Pierre de Bérulle
(1575-1629)

Quelques textes
de Pierre de Bérulle

Il a paru bon de rapporter ici quelques extraits de l’ultime œuvre de Bérulle: La vie de Jésus. On y a ajouté quelques passages de plusieurs élévations dans lesquelles Bérulle exprime sa relation à Dieu et à la Vierge Marie, notamment dans ce qu’il a appelé le “vœu de servitude” qui lui valut tant d’ennuis quand il voulut imposer cette offrande aux carmélites françaises.

LA VIE DE JÉSUS

La vie de Jésus est le dernier ouvrage de Bérulle. Le livre, paru l’année même de la mort de son auteur, en 1629, aurait dû avoir une suite. La grande œuvre de Bérulle, qui aurait dû être consacrée à la vie de Jésus, donc au mystère de l’Incarnation, est restée inachevée. Pourtant, on a toujours la sensation, en lisant La vie de Jésus, que cet ouvrage se suffit à lui-même. En effet, Bérulle, très pudique quant à ses sentiments intimes propres, se livre lui-même en contemplant les premiers instants de l’Incarnation.

La vie de Jésus est très influencée par les relations qui ont existé entre le Carmel français et son fondateur. Est-ce à cause de cela, ou à l’apaisement qui s’était fait autour des actions du Cardinal de Bérulle, que l’auteur paraît plus serein? Bérulle peut calmement exprimer sa pensée sans susciter de nouvelles polémiques, notamment autour du vœu de servitude qu’il avait proposé aux carmélites dont il était le supérieur.

Bérulle, contemplant le mystère de l’Incarnation veut devenir “pure capacité de Dieu,” c’est-à-dire accueillir Dieu incarné, donc Dieu anéanti, abaissé jusqu’à nous. Il écrit, dans un opuscule consacré à l’enfance de Jésus: “En ce mystère, je dois changer de méthode, je dois non m’élever au ciel, mais m’abaisser à la terre... Puisque Dieu cherche la terre, aime la terre, je veux me convertir maintenant, non au ciel, mais à la terre et y chercher Jésus-Christ.”

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Caractéristiques principales du livre :
La vie de Jésus

Le Mystère de l’Incarnation, c’est le grand motif de réflexion de Bérulle, c’est la base de toute sa spiritualité. Pour saisir l’infinie grandeur de ce mystère, Bérulle veut contempler longuement le moment instantané de l’Incarnation du Verbe, la seconde sans durée de la conception de Jésus, l’instant sans durée et cependant éternel où Dieu se fait homme. Bérulle veut donner du temps au temps à la fois instantané et éternel de l’Incarnation: “Depuis que le monde est monde, il n’y a point eu de temps plus remarquable que celui-ci, où le Fils de Dieu commence à être Fils de l’homme et une vierge devient Mère de Dieu.” À partir de cet instant qui renverse le temps, “l’éternel devient temporel et en conséquence, le temporel prend valeur d’éternité.” 

Dès lors, tout, en la Vierge Marie, Servante du Seigneur, entre dans la plénitude de l’éternité tout en restant dans le présent. Et, affirme Bérulle, “il faut traiter les mystères de Jésus, non comme  choses passées et éteintes, mais comme choses vives et présentes, et même éternelles, dont nous avons à recueillir un fruit présent et éternel.”

1-1-Les grandeurs de Dieu

La vie de Jésus commence par un long préambule sur les grandeurs de Dieu qui “est tout et au-delà de tout.” Bérulle affirme “qu’il est le centre, la circonférence et la plénitude de toutes choses; qu’il est sans nom et meilleur que tout nom; qu’il fait les temps et est avant les temps. Il est éternel, contenant tous les temps, mais sans aucun temps. Il est inaccessible, mais intime à tout, invisible, mais voyant tout, immobile, mais mouvant tout... Il est bon, mais sans qualité; il est grand, mais sans quantité,... il est très profond mais sans abaissement. Il est immense, mais sans étendue. Il est présent partout, mais sans aucun lieu. Il est de tout temps, mais sans aucun temps...

Cet être suprême est le soleil de l’éternité. Nous ne pouvons le voir en son midi et au fort de sa lumière; sa clarté nous est ténèbres. Il nous suffit de regarder ce soleil en l’ombre, et de voir Dieu en ses effets et en l’ombre de la foi qui nous éclaire en son obscurité... Il est existant par soi et ne dépend que de soi-même... En cet état de repos, en cette éternité, il suffit à soi-même... Son trône, c’est lui-même... et il est le seul trône de sa gloire, et le seul siège digne de sa grandeur... Là, s’il se contemple, ce n’est que fécondité, et s’il produit, ce n’est que divinité; que s’il paraît, ce n’est que majesté; s’il opère, ce n’est que bonté; s’il parle ce n’est que vérité, s’il commande, ce n’est qu’équité; s’il est en repos, ce n’est que vie, amour et sainteté.

