

TABLE
-
De la conversation intérieure
-
Qu'il faut s'abandonner à Dieu en
esprit d'humilité
-
De
l'homme pacifique
-
De la pureté d'esprit et de la
droiture d'intention
-
De la considération de soi-même
-
De la joie d'une bonne conscience
-
Qu'il faut aimer Jésus-Christ
par-dessus toutes choses
-
De la familiarité que l'amour établit
entre Jésus et l'âme fidèle
-
De la privation de toute consolation
-
De la reconnaissance pour la grâce de
Dieu
-
Du petit nombre de ceux qui aiment la
Croix de Jésus-Christ
-
De la sainte voie de la Croix
|
Instruction pour avancer dans la vie intérieure
-
Le royaume de Dieu est au dedans
de vous, dit le Seigneur.
Revenez à Dieu de tout votre coeur, laissez là ce misérable monde,
et votre âme trouvera le repos.
Apprenez à mépriser les choses extérieures et à vous donner aux
intérieures, et vous verrez le royaume de Dieu venir en vous.
Car le royaume de Dieu est paix et joie dans l'Esprit Saint,
ce qui n'est pas donné aux impies.
Jésus-Christ viendra à vous et il vous remplira de ses consolations,
si vous lui préparez au-dedans de vous une demeure digne de lui.
Toute sa gloire et toute sa beauté est intérieure; c'est dans le
secret du coeur qu'il se plaît.
Il visite souvent l'homme intérieur et ses entretiens sont doux, ses
consolations ravissantes; sa paix est inépuisable, et sa familiarité
incompréhensible.
-
Âme
fidèle, hâtez-vous donc de préparer votre coeur pour l'époux, afin
qu'il daigne venir et habiter en vous.
Car il a dit: Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et
nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure.
Laissez donc entrer Jésus en vous, et n'y laissez entrer que lui.
Lorsque vous posséderez Jésus, vous serez riche et lui seul vous
suffit. Il veillera sur vous, il prendra de vous un soin fidèle en
toutes choses, de sorte que vous n'aurez plus besoin de rien
attendre des hommes.
Car les hommes changent vite et vous manquent tout d'un coup;
mais Jésus-Christ demeure éternellement: inébranlable dans sa
constance, il est près de vous jusqu'à la fin.
-
On ne doit guère compter sur un homme
fragile et mortel, encore bien qu'il vous soit utile et que vous
soyez chers l'un à l'autre, et il n'y a pas lieu de s'attrister
beaucoup si quelquefois il vous traverse et s'élève contre vous.
Ceux qui sont aujourd'hui pour vous pourront être demain contre vous
et réciproquement: les hommes changent comme le vent.
Mettez en Dieu toute votre confiance: qu'il soit votre crainte et
votre amour; il répondra pour vous et il fera ce qui est le
meilleur.
Vous n'avez point ici de demeure stable; en quelque
lieu que vous soyez vous êtes étranger et voyageur, et vous n'aurez
jamais de repos que vous ne soyez uni intimement à Jésus-Christ.
-
Que cherchez-vous autour de vous ? Ce
n'est pas ici le lieu de votre repos.
Votre demeure doit être dans le ciel et vous ne devez regarder
toutes les choses de la terre que comme en passant.
Tout passe, et vous passez avec tout le reste.
Prenez garde de vous attacher à quoi que ce soit de peur d'en
devenir l'esclave et de vous perdre.
Que sans cesse votre pensée monte vers le Très-Haut, et votre prière
vers Jésus-Christ.
Si vous ne savez pas encore vous élever aux contemplations célestes,
reposez-vous dans la passion du Sauveur, et aimez à demeurer dans
ses plaies sacrées.
Car, si vous vous réfugiez avec amour dans ces plaies et ces
précieux stigmates, vous sentirez une grande force au temps de la
tribulation; vous vous inquiéterez peu du mépris des hommes et vous
supporterez aisément les paroles médisantes.
-
Jésus-Christ aussi a été méprisé des
hommes en ce monde, et dans les plus extrêmes angoisses, abandonné
des siens, de ses amis, de ses proches, au milieu des opprobres.
Jésus-Christ a voulu souffrir et être méprisé; et vous osez vous
plaindre de quelque chose !
Jésus-Christ a eu des ennemis et des détracteurs, et vous voudriez
n'avoir que des amis et des bienfaiteurs !
Comment votre patience méritera-t'elle d'être couronnée s'il ne vous
arrive rien de pénible ?
Si vous ne voulez rien souffrir, comment serez-vous ami de
Jésus-Christ ?
Souffrez avec Jésus-Christ et pour Jésus-Christ, si vous voulez
régner avec Jésus-Christ.
-
Si une seule fois vous étiez entré
bien avant dans le coeur de Jésus, et que vous eussiez ressenti
quelque mouvement de son amour, que vous auriez peu de souci de ce
qui peut vous contrarier ou vous plaire ! Vous vous réjouiriez d'un
outrage reçu parce que l'amour de Jésus apprend à l'homme à se
mépriser lui-même.
Celui qui aime Jésus et la vérité, un homme vraiment intérieur et
dégagé de toute affection déréglée, peut librement s'approcher de
Dieu et, s'élevant en esprit au-dessus de soi-même, se reposer en
lui par une jouissance anticipée.
-
Celui qui estime les choses suivant ce
qu'elles sont et non d'après les discours et l'opinion des hommes,
est vraiment sage; et c'est Dieu qui l'instruit plus que les hommes.
Celui qui vit au-dedans de lui-même et qui s'inquiète peu des choses
du dehors, tous les lieux lui sont bons et tous les temps pour
remplir ses pieux exercices.
Un homme intérieur se recueille bien vite parce qu'il ne se répand
jamais tout entier au-dehors.
