi à la fosse
couverte où l'on jetait les débris qui restaient après les sacrifices ;
il la fit découvrir et la faisant servir à une comparaison, il dit d'eux
qu'ils étaient comme cette fosse, remplis à l'intérieur d'immondices et
de pourriture impropres au sacrifice, mais proprement recouverts à
l'extérieur, et tout cela dans un endroit d'où le sanctuaire avait été
retiré à cause des péchés de leurs ancêtres. Il leur dit, en outre,
qu'il ne reviendrait plus les visiter. Tous se retirèrent pleins de
rage.
Jésus enseigna ici dans la
synagogue et parla spécialement du respect dû à la vieillesse et de la
piété filiale. Il s'exprima sévèrement à ce sujet, car les gens. de Silo
avaient depuis longtemps la mauvaise habitude, quand leurs parents
étaient arrivés à un grand âge, de les mépriser, de les laisser de côté
et de les chasser. une route vient ici, de Bethel qui est situé au midi
; Lebona est dans le voisinage. Il peut y avoir huit à neuf lieues d'ici
à Samarie ; la ville est bâtie tout autour du rocher, elle n'est pas
très peuplée ; il y a une école de pharisiens et une autre appartenant à
d'autres sectes. C'est ici qu'est enterré le prophète Jonas.
(21 décembre) Aujourd'hui
dans la matinée, Jésus sortit par l'autre côté de la ville et se dirigea
vers le nord ouest. Je vis André, Saturnin et les neveux de Joseph d'Arimathie
se séparer de lui et aller en avant vers la Galilée. André doit aller
voir Pierre et lui dire qu'il a retrouvé Jésus ; c'est ici que
s'applique le verset 41 du premier chapitre de saint Jean. Je vis Jésus
accompagné des autres disciples de Jean qui étaient avec lui, arriver à
Kibza'm, le vendredi, avant le sabbat. Cette ville est située dans la
vallée, entre les embranchements de la chaîne de montagnes qui s'étend
au milieu du pays, et qui a ici presque la forme d'une griffe de loup.
Les gens de l'endroit étaient bons, hospitaliers, et bien disposés pour
Jésus qu'ils attendaient. C'était, je crois, une ville de lévites. Jésus
entra, près de l'école, chez un préposé.
Je vis Lazare, Marthe,
Jeanne Chusa, le fils de Siméon qui avait un emploi au temple et le
vieux serviteur de Lazare arriver ici et saluer Jésus. Ils s'étaient mis
en route pour aller aux noces de Cana et je crois qu'ils savaient par un
message qu'ils rencontreraient ici Jésus.
Jésus accueillait toujours
Lazare comme un ami qu'il affectionnait particulièrement : cependant je
ne l'entendais jamais demander : " Que fait tel ou tel de tes parents ou
de les amis." Le jour du sabbat, Jésus enseigna en paraboles que j'ai
oubliées. Kibzaim est caché dans un coin de montagne. Les habitants
vivent du produit de leurs arbres fruitiers, et il y a en outre ici
beaucoup de fabricants de tentes et de tapis, mais je n'ai vu nulle part
autant de faiseurs de sandales. Jésus resta encore ici aujourd'hui pour
le sabbat et il guérit plusieurs malades. C'étaient des hydropiques et
des idiots qu'on lui apportait sur de petits lits devant l'école. Jésus
assista à un repas chez un lévite de distinction.
Les noces de Cana ne
peuvent pas avoir lieu avant dix jours, car je vois qu'ici et partout
dans le pays, on se prépare à une grande tête de huit jours ; c'est la
fête de la dédicace du Temple, qui se célèbre avec beaucoup de flambeaux
dans une vision relative à la Nativité du Christ, j'ai vu récemment
saint Joseph la célébrer, huit jours après, dans la grotte de la crèche,
parce que, la nuit de la naissance de Jésus, le jour de cette fête
tombait le 7 décembre. Je crois que Jésus ira à Cana aussitôt après la
fête. J'ai vu encore que Nathanael, Philippe et d'autres disciples
doivent se rencontrer ces jours ci avec Jésus, je ne sais plus bien dans
quel endroit.
(22 décembre) Le soir après
le sabbat. Jésus alla encore jusqu'à Sichar où il arriva tard et passa
la nuit dans un logement préparé pour lui. Lazare et ses compagnons se
rendirent directement de Kibza'm en Galilée.
(23 décembre) Le jour
suivant, Jésus partit de bonne heure de Sichar et se dirigea au nord est
vers Thébez. à Sichar ou Sichem il ne put pas enseigner, il né s'y
trouvait pas de juifs, mais seulement des Samaritains et encore des gens
d'une autre espèce. Ils sont venu, ici à la suite de la captivité de
Babylone ou de quelque guerre ; ils vont au temple de Jérusalem, mais ne
prennent point part aux sacrifices. Près de Sichem sont de beaux champs
que Jacob avait achetés pour son fils Joseph. une partie de cette
contrée appartient déjà à l'Hérode de Galilée. Il y a une frontière
tracée à travers la vallée par un mur de terre, un sentier et des
poteaux. une grande route traverse Thébez qui est une ville assez
considérable. Il s'y fait du commerce : il y passe des chameaux dont le
chargement est très élevé. C'est un singulier spectacle que de voir ces
animaux, avec leur haut bagage qui les fait ressembler à de petites
tours, gravir lentement la montagne, pendant que leur tête sur son long
cou se balance à droite et à gauche devant leur énorme charge. On fait
aussi ici le commerce de la soie crue.
Les habitants n'étaient pas mauvais et il ne résistait pas à Jésus, mais
ce n'étaient pas non plus des gens simples et candides : ils étaient
tièdes comme le sont souvent les commerçants aisés : les prêtres et les
scribes montraient assez d'assurance et gardaient la neutralité. Lorsque
Jésus arriva dans cet endroit, des possédés et des fous se mirent à
crier : "Voici le Prophète de Galilée ! il a pouvoir sur nous : il va
nous chasser. " il leur ordonna de se tenir tranquilles et ils
s'apaisèrent. Jésus logea ici près de la synagogue et comme on le
suivait et qu'on lui amenait beaucoup de malades, il en guérit
plusieurs. Il enseigna le soir dans l'école de Thébez et prit part à la
célébration de la fête de la dédicace du Temple, qui commençait ce soir
là. On alluma sept flambeaux dans l'école et on en fit autant dans
toutes les maisons. Je vis aussi dans la campagne et sur la route, prés
des habitations des bergers, de petits fagots allumés posés sur des
perches. Thébez était admirablement située sur une hauteur : on pouvait
voir à quelque distance la route qui coupait la montagne et les chameaux
chargés qui la descendaient : on ne voyait Pas cela dans le voisinage.
André, Saturnin et les
neveux de Joseph étaient déjà partis de Silo pour la Galilée. André
était allé dans sa famille à Bethsaïda : il avait dit à Pierre qu'il
avait retrouvé le Messie qui allait venir en Galilée et qu'il voulait
lui amener Pierre. Tous ceux là allèrent à Arbela (41),
qui s'appelle aussi Betharbel, trouver Nathanaël Khased qui avait là des
affaires, et ils le prirent pour l'emmener avec eux à Gennabris et y
célébrer la fête, car Khased y avait alors sa résidence dans une grande
maison qui se trouvait devant la ville avec plusieurs autres. Ils
parlèrent beaucoup de Jésus, et ce fut proprement André qui les
conduisit là à la fête, parce qu'il faisait beaucoup de cas de Nathanael
ainsi qu'eux tous. Ils désiraient savoir son avis ; quant à lui, il ne
voulait pas donner beaucoup d'importance à cette affaire.
Lazare avait conduit Marthe
et Jeanne Chusa près de Marie, à Capharna>m, où elle était revenue de
Cana : lui même repartit avec le fils de Siméon pour Tibériade où ils
comptaient trouver Jésus ; le fiancé de Cana y alla aussi à la rencontre
du Seigneur. Ce fiance était fils d'une fille de Sobé, soeur de sainte
Anne : il s'appelait aussi Nathanaël et il n'était pas de Cana,
seulement il s'y mariait. La ville de Gennabris était populeuse : une
grande route y passait ; il y avait beaucoup de trafic, et on faisait
notamment le commerce de soie. Elle était à environ deux lieues de
Tibériade, mais séparée par des montagnes, de sorte qu'il fallait aller
un peu au midi, puis tourner de nouveau vers Tibériade, entre cette
ville et Emmaus. Arbela était située entre Séphoris et Tibériade.
(24 décembre) Jésus partit
de Thébez avant le jour avec les disciples : il alla d'abord au levant,
puis longeant les montagnes qui sont dans la vallée du Jourdain, il se
dirigea au nord vers Tibériade. Il passa par Abel Mehula, un joli
endroit où les montagnes courent plus directement vers le nord, c'est la
patrie d'Elisée. La ville s'étend au delà d'une arête de montagnes et je
remarquai une grande différence de fertilité entre le côté du nord et
celui du midi. Les habitants étaient assez bons. Ils avaient oui parler
des miracles de Jésus à Kibza'm et à Thébez. ils l'arrêtèrent sur le
chemin et ils témoignèrent le désir qu'il voulût bien rester chez eux et
y guérir les malades. Il y eut presque une émeute. Jésus ne s'arrêta pas
longtemps. Je crois que cet endroit était à environ quatre lieues de
Thébez. Jésus passa près de Scythopolis et du Jourdain.