Or, dans ce repos, il veut opérer et produire au-dehors une ombre de son être, une image de sa vie et, ce qui est bien plus excellent, une expression de son amour et une émanation de sa sainteté... En ce moment il crée le ciel et la terre, mais il emploie du temps à former, polir et orner cet ouvrage de ses mains. Et ce créateur du ciel et de la terre veut aussi créer deux natures capables de sa grandeur et de sa grâce, l’ange et l’homme, mettant celui-ci dans la terre et l’autre dans le ciel...

Mais l’homme établi de Dieu en la terre, et constitué Seigneur d’icelle, y oublie ses devoirs et ruine toute sa postérité... Il se soustrait de l’obéissance de son créateur et il l’offense mortellement... Et ce mal est sans remède... Ainsi le monde est en désordre et l’homme est en péché... Ainsi le dessein de Dieu est violé...”

Dieu doit donc se faire, se fabriquer un nouvel Adam, “plus solide que le premier. Et Dieu va disposer le monde à recevoir celui qu’il veut envoyer... Le Sauveur est prédit et promis au monde dès la naissance du monde... Ce Jésus, ce Sauveur, ce Messie... est cru, désiré, attendu...Il est l’Agneau de Dieu qui est vivant et occis dès le commencement du monde... Ainsi Jésus est vivant, et vivant avant que de vivre... Et dès le commencement du monde, il donne la vie par sa mort...”

1-2-La terre a besoin du Fils de Dieu

Le temps a passé... “La terre ne porte partout que pécheurs et péchés, et il est temps qu’elle porte le Juste et la Justice... Le monde est comme enseveli en ses propres ruines, et couvert de ténèbres... Plus il va en avant, plus il s’éloigne de sa source et s’enfle en l’erreur et en la vanité des dieux...”

Les grands, parmi les hommes pensent à leur grandeur et se font dieux eux-mêmes. Le but premier des monarques est de s’imposer, de dominer. Il est temps que Jésus paraisse. Mais “la terre n’est pas digne de le recevoir... Elle est toute couverte d’abominations et d’idolâtries; elle va croissant en impuretés, en blasphèmes, en impiétés... Toutefois, ô bonté ineffable, Dieu, fidèle en sa parole, constant en ses miséricordes, veut vaincre cet obstacle de nos iniquités, veut accomplir ses promesses et veut remplir les ombres et les figures de la Loi. Et celui qui est la grâce et la miséricorde du Père, son Fils unique et son Verbe éternel... veut se faire homme, homme et Dieu tout ensemble, la vie, le salut, la lumière et la paix de Dieu et des hommes.” 

2
La Vierge Marie

La Vierge Marie tient une très grande place dans ce dernier ouvrage de Bérulle, qui, cependant s’attardera longuement à contempler l’instant de l’Incarnation. En effet, pour Bérulle, c’est sur cet instant décisif, que repose tout l’avenir de l’homme, peut-être même de la création.

2-1-La préparation de la Vierge

Dieu avait décidé de s’incarner; encore fallait-il que “la terre fût digne de porter et de recevoir son Dieu.” Aussi Dieu fait-Il naître, sur la terre, “une personne rare et éminente... Elle est conçue sans péché. Elle est sanctifiée dès le premier instant de son être... Elle est confirmée en état d’innocence et impuissance à offenser...” La grâce qui la comble est la plus puissante qu’on puisse imaginer, car “elle tend, non à faire des saints, mais à produire le Saint des saints...”

2-1-1-Dieu regarde Marie

Honorer Marie, c’est honorer Jésus déclare Pierre de Bérulle qui n’hésite pas à écrire: “C’est honorer Jésus de considérer l’état de celle que le ciel destine à être sa mère. C’est parler de Jésus que parler de Marie... Dieu tenant ses premiers états au monde après la création de l’homme et son péché, il y parle de Marie et l’oppose au serpent, origine de la malédiction de l’univers, et dès lors Dieu et le monde la regardent comme la source de la bénédiction du monde...”

2-1-2-Dieu cache Marie

Mais Dieu va cacher longtemps ce trésor précieux: “Dieu cache Marie aux mortels par le secret et l’éminence de sa virginité... car si Dieu doit prendre naissance, il veut naître d’une vierge, d’une vierge si éminente en la pureté virginale qu’elle est la première à lever l’étendard de la virginité au monde...” Dieu cache Marie à elle-même et fait “qu’elle ne voie pas que Dieu l’élève en un trône pour la couronner comme reine de l’univers et mère de celui qui l’a créée... Et si la terre ne la connaît point, le ciel l’admire et la révère comme celle qui va être mère et digne mère de celui qui a créé le ciel et la terre...

