VISIONS
TOME 5
AVANT PROPOS DE L'ÉDITEUR
La publication des Visions
sur la vie de notre divin Sauveur se trouve complétée par les deux
présents volumes. Si la propagation rapide de l'oeuvre peut être
considérée comme prouvant la sympathie avec laquelle elle a été
accueillie partout, il faut reconnaître que cette sympathie a été très
grande, car dans l'espace d'un an, trois mille et quelques cents
exemplaires des deux premières parties ont été écoulées, et il y a déjà
quelques semaines qu'on a publie la première traduction française.
La troisième partie aurait
paru plus tôt si l'éditeur n'avait longtemps délibéré et demandé l'avis
de plusieurs savants théologiens avant de se décider à la donner sans
aucun retranchement et conforme de tous points à la rédaction primitive
du Pèlerin. Il avait aussi réclamé comme jugement en dernier ressort, la
décision de Mgr l'évêque de Limbourg, auquel il avait déjà soumis le
manuscrit, il y a un an, en lui exposant tout au long les raisons pour
et contre la publication. Cette décision a été que le livre devait
paraître tel qu'on le présente au lecteur, c'est-à-dire reproduire avec
une fidélité scrupuleuse la rédaction du Pèlerin. A ce livre pourra
succéder bientôt la biographie circonstanciée de la pieuse Anne
Catherine, pour laquelle l'éditeur a entre les mains de si riches
matériaux qu'il est en mesure de donner sur toutes les grâces
extraordinaires qu'elle a reçues, un exposé conforme à ce qu'exigent les
règles de l'Église en Pareil cas. Jusque-là il ne peut être question de
jugement définitif sur le plus ou moins de valeur de ce que renferme le
présent ouvrage. L'éditeur s'en réfère Par avance à la biographie de la
voyante, comme a son dernier mot, et il laisse en attendant le champ
libre à la critique, qu'elle veuille ou ne veuille pas s'occuper du
livre. Chacune des visions qui y sont contenues, a raison de leur
liaison intime avec l'ensemble de la tâche assignée à Anne Catherine,
est comme un chapitre de sa vie ; on ne peut donc les apprécier
complètement quant a leur signification et à leur origine, si l'on n'a
étudié le mystère de cette vie merveilleuse.
Il y a des points qui
peuvent susciter la contradiction par la nouveauté ou par certaines
obscurités : l'introduction a essayé de les placer dans leur vrai jour.
Le désir souvent exprimé
d'avoir une carte de la Terre sainte qui reproduisît fidèlement, d'après
les données des Visions, les contrées parcourues par le Seigneur dans
ses voyages et tout le théâtre de ses travaux évangéliques, sera
satisfait dans un bref délai. Une carte de ce genre, dont l'exécution a
été confiée à une main habile, sera bientôt terminée et elle sera
publiée à la même librairie que l'ouvrage entier.
Fête de sainte Agnès, 1860.
L'EDITEUR.
INTRODUCTION
I
Ce ne fut pas par un
enchaînement de circonstances fortuites, mais bien par une disposition
de la divine Providence, que la première publication des visions de la
pieuse Anne Catherine Emmerich tomba dans un temps où les attaques des
hétérodoxes contre l'Écriture sainte et la filiation divine de
Jésus-Christ étaient arrivées à leur apogée, où, par un étalage spécieux
d'érudition, et plus encore par une audace jusqu'alors inconnue qui
trouvait dans la terminologie d'Hégel sa plus haute expression, elles
avaient intimidé et paralysé, pour ainsi dire, ceux qui étaient appelés
à défendre la vérité sur le terrain de la science. En outre, l'influence
du rationalisme vulgaire qui avait régné dans la période précédente,
quoiqu'elle eût déjà perdu de sa force, se faisait pourtant encore
tellement sentir que, même parmi les productions de la littérature
religieuse, la plupart se laissaient aller à des erreurs grossières, ou
se perdaient dans un vain et stérile partage, ce qui, nécessairement,
leur enlevait toute action vraiment efficace Ce fut alors, deux ans
avant le trop fameux livre de David Strauss, que parut la
Douloureuse Passion, où cette époque desséchée
vit apparaître le divin Sauveur sous des traits si vivants, qu'un nombre
d'âmes toujours croissant vint se réchauffer devant la figure
consolatrice et sanctifiante, si magnifiquement esquissée par le Pèlerin
d'après les traits fournis par la pieuse fille. Aucun livre n'a fait son
chemin dans le monde avec aussi peu de bruit et aussi rapidement que la
Douloureuse Passion qui, traduite en plusieurs
langues vivantes sous les yeux ou même avec l'approbation expresse de
l'épiscopat (comme dans quelques diocèses des États de l'Église), est
devenue un livre à l'usage de tous les chrétiens.
Un des plus pieux prélats
de ce siècle, Michel Wittmann, évêque de Ratisbonne, avait, peu d'heures
avant sa sainte mort, instamment pressé le Pèlerin de faire profiter
l'universalité des fidèles des grâces insignes accordées par Dieu à sa
fidèle servante. "O mon très cher ami, travaillez fidèlement, travaillez
avec persévérance pour la gloire de Jésus-Christ ! travaillez toujours
et soyez inébranlable"! disait l'évêque mourant en donnant sa
bénédiction au Pèlerin; à ce moment suprême, il le félicitait devant
témoins d'avoir recueilli les visions d'Anne Catherine que, "dès leur
première rencontre, il l'avait déjà conjuré de publier".
Et si c'est aujourd'hui
seulement que le produit le plus considérable et le plus important de la
tâche douloureuse imposée à la voyante peut paraître au jour de la
publicité, cela même n'est peut-être pas un pur effet du hasard : car
les jours où nous vivons sont si tristes, et l'avenir le plus prochain
se montre à nous si menaçant que ce livre, digne de respect par son
origine comme par ce qu'il contient, apparaît comme un gage consolateur
pour relever le courage de bien des âmes ; mais il faut y voir en outre
une exhortation à réparer à l'égard du Fils de Dieu fait homme, que les
Visions nous représentent d'une manière si saisissante dans les fatigues
et les abaissements infinis de sa tâche journalière sur la terre, les
outrages que le monde, aujourd'hui plus que jamais, lui rend en échange
de ses miséricordes.
Les récits contenus dans
les présents volumes ne semblent pas d'abord, il est vrai, présenter,
comme le livre de la Douloureuse Passion, un
ensemble sorti d'un seul jet, ils ne produisent pas, comme lui,
l'impression d'une oeuvre également achevée dans toutes ses parties ; il
y a toutefois un caractère fondamental et essentiel qu'on retrouve au
même degré dans toutes les scènes qu'ils font passer sous nos yeux :
c'est la manifestation constante et progressive du mystère de la
Rédemption, telle qu'elle a été opérée par Jésus- Christ dans la
plénitude des temps, c'est-à-dire comme terme et accomplissement de
l'ancienne loi et comme fondation et organisation de la sainte Église.
Et c'est là si exclusivement l'objet des Visions, qu'elles ne présentent
rien qui y soit étranger ou qui aille à l'encontre, tandis qu'au
contraire tout y tire sa naissance et son développement d'une seule et
même racine, que chaque partie suppose les autres et y trouve son
complément et son explication. Ainsi tous les fragments qui, pris à
part, paraissent souvent si insignifiants et si décousus, forment par
leur réunion un ensemble plein de vie : grâce au lien intérieur qui les
unit, ils présentent un caractère d'unité bien surprenant, quand on
pense que ces Visions ont été racontées à bâtons rompus et comme au
hasard, au milieu d'empêchements, d'interruptions et de dérangements de
toute nature, et que le Pèlerin, en les mettant par écrit, voyait la
plupart du temps son attente contrariée, parce que très souvent il
entendait dire tout autre chose que ce qu'il s'était imaginé à l'avance.
Mais cela même est une preuve toute spéciale de leur vérité et de
l'illumination de la grâce dont elles proviennent : car si elles étaient
le produit d'une combinaison tout humaine ou de l'imagination inventive
du Pèlerin, elles devraient porter l'empreinte de cette origine, tandis
qu'elles prouvent seulement, dans tous leurs détails, combien toutes les
circonstances extérieures au milieu desquelles vivait la pieuse fille et
les souffrances continuelles qui étaient sa mission sur la terre
rendaient impossible, soit à elle-même, soit au Pèlerin, de se livrer à
des contemplations religieuses ou poétiques et d'arriver par cette voie
à des résultats aussi merveilleux et aussi remarquables par leur sens
profond que ceux qui se trouvent sous nos yeux. Souvent la Soeur, brisée
par ses souffrances, ne pouvait rendre compte de ce qu'elle avait vu que
pendant un temps très court, et le récit même ne lui était possible
qu'autant que l'ordre de son confesseur lui donnait la force dont elle
avait besoin pour cela ' : le Pèlerin de son côté était alors forcé
d'attendre des heures entières avant de pouvoir s'approcher du lit de la
malade et la faire raconter ce qu'elle avait vu. Comment, dans de
pareilles circonstances, aurait-on pu arriver à un résultat, si une
sagesse supérieure n'avait veillé sur l'extatique, et parmi tant de
choses que la contemplation faisait passer devant son âme, n'eût
conservé présent à sa mémoire, malgré tant d'obstacles apportés par les
embarras extérieurs et par l'intervention maladroite d'un entourage à
l'esprit faible et borné, tout ce qui devait être sauvé de l'oubli pour
l'édification et l'utilité générales ? Voilà pourquoi, même dans ce qui
parait le moins lié et le plus décousu, dans les narrations les plus
courtes et les plus nues, dans les tableaux les plus remplis de lacunes,
tout est animé d'un seul et même esprit. Jamais le lecteur ne rencontre
rien qu'on puisse qualifier de combinaison ingénieuse ou d'arrangement
artificiel : il a toujours sous les yeux les impressions naïves d'une
âme privilégiée, présentées sous une forme dégagée de toute prétention
littéraire et sans autre caractère que celui de la simplicité la plus
parfaite et de la plus entière sincérité. Le Pèlerin s'est si
complètement oublié lui-même, que lui, le plus original des poètes, le
plus richement doué sous le rapport de l'imagination, a voulu être
l'organe d'une âme d'enfant et n'employer son art et son incomparable
talent qu'à ne jamais parler son propre langage, mais seulement celui de
la pieuse fille.
Cette circonstance, si
décisive quant à la réalité du don de contemplation surnaturelle,
qu'Anne Catherine ne pouvait communiquer ses Visions sur la vie de
Jésus, qu'autant que son confesseur lui en donnait la permission et par
là même la possibilité, est l'objet d'une discussion plus étendue dans
l'appendice qui vient après le chapitre VI du présent volume.
Les Visions ne se bornent
pas à exposer l'histoire de notre salut considéré dans son principe
intime, ainsi que dans la manière dont il a été préparé et accompli : le
théâtre des travaux du Sauveur, les traits caractéristiques de l'époque
et du pays, les particularités de la vie domestique et sociale y sont
décrits comme d'après nature ; ces descriptions sont vivantes et comme
celles d'un témoin oculaire qui rend les impressions qu'il vient de
recevoir avec autant de simplicité et de spontanéité qu'il les a reçues.
C'est pourquoi les renseignements donnés par les Visions ne sont pas
moins précieux pour l'intelligence de l'histoire sainte et pour la
connaissance de la Terre sainte que les fouilles de Pompéi pour la
connaissance de l'antiquité profane. Si la rédaction des Visions n'était
qu'un arrangement calculé pour donner cours aux inventions du Pèlerin,
la fraude serait plus difficile à cacher ici que dans le récit même des
faits évangéliques : mais où y a-t-il une ligne, où y a-t-il un trait
qui trahisse autre chose que l'impression directe du témoin oculaire ?
II
Il a été déjà dit quelque
chose du lien intime qui existe entre les Visions et leur objet, ce qui
fait qu'elles se développent d'elles-mêmes et comme nécessairement avec
lui, indépendamment de la manière dont elles sont communiquées par la
voyante et transcrites par le Pèlerin. Il faut revenir sur ce sujet à
propos de certains points qui peuvent offrir quelque obscurité, mais
qui, en y regardant de plus près, font reconnaître encore plus
clairement la profonde doctrine théologique qui sert de base aux
Visions.
Ici se place en première
ligne ce qui est rapporté dans le présent volume, touchant le caractère
du baptême conféré par les apôtres jusqu'au moment de la Passion, et son
rapport avec le baptême postérieur à la descente du Saint Esprit. Dans
l'introduction à la seconde partie on a donné des éclaircissements sur
ce que disent les Visions du baptême de Jean et de ce qui le distingue
du baptême des apôtres. Ce dernier ne se présentait pas encore avec tout
ce qui constitue un sacrement agissant ex opere
operato ; mais à raison de la similitude de la matière et de la
forme, il se trouvait nécessairement dans un rapport intime avec le
baptême sacramentel administré postérieurement à la Pentecôte. La même
question se représente dans le présent volume, toutefois avec ce progrès
essentiel, que cette fois on montre comment le baptême que les apôtres
donnaient par ordre de Jésus-Christ devait plus tard acquérir de
lui-même ce qui lui manquait pour être sacrement complet; et cela par
l'effet de la Passion, c'est-à-dire par l'accomplissement de l'oeuvre de
la Rédemption dans le sacrifice sanglant de l'Agneau de Dieu sur le bois
de la croix; dès lors tous les effets du sacrement agissant
ex opere operato se produisaient dans les
baptisés, sans qu'ils eussent besoin d'un nouveau baptême ou d'aucune
nouvelle cérémonie sacramentelle, pourvu qu'ils persévérassent dans la
foi de Jésus-Christ et qu'ils ne se scandalisassent pas de ses
abaissements et de sa mort jusqu'à se séparer de lui.
Il n'est pas difficile de
reconnaître que les Visions, en présentant ainsi la chose, s'accordent
avec la manière de voir des saints Pères et des théologiens. Suivant
l'enseignement commun de ceux-ci, chaque acte particulier accompli dans
le temps par le Sauveur avait un caractère infini par essence, considéré
en lui-même ; il était suffisant pour expier surabondamment tous les
péchés du genre humain, toute la dette de l'humanité, et pour lui
mériter des grâces infinies : mais d'après les décrets éternels de Dieu,
l'oeuvre de la Rédemption ne devait trouver son achèvement que dans la
mort sanglante de la croix, à laquelle conséquemment se rapportait comme
à son complément définitif chaque acte particulier du Rédempteur Cette
économie devait évidemment se reproduire en ce qui touche les
sacrements, dans lesquels le Seigneur voulait déposer les fruits de sa
Passion pour les appliquer avec une égale efficacité aux hommes de tous
les temps. Avant la Passion, il ne pouvait donc pas y avoir de sacrement
qui contînt déjà en lui-même les effets de la Passion consommée : quand
le Sauveur, s'étant manifesté dans la chair et ayant commencé à opérer
l'accomplissement de la promesse, faisait donner le baptême par ses
apôtres, ce baptême devait être au-dessus des sacrements de l'ancienne
alliance autant que le Christ lui-même était au-dessus des figures et
des prophéties : cependant il ne pouvait pas conférer la plénitude de la
grâce. Donc ce baptême ne conférait pas encore le caractère ineffaçable,
il n'opérait pas la configuration avec le Seigneur, par laquelle le
baptisé devient membre de son corps mystique, non plus que la rénovation
complète de l'homme intérieur en le revêtant de Jésus-Christ, car tout
cela ne fut mérité que par la Passion : mais il donnait le droit à
recevoir ce complément, déposait dans l'âme la disposition ou la
capacité surnaturelle de recevoir la plénitude de la grâce du baptême
quand l'oeuvre de la Rédemption serait accomplie en fait, sans qu'il y
eut besoin d'une nouvelle administration du sacrement. En d'autres
termes, le sacrement conféré comme inchoamentum
acquérait plus tard par lui-même qui lui manquait pour être
sacrement complet, parce que le Sauveur, comme maître et instituteur des
sacrements, avait donné à ses apôtres la mission de baptiser, avec
l'intention que l'opération de ce baptême fût dans le même rapport
intime et nécessaire avec sa Passion que chacun des autres actes par
lesquels il avait satisfait et mérité pour nous, et trouvât également en
elle son complément. Il résultait naturellement de là qu'au jour de la
Pentecôte ceux-là seulement devaient recevoir le baptême à la piscine de
Bethesda, qui avaient reçu le baptême de Jean, et qu'aucun de ceux que
les apôtres avaient baptisés ne devait se trouver parmi eux.
Mais quel baptême reçurent
donc les saints apôtres eux-mêmes, eux qui avant de s'attacher au
Seigneur et d'être appelés à l'apostolat n'avaient aussi reçu que le
baptême de Jean, lequel avait été suffisant jusqu'au moment où le
Seigneur as ait fait du baptême sacramentel un précepte obligatoire pour
tous, sans en excepter personne. Ils furent baptisés par le Seigneur
lui-même, non toutefois du baptême d'eau, mais du baptême de feu du
Saint Esprit, qu'il fit descendre sur eux sous forme visible après son
Ascension. Il convenait que les apôtres fussent ainsi privilégiés, à
raison de la dignité et de la position spéciale à laquelle eux seuls
avaient été appelés vis-à-vis du Rédempteur et en lui vis-à-vis de
l'Église tout entière. Ils étaient les seuls qui eussent tout reçu du
Seigneur sans intermédiaire et à un degré incomparablement plus élevé
que tous les autres saints de l'Église, la très sainte Vierge exceptée.
De même qu'il les avait immédiatement appelés à l'apostolat pour qu'ils
pussent recueillir de sa bouche et transmettre à l'Église la plénitude
des vérités du salut, de même il leur conféra directement lui-même tous
les pouvoirs et tous les degrés du sacerdoce afin que l'Église les reçût
par leur intermédiaire. Il était donc conforme à cet ordre mystérieux
que la plénitude des grâces qui sont distribuées dans l'Église par les
sacrements du baptême et de la confirmation, fût conférée directement
par le Seigneur aux apôtres aussi bien que les effets des autres
sacrements, et que par conséquent, ils ne fussent pas baptisés dans
l'eau, mais dans le Saint Esprit, comme leur Maître et Seigneur le leur
avait promis avant de retourner à son Père. (Act. I, 15.)
III
Il est aussi question dans
les Visions, d'un baptême des morts (t. V, ch. IV), en ce sens que les
effets du sacrement de baptême pouvaient être appliqués à certains
défunts par l'intermédiaire des survivants. Il s'agit des âmes de ceux
qui étaient décédés avant la promulgation de la loi nouvelle, non dans
l'état de disgrâce absolue et de réprobation, mais cependant dans un
état trop imparfait pour être admis à attendre dans le sein d'Abraham la
descente aux limbes du Rédempteur qui devait leur ouvrir les portes de
la béatitude. Ils étaient donc renfermés dans le Purgatoire ou dans la
prison dont parle saint Pierre (I Petr. III,
19-20) où ils furent éclairés, soulagés et consolés, mais non délivrés
par le Sauveur lors de sa descente aux enfers ; ils furent seulement
soumis à l'influence de sa sainte Église sur la terre et mis en
communion avec elle, afin d'arriver par là au salut complet et à la
délivrance finale. Quoique le Seigneur leur eût annoncé
l'accomplissement de toutes les promesses et la consommation de l'oeuvre
sainte de la Rédemption, quoiqu'il eût communiqué la pleine connaissance
des vérités de la foi, même à ceux qui avaient été longtemps incrédules,
leur pénitence devait pourtant se prolonger encore et la dernière grâce
ne leur avait pas été donnée. En effet, tous les défunts qui n'étaient
pas réprouvés avaient part aux promesses faites par Dieu à l'ancienne
Église et aux avantages attachés à tout ce qu'il avait établi alors pour
le salut des hommes ; ils avaient droit à l'accomplissement de ces
promesses et par là même à la vision de Dieu ; mais devaient-ils être
mis en possession de ce droit par le Seigneur lui-même agissant sans
intermédiaire, ou par la médiation de la nouvelle Église ? Cela
dépendait de l'arrêt de la justice divine d'après lequel ils étaient
placés, soit dans le sein d'Abraham pour y attendre sans souffrance la
venue du Sauveur, soit dans le lieu de purification pour y faire
pénitence et y expier leurs fautes pendant un intervalle de temps connu
de Dieu seul. Avant que le Sauveur sur la terre eût, par l'effusion de
son sang précieux, payé pour tous les hommes le prix de leur rédemption,
les âmes qui étaient dans le sein d'Abraham ne pouvaient pas non plus
acquérir le caractère ou la dignité et la beauté inexprimables attachées
à la qualité d'enfants de Dieu ; elles ne pouvaient pas encore être
transformées à l'image du Dieu fait homme, ni en général posséder tous
les dons, tous les honneurs que le sacrement de baptême confère à un
vivant et au moyen desquels il lui ouvre l'accès du ciel et lui donne le
droit à la gloire.
Les Visions contenues dans
ces deux derniers volumes racontent à plusieurs reprises et très
clairement de quelle manière le Sauveur appliqua tout cela aux âmes qui
l'attendaient dans le sein d'Abraham: elles indiquent aussi suffisamment
comment les effets du sacrement de baptême pouvaient être communiqués
aux âmes du purgatoire par l'intermédiaire des survivants. Cela se
faisait en vertu de la règle générale d'après laquelle les fidèles
peuvent secourir les morts, seulement dans ce cas il fallait une
intention particulière du Seigneur trouvant bon que les effets d'un
sacrement pussent être appliqués aux morts eux-mêmes par le mérite des
bonnes oeuvres des survivants.
Lors donc que l'apôtre
saint Paul, dans sa première épître aux Corinthiens (XV, 29) parle de
ceux " qui se font baptiser pour les morts ", ce passage trouve une
explication satisfaisante dans les Visions, lesquelles nous apprennent
que la réception du baptême faisait naître chez plusieurs la pensée de
recevoir le sacrement, non seulement pour eux-mêmes, mais encore pour
tel ou tel défunt et qu'ils priaient Dieu instamment de lui en appliquer
aussi les effets, en tant qu'il était capable d'y avoir part. Peut-être
que dans ce cas, à l'administration du baptême s'ajoutaient certaines
pratiques ou certaines cérémonies qui lui faisaient alors donner le nom
de " baptême pour les morts. "On ne doit pas s'étonner qu'il règne tant
d'obscurité sur ce qui touche ce baptême et que dès les temps les plus
anciens les paroles de l'apôtre eussent déjà reçu des interprétations si
diverses ; car tous ceux qui mouraient après la promulgation de la
nouvelle loi n'étaient plus susceptibles de recevoir par intermédiaire
l'application de la grâce du baptême, et par conséquent le baptême pour
les morts ne devait pas tarder à tomber en désuétude.
Ce fut à la dernière fête
de la Pentecôte célébrée par le Seigneur dans l'île de Chypre, qu'il
parla du baptême des morts en présence des païens, et leur promit qu'eux
aussi, dès qu'ils auraient reçu le plein effet du baptême, pourraient
appliquer aux morts la grâce du sacrement. Il suffisait aux Gentils,
pour être sauvés, de croire en Dieu comme souverain maître et créateur
du monde et comme rémunérateur du bien et du mal. Cette foi impliquait
la foi au Fils par lequel le Père juge et récompense, et ils pouvaient
ainsi, par les mérites de Jésus-Christ, obtenir les grâces nécessaires
pour pouvoir accomplir la loi morale naturelle et opérer par là leur
salut, lors même qu'ils n'avaient été ni pendant leur vie ni au moment
de leur mort en communion avec l'Église de l'ancienne alliance. Parmi
les plus anciens témoignages touchant le baptême des morts, nous
citerons celui de Tertullien, qui, dans son écrit de
Resurrectione carnis, cap. XLVIII, s'exprime ainsi à l'occasion
du passage déjà mentionné de saint Paul : " Si autem et baptizantur
quidam pro mortuis, videbimus an ratione. Certe illa præsumptione hoc
eos instituisse ille contendit, quia alli etialn carni vicarium baptisma
profuturuTn existimarent ad spem resurrectionis, quæ nisi corporalls,
non allas sic baptismate corporall obligaretur. Quid et ipsos baptizari,
ait, si non quæ baptizantur corpora resurgant".
NOTE
: Si quelques-uns se font baptiser pour les morts, il faut voir pour
quelle raison. Certainement l'Apôtre soutient qu'ils en agissaient
ainsi, parce qu'ils et croyaient à l'utilité du baptême, même
conféré par représentation, dans l'attente de la résurrection,
laquelle doit être corporelle pour que le baptême corporel puisse
ainsi la garantir. " Pourquoi, dit-il, se feraient-ils baptiser, si
les corps qui sont baptisés ne devaient pas ressusciter " ?
IV
Quelque surprenant que
puisse sembler au premier abord ce que rapportent les Visions d'un
voyage du Sauveur dans l'île de Chypre, elles fournissent cependant des
données au moyen desquelles on peut apprécier cet incident, voir comment
il se rattache à toute l'oeuvre de la Rédemption et se rendre compte du
silence de la tradition à son sujet. La raison la plus profonde de ce
voyage doit être cherchée dans la miséricorde surabondante de Dieu, qui
a voulu donner à toutes ses promesses la forme d'un contrat dans lequel
il a daigné s'imposer une obligation vis-à-vis des créatures,
impuissantes et sans droits par elles mêmes, et leur conférer un droit
en vertu de cet engagement.
L'ancienne théologie a déjà
trouvé le caractère d'un contrat de ce genre dans le premier précepte
donné à Adam dans le Paradis, pour qu'il se maintint, lui et sa
postérité, dans l'état de sainteté et de justice originelles ; ce
caractère se reproduit d'une manière de plus en plus marquée dans
chacune des promesses divines : à mesure que le temps de
l'accomplissement s'approche, Dieu règle plus immédiatement ce qui se
rapporte à son exécution. Mais quoique la réalisation des promesses
dépendit de la fidélité des hommes aux conditions qui leur étaient
imposées, cependant l'amour miséricordieux du Seigneur ne retira pas la
parole donnée, malgré leurs infidélités continuelles. La cause en était
que dans le décret éternel de la Rédemption, le Fils de Dieu s'étant
porté garant pour l'humanité, dont la dette devenait de jour en jour
plus énorme, et en particulier pour les enfants d'Abraham, s'obligeait à
présenter à la justice et à la sainteté de Dieu une satisfaction d'une
valeur infinie pour chacune des violations de l'alliance conclue avec
Dieu. Voilà pourquoi le Sauveur se soumit à la circoncision huit jours
après sa naissance, non seulement afin de prendre sur lui l'obligation
d'accomplir toute la loi et toutes ses prescriptions, mais encore pour
assurer à tous ceux qui portaient sur leur corps ce signe de l'alliance
faite avec Dieu le droit à l'accomplissement des promesses, et pour
conserver ainsi au peuple d'Abraham, malgré ses nombreuses infidélités,
le privilège qui lui avait été conféré, d'être " un royaume sacerdotal
et un peuple saint ". (Exod., XIX, 6.)
Donc, quiconque est
favorisé du signe de l'alliance et porte sur lui-même le gage de la
promesse du salut, est recherché par le bon Pasteur pour être incorporé
à son troupeau et prendre part à tous les bienfaits de la Rédemption.
Ainsi le Sauveur, dès avant son baptême, alla visiter les familles
juives qui vivaient dans les environs de Sidon et de Sarepta (tome I,
page 156) ; plus tard, il alla dans la contrée d'Ornithopolis (tome IV,
page 310), pour faire rentrer dans la communion de l'alliance une tribu
égaré, puis enfin jusqu'en Chypre, où se trouvaient, depuis une époque
très ancienne, des colonies juives qui, malgré leur extension' avaient
conserve leur existence propre et étaient restées en relation avec le
Temple de Jérusalem. Le Sauveur voulut leur annoncer en personne
l'accomplissement de la promesse et ramener en Judée ceux qui croiraient
en lui, parce que dans cette île aux moeurs licencieuses, où ils
trouvaient trop facilement à s'enrichir, ils couraient risque de se
corrompre par l'excès toujours croissant du bien-être et de la mollesse
et par leur mélange avec les païens. Pendant son séjour en Chypre, qui
fut d'environ six semaines, le Seigneur en convertit un peu moins de six
cents, lesquels retournèrent avec lui en Palestine, où leur
établissement donna naissance à la ville d'Eleutheropolis.
Cet événement de la sainte
vie de Notre Seigneur était resté totalement inconnu jusqu'à ce jour, ce
qui, au premier coup d'oeil pourrait paraître d'autant plus surprenant
que les Actes des apôtres nous racontent le voyage que fit saint Paul en
Chypre avec Barnabé et Jean Marc, ainsi que le second voyage qu'y firent
les deux derniers, et qu'il n'y a rien dans ces récits d'où l'on puisse
induire que l'Évangile avait été annoncé par le Seigneur lui-même dans
les synagogues de cette île. Ce silence, toutefois, s'explique très
bien, d'après ce que rapportent les Visions sur le but et les résultats
du voyage en Chypre. Le premier et le principal but de ce voyage fut en
effet atteint, par cela même que les convertis suivirent tous le
Seigneur et qu'il ne resta que ceux qui, par suite de leur attachement a
une vie commode et comblés des biens de la fortune, avaient fermé
l'entrée de leur coeur à la parole évangélique. On peut, en outre,
deviner, d'après la connaissance du coeur humain, pourquoi les Juifs
restés dans l'endurcissement firent cause commune avec les païens pour
abolir dans l'île le souvenir du Rédempteur, de façon à ce qu'il n'en
restât plus de trace. Le Seigneur avait fait entendre des paroles si
menaçantes touchant ceux qui refuseraient de se convertir et de quitter
l'île, que les consciences troublées durent s'efforcer de faire oublier
ses paroles comme sa personne.
Mais, en y regardant de
plus près, on trouve dans les Actes des apôtres une indication qu'on
peut rattacher très naturellement à ce que rapportent les Visions
touchant les compagnons du Seigneur. Il est parlé, en effet, au chapitre
XI, v. 20, " des hommes de l'île de Chypre ", qui, peu de temps après le
martyre de saint Etienne, prêchèrent Jésus-Christ aux païens d'Antioche
et par là jetèrent les fondements de cette Église dont les membres
portèrent les premiers le nom de " chrétiens ". Or, ne peut-on pas
reconnaître dans les Chypriotes en question ces hommes que le Seigneur
lui-même avait admis parmi ses disciples et qui l'avaient accompagné en
Chypre. C'étaient peut-être les deux fils du négociant chypriote Cyrinus
ou quelques-uns des philosophes convertis de Salamine, lesquels, ayant
été témoins de tout ce qu'avait fait leur divin Maître dans leur île
natale, et d'ailleurs étant eux- mêmes païens de naissance, se faisaient
moins de scrupule de s'adresser aux Gentils que leurs compagnons
d'origine juive.
On ne doit pas non plus
trouver étrange que les Évangiles ne renferment aucune allusion à un
voyage du Seigneur en Chypre : car ce voyage par son caractère
d'événement privé et presque d'affaire de famille, devait être exclu
tout naturellement du récit des Evangélistes ; ceux-ci, en effet, ne
voulant rapporter que ce qui pouvait avoir le même intérêt et la même
importance pour tous les temps et pour tous les peuples, se sont bornés
pour cela à donner une courte esquisse de la sainte vie et de la
carrière publique et enseignante de Jésus-Christ, telle qu'elle s'était
produite sous les yeux de toute la Palestine. Toutefois, lorsqu'on lit
dans saint Jean (VIII, 35), cette question que firent les Juifs : "Où
veut-il aller pour que nous ne le trouvions plus ? veut-il aller aux
païens dispersés et les enseigner ?"question qu'ils adressèrent au
Seigneur dans le temps qui suivit le retour de Chypre, on peut y voir
peut-être une allusion, sinon à des bruits et à des renseignements
vagues sur ce voyage, au moins à cette idée, très vraie d'ailleurs, que
celui qui se manifestait comme étant le Messie, ne devait Pas rester
étranger aux Gentils.
Enfin si comme les Visions
le donnent à entendre, le silence gardé sur le voyage de Chypre a pour
motif un commandement formel du Seigneur lui-même, on pourrait tout au
plus demander encore comment il peut se faire que les temps
immédiatement postérieurs aux apôtres, ou l'époque la plus ancienne du
christianisme, ne nous aient pas transmis la plus petite indication
touchant un événement si remarquable. Quand on considère quel honneur
c'était pour une église, dès les temps les plus reculés, de pouvoir
rattacher sa fondation au nom d'un apôtre, le silence de l'antiquité
chrétienne sur le privilège unique qui aurait été le partage de Chypre
devient encore plus inexplicable. Mais ici on a le droit de répondre à
une question et de demander par une autre ce que nous savons en général
de la plus ancienne histoire de l'Église de Chypre, cette île si
renommée dans l'antiquité classique par sa beauté et sa fertilité, aussi
bien que par le culte licencieux qu'elle rendait à Vénus. Nous n'en
savons presque rien, et pourtant, au milieu du IVe siècle, le
christianisme s'y était si bien établi et si plein de vie, qu'on voit
tous les évêques de l'île se réunir pour choisir, comme leur
métropolitain, le saint moine Épiphane, si austère, si zélé pour la foi
et qui fut l'objet de tant de calomnies. Ce fait seul témoigne assez
quel merveilleux changement avait dû s'opérer dans cette île autrefois
livrée à toutes les abominations de l'idolâtrie gréco-phénicienne : mais
il ne nous a été conservé aucun détail sur l'histoire de sa conversion.
L'ordre donne par le Seigneur de ne parler à personne du voyage qu'il y
avait fait, ne renferme en soi rien d'extraordinaire : car les résultats
si médiocres, en apparence, de son séjour, pouvaient facilement être
exploités pour attaquer la foi en sa personne et en son oeuvre, et
d'ailleurs ; les Juifs de la Palestine se seraient presque tous
scandalisés en entendant parler des rapports qu'avait eus le Sauveur
avec les païens chypriotes.
V
Ces arguments ont la même
valeur en ce qui concerne le voyage du Seigneur dans le pays des trois
Rois, en Chaldée et en Égypte, raconté dans ce volume. Si surprenant que
paraisse cet incident, il concorde pourtant avec ce que les Évangiles
nous apprennent en général des relations du Seigneur avec les païens. Le
récit de saint Matthieu sur le voyage des rois mages et leur venue à
Bethlehem pour adorer l'Enfant divin révèle par avance tout le mystère
de la vocation des Gentils et des rapports personnels du Dieu fait homme
avec eux pendant son séjour sur la terre. D'abord et immédiatement le
salut vient au peuple élu auquel il a été si souvent promis par Dieu ;
mais les païens sont excités par la grâce prévenante et appelés à
chercher le salut chez les Juifs. Le Seigneur va lui-même à la recherche
des tribus d'Israël, et quoique souvent repoussé, blasphémé et persécuté
par ceux de son peuple, il ne se lasse pas de les exciter à accueillir
l'accomplissement des promesses divines ; mais en même temps il excite
intérieurement les païens à s'approcher de lui et à s'approprier avec
d'autant plus d'empressement la grâce du salut méprisée par son peuple.
Les saints Évangiles, à la vérité, ne nous rapportent aucun enseignement
particulier que le Seigneur ait donné aux païens, mais ils n'empêchent
nullement de supposer que parmi les milliers de personnes qui
accouraient en foule sur les bords du lac de Génésareth, il devait se
trouver un certain nombre de païens. Bien plus, le Seigneur lui-même, à
Capharnaüm, guérit le serviteur païen du centurion païen et vanta la foi
de celui-ci, afin, dit saint Jean Chrysostome, " de prophétiser sur les
païens et d'éveiller en eux de joyeuses espérances : car ceux qui
avaient suivi le Seigneur à Capharnaüm étaient de la Galilée des Gentils
". (Homil. XXVI. in Matth.)
Et bien que l'Enfant-Dieu,
muet encore, n'ait point eu de paroles à adresser aux prémices de la
gentilité, la Sagesse éternelle sut pourtant bien trouver d'autres voies
pour arriver à leur coeur et suppléer surabondamment à ce qui ne leur
avait pas été dit. C'est ce que prouvent les merveilleuses opérations de
la grâce que l'Église, à toutes les époques, a reconnues et vantées dans
la conduite des rois mages. La fidélité avec laquelle ces païens avaient
suivi l'étoile jusqu'à Bethlehem pour y rendre leurs hommages au Roi
nouveau-né, pendant que le Temple et la Synagogue, quoiqu'avertis par la
parole de tant de prophètes, le mettaient complètement en oubli, leur
mérita l'insigne honneur qu'au rapport des visions, il leur fit dans la
dernière année de sa vie, lorsqu'il voulut les visiter lui-même dans
leur pays et leur annoncer la parole du salut.
Quelque inouï que puisse
paraître ce que disent les visions à ce sujet, le voyage qu'aurait fait
le Seigneur chez les rois mages pendant les troubles occasionnés par la
résurrection de Lazare, n'a en soi rien de plus extraordinaire, de plus
surprenant ou de moins conforme à la charité compatissante du Fils de
l'homme que ce qu'il fit en faveur des païens au moyen de l'étoile en
les appelant à la crèche, où ils eurent le bonheur de contempler son
humble enfance et sa merveilleuse pauvreté, où ils virent, par
conséquent, ce qu'il ne fut donné de voir qu'à un petit nombre de
privilégiés dans le peuple élu, ce que ne virent pas même les saints
apôtres et les Évangélistes. Ce voyage n'est ni plus mystérieux ni plus
difficile à concevoir que ne l'est, par exemple, la visite du Seigneur à
Nazareth, où ceux-là mêmes qui, depuis son retour d'Égypte, l'avaient vu
parmi eux mener la vie la plus sainte et se montrer le modèle accompli
de toute perfection, voulurent le précipiter du haut de la montagne. Et
puisque le Seigneur lui-même promet de rendre au centuple, dès ce monde,
tout ce qu'on aura quitté pour lui, puisqu'il va visiter tous les
endroits où Marie a trouvé accueil lors de son voyage à Bethlehem ou de
sa fuite en Égypte, n'était-il pas conforme à sa bonté d'honorer de sa
sainte présence la demeure de ces rois mages qui l'avaient visite petit
enfant, couché dans une pauvre crèche, dont il avait bien voulu agréer
les présents et qui, à sa venue sur la terre, lui avaient rendu plus
d'honneurs que n'avaient jamais fait Nazareth, Capharnaüm ou Jérusalem ?
Dans d'autres occasions, le
Seigneur mit le pied sur le territoire des païens ; c'est ce que prouve
son séjour de plusieurs années en Égypte, comme son voyage dans la
Syrophénicie. (Matth., XV, 2 2 et
Marc VII, 24). " Pourquoi alla-t-il dans ces
pays ? ", demande saint Jean Chrysostome. " C'est, répond-il, pour
ouvrir aussi la porte aux païens. Et si quelqu'un s'étonnait, qu'ayant
ordonné à ses disciples de ne pas aller sur les chemins des Gentils, il
y aille tout le premier, je répondrai qu'il n'était pas soumis lui-même
. aux ordres qu'il donnait à ses disciples ".
(Homil.LII. in Mathoeum) .
Dans l'Évangile de saint
Jean (XII, 20-23), on voit aussi quelle impression produisait sur le
monde païen ce qui se disait de la prédication du Sauveur et de ses
miracles. A la dernière fête de Pâques, à Jérusalem, des Grecs païens
prient l'apôtre Philippe d'obtenir pour eux d'être admis près du
Seigneur. André et lui font part de leur désir au Sauveur, qui répond,
suivant la paraphrase de Cornelius a Lapide : " N'empêchez pas les
païens de venir à moi, mais amenez-les ! Je vous ai dit, il est vrai, de
ne pas aller sur les chemins des Gentils, lorsque ma prédication était
expressément destinée aux Juifs seuls, mais comme mon enseignement et ma
mission sur la terre touchent à leur terme, la parole du salut, méprisée
par les Juifs, arrivera aux païens par vous. En effet, l'heure est
proche où le Fils de l'homme sera glorifié, en ce que les païens, après
ma mort, me reconnaîtront pour leur Rédempteur ".
C'est par une disposition
merveilleuse qu'après la descente du Saint Esprit, Philippe fut
précisément le premier dont les Actes des apôtres racontent qu'il
baptisa un païen, le trésorier de la reine Candace. Ce baptême fut donné
en secret: mais le premier acte solennel par lequel des païens aient été
incorporés à l'Église sans avoir reçu préalablement la circoncision, fut
le baptême de Corneille. Cela se fit à la suite de la vision que Pierre
eut à Joppé, lorsque les envoyés de Corneille, qui de son côté avait été
adressé à Pierre par une vision, étaient en route pour aller trouver
l'Apôtre. L'explication que saint Chrysostome donne de ce fait, concorde
parfaitement avec l'esprit des Visions et en général avec tout ce
qu'elles font connaître de la conduite du Seigneur et de celle des
apôtres et des disciples vis-à-vis des païens. Saint Chrysostome, en
effet, prouve de la manière la plus ingénieuse que la vision de Pierre
n'eut pas tant pour but sa propre instruction que sa justification
devant les Juifs zélés pour l'ancienne loi : c'est pourquoi la Sagesse
divine elle-même avait, dans le cours de la vision, dicté les réponses
de Pierre, afin que celui-ci, par le simple récit de ce qui lui avait
été montré miraculeusement, pût justifier plus tard d'une manière
convaincante devant les chrétiens judaïsants, si faciles à scandaliser,
le premier baptême solennellement administré aux païens.
Ce qui enfin garantit d'une
façon particulière la vérité de ce que rapportent les Visions sur les
deux voyages du Seigneur dont il est ici question, c'est le caractère
d'intuition directe qui y est empreint jusque dans les moindres détails
en tout ce qui touche à l'histoire et à la géographie, en sorte qu'il
est impossible d'y voir des créations de l'imagination. Bien plus, on
peut dire que la description de toutes les scènes où figure le Seigneur
pendant ces voyages, la manière dont ses actions et ses paroles sont
représentées, ont quelque chose de si intimement approprié à sa personne
et à sa dignité, de si parfaitement en harmonie avec le plan général de
la Rédemption, tel qu'il se développe dans tout le cours de l'ouvrage,
qu'on y trouve la meilleure preuve qui puisse être donnée en faveur de
la vérité de ces récits.
È
Volume 5
CHAPITRE PREMIER.
Voyage de
Jésus à Chypre. - Son séjour à Salamine.
Du 30 avril au 6 mai
1823 .
Repas d'adieu chez la
Syrophénicienne.-Embarquement pour Chypre. -Traversée.-Arrivée dans le
port de Salamine.-Festin chez le chef de la communauté juive.-La
prêtresse des idoles Mercuria.-Jésus chez le gouverneur romain à
Salamine.-Instruction faite par Jésus des philosophes païens sur
l'essence du paganisme et sur ses fausses divinités.-Histoire de Dercéto.
Remarque de l'éditeur.
Jusqu'à la fin d'avril, la
pieuse Anne Catherine avait autant que possible, raconté jour par jour
au Pèlerin ses visions quotidiennes sur la vie de Jésus : mais alors ses
indicibles souffrances lui rendirent impossible de continuer ces
communications. Le Pèlerin sur sa demande quitta Dulmel1 et n'y revint
que quatre mois et demi plus tard. Mais il se trouva que pendant son
absence les visions quotidiennes sur la vie publique du Sauveur avaient
continué sans interruption Puis ces visions se reproduisirent pour la
seconde fois dans le même ordre et avec la même étendue, en sorte que le
Pèlerin fut en mesure de reprendre le 91 octobre le fit de ces
communications au point où Anne Catherine' réduite au dernier degré de
l'affaiblissement, l'avait laissé tomber le 28 avril. A dater de ce
jour, elle raconta de nouveau sans interruption ses visions journalières
jusqu'au 8 janvier 1824, jour à partir duquel toute communication
ultérieure cessa pour jamais : car les souffrances toujours croissantes
de la pieuse extatique étaient le prélude de sa mort prochaine.
Le Pèlerin a mis en
tête de ses rédactions quotidiennes, du 21 octobre 1823 au 8 janvier
1824, la date des jours où la Soeur avait eu ces visions pour la
première fois pendant son absence. L'éditeur n'a pas voulu changer cette
indication ; ainsi le lecteur trouvera avec la date du 30 avril au 17
juillet 1823, les visions qu'Anne Catherine a racontées du 22 octobre
1823 au 8 janvier 1824. Du reste, en ce qui touche le classement de ces
visions d'après les jours du mois, l'éditeur se réfère à ce qui a été
dit dans l'introduction de la seconde partie.
30
avril.-- Ce matin, Jésus alla avec sa suite à une lieue et demie,
au village juif qui est à environ une lieue à l'est d'Ornithopolis, et à
trois lieues à peu près du port. Jésus n'a avec lui que Jacques le
Mineur, Barnabé, Mnason, Azor, les deux fils de Cyrinus, et un jeune
homme de l'île de Chypre qu'ils ont amené à Jésus. Outre ceux-ci,
plusieurs Juifs d'ici l'accompagnent. Tous les autres apôtres et
disciples qui avaient suivi Jésus dans ce pays, se sont déjà répandus en
différents lieux ; Judas était parti le dernier ; il se dirigeait vers
Cana la Grande, avec ceux qui lui avaient été donnés pour compagnons.
Dans le village juif,
les hommes, les femmes et les enfants firent à Jésus une réception très
solennelle ; les enfants des écoles vinrent aussi à sa rencontre. Il
s'exprima ici en termes très clairs, et parla surtout de
l'accomplissement des prophéties, lesquelles étaient très familières à
ses auditeurs.
De là Jésus alla,
dans la direction de l'est, à l'habitation de la Syro6phénicienne,
laquelle avait chargé son parent guéri par Jésus, de l'inviter à un
repas, lui et les siens. Cet homme les conduisit chez elle. Les
bâtiments appartenant à cette femme forment un groupe séparé entre
Ornithopolis et le village juif. On y voit de grands ateliers pour la
teinture et le tissage. Il s'y était rassemblé beaucoup de personnes,
parmi lesquelles un grand nombre de malades et d'estropiés, et Jésus en
guérit plusieurs. Le village juif d'où venait Jésus se lie à cet
établissement par des maisons disséminées. L'habitation de la
Syro6phénicienne avec ses jardins, ses cours et ses dépendances de toute
espèce est bien aussi grande que Dulmen. Il y a en outre divers
bâtiments surmontés de galeries sur lesquelles on peut se promener, et
où on étend des pièces d'étoffes de différentes couleurs, jaunes,
violettes, rouges et bleu de ciel. La teinture jaune se fait avec une
plante qu'on cultive dans le voisinage. Pour le rouge et le violet on
emploie des espèces de limaçons marins : je vis de grandes couches de
ces coquillages : c'est là qu'on les prend ou qu'on les élève. Il y
avait des endroits remplis d'une mucosité semblable à du frai de
grenouille. On cultive aussi dans le voisinage un arbuste qui porte le
coton, mais il n'est pas indigène : en général le sol n'est pas aussi
fertile que dans la Terre promise et il est souvent inondé.
Quand on regarde du
côté de la mer, il semble qu'elle soit plus élevée que la terre, parce
que son azur se confond a l'horizon avec celui du ciel. Sur le rivage se
trouvent ça et là de gros troncs noirâtres, peu élevés, dont les
branches s'étendent au loin : souvent ils sont couverts de mousse et de
limon où d'autres arbres prennent naissance. Au bas des souches se
projettent d'énormes paquets de racines sur lesquels on peut marcher et
s'avancer à quelque distance au-dessus de l'eau. Ces troncs noirâtres
sont creux d'un côté pour la plupart et ils servent de repaires à toute
espèce de hideuses bêtes.
Il faut que la
Syro6phénicienne soit une personne très considérable : car dans le bourg
où est le port, il y a des masses d'édifices qui lui appartiennent : son
mari doit avoir été puissamment riche et à la tête d'un grand commerce
maritime. Maintenant elle veut renoncer à tout, et elle a dit aux gens
qui dépendent d'elle de choisir un maître parmi eux.
Jésus fut reçu
solennellement, à l'entrée des bâtiments extérieurs, par tous les gens
de la maison, et dans la cour qui précède l'habitation, par la
Syro6phénicienne et sa fille qu'il avait guérie. Il était accompagné de
cinq disciples et des deux jeunes Chypriotes. Il guérit encore quelques
personnes dans les bâtiments d'alentour, puis il prit un repas chez
cette femme. Tout était disposé comme lors de sa première visite (voir
tome IV, page 186) : le roseau garni de grappes que je vis alors croît
près de Sarepta. Lorsque Jésus se fut mis à table, la fille de la veuve
versa sur sa tète un flacon d'onguent parfumé. La mère lui offrit des
pièces d'étoffe, des ceintures et des pièces d'or triangulaires ; la
fille, d'autres pièces qui étaient enfilées ensemble. La
Syro6phénicienne veut vivre dans une retraite absolue avec sa fille :
elles sont maintenant en rapports intimes avec les Juifs. Ceux qui sont
chargés de l'enseignement parmi ces Juifs, sont venus ici du pays
d'Hébron et d'auprès des amis de Zacharie, pendant la vie de Joachim et
d'Anne : ils ont rétabli parmi eux l'observation de la règle et ont
réformé leur manière de vivre. ils sont à la tête de plusieurs familles,
et c'est par leur intermédiaire que la Syro6phénicienne et tout son
monde se sont mis en rapport avec les Juifs.
Jésus ne resta pas
longtemps à table. Il alla de côté et d'autre parmi les assistants et
parmi les pauvres venus en grand nombre auxquels on donna à manger. Il
leur fit des présents et guérit ceux qui étaient malades.
Vers quatre heures,
Jésus s'éloigna sans bruit avec ses compagnons, et ils firent environ
trois lieues au nord-ouest pour gagner l'endroit qui sert de port à
Orni-thopolis et qui en est assez éloigné. On rencontre sur le chemin
beaucoup d'édifices. Jésus se rendit aussitôt dans le quartier juif de
la ville qui est bâtie parmi des rochers sur un sol très inégal et où la
plus grande partie de la population est païenne. Je vis qu'une réception
solennelle lui fut faite par les Juifs chypriotes venus ici après les
fêtes de Pâques pour retourner dans leur patrie, ainsi que par les Juifs
de l'endroit. Il enseigna dans la synagogue : un très grand nombre de
païens se tenaient dehors autour de l'édifice et l'écoutaient. Ils sont
ici très timides et très -humbles. Il guérit aussi quelques malades,
après quoi il y eut, pour lui et pour ceux qui allaient s'embarquer, un
grand repas qui se prolongea jusque dans la nuit.
Tous l'accompagnèrent
à la clarté des étoiles jusqu'au port où ses compagnons et lui
s'embarquèrent. La nuit était très claire : les étoiles dans ce pays
paraissent plus grandes que chez nous. Ce fut comme le départ d'une
petite flotte : un grand bâtiment de transport portait des bagages, des
marchandises et du bétail, spécialement beaucoup d'ânes. Les Chypriotes
revenant de la fête de Pâques, Jésus avec les siens, et d'autres
voyageurs encore étaient embarqués sur dix galères à voiles. Cinq de ces
galères environ remorquaient le bâtiment de transport à l'aide de cordes
attachées en avant et sur les côtés. Les cinq autres marchaient de
conserve. Tons ces bâtiments avaient, comme le navire de Pierre sur le
lac de Galilée, des bancs de rameurs élevés, disposés autour du mât et
au dessous des espèces de cabines. Sur un de ces navires Jésus se tenait
debout au pied du mât et enseignait. Il bénit la terre et la mer, après
quoi on se mit en route. Je vis beaucoup de poissons suivre la flottille
: il y en avait parmi eux de très grands, longs d'au moins huit pieds,
qui avaient d'étranges museaux: ils se jouaient autour des navires et
levaient la tète hors de l'eau comme pour écouter.
1er mai . J'ai vit Jésus enseigner et guérir pendant la
traversée. Le navire sur lequel il se trouvait était à l'un des côtés du
grand vaisseau de transport, attaché à d'autres qui remorquaient celui
ci : des galères étaient aussi attachées de l'autre côté. Ces bâtiments,
outre leurs rameurs, avaient des voiles, et la traversée, favorisée par
le calme de la mer et la beauté du temps, se fit avec une rapidité si
extraordinaire que les matelots, les Juifs et les païens s'écriaient : "
Oh ! quelle heureuse traversée! C'est vous, ô prophète, qui en êtes la
cause ! " Jésus se tenait sur le pont au pied du mât : il leur enjoignit
de se taire et de n'en faire honneur qu'à Dieu, le Tout Puissant. Il fit
aussi une instruction sur le Dieu unique et tout-puissant, sur ses
oeuvres, sur le néant des divinités païennes, sur le temps qui
approchait ou plutôt qui était déjà venu où la terre posséderait le
moyen de salut par excellence : il parla aussi de la vocation des
Gentils. Tout ce discours fut spécialement à l'adresse des païens.
Une petite troupe de femmes se tenait à part sur les navires. Je vis
beaucoup de gens devenir malades. Ils étaient pris de vertiges, se
couchaient dans des coins comme prêts à rendre l'âme, et alors ils
étaient saisis de vomissements convulsifs. Jésus en guérit plusieurs sur
son navire : beaucoup de ceux qui étaient sur les autres bâtiments
l'implorèrent en criant vers lui, et le Seigneur les guérit aussi de
loin.
Je les ai vus aussi
manger sur le navire. Il y avait du feu dans un vase de bronze : je ne
vis pas rôtir de viande, mais on mettait dans l'eau bouillante quelque
chose qui y fondait. C'étaient des espèces de longs rubans roulés, d'une
matière visqueuse, les uns bruns, les autres de couleur claire : on les
dépliait et on les cassait : ils étaient luisants à l'endroit de la
cassure comme de la colle forte. On donnait les mets par portions sur
des écuelles qui avaient un rebord et un manche. Il se trouvait dans ces
écuelles plusieurs cavités en guise d'assiettes où l'on mettait divers
mets : des gâteaux ronds et des herbes : on versait le liquide par
dessus.
D'ici à Chypre, la
mer ne paraît pas aussi large que plus bas à la hauteur de Joppé: là on
ne voit rien que de l'eau.
La flottille portait
le plus grand nombre des Juifs de Chypre qui étaient allés à Jérusalem
pour la Pâque : ils avaient retarde leur retour pour entendre le sermon
fait par Jésus sur la montagne de Gabara. Près de Jésus étaient Jacques
le Mineur, Barnabé qui était chypriote, Mnason, Azor et un jeune homme
de Chypre nommé Jonas, que Jésus avait admis parmi ses disciples lors de
la dernière instruction donnée sur la montagne de Gabara. Il lui avait
été amené par les deux fils de Cyrinus lesquels se trouvaient aussi avec
Jésus.
Les navires
arrivèrent vers le soir dans le port de Salamine. Ce port est très
spacieux et très sûr les deux rives s'avancent à une grande distance
dans la mer. Il est garni de quais en pierre et défendu par des remparts
élevés. La ville est à une bonne demi lieue dans les terres. Mais on le
remarque à peine, parce que l'intervalle est rempli d'arbres et de beaux
jardins. Il y avait beaucoup de navires dans le port. Le bâtiment qui
les portait ne put pas aborder tout près de terre, car le rivage qui
s'élève comme un grand rempart, descendait en talus, et le navire avait
un trop fort tirant d'eau pour pouvoir aborder. Ils jetèrent donc
l'ancre à quelque distance. Mais il y avait de petites embarcations
amarrées au rivage qui vinrent prendre les passagers, et qu'on tira
jusqu'au bord avec des cordes. Jésus avec les siens monta dans une de
ces barques dont il était venu un grand nombre. Il s'y trouvait deux
Juifs qui lui souhaitèrent la bienvenue.
Beaucoup de Juifs de
la ville étaient sur le rivage, revêtus de leurs habits de fête. Ils
avaient vu de loin venir le navire, et c'est la coutume de recevoir
ainsi les Juifs qui viennent des fêtes de Pâques. C'étaient pour la
plupart des gens très âges, des femmes, des enfants : il y avait
notamment les enfants des écoles avec leurs maîtres. Ils avaient des
guirlandes, des fifres, de petites banderoles flottantes au vent, des
couronnes suspendues à des bâtons et à des branches d'arbre, et ils
faisaient entendre des chants joyeux.
Cyrinus, trois frères
aînés de Barnabé et quelques vieux Juifs en habits de fête reçurent
Jésus et les siens, et les conduisirent à quelque distance du port sur
une belle terrasse couverte de verdure. Il y avait là des tapis étendus,
des bassins pleins d'eau, et des tables avec des rafraîchissements. Ils
lavèrent les pieds à Jésus et aux siens et leur firent prendre quelque
chose.
On avait amené là un
homme d'un âge très avancé c'était le père de Jonas, le nouveau
disciple. Il se jeta en pleurant au cou de son fils, et celui-ci le
conduisit à Jésus devant lequel il s'inclina profondément, il n'avait
pas su ce qu'était devenu son fils, car ceux avec lesquels celui-ci
était parti étaient revenus précédemment. Aujourd'hui à midi J ai
entendu prononcer le nom de ce vieillard, mais je l'ai encore oublié.
Tous ceux qui étaient là étaient du reste pleins de sollicitude à
l'endroit des arrivants et j'en vis plusieurs qui s'ouvraient passage à
travers la foule et criaient : " Tel ou tel est-il ici " ? Puis quand
ils avaient retrouvé ceux qu'ils cherchaient, ils les embrassaient et
les emmenaient avec eux : car la nouvelle du soulèvement contre Pilate
et du tumulte qui avait eu lieu dans le Temple était arrivée ici fort
amplifiée et tous étaient inquiets des leurs. Ici j'ai cessé de voir
cette scène.
Le petit endroit où
Jésus fut reçu était extrêmement agréable. On voyait à l'occident la
grande ville avec ses nombreuses coupoles et ses hauts édifices, dorés
par le soleil couchant dont le disque était très grand et très rouge :
au levant la vue s'étendait sur la mer et les hautes montagnes de la
Syrie apparaissaient comme des nuages.
Salamine est au
milieu d'une vaste plaine, et entourée de grands et beaux arbres, de
terrasses et de jardins. Le sol me parut assez friable : c'est comme de
la fine poussière ou du sable : l'eau potable me semble être assez rare
ici.
Le port n'est pas
ouvert à tous venants : il a plusieurs entrées, l'une assez large, les
autres plus étroites, passant entre des îlots fortifiés ; les bords de
ces îlots sont défendus par de grosses tours basses, de forme demi
circulaire, au haut desquelles sont des ouvertures par où l'on peut tout
surveiller. Le quartier des Juifs est au nord de Salamine ; lorsqu'ils
eurent fait une demi lieue pour arriver aux portes de la ville, ils
tournèrent à droite et firent encore une autre demi lieue au nord hors
de son enceinte.
Lorsque Jésus arriva
là avec ses compagnons, les autres Juifs revenus des fêtes de Pâques
s'étaient déjà rassemblés sur une grande place élevée en terrasse. Un
ancien qui était chef de la synagogue se tenait sur le point le plus
élevé d'où il pouvait voir tout le monde : cela me fit l'effet de
l'appel qu'on fait des soldats pour savoir si tous sont présents. On
s'informa de tout, si personne n'avait éprouvé de dommage ou n'avait de
plainte à former contre quelque compagnon de voyage : on s'enquit aussi
de ce qui s'était passé à Jérusalem. Jésus et les siens ne prirent pas
part à tout cela. Ici encore une réception solennelle fut faite à Jésus
par plusieurs vénérables vieillards juifs. Il adressa ensuite une
exhortation au peuple assemblé du haut de l'éminence qui se trouvait là,
puis tous se dirigèrent vers leurs demeures.
On voyait en avant
des deux rues juives de la ville, entre de jolies allées, plusieurs
édifices publics à l'usage des Juifs : la synagogue qui était
magnifique, les habitations des anciens et des rabbins, et les écoles. A
quelque distance se trouvait aussi un hospice avec un fossé plein d'eau
ou un étang te chemin qui conduisait à la ville était sablé et ombragé
de beaux arbres, même à l'endroit où l'on se rassemblait en plein air ;
il y avait sur le point le plus élevé un gros arbre dont les branches
étaient si fortes qu'on pouvait s'y asseoir comme dans un berceau de
feuillage.
Jésus et ses
compagnons furent conduits par les préposés près de la maison de ceux-ci
et de la synagogue dans une grande salle où ils passèrent la nuit. Je ne
me souviens pas bien s'ils n'allèrent pas d'abord dans une grande
maison, chez le premier des Anciens ; Je ne me rappelle pas non plus
qu'on leur ait donné ce soir un repas proprement dit, mais seulement une
petite collation. Jésus guérit quelques hydropiques qu'on apporta sur
des civières dans le vestibule de son logis. Cette maison était destinée
à l'enseignement ; on y recevait aussi de savants rabbins en voyage.
Elle était d'une belle architecture à la mode païenne avec des colonnes
à l'entour. L'intérieur était une grande salle avec des espèces de
tribunes et des chaires adossées aux murs. Il y avait par terre contre
les murs des lits roulés, surmontés de pavillons à rideaux relevés
contre les parois, et qu'on pouvait détacher pour isoler les lits. Ce
fut là qu'ils dormirent cette nuit.
Le père de Jonas le
nouveau disciple était avec eux : car il n'était pas de la ville : quant
à Cyrinus, il était allé dans sa maison avec ses fils.
On pouvait de
l'extérieur monter sur une plate-forme qui était au-dessus de cette
salle et où se trouvaient des plantes de toute espèce dans des caisses :
on avait de là une belle vue.
2
mai.— Avant le récit de la vision de ce jour, Anne Catherine
raconta d'abord, comment pour arriver au lieu de cette scène, elle avait
fait un de ces grands voyages qui se trouvaient liés à des travaux de
toute espèce faits sur la route au profit du prochain. " Je ne sais
plus, dit-elle, tous les endroits où j'ai été, je me souviens seulement
qu'il m'a fallu plusieurs fois bander des blessures. Je me suis aussi
trouvée sur une mer très orageuse. Souvent j'avais tant à faire que je
ne pensais pas à aller plus loin : mais tout d'un coup je me trouvais
dans un autre endroit : c'est ainsi que j'arrivai jusqu'à Salamine et
que je vis ce que Jésus faisait aujourd'hui : mais j'en ai oublié une
grande partie ".
Ce matin je vis
l'Ancien qui était un homme très respectable venir prendre Jésus avec
d'autres rabbins et le conduire à l'hôpital. Il y guérit un grand nombre
de paralytiques et de perclus et aussi des gens atteints d'une lèpre
assez bénigne. Pendant ce temps les hommes s'étaient rassemblés sur la
place où l'on enseignait en plein air : Jésus y vint et fit une très
belle instruction sur la manne recueillie dans le désert : il dit à
cette occasion que le temps de la vraie manne céleste, qui était
l'enseignement et la conversion, était arrivé et qu'un nouveau pain du
ciel allait leur être donné. Je vis là une allusion à la sainte
Eucharistie.
Après cette
instruction les hommes se retirèrent vers midi et les femmes prirent
leur place. Il vint aussi beaucoup de femmes païennes qui se tenaient en
arrière, séparées des autres. Jésus parla en termes plus généraux devant
les femmes, à cause des païennes qui se trouvaient parmi elles. Il parla
du Dieu unique et tout-puissant, père et créateur du ciel et de la
terre, de l'absurdité du polythéisme et de l'amour de Dieu pour les
hommes.
Jésus se rendit
ensuite dans la maison de l'Ancien où on lui avait préparé un repas
L'Ancien était venu le chercher avec plusieurs rabbins. Cette maison
était un très grand édifice bâti à la mode païenne, avec des cours, des
galeries ouvertes et des terrasses. Tout y était préparé comme pour une
grande fête ; plusieurs tables étaient dressées sous les colonnades, on
avait élevé des arcs de triomphe et suspendu partout des guirlandes.
Cela semblait être un festin qu'on donnait à Jésus et à ceux qui
revenaient des fêtes de Pâques. L'Ancien conduisit Jésus dans un
bâtiment attenant où était sa femme avec d'autres femmes ; il y vint
aussi quelques docteurs. Les femmes couvertes de leurs voiles saluèrent
Jésus en s'inclinant profondément devant lui et il leur adressa quelques
paroles amicales, puis arriva un cortège d'enfants couronnés de fleurs,
jouant de la flûte et d'autres instruments ; ils venaient chercher Jésus
pour le conduire au festin. La table était couverte de bouquets de
fleurs et de belle vaisselle : elle était un peu plus haute qu'en Judée
: de même les convives étaient plus serrés et avaient moins de place
pour s'étendre. On se lava les mains et je vis entre autres choses
servir un mets qui avait l'apparence d'un agneau. Jésus le divisa en
portions qui furent distribuées sur de petits pains ronds : il me sembla
qu'il était découpé d'avance et qu'on avait seulement remis les morceaux
à leur place.
Les enfants qui
faisaient de la musique vinrent de nouveau : parmi eux il y en avait
d'aveugles et d'autres qui avaient quelque infirmité. Ils furent suivis
d'une troupe de jeunes filles de huit à dix ans élégamment parées, parmi
lesquelles des filles ou petites-filles du maître de la maison. Toutes
étaient vêtues d'une belle étoffe blanche, quelque peu reluisante. On
s'habille ici autrement qu'en Judée : les vêtements sont moins larges et
plus adaptés au corps. Elles avaient les cheveux partagés en trois
nattes tombant sur les épaules et terminées par une boucle ou un autre
enjolivement où pendaient de petits bijoux, des houppes, des perles ou
des fruits rouges : c'était apparemment pour maintenir la frisure. J'en
vis beaucoup avec des cheveux noirs ou d'un brun rougeâtre. Plusieurs de
ces petites filles portaient ensemble une grande couronne formée de
guirlandes et d'ornements de toute espèce. Elle était faite de cercles
solides, car elle ne fléchissait pas sur elle-même. D'un large cercle
partaient des montants qui aboutissaient à une seconde couronne
surmontée d'un bouquet aux couleurs éclatantes ou d'un petit drapeau. Je
ne crois pas que ce fussent des fleurs naturelles ; il devait y avoir
autre chose encore, car il me semblait voir dans tout cela de la soie,
de la laine, des plumes et même des morceaux de métal brillant. Les
petites filles placèrent cette couronne comme un dais sur des colonnes
ornées de la même manière qui surmontaient le siège de Jésus ; d'autres
apportèrent des aromates et des parfums dans de petites coupes et des
flacons d'albâtre qu'elles déposèrent devant lui. Une enfant de la
maison brisa un de ces petits flacons sur sa tête et l'essuya avec un
linge : après quoi elles se retirèrent. Elles firent tout cela en
silence, les yeux baissés, et sans regarder les convives. Jésus les
laissa faire et les remercia en quelques paroles amicales, après quoi
les enfants, sans lever les yeux, rentrèrent dans l'appartement des
femmes. Les femmes prirent leur repas ensemble.
Je vis que Jésus et
les siens ne restèrent pas longtemps à table. Il ne cessa d'envoyer des
aliments et des présents aux pauvres par ses disciples qui servirent à
table presque tout le temps. Ensuite il alla d'une table à l'autre, fit
les portions, enseigna et raconta.
Après le repas,
l'Ancien et quelques docteurs allèrent avec Jésus et les siens se
promener du côté des aqueducs, lesquels venaient du côté de l'ouest. La
ville n'a que de mauvaise eau. C'étaient des constructions surprenantes,
semblables à d'immenses ponts avec une quantité de grands réservoirs
comme des citernes. Chaque quartier de la ville avait son réservoir et
ses abreuvoirs. Il y en avait où il fallait pomper, d'autres où l'on
puisait l'eau. Les réservoirs des Juifs étaient à part. Ils les
montrèrent à Jésus, se plaignirent de leur insuffisance et de leur
mauvais état, et témoignèrent le désir qu'il remédiât à cela. Il parla
d'un nouveau réservoir à établir qui était en préparation et où il
voulait faire baptiser : il dit quelque chose des dispositions à
prendre.
De là ils revinrent à
la synagogue, car le sabbat allait commencer. La salle était très grande
et très belle : elle était éclairée avec des lampes et pleine de monde :
il y avait à l'extérieur des terrasses et des escaliers, en sorte que
d'en haut on pouvait voir et entendre ce qui s'y passait. Tous ces
endroits étaient occupés par une foule de païens : il y en avait même
qui s'étaient introduits dans l'intérieur et se tenaient pacifiquement
parmi les Juifs.
On lut des passages
du Lévitique sur les sacrifices et sur diverses prescriptions, et aussi
quelque chose du prophète Ézéchiel. Au commencement, des docteurs firent
tour à tour la lecture, puis Jésus l'expliqua, et son enseignement fut
si Admirable, que l'émotion fut générale. Il parla, en outre, de sa
mission et de son accomplissement prochain. Ils le regardaient comme un
prophète, mais ils croyaient pourtant qu'il devait être quelque chose de
plus, qu'il était sans doute celui qui devait venir avant le Messie.
Jésus leur expliqua que le Précurseur avait été Jean : il parla de tous
les signes auxquels ils devaient reconnaître le Messie, sans dire
pourtant expressément que c'était lui-même. Mais ils le comprirent et
ils sortirent de là pleins de vénération et d'une pieuse crainte.
Il alla ensuite de
nouveau chez l'Ancien avec ses disciples : ils mangèrent un peu de pain
et quelques herbes, après quoi ils retournèrent à leur logis. J'ai
oublié en Partie ce qui se passa le soir.
En général. Jésus est
accueilli ici avec une sympathie extraordinaire. Tout le monde accourt à
lui et veut lui rendre honneur. Il n'y a pas ici de sectes, pas de
contestations. Il a guéri plusieurs malades dans les maisons. Juifs et
païens vivent ici dans des rapports intimes, quoi que dans des quartiers
séparés. Les Juifs occupent deux rues. La maison des fils de Cyrinus est
un grand bâtiment carré : ils font le commerce et possèdent des navires.
Il y a ici un genre d'architecture particulier. J'ai vu beaucoup
d'édifices surmontés de tourelles et de clochetons, garnis de grillages
et de fenêtres grillées, et ornes de têtes de doguins. (Elle appelle
ainsi les mascarons, les têtes de lions et autres ornements de ce genre
en usage chez les païens.) Les habitants ont apporté à Jésus et à ses
disciples, aussitôt après leur arrivée, des présents, des chaussures et
des vêtements neufs. Jésus ne les porta que jusqu'à ce que les siens
fussent battus et nettoyés, car ensuite il les donna aux pauvres.
3
mai.— Aujourd'hui encore, Anne- Catherine raconta qu'elle s'était
trouvée dans l'île de Chypre, à la suite d'un long voyage où elle avait
beaucoup travaillé. Elle avait parcouru hier une partie des côtes de
l'Italie, aujourd'hui la partie opposée. - De là elle était allée
d'abord en Judée, puis à Chypre : elle avait deux fois passé la mer. De
ce qu'elle avait fait pendant ce voyage, elle se rappelait seulement
qu'elle avait eu de longs entretiens avec des ecclésiastiques en longues
robes, avec des ceintures et des bonnets d'une forme particulière. Ils
étaient allés dans la campagne en récitant des prières : ils avaient
l'air d'inspecter les lieux comme des gens qui cherchent à s'établir
quelque part. Elle était chargée de les adresser à diverses personnes
considérables, de leur donner des directions, et de leur préparer les
voies dans certains coeurs. Elle pense que ce sont peut être des
Jésuites.
Jésus se leva au
point du jour, suivant sa coutume, et il pria longtemps seul. Les
disciples firent de même. Là où cela est possible, Jésus va d'ordinaire
en plein air, dans quelque bouquet de bois solitaire, où il se tient un
peu appuyé contre un rocher ou un tertre de gazon. Le plus souvent il
lève les mains au ciel et s'entretient avec Dieu auquel il adresse de
vives et ferventes prières. J'ai vu souvent, par son exemple, combien
cette prière matinale est bonne et digne d'être imitée.
J'ai vu de nouveau
aujourd'hui l'hôpital dans lequel Jésus a guéri hier. C'est un bâtiment
rond qui s'étend autour d'une cour plantée au milieu de laquelle est un
réservoir d'eau. On y prend l'eau qui sert pour les bains mais avant de
boire cette eau, ou de l'employer à la cuisson des aliments ; on a soin
de la purifier en jetant certains fruits dans de grands vases qui la
contiennent. Dans le jardin, qui entoure cette fontaine, croissent des
plantes médicinales à l'usage de la maison. Un tiers de cette enceinte
est occupé par des femmes malades et séparé du reste par deux portes
fermées. A l'extérieur, le bâtiment est environné d'un fossé couvert
contenant une eau bourbeuse qu'on porte dans les champs comme engrais.
Hier, Jésus ne guérit ici que quelques hommes qui se levèrent aussitôt,
le suivirent dans la maison et en sortirent avec lui.
Ce matin, Jésus alla
à la synagogue : elle était déjà pleine de Juifs et entourée de païens.
Il parla si éloquemment du temps de grâce et de l'accomplissement des
prophéties, que beaucoup de gens versèrent des larmes. Il exhorta en
même temps à la pénitence et au baptême. Il y eut, en outre, lecture et
explication de quelques passages du Lévitique et de la Prophétie
d'Ézéchiel. L'instruction dura bien trois ou quatre heures.
Après cela, Jésus,
accompagné de quelques docteurs, de ses disciples, de Cyrinus et de ses
deux fils, se rendit à la maison de Cyrinus, où ils avaient été invités
à prendre leur repas. Cette maison est située entre la ville juive et la
ville païenne. A l'extrémité de cette dernière, Salamine a huit rues
dont deux habitées par les Juifs. Ils ne passèrent pas par celles-ci,
mais prirent un chemin qui passa t entre le quartier juif et le quartier
paien, sur le derrière des maisons. devant les grandes portes de la
ville. Près de ces portes, beaucoup de païens, hommes, femmes et
enfants, se tenaient rassemblés dans une attitude respectueuse. Ils
saluèrent timidement de loin Jésus et les siens. Plusieurs d'entre eux
l'avaient entendu enseigner dans l'école et ils avaient ensuite amené
leurs familles aux portes de la ville.
A l'extrémité de la
rue se trouve la maison de Cyrinus, à moitié bâtie dans les murs de la
ville païenne : c'est un grand édifice avec des cours et des bâtiments
de service.
Lorsqu'on l'aperçut à
quelque distance, on vit aussi s'avancer la femme, les enfants et les
serviteurs de Cyrinus, qui vinrent saluer Jésus et les siens. Il avait
cinq filles, des nièces et d'autres parents : tous ces enfants portaient
des présents qu'ils déposèrent sur des tapis aux pieds de Jésus, après
s'être inclinés profondément devant lui. Il s'y trouvait des raretés de
toute espèce : j'y vis des objets de formes diverses : il y avait de
l'ambre, un arbrisseau rouge sur un socle, et quelque chose que j'ai vu
récemment dans la mer Rouge. Chacun de ces enfants semblait vouloir
porter à Jésus ce qu'il avait de plus précieux, et comme tous ne
pouvaient pas lui remettre leurs cadeaux en main propre, ils les
présentaient à ses compagnons.
La maison de Cyrinus
est très spacieuse : elle est bâtie à la mode païenne, avec des
vestibules et des escaliers à l'extérieur. Sur le toit se trouve un
véritable jardin, où sont rangées dans des pots des plantes de toute
espèce. Tout était orné comme pour une fête : la table, plus haute que
les tables ordinaires, était recouverte d'un drap rouge, par dessus
lequel était une autre couverture à jour : je ne sais si elle était en
soie ou en paille très fine. Les lits qui entouraient la table étaient
aussi à la mode païenne : ils étaient moins longs que chez les Juifs.
Outre les disciples il n'y avait qu'une vingtaine de convives : les
femmes mangeaient à part.
Après le repas, on
fit la promenade habituelle du jour du sabbat dans la direction des
aqueducs. Jésus et ses disciples furent alors conduits par le nouveau
disciple Jonas à la maison de son père qui est située au milieu d'un
jardin, en dehors du quartier des Juifs. C'est une espèce de grande
ferme avec plusieurs séparations qui la font ressembler un peu à un
couvent. Le maître de la maison est un vieil Essénien. Plusieurs femmes
d'un certain âge occupent une partie séparée de l'habitation : ce sont,
à ce qu'il semble, des veuves de ses parentes, ses nièces ou ses filles.
Elles ont un costume qui a quelque chose de particulier : elles sont
vêtues tout en blanc et voilées. Le vieillard était très humble ; il
témoignait une joie d'enfant et il se fit conduire à la rencontre de
Jésus. Il ne savait que lui offrir, car il n'avait pas d'objets précieux
; mais il montrait du doigt tout ce qui l'entourait, lui-même, son fils
et ses filles, comme s'il eût dit : " Seigneur, tout ce que nous
possédons est à vous ; nous sommes à vous nous-mêmes et ce que j'ai de
plus cher, mon fils est à vous " ! Il invita Jésus et ses disciples à un
repas pour le lendemain.
De là Jésus alla de
nouveau près des aqueducs et il parla aux préposés de l'établissement
d'une fontaine où l'on pourra prendre des bains et qui est déjà préparée
: seulement il n'y a rien pour abriter les baigneurs et l'eau n'y vient
pas encore. Il faut l'obtenir des païens, soit gratuitement, soit à prix
d'argent. Elle vient de l'aqueduc, lequel, ici, dans la plaine, n'est
élevé que d'un étage ; il y a des réservoirs des deux côtés. L'eau vient
des montagnes qui sont au couchant. Le nouveau bassin, qui servira aussi
pour donner le baptême, a plus de quatre angles. On y descend par des
marches : il est entouré d'excavations circulaires qui se remplissent
d'eau quand on presse ou qu'on met en mouvement une manivelle placée
dans la fontaine centrale. Le tout est entouré d'un terrassement et il y
a là aussi un emplacement où l'on pourra enseigner, et au-dessus duquel
sont tendues des toiles.
Beaucoup de Juifs et
de païens s'étaient rassemblés là, et Jésus dit que le lendemain il y
instruirait ceux qui voudraient recevoir le baptême. Il fit une courte
instruction. Les Juifs qui l'accompagnaient parlaient beaucoup d'Élie et
d'Élisée : je crois que ces deux prophètes sont venus ici.
Des femmes juives
s'étaient placées sur le chemin avec des troupes d'enfants que Jésus
toucha ou qu'il attira à lui et qu'il bénit. Il y avait aussi plusieurs
maîtresses d'école ou mères païennes avec des voiles de couleur jaune :
elles se tenaient à part avec de belles filles sveltes et des petits
garçons : Jésus les bénit de loin en passant devant eux.
Tous se rendirent
avec Jésus à la synagogue pour la clôture du sabbat. Il enseigna encore
sur les sacrifices, d'après le Lévitique et Ézéchiel. Son langage eut
quelque chose d'extraordinairement doux et pénétrant : il expliqua les
lois de Moïse en les rattachant toujours à l'accomplissement actuel de
ce qui était signifié par elles. Il parla du sacrifice d'un coeur pur,
dit que les sacrifices avec leurs formes innombrables ne pouvaient plus
être d'aucune utilité, qu'il fallait purifier son âme et offrir ses
passions en sacrifice. Il ne laissa de côté, comme s'il y eût rejeté
quelque chose, aucune des prescriptions de la loi ; il résolut toutes
les questions, et par les explications qu'il donna du contenu de la loi,
il ne fit qu'exciter pour elle plus d'admiration et de respect. En même
temps il prépara au baptême et exhorta à la pénitence parce que les
temps étaient proches.
Sa parole et son
accent lurent ici, comme toujours, semblables à des rayons vivants, qui
réchauffaient et pénétraient profondément. Il parlait toujours avec un
calme et une énergie extraordinaires, jamais très vite, excepté dans
certaines discussions avec les Pharisiens ; alors ses paroles étaient
comme des traits acérés et son accent devenait plus sévère. Il a une
voix de ténor très mélodieuse, très pure et à laquelle aucune autre ne
peut être comparée. On l'entend distinctement au milieu du bruit
par-dessus toutes les autres voix sans que jamais il l'élève.
Les leçons et les
prières sont psalmodiées à la synagogue d'une façon qui ressemble au
plain-chant de la messe et des offices chez les chrétiens ; les Juifs
aussi chantent souvent à deux choeurs. Jésus lut les leçons à leur
manière.
Après Jésus un vieux
docteur très pieux adressa la parole à l'assemblée. Il avait une longue
barbe blanche : il était maigre, mais sa physionomie respirait la bonté
et la piété. Il n'était pas de Salamine : c'était un pauvre vieux rabbin
errant, qui allait dans l'île d'un lieu à l'autre, visitant les malades,
consolant les prisonniers, recueillant des aumônes pour les pauvres,
enseignant les ignorants et les enfants, consolant les veuves et parlant
en public dans les synagogues. Cet homme fut comme inspire de l'Esprit
Saint : il adressa au peuple un discours pour rendre témoignage à Jésus,
tel que je n'ai jamais entendu de rabbin en tenir de semblable en
public. Il leur énuméra successivement tous les bienfaits du Dieu
tout-puissant envers leurs pères et envers eux-mêmes, et il les exhorta
à lui rendre grâces de ce qu'il les avait laissés vivre jusqu'à la venue
d'un tel prophète et d'un tel docteur, et de ce que celui-ci exerçait la
miséricorde envers eux jusqu'à venir les trouver hors de la Terre
Sainte. Il rappela les miséricordes de Dieu envers leur tribu (c'était
celle d'Issachar), et il les exhorta à se convertir et à faire
pénitence. Je me souviens qu'il dit que Dieu maintenant ne serait pas
aussi sévère que lorsqu'il avait frappé de mort les adorateurs et
fabricateurs du veau d'or. Je ne sais plus bien à quoi cela se
rattachait : peut-être que beaucoup d'hommes de la tribu d'Issachar
avaient été du nombre de ces idolâtres. Il parla aussi d'une manière
surprenante touchant Jésus : il dit qu'il le regardait comme plus qu'un
prophète, qu'il n'osait pas dire qui il était, que l'accomplissement des
promesses était proche, il1"tous devaient se proclamer bienheureux
d'avoir entendu de tels enseignements d'une telle bouche, et d'avoir
assez vécu pour voir l'espérance et la consolation d'Israël. Le peuple
fut extrêmement touché. Beaucoup pleuraient de joie. Tout cela se passa
en présence de Jésus, qui se tenait tranquillement à l'écart avec ses
disciples.
Ensuite Jésus alla
avec les siens prendre le repas du soir chez l'ancien. La conversation
fut très animée. Ils prièrent Jésus de rester avec eux. Ils parlèrent
des prédictions de quelques prophètes qu'on appliquait au Messie et où
il était parlé de persécutions et de souffrances : toutefois ils
espéraient qu'il n'avait rien de semblable à craindre. Ils lui
demandèrent s'il était le précurseur du Messie ; mais il leur parla de
Jean-Baptiste, il leur dit aussi qu'il ne pouvait pas rester parmi eux.
Un des assistants, qui avait voyagé en Palestine, en vint à parler de la
haine des Pharisiens pour Jésus et il s'éleva fortement contre ceux-ci.
Mais Jésus lui reprocha sa sévérité et il parla pour excuser et atténuer
leurs torts.
Je me souviens ici
qu'hier, ayant entendu ma Barde dire du mal du prochain, je l'avais
reprise avec trop peu de douceur. Je pensai aux discours de Jésus :
hélas ! cela me touche directement. Aujourd'hui encore une fois je me
trouvai moi-même faire partie du tableau qui me fut montré. Je vis qu'en
certains lieux on commençait à couper le blé ; mais le moment de la
moisson n'était pas encore venu et je me dis : Ce sont des
coupeurs affamés, comme on appelle chez nous
les gens qui coupent avant les autres. Mais je vis ça et là de belles
fleurs de camomille bien plus grosses que celles qui sont dans nos
champs et je me dis : Je voudrais bien que ma petite nièce,
Marie-Catherinette, pût en cueillir pour mes maux d'yeux avant qu'elles
ne soient coupées par ces gens ! une chose aussi me parut singulière,
c'est qu'on fût là au mois de mai, tandis que je pensais être au mois
d'octobre, vivant comme je le fais dans ma chambre, à Dulmen. Dans ce
pays, le froment est épais et touffu comme le roseau : on ne coupe la
paille que deux largeurs de main au-dessous de l'épi. La Soeur parle
aussi d'une plante touffue et grimpante comme les pois, dont elle décrit
les longues cosses avec les fèves qu'elle renferme : elle décrit de même
plusieurs autres plantes, mais dans le patois de son pays et en termes
trop vagues pour pouvoir être reproduits. Les pentes des montagnes sont
couvertes de vignes, il y a aussi de longues rangées d'oliviers et de
figuiers, des arbustes et des arbres qui donnent du coton et beaucoup
d'autres fruits et légumes. Elle décrit encore des herbes tinctoriales
et aromatiques et des baies de toute espèce. Je vois dans le lointain,
dit-elle, des animaux en grandes troupes : ce sont, je crois, des
montons. Il doit y avoir dans ce pays beaucoup de cuivre et d'autre
métal du même genre, car on y a une quantité de chaudrons de couleur
jaune.
Je me souviens
confusément qu'au temps où Madeleine vivait dans sa grotte en France,
Lazare s'était réfugié ici, forcé de quitter Marseille à la suite d'un
soulèvement.
Je vois la patrie de
Barnabé à trois lieues environ d'ici, dans l'intérieur des terres, près
d'une forêt : je crois qu'on y fait le commerce de bois et qu'on y
prépare des pièces pour la construction des navires. Il me semble que
les parents de Mnason demeurent plus loin.
Devant Salamine, je
vois tresser des cordes d'une longueur extraordinaire qui servent pour
les navires et pour faire des filets. On doit aussi fabriquer là des
couvertures et des draps ; il y a de longs tréteaux où des étoffes de
toute espèce sont suspendues et flottent au vent.
J'ai oublié de dire
que près de la maison de Cyrinus il y a de grandes caves où se trouvent
des vases de toute espèce contenant des épices et des herbes
aromatiques. Il en a beaucoup cueilli sur le Thabor. On prépare là des
parfums de toute espèce ; c'est une odeur comme celle d'une pharmacie.
Cyrinus fait le commerce des épices.
4
mai. — Je vis de très grand matin Jésus se retirer à l'écart pour
prier. Le plus souvent il est déjà sorti quand les autres dorment
encore. Je sentis à cette occasion combien la prière matinale est
agréable à Dieu. Jésus alla ensuite à l'hospice avec les disciples. Il
guérit plusieurs malades et les prépara au baptême dans la cour, près de
la fontaine. Plusieurs allèrent avec lui dans des coins retires et
confessèrent leurs fautes. Il fit aussi mettre à part de l'eau destinée
aux baptêmes dans des baignoires où plus tard ces gens furent baptisés
par les disciples.
Après cela, je vis
Jésus aller à la nouvelle fontaine baptismale où plusieurs personnes
étaient occupées à faire divers arrangements pour lesquels il leur donna
des conseils. Cependant une foule nombreuse se rassembla autour du
tertre qui était près de là, car il était venu beaucoup de gens des
environs et on avait dressé quelques tentes et élevé quelques cabanes de
feuillage près des aqueducs. Ils étaient arrivés hier soir après le
sabbat, soit pour entendre Jésus, soit pour leurs affaires et leurs
travaux. Il y avait parmi eux des faucheurs à cause de la moisson qui
était proche, et aussi des marchands et des vendeurs de bestiaux qui
campaient près de l'aqueduc avec leur bétail. Beaucoup de païens de
Salamine s'étaient joints a eux ainsi que beaucoup de Juifs du quartier
israélite. Jésus enseigna jusque vers dix heures, abrité par une toile
tendue au-dessus de lui : les assistants, à cause du soleil, se tenaient
sous des cabanes de feuillages, des tentes et des pavillons. Il parla de
sa mission, de la pénitence, de la réconciliation et du baptême : il dit
aussi quelque chose de la prière et de l'oraison dominicale.
Sur ces entrefaites,
un païen qui avait l'air d'un soldat ou d'un employé de tribunal, vint
trouver les préposés et leur dit que le gouverneur romain de Salamine
désirait parler au nouveau docteur et l'engageait à se rendre auprès de
lui. Il dit cela d'un ton assez sévère, comme s'il eût trouvé mauvais
qu'ils ne lui eussent pas amené Jésus dés son arrivée. Ils firent
prévenir Jésus par ses disciples pendant une pause : il répondit qu'il
irait et continua à enseigner. Lorsqu'il eut fini, il suivit avec ses
disciples et les anciens le messager du gouverneur. Ils avaient bien une
demi lieue à faire sur le chemin par où Jésus était venu du port, avant
d'arriver à la principale porte de Salamine qui était une grande et
belle arcade avec des colonnes. Sur le chemin, comme ils passaient
devant des jardins et de grandes constructions, je vis çà et là des
ouvriers païens et d'autres personnes les observer et regarder Jésus :
plusieurs toutefois intimidés à son approche se cachaient derrière des
buissons et des murs. Entrés à Salamine, ils marchèrent bien encore une
demi-heure et arrivèrent à une grande place. Beaucoup de gens se
tenaient ça et là sur les galeries qui environnaient les cours, derrière
des grilles et devant les portes. A quelques coins de rue et sous des
arcades se tenaient des femmes païennes avec des troupes d'enfants,
toujours rangés trois par trois, les uns à la suite des autres. Les
femmes couvertes de leurs voiles s'inclinaient devant Jésus : parfois
des enfants ou même des femmes s'avançaient et offraient à Jésus ou à
ses compagnons de menus présents : c'étaient des paquets d'aromates, des
parfums dans de petites boîtes, de petits gâteaux de couleur brune et
des figures d'une odeur agréable, représentant des étoiles ou d'autres
objets. Ce doit être un usage du pays, une manière respectueuse de
souhaiter la bienvenue.
Jésus s'arrêtait un
instant prés de ces groupes, il les regardait d'un air grave et
bienveillant, et les bénissait de la main sans les toucher.
Je vis ça et là des
idoles : ce n'étaient pas comme en Grèce et à Rome, de belles figures
sans vêtements : elles ressemblaient à celles de Tyr, de Sidon et de
Joppé. Je vis des figures dont la partie inférieure était recouverte
comme d'ailes ou d'écailles : le milieu du corps était plus mince et
entouré d'une ceinture : elles avaient une poitrine de femme, et plus
haut des bras et des rayons, ou plusieurs ailes grandes et petites. J'en
vis aussi quelques-unes qui étaient emmaillotées comme de petits
enfants.
A mesure qu'on
avançait dans la ville, un nombre toujours croissant de personnes
faisait cortège à Jésus et la foule arrivait de tous les côtés sur la
place. Au centre de cette place se trouve une belle fontaine : on y
descend par des degrés et l'eau bouillonne dans le milieu du bassin. Il
y a au-dessus un toit supporté par des colonnes, et tout autour règnent
des galeries ouvertes avec de jolis arbustes et des fleurs. La porte qui
conduit à la fontaine est fermée. Ce n'est que par privilège qu'on
obtient de son eau, parce qu'elle est la meilleure de la ville et
qu'elle passe pour très salubre.
Vis-à-vis de cette
fontaine s'élève le palais du gouverneur, qui est orné de colonnes Sur
une terrasse en saillie, sous un toit soutenu par des colonnes, se
tenait le gouverneur romain, assis sur un siège de pierre d'où il voyait
venir Jésus. C'était un homme de guerre : il portait un vêtement blanc,
avec quelques raies rouges, serré autour de la taille. Son justaucorps
descendait jusqu'aux reins et se terminait par des lanières ou des
franges. Ses jambes étaient lacées. Il avait en outre un manteau court
de couleur rouge et sur la tète un chapeau qui ressemblait un peu à un
plat à barbe. Je vis derrière lui quelques soldats romains sur les
degrés de la terrasse.