Lorsque Jésus fut parti
d'Abel Mehula, André, Pierre et Jean, pendant que leurs autres amis
étaient déjà à Gennabris, vinrent à la rencontre du Seigneur près d'une
petite ville, qui est à peu près à six lieues de Tibériade. Pierre était
venu avec Jean pêcher dans les environs. Ils voulaient d'abord se rendre
à Gennabris ; mais André leur persuada d'aller d'abord à la rencontre du
Seigneur. André conduisit son frère à Jésus, qui lui dit entre autres
choses : " Tu es Simon, fils de Jonas ; à l'avenir tu t'appelleras
Céphas (Joan., i, 41 42). " Il lui adressa tout d'abord ces paroles et
ne s'entretint que peu de temps avec lui. à Jean qu'il connaissait déjà
depuis longtemps, il dit qu'ils se reverraient bientôt. Là dessus Pierre
et Jean partirent pour Gennabris. André resta près de Jésus : je crois
qu'ils restèrent dans cet endroit qui pouvait être à douze lieues de
Thébez.
Ce même jour, elle dit que
Jean Baptiste avait quitté le lieu où il baptisait en deçà du Jourdain,
qu'il avait passé le fleuve et s'était remis à baptiser à environ une
lieue de Bethabara, à l'endroit où Jésus avait fait baptiser récemment
et où lui même avait aussi baptisé précédemment. Elle avait oublié le
nom d'un endroit voisin et se rappelait seulement la syllabe ma. Ce qui
a surtout décidé Jean à baptiser là, c'est que beaucoup de gens du pays
du tétrarque Philippe, qui était un bon prince, voulaient se faire
baptiser ; mais ils ne passaient pas volontiers le Jourdain, surtout
lorsqu'ils devaient se trouver en compagnie de beaucoup de pa'ens : du
reste, le séjour de Jésus dans cette contrée avait excité, chez beaucoup
de personnes, le désir du baptême. Ce fut aussi pour montrer qu'il ne se
séparait pas de Jésus que Jean vint baptiser au même endroit que lui.
(25 26 décembre) Jésus vint
aujourd'hui à peu de distance de Tarichée, dans une maison appartenait à
la pêcherie et voisine du lac. Je crois qu'on y vendait ou qu'on y
salait les poissons. André y avait déjà retenu un logement, ou peut être
dépendait elle de la pêcherie affermée par Pierre. Jésus n'entra pas
dans la ville, les habitants avaient quelque chose de farouche et de
repoussant : ils ne pensaient qu'au gain et à l'usure. Simon, qui avait
un emploi dans cette ville (cananeus, zélateur, c'était comme un
défenseur des droits du commerce), était allé à Gennabris pour la fête
avec Thaddée et Jacques le Mineur, ses frères : Jacques le Majeur y
était aussi : Lazare, Saturnin et le fils de Siméon vinrent ici trouver
Jésus, ainsi que le fiancé de Cana. Celui ci invita à ses noces Jésus et
tous ses compagnons. Le soir, Jésus pria et célébra, dans la maison où
il était, la fête des lumières.
(6 décembre) Dans la
journée, Jésus alla avec quelques disciples dans les montagnes du
voisinage. Il s'y trouvait des grottes dans quelques endroits, il se
retira à part et pria seul. Le matin et le soir ; il pria à la maison :
dans la soirée, il célébra la fête de la dédicace du temple en allumant
des flambeaux. La principale raison qu'eut Jésus pour s'arrêter ces deux
jours près de Tarichée fut qu'il voulait laisser à ceux qui devaient
devenir ses apôtres et ses disciples le temps de se communiquer les
bruits qu'ils avaient recueillis ou ce qui leur avait été raconté par
André et Saturnin et de s'entendre entre eux à ce sujet.
Je vis aussi qu'André
pendant que Jésus parcourait les environs, resta à la maison et écrivit
des lettres avec un roseau sur des bandes d'écorce, à ce que je crois :
on pouvait les replier et les dérouler au moyen d'un morceau de bois
fendu. Il vint dans la' maison des hommes et aussi des jeunes gens qui
cherchaient du travail et André les employait comme messagers. Il envoya
les lettres qu'il avait écrites d'une part à Philippe et à son demi
frère Jonathan, d'autre part à Pierre et aux autres qui étaient à
Gennabris : il leur annonçait que Jésus irait à Capharnaum pour le
sabbat et il les engageait à s'y rendre.
Jésus ne serait peut être
allé à Capharnaum que le vendredi 28, mais il vint de cette ville un
message adressé à André, pour qu'il suppliât Jésus de s'y rendre, vu
qu'un messager venu de Kadés pour implorer son assistance, l'y attendait
depuis plusieurs jours. Le fiancé Nathanaël était déjà reparti avec
quelques disciples de Jean.
(27 décembre) Capharnaum
n'est pas tout contre le lac, mais sur la hauteur, sur le côté
méridional d'une montagne qui forme une vallée au couchant du lac, à
l'endroit où le Jourdain s'y jette. Bethsa'de est un peu au dessus de
l'entrée du Jourdain dans le lac. Aujourd'hui Jésus accompagné d'André,
de Saturnin et de quelques autres disciples de Jean, alla de la maison
de pêcheur voisine de Tarichée à Capharnaum. ils cheminaient par groupes
séparés.
Ils prirent à l'est de
Magdalum la route voisine du lac, arrivèrent par la vallée devant
Capharnaum et laissèrent Bethsaide à droite. André rencontra en chemin
son demi frère Jonathan et Philippe qui, je crois, étaient venus au
devant de lui par suite de son message. Toutefois ils ne se réunirent
pas à Jésus sur ce chemin. Ils allèrent avec André en avant ou en
arrière de Jésus, ce dont je ne me souviens plus bien. J'entendis
seulement André leur parler d'un ton très animé et pour raconter tout ce
qu'il avait vu de Jésus : il leur dit que c'était vraiment le Messie,
que, s'ils voulaient le suivre, ils n'avaient pas besoin de le lui
demander, qu'ils devaient seulement s'examiner pour savoir s'ils le
désiraient du fond du coeur, et qu'alors il indiquerait par un signe ou
par un mot s'il les admettait.
Les saintes femmes et Marie
n'étaient pas à Capharna>m, mais chez Marie, dans la vallée qui est en
avant de Capharnaum en face du lac, et elles y célébraient la fête. Les
fils de Marie de Cléophas, Jacques le Majeur, Jean son frère et Pierre
étaient déjà arrivés là de Gennabris, comme aussi les fils des trois
veuves et d'autres futurs disciples. Khased (Nathanaël), Thomas,
Barthélémy et Matthieu n'étaient pas là. Il s'y trouvait du reste
plusieurs autres parents et amis de la sainte Famille, qui tous étaient
invités à Cana pour les noces et qui célébraient ici le sabbat parce
qu'ils avaient entendu parler de l'arrivée de Jésus.
Jésus logeait avec André,
Saturnin, quelques disciples, Lazare et Obed, dans une maison qui
appartenait à Nathanaël le fiancé. Il y avait sur le devant une salle
ouverte : les appartements étaient sur le derrière. Les parents de
Nathanael ne vivaient plus : ils lui avaient laissé du bien. Cette
maison lui appartenait et il y résidait quand il avait des affaires à
Capharnaum.
Les futurs disciples venus
de Gennabris se tenaient encore à distance avec une certaine crainte ;
car d'une part, ils hésitaient entre l'autorité qu'avait auprès d'eux le
jugement de Nathanaël Khased, et les grandes choses qu'André et les
autres disciples de Jean leur avait dites de Jésus. D'autre part la
timidité les retenait et aussi ce qu'André leur avait dit, qu'ils
n'avaient pas besoin de s'offrir, qu'ils devaient seulement écouter ses
enseignements qui ne manqueraient pas de produire sur eux leur effet.
Les fils de Cléophas, ceux qu'on appelait les frères de Jésus, allèrent
le trouver. Il enseigna et parla dans la salle antérieure.
L'homme qui avait attendu
Jésus pendant deux jours, vint le trouver ici. Il se jeta a ses pieds et
dit qu'il était le serviteur d'un homme de Cadès. Son maître suppliait
Jésus de venir guérir son petit garçon qui avait la lèpre et qui était
possédé d'un démon muet. Cet homme était un serviteur très fidèle et il
exprima la douleur de son maître en homme qui prenait une grande part.
Jésus lui répondit qu'il ne pouvait pas aller avec lui, qu'il fallait
pourtant venir en aide à ce petit garçon, car c'était un enfant
innocent.
