Aux Vénérables Patriarches,
Primats, Archevêques, Évêques et autres ordinaires en paix et
communion avec le Siège Apostolique
Depuis que, par la jalousie du
démon, le genre humain s'est misérablement séparé de Dieu auquel
il était redevable de son appel à l'existence et des dons
surnaturels, il s'est partagé en deux camps ennemis, lesquels ne
cessent pas de combattre, l'un pour la vérité et la vertu,
l'autre pour tout ce qui est contraire à la vertu et à la
vérité. Le premier est le royaume de Dieu sur la terre, à savoir
la véritable Église de Jésus Christ, dont les membres, s'ils
veulent lui appartenir du fond du coeur et de manière à opérer
le salut, doivent nécessairement servir Dieu et son Fils unique,
de toute leur âme, de toute leur volonté. Le second est le
royaume de Satan. Sous son empire et en sa puissance se trouvent
tous ceux qui, suivant les funestes exemples de leur chef et de
nos premiers parents, refusent d'obéir à la loi divine et
multiplient leurs efforts, ici, pour se passer de Dieu, là pour
agir directement contre Dieu.
Ces deux royaumes, saint Augustin
les a vus et décrits avec une grande perspicacité, sous la forme
de deux cités opposées l'une à l'autre, soit par les lois qui
les régissent, soit par l'idéal qu'elles poursuivent; et, avec
un ingénieux laconisme, il a mis en relief dans les paroles
suivantes le principe constitutif de chacune d'elles: " Deux
amours ont donné naissance à deux cités : la cité terrestre
procède de l'amour de soi porté jusqu'au mépris de Dieu; la cité
céleste procède de l'amour de Dieu porté jusqu'au mépris de
soi." Dans toute la suite des siècles qui nous ont précédés, ces
deux cités n'ont pas cessé de lutter l'une contre l'autre, en
employant toutes sortes de tactiques et les armes les plus
diverses, quoique non toujours avec la même ardeur, ni avec la
même impétuosité.
A notre époque, les fauteurs du
mal paraissent s'être coalisés dans un immense effort, sous
l'impulsion et avec l'aide d'une Société répandue en un grand
nombre de lieux et fortement organisée, la Société des
francs-maçons. Ceux-ci, en effet, ne prennent plus la peine de
dissimuler leurs intentions et ils rivalisent d'audace entre eux
contre l'auguste majesté de Dieu. C'est publiquement, à ciel
ouvert, qu'ils entreprennent de ruiner la sainte Église, afin
d'arriver, si c'était possible, à dépouiller complètement les
nations chrétiennes des bienfaits dont elles sont redevables au
Sauveur Jésus Christ.
Gémissant à la vue des maux et
sous l'impulsion de la charité, Nous Nous sentons souvent porté
à crier vers Dieu, " Seigneur, voici que vos ennemis font un
grand fracas, ceux qui vous haïssent ont levé la tête. Ils ont
ourdi contre votre peuple des complots pleins de malice et ils
ont résolu de perdre vos saints. Oui, ont-ils dit, venez et
chassons-les du sein des nations ".
Cependant, en un si pressant
danger, en présence d'une attaque si cruelle et si opiniâtre du
christianisme, c' est de Notre devoir de signaler le péril, de
dénoncer les adversaires, d'opposer toute la résistance possible
à leurs projets et à leur industrie, d'abord pour empêcher la
perte éternelle des âmes dont le salut Nous a été confié; puis
afin que le royaume de Jésus Christ, que Nous sommes chargé de
défendre, non seulement demeure debout et dans toute son
intégrité, mais fasse par toute la terre de nouveau progrès, de
nouvelles conquêtes.
Dans leur vigilante sollicitude
pour le salut du peuple chrétien, Nos prédécesseurs eurent bien
vite reconnu cet ennemi capital au moment où, sortant des
ténèbres d'une conspiration occulte, il s'élançait à l'assaut en
plein jour. Sachant ce qu'il était, ce qu'il voulait, et lisant
pour ainsi dire dans l'avenir, ils donnèrent aux princes et aux
peuples le signal d'alarme et les mirent en garde contre les
embûches et les artifices préparés pour les surprendre.
Le péril fut prononcé pour la
première fois par Clément XII en 1738, et la constitution
promulguée par ce pape fut renouvelée et confirmée par Benoît
XIV. Pie VII marcha sur les traces des Pontifes et Léon XII,
renfermant dans sa constitution apostolique Quo graviora
tous les actes et décrets des précédents papes sur cette
matière, les ratifia et les confirma pour toujours. Pie VIII,
Grégoire XVI et, à diverses reprises, Pie IX, ont parlé dans le
même sens.
Le but fondamental et l'esprit de
la secte maçonnique avaient été mis en pleine lumière par la
manifestation évidente de ses agissements, la connaissance de
ses principes, l'exposition de ses règles, de ses rites et de
leurs commentaires auxquels, plus d'une fois, s'étaient ajoutés
les témoignages de ses propres adeptes. En présence de ces
faits, il était tout simple que ce Siège apostolique dénonçât
publiquement la secte des francs-maçons comme une association
criminelle, non moins pernicieuse aux intérêts du christianisme
qu'à ceux de la société civile. Il édicta donc contre elle les
peines les plus graves dont l'Église a coutume de frapper les
coupables et interdit de s'y affilier.
Irrités de cette mesure et
espérant qu'ils pourraient, soit par le dédain, soit par la
calomnie, échapper à ces condamnations ou en atténuer la force,
les membres de la secte accusèrent les papes qui les avaient
portées, tantôt d'avoir rendu des sentences iniques, tantôt
d'avoir excédé la mesure dans les peines infligées. C'est ainsi
qu'ils s'efforcèrent d'éluder l'autorité ou de diminuer la
valeur des constitutions promulguées par Clément XII, Benoît
XIV, Pie VII et Pie IX.
Toutefois, dans les rangs mêmes de
la secte, il ne manqua pas d'associés pour avouer, même malgré
eux, que, étant donné la doctrine et la discipline catholiques,
les Pontifes romains n'avaient rien fait que de très légitime.
A cet aveu, il faut joindre
l'assentiment explicite d'un certain nombre de princes ou de
Chefs d'États qui eurent à coeur, soit de dénoncer la société
des francs-maçons au Siège apostolique, soit de la frapper
eux-mêmes comme dangereuse et portant des lois contre elle,
ainsi que cela s'est pratiqué en Hollande, en Autriche, en
Suisse, en Espagne, en Bavière, en Savoie et dans quelques
parties de l'Italie.
Il importe souverainement de faire
remarquer combien les événements donnèrent raison à la sagesse
de Nos prédécesseurs. Leurs prévoyantes et paternelles
sollicitudes n'eurent pas partout ni toujours le succès
désirable : ce qu'il faut attribuer, soit à la dissimulation et
à l'astuce des hommes engagés dans cette secte pernicieuse, soit
à l'imprudente légèreté de ceux qui auraient eu cependant
l'intérêt le plus direct à la surveiller attentivement. Il en
résulte que, dans l'espace d'un siècle et demi, la secte des
francs-maçons a fait d'incroyables progrès. Employant à la fois
l'audace et la ruse, elle a envahi tous les rangs de la
hiérarchie sociale et commence à prendre, au sein des États
modernes, une puissance qui équivaut presque à la souveraineté.