Tous les païens
furent surpris des marques de respect qu'il donna à Jésus : car à son
arrivée, il descendit au bas de la terrasse, prit la main de Jésus avec
une espèce de mouchoir qu'il avait dans la sienne et la pressa avec
l'autre main, où était l'autre extrémité du mouchoir. Il fit en même
temps une légère inclination, et aussitôt il monta sur la terrasse avec
Jésus. Il lui parla de la manière la plus amicale et l'interrogea avec
curiosité sur beaucoup de choses. Il lui dit qu'il avait entendu parler
de lui comme d'un docteur plein de sagesse, ajoutant que, quant à lui,
il était plein de respect pour la loi des Juifs. Était-il vrai que Jésus
fit tous les prodiges que la renommée lui attribuait ? D'où lui venait
ce pouvoir ? Était-il le consolateur promis, le Messie des Juifs ? Les
Juifs attendaient un roi. Était-il ce roi? Avec quelles forces alors
voulait-il prendre possession de son royaume` ? Avait-il une armée
quelque part ? Ne venait-il pas dans l'île de Chypre pour recruter des
partisans parmi les juifs qui s'y trouvaient ? Tarderait-il longtemps
encore à se montrer dans toute sa puissance ? Le gouverneur lui fit
beaucoup de questions de ce genre avec une gravité bienveillante et avec
un respect et une émotion visibles. Jésus répondit toujours en termes
vagues, généraux, ce qu'il faisait, du reste, ordinairement avec les
magistrats qui l'interrogeaient de la sorte, disant, par exemple : "
Vous le dites ; on le croit ; le temps où la promesse doit s'accomplir
est proche, les prophètes l'ont dit ainsi ". A la question touchant son
royaume et son armée, il répondit que son royaume n'était pas de ce
monde, l que les rois de la terre avaient besoin de soldats, mais que
lui, il recrutait les âmes pour le royaume du Père tout-puissant,
créateur du ciel et de la terre. Il entremêla ses ' réponses
d'enseignements pleins de profondeur, et ses paroles, comme sa personne,
firent une vive impression sur le gouverneur.
Cependant, le
gouverneur avait ordonné de porter des . rafraîchissements près de la
fontaine, sur la place, et il invita Jésus et les siens à le suivre
jusque-là.- ils considérèrent la fontaine et prirent un peu de
nourriture : la collation avait été déposée sur un banc de pierre
recouvert d'un tapis. Il y avait des écuelles brunes contenant un
liquide de même couleur dans lequel ils trempèrent des gâteaux : ils
mangèrent aussi des bâtons de la longueur du bras et de deux pouces
d'épaisseur: c'étaient, je crois, des conserves ou des fromages ; il y
avait aussi des fruits et des pâtisseries en forme d'étoiles ou de
fleurs. Il y avait de petites urnes pleines de vin. D'autres urnes,
d'une matière veinée de diverses couleurs, ayant la même forme que les
urnes de Cana, seulement plus petites, étaient remplies d'eau de la
fontaine. Le gouverneur parla de Pilate, des violences exercées par lui
dans le Temple et en général de toute sa conduite avec une
désapprobation marquée : il dit aussi quelque chose de la chute de
l'aqueduc de Siloë.
Jésus, au bord de la
fontaine, eut avec lui un entretien sur l'eau, sur les diverses sources
troubles, limpides, amères, salées et douces, sur leur efficacité très
différente, sur la manière dont elles étaient maintenues dans des puits
ou distribuées dans des canaux, il en vint ensuite à parler de la
doctrine des Juifs et de celle des païens, de l'eau du baptême, de la
régénération des hommes par la pénitence et la foi, qui devait faire
d'eux tous des enfants de Dieu. Ce fut une instruction merveilleuse, qui
avait quelque chose de l'entretien avec la Samaritaine près du puits de
Jacob. Ses paroles firent une grande impression sur le gouverneur, qui
as ait déjà beaucoup de penchant pour les Juifs.
Après midi, Jésus
alla avec ses compagnons dans la maison de l'Essénien, et le gouverneur
lui témoigna le désir de l'entendre souvent. Il n'y a, ait pas ici une
si grande séparation qu'ailleurs entre les Juifs et les païens : les
Juifs les plus intelligents, spécialement les adhérents de Jésus, même
en Palestine, acceptaient à manger et à boire de la part des gens de
distinction ; seulement, ici comme ailleurs, toujours dans des vases
différents. Quand Jésus s'en retourna, beaucoup de païens le saluèrent
avec encore plus de déférence, portés à cela par la manière d'agir du
gouverneur.
Il y a dans ce pays
une incroyable quantité de fleurs : mais on y fait aussi de très jolies
fleurs artificielles avec de la laine de couleur, de la soie et des
plumes. Je vis les enfants païens que Jésus bénissait, parés pour la
plupart de fleurs de cette espèce. Les petites filles, comme les
garçons, avaient des vêtements très courts et très légers : les plus
petits et les plus pauvres étaient tout à fait nus, à l'exception d'une
pièce d'étoffe roulée autour des reins. Les jeunes filles appartenant à
la classe aisée portaient par dessus un petit jupon une petite robe
d'étoffe jaune, très légère et presque transparente, qui n'allait pas
tout à fait aux genoux et qui, à la ceinture, aux extrémités et ailleurs
encore, était richement brochée de fleurs de laine bariolée, comme
celles dont j'ai parlé. Elles portaient sur les épaules une pièce
d'étoffe légère qui se croisait sur la poitrine ; autour des bras et sur
la tête, elles avaient le plus souvent des guirlandes de ces fleurs
artificielles. On doit se livrer ici à la culture de la soie : car je
vois des arbres étalés avec soin contre les murs et sur lesquels rampent
beaucoup de vers qui, plus tard, filent leurs cocons ; je ne sais
pourtant pas si ce sont de vrais vers à soie.
Jésus vint vers deux
heures dans la maison de l'Essénien, père de Jonas. Il n'y avait avec
lui que ses disciples et quelques docteurs ; on lui lava les pieds à son
entrée. Tout y était beaucoup plus simple et plus rustique que là où il
avait été reçu précédemment. C'est une famille considérable appartenant
à la classe des Esséniens qui se marient, mais sans cesser de mener une
vie simple, pieuse et très tempérante. Les femmes étaient des veuves
avec des enfants déjà adultes ; c'étaient les filles du vieillard et
elles vivaient réunies à lui. Jonas, le disciple, était un fils que le
vieillard avait eu plus tard et dont la mère était morte en le mettant
au monde. Il l'aimait d'autant plus qu'il était son fils unique : il
avait eu de grandes inquiétudes à son sujet, car il y avait déjà plus
d'un an qu'il était absent. Il croyait ne plus le revoir jamais,
lorsqu'il eut de ses nouvelles par Cyrinus, dont les fils l'avaient
rencontré à la fête et à Dabrath, près du Thabor. Jonas avait voyagé
comme font souvent les jeunes étudiants ; il avait visité les lieux les
plus remarquables de la Terre Sainte, était allé chez les Esséniens de
Judée, avait visité le tombeau de Jacob, près d'Hébron, et celui de
Sara, entre Jérusalem et Bethlehem (celui-ci était alors au bord du
chemin, maintenant il en est un peu écarté). Il avait vu Bethlehem ; il
était monté sur le Carmel et sur le Thabor. Ayant entendu parler de
Jésus, il avait assisté à une instruction faite sur la montagne avant
que Jésus allât dans le pays des Gergéséniens : puis, après les fêtes de
Pâques, il était allé de Dabrath, avec les fils de Cyrinus, entendre le
dernier sermon prêché près de Gabara ; c'était là qu'il avait été
accepté par Jésus comme disciple, après quoi il était revenu dans sa
patrie.
Le repas eut lieu
dans une espèce de jardin avec de longues et épaisses charmilles; la
table était un petit tertre de gazon avec des couvertures posées sur des
planches ; sur l'un des côtés de cette table étroite qui formait un
petit terrassement s'étendaient les couches des convives, lesquelles
étaient aussi taillées dans le gazon et recouvertes de nattes Le repas
était très frugal : c'étaient des gâteaux, une sauce dans laquelle on
trempait des herbes, de la viande d'agneau et des fruits ; il y avait de
petites cruches sur la table. Les femmes étaient à part, toutefois plus
en rapport avec les convives que je ne les ai vues ailleurs ; elles
apportèrent les mets la tête couverte de leur voile ; ensuite elles
s'assirent à quelque distance pour écouter les discours de Jésus. Il y
avait sur les côtés du jardin des rangées de cabinets de verdure très
touffus et séparés les uns des autres ; je crois que c'est un second
jardin servant d'oratoire. Cette famille forme une toute petite
communauté essénienne ; ils vivent des produits de leurs champs et de
l'élève des bestiaux ; il y a aussi parmi eux des fileuses et des
tisserands.
Le vieillard eut avec
Jésus un entretien où il fut question du meurtre de Jean-Baptiste et des
prophéties. J'ai oublié le reste.
Jésus alla d'ici avec
les disciples à la nouvelle fontaine baptismale, et il prépara plusieurs
Juifs au baptême par une instruction sur la pénitence. Je l'ai vu aussi
bénir l'eau qui devait servir pour le baptême. Autour de la fontaine.
centrale étaient quelques bassins circulaires, tous au ras du sol. Ces
bassins étaient entourés de petits fossés dans lesquels les néophytes
descendaient par deux degrés. Au bord du bassin se tenait le ministre du
baptême et il versait l'eau sur la tête du néophyte courbé au-dessus du
bassin ; derrière celui-ci se tenaient les parrains qui lui imposaient
les mains. En pressant un piston dans le bassin central on faisait venir
l'eau dans les fossés et les autres bassins. Je vis près de trois de ces
bassins Barnabé, Jacques et Azor, administrer le baptême. J'avais vu
auparavant Jésus verser dans les bassins un peu d'eau du Jourdain, prise
à l'endroit où il avait été baptisé et apportée de Judée dans une outre
de cuir aplatie ; il avait ensuite béni ce mélange. Après le baptême,
toute cette eau baptismale fut non seulement versée de nouveau dans le
bassin central, mais on recueillit ce qui en restait avec un linge qui
fut tordu au-dessus de la fontaine. Les néophytes avaient de petits
manteaux blancs qui leur couvraient la partie supérieure du corps.
Je vis ensuite Jésus
aller dans la direction de l'ouest entre des jardins et des murs, à un
endroit où l'attendaient plusieurs païens de la connaissance de Cyrinus
auxquels celui-ci avait inspiré le désir de recevoir le baptême. Il le
prit à part successivement pour les préparer, et une trentaine d'entre
eux furent baptisés par Barnabé dans de maisons attenantes aux jardins
où ils avaient fait porte de l'eau dans des bassins. Jésus bénit cette
eau.
5
mai .--Outre les deux rues habitées par les Juifs, il y a encore
près de Salamine toute une ville juive. D'un des côtés de Salamine
s'élève une tour ronde d'une grosseur extraordinaire avec des
couronnements de toute espèce c'est comme une forteresse. Il y a dans la
ville plusieurs temples, parmi lesquels il y en a un extrêmement grand
On peut monter sur le haut, de l'extérieur comme de l'intérieur. Il s'y
trouve une très grande quantité de colonne dont quelques-unes si
épaisses qu'on a pratiqué au dedans des escaliers et des chambres, et
qu'une partie du peuple peut monter par là pour aller occuper des
tribunes. A de lieues environ de Salamine je vois une autre ville
considérable.
Vers le couchant, en
avant de la ville, je vis arriver un cortège d'étrangers qui campèrent
dans des cabanes de toile. Ils doivent être venus de l'autre côté de
l'île ; je croyais d'abord qu'ils venaient de Rome, qui est dans cette
direction. Ils ont avec eux des femmes, et beaucoup de boeufs très gros
et d'une allure très lente qui ont de larges cornes et la tête toujours
baissée ; ils vont deux par deux, ayant sur le des de longues barres de
bois sur lesquelles ils portent des fardeaux. Je crois qu'ils sont venus
en partie à cause de la moisson, qu'ils ont apporté des marchandises et
qu'ils doivent remporter du blé.
Jésus fit aujourd'hui
une très longue instruction devant les Juifs et les païens rassemblés
sur la place qui est près de la fontaine baptismale. Il parla de la
moisson, de la multiplication du blé et de l'ingratitude des hommes que
les plus grandes merveilles opérées par Dieu trouvent si indifférents ;
il dit que les ingrats seraient traités comme la paille et les mauvaises
herbes, qu'ils seraient jetés au feu. Il dit encore comment d'un seul
grain de blé finissait par sortir toute une moisson, comment tout
provenait d'un seul Dieu tout-puissant, créateur du ciel et de la terre,
père de tous les hommes, qui les nourrissait, les récompensait et les
punissait. Il dit encore comment au lieu d'implorer Dieu leur père, ils
s'adressaient à des créatures, à des souches de bois mort, comment ils
passaient avec indifférence devant les merveilles de Dieu et admiraient
les oeuvres des hommes, brillantes en apparence, mais au fond bien
misérables, et s'engouaient de tous les charlatans, de tous les
sorciers, jusqu'à leur rendre de grands honneurs. Son discours roula
aussi sur les divinités païennes, sur toutes les idées absurdes qu'on
s'en faisait, sur leur culte et sur toutes les abominations qu'on
racontait d'elles. Il parla alors des divers dieux et s'adressa à
lui-même des demandes auxquelles il répondait, disant par exemple : "
Qui est celui-ci ? qui est celui-là ? et qui est son père " ? Puis il
exposa tout le fatras des généalogies et des familles de leurs dieux,
toutes les choses honteuses qu'on racontait d'eux, et il montra dans
tout cela une confusion déplorable et des abominations qui ne pouvaient
pas se trouver dans le royaume de Dieu, mais seulement dans le royaume
du père du mensonge. Il parla des divers attributs, souvent
contradictoires, de ces divinités et il en donna l'explication.
Quelque nettes et
quelque sévères que fussent les paroles de Jésus, tout cela cependant
était si intéressant, si instructif et réveillait tant de pensées chez
les auditeurs, qu'ils ne pouvaient en être choqués, d'autant qu'ici il
attaquait les païens avec beaucoup plus de ménagements qu'en Palestine.
Il dit aussi quelque chose de la vocation des gentils au royaume de
Dieu, et dit que beaucoup d'étrangers viendraient de l'orient et de
l'occident pour occuper les sièges des enfants de la maison qui
repoussaient le salut loin d'eux.
L'instruction fut
suspendue pendant un certain temps. Jésus mangea et but quelque chose et
les assistants se communiquèrent leurs impressions. Alors des
philosophes païens s'approchèrent et l'interrogèrent sur certains points
qu'ils n'avaient pas compris et aussi sur quelque chose que, suivant une
tradition conservée par leurs ancêtres, Elle aurait dit pendant son
séjour ici. J'ai oublié de quoi il s'agissait. Jésus leur donna des
explications à ce sujet, puis il continua à enseigner sur le baptême et
aussi sur la prière, à propos de la moisson et du pain de chaque jour.
Plusieurs païens ont reçu de son instruction des impressions salutaires
qui les ont conduits à réfléchir sérieusement ; d'autres auxquels son
discours ne plaisait pas se sont retirés.
Je vis alors beaucoup
de Juifs recevoir le baptême à la fontaine baptismale. J'oublie toujours
la formule du baptême : le nom de Jéhova s'y trouve. Ils se tenaient
trois par trois autour de chaque bassin : l'eau qui coulait dans les
fossés leur allait jusqu'aux mollets.
Jésus se rendit
ensuite avec les siens et quelques-uns des docteurs à la ville juive
séparée, qui est au nord à une demi lieue environ. Plusieurs de ses
auditeurs le suivirent et il s'entretint tout le long du chemin avec
différents groupes. La route passe souvent sur des points élevés, et
l'on a alors les prairies et les jardins au-dessous de soi ; il y a
aussi ça et là des rangées d'arbres ou de grands arbres isolés sur le
chemin par lequel on monte : on y trouve des sièges à l'ombre. Je me
suis assis plus d'une fois sur l'un d'eux ; l'on pouvait voir de là dans
la campagne environnante plusieurs villages et des champs de blé qui
jaunissaient. Quelquefois le chemin passe sur le roc nu qui couvre de
larges espaces ; j'y vis creuser des rangées de cellules, destinées, je
pense, aux ouvriers des champs.
Devant la ville juive
il y a une jolie hôtellerie ou un lieu de plaisance ; la suite de Jésus
y entra et il dit aux autres personnes qui l'accompagnaient de se
retirer. Ici les disciples lavèrent les pieds à Jésus et se les lavèrent
les uns aux autres ; puis ils détachèrent leurs robes qu'ils avaient
relevées et entrèrent avec lui dans la ville juive.
Pendant le lavement
des pieds, je vis près de la maison, sur l'un des côtés de la grande
route qui longeait cet endroit, de légères constructions semblables à
des hangars d'une grande longueur ; beaucoup de femmes et de filles
juives s'y occupaient à choisir, à ranger et à mettre de côté des
fruits, que des espèces d'esclaves ou de servantes apportaient des
jardins ou des plantations du voisinage. Il y avait des fruits de
grosseurs diverses et aussi des baies de toute espèce. Elles les
triaient et les classaient ; elles en mettaient quelques-uns comme dans
du coton et les rangeaient sur des planches les uns au-dessus des
autres. D'autres s'occupaient du coton lui-même, l'épluchaient et le
mettaient en paquets. Je vis ces ménagères baisser leurs voiles aussitôt
que les hommes se montrèrent sur le chemin. Il y avait plusieurs
divisions dans les hangars. Cela me sembla une maison commune pour la
récolte des fruits, où l'on mettait aussi à part ce qui était destiné à
payer la dîme et aux aumônes. Il y régnait une grande activité.
Jésus se rendit avec
ses compagnons à l'habitation des rabbins qui était attenante à la
synagogue. Le plus ancien des rabbins le reçut poliment, mais avec une
réserve peu aimable. Il offrit à Jésus la réfection accoutumée et lui
tint quelques propos insignifiants sur sa visite dans ce pays, sa grande
réputation, etc. On savait que Jésus était arrivé et plusieurs malades
imploraient son assistance. Alors Jésus alla dans leurs maisons avec les
rabbins et les disciples et il guérit beaucoup de gens boiteux et
perclus. Ceux qui étaient ainsi guéris et leurs familles suivaient Jésus
lorsqu'il sortait de chez eux et proclamaient ses louanges. Mais il les
renvoya et leur fit défendre d'en agir ainsi. Dans les rues des femmes
vinrent à sa rencontre avec des enfants qu'il bénit ; d'autres lui en
amenèrent qui étaient malades et il les guérit.
Ainsi se passa
l'après-midi jusqu'au soir où Jésus se rendit avec le rabbin à un repas
donné en son honneur, qui coïncidait d'ailleurs avec l'ouverture de la
moisson et s'y rattachait en partie. On y donna à manger aux pauvres et
aux ouvriers et Jésus loua beaucoup cet usage. On les faisait venir des
champs par troupes et on leur donnait des aliments sur de longues tables
qui ressemblaient à des bancs de pierre. Jésus les servit à plusieurs
reprises ainsi que les disciples et il les enseigna en paraboles mêlées
de courtes sentences. Plusieurs docteurs juifs assistaient au repas ;
cependant en général ils n'étaient pas si bien disposés ni si ouverts
que les Juifs qui avaient hébergé Jésus à Salamine. Ils avaient quelque
chose de pharisaique, et quand ils se furent un peu échauffés ils
tinrent quelques propos blessants. "N'aurait-il pas mieux fait, disaient
ils, de rester en Palestine ? Que venait-il chercher chez eux ? Pourvu
qu'au moins il ne causât pas de troubles dans le pays. Voulait-il y
rester longtemps " ?, ils touchaient aussi divers points de sa doctrine
et de sa manière d'agir que les Pharisiens de la Palestine ressassaient
sans cesse. Jésus fit ses réponses accoutumées, avec sévérité ou avec
douceur, selon qu'ils se montraient plus ou moins civils. Il dit qu'il
était venu ici pour pratiquer des oeuvres de miséricorde e pour faire la
volonté de son Père céleste. Le colloque fut très animé et amena une
sévère mercuriale de Jésus, où, tout en louant leur charité envers les
pauvres et tout ce qui chez eux méritait des éloges, il blâma
énergiquement tout ce qui sentait l'hypocrisie. Il était déjà tard
lorsque Jésus se retira avec les siens. Les rabbins l'accompagnèrent
jusqu'à la porte de la ville.
Jésus étant revenu à
son logis avec ses disciples, un païen vint à lui et le pria de
l'accompagner à quelques pas de la, jusqu'à un jardin où l'attendait une
personne très affligée qui implorait son assistance. Jésus y alla avec
les disciples, et comme il vit entre les murs qui bordaient le chemin
une femme païenne qui s'inclina devant lui, il dit aux disciples de se
retirer à quelque distance et demanda à cette femme ce qu'elle désirait.
C'était une femme très singulière, tout à fait dénuée d'instruction,
profondément enfoncée dans le paganisme et dans les pratiques
religieuses les plus honteuses. La vue de Jésus avait jeté le trouble
dans son âme ; elle avait le sentiment qu'elle faisait mal ; mais la foi
simple lui manquait et elle avait une manière très confuse de s'accuser.
Elle dit à Jésus qu'ayant appris qu'il avait secouru Madeleine, et aussi
l'hémorroïsse qui avait seulement touché le bord de sa robe, elle lui
demandait aussi son assistance, car le culte de la déesse était devenu
intolérable pour elle. Elle reconnaissait que ce culte impur exigeait
d'elle des choses condamnables ; elle le priait de vouloir bien la
guérir et l'instruire, mais elle craignait qu'il ne put pas la guérir
parce qu'elle n'avait pas une maladie corporelle comme l'hémorroïsse.
Elle confessa qu'étant mariée et ayant trois enfants, l'un d'eux était
le fruit d'un adultère dont son mari n'avait pas connaissance. Elle
avait des relations avec le gouverneur romain. Lorsque Jésus, la veille,
était allé voir ce gouverneur à Salamine, elle l'avait regardé par une
fenêtre et avait vu briller une auréole de lumière autour de sa tête, ce
qui l'avait toute bouleversée. Elle avait cru ; d'abord que c'était un
sentiment d'amour pour lui, mais cette pensée avait fait naître en elle
une horrible angoisse et elle était tombée sans connaissance.
Lorsqu'elle avait repris ses sens, toute sa vie et l'état de son âme
s'étaient montrés à elle comme quelque chose de si effrayant que depuis
lors elle n'avait pas eu un moment de repos. Elle s'était enquise de
lui, et des femmes juives lui avaient raconté la guérison de Madeleine
et celle de l'hémorroïsse (Enoné de Césarée de Philippe) ; maintenant
elle le suppliait de la guérir aussi s'il était possible. Jésus lui dit
que l'hémorroïsse avait eu une foi simple, qu'elle n'avait ni délibéré
longuement ni cherché des explications, qu'elle s'était glissée
secrètement dans la foule, qu'elle avait cru fermement à sa guérison si
elle touchait seulement le bord de son vêtement, et que sa foi l'avait
guérie.
Cette femme
inconsidérée demanda encore à Jésus comment il avait pu savoir que
l'hémorroïsse l'avait touché et qu'il l'avait guérie, elle n'avait
aucune idée de Jésus et de son pouvoir : toutefois elle implorait son
assistance du fond du coeur. Mais Jésus la congédia : il lui enjoignit
de renoncer à sa vie ignominieuse, lui parla du Dieu tout-puissant et de
ses commandements où il est dit : Tu ne commettras pas d'adultère. Il
lui représenta toute l'abomination de l'impudicité devant laquelle sa
nature même se révoltait dans le culte impur de ses idoles, et lui
adressa des paroles à la fois si sévères et si miséricordieuses, qu'elle
se retira fondant en larmes et toute contrite. Elle s'appelait Mercuria
: c'était une grande femme d'environ vingt-cinq ans ; elle était
enveloppée dans un manteau blanc, long et large par derrière et tombant
assez bas par devant ; il formait un capuchon autour de la tête. Le
reste du vêtement était également blanc, mais avec des bordures de
couleur. Les étoffes dont s'habillent ces païennes sont si moelleuses et
si souples qu'elles accusent toutes leurs formes.
Sainte Catherine
était de Salamine ; j'ai appris cette fois que ses ancêtres étaient des
païens.
On baptisera ici à
différentes fontaines. Le peuple campe ça et là.
6
mai. — Aujourd'hui pendant toute la matinée les disciples ont
baptisé près de la fontaine. Je vis Jésus enseigner en différents
endroits, près des aqueducs et ailleurs. Il enseigna principalement en
paraboles relatives à la moisson, puis sur le pain quotidien, la manne,
le pain de vie qui devait venir et l'unité de Dieu. Les travailleurs
étaient divisés par groupes pour la moisson, et je vis Jésus les
enseigner à mesure qu'ils passaient devant lui. Les gens qui campaient
ici sous des tentes étaient des Juifs venus à cause de Jésus. Ils
avaient amené des malades sur leurs bêtes de somme ; ceux-ci furent
aujourd'hui portés dans des litières sous des pavillons et sous des
arbres dans le voisinage de l'endroit où Jésus enseignait. Le Sauveur
guérit une vingtaine de boiteux et de perclus.
Vers dix heures, je
vis Jésus interrogé par plusieurs païens instruits qui, pour la plupart,
avaient assisté à son instruction de la veille. Ils lui demandèrent des
explications sur divers points et tout en se promenant dans des allées
voisines de l'aqueduc, ils eurent avec lui un long entretien touchant
leurs dieux ; il fut surtout question d'une déesse sortie de la mer ici
même, et d'une autre représentée dans son temple avec un corps de
poisson et dont le nom est Dercéto '. Ils s'enquirent aussi d'une
tradition touchant Élie, qui avait cours parmi les Juifs : suivant cette
tradition, le prophète avait vu s'élever de la mer une nuée qui n'était
autre qu'une vierge : or ils voulaient savoir où elle était descendue,
car d'elle devait sortir un roi, bienfaiteur de toute la terre, et
d'après les calculs, le temps de son avènement devait être venu. Ils
mêlaient à cela l'histoire d'une étoile que leur déesse avait laissé
tomber sur Tyr, et c'était peut-être là la nuée en question.
L'un d'eux dit qu'on
parlait d'un fanatique qui avait paru en Judée et qui, exploitant
l'histoire de la nuée d'Élie et les calculs auxquels elle avait donné
lieu, prétendait être le roi en question. Jésus ne répondit pas que
c'était lui dont il s'agissait, toutefois il leur dit que cet homme
n'était point un fanatique propageant des faussetés, qu'on faisait
courir sur lui beaucoup de bruits mensongers, et que son interlocuteur
était mal renseigné.
NOTE
: Les recherches les plus récentes sur cette déesse païenne
établissent, suivant Niebuhr, dans son histoire d'Assur et de Babel,
que d'après les plus anciennes traditions Dercéto, appelée aussi
Atergatis, ou Tiglat est représentée comme la mère de Sémiramis et
la déesse protectrice de la dynastie de Ninus.
(Note de l'éditeur.)
Il ajouta qu'en effet
le temps était venu où les prophéties devaient être accomplies.
L'interrogateur était un homme mal intentionné, un bavard : il ne
soupçonnait pas qu'il parlait à ce Jésus qu'il calomniait : il avait
seulement recueilli divers bruits sur son compte.
Ces hommes étaient
des philosophes qui avaient un pressentiment de la vérité avec un
mélange de foi en leurs dieux, bien qu'ils donnassent à leur histoire
toute sorte d'interprétations subtiles. Mais tous les personnages et les
faux dieux qu'ils voulaient expliquer se mêlaient et se confondaient les
uns avec les autres, et ils voulaient encore faire entrer dans ce chaos
la nuée d'Élie et la Mère de Dieu, dont toutefois ils ne savaient rien.
Ils donnaient aussi à leur déesse (Dercéto) le nom de reine du ciel.
Selon eux, elle avait apporté sur la terre toute sagesse et toute joie ;
ses partisans avaient cessé de la reconnaître, et elle avait tout
annoncé d'avance, même qu'elle disparaîtrait au fond des eaux'
reviendrait sous forme de Poisson et resterait ensuite éternellement
près d'eux, ce qui était arrivé en effet, etc. Sa fille, qu'elle avait
conçue en célébrant de saintes cérémonies était Sémiramis, la sage et
puissante reine de Babylone.
Chose singulière,
pendant qu'ils parlaient, je vis toute l'histoire de ces déesses, leur
origine, leur vie, et j'étais impatiente de dire à ces philosophes
combien ils étaient dans l'erreur. Ils me paraissaient incroyablement
stupides de ne pas le voir, eux aussi, et je me disais sans cesse : "
C'est pourtant si clair, si facile à comprendre, il faut que je leur
raconte tout " puis je me disais de nouveau : " Tu ne dois pas te mêler
là-dedans, ces savants hommes doivent savoir cela mieux que toi ". Je me
tourmentais ainsi plusieurs heures pendant l'entretien et maintenant je
ne saurais plus dire tout cela d'une manière suivie.
Jésus leur fit voir
leur absurdité et leur folle. Il leur raconta l'histoire de la création,
d'Adam et d'Ève, de la chute originelle, de Caïn et d'Abel, des enfants
de Noé, de la tour de Babel, de la séparation des bons et des mauvais et
des progrès de l'impiété chez ceux-ci. Il dit comment, s'étant séparés
de Dieu et voulant pourtant se rattacher à lui, ils avaient inventé des
dieux de toute espèce, et avaient été poussés par le mauvais esprit dans
la voie des erreurs les plus funestes, comment la promesse relative à la
semence de la femme qui devait écraser la tête du serpent, persistait à
travers toutes leurs inventions, leurs pratiques superstitieuses et
leurs opérations magiques ; de là venaient tous ces personnages
chimériques qui devaient apporter le salut au monde, mais qui
n'amenaient à leur suite que de plus grands péchés et de plus grandes
abominations, provenant de la source impure d'où on les avait tirés
tirés. Jésus dit comment Abraham fut mis à part pour engendrer une race
de promission ; il parla de la conduite, de l'éducation et de la
purification des enfants d'Israël, des prophètes, d'Élie et de sa
prophétie, enfin du temps présent qui était le temps de
l'accomplissement. Il s'exprima d'une manière si simple, si persuasive
et si pénétrante, que quelques-uns de ces philosophes se sentirent
éclairés d'une lumière toute nouvelle, tandis que d'autres se perdirent
de nouveau dans leurs systèmes confus. Jésus s'entretint avec eux
jusqu'à une heure : je crois que quelques-uns d'entre eux croiront et se
convertiront. Mais ils sont tout embarrassés dans leurs explications
abstraites de toute sorte de choses extravagantes et embrouillées. Jésus
a pourtant fait briller quelque lumière dans leur âme en leur prouvant
que dans les races humaines déchues et dans leur histoire, il était
toujours resté une trace plus ou moins marquée des desseins de Dieu sur
les hommes ; en leur faisant voir que pendant qu'ils vivaient dans un
royaume de ténèbres et de confusion, où ils s'étaient attaches aux
créations monstrueuses et aux abominations de l'idolâtrie, qui pourtant
au milieu de leur folle, présentaient encore l'apparence extérieure de
la vérité perdue, Dieu prenant pitié des hommes, s'était formé avec un
petit nombre resté pur un nouveau peuple dans lequel la promesse devait
trouver son accomplissement Il leur montra que le temps de la grâce
était arrivé, et que quiconque ferait pénitence, se convertirait et
recevrait le baptême, renaîtrait de nouveau pour devenir enfant de Dieu.
Pendant tout cet
entretien je vis des tableaux de l'histoire de ces faux dieux qui
étaient adorés ici et j'y trouvai je ne sais quelle imitation trompeuse
des saintes apparitions qui s'étaient manifestées à des prophètes et à
des Patriarches, bienfaiteurs de l'espèce humaine. C'était comme si
j'avais vu des chaumes stériles croissant à côté du han froment, les
tiges des deux espèces ayant leurs divers noeuds formés en même temps ou
s'élevant à la même hauteur. Je vis, lorsque les enfants de Noé se
furent séparés pour commencer leurs établissements, toute espèce
d'abominations magiques prendre naissance parmi les mauvaises races. Ils
s'enfonçaient chaque jour davantage dans le vice et l'abomination et ne
suivaient que leur propre sens et leurs propres pensées. Je vis parmi
eux quelques traces des saints mystères de Noé et de Sem, mais
horriblement défigurés. J'y vis des pratiques idolâtriques pleines
d'impureté, des cérémonies magiques, des unions criminelles jointes à
des sacrifices d'enfants, et tout cela ayant pour but d'engendrer une
race sainte. J'en vis un grand nombre s'enfoncer tout à fait dans un
royaume ténébreux, livré à l'empire du démon ; ils se trouvaient souvent
dans un état de clairvoyance prophétique, et leur influence répandait
partout l'erreur et la confusion. Je vis spécialement leurs prestiges
s'opérer devant des bassins pleins d'eau où ils regardaient comme dans
des miroirs, ce qui leur procurait des visions brillantes et
merveilleuses, mais mensongères. Ils se livraient à leurs infâmes
passions près de ces miroirs, à la suite de certaines prophéties et
après avoir observé les astres. De ces unions souvent consommées par la
violence avec des personnes qu'ils enlevaient, naissaient des êtres
extraordinaires, d'une force physique effrayante qui se consacraient
aussi dès leur jeunesse à un culte de ce genre. Ainsi se forma à la
suite de plusieurs générations une race d'hommes puissants, doués d'un
pouvoir magique et pour ainsi dire surnaturel, qui, en liaison intime
avec les mauvais esprits, dominaient les autres hommes, les guidaient et
les trompaient. Ils vivaient dans une espèce d'ivresse dont ils ne se
rendaient pas compte eux-mêmes, car ils étaient le plus souvent comme
des bêtes sauvages, livrés aux puissances de l'enfer et recevant d'elles
une clairvoyance magique.
Je vis trois
générations, de mère en fille, allant de Dercéto à Sémiramis. Je vis
Dercéto, qui était une grande et forte femme habillée d'une peau de bête
où pendaient des lanières et des queues d'animaux et coiffée d'un bonnet
de plumes d'oiseaux, sortir avec beaucoup d'autres personnes des deux
sexes de la contrée où s'éleva plus tard Babylone. Son occupation
constante était de prophétiser, de voir, de fonder, de faire des
sacrifices et d'errer de tous côtés. Ils poussaient devant eux diverses
tribus conduisant de nombreux troupeaux, cherchaient au moyen de la
divination des lieux propres à former des établissements, entassaient
les unes sur les autres de grandes pierres qui souvent étaient d'une
énorme dimension, offraient leurs sacrifices et se livraient à la
débauche. Tout subissait l'influence de Dercéto : elle était tantôt dans
un lieu, tantôt dans un autre, et partout on lui rendait des honneurs.
Elle avait eu très tard une fille, conçue dans ses orgies diaboliques,
qui par la suite continua son rôle. Je vis le plus souvent toutes ces
scènes se passer dans une plaine, ce qui indiquait où avaient commencé
ces pratiques abominables. Je vis en dernier lieu Dercéto, devenue une
vieille femme d'un aspect effrayant, pratiquer encore ses sortilèges au
bord de l'eau, dans une ville située près de la mer. Livrée à une extase
diabolique, elle déclara en présence du peuple assemblé qu'elle voulait
mourir et se sacrifier pour tous ; qu'elle ne pouvait plus rester parmi
eux, mais qu'elle se métamorphoserait en poisson et qu'alors elle serait
toujours dans leur voisinage. Elle régla aussi le culte qu'on devait lui
rendre et se précipita dans la mer devant tout le peuple. Il y avait
dans toutes ces prophéties beaucoup de choses mystérieuses et
symboliques touchant l'élément de l'eau, etc. Je vis aussi que bientôt
après un poisson se montra à la surface de la mer, que le peuple célébra
sa venue par des sacrifices et des abominations de tout genre, et que
tout un culte idolâtrique sortit de ces extravagances de Dercéto.
Après elle, j'en vis
une autre, qui était sa fille, paraître sur une montagne peu élevée.
Cela indiquait un état déjà plus avancé. C'était encore à l'époque de
Nemrod ; je crois que ces femmes et lui étaient de la même race. Je vis
celle-ci faire à peu près les mêmes choses que Dercéto, mais d'une façon
encore plus violente et plus sauvage. Elle était la plupart du temps en
chasse ou en voyage avec des bandes très nombreuses, poursuivant souvent
les bêtes féroces sur d'immenses étendues de pays, et en même temps
offrant des sacrifices, se livrant à la débauche, pratiquant la magie et
faisant des prédictions. Il y avait avec tout cela des fondations
d'établissements où l'on organisait des cultes idolâtriques. Je vis
cette femme se précipiter dans la mer en combattant un hippopotame.
Elle eut pour fille
Sémiramis, conçue également dans la célébration des mystères
idolâtriques. Je la vis sur une haute montagne entourée de tous les
royaumes et de tous les trésors du monde, que le démon semblait lui
montrer et lui donner, et je la vis à Babylone mettre le comble à toutes
les abominations de sa race.
Dans les premiers
temps ces états diaboliques étaient moins violents et s'étendaient à un
grand nombre de personnes : plus tard ils se manifestèrent seulement
chez quelques individus, mais avec une puissance effrayante. Ceux-ci
devenaient alors pour les autres des conducteurs et des dieux, et ils
fondaient des religions idolâtriques ayant leurs visions pour base. Ils
exerçaient aussi en divers lieux une action puissante au moyen d'arts et
d'inventions de toute espèce ; car ils étaient remplis du malin esprit.
Il sortit de là des tribus entières, composées d'abord de princes et de
prêtres, puis formées uniquement de familles sacerdotales. Dans les
premiers temps j'ai vu plus de femmes que d'hommes servir ainsi
d'instruments au démon et une force occulte leur inspirait les mêmes
sentiments, leur donnait les mêmes connaissances et les faisait agir de
concert. Beaucoup de choses qu'on en raconte sont la reproduction
incomplète de ce que dans leurs états extatiques ou magnétiques elles
disaient d'elles-mêmes, de leur origine et de leur mission, ou de ce
qu'en rapportaient d'autres somnambules diaboliques. Les Juifs aussi, en
Égypte, s'étaient adonnés aux sciences occultes, mais Moïse abolit ces
pratiques et il fut le voyant de Dieu. Il s'en conserva bien des restes
chez les rabbins à l'état de curiosités scientifiques ; plus tard tout
cela se réduisit chez les divers peuples à quelque chose d'ignoble et de
subalterne dont les traces se retrouvent encore ça et là dans la
sorcellerie et les superstitions populaires ; mais c'est toujours le
fruit du même arbre de perdition qui a ses racines dans le royaume
infernal. Toutes les scènes qui se rapportent à cet ordre de choses
m'apparaissent tout contre terre et même sous terre. Il y a aussi dans
le magnétisme un élément qui vient de là.
L'eau avait quelque
chose de sacré pour ces premiers idolâtres: ils accomplissaient au bord
de l'eau les cérémonies de leur culte, et ce n'était qu'après avoir
regardé dans l'eau qu'ils entraient dans leurs états de clairvoyance
prophétique ils eurent bientôt pour cela des étangs qu'on consacrait à
cet effet. Plus tard ces états devinrent permanents, et ils n'eurent
plus besoin de recourir à l'eau pour se procurer leurs visions
malfaisantes. J'ai vu à cette occasion quelque chose de leurs visions et
c'était fort singulier : il semblait que le monde entier se retrouvât
sous l'eau avec tout ce qui en couvre la surface, mais tout cela était
enveloppé dans une sphère ténébreuse, pleine d'influences malignes. Les
arbres, les montagnes, les amas d'eau s'y trouvent placés au dessous des
objets qui leur correspondent. J'ai vu que les magiciennes dont j'ai
parlé voyaient ainsi toutes sortes de choses, des peuples, des guerres,
des dangers imminents, etc., et de semblables visions ont encore lieu
maintenant, avec cette différence qu'elles faisaient et rendaient
réelles les choses qu'elles voyaient. Elles disaient par exemple : Il y
a en tel lieu un peuple que vous pouvez subjuguer ; vous pouvez tomber
sur celui-là à l'improviste. bâtir une ville dans cet endroit. Elles
voyaient des hommes et des femmes de haut rang, et les moyens dont elles
pouvaient se servir pour les circonvenir et en faire leurs instruments ;
elles voyaient même d'avance le culte diabolique qu'elles devaient
propager. Ainsi Dercéto vit qu'elle se précipiterait dans la mer, pour y
devenir poisson et elle fit ce qu'elle avait vu. Même ses abominations
lui étaient montrées dans l'eau avant qu'elle ne s'y livrât.
La fille de Dercéto
vit commencer déjà une époque où l'on construisait de grandes digues et
où l'on faisait des routes. Elle alla jusqu'en Égypte et passa toute sa
vie à courir et à chasser. Ses compagnons étaient de la classe de ces
hommes qui pillèrent et dévastèrent ce que Job possédait en Arabie. En
Égypte, tout cela se constitua régulièrement : on s'y adonna avec tant
de passion que, dans les temples et ailleurs encore, on voyait un grand
nombre de ces devineresses assises sur des sièges d'une forme
singulière, devant des miro1rs de toute sorte, et que toutes leurs
visions, au moment même où elles y étaient plongées, étaient recueillies
par des prêtres qui les faisaient aussitôt sculpter par des centaines
d'ouvriers, sur les parois de certaines grottes creusées dans le roc.
C'est aussi une chose
étrange que j'aie vu tous ces affreux ministres de l'oeuvre des ténèbres
agir de concert sans le savoir, et que j'aie vu en divers lieux d'autres
personnes, sans rapport avec eux, se livrer aux mêmes pratiques ou à
d'autres pratiques semblables avec la seule différence qui résultait des
coutumes locales et des mauvais penchants des peuples. Certains peuples,
toutefois, étaient moins profondément plongés dans ces abominations et
plus rapprochés de la vérité, par exemple, ceux d'où provenait la
famille d'Abraham, celle de Job et celle des trois rois, comme aussi les
adorateurs des astres, que Jésus trouva en Chaldée et qui avaient eu
Pour guide l'étoile brillante (Zoroastre).
Lorsque Jésus-Christ
vint sur la terre et lorsque la terre eut été arrosée de son sang, cette
redoutable influence perdit beaucoup de sa force, et les phénomènes
produits par elle devinrent plus rares et moins frappants. Moïse, dès
ses premières années, fut un voyant, mais complètement en Dieu, et ce
qu'il voyait fut toujours la règle de sa conduite.
Dercéto, sa fille, et
sa petite-fille Sémiramis, atteignirent les unes et les autres un âge
très avancé, ce qui était ordinaire à cette époque. C'étaient des
personnes grandes, robustes et puissantes dont le genre de beauté nous
inspirerait presque de l'effroi aujourd'hui. Elles étaient hardies,
fougueuses et impudentes au delà de tout ce qu'on peut dire, et elles
agissaient avec une assurance incroyable, grâce à leurs visions
diaboliques où elles voyaient tout d'avance : elles étaient pleines de
confiance en elles mêmes, car elles avaient le sentiment intime qu'elles
étaient des créatures à part et comme des divinités. En elle se
répétait, pour ainsi dire, cette race de magiciens encore plus
redoutables qui habitait sur la grande montagne et qui avait péri dans
le déluge.
On est touché de voir
comment les justes de l'époque patriarcale suivaient leur route au
milieu de toutes ces abominations, aidés sans doute par de fréquentes
révélations de Dieu, mais ayant continuellement à combattre et à
souffrir, et par quelles voies pénibles et cachées le salut vint enfin
sur la terre, pendant que ces serviteurs du démon réussissaient dans
toutes leurs entreprises et que tout semblait être à leurs ordres.
Lorsque je voyais
toutes ces choses, l'immense sphère d'activité dans laquelle s'exerçait
l'action de ces déesses, le culte qu'on leur rendait sur la terre, et, à
côté de cela, la petite troupe de Marie, figurée symboliquement par
cette nuée d'Elie que ces philosophes voulaient faire entrer dans leur
oeuvre de mensonge ; puis Jésus, en qui s'accomplissaient toutes les
promesses, se présenter à eux pauvre et humble, et les enseigner
patiemment, hélas ! je me sentais saisie d'une immense tristesse ! Et
pourtant ce n'était rien autre chose que l'histoire de la vérité et de
la lumière qui luit dans les ténèbres et que les ténèbres n'ont point
comprise jusqu'au jour où nous vivons.
Mais la miséricorde
de Dieu est infinie. J'ai vu que pendant le déluge, un très grand nombre
de personnes se convertirent à la vue des terribles châtiments qui les
frappaient, qu'elles allèrent en purgatoire et que Jésus les délivra
lors de sa descente aux enfers. Dans le déluge, il y eut beaucoup
d'arbres qui restèrent fermes sur leurs racines et qu'on vit reverdir
plus tard: cependant la plupart furent recouverts de vase et enfouis.
Je vis, à la fin de
cette vision touchant la déesse poisson, Dercéto, une autre scène dont
je ne me rappelle que ceci : le Pèlerin mit sur mon lit un énorme
poisson avec une tête d'une forme étrange; je voulus le découper pour en
faire des parts, mais toute la chair d'un des côtés tomba d'elle même.
Je saisis alors la queue du poisson et la carcasse me resta tout entière
dans la main. Je retirai la peau et je dis: " Nous donnerons la chair
aux enfants ". Nous plaçâmes la carcasse de manière qu'on pût la
regarder et l'étudier (note).
Avant cette vision,
tout de suite après le baptême, Jésus avait congédié Barnabé et les
autres disciples. Jacques le mineur devait baptiser encore : Barnabé et
les autres allèrent à quelques lieues de là, jusqu'à Chytrus, où demeure
la fille de Barnabé. Jésus n'avait avec lui que le disciple Jonas et un
autre disciple de Dabrath (qu'Anne Catherine avait oublié de mentionner
en parlant de la traversée).
Jésus fut encore invité à aller voir le gouverneur: mais il s'excusa et
alla à une demi-lieue à l'ouest de Salamine, dans une riche et fertile
contrée su r laquelle se trouvaient disséminées plusieurs habitations de
cultivateurs, et où l'on s'occupait partout de la moisson. C'étaient,
pour la plupart, des Juifs qui paraissent avoir des terres en cet
endroit.
NOTE
: C'est incontestablement un symbole indiquant qu'Anne Catherine ne
pouvait plus représenter la chair, mais seulement le squelette de
cette grande vision sur la déesse poisson Dercéto: cette chair, elle
la laissait aux enfants comme une bagatelle, parce que c'était une
chose de peu de valeur. (Note du Pèlerin.)
Le pays est très
agréable et autrement cultivé que chez nous. Le blé venait sur des
espèces de terrasses très élevées semblables à des remparts, entre
lesquelles se trouvaient, beaucoup plus bas, des herbages entourés
d'oliviers, d'arbres fruitiers et d'autres arbres; un nombreux bétail,
qui était là comme parqué, paissait et se promenait à l'ombre sans
pouvoir causer aucun dommage. La rosée tombait en abondance sur ces
prairies et il y avait des retenues d'eau. J'y vis beaucoup de vaches
noires sans cornes, des taureaux bossus, à l'allure pesante, portant des
cornes très larges et qu'on employait à porter des fardeaux; des ânes
nombreux, de très grands moutons dont la queue était très épaisse et des
troupeaux de boucs ou de béliers qui étaient séparés des autres. On
voyait çà et là des maisons et des hangars disséminés. Les gens de cet
endroit avaient une très belle école et une chaire; ils avaient aussi un
docteur, mais, le jour du sabbat, ils allaient à une synagogue voisine
de l'endroit OÙ Jésus était logé à Salamine.
La route était très
belle : à peine les travailleurs eurent ils aperçu Jésus, que la plupart
avaient déjà vu à la synagogue et an baptême, qu'ils quittèrent leur
travail par troupes, déposèrent leurs outils et le morceau d'écorce
d'arbre qu'ils portaient sur la tête pour se préserver du soleil,
descendirent en hâte des hautes terrasses couvertes de blé et vinrent
sur le chemin de Jésus, devant lequel ils s'inclinèrent. Quelques uns se
prosternèrent tout à fait à terre. Jésus les salua et les bénit, et ils
s'en retournèrent. Lorsqu'il fut près de l'école, le maître auquel on
l'avait annoncé, vint à la rencontre de Jésus avec d'autres personnages
honorables, lui dit qu'il était le bienvenu, le conduisit près dune
belle fontaine où il lui lava les pieds, lui prit son manteau qu'il fit
épousseter, et lui offrit à boire et quelques aliments.
Alors Jésus,
accompagné de ces hommes et de quelques autres qui étaient venus de
Salamine, formant en tout une douzaine de personnes, alla d'un champ à
l'autre et enseigna les moissonneurs en leur racontant de courtes
paraboles sur le semeur, sur la moisson, sur la séparation du bon grain
et de l'ivraie, sur la construction de la grange, sur les mauvaises
herbes qui devaient être jetées au feu. Les différents groupes
l'écoutaient, puis ils reprenaient leur travail et il allait à d'autres.
Les hommes coupaient
le blé très vite, avec une faucille recourbée, deux mains au-dessous de
l'épi, puis ils le passaient aux femmes qui se tenaient derrière eux et
qui liaient les gerbes et les emportaient dans des corbeilles. Je vis
qu'on laissait debout beaucoup d'épis moins hauts que les autres, et que
de pauvres femmes venaient les couper et glanaient en outre ceux que les
moissonneurs laissaient tomber. Ces femmes avaient un. vêtement très
court. Elles avaient le milieu du corps entouré de linges jusqu'aux
reins : en outre leur robe était relevée de manière à former une poche
où elles mettaient les épis qu'elles recueillaient. Leurs bras étaient
ml s, elles avaient des linges autour de la poitrine et du des, la tête
voilée ou découverte sous un chapeau d'écorce, selon qu'elles étaient
mariées ou vierges. Jésus fit bien une demi lieue en se promenant ainsi
dans la campagne.
Ils retournèrent au
puits voisin de l'école ; on avait placé là, sur un banc de pierre, pour
Jésus et ses compagnons, du miel dans les écuelles, de longs bâtons dont
on coupait de petites tranches qu'on mettait sur le pain, des gâteaux
plats, des fruits et de petits cruchons. Le puits était très beau : il
était adossé à une haute terrasse toute couverte d'arbres ; il fallait
descendre plusieurs marches pour arriver au réservoir : on trouvait là
de l'ombre et du frais. Les habitations des femmes étaient séparées de
la maison d'école : elles venaient, couvertes de leurs voiles, apporter
les aliments. Jésus enseigna sur l'Oraison Dominicale. Le soir, les
moissonneurs se rassemblèrent dans l'école, et Jésus expliqua encore les
paraboles qu'il avait racontées ; il enseigna aussi sur la manne, sur le
pain quotidien et sur le pain du ciel.
Jésus alla ensuite,
avec le maître d'école et quelques autres, dans les différentes cabanes
où il y avait des malades, et il guérit un certain nombre de boiteux ou
d'hydropiques. Ces malades étaient, pour la plupart, dans de petites
chambres attenant aux maisons. Jésus alla visiter entre autres personnes
une grosse femme qui était hydropique. Sa petite cellule n'était pas
plus grande que sa couche : elle était ouverte du côté de ses pieds, où
elle pouvait voir un petit jardin plein de fleurs ; le toit était léger
et pouvait être enlevé afin qu'elle pût voir le ciel. Des hommes et des
femmes s'approchèrent de sa cabane avec Jésus ; ils enlevèrent la
toiture, et Jésus lui demanda : " Femme, voulez-vous recouvrer la santé
" ? Elle répondit avec humilité : " Je veux ce qu'ordonnera le prophète
! " Alors Jésus lui dit : " Levez-vous ! Votre foi vous a guérie ".
Aussitôt la femme se leva, sortit et dit : " Seigneur, je reconnais
maintenant votre puissance, car plusieurs ont voulu me guérir et ne
l'ont pas pu ". Elle rendit grâces ainsi que les siens et glorifia le
Seigneur : beaucoup de personnes vinrent et furent saisies d'admiration
en la voyant guérie. Jésus retourna à la maison d'école. Ils allèrent
encore près du puits : il enseigna, dormit et pria pendant la nuit comme
de coutume.
Je vis aujourd'hui, à
Salamine, Mercuria la pécheresse aller et venir dans ses appartements,
pleine d'angoisse et de chagrin. Elle pleurait, joignait les mains, et
se couchait souvent dans un coin, enveloppée dans son manteau. Son mari,
qui me semble assez borné, et ses servantes la croyaient folle. Mais
elle est bourrelée de remords, et ne pense qu'aux moyens à prendre pour
se retirer d'ici et aller trouver les saintes femmes en Palestine. Elle
a deux filles, l'une de huit ans, l'autre de neuf et un petit garçon de
cinq. Sa maison est à côté du grand temple ; elle est très spacieuse et
solidement bâtie ; il y a beaucoup de logements pour les domestiques, et
elle est entourée de colonnes, de terrasses et de jardins. On l'invita à
aller au temple, mais elle refusa, disant qu'elle était malade.
J'ai aussi jeté un
coup d'oeil dans le grand temple. C'est un édifice singulier où il y a
une quantité de colonnes, de chambres, de logements et de caveaux. Les
prêtres y habitent tous, il y a aussi des femmes. J'y vis entrer des
hommes et des femmes voilées. On voit à l'intérieur une statue colossale
de la déesse, grande comme un saint Christophe. Elle brille comme de
l'or : elle a un corps de poisson avec une queue qui se relève par
derrière, des mamelles de femme et une tête avec des cornes, comme une
tête de vache. Devant elle est une autre figure sur les épaules de
laquelle elle appuie ses bras, qui sont très courts, ou plutôt ses
griffes. Tout ce groupe est élevé sur des degrés au-dessus d'un grand
piédestal où il y a des ouvertures, et dans l'intérieur duquel on brûle
de l'encens et d'autres aromates de toute espèce. Je vis encore là toute
sorte d'abominations. Les portes du temple étaient fermées, on se
livrait en secret aux pratiques d'un culte infâme. On sacrifiait ici
souvent des enfants, particulièrement ceux qui étaient mal conformés.
Toutes ces horreurs ont lieu en l'honneur de la déesse. Je ne puis ni ne
veux parler de tout ce qui se passait là. Il y a dans ce temple beaucoup
de grillages d'un travail bizarre.
È
CHAPITRE SECOND
Jésus visite les villes de Chytrus et de Mallep, ainsi que leurs
environs.
(du 7 au 20 mai.)
Pourquoi Jésus est allé en Chypre.-Barnabé le conduit à Chytrus, sa
patrie.-Jésus enseigne une caravane païenne. - Effets du séjour de Jésus
dans l'île de Chypre. - il enseigne aux mines devant Chytrus.-Sa
réception dans cette ville.-il s'arrête dans un endroit nommé le Rucher.
- il est reçu solennellement dans la maison paternelle de Barnabé. -
Jésus a Mallep. - L'effet qu'il y produit. - Ses rapports avec des
philosophes paiens. - Solennité juive des fiançailles - Description de
Mallep.
7 mai .-Ce matin Jésus parcourut encore les
champs et enseigna les travailleurs. Il y eut toute la journée un
brouillard d'une intensité extraordinaire ; on pouvait à peine se
distinguer les uns les autres ; le soleil se montrait à travers la brume
comme une tache blanchâtre ; une couche de blanches vapeurs couvrait la
surface de la terre.
Toute cette contrée, avec
ses vallons et ses riches produits, s'étend dans la direction du nord et
se termine en pointe entre des montagnes. Il y a beaucoup de perdrix et
de cailles et une quantité surprenante de gros pigeons à jabot. Je me
souviens aussi d'avoir vu sur des arbres plantés en espaliers, une
espèce de grosses pommes grises à côtes dont la chair est rayée de rouge
; je crois qu'il y a huit pépins, rangés deux par deux.
Jésus enseigna comme hier,
en paraboles relatives à la moisson, et il parla encore du pain
quotidien. Il ne fit pas ici de repas proprement dit, mais il accepta ça
et là des cabanes la petite réfection rustique qu'on lui offrait. Il
guérit plusieurs enfants perclus qui étaient couchés dans des espèces
d'auges sur des peaux de brebis; quelques-uns de ces gens se répandirent
en grands éloges de son enseignement; Jésus les reprit à ce sujet, les
renvoya aux commandements de Dieu et dit quelque chose de semblable à
ces paroles de l'Évangile: "il sera donné à celui qui a : à celui qui
n'a pas on ôtera ce qu'il semble avoir". (Luc,
VIII, 18.)
Je vis les Juifs manifester
des doutes touchant divers points des enseignements de Jésus. Ils
craignaient de n'avoir pas part à la terre promise. Ils pensaient que
Moïse n'aurait pas eu besoin de conduire les Israélites à travers la mer
Rouge, ni de les faire errer si longtemps dans le désert ; car il y
avait des chemins plus courts. Jésus leur répondit que la terre promise
n'était pas seulement dans le pays de Chanaan, qu'on pouvait se mettre
en possession du royaume de Dieu sans avoir besoin pour cela d'errer si
longtemps dans le désert ; il les exhorta, puisqu'ils faisaient ces
reproches à Moïse, à ne pas faire eux-mêmes de longs circuits dans le
désert du péché, de l'incrédulité et du murmure, et à prendre le plus
court chemin, celui de la pénitence, du baptême et de la foi.
J'eus là-dessus une longue
vision de la marche des Israélites dans le désert ; je vis combien il en
mourait et il en naissait annuellement, et je fus étonnée de leur
multiplication. J'eus connaissance du chiffre exact, j'en sus aussi les
causes et la signification, mais j'ai oublié tout cela plus tard.
Dans l'île de Chypre, les
Juifs se sont beaucoup mêlés aux païens, mais de telle sorte que les
païens sont devenus juifs.
Il me fut aussi montré
pourquoi Jésus est allé dans l'île de Chypre ; je vis que cela se fit en
faveur d'environ cinq cents personnes, juifs et païens, dont les uns le
suivront, les autres régleront leur vie sur ses enseignements, tandis
que le reste l'oubliera. Je vis en outre que la guerre éclata à cette
époque entre Hérode et son beau-père Arétas, ce qui fut cause qu'on
fortifia Machéronte. Je crois que pendant ce temps on ne pensa guère à
Jésus.
Vers midi Barnabé et un de
ses frères vinrent trouver Jésus avec deux jeunes païens portés vers le
judaïsme. Ils venaient de la partie nord-ouest de l'île, de la patrie de
Barnabé, qui s'appelle Chytrus, et qui est une ville assez importante.
Ils voulaient déterminer Jésus à s'y rendre pour le prochain sabbat.
Jésus, sans cesser
d'enseigner les moissonneurs et les ouvriers, se dirigea avec eux dans
l'après-midi vers la vallée terminée en pointe où finit ce district.
Ils arrivèrent ainsi à une
grande route qui conduit d'un port situé au nord-ouest de l'île à un
autre port situé au sud-est, et qui passe à deux lieues à l'ouest de
Salamine Il y a là une grande hôtellerie à l'usage des Juifs dans la
quelle ils entrèrent. On trouve à peu de distance de là une quantité de
hangars, une maison où logent les païens qui passent et un puits où ils
abreuvent leurs bêtes de somme. Cette route est très fréquentée. Il n'y
avait pas de femme dans la maison, ou plutôt je crois que celle qui
l'habitait avait son logement séparé. Quand on leur eut lavé les pieds
et offert une petite réfection, d'autres disciples qui étaient restés à
Salamine pour baptiser, arrivèrent ici et Jésus se trouva avoir à sa
suite une vingtaine de personnes. Jésus enseigna encore en plein air les
gens qui revenaient de leur travail et ils lui amenèrent quelques
ouvriers malades qui ne pouvaient plus gagner leur vie. Comme ils
étaient pleins de foi, Jésus les guérit et leur ordonna de retourner
aussitôt à leurs travaux.
Le soir, il arriva une
caravane de gens venant de l'Arabie : l'hôtelier les envoya aux hangars
dont j'ai parlé. Ils avaient pour bêtes de somme des boeufs accouplés,
portant sur deux longues traverses d'énormes paquets dont ils étaient
chargés jusque par dessus la tête. Dans la montagne quand le chemin
était trop étroit, ils marchaient les uns derrière les autres et le
bagage était placé entre eux. Il y avait aussi des ânes chargés de
fardeaux. Il vint une autre troupe conduisant quelques chameaux et de
grands boucs qui portaient des ballots de laine. Ces gens commencèrent
par décharger et abreuver leurs bêtes : puis quand ils eurent fait tous
leurs arrangements, ils saluèrent Jésus et lui demandèrent la permission
d'écouter son enseignement. Il montrait la vérité aux païens, mais avec
beaucoup de douceur et de ménagements.
Il y a d'ici à Chytrus
environ quatre à cinq lieues dans la direction du nord-est.
Les villes de ce pays ne
sont pas disposées comme les nôtres, où se touchent les maisons et où
chacun a son habitation séparée. On trouve ici le plus souvent de très
grands bâtiments avec des terrasses et des murs épais dans lesquels sont
pratiqués beaucoup de logements habités par des gens de la classe
inférieure. On voit souvent des rues semblables à de larges chaussées
dans lesquelles habitent beaucoup de gens et au-dessus desquelles
s'élèvent des arbres.
A Salamine, tout paraît
être réglé avec beaucoup d'ordre. Je vois que chaque classe de personnes
a son quartier et sa rue. Je me souviens d'avoir vu les enfants des
écoles et d'autres enfants se tenir presque toujours dans une seule rue
: il y aussi des rues transversales où l'on voit continuellement défiler
des bêtes de somme. Les philosophes ont une grande maison et une grande
cour à leur usage spécial, et je les vois la plupart du temps se
promener dans une rue qui semble leur être affectée. Ils marchent
recouverts de leurs manteaux, par groupes de quatre ou cinq personnes,
et chacun prend la parole à son tour : je vois toujours ceux qui montent
se tenir d'un côté de la rue, et ceux qui descendent, du côté opposé.
Cet ordre est suivi dans la plupart des rues.
La place où se trouve le
puits près duquel le gouverneur s'entretint avec Jésus forme comme une
terrasse : on y monte par des degrés où aboutissent les rues
environnantes. Il y a tout autour des arcades sous lesquelles se
trouvent des boutiques de toute espèce. Sur l'un des côtés est le marché
avec des rangées de gros arbres à forme pyramidale sur lesquels on peut
monter et s'asseoir dans le feuillage. Le palais du gouverneur donne sur
cette place.
J'ai vu beaucoup de choses
touchant l'habitation de sainte Catherine à Salamine, ses ancêtres et
ses parents : mais je n'en ai retenu qu'une petite partie. La grande
maison de la pécheresse Mercuria devint dans la suite la demeure du père
de Catherine, lequel s'appelait Costa : Catherine y naquit et y fut
élevée. Je vis que son père descendait d'un roi ou prince de
Mésopotamie, et que ses parents ou lui-même avaient reçu en Chypre une
indemnité pour quelque perte qu'ils avaient subie ou une dotation
considérable en terres. C'étaient des arrangements comme ceux qui
avaient amené en Palestine le père de Lazare. Il épousa ici une fille de
famille sacerdotale, laquelle avait pour ancêtre un des philosophes que
je vis converser avec Jésus. Peut-être que la grâce, qu'il n'avait pas
repoussée lorsqu'elle lui était venue, porta ses fruits pour lui et
qu'il fut récompensé dans sa postérité pour n'avoir pas été tout à fait
ingrat. Je vis Catherine enfant et déjà remplie de sagesse ; elle était
favorisée d'intuitions intérieures et suivait fidèlement la direction
qui lui était donnée ainsi. Elle parlait toujours des dieux en termes
méprisants, les avait en aversion et faisait disparaître leurs images
autant qu'elle le pouvait : et c'est pourquoi elle fut enfermée dans un
autre endroit par son père. Elle devait être mariée à un prince
d'Alexandrie : son père avait commencé à bâtir un palais lorsqu'il la
conduisit dans cette ville à son fiancé. Pendant le voyage, elle eut
diverses illuminations et s'expliqua à ce sujet. C'est là tout ce que je
me rappelle confusément de ce que j'ai vu.
8 mai.
— Ce matin, Jésus alla encore visiter quelques maisons dans le voisinage
: il guérit plusieurs malades et enseigna chez des bergers.
De Salamine ici le pays est
extrêmement fertile, et tout le district que Jésus vient de parcourir se
compose de terres très productives appartenant aux Juifs.
Jacques le Mineur et
d'autres disciples sont venus hier soir. Mnason n'est pas encore allé
chez lui, je crois que sa contrée natale est assez éloignée. Ses parents
sont bien nés, mais pauvres. Il était allé à l'étranger dans l'espoir de
s'y faire une position, et ce fut ainsi qu'il rencontra Jésus.
Je vis Jésus enseigner la
caravane d'Arabes voyageurs, venant du pays où avait habité Jethro, le
beau-père de Moïse. Ils avaient avec eux leurs femmes, leurs enfants et
des animaux de toute espèce, des chameaux chargés, des boeufs, des ânes,
des chèvres et des boucs sur le des desquels les femmes avaient attaché
de gros ballots de laine. Ils étaient plus bruns que les Chypriotes,
très vifs et très gais. Ils étaient venus par mer avec leurs
marchandises qu'ils avaient échangées près des mines contre du cuivre et
d'autres métaux, et ils se dirigeaient par la grande route vers le
sud-est, où ils devaient se rembarquer. Les bêtes portaient dans des
caisses allongées leurs lourdes charges de métal, et les fardeaux, à
cause de leur pesanteur, avaient moins de volume qu'auparavant.
C'étaient, je crois, des barres ou de longues plaques. Il y avait aussi
du métal travaillé ; par exemple, des vases ou des chaudières, disposés
en ballots arrondis ayant la forme de tonneaux. Les femmes étaient très
laborieuses, elles filaient en marchant ou sur le dos des bêtes qui les
portaient : pendant les haltes, elles confectionnaient des couvertures
et des pièces d'étoffe qu'elles vendaient sur la route ou dont elles se
faisaient des vêtements. Elles employaient à cela La laine dont les
boucs étaient chargés. Elles avaient leur laine attachée à une épaule,
la filaient d'une main et enroulaient le fit sur une espèce de fuseau
qu'elles tournaient constamment dans l'autre main, puis, quand celui-ci
était chargé, elles le dévidaient sur une bobine fixée à leur ceinture.
Jésus entama la
conversation avec ces gens en louant leur diligence, puis il leur
demanda : " Pour qui toute cette peine et tout ce travail " ? Ce qui le
conduisit à leur parler du Créateur et du conservateur de toutes choses,
puis de la reconnaissance due à Dieu et de sa miséricorde envers les
pécheurs et les brebis égarées qui errent au hasard et ne connaissent
pas leur pasteur. Il les enseigna avec une douceur et une affabilité
singulières : ils en furent tout émus et tout réjouis et voulurent lui
faire divers présents ; mais il bénit leurs enfants et s'éloigna.
Jésus et ses compagnons,
tournant un peu au nord, se dirigèrent vers Chytrus, qui est à peu près
à quatre ou cinq lieues d'ici et à six de Salamine. Je les vis ça et là
prendre quelque nourriture que leur donnèrent les ouvriers des champs
auxquels Jésus adressa de courtes instructions. Le chemin était devenu
très montant.
Je vis ici dans la campagne
des oliviers et des cotonniers, et une plante dont je crois qu'on tire
une espèce de soie : elle ne ressemble pas à notre lin, mais plutôt au
chanvre et donne de longs fils très moelleux. Mais ce qu'on rencontre
surtout en grande abondance, c'est un arbrisseau d'un aspect très
agréable, couvert d'une quantité de jolies fleurs jaunes. Il porte des
fruits qui ont quelque rapport avec les nèfles : je crois que c'est le
safran. A gauche, le regard plonge déjà dans les montagnes, qui sont
couvertes de bois de haute futaie. Il y a un très grand nombre de cyprès
et de petits arbustes résineux d'une senteur agréable : à gauche, dans
la montagne, je vis aussi une petite rivière qui formait une cascade.
Plus loin, en montant vers les hauteurs, on voit d'un côté une forêt, de
l'autre des montagnes nues : près du chemin, on aperçoit des excavations
dans la montagne d'où l'on tire du cuivre et un métal blanc qui
ressemble à de l'argent.
Je vis d'en haut des
ouvriers qui creusaient. Je crois qu'il y a aussi une fonderie où l'on
emploie un combustible de couleur jaune dont il y a une mine dans le
voisinage. Je les vis pétrir cette terre et en faire de grosses boules
qu'ils faisaient sécher. J'entendis dire que souvent le feu prenait à
cette mine.
Après avoir fait quatre
lieues, Jésus arriva à une hôtellerie qui est à plus d'une demi lieue
avant Chytrus : jusque-là on rencontre continuellement des mines. Ils
entrèrent dans cette hôtellerie, et le père de Barnabé, avec quelques
autres personnes, reçut le Seigneur et lui rendit les offices de charité
accoutumés. Jésus se reposa ici : il enseigna et prit un petit repas
avec ses compagnons. Je ne me souviens pas d'autre chose.
Chytrus est dans un fond,
au milieu d'une plaine. Jésus vint du côté où se trouvent les mines. La
population de la ville est un mélange de Juifs et de païens. Il y a tout
autour beaucoup de constructions isolées : ce sont comme des métairies
entre lesquelles s'étendent des jardins et des champs.
Je fus aujourd'hui toute
triste de ce que tant de travail et de fatigue de la part de Jésus avait
obtenu si peu de résultats dans l'île de Chypre, en sorte que, comme
disait le Pèlerin, on ne trouve rien dans l'Écriture ni ailleurs qui se
rapporte à ce voyage, et qu'il n'est pas même dit que Paul et Barnabé
aient rien fondé d'important dans ce pays. J'ai eu à ce sujet une vision
dont je ne me rappelle que ce qui suit. Jésus a converti dans l'île de
Chypre cinq cent soixante-dix personnes, Juifs et païens. Ils l'ont
suivi en Palestine, les uns tout de suite, les autres plus tard. J'ai vu
que la pécheresse Mercuria, avec ses enfants, ne tarda pas à suivre
Jésus et qu'elle emporta beaucoup d'argent avec elle. Je l'ai vue près
des saintes femmes : lorsque les premières colonies de chrétiens
s'établirent autour d'Ophel et jusque dans les environs de Béthanie,
sous la direction des diacres, elle contribua largement à la
construction des maisons et à l'entretien des fidèles. Je vis aussi que
lors du soulèvement contre les chrétiens qui eut lieu avant la
conversion de Saul, Mercuria fut mise à mort. Ce fut au moment où Saul
partit pour Damas.
Après le départ de Jésus,
beaucoup de païens et de Juifs quittèrent Chypre, emportant avec eux des
sommes considérables : d'autres encore émigrèrent successivement en
Palestine après avoir aliéné leurs propriétés. Les membres de leurs
familles qui ne partageaient pas leurs sentiments, se prétendirent lésés
et élevèrent de vives réclamations.
On décria Jésus comme un
imposteur ; Juifs et païens firent cause commune : on n'osa plus parler
de lui. On emprisonna beaucoup de personnes qu'on flagella. Les prêtres
des idoles persécutèrent ceux de leur religion et les forcèrent à
sacrifier. Le gouverneur qui s'était entretenu avec Jésus fut rappelé à
Rome et remplacé : il vint même des soldats romains qui occupèrent tous
les ports et ne permirent plus à personne de s'embarquer. Lorsque Jésus
eut été crucifié, son souvenir s'effaça complètement ; on parla de lui
comme d'un rebelle et d'un traître, et ceux qui avaient conservé quelque
foi, furent ébranlés et rougirent de lui. Douze ans après, Paul et
Barnabé ne trouvèrent plus aucune trace de son passage : ils ne firent
pas un long séjour ici ; toutefois ils emmenèrent quelques personnes
avec eux.
9 mai
. — Ce matin, je vis Jésus avec les disciples visiter les mineurs et
enseigner devant quelques-unes de leurs habitations. Il y avait là des
fosses qui appartenaient aux païens, d'autres étaient affermées par des
Juifs. Ces ouvriers étaient maigres, pâles et paraissaient maladifs ;
ils étaient à peu près nus : seulement, plusieurs parties de leur corps
étaient protégées par de grands morceaux de cuir brun dont ils se
couvraient, comme les tortues de leur carapace. Jésus enseigna sur
l'orfèvre qui purifie l'airain dans le feu. Les païens et les Juifs ne
travaillaient pas ensemble, et ils se placèrent pour l'écouter, les uns
d'un côté du chemin, les autres du côté opposé. Il y avait là quelques
possédés ou obsédés qu'on faisait travailler, attachés à des cordes :
ils commencèrent à s'agiter et à pousser des cris à l'approche de Jésus.
Ils le proclamèrent à haute voix et demandèrent ce qu'il venait faire
ici parmi eux ! Mais Jésus leur commanda de se taire, et ils se tinrent
tranquilles. Il vint aussi à Jésus des mineurs juifs pour se plaindre
que les païens, en travaillant sous le chemin, avaient dépassé les
limites qui les séparaient et leur avaient fait tort : ils prièrent
Jésus de décider la contestation. Alors Jésus fit creuser sur le terrain
des Juifs, tout près de la limite convenue, et on trouva au-dessous des
galeries païennes. Il y avait là des gîtes de métal blanc qui était, je
crois, du zinc ou de l'argent : c'était ce qui les avait alléchés. Alors
Jésus enseigna sur le scandale, le bien mal acquis, le devoir de ne pas
faire à autrui ce qu'on ne voudrait pas qui vous fût fait, etc. Le tort
des païens était évident : il y avait assez de témoins pour l'attester,
mais comme leurs magistrats n'étaient pas présents, il n'y eut rien de
fait, et les païens se retirèrent en murmurant. La grande route sur
laquelle Jésus s'était entretenu avec les Arabes passe devant Chytrus à
l'ouest de cette ville. Jésus l'avait longtemps suivie, puis, tournant
au nord, il était venu ici. Aujourd'hui, dans l'après-midi, il fit
encore trois quarts de lieue à travers des jardins et des maisons
isolées pour aller à Chytrus, qui est un endroit très animé, parce qu'on
y fait divers travaux métallurgiques et qu'on s'y livre sur une grande
échelle à l'éducation des abeilles.
Il y habite beaucoup de
Juifs et de païens qui sont dans des rapports plus intimes que je ne les
ai vus ailleurs, quoiqu'ils demeurent dans des rues séparées. Les païens
ont plusieurs temples, et les Juifs deux synagogues. Il y a eu entre eux
beaucoup de mariages mixtes, mais toujours à la condition que la partie
païenne embrasserait le judaïsme.
Les anciens des Juifs et
leurs rabbins vinrent devant la ville à la rencontre de Jésus, et aussi
deux des philosophes de Salamine qui, touchés par son enseignement,
étaient venus ici pour l'entendre encore. On reçut Jésus comme à
l'ordinaire, c'est-à-dire qu'on lui lava les pieds et qu'on lui offrit
une réfection dans une maison où se fait d'habitude la réception des
étrangers, puis on le pria de guérir plusieurs malades qui l'attendaient
avec impatience. On le conduisit dans la rue des Juifs : il guérit une
vingtaine de malades qui étaient couchés devant les maisons sur le
chemin où il devait passer. Il y avait là des boiteux appuyés sur des
béquilles à trois pieds qui ressemblaient à des escabeaux. Les malades
guéris, leurs proches acclamèrent Jésus et lui adressèrent quelques
formules de louanges, tirées des psaumes pour la plupart : mais les
disciples les engagèrent à se taire.
Jésus se rendit alors à la
maison du chef de la synagogue où s'étaient réunis beaucoup de savants,
dont plusieurs étaient de la secte des Réchabites. Ceux-ci étaient
habillés un peu différemment des autres Juifs, s'en distinguaient aussi
par certaines observances plus sévères et par quelques opinions qui leur
étaient propres, mais ils s'étaient déjà beaucoup relâchés sur tout
cela. Cette secte avait ici toute une rue qui lui était affectée. Ils
s'occupent beaucoup de l'exploitation des mines et sont de la même race
que ceux d'Éphron, ville du royaume de Basan, qui a aussi des mines dans
son voisinage. Jésus fut invité par le chef de la synagogue à un repas
qu'il avait fait préparer pour lui après le sabbat. Mais Jésus ayant
promis d'aller chez le père de Barnabé, invita tous les assistants à s'y
rendre avec lui, et pria le chef de la synagogue de donner le repas
qu'il lui destinait aux pauvres ouvriers et aux pauvres ouvriers et aux
gens des mines.
La synagogue était pleine
de monde : beaucoup de païens se tenaient à l'extérieur sur les
terrasses pour écouter. Jésus commenta des passages du Lévitique
relatifs au sacrifice devant le tabernacle et des textes de Jérémie sur
la promesse. (Lévit., XVII ; Jérém., XXIII, 6-28.)
Il parla du sacrifice de l'hostie morte et du sacrifice de
l'hostie vivante, et ils demandèrent quelle en était la différence. Il
enseigna en outre sur les huit béatitudes.
Il y avait dans la
synagogue un vieux rabbin fort pieux qui était hydropique depuis
longtemps et qui s'était fait porter à sa place comme de coutume. Or,
pendant que les savants discutaient sur divers points avec Jésus, il
s'écria d'une voix forte : "Taisez-vous, laissez-moi parler ". Quand ils
se furent tus, il s'écria : " Seigneur, vous avez été miséricordieux
envers d'autres, secourez-moi aussi et dites-moi de venir à vous !".
Jésus lui dit : "si vous croyez ! levez-vous et venez à moi" ! Aussitôt
le malade se leva en criant : "Seigneur, je crois !" Il était
parfaitement guéri ; il monta les degrés qui le séparaient de Jésus et
lui rendit grâces. Alors ce fut une joie et des acclamations
universelles. Mais Jésus et les autres sortirent pour se rendre chez
Barnabé. Alors le majordome convoqua les pauvres et les ouvriers à
prendre le repas que Jésus leur avait abandonné.
Le père de Barnabé habite
devant la partie occidentale de la ville une des maisons qui se trouvent
là disséminées, car il y a tout autour de Chytrus de ces habitations qui
forment comme des villages entiers. La maison a une belle apparence : il
y a sur l'un des côtés des terrasses dont les murs sont de couleur brune
comme s'ils étaient peints à l'huile ou enduits de résine : peut-être
aussi est-ce une couleur naturelle. Ces terrasses sont plantées et
couvertes de verdure. En outre, la maison est entourée d'une colonnade
ou d'une galerie ouverte bordée de beaux arbres. A l'entour sont des
vignes et un emplacement où sont rangées de grandes pièces de bois de
construction : il y a là des poutres d'une grosseur extraordinaire et
des pièces de bois de toute forme. Tout est si bien rangé dans cet
atelier qu'on peut y circuler facilement. Je crois que tout cela est
destiné à la construction des navires. On se sert de longs chariots, pas
plus larges que les pièces de bois et portés, je crois, sur de grosses
roues en fer. Ils sont traînés par des boeufs qu'on attelle à une assez
grande distance les uns des autres. On voit, assez près d'ici, un très
beau bois de haute futaie.
Le père de Barnabé est veuf
: sa soeur occupe avec quelques servantes une maison voisine ; elle
prend soin du ménage et prépare le repas Les compagnons païens de Jésus
et les philosophes de Salamine n'étaient point à table avec lui, parce
que c'était un repas du sabbat, mais ils se promenèrent en long et en
large dans la galerie ouverte ; on leur apportait là à manger, et ils se
tenaient debout entre les colonnes pour écouter l'instruction de Jésus.
Outre les galettes, le miel et les fruits, le repas consistait surtout
en oiseaux et en grands poissons plats. Il y avait aussi des plats de
viande tels que je n'en avais pas encore vos : les mets qui y figuraient
étaient comme roulés en spirales et garnis d'herbes de toute espèce.
Jésus parla encore du sacrifice et de la promesse et cita beaucoup de
passages des prophètes.
Pendant le repas, il vint
plusieurs troupes de pauvres enfants de cinq à six ans, à demi vêtus :
ils portaient des corbeilles, grossièrement tressées, pleines de toute
espèce d'herbes bonnes à manger qu'ils avaient cueillies dans les
environs. et il les offraient aux convives en échange d'un morceau de
pain ou de quelque autre aliment : ils se tenaient de préférence du côté
où étaient Jésus et les siens ; le Seigneur se leva, vida leurs
corbeilles qu'il remplit de mets et les bénit. C'était gracieux et
touchant à voir, et rien ne me plut autant dans tout le repas. Quand
j'étais enfant, je lui portais aussi toujours les plus belles fleurs et
les plus belles plantes de la prairie de mon père, et maintenant je ne
puis rien ramasser pour lui que mes péchés, et souvent j'en perds la
moitié en chemin. Ces repas du sabbat sont toujours accompagnés de
certaines prières et de certaines cérémonies. Le Seigneur et les siens
passèrent la nuit ici, les étrangers logèrent dans la ville.
10 mai
. — Je vis Jésus pendant toute la matinée derrière la maison de Barnabé,
dans un endroit où il y a un joli tertre avec une chaire à prêcher. On y
va de la maison par de magnifiques berceaux de vigne : il y donna
l'enseignement à beaucoup de personnes. Il vint d'abord une quantité de
mineurs et d'ouvriers, puis une troupe de païens, et enfin une nombreuse
troupe de Juifs qui étaient unis par des mariages à des familles
païennes. Beaucoup de païens malades avaient fait prier Jésus de les
assister et de leur permettre de l'entendre. C'étaient la plupart des
ouvriers malades et estropiés : ils étaient couchés sur leurs grabats
dans le voisinage de la chaire. Jésus enseigna les ouvriers sur
l'oraison dominicale et sur la purification des métaux par le feu : il
parla aux païens des branches gourmandes des arbres et de la vigne qui
doivent être retranchées, du Dieu unique et des enfants de Dieu. du fils
de la maison et du serviteur. de la vocation des païens, etc.
Il parla ensuite des
mariages mixtes, dit qu'on ne devait pas les favoriser, qu'on pouvait
toutefois les tolérer par charité, lorsqu'il y avait lieu d'en espérer
une conversion ou un amendement, mais non pour satisfaire la passion
charnelle. On ne devait les permettre que lorsque les deux parties
avaient de saintes intentions. Toutefois il parla beaucoup plus contre
que pour, et appela heureux ceux qui produisaient des rejetons purs dans
la maison du Seigneur : il parla de la lourde responsabilité
qu'encourait la partie juive, de l'éducation des enfants, de la piété,
du temps de la grâce dont il fallait profiter, de la pénitence et du
baptême.
Après cela, Jésus guérit
les malades et prit son repas chez Barnabé. Ils allèrent ensuite avec
lui de l'autre côté de la ville où il y a sur un espace très étendu
d'innombrables ruches d'abeilles entre de grands jardins plantés de
fleurs. On trouve aussi dans le voisinage une source et un petit lac.
Jésus enseigna et raconta: après quoi il revint de la ville à la
synagogue, où eut lieu la fin de l'instruction sur le sacrifice et sur
la promesse.
Il se trouvait là quelques
Juifs en voyage : c'étaient des gens instruits, qui posèrent à Jésus
toute espèce de questions subtiles dont il leur donna la solution. Cela
ne se fit pas sans quelque malveillance. Il s'agissait des mariages
mixtes, de Moïse qui fit passer au fit de l'épée un grand nombre
d'Israélites, d'Aaron qui avait laissé faire le veau d'or, de sa
punition, etc.
Jésus mangea et passa la
nuit chez les docteurs.
11 mai
. — Il doit y avoir eu aujourd'hui une fête ou un jour de jeûne chez les
Juifs. Le matin, il y eut prière et instruction dans la synagogue ;
après quoi Jésus, avec tous ses disciples et les jeunes gens païens,
sortit par le côté septentrional de la ville : des docteurs juifs et
quelques-uns des Réchabites se joignirent à eux ; il y avait bien en
tout une centaine de personnes. Ils allèrent à une lieue, à un endroit
où l'on se livrait en grand à l'éducation des abeilles. On y voyait de
longues rangées de ruches blanches de la hauteur d'un homme, faites, je
crois, avec des joncs ou de l'écorce d'arbre tressée, et qui
s'étendaient au loin, tournées vers le soleil levant. Elles avaient
plusieurs ouvertures et étaient posées les unes sur les autres. Chaque
groupe de ruches avait devant soi un champ couvert de fleurs, où la
mélisse notamment se trouvait en grande quantité. Il y avait des
clôtures partout, et l'ensemble faisait l'effet d'une ville. Le quartier
païen était facile à reconnaître, parce qu'on y voyait souvent dans des
niches des figures semblables à des enfants emmaillotés, avec des queues
de poissons qui se relevaient par derrière : elles avaient, en guise de
bras, de petites pattes fort courtes et leurs visages n'étaient pas tout
à fait des visages humains.
Le bourg lui-même se
composait de petites maisons appartenant à des propriétaires d'abeilles
qui avaient là leur mobilier. L'hôtellerie était un grand édifice avec
plusieurs bâtiments latéraux : autour des cours se croisaient des
hangars et des salles ouvertes où l'on voyait beaucoup de tréteaux et de
longues nattes. Il y avait dans cette maison un majordome qui
fournissait à ceux qui avaient affaire ici tout ce dont ils avaient
besoin ; cet homme est un paien. Les Juifs ont aussi des salles
particulières et des oratoires. Je crois qu'on prépare la cire et le
miel dans cette maison et dans les grands hangars qui en dépendent :
c'est comme un établissement à l'usage de tous ceux qui recueillent le
produit des ruches.
J'ai encore vu ici beaucoup
de ces arbustes qui ont de si jolies fleurs jaunes. Les feuilles sont
plutôt jaunes que vertes, et les fleurs tombent en si grande quantité
sur le sol qu'elles y forment comme un tapis moelleux. De grandes nattes
sont étendues sous les arbres. J'ai vu exprimer le suc des fleurs pour
en faire une teinture. Les arbustes, quand ils sont jeunes, sont élevés
dans des pots, ensuite on les plante souvent dans des trous de rocher où
l'on met de la terre. Il y en a aussi en Judée. J'ai vu encore ici du
lin d'une grande espèce dont on tire de longs fils.
Non loin de là, à une demi
lieue environ au nord de Chytrus, une source abondante sort du rocher,
formant un ruisseau qui traverse la ville, et va ensuite arroser la
contrée d'où Jésus venait. Souvent il coule à ciel ouvert, quelquefois
il passe sous des constructions Je crois qu'il porte aussi son eau aux
aqueducs de Salamine. Il forme, à sa naissance, un petit lac de forme
régulière. On baptisera près de cette source : je crois qu'il en a été
question dans les conversations que j'ai entendues.
Il y a ici une énorme
quantité de belles fleurs sauvages.
Des orangers bordent le
chemin ; on rencontre aussi beaucoup de figuiers et de ceps de vigne
dont les beaux raisins sont connus sous le nom de raisin de Corinthe.
Le principal motif de
Jésus, en venant ici, avait été de pouvoir enseigner les Juifs et les
païens en toute liberté, sans être dérangé par l'affluence tumultueuse
de la foule. C'est ce qu'il fit tout le reste de la journée dans les
jardins et sous les arbres du voisinage. Les auditeurs étaient assis ou
étendus par terre : il enseigna sur l'oraison dominicale et sur les huit
béatitudes. Je crois qu'il traita de la huitième. Il fit aussi aux
païens une instruction particulière sur les abominations de l'idolâtrie,
sur son origine, sur la vocation d'Abraham qui en fut la suite, et sur
ha conduite du peuple d'Israël. Il parla très clairement et très
fortement. Il y avait bien là une centaine de personnes. Ils prirent
quelque nourriture dans la maison, mais séparément : on ne mangea que du
pain, du fromage de chèvre, du miel et des fruits. Le maître de la
maison était un païen, mais très humble et très discret. Le soir, les
Juifs se réunirent à part : Jésus les enseigna, et ils prièrent. Tous
passèrent la nuit là.
Chytrus est une ville plus
vivante encore que Salamine, où toute l'industrie et le commerce sont
concentres dans le port et dans deux ou trois rues. Il règne ici une
grande activité. Du côté par lequel était sorti Jésus, il y a une grande
rue marchande où l'on vend des bestiaux et des volailles : au centre de
la ville, on trouve un beau marché formant terrasse et entouré de hautes
arcades sous lesquelles sont étalées des étoffes et des couvertures de
toutes couleurs. De l'autre côté de la ville, il n'y a guère que des
ouvriers en métaux et des fondeurs : c'est un tel bruit de marteaux
qu'on ne s'entend pas parler : cependant la plus grande partie des
ateliers est devant la ville. Ils fabriquent des ustensiles de toute
espèce, spécialement de grands vases de peu d'épaisseur, qui ressemblent
à des marmites : ils sont de forme à peu près ovale, avec un petit
couvercle et deux anses à la partie supérieure. On leur donne d'abord
une première forme, puis on les met dans de grands fourneaux où l'on
souffle avec de longs chalumeaux : ils sont jaunes au dehors, blancs à
l'intérieur On les remplit de fruits, de miel ou de sirop, et on les
envoie par eau sur des radeaux : on les porte aussi à l'aide de bâtons
passés dans les anses. On y met des fruits de toute espèce qu'on expédie
ainsi par mer sans les endommager.
12 mai.
— Aujourd'hui Jésus prêcha encore au village des abeilles voisin
de Chytrus, devant un auditoire qui, à la fin, était d'environ deux
cents personnes. Il fit aux païens une vive peinture de leurs erreurs ;
il leur fit voir combien leurs dieux étaient méprisables, puisque, pour
pouvoir les supporter, ils étaient obligés d'avoir recours à mille
explications qui les réduisaient à rien, et il les exhorta à renoncer à
leurs subtilités et à leurs rêveries sans fin pour s'attacher aux
vérités révélées par lui. Là-dessus quelques païens, qui étaient venus
avec des bâtons à la main comme des savants en voyage, se scandalisèrent
et se retirèrent en murmurant. Jésus dit qu'il fallait les laisser
partir, que cela valait mieux pour eux que de rester à l'écouter et de
se faire de nouveaux dieux de ce qu'ils auraient entendu. Il annonça
aussi dans un langage prophétique la dévastation future de ce beau pays,
de ses villes et de ses temples, et le jugement qui devait frapper
toutes ces contrées. Il dit que quand l'abomination serait arrivée à son
comble, le paganisme serait aboli : il parla aussi beaucoup du châtiment
des Juifs et de la destruction de Jérusalem. Les païens prirent tout
cela mieux que les Juifs, lesquels ne cessaient de faire des objections
fondées sur les promesses faites à leurs pères. Jésus parcourut avec eux
tous les prophètes, expliqua tous les passages relatifs au Messie, et
leur dit que le temps était venu où il allait paraître au milieu des
Juifs ; il ajouta que ceux-ci ne le reconnaîtraient pas ; qu'ils
l'insulteraient, le tourneraient en dérision, et qu'enfin, lorsqu'il
leur dirait qui il était, ils se saisiraient de lui et le mettraient à
mort. Plusieurs se refusèrent à admettre tout cela, et il leur rappela
ce que les Juifs avaient fait souffrir à tous leurs prophètes : ils
devaient traiter le Messie lui-même comme ils avaient traité les
serviteurs chargés de l'annoncer.
Les Réchabites lui
parlèrent beaucoup de Malachie, qu'ils avaient en grande estime; ils
dirent qu'ils le regardaient comme un ange du Seigneur, qu'il était
venu, tout enfant, chez des gens pieux, qu'ensuite il avait souvent
disparu, et qu'on n'avait pas la certitude qu'il fût mort. Ils parlèrent
aussi beaucoup de ses prophéties touchant le Messie et le nouveau
sacrifice qu'il devait instituer ; Jésus dit qu'elles s'appliquaient au
moment présent, car le temps était proche.
Dans l'après-midi, il y eut
une collation après laquelle Jésus, accompagné des siens et d'un grand
nombre de gens dont la plupart le quittèrent successivement pour
retourner chez eux, traversa la région des montagnes sans cesser
d'enseigner ceux qui cheminaient avec lui : puis il reprit le chemin des
mines qu'il avait suivi précédemment pour venir à Chytrus. Il passa là
près d'un village devant lequel il avait aussi passé la première fois :
ensuite, ils se dirigèrent un peu au nord et arrivèrent à la demeure de
Barnabé. Ils avaient fait quelques lieues de chemin. (Elle donne
plusieurs autres détails sur le pays, mais dans son patois bas-allemand,
et en termes trop peu précis pour qu'on puisse les reproduire.)
Lorsqu'ils arrivèrent, la suite de Jésus s'était fort réduite, car la
plus grande partie de son escorte, composée de jeunes gens appartenant à
la communauté juive, l'avait quitté pour aller s'embarquer, afin d'être
à Jérusalem pour la fête de la Pentecôte.
Trente ou quarante femmes
et filles païennes, parmi lesquelles une dizaine de jeunes Juives,
s'étaient réunies ici, formant divers groupes devant leurs jardins et
leurs habitations, pour rendre leurs hommages à Jésus. Elles jouaient de
la flûte, chantaient des cantiques de louange ; portaient des guirlandes
de fleurs, et jetaient ça et là des branches d'arbres sur le chemin.