Il dit au serviteur qu'il
fallait que son maître se couchât sur son fils les bras étendus et fît
une certaine prière ; qu'alors la lèpre se retirerait de lui : que lui,
le serviteur, devait après cela s'étendre à son tour sur l'enfant et lui
souffler dans la bouche : qu'alors une vapeur bleuâtre sortirait de
l'enfant qui recouvrerait la faculté de parler. J'ai oublié ce qu'il lui
dit de plus, mais j'ai vu le père et le serviteur guérir l'enfant de la
manière indiquée.
L'ordre était donné au père
et au serviteur de s'étendre sur l'enfant malade pour certaines raisons
cachées dont je ne me souviens plus bien clairement. Cet enfant n'était
pas né d'une union légitime ; il semblait qu'il fût le fils du serviteur
et de la femme de son maître, sans que celui-ci le sût. Mais Jésus le
savait. Chacun d'eux devait prendre une dette de 1'enfant. Je ne puis
pas expliquer cela clairement, non plus que la manière mystérieuse dont
cela se fit. La ville de Cadès(42) était à environ six
lieues au nord de Capharnaum, près des confins de Tyr, à l'ouest de
Panéas : c'était une ancienne capitale des Chananéens, et maintenant une
ville libre où des gens poursuivis par la justice se réfugiaient. Elle
confinait à un pays appelé Kaboul qui avait été donné par Salomon au roi
des Phéniciens. Ce pays m'apparaît ordinairement avec quelque chose de
sombre, d'obscur et de sinistre, et j'ai toujours vu Jésus l'éviter
quand il allait du côté de Tyr et de Sidon. Je crois qu'il s'y
commettait beaucoup de vols et d'assassinats.
(28 29 décembre) Le jour du
sabbat, je vis et j'entendis Jésus enseigner dans la synagogue. Il y
avait une foule énorme : tous les amis et les parents de Jésus étaient
là. Son enseignement était tout à fait nouveau pour ses auditeurs et les
remuait singulièrement. Il parla de l'approche du royaume de Dieu, de la
lumière qu'on ne doit pas mettre sous le boisseau, du semeur, de la foi
comparée à un grain de sénevé. Ce n'étaient pas seulement ces paraboles,
telles que nous les connaissons : c'en était une exposition toute
différente. Les paraboles n'étaient que des exemples ou des comparaisons
présentées en peu de mots, dont il prenait occasion pour développer sa
doctrine. J'ai entendu dans ses instructions plus de paraboles qu'on
n'en trouve dans l'Evangile, mais cette fois c'étaient les mêmes qu'il
répétait souvent, en les commentant chaque fois d'une manière
différente. Le samedi, il enseigna de la même façon jusqu'à la clôture
du sabbat.
Lorsque le sabbat fut fini,
je vis Jésus passer près de la synagogue et aller dans une petite vallée
avec ses disciples. C'était un endroit retiré, comme un lieu de
promenade : il y avait des arbres devant l'entrée et dans la vallée. Les
fils de Marie de Cléophas, ceux de Zébédée et d'autres disciples se
joignirent à lui ; mais Philippe, qui était humble et timide, hésitait,
restait en arrière et ne savait pas s'il devait le suivre dans la
vallée. Alors Jésus qui marchait en avant tourna la tête vers lui et lui
dit : "Suis moi ! " (Joan. I, 43) ; et Philippe, tout joyeux, se joignit
aux autres : ils étaient environ une douzaine.
Jésus enseigna dans cet
endroit, près d'un arbre ; il parla de l'appel qu'il adressait à ceux
qui devaient le suivre et de ce qu'ils avaient à faire. André, qui était
extraordinairement zélé et enthousiaste, qui avait persuadé les autres,
comme il l'était lui même, que Jésus était le Messie, et qui se
réjouissait du grand effet qu'avait produit sur eux tous l'enseignement
de Jésus le jour du sabbat, avait le coeur si plein. qu'à chaque
occasion qui se présentait il certifiait encore à ses compagnons ce
qu'il avait vu au baptême de Jésus et ses autres miracles.
J'entendis aussi Jésus
prendre le Ciel à témoin qu'ils verraient de plus grandes choses encore,
et parler au Père céleste de sa mission.
Il parla encore de ce
qu'ils auraient à faire pour le suivre, leur dit qu'ils devaient se
tenir prêts, et tout quitter quand il les appellerait. Il ajouta qu'il
prendrait soin d'eux tous et qu'ils ne manqueraient de rien, qu'ils
pouvaient continuer à exercer leur profession, car il avait encore
quelque chose à faire pour les prochaines fêles de Pâques : mais que
quand il les appellerait t ils devraient le suivre sans s'inquiéter de
rien. il donna ces explications sur ce que ceux qui étaient là lui
demandèrent en toute simplicité ce qu'ils auraient à faire vis à vis de
leurs familles. Ainsi, par exemple, Pierre représenta qu'il ne pouvait
pas quitter immédiatement son vieux beau père (oncle de Philippe) :
Toutefois Jésus leva tous ces scrupules en déclarant qu'il ne
commencerait pas avant la fête de Pâques. Il leur dit qu'ils devaient
dès à présent renoncer à leur profession, en tant que leur coeur y était
attaché ; qu'ils pouvaient la continuer extérieurement jusqu'à ce qu'il
les appelât, et en attendant mettre leurs affaires en état d'être
remises en d'autres mains. Il alla ensuite avec eux à l'extrémité
opposée de la vallée et se rendit à l'habitation de sa mère, qui faisait
partie d'un groupe de maisons situées entre Capharnaum et Bethsa'de. Ses
plus proches parents l'y suivirent : leurs mères étaient aussi là.
Pendant tout ce temps,
l'état de maladie de la narratrice rendit les communications rares et
incomplètes : elle se crut souvent au moment de mourir. Son
dépérissement était incroyable Ses mains et ses pieds n'étaient qu'une
charpente osseuse recouverte d'une peau flasque.
(30 décembre) Le 30, Jésus
partit de très bonne heure pour Cana avec ses disciples et ses parents.
Marie et les autres femmes prirent de leur côté un chemin plus direct et
plus court : c'était un étroit sentier qui passait plus souvent par la
montagne Les femmes suivaient de préférence des chemins de ce genre,
parce qu'elles y rencontraient moins de monde : du reste, elles
n'avaient pas besoin d'un chemin bien large : car elles marchaient
ordinairement à la suite les unes des autres. Le guide les précédait à
quelque distance : un autre les suivait. Ce chemin allait à environ sept
lieues de Capharnaum, dans la direction du sud ouest.
Jésus passa par Gennabris
avec ses compagnons et fit un détour. Ce chemin était plus large et plus
commode pour enseigner en marchant, car souvent Jésus s'arrêtait pour
indiquer et expliquer quelque chose. La route que suivait Jésus allait
plus au midi que celle que suivait Marie ; elle conduisait à Gennabris,
qui est à environ six lieues de Capharnaum, puis elle tournait au
couchant vers Cana, ce qui faisait encore trois lieues.
Gennabris était une belle
ville. Il y avait une école et une synagogue ; il s'y trouvait en outre
une école de rhétorique et on y faisait beaucoup de commerce. Nathanaël
exerçait ses fonctions d'écrivain dans une grande maison en avant de la
ville ; il y avait là quelques autres maisons. Nathanaël n'alla pas à la
ville, quoique les disciples, ses amis, l'y engageassent. Jésus enseigna
ici dans la synagogue et il mangea quelque chose avec une partie de ses
disciples chez un riche pharisien. Quelques autres disciples étaient
allés en avant. Jésus avait dit à Philippe d'aller trouver Nathanael et
de le lui amener sur le chemin.
Jésus fut traité avec
beaucoup d'égards à Gennabris ; les habitants désiraient qu'il restât
plus longtemps avec eux et qu'il prît pitié de leurs malades ; il était
à certains égards leur compatriote, disaient ils ; mais il repartit
bientôt pour Cana.
Pendant ce temps, Philippe
était allé trouver Nathanaël à son bureau. Il y avait là plusieurs
écrivains ; il était assis dans une pièce qui était au haut de la
maison. Philippe n'avait pas encore parlé de Jésus à Nathanaël, parce
qu'il n'était pas avec les autres à Gennabris. Il était en bons termes
avec lui, et il lui dit avec beaucoup d'enthousiasme et de joie que
Jésus était le Messie annoncé par les prophéties ; que ce Messie, ils
l'avaient trouvé dans la personne de Jésus de Nazareth, fils de Joseph.
