HOMÉLIE DIXIÈME
SUR LA CRÉATION DE L'HOMME.
SOMMAIRE
On trouve dans les œuvres de
saint Basile, et dans celles de saint Grégoire de Nysse son frère, deux homélies
sur la création de l'homme, qui ne sont certainement ni de l'uni ni de l'autre.
Saint Grégoire de Nysse, dans un traité sur la création de l'homme, dit en
termes formels que Basile son frère a laissé imparfait l’hexaëméron, et qu'il a
composé son traité pour y suppléer. Ce traité, où il y a de belles choses,
annonce qu'il n'est pas l'auteur des deux homélies. L'autorité de saint Grégoire
de Nysse suffirait seule pour convaincre que saint Basile n'en est pas non plus
l'auteur : une ancienne version latine de l' hexaëméron, où les deux homélies ne
sont pas traduites, le témoignage tacite de saint Ambroise, qui a mis en latin
l'hexaëméron grec, et qui traite de lui-même la formation de l'homme, sans rien
prendre des deux homélies, ces deux nouvelles autorités portent la chose au
dernier degré de démonstration. J'ai lu cependant les deux homélies ; j'y ai
trouvé bien des choses opposées à la manière de St. Basile, et peu dignes de ce
grand orateur; mais j'y en ai trouvé aussi beaucoup qu'il n'aurait pas
désavouées. En général, elles offrent plus de beautés oratoires que le traité de
saint Grégoire de Nysse. J'ai donc supprimé tout ce qui m'a paru être peu
intéressant, ou ralentir la marche du discours, et des deux homélies je n'eu ai
fait qu'une seule telle que je la publie aujourd'hui en français. En voici le
sommaire.
L'orateur se met à la place de
saint Basile ; il annonce qu'il vient s'acquitter d'une ancienne dette dont la
maladie lui a fait différer le payement. Il se plaint que l'homme ne s'étudie
pas lui-même, et qu'il ne cherche pas à admirer l'Ouvrier suprême en admirant
les merveilles que lui offre sa propre existence. Il explique ces paroles :
Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. Dieu semble délibérer
avant de créer l'homme, ce qui annonce l'importance de cet être. Nous avons été
faits à l'image de Dieu. Qu'on écarte toute idée de figure corporelle, qui est
incompatible avec l'idée de Dieu. Comment clone avons-nous été faits à l'image
de Dieu ? Les paroles suivantes l'expliquent : Faisons l'homme à notre image....
et qu’il commande aux poissons.... C'est par la raison, c'est par les lumières
de son intelligence, et non par les farces de son corps, que l'homme commande
aux animaux. Il est né pour commander, qu'il prenne garde de s'asservir aux
passions. On montre comment l'homme commande aux poissons, aux bêtes sauvages,
aux oiseaux du ciel ; tout ce morceau renferme de grandes beautés. On explique
avec autant de solidité que de subtilité en quoi diffèrent ces deux expressions
: A notre image et à notre ressemblance. Dieu prit du limon de la terre et
formera l'homme. Dieu nous travaille de sa propre main, ayons une grande idée de
nous-mêmes ; il nous forme du limon de la terre, n'ayons que des sentiments
modestes. Ces deux idées sont développées avec éloquence. Le mot forma annonce
un certain art dont use l'Ouvrier suprême en créant l'homme. L'homme est
vraiment un petit monde qui offre au contemplateur attentif un nombre infini de
merveilles. L'orateur s'arrête surtout à la stature droite du corps humain, et à
la beauté de l'oeil dont il donne une description fort étendue qui termine
l'homélie.
Je viens m'acquitter d'une ancienne dette, dont la
maladie, et non la mauvaise volonté, m'a fait différer le payement: dette
indispensable, et dont je suis justement redevable à ceux qui m'écoutent.
Serait-il juste qu'après nous être instruits de ce qui concerne les bêtes
sauvages , les animaux domestiques, les poissons, les volatiles, le ciel et les
astres qui le décorent, la terre et ses productions, on nous vît négliger de
chercher dans les divines Écritures des lumières sur notre origine ? Nos yeux
aperçoivent les objets extérieurs sans se voir eux-mêmes, à moins qu'ils ne
rencontrent une surface dure et polie, qui réfléchisse les rayons visuels, et
qui les faisant, pour ainsi dire, retourner sur leurs pas, nous fasse envisager
même ce qui est derrière nous. Ainsi notre esprit aperçoit tout excepté
lui-même, à moins qu'il ne tourne son attention vers les Écritures, dont la
lumière réfléchie fait que chacun de nous peut se voir comme dans un miroir
fidèle. En général, nous ne nous étudions pas nous-mêmes, nous négligeons
d'examiner notre propre structure, nous ignorons ce que nous sommes, et quels
nous sommes ; absolument indifférents sur ce qui nous regarde, nous n'avons
aucune connaissance de ce qu'il y a en nous de plus commun et de plus à notre
portée. Beaucoup de sciences et d'arts se sont occupés du corps humain, et un
grand nombre de savants ont donné tous leurs soins à cette étude. Si l'on
parcourt la médecine, on verra combien elle a écrit sur l'usage des diverses
parties de notre corps ; combien, en essayant de le disséquer, elle a trouvé
dans l'intérieur de routes cachées et de canaux secrets, partout une harmonie
parfaite, le cours du sang, les organes de la respiration et la manière de
respirer, le foyer de la chaleur générale placé dans le coeur dont le battement
est continuel. Les médecins ont fait sur tous ces objets mille recherches dont
personne de nous n'est instruit, parce que nous n'avons donné aucun temps à
cette science, et que chacun ignore ce qu'il est. Nous sommes plus portés à
contempler le ciel qu à nous étudier nous-même. Ne dédaigne point, ô homme, les
merveilles qui sont en toi ! Tu es un être peu important, à ce que tu penses ;
mais ce discours te montrera toute ta grandeur. C'est pour cela que le sage
David, qui savait bien s'examiner lui-même, disait à Dieu : La science de votre
nature a été en moi admirable d'après l'étude de moi-même (Ps. 138. 6.).
C'est-à-dire, j'ai trouvé d'une manière admirable
la connaissance de s titre nature : comment cela d'après l'étude de moi-même. La
science de votre nature a été en moi admirable d'après l'étude de moi-même ; et
considérant tout l'art qui existe en mm, avec quelle sagesse mon corps a été
construit, le principe spirituel qui l'anime, la raison qui le gouverne,
cette faible mais admirable machine m'a fait connaître le grand Ouvrier.