Souvent aussi elles étendaient des nattes sur le passage de Jésus,
s'inclinaient devant lui et lui offraient des présents rustiques de
toute espèce, des couronnes de fleurs, des aromates, et de petits
flacons contenant des parfums. Jésus les remercia et s'entretint avec
elles. Elles le suivirent jusqu'à la maison de Barnabé et déposèrent
leurs dons dans la salle où elles avaient tout orné de fleurs et de
guirlandes. Ce fut une réception comme celle du dimanche des Rameaux,
seulement plus paisible et plus champêtre. Après cela, elles se
retirèrent : le soir était venu.
Je fus frappé du costume
des païens. Les jeunes filles portaient de singuliers bonnets, comme
ceux que, dans mon enfance, je tressais avec des joncs et qu'on appelait
des cages à coucous. Quelques-unes portaient de ces bonnets sans aucun
ornement, d'autres avaient tressé tout autour des guirlandes, où étaient
suspendus par des fils des colifichets de toute espèce qui tombaient
jusque sur le front ; tous étaient bordés par en bas d'une guirlande de
fleurs de laine et de plumes. Elles avaient par là-dessous un voile
ouvert par devant ou relevé contre le bonnet qui retombait par derrière
sur les épaules. Elles portaient un corsage très serré à la ceinture et
avaient autour du cou des fils et des bijoux de toute espèce. Au-dessous
de la ceinture, elles étaient très amplement vêtues, car elles portaient
plusieurs robes d'étoffes légères superposées, dont la longueur allait
toujours en augmentant : celle de dessous était très longue. Leurs bras
n'étaient pas entièrement recouverts ; souvent elles les mettaient à nu
en les remuant : ce n'était pas des manches qu'elles avaient, mais de
longs morceaux d'étoffe attachés au bras par des guirlandes. Les étoffes
étaient de différentes couleurs ; il y en avait de jaunes, de rouges, de
blanches, de bleues ; d'autres étaient rayées ou à fleurs. Leurs longs
cheveux pendaient sur leurs épaules, rattachés à leur extrémité par un
cordon. garni de houppes qui les maintenait et les empêchait de flotter
ça et là. Leurs pieds nus étaient chaussés de sandales relevées en
pointe et attachées avec des lacets. Les femmes mariées portaient une
autre coiffure moins haute, avec une espèce de visière s'avançant sur le
front et quelquefois descendant en pointe jusqu'au nez et se relevant
par derrière les oreilles qui étaient ornées de pendants en perles.
Cette coiffure était à jour, entrelacée de tresses de cheveux, de perles
et d'ornements de tout genre. Elles portaient d'amples manteaux qui
traînaient par derrière. Elles avaient avec elles des enfants sans autre
vêtement qu'une bande d'étoffe, laquelle partant d'une épaule, se
croisait sur la poitrine et couvrait le milieu du corps. Il y avait déjà
trois heures que ces femmes attendaient Jésus.
On avait préparé une espèce
de repas chez Barnabé ; toutefois on ne se mit pas à table ; mais on
présenta à chacun un peu de nourriture sur une planchette, comme on
avait fait en mer sur le navire. Plusieurs vieillards s'étaient réunis
là, parmi lesquels le vieux savant que Jésus avait guéri à la synagogue.
Le père de Barnabé est un vieillard robuste avec une large carrure : on
voit bien qu'il travaille le bois. Tous les hommes de cette époque sont
beaucoup plus robustes que les gens d'à présent.
13 mai.
— Aujourd'hui Jésus enseigna sur une chaire, près d'une fontaine,
et il prépara au baptême : c'étaient les disciples qui baptisaient On
baptisa à la même fontaine, d'abord les Juifs, ensuite les païens. La
source se trouve devant ce faubourg où travaillent tant de forgerons :
on la laisse à gauche quand on va au village des Ruches. On trouve là
plusieurs édifices, un jardin où les Juifs prennent leurs bains,
d'autres lieux de plaisance, et aussi une chaire en plein air placée
sous des arbres.
La fontaine donne plusieurs
filets d'eau : l'un d'eux contribue à alimenter l'aqueduc de Salamine.
Les bains des païens sont d'un autre côté. Cette eau coule aussi près
des ateliers des forgerons ; la source, à peu de distance de l'endroit
où elle jaillit, forme un petit étang d'où sort un ruisseau. Il y a
encore une prise d'eau qui coule au nord, dans la direction que suivait
Jésus, tantôt dans des canaux souterrains, tantôt dans des conduits peu
élevés revêtus de maçonnerie. La fontaine baptismale avait été disposée
tout prés de la naissance de la source : on avait tout arrangé comme à
Salamine.
Jésus enseigna séparément
les Juifs et les païens . Je l'ai aussi entendu parler de la
circoncision avec quelques docteurs : il disait qu'on ne devait pas
l'imposer à ces païens, sauf le cas où ils la demanderaient d'eux-mêmes.
D'un autre côté, on ne pouvait pas exiger des Juifs qu'ils admissent les
païens dans la synagogue : il fallait éviter le scandale et remercier
Dieu de ce qu'ils renonçaient au culte des idoles et vivaient dans
l'attente du salut. On devait imposer d'autres sacrifices, la
circoncision du coeur et le retranchement de tous les mauvais désirs :
il voulait régler séparément pour eux l'enseignement et la prière.
14 mai.
— Vers trois heures après midi mes maux d'yeux me causèrent des
douleurs intolérables t et que je ne savais comment soulager, car
c'était comme si on m'eût frappé l'oeil à coups de marteau ; je me mis
alors à prier, ce qui me procura quelque allégement, et je vis ce qui
suit étant tout à fait éveillée.
NOTE
: Anne Catherine avait pris sur elle les maux d'yeux d'un cardinal
malade, et elle en souffrait si horriblement que souvent elle en
perdait presque connaissance et ne pouvait plus voir ni parler. Les
détails à ce sujet seront donnés dans sa grande biographie.
(Note de l'éditeur.)
Autour de la fontaine
baptismale, établie au nord de Chytrus, se tenaient des hommes qui la
recouvraient respectueusement. Plusieurs autres, qui avaient entendu
Jésus ou qui avaient reçu le baptême, allaient de côté et d'autre, et
semblaient se disposer à partir. Ils s'étaient seulement arrêtés pour
quelques moments autour de quelques Juifs en voyage qui venaient
d'arriver, la robe relevée et un bâton à la main, et qui leur
adressaient des questions. Je vis quelques-uns des assistants indiquer
du doigt le côté du nord, puis je les entendis dire : Le prophète a
enseigné ici depuis le point du jour jusqu'à midi, et ses disciples ont
baptisé : ensuite, après avoir pris un peu de nourriture, il s'est
dirigé de ce côté avec eux et environ sept philosophes baptisés de
Salamine (la Soeur montre du doigt le nord-ouest) ; deux heures plus tôt
vous l'auriez encore trouvé ici. Il est allé là, vers le grand village
de Mallep. (Elle hésita sur le nom et dit successivement Mallep, Mallépo,
Lapeto.) Ah ! c'est bien le Messie promis lui-même, ou au moins un
prophète, son précurseur ! Jamais personne n'a parlé avec tant de
sagesse, ni donné de tels enseignements. Les interrogateurs dirent alors
: "comment n'avez-vous pas pu le retenir ? Quel dommage que nous
arrivions si tard" ! Les autres leur racontèrent encore différentes
choses touchant Jésus, et les voyageurs rapportèrent ce qu'ils avaient
entendu dire dans un endroit d'où ils venaient. On parle beaucoup de
grands troubles et d'un soulèvement à Jérusalem. Pilate y est de retour.
On s'entretient aussi beaucoup des Galiléens qui ont été massacrés. De
plus, Hérode est en guerre avec son beau-père Arétas : il a employé un
horrible stratagème. Il était enfermé dans Machérunte avec son armée :
comme les ennemis s'approchaient, il les a amenés par la ruse à une
conférence pacifique; mais à peine étaient-ils arrivés à l'endroit
désigné pour cela que le sol s'est éboulé; le feu en a jailli, et des
arbres enflammés sont tombés sur eux ".
Ce récit excita
l'indignation de tous les auditeurs, et je me souviens des travaux que
j'avais vu faire autour de Machérunte, lorsque la tête de Jean fut
emportée par les femmes d'Hébron.
Pendant cette courte vision
je vis Jésus et sa suite, à une lieue de là, s'avancer a peu près comme
une procession de pèlerins, puis je perdis de vue cette scène, et mes
douleurs redoublèrent de violence.
Le grand village de Mallep
(c'est ainsi qu'elle le nomma d'abord et on peut lui laisser ici ce
nom), est le lieu le plus charmant qu'on puisse imaginer ; le pays est
couvert de la plus belle verdure et sa fertilité dépasse toute
description. Je ne puis dire à quel point tout ici est magnifique et
bien tenu. Tous les habitants sont Juifs; c'est une colonie fondée par
des Juifs, et je crois que c'est la dernière qu'il y ait ici dans la
contrée. Plus tard, à l'époque chrétienne, après la destruction du
village, il s'y éleva un beau monastère '.
Cet endroit est situé sur
une hauteur au penchant de la montagne : il y a de tous côtés des vues
admirables ; on voit même la mer à l'horizon. Cinq rues aboutissent au
centre du bourg ; on a creusé là dans un fond de rocher un beau
réservoir où un conduit amène l'eau de la source qui est près de Chytrus.
Cette citerne est placée à une grande hauteur, car on y fait monter
l'eau qui pourtant vient d'un point élevé : il y a tout autour de beaux
sièges et des arbres touffus. On a de là une vue magnifique sur le
village et sur la fertile contrée qui l'entoure. Le village est entouré
d'un double rempart, l'un intérieur qui est plus bas, l'autre extérieur
qui est plus élevé : une grande partie de tout cela est taillée dans le
roc. En dehors de ce rempart règnent tout à l'entour de beaux fossés
semblables à de petites vallées, dont le fond est tapissé d'un frais
gazon émaillé de fleurs admirables et qui s'étendent entre deux rangées
de magnifiques arbres fruitiers, sous lesquels l'herbe est jonchée de
gros fruits jaunes. Une rosée abondante y entretient une verdure
toujours fraîche. Tout le monde ici est encore occupé à la moisson. Les
habitants font sécher beaucoup de fruits qu'ils envoient au loin ; ils
fabriquent aussi des tapis, des couvertures et d'autres objets du même
genre ; ainsi que des nattes en grande quantité et des boîtes légères et
peu profondes d'écorce tressée où ils font sécher les fruits.
Lorsque Jésus arriva ici,
les docteurs de la synagogue vinrent à sa rencontre jusque devant la
porte avec les enfants des écoles et un peuple nombreux. Ils étaient
parés comme pour une fête, avaient près d'eux des enfants qui jouaient
de la flûte, chantaient des cantiques et portaient à la main des
branches de palmier. Les petites filles précédaient les garçons. Jésus
remercia et passa au milieu des enfants en les bénissant. L'habitation
des maîtres n'est pas éloignée de l'entrée du bourg. Ils conduisirent
dans une salle Jésus et ses compagnons qui étaient une trentaine, leur
lavèrent les pieds et leur présentèrent une réfection.
NOTE : Plusieurs
années après cette communication, le Pèlerin lisant le voyage de
Mariti dans l'île de Chypre, y trouva mentionné un grand couvent en
ruille1 du nom de Lapasis ou Belapais ; il est dans une belle
situation, à l'est de Cerinès, possède une fontaine excellente et
d'autres détails encore peuvent y faire reconnaître le couvent en
question. Pococke le cite sous le nom de Telabaiset le place dans sa
carte à l'est de Cerinès.
Pendant ce temps une
vingtaine de malades, perclus et hydropiques, avaient été amenés dans la
rue devant la maison : Jésus sortit, les guérit, et leur ordonna de le
suivre jusqu'au puits qui était au milieu de la ville. Ils se levèrent
pleins de santé à la grande joie de leurs proches, et l'accompagnèrent
jusqu'au puits où Jésus leur fit, ainsi qu'au peuple assemblé, une
instruction sur le pain quotidien et sur la reconnaissance envers Dieu.
Il alla ensuite à la
synagogue et prit pour texte ces paroles du Pater : " Que votre règne
arrive ! " ; il parla du royaume de Dieu en nous, dit qu'il était
proche, et que c'était le moment de s'en emparer, que c'était un royaume
spirituel et non terrestre, et que ceux qui le repousseraient auraient à
s'en repentir. Les païens qui l'avaient suivi se tenaient dehors, à part
du reste de l'auditoire : en général, ici ils étaient moins mêlés aux
Juifs que dans les villes païennes.
Jésus assista ensuite à un
repas chez les docteurs, après quoi ils le conduisirent à un logement
qu'ils avaient fait préparer pour lui et pour sa suite. Il y avait là un
surveillant chargé de pourvoir à tout. Jésus passa la nuit avec ses
compagnons dans une grande salle, où cependant il eut sa place séparée ;
une chambre particulière fut affectée aux sept païens qui avaient reçu
le baptême. Lorsque les disciples furent endormis, Jésus sortit encore
pour aller prier en plein air.
J'ai vu de nouveau Mercuria,
la prêtresse de Dercéto. Après la mort de Jésus, elle fut baptisée à
Jérusalem et reçut le nom de Famula. Elle est prêtresse dans le temple,
et sa grande beauté fait qu'on l'appelle la déesse des hommes. Elle est
de race sacerdotale, d'une famille dont descendait la mère de sainte
Catherine, laquelle a habité plus tard la même maison. Elle a été forcée
d'aller encore une fois au temple, mais elle n'a pris aucune part au
culte honteux qui s'y pratique. Ces abominations ont lieu dans
l'obscurité d'un appartement secret. Les enfants des prêtresses sont
considérés comme saints, et on les élève dans les dépendances du temple
; on leur apprend à broder, à orner le temple, à chanter et à danser
dans les cérémonies ; on en fait généralement des prêtres et des
prêtresses, et cette même vie d'ignominies devient leur partage ;
quelquefois ils se marient dans la ville. Mercuria a dans le temple des
enfants de cette espèce. Elle a chez elle deux filles dont son mari est
le père, et un garçon né d'un commerce adultère. Ses filles la suivirent
lorsqu'elle s'enfuit ; elle ne put pas emmener le garçon. Son mari est
un homme singulier, je ne sais pas ce que je dois en penser ; il vit
dans le bien-être et semble assez borné ; il se fait servir, mange, boit
et se divertit ; il est souvent ivre. Il s'inquiète peu de ce que fait
sa femme. Mercuria se farde, elle se teint les paupières en noir ; sa
bouche et ses joues vermeilles sont bordées de teintes d'un jaune
rougeâtre qui se fondent délicatement les unes dans les autres ; elle
ressemble à une peinture. Quand elle va au temple ou à une fête, elle se
teint en rouge les ongles et la paume des mains. Dans le temple elle
porte un long manteau blanc d'étoffe transparente par dessus une robe
jaune à fleurs garnie d'une riche bordure. Les filles et les femmes
païennes se fardent toutes pour les fêtes. Elles se servent pour cela
d'un cosmétique qui se fait avec une plante du pays.
15 mai.
— Hier on a parlé de Samuel ; je crois que c'était un jour où l'on
faisait commémoration de sa mort ; le soir on commença à célébrer la
fête de la nouvelle lune, probablement parce que le sabbat tombait ce
jour-là même. On a beaucoup orné les maisons et les synagogues ; Je ne
sais pas si c'est à cause de la nouvelle lune ou parce qu'on se prépare
à célébrer la Pentecôte.
Ce matin il y avait devant
le logis de Jésus et sur son chemin jusqu'à la synagogue beaucoup de
malades qu'il guérit. La synagogue d'ici est très belle, presqu'autant
que celle de Jérusalem il s'y trouve deux chaires. Toute la population
s'y était assemblée. Je n'ai vu travailler nulle part aujourd'hui. Il
semble qu'on célébrait la clôture de la moisson.
Jésus enseigna pendant la
plus grande partie de la matinée. Les autres docteurs et le peuple
lurent et chantèrent aussi par intervalles. Je me souviens que Jésus
parla du semeur, des différents terroirs, de l'ivraie, et aussi du grain
de sénevé et du grand fruit qu'il donne. Il tira une de ses comparaisons
d'un arbuste très utile qu'on cultive ici, et dont la graine très petite
produit une tige grosse comme le bras et haute de cinq à six pieds. La
semence ressemble assez à celle de la cuscute, mauvaise herbe qui
infecte nos champs de lin : le fruit, gros comme un gland, est rouge et
noir. On tire de ce fruit, en le pressant, une matière muqueuse
semblable à de la colle forte. Les feuilles sont jaunes et rouges. On
s'en sert, je crois, pour la teinture on les emploie à teindre en jaune,
en rouge et en brun : on peut tout utiliser jusqu'à la tige. Les païens
baptisés n'étaient pas à la synagogue ; ils étaient sur une terrasse
extérieure d'où ils écoutaient.
A midi, Jésus et les
disciples assistèrent à un repas chez les chefs de la synagogue. Trois
enfants aveugles, de dix à douze ans, furent introduits par d'autres
enfants ; ils jouèrent de la flûte et d'un autre instrument qu'ils
tenaient devant la bouche et sur lequel ils faisaient aller leurs
doigts. Ce n'était pas un fifre ; le son qu'il rendait était un
bourdonnement rauque semblable à celui de la guimbarde. Ils chantèrent
aussi très agréablement. Leurs yeux étaient ouverts ; ils semblaient
avoir la cataracte. Jésus leur demanda s'ils désiraient voir la lumière
et marcher avec piété et avec persévérance dans la bonne voie. Ils
répondirent tout joyeux : " Oui, Seigneur, si vous voulez nous assister
? Seigneur, assistez-nous, nous ferons ce que vous commanderez ". Alors
Jésus leur dit : " Déposez vos instruments ". Puis il les plaça devant
lui, porta à sa bouche ses deux pouces qu'il promena successivement sur
leurs yeux, depuis le coin de l'oeil jusqu'aux tempes, puis il éleva
devant eux un plat plein de fruits qui était sur la table et leur dit :
" voyez-vous ceci " ? il les bénit et leur donna les fruits. Ils
regardèrent autour d'eux, saisis d'étonnement et comme ivres de joie ;
puis ils se prosternèrent aux pieds de Jésus en pleurant. Il y eut
beaucoup d'émotion, de joie et de surprise dans toute l'assemblée.
Les enfants se
précipitèrent hors de la salle avec leurs conducteurs, et coururent tout
joyeux chez leurs parents. Il y eut un grand émoi dans toute la ville ;
les enfants revinrent avec tous leurs proches et beaucoup d'autres
personnes sous le porche de la salle, puis jouant de leurs instruments
et chantant des airs joyeux, ils allèrent remercier Jésus. Alors Jésus
fit encore une belle instruction sur la gratitude, et dit que l'action
de grâces était une prière qui préparait de nouvelles grâces, tant était
grande la bonté du Père céleste.
Après le repas, je vis
Jésus avec les disciples et les philosophes païens se promener dans les
beaux ravins couverts de verdure qui entourent la ville, instruisant, la
plupart du temps, les païens et les nouveaux disciples. Les anciens
disciples firent de leur côté des instructions à différents groupes. Le
soir, Jésus enseigna de nouveau dans la synagogue. Dès que les disciples
furent endormis, Jésus sortit de sa cellule pour prier.
16 mai.
— Le matin, Jésus et ses anciens disciples parcoururent la ville
et visitèrent différentes maisons : il consola, distribua des aumônes,
guérit et donna des avis. Il visita entre autres les parents des jeunes
aveugles qu'il avait guéris. C'étaient des Juifs d'Arabie, originaires
de la contrée où avait habité Jéthro, le beau-père de Moïse. Ils avaient
un nom particulier. Ils voyageaient beaucoup et ils avaient été déjà
baptisés à Capharnaüm où ils avaient entendu, à leur passage, le sermon
de Jésus sur la montagne. Ces gens, composant deux familles d'une
vingtaine de personnes, y compris les femmes et les enfants, étaient des
commerçants et des fabricants qui faisaient comme font chez nous, les
Italiens, les Tyroliens et les gens de la Forêt Noire, avec leurs
horloges de bois, leurs souricières et leurs statuettes de plâtre,
s'arrêtant tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre, faisant leur petit
commerce et exerçant diverses industries. A cette époque de l'année, ils
il s'établissaient ordinairement ici pour deux mois, et ils occupaient
en avant du quartier nord de la ville une hôtellerie où ils avaient tous
leurs outils, notamment des métiers de tisserands. Ils emmenaient dans
leurs tournées leurs enfants aveugles qui gagnaient quelque chose de
côté et d'autre en chantant et en jouant de la flûte.
Jésus enseigna ces gens et
leur donna des avis ; il reçut de nouveau leurs remerciements et ceux
des enfants. Il leur dit que dorénavant ils ne devaient plus emmener ces
enfants dans les courses qu'ils faisaient de côté et d'autre, mais les
laisser ici pour qu'ils allassent à l'école, et il leur indiqua des
personnes qui voulaient bien les recevoir et les instruire. Il avait dès
la veille pris ses mesures à cet effet. Les parents lui promirent de
faire ce qu'il demandait.
Jésus prit avec les siens
un petit repas dans l'hôtellerie, après quoi il alla, avec les disciples
et les sept philosophes, baptiser du côté de l'ouest dans une charmante
vallée qui conduit à un village appelé Lanifa ' : il enseigna tout en
marchant, suivant sa coutume.
Au couchant de Mallep
s'étend une vallée qui s'élève en pente douce jusqu'aux montagnes où
elle fait un coude vers le midi. De ce côté méridional arrive ici un
ruisseau, large d'environ trois pieds, qui est une dérivation de la
source de Chytrus: il vient à travers la montagne par un conduit
souterrain, arrose le village de Lanifa et descend par la vallée à
Mallep et dans les fossés qui entourent cette ville. Ce n'est pourtant
pas son eau qui alimente le puits central si haut placé au milieu de
Mallep, quoique la rue par laquelle Jésus était sorti fût la cinquième
rue de l'endroit, celle que suit l'aqueduc qui amène l'eau à ce beau
réservoir. On ne peut dire à quel point est charmante cette vallée
fermée de tous côtés avec sa belle verdure et ses douces ondulations.
Sur ses deux flancs sont disséminées jusqu'à Mallep les métairies
dépendant du village de Lanifa, situé à l'extrémité de la vallée.
NOTE
: Serait-ce le village de Casafani que Mariti mentionne comme voisin
de Lapasis, et dont il vante la bonne eau ? (Note
du Pèlerin)
On ne voit partout que de
la verdure, des fleurs charmantes et des fruits magnifiques dont
plusieurs espèces viennent ici sans culture. Jésus remonta la rive
méridionale du ruisseau jusqu'à Lanifa, où il rencontra une troupe de
jeunes gens qui allaient s'embarquer pour Jérusalem, où ils voulaient
arriver pour la fête de la Pentecôte. Il les chargea de saluer Lazare,
mais leur défendit de parler de lui à aucune autre personne. Jésus,
continuant son chemin, passa le ruisseau et redescendit la vallée
jusqu'à Mallep en suivant la rive septentrionale. Il trouva sur sa route
un autre village qui a un nom singulier que j'ai oublié f. C'est une
chose risible que dans ces visions je m'émerveille toujours des noms que
j'entends, mais je me dis ensuite que les noms de nos villages de
Westphalie sonneraient aussi étrangement aux oreilles de ces gens.
J'ai vu ce matin et encore
maintenant que la moisson est terminée et que l'on met en tas des gerbes
qu'on veut donner aux pauvres.
Pendant tout le chemin,
Jésus enseigna aux philosophes païens, tantôt sans cesser de marcher,
tantôt s'arrêtant à quelque endroit agréable. Il leur parla de la
dépravation complète des hommes avant le déluge, de la préservation de
Noé, de la corruption qui recommença après lui, de la séparation
d'Abraham et de la manière dont Dieu dirigea la postérité de ce
patriarche, jusqu'à l'époque où le consolateur promis pourrait en
sortir. Les païens demandèrent quelques éclaircissements ; ils mirent en
avant plusieurs noms fameux de dieux et d'anciens héros, et parlèrent
des bienfaits dont on croyait leur être redevable. Jésus leur dit que
tous les hommes recevaient en plus ou moins grande abondance des grâces
naturelles à l'aide desquelles ils inventaient bien des choses
avantageuses, bien conçues et profitables pour la vie présente, mais
qu'il se mêlait à tout cela beaucoup de vices et d'abominations ; il
leur fit voir l'abîme de maux où l'idolâtrie avait plongé les hommes ;
la décadence de certains peuples qui en avait été la suite, et
l'extravagance ridicule de leur théologie fabuleuse qui, grâce aux
oracles diaboliques et aux prestiges magiques qui l'appuyaient, s'était
introduite dans le monde comme étant la vérité.
NOTE
: Le dimanche 18 mai, elle l'appela Leppé.
Ils firent mention d'un roi
très ancien et très sage qui avait paru dans un pays de hautes montagnes
situé au delà de l'Inde ; il s'appelait Djemchid, et avec un poignard
d'or qu'il avait reçu de Dieu il avait partagé des terres, les avait
peuplées et avait répandu partout la bénédiction : ils interrogèrent
Jésus sur lui et sur différentes choses merveilleuses qu'on en
racontait. Jésus leur dit que Djemchid avait été un homme doué de
beaucoup de sagesse et d'intelligence naturelle et un habile conducteur
de peuples, lequel, lors de la dispersion et de la séparation des hommes
à l'époque de la tour de Babel, avait conduit une race de peuples et
avait occupé avec eux des contrées où il avait fondé certains
établissements ; qu'il y avait de ces conducteurs qui avaient fait plus
mal que lui, car chez son peuple la vérité s'était moins obscurcie que
chez beaucoup d'autres. Il leur fit voir aussi qu'on avait écrit à son
sujet des fables absurdes et qu'il fallait voir en lui une copie
infidèle et défigurée du prêtre-roi Melchisédech. Il leur dit de porter
leurs regards sur celui-ci et sur la race d'Abraham, car lorsque le
torrent des peuples se mit en mouvement, Dieu avait envoyé Melchisédech
aux meilleures d'entre les familles humaines pour les conduire, les
associer et leur préparer un établissement dans des contrées désignées à
cet effet, afin qu'elles se conservassent pures et qu'elles devinssent,
selon leur mérite, plus ou moins aptes à participer à la grâce de la
promesse. Qu'était-ce que Melchisédech ? C'est ce qu'il leur laissait à
imaginer eux-mêmes : mais la vérité était qu'il fallait voir en lui un
symbole antique de la grâce de la promesse, maintenant si rapprochée :
car son oblation de pain et de vin était une figure prophétique qui
allait être accomplie et réalisée dans une oblation qui devait subsister
jusqu'à la fin du monde.
Jésus parla de Djemchid et
de Melchisédech en termes tellement précis et si positifs que ces
savants lui dirent tout surpris : " Maître, quelle sagesse est la vôtre
! il semble que vous ayez vécu à ces époques et que vous connaissiez
tous ces personnages mieux peut-être qu'ils ne se connaissaient
eux-mêmes " ! Il leur dit aussi beaucoup de choses sur les prophètes :
il parla notamment des petits prophètes et surtout de Malachie.
Lorsque le sabbat s'ouvrit,
Jésus alla à la synagogue : il y enseigna sur des passages du Lévitique
relatifs à l'année du jubilé et sur des textes de Jérémie. Il dit entre
autres choses que l'Israélite doit bien cultiver le champ dont il est en
possession, afin que son frère auquel il doit le rendre plus tard trouve
là une preuve de sa charité.
Après le repas, il eut
encore un entretien avec les philosophes et avec quelques Juifs.
17 mai
. — Ce matin Jésus continua à la synagogue son instruction sur l'année
du jubilé, sur la culture des champs et sur Jérémie, après quoi,
accompagné de ses disciples et d'une foule nombreuse composée de Juifs
et de quelques païens. Il alla hors de la ville, du côté du midi' dans
un jardin où les Juifs prenaient leurs bains. L'eau était fournie par
l'aqueduc de Chytrus ; il y avait une grande citerne, entourée de
bassins, avec de belles allées pour se promener et des berceaux de
verdure très touffus. Tout était déjà arrangé pour pouvoir y donner le
baptême, et beaucoup de personnes suivirent Jésus près du puits où il y
avait un emplacement commodément disposé pour la prédication. Il y avait
là, entre autres personnes, sept fiancés avec ceux qui étaient chargés
de les conduire et leurs plus proches parents.
Jésus enseigna sur la chute
originelle, sur la corruption des hommes, sur la promesse, sur
l'abâtardissement et la dégénération de l'espèce humaine, sur la
séparation des meilleurs d'avec les autres, sur le soin vigilant qui
devait présider aux unions afin que les vertus des parents et les grâces
qu'ils avaient reçues devinssent l'héritage de leurs enfants, sur la
sanctification du mariage par l'observation de la loi, la modération et
la continence. Il s'adressa alors aux fiancées et aux fiancés et leur
proposa un exemple tiré d'un arbre du pays qui reçoit sa fécondation
d'autres arbres situés à une très grande distance et même par delà la
mer. Il dit que de même, l'espérance, la confiance en Dieu, et le désir
du salut rendaient mère de la promesse la chasteté fondée sur
l'humilité. Il en vint ainsi à parler de la signification mystérieuse du
mariage qui représentait l'union du Consolateur d'Israël avec son peuple
: et il appela le mariage un grand mystère. Il dit à ce sujet des choses
si belles et si admirables que je ne veux pas essayer de les répéter. Il
enseigna ensuite sur la pénitence et le baptême qui purifient et
effacent le péché, cause de la séparation, et rendent tous les hommes
capables de prendre part à l'alliance du salut.
Jésus prit ensuite à part
quelques-uns des néophytes et entendit leurs confessions: il leur remit
leurs péchés et leur imposa des privations et des bonnes oeuvres.
Jacques le Mineur et Barnabé baptisèrent. On baptisa surtout des
vieillards et quelques païens, et aussi les trois jeunes aveugles guéris
par Jésus qui n'avaient pas été baptisés avec leurs parents à
Capharnaüm.
Jésus et les siens, ainsi
que plusieurs autres, prirent encore ici quelques rafraîchissements,
puis ils firent une promenade du sabbat vers le midi de la ville. Le
ruisseau de Lanifa la longe ici pendant quelque temps, après quoi il va
à la mer. Ils eurent à le passer. Dans la vallée de Lanifa, il est très
étroit ; ici, il est assez fort parce qu'il est grossi par le ruisseau
qui lui vient de la ville. Les femmes et les jeunes filles allèrent
aussi se promener de leur côté. Jésus ne cessa d'enseigner et toujours à
l'adresse des païens baptisés qui se tenaient un peu à l'écart. Au bout
de quelque temps ils s'étendirent sur l'herbe autour de Jésus, puis on
retourna à la synagogue où eut lieu la clôture de l'instruction du
sabbat.
Après un repas qui eut lieu
ensuite, quelques-uns des philosophes qui s'étaient approchés pour
écouter, mirent en avant la question de savoir s'il avait été nécessaire
que Dieu infligeât à la terre le terrible châtiment du déluge ? Ils
demandèrent aussi pourquoi ensuite il avait laissé les hommes attendre
si longtemps leur Consolateur : n'aurait-il pas pu agir autrement et
envoyer quelqu'un pour remettre tout dans l'ordre. Jésus répondit que
tels n'avaient pas été les décrets de Dieu : qu'en créant les anges il
les avait doués d'une volonté libre et de qualités appropriées à leur
nature, mais que ceux-ci s'étant séparés de lui par l'orgueil avaient
été précipités dans un royaume de ténèbres ; qu'ensuite l'homme
également doué du libre arbitre avait été placé entre le royaume
ténébreux et le royaume de la lumière, et qu'en mangeant du fruit
défendu, il s'était livré au royaume des ténèbres ; mais que maintenant
l'homme devait coopérer au dessein qu'avait Dieu de le secourir, et
qu'il devait attirer sur la terre le royaume de Dieu, afin que Dieu le
lui donnât. L'homme avait voulu devenir comme Dieu en mangeant le fruit
défendu, et il ne pouvait être secouru que si le Père faisait reparaître
son Fils parmi les hommes, afin de les réconcilier avec Dieu. Mais la
nature humaine avait été tellement altérée dans son essence, qu'il avait
fallu une grande miséricorde et de merveilleuses combinaisons de la
sagesse divine pour amener sur la terre le royaume de Dieu, parce que le
royaume des ténèbres, implanté dans l'homme, le repoussait de tout son
pouvoir. Il dit aussi que ce royaume n'était pas une souveraineté
terrestre entourée d'un pompeux appareil, mais le renouvellement de
l'homme, sa réconciliation avec le Père et l'union de tous les bons en
un seul corps.
18 mai.
— Ce matin Jésus enseigna encore plusieurs personnes et particulièrement
les couples de fiancés à l'endroit où l'on avait donné le baptême. Il y
avait sept couples, dont faisaient partie deux païens qui avaient
accepté la circoncision et qui épousaient des juives. Beaucoup d'hommes
et de femmes de leurs familles étaient présents, ce qui m'avait fait
croire d'abord à un plus grand nombre de couples de fiancés. Les fiancés
furent baptisés ; quelques païens qui avaient du penchant au judaïsme
avaient demandé la permission d'assister à l'instruction.
Jésus commença par
enseigner en général sur le. devoirs de l'état du mariage et
spécialement sur ceux des femmes qui devaient voir par les yeux de leurs
maris et fermer les yeux sur tout le reste. Il parla de l'obéissance, de
l'humilité, de la chasteté, de l'amour du travail et de l'éducation des
enfants.
Les femmes s'étant retirées
à Leppé pour y faire les apprêts du festin nuptial, Jésus prépara les
hommes au baptême. Il parla d'Elle, de la grande sécheresse qui avait eu
lieu à l'époque de ce prophète et de la nuée apportant la pluie, qui
s'était élevée de la mer à la prière d'Élie. (Aujourd'hui encore la
terre était couverte d'une nuée de vapeurs blanches comme celle qui
l'avait couverte récemment, et l'on ne pouvait voir que les objets les
plus rapprochés.) Jésus parla de cette sécheresse comme d'un châtiment
de Dieu amené par l'idolâtrie à laquelle se livrait le roi Achab. La
grâce et la bénédiction s'étaient retirées, et il y avait aussi une
sécheresse dans les coeurs. Il dit comment Élie s'était caché près du
torrent de Khrit, où l'oiseau lui portait sa nourriture et comment il
était allé chez la veuve de Sarepta qu'il avait assistée ; il parla de
sa victoire sur les prêtres des idoles au mont Carmel et de la nuée qui
s'était élevée dans les airs et avait répandu sur la terre une pluie
bienfaisante. Jésus compara cette pluie au baptême ; il exhorta ses
auditeurs à se convertir et à ne pas rester, comme Achab et Jézabel,
dans le péché et la sécheresse du coeur, après la pluie du baptême. Il
donna des explications sur tout cela. Il parla aussi de Segola, cette
pieuse païenne venue d'Égypte (voir tome II, page 407), qui s'était
établie à Abila, près du torrent de Khrit, qui avait fait tant de bien
et qui avait trouvé grâce devant Dieu. Il parla du travail que les
païens ont à faire pour se sanctifier, afin que la grâce divine leur
arrive. Il dit tout cela de manière à être entendu de ses auditeurs
païens, lesquels savaient quelque chose d'Élie et de cette femme
païenne.
Après le baptême des
fiancés, Jésus et les siens, ainsi que tous les couples de fiances et
les rabbins, furent invités à un festin qui devait avoir lieu à Leppé,
village à l'ouest de Mallep, par le docteur juif de l'endroit. Sa fille
était la fiancée d'un philosophe païen de Salamine, qui avait assisté à
la prédication de Jésus dans cette ville et qui s'était soumis à la
circoncision.
Ils se rendirent donc à
Leppé, ce village dont j'avais oublié le nom hier. Le chemin, qui monte
d'abord par une pente douce, puis descend plus rapidement, conduit, par
de belles avenues qui donnent au pays l'aspect d'un jardin, à ce beau
village, situé à trois quarts de lieue à peu près et qui est aussi grand
que Coesfeld. Mallep est presque aussi grand que Munster. Près de Leppé
passe la route qui conduit au petit port de Cerinia, éloigné d'environ
deux lieues. L'autre route sur laquelle Jésus s'était entretenu avec les
Arabes voyageurs mène au grand port de Lapithus, qui est plus à l'ouest.
A Leppé, les païens habitent une rangée de maisons le long de la grande
route. Il y a de l'industrie et du commerce. Les Juifs habitent à part
et ont une belle synagogue. Je vis dans des jardins païens des idoles
semblables à des poupées emmaillotées ; je vis aussi sur une place
publique et dans une enceinte en dehors du chemin, une idole plus grande
qu'un homme avec une espèce de tête de boeuf, ayant entre ses cornes
comme la représentation d'une gerbe : cette figure était accroupie et
avait des espèces de mains très courtes qui pendaient en avant. J'ai
déjà vu des figures de cette sorte dans la Gaulonitide. Il s'y trouve
des trous ou l'on fait brûler toute espèce de choses.
Il y eut ici un festin,
mais pourtant assez simple, où l'on servit des oiseaux, des poissons, du
miel et des fruits. Les femmes et les jeunes filles qui les
accompagnaient étaient assises à part au bout de la table. Elles étaient
voilées et portaient de longues robes rayées très modestes : leurs bras
étaient couvert de bandelettes qui laissaient voir le nu par endroits.
Elles portaient des couronnes de petites plumes ou de laine fine de
différentes couleurs.
Jésus ne cessa d'enseigner
pendant et après le repas. Il parla de la sainteté du mariage et leur
dit qu'ils devaient se contenter d'une seule femme, car ici ils avaient
la coutume de divorcer facilement pour en prendre une autre. Jésus
s'éleva fortement contre cet abus. Il raconta aussi la parabole du repas
de noces et celle de la vigne et du fils du roi. Il y eut même une
parabole en action : car les compagnons et les compagnes des fiancés se
tenaient devant la maison et sur le chemin et invitaient les passants à
entrer. On introduisait quiconque avait un extérieur convenable ; les
pauvres aussi furent nourris et enseignés. Les trois jeunes aveugles
guéris étaient à la fête et jouaient de leurs instruments ; il y avait
aussi des jeunes filles qui chantaient et faisaient de la musique.
Le soir était déjà venu
lorsque Jésus retourna à Mallep avec les siens. Au point culminant du
chemin, la vue était très belle : on voyait la mer qui brillait d'un
éclat merveilleux.
Je crois que la fête de la
Pentecôte est très proche : mais ces couples de fiancés veulent célébrer
leurs noces auparavant. A Mallep, on voit de grands bouquets d'épis de
blé dressés près de quelques maisons et à quelques coins de rue : je ne
sais pas si c'est pour indiquer qu'on fera là des distributions ou si
c'est une décoration de fête. La récolte des grains et des fruits est
terminée : la vendange n'est pas encore faite.
19 mai
. — Ce matin, il y eut à Mallep de grands préparatifs pour les
épousailles des sept couples de fiancés. Toute la ville semblait prendre
part à la fête, car c'est comme une population de frères. On n'y voit
pas de pauvres : ils demeurent à part contre le mur d'enceinte et on
pourvoit à leur entretien.
Mallep est une ville très
régulière. Elle ressemble à un gâteau rond qu'on partagerait en cinq
parts. Les cinq rues qui divisent la ville courent toutes vers le centre
et aboutissent au grand puits qui est entouré d'arbres et de terrasses.
Quatre de ces quartiers de la ville sont coupés par deux rues
transversales décrivant un cercle autour du puits, qui est le point
central de l'endroit. Dans une de ces rues est une maison où les veuves
et les vieilles femmes sans enfants vivent ensemble aux frais de la
communauté, tiennent une école et soignent les orphelins. Il y a
également ici une maison où l'on donne l'hospitalité aux étrangers et
aux voyageurs pauvres. Jésus est déjà allé deux fois dans la maison des
veuves donner des consolations et des avis, même aux enfants.
Le cinquième quartier de la
ville renferme des édifices publics ; il est divisé en deux moitiés par
l'aqueduc, qui conduit l'eau au puits. Dans l'une de ces moitiés se
trouvent la place du marché, plusieurs hôtelleries et une maison pour
les possédés, lesquels, ici, ne peuvent pas courir de côté et d'autre,
et dont Jésus a déjà guéri quelques-uns qui lui avaient été amenés avec
d'autres malades. Dans l'autre moitié se trouve, à peu de distance du
puits, la maison publique destinée aux fêtes et aux mariages ; dont le
toit s'élève à la hauteur de l'édifice qui surmonte le puits. L'entrée
n'est pas en face du puits, mais du côté opposé d'où l'on domine ce
quartier de la ville : à partir de la cour antérieure descend dans la
direction de la rue une allée bordée de charmilles verdoyantes, qui y a
à quelques centaines de pas aboutir à l'endroit où se trouve le parvis
de la synagogue ; c'est ce qui occupe à peu près les deux tiers de la
longueur totale de la rue. Il y a des passages partant des rues
transversales qui y conduisent, mais l'entrée de cet édifice n'est pas
publique, et il faut une permission pour y venir lorsqu'il y a des
fêtes.
Aujourd'hui toute la
matinée fut employée à décorer cette maison. Pendant ce temps, Jésus et
les siens étaient à leur hôtellerie, et une quantité de personnes, parmi
lesquelles quelques-unes de ces veuves dont il a été parlé et quelques
hommes âges, vinrent le trouver, cherchant auprès de lui des
éclaircissements, des conseils et des consolations : car les rapports
intimes que ces gens avaient avec les païens, étaient souvent pour eux
une source de scrupules et d'inquiétudes. Les couples de fiancés firent
aussi de longues visites à Jésus. Il s'entretint seul avec les fiancées
qu'il prit une à une, et ce fut comme une confession et une instruction.
Il leur demanda pourquoi elles se mariaient, si elles pensaient aux
enfants qu'elles devaient avoir et à leur salut qui était un fruit de la
crainte de Dieu, de la chasteté et de la tempérance, ou si elles
n'avaient dans l'esprit que des pensées frivoles et la satisfaction de
leurs convoitises.
La plupart n'étaient point
instruites de leurs devoirs ; elles se retirèrent vivement émues et
livrées à des réflexions sérieuses. Jésus donna aussi aux fiancés des
instructions du même genre.
Pendant ce temps, les
parents et amis des fiancés étaient i1 occupés à décorer la maison où la
fête devait être célébrée, le lieu où devaient se faire les épousailles
et à tout préparer pour un léger repas. On avait dressé des arcs de
triomphe sur le chemin, on y avait suspendu des tapis, des couronnes de
fleurs et des guirlandes de fruits : enfin, on avait élevé des extrades
et des galeries d'où le regard pouvait plonger dans l'allée. Devant la
synagogue on avait disposé un berceau de feuillage à ciel ouvert et
rangé des caisses où étaient plantés d'élégants arbustes. Je vis
apporter différents mets pour les repas dans les cours et les berceaux
de verdure qui entouraient la maison : quiconque envoyait quelque chose
de la ville avait droit de prendre part à la fête. On apportait les mets
dans des caisses allongées, qui servaient en même temps de tables. Les
plats, les pains et les flacons y étaient renfermés et il y avait sur
les côtés de petites ouvertures par lesquelles les convives placés en
face pouvaient les retirer.
Par dessus tout cela était
étendu un tapis qui servait de nappe. Ces caisses étaient, à vrai dire,
de longs paniers d'osier dans lesquels les plats se trouvaient placés
sous un couvercle. Les convives étaient couchés sur des couvertures et
accoudés sur des coussins. Tout cela avait été préparé d'avance et
apporté de différents côtés.
Sous le berceau où devaient
se faire les épousailles, s'élevait un baldaquin. On pria Jésus et ses
disciples de s'approcher : et comme parmi les fiancés, il s'en trouvait
qui étaient naguère idolâtres, quelques-uns des philosophes et d'autres
païens se tenaient à une distance respectueuse.
Les sept fiancées et leurs
fiancés vinrent de différents côtés, précédés de jeunes garçons et de
jeunes filles couronnés de fleurs qui jouaient de divers instruments de
musique : ils se rendirent sous le berceau, conduits par des amis et des
compagnes, et ayant leurs proches autour d'eux. Les fiancés portaient de
longs manteaux ; des lettres étaient brodées sur la ceinture et la
bordure de leurs tuniques : leurs chaussures étaient blanches ; ils
tenaient à la main des mouchoirs jaunes. Les fiancées avaient de beaux
et longs vêtements en laine blanche, ornés de fleurs d'or. Leurs cheveux
tombaient sur leurs épaules, entrelacés de perles et de fils d'or : ils
étaient retenus et rattachés par en bas. Leur voile retombait par devant
et par derrière : elles avaient sur la tête un cercle de métal avec
trois dentelures et sur le devant un fleuron plus saillant derrière
lequel on pouvait relever un coin du voile. Elles portaient en outre des
petites couronnes de plumes ou de soie. Plusieurs de leurs voiles
étaient très brillants comme s'ils eussent été de soie très belle ou de
quelque autre tissu précieux Elles portaient à la main de longs
flambeaux dorés semblables à des chandeliers sans pied au haut desquels
brillait une flamme alimentée par de la cire ou par de l'huile. Elles
avaient autour de la taille une écharpe noire ou de couleur foncée :
elles étaient aussi chaussées de souliers blancs ou plutôt de sandales,
car le pied n'y entrait pas tout entier.
Lors des épousailles qui se
firent par le ministère d'un rabbin, il y eut diverses cérémonies dont
je ne me rappelle plus bien l'ordre. On lut des écritures : c'étaient,
je crois, des conventions matrimoniales et des prières. Le couple prit
place sous le dais : les parents leur jetèrent du blé et prononcèrent
une bénédiction. Le rabbin fit une piqûre au petit doigt des fiances :
puis il fit tomber une goutte du sang de chacun d'eux dans
un verre de vin qu'ils burent ensemble :
ensuite le fiancé passa le verre derrière lui et on le mit dans un
bassin d'eau. On leur fit couler un peu de sang dans le creux de la main
et ils s'en frottèrent réciproquement les mains qu'ils joignirent. Un
fil blanc fut attache autour de la blessure, et les anneaux furent
échangés. Je crois qu'après cela ils avaient deux anneaux, l'un au petit
doigt, l'autre à l'index. On tint aussi une pièce d'étoffe brodée
au-dessus de leur tête. La fiancée reprit, dans sa main droite,
enveloppée d'une étoffe noire, le flambeau qu'elle avait donné à la
compagne chargée de la conduire, et elle le mit dans la main droite de
l'homme qui la passa dans sa main gauche et la remit dans la main gauche
de la fiancée ; après quoi celle-ci le rendit à sa compagne. On bénit
aussi un verre de vin où burent tous les membres de la famille. La
fiancée se trouvant alors mariée, ses compagnes lui ôtèrent sa coiffure
et abaissèrent son voile : je remarquai à cette occasion que toutes ces
tresses dont elle était coiffée étaient postiches. Les nouvelles
mariées, avec leur cortège, se rendirent les premières à la maison dont
il a été parlé, en suivant l'allée de verdure: les hommes suivirent au
milieu des félicitations des spectateurs. Il se passa beaucoup de temps
avant que tout fut fini. On s'arrêta quelque temps dans la maison pour y
prendre une collation.
Jésus, avec les siens et
les philosophes, alla faire une petite promenade pendant laquelle il
enseigna. Les nouveaux mariés allèrent au jardin où étaient les bains,
près de l'aqueduc, pour s'y récréer. Le soir, il y eut à la synagogue
une instruction pour les nouveaux mariés, et les rabbins, après avoir
fait de longs discours, prièrent Jésus de leur adresser aussi une
exhortation. Alors Jésus parla encore du mariage, de sa signification,
de l'obéissance qui était le devoir des femmes, et des règles à suivre
pour se sanctifier dans cet état. Je ne vis pas prendre d'autre repas.
Jésus ne retourna pas
aujourd'hui aux fêtes du mariage. Il sortit le matin, accompagné de
Mnason, des philosophes et de quelques autres, s'arrêta près de quelques
métairies et enseigna des ouvriers qui nettoyaient les champs et des
glaneurs qui ramassaient ça et là quelques épis. Il employa ainsi toute
la journée, tantôt marchant, tantôt se reposant : il finit par être
entouré d'un grand nombre de personnes, et il parla de la fête de la
Pentecôte, de la loi donnée sur le Sinai, et de 1`approche du temps où
la loi allait trouver son accomplissement. Il n'y eut pas de repas. Ils
prirent sur leur route quelque nourriture avec les gens de la campagne.
Jésus revint le soir.
Il y avait hier trois
rabbins pour bénir les mariages, et cependant cela dura quatre heures.
Ce matin les divertissements commencèrent. Les sept couples, eu
compagnie de tous leurs amis et de beaucoup d'invités, se rendirent à la
maison des fêtes, en grande parure et au son des instruments de musique.
Les disciples de Jésus étaient aussi présents à la fête, mais ils n'y
prirent part que pour servir les convives : Les assistants présentèrent
aux mariés, dans de beaux vases, des fruits et de la pâtisserie : il y
avait des pommes dorées avec toute espèce de plantes et de fleurs
également dorées. Il vint aussi des troupes d'enfants qui chantèrent et
firent de la musique : c'étaient des étrangers qui gagnaient ainsi leur
vie : on leur fit des présents et ils se retirèrent. Après cela, les
trois jeunes aveugles guéris par Jésus vinrent jouer de leurs
instruments, ainsi que plusieurs autres troupes de musiciens de la
ville, et il y eut une danse tout à fait particulière. On dansa sous un
berceau de feuillage formant un carré long, sur un plancher mouvant et
rembourré. Je crois que c'étaient des planches mobiles placées sur une
mousse épaisse ou quelque chose de semblable. Ils étaient divisés en
quatre groupes formés sur deux rangs et qui se tournaient le des. Ils
dansaient deux à deux, les mains couvertes d'un morceau d'étoffes. Les
couples dansaient, changeaient de main en tenant des mouchoirs, de plus
la première place du premier groupe jusqu'à la dernière du quatrième
groupe, et ce fut bientôt un mouvement général. Ils ne sautaient pas,
mais remuaient tout le corps, se balançant de côté et d'autre, comme si
leurs membres eussent été désossés.
A la fin, tous les couples
de nouveaux mariés vinrent se placer au centre en dansant, tandis que
tous les autres formaient une ronde autour d'eux. Les jeunes mariées et
les autres femmes avaient leurs voiles un peu relevés et rattachés aux
fleurons d'or qui surmontaient leur coiffure. Les disciples de Jésus ne
se mêlèrent pas à la danse, laquelle dura assez longtemps. Après cela,
on prit quelques rafraîchissements qui étaient placés sur des buffets
aux quatre coins du berceau de feuillage. Ils retournèrent ensuite, au
son des instruments, au jardin des bains, qui est situé prés de
l'aqueduc, devant la porte de la ville où aboutit cette même rue.
Les Juifs de cette ville
jouissent d'une indépendance complète : ils ont d'anciens privilèges en
vertu desquels ils se gouvernent eux-mêmes et n'ont que le tribut à
payer. Ils ont acheté les terres et bâti la ville : on les a attaqués à
cette occasion, mais ils ont maintenu leurs droits.
Au jardin des bains, on
joua à toute sorte de jeux sous les berceaux et sur les pelouses : on
courait, on sautait, on visait à toucher un but. Les hommes jouaient de
leur côté et les femmes du leur. On gagnait des prix ou on payait des
amendes de peu de valeur, comme des pièces de monnaie, des ceintures, de
petites pièces d'étoffe, des bandelettes à mettre autour du cou ; ceux
qui n'avaient pas ce qu'il fallait le faisaient prendre chez un marchand
qui s'était installé dans le voisinage avec son assortiment. Tout ce qui
était ainsi gagné ou payé comme pénitence était remis aux anciens, et
ceux-ci le distribuaient aux pauvres qui se trouvaient là. Les nouvelles
mariées et les jeunes filles jouèrent à des jeux de bagues et à d'autres
jeux d'adresse : elles avaient relevé leurs robes jusqu'aux genoux et on
voyait leurs jambes enveloppées de bandelettes blanches ; leurs voiles
étaient relevés sur le front et derrière les oreilles ; elles
paraissaient très gracieuses et très lestes. Chacune d'elles prit de la
main gauche la ceinture de sa voisine : elles formèrent ainsi une ronde
qui tournait rapidement, et de la main droite elles se jetaient les unes
aux autres une pomme jaune qu'il fallait attraper ; celle qui n'y
réussissait pas devait se baisser et la ramasser tout en continuant à
tourner (note). Elles jouèrent encore à d'autres jeux ; à la fin il y en
eut un auquel les hommes prirent part. Ils s'assirent sur l'herbe les
uns vis-à-vis des autres et se lancèrent des fruits jaunes d'une chair
très tendre ; quand ces fruits se touchaient, ils s'écrasaient, et on
éclatait de rire.
NOTE
: un jeu semblable est décrit tome II, page 292.
Vers le soir, ils se
rendirent en pompe à la maison des fêtes : c'était très agréable à voir.
Les mariés furent conduits sur des ânes élégamment enharnaches ; les
femmes étaient assises sur des selles à leur usage. La musique marchait
en avant, et une foule joyeuse les suivit jusqu'à la maison des fêtes,
où il y eut encore un repas.
Les nouveaux mariés se
rendirent encore près des rabbins et firent à la synagogue le voeu
d'observer la continence à certains jours de fête. Ils étaient soumis à
une pénitence s'ils violaient ce voeu. Ils promirent aussi de veiller
ensemble et de lire des prières pendant la nuit de la Pentecôte.
È
TROISIÈME CHAPITRE
LA FÊTE DE LA PENTECÔTE
Dernier
temps du séjour de Jésus dans l'île de Chypre.
Du 20 au 31 mai
.
21 mai . — Ce matin les disciples de Jésus
étaient réunis près de lui à son hôtellerie, ainsi que les païens
baptisés et plusieurs vieux Juifs. Il leur donna, à propos de la
Pentecôte, de la loi donnée sur le Sinaï et du baptême, des
enseignements d'un sens très profond, et il expliqua plusieurs passages
des prophètes qui avaient rapport aux sujets qu'il traitait. Il dit
aussi beaucoup de choses sur les pains que l'on bénissait pour la
Pentecôte, sur le sacrifice de Melchisédech et sur le sacrifice
prophétisé par Malachie ; il ajouta qu'il ne tarderait pas à être
institué, qu'après cela, lorsque reviendrait cette fête de la Pentecôte,
une nouvelle grâce viendrait s'ajouter au baptême, et que tous les
baptisés qui alors croiraient au Consolateur d'Israël participeraient à
cette grâce. Comme il s'éleva à ce sujet des contestations et des
disputes, et que quelques-uns ne voulaient pas le comprendre, Jésus en
désigna une cinquantaine qui étaient mûrs pour son enseignement ; il
renvoya les autres et remit à une autre fois leur préparation.
Il alla alors, avec
ceux qu'il avait choisis, se promener, tout en enseignant, au jardin des
bains qui est devant la ville. Je les vis bientôt s'arrêter et faire,
avec force gestes, des questions et des objections ; je vis souvent
Jésus lever l'index en donnant des éclaircissements. Dans leurs
conversations, ces gens gesticulaient beaucoup avec les mains et les
doigts. Comme il leur parlait de la grande grâce attachée au baptême,
l'unique moyen de salut qui devait être après l'accomplissement du grand
sacrifice, quelques-uns demandèrent si cette grâce était également
attachée à leur baptême actuel : il leur répondit que oui, s'ils
persévéraient dans la foi et s'ils savaient reconnaître ce sacrifice ;
car même les patriarches qui, n'ayant pas reçu ce baptême, y avaient
seulement aspiré et l'avaient pressenti en esprit, devaient être sauvés
par ce sacrifice et par ce baptême.
NOTE
: Dans l'intérêt des lecteurs qui n'auraient pas lu l'introduction
où se trouve une dissertation spéciale sur ce baptême des morts et
sur tout ce qui s'y rapporte, on fait remarquer de nouveau que
d'après cette réponse du Sauveur la grâce complète de la rédemption
(en tant qu'on pourrait y participer avant que la rédemption
elle-même fût opérée) profitait uniquement aux âmes des morts qui
avaient quitté cette vie dans l'état de grâce sanctifiante. Ceux-là
avaient droit à la plénitude de l'état de grâce qui pouvait leur
être communiqué par les fidèles survivants, de la même manière
qu'aujourd'hui une indulgence plénière est appliquée aux âmes du
purgatoire. Il est évident que cette possibilité de l'application
aux morts de la grâce du baptême n'avait lieu qu'au profit des âmes
qui avaient quitté la vie avec ce droit avant la promulgation de la
nouvelle alliance, mais qu'elle devait cesser à dater de cette
promulgation : car maintenant on meurt ou dans l'état de grâce qui
communique dans sa plénitude le bienfait de la rédemption, ou hors
de cet état de grâce et par conséquent sans possibilité ultérieure
d'arriver à la justification après la mort.
L'introduction a fait voir ce qu'on doit entendre par le complément
de l'état de grâce, et en quoi diffère la grâce sanctifiante sous
l'ancienne et sous la nouvelle loi. (Note de l'éditeur.)
L'un d'eux demanda
encore si le baptême pouvait profiter eu quelque chose aux morts, et par
conséquent aux âmes détenues dans le lieu de purification, bien qu'elles
n'en eussent aucune connaissance. Jésus Leur dit alors que les morts
pouvaient recevoir la grâce du baptême au moyen des prières et des
bonnes oeuvres des vivants, et que ceux-ci pouvaient la procurer aux
âmes des morts, s'ils le désiraient ardemment dans un esprit de foi vive
et de charité parfaite. Dans ce cas, ils pourraient participer à la
grâce complète du baptême après l'accomplissement du grand sacrifice.
Les païens parlèrent
beaucoup à ce sujet : ils semblent, d'après quelques-uns de leurs
usages, mieux comprendre la chose que les Juifs. L'un d'eux prit une
branche, la trempa dans un petit ruisseau près duquel ils se trouvaient,
et demanda à Jésus s'il était permis, après avoir fait une fervente
prière, de tremper une branche dans l'eau et de faire une aspersion,
avec l'intention de baptiser toutes les âmes qui aspiraient au baptême.
Le Seigneur dit que ce serait une chose bonne et profitable si elle se
faisait avec un ardent désir de secourir ces âmes et dans un esprit de
foi, d'espérance et de charité. Il dit aussi combien il était bon, dans
ces jours de fête, de prier avec persévérance et avec ferveur, comme
avaient toujours fait les pieux Israélites qui avaient supplié Dieu
d'envoyer le Consolateur promis à Israël.
Jésus dit encore
beaucoup de choses d'un sens très profond que je ne puis plus répéter
exactement. Je me souviens dl' reste, que j'ai toujours vu Jésus,
lorsqu'après sa résurrection, il parcourut la Palestine, accompagné des
âmes des patriarches, les conduire au lieu où il avait été baptisé dans
le Jourdain et les baptiser lui-même. Peut-être que ce fut, d'une
manière purement spirituelle, quelque chose comme la cérémonie
symbolique à propos de laquelle Jésus fut interrogé par le païen qui
avait trempé une blanche dans l'eau ; tout ce que je sais, c'est que
j'ai réellement Vu ces âmes. Je n'avais pas voulu raconter cela jusqu'à
présent.
Je vis qu'on envoya
du festin de noces des aliments pour Jésus et les siens à l'hôtellerie
où il revint avec les disciples pour le commencement du sabbat.
Les nouveaux mariés
furent aujourd'hui installés dans leur ménage. On les réunit dans la
maison où la fête avait été célébrée. Cependant celui des époux qui
apportait une maison en dot se tenait debout devant cette maison : alors
les parents et amis allaient prendre l'autre et lui faisaient faire
trois fois le tour de sa nouvelle habitation, au son des instruments de
musique ; puis le premier époux lui adressait un discours mêlé de
sentences et d'exhortations. On apportait aussi en pompe tous les
présents de noces et on faisait beaucoup de largesses aux pauvres.
Je vis tout le monde
dans la ville occupé à nettoyer, à frotter et à laver La synagogue et
beaucoup de maisons furent décorées d'arbres verts et de guirlandes de
fleurs, le sol fut jonché de fleurs, on fit aussi des fumigations à la
synagogue ; les rouleaux contenant les écritures furent eux-mêmes
entourés de guirlandes. Dans l'après-midi, on fit cuire les pains de la
Pentecôte dans des chambres destinées à cet usage, attenant au parvis de
la synagogue ; les rabbins bénirent la farine. Deux pains faits avec le
froment de cette année, d'autres pains et de grands gâteaux minces
furent entaillés pour être divisés plus tard en petits morceaux. La
farine dont on se servait avait été apportée de la Judée ; elle
provenait du champ sur lequel Abraham avait reçu l'oblation de
Melchisédech. Cette farine arrivait ici dans des boîtes de forme
oblongue : on l'appelait la semence d'Abraham. Ces pains, qui étaient
sans levain, devaient être préparés avant quatre heures, il y avait
encore là d'autre farine et des herbes que l'on bénit aussi.
Avant le sabbat, les
rabbins furent conduits solennellement à la synagogue par les enfants
des écoles ; les nouvelles mariées y furent conduites par les femmes, et
leurs époux par les jeunes gens Jésus aussi se rendit à la synagogue
avec les siens. Il n'y eut pas d'instruction ; le service divin se borna
à des chants entremêlés de lectures et de prières : je ne me souviens
plus bien comment tout cela se fit. Les pains bénits furent distribués
par petits morceaux dans la synagogue. On les regardait comme un
préservatif contre les maladies et les sortilèges.
Je ne vis pas de
festin pendant cette soirée. Plusieurs Juifs, entre autres les sept
hommes nouvellement mariés, passèrent la nuit en prières à la synagogue.
Plusieurs habitants de la ville, par groupes de dix ou douze le plus
souvent, allèrent en plein air sur des collines ou dans des jardins. Ils
portaient un falot au bout d'une perche et prièrent toute la nuit. Les
disciples de Jésus et les païens baptisés firent de même. Jésus alla
prier seul. Les femmes aussi s'étaient réunies dans les maisons et
priaient.
22
mai. — Pendant toute la matinée on s'occupa dans la synagogue à
prier, à chanter et à faire des lectures de la loi ; il y eut aussi une
espèce de procession. Les rabbins, Jésus à leur tête, firent le tour de
la synagogue : ils s'arrêtèrent à différents endroits, tournés vers les
quatre points cardinaux, et donnèrent leur bénédiction à la terre, à la
mer et à tout le pays. Après une interruption d'environ deux heures, on
revint à la synagogue dans l'après-midi et on continua à faire des
lectures. Il y eut quelques pauses, pendant lesquelles Jésus demandait
si l'on avait compris et donnait des explications sur certains points.
On lut le récit du passage de la mer Rouge jusqu'à la promulgation de la
loi sur le Sinai. Pendant qu'on faisait cette lecture, je vis beaucoup
de choses dont je me rappelle ce qui suit.
Les Israélites
occupaient une lieue de terrain dans un enfoncement le long de la mer
Rouge. La mer était très large en cet endroit et il s'y trouvait
plusieurs îlots longs d'une demi lieue sur un quart ou un demi quart de
lieue de large. Pharaon et son armée cherchèrent d'abord les Israélites
plus haut, puis il sut où ils étaient par ses explorateurs. Il croyait
qu'ils ne pouvaient pas lui échapper, à cause de la mer qui leur fermait
le passage. Les Égyptiens étaient très irrités contre eux, parce qu'ils
avaient emporté leurs vases sacrés, beaucoup d'idoles et les secrets de
leur religion. Lorsque les Israélites virent qu'ils approchaient, ils
furent dans l'angoisse et dans la terreur. Mais Moïse pria et leur dit
d'avoir confiance en Dieu et de le suivre. Alors la colonne de nuées
passa derrière les Israélites, où elle forma un brouillard si épais, que
les Égyptiens ne pouvaient plus les voir. Cependant Moïse s'avança sur
le rivage, avec sa baguette qui avait deux petites branches et un bouton
à son extrémité : il pria et frappa sur l'eau. Alors parurent devant
l'aile gauche et l'aile droite de l'armée deux grandes colonnes de
lumière qui semblaient avoir leurs racines dans la mer et surmontées
d'une gerbe de flamme qui se terminait en pointe ; un vent violent
sépara la mer tout le long de l'armée, sur une lieue de largeur. Moïse
descendit par une pente douce dans le lit de la mer, et toute l'armée le
suivit, formée en colonne ayant tout au plus cinquante hommes de front.
Au commencement, le terrain était un peu glissant, mais bientôt ils se
trouvèrent sur un fond d'herbe, moelleux comme un tapis. Les colonnes de
feu brillaient devant eux et tout était éclairé comme en plein jour.
Mais ce qu'il y avait de plus beau, c'étaient les îles sur lesquelles la
lumière se répandait et qui, semblables à des jardins flottants, étaient
pleines de fruits magnifiques et d'animaux de toute espèce, qu'ils
recueillirent ou emmenèrent avec eux, et sans lesquels ils n'auraient
pas eu de quoi se nourrir de l'autre côté.
L'eau de la mer ne
formait pas des deux côtés une muraille perpendiculaire, mais elle
s'agglomérait plutôt comme de la gélatine. Ils marchaient en avant d'un
pas rapide, comme s'ils eussent eu des ailes : on eût dit des gens qui
descendaient une montagne en courant. Il était environ minuit lorsqu'ils
entrèrent. L'arche qui contenait les ossements de Joseph était au milieu
de l'armée. Les colonnes de feu s'élevaient du fond de l'eau ; elles
semblaient tournoyer et elles ne passaient pas au-dessus des îles, mais
les contournaient. A une certaine hauteur, elles se perdaient dans une
lueur vague. L'eau ne se retira pas tout à la fois, mais elle s'écartait
devant les pas de Moise, laissant un espace vide, en forme de coin,
jusqu'à ce que tout le monde eût passé ; c'est pourquoi l'on voyait dans
le voisinage des îles les arbres chargés de fruits s'y réfléchir à la
lueur des colonnes de feu. Le passage s'opéra miraculeusement en trois
heures, tandis que naturellement il en eût fallu neuf. En remontant le
rivage, à six ou à neuf lieues de là, il y avait une ville qui fut plus
tard engloutie sous les flots.
Vers trois heures,
Pharaon descendit aussi sur la plage, et il fut de nouveau arrêté par le
brouillard, puis il finit par trouver le passage, et il y entra avec un
grand nombre de chariots magnifiques ; toute son armée s'y précipita à
sa suite. Moïse, qui était déjà arrivé de l'autre côté, commanda aux
flots de revenir à leur place : le brouillard et le feu mirent la
confusion dans l'armée, et tous périrent misérablement dans l'eau. Les
Israélites, sur l'autre rive, chantèrent les louanges de Dieu, et le
matin ils virent qu'ils étaient sauvés. Au delà de la mer, les deux
colonnes de feu se réunirent de nouveau en une seule. Je ne puis rendre
la magnificence de ce spectacle.
Après le sabbat,
Jésus sortit encore de la ville avec ses disciples. Les païens de
Salamine s'en retournèrent ce soir, et Jésus les accompagna sur le
chemin avec ses disciples. Il les exhorta à ne plus se laisser entraîner
à leur culte idolâtrique non plus qu'à leurs folles rêveries, et à
quitter, aussitôt que possible, un pays où tout faisait obstacle à la
nouvelle voie qu'ils voulaient suivre ; il leur indiqua des contrées
éloignées où ils pourraient s'établir. Je me rappelle, entre autres,
Jérusalem, la partie de la Judée qui est entre Hébron et Gaza et les
environs de Jéricho. Il leur recommanda d'aller trouver Lazare, Jean
Marc, les neveux de Zacharie et les parents de Manahem, le disciple
aveugle guéri par lui.
Aujourd'hui, un Juif
apporta à Jésus une lettre de Mercuria, la prêtresse convertie de
Salamine. Elle était scellée et pliée d'une façon qui la faisait
ressembler à un long cornet. Mercuria consultait Jésus sur quelque chose
dont je ne me souviens plus bien : c'était à l'occasion d'une fête qui
devait avoir lieu. Jésus était dans l'hôtellerie ; il lut la lettre,
traça quelques caractères au-dessous, et la rendit roulée et scellée au
messager qui retournait à Salamine avec les philosophes. J'ai vu
Mercuria écrire cette lettre en secret pendant un bain qu'elle prenait
seule sous un berceau de verdure. Etant allée ensuite se promener, elle
la porta, à la dérobée, à l'homme qui était a la tête de l'hôtellerie où
Jésus avait logé à Salamine et se procura par lui le messager juif qui
la remit. Sa santé est tout à fait altérée par les remords, l'inquiétude
et le désir de changer de vie. Elle est très bien soignée par ses
proches. Je crois qu'elle consultait à l'occasion d'une grande fête
paienne pour savoir si elle pouvait y assister. Elle ne pouvait pas s'en
dispenser sans faire un éclat.
On commença par faire
toute sorte de travaux dans le temple. On alluma ça et là de grands
feux, comme sont chez nous les feux de la Saint Jean, puis des prêtres,
accompagnés de personnes de distinction, hommes et femmes, se rendirent
près d'un mur formant terrasse, ou étaient pratiqués plusieurs caveaux
et qui tenait au grand temple, situé hors de l'enceinte de la ville. Il
y avait par dessus des arbres et des allées : c'étaient, je pense, des
sépultures. Ils portèrent là-dedans des vases pleins de beaux fruits et
des coussins très riches : je crois que c'était à l'intention des âmes,
qu'ils s'imaginaient devoir reposer dessus pendant cette nuit. Les
coussins furent repris plus tard. Je vis aussi Mercuria aller là. Elle
avait ses enfants avec elle. Les feux qu'on allumait étaient alimentés
avec des roseaux et de la paille de la dernière récolte, entassés dans
des fosses revêtues de maçonnerie à cet effet : chacun apportait son
fagot. On brûlait de la volaille à ces feux et on poussait à l'entour
des lamentations funèbres. Cette fête dura trois jours.
A Jérusalem, il y a
eu encore une émeute dans le temple. Hier matin, Pilate a fait attacher
aux colonnes qui se trouvent devant toutes les entrées du temple des
tables de bronze au haut desquelles est gravé le buste de l'empereur,
avec une inscription au-dessous. Il y eut d'abord de grands murmures à
ce sujet, et le soir, lorsque le peuple alla célébrer le sabbat, il y
eut un soulèvement : les tables furent arrachées et brisées.
Aujourd'hui, pendant que tout le monde était en prière, des Romains
déguisés vinrent de la forteresse Antonia, dispersèrent la foule,
tuèrent quelques Gaulonites et pillèrent le tronc des offrandes. Il y
eut un tumulte effroyable. Pilate avait quitté la ville auparavant.
Hérode se tint caché
à Jérusalem. Après qu'il eut fait tomber les soldats d'Arétas dans le
piège qu'il leur avait tendu près de Machéronte, ils l'ont de nouveau
battu dans un combat, et il s'est enfui secrètement à Jérusalem. Pendant
qu'il attirait son ennemi dans le voisinage de Machérunte et le rendait
victime d'une trahison si noire, ses soldats étaient entrés sur les
terres d'Arétas, en Arabie, mais ils y ont été complètement battus, si
bien qu'Hérode effrayé s'est enfui à Jérusalem.
Marie, les saintes
femmes et plusieurs apôtres, parmi lesquels se trouve Jean, sont à
Nazareth, dans la maison de Marie, et célèbrent la fête de la Pentecôte.
23
mai. — J'ai vu encore aujourd'hui les habitants de Mallep à la
synagogue, dans la matinée et quelques moments seulement dans
l'après-midi.
Le matin, Jésus alla
avec ses disciples dans deux quartiers de la ville qu'il n'avait pas
encore visités. Plusieurs personnes l'en avaient fait prier. Il guérit
plusieurs malades, hommes et femmes, qui étaient couchés dans des
cellules séparées, adjacentes aux cours. Il exhorta et consola beaucoup
de personnes qui avaient des peines de coeur de divers genres. Il y
avait dans la ville un certain nombre de gens mélancoliques qu'un
chagrin secret consumait. Tout ici était arrangé de manière à ce que
toutes les souffrances qui intéressaient l'honneur pussent être tenues
secrètes.
Aujourd'hui encore,
plusieurs femmes vinrent trouver Jésus dans des maisons amies et lui
demandèrent ce qu'elles avaient à faire : leurs maris étaient infidèles
et elles avaient de la répugnance à porter une accusation contre eux, à
cause du scandale public qui en devait résulter et de la sévérité de la
peine : elles désiraient leur amendement ou une séparation. Jésus les
consola, les exhorta à la patience et leur dit ce qu'elles avaient à
faire. Il les engagea à réfléchir pour savoir si elles voulaient que
leurs maris fussent avertis par lui-même ou par ses disciples étrangers,
en sorte qu'elles ne fussent pas soupçonnées de les avoir accusés et que
la chose ne fût pas connue dans le pays.
Il y avait ici
plusieurs personnes qui, avec les apparences extérieures du calme et de
la sérénité, gémissaient intérieurement sur bien des vices dont elles
avaient connaissance. Dans plusieurs maisons, on présenta des enfants à
Jésus pour qu'il les bénit. Il alla aussi visiter des personnes très
tourmentées au sujet de leurs maris ou de leurs enfants qui étaient
allés à Jérusalem pour la Pentecôte. Le bruit s'était répandu d'avance
qu'au moment de la fête il y aurait encore des troubles dans la ville à
cause de certaines choses que Pilate exigeait des Juifs, et rien ne
pouvait rassurer ces personnes. Le gouverneur, disaient-elles, cherchait
un prétexte, et des troubles ne pouvaient manquer d'avoir lieu. Ce bruit
avait été propagé par les voyageurs qui s'étaient trouvés à la fontaine
baptismale de Chytrus après le départ de Jésus. Jésus consola ces
affligés et leur dit qu'il n'arriverait rien à leurs proches que Pilate
n'avait affaire qu'aux Galiléens ; que d'ailleurs leurs proches, venant
de loin, n'arriveraient que les derniers avec leurs offrandes ; qu'enfin
ils pouvaient être tranquilles. Cette fois, à cause de l'émeute qui
avait eu lieu à la fête de Pâques, peu de personnes de l'île de Chypre
étaient allées à Jérusalem.
Jésus prit à diverses
reprises un peu de nourriture chez ces gens. Je n'ai pas vu de repas
aujourd'hui. Dans l'après-midi, Jésus alla dans une grande maison
derrière laquelle, dans un passage voisin de la cour, étaient couchés à
part les uns des autres plusieurs hommes considérables affligés de
diverses maladies. Les femmes étaient de l'autre coté de la cour. Il
s'arrêta longtemps dans les cellules, les salua et les interrogea
successivement. Il se trouvait parmi eux des hypocondriaques plongés
dans le désespoir et qui ne cessaient de pleurer. Il en guérit une
vingtaine, leur indiqua ce qu'ils devaient manger et boire, et leur
ordonna un bain, qu'ils prirent dans la maison même. Ensuite il les fit
venir tous, et enseigna d'abord les femmes, puis les hommes. Cela dura
presque jusqu'à l'ouverture du sabbat : alors Jésus se rendit à la
synagogue.
On lut aujourd'hui
des passages du Lévitique (XXVI) et de Jérémie (XVII) sur la malédiction
dont Dieu frappe ceux qui n'observent pas ses commandements, sur la
dîme, sur l'idolâtrie, sur la profanation du sabbat, etc. Jésus expliqua
tout cela et fit un discours si sévère et si effrayant que beaucoup de
gens, pénétrés de contrition, pleurèrent et sanglotèrent La synagogue
était ouverte de tous les côtés, et sa voix avait quelque chose de
singulièrement pénétrant et un accent particulier que n'avait aucune
autre voix humaine. Il prêcha spécialement contre ceux qui s'attachent
aux créatures et qui mettent dans les hommes leur espoir et leurs
complaisances. Il parla des folles ardeurs entre les deux sexes, de
l'excitation diabolique qui porte les adultères les uns vers les autres,
de la malédiction des époux outragés qui va tomber sur les enfants nés
de semblables relations, malédiction dont les conséquences sont
imputables aux adultères. Il enseigna en outre sur d'autres péchés et
sur leurs suites.
Les auditeurs étaient
tellement effrayés, que beaucoup s'écrièrent lorsqu'il eut fini: "il
parle comme si le jour du jugement était proche".
Jésus parla encore
contre l'attachement insensé aux biens et aux pompes de ce monde ; il
s'éleva aussi spécialement contre l'orgueil de la science subtile et
captieuse et contre la confiance qu'inspirent de grandes connaissances.
Il dirigea à la fois ses traits au coeur de ces adultères dont les
épouses avaient pleure aujourd'hui près de lui, et contre la conduite de
beaucoup de jeunes gens qui venaient étudier ici, dans une grande école
érigée à leur intention, différentes branches de la science hébraïque et
qui ensuite allaient ailleurs pour acquérir de nouvelles connaissances.
Il dit en terminant qu'il recevrait le lendemain matin ceux qui avaient
besoin d'être consolés et éclairés. Il passa la nuit en prière.
24
mai. — Aujourd'hui, pendant toute la matinée, il vint au logis de
Jésus un très grand nombre de personnes qui, profondément remuées par
son instruction de la veille, demandaient à être consolées et
réconciliées avec Dieu. Il se trouvait parmi eux beaucoup de savants et
d'élèves de l'école qui est ici. Ils demandaient des avis sur la manière
dont ils devaient diriger leurs études. Il vint aussi des hommes dont la
conscience était troublée par suite des affaires qu'ils avaient à
traiter avec des païens dont les biens confinaient aux leurs.
Parmi ces visiteurs
étaient aussi les maris de ces femmes qui, la veille, avaient porté
leurs plaintes à Jésus, et d'autres également coupables contre lesquels
aucune accusation n'avait été portée. Ils se présentèrent successivement
devant Jésus comme des pécheurs, se jetèrent à ses pieds, confessèrent
leurs fautes et en demandèrent le pardon. Ils étaient surtout troublés
par la crainte que la malédiction de leurs femmes ne tombât sur les
enfants, innocents d'ailleurs, nés de leurs relations adultères, et
demandèrent si cette malédiction pouvait être conjurée et effacée. Jésus
s'étendit beaucoup sur ce sujet, dit que cette malédiction avait des
effets terribles en ce qui touchait la génération, qu'elle s'incarnait
en quelque sorte et ne pouvait être effacée que par beaucoup de charité
et de clémence de la part de celui qui l'avait lancée et par le repentir
et la pénitence de la part de celui qui l'avait provoquée ; que la
malédiction frappait la génération d'une façon toute particulière et
aussi qu'elle devait être retirée devant le prêtre, lequel devait alors
donner sa bénédiction. Il donna plusieurs autres enseignements sur ce
sujet et dit que cette malédiction se perpétuait pendant plusieurs
générations. Il ajouta qu'elle ne s'étendait pas jusqu'à l'âme, car le
Père tout-puissant a dit : " Toutes les âmes sont à moi ", mais qu'elle
frappait le corps et les biens temporels. Or, le corps étant la demeure
et l'instrument de l'âme, il en résultait pour celle-ci de grandes
misères et de grandes tribulations, ajoutées au fardeau déjà si lourd
qu'elle avait à porter pour son propre compte.
Je vis à cette
occasion beaucoup de choses touchant l'état des enfants illégitimes,
adultères et maudits, et touchant l'action prolongée de la malédiction
non effacée sur les rejetons de ceux qu'elle avait frappés ; mais je ne
puis plus bien raconter cela. La malédiction agit de diverses manières,
suivant l'intention de celui qui l'a lancée et aussi suivant la nature
des enfants eux-mêmes. Beaucoup d'épilepsies et de possessions tirent de
là leur origine. Je vois ordinairement les bâtards doués d'avantages
naturels donnant facilement prise au péché. Ils tiennent en quelque
chose de cette race qui naquit de l'union des enfants de Dieu avec les
filles des hommes. Ils sont souvent beaux, adroits, dissimulés,
ambitieux de tout attirer à eux, mais sans vouloir l'avouer. Ils portent
dans leur chair l'empreinte des passions secrètes qui leur ont donné la
vie, du mystère et du mensonge qui ont abrité leur naissance, et cela
les conduit souvent à perdre leur âme.
Jésus ayant écouté et
exhorté ces pécheurs les uns après les autres, leur enjoignit de lui
envoyer leurs femmes : il les prit aussi à part, leur parla du repentir
de leurs maris, les exhorta à tout oublier et à retirer leur
malédiction, ajoutant que si elles ne le faisaient pas du fond du coeur,
elles seraient responsables de la rechute des coupables. Ces femmes
pleurèrent, rendirent grâces et promirent tout ce qu'il voulut. Il
s'entretint ainsi en particulier avec chacune d'elles.
Jésus réconcilia
aujourd'hui plusieurs de ces couples, qu'il fit venir devant lui et
auxquels il adressa plusieurs questions comme s'il se fût agi pour eux
d'un nouveau mariage : il joignit leurs mains qu'il recouvrit d'une
bande d'étoffe et les bénit.
Un des hommes avait
eu commerce avec une païenne du pays, et il en avait eu des enfants qui
étaient élevés ici dans la maison des orphelins juifs. Sa femme légitime
retira solennellement sa malédiction de dessus eux ; elle se présenta
devant Jésus, tendit la main à son mari pardessus la tête de ces
enfants, rétracta ses imprécations et Jésus imposa comme pénitence aux
époux adultères des aumônes, des jeûnes, des prières et des privations.
Celui qui avait péché avec la païenne était tout changé. Il invita
humblement Jésus à prendre un repas chez lui, et le Seigneur y alla avec
ses disciples. On avait invité en outre deux rabbins qui furent fort
surpris de cette invitation aussi bien que toute la ville ; car cet
homme était connu comme un mondain de moeurs légères, qui ne tenait pas
grand compte des prêtres et des prophètes. Il était riche et possédait
des terres que ses serviteurs cultivaient ; il demeurait près de
l'hospice où Jésus avait guéri récemment des hypocondriaques. Deux
petites filles de la maison vinrent pendant le repas et versèrent un
onguent précieux sur la tête de Jésus.
Après le repas. Jésus
alla avec tout le peuple à la synagogue pour la clôture du sabbat. Il
continua son instruction de la veille, mais avec moins de sévérité, et
il leur dit que Dieu ne les abandonnerait pas s'ils invoquaient son
assistance. A la fin, il leur parla encore de leur attachement à leurs
maisons et à leurs biens, et les exhorta, puisqu'ils croyaient à son
enseignement, à quitter les occasions de pécher dans lesquelles ils
vivaient parmi les païens et à suivre la vérité en s'établissant dans la
terre promise, parmi leurs frères. La Judée, disait-il, était assez
grande pour les recevoir et les nourrir pour peu qu'ils consentissent à
vivre d'abord sous la tente. Il valait mieux tout quitter que de perdre
son âme ; mais ils commettaient le péché d'idolâtrie envers leurs belles
maisons, leurs biens et leurs aises. Pour que le royaume de Dieu vînt à
eux, il fallait qu'ils allassent au-devant de lui. Ils avaient tort de
mettre leur confiance en ces belles et solides demeures qu'ils
possédaient dans un pays riant ; car la main de Dieu saurait bien les y
atteindre ; ils en seraient tous chassés et leurs habitations détruites.
Il savait bien que leur vertu n'était qu'une vaine apparence et qu'il
n'y avait au fond que tiédeur et recherche d'eux-mêmes. Ils convoitaient
les biens des païens et cherchaient à les acquérir par l'usure, le
commerce, l'exploitation des milles et les mariages : mais ils
perdraient un jour tout cela à la fois. Il les mit aussi en garde contre
ces mariages qu'ils contractaient avec les païens et où les deux parties
devenaient indifférentes à leur foi, ne s'unissant que pour l'or et
l'argent, pour avoir plus de liberté et satisfaire leurs convoitises
sensuelles. Tous furent très frappés et très ébranlés et plusieurs le
prièrent de leur accorder le lendemain quelques moments d'entretien.
25
mai. — Aujourd'hui Jésus jusqu'assez tard dans la nuit a visité
plusieurs maisons, dont il a consolé, exhorté et réconcilié les
habitants. Il reçut aussi la visite de deux femmes qui avaient des
enfants illégitimes qu'elles élevaient chez elles. Elles s'accusèrent
elles-mêmes : sur quoi Jésus fit venir leurs maris, réconcilia les époux
et les unit de nouveau. Les enfants furent adoptés et bénis par les
maris sans qu'on leur fit connaître pourquoi se faisait cette cérémonie.
Beaucoup d'autres
personnes vinrent chercher des consolations auprès de Jésus, par suite
de l'exhortation qu'il leur avait faite la veille pour les engager à
quitter le pays des païens. Sa doctrine leur plaisait beaucoup ; comme
Juifs émigrés et relégués si loin de leur peuple, ils se trouvaient très
honorés de sa visite ; mais ils ne pouvaient se faire à l'idée de tout
quitter pour le suivre. Les Juifs vivaient ici dans la richesse et le
bien-être ; ils avaient une ville qu'ils avaient bâtie eux-mêmes, un
commerce florissant et une grande part dans le produit des mines. Ils
faisaient d'excellentes affaires avec les païens, n'étaient ni vexés par
les pharisiens, ni opprimés par Pilate ; leur situation matérielle était
très avantageuse, mais ils étaient très exposés à contracter des
alliances avec les païens. Il se trouvait dans le voisinage beaucoup de
biens et de métairies appartenant à ceux-ci: et les filles païennes
épousaient volontiers des Juifs parce qu'ils ne traitaient pas les
femmes en esclaves comme les gentils : aussi cherchaient-elles a attirer
les jeunes gens par des présents, des coquetteries et des séductions de
tout genre. Si elles embrassaient le judaïsme, c'était sans motifs
sérieux, par des vues purement humaines, et par elles le relâchement et
la tiédeur se glissaient dans les familles. Parmi les nouvelles mariées
dont il a été question, il se trouvait plusieurs païennes.
Les Juifs ici ne sont
point aussi simples et aussi hospitaliers qu'en Palestine : ils sont
plus raffinés et ont bien moins du cachet antique. Comme ils faisaient
beaucoup de difficultés quant à leur émigration, Jésus leur rappela que
leurs pères aussi avaient possédé des maisons et des champs en Égypte,
et qu'ils les avaient abandonnés volontairement et de bon coeur. Il leur
confirma encore ce qu'il leur avait dit des malheurs à venir qui les
menaçaient dans ce pays.
Les disciples, et
surtout Barnabé, firent plusieurs tournées dans le voisinage : ils
enseignaient les gens du pays et leur donnaient des règles de conduite.
Ceux-ci étaient moins timides avec Barnabé et lui adressaient toutes
sortes de questions. Il a tout un cercle autour de lui.
Mnason n'est pas né
en Chypre : ses parents qui sont pauvres sont venus d'un pays éloigné :
mais à présent ils habitent l'île de Chypre. Il y a fait ses études
qu'il est allé compléter en Palestine où il s'est réuni à Jésus.
Les femmes ont, en
général, beaucoup de répugnance à adopter les enfants illégitimes de
Leurs maris, mais celles d'ici le firent du fond du coeur, et les maris
en conçurent une plus grande affection pour elles. Plusieurs hommes
aussi donnèrent ce même exemple et bénirent des enfants de leurs femmes
dont ils n'étaient pas les pères. Il y eut ainsi des réconciliations
solides, et tout scandale fut évité.
Ce soir, à une heure
avancée, un disciple de Jésus, parent de la veuve de Naim, est arrivé
ici, venant de la Palestine. Jésus s'est entretenu avec lui : il apporte
des messages des amis de Jésus et des nouvelles de ce qui se passe.
Il n'a pas débarqué à
Salamine, mais au midi du petit fleuve Poedion, dans le port d'Ammochostus
qui. comme je l'ai vu précédemment, est situé près d'une une lieue et
demie au midi de Salamine.
26
mai. — Ce matin, de très bonne heure, Jésus sortit de Mallep avec
ses disciples, le disciple de Naïm arrivé hier et les fils de Cyrinus de
Salamine qui étaient venus ces jours derniers. Ils étaient à peu près
une douzaine de personnes. Jésus se dirigea vers un village de mineurs
qui est près de Chytrus, mais en faisant un grand détour. Il remonta
quelque temps la vallée de Lanifa, puis il se dirigea au sud, contourna
la montagne d'où sort la source voisine de Chytrus et cette ville
elle-même, et marchant à l'est, il arriva à ce village que j'ai
mentionné récemment en parlant du grand détour qu'il fit autour de
Chytrus, lorsqu'il partit du village des abeilles en compagnie de
beaucoup de personnes. Il fit ainsi sept lieues de chemin, se reposant
ça et là : il s'arrêta aussi sur la route, près de quelques ouvriers et
parla de la nécessité de frayer la voie vers le bien. Jésus avait été
invité à visiter ce village de mineurs par la famille de Barnabé et par
plusieurs habitants de Chytrus, parce que les mineurs juifs y célèbrent
demain une fête et reçoivent de leurs maîtres des présents et leur part
de la moisson. Jésus fit un détour pour pouvoir parler à ses disciples
sans être dérangé et pour ne pas arriver de trop bonne heure dans cet
endroit. Il se fit rapporter par le disciple de Naïm tout ce que
celui-ci était chargé de lui dire : car, bien qu'il n'ignorât rien : il
avait coutume de ne pas le laisser voir pour ne pas gêner ceux avec
lesquels il vivait.
Le disciple était
parti de Jérusalem pour Naïm le jour d'avant la Pentecôte, après que le
peuple eut porte ses offrandes au temple et après l'émeute provoquée par
Pilate : de Naïm, il s'était rendu par Nazareth à Ptolémaïs et de là en
Chypre. Il raconta à Jésus que sa mère et les autres saintes femmes,
Jean et quelques autres disciples, avaient fêté tranquillement la
Pentecôte à Nazareth, que sa mère et ses amis se rangeaient à son
souvenir et le priaient de vouloir bien prolonger un peu son séjour dans
l'île de Chypre, afin de laisser aux esprits le temps de se calmer à son
sujet. Les pharisiens disaient déjà qu'il s'était enfui. En outre,
Hérode avait voulu le mander à Machéronte sons prétexte de lui parler
des détenus délivrés à Thirza (voir tome IV, page 123), mais dans le
fait son dessein était de le mettre en prison comme Jean. Là-dessus la
guerre était survenue et Hérode s'était éloigné. Comme il était de
retour maintenant, ils priaient Jésus de ne pas revenir encore. Jésus
déclara qu'il n'en pouvait pas être ainsi et qu'il reviendrait quand le
temps serait venu.
Le disciple raconta
ensuite l'émeute provoquée par Pilate la veille de la Pentecôte, lorsque
le peuple eut porté ses offrandes au temple. Malheureusement deux amis
de Jésus, employés au service du temple et parents de Zacharie,
s'étaient trouvés par hasard dans la mêlée et y avaient péri. Jésus le
savait déjà et cela l'avait rendu triste depuis deux jours. Mais la
nouvelle l'attrista de nouveau beaucoup ainsi que les disciples. Pilate
s'était dirigé vers la ville le soir d'auparavant, et il s'était arrêté
avec quelques troupes dans un château situé à quelque distance de la
route de Joppé : c'était près de là que l'un des larrons du Calvaire
s'était livré à ses brigandages. Pilate voulait s'emparer de l'argent
des offrandes de la fête pour pourvoir aux frais de la construction d'un
aqueduc : il avait fait attacher aux colonnes placées devant les entrées
du temple, des tables de bronze où était gravée, sous le buste de
l'empereur, une inscription qui réclamait cette contribution. La vue de
ces images avait fort irrité le peuple, et les Hérodiens soulevèrent, au
moyen de leurs agents, une troupe de Galiléens du parti de Judas de
Gaulon, lequel avait été tué dans la dernière émeute. Hérode qui était
secrètement à Jérusalem était informé de tout. Le soir, cette populace,
transportée de fureur, arracha les tables de bronze, mutila et outragea
les images, et en jeta les débris devant le prétoire sur la place du
marché, en criant : " Voilà votre argent des offrandes " ! Ensuite ils
se dispersèrent, et ce qu'ils avaient fait ne fut pas trop blâmé. Mais
lorsque le lendemain matin ils voulurent sortir du temple, ils
trouvèrent toutes les issues occupées par des gardes qui voulaient avoir
l'argent réclamé par Pilate : comme ils résistaient et cherchaient à
s'ouvrir un passage, des soldats déguisés se précipitèrent au milieu
d'eux et les poignardèrent. Il y eut alors un tumulte effroyable : et
deux employés du temple étant accourus au bruit furent aussi mis à mort.