De cette rapide et formidable extension sont précisément
résultés pour l'Église, pour l'autorité des princes, pour le
salut public, les maux que Nos prédécesseurs avaient depuis
longtemps prévus. On est venu à ce point qu'il y a lieu de
concevoir pour l'avenir les craintes les plus sérieuses; non
certes, en ce qui concerne l'Église, dont les solides fondements
ne sauraient être ébranlés par les efforts des hommes, mais par
rapport à la sécurité des États, au sein desquels sont devenues
trop puissantes, ou cette secte de la franc-maçonnerie, ou
d'autres associations similaires qui se font ses coopératrices
et ses satellites.
Pour tous ces motifs, à peine
avions-Nous mis la main au gouvernail de l'Église que Nous avons
clairement senti la nécessité de résister à un si grand mal et
de dresser contre lui, autant qu'il serait possible, Notre
autorité apostolique. Aussi profitant de toutes les occasions
favorables, Nous avons traité les principales thèses doctrinales
sur lesquelles les opinions perverses de la secte maçonnique
semblent avoir exercé la plus grande influence. C'est ainsi que
dans Notre encyclique Quod apostoli muneris Nous Nous sommes
efforcé de combattre les monstrueux systèmes des socialistes et
des communistes. Notre autre encyclique Arcanum Nous a permis de
mettre en lumière et de défendre la notion véritable et
authentique de la société domestique, dont le mariage est
l'origine et la source. Dans l'encyclique Diuturnum Nous avons
fait connaître, d'après les principes de la sagesse chrétienne,
l'essence du pouvoir politique et montré ses admirables
harmonies avec l'ordre naturel aussi bien qu'avec le salut des
peuples et des princes.
Aujourd'hui, à l'exemple de Nos
prédécesseurs, Nous avons résolu de fixer directement Notre
attention sur la société maçonnique, sur l'ensemble de sa
doctrine, sur ses projets, ses sentiments et ses actes
traditionnels, afin de mettre en une plus éclatante évidence, sa
puissance pour le mal et d'arrêter dans ses progrès la contagion
de ce funeste plan.
Il existe dans le monde un certain
nombre de sectes qui, bien qu'elles diffèrent les unes des
autres par le nom, les rites, la forme, l'origine, se
ressemblent et sont d'accord entre elles par l'analogie du but
et des principes essentiels. En fait, elles sont identiques à la
franc-maçonnerie, qui est pour toutes les autres comme le point
central d'où elles procèdent et où elles aboutissent. Et, bien
qu'à présent elles aient l'apparence de ne pas aimer à demeurer
cachées, bien qu'elles tiennent des réunions en plein jour et
sous les yeux de tous, bien qu'elles publient leurs journaux,
toutefois, si l'on va au fond des choses, on peut voir qu'elles
appartiennent à la famille des sociétés clandestines et qu'elles
en gardent les allures. Il y a, en effet, chez elles, des
espèces de mystères que leur constitution interdit avec le plus
grand soin de divulguer, non seulement aux personnes du dehors,
mais même à bon nombre de leurs adeptes. A cette catégorie,
appartiennent les conseils intimes et suprêmes, les noms des
chefs principaux, certaines réunions plus occultes et
intérieures ainsi que les décisions prises, avec les moyens et
les agents d'exécution. A cette loi du secret concourent
merveilleusement : la division faite entre les associés des
droits, des offices et des charges, la distinction hiérarchique
savamment organisée des ordres et des degrés et la discipline
sévère à laquelle tous sont soumis. La plupart du temps, ceux
qui sollicitent l'initiation doivent promettre, bien plus, ils
doivent faire le serment solennel de ne jamais révéler à
personne, à aucun moment, d'aucune manière, les noms des
associés, les notes caractéristiques et les doctrines de la
Société. C'est ainsi que, sous les apparences mensongères et en
faisant de la dissimulation, une règle constante de conduite,
comme autrefois les manichéens, les francs-maçons n'épargnent
aucun effort pour se cacher et n'avoir d'autres témoins que
leurs complices.
Leur grand intérêt étant de ne pas
paraître ce qu'ils sont, ils jouent le personnage d'amis des
lettres ou de philosophes réunis ensemble pour cultiver les
sciences. Ils ne parlent que de leur zèle pour les progrès de la
civilisation, de leur amour pour le pauvre peuple. A les en
croire, leur seul but est d'améliorer le sort de la multitude et
d'étendre à un plus grand nombre d'hommes les avantages de la
société civile. Mais à supposer que ces intentions fussent
sincères, elles seraient loin d'épuiser tous leurs desseins. En
effet, ceux qui sont affiliés doivent promettre d'obéir
aveuglément et sans discussion aux injonctions des chefs, de se
tenir toujours prêts sur la moindre notification, sur le plus
léger signe, à exécuter les ordres donnés, se vouant d'avance,
en cas contraire, aux traitements les plus rigoureux et même à
la mort. De fait, il n'est pas rare que la peine du dernier
supplice soit infligée à ceux d'entre eux qui sont convaincus,
soit d'avoir livré la discipline secrète, soit d'avoir résisté
aux ordres des chefs; et cela se pratique avec une telle
dextérité que, la plupart du temps, l'exécuteur de ces sentences
de mort échappe à la justice établie pour veiller sur les crimes
et en tirer vengeance. Or, vivre dans la dissimulation et
vouloir être enveloppé de ténèbres; enchaîner à soi par les
liens les plus étroits et sans leur avoir préalablement fait
connaître à quoi ils s'engagent, des hommes réduits ainsi à
l'état d'esclaves; employer à toutes sortes d'attentats ces
instruments passifs d'une volonté étrangère; armer pour le
meurtre des mains à l'aide desquelles on s'assure l'impunité du
crime, ce sont là de monstrueuses pratiques condamnées par la
nature elle-même. La raison et la vérité suffisent donc à
prouver que la Société dont Nous parlons est en opposition
formelle avec la justice et la moralité naturelles.
D'autres preuves d'une grande
clarté, s'ajoutent aux précédentes et font encore mieux voir
combien, par sa constitution essentielle, cette association
répugne à l'honnêteté. Si grandes, en effet, que puissent être
parmi les hommes l'astucieuse habileté de la dissimulation et
l'habitude du mensonge, il est impossible qu'une cause, quelle
qu'elle soit, ne se trahisse pas par les effets qu'elle produit
: un bon arbre ne peut pas porter de mauvais fruits, et un
mauvais n'en peut pas porter de bons.
Or, les fruits produits par la
secte maçonnique sont pernicieux et les plus amers. Voici, en
effet, ce qui résulte de ce que Nous avons précédemment indiqué
et cette conclusion Nous livre le dernier mot de ses desseins.
