Amour et
souffrance
« Oui, je désire que
vous sachiez quelle dure bataille je dois livrer pour vous ».
La souffrance est une
“constante” dans la vie des saints.
Seraient-ils tous
masochistes au point d’aimer se faire mal et de souhaiter les pires
souffrances pour arriver à leur fin : le Paradis ?
Penser cela serait une
erreur monumentale : les saints aiment la souffrance tout simplement
par amour : de Dieu d’abord, et pour le salut de leurs frères
ensuite. Ils « complètent en leur chair ce qui manque aux
épreuves du Christ » ,
comme nous l’enseigne saint Paul.
Parmi ces saints et
bienheureux qui ont librement accepté ces douloureuses épreuves,
Alexandrina de Balasar occupe une place de choix : non seulement
elle a enduré les affres de la passion chaque vendredi, mais en plus
de cela elle accepta encore d’autres souffrances pour le salut de
ses frères.
L’obéissance était
aussi l’un de ses “points forts” : elle n’acceptait jamais une
mission sans d’abord consulter son Directeur spirituel, car Jésus
lui-même lui avait dit un jour : « obéis-lui en tout ».
C’est pourquoi, quand
le Seigneur l’a invitée à devenir victime, en lui posant cette
question : « Veux-tu me donner ton corps pour que je le
crucifie ? », et après avoir rajouté ce que l’acceptation
entraînerait : « Mais j’exige de toi de nombreuses et grandes
souffrances », Alexandrina jugea bon de demander conseil à son
Père spirituel :
« Que dois-je faire?
Souffrir pour l’amour de mon bien-aimé Jésus » .
La réponse suis la
question : “Souffrir pour l’amour de mon bien-aimé Jésus”.
Mais, pourquoi faut-il
que les âmes saintes souffrent ? Pourquoi Dieu a besoin de leur
envoyer des épreuves, souvent ou presque toujours très
douloureuses ? Le sacrifice suprême du Christ n’a-t-il pas été
suffisant pour le salut du monde entier ?
Il y a lieu ici de
raconter une petite histoire qui servira à mieux comprendre cette
« situation » des âmes-victimes :
Un jour, lors d’un
entretien entre Jésus et sainte Thérèse d’Avila, Jésus lui dit : « C’est
ainsi que je traite les âmes qui me sont chères… » Et la Sainte
carmélite de rétorquer, avec un certain humour : « Il n’est donc
pas étonnant que Vous en ayez si peu ! »
Il faut savoir que le
Seigneur n’impose jamais à quelqu’un de souffrir : Il laisse le
libre choix à celui à qui la proposition est faite. Celui-ci accepte
ou non et, sa liberté est respectée. Il faut savoir que certaines
âmes, par peur ou par crainte, n’ont pas accepté les propositions
divines qui sont pourtant nécessaires pour le salut d’un grand
nombre. Elles non pas pour autant été bannies : Dieu continua de les
aimer et de les entourer de toutes les grâces dont elles avaient
besoin pour leur propre salut. Souvenons-nous du jeune homme riche
dont parle l’Évangile…
Dieu n’a pas besoin de
la souffrance humaine, mais Il veut avoir besoin des âmes-victimes,
car elles sont des paratonnerres pour leurs frères.
Le sacrifice du
Christ fut largement suffisant pour obtenir le salut du genre
humain. Souvenons-nous de « la nuit du grand miracle » :
Après avoir institué le sacrement de l’Amour, Jésus
« prit avec
lui Pierre, Jacques et Jean, et il commença à ressentir effroi et
angoisse. Et il leur dit : “Mon âme est triste à en mourir ;
demeurez ici et veillez” » .
Jésus, dans sa
détresse, a voulu la compagnie de ces trois disciples, afin qu’ils
partagent, en quelque sorte, cette souffrance qui allait s’abattre
sur Lui. Ce n’était pas, bien entendu, une petite souffrance, mais
la souffrance causée par tous les péchés du passé, du présent et de
l’avenir — les nôtres, soit dit en passant.
Il a voulu qu’ils
partagent, non pas ce poids immense qui écrasait déjà son « âme
triste à en mourir », mais la vue même des effets que cause le
péché sur la divine Face. Il ne les a pas obligé, Il les a
simplement invités, les laissant libres de choisir : la preuve en
est qu’ils s’endormirent bientôt, comme si de rien était.
Jésus n’avait pas
besoin de leur aide, car Lui seul pouvait et devait porter le lourd
fardeau de nos fautes, mais Il souhaita la présence de quelques-uns
de ses fidèles amis, non pas pour qu’ils portent bientôt la croix
avec Lui, mais pour qu’ils reçoivent de Lui le premier fruit de ses
souffrances, devenu amour infini.
De la même manière, en
effet, qu’il n’y a pas d’amour sans souffrance, il n’y a pas non
plus de souffrance sans amour, car l’amour et la souffrance sont
inséparables.
« Veillez et priez
pour ne pas entrer en tentation : l'esprit est ardent, mais la chair
est faible » .
Malgré ce conseil, les
disciples s’endormirent, car même si « l'esprit est ardent, la
chair est faible », faible au point d’abandonner l’Ami qui
souffre et qui se débat dans cette confrontation gigantesque qui
oppose le Bien suprême à toute la malice humaine de tous les temps,
car, comme le dit si bien saint Paul, les hommes « ont perdu le
sens dans leurs raisonnements et leur cœur inintelligent s'est
enténébré : dans leur prétention à la sagesse, ils sont devenus fous » .
C’est pourquoi — c’est
encore saint Paul qui prévient — « la colère de Dieu se révèle du
haut du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes » .
Notre monde vit “sur la
tête” : la foi a presque disparu sur la surface de la terre ; les
hommes ne prient guère car ils ne croient plus en Dieu ; leurs cœurs
se sont endurcis et le mal est devenu planétaire. Mais, l’espoir
d’un retour à Dieu est aussi une évidence pour chaque croyant, car
« là où le mal abonde, la grâce surabonde ». Gardons-nous
donc des pessimismes alarmistes et mettons notre confiance en Dieu,
Seigneur et Maître de tout.
La souffrance et
l’amour sont donc inséparables, car une ne va pas sans l’autre.
Souffrir pour celui ou celle que l’on aime est une preuve d’amour,
de même qu’aimer est accepter les conséquences de l’amour, et l’une
de ces conséquences est justement la souffrance. Si l’on refuse de
souffrir pour l’être que l’on dit aimer, c’est que notre amour est
fade, passager et menteur. Dans un couple, ce refus conduit
généralement à la rupture, au divorce.
Dans les écrits de la
bienheureuse Alexandrina, les allusions à la souffrance sont
fréquentes. Même si elle se plaint quelquefois, ce qui est tout à
fait humain, elle ajoute toujours cette phrase : « mais que seule
la volonté de mon bien-aimé Jésus soit faite ». Elle avait
accepté, elle s’était offerte, tout en sachant à quoi elle
s’exposait et, elle l’a fait par amour, un amour sincère et
profondément encré dans sa foi inébranlable.
« Béni soit le Seigneur
qui m’a appelée en ce monde pour souffrir et pour supporter tant de
chagrins ! Et moi, j’ai rajouté à cela tant de péchés ! Ce sont
ceux-ci qui m’attristent particulièrement, parce qu’ils causent tant
de chagrin à Notre-Seigneur. Tous les jours je demande des
souffrances ; et, pendant les heures où je souffre je ressens
beaucoup de consolations, car j’ai davantage à offrir à mon Jésus ».
Un exemple de ce que
nous disions plus haut et qui se trouve dans la même lettre :
« Il y a, toutefois,
des choses qui me coûtent beaucoup, mais que seule la volonté de
Dieu soit faite, et non pas la mienne… »
Un autre exemple
d’acceptation, emprunt d’un certain humour :
« J’ai reçu de Jésus un
beau présent pour Pâques : en plus des souffrances physiques, j’ai
beaucoup souffert spirituellement ».
Mais Alexandrina n’a
pas été la seule à s’exprimer de la sorte ; avant elle, saint Paul
en disait autant :
« En ce moment je
trouve ma joie dans les souffrances que j'endure pour vous ».
Le désir de réparation
est une constante chez Alexandrina : elle ne veut pas que le
Seigneur soit offensé, mais les hommes le maltraitent par leur
indifférence, par leurs mœurs dépravés : ils pèchent allègrement
sans le moindre remords, comme si Dieu n’existait pas. Que faire
alors ?
« J’ai répété à Jésus :
envoyez-moi, mon Jésus, ce que vous voudrez, afin que je puisse
réparer les offenses que vous recevez ».
« Quelle ingrate je
ferais, si je refusais de donner mon corps, qui ne vaut rien, à
Celui qui, à cause de moi, a tant souffert!... A Celui qui désire se
procurer beaucoup de victimes d’amour pour sauver les âmes ! »
Même à ses amis, elle
leur conseille d’embrasser résolument la Croix :
« Toutes deux, nous
recevons du Seigneur la croix bénie de chaque jour. Celle-ci, portée
avec amour et résignation, est un moyen efficace pour nous élever de
plus en plus dans l’amour de Jésus; pour nous sanctifier et pour
aider, par nos souffrances, les âmes qui, sourdes à la voix de Jésus
et aveuglées devant sa lumière, s’abandonnent aux plaisirs du monde
sans jamais penser à leur salut».
Si cela n’est pas de
l’amour, nous n’y comprenons plus rien.
Alexandrina,
comme saint Paul, pouvait dire aussi :
« Et c'est bien
pour cette cause que je me fatigue à lutter, avec son énergie qui
agit en moi avec puissance ».
Car elle sait que d’elle-même elle ne peut rien ; elle connaît son
néant.
« En ce qui me
concerne, j’avoue me considérer indigne d’un aussi heureux
sort !... »
Un peu plus loin, dans
la même lettre adressée à la maîtresse de l’école de Balasar elle
dit :
« Depuis seize
années, la maladie, jour après jour, s’est propagée dans tout mon
corps... et depuis dix années je suis prisonnière dans mon lit sans
pouvoir me lever...
Combien j’ai été
favorisée par le Seigneur! Combien suave est le joug sous lequel il
me tient !
Je reçois ceci comme
une preuve d’amour de la part de Jésus pour mon âme.
Que soit béni Celui qui
n’a pas dédaigné mon indignité! »
Si elle n’avait pas été
certaine de son néant, voici un message qui le lui aurait rappelé :
« Jésus m’a dit de ne
rien m’attribuer de tout cela, car — me dit-il — je ne suis que
poussière et que je ne possède rien que je ne l’ai reçu de Lui ».
Alexandrina sait ce que
c’est que la “Communion des saints”. Elle sait pertinemment que ses
prières et ses souffrances, physiques ou morales sont d’une grande
utilité pour la conversion des “pauvres pécheurs” et le salut de
leurs âmes ; elle sait également que les prières de ses frères pour
elle, sont un lénitif important pour l’aider à mener sa croix sur
son chemin de calvaire.
« Je ne sais pas si
c’est grâce aux prières que vous faites pour moi, que je me sens à
chaque heure qui passe davantage forte dans mes souffrances ; mais
je me sens le courage de souffrir de plus en plus, et j’espère que
Notre Seigneur, petit à petit, augmentera ma douleur jusqu’à ce que
je meure embrasée par son divin Amour, clouée sur la Croix avec
lui ».
Nous pourrions
multiplier les citations tirées de ses “Lettres” ou de son “Journal
spirituel”. Mais, est-il vraiment nécessaire de le faire ?
Alexandrina aimait
éperdument le Seigneur, aimait tendrement ses frères, même ceux qui
la blessait et, son désir le plus ardent — elle l’a exprimé à
plusieurs reprises — était vraiment que le Seigneur « augmente
ma douleur jusqu’à ce que je meure embrasée par son divin Amour,
clouée sur la Croix avec lui ». Et, Jésus l’a écoutée : elle est
morte en louant le Seigneur et le crucifix sur ses lèvres.
« Vous vous êtes
dépouillés du vieil homme avec ses agissements, et vous avez revêtu
le nouveau, celui qui s'achemine vers la vraie connaissance en se
renouvelant à l'image de son Créateur ».
Alphonse Rocha
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