Présentation
Premières années
Scolarité à Póvoa
Retour au village natal
Grave maladie
Un saut
Offrande
Hymne aux Tabernacles
Première messe
Mois de mai
Mort apparente
Examen du Saint-Siège
Première crucifixion
2e Examen du Saint-Siège
Lettre à Notre-Dame
Mon testament
40 jours enfermée
Appendice |
Alexandrina Maria da
Costa
laïque,
bienheureuse
(1904-1955)
Autobiographie
Une fois, dans un article
du Bulletin des Grâces, le Père Umberto Pasquale cita l’un de ses amis,
le Père Edgardo Pavanetti, qui disait :
« Depuis longtemps
j’apprécie la vie et la spiritualité d’Alexandrina : vous pouvez donc
imaginer combien m’est agréable la lecture du dernier livre que j’ai
reçu il y a peu de temps. Je me suis aussi réjoui du titre “ Cristo Gesú
in Alexandrina”. Tout ce que vous faites pour Alexandrina, vous le
faites pour l’Église : l’avenir d’Alexandrina dans la régénération
intérieure de l’Église sera très grand et incisif. L’Église, après ces
folies matérialistes, doit revenir à la “Mystique”, qui est sa vraie
vie. Et Alexandrina aura son mot à dire, un mot très fort et
universel. »
Nous tendons à croire que
cet avis est pleinement justifié, parce que Alexandrina est une figure
exceptionnelle. Voyons le portrait qui en a fait le Père Umberto :
« Ayant été fréquemment
interrogé sur Alexandrina, j’ai pour habitude de dire :
“Au cours de ma déjà longue
vie sacerdotale, je me suis approché de beaucoup de personnes, de toutes
catégories, mais je n’ai jamais rencontré aucune (y compris des prêtres
et religieux) aussi humaine et spirituellement parfaite sous tous les
aspects. Comme Alexandrina, non jamais !
Me souvenant des contacts
que j’ai eus avec cette âme d’exception, à la lumière des connaissances
ascétiques que les lectures de ma vie sacerdotale me fournirent
quotidiennement, je ne parviens pas à découvrir en elle la moindre tache
d’imperfection. Bien au contraire, j’y découvre à chaque fois davantage
de beauté, la luminosité et l’héroïsme de la vertu d’Alexandrina. Je me
sens, chaque fois davantage poussé à admirer en cette âme, la
merveilleuse action de la grâce de Dieu.
Si je devais pointer la
vertu où elle s’est plus fortement distinguée, je ne saurais pas le
faire, parce qu’il n’y eu pas l’une de ces vertus qui ait brillé en elle
plus qu’une autre : elle fut excellente en toutes, dans une harmonie
parfaite. Même en celles qu’extérieurement ont été les plus éprouvées :
par exemple l’obéissance à l’Autorité ecclésiastique et à ses
directeurs ; la patience mise à rude épreuve que ce soit à cause de la
maladie ou à causes du nombre de personnes qui venaient la visiter
inopportunément ; la charité envers le prochain, en particulier envers
ceux qui lui causaient de très graves chagrins.
Sa personnalité vraiment
géante était soutenue par un esprit de sincère et évidente humilité qui
coulissait de ses lèvres et encore davantage de ses attitudes
intérieures, comme il est facile de s’en rendre compte à la lecture
attentive de ses journaux spirituels : détachement de sa propre volonté,
toujours désireuse de rechercher et d’accomplir la volonté de Dieu au
prix du renoncement total à ses propres désirs et goûts personnels.
C’était vraiment une
créature consacrée d’une manière totale à son Dieu, en esprit
d’immolation, pour réparer les offenses qui Lui sont continuellement
dirigées, et pour Lui sauver des âmes, toutes les âmes. Une telle
consécration ne s’explique sans un degré éminent d’amour de Dieu : amour
insatiable, ardent, asservissant. Je ne saurais mieux définir cet amour
qu’en lui appliquant l’adjectif “séraphique”, dans le sens le plus
complet du mot.
Je ne trouve pas de
parallèle à cet amour sinon dans la vie des grands passionnés de Dieu,
reconnus par l’Autorité de l’Église.
Plus encore que les faits,
qui pourraient impressionner, ce furent ces vertus solides et
exceptionnelles qui m’ont lié à Alexandrina : ce fut de celles-ci que je
me suis occupé et préoccupé, prenant, quand il le fallut, sa défense au
prix de bien d’amertumes.
Ce fut la même raison qui
m’amena à exiger d’elle la dictée de ses “Sentiments de l‘âme”, sans
lesquels auraient été ignorées ses richesses spirituelles dans ses
aspects les plus intimes et pourtant les plus précieux.
Turin (Italie), le 2
juillet 1965.
In fide (en foi de
quoi).
Père.
Humberto M. Pasquale»
***
A leur manière, les paroles
de Jésus, lors du dernier jour où Alexandrina put dicter les “Sentiments
de l’âme” (02/09/1955), confirment tout ce que vient de dire le Père
Umberto. Lisons :
Dans une angoisse
lancinante (moi, Alexandrina) j’ai répété mes actes de foi :
« Je crois, Jésus, je crois
que ce fut pour moi votre naissance, votre mort et votre calvaire.
Je crois, Jésus, je
crois ! »
Mes abîmes sont si noirs et
si profonds que seul un Dieu pouvait les pénétrer.
C’est ce que Jésus a fait.
Il est descendu dans mes
profondeurs et ramena à la superficie et illumina mon pauvre être avec
les faisceaux de sa lumière :
“Viens ici, ma fille,
lumière et phare du monde !
Tu es ténèbre
inégalable, tu es lumière qui brille, phare qui illumine tout.
La ténèbre c’est pour
toi, la lumière pour les âmes.
Viens ici, lumière de
qui Je suis la lumière, phare de qui Je suis le phare !
Ne puis-Je pas te faire
briller de mon éclat ?
Ne puis-Je pas faire que
tu sois un phare comme Je suis un phare ?
Le Père Umberto, ou ses
amis Salésiens, ont ouvert l’Autobiographie de la bienheureuse
Alexandrina avec cette observation :
L’Autobiographie,
rédigée sous l’ordre du Père Mariano Pinho, SJ, a été dictée par
Alexandrina, petit à petit, à Maria da Conceição Leite Reis Proença,
institutrice à Balasar. En appendice sont consignés d’autres notes des
Pères Umberto Pasquale et Ismael de Matos, salésiens, suite à des
conversations qu’ils ont eues avec Alexandrina.
Ce livre est donc la
première œuvre dictée par l’auteur. Et ce n’est pas n’importe quelle
œuvre, c’est plutôt le vestibule qui donne accès aux suivantes. Il y a
en elle des pages notables, qui nous introduisent au cœur même des
expériences mystiques vécues par Alexandrina. En effet, lorsqu’elle la
dictée, c’était le début des années quarante, quand eut lieu la
consécration du monde au Cœur Immaculé de Marie, quand le Père Terças
fit sa publication, quand le Père Mariano Pinho dût abandonner sa
direction spirituelle, quand, laissant de vivre de façon visible le
phénomène de la Passion, elle le vivait déjà et uniquement dans
l’intimité de son âme, etc. En un mot, elle avait déjà parcouru une
grande partie de son cheminement mystique.
Il est à remarquer que
l’auteur ne mentionne pas beaucoup de choses que se sont passées avec
elle. L’exemple le plus significatif est celui de taire son rôle dans la
consécration du monde au Cœur Immaculé de Marie.
Souhaitons que les amis et
les admirateurs d’Alexandrina puissent, avec cette copie digitalisée et
illustrée de l’Autobiographie, rendre encore plus ferme [et
communicative] la dévotion qu’ils ont déjà envers elle.
José Ferreira

Après quelques moments de
prière, implorant le secours du ciel et la lumière de l’Esprit Saint,
afin de pouvoir faire ce que mon directeur spirituel m’a ordonné, je
commence à écrire ma vie, telle que Notre Seigneur me la rappellera,
bien que cela soit pour moi bien pénible.
Naissance et baptême
Je m’appelle Alexandrina
Maria da Costa. Je suis née à Balasar — arrondissement de Póvoa de
Varzim, district de Porto — le mercredi saint 30 mars 1904. J’ai été
baptisée le samedi saint suivant, 2 avril. Mon oncle Joaquim da Costa et
une dame prénommée Alexandrina, de Gondifelos,
ont été mes parrain et marraine.
Je trouve en moi, depuis ma
plus tendre enfance, tant de défauts, tant et tant de méchancetés qui,
comme celles d’aujourd’hui, me font trembler. J’aurais bien aimé que,
depuis le début, ma vie ait été pleine de beauté et d’amour envers Notre
Seigneur.
Avant l’âge de trois ans,
je ne me souviens de rien, si ce n’est que quelques bribes racontées par
les miens. À l’âge de trois ans, j’ai eu la première “caresse”
de Jésus.
Je devais rester tranquille
auprès de ma mère qui se reposait, mais, bouillonnante comme j’étais, je
ne voulais pas dormir, alors je me suis levée. Ensuite je me suis
penchée vers un flacon de produit pour les cheveux, comme on utilisait
alors: je voulais imiter les grands. À ce moment-là, ma mère s’est
réveillée et m’ayant appelée angoissée, j’ai pris peur. Le flacon m’est
tombé des mains et s’est fracassé par terre en mil morceaux; et moi, je
suis tombée par-dessus, me blessant gravement au visage.
Immédiatement transportée chez le médecin, celui-ci a déclaré ne rien
pouvoir faire pour moi. Ma mère m’a conduite alors à Viatodos,
chez un pharmacien fameux qui m’a posé trois points de suture. J’ai
beaucoup souffert: si seulement j’avais su à ce moment-là profiter de la
douleur ! Mais non ! Au contraire, j’ai même été méchante envers le
pharmacien, refusant les biscuits trempés dans le vin qu’il m’offrait
pour me calmer. Voila mon premier acte de méchanceté.
Vers quatre ans, j’aimais
m’attarder à contempler la voûte du ciel. Plus d’une fois j’ai demandé
aux miens s’il n’était pas possible, en empilant les maisons et les
auberges, les unes sur les autres d’arriver au ciel. À leur réponse
négative, j’éprouvais une grande tristesse et une grande nostalgie. Je
ne sais pas ce qui m’attirait là-haut.
À cette même époque, l’une
de mes tantes qui est décédée par suite d’un cancer, habitait avec nous.
Déjà malade, elle me demandait de surveiller son enfant, premier fruit
de son mariage. Volontiers, je lui rendais ce service, de jour comme de
nuit.
Déjà à cet âge j’aimais
beaucoup la prière, car je me rappelle que ma tante me demandait de
prier avec elle pour obtenir de Dieu sa guérison.
Développement de mon
instruction religieuse.
Le catéchisme.
Lorsque, âgée de cinq ans,
j’ai commencé à fréquenter le catéchisme, un grand défaut est apparu :
mon entêtement. Un jour je suis allée au catéchisme et le coadjuteur de
monsieur l’Abbé, le Père António Matias m’a assigné une place parmi les
enfants de mon âge, mais moi, je voulais aller parmi les plus grands,
avec lesquels j’avais l’habitude de jouer. Malgré l’insistance et les
promesses du Révérend, je n’ai pas cédé. Quelques jours plus tard, le
Père finit par me convaincre et est devenu mon ami ; il m’abritait même
de la pluie, de chez moi à l’église et de l’église à chez moi. Mais ce
qui est certain c’est que j’était très têtue..
À l’église, je restais
volontiers à regarder les statues. Elles m’attiraient; tout
particulièrement celles de Notre-Dame du Rosaire et de saint Joseph.
Leur habillement somptueux éveillait en moi le désir d’être élégante
comme eux, pour paraître bien. N’était-ce pas là une preuve de ma
vanité ? Je voulais avoir, moi aussi, d’aussi beaux habits, pour
paraître belle.
En même temps que ces
défauts, j’exprimais, vers ce même âge, mon amour envers la Maman du
ciel: je chantais avec enthousiasme ses louanges et j’apportais des
fleurs aux dames qui avaient la charge de fleurir son autel.
Vivacité de caractère
J’étais tellement vive,
qu’on m’appelait « Marie-garçon ». Je dominais non seulement les
filles de mon âge, mais aussi les plus âgées. Je grimpais aux arbres et
je marchais de préférence sur les murs que sur la route
.
J’aimais bien travailler:
je faisais le ménage, je ramassais le bois et je faisais d’autres
travaux domestiques ; j’aimais bien que le travail soit bien fait et
j’aimais aussi être habillée proprement.
Un jour, alors que j’étais
dans un pâturage, avec ma sœur Deolinda
et une cousine, un âne s’est sauvé dans un champ cultivé. J’ai couru le
chercher, mais, avec un coup de tête, il m’a jetée par terre, et avec sa
pâte il a commencé à me gratter la poitrine, comme s’il voulait jouer.
Il a répété son jeu plusieurs fois, mais ne m’a fait aucun mal.
Mes compagnes se sont mises
à crier : très vite plusieurs personnes sont accourues et sont restées
étonnées de me voir saine et sauve.
Quand je rencontrais
certaines de mes cousines qui habitaient loin de là, je chantais avec
elles, sur les chemins, l’Avé Maria. J’aimais aussi chanter des chants
populaires et, je me souviens encore du premier que j’ai chanté et qui
disait ceci :
O Marie, donne-moi du feu
Car je le vois d’ici briller
Laisse échapper ton amour
Je l’ai vu en toi rentrer.
Une autre fois, avec ma
sœur Deolinda, nous sommes allée rendre visite à ma marraine. Pour
arriver plus vite, nous avons décidé de traverser la rivière Este, en
sautant sur les pierres qu’y avaient été mises à cet effet. Mais la
force du courent était telle, que les pierres ont roulé sous nos pieds.
Tombées à l’eau, nous ne nous sommes sauvées que par miracle.
J’aimais beaucoup visiter
ma marraine, parce que, à chaque fois, elle me donnait de l’argent.
Peu après elle est décédée et ce fut là mon premier chagrin. Je la
regrettais, mais je regrettais aussi le gâteau de Pâque et les habits
qu’elle m’avait promis pour mes sept ans. Ma grand-mère la suppléa et
chaque année m’offrait un gâteau à Paque.
Agée de six ans, il
m’arrivait de rester, la nuit, de longs moments, à voir tomber sur moi
des milliers de pétales des fleurs multi couleurs : ont dirait une pluie
fine. Ceci se répéta plusieurs fois. Je voyais tomber ces pétales, mais
je ne comprenais pas ; peut-être étai-ce Jésus qui m’invitait à
contempler ses grandeurs.
En janvier 1911, avec ma
sœur, nous avons été envoyées à Póvoa de Varzim,
afin de pouvoir fréquenter l’école
.
La pensée de ce que cela m’a coûté de quitter ma famille me répugne.
Pendant longtemps, j’ai beaucoup pleuré. Pour me distraire, on me
comblait de caresses et on cédait à tous mes caprices. Après un certain
temps, je me suis résignée.
J’ai, toutefois, continué à
être gamine : je m’agrippais derrière les tramways, pour de longs
parcours; je traversais la route au moment où ceux-ci démarraient : les
conducteurs ont été obligés de se plaindre à ma nourrice. Souvent je
m’enfuyais de la maison pour aller sur la plage ramasser les algues: je
pénétrais dans l’eau comme les pêcheurs. Ce qui affligeait le plus ma
nourrice, c’était que je m’absentais en cachette.
Première visite de Jésus en mon
âme
À Póvoa de Varzim j’ai fait
ma première communion. Le Père Alvaro Matos m’a examinée sur le
catéchisme, m’a confessée et m’a donné la Communion pour la première
fois. J’avais alors 7 ans. Comme prix j’ai reçu un beau chapelet et une
image pieuse. J’ai communié à genoux et, malgré ma petite taille, j’ai
pu fixer la sainte Hostie, de telle manière qu’elle s’est imprimée en
mon âme. J’ai cru alors m’unir à Jésus pour ne plus être séparée de Lui.
Il a pris possession de mon cœur, ce me semble. La joie que je
ressentais était inexprimable. À tous j’annonçais la bonne nouvelle. Ma
maîtresse, désormais, me menait chaque jour à la communion.
Le sacrement de Confirmation
Ce fut à Vila do Conde,
que j’ai reçu, des mains de Son Excellence l’Évêque de Porto,
le sacrement de Confirmation. Je me souviens, très bien, de cette
cérémonie et de la joie qu’elle m’a procurée. Au moment où je recevais
ce sacrement, je ne sais pas bien expliquer ce que j’ai ressenti: on
dirait une grâce surnaturelle qui me transformait et qui m’unissait plus
profondément à Notre-Seigneur. Je voudrais bien expliquer tout cela,
mais je ne le sais pas.
Amour pour la prière
Au four et à mesure que je
grandissais, le désir de prier augmentait en moi. Je voulais tout
apprendre. Encore aujourd’hui je garde le livret de prières et de
dévotions de mon enfance: prières à la Sainte Vierge, offrande
quotidienne au Seigneur de mes actes journaliers, prière à l’Ange
gardien, à saint Joseph, et plusieurs prières jaculatoires.
Quand je sortais en
promenade avec ma nourrice et avec d’autres enfants, je m’éloignais pour
cueillir des fleurs que j’allais ensuite déposer dans la chapelle de
Notre-Dame des Douleurs. Au mois de mai, je me réjouissais à contempler
les autels de la Vierge, ornés de fleurs et heureuse aussi, quand ma
mère m’y conduisait dans ce but.
Le chapelain de l’église de
Notre-Dame des Douleurs organisait des comités de filles qui quêtaient
afin de trouver des moyens pour l’entretien de cette chapelle dédié à
Marie. Ces comités allaient jusque dans les paroisses voisines de Póvoa
de Varzim
.
Un jour je suis allée à Aguçadoura ; nous acceptions tout ce l’on nous
donnait : pommes de terre, oignons, etc. Plus nous demandions, moins on
nous donnait. Nous avons eu alors la malheureuse idée d’entrer dans un
champ de pommes de terre: nous y avons cueilli presque deux kilos. Et,
j’étais parmi celles qui ont commis ce méfait, pendant que d’autres
guettaient.
Vénération envers la nourrice
Je me rappelle avoir
accompagné ma nourrice à Laundos pour y accomplir un vœu fait à Notre
Dame du Salut. L’une de ses filles nous accompagnait, ainsi que ma sœur.
Celle-ci l’aidait, la prenant par la main ― car elle se déplaçait à
genoux ―, alors que moi, devant elle, j’écartais tous les petits
cailloux qui se trouvaient sur son passage. Sa fille qui était plus âgée
que nous est allée jouer.
J’aimais beaucoup ma
nourrice. Quand je recevais quelque présent, je lui en rendais toujours
compte, pour lui faire plaisir: je le faisais de tout cœur, malgré que
je sois bien méchante.
Un jour, ma sœur lui a
demandé d’aller faire ses devoirs chez une copine et moi, je me suis
entêtée à la suivre. La dame s'y opposant formellement, j’ai pleuré de
dépit et je l’ai gratifiée d’un sobriquet. Elle ne m’a pas punie, mais
elle m’a prévenue que je ne pourrais pas aller me confesser sans lui
avoir, auparavant, demandé pardon. Ma sœur aussi m’a dit la même chose.
Lui demander pardon, me coûtait beaucoup, mais le désir de me confesser
et de faire la Communion était si grand, qu’il a pris le dessus sur mon
orgueil. Je me suis agenouillée devant elle et elle m’a pardonné, les
larmes aux yeux. J’ai éprouvé une très grande joie du fait de pouvoir
aller me confesser et de recevoir Jésus.
Les gardes républicains
Après les vacances,
j’allais avec ma sœur à Póvoa ; nous avions quelqu’un pour nous
accompagner, mais uniquement après la sortie du village. Nous avions
prit par la voie ferrée lorsque nous avons aperçu au loin deux gardes
républicains. Nous avons pris peur et nous nous sommes réfugiées dans un
virage de la route. Ma sœur portait avec elle un petit panier contenant
du lin ; les gardes ont pensé qu’il s’agissait d’allumettes (espagnoles)
― alors interdites ― et nous ont poursuivies. Nous avons beaucoup couru
et crié. Nos cris alertèrent bon nombre de personnes. Les gardes étaient
prêts à faire feu quand ils ont compris que nous ne transportions ^pas
de contrebande. Heureusement, pour cette fois-ci, nous avons échappé à
la mort.
Pour cette même période, je
me souviens aussi du respect que j’avais vis à vis des prêtres. Quand,
étant assise sur le pas de la porte, seule ou accompagnée, je voyais
passer l’un d’eux, je me levais pour lui demander sa bénédiction. Ayant
remarqué que certaines personnes s’en étonnaient, ce qui me réjouissait,
je m’asseyais exprès, afin de pouvoir me relever aussitôt qu’un ministre
du Seigneur passait par là, lui montrant ainsi ma vénération envers eux.
Après 18 mois, ma sœur
ayant obtenu son diplôme, nous avons quitté Póvoa. Ma mère voulait que
je continue ma scolarité, mais je n’ai pas voulu rester toute seule. Je
n’avais pas appris grande chose.
Nous sommes retournées,
pour quatre mois encore, habiter la maison où nous étions nées
.
Ensuite, nous sommes venues habiter plus près de l’église, dans une
maison appartenant à ma mère
.
Une fois ma mère m’a offert
des sabots. J’en fut très heureuse, parce qu’ils était beaux !... Pour
voir l’allure que j’avais, je me suis préparée comme si j’allais à la
messe, j’ai chaussé mes sabots et ensuite je me suis agenouillée,
plaçant mes sabots devant moi, comme si j’étais à l’église. Combien
j’étais vaniteuse !
J’aimais beaucoup ma sœur,
mais quand je me fâchais avec elle, je lui jetais tout ce qui se
trouvait à portée de main. Je me souviens l’avoir fait au moins. Je veux
que ma méchanceté ne reste pas dissimulée.
J’adorais aussi lui faire
des farces. Quelques fois, me levant avant elle, je mettais des pièges
sur le pas de la porte, pour la faire tomber, comme pour lui dire
qu’elle était paresseuse. Des farces de ce genre je lui en fais
plusieurs.
Je lui ai même fait de
farces de mauvais goût. Un jour, ayant soulevé le couvercle d’un bahut,
je l’ai laissé tombé, avec un grand fracas et, ensuite, je me suis mise
à crier, comme si je m’étais coincée les mains. Deolinda est venue
aussitôt, effrayée et angoissée... Et moi, après coup, je me sentais
peinée de l’avoir ainsi offensée. Je n’étais pas non plus rancunière, je
préférais plutôt embrasser les personnes que j’offensais. Malgré tout
cela et le fait de grimper aux arbres ― j’y grimpais fort bien ― jamais
je n’ai fait de mal aux oiseaux. J’étais incapable de défaire un nid, ou
même de jouer avec les oisillons. Je souffrais beaucoup quand je voyais
des nids défaits ou quand j’entendais le piaillement triste et
douloureux des oiseaux. J’ai même pleuré quelquefois, lorsque je me
rendais compte qu’ils avaient perdu leurs petits.
Dans le cocon familial, je
ne sais pas ce que je racontais, mais je mettais tout le monde de bonne
humeur, j’étais le boute-en-train. Ma mère avait l’habitude de dire, à
ce sujet: “Les riches ont leurs bouffons; je ne suis pas riche, mais
j’en ai un aussi”.
Mes premières conteplations
Vers les neuf ans, quand je
me levais de bonne heure pour les travaux des champs et que je pouvais
être seule, je m’extasiais à contempler la nature: l’aurore, le lever du
soleil, le chant des oiseaux, le gargouillement de l’eau me pénétraient
et me transportaient à une si profonde contemplation qu’un peu plus
j’oubliais que je vivais dans le monde. Je restais là, absorbée par
cette pensée : combien grand est le pouvoir de Dieu !
Lorsque je me trouvais au
bord de la mer, je m’extasiais devant cette grandeur infinie !
La nuit, en contemplant le
ciel et les étoiles, je me perdais dans l’admiration des beautés du
Créateur.
Combien de fois, dans mon
petit jardin, j’admirais le ciel, j'écoutais le murmure de l’eau et je
pénétrais chaque fois davantage dans l’abîme des grandeurs divines !
Quel dommage que je n’ai
pas su profiter de ces moments-là pour m’adonner à la méditation.
Mes scrupules
Je me souviens avoir dit
deux mots que j’ai considérés comme péchés, l’u n d’eux étant
« diable ». J’en ai eu honte et, il m’a été très pénible de les
confesser.
Je n’aimais pas les
conversations malicieuses. Même si je n’en comprenais pas le sens, je
menaçais de ne plus accompagner ceux qui ne seraient pas corrects. De la
même façon, je m’indignais quand je voyais, entre personnes adultes,
quelque geste déplacé.
J’avais peur de perdre mon innocence et je craignais le châtiment de
Notre Seigneur.
À l’âge de neuf ans, j’ai
fait ma première confession générale à frère Manuel das Santas Chagas
qui prêchait à Gondifelos. Moi, Deolinda et ma cousine Olívia, ayant
pris quelques victuailles, nous y sommes allées, et nous y sommes
restées toute l’après-midi pour écouter le sermon. Je me souviens que
nous ne sommes même pas sorties de l’église pour aller jouer. Nous avons
pris place tout près de l'autel du Sacré-Cœur de Jésus, j'ai placé mes
sabots à l'intérieur de la balustrade.
Le sermon avait pour sujet
l’enfer.
J'ai écouté avec beaucoup
d'attention le prédicateur qui, à un certain moment, nous invita à nous
transporter, par la pensée, en ce lieu. Incapable de comprendre le vrai
sens de cette invitation et, persuadée que le Père était un saint, je
suis restée convaincue, que d'un moment à l'autre, il nous y amènerait.
Placée en face de cette conjecture, je me suis révoltée et me dis à
moi-même: “en enfer, moi je n'irai pas ! Si le Père et tous les
autres veulent y aller, moi, je prends mes jambes à mon coup et je
m'échappe promptement”.
Et, sans plus attendre,
j'ai ramassé mes sabots afin d'être prête à fuir à la première alerte.
Quand j'ai remarqué que personne ne bougeait, alors je me suis un peu
calmée... Mais, mes sabots, je ne les aie plus quitté des yeux...
Amour envers les pauvres,
les malades et les vieillards
J’étais très amie des
vieillards, des pauvres et des infirmes. Quand j’apprenais que quelqu’un
n’avais pas de quoi se couvrir suffisamment, je demandais à ma mère de
m’en fournir le nécessaire à cet effet. Souvent j’allais tenir compagnie
à ceux qui souffraient. J’ai assisté à la mort de certains, priant comme
je le savais. J’aidais à habiller les défunts, même si cela me coûtait
beaucoup ; je le faisais par charité. Je n’avais pas le courage de
laisser les parents du défunt tout seuls. Je leur rendais volontiers ces
services, les voyant si pauvres.
J’aimais beaucoup faire
l’aumône aux pauvres. Combien de fois j’ai pleuré, parce que impuissante
à les aider selon leurs besoins! Je me sentais heureuse de me priver de
ma propre alimentation, pour eux.