Mais les Juifs se défendirent et repoussèrent les soldats jusque dans la
forteresse Antonia. Il ne périt pas à beaucoup près autant de monde que
la fois précédente.
Hérode a éprouvé un
échec signalé en Arabie ; sa méchante femme se tient cachée à Hésébon,
au delà du Jourdain, et il se trouve dans ce pays un grand nombre de
soldats revenus de l'expédition d'Arabie. Le dessein qu'avait formé
Hérode de s'emparer de Jésus, a été divulgué aux amis du Sauveur venus
d'Hébron, par ces gens de Machéronte qui leur avaient permis de chercher
la tète de Jean-Baptiste.
Sur la route, Jésus
s'entretint longuement avec les disciples des habitants de Mallep de
leur attachement aux biens de ce monde et à leurs maisons : il dit
combien ils trouvaient dur le conseil de se rendre en Palestine. Il
parla aussi des philosophes paiens qui devaient le suivre et dit aux
disciples comment ils devaient se comporter à leur égard quand ils les
auraient pour compagnons. Il fit cela parce qu'ils ne paraissaient pas
bien s'entendre avec ces philosophes et qu'ils se scandalisaient un peu
à leur sujet.
Vers le soir, ils
arrivèrent au village des mineurs, à une demi lieue de Chytrus. Il est
situé dans le voisinage des mines, autour d'une masse de rochers élevés
à laquelle beaucoup d'habitations sont adossées. Au dessus de ces
rochers sont quelques jardins, et au milieu, dans une enceinte d'arbres
touffus, un monticule artificiel du haut duquel se fait la prédication.
On arrive par des degrés à cette haute plate-forme, d'où l'on domine le
village qui est entouré de quelques autres jardins et d'emplacements
découverts.
Jésus descendit dans
une espèce d'hôtellerie où demeure l'inspecteur qui a ces ouvriers sous
ses ordres, qui leur paie leur salaire et pourvoit à leur entretien. Ces
gens le reçurent avec beaucoup de joie. Toutes les entrées du village et
la maison de l'inspecteur étaient déjà décorées pour la fête avec des
arcs de triomphe en feuillage et des guirlandes de fleurs. Ils
conduisirent Jésus et les siens dans la maison, lui lavèrent les pieds
et lui offrirent à manger. Il alla ensuite avec eux au monticule qui
était au haut des rochers. Il s'y assit et la foule s'étendit sur
l'herbe autour de lui. Alors il leur parla du bonheur que procurait la
pauvreté et du travail : il leur dit combien ils étaient plus heureux
que les riches Juifs de Salamine, parce qu'il n'y avait de riche devant
Dieu que l'homme vertueux, et combien ils étaient moins exposés à tomber
dans le péché. Il dit aussi qu'il venait à eux pour montrer qu'il ne les
méprisait pas et qu'il les aimait, etc. Il enseigna jusqu'à la nuit et
raconta des paraboles ; il traita aussi de l'oraison dominicale.
La fête que les
païens célébraient à Salamine dura trois jours : c'est une fête
funéraire en mémoire de quelques païens meilleurs que les autres, qui
avaient fait supprimer les sacrifices sanguinaires d'enfants mal
conformés ; elle a aussi pour but de soulager les âmes des victimes de
ces sacrifices. On place des coussins pour que ces âmes puissent s'y
reposer, et on dépose des fruits près des urnes où sont leurs cendres et
leurs ossements. Les païens ont horreur des enfants difformes, et on les
relègue dans des maisons à part. Mercuria a eu un enfant de cette
espèce. En général, ils ont de la répugnance pour tout ce qui n'est pas
beau, bien fait et agréable à voir, et ils cherchent à jeter un voile
sur tous les défauts corporels et sur la mort elle-même.
27
mai. — Dès hier soir, on avait fait venir, de Chytrus, au village
des mineurs, des vêtements, des provisions de bouche et du blé : ce
matin, le père et le frère de Barnabé y arrivèrent, ainsi que plusieurs
habitants notables de Chytrus, des propriétaires de mines et aussi
quelques rabbins. Ils visitèrent Jésus dans la matinée, puis ils
allèrent en divers endroits du village où l'on avait porté les objets
qui devaient être donnés et où le peuple s'était rassemblé. On distribua
aux ouvriers des boisseaux de blé, de grands pains d'environ deux pieds
carrés, du miel, des fruits, des cruches pleines, des pièces
d'habillement en cuir dont les mineurs faisaient usage, des couvertures
et des objets de toute espèce. Les femmes reçurent aussi leur part, où
je remarquai des pièces d'une étoffe épaisse, d'une aune et demie en
carré, qui semblent être des tapis. Je crois qu'elles s'en servent pour
envelopper leurs pieds ou pour garnir leurs chaussures, mais je ne m'en
souviens plus bien. Pendant la distribution, Jésus et les disciples
étaient présents ; sur divers points ils enseignaient et donnaient des
avis.
Ensuite Jésus, étant
monté sur le monticule qui est au-dessus des rochers et autour desquels
tout le monde se rassembla, fit une instruction sur les ouvriers de la
vigne, sur le bon Samaritain, sur la reconnaissance, sur les
bénédictions attachées à la pauvreté, sur le pain quotidien, et sur
l'oraison dominicale. Après quoi ces gens prirent un repas en plein air
sous le feuillage, et Jésus, les disciples et d'autres personnes de
distinction les suivirent.
Je vis aussi Jésus
guérir plusieurs mineurs qui avaient des meurtrissures ou des blessures
aux mains, aux bras ou aux jambes.
Ces gens avaient des
enfants des deux sexes qui jouèrent de la flûte et chantèrent. Après le
repas, ils se livrèrent à toute sorte de jeux enfantins, sans que les
hommes et les femmes fussent séparés. On courait, on sautait, on
cherchait quelque chose les yeux bandés : c'étaient des divertissements
qui ressemblaient beaucoup à ceux dont les enfants s'amusent chez nous.
Il y eut aussi des danses où ils défilaient les uns devant les autres en
s'inclinant : après quoi, ils formaient une ronde.
Le soir, Jésus alla
se promener du côté des mines avec une dizaine de petits garçons âgés de
sept à huit ans. Ces enfants n'avaiel1t qu'un linge autour des reins.
Ils avaient des guirlandes de laine ou de plumes à la ceinture ou sur la
poitrine. Ils paraissaient très aimables. Ils montrèrent à Jésus, d'une
façon très naive, tous les endroits où la mine rendait beaucoup, et ils
lui racontèrent tout ce qu'ils savaient. Jésus leur parla avec beaucoup
de bonté, faisant des applications à tout ce qui les concernait. Souvent
il leur donnait des énigmes à deviner et leur racontait des paraboles.
Ce matin encore, je me souvenais de tout cela, mais je l'ai oublié
depuis, parce qu'on m'a dérangée. C'était un charmant spectacle. Jésus
fit ensuite une autre instruction en présence des disciples et des
notables. Bien que ces mineurs fassent sous terre des travaux très
salissants, ils sont en général d'une grande propreté dans leurs maisons
et dans leurs habits de fête.
Cette nuit, je vis
les sept philosophes de Salamine s'embarquer pour Berythus : ils
voulaient éviter Sidon ou Tyr, parce qu'ils y étaient trop connus. Ils
iront de là à l'est, au delà du Liban, puis ils se dirigeront au midi
vers Gessur où Jésus a récemment baptisé beaucoup de païens. Ils y
séjourneront jusqu'à ce qu'il leur donne une autre destination,
peut-être s'y feront-ils circoncire.
Le disciple de Naim
n'ira pas à Citium, mais plus à l'est, à peu de distance des mines de
sel, près d'un bâtiment qui s'avance assez loin dans la mer sur une
langue de terre. Nathanaël le fiancé et le fils du centurion de
Capharnaun1 sont venus le rejoindre là : il doit les prendre avec lui et
les mener à Jésus.
28 mai.-- Aujourd'hui de très bonne heure, Je
vis Jésus avec ses disciples accompagner le disciple de Naim jusqu'au
port où le Seigneur s'embarquera plus tard pour retourner en Palestine.
Ils allèrent au midi, une lieue environ plus à l'ouest que le chemin sur
lequel Jésus, venant de Salamine, s'est entretenu avec les Arabes
voyageurs. Ils laissèrent à leur droite la glande ville de Tremithus qui
est située sur une montagne, à une plus grande élévation que Chytrus :
mais on ne peut pas la voir parce qu'elle est masquée par une autre
montagne. Ils firent bien cinq lieues pour accompagner le disciple. Un
groupe allait en axant, un autre suivait ; Jésus était le plus souvent
entre les deux, tantôt avec le disciple, tantôt avec quelques autres. Il
s'entretint longuement avec le disciple, et lui donna plusieurs
commissions pour sa mère et pour les apôtres. Il va dans la contrée où
sont les mines de sel, près de Citium. Le port, ici, n'est pas si
éloigné de la ville qu'à Salamine : la mer s'avance à une grande
distance dans les terres, et l'on croirait que la ville est entourée
d'eau de tous côtés. A peu de distance, s'élève une très haute montagne.
Il y a aussi une mine de sel gemme dans le voisinage. A l'endroit où
abordent les navires, il n'y a que des petits bâtiments et des flûtes :
on y voit aussi flotter beaucoup, de bois de construction.
Je suis portée à
croire que Jésus partira d'ici pour la Syrie sur un petit navire. Il
débarquera à Sykamine, et se rendra de là à Misaël où se trouve
maintenant Barthélemy avec Judas et quelques autres. Je crois qu'il ira
ensuite à Capharnaüm.
Pendant la fête, Jean
était à Nazareth auprès de Marie et des saintes femmes. Il est allé de
là à Saphet avec André qui était venu de Capharnaüm au-devant de lui.
Ils visitèrent dans la montagne différents endroits où ils n'étaient pas
encore allés. Nathanaël-khased aussi est maintenant avec eux. Thomas est
avec les disciples qui l'accompagnent, dans les environs de Gaza ; Simon
et Thaddée dans la Judée, près de Maspha : Pierre et Jacques le Majeur
de l'autre côté de la mer de Galilée, près de Dalmanutha. Avec eux est
le disciple qu'on appelle le petit Jacob. Il est allié à la famille de
Jésus par un frère de sainte Anne ou de saint Joseph, si je ne me
trompe. J'en ai du reste déjà fait mention une fois, et je crois que son
père ou sa mère sont illégitimes. La veuve de Naïm l'a eu chez elle : il
a été baptisé à Capharnaüm, lors d'un voyage qu'y firent des parents de
Jésus : je crois qu'ensuite il est allé sur un navire se joindre à
Jacques ; il fait l'office de courrier ou de messager. Tous les apôtres
dont je viens de parler, avaient avec eux plusieurs disciples. Aucun
d'eux n'était chez lui occupé des travaux de sa profession : ils n'ont
pas cessé d'enseigner, de baptiser et de guérir Tout s'est assez bien
passé en ce qui les touchait. Le centurion de Capharnaüm et d'autres
amis leur ont souvent servi d'appui contre les Pharisiens. Je crois que
Jésus se réunira à eux dans une douzaine de jours.
Jésus et les
disciples mangèrent en plein air quelques aliments qu'ils avaient avec
eux : le Seigneur donna sa bénédiction au disciple auquel il faisait la
conduite : les autres disciples l'embrassèrent et prirent congé de lui.
Ils revinrent ensuite au village des mineurs où la famille de Barnabé et
plusieurs autres personnes les attendaient. On prit encore là un repas
en commun et Jésus enseigna le peuple qui s'était rassemblé autour de
l'hôtellerie.
Un enfant mal
conformé, que Mercuria avait mis au monde à la suite des abominables
orgies du temple, avait été immolé dans un sacrifice : ce spectacle
était toujours présent à sa mémoire, et cela avait été une des causes de
sa conversion. Ces sacrifices d'enfants de cette espèce avaient été
continués en secret quoiqu'ils eussent été interdits par l'autorité
publique. Mais le gouverneur actuel de Salamine avait fini par les
abolir complètement, et cette fête des morts, en mémoire des victimes
immolées et de ceux qui avaient les premiers travaillé à abolir les
sacrifices humains, avait été renouvelée par lui, à l'instigation de
Mercuria, qui avait eu antérieurement des relations coupables avec lui.
On apporta des coussins pour les âmes des enfants, et l'on offrit pour
eux à la déesse des holocaustes d'oiseaux. Mercuria, accompagnée de ses
filles, pleura amèrement dans le caveau où était l'urne de son enfant :
elle était dévorée par le chagrin, le remords, et le désir de changer de
vie. Elle fit demander à Jésus si elle pouvait prendre part à la
célébration de cette fête. Il lui dit que oui ; mais elle ne sacrifia
pas. Le gouverneur s'est embarqué pour Rome aussitôt après le départ de
Jésus de Salamine. Il s'est entretenu auparavant avec Mercuria et il a
été fort touché en apprenant sa conversion. Il avait à rendre compte de
plusieurs choses à Rome, et il avait pris conseil de Jésus à ce sujet :
j'ai oublié de quoi il était question.
29
mai. — Ce matin, Jésus, accompagné des disciples, quitta le
village des mineurs voisin de Chytrus, et il franchit les montagnes, se
dirigeant au nord-ouest, vers le port de Cerynia. Ils laissèrent Mallep
à droite, traversèrent une partie de la vallée de Lanifa, et passèrent
devant le bourg de Leppé. Jésus se reposa une fois sur le chemin, et il
enseigna près d'une éminence couverte de beaux arbres : ils arrivèrent
ainsi vers quatre heures de l'après-midi à trois quarts de lieue de
Cerynia : ils furent reçus là par la famille de Mnason et par plusieurs
autres Juifs dans un jardin servant d'oratoire, qui n'était autre chose
qu'un petit bosquet situé dans un enfoncement au pied d'un coteau.
Cette famille habite
à un quart de lieue, non loin du chemin et à une demi-lieue de Cerynia.
Le père de Mnason est un vieux Juif, maigre et courbé, avec une longue
barbe, mais très actif et très dispos. Il a encore deux filles et trois
fils, un gendre et une bru : ils habitent ici tous ensemble depuis
environ dix ans. Auparavant c'étaient des marchands ambulants. Ils
accueillirent Jésus avec beaucoup de joie et d'humilité, lavèrent les
pieds aux voyageurs dans un bassin, et leur offrirent une réfection. Il
y avait là un terrain relevé en terrasse avec des allées d'arbres :
c'était pour ces gens comme un oratoire. Jésus enseigna jusqu'au soir
sur le baptême, sur l'oraison dominicale et sur les béatitudes.
Après cela, le père
de Mnason qui s'appelait Moise et les frères de ce disciple menèrent
Jésus à leur maison ou quatre enfants, conduits par Mnason, vinrent à la
rencontre du Seigneur qui les bénit. La mère et les soeurs de Mnason
s'avancèrent, couvertes de leurs voiles, mais restèrent à quelque
distance, et Jésus leur adressa la parole. Il y eut ensuite un repas où
toute la famille assista. Il eut lieu en plein air, sous des arbres :
les maîtres de la maison donnèrent ce qu'ils avaient de meilleur, du
pain, du miel, des oiseaux et des fruits pendant encore à de petites
branches. Jésus enseigna après le repas. Ils mangèrent sous un long
berceau de fouillage qui était revêtu d'écorce d'arbre à l'intérieur,
tandis qu'au dehors on ne voyait que de la verdure. Il s'y trouvait une
rangée de couches.
La mère de Mnason
était une femme forte et robuste. Ayant vu les parents de Mnason faire
de fréquents voyages, j'avais cru d'abord qu'ils demeuraient dans un
pays éloigné, et que lui-même n'était venu en Chypre que pour y faire
ses études. Mais voici dans le fait ce qui en est. Moïse, le père de
Mnason, est de la tribu de Juda : ses ancêtres avaient oublié leur
patrie pendant la captivité de Babylone et n'étaient pas revenus en
Palestine. Il avait mené une vie errante, comme conducteur de caravanes
: il avait aussi résidé quelque temps en Arabie, du côté de la mer Rouge
: mais il y a une dizaine d'années, étant tombé dans la pauvreté, il
s'établit dans l'île de Chypre avec sa famille. Ce fut alors que Mnason
fréquenta l'école de Mallep : plus tard il alla étudier en Judée où il
se joignit à Jésus. Son père vit ici avec ses enfants dont Mnason est le
plus jeune ; ils occupent plusieurs cabanes où ils font leur demeure.
Ils n'ont pas de champs à cultiver, mais seulement quelques jardins
qu'ils ont arrangés derrière leurs habitations avec des massifs de
verdure et des arbres fruitiers. Le vieux père ayant été jadis
conducteur de caravanes et trafiquant, s'est établi dans ce pays comme
hôtelier au service des caravanes de marchands Elles s'arrêtent ici
devant Cers nia : Moïse a aussi quelques ânes et quelques boeufs de
charge à l'aide desquels il transporte à leur adresse de petits ballots
qu'il reçoit de ces caravanes et qui sont destinés à des endroits
éloignés de la route. C'est comme un marchand ambulant devenu hôtelier
pour héberger des gens de son ancienne profession. Il est pauvre ;
cependant lui et les siens pourvoient régulièrement à leur subsistance
sans cesser d'observer strictement les usages propres aux Juifs. Il ne
vient pas un grand nombre de caravanes de commerce à Cerynia : la route
principale mène à Lapithus, qui est à deux lieues de là du côté de
l'ouest.
30
mai. — Ce matin Jésus enseigna encore à l'endroit où il avait
enseigné la veille. Il se trouvait là plusieurs Juifs de Cerynia et des
gens faisant partie d'une petite caravane qui était arrivée récemment.
Ceux-ci furent singulièrement réjouis de trouver là Jésus, car ils
l'avaient déjà entendu près de Capharnaüm et ils avaient reçu le
baptême. Il parla aujourd'hui avec beaucoup de force contre l'usure et
la passion, par le trafic avec les païens de s'enrichir : il traita en
outre du baptême, de l'oraison dominicale et des béatitudes. A midi, il
y eut un repas en commun : Jésus se mit à peine à table : la plupart du
temps il servit les convives ou fit le tour des tables en enseignant.
La seule des soeurs
de Mnason qui fût mariée ne se montra pas : sa petite fille était morte
l'avant-veille. Elle resta assise près du corps, enveloppée dans ses
vêtements tic deuil et pleurant. L'enfant n'avait pas pu être enterrée
la veille, par suite de je ne sais quel empêchement. La mère attendait
aujourd'hui vers quatre heures les rabbins de Mallep qui devaient
enlever le corps, car c'était là qu'était leur cimetière. L'enfant, déjà
assez grande, avait toujours été maladive : elle ne pouvait pas encore
parler couramment ni marcher, mais elle comprenait tout et Mnason qui
était déjà venu ici plusieurs fois avait parlé d'elle à Jésus. Jésus lui
avait dit qu'elle mourrait bientôt, et lui avait montré comment il
devait la préparer à la mort. Mnason s'était pieusement acquitté de ce
devoir pendant l'absence de la mère. Il avait inculqué à l'enfant la foi
au Messie avec le sincère repentir de ses péchés et l'espérance du
salut. Il avait prié avec elle, et lui avait fait des onctions avec de
l'huile bénie par Jésus, en sorte que l'enfant avait fait une très bonne
mort. Je la vis auprès de sa mère, couchée dans une espèce de bière en
forme d'auge, elle était emmaillotée comme une pourpre : le linceul
était rabaissé sur son visage comme un capuchon. Elle avait sur la tête
une petite couronne de fleurs et des paquets d'herbes étaient entassés
près d'elle. Ses bras et ses mains étaient aussi enveloppés, on pouvait
pourtant les distinguer : dans le bras était une baguette blanche à
l'extrémité de laquelle était attaché un bouquet où figurait un gros
épis de blé, quelques feuilles de vigne, une petite branche d'olivier,
une rose et d'autres végétaux du pays. Plusieurs femmes vinrent visiter
la mère et pleurer avec elle ; elles déposèrent dans la bière, à côté de
l'enfant, des jouets de toute espèce, deux petites flûtes, un petit cor
recourbé, un tout petit arc avec sa corde tendue et une petite baguette
en guise de flèche passant dans une rainure. On avait en outre placé le
long de chaque bras un bâtonnet qui semblait doré, terminé par un
bouton. C'était presque comme des baguettes de tambour (peut-être un
instrument pour tricoter, tisser ou filer).
Lorsque les rabbins
vinrent pour enlever le corps, on ne cloua pas le léger couvercle du
cercueil ; on l'attacha seulement avec une bande d'étoffe. Quatre hommes
le portèrent entre eux sur des bâtons. On portait aussi au bout d'une
perche une lampe allumée dans une espèce de lanterne de corne ; une
foule nombreuse où se trouvaient beaucoup d'enfants, se pressait autour
du cercueil. Jésus, les disciples et d'autres personnes se tenaient
devant la maison pendant que le cortège passait ; Jésus consola la mère
et les membres de la famille et il enseigna sur la résurrection.
Tous allèrent ensuite
à Cerynia pour le sabbat. Cerynia a trois rues aboutissant à la mer :
celle du milieu est fort large et ces trois rues sont coupées par deux
autres. Du côté de la terre, la ville est entourée d'un épais rempart
dans lequel sont pratiquées à l'extérieur les habitations de la
population juive, peu nombreuse d'ailleurs, et qui par conséquent
demeure hors de la ville ; toutefois, ces habitations elles-mêmes sont
aussi entourées d'une muraille. Les Juifs habitent donc ici entre deux
murs de la ville, séparés de la Cerynia païenne où il y a une dizaine de
temples ou de lieux consacrés aux idoles. Les Juifs sont en petit nombre
; ils ne sont pas précisément riches, toutefois, tout est bien tenu chez
eux. Ils ont un bâtiment qui renferme à la fois une école, une synagogue
et des logements pour les maîtres et les rabbins. Cet édifice est élevé
avec un étage supérieur. Ils ont aussi une belle fontaine d'eau vive
empruntée à une autre source et qui alimente deux réservoirs, l'un où
l'on puise l'eau que l'on boit, l'autre, situé dans un joli jardin et
qui sert à prendre des bains.
Je crois qu'on
baptisera dans celui-ci.
Les maîtres reçurent
Jésus à l'entrée de la rue avec beaucoup de marques de respect : ils le
conduisirent à l'école, puis après la bienvenue accoutumée, à la
synagogue où sept malades s'étaient fait porter sur de petites litières
pour entendre son instruction. Il y avait bien en tout une centaine de
personnes. On lut des chapitres de l'Exode (I-IV, 21) racontant le
dénombrement des Israélites et donnant diverses généalogies, ainsi que
des passages du prophète Osée (Os.I,10 ; II, 21), contenant des
invectives véhémentes et de terribles menaces contre l'impureté et
l'idolâtrie.
Il s'y trouvait un
endroit où Dieu commande à Osée d'épouser une prostituée et de donner
certains noms aux enfants nés de ce mariage. Ils interrogèrent Jésus à
ce sujet, et il leur donna des explications. Il leur dit que le prophète
devait représenter dans sa personne et dans ses actes ce qui était
advenu de l'alliance de Dieu avec la maison d'Israël, et que les noms
donnés aux enfants devaient exprimer les châtiments décrétés par Dieu.
Il dit encore que souvent, par l'ordre de Dieu, des justes devaient
contracter des unions avec des pécheurs pour arrêter la propagation
d'une race pécheresse. Ce mariage d'Osée avec la femme de mauvaise vie
et les noms divers donnés aux enfants nés de cette union sont des
témoignages des tentatives répétées de la miséricorde de Dieu et de la
persistance des crimes. J'ai oublié l'ensemble de ce qui fut dit à cet
égard. Jésus prêcha avec beaucoup de véhémence, il exhorta au baptême et
à la pénitence ; il parla de l'approche du royaume de Dieu, du châtiment
réservé à ceux qui le repoussaient et de la ruine de Jérusalem.
Il y eut dans la
prédication de Jésus quelques interruptions pendant lesquelles les
malades crièrent à plusieurs reprises: "Seigneur! nous croyons à votre
enseignement, mais, Seigneur, secourez-nous" ! Lorsqu'ils virent qu'il
se disposait à quitter la synagogue, ils se firent porter d'avance dans
le parvis ou on les rangea sur deux lignes, et ils invoquèrent Jésus en
ces termes : " Seigneur, faites pour nous ce que vous pouvez ! Seigneur,
exercez sur nous le pouvoir qui vous est donné ". Jésus ne les guérit
pas sur-le-champ, mais comme les rabbins aussi intercédèrent pour les
malades, il dit à ceux-ci : " Que puis-je faire pour vous " ? Ils
répondirent : " Seigneur, délivrez-nous de notre maladie ! Seigneur,
guérissez- nous " ! -- Croyez-vous que je puisse faire cela pour vous ?
demanda Jésus, et tous les assistants s'écrièrent : " Oui, Seigneur,
nous croyons que vous le pouvez ". Alors Jésus ordonna aux rabbins de
prendre les livres de prière et de prier avec lui sur ces malades Ils
prirent les livres et prièrent. D'autre part, Jésus commanda aux
disciples d'imposer les mains aux malades, et ils leur imposèrent les
mains, à celui-ci sur les veux, à celui-là sur la poitrine, et ainsi de
suite. Jésus leur demanda encore : " Croyez-vous et voulez-vous être
guéris " ?--" Oui, Seigneur, répondirent-ils, nous croyons que vous nous
guérirez ". Alors Jésus dit : "Levez-vous ! votre foi vous a guéris " !
Et tous les sept se levèrent et rendirent grâces à Jésus, qui leur
ordonna de se baigner et de se purifier. Quelques-uns d'entre eux
avaient eu le corps très enflé par hydropisie : leur maladie disparut,
mais ils restaient encore faibles et se retirèrent appuyés sur leurs
bâtons. Je ne sais plus bien pourquoi Jésus ici mit quelques différences
dans sa manière de procéder et fit prier les rabbins avec lui. Ce fut
peut-être parce que c'étaient des Juifs rigoureux observateurs du
sabbat, ou bien parce qu'il voulut leur apprendre quelle était la vertu
de la prière.
J'ai vu plusieurs
fois dans l'île de Chypre, à Chytrus, à Mallep et à Salamine, Jésus
guérir les malades de cette manière, en ordonnant aux rabbins de prier
avec lui et à ses disciples d'imposer les mains. Comme ces rabbins et
ces docteurs étaient des hommes de bonne volonté, il les faisait
participer aux guérisons comme des disciples et leur inspirait ainsi de
la confiance. Jésus avait adopté ici ce nouveau mode de guérison, pour
les préparer à l'action de ses disciples et aussi parce qu'il se
trouvait un bon nombre de rabbins parmi les cinq cent soixante dix Juifs
qu'il gagna à lui dans l'île de Chypre. Tel fut le nombre de ceux qui
quittèrent ce pays pour suivre Jésus, il l'a dit plus tard à ses
disciples. Jésus retourna avec les siens et les rabbins chez Moïse où
ils prirent encore quelque nourriture, et Jésus enseigna, se provenant
de long en large.
31
mai . — Ce matin, vers neuf 1ieures, une cinquantaine de Juifs,
parmi lesquels les sept vieillards guéris la veille, vinrent de Cerynia
au jardin voisin de la maison de Moïse et ils y reçurent le baptême.
L'eau y venait d'une source voisine, car la maison de Moïse était placée
sur un point assez élevé où il n'y avait pas de fontaine : il avait son
réservoir dans cet autre endroit ; c'était un grand bassin de cuivre, si
je ne me trompe ; il était enfoncé dans la terre et entouré d'un petit
fossé taillé dans le roc qui avait son écoulement dans une auge de
pierre ; l'eau de ce bassin était très limpide. Ils faisaient leur
lessive dans le fossé où ils se lavaient aussi les pieds. L'auge de
pierre leur servait pour faire boire le bétail et pour arroser. Les
néophytes s'y placèrent les pieds nus, comme d'ordinaire, et on les
baptisa avec de l'eau du bassin.
Jésus enseigna
d'abord sur le tertre destiné à la prédication, qui était très bien
disposé et dans une situation agréable : il traita de la pénitence et de
la purification par le baptême. Les hommes avaient de longs vêtements
blancs, des manipules et des ceintures où étaient brodées des lettres.
Outre les sept malades guéris, on baptisa huit autres néophytes, ce qui
faisait quinze en tout. Les autres avaient déjà reçu le baptême à Mallep.
Plusieurs s'entretinrent particulièrement avec Jésus et confessèrent
leurs péchés. Jésus leur dit dans son instruction qu'ils devaient mettre
à profit le moment de la grâce et accomplir la loi d'après les
prophètes, mais non s'en faire les esclaves, car la loi avait été faite
pour eux et non pas eux pour la loi. Elle leur avait été donnée comme
moyen de mériter la grâce.
Parmi ceux qui
devaient être baptisés se trouvaient les frères et le beau-frère de
Mnason. Quant à Moïse, son père, c'était un vieux Juif, pieux, mais un
peu entêté, et il ne voulait pas s'y prêter. Mnason avait déjà fait des
efforts inutiles pour lui faire entendre raison, et Jésus lui en parla
encore aujourd'hui, mais le vieillard s'obstina, et rien ne put le faire
changer d'idée. Il haussait les épaules, secouait la tête et trouvait
toutes sortes de prétextes pour s'y refuser. Il mettait surtout en avant
la circoncision à laquelle il voulait s'en tenir. Je ne me souviens plus
bien de toutes les raisons qu'il alléguait. Mnason en était tellement
affligé qu'il en pleurait ; mais Jésus le tranquillisa et lui dit, entre
autres choses, que c'était par suite de son grand âge que son père était
si attaché à ses idées, que, du reste, il avait toujours vécu pieusement
et qu'il déplorerait son erreur dans un autre lieu où ses yeux
s'ouvriraient.
Jésus bénit encore
l'eau baptismale et il y versa de l'eau du Jourdain. Ce qui en resta
après le baptême fut soigneusement recueilli et enfoui dans la terre.
Pendant le baptême,
Jésus alla sur le coteau qui s'élevait derrière l'endroit où il avait
prêché. Il y avait la un beau jardin avec des berceaux de feuillage et
beaucoup d'arbres fruitiers où l'attendaient trente ou quarante Juives.
Elles étaient voilées et s'inclinèrent profondément devant lui. Beaucoup
d'entre elles a, aient des consolations à lui demander : il alla avec
elles sous un berceau ou se promena à côté d'elles de long en large.
Plusieurs des plus âgées parmi ces femmes étaient dans une grande
anxiété à l'idée que leurs maris allaient les abandonner pour suivre
Jésus et les laisseraient sans appui et sans ressources Elles le
prièrent d'engager leurs maris à ne pas les quitter. Jésus les consola :
il leur dit qu'elles ne seraient point délaissées, et que si leurs maris
le suivaient, elles aussi les accompagneraient en Palestine et y
trouveraient leur subsistance. Il leur cita l'exemple des saintes femmes
et leur représenta qu'elles vivaient dans un temps ou il ne s'agissait
pas de mener une vie commode et paisible, mais d'aller au-devant du
royaume de Dieu qui s'approchait et de recevoir l'époux céleste. Il leur
raconta en outre la parabole de la drachme perdue et celle des vierges
sages et des vierges folles.
Il y avait aussi des
jeunes femmes qui venaient en pleurant porter des plaintes contre leurs
maris. Elles voulaient qu'il les avertît de n'avoir pas de rapports avec
les filles des païens, lui qui avait parlé si fortement à propos des
exhortations du prophète Osée contre les relations coupables avec les
gentils. Ne pouvait-il donc pas donner des avertissements à leurs maris
?--Ces femmes avaient quelques griefs réels, mais pour la plupart elles
étaient en proie à la jalousie. Jésus les consola et Leur demanda
comment elles-mêmes se comportaient vis-à-vis de leurs maris. Il leur
recommanda la douceur, l'amour de l'ordre, l'humilité, la patience,
l'obéissance, l'affabilité, la diligence et les exhorta à s'abstenir de
plaintes, de commérages, de murmures et de taquineries. Il passa bien
deux heures à tenir des discours de ce genre.
Il y eut ensuite un
repas en commun pour les néophytes et pour d'autres personnes : tous y
apportèrent leur contribution. La partie féminine de la famille était
dans la maison de la femme dont l'enfant était mort ; cette maison était
fermée et des lampes étaient allumées à l'intérieur. Ces femmes
n'étaient pas allées dans le jardin avec les autres. Jésus et les
disciples servirent à table presque tout le temps au lieu de prendre
place parmi les convives. Jésus bénit les mets et raconta des paraboles.
Après le repas, tous
allèrent à la synagogue de Cerynia, où Jésus fit la clôture de
l'instruction du sabbat et parla avec beaucoup de force sur les textes
d'Osée ; mais il s'attacha plus à ce qui concernait le peuple que Dieu
s'était choisi qu'a ce qui touchait ceux que le Seigneur rejetait. Il
prit congé de ses auditeurs qu'il bénit tous, puis il passa par la
maison de Moïse où il fit ses adieux. et prit avec ses disciples le
chemin direct de Mallep.
È
CHAPITRE QUATRIÈME
Départ de
l'île de Chypre et arrivée en Palestine.
Du 1er au 17 juin.
Préparatifs du départ.- Guérison
d'un enfant aveugle. - Sur le mot Amen. -
Jésus va à Salamine où il s'entretient avec Mercuria et le gouverneur
romain. - il va gagner le port, - il débarque à Hepha. - Jésus à Misael,-à
Thanach. - Guérison d'un pharisien. - Jésus à Sion près du mont Thabor,
- à Naim. - Rencontre des saintes femmes. - Opposition des Pharisiens de
Naim. - Jésus à Rimmon, - à Beth-Lachem, - à Azanoth. - il rencontre
Lazare à Damna. - Jésus dans la maison de sa sainte mère, à Capharnaum.
1er et 2 juin. —
Ce matin je vis Jésus à son hôtellerie s'entretenir avec plusieurs
personnes de la ville : il leur annonça son prochain départ et donna des
encouragements à plusieurs d'entre eux qui avaient formé le projet de le
suivre, mais qui étaient agités de beaucoup de craintes et
d'inquiétudes. Il s'entretint aussi avec plusieurs femmes auxquelles il
donna des consolations. Dans l'après-midi il fut principalement dans le
jardin voisin de la fontaine avec ceux qui doivent en effet partir d'ici
et il leur donna des instructions sur ce qu'ils avaient a faire. Il fut
question des arrangements à prendre pour le départ et de la manière dont
les voyageurs seraient répartis.
2
juin.- Ce matin Jésus fit une grande instruction près de la
fontaine de la ville. Il répéta de nouveau tout ce qu'il leur avait dit,
il parla de l'approche du royaume de Dieu, de la nécessité d'aller à sa
rencontre, de sa séparation d'avec eux, du peu de temps qu'il avait à
rester encore, du pénible accomplissement de sa tâche, de ce qu'il
fallait faire pour marcher à sa suite et coopérer avec il parla encore
de la destruction prochaine de Jérusalem et du châtiment qui devait
frapper cette ville et tous ceux qui repoussaient le royaume de Dieu et
qui ne voulaient pas faire pénitence et se convertir, mais, restaient
attachés à leurs biens terrestres et à leurs plaisirs, Il leur
représenta comment tout ce qui paraissait ici si agréable et si doux,
n'était qu'un sépulcre peint au dehors de belles couleurs, mais au
dedans plein de pourriture et d'objets
repoussants. Il les exhorta à réfléchir sur leur intérieur : à
considérer eux-mêmes ce qui se trouvait réellement en eux sous tant de
belles apparences. Il parla de l'usure à laquelle ils se livraient, de
leur avarice, de leur mélange avec les païens fondé sur l'amour du gain,
de l'attachement aux biens de ce monde dont ils étaient les esclaves, de
leur hypocrisie, etc. Il leur dit encore de bien regarder tout ce luxe
et ce bien-être qui les entourait ; car tout cela devait être anéanti,
et un temps viendrait où il n'y aurait plus un Israélite dans ce pays.
Il parla en termes très clairs de lui-même et de l'accomplissement des
prophéties, toutefois il ne fut compris que d'un petit nombre. Pendant
cette instruction les auditeurs s'approchaient successivement, toujours
divisés en catégories, vieillards, hommes faits, jeunes gens, femmes,
jeunes filles, etc. : tous furent profondément remués, pleurèrent et
sanglotèrent.
Après cela Jésus
accompagné des disciples et de quelques personnes de Mallep, alla à deux
lieues au levant, dans un endroit où l'avaient prié de se rendre les
habitants de plusieurs métairies qu'il avait visitées déjà une fois
pendant son séjour à Mallep. Il y avait la une jolie colline couverte
d'arbres qui servait a la prédication. Il était venu aussi des gens du
village des mineurs voisin de Chytrus. Une des principales raisons qui
décidèrent Jésus à faire cette excursion fut qu'il devait y rencontrer
le disciple de Naïm, Nathanaël de Cana et le fils de Zorobabel, venus de
Citium pour le saluer et lui rendre compte des dispositions prises pour
son départ de l'île de Chypre. Ils avaient rencontré en route des
messagers que le gouverneur de Salamine envoyait à Jésus et avec
lesquels ils étaient venus. Ils avaient aussi dans leur compagnie
quelques personnes de Citium qui désiraient le baptême. Le gouverneur
faisait faire ses compliments à Jésus : il désirait le voir à Salamine
et demandait à être baptisé.
Jésus dans
l'instruction qu'il fit ici prit congé de ses auditeurs comme à Mallep,
puis il visita quelques cabanes et guérit plusieurs malades qui avaient
imploré son assistance. Comme il était déjà en train de revenir à Mallep,
un vieux paysan le pria de vouloir bien entrer dans sa maison et d'avoir
pitié de son enfant qui était aveugle. Il y avait dans cette maison
trois familles, en tout douze personnes, les grands parents et deux fils
mariés, avec leurs enfants. La mère couverte de son voile apporta à
Jésus sur ses bras l'enfant aveugle qui était déjà en état de parler et
de courir. Jésus le prit dans ses bras, porta à sa bouche les doigts de
sa main droite, lui frotta les yeux avec sa salive, le bénit, le posa à
terre et lui mit quelque chose devant les yeux. L'enfant étendit les
mains de lui-même pour le prendre, et tous poussèrent des cris de joie.
L'enfant courut à la voix de sa mère qu'il embrassa, puis à son père et
il passa ainsi des bras de l'un dans ceux de l'autre : après quoi ils le
reconduisirent à Jésus et s'agenouillèrent en pleurant pour le
remercier. Jésus pressa l'enfant dans ses bras et le rendit aux parents
qu'il exhorta à le conduire à la véritable lumière afin qu'ayant les
yeux ouverts il ne tombât pas dans des ténèbres pires que celles dont il
était sorti. Il bénit aussi les autres enfants et toute la maison. Les
assistants pleuraient et l'accompagnaient de leurs chants d'allégresse.
A Mallep, il y eut un
repas dans la maison destinée aux fêtes publiques. Tout le monde y prit
part. On donna à manger aux pauvres et on leur fit des présents : Jésus
et ses disciples allaient et venaient, servaient à table et enseignant.
Jésus fit en dernier
lieu une grande instruction sur le mot AMEN. Il dit que c'était le
résultat de toute la prière. Quiconque le prononce légèrement met sa
prière à néant.
La prière invoque
Dieu, nous met en union avec Dieu, ouvre pour nous les trésors de sa
miséricorde et par le mot amen s'il est dit
comme il doit l'être, nous prenons possession de ces dons. Il parla
admirablement de la vertu du mot amen. Il
l'appela le commencement et la fin de toutes choses, et il s'exprima
presque comme si c'était avec ce mot que Dieu avait créé le monde. Il
prononça aussi l'amen comme le dernier mot de
tout ce qu'il leur avait enseigné, comme la conclusion des adieux qu'il
leur faisait et de ceux qu'il ferait au monde après avoir accompli sa
mission et il termina par un amen solennel.
Cette instruction se
prolongea assez avant dans la nuit. Il bénit tous ses auditeurs qui
versèrent des Larmes en lui adressant leurs adieux.
Après cela Jésus se
retira et quitta la ville avec ses disciples. Barnabé et Mnason ne
partiront que le lendemain. Je crois qu'ils se sont un peu reposés sur
la route. Ils laissèrent Chytrus à main droite, et suivant des sentiers
peu fréquentés à travers des champs et des landes, ils se dirigèrent en
droite ligne vers la montagne qu'ils franchirent. Jésus a payé son écot
à l'hôtellerie le jour d'avant son départ : le disciple de Naïm avait
apporté de l'argent. Comme on ne voulait pas le prendre, il fut
distribué aux pauvres.
Voici ce que j'ai vu
touchant Mercuria et son départ de Salamine. Elle a des parents à Tyr :
il y aura prochainement dans cette ville une fête où elle doit paraître.
Elle partira sans son mari, avec ses deux filles et des serviteurs
dévoués, mais elle n'ira pas jusqu'à Tyr : des hommes d'Ornithopolis, si
je ne me trompe, l'attendront avec un petit navire sur lequel elle
montera avant d'arriver a Tyr, et qui la conduira en lieu de sûreté.
De même tous ceux qui
dès à présent et plus tard doivent de Mallep, de Chytrus et de Salamine,
se rendre en Palestine à la suite de Jésus, auront à prendre diverses
voies qui leur sont assignées. Quelques-uns s'embarqueront au nord-est
de Salamine, d'autres qui font des affaires avec Tyr partiront de
Salamine même, d'autres enfin s'embarqueront ailleurs. Les païens
baptisés se rendront pour la plupart à Gessur.
3
juin. — Aujourd'hui, vers deux heures après midi, je vis Jésus et
ses compagnons arriver près de Salamine, à la maison d'école ou il avait
logé habituellement lors de son arrivée à Chypre. Ils y sont arrivés par
le nord-ouest, ayant à main droite l'aqueduc et à gauche la ville juive.
Je les vis, ayant encore leurs robes relevées, s'asseoir trois par
trois, dans l'avant-cour de la maison, au bord d'un bassin entouré de
petits fossés dans lesquels on se lave les pieds. On verse de l'eau du
bassin dans ces fossés. Ils se servirent successivement d'un long
morceau d'étoffe brune pour s'essuyer les pieds. Jésus ne permettait pas
que d'autres lui lavassent les pieds : le plus souvent tous se les
lavaient eux-mêmes. On les attendait et on leur donna à manger.
Il y avait la
beaucoup de gens de ses amis auxquels Jésus fit une instruction qui dura
bien deux heures. Il prit congé des parents du disciple de Jonas : puis
il eut un long entretien avec le gouverneur romain 1, celui-ci lui
présenta deux jeunes gens païens qui demandaient aussi à être instruits
et baptisés. Jésus s'entretint d'abord avec eux deux, puis il parla à
chacun en particulier. Ils lui firent en pleurant l'aveu de leurs
péchés, et il les leur remit.
NOTE
: Le 25 novembre 1823 Anne Catherine ayant eu une vision très
détaillée touchant l'origine et la vie de sainte Catherine fit
mention du gouverneur et raconta de lui ce qui suit : Sa femme qui
habitait Rome était une païenne très zélée. Lors du voyage qu'il fit
dans cette ville, il lui raconta sa conversion et l'engagea à
l'imiter, voulant se séparer d'elle si elle ne le faisait. Il a
favorisé sous main tous ceux qui ont quitté Chypre pour suivre Jésus
en Palestine. Plus tard, cette émigration ayant fait du bruit, on le
déposa : cependant il resta obscurément à Salamine. Lorsque saint
Paul prêcha dans l'île de Chypre douze ans après le voyage qu'y
avait fait Jésus, il emmena avec lui cet ancien gouverneur qui
devint un disciple important et travailla beaucoup pour l'Eglise.
C'est un homme fort et vigoureux, âgé de quarante ans tout au plus.
Son fils, né d'un commerce adultère avec Mercuria et qui resta avec
le mari de celle ci, épousa la plus jeune soeur de sa mère, et c'est
de ce couple que la mère de sainte Catherine tirait son origine.
Dans la soirée ils
furent baptisés secrètement dans l'avant-cour de la maison d'école. Ils
se tenaient debout dans les fossés, appuyés sur une balustrade placée
au-dessus du bassin où était l'eau. Jacques le Mineur les baptisa, le
disciple de Naïm et Nathaniel ayant les mains placées sur leurs épaules.
Ces deux jeunes néophytes suivront les philosophes à Gessur.
Mercuria fit prier
Jésus de vouloir bien lui accorder un entretien dans le jardin voisin de
l'aqueduc. Jésus s'y rendit avec le serviteur qu'elle avait envoyé, et
elle s'approcha de lui, ayant son voile baissé et tenant par la main ses
deux petites filles qui étaient habillées d'une façon singulière ; l'une
d'elles était déjà assez grande et assez formée. Elles n'avaient que de
petites robes descendant à peine jusqu'aux genoux, le reste du corps
était enveloppé d'une belle étoffe transparente, garnie par endroits de
franges ou de guirlandes en laine ou en plumes. Leurs bras étaient
libres, leurs pieds enveloppés de bandelettes, et leurs cheveux
flottants. Elles ressemblaient un peu aux anges qui figurent dans nos
représentations de la crèche.
Jésus s'entretint
longtemps et amicalement avec Mercuria. Elle était très affligée et
pleurait beaucoup parce qu'il lui fallait laisser ici son fils, et aussi
parce que ses parents tenaient éloignée d'elle sa jeune soeur, qui
resterait ainsi dans son aveuglement. Elle pleura aussi sur ses péchés,
mais Jésus la consola et l'assura de nouveau qu'ils lui étaient remis.
Les deux petites filles ne comprenant rien à tout cela, regardaient leur
mère, pleuraient avec elle et se serraient étroitement contre elle. Mais
Jésus attira à lui ces enfants, les bénit et les consola. Il fut aussi
question de la manière dont elle quitterait Salamine et du séjour qui
lui serait assigné. Enfin Jésus la quitta et retourna à la maison
d'école.
Barnabé et Mnason
revinrent de Chytrus et de Cerynia : Mnason amena un de ses frères qui
voulait, lui aussi, Suivre le Seigneur en Palestine. Il y eut un repas
d'adieu après lequel Jésus enseij3na encore : il consola et bénit tous
les assistants.
Ils se rendirent
alors à un endroit peu éloigné où le gouverneur romain avait envoyé
d'avance quelques-uns de ses gens avec une quantité d'ânes de grande
taille tout sellés. Chacun s'établit sur sa monture : je vis Jésus
s'asseoir de côté sur une selle garnie d'un dossier. Le gouverneur aussi
était de la partie. Ils passèrent sous les aqueducs et, longeant
Salamine par derrière, ils traversèrent le fleuve Púdius. Ils suivirent
un chemin de traverse assez étroit. La route ordinaire fait un coude et
se rapproche de la mer. La nuit était belle : le gouverneur se tenait le
plus souvent auprès de Jésus. Je vis en avant une troupe de douze
personnes, suivie d'une troupe de neuf, parmi lesquelles Jésus et le
gouverneur, un peu séparés des autres : un dernier groupe de douze
fermait la marche. Je ne me souviens pas d'avoir vu Jésus faire usage
d'une monture en aucune autre occasion, si ce n'est le dimanche des
rameaux. Lorsque le jour commença à poindre, ils étaient encore à trois
lieues de la mer ; alors le gouverneur, pour ne pas attirer l'attention,
prit congé de Jésus avec quelques personnes qui l'accompagnaient : Jésus
lui tendit la main et le bénit. Il descendit de sa monture et voulut
baiser les pieds de Jésus ; puis il lui fit un profond salut qu'il
renouvela après avoir fait quelques pas plus loin (ce devait être un
usage du pays) ; après quoi il remonta sur sa bête et s'en retourna. Les
deux païens nouvellement baptisés l'accompagnèrent. Jésus resta sur sa
monture et continua son chemin jusqu'à une lieue environ de l'endroit où
ils allaient ; alors tous mirent pied à terre et renvoyèrent les ânes
avec les serviteurs. Ils suivirent ensuite. des chemins creux qui
passaient à travers les collines où étaient les mines de sel. Le pays
est très aride en cet endroit.
4
juin. — Ce matin ils ont rencontré les mariniers qui les
attendaient près d'un long édifice, situé à quelques centaines de pas
des bords de la mer, à une lieue environ à l'est de Citium, non loin des
collines où se trouvent les mines de sel. Cette partie du littoral est
calme et solitaire. Il y a peu d'arbres : on rencontre seulement parfois
quelques troncs d'une grosseur énorme, semblables à des souches à moitié
brûlées sur lesquels poussent beaucoup de jeunes rejetons. On ne voit
rien d'abord qu'un rempart d'une longueur surprenante au-dessus duquel
il y a du gazon, des jardins et des arbres. Du côté de la mer, on trouve
une certaine quantité d'habitations et de grands hangars où demeurent de
pauvres familles juives ; à l'autre extrémité habitent quelques familles
païennes. Sur certains points du rivage où la mer a plus de profondeur,
il y a plusieurs anses revêtues de maçonnerie avec des escaliers ; il
s'y trouvait, outre quelques autres navires, trois petits bâtiments
frétés pour le voyage de Jésus. L'atterrage y est facile, et je crois
que c'est ici qu'on charge le sel pour le porter aux villes du littoral.
Les Juifs très misérables qui demeurent ici ont l'apparence de gens
rejetés de la société et comme bannis ; ce ne sont peut-être que de
pauvres malheureux au service des gens qui exploitent les mines de sel.
Il y a là une hôtellerie à l'usage des marins et des ouvriers.
Jésus était attendu :
les gens des navires avaient fait préparer une collation. On mangea du
poisson, du miel, du pain et des fruits ; l'eau est très mauvaise ici,
et on la corrige en y jetant quelque chose : ce sont, je crois, des
fruits (peut-être des amandes). On la conserve dans des cruches et dans
des outres. Sept Juifs appartenant à l'équipage des navires furent
baptisés avec de l'eau qu'on apporta dans un bassin. Je ne me souviens
plus qui ils étaient ; ils sont venus avec les disciples : peut-être
étaient ce des Juifs revenant des fêtes de la Pentecôte et qui n'avaient
pas encore reçu le baptême.
Jésus prit en pitié
les pauvres habitants de cet endroit ; il visita successivement leurs
habitations, les consola et leur fit des présents ; il en guérit
quelques-uns qui avaient reçu des blessures en travaillant aux mines de
sel, ainsi que d'autres malades qui lui tendaient des mains suppliantes.
Il leur demanda seulement s'ils croyaient qu'il pût les guérir ; ils
répondirent : " Oui, Seigneur, nous le croyons ", et il les guérit. Il
alla jusqu'à l'extrémité du long retranchement ; il visita aussi les
demeures des païens, lesquels se montraient très craintifs. Il leur
adressa quelques paroles amicales pour les encourager ; il bénit aussi
les enfants pauvres, enseigna devant tous les habitants rassemblés et
raconta une parabole où il était parlé du sel de la terre.
Lorsqu'ils prirent le
repas qui avait été commandé pour eux, Jésus envoya des aliments à ces
pauvres gens.
C'était ici que le
disciple de Naïm était venu le mercredi ; il y avait entendu les deux
autres disciples qui étaient arrivés plus tard, et tous ensemble étaient
venus à Mallep ; je ne sais plus où ils s'étaient arrêtés en chemin pour
célébrer le sabbat. Ces disciples se sont déjà embarqués ce matin pour
aller annoncer en Palestine l'arrivée de Jésus.
Jésus était
accompagné d'environ vingt-sept personnes. Le soir, à la chute du jour,
ils s'embarquèrent sur trois petits navires : celui de Jésus était le
plus petit. Il s'y trouvait quatre disciples et quelques rameurs. Sur
tous ces navires s'élevaient autour du mât des appentis avec de petits
compartiments dans lesquels on se couchait pour dormir. Si les rameurs
n'eussent pas été en haut sur leurs bancs, on n'aurait vu personne.
Je vis le navire de
Jésus aller en avant, et, à mon grand étonnement, les autres prirent une
autre direction ; mais je les vis, comme il était déjà nuit, engravés,
chacun de leur côte, à une demi lieue du rivage : ils attachèrent des
fanaux au mat en signe de détresse. Alors Jésus ordonna à ses matelots
de revenir en arrière : ils s'approchèrent d'abord de l'un des navires
auquel ils jetèrent une corde, le dégagèrent et s'avancèrent avec lui
jusqu'à l'autre auquel ils rendirent le même service ; tous deux furent
ensuite attachés au navire de Jésus qu'ils suivirent. Jésus reprocha à
ceux qui les dirigeaient leur excès de confiance en eux-mêmes, et il
parla, à cette occasion, de la présomption et de la docilité. Ils
avaient donné dans un tourbillon qui les avait jetés sur des bancs de
sable.
5
juin. — Aujourd'hui, vers midi, je vis Jésus faisant sa
traversée. On distribua des vivres ; les navires étaient attachés les
uns aux autres, et Jésus enseignait. Le soir, comme on était déjà assez
près du large golfe que forme la mer au pied du Carmel, entre Ptolémaïde
et Hapha, je vis les trois navires de Jésus revenir à force de rames
vers la pleine mer ; car, à l'entrée du golfe, un grand et un petit
navire étaient engagés dans un combat avec plusieurs autres petits
bâtiments. Le grand navire eut le dessus, les petits s'enfuirent et on
jeta à la mer plusieurs cadavres. Lorsque les navires de Jésus se
rapprochèrent de celui qui livrait cette bataille, Jésus leva la main et
bénit du côté des combattants, lesquels se séparèrent bientôt après. Ils
ne virent pas les navires de Jésus qui attendaient l'issue du combat à
une certaine distance. Ce n'était pas une guerre, mais une querelle
privée qui avait pris naissance dans l'île de Chypre, à propos du
chargement des navires. Les petits bâtiments guettaient le grand navire
: ils s'étaient abordés et l'on se frappait les uns les autres avec de
longues barres de bois ; on aurait pu croire que personne ne resterait
en vie, car le combat dura bien deux heures. Le grand navire s'empara
des petits qu'il traîna à la remorque ; je ne sais plus au juste quelle
était la cause de ce combat.
Lorsque ces bâtiments
se furent éloignés, Jésus avec les siens entra dans le golfe par le côte
du midi, et débarqua à l'est d'Hepha, qui est dans le voisinage de la
mer. Ils ne débarquèrent pas à la ville même, ils passèrent devant et
descendirent sur des marches attenantes à des constructions en pierre :
ce devait être une dépendance du débarcadère. Il y avait en haut des
places entourées de murs et des allées.
Jésus fut reçu sur le
rivage par plusieurs apôtres et disciples, au nombre de vingt et
quelques : c'étaient Thomas, Simon, Thaddée, Judas et Nathanaël-Khased ;
en outre, si je ne me trompe, Philippe, Jacques le Majeur, Éliacin, les
fils de la soeur aînée de Marie, les disciples de Jean et des disciples
de la famille de saint Joseph ; j'ai oublié leurs noms. Il y eut une
joie indicible : ils embrassèrent Jésus et les autres arrivants ; puis,
lorsqu'on eut tout réglé avec les navires, ils suivirent le rivage
pendant une demi lieue par un chemin où il y avait des degrés ; ils
s'arrêtèrent ensuite sous des arbres dans un endroit où ils prirent une
réfection que les apôtres avaient apportée. Ici je perdis de vue cette
scène.
6
juin. — Jésus est débarqué précisément à l'embouchure du Cison,
qu'il a laissé derrière lui en s'avançant ; il fit environ trois lieues
et demie en longeant les contours du golfe ; puis, se dirigeant au nord,
il passa, sur un pont très long' semblable à une chaussée, une rivière
peu profonde qui se jette dans le golfe de Ptolémaïs. Ce pont arrive
jusqu'au pied de la hauteur derrière laquelle est le marais de Cendevia.
Ils gravirent cette hauteur et arrivèrent au faubourg de Misael, ville
de Lévites, laquelle est séparée de ce faubourg par un pli de terrain.
Élisabeth, la mère de Jean, a résidé à Misael dans sa jeunesse. Le
faubourg, a vue sur la mer du côté de l'ouest, et du côté du sud sur une
vallée verdoyante et sur le Carmel il ne se compose que d'une hôtellerie
et d'une rue qui s'étend sur la hauteur.
Sur le chemin, près
d'un beau puits auquel on descend par plusieurs degrés, Jésus vit venir
à sa rencontre une procession de gens de l'endroit, parmi lesquels
étaient beaucoup d'enfants. Ils portaient des branches de palmier
auxquelles pendaient encore des dattes et ils le saluèrent en chantant
un cantique dont j'ai bien compris le sens, mais que j'ai oublié : il y
était question de l'innocence. Parmi eux était avec toute sa famille
Siméon, ce père de famille de Libnath, la ville aquatique, que Jésus
avait baptisé l'année précédente (tome II, page 17). Depuis ce temps il
est venu à Misael, car ses enfants ne lui laissaient pas de repos qu'il
ne se fût entièrement réuni aux Juifs. Il avait converti beaucoup
d'autres personnes.
NOTE
: Hérold fait mention d'un pont sur le fleuve Belus, à peu de
distance de Ptolémaide, dans la continuation de la guerre sainte de
Guillaume de Tyr. Le Pèlerin trouva ce renseignement en mai 1838
dans la description de la Terre Sainte, par Adrichomius.
Il a cinq enfants,
dont quelques-uns sont encore très jeunes, et il a organisé à ses frais
toute cette réception pour Jésus. Après cela, on lava les pieds à Jésus
et tous se purifièrent. Ils entrèrent ensuite dans une hôtellerie : on
nettoya leurs habits, on leur donna d'autres chaussures et ils prirent
une réfection. Je vis alors neuf lévites, rangés trois par trois, venir
de la ville vers Jésus ; ils le saluèrent et s'entretinrent avec lui.
Dans l'après-midi, il y eut un repas où les lévites assistèrent ; après
quoi, ils s'en retournèrent.
Jésus se rendit avec
ses disciples à un joli jardin de plaisance situé sur le penchant de la
hauteur, au nord du faubourg, et d'où la vue s'étendait à l'ouest.
C'était un jardin public dépendant de la ville ; car ce fut de la ville
qu'on apporta la clef ; et il s'y trouvait des enclos réservés
appartenant à des particuliers qui s'en servaient pour des réunions
pieuses ou pour tout autre usage. Ce jardin était planté de très beaux
arbres, orné de salles et de berceaux de verdure, et on y avait une
magnifique vue sur le golfe. Il est situé à mi hauteur de la colline
Tout au haut de cette colline, on voit le lac ou le marais de Cendevia,
et, en s'avançant un peu, Libnath, la ville aquatique, à un angle du
marais Elle est à une demi lieue d'ici et se trouve plus rapprochée de
la mer qui entre là dans les terres, que Misaël qui en est à deux bonnes
lieues. Dabbeseth est à cinq lieues à l'est, sur le bord du Cison ;
Nazareth à sept lieues environ.
Jésus se promena et
se reposa avec les disciples dans le jardin, tantôt enseignant, tantôt
écoutant leurs récits. L'un d'eux parla de la sédition qui avait eu lieu
récemment à Jérusalem et raconta la défaite d'Hérode qui avait voulu
s'emparer de Jésus, avec une sorte de joie malicieuse ; ce qui lui
attira des reproches de la part de Jésus.
Jésus leur raconta
ici une parabole touchant un pêcheur qui traversa la mer pour pêcher, et
qui prit cinq cent soixante-dix poissons. Il dit comment un pêcheur
entendu transporte les bons poissons de la mauvaise eau dans la bonne ;
comment il améliore les fontaines, ainsi que fit Élie ; et comment,
enfin, il retiré les bons poissons de la mauvaise eau où les poissons
qui vivent de proie les dévoreraient, et leur prépare de nouveaux
réservoirs d'eau vive. Dans la suite de cette parabole il y eut une
allusion à ceux que leur présomption avait fait échouer l'avant-veille
sur un banc de sable parce qu'ils n'avaient pas suivi le maître pécheur.
C'était une grande et belle parabole ; mais je ne puis pas la reproduire
dans son ensemble. Plusieurs des hommes de l'île de Chypre qu'il avait
emmenés avec lui, versèrent des larmes, lorsqu'il parla des poissons
transportés à grand peine dans une eau plus pure. Jésus parla en termes
exprès de cinq cent soixante-dix bons poissons ainsi sauvés, et dit qu'à
ce prix le travail était suffisamment payé. Quelques-uns des Chypriotes
venus ici s'en retournèrent parce qu'ils avaient à s'occuper de faire
faire la traversée à d'autres.
Jésus alla ensuite
visiter l'école de ce faubourg, qui contenait au plus une vingtaine de
familles. Les lévites y faisaient le service divin quand des étrangers
venaient célébrer le sabbat dans l'hôtellerie d'ici, où l'on était plus
près de la grande route. Jésus enseigna sur la lecture du sabbat.
C'étaient des passages du Lévitique sur le sacrifice pour le péché et du
livre des Juges sur l'histoire de Samson (Lévit IV, 21, VIII ; Jud. XIII).
Avant le sabbat, il
vint deux disciples porteurs d'un message de la Syrophénicienne d'Ornithopolis.
Plusieurs Juifs qui habitaient près d'Ornithopolis sont déjà partis :
ils ont gagné le Jourdain par Samarie, et l'ayant traversé, ont remonté
le Jabok jusque par delà Ramoth-Galaad où Joseph et Joachim avaient des
champs.
7
juin. — Jésus resta ce matin dans le faubourg de Misaël, et, sur
la demande des habitants, il fit l'instruction du sabbat. Il reçut
ensuite la visite des lévites qui allèrent avec lui au jardin de
plaisance. Jésus parla de l'île de Chypre. Ses auditeurs se réjouirent
de ce que les Juifs de ce pays le quittaient pour retourner en
Palestine. Il en viendra plusieurs par Ptolémaïde, quelques-uns
viendront ici. On s'entretint de quelques dispositions à prendre. Jésus
parla du danger qui les menaçait dans cette île.
Les assistants lui
demandèrent avec anxiété si les païens devaient aussi devenir assez
puissants en Palestine pour qu'il y eût des dangers a courir. Jésus
parla du jugement qui devait frapper tout le pays. A
l'occasion d'une fête qui doit bientôt avoir lieu, des Juifs
viendront de Chypre à Jérusalem et ne s'en retourneront pas. Il parla
aussi des dangers que lui-même aurait à courir, et de la punition de
Jérusalem. Ils ne pouvaient pas comprendre qu'il voulût y aller de
nouveau ; mais il dit qu'il avait encore beaucoup à faire et qu'ensuite
il accomplirait sa tâche.
Jésus s'entretint
aussi avec les disciples qui étaient venus la veille de la part de la
Syrophénicienne d'Ornithopolis. Ils avaient apporté de petits lingots
d'or et des plaques du même métal attachés ensemble par une chaîne. Ils
rapportèrent à Jésus que la Syrophénicienne voulait envoyer un de ses
navires pour aider Mercuria à s'enfuir de Chypre ; j'ai oublié comment
cela devait se faire, cela m'est sorti de la tête. Il y eut ensuite un
repas auquel les lévites assistèrent : il y en a douze à Misael.
Après le repas,
Jésus, sur leur demande, alla à la ville. Elle est très vieille et
entourée de murs avec des tours : quelques païens ont leurs habitations
dans les murs. Jésus alla avec les lévites jusqu'à leur maison qui est
un édifice à angles arrondis ; au milieu se trouve le foyer avec
quelques chambres détachées ; des constructions moins importantes,
attenantes au bâtiment principal, servent d'habitation aux lévites.
Élisabeth a demeuré
un certain temps dans cette ville, près de son père qui y remplissait
les fonctions de lévite ; Zacharie y vint aussi une fois ; Élisabeth est
née à deux lieues d'ici, dans la plaine d'Esdrelon, dans une métairie
isolée qui appartenait à ses parents et dont elle hérita plus tard. Elle
alla résider au temple dans sa cinquième année. Lorsqu'elle fut sortie,
elle séjourna encore quelque temps à Misaël et dans la métairie en
question, après quoi elle alla en Judée habiter la maison de Zacharie.
Jésus parla d'elle et de Jean ; il s'exprima si clairement sur celui-ci
comme précurseur du Messie qu'il leur fut facile de deviner qui il était
lui-même.
Ensuite Jésus
parcourut la ville avec les lévites qui le prièrent d'entrer dans
plusieurs maisons où il y avait des malades. Il guérit des enfants, et,
entre autres malades, plusieurs paralytiques qui lui tendaient leurs
mains entourées de bandages. Il pouvait bien y en avoir seize. Il visita
aussi, dans sa maison, ce Simon de Libnath qui, la veille, lui avait
fait une réception si amicale. Il alla ensuite à la synagogue et fit la
clôture du sabbat ; ici les femmes se tenaient dans une espèce de
tribune à peu de distance de la chaire. Il parla du sacrifice pour le
péché et de Samson : il donna beaucoup d'explications touchant les faits
de la vie de Samson, et parla de lui comme d'un saint homme dont la vie
était prophétique. Il n'avait pas, disait-il, perdu toute sa force, il
avait conservé la force de faire pénitence : c'était par une inspiration
divine qu'il avait fait écrouler sur lui le temple des païens. Il dit
qu'étant voué à Dieu, Samson s'était affaibli par le commerce avec les
femmes. Il parla du miel trouve dans la gueule du lion, du secret que
Samson avait gardé à cet égard vis-à-vis de ses parents et expliqua un
mystère qui s'y rapportait. Il parla aussi de la mâchoire d'âne, etc. ;
mais j'ai oublié tout cela. J'ai reçu antérieurement plusieurs
explications touchant Samson, mais j'en ai oublié la plus grande partie.
Je sais que le miel dans la gueule du loup, la source d'eau sortie de la
dent de l'âne, l'enlèvement des portes de Gaza et d'autres choses encore
étaient des figures qui avaient rapport à Jésus. Samson a jugé dix ans
et fait la guerre dix ans. Il avait quinze ans lorsqu'il devint Juge. Il
était d'une force, d'une beauté, d'une intelligence merveilleuses : il
indiquait aux Juges comment ils devaient s'y prendre pour tromper les
Philistins et les forcer à se tenir en repos ; alors on lui donna à
lui-même la charge de Juge. Son mariage avec la Philistine, la mort de
celle-ci, la vengeance qu'il en tira, tout cela lui avait été montré et
prescrit, par des visions, et il savait d'avance ce qu'il avait à faire.
Il s'agissait d'engager la lutte avec les Philistins. A Gaza, il s'était
seulement caché chez la mauvaise femme parce qu'on cherchait à le
perdre, mais il n'était pas tombé dans le péché ; et c'est pourquoi il
avait conservé sa force jusqu'à pouvoir enlever et emporter les portes
de la ville. Il transgressa son voeu de continence avec Dalila, but des
boissons enivrantes et se plongea dans le péché. Les sept boucles de
cheveux se rapportent aux sept dons du Saint Esprit qu'il perdit
successivement. Le jeu auquel on voulait qu'il se livrât dans le temple
était une moquerie insultante qu'on lui faisait subir ; mais il avait
recouvré sa force par la pénitence.
L'endroit appelé
Lechi (à cause de la mâchoire d'âne) se trouvait à l'extrême frontière
de la Judée. Lors de la fuite en Égypte, Marie et Joseph furent dans une
grande anxiété jusqu'à ce qu'ils eussent atteint cet endroit, parce que
c'était là seulement qu'ils quittaient le territoire d'Hérode.
Après l'instruction,
Jésus revint à l'hôtellerie ; les disciples qui l'avaient accompagné en
Chypre partirent après le sabbat en deux troupes : l'une se dirigeant
vers Capharnaüm, l'autre vers Dabrath, au pied du Thabor.
8
juin. — Cette nuit j'ai reçu divers renseignements sur le cours
de plusieurs rivières et ruisseaux qui arrosent la Terre promise ; la
seule chose dont je me souvienne encore, c'est qu'il y a un cours d'eau
qui se jette dans la mer de Galilée par la vallée de Magdalum et un
autre qui va de Thirza au Jourdain. La rivière (si l'on peut donner ce
nom à un mince filet d'eau) que Jésus a traversée sur un pont avant
d'arriver à Misaël, n'a que deux lieues de cours. Sa source est
surmontée par un édifice singulier (note) : c'est un grand bâtiment
carré ; on y monte par des degrés et il est surmonté par des espèces de
tours. Ce cours d'eau coule dans la direction de Ptolémaïde et il est en
communication avec le marais ou le lac je Cendevia. Il n'existe plus
aujourd'hui.
NOTE
: Le 29 mai 1838, le Pèlerin lut dans l'ouvrage de Flavius Josèphe
sur la guerre des Juifs (traduction de Friese, liv. II chap. 10),
qu'il y a près du petit fleuve Belus un monument élevé à la mémoire
de Memnon.
Aujourd'hui Jésus
alla avec les lévites à environ une demi lieue au sud-est dans un petit
endroit qui a une synagogue et deux cents habitants lesquels demeurent à
l'entour dans des maisons semblables à des chaumières de paysans. Il est
contre une hauteur et fermé du côté du midi par une montagne ; à quelque
distance, dans la vallée, se trouve une jolie colline où Jésus a
enseigné devant deux cents auditeurs environ.
Judas qui se mêle
volontiers de toutes sortes d'affaires, et Thomas, qui est bien connu
parce que sa famille a des trains de bois dans le port, sont allés ce
matin à Hepha avec plusieurs autres disciples, afin d'y prendre des
mesures relatives aux Chypriotes qui vont arriver. Quelques nouveaux
disciples de l'île de Chypre les accompagnèrent. Jésus leur fit la
conduite jusqu'au pont de la petite rivière, avant d'aller lui-même à ce
petit endroit dont j'ai parlé, avec les lévites et les disciples. Je
crois qu'il y avait aujourd'hui une fête ou un jour de jeûne car je n'ai
pas vu.
9
juin. — Aujourd'hui vers midi Jésus est allé à l'endroit dont
j'ai dit qu'Élisabeth y avait habité dans sa jeunesse. Cet endroit est
plus grand que l'autre ; mais il n'y a pas de synagogue. Jésus y a des
parents du côté d'Elisabeth et de saint Joseph : ce sont les père et
mère de ce jeune homme qu'on appelle le petit Jacob,. Il s'y trouve
aussi quelques-uns de ces gens allies à la famille de Jésus, qui étaient
allés le voir le 4 novembre de l'année dernière dans la contrée d'Abès
où Saul se donna la mort, et qui avaient voulu lui persuader de renoncer
a se montrer en public (voir tome III, page 105). Parmi eux se
trouvaient des vieillards qui avaient des fils parmi les disciples.
Jésus resta là peu de temps ; il guérit quelques malades : ici encore
plusieurs disciples sont venus le rejoindre (voyez page 1.16). Le soir
il alla à un petit endroit situé à un quart de lieue de Séphoris, où il
avait une fois discuté avec un rabbin sur le mariage (tome II, page
128). Cet endroit est à deux lieues de Nazareth : la plaine de Ghinnim
appartient à cette contrée.
Jésus répartit ici
dans les environs plusieurs des nouveaux colons d'Ornithopolis.
10
juin. — Aujourd'hui Jésus est allé des environs de Sephoris à
Thanach, qui est à une lieue au sud-ouest de Mageddo. Il a fait environ
cinq lieues. Thanach est à deux lieues à l'est de Dabbeseth, qui est sur
le bord du Cison. C'est une ancienne résidence des rois chananéen, et il
y y eut là un événement (un combat, si je ne me trompe), à la suite
duquel un chef célèbre eut la tête traversée par un clou (la bataille
livrée contre Sisara). Thanach est une ville de lévites. Jésus n'y était
pas encore allé quoiqu'il fût venu antérieurement à Mageddo, où les
disciples de Jean vinrent le trouver l'année précédente (tome III, page
177).
On l'attendait ici.
Les chefs de la synagogue le reçurent : on lui lava les pieds et on lui
offrit une réfection. Aujourd'hui et hier plusieurs disciples sont venus
joindre Jésus : il en a avec lui dix environ, parmi lesquels Saturnin,
les fils de Marie d'Héli, auquel on donne aussi le nom de frères de
Jésus ; quelques-uns venus de Dabrath et des parents de Saint Joseph.
Les Pharisiens de
l'endroit ne se montrèrent pas ouvertement hostiles ; toutefois ils
étaient malveillants pour Jésus et cherchaient à le prendre en faute ;
je m'en aperçus à leur langage équivoque. Ils demandèrent à Jésus s'il
ne voulait pas visiter toute espèce de malades, et si, dans ce cas, il
ne consentirait pas à voir un des leurs qui avait été à Capharnaüm et
qui se trouvait en très mauvais état. Ils croyaient qu'il s'y refuserait
parce que cet homme avait fait partie du comité qui surveillait Jésus à
Capharnaüm et qu'il s'était montré très hostile. Ce Pharisien, en
punition de sa conduite d'alors et de ses invectives contre Jésus à
l'occasion du refus qu'avait fait le Seigneur de recevoir certains
disciples (voir tome III, page 30), était en proie à une étrange
maladie. Il sanglotait continuellement, il éprouvait un tremblement
convulsif et vomissait fréquemment : ce qui l'avait réduit à un état de
marasme effrayant. C'était un homme de trente à quarante ans, marié et
père de famille. Il était étendu sur sa couche, souffrant et gémissant.
Jésus lui demanda s'il voulait recouvrer la santé et s'il croyait
qu'elle put lui être rendue par lui. Il pouvait à peine parler ; il lui
répondit d'une voix faible et tout plein de confusion : " Oui, Seigneur,
je le crois ". Alors Jésus lui mit une main sur lu tête, l'autre sur la
poitrine ; puis il fit une prière et lui ordonna de se lever et de
prendre de la nourriture. Il se leva et remercia Jésus en pleurant,
ainsi que sa femme et ses enfants. Jésus leur adressa à tous des paroles
amicales et consolantes et ne fit aucune allusion aux procédés de cet
homme à son égard.
Jésus visita ensuite
plusieurs maisons et guérit des malades. Les Pharisiens perdirent toute
envie de le contredire lorsque le soir ils virent le Pharisien guéri
paraître à la synagogue. Jésus parla de l'accomplissement des
prophéties, de Jean-Baptiste, le précurseur du Messie, et du Messie
lui-même, en termes si clairs qu'ils purent deviner sans peine de qui il
entendait parler.
11
juin. — Ce matin Jésus alla à Thanach dans un atelier de
charpentier ou Joseph avait travaillé après s'être enfui de Bethléhem.
C'était un édifice où demeuraient, autour d'une cour, une douzaine de
personnes qui faisaient le commerce de bois de charpente et de
menuiserie. L'atelier où Joseph avait travaillé servait d'habitation à
leurs enfants. Toutefois ils ne travaillaient pas eux-mêmes, mais ils
faisaient travailler de pauvres gens et ils avaient un assortiment
d'objets de toute espèce dont ils expédiaient une partie par la voie de
mer. Il y avait du merrain, des barres de bois, des cloisons portatives
en clayonnage. J'entendis des conversations où l'on disait que le père
du prophète devait avoir travaillé là ; toutefois ils ne savaient plus
bien si c'était ce même Joseph de Nazareth, ou bien quelque autre. Je me
dis à cette occasion que, puisque dès lors le souvenir s'en était à peu
près perdu, nous ne devions pas nous étonner d'en savoir si peu à cet
égard. Jésus visita cette maison et les autres. Ceux qui l'habitaient
lui offrirent des rafraîchissements et il enseigna dans la cour sur
l'amour du travail et sur l'usure.
Jésus a payé son écot
à l'hôtellerie et, vers midi, il est parti pour une vieille et laide
bourgade ; appelée Sion, laquelle est située à trois lieues à l'est. Cet
endroit consiste en une espèce de château dont les murs sont très épais
et en quelques maisons qui l'entourent : il est à peu près à l'ouest du
Thabor.
Le Cison prend sa
source au Thabor : un de ses bras coule au levant dans la vallée où Saul
périt et où il y a un marais Ou un lac, et se dirige vers Scythopolis,
l'autre bras coule à l'ouest par la vallée de Jezraël et se jette dans
la mer près de Ptolémaïs.
Sion, l'ancienne
forteresse avec lés maisons qui l'entourent, se trouve sur un point
assez élevé. Non loin de là sur le bord du Cison, derrière des remparts
plantés d'arbres, se cache, comme dans un trou obscur, une autre
agglomération de maisons. C'est une situation malsaine : ils ne peuvent
pas voir par dessus ces remparts. Les gens du bas me paraissent à
certains égards dépendants de ceux du haut qui les oppriment et les
vexent.
Les gens de Sion,
quoique pointilleux et malveillants reçurent pourtant Jésus selon la
coutume : on lui lava les pieds et on lui offrit une réfection ; il
avait ici un logement qu'on était venu retenir de Naïm. Il enseigna dans
la synagogue ; il parla contre les Pharisiens qui imposent a autrui de
lourds fardeaux qu'eux-mêmes ne veulent pas porter et contre
l'oppression et l'esprit de domination ; il parla aussi du Messie,
disant qu'il se manifesterait tout autrement qu'ils ne le croyaient. Ils
disputèrent avec lui sur ce sujet et il les réduisit au silence.
12
juin. — Jésus était venu à Sion tout exprès pour consoler les
pauvres opprimés qui s'y trouvaient. C'est un endroit dépeuplé et qui
semble tomber en ruines : il est situé au midi de la grande route qui
passe devant le Thabor. Tout y est à l'abandon ; ce qui, du reste, se
voit encore ailleurs, parce que les Juifs contemporains de Jésus sont
très négligents et ne se donnent pas la peine de rien maintenir en bon
état. Dans l'île de Chypre tout a une bien meilleure apparence.
Ce matin, Jésus alla
encore dans cette partie basse de la ville qui est si étroitement
resserrée, et il y guérit plusieurs malades dans leurs cabanes :
c'étaient pour la plupart des goutteux et des paralytiques. Les
Pharisiens envoyaient tous les malades dans ce misérable quartier où ils
trouvaient à peine un peu de bon air à respirer. Jésus et les disciples
donnèrent ici aux pauvres gens tout ce qu'ils avaient d'argent, de
pièces de drap et de bandes d'étoffe, car eux-mêmes n'avaient besoin de
rien, vu qu'ils devaient trouver à se pourvoir de tout à Naïm.
(Vraisemblablement les disciples qui étaient venus d'abord trouver
Jésus, avaient apporté de Naïm tous ces objets pour les distribuer en
aumônes.)
Jésus, accompagné des
disciples, alla d'ici à Naïm en moins de deux heures. Sion est à
l'ouest, Naïm au midi du Thabor. Il ne passa pas le Cison et suivit un
chemin montueux, ayant à sa gauche un endroit situé plus haut sur la
pente du Thabor, Ou il a fait une instruction le 5 janvier de cette
année (tome III, page 330).
Un peu plus au midi,
ils passèrent un pont, et comme ils étaient devant Naim, près d'un
puits, plusieurs disciples et d'autres personnes, parmi lesquelles était
le jeune homme ressuscité, vinrent à Jésus. Il enseigna en cet endroit :
on lui lava les pieds et on lui présenta une réfection ; ils changèrent
d'habits et de chaussures. Jésus avait avec lui environ douze disciples,
mais aucun des apôtres. Les disciples de Jérusalem étaient venus de
cette ville à Naïm avec quelques-unes des saintes femmes : d'autres
avaient célébré la Pentecôte à Nazareth avec Marie, et en s'en
retournant, ils étaient venus attendre Jésus ici. Jésus entra d'abord
dans l'hôtellerie spéciale établie pour son usage à Naïm. Elle était
dans un bâtiment appartenant à la veuve : il alla ensuite avec ses
disciples voir la veuve elle-même. Les saintes femmes, ayant leur voile
baissé, vinrent à sa rencontre dans le vestibule de la cour et se
prostc1iièrent à ses pieds. Il les salua et se rendit avec elles dans la
grande salle. Il y avait cinq femmes outre la veuve : Marthe, Madeleine,
Véronique, Jeanne Chusa et la Suphanite. Les femmes s'assirent, les
jambes croisées, sur des coussins et des tapis qui garnissaient une
extrade peu élevée semblable à un long canapé. Elles ne dirent rien à
Jésus jusqu'à ce qu'il leur eût adressé la parole, et alors chacune
parla à son tour. Elles donnèrent des nouvelles de Jérusalem et
d'Hérode, dirent que ce prince avait fait chercher Jésus ; mais bientôt
Jésus leva le doigt et leur reprocha de trop se préoccuper des choses de
ce monde et de juger trop facilement leur prochain. Je trouvai à faire
mon profit de cet avertissement.
Jésus leur parla de
l'île de Chypre et de ceux qui avaient reconnu la vérité. Il parla aussi
avec prédilection du gouverneur romain de Salamine, et comme les femmes
pensaient que cet homme ferait bien de quitter aussi ce pays, Jésus leur
répondit qu'il n'en serait pas ainsi : qu'il devait rester là pour
porter secours à beaucoup de gens, et que plus tard, quand il aurait
achevé son oeuvre, il viendrait là un autre gouverneur qui serait l'ami
de la communauté. Je me suis figuré que Jésus entendait parler de ce
gouverneur non moins bienveillant que saint Paul trouva dans l'île de
Chypre (Sergius Paulus, Act. XIII, 7-12). Il parla aussi beaucoup de
Mercuria, mais j'ai oublié ce qu'il en dit. Je ne dis pas volontiers ce
que je ne me rappelle pas bien. Les saintes femmes pleurèrent souvent et
je pleurai avec elles. Cela ne me fait pas mal aux yeux et pourtant je
m'en inquiétais. Il y eut ensuite un repas.
13
juin. — Jésus a visité quelques personnes et il s'est trouvé avec
les saintes femmes dans la maison de la veuve. Il alla dans le jardin
avec elles, et tout en se promenant, Il s'entretint avec chacune
d'elles.
Madeleine et la
Suphanite ont perdu depuis longtemps la beauté qui les distinguait
autrefois. Leur visage est pâle et défait ; leurs yeux sont rougis par
les larmes. Elles aiment le silence et la retraite. Marthe est très
active et traite les affaires à merveille. Jeanne Chusa est une grande
femme pâle, d'un tempérament robuste, d'un caractère sérieux et
énergique. Véronique a beaucoup de rapports avec sainte Catherine : elle
est résolue. franche et courageuse. Lorsqu'elles sont ainsi réunies,
elles cousent, travaillent et préparent pour la communauté toute sorte
de choses qu'on dépose dans les différentes hôtelleries et dans des
magasins où les disciples et les apôtres les prennent, soit pour leur
usage, soit pour en faire des aumônes aux pauvres. Quand la communauté a
tout ce qu'il lui faut, elles travaillent aussi pour des synagogues
pauvres. Elles ont habituellement avec elles leurs servantes qui les
précèdent et les suivent, portant des étoffes soit dans une besace de
cuir semblable à une outre, soit sous leur manteau, attachées à la
ceinture. Les servantes portent des vêtements plus étroits et des robes
plus courtes que leurs maîtresses. Quand elles sont à demeure quelque
part, comme à Naïm, par exemple, les servantes les quittent et vont les
attendre dans les hôtelleries qui sont sur le chemin. La servante de
Véronique était depuis longtemps avec elle, et elle était encore à son
service après la passion de Notre Seigneur.
Jésus prit son repas
à son hôtellerie. Lorsqu'il alla à la synagogue pour le sabbat, il ne
monta pas dans la chaire et resta avec ses disciples à l'endroit où se
plaçaient ordinairement les docteurs en voyage. Mais lorsqu'on lui eut
souhaité la bienvenue et que les prières furent finies, les rabbins le
conduisirent à l'endroit où étaient les livres et l'engagèrent à faire
la lecture. Il y était question des lévites, des murmures du peuple
hébreu, des cailles, et de la punition de Marie, soeur d'Aaron (Num.
VIII, 1 ; XIII, 1 ; Zachar. II, 10 ; IV, 8).
Les passages du prophète Zacharie se rapportaient à la vocation des
Gentils et au Messie. Jésus parla avec beaucoup de force, et il dit que
les paiens prendraient dans le royaume du Messie la place des Juifs
endurcis. Il dit aussi qu'on ne reconnaîtrait pas le Messie et qu'il se
manifesterait tout autrement qu'ils ne le croyaient. Ils furent très
piqués et très scandalisés et voulurent le contredire ; mais il les
réduisit au silence. Il y avait parmi eux trois gros hommes fort
insolents qui avaient fait partie du comité de Capharnaum : ce furent
eux surtout qui disputèrent. Ils étaient très irrites de la guérison du
Pharisien de Thanach et ils disaient que si Jésus l'avait guéri, c'était
afin que les Pharisiens du pays fermassent les yeux sur ce qu'il
pourrait faire. Ils le sommèrent aussi de se tenir en repos et de ne pas
troubler le jour du sabbat avec ses guérisons. Il n'avait rien de mieux
à faire, selon eux, que de se retirer pour éviter d'agiter les esprits.
Jésus leur répondit qu'il ferait ce qu'il avait mission de faire, qu'il
continuerait à enseigner jusqu'à ce que son temps fût accompli. Ils ne
l'invitèrent à aucun repas : ils étaient animés d'une rage secrète
contre lui parce que son enseignement et sa charité attiraient à 1ui les
pauvres, les affligés et les âmes simples pour lesquels eux-mêmes
n'avaient que des rebuts.
Le temps fut
aujourd'hui admirablement beau à Naïm. Le matin, je vis Jésus accompagne
des disciples se promener autour de la ville et enseigner. Il y a là de
belles promenades et des maisons de plaisance avec des terrasses où l'on
va faire à l'ombre sa promenade du sabbat. C'est maintenant le temps des
semailles. La route de Samarie passe par Naïm et va rejoindre la grande
route au delà du Cison.
Tous les disciples
qui sont ici près de Jésus doivent être de ses confidents intimes, car
il leur parla de l'avenir qui lui était réservé avec beaucoup de gravité
et d'onction. Il les exhorta à rester constants et fidèles, parce que de
grandes souffrances et de grandes persécutions
l'attendaient. Il ne devaient pourtant pas se scandaliser à son sujet.
Il ne les abandonnerait pas : eux non plus ne devaient pas l'abandonner
; mais il serait tellement maltraité que leur foi serait mise à rude
épreuve. Ils furent très touchés et versèrent des larmes.
Ils allèrent dans un
beau jardin de plaisance appartenant à la veuve
Maroni ; il y avait beaucoup de jolis endroits, d'arbres
fruitiers et de berceaux de verdure. On pouvait aussi y prendre des
bains : je crois que l'eau y était amenée du Cison ; car le jardin était
situé près de la rivière et avait vue sur le Thabor. Naïm est adossé à
une colline.
Les saintes femmes
vinrent à leur tour dans le jardin Jésus, entouré de ses disciples, fit
une instruction entre mêlée de récits sous un berceau de feuillage où
les femmes s'assirent toutes du même côté. Il leur parla de la
réconciliation opérée entre divers couples d'époux à Mallep, et
spécialement de ce couple chez lequel il avait accepté un repas : cette
famille était de celles qui devaient venir en Palestine il parti aussi
de Mercuria. Celle-ci se rendra d'abord chez la Syrophénicienne,
laquelle se prépare actuellement à quitter Ornithopolis. Elles iront
d'abord à Gessur et ensuite plus loin. Il est déjà arrivé beaucoup de
personnes de l'île de Chypre ; il doit en arriver d'autres qui
débarqueront devant Joppé.
Il vint aussi dans ce
jardin plusieurs femmes que Jésus avait réconciliées avec leurs maris,
le 19 novembre de l'année précédente (tome III, p. 171). Elles sont
étroitement liées avec la veuve Maroni, et concourent aux travaux qui se
font ici pour des oeuvres de charité. Elles arrivèrent lorsque les
saintes femmes s'étaient déjà retirées, et après que Jésus eut pris un
petit repas avec les disciples. Il leur donna des avis et des
encouragements, après quoi elles firent place à d'autres. Il vint à lui
plusieurs veuves et d'autres personnes encore qui lui exposèrent leurs
chagrins et leurs doutes, et se plaignirent fit de la manière dont elles
étaient vexées et opprimées par les Pharisiens. Il les consola et leur
fit des présents.
Lorsque Jésus, au
sortir de ce jardin, alla avec ses disciples à la synagogue pour la
clôture du sabbat, il trouva sur son chemin plusieurs malades qui s'y
étaient fait porter sur des litières : ils tendirent les mains vers lui,
implorant son assistance, et il les guérit. Jésus arriva ainsi à la
synagogue où quelques autres malades s'étaient également fait porter sur
leurs grabats. Il y avait entre autres parmi eux un homme dont les
membres étaient tout gonflés. Jésus avait refusé de les guérir lors de
son dernier séjour, parce que leur foi n'était pas pure et qu'il leur
était bon de souffrir plus longtemps afin qu'ils implorassent leur
guérison avec plus d'humilité. Mais les Pharisiens intervinrent et
furent particulièrement irrités de Et` qu'il voulait guérir ces gens-là,
car ils avaient répandu le bruit qu'il n'avait pas pu y réussir
précédemment. Ils firent alors grand bruit, criant que Jésus profanait
le sabbat. Mais Jésus acheva de guérir ces malades qui étaient au nombre
de sept environ. Il répondit en termes sévères aux Pharisiens courroucés
et leur demanda s'il était défendu de faire du bien le jour du sabbat ?
si eux-mêmes n'agissaient point et ne s'occupaient pas de certaines
choses le jour du sabbat ? si la guérison de ces malades ne leur rendait
pas la possibilité de sanctifier eux-mêmes le sabbat : s'il était aussi
interdit de consoler les affligés ce jour-là si l'on devait le jour du
sabbat conserver le bien mal acquis ? si après avoir tourmenté et
opprimé dans le courant de la semaine les veuves, les orphelins et les
pauvres, ou devait les laisser encore dans la peine le jour du sabbat.
Il leur mi t ainsi sous les yeux, sans aucun ménagement, leur hypocrisie
et leur tyrannie envers les pauvres ; il dit aussi en termes exprès
comment ils pressuraient les pauvres, sous prétexte de pourvoir à
l'entretien de la synagogue qui pourtant avait au delà de ses besoins ;
or, c'était dans cette synagogue même qu'ils voulaient, en leur
interdisant de se faire guérir, les empêcher de recevoir la grâce de
Dieu le jour du sabbat, tandis qu'eux-mêmes le jour du sabbat mangeaient
et buvaient ce qu'ils leur avaient extorqué. Il les réduisit par là au
silence et ils allèrent à la synagogue. Lorsque Jésus y fut entré, ils
ne laissèrent pas de lui présenter le volume des Écritures et ils le
prièrent d'enseigner : car ils étaient bien aises de l'entendre, ayant
l'intention perfide d'épier ses paroles, afin de pouvoir lui imputer des
doctrines erronées et se porter ses accusateurs. Il enseigna encore sur
les murmures des Israélites, sur le châtiment de Marie, soeur d'Aaron,
et sur des textes du prophète Zacharie. Quand il parla de l'époque du
Messie et dit qu'alors beaucoup de païens se réuniraient au peuple de
Dieu, ils lui demandèrent d'un ton railleur si c'était pour recruter des
paiens qu'il était allé dans l'île de Chypre. Jésus enseigna encore sur
la dîme, sur les fardeaux qu'on impose à autrui sans vouloir les porter
soi-même, et sur l'oppression des veuves et des orphelins.
Dans l'intervalle qui
sépare la Pentecôte de la fête des Tabernacles, on portait à Jérusalem
les dîmes destinées au temple. Dans les endroits éloignés de Jérusalem,
comme ici, les lévites les recueillaient. Il s'était introduit des abus
à cette occasion, parce que les Pharisiens faisaient payer la dîme au
peuple et la gardaient pour eux. Jésus les reprit à ce sujet. Cela les
rendit furieux ; lorsqu'il eut quitté la synagogue, ils s'élevèrent
contre lui avec violence.
Le soir, Jésus
assista à un dernier repas chez la veuve et fit ses adieux aux saintes
femmes.