Il s'agit pour les francs-maçons, et tous leurs efforts tendent
à ce but, il s'agit de détruire de fond en comble toute la
discipline religieuse et sociale qui est née des institutions
chrétiennes et de lui en substituer une nouvelle façonnée à
leurs idées et dont les principes fondamentaux et les lois sont
empruntées au naturalisme.
Tout ce que Nous venons ou ce que
Nous Nous proposons de dire doit être entendu de la secte
maçonnique envisagée dans son ensemble, en tant qu'elle embrasse
d'autres sociétés qui sont pour elle des soeurs et des alliées.
Nous ne prétendons pas appliquer toutes ces réflexions à chacun
de leurs membres pris individuellement. Parmi eux, en effet, il
s'en peut trouver, et même en bon nombre, qui, bien que non
exempts de faute pour s'être affiliés à de semblables sociétés,
ne trempent cependant pas dans leurs actes criminels et ignorent
le but final que ces sociétés s efforcent d'atteindre. De même
encore, il se peut faire que quelques uns des groupes
n'approuvent pas les conclusions extrêmes auxquelles la logique
devrait les contraindre d'adhérer, puisqu'elles découlent
nécessairement des principes communs à toute l'association. Mais
le mal porte avec lui une turpitude qui, d'elle-même, repousse
et effraie. En outre, si des circonstances particulières de
temps ou de lieux peuvent persuader à certaines fractions de
demeurer en deçà de ce qu'elles souhaiteraient de faire, ou de
ce que font d'autres associations, il n'en faut pas conclure
pour cela que ces groupes soient étrangers au pacte fondamental
de la maçonnerie. Ce pacte demande à être apprécié, moins par
les actes accomplis et par leurs résultats que par l'esprit qui
l'anime et par ses principes généraux.
Or, le premier principe des
naturalistes, c'est qu'en toutes choses, la nature ou la raison
humaine doit être maîtresse et souveraine. Cela posé, il s'agit
des devoirs envers Dieu, ou bien ils en font peu de cas, ou ils
en altère l'essence par des opinions vagues et des sentiments
erronés. Ils nient que Dieu soit l'auteur d'aucune révélation.
Pour eux, en dehors de ce que peut comprendre la raison humaine,
il n'y a ni dogme religieux, ni vérité, ni maître en la parole
de qui, au nom de son mandat officiel d'enseignement, on doive
avoir foi. Or, comme la mission tout à fait propre et spéciale
de l'Église catholique consiste à recevoir dans leur plénitude
et à garder dans une pureté incorruptible, les doctrines
révélées de Dieu, aussi bien que l'autorité établie pour les
enseigner avec les autres secours donnés du ciel en vue de
sauver les hommes, c'est contre elle que les adversaires
déploient le plus d'acharnement et dirigent leurs plus violentes
attaques.
Maintenant, qu'on voie à l'oeuvre
la secte des francs-maçons dans les choses qui touchent à la
religion, là principalement où son action peut s'exercer avec
une liberté plus licencieuse et que l'on dise si elle ne semble
pas s'être donné pour mandat de mettre à exécution les décrets
des naturalistes.
Ainsi, dut-il lui en coûter un
long et opiniâtre labeur, elle se propose de réduire à rien, au
sein de la société civile, le magistère et l'autorité de
l'Église; d'où cette conséquence que les francs-maçons
s'appliquent à vulgariser, et pour laquelle ils ne cessent pas
de combattre, à savoir qu'il faut absolument séparer l'Église de
l'État. Par suite, ils excluent des lois aussi bien que de
l'administration de la chose publique, la très salutaire
influence de la religion catholique et ils aboutissent
logiquement à la prétention de constituer l'État tout entier en
dehors des institutions et des préceptes de l'Église.
Mais il ne leur suffit pas
d'exclure de toute participation au gouvernement des affaires
humaines, l'Église, ce guide si sage et si sûr : il faut encore
qu'ils la traitent en ennemie et usent de violence contre elle.
De là l'impunité avec laquelle, par la parole, par la plume, par
l'enseignement, il est permis de s'attaquer aux fondements même
de la religion catholique. Ni les droits de l'Église, ni les
prérogatives dont la Providence l'avait dotée, rien n'échappe à
leurs attaques. On réduit presque à rien sa liberté d'action, et
cela par des lois qui, en apparence, ne semblent pas trop
oppressives, mais qui, en réalité, sont expressément faites pour
enchaîner cette liberté. Au nombre des lois exceptionnelles
faites contre le clergé, Nous signalerons particulièrement
celles qui auraient pour résultat de diminuer notablement le
nombre des ministres du sanctuaire et de réduire toujours
davantage leurs moyens indispensables d'action et d'existence.
Les restes des biens ecclésiastiques soumis à mille servitudes,
sont placés sous la dépendance et le bon plaisir
d'administrateurs civils. Les communautés religieuses sont
supprimées ou dispersées.
A l'égard du Siège apostolique et
du Pontife romain, l'inimitié de ces sectaires a redoublé
d'intensité. Après avoir, sous de faux prétextes, dépouillé le
pape de sa souveraineté temporelle, nécessaire garantie de sa
liberté et de ses droits, ils l'ont réduit à une situation tout
à la fois inique et intolérable, jusqu'à ce qu'enfin, en ces
derniers temps, les fauteurs de ces sectes en soient arrivés au
point qui était depuis longtemps le but de leur secret dessein :
à savoir, de proclamer que le moment est venu de supprimer la
puissance sacrée des Pontifes romains et de détruire entièrement
cette Papauté qui est d'institution divine. Pour mettre hors de
doute l'existence d'un tel plan, à défaut d'autres preuves, il
suffirait d'invoquer le témoignage d'hommes qui ont appartenu à
la secte et dont la plupart, soit dans le passé, soit à une
époque plus récente, ont attesté comme certaine la volonté où
sont les francs-maçons de poursuivre le catholicisme d'une
inimitié exclusive et implacable, avec leur ferme résolution de
ne s'arrêter qu'après avoir ruiné de fond en comble toutes les
institutions religieuses établies par les Papes.
Que si tous les membres de la
secte ne sont pas obligés d'adjurer explicitement le
catholicisme, cette exception, loin de nuire au plan général de
la franc-maçonnerie, sert plutôt ses intérêts. Elle lui permet
d'abord de tromper plus facilement les personnes simples et sans
défiance, et elle rend accessible à un plus grand nombre
l'admission dans la secte. De plus, en ouvrant leurs rangs à des
adeptes qui viennent à eux des religions les plus diverses, ils
deviennent plus capables d'accréditer la grande erreur du temps
présent, laquelle consiste à reléguer au rang des choses
indifférentes le souci de la religion, et à mettre sur le pied
de l'égalité toutes les formes religieuses. Or, à lui seul, ce
principe suffit à ruiner toutes les religions, et
particulièrement la religion catholique, car, étant la seule
véritable, elle ne peut, sans subir la dernière des injures et
des injustices, tolérer que les autres religions lui soit
égalées.