Nathanaël était un homme
vif et d'un caractère ouvert, mais néanmoins ferme et tenace dans ses
opinions, d'ailleurs plein de droiture et de sincérité. Il dit à
Philippe : "Que peut il venir de bon de Nazareth ? " car il connaissait
bien la réputation des gens de Nazareth : il savait qu'il régnait dans
leurs écoles un grand esprit de contradiction et qu'on n'y trouvait
guère de sagesse. Il pensait qu'un homme qui avait fait là son
éducation, pouvait bien plaire à ses amis, gens simples et
bienveillants, mais le contenterait plus difficilement, lui qui avait
des prétentions au savoir. Philippe lui dit de venir et de voir qui
était Jésus, ajoutant qu'il allait passer près de là, sur le chemin de
Cana. Alors Nathanaël descendit avec Philippe et prit un chemin très
court sur lequel était située la maison, à quelque distance de la grand
route de Cana ; cependant Jésus s'arrêta avec quelques disciples à
l'endroit où ce chemin aboutissait à la grand route. Philippe, depuis
que Jésus l'avait appelé, était aussi joyeux et aussi confiant qu'il
avait été craintif auparavant ; il dit à haute voix pendant qu'il
approchait de Jésus avec Nathanaël : "Maître, j'amène celui qui
demandait s'il peut venir quelque chose de bon de Nazareth. "Mais,
lorsque Nathanaël fut en sa présence, Jésus dit aux disciples qui
étaient près de lui : "Voici un véritable israélite, chez lequel il n'y
a pas d'artifice (Joan 1, 45,51). ' " Jésus dit cela d'un ton très
amical et très affectueux, et Nathanaël répondit : "D'où me connaissez
vous ? " il voulait dire par là : Comment savez vous que je suis sincère
et sans artifice, puisque nous ne nous sommes jamais parlé ? Alors Jésus
lui dit : " Avant que Philippe t'appelât je t'ai vu sous le figuier. "
Et en parlant ainsi Jésus le regarda d'une manière très touchante et
très significative.
Ce regard réveilla tout à
coup chez Nathanaël le souvenir que Jésus était ce même passant dont le
regard sérieux l'avait prémuni et lui avait communiqué une merveilleuse
force de résistance, lorsqu'étant sous un figuier dans le jardin de
plaisance des bains de Bethulie (voyez ci dessus, page 147.), il avait
lutté contre la tentation après avoir regardé de belles femmes qui
jouaient avec des fruits au bord de la prairie. La puissance de ce
regard et la victoire dont il lui avait été redevable, lui étaient
restées présentes à l'esprit ; il n'en était peut être pas de même de la
figure de cet homme, on bien, s'il avait immédiatement reconnu Jésus, il
ne pouvait pourtant pas croire qu'il eût eu cette intention en le
regardant. Mais maintenant que Jésus faisait une allusion directe à
cette circonstance et lui lançait de nouveau un regard pénétrant, il fut
tout bouleversé et saisi d'une vive émotion ; il sentit que Jésus,
lorsqu'il avait alors passé devant lui, avait vu ses pensées et avait
été pour lui un ange gardien, car il avait le coeur si pur qu'une
mauvaise pensée le troublait beaucoup. il vit aussitôt dans Jésus son
protecteur et son sauveur, et cette connaissance que Jésus avait eue de
ses pensées suffit à son coeur sincère, prompt et reconnaissant, pour le
décider à lui rendre hommage devant tous les disciples. Il s'humilia
donc devant lui lorsqu'il eut prononcé ces paroles et lui dit :
" Maître, vous êtes le Fils de Dieu, vous êtes le Roi d'Israël. " Alors
Jésus lui répondit : "Tu crois déjà, parce que j'ai dit que je t'avais
vu sous le figuier ; en vérité tu verras de plus grandes choses que
cela. '' Et il ajouta, s'adressant à tous avec affirmation : " En
vérité, en vérité, vous verrez le ciel s'ouvrir et les anges de Dieu
montant et descendant sur le Fils de l'homme. " Les autres disciples ne
comprirent pas clairement le sens des paroles de Jésus sur le figuier,
et ils ne savaient pas pourquoi Nathanaël Khased changeait si
promptement de sentiment. La chose, comme affaire de conscience, resta
cachée pour tous, excepté pour Jean à qui Nathanaël la confia aux noces
de Cana. Nathanaël demanda à Jésus s'il devait tout quitter aussitôt
pour le suivre, disant qu'il avait un frère auquel il voulait
transmettre son office. Jésus lui répéta ce qu'il avait dit aux autres
le soir du jour précédent et l'engagea à l'accompagner aux noces de
Cana.
Jésus et les disciples
continuèrent alors leur route vers Cana, et Nathanaël Khased revint chez
lui faire ses préparatifs pour se rendre aux noces ; il arriva à Cana le
lendemain dans la matinée. Les parents de la fiancée, Marie, le fiancé
et d'autres personnes encore vinrent à la rencontre de Jésus, sur le
chemin en avant de Cana et le reçurent tous respectueusement.
CHAPITRE SEPTIÈME.
Noces de Cana.
(Du 31 décembre au 5
janvier 1822.)
(3 décembre) Jésus logea
avec ses disciples les plus intimes, et notamment avec ceux qui plus
tard furent ses apôtres, dans une maison à part où Marie avait aussi
logé lors de son premier séjour. Cette maison appartenait à la tante du
fiancé, laquelle était fille de Sobé, soeur de sainte Anne. C'était
l'une des trois veuves dont il a été parlé plusieurs fois : celle
d'entre elle qui avait trois fils. Pendant toute la cérémonie elle tint
la place de la mère du fiancé.
Ce jour là tous les autres
conviés des deux sexes arrivèrent : tous les parents de Jésus vinrent de
Galilée. Jésus seul amena vingt cinq de ses disciples. Le mariage était
regardé par lui comme une affaire qui le touchait personnellement, et il
s'était chargé des frais d'une partie des fêtes qui devaient
l'accompagner. C'était pour cela que Marie était allée si tôt à Cana où
elle aidait à faire les préparatifs. Entre autres choses, Jésus s'était
chargé de fournir tout le vin pour les noces : voilà pourquoi Marie lui
dit avec tant de sollicitude que le vin manquait.
Quoique Jésus, âgé de douze
ans, lors du banquet donné aux enfants chez sainte Anne après son retour
du temple, eût dit au fiancé, après quelques paroles mystérieuses sur le
pain et le vin, qu'il assisterait un jour à ses noces, cet événement
avec sa haute et mystérieuse signification, a pourtant aussi ses causes
extérieures, prises en apparence dans la marche ordinaire des choses. Il
en est de même de la part prise par Jésus à ces noces. Marie avait déjà
envoyé plusieurs messagers à Jésus pour le prier de venir à ces noces :
on tenait, ainsi qu'il arrive fréquemment parmi les hommes, des propos
contre Jésus dans sa famille et parmi ses connaissances : sa mère,
disait on, était une veuve délaissée : il courait à droite et à gauche
dans le pays et ne s'inquiétait pas d'elle ni de sa famille. C'est pour
cela qu'il voulut venir à ces noces avec ses amis et faire honneur à ce
mariage. C'est pourquoi aussi il avait fait venir Marthe et Lazare pour
aider Marie dans ses arrangements, et Lazare faisait cette partie des
frais dont Jésus s'était chargé, ce qui n'était su que de Jésus et de
Marie, car le Sauveur avait une grande confiance dans Lazare ; il
acceptait volontiers ses dons, et celui ci de son côté était heureux de
tout donner. Jésus s'était chargé de fournir une partie du festin,
c'était un second service composé de plats recherchés, de fruits,
d'oiseaux et d'herbes de toute espèce. Il avait été pourvu à tout cela.
Je vis aussi Véronique arriver de Jérusalem et porter à Jésus une
corbeille remplie de fleurs magnifiques et toute espèce de sucreries
artistement préparées.
Le père de la fiancée était
un homme aisé, il dirigeait une grande entreprise de transports ; il
avait le long de la grande route des magasins, de vastes hôtelleries et
des étables pour les caravanes, et il employait beaucoup de monde.
Ces jours ci, Jésus
s'entretint souvent en particulier avec les disciples qui furent plus
tard ses apôtres et qui étaient logés dans la même maison que lui. Les
autres disciples n'étaient pas présents à tout ce qu'il leur disait. Ils
se promenaient beaucoup dans les environs ; alors Jésus faisait
différentes instructions aux disciples et aux conviés, et les futurs
apôtres communiquaient à leur tour aux autres les enseignements qu'ils
avaient reçus de lui. Ces promenades que faisaient les conviés donnèrent
plus de facilité pour faire les préparatifs de la fête sans dérangements
: cependant plusieurs disciples et Jésus lui même étaient souvent dans
la maison et s'occupaient à disposer ceci ou cela, d'autant plus que
plusieurs d'entre eux devaient avoir quelque chose à faire dans la
cérémonie nuptiale.
Jésus voulait à cette fête
se faire connaître de tous ses parents et amis : il voulait que tous
ceux qu'il avait choisis jusqu'alors fissent connaissance entre eux et
avec les siens, ce à quoi se prêtait la grande liberté de rapports qui
s'établit dans une fête.
Les noces commencent le
soir du troisième jour après l'arrivée de Jésus. Les épousailles doivent
avoir lieu le mercredi matin. Les fêtes de la dédicace du temple
finissent ce soir.
