Jeanne Jugan
(1792-1879)

 Fondatrice des Petites Sœurs des Pauvres

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La fondation des Petites Sœurs des Pauvres

 

2-1-Marie Jamet (1820-1893)

Virginie avait une amie de son âge, Marie Jamet, qui venait souvent partager l’ambiance familiale de la maison de la rue du Centre.[1]  Ensemble, elles parlaient de leurs préoccupations concernant les pauvres. Marie et Virginie étant trop jeunes pour entrer dans le Tiers-Ordre du Cœur de Marie,[2]  l’idée s’imposa de donner à leur petite communauté une sorte de règle de vie. Jeanne proposa un règlement qui ressemblait fort à la Règle du Tiers-Ordre du Cœur de Marie:

– le temps de recueillement au cours de la matinée,

– des exercices spirituels,

– le sacrifice de sa volonté propre,

– la nécessité de se retirer dans le Cœur de Jésus.

– l’invitation à s’occuper des pauvres, des enfants, des malades.

2-2-L’abbé Le Pailleur (1812-1895)

Le dimanche, Marie et Virginie se promenaient ensemble et méditaient leur règlement de vie. Elles en parlèrent à leur confesseur, un jeune vicaire récemment arrivé à Saint-Servan: l’abbé Auguste Le Pailleur qui approuva leur genre de vie et s’intéressa à l’initiative de Jeanne Jugan. En décembre 1840, une jeune ouvrière très malade âgée de 27 ans, Madeleine Bourges (1813-1883) voulut se faire soigner par Jeanne. Accueillie dans le logement déjà bien occupé, elle guérit. Elle se joignit au groupe mais retourna demeurer chez elle.

2-3-On s’organise “au Grand en bas”

          2-3-1-Le déménagement

Les deux “bonnes femmes[3]”accueillies par Jeanne guérirent. Et au dehors, il en restait tant d’autres. Comment les accueillir? Les associées décidèrent de déménager pendant l’été 1841. On loua un ancien cabaret qui pouvait permettre de loger 12 personnes, rue de la Fontaine. Le jour même du déménagement quatre autres vieilles femmes furent accueillies; un mois plus tard, il y avait douze pensionnaires.

Comment nourrir tout ce monde? Virginie donnait son salaire; Fanchon faisait le ménage. Marie apportait le profit de son petit commerce, Madeleine faisait des lessives. Jeanne, Sœur Jeanne, était présente à tout et se chargeait des démarches administratives et autres. Elle quêtait aussi. Le dimanche les vieilles femmes étaient emmenées à la messe. Curieusement cela ne plut pas à tout le monde, et les critiques commencèrent...

Heureusement des personnes sympathiques s’intéressaient au travail de Jeanne et de son équipe, et visitaient les personnes âgées recueillies chez Jeanne, au Grand-en-bas.

          2-3-2-On occupe les pensionnaires

Madeleine Bourges savait filer la laine et le chanvre. Elle apprit aux vieilles femmes qui le pouvaient à filer aussi. Ce qui serait vendu apporterait un complément aux maigres ressources. Et surtout, Jeanne avait compris qu’un travail adapté était une raison de vivre pour les personnes âgées.

          2-3-3-La maison des Filles de la Croix

Les demandes pour accueillir des personnes âgées sans ressources se multipliaient. Il fallut de nouveau déménager. Avec l’aide de généreux donateurs on put acheter une partie d’un ancien couvent liquidé comme bien national.

Remarque: Virginie Trédaniel ne suivit pas immédiatement ses compagnes: elle avait été acceptée chez des religieuses en vue de sa formation. Le 29 mai 1842, l’association se réunit en présence de l’abbé Le Pailleur afin de prévoir son organisation future: Jeanne Jugan fut choisie comme supérieure et les associées prirent le nom de Servantes des Pauvres.

2-4-Comment faire vivre l’œuvre? La quête

Nous sommes en 1842. Les Servantes des Pauvres n’avaient aucune ressource sûre. Comment, dans ces conditions faire vivre les nombreuses personnes, totalement démunies, qui se pressaient autour d’elles et qui auparavant, ne vivaient que de la mendicité? Alors Jeanne décida de quêter à la place des bonnes vieilles. « Cela me coûtait, dira-t-elle plus tard, mais je le faisais pour le Bon Dieu et pour nos chers pauvres. » Elle fut soutenue dans cet effort par les Frères de Saint-Jean-de-Dieu qui tenaient un hôpital à Dinan. Suivant les conseils des Frères Claude-Marie Gandet et Félix Massot elle se mit à quêter, de l’argent et des dons en nature.

Elle ne fut pas toujours bien reçue, mais elle savait garder son sourire. Ce fut parfois très dur pour elle, mais elle offrait toutes ses peines au Bon Dieu, et elle continuait, toujours courtoise, discrète, convaincante et si pleine de dignité. Un témoin de cette époque a écrit: “Ce qui me frappait le plus vivement chez elle, c’était sa reconnaissance, son remerciement et son visage toujours égal, qu’on lui donnât ou qu’on lui refusât. Et par dessus tout, elle remerciait le Bon Dieu en même temps que ses bienfaiteurs.

Comme nous l’avons laissé entendre plus haut, les actions de Jeanne ne plaisaient pas à tout le monde, et l’on commença à dire qu’on ne pouvait pas laisser une telle œuvre entre les mains d’une servante sans culture...  Le curé de Saint-Servan en référa à son évêque, Mgr Brossais, qui continua à soutenir Jeanne. Mais le doute s’installait dans la ville et le Bureau de Bienfaisance cessa sa participation pour l’asile des Servantes des Pauvres.

Une joie était pourtant réservée à Jeanne en cette fin 1842: le Père Félix Massot remit à Jeanne un acte d’union de prières et de grâces entre son Ordre (des Frères de Saint-Jean) d’une part, et d’autre part l’abbé Le Pailleur et “Jeanne Jugan, supérieure des jeunes personnes consacrées aux soins des vieillards infirmes dans la paroisse de Saint-Servan.”

Le 27 septembre 1842 l’évêque vint rendre visite à la petite communauté. La tempête s’apaisait.


[1] Maison où habitait Jeanne et ses amies.

[2] Il fallait avoir 25 ans pour entrer dans ce Tiers-Ordre.

[3] C’est ainsi que l’on disait.