Les naturalistes vont encore plus
loin. Audacieusement engagés dans la voie de l'erreur sur les
plus importantes questions, ils sont entraînés et comme
précipités par la logique jusqu'aux conséquences les plus
extrêmes de leurs principes, soit à cause de la faiblesse de la
nature humaine, soit par le juste châtiment dont Dieu frappe
leur orgueil. Il suit de là qu'ils ne gardent même plus dans
leur intégrité et dans leur certitude, les vérités accessibles à
la seule lumière de la raison naturelle, telles que sont
assurément l'existence de Dieu, la spiritualité et l'immortalité
de l'âme. Emportée dans cette nouvelle voie d'erreur, la secte
des francs-maçons n'a pas échappé à ces écueils. En effet, bien
que, prise dans son ensemble, la secte fasse profession de
croire à l'existence de Dieu, le témoignage de ses propres
membres établit que cette croyance n'est pas, pour chacun d'eux
individuellement, l'objet d'un assentiment ferme et d'une
inébranlable certitude. Ils ne dissimulent pas que la question
de Dieu est parmi eux une cause de grands dissentiments. Il est
même avéré qu'il y a peu de temps, une sérieuse controverse
s'est engagée entre eux à ce sujet. En fait, la secte laisse aux
initiés liberté entière de se prononcer en tel ou tel sens, soit
pour affirmer l'existence de Dieu, soit pour la nier; et ceux
qui nient résolument ce dogme sont aussi bien reçus à
l'initiation que ceux qui, d'une façon certaine, l'admettent
encore, mais en le dénaturant, comme les panthéistes dont
l'erreur consiste précisément, tout en retenant de l'Être divin
on ne sait quelles absurdes apparences, à faire disparaître ce
qu'il y a d'essentiel dans la vérité de son existence.
Or, quand ce fondement nécessaire
est détruit ou seulement ébranlé, il va de soi que les autres
principes de l'ordre naturel chancellent dans la raison humaine
et qu'elle ne sait plus à quoi s'en tenir, ni sur la création du
monde par un acte libre et souverain du Créateur, ni sur le
gouvernement de la Providence, ni sur la survivance de l'âme et
de la réalité d'une vie future et immortelle succédant à la vie
présente. L'effondrement des vérités, qui sont la base de
l'ordre naturel et qui importent si fort à la conduite
rationnelle et pratique de la vie, aura un contrecoup sur les
moeurs privées et publiques. Passons sous silence ces vertus
surnaturelles que, à moins d'un don spécial de Dieu, personne ne
peut ni pratiquer ni acquérir; ces vertus dont il est impossible
de trouver aucune trace chez ceux qui font profession d'ignorer
dédaigneusement la rédemption du genre humain, la grâce des
sacrements, le bonheur futur à conquérir dans le ciel. Nous
parlons simplement des devoirs qui résultent des principes de
l'honnêteté naturelle.
Un Dieu qui a créé le monde et qui
le gouverne par sa Providence; une loi éternelle dont les
prescriptions ordonnent de respecter l'ordre de la nature et
défendent de le troubler; une fin dernière placée pour l'âme
dans une région supérieure aux choses humaines et au-delà de
cette hôtellerie terrestre; voilà les sources, voilà les
principes de toute justice et honnêteté. Faites-les disparaître
(c'est la prétention des naturalistes et des francs-maçons) et
il sera impossible de savoir en quoi consiste la science du
juste et de l'injuste ou sur quoi elle s'appuie. Quant à morale,
la seule chose qui ait trouvé grâce devant les membres de la
secte franc-maçonnique et dans laquelle ils veulent que la
jeunesse soit instruite avec soin, c'est celle qu'ils appellent
" morale civique ", " morale indépendante ", " morale libre ",
en d'autres termes, morale qui ne fait aucune place aux idées
religieuses.
Or, combien une telle morale est
insuffisante, jusqu'à quel point elle manque de solidité et
fléchit sous le souffle des passions, on le peut voir assez par
les tristes résultats qu'elle a déjà donnés. Là en effet où,
après avoir pris la place de la morale chrétienne, elle a
commencé à régner avec plus de liberté, on a vu promptement
dépérir la probité et l'intégrité des moeurs, grandir et se
fortifier les opinions les plus monstrueuses, et l'audace des
crimes partout déborde. Ces maux provoquent aujourd'hui des
plaintes et des lamentations universelles, auxquelles font
parfois échos bon nombre de ceux-là mêmes qui, bien malgré eux,
sont contraints de rendre hommage à l'évidence de la vérité.
En outre, la nature humaine ayant
été violée par le péché originel, et à cause de cela, étant
devenue beaucoup plus disposée au vice qu'à la vertu,
l'honnêteté est absolument impossible si les mouvements
désordonnés de l'âme ne sont pas réprimés et si les appétits
n'obéissent pas à la raison. Dans ce conflit, il faut souvent
mépriser les intérêts terrestres et se résoudre aux plus durs
travaux et à la souffrance, pour que la raison victorieuse
demeure en possession de sa principauté. Mais les naturalistes
et les francs-maçons n'ajoutent aucune foi à la Révélation que
Nous tenons de Dieu, nient que le père du genre humain ait péché
et, par conséquent, que les forces du libre arbitre soient d'une
façon " débilitées ou inclinées vers le mal ". Tout au
contraire, ils exagèrent la puissance et l'excellence de la
nature et, mettant uniquement en elle le principe et la règle de
la justice, ils ne peuvent même pas concevoir la nécessité de
faire de constants efforts et de déployer un très grand courage
pour comprimer les révoltes de la nature et pour imposer silence
à ses appétits.
Aussi voyons-nous multiplier et
mettre à la portée de tous les hommes ce qui peut flatter leurs
passions. Journaux et brochures d'où la réserve et la pudeur
sont bannies; représentations théâtrales dont la licence passe
les bornes; oeuvres artistiques où s'étalent avec un cynisme
révoltant les principes de ce qu'on appelle aujourd'hui le
réalisme; inventions ingénieuses destinées à augmenter les
délicatesses et les jouissances de la vie; en un mot, tout est
mis en oeuvre pour satisfaire l'amour du plaisir avec lequel
finit par se mettre d'accord la vertu endormie.
Assurément ceux-là sont coupables
mais, en même temps, ils sont conséquents avec eux-mêmes qui,
supprimant l'espérance des biens futurs, abaissent la félicité
au niveau des choses périssables, plus bas même que les horizons
terrestres. A l'appui de ces assertions, il serait facile de
produire des faits certains bien qu'en apparence, incroyables.
Personne en effet, n'obéissant avec autant de servilité à ces
habiles et rusés personnages que ceux dont le courage s'est
énervé et brisé dans l'esclavage des passions, il s'est trouvé
dans la franc-maçonnerie des sectaires pour soutenir qu'il
fallait systématiquement employer tous les moyens de saturer la
multitude de licences et de vices, bien assurés qu'à ces
conditions, elle serait tout entière entre leurs mains et
pourrait servir d'instrument à l'accomplissement de leurs
projets les plus audacieux.