Naim est une jolie
ville très riante, qui est bien aussi grande que Munster. Elle s'étend
en amphithéâtre sur une colline, et comme les maisons sont séparées par
des jardins, elle n'est pas si resserrée que d'autres villes juives où
souvent l'on tend des tapis d'une maison à l'autre. en sorte que les
rues ressemblent à des couloirs pratiqués sous des tentes et à des
berceaux de verdure.
15
juin. — Dans la matinée, Jésus quitta Naïm et gravit la hauteur
située au nord-est, en deçà du Cison. Il n'avait plus avec lui que
quelques disciples. Après avoir fait environ une lieue de chemin, il
arriva à un petit endroit dont le nom est quelque chose comme Rimmon Il
n'y a pas de synagogue, mais une école dirigée par des lévites qui
xicrlnent d'un autre endroit la surveiller. Comme ils se trouvaient
présents pour le moment, ils vinrent à la rencontre de Jésus. Jésus
enseigna les jeunes gens et les petits garçons, il visita aussi l'école
des jeunes filles. Il enseigna devant l'école sur une place où vinrent
aussi les gens qui l'avaient déjà entendu à Naïm. Jésus parlait de
préférence aux enfants des devoirs généraux tels qu'ils sont traces dans
la loi, et n'annonçait pas devant eux comme il le faisait devant le
peuple assemblé, les châtiments dont la génération présente était
menacée. Il resta ici jusqu'à midi et prit un léger repas.
Cet endroit se
compose d'une longue rangée de maisons qui s'étendent sur la pente de la
montagne : il est habité surtout par des jardiniers et des vignerons qui
portent leurs fruits à Naïm où ils travaillent aussi dans les jardins.
Saul y passa dans les
courses qu'il fit avant d'aller consulter la pythonisse d'Endor.
Jésus en partant
d'ici se dirigea vers la pente orientale du Thabor, et les lévites
l'accompagnèrent quelque temps : ils s'étaient occupés à recueillir la
dîme à Rimmon. Jésus traversa deux fois un cours d'eau, et après avoir
fait environ trois lieues il arriva à un endroit assez de délabré, don
le nom est Beth-Lachem et qui est situé à l'est de la ville de Dabrath.
Ce n'était qu'une série de maisons habitées par de pauvres paysans : non
loin de là se trouve le champ où Jésus a réglé un différent le 29 août
de l'année dernière (tome II, page 187). Jésus n'était pas encore venu
ici. Il entra chez plusieurs des habitants, en guérit quelques uns, les
consola et les enseigna.
près cela, les
lévites ayant pris congé de lui, il alla quatre lieues plus loin,
traversa la vallée dans laquelle se trouve la fontaine de Capharnaüm et
arriva à Azanoth à la chute du jour. C'est l'endroit où se trouvaient
les saintes femmes et Madeleine le 31 décembre de l'année dernière (tome
III, page 306), lorsque Madeleine fut délivrée de sept démons pendant la
prédication de Jésus. Cette petite ville est sur le versant nord-est des
coteaux qui descendent vers le lac. Elle est dominée au midi par une
hauteur et on y voit à peine le Thabor, mais la vue s'étend vers
Capharnaüm et en descendant jusque vers Tarichée.
Jésus a ici une
hôtellerie où il arriva à la nuit tombante. Il s'y trouvait des amis de
Capharnaüm qui l'attendaient : ils le saluèrent, lui lavèrent les pieds
et lui présentèrent la réfection accoutumée. C'étaient Jaïre et sa
fille, l'aveugle guéri à Capharnaüm, une parente de l'hémorroïsse Énoué,
et Lia qui s'était écriée : " heureuses les entrailles qui vous ont
porté " ! Toutes les femmes ayant leur voile baissé s'agenouillèrent
devant Jésus, mais il leur dit de se relever et il les bénit. Elles
pleuraient de joie de le revoir. La fille de Jaïre est maintenant
fraîche et bien portante : elle est toute autre qu'elle n'était, pleine
de piété et d'humilité. Jésus prit un petit repas avec ses disciples et
les hommes qui se trouvaient la : les femmes étaient assises à part à un
bout de la chambre, mais elles entendaient ce qu'il disait il enseigna,
raconta et exhorta jusqu'assez avant dans là nuit.
16
juin. — Les gens de Capharnaüm repartirent le matin de bonne
heure : Jésus resta ici. Il enseigna dans la synagogue et sur une
colline, et guérit plusieurs malades qu'il alla visiter dans leurs
maisons. Les préposés de l'école de l'endroit se montrèrent
bienveillants à son égard et ne le contredirent en rien.
Dans l'après-midi, je
vis Jésus à une lieue au nord-est allant à Damna, où il y avait en avant
de la ville une hôtellerie à laquelle étaient préposés des alliés de la
famille de saint Joseph. Il y était attendu par Lazare et par deux
disciples de Jérusalem : c'étaient, je crois, les neveux de Joseph d'Arimathie.
Lazare était dans le pays depuis une huitaine de jours. Il avait encore
des affaires concernant les terres et les bâtiments de Magdalum, car on
n'avait encore vendu que le mobilier de Madeleine et d'autres choses du
même genre. Lorsque Jésus vit Lazare, il l'embrassa : ce qu'il ne fait
d'ordinaire que pour lui, pour les apôtres et les plus anciens d'entre
les disciples ; quant aux autres, il se borne à leur tendre la main.
Après le lavement des pieds, ils se reposèrent un moment, puis ils se
promenèrent dans le jardin et s'assirent dans la salle. Lazare exposa
avec beaucoup de calme l'état des choses à Jérusalem et raconta comment
tout s'était passé pour ceux de leurs amis qui s'y trouvaient. Jésus
parla des gens de l'île de Chypre, des convertis et de ceux qui venaient
en Palestine. J'entendis dire, à cette occasion, que Jacques le Mineur
et Thaddée étaient à Gessur pour recevoir et diriger à leur destination
les sept philosophes païens qui y arrivaient et d'autres personnes
encore. Jésus dit à Lazare combien il y avait de ces gens dont il
fallait s'occuper. Il s'entretint très confidentiellement avec Lazare et
se promena longtemps seul avec lui.
Lazare est un homme
de haute taille, doux, grave, parlant peu, plein de politesse et mesuré
en toutes choses ; il conserve toujours quelque chose de distingué
jusque dans les relations les plus familières. Ses cheveux sont d'un
blond clair et il a quelque ressemblance avec Joseph, le père nourricier
de Jésus, seulement il a les traits plus forts et plus prononcés. Joseph
avait à un haut degré dans toute sa personne je ne sais quoi de doux, de
tendre et de bienveillant : il avait aussi les cheveux d'un blond clair.
Ils mangèrent
ensemble ici et y passèrent la nuit.
17
juin. — Ce matin Jésus accompagné de Lazare, des disciples, de
l'intendant de l'hôtellerie et du fils de celui-ci qui se réunira plus
tard aux disciples, fit deux petites lieues à l'est de Damna, jusqu'à ce
village du centurion Zorobabel où vinrent le trouver deux scribes
lépreux qui plus tard furent guéris par lui (tome III, page 187). Il est
situé sur le versant méridional de cette colline semée de rochers qui
ferme au midi la vallée de Capharnaüm, et sur laquelle s'étendent les
jardins et les vignobles du centurion. Elle se termine par des
escarpements de rochers du côté de la mer de Galilée, dont le village
est éloigné d'une bonne demi lieue. Du côté du midi, il y a près de ce
village une espèce de solitude très riante. Il n'y a d'autres habitants
que les serviteurs du centurion Zorobabel et des laboureurs qui
cultivent ses terres. Il se trouve parmi eux des païens qu'il amène au
judaïsme les uns après les autres.
Jésus trouva à
l'hôtellerie qu'il a ici, quelques-uns de ses plus anciens disciples
venus pour lui souhaiter la bien. venue, entre autres Nathanaël, le
fiancé de Cana : quelques-uns venaient d'auprès des apôtres qui étaient
encore dispersés. Pierre est encore de l'autre côté du lac près de
Dalmanutha avec Jacques le Majeur : je crois que Jean est en Judée :
cependant je ne le sais pas au juste. Pendant l'absence de Jésus, les
apôtres avaient beaucoup enseigné, guéri et baptisé, ils avaient surtout
baptisé dans les environs de Joppé. Après le lavement des pieds et la
réception ordinaire, il leur adressa diverses questions et ils lui
firent part de ce qu'ils savaient.
Ensuite Jésus se
rendit à l'école. Il y a une école ici, mars pour le sabbat et les fêtes
on va à Capharnaüm. Il y a aussi une belle chaire sur une colline. Jésus
enseigna sur l'avènement du Messie et l'approche du royaume de Dieu. Il
appliqua tous les signes indiqués par les prophètes et qui se
manifestaient maintenant. Il exhorta très instamment ses auditeurs à se
convertir. Il dit que le Messie ne se montrerait pas tel que les Juifs
l'attendaient, et qu'à cause de cela il ne serait reconnu que des coeurs
humbles et disposés à la pénitence, lesquels étaient en petit nombre Il
dit aussi que le Messie annoncerait sa doctrine par plus d'une bouche,
de même qu'autrefois il avait parlé par la bouche de plusieurs
prophètes. Ces paroles me frappèrent particulièrement.
Jésus visita encore
plusieurs maisons et guérit des malades. On lui amena plusieurs possédés
muets et atrabilaires. Jésus ayant mouillé son doigt avec de la salive,
le leur mit sous la langue et ordonna à Satan de se retirer : j'en vis
alors quelques-uns tomber en défaillance, puis se relever guéris :
d'autres éprouvèrent des convulsions de peu de durée et se trouvèrent
délivrés : tous glorifièrent Dieu et rendirent grâces.
Jésus prit aucune
nourriture dans l'hôtellerie avec ses compagnons. Après le repas
arrivèrent le centurion Zorobabel et le centurion Cornélius avec le
serviteur guéri pal Jésus. Jésus alla avec eux se promener dans la
solitude qui est près du village: vers le soir ils retournèrent à
Capharnaüm. Jésus et ses compagnons se partagèrent en groupes séparés
(il y avait bien seize à dix-huit personnes) puis Jésus fit le tour de
la colline par un sentier solitaire et St' rendit à la maison de sa
mère, située dans la vallée à l'est de Capharnaüm, à une distance
d'environ trois quarts de lieue.
Cependant les saintes
femmes s'y étaient rendues de Naïm en droite ligne et elles se
trouvaient toutes chez la sainte Vierge. Les femmes ne sortirent pas de
la maison pour aller à la rencontre de Jésus : Marie non plus n'alla pas
au-devant de son fils. Après s'être lavé et avoir détaché sa robe, il
entra dans la pièce principale sur l'un des côtés de laquelle étaient
disposées quelques petites cellules. Marie alla à sa rencontre et
inclinant humblement la tête sous son voile, elle lui tendit la main
qu'il prit dans la sienne. Il la salua affectueusement et gravement. Les
autres femmes se tenaient un peu en arrière, voilées ci rangées en demi
cercle. Elles s'inclinèrent profondément. et Jésus salua d'abord celles
qu'il n'avait pas vues à Naim. Quand Jésus fut seul avec Marie, je vis
qu'il la pressa contre son sein et lui parla tendrement pour la consoler
et la fortifier : quant à elle, depuis qu'il était entré dans sa
carrière de prédication, elle le traitait toujours comme on traite un
saint et un prophète : elle était vis-à-vis de lui comme serait une mère
dont le fils serait devenu évêque, pape ou roi, toutefois avec quelque
chose de plus auguste et de plus saint qui ne lui faisait rien perdre de
son ineffable simplicité. Elle ne l'embrassait jamais, elle lui
présentait seulement la main quand il tendait la sienne. Je ne vis ici
aucun des apôtres, non plus que leurs femmes ni celle de Pierre ou
d'André, ni celle de Matthieu.
Je vis ensuite Jésus
et Marie manger seuls ensemble. Il y avait entre eux une petite table
assez basse. Jésus était couché d'un côté, Marie se tenait assise en
face de lui. Il y avait sur la table du miel, du poisson, du pain, des
gâteaux et deux petites cruches. Les autres saintes femmes étaient deux
par deux ou trois par trois dans les petites chambres disposées en
tentes, ou dans une salle latérale, occupées du repas des disciples
auquel assistaient plusieurs alliés de la sainte famille. Jésus parla à
sa mère de l'île de Chypre et des âmes qu'il y avait gagnées. Elle se
réjouit en silence et fit peu de questions. Elle lui rapporta ensuite ;
diverses choses qui s'étaient passées pendant qu'il était absent, et
poussée par ses inquiétudes maternelles, elle parla des dangers dont il
était menacé pour l'avenir. Jésus la reprit avec douceur, lui dit
qu'elle devait adorer les desseins de Dieu ; que pour lui, il devait
remplir sa mission jusqu'à ce que fut venu le temps où il devait
retourner à son Père. Quelques-unes des saintes femmes furent appelées
il cet entretien les unes après les autres, et elles s'assirent auprès
de Marie pendant que Jésus enseignait et racontait.
È
CHAPITRE CINQUIÈME
Jésus à Capharnaum et à Cana
Du 18 juin au 30 juin.
Jésus dans la maison de sa
très sainte mère, à Capharnaüm. Il bénit des enfants malades - Les
disciples lui rendent compte de ce qu'ils ont fait pendant son voyage en
Chypre. - Jésus place les convertis sous la protection de sa très sainte
mère. - La famille de Pierre. - Jésus célèbre le sabbat à la synagogue.
- il guérit des enfants malades et fait la clôture du sabbat. -
Opposition des Pharisiens - Jésus enseigne devant ses disciples. -
Arrivée de saint Pierre. Il raconte avec enthousiasme ce qu'il a fait,
et il est repris par Jésus. - Jésus à Cana - sur la montagne voisine de
Gabara. - Retour à Capharnaüm. - instruction du sabbat à la synagogue. -
Repas chez un Pharisien. - Instruction sur la montagne d'où il a envoyé
ses disciples en mission. Détails sur Eleutheropolis. De l'ordonnance
des saints Évangiles. Jésus à Bethsaide-Juliade.
18
juin. — Pendant toute la
journée il arriva des environs de Bethsaïde, de Capharnaüm et de Juliade,
beaucoup de disciples et d'autres personnes qui voulaient saluer Jésus
et s'entretenir avec lui. Il y eut toujours du monde dans la cour et le
jardin attenants à la maison de sa très sainte mère. Le nombre des
disciples qui se sont réunis ici monte bien à une trentaine. Je n'ai pas
vu de repas, mais j'ai vu par intervalles offrir quelque chose à manger
aux arrivants. Les femmes étaient continuellement occupées à préparer
les aliments apportés par les disciples. La Samaritaine, Marie, mère de
Marc et Marie de Cléophas sont là, ainsi que Jean Marc et les fils de
Siméon : mais, il n'y a encore aucun des apôtres.
Parmi les disciples,
il y en a quelques-uns qui viennent de Judée et qui ont annoncé à Joppé
l'arrivée de navires portant deux cents Juifs de l'île de Chypre.
Barnabé, Mnason et son frère sont là pour les recevoir. Jean est en
Judée chez les parents de Zacharie, à Juta ou à Hébron. Il s'occupe des
mesures Sq prendre pour l'entretien de ces Chypriotes Les Esséniens le
secondent en cela. Ils s'établiront provisoirement dans des grottes des
environs jusqu'à ce qu'on ait assigné à chacun sa destination. Quant aux
Juifs de la contrée d'Ornithopolis, la Syrophénicienne et Lazare ont
pris des arrangements pour les établir au midi près de Ramoth Galaad.
Aujourd'hui Lazare, Jean Marc, le fils de Siméon et un autre encore sont
repartis pour la Judée chargés de divers arrangements à prendre.
Lorsque Jésus se réunit aux siens et aux saintes femmes, j'ai entendu
parler de la mort de personnes de connaissance. Héli, cet homme de Juta
ou d'Hébron, et, chez lequel Jésus a consolé ses amis affligés à propos
de la mort de Jean Baptiste, et qui faisait les fonctions du père de
famille dans la cène pascale de l'an passé (tome IV, page 149), a eu
deux de ses fils égorgés : ils faisaient leur service à la fête en
qualité de lévites et ils ont péri dans la mêlée, sans qu'il y eût de
leur faute et sans pouvoir faire de résistance. Jésus a dit qu'ils
avaient fait une bonne mort. Il est possible que Jean soit venu dans ce
pays pour consoler leurs familles.
Les possédés de
Gergesa guéris par Jésus et devenus ensuite ses disciples sont auprès de
Pierre, ainsi qu'André, Jacques le Majeur et d'autres encore.
Les disciples et les
autres arrivants logent, soit dans maison que Pierre possède en avant de
Capharnaüm et qui est destinée à en recevoir un certain nombre, soit à
Bethsaïde, soit dans la maison d'école à Capharnaüm. Jésus seul habite
la maison de Marie : elle n'a pas de serviteurs. Quelques disciples sont
dans le voisinage.
19
juin. — Les saintes femmes resteront ici pour le sabbat : elles
habitent, les unes près de Marie, les autres dans la maison de Pierre
qui est devant la porte de la ville ou dans d'autres maisons d'amis.
Marie n'a pas de serviteur mâle chez elle, mais seulement une servante
qui est sa parente. La maison est composée, comme d'ordinaire, de
grandes pièces, et l'on multiplie les chambres à l'aide de cloisons
mobiles. Il y a sur le devant une cour avec une salle ouverte, et un
assez grand jardin dont un homme de confiance prend soin.
Ce matin Jésus alla
avec quelques disciples à la maison de Pierre en avant de Capharnaüm. Il
visita la femme de Pierre, sa belle-mère et sa belle-fille. Il y avait
dans les bâtiments attenants plusieurs pauvres malades qu'elles avaient
reçus par pitié pour en prendre soin : Jésus alla les voir et en guérit
quelques-uns. Il alla ensuite à Capharnaüm, sur la place du marché, dans
la maison d'un fabricant de tapis : c'était devant cette maison que le
11 avril de cette année, il avait béni le petit garçon d'un marchand
voisin et l'avait présenté a ses disciples. Elle est habitée par des
gens excellents très dévoués à la Mère et aux amis de Jésus et qui
vénèrent profondément Jésus, voyant en lui un grand prophète ou le
Messie. Ils ont plusieurs enfants avec lesquels Jésus s'entretint, qu'il
enseigna et qu'il bénit. Quelques-uns d'entre eux étaient malades et
Jésus les guérit à la prière des parents. Plusieurs de ces enfants sont
devenus disciples, spécialement un d'entre eux qui était à Césarée
lorsque Saint Paul y fut retenu prisonnier. Celui-ci avait toujours eu
un grand amour et une grande vénération pour la sainte Vierge. Je crois
en avoir déjà parlé.
Les parents du Petit
garçon béni par Jésus le 11 avril, lequel était retenu au lit par la
même maladie, ayant entendu les cris de joie causés par ces guérisons,
firent prier Jésus de venir en aide à leur fils. Mais Jésus n'alla pas
chez eux aujourd'hui. Il revint à la maison que Pierre avait au bord du
lac : tous les disciples présents y étaient rassemblés, car Jacques le
Mineur et Thaddée étaient venus de Gessur et avec eux trois des
philosophes païens de Salamine qui s'étaient fait circoncire : les
quatre autres n'étaient pas encore arrivés. C'étaient des jeunes gens de
manières très agréables et très distinguées. Jésus les présenta aux
autres disciples : Simon et André arrivèrent aussi dans une barque avec
quelques compagnons. L'accueil qu'ils reçurent fut très touchant.
Quand ils eurent pris
quelques rafraîchissements, Jésus alla avec eux tous à Bethsaïde dans la
maison d'André où étaient la femme et la fille de celui-ci : il les
salua et s'entretint avec elles. Il y eut là un repas frugal. Les
disciples racontèrent leurs voyages et ce qui leur était arrivé. Dans
quelques endroits on leur avait jeté des pierres, mais qui ne les
avaient pas atteints. Il leur avait fallu quelquefois prendre la fuite,
mais ils avaient toujours été miraculeusement préservés. Ils avaient
aussi trouvé beaucoup de gens bien disposés, en avaient guéri, baptisé
et instruit beaucoup. Jésus leur avait ordonné d'aller uniquement aux
brebis égarées d'Israël : ils avaient donc recherché les Juifs qui se
trouvaient dans les villes païennes et n'avaient point eu de rapports
avec les Gentils, sinon avec quelques-uns qui servaient chez des Juifs.
Non loin de Gazer se trouve une ville avec des tours dont le nom est
comme Gazora : André et ses disciples y étaient allés et avaient racheté
plusieurs esclaves juifs. Ils avaient dépensé pour cela tout ce qu'ils
avaient. Ils demandèrent à Jésus s'ils avaient bien fait, et il leur dit
qu'il les approuvait. Gazora est une belle ville païenne : beaucoup de
Juifs y sont restés après la captivité de Babylone.
Ils lui racontèrent
plusieurs choses du même genre ; mais Jésus ne les écouta pas tous.
Quelques-uns d'entre eux mettaient dans leurs récits une chaleur à
laquelle se mêlait une certaine complaisance en eux-mêmes ; il les
interrompit dès le début par des paroles comme celles-ci : " Je sais
déjà tout cela ". Il en écouta jusqu'au bout d'autres qui racontaient
simplement et humblement, et il engagea lui-même à parler ceux qui
gardaient le silence.
Quand ceux qu'il
avait interrompus lui demandaient pourquoi il ne les écoutait pas, il
leur faisait remarquer la différence qu'il y avait entre leur langage et
celui de leurs compagnons.
Jésus interrompit
souvent leurs discours pour raconter quelques paraboles. Il en raconta
d'abord une sur l'ivraie semée au milieu du bon grain et qui,
lorsqu'elle aurait levé, devait être brûlée à l'époque de la moisson
(Matth., XIII, 24, 30; Marc, IV, 26, 29). Il
dit que tout ce qui avait été semé ne lèverait pas. Il parla de
plusieurs qui s'étaient séparés des disciples et avertit ceux ci de ne
pas avoir trop de confiance dans leurs oeuvres, car ils étaient encore
réservés à de grandes tentations. Dans un autre moment Jésus raconta la
parabole du maître qui va prendre possession d'un royaume éloigné, et
qui confie aux serviteurs qu'il quitte un certain nombre de talents dont
il leur demande compte plus tard (Luc, XIX, 12, 26;
Math, XXV, 14, 30; Marc, XIII, 34, 36).
Cette parabole se rapportait à certains égards à son voyage en Chypre et
au compte qu'il demandait alors à ses disciples de ce qu'ils avaient
fait pendant son absence. Pendant le récit, Jésus s'adressa souvent à
l'un ou à l'autre d'entre ceux dont il devinait les pensées et leur dit
à peu près " Pourquoi te livres tu à des pensées inutiles " ? ou bien "
Ne te laisse pas aller à ces pensées; " ou bien encore " Tu prends ceci
tout autrement qu'il ne faut: c'est à telle chose et non à telle autre
que tu dois faire attention. " Il pénétrait dans la pensée de ses
auditeurs et les reprenait sur le champ; aussi quelques uns d'entre eux
se disaient parfois : " C'est celui ci ou celui là qu'il a en vue. "
Je ne puis exprimer
comment le temps passe pour moi quand je vois et que j'entends ces
choses; avec cela je suis souvent émue de pitié, quand Jésus refuse de
prêter l'oreille à quelqu'un de ses disciples, et je me dis : " Ne
pourrait il donc pas l'écouter; " ou bien : " Vois, il t'en arriverait
autant si tu voulais toujours lui parler de tes affaires. "
Jésus tint aux
disciples un langage sévère et cela les attrista un peu. Le soir, il
revint à la maison de s mère, et les disciples allèrent avec lui dans le
jardin où les femmes aussi l'écoutèrent, se tenant à part et avait leur
voile baissé. Cette fois il les consola, leur raconta la parabole des
ouvriers de la vigne et du denier que tous reçurent pour salaire
(Matth., XX, 1, 16), et il leur donna des
explications à ce sujet.
Jésus présenta ici à
Sa mère les nouveaux disciples e les nouveaux convertis. Je le vis
toujours faire ainsi dans les derniers temps. C'était entre eux un
contrat tacite, une convention intérieure en vertu de laquelle la sainte
Vierge donnait place aux disciples dans son coeur, dans sa prière, dans
sa bénédiction , et les adoptait à certains égards comme ses enfants et
ses frères, devenant ainsi leur mère spirituelle comme elle était sa
mère selon la chair. Elle faisait cela avec beaucoup de gravité et
d'onction, et Jésus procédait avec elle d'une manière très solennelle.
Il y avait dans cet acte quelque chose de saint et de profondément senti
que je ne puis exprimer. Marie était comme la branche de vigne et l'épi
de sa chair et de son sang.
20
juin. — Ce matin Jésus sortit
avec plusieurs disciples de la maison de sa mère et alla au nord est sur
la hauteur où il avait si souvent enseigné et guéri les gens des
caravanes elle est couverte de jardins et la route de Capharnaüm et de
Bethsaïde et au Jourdain y passe. Il alla au nord de Bethsaïde à la
maison des lépreux qui se trouve là, en guérit plusieurs, les enseigna
et leur ordonna de se montrer aux prêtres. Il y a aussi près de là une
maison où sont enfermés des possédés : mais il n'y entra pas.
Lorsqu'il fut revenu
à Capharnaüm, je le vis de nouveau dans la maison de Pierre, située en
avant de la ville : on y avait amené des malades de Capharnaüm et de
Bethsaïde. Il les enseigna et en guérit plusieurs. C'est un endroit
favorable pour les malades ; car on y trouve une eau qui fait du bien à
ceux qui en boivent comme à ceux qui s'y baignent.
Le père de Pierre et
d'André, Jonas, avait épousé en secondes noces une veuve qui lui avait
amené deux beaux fils nés de son premier mari : ce sont eux qu'on
appelle les frères d'André. La femme de Pierre était aussi une veuve :
elle a amené avec elle deux fils et une fille qui est encore jeune et
qu'on désigne sous le nom de Pétronille. Pierre lui-même n'a pas
d'enfants. La mère de sa femme, que Jésus guérit dans une circonstance
(tome II, page 171), habite encore avec son mari la maison qui est
devant la ville. Les beaux-frères d'André et les beaux-fils de Pierre
prennent soin du ménage. Un des beaux-fils de Pierre s'adjoignit aux
disciples. Cette famille de Pierre est partagée entre les deux maisons
dont l'une vient du père de Pierre, l'autre de sa femme.
Après le repas, je
vis jusqu'au sabbat Jésus, les siens et tous les disciples, avec
beaucoup d'autres personnes de la ville, de Bethsaïde et des environs,
dans la maison d'école. Il enseigna de nouveau touchant le Messie, leur
indiqua tous les signes qui devaient le caractériser, et dit qu'il
serait au milieu des Juifs sans qu'ils le reconnussent. Il parla d'une
manière très forte et très pénétrante.
A l'ouverture du
sabbat, Jésus alla avec ses disciples à la synagogue. Les Pharisiens
occupaient déjà l'endroit où l'on prêchait ; mais Jésus s'y rendit
directement et ils lui cédèrent la place. L'instruction traita des
explorateurs envoyés par Moïse dans la terre de Chanaan, des murmures du
peuple et de son châtiment, des explorateurs de Josué à Jéricho, et de
Rahab (Exod. XVI ; Jos. II). Les Pharisiens
étaient très irrités de sa hardiesse : ils se disaient entre eux qu'ils
voulaient bien le laisser parler maintenant ; mais qu'ils tiendraient
conseil le soir ou après le sabbat, et qu'alors ils sauraient bien lui
fermer la bouche. Jésus qui connaissait intérieurement leur malice, leur
dit qu'ils étaient des explorateurs d'une espèce toute particulière et
qu'ils n'étaient pas ici pour faire connaître la vérité, mais pour la
trahir. Il s'éleva fortement contre eux, commenta des textes du prophète
Ézéchiel et en vint a parler de la destruction de Jérusalem et du
jugement réservé au peuple qui ne faisait pas pénitence et qui ne
reconnaissait pas le royaume du Messie. Il répéta aussi la parabole du
roi qui envoie son fils dans la Vigne où il est mis à mort par de
perfides serviteurs. Ils furent très irrités, mais n'osèrent pas le
contredire.
Les femmes étaient
toutes à la synagogue. Il s'y trouve des places pour les étrangers.
Marie et les femmes de la famille qui habitent Capharnaum ont des places
à elles.
Pierre est maintenant
de l'autre côté du lac dans la Décapole ; Jacques le Majeur et Matthieu
y sont aussi. Jean est en Judée pour consoler les parents des fils
d'Héli égorgés dans le temple : il y a encore avec lui un autre disciple
qui est aussi très doux et très aimable ; nous le connaissons bien mais
j'ai oublié son nom. Judas et Thomas sont dans les environs de
Ptolémaïde ; Barthélémy est entre Joppé et Césarée ; Philippe est à
Joppé avec Barnabé, Mnason et le frère de celui-ci pour recevoir les
arrivants.
Cependant Pierre est
allé à Bétharamphtha-Juliade il s'y est entretenu avec la princesse
Abigaïl, que Jésus a visitée l'année précédente (tome II, page 272).
Cette femme le reçut avec beaucoup de bienveillance. Elle est toujours
très inclinée vers le judaïsme et elle honore Jésus et sa doctrine ;
mais elle ne peut faire un pas parce qu'elle est entourée de
surveillants païens. Elle a plusieurs enfants, réside là avec une
pension et a autour d'elle des courtisans qui l'espionnent. C'est une
femme d'une quarantaine d'années dont la taille est un peu courbée :
elle est très bien disposée.
Matthieu qui est
marié, a une maison à Capharnaüm, assez près de l'école : son bureau de
perception, situé de l'autre côté du lac, n'était qu'une maison à
l'usage des employés. Thaddée aussi était marié, si je ne me trompe ; je
ne me souviens pas d'autre chose en ce qui le concerne.
Marie de Cléophas
habite a Cana, le vieux Jacob, le disciple de Jean. fils de Marie
d'Héli, est aussi marié.
Les saintes femmes
travaillent continuellement à confectionner des couvertures, des habits,
des sandales et des ceintures ; elles font des provisions, cuisent du
pain et visitent les pauvres et les malades.
Marie a quelque chose
de calme, de simple et de grave qui la distingue de toutes les autres.
21 juin. — Je vis ce matin Jésus quitter la
maison de sa mère, à la demande de plusieurs habitants de Capharnaüm,
pour aller guérir dans leurs familles des enfants malades. Il visita
avec quelques disciples une vingtaine de maisons appartenant à des gens
de toutes les classes et guérit un grand nombre d'enfants de trois à
huit ans, garçons et filles. Il devait y avoir une espèce d'épidémie
régnante, car ils avaient presque tous la même maladie. Leur cou était
enflé ainsi que leurs joues et leurs mains : ils avaient en outre le
teint très jaune. C'était un état semblable à celui qui succède
quelquefois à d'autres maladies, à la fièvre scarlatine, par exemple.
Jésus ne procéda pas avec tous de la même manière : à quelques-uns il
mit la main sur la partie malade, il en frotta d'autres avec de la
salive, il souffla sur d'autres. Il ne les guérit pas tous sur-le-champ
; pourtant beaucoup se levèrent tout de suite. Il les bénit et les
rendit à leurs parents en donnant quelques avis ; pour d'autres il
ordonna des prières et indiqua un traitement. Tout cela se fit pour le
plus grand bien des enfants et des parents.
Jésus alla sur la
place du marché dans la maison des parents d'Ignace et il guérit cet
enfant. Il est âgé de quatre ans environ et très aimable. Ses parents
sont dans l'aisance et ils font le commerce des vases de bronze, à ce
que je crois ; car j'en vis une grande quantité rangée dans de longs
corridors. Ils s'étaient déjà adressés à Jésus l'avant-veille lorsqu'il
guérit les enfants de leur voisin le marchand de tapis; mais il ne vint
les voir qu'aujourd'hui.
Plusieurs rues
aboutissent au marché de Capharnaüm. La place est élevée, on y arrive
par des degrés. Elle est entourée d'arcades où sont étalées les
marchandises. Il y a une fontaine au milieu et aux deux extrémités deux
grands édifices, comme deux maisons de ville.
Jésus visita sur son
chemin Jaïre, Zorobabel et le centurion romain.
Dans l'après-midi on
avait amené beaucoup de malades à la maison de Pierre qui est en avant
de la ville ; Jésus les guérit et les enseigna. Les Pharisiens, pleins
de rage, avaient déjà espionné toute la matinée. Après midi trois
d'entre eux vinrent dans la cour de la maison où .Jésus guérissait les
malades dans une salle adjacente. Ils s'approchèrent tout doucement, se
frayèrent passage jusqu'à Jésus et l'exhortèrent à cesser, à se tenir en
repos et à ne point troubler le jour du sabbat. Ils voulurent se mettre
à disputer ; mais Jésus s'éloigna d'eux, disant qu'il n'avait rien à
faire avec eux, qu'ils étaient comme des incurables qu'il est inutile de
chercher à guérir ; il se retourna alors vers d'autres malades et ils se
retirèrent furieux.
Pendant ce
temps, et déjà dans la matinée, les autres disciples s'étaient
rendus au nord de la maison de Marie, sur la hauteur voisine du chemin
où Jésus avait enseigné récemment. Il y avait encore là beaucoup de
voyageurs campés sous des tentes. Les disciples enseignèrent et
guérirent à la façon de Jésus pendant toute la journée. Ils reproduisent
les diverses instructions de Jésus qu'ils ont souvent entendues et que
le Seigneur leur a expliquées avec tant de détails sur les chemins, et
ils guérissent par l'imposition des mains et l'application de l'huile
bénite.
Le soir Jésus alla
avec tous ses disciples à la synagogue pour la clôture du sabbat. Il
enseigna de nouveau sur les murmures qu'excita chez les Israélites le
rapport des explorateurs de Moïse, et sur la malédiction prononcée
contre eux, par suite de laquelle ils devaient mourir dans le désert et
leurs enfants seulement voir la terre promise Il parla surtout et avec
beaucoup de force de la malédiction et de là bénédiction, des
explorateurs infidèles du royaume de Dieu, de ceux qui ne devaient pas y
entrer, de la manière dont le Messie serait méconnu et des jugements de
Dieu sur le pays de Jérusalem.
Alors deux Pharisiens
montèrent dans la chaire et enseignèrent sur un passage de la lecture
d'aujourd'hui où Dieu ordonne à Moïse de faire lapider par tout le
peuple un homme qui avait ramassé du bois le jour du sabbat
(Numer., XV, 32, 36). Ils appliquaient cela
aux guérisons faites le jour du sabbat par Jésus ; mais Jésus leur
demanda si la santé des pauvres et des malades était du bois fait pour
être brûlé ? si l'on ne pouvait pas plutôt dire cela de l'hypocrisie qui
était comme du bois mort, si ceux-là qui se scandalisaient au sujet de
la guérison des pauvres et qui voyaient un fétu dans l'oeil du prochain,
oubliant qu'ils avaient une poutre dans le leur propre, ne ramassaient
pas du bois pour le jeter sur le chemin de la vérité, pour réchauffer et
faire cuire le poison de la discorde et de la persécution bien plus que
pour préparer leurs aliments ? Ne pouvons-nous pas recevoir le jour du
sabbat les grâces que nous implorons le jour du sabbat et donner ce que
nous avons ? Il expliqua le texte de la loi, montra qu'il s'appliquait
au travail manuel et dit que ce travail n'était défendu que pour qu'on
pût se livrer au travail spirituel. Comment donc la loi du sabbat
pourrait-elle interdire de guérir un malade pour le rendre capable de
sanctifier le sabbat ? Jésus les réfuta ainsi et les couvrit de
confusion, si bien qu'ils n'eurent plus un mot à dire. Quelques-uns des
auditeurs, vivement émus, méditèrent ses paroles en silence ; d'autres,
en plus grand nombre, se communiquèrent leurs impressions et dirent : "
C'est bien lui ! c'est le Messie ! Nul homme, nul prophète ne peut
enseigner ainsi " ! La plupart se faisaient des signes et se
réjouissaient de la défaite des Pharisiens ; mais d'autres qui avaient
le coeur endurci se scandalisèrent avec eux.
Jésus alla après cela
prendre son repas chez sa mère.
J'ai vu aujourd'hui
Jacques le Majeur, Pierre et Matthieu, à Ramoth-Galaad, réunis avec
quelques disciples pour célébrer le sabbat. Aussitôt après, comme il
faisait encore nuit, ils se sont dirigés au nord-ouest vers Gergesa,
pour aller à Capharnaüm.
22
juin. — Ce matin, Jésus alla sur la colline située au nord du
chemin entre Capharnaüm et Bethsaïde, et, l'année précédente, il avait
enseigné qu'il fallait manger sa chair et boire son sang, ce dont
quelques disciples s'étaient scandalisés. Tous les disciples et les
apôtres présents s'étaient réunis là. Cette nuit, il est arrivé encore
plusieurs disciples. Il y en a bien en tout une cinquantaine. Toutes les
saintes femmes et les saintes filles étaient aussi là, ainsi que
d'autres personnes affectionnées à Jésus.
Jésus enseigna les
disciples touchant leur mission et leurs travaux : il leur dit quel
serait leur travail, quels fruits il porterait, comment ils devaient
agir et pour quelle récompense ; il parla de diverses opinions erronées
qu'ils avaient, de leur bonne volonté et aussi des persécutions à venir.
Il donna des instructions de toute espèce sur la manière d'enseigner et
d'agir, et sur la jalousie des uns à l'égard des autres; il raconta
cette fois toute la parabole des ouvriers de la vigne, comme elle se
trouve dans l'Évangile. Dernièrement il l'avait racontée un soir chez
Marie, mais simplement et brièvement pour que sa mère la méditât ; ici
il l'expliqua et lui donna tous ses développements.
Les saintes femmes
étaient présentes, parce qu'elles aussi agissent et travaillent, et
parce que plusieurs d'entre elles n'ont pas encore une idée véritable de
la disposition dans laquelle on doit faire toutes ses actions pour
qu'elles soient méritoires et qu'elles produisent de bons fruits.
Jésus loua et
encouragea les disciples ; il dit que quand tous ceux qu'il avait
envoyés en mission seraient réunis, il les congédierait pour quelque
temps afin qu'ils pussent visiter et tranquilliser leurs proches. Il
leur donna aussi sa bénédiction en étendant les mains sur leurs têtes,
et il les remplit d'une nouvelle ardeur et d'une nouvelle force. Cette
instruction dura toute la matinée.
Dans l'après-midi,
Pierre, Jacques le Majeur et Matthieu arrivèrent avec quelques anciens
disciples de Jean ; ils vinrent saluer Jésus dans la maison de Marie.
Pierre était plein d'ardeur et pleurait de joie. Il y eut ensuite un
repas dans la maison de Pierre ; on se raconta ce qu'on avait fait, et
on se souhaita la bienvenue les uns aux autres. Jésus enseigna, et il
raconta aussi quelque chose de son voyage en Chypre. Pierre avait visité
les Juifs d'Ornithopolis, nouvellement établis près de Ramoth Galaad.
Jésus répéta à sa mère, aux saintes femmes et aux disciples la parabole
du pécheur qui va au loin, qui prend cinq cent soixante-dix poissons et
qui les transporte dans la bonne eau, parabole relative à son voyage en
Chypre et qu'il avait racontée à Misael. Toutes ses paraboles sont
souvent répétées et commentées par lui de différentes manières, en sorte
que dès lors le Seigneur prêchait sur l'Évangile comme on le fait de nos
jours. Les Évangiles reproduisent une grande partie de ce qu'il dit
aujourd'hui aux disciples ; mais tout cela se trouve compris dans les
instructions qu'il leur donna en les envoyant en mission : de même les
paraboles qu'il répétait si souvent n'y sont rapportées qu'une fois pour
toutes.
Les saintes femmes
avaient avec elles des provisions de pièces d'habillement, de sandales
et de ceintures qui furent distribuées aux disciples nouvellement
arrivés, car ce qu'ils avaient sur eux avait été très endommagé dans
leur voyage. Lors de cette distribution, Jésus parla de la signification
de ces objets d'habillement ; il dit, par exemple, à propos des
ceintures : " Ceignez vos reins, et tenez à la main des lampes allumées
".
23
juin. — Ce matin, Jésus alla en barque avec les apôtres et les
disciples présents. Ils montèrent sur la grande embarcation de Pierre et
sur la petite barque de Jésus, et ils partirent séparément ; mais quand
ils furent loin du rivage, on attacha les deux barques l'une à l'autre,
après quoi on cessa de ramer, seulement on se servait de temps en temps
du gouvernail et on laissait la barque dériver doucement. Les disciples
étaient tous sur la grande embarcation, Pierre et deux autres apôtres
sur la petite barque de Jésus, lequel se tenant assis près du mât, sur
le banc des rameurs, écoutait les disciples ou enseignait.
Jésus s'était
embarqué avec les disciples pour pouvoir, en toute liberté, et sans être
gêné par la foule, se faire raconter par eux ce qui leur était arrivé,
et leur donner des instructions à ce propos. C'était surtout en vue des
derniers arrivés qu'il avait pris ce parti. Ils avaient beaucoup
enseigné et baptisé ; ils avaient guéri par l'imposition des mains et
par l'application de l'huile sainte ; quelquefois, cependant, la
guérison n'avait pas eu lieu. Ils avaient eu à subir mainte persécution,
on leur avait jeté des pierres et on les avait chassés ils ne s'étaient
jamais engagés dans des disputes avec les Pharisiens et les avaient
toujours déclinées. Cependant, le bien qu'ils avaient fait et les
consolations qu'ils avaient éprouvées surpassaient beaucoup le mal
qu'ils avaient eu à souffrir.
Pierre parlait avec
un enthousiasme extraordinaire et racontait avec un sentiment de joie le
bien qu'ils avaient opéré et la sympathie qu'ils avaient rencontrée.
Alors Jésus s'adressa à lui et lui dit : " Tais-toi, homme vaniteux ! je
ne veux pas entendre cela ". Alors le vieil apôtre, que Jésus pourtant
aimait si tendrement, n'ouvrit plus la bouche et comprit une fois de
plus qu'il avait eu tort de se laisser ainsi emporter par son zèle.
Judas aussi cherche à
se faire valoir, mais par des voies détournées ; il observe en silence,
et se préoccupe moins d'éviter le péché que de ne pas s'attirer une
réprimande qui le couvrirait de confusion.
La journée était
belle et la mer brillait au soleil. Ils avaient tendu les voiles pour se
donner de l'ombre, et ils prirent leur repas à bord sur de petites
planches. Les récits continuèrent jusqu'au soir ; alors ils revinrent à
terre.
Jésus s'arrêta près
d'une hauteur située à une demi-lieue à peu près de l'endroit où étaient
amarrées les barques de Pierre, et leur donna des instructions sur la
manière dont ils avaient à se comporter dans les situations équivoques.
Ils lui avaient raconté comment ils avaient répété ses enseignements et
ses paraboles ; ils l'interrogeaient sur ce qu'il fallait dire et sur ce
qu'il fallait faire, lui redisaient des discours entiers et demandaient
si c'était bien. Jésus leur donna des instructions sur tous les points ;
il leur dit aussi que quand il serait retourné à son Père, il leur
enverrait le Saint Esprit, qu'alors ils sauraient toujours enseigner
comme il faudrait.
Judas et Philippe,
ainsi que Barnabé, Mnason et le frère de celui-ci, étaient présents à
cette instruction. Ils venaient de Joppé et apportaient des nouvelles
des émigrants de l'île de Chypre. Il vint encore d'autres disciples ; je
crois qu'il y en a là une soixantaine de ceux qui ont été envoyés en
mission, outre un certain nombre de porteurs de messages et de
coopérateurs en sous-ordre. Plusieurs sont revenus tout défaits et avec
leurs habits en lambeaux. On leur donna tout ce dont ils avaient besoin
pour reprendre leurs forces, et on renouvela leurs vêtements. Si les
saintes femmes s'étaient réunies ici, c'était précisément afin de rendre
des services de ce genre aux disciples qui revenaient, et aussi pour
s'occuper, d'après les rapports de ceux-ci, de subvenir aux besoins des
pauvres de différents endroits.
Aujourd'hui cinq
Pharisiens, suivis de quelques autres personnes, se sont embarqués sur
le lac pour suivre Jésus. Ils avaient cru qu'il passerait de l'autre
côté ou qu'il se rendrait sur un point quelconque du littoral pour y
enseigner le peuple, et ils voulaient l'espionner ; mais ils ont été
déçus dans leur attente, et il leur a fallu revenir sans avoir rien
fait.
Quand je considère
dans leur ensemble la vie et les actes de Jésus et des siens, il me
vient souvent à l'esprit, comme une chose évidente, que s'il venait
maintenant parmi nous, il trouverait encore beaucoup plus d'obstacles
qu'il n'en trouvait à son époque. En effet, il peut, ainsi que les
siens, aller et venir, prêcher, guérir en toute liberté ; personne ne
s'y oppose, si ce n'est quelques Pharisiens endurcis et bouffis
d'orgueil, et ceux-là même sont fort embarrassés vis-à-vis de lui. Ils
n'ignorent pas que le temps de la promesse est venu et que les
prophéties s'accomplissent ; ils voient en lui quelque chose de saint,
de merveilleux, d'irrésistible. Je les vois bien souvent s'asseoir,
feuilleter les prophètes et d'anciens commentaires, mais jamais ils ne
veulent se rendre, car ils attendent un Messie tout différent, un Messie
qui doit être leur ami et l'un des leurs ; toutefois ils n'osent pas
encore s'attaquer à Jésus. Beaucoup de disciples s'imaginent aussi qu'il
doit avoir une puissance occulte, une alliance secrète avec quelque
peuple ou quelque roi, qu'un jour il montera sur le trône à Jérusalem,
comme le saint monarque d'un peuple pieux ; qu'alors ils auront des
emplois avantageux dans son royaume, et qu'eux aussi seront pieux et
sages. Jésus les laisse encore croire cela pour quelque temps. D'autres
comprennent mieux dans tout cela le côté céleste, non toutefois jusqu'à
l'abaissement de la mort sur la croix. Il y en a peu qui soient guidés
uniquement par un amour sincère et par un saint enthousiasme.
24
juin. — Aujourd'hui les saintes femmes et Marie sont toutes
allées à Cana. C'est là qu'habite Marie de Cléophas ; elle a des enfants
qui sont encore très jeunes. La suivante de Marie et une servante
d'André sont restées à la maison. Jésus y est aussi allé dans
l'après-midi avec neuf apôtres, Nathanaël le fiancé et quelques autres
qui sont du pays.
La route de Cana est
très agréable ; ce ne sont qu'avenues et jolies promenades. On peut en
faire une partie par la contrée de Génésareth, laquelle commence
derrière le grand rocher situé au midi de Capharnaüm, que Zorobabel a
fait aplanir et qu'il a couvert de jardins et de vignobles. Cette
charmante solitude dont j'ai parlé récemment à propos du village de
Zorobabel, est à l'entrée de ce district. Il s'étend à travers la gorge
de Magdalum qui elle-même en fait partie, jusque derrière Tibériade :
puis, longeant Gabara, il va finir à Tarichée, tantôt se rapprochant du
lac, tantôt s'en éloignant un peu. Le petit lac des bains et tous ses
beaux environs s'y rattachent, quand on considère l'ensemble. C'est une
délicieuse solitude, semée de maisons de plaisance et de jardins avec
des ruisseaux, des cascades, d'agréables promenades, des berceaux de
verdure et des bosquets peuplés de jolis animaux et d'oiseaux de toute
espèce. Il n'y a pas de champs de blé, mais des fruits et des fleurs
magnifiques ; on y rencontre des massifs de fleurs semblables à des
pyramides. Il est fermé de tous les côtés par le lac ou par des rochers,
par des bâtiments ou par des haies vives ; aucune grande route ne le
traverse, il n'y a que des chemins à l'usage des piétons.
Jésus parcourut avec
ses compagnons une partie de cette contrée jusque vers la vallée du lac
des bains ou de la fontaine de Capharnaüm, comme on l'appelle ; là ils
traversèrent la vallée dans la direction du sud-ouest et arrivèrent à
Cana, qui est située dans la vallée même entre deux hauteurs. On y a vue
sur Cydessa, sur Magdalum et sur les montagnes au delà du lac. C'est un
très joli endroit, propre, riant, et habité par des gens aisés ; il y
passe une route de commerce. Les saintes femmes, Israël, père de la
fiancée, et d'autres membres de la famille allèrent à sa rencontre à
quelque distance. C'était le soir. Après qu'on lui eut lavé les pieds et
souhaité la bienvenue, on alla prendre le repas qui était tout préparé.
La mère de la fiancée est morte depuis le mariage de sa fille. Je crois
que Philippe a ici une tante. Il y avait là beaucoup d'amis de Jésus et
de gens alliés à sa famille, ainsi que plusieurs personnes de l'endroit,
et d'autres de Séphoris et de la vallée de Zabulon.
25
juin. — Beaucoup de parents et d'amis de Jésus s'étaient réunis
ici. Ils je visitèrent et le pressèrent, comme ils l'avaient déjà fait,
de ne plus paraître en public à cause des dangers dont il était menacé ;
les esprits étaient trop agités, disaient-ils, et l'irritation des
Pharisiens contre lui ne pouvait manquer d'aller toujours croissant.
Jésus répondit comme à l'ordinaire, et il les invita à entendre
l'instruction qu'il devait donner à Cana sur la colline destinée à la
prédication. Il visita encore dans la ville quelques amis et un certain
nombre de gens de bien ; il guérit aussi des malades et bénit aussi les
enfants que les parents et leurs maîtres amenaient en troupes sur son
passage.
Il y avait dans
l'enceinte de Cana une éminence autour de laquelle le père de la fiancée
avait planté un vignoble ; au sommet se trouvait une belle chaire, et
Jésus enseigna en présence de tous ses parents et ses alliés, des
saintes femmes, des disciples, et de beaucoup de personnes de Cana qui
lui étaient affectionnées ; il y avait, du reste, peu d'ennemis. Il
parla de sa mission qui touchait à son terme, dit qu'il n'était pas venu
pour mener une vie commode et agréable, et qu'il était insensé de
demander autre chose de lui que l'accomplissement de la volonté de son
Père. Il indiqua, plus clairement que jamais, que Celui qu'on attendait
depuis si longtemps était là devant eux ; mais il ne devait être reconnu
que d'un petit nombre, et retournerait à son Père quand sa tâche serait
finie. Il adressa à ses auditeurs une allocution très pathétique,
entremêlée de menaces et de prières, pour les exhorter à ne pas
repousser le salut et à ne pas laisser passer le moment de la grâce. Il
insista de nouveau sur l'accomplissement des prophéties ; et son langage
fut si admirable et si saisissant que les auditeurs se disaient les uns
aux autres: "C'est plus qu'un prophète; jamais personne n'a ainsi parlé
dans Israël !"
Après cela, Jésus,
longeant le Thabor avec les apôtres et quelques disciples, alla à une
lieue et demie ou deux lieues au sud-ouest, dans un endroit où les
apôtres Thomas, Jean et Barthélémy, qui revenaient de leurs voyages,
vinrent à sa rencontre avec des parents de Zacharie, un neveu de Joseph
d'Arimathie et quelques disciples. Ils avaient avec eux cinq pauvres
mineurs des environs de Chytrus, dans l'île de Chypre ; ils les avaient
amenés pour qu'ils accompagnassent les saintes femmes qui s'en
retournaient le lendemain, et leur servissent de messagers. Ces pauvres
gens voulaient aussi faire connaître leur situation et se recommander à
la charité de la communauté. Ils apportaient des nouvelles des autres et
étaient chargés de leurs commissions. La rencontre fut touchante ; Jean
surtout se montra très ému. Barthélémy avait été ces derniers jours dans
la Pérée. Thomas venait de Joppé, Jean venait d'Hébron.
Les Chypriotes
s'établissent au midi de Gaza, à l'ouest d'Hébron, à peu de distance du
puits de Samson, dans une contrée qui n'a pas encore été mise en
culture. Ils habitent provisoirement dans des grottes. Il y en a déjà
deux cents qui sont en route pour se rendre là, et ils seront suivis par
trois cents autres. A l'époque de la première communauté chrétienne,
sous l'administration des diacres, je vis beaucoup de gens aller se
joindre à eux. Il se forma là peu à peu un bourg dont les ruines au
moins doivent subsister. Ce fut plus tard une ville appelée
Eleuthéropolis. qui eut des évêques de bonne heure, et dont on a oublié
les fondateurs.
Jésus revint avec les
disciples à Cana, ou arrivèrent aussi tous les disciples qui étaient
restés à Capharnaüm ; en sorte que tous les apôtres, les soixante-dix
disciples envoyés en mission et beaucoup d'autres, plusieurs personnes
alliées à la famille de Jésus, et les saintes femmes, se trouvaient
réunis ensemble. On prépara un grand repas dans la maison d'Israël, le
père de la fiancée de Cana, et dans la cour de cette maison. On
distribua aussi des aliments et des présents aux pauvres de l'endroit et
à ceux qui vinrent d'ailleurs. Jésus et plusieurs apôtres servirent les
pauvres. A la fin, Jésus, qui avait enseigné pendant le repas, raconta
encore la parabole des vierges sages et des vierges folles, l'expliqua à
ses auditeurs, et parla beaucoup de la venue prochaine de l'époux. Ce
fut comme une fête commémorative des noces de Cana, parce que, comme
alors, il y avait une nombreuse réunion d'apôtres, de disciples et
d'amis de Jésus. La maison était décorée de guirlandes de fleurs, on but
dans les urnes qui avaient figuré au miracle des noces ; des enfants
firent de la musique, portant des Couronnes et des pyramides de fleurs.
Barthélémy, Nathanaël Khased et d'autres disciples avaient composé de
belles sentences sur le mariage spirituel.
26
juin. — Ce matin, la sainte Vierge revint à Capharnaüm avec
quelques compagnes. Les autres saintes femmes firent route pour Naïm,
d'où elles devaient se rendre à Jérusalem. Leurs servantes et les hommes
de l'île de Chypre qui étaient venus la veille les accompagnèrent. Les
parents et amis de Jésus retournèrent chez eux.
Quant à Jésus, il
sortit ce matin de Cana avec les apôtres et tous les disciples qui
avaient été envoyés en mission, et se dirigea vers la montagne voisine
de la ville de Gabara, où Madeleine avait pour la première fois répandu
sur sa tête un onguent parfumé (tome III, page 146). Ils marchaient en
groupes, à pas lents, et s'arrêtaient souvent autour de Jésus pour
s'entretenir avec lui. Jésus était très affectueux, et il s'adressait
souvent à eux en les appelant " mes chers enfants ". Il leur ordonna de
raconter tout ce qui leur était arrivé. Les apôtres prirent la parole
les premiers. Jésus leur avait déjà fait raconter quelque chose pendant
ces derniers jours, mais non pas complètement ; cette fois, tous
devaient entendre ce que tous avaient fait et ce qui était arrivé à
tous. Il leur dit avec une douceur merveilleuse : " Mes chers petits
enfants, on verra maintenant qui de vous m'a aimé, et en moi mon Père
céleste, qui de vous a propagé la parole du salut et opéré des guérisons
pour l'amour de moi, non dans son propre intérêt et par un motif de
vaine gloire " ; et d'autres choses semblables. Alors chacun prit la
parole à son tour ; les apôtres racontèrent successivement ce qu'ils
avaient fait, et après eux, les disciples qui leur avaient été adjoints.
Cela se fit principalement sur une colline qui est à environ deux lieues
de la montagne dont il a été parlé, et à peu près à la même distance de
Cana. On vient souvent s'y promener parce qu'on y jouit d'une vue très
étendue ce qui ne se rencontre guère ailleurs dans le voisinage.
Pierre raconta avec
beaucoup de chaleur la rencontre qu'il avait faite de possédés de
diverses catégories, comment il s'y était pris avec eux et comment il
avait chassé tous les esprits au nom de Jésus. Il s'étendit
complaisamment sur ce sujet, car, dans son enthousiasme, il avait déjà
oublié la leçon qu'il avait reçue l'avant-veille sur la barque. Il
s'animait en pareil cas et se laissait emporter à son ardeur naturelle.
Il raconta encore que, dans le pays des Gergeséniens, il avait rencontré
deux possédés que n'avaient pu guérir d'autres disciples qu'il nomma,
notamment les deux jeunes disciples de Gergesa qui avaient été possédés
eux-mêmes. Pour lui, il avait sur-le-champ chassé d'eux les démons qui
lui avaient obéi. Alors Jésus lui fit signe de se taire, leva les yeux
au ciel, et, tous gardant le silence, il dit : " Je voyais Satan tomber
du ciel comme un éclair ". Lorsqu'il prononça ces paroles, les yeux
levés au ciel, je vis comme un sombre trait de feu sillonner l'air en
serpentant. Ensuite Jésus reprocha à Pierre son excès d'ardeur, et dit
aussi à tous ceux qui se glorifiaient dans leurs paroles ou
intérieurement, qu'ils devaient agir et opérer en son nom et par lui
seul, en esprit d'humilité fondée sur la foi, et pas s'imaginer que l'un
eût plus de pouvoir que l'autre. Il dit aussi : " Voici que je vous ai
donné le pouvoir de fouler aux pieds les scorpions et les serpents et
toute la puissance de l'ennemi, et rien ne pourra vous nuire. Mais ne
vous réjouissez pas de ce que les esprits vous obéissent ;
réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans le ciel ".... Il
leur dit plusieurs autres choses, toujours du ton le plus affectueux et
en les appelant " mes chers enfants " ; et il en écouta encore un grand
nombre. Thomas et Nathanaël furent repris pour un manquement ; mais tout
cela se fit de la manière la plus charitable et la plus affectueuse.
Lorsque Jésus fut au
haut de la colline, il y eut un moment où sa physionomie prit une
expression très grave, quoiqu'avec un mélange de joie, et où il leva les
mains au ciel. Je vis alors de la lumière autour de lui : " c'était
comme une nuée lumineuse qui descendait sur lui. Il fut ravi en extase
et transporté de joie, et il fit cette prière : Je vous glorifie, mon
Père, seigneur du ciel et de la terre, parce que vous avez caché ces
choses aux sages et aux habiles, et que vous les avez révélées aux
petits. Oui, mon Père, tel a été votre bon plaisir. Tout m'a été donné
par mon Père ; et personne ne sait qui est le Fils, sinon le Père, et
personne ne sait qui est le Père, sinon le Fils et ceux à qui le Fils
veut le révéler ". Jésus dit encore aux disciples : " Heureux les yeux
qui voient ce que vous voyez ! car, je vous le dis, bien des prophètes
et des rois ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l'ont pas vu;
entendre ce que vous entendez, et ne l'ont pas entendu ".
Tout en faisant ces
récits, et d'autres encore qui donnèrent lieu à d'autres avertissements,
ils arrivèrent près de la montagne de Gabara, au pied de laquelle ils
prirent un petit repas consistant en poisson, en pain, en miel et en
fruits qu'on avait apportés là de Cana. Ensuite Jésus monta avec eux sur
la montagne et leur donna des instructions étendues à propos de tout ce
qu'ils avaient raconté. Il leur donna des avis sur beaucoup de choses
qu'ils ignoraient et leur fit voir en quoi ils avaient hésité et faibli.
Il leur parla aussi des diverses espèces de possédés, et leur dit
comment ils devaient chasser les démons. Il parla des épreuves par
lesquelles ils avaient encore à passer, de sa mission dont le terme
était proche, etc. Il leur dit qu'il ne tarderait pas à les renvoyer
chez eux pour prendre quelque repos, leur indiqua comment même alors ils
auraient à agir, à enseigner et à propager le royaume de Dieu. Il les
remercia aussi de leur diligence et de leur obéissance, et il alla avec
eux à Capharnaüm, où ils n'arrivèrent qu'à la nuit. Ils célébreront
encore le sabbat ensemble ; et je crois qu'ensuite Jésus fera encore une
grande instruction, sur la montagne des Béatitudes. Sur la montagne de
Gabara. Il y avait outre les disciples, beaucoup d'autres auditeurs.
27
juin. — Ce matin, Jésus était dans la maison de sa mère, et il
congédia un certain nombre de disciples qui se mirent en route pour
arriver chez eux, ou du moins près de chez eux, avant le sabbat ;
cependant la plupart restèrent. Il fera prochainement un grand sermon
sur la montagne, et achèvera ce qu'il a à dire des huit béatitudes ; ce
sera peut-être jeudi. Jésus, en l'annonçant, ne désigna pas ce jour par
son nom ; je crois qu'il se servit d'une mesure du temps par heures,
mais je vis que cela répondait à peu près à jeudi.
Ce matin, les femmes
de Pierre, d'André et de Matthieu, ainsi que les personnes de leur
famille, les parents de Jean et de Jacques, d'autres femmes et d'autres
amis se trouvaient chez Marie. Jésus s'entretint avec eux, leur donna
des enseignements et des consolations. J'ai oublié les détails. Il
mangea avec sa mère, et dans l'après-midi il alla, avec les apôtres et
les disciples qui étaient restés, à l'école de Capharnaüm, où il les
instruisit et les prépara jusqu'au sabbat.
Il alla avec tous les
siens à la synagogue pour le sabbat, et il enseigna sur Coré et Abiron
et sur l'abdication que fit Samuel de ses fonctions de juge
(Numer., XVI-XIX. I Reg., XI, 14 ; XII, 23).
Il commenta la lecture du jour dans un langage énergique et sévère, et
il excita d'autant plus la colère des Pharisiens qui l'observaient,
qu'ils se sentirent atteints par toutes ses paroles. Toutefois, ils ne
purent lui imputer aucune fausse doctrine ; seulement, à l'aide de
l'espionnage organisé contre ses disciples pendant leurs courses, ils
avaient recueilli quelques griefs insignifiants qu'ils mirent en avant
contre lui. Ils dirent que ses disciples n'observaient pas exactement
les jeûnes, qu'ils arrachaient des épis même le jour du sabbat, qu'ils
cueillaient et mangeaient des fruits sur leur chemin, qu'ils avaient des
vêtements grossiers et malpropres, qu'en divers endroits ils étaient
entrés à la synagogue avec leurs habits salis par le voyage et sans
avoir détaché leurs robes ainsi que l'exigeaient les convenances, que
souvent ils mangeaient sans s'être lavé les mains, et d'autres
imputations du même genre. Jésus répondit avec beaucoup de vivacité ; il
gourmanda très sévèrement les Pharisiens et dépeignit toute leur
conduite et toutes leurs intrigues. Il les appela race de vipères, comme
il l'avait déjà fait précédemment, et leur reprocha de mettre sur les
épaules des autres des fardeaux qu'eux-mêmes ne portaient point.
Il parla des
promenades qu'ils faisaient de côté et d'autre le jour du sabbat, de
leur dureté envers les pauvres, de leurs vexations au sujet des dîmes et
de leur hypocrisie ; il dit aussi qu'ils voyaient la paille dans l'oeil
d'autrui, et non la poutre dans le leur. Enfin il déclara qu'il
continuerait à parcourir le pays, à enseigner et à guérir jusqu'à ce que
son heure fût venue.
Pendant cette longue
et sévère mercuriale, un jeune homme qui se trouvait parmi les
Pharisiens, leva les mains au ciel et sortit de la foule en s'écriant :
" C'est vraiment le Fils de Dieu, le saint d'Israël ! c'est plus qu'un
prophète " ! et se répandit en éloges enthousiastes de Jésus. Deux vieux
Pharisiens pleins de fiel le saisirent alors par les bras et
l'entraînèrent hors de la synagogue pendant qu'il continuait à célébrer
les louanges de Jésus. Mais Jésus continua son énergique allocution, et
cet homme protesta hautement devant tout le peuple qu'il se séparait des
Pharisiens.
Quand le sabbat fut
fini et que Jésus sortit avec les siens, cet homme se jeta à ses pieds
devant la synagogue et le supplia de l'admettre parmi ses disciples.
Jésus lui dit qu'il y consentait s'il voulait quitter son père et sa
mère, donner tous ses biens aux pauvres, prendre sa croix et le suivre ;
il ajouta quelques graves paroles sur les pénibles conditions exigées
pour marcher à sa suite, puis il le recommanda à quelques disciples,
dont était Mnason, lesquels le prirent avec eux. Jésus alla ensuite chez
sa mère.
La ville à laquelle
donna naissance l'établissement des Chypriotes en Judée reçut plus tard
le nom d'Éleutheropolis. J'ai vu beaucoup de choses qui la concernent :
je ne me souviens que de ce qui suit. Elle est à plusieurs lieues de
Jérusalem, à une lieue environ de Geth, ville des Philistins. Jadis
Samson tua dans cet endroit un grand nombre de Philistins ; la fontaine
de la mâchoire d'âne n'en est pas éloignée, mais elle est plus près de
la mer. Les habitants d'Eleutheropolis avaient dans leur ville une
fontaine qu'ils croyaient- être celle-là : toutefois ce n'était pas la
source elle-même, c'en était une dérivation. Il y a là de nombreuses
grottes dans lesquelles les émigrants se sont établis à leur arrivée.
Plus tard il se forma là une colonie considérable ; mais les Juifs la
détruisirent plusieurs fois après la mort du Christ. Cela eut lieu entre
autres lors de la persécution qui suivit la mort d'Etienne et dans
laquelle périt aussi Mercuria. Alors aussi l'établissement entre Ophel
et Béthanie fut détruit. Les chrétiens établis ici allaient souvent à
Jérusalem porter leurs offrandes et leurs contributions au cénacle ou à
l'église voisine de la piscine de Bethesda : ce cénacle et le bourg qui
était près d'Ophel furent détruits et alors beaucoup d'autres convertis
allèrent à Eleutheropolis. Quand on avait dispersé la colonie, les
habitants se réunissaient de nouveau bientôt après et ils se
multiplièrent beaucoup.
José Barsabas, le
fils de Marie de Cléophas et de Sabas, son second mari, fut consacré à
Antioche comme premier évêque d'Éleutheropolis. Il avait un troupeau
fort dispersé et il fut crucifié à un arbre dans une persécution. Plus
tard je vis toutes les grottes et les passages qui les unissaient,
recouverts par la ville qui se trouvait ainsi bâtie sur des souterrains
: je vis pendant une persécution toute la partie supérieure dévastée et
une grande partie du peuple se cacher dans les souterrains avec son
évêque puis en sortir plus tard et rebâtir ses maisons. La paix vint
ensuite ; la colonie devint très prospère et une belle ville s'éleva.
J'ai vu tout cela en détail, puis je l'ai oublié.
28
juin. — Ce matin Jésus accompagné des apôtres et de quelques
disciples est allé a Bethsaïde dans la maison des lépreux, située au
nord de la ville ; il n'y a pas guéri, mais seulement enseigné. Parmi
ses auditeurs se trouvaient aussi les mariniers et les ouvriers des
environs. Jésus se tenait dans l'avant-cour de l'hospice : les malades
impurs étaient séparés par un fossé, les apôtres, les disciples et
d'autres auditeurs se tenaient derrière Jésus sur une ligne que l'on ne
devait pas dépasser sous peine de contracter une impureté légale. Il
enseigna ici sur la lecture du sabbat, laquelle traitait de la punition
de Coré et de l'abdication de Samuel ; puis il donna encore des
instructions générales sur la pénitence, la conversion, la miséricorde,
la foi et l'approche du royaume de Dieu : il expliqua aussi des
paraboles.
Dans l'après-midi, je
vis Jésus avec les apôtres et les disciples aller à la synagogue de
Capharnaüm, et comme plusieurs malades s'étaient fait porter à l'entrée,
dans l'espoir qu'il y viendrait, il leur dit de l'attendre le lendemain
dans la maison que Pierre possède en avant de ville. Ce n'était pas
encore le moment de la clôture du sabbat et Jésus n'alla à la synagogue
avec ses disciples qu'afin que tout le monde put entendre ce qu'il
enseignait aux siens et pour montrer qu'il ne craignait rien et ne
cherchait pas les lieux retirés pour y enseigner. Il leur répéta
différentes choses qu'il leur avait déjà dites en particulier. Je me
souviens que dans cette instruction il les mit en garde contre les
Pharisiens et les faux prophètes, qu'il leur recommanda la vigilance et
leur raconta et leur expliqua la parabole du serviteur vigilant et du
serviteur paresseux. Pierre lui demanda s'il disait cela pour les
disciples seuls ou pour tout le monde. Alors Jésus parla à Pierre, comme
si Pierre eût été l'intendant, le surveillant des autres serviteurs et
il dit plusieurs choses à la louange d'un bon intendant. Mais ensuite il
parla en ternies très sévères de l'intendant qui ne remplissait pas son
devoir. Il est question de cela dans l'Évangile : toutefois tout n'y est
pas, à beaucoup près, mais seulement le résumé. Ce qu'il dit alors se
retrouve principalement dans saint Luc (XVI, 35-59).
Jésus enseigna
jusqu'au moment où les Pharisiens vinrent pour faire la clôture du
sabbat : comme il voulait leur céder la place, ils se montrèrent fort
polis et dirent : " Maître, expliquez la leçon ". Puis ils le
conduisirent à la chaire et placèrent les livres devant lui. Jésus fit
entre autres choses une instruction merveilleusement belle sur Samuel
lorsqu'il abdiqua sa dignité de juge devant le peuple et le nouveau roi
Saul, et il commenta le discours du prophète d'une façon toute nouvelle
qui scandalisa beaucoup les Pharisiens, car il expliqua les paroles de
Samuel comme si c'eussent été les paroles de Dieu le Père et de son Fils
envoyé par lui, en sorte qu'on pouvait avoir le sentiment qu'il
s'appliquait à lui-même ces mots : " Je suis devenu vieux et mes cheveux
ont blanchi ". (1 Reg. XII, 2-3). Outre son
explication que j'ai oubliée, il me fut encore expliqué intérieurement
pourquoi Dieu le Père est représenté sous la forme d'un vieillard. Mais
il se mêle à tout cela des pensées qui viennent de moi. Il se trouve
dans ce texte quelque chose qui équivaut à ceci : " vous m'avez depuis
longtemps, vous êtes las de moi, vous vous renouvelez sans cesse et moi
je suis toujours là devant vous ". Ce qui était dit de la conduite
blâmable des fils de Samuel fut appliqué par lui aux pratiques iniques
des docteurs et des Pharisiens. Ensuite il répéta les interrogations de
Samuel aux Israélites : " Vous ai-je fait tort en ceci ou en cela " ?
comme les interrogations de Dieu et de son envoyé, comme les
interrogations adressées au peuple par le Messie, et son discours
signala très clairement ces Pharisiens et ces docteurs qui n'osaient pas
interroger le peuple en termes comme ceux-ci : " Vous ai-je opprimé ?
ai-je pris votre bétail ? vous ai-je extorqué des présents " ?, ce que
les Pharisiens ressentirent vivement. Quant à ce qui était dit des
Israélites réclamant un roi qui les gouvernât comme les païens et ne
voulant plus de leur juge, Jésus l'appliqua à leur attente erronée d'un
royaume temporel, d'un roi et d'un Messie environné de toutes les pompes
de la terre, sous lequel ils pourraient vivre dans le luxe et dans les
plaisirs, et qui, au lieu d'effacer tous leurs péchés et leurs
abominations par la fatigue, la souffrance, la pénitence et l'expiation,
les envelopperait tout chargés de souillures et de crimes dans son riche
manteau royal et les récompenserait pour leurs péchés. Il est dit encore
que Samuel ne cessa pas de prier pour le peuple et que sa prière fit
gronder le tonnerre et tomber la pluie du ciel. Jésus expliqua cela
comme un effet de la miséricorde de Dieu envers les bons, et dit que son
envoyé, quoiqu'ils ne dussent pas l'accueillir, mais le chasser,
implorerait aussi son Père pour eux jusqu'à la fin. La pluie et le
tonnerre obtenus par la prière du prophète figuraient les signes et les
prodiges qui devaient accompagner l'envoyé de Dieu afin que les bons se
réveillassent et se convertissent. Samuel as ait dit encore que leur roi
et eux trouveraient grâce devant Dieu qui ne les repousserait pas, s'ils
marchaient en sa présence : Jésus expliqua ces paroles en disant que les
justes obtiendraient justice et recevraient les grâces et les lumières
qui leur seraient nécessaires, mais que les mauvais seraient comme Saul
sévèrement jugés. Enfin Jésus termina en parlant de David et de son
onction comme roi opposé à Saul, de la séparation des bons d'avec les
mauvais, et de la ruine de Saul et des siens.
Les Pharisiens ne le
contredirent pas dans la synagogue, parce qu'ils ne manquaient pas en
pareil cas d'être réfutés et confondus devant le peuple ; mais ils
s'étaient réservés pour plus tard, lorsque Jésus viendrait à un repas
auquel ils l'avaient invité avec les apôtres et une partie des
disciples, dans la maison des docteurs de la synagogue. Ce repas eut
lieu dans une salle ouverte près de laquelle était un jardin avec des
berceaux de verdure. Il y avait bien là vingt Pharisiens. Avant qu'on
commençât à manger, un vieux fourbe plein d'insolence présenta devant
tout le monde à Jésus un grand bassin rempli d'eau et lui demanda s'il
ne voulait pas se laver, vantant très haut les anciennes coutumes et les
saint préceptes des Israélites. Mais Jésus le repoussa en lui disant
qu'il connaissait sa malice et ne voulait pas de son eau : après quoi il
réprimanda sévèrement leur hypocrisie et leur fourberie.
Dès qu'ils furent à
table, ils se mirent à disputer contre Jésus à propos de l'instruction
qu'il avait faite sur l'abdication de Samuel. Ils dirent qu'ils
n'avaient pas eu le temps de lui répondre à la synagogue et ils
contestèrent vivement tout ce qu'il avait dit ; mais Jésus les réfuta et
les confondit d'une manière qui redoubla leur rage. Toutefois plusieurs
d'entre eux furent si ébranlés et même si touchés que pendant le
colloque qu'ils avaient soulevé et auquel ils prenaient part par
intervalles, plus d'une douzaine se retirèrent, en sorte que les ennemis
de Jésus se trouvèrent réduits au nombre de six ou sept des plus
endurcis.
Cependant, comme
Jésus se promenait dans la salle, un de ces jeunes gens de Nazareth qui
l'avaient si souvent importuné pour qu'il les prît à sa suite, l'aborda
et lui dit : " Seigneur, que dois-je faire pour obtenir la vie éternelle
" ? Alors eut lieu toute la scène rapportée dans l'Évangile (Luc, X, 26,
37) et le récit de la parabole du bon Samaritain. Mais ceux des
Pharisiens qui étaient restés accusèrent Jésus de ne vouloir pas
admettre cet homme parmi ses disciples parce qu'il avait quelque
instruction et qu'il ne se laissait pas fermer la bouche comme ceux-ci.
Ils accusèrent encore les disciples d'irrégularité, de malpropreté, de
grossièreté, leur reprochèrent d'arracher des épis le jour du sabbat, de
cueillir des fruits sur les chemins, de manger en temps prohibé par les
coutumes, et beaucoup de choses semblables. Ils s'en prirent surtout à
Pierre qui était, disaient-ils, un disputeur et un querelleur comme son
père.
Jésus prit la défense
de ses disciples. Il dit qu'ils devaient être dans la joie tant que
l'époux était avec eux ; et après avoir encore repris très sévèrement
les Pharisiens qui furent transportés de fureur, il se retira avec les
siens. Il se dirigea d'abord vers la maison de Jaïre par les fossés
disposés en jardins qui étaient près de la synagogue, puis, traversant
le chemin public, il alla du côté de Bethsaide et pria dans la solitude
jusqu'à minuit ; après quoi il se rendit chez sa mère. Les Pharisiens
avaient aposté des gens de la populace, qui s'attroupèrent et
poursuivirent les disciples en leur jetant des pierres ; mais Dieu les
protégea. Ils ne savaient pas où Jésus était allé.
29
juin. — Ce matin de très bonne heure, Jésus sortit de la maison
de sa mère, et, coupant le chemin de Capharnaüm à Bethsaïde, s'avança au
nord dans la contrée déserte qui se trouve Près de là. Il avait avec lui
quelques disciples des plus nouveaux et qui n'étaient pas encore bien
instruits. Ils allèrent vers cette montagne d'où Jésus avait envoyé les
apôtres en mission le 15 décembre de l'année précédente (tome III, page
273). Il y a environ trois lieues de Capharnaüm jusque-là : sur le
chemin qui y mène on rencontre des collines, des solitudes, et du côté
du Jourdain, des prairies où vont paître ordinairement les ânes et les
chameaux des caravanes.
Jésus trouva sur sa
route Mnason et quelques autres disciples qui s'étaient cachés dans les
environs avec le Pharisien converti le vendredi soir. Il était de
Thanach, près de Naim, et il avait été déjà touché par la guérison du
Pharisien qui avait eu lieu dans cette ville : il avait aussi entendu le
dernier sermon prêché sur la montagne de Gabara et il en avait été
fortement remue. J'ai une idée confuse que c'est aussi sur ce chemin que
s'est présenté à Jésus le jeune homme qui le pria de partager l'héritage
entre lui et son frère (Luc, XIII, 13, 14) ; cependant je n'en suis pas
bien sûre.
Autour de la montagne
de la mission des apôtres se trouvent plusieurs petits endroits. Il y a
là un petit emplacement très bien disposé pour la prédication avec un
abri et de l'ombre. Lorsqu'on prêche au haut de la montagne, les gens
des bourgades situées plus bas apportent des aliments. Au pied de la
hauteur, Jésus visita une cabane d'une grande longueur où gisaient une
dizaine de pauvres malades du pays, dont les membres étaient tout
contractés par la goutte ; il s'arrêta près d'eux, les guérit et les
enseigna.
Ils s'arrêtèrent
ensuite dans un lieu sauvage et solitaire ; Jésus pria avec les
disciples, qui se divisèrent en plusieurs groupes. Ils lui demandèrent
de vouloir bien leur apprendre à prier. Alors il monta avec eux sur la
montagne où se joignit à eux une trentaine de bonnes gens des environs.
Il leur enseigna à réciter le Pater noster. Il
expliqua successivement les diverses demandes : il les commenta
longuement, et à cette occasion il reproduisit les exemples déjà
mentionnés antérieurement : celui de l'homme qui, pendant la nuit,
frappe à la porte de son ami pour avoir du pain et qui ne cesse pas de
frapper qu'il n'ait obtenu ce qu'il demande ; celui de l'enfant qui
demande un oeuf à son père, lequel ne lui donnera pas un scorpion. Il
répéta de même tout ce qu'il avait dit antérieurement de la prière
persévérante et des rapports tout paternels de Dieu avec l'homme ; car
il donnait les mêmes enseignements à tous ses disciples. Il les répétait
très souvent sans se lasser et avec une patience touchante, afin que
partout ils pussent enseigner exactement les mêmes choses.
Jésus passa cette
nuit en prières sur la montagne avec ses disciples.
Les enseignements
donnés par Jésus à plusieurs reprises se trouvent réunis ensemble dans
les Évangiles, et souvent la circonstance à l'occasion de laquelle il
avait enseigné pour la première fois tel point de doctrine s'y trouve
relatée à propos d'un autre enseignement donné sur le même sujet, sans
qu'il soit fait mention du premier. Parfois aussi des instructions que
Jésus a faites en d'autres temps et en différents lieux, comme, par
exemple, divers discours tenus contre les Pharisiens pendant des repas
et les incidents auxquels ils ont donné lieu, sont rapportés à propos
d'un seul et même repas, dans certains cas où dans la réalité il y avait
eu deux repas se succédant à peu d'intervalles. D'ailleurs les discours
capitaux prononcés dans des occasions de ce genre se reproduisent
souvent, aussi bien que les objections des Pharisiens qui étaient
toujours les mêmes ; car Jésus, ainsi que l'Église le fait encore dans
ses catéchismes, répétait le plus souvent les mêmes paroles et donnait
des enseignements identiques quand les circonstances étaient les mêmes,
afin de bien les graver dans la mémoire de ses disciples, qui étaient
des hommes simples : il ne changeait rien à ce qu'il avait dit une fois,
comme le fait toujours la vérité.
Ces discours souvent
répétés sont mentionnés une fois pour toutes dans l'Évangile, qui n'est
qu'un abrégé très court. Il en est de même des miracles qui se sont
fréquemment reproduits. C'est pourquoi il est souvent impossible de
retrouver complètement, dans ce que je vois et j'entends, tel ou tel
récit de l'Évangile. Les faits mentionnés simultanément sont souvent
séparés dans la réalité par de grands intervalles de temps et de lieu
Saint Luc, qui ne fit que mettre par écrit ce qu'il avait entendu
raconter, est celui des Évangélistes dont la narration est la moins
suivie (quant à l'ordre dans lequel les faits se sont succédés). Le
récit de saint Jean est plus suivi, toutefois il y a de nombreuses
lacunes. On lit quelquefois dans l'Évangile : " Et pendant que ceci se
passait, il arriva cela " : ce qui ne veut pas toujours dire : " cela
vint après " mais seulement a à cette époque, vers cette époque, etc ".
30
juin. — Ce matin, Jésus termina son instruction sur la prière. Il
la fit absolument comme on fait lorsqu'on enseigne le catéchisme à des
enfants. Aujourd'hui, il les interrogea tous, l'un après l'autre, sur
les explications données la veille, les redressa, répéta ce qu'il avait
dit, et éclaircit ce qu'ils n'avaient pas bien compris. A la fin il
répéta la prière d'un bout à l'autre, et expliqua le mot
amen, ainsi qu'il l'avait fait une fois dans
l'île de Chypre, comme le mot qui renferme tout, le commencement et la
fin Il y avait autour de lui une cinquantaine d'auditeurs, qui n'étaient
pas tous des disciples.
Il était venu aussi
deux Pharisiens de Bethsaïde-Juliade, qui entendirent une partie de son
instruction. L'un d'eux l'invita à un repas dans sa maison de
Bethsaïde-Juliade, et Jésus accepta l'invitation.
Lorsqu'il alla avec
ses disciples à Bethsaïde-Juliade, il .se dirigea d'abord au midi du
pont du Jourdain, et, et rapprochant un peu de l'autre Bethsaïde, qui
est en deçà, il arriva à une hôtellerie où l'attendaient sa mère, la
veuve de Naïm, cette Léa qui s'était écriée : " Heureuses les entrailles
qui vous ont porté ", et d'autres femmes, car il n'y avait que les
femmes de Jérusalem qui fussent parties de Cana pour s'en retourner.
Comme il voulait passer le Jourdain, aller dans le pays qui est de
l'autre coté du fleuve et y enseigner, elles étaient venues pour prendre
congé de lui.
Marie était fort
triste. J'ai rarement vu Jésus la consoler aussi tendrement. Elle était
seule avec lui dans une chambre ; elle pleurait beaucoup, tourmentée
qu'elle était par toute sorte de tristes pressentiments, et le suppliait
de ne pas aller à Jérusalem pour la fête de la dédicace du Temple. Elle
lui fit cette prière avec tant d'humilité et de tendresse, que je
compris qu'elle pressentait obscurément la nécessité où était son Fils
d'accomplir sa sainte destinée, plutôt qu'elle n'en avait la
connaissance positive. Jésus la pressa sur son coeur ; il la consola
avec beaucoup de douceur et d'affection. Il lui dit qu'il devait achever
la mission que lui avait donnée son Père, et en vertu de laquelle elle
était devenue sa mère. Elle devait prendre courage et continuer à
fortifier et à édifier les autres, etc. Il salua ensuite les autres
femmes et leur donna sa bénédiction, après quoi elles revinrent à
Capharnaüm.
Jésus se rendit avec
les disciples à Bethsaïde-Juliade, où les Pharisiens le reçurent et le
traitèrent avec beaucoup de déférence. Outre les Pharisiens de
l'endroit, il en était venu aussi quelques-uns de Panéas, car il y avait
une espèce de fête en mémoire d'un mauvais livre des Sadducéens qui
avait été brûlé autrefois. Ici aussi les anciens reproches furent
reproduits. Jésus voulut se mettre à table sur-le-champ ; mais un des
Pharisiens le prit par le bras, et lui dit qu'il ne pouvait s'empêcher
d'être surpris qu'un homme qui enseignait si admirablement observât si
peu les saintes coutumes et négligeât de faire ses ablutions avant de
manger. Jésus lui répondit que les Pharisiens nettoyaient le dehors du
plat et de la coupe, mais qu'intérieurement ils étaient pleins de
malice. Sur quoi le Pharisien lui demanda comment il pouvait savoir ce
qu'il était intérieurement. Jésus répliqua que celui qui avait fait
l'extérieur avait aussi fait l'intérieur, que Dieu voyait aussi
l'intérieur, etc. On reproduisit ici les mêmes griefs qui avaient été
présentés trois jours auparavant à Capharnaüm. Les disciples prirent
Jésus à part, et le prièrent de ne pas être trop vif, sans quoi ils
couraient risque d'être chassés. Mais il leur reprocha leur lâcheté. Les
choses se passèrent paisiblement jusqu'à la fin du repas. Ce ne fut pas
ici que se présenta le docteur de la loi, mais à Capharnaüm. Ces deux
repas n'en font qu'un dans l'Évangile.
Le soir, Jésus
enseigna encore dans la synagogue Il n'opéra pas de guérisons, car les
Pharisiens avaient intimidé les gens de l'endroit ; ils étaient
arrogants, et ils avaient ici une espèce d'école supérieure. Il logea
dans une hôtellerie. Il s'en fallait beaucoup que tous les disciples
fussent ici : parmi les apôtres, il manquait par exemple Pierre, André
et Jacques le Majeur ; les autres étaient présents. Mais, demain, tous
seront réunis pour assister au sermon qui sera prêché sur la montagne.
1er juillet. — Ce matin, Jésus est allé à une lieue et demie au
nord-est de Juliade, sur la montagne de la multiplication des pains, où
s'étaient rassemblés tous les apôtres et les disciples avec environ deux
cents personnes de Capharnaüm, de Césarée de Philippe et d'autres
endroits des environs. Des Pharisiens voulurent aussi se glisser là ;
mais il y avait au bas de la montagne des disciples qui leur dirent que
le Maître voulait être seul, qu'il n'enseignait ici que pour les siens ;
que s'ils voulaient l'entendre et disputer contre lui, ils pouvaient le
faire dans leurs synagogues. Là-dessus ils se retirèrent.
Jésus prêcha sur la
huitième béatitude : " S'ils vous haïssent et vous persécutent à cause
du Fils de l'homme ". Il traita ensuite plusieurs autres points déjà
traités antérieurement en partie, répéta : " Malheur aux riches, qui se
rassasient des biens de ce monde ! ils ont déjà reçu leur récompense " ;
et dit aux siens que, quant à eux, ils devaient se réjouir de la
récompense à venir. Il parla encore du sel de la terre, de la ville
placée sur la montagne, de la lumière sur le chandelier, de
l'accomplissement de la loi ; puis aussi des bonnes oeuvres opérées en
secret, de la prière faite dans la chambre, etc. Il répéta encore d'un
bout à l'autre l'oraison dominicale. Je me souviens particulièrement de
l'avoir entendu parler du jeune qu'il faut faire avec l'air joyeux,
après s'être parfumé la tête, et non en public, comme les hypocrites :
or, il doit y avoir prochainement un grand jeûne pour les Juifs. Il
parla ensuite des trésors qu'il faut amasser dans le ciel, de l'absence
de soucis, de l'impossibilité de servir deux maîtres à la fois, des
jugements téméraires, de l'aveugle qui en conduit un autre, de la paille
et de la poutre, de la prière, de la nécessité de frapper pour qu'on
vous ouvre, du devoir de faire aux autres ce qu'on voudrait qui nous fût
fait, de la porte étroite, de la voie large, des faux prophètes, du
mauvais arbre et de ses mauvais fruits, de ce que là où est notre
trésor, là aussi est notre coeur, de ceux qui disent : " Seigneur,
Seigneur " ! de l'homme sage qui bâtit une maison solide, et de
l'insensé qui bâtit sur le sable, etc.
Il parla plus de
trois heures, et il y eut un moment où les auditeurs descendirent au bas
de la montagne pour prendre quelques aliments que les disciples avaient
apportés. Ensuite Jésus continua sa prédication ; il donna encore des
avis aux apôtres et aux disciples sur tous les points qu'il avait
traités précédemment lorsqu'il les avait envoyés en mission, puis il
leur rappela comment, en ce même lieu, il avait deux fois nourri le
peuple : ils devaient donc croire, avoir confiance et persévérer.
Vers le soir, Jésus
fit une lieue un peu au nord-est dans la direction de Gessur, et il alla
jusqu'à Argob, endroit situé sur une hauteur d'où l'on voit la montagne
des Béatitudes ; il s'arrêta à l'hôtellerie qui est en avant de la
ville. Il y est déjà allé le 13 mars (tome IV, page 115).
2
juillet. — Aujourd'hui, Jésus a fait une grande instruction
devant plusieurs milliers de personnes, sur la montagne où il a déjà
enseigné hier. Il avait seulement passé la nuit dans l'hôtellerie d'Argob,
qui est un logis à son usage et à celui de ses disciples. Il était venu,
pour l'entendre, des gens de tous le pays, parmi lesquels des malades,
des possédés et des voyageurs faisant partie des caravanes qui passaient
de ce côté. Il vint aussi des Pharisiens et des ennemis, mais ils ne
disputèrent pas contre lui. Les prodiges de Jésus étaient trop
éclatants, et le peuple trop plein d'enthousiasme Cependant il y eut
dans son discours quelques traits fort vifs contre les Pharisiens. (Ici
Anne Catherine raconte quelque chose qui se lit dans saint Luc, XII,
1-59, et dit que tout cela se trouvait dans cette instruction.) Le
peuple avait apporté avec lui des aliments, et il s'étendit sur l'herbe
pour manger.
Jésus guérit un très
grand nombre de malades et chassa des démons. Il rendit aussi la vue à
un aveugle qui était de Jéricho. Cet homme avait en outre été boiteux,
et un des disciples l'avait guéri de cette infirmité, mais sans lui
rendre la vue. Il était parent de Manahem : ce fut celui-ci et le
disciple en question qui l'amenèrent à Jésus.
Jésus enseigna aussi
les soixante-douze disciples, et il leur dit : " Je vous envoie comme
des agneaux au milieu des loups ". Il dit aussi : " Malheur à Chorozain,
à Bethsaïde et à Capharnaum ", et parla de la destruction de Jérusalem.
Il n'envoya pas cette fois en mission les mêmes disciples que la fois
précédente, mais d'autres plus nouveaux pour la plupart, et il les
envoya tous deux par deux, ce qui n'avait pas eu lieu d'abord. Pendant
la dernière semaine, il s'est donné une peine incroyable pour les
instruire, comme des enfants, par demandes et par réponses.
Un des neveux de
Joseph d'Arimathie est venu de Jérusalem, apportant à Jésus la nouvelle
que Lazare est malade. Il est tout mélancolique, il n'a plus de plaisir
à faire son service au Temple ; il pâlit et maigrit beaucoup.
Le soir, ils sont
encore retournés à l'hôtellerie voisine d'Argob et ils y ont passé la
nuit. Dernièrement, avant le sabbat, j'avais entendu Jésus annoncer aux
disciples, à Capharnaum, qu'il ferait le jeudi suivant cette grande
instruction. Je ne puis pas bien redire comment il avait indiqué à quel
moment elle aurait lieu ; il ne compta pas par jours, il se servit d'une
certaine mesure de temps par heures dans le genre de ces désignations :
" à la première, à la seconde veille de la nuit ". Je vois aussi cela
représenté par des espèces de chiffres d'une forme particulière.
3
juillet. — Ce matin Jésus a congédié près d'Argob les disciples
et les apôtres. Pierre, Jacques, Jean, Matthieu et quelques disciples
allèrent avec lui. Ils firent environ cinq lieues jusqu'au bureau de
péage de Matthieu où habitent des gens de sa connaissance. Là, Jésus
enseigna et consola encore une vingtaine d'amis de Capharnaüm dont il
prit congé : c'étaient, entre autres, Jaïre, Zorobabel, le centurion
Cornélius, le marchand qui avait tant d'enfants, le père d'Ignace,
l'aveugle guéri, ainsi que plusieurs parents et amis des apôtres. Ils
prirent là leur repas, après quoi Jésus s'embarqua pour Dalmanutha avec
une douzaine de compagnons, dont étaient Pierre, Jacques, Jean et
l'aveugle guéri de Jéricho, qui par la se rapprochait de sa demeure
d'environ cinq lieues. Jésus enseigna sur la barque.
