LA DOULOUREUSE
PASSION
DE N. S. JÉSUS-CHRIST
Pendant ce temps, le silence et le deuil régnaient
sur le Golgotha. Le peuple, saisi de frayeur, s'était dispersé ; Marie, Jean,
Madeleine, Marie, fille de Cléophas, et Salomé, se tenaient debout ou assises en
face de la croix, la tête voilée et pleurant. Quelques soldats s'appuyaient au
terrassement qui entourait la plate-forme, Cassius, à cheval, allait de côté et
d'autre. Les soldats avaient enfonce leurs lances dans la terre, et, du haut de
la roche du Calvaire, s'entretenaient avec d'autres soldats qui se tenaient à
quelque distance. Le ciel était sombre et la nature semblait en deuil. Bientôt
arrivèrent six archers avec des échelles, des bêches, des cordes et de lourdes
barres de fer pour rompre les jambes des crucifiés. Lorsqu'ils s'approchèrent de
la croix, les amis de Jésus s'en éloignèrent un peu, et la sainte Vierge éprouva
de nouvelles angoisses à la pensée qu'ils allaient encore outrager le corps de
son Fils. Car ils appliquèrent leurs échelles sur la croix et secouèrent le
corps sacré de Jésus, assurant qu'il faisait semblant d'être mort : mais ils
virent bien qu'il était froid et raide, et sur la demande que Jean leur fit, à
la prière des saintes femmes, ils le laissèrent un moment, quoique ne paraissant
pas bien convaincus qu'il fût mort, et montèrent aux croix des larrons. Deux
archers leur rompirent les bras au-dessus et au-dessous des coudes, avec leurs
massues tranchantes et un troisième leur brisa aussi les cuisses et les jambes. Gesmas poussait des cris horribles, et us lui assenèrent trois coups sur la
poitrine pour l'achever. Dismas, soumis à ce cruel supplice, gémit et mourut. Il
fut le premier parmi les mortels qui revit son Rédempteur. On détacha les
cordes, on laissa les deux corps tomber à terre, puis on les traîna dans
l'enfoncement qui se trouvait entre le Calvaire et les murs de la ville, et on
les enterra là.
Les archers paraissaient encore douter de la mort
de Jésus, et l'horrible manière dont on avait brisé les membres des larrons,
avait encore augmenté chez les amis de Jésus la crainte que les bourreaux ne
revinssent à son corps ; cette crainte faisait trembler les saintes femmes pour
le corps du Sauveur. Mais l'officier inférieur Cassius, appelé plus tard Longin,
homme de vingt-cinq ans, très actif et très empressé. dont la vue faible et les
yeux louches lorsqu'il se donnait un air affairé et important excitaient souvent
les moqueries de ses subordonnés, reçut une inspiration soudaine. La férocité
ignoble des archers, les angoisses des saintes femmes, l'ardeur subite qu'excita
en lui la grâce divine, lui firent accomplir une prophétie. Il saisit sa lance
et dirigea vivement son cheval vers la petite élévation où se trouvait la croix.
Je le vis s'arrêter devant la fente du rocher, entre la croix du bon larron et
celle de Jésus. Alors, prenant sa lance a deux mains, il l'enfonça avec tant de
force dans le côté droit du Sauveur, que la pointe alla traverser le cœur et
ressortit un peu sous la mamelle à gauche. Quand il la retira avec force, il
sortit de la blessure du côté droit une grande quantité de sang et d'eau, qui
arrosa son visage comme un fleuve de salut et de grâce. Il sauta à bas de son
cheval, s'agenouilla frappa sa poitrine et confessa hautement Jésus en présence
de tous les assistants.
La sainte Vierge et ses amies dont les regards
étaient toujours fixés vers Jésus, virent avec angoisse l'action inopinée de cet
homme, et, lorsqu'il donna son coup de lance, se précipitèrent vers la croix en
poussant un cri. Marie tomba entre les bras des saintes femmes, comme si la
lance eût traversé son propre cœur, pendant que Cassius louait Dieu à genoux,
car les yeux de son corps comme ceux de son âme étaient guéris et ouverts à la
lumière. Mais en même temps tous furent profondément émus à la vue du sang du
Sauveur, qui avait coulé, mêlé d'eau, dans un creux du rocher au pied de la
croix. Cassius, Marie les saintes femmes et Jean recueillirent le sang et l'eau
dans des fioles et essuyèrent la place avec des linges
.
Cassius était comme métamorphosé : il avait
recouvré toute la plénitude de sa vue ; il était profondément ému et s'humiliait
intérieurement. Les soldats, frappés du miracle qui s'était opéré en lui. se
jetèrent à genoux, frappèrent leur poitrine et confessèrent Jésus. L'eau et le
sang coulèrent abondamment du côté du Sauveur et s'arrêtèrent dans un creux du
rocher, on les recueillit avec une émotion indicible, et les larmes de Marie et
de Madeleine s'y mêlèrent. Les archers, qui, pendant ce temps, avaient reçu de
Pilate l'ordre de ne pas toucher au corps de Jésus, ne revinrent plus.