Relativement à la société
domestique, voici à quoi se résume l'enseignement des
naturalistes. Le mariage n'est qu'une variété de l'espèce des
contrats; il peut donc être légitimement dissout à la volonté
des contractants. Les chefs du gouvernement ont puissance sur le
lien conjugal. Dans l'éducation des enfants, il n'y a rien à
leur enseigner méthodiquement, ni à leur prescrire en fait de
religion. C'est affaire à chacun d'eux, lorsqu'ils seront en
âge, de choisir la religion qui leur plaira. Or, non seulement
les francs-maçons adhèrent entièrement à ces principes, mais ils
s'appliquent à les faire passer dans les moeurs et dans les
institutions. Déjà, dans beaucoup de pays, même catholiques, il
est établi qu'en dehors du mariage civil, il n'y a pas d'union
légitime. Ailleurs, la loi autorise le divorce que d'autres
peuples s'apprêtent à introduire dans leur législation, le plus
tôt possible. Toutes ces mesures hâtent la réalisation prochaine
du projet de changer l'essence du mariage et de le réduire à
n'être plus qu'une union instable, éphémère, née du caprice d'un
instant et pouvant être dissoute quand ce caprice changera.
La secte concentre aussi toutes
ses énergies et tous ses efforts pour s'emparer de l'éducation
de la jeunesse. Les francs-maçons espèrent qu'ils pourront
aisément former d'après leurs idées cet âge si tendre et en
plier la flexibilité dans le sens qu'ils voudront, rien ne
devant être plus efficace pour préparer à la société civile, une
race de citoyens telle qu'ils rêvent de la lui donner. C'est
pour cela que, dans l'éducation et l'instruction des enfants,
ils ne veulent tolérer les ministres de l'Église, ni comme
surveillants, ni comme professeurs. Déjà, dans plusieurs pays,
ils ont réussi à faire confier exclusivement à des laïques
l'éducation de la jeunesse, aussi bien qu'à proscrire totalement
de l'enseignement de la morale, les grands et saints devoirs qui
unissent l'homme à Dieu.
Viennent ensuite les dogmes de la
science politique. Voici quelles sont en cette matière les
thèses des naturalistes : " Les hommes sont égaux en droit;
tous, à tous les points de vue, sont d'égale condition. Étant
tous libres par nature, aucun d'eux n'a le droit de commander à
un de ses semblables et c'est faire violence aux hommes que de
prétendre les soumettre à une autorité quelconque, à moins que
cette autorité ne procède d'eux-mêmes. Tout pouvoir est dans le
peuple libre; ceux qui exercent le commandement n'en sont les
détenteurs que par le mandat ou par la concession du peuple, de
telle sorte que si la volonté populaire change, il faut
dépouiller de leur autorité les chefs de l'État, même malgré
eux. La source de tous les droits et de toutes les fonctions
civiles réside, soit dans la multitude, soit dans le pouvoir qui
régit l'État, mais quand il a été constitué d'après les nouveaux
principes. En outre, l'État doit être athée. Il ne trouve, en
effet, dans les diverses formes religieuses, aucune raison de
préférer l'une à l'autre; donc, toutes doivent être mises sur un
pied d'égalité ".
Or, que ces doctrines soient
professées par les francs-maçons, que tel soit pour eux l'idéal
d'après lequel ils entendent constituer les sociétés, cela est
presque trop évident pour avoir besoin d'être prouvé. Il y a
déjà longtemps qu'ils travaillent à le réaliser, en y employant
toutes leurs forces et toutes leurs ressources. Ils frayent
ainsi le chemin à d'autres sectaires nombreux et plus audacieux,
qui se tiennent prêts à tirer de ces faux principes des
conclusions encore plus détestables, à savoir le partage égal et
la communauté des biens entre tous les citoyens, après que toute
distinction de rang et de fortune aura été abolie.
Les faits que Nous venons de
résumer mettent en une lumière suffisante la constitution intime
des francs-maçons et montrent clairement par quelle route ils
s'acheminent vers leur but. Leurs dogmes principaux sont en un
si complet et si manifeste désaccord avec la raison qu'il ne se
peut imaginer rien de plus pervers. En effet, vouloir détruire
la religion et l'Église, établies par Dieu lui-même et assurées
par lui d'une perpétuelle protection, pour ramener parmi nous,
après dix huit siècles, les moeurs et les institutions des
païens, n'est-ce pas le comble de la folie et de la plus
audacieuse impiété? Mais ce qui n'est ni moins horrible ni plus
supportable, c'est de voir répudier les bienfaits miséricordieux
acquis par Jésus Christ, d'abord aux individus, puis aux hommes
groupés en familles et en nations : bienfaits qui, au témoignage
des ennemis du christianisme, sont du plus haut prix. Certes,
dans un plan si insensé et si criminel, il est bien permis de
reconnaître la haine implacable dont Satan est animé à l'égard
de Jésus Christ et sa passion de vengeance.
L'autre dessein, à la réalisation
duquel les francs-maçons emploient tous leurs efforts, consiste
à détruire les fondements principaux de la justice et de
l'honnêteté. Par là, ils se font les auxiliaires de ceux qui
voudraient, qu'à l'instar de l'animal, l'homme n'eût d'autre
règle d'action que ses désirs. Ce dessein ne va rien moins qu'à
déshonorer le genre humain et à le précipiter ignominieusement à
sa perte. Le mal s'augmente de tous les périls qui menacent la
société domestique et la société civile. Ainsi que Nous l'avons
exposé ailleurs, tous les peuples, tous les siècles s'accordent
à reconnaître dans le mariage quelque chose de sacré et de
religieux et la loi divine a pourvu à ce que les unions
conjugales ne puissent pas être dissoutes. Mais si elles
deviennent purement profanes, s'il est permis de le rompre au
gré des contractants, aussitôt la constitution de la famille
sera en proie au trouble et à la confusion; les femmes seront
découronnées de leur dignité; toute protection et toute sécurité
disparaîtront pour les enfants et pour leurs intérêts.
Quant à la prétention de faire
l'État complètement étranger à la religion et pouvant
administrer les affaires publiques sans tenir plus de compte de
Dieu que s'il n'existait pas, c'est une témérité sans exemple,
même chez les païens. Ceux-ci portaient si profondément gravée
au plus intime de leur âme, non seulement une idée vague des
cieux, mais la nécessité sociale de la religion, qu'à leur sens
il eût été plus aisé à une ville de se tenir debout sans être
appuyée au sol que privée de Dieu. De fait, la société du genre
humain, pour laquelle la nature nous a créés, a été constituée
par Dieu autour de la nature. De lui, comme principe et comme
source, découlent dans leur force et dans leur pérennité, les
bienfaits innombrables dont elle nous enrichit. Aussi, de même
que la voix de la nature rappelle à chaque homme en particulier
l'obligation où il est d'offrir à Dieu le culte d'une pieuse
reconnaissance, parce que c'est à lui que nous sommes redevables
de la vie et des biens qui l'accompagnent, un devoir semblable
s'impose aux peuples et aux sociétés.