Faisons l'homme à notre image et à notre
ressemblance (Gn. 1. 26.). A la fin de la dernière instruction, nous avons
montré suffisamment, quoiqu'en passant, quel est celui qui parle et à qui la
parole s'adresse. L'Église a des preuves sur la divinité du Verbe, ou plutôt une
foi plus solide que toutes les preuves. Faisons l'homme. Apprenez qui vous êtes
dès ces premiers mots. Cette parole n'a pas encore été employée pour les autres
ouvrages de la création. La lumière a été créée d'après un simple ordre. Dieu
dit : Que la lumière soit. Que le ciel existe ; et le ciel a existé sans
délibération précédente. Que les grands corps lumineux paraissent; et ces corps
ont paru sans que Dieu ait délibéré. Les vastes plaines de la mer ont été
produites d'après un simple commandement de Dieu, ainsi que toutes les espèces
de poissons. Il a dit, et tout a été fait : bêtes sauvages, animaux domestiques,
animaux nageurs et volatiles. L'homme n'existe pas encore ; et Dieu délibère sur
l’homme. Il ne dit pas, comme pour toutes les autres créatures, que l’homme
soit. Apprenez combien vous êtes une créature précieuse.
Votre création n'est pas abandonnée à un simple
ordre; mais Dieu établit en quelque sorte un conseil au-dedans de lui pour
délibérer sur vous, pour savoir comment il doit donner la vie à un être si
excellent. Faisons, dit-il. La sagesse elle-même délibère, l'Ouvrier suprême
examine. Est-ce que son art est embarrassé est-ce qu'il cherche avec inquiétude
à produire un ouvrage accompli, auquel rien ne manque ? Ou plutôt ne veut-il pas
vous apprendre que vous êtes parfait à ses yeux ?...
Faisons l'homme à notre image et à notre
ressemblance. Il est clair, d'après l'Écriture, que nous avons été faits à
l'image de Dieu Qu'est-ce à dire, à l'image de Dieu ? N'imaginons rien de
corporel et de terrestre, purgeons nos coeurs de toute idée grossière, délivrons
nos esprits de toute ignorance, de toute opinion fausse sur la divinité, de ces
opinions qui font dire à quelques-uns : Si nous avons été faits à limage de
Dieu, Dieu a donc la même figure que nous ; il a donc des yeux, des oreilles,
une tête, des mains, des pieds qui portent tout le corps. Aussi est-il dit dans
l'Écriture que Dieu s'assied, qu'il a des pieds avec lesquels il marche. Dieu a
donc la même figure que nous. Bannissez de vos coeurs ces imaginations absurdes
; chassez de vos esprits ces pensées peu convenables à la majesté divine. Dieu
est simple, sans forme, sans grandeur et sans mesure physique. Ne vous imaginez
pas une figure dans Dieu ; ne rapetissez pas, comme les Gentils,
le grand Être ; ne resserrez pas Dieu par des idées corporelles; ne
circonscrivez point, par les bornes de votre intelligence, celui qui, par
l’immensité de sa grandeur, est incompréhensible. Imaginez quelque chose de
grand, ajoutez-y ensuite, ajoutez-y encore de plus en plus, et soyez certain que
votre esprit ajoutera toujours sans pouvoir jamais atteindre à l’infini. Ne vous
imaginez donc pas une figure dans Dieu en qui tout est puissance, ni une
grandeur déterminée, puisqu'il est partout, supérieur à tout l’univers. Il ne
peut être ni touché, ni vu, ni conçu, ni terminé par une forme, ni circonscrit
par une mesure, ni limité en puissance, ni renfermé dans le temps, ni borné par
aucun nombre. Il n'est rien absolument en Dieu tel que dans nos corps existants,
ou dans les corps intelligibles.
Comment donc l'Écriture a-t elle dit que nous
avons été faits à l'image de Dieu ? Reconnaissons ce que nous avons en nous qui
semble nous approcher de Dieu, et convenons que ces paroles, à notre image, ne
doivent nullement être prises dans le sens de figure corporelle. Le corps se
voit : or, ce qui est visible ne peut avoir de rapport avec un être invisible ;
et ce gui est corruptible ne peut être limage d'un être incorruptible. Le corps
se fortifie, s'affaiblit, vieillit, éprouve des changements. Il n'est pas dans
la vieillesse ce qu'il est dans la jeunesse, dans l'adversité ce qu'il est dans
la prospérité, dans la tristesse ce qu'il est dans la joie, dans la crainte ce
qu'il est dans la confiance, dans l'abondance ce qu il est dans le besoin, dans
la guerre ce qu'il est dans la paix. Il n'a pas, lorsqu'il dort, le même teint
que lorsqu'il est réveillé. Comment donc ce qui change peut-il ressembler à ce
qui ne change pas ; ce qui n'est jamais dans le même état, à ce qui est toujours
le même ? Le corps humain nous échappe comme une eau courante, il se dérobe à
nous avant que nous puissions le contempler, il change continuellement. A notre
image. Comment une nature fluide et changeante peut-elle être limage d'une
nature immuable, une nature qui a une forme, de celle qui n'en a pas ? Où
chercherons-nous le sens de ces paroles: A notre image ? Dans ce que Dieu
lui-même ajoute aussitôt. Si je vous dis quelque chose de moi, ne l’écoutez pas
: si je vous offre les paroles mêmes du Seigneur, recevez-les.
Faisons l'homme à notre image et à notre
ressemblance, et qu'il commande aux poissons. Parmi, je vous le demande,
commandez-vous aux poissons ? Est-ce par le corps ou par la raison ? Votre
commandement tient-il à l’âme ou à la chair ? Le corps de l'homme est plus
faible que celui de beaucoup d'animaux ; et nous ne comparerions jamais notre
force avec celle du chameau, de l’éléphant, du taureau, du cheval, ou de chacun
des grands animaux. La chair de l'homme est fragile, luise en comparaison avec
celle de la bête sauvage. Mais en quoi consiste notre commandement ? C'est dans
la supériorité de la raison. Tout ce qui nous manque par la force du corps, nous
le possédons avec avantage par les ressources de la raison. Notre âme, douée
d'intelligence, a pu se soumettre facilement tout ce qui est dans le monde. Par
où l’homme transporte-t-il les plus grands fardeaux ? Est-ce par la subtilité de
l'esprit ou par la vigueur du corps ? Ainsi, c'est dans les ressources de la
raison, et non tans la figure du corps, qu'on doit chercher notre commandement,
et la prérogative d avoir été faits à l'image et à la ressemblance de Dieu.