È
CHAPITRE SIXIÈME
Jésus
quitte la Galilée et enseigne dans la Pérée.
Du 4 au 13 juillet
.
Jésus va à Edrai - à Bosra - à
Nobé - à Selcha - sur la route de David - à Thantia et à Datheman.
4 et 5 juillet. —
Jésus a enseigné hier soir près de Dalmanutha ; aujourd'hui, accompagné
de Pierre, de Jacques et de Jean, il a fait sept lieues dans la
direction de l'est, en remontant une vallée arrosée par un cours d'eau
qui se jette dans le Jourdain. Laissant à droite Gadara et Abila, ils
sont arrivés à Edrai, une grande ville où habitait autrefois le roi Og,
qui y fut battu par Moïse (Num., XXI, 33, 35). Cette ville existait déjà
à l'époque d'Abraham : elle est au bord d'une petite rivière.
Bétharamphtha-Juliade est située au midi, à peu de distance. Il célébra
le sabbat à Edrai ; où habitent beaucoup de païens.
5 juillet. — Edraï est une belle ville : les
païens habitent à part des Juifs. Jésus n'y a pas trouvé de
contradicteurs et il a opéré un grand nombre de guérisons. Il fit un
discours ou il était question de la vache rousse, de la mort d'Aaron et
de Marie sa soeur, et du serpent d'airain qu'il présenta comme étant une
figure du Messie ; il parla aussi du voeu de Jephté (Numer.,
XIX, 22, XX ; Jud., XI, 1, 34) et de la punition1 de Coré, de
Dathan et d'Abiron. Il y a dans le pays des gens qui proviennent de la
même source que ces derniers. Moise a livré une bataille dans les
environs d'Edraï ; Josué donna Edraï à la demi tribu de Manassé.
6 juillet.— Jésus, accompagné de Pierre, de
Jacques et de Jean, alla d'Edraï à Bosra, qui est encore plus à l'est :
sur la routa, il fit en plein air, devant une foule nombreuse, une
instruction où il parla spécialement de la mort de Coré, de Dathan et d'Abiron
; car plusieurs descendants de la famille de Caath habitaient ce pays (Num.
XVI, 6).il y avait là des gens de toute la contrée, notamment de
Betharamptha-Juliade. Il guérit un grand nombre de malades et de
possédés et continua sa route jusqu'à Bosra, qui est à environ six
lieues à l'est d'Edraï. A moitié chemin, il enseigna et guérit sur une
jolie colline Ou il y a des arbres et des clôtures, elle est située à
une petite lieue d'une bourgade dont les maisons, disséminées sur une
longue étendue, sont habitées en grande partie par cette race de Coré,
de Dathan et d'Abiron. Je crois que le nom de cet endroit est quelque
chose comme Coré ou Coraé ; oui, c'est bien cela.
Anne Catherine fit alors la description complète du chemin entre Edraï
et cet endroit, des crêtes de montagnes et des vallées, mais trop vite
et trop confusément pour se faire bien comprendre. Elle raconta aussi,
mais toujours d'une manière peu précise, comment et à qui cet endroit
avait été assigné par Josué à une époque très ancienne ; mais il était
impossible de se bien rendre compte de ce qu'elle disait.
7 juillet. — Bosra est ville de lévites. Un
assez grand nombre de païens y habitent à part des Juifs : ils ont
plusieurs temples. Pierre y est déjà venu pendant que Jésus était en
Chypre, et il a racheté des Juifs qui étaient esclaves des païens. Il y
en avait encore beaucoup dans le même cas : Jésus les délivra. Il guérit
ici beaucoup de malades et chassa beaucoup de démons. Il guérit entre
autres des malades que ses disciples n'avaient pas guéris. Quelques
païens furent aussi baptisés en secret : ils se feront circoncire.
A Edraï, comme ici, plusieurs convertis apportèrent au Seigneur en
présent de fortes sommes en or, qui furent employées à racheter les
captifs et à soulager les pauvres.
Bosra est un lieu d'asile pour les meurtriers : plusieurs pécheurs
confessèrent leurs crimes à Jésus. Jésus logea chez les lévites, et le
soir il partit pour Nobé, qui est a environ cinq lieues au nord-est et
où il arriva fort tard.
8 juillet.— à part la partie païenne de la
ville, il n'y a à Nobé, en fait de Juifs, que des Réchabites. Lorsqu'ils
revinrent de la captivité de Babylone, ils trouvèrent cet endroit occupé
par les païens, le conquirent et s'y établirent. Ils descendent, je
crois, de Jethro ; et, plus tard, des prophètes leur donnèrent une
certaine organisation. Il y a là un grand édifice très ancien,
ressemblant à un grand château fort, autour duquel la plupart habitent.
Il ont une aversion incroyable pour les Pharisiens et les Sadducéens
qu'ils évitent tant qu'ils le peuvent. Nobé s'étend très loin dans la
direction du levant : on y a vue sur l'Arabie, qui doit commencer à une
lieue de là tout au plus. Il y passe une route militaire allant de
l'Arabie à Damas, à Gessur, à Panéas et aux pays circonvoisins.
Les Réchabites mènent une vie très austère : ils ont de nombreux
troupeaux et ne boivent jamais de vin, si ce n'est à certains jours de
fête. (Elle donne quelques détails sur les Réchabites, moins étendus
toutefois que ceux qu'elle a donnés le 17 septembre de l'année
précédente, lorsque Jésus enseigna des gens de cette secte à Ephron,
dans le pays de Basan (tome II, page 252.) Ils tiennent fortement à la
lettre de la loi : Jésus leur donna des avis à ce sujet et enseigna sur
l'esprit et sur la lettre. Ils se montrèrent très humbles et prirent
tout en bonne part.
Ici aussi beaucoup de gens furent baptisés et guéris : ou amena à Jésus
un grand nombre de possédés qu'il délivra ; il y avait un hôpital plein
de possédés. Aucun apôtre n'était encore venu ici. Pierre, Jacques et
Jean opérèrent aussi des guérisons et enseignèrent.
Quelques païens vinrent trouver Jésus sur la limite de leur quartier et
lui témoignèrent de grands égards. Quelques-uns d'entre eux furent
baptisés et guéris. Jésus ne trouva pas ici de contradicteurs et il
travailla incroyablement. Il logea dans l'hôtellerie voisine de la
synagogue.
Nobé est une ville libre qui fait partie de la Décapole ; elle se
gouverne elle-même.
9 juillet. — Jésus est allé à cinq lieues au
sud-ouest de Nobé, à deux lieues à l'est de Bosra, et à trois quarts de
lieue environ de Selcha, qui est au pied de la chaîne de l'Hermon, dans
un charmant village de bergers, qu'on appelle le Camp de la paix de
Jacob, parce que c'est l'endroit où ce patriarche, poursuivi par Laban,
campa pour la première fois à son retour dans la terre promise. C'est
ici que commencent les montagnes de Galaad. (Gen. XXI,
25-26.) Les bergers qui habitent ce lieu descendent Éliézer, ce
serviteur d'Abraham qui alla chercher Rébécca pour son fils Isaac. Il y
avait aussi parmi eux des descendants de gens que Melchisédech avait
délivrés de l'esclavage où Sémiramis les retenait, et établis ici sur la
frontière : plus tard ils s'unirent par des mariages avec la postérité
Éliézer. Il y a ici trois belles fontaines, elles sont situées au pied
d'une agréable colline, tout autour de laquelle sont établies comme dans
un rempart couvert de verdure de jolies et fraîches habitations. Les
plus âgés et les plus considérables parmi les possesseurs de troupeaux
habitent près de cette colline, au haut de laquelle est un emplacement
destine à la prédication. De tous cotés on voit s'étendre au loin des
pâturages et des enclos remplis de chameaux, d'ânes et de montons.
Chaque espèce d'animaux est à part, et il y a des abreuvoirs près des
puits. Les bergers habitent sous des tentes dressées sur des fondements
solides, à quelque distance des fontaines. La plaine est couverte de
longues rangées de mûriers, mais ce qui offre surtout un charmant
aspect, c'est un chemin très long bordé de poteaux soutenant une plante
grimpante d'une végétation très riche, qui couvre souvent un espace de
deux cents pas et qui porte des fruits assez semblables à des courges.
Ce chemin va de la colline à Selcha et forme comme un berceau de verdure
à perte de vue. Les gens de l'endroit avaient célébré, peu de jours
auparavant, une fête commémorative de la délivrance de leurs ancêtres
réduits en esclavage par Sémiramis. Ils vont à Selcha pour assister à la
synagogue, et c'est de cette ville qu'on vient les instruire. Le village
des bergers est en grande estime dans le pays, on le considère comme une
fondation en mémoire de Jacob ; on y exerce largement l'hospitalité. Les
bergers ont l'obligation d'héberger et de traiter amicalement, moyennant
une modique redevance, les caravanes arabes et en général tous les
étrangers.
Jésus arriva vers midi avec les trois apôtres. Il s'arrêta devant le
village près d'une des trois fontaines. Les plus vieux d'entre les
bergers vinrent lui laver les pieds et lui apportèrent des fruits, du
miel et du pain. Ils savaient déjà qu'il viendrait, et or' avait amené
dans le tour bâtiment qui est adossé à la colline beaucoup de malades
que Jésus guérit et enseigna. Quatre cents bergers au moins s'étaient
rassemblés là avec leurs femmes et leurs enfants. Les femmes portaient
des robes beaucoup plus courtes que celles qu'on porte ailleurs dans la
Terre promise. Jésus les enseigna près de la colline, il fut très
affable et très cordial avec eux. et il leur remit en mémoire le passage
des trois rois qui avaient fait une halte ici trente-deux ans
auparavant. Il y avait la beaucoup de gens qui s'en souvenaient. Il
parla de l'étoile de Jacob, prophétisée par Balaam, et de l'enfant
nouveau-né que ces sages rois étaient allés visiter. Il parla de
l'accomplissement des prophéties, de Jean le Précurseur, de son
enseignement et de son témoignage et dit que le Messie promis, le
consolateur et le Sauveur était présent au milieu des Israélites, mais
qu'ils ne le reconnaissaient pas. Il leur raconta des paraboles touchant
le bon Pasteur, les semailles et la moisson, car on faisait alors dans
ce pays la récolte des fruits et celle du froment, qui a ici de très
gros épis. Le Seigneur fut singulièrement affable et affectueux avec eux
: en leur Parlant, il les appelait toujours : " mes chers enfants ".
Il vint encore dix disciples envoyés à Jésus par les autres apôtres. Ils
arrivèrent deux par deux : c'étaient toujours un ancien (le plus souvent
ayant été disciple de Jean) et un nouveau. Les frères de Marie de
Cléophas, neveux de la sainte Vierge, Jacob, Sadoch et Éliacim étaient
de ce nombre. Ils venaient de la part des apôtres et des disciples
détachés pour s'entendre sur le lieu où ils se réuniraient. Le Seigneur
logea avec eux dans une maison située au pied de la colline.
10 juillet. — Ce matin, Jésus est encore allé
visiter diverses cabanes de bergers, et il a nonne des enseignements et
des consolations. Il a raconté ici ce qui est arrive aux bergers de
Bethléem, comment ils ont vu l'enfant avant les rois et comment les
anges le leur ont annoncé. Les gens de l'endroit ont pris Jésus en
grande affection. Beaucoup voulaient tout quitter et le suivre afin de
l'entendre toujours, mais il les a exhortés à rester et à observer ses
enseignements. Les bergers d'ici portent attaches autour du corps des
paquets de laine fine qu'ils filent en gardant leurs troupeaux.
Vers midi des habitants de Selcha. qui est à peu près a une petite lieue
au nord, vinrent inviter Jésus à visiter leur ville. Il y alla avec les
disciples et fut solennellement reçu devant la porte par les maîtres
d'école et leurs élèves. Ceux qui étaient venus le chercher, lui avaient
demandé s'il pouvait donner le baptême de Jean, car dans ce pays on a
une haute opinion du Précurseur. Jésus les enseigna touchant le
témoignage rendu par Jean, etc. Il y eut beaucoup de baptêmes et de
guérisons ; les enfants furent bénis. Jésus enseigna dans la synagogue.
Des païens vinrent aussi le trouver, implorant ses consolations et son
assistance : ils sont ici en rapports assez intimes avec les Juifs et
ils ont des temples. La ville est tout en longueur : il y a deux rues.
11 juillet.-- Jésus, accompagné des siens, a
quitté Selcha avant midi ; il est allé à une lieue et demie à l'ouest,
par un chemin qu'on appelle la route de David et qui se dirige à l'ouest
vers le Jourdain, en suivant toujours les sinuosités des vallées. Ils
firent une lieue et demie à l'ouest sur ce chemin, après quoi ils
tournèrent au midi et prirent une grande route militaire qui conduit à
un petit endroit dont le nom actuel est Thantia : ils avaient encore
environ cinq lieues à faire jusque-là, et ils arrivèrent pour le sabbat.
Jésus était allé quelque temps avec eux sur la route de David pour la
leur montrer et leur en dire quelque chose. Cette route est un
enfoncement, une espèce de chemin creux qui parfois est rempli d'eau.
Elle descend entre des montagnes le long d'une vallée solitaire ; sur
l'un des côtés se trouve un sentier pour les chameaux : on rencontre par
intervalles des emplacements disposés pour leur donner la pâture ; il
s'y trouve des anneaux pour les attacher et des auges. Lorsqu'Abraham
vint dans le pays, il vit sur ce chemin un point lumineux et il y eut
une vision que j'ai oubliée. Lorsque David, par le conseil de Jonathas,
eut conduit ses parents dans le pays de Maspha (1.
Rey., XXII), il resta caché dans cette gorge avec trois cents
hommes, et c'est pourquoi elle a reçu le nom de route de David. Il eut
ici une vision de l'avenir. Il vit un cortège lumineux, le cortège des
trois Rois, et il entendit des chants qui semblaient venir du ciel et
qui célébraient le consolateur promis à Israël. C'est encore ici qu'il
composa en partie l'un de ses Psaumes, j'ai oublié lequel. Malachie
aussi, après un combat, suivit une lumière qui le conduisit ici et il
s'y cacha. De même les trois Rois, se laissant conduire par leurs
chameaux, descendirent de la contrée de Selcha dans ce chemin où
l'étoile leur apparut avec un éclat particulier et où ils firent
entendre des chants mélodieux: ensuite, suivant la rive du Jourdain,
ils le passèrent vis-à-vis Coréeh, et se rendirent à Jérusalem par le
désert d'Anathoth : ils entrèrent par la porte où passa Marie venant de
Bethléhem pour la présentation au temple.
A Thantia, Jésus alla aussitôt à la synagogue. L'instruction traita de
Balaam, de l'étoile de Jacob, du prophète Michée et de Bethléhem Ephrata.
(Numer., XXII, 2 ; XXV, 10. Mich. V, 7 ; VI, 9.)
12 juillet. — Thantia parait être une vieille
ville et comme une ancienne place forte. Il y a encore de vieilles tours
et quelques arcades ; elle est grande et peu habitée. Il y a d'ici sept
bonnes lieues jusqu'à Ramoth-galaad, qui est au sud-ouest. Je crois que
la ville a eu un autre nom que celui qu'elle a maintenant, à l'époque de
Jésus Il y passe une grande route militaire allant à Bosra et plus loin
: les habitants vivent principalement de ce qu'ils gagnent avec les
caravanes, dont ils reçoivent les marchandises en dépôt pour les envoyer
dans d'autres directions.
Jésus ne trouva pas de contradicteurs : il guérit dans les maisons
beaucoup de Malades, parmi lesquels plusieurs que les disciples venus
antérieurement n'avaient pas pu guérir. Il n'y avait ici rien d'organisé
pour l'assistance des malades et des pauvres : les disciples avaient
déjà donné quelques règles à ce sujet, et Jésus mit tout à fait les
choses en état. Aujourd'hui aussi le baptême fut donné par les disciples
à un très grand nombre de personnes que Jésus prépara. Jésus enseigna
sur l'étoile de Jacob, sur la prophétie de Michée touchant Béthléhem,
sur le voyage des trois Rois, et il montra clairement que tout cela
s'appliquait à lui.
Les habitants et leurs rabbins étaient très pieux : on avait ici et dans
d'autres endroits du pays la coutume de faire sur la route de David des
pèlerinages accompagnés de jeûnes et de prières pour implorer la venue
du Messie. Appuyés sur les anciennes traditions, ils espéraient avoir là
des visions, des apparitions du Messie : c'était de là, croyaient-ils,
qu'il viendrait les visiter. Pendant que Jésus enseignait, ils disaient
souvent : " il parle comme si c'était lui, pourtant ce n'est pas
possible ". Car ils s'imaginaient que le Messie devait arriver invisible
dans Israël, à la façon d'un ange, et ils pensaient que Jésus devait
être quelque chose comme son précurseur, celui qui l'annonçait. Ils se
faisaient aussi du Messie une idée comme celle qu'ils avaient de
Melchisédech sur lequel ils savaient beaucoup de choses, et du prophète
Malachie. Jésus leur dit qu'ils reconnaîtraient peut-être le Messie
quand il serait trop tard. Je vis que beaucoup d'entre eux se réunirent
à la communauté chrétienne avant et après le crucifiement.
13 juillet. — De Thantia Jésus alla a quatre
lieues à l'est à peu près, dans une ville placée sur une montagne qui
avait été une forteresse pendant la guerre des Macchabées (1.
Maccab., V, 9). Près de là est la montagne où
la fille de Jephté était allée pleurer avec ses douze compagnes. Sur
cette montagne avaient aussi résidé des prophètes ou des ermites, des
gens comme les Esséniens : j'ai vu cela alors pour la première fois. Il
y a encore des restes de jardins et d'habitations. Balaam aussi résida
sur cette montagne : mais s'étant rendu coupable de mensonge, il ne put
plus y remonter ; au commencement, il n'y avait rien de mauvais en lui,
c'était même un saint homme, mais il tomba. Les disciples qui étaient
venus le mercredi trouver Jésus à Selcha sont repartis hier soir après
le sabbat.
Aujourd'hui Jésus alla sur la montagne voisine de Datheman avant
d'entrer dans la ville même. Il y fit une instruction devant quelques
centaines de personnes. Sur cette montagne il y a encore des murs en
ruines et quelques tours, comme des vigies. Le pays est un haut plateau
sur lequel s'élève la montagne. Vers l'orient, dans la direction de
l'Arabie, on peut voir la route qui conduit à Bosra, à Césarée de
Phillipe et à Damas. Du côté de l'ouest, la vue s'étend jusqu'au delà du
Jourdain.
Balaam menait sur cette montagne une vie solitaire et contemplative
lorsque le roi des Moabites le fit venir. Balaam était d'illustre
origine, il appartenait à une famille très riche. Dès sa jeunesse, il
avait eu l'esprit de prophétie : il se trouvait en rapport avec ces
peuples qui avaient les yeux tournés vers l'étoile prédite et parmi
lesquels étaient les ancêtres des trois rois mages. Ce n'était ni un
magicien, ni un scélérat : comme tous les hommes éclairés chez les
autres peuples, il n'adorait que le vrai Dieu, mais le culte qu'il lui
rendait était imparfait et mélangé. Il s'éloigna de bonne heure de ses
compatriotes ; pour se retirer dans la solitude sur les montagnes, et il
fit particulièrement son séjour sur la montagne en question ; je crois
qu'il avait là avec lui d'autres prophètes ou des disciples. Lorsqu'il
revint d'auprès de Balac, il voulut y remonter, mais une force divine
l'en empêcha. L'odieux conseil qu'il avait donné aux Moabites l'avait
fait tomber profondément et perdre entièrement la grâce : il erra tout
troublé dans le désert où il perdit la vie, je ne sais plus comment.
J'ai vu beaucoup de choses qui le concernaient.
Lorsque la fille de Jephté se retira sur cette montagne ; il y avait
déjà des jardins et des habitations, et des prophètes ou des anachorètes
y résidaient. La fille de Jephté n'était pas une pure juive, son père et
elle avaient un mélange de sang païen. Lorsque Jésus enseigna sur cette
hauteur, il s'y trouvait de très beaux jardins, une belle chaire, un
puits d'excellente eau et quelques vieilles tours. Le soir Jésus alla à
Datheman, qui est à peu près à une lieue au sud-ouest. La ville est
grande, mais en partie détruite : c'était une forteresse. Je crois qu'à
une autre époque, des Juifs s'y étaient enfermés, que Judas Macchabée
les délivra et fit à cette occasion un grand carnage de leurs ennemis.
Les gens de ce pays parlent sans cesse de la sainteté de la roule de
David : ils disaient à Jésus qu'ils ne voudraient pas habiter le pays
d'au delà du Jourdain, où l'on ne pouvait pas parler de ce qui avait été
vu d'avance et de ce qui était arrivé sur la route de David. Ils
citaient aussi tout ce qu'on disait de merveilleux touchant le cortège
de ces quinze personnages d'élite conduits par leurs trois chefs, qui
avaient passé par là trente-deux ans auparavant. s'enquérant
continuellement du roi nouveau-né : ils ajoutaient que c'était une
tradition parmi les gens pieux que David avait vu par avance ce cortège.
Ici aussi Jésus enseigna sur Balaam sur l'étoile de Jacob et sur la
fille de Jephté.
È
CHAPITRE SEPTIÈME
Jésus à Bethabara
Jésus à
Bethabara. - bénédiction des enfants. - Guérison de lépreux, Jésus se
réunit aux apôtres dans le voisinage de Madian et va de là à Jéricho. -
Jésus à Jéricho. - Zachée. - Jésus à Samarie. - à Béthanie. Résurrection
de Lazare. Jésus à Jérusalem.
29 juillet l820.
— Jésus est avec quelques apôtres sur le chemin de Bethabara. Ce bourg
n'est pas grand : il a pourtant une école. Il est situé à peu de
distance du lieu où les Israélites passèrent le Jourdain sous Josué, et
vis-à-vis de la fontaine baptismale où Jésus fut baptisé par Jean ;
c'est encore là que Gédéon mit les Ephraimites en embuscade pour couper
la retraite aux Madianites. Il y a tout près un autre endroit qui est au
bord même du Jourdain et dont le nom ressemble à Bhetania.
Une foule considérable s'était rassemblée ici : il s'y trouvait des gens
malades d'autres qui ne l'étaient pas et spécialement beaucoup d'amis de
Jésus. Dix des saintes femmes y étaient aussi : cinq qui suivaient
habituellement le Sauveur, savoir : Marthe, Madeleine, leur servante
Marcelle, Marie Salomé et Marie de Cléophas ; et cinq autres parmi
lesquelles je reconnus avec plaisir la femme de Jérusalem qu'on appelle
communément Véronique, car je l'aime beaucoup et je suis toujours
contente de la voir. Elle est grande, belle et forte comme Judith. Je
vis aussi Marie, mère de Jean Marc, chez laquelle Jésus va souvent quand
il est à Jérusalem. (Les trois autres étaient vraisemblablement Jeanne
Chusa, Suzanne et Salomé de Jérusalem.) Ces cinq dernières femmes, de
même que Nicodème, tenaient plus secrètes leurs relations avec Jésus ;
elles ne se montraient pas en public à sa suite comme les autres qui lui
préparaient des logements sur toutes les routes et lui rendaient tous
les services qui sont du ressort des femmes. Celles-ci se tenaient le
plus souvent renfermées dans l'intérieur des hôtelleries et ne se
montraient pas autant au dehors. Cependant elles s'occupaient aussi de
tous les arrangements à prendre, spécialement Véronique, qui pourvoyait
ici à tout ce qui était nécessaire aux femmes, tandis que Marthe se
chargeait de ce qui concernait le Seigneur, les disciples et les
pauvres. Je ne vis d'abord que trois apôtres près de Jésus. La bourgade
pouvait à peine contenir la foule qui s'y pressait ; beaucoup de gens
étaient établis sous des hangars, d'autres sous de grands arbres. Il y
avait des malades de toute espèce. Lorsque Jésus vint à l'hôtellerie de
Bethabara, il donna à ses compagnons des enseignements touchant le
divorce Ceux-ci dirent que s'il en était ainsi, il n'était pas
avantageux de se marier, à quoi Jésus leur répondit ce qui se trouve
dans saint Matthieu et dans saint Marc (X, 10 etc.)
Jésus guérit beaucoup de malades. Je vis des paralytiques et des gens
perclus jeter leurs béquilles ; je vis aussi certains possédés sourds et
muets dont il me fut dit qu'ils étaient de ceux dont le coeur était
complètement fermé à l'enseignement divin. Je vis guérir un homme qui
avait la main desséchée et aussi plusieurs aveugles. Il y avait ici des
espions des Pharisiens qui observaient tout ce que faisait Jésus.
Quelques disciples de Jérusalem étaient venus avec les femmes, car
celles-ci n'allaient jamais tout à fait seules. Jésus continua à
enseigner sur le divorce en présence des disciples. Je vis plus tard
cinq apôtres auprès de lui ; je crois que le quatrième était Matthieu ;
le cinquième ne me semble pas être proprement un apôtre ; cependant il
est dans des rapports tout à fait intimes avec Jésus, tantôt il est près
de lui, tantôt il est absent. (C'était peut-être Saturnin).
Jésus fit ici une infinité de choses et il travailla sans relâche,
toujours grave, doux, calme et pénétré d'une - tristesse secrète,
singulièrement touchante. Il enseignait quelquefois dans la rue,
d'autres fois on le tirait par ses habits pour le faire entrer dans une
maison. Il raconta plusieurs paraboles ; il instruisit les habiles et
les simples. Aux premiers il disait qu'ils devaient se montrer
reconnaissants envers Dieu en mettant à son service tout ce qu'il leur
avait donné, ainsi qu'il le faisait lui-même. Il fit ici beaucoup de
choses dont il n'est pas parlé dans l'Évangile. Il se tint aussi dans la
maison près des saintes femmes. Marie, sa mère, était à Jérusalem. dans
une maison assez voisine de celle de Nicodème.
Je vis beaucoup de mères arriver comme en procession avec des troupes
d'enfants; il y en avait de tout âge, et jusqu'à des nourrissons
qu'elles portaient dans leurs bras.
Elles venaient par une large rue du bourg, et lorsque Jésus, tournant un
angle, entra dans cette rue, les disciples qui le précédaient voulurent,
à cause du travail incessant auquel il se livrait, renvoyer sans
miséricorde les femmes et les enfants, car il en avait déjà béni un
grand nombre. Mais Jésus s'y opposa, et alors on les rangea en bon
ordre. D'un côté du chemin se tenaient, les unes derrière les autres,
cinq longues rangées d'enfants, d'âge et de sexe différents ; toutefois
les garçons étaient séparés des petites filles. Celles-ci étaient
beaucoup plus nombreuses. Les mères avec leurs nourrissons sur les bras
étaient debout derrière le cinquième rang De l'autre côté du chemin se
tenaient beaucoup d'autres personnes qui se portaient successivement en
avant Le Seigneur passa le long du premier rang d'enfants, leur imposa
les mains et les bénit. A quelques-uns il mettait la main sur la tête, à
d'autres sur la poitrine ; il en serra quelques-uns contre son sein. Il
y en eut qu'il montra aux autres comme modèles : il semblait tour à tour
instruire, exhorter, encourager, bénir. Quand il fut à l'extrémité du
premier rang des enfants, il remonta l'autre côté de la rue le long des
grandes personnes, auxquelles il donna des avis et des enseignements,
leur montrant aussi quelques-uns des enfants. Ensuite il redescendit le
long du second rang des enfants, et repassa devant d'autres adultes qui
s'étaient placés à leur tour en première ligne. Il continua ainsi
jusqu'à ce qu'il eut donné même aux nourrissons des marques de sa
charité. Il me fut dit que tous les enfants qu'il avait bénis avaient
reçus par là une grâce intérieure, et que plus tard ils étaient devenus
chrétiens. Il vint bien ici un millier d'enfants à Jésus, car je crois
qu'ils continuèrent à affluer pendant quelques jours.
Ce fut pendant que Jésus bénissait les enfants qu'il donna à un jeune
homme la leçon dont il est parlé dans saint Matthieu (XIX, 16-26). Ce
jeune homme était sorti des rangs de la foule qui se tenait en face des
enfants. Pendant cette bénédiction des enfants, plusieurs autres
personnes sortirent aussi des rangs pour lui adresser la parole.
Lorsque le Seigneur parla à Pierre de la résurrection
(Matth., XIX, 28), il y avait encore là des espions des
Pharisiens qui s'étonnèrent et murmurèrent.
Ce fut vers le soir que le Seigneur alla à la maison ; les femmes
avaient préparé le repas. On mangea debout et en se promenant de long en
large. Le Seigneur ne cessa pas d'enseigner. Il y avait, outre les
boissons, des petits pains, des fruits et des rayons de miel. Le
Seigneur alla plusieurs fois dans le vestibule où étaient les femmes ;
je vis là Marie Salomé s'avancer vers lui avec ses fils, Jacques et
Jean, et le prier de les faire asseoir à ses côtés. Ce fut plus tard,
quand tous furent réunis, que les dix autres s'indignèrent à ce sujet.
Les femmes de Jérusalem parmi lesquelles était Véronique, repassèrent le
Jourdain dans la soirée pour retourner chez elles. Marthe et Madeleine,
avec leur suite, ne partirent que le lendemain matin pour Béthanie.
Je vis que plusieurs des gens chargés de faire des rapports aux
Pharisiens restèrent et se convertirent ; beaucoup d'autres qui étaient
partis pleins d'irritation, pour Jérusalem, changèrent de sentiments sur
la route et devinrent plus tard partisans de Jésus. Comme Jésus s'était
éloigné de quelques personnes qui s'empressaient autour de lui, les
siens lui en demandèrent la raison, et il leur répondit que ces gens
n'étaient poussés que par une vaine curiosité.
30 juin. — Aujourd'hui j'ai vu le Seigneur
dans la soirée qui suivit le repas, partir sans bruit de Bethabara avec
les cinq apôtres et se diriger vers le levant. Ils arrivèrent près d'une
grande maison dans le voisinage de laquelle il y en avait de plus
petites. Alors des gens qui se tenaient sur le chemin appelèrent Jésus
pour qu'il entrât dans cette maison où se trouvaient dix lépreux. Les
apôtres craignant de communiquer avec ces lépreux, firent un détour, et
se dirigeant vers le midi, allèrent se reposer sous un arbre pour y
attendre Jésus. Les gens qui avaient appelé Jésus s'étaient placés là
d'avance pour l'implorer lorsqu'il passerait. Les lépreux étaient
couchés dans une partie retirée de la maison : ils étaient enveloppés de
linges et tout couverte de croûtes. Jésus leur ordonna quelque chose et
il me sembla qu'il en touchait un ; ensuite il les quitta. Je vis deux
hommes les conduire l'un après l'autre à un petit étang, large d'environ
douze pieds, situé dans le voisinage de la maison, et les faire entrer
dans deux grandes auges qui se trouvaient là. Il y avait dans le mur, à
droite et à gauche, des tuyaux d'où l'on pouvait faire jaillir de l'eau
sur eux. Ils furent ainsi lavés et je crois qu'il y avait dans le
voisinage des prêtres près desquels ils se rendirent.
Le Seigneur passa encore par un autre bâtiment voisin du premier. Il
avait une cour carrée ayant sur deux de ses côtés des galeries couvertes
; sous l'une d'elles étaient couchés des hommes infirmes et contrefaits
; sous l'autre des femmes malades. Il y avait dans le sol des
excavations régulières pour placer les couches des malades. Au milieu de
la cour, un passage couvert qui la coupait parallèlement aux galeries
conduisait à une pièce où l'on faisait la cuisine et la lessive. Outre
ce passage et les galeries où gisaient les malades, il y avait des
pelouses en plein air coupées par des sentiers à l'usage des malades. Je
vis quelques hommes avec des robes courtes allant jusqu'aux genoux et de
larges ceintures ; ils étaient employés au service des malades ; je vis
aussi des femmes enveloppées dans de longs voiles, qui prenaient soin
des personnes de leur sexe. Jésus opéra ici plusieurs guérisons, et
lorsqu'il sortit, je vis sur le chemin un des lépreux qu'il avait
guéris, le suivre en célébrant ses louanges à haute voix. Il se retourna
et cet homme se prosterna la face contre terre : alors Jésus dit
quelques mots et continua son chemin. Près des maisons voisines, se
tenaient beaucoup de femmes avec des enfants qu'il bénit comme ceux de
Bethabara, en sorte qu'il était déjà nuit lorsqu'il s'éloigna.
Les cinq apôtres qui avaient pris les devants l'attendaient sous un
arbre. Je crois que Jésus se reposera quelque temps avec eux, et
qu'ensuite ils se dirigeront au midi en faisant un coude du côté d'un
endroit dont les habitants ne valent rien. Je vois cela dans la volonté
du Seigneur Jésus.
31 juillet et 1er août. — Dans la nuit de
dimanche lundi, j'ai vu que Jésus avait rejoint les cinq apôtres sous un
arbre et se reposait près d'eux. Je vis bien distinctement. Matthieu, et
en outre Pierre, Jacques et Jean. Ce matin ils marchèrent vers l'endroit
où j'avais deviné qu'ils iraient. Machérunte, la forteresse où Je ;m a
été décapité, se trouvait à leur droite Ils eurent à traverser un petit
torrent très rapide qui leur barrait le passage. J'avais le sentiment
que l'endroit dont ils approchaient était habité par de méchantes gens,
généralement païens ; il y avait pourtant quelques juifs parmi eux. Ils
arrivèrent d'abord à un bourg où s'élevait un grand édifice à toit plat,
assez semblable à une synagogue, avec quelques maisons et quelques
échoppes à l'entour. Quatre apôtres et plusieurs disciples les
attendaient là avec quelques autres personnes venues à leur suite Tout
ce monde vint à eux, témoignant une grande joie. Neuf des apôtres sont
maintenant réunis Ils` racontent tout ce qu'ils ont fait an nom de
Jésus.
A une lieue de là se trouve une plus grande ville dans laquelle le
Seigneur n'entra pas. Les gens qui l'habitent sont trop mauvais, ils
observent d'un air défiant, ils ne savent pas ce que signifie la réunion
de tant de personnes dans la petite bourgade juive. Cependant quelques
apôtres et quelques disciples s'entretiennent avec des habitants de la
ville près du grand pont qui la précède.
C'est Madian : ce sont des Madianites qui habitent là. Moïse a gardé les
troupeaux chez eux et femme était fille d'un prêtre de ce temple.
Le Seigneur fait peu de chose ici il se borne à enseigner. Ils se
reposent tous, car ils ont rudement travaillé.
2 août. — Ce soir ils se remettent en route.
Ils reviennent vers le Jourdain en passant par une petite ville. Ils
contourneront Bethabara où le Seigneur a eu tant à faire.
Les apôtres et les disciples revenus de leur mission ont raconté tout au
long ce qu'ils ont fait, et Jésus leur a donné des instructions à ce
sujet. C'est pour cela qu'il a voulu faire cette longue course, afin de
pouvoir conférer librement avec eux pendant un certain temps, et aussi
pour laisser à la rage des Pharisiens le temps de se calmer. Je le vis
passer la nuit avec ses compagnons sous des hangars de bergers. Ces
bergers étaient très bienveillants ; ils ne mirent pas leurs troupeaux
sous les hangars, et eux-mêmes cédèrent la place ; ils apportèrent aussi
du miel pour la nourriture des voyageurs. Les apôtres et les disciples
dormirent, mais le Seigneur instruisit les bergers en leur racontant des
paraboles. Plus tard il prit, lui aussi, un peu de sommeil.
C'est ici, sur le chemin. que Jésus parla du rang que la mère des fils
de Zébédée avait demandé pour ses enfants, car les derniers arrivés
parmi les disciples s'étaient indignés de cette prétention lorsqu'ils en
avaient entendu parler. Barthélemy Al Judas n'étaient pas encore de
retour' et j'ai quelque idée que Jésus leur répéta ici qu'il y avait un
traître parmi eux.
3 août. — Lorsqu'ils partirent, quelques-uns des
bergers les accompagnèrent, laissant leurs troupeaux à la garde de leurs
compagnons. J'ai oublié beaucoup de choses, mais je les vis tous dans un
lieu plus rapproché du Jourdain, entrer dans une maison qui appartenait
à une famille de bergers et y passer la nuit. Le Seigneur y raconta
plusieurs paraboles. Je me rappelle aussi ces paroles : " Ceux qui se
disent chastes, mais qui mangent et boivent tout ce qui leur fait envie,
font comme s'ils voulaient éteindre un grand feu en y jetant du bois sec
".
Parmi plusieurs disciples qui vinrent ici trouver Jésus, je m'en
rappelle un qui plus tard alla à Marseille avec Madeleine. Ils se
dirigent vers une petite ville peu éloignée, où les trois apôtres qui
manquent et les autres disciples doivent les rejoindre.
4-5 août. — Je vis Jésus sortir de la maison
des bergers avec les neuf apôtres, plusieurs disciples et d'autres
personnes, et se diriger vers une petite ville plus rapprochée du
Jourdain. Je vis beaucoup de gens, parmi lesquels nombre de malades et
d'estropiés, se rendre à cette ville, car les trois derniers apôtres,
Barthélemy, Judas et un autre encore l'attendaient là avec plusieurs
disciples, et ils avaient déjà commencé à guérir et à enseigner. Je vis
aussi de cet endroit le Seigneur paraître dans le lointain : c'était
comme si l'on eût vu arriver une procession. Il marche tantôt en avant,
tantôt au milieu des siens ; souvent il s'arrête et ils se rapprochent
de lui, mais sans jamais se presser en foule.
Le soir je vis Jésus arriver à la petite ville. Judas ne guérissait pas,
mais il était fort affairé : il amenait des malades, il les assistait,
il donnait des ordres, il distribuait de l'argent. Jésus entra dans une
maison de la ville. Je vis ici des Pharisiens : deux d'entre eux vinrent
trouver le Seigneur et lui adressèrent des questions. Il y avait aussi
des femmes affligées de différents maux. J'en vis une prier le Seigneur
de guérir sa fille qui était couverte d'ulcères. Le Seigneur voulait lui
envoyer un disciple, mais elle insista pour qu'il vint lui-même. Alors
Jésus n'y alla pas, n'envoya pas non plus de disciple et ne guérit pas
la malade. Il enseigna ici dans la synagogue à l'occasion du sabbat et
guérit à l'entrée une femme toute courbée. Les Pharisiens réclamèrent
vivement à ce sujet et reproduisirent leurs invectives contre les
guérisons faites le jour du sabbat.
8 août. — Je vis le Seigneur enseigner à
diverses reprises dans la petite ville. Les Pharisiens voulaient l'en
empêcher. Ils se tenaient devant la synagogue et ne voulaient pas l'y
laisser entrer, mais il se fraya un passage au milieu d'eux, enseigna et
raconta plusieurs paraboles.
Personne ici ne lui avait offert l'hospitalité : ce ne fut que le soir
du dernier jour qu'un homme l'invita à entrer dans sa maison et l'y
hébergea ainsi que les apôtres et plusieurs disciples ; il fit pour tous
de petites couronnes de laine qu'il leur mit sur la tête pendant le
repas. Mais il n'agissait pas de bonne foi : c'était un adhèrent secret
des Pharisiens qui espionnaient Jésus. Il fit tout pour le mieux quant à
l'extérieur, mais ce n'était pas un motif de charité.
Pour la nuit on leur arrangea des couches avec des nattes posées les
unes contre les autres et des tresses de paille en guise d'oreillers,
parce qu'il n'y avait pas assez de lits pour tous. Leur hôte ne suivit
pas le Seigneur : il vint plus tard le voir à Samarie.
9 août. — Lorsqu'ils quittèrent la petite
ville, le Seigneur leur raconta des paraboles relatives à l'hospitalité,
et parla des dispositions intérieures de leur hôte de la veille. Ils se
dirigèrent vers Jéricho en faisant des détours à travers une contrée
déserte. Les apôtres et les disciples firent encore des récits de ce
qu'ils avaient fait, et plus d'une fois avec un sentiment
d'amour-propre. Alors Jésus les réprimanda comme il l'avait fait dans
une autre occasion lorsqu'il avait dit : " Je voyais le démon tomber du
ciel comme un éclair ". Cela les effraya.
Jésus raconta en route une parabole que malheureusement j'ai oubliée.
Elle avait trait à la conduite future des douze apôtres. Il dit qu'ils
lui étaient attachés maintenant parce qu'ils étaient bien traités. Ils
ne comprirent pas cela, mais il voulait dire qu'ils vivaient en paix et
recevaient de beaux enseignements ; quand la tribulation viendrait,
disait-il, ils se comporteraient tout autrement, et il ajouta que ceux
qui portaient comme un manteau d'amour pour lui, le laisseraient tomber
et s'enfuiraient dépouillés. Je vis que cela faisait allusion à ce qui
arriva à Jean dans le jardin de Gethsémani.
Un peu avant d'arriver à Jéricho, il fut rejoint par cette femme du
petit endroit situé de l'autre côté du Jourdain dont il n'avait pas
accueilli la demande lorsqu'elle l'avait prié de guérir sa fille
couverte d'ulcères. Elle pria Jésus de venir maintenant à son aide, car
? disait-elle, elle avait renoncé a tout ce qu'il avait prescrit de
quitter. Mais le Seigneur s'y refusa de nouveau : il lui dit que son
enfant avait été conçu dans le péché, et il lui reprocha une faute
qu'elle commettait habituellement depuis plusieurs années. Cela ne
semblait pas chose de grande importance, mais elle ne devait pas revenir
qu'elle ne fut convertie a cet égard. Alors je vis cette femme passer
devant les apôtres et les disciples et prendre le chemin de Jéricho.
10 août. — A quelque distance de Jéricho, quatre
Pharisiens qui étaient de ceux qu'on avait envoyés de Jérusalem, vinrent
engager Jésus à ne pas aller plus loin, parce qu'Hérode, disaient-ils,
en voulait à sa vie. Ils firent cette démarche parce qu'ils le
craignaient, car ils avaient beaucoup entendu parler de ses nombreux
miracles. Jésus leur répondit qu'ils devaient dire de sa part a ce
renard d'Hérode : "J'ai encore à chasser les démons et à guérir les
malades aujourd'hui et le jour suivant ; ce n'est que le troisième jour
que viendra la consommation". (Luc, XIII, 31-35). Il m'a été dit que
deux de ces Pharisiens se convertirent et s'attachèrent à Jésus tandis
que les deux autres s'en retournèrent furieux à Jérusalem. Dans une
occasion précédente, il y eut un Pharisien qui resta près de lui.
Comme Jésus s'approchait de Jéricho, il vint à lui de cette ville deux
frères qui ne pouvaient pas se mettre d'accord au sujet de leur héritage
: l'un voulait rester, l'autre voulait s'en aller. Là-dessus l'un d'eux
se mit en tête de faire accommoder leur différend par ce Jésus dont on
parlait tant : et ils étaient allés au-devant de lui. Mais il les
renvoya, disant que ce n'était pas son affaire : sur quoi Jean lui ayant
représenté que c'était pourtant une bonne oeuvre à faire et Pierre ayant
parlé dans le même sens, il répondit qu'il n'était pas venu pour
partager les biens de la terre mais ceux du ciel, et il fit à ce sujet
une longue exhortation devant une foule nombreuse qui s'était assemblée
autour de lui. Toutefois les disciples ne le comprirent pas bien, car
ils n'avaient pas encore reçu le
Saint Esprit et ils étaient toujours dans l'attente d'un royaume
terrestre.
Beaucoup de femmes avec des enfants vinrent encore à la rencontre de
Jésus, demandant sa bénédiction. Les disciples que les récentes menaces
des Pharisiens avaient rendus très timides à l'égard de tout ce qui
pouvait attirer l'attention, essayèrent de les éloigner, car ils étaient
chargés de maintenir l'ordre. Mais Jésus ordonna de laisser venir les
enfants et dit aux disciples qu'ils avaient besoin d'être bénis afin de
devenir aussi ses disciples. Il bénit alors beaucoup de nourrissons et
aussi des enfants de dix à onze ans. Il y en avait de plus jeunes encore
que Jésus ne bénit pas et je ne sus pas pourquoi. Ceux qui avaient reçu
sa bénédiction et plusieurs autres qui ne l'avaient pas reçue se
retirèrent. Quelques-uns parmi ces derniers attendirent une autre
occasion.
11-21 août. — Près de la ville de Jéricho,
dans un endroit où il y a un mélange de jardins, de lieux de plaisance
et de maisons, le Seigneur et sa suite se trouvaient en présence d'une
foule très compacte. Il y avait là une quantité de gens accourus des
contrées environnantes. Ces gens l'entouraient de tous côtés ainsi que
beaucoup de malades qui l'attendaient, couchés sous des hangars et des
tentes.
Zachée, un chef des publicains, qui demeurait hors de la ville, était
accouru dans cet endroit où le Seigneur devait passer : mais comme il
était petit, il monta sur un figuier pour pouvoir voir Jésus dans la
foule. Quand le Seigneur fut arrivé là, il regarda sur l'arbre et dit :
" Zachée, descendez vite, car je dois aujourd'hui loger dans votre
maison ". Zachée descendit en toute hâte, il s'inclina humblement avec
un sentiment d'émotion profonde et se rendit dans sa maison pour tout
préparer. Ce que Jésus lui dit, qu'il devait entrer ce jour-là dans sa
maison, se rapportait à la maison de son coeur dont il faisait dès lors
sa demeure, car ce fut à Jéricho même. et non chez lui, que le Seigneur
entra aujourd'hui...
Ici devant la porte il n'y avait pas d'habitants de la ville, ils se
tenaient renfermés dans leurs maisons à cause des Pharisiens. Il n'était
guère venu que des étrangers qui imploraient l'assistance de Jésus. Il
guérit un aveugle et un sourd-muet que je me rappelle parmi beaucoup
d'autres. Quelques-uns furent éconduits. Il bénit encore des enfants,
spécialement des enfants à la mamelle. Et dit aux disciples qu'il
fallait ainsi accoutumer les gens à mettre leurs enfants en rapport avec
lui dès l'âge le plus tendre, et que tous ceux qu'il aurait bénis
s'attacheraient à lui plus tard.
Dans la foule qui était devant la ville, se trouvait une femme affligée
de pertes de sang que je voyais venir depuis quelques jours avec la
ferme résolution d'obtenir de Jésus sa guérison, mais elle n'arriva pas
jusqu'à lui aujourd'hui. Elle aura probablement à attendre encore
longtemps, car j'ai entendu Jésus dire aux disciples que quiconque ne
demande pas avec persévérance, n'a pas une volonté sérieuse ni une foi
véritable.
Comme le sabbat allait s'ouvrir, il entra avec les siens dans la ville
pour se rendre à la synagogue. Je le vis ensuite dans une hôtellerie j
il était avec les apôtres dans une salle à manger ouverte : les
disciples mangeaient dans les galeries extérieures. Le repas se
composait de petits pains, de miel et de fruits : ils mangèrent debout
et Jésus ne cessa pas d'enseigner et de raconter. Les apôtres avaient un
verre pour trois. Le Seigneur en avait un pour lui seul. La femme dont
il avait rejeté la requête au delà du Jourdain et une seconde fois sur
la route, vint encore le trouver ici. Il l'éconduisit encore, parce
qu'elle jouait un double jeu. Elle s'était adressée aux Pharisiens de
Jéricho pour savoir ce qu'on disait de Jésus à Jérusalem, et elle avait
tenu toute sorte de propos indiscrets. Il lui fallut donc encore
attendre.
Zachée vint trouver Jésus ici. Les disciples avaient déjà murmuré de ce
qu'il frayait avec ce publicain décrié et de ce qu'il voulait même aller
loger chez lui ; car quoique le Seigneur eût déjà plus d'une fois
combattu leurs préjugés, il y avait beaucoup de nouveaux disciples pour
lesquels Zachée était un objet de scandale, spécialement quelques-uns de
ses parents qui faisaient partie de la suite de Jésus, et qui étaient
honteux que Zachée ne se fût pas encore converti et fût demeuré
publicain. Zachée s'approcha d'eux devant la maison, mais aucun d'eux ne
voulut lui parler, aucun ne lui offrit la moindre chose.
Alors Jésus vint dans la galerie, lui fit signe d'entrer, et lui offrit
à boire et à manger.
12 août. — Ce matin je vis Jésus aller à la
synagogue. Il enjoignit aux Pharisiens de lui céder la place parce qu'il
allait faire la lecture du sabbat et l'instruction. Là-dessus ils firent
grand bruit, mais ils ne purent prévaloir contre le Seigneur. Il
enseigna ici très ouvertement et sans réticences. Je me souviens qu'il
parla spécialement contre l'avarice. Il dit beaucoup de choses qui se
trouvent dans l'Évangile et beaucoup d'autres qui ne s'y trouvent pas :
du reste les enseignements rapportés dans l'Évangile ne sont la plupart
du temps qu'une espèce d'abrégé. Jésus guérit aussi, devant la
synagogue, un malade qu'on avait apporté sur une civière.
Le soir d'après le sabbat Jésus et les apôtres sortirent de Jéricho pour
se rendre à l'habitation de Zachée. Il fut encore suivi sur le chemin
par la femme qui lui demandait de guérir son enfant : je vis le Seigneur
lui imposer les mains pour la délivrer elle-même de son péché, après
quoi il lui dit qu'elle pouvait s'en retourner chez elle parce que sa
fille était guérie, et je la vis se remettre en route.
Les disciples n'accompagnèrent pas Jésus chez Zachée. Celui-ci fit au
Seigneur un accueil très hospitalier. Il y avait sur la table un plat
oblong, avec un rôti d'agneau, à ce que je crois, et en outre, comme de
coutume, du miel et beaucoup de petits fruits. Zachée ne se mit pas à
table avec les convives, il s'occupait du service, mais quand Jésus
parlait, il se faisait remplacer : alors il se tenait respectueusement
prés du Seigneur et l'écoutait attentivement. Quelques-uns des apôtres
éprouvaient une certaine répugnance à manger chez ce publicain décrié.
Alors Jésus raconta la parabole du figuier, de la vigne qui n'avait pas
porté de fruit pendant trois ans, mais pour lequel le vigneron avait
demandé encore un an de patience (Luc, XIII,
5-9). Je vis que Jésus dit cela pour les apôtres comme s'ils étaient la
vigne, lui-même le maître, et Zachée le figuier ; il y avait en effet
trois ans que les parents de celui-ci avaient quitté leur profession
décriée pour suivre le Seigneur, tandis que lui-même avait continué à
l'exercer, ce qui le rendait méprisable aux yeux des disciples. Mais
Jésus avait eu pitié de lui lorsqu'il lui avait crié de descendre de
l'arbre. Jésus parla encore des arbres stériles qui donnent une quantité
de feuilles et pas un fruit. Il dit que les feuilles étaient les actes
purement extérieurs, qu'elles faisaient entendre un bruit incessant,
mais qu'elles ne duraient pas et que la bonne sentence n'était pas en
elles ; que les fruits, au contraire, étaient le principe intérieur
opérant par la foi et produisant des oeuvres fécondes, semblable en cela
au fruit qui donne de la force à ceux qui s'en nourrissent et qui porte
le germe dans lequel l'arbre se perpétue. Il me sembla qu'en disant à
Zachée de descendre de l'arbre, c'était comme s'il lui eût dit de
quitter le monde avec ses dehors spécieux et son vain bruit ; il
semblait encore que Zachée fût le fruit mur pour lequel était venu le
moment de se séparer de l'arbre qui pendant trois ans était resté dans
la vigne sans rien produire.
Jésus parla encore des fidèles serviteurs qui ne faisaient pas les
officieux en présence de leur maître, mais qui pendant son absence,
veillaient constamment et ne permettraient pas qu'on fît aucun bruit,
afin de pouvoir l'entendre quand il frapperait à la porte il raconta
encore plusieurs belles paraboles dont une à l'adresse de Judas : des
visites me l'ont fait oublier.
Jésus passa la nuit ici. Il y avait dans la maison de grandes chambres
vides, des caveaux et des magasins dont les portes étaient munies de
serrures et de chaînes, afin qu'on pût y conserver et y mettre en sûreté
toute sorte de choses.
Je jetai un coup d'úil sur Béthanie. Lazare est malade : on désire
vivement le Seigneur : mais il doit aller à Samarie avant de se rendre à
Béthanie. Cela ne plaît pas aux disciples : ils voudraient aller à
Jérusalem.
16 août. — Aujourd'hui je vis Jésus manger
chez un Pharisien de distinction qui en avait invité beaucoup d'autres.
Les jours précédents, il y avait eu dans cette maison des festins
continuels où se réunissaient les Pharisiens qui étaient tous furieux
contre Jésus et qui le faisaient espionner. De leur côté, les disciples
et les apôtres ne laissaient pas d'être mécontents et inquiets, trouvant
qu'il se compromettait trop et contrecarrait trop ouvertement les gens.
Quand Jésus fut arrivé pour le repas, les Pharisiens lui reprochèrent
d'avoir guéri le jour du sabbat le malade qui était devant la synagogue
et Jésus leur fit des réponses qui se retrouvent plusieurs fois dans l'Évangile.
Il les reprit aussi de leur orgueil qui leur faisait toujours prendre
les premières places, et il raconta des paraboles.
Les Pharisiens qui étaient dans cette maison étaient très irrités de ce
que Jésus avait fait et enseigné à Jéricho. Ils délibéraient s'ils ne le
feraient pas arrêter à Jéricho, et ils avaient envoyé à Jérusalem
prendre des ordres a ce sujet, ce qui causait une grande inquiétude aux
disciples. Une foule incroyable se pressait autour de Jésus quelque part
qu'il allât, et il enseignait partout. Il passa de nouveau la nuit dans
l'hôtellerie.
Je vois que Lazare est très gravement malade. Ses soeurs ont un si
ardent désir de voir arriver Jésus qu'elles vont souvent jusque dans le
voisinage de Jéricho pour s'assurer si leurs messagers ne ramènent pas
avec eux le Seigneur. Mais il ne viendra pas encore, car il doit aller
d'ici à Samarie. La sainte Vierge est à Jérusalem chez la mère de Jean
Marc. Elle va souvent à Béthanie.
Beaucoup de personnes furent baptisées ici aujourd'hui par Jacques et
par Barthélemy. Sur une place qui est au centre de Jéricho se trouve une
pièce d'eau, entourée de bâtiments, et où l'on vient se baigner : il y a
des compartiments sépares pour les hommes et pour les femmes. On y
descend par des degrés et l'on y trouve des espèces de baignoires
flottantes comme à Jérusalem sur la piscine de Béthesda, et comme de
l'autre côté du Jourdain il l'endroit où Jésus guérit les lépreux. Les
néophytes descendaient dans l'eau et mettaient ensuite un petit manteau
blanc qu'ils trouvaient à emprunter là. Deux disciples leur posaient la
main sur les épaules, l'autre versait l'eau sur eux. Le malade guéri le
jour du sabbat fut du nombre de ceux qui se firent baptiser.
17 août. — Le Seigneur continua à enseigner
dans la synagogue. Des pécheurs et des publicains se pressaient autour
de lui dans la rue et devant l'école. Il enseigna partout devant de
nombreux auditeurs. Quelques apôtres enseignèrent aussi ça et là. Les
Pharisiens tenaient toujours des conciliabules dans leur maison,
attendant le retour des messagers qu'ils avaient envoyés à Jérusalem et
complotant pour s'emparer de la personne du Seigneur. Les disciples
étaient très inquiets et très mécontents de ce que Jésus s'exposait au
danger avec si peu de précautions. Je vis beaucoup de personnes, parmi
lesquelles force pécheurs et publicains, l'entourer devant la synagogue
j je vis aussi des malades se faire apporter devant lui : les disciples
étaient si mécontents qu'ils le laissaient seul. Du reste il renvoya la
plupart des malades et se borna à peu près à enseigner. Je vis alors que
la femme paralytique et affligée de pertes de sang, qui était venue ici
dans l'espoir d'être guérie (ce n'est pas l'hémorroïsse de l'Évangile),
se fit placer devant la porte et invoqua le secours de Jésus. Mais il ne
la guérit pas, parce qu'il voulait faire voir que la foi doit être
persévérante et ne jamais cesser d'espérer et de prier. Jésus alla
ensuite près des disciples et des gens qui se scandalisaient de sa
doctrine et de ses rapports avec les pécheurs et les publicains, et il
raconta les paraboles de l'enfant prodigue, de la brebis égarée, de la
drachme perdue, etc.
Aujourd'hui encore on baptisa à la fontaine des bains. Jésus y enseigna
et y prépara les néophytes comme il l'avait déjà fait la veille. Il y
eut des malades dont le baptême opéra la guérison. Plusieurs aspirants
furent refusés. Les femmes, tout enveloppées dans leurs voiles,
écoutaient de loin les enseignements de Jésus ; elles allaient ensuite à
leur bain où elles dénouaient leur chevelure et ôtaient leur voile. La
femme affligée de pertes de sang fut aujourd'hui conduite, à raison de
sa maladie, dans un endroit à part pour y prendre le bain de
purification ou d'expiation une rémission des péchés y était attachée,
et les malades ne pouvaient guérir qu'après avoir obtenu cette
rémission.
18 août. — Jésus alla avec les disciples dans
un quartier de la ville qui est devant la porte, et il enseigna
constamment. Beaucoup de malades s'étaient fait porter sur son passage
et imploraient son assistance.
La femme affligée de pertes de sang qu'il avait rebutée plusieurs fois
était aussi couchée sur le chemin ; et quand Jésus passa, elle se traîna
jusqu'à lui et toucha le bas de sa robe. Il s'arrêta, se retourna vers
elle et la guérit. Alors elle se leva, rendit grâces, revint à la ville
pleine de santé et repartit pour son pays quand le sabbat fut terminé.
Après cette guérison le Seigneur enseigna la prière répétée,
persévérante, et dit qu'on ne devait jamais cesser de prier. J'eus aussi
une vision sur l'amour du prochain où il me fut montré comment les gens
qui avaient aidé cette femme à faire son long voyage, l'amenaient tantôt
dans un lieu, tantôt dans un autre sur le passage du Seigneur et
s'adressaient aux disciples pour savoir où le Seigneur irait, afin de
pouvoir procurer à cette femme une bonne place, car on ne pouvait pas la
placer partout à cause de sa maladie qui là rendait impure. Ce n'est pas
l'hémorroïsse de l'Évangile, car elle était en outre paralytique et il
lui fallut supplier inutilement pendant huit jours : l'autre fut guérie
sur-le-champ.
C'est un spectacle touchant que de voir, partout où va Jésus, les
malades couchés les uns contre les autres sur le chemin, gémir et
supplier, les disciples s'agiter et s'inquiéter, et le Seigneur avec sa
gravité, son calme et sa mansuétude incomparables, guérir et enseigner
sans interruption.
NOTE : Anne Catherine prit dans le commencement pour un baptême cette
purification légale des femmes ; mais sur une indication que lui donna
son ange gardien, elle déclara expressément qu'aucune femme ne fut
baptisée avant la descente du Saint Esprit. (Note du Pèlerin.)
Il vint aujourd'hui des messagers de Béthanie pour prier Jésus de
vouloir bien venir près de Lazare, mais ils ne parlèrent qu'aux
disciples. Jésus déclara qu'il n'irait pas encore parce que son temps
n'était pas encore venu. Aujourd'hui de très bon matin, il envoya deux
disciples à Samarie, de manière à ce qu'ils pussent y être rendus avant
le sabbat. Ils devaient annoncer son arrivée prochaine.
19 août. — Le Seigneur enseigna à l'occasion
du sabbat, guérit des malades et alla de maison en maison. Il ne
reviendra plus ici et veut répandre, avant de partir, tous les trésors
de sa charité. Il a délivré des possédés ; j'ai oublié les détails.
20 août. — Le Seigneur continua à enseigner et
à guérir, allant de maison en maison : il chassa aussi des démons. Sur
les quatre Pharisiens qui étaient venus devant Jéricho l'avertir de ne
pas aller à Jérusalem, deux restèrent près de lui ; les deux autres qui
étaient allés si pleins de colère à Jérusalem, ils furent mal reçus à
cause d'un certain changement qui s'était opéré dans leurs sentiments à
l'endroit du Seigneur eu sorte qu'eux aussi revinrent près de lui.
Aujourd'hui il congédia plusieurs des apôtres et des disciples qu'il
envoya deux à deux dans des endroits où il ne doit plus aller.
21 août. — Les Pharisiens s'étaient réunis en
grand nombre à Jéricho. Il s'y trouvait une centaine de Pharisiens
étrangers, dont beaucoup venus de Béthabara et de Béthanie qui est au
delà du Jourdain. Ils étaient pleins de rage et l'espionnaient.
Aujourd'hui, dans l'après-midi, son entourage s'étant amoindri par suite
de la mission donnée à plusieurs des apôtres et disciples, ils se
réunirent et l'interpellèrent avec beaucoup de violence. Ils
reproduisirent tous leurs griefs accoutumés, mais il les réduisit au
silence. Ils cherchaient à le prendre par ses paroles et comme il
parlait souvent de son Père céleste, ils lui dirent de nouveau que ses
frères étaient la, mais il répondit, comme dans une autre occasion, que
ses frères étaient ceux qui accomplissaient la volonté de Dieu et
observaient ses commandements.
Beaucoup de malades se rassemblent déjà dans un petit endroit au nord de
Jéricho.
22 août. — Ce matin, je vis Jésus aller à un
petit endroit qui est à peu près à une lieue au nord de Jéricho.
Beaucoup de gens s'y étaient déjà rassemblés et imploraient son
assistance. On avait amené sur le chemin des malades, des aveugles et
des estropiés qui attendaient son arrivée. Sur le chemin, devant la
ville, je vis encore Jésus accosté par les Pharisiens et assailli d'une
foule de reproches et de questions insidieuses. Mais ils ne gagnèrent
rien sur lui et leurs efforts furent impuissants.
Beaucoup de gens l'accompagnaient sur la route, où deux aveugles étaient
assis avec leurs conducteurs. Lorsque Jésus passa devant eux, ils
l'invoquèrent à haute voix et le supplièrent de les guérir. Mais le
peuple, dans les rangs duquel se trouvaient des malveillants et des
espions, les menaça pour les faire taire. Ils le suivirent pourtant,
conduits chacun par deux hommes, et ils continuèrent à crier : " Fils de
David, ayez pitié de nous " ! Alors le Seigneur s'arrêta et leur demanda
ce qu'ils voulaient de lui ; à quoi ils répondirent qu'ils le priaient
de leur rendre la vue. Le Seigneur les fit approcher et toucha leurs
yeux : ils recouvrèrent la vue, et le suivirent. Il y eut beaucoup
d'agitation à leur occasion et à l'occasion de ceux que Jésus avait
guéris lors de son entrée à Jéricho. Les Pharisiens firent des enquêtes
; ils interrogèrent l'un de ces deux aveugles ainsi que son père.
Les disciples désiraient vivement que Jésus allât près de Lazare, à
Béthanie, où ils auraient été plus tranquilles et moins inquiétés ; ils
éprouvaient tous un peu de fatigue et d'ennui. Jésus guérit encore
beaucoup de malades sur son chemin On ne peut dire à quel point il
restait calme, patient et imperturbable au milieu de toutes ces
interpellations, de ces attaques et de ces persécutions, et avec quelle
douce gravité il souriait quand les disciples voulaient le détourner de
sa voie. Il enseigna encore longuement sur les Pharisiens et Sur le
scandale.
23 août. — Je vis aujourd'hui le Seigneur dans
une petite bourgade au nord de Jéricho, où il guérit beaucoup de
malades. Il y avait une école où il enseigna. Les habitants lui firent
bon accueil.
24 août. — Je vis aujourd'hui Jésus aller dans
la direction de Samarie. Des malades de toute espèce s'assemblaient déjà
pour l'attendre sur divers points de la route. Je vis dresser une tente
devant un village à cent pas environ du grand chemin. Dix lépreux y
furent installés par leur conducteur, sur des couches disposées en
cercle. Lorsque Jésus traversa le village et passa devant cette tente,
les lépreux sortirent et implorèrent à haute voix son assistance. Jésus
s'arrêta, et les disciples continuèrent à marcher. Les lépreux, tout
enveloppés de linges, s'approchèrent du Seigneur aussi vite que leurs
forces le leur permirent, et se rangèrent en cercle autour de lui. Il
toucha chacun d'eux et leur ordonna d'aller se montrer aux prêtres ;
après quoi, il continua son chemin. Un des lépreux (c'était un
Samaritain) alla plus vile que les autres. Il suivit deux disciples
envoyés en mission par Jésus ; les autres prirent divers chemins.
Ceux-ci n'avaient pas été pris sur-le-champ ; quoiqu'ils se trouvassent
en état de marcher, ce ne fut pourtant qu'au bout d'une heure à
peu près qu'ils furent tout à fait délivrés de leur lèpre,
peut-être parce qu'ils ne méritaient pas de l'être plus tôt.
Bientôt après, un père de famille d'un village de bergers situé à un
quart de lieue à droite de la route, vint à Jésus et le pria d'aller
avec lui, parce que sa petite fille était morte. Le Seigneur le suivit
aussitôt à son habitation ; et comme il y allait, il fut rejoint par un
des lépreux guéris le Samaritain ; se voyant parfaitement guéri, il
avait eu le coeur touché et était aussitôt revenu en toute hâte pour
remercier son bienfaiteur. Il se jeta aux pieds de Jésus, qui dit : "
Tous les dix n'ont-ils pas été guéris ? où sont donc les neufs autres ?
N'y a-t-il que cet étranger qui rende gloire à Dieu et qui soit revenu
pour témoigner sa reconnaissance ? Levez-vous, retournez chez vous ;
votre foi vous a sauvé ". Cet homme, plus tard, est devenu son disciple.
Je vis alors Jésus entrer avec le père de famille dans la maison de
celui-ci. Pierre, Jean et Jacques le Majeur étaient avec lui. L'enfant
était une petite fille d'environ sept ans, et je crois qu'elle était
morte depuis quatre jours déjà. Jésus lui mit une main sur la tête,
l'autre sur la poitrine, et pria en levant les yeux au ciel. Alors
l'enfant se leva pleine de vie. Il dit aux apôtres qu'ils en feraient
autant en son nom. Jésus restera ici aujourd'hui. Le père de l'enfant
avait une foi robuste et attendait le Seigneur en toute confiance. Sa
femme avait voulu l'envoyer plus tôt à Jésus ; mais il était plein
d'espoir, et il attendit son arrivée. Il ne tarda pas à remettre ses
affaires entre les mains d'un autre ; et sa femme étant morte peu après
le crucifiement de Jésus, il devint disciple et se fit un nom célèbre.
La petite fille guérie devint aussi une personne de grande piété.
Il y a dans les environs d'autres maisons de bergers que Jésus visitera.
Il se rend en faisant un long détour sur le territoire samaritain.
NOTE : Il parcourt ce pays de bergers par lequel sa mère a passé avant
sa naissance et qu'il a visité lui-même après son baptême. (Note du
Pèlerin)
28 août. — Jésus parcourut ces jours-ci des
maisons de bergers disséminées sur un grand espace et il guérit beaucoup
de malades : il délivra surtout beaucoup d'obsédés et de possédés, des
femmes et des jeunes filles. Il n'avait plus avec lui que Pierre,
Jacques, Jean et un très petit nombre de disciples : tous les autres
avaient été envoyés dans des endroits où il ne doit plus aller.
30 août. — Je vis le Seigneur, tout en allant
d'une maison de berger à l'autre, parcourir le pays montagneux des
environs d'Hébron où Zacharie habitait. Je le vis seul avec Pierre
assister à une noce dans une maison de bergers. Je vis les nouveaux
époux revenir de la synagogue où le mariage avait été célébré. Ils
s'avançaient sous un dais. suivi d'un cortège. En tête de ce cortège
marchaient des petites filles parées de guirlandes de laine blanche et
jouant de la flûte : derrière venaient les petits garçons en habits de
fête faisant une musique du même genre. Il y avait là un prêtre de
Jéricho. Lorsqu'ils entrèrent dans la maison et virent le Seigneur, ils
furent émus et surpris et se pressèrent autour de lui Mais Jésus leur
dit de continuer à célébrer leur noce suivant les usages reçus, afin de
ne pas donner de scandale. Ils burent alors dans de petites coupes : la
fiancée était seule avec les femmes, et les enfants jouèrent de leurs
instruments et dansèrent devant elle. Je vis ensuite les nouveaux époux
aller trouver Jésus dans une chambre séparée où le Seigneur joignit
encore leurs mains qu'il bénit de la main droite et où il leur donna des
enseignements sur l'indissolubilité du mariage et sur la continence.
Le Seigneur et Pierre se mirent ensuite à table avec les bergers et le
prêtre, et le fiancé les servit. Le prêtre était mécontent de ce que la
place d'honneur avait été donnée aux nouveaux hôtes : il était assis en
face de Jésus et quitta bientôt la table. Je vis aussi qu'il ameuta
quelques Pharisiens qui plus tard vinrent ici assaillir le Seigneur de
leurs interpellations. Je vis que l'un d'eux, lui parlant avec
emportement, lui arracha son manteau de dessus les épaules : mais le
Seigneur resta impassible : il ne leur donna prise en rien et ils se
retirèrent.
Jésus resta dans cette maison de bergers où il se montra singulièrement
cordial et affectueux. Les parents des jeunes époux et plusieurs autres
vieux bergers qui vinrent se joindre à eux, étaient de ceux qui
l'avaient visité à la crèche dans la nuit de sa nativité. Ils
racontèrent ce qui s'était passé alors de la façon la plus touchante et
ils rendirent au Seigneur toute espèce d'hommages. Plusieurs jeunes gens
répétèrent ce que leur avaient raconté À ce sujet leurs défunts parents.
Ils amenèrent parmi eux beaucoup de malades dont quelques-uns, affaiblis
par l'âge, ne pouvaient plus marcher et aussi des enfants malingres et
infirmes que Jésus guérit tous avec une grande charité. Il dit aussi aux
fiancés d'aller après sa mort trouver les apôtres qui les baptiseraient
et les instruiraient pour qu'ils pussent marcher dans sa voie.
Pendant tout ce voyage je ne vis nulle part Jésus aussi plein de
sérénité et de joie qu'au milieu de ces gens simples et bons. C'était un
spectacle très touchant. J'ai vu que tous ceux qui lui avaient rendu
hommage lorsqu'il était au berceau, reçurent la grâce de devenir
chrétiens.
31 août. — Je vis le Seigneur après la noce
des bergers se diriger plus au midi dans les montagnes où se trouve Juta
Les gens de la noce lui firent la conduite. Il y avait de nouveau six
apôtres prés de lui : je me rappelle qu'André était l'un d'eux.
J'entendis dire aux disciples, qu'il allait à un village de la montagne
où il y avait une école, qu'il y enseignerait et y resterait pour le
sabbat. Pendant ce voyage je vis qu'on amena beaucoup d'enfants à Jésus
sur son chemin : la plupart étaient très gros ; ils semblaient avoir le
corps tout enflé et ne pouvaient pas marcher. Les gens de cette contrée
étaient encore très bons.
1er septembre. — Jésus alla droit à la
synagogue du petit endroit dont il a été parlé et il y enseigna. Les
prêtres qui s'y trouvaient s'éloignèrent pour en appeler d'autres, mais
ils furent obligés de lui abandonner la chaire. Le peuple écouta le
Seigneur avec joie Il passa la nuit dans une hôtellerie ouverte, située
près de là Je crois que Joseph et Marie y passèrent aussi la nuit
lorsqu'ils allèrent chez Zacharie. Cet endroit n'est pas loin de Juta.
L'école est située isolément sur une colline. Il y a ici beaucoup de
pierres blanches et de beaux pâturages entre les rochers.
2 septembre. — Je vis le Seigneur célébrer le
sabbat dans l'école qui est sur la colline avec les disciples et
quelques gens pieux. Les Pharisiens le célébrèrent ailleurs. Comme il
parlait toujours de sa fin prochaine, les disciples auraient voulu qu'il
allât à Nazareth sa patrie, mais c'était aux bonnes gens d'ici qu'il
voulait consacrer son temps et non à ceux de Nazareth où on l'avait
autrefois si mal reçu. Il enseigna sur le texte : " Nul ne peut servir
deux maîtres ". Les Pharisiens se moquaient lorsqu'ils l'entendaient
dire qu'il ne reviendrait plus : il avait déjà dit cela plusieurs fois,
prétendaient-ils.
3 septembre. — Jésus enseigna encore ici. Il
dit aujourd'hui qu'il était venu apporter le glaive.
(Matt. X) Cela troubla et inquiéta les disciples. Il expliqua
alors qu'il s'agissait du retranchement de tout ce qui est mauvais.
Parmi les gens du pays, il y en avait quelques-uns qui avaient plusieurs
femmes, et Jésus enseigna sur le mariage, sur la continence et sur ce
qu'il fallait quitter sa famille pour le suivre. Il enseigna fréquemment
en paraboles. Il vint beaucoup de gens d'endroits éloignés auxquels ceux
du voisinage furent obligés de faire place.
6 septembre. — Jésus a quitté le petit bourg
où je l'ai vu ces jours-ci monter souvent à la synagogue et en
redescendre. Il a de nouveau envoyé en mission la plupart des apôtres et
des disciples. Il alla à deux lieues plus au nord, mais par un autre
chemin que celui qu'il avait pris pour venir : beaucoup de personnes
l'accompagnèrent. Il visita un petit endroit dont les habitants étaient
animés de bons sentiments et vinrent à sa rencontre devant la porte.
Jésus enseigna ici beaucoup de braves gens, la plupart du temps sous un
arbre.
20 septembre. — Pendant treize jours, Anne
Catherine en proie à de grandes souffrances, fut hors d'état de rien
raconter : à partir du 20, elle communiqua les courts fragments qui
suivent.
Jésus s'est arrête dans un endroit voisin de Samarie, et il ne va pas à
Béthanie. Je vois trois Maries venir à sa rencontre : la sainte Vierge,
sa soeur aînée Marie d'Héli, et la fille de celle-ci, Marie de Cléophas.
21-23 septembre. — Les saintes femmes sont
auprès de Jésus. Un messager de Lazare le prie d'aller à Béthanie, mais
il n'y va pas encore.
Les saintes femmes et le messager sont restés ici pour le sabbat. Jésus
alla pour le sabbat à un endroit situé à une journée de voyage au nord
de Béthanie. Il y a une grande synagogue où il enseigna : elle a deux
étages et elle est pleine de monde. Il enseigne à l'étage supérieur,
mais il descend souvent en bas. Beaucoup de femmes viennent pour faire
bénir leurs enfants : on apporte aussi beaucoup de malades sur des lits.
Les saintes femmes et le messager l'attendent à l'endroit où il était
précédemment.
24 septembre. — Jésus enseigna très au long
ces jours-ci sur la parabole du Samaritain et du Lévite, sur la
signification de Jéricho et de Jérusalem, et aussi sur la drachme
perdue. Il dit que ceux qui ne viendraient pas à sa suite tomberaient
entre les mains des assassins. Il bénit et guérit beaucoup d'enfants de
différents âges et d'autres malades.
27 septembre. — Jésus est revenu à un bourg où
les femmes l'attendaient. Il avait avec lui des apôtres et des disciples
: ils logeaient dans une hôtellerie et ils reçurent la nouvelle de la
mort de Lazare.
Je me trouvai aussi à Béthanie et je vis que Lazare venait de mourir. Je
vis ses soeurs quitter la maison après sa mort. Il fut embaumé sur une
planche et enveloppé à la manière juive : la maison était pleine de
monde. Le corps, avec la planche qui le supportait, fut déposé dans un
coffre à claire-voie avec un couvercle bombé, et porté au tombeau. Je
vis Marthe et Madeleine se rendre après la mort de leur frère dans la
métairie voisine de l'héritage de Joseph, qu'elles possédaient près de
Ginéa et de Jezraël, et où elles avaient souvent donné l'hospitalité à
Jésus et à la sainte Famille. Elles semblaient attendre là son arrivée.
28-30 septembre. — Dans la nuit de jeudi à
vendredi, je vis Jésus. les saintes femmes et tous les apôtres voyager
au clair de la lune, divisés en plusieurs groupes. Ils avaient quitté le
petit endroit où l'on s'était fort scandalisé à son sujet, et se
dirigeaient du côté du bien de Lazare où les soeurs de celui-ci
attendaient Jésus.
Le matin je vis le Seigneur et sa suite dans un village de quelques
maisons : dans l'après-midi je les vis dans la petite ville de Ginéa
devant laquelle est situé le bien de Lazare, où les saintes femmes se
rendirent aussitôt. Quand à Jésus, il alla avec les hommes à la
synagogue où il enseigna.
Le soir, après le sabbat, Jésus prit son repas avec les saintes femmes
dans là maison de campagne de Lazare. Madeleine vint à sa rencontre et
lui dit que Lazare était mort : que ne s'était-il trouvé là ! Jésus lui
répondit que son temps n'était pas encore venu et qu'il était bon que
Lazare fût mort. Ils mangèrent dans une grande salle ouverte d'un côté
et qui avait vue sur une cour. Les femmes n'entrèrent dans la salle que
lorsqu'il enseigna et se tinrent discrètement en arrière. Il parla du
scandale qu'on avait fait à son sujet dans le petit endroit où il
s'était trouvé dernièrement et du scandale dont il serait encore
l'occasion.
Jésus dit aux soeurs de Lazare de ne rien déranger dans tout ce qui
avait été à l'usage de leur frère : il ajouta qu'il ne viendrait que
dans quelques jours. Les femmes partent demain pour Béthanie : Jésus
retourna à Ginéa avec les apôtres.
3 octobre. — Ce soir je vis Jésus et lés
apôtres arriver à une hôtellerie qui est à une lieue de Béthanie. Il y a
là quelques maisons et une école. Des messagers envoyés par les soeurs
de Lazare, vinrent le presser de venir il leur fit répondre par les
disciples qu'il irait dans deux jours.
Le récit qu'on lit dans l'Évangile de saint Jean résume tout cela sans
distinction de temps il y a déjà trois semaines que Jésus a reçu la
nouvelle que Lazare était dangereusement malade ; la nouvelle de sa mort
lui est arrivée dans l'endroit voisin de Samarie où il était avec les
saintes femmes et où il dit : "Notre ami dort". Mais ce fut sur la
métairie de Lazare qu'il dit expressément : "Lazare est mort".
Jésus fit ici une grande instruction sur les ouvriers de la vigne. La
mère de Jacques et de Jean chercha encore ici à adresser sa requête au
Seigneur. Elle entendait parler de la consommation prochaine de son
oeuvre et pensait que les parents de Jésus devaient avoir une place à
part dans son royaume.
4-5 octobre. — Jésus enseigna ici dans
l'école. Il reprocha aux disciples leur impatience et leurs murmures sur
ce qu'il tardait tant à se rendre à Béthanie. Il semblait toujours ne
pouvoir s'expliquer sur ce qui le touchait et sur ce qui les touchait
eux-mêmes, dans la crainte de n'être pas compris. Dans ses enseignements
il s'attachait surtout à rectifier leurs idées et à les mettre en
défiance contre leurs pensées toutes terrestres plutôt qu'à leur
expliquer le fond des choses parce qu'ils n'auraient parce qu'ils
n'auraient pas pu le comprendre.
Il n'y avait ici des Pharisiens qui l'observaient et faisaient des
rapports à Jérusalem: il était aussi venu des personnes de Béthanie. La
mère de Jean et de Jacques qui habitait devant Béthanie, revint encore
lui présenter sa requête. Mais il lui répondit sévèrement.
6-7 octobre. — Entre le petit endroit où était
Jésus et Béthanie, il y avait beaucoup de prairies, de jardins ouverts
plantés d'arbres et de promenades d'agrément. Je vis le Seigneur
accompagné des apôtres, marcher tout en enseignant, s'arrêter par
intervalles, tantôt s'asseoir, tantôt rester debout, et se diriger ainsi
à pas lents vers Béthanie. La maison et la propriété de Lazare étaient
comprises dans l'enceinte des murs en ruines du bourg toutefois une
partie des jardins et des cours antérieures se trouvait en dehors.
Lazare était mort depuis huit jours : on l'avait laissé quatre jours
sans l'enterrer, dans l'espoir que Jésus viendrait et le ressusciterait.
Ses soeurs étaient allées au-devant du Seigneur jusqu'à sa métairie de
Ginéa et comme il ne voulait pas venir encore, elles s'en étaient
retournées et avaient fait mettre leur frère au tombeau. En ce moment
beaucoup d'hommes et de femmes de Béthanie et de Jérusalem se trouvaient
près d'elles pour pleurer le mort avec elles suivant la coutume. Les
femmes étaient assises ensemble, à part des hommes. Il me sembla
qu'après le repas, vers la fin du jour, Marie de Zébédée entra pour
parler à Marthe qui était assise au milieu des femmes (elle était venue
par la même route que Jésus), et lui dit à l'oreille que le Seigneur
venait. Je vis Marthe aller avec elle dans un jardin situé derrière la
maison ou Madeleine était assise toute seule sous un berceau de
feuillage, et dire à celle-ci que Jésus était proche. Je vis que par
charité elle voulait laisser sa soeur aller la première à la rencontre
du Seigneur et que Madeleine en effet y courut en toute hâte avec Marie
de Zébédée. Je ne la vis pas arriver jusqu'à lui, je la vis seulement
sur le chemin pendant que Marthe restait assise avec les femmes. Jésus,
quand il se trouvait avec ses apôtres et ses disciples, ne se laissait
pas volontiers aborder à tout moment par les femmes.
Au bout de quelque temps, le jour commençant à tomber, Madeleine revint
trouver les autres femmes et prit la place de Marthe auprès d'elles. Je
vis alors celle-ci aller au-devant du Seigneur qui s'était arrêté à la
limite des jardins, près d'un berceau de feuillage où il s'entretenait
avec les apôtres et d'autres personnes qui s'étaient jointes à eux.
Marthe échangea quelques paroles avec lui : puis je la vis revenir en
hâte et parler bas à Madeleine. Madeleine alors courut au-devant du
Seigneur et je vis quelques Juifs la suivre.
Jésus, entouré d'un grand nombre de personnes, se tenait encore près du
berceau. En ce moment le soleil se couchait. Madeleine se jeta aux pieds
de Jésus, et lui dit: " Si vous aviez été ici, il ne serait pas mort "
! Je vis alors les Juifs pleurer, et Jésus aussi devint triste et
pleura. Mais je le vis entrer dans la cabane de feuillage, où l'on
alluma une lampe, et où les apôtres et lui-même prirent, sans s'asseoir,
une légère réfection. Il enseigna là très longtemps. J'entendis
plusieurs des auditeurs, dont la plupart n'avaient pas pu entrer et dont
le nombre allait toujours croissant, chuchoter et murmurer de ce qu'il
n'avait pas conservé la vie à Lazare. Je vis aussi que le Seigneur était
très attristé et très ému. Il fit une très longue instruction sur la
mort, et ne la termina que vers le matin.
Il me sembla que le jour venait de poindre lorsqu'ils allèrent au
tombeau. Les apôtres étaient avec Jésus : je me souviens
particulièrement de Matthieu et de Jean. Il y avait là aussi les soeurs
de Lazare et la sainte Vierge avec les autres Maries, en tout sept
femmes. et beaucoup de peuple. La foule allait toujours croissant ;
c'était presque un rassemblement tumultueux, comme lors du crucifiement.
On suivait d'abord un chemin bordé de haies couvertes de verdure, on
passait ensuite par une porte, et il restait à peu près un quart de
lieue à faire pour arriver au cimetière. Ce cimetière était entouré de
murs. Quand on était entré, un chemin qui bifurquait à droite et à
gauche conduisait autour d'un monticule artificiel coupé
transversalement par des caveaux. Non loin de l'entrée se trouvait, sur
la pente du monticule, la porte de la sépulture de Lazare. Quand on
ouvrait cette porte, on voyait un caveau profond qui se prolongeait sous
la colline. Ce caveau était divisé en chambres sépulcrales par plusieurs
grilles ; il était fermé à son extrémité par une autre grille à travers
laquelle on voyait de la verdure et des arbres.
Lazare était enterré dans la première chambre. Ce caveau recevait le
jour d'en haut, par des ouvertures pratiquées dans la voûte : on y
descendait par quelques marches. A droite, en entrant, se trouvait
contre la paroi une excavation en forme de carré long, profonde
d'environ trois pieds, et recouverte d'une pierre. C'était là qu'était
le corps de Lazare, placé dans un cercueil loger autour duquel on
pouvait circuler. La pierre tombale était levée et appuyée à la paroi
dans le prolongement du caveau se trouvaient plusieurs tombeaux.
Jésus, les apôtres et les femmes de la famille s'approchèrent au caveau
qui était ouvert. En outre, de ce côté le cimetière était découvert
autour de la sépulture, et plus loin jusque devant l'entrée. Jésus
descendit dans le sépulcre avec quelques apôtres ; Madeleine, Marthe et
les autres femmes restèrent à la porte. La foule était si pressée, qu'on
grimpait au-dessus de la voûte et sur le mur du cimetière pour mieux
voir. Lorsque Jésus fut devant le tombeau, il commanda aux apôtres
d'ôter la pierre. Ils l'enlevèrent en effet et l'appuyèrent contre la
paroi, ils firent de même pour une clôture plus légère qui était
dessous. Ce fut alors que Marthe lui dit que Lazare était déjà enterré
depuis quatre jours et qu'il sentait mauvais, et que Jésus lui répondit.
Cependant les apôtres enlevèrent encore le couvercle en clayonnage qui
fermait le cercueil, en sorte qu'on vit le corps couché et enveloppé.
Alors Jésus leva les yeux au ciel, pria à haute voix et cria d'une voix
forte : " Lazare, sortez " ! à ce cri, le cadavre se releva sur son
séant, et la foule qui était dehors se précipita tumultueusement en
avant. Mais le Seigneur commanda aux apôtres d'écarter les curieux. Ils
lui obéirent et firent retirer la foule à l'entrée du cimetière.
Cependant il était resté dans le caveau, près du cercueil, des apôtres
qui enlevèrent le suaire dont je visage de Lazare était recouvert. Il
ressemblait a un homme appesanti par le sommeil. Ils lui délièrent les
mains et les pieds, remirent les bandelettes aux personnes qui étaient
dehors, et prirent un manteau qu'on leur présenta. Alors Lazare, se
levant, sortit du cercueil et du tombeau, tout chancelant et ressemblant
à une ombre. On lui jeta le manteau sur les épaules, et, passant devant
le Seigneur comme un somnambule, il gagna la porte où se tenaient ses
soeurs et d'autres femmes, qui reculèrent effrayées comme devant un
spectre, et qui se prosternèrent la face contre terre sans oser le
toucher. Jésus sortit du sépulcre après lui, et lui prit les deux mains
avec une gravité affectueuse.
Alors il se rendirent à l'habitation de Lazare. La presse était grande,
mais il régnait un certain effroi parmi les spectateurs et la foule
s'écarta pour leur livrer passage. Lazare marchait comme s'il n'eût pas
touché la terre : mais il avait encore toute l'apparence d'un cadavre.
Jésus marchait à côté de lui ; les autres le suivaient pleurant,
sanglotant et plongés dans une stupeur muette. Ils revinrent par une
ancienne porte, puis suivant le chemin qui passait entre les haies
verdoyantes du jardin, ils arrivèrent à la salle de verdure d'où ils
étaient partis et où le Seigneur entra avec Lazare et les siens. Le
peuple se pressait en foule au dehors et l'agitation était grande.
Lazare se prosterna de tout son long. devant Jésus. comme un homme que
l'on reçoit dans un ordre religieux. Jésus parla encore assez longtemps
: on fit retirer la foule et ils arrivèrent vers midi à la maison de
Lazare qui était à environ cent pas de là. Ils entrèrent dans une salle
à manger ouverte, attenant au bâtiment principal, et les femmes allèrent
à la cuisine pour apprêter le repas.
Jésus, les apôtres et Lazare étaient seuls. Les apôtres se rangèrent en
cercle autour de Jésus et de Lazare. Alors Lazare s'agenouilla devant le
Seigneur, qui lui mit la main droite sur la tête et souffla sept fois
sur lui : son souffle était lumineux. Je vis sortir de Lazare comme une
sombre 1rapeur et je vis loin du cercle comme une figure noire qui
s'envolait dans les airs : c'était le démon qui se retirait furieux et
réduit à l'impuissance. En soufflant ainsi sur Lazare, Jésus le consacra
à son service, le purifia de toute attache au monde et au péché et munit
de grâces spirituelles. Il s'entretint longtemps encore avec lui, et lui
dit qu'il l'avait ressuscité pour qu'il se vouât à son service. Il lui
annonça qu'il aurait à souffrir de grandes persécutions de la part des
Juifs.
Jusqu'à ce moment Lazare était resté enveloppé dans son linceul : il
sortit pour s'en débarrasser et reprendre ses vêtements : ce fut alors
seulement que ses soeurs et ses amis l'embrassèrent : car auparavant il
y avait en lui quelque chose de cadavérique qui inspirait la terreur.
J'ai vu aussi que son âme après s'être séparée de son corps s'était
trouvée dans un séjour tranquille, exempt de supplices et éclairé par
une espèce de crépuscule, qu'il y avait rencontre des justes, comme
Joseph, Joachim, Anne, Zacharie, Jean-Baptiste, et qu'il leur avait
raconté ce qu'il savait de la vie du Rédempteur sur la terre.
Lazare reçut par l'insufflation de Jésus les sept dons du Saint Esprit
et il fut entièrement dégagé de toute attache aux choses de la terre. Il
reçut ces dons avant les apôtres, car la mort lui avait fait connaître
de grands mystères, il avait vu un autre monde ; ayant déjà subi la
mort, puis étant né une seconde fois, il se trouvait capable de recevoir
ces dons surnaturels. Ce personnage de Lazare a une signification
mystérieuse d'une grande importance.
On avait préparé un grand repas et tous se mirent à table. Il y avait un
grand nombre de plats : plusieurs petites urnes étaient posées sur la
table, un homme surveillait le service : les femmes vinrent après le
repas et se placèrent au bout de la table pour entendre parler Jésus.
Lazare était près de lui. On faisait un bruit horrible autour de la
maison : beaucoup de gens de Jérusalem étaient venus, notamment des
gardes qui s'étaient postés de tous les côtés. Mais Jésus envoya les
apôtres dire au peuple et aux gardes de se retirer. Jésus enseigna
encore à la lueur des lampes et il dit aux disciples, qu'il voulait
aller le lendemain à Jérusalem avec les apôtres. Comme ils lui
représentaient le danger qu'il courait, il répondit qu'on ne le
reconnaîtrait pas, qu'il ne se montrerait pas en public. Je vis qu'après
cela ils prirent un peu de sommeil couchés autour de la salle contre les
murailles.
8 octobre. — Jésus alla avant le jour de
Béthanie à Jérusalem, accompagné de Jean et de Matthieu qui avaient
relevé leurs robes un peu autrement qu'à l'ordinaire ils firent le tour
de la ville et arrivèrent par des sentiers détournés à cette maison où
eut lieu plus tard la célébration de la cène. Ils y restèrent en secret
toute la journée et la nuit suivante. Jésus enseigna et encouragea les
amis qu'il avait dans la ville. Je vis dans la maison de Marie, mère de
Marc, Véronique et une douzaine d'hommes. Je me disais envoyant cela,
qu'aujourd'hui, quand il s'agit des intérêts de la religion, on trouve
difficilement des amis qui consentent à vous cacher chez eux. Nicodème
auquel celle maison appartenait et qui la mettait volontiers à la
disposition de Jésus et de ses amis n'était pas là. Il était allé ce
jour-là à Béthanie pour voir Lazare.
Je vis aussi les Pharisiens et les princes des prêtres tenir conseil à
l'occasion de Jésus et de Lazare : je les entendis dire, entre autres
choses, qu'ils craignaient que Jésus ne ressuscitât une foule de morts,
ce qui ferait naître de grands embarras. Je trouvai cela stupide et
ridicule.