Les travaux extérieurs, les occupations nécessaires en certain
temps, ne le troublent point; mais il se prête aux choses selon
qu'elles arrivent.
Celui qui a établi l'ordre au-dedans de soi ne se tourmente guère de
ce qu'il y a de bien ou de mal dans les autres.
L'on n'a de distractions et d'obstacles qu'autant que l'on s'en crée
soi-même.
-
Si vous étiez ce que vous devez être,
entièrement libre et détaché, tout contribuerait à votre bien et à
votre progrès.
Mais beaucoup de choses vous déplaisent et souvent vous troublent,
parce que vous n'êtes pas encore tout à fait mort à vous-même et
séparé des choses de la terre.
Rien n'embarrasse et ne souille tant le coeur de l'homme que l'amour
impur des créatures.
Si vous rejetez les consolations du dehors, vous pourrez contempler
les choses du ciel et goûter souvent les joies intérieures.
-
Inquiétez-vous peu qui est pour vous
ou contre vous; mais prenez soin que Dieu soit avec vous en tout ce
que vous faites.
Ayez la conscience pure et Dieu prendra votre défense.
Toute la malice des hommes ne saurait nuire à celui que Dieu veut
protéger.
Si vous savez vous taire et souffrir, Dieu sans doute vous
assistera.
Il sait le temps et la manière de vous délivrer: abandonnez-vous
donc à lui.
C'est de Dieu que vient le secours, c'est lui qui délivre de la
confusion.
Il est souvent très utile, pour nous retenir dans une plus grande
humilité, que les autres soient instruits de nos défauts et qu'ils
nous les reprochent.
-
Quand un homme s'humilie de ses
défauts, il apaise aisément les autres et se concilie sans peine
ceux qui sont irrités contre lui.
Dieu protège l'humble et le délivre, il aime l'humble et le console,
il s'incline vers l'humble et lui prodigue ses grâces, et après
l'abaissement, il l'élève dans la gloire.
Il révèle à l'humble ses secrets, il l'invite et l'attire doucement
à lui.
Quelque affront qu'il reçoive, l'humble vit encore en paix, parce
qu'il s'appuie sur Dieu et non sur le monde.
Ne pensez pas avoir fait de progrès si vous ne vous croyez
au-dessous de tous les autres.
-
Conservez-vous premièrement dans la
paix: et alors vous pourrez la donner aux autres.
Le pacifique est plus utile que le savant.
Un homme passionné change le bien en mal, et croit le mal aisément.
L'homme paisible et bon ramène tout au bien.
Celui qui est affermi dans la paix ne pense mal de personne; mais
l'homme inquiet et mécontent est agité de divers soupçons: il n'a
jamais de repos, et n'en laisse point aux autres.
Il dit souvent ce qu'il ne faudrait pas dire, et ne fait pas ce
qu'il faudrait faire.
Attentif aux devoirs des autres, il néglige ses propres devoirs.
Ayez donc premièrement du zèle pour vous-même, et vous pourrez
ensuite avec justice l'étendre sur le prochain.
-
Vous savez bien colorer et excuser vos
fautes, et vous ne voulez pas recevoir les excuses des autres.
Il serait plus juste de vous accuser vous-même et d'excuser votre
frère.
Si vous voulez qu'on vous supporte, supportez aussi les autres.
Voyez combien vous êtes loin encore de la vraie charité et de
l'humilité, qui jamais ne s'irrite et ne s'indigne que contre
elle-même.
Ce n'est pas une grande chose de bien vivre avec les hommes doux et
bons, car cela plaît naturellement à tous; chacun aime son repos, et
s'affectionne à ceux qui partagent ses sentiments.
Mais vivre en paix avec des hommes durs, pervers, sans règle, ou qui
nous contrarient, c'est une grande grâce, une vertu courageuse digne
d'être louée.
-
Il y en a qui sont en paix avec
eux-mêmes et avec les autres.
Et il y en a qui n'ont point la paix, et qui troublent celle
d'autrui: ils sont à charge aux autres, et plus à charge à
eux-mêmes.
Il y en a, enfin, qui se maintiennent dans la paix et qui
s'efforcent de la rendre aux autres.
Au reste toute notre paix dans cette misérable vie, consiste plus
dans une souffrance humble que dans l'exemption de la souffrance.
Qui sait le mieux souffrir possédera la plus grande paix. Celui-là
est vainqueur de soi et maître du monde, ami de Jésus-Christ et
héritier du ciel.
-
L'homme s'élève au-dessus de la terre
sur deux ailes, la simplicité et la pureté.
La simplicité doit être dans l'intention, et la pureté dans
l'affection.
La simplicité cherche Dieu, la pureté le trouve et le goûte.
Nulle bonne oeuvre ne vous sera difficile si vous êtes libre
au-dedans de toute affection déréglée.
Si vous ne voulez que ce que Dieu veut et ce qui est utile au
prochain, vous jouirez de la liberté intérieure.
Si votre coeur était droit, alors toute créature vous serait un
miroir de vie et un livre rempli de saintes instructions.
Il n'est point de créature si petite et si vile qui ne présente
quelque image de la bonté de Dieu.
-
Si vous aviez en vous assez
d'innocence et de pureté, vous verriez tout sans obstacle. Un coeur
pur pénètre le ciel et l'enfer.
Chacun juge des choses du dehors selon ce qu'il est au-dedans de
lui-même.
S'il est quelque joie dans le monde, le coeur pur la possède.
Et s'il y a des angoisses et des tribulations, avant tout elles sont
connues de la mauvaise conscience.
Comme le fer mis au feu perd sa rouille et devient tout étincelant,
ainsi celui qui se donne sans réserve à Dieu se dépouille de sa
langueur et se change en un homme nouveau.