Faisons l'homme à notre image. L’Écriture parle de
l'homme intérieur, quand elle dit : Faisons l'homme. Mais, direz-vous, pourquoi
ne nous parle-t-elle pas de la raison ? Elle dit que l'homme a été fait à
l'image de Dieu : or, la raison est l'homme. Écoutez l'Apôtre qui dit: Quoique
dans nous l'homme extérieur se détruise, cependant l'homme intérieur se
renouvelle de jour en jour. Reconnaîtrai-je donc deux hommes dans le même homme
? Oui, sans doute ; l'un qui paraît aux yeux, et l'autre qui est caché par celui
qui paraît, comme invisible, l’homme intérieur, l'homme proprement et
véritablement dit. Nous avons donc un homme au-dedans de nous-mêmes, et, nous
sommes doubles en quelque sorte. Il est vrai de dire que nous existons au-dedans
de nous. Je suis l'homme intérieur ; ce qui est au-dehors n'est pas moi, mais à
moi. Je suis l’âme raisonnable, dans laquelle âme raisonnable consiste ma
perfection. Le corps est à moi ; le corps est l’instrument de l’homme,
l'instrument de l’âme : l'homme proprement est l’âme même. Faisons l'homme à
notre image, c'est-à-dire, donnons-lui la supériorité de la raison, et qu'ainsi
il commande aux poissons, aux bêtes féroces, et à tous les êtres. Il m. dit pas
: Faisons l'homme à notre image ; et qu'il se livre à la colère, à la cupidité,
à la tristesse : car ce ne sont pas les passions qui constituent L'image de
Dieu, mais la raison qui domine les passions, qui commande à toutes les
affections charnelles, qui s'élève au-dessus des choses visibles et trompeuses.
Admirez les soins et les attentions qu'a eus pour
vous, dès l'origine, un Dieu qui en vous créant d'abord, vous a donné un
commandement perpétuel et non héréditaire. Un homme qui reçoit la puissance d'un
honnie, est un mortel qui reçoit d'un mortel, de celui qui ne possède pus
vraiment : car quelle autorité un homme peut-il avoir sur l’âme d'un autre homme
? Aussi ne tarde-t-il pas à perdre cette puissance. Vous, vous avez reçu votre
pouvoir de Dieu même : les titres en sont ineffaçables, parce qu'ils ne sont pas
écrits sur des tables de bois, sur des tables corruptibles, qui deviennent la
pâture des vers, mais gravés dans notre nature par cette première parole de Dieu
: Qu’il commande. Dès lors, tous les êtres ont été assujettis à l'empire de
l'homme et le seront jusqu'à la fin. Qu'il commande, dit l’Écriture : aux
poissons, aux oiseaux du ciel, aux bêtes sauvages, aux animaux domestiques, aux
reptiles qui rampent sur la terre. Dieu ne dit pas : Faisons l'homme à notre
image et à notre ressemblance, et qu'il mange des arbres fruitiers qui ont fruit
en eux-mêmes : il le dira ensuite lorsque le paradis terrestre aura été planté :
c'est pour vous apprendre que les besoins du corps ne doivent occuper que la
seconde place, et rie venir qu'après les principaux attributs de l'urne. Ce
n'est qu'après que la puissance du commandement nous a été donnée avec l’être,
que les délices d'un paradis nous ont été ajoutées comme par surcroît.
O homme ! tu es né pour commander, pourquoi te
rendre esclave des passions ? Pourquoi avilir ta dignité, t’asservir au péché,
t'assujettie au démon ? Tu as été nommé chef de tous les animaux ; et tu
abandonnes les titres augustes de ta nature ! Tu as été élevé au rang de maître
du monde ; c’est pour toi un devoir plus étroit du tenir toujours ta raison
maîtresse absolue des passions, afin que tu ne serves pas de jouet et de risée à
tes sujets, afin qu'ils ne voient pas leur souverain et leur monarque
indignement asservi, traîné comme un vil esclave, comme un captif misérable. Tu
as été appelé à la foi étant esclave (1. Cor. 7. 21.). Pourquoi te mettre en
peine d'une servitude corporelle ? Pourquoi n'être pas fier de la domination que
Dieu t'a accordée, si ta raison domine les passions ? Lorsque tu vois ton maître
esclave de la volupté, et que tu es tempérant, sache que tu n'es esclave que de
nom, et que lui il n'est maître qu'en apparence, qu'il s'est mis en effet sous
le joug de la servitude. Eh! lorsqu'il est asservi à une fornication honteuse
qui l’entraîne, et que toi, par l'empire de la raison, tu t'es mis au-dessus de
ce vice, n'es-tu pas vraiment le maître, puisque tu commandes à lu volupté, et
n'est-il pas vraiment l'esclave , puisqu'il obéit à une passion que tu as foulée
aux pieds ? Ainsi, où est la puissance du commandement, là est l'image de Dieu :
où est limage de Dieu, là est l'homme qu'il a formé de ses mains.