La lance de Cassius se composait de plusieurs
morceaux que l'on ajustait les uns aux autres : quand ils n'étaient pas
déployés, elle avait l'air d'un fort bâton d'une longueur moyenne. Le fer qui
traversa le cœur de Jésus était aplati et avait la forme d'une poire. On fixait
une pointe à un bout et au-dessous deux crochets tranchants, quand on voulait se
servir de la lance.
Tout ceci se passa près de la croix, un peu après
quatre heures, pendant que Joseph d'Arimathie et Nicodème étaient occupés à se
procurer ce qui était nécessaire pour la sépulture du Christ. Mais les
serviteurs de Joseph étant venus pour nettoyer le tombeau, annoncèrent aux amis
de Jésus que leur maître, avec la permission de Pilate, allait enlever le corps
et le déposer dans son sépulcre neuf.
Alors Jean retourna à la ville et se rendit à la
montagne de Sion avec les saintes femmes pour que Marie pût réparer un peu ses
forces, et aussi afin de prendre quelques objets nécessaires pour la mise au
tombeau. La sainte Vierge avait un petit logement dans les bâtiments dépendant
du cénacle. Ils ne rentrèrent pas par la porte la plus voisine du Calvaire parce
qu'elle était fermée et gardée à l'intérieur par des soldats que les Pharisiens
y avaient fait placer, mais par la porte plus méridionale, qui conduit à
Bethléem.
Souvent Anne-Catherine, lorsqu'elle décrivait la
situation le certains lieux, entrait dans des détails si minutieux qu'il était
presque impossible de les bien saisir ; car, pendant que ses maladies la
retenaient couchée sur son lit, elle se tournait en esprit de côté et d'autre
vers les objets qu'elle contemplait. et on était très exposé à confondre les
directions à droite et à gauche qu'elle indiquait de la main tout en racontant.
Nous plaçons ici quelques-unes de ces descriptions de lieux que nous avons
coordonnées d'après les détails donnés par la sœur à différentes reprises et
sans variation essentielle. Nous les faisons suivre de celle du sépulcre et du
jardin de Joseph d'Arimathie, afin de ne pas trop interrompre le récit de la
mise au tombeau de Notre-Seigneur.
La première porte située à l'orient de Jérusalem,
au midi de l'angle sud-est du Temple. est celle qui conduit dans le faubourg
d'Ophel. La porte des Brebis est celle qui, au nord, est la plus rapprochée de
l'angle nord-est du Temple. Entre ce, deux portes on en a, assez récemment,
pratiqué une autre qui conduit à quelques rues situées à l'orient du Temple, et
habitées, pour la plupart, par des tailleurs de pierre et d'autres ouvriers. Les
maisons dont elles se composent s'appuient aux fondations du Temple, et
appartiennent presque toutes à Nicodème, qui les a fait bâtir. Les ouvriers lui
payent un loyer, soit en argent, soit en travaillant pour lui : car ils sont en
rapport habituel avec lui et son ami Joseph d'Arimathie, lequel possède dans son
pays natal de grandes carrières de pierres qu'il exploite. Nicodème a récemment
fait faire une belle porte qui conduit à ces rues, et qu'on appelle à présent
porte de Moriah venait d'être finie, et Jésus était entré par là le premier dans
la ville, le dimanche des Rameaux. Ainsi il entra par la porte neuve de
Nicodème, où personne n'avait passé, et fut enterré dans le sépulcre neuf de
Joseph d'Arimathie, où personne n'avait encore reposé. Cette porte fut murée
postérieurement, et il y avait une tradition portant que les chrétiens devaient
uns autre fois entrer par là dans la ville. Maintenant encore, il y a de ce côté
uns porte murée que les Turcs appellent la porte d'Or.