-
Quand l'homme commence à tomber dans
la tiédeur, alors il craint le moindre travail et reçoit avidement
les consolations du dehors.
Mais quand il commence à se vaincre parfaitement et à marcher avec
courage dans la voie de Dieu, alors il compte pour rien ce qui lui
était le plus pénible.
-
Nous ne devons pas trop compter sur
nous-mêmes, parce que souvent la grâce et le jugement nous manquent.
Nous n'avons en nous que peu de lumière, et ce peu, il est aisé de
le perdre par négligence.
Souvent nous ne nous apercevons pas combien nous sommes aveugles
au-dedans de nous.
A de mauvaises actions souvent nous donnons de pires excuses.
Quelquefois nous sommes mus par la passion et nous croyons que c'est
par le zèle.
Nous relevons de petites fautes dans les autres et nous nous en
permettons de plus grandes.
Nous sentons bien vite et nous pesons ce que nous souffrons des
autres; mais tout ce qu'ils ont à souffrir de nous, nous n'y
songeons point.
Qui se jugerait équitablement soi-même, sentirait qu'il n'a droit de
juger personne sévèrement.
-
L'homme intérieur préfère le soin de
soi-même à tout autre soin: et lorsqu'on est attentif à soi, on se
tait aisément sur les autres.
Vous ne serez jamais un homme intérieur et vraiment pieux, si vous
ne gardez le silence sur ce qui vous est étranger, et si vous ne
vous occupez principalement de vous-même.
Si vous n'avez que Dieu et vous-même en vue, vous serez peu touché
de ce que vous apercevrez au-dehors.
Où êtes-vous quand vous n'êtes pas présent à vous-même ? Et que vous
revient-il d'avoir tout parcouru, et de vous être oublié ?
Si vous voulez posséder la paix et être véritablement uni à Dieu, il
faut laisser là tout le reste, et ne penser qu'à vous seul.
-
Vous ferez de grands progrès si vous
vous dégagez de tous les soins du temps.
Vous serez, au contraire, fatigué bien vite, si vous comptez pour
quelque chose ce qui n'est que de ce monde.
Qu'il n'y ait rien de grand à vos yeux, d'élevé, de doux, d'aimable,
que Dieu seul, ou ce qui vient de Dieu.
Regardez comme une pure vanité toute consolation qui repose sur la
créature.
L'âme qui aime Dieu méprise tout ce qui est au-dessous de Dieu.
Dieu seul, éternel, immense et remplissant tout, est la consolation
de l'âme et la vraie joie du coeur.
-
La gloire de l'homme de bien est
le témoignage de sa conscience.
Ayez la conscience pure et vous posséderez toujours la joie.
La bonne conscience peut supporter beaucoup de choses et elle est
pleine de joie dans les adversités.
La mauvaise conscience est toujours inquiète et troublée.
Vous jouirez d'un repos ravissant si votre coeur ne vous reproche
rien.
Ne vous réjouissez que d'avoir fait le bien.
Les méchants n'ont jamais de véritable joie, ils ne possèdent point
la paix intérieure, parce qu'il n'y a point de paix pour
l'impie, dit le Seigneur.
Et s'ils disent: Nous sommes dans la paix, les maux ne
viendront pas sur nous; et qui oserait nous nuire ? ne les
croyez pas car la colère de Dieu se lèvera soudain, et leurs oeuvres
seront réduites à rien, et leurs pensées périront.
-
Se faire un sujet de gloire de la
tribulation n'est pas difficile à celui qui aime: car se glorifier
ainsi, c'est se glorifier dans la croix de Jésus-Christ.
La gloire que les hommes donnent et reçoivent est courte.
La tristesse accompagne toujours la gloire du monde.
La gloire des bons est dans leur conscience et non dans la bouche
des hommes.
L'allégresse des justes est de Dieu et en Dieu, et leur joie vient
de la vérité.
Celui qui désire la gloire véritable et éternelle dédaigne la gloire
du temps.
Et celui qui recherche la gloire du temps et ne la méprise pas de
toute son âme montre qu'il aime peu la gloire éternelle.
Il jouit d'une grande tranquillité de coeur, celui que n'émeut ni la
louange ni le blâme.
-
Il sera aisément en paix et content,
celui dont la conscience est pure.
Vous n'êtes pas plus saint parce qu'on vous loue, ni plus imparfait
parce qu'on vous blâme.
Vous êtes ce que vous êtes, et tout ce qu'on pourra dire ne vous
fera pas plus grand que vous ne l'êtes aux yeux de Dieu.
Si vous considérez bien ce que vous êtes en vous-même, vous vous
embarrasserez peu de ce que les hommes disent de vous.
L'homme voit le visage, mais Dieu voit le coeur.
L'homme regarde les actions; mais Dieu pèse l'intention.
Faire toujours bien et s'estimer peu, c'est le signe d'une âme
humble.
Ne vouloir de consolation d'aucune créature, c'est la marque d'une
grande pureté et d'une grande confiance intérieure.
-
Quand on ne cherche au-dehors aucun
témoignage en sa faveur, il est manifeste qu'on s'est entièrement
remis à Dieu.
Car ce n'est pas celui qui se recommande lui-même qui est
approuvé, dit Saint Paul, mais celui que Dieu
recommande.
Avoir toujours Dieu présent au-dedans de soi et ne tenir à rien
au-dehors, c'est l'état de l'homme intérieur.
-
Heureux celui qui comprend ce que
c'est que d'aimer Jésus, et de se mépriser soi-même à cause de
Jésus.
Il faut que notre amour pour lui nous détache de tout autre amour,
parce que Jésus veut être aimé seul par-dessus toutes choses.
L'amour de la créature est trompeur et passe bientôt; l'amour de
Jésus est stable et fidèle.