Ô grandeur! Ô puissance! Ô dignité! Ô sainteté! Ô virginité! Ô maternité! Qui a jamais vu ses merveilles? Qui jamais a oui parler d’une vertu plus haute et plus rare? Ô pureté! Ò humilité! Ô simplicité divine et incomparable! Qui des grands et des monarques a jamais eu une mère de telle condition?...

Votre vocation, Marie, est d’être mère de Dieu, c’est ce à quoi Dieu vous appelle; c’est à quoi il vous prépare; c’est à quoi vous coopérez sans le connaître; c’est à quoi vous coopérez dès le moment de votre naissance jusqu’à l’heure présente...”

2-1-3-L’excellence de la Vierge, cachée pour la terre

“La terre qui méconnaît Dieu, méconnaît aussi cet ouvrage de Dieu en la terre. La Vierge naît à petit bruit sans que le monde en parle en ses éphémérides, et sans qu’Israël même y pense...” Dieu qui veut naître d’elle, “l’aime et la regarde en cette qualité... Son regard... le premier et le plus doux regard de Dieu en la terre est vers cette humble vierge que le monde ne connaît pas... Le Très-Haut la comble de grâces et de bénédictions dès sa conception. Il la sanctifie dès son enfance...”

En la solitude du temple, Dieu “la garde. Il l’environne de sa puissance; il l’anime de son Esprit; il l’entretient de sa Parole; il l’élève de sa grâce; il l’éclaire de ses lumières; il l’embrase de ses ardeurs; il la visite par ses anges, en attendant que Lui-même la visite par sa propre personne. Et il rend sa solitude si occupée, sa contemplation si élevée, sa conversation si céleste que les anges l’admirent et la révèrent comme une personne plus divine qu’humaine... Cette Vierge cachée en un coin de Judée, inconnue à l’univers, fiancée à Joseph, fait un chœur à part dans l’ordre de la grâce, tant elle est singulière.

Cette âme rare, éminente et divine, vivante ainsi en la terre, ravit les cieux et ravirait la terre si ces ténèbres ne lui ôtaient la vue  d’un si rare objet... Marie est en la terre un paradis céleste que Dieu a planté de sa main et que son ange garde pour le second Adam, pour le roi du ciel et de la terre qui y doit habiter. Mais cela est caché à ses yeux, et son esprit abîmé dans le profond de son humilité, ne voit pas le conseil très haut de Dieu sur elle...”

Bérulle s’extasie sur les perfections de Marie: “Dieu vous a fait tant de grâces jusques à présent qu’il semble avoir épuisé en vous ses trésors, ses faveurs, ses merveilles... Dieu vous fait la grâce des grâces. Il veut vous donner son propre Fils, son fils unique et sa propre substance. Voici le plus beau de vos jours... Ce jour porte la plénitude des temps... il porte la plénitude de la Divinité dans l’humanité et la plénitude de Jésus dans vous-même.”

2-2-L’heure du Messie

L’heure du Messie est arrivée. Marie est la Vierge qui doit L’enfanter. Marie est tellement dans la main de Dieu qu’elle n’a pas d’autre pensée que celle que Dieu lui donne. Bérulle poursuit sa contemplation de Marie: “Dieu est l’Esprit de votre esprit; il est l’oracle de votre âme. Et vous n’avez ni parole, ni pensée, ni mouvement que par sa conduite. Vous êtes non dans votre esprit, mais dans l’Esprit de Dieu qui vous remplit; vous êtes non dans vos pensées, mais dans la pensée de Dieu qui vous régit... Vous ne pensez qu’à être la servante du Seigneur, mais Dieu pense à vous rendre sa mère.”

2-3-Marie et l’Ange

Et l’Ange Gabriel, l’Envoyé de Dieu? Comme Dieu agit au ciel et en la terre, Il agit en l’ange. “Comme Dieu agit en l’ange, Il agit en la Vierge, et agit plus en la Vierge qu’en l’ange. Il remplit son esprit, il conduit sa contemplation. Il prépare et dispose cette âme à ce qu’Il veut accomplir en elle et à ce que son ange lui doit bientôt annoncer. Il l’attire, il l’élève, il la ravit. il lui donne des pensées, des mouvements, des dispositions propres à l’œuvre qui se doit accomplir.“

3
L’Annonciation

L’ange arrive... Il salue Marie “en humilité très profonde, car il vient traiter du mystère le plus haut et le plus humble qui sera jamais... L’ange annonce le mystère où Dieu a mis sa force et sa puissance à sauver les hommes, à débeller (c’est-à-dire vaincre, combattre jusqu’à la victoire) et à établir sa grâce dans la terre, sa gloire dans le ciel et la terreur de son Nom dans les enfers... L’ange répand sa lumière dans l’esprit de la Vierge et l’élève à entendre les grandeurs cachées dans ses grandes paroles.