De là résulte avec la dernière
évidence que ceux qui veulent briser toute relation entre la
société civile et les devoirs de la religion, ne commettent pas
seulement une injustice, mais, par leur conduite, prouvent leur
ignorance et leur ineptie. En effet, c'est par la volonté de
Dieu que les hommes naissent pour être réunis et pour vivre en
société; l'autorité est le lien nécessaire au maintien de la
société civile, de telle sorte que, ce lien brisé, elle se
dissout fatalement et immédiatement. L'autorité a donc pour
auteur le même Être qui a créé la société. Aussi, quel que soit
celui entre les mains de qui le pouvoir réside, il est le
ministre de Dieu. Par conséquent, dans la mesure où l'exigent la
fin et la nature de la société humaine, il faut obéir au pouvoir
légitime commandant des choses justes, comme à l'autorité même
de Dieu qui gouverne tout; et rien n'est plus contraire à la
vérité que de soutenir qu'il dépend de la volonté du peuple de
refuser cette obéissance quand il lui plaît.
De même, si l'on considère que
tous les hommes sont de même race et de même nature et qu'ils
doivent tous atteindre la même fin dernière et si l'on regarde
aux devoirs et aux droits qui découlent de cette communauté
d'origine et de destinée, il n'est pas douteux qu'ils soient
tous égaux. Mais, comme ils n'ont pas tous les mêmes ressources
d'intelligence et qu'ils diffèrent les uns des autres, soit par
les facultés de l'esprit, soit par les énergies physiques, comme
enfin il existe entre eux mille distinctions de moeurs, de
goûts, de caractères, rien ne répugne tant à la raison que de
prétendre les ramener tous à la même mesure et d'introduire dans
les instructions de la vie civile une égalité rigoureuse et
mathématique. De même en effet que la parfaite constitution du
corps humain résulte de l'union et de l'assemblage des membres,
qui n'ont ni les mêmes forces, ni les mêmes fonctions, mais dont
l'heureuse association et le concours harmonieux donnent à tout
l'organisme sa beauté plastique, sa force et son aptitude à
rendre les services nécessaires, de même, au sein de la société
humaine, se trouve une variété presque infinie de parties
dissemblables. Si elles étaient toutes égales entre elles et
libres, chacune pour son compte, d'agir à leur guise, rien ne
serait plus difforme qu'une telle société. Si, au contraire, par
une sage hiérarchie des mérites, des goûts, des aptitudes,
chacune d'elles concourt au bien général, vous voyez se dresser
devant vous l'image d'une société bien ordonnée et conforme à la
nature.
Les malfaisantes erreurs que Nous
venons de rappeler menacent les États des dangers les plus
redoutables. En effet, supprimez la crainte de Dieu et le
respect dû à ses lois; laissez tomber en discrédit l'autorité
des princes; donnez libre carrière et encouragement à la manie
des révolutions; lâchez la bride aux passions populaires; brisez
tout frein sauf celui du châtiment ; vous aboutissez par la
force des choses à un bouleversement universel et à la ruine de
toutes les institutions : tel est, il est vrai, le but avéré,
explicite, que poursuivent de leurs efforts beaucoup
d'associations communistes et socialistes ; et la secte des
francs-maçons n'a pas le droit de se dire étrangère à leurs
attentats, puisqu'elle favorise leurs desseins et que, sur le
terrain des principes, elle est entièrement d'accord avec elles.
Si ces principes ne produisent pas immédiatement et partout
leurs conséquences extrêmes, ce n'est ni à la discipline de la
secte, ni à la volonté des sectaires qu'il faut l'attribuer;
mais d'abord à la vertu de cette divine religion qui ne peut
être anéantie; puis aussi à l'action des hommes qui, formant la
partie la plus saine des nations, refusent de subir le joug des
sociétés secrètes et luttent avec courage contre leurs
entreprises insensées.
Et plût à Dieu que tous, jugeant
l'arbre par ses fruits, sussent reconnaître le germe et le
principe des maux qui nous accablent, des dangers qui nous
menacent. Nous avons affaire à un ennemi rusé et fécond en
artifices. Il excelle à chatouiller agréablement les oreilles
des princes et des peuples; il a su prendre les uns et les
autres par la douceur de ses maximes et l'appât de ses
flatteries. Les princes? Les francs-maçons se sont insinués dans
leurs faveurs sous le masque de l'amitié, pour faire d'eux des
alliés et de puissants auxiliaires, à l'aide desquels ils
opprimeraient plus sûrement les catholiques. Afin d'aiguillonner
plus vivement le zèle de ces hauts personnages, ils poursuivent
l'Église d'impudentes calomnies. C'est ainsi qu'ils l'accusent
d'être jalouse de la puissance des souverains et de leur
contester leurs droits. Assurés par cette politique, de
l'impunité de leur audace, ils ont commencé à jouir d'un grand
crédit sur les gouvernements. D'ailleurs, ils se tiennent
toujours prêts à ébranler les fondements des empires, à
poursuivre, à dénoncer et même à chasser les princes, toutes les
fois que ceux-ci paraissent user du pouvoir autrement que la
secte ne l'exige.
Les peuples, ils se jouent d'eux
en les flattant par des procédés semblables. Ils ont toujours à
la bouche les mots de " liberté " et de " prospérité publique ".
A les en croire, c'est l'Église, ce sont les souverains qui ont
toujours fait obstacle à ce que les masses fussent arrachées à
une servitude injuste et délivrées de la misère. Ils ont séduit
le peuple par ce langage fallacieux et, excitant en lui la soif
des changements, ils l'ont lancé à l'assaut des deux puissances
ecclésiastique et civile. Toutefois, la réalité des avantages
qu'on espère demeure toujours au-dessous de l'imagination et de
ses désirs. Bien loin d'être devenu plus heureux, le peuple,
accablé par une oppression et une misère croissantes, se voit
encore dépouillé des consolations qu'il eût pu trouver avec tant
de facilité et d'abondance dans les croyances et les pratiques
de la religion chrétienne. Lorsque les hommes s'attaquent avec
l'ordre providentiellement établi par une juste punition de leur
orgueil, ils trouvent souvent l'affliction et la ruine de la
fortune prospère sur laquelle ils avaient témérairement compté
pour l'assouvissement de tous leurs désirs.
Quant à l'Église, si, par-dessus
toute chose, elle ordonne aux hommes d'obéir à Dieu, souverain
Seigneur de l'Univers, l'on porterait contre elle un jugement
calomnieux si l'on croyait qu'elle est jalouse de la puissance
civile ou qu'elle songe à entreprendre sur les droits des
princes. Loin de là ! Elle met sous la sanction du devoir et de
la conscience, l'obligation de rendre à la puissance civile ce
qui lui est légitimement dû. Si elle fait découler de Dieu
lui-même, le droit de commander, il en résulte pour l'autorité,
un surcroît considérable de dignité et une facilité plus grande
de se concilier l'obéissance, le respect et le bon vouloir des
citoyens.