Celui qui s'attache à la créature tombera avec elle; celui qui
s'attache à Jésus sera pour jamais affermi.
Aimez et conservez pour ami Celui qui ne vous quittera point alors
que tous vous abandonneront, et qui, quand viendra votre fin, ne
vous laissera point périr.
Que vous le vouliez ou non, il vous faudra un jour être séparé de
tout.
-
Vivant et mourant, tenez-vous donc
près de Jésus et confiez-vous à la fidélité de celui qui seul peut
vous secourir lorsque tout vous manquera.
Tel est votre bien-aimé, qu'il ne veut point de partage; il veut
posséder seul votre coeur et y régner comme un roi sur le trône qui
est à lui.
Si vous saviez bannir de votre âme toutes les créatures, Jésus se
plairait à demeurer en vous.
Vous trouverez avoir perdu presque tout ce que vous aurez établi sur
les hommes et non sur Jésus !
Ne vous appuyez point sur un roseau qu'agite le vent et n'y mettez
pas votre confiance, car toute chair est comme l'herbe, et sa
gloire passe comme la fleur des champs.
-
Vous serez trompé souvent si vous
jugez des hommes d'après ce qui paraît au-dehors; au lieu des
avantages et du soulagement que vous cherchez en eux, vous
n'éprouverez presque toujours que du préjudice.
Cherchez Jésus en tout, et en tout vous trouverez Jésus. Si vous
vous cherchez vous-même, vous vous trouverez aussi, mais pour votre
perte.
Car l'homme qui ne cherche pas Jésus se nuit plus à lui-même que
tous ses ennemis et que le monde entier.
-
Quand Jésus est présent, tout est doux
et rien ne semble difficile; mais quand Jésus se retire, tout
fatigue.
Quand Jésus ne parle pas au-dedans, nulle consolation n'a de prix;
mais si Jésus dit une seule parole, on est merveilleusement consolé.
Marie-Madeleine ne se leva-t'elle pas aussitôt du lit où elle
pleurait, lorsque Marthe lui dit: Le maître est là, et vous
appelle ?
Heureux moment où Jésus appelle des larmes à la joie de l'esprit !
Combien, sans Jésus, n'êtes-vous pas aride et insensible !
Et quelle vanité, quelle folie, si vous désirez autre chose que
Jésus-Christ ! Ne serait-ce pas une plus grande perte que si vous
aviez perdu le monde entier ?
-
Que peut vous donner le monde sans
Jésus ?
Etre sans Jésus, c'est un insupportable enfer; être avec Jésus,
c'est un paradis de délices.
Si Jésus est avec vous, nul ennemi ne pourra vous nuire.
Qui trouve Jésus trouve un trésor immense, ou plutôt un bien
au-dessus de tout bien.
Qui perd Jésus perd plus et beaucoup plus que s'il perdait le monde
entier.
Vivre sans Jésus, c'est le comble de l'indigence; être uni à Jésus,
c'est posséder des richesses infinies.
-
C'est un grand art que de savoir
converser avec Jésus, et une grande prudence que de savoir le
retenir près de soi.
Soyez humble et pacifique, et Jésus sera avec vous.
Que votre vie soit pieuse et calme, et Jésus demeurera près de vous.
Vous éloignerez bientôt Jésus et vous perdrez sa grâce, si vous
voulez vous répandre au-dehors.
Et si vous l'éloignez et le perdez, qui sera votre refuge et quel
autre ami chercherez-vous ?
Vous ne sauriez vivre heureux sans ami; et si Jésus n'est pas pour
vous un ami au-dessus de tous les autres, n'attendez que tristesse
et désolation.
Qu'insensé vous êtes, si vous mettez en quelque autre votre
confiance ou votre joie !
Il vaudrait mieux avoir le monde entier contre vous, que d'être dans
la disgrâce de Jésus.
Qu'il vous soit donc plus cher que tout ce qui vous est cher.
-
Aimez tous les autres pour Jésus, et
Jésus pour lui-même.
Lui seul doit être aimé uniquement, parce qu'il est le seul ami bon,
fidèle, entre tous les amis.
Aimez en lui et à cause de lui vos amis et vos ennemis, et priez-le
pour tous afin que tous le connaissent et l'aiment.
Ne souhaitez jamais d'obtenir aucune préférence dans l'estime ou
l'amour des hommes; car cela n'appartient qu'à Dieu, qui n'a point
d'égal.
Ne désirez point que quelqu'un s'occupe de vous dans son coeur, et
ne soyez vous-même préoccupé de l'amour de personne; mais que Jésus
soit en vous et en tout homme de bien
-
Soyez pur et libre au-dedans, sans
aucune attache à la créature.
Il vous faut être dépouillé de tout, et offrir à Dieu un coeur pur,
si vous voulez être libre et goûter comme le Seigneur est doux.
Et certes, jamais vous n'y parviendrez si sa grâce ne vous prévient
et ne vous attire: de sorte qu'ayant exclu et banni tout le reste,
vous soyez seul uni à lui seul.
Car lorsque la grâce de Dieu visite l'homme, alors il peut tout; et
quand elle se retire, alors il est pauvre et infirme, et ne semble
réservé qu'aux châtiments.
En cet état même, il ne doit ni se laisser abattre ni désespérer,
mais il doit se soumettre avec calme à la volonté de Dieu et
souffrir pour l'amour de Jésus-Christ tout ce qui lui arrive: car
l'été succède à l'hiver, après la nuit revient le jour, et après la
tempête une grande sérénité.
-
Il n'est pas difficile de mépriser les
consolations humaines quand on jouit des consolations divines.
Mais il est grand et très grand de consentir à être privé tout à la
fois des consolations des hommes et de celles de Dieu, de supporter
volontairement pour sa gloire cet exil du coeur, de ne se rechercher
en rien, et de ne faire aucun retour sur ses propres mérites.