Malgré ma jeunesse, il
m’arrivait souvent de donner des conseils à de plus âgés que moi
.
Je les réconfortais comme je le savais, obtenant que certains ne
commettent pas le mal
.
Des confidences qui m’étaient faites, j’ai toujours gardé le plus
rigoureux secret.
Je me sens pleine de
reconnaissance envers le Seigneur. C’est à Lui que je dois ce
comportement.
Amour pour la prière
Je ne passais pas un jour
sans prier, que ce soit à l’église, à la maison ou sur la route.
Je faisais toujours ma
communion spirituelle de la façon suivante :
— O mon Jésus, venez
dans mon pauvre cœur ! Je Vous désire : ne tardez pas. Venez m’enrichir
de Vos grâces, augmentez en moi votre saint et divin amour. Unissez-moi
à Vous ! Cachez-moi dans votre Côté sacré ! Je n’aime que Vous. Je
n’aime que Vous, je ne veux que Vous, je ne désire que Vous. Je vous
rends grâce, Père éternel, pour nous avoir donné Jésus au très
Saint-Sacrement. Je vous remercie, mon Jésus, et, enfin, je Vous demande
votre sainte bénédiction.
Loué soit à tout
instant, Jésus au très Saint-Sacrement !
Je récitais aussi diverses
prières jaculatoires, comme « Qu’Il soit bénit… » et « Grâces et
louanges soient rendues… »
J’aimais beaucoup faire la
méditation sur le très Saint-Sacrement et sur la Sainte Vierge. Quand je
ne pouvais pas la faire de jour, je la faisais de nuit, à l’insu de
tous, en allument une bougie que j’avais cachée à cet effet.
La vie des saints et les
méditations très profondes ne me satisfaisaient pas, parce que je me
rendais compte que je ne ressemblais en rien aux saints ; au lieu de me
faire du bien, elles me faisaient du mal.
A douze ans je suis tombée
si gravement malade, que les derniers sacrements m’ont été administrés.
Je me suis préparée à la mort avec beaucoup de sérénité. Un jour où la
fièvre était montée assez haut, j’ai déliré, mais je me souviens d’avoir
demandé à ma mère que l’on me donne Jésus. Elle a pris le crucifix et me
l’a présenté.
— “Ce n’est pas celui-ci
que je veux: je veux Jésus Eucharistique !”
La période la plus douloureuse
de ma vie de travail
De 12 à 14 ans, j’ai
bénéficié d’une bonne santé. A cette époque, j’ai été placée par ma mère
au service d’un voisin,
mais avec ces conditions : possibilité d’aller me confesser tous les
mois; possibilité, les dimanches après-midi, de venir à la maison afin
de pouvoir assister aux cérémonies religieuses; prohibition absolue de
me laisser sortir le soir. Le contrat était valable pour cinq mois, mais
je ne l’ai pas terminé. Le patron était un geôlier : il me gratifiait de
sobriquets péjoratifs, m’obligeait à un travail supérieur à mes forces.
C’était un homme impatient, cruel avec les animaux. Il m’humiliait
devant tout le monde. Cette triste vie sapait la joie de ma jeunesse.
Un certain après-midi, il
m’a envoyée au moulin, où je suis arrivée en début de soirée; à mon
retour, il faisait déjà noir, car il fallait une heure de route. Il m’a
réprimandée durement, et m’a traitée de voleuse. Son père, déjà âgé, a
pris ma défense. Comme chaque soir je revenais chez moi, cette fois-là,
assez peinée parce que ma conscience ne me reprochait rien, je me suis
plainte à ma mère. Elle s’en est informée et, voyant que le contrat
n’était pas respecté, m’a retirée de son service, malgré l’insistance de
mon patron.
Une fois, à Póvoa de
Varzim, ce même patron m’avait laissée, de 22 heures jusqu’à 4 heures du
matin, à surveiller quatre paires de bœufs, pendant que lui et l’un de
ses amis étaient partis, je ne sais où. Remplie de peur, j’ai passé
ainsi ces tristes heures de la nuit. J’ai eu pour compagnes les étoiles
du ciel qui brillaient de tout leur éclat.
À l’âge de douze ans, j’ai
été admise à l’école des catéchistes et à la chorale. Pour le chant
j’avais une vraie passion. Mais, malgré cela, je travaillais avec
beaucoup de satisfaction à l’école de catéchisme
.
Quand je communiais et que
je me trouvais au milieu de mes compagnes pour l’action de grâces, je me
sentais toute petite et la plus indigne pour recevoir Jésus
Eucharistique.
Un rêve
Une nuit, une lampe à
pétrole à la main, j’allais de la cuisine vers la chambre. Ma lampe
s’est éteinte. Je l’ai rallumée plusieurs fois et autant de fois elle
s’est éteinte, alors qu’il n’y avait aucun courant d’air. Quand j’ai
voulu la rallumer, pour la dernière fois, en remuant le pétrole, elle
m’a glissé des mains, en renversant le liquide qui m’a aspergé le visage
et m’a laissé aux lèvres le mauvais goût du pétrole. J’ai pensé que
quelque petit diable s’amusait ainsi et, alors j’ai dit :
— “Tu peux t’en aller,
car avec moi tu n’as rien à faire”.
Je me suis couchée
tranquillement, je me suis endormie et j’ai fait un rêve qui est resté
imprimé dans mon âme :
Je suis montée au Paradis
au moyen d’une échelle dont les barreaux, eux, étaient tellement étroits
qu'il était très difficile d'y poser le pied. Je suis arrivée en haut
avec beaucoup de difficulté, car je n’avais aucun point d'appui. Pendant
que je montais, j’ai vu, à côté de cette échelle, quelques âmes qui
m'encourageaient en silence.
Arrivée au sommet j’ai vu
sur un trône le Seigneur, et, à côté de Lui, la Vierge Marie. Le ciel
était rempli de saints. Après cette vision, à contre cœur, je devais
revenir sur la terre. Je suis descendue facilement. Tout a disparu et je
me suis réveillée.
Une après-midi “amusante”
Par un bel après-midi, je
suis partie me promener, avec mes cousines, sur une petite colline non
loin de chez moi, où se trouvaient quelques ânes qui broutaient
tranquillement. Ne sachant même pas monter à cheval, je me suis hasardée
à sauter sur la croupe de l’un d’eux. Quelques instants après, je suis
tombée sur un gros tas de ronces, mais heureusement ne m’étant pas
blessée, nous avons toutes bien rigolé.
Quand je pense à ces
amusements, je les regrette ; il aurait mieux valu que j’aime davantage
Jésus.
Un jour,
alors qu'avec ma sœur et une autre fille plus âgée que nous, nous
travaillions à la couture, nous avons aperçu trois individus venant dans
notre direction. Deolinda, comme si elle pressentait quelque chose, m'a
dit de fermer la porte du salon. Quelques instants après, nous avons
entendu des pas dans les escaliers et ensuite quelqu'un frapper à la
porte.
— Qui est là ? — a
demandé ma sœur. Et l'un d’eux, qui avait été mon patron, nous a
demandés d'ouvrir, sans plus.
— Il n'y a pas de
travail pour vous ici, donc, pas question d'ouvrir, — a rétorqué
Deolinda.
Après quelques instants de
silence, nous avons entendu que le même individu montait par l'échelle
qui de l'étable, par une trappe, donnait dans le salon. Effrayées, nous
avons tiré la machine à coudre sur cette trappe.
Le voyou, se rendant compte
que la trappe était fermée, a commencé à frapper de grands coups de
marteau sur celle-ci, jusqu'à soulever quelques planches et à pratiquer
un passage, par lequel il a pénétré dans le salon.
Deolinda, en voyant cela, a
ouvert la porte et, est parvenue à s'enfuir, bien que les autres deux
qui dehors l'attendait, aient essayé de la retenir, en tirant sur ses
vêtements.
L'autre fille l'a suivie,
mais ils l'ont attrapée.
Devant cette scène, je me
suis vue perdue. J'ai regardé autour de moi et, désespérément je me suis
accrochée à la fenêtre qui était ouverte et sans la moindre hésitation
j'ai sauté
[22] en
bas, en tombant lourdement. J'ai voulu me relever aussitôt, mais je ne
le pouvais pas; une douleur lancinante traversait mon épine dorsale.
Nerveuse, dès que j'ai pu
me relever, j'ai ramassé par terre un piquet et je suis partie, pour
essayer de défendre ma sœur entourée par les deux plus âgés, tandis que
notre amie, dans le couloir, luttait avec le troisième. Je n'ai plus
pensé qu'à les défendre.
— Hors d'ici ! — a
été mon premier cri.
Cela a été comme un éclair,
le voyou qui se trouvait dans le couloir, a pris peur et a laissé
immédiatement la jeune fille. C'est alors seulement, que je me suis
rendu compte que j'avais perdu une bague en or, lors de la chute.
— Chiens ! À cause de
vous j'ai perdu ma bague...
Tout de suite l'un d'eux,
enlevant une bague de son doigt, me l'a présentée, en disant :
— Tiens, prends
celle-ci, ne te fâche pas contre moi...
— Je n'en veux pas !
— lui ai-je répondu, indignée — débarrasse le plancher tout de
suite... immédiatement !
Ils se sont retirés. Et
nous, excitées et allaitantes, nous sommes retournées à notre travail.
De tout ceci, moi et ma
sœur, n'avons soufflé mot à personne, afin d'éviter une tragédie.
Toutefois ma mère, par la suite, a fini par l'apprendre, de la bouche de
notre amie.
Quelque temps après, j'ai
commencé à souffrir de plus en plus. Tous disaient que c’était à cause
du saut que j’ai fait en bas de la fenêtre. Même les médecins, plus
tard, ont confirmé que ce saut a dû contribuer à aggraver mon infirmité.
Souffrances physiques et
morales
A quatorze ans et quatre
mois, j’ai arrêté de travailler pour toujours, même si, depuis plusieurs
mois je travaillais avec beaucoup de difficulté. J’ai dû, dès lors, me
soumettre, même si cela me coûtait beaucoup, aux soins des médecins qui
m’ont diagnostiqué diverses maladies. Au début tout se passa bien et
tous avaient de la peine pour moi, alors que moi, j’avais de la peine
pour mes maux. Ceci dura peu de temps.
Mes meilleures amies, les
familiers et même Monsieur le Curé
se sont retournés contre moi : plusieurs personnes se moquaient de mon
allure, par la posture que, forcément, je prenais à l’église.
Monsieur l’abbé m’accusait
de ne pas manager suffisamment par caprice et menaçait que, si je
mourrais, je serais damnée. Lorsque je me confessais, il me disait que
c’était celui-là mon péché le plus grave. Combien j’en ai souffert! Je
ne me confiais qu’au Seigneur.
Lors du trajet, de la
maison à l’église, j’avais l’habitude de m’arrêter pour regarder les
montagnes et j’étais quelques fois, tentée de fuir dans un lieu où
personne ne puisse me voir. Ce n’est que par la grâce de Dieu que je ne
l’ai pas fait. Combien j’ai pleuré.
Je ne me souviens pas très
bien de la durée de cette période d’incompréhension; en tout cas, moins
d’un an. Après, étant donné que mon état empirait, Monsieur l’abbé
lui-même a conseillé à ma mère de m’accompagner chez un médecin de sa
connaissance. Ce fut lui qui m’a libérée de mon martyre, en expliquant à
ceux qui lui en posaient la question, que je ne mangeais pas parce que
je ne le pouvais pas. Même s’il ne lui a pas été possible de se faire
une idée exacte de toutes mes souffrances, il s’est montré très
compréhensif.
Douleurs sans soulagement ;
douze années de préoccupation continuelle
Notre Seigneur m’a libérée
de cette souffrance, mais Il m’a donné une autre bien plus grande.
Seuls Jésus, et, quelque temps plus tard, mon directeur spirituel, en
ont eu connaissance.
J’ai passé six ans entre le
lit et la couchette. Une fois, cinq mois se sont passés sans que je
puisse me lever, mais toujours dans cette souffrance spirituelle, que
j’ai dû supporter pendant près de douze ans, sans jamais la révéler à
personne.
Me trouvant seule,
prisonnière de mon lit, je regardais en larmes, le tableau du Sacré-Cœur
de Jésus: je le suppliais de me libérer de ce tourment et de me donner
des lumières sur ce que je devais faire. Je me recommandais aussi à la
Maman du ciel afin qu’elle intercède en ma faveur.
Traitement sérieux de ma
maladie.
Diverses demandes en mariage
À l’âge de 16 ans, je suis
allée à Póvoa, en compagnie de Deolinda, pour une cure marine. Un matin,
alors que je me rendais à l’église, un militaire m’a abordée,
m’adressant des galanteries. Je me suis vite esquivée, mais, comme il ne
me lâchait pas, je lui ai dit d’attendre la fin de sa faction. Mon idée
était de changer de chemin et de pouvoir m’en libérer. Sortant de
l’église, très prudemment, et ne l’ayant pas vu, j’ai repris le même
chemin. A un certain moment, je l’ai trouvé en face de moi, sans même
savoir d’où il était venu.
— Mademoiselle, vous
souvenez-vous de ce que vous m’avez promis ?
Et, ce disant, il
prétendait m’accompagner à la maison. Je me suis arrêtée et j’ai été
très franche avec lui :
— Je suis malade et en
plus... ma mère ne veut pas que j’aie un fiancé !
Il n’en a pas été
convaincu. Par chance, Deolinda est arrivée. Croyant que je flirtais,
elle m’a reprise sèchement. Je ne suis plus jamais passée par ce chemin
et tout s’est ainsi terminé.
À un autre jeune qui me
faisait allusion au mariage, j’ai répondu :
— Je ne renonce ni à ma
mère ni à Deolinda, pour un homme.
Monsieur le Curé, ayant su
que je plaisais à un jeune homme, m’a dit un jour :
— Si tu veux, je peux
m’occuper de la chose...
Je lui ai répondu :
— Dans ma situation,
vous parait-il que je puisse me permettre de penser à une pareille
affaire ?
Pour dire vrai, je savais
et je sentais que j’étais malade, mais en plus, l’envie de contracter le
mariage me manquait, même si quelques fois je me disais que si j’étais
mère, j’éduquerais mes enfants très chrétiennement.
La vigilance de la Maman du
Ciel
Désirs de guérison.
Conformité à la volonté de Dieu
A dix-neuf ans,
je suis allée au lit, pour toujours.
Plus personne ne me disait : — Courage, tu te relèveras !
Ce fut alors que le médecin
João de Almeida, de Porto, a prévenu ma mère qu’il craignait une telle
paralysie.
Ma sœur, qui faisait de la
couture, est devenue en plus mon infirmière, car maman travaillait dans
les champs. J’ai eu des moments de découragement, mais jamais de
désespoir. Rien ne me retenait à ce monde. J’éprouvais, malgré tout, une
certaine nostalgie de mon petit jardin, parce que les fleurs me
plaisaient. Mais, je pourrais encore les voir, quelques fois, dans les
bras de ma sœur. J’avais un grand regret de ne plus pouvoir aller à
l’église: pour la fête du Sacré-Cœur, ou quand il y avait une Messe
chantée, je pleurais beaucoup. Ma sœur, qui faisait partie de la
chorale, me voyant les larmes aux yeux, me disait : — S’il t’était
possible d’aller à la messe, je te chargerais volontiers sur mes épaules
et je t’y emmènerais. Et, elle aussi pleurait. Mais, je m’étais
accommodée à la volonté du Seigneur. Petit à petit, je me suis habituée
à mon lit et la nostalgie s’est dissipée.
Pour me distraire, dans les
premiers temps, je jouais aux cartes avec quelqu’un, ou toute seule. Je
regrette de ne pas avoir, dès lors, les mêmes pensées que maintenant:
vivre unie à mon Dieu par l’esprit.
J’ai même fait des
promesses pour obtenir la guérison. Ma mère, ma sœur et mes cousines ont
fait les mêmes promesses. J’ai fini par comprendre que le Seigneur me
voulait malade, c’est pourquoi je ne lui ai plus demandé de guérir. Je
suis arrivée, plusieurs fois, très résignée, aux portes de la mort. De
la médecine, je n’ai d’autre soulagement que quelques piqûres de
morphine.
La dévotion envers la Petite
Maman.
Prédilection pour le mois de Marie
Chaque année je célébrais
le mois de Marie. Je préférais le célébrer toute seule: je méditais,
chantais, pleurais en demandant à la Maman du ciel de me délivrer de
cette tribulation qui me faisait tant souffrir.
J’avais l’habitude de
chanter le “Tantum ergo”, comme si j’étais à l’église. N’ayant
pas Jésus
à la maison, ni prêtre pour me donner la bénédiction, je priais le
Seigneur, que ce soit lui, du ciel et de ses tabernacles, qui me la
donne. Moments de bonheur! J’avais l’impression que toutes les
bénédictions et l’amour du Seigneur tombaient sur moi. Et alors, je
recueillais dans mon cœur toute ma famille et les personnes chères.
Dans les premières années
de ma maladie, de la maison de Monsieur le Curé, on m’apportait, au
début du mois de mai, une statuette du Cœur de Marie qui, à regret, je
restituais à la fin du mois. C’est ainsi que j’ai pensé à en acquérir
une, mais, comme je n’en avais pas les moyens, j’ai été aidée par
diverses personnes. Une amie m’a même donné quelques poulettes que
Deolinda éleva jusqu’à ce qu’elles pondent et ensuite couvent; les
poussins ayant été vendus ensuite, j’ai pu acheter la statuette ainsi
que le globe de verre. Je ne sais pas exprimer la joie que j’ai
ressentie à ce moment-là: avoir une Sainte Vierge à moi toute seule...
pouvoir la contempler nuit et jour !...
Nouveaux désirs de guérison.
Entière conformité à la volonté Divine
J’ai été informée des
miracles qui s’opéraient à Fatima. En 1928, plusieurs personnes de la
paroisse sont parties en pèlerinage à la Cova da Iria. A cette occasion,
même moi, j’ai souhaité partir. Le Médecin
et Monsieur le Curé
ne m’y ont pas autorisée, car le voyage était long et moi, je ne
supportais même pas que l’on me touche, étant dans mon lit. Quelqu’un me
conseilla de demander la guérison et d’aller ensuite à Fatima, en action
de grâces pour celle-ci. Le Médecin me dit même que si le miracle
s’accomplissait, il témoignerait sans la moindre hésitation.
Cette même année, Monsieur
l’Abbé, qui était allé, lui aussi à la Cova da Iria, m’a fait, au
retour, cadeau d’un chapelet, d’une médaille et du “Manuel du Pèlerin”,
tout en me conseillant de faire une neuvaine à Notre-Dame. J’en ai fait
plusieurs, tout en chantant les louanges mariales imprimées dans le “Manuel”.
A ceux qui me visitaient,
j’avais l’habitude de dire :
— Si un jour vous me
revoyez dans les rues et m’entendez chanter, dites-le à tous: c’est
Alexandrina qui remercie Notre-Dame.
C’était ma foi en Jésus et
Marie que me faisait parler de la sorte.
D’autres fois, je pensais
que si j’étais guérie, je me ferais religieuse, car je n’avais aucun
attrait pour le monde; que je ne retournerais plus revoir ma famille;
que je me ferais missionnaire afin de pouvoir baptiser beaucoup de noirs
et de ramener beaucoup d’âmes à Jésus.
N’ayant pas obtenu la
guérison, j’ai compris que je me faisais des illusions, et mes désirs de
guérison ont disparu pour toujours. J’ai commencé alors à ressentir de
plus en plus le besoin d’aimer la souffrance et de ne penser qu’à Jésus.
Un jour, alors que j’étais
seule et que je pensais à Jésus dans les tabernacles, je lui ai dit :
— Mon bon Jésus, Vous
êtes emprisonné. Moi aussi, je le suis. Nous sommes tous deux
incarcérés. Vous, pour mon bien et moi, enchaînée par Vous. Vous êtes
Roi et Seigneur de tout. Moi, je ne suis qu’un ver de terre. Je Vous ai
négligé, ne pensant qu’aux choses du monde qui ne sont que perdition
pour les âmes, mais, maintenant, le cœur contrit, je ne veux que ce que
Vous voudrez, je veux souffrir avec résignation. Ne me laissez pas sans
votre protection.
Je me suis offerte comme
victime
À partir de ce temps-là, je
demandais au Seigneur l’amour de la souffrance et, sans bien savoir
comment, je me suis offerte à lui comme victime. Le Seigneur m’a accordé
cette grâce dans une proportion si importante qu’aujourd’hui, je
n’échangerais la souffrance contre tout ce qui peut exister dans le
monde. Aimant la douleur, je me sentais heureuse d’offrir à Jésus mes
peines. Consoler Jésus et lui sauver des âmes, voilà ce qui me
préoccupait.
Les forces physiques
m’ayant quittée, j’ai abandonné les distractions et, à travers la prière
qui me procurait un vrai réconfort, je me suis habituée à vivre dans une
intime union avec le Seigneur. Quand les visiteurs me dissipaient un
peu, je m’attristais de ne pas avoir pensé à Jésus.
Petits sacrifices par amour
pour Jésus
Par amour pour Jésus et la
Maman du ciel, je me suis habituée à faire de petits sacrifices:
renoncer à me regarder dans la glace; ne pas parler, pour combattre ma
volonté de parler et vice versa; veiller pendant la nuit pour tenir
compagnie à Jésus; ne pas éloigner les mouches qui me tourmentaient,
etc.
Comment j’honorait Jésus et la
très Sainte Vierge
Pour honorer Jésus et la
Maman du ciel, j’ai écrit sur des morceaux de papier et sur des images
pieuses, cette prière :
— Jésus, je vous aime de
tout mon cœur. Ayez pitié de cette pauvre malade. Prenez-la auprès de
vous, quand vous voudrez. Mon bien aimé Jésus, souvenez-vous, je suis
une grande pécheresse.
En 1930 :
Mon cher Jésus,
j’aimerais aller vous visiter dans vos tabernacles, mais je ne le peux
pas; ma maladie me tient clouée à mon lit. Que votre volonté soit faite.
Accordez-moi, au moins, que pas un seul instant ne passe sans que je
vienne en esprit dans vos tabernacles, pour vous dire : “ mon Jésus, je
veux vous aimer, je veux me brûler à la flamme de votre Amour, prier
pour les pécheurs et pour les âmes du Purgatoire”.
En mai 1930, sur la
couverture d’un livret :
— Ma chère Maman du
ciel, venez dans les Tabernacles de votre et mon Jésus; présentez-Lui
mes prières et rendez plus efficaces mes suppliques. O refuge des
pécheurs, dites à Jésus que je veux être sainte. Dites-Lui aussi que je
veux beaucoup de souffrances, mais qu’Il ne me laisse pas seule rien
qu’une minute. Je dois toutefois m’humilier, car je ne suis rien, je ne
possède rien et je ne vaux rien. Dites-Lui que je l’aime beaucoup et que
je veux l’aimer encore davantage. Je veux mourir enflammée d’amour pour
vous et pour Jésus. Oui, parlez-Lui beaucoup de moi, présente-Lui toutes
mes demandes ! J’ai confiance, oui, j’ai confiance en vous ! O Marie,
donnez-moi le ciel !
En 1931, au verso d’une
image pieuse j’ai écrit :
O ma chère Maman, priez
Jésus pour cette petite fille si pauvre et si pécheresse. Il n’y en a
pas une autre comme moi. Je ne mérite même pas d’être écoutée. Comment
ai-je pu me permettre d’offenser mon bien-aimé Jésus ? Quelle misérable
que je suis d’avoir osé l’offensé !
Mes prières et mon union intime
avec Jésus
au Saint-Sacrement
Au petit matin je
commençais mes prières par le signe de Croix. Ensuite, je m’unissais à
Jésus au Saint-Sacrement et je faisais ma Communion spirituelle. Je
continuais, en disant :
— Cœur Sacré de Jésus, je
Vous consacre ma journée.
Je récitais cette prière
jaculatoire trois fois. Et j’ajoutais:
— O Jésus, donnez-moi votre
bénédiction! Je veux être sainte.
Ensuite je demandais la
bénédiction de la très Sainte-Trinité, de Notre-Dame, de saint Joseph de
tous anges, saints et saintes du ciel, en disant :
— Avec votre bénédiction,
je ne craindrai rien ; je serai sainte, comme je le désire ardemment.
Ensuite je récitais trois
Gloria et j’offrais les actions de la journée en récitant la prière : « Je
vous offre, ô mon Jésus, en union, etc. ». Pater, Ave, Gloria. « Cœur
sacré de Jésus qui nous aimez tant, faites que je vous aime de plus en
plus. » Je récitais aussi le Credo et, ensuite j’ajoutais :
— O mon Jésus, je m’unis
spirituellement, maintenant et pour toujours, à toutes les saintes
Messes qui, de jour comme de nuit, sont célébrées sur toute l’étendue de
la terre. Jésus, immolez-moi avec vous au Père éternel pour les mêmes
intentions que vous-même, vous offrez.
Me tournant ensuite vers
Notre-Dame, je lui disais :
— Je vous salue, Marie,
pleine de grâce !... Je vous salue, ô pleine de grâce, ma Petite-Maman
du ciel, je veux être sainte; bénissez-moi et demandez à Jésus de me
donner sa bénédiction !
Je me consacrais à Elle de
cette façon :
— Petite-Maman chérie, je
vous consacre mes yeux, mes oreilles, ma bouche, mon cœur, mon âme, ma
virginité, ma pureté, ma chasteté…
Acceptez-en tout, ma chère
Petite-Maman ! Vous êtres le dépôt béni de toute notre richesse. Je vous
consacre mon présent et mon avenir, ma vie et ma mort, tout ce que l’on
me donnera, toutes les prières et les offrandes que l’on fera pour moi.
Ouvrez vos bras et enlacez-moi. Serrez-moi contre votre Cœur très saint,
couvrez-moi de votre manteau; acceptez-moi comme votre fille très aimée
et consacrez-moi toute à Jésus.
Renfermez-moi pour toujours
dans son divin Cœur et aidez-le vous-même à crucifier mon corps et mon
âme: que rien, dans celui-ci ne subsiste qui ne soit crucifié. Ma
Petite-Maman, rendez-moi humble, obéissante, pure, chaste d’âme et de
corps. Transformez-moi en amour; consumez-moi dans les flammes de
l’amour de Jésus... Maman chérie, demandez pardon pour moi à Jésus;
dites-Lui que c’est l’enfant prodigue qui retourne à la maison de son
Père, disposée à le suivre, à l’aimer, à l’adorer, à lui obéir, à
l’imiter. Dites-lui que je ne veux plus l’offenser. Ma Petite-Maman du
ciel, inspirez-moi une douleur si grande de mes péchés; que mon repentir
soit tel, que je devienne pure, que je devienne comme un ange, pure
comme lors de mon baptême, afin que par ma pureté, je mérite la
compassion de mon Jésus; que je puisse le recevoir sacramentellement
chaque jour et le posséder toujours en moi, jusqu’à mon dernier soupir.