(1er janvier 1821) Remarque
préliminaire. La Soeur fut ces jours ci très souffrante et très dérangée
et elle oublia beaucoup de choses. Quand elle a l'esprit tout occupé
d'une scène qu'elle a vue et qu'elle en a dit quelque chose, elle croit
plus tard avoir tout raconté, car quand elle souffre d'une grande
fatigue qui remonte à un moment antérieur, elle se figure que cette
fatigue vient de ce qu'elle a beaucoup raconté, tandis que souvent on
n'a presque rien recueilli. Aussi n'a t on souvent, comme c'est ici le
cas, que de simples fragments.
C'était aujourd'hui le
deuxième jour depuis l'arrivée de Jésus à Cana. Il y avait cent conviés,
parmi lesquels Marie, mère de Marc, Jean Marc, et Véronique qui
paraissait plus âgée que Marie. Suzanne de Jérusalem n'était pas ici :
alors, comme plus tard, elle voyageait rarement avec les autres : elle
menait une vie élégante, mais assez retirée, à cause de son origine. Les
parents de Jacques et de Jean étaient ici, mais non ceux de Pierre et
d'André. Leur demi frère Jonathan, était présent ainsi que celles qu'on
appelait les trois veuves avec leurs fils, en général tous les parents
de sainte Anne, spécialement ses nièces et ses petits enfants, Marie de
Cléophas avec ses fils, la fille cadette d'Anne, demi soeur de la sainte
Vierge, les neveux de Joseph d'Arimathie, Obed, et quatre disciples de
Jean, Cléophas, Jacques, Jude et Japhet, compagnons d'enfance de Jésus,
et petits fils de Sabadias de Nazareth, parent de Joachim.
Le père de la fiancée
s'appelle Israël. Je ne voulais pas redire ce nom, parce que je ne
croyais pas que personne s'appelât ainsi. Il descend de Ruth de
Bethléhem. La mère de la fiancée est un peu infirme : elle boîte d'un
côté et on la soutient. Cana est un peu plus petit que Capharnaum :
cette dernière ville est plus vivante, mais moins grande que Nazareth,
dont quelques parties sont en ruines. Cana est situé sur le côté
occidental d'une colline : c'est un endroit agréable et propre :
cependant il n'y a de gens riches qu'Israël et deux autres personnes, le
reste semble vivre de son travail et être à la solde de ceux ci. Il y a
une synagogue avec trois prêtres. Les noces se célèbrent dans une maison
destinée aux fêtes publiques et voisine de la synagogue. Entre cette
maison et la synagogue on a dresse des arcades de feuillage, ornées de
guirlandes et de fruits. Devant la maison où doit se donner la fête, il
y a un vestibule jonché de feuillage : la salle du banquet est contiguë
: c'est la pièce antérieure de la maison, vide jusqu'au foyer qui
consiste en un mur élevé avec des degrés, où pourtant on ne fait rien
cuire, mais qui est orné comme un autel avec des vases, des fleurs, de
la vaisselle de table et d'autres objets. Derrière ce foyer se trouve
une autre partie de la salle qui en occupe à peu près le tiers.
C'étaient là que se tenaient les femmes pendant le repas. On voyait au
plafond les poutres de la maison : elles étaient ornées de guirlandes et
on pouvait y monter pour allumer les lampes qui s'y trouvaient.
Jésus est comme le roi de
la fête, il préside à tous les divertissements et les assaisonne par des
instructions. il leur a dit qu'ils devaient, pendant ces jours, se
récréer conformément à l'usage établi, et, tout en se réjouissant, tirer
de tout de sages enseignements. il régla, en outre, toute l'ordonnance
de la fête, et dit, entre autres choses, qu'il faudrait sortir deux fois
par jour pour se récréer en plein air.
Je vis ensuite les invités
à la noce, les hommes d'un côté, les femmes de l'autre, se livrer au
plaisir de la conversation et jouer à divers jeux, sous les arbres d'un
lieu de plaisance : il y avait de l'eau dans le voisinage. Je crois que
c'était un jardin d'agrément près duquel l'on prenait des bains. Je vis
les hommes couchés par terre en cercle ; au milieu d'eux étaient des
fruits de toute espèce qu'ils jetaient et faisaient rouler suivant
certaines règles, de manière à ce qu'ils tombassent dans des fosses qui
se trouvaient au milieu d'eux, ce que quelques uns d'entre eux tâchaient
d'empêcher.
Je vis Jésus prendre part à
ce jeu des fruits avec une gravité bienveillante : il disait souvent
avec un sourire quelque chose d'instructif que les uns admiraient, que
d'autres recueillaient avec une émotion silencieuse, ou que quelques uns
ne comprenaient pas bien et se faisaient expliquer par de plus
intelligents Il avait arrange les parties de jeu et réglé les enjeux, et
il faisait a chacun sa part, accompagnant tout ce qu'il faisait de
remarques pleines d'agrément et souvent tout à fait admirables.
Les plus jeunes des
assistants couraient et sautaient par dessus les barrières de feuillage
pour gagner des fruits. Les femmes étaient assises à part et jouaient
aussi avec des fruits, la fiancée était toujours assise entre Marie et
la tante du fiancé.
Le soir du premier janvier,
commencement du quatrième jour du mois de Thébet, Jésus enseigna dans la
synagogue où tous étaient rassemblés : il parla des divertissements
permis, de leur signification, de la mesure dans laquelle on devait les
prendre, du sérieux et de la sagesse qui devaient les accompagner : puis
ensuite du mariage, de l'homme et de la femme ; de la continence, de la
chasteté et du mariage spirituel. Quand il eut fini d'enseigner, les
fiancés vinrent seuls se présenter devant lui et il leur donna des
instructions particulières.
Les noces commencèrent
ensuite par un repas et par des danses. On dansait aux sons d'une
musique faite par des enfants qui de temps en temps chantaient des
choeurs. Tous les danseurs avaient à la main des mouchoirs avec lesquels
les hommes et les jeunes filles se touchaient quand ils dansaient en
rang ou en cercle ; à cela près, ils ne se touchaient jamais. Les
mouchoirs du fiancé et de la fiancée étaient noirs, ceux des autres
étaient jaunes. Le fiancé et la fiancée dansèrent d'abord seuls, puis
tous dansèrent ensemble : les jeunes filles étaient voilées, toutefois
le voile était un peu relevé sur je visage ; leurs vêtements étaient
longs par derrière, et un peu retroussés sur le devant avec des cordons.
On ne se trémoussait pas et on ne sautillait pas comme on fait chez nous
quand on danse : c'était plutôt une marche dans différentes directions,
accompagnée de mouvements des mains, de' la tète et du corps d'accord
avec la musique. Cela me rappela les mouvements des juifs de la secte
pharisienne dans leurs prières : mais tout y était gracieux et décent.
Aucun des futurs apôtres ne prit part aux danses : mais Nathanaël Khased,
Obed, Jonathan et d'autres disciples s'y mêlèrent. Il n'y avait, en fait
de danseuses, que des jeunes filles : tout se faisait avec un ordre
admirable, et respirait une joie paisible.
(2 janvier) Ce matin vers
neuf heures eurent lieu les épousailles. La fiancée avait été habillée
par les demoiselles d'honneur : son vêtement ressemblait à celui que
portait la Mère de Dieu lors de son mariage ; il en était de même de sa
couronne qui était seulement plus riche. Sa chevelure n'était pas
partagée en lignes minces et séparées, mais en tresses plus épaisses.
Quand sa toilette fut finie, elle fut présentée à la sainte Vierge et
aux autres femmes.
Le fiancé et la fiancée
furent conduits de la synagogue à la maison de fête et de là ramenés à
la synagogue. Il y avait dans le cortège six petits garçons et six
petites filles qui portaient des guirlandes, puis six garçons et six
filles plus âgés avec des flûtes et d'autres instruments que j'ai
décrits ailleurs. De plus, la fiancée était accompagnée de douze jeunes
filles comme demoiselles d'honneur, et le fiancé de douze jeunes hommes.
Parmi ceux ci se trouvaient Obed fils de Véronique, les neveux de Joseph
d'Arimathie, Nathanaël Khased et quelques disciples de Jean, mais aucun
des futurs apôtres.
Les épousailles se firent
devant la synagogue par le ministère des prêtres. Les anneaux qu'ils
échangèrent étaient un présent que Marie avait fait au fiancé, et Jésus
les avait bénits chez sa mère. une circonstance qui me frappa et que je
n'avais pas observée lors des épousailles de Joseph et de Marie, fut que
le prêtre piqua le fiancé et la fiancée avec un instrument pointu à la
place du doigt annulaire de la main gauche où devait être mis l'anneau.
Il fit tomber deux gouttes du sang du fiancé et une goutte de celui de
la fiancée dans un verre de vin où ils burent en commun, après quoi ils
rendirent le verre. On distribua différents objets, tels que des pièces
d'étoffe et des vêtements aux pauvres qui assistaient à la cérémonie.
Lorsque les fiancés furent ramenés à la maison de fête, ils furent reçus
par Jésus.