Qu'y a-t'il d'étonnant si vous êtes rempli d'allégresse et de
ferveur lorsque la grâce descend en vous ? C'est pour tous l'heure
désirable.
Il avance aisément et avec joie, celui que la grâce soulève.
Comment sentirait-il son fardeau, quand il est porté par le
Tout-Puissant et conduit par le guide suprême ?
-
Toujours nous cherchons quelque
soulagement, et difficilement l'homme se dépouille de lui-même.
Fidèle à son évêque, le saint martyr Laurent vainquit le siècle
parce qu'il méprisa tout ce que le monde offre de séduisant, et
qu'il souffrit en paix, pour l'amour de Jésus-Christ, d'être séparé
du souverain prêtre de Dieu, de Sixte, qu'il aimait avec une vive
tendresse.
Pour l'amour du Créateur surmontant l'amour de l'homme, aux
consolations humaines il préféra le bon plaisir divin.
Et vous aussi, apprenez donc à quitter, pour l'amour de Dieu, l'ami
le plus cher et le plus intime.
Et ne murmurez point s'il arrive que votre ami vous abandonne,
sachant qu'après tout il faudra bien un jour se séparer tous.
-
Ce n'est pas sans combattre beaucoup
et longtemps en lui-même, que l'homme apprend à se vaincre
pleinement et à reporter en Dieu toutes ses affections.
Lorsqu'il s'appuie sur lui-même, il se laisse aisément aller aux
consolations humaines.
Mais celui qui a vraiment l'amour de Jésus-Christ et le zèle de la
vertu ne cède point à l'attrait des consolations, et ne cherche
point les douceurs sensibles; il désire plutôt de fortes épreuves,
et de souffrir de durs travaux pour Jésus-Christ.
-
Quand donc Dieu vous accorde quelque
consolation spirituelle, recevez-la avec actions de grâces; mais
reconnaissez-y le don de Dieu et non votre propre mérite.
Ne vous en élevez pas, n'en ayez point trop de joie, n'en concevez
pas une vaine présomption. Que cette grâce, au contraire, vous rende
plus humble, plus vigilant, plus timide dans toutes vos actions; car
ce moment passera et sera suivi de la tentation.
Quand la consolation vous est ôtée, ne vous découragez pas aussitôt;
mais attendez avec humilité et avec patience que Dieu vous visite de
nouveau: car il est tout-puissant pour vous consoler encore plus.
Cela n'est ni nouveau ni étrange pour ceux qui ont l'expérience des
voies de Dieu: les grands saints et les anciens prophètes ont
souvent éprouvé ces vicissitudes.
-
Un d'eux, sentant la présence de la
grâce, s'écriait: J'ai dit dans mon abondance: Je ne serai
jamais ébranlé ! Mais la grâce s'étant retirée, il ajoutait:
Vous avez détourné de moi votre face, et j'ai été rempli de
trouble.
Dans ce trouble cependant, il ne désespère point; mais il prie le
Seigneur avec plus d'insistance, disant: Seigneur, je crierai
vers vous, et j'implorerai mon Dieu.
Enfin il recueille le fruit de sa prière et il témoigne qu'il a été
exaucé: Le Seigneur m'a écouté, il a eu pitié de moi, le
Seigneur s'est fait mon appui.
Mais comment ? Vous avez, dit-il, changé mes
gémissements en chants d'allégresse, et vous m'avez environné de
joie.
Or, puisque Dieu en use ainsi avec les plus grands saints, nous ne
devons pas perdre courage, pauvres infirmes que nous sommes, si
quelquefois nous éprouvons de la ferveur et quelquefois du
refroidissement: car l'esprit de Dieu vient et se retire comme il
lui plaît. Ce qui faisait dire au bienheureux Job: Vous
visitez l'homme dès le matin, et aussitôt vous l'éprouvez.
-
En quoi donc espérer, et en quoi
mettre ma confiance, si ce n'est uniquement dans la grande
miséricorde de mon Dieu et dans l'attente de la grâce céleste ?
Car, soit que j'aie près de moi des hommes vertueux, des religieux
fervents, des amis fidèles; soit que je lise de saints livres et
d'éloquents traités, soit que j'entende le doux chant des hymnes,
tout cela aide peu et ne touche guère quand la grâce se retire, et
que je suis délaissé dans ma propre indigence.
Alors il n'est point de meilleur remède qu'une humble patience et
l'abandon de soi-même à la volonté de Dieu.
-
Je n'ai jamais rencontré d'homme si
pieux et si parfait qui n'ait éprouvé quelquefois cette privation de
la grâce et une diminution de ferveur.
Nul saint n'a été ravi si haut ni si rempli de lumière qu'il n'ait
été tenté avant ou après.
Car il n'est pas digne d'être élevé jusqu'à la contemplation de
Dieu, celui qui n'a pas souffert pour Dieu quelque tribulation.
La tentation annonce d'ordinaire la consolation qui doit suivre.
Car la consolation céleste est promise à ceux qu'a éprouvés la
tentation. Celui qui vaincra, dit le Seigneur, je
lui donnerai à manger du fruit de l'arbre de vie.
-
La consolation divine est donnée afin
que l'homme ait plus de force pour soutenir l'adversité.
La tentation vient après, afin qu'il ne s'enorgueillisse pas du
bien.
Car Satan ne dort point, et la chair n'est pas encore morte: c'est
pourquoi ne cessez de vous préparer au combat, parce qu'à droite et
à gauche sont des ennemis qui ne se reposent jamais.
-
Pourquoi cherchez-vous le repos
lorsque vous êtes né pour le travail ?
Disposez-vous à la patience plutôt qu'aux consolations, et à porter
la croix plutôt qu'à goûter la joie.