3-1-Ave Maria

Bérulle remarque que la première parole angélique adressée à la première personne du Nouveau Testament, c’est l’Ave Maria. “C’est la première parole évangélique annoncée à la terre... C’est l’évangile du Père éternel à la Vierge que cet ange porte du ciel. C’est l’évangile qui contient en sommaire les grandeurs de Jésus et de Marie, les deux sujets plus grands et plus importants qui seront jamais traités en tout l’Évangile et publiés par tout le rond de la terre... À la vérité, ces paroles sont divines et célestes...

L’ange salue Marie comme pleine de grâce et elle va être pleine même de l’auteur de la grâce. L’ange dit qu’elle est bénite entre les femmes et les anges, et par-dessus les anges. L’ange dit que le Seigneur est avec elle et (qu’)il veut être en elle et faire désormais une partie d’elle, comme une portion de sa substance, étant os de ses os, chair de sa chair et son Fils unique. Mais cela est caché aux yeux de cette sainte et humble vierge, et il faut que l’ange ôte ce voile de devant son esprit et lui révèle ses grandeurs... Elle est en la main de Dieu... qui la dispose à une puissance de grâce... émanée de la puissance du Père éternel, puissance à produire dans son sein virginal et maternel celui que le Père éternel produit en son sein pur et paternel...”

3-2-La conception

“La Vierge, fidèle à son adhérence à l’opération de son Dieu, demeure en ce silence et cette humilité et en cet étonnement que nous voyons.“ L’ange reprend: “Ne craignez pas, ô Marie! Vous êtes si heureuse en la recherche de la grâce de Dieu que vous avez trouvé même la grâce des grâces, c’est-à-dire le Fils unique de Dieu, lequel veut être vôtre et vous appartenir en qualité de fils. Il est la grâce du Père éternel et l’origine de toutes grâces, et est donné gratuitement au monde  par l’Incarnation.

Vous le concevrez, vous l’enfanterez et vous le nommerez Jésus... Il sera nommé le Fils du Très-Haut, et Dieu lui donnera pour son trône le siège de David... et son Royaume n’aura pas de fin.”

À mesure que l’ange l’élève, Marie s’abaisse: “La Vierge entre dans l’état humble et profond où nous doit porter l’abaissement et comme l’anéantisement d’un Dieu fait homme par le sacré mystère de l’Incarnation... Marie est adhérente à son Dieu abaissé... Elle est vivante en cet abaissement de Dieu et non en ses propres grandeurs. Et de cette vie et adhérence, son humilité tire aliment, vigueur et substance, et est puissante, solide et lumineuse. Et la Vierge en la vue claire de ses grandeurs, est un abaissement plus profond et plus ferme qu’auparavant... La pureté virginale de la Vierge la met en soin et la fait parler sur les derniers propos de l’ange qui parle de naissance, ce conception et d’enfantement.”

3-3-Comment cela se fera-t-il ?

Comment cela se fera-t-il puisqu’elle est vierge? Mais l’ange lui fait comprendre que son vœu n’est pas un empêchement à ce qu’il vient de lui annoncer. Jésus veut avoir une vierge pour sa mère. “Rien d’impur et terrestre ne sera mêlé en cette opération. Tout y sera céleste et divin. Vous aurez, ô Vierge sacrée, et la fleur et le fruit tout ensemble. La fleur de votre virginité et le fruit de votre fécondité. Car aussi Jésus est fleur et fruit tout ensemble... Ô fleur, ô fruit, ô fécondité! Ô fleur du ciel, ô fruit de vie, ô fécondité de Dieu!

La parole de la Vierge est un évangile de la virginité annoncé par la terre au ciel, par la Vierge à l’ange, par l’ange à la Vierge, par l’ange et la Vierge à l’univers, qui apprend en même temps deux vérités bien jointes ensemble, l’Incarnation du Verbe et la virginité perpétuelle de celle qui le doit enfanter... C’est une espèce de triomphe de la virginité d’être célébrée dans les premières paroles de l’Évangile, et d’être établie comme en un trône à la face de Dieu et de ses anges. “

3-4-La réponse de Marie

3-4-1-D’abord le silence

“La Vierge écoute et reçoit ce qui lui est dit et imprimé de la part de l’ange et ne lui répond pas. Et l’ange s’arrête en ses propos. Car l’humilité de la Vierge est surprise et étonnée de ces lumières et paroles, et la prudence céleste de cette âme divine veut le considérer. Et la conduite de l’ange est si douce et respectueuse envers la Vierge... Ainsi tous deux sont en respect et silence: l’ange occupé à révérer la Vierge et la Vierge à penser à ces paroles de l’ange...