Avant le repas de noce, je
vis tout le monde rassemblé dans le jardin d'agrément : les femmes et
les jeunes filles étaient assises sur des couvertures dans une cabane de
feuillage, et elles jouaient à un jeu où l'on gagnait des fruits. Elles
mettaient tour à tour sur leurs genoux une petite planche triangulaire
avec des lettres écrites sur le bord : elles tournaient un indicateur
placé sur cette planche et leur gain se réglait Suivant l'endroit ou il
s'arrêtait.
Quant aux hommes, je vis un
jeu très curieux que Jésus lui même avait préparé pour eux dans une
maison de plaisance. Au milieu d'une salle était une table ronde autour
de laquelle étaient rangées autant de portions de fleurs, de plantes et
de fruits qu'il y avait de joueurs. Jésus avait disposé tout cela
d'avance, et chaque chose avait une signification d'un sens profond. Sur
cette table était un disque rond et mobile avec une entaille : quand on
le faisait tourner, l'entaille en s'arrêtant désignait une des portions
de fruits et celui qui avait fait tourner la gagnait comme son lot. Au
milieu de la table était placé un cep de vigne chargé de raisins
s'élevant au dessus d'une gerbe d'épis de blé qui l'entourait, et plus
la table tournait longtemps, plus le cep de vigne et le bouquet d'épis
montaient haut. Les futurs apôtres ne prirent point part à ce jeu non
plus que Lazare. Il me fut indiqué à cette occasion, que celui qui est
appelé à enseigner les autres ou qui sait quelque chose de plus qu'eux,
ne doit pas jouer lui même, mais seulement observer les accidents du
jeu, les relever par des applications instructives et donner ainsi à
l'amusement un tour sérieux. Il y avait dans ce jeu disposé par Jésus
quelque chose de tout à fait merveilleux et qui était plus que du
hasard, car le lot qui échut à chacun des joueurs avait un rapport très
significatif avec ses qualités, ses défauts et ses vertus, et lorsque
les fruits eurent été classés, Jésus fit à chacun un commentaire sur son
lot. Chaque lot fut comme une parabole relative à celui qui le gagnait,
et je sentis qu'en effet avec ces fruits, ils recevaient intérieurement
quelque chose. Chacun d'eux fut vivement touché et réveillé par les
paroles de Jésus, et peut être aussi parce que ces fruits qu'ils
mangèrent opéraient réellement en eux un effet conforme à leur
signification ; toutefois ce que Jésus dit sur chaque lot ne fut pas
compris par ceux que la chose ne regardait pas : ils n'y virent que des
paroles encourageantes et significatives. Mais chacun en particulier
sentit le regard du Seigneur pénétrer profondément dans son intérieur :
il en fut comme des paroles de Jésus à Nathanaël lorsqu'il lui dit qu'il
l'avait vu sous le figuier, paroles qui le touchèrent si profondément et
dont le sens resta caché aux autres. (Malheureusement la Soeur ne peut
rien raconter de plus sur le détail des lots et sur les explications
données par Jésus.)
Je me souviens encore qu'il
y avait du réséda parmi les plantes, et aussi que Jésus dit à Nathanaël
à l'occasion de son lot : " Vois tu maintenant combien j'avais raison de
dire que tu es un véritable Israélite sans artifice ? "
Je vis un de ces lots
produire un effet vraiment merveilleux. Le fiancé Nathanaël gagna un
fruit d'une singulière espèce. Il y en avait deux sur une tige avec des
sexes différents comme dans le chanvre. L'un des fruits était assez
semblable à une figue, l'autre ressemblait plutôt à une pomme entaillée
: toutefois il n'avait pas de tête, il était creux. C'est difficile à
expliquer, c'était comme un nombril : il y avait dedans des capsules
contenant la semence, au nombre de deux, glacées l'une au dessus de
l'autre : il se trouvait, je vis, quatre noyaux dans l'une et trois dans
l'autre : au dessus croissaient en dehors de beaux filaments blancs. Ce
fruit était rougeâtre, blanc à l'intérieur, et veiné de rouge : j'en ai
vu de semblables dans le Paradis.
(Telle fut à peu près sa
description vague et embrouillée de ce fruit, dans laquelle il semble
qu'elle parle tantôt du fruit lui même, tantôt de la fleur, tantôt de
tous deux en même temps.)
Je me souviens seulement
que tous furent très étonnés quand le fiancé gagna ce fruit, que Jésus
parla alors du mariage, de la chasteté et du produit centuple de la
chasteté, et que tout cela fut dit de manière à ne point blesser les
idées des juifs sur le mariage. Toutefois, quelques uns des disciples
qui étaient Esséniens, et dont était Jacques le Mineur, le comprirent
mieux que les autres.
Je vis que les assistants
s'étonnèrent plus à propos de ce lot qu'à propos des autres, et que
Jésus dit à peu près que ces lots et que ces fruits pouvaient opérer des
merveilles encore plus grandes que leur signification ne paraissait
merveilleuse. Mais lorsque le fiancé retira ce lot pour lui et sa
fiancée, je vis arriver quelque chose de tout à fait surprenant que je
n'ose presque pas raconter. Et je vis, lorsqu'il reçut ce lot, ressentir
une commotion intérieure et pâlir : alors quelque chose comme une sombre
figure humaine, ou comme une ombre, sortit de lui en remontant de ses
pieds à sa tête, et disparut ; après quoi, je vis en lui une clarté, une
pureté et comme une transparence qui n'y étaient pas auparavant.
Personne ne sembla voir cela excepté moi, car tous restèrent calmes
comme avant, et il n'y eut aucun mouvement parmi eux. Au même instant,
je vis aussi la fiancée qui était assise loin de là, jouant avec les
femmes, tomber comme en défaillance. Il se détacha d'elle une figure
sombre, qui m'inspirait une répugnance extraordinaire et qui parut, à
partir de ses pieds, monter en elle ou devant elle, puis sortir de sa
bouche ou se retirer à la hauteur de sa bouche. Il semblait aussi que
des habits et des parures de toute espèce lui fussent retirés. Je ne
sais pas comment j'arrivai là, mais je m'occupai avec une sollicitude
extraordinaire à éloigner bien vite cette ombre sinistre qui m'inspirait
tant d'horreur, et cette parure qui lui avait été enlevée : j'en étais
toute préoccupée comme si j'eusse voulu cacher à tous les yeux quelque
chose qui devait faire rougir la fiancée. Cette figure ne voulait pas
s'en aller tout de suite, mais elle devint de plus en plus petite et je
la poussai avec les parures dans un vieux coffre qui était près de là.
Lorsque je l'y enfonçai, la tête seule et les épaules paraissaient
encore ; la fiancée resta très pâle, mais comme pénétrée d'une clarté
pure, et elle parut vêtue avec une grande simplicité. Lorsque je me
mêlais à cette scène, je vis aussi une coopération de la sainte Vierge.
Elle aussi travailla à chasser cette figure sombre.
Certaines pénitences à
faire se rattachaient à chaque lot : ainsi je me souviens que le fiancé
et la fiancée devaient prendre à la synagogue quelque chose que j'ai
oublié, et faire certaines prières. La plante qui était échue à
Nathanaël Khased était un bouquet de patience.
J'ai vu, dans plusieurs
autres occasions, le fruit du fiancé : lorsque j'en parle, je vois aussi
la fleur et j'en fais un mélange dans ma description. L'effet
merveilleux de ce fruit se manifesta lorsque le fiancé en eut envoyé une
part à la fiancée et que tous deux en eurent mangé. il arriva quelque
chose de semblable à tous les autres disciples qui reçurent de ces lots
et mangèrent des fruits qui leur étaient échus. Leurs passions
dominantes opposèrent une certaine résistance et sortirent d'eux, ou
tout au moins ils se sentirent plus forts dans leu r lutte contre elles.
Il y a dans tous les fruits et les plantes un certain mystère surnaturel
qui, depuis que l'homme est tombé et a entraîné la nature dans sa chute,
est devenu un mystère naturel : il ne reste plus qu'un souvenir de tout
ce qui s'y trouvait alors dans les propriétés ; la forme, le goût et
l'action de ces créatures. Dans les songes et sur les tables du ciel,
ces fruits se montrent avec les propriétés qu'ils avaient avant la
chute, toutefois ce n'est pas toujours parfaitement clair : parce que
maintenant tout est rendu confus par notre manière actuelle de
comprendre et par l'usage ordinaire que nous faisons de ces choses.
Le fruit que les fiancés
mangèrent se rapportait à la chasteté, et la figure qui se retira d'eux
était la convoitise impure de la chair. Je ne sais pas si cette figure
que je vis aurait été vue par quelque autre personne dans un état
contemplatif du même genre : je ne sais pas s'il sortit réellement de la
fiancée un esprit sensuel, ou si ce fut seulement un symbole destiné à
me faire comprendre ce qui se passait en elle.
Remarque de l'écrivain.