Maman chérie, venez avec moi dans tous les Tabernacles du monde, dans
tout lieu où Jésus habite sacramentellement. Présentez-lui mon humble
oblation. O comme Jésus sera content de l’offrande la plus pauvre, la
plus misérable, la plus indigne, mais remise par vous, combien plus de
valeur n’aura-t-elle pas auprès de votre et mon Jésus !... Ma douce
Petite-Maman, je veux aller de Tabernacle en Tabernacle demander des
grâces à Jésus, comme l’abeille qui va de fleur en fleur pour cueillir
le nectar ! Ma tendre Maman, je veux devenir comme un rocher d’amour
devant sa demeure, afin que nul ne parvienne à blesser son Cœur et ne
renouvelle ses Plaies et sa Passion. Maman chérie, parlez à Jésus par
mon cœur et par mes lèvres; rendez mes prières plus ferventes, mes
demandes plus efficaces.
O mon Jésus, je me consacre
toute à vous. Que votre Cœur me soit grand ouvert. Permettez que je
rentre dans cette Fournaise ardente, dans ce Feu brûlant. Fermez-le sur
moi, mon bon Jésus; que j’y demeure pour y rendre mon dernier soupir,
enivrée de votre divin Amour. Ne souffrez pas que je me sépare de vous
sur la terre, sinon pour m’unir à vous, éternellement, dans le ciel.
O Jésus, maintenant, je
vais inviter la Maman bénie. C’est Elle qui va vous parler pour moi et
je reprendrai ensuite.
Je vous salue, Marie,
pleine de grâce! Je vous salue, ô pleine de grâce! Ma Petite-Maman,
venez avec moi dans tous les Tabernacles. Venez couvrir Jésus d’amour.
Offrez-Lui tout ce qui se passera en moi, tout ce que je lui offre
habituellement, tout ce que l’on peut imaginer comme autant d’actes
d’amour à Notre-Seigneur au très Saint-Sacrement !
Je disais trois fois :
— Grâces et louanges soient
rendues, à tout moment, à Jésus au très Saint-Sacrement.
Je faisais ensuite la
Communion spirituelle déjà décrite, puis je demandais à Notre-Dame de
répéter, pour moi, à son Fils Bien-Aimé :
— O Jésus, voila la
Petite-Maman chérie, écoutez-la; c'est Elle qui va vous parler pour moi.
Et vous, Maman chérie, emportez mes baisers, d'innombrables baisers,
d'innombrables caresses et marques de tendresse à tous les Tabernacles
du monde. Tout pour Jésus-Hostie ! Tout pour la très Sainte-Trinité,
tout pour vous, douce et tendre Maman. Multipliez mes baisers,
multipliez-les et, avec une tendresse et un amour pur et saint, avec un
amour sans bornes, avec une immense nostalgie, offrez-les de la part de
celle qui ne peut pas se déplacer jusqu'aux tabernacles.

O Jésus, je veux que
chacune de mes douleurs, chaque battement de mon cœur, chacune de mes
respirations, chaque seconde de ma vie, chaque minute, soient autant
d'actes d'amour pour vos Tabernacles.
Je veux que chaque
mouvement de mes pieds, de mes mains, de mes lèvres, de ma langue,
chacune de mes larmes, chaque sourire, joie, tristesse, tribulation,
distraction, contrariété ou ennui, soient autant d'actes d'amour pour
vos Tabernacles.
O Jésus, je veux que
chaque lettre des prières que je récite ou entends réciter, toutes les
paroles que je prononce ou entends prononcer, que je lis ou entends
lire, que j’écris ou vois écrire, que je chante ou entends chanter,
soient autant d’actes d’amour pour vos Tabernacles.
Je veux que chaque
baiser que je déposerai sur vos saintes images, celles de la votre et ma
sainte Mère, celles de vos saints et saintes, soient autant d’actes
d’amour pour vos Tabernacles.
O Jésus, je veux que
chaque goutte de pluie qui tombe du ciel sur la terre, que toute l'eau
des océans et tout ce qu'ils renferment, que toute l'eau des fleuves et
des rivières, soient autant d'actes d'amour pour vos Tabernacles.
Je vous offre les
feuilles de tous les arbres, et tous les fruits que sur eux mûrissent;
chaque pétale de toutes les fleurs; toutes les graines que contient le
monde; tout ce qu'il y a dans les jardins, dans les champs, dans les
vallées, sur les montagnes: tout cela je veux vous l'offrir comme autant
d'actes d'amour pour vos tabernacles.
O Jésus, je vous offre
les plumes des oiseaux et leurs gazouillements, les poils des animaux et
leurs cris, comme autant d'actes d'amour pour vos Tabernacles.
O Jésus, je vous offre
le jour et la nuit, la chaleur et le froid, le vent, la neige, la lune,
le clair de lune, le soleil, les étoiles du firmament, mon sommeil et
mes rêves, comme autant d'actes d'amour pour vos Tabernacles.
Je veux que chaque fois
que j'ouvre ou ferme les yeux, ce soit autant d'actes d'amour pour vos
Tabernacles.
O Jésus, je vous offre
toutes les grandeurs, richesses et trésors du monde, tout ce qui se
passe en moi, tout ce que j'ai l'habitude de vous offrir, comme autant
d'actes d'amour pour vos Tabernacles.
O Jésus, le ciel et la
terre, l'océan et tout ce qu'ils contiennent, je vous les offre comme
s'ils m'appartenaient et si je pouvais en disposer; acceptez-les comme
autant d'actes d'amour pour vos Tabernacles”.
Pendant que je faisais
cette offrande à Jésus, je me sentais ravie, d’une façon que je ne sais
pas expliquer, et en même temps je ressentais une forte chaleur qui
semblait m’embraser. Cela me parut étrange, car les journées étaient
plutôt froides et, émerveillée, j’ai même regardé si mon corps ne
transpirait pas. C’est comme si l’on m’embrassait intérieurement.
Cela me fatiguait assez.
Je crois que c’est à l’une
de ces occasions que j’ai senti cette exigence de Notre Seigneur :
«Souffrir, aimer, réparer»
Comment Jésus m’a envoyé mon
directeur spirituel
J’ignorais ce que c’était
qu’un directeur spirituel:
c’était Monsieur le Curé qui guidait mon âme.
Ma sœur, lors d’une
retraite des “Filles de Marie”
a demandé au prédicateur, le Père Mariano Pinho,
de devenir son directeur spirituel. Celui-ci mis au courant de mon
existence et de ma maladie, a sollicité mes prières, avec la promesse de
réciprocité. De temps à autre il m’envoyait une image pieuse.
Deux ans plus tard, ayant
appris qu’il était malade, mon émotion est allée jusqu’aux larmes; je ne
sais pas pourquoi. Ma sœur, étonnée, m’a demandé pourquoi je pleurais
alors même que je ne le connaissais pas. Je lui ai répondu :
— Je pleure parce qu’il
est mon ami et que je le suis aussi de lui.
Le 16 août 1933, le Père
Pinho est venu dans notre paroisse prêcher un triduum en l’honneur du
Sacré-Cœur de Jésus et, à cette occasion je l’ai obtenu comme directeur
spirituel. Je ne lui ai pas parlé de mon offrande pour les Tabernacles,
de la chaleur que j’éprouvais, de la force qui me soulevait,
ni des paroles que j’interprétais comme de simples inspirations
de Jésus. Ce ne fut que quelques mois plus tard que j’ai mis le Père au
courant des paroles de Jésus. Je n’ai rien dit d’autre, parce que je ne
comprenais rien aux choses du Seigneur. Le Père ne m’a pas confirmé s’il
s’agissait bien de paroles de Dieu; toutefois, je continuais à vivre
très unie au Seigneur: jour et nuit, les Tabernacles étaient ma demeure
préférée.
Le 8 septembre 1933, j’ai
écrit ceci au dos de l’une de mes photos :
Ave Maria, je vous salue, ô
ma très Sainte Mère. O ma bien-aimée Petite Maman, que puis-je vous
offrir pour votre anniversaire ? Je n’ai rien d’autre à vous offrir, je
vous offre mon corps et ma vie. Je veux être toute à vous. Ne rejetez
pas mon offrande, ô ma douce et tendre Mère. Priez Notre Seigneur pour
moi, je vous en supplie. Je veux être toute, entièrement votre. Je vous
offre tout ce que j’ai.
O mon Jésus, ne rejetez
rien de ce que je demande à votre Mère.
Soyez ma petite Maman très
aimée. O si seulement j’avais un beau cadeau à vous offrir. Acceptez au
moins ma bonne volonté. Donnez-moi le Ciel !
Ce fut seulement au mois
d’août 1934 que je me suis décidée à ouvrir mon cœur à mon Père
spirituel, venu à Balasar pour une série de sermons. J’ai eu peur,
alors, qu’une fois au courant de ma vie, il ne veuille plus continuer de
me diriger.
Alors même que je me
débattais avec ce doute, Jésus m’a dit :
— Obéis en tout : ce
n’est pas toi qui l’as choisi, mais moi qui te l’ai envoyé.
Quand le Père m’a demandé
de quelle façon j’avais entendu lesdites paroles, il ne m’a pas expliqué
si elles étaient ou non de Jésus.
Quelques jours plus tard,
ma sœur, ayant remarqué que je consacrais beaucoup de temps à la prière,
m’en a demandé l’explication. Je lui ai dit comment j’occupais mon temps
et ce que je ressentais, ajoutant que c’était sûrement la foi et la
ferveur avec laquelle je récitais mes prières qui m’absorbaient de la
sorte. Deolinda a semblé d’accord et m’a demandé de lui dire tout, afin
de pouvoir se remplir de ferveur, elle aussi.
Comment j’honorais Jésus et la
très Sainte Vierge
En 1934 :
O ma Petite-Maman du ciel,
voici à vos pieds très saints une âme que désire beaucoup vous aimer. O
mon adorable Dame, je veux vivre d’un amour aussi grand qu’il me
permette de souffrir uniquement pour vous et pour mon Jésus : oui, pour
mon cher Jésus qui est le tout de mon âme. Il est la lumière qui
m’éclaire, le pain qui me rassasie; il est mon chemin, le seul que je
veux suivre... Mais, ma souveraine Reine, je me sens si faible pour
supporter tant de contrariétés de vie !… Que m’adviendra-t-il sans vous
ou sans mon bien-aimé Jésus ? O ma Petite Maman du Ciel, depuis le trône
où vous siégez, jetez un regard sur ma triste vie. Venez à mon secours.
Donnez-moi votre bénédiction et priez Jésus, pour moi, votre indigne
fille.
A une autre occasion,
toujours en 1934 :
O Jésus, quelle meilleure
compagnie puis-je avoir dans ce lit de douleur que votre continuelle
présence en moi, moi qui ne veux vivre que pour vous ? O Jésus, Vous
savez bien quels sont mes désirs: être toujours devant vos Tabernacles,
ne jamais m’en éloigner, ne fusse qu’un moment ! Donnez-moi la force, o
bon Jésus, afin que je sache le faire !
O mon Jésus, mon Aimé,
Au très Saint-Sacrement,
Pour mon amour prisonnier
Au tabernacle d’amour
J’aurais aimé rester
avec toi, mon Jésus,
jour et nuit à toute heure.
Mais hélas ! Je ne peux,
Vous le savez, mon bon Père.
Je suis aussi prisonnière,
les pieds et mains liés.
Mais j’aurais bien voulu
l’être encore davantage,
tout près de vous, sur l’autel
Et ne vous quitter jamais.
O Sacrement adoré
de mon Jésus, mon Aimé
Je vous salue de mon lit
Venez habiter dans mon cœur !
Faites y, Seigneur
Votre tabernacle,
afin que je puisse
O mon bon Jésus,
Etre votre épouse.
O mon bien Aimé
Réalisez mes désirs
qui sont, mon Seigneur
Vous posséder en moi,
sacramentellement.
Pardon, mon Jésus, je ne
suis pas digne d’un aussi grande grâce, de vous recevoir, mais ne
regardez pas ma misère, mais votre infinie miséricorde. Le voulez-vous,
mon bien-aimé Jésus ?
En la fête de
l’Annonciation, le 25 mars 1934 j’ai fait cette prière :
Ave Maria, pleine de
grâce ! Je vous salue, ô pleine de grâce ! Souveraine Reine du Ciel et
de la terre, Mère des Pécheurs, moi, la plus indigne de toutes vos
filles, je vous offre mon cœur, ô Sainte Mère de Dieu, pour vous
remercier d’avoir accepté l’incarnation, en votre sein si pur, de Jésus,
le Rédempteur de l’humanité. Oui, ma Petite Maman chérie, incarner,
naître, vivre trente-trois ans sur la terre et enfin mourir sur une
croix pour les misérables fils d’Eve ! Comprenne qui peut tant d’excès
d’amour. Quant à moi, je me sens confondue et me lamente mon pauvre cœur
de n’avoir pas su correspondre à tant de bontés de la part de mes deux
amours : Jésus et Marie ! La plus indigne de vos filles.
En 1934, toujours :
O mon Jésus, je suis ici,
malade, et je ne peux vous visiter dans vos églises, mais, mon bien aimé
Père du Ciel, j’accomplis la mission à laquelle vous m’avez destinée :
que votre sainte Volonté soit faite en toutes choses !... Mon Bien-aimé,
vous connaissez mon désir, qui est de rester en votre présence au très
Saint-Sacrement. Vu que je ne puis venir, je Vous envoie mon cœur, mon
intelligence pour apprendre toutes vos leçons, ma pensée afin que je ne
pense qu’à vous ; mon amour afin que je n’aime que Vous, que je ne
cherche que Vous, que je ne soupire que pour Vous, uniquement pour Vous,
ô mon Jésus, en tout et pour tout. Vous êtes prisonnier et abandonné
dans le tabernacle et moi, Jésus, je suis aussi prisonnière. Mais
faites, Seigneur, que j’abandonne tout ce qui est du monde et ne cherche
que Vous en toutes choses, Vous qui êtes la lumière de mon intelligence,
Vous qui faites mes délices, Vous qui êtes tout pour moi. Je vous envoie
tout ce que j’ai et qui puisse vous faire plaisir dans vos Tabernacles
d’amour...
Encore en 1934 :
J’aimerais être en votre
présence jour et nuit, à toute heure, unie à vous, et ne plus jamais
vous quitter, o Jésus abandonné dans les Tabernacles ! Pas un seul
instant je ne voudrais m’en absenter; j’aimerais vous donner tout ce que
je possède et qui vous appartient entièrement: mon cœur, mon corps, avec
tout ce qu’il ressent. C’est là toute ma richesse.
Pour Notre Dame, en 1934,
j’ai écrit :
O ma Petite Maman du Ciel,
j’ai toute confiance en Vous ; je ne sais même pas Vous expliquer
l’amour que j’ai pour Vous.
O ma Mère, mon amour est
grand, mais j’aimerais qu’il le soit encore davantage ; Vous seule
pouvez m’obtenir cette grâce et aussi beaucoup d’amour envers le Votre
et mon aimé Jésus. Oui, augmentez-le beaucoup plus ! Embrasez-moi dans
les flammes du pur amour ! Oui, oui, ma bonne Petite Maman !
Connaissance parfaite de la
voix de Notre Seigneur.
Visions célestes
Ce fut en septembre 1934
que j’ai compris que c’était la voix de Notre Seigneur et non pas une
exigence, comme je le pensais. Ce fut alors qu’il m’a parlé et demandé :
— Donne-moi tes mains :
je veux les clouer avec les miennes ; donne-moi tes pieds : je veux les
clouer avec les miens ; donne-moi ta tête : je veux la couronner
d’épines, comme ils me l’ont fait à moi ; donne-moi ton cœur : je veux
le transpercer avec la lance, comme ils ont transpercé le mien ;
consacre-moi tout ton corps ; offre-toi toute à moi ; je veux te
posséder entièrement.
Il m’a demandé ceci deux
fois
.
Je ne sais pas expliquer
mon tourment, parce que je ne peux pas écrire.
Je ne voulais rien dire à ma sœur, mais je ne voulais pas non plus le
taire, car j’ai compris que je ne devais pas le faire, taire la parole
de Dieu : je devais tout dire à mon directeur spirituel
.
Je me suis décidée à faire le sacrifice et j’ai demandé à ma sœur
d’écrire tout ce que je lui dicterais. Nous l’avons fait sans échanger
le moindre regard. La lettre étant écrite, tout cela est resté entre
nous et nous n’en avons plus parlé.
Si jusque là toutes les
lettres de mon directeur spirituel me rendaient joyeuse, à partir de ce
moment, je n’en éprouvais plus la moindre consolation : je vivais dans
la crainte qu’il me désapprouve et me dise que tout cela n’était
qu’illusion. J’avais cédé à l’invitation du Seigneur, mais je pensais
que les sacrifices qu’Il me demandait n’étaient que ceux résultant de ma
maladie, même si majorés; il ne m’était pas venu à l’esprit qu’Il me
ferait passer par des phénomènes singuliers. Le directeur m’a exigé de
tout écrire et, pendant deux ans et demi il ne m’a jamais dit qu’il
s’agissait bien de choses de Dieu. Ce silence m’a fait beaucoup
souffrir.
À cette époque Jésus
m'apparaissait, et me parlait souvent. La consolation spirituelle était
grande et les souffrances plus faciles à supporter. En toute chose je
sentais de l'amour pour mon Jésus et je sentais qu'Il m'aimait, étant
donné que je recevais abondance de tendresses. Je cherchais le silence.
O comme je me sentais bien dans le recueillement et bien unie à Lui !...
Jésus se confiait à moi. Il me disait des choses tristes, mais le
réconfort et l'amour qu'Il me procurait, rendaient plus douces ses
lamentations. Je passais des nuits et des nuits sans dormir, à converser
avec Lui, dans la contemplation de ce qu'Il me montrait.
Une certaine fois j'ai vu
Jésus tel un jardinier qui soigne ses fleurs, les arrosant, etc.
Il se promenait au milieu de celles-ci, m'en montrait les variétés.
D'autres fois il m'apparaissait pour me montrer les rayons éblouissants
de son Cœur.
Une fois j'ai vu la
Petite-Maman avec l’Enfant Jésus dans ses bras et une autre fois je l'ai
vue en Immaculée Conception
:
O combien Elle était belle !... Comme j'aimerais n'aimer qu'Elle et
Jésus !... Je ne serais vraiment bien qu'en leur compagnie.
Comment je TOURMENTAIS mon
corps
Je voulais tout faire par
amour pour Eux
et, pour leur prouver que je les aimais. Quelques fois, je faisais des
boulettes de cire que j’attachais au bout d’un mouchoir et, avec
celles-ci, je me flagellais, choisissant les endroits de mon corps les
plus sensibles, ceux où je me faisais le plus de mal, comme les genoux,
les os. Mon corps devenait bleuâtre sous les coups
.
D’autres fois, je nouais
les tresses de mes cheveux aux barreaux de mon lit et je tirais ensuite,
de toutes mes forces, afin de pouvoir souffrir davantage.
Ou encore je faisais des
nœuds au bout de mes tresses et je me flagellais le dos, la poitrine,
les bras et toutes les parties de mon corps que mes tresses pouvaient
atteindre.
Un dimanche après-midi,
j’ai éprouvé une si grande aspiration d’amour pour Jésus, que je ne
pouvais me contenir. Je ne désirais qu’une chose : être seule.
Finalement, tous les miens ont décidé, même si hésitants, d’aller à
l’église. À peine ils sont sortis, j’ai pu montrer à Jésus combien je
l’aimais. Ayant pris l’épingle à laquelle étaient accrochées mes
médailles, je l’ai enfoncée dans ma poitrine. Ne voyant point de sang
couler, je l’ai enfoncée davantage dans la chair, jusqu’à ce que le sang
coule. Je m’en suis servie comme d’une plume et j’ai écrit, au verso
d’une image pieuse :
— Avec mon sang, je
vous jure de beaucoup vous aimer, mon Jésus. Que mon amour soit tel, que
je meure enlacée à la croix. Je vous aime et je meurs d’amour pour vous,
mon cher Jésus. Je veux habiter dans vos tabernacles. (Balasar,
14.10.1934).
Aussitôt après, j’ai
ressenti tellement de répugnance et d’affliction, que je voulais
déchirer cette image. Je ne sais pas ce qui m’en a empêché. Cette preuve
d’amour ne m’a procuré aucune consolation. Quand ma sœur est rentrée,
elle m'a trouvée plongée dans une grande inquiétude. Je ne lui ai pas
dit ce que j’avais fait, mais je lui ai simplement montré l’image. Elle
s’est exclamée : — Petite folle qu’as-tu fait ? Que va dire le Père
Pinho quand il l’apprendra ? Je me suis défendue en disant : — Je ne lui
dirai rien !... Au contraire, je lui ai tout raconté ! Lui, il me dit :
— Qui t’en a donné l’autorisation ? J’ai répondu alors que j’ignorais
qu’une autorisation était nécessaire. Il m’a interdit de refaire des
choses de ce genre.
Le 20 novembre 1933 j’ai eu
la grâce d’assister pour la première fois au Saint Sacrifice de la Messe
dans ma chambre. Ce fut à partir de là que le Seigneur a aussi commencé
a augmenter ses “caresses” envers moi, afin d’augmenter aussi le poids
de ma croix.
Qu’Il soit bénit et bénie
aussi sa grâce qui ne m’a jamais manquée !
A cette époque, nous avons
commencé à beaucoup souffrir à cause de la perte de nos biens.
Il est vrai que je n‘ai plus ressenti aucun attrait pour les choses,
mais je souffrais amèrement de voir que le peu que nous avions ne serait
pas suffisant pour payer les dettes que ma mère avait contraint en se
portant caution.
Nous préférerions rester
sans un centime, mais que tout soit payé! Il me manquait souvent une
alimentation suffisante : je me nourrissais de ce qu’il y avait, au
péril de ma santé. J’ai souffert en silence et les familiers pensaient
que ces aliments me plaisaient; je ne demandais rien pour ne pas les
attrister. Si l’on me donnait quelque bon morceau, je le donnais à ma
sœur — assez mal en point — en me disant : — “Je suis incurable, qu’elle
au moins puisse guérir.”
Il nous arrivait de manger
le potage sans condiments, car nous ne parlions à personne de notre
gêne. En secret, j’ai versé beaucoup de larmes, m’épanchant auprès de
Jésus et de la Petite-Maman céleste ; ces larmes ont eu même pour effet
de me rapprocher davantage de Jésus et de la chère Maman et ont renforcé
ma foi en Eux.
Cette situation a duré six
années, pendant lesquelles j’ai essayé de réconforter mes êtres chers. À
ma mère, qui souvent sanglotait, je suggérais d’avoir foi en Jésus qui
voulut être pauvre. Dans mon intérieur, je me réjouissais de lui
ressembler.
Par moments j’ai même eu
peur de rester en tête-à-tête avec ma mère, car elle cherchait à rester
seule avec moi pour se confier et, plus je la réconfortais et lui
demandais d’avoir confiance, elle, dans sa douleur, me disait des
paroles désagréables. Je priais Jésus de nous aider et, lors de la
Communion, je lui disais : — Vous qui avez dit de demander, de frapper
pour être entendu : je demande, je frappe et je serai entendue. Je ne
Vous demande pas d’honneurs, pas de grandeurs ni de richesses, mais que
vous nous laissiez au moins notre petite maison afin que maman et ma
sœur vivent; de manière que Deolinda puisse cueillir les fleurs pour
votre autel à l’église. O Jésus, toutes les fleurs sont pour vous.
Jésus, venez à notre secours! Nous nous enfonçons... portez au loin
cette requête, auprès de quelqu’un qui puisse venir à notre aide. Je ne
choisis personne, parce que je n’en connais pas. J’ai confiance en
vous !
Il est bien vrai : la foi
n’est jamais trop grande ! Chez nous, la joie avait disparu et les
choses indispensables nous manquaient
.
Mais jamais la soumission à la volonté de Dieu n’a manqué ; j’avais une
confiance aveugle en lui. Ma prière a été exhaussée. Ce fut de bien
loin, même de très loin, qu’une dame est venue assainir notre situation.
Si elle ne l’a pas résolu entièrement, ce fut à causse de ma timidité:
je ne lui ai pas dit la somme exacte de notre dette. Peut-être Jésus l’a
permis pour prolonger ma souffrance.
Le nécessaire pour désengager notre maison qui devait être mise en
vente, nous a été fourni. J’ai pleuré de confusion plus que de joie
après avoir bénéficié d’une pareille grâce de Notre Seigneur. Je ne
savais pas comment le remercier. On dirait que j’étais devenue folle et
je disais à Jésus : « Merci beaucoup ! Merci beaucoup ! »
Je n’arrive pas à décrire
la joie des miens quand ils ont eu en main cette somme, après tant de
grandes et graves afflictions. Béni soit Jésus ! Ce n’était que sur Lui
que l’on pouvait compter.
Comment j’honorais Jésus et la
très Saint Vierge
En 1935 :
« O mon cœur, qui d’autre
peux-tu aimer sinon Jésus ? Il est la richesse du Ciel, il est l’amour
des tabernacles, il est l’aliment des âmes affamées de son amour, il est
le berger compatissant envers ses brebis égarées et qui ses sont depuis
longtemps éloignées de Lui. Il les cherche partout, les appelle, et ne
prend pas de repos tant qu’Il ne les a pas retrouvées. Une fois
retrouvées, Il les embrasse et les caresse.
Au mois de mai 1935,
désireuse de consoler la Maman chérie et de souffrir pour elle, j’ai
pensé écrire, sur des petits morceaux de papier, des intentions, une
pour chaque jour du mois. Chaque matin j’en tirais un au sort et
m’efforçait, pendant la journée, de suivre ce qui était écrit. Ceci,
uniquement, pour consoler Jésus, par l’intermédiaire de Marie.