Qu'il commande aux poissons. Dieu nous accorde
d'abord le commandement des poissons. Il ne dit pas, qu'il commande aux animaux
qui sont élevés avec lui, mais aux poissons qui vivent sous les eaux. il nous
donne d'abord le commandement des poissons , afin qu’à l'empire sur des animaux
plus éloignés et aquatiques, il ajoute aussitôt, et à bien plus forte raison,
celui sur des animaux terrestres et proches de nous. Comment donc pouvons-nous
commander aux poissons, si nous ne vivons pas avec eux: Si quelquefois vous avez
vu votre image dans un étang, si vous avez observé comment votre ombre seule
effraie tous les poissons qu'il renferme, vous avez pu reconnaître quelle est la
force de votre empire. Quel père de famille, quand une querelle trouble sa
maison, survenant tout à coup, a ramené la tranquillité et a tout remis en ordre
par sa présence puissante, aussi facilement que l’homme par sa seule vue imprime
la frayeur à tous les êtres aquatiques, qui dès lors ne sont plus les mêmes, et
n'osent plus nager avec la même liberté sur la surface de l’onde ? Quoique le
dauphin s'annonce comme le roi des poissons, cependant, lorsqu'il sent l'homme
près de lui, il est comme pénétré de crainte et de respect ; il ne se livre plus
à ses mouvements, et ne bondit plus comme de coutume : tant il est vrai que
l'homme est fait pour commander aux animaux nageurs ! Lorsque vous voyez votre
raison étendre sur tout son empire, et tout dominer par son industrie,
pourriez-vous ne pas avoir le commandement des plus grands poissons ? J’ai vu
une invention humaine fort subtile. On fait des hameçons assez forts pour
prendre des poissons énormes, on y met des appâts proportionnés à la grandeur
des animaux ; ensuite, aux deux extrémités des cordes qui tiennent les hameçons,
on attache des outres pleines de vent, qui restent suspendues sur la mer.
Lorsque des baleines, par exemple, se sont jetées sur les appâts et quelles sont
bien prises aux hameçons, elles entraînent au fond les outres, qui, par leur
légèreté naturelle, les ramènent à la surface. Percées de l'hameçon dont elles
ne peuvent se débarrasser, elles s'agitent et se tourmentent pour regagner le
fonde, changent continuellement de place, se fatiguent inutilement, jusqu'à ce
que succombant à la peine et à la faim, un grand et indomptable animal soit pris
par un modique hameçon, et que, traîné mort avec les outres, il devienne la
proie du pêcheur, d'un être petit et faible, lui qui est si grand et si puissant
en force. Pourquoi cela ? c'est que l’homme ayant le pouvoir de commander par la
supériorité de la raison, amène à l'obéissance, comme de médians esclaves , les
êtres les plus indociles, et qu’asservit par contrainte ceux qui ne peuvent se
soumettre par douceur. Tant il est vrai que le pouvoir de commander donné à
l'homme par Dieu est universel! De-là les veaux marins, les baleines, en un mot
toutes les espèces de poissons les plus redoutables sont soumises à l'homme.
Qu’il commande aux poissons de la mer et aux bêtes
sauvages de la terre. Ne voyez-vous pas le lion, cet animal rugissant et
terrible, dont le nom seul épouvante nos oreilles, dont le rugissement fait
trembler la terre, dont l'impétuosité ne trouve rien qui lui
résiste
?.... parmi les plus grands animaux, il n'en est aucun qui ait assez de
confiance en ses forces pour entreprendre de tenir tête au lion: nous le voyons
cependant enfermé dans une cage étroite. Qui est-ce qui l'a mis dans cette cage?
Qui est-ce qui a imaginé une si petite prison pour un si puissant animal, une
prison dont les barreaux lui permettent de respirer librement sans qu’il puisse
nuire à personne? N'est-ce point l'homme, dont l'intelligence se joue des plus
redoutables animaux? Ne se fait-il pas un jeu des panthères, lorsqu’il élève un
homme en carton que la panthère déchire, tandis que lui, placé plus bas, rit de
la fureur de cet animal ? L’homme, par la supériorité de sa raison, ne
domine-t-il pas sur tous les êtres ? Comment cela ? Je vais parler des oiseaux.
L'homme ne peut s'élever dans l'air puisqu'il n'a point d'ailes ; mais par la
force de son esprit, il suit dans l air les oiseaux et vole avec eux. Non, rien
ne peut arrêter la raison de nomme ; elle fouille dans les abîmes de la mer;
elle prend sur la terre les animaux qui y marchent ; ceux qui traversent les
airs, elle les arrête dans leur vol, et, les attirant en bas, elle s'en rend
maîtresse. Avez-vous vu quelquefois un oiseau perché sur une branche, et qui, se
confiant dans la légèreté de ses ailes, semble se moquer des hommes qui marchent
sur la terre au-dessous de lui ? Cependant on le verra bientôt pris par un
enfant qui s'amuse. Cet enfant joint les uns aux autres plusieurs chalumeaux
dont il frotte les extrémités d'une glu tenace; ensuite il les dispose
adroitement dans les branches et parmi les feuilles, de façon que l'aspect de la
glu échappe à l'œil volage de l’oiseau. Un léger contact le rend maître de
l’animal volatile ; et celui qui traverse rapidement les airs, pris par la glu,
devient son captif. L'homme est couché par terre, ses pieds et ses mains sont en
bas ; mais son esprit s'élève en haut avec les êtres qui parcourent une région
supérieure; il atteint, et prend, par les inventions de l'art, les animaux qui
ont des ailes. Des rets sont tendus par lui aux oiseaux, ses flèches les percent
lorsqu'ils volent, ; les plus gourmands se laissent prendre aux appâts qu'il
leur présente. N'avez-vous pas vit encore l'aigle qui se précipite sur sa proie,
et qui se trouve arrêté dans des toiles disposées à terre Ainsi ce qui s'élève
s'abaisse, attiré par les appâts que Monime apprête. Car Dieu a tout mis sous sa
main, il lui a donné toutes les créatures pour son héritage, et lui a communiqué
son autorité suprême. Ne dites donc pas ; Que m'importent les êtres qui volent
dans l’air ? Car votre raison vous les a soumis eux-mêmes. Et aux reptiles qui
rampent sur la terre. Voyez-vous en quoi consiste le privilège d'avoir été fait
à l'image de Dieu et est, sans doute, dans le pouvoir du commandement, dans la
raison et dans l’intelligence de l’âme.
Et Dieu fit l’homme (Gn. 1. 27.). Qu'est-ce donc
que l’homme? Nous allons le définir d'après ce que nous lisons dans les Livres
sacrés ; car nous avons plus besoin d'emprunter des définitions étrangères, et
d’introduire dans les raisonnements de la vérité les paroles d'une vaine
philosophie. L'homme est l’ouvrage de Dieu, doué de raison, fait à l’image de
son Créateur. Que ceux qui ont consumé bien des années dans l’étude d'une
sagesse frivole, examinent si cette définition est défectueuse ; pour nous,
avançons, et continuons d’étudier les sens de l'Écriture dans ce qu'elle dit de
la formation de l'homme...