Vers midi il y eut une émeute à Béthanie : si Jésus eût été là, on
l'aurait lapiné. Lazare fut obligé de se cacher : les apôtres se
dispersèrent de tous les côtés. Les amis de Jésus à Béthanie se
cachèrent. Le calme se rétablit pourtant parce qu'on finit par se dire
qu'on n'avait le droit de rien faire contre Lazare.
Jésus passa tout le reste de la nuit dans la maison de la montagne de
Sion. Avant le jour il quitta Jérusalem avec Mathieu et Jean et se
réfugia au delà du Jourdain : il ne reprit pas la route de Béthabara
qu'il avait suivie dernièrement : mais il remonta vers le nord-est. Vers
midi, il avait déjà franchi le Jourdain : le soir les apôtres vinrent de
Béthanie le retrouver et ils passèrent la nuit sous un grand arbre.
10-11 octobre. — Le matin ils se dirigèrent
vers un petit endroit voisin. Il y avait au bord du chemin un aveugle,
conduit par deux enfants qui n'étaient pas de sa famille. C'était un
berger des environs de Jéricho. Il avait entendu dire aux apôtres que le
Seigneur venait, et il invoqua Jésus à grands cris. Le Seigneur lui mit
la main sur la tête et il recouvra la vue. Alors l'aveugle jeta ses
haillons et n'ayant que son vêtement de dessous, il suivit Jésus
jusqu'au village, où le Seigneur entra dans une salle et enseigna sur la
nécessité de le suivre ; il dit que, comme cet aveugle avait jeté ses
haillons, il fallait tout quitter et marcher a sa suite, les yeux
ouverts. On donna un manteau à l'aveugle : il voulait rester avec Jésus
mais le Seigneur s'y refusa, et lui dit qu'il fallait d'abord faire
preuve de persévérance. Jésus enseigna ici jusqu'au soir : il y avait
environ huit apôtres avec lui.
En approchant d'une petite ville, il eut faim. Cela me fit rire, car en
réalité c'était une autre espèce de faim qu'il avait : il avait faim des
âmes. Il était accompagné de quelques personnes des derniers endroits
visités par lui, lesquelles marchaient sans ordre. Il passa devant un
figuier ou il ne trouva pas de fruits : puis il revint vers cet arbre
qu'il maudit et qui se dessécha à l'instant : ses feuilles devinrent
jaunes et il se tordit sur lui-même. Lorsque Jésus arrivé à la ville fut
entré dans l'école, il enseigna sur le figuier stérile. Il y avait ici
des docteurs et des pharisiens. Ils passèrent la nuit dans une
hôtellerie du voisinage Les Pharisiens d'ici étaient malveillants et ils
pressèrent Jésus de se retirer. Prés de cet endroit (c'est peut-être
Betharan), passe un petit cours d'eau, sur lequel il y a un pont et qui
se jette dans le Jourdain. L'école ici. est située sur une hauteur.
Jésus avec sa suite quitta cet endroit où il n'eut pas à se louer des
habitants. Ils se dirigèrent au nord-est à travers vers le territoire de
la tribu de Gad et passèrent la nuit : dans une hôtellerie de bergers.
È
CHAPITRE HUITIÈME
Séjour à Cédar et à Sichar-Cédar
- Jésus fait un
voyage dans le pays des adorateurs des astres. - Son séjour à Cédar et à
Sichar-Cédar.
Du 12 octobre au 18
novembre 1820.
Jésus à Chorozain - à Bethsaide.-il
traverse le pays de Basan. - il enseigne à Cédar - à Edon.-Guérison d'un
couple de vieux époux. Jésus à Edon.- il réconcilie des ménages - enseigne
en paraboles sur le mariage - établit un vignoble. - Morts ressuscités. - Jésus retourne à Cédar et enseigne de nouveau sur le
mariage.
12 octobre. —
J'entendis Jésus parler d'un voyage
qu'il allait faire, dire aux apôtres que pendant ce temps ils devaient
rester séparés de lui, puis leur indiquer les endroits où ils devaient
enseigner, ceux qu'ils devaient éviter, et enfin le lieu où ils devaient
de nouveau se réunir à lui. Il fait un merveilleux voyage : mais je ne
me souviens pas bien de tous les pays qu'il parcourt, ni de l'ordre
suivant lequel ils se succèdent. Il célébrera le sabbat dans la ville où
il a béni les enfants la seconde fois. Il a envoyé un disciple en avant
: le nom de l'endroit commence par " Cor " ou " Coras " : Jésus l'a
maudit une fois. (C'est le Grand Chorozain dans le voisinage duquel il
bénit des enfants, le 27 novembre) (tome III, page 219). Il ira de là à
Bethsaïde, puis il redescendra vers le midi jusque dans les environs de
Machérunte où Jean Baptiste a été décapité. Il ira de nouveau dans le
pays habité jadis par les Madianites chez lesquels Moise séjourna un
certain temps, et où se trouve la mauvaise ville (Madian), dans laquelle
tout récemment Jésus n'a pas voulu entrer. Il ira aussi à l'endroit où
Agar déposa Ismael (Bersabée, le point le plus méridional de la terre
promise), à celui où Jacob érigea la pierre et fut visité par les trois
anges. (Gen XXVI, 1-4, et XXVI, 23-24.) il contournera la mer Morte par
la rive orientale et passera aussi au lieu où Melchisédech sacrifia en
présence d'Abraham. Ce sacrifice eut lieu dans une vallée, au midi de la
fertile vallée des Raisins, qui va dans la direction de Gaza. Il y a
encore aujourd'hui dans cet endroit une chapelle où l'on célèbre
quelquefois le saint sacrifice Elle est construite en pierres brutes et
toute couverte de verdure et de mousse comme le sont les tours de la
montagne des Prophètes. J'appris aussi que Jésus ira en Egypte et à
Héliopolis où il a résidé pendant son enfance. Il y a là quelques gens
de bien qui ont joué avec lui lorsqu'ils étaient enfants eux-mêmes, et
qui ne l'ont point oublié. Ils n'avaient cessé de demander ce qu'il
pouvait être devenu. Ils s'étaient bien enquis de lui, mais ne pou,
aient pas croire que ce fût ce Jésus dont on parlait tant. Il reviendra
de l'autre côté par Hébron et traversera la vallée de Josaphat : il ira
aussi au lieu où Jean l'a baptisé et dans le désert où il a été tenté.
Jésus annonça que son absence serait d'environ trois mois. Les siens
devaient se réunir à lui au puits de Jacob, près de Sichar. Toutefois il
était possible qu'ils le rencontrassent auparavant lorsqu'il reviendrait
par la Judée.
NOTE : Elle appelle ainsi une montagne qui figure plusieurs fois dans
ses visions comme le point culminant où sont les sources d'une eau
sacrée avec laquelle descend sur le monde le don de prophétie. Elle voit
toujours, sous forme d'objets couverts de verdure et de mousse, les
monuments d'une haute antiquité se rattachant aux premiers âges du
monde. (Note du Pèlerin.)
Il leur parla longuement à ce sujet et leur donna
particulièrement beaucoup d'instructions sur la manière dont ils
auraient à se comporter pendant son absence dans le cours de leurs
prédications. Je me souviens qu'il leur dit que là où ils seraient mal
accueillis, ils devaient secouer la poussière de leurs souliers.
Aujourd'hui, de jeudi à vendredi, il semble avoir encore logé chez des
bergers. Les disciples se dispersèrent de différents côtés. Matthieu
alla chez lui pour un certain temps. Il est marié et sa femme est
excellente : ils vivent dans la continence depuis sa vocation. Pendant
un certain temps il enseignera chez lui et supportera sans s'émouvoir le
mépris qu'on lui témoignera.
Aujourd'hui, dans l'après-midi, Jésus accompagné de Pierre, d'André et
de Philippe, se rendit à Chorozaïn pour y célébrer le sabbat. Il alla
aussitôt à la synagogue où il enseigna.
14 octobre.
— Ce matin Jésus enseigna encore
dans la synagogue. Vers midi il fut accosté par un homme de Capharnaüm
qui était venu l'attendre et dont le fils était il la mort. Il supplia
le Seigneur d'aller avec lui et de guérir son fils. Mais le Seigneur lui
dit de s'en retourner, parce que son fils était guéri, et il obéit. Il y
eut encore beaucoup de malades et d'affligés, soit de la ville, soit
d'endroits éloignés, qui se rassemblèrent autour de Jésus : il en guérit
quelques-uns sur-le-champ et promit aux autres qu'ils seraient guéris
plus tard.
Le soir du sabbat, Jésus prit congé des habitants devant la synagogue et
se dirigea avec deux apôtres vers l'endroit où le Jourdain entre dans le
lac, afin de passer de l'autre côté : le passage était plus haut et cela
allongeait beaucoup le chemin. On se sers ait pour traverser le fleuve
d'une espèce de radeau fait avec des poutres superposées et au milieu
duquel était une sorte de cuve dans laquelle on jetait les paquets :
elle était placée assez haut pour que l'eau ne pût y pénétrer : on
faisait avancer ce radeau avec des perches. La rive du Jourdain n'est
pas élevée dans cet endroit et il me semble qu'il y a quelques petites
îles. Je vis le Seigneur et les trois apôtres marcher au clair de la
lune. Devant Bethsaide, comme devant la plupart des villes de la Terre
promise, se trouvait un hangar où les voyageurs avaient coutume de
rabattre leurs vêtements et de se nettoyer avant d'entrer dans la ville.
Il se trouvait là ordinairement des gens pour leur laver les pieds.
C'est ce qu'on fit pour le Seigneur et pour ses disciples. Ils allèrent
ensuite dans la maison d'André qui était marié : on y avait apprête un
repas composé de miel, de petits pains et de raisin. La maison est
située sur l'un des côtés de la ville : elle est assez grande et
précédée d'une cour entourée de murs. Le Seigneur avait avec lui Pierre,
Philippe et André, qui, je crois, avait pris les devants. Une douzaine
d'hommes prenaient part au souper : je ne me souviens plus bien si
c'étaient des apôtres ou d'autres disciples. A la fin du repas, il vint
aussi six femmes pour entendre parler le Seigneur. Jésus prit ici son
logement.
15 octobre.
— Aujourd'hui Jésus visita à
BethsaÏde une seconde maison où se trouvaient plusieurs femmes : je ne
sais pas si c'était la maison de Philippe. Il quitta ensuite Bethsaïde
avec les apôtres. Il alla au nord et s'arrêta encore devant Bethsaïde
dans une maison où étaient déposés beaucoup d'objets à l'usage des
pêcheurs. Il s'était rassemblé là une quantité de personnes devant
lesquelles Jésus enseigna assez longtemps. De là il remonta le long du
Jourdain qu'il passa sur un pont, bien au-dessus de l'endroit où il
avait traversé le fleuve précédemment.
16 octobre.
— Aujourd'hui Jésus marcha toute
la journée avec les trois apôtres à travers la Galilée orientale, se
dirigeant au midi vers le pays des Amorrhéens ou de Basan. Il a marché
aussi une partie de la nuit.
17 octobre.
— Ce matin vers cinq heures, je
vis dans une contrée située au delà du Jourdain, où il y avait beaucoup
de sable blanc et de pierres blanches, plusieurs disciples qui
attendaient l'arrivée du Seigneur sous un hangar de bergers. Il y avait
avec eux trois jeunes gens d'une taille élancée qu'ils avaient amenés et
qui me parurent être du pays où le Seigneur avant d'aller à Samarie
enseigna sous un arbre et bénit des enfants. Ils cueillirent ici des
baies et d'autres fruits : c'étaient des baies jaunes et vertes, grosses
comme des figues, et de petites pommes jaunes qui venaient soit sur des
buissons, soit sur des arbres d'où ils les faisaient tomber avec des
bâtons crochus.
Le chemin que le Seigneur suivit avec les trois apôtres était une belle
route à l'usage du public : cependant elle paraissait peu fréquentée,
car l'herbe y poussait en abondance. Elle était bordée des deux côtés
d'arbres fruitiers, très touffus, dont les branches s'entremêlaient
ensemble. Les apôtres cueillirent des fruits qu'ils mirent dans leurs
poches : le Seigneur n'y toucha pas. Il me sembla qu'il avait suivi
toute la nuit un chemin montant. Ceux qui l'attendaient allèrent à sa
rencontre, le saluèrent et l'entourèrent, sans toutefois lui donner la
main.
Jésus était plus grand que les apôtres. Soit qu'ils marchassent, soit
qu'ils s'arrêtassent, on voyait toujours dominer son front pâle et
majestueux. Il marchait d'un pas ferme et le corps très droit : il
n'était ni gras ni maigre, mais son corps était admirablement
proportionné, et tout en lui annonçait la santé et la vigueur. Il avait
de larges épaules et une large poitrine. Ses muscles étaient développés
comme ceux d'un homme qui voyage beaucoup et prend beaucoup d'exercice :
toutefois, rien en lui ne portait la trace d'un travail rude et pénible.
Devant le hangar était une poutre équarrie, longue et large. Jésus et
ses compagnons s'assirent autour comme à table et on plaça devant chacun
une portion des fruits qu'on avait recueillis. Ils avaient aussi avec
eux de petites cruches contenant un breuvage. A l'horizon s'élevaient
des montagnes devant lesquelles était une ville. Je crois que c'était
sur le territoire des Amorrhéens. A peu de distance d'ici le chemin
descendait un peu. Je les vis marcher tout le jour et arriver vers le
soir à un village composé de maisons disséminées. Sur le chemin était
une espèce d'hôtellerie où ils entrèrent d'abord, et où se rassemblèrent
autour d'eux beaucoup de curieux. Les gens de ce pays n'avaient guère
entendu parler de Jésus : ils étaient du reste simples et bons. Le
Seigneur raconta ici une 1`arabole sur le bon Pasteur. Ils ne restèrent
pas dans cette maison, mais ils allèrent dans une autre hôtellerie un
peu écartée du chemin : ils y mangèrent et y dormirent. Le Seigneur leur
dit qu'il irait seul avec les trois jeunes gens, passerait par la
Chaldée et le pays d'Ur où Abraham était né et se rendrait en Egypte par
l'Arabie. Les disciples devaient se répandre de divers côtés en deçà des
limites de la Terre promise et y enseigner ; lui aussi voulait enseigner
là où il irait. Il leur assigna comme lieu de rendez-vous au bout de
trois mois le puits de Jacob près de Sichar. Je vis parmi les disciples
Siméon, Cléophas et Saturnin.
18 octobre.
— Au point du jour Jésus se sépara
des apôtres et des disciples qui l'accompagnaient. Il leur tendit la
main. Ils étaient très contristés de ce qu'il ne voulait prendre avec
lui que les trois jeunes gens lesquels étaient âgés de dix-sept à
dix-huit ans. J'ai su le nom du plus jeune, mais je l'ai oublié. Plus
tard, il a été souvent employé par les apôtres et il a beaucoup
travaillé et beaucoup souffert. Le chemin que prit le Seigneur se
dirigeait vers le levant, toujours en descendant. Vis-à-vis s'élevaient
les montagnes de Galaad. Le sol était blanchâtre et sablonneux : on
voyait ça et là des cèdres, des dattiers et aussi des noyers : des
ruisseaux coulaient dans la vallée. Il y a dans les environs plusieurs
villes : je me rappelle les noms d'Astharoth et de Cédar.
André, Philippe et Pierre retournèrent chez eux. Les disciples se
dispersèrent sur divers points de la frontière. Jésus voulut aller pour
le sabbat dans une ville qui était la dernière ville juive de ce côté.
Je crois que c'est Cédar.
Le Seigneur portait sur son corps une tunique brunâtre, faite au métier
ou tricotée, et plissée dans le sens de la longueur : il avait par
là-dessus une longue robe blanche de laine fine avec de larges manches,
laquelle était serrée autour du corps par une large ceinture faite de la
même étoffe, ainsi que le mouchoir qu'il roulait autour de sa tète pour
dormir.
Ils mangèrent en chemin des fruits et des baies. Les jeunes gens
portaient des besaces ou se trouvaient des petits pains et des petites
cruches contenant un breuvage. Ils avaient des bâtons. Plus d'une fois
le Seigneur aussi cassa une branche pour s'en faire un bâton qu'il
laissait là au bout de quelque temps. Il avait des semelles sous ses
pieds nus. Pendant la route il instruisait les jeunes gens qui étaient
très innocents et très simples. Le soir ils entrèrent le soir dans une
maison isolée habitée par des gens simples et grossiers. Ils y passèrent
la nuit.
Jésus ne se fit pas connaître ici et pourtant il enseigna en racontant
de belles paraboles, relatives au bon Pasteur pour la plupart. On lui
fit des questions touchant Jésus de Nazareth, mais il ne leur dit pas
que c'était lui. Il les interrogea sur leurs travaux et sur leurs
affaires et ils le prirent pour un berger qui voyageait en quête de bons
pâturages, ainsi qu'on en rencontrait souvent dans la Palestine. Je ne
le vis pas opérer de guérisons ni faire de miracles.
19 octobre.
— Jésus se remit en route ce
matin. Il peut être encore à quelques milles de Cédar, ville située sur
un point où l'on arrive en montant toujours : les montagnes s'élèvent
par derrière. La patrie d'Abraham est, je crois, encore loin de là vers
le nord-est : le pays des trois rois est au sud-est.
Les disciples étaient retournés chez eux, ou s'étaient répandus en
divers lieux pour enseigner. Zachée de Jéricho s'était trouvé ici avec
eux. Il revint chez lui, renonça à son emploi, vendit tout ce qu'il
possédait pour le donner aux pauvres et se retira dans un petit endroit
avec sa femme : ils vécurent dès lors dans la continence. Le Seigneur
avait annoncé aux disciples qu'il se réunirait à eux après un intervalle
de neuf semaines.
Il y avait eu une grande agitation à Jérusalem à la suite de la
résurrection de Lazare. Jésus s'éloigna pour se faire oublier ; pendant
ce temps beaucoup de gens pourraient se convaincre de la vérité de ce
prodige et seraient par là préparés à se convertir. Quand il revint, il
avait beaucoup maigri. Rien n'a été écrit sur ce voyage, car aucun des
apôtres ne l'accompagnait. Peut-être aussi tous ne savaient-ils pas où
il était allé. Autant qu'il m'en souvient, c'est la première fois que je
vois ce voyage.
Aujourd'hui le Seigneur accompagné des trois jeunes gens poursuivit sa
route vers le sud-est en faisant plusieurs détours. Pendant la nuit du
19 au 20 ils logèrent de nouveau chez des bergers dans une maison
isolée. Les gens de ce pays sont généralement bons et sans malice. Ils
admirent Jésus et l'ont pris en amitié. Il raconte plusieurs des
paraboles qu'il a racontées en Judée et ils l'écoutent avec plaisir. Il
ne guérit pas, il ne bénit pas : quand ils l'interrogent sur Jésus de
Nazareth, il leur parle de ceux qui se sont mis à sa suite et il lie
encore cela à des paraboles. Ils le prennent pour un berger en quête de
troupeaux ou de pâturages.
20 octobre.
— Jésus continua à voyager ainsi
pendant la journée de vendredi. Ses rapports avec ses trois jeunes
compagnons sont singulièrement touchants. Le plus jeune d'entre eux qui
a quinze ou seize ans, se nomme Erémenzear. Plus tard, lorsqu'ils firent
partie des disciples, Jésus leur donna à tous les trois d'autres noms
qui se rapportaient à leurs caractères. Je ne les sais pas encore. Ils
ne m'ont pas l'air de Juifs : ils sont tout autres, plus élancés, plus
adroits et ils portent de longs vêtements. Je crois savoir confusément
qu'ils ont pour parents des bergers qui avaient fait partie du cortège
des trois rois de l'Orient et qui restèrent en Palestine. Le pays où ils
vont maintenant semble être leur patrie. Ils sont avec Jésus comme des
enfants, ils le servent avec beaucoup de bonne grâce et quand on
rencontre de l'eau, ils lui lavent les pieds. Ils courent à droite et à
gauche sur le chemin, rapportent des baguettes, des branches, des
fleurs, des fruits. Jésus les enseigne très affectueusement et leur
explique en paraboles tout ce qui est arrivé jusqu'à présent. On
rencontre souvent dans ce pays de grands buissons épineux où pendent de
très grosses baies. Ils n'allèrent pas à Cédar par la route directe,
mais par des chemins détournés et ils visitèrent plusieurs maisons.
Ils arrivèrent aujourd'hui à Cédar avant le sabbat. Il était trop tard
pour entrer dans la ville et ils passèrent la nuit dans une grande
hôtellerie ouverte, où beaucoup d'autres voyageurs avaient aussi cherché
un abri. Il y a là beaucoup de hangars avec des endroits pour se coucher
: le tout est entouré d'une cour fermée. Un homme auquel appartenait
cette maison ou qui en était le surveillant l'avait ouverte le soir,
après quoi il était retourné à la ville. Jésus célébra le sabbat dans
l'hôtellerie avec les jeunes gens.
21 octobre.
— Ce matin l'homme de l'hôtellerie
revint de la ville et je crois me rappeler qu'on lui paya un petit écot.
Les voyageurs s'en allèrent chacun de leur côté. Mais il prit avec lui
Jésus et ses compagnons qu'il conduisit à la ville dans sa maison. La
ville est située à l'entrée des montagnes, dans une vallée arrosée par
un cours d'eau dont elle occupe les deux rives. Elle se compose d'une
vieille et d'une nouvelle ville, séparées par la petite rivière qui
vient du levant et coule vers la Terre promise. Cette rivière est très
encaissée et deux arches en maçonnerie la traversent. La partie de la
ville qui est en deçà du cours d'eau est la moins importante et la plus
pauvre : elle est habitée en majorité par des bergers juifs qui en outre
font métier de construire des cabanes et de fabriquer divers objets à
l'usage des bergers. Le quartier de l'autre rive parait plus riche : il
est habité par des païens sans mélange de Juifs. Les gens d'ici ne sont
déjà plus tout à fait habillés à la mode juive : ils ont souvent des
capuchons pointus. Dans le quartier qui est en deçà de la rivière, il y
a une synagogue. On voit aussi sur une place une fontaine jaillissante,
entourée de pelouses bien tenues, avec des allées sablées. C'est ce
qu'il y a de plus beau dans l'endroit.
Le Seigneur et les jeunes gens allèrent à la synagogue avec leur hôte et
ils célébrèrent le sabbat fort tranquillement Quand les prières furent
terminées, Jésus leur demanda s'ils voulaient qu'il leur racontât
quelque chose, et comme ces braves gens y consentirent de grand coeur,
il leur raconta entre autres choses la parabole de l'enfant prodigue.
Ils écoutèrent très attentivement et témoignèrent beaucoup d'admiration.
Ils ne savaient pas qui il était. Il se donna pour un berger qui
cherchait des agneaux perdus et voulait les conduire dans de bons
pâturages. Ils virent en lui un prophète et l'invitèrent à venir dans
leurs maisons. Il enseigna encore et raconta des paraboles le jour
suivant.
22-24 octobre.
— Aujourd'hui, il parla en
plein air près de la fontaine : les hommes et les femmes étaient assis à
ses pieds, sans distinction, ou couchés sur l'herbe : il prit des
enfants dans ses bras. Il raconta, entre autres choses, comment Zachée
était monté sur le sycomore, et avait tout quitté pour suivre Jésus : il
parla aussi de l'homme qui s'était glorifié dans le temple "de n'être
pas comme ce publicain", et aussi de celui qui s'était frappé la
poitrine en disant : "Seigneur, ayez pitié de moi qui suis un pauvre
pécheur".
Le lundi Jésus séjourna encore à Cédar. Les habitants l'avaient pris en
affection et étaient sans défiance à son égard. Ils l'ont prié de rester
jusqu'au sabbat suivant, et d'enseigner alors dans l'école. On lui fit
beaucoup de questions sur Jésus et il raconta plusieurs choses touchant
ce Jésus et son enseignement. Le soir il alla dans un petit endroit
situé à une lieue de là, en descendant la rivière, et il y passa la
nuit. On l'avait invité à y venir. Il ne revint que le mardi soir à
Cédar où il enseigna.
25 octobre.
— Aujourd'hui Jésus alla à l'est
de Cédar dans une contrée où il y avait des palmiers et de belles
prairies. Il se dirigeait vers un endroit qui s'appelle, je crois' Edon.
Il visita sur son chemin une maison isolée où le père et la mère de
famille étaient depuis longtemps retenus sur leur couche par une maladie
incurable. Il y avait dans la maison plusieurs enfants qui allaient et
venaient. C'étaient de bonnes gens et Jésus resta près d'eux. Ils
l'interrogèrent sur Jésus de Nazareth touchant lequel ils avaient
entendu divers bruits absurdes. Il parla de lui, des persécutions qu'il
avait a subir, et dit qu'il reviendrait dans le royaume de son père et
donnerait part à ce royaume à tous ceux qui voudraient le suivre. Il
raconta tout cela dans une belle parabole touchant un roi et son fils.
Je vis en même temps une vision de sa Passion et de son Ascension : je
vis son trône élevé au-dessus du monde à côté de son Père avec tous les
anges qui l'entouraient et je vis la récompense de ses imitateurs. Je
vis le tableau de son royaume et de toute la parabole qu'il racontait à
ces gens. Je vis qu'il leur laissa ce tableau imprimé dans leur coeur.
Il leur demanda ensuite s'ils voulaient suivre le bon roi, et comme ils
lui répondirent qu'ils le voulaient, il leur dit que Dieu allait les
récompenser en leur rendant la santé de manière à ce qu'ils pussent le
suivre à Edon. Ils furent en effet guéris sur-le-champ et le lendemain
ils l'accompagnèrent jusqu'à Edon au grand étonnement de tout le monde.
26 octobre.
— J'arrivai à cette petite ville à
travers des campagnes riantes et des prairies où s'élevaient des
palmiers : en y entrant, je vis à gauche sur une place une maison où
l'on faisait une noce. Cette maison où se célébraient ordinairement les
fêtes de ce genre se compose d'une grande salle à l'extrémité de
laquelle est la cuisine, et de chambres à coucher disposées tout autour
de la maison où les lits sont rangés trois par trois et séparés par une
cloison. Tout cela est au milieu d'une cour entourée d'un mur. Quoiqu'on
fût en plein jour, une lampe était allumée dans la salle.
Il y a ici dans les moeurs plus de simplicité et de liberté que dans
l'intérieur de la Judée. Les hommes et les femmes, le fiancé et la
fiancée se tenaient dans la même pièce : tous étaient parés de
guirlandes. Des enfants chantaient ou jouaient de la flûte et d'autres
instruments de musique, ces bonnes gens attendaient Jésus qu'ils
regardaient comme un prophète. Ils avaient entendu parler des
enseignements en paraboles qu'il avait donnés à Cédar et ils l'avaient
invité à leur fête.
Je vis le Seigneur partir de chez les deux époux qu'il avait guéris, et
arriver ici dans l'après-midi. Les trois jeunes gens vinrent avec lai.
Il avait à la main un bâton recourbé par en haut comme une houlette. Les
habitants le reçurent avec joie et avec respect, ils lui lavèrent les
pieds qu'ils essuyèrent avec leurs vêtements, ils en firent autant pour
ses compagnons. Ils prirent son bâton qu'ils déposèrent dans un coin.
Ils dressèrent une table pour lui : on apporta du poisson, des petits
pains, un rayon de miel qui avait bien un pied de long, et des baies
rouges dont on arracha avant de les manger une petite couronne de
feuilles noires avec des points blancs. Il y avait aussi sur la table de
petites cruches, des coupes et de petites écuelles qui semblaient de
terre vernissée : on y prenait avec une cuiller quelque chose qu'on
mettait dans la boisson. Ils mangeaient étendus sur de petits bancs avec
des dossiers : on plaça Jésus entre le fiancé et la fiancée. Les femmes
étaient assises plus bas. Le Seigneur bénit les mets et tous en
mangèrent.
Jésus enseigna pendant le repas. Il parla de cet homme de Judée qui
avait changé l'eau en vin aux noces de Cana en Galilée. Sur ces
entrefaites arrivèrent les deux époux qu'il avait guéris la veille, et
ses hôtes qui les savaient malades depuis si longtemps furent saisis
d'étonnement. Ils rapportèrent ce que le Seigneur leur avait raconté du
roi et de son royaume ; s'ils croyaient à sa parole, avait-il dit, ils
auraient un jour part à son royaume, aussi sûr qu'ils étaient guéris
maintenant. Jésus leur expliqua encore une fois tout cela et leur dit
nettement qu'il y avait encore un mur entre eux et le royaume de ce roi,
mais qu'ils le franchiraient s'ils se surmontaient eux-mêmes.
Malheureusement je ne puis reproduire ce que j'ai entendu comme il le
faudrait : j'ai entendu toutes les paroles, toutes les questions et j'ai
été occupée de ce mariage toute la nuit. Ce n'est qu'un peu avant le
jour qu'ils allèrent se coucher et le Seigneur dormit derrière la salle
à manger prés de ses jeunes compagnons.
Après le repas, je vis Jésus aller se reposer : il était plus de minuit.
Il dormit dans la même chambre que les trois jeunes gens. Je vis, comme
je l'ai toujours vu, le Seigneur se retirer à part, avant de se coucher,
et prier son Père céleste, agenouillé et les mains levées au ciel. Je
vis alors des rayons lumineux sortir de sa bouche, et en même temps
descendre vers lui une lumière céleste ou peut-être une figure d'ange.
Cela arrivait souvent aussi pendant le jour quand il se retirait à
l'écart dans quelque lieu solitaire. J'ai appris de lui à prier ainsi
dès mon enfance : je faisais ce que je lui voyais faire.
Avant l'Incarnation, je voyais la sainte Vierge prier le plus souvent
debout, les mains croisées sur la poitrine et les yeux baissés. Mais
lorsqu'elle fut devenue la mère du Seigneur, je la vis ordinairement,
lorsqu'elle était seule, prier à genoux, la tête levée, les yeux et les
mains tournés vers le ciel.
Je vis combien Marie et les autres amis de Jésus avaient à souffrir de
la méchanceté des Juifs. La résurrection de Lazare qui avait fait sur
beaucoup de personnes une impression favorable au Sauveur, les avait
remplis d'une telle rage qu'ils persécutèrent partout les partisans de
Jésus. Lazare se tenait caché le plus souvent dans les caves de sa
maison : les amis qu'avait Jésus à Bethanie, à Bethphagé et dans le
petit endroit où il s'était arrêté en dernier lieu avant d'aller à
Béthanie, n'osaient pas sortir de leurs retraites. Je vis des femmes de
distinction dévouées à Jésus Leur porter de Jérusalem des aliments,
notamment de petits oiseaux dans des corbeilles. La mère de Jésus en
était réduite à ne pouvoir pas aller le soir sur le chemin sans
s'exposer à ce qu'on lui jetât des pierres. Jean était dans son pays.
J'eus aussi ces derniers jours une vision touchant Judas. Lui seul se
montre hardi et effronté en présence des Pharisiens : il parla
longuement avec eux de Jésus, non sans se vanter à tout propos ; il se
persuade qu'il va les détourner de faire telle ou telle chose, et avec
toute sa jactance il renie souvent le Seigneur. Je compris par là
combien le bavardage est dangereux. Je vis Marie l'avertir plusieurs
fois, mais il ne prenait rien de tout cela au sérieux et il en riait. Il
était du reste compatissant et serviable. C'était toujours pour moi un
grand chagrin de penser qu'il devait tomber si bas, mais une malédiction
terrible pesait sur lui depuis sa naissance.
Le plus âgé des trois jeunes gens qui accompagnaient Jésus dans son
voyage s'appelait Eliud, et fut baptisé plus tard sous le nom de
Siricius. Celui qui venait ensuite s'appelait Sela ou Silas ; le plus
jeune, Erémenzear, fut nommé plus tard Hermès. Leurs parents, qui
étaient de la même race que Mensor, étaient tombés dans la pauvreté et
avaient fait partie du cortège des trois rois ; puis ils étaient restés
chez les bergers de la vallée qui avoisine Bethléhem, avaient embrassé
le judaïsme et pris des femmes juives : ils possédaient des pâturages
entre Samarie et Jéricho. Je crois que Jésus, après son entretien avec
la Samaritaine près du puits de Jacob, avait guéri un de ces jeunes
garçons, dans les environs de Sichar, à la demande de la sainte Vierge
(tome II, page 196). On les appela par la suite " les disciples discrets
", et ils furent plus tard avec Thomas, Jean et Paul. Erémenzear a écrit
quelque chose sur le voyage.
Ceux que Jésus avait convertis pendant ce voyage, soit à Cédar, soit
plus loin, furent, je crois, baptisés plus tard par Thomas, dont la
vigne commençait à l'endroit où finissait celle de Jean. Il a cultivé
tout ce district depuis l'Arabie jusqu'à l'Inde, et il a donné le
baptême aux gens de la suite des trois rois qui vivaient encore.
27 octobre.
— Ce matin le Seigneur était
encore à Edon. L'affluence était si grande qu'il fut obligé de sortir et
de prêcher devant la maison. Il régla ici beaucoup de choses. Deux
personnes qui voulaient se marier, quoique étant parentes du côté
paternel, le consultèrent à ce sujet : il leur expliqua que la loi de
Moïse leur interdisait de s'unir, et il enseigna sur le mariage en
général. L'un et l'autre s'engagèrent à vivre dans la chasteté.
Comme Jésus enseignait ici sur le mariage, on lui parla d'un endroit
voisin où les habitants n'observaient plus les prescriptions de la loi
sur cette matière et où un homme avait épousé successivement les sept
soeurs. On raconta cela en le déplorant et le Seigneur résolut d'aller
dans cet endroit.
Deux de ses habitants assistaient ici au repas de noces. L'un d'eux
n'avait pas d'enfants de sa propre femme, mais il avait eu de la femme
de l'autre qui s'appelait Eliud, plusieurs enfants que celui-ci croyait
être à lui.
Les discours de Jésus pendant le repas excitèrent de vifs remords chez
le coupable. Plus tard Jésus réconcilia ces deux hommes et les amena à
la pénitence et au renoncement. Il remit encore la paix dans d'autres
familles. Après le repas, plusieurs des assistants revinrent avec lui à
Cédar pour y célébrer le sabbat.
A Cédar qui n'est qu'à deux lieues, il y avait près de la synagogue,
dans un jardin, un oratoire ouvert où se trouvait un autel avec des
lampes placées sur de grands chandeliers. Une haie séparait les hommes
et les femmes. Les prêtres cédèrent volontiers leur place au Seigneur et
il fit, au lieu d'eux, les instructions et les prières. Ils restèrent là
jusque vers les dix heures, ayant sur leur tète le ciel étoilé: après
quoi, Jésus se rendit à la synagogue.
28 octobre.
— Aujourd'hui, Jésus enseigna
toute la Journée dans l'école de Cédar ; on l'interrogea de plusieurs
cotés sur des cas de conscience relatifs aux prescriptions de la loi,
spécialement sur des questions matrimoniales qu'on le pria de décider.
On parla encore de cet endroit où un homme avait épousé successivement
les sept soeurs. Les assistants semblaient très partagés dans leurs
opinions.
Vers le soir, le Seigneur revint chez son premier hôte près de la porte
de la ville : il prit un peu de nourriture, après avoir encore enseigné
dans le jardin voisin de la synagogue.
29 octobre.
— Ce matin Jésus enseigna encore à
la synagogue sur le mariage. Il vint à lui deux époux divorcés qu'il
réconcilia. Le mari avait avec lui ses proches : la femme était de même
accompagnée des siens. Le Seigneur s'entretint séparément avec les uns
et les autres, puis les époux s'avancèrent, se tendirent la main et le
Seigneur les bénit. Je crois que ces gens étaient de l'endroit où l'on
avait des idées si fausses sur les lois qui réglaient le mariage. Quand
Jésus eut fini d'enseigner ici, ces gens qui étaient bons et simples lui
racontèrent une histoire qu'ils tenaient de leurs ancêtres et le
consultèrent à ce sujet. Malheureusement tout ce que j'en ai retenu est
qu'il y était question de deux femmes, une veuve sans enfants qui
affectait la sainteté, et une autre femme qui avait un mari et des
enfants ; la fausse dévote avait pour directeur un prophète : elle était
remplie d'amour-propre. J'ai oublié le nom du prophète. Jésus leur
expliqua quelque chose à ce sujet. Il prit de nouveau son repas chez son
hôte, près de la porte de la ville. Après le repas, ses trois compagnons
reconduisirent chez eux les deux vieux époux qu'il avait guéris.
Jésus fut ensuite conduit à une maison située dans une partie plus
élevée de la ville, et habitue par un jeune couple qui avait des
enfants. Il y enseigna, imposa les mains aux enfants et mangea aussi
quelque chose au repas du soir. Je l'ai vu bien rarement manger deux
fois le même jour. Ici, les femmes mangeaient à table, assises au bout
inférieur. Le soir les trois jeunes gens revinrent. Il passa la nuit
dans cette maison.
30 octobre.
— La partie de la ville située en
deçà de la rivière où Jésus se trouve maintenant, se compose de groupes
de maisons bâties en terrasse contre une montagne escarpée. On a souvent
à monter, pour y arriver, des escaliers taillés dans le roc. Telle
était, entre autres, la maison où il se trouvait en dernier lieu. Le
quartier de la ville situé de l'autre côté de l'eau semble indépendant
de celui-ci : il est bâti sur une colline et le sol en est plus uni. Le
Seigneur n'y était pas encore allé.
Ce soir je vis Jésus se diriger vers le nord, où le pays est moins
montueux. Il était accompagné de plusieurs personnes, notamment de
parents et de compatriotes de la jeune femme aux noces de laquelle il
avait assisté. Le lieu où je le vis semble être une résidence de
bergers. Il y a plusieurs hangars ouverts, des maisons dont les murs
sont faits de fagots d'épines, de longues rangées d'arbres dont les
branches sont entrelacées ensemble, et des haies vives tout autour : cet
ensemble d'habitations est fermé par une porte grillée, à l'entrée et à
la sortie. Cependant il ne semblait pas que personne y habitât pour le
moment. Je vis Jésus et ses compagnons entrer dans l'enceinte à la chute
du jour : ils mangèrent des fruits sous un hangar ; c'étaient des
figues, du raisin, des dattes et des baies de couleur noire. Ils étaient
encore là quand les étoiles commencèrent à se montrer dans le ciel.
C'était une très belle nuit : il faisait chaud et les gouttes de rosée
brillaient dans le gazon. A quelque distance de là se trouve cette
petite ville dont les habitants connaissent si mal les lois touchant le
mariage.
31 octobre.
— Jésus parcourut encore le pays
dans diverses directions et ce ne fut que vers le soir qu'il arriva près
d'une petite ville située au nord de Cédar sur le penchant d'une
montagne. La plupart des gens qui l'avaient Suivi s'étaient dispersés
dans les environs pour regagner leurs demeures. Les trois jeunes gens
étaient avec lui. Il vint au-devant de lui des gens qui le conduisirent
à la ville dont le nom ressemble à Sichar `, et le firent entrer dans
une maison destinée aux fêtes publiques, assez semblable à celle que
j'avais vue à Cana en Galilée. Beaucoup de personnes s'y trouvaient
rassemblées et il y avait une espèce de solennité. Un couple de jeunes
époux avait perdu ses parents enlevés par une mort subite et on donnait
à manger aux gens qui avaient accompagné les corps au tombeau. Devant la
maison était une cour entourée d'un treillis, dans laquelle se trouvait
un berceau de verdure artistement tressé. Aux quatre coins de cette cour
se trouvaient quatre blocs de pierre brute creusés en forme d'auge et
remplis d'eau, d'où sortaient des plantes grimpantes, lesquelles
montaient sur des pieux, et formaient des arcades de verdure qui
allaient retomber au milieu de la cour sur une colonne ayant l'apparence
du marbre et ornée de ciselures de toute espèce.
NOTE : Pour distinguer cet endroit, nous l'appellerons dorénavant Sichar-Cédar.
Cette colonne ne semblait pas être en pierre, et elle paraissait pouvoir
être transportée facilement d'un lien à l'autre. Ces plantes n'étaient
que posées dans les vases ; elles se conservaient parfaitement fraîches
comme des roseaux. Cette décoration et d'autres semblables qui étaient
dans la maison faisaient un effet charmant.
Le maître de la maison reçut Jésus dans une salle voisine de cette cour.
Il le força de se placer sur un siège, ainsi que ses compagnons, et leur
lava les pieds dans un bassin qu'on avait apporté. On leur offrit
ensuite à boire et un peu de pain. Ils allèrent après cela dans une
autre pièce où un repas était préparé. On voulait que Jésus s'assit à la
place d'honneur. Mais il s'y refusa ; il voulut servir à table, et il
servit tous les convives, leur présentant le pain, les fruits et les
grands rayons de miel ; il versa dans les coupes de la liqueur que
contenaient les cruches ; et je vis qu'elle était de trois espèces : il
y avait un jus verdâtre, une boisson de couleur jaune, et un liquide
tout a fait blanc. Jésus enseigna : il parla de la manière de servir et
de tout ce qui s'y rapportait. Je ne puis répéter exactement ce qu'il
dit. Je crois qu'ils n'ont pas couché dans cette maison, qui semblait
n'être qu'une maison destinée aux fêtes. Cette ville est celle dont
Jésus avait entendu dire, aux noces d'Edon, que beaucoup de gens y
avaient contracté des mariages illicites.
L'homme que Jésus était venu trouver ici s'appelait Eliud ; il avait
assisté aux noces célébrées à Edon. C'était celui dont Jésus savait que
la femme avait conçu tous ses enfants dans l'adultère, quoiqu'il les
crût siens. Eliud avait été aux noces sans sa femme, et il était revenu
dans sa patrie avant Jésus. Il y avait appris une bien triste nouvelle,
car les parents de sa femme étaient morts de chagrin tous les deux parce
qu'ils avaient découvert que leur fille était enceinte, et qu'ils
savaient que ce ne pouvait pas être de leur gendre. celui-ci ayant fait
voeu de continence et se trouvant absent au moment de la conception. Ces
bons vieillards, accablés de douleur, s'étaient jetés dans les bras l'un
de l'autre, et ils étaient morts ainsi. Leur gendre ignorait la cause de
leur mort ; il ne soupçonnait pas non plus l'infidélité de sa femme. Le
Seigneur, à son arrivée, trouva les habitants de l'endroit rassemblés
dans une maison publique pour la cérémonie des funérailles. La femme
n'était pas présente à cette cérémonie. Tous les assistants étaient en
longs vêtements de deuil avec des ceintures noires ; quelques-uns
avaient des bandelettes noires autour du bras, d'autres autour de la
tête. On faisait des prières à cette cérémonie. Un homme s'avançait au
milieu de la réunion, priait et parlait. Jésus remplit ici cet office.
Il parla de la mort comme châtiment du péché, des naissances pures et
des naissances impures, et il en revint encore a des comparaisons tirées
de la vigne.
Après la cérémonie, Jésus alla avec Eliud chez celui-ci. Il laissa ses
trois disciples chez d'autres personnes. Eliud le conduisit à sa femme
qu'ils trouvèrent plongée dans un profond chagrin ; le Seigneur voulut
l'entretenir en particulier, et Eliud se retira. Je vis alors le
Seigneur parler à cette femme. Elle lui avoua son crime, se jeta à ses
pieds en pleurant, et Jésus la bénit. Ensuite il la quitta, et Eliud le
conduisit à sa chambre à coucher. Je vis le Seigneur lui adresser encore
des paroles graves et touchantes, puis, lorsqu'il se fut retiré, prier
et prendre un peu de repos.
1er novembre.
— Ce matin, de bonne heure, je
vis Eliud, portant un bassin plein d'eau et une branche verte, entrer
chez Jésus, qui était encore accoudé sur sa couche. Il se leva aussitôt,
et Eliud lui lava les pieds, qu'il essuya avec sa robe. Alors le
Seigneur lui dit de le conduire dans sa chambre à coucher, parce qu'il
voulait à son tour lui laver les pieds. Eliud ne voulait pas y
consentir. Mais Jésus lui dit d'un ton sévère que s'il s'y refusait, il
quitterait sa maison à l'instant ; qu'il en devait être ainsi, et que
puisqu'il voulait aller à sa suite, il ne devait pas hésiter à lui
obéir. Alors cet homme conduisit Jésus dans sa chambre à coucher, et
apporta de l'eau dans un bassin. Mais Jésus lui prit les deux mains, le
regarda en face d'un air affectueux ; puis, lui ayant dit quelques mots
du lavement des pieds, il en vint à parler de la destinée humaine, et
lui dit enfin que ses enfants avaient été conçus dans l'adultère, que sa
femme était enceinte, qu'elle se repentait, et qu'il fallait lui
pardonner. Alors cet homme fondit en larmes, se jeta par terre et s'y
roula en poussant des gémissements que lui arrachait l'excès de sa
douleur. Jésus s'éloigna de lui, se tourna d'un autre côté et pria. Au
bout de quelques instants, quand la première douleur fut passée, Jésus
revint à lui, le releva, le consola et lui lava les pieds. Alors il se
calma et Jésus lui ordonna d'appeler sa femme. Celle-ci vint, ayant son
voile baissé. Jésus prit sa main, qu'il mit dans la main d'Eliud, les
bénit, les consola, et releva le voile de la femme. Puis il les fit
sortir et demanda qu'on lui envoyât les enfants. Quand ils furent venus,
il leur parla, les bénit et les ramena à leurs parents. Les époux, à
dater de ce moment, vécurent unis, se gardant la fidélité, et tous deux
firent voeu de continence.
Je vis, ce même jour, le Seigneur visiter dans leurs maisons la plus
grande partie des habitants du lieu, et redresser leurs erreurs. Je le
vis aller de maison en maison, s'entretenir avec chacun d'eux de sa
position particulière, et gagner le coeur de tous.
Il y a près de cet endroit des rangées considérables de ruches qui
s'étendent sur le penchant de la montagne. La pente est disposée en
terrasses, et on voit adossés à la montagne plusieurs ruchers
quadrangulaires, aplatis par en haut, et élevés d'environ sept pieds.
Ils renferment plusieurs rangées de ruches placées les unes sur les
autres. Elles ne se terminent pas par une extrémité arrondie, mais en
pointe comme un toit, et on peut les ouvrir par devant. Tout le rucher
est fermé par un treillage de jonc artistement tressé. Les diverses
ruches sont séparées par des escaliers conduisant sur des terrasses où
croissent des arbrisseaux attachés à des treillages et couverts de baies
et de fleurs blanches. On monte ensuite à d'autres ruches situées plus
haut.
2 Novembre.
— Vers quatre heures de
l'après-midi je vis Jésus enseigner et raconter sous le berceau de
verdure de la maison où se donnaient les fêtes. De la place où il se
trouvait il dominait un peu ses nombreux auditeurs. Les femmes se
tenaient en arrière et je craignais qu'elles ne pussent pas entendre
tout ce qu'il disait. Ces gens avaient demandé au Seigneur d'où il était
: il ne leur répondit qu'en Paraboles et ils crurent en toute
simplicité.
Il y avait là beaucoup de gens obérés et endettés : et Jésus raconta une
parabole touchant un fils de roi qui était venu pour payer toutes les
dettes. Ils prirent cela à la lettre et se réjouirent fort. Jésus passa
de là à la parabole du serviteur auquel sa dette avait été remise et qui
voulait traduire en justice un compagnon qui lui devait une petite
somme. Il leur dit aussi que son père lui avait donné une vigne, qu'il
devait la tailler, la cultiver et chercher des ouvriers pour y
travailler. C'était pour cela qu'il était venu. Beaucoup de serviteurs
inutiles e t paresseux devaient être jetés dehors ainsi que les sarments
qu'ils n'avaient pas retranchés. Puis il leur donna des explications sur
la taille de la vigne, parla des ceps qui produisaient peu de raisin,
mais une grande quantité de branches et de feuilles, de la végétation
inutile qui s'est produite dans l'homme par l'effet du péché, et de la
nécessité de la tailler et de la supprimer par le renoncement afin qu'il
puisse venir des fruits. Il en vint enfin au mariage, à ses lois, et à
la tempérance qu'on doit y observer, dit combien le penchant qui y porte
rabaisse souvent l'homme au-dessous de la bête, et comment il doit être
maîtrisé pour porter des fruits. Puis il en revint à la vigne et exhorta
ses auditeurs à la cultiver dans leur pays. Ils répondirent en toute
simplicité qu'ils n'avaient pas d'endroits propres à cette culture. Mais
il leur répondit qu'ils pouvaient établir un vignoble là où était cette
quantité d'abeilles, qu'il y avait là un emplacement convenable : après
quoi il leur raconta une autre parabole touchant les abeilles. Ils ne
demandaient pas mieux que de travailler dans sa vigne, s'il le désirait,
mais il leur dit qu'il devait aller ailleurs pour payer des dettes,
qu'il lui fallait faire mettre sous le pressoir le vrai cep de vigne
pour en tirer un vin vivifiant, afin que d'autres apprissent à cultiver
la vigne et à préparer le vin. Ces hommes simples furent tout attristés
à l'idée de son départ, et ils le supplièrent de rester, sur quoi il
leur dit que s'ils croyaient en lui, il enverrait quelqu'un qui ferait
d'eux tous des ouvriers de la vigne. Je vis alors que tous les habitants
de ce bourg le quittèrent plus tard par suite d'une persécution et que
Thaddée leur fit embrasser le christianisme.
Ces gens ne savaient pas qui était Jésus. Il ne prophétisa point et ne
fit pas de miracles chez eux : mais ils étaient simples et naïfs comme
des enfants malgré les désordres qui s'étaient introduits dans leurs
moeurs.
J'ai vu les amis de Jésus pendant ce temps. Lazare et ses amis ne vont
se voir qu'en secret et pendant la nuit. Judas fait l'important avec les
Pharisiens. Marie le voit souvent et lui donne des avertissements. Il
est avare et envieux J'ai vu Marie pleurer en l'avertissant.
3 novembre.
— Je vis encore le Seigneur chez
plusieurs habitants de l'endroit où il se trouvait Il réconcilia deux
époux qui vivaient depuis longtemps séparés, joignit leurs mains
ensemble et les bénit. Il alla aussi voir cet homme qui, après avoir
épousé successivement six soeurs, se disposait à épouser la septième, et
lui expliqua pourquoi cela n'était pas permis.
Après cela Jésus enseigna encore en public sur la culture de la vigne ;
il dit comment il fallait défoncer la terre, la fumer, tailler les ceps,
et il appliqua tout cela d'une manière admirable et profondément
instructive au mariage et à la propagation de l'espèce : il parla aussi
des différentes races d'hommes et du péché originel. Je l'entendis dans
cette instruction donner beaucoup de détails relatifs aux premières
familles humaines.
Je l'entendis aussi dire beaucoup de choses merveilleusement profondes
dans leur simplicité sur le mystère du mariage en exposant purement les
procèdes de là culture de la vigne. Je trouvai remarquablement clair et
convaincant ce que dit le Seigneur que là ou l'union n'existait pas dans
le mariage et où il n'atteignait pas son but, qui est de mettre au monde
des hommes bons et purs, la faute en était toujours à la femme. Elle
peut supporter et souffrir, et c'est son devoir : elle est le vase qui
reçoit, protège et élabore, elle peut par un travail intérieur tout
corriger en elle et dans son fruit. Elle élève ce fruit qui est en elle,
elle peut en travaillant sur elle-même moralement et physiquement y
effacer ce qui est mauvais, et tout ce qu'elle fait profite ou nuit à
son enfant. Dans le mariage il ne s'agit pas de la satisfaction des
convoitises, mais de lutte, de mortification, de sollicitudes et
d'enfantement dans la douleur : or, c'est un enfantement douloureux
qu'une lutte continuelle contre l'amour-propre, le péché et la curiosité
: cette lutte et la victoire qui la couronne fait aussi de l'enfant un
vainqueur, etc. Tout cela était dit en termes très simples et très
profonds. L'homme et la femme sont un seul corps : la femme est le vase
qui reçoit, elle doit souffrir, endurer et expier : elle peut tout
corriger et tout réparer. Il ne s'agit pas ici de chercher sa propre
satisfaction, mais d'effacer le péché et d'arriver à la justification
par la souffrance et la prière.
Jésus donna encore beaucoup d'enseignements spéciaux sur le mariage et
je fus tellement frappée de la vérité et de l'extrême utilité de ces
doctrines, que je me dis très vivement à moi-même : "Pourquoi cela
n'est-il pas écrit ? Pourquoi n'y a-t-il pas ici de disciple pour le
recueillir afin que tous en profitent ?". J'étais pendant toute cette
vision comme un des auditeurs qui étaient là présents, et j'allais de
côté et d'autre. Comme je me livrais avec ardeur à ces pensées, mon
fiancé céleste se tourna vers moi et me dit à peu près ceci : "J'exerce la charité et je cultive la vigne là ou cela produit des
fruits. Si ces paroles étaient mises par écrit elles seraient, comme une
grande partie de beaucoup de ce qui est écrit, mises à néant, détournées
de leur vrai sens, ou méprisées. Ces enseignements et une infinité
d'autres choses qui n'ont pas été mises par écrit ont porté plus de
fruits que ce qui est écrit. Ce n'est pas la loi écrite qui est
observée, tout est écrit dans ceux qui croient, qui espèrent, qui aiment".
La manière dont Jésus enseigne toutes ces choses et dont il les tourne
en paraboles, prouvant ce qu'il dit du mariage par ce que la nature
opère dans le cep de vigne, et ce qu'il dit de la vigne par ce que la
nature opère dans le mariage, a quelque chose d'admirable et de
singulièrement persuasif. Ses auditeurs l'interrogent en toute
simplicité. Souvent l'un d'eux lui offre son champ pour y planter la
vigne : Jésus répond en expliquant quels travaux préparatoires il faut y
faire, et les images qu'il leur présente leur inculquent de plus en plus
les vérités qu'il leur enseigne (Note).
Dans l'après-midi, le Seigneur assista à des fiançailles dans la
synagogue. C'étaient des jeunes gens j ils étaient pauvres et habitaient
chez la mère de la fiancée, où le jeune homme, qui était un orphelin
parent de la famille, avait été élevé avec la fiancée dès son enfance.
NOTE : Elle dit encore à cette occasion : " Depuis plusieurs jours je ne
cesse d'être poussée intérieurement à corriger par des avertissements le
mal qui se fait dans un ménage de ma connaissance le veux en parler à
mon père spirituel. Je dois aussi cette nuit travailler de toutes mes
forces à ma vigne et couvrir les ceps pour les garantir de la gelée ".
On ne peut voir, sans être vivement touché, comment tous les travaux
agricoles, visiblement symboliques, auxquels elle se livre dans ses
visions, prennent par leur coïncidence constante avec les travaux des
champs tels qu'ils se font dans la saison, un caractère de réalité qui
donne au calendrier une très haute valeur, si l'on suit ces méditations
dans toutes leurs conséquences ; car alors la nature entière, le temps
et le travail des hommes se manifestent comme des paraboles exprimant ce
qui se passe dans une sphère supérieure. (Note du
Pèlerin.)
Tous deux étaient pleins d'innocence, et le Seigneur se montra
très bon pour eux. Je vis le cortège aller à la synagogue. En avant
marchaient des enfants de six ans élégamment habillés, ayant des
guirlandes de fleurs sur là tête et jouant du fifre ; puis des jeunes
filles vêtues de blanc qui jetaient des fleurs, et des jeunes gens qui
jouaient de la harpe, du triangle, et d'autres instruments singuliers.
Le fiancé était presque habillé comme un prêtre. Les deux fiancés
étaient conduits par des personnes qui lors des épousailles leur mirent
les mains sur les épaules. La cérémonie eut lieu à ciel ouvert, dans une
salle qui précédait la synagogue, et dont le toit avait été enlevé pour
cela. Elle se fit par le ministère d'un prêtre juif. Jésus était
présent.
Lorsque les étoiles furent visibles dans le ciel, ils célébrèrent le
sabbat dans la synagogue et jeûnèrent jusqu'au samedi soir où la noce
fut célébrée dans la maison destinée aux fêtes publiques.
4 novembre.
— Le Seigneur raconta plusieurs
paraboles. Il parla de l'enfant prodigue et des nombreuses demeures qui
sont dans la maison de son Père, parce que le fiancé n'avait pas de
maison à lui et devait habiter chez la mère de sa femme. Il lui dit
aussi que jusqu'à ce qu'une demeure lui fût donnée dans la maison de son
Père, il devait habiter près de la vigne, sous une tente qu'il
dresserait au pied de la montagne des abeilles, hors de la ville. Il
parla encore beaucoup du mariage, dit que les parents qui i, ne se
sanctifiaient pas ne faisaient que disperser et propager le péché ; mais
que s'ils vivaient saintement, s'ils considéraient et pratiquaient le
mariage comme un état de pénitence et mettaient leurs enfants dans la
voie du salut, ils recueillaient et amassaient. Jésus dit aussi qu'il
était l'époux d'une fiancée à laquelle ceux qui auraient été recueillis
dans son sein devraient une nouvelle naissance. Il parla des noces de
Cana en Galilée et de l'eau changée en vin. Tout ce qu'il racontait de
lui-même était dit à la troisième personne, comme concernant cet homme
de Judée qu'il connaissait si bien et qui était en butte à tant de
persécutions ; on devait même, disait-il finir par le mettre à mort.
Les assistants accueillirent toutes ses paroles avec une foi naive ; les
paraboles étaient pour eux des réalités. Le fiancé semblait être un
maître d'école ; car Jésus lui dit qu'il devait enseigner, non pas à la
façon des Pharisiens qui imposaient aux autres des fardeaux qu'ils ne
voulaient pas porter eux-mêmes, mais par son propre exemple.
Jésus parla aussi d'Ismaël ; car Cédar et les endroits voisins sont
habités, à ce que je crois, par des descendants d'Ismaël. C'est ici le
pays d'Agar, si je ne me trompe.
Les gens de cette contrée sont bergers pour la plupart : ils se
regardent comme inférieurs à ceux de la Judée, dont ils parlent toujours
comme de personnages importants et d'une race d'élite. Ils vivent encore
à l'ancienne mode. Un grand propriétaire de troupeaux possède une maison
spacieuse avec un fossé à l'entour ; dans le voisinage sont les
habitations des bergers, ses subordonnés ; il a aussi ses pâturages dans
les environs. Il a un puits qui lui appartient, et où vont boire ses
troupeaux ou même ceux de ses voisins s'il y a une convention entre eux.
Il y a beaucoup de ces familles de propriétaires disséminées dans le
pays. Le bourg lui-même est petit.
5 novembre.
— Jésus engagea les habitants du
bourg à construire pour les fiancés une habitation légère, une espèce de
tente, près de la montagne des abeilles, à l'endroit où ils devaient
planter un vignoble. Chacun des amis du jeune couple ilt une pièce de
clayonnage léger qui fut couverte de peaux de bêtes et enduite d'une
matière visqueuse. Ils fabriquèrent avec cela une maison qu'ils
transportèrent ensuite à l'endroit désigné. Chacun travailla plus ou
moins selon qu'il le put ; ils se cotisèrent aussi pour leur fournir ce
dont ils avaient besoin. Le Seigneur leur dit comment tout devait être
disposé, et ils furent émerveillés de voir qu'il s'y entendait si bien.
Lors de la cérémonie nuptiale, il leur avait enseigné que les vieillards
et les pauvres devaient siéger aux premières places.
Il sortit avec eux pour leur indiquer l'emplacement le plus convenable.
C'était un petit promontoire, qui se détachait en avant de la montagne
des abeilles. La vigne devait s'élever sur la pente derrière la maison
Ce fut là que Jésus établit le jeune ménage. Il leur donna cette maison
et ce vignoble.
6 et 7 novembre.
— L'une des premières fêtes
dont Dieu ait prescrit la célébration aux Israélites allait commencer ;
je crois que c'était celle de la nouvelle lune. On l'ouvrit le soir dans
la synagogue. Après cela, tous se réunirent avec Jésus dans la maison
des fêtes. Il savait que plusieurs de ceux qu'il avait engagés à
construire une maison pour les nouveaux mariés, avaient pensé et
s'étaient dit les uns aux autres : "Peut-être que lui-même n'a pas de
maison ni de domicile, et qu'il veut habiter chez ces gens " ? Il leur
dit, à cette occasion, qu'il ne resterait pas parmi eux, qu'il n'avait
pas de maison ici-bas, que son royaume devait d'abord venir, qu'il
devait planter la vigne de son Père et l'arroser de son sang sur la
montagne du Calvaire ; qu'ils ne pouvaient pas comprendre cela pour le
moment, mais qu'ils le comprendraient quand il aurait arrosé la vigne ;
qu'ensuite il reviendrait d'un pays ténébreux, que ses messagers
viendraient les appeler, et qu'alors ils quitteraient leur pays pour le
suivre : mais que quand il viendrait pour la troisième fois, il
conduirait dans le royaume de son Père tous ceux qui auraient fidèlement
travaillé à la vigne. Quant à eux-mêmes, ils ne devaient pas rester ici
longtemps ; c'est pourquoi ils ne devaient avoir qu'une maison ou plutôt
une légère tente facile à enlever.
Jésus parla aussi
beaucoup de l'amour qu'ils devaient se porter réciproquement : ils
devaient, pour ainsi dire, jeter l'ancre les uns dans les autres afin de
n'être pas dispersés par les tempêtes de ce monde et détruits isolément.
Il parla encore en paraboles de la culture de la vigne, des pousses
inutiles, de la taille des branches, de la tempérance, etc.; et, en
s'adressant aux nouveaux mariés, de l'amour conjugal et de la pureté
qu'il devait avoir pour porter des fruits purs. Il voulait encore,
dit-il, préparer la vigne pour le jeune couple et leur apprendre à
planter les ceps, après quoi il se retirerait pour travailler à la vigne
de son Père.
Il présenta tous ces enseignements d'une manière si simple et pourtant
si ingénieuse que le sentiment de ce qu'il était en réalité alla
toujours croissant chez eux, sans leur faire rien perdre de leur
simplicité. Il leur apprit à reconnaître dans toute la vie de l'homme et
dans toute la nature une loi sainte, une loi cachée qui avait été
défigurée par le péché.
Cette instruction se prolongea assez avant dans la nuit, et lorsque
Jésus voulut s'éloigner, ils le retinrent, l'embrassèrent et le prièrent
de leur faire mieux comprendre tout cela ; mais il leur dit que
maintenant ils devaient se borner à faire comme il avait dit ; que plus
tard il leur enverrait quelqu'un qui les enseignerait plus clairement.
Cette réunion fut suivie d'un petit repas où tous burent à la même
coupe. Jésus alla aujourd'hui loger dans une petite maison chez deux
vieux époux qui l'avaient fort pressé de leur faire cette faveur.
Le jeune homme pour lequel le Seigneur fit construire ici une maison
avait un nom qui ressemblait un peu à Jedediah : il faut que je
l'entende prononcer encore une fois ; j'ai entendu tant de noms que je
ne puis pas dire exactement celui-ci. (Plus tard elle se rappela tout à
coup qu'il se nommait Salathiel.) La fiancée s'appelait comme Brunette
ou Finette : c'est ainsi que je l'entendis nommer. Ils furent baptisés
par Thaddée ainsi que la plus grande partie des gens de l'endroit.
L'évangéliste Marc était de ce pays. Trente-cinq ans après l'ascension
de Jésus-Christ, Salathiel avec sa femme et trois enfants en âge d'homme
s'en alla à Éphèse. Je l'y vis chez l'orfèvre Démétrius qui avait
autrefois suscité une persécution contre Paul, mais qui plus tard
s'était converti, et qui lui raconta beaucoup de choses relatives à Paul
et aussi l'histoire de sa propre conversion. Paul n'était plus à Ephèse.
Salathiel, ses trois fils et Démétrius allèrent le retrouver. La femme
de Salathiel resta à Ephèse dans une maison où plusieurs autres
personnes de son pays vinrent habiter près d'elle. La plupart des Juifs
quittèrent Ephèse. Salathiel avec ses fils, Démétrius, un disciple nommé
Gaius et enfin Silas étaient tous sur le navire où Paul fit naufrage
près de Malte, et ils gagnèrent cette île avec lui. Paul, de sa prison
de Rome, désigna aux trois fils de Salathiel des lieux où ils auraient à
travailler.
9 novembre.
— Je vis notre Seigneur dans la
maison des parents de la fiancée. Il enseigna encore longtemps sur le
mariage, sur l'amour pur qui produit des fruits purs, et sur la
nécessité de supprimer dans l'homme ce qu'il y a de superflu ; autrement
il donne du bois au lieu de fruits.
Il sortit ensuite avec des hommes auxquels il ordonna de lui apporter
des plants de vigne. Il voulait leur apprendre à les planter. La place
où devait être la maison fut déblayée et on fit des terrassements sur la
pente de la montagne. Ils avaient déjà disposé un espalier. Ils dirent
au Seigneur qu'il ne venait dans cet endroit que des raisins très
aigres. Il répondit qu'il en était ainsi parce que les ceps étaient
d'une espèce inférieure, d'une mauvaise provenance, qu'ils poussaient
comme des sauvageons et n'étaient pas taillés : c'est pourquoi leur
fruit avait seulement l'apparence extérieure du fruit de la vigne, mais
non sa douceur. Il leur promit que ceux qu'il plantait maintenant
donneraient de bons raisins. A cette occasion, Jésus enseigna de nouveau
sur le mariage, qui ne porte des fruits purs et doux que lorsqu'il est
soumis au joug de la règle, modéré par la continence, associé au
travail, aux souffrances et aux sollicitudes.
Ils lui apportèrent de gros faisceaux de plants, mais il en prit cinq
seulement. Il défonça lui-même le sol, les planta à une certaine
distance les uns des autres contre l'espalier, et leur montra comment
ils devaient être liés en forme de croix. Il continua en même temps à
enseigner sur le mariage, et tout ce qu'il dit du cep de vigne, de ses
propriétés naturelles et de ce qu'il acquiert par la culture, fut
appliqué à la propagation de l'espèce humaine et aux fruits spirituels.
Ils allèrent ensuite à la synagogue et Jésus donna encore sous forme de
paraboles plusieurs enseignements touchant le mariage. Il parla de la
grande corruption qui infectait la propagation de l'espèce humaine, dit
qu'après la conception il fallait vivre dans la continence, et pour
prouver combien sous ce rapport les hommes s'abaissaient au-dessous des
animaux les plus nobles, il cita la chasteté et la continence des
éléphants. On trouve des éléphants dans une contrée qui n'est pas très
éloignée d'ici. Ils l'interrogèrent aussi sur Noé et lui demandèrent
s'il n'était pas vrai qu'il avait fait du vin et s'était enivré. Jésus
leur expliqua cela, et parla de l'ivresse comme mettant en grand danger
de pécher, soit par l'usage immodéré du vin, soit par celui du mariage ;
car l'ivresse pouvait être produite également par le vin et par les
désirs impurs. Il enseigna comment l'ivresse donnait naissance au péché
et comment un mal en engendrait un autre.
Jésus dit encore qu'il allait les quitter, qu'il lui fallait planter et
arroser la vigne sur la montagne du Calvaire, mais qu'il leur enverrait
quelqu'un pour leur enseigner toutes choses et les conduire dans la
vigne de son père.
10 et 11 novembre.
— Jésus n'a pas fait de
grands miracles dans cet endroit. Il a seulement, dans quelques
occasions, guéri par la prière et l'imposition des mains de petites
maladies, des maux de tête, des fièvres, etc. Vendredi soir il alla à la
synagogue où il fit l'instruction du sabbat.
Il enseigna encore le jour suivant et parla beaucoup du royaume de son
père et des demeures qui s'y trouvaient. Ils lui demandèrent pourquoi il
n'avait rien apporté de ce royaume et pourquoi il allait si pauvrement
vêtu. Il leur répondit que ce royaume était réservé à ceux qui iraient à
sa suite, et que pour le posséder il fallait s'en rendre digne. Quant à
lui, il n'était ici qu'un étranger cherchant et appelant des serviteurs
fidèles pour la vigne.
Il dit aussi pourquoi il faisait faire pour le fiancé une maison de si
peu de consistance. C'était parce que ceux qui marchaient à sa suite
n'étaient point à demeure sur la terre et parce qu'on ne devait pas
s'attacher à la terre. Pourquoi construire une maison solide pour leur
corps qui lui-même était une demeure fragile t il fallait purifier cette
maison de leur âme, la sanctifier comme un temple, et ne pas la
profaner, ni la surcharger ou l'amollir aux dépens de l'âme. Ces
discours l'amenèrent à parler de nouveau de la maison de son père.
Jésus parla aussi du Messie et des signes auxquels on pourrait le
reconnaître, dit qu'il devait naître d'une haute lignée, mais de parents
simples et pieux, et que d'après les signes du temps, il devait être
déjà sur la terre. Il les exhorta à s'attacher à lui et à suivre ses
enseignements.
Il donna aussi beaucoup de préceptes touchant l'amour du prochain et le
bon exemple. Il dit au fiancé Salathiel qu'il devait laisser sa maison
ouverte, avoir toute confiance en ce qu'il lui disait, et vivre
pieusement, qu'alors Dieu garderait sa maison et que rien ne serait
détourné à son préjudice.
Les habitants avaient déjà fort avancé leur travail pour la nouvelle
maison. Salathiel reçut beaucoup plus qu'il ne lui était nécessaire. Le
Seigneur parla contre l'amour de soi ; il dit qu'on devait tout faire
pour l'amour de Dieu et du prochain, etc. Les gens de l'endroit étaient
très simples et n'avaient qu'une instruction très imparfaite.
12 novembre.
— Jésus se mettait avec eux dans
des rapports de plus en plus intimes. Il parla aujourd'hui beaucoup du
mariage et de la continence en se servant de similitudes tirées des
semailles. Il dit qu'il fallait user de modération dans les semailles et
dans la moisson, qu'autrement on ne récoltait que des fruits gâtés et de
mauvaises herbes.
Il alla aussi voir des personnes qui voulaient se marier, quoique
parentes à un degré qui rendait le mariage illicite. Jésus les fit
appeler, leur parla de ce qu'ils avaient l'intention de faire et leur
montra qu'ils contrevenaient à la loi et qu'ils n'avaient en vue que des
avantages temporels Ils furent très effrayes de ce qu'il connaissait si
bien leurs pensées, quoique personne ne lui en eût parlé et ils
renoncèrent à leur projet. A cette occasion, l'on se lava les pieds
réciproquement : la fiancée essuya les pieds de Jésus avec l'extrémité
de son voile ou avec la partie supérieure de son manteau. Ces deux
personnes reconnurent Jésus à sa doctrine comme étant plus qu'un
prophète. Ils se convertirent et s'attachèrent à lui. Il leur expliqua
les motifs des prohibitions portées par la loi contre certains mariages
: mais j'ai oublié ces explications.
Jésus alla aussi dans la campagne et il entra dans une maison habitée
par une belle-mère qui avait une passion criminelle pour son beau-fils
et voulait l'épouser. Celui-ci était depuis longtemps inquiet de la trop
grande affection de sa belle-mère, mais il ne connaissait pas encore ses
projets. Le Seigneur auquel il lava les pieds lui fit connaître le
danger qu'il courait : il lui ordonna de s'éloigner de cet endroit et
d'aller travailler à la maison de Salathiel, ce que le jeune homme fit
aussitôt. Le Seigneur lui lava aussi les pieds. La belle-mère à laquelle
Jésus reprocha sévèrement sa faute fut très irritée. Elle ne fit pas
pénitence et finit même par se perdre tout à fait : je ne sais plus
comment cela arriva.
13 novembre.
— Aujourd'hui Jésus enseigna de
nouveau sur le mariage et sur l'abus qu'on en peut faire. Il parla de
David, dit comment l'intempérance qu'il aurait dû réprimer en lui par le
renoncement et la pénitence, l'avait fait si misérablement tomber dans
le péché et il ajouta qu'on ne perdait rien par le renoncement, mais par
l'abus et l'excès. Il parla de Moïse, du châtiment infligé à sa femme
dont il donna la raison, de l'arche d'alliance et de ce que Moïse y
avait renfermé avant le passage de la mer Rouge. Les gens du pays sont
très ignorants, mais le Seigneur leur expliqua tous les points sur
lesquels ils l'interrogèrent.
Ces gens doivent avoir par leurs ancêtres quelque relation particulière
avec l'arche d'alliance. Ils demandèrent au Seigneur ce qu'était devenu
l'objet sacré contenu dans l'arche. Il leur répondit que les hommes en
avaient tant reçu qu'il était passé en eux. Du reste, par cela même
qu'il n'était plus à leur disposition, on pouvait connaître que le
Messie était né. Beaucoup des gens de ce pays croyaient que le Messie
avait péri dans le massacre des Innocents.
A une lieue à peu près de cet endroit, du côté du levant, se trouvait
une habitation entourée d'un fossé, appartenant à un riche propriétaire
de troupeaux qui était mort subitement dans les champs, à peu de
distance de sa maison. Sa femme et ses enfants étaient plongés dans la
douleur. Les préparatifs étaient déjà faits pour son enterrement et la
famille envoya prier le Seigneur de venir assister aux funérailles avec
d'autres personnes.
Jésus y alla dans l'après-midi, accompagné de ses trois disciples, de
Salathiel, de la femme de celui-ci, de plusieurs femmes voilées, et
aussi de plusieurs hommes. Ils étaient une trentaine à peu près. Tout
était déjà préparé pour la mise au tombeau : le corps était déposé dans
une grande allée d'arbres, ouverte par en haut, qui se trouvait en face
de la maison.
Cet homme était mort en punition de ses péchés. Des bergers qu'il
opprimait ayant quitté le pays il s'était approprié une grande partie de
leur bien et bientôt après se trouvant dans ce champ mal acquis, il
était tombé frappé de mort subite.
Jésus arrivé devant le cadavre parla du défunt, demanda à quoi lui
servait maintenant le soin qu'il avait pris de son corps, cette demeure
terrestre dont il s'était fait l'esclave et qu'il lui avait fallu
quitter. Il avait chargé son âme de dettes par amour pour ce corps qui
ne les avait pas payées et qui ne pouvait pas les payer, etc.
La femme était très affligée et elle dit que le roi des Juifs, l'homme
de Nazareth avait le pouvoir de ressusciter les morts ; hélas' pourquoi
n'était-il pas ici ? Alors Jésus lui dit : "Oui, le roi des Juifs a ce
pouvoir, mais on le persécute pour cela et on veut le faire mourir, lui
qui donne la vie ! Et on ne veut pas le reconnaître". Sur quoi les
assistants répondirent : "Que n'est-il parmi nous ! Nous le
reconnaîtrions!"
Jésus alors les mit à l'épreuve. Il leur parla de la foi, leur dit que
s'ils voulaient croire et faire ce qu'il enseignait, le roi des Juifs
aussi leur viendrait en aide, etc. Puis il sépara des autres assistants
qu'il renvoya, la famille du défunt, ainsi que Salathiel et sa femme, et
il s'entretint encore avec la femme, la fille et le fils du défont. La
femme lui avait dit précédemment en présence de ceux qui venaient de se
retirer : "Seigneur, vous parlez comme si vous étiez le roi des Juifs
lui-même"; et il lui avait fait signe de se taire. Mais lorsque les
autres qu'il savait être plus faibles furent sortis, il dit à ceux qui
étaient restés que s'ils croyaient à sa doctrine, s'ils la suivaient et
s'ils voulaient garder le secret, le mort reviendrait à la vie, car son
âme n'était pas encore jugée : elle attendait encore dans ce champ,
témoin de son iniquité, et où elle s'était séparée de son corps. Ils
promirent au Seigneur de lui obéir et de se faire, et Jésus fit quelques
pas avec eux dans le champ où l'homme était mort.
J'eus alors une vision touchant l'état de son âme après sa mort. Je la
vis au-dessus du lieu où il était mort dans un cercle, dans une sphère
où lui était montré le tableau de tous ses péchés et de leurs
conséquences sur la terre, et elle était bourrelée de remords à cette
vue. Elle vit aussi tous les supplices dans lesquels elle devait être
plongée et dans cet état elle eut une révélation des souffrances
expiatoires de Jésus. Au moment où, toute dévorée de remords, elle
allait entrer dans le lieu de son supplice, Jésus fit une prière et
l'appelant du nom de Nazor, qui était celui du défunt, la fit rentrer
dans son corps.
Jésus dit alors aux assistants : "à notre retour, nous trouverons Nazor
sur son séant et plein de vie". Je vis, à l'appel de Jésus, l'âme voler
vers son corps, s'amoindrir et comme entrer dans la bouche, après quoi
le corps se redressa sur son séant dans le cercueil.
J'ai toujours vu l'âme humaine avoir comme son siège au-dessus du coeur
: j'ai vu aussi partir de là plusieurs fils qui vont vers la tête.
Lorsque Jésus et ceux qui l'accompagnaient furent de retour à la maison,
ils virent Nazor enveloppé dans son linceul et les mains liées, qui
s'était mis sur son séant dans le cercueil : sa femme lui délia les
mains et défit les bandelettes. Etant sorti de la bière, il se jeta aux
pieds de Jésus et voulut embrasser ses genoux, mais le Seigneur fit un
pas en arrière et lui dit qu'il devait se purifier, se laver, se tenir
caché dans sa chambre et garder le secret sur sa résurrection jusqu'à ce
que lui, Jésus, eût quitté le pays. Alors la femme conduisit son mari
dans un coin reculé de la maison où il se purifia et s'habilla.
Cependant Jésus, Salathiel, la femme de celui-ci, et les trois disciples
prirent quelque nourriture dans la maison où ils passèrent la nuit ; le
cercueil fut déposé dans le caveau sépulcral. Le Seigneur enseigna
jusqu'à une heure avancée de la nuit.
14 novembre.
—Le matin le Seigneur alla
visiter Nazor le ressuscité ; il lui lava les pieds et l'exhorta à
penser dorénavant à son âme plus qu'à son corps et à restituer le bien
mal acquis. Il fit ensuite venir les enfants de cet homme, parla de la
miséricorde de Dieu que leur père avait éprouvée, les exhorta à la
crainte de Dieu, les bénit et les conduisit à leurs parents. Il
conduisit aussi la mère à son époux et la lui remit comme à un homme
revenu pour mener en commun avec elle une nouvelle vie meilleure et plus
austère.
Ce même jour Jésus donna encore beaucoup d'enseignements sur le mariage
et toujours en se servant de comparaisons tirées de la vigne et des
semailles. Il s'adressa particulièrement au jeune couple et dit à
Salathiel : " Tu t'es laissé attirer par la beauté corporelle de ta
femme. Pense donc quelle doit être La beauté d'une âme, puisque Dieu
envoie son fils sur la terre pour sauver l'âme par le sacrifice de sa
vie. Mais celui qui travaille pour le corps ne travaille pas pour l'âme.
La beauté produit la convoitise et la convoitise corrompt l'âme par le
rassasiement. Cette satisfaction immodérée est la plante parasite qui
étouffe et fait périr le froment et la vigne ". C'est ainsi qu'il ramena
son exhortation à des prescriptions relatives à la culture du blé et de
la vigne et qu'il leur signala spécialement deux plantes grimpantes de
très mauvaise nature afin qu'ils ne les laissassent pas approcher de
leur champ ni de leur vignoble.
Jésus leur dit encore qu'il voulait aller à Cédar pour le sabbat, qu'il
y enseignerait dans l'école et qu'alors ils apprendraient comment ils
pourraient avoir part à son royaume et quelle voie il leur faudrait
suivre. Il annonça qu'il quitterait le pays le dimanche suivant et qu'il
se dirigerait vers le levant à travers l'Arabie. Ils lui demandèrent
pourquoi il allait chez les païens qui adoraient les astres. Il répondit
qu'il avait là des amis qui avaient suivi une étoile pour venir le
saluer lors de sa naissance. C'était eux qu'il voulait aller chercher,
pour les inviter aussi à entrer dans la vigne et dans le royaume de son
père et pour leur frayer le chemin. Il resta encore la nuit suivante
dans cette maison.
15 novembre.
— Aujourd'hui dans la nuit du
mercredi au jeudi, je me trouvai à Cédar où Jésus est à présent. Je
rencontrai sur mon chemin un jeune homme de quinze à seize ans dont les
parents étaient malades et ne pouvaient pas quitter leur lit, et qui
parcourait le pays, allant partout où il espérait apprendre quelque
chose sur Jésus. Il se rendait à Cédar pour le sabbat afin d'entendre
Jésus qui y était revenu avec une troupe d'une cinquantaine de
personnes. Je me souviens de m'être entretenue avec ce jeune homme, mais
je ne sais plus à propos de quoi. Il changea plus tard de nom pour
prendre celui de Tite et devint disciple de Paul. Je le vis très
distinctement parce que j'avais dans mon voisinage des reliques d'un
martyr de sa famille appelé Fidèle, lequel m'a fait connaître le nom de
beaucoup de gens de ce pays et beaucoup de choses qui y sont arrivées.
Lorsque Jésus y alla, Fidèle n'était pas encore né, mais il était
présent dans la personne de ses aïeux. Son arrière-grand-père était cet
homme que Jésus guérit ainsi que sa femme, auprès d'Edon, le 25 octobre.
Il s'appelait Benjamin et descendait de Ruth en droite direct. Marc
avait aussi des relations avec cette famille : mais son lieu de
naissance était plus rapproché de la Judée. Silas aussi connaissait ces
personnes.
Il y avait à Cédar une affluence extraordinairement nombreuse : on s'y
pressait comme à Coesfeld le jour de la Pentecôte. Je vis Jésus guérir
en public plusieurs malades : il se bornait à leur dire en passant près
de l'endroit où ils étaient couchés : " Levez-vous et suivez-moi ".
Aussitôt ils se levaient pleins de santé. L'étonnement et l'admiration
étaient au comble, au point que si Jésus ne s'était pas retiré à
l'écart, la joie aurait produit un soulèvement dans tout le pays. Jésus
fit une exhortation au peuple et le convoqua pour le soir à la
synagogue.
Nazor le ressuscité et sa femme n'étaient pas ici. Nazor, après son
retour à la vie, avait été pris d'une maladie occasionnée par le
repentir et par la commotion violente que son âme avait rapportée dans
son corps. Du reste le Seigneur avait fait connaître à sa femme l'état
de l'âme de son mari.
17 novembre.
— Aujourd'hui à midi je vis Jésus
dans une maison de Cédar s'entretenir avec Salathiel et sa femme
touchant l'état du mariage. Il leur donna des avis circonstanciés et
leur dit comment ils devaient vivre ensemble et à quelles conditions ils
pouvaient devenir un bon cep de vigne. Ils devaient se tenir en garde
contre la concupiscence et, chaque fois qu'ils useraient du mariage,
refléchi1 sur les motifs qui les dirigeaient ; car lorsqu'ils ne
seraient poussés que par les désirs charnels, ils produiraient les
fruits amers de la concupiscence. Il les prémunit contre l'excès en
toute chose, les exhorta à la prière et au renoncement et à se garder de
l'ivresse du vin. Il parla de Noé et du péché de l'ivrognerie. La
fiancée devait être un vase pur : il lui prescrivit la séparation
pendant ses maladies et la continence absolue après la conception. Il
parla de la confiance mutuelle et de l'obéissance de la femme. Le mari
ne devait pas refuser de répondre à ses interrogations : il devait
l'honorer et la ménager comme un vaisseau fragile. Il ne devait pas
entrer en méfiance s'il la voyait parler à d'autres hommes : de son côté
elle ne devait pas être jalouse s'il s'entretenait avec une autre femme
: toutefois aucun des deux ne devait scandaliser l'autre. Ils ne
devaient souffrir aucun tiers intermédiaire entre eux et traiter leurs
affaires en esprit de charité. Il parla sévèrement de tout ce qui tend
uniquement à satisfaire la convoitise naturelle, et représenta le
mariage et son usage tel qu'il est permis à l'homme déchu, comme devant
être accompagné chez des époux pieux, de sentiments de pénitence et
d'humiliation. Ils ne devaient avoir commerce ensemble qu'après avoir
prié et en se maîtrisant eux-mêmes, et ils devaient recommander à Dieu
les fruits de leur union. Il dit à la femme qu'elle devait devenir une
pieuse Abigaïl. Il leur indiqua aussi un endroit propre à cultiver du
blé Il leur recommanda d'établir une clôture, autour de leur vigne :
cette clôture, c'était les avis qu'il leur donnait.
Le soir d'avant le sabbat Jésus s'entretint avec le prépose de la
synagogue, qui s'appelait aussi Nazor et qui était parent du ressuscité
: il lui parla de Tobie dont l'un et l'autre étaient descendants et
rappela toutes les voies par lesquelles ce saint homme avait été conduit
J'ai eu à cette occasion une vision sur toute l'histoire de Tobie mais
je l'ai oubliée. Les descendants de Tobie et de Ruth. qui habitaient
ici, se distinguaient des rejetons d'Ismael par leur bonté, leur
régularité et leur douceur.
18 novembre.
— Pendant tout le sabbat le
Seigneur fit une grande instruction sur la vigne, sur le mur et la haie
dont il faut l'entourer, sur le champ de blé, sur le pain et le vin, sur
l'arche d'alliance, sur une vierge choisie entre toutes, sur le petit
grain de blé qui n'était autre que lui-même et qu'il devait être enfoui
dans la terre et ressusciter. Ils ne comprirent pas le sens de ses
paroles. Il dit qu'ils devaient marcher à sa suite, non sur ces chemins
de peu d'étendue qu'ils voyaient, mais sur la longue route qui aboutit
au jugement. Il parla de la résurrection des morts et du jugement
dernier et leur recommanda de veiller. Il raconta des paraboles sur les
serviteurs paresseux, dit que le jugement viendrait comme le voleur de
nuit, que la mort venait à toute heure. Eux, les Ismaélites, étaient ces
serviteurs : il fallait qu'ils fussent fidèles.
Il dit que Melchisédech avait été sa figure prophétique. Melchisédech
avait offert en sacrifice du pain et du vin, mais en lui le pain et le
vin étaient devenus chair et sang. Il finit pal leur déclarer nettement
qu'il était le Rédempteur. Là-dessus beaucoup d'entre eux devinrent plus
irrésolus et plus craintifs, d'autres, au contraire, plus enthousiastes
et plus ardents. Il leur recommanda particulièrement de s'aimer
mutuellement, de compatir les uns aux autres, de partager leurs joies et
leurs douleurs comme les membres d'un même corps.
Je ne puis redire que ce peu de détails. mais son discours fut le résumé
de tout ce que Jésus avait enseigne ici jusqu'à présent : ce fut, sous
une forme symbolique et en même temps très simple, une instruction
touchant le mystère de la chute originelle, la propagation du genre
humain et sa dispersion, les moyens de salut et les directions données
au peuple élu qui devaient avoir pour terme la naissance du Sauveur
conçu d'une vierge et la régénération en lui pour passer de la mort
temporelle à la vie éternelle.
Pendant cette instruction du Seigneur sur le cep de vigne et le froment,
je vis de nouveau, en guise d'éclaircissements, plusieurs scènes de
l'Ancien Testament que j'avais oubliées depuis longtemps. Je vis le
premier sacrifice que fit Abraham en entrant dans la Terre promise, et
je le vis, à cette occasion, placer sur l'autel des ossements d'Adam. Je
vis qu'un ange lui porta comme un breuvage, qu'Abraham en but et
qu'ensuite (mais je ne suis pas parfaitement sure de ceci) il en versa
un peu sur l'autel où le feu s'alluma à l'instant et consuma les
offrandes. J'entendis l'ange lui dire quelque chose : il semblait
annoncer qu'il lui apportait ce qu'Adam avait perdu par sa chute. Cela
avait l'apparence d'un liquide épais. Je vis alors sortir du nombril
d'Abraham un sarment de vigne gros et tortueux, sous lequel se tenait un
méchant oiseau de proie, la tête redressée et le bec ouvert : c'était
comme un aigle ou un hibou. Il semblait vouloir dévorer le fruit du cep
de vigne. Au-dessus de cet oiseau était une licorne bondissante, qui
dirigeait sa corne contre le cou de l'oiseau, comme pour défendre le cep
de vigne. Au-dessus de la licorne, autour du cep, je vis trois coeurs,
puis à droite, une branche de la vigne portant une grosse grappe de
raisin, puis au haut du cep, un visage humain avec une couronne
au-dessus de laquelle était un globe surmonté d'une croix.
Lorsque plus tard je vis près d'Abraham les anges qui lui annonçaient la
naissance d'Isaac, je vis qu'un d'eux lui mit dans la poitrine une chose
sainte : c'était un corps peu consistant et comme spirituel. Je vis
alors de nouveau sortir un cep de vigne du corps d'Abraham, comme dans
la vision mentionnée plus haut ; mais je vis en face de la grappe de
raisin paraître de beaux filaments lumineux : ils se réunirent pour
former un noeud d'où sortit un bouquet d'épis de blé. Entre les épis je
vis plusieurs visages humains. et il me semblât que deux d'entre eux se
fondaient ensemble.
È
CHAPITRE NEUVIÈME
Séjour de Jésus
dans le pays des trois Rois.
Du 21 novembre au 11
décembre.
Jésus quitte Cédar
et arrive à une ville de tentes habitée par les adorateurs des astres. -
Fête nocturne. - Jésus chez une tribu de bergers. - Un globe merveilleux.
- Jésus part pour la ville des trois Rois - Arrivée au chef-lieu. -
Jésus est reçu solennellement par le roi Mensor. - Mensor raconte au
Seigneur l'histoire de l'étoile. - Le Sauveur se fait reconnaître et
enseigne. Il visite le temple des rois. - Célébration d'une fête de
trois jours.-Conversion d'une femme idolâtre. - Jésus fait une grande
instruction.
21 novembre. —
Je suivis cette nuit le chemin de la croix dans la Jérusalem actuelle:
il est caché sous des décombres et interrompu par des constructions ;
mais je pus passer à travers tous les murs et je vis en même temps la
Passion du Seigneur. De là je pris le chemin que Jésus avait suivi pour
son voyage, et lorsque je fus arrivée près du figuier qu'il avait maudit
en dernier lieu, j'eus des visions qui se rapportaient à la
trente-troisième almée de Jésus-Christ. J'allai sur ses traces jusqu'à
Cédar et je le suivis.
Je vis le Seigneur quitter Cédar, accompagne des trois jeunes gens et de
plusieurs amis ; il passa la rivière et se dirigea du côté du désert en
traversant la ville païenne. Lorsqu'ils la traversèrent, on y célébrait
une fête, j'entendis des réjouissances bruyantes et je vis des nuages de
fumée : on sacrifiait devant un temple. Ces païens étaient fort hostiles
aux Juifs de l'autre rive, cependant plusieurs étaient allés à Cédar
lors du dernier sabbat : ils avaient vu Jésus et avaient entendu de loin
son instruction. Quelques-uns se rapprochèrent des Juifs après son
départ et les questionnèrent amicalement sur ses enseignements.
Jésus fut accompagné assez loin par une vingtaine de personnes, parmi
lesquelles Salathiel, le jeune Tite, Eliud, le mari de la femme
adultère, et Nazor, le chef de la synagogue. Le chemin se dirigeait
d'abord au levant, puis au midi ; il était uni, quoique situé entre deux
crêtes de montagnes, et traversait alternativement des pâturages, un sol
de sable jaune ou blanc et un terrain semé de cailloux blancs. Ils
arrivèrent enfin à une plaine couverte de verdure et virent s'élever
devant eux parmi des palmiers une grande tente entourée de plusieurs
autres plus petites ; alors Jésus congédia ses amis de Cédar : il les
bénit et ils retournèrent chez eux. Cela se passait dans l'après-midi.