Vous êtes, dit Bérulle à Marie, un jardin clos et une fontaine bien scellée. Vous êtes un paradis où le serpent n’a point d’entrée... Votre grâce est si pure et si délicieuse, si suave et si sainte, si délicate et particulière à vous, que l’odeur des esprits malins n’en peut approcher... Dieu est en cet ange que vous voyez. Et ce même Dieu est avec vous... Dieu parle par cet ange et Dieu l’écoute en vous. Qu’y a-t-il donc qui vous étonne?”

Marie ne sait pas qu’elle est la première personne de l’univers devant les yeux de Dieu et de ses anges. Elle ne sait pas que l’instant qu’elle vit “est le plus heureux et le plus mémorable de sa vie. Elle est au point du plus grand traité qui se passera jamais ni en terre ni au ciel; elle est au moment auquel l’œuvre des œuvres de Dieu doit s’accomplir en elle...” L’ange lui parle de ses grandeurs, et Marie n’est qu’humilité. “L’ange veut élever la Vierge, et la Vierge veut s’abaisser dans son néant... Plus il parle, plus elle est en silence... Plus il poursuit, plus elle s’étonne... Elle ne doute pas de cet ange qui lui parle... mais Dieu la cache dans son humilité et sa simplicité admirable...  Que fera cette âme pressée en ce combat, entre l’humilité de son cœur et la vérité de cet ange?...”

3-4-2-La réponse de la Vierge

“La Vierge... acquiesce à la parole de l’ange, obéit à celle de Dieu et dit: ’Ecce ancilla Domini, fiat mihi secundum verbum tuum.’ Marie est au terme de grâce qui termine tout le cours de sa vie précédente, vie très haute et préparante à l’état nouveau où elle va entrer à la fin de ces saintes paroles... parole d’abaissement et d’élévation très grande tout ensemble... c’est une humble et grande parole qui réjouit le ciel, qui conclut le salut de l’univers et qui tire du plus haut des cieux le Verbe éternel en la terre.

C’est le Verbe divin qui lui inspire cette parole et lui imprime cette disposition. Et cette parole est la dernière que la Vierge proférera sur ce sujet, à l’issue de laquelle sans aucun délai se doit consommer le mystère sacré, le mystère d’amour divin, le mystère de l’Incarnation en elle.”

3-4-3-Méditation sur la parole de Marie

Bérulle s’extasie : “Que cette parole est puissante, féconde et heureuse!... Là, Marie s’abaisse et en s’abaissant, elle se trouve élevée, et élevée par-dessus les cieux. Là elle fond en la main de son Dieu, comme un néant devant son Créateur, et devient mère de son Créateur même. Là elle entre en ses grandeurs par ses abaissements ; elle entre en sa maternité par sa virginité ; elle entre en souveraineté par son obéissance. Là elle se sent la servante du Seigneur et devient la Mère du Seigneur, mère et servante tout ensemble, toujours mère et toujours servante, comme son fils est Dieu et homme, toujours Dieu et toujours homme. Là encore, elle demeure vierge et devient mère: deux bénéfices de la cour céleste, et bénéfices incompatibles jusques alors, mais unis lors en Marie par le privilège dû à la dignité de son office et de sa personne. Tellement que sa virginité est non seulement conservée, mais relevée, mais couronnée, mais plus florissante que jamais par sa maternité; et sa maternité est saintement préparée, heureusement acquise et divinement accomplie dans sa virginité.”

La parole que profère Marie “est une parole de lumière, et de lumière vive et pénétrante jusques au sein du Père éternel d’où elle tire le Fils unique de Dieu pour le loger et porter en son sein virginal... Parole de grâce, d’amour et de vie, et de vie qui ne doit jamais périr, car elle donne la vie au Dieu vivant, et donne un état désormais éternel au Fils éternel de Dieu même.”

Cette parole de Marie est unique; “Marie est seule entre toutes les créatures, choisie, destinée, employée en la plus grande opération du Tout-Puissant hors de soi-même, c’est-à-dire à l’Incarnation du Verbe, et elle sert par un si haut et si digne ministère, comme celui d’une mère.” La parole de Marie comporte deux mouvements:

          – le mouvement de l’humble Vierge “dans le fond de son être, dans sa servitude et dans son néant: ‘ecce ancilla Domini’,

          – le désir et le mouvement de cette âme à son Dieu, et à son Dieu (ce qui est admirable) pour être sa mère, mouvement qui n’a jamais été et ne sera jamais qu’en elle.”