Le chemin qui irait directement de la ports des
Brebis au couchant, si l'on pouvait passer à travers tous les murs, aboutirait à
peu près entre le côté nord-ouest de la montagne de Sion et le Calvaire. De
cette porte au Calvaire il y a, en ligne droite, à peu près trois quarts de
lieue ; du palais de Pilate au Calvaire, toujours en ligne droite, il y a
environ cinq huitièmes de lieue. La forteresse Antonia est située au nord-ouest
de la montagne du Temple, sur un rocher qui s'en détache. Quand on va au
couchant, en sortant du palais de Pilate par l'arcade de gauche, on a cette
forteresse à gauche : il y a sur un de ses murs une plate-forme qui domine le
forum. C'est de là que Pilate fait des proclamations au peuple, par exemple
quand il promulgue de nouvelles lois. Sur le chemin de la croix, dans
l'intérieur de la ville, Jésus avait souvent la montagne du Calvaire à sa
droite. Ce chemin, qui, par conséquent, devait être en partie dans la direction
du sud-ouest, conduisait à une porte percée dans un mur intérieur de la ville
qui court vers Sion, quartier dont la situation est très élevée. Hors de ce mur
est au couchant une espèce de faubourg où il y a plus de jardins que de maisons
; il y a aussi vers le mur extérieur de la ville de beaux sépulcres avec des
entrées en maçonnerie et taillées avec art dans le roc, souvent ils sont
entourés de jolis jardins. De ce côté est une maison appartenant à Lazare, avec
de beaux jardins s'étendant vers la ports de l'angle qui est le lieu où le mur
extérieur occidental de Jérusalem tourne au midi. Je crois qu'à côté de la
grande porte de la ville, une petite porte particulière, percée dans le mur
d'enceinte et où Jésus et les siens passaient souvent avec l'autorisation de
Lazare, conduit dans ces jardins. La porte située à l'angle nord-ouest de la
ville conduit à Bethsur, qui est plus au nord qu'Emmaüs et Joppé. Au nord de ce
mur extérieur de la ville, il y a plusieurs tombeaux de rois. Cette partie
occidentale de Jérusalem est la moins habitée et la moins élevée ; elle descend
un peu vers le mur d'enceinte et se relève avant d'y arriver : sur cette pente
sont des jardins et des vignes derrière lesquels circule en dedans des murs, une
large chaussée, où des chariots peuvent passer en certains endroits et d'où
partent des sentiers pour monter aux murs et aux tours ; ces dernières n'ont,
comme les nôtres des escaliers intérieurs. De l'autre côté, à l'extérieur de là
ville, le terrain est en pente vers la vallée, de sorte que les murailles qui
entourent cette partie basse de la ville semblent bâties sur un terrassement
élevé. Sur la pente extérieure on trouve encore des jardins et des vignes. Le
chemin où Jésus porta sa croix ne passait pas par cette partie de la ville où il
y a tant de jardins : lorsqu'il approcha du terme, il l'avait à sa droite, du
côté du nord. C'était de là que venait Simon le Cyrénéen. La porte par laquelle
sortit Jésus ne regarde pas tout à fait le couchant, mais sa direction est au
sud-ouest. Le mur de la ville à gauche en sortant de la porte court un peu au
sud, revient à l'ouest et se dirige de nouveau au sud pour entourer la montagne
de Sion. De ce côté, à gauche en sortant, se trouve dans la direction de Sion,
une grosse tour semblable à une forteresse. La porte par où Jésus sortit est
voisine d'une autre porte plus au midi ; ce sont, je crois, les deux portes de
la ville les plus rapprochées l'une de l'autre. Cette seconde porte conduit au
couchant dans la vallée, et le chemin tourne ensuite à gauche vers le midi dans
la direction de Bethléem. Peu après la porte où aboutit le chemin de la croix,
la route tourne à droite et se dirige au nord vers la montagne du Calvaire, qui
est très escarpée au levant, du côté de la ville, et en pente douce vers le
couchant. De ce côté, où l'on voit la route d'Emmaüs, est une prairie voisine du
chemin, dans laquelle je vis Luc cueillir diverses plantes lorsque Cléophas et
lui allèrent à Emmaüs après la résurrection et rencontrèrent Jésus. Jésus sur la
croix avait la face tournée vers le nord-ouest. En tournant la tête à droite, il
pouvait voir quelque chose de la forteresse Antonia. Prés des murs, au levant et
au nord du Calvaire, il y a aussi des jardins, des tombeaux et des vignobles. La
croix fut enterrée au nord-est au pied du Calvaire. Au delà de l'endroit où la
croix fut retrouvée, il y a encore, au nord-est, de beaux vignobles plantés en
terrasse. Lorsque, du lieu où était érigée la croix, on regarde vers le midi, en
voit la maison de Caïphe au-dessous du château de David.
Le jardin de Joseph d'Arimathie
est situé près de la porte de Bethléem, à sept minutes environ du Calvaire ;
c'est un beau jardin avec de grands arbres, des bancs, des massifs qui donnent
de l'ombre : il va en montant jusqu'aux murs de la ville. Quand dans la vallée
on vient de la farde septentrionale et qu'on entre dans le jardin, le terrain
monte à gauche vers le mur de la ville ; puis on voit, à sa droite, au bout du
jardin, un rocher séparé où est le tombeau. Après être entré dans le jardin, on
tourne à droite pour arriver à la grotte sépulcrale qui s'ouvre vers le levant,
du côté où le terrain monte vers le mur de la ville. Au sud-ouest et au
nord-ouest du même rocher sont deux sépulcres plus petits, également neufs, avec
des entrées surbaissées. A l'ouest de ce rocher passe un sentier qui eu lait le
tour. Le terrain devant l'entrée du sépulcre est plus élevé que cette entrée, et
il y a des marches pour y descendre.