1 |
Un vrai
amour de ma part envers la très sainte Maman et Jésus au
Saint-Sacrement. |
2 |
Par amour
pour Jésus et Marie, je souffrirai pour tous les prêtres. |
3 |
Par amour
pour Marie et Jésus au Saint-Sacrement, je souffrirai pour
quelques pécheurs qui m’ont été ardemment recommandés. |
4 |
Par amour
de Marie et de Jésus au Saint-Sacrement, je souffrirai pour tous
les pécheurs du monde. |
5 |
Par amour
pour Marie et Jésus au Saint-Sacrement, je souffrirai pour
obtenir un amour fou envers la Maman du ciel. |
6 |
Par amour
pour Jésus au Saint-Sacrement, je souffrirai pour les intentions
de mon parrain et de ma famille. |
7 |
Par amour
pour Marie et Jésus au Saint-Sacrement, je souffrirai pour
toutes les intentions qui m’ont été confiées. |
8 |
Par amour
pour Marie et Jésus au Saint-Sacrement, je souffrirai pour mon
directeur spirituel. |
9 |
Par amour
pour Marie et Jésus au Saint-Sacrement, je souffrirai pour
obtenir l’amour des anges, des chérubins et des séraphins. |
10 |
Par amour
pour Marie et Jésus au Saint-Sacrement, je souffrirai pour
obtenir un amour ardent pour mon Jésus au Saint-Sacrement et
qu’il soit aimé par tous au Saint-Sacrement. |
11 |
Par amour
pour Marie et Jésus au Saint-Sacrement, je souffrirai sans me
plaindre. |
12 |
Par amour
pour Marie et Jésus au Saint-Sacrement, je souffrirai tout ce
qui est de la volonté de Dieu. |
13 |
Par amour
pour Marie et Jésus au Saint-Sacrement, je souffrirai tout à la
mémoire de la Passion du Seigneur. |
14 |
Par amour
pour Marie et Jésus au Saint-Sacrement, je souffrirai tout pour
ma mère. |
15 |
Par amour
pour Marie et Jésus au Saint-Sacrement, je mortifierai mon
corps. |
16 |
Par amour
pour Marie et Jésus au Saint-Sacrement, je souffrirai tout pour
le Saint-Père et pour les besoins de l’Église. |
17 |
Par amour
pour Marie et Jésus au Saint-Sacrement, je souffrirai tout en
l’honneur des douleurs de la Maman céleste. |
18 |
Par amour
pour Marie et Jésus au Saint-Sacrement, je souffrirai pour ma
chère Sãozinha.
|
19 |
Par amour
pour Marie et Jésus au Saint-Sacrement, je leur donne mon corps
comme victime et je renouvelle le vœu de virginité. |
20 |
Par amour
pour Marie et Jésus au Saint-Sacrement, je souffrirai tout pour
obtenir de ne penser qu’au Jésus et Marie. |
21 |
Par amour
pour Marie et Jésus au Saint-Sacrement, je souffrirai tout pour
obtenir de vivre dans une grande intimité avec mon Ange Gardien. |
22 |
Par amour
pour Marie et Jésus au Saint-Sacrement, j’observerai le silence. |
23 |
Par amour
pour Marie et Jésus au Saint-Sacrement, je souffrirai tout pour
obtenir l’amour de la très Sainte-Trinité. |
24 |
Par amour
pour Marie et Jésus au Saint-Sacrement, je souffrirai afin de
tout obtenir du Seigneur et pour être sainte. |
25 |
Par amour
pour Marie et Jésus au Saint-Sacrement, je renouvellerai le vœu
de tout offrir pour les âmes du Purgatoire. |
26 |
Par amour
pour Marie et Jésus au Saint-Sacrement, je souffrirai tout, en
premier lieu pour notre “Croisade Eucharistique”
et pour une autre qui m’a été recommandée, et pour le monde
entier. |
27 |
Par amour
pour Marie et Jésus au Saint-Sacrement, je souffrirai pour la
conversion et pour tous les besoins de ma famille. |
28 |
Par amour pour Marie et
Jésus au Saint-Sacrement, je souffrirai tout pour ma chère sœur. |
29 |
Par amour
pour Marie et Jésus au Saint-Sacrement, je souffrirai tout pour
les pécheurs qui sont tout près d’être présentés devant Dieu. |
30 |
Par amour
pour Marie et Jésus au Saint-Sacrement, je souffrirai tout pour
obtenir l’amour de tous les saints et saintes. |
31 |
Par amour
pour Marie et Jésus au Saint-Sacrement, je renoncerai au
dessert. |
Le premier mai, aux pieds
de Marie : un vrai et sincère amour de ma part envers ma très Saint
Petite Mère et envers Jésus au Saint-Sacrement.
Le 1er mai
1935 :
— Mère de Jésus et ma Mère,
écoutez ma prière : je vous consacre mon corps et mon cœur. Purifiez-le,
Mère très Sainte ; remplissez-le de votre amour. Placez-le vous-même
auprès des Tabernacles de Jésus, afin qu’ils servent de lampe jusqu’à la
fin du monde.
Acceptez, ô Mère du Ciel,
les fleurs que j’ai cueillies pendant ce mois béni ; revigorez-les et
parfumez-les. Offrez-les à Jésus pour moi. Bénissez-moi, sanctifiez-moi,
ô ma douce et tendre Petite Maman du Ciel !
En mai 1936, déjà sans
forces, ne pouvant plus écrire, mais désirant donner, à Jésus et Marie,
la même preuve d’amour que l’année précédent, j’ai demandé à ma sœur
d’écrire les intentions de prière suivantes, sur les bulletins à tirer
au sort quotidiennement, souffrant et aimant selon l’intention écrite.
Le 31 mai 1936, j’ai écrit
ce qui suit :
— Petite-Maman du ciel, je
viens humblement à vos pieds pour déposer les fleurs spirituelles
recueillies pendant le mois. Je suis confuse : quelle pauvreté ! Dans
quel état je vous les confie ! Elles sont si fanées et si effeuillées !
Mais vous, ô ma très chère Maman céleste, vous pouvez les transformer,
les reverdir, les ravigoter, afin qu’avec elles, à ma place, vous
puissiez apporter consolation et parfum à Jésus ! Parlez-Lui de mes
peines et de mes afflictions. Vous connaissez très bien la cause de mes
tribulations. Faites-Lui, une fois encore avec moi, toutes mes demandes
et envoyé, au Nom de Jésus, je vous le demande, les pauvres fleurs à qui
elles ont été destinées. Faites tout particulièrement qu’avec elles je
confectionne un bouquet pour l’offrir au Saint-Père, en ce jour de son
anniversaire.
Ma très chère Petite-Maman,
en ce dernier jour de votre mois béni, en prenant congé, vu que je n’ai
rien d’autre à vous offrir, je vous offre mon corps et je vous demande
de le garder et de le serrer dans vos bras très saints comme votre fille
la plus aimée.
Bénissez-moi, demandez à Jésus au Saint-Sacrement de me bénir aussi et
de même la très Sainte Trinité.
Au revoir, Petite Maman,
pardonnez-moi complètement.
La pauvre Alexandrina Maria
da Costa (la signature est celle d’Alexandrina).
Mes prières et mon union avec
Jésus au Saint-Sacrement
O mon cher Jésus, je
m’unis, en esprit, à partir de ce moment et pour toujours, à toutes les
Hosties contenues dans tous les ciboires de la terre, dans chaque lieu
où vous habitez sacramentellement. C’est là que je veux passer tous les
moments de ma vie, constamment, de jour comme de nuit, dans la joie ou
la tristesse, seule ou accompagnée, à vous consoler, à vous adorer, à
vous aimer, à vous louer, à vous glorifier. O mon Jésus, j’aimerais
faire tomber, continuellement, sur vous, de jour comme de nuit, autant
d’actes d’amour que de gouttes de pluie fine tombent sur la terre. Je
voudrais que toutes les créatures de la terre en fissent de même, afin
que vous soyez aimé de tous. Écoutez ces vœux de mon cœur et
acceptez-les comme si déjà je vous aimais. O Jésus, je voudrais qu’il
n’y eût pas un seul Tabernacle dans le monde, en tout lieu où vous
habitez au Saint-Sacrement, où je ne fus à vous redire, sans cesse, à
chaque instant de ma vie : Jésus, je vous aime ; Jésus, je suis toute à
vous. Je suis votre victime, la victime de l’Eucharistie,
la petite lampe de vos prisons d’amour, la sentinelle de vos
Tabernacles !
O Jésus, je veux être victime pour les
prêtres, victime pour les pécheurs, victime de votre amour, de ma
famille, de votre sainte Passion, des Douleurs de la Petite-Maman, de
votre Cœur, de votre sainte Volonté; victime du monde entier! Victime
pour la paix, victime pour la consécration du monde à la Maman chérie...
Le Seigneur m’a informée,
courant 1935, que je mourrais
le jour de la fête de la très Sainte-Trinité
1936. Vu que je ne connaissais pas d’autre mort, je pensais quitter ce
monde et partir vers l’éternité. Pendant cette période j’ai eu beaucoup
de consolations spirituelles. Plus le jour de la fête de la très
Sainte-Trinité approchait, plus grande était ma joie : je serais partie
célébrer au ciel la fête de mes trois amours, comme je les appelais : le
Père, le Fils et le Saint-Esprit.
Les douleurs de mon corps
allaient en augmentant et, tout portait à croire à ma prochaine
disparition. Deux jours avant, le Seigneur m’a confirmé que je mourrais
entre les 3 et 3 heures 30 du matin et m’a dit de faire appeler mon
directeur spirituel. Cela fut fait.
Il est arrivé vers le soir
et est resté auprès de mon lit toute la nuit. Il m’a préparée à mourir;
et a fait avec moi un acte de complète résignation et de conformité à la
volonté de Dieu. J’ai demandé pardon à toute la famille et dans la joie,
je chantais :
Heureuse, ô heureuse !
Et j’en ai tant envie,
De mourir en chantant
Le saint nom de Marie !
Heureuse qui, mille fois,
Dans sa longue agonie
Avec amour peut citer
Le saint nom de Marie !
Ensuite, j’ai été prise
d’une affliction croissante. À l’heure fixée, je ne sais pas ce que j’ai
ressenti ; j’ai cessé d’entendre tout ce qui se passait autour de moi.
Mon Père spirituel et mes familiers ont récité les prières pour les
agonisants; ils ont allumé un cierge béni qu’ils ont placé entre mes
mains, mais déjà je n’avais connaissance de rien. Je suis restée ainsi
un certain temps.
Ils pensaient que j’étais
morte et ils me pleuraient. Tout d’un coup, j’ai commencé à entendre
leurs pleurs; j’ai recommencé à respirer et, petit à petit, j’ai repris
mes esprits, tout en restant encore en état de dépression et je pensais
: “Vous continuez à pleurer et moi, je continue de mourir !” J’attendais
toujours de comparaître devant Dieu. Cela ne me faisait rien de quitter
ce monde et ma chère famille. À un certain moment, voyant que je m’en
remettais et que les paroles de Jésus ne se réalisaient pas, une grande
et inimaginable tristesse m’envahit; je me sentais comme oppressée par
un poids écrasant.
Mon directeur spirituel a
dû partir, sans m’adresser la moindre parole de réconfort. J’ai passé la
fête de la très Sainte Trinité comme une moribonde ; à l’intérieur de
moi, tout était mort. Mes larmes coulaient abondamment. Des doutes
insupportables m’ont assaillie : je m’étais trompée, au sujet de la
mort, ainsi que sur tout ce que Jésus m’avait dit jusqu’alors. Pendant
les deux jours qui ont suivi, il me semblait que tout était mort. Il n’y
avait plus de soleil, plus de lune, plus de jour pour moi. Vivre m’était
presque insupportable. Deolinda et Çãozinha, les deux seules personnes
au courant, s’approchaient de moi et me demandaient : — Pourquoi ne
parles-tu pas ? Pourquoi ne nous souris-tu pas ? Moi, je leur
répondais : — Laissez-moi seule ! Je ne suis plus la même. Vous ne me
verrez plus sourire. Il n’y aura plus jamais de soleil capable de
m’éclairer !
Et je pleurais. Plongée dans la plus grande douleur, dans la plus grande
amertume, je parlais de telle sorte qu’elles ne savaient plus quoi me
dire.
Elles parlaient même de
faire appeler mon directeur spirituel. Mais, sans que personne en soit
prévenue, le Père Oliveira Dias
est arrivé, envoyé par mon directeur spirituel, pour réconforter mon
âme. Il lui avait tout expliqué et, comme il ne pouvait pas revenir
lui-même pour cause de sermon, et comprenant toute ma souffrance, fit
tout pour nous soulager.
Le Révérend Père Oliveira
Dias m’a expliqué mon cas, me racontant des cas semblables au mien qui
sont arrivés dans la vie de certains saints. C’est ainsi que j’ai appris
qu’il s’agissait de la mort mystique et, de laquelle je n’avais jamais
entendu parlé. J’ai eu comme l’impression que ce fut comme un ange
envoyé du ciel pour calmer la tempête de mon âme. J’ai toutefois
continué de vivre dans l’épreuve. Il me semblait que Jésus, lui aussi,
était mort, car pendant quelques mois, je n’ai plus entendu sa voix.
Quand l’agonie de mon âme augmentait, je me remémorais les faits que le
Père Oliveira Dias m’avait racontés et je reprenais un peu de courage,
aidée en cela par mon Père spirituel.
Une vision
Vers la fin de 1936, une
nuit, j’ai aperçu, à peu de distance, un pré très vert et très fleuri.
Les fleurs étaient des lis. Combien ils étaient nombreux ! Combien ils
étaient parfaits ! Au milieu de ce pré, paissait un troupeau d’une
immensité de brebis. Le berger, c’était Jésus, grandeur nature, très
beau, un bâton à la main. Je me suis approchée du pré ; au moment où
j’allais entrer, le tout se transforma dans une route aride. J’ai
cheminé jusqu’à une pente très difficile à monter. Pour arriver au
sommet de la montagne, je devais parcourir un sentier qui faisait peur :
que des ronces et des épines. À ma gauche j’entendais bêler les brebis.
J’aurais aimé m’approcher pour voir la cause de leurs lamentations, mais
un précipice profond et obscur m’empêchait enfin de les voir. Je
percevais qu’elles souffraient beaucoup.
J’ai continué de cheminer
le long de ce sentier et puis, tout en haut, à droite, j’ai encore
entendu des lamentations. Depuis la hauteur, j’ai pu voir la cause de
tant de souffrance : il y avait une brebis à la laine très blanche, mais
très sale, tombée et enchevêtrée entre de longues et aiguës épines. De
suite j’ai compris que ses lamentations n’étaient pas de nostalgie de sa
maman, parce qu’elle était déjà assez grande. J’ai eu tellement de
peine, de la voir dans cet état, que je me suis approchée et, avec
beaucoup d’amour et de tendresse, je l’ai libérée de ses épines.
Aussitôt libérée, la vision cessa.
Je ne l’ai plus jamais
oubliée. Elle resta gravée dans ma mémoire et dans mon âme.
Une grande crise. Symptômes de
mort.
Vers la fin du mois d’avril
1937, j’ai eu une grande crise [physique] que me mit aux portes de la
mort: des vomissements à ne plus en finir; mon estomac n’acceptait aucun
aliment. Les premiers jours je suis restée dans un profond abattement.
Je ne reconnaissais personne. Je n’avais ni faim ni soif. Monsieur le
curé, par trois fois, me récita les prières pour les agonisants, mais je
m’en souviens très peu. J’entendais que l’on priait, mais je ne pensais
pas à la mort.
Depuis un an, je recevais
régulièrement la Communion,
alors qu’auparavant, malgré la peine que cela me causait, je ne la
recevais que quelques fois par mois.
Je ne sais pas pourquoi,
mais probablement parce le Seigneur l’inspira à l’abbé, celui-ci me
portait Jésus chaque jour. J’avais demandé cette grâce qui fut pour moi
une très grande joie.
Pendant cette période de ma
maladie, — je ne sais pas si le matin ou l’après-midi — j’ai vu entrer
dans ma chambre monsieur le Curé. Le reconnaissant, je lui ai dit : —
« J’aimerais recevoir Jésus. » Il m’a répondu : « — Oui, ma chère, je
vais prendre une hostie non consacrée : si tu ne la rejettes pas, je te
donnerai Notre Seigneur. » Et ce fut ainsi. Toutefois, à peine avalée,
je l’ai rendue aussitôt. Le Père était d’avis de ne pas me donner la
Communion, mais quelqu’un lui dit : « — Monsieur le Curé, une hostie non
consacrée n’est pas Jésus ! » Alors il se décida à me donner la
Communion et je ne l’ai pas rendue. Je ne suis plus jamais restée sans
la Communion. Combien de fois le curé en entrant, me trouvait prise de
crises de vomissements ! Mais, à peine avais-je reçu Jésus, que les
crises et les nausées cessaient, pour ne revenir qu’une demi-heure après
la Communion. C’est par cette raison que Monsieur le Curé ne craignait
plus de me donner Jésus.
La crise dura pas mal de
temps et, pendant dix-sept jours je n’ai rien pu avaler: ma médecine
était Jésus.
Je disais : « — Je meurs de
faim et de soif » — car après les premiers jours, je sentais une soif
brûlante et un grand besoin de m’alimenter. Quand j’en fus guérie, ma
plus grande peine me venait lorsque je pensais que, si j’étais morte
pendant cette crise, je n’aurais pas eu une parfaite connaissance de la
mort.
La protection dévoilée de Jésus
et de Marie
Lors des festivités du mois
de mai dans la paroisse, je restais seule à la maison. Pour faire mes
prières, j’allumais quelques bougies à l’aide d’une tige. Un jour, un
bout de bougie allumée est tombé risquant de faire prendre feu à la
nappe de la table ou faire éclater le globe de verre. Je voulais
l’étendre avec la canne, mais je n’y réussissais pas. Au moment ou je
m’apprêtais à laisser tomber dessus le chandelier, tout s’est éteint.
Quelle affliction de ne pas pouvoir bouger et empêcher qu’une aussi
petite flamme ne cause la destruction de notre maison !
Un autre jour où je devais
aussi rester seule pour peu de temps, j’ai eu une grande peur. Une
voisine est entrée pour me demander si j’avais besoin de quelque chose.
Quand elle est partie, elle a laissé la porte de la véranda ouverte et,
peu de temps après, notre chèvre en a profité pour entrer. Elle a pris
la direction de la salle où nous gardions les vases de fleurs destinés à
l’ornementation de l’église, les jours de fête. Je l’ai appelée : elle
m’a regardé, mais n’est pas venue. Je lui ai jeté un morceau de miel,
mais elle ne l’a pas mangé, je lui ai encore montré un autre bon morceau
et j’ai continué de l’appeler; à la fin, elle a fini par s’approcher de
moi. Alors, je l’ai saisie, je lui ai donné le miel et je l’ai ensuite
tenue pendant deux heures : quelquefois la caressant, quelquefois aussi
lui administrant quelques petites tapes. Quand ma sœur est arrivée, elle
s’est étonnée que j’aie pu faire un tel effort. J’ai remercié Jésus pour
avoir pu éviter, malgré ma paralysie, le désagrément de voir nos fleurs
détruites. Combien je dois à Jésus ! J’étais prisonnière au lit, mais il
m’a épargné ce chagrin.
Quelque temps après, j’ai
eu une épreuve plus douloureuse. Ma sœur s’était absentée du village et
ma mère était partie au marché. Je suis restée avec une jeune fille
chargée par ma mère de m’aider, jusqu’à son retour. Malgré ses vingt
ans, elle préféra s’en aller avant l’heure. Au moment où elle sortait,
je lui ai dit : « — Si vous voulez partir, faites-le. A leur retour,
elles me retrouveront ici, vivante ou morte. »
À peine la jeune fille
était-elle sortie, que quelques chatons, après plusieurs tentatives,
réussirent à monter sur mon lit. Comme je ne le voulais pas, je les ai
obligés à descendre. Quelques minutes plus tard, j’ai entendu que l’un
d’eux tombait dans une bassine d’eau. Il a beaucoup miaulé et, après
avoir avalé beaucoup d’eau, il est mort. La mère a, elle aussi, beaucoup
miaulé. Je n’ai pas réussi à me dominer et j’ai commencé à pleurer, en
disant : « — O Maman du ciel, faites que quelqu’un arrive et puisse le
sauver. J’ai invoqué plusieurs saints. » En même temps je pensais : « —
Malheureux, celui qui est paralytique ! »
Par hasard, deux personnes
sont entrées et, me voyant pleurer ont été impressionnées, voyant mon
affliction. Le chaton était mort. Je ne me suis pas impatientée. Je ne
pleurais parce que j’avais de la peine pour les animaux, mais je n’ai
pas offensé Jésus. Ce fait fut à l’origine des grandes afflictions
morales, parce que ma mère et ma sœur prirent très mal le comportement
de la jeune fille. Mais elles lui ont pardonné, comme moi aussi, je lui
ai pardonné.
Comme j’aimais la solitude,
spécialement le dimanche, lorsque, à l’église se faisait l’adoration du
Saint-Sacrement, je demandais aux miens de me laisser seule avec Jésus.
C'est ainsi, qu'un jour,
aussitôt que je les avais entendues partir, je m'étais mise à réciter
mon chapelet. Peu après, j'ai entendu ouvrir le portail qui donne dans
le jardin et des pas légers arpenter les escaliers, en même temps qu'une
voix répétait avec insistance : « — Ouvre-moi la porte ! » D'immédiat
j'ai reconnu cette voix
et, j'ai tremblé apeurée. Qu’en serait-il de moi s’il réussissait à
entrer ! Avec confiance, j'ai serré entre mes mains le chapelet, mais
j'étais atterrée, en pensant à ce qui pourrait m'arriver. J'entendais
pousser fortement la porte et manœuvrer la serrure. Je tremblais, sans
même oser respirer, car je savais que la porte n'était pas fermée à
clef. Mais, je ne sais comment, la porte ne s'est jamais ouverte. Après
de vains essais, le voyou a renoncé et est parti, me laissant en paix.
Après une aussi grosse frayeur, jamais je n'ai voulu rester seule à la
maison.
J'attribue à Jésus et à la
Mère du Ciel la grâce d'avoir été épargnée de cette mauvaise rencontre,
car j’aurais de loin préféré être attaquée par une foule de démons [que
par cette personne].
Le 1er mai 1937,
j’ai eu la visite du révérend Père Durão. Il était envoyé par le
Saint-Siège afin d’examiner la question de la consécration du monde à
Notre-Dame. Je ne désirais pourtant que vivre cachée, sans que personne
sache ce qui se passait en moi. Le révérend remis à ma sœur un billet de
mon directeur spirituel, lui demandant de me le lire. En entendant les
mots du billet — qui étaient les suivants : « Je vous présente le
révérend Père Durão ; parlez-lui librement et répondez à tout ce qu’il
vous demandera » —, je me suis affligée et j’ai demandé à ma sœur :
« Que dois-je lui répondre ? » Car je ne savais pas qu’un interrogatoire
était nécessaire pour des cas comme le mien. Ma sœur m’a encouragée en
me disant : « — Dis-lui ce que Notre-Seigneur t’inspirera ».
J’ai été surprise, par la
manière dont, sans hésitation, j’ai répondu aux questions au sujet des
communications de Notre-Seigneur. Il m’a suggéré de ne lui dire que les
choses principales, afin de ne pas me fatiguer. Je lui ai répondu que je
ne savais pas quelles étaient les choses principales. Le révérend me dit
alors : « — J’aime ça ! J’aime ça ! » Et ce fut alors qu’il m’a parlé de
la consécration du monde à Notre-Dame. Après quelques questions il m’a
dit : « — Vous ne vous trompez pas ? » À ces paroles, je me suis
souvenue de mon erreur au sujet de ma mort et, j’ai pensé : « — Une fois
déjà, je me suis trompée... » Et je lui ai raconté ce qui s’était passé
le jour de la fête de la très Sainte-Trinité, en 1936. Le révérend Père
ne m’a plus dit si je ne m’étais pas trompée, mais il a repris : « — Ces
choses-là coûtent beaucoup, n’est-ce pas ? » Et je lui ai répondu : « —
Oui, elles coûtent et me rendent triste. » Et j’ai commencé à pleurer. À
la fin, il s’est recommandé à mes prières et m’a assuré qu’il ne
m’oublierait pas non plus, lors de la célébration de la sainte Messe.
Il s’est agenouillé ensuite
et a récité trois Ave et quelques prières jaculatoires. Celles-ci
terminées, il a pris congé. J’ai beaucoup pleuré, et je suis restée dans
la tristesse et la tourmente, car ce qui pendant longtemps était resté
caché et gardé au sein de la famille, sortait ainsi à la lumière. Tout
de suite j’ai écrit à mon directeur spirituel pour tout lui raconter. Il
m’a répondu rapidement en me rassurant, me disant que tout cela servait
pour la plus grande gloire de Notre Seigneur.
Période pendant laquelle le
démon m’a le plus importunée
Si la vie matérielle s’est
améliorée pendant cette période, les assauts du démon qui depuis des
mois me menaçait, redoublèrent. Ce fut au mois de juillet 1937 que le
« manchot »,
non content de me tourmenter la conscience et de me dire des turpitudes,
après quelques mois de menaces, a commencé de me battre et à me faire
tomber du lit, de jour comme de nuit.
Au début j’ai caché la
chose y compris aux personnes de la maison, excepté ma sœur, leur disant
qu’il s’agissait de crises du cœur. Mais, par la suite, ma mère et une
jeune fille
qui vivait avec nous, ont été informées. Les personnes qui étaient
témoins de mes chutes avaient de la peine pour moi, mais ignoraient tout
à fait leur origine. Une nuit, le malin m’a jetée sur le parquet, me
faisant passer par-dessus ma sœur qui dormait sur un matelas étalé par
terre à côté de mon lit. Deolinda s’est levée, m’a prise dans ses bras
m’ordonnant : « — Va dans ton lit ! » Remise à ma place, je me suis
levée brusquement en émettant des sifflements. À peine me suis-je rendue
compte de ce qui arrivait, j’ai commencé à pleurer et dis à ma sœur :
« — Oh ! Qu’ai-je fait ?! » Elle m’a tranquillisée en disant : « — Ne
t’affliges pas : ce n’était pas toi ! » La nuit suivante la même chose
s’est produite et, à ma sœur qui voulait me reposer sur mon lit je lui
ai crié, en l’éloignant de moi : « — Non, non, au lit je n’irai pas ! »
À peine je me rendais compte du mal que je faisais, je pleurais.
Une nuit le « manchot » a
fait les pires choses que l’on puisse imaginer, des choses que je ne
connaissais pas et même j’ignorais. Alors je pleurais amèrement et
pensais ne pas pouvoir recevoir mon Jésus, sans me confesser.
Ce jour-là, Monsieur le Curé était absent, mais je sentais qu’il me
serait bien difficile de lui parler de ces choses-là. Je sentais ne pas
pouvoir m’ouvrir à lui. Ma sœur qui, voyant mes larmes, cherchait à me
réconforter par tous les moyens, mais n’y réussissait pas, s’est
proposée d’aller chercher mon directeur spirituel qui prêchait dans un
village voisin. Je lui ai dit que cela ne serait pas nécessaire, car je
ne lui dirais pas ce qui se passait. Je lui ai demandé une image de
Notre-Dame et, avec beaucoup de sacrifice, j’ai écrit succinctement ce
qui était nécessaire pour être comprise. Je l’ai cachée sous l’oreiller
en attendant que l’heure arrive de la remettre. Mais, de façon imprévue,
mon directeur spirituel est arrivé avec Jésus-Hostie, accompagné par un
séminariste. Il avait été informé de l’absence de Monsieur le Curé.
Quand il m’a annoncé qu’il m’apportait Jésus, je lui ai dit : « — Je ne
peux pas faire la Communion sans me confesser. »
Les larmes et la honte ne
me permettaient pas de parler. Je lui ai dit, toutefois, avoir écrit un
billet. Il l’a pris, l’a lu et, pour me tranquilliser, m’a assuré
qu’étant donné les précédents, il avait prévu cette épreuve, même s’il
n’avait jamais osé m’en prévenir.
Cette tribulation s’est
répétée plusieurs fois. J’étais victime des ces furieuses attaques deux
fois par jour, vers neuf ou dix heures de la nuit et aussitôt après
midi, et cela durait parfois plus d’une heure. Pendant ces assauts je
ressentais en moi la rage et la fureur infernales. Je ne consentais pas
que l’on me parle de Jésus et de Marie, ni même de voir leurs images :
je leur crachais dessus et les piétinais. Je ne pouvais pas non plus
sentir la présence de mon Directeur spirituel : je l’insultais et
voulais même le frapper, ainsi que quelques personnes de la maison. Mon
corps devenait violet et sanguinolent à cause des morsures.