Et Dieu fit l'homme ; il le fit à l'image de Dieu
(Gn. 1. 27.). Ne remarquez-vous point que Dieu n'exécute pas tout ce qu’il s'est
proposé. Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance. La délibération
renferme deux choses, à notre image et à notre ressemblance. La création n'en
offre qu'une, à son image. Est-ce que Dieu changeant d'avis, exécute autrement
qu’il n'a projeté: s'est-il repenti en créant ? Ou bien peut-être serait-ce
impuissance dans le Créateur, qui ne peut accomplir tout ce qu'il s'est proposé
de faire ? ou encore , y aurait-il redondance dans les premières paroles , et
l'addition du second mot serait-elle inutile , les deux signifiant absolument la
même chose sans aucune différence ? Parmi toutes ces explications, quelle que
soit celle qu'on adopte, elle ne peut que tourner au grand désavantage de
l'Écriture. Si l'on prétend que l'addition à notre ressemblance est inutile, et
que c'est dire deux fois la même chose, le mot est donc oiseux ; et c'est
blasphémer l’Écriture qui n'emploie jamais de mots oiseux. Les deux mots, à
notre image et à notre ressemblance, sont donc nécessaires et ont chacun leur
signification propre. Pourquoi donc, lorsque l’homme est créé, l'Écriture ne
dit-elle pas que Dieu l'a fait à son image et à sa ressemblance, mais seulement
à son image ? Que si l'on dit que le Créateur a été impuissant, c'est un
discours aussi impie qu'absurde. Il n'y a pas moins d'impiété à dire qu'il s'est
repenti de sa première résolution, et qu'il l'a rétractée comme l'ayant mal
prise. Mais ni l’Ouvrier suprême n'est impuissant, ni le Dieu souverainement bon
, qui connaît tout , ne peut se repentir, ne peut différer à remplir ses
promesses, ni la sagesse par essence ne change d'avis; l'Écriture ne dit rien de
semblable. Pourquoi donc le divin Moïse, dans la création de l'homme, dit-il
seulement que Dieu le fit à son image, sans ajouter, et à sa ressemblance,
quoique les deux mots aient été réunis dans la première délibération ?
La solution de la difficulté est facile, pour peu
qu'on examine attentivement les choses. Être fait à l'image de Dieu, c'est un
avantage qui nous est donné par notre nature, avantage qui a toujours été le
même dès l'origine et qui le sera jusqu'à la fin. Être fait à sa ressemblance,
tenait à notre volonté, et c'est nous qui devions l’accomplir par la suite.
Ainsi, lorsque, dans la première délibération, Dieu disait : Faisons l’homme à
notre image, il a ajouté et à notre ressemblance, annonçant qu’il nous donnerait
une volonté libre, par laquelle nous pourrions devenir semblables à Dieu. Et
nous le sommes déjà devenus, suivant l'oracle du Très-Haut; car plusieurs se
sont déjà montrés et se montreront encore semblables à lui, quoique nous ne
marchions pas tous vers le même but, mais que le plus grand nombre, par lâcheté,
prenne une route contraire. Dans la création même de l'homme, l’Écriture dit
seulement que Dieu le fit à son image, parce que c'est le seul privilège parfait
et immuable qu il ait mis dans la nature humaine: elle suprême et à sa
ressemblance, parce que, sans doute, Dieu n'a ajouté cet avantage dans l'homme
qu'en puissance, et qu'il avait besoin, pour le réduire à l'acte, de l'opération
de la créature qui recevait de lui la volonté. Si donc, sans avoir dit d'abord
dans sa délibération, et à notre ressemblance, Dieu nous eût accordé
sur-le-champ de devenir semblables à lui, nous n'aurions pu par la suite nous
procurer nous-mêmes cette insigne faveur par un heureux effet de notre libre
arbitre, et en conséquence nous l'aurions possédée dans l'origine
nécessairement. Mais qu est-il arrivé ? lorsque nous avons passé du néant à
l'être, ce que le Créateur avoir mis dans notre nature , comme faisant partie de
notre substance, et qui était parfait dès lors, nous l'avons possédé
sur-le-champ, et on en a formé notre nom, sans doute l'avantage d'avoir été
faits à l'image de Dieu : quant à ce qui n'a pas été perfectionné sur-le-champ
en nous, ce qui n'a pas accompagné naturellement notre formation , mais ce qui
devait être le fruit de notre volonté libre et agissante, je veux dire la
ressemblance avec Dieu, nous ne l'avions pas encore, et notre nom ne pouvait pas
en être composé. C'est avec dessein que le Créateur fa laissé imparfait ; c'est
afin que la pratique de la vertu vienne aussi de nous, que nous en ayons le
mérite, et que nous en puissions recevoir la récompense ; c’est afin que nous ne
soyons pas comme des tableaux inanimés, qui, placés au hasard dans l'atelier
d'un peintre, sont perfectionnés par lui, et ne contribuent en rien par
eux-mêmes à leur beauté. Celui qui les contemple et qui les trouve parfaitement
peints, loue avec raison et admire l'artiste ; par ce qui est des couleurs en
elles-mêmes ou de la toile sur laquelle elles sont posées il n'en fait aucun
cas. Afin donc que l'admiration soit aussi pour moi, et que je partageasse avec
Dieu la louange d'une création parfaite, il m'a abandonné le soin de la
ressemblance avec lui. J'ai donc en moi, et une raison intelligente , capable
die faire le bien , comme l'annonce le privilège d avoir été fait à l'image de
Dieu ; et l'exercice de cette même faculté, la pratique de la vertu, l'avantage
de devenir semblable à Dieu par des moeurs pures et de bonnes oeuvres. Ainsi
être fait à l'image de Dieu, est la source et le principe du Lien, et ce qui a
été mis sur-le-champ dans ma nature au moment même de ma création : être
semblable à Dieu, c'est la perfection de l’homme, et ce que j'ai ajouté en moi
par mes propres actions, par les soins et les peines que j’ai pris pour rendre
toute ma vie vertueuse. Le Créateur ne devait donc point me :ratifier d'abord,
en me créant, de l'avantage d'être fait à sa ressemblance. Écoutez les paroles
mêmes de l'Évangile : Soyez parfaits comme cotre Père céleste est parfait ;
ressemblez-lui, parce qu'il fait lever son soleil sur les bons et sur les
méchants , qu'il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes (Mt. 5. 45 et
48). Vous voyez par où et pourquoi le Seigneur veut que vous soyez semblables à
lui : parce qu'il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, qu'il
fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. Si vous ne détestez que le
vice, si vous oubliez le mal qu’on vous a fait , si vous ne vous vengez pas de
votre ennemi, si vous lui pardonnez du fond de votre coeur, si vous ne vous
souvenez pas de la haine d'hier , si vous aimez vos frères , si vous êtes touché
de leurs maux , vous êtes semblable à Dieu. Si vous êtes pour votre frère qui
vous a offensé , tel qu'est Dieu pour vous pécheur qui lui résistez tous les
jours, cette charité parfaite et cette tendresse pour votre prochain vous
rendent semblable à Dieu. Ainsi vous êtes fait à son image, parce que vous êtes
doué de raison ; vous lui êtes semblable, parce que vous prenez la bonté. Prenez
donc des entrailles de tendresse et de bonté (Col. 3. 12.) , afin de vous
revêtir de Jésus-Christ. C'est en prenant la bonté que vous vous revêtez de
Jésus-Christ : c'est vous identifiant, pour ainsi dire, avec le Fils de Dieu,
que vous vous identifiez avec Dieu son Père. L'histoire de la formation de
l'homme est donc une leçon qui nous apprend à bien régler notre vie. Faisons
l'homme à notre image et à notre ressemblance. Qu'il tire le premier avantage de
la création même, et le second de son propre travail
;
puisqu'il trouve dans sa volonté propre la faculté de devenir semblable à Dieu.