On se trouve alors comme dans un petit fossé devant
la paroi orientale du rocher. Cet abord extérieur est fermé par une barrière en
clayonnage. Le caveau est assez spacieux pour que quatre hommes à droite et
quatre hommes à gauche puissent se tenir adossés aux parois, sans gêner les
mouvements de ceux qui déposent le corps. Vis-à-vis l'entrée se trouve une
espèce de niche formée par la paroi du rocher qui s'arrondit en voûte au-dessus
de la couche sépulcrale, laquelle est élevée d'environ deux pieds au-dessus du
sol avec une excavation destinée à recevoir un corps enveloppé dans ses
linceuls. Le tombeau ne tient au rocher que par un côté, comme un autel : deux
personnes peuvent se tenir à la tête et aux pieds, et il y a encore place pour
une personne en avant, quand même la porte de la niche où est le tombeau serait
fermée. Cette porte est en métal, peut-être en cuivre ; elle s'ouvre à deux
battants qui ont leur point d'attache aux parois latérales ; elle n'est pas tout
à fait perpendiculaire, mais un peu inclinée en avant de la niche, et elle
descend assez prés du sol pour qu'une pierre mise devant puisse l'empêcher de
s'ouvrir. La pierre destinée à cet usage est encore devant l'entrée du caveau :
aussitôt après la mise au tombeau du Sauveur, on la placera devant la porte.
Cette pierre est fort grosse et un peu arrondie du côté de la porte de la niche.
parce que la paroi de rocher où celle-ci s'ouvre n'est point coupée à angle
droit. Pour rouvrir les deux battants, il n'est pas nécessaire de rouler la
pierre hors du caveau, ce qui serait très difficile, à cause du peu d'espace ;
mais on fait passer une chaîne, qui descend de la voûte, dans quelques anneaux
fixés à la pierre ; on la soulève par ce moyen, quoique toujours à force de
bras, et on la met de côté contre la paroi du caveau. Vis-à-vis l'entrée de la
grotte, est un banc de pierre ; on peut monter de là sur le rocher qui est
couvert de gazon et d'où l'on voit par-dessus lei murs de la ville les points
les plus élevés de Sion et quelques tours. On voit aussi de là la porte de
Bethléem et la fontaine de Gihon. Le rocher à l'intérieur est blanc avec des
veines rouges et bleues. Tout le travail de la grotte est fait avec beaucoup de
soin.
Pendant que la croix était délaissée, entourés
seulement de quelques gardes, je
vis cinq personnes qui étaient venues de
Béthanie par la vallée, s'approcher du Calvaire, lever les yeux vers la croix et
s'éloigner à pas furtifs : Je pense que c'étaient des disciples. Je rencontrai
trois fois, dans les environs, deux hommes examinant et délibérant ; c'étaient
Joseph d'Arimathie et Nicodème. Une fois, c'était dans le voisinage et pendant
le crucifiement (peut-être quand ils firent racheter des soldats les habits
de Jésus) ; une autre fois, ils étaient là, regardant si le peuple
s'écoulait, et ils allèrent au tombeau pour préparer quelque chose : puis ils
revinrent du tombeau à la croix, regardant de tous côtés comme s'ils attendaient
une occasion favorable. Ils firent ensuite leur plan pour descendre de la croix
le corps du Sauveur, et ils s'en retournèrent à la ville.
Ils s'occupèrent là de transporter les objets
nécessaires pour embaumer le corps ; leurs valets prirent avec eux quelques
outils pour le détacher de la croix, et en outre deux échelles qu'ils trouvèrent
dans une grange attenant à la maison de Nicodème. Chacune de ces échelles
consistait simplement en une perche traversée de distance en distance par des
morceaux de bois formant des échelons. Il y avait des crochets que l'on pouvait
suspendre plus haut ou plus bas et qui servaient à fixer la position des
échelles, et peut-être aussi à suspendre ce dont on pouvait avoir besoin pendant
le travail.
La pieuse femme chez laquelle ils avaient acheté
leurs aromates avait empaqueté proprement le tout ensemble. Nicodème en avait
acheté cent livres équivalant à trente-sept livres de notre poids, comme cela
m'a été clairement expliqué plusieurs fois. Ils portaient une partie de ces
aromates dans de petits barils d'écorce, suspendus au cou et tombant sur la
poitrine. Dans un de ces barils était une poudre. Ils avaient quelques paquets
d'herbes dans des sacs en parchemin ou en cuir. Joseph portait aussi une boite
d'onguent, de je ne sais quelle substance, elle était rouge et entourée d'un
cercle bleu ; enfin les valets devaient transporter sur un brancard des vases,
des outres, des éponges, des outils. Ils prirent avec eux du feu dans une
lanterne fermée. Les serviteurs sortiront de la ville avant leur maître, et par
une autre porte, peut-être celle de Béthanie : puis ils se dirigèrent vers le
Calvaire. En traversant la ville, ils passèrent devant la maison où la sainte
Vierge et les autres femmes étaient revenues avec Jean afin d'y prendre
différentes choses pour embaumer le corps de Jésus et d'où elles sortirent pour
suivre les serviteurs à quelque distance. Il y avait environ cinq femmes, dont
quelques-unes portaient, sous leurs manteaux. de gros paquets de toile. C'était
la coutume parmi les femmes juives, quand elles sortaient le soir, ou pour
vaquer en secret à quelque pieux devoir, de s'envelopper soigneusement dans un
long drap d'une bonne aune de largeur. Elles commençaient par un bras et
s'entortillaient le reste du corps si étroitement qu'à peine si elles pouvaient
marcher. Je les ai vues ainsi enveloppées : ce drap revenait d'un bras à
l'autre, et de plus il voilait la tête : aujourd'hui il avait pour moi quelque
chose de frappant ; c'était un vêtement de deuil, Joseph et Nicodème avaient
aussi des habits de deuil, des manches noires et une large ceinture. Leurs
manteaux, qu'ils avaient tirés sur leurs têtes, étaient larges longs et d'un
gris commun : ils leur servaient à cacher tout ce qu'ils emportaient avec eux.