Quel est l'homme du siècle qui ne reçut volontiers les joies et les
consolations spirituelles, s'il pouvait en jouir toujours ?
Car les consolations spirituelles surpassent toutes les délices du
monde et toutes les voluptés de la chair.
Toutes les délices du monde sont ou honteuses ou vaines; les délices
spirituelles sont seules douces et chastes, nées des vertus et
répandues par Dieu dans les coeurs purs.
Mais nul ne peut jouir toujours à son gré des consolations divines,
parce que la tentation ne cesse jamais longtemps.
-
Une fausse liberté d'esprit et une
grande confiance en soi-même forment un grand obstacle aux visites
d'en-haut.
Dieu accorde à l'homme un grand bien en lui donnant la grâce de la
consolation; mais l'homme fait un grand mal quand il ne remercie pas
Dieu de ce don et ne le lui rapporte pas tout entier.
Si la grâce ne coule point abondamment sur nous, c'est que nous
sommes ingrats envers son auteur, et que nous ne remontons point à
sa source première.
Car la grâce n'est jamais refusée à celui qui la reçoit avec
gratitude, et Dieu ordinairement donne à l'humble ce qu'il ôte au
superbe.
-
Je ne veux point de la consolation qui
m'ôte la componction; je n'aspire point à la contemplation qui
conduit à l'orgueil.
Car tout ce qui est élevé n'est pas saint; tout ce qui est doux
n'est pas bon; tout désir n'est pas pur; tout ce qui est cher à
l'homme n'est pas agréable à Dieu.
J'aime une grâce qui me rend plus humble, plus vigilant, plus prêt à
me renoncer moi-même.
L'homme instruit par le don de la grâce et par sa privation n'osera
s'attribuer aucun bien, mais plutôt il confessera son indigence et
sa nudité.
Donnez à Dieu ce qui est à Dieu; et ce qui est de vous, ne l'imputez
qu'à vous. Rendez gloire à Dieu de ses grâces; et reconnaissez que
n'ayant rien à vous que le péché, rien ne vous est dû que la peine
du péché.
-
Mettez-vous toujours
à la dernière place et la première vous sera donnée;
car ce qui est le plus élevé s'appuie sur ce qui est le plus bas.
Les plus grands saints aux yeux de Dieu sont les plus petits à leurs
propres yeux; et plus leur vocation est sublime, plus ils sont
humbles dans leur coeur.
Pleins de la vérité et de la gloire céleste, ils ne sont pas avides
d'une gloire vaine.
Fondés et affermis en Dieu, ils ne sauraient s'élever en eux-mêmes.
Rapportant à Dieu tout ce qu'ils ont reçu de bien, ils ne
recherchent point la gloire que donnent les hommes et ne veulent que
celle qui vient de Dieu seul; leur unique but, leur unique désir,
est qu'il soit glorifié en lui-même et dans tous les saints,
par-dessus toutes choses.
-
Soyez donc reconnaissants des moindres
grâces et vous mériterez d'en recevoir de plus grandes.
Que le plus léger don, la plus petite faveur aient pour vous autant
de prix que le don le plus excellent et la faveur la plus
singulière.
Si vous considérez la grandeur de celui qui donne, rien de ce qu'il
donne ne vous paraîtra petit ni méprisable; car peut-il être quelque
chose de tel dans ce qui vient d'un Dieu infini ?
Vous envoie-t'il des peines et des châtiments, recevez-les encore
avec joie, car c'est toujours pour notre salut qu'il fait ou qu'il
permet tout ce qui nous arrive.
Voulez-vous conserver la grâce de Dieu, soyez reconnaissant
lorsqu'il vous la donne, patient lorsqu'il vous l'ôte. Priez pour
qu'elle vous soit rendue, et soyez humble et vigilant pour ne pas la
perdre.
-
Il y en a beaucoup qui désirent le
céleste royaume de Jésus, mais peu consentent à porter sa Croix.
Beaucoup souhaitent ses consolations, mais peu aiment ses
souffrances.
Il trouve beaucoup de compagnons de sa table, mais peu de son
abstinence.
Tous veulent partager sa joie; mais peu veulent souffrir quelque
chose pour lui.
Plusieurs suivent Jésus jusqu'à la fraction du pain, mais peu
jusqu'à boire le calice de sa passion.
Plusieurs admirent ses miracles; mais peu goûtent l'ignominie de sa
Croix.
Plusieurs aiment Jésus pendant qu'il ne leur arrive aucune
adversité.
Plusieurs le louent et le bénissent, tandis qu'ils reçoivent ses
consolations.
Mais si Jésus se cache et les délaisse un moment, ils tombent dans
le murmure ou dans un excessif abattement.
-
Mais ceux qui aiment Jésus pour Jésus
et non pour eux-mêmes, le bénissent dans toutes les tribulations et
dans l'angoisse du coeur comme dans les consolations les plus
douces.
Et quand il ne voudrait jamais les consoler, toujours cependant ils
le loueraient, toujours ils lui rendraient grâces.
-
Oh ! que ne peut l'amour de Jésus,
quand il est pur et sans mélange d'amour ni d'intérêt propre !
Ne sont-ce pas des mercenaires ceux qui cherchent toujours des
consolations ?
Ne prouvent-ils pas qu'ils s'aiment eux-mêmes plus que Jésus-Christ,
ceux qui pensent toujours à leurs gains et à leurs avantages ?
Où trouvera-t'on quelqu'un qui veuille servir Dieu pour Dieu seul ?
-
Rarement on rencontre un homme assez
avancé dans les voies spirituelles pour être dépouillé de tout.
Car le véritable pauvre d'esprit, détaché de toute créature, qui le
trouvera ? Il faut le chercher bien loin, et jusqu'aux
extrémités de la terre.