Si Dieu, dès le commencement, vous eût fait à sa ressemblance, où serait votre
mérite ? Comment seriez-vous couronné ? Si le Créateur eût tout donné à la
nature, comment le royaume des cieux vous serait-il ouvert ? Mais il lui a donné
une partie, et il a laissé l’autre imparfaite, afin que vous perfectionnant
vous-même, vous vous rendiez digne de la récompense divine. Comment donc
prenons-nous la ressemblance avec Dieu ? C'est en pratiquant l'Évangile.
Qu'est-ce que le christianisme, sinon une ressemblance avec Dieu autant que le
permet la nature humaine? Voulez-vous être vraiment chrétien; hâtez-vous de
devenir semblable à Dieu....
Continuons à expliquer ce qui regarde la création
de notre espèce. Dieu prit du limon de la terre et forma l'homme (Gn. 2. 7.).
Dieu daigne former notre corps de sa propre main. Il n'emploie pas pour cet
ouvrage le ministère d'un ange; il n'abandonne pas à la terre le soin de nous
produire d'elle-même comme les cigales
; il ne
charge pas des puissances à ses ordres de faire telle ou telle partie ; mais il
nous travaille de sa propre main en prenant du limon de la terre. Si vous
considérez la matière qui est employée, vous direz avec raison : Qu'est-ce que
l’homme ? Si vous examinez l'Ouvrier qui opère, et si vous faites réflexion
qu’il opère lui-même, vous vous écrierez sans balancer: Que l’homme est
grand !....
Dieu prit du limon de la terre et forma l'homme.
Quelques-uns ont cru qu'il fallait entendre du corps le mot forma, et le mot fit
de l'âme : explication qui n'est peut-être pas hors de la vérité. En effet,
après avoir dit: Et Dieu fit l'homme, l'Écriture ajoute : Et il le fit à l'image
de Dieu. Mais lorsque ensuite elle nous parle de la substance du corps et de sa
construction, elle dit : Il forma. Le Psalmiste nous apprend lui-même la
différence des deux expressions : Vos mains, dit-il, m'ont fait et m'ont formé
(Ps. 118. 73.), Elles ont fait l'homme intérieur elles ont formé l’homme
extérieur. L'un convient au limon, l'autre à ce qui a été fait à l’image de
Dieu. Ainsi, la chair a été formée, l'âme a été faite. Après nous avoir
entretenus de la substance de l’âme, l’Écriture nous parle de la formation du
corps.
On peut donner une autre explication à ce passage
; comment cela ? on peut dire que l’Écriture parle d'abord de la création en
général, et ensuite de la manière dont chaque chose a été créée. Elle a dit plus
haut qu'il a fait, sans s'arrêter à la manière dont il a fait ; si elle eût dit
simplement qu'il a fait, on aurait pu penser qu'il nous a faits comme les
animaux sauvages et domestiques, comme l'herbe et les plantes. De peur donc que
vous ne vous confondiez avec les bêtes féroces et avec les êtres inanimés, elle
rapporte l'art particulier avec lequel Dieu vous a fait : Dieu prit, dit-elle,
du limon de la terre, et forma l'homme de ses propres mains. Songez, ô homme,
comment vous avez été formé : réfléchissez sur la construction de votre nature.
C'est la main de Dieu qui vous a fabriqué. Prenez donc garde que l'ouvrage formé
par Dieu même ne soit souillé par le vice, ne soit corrompu par le péché ;
prenez garde de vous arracher par force à la main de Dieu qui vous conserve.
Vous êtes un vase façonné de la main divine ; glorifié celui qui vous a fait, et
qui ne vous a fait que comme un instrument propre à sa gloire. Car tout ce monde
entier est comme un livre écrit qui vous prêche la gloire de Dieu, qui, par ses
beautés frappantes, vous annonce cette grandeur cachée et invisible, à vous qui
êtes doué d'Intelligence, pour vous faire connaître le Dieu de vérité. Ne perdez
donc point le souvenir de ces réflexions…
Dieu prit du limon de la terre, et forma l'homme.
A ce mot de limon, apprenez à n'avoir que des sentiments modestes. m'ayez pas de
grandes idées de vous-même. S'il vous survient des pensées propres à élever
votre coeur, à le livrer aux enflures de la vaine gloire, ou parce que la
fortune vous favorise, ou parce que vous avez quelques talons et quelques
vertus, opposez sur-le-champ à ces pensées le souvenir de votre formation ;
rappelez-vous que vous n'êtes que poussière, la production de cette terre que
vous foulez aux pieds. Si donc, vivant sur la terre, vous faites quelque chose
de grand ou de médiocre, vous avez près de vous un mémoratif de votre bassesse.