Ils se dirigèrent ainsi vers la porte qui conduisait au Calvaire.
Les rues étaient désertes et tranquilles : la
terreur générale tenait chacun renfermé dans sa maison ; la plupart commençaient
à se repentir, un petit nombre seulement observait les règles de la fête. Quand
Joseph et Nicodème furent à la porte, ils la trouvèrent fermée, et tout autour
le chemin et les rues garnis de soldats. C'étaient les mêmes que les Pharisiens
avaient demandés vers deux heures, lorsqu'ils avaient craint une émeute, et
qu'on n'avait pas encore relevés.
Joseph exhiba un ordre signé de Pilate de le
laisser passer librement : les soldats ne demandaient pas mieux, mais ils
expliquèrent qu'ils avaient déjà essayé plusieurs fois d'ouvrir la porte sans
pouvoir en venir à bout ; que vraisemblablement pendant le tremblement de terre,
la porte avait reçu une secousse et s'était forcée quelque part, et qu'à cause
de cela, les archers charges de briser les jambes des crucifiés avaient été
obligés de rentrer par une autre porte. Mais quand Joseph et Nicodème saisirent
le verrou, la porte s'ouvrit comme d'elle-même, au grand étonnement de tous ceux
qui étaient là.
Le temps était encore sombre et nébuleux quand ils
arrivèrent au Calvaire : ils y trouvèrent les serviteurs qu'ils avaient envoyés
devant eux, et les saintes femmes, qui pleuraient, assises vis-à-vis la croix.
Cassius et plusieurs soldats, qui s'étaient convertis, se tenaient à une
certaine distance, timides et respectueux. Joseph et Nicodème racontèrent à la
sainte Vierge et à Jean tout ce qu'ils avaient fait pour sauver Jésus d'une mort
ignominieuse, et ils apprirent d'eux comment ils étaient parvenus non sans
peine, à empêcher que les os du Seigneur ne fussent rompus, et comment la
prophétie s'était ainsi accomplie. Ils parlèrent aussi du coup de lance de
Cassius. Aussitôt que le centurion Abénadar fut arrivé, ils commencèrent, dans
la tristesse et le recueillement l’œuvre pieuse de la descente de croix et de
l'embaumement du corps sacré du Sauveur.
La sainte Vierge et Madeleine étaient assises au
pied de la croix, à droite, entre la croix de Dismas et celle de Jésus : les
autres femmes étaient occupées à préparer le linge, les aromates, eau, les
éponges et les vases. Cassius s'approcha aussi et raconta à Abénadar le miracle
de la guérison de ses yeux. Tous étaient émus, pleins de douleur et d'amour,
mais en même temps silencieux et d'une gravité solennelle. Seulement, autant que
la promptitude, et l'attention qu'exigeaient ces soins pieux pouvaient le
permettre, on entendait çà et là des plaintes étouffées, de sourds gémissements.
Madeleine surtout s'abandonnait tout entière à sa douleur, et rien ne pouvait
l'en distraire, ni la présence des assistants, ni aucune autre considération.
Nicodème et Joseph placèrent les échelles derrière
la croix, et montèrent avec un grand drap auquel étaient attachées trois longues
courroies. Ils lièrent le corps de Jésus au-dessous des bras et des genoux, à
l'arbre de la croix, et ils attachèrent ses bras aux branches transversales avec
des linges placés au-dessous des mains. Alors ils détachèrent les clous, en les
chassant par derrière avec des goupilles appuyées sur les pointes. Les mains de
Jésus ne furent pas trop ébranlées par les secousses, et les clous tombèrent
facilement des plaies, car celles-ci s'étaient agrandies par le poids du corps,
et le corps, maintenant suspendu au moyen des draps, cessait de peser sur les
clous. La partie inférieure du corps, qui, à la mort du Sauveur, s'était
affaissée sur les genoux, reposait alors dans sa situation naturelle, soutenue
par un drap qui était attache, par en haut, aux bras de la croix. Tandis que
Joseph enlevait le clou gauche et laissait le bras gauche entouré de son lien
tomber doucement sur le corps, Nicodème lia le bras droit de Jésus à celui de la
croix, et aussi sa tête couronnée d'épines. qui s'était affaissée sur l'épaule
droite : alors il enleva le clou droit, et, après avoir entouré de son lien le
bras détaché, il le laissa tomber doucement sur le corps. En même temps le
centurion Abénadar détachait avec effort le grand clou qui traversait les pieds.
Cassius recueillit religieusement les clous et les déposa aux pieds de la sainte
Vierge.