Si l'homme donne tout ce qu'il possède, ce n'est encore rien.
S'il fait une grande pénitence, c'est peu encore.
Et s'il embrasse toutes les sciences, il est encore loin.
Et s'il a une grande vertu et une piété fervente, il lui manque
encore beaucoup, il lui manque une chose souverainement nécessaire.
Qu'est-ce encore ? C'est qu'après avoir tout quitté, il se quitte
aussi lui-même et se dépouille entièrement de l'amour de soi.
C'est enfin qu'après avoir fait tout ce qu'il sait devoir faire, il
pense encore n'avoir rien fait.
-
Qu'il estime peu ce qu'on pourrait
regarder comme quelque chose de grand, et qu'en toute sincérité il
confesse qu'il est un serviteur inutile, selon la parole de la
Vérité: Quand vous aurez fait tout ce qui vous est commandé,
dites: Nous sommes des serviteurs inutiles.
Alors il sera vraiment pauvre et séparé de tout en esprit, et il
pourra dire avec le prophète: Oui, je suis pauvre et seul dans
le monde.
Nul cependant n'est plus riche, plus puissant, plus libre, que celui
qui sait quitter tout et soi-même, et se mettre au dernier rang.
-
Cette parole semble dure à plusieurs:
Renoncez à vous-mêmes, prenez votre Croix, et suivez Jésus.
Mais il sera bien plus dur, au dernier jour, d'entendre cette
parole: Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel !
Ceux qui écoutent maintenant volontiers la parole qui commande de
porter la Croix, et qui y obéissent, ne craindront point alors
d'entendre l'arrêt d'une éternelle condamnation.
Ce signe de la Croix sera dans le Ciel lorsque le Seigneur
viendra pour juger.
Alors tous les disciples de la Croix, qui auront imité pendant leur
vie Jésus crucifié, s'approcheront avec une grande confiance de
Jésus-Christ juge.
-
Pourquoi donc craignez-vous de porter
la Croix, par laquelle on arrive au royaume du ciel ?
Dans la Croix est le salut, dans la Croix la vie, dans la Croix la
protection contre nos ennemis.
C'est de la Croix que découlent les suavités célestes.
Dans la Croix est la force de l'âme; dans la Croix la joie de
l'esprit, la consommation de la vertu, la perfection de la sainteté.
Il n'y a de salut pour l'âme et d'espérance de vie éternelle, que
dans la Croix.
Prenez donc votre Croix et suivez Jésus, et vous parviendrez à
l'éternelle félicité.
Il vous a précédé portant sa Croix et il est mort pour vous sur la
Croix afin que vous aussi vous portiez votre Croix, et que vous
aspiriez à mourir sur la Croix.
Car si vous mourez avec lui, vous vivrez aussi avec lui;
et si vous partagez ses souffrances, vous partagerez sa gloire.
-
Ainsi tout est dans la Croix, et tout
consiste à mourir. Il n'est point d'autre voie qui conduise à la vie
et à la véritable paix du coeur que la voie de la Croix et d'une
mortification continuelle.
Allez où vous voudrez, cherchez tout ce que vous voudrez, vous ne
trouverez pas au-dessus une voie plus élevée, au-dessous une voie
plus sûre que la voie de la sainte Croix.
Disposez de tout selon vos vues, réglez tout selon vos désirs, et
toujours vous trouverez qu'il vous faut souffrir quelque chose, que
vous le vouliez ou non; et ainsi vous trouverez toujours la Croix.
Car, ou vous sentirez de la douleur dans le corps, ou vous
éprouverez de l'amertume dans l'âme.
-
Tantôt vous serez délaissé de Dieu,
tantôt exercé par le prochain, et, ce qui est plus encore, vous
serez souvent à charge à vous-même.
Vous ne trouverez à vos peines aucun remède, aucun soulagement; mais
il vous faudra souffrir aussi longtemps que Dieu le voudra.
Car Dieu veut que vous appreniez à souffrir sans consolations et que
vous vous soumettiez à lui sans réserve, et que vous deveniez plus
humble par la tribulation.
Nul n'a si avant dans son coeur la passion de Jésus-Christ que celui
qui a souffert quelque chose de semblable.
La Croix est donc toujours préparée; elle vous attend partout.
Vous ne pouvez la fuir, quelque part que vous alliez; puisque
partout où vous irez, vous vous porterez et vous trouverez toujours
vous-même.
Elevez-vous, abaissez-vous, sortez de vous-même, rentrez-y; toujours
vous trouverez la Croix; et il faut que partout vous preniez
patience, si vous voulez la paix intérieure et mériter la couronne
immortelle.
-
Si vous portez de bon coeur la Croix,
elle-même vous portera et vous conduira au terme désiré, où vous
cesserez de souffrir; mais ce ne sera pas en ce monde.
Si vous la portez à regret, vous en augmentez le poids, vous rendez
votre fardeau plus dur, et cependant il vous faut la porter.
Si vous rejetez une Croix, vous en trouverez certainement une autre,
et peut-être plus pesante.
-
Croyez-vous échapper à ce que nul
homme n'a pu éviter ? Quel saint a été dans ce monde sans croix et
sans tribulation ?
Jésus-Christ lui-même, Notre-Seigneur, n'a pas été une seule heure
dans toute sa vie sans éprouver quelque souffrance: Il fallait,
dit-il, que le Christ souffrît, et qu'il ressuscitât d'entre
les morts, et qu'il entrât ainsi dans sa gloire.
Comment donc cherchez-vous une autre voie que la voie royale de la
sainte Croix ?
-
Toute la vie de Jésus-Christ n'a été
qu'une croix et un long martyre, et vous cherchez le repos et la
joie !