Si la colère vous trouble, parce que peut-être vous avez été outragé , parce que
quelqu'un vous a reproché votre naissance ; si vous êtes excité à lui renvoyer
des reproches plus injurieux, jetez les yeux sur la terre, songez d'où vous êtes
sorti ; et votre colère sera bientôt apaisée. La réflexion vous fera comprendre
sur-le-champ que celui qui vous a reproché votre naissance, loin de vous
outrager, vous a honoré. Car enfin cet être obscur dont il vous reproche de
tirer votre origine, quand ce seront un esclave, est toujours un homme animé :
or, vous avez été proprement formé, vous êtes proprement componé d une terre
inanimée et insensible. C'est donc moins un outrage qui vous a été adressé, qu
un honneur qui vous a été rendu. Et si un mouvement charnel vous domine, vous
engage à satisfaire les désirs de la concupiscence, tournez aussitôt les yeux
vers la terre : rappelez-vous que, comme vous en êtes sorti, vous ne tarderez
pas à y retourner ; que ces passions brutales, cette chair qui vous sollicite,
ces membres qui brûlent aujourd’hui d'une flamme impure, ne seront plus demain,
que votre corps disparaîtra avec les désirs qui l’agitent. Ainsi la
considération que la terre est notre mère, et les regards que nous portons sur
elle, sont propres à nous affranchir de toutes ces passions furieuses qui nous
tourmentent sans relâche, et dont il paraît si difficile de nous délivrer.
Dieu prit du limon de la terre. Si nous avions été
formés du ciel, comme nous ne pouvons le regarder toujours, gnous n aurions pu
nous souvenir sans cesse de notre nature : mais mous avons continuellement sous
notre main et sous nos yeux l'élément qui nous rappelle notre bassesse et notre
faiblesse. Le limon dont nous avons été formés, nos pieds le foulent, nos mains
le touchent, nos yeux le voient, nous en sommes souillés à chaque instant. Quoi
de plus et de plus infect que la terre et la boue dont vous avez été formé ?
Quoi de plus propre à vous inspirer des sentiments modestes et un mépris
raisonnable de vous-même ? lors donc que vous voyez quelqu'un qui a une grande
idée de lui-même, revêtu d'habits somptueux sur lesquels flotte une longue
chevelure artistement arrangée, portant au doigt une pierre précieuse et autour
du cou un cercle d'or, assis sur une chaire d'or, avec une contenance fière et
un langage imposant, faisant écarter la multitude par la foule d'esclaves, de
parasites et de flatteurs qu'il traîne à sa suite paraissant dans la place
publique, ou mille personnes le saluent, viennent au-devant de lui,
l'accompagnement par honneur, lui rendent hommage de toutes les manières :
lorsque vous voyez un magistrat précédé par un héraut qui l'annonce à haute voix
et qui écarte le peuple lorsque vous voyez un homme prononcer contre ses
semblables la confiscation des biens, l'exil, la mort ; ne soyez pas frappé de
ce que vous voyez, n'en soyez pas humilié, que tout ce faste ne vous étonne pas
: songez que Dieu a formé l'homme en prenant du limon de la terre ; et si ce que
vous voyez dans l'homme est tout autre chose que de la terre, soyez saisi de
crainte, soyez ravi d'admiration ; mais si celui qui étale tout cet appareil
n'est que boue et poussière, n'ayez que du mépris pour toute cette vaine
apparence.
Dieu forma l'homme. Le seul mot forma annonce un
certain art dont: use l'Ouvrier suprême en créant l'homme. Est-ce le même art
qu'emploient les artistes qui font des ligures en argile, des statues en airain,
ou quelque autre ouvrage, et qui ne peuvent imiter que la surface des choses :
Par exemple, ils représentent un homme avec l'extérieur du courage et de la
bravoure , ou de la crainte et de la lâcheté : ils donnent à une femme
l'expression de l'amour, de la pudeur, ou de quelque autre passion naturelle à
son sexe , que peut rendre un habile artiste. L'opération de Dieu est bien
différente ; pénétrant jusqu'à l'intérieur pour former le caractère original de
l'homme, la vertu de la création a distribué au-dedans du corps des organes qui
produisent en un moment une foule d'affections et de pensées diverses, qui se
mêlent et se confondent pour tendre toutes à une même fin. Je voudrais avoir
assez de temps pour vous expliquer dans le plus grand détail toute la
construction de l'homme. Vous auriez appris d'après vous-même quelle est la
sagesse merveilleuse du Créateur et son intelligence souveraine. L’homme est en
effet un petit monde, et c'est d'après de justes remarques qu'on l'a décoré de
ce titre. Que de sciences, depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours,
ont consacré tous plus soins à l'étude de cet ouvrage admirable ! les
considérations de la physique, les recherches de la médecine, les observations
de la gymnastique sur chaque membre en particulier et sur le rapport de tous les
membres entre eux , toutes ces sciences et arts se réunissent pour étudier et
pour enseigner la formation de l'homme.
Quel discours pourvoit développer avec exactitude
tout ce que renferme cette seule parole : Dieu forma ? Vous connaissez, sans
qu'il soit besoin que j’en parle, les objets extérieurs et visibles. Dieu vous a
fait, comme vous voyez, avec une stature droite ; il vous a donné cette
conformation qui vous distingue de tout le reste des animaux. Pourquoi cela ?
C'est qu'il devait ajouter des qualités actives qui tiennent essentiellement à
cette forme, et qui en sont comme une dépendance nécessaire. La plupart des
bêtes ne sont que des animaux paissants, et ont une conformation propre à leur
destination naturelle. Telle est la brebis : comme elle est née pour vivre de
pâturages, sa tête tournée en bas regarde le ventre et les organes des passions
animales. Le bonheur des bêtes consiste à remplir leur ventre et à jouir des
voluptés charnelles. La tête de l'homme, élevée au-dessus de toutes les autres
parties du corps, s'élance en haut, afin qu'il regarde les choses d'en haut,
avec lesquelles il a de l'affinité. Ne prenez donc pas des inclinations
contraires à votre nature : ne soyez pas occupé des choses terrestres ; ne vous
penchez pas vers la terre ; mais contemplez sans cesse les choses célestes, et
regardez-vous comme dans un miroir, dans ce ciel pour lequel vous êtes destiné
et oit vous devez vivre. La manière dont est conformé votre corps vous apprend
pour quelle fin vous avez été créé. Ce n'est point pour ramper sur la terre
comme les reptiles, que vous avez été formé droit, mais pour regarder le ciel et
Dieu qui l’habite ; ce n’est point pour courir après les voluptés brutales, mais
pour mener une vie céleste dont vous avez l’intelligence.