Comme la narratrice joua elle même un rôle actif dans cette vision
historique, ce ne fut évidemment qu'une vision dans une vision : mais
si, étant clairvoyante comme elle l'était, elle eût été alors présente
en personne, elle aurait vraisemblablement vu la même chose et aurait
cherché à la chasser et à la cacher comme elle le fit dans son rêve et
comme elle le raconta étant éveillée, non sans quelque répugnance. Si
elle eût été réellement présente alors, sa manière d'agir contre ce
symbole de la sensualité qui se retirait, eût été aussi inexplicable et
aussi surprenante pour les femmes qui étaient là que le sont aujourd'hui
pour nous bien des choses qu'elle fait en rêvé. Mais dans la scène qui
lui est présentée en songe, son intervention active ne trouble pas le
cours de la vision et les assistants ne la voient point : de ce qu'elle
voit la sainte Vierge s'efforcer aussi de cacher cette figure, on peut
induire que vraisemblablement là mère de Dieu vit ce qui arrivait à la
fiancée et le vit peut être sous la même forme ou probablement sous une
forme d'un sens encore plus profond. Elle aussi, la plus pure parmi les
plus pures, désire que les assistants ne puissent pas soupçonner la
cause qui a fait tomber la fiancée en défaillance.
Lorsque la fiancée tomba en
faiblesse, on ôta les pièces les plus lourdes de son vêtement et on
retira plusieurs anneaux de ses doigts où elle en avait une quantité :
on enleva aussi, pour l'alléger, des chaînes et des agrafes qu'elle
avait aux bras et sur la poitrine. Elle ne conserva de ses bijoux que
l'anneau nuptial que lui avait donné la sainte Vierge et au cou un joyau
d'or, ayant à peu près la forme d'un arc bandé dans lequel était
enchâssée une matière noirâtre de même nature que sur l'anneau nuptial
de Marie et de Joseph : là dessus était représentée une figure couchée,
tenant un bouton de fleur qu'elle regardait.
Aux jeux dans le jardin
succéda le repas de noce. La salle dont il a été parlé plus haut était
divisée en trois compartiments, par deux cloisons assez basses pour que
les convives passent se voir : dans chacune de ces divisions était
placée une table longue et étroite. Jésus était au haut bout de la table
du milieu. à cette table étaient assis Israël, père de la fiancée, les
cousins de celle ci, ceux de Jésus et en outre Lazare. Les autres
conviés étaient aux tables latérales. Les femmes étaient assises dans la
pièce située derrière le foyer, mais elles pouvaient entendre toutes les
paroles du Seigneur. Le fiancé servait à table. Il y avait pourtant
aussi un maître d'hôtel portant un tablier, et quelques domestiques. La
fiancée servait les femmes, avec l'aide de quelques servantes. Lorsque
les plats furent apportés, on plaça devant Jésus un agneau rôti ; il
avait les pieds attachés en forme de croix. Le fiancé ayant alors
apporté à Jésus une boîte où se trouvaient les couteaux à découper,
Jésus lui dit en particulier qu'il devait se souvenir de ce repas
d'enfants, donné après sa douzième fête de Pâques où lui, Jésus, avait
raconté une parabole touchant un mariage et lui avait dit qu'il irait à
ses noces, prédiction qui s'accomplissait aujourd'hui.
Le fiancé devint alors tout
pensif ; car il avait entièrement oublié cet incident. Jésus fut pendant
le repas, comme pendant toute la durée des noces, plein d'une douce
sérénité et en même temps abondant en discours instructifs. Il expliqua
le sens spirituel de chacun des incidents du repas. Il parla des
divertissements et de l'allégresse qui préside aux fêtes. Il dit que
l'arc ne devait pas rester toujours bandé, que le champ avait besoin
d'être rafraîchi par la pluie, et il ajouta des paraboles relatives au
même objet. Il découpa ensuite l'agneau et il tint à ce propos des
discours admirables : il dit que l'agneau était mis à part du troupeau,
qu'il était choisi, non pour vivre à son gré et perpétuer sa race, mais
pour être livré à la mort ; après quoi on le purifiait par le feu qui
consumait ce qu'il y avait en lui de grossier, et l'on coupait ses
membres en morceaux : de même il fallait que ceux qui voulaient se
mettre à la suite de l'Agneau se séparassent de ceux qui leur étaient
unis le plus étroitement parles liens de la chair. Et lorsqu'il fit
passer autour de la table les morceaux découpés et qu'on se mit à manger
l'agneau, il dit que l'Agneau serait séparé des siens et mis en pièces
afin de devenir pour eux tous une nourriture qui les unirait par un lien
commun, que de même quiconque suivrait l'Agneau, aurait à renoncer à son
pâturage, devrait mourir à ses passions, se séparer des membres sa
famille et devenir une nourriture et un aliment d'union par l'Agneau et
dans son Père céleste, etc.
Je ne puis pas répéter
exactement tout cela. (On voit au moins là le sens général de cet
enseignement.)Chacun avait devant lui une assiette ou un pain, je ne
sais pas lequel des deux. Jésus fit aussi passer à la ronde une espèce
de patène d'un brun foncé avec un rebord jaune. Je le vis plusieurs fois
prendre en main un petit bouquet d'herbes et enseigner à cette occasion.
Jésus s'était chargé de fournir le second service du repas de noce et sa
mère et Marthe avaient pourvu à tout ; il avait dit aussi qu'il se
chargeait du vin. Lorsque le second service, qui se composait d'oiseaux,
de poisson, de préparations au miel, de fruits et d'une espèce de
pâtisseries que Séraphia (Véronique) avait apportées, eut été placé sur
la table latérale, Jésus y alla et fit les portions, puis il revint
prendre sa place. Les plats furent servis, mais le vin manquait.
Cependant Jésus enseignait. Cette partie du repas était particulièrement
confiée aux soins de la sainte Vierge, et lorsqu'elle vit que le vin
faisait défaut, elle alla à Jésus et lui rappela avec quelque inquiétude
qu'il lui avait dit qu'il pourvoirait au vin ; alors Jésus, qui venait
d'enseigner sur son Père céleste, lui dit : " Femme, ne vous tourmentez
pas, ne vous inquiétez ni de vous, ni de moi, mon heure n'est pas encore
venue. "Il n'y avait là rien de dur pour la sainte Vierge. Il lui dit :
" Femme "et non pas a ma mère "parce qu'en ce moment il voulait agir en
qualité de Messie, en qualité de Fils de Dieu, accomplir une opération
mystérieuse en présence de ses disciples et de tous ses parents, parce
qu'il était là dans sa force divine.
Le Pèlerin résume dans la
note suivante le sentiment de la narratrice ; Jésus lui dit : " Femme "
comme étant le rejeton qui devait écraser la tête du serpent. Il voulait
aussi montrer dans cette occasion qu'il était plus qu'un fus de Marie,
une femme qui leur était connue, et il l'appela " femme " parce qu'il
allait agir en vertu de sa divinité, qu'il allait créer ou transformer,
de même qu'il se donnait à lui même le nom de Fils de l'homme, lorsqu'il
parlait de sa Passion future, sans s'abaisser en rien par là. Dans de
pareils moments où Jésus agissait en qualité de Verbe incarné, chaque
chose, par cela même qu'il la nomme ce qu'elle est, se trouve rehaussée
et à quelques égards gratifiée d'une fonction ou d'une dignité par
l'énonciation de son nom dans une circonstance aussi solennelle. Marie
était la " femme " qui avait enfanté celui auquel elle s'adresse ici
comme au Créateur, lui demandant du vin pour ses créatures devant
lesquelles il va manifester sa dignité suprême. Il va leur montrer ici
qu'il est le Fils de Dieu et non qu'il est le fils de Marie. Lorsqu'il
mourut sur la croix au pied de laquelle elle pleurait, il lui dit aussi
: " Femme, voilà votre fils, " lui désignant Jean par ces paroles. Jésus
lui avait dit qu'il pourvoirait au vin ; elle s'avance alors comme la
figure de celle qui intercède pour nous par excellence, et elle lui
représente que le vin fait défaut ; mais le vin qu'il voulait donner
était plus que du vin pris dans le sens ordinaire ; il avait rapport au
mystère de ce vin qu'il voulait changer plus tard en son sang. Il lui
dit : " Mon heure n'est pas encore venue, " c'est à dire, il n'est pas
encore temps, premièrement que je donne le vin promis, en second lieu,
que je change l'eau en vin, en troisième lieu, que je change le vin en
mon sang. Marie alors n'eut plus de soucis pour les hôtes des fiancés ;
elle avait prié son Fils et c'est pourquoi elle dit aux serviteurs :
"Faites tout ce qu'il vous dira. "
C'est précisément comme si
la fiancée de Jésus, l'Eglise, lui adressait cette prière : "Seigneur,
vos enfants n'ont pas de vin ; "et que Jésus ne lui répondît pas : "Ma
fiancée, "mais, " Eglise, ne t'inquiète pas, ne te trouble pas, mon
heure n'est pas encore venue ; "et encore comme si l'Eglise disait aux
prêtres : "Observez toutes ses indications et ses commandements, car il
vous viendra en aide, etc. "
Marie dit donc aux
serviteurs d'attendre et d'exécuter les ordres de Jésus : et au bout de
quelque temps, Jésus ordonna aux serviteurs d'apporter devant lui les
urnes vides : il y avait trois urnes d'eau et trois de vin, et ils
montrèrent qu'elles étaient vides en les retournant sur un bassin. Jésus
leur ordonna de les remplir toutes d'eau. Ils les portèrent à la
fontaine qui se trouvait dans un caveau et consistait en un réservoir de
pierre avec une pompe. Ces urnes étaient des vases de terre fort grands
et fort lourds, et il fallait deux hommes pour en porter une par les
deux anses. Il y avait depuis le haut jusque en bas plusieurs tuyaux
fermés avec des bondes, et quand le liquide était épuisé jusqu'à une
certaine hauteur, on retirait la bonde inférieure et on versait. On ne
levait pas les urnes pour verser, on se bornait à les incliner un peu
sur leurs bases élevées.