Je disais pareillement des gros-mots envers les personnes présentes.
Oh ! Combien j’aimerais que beaucoup aient pu le voir, afin qu’ils
craignent l’enfer et arrêtent d’offenser Jésus !
À chaque fois que
l’influence du démon cessait et, me souvenant de tout ce que je venais
de faire et de dire, d’angoissants scrupules m’envahissaient ; j’avais
l’impression d’être la plus grande criminelle. Ce furent des mois de
douloureux martyre. J’aurais beaucoup à dire sur ce registre, mais je ne
le peux pas : mon âme ne résisterait pas à l’évocation de telles
souffrances.
Jésus me montre ses divines
plaies
Une nuit, Jésus m’est
apparu: sur ses mains, sur ses pieds, sur son côté, il portait ses
plaies ouvertes, très profondes, desquelles jaillissait, abondamment, du
sang. De celle de son côté, le sang coulait jusqu’à la ceinture,
traversait la bande de lin et coulait jusqu’à terre. J’ai baisé les
plaies des mains avec beaucoup d’amour et je désirais ardemment
embrasser celles des pieds, mais, étant dans mon lit, je ne le pouvais
pas. Je n’ai rien dit, mais Il devina mon désir et m’accorda la
possibilité de le faire. J’ai ensuite fixé la plaie du côté. Pleine de
compassion, je me suis jetée dans les bras de Jésus, lui disant : « — O
mon Jésus, combien vous avez souffert par amour pour moi ! » Je suis
restée ainsi quelques instants, jusqu’au moment où Jésus a disparu.
Il est inutile de dire que
plus jamais cette vision ne s’effacera de ma mémoire. Aujourd’hui encore
je sens mon cœur blessé, au souvenir de ce tableau. Je n’en parle que
par obéissance et par amour pour Jésus. Je pense qu’il a agi ainsi pour
me préparer à ce que maintenant je vais raconter : qu’Il m’en donne la
force et la grâce !
Le 23 juillet 1938
j’écrivais : « Jésus est ma force, mon amour, mon Époux. Acceptez, ô
Jésus, que votre toute petite fiancée vous dise, non pas des lèvres,
mais du cœur : Je n’appartiens qu’à vous !
Je n’ai rien, rien qui ne
soit à Jésus.
Cela coûte de parler ainsi,
alors que l’on ressent le contraire et que l’on vit les heures les plus
amères de sa vie, des journées de tant de luttes où le démon m’affirme
le contraire, rien que le contraire.
Maudit, je ne t’appartiens
pas. Tu n’es digne que de mépris. Tu es menteur! Jésus est tout à moi,
et moi, je suis toute à Jésus. Mon cœur, mon cœur, crie fort, très fort
à ton Jésus et dis-lui que tu l’aimes, que tu l’aimes plus que toutes
les choses de la terre et du Ciel !
Je suis à Jésus dans les
joies, dans les peines, dans les ténèbres, dans les terribles
tribulations, dans la pauvreté, dans l’abandon total.
Je souffre tout pour Jésus,
pour le contempler, pour sauver les âmes.
Envoyez, ô Jésus, à votre
Alexandrina, votre victime, tout ce que l’on peut imaginer, tout ce qui
existe et peut s’appeler souffrance. Avec Vous, avec votre aide divine
et avec celle de la votre et ma tendre Maman du Ciel, je vaincrai
toujours. Je ne crains rien.
Je t’embrasse et te serre
dans mes bras, ô Croix bénie de mon Jésus !
Ma retraite spirituelle
Chaque fois que j’apprenais
que certaines personnes faisaient leur retraite spirituelle, je disais :
« — Tout le monde fait sa retraite, sauf moi! Je ne sais même pas ce que
c’est. »
J’ai osé dire ceci
plusieurs fois en présence de mon directeur spirituel. Il me promit que
si le Père provincial le lui permettait, il serait venu pour me la
faire. Par une grande faveur, le Seigneur, dans ses desseins, le permit.
Ce fut le 30 septembre 1938 que mon Père spirituel est venu la
commencer.
À ce temps-là, mon âme se
trouvait vivre dans de grandes agonies et, quelques fois, je me sentais
sur le point de tomber dans des abîmes épouvantables. Pendant les jours
de retraite, mes souffrances ont redoublé et ces abîmes sont devenus
terrifiants. La justice du Père éternel tombait sur moi et souvent me
criait : « — Vengeance, vengeance, etc. » — pendant que les souffrances
du corps et de l’âme augmentaient. Il est impossible de les décrire ; il
est nécessaire de les avoir senties et vécues. Je passais les jours et
les nuits roulant sur mon lit, en entendant la voix puissante du Père
Éternel.
Au matin du 2 octobre 1938,
Jésus m’a dit que j’allais souffrir toute sa sainte Passion, du Jardin
des Oliviers au Calvaire, sans aller jusqu’au “Consummatum est”.
Je devrais la souffrir le 3 et ensuite tous les vendredis juste après 12
heures jusqu’à 15 heures, mais que pour la première fois Il resterait
avec moi jusqu’à 18 heures pour me confier ses lamentations.
Je ne me suis pas refusée.
J’ai informé mon directeur de tout ce que Jésus m’avait dit. J’attendais
le jour et l’heure, très affligée, car ni moi ni mon directeur, nous
n’avions aucune idée de ce qui allait arriver. Dans la nuit du 2 au 3
octobre, l’agonie de mon âme fut bien grande. La souffrance de mon
corps, fut-elle aussi très grande: vomissements de sang et douleurs
terribles. Pendant plusieurs jours j’ai vomi et pendant cinq jours, je
n’ai rien avalé. Ce fut donc avec cette souffrance que j’ai abordé ma
première crucifixion. Quelle horreur je sentais en moi! Quelle peur et
quelle terreur! Mon affliction était indicible.

Juste après l’heure de
midi, Jésus est venu m’inviter : « — Voilà, ma fille, Le Jardin des
Oliviers est prêt, ainsi que le Calvaire. Acceptes-tu ? »
J’ai senti que Notre
Seigneur, pour quelque temps, m’accompagna sur le chemin du Calvaire.
Ensuite, je me suis sentie seule. Je le voyais là haut, grandeur nature,
cloué sur la Croix. J’ai cheminé sans le perdre de vue… je devais
arriver près de Lui.
J’ai vu deux fois sainte
Thérèse.
La première fois à la porte du Carmel, dans sa tenue, entre deux autres
sœurs, puis entourée de roses et recouverte d’un manteau céleste.
NOTA : Étant donné
qu’Alexandrina ne s’est jamais disposée à décrire le phénomène de la
Passion, nous transcrivons ici la lettre suivante, adressée à son
Directeur spirituel, où elle décrit les sentiments de son âme pendant
les heures qui précédaient la Passion.
Je cherche un peu de
soulagement dans ma souffrance. J’attends l’heure de ma crucifixion. Je
ne peux pas parler. Mon cœur galope. Dans mon âme c’est la rébellion,
l’émeute. Le poids m’écrase. Ténèbres, nuit menaçante et triste ; je me
trouve dans un état d’abandon effrayant. Il me semble cheminer au milieu
de la haine de tous, de tribunal en tribunal. Pauvre de moi! Et je n’ai
pas reçu Jésus! J’ai confiance qu’il suppléera dans les Communions
spirituelles, nonobstant la nausée que je sens de moi-même et l’horreur
pour mon énorme misère.
Hier, la température s’est
calmée. Au début je ressentais des choses horribles. Mon corps était
tout transpercé de long en large comme par d’aiguës pointes. Quels
terribles moments ! Malgré un court soulagement, je suis toujours
restée dans une nuit très obscure, dans une profonde tristesse. Je peux
dire que je suis restée toute la nuit à tenir compagnie à Notre
Seigneur, me concentrant un peu sur la tragédie de la nuit du jeudi
saint. Il me semblait que Jésus m’invitait au Jardin des Oliviers. Que
de mouvements de foule ! Ces choses je les ressentais dans mon âme.
Mon Père, tout ce que je
dicte me semble mensonger. Combien de doutes ! Que d’effroi à l’approche
de la Passion ! J’ai déjà dit à Deolinda
que c’est un miracle que de pouvoir en résister : mon cœur ne bat
presque plus. Que Jésus soit avec moi. Je n’ajoute rien, parce que je ne
le peux plus...
Ici, elle interrompt sa
lettre, parce que la Passion commence alors. Sa sœur, Deolinda nous la
décrit comme suit :
« Mon Père, quel vendredi
saint ! Ce fut vraiment le vendredi de la Passion ! Avant que celle-ci
ne commence, combien son visage était empreint d’affliction ! Elle
craignait ce jour et disait : « Combien j’aimerais qu’il soit déjà
passé ! » Je la réconfortais comme je le pouvais, la caressant, alors
que moi-même j’étais remplie de peur et d’affliction ?
Pendant la Passion, je n’ai
pas pu m’empêcher de pleurer et j’ai remarqué que presque toutes les
personnes présentes pleuraient. Quel spectacle émouvant ! L’agonie du
Jardin des Oliviers, fut longue et afflictive. On entendait des
gémissements très profonds et à un certain moment, elle suait le sang.
De la flagellation, je ne vous en parle même pas, et non plus du
couronnent d’épines ! Les coups de la flagellation la mirent à genoux;
ses mains semblaient attachées. J’ai voulu lui mettre un coussin sous
les genoux, mais elle changea de place, elle n’en voulait pas. Elle a
les genoux en piteux état. Les coups sont innombrables... elle les reçut
pendant bien longtemps... Il fallait en arriver là. Les coups de canne
sur la tête couronnée d’épines, furent aussi très nombreux. Pendant la
Passion elle vomit deux fois : uniquement de l’eau, car elle n’avait
rien à l’estomac. La sueur était si abondante que ses cheveux en étaient
trempés. En passant la main sur ses vêtements, j’ai pu constater qu’ils
étaient aussi tout trempés.
À la fin du couronnement
d’épines elle ressemblait à un cadavre.
Le chanoine Borlido — de
Viana do Castelo — et deux autres personnes, ainsi que le docteur Almiro
de Vasconcelos — de Penafiel — son épouse et sa sœur Judith, étaient
présents ».
Et Alexandrina poursuit :
Ma souffrance fut bien
douloureuse, pendant quelques jours. Les vomissements de sang et une
soif brûlante continuèrent. Aucune eau n’était capable de ma rassasier.
Je ne pouvais pas boire... J’ai passé des jours ayant l’eau qui me
coulait sur les lèvres, mais sans pouvoir l’avaler.
J’étais fatiguée et les
personnes qui m’assistaient étaient elles aussi fatiguées. Alors même
qu’une grande quantité d’eau était passée sur mes lèvres, j’en demandais
encore : « — Donnez-moi de l’eau, beaucoup d’eau, des sceaux d’eau ! » —
J’avais l’impression de brûler : aucune eau me rassasiait.
Je sentais des odeurs
horribles. Je ne voulais pas que les personnes s’approchent de moi :
elles sentaient comme des chiens morts. On de donnait des violettes et
des parfums à sentir, mais ils éloignaient tout : la même puanteur me
tourmentait toujours.
Les jours où je pouvais
prendre quelques aliments, ceux-ci avaient pour moi un si mauvais goût
que j’avais des nausées : toutes ces choses exhalaient des odeurs
répugnantes.
Combien de choses j’aurais
à dire si je pouvais décrire tout ce que je ressens ! Il m’en manque le
courage, car il est très pénible de remémorer toutes ces choses.
Doutes et scrupules de
tromperie.
Examens médicaux et théologiques
En même temps que les
grâces divines augmentaient, augmentaient aussi les doutes et la peur de
me tromper et de tromper mon Directeur ainsi que tous ceux qui vivaient
autour de moi. Mon martyre augmentait, lui aussi, de plus en plus : il
me semblait que tout était faux et inventé par moi. Mon Dieu, quel coup
pour mon cœur ! Les ténèbres m’enveloppaient : je n’avais aucune lumière
pour me montrer le chemin. Mon Directeur faisait pourtant bien des
efforts pour me redonner confiance, mais rien n'y réussissait.
Malgré cela, je me faisais violence pour m’abandonner dans les bras de
Jésus, afin de ne pas être prise dans le tourbillon.
Je souffrais beaucoup à
cause des larmes de ceux qui m’entouraient et, je pensais : « — Mon
Dieu, si le courage leur manque, comment n’en manquerai-je pas ? »
Quelle humiliation je
ressentais d’être observée par d’autres ! O, si seulement je pouvais
souffrir seule et que ce soit Jésus le seul à savoir combien je
souffrais pour Lui !
Aussitôt après la deuxième
crucifixion, les examens, faits par des Père de la Compagnie [de Jésus],
ont commencé. Quelle honte j’ai éprouvé, non pas pendant la Passion,
mais avant et après !
J’ai commencé à comprendre
que mon Directeur spirituel souffrait beaucoup, intimement, à cause de
moi, c’est-à-dire, en voyant tout ce qui arrivait.
Les examens des théologiens
ont été suivis par ceux, très douloureux, des médecins,
lesquels laissaient mon corps en piteux état. J’avais l’impression de
comparaître devant un tribunal, comme si j’avais commis les plus grands
crimes. Combien il m’était pénible de les voir entrer dans ma chambre,
m’examiner et ensuite se réunir dans une salle pour discuter sur mon
cas, me laissant sous le poids de la plus grande humiliation !
Si je ne me trompe pas, ce
fut à partir de la troisième crucifixion que les médecins sont venus
examiner mon cas. C’est difficile et je sais que je ne peux pas décrire
toute ma souffrance. Ils laissaient mon corps martyrisé, mais d’autres
choses m’étaient encore plus pénibles. Quelle humiliation j’ai dû
subir ! Quelle triste figure je faisais devant eux ! Pas même le plus
grand criminel n’aurait pas été jugé par un tribunal avec autant de
soin. Si je pouvais ouvrir mon âme afin que l’on puisse voir ce qui se
passe en elle et ce que j’ai vécu quotidiennement — car je revis ces
jours ! — je le ferais pour le bien des âmes, en dévoilant combien je
souffrais pour l’amour de Jésus et pour elles. Ce n’est que pour cela
que je me suis soumise à de telles souffrances.
Quand mon Directeur m’a
proposé ces examens, il m’a laissé entendre que je ne serais examinée
que par les médecins ; ce fut pour moi un grand déchirement ; une forte
répulsion a jailli en moi. Je voulais souffrir cachée, que seul Jésus
connaisse ma souffrance. Mais l’obéissance commande. Je me suis réprimée
et je les ai acceptés pour Jésus. Il ne manquait plus que des médecins
pour compléter mon calvaire ! Certains ont été pour moi de vrais
bourreaux placés sur ma route.
Ceux-ci, après leurs
consultations, ont décidé de m’envoyer à Porto. Ce fut très difficile
pour moi de m’y soumettre étant donné mon état de santé. Je craignais ne
pas pouvoir faire le voyage et, lorsque le médecin assistant
m’y invita, je lui ai répondu : « — Vous-même, en 1928, vous ne m’avez
pas autorisé à aller à Fatima, et maintenant, alors que je suis bien
plus souffrante, vous voulez m’envoyer à Porto ? » Il a répliqué : « —
C’est vrai que je ne l’ai pas voulu, mais maintenant je le veux. » Je
lui ai demandé si mon Père spirituel était au courant de cette décision.
M’ayant répondu par l’affirmative, j’ai cédé à sa requête.
Le 6 décembre 1938, vers
onze heures, j'ai été transportée de mon lit à l’ambulance. Dans la
matinée, plusieurs personnes amies sont venues me rendre visite ;
presque toutes ont pleuré ; il en était de même pour ma famille. En ce
qui me concerne, j’avais cherché à toutes les égayer, faisant semblant
ne rien souffrir. Le voyage fut douloureux. Il nous a pris presque trois
heures et demie, car nous devions faire plusieurs pauses, à cause de mon
état de santé.
À Porto, dans le cabinet du
docteur Roberto de Carvalho on m’a fait passer une radio. Il m’a traitée
avec beaucoup de délicatesse et, en me donnant congé, il m’a dit : « —
Pauvre fille, combien tu souffres ! »
De là j'ai été envoyée au
Collège des Filles de Marie Immaculée, où j'ai été très bien traitée.
Par contre, à cause des chaos de la route, j’ai failli m’évanouir, plus
d’une fois. J’ai été examinée par le docteur Pessegueiro : cela n’a
servi qu’à augmenter ma souffrance.
Le voyage de retour a été
très pénible, lui aussi. À peine rentrée dans ma petite chambre, j’ai
été entourée par des personnes amies.
Le 26 décembre 1938, j’ai reçu la visite et subi les examens du docteur
Elísio de Moura, lequel m’a traité cruellement, en essayant violemment
de me faire asseoir sur une chaise. N’y réussissant pas, il me jeta sur
le lit, faisant plusieurs expériences qui toutes m’ont beaucoup fait
souffrir. Il m’obstrua la bouche, me jeta contre le mur, sur lequel je
me suis cognée avec force. Me voyant presque évanouie, il m’a dit : « —
O ma Jeannette, ne tombe pas dans les pommes ! »
Sans le faire exprès, j’ai
pleuré, mais toutes mes larmes et mes souffrances, très nombreuses, je
les ai offertes à Jésus. Ce que j’en dis là est loin de la réalité. Je
lui ai tout pardonné, parce qu’il venait en mission d’étude.
Le 5 décembre 1939,
Monsieur le Curé, accompagné de Monsieur le chanoine Vilar,
sont venus me visiter. Ce dernier, les présentations faites, est resté
seul avec moi, pour me parler.
Nous avons parlé des choses
de Notre Seigneur, pendant deux heures. Ensuite, il m’a parlé du but de
sa visite, en commençant ainsi : « — Ma visite vous paraîtra
certainement étrange, car vous ne me connaissez pas. »
J’ai souri et je lui dis
ensuite : « — Je sais, certainement, pourquoi vous êtes venu. » Aussitôt
il ajouta : « — Dites, dites, Alexandrina. » Je me suis expliquée : « —
Vous êtes envoyé par le Saint-Siège. C’était ce que je ressentais dans
mon âme à ce moment-là. « — C’est exact. » Et il m’a présenté quelques
documents de Rome, et ensuite m’a posé quelques questions auxquelles
j’ai répondu rondement. Je ne lui ai pas parlé de la Passion, par
contre, lui, il m’en a parlé. « — Il me semble que quelque chose vous
arrive depuis quelques mois... » Il a manifesté le désir d’y assister.
Et, en effet, il est venu y assister le vendredi suivant.
J’ai parlé de cela à mon
directeur, lequel m’a conseillé de m’ouvrir à lui avec franchise. Le
chanoine est revenu quatre fois, mais, pour sa mission, que deux fois.
Si je ne me trompe, dès la première fois, il me dit : « — Notez,
Alexandrina, j’aurais préféré vous connaître dans d’autres
circonstances, avant que je ne vienne, chargé d’une mission, comme ce
fut le cas. » Il m’a confié le secret de son départ pour Rome, duquel,
seul l’Archevêque était au courent.
Étant donné que je me
sentais bien à l’aise pour parler avec lui et, ayant la permission de
mon Père spirituel, nous avons beaucoup parlé de Jésus : je me suis
sentie enveloppée dans une atmosphère de sainteté et de sagesse, comme
bien peu de fois cela arrive, en conversant avec d’autres prêtres. Je
lui ai avoué que, par tempérament, je n’avais pas l’habitude de procéder
de la même manière avec les autres, mais que lui, il m’inspirait
confiance. Il m’a répondu : « — Vous faites bien de ne pas en parler :
ils ne le comprendraient pas. »
Quand il a pris congé de
moi pour s’en retourner à Rome, j’ai pleuré. Il m’a promis de m’écrire
et m’a demandé d’être sa médiatrice sur terre.
J’ai, en effet, reçu de lui plusieurs lettres, auxquelles j’ai répondu :
nous nous sommes aidés mutuellement par des prières à Notre Seigneur.
Jésus me demandait de
nouveau sacrifices. À cause des examens médicaux et de l’intervention du
Saint-Siège, mon cas est devenu plus connu : pour moi, qui ne souhaitais
que l’anonymat, cela fut un martyre !
Ma famille ne me rapportait
pas les nouvelles qui circulaient, mais, malgré cela, j’ai appris les
commentaires que l’on faisait sur ma vie. Pauvres ignorants, combien de
mensonges ils diffusaient ! Quelques-uns affirmaient que mon voyage à
Porto avait pour but d’obtenir une pension mensuelle de la part de
Monsieur Oliveira Salazar [alors Président du Conseil portugais] ; ils
parlaient même de chiffres absurdes et discordants : 500 escudos pour
les uns, 300 ou 200 pour les autres ; aucune tentative ne réussissait à
faire taire de tels mensonges.
D’autres encore, disaient
que j’y étais allée pour « mesurer mon degré de sainteté » sur une
machine spéciale. Deolinda, pour faire terre cette version, répliquait :
« — Si cela était possible, j’irai moi aussi, pour contrôler à quel
point je le suis. »
J’éprouvais de la peine en
constatant que les choses du Seigneur étaient si mal comprises.
D’autres encore
propageaient que les prêtres qui me rendaient visite, recueillaient de
l’argent dans les paroisses et me l’apportait et, que c’était pour cela
que rien ne manquait jamais chez moi.
Autres, pour en finir,
disaient que je faisais la «voyante» : en effet des personnes sont
venues chez nous pour connaître leur avenir. Je les recevais avec
beaucoup de sérénité, feignant ne pas comprendre leur manège, mais quand
elles insistaient, je leur répondais : « — Je ne suis pas voyante,
personne peut deviner l’avenir. Nous n’avons pas le droit de pénétrer
dans la pensée d’autrui. Seul le Seigneur le connaît.
Et le temps passait ainsi.
Visite d’un médecin envoyé par
Jésus
Le 29 janvier 1941, j’ai
reçu la visite d’un Prêtre connu, lequel était accompagné de plusieurs
personnes de sa paroisse. Dès son arrivée, il me les a présentées, mais
ce n’est qu’après un long moment de conversation que j’ai appris que
parmi eux se trouvait un médecin. Sachant cela, je me suis sentie gênée,
non pas que je sois en train de mentir, en parlant de ma souffrance,
mais bonnement parce que je ne m’attendais pas à sa présence. Il est
toutefois resté discret et souriant. Je ne sais pas ce que je ressentais
pour lui au plus profond de moi. J’étais alors loin de penser qu’il
deviendrait dans quelques instants mon médecin traitant.
Il a commencé à m’examiner
minutieusement, mas avec beaucoup de prudence et de tendresse. Son
examen terminé, il lui a paru judicieux d’inviter le Dr Abel Pacheco,
jusqu’alors mon médecin traitant, afin de l’informer de son
diagnostique. Cela m’a peinée, car j’en avais assez d’examens médicaux,
mais j’ai cédé, ayant toujours en vue la volonté de Notre Seigneur et le
bien des âmes.
Le premier mai de la même
année j’ai été examinée par le docteur Pacheco. L’examen a duré peu de
minutes, mais il a été la cause de grandes souffrances pour mon corps et
pour mon âme : pour le corps parce que ses mains semblaient de fer ;
pour l’âme parce que je ressentais déjà les humiliations et les
résultats de cet examen. Malgré cela, j’étais encore loin d’en voir le
bout ! J’ai été informée par le docteur Dias de Azevedo qu’il serait
mieux que je retourne à Porto afin de consulter le docteur Gomes de
Araujo, si telle était la volonté de Notre Seigneur.
Il m’a suggéré de demander la lumière divine e, car il ne voulait en
rien contrarier le Seigneur.
Pendant un mois j’ai prié
pour savoir si c’était bien là la volonté de Dieu. Plus je demandais de
la lumière et plus les ténèbres augmentaient et plus profonde devenait
la souffrance de l’âme, car je ne savais pas quoi faire. Finalement, le
Seigneur m’a dit que c’était sa divine volonté que je parte à Porto.
Mon état physique était
assez grave. Ils craignaient de me sortir de mon lit pour un aussi grand
voyage. Moi-même je craignais beaucoup : si, rien que le fait de me
toucher était cause de grandes souffrances, comment pouvais-je aller
aussi loin ?... Encouragée par les paroles de Notre Seigneur, j’avais
confiance en lui et sous sa divine action, je me suis préparée pour
partir à l’aube du 15 juillet 1941.
À quatre heures, j’avais
déjà fait mes prières. Pour montrer que j’en étais contente, j’ai appelé
ma sœur pour lui dire que “nous allions en ville” : rien que pour
cacher ma douleur. Pendant que je lui disais cela, j’ai entendu la
voiture qui arrivait chez nous.
Le docteur Dias de Azevedo
et un monsieur de nos amis
sont entrés dans ma chambre. Après une courte conversation, pendant que
ma sœur s’habillait, nous nous sommes préparés pour partir. Nous avons
pris la route à 4,30 heures, afin de ne pas alarmer la population ; il
faisait encore nuit. En effet, nous sommes sortis du pays sans
rencontrer personne.
Mon âme était encore ans
dans un plus grand silence ! Plongée dans un abîme de tristesse, sans
interrompre mon intime union avec Jésus, je voyageais Lui demandant
toujours davantage de courage pour les examens qui m’attendaient et en
offrant mon sacrifice afin d’avoir son divin Amour et pour les âmes.
J’invoquais aussi la Maman du Ciel et les saints qui m’étaient les plus
chers. Rien ne m’attirait et, tout ce que je voyais me causait une
profonde tristesse. De temps à autre ils interrompaient mon silence pour
me demander si j’allais bien ; je les en remerciais sans même sortir de
l’abîme dans lequel j’étais plongée. Il faisait jour déjà quand nous
sommes arrivés à Trofa, chez la personne qui nous accompagnait : là je
devais me reposer et recevoir mon Jésus, en attendant de repartir pour
Porto. Avant de reprendre le voyage, j’ai été portée dans le jardin de
monsieur Sampaio et, soutenue par l’action divine, je me suis approchée
de quelques petites fleurs que j’ai cueillies en pensant : « — Le
Seigneur, quand Il les a créées, savait déjà qu’aujourd’hui je serais
venue les cueillir. » Ensuite j’ai été photographiée à deux endroits
différents et, de l’un à l’autre, je me suis déplacée toute seule, ce
qui n’était plus jamais arrivé depuis que j’avais pris le lit,
de la même façon que plus jamais je ne m’étais retournée dans mon lit
sans aide de quelqu’un. Ce fut un miracle divin, car sans lui, je
n’aurais pas pu le faire.
Nous avons repris le
voyage : mon âme souffrait horriblement. À six kilomètres de Porto,
Notre Seigneur a retiré son action divine. J’ai commencé à ressentir les
habituelles souffrances physiques qui m’ont tourmentée jusqu’à la fin du
voyage. J’ai dit alors, non pas parce que je connaissais la distance,
mais parce que mon état me l’a fait dire : « — Nous sommes déjà proches
de Porto. » Quelqu’un a répondu : « — Nous arrivons, nous arrivons ! »
En effet, j’avais pu voir qu’il ne manquait plus que six kilomètres.