Bérulle avoue: “Je contemple volontiers cette sainte Vierge en ce moment heureux... Je la vois au comble d’une grâce éminente qui termine le cours de toute sa vie précédente, vie de quinze années... Mais ce comble n’est qu’un fondement et un commencement d’un nouvel édifice... Et ces paroles qu’elle prononce sont paroles d’esprit et de grâce, paroles vives et pénétrantes jusques au centre de son âme, paroles d’esprit sublime et élevé jusqu’au trône de la divinité et parole de grâce rare et singulière; paroles de grâce, initiative du plus haut mystère que Dieu opérera jamais.”

3-4-4-La grâce de Marie

“Porter et enfanter Jésus au monde fait partie de l’histoire de Jésus, ce qui est d’autant plus considérable qu’en cette nouvelle naissance, le fils est plus ancien que la mère et les dispositions de Marie à être Mère de Dieu sont grâces méritées par Jésus lui-même, et sont effets opérés par sa personne propre en sa très sainte Mère. Tellement que parler de Marie est parler de Jésus, et honorer Marie est honorer Jésus... Marie sait, elle sent, elle voit où Dieu l’attire, l’appelle et l’élève, et elle entre en ce divin état pleine de grâce, de lumière et de désir de servir à Dieu en ce ministère, et d’être mère de celui qui a Dieu même pour Père...”

“La grâce de Marie n’est pas comme la nôtre, c’est une grâce toute particulière et propre à elle, c’est une grâce tendante dès son origine au mystère de l’Incarnation comme à sa fin, à son principe et à son exemplaire. C’est une grâce nouvellement infuse, nouvellement accrue jusques à son effet principal en la Vierge, dans l’accomplissement présent de ce mystère de l’Incarnation. C’est une grâce toute liante Jésus à la Vierge et la Vierge à Jésus, comme la grâce générale qui nous lie à Dieu, cette sorte de grâce particulière est liante Dieu comme incarné à la Vierge et la Vierge à Dieu incarné... Et la Vierge est établie non en un accident, mais en un état de ravissement perpétuel sur un sujet perpétuel digne de ravissement...”

3-4-5-Et Jésus ?

Et Jésus? Bérulle répond: “À la vérité, Jésus est dedans la Vierge comme un enfant devant sa mère, mais il est un enfant que le prophète appelle homme accompli en sagesse et en perfection... Il est enfant, mais enfant d’une Vierge. Il est enfant, mais enfant-Dieu qui a Dieu pour Père... Il est en Marie comme en un Paradis où il voit Dieu et jouit de sa gloire. Il est en elle comme en un temple où il adore Dieu son Père et s’offre à lui comme prenant et portant la qualité d’holocauste pour l’hommage de l’univers et de victime pour sa gloire et pour les péchés du monde... C’est un soleil divin qui répand à l’heure même ses rayons vers Dieu son Père. Il le voit, il l’adore, il l’aime; il lui rend grâce et il s’offre à ses vouloirs; il est son Fils et il se rend son serviteur; et le Père met son plaisir et sa gloire en lui.”

La contemplation de Bérulle devient comme une extase de lumière: “Marie est une créature nouvelle du nouveau monde, et même la première créature de ce monde nouveau. Elle en est le soleil tandis que Jésus veut être caché au monde, lui qui est vraiment le grand monde et le souverain que nous voyons, et le sauveur du monde.”

3-4-6-Marie immédiatement après l’Incarnation

Les occupations de Jésus en Marie

Le séjour de Jésus en Marie ne fait que commencer; le mystère est grand, ”et après les personnes divines, il n’y a point de personne à laquelle le Fils de Dieu soit plus étroitement lié qu’à la Vierge... En cet état présent,...” tandis que Jésus est en elle, et qu’il fait comme partie d’elle, Marie “ne vit que pour lui et Jésus vit par elle, et il est en un état de dépendance et même d’indigence au regard d’elle... Il est en elle comme en son Paradis en terre, car tout est saint, tout est délicieux en la Vierge: l’ombre du péché même n’y est pas et n’y a jamais été... Il est en elle comme en un ciel, car il est vivant de la vie... Il est en elle comme en un temple où il loue et adore Dieu... C’est le premier et le plus saint temple de Jésus, et le cœur de la Vierge est le premier autel sur lequel Jésus,a offert son cœur, son corps, son esprit en hostie de louange perpétuelle, et où Jésus offre son premier sacrifice et fait la première et perpétuelle oblation de soi-même, en laquelle nous sommes tous sanctifiés...

Jésus est un soleil, et la Vierge est une planète qui a ses mouvements alentour de Jésus... Il est son centre et il est sa circonférence, et elle enclôt et termine ce semble sa grandeur et ses influences...”