Alors Joseph et Nicodème placèrent des échelles sur
le devant de la croix, presque droites et très près du corps : ils délièrent la
courroie d'en haut, et la suspendirent à l'un des crochets qui étaient aux
échelles : ils firent de même avec les deux courroies, et, les faisant passer de
crochet en crochet, descendirent doucement le saint corps jusque vis-à-vis le
centurion, qui, monté sur un escabeau, le reçut dans ses bras, au-dessous des
genoux, et le descendit avec lui, tandis que Joseph et Nicodème, soutenant le
haut du corps, descendaient doucement l'échelle, s'arrêtant à chaque échelon, et
prenant toute sorte de précautions, comme quand on porte le corps d'un ami
chéri, grièvement blesse. C'est ainsi que le corps meurtri du Sauveur arriva
jusqu'à terre.
C'était un spectacle singulièrement touchant : ils
prenaient les mêmes ménagements, les mêmes précautions, que s'ils avaient craint
de causer quelque douleur à Jésus. Ils reportaient sur ce corps tout l'amour,
toute la vénération qu'ils avaient eux pour le saint des saints durant sa vie.
Tous les assistants avaient les yeux fixés sur le corps du Seigneur et en
suivaient tous les mouvements ; à chaque instant ils levaient les bras au ciel,
versaient des larmes, et montraient par leurs gestes leur douleur et leur
sollicitude. Cependant tous restaient dans le plus grand calme, et ceux qui
travaillaient, saisis d'un respect involontaire, comme des gens qui prennent
part à une sainte cérémonie, ne rompaient le silence que rarement et à demi voix
pour s'avertir et s'entraider. Pendant que les coups de marteau retentissaient,
Marie, Madeleine et tous ceux qui avaient été présents au crucifiement, se
sentaient le cœur déchiré. Le bruit de ces coups leur rappelait les souffrances
de Jésus : ils tremblaient d'entendre encore le cri pénétrant de sa douleur, et,
en même temps, ils s'affligeaient du silence de sa bouche divine, preuve trop
certaine de sa mort. Quand le corps fut descendu, on l'enveloppa, depuis les
genoux jusqu'aux hanches, et on le déposa dans les bras de sa mère, qu'elle
tendait vers lut pleine de douleur et d'amour.
La sainte Vierge s'assit sur une couverture étendue
par terre : son genou droit, un peu relevé, et son dos étaient appuyés contre
des manteaux roulés ensemble. On avait tout disposé pour rendre plus facile à
cette mère épuisée de douleur les tristes devoirs qu'elle allait rendre au corps
de son fils. La tête sacrée de Jésus était appuyée sur le genou de Marie : son
corps était étendu sur un drap. La sainte Vierge était pénétrée de douleur et
d'amour : elle tenait une dernière fois dans ses bras le corps de ce fils
bien-aimé, auquel elle n'avait pu donner aucun témoignage d'amour pendant son
long martyre : elle voyait l'horrible manière dont on avait défiguré ce très
saint corps ; elle contemplait de prés ses blessure, elle couvrait de baisers
ses joues sanglantes, pendant que Madeleine reposait son visage sur les pieds de
Jésus.
Les hommes se retirèrent dans un petit enfoncement
situé au sud-ouest du Calvaire, pour y préparer les objets nécessaires à
l'embaumement. Cassius, avec quelques soldats qui s'étaient convertis au
Seigneur, se tenait à une distance respectueuse. Tous les gens malintentionnés
étaient retournes à la ville, et les soldats présents formaient seulement urne
barde de sûreté pour empêcher qu'on ne vint troubler les derniers honneurs
rendus à Jésus. Quelques-uns même prêtaient humblement et respectueusement leur
assistance lorsqu'on la leur demandait. Les saintes femmes donnaient les vases,
les éponges, les linges, les onguents et les aromates, là où il était
nécessaire : et, le reste du temps, se tenaient attentives à quelque distance.
Parmi elles se trouvaient Marie de Cléophas, Salomé et Véronique. Madeleine
était toujours occupée près du corps de Jésus : Quant à Marie d'Héli, sœur aînée
de la sainte Vierge, femme d'un âge avancé, elle était assise sur le rebord de
la plate-forme circulaire et regardait. Jean aidait continuellement la sainte
Vierge, il servait de messager entre les hommes et les femmes, et prêtait
assistance aux uns et aux autres. On avait pourvu à tout. Les femmes avaient
prés d'elles des outres de cuir et un vase plein d'eau, placé sur un feu de
charbon. Elles présentaient à Marie et à Madeleine, selon que celles-ci en
avaient besoin, des vases pleins d'eau pure et des éponges, qu'elles exprimaient
ensuite dans les outres de cuir. Je crois du moins que les objets ronds que je
les vis ainsi presser dans leurs mains étaient des éponges.
Le vendredi saint, 30 mars 1820, comme la Sœur
contemplait la descente de croix, elle tomba tout à coup en défaillance en
présence de celui qui écrit ces lignes, au point qu'elle semblait morte. Revenue
à elle, elle s'expliqua ainsi, quoique ses souffrances n'eussent point cessé :
“Comme je contemplais le corps de Jésus étendu sur
les genoux de la sainte Vierge, je disais en moi-même : voyez comme elle est
forte, elle n'a pas même une défaillance ! Mon conducteur m'a reproché cette
pensée, où il y avait plus d'étonnement que de compassion, et il m'a dit :
Souffre donc ce qu'elle a souffert, et au même moment une douleur poignante m'a
traversée comme une épée, à tel point que j'ai cru en mourir et que je continue
à la ressentir”.