D'ailleurs, toujours amie de la
paix, c'est elle qui entretient la concorde en embrassant tous
les hommes dans la tendresse de sa charité maternelle.
Uniquement attentive à procurer le bien des mortels, elle ne se
lasse pas de rappeler qu'il faut toujours tempérer la justice
par la clémence, le commandement par l'équité, les lois par la
modération; que le droit de chacun est inviolable; que c'est un
devoir de travailler au maintien de l'ordre et de la
tranquillité générale et de venir en aide, dans toute la mesure
du possible, par la charité privée et publique, aux souffrances
des malheureux. Mais, pour employer fort à propos les paroles de
saint Augustin, ils croient ou cherchent à faire croire que la
doctrine chrétienne est incompatible avec le bien de l'État,
parce qu'ils veulent fonder l'État, non sur la solidité des
vertus, mais sur l'impunité des vices. Si tout cela était mieux
connu, princes et peuples feraient preuve de sagesse politique
et agiraient conformément aux exigences du salut général, en
s'unissant à l'Église pour résister aux attaques des
francs-maçons, au lieu de s'unir aux francs-maçons pour
combattre l'Église.
Quoi qu'il en puisse advenir,
Notre devoir est de Nous appliquer à trouver des remèdes
proportionnés à un mal si intense et dont les ravages ne se sont
que trop étendus. Nous le savons : notre meilleur et plus solide
espoir de guérison est dans la vertu de cette religion divine
que les francs-maçons haïssent d'autant plus qu'ils la redoutent
davantage. Il importe donc souverainement de faire d'elle le
point central de la résistance contre l'ennemi commun. Aussi,
tous les décrets portés par les Pontifes romains, Nos
prédécesseurs, en vue de paralyser les efforts et les tentatives
de la secte maçonnique, toutes les sentences prononcées par eux
pour détourner les hommes de s'affilier à cette secte ou pour
les déterminer à en sortir, Nous entendons les ratifier à
nouveau, tant en général qu'en particulier. Plein de confiance à
cet égard dans la bonne volonté des chrétiens, Nous les
supplions, au nom de leur salut éternel, et Nous leur demandons
de se faire une obligation sacrée de conscience de ne jamais
s'écarter, même d'une seule ligne, des prescriptions promulguées
à ce sujet par le Siège apostolique.
Quant à vous, Vénérables Frères,
Nous vous prions, Nous vous conjurons d'unir vos efforts aux
Nôtres et d'employer votre zèle à faire disparaître l'impure
contagion du poison qui circule dans les veines de la société et
l'infecte tout entière. Il s'agit pour vous de procurer la
gloire de Dieu et le salut du prochain. Combattant pour de si
grandes causes, ni le courage, ni la force ne vous ferons
défaut. Il vous appartient de déterminer dans votre sagesse par
quels moyens plus efficaces vous pourrez avoir raison des
difficultés et des obstacles qui se dresseront contre vous. Mais
puisque l'autorité inhérente à Notre charge Nous impose le
devoir de vous tracer Nous-même la ligne de conduite que Nous
estimons la meilleure, Nous vous dirons :
En premier lieu, arrachez à la
franc-maçonnerie le masque dont elle se couvre et faites la voir
telle qu'elle est.
Secondement par vos discours et
par vos Lettres pastorales spécialement consacrées à cette
question, instruisez vos peuples; faites leur connaître les
artifices employés par ces sectes pour séduire les hommes et les
attirer dans leurs rangs, montrez leur la perversité de leur
doctrine et l'infamie de leurs actes. Rappelez leur qu'en vertu
des sentences plusieurs fois portées par Nos prédécesseurs,
aucun catholique, s'il veut rester digne de ce nom et avoir de
son salut le souci qu'il mérite, ne peut, sous aucun prétexte,
s'affilier à la secte des francs-maçons. Que personne donc ne se
laisse tromper par de fausses apparences d'honnêteté. Quelques
personnes peuvent en effet croire que, dans les projets des
francs-maçons, il n'y a rien de formellement contraire à la
sainteté de la religion et des moeurs. Toutefois, le principe
fondamental qui est comme l'âme de la secte, étant condamné par
la morale, il ne saurait être permis de se joindre à elle ni de
lui venir en aide d'aucune façon.
Il faut ensuite, à l'aide de
fréquentes instructions et exhortations, faire en sorte que les
masses acquièrent la connaissance de la religion. Dans ce but,
Nous conseillons très fort d'exposer, soit par écrit, soit de
vive voix et dans des discours ad hoc les éléments des principes
sacrés qui constituent la philosophie chrétienne. Cette dernière
recommandation a surtout pour but de guérir, par une science de
bon aloi, les maladies intellectuelles des hommes et de les
prémunir tout à la fois contre les formes multiples de l'erreur
et contre les nombreuses séductions du vice, surtout en un temps
où la licence des écrits va de pair avec une insatiable avidité
d'apprendre. Pour l'accomplir, vous aurez avant tout l'aide et
la collaboration de votre clergé, si vous donnez tout le soin à
le bien former et à le maintenir dans la perfection de la
discipline ecclésiastique et dans la science des Saintes
Lettres.
Toutefois, une cause si belle et
d'une si haute importance appelle encore à son secours le
dévouement intelligent des laïques qui unissent les bonnes
moeurs et l'instruction à l'amour de la religion et de la
patrie. Mettez en commun, Vénérables Frères, les forces de ces
deux ordres, et donnez tous vos soins à ce que les hommes
connaissent à fond l'Église catholique et l'aiment de tout leur
coeur. Car plus cette connaissance et cet amour grandiront dans
les âmes, plus on prendra en dégoût les sociétés secrètes, plus
on sera empressé d'en finir.
Nous profitons à dessein de la
nouvelle occasion qui Nous est offerte d'insister sur la
recommandation déjà faite par Nous en faveur du tiers ordre de
saint François, à la discipline duquel Nous avons apporté de
sages tempéraments. Il faut mettre un grand zèle à le propager
et à l'affermir. Tel, en effet, qu'il a été établi par son
auteur, il consiste tout entier en ceci : attirer les hommes à
l'amour de Jésus Christ, à la pratique des vertus chrétiennes.
Il peut donc rendre de grands services pour aider à vaincre la
contagion de ces sectes détestables. Que cette sainte
Association fasse donc tous les jours de nouveaux progrès. Un
grand nombre de fruits peuvent en être attendus et le principal
est de conduire les âmes à la liberté, à la fraternité, à
l'égalité juridique, non selon l'absurde façon dont les
francs-maçons entendent ces choses, mais telles que Jésus Christ
a voulu enrichir le genre humain et que saint François les a
mises en pratique.