3-5-Les ravissements de Marie

L’objet du ravissement de la Vierge Marie, c’est Jésus qui en est à la fois le principe et l’objet. Jésus, en ce temps favorable entretient la Vierge sur Lui-même et la ravit en Lui. Mais, “comme il y a en Jésus plusieurs objets dignes de ravir en Lui sa très sainte mère, ce qui l’occupe et la ravit maintenant, selon l’avis de Bérulle, c’est le nouvel œuvre opéré en la terre et en elle, c’est le mystère de l’Incarnation c’est l’état naturel, ou surnaturel plutôt, de son Fils en elle... mais cette sorte de vie et de ravissement de la Vierge en son fils, nous est presque aussi caché que la vie du Verbe en cette humanité. Nous n’avons que des ténèbres et non des lumières au regard de choses si grandes...”

La vie de Jésus est la vie de Marie. “Et l’occupation de Jésus est son occupation primitive et principale... La Vierge donc entre en connaissance de ses secrets puisqu’ils se passent en elle et qu’elle est le cabinet vivant où le Fils traite en secret avec le Père éternel. Et elle sort heureusement de ses propres pensées et de sa vie intérieure et spirituelle, pour entrer dans les pensées de Jésus, dans la vie intérieure de Jésus; elle entre dans l’amour et l’adoration que Jésus rend à son Père...”

En effet, toujours selon Bérulle, “la Vierge est trop conjointe à son fils pour n’être pas conforme et semblable à lui; elle lui est trop proche et trop familière pour ignorer son état et ses secrets. elle sait ce qui se passe entre son Père et lui; elle sait la qualité d’hostie en laquelle il est entré et dont il porte déjà des marques et des effets. Par cette qualité, Jésus porte un état humiliant dans un état divin, et cette humiliation perce le cœur de sa mère et l’humilie aussi... Et ensuite de cet état de son fils, elle porte semblablement une sorte d’abaissement et d’humiliation dans l’état même de sa maternité divine... Elle sait le dessein du Père à humilier son Fils et du Fils à s’humilier soi-même. Elle entre dans ces desseins et elle accepte d’être mère humiliée du Fils humilié...”

4
L’Incarnation, excellence de l’Œuvre de Dieu

4-1-L’instant de l’Incarnation

Bérulle revient constamment sur l’instant précis de la conception, ce moment extraordinaire de l’Incarnation. Bérulle contemple le vouloir de celui qui est la vie, la gloire et la splendeur du Père, ”et qui veut prendre chair humaine, et la veut prendre ainsi au monde.” Maintenant l’ange s’est retiré, “et Dieu s’approche, et la Vierge demeure en son élévation. Lors (ô merveille! ô grandeur) les paroles de l’ange s’effectuent, le ciel s’ouvre, le Saint-Esprit descend en la Vierge, la vertu du très haut la remplit, l’œuvre des œuvres s’accomplit. En cet heureux moment, le Créateur se fait créature pour ses créatures... Dieu se fait homme pour le salut des hommes; et la Vierge devient mère de Dieu...

Maintenant je vous adore comme Seigneur de la terre... Les anges dépeuplent le ciel pour fondre en la terre et contempler en la terre ses merveilles, et pour vous chercher et adorer en terre... Ici vous joignez la terre au ciel, Dieu à l’homme, l’être créé à l’être incréé... C’est ici la terre qui porte les lumières du ciel (Jésus et Marie)... Ce n’est plus donc le ciel qui éclaire la terre, c’est la terre qui éclaire le ciel...

C’est en Nazareth, ô grand Dieu, que sont ces merveilles; c’est en un profond silence et en une nuit obscure; c’est en un moment, ou pour mieux dire, dans les mesures de votre éternité. Mais ce grand-œuvre qui se fait en un instant, ne peut pas être expliqué et déclaré en un instant, et l’éternité même se trouvera trop courte pour en déployer les merveilles. Il faut du temps, de la grâce, de la lumière, pour penser dignement à ces choses si grandes... Ce grand œuvre donc s’accomplit dans le secret, le silence et la solitude de la Trinité sainte. C’est son œuvre, et elle seule y contribue...

4-2-Les humiliations de Jésus

Pour Bérulle, les deux plus grands sujets de l’humiliation du Fils de Dieu sont celui de l’Incarnation... et celui de la Croix: “Contemplons le Fils de Dieu lorsqu’Il entre dans l’état de ces abaissements. Il part du ciel, des cieux. Il vient en la terre, non des vivants, mais des mourants. Il y vient pour y mourir lui-même. Il porte la ressemblance du péché. Il doit habiter au milieu des pécheurs. Et ce qui est intolérable, il doit porter sur soi les péchés de tout le monde... Il abaisse sa grandeur dans le néant de l’être créé. Il se revêt de la nature de l’homme et de l’état d’un enfant, car il est neuf mois enfant dedans la Vierge. Et c’est ici comme son premier pas et comme son entrée dans l’abaissement et dans le monde...