Jésus continua son chemin jusqu'à la ville de tentes des adorateurs des
étoiles. Le jour déclinait déjà lorsqu'il arriva près d'un grand et beau
puits, placé dans un petit enfoncement, et entouré d'un mur de terre
assez bas. Il y avait près de ce puits une grande cuiller à puiser. Le
Seigneur but et s'assit près du puits, les jeunes gens lui lavèrent les
pieds, ce qu'il fit à son tour pour eux. C'était touchant à voir. Il y
avait dans cette plaine de beaux palmiers, des prairies et des groupes
de tentes dispersées sur une grande étendue ; tout cela était dominé par
une tour ou une pyramide avec des degrés ; elle était d'une assez grande
hauteur, mais qui pourtant ne dépassait pas celle d'une église
ordinaire. On vit paraître de divers côtés des hommes qui regardèrent de
loin Jésus d'un air surpris et a peu de distance du puits se trouvait la principale tente. Elle avait
plusieurs sommets pointus, et se composait d'un grand nombre de chambres
dépendant les unes des autres et séparées par des cloisons grillées ; la
partie supérieure était recouverte de peaux de bêtes. Prise dans son
ensemble, elle était belle et habilement construite. De cette espèce de
château de tentes sortirent cinq hommes qui s'avancèrent vers Jésus,
tenant à la main des branches d'arbres d'espèces différentes : celle de
l'un d'eux était couverte de petites feuilles jaunes ou de fruits de
même couleur ; celle d'un autre, de baies rouges ; un troisième portait
une branche de palmier ; un autre encore, un sarment de vigne avec ses
feuilles et une grappe de raisin. Je ne me souviens pas bien de tous les
détails. Ils avaient une espèce de jupon de laine fendu sur les côtés,
et allant de la ceinture aux genoux ; le haut du corps était couvert,
jusqu'au creux de l'estomac, d'une jaquette bouffante d'une étoffe de
laine très fine et presque transparente, avec des manches qui allaient à
la moitié de l'avant-bras ; ils étaient nus depuis le creux de l'estomac
jusqu'à la ceinture. C'étaient des hommes blancs avec des barbes noires,
courtes et crépues ; leurs cheveux étaient longs et bouclés ; ils
avaient un bonnet dont les bords pendaient tout autour de la tête, et
qui était comme tordu par en haut. Ils s'avancèrent d'un air
bienveillant vers Jésus et ses compagnons, les saluèrent et les
invitèrent à entrer dans la tente, en leur présentant les branches
qu'ils portaient à la main. Ils donnèrent à Jésus la branche de vigne ;
celui qui le conduisait en avait une pareille On fit asseoir Jésus et
les siens dans une des chambres de la tente, sur une espèce de banc
recouvert de coussins avec des franges qui pendaient en avant ; on leur
offrit aussi à manger : c'étaient des fruits, si je ne me trompe. Le
Seigneur ne s'entretint qu'un moment avec ces gens. Ils conduisirent
leurs hôtes par un passage qui longeait plusieurs chambres à coucher
séparées et garnies de lits de repos matelassés, dans une partie de la
tente qui servait de salle à manger. Au centre s'élevait une colonne qui
soutenait la tente, et qui était ornée de guirlandes de feuillage, de
branches de vigne, de grappes de raisin et d'autres fruits : tout cela
avait une telle apparence de réalité que je ne savais pas si c'était
naturel ou artificiel. Ils dressèrent là une petite table ovale de la
hauteur d'un escabeau, formée d'une planche mince qui se dédoublait et
dont les pieds, repliés en un faisceau, s écartaient pour la supporter ;
ils la couvrirent d'un tapis bariolé sur lequel étaient figurés
plusieurs petits personnages habillés comme eux Ils mirent sur la table
des vases à boire et de la vaisselle qu'ils tirèrent d'un compartiment
de la tente ; des tapis étaient suspendus devant tous ces compartiments,
en sorte qu'on ne pouvait pas en voie l'intérieur.
Jésus et les disciples se mirent autour de la
table sur un tapis. Leurs hôtes apportèrent du pain ou plutôt des
gâteaux au milieu desquels était marquée une empreinte et aussi des
fruits de toute espèce et du miel. Eux-mêmes s'assirent sur des espèces
de tabourets ronds, les jambes croisées sous eux : devant eux était une
espèce de guéridon sur lequel ils posèrent un plat. Ils servirent leurs
hôtes à tour de rôle. Il y avait en outre devant la tente des serviteurs
qui préparaient tout. Je les vis aller dans une autre tente où ils
prirent des oiseaux qu'on mit à la broche dans une cuisine. Cette
cuisine était un foyer placé sous une espèce de hutte en terre d'où la
fumée s'échappait par en haut. Elle était revêtue de maçonnerie à
l'intérieur. On servit ces oiseaux arrangés d'une façon singulière : je
ne sais comment cela se faisait, mais ils étaient garnis de toutes leurs
plumes et on les aurait crus vivants.
Quand le repas fut fini, ils conduisirent leurs hôtes à l'endroit où ils
devaient coucher et le Seigneur demanda de l'eau. Lorsqu'elle eut été
apportée, les disciples lui lavèrent les pieds et il leur rendit à son
tour le même service. Ces gens en furent surpris et interrogèrent Jésus.
Il leur fit une réponse qui me parut être un enseignement à leur
adresse, et je crois qu'ils se proposèrent d'adopter, eux aussi, cet
usage.
Lorsque le Seigneur et les disciples furent couchés, les cinq hommes
sortirent de la tente, revêtus de manteaux qui étaient plus longs par
derrière que par devant et où pendait sur le des un large morceau
d'étoffe. Il était nuit et ils se dirigèrent vers un temple dont la
forme était celle d'une pyramide quadrangulaire. Il n'était pas
construit en pierre, mais en matériaux légers, tels que du bois et des
peaux de bêtes, si je ne me trompe. Des degrés placés à l'extérieur
permettaient de monter jusqu'au sommet. Ce temple était situé dans un
fond autour duquel le terrain se relevait en amphithéâtre, formant des
terrasses avec des degrés pour s'asseoir et des parapets. Ces enceintes
étaient coupées par des passages qui donnaient accès aux différents
compartiments, et les passages eux-mêmes étaient garnis de barrières
légères et élégantes. Plusieurs centaines de personnes s'étaient déjà
réunies dans cette espèce de cirque qui entourait le temple. Les femmes
se tenaient derrière les hommes, puis venaient les jeunes filles et
enfin les enfants. Des globes étaient placés par endroits sur les degrés
de la pyramide. On les illuminait, et alors ils faisaient l'effet des
étoiles du ciel, dont ils imitaient jusqu'au scintillement. Je ne sais
pas comment cela était arrangé. Ces globes étaient ranges dans le même
ordre que certaines constellations.
La pyramide était creuse à l'intérieur et pouvait contenir un grand
nombre de personnes. Au milieu s'élevait une haute colonne de laquelle
partaient des solives qui aboutissaient aux parois. Sur ces solives
étaient disposées des lumières qui s'élevaient jusqu'au sommet de la
pyramide et c'était par là qu'étaient éclairés les globes placés au
dehors. Un jour singulier régnait dans l'intérieur : c'était un
crépuscule semblable à un clair de lune : on voyait au-dessus de soi
comme un ciel semé d'étoiles où figuraient la lune, et tout en haut, au
point central, le soleil. Tout cela était imité avec infiniment d'art et
produisait une certaine impression d'effroi, car en bas dans le temple,
il n'y avait qu'un jour très faible à la lueur duquel on apercevait
trois idoles placées autour de la colonne. L'une était comme un homme
avec une tête d'oiseau : elle avait un long bec crochu et je vis qu'on y
introduisait en guise d'offrandes toute sorte d'aliments, comme des
oiseaux et d'autres objets semblables qui retombaient sous la partie
inférieure du corps ; une autre de ces idoles avait une tête presque
semblable à celle d'un boeuf : elle était assise ou plutôt accroupie. On
lui mettait des oiseaux entre les bras comme on y aurait mis un petit
enfant. Elle avait aussi dans le corps des trous où il y avait du feu,
et il y avait en face une table pour les sacrifices où l'on immolait et
découpait des animaux qu'on brûlait ensuite. La fumée s'échappait, comme
par un conduit, dans la terre ou en dehors du temple. On ne voyait de
flamme nulle part : mais ces hideuses figures, dont la troisième était
une horrible et indécente figure de femme, brillaient d'une lueur
rougeâtre dans le demi-jour.
La foule qui les entourait faisait entendre des chants étranges :
c'était tantôt une voix seule, tantôt un choeur nombreux : à des accents
plaintifs succédaient tout à coup des cris perçants. Ils criaient
surtout ainsi tous ensemble quand ils voyaient paraître la lune ou
certains autres astres. Je crois que leurs cérémonies idolâtriques
durèrent jusqu'au lever du soleil.
Je m'éloignai pendant cette scène et j'allai à Cédar en passant par le
quartier païen. Je vis revenir ceux qui avaient accompagné Jésus : leurs
proches venaient à leur rencontre. Je vis aussi que les païens les
arrêtaient et les questionnaient avec curiosité. mais amicalement,
touchant cet homme qui avait fait de grandes choses parmi eux. Je vis
ces païens stupéfaits et comme bouleversés de tout ce qu'ils entendaient
: je vis qu'ayant été Jusque-là très malveillants pour leurs voisins,
ils prenaient maintenant de tout autres sentiments et formaient le
projet de les visiter désormais et d'entretenir des relations avec eux.
Déjà quelques-uns s'étaient trouvés à la dernière instruction du sabbat.
Ces païens avaient un autre culte que ceux que j'ai vus cette nuit :
c'était plus grossier et plus abominable. Ils fabriquaient beaucoup
d'idoles et faisaient de temps en temps des sacrifices en plein air.
Je me remis en voyage par une route qui allait toujours en descendant et
j'arrivai dans le pays où mourut Saint Clément.
22 novembre. — Ce matin, je vis Jésus se
disposant à quitter les gens chez lesquels il était. Il ne leur donna
qu'un petit nombre d'instructions. Comme ils lui demandaient qui il
était et où il allait, il parla du royaume de son Père, dit qu'il en
était sorti pour visiter des amis qui étaient venus le saluer aussitôt
après sa naissance, qu'après cela il irait en Égypte pour revoir des
compagnons de sa jeunesse et les inviter à le suivre, parce qu'aussitôt
après il retournerait à son Père. Il leur parla aussi de leur culte
idolâtrique pour lequel ils se donnaient tant de peine et sacrifiaient
tant de victimes : il leur dit qu'il fallait adorer le Père qui avait
créé tout ce qu'ils voyaient, et ne pas offrir leurs victimes à des
images qui étaient l'ouvrage de leurs mains, mais les donner à leurs
frères indigents.
Les habitations des femmes de cette tribu sont tout à fait retirées et
séparées des tentes des hommes. Chacun d'eux avait toute une troupe de
femmes dans une tente : elles avaient de longs vêtements, portaient à
leurs oreilles des joyaux de toute espèce et étaient coiffées d'un
bonnet très haut : Jésus loua cet usage de tenir les femmes à part et
dit qu'il était bon qu'elles vécussent retirées ; mais il blâma
sévèrement leurs habitudes de polygamie. Il les exhorta à n'avoir qu'une
seule femme et à la traiter comme une esclave. Ils trouvèrent dans ses
enseignements quelque chose de si attachant et de si surhumain qu'ils le
prièrent de rester parmi eux : ils voulaient lui amener un vieux prêtre
plein de sagesse, mais Jésus n'y consentit pas.
Ils lui apportèrent alors d'anciens écrits qu'ils feuilletèrent. Ce
n'étaient pas des rouleaux de parchemin, mais des feuilles épaisses,
semblables à de l'écorce d'arbre, où étaient gravés toute sorte de
caractères formant des courbes bizarres. Ces feuilles ressemblaient un
peu à du cuir épais. Ils prièrent instamment le Seigneur de rester avec
eux et de les instruire. Mais il leur dit qu'ils auraient à le suivre
quand il serait retourné à son Père, qu'alors il les ferait convoquer.
Avant de partir, le Seigneur inscrivit pour eux avec un bâton pointu,
sur la pierre dont le sol de la tente était formé, cinq noms de sa
généalogie. Cela me parut consister seulement en quatre ou cinq lettres
entrelacées parmi lesquelles je reconnus une M. Elles étaient
profondément gravées. Ils admirèrent beaucoup cette inscription, lui
témoignèrent un grand respect et firent plus tard un autel de la pierre
où elle était tracée. Je la vois maintenant à Rome, cachée dans un mur à
l'un des angles de l'Église de Saint Pierre. Pourvu que les ennemis de
l'Eglise n'aillent pas la prendre là !
Jésus ne leur permit pas de l'accompagner : il passa devant la tour des
idoles et se dirigea au midi avec ses disciples, à travers les tentes
dispersées au loin. Il parla à ses compagnons de la sympathie avec
laquelle l'avaient accueilli ces païens pour lesquels il n'avait rien
fait, tandis que les Juifs endurcis et ingrats l'avaient persécuté
méchamment, malgré les bienfaits dont il les avait comblés.
Jésus et ses compagnons marchèrent tout le jour et d'un pas très rapide.
Je ne me souviens plus où il passa la nuit. Il me semble qu'il lui faut
faire encore quelques journées de voyage représentant bien une centaine
de lieues avant d'arriver au pays des trois rois.
24 novembre. — Le vendredi soir, un peu avant le sabbat, je vis
Jésus, dans le voisinage de quelques tentes de bergers, se reposer prés
d'un puits avec ses compagnons qui lui lavèrent les pieds, ce qu'il fit
aussi pour eux. Alors il commença à célébrer le sabbat, priant avec eux,
les enseignant, et montrant ainsi, même sur une terre étrangère, combien
était mal fondé le reproche que lui faisaient les Juifs de ne pas
sanctifier le sabbat. Il dormit cette nuit en plein air, à côté du
puits, en compagnie des trois jeunes gens. Il n'y avait pas dans cet
endroit de bergers établis à demeure ni qui eussent des femmes avec eux
: ils y avaient seulement une résidence près de pâturages situés à une
grande distance de leur séjour ordinaire.
25 novembre. — Aujourd'hui les bergers
s'assemblèrent autour de lui et l'écoutèrent. Il leur demanda s'ils
n'avaient pas entendu parler de ces gens, qui trente trois ans
auparavant, avaient été conduits par une étoile en Judée pour y rendre
leurs hommages au roi des Juifs nouveau-né " Oui, certainement ", lui
répondirent-ils, et alors le Seigneur leur Ait qu'il était ce roi des
Juifs et qu'il voulait à son tour visiter ces hommes.
Ils témoignèrent une joie naïve et le prirent en grande affection : ils
lui firent dans un endroit entouré de palmiers un beau siège formé de
marches de gazon s'élevant les unes au-dessus des autres : ils
détachaient et enlevaient le gazon avec de longs couteaux de pierre Ou
d'os, et le siège fut bientôt prêt. Le Seigneur s'y assit et il les
enseigna en leur racontant de charmantes paraboles : et ces gens. au
nombre de quarante environ l'écoutèrent avec une simplicité d'enfant et
prièrent avec lui.
Vers le soir ils défirent une tente et, l'ajustant avec une autre ils
arrangèrent une espèce de grande salle où ils préparèrent pour tous un
repas composé de fruits, de lait de chamelle et d'une espèce de bouillie
roulée en boulettes. Le Seigneur ayant bénit ce qui lui était servi, ils
lui demandèrent pourquoi il faisait cela ; quand il le leur eut
expliqué, ils le prièrent de bénir aussi ce qu'ils mangeaient, et il
condescendit à leur désir. Ils lui demandèrent de leur laisser des mets
bénits par lui et comme ils lui présentaient des choses délicates et qui
devaient se gâter promptement, il demanda des aliments plus inaltérables
et qui pussent se conserver longtemps. Les boulettes blanches qu'il
bénit pour eux étaient faites de riz. Il leur dit qu'il faudrait
remplacer ce qu'ils en mangeraient par du riz nouveau, qu'alors cela ne
se gâterait jamais et ne perdrait jamais la bénédiction.
Les rois mages ont déjà appris en songe que Jésus vient les voir.
26 novembre. — Je vis de nouveau le Seigneur
enseigner sur le trône de gazon. Il parla de la création du monde, de la
chute du premier homme et de la promesse faite par Dieu de l'en relever.
Il leur demanda s'ils n'avaient pas le souvenir d'une promesse qui leur
eût été faite ? Mais ils n'avaient conservé qu'un petit nombre des
traditions sur Abraham et aussi sur David, et le peu qu'ils en savaient
était mêlé de fables. Ils étaient simples et naïfs comme des enfants à
l'école : celui qui avait quelque chose à répondre à une question le
faisait tout de suite sans hésitation.
Le Seigneur ayant vu leur innocence et leur ignorance, opéra en leur
faveur un grand prodige. Je ne me souviens plus précisément de ce qu'il
disait en ce moment, mais il sembla tirer avec la main droite d'un rayon
de soleil comme un petit globe lumineux qui resta suspendu à sa main par
un fit de lumière. Il devint assez grand pour qu'on pût se trouver au
milieu et y voir toutes choses. Ces bonnes gens et les disciples y
virent tout ce que le Seigneur leur expliquait. Ils se tenaient autour
de lui, frappés de stupeur et d'effroi. Je vis dans ce globe la très
sainte Trinité, et lorsque je vis le Fils en elle, Jésus disparut à mes
yeux et j'aperçus un ange planant dans l'air auprès du globe. Il y eut
un moment où Jésus eut ce globe posé sur sa main et un autre où il
sembla que sa main elle-même fut le globe. On y voyait des tableaux
innombrables sortant les uns des autres : j'entendis prononcer le nombre
360 ou 365, qui est celui des jours de l'année et il y avait aussi dans
les tableaux du globe quelque chose qui s'y rapportait.
Jésus leur enseigna aussi une courte prière qui rappelait un peu le
Pater et il leur indiqua trois intentions
auxquelles ils devaient la faire alternativement. C'était une action de
grâces pour la création, une autre pour la rédemption et une troisième,
je crois, pour les âmes du purgatoire, à moins que ce ne fût pour la
résurrection ou pour l'ascension, mais il n'était pas question du
jugement dernier On voyait dans le globe se développer successivement
toute une histoire de la création, de la chute et enfin de la rédemption
avec tous les moyens d'y avoir part Je compris alors tout cela, de même
que ces hommes simples, mais à présent je ne puis plus le redire. Je vis
dans ce globe toutes les choses créées rattachées par des rayons à la
très sainte-Trinité d'ou elles tiraient leur développement : j'en vis
quelques-unes s'en séparer comme par une rupture. Le Seigneur leur donna
une idée de la création par l'apparition du globe sortant de sa main,
une idée du lien qui rattache le monde déchu à la Divinité et à la
rédemption en le leur montrant suspendu par un fil, enfin une idée du
jugement en le prenant dans sa main. Il leur parla de l'année et des
jours dont elle se compose comme d'images appartenant à cette histoire
de la création : il enseigna aussi sur la place que devaient y tenir la
prière et le travail. Ces gens étaient moins vêtus que les adorateurs
des astres.
Lorsque le Seigneur eut fini ses explications, le globe disparut
subitement comme il était venu, elles bergers remués jusqu'au fond de
l'âme par le sentiment de leur profonde misère et de la majesté divine
de leur hôte, furent saisis de tristesse et se prosternèrent, ainsi que
les trois jeunes gens, la face contre terre, versant des larmes et
adorant Jésus aussi fut saisi de- tristesse et se prosterna la face
contre terre sur le tertre de gazon. Mais les jeunes gens voulurent le
relever et il se releva en effet : les bergers firent de même et
l'entourèrent timidement en lui demandant pourquoi il était si triste ;
il leur répondit alors qu'il s'affligeait avec les affligés.
Il leur fit ensuite cueillir une jacinthe qui croissait là à l'état
sauvage, mais bien plus grande et plus belle que nos jacinthes, et il
leur demanda s'ils ne connaissaient pas les propriétés de cette fleur.
Quand le ciel s'obscurcit, leur dit-il, elle se penche, s'attriste et
ses couleurs palissent ; il suffit même pour cela qu'un nuage cache le
soleil. Il leur dit encore sur cette fleur et sur sa signification
beaucoup de choses admirables que j'ai oubliées, comme tant d'autres.
Jésus leur demanda aussi quelle était leur religion, quoiqu'il le sût
parfaitement ; mais il était comme un bon précepteur qui se fait enfant
avec les enfants. Alors ils lui apportèrent tous leurs dieux. C'étaient
des animaux de toute espèce très bien imités, ânes, brebis et chameaux :
ils étaient revêtus de peaux et paraissaient du reste faits de métal. Ce
qui était vraiment risible, c'est que toutes leurs idoles de bêtes ne
représentaient que des femelles, ayant en guise de mamelles de grandes
bourses terminées par un petit tube. Ils les remplissaient de lait, et
les trayaient à certains jours de fête, en buvant de ce lait, eu dansant
et en sautant. Chacun choisissait dans son troupeau les animaux les plus
beaux et les plus irréprochables qu'on nourrissait à part et qu'on
considérait comme sacrés. C'était à l'image de ces bêtes sacrées qu'ils
faisaient leurs idoles et c'était de leur lait qu'ils remplissaient les
mamelles de ces divinités. Quand ils célébraient leur culte, ils
réunissaient tous ces simulacres sous des tentes élégamment décorées, et
c'étaient des réjouissances comme pour une foire annuelle. Les femmes et
les enfants y prenaient part : on trayait le lait, on mangeait, on
buvait, on dansait et l'on adorait ces images d'animaux. Ils ne fêtaient
pas le jour du sabbat, mais le jour suivant.
Pendant qu'ils racontaient tout cela à Jésus et lui montraient leurs
idoles d'animaux, je vis une de ces fêtes qu'ils décrivaient. Le
Seigneur leur fit voir que leur culte n'était qu'une ombre et une
misérable contrefaçon du culte du vrai Dieu, et il partit de là pour
leur expliquer qu'il était lui-même l'animal sans tache du troupeau
l'agneau dont il fallait tirer toute nourriture et tout bien. Il leur
dit aussi qu'il fallait renoncer à tous ces animaux remettre dans leurs
troupeaux les bêtes vivantes et donner à de pauvres gens les idoles dont
la matière avait quelque valeur il fallait ensuite construire un autel
sur lequel ils brûleraient de l'encens pour rendre grâces au Père
céleste. Ils devaient aussi implorer le bienfait de la rédemption et
partager tout ce qu'ils possédaient avec leurs frères indigents : car
ils avaient pour voisins dans le désert de pauvres gens qui ne
possédaient rien et qui n'avaient pas même de tentes. Ce qui resterait
de la chair des animaux dont ils se seraient nourris devait être offert
en holocauste et ils devaient faire de même pour ce qui leur resterait
de pain après que les pauvres auraient reçu leur part. Les cendres
devaient être semées sur des terrains stériles qu'il leur indiqua afin
d'y attirer la bénédiction d'en Haut. Il leur dit tout cela en leur en
expliquant les raisons.
Jésus s'entretint avec eux des rois mages qui l'avaient visite : ils
avaient eux aussi, entendu dire que trente-trois ans auparavant. Ceux
dont il parlait avaient fait un long voyage pour visiter le Sauveur du
monde croyant qu'ils en rapporteraient toute sorte de prospérités et de
bénédictions : on leur avait dit aussi que ces rois à leur retour
avaient fait de grands changements dans leur religion : mais ils ne
savaient rien de plus à leur sujet.
27 novembre. — Jésus resta encore le lundi
chez ces bergers, il alla avec eux visiter leurs troupeaux et leurs
cabanes et leur donna des renseignements sur toute espèce de choses,
notamment sur les propriétés de certaines plantes. Il leur promit de
leur envoyer bientôt quelqu'un qui les instruirait. Il leur dit qu'il
était venu pour tout homme qui désirait son avènement et non pour les
Juifs seuls' comme ils le croyaient par humilité.
Les trois jeunes gens avaient été stupéfaits lorsqu'ils avaient vu le
prodige tout nouveau du globe lumineux.
Ils avaient avec le Seigneur de tout autres rapports que les apôtres :
ils étaient vis-à-vis de lui comme des serviteurs qui lui obéissaient en
silence avec une simplicité enfantine et ils ne se permettaient pas
comme les apôtres de lui demander des explications. Ceux-ci avaient une
fonction : eux n'étaient que comme de pauvres écoliers au service d'un
maître.
Les gens de ce pays n'allaient qu'à certains intervalles de temps
visiter leurs femmes dans leurs maisons. Ils tenaient la continence en
honneur et cela par suite d'une tradition venant d'Abraham : ils la
faisaient même observer d'une certaine manière aux animaux dont se
composaient leurs troupeaux.
28 novembre. — Le mardi, le Seigneur continua
son voyage vers le séjour des trois rois. Dix ou douze bergers
l'accompagnèrent; quelques-uns d'entre eux semblaient avoir une affaire
à traiter ou une redevance à acquitter. Ils portaient avec eux des cages
pleines d'oiseaux. Ce voyage eut lieu à travers une contrée très
solitaire : sur toute une longue route ils ne rencontrèrent pas
d'habitations : toutefois le chemin était très distinctement tracé et ne
se perdait pas dans le désert. Ce chemin par endroits et quelquefois
pendant longtemps était bordé d'arbres qui portaient un fruit bon à
manger de la grosseur d'une figue : on rencontrait aussi ça et là des
baies de diverses espèces à certaines stations qui marquaient le terme
d'une journée de voyage on trouvait toujours un puits couvert entouré
d'arbres rattachés ensemble par leur sommet et dont les branches qui
retombaient tout autour formaient un berceau de verdure. A ces stations
on avait aussi disposé des abris et des emplacements commodes pour faire
du feu. Vers midi au plus fort de la chaleur ils se reposaient près de
ces puits et mangeaient des fruits. Ensuite le Seigneur et ses trois
jeunes acolytes se lavaient mutuellement les pieds. Il ne se laissait
pas toucher par ses autres compagnons de voyage. Les jeunes gens attirés
par sa bonté étaient quelquefois avec lui d'une familiarité enfantine :
d'autres fois ils le regardaient en dessous tout intimidés et se
regardaient ensuite les uns les autres, se son venant de ses prodiges et
pressentant sa ;divinité. Souvent aussi je vis que Jésus semblait
disparaître à leurs yeux. Il les enseignait et s'entretenait avec eux à
propos de tout ce qui se présentait le long du chemin.
Ils marchaient une partie de la nuit : les jeunes gens se procuraient
alors du feu en faisant tourner rapidement deux morceaux de bois l'un
dans l'autre. Ils avaient aussi avec eux une espèce de lanterne placée
au bout d'un bâton, laquelle était ouverte par en haut et où une petite
flamme produisait une grande lueur rougeâtre. Je ne me rappelle plus ce
que c'était. J'ai vu aussi pendant la nuit, des bêtes sauvages qui
couraient effrayées. Pendant leur voyage ils eurent à traverser le plus
souvent de hautes montagnes, mais qui n'étaient pas escarpées et
s'élevaient en pente douce. Je vis une fois dans une plaine beaucoup de
noyers plantés régulièrement et des gens qui mettaient dans des sacs les
noix tombées par terre : cela ne semblait être qu'un glanage après la
récolte. Je vis aussi des arbres qui avaient perdu leurs feuilles et sur
lesquels il y avait encore des fruits. Je vis des pêchers sur des
pentes, des arbres à tiges très minces plantés en ligne, et un arbuste
ressemblant à notre laurier. Souvent les lieux de repos étaient marqués
par de grands massifs de genévriers dont le tronc était gros comme le
bras d'un homme robuste : ils étaient très touffus par en haut tandis
que toutes les branches d'en bas étaient élaguées : l'aspect en était
très agréable.
Toutefois, la plupart du temps, le chemin traversait un désert de sable
blanc : il y avait aussi des endroits où la terre était couverte de
cailloux blancs, ou de petites pierres polies, semblables à des oeufs
d'oiseaux : il y avait aussi de grands amas de pierres noires,
semblables à des débris de poterie ou à des fragments de bouteilles.
Plusieurs étaient percées de trous réguliers pouvant servir d'anses, et
les gens du pays en recueillaient quelques-unes pour s'en servir en
guise de plats ou de pots. Sur la dernière montagne qu'ils eurent à
franchir, il n'y avait que des pierres grises. En descendant, ils
trouvèrent au pied de cette montagne une haie formée d'arbres élevés et
touffus derrière laquelle coulait un torrent rapide, arrosant des terres
cultivées. Au rivage était amarré un radeau fait de troncs d'arbres et
d'osier tressé : ils s'en servirent pour passer l'eau.
30 Novembre. — Je les vis traverser la plaine
en se dirigeant vers un groupe de cabanes faites en clayonnage et
revêtues de mousse. Elles avaient des toits pointus, et les endroits où
l'on dormait étaient disposés tout autour de la pièce qui occupait le
centre J'y vis des sièges et des lits de mousse. Les gens qui les
habitaient étaient convenablement vêtus et portaient sur eux des
couvertures qui ressemblaient à de longs manteaux. J'y vis aussi des
femmes qui faisaient cuire des aliments.
Je vis à quelque distance des tentes dressées, mais beaucoup plus
grandes et plus solidement établies que toutes celles que j'avais vues
précédemment. Elles reposaient sur des bases en pierre et semblaient
être à plusieurs étages : des escaliers extérieurs circulaient alentour
Je vis le Seigneur passer entre les premières cabanes de mousse, lorsque
la vision prit fin : c'était ce matin vers cinq heures Là aussi il se
reposa près d'un puits et ses jeunes compagnons lui lavèrent les pieds.
On le conduisit dans une maison destinée à recevoir les étrangers. Les
gens de l'endroit étaient très bienveillants. Les bergers qui avaient
accompagné Jésus reprirent le chemin de leur pays : on leur donna des
provisions pour le voyage.
Ce district où sont les habitations couvertes de mousse est très étendu
: il y a une quantité innombrable d'habitations de ce genre disséminées
autour des champs, des prairies et des jardins. On ne peut pas voir
d'ici le grand palais de tentes : il se trouve à une assez grande
distance : on le voyait en descendant la montagne. Le pays est
singulièrement agréable et fertile. On trouve, adossées à des collines,
beaucoup de haies de baumiers auxquels on fait des incisions et d'où
découle un liquide précieux : on le reçoit dans ces pierres creusées en
forme de pots qui se trouvent plus loin dans le désert. Je vis de
magnifiques champs de blé avec des chaumes gros comme des roseaux : je
vis aussi des ceps de vigne, des roses et des fleurs en boules grosses
comme des têtes d'enfants. Il y a de petits ruisseaux limpides d'une eau
très claire et d'un cours très rapide, coulant sous des berceaux de
verdure formés par des haies soigneusement entretenues qui les bordent
des deux côtés. On récolte les fleurs dont ces haies sont couvertes et
celles qui tombent dans l'eau sont arrêtées par des filets placés de
distance en distance où on les recueille. Aux endroits où on les repêche
ainsi, il y a des ouvertures pratiquées dans ces berceaux de verdure. Je
ne sais plus bien à quel usage ces fleurs sont employées.
Les gens de l'endroit apportèrent et montrèrent à Notre Seigneur tout ce
que produisait leur pays. Il s'entretint avec eux de ces hommes qui
avaient autrefois suivi l'étoile : ils lui répondirent qu'ils
demeuraient d'abord dans des contrées très éloignées les unes des
autres, qu'à leur retour, ils s'étaient réunis dans ce pays où l'étoile,
qui s'y était montrée pour la première fois, les avait conduits ; qu'ils
y avaient élevé une pyramide servant d'oratoire à l'endroit où l'étoile
avait d'abord apparu, et qu'ils avaient établi tout autour une ville de
tentes où ils étaient restés pour l'habiter ensemble. Ils avaient en
outre reçu l'assurance que le Messie viendrait les visiter et ils
voulaient, lorsqu'il en partirait, quitter ce pays à leur tour. Mensor
le plus vieux de tous, vivait encore et avait conservé ses forces :
Théokéno, le second, était tellement affaibli par les années qu'il ne
pouvait plus marcher. Séir le troisième, était mort depuis quelques
années et son corps se conservait sans altération dans une pyramide
sépulcrale ou il était déposé. Le jour anniversaire de sa mort, on s'y
rendait en cérémonie, on ouvrait les tombeaux et on leur rendait
certains honneurs. On entretenait chez eux un feu qui brûlait
perpétuellement. Après avoir donné tous ces détails à Jésus, ils
s'informèrent auprès de lui de ce qu'étaient devenus les gens du cortège
des trois rois qui étaient restés dans la Terre Promise.
Anne Catherine fut obligée d'interrompre ici le récit de ces
intéressantes visions. Elle lut à cette époque réduite par l'intensité
de ses souffrances à un état d'épuisement qui fit craindre pour sa vie.
Le 1er décembre, elle raconta péniblement ce qui suit :
On envoya d'ici un messager à deux lieues d'ici, à la ville de tentes de
Mensor, le plus âgé des deux rois qui vivaient encore : on lui fit dire
qu'il était arrivé un homme qu'on croyait être un envoyé de ce roi des
Juifs visité par lui.
Le soir, comme le sabbat allait commencer, Jésus demanda qu'on mit à sa
disposition une cabane où il pût être seul avec ses compagnons et comme
il n'y avait pas ici de lampes comme celles dont les Juifs se servaient,
ils en arrangèrent une eux-mêmes. Jésus resta donc seul jusqu'au samedi
soir pour célébrer le sabbat avec les trois jeunes disciples.
J'ai vu aussi que sept hommes vinrent de la demeure du roi Mensor pour
lui souhaiter la bienvenue. Ils portaient de grands manteaux blancs
brodés d'or, plus longs par derrière que par devant, et ils avaient sur
la tête des bourrelets blancs avec des ornements en or. Je vis entre
autre chose sur ces bourrelets un bouton brillant où était fixée ; comme
une aigrette, une longue plume d'autruche penchée de côté. Ils
invitèrent Jésus à venir avec ses disciples : je vis aussi que sur leur
ordre on vida pour faire place au Seigneur, une habitation qui était
remplie de fruits de toute espèce : ils le prièrent de faire un long
séjour parmi eux. J'entendis aussi le Seigneur faire une instruction
dans la chambre principale de cette habitation : il parla des païens
bien disposés et dit qu'il y en avait qui, sans avoir été instruits,
avaient pourtant le coeur pieux.
Je vis aussi, à l'endroit qu'habitaient les rois, faire des préparatifs
pour recevoir le Seigneur. On attachait des arbres ensemble et on
faisait des arcs de triomphe où étaient suspendus des ornements de toute
espèce, des morceaux d'étoffe, des fleurs et des fruits.
3 décembre. — Je vis bien des choses de tout
genre que je ne puis plus rapporter dans l'ordre où elles se
présentaient : j'en oublierai certainement beaucoup. Dés qu'on eut reçu
la nouvelle de l'arrivée de Jésus, je vis faire chez les rois toute
espèce de préparatifs pour la réception. A cette occasion, je vis en
détail l'endroit où ils demeurent. C'est un séjour singulièrement
agréable, élégant et commode : cela ressemble plus à un lieu de
plaisance, à un campement qu'à une ville. La tente principale fait
l'effet d'un château. Elle repose sur des substructions en pierre sur
lesquelles s'appuie d'abord un étage formé entièrement de parois à
claire voie. Au-dessus se trouvent les appartements du château qui a
plusieurs étages. Tout autour de cette grande construction courent des
escaliers et des galeries ouvertes. On voit à l'entour d'autres tentes
de cette espèce plus ou moins élevées, qui toutes sont unies entre elles
par des chemins pavés d'une espèce de mosaïque en pierres de couleur,
représentant toute espèce d'objets, notamment des étoiles et des fleurs.
Tous ces jolis chemins passent entre des pelouses vertes et des jardins
dont les parterres symétriques sont pleins de fleurs, de charmants
arbrisseaux à petites feuilles ressemblant à des myrtes et à des
lauriers, et d'arbustes portant des baies et des aromates. Au milieu
d'un de ces emplacements est une belle fontaine jaillissante. Elle est
haute de plusieurs étages et de tous les côtés, on la voit de loin
lancer en l'air de beaux jets d'eau. Cette fontaine est sous un édifice
entouré d'une colonnade à ciel ouvert garnie de sièges et de bancs.
Derrière la fontaine se trouve le temple. Il est précédé d'une cour
entourée de colonnades ouvertes d'un côté : de l'autre côté on voit
l'entrée de diverses sépultures ; les sépultures des rois déjà morts se
trouvent également ici. Le temple lui-même est une pyramide
quadrangulaire, mais moins déprimée que celles que j'ai vues
antérieurement pendant ce voyage. Des escaliers tournants avec des
balustrades montent autour de cette pyramide et la pointe est travaillée
à jour : je remarquai un de ces pavillons où il y avait d'un côté des
jeunes gens et de l'autre des jeunes filles. Je crois qu'il leur sert
d'école. En général toutes les habitations des femmes sont placées en
dehors de cette enceinte. Elles demeurent à part et ensemble. Je ne puis
dire avec quel soin et quelle élégance les choses sont disposées et
arrangées, combien tout est vert et riant, et combien en même temps tout
est agréable et simple.
On voit partout de beaux jardins avec des bancs pour se reposer. Je vis
aussi un grand bâtiment à jour rempli d'oiseaux du haut en bas.
J'aperçus à une certaine distance des tentes et des cabanes de toute
espèce où habitent divers artisans, notamment des forgerons. Je vis
encore des étables et de grandes prairies couvertes de troupeaux de
chameaux, d'ânes et de grands moutons à laine fine : il s'y trouvait
aussi des vaches qui avaient de grandes cornes et de petites têtes :
elles différaient des nôtres Je n'ai pas vu de montagnes dans ce pays :
il n'y a que des collines en pente douce. Elles ne me paraissaient pas
beaucoup plus hautes que ces éminences qu'on appelle dans mon pays les
tombeaux des paiens : elles sont entourées de palissades, et il y a
aussi de petites tentes à l'entour. Je vis là de longs tubes que l'on
faisait entrer dans la terre : il y avait dans le tube un instrument à
forer garni d'une poignée : les gens du pays l'enfonçaient dans la terre
et quand en le retirant, ils y trouvaient de l'or (car c'était là ce
qu'ils cherchaient), ils creusaient dans le flanc de la colline et en
retiraient le métal. J'ai vu bien d'autres choses encore, mais je ne
peux plus mettre tout cela en ordre.
Lorsqu'on leur annonça l'arrivée prochaine du Seigneur qu'ils croyaient
être un envoyé du Sauveur du monde, je vis tout en mouvement pour le
recevoir comme si le roi des Juifs fût venu lui-même. Ils étaient pleins
de joie et profondément émus. Je vis le vieux roi conférer avec les
autres chefs et les prêtres et tout disposer comme pour une fête. On
prépara les habits qui devaient être donnés comme présents, on attacha
les uns aux autres des arbres par le sommet pour les courber en forme
d'arcs de triomphe, on cueillit des fleurs pour en faire des guirlandes,
etc. Je vis en même temps le Seigneur, ses jeunes disciples et les sept
messagers se mettre en marche vers le château de tentes, et le vieux
Mensor en sortir sur un chameau richement en harnaché qui portait des
coffres de chaque côté, et aller à la rencontre du Seigneur avec une
suite d'une vingtaine d'hommes de distinction, vieux et jeunes, dont
plusieurs avaient accompagné les trois rois à Bethléhem. Ce cortège
chantait une mélodie grave et mélancolique du genre de celle que je leur
avais entendu chanter pendant la nuit lors de leur voyage à Bethléhem.
Le roi Mensor était le plus âgé de ceux qui avaient porté leurs
offrandes à l'enfant Jésus : il avait je visage basané et portait sur la
tête une coiffure ronde et élevée entourée d'un bourrelet blanc. Il
avait un manteau blanc brodé avec une longue queue par derrière. Devant
le cortège un homme portait un long bâton avec une pointe dentelée à
laquelle était attaché quelque chose qui flottait au loin. C'était un
insigne d'honneur, une espèce de bannière : cela ressemblait un peu à
une queue de cheval.
Le cortège suivit une allée bordée de belles prairies sur lesquelles on
voyait par endroits des tapis moelleux de mousse blanche ressemblant à
d'épaisses fourrures, et il s'arrêta à moitié chemin, près d'un arbre
sous lequel était une fontaine entourée d'une espèce de temple de
verdure. Là le vieillard mit pied à terre et attendit le Seigneur qu'on
voyait approcher. Les sept messagers qui étaient allés chercher Jésus
lui servirent ici de courriers. L'un d'eux courut en avant et annonça
son arrivée. Alors on prit dans les coffres que portait le chameau
plusieurs magnifiques vêtements blancs brodés d'or, des coupes d'or, des
assiettes et des soucoupes de même métal pleines de fruits et on plaça
tout cela sur un tapis près de la fontaine.
Le Seigneur n'étant plus qu'à quelques pas, le vieillard courbé par les
années alla à sa rencontre avec un profonde humilité, soutenu par deux
hommes et suivi d'un troisième qui portait la queue de son manteau. Il
tenait à la main un long bâton, avec des ornements d'or qui se terminait
en forme de sceptre. Dès qu'il aperçut Jésus, il eut une espèce
d'avertissement intérieur et se sentit ému comme il l'avait été près de
la crèche devant laquelle c'était lui qui s'était agenouillé le premier.
Il tendit son sceptre à Jésus et se prosterna devant lui. Jésus lui prit
la main et le releva. Alors on apporta les présents au vieux roi qui
étala sur ses mains les riches vêtements et les offrit à Jésus et à ses
disciples. Le Seigneur les remit à ceux-ci, qui les firent replacer sur
le dos du chameau. Jésus les accepta, mais il ne voulut pas s'en
revêtir. Le vieillard lui offrit aussi le chameau, mais Jésus le
remercia.
Ils entrèrent alors sous le berceau qui ombrageait la fontaine, et le
vieillard présenta au Seigneur de l'eau fraîche dans laquelle il versa
quelques gouttes d'une liqueur contenue dans un flacon : il lui offrit
aussi de petits fruits dans des soucoupes. On ne saurait dire combien il
montrait d'humilité et de cordialité naïve. Il s'enquit du roi des
Juifs, car il croyait Jésus son envoyé et il ne pouvait pas s'expliquer
la grande émotion dont il était pénétré intérieurement. J'ai oublié tout
ce qu'ils se dirent : je vis les autres s'entretenir avec les disciples
: ils embrassèrent Erémenzear, celui qui s'appela depuis Hermas, et
pleurèrent de joie en apprenant de lui qu'il était le fils d'un de ceux
qui étaient restés dans la Terre Sainte lors de la visite des rois à
Jésus enfant. Plus tard j'appris qu'il était de la descendance de Cétura,
la seconde femme d'Abraham.
Quand ils se furent arrêtés là quelque temps, ils voulurent faire monter
Jésus sur le chameau, mais il s'y refusa et exigea que le vieillard s'y
assit de nouveau. Jésus et les disciples marchèrent en tête du cortège.
Au bout d'une heure, ils arrivèrent à la limite proprement dite des
habitations ; c'était une enceinte de toiles blanches tendues de haut en
bas qui s'étendait en ligne circulaire à droite et à gauche. Ils
trouvèrent à l'entrée une troupe de jeunes filles en habits de fête qui
venaient à leur rencontre : elles marchaient deux par deux, portant
entre elles des corbeilles pleines de fleurs, et elles en semèrent une
si grande quantité devant le Seigneur que tout le chemin en était
jonché. Il y avait aussi à l'entrée, des arbres qu'on avait courbes pour
former un arc de triomphe. On passait ensuite sous une longue allée
plantée d'arbres. Les jeunes filles avaient des caleçons blancs très
larges et sous les pieds des sandales dont l'extrémité était relevée en
pointe. Elles portaient des vêtements de dessus ouverts par devant et un
peu plus longs par derrière : leur tête était entourée de bandelettes
blanches et leurs bras de plusieurs petites guirlandes faites d'une
étoffe froncée, avec des fleurs, de la laine et des plumes de couleurs
éclatantes : elles en avaient aussi autour du cou et sur la poitrine
Elles étaient habillées très modestement mais elles n'étaient pas
voilées.
Au bout de cette allée d'arbres dont les sommets se rejoignaient et
formaient une voûte, le cortège arriva au bord d'un fossé ou d'un
ruisseau qui entourait un jardin: on le passait sur un pont que
recouvrait une tente. Jésus y fut reçu par quatre ou cinq prêtres sous
un arc de triomphe très orné. Ils étaient revêtus de grands manteaux
blancs avec de longues queues qu'on portait derrière eux. Leur robe
était toute garnie de lacets et ils avaient au bras droit un long
manipule qui semblait fait de fils tressés ou de fourrure et qui
descendait jusqu'à terre. Ils portaient sur la tête des couronnes
dentelées et sur le front un ornement en forme de coeur qui se terminait
aussi en pointe. Deux d'entre eux portaient un bassin d'or ou il y avait
du feu : d'autres avaient à la main des vases d'or avant la forme de
petits navires et ils y prenaient l'encens qu'ils jetaient dans le feu.
Lorsqu'ils s'approchèrent de Jésus, on cessa de porter leur queue qui
fut relevée et rattachée derrière eux.
Jésus passa à travers tous ces hommages, calme et impassible, comme le
jour des Rameaux.
Le chemin qui traversait le jardin suivait une allée en berceau qui
était ouverte d'un côté. Le jardin était grand : sa limite extérieure
était tracée par de grands arbres : à l'intérieur il était planté de
jolis arbustes. Beaucoup de canaux et de ruisseaux passaient à travers
ce jardin que des allées semées de cailloux élégamment disposés
partageaient en plusieurs petites plates-bandes triangulaires où il y
avait de belles plantes et des fleurs de toute espèce. Les arbres et les
arbustes du jardin étaient taillés de manière à figurer différents
objets : et j'en vis quelques-uns représentant des hommes et des
animaux. Il y avait aussi des bancs où l'on se reposait à l'ombre, et de
jolies fabriques. Toute l'allée en berceau qui coupait le jardin en deux
était semée de pierres de couleur représentant des étoiles et d'autres
objets. Le jardin aboutissait à un autre ruisseau formant un arc de
cercle et sur lequel passait aussi un pont couvert d'une tente. Après
l'avoir franchi on voyait à droite et à gauche s'étendre en demi-cercle
des tentes basses, de forme carrée, où demeuraient les jeunes gens. Le
chemin, toujours couvert, conduisait au milieu de la grande place ronde
qui était le point central de cette enceinte circulaire, et en face
était la grande tente royale. Au milieu de la place s'élevait une
colline plantée et formant une île, car elle était entourée d'eau. Il y
avait là une fontaine surmontée d'une espèce de temple ouvert de tous
les côtés, reposant sur des colonnes élancées et dont le toit était
couvert de peaux de bêtes.
Lorsque le Seigneur ayant franchi le pont arriva sur la place, les
jeunes gens le reçurent en jouant de la flûte et en frappant sur- de
petits tambours. Ils avaient un costume singulier et je crois qu'ils
faisaient le service de gardes du corps : car j'en vis quelques-uns
aller de long en large comme des sentinelles, armés d'épées très courtes
semblables à des couperets. Leur habillement est mi-parti : un côté ne
ressemble pas à l'autre. D'un côté ils n'ont rien de bien remarquable,
de l'autre ils portent divers objets suspendus à l'épaule, notamment
quelque chose qui ressemble à un grand croissant et où on voit la
silhouette d'un visage humain. Ils ont des bonnets surmontés d'un cimier
en plumes.
Lorsque le roi fut descendu de son chameau, on emmena l'animal, et le
roi conduisit Jésus et ses disciples à la fontaine qui était sur la
petite île. C'est une fontaine jaillissante, placée sous un petit temple
ouvert : il y a plusieurs' bassins les uns au-dessus des autres : elle
est faite d'un beau métal luisant et garnie d'un grand nombre de
conduits. Quand on les ouvre tous, l'eau jaillit de tous les côtés,
tombe dans plusieurs rigoles bordées de verdure et descendant ainsi les
pentes de la colline va se perdre dans le ruisseau qui forme l'île. Des
sièges sont disposés tout autour de la fontaine. Le roi retint quelque
temps ses hôtes dans cet endroit : les disciples lavèrent les pieds du
Seigneur et il les leur lava à son tour. Je crois que les assistants
voulaient aussi leur rendre cet office : mais je ne me souviens plus si
Jésus le leur permit.
Ils sortirent de là en franchissant un autre pont surmonté d'une tente
et arrivèrent de l'autre côté de la place au château du roi. C'est un
grand édifice, élevé de plusieurs étages avec des fondements en pierre
supportant un rez-de-chaussée à claire-voie, rempli d'arbustes et de
plantes de toute espèce : des escaliers et des galeries couvertes
circulent à l'extérieur et s'élèvent jusqu'au haut du château. On voit
çà et là des fenêtres, mais elles ne sont pas disposées symétriquement.
La toiture a plusieurs combles surmontés de petits drapeaux, de lunes et
d'étoiles. On conduisit Jésus dans une grande salle ronde ou plutôt
octogone. Au milieu était un piller servant d'appui autour duquel
étaient fixés des disques ronds placés les uns au dessus des autres et
où on suspendait toute sorte de choses. Autour de ce piller était une
table circulaire assez basse sur laquelle un repas fut servi dans de
très belle vaisselle.
Tous étaient restés debout et Jésus s'entretint avec eux. Le repas était
très élégamment disposé, de belles herbes de toute espèce étaient
arrangées dans les assiettes, où elles formaient comme de petits
jardins. Cette circonstance et la vaisselle d'or avec tous ses ornements
me remirent en mémoire les beaux plats d'or à rebords bleus des tables
célestes. Il y avait une quantité de beaux fruits, entre autres un gros
fruit jaune à côtes, surmonté d'un bouquet touffu. On voyait aussi sur
la table des oiseaux rôtis, de petites coupes d'or, de charmants vases à
boire, des petits pains et surtout de beaux rayons de miel. Les parois
de la tente étaient tendues de couvertures bariolées où étaient
représentées des fleurs et des figures, entre autres des figures
d'enfants qui servaient à boire. Le sol était aussi tapissé d'étoffes
moelleuses.
Lorsque je vis tout cela, j'étais en dehors de la tente avec mon
conducteur, et lorsque je vis les rayons de miel il vint tout d'un coup
d'un endroit éloigné où étaient des ruches, un essaim de grandes
abeilles qui se posèrent sur ma robe. Elle ne me firent aucun mal, mais
elles couvrirent mon tablier jusqu'à la poitrine de manière qu'il était
tout noir et je me mis à frapper dessus. Alors mon conducteur me dit : "
Pourquoi frappes-tu ces abeilles : elles t'apportent du miel ". Elles
s'envolèrent et mon tablier se trouva couvert du plus beau miel. Mais la
vision avait disparu : je ne me rappelle plus ce que je fis du miel.
4 -6 décembre. — Anne Catherine raconta
seulement ce qui suit des visions des trois jours suivants. Le vieux roi
et les autres racontèrent comment ils avaient vu l'étoile et tout ce qui
s'était passé alors. Il y avait dans leur tribu une ancienne prédiction
relative à une étoile de ce genre. Ils l'avaient vue pour la première
fois quinze ans avant la naissance du Messie : ils la virent ensuite de
cinq ans en cinq ans. Ils y avaient toujours vu des figures comme on en
voit dans les étoiles : celles-ci se rapportaient à Jésus.
Ici le Pèlerin demanda à Anne Catherine si elle avait vu quelque chose
de ce genre dans les étoiles et elle répondit : " Oh ! oui : on y voit
des jardins, des maisons, des arbres, avec toute sorte d'incidents et de
changements. J'ai vu cela très fréquemment dès mon enfance, lorsque je
priais dans les champs pendant les nuits d'hiver et j'ai toujours cru
que tout le monde voyait ces choses ".
J'ai su tout ce que les rois mages avaient vu dans l'étoile, mais je
l'ai oublié. La première figure qu'ils virent, quinze ans avant la
naissance du Christ, fut une vierge tenant d'une main un sceptre, de
l'autre une balance où il y avait une grappe de raisin et un épi de blé.
Pendant les cinq dernières années, ils virent ces tableaux changer
souvent : en dernier lieu, ils y virent l'enfant dans la crèche, ayant
près de lui Joseph et Marie, et ils virent même des lettres et des mots,
par exemple le nom de la Judée, si je ne me trompe. Ils avaient eu aussi
quelque connaissance du mystère de la Rédemption et ils savaient que
Jésus viendrait les visiter. Ils n'avaient pas été les seuls à voir cela
: les autres adorateurs des astres, dans le pays desquels le Sauveur
avait passé d'abord pendant ce voyage, avaient aussi vu l'étoile, mais
ils ne l'avaient pas suivie : c'est pourquoi ils étaient restés en
arrière dans la voie du salut. Je crois qu'ils avaient vu encore une
figure qui portait une croix, et une montagne.
Lorsque dans la nuit de Noël, ils virent l'enfant Jésus dans l'étoile et
reçurent un avertissement, ils s'envoyèrent réciproquement des messages
et se mirent en voyage pour aller rendre leurs hommages à l'enfant
nouveau-né. L'étoile n'avait cessé de se rapprocher d'eux et elle allait
devant eux. C'était ici qu'ils s'étaient rencontrés et réunis,
auparavant ils demeuraient fort loin les uns des autres : mais lorsqu'à
Bethléhem ils furent avertis en songe de ne pas revenir vers Hérode et
de s'en retourner chez eux par un autre chemin, il leur fut dit aussi
qu'ils devaient se réunir ensemble dans cet endroit et y attendre le
moment où ils iraient dans un autre pays à la suite du roi des Juifs.
Ils demandèrent à Jésus pourquoi ils avaient perdu de vue l'étoile en
arrivant à Jérusalem et il leur dit : " Pour éprouver votre foi et parce
qu'elle ne devait pas se montrer sur Jérusalem. " La malade répéta ces
paroles en souriant, comme pour répondre au Pèlerin qui lui reprochait
d'avoir si étourdiment oublié tant de choses importantes, par- exemple
les objets représentés dans les étoiles.
Je vis encore le Seigneur enseigner dans la tente et leur dire en
dernier lieu qu'il n'était pas l'envoyé de Jésus, mais Jésus lui-même,
sur quoi ils se prosternèrent par terre en pleurant. Le vieux roi Mensor
surtout fondait en larmes, et ils ne pouvaient contenir les témoignages
de leur amour et de leur vénération. Ils ne pouvaient pas comprendre
qu'il fût venu les trouver. Mais il leur dit qu'il était venu pour les
Gentils comme pour les Juifs, qu'il était venu pour tous ceux qui
croyaient en lui. Ils croyaient que le moment était arrivé de quitter le
pays qu'ils habitaient et ils voulaient le suivre tout de suite en
Judée. Mais il leur répondit que son royaume n'était pas de ce monde, et
qu'ils seraient scandalisés et ébranlés dans leur foi, s'il leur fallait
voir les injures et les mauvais traitements qu'il était destiné à subir
de la part des Juifs. Ils ne pouvaient se faire une idée de cela et ils
lui demandèrent aussi une fois comment il se faisait que tant de
méchants prospérassent pendant que beaucoup de gens de bien avaient tant
à souffrir. Il leur dit alors que ceux qui trouveraient leurs
satisfactions ici-bas auraient ailleurs un compte à rendre ; que cette
vie était une vie de pénitence etc.
Ces gens savaient quelque chose d'Abraham et de David ; quand Jésus leur
fit connaître sa généalogie, ils apportèrent de vieux documents où ils
cherchèrent si eux-mêmes n'avaient point quelque parenté avec la race
dont il était issu. C'étaient des tablettes repliées les unes sur les
autres, et qu'on déployait comme des cartes d'échantillons. Ils étaient
dociles comme des enfants et il n'y avait rien qu'ils ne voulussent
faire. Ils savaient que la circoncision avait été prescrite à Abraham,
et ils demandèrent au Seigneur si eux aussi devaient se soumettre à
cette loi. Jésus leur dit que ce n'était plus nécessaire, qu'ils avaient
déjà opéré la circoncision sur leurs convoitises, et qu'ils avaient
encore à circoncire. Je trouvai, dans l'instruction que Jésus fit ici,
des éclaircissements remarquables sur ce mystère, mais j'ai oublié tout
cela.
Ils avaient également connaissance de Melchisédech et de son sacrifice
de pain et de vin, et ils dirent au Seigneur qu'ils faisaient eux aussi,
un sacrifice de cette espèce. C'était une cérémonie où ils offraient des
petits pains et un liquide verdâtre, en prononçant quelques paroles dont
le sens était à peu près celui-ci : " Quiconque me mange avec piété sera
comblé de prospérités ". Jésus leur parla à ce sujet et leur dit que le
sacrifice de Melchisédech était une figure prophétique du plus saint des
sacrifices. et que c'était lui-même qui était offert dans ce sacrifice :
il ajouta qu'ils possédaient différentes formes de la vérité, mais que
toutes avaient été altérées et corrompues par l'esprit de ténèbres.
Je vis une fois, je ne me souviens plus bien si ce fut dans la nuit qui
précéda l'arrivée de Jésus ou dans celle qui suivit, tous les chemins
qui aboutissaient à la tente royale, éclairés jusqu'à une grande
distance. On y avait planté des poteaux surmontés de globes transparents
dans lesquels il y avait de la lumière, et au-dessus de chaque globe
était une petite couronne qui brillait comme une étoile. Je vis aussi
alors beaucoup de personnes rassemblées autour du temple et dans le
temple, mais je n'y entrai pas moi-même.
La première fois que le Seigneur visita le temple, c'était pendant le
jour. Les prêtres allèrent le chercher en cérémonie au château. Ils
avaient des bonnets plus hauts que la première fois : à leur épaule
était suspendu un cordon de petits disques d'argent, et ils portaient à
l'autre bras de ces longs manipules que j'avais déjà vus. Des draperies
étaient tendues au-dessus du chemin et ils marchaient pieds nus. Je vis
dans les alentours du temple des femmes assises qui semblaient curieuses
de voir le Seigneur. Elles avaient au-dessus d'elles de petits auvents
portés sur des perches comme pour les garantir du soleil. Elles se
tenaient à distance et se courbèrent jusqu'à terre devant le Seigneur.
Le temple était près d'un des côtés du château et compris dans la vaste
enceinte qui avait la fontaine pour centre : c'était une pyramide
quadrangulaire moins élevée que le château il y avait un étage inférieur
formé par des parois verticales : des escaliers découverts couraient
tout autour. La pointe était à jour. Cette pyramide était dans une cour
entourée d'une galerie couverte, dont le côté fermé touchait à des
passages souterrains conduisant aux sépultures des rois morts. Au milieu
du temple s'élevait une colonne d'où partaient des chevrons qui
aboutissaient aux quatre parois. Tout en haut était suspendue une roue
avec toute espèce de figures, d'étoiles et de globes : cette roue avait
son emploi dans les cérémonies religieuse.
Ils montrèrent à Jésus une représentation de la crèche qu'ils avaient
faite à leur retour de Bethléhem, sur le modèle de celle qu'ils avaient
vue dans les étoiles. Tout cela était en or et entouré d'une grande
plaque d'or en forme d'étoile. L'enfant était assis sur une couverture
rouge, dans une crèche comme celle de Bethléhem : ses petites mains
étaient croisées sur sa poitrine et il était emmailloté depuis les pieds
jusqu'à la poitrine. Ils y avaient même mis du foin : on voyait derrière
la tète de l'enfant une espèce de guirlande blanche : je ne sais plus de
quoi elle était faite. Ils montrèrent cette image à Jésus : ils
n'avaient du reste aucune autre image dans leur temple. A l'une des
parois était suspendu un long rouleau ou une tablette : c'était un de
leurs écrits sacrés. On y voyait presque partout des espèces de figures.
Il y avait aussi entre la colonne et la représentation de la crèche un
petit autel avec des ouvertures sur le côté. Ils avaient encore une
espèce de petit aspersoir avec de l'eau dont on aspergeait les
assistants comme on le fait avec de l'eau bénite. Je vis en outre une
branche bénite qui figurait dans diverses cérémonies, des petits pains
ronds, un calice et, si je ne me trompe, de la chair de victime sur un
plat. Ils montrèrent tout cela à Jésus : il leur donna des enseignements
à ce sujet et il réfuta différentes raisons qu'ils apportèrent à l'appui
de leurs pratiques.
Ils menèrent ensuite Jésus dans les tombeaux du défont roi Séir et de sa
famille. C'étaient de beaux caveaux ayant leur place à part dans le
passage couvert qui entourait la pyramide du temple. Les tombeaux
ressemblaient à des lits de repos pratiqués dans la muraille. Les corps
y étaient couchés, revêtus de longues robes blanches, sur de belles
couvertures qui retombaient en dehors. Je vis leurs visages à demi
enveloppés et leurs mains qui étaient nues et blanches comme la neige.
Je ne sais pas s'il n'y avait plus que les os ou si elles n'étaient pas
recouvertes de peau desséchée, car je vis sur les mains des sillons
profonds'. Les caveaux des sépultures étaient très spacieux et il y
avait un siège dans chacun. Les prêtres y apportèrent du feu et firent
des encensements. Tous versaient des larmes : le vieux roi Mensor
surtout pleurait comme un enfant. Jésus s'approcha du corps et parla sur
la mort. Il me semble aussi qu'il toucha leurs mains et les bénit
cependant je n'ai plus de souvenirs bien précis à ce sujet.
NOTES :
1 - Plus tard, racontant comment l'apôtre saint Thomas était venu
baptiser ici, trois ans après l'ascension du Sauveur, elle dit qu'il
lava avec de l'eau bénite je visage du roi Séir, mort alors depuis douze
ans après en avoir retiré une espèce de masque blanc. Ce roi était le
plus basané des trois, et son corps avait encore toute sa peau. Les
autres corps n'étaient que des squelettes blanchis.
(Note du Pèlerin)
2 - Pendant le saint temps de l'Avent, en 1820, Anne Catherine,
tout en voyant et en racontant le séjour du Seigneur dans le pays des
saints rois mages, avait en même temps des visions journalières touchant
les mystères qui se rapportent au temps de l'Avent. Mais la richesse et
la variété de ces visions lui rendait très difficile de les communiquer
d'une manière suivie, et il y eut 'beaucoup de choses qu'elle ne put
raconter qu'après coup et d'une manière très incomplète.
(Note du Pèlerin.)
7 décembre. — J'ai oublié de raconter que
lorsque Mensor, après la réception solennelle, conduisit Jésus à son
château, il le mena aussitôt près de Théokéno, le second des rois mages
qui vivait encore : il était tellement affaibli par l'âge qu'il ne
pouvait plus marcher. C'était celui des trois qui avait le teint le plus
blanc : il habitait une chambre entourée de grillages dans la partie
inférieure du château et il reposait là couché sur des coussins. Les
arbustes que j'avais vus à ce rez-de-chaussée forment son jardin parce
qu'il ne peut plus sortir. Tout ce que j'ai dit s'être passé dans le
château eut lieu en sa présence Jésus je visitait tous les jours avec
Mensor. Théokéno raconta une fois, à propos du défont roi Séir, que
lorsque, selon leurs usages, ils eurent placé une branche d'arbre devant
la porte de son tombeau, une colombe était venue se poser sur cette
branche, qu'elle y venait encore souvent et qu'elle était maintenant
très vieille.
Il demanda ce que cela signifiait. Jésus lui demanda à son tour
quelle avait été la foi de Séir, et le vieil infirme répondit : "
Seigneur, elle était comme la mienne. Depuis que nous avons visité le
roi des Juifs et jusqu'à sa mort, son unique désir a toujours été qu'il
n'y eût rien en lui qui ne fût conforme à la volonté du roi des Juifs ".
Là-dessus Jésus leur expliqua que la colombe qui était venue se poser
sur la branche indiquait qu'il avait été baptisé du baptême de désir.
J'ai vu moi-même cette colombe.
Je vis entre le temple et la fontaine une fosse creusée en terre dans
laquelle il y a toujours du feu allumé : la flamme en est blanche et ne
dépasse jamais le bord de la fosse. Je n'y vis pas mettre de bois. Les
prêtres apportèrent dans des tubes creux quelque chose qu'ils faisaient
rouler dedans. Je crois que c'étaient des morceaux d'une matière qui
leur servait à fondre l'or et qu'on tirait de la terre. Au-dessus de ce
feu était souvent placé, pour le couvrir, un demi globe de métal
surmonté d'une figure tenant à la main un petit étendard.
J'ai vu aussi, à peu de distance de la mine, l'endroit où on fait fondre
l'or : on ne se servait pas de bois pour cela. On creusait la terre pour
en retirer des morceaux d'une matière brune et jaune, longs à peu près
comme la moitié du bras ; on faisait courir le métal liquide dans de
longues rigoles, et on obtenait ainsi des lingots. Le feu était mêlé
avec le métal et l'environnait entièrement. Il y avait beaucoup
d'orfèvres et d'autres ouvriers établis sous de petites tentes dans
l'enceinte extérieure.
Il y a cinq chemins partant de différents endroits qui aboutissent au
centre de la ville, et il se trouve sur divers points des collines qui
renferment de l'or. L'or s'y rencontre soit en petites parcelles qui
ressemblent à des miettes de pain grillé et qu'on fait fondre, soit en
grains et en petits morceaux qu'ils conservent dans des coffrets. Ils
font des trous au haut des monticules avec des instruments à forer et
quand ils rencontrent quelque chose, ils creusent des galeries sur le
côté.
Je vis les femmes qui habitaient à part sous des tentes rangées en
cercle hors de l'enceinte. J'en vis beaucoup travailler sur de longues
bandes de tapisserie blanche qui étaient tendues comme des toiles et où
elles brodaient des fleurs des deux côtés. Elles cousaient avec de
longues tiges blanches crochues qui ressemblaient à des arêtes de
poisson et elles y travaillaient plusieurs à la fois. J'ai vu de ces
tapisseries suspendues aux parois autour des tentes.
Je vis encore aujourd'hui le Seigneur dessiner pour ces gens un agneau
qui avait un petit étendard sur l'épaule et qui reposait sur un faisceau
de tablettes écrites auxquelles étaient suspendus sept sceaux. Il le
dessina sur une plaque, leur dit de faire faire une image sur ce modèle
et de la placer en face de la crèche prés de la colonne. J'ai vu aussi
qu'on fit la chose comme il l'avait dit.
Ce ne fut qu'à son arrivée que je vis Jésus manger avec les paiens et
seulement du pain et quelques fruits : quand il buvait, on lui donnait
un vase qui n'avait encore servi à personne.
8 décembre. — A partir d'aujourd'hui les rois
célébrèrent pendant trois jours une fête de leur religion sur laquelle
j'ai appris quelque chose. C'était à cette date que, quinze ans avant la
naissance du Christ, ils avaient vu l'étoile pour la première fois et y
avaient aperçu l'image d'une vierge tenant d'une main un sceptre, de
l'autre une balance avec un bel épi de blé dans le premier de ses
plateaux et une grappe de raisin dans le second. C'est pourquoi, depuis
leur retour de Bethléhem, ils célébraient cet anniversaire par une fête
de trois jours en l'honneur de Jésus, de Marie et Joseph : car ils
honoraient fort ce dernier qui les avait reçus d'une manière si
affectueuse. Cette fois ils ne voulaient pas par humilité se livrer
devant le Seigneur aux pratiques ordinaires de leur culte : ils
désiraient seulement qu'il voulût bien enseigner. Mais Jésus leur dit de
célébrer leur fête comme de coutume pour ne pas donner de scandale aux
gens qui n'étaient pas suffisamment instruits. Je vis alors différentes
choses concernant leur religion. Ils avaient trois images d'animaux qui
toutefois n'étaient pas dans le temple, mais au dehors : un dragon
ouvrant une gueule énorme, un chien dont la tête était très grosse, et
un oiseau à longues jambes et à long cou, assez semblable à une cigogne,
mais avec un bec un peu recourbé. Je ne crois pas qu'ils adorassent ces
images comme des divinités: j'entendis dire qu'elles représentaient
seulement certaines idées. Le dragon figurait la nature mauvaise et
ténébreuse qu'il fallait faire mourir. Le chien, outre qu'il
représentait un certain astre, était un emblème de la fidélité, de la
reconnaissance et de la vigilance : l'oiseau était celui de la piété
filiale. Je ne puis pourtant pas dire ce qui en était réellement, ni
s'il en avait toujours été ainsi : il y avait là des symboles d'un sens
profond que je compris bien alors, mais que je ne puis plus expliquer
clairement. Je sais seulement que ce n'était pas aussi répréhensible que
l'idolâtrie et qu'il n'y avait là aucune de ses abominations, mais au
contraire bien des pensées marquées au coin de la sagesse et de
l'humilité et inspirées par la contemplation des merveilles de Dieu. Ces
figures d'animaux n'étaient pas en or, elles étaient d'une couleur plus
foncée que celle de l'or et peut-être faites avec ce dont ils se
servaient pour fondre ce métal ou avec ce qui restait après la fusion
Sous l'image du dragon je lus cinq lettres AASCC ou ASCAS; je ne me
souviens plus bien dans que ordre elles étaient tracées. Le chien
s'appelait Sur : je ne me rappelle plus le nom de l'oiseau.
Les quatre prêtres enseignèrent autour du temple, dans quatre endroits
différents, en présence des hommes, des femmes, des jeunes filles et des
jeunes gens. Je vis qu'ils ouvraient la gueule du dragon en disant : "
Si cet animal si hideux et si terrible était vivant et s'il voulait nous
dévorer, qui pourrait nous secourir sinon le Dieu tout-puissant " ? Ce
Dieu, ils le désignaient aussi par un nom particulier.
Je les vis ensuite faire descendre la roue que j'avais vue récemment
suspendue dans le temple en haut d'une colonne et la placer sur l'autel
dans une rainure où un prêtre la fit tourner. Il y avait plusieurs
cercles les uns dans les autres et des globes d'or creux qui brillaient
et résonnaient en tournant. J'appris qu'elle était destinée à indiquer
le cours des astres. Ils chantaient en même temps des paroles dont le
sens était : " Que deviendrions si Dieu ne faisait pas tourner les
astres " ?
Après cela ils présentèrent encore de l'encens à l'enfant Jésus en or
qui était dans la crèche. Il me sembla aussi qu'ils brûlaient de petits
ossements. Jésus leur dit qu'à l'avenir il faudrait ôter de là les
figures d'animaux et prêcher sur la miséricorde, l'amour du prochain et
là rédemption : que du reste ils devaient admirer Dieu dans ses
créatures lui rendre grâce et n'adorer que lui seul. Comme le sabbat
commençait dans la soirée Jésus se retira à part avec ses disciples et
pria.
Le soir Anne Catherine tomba évanouie, épuisée qu'elle était par une
maladie douloureuse et par des travaux à l'aiguille pour les pauvres
malades qu'elle avait faits à grand-peine malgré cela. Son cou et ses
mains avaient une chaleur fébrile et elle souffrait de violentes
douleurs à la tête. Au bout de quelques minutes elle étendit les mains
comme pour prendre quelque chose qu'on lui donnait, se retourna et dit
en s'éveillant à demi : " Lorsque je me suis retournée il avait disparu.
Un des rois est venu avec un bouquet de myrte et a voulu alléger mes
maux de tête ". Après cela, elle dit ce qui suit sur l'origine des rois
mages, mais d'une manière peu suivie et avec des interruptions
fréquentes.
Le vieux roi au teint d'un beau jaunâtre qui s'est conservé en bonne
santé s'appelle Mensor. C'est lui qui a offert de l'or à la crèche. Il
avait plusieurs belles cassettes pleines de petits grains d'or. Il était
plein de droiture et pur comme de l'or. Il s'était agenouillé le premier
devant l'enfant Jésus. Je crois qu'il fut fait prêtre, lorsque, trois
ans après l'Ascension du Christ Thomas vint baptiser lui et les siens et
qu'ils quittèrent leur demeure, divisés en plusieurs troupes. Ils
allèrent en Crête et habitèrent dans les environs de la ville natale de
Saturnin un endroit où ont aussi résidé Denis l'Aréopagite et Carpus :
on voit d'un côté la mer de l'autre de belles plaines et plus loin un
pays désert. Beaucoup d'entre eux se dispersèrent en différents lieux :
d'autres suivirent les apôtres en qualité de disciples.
Les trois rois mages appartenaient à trois tribus différentes. L'une de
ces tribus descendait de Cetura seconde femme d'Abraham, l'autre de gens
qui avaient adoré le veau d'or et s'étaient séparés de Moïse et d'Aaron
lorsque Moïse dans sa colère brisa les tables de la loi. Le troisième
roi descend de Job, je crois que c'est le roi Mensor.
Job vivait avant l'établissement de la circoncision était plus ancien
qu'Abraham. C'était un homme juste : son histoire réelle diffère sur
quelques points de celle que nous lisons dans l'Écriture : mais celle-ci
est approuvée et elle a été inspirée par le Saint Esprit. C'est une
figure prophétique de l'Église.
— Ici Anne Catherine cita plusieurs
traits de l'histoire de Job dont elle fit de très belles applications
aux destinées de l'Église : elle mentionna spécialement ce qui est dit
des amis du patriarche de ses filles et du fumier sur lequel il était
assis.
L'animal appelé Léviathan signifie le mal le péché le démon. Chaque
péché a une forme d'animal qui lui correspond : le moindre péché véniel
a une affreuse forme d'animal que je vois souvent se tenant près des
personnes ou attachée à leurs habits ; je la vois aussi souvent près de
moi et on ne peut rien imaginer d'aussi hideux.
9 décembre. — Le vendredi soir, je vis Jésus
se retirer seul avec les trois jeunes gens dans une chambre du château
pour y célébrer le sabbat. Ils avaient avec eux de longs vêtements
blancs qui ressemblaient presque à des linceuls et dont ils se
revêtirent une ceinture où étaient brodées des lettres et une bande
d'étoffe assez semblable à une étole, croisée sur la poitrine. Ils
dressèrent un petit autel ou une table sur laquelle ils étendirent une
couverture rouge et blanche : il y avait dessus une lampe qu'ils avaient
apprêtée et un vase plein d'huile avec sept mèches allumées Jésus se
tenait au milieu, un disciple à droite, un autre à gauche et le
troisième derrière lui : ce fut ainsi qu'ils prièrent. Je vis avec
étonnement qu'ils ne laissaient entrer aucun païen.
Les païens passèrent toute la journée autour du temple près de leurs
figures d'animaux et on enseigna les hommes, les femmes, les jeunes gens
et les jeunes filles, chaque catégorie dans une enceinte à part,
entourée de degrés servant de sièges. A la clôture du sabbat, Jésus
revint les trouver et je vis là un incident surprenant La figure du
dragon était dans l'enceinte des femmes. Celles-ci avaient des costumes
très divers ; plusieurs, spécialement les jeunes filles, portaient de
longs pantalons blancs, et toutes, quand elles allaient et venaient,
avaient des manteaux plus longs par derrière que par devant. Les femmes
avaient près d'elles les plus petits enfants qui étaient tout nus sauf
une bande d'étoffe autour des reins. D'autres femmes étaient vêtues très
simplement avec des jupons et de longs manteaux. Celles-ci paraissaient
d'une condition inférieure. Quelques-unes qui paraissaient les plus
considérables avaient des costumes singuliers, comme celle dont je vais
parler. C'était une grosse et robuste femme d'une trentaine d'années :
lorsqu'elle vint, elle était enveloppée dans un long manteau qu'elle
déposa pour s'asseoir. Elle avait autour des reins un jupon plissé qui
descendait jusqu'aux genoux ; ses jambes étaient nues, mais entièrement
entourées de rubans croisés auxquels étaient attachées les sandales. Le
haut du corps jusqu'au cou était couvert d'un justaucorps très juste,
chamarré de chaînes brillantes et d'ornements de toute espèce. A ses
épaules pendaient des morceaux d'étoffe, formant comme des demi manches
ouvertes et allant jusqu'à la moitié de l'avant-bras : le reste du bras
était, comme les jambes, enveloppé de rubans et de bracelets. Elle était
coiffée d'un bonnet fait avec des guirlandes de plumes crépues qui
descendait jusqu'aux veux et encadrait les joues et le menton : le haut
de la tête était couvert d'un bourrelet élevé allant de l'avant a
l'arrière et à travers lequel on voyait sa chevelure tressée et
soigneusement arrangée. Ses oreilles étaient visibles ; de longues
pendeloques y étaient attachées et descendaient jusque sur la poitrine
qui était couverte d'ornements du même genre.
Avant que le prêtre commençât son instruction, plusieurs femmes allèrent
devant le dragon, se prosternèrent et baisèrent la terre : cette femme
le fit avec une dévotion et une ardeur toutes particulières. Mais Jésus
entra dans le cercle et lui demanda pourquoi elle faisait cela : je vis
alors que, parlant de sa vénération pour le dieu, elle dit qu'il la
réveillait tous les matins ; alors, elle se levait, se prosternait
devant sa couche, tournée vers l'endroit où était le dragon, et
l'adorait. Je vis aussi dans une vision comment tout cela se passait.
Alors Jésus lui dit : "Pourquoi vous prosternez-vous devant Satan ?
Satan a pris possession de votre foi. Il est vrai que vous êtes
réveillée, mais ce n'est pas Satan, c'est l'ange qui devrait vous
réveiller. Voyez qui vous adorez " ! Au même instant elle vit près
d'elle, et tous les assistants la virent aussi, une longue figure de
couleur roussâtre, comme le poil du renard, avec un visage pointu
tellement hideux qu'elle fut saisie d'horreur. Jésus le montra du doigt
et dit : " Voilà celui qui vous a réveillée. Mais chaque homme a aussi
un bon ange : prosternez-vous devant lui et suivez ses conseils ".
Alors tous virent près d'elle une belle figure lumineuse devant laquelle
elle se prosterna toute bouleversée. J'avais vu le bon ange se tenir
derrière elle lorsque Satan était à ses côtés, maintenant Satan s'étant
retiré, l'ange prit sa place. Alors cette femme revint à son siège,
profondément émue. J'ai su quel était son nom : elle est devenue plus
tard une sainte martyre que nous honorons encore. Je pense que
j'entendrai de nouveau prononcer son nom.
NOTE : Elle l'appela plus tard Cuppès, et vit que trois ans après
l'Ascension du Christ, elle fut baptisée par saint Thomas et reçut le
nom de Séréna, sous lequel elle fut martyrisée dans la suite.
Le Seigneur dit encore beaucoup de choses : puis il enseigna aussi près
de la figure d'oiseau autour de laquelle se tenaient les jeunes filles
et les jeunes gens. Il donna des avis sur la mesure à garder dans
l'amour qu'on porte, soit aux personnes, soit aux animaux : car il y
avait ici des gens qui avaient pour leurs parents une espèce
d'adoration, et d'autres qui se montraient plus tendres envers les bêtes
qu'envers leurs semblables.
10 décembre. — Jésus voulut aujourd'hui donner
dans le temple une instruction aux prêtres, aux rois et à tout le peuple
qui les entourait. Afin que le vieux roi infirme Théokéno pût aussi
l'entendre, Jésus se rendit près de lui avec Mensor, lui ordonna de se
lever et de venir avec lui. Il le prit par la main : Théokéno plein de
foi se leva et se trouva en état de marcher. Jésus le conduisit au
temple. Il put s'y rendre facilement. C'était celui des trois rois qui
avait le teint le plus blanc.
Jésus fit ouvrir les portes du temple en sorte que tous ceux qui se
tenaient à l'entour passent le voir et l'entendre. Il enseigna tantôt
dans le temple, tantôt autour du temple, les hommes, les femmes, les
jeunes filles, les jeunes gens et les enfants. Il raconta plusieurs des
paraboles qu'il avait racontées aux Juifs. Les auditeurs purent
l'interrompre et l'interroger ; car il le leur avait prescrit. Plusieurs
fois aussi il interpella quelqu'un de ses auditeurs, l'engageant à
exposer ouvertement ses doutes en présence de tous, car il savait ce que
chacun avait dans l'esprit. Ils demandèrent entre autres choses pourquoi
il ne ressuscitait pas de morts et ne guérissait pas de malades chez
eux, quoique le roi des Juifs l'eût fait souvent. Je ne me souviens plus
de tout ce qu'il leur répondit : mais il dit entre autres choses qu'il
ne faisait pas cela chez les païens ; il ajouta pourtant qu'il leur
enverrait des hommes qui feraient beaucoup de prodiges parmi eux. Il
parla aussi de la purification par le baptême sur laquelle ces envoyés
dont il avait parlé les instruiraient : en attendant ils devaient avoir
foi en ses paroles.
Jésus enseigna ensuite en particulier les prêtres et les rois : il leur
dit que tout ce qui, dans leurs doctrines religieuses, avait quelque
apparence de vérité, se bornait à des formes vides remplies par Satan et
par conséquent mensongères : car quand le bon ange se retire, Satan
s'introduit et corrompt le culte dont il prend possession.
Antérieurement ils avaient honoré tous les objets auxquels ils pouvaient
rattacher la pensée d'une force quelconque ; à leur retour de Bethléhem
ils avaient laissé de côté plusieurs de leurs pratiques : toutefois il
en était encore resté beaucoup.
Il leur dit qu'il fallait détruire les idoles d'animaux, les faire
fondre et donner les matériaux de quelque valeur à des gens qu'il leur
indiqua. Tout leur culte et toute leur science n'étaient qu'un pur néant
: ils devaient renoncer à ces idoles, enseigner la charité et la
miséricorde et remercier le Père qui est au ciel de la grande bonté
qu'il avait eue de les appeler à la connaissance de la vérité. Du reste,
il voulait leur envoyer quelqu'un qui leur donnerait les enseignements
dont ils avaient encore besoin.
Il leur prescrivit aussi de laisser de côté la roue étoilée. Cette roue
était à peu près grande comme la roue d'un chariot ordinaire. Elle avait
sept jantes auxquelles étaient attachés en haut et en bas différents
globes avec des rayons. Au centre était un globe plus grand représentant
la terre : le long de la circonférence étaient disposées douze étoiles
dans lesquelles étaient autant de figures remarquables par la richesse
et l'éclat des matériaux. J'y vis entre autres l'image d'une vierge dont
les yeux et la bouche scintillaient et qui avait des pierres précieuses
sur le front. J'y vis aussi l'image d'un animal qui avait dans la bouche
quelque chose de singulièrement éclatant. Je n'ai pas bien distingué
tout cela parce que la roue était toujours en mouvement. Je vis aussi
que toutes les figures n'étaient pas toujours visibles en même temps,
mais qu'on en cachait parfois quelques-unes.
Jésus leur laissa du pain et du vin bénits, qu'il bénit lui-même pour
eux. Les prêtres, sur son ordre, firent cuire des pains très blancs et
très minces qui ressemblaient à de petits gâteaux. Je vis aussi un petit
vase plein d'un liquide rouge (je ne sais pas si c'était du vin ou du
baume). Le Seigneur se fit apporter une boîte où tout cela devait être
conservé. Jésus la plaça sur le petit autel des sacrifices, pria et
bénit l'assistance, puis il imposa les mains sur les épaules de quatre
prêtres et sur celles des rois Mensor et Théokéno. Il les fit ensuite
s'agenouiller devant lui, les mains croisées sur la poitrine et il pria
sur eux. Il bénit le pain et le liquide et leur dit d'en faire usage
pour la première fois à Noël, et après cela trois fois dans l'année, ou
peut-être tous les trois mois : je ne m'en souviens plus bien. Je me
rappelais encore, il y a peu de temps, les paroles que Jésus prononça
dans cette circonstance, mais je les ai oubliées. Ils lui demandèrent ce
qu'ils auraient à faire quand il n'en resterait plus suffisamment : il
leur dit qu'alors il faudrait distribuer des parcelles de plus en plus
petites. Lui-même coupa le pain en forme de croix. Il leur enseigna
ensuite comment ils devraient le renouveler : il leur dit comment ils
devaient le bénir et de quelles paroles ils devaient se servir.
Précédemment ils avaient encore interrogé le Seigneur touchant le
sacrifice de Melchisédech, dont ils avaient quelque connaissance et dont
lui-même avait parlé récemment. Il leur fit aussi pressentir quelque
chose relativement à sa Passion et à la sainte Cène. Ce pain qu'il avait
bénit pour eux devait être un pain d'oblation, une figure prophétique de
la Cène : mais ils n'en firent pas encore usage aujourd'hui : ils
devaient commencer seulement à Noël. Le vase avait la forme d'un grand
mortier ; il y avait un couvercle avec un bouton. Il s'y trouvait deux
compartiments ; au-dessus était le pain : au-dessous il y avait une
petite porte derrière laquelle était le vase contenant le liquide rouge.
Il avait deux anses. Il rappelait un peu le calice de la Cène, mais il
n'avait pas de pied. Le Seigneur leur en donna le modèle pour qu'ils le
portassent à un orfèvre ; à l'extérieur il avait un beau reflet argenté
comme celui du vif-argent, à l'intérieur il était jeune.
J'ai vu une fois ici un grand repas donné lors de l'arrivée de Jésus qui
raconta et expliqua des paraboles où il était question de festins. Plus
d'une fois je le vis enseigner des journées entières, pendant lesquelles
il ne prit que rarement un peu de nourriture.
Le soir du 10 décembre, Anne Catherine était à peine entrée en extase
que le Pèlerin lui demanda le nom de la prêtresse des idoles. Elle
répondit : "Attendez" ! comme si elle eût voulu se retourner, puis au
bout de quelques instants elle reprit: "Elle n'est pas là en ce
moment. Jésus enseigne encore les prêtres en particulier, les femmes ne
sont pas là: elles sont toujours éloignées. Je retrouverai bien le nom.
Jésus parle maintenant de l'aveuglement des païens".
I l décembre.-- Aujourd'hui j'ai vu en plein
jour Jésus enseigner dans le temple où tout le peuple était assemblé.
Tantôt il sortait, tantôt il rentrait et il faisait venir successivement
près de lui une troupe après l'autre. Il avait fait venir aussi toutes
les femmes et tous les enfants, et il dit à ses auditeurs comment ils
devaient élever les enfants et leur apprendre à prier. C'est alors que
j'ai vu ici pour la première fois des enfants réunis en grand nombre.
Les petits garçons étaient nus à l'exception d'une ceinture autour des
reins : les filles avaient de petits manteaux.
Je vis aussi de nouveau cette femme à laquelle le Seigneur avait
reproché son idolâtrie. C'était une femme de distinction : son mari qui
était un grand et gros homme, était près du roi Mensor. Elle avait
auprès d'elle une dizaine d'enfants dont aucun n'était en bas âge. Je ne
puis pas croire que tous lui appartinssent. Jésus bénit la plupart de
ces enfants en leur mettant la main sur les épaules, et non sur la tête,
comme il faisait aux enfants en Judée.
Il enseigna encore dans le temple sur toute sa mission, et sur sa fin
prochaine. Il dit que son séjour ici était un secret pour les Juifs ;
qu'il s'était fait accompagner par des enfants qui ne se scandalisaient
pas de tout ce qu'ils voyaient et qui obéissaient ; que les Juifs
l'auraient fait mourir s'il ne s'était pas échappé, etc. Il leur dit
encore qu'il avait voulu leur rendre visite parce qu'ils étaient venus
je visiter eux-mêmes, parce qu'ils avaient cru, espéré et aimé. Il les
exhorta à remercier Dieu de ne les avoir pas laissé tomber entièrement
dans l'aveuglement de l'idolâtrie et de la grâce qu'il leur faisait
d'une foi sincère qui leur ferait garder ses préceptes. Si je ne me
trompe, il leur parla aussi de l'époque de son retour au Père céleste et
de celle où ses envoyés viendraient les trouver. Il leur dit encore
qu'il allait en Egypte où il avait résidé tout enfant avec sa mère,
parce qu'il y avait là des gens qui l'avaient reconnu pendant son
enfance. Il devait y rester tout à fait inconnu parce qu'il se trouvait
là des Juifs qui paraissaient vouloir se saisir de lui et le livrer :
toutefois son temps n'était pas encore venu.
Ils ne pouvaient pas comprendre qu'il prît toutes ce précautions
humaines et ils se disaient naïvement : " Qui donc pourrait le traiter
ainsi, lui qui certainement est Dieu ". Là-dessus il leur répondit qu'il
était homme aussi, que le Père l'avait envoyé pour ramener ceux
qu'étaient dispersés et égarés, qu'en qualité d'homme, pouvait souffrir
dans son corps de la part des hommes quand son temps serait venu : enfin
c'était parce qu'il était homme, qu'il pouvait avoir des rapports si
intimes avec eux.
Il les exhorta de nouveau à abandonner toute pratique idolâtrique et à
s'aimer les uns les autres : puis après avoir parlé de sa Passion, il en
vint à leur expliquer comment on était véritablement compatissant : il
leur dit qu'ils devaient cesser de donner des soins exagérés aux animaux
malades, qu'il fallait appliquer cette charité aux hommes qui
souffraient dans leur corps ou dans leur âme, chercher au loin les
nécessiteux quand ils n'en avaient pas dans leur voisinage, et prier
pour tous leurs frères dans la détresse. Il dit encore que ce qu'ils
feraient aux nécessiteux, c'était à lui-même qu'ils le feraient : du
reste ils ne devaient pas maltraiter les animaux. Ces gens avaient ici
des tentes remplies de toutes sortes d'animaux malades, rangés les uns
auprès des autres dans de petites couches ; ils aimaient surtout
beaucoup les chiens ; il y en avait ici de très grands avec de grosses
têtes.
ésus enseignait déjà
depuis très longtemps lorsque je vis arriver une caravane de chameaux
qui s'arrêta à quelque distance : alors un vieillard, chef d'une tribu
étrangère, mit pied à terre et s'approcha avec un vieux serviteur pour
lequel il avait une grande déférence. Ils s'arrêtèrent à une certaine
distance. Personne ne s'occupa d'eux jusqu'à ce que l'instruction du
Seigneur fût terminée et que celui-ci fût allé à la tente avec ses
disciples pour prendre un peu de nourriture. Alors on reçut le chef
étranger et on lui assigna une tente. Il alla voir les prêtres avec son
vieux serviteur et dit qu'il ne pouvait croire que Jésus fût le roi
promis aux Juifs : il en usait trop familièrement avec eux pour que cela
fût possible. Les Juifs, il le savait de science certaine, avaient une
arche dans laquelle était leur Dieu dont personne ne pouvait approcher ;
celui-ci ne pouvait donc être leur Dieu. Son vieux serviteur aussi dit,
à propos de Marie, des choses qui prouvaient son ignorance : pourtant
l'un et l'autre étaient vraiment des gens de bien. Ce roi avait, lui
aussi, vu l'étoile, mais il ne l'avait pas suivie : il parla beaucoup de
ses dieux dont il faisait grand état, dit qu'il avait fort à se louer de
leur bonté et qu'il leur était redevable de toute sorte de biens. Il
mentionna, entre autres choses, une guerre qu'il avait eue à soutenir
récemment : ses dieux alors l'avaient secouru et son vieux serviteur lui
avait porté certains renseignements très utiles. J'ai malheureusement
oublié les détails. Ce roi avait le teint plus blanc que Mensor, son
vêtement était plus court et le turban dont il était coiffé moins épais.
Il était très attaché à ses dieux, il en emmenait même un avec lui sur
un chameau : c'était une idole qui avait plusieurs bras et dans le corps
un grand nombre de trous où l'on pouvait mettre des offrandes. Il avait
avec lui des femmes et en tout une trentaine de personnes. Lui-même
était plein de simplicité : il avait la plus haute estime pour le
vieillard qu'il avait avec lui, il l'honorait même comme un prophète. Ce
devait être une espèce de devin, car il avait poussé son maître à ce
voyage pour lui montrer le plus grand de tous les dieux : cependant
Jésus ne parut pas répondre à son attente. Ce que le Seigneur avait dit
de la compassion et de la bienfaisance lui plut beaucoup car il était
lui-même très bienfaisant, et il dit qu'il regardait comme très coupable
d'oublier les hommes pour les animaux. On lui donna plus tard un repas
auquel Jésus n'assista pas. Du reste je ne vis pas le Seigneur
s'entretenir avec lui.
ans la soirée et
dans la nuit, je vis encore le Seigneur enseigner dans le temple et
alentour. Tout était illuminé et il y avait dans le temple une profusion
de lumières extraordinaire. Tous les habitants du pays étaient
rassemblés : il y en avait de tout âge et de tout sexe. Ils avaient fait
disparaître les idoles aussitôt après sa première injonction à ce sujet.
Mais je vis dans le temple quelque chose que je n'avais pas encore vu,
peut-être parce que je ne m'y étais pas encore trouvée pendant la nuit.
On voyait tout au haut un ciel étoilé très lumineux où se
réfléchissaient une quantité de petits jardins, de petites pièces d'eau
et de petits arbres qui étaient placés dans le haut du temple et garnis
de lumières. C'était admirable à voir : je ne sais pas comment on s'y
prenait pour disposer ainsi tout cela.
FIN DU CINQUIÈME VOLUME
SOURCE:
http://www.jesusmarie.free.fr
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