C'est pour cela que les yeux du sage ont été
places dans sa tête (Ecc. 1. 14.), dit le sage Ecclésiaste. Pourquoi les yeux
n’ont-ils pas été placés dans les pluies intérieures du corps, mais dans la tête
? C'est afin qu’ils se portent en haut. Celui qui ne tourne pas ses regards vers
les objets élevés, mais qui les abaisse aux objets terrestres, jette ses yeux en
bas comme les reptiles, et se traîne comme eux sur la terre. Placée au-dessus
des épaules, la tête domine sur tout le corps : elle n'est point enfoncée dans
les épaules, qui en effaceraient la beauté ; mais elle repose sur la longueur du
cou comme sur un soutien convenable, et sur une espèce elle base mobile. Les
yeux y sont attachés comme deux lampes brillantes. Un seul ne suffisait pas ; il
en fallait deux qui se prêtassent un mutuel secours, afin que si l’un venait, à
manquer, ou eût du moins la ressource de l’autre. D’ailleurs, la faculté
visuelle d'un seul est beaucoup plus faible
; au
lieu que cette même faculté sortant comme de deux sources et se réunissant,
forme un ruisseau plus abondant et plus serré Les rayons qui partent des deux
entés des narines, s'y reposent en même temps, s’avancent en même temps, et, ne
tardant pas à se réunir, ils se terminent en un faisceau de lumière qui a plus
de vertu et de force. Les vieillards sont une preuve de ce que nous disons. Ils
voient moins bien les objets qui sont proches, et beaucoup mieux ceux qui sont
éloignés, parce que, sans doute, la faculté visuelle des deux organes, plus
longtemps divisée, est plus faible d'abord; mais après la réunion, elle se
fortifie, acquiert plus d'abondance et d'activité pour recueillir les objets
visibles. La prunelle de l'oeil a plusieurs gardes qui la défendent. C'est une
première membrane, qui en est la plus voisine , laquelle ne suffit point : elle
ne doit pas être fort épaisse, autrement elle serait un obstacle à la vue ; et
ce qui couvre la prunelle devait être léger et diaphane. La première membrane
est donc transparente, la seconde est déliée : l'une est la vitrée, l'autre la
cornée ; celle qui couvre est plus solide, celle qui est couverte est plus
mince, pour ne pas empêcher le passage. Il en est une troisième, la
cristalloïde, aussi transparente, pour ne pas nuire à la transparence des deux
autres. La paupière sert de rempart à l’oeil : elle en est l'enveloppe, la
couverture, la maison, pour ainsi dire, et le domicile. La main aurait pu le
couvrir et le défendre ; mais avant quelle s’y fût portée, il eût été souvent
exposé à recevoir quelque blessure ; au lieu qu’il a près de lui sa défense et
sa garde ; et dès qu’il sent quelque objet qui peut lui nuire, il y oppose
aussitôt son enveloppe. Aussi la prunelle de l’œil est-elle pour l’ordinaire à
l’abri de tous les objets extérieurs qui pourraient l'incommoder, parce qu elle
repose tranquillement sous sa paupière comme sous une tente, et que presque
seule de tous nos membres elle ne peut souffrir le moindre contact. Les
paupières sont défendues par des poils ou cils qui sont des espèces de pointes.
Pourquoi cela ? C'est afin que la paupière supérieure et la paupière inférieure
puissent se fermer plus exactement, par le moyen de ces cils, qui sont comme des
liens qui les unissent plus étroitement lorsqu'elles se rapprochent. Ces mêmes
cils éloignent les petits animaux, et ne permettent pas la poussière de venir
molester la prunelle, qui est si délicate, si facile à être blessée par tous les
objets qu'elle rencontre. Une autre défense est placée au-dessus des yeux, ce
sont les poils des sourcils, qui, tracés en arc, font en même temps la beauté de
l'oeil et sa sûreté. Les sourcils encore, par la place qu'ils occupent, sont
propres à diriger la vue. La preuve de cela, c'est que lorsqu'on veut regarder
quelque objet éloigné, on courbe la main et on la met au-dessus des sourcils. Et
pourquoi le fait-on ? C'est afin qu’une partie de la faculté visuelle qui se
porte en haut, ne se dissipe pas en vain et ne se perde pas crois la vaste
étendue de l'air, mais que dirigée à la fois, et par le creux de la main, et par
l'arc des sourcils, elle recueille plus exactement tout l'objet visible. Ainsi
les sourcils placés au-dessus de l'oeil, en même temps qu'ils dirigent sa vue,
arrêtent la sueur qui coule d'en-haut, l'empêchent de se répandre sur la
prunelle et de nuire à sa force intuitive, seins compter qu'ils sont un rempart
suffisant pour le garantir de toute injure du dehors. Quel vigneron peut
enfermer aussi sûrement sa vigne, et l’environner d'un mur qui la mette à l'abri
de toute insulte, comme l'Ouvrier suprême a fait l'arc des sourcils pour
défendre l'orbe des yeux, traçant ces sourcils en demi-cercle, les étendant de
lune et l'autre part, et les réunissant à la naissance du nez, afin que la sueur
qui coule du front n'incommode pas l'homme lorsqu'il travaille, et ne l’oblige
pas de porter sans cesse la main à ses yeux pour essuyer l'eau qui les
mouillerait, mais afin que cette eau coule d'elle-même des deux côtés le long
des sourcils comme par ses canaux naturels , et que les yeux remplissent leur
fonction sans que rien ne les inquiète.
Si nous voulions examiner en détail les autres
membres de notre corps, expliquer et célébrer la sagesse du Très-Haut dans
chacun d'eux, le jour ne pourvoit nous suffire. Considérez donc, d'après un seul
membre, toutes les attentions de Lieu pour n'amine, et l'art infini du grand
Ouvrier. Nous allons entreprendre un voyage indispensable; accompagnez-nous par
vos. prières, afin que de retour au plus tôt nous puissions continuer nos
instructions, par la grâce de celui dont la bonté nous a créés, et a tout
disposé pour noire avantage : à lui soient la gloire et l'empire dans les
siècles des siècles. Ainsi soit-il.
FIN.
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