La sortie en voiture vers
le cabinet a été douloureuse, autrement dit : martyre pour le corps,
agonie pour l’âme; il me semblait que j’allais mourir.
Avant d’entrer dans la
salle des consultations, j’ai dit à celui qui me portait dans ses bras :
« — Posez-moi, posez-moi, même si c’est sur le carrelage ! » À ce même
moment le médecin est arrivé et il me fit coucher sur un brancard, où je
suis restée en attendant la visite. Quelques instants avant que je ne
rentre dans le cabinet, Jésus m’a libérée de l’agonie de l’âme, ne me
laissant que les souffrances physiques, afin que je puisse mieux
résister.
L’examen a été assez long
et douloureux. Pendant que je me déshabillais, quelqu’un m’a dit de ne
pas m’affliger. Moi, me souvenant ce que l’on avait fait à Jésus, j’ai
dit : « — Même Jésus a été déshabillé. » Et je n’ai pensé à rien
d’autre. Le docteur Gomes de Araujo, même si un peu brusque, a été
prudent et attentionné.
Pendant le retour à la
maison, Jésus a exercé sur moi son action divine, afin que je résiste au
voyage, mais il m’a laissée de nouveau l’âme angoissée. Arrivés à
Ribeirão je suis allée me reposer chez le docteur Azevedo afin
d’attendre la nuit et de pouvoir rentrer au village sans que nul ne s’en
rende compte.
Que ce soit dans l’une
comme dans l’autre maison, j’ai été traitée avec beaucoup d’attentions,
mais nul ne parvenait à me réconforter, alors même que je souriais pour
cacher le plus possible ma douleur. Il faisait déjà nuit quand nous
avons repris le voyage. Tout m’invitait à un silence de plus en plus
profond. J’étais indifférente à tout. Pendant le trajet, je n’ai rien vu
d’autre que les fleurs du jardin de Famalicão parce que quelqu’un me les
avaient signalées. Nous sommes arrivés à la maison à minuit, obtenant
ainsi, que personne ne se soit rendu compte de notre absence.
Après ce voyage, mes
souffrances physiques ont assez augmenté.Tout
ce que je devais souffrir le jour du voyage, Notre Seigneur me l’a gardé
pour le lendemain, allant de plus en plus mal.
« Balasar, le 30 avril 1941
Chère Petit Maman
Pour entamer ton mois
bénit, je viens demander ta bénédiction, ton amour, afin que je puisse
aimer le tien et mon bien-aime Jésus. Je veux l’aimer, beaucoup,
beaucoup, jusqu’à devenir folle d’amour ; je ne veux vivre et mourir que
par amour ! Aidez, ma tendre Petite Maman, votre Jésus à immoler et à
sacrifier celle qui veut donner son sang et sa vie pour les âmes et pour
votre Jésus. Donne-moi, ma tendre Maman, ta pureté, ton humilité, ton
obéissance ; donne-moi tes vertus afin que je sois sainte, afin de
rendre gloire à ton Jésus pour lequel seul je veux vivre.
Petite Maman, je te demande
cette petite aumône du Ciel : je veux que le mois de mai soit pour moi
soit le dernier que je passe sur terre. Je veux aller rapidement jouir
de ton Jésus et de ta compagnie. Je veux continuer auprès de toi à
implorer pardon et miséricorde pour le monde qui est le tien. Ta fille
la plus indigne, la pauvre Alexandrina.
P. S. Je ferai tomber une
pluie de grâces et d’amour sur tous ceux et celles qui, sur la terre, me
sont chers. A jamais ta fille, Alexandrina.
Visite du Révérend Père Terças.
Conséquences de cette visite
Le 27 août 1941 j’ai reçu
la visite de Monsieur le curé accompagné du Révérend Père Terças et d’un
autre prêtre. Cette visite fut pour moi très crispante, parce que j’ai
dû faire le sacrifice de répondre devant tous à une série de questions
du Père Terças. J’ai répondu consciencieusement à toutes les questions,
car j’ai pensé qu’il était venu pour faire une étude, comme d’autres
l’avaient fait. Cependant, le Seigneur seul sait combien cela m’a coûté
de devoir parler de la “Passion” ; et ce fut surtout sur celle-ci qu’il
m’interrogea.
Monsieur le Curé m’a dit
que le Révérend désirait revenir vendredi, 29 août. Je ne voulais pas y
consentir sans consulter mon Directeur mais, m’ayant dit qu’il devait
repartir à Lisbonne ce jour-là,
j’ai cédé à sa demande, lui disant : « — Je pense que vous ne venez pas
ici par curiosité, n’est-ce pas ? » Ayant été rassurée sur ce point,
j’ai accepté, même si sa visite un vendredi me déplaisait assez.
Le Révérend ne manqua pas
son rendez-vous, mais il est venu accompagné de trois prêtres. J’étais
bien loin de penser que cette visite me préparait un nouveau calvaire :
peu après il publiait tout ce qu’il avait vu et tout ce qu’il avait
appris sur moi.
Que Jésus accepte les
souffrances qui m’ont été causées par cette publication qui mit sur la
place publique mes secrets cachés pendant de longues années.
De temps à autre, les
commentaires qui étaient faits sur moi, me venaient aux oreilles :
c’étaient comme des épines que les gens involontairement m’enfonçaient
dans l’âme. Ceux qui lisaient cette revue-là ou écoutaient ce qui se
disait sur moi, avaient sur moi des idées diverses.
Mon voyage à Porto et la
publication de ma vie inquiétèrent les esprits des Supérieurs de mon
Directeur spirituel au point de lui interdire de me visiter et de me
fournir l’assistance religieuse dont j’avais besoin ; ils lui
interdirent aussi de m’écrire et de recevoir des nouvelles de moi.
Après cela, j’ai commencé à
vivre de leurres : mon Directeur spirituel, viendra-t-il aujourd’hui,
viendra-t-il demain ? Ma pensée était préoccupée par mille et une
choses. J’étais impressionnée me rappelant que je perdais mon temps avec
des choses inutiles, mais je n’arrivais pas à détourner mon esprit de ce
qui me faisait tant souffrir. Je passais quelques heures à me persuader
que tout pouvait arriver comme je le pensais. Un jour, je me suis
persuadée que, n’ayant pas été prévenue par mon Directeur spirituel,
celui-ci viendrait célébrer la Sainte Messe dans ma chambre. J’ai
pensé : il viendra demain par le train, sans me prévenir. Lorsque j’ai
entendu le train s’approcher et arriver à l’arrêt, j’ai cru qu’il
s’était arrêté plus de temps qu’il n’en faut, et l’idée d’un accident me
traversa l’esprit : mon Directeur spirituel étant victime de cet
accident, pendant lequel il aurait perdu une jambe. Les gens voulaient
le conduire à Póvoa, mais le Révérend refusa, alléguant qu’il venait
chez moi, qu’il fallait qu’il soit conduit en ma présence. Je me suis
imaginée le voir entrer dans ma chambre, porté par diverses personnes :
il semblait moribond. L’une des personnes portait sa jambe coupée. Quand
ce tableau si vivant et saisissant s’est présenté à mon âme, j’ai eu
l’impression de me mettre à genoux devant Notre Dame et de crier vers
Elle : « O ma Petite Maman, montrez ici votre pouvoir », en lui
recollant la jambe. Après cela, j’ai conjecturé qu’il n’était pas venu
chez nous, mais qu’il avait été ramené à l’hôpital. Cela ayant été su,
j’ai eu comme le sentiment que ses frères en religion se réjouissaient
et disaient : voilà la preuve évidente que Notre Seigneur ne voulait
qu’il aille auprès d’elle.
Des absurdités comme
celles-ci, j’en ai eu d’autres, mais qui ne m’ont pas fait autant
souffrir.
Ma vie a été tout entière
une vie de sacrifice ; je peux presque dire que je ne sais pas ce que
c’est que jouir pleinement de la vie, ce qui ne me cause d’ailleurs
aucun regret. Je me sens à la fin de ma vie et, si à la peine d’avoir
offensé Notre Seigneur j’ajoute la jouissance du monde, qu’elle horreur
cela représente pour moi. N’avoir joui que du péché, quelle horreur.
J’aspire après l’éternité,
car là seulement je saurai remercier Jésus de m’avoir choisie pour vivre
cette vie de sacrifice, désireuse toujours d’aimer Jésus et de sauver
les âmes.
Je sais que très peu
personnes me comprendront, mais à moi, une seule chose me suffit : Jésus
comprend tout.
Mon désir est que mon
enterrement soit pauvre. Je veux que mon cercueil soit d’un type ni trop
beau ni trop faible, afin de ne pas attirer l’attention de personne. Je
veux être habillée en blanc, comme « Fille de Marie », mais très
modeste. Toutefois je sais que j’ai une robe très belle, meilleur que
celle que j’avais prévue : on me l’a offerte et, comme je n’ai pas de
volonté propre, parce qu’elle est plus parfaite, j’accepte ce qu’on a
bien voulu me donner.
Si cela n’est pas interdit
par la Sainte Église, je veux beaucoup de fleurs sur mon cercueil. Non
point que je les mérite, mais bien parce que je les aime beaucoup. S’il
s’agissait de mérite, je n’aurais droit à rien.
Ma volonté est d’être mise
en terre, sans cercueil en plomb. Je ne veux pas non plus de grandes
cérémonies, car ma mère n’en a pas les moyens.
Sur le trajet de mon
enterrement je souhait le plus grand recueillement. J’ai beaucoup de
peine quand je regarde ou quand j’entends parler de la manière
d’accompagner les convois funèbres.
Je ne veux pas d’autopsie ;
mon corps exposé en vie aux regards des médecins suffit largement.
Sur ma tombe
Je veux être inhumée, si
possible, le visage tourné vers le tabernacle de notre église. De la
même manière que pendant ma vie je n’ai eu d’autre désir que celui
d’être tout près de Jésus au Saint-Sacrement et me tourner vers le
tabernacle aussi souvent que possible, ainsi après ma mort, je veux
continuer à veillez sur le tabernacle et à rester tournée vers lui. Je
sais qu’avec les yeux de mon corps je ne vois pas mon Jésus, mais je
veux rester ainsi afin de mieux prouver l’amour que j’ai envers la
divine Eucharistie.
Je veux qu’autour de ma
tombe on plante des martyrs, afin que par cette plante on sache que les
ayant aimés en vie, je les aime après ma mort. Intercalés aux martyrs je
veux des petits rosiers grimpants, de ceux qui ont beaucoup d’épines.
J’aime et j’aimerai la vie durant les martyrs que Jésus me donne et les
épines qui me blessent et je les aimerai après ma mort. Je les veux près
de moi, pour montrer que c’est par les épines et tous les martyrs que
nous ressemblons le plus à Jésus, que nous consolons son divin Cœur et
que nous sauvons des âmes, filles de son Sang. Quelle plus grande preuve
d’amour pouvons-nous donner à Notre Seigneur sinon acceptant avec joie
ce qui est douleur, mépris, humiliations ? Quelle plus grande joie
pouvons-nous procurer à son divin Cœur sinon en lui donnant des âmes,
beaucoup d’âmes pour lesquelles il a souffert et donné sa vie ?
Sur ma sépulture je veux
aussi une croix et, près de celle-ci une image de ma bien-aimée Petite
Maman. Si cela est possible, j’aimerais qu’une couronne d’épines entoure
cette croix. La croix signalera que je l’ai portée la vie durant et que
je l’ai aimée jusqu’à la mort. La Petite Maman c’est pour montrer que ce
fut elle qui m’a aidée à monter le chemin douloureux de mon calvaire,
m’accompagnant jusqu’aux derniers moments de ma vie. J’ai confiance
qu’il en sera ainsi. Elle est Mère, et en tant que Mère, elle ne me
laissera pas seule aux derniers instants de ma vie.
J’aime Jésus, j’aime la
Petite Maman, j’aime la souffrance, et ce n’est qu’au Ciel que je
comprendrai la valeur de toute ma souffrance !!!
Pour satisfaire aux désirs
de Monseigneur l’Archevêque,
je me suis soumise à un autre examen médical qui a eu lieu le 27 mai de
cette année [1943]. Quand celui-ci m’a été annoncé,
une nouvelle souffrance s’empara de mon esprit. Mais voyant en tout cela
la très sainte Volonté de Dieu, comme toujours, par obéissance, bien
qu'un nouvel examen médical fût pour moi bien pénible, j’y ai consenti.
Lors que j’ai appris la date de celui-ci, j’ai ardemment prié la très
Sainte Vierge de me donner la sérénité nécessaire pour tout supporter
avec courage et résignation, pour Jésus et pour les âmes.
Le jour fixé, mon médecin
traitant, le docteur Manuel Augusto Dias de Azevedo, le docteur Henrique
Gomes de Araujo, et le professeur Carlos Lima,
sont venus chez nous. Je suis restée calme et sereine ; le Seigneur
m'avait exaucée ! L'un des médecins m'a demandé, tout à coup, si je
souffrais beaucoup, pour qui j'offrais mes souffrances et si je
souffrais volontairement. Il m'a demandé si je serais contente si le
Seigneur, d'un moment à l'autre, me libérait de mes douleurs. Je lui ai
répondu qu'en vérité je souffrais beaucoup, que j'endurais celles-ci
pour l'amour de Dieu et pour la conversion des pécheurs. Ils m'ont
demandé quel était mon désir le plus grand. J'ai répondu : « — Le
Ciel. » Alors l’un d’eux m’a demandé si je désirais être sainte, comme
sainte Thérèse, comme sainte Claire, et bien d’autres, et être mise sur
les autels, en laissant comme elles une grande renommée dans le monde.
J'ai répondu : « — C'est ce qui m'intéresse le moins ! »
Voulant ébranler ma foi en
Dieu, il m'a posé encore cette question : « — Si pour sauver les
pécheurs il était nécessaire de perdre ton âme, que ferais-tu ? » « —
J’ai pleinement confiance que la mienne serait sauvée, en sauvant celles
des autres ; mais si je devais la perdre, je dirais non à Notre
Seigneur ; par ailleurs, Il ne me demanderait jamais une pareille chose.
Je peux toutefois dire que j’ai offert au Seigneur mes yeux, qui sont ce
que j’ai de plus cher dans mon corps, si cela était nécessaire pour la
conversion d’Hitler, de Staline et de tous les autres fauteurs de
guerre. »
— Et pourquoi ne manges-tu
pas ?
— Je ne mange pas parce que
je ne le peux pas ; je me sens rassasiée, je n’en éprouve pas le besoin,
par contre j’ai la nostalgie des aliments.
Après cela les médecins ont
commencé l’examen que j’ai accepté dans une bonne disposition. Ce fut un
examen rigoureux, mais en même temps je dois dire qu’ils ont usé de
délicatesse envers mon pauvre corps.
A la fin, — étant donné que
je n’étais pas en état de supporter un voyage —, ils ont décidé de faire
venir chez nous deux religieuses infirmières afin que celles-ci
s’assurent de la véracité de mon jeûne.
Quand les médecins sont
partis, le Seigneur m’a fait comprendre que leurs décisions ne se
réaliseraient pas, et je suis restée alors dans l’attente de leurs
nouvelles et de leurs instructions.
Le 4 juin le médecin
traitant et mon confesseur ordinaire
,
sont venus m’annoncer la décision des médecins, et me convaincre, moi et
ma famille, de l’opportunité d’aller au “Refuge de la Paralysie
Enfantine” de Foz.
Je devais être placée dans une chambre sous surveillance, pendant un
mois, pour un contrôle plus direct de tout ce qui se passait en moi.
Moi, sur le coup, j’ai dit non, mais aussitôt je me suis avisée, pensant
à l’obéissance que je devais à l’Archevêque, et pour ne pas mettre dans
une situation délicate mon directeur, le docteur Azevedo et tous ceux
qui s’intéressent à moi. J’ai donc accepté la proposition, mais j’ai
posé quelques conditions :
1 — pouvoir communier tous
les jours ;
2 — d’être toujours
accompagnée de ma sœur ;
3 — de ne plus être soumise
à aucun autre examen, car je partais pour des observations et non point
pour des examens.
Pendant les jours où je
suis encore restée à la maison, j’ai demandé à Jésus et à la Maman du
Ciel de me donner force et courage ainsi que force et courage pour les
miens, qui étaient désolés. Combien de fois, pendant la nuit, le cœur
oppressé et les larmes aux yeux, j’ai supplié Jésus de m’aider car
j’avais l’impression que toutes mes forces m’abandonnaient et que je me
voyais sans courage pour moi-même, et encore moins pour en insuffler aux
autres !
Le 10 juin arriva et, tout
était prêt pour le voyage vers l’hôpital de Foz do Douro. Un immense
chagrin s’empara de moi, mais en même temps un grand courage m’est venu
qui me permis de cacher tout ce qui se passait dans mon âme. Je déposais
toute ma confiance en Jésus, et j’étais si certaine de son aide divine,
que je pensais que s’il en était besoin, Il m’enverrait ses anges pour
m’aider dans l’exil où me voulaient les hommes.
Quand le médecin est arrivé
pour me prendre, il n’a pas eu le courage de me dire qu’il nous fallait
partir ; c’est moi qui suis intervenue, lui disant : « — Allons,
docteur, pour revenir il nous faut partir ! »
Nous avons pris congé. Seul
Notre Seigneur sait ce que m’a coûté la séparation des miens qui,
remplis de douleur, m’entouraient et m’embrassaient. Moi je ne faisais
que fixer le Cœur de Jésus et de la Petite-Maman pour leur demander de
la force.
En descendant les escaliers
sur un brancard, j’ai dit aux miens, pour les encourager : « — Courage !
Que tout ceci serve pour Jésus et pour les âmes ! » Mais je n’ai rien pu
dire d’autre, tellement mon cœur était oppressé, et aussi pour retenir
mes larmes. Il le fallait pour ne pas augmenter davantage leur chagrin.
À peine déposée dans l’ambulance, j’ai été entourée par une centaine de
personnes, qui avaient les larmes aux yeux. J’ai entendu aussi les
sanglots de ma mère et des autres parents. La douleur qu’alors j’ai
éprouvée est indicible. J’avais hâte de partir, et partir vite ; mon
cœur battait si violemment que j’avais l’impression qu’il me cassait les
côtes. J’ai dit alors à Jésus : « — Acceptez toutes les pulsations de
mon cœur comme autant d’actes d’amour pour le salut des âmes. »
Le voyage fut difficile. Je
pensais que mon cœur n’y résisterait pas. De temps en temps je regardais
ma sœur ; elle était si abattue ! Le médecin disait qu’il n’était pas
difficile de voyager avec des malades comme moi parce qu’il me voyait
toujours souriante. Mais Jésus seul sait combien grandes étaient
l’amertume de mon cœur et les tourments de mon pauvre corps. À cause des
secousses de l’ambulance je me sentais déprimée, mais je répétais
inlassablement : « — Tout pour votre amour, Jésus ! Que l’obscurité de
mon âme puisse éclairer d’autres âmes ! »
Près des dernières maisons
de Balasar, Monsieur Sampaio releva les rideaux de l’ambulance. J’ai
remarqué que le médecin avait les larmes aux yeux. Je lui ai dit : « —
Nous voilà bien ! » Et je lui ai demandé ce qui se passait. Il
m’expliqua alors que sur le bord de la route quelques enfants nous
avaient jeté des fleurs. Je me suis sentie toute attendrie et c’est avec
peine que j’ai pu retenir mes larmes. Quand nous sommes arrivés à
Matosinhos,
le médecin décrocha les rideaux afin que je puisse regarder la mer. Un
énorme silence m’envahit et, en observant le continuel va-et-vient des
vagues venant mourir sur la plage, j’ai demandé à Jésus que mon amour,
lui aussi, soit continuel et permanent.
Arrivés près du “Refuge”,
le docteur Gomes de Araujo s’opposa à ce que l’ambulance s’avance
jusqu’à la porte. Il chargea quelques hommes de prendre mon brancard et
de m’emmener ainsi, après m’avoir recouvert le visage afin que personne
ne me reconnaisse. Mon cœur s’est attristé davantage, me représentant ce
que ce serait de passer de longs dans un tel établissement. Ainsi
recouverte il me semblait être dans un cachot et je me demandais à
moi-même : « — Quel crime ai-je commis ? »
La montée des escaliers du
“Refuge” m’a causé bien des peines car l’on me portait la tête en bas.
Ce ne fut qu’une fois dans ma chambre que mon visage fut découvert. Là
j’ai été entourée par le docteur Araujo et par quelques dames qui
devaient m’assister. Ensuite on m’a placée dans mon lit.
À ma sœur ils avaient
attribué une autre chambre, contrairement à ce qui avait été convenu. Ce
fut l’un des plus grands sacrifices que l’on pouvait exiger de moi :
comment pouvais-je rester sans elle, elle qui savait comment me bouger
quand c’était nécessaire et m’aider avec de bonnes paroles qui m’étaient
d’un grand secours pour supporter mon douloureux calvaire.
À peine m’avait-on allongée
sur le lit que Deolinda s’est présentée sur le seuil de la porte avec la
valise contenant le linge. Le docteur Araujo, la voyant, hurla comme un
forcené : « — Hors d’ici cette valise ! » Ce fut là une autre épine
parmi tant d’autres. Ensuite il commença à donner ses ordres : « —
Mesdames les assistantes, la malade peut dire tout ce qu’elle voudra,
mais vous n’êtes pas autorisées à lui poser des questions. »
Ces ordres ayant été
donnés, il se retira et je suis restée seule avec le médecin
et deux dames; celles-ci ayant été désignées pour rester en permanence
auprès de moi pour surveiller tous mes mouvements.
Quand, déjà il faisait
nuit, le docteur Azevedo se préparait pour partir, je n’ai pas pu
retenir davantage les larmes. Lui, alors, bien plus qu’avec du respect,
avec tendresse pour ma douleur, il m’a dit : « — Ayez du courage !
Demain je reviendrai. »
Oui, j’ai pleuré malgré
moi, mais j’ai offert mes larmes si amères à mon Bien-Aimé Jésus. Me
voyant ainsi désolée il fut admis que ma sœur reste dans ma chambre avec
l’une des surveillantes, afin qu’elle lui apprenne la façon de me
bouger. Mais il m’a été précisé de suite : « — Seulement cette nuit,
jamais plus ! »
Le lendemain, vendredi,
commença pour moi, dans cette maison, un vrai calvaire. À l’heure de
l’extase, comme il arrive tous les vendredis, ma sœur est venue auprès
de moi ; mon médecin traitant, et une infirmière étaient aussi présents.
Aux observateurs présents,
aucun détail n’a échappé, et tout a été divulgué et commenté. Par
exemple que monsieur Sampaio avait sorti sa montre…, que ma sœur s’était
agenouillée en entendant les paroles de l’extase… ; que l’une des
infirmières avait pleuré, etc. … Le docteur Azevedo, comme toujours, a
écrit le colloque de l’extase pour le remettre aux médecins. Deolinda,
qui avait reçu l’ordre de ne plus revenir dans ma chambre, était
attristée et elle dit : « — Ne pourrais-je voir ma sœur même si ce n’est
que depuis le seuil de la porte de la chambre ? Pensez-vous que mon
regard puisse l’alimenter ? » Inclinée sur mon lit elle pleurait,
inconsolable.
Ce fut alors que je lui ai
dit : « — Ne t’affliges pas, Notre Seigneur est avec nous. »
L’assistante qui avait pleuré pendant l’extase, lui tapant sur l’épaule
lui dit : « — Ne pleurez pas, le docteur Araujo est un homme d’une
grande charité ! » Il a suffi cette phrase à l’adresse de ma sœur pour
que cette assistante soit démise de ma surveillance ; nous ne l’avons
revue que dans les derniers jours, mais accompagnée, quand déjà ils
avaient les preuves de la vérité.
Ceci est arrivé à cause
d’une assistante qui a été mon bourreau pendant toute la durée de mon
séjour à Foz. Elle ne peut pas s’imaginer ce qu’elle m’a fait souffrir.
Que le Seigneur lui pardonne.
Dans la nuit du vendredi au
samedi j’ai eu l’une de ces crises de vomissements qui me font tant
souffrir. Cela m’a été d’autant plus pénible que je n’avais personne
pour me soutenir.
Le samedi le docteur Araujo
est revenu pour voir comment j’allais et pour se renseigner sur ce qui
était arrivé. Ma prostration était telle que je ne me suis même pas
rendue compte quand il a frappé à la porte, toujours fermée à clef. Je
ne l’ai entendu que quand, tout près de moi, il susurrait à
l’infirmière : « — Elle est condamnée ! Elle est condamnée ! » A ces
paroles j’ai ouvert les yeux et je lui ai dit : « — Docteur, même chez
moi j’ai de pareilles crises. » Il m’a répondu immédiatement, d’un ton
impérieux : « — Mademoiselle, ne croyez pas être venue ici pour
jeûner ! » J’ai compris ce qu’il voulait dire et je me suis sentie
profondément blessée.
Informé sur ce qui était
arrivé le vendredi, il a voulu lire le récit de l’extase et il commenta,
furieux : « — Il paraît impossible que le docteur Azevedo, si
intelligent, se laisse séduire par de semblables choses ! Il faut en
finir avec tout ceci. En attendant, enlevons d’ici toutes les horloges
afin que cette malade ignore jusqu’à l’heure qu’il est » (Comme si le
Seigneur avait besoin d’horloge !).
Me voyant si fatiguée, il
aurait voulu me soulager à l’aide de médicaments, mais je m’y suis
opposée. Combien de fois les infirmières se sont approchées de moi, me
croyant morte ! Cinq jours d’une continuelle agonie, davantage dans
l’âme que dans le corps, se sont passés. Pendant les crises de
vomissements, ils ne permettaient pas à Deolinda de venir à côté de moi,
alors que chez nous, parfois, deux personnes n’étaient pas de trop pour
me tenir. Ils étaient tous persuadés que les crises étaient dues au
manque d’alimentation et que, ainsi exilée et sans personnes qui ait pu
me la procurer, j’aurais besoin de la demander, sinon je mourrais. Comme
ils se trompaient ! Ils ne savaient pas que l’aliment me venait de la
sainte Hostie que je recevais tous les jours.