Jésus en l’état premier et humble de sa vie est si saintement et si divinement occupé. Il loue et adore. Il aime et rend grâce. Il voit et accepte la vie, la croix, la mort, le conseil rigoureux du Père sur lui. C’est le premier exercice de la vie intérieure et spirituelle de Jésus sitôt qu’il est formé dans le ventre de sa mère... Cet enfant est Dieu et Agneau de Dieu tout ensemble. Il est Dieu, Fils de Dieu. Il est homme, Fils de l’homme et il est homme-Dieu, Agneau de Dieu pour Dieu et pour les hommes...”

4-3-Les deux natures de Jésus

Bérulle ne se lasse pas de contempler Jésus dans son Incarnation: “Il a deux natures, l’une divine, l’autre humaine; l’une propre et l’autre appropriée; l’une qui lui convient de toute éternité et l’autre depuis cet instant; l’une et l’autre siennes toutefois, mais l’une est sienne par essence et l’autre est sienne par amour...

Ô vie du Verbe incréé dans le Père éternel! Ô vie du Verbe incarné dans la Vierge sa mère!... Ô vie de cet enfant en son Père éternel! Ô vie de cet enfant en la Vierge sa mère!... Deux vies bien diverses...

La vie qu’il vient de prendre dedans sa mère... est toute nôtre, cette vie est toute divine. Elle est toute nôtre et les anges n’y ont part que pour l’adorer. C’est pour nous et non pour eux qu’il est envoyé. C’est pour nous et non pour eux qu’il vient sur la terre. C’est pour nous et non pour eux qu’il vit et meurt sur une croix...

Cette vie nouvelle du Verbe éternel est toute nôtre, elle est aussi toute divine... La divinité environne ce corps et cette âme, les soutient, les pénètre jusques au plus intime de leur substance... Dieu est en ce petit corps et la plénitude de la divinité y habite corporellement, et c’est le corps de Dieu même, et en ce corps précieux et sacré, et sacré par l’onction de la divinité, Dieu y a mis la vie, la religion et la rédemption de l’univers... Contemplons et révérons ce petit corps comme le corps de Dieu même, formé de la main de Dieu pour Dieu, lorsque Dieu, par amour, a voulu avoir un corps à soi, lequel il n’avait point par sa propre essence.”

4-4-Les actions de Jésus

“Jésus donc qui entre au monde, et qui a tant d’offices et de qualités semble les mettre en oubli, et au lieu d’icelles, en son premier propos avec son Père, prend la qualité d’hostie et se présente à lui en cet état. C’est son premier office envers Dieu, c‘est son premier exercice et il veut être substitué en la place de toutes les hosties précédentes... Le Fils unique de Dieu entrant en un nouvel être, offre à Dieu son Père le premier usage de son être, de sa vie, de sa volonté, les prémices de son cœur et de ses pensées, les premiers fruits de cet Arbre de Vie dignement planté dans le Paradis de la Vierge, sa volonté première et dirigeante toutes ses volontés et tous les états de sa vie au monde...”

Ayons soin, nous dit Bérulle, de “peser les premières actions du Fils de Dieu venant au monde, et notamment ses premières actions intérieures qui, en cette qualité sont les plus hautes et les plus importantes, qui sont à la vue, non des hommes, mais des anges...

La première occupation de Jésus a été vers Dieu son Père, la seconde occupation de Jésus est avec sa très sainte mère. Il l’a choisie, il l’a préparée à des choses si grandes et si conjointes avec lui... Saint Jean y aura sa part pour quelque temps et Saint Joseph après, mais maintenant c’est le Père seul, c’est la Vierge seule qui ont part à Jésus, et avec lesquels sont ses occupations, ses délices et ses entretiens...

Jésus, qui connaît cette dignité infinie et de qui la grandeur est la cause et la source de cette infinité, honore cette maternité selon qu’elle le mérite, s’honore soi-même en honorant sa mère, et il l’honore selon l’étendue de sa sapience et de sa puissance, et emploie la sublimité de ses pensées et inventions célestes sur un sujet si digne et si proche de lui, et dans lequel il a si grande part et un si grand intérêt...

Il n’y a point eu de temps plus remarquable que celui-ci, où le Fils de Dieu, commence à être fils de l’homme, et une vierge devient mère de Dieu. C’est le temps délicieux des prophètes où le ciel envoie sa rosée, où les nuées font distiller le Juste, où la terre arrosée du ciel s’ouvre pour germer le Sauveur. C’est le temps de la production la plus grande, la plus heureuse, la plus utile qui sera jamais. C’est le temps où le ciel et la terre concourent ensemble à faire un effort de merveilles pour donner le Saint des saints au monde qui en a si grand besoin. C’est la plénitude des temps, selon les apôtres. C’est le temps du salut de l’univers et du ravissement du ciel en terre, pour y voir et adorer les merveilles qui sont en la terre et ne sont point au ciel.”