Elle conserva longtemps cette douleur, et il en
résulta une maladie qui la mit presque à l'agonie.
La sainte Vierge conservait un courage admirable
dans son inexprimable douleur. Elle ne pouvait pas laisser le corps son fils
dans l'horrible état où l'avait mis son supplice, et c'est pourquoi elle
commença avec une activité infatigable à le laver et à effacer la trace des
outrages qu'il avait soufferts Elle retira avec les plus grandes précautions la
couronne d'épines, en l'ouvrant par derrière et en coupant une à une les épines
enfoncées dans la tête de Jésus, afin de ne pas élargir les plaies par le
mouvement. On posa la couronne prés des clous ; alors Marie retira les épines
restées dans les blessures avec un espèce de tenailles arrondies de couleur
jaune
,
et les montra à ses amis avec tristesse. On plaça ces épines avec la couronne :
toutefois quelques-unes peuvent avoir été conservées à part. On pouvait à peine
reconnaître je visage du Seigneur tant il était défiguré par les plaies et le
sang dont il était couvert. La barbe et les cheveux étaient collés ensemble.
Marie lava la tête et je visage, et passa des éponges mouillées sur la chevelure
pour enlever le sang desséché. A mesure qu'elle lavait, les horribles cruautés
exercées sur Jésus se montraient plus distinctement, et il en naissait une
compassion et une tendresse qui croissaient d'une blessure à l'autre. Elle lava
les plaies de la tête, le sang qui remplissait les yeux, les narines et les
oreilles avec une éponge et un petit linge étendu sur les doigts de sa main
droite ; elle nettoya, de la même manière, sa bouche entrouverte, sa langue, ses
dents et ses lèvres. Elle partagea ce qui restait de la chevelure du Sauveur en
trois parties, une partie sur chaque temps, et l'autre sur le derrière de la
tête, et lorsqu'elle eut démêlé les cheveux de devant, et qu'elle leur eut rendu
leur poli, elle les fit passer derrière les oreilles
.
Quand la tête fut nettoyée, la sainte Vierge la
voila, après avoir baisé les joues de son fils. Elle s'occupa ensuite du cou,
des épaules, de la poitrine, du des, des bras et des mains déchirées. Ce fut
alors seulement qu'on put voir dans toute leur horreur les ravages opérés par
tant d'affreux supplices. Tous les os de la poitrine, toutes les jointures des
membres étaient disloqués et ne pouvaient plus se plier. L'épaule sur laquelle
avait porté le poids de la croix avait été entamée par une affreuse blessure ;
toute la partie supérieure du corps était couverte de meurtrissures et labourées
par les coups de fouet. Prés de la mamelle gauche était une petite plaie par où
était ressortie la pointe de la lance de Cassius, et dans le côté droit
s'ouvrait la large blessure où était entrée cette lance qui avait traversé le
cœur de part en part.
Marie lava et nettoya toutes ces plaies, et
Madeleine, à genoux, l'aidait de temps en temps, mais sans quitter les pieds de
Jésus qu'elle baignait, pour la dernière fois, de larmes abondantes et qu'elle
essuyait avec sa chevelure.
La tête, la poitrine et les pieds du Sauveur
étaient lavés : le saint corps, d'un blanc bleuâtre, comme de la chair où il n'y
a plus de sang, parsemé de taches brunes et de places rouges aux endroits où la
peau avait été enlevée, reposait sur les genoux de Marie, qui couvrit d'un voile
les parties lavées, et s'occupa d'embaumer toutes les blessures en commençant de
nouveau par la tête. Les saintes femmes s'agenouillant vis-à-vis d'elle, lui
présentaient tour à tour une boite où elle prenait entre le pouce et l'index de
je ne sais quel baume ou onguent précieux dont elles remplissait et enduisait
les blessures. Elle oignit aussi la chevelure : elle prit dans sa main gauche
les mains de Jésus, les baisa avec respect, puis remplit de cet onguent ou de
ces aromates les larges trous faits par les clous. Elle en remplit aussi les
oreilles, les narines et la plaie du côté. Madeleine essuyait et embaumait les
pieds du Seigneur : puis elle les arrosait encore de ses larmes et y appuyait
souvent son visage.