L'avertissement de Marie
fut donné à voix basse, la réponse de Jésus à haute voix, aussi bien que
l'ordre de puiser l'eau. Lorsque les urnes remplies d'eau furent placées
toutes les six devant le buffet, Jésus y alla et les bénit, puis étant
retourné à sa place, il dit : " Versez et portez à boire au maître
d'hôtel. "Lorsque celui ci eut goûté le vin, il alla trouvé le fiancé et
lui dit : " Ordinairement on donne le bon vin le premier, puis lorsque
les convives sont rassasiés, on en donne de moins bon, mais vous avez
réservé le meilleur vin pour la fin ". Il ne savait pas que Jésus
s'était chargé de fournir ce vin comme toute cette partie du repas ;
cela n'était connu que de la sainte Famille et de la famille des mariés.
Alors le fiancé et le père de la fiancée en burent avec un grand
étonnement, et les serviteurs assurèrent que c'était de l'eau qu'ils
avaient puisée et dont ils avaient rempli les vases et les coupes qui
étaient sur les tables. Tous alors en burent : mais il n'y eut point de
tumulte au sujet de ce miracle ; tous les convives gardaient un silence
respectueux, et Jésus prit occasion de ce prodige pour enseigner. Il dit
entre autres choses que le monde donnait d'abord du vin capiteux, puis
profitait de l'ivresse des convives pour leur donner un mauvais
breuvage, mais qu'il n'en était pas ainsi dans le royaume que son Père
céleste lui avait donné : que là, l'eau pure devenait un vin exquis, de
même que la tiédeur devait se changer en ferveur et en zèle énergique.
Il parla, en outre, du repas auquel il avait pris part, dans sa douzième
année, après son retour du temple, avec plusieurs de ceux qui étaient là
présents ; il rappela qu'alors il avait parlé de pain et de vin et
raconté une parabole relative à des noces où l'eau de la tiédeur
deviendrait le vin de l'enthousiasme, ce qui s'accomplissait maintenant.
Il leur dit encore qu'ils verraient de plus grands prodiges, qu'il
célébrerait la Pâque plusieurs fois et qu'à la dernière, le vin serait
changé en sang et le pain en chair ; qu'il resterait avec eux, les
consolerait et les fortifierait jusqu'à la fin : que du reste, après ce
repas, ils lui verraient arriver des choses qu'ils ne pourraient pas
comprendre actuellement s'il les leur disait. Il ne s'exprima pas aussi
clairement que je le fais ; tout cela était enveloppé dans des paraboles
que j'ai oubliées, toutefois c'en était là le sens. En l'écoutant ainsi
parler, ils furent saisis de crainte et d'étonnement. Mais tous étaient
comme transformés par ce vin, et je vis qu'indépendamment de l'effet du
miracle qu'ils avaient vu, le vin lui même, comme précédemment les
fruits, avait opéré intérieurement en eux, les avait fortifiés et
profondément changés. Tous les disciples, tous ses parents, tous les
convives étaient maintenant convaincus de sa puissance, de, sa dignité
et de sa mission. Ils croyaient tous en lui, cette foi s'était répandue
dans tous à la fois, et tous ceux qui avaient bu de ce vin étaient
devenus meilleurs, plus unis et plus fervents. Il était ici pour la
première fois au milieu de la communauté qu'il formait : ce fut le
premier prodige qu'il fit au milieu d'elle et tour elle, afin de la
fonder dans la foi en lui. Voilà aussi pourquoi il est dit dans son
histoire que ce fut son premier miracle. de même que la Cène est
racontée comme le dernier, fait alors que ses disciples croyaient.
A la fin du repas, le
fiancé vint encore trouver Jésus en particulier ; il lui parla avec
beaucoup d'humilité et lui déclara qu'il se sentait mort à toute
convoitise de la chair et qu'il désirait vivre dans la continence avec
son épouse, si celle ci le trouvait bon. La fiancée vint également
trouver Jésus en particulier et lui dit la même chose. Alors Jésus les
fit venir tous les deux ensemble et leur parla du mariage, de la pureté
qui est si agréable à Dieu, et des fruits que la vie de l'esprit rend au
centuple.
Il cita beaucoup de
prophètes et de saints personnages qui avaient vécu dans la chasteté et
immolé leur chair au Père céleste, dit comment ils avaient eu pour
enfants spirituels bien des hommes égarés qu'ils avaient ramenés au bien
et comment ils avaient donné naissance à une nombreuse et sainte
postérité. Tout cela fut dit dans le sens de dissiper et de recueillir.
Ils firent voeu de continence pour trois ans, s'engageant à vivre comme
frère et soeur. Puis ils s'agenouillèrent devant Jésus et il les bénit.
(3 janvier) La narratrice
était très gravement malade et elle dit seulement ce qui suit : Jésus
avait enseigné dans la salle du festin. On n'alla pas, se promener en
plein air ; plusieurs disciples de Jean sont partis ainsi que Lazare et
Marthe. Je les ai vus manger quelque chose debout, tous ont leurs habits
retroussés. Pendant tout le cours de la fête, Lazare fut traité avec
tous les égards dus à un homme de distinction par le père de la fiancée
qui s'occupa personnellement beaucoup de le servir. Il a des manières
très distinguées : il est sérieux et son attitude est à la fois réservée
et bienveillante : il est très calme, parle peu et regarde Jésus avec
beaucoup de ferveur.
Le soir de ce jour, qui
était le quatrième jour des noces, on était allé en grand cortège
installer la fiancée et le fiancé dans leur maison. On portait un
candélabre avec des flambeaux allumés dont chacun figurait une lettre ;
des enfants marchaient en avant du cortège, ils portaient sur des bandes
d'étoffe une couronne de fleurs ouverte et une autre fermée : ils les
défirent devant la maison des fiancés et semèrent les fleurs autour
d'eux. Jésus était dans la maison et les bénit. Les prêtres étaient
présents. Depuis le miracle de Jésus lors du repas, leur contenance est
très humble et ils le laissent tout diriger.
La Soeur croit bien,
toutefois sans rien affirmer, que cette installation était une pure
cérémonie, que la fiancée resta encore chez ses parents jusqu'à la fin
de la fête et des jeûnes qui allaient commencer.
(4 janvier) Les autres
hôtes sont partis pour la plupart, notamment Marie et les saintes
femmes. Nathanaël Khased, les fils de Cléophas, appelés les frères de
Jésus et d'autres disciples étaient encore là. Le soir du 4ème jour du
sabbat et commencement du 7è de Thébet, Jésus enseigna, dans la
synagogue, sur la fête qui venait d'avoir lieu, sur l'obéissance et les
pieuses dispositions de ce couple de fiancés, etc.
(5 janvier) Ce jour là, qui
était celui du sabbat, Jésus enseigna deux fois dans la synagogue de
Cana, et lorsqu'il sortit, plusieurs personnes se prosternèrent devant
lui et lui demandèrent son assistance pour des malades. Il fit ici deux
guérisons merveilleuses un homme était tombé du haut d'une tour, il
était mort et tous ses membres étaient brisés. Jésus alla à lui, rajusta
ses membres, toucha les fractures et lui ordonna de se lever et d'aller
dans sa maison, ce qu'il fit après avoir remercié : il avait une femme
et des enfants. Jésus fut aussi conduit à un possédé qui était enchaîné
à une pierre et il le délivra. Il guérit en outre des hydropiques et une
femme affligée d'une perte de sang qui était une pécheresse publique.
Les malades qu'il guérit étaient au nombre de sept. Ces gens n'avaient
pas osé venir pendant la fête ; mais lorsque le bruit se répandit qu'il
partirait après le sabbat, il fut impossible de les retenir. Les
prêtres, après le prodige des noces, le laissèrent faire tout ce qu'il
voulut, et ces miracles eurent lieu en leur présence : les disciples
n'étaient pas présents.
FIN DU PREMIER TOME
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