Nous parlons donc ici de la
liberté des enfants de Dieu au nom de laquelle Nous refusons
d'obéir à des maîtres iniques qui s'appellent Satan et les
mauvaises passions. Nous parlons de la fraternité qui nous
rattache à Dieu comme au Créateur et Père de tous les hommes.
Nous parlons de l'égalité qui, établie sur les fondements de la
justice et de la charité, ne rêve pas de supprimer toute
distinction entre les hommes, mais excelle à faire, de la
variété des conditions et des devoirs de la vie, une harmonie
admirable et une sorte de merveilleux concert dont profitent
naturellement les intérêts et la dignité de la vie civile.
En troisième lieu, une institution
due à la sagesse de nos pères et momentanément interrompue par
le cours des temps, pourrait, à l'époque où nous sommes,
redevenir le type et la forme de créations analogues. Nous
voulons parler de ces corporations ouvrières destinées à
protéger, sous la tutelle de la religion, les intérêts du
travail et les moeurs des travailleurs. Si le pierre de touche
d'une longue expérience avait fait apprécier à nos ancêtres
l'utilité de ces associations, notre âge en retirerait peut-être
de plus grands fruits, tant elles offrent de précieuses
ressources pour combattre avec succès et pour écraser la
puissance des sectes. Ceux qui n'échappent à la misère qu'au
prix du labeur de leurs mains, en même temps que, par leur
condition, ils sont souverainement dignes de la charitable
assistance de leurs semblables, sont aussi les plus exposés à
être trompés par les séductions et les ruses des apôtres du
mensonge. Il faut donc leur venir en aide avec une grande
habileté et leur ouvrir les rangs d'associations honnêtes pour
les empêcher d'être enrôlés dans les mauvaises. En conséquence,
et pour le salut du peuple, Nous souhaitons ardemment de voir se
rétablir, sous les auspices et le patronage des évêques, ces
corporations appropriées aux besoins du temps présent. Ce n'est
pas pour Nous une joie médiocre d'avoir vu déjà se constituer en
plusieurs lieux, des associations de ce genre, ainsi que des
sociétés de patrons, le but des uns et des autres étant de venir
en aide à l'honnête classe des prolétaires, d'assurer à leurs
familles et à leurs enfants, le bienfait d'un patronage
tutélaire, de leur fournir les moyens de garder, avec de bonnes
moeurs, la connaissance de la religion et l'amour de la piété.
Nous ne saurions passer ici sous
silence une Société qui a donné tant d'exemples admirables et
qui a si bien mérité des classes populaires : Nous voulons
parler de celle qui a pris le nom de son père, saint Vincent de
Paul. On connaît assez les oeuvres accomplies par cette société
et le but qu'elle se propose. Les efforts de ses membres tendent
uniquement à se porter, par une charitable initiative, au
secours des pauvres et des malheureux, ce qu'ils font avec une
merveilleuse sagacité et une non moins admirable modestie. Mais
plus cette société cache le bien qu'elle opère, plus elle est
apte à pratiquer la charité chrétienne et à soulager les misères
des hommes.
Quatrièmement, afin d'atteindre
plus aisément le but de Nos désirs, Nous recommandons avec une
nouvelle insistance à votre foi et à votre vigilance, la
jeunesse qui est l'espoir de la société. Appliquez à sa
formation la plus grande partie de vos sollicitudes pastorales.
Quels qu'aient déjà pu être à cet égard votre zèle et votre
prévoyance, croyez que vous n'en ferez jamais assez pour
soustraire la jeunesse aux écoles et aux maîtres prés desquels
elle serait exposée à respirer le souffle empoisonné des sectes.
Parmi les prescriptions de la doctrine chrétienne, il en est une
sur laquelle devront insister les parents, les pieux
instituteurs, les curés, sous l'impulsion de leurs évêques. Nous
voulons parler de la nécessité de prémunir leurs enfants ou
leurs élèves contre ces sociétés criminelles, en leur apprenant
de bonne heure à se méfier des artifices perfides et variés à
l'aide desquels leurs prosélytes cherchent à enlacer les hommes.
Ceux qui ont charge de préparer les jeunes gens à recevoir les
sacrements comme il faut, agiraient sagement s'ils amenaient
chacun d'eux à prendre la ferme résolution de ne s'agréger à
aucune société à l'insu de leurs parents ou sans avoir consulté
leur curé ou leur confesseur.
Du reste, nous savons très bien
que nos communs labeurs, pour arracher du champ du Seigneur ces
semences pernicieuses, seraient tout à fait impuissants si, du
haut du ciel, le Maître de la vigne ne secondait ces efforts. Il
est donc nécessaire d'implorer son assistance et son secours
avec une grande ardeur et par des sollicitations réitérées,
proportionnées à la nécessité des circonstances et à l'intensité
du péril. Fière de ses précédents succès, la secte des
francs-maçons lève insolemment la tête et son audace semble ne
plus connaître aucune borne. Rattachés les uns aux autres par le
lien d'une fédération criminelle et de leurs projets occultes,
ses adeptes se prêtent un mutuel appui et se provoquent entre
eux à oser et à faire le mal.
A une si violente attaque doit
répondre une défense énergique. Que les gens de bien s'unissent
donc, eux aussi, et forment une immense coalition de prière et
d'efforts. En conséquence, Nous leur demandons de faire entre
eux, par la concorde des esprits et des coeurs, une cohésion qui
les rendent invincibles contre les assauts des sectaires. En
outre, qu'ils tendent vers Dieu des mains suppliantes et que
leurs gémissements s'efforcent d'obtenir la prospérité et les
progrès persévérants du christianisme, la paisible jouissance
pour l'Église de la liberté nécessaire, le retour des égarés au
bien, le triomphe de la vérité sur l'erreur, de la vertu sur le
vice.
Demandons à la Vierge Marie, Mère
de Dieu, de se faire notre auxiliaire et notre interprète.
Victorieuse de Satan dès le premier instant de sa conception,
qu'Elle déploie sa puissance contre les sectes réprouvées qui
font si évidemment revivre parmi nous l'esprit de révolte,
l'incorrigible perfidie et la ruse du démon. Appelons à notre
aide le prince des milices célestes, saint Michel, qui a
précipité dans les enfers les anges révoltés; puis saint Joseph,
l'époux de la Très Sainte Vierge, le céleste et tutélaire patron
de l'Église catholique et les grands apôtres saint Pierre et
saint Paul, ces infatigables semeurs et ces champions
invincibles de la foi catholique. Grâce à leur protection et à
la persévérance de tous les fidèles dans la prière, Nous avons
la confiance que Dieu daignera envoyer un secours opportun et
miséricordieux au genre humain en proie à un si grand danger.
En attendant, comme gage des dons
célestes et comme témoignage de Notre bienveillance, Nous vous
envoyons du fond du coeur la bénédiction apostolique, à vous,
Vénérables Frères, ainsi qu'au clergé et aux peuples confiés à
votre sollicitude.
Donné à Rome, près Saint Pierre,
le 20 avril 1884, de Notre Pontificat la septième année.
LÉON XIII