On ne jetait pas l'eau dont on s'était servi, mais
on la versait dans les outres de cuir où l'on exprimait les éponges. Je vis
plusieurs fois Cassius ou d'autres soldats aller puiser de nouvelle eau à la
fontaine de Gihon, qui était assez rapprochée pour qu'on pût la voir du jardin
ou était le tombeau. Lorsque la sainte Vierge eut enduit d'onguent toutes les
blessures, elle enveloppa la tête dans des linges, mais elle ne couvrit pas
encore je visage. Elle ferma les yeux entrouverts de Jésus, et y laissa reposer
quelque temps sa main. Elle ferma aussi la bouche, puis embrassa le saint corps
de son fils, et laissa tomber son visage sur celui de Jésus. Madeleine, par
respect, ne toucha pas de son visage la face de Jésus : elle se contenta de le
faire reposer sur les pieds du Sauveur. Joseph et Nicodème attendaient depuis
quelque temps, lorsque Jean s'approcha de la sainte Vierge, pour la prier de se
séparer du corps de son fils, afin qu'on pût achever de l'embaumer, parce que le
sabbat était proche. Marie embrassa encore une fois le corps et lui dit adieu
dans les termes les plus touchants. Alors les hommes l'enlevèrent du sein de sa
mère sur le drap où il était placé, et le portèrent à quelque distance. Marie,
rendue à sa douleur que ses soins pieux avaient un instant soulagée, tomba, la
tête voilée, dans les bras des saintes femmes. Madeleine comme si on eût voulu
lui dérober son bien-aimé, se précipita quelques pas en avant, les bras étendus,
puis revint vers la sainte Vierge. On porte le corps en un lieu plus bas que la
cime du Golgotha ; il s'y trouvait dans un enfoncement une belle pierre unie.
Les hommes avaient disposé cet endroit pour y embaumer le corps. Je vis d'abord
un linge à mailles d'un travail assez semblable à celui de la dentelle. et qui
me rappela le grand rideau brodé qu'on suspend entre le chœur et la nef pendant
le carême
.
Lorsque dans mon enfance, je voyais suspendre ce rideau, je croyais toujours que
c'était le drap que j'avais vu servir à l'ensevelissement du Sauveur. Il était
probablement ainsi travaille à jour afin de laisser couler l'eau. Je vis encore
un autre grand drap déployé. On plaça le corps du Sauveur sur la pièce d'étoffe
à jour, et quelques-uns des hommes tinrent l'autre drap étendu au-dessus de lui.
Nicodème et Joseph s'agenouillèrent, et sous cette couverture, enlevèrent le
linge dont ils avaient entouré les reins du Sauveur lors de la descente de
croix ; après quoi ils ôtèrent la ceinture que Jonadab, neveu de saint Joseph,
avait apportée à Jésus avant le crucifiement. Ils passèrent ensuite des éponges
sous ce drap, et lavèrent la partie inférieure du corps ainsi cachée à leurs
regards : après quoi ils le soulevèrent à l'aide des linges placés en travers
sous les reins et sous les genoux, et le lavèrent par derrière sans le retourner
et en ne laissant toujours couvert du même drap. Ils le lavèrent ainsi jusqu'au
moment où les éponges pressées ne rendirent plus qu'une eau claire et limpide.
Ensuite, ils versèrent de l'eau de myrrhe sur tout
le corps, et, le maniant avec respect, lui firent reprendre toute sa longueur,
car il était resté dans la position où il était mort sur la croix, les reins et
les genoux courbés. Ils placèrent ensuite sous ses hanches un drap d'une aune de
large sur trois aunes de long, remplirent son giron de paquets d'herbes telles
que j'en vois souvent sur les tables célestes, posées sur de petits plats d'or
aux rebords bleus
,
et ils répandirent sur le tout une poudre que Nicodème avait apportée. Alors ils
enveloppèrent la partie inférieure du corps et attachèrent fortement autour le
drap qu'ils avaient placé au-dessus. Cela fait, ils oignirent les blessures des
hanches, les couvrirent d'aromates, placèrent des paquets d'encens entre les
jambes dans toute leur longueur, et les enveloppèrent de bas en haut dans ces
aromates.
Alors Jean ramena près du corps la sainte Vierge et
les autres saintes femmes. Marie s'agenouilla près de la tête de Jésus. posa
au-dessous un linge très fin qu'elle avait reçu de la femme de Pilate, et quelle
portait autour de son cou, sous son manteau ; puis, aidée des saintes femmes,
elle plaça, des épaules aux joues, des paquets d'herbes, des aromates et de la
poudre odoriférante ; puis elle attacha fortement ce linge autour de la tête et
des épaules. Madeleine versa en outre un flacon de baume dans la plaie du côté,
et les saintes femmes placèrent encore des herbes dans les mains et autour des
pieds.
Alors les hommes remplirent encore d'aromates les
aisselles et le creux de l'estomac : ils entourèrent tout le reste du corps,
croisèrent sur son sein ses bras raidis, et serrèrent le grand drap blanc autour
du corps jusqu'à la poitrine, de même qu'on emmaillote un enfant. Puis, ayant
assujetti sous l'aisselle l'extrémité d'une large bandelette, ils la roulèrent
autour de la tête et autour de tout le corps qui prit ainsi l'aspect d'une
poupée emmaillotée. Enfin, ils placèrent le Sauveur sur le grand drap de six
aunes qu'avait acheté Joseph d'Arimathie, et l'y enveloppèrent : il y était
couché en diagonale ; un coin du drap était relevé des pieds à la poitrine
l'autre revenait sur la tête et las épaules ; les deux antres étaient repliés
autour du corps.
Comme tous entouraient le corps de Jésus et