Vous vous trompez, n'en doutez pas; vous vous trompez lamentablement
si vous cherchez autre chose que les afflictions à souffrir; car
toute cette vie mortelle est pleine de misères et environnée de
croix.
Et plus un homme aura fait de progrès dans les voies spirituelles,
plus ses croix souvent seront pesantes, parce que l'amour lui rend
son exil plus douloureux.
-
Cependant celui que Dieu éprouve par
tant de peines n'est pas sans consolations qui les adoucissent,
parce qu'il sent s'accroître les fruits de sa patience à porter sa
Croix.
Car, lorsqu'il s'incline volontairement sous elle, l'affliction qui
l'accablait se change toute entière en une douce confiance qui le
console.
Et plus la chair est affligée, brisée, plus l'esprit est fortifié
intérieurement par la grâce.
Quelquefois même le désir de souffrir pour être conforme à Jésus
crucifié lui inspire tant de force, qu'il ne voudrait pas être
exempt de tribulations et de douleur, parce qu'il se croit d'autant
plus agréable à Dieu, qu'il souffre pour lui davantage.
Ce n'est point là la vertu de l'homme, mais la grâce de
Jésus-Christ, qui opère puissamment dans une chair infirme, que tout
ce qu'elle abhorre et fuit naturellement, elle l'embrasse et l'aime
par la ferveur de l'esprit.
-
Il n'est pas selon l'homme de porter
la Croix, d'aimer la Croix, de châtier le corps, de le réduire en
servitude, de fuir les honneurs, de souffrir volontiers les
outrages, de se mépriser soi-même et de souhaiter d'être méprisé, de
supporter les afflictions et les pertes, et de ne désirer aucune
prospérité dans ce monde.
Si vous ne regardez que vous, vous ne pouvez rien de tout cela.
Mais si vous vous confiez dans le Seigneur, la force vous sera
donnée d'en haut et vous aurez pouvoir sur la chair et le monde.
Vous ne craindrez pas même le démon, votre ennemi, si vous êtes armé
de la foi et marqué de la Croix de Jésus-Christ.
-
Disposez-vous donc, comme un bon et
fidèle serviteur de Jésus-Christ, à porter courageusement la Croix
de votre Maître, crucifié par amour pour vous.
Préparez-vous à souffrir mille adversités, mille traverses dans
cette misérable vie; car voilà partout ce qui vous attend, ce que
vous trouverez partout, en quelque lieu que vous vous cachiez.
Il faut qu'il en soit ainsi, et à cette foule de maux et de douleurs
il n'y a d'autre remède que de vous supporter vous-même.
Buvez avec joie le calice du Sauveur, si son amour vous est cher et
si vous désirez avoir part à sa gloire.
Laissez Dieu disposer de ses consolations; qu'il les répande comme
il lui plaira.
Pour vous, choisissez les souffrances et regardez-les comme des
consolations d'un grand prix, car toutes les souffrances du
temps n'ont aucune proportion avec la gloire future, et ne sauraient
vous la mériter, quand seul vous les supporteriez toutes.
-
Lorsque vous en serez venu à trouver
la souffrance douce et à l'aimer pour Jésus-Christ, alors
estimez-vous heureux, parce que vous avez trouvé le paradis sur la
terre.
Mais, tandis que la souffrance vous sera amère et que vous la
fuirez, vous vivrez dans le trouble, et la tribulation que vous
fuirez vous suivra partout.
-
Si vous vous appliquez à être ce que
vous devez être, à souffrir et à mourir, bientôt vos peines
s'évanouiront et vous aurez la paix.
Quand vous auriez été ravi, avec Paul, jusqu'au troisième ciel, vous
ne seriez pas pour cela assuré de ne rien souffrir. Je lui
montrerai, dit Jésus, combien il faut qu'il souffre
pour mon nom.
Il ne vous reste donc qu'à souffrir, si vous voulez aimer Jésus et
le servir constamment.
-
Plût à Dieu que vous fussiez digne de
souffrir quelque chose pour le nom de Jésus ! Quelle gloire vous
serait réservée ! Quelle joie parmi tous les saints ! Quelle
édification pour le prochain !
Car tous recommandent la patience, quoique peu cependant veuillent
souffrir.
Avec quelle joie vous devriez souffrir quelque chose pour Jésus,
lorsque tant d'autres souffrent beaucoup plus pour le monde !
-
Sachez et croyez fermement que votre
vie doit être une mort continuelle, et que plus on meurt à soi-même,
plus on commence à vivre pour Dieu.
Nul n'est propre à comprendre les choses du ciel, s'il ne se soumet
à supporter les adversités pour Jésus-Christ.
Rien n'est plus agréable à Dieu, rien ne vous est plus salutaire en
ce monde, que de souffrir avec joie pour Jésus-Christ; et si vous
aviez à choisir, vous devriez plutôt souhaiter d'être affligé pour
lui que d'être comblé de consolations, parce que vous seriez alors
plus semblable à Jésus-Christ et plus conforme à tous les saints.
Car notre mérite et notre progrès dans la perfection ne consistent
point dans la douceur et l'abondance des consolations, mais plutôt
dans la force de supporter de grandes tribulations et de pesantes
épreuves.
-
S'il y avait eu pour l'homme quelque
chose de meilleur et de plus utile que de souffrir, Jésus-Christ
nous l'aurait appris par ses paroles et par son exemple.
Or, manifestement, il exhorte à porter sa Croix, et les disciples
qui le suivaient, et tous ceux qui voudraient le suivre, disant:
Si quelqu'un veut marcher sur mes pas, qu'il renonce à
soi-même, qu'il porte sa Croix, et qu'il me suive.
Après donc avoir tout lu, tout examiné, concluons enfin qu'il
nous faut passer par beaucoup de tribulations pour entrer dans le
royaume de Dieu.
È |