En ces jours, mon médecin
traitant est venu me voir et ma sœur, sans que je le sache, l’a mis au
courant de tout. Il est venu près de mon lit sans que je me réveille ;
l’infirmière lui suggéra que j’avais besoin de médecine. Ce fut à ce
moment-là que j’ai ouvert les yeux et que j’ai entendu ce qu’il lui
répondait : « — Cette malade est venue pour que l’on constate son jeûne
et pour rien d’autre. J’espère que le docteur Araujo respecte ces
conditions. Je ne permets pas qu’on lui fasse des piqûres ou n'importe
quoi d’autre, à moins qu’elle ne le demande elle-même. Vous verrez, les
crises passeront, les cernes autour des yeux disparaîtront, le teint et
le pouls deviendront normaux, ou presque, car l’air marin ne les
favorise pas. Je vous assure d’une chose, madame : vous mourrez, je
mourrai, mais la malade ne mourra pas dans cet hôpital. »
Ensuite, assis à côté de
moi, il me prodigua un peu de ce réconfort dont j’avais tant besoin. Par
la volonté de Dieu, cinq jours plus tard, les vomissements ont cessé, le
teint est redevenu normal, ainsi que la luminosité des yeux. Pendant la
visite suivante de mon médecin l’assistante le salua par cette phrase :
« — Regardez, docteur, regardez ce beau visage ! » Et le docteur de lui
répondre délicatement mais néanmoins fermement : « — C’est le résultat
des côtelettes qu’elle a mangé et des piqûres qu’elle a prises ! »
Jésus a bien voulu montrer
encore une fois son pouvoir sur cette humble créature. Toutes les
assistantes accomplissaient scrupuleusement les consignes du médecin et
elles ne m’ont jamais abandonnée un seul instant. Elles n’ouvraient la
porte de la chambre que pour laisser entrer les médecins et les
infirmières.
En dépit de ma
transformation, ni le médecin ni les infirmières voulaient se convaincre
que je pouvais vivre sans manger. En effet, ils utilisaient parfois des
arguments pour m’intimider: ils passaient ensuite aux phrases pleines de
tendresse et d’intérêt pour ma personne. Dans leurs discours je les ai
entendues dire que mon cas relevait de l’hystérie ou à un quelconque
phénomène inexplicable. Un jour j’ai raconté au docteur Dias de Azevedo
tout ce que j’avais dans mon âme si attristée : « Pour être traitée
comme une hystérique je n’ai pas besoin des rester là. Mais il m’a
encouragée et m’a redonné confiance. Je lui ai obéi pour faire en tout,
la volonté de Dieu. Le docteur Araujo venait
me voir deux ou trois fois par jour, mais jamais à la même heure. Je
pense qu’il le faisait ainsi pour voir s’il découvrait quelque chose.
Une fois il est entré dans ma chambre la nuit, quand s’y trouvait
l’assistante que certains ont appelé du sobriquet de « cardinal-diable. »
Même si je vivais jusqu’à
la fin du monde, je ne pourrais oublier l’impression que j’éprouvais
quand le docteur ouvrait et ensuite fermait immédiatement la porte : je
restais comme suspendue à ce qu’il avait dit. J’éprouvais une telle
impression que dans mon cœur et dans mon âme la tristesse augmentait.
Combien de fois je répétais à Jésus : « Que cette nuit puisse contribuer
à donner de la lumière à ceux qui m’entourent et à toutes les âmes qui
vivent dans les ténèbres. »
Lors des conversations et
des interrogatoires, le docteur Araujo utilisait tous les arguments
possibles pour me convaincre de manger, me disant que Dieu n’était pas
content de mon jeûne. Il est a même essayé de me faire avoir des
scrupules. En outre, les infirmières ont essayé de me prendre par les
sentiments. Avec l’une des infirmières, il a également essayé de me
faire perdre la foi. Il s’est servi de tout ce que son intelligence
avait de meilleur, me soumettant à des interrogatoires interminables et
torturants afin de me décourager, persuadé que tout ce qui se passait en
moi était dû à une influence humaine et non pas divine. Si à chaque fois
que j’étais interrogé j’avais l’impression de me trouver en face d’un
loup habillé en agneau, ce jour-là ce fut bien pire : il me semblait
voir en lui Satan lui-même qui, avec art et des sourires malins, voulait
m’ôter la foi et me convaincre que tout cela n’était qu’illusion.
Il me disait : « — Soyez
convaincue, mademoiselle, que Dieu ne veut pas que vous souffriez ! S’il
veut sauver les autres, qu’il les sauve Lui-même, il en a le pouvoir.
S’il est vrai que Dieu récompense ceux qui souffrent, il n’y a pas de
récompense adéquate pour vous qui avez déjà trop souffert. »
Mais, mon Dieu, je sais que
vous êtes infini, infini en pouvoir, infini dans les récompenses.
S’il en était comme il me
dit, pour qui je souffre ?
Il accompagnait ses paroles
d’un regard malicieux, démoniaque — c’était l’impression que j’avais. Je
lui ai alors répondu :
« — Elles sont si grandes,
si grandes les choses de Dieu ! Et nous, nous sommes si petits, moi en
tout cas ! » L’espace d’un instant il se tût, ensuite, indigné, il s’est
exclamé : « — Vous avez raison, mais moi, je suis une personne bien plus
grande ! » Et il est sorti.
Il était bien loin de
connaître cette loi d’amour pour les âmes ! S’il avait compris la valeur
d’une âme, il verrait alors que tout ce que nous faisons n’est jamais de
trop pour les sauver.
Les humiliations et les
sacrifices affluaient constamment. Si du moins j’avais su bien les
supporter, j’aurais tant eu à offrir à Jésus. On me présentait toujours
de nouvelles choses qui réclamaient de moi humiliations et sacrifices.
J’avais au pied de mon lit une photographie de Jacinta
de Fatima. Je la regardais avec amour et, sans craindre que les
assistantes le répètent au docteur, je soupirais : « — Chère Jacinta,
malgré ton jeune âge, tu as pu évaluer combien coûtent ces choses ! Du
Ciel où tu demeures, aide-moi ! » Seule l’aide du Ciel et les prières
des âmes bonnes pourront me donner force pour cheminer dans un si
douloureux calvaire, et supporter le poids de cette croix si pesante.
Toutes les fois que le
docteur Gomes de Araujo entrait, il me tenait le même discours et me
laissait très épouvantée quand il me disait : « — Nous avons beaucoup à
parler. »
Quand je le voyais sortir,
je respirais profondément et je me disais : “Béni soit le Seigneur pour
ton départ !” Mais la pensée qu’il reviendrait bientôt, me procurait une
très amère souffrance.
Un jour, assis à ma droite,
il cherchait à me convaincre que j’étais dans l’illusion. Il a commencé
par un discours très vague sur la Médecine et sur l’un de ses
professeurs et d’un Collège de Porto, où il avait passé bien des heures,
pendant la nuit, à écrire un volumineux document et, convaincu qu’il
avait réussi son étude, il est allé retrouver son professeur pour lui
faire part du résultat de ses leçons. Le professeur lui disait : « —
Êtes-vous sûr de ce que vous avez écrit ? » Et il affirmait à chaque
fois en être certain, pour telle et telle raison. La conversation se
prolongeait et moi je fixais le docteur faisant semblant de ne pas
comprendre où il voulait en venir, et je disais en moi-même : « — Tu
fais tant de détours pour arriver tout près ! » Mais le docteur
poursuivait : « — J’étais convaincu d’avoir fait un excellent travail ;
le professeur m’a laissé parler et ensuite m’a démontré que j’avais
tort. Je suis resté sans souffle : mon Dieu, tant d’heures de perdues !
Combien d’heures d’illusion ! Ma longue étude s’était écroulée en
quelques minutes ! » Moi qui savais où il voulait en venir, je lui ai
dit, à ce moment-là, en souriant : « — Mais mon cas ne s’écroule pas,
docteur ! J’ai été guidée par un directeur très saint et très sage, et
qui m’a étudiée pendant de longues années. Si l’œuvre est de Dieu,
personne ne la faire s’écrouler ! »
Le docteur, un peu
embarrassé, faisant semblant que ce n’était pas celui-là le but de ses
paroles, a conclu : « — Ah non !... », essayant de me convaincre que ce
n’était pas là le sens de ses paroles, il s’est levé en hâte et sortit.
Il en était temps.
O mon Jésus, ce n’est qu’à
vous que je peux me confier, mes larmes n’étaient que pour vous. Je
chantais avec le plus grand enthousiasme, mais au-dedans de moi et dans
mes yeux il semblait n’y avoir ni soleil ni jour. Pendant la nuit,
quelques fois, je me demandais : Que peut faire ma sœur, à cette
heure-ci ? Pleure-t-elle ?” Pensant qu’elle souffrait à cause de moi,
une fois je n’ai pas pu retenir mes larmes. Combien j’ai alors pleuré !
Je n’avais qu’une crainte : déplaire à Jésus. Mais Lui, Il savait que
j’acceptais tout par amour pour Lui, avec un immense désir de Lui gagner
des âmes. En effet, je Lui ai offert mes larmes comme autant d’actes
d’amour pour les Tabernacles. Plus la désolation est grande, plus grand
est aussi l’amour, n’est-ce pas ainsi, mon Jésus ? Acceptez tout cela.
Le seizième et le trentième jour de mon séjour, j’ai reçu la visite de
maman. J’avais une si grande envie de la voir ! Elle n’a pu rester que
très peu de temps avec moi et toujours sous le regard inquisiteur des
surveillantes. Elle pleurait et moi, je faisais semblant de ne pas avoir
de chagrin : je lui souriais, je plaisantais avec elle, je la cajolais,
et avec mon sourire trompeur,
je cachais la tristesse de mon âme, en retenant les larmes qui à tout
prix voulaient couler. Je l’ai encouragée, m’épanchant intérieurement
avec Jésus. C’était ma croix : ne devais-je pas la porter par amour de
Jésus qui est mort pour moi ?
Mes journées passaient
ainsi, dans une continuelle lutte, entrecoupée seulement par
l’alternance des infirmières qui se succédaient selon la volonté du
médecin. À cause de certaines d’entre elles, j’ai beaucoup souffert,
parce qu’elles outrepassaient les limites de leurs droits et de leurs
devoirs.
Le jour est arrivé où le
docteur, convaincu désormais de la vérité,
permis un plus grand relâchement, autorisant pour quelque temps la venue
de ma sœur, même si toujours sous la surveillance de l’assistante. Il
permit également la visite, même si rapide, des sœurs Franciscaines du
“Refuge”. Nous avions déjà projeté de faire savoir à la maison la date
de notre retour quand, inopportunément surgit un contretemps.
L’une des infirmières
surveillantes ayant parlé de mon cas à un certain médecin qui ne me
connaissait pas, et connaissait encore mon cas, a fait naître des
doutes.
Il s’est permis d’affirmer
que ces choses-là étaient impossibles, que les assistantes s’étaient
fait berner et qu’il ne croirait qu’un envoyant auprès de moi l’une de
ses infirmières de confiance.
Le docteur Araujo, indigné
par la méfiance manifestée vis-à-vis de ses assistantes, lui imposa
d’envoyer lui-même, auprès de moi, une personne plus âgée, en qui il
aurait entièrement confiance : il choisit sa propre sœur. Et alors que
nous pensions nous voir libérées de notre douleur, ce fut alors qu’une
nouvelle éprouve, bien plus triste et douloureuse, nous a été imposée.
Le docteur Araujo est venu
nous convaincre de la nécessité de rester encore dix jours. Ma sœur
n’était pas d’accord, mais il insista argumentant qu’il était nécessaire
de convaincre l’autre médecin. J’ai dit alors à ma sœur : « — Quand on y
a passé trente jours, on peut bien y passer quarante. » Et l’affaire fut
ainsi réglée.
Le docteur Alvaro, en
vérité, n’exigeait pas dix jours. Pour se convaincre il lui suffisait
que je reste quarante-huit heures de plus, sans manger ni rejeter.
Mais ce fut le docteur
Araujo qui, délicatement, pour l’honneur de son nom, invita l’assistante
à rester un jour de plus, puis un autre jour.
Sa mission terminée, cette
surveillante est revenue me voir plusieurs autres fois, convaincue
maintenant de la vérité. Cette dernière période fut un nouveau calvaire
que j’ai offert à Notre Seigneur et à la Petite-Maman: dure épreuve, mon
Dieu !
Le docteur Araujo, sans
aucune explication, prit la bourse en caoutchouc que j’avais sur
l’estomac et une carafe d’eau que les assistantes conservaient pour
humidifier le mouchoir que je tenais sur le front, et versa dans les
deux récipients je ne sais quoi : si j’avais sucé le mouchoir ou bu de
l’eau de la bourse en caoutchouc, comme l’a dit par suite le docteur
Alvaro, j’aurais eu des indispositions qui leur auraient permis de s’en
rendre compte. Il ordonna ensuite aux assistantes de ne plus changer la
glace de la bourse même si je le demandais. Ses ordres ont été
respectés, bien que la nouvelle assistante ait essayé, à plusieurs
reprises de changer la glace. Moi-même, je lui disais quelquefois : « —
Enlevez-moi la bourse quelques instants afin qu’elle rafraîchisse, puis
remettez-la-moi de nouveau. Il est nécessaire d’obéir aux ordres du
médecin. » Nous étions revenus au point de départ, sauf que bien plus
strict. Il a finalement été interdit de me parler de Jésus, car il
pensait que de cette façon il pourrait ôter ce que nous avons de plus
intime en nous. Un jour, le docteur m’a dit : « — Je n’admettrai pas que
vous appeliez votre sœur plus d’une fois la nuit. » La surveillante,
plusieurs fois, comme pour me tenter, et avec une intention tortueuse —
c’est l’impression qu’elle me donnait — me disait : « — Pauvre sainte,
toujours dans cette même position ! Je vais appeler votre sœur ! »
« — Je vous en remercie,
madame, mais je ne le veux pas. Ce sont les ordres du médecin : ma sœur
ne doit venir qu’une seule fois ! »
Quand ma sœur toquait pour
entrer, cette seule fois qui lui était permise par le docteur, pour me
changer de position, la nouvelle assistante allumait la lampe, ouvrait
la porte et se plaçait à côté de ma sœur. Aussitôt que celle-ci quittait
la chambre, l’assistante, simulant de la compassion envers moi, pour le
froid que j’aurais pu souffrir, et comme si elle raccommodait les draps
et les couvertures, me découvrait complètement pour voir si Deolinda
n’avait rien laissé dans le lit.
Je comprenais très bien son
intention, mais sous prétexte de commodité, je levais les bras au-dessus
des coussins afin qu’elle puisse mieux faire son inspection. « — Mon
Jésus, tout et uniquement pour votre gloire ! »
Les séductions pour me
faire manger quelque chose de son repas n’ont pas manqué ! Elle me
présentait un morceau, sans mot dire, et moi, je lui souriais. Si
l’invitation était verbale, je lui disais : « — Merci », mais toujours
souriante, faisant semblant de ne pas comprendre sa malice.
Combien de fois, pour mieux
me surveiller, on m’a ôté les couvertures !
La nuit, particulièrement
quand je ressentais davantage la solitude, le temps me paraissait très
long. Je sentais mon cœur, tel un arbre aux racines épaisses, bien
plantées dans le sol, et que la furie d’une grosse tempête arrachait, le
jetant à terre... Il me semblait que tout et tous me piétinaient. Même
en l’expliquant de la sorte, je sens que je ne dis rien de comparable à
ce que j’ai souffert. Encore aujourd’hui je revis dans ma mémoire ces
choses-là et j’éprouve un vrai tourment. Seul l’amour pour Jésus et pour
les âmes me permet de supporter une telle épreuve ! Quand je sentais
s’approcher le docteur, je disais : « — Voilà qu'arrive le bourreau qui
vient visiter la pauvre prisonnière par amour de Jésus et des âmes. Je
n’ai offensé personne d’autre que vous, ô mon Jésus, mais les hommes
veulent, sans même s’en rendre compte, que de cette façon, je paie mes
ingratitudes ! »
En voyant ma sœur
épouvantée parce que quelqu’un lui avait dit que mon échéance était
proche parce que je n’évacuais pas, j’ai cherché à lui redonner courage.
Pauvres hommes ! Jésus sait faire les choses bien mieux qu’eux !
La veille du départ fut un
jour de visites. Tous les enfants du “Refuge” sont passés devant moi.
J’ai prié avec eux et je leur ai distribué des caramels.
Ma sœur ne semblait plus la
même : tous s’en sont rendu compte. En plus des enfants, environ mille
cinq cents personnes sont venues me visiter... Les policiers ont dû
intervenir pour maintenir l’ordre. L’un d’eux s’est posté à côté de moi,
se contentant de répéter inlassablement : « En avant ! Allez, allez,
avancez ! »
Quelle impression que ce
mouvement de foule ! Ni les suppliques de ma sœur ni les policiers n’ont
réussi à le contenir.
Le médecin lui-même, depuis
la fenêtre, a dû intervenir pour que l’on arrête un tel mouvement sinon
on allait me tuer. Combien de personnes on pu pensé que la malade était
décédée ! Moi, en effet, je me sentais humiliée, las et exténuée, ayant
un sentiment de gêne pour les baisers que je recevais et les larmes que
l’on laissait tomber sur mon visage, comme signe d’une estime que je ne
mérite pas et que je ne veux pas.
Restée seule, j’ai d’abord
demandé à ma sœur de me laver. Dans la matinée du jour ne notre retour,
le médecin, qui n’avait presque pas dormi vu sa responsabilité, est venu
au “Refuge” où beaucoup de monde attendait pour me voir. Il est resté à
côté de moi et a permis l’entrée de quelques personnes.
Puis il nous a dit que nous
étions libres, que leurs observations étaient terminées. Il autorisa ma
sœur à manger dans ma chambre, puis ajouta : « — En octobre je viendrai
vous visiter à Balasar, non plus comme médecin espion, mais comme un ami
qui vous estime ».
Reconnaissante, j’ai baisé
la main du docteur de Araujo et je l’ai remercié pour son intérêt envers
moi. Je l’ai fait avec sincérité, parce que, bien qu'il ait été sévère
et rude envers moi, il montra une attention sérieuse envers mon cas.
Dans l’après-midi de cette
journée du 20 juillet, les religieuses et les surveillantes sont venues
me dire au revoir. Elles m’ont toutes fait des cadeaux. Certaines sont
même venues assister à mon départ. Alors que j’étais déjà installée dans
l’ambulance, l’une d’elles m’a aspergée de parfum, alors qu’une autre
dame m’a offert un bouquet d’œillets. Au cours du voyage j’ai reçu
quelques bouquets de fleurs. Je les ai acceptés par délicatesse, bien
loin de penser qu’ils seraient par la suite un prétexte à certains pour
me faire souffrir.
Ni le parfum, ni les fleurs n’ont été pour moi un motif de vanité.
Quand, pendant le voyage, nous nous arrêtions pour reposer, si je voyais
que des gens s’approchaient, par admiration pour moi, je disais à mon
médecin traitant : « — Ne nous arrêtons pas, docteur, allons plus
loin. »
J’ai du être indélicate,
mais lui, il s’est montré toujours d’une extrême patience.
Je vivais davantage à
l’intérieur qu’à l’extérieur de moi. La mer était tout ce qui se
présentait devant mes yeux, m’invitant au silence, au recueillement en
Dieu. Je n’avais pas de quoi être vaniteuse : tout ce qui m’arrivait
était plutôt motif d’humiliation, de me rendre si petite, minuscule.
Qu’en serait-il de moi si je devais être jugée par le monde ! On déposa
tant de malice là où il n’y en avait aucune. Pardonnez-leur, Jésus. Ils
ne connaissent pas vos méthodes !
Je me suis émue des larmes
des surveillantes et des autres gens. Il a été nécessaire de faire appel
à la police pour contenir le peuple. Je suis sortie joyeuse de cette
maison bénie, pour avoir accompli mon devoir et parce que j’allais
rentrer, rencontrer les miens et ma chère petite chambre dont j’avais la
nostalgie. Quand je me suis retrouvée dans ma petite chambre, je croyais
rêver ! J’ai pleuré, mais des larmes de joie. Une fois déposée sur mon
lit, pendant bien longtemps, je n’ai plus permis que l’on me touche ; de
continuels gémissements m’échappaient, à cause des douleurs de plus en
plus fortes, dues, probablement au voyage.
Maintenant je me dis : Pourquoi me suis-je sacrifiée ? Par vanité,
peut-être ? Pauvre monde ! Vanité ? Pourquoi ? Que sommes-nous sans
Dieu ? Qui pourrait souffrir autant seulement par veine gloire ou par
vanité ?
Quarante jours à Foz ! Dieu
seul sait ce que j’y ai enduré, combien d’épines me blessaient, combien
de flèches plantées dans mon cœur ! Combien d’humiliations ! Combien
d’humiliations !
Le docteur Azevedo avait
raison quand, pendant le voyage aller, en me plaçant un mouchoir humide
sur le front, il me disait : « — Vous avez quelques cheveux blancs, mais
au voyage de retour, vous en aurez encore davantage. » Et, en effet,
c’est ce qui est arrivé : il avait déjà le pressentiment de ce qui
m’attendait. Mais il est si bon de tout supporter pour Jésus !

Âgée de six ou sept ans je
n’aimais pas rester sans rien faire, alors je m’occupais à tout mettre
en ordre à la maison. J’aimais beaucoup aller laver le linge au bord de
la rivière. Quand je n’avais rien d’autre à laver, j’ôtais mon tablier
et je le lavais. Je m’occupais également à ranger le bois, faisant des
rangées bien empilées et très droites.
D’autres fois c’était dans
le jardin que je travaillais, m’occupant des plantes qui devaient
fleurir que nous offrions ensuite pour embellir les autels de l’église.
J’aimais que tout soit
propre et bien ordonné, même quand j’étais malade.
Je n’aimais pas la saleté,
alors je nettoyais tout, même le plus répugnant, parce que cela me
rendait joyeuse de voir ensuite que tout était impeccable.
Peu après notre retour de
Póvoa de Varzim — où j’ai appris le peu que je sais — nous sommes venues
habiter au lieu-dit Calvário. La maison où nous vivons n’était pas ce
qu’elle est aujourd’hui. La cuisine était au sous-sol. Lors de la
première nuit que nous y avons passée, ma mère m’envoya vider à
l’extérieur de celle-ci une bassine d’eau. J’ai eu peur et c’est pour
cela que j’ai refusé d’y aller. Ma mère me gifla. Faisant preuve de
mauvaise volonté, je n’ai jamais dit à ma mère : je n’y vais pas. Dieu
m’en garde ! Elle nous corrigeait sévèrement et gare à nos oreilles !...
À l’âge de douze ans,
Deolinda a commencé son cours de couturière. La première pièce
confectionnée, a été une chemise pour moi ; mais, par sa taille, ont
dirait plutôt une chemise de garçon. Moi, malgré mes neuf ans, je me
suis moquée d’elle. J’ai enfilé la chemise sur mes habits et je me suis
rendue à la maison. Ma sœur, riant à tout rompre, me suppliait : « —
Enlève cette chemise ! Tu n’as pas honte de te donner en spectacle de
cette manière ? »
Je n’en ai pas tenu compte
et... riant, moi aussi, j’ai parcouru les quelques cinq cents mètres qui
me séparaient de la maison.
A Sainte-Eulalie de Rio
Covo (je devais avoir 11 ou 12 ans) vivaient mes oncles, qui sont tombés
malades, atteints par la fièvre espagnole. Ma grand-mère, puis ma mère
se sont relayées pour les secourir, mais elles aussi ont été atteintes
par la maladie. Alors, encore que nous soyons bien jeunes, nous y sommes
allées, ma sœur et moi.
Une nuit, mon oncle est
mort. Nous y sommes restées jusqu’à la Messe du septième jour.
Une fois, il a fallu aller
chercher du riz, mais en traversant la chambre où se trouvait le corps
de mon oncle. Arrivée au seuil de la porte, la peur m’a envahie; je n’ai
pas eu le courage d’y entrer; il a fallu que ma grand-mère m’accompagne.
L’autre soir j’ai été chargée de fermer la fenêtre de cette même
chambre. Arrivée dans la salle contiguë de celle-ci, je me suis
encouragée moi-même, me disant : « — Je dois vaincre la peur. » — Et, ce
disant, en marchand doucement, j’ai ouvert la porte et je me suis rendue
dans la chambre où se trouvait la dépouille de mon oncle. Depuis lors,
je n’ai plus jamais eu peur: j’avais vaincu de ma peur.
Lorsque j’avais mes douze
ou treize ans, j’étais assez forte. Je me souviens qu’un jour, un homme
se ventait devant quelques jeunes filles d’être très robuste. Je me suis
lancée contre lui, qui ne s’y attendait pas, et je l’ai attrapé et mis
par terre. Il s’est mis à crier : « Laisse-moi ! Laisse-moi ! ». Je ne
l’ai laissé que quand j’ai bien voulu : mon but était uniquement celui
d’obtenir que lui, étant un homme, puisse montrer la force dont il se
ventait.
Vers les 13 ans j’ai du
gifler lourdement un homme marié qui m’avait adressé des paroles
indécentes… J’ai tourné le dos à un jeune homme riche qui m’attendait à
un endroit solitaire, par où je devais passer, pour me parler d’amour.
Âgée de quatorze ans,
j’aimais assister les moribonds. Je me souviens des cas d’un pauvre
homme qui était aux portes de la mort et d’une jeune fille mon amie. Je
suis allée visiter cet homme et je l’ai trouvé recouvert de haillons.
Aussitôt j’ai couru chez moi et j’ai demandé à ma mère de lui prêter des
couvertures. Elle me les prêta volontiers. Toute heureuse, je les ai
emportées et je suis restée pour tenir compagnie à la fille du malade,
lequel a vécu encore douze jours. Pendant ce temps, un homme est venu
demander du bois à la jeune fille, mais elle n’en avait pas. Alors
l’homme commença à l’insulter. J’ai dit alors : « — Elle n’a pas eu le
temps d’aller en chercher, que peut elle y faire ? » L’homme me dit
ensuite : « — Si je ne tenais pas compte de la générosité de ta mère, je
te mettrais volontiers deux bonnes gifles ! » Mais il ne l’a pas fait,
parce que je me suis tue. Autrement, il mes les aurait mises et, moi,
j’en aurais été pour mes frais…
Une fille est venue, un
jour nous informer que l’une de ses voisines était sur le point de
mourir. Ma sœur a pris son livre de prières, de l’eau bénite et s’en est
allée rapidement chez la malade. Deux de ses élèves l’accompagnaient.
Deolinda a commencé la prière pour obtenir une bonne mort. Elle était si
émotionnée, qu’elle tremblait. Les prières terminées, la dame est
décédée. Alors Deolinda nous a dit : « — J’ai fait ce que j’ai pu ; je
n’ai pas le courage d’en faire davantage. » J’ai vu la fille près de sa
mère morte. La petite-fille pris la fuite et je n’ai pas eu le courage
de la laisser toute seule. Je suis restée pour l’aider à laver et à
habiller la dépouille mortelle qui était couverte de plaies et exhalait
une odeur répugnante. Je croyais que d’un moment à l’autre j’allais
m’évanouir. Une dame qui était aussi dans la chambre, a remarqué mon
malaise et est sortie dans le jardin chercher quelques feuilles
parfumées pour me les faire sentir. Je n’en suis repartie que lorsque
tout a été en ordre.
À l’âge de 16 ans, déjà
malade, je suis allée à la maison où ma sœur faisait la couture. Ayant
trouvé, suspendu, un habit d’homme, je l’ai enfilé et, dans cet
accoutrement, je me suis présentée devant ma sœur et de la maîtresse de
maison. Elles ont rigolé de bon cœur. La dame me suggéra : « — Tiens, va
dans la rue habillée de la sorte, car mes enfants et mon mari sont en
train de tailler la vigne par-dessus le mur d’enceinte ». J’ai pensé
qu’ils me reconnaîtraient, mais j’y suis allée. Ils ne m’ont pas
reconnue et, très étonnés, ils s’arrêtèrent de travailler, afin de voir
s’ils connaissaient le jeune homme. Ma sœur et la maîtresse de maison,
de la fenêtre, suivaient la scène, et riaient aux éclats.
Entre mes dix-sept et mes
dix-huit ans, moi et ma sœur nous sommes parties à Aldreu, afin de
confectionner des fleurs artificielles pour le compte des zélatrices et
à la demande de Monsieur le curé. J’étais déjà malade. J’y suis allée
pour aider Deolinda, afin que nous revenions plus vite. Nous avons été
hébergées chez le Curé. Deux jeunes hommes du côté de Viana y sont allés
et ils voulaient flirter avec Deolinda, ceci juste la veille de notre
retour. Ils ont demandé au Curé si l’on pouvait jouer les cartes. Nous
nous sommes installés près de la cheminée et nous avons discuté pendant
que nous jouions. Le Curé, quand il nous a vu, s’est adressé aux deux
garçons et leur dit : « — Ah ! Ah ! Alors, je suis là depuis quatre ans
et vous n’êtes jamais venus ici faire une partie, mais aujourd’hui vous
êtes là ? »
La nuit suivante, lorsque
nous devions revenir chez nous, il y eut un violent orage et, avec la
pluie, il y avait de boue partout. Étant fort malade, la nièce du Curé
m’a prêté une paire de sabots et ma sœur est revenue pieds nus. Un quart
d’heure après notre départ, la pluie a reprit. Le sang coulait de mes
pieds, non seulement à cause des sabots qui n’étaient pas faits pour
moi, mais aussi parce que mes pieds étaient délicats, car cela faisait
bien longtemps que je ne me déchaussais pas. Les douleurs étaient
véhémentes et, à la fin, j’ai dû marcher pieds nus, et ainsi me
mouiller. Quand nous sommes arrivées en gare, le train venait de passer
depuis cinq minutes. Ma sœur se mit à pleurer en voyant mon état. Il
était alors neuf heures du matin. Le prochain train était à onze heures,
mais il ne s’arrêtait qu’à Barcelos, ce n’était le meilleur pour nous.
Nous avons attendu dans la gare. Deux professeurs de Aldreu sont passés
et nous ont invité à prendre un café. Nous n’avons repris notre chemin
de retour que plus tard, arrivant enfin chez notre tante à
Sainte-Eulalie. Elle nous a préparé un bon repas et ne voulait pas que
nous repartions, parce qu’il était déjà tard et que nous étions
fatiguées. Nous nous sommes entêtées et lui avons promis que nous ne
viendrions que jusqu’à Chorente, où demeurait notre tante Felismina. De
là nous sommes revenues à Balasar, où nous sommes arrivées tard la nuit.
Nous avons frappé à la porte, mais maman n’était pas à la maison. Une
voisine nous a dit : « — Écoutez, madame Mathilde est mourante, votre
mère y était. » Le lendemain je suis allée chez la moribonde. L’une de
ses nièces m’a dit : « — J’aurais tant besoin d’aller chez moi… » J’ai
répondu : « — Vas y, je reste. » Et elle de me demander : « — Et tu n’as
pas peur ? » « — Non, je n’ai aucune peur ». Peu de temps après madame
Mathilde agonisait. J’ai prié ce que je pensais être adéquat à la
situation, mais je n’ai ressenti la moindre peur.
Petit village tout proche de Balasar.
Alexandrina, comme on le verra, appellera toujours “caresses
du Seigneur” toutes les adversités qui lui arriveront dans
le cours de sa vie.
Elle en garda la marque toute sa vie.
Village à 12 kilomètres de Balasar.
Alexandrina racontait qu’elle aimait à rester à l’église, avec
sa catéchiste, Josefina Alves de Sousa, pour prier avec elle.
Aussi bien Deolinda, la sœur, que Sãozinha, la maîtresse
d’école, le témoignèrent. “Elle exerça très probablement une
grande influence sur la spiritualité d’Alexandrina, et sur tous
les autres enfants qui allaient au catéchisme, à ce temps là”.
Alexandrina raconta à son deuxième directeur spirituel, qu’un
jour, à l’église, elle s’amusa à nouer les franges des châles
des dames qui assistaient à la messe, aux barreaux des chaises,
ce qui eut pour effet de distraire et de faire rire ceux qui
étaient autours, car ces dames, en se levant, pour partir chez
elles, soulevaient aussi lesdites chaises.
Celle-ci naquit à Balasar le 21 octobre 1901. Le Père Mariano
Pinho, qui fut aussi son directeur spirituel, disait à son
sujet: « Elle est intelligente mais assez timide et délicate.
En ce qui concerne la vertu, je ne sais pas laquelle des deux
soit la meilleure: toutes deux des âmes saintes ».
Cette petite ville balnéaire, se trouve à environ 16 kilomètres
de Balasar. Les deux sœurs furent mises en pension chez un
menuisier, monsieur Pedro Teixeira Novo, qui demeurait rue da
Junqueira. Les deux sœurs fréquentèrent l’école Mónica Cardia,
madame Emília de Freitas Alvares ayant été leur institutrice.
Il n’y avait pas à Balasar, à ce temps-là, d’école pour les
filles. Il n’existait qu’une école de garçons. En effet, à cette
époque, la scolarité était un privilège réservé à quelques-uns,
car la plupart des enfants travaillaient dès leur plus jeune
âge, dans les champs avec leurs parents. Ce n’est qu’en 1931,
qu’une école de filles fut ouverte dans le village.
Petite ville balnéaire, à 3 kilomètres de Póvoa de Varzim.
Monseigneur Antonio Barbosa Leão, duquel Alexandrina conserva
une photo jusqu’à sa mort, en souvenir de sa Confirmation.
Celles-ci étaient ensuite vendus aux enchères et le produit de
la vente destiné aux frais des festivités en l’honneur de la
Vierge. Cela se pratique encore de nos jours, dans les petits
villages portugais.
Gresufes. Lieu-dit, faisant partie du village de Balasar, lequel
est composé d’un grand nombre de ceux-ci, comme nous le verrons
par la suite.
Au lieu-dit “Calvário” (Calvaire). Tel est le nom de cet
autre lieu-dit, qui va être le “théâtre” d’une vie toute
consacrée à Dieu. Jésus en parlera quelques fois à Alexandrina,
de cette “coïncidence”. En 1832, au pied de cette petite
colline, une croix de terre est apparue, à même le sol, le jour
de la Fête Dieu. Le curé de l’époque la fit effacer à trois
reprises et à chaque fois elle est réapparue. Alors les
villageois décidèrent de construire sur celle-ci, pour la
protéger, une petite chapelle dédiée à la sainte Croix. Elle
existe toujours et est visité quotidiennement par tous ceux qui
se rendent en pèlerinage sur la tombe d’Alexandrina.
Cândido dos Santos témoigne: “Je l’ai vue, un jour, s’enfuir
d’auprès d’un garçon qui lui avait adressé une parole
malhonnête. Tapant de son index sur le front, elle lui dit:
« Très sale, mon cher! Fais attention! »”.
Belmira Martins Sá Faria, témoigna, lors du procès diocésain,
que son mari étant contre l’Église s’est vu un jour interpeller
par Alexandrina. Écoutons: “ Je passais à côté d’Alexandrina.
Elle s’arrêta et me dit: “Allez vous confesser!” Étonné
que le rappel me soit fait par une toute jeune fille, je lui ai
répondu d’un ton sec: — Dans d’autres temps, c’étaient les
anciens qui conseillaient les jeunes. Maintenant, ce sont les
anciens qui sont repris par les jeunes!” Dans les dernières
années de sa vie, cet homme retourna à l’Église et mourut
chrétiennement.
Ana Sisto, qui avait travaillé dans les champs avec Alexandrina,
affirmait que celle-ci, pour éviter que pendant le travail, l’on
ne fasse pas de mauvais “discours”, dirigeait elle-même la
récitation du Chapelet.
Cândido Manuel des Santos témoigne: “Alexandrina avait une
telle habileté pour traiter avec les tout petits et pour leur
parler de Dieu, que souvent ils abandonnaient les autres
catéchistes, pour venir auprès d’elle”.
[22] Il
y a environ 4 mètres entre le rebord de la fenêtre et le sol du
jardin, à l'extérieur.
[23] Lors
des enquêtes diocésaines sur les vertus d'Alexandrina, pour le
procès de béatification, le Père Umberto interrogea cette dame,
Rosalina Gonçalves, qui lui confirma tout ce que la servante de
Dieu avait écrit dans son autobiographie. Deolinda, elle aussi,
témoigna à ce sujet. Sa déclaration fut insérée, à son insu, par
le vice-postulateur Dom Ettore Calovi.
Le Père Umberto Pasquale, deuxième directeur spirituel de la
servante de Dieu, réussit à connaître, en 1965, la nature exacte
de cette “souffrance bien plus grande”. Voici ce que
Deolinda lui expliqua, à cette date: “Quand le Père Mariano
Pinho prit la direction spirituelle de ma sœur, il m’ordonna,
sans m’expliquer pourquoi, de ne pas laisser Alexandrina toute
seule lors des visites du prêtre NN”. En effet, ce prêtre
NN, attenta, plusieurs fois à la pureté d’Alexandrina. Celle-ci,
par respect pour le sacerdoce, se défendit toute seule et n’en
parla qu’à son directeur spirituel. Comme quoi...
C’était le 14 avril 1925.
Quelques mois auparavant, en 1924, Alexandrina, au prix d’un
grand sacrifice, se rendit à Braga, avec sa sœur Deolinda et
leur mère, afin de participer au Congrès eucharistique
nationale. Elle ne put assister qu’à très peu de cérémonies, à
cause de ses douleurs, mais elle en fut très heureuse.
Elle fait référence ici à cette tribulation dont elle a parlé et
qu’elle garda secrète très longtemps, avant de la révéler à son
Père spirituel, le Père Mariano Pinho, lequel prit les
directives qui s’imposaient en pareil cas.
Jésus eucharistique, bien entendu.
Son médecin était à cette période-là le docteur João Alves
Ferreira, de Macieira de Rates, petit village aux des alentours
de Balasar.
Il s’agit du Père Manuel de Araujo qui fut curé de Balasar
jusqu’au mois de juillet 1932.
L’image de la Vierge, imprimée en première page, porte des
signes évidents des milliers de baisers que la servante de Dieu
y a déposé...
Le prêtre qui l’assista, dans sa dernière agonie, lui suggéra la
prière: “Très Sainte Trinité, etc.”; “Mon Dieu, dans votre Cœur
je remets mon esprit...”. Elle sourit et expira.
Deolinda témoigne: “Un jour, Alexandrina nous a demandé, en
1931, à moi et à Sãozinha, si nous ne sentions pas, lorsque nous
priions, cet embrasement. Ayant reçu une réponse négative et
pensant que cet état était dû à sa maladie, demanda qu’on lui
mette sur la poitrine un chiffon trempé à l’eau froide. Elle
constata, toutefois, que cela était inutile”.
Alexandrina n’est pas la seule à ignorer ce que c’était qu’un
directeur spirituel et sa nécessité. En effet, avant elle,
Jean-Jacques Olier, dont la culture et la sainteté sont connues
de tous, avoue lui-même, dans ses écrits autobiographiques: “n’ayant
point de directeur et n’en connaissant pas, n’en sachant même
pas la nécessité”.
Jean-Jacques Olier:
“Mémoires authentiques”. Tome I, page 90.
Le Père Mariano Pinho naquit à Porto (Portugal) le 16 janvier
1894. Il est entré à la Compagnie de Jésus à Alsemberg, en
Belgique, le 7 décembre 1910. Les Jésuites avaient, en effet,
été expulsés du Portugal, lors de l’avènement de la République,
le 5 octobre de la même année 1910. Après son cours de
philosophie — à Ona (Espagne), il partit en Autriche, à
Innsbruck, où il fit sa théologie. Entre ces deux matières, il
fit un séjour au Brésil où il fut professeur au Collège Antonio
Vieira. C’est dans ce pays « frère » qu’il fut ordonné
prêtre le 7 février 1926. Revenu au Portugal, il fut le
directeur du « Messager du Sacré-Cœur ».
Il jouissait d’une
grande renommée en tant que prédicateur, raison pour laquelle il
prêchât dans les plus importantes églises du Pays. Il a écrit
aussi de nombreux ouvrages et avait un penchant pour la musique.
Il composait avec une certaine facilité: il avait une âme
d’artiste.
Il devint, en 1933,
directeur spirituel d’Alexandrina Maria, charge qu’il occupa
jusqu’en 1942, de façon régulière. Victime de calomnies et de
l’opposition de certains de ses collègues, il dut abandonner la
direction de la Servante de Dieu et fût exilé au Brésil, où il
rendit sa belle âme à Dieu le 11 juillet 1963, deux avant que ne
commence le procès diocésain de béatification de sa dirigée.
Le Cardinal
Patriarche de Lisbonne, Manuel Gonçalves Cerejeira, disait de
lui: « Le Père Mariano Pinho fut un saint malgré sa charité
ingénue... »
Il lui arrivait aussi de subir la lévitation.
Il ne s’agissait pas d’inspirations, mais de vraies locutions
intérieures. Deolinda confirma les lévitations de sa sœur.
Sainte Thérèse
d’Avila, dans le livre de sa Vie, au chapitre 18, traite
de l’union statique. Elle y explique les extases simples, des
lévitations et de l’envol de l’esprit...
Le 6 et le 8 septembre. Comme il en ressort des lettres envoyées
au Père Mariano Pinho sj.
Dans une lettre du 7 avril 1934, au Père Mariano Pinho, elle
explique: “... il m’est impossible de tenir la plume, même
pour à peine quelques instants... On ne mas jamais gratté les
os, mais j’ai l’impression que cela doit produire le même
effet...”.
Après ceci, le Père Mariano Pinho recommanda à Deolinda
d’observer tout ce qui arriverait, d’en prendre note afin de
l’informer et aussi de servir de secrétaire à Alexandrina, pour
tout ce que celle-ci aurait besoin d’écrire.
Il faut remarquer l’importance de cette dernière phrase. En
effet, Alexandrina avait une connaissance très approfondie des
choses de Dieu, au dire de certains théologiens qui l’ont
fréquentée et qui ont témoigné: « Je n’ai jamais entendu un
tel discours »; « Je ne saurais jamais parler de la sorte
du mystère de la Sainte Trinité »; « Elle, toute seule,
converti davantage de pécheurs que cent prêtres... », etc.
Voir, dans le « Cantique Spirituel » de saint Jean de la
Croix, strophe 17,18 la signification mystique des fleurs.
L’Immaculée Conception a été couronnée, par le Roi Jean IV,
Reine du Portugal, vers 1642. Depuis, plus aucun roi ou reine du
Portugal n’a porté de couronne. En outre, la presque totalité
des églises portugaises possèdent une statue de la Vierge
Immaculée, aux pieds de laquelle sont sculptées les armes du
pays.
Il n’y a aucune exagération dans ce qu’elle dit. Son corps était
devenu diaphane à cause de sa terrible myélite et de ses effets
néfastes.
La mère de la Servante de Dieu s’étant porté caution pour une
personne de famille, dut payer la dette à la place du demandeur
qui ne put assumer ses engagements. Maria Ana, la Mère D’Alexandrina
avait un grand cœur et, elle aussi, une charité naïve. Elle
était toujours prête à rendre service, non seulement à ses
familiers, mais à toute personne dans le besoin.
Felismina dos Santos Martins, qui avait été élevée depuis toute
petite chez les Costa, témoigne de cette époque: « Elles ont
subi beaucoup de privations: très souvent, je suis allée de leur
part, chercher des pommes de terre chez une certaine personne
qui aidait les pauvres. Une fois même, la mère d’Alexandrina
m’envoya gager du lange de maison et des habits à Póvoa, afin de
pouvoir faire face aux dépenses journalières ».
Ce fut une dame de Lisbonne, madame Fernanda dos Santos qui, à
la demande du Père Mariano Pinho, vint en aide à la famille de
la servante de Dieu. Elle envoya l’argent nécessaire pour
enlever l’hypothèque.
La
maîtresse d’école, Sãozinha, témoigna en 1965 sur cette période:
“ En ces années là de plus grandes difficultés, j’avais pris
l’habitude de verser, mensuellement, à la famille Costa, une
petite somme. Les moments les plus critiques étant passés, j’ai
voulu continuer à verser cette somme. Alexandrina s’y opposa et
me dit: «Je t’en remercie beaucoup, mais maintenant notre
maisonnée va un peu mieux, donne l’argent à quelqu’un qui en ai
encore davantage besoin »”.
La dure situation dura encore jusqu’à la fin de 1941. Cela
ressort d’une lettre envoyée au mois de février au Père Mariano
Pinho:
“ Le 5
j’ai reçu de Jésus une grande grâce: nous avons pu payer nos
dettes. Une force venue de je ne sais où, me fit lever et, à
genoux, je l’ai remercié”.
La maîtresse d’école et amie de la famille.
Alexandrina avait prit l’habitude d’écrire une petite lettre à
la Vierge, pour ses fêtes et pour la clôture du mois de mai.
Titre choisi par le Père Mariano Pinho, pour la première
biographie d’Alexandrina.
Les maîtres de la mystique enseignent que Dieu, pour purifier
les âmes, pour les détacher chaque fois davantage de la matière
et les rendre de plus en plus spirituelles, les soumet à
l’épreuve d’un mort dite “mystique”. Ce mystérieux
phénomène a fait penser à la transformation du ver en papillon.
Saint Jean de la Croix, dans son œuvre “La Flamme .d’amour
vivant”, cantique 2°, résume ces merveilleuses opérations
divines qui se produisent dans l’âme lors de la mort mystique.
Combien de fois, combien de milliers de fois, devrait-on dire,
n’a-t-elle pas souris encore!... Même sur son lit de mort, ce
doux sourire restait encore sur ses lèvres.
Jésuite; expert en théologie, envoyé par le Père Mariano Pinho
au chevet d’Alexandrina. De lui, l’archevêque de Braga disait,
dans une lettre envoyée à Rome: “...de grande science et
d’une extrême prudence, lequel connais très bien la jeune fille
(Alexandrina)”.
Le Père Leopoldino, nouveau curé, continuera à lui apporter la
Communion presque tous les jours, jusqu’au jour de sa mort, le
13 octobre 1955.
Deolinda témoigna: “Je me souviens en tout cas de ceci: que
ma sœur n’a jamais vomi la communion, lors de ses crises de
vomissements, fréquentes et violentes. Il suffisait que Jésus
arrive dans sa chambre pour que les vomissements cessent et ne
reviennent que bien plus tard. Ceci arriva aussi à Foz, quand
elle y fut conduite pour subir des contrôles médicaux. Je me
souviens encore, quand en 1937, alors que l’on pensait qu’elle
allait mourir, à cause de ses vomissements très forts, monsieur
le Curé lui administra la Communion. A genoux, à côté d’elle, je
l’avais vu vomir une hostie non consacrée que l’abbé lui avait
donnée, j’avais grande peur qu’elle ne vomit aussi Jésus. Mais,
grâce à Dieu, cela n’arriva pas. Par la suite, je ne m’en suis
plus préoccupée”.
Deolinda témoigne: “Un dimanche nous sommes allées à l’église
et nous avons laissé la porta entrouverte, car les pluies
hivernales, l’avaient fait gonfler. A notre retour, Alexandrina
nous demanda: — Je ne veux plus rester toute seule, car le
«forgeron» — sobriquet donné à un certain Teixeira — est venu.
Je l’ai entendu arriver et crier pour que je lui ouvre. Il a
essayé plus d’une fois, mais la porte ne s’est pas ouverte”.
Sobriquet qu’elle donnait au démon.
Felismina Martins dos Santos confirma cet état d’Alexandrina, en
ajoutant que quelques fois, avec Deolinda, elles étaient
obligées d’étouffer, par des chants, certains hurlements qui
pouvaient être entendus dans la rue par les passants.
Dans la
vie de sainte Gemma Galgani, on peu lire des phénomènes du même
genre.
Le démon se servait de la langue d’Alexandrina pour prononcer
des mots indécents, qu’elle même ne connaissait pas.
Le Père Mariano Pinho témoigne: “Le 7 octobre 1937, j’ai
assisté, avec ceux de la maison, à une de ces lutes terribles”.
Voir aussi, le livre « Sous le Ciel de Balasar » écrit
par le même prêtre et où ces attaques diaboliques sont décrites
en détail.
Journal du 25 juillet 1938.
Le 3 octobre 1938. Jour de la fête de sainte Thérèse de
l’Enfant-Jésus.
Après les tourments de la première passion, Alexandrina sentit
le besoin d’exprimer ses sentiments de reconnaissance au
Seigneur. Elle a écrit elle-même, ce soir-là, sur une image
cette pensée: “Jésus m’a conduite du Jardin des Oliviers au
Calvaire. Quel grand bonheur! Maintenant je peux dire: je suis
crucifiée avec le Christ”.
Alexandrina considérait sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus comme
sœur spirituelle: ce jour-là, c’était sa fête liturgique.
La sœur de la Servante de Dieu.
Deolinda témoigne: «En 1938, pendant quelques jours, ma sœur
souffrit d’une soif brûlante, inextinguible. Elle nous disait: —
“De l’eau, beaucoup d’eau! Des sceaux d’eau!” — Nous avons alors
prit un récipient, nous y avons appliqué un tuyau en caoutchouc
par où s’écoulait un petit filet d’eau, laquelle, après avoir
touché ses lèvres, retombait dans un autre récipient. Jour et
nuit, sans aucune interruption, nous avons du utilisé, en effet,
des sceaux d’eau».
Pour comprendre cette phase importante de la vie d’Alexandrina,
il est nécessaire de lire “Le Château intérieur”, sixième
mansion, de sainte Thérèse d’Avila.
Pendant la Passion, Alexandrina ne voyait rien d’autre et
n’entendait rien d’autre, sauf les ordres donnés par son
directeur spirituel; y compris si celles-ci n’étaient données
que par la pensée. Elle obéissait aussi aux ordres de toute
personne mandatée par son Père spirituel.
Les jésuites, confrères et les supérieurs du Père Mariano Pinho,
crurent à l’hystérie et peut-être aussi à la mystification de la
part d’Alexandrina: de là les souffrances du Père Mariano Pinho.
L’avis unanime des prêtres était celui-ci: “Que l’on fasse
appel aux médecins”, car, en effet, les mouvements accomplis
par Alexandrina, lors de la Passion, les laissaient dubitatifs,
quand on sait que la servante de Dieu était devenue paralytique
et ne pouvait donc pas se mouvoir. Pendant la Passion, elle
faisait tous les mouvements — et sans l’aide de personne! —
relatifs aux divers moments de la Passion du Seigneur: agonie,
tribunaux, chutes lors du chemin de Croix, etc. .
La distance séparant Balasar de Porto est d’environ 50
kilomètres.
Deolinda témoigne: “Un médecin de Porto, pour l’examiner, la
fit déshabiller complètement, en lui disant: — «Soyez
tranquille, j’ai déjà perdue toute ma pudeur» — Alexandrina, lui
répondit immédiatement: — «Si vous, vous l’avez perdue, moi
pas!” — Cet incident explique l’accroissement des
souffrances dont parle Alexandrina.
Le chanoine Manuel Pereira Vilar, est devenu un grand ami
d’Alexandrina.
L’un des plus grands neurologues du Portugal.
Monsieur Antonio Sampaio de Trofa.
Sauf pendant les extases de la Passion, où elle n’avait pas
besoin d’aide pour accomplir tous les gestes et déplacements.
C’est pourquoi il (le Père Terças) ne pouvais pas attendre la
réponse du Père Mariano Pinho, directeur d’Alexandrina.
Cette publication eût pour résultat de mettre le Père Mariano
Pinho dans une situation peu confortable vis à vis de ses
collègues jésuites, lesquels sont allés jusqu’à publier dans
leur revue “Brotéria” un article assez virulent contre le “cas
de Balasar” et, ceci sans la moindre enquête.
Le Dr. Azevedo communiqua au Père Mariano Pinho la nouvelle
décision: “Les médecins sont resté bien impressionnés, mais
dernièrement, et contre ce qui avait été convenu, ils exigent,
pour un jugement définitif, que notre infirme soit internée dans
une maison de santé. Ils ont affirmé que c’était là l’avis de
plusieurs de leurs collègues... et qu’ils ne voulaient pas
compromettre leur renommée.” (31 mai 1943).
Et quelques jours
plus tard: “... Alexandrina craignait, initialement, que son
départ puisse compromettre la santé de la mère... Puis elle
consentit à l’internement à Foz. Aujourd’hui je suis allé à
Porto et il a été convenu de l’interner au « Refuge » pendant
quelques jours. Je leur ai demandé, et eux ils m’ont promis, de
contrôler uniquement les facultés mentales de la malade et le
jeûne, mais sans la bouger... Ce qui nous intéresse c’est la
survie sans alimentation.” (4 juin 1943).
Le 6 juin il
informe Alexandrina: “... Nous avons convenu de vous transporter
à Foz la semaine prochaine... Nul ne vous touchera sans que je
sois présent et sans mon autorisation. Tout d’abord nous
vérifierons le jeûne absolu qui est ce qui nous intéresse pour
le rapport... Au sujet de Deolinda il a été convenu qu’elle vous
accompagnera à condition qu’elle ne sorte pas du « Refuge »
(qu’elle n’ai pas l’idée de sortir en ville cherchez des
aliments pour sa sœur). Il vaut mieux de prendre ceci comme une
plaisanterie afin de ne pas nous avilir.”
Alexandrina a toujours eu des souffrances soit physiques soit
morales à tel point qu’elle dit un jour à Dom Umberto: “J’ai
tant souffert dans ma vie que, en y repensant, il me semble ne
pas avoir eu aucun jour sans douleurs... Il n’existe pas dans
mon corps aucun le moindre endroit qui n’ai pas souffert”.
Malgré cela, elle
avait toujours le sourire et chantait.
Le docteur Azevedo, à la date du 4 juillet, écrivait au Père
Mariano Pinho : “... La malade est depuis le 10 juin sous
observation jour et nuit: son abstinence (de solides et
liquides) a été vérifiée, elle n’a produit la moindre goutte
d’urine; elle conserve le même poids et ses facultés sont très
lucides...” Puis le 12 du même mois: “Le jeûne a été absolu, les
analyses de sang normales... Les médecins affirment que chez
Alexandrina le surnaturel est évident”.
Il est en effet venu, comme il l’avait promis.
“Certaines personnes se sont scandalisées parce que d’autres
offraient des fleurs à Alexandrina: la chose fut même commentée
par des prêtres qui ont réprouvé cette popularité, et considéré
comme une preuve de faiblesse de la part de la servante de
Dieu.” (Lettre de Deolinda au Père Umberto du 22 novembre
1971).
Il est bon de signaler que les routes portugaises, à ce
temps-là, étaient très mauvaises et mal entretenues,
particulièrement les secondaires qui reliaient les petits
villages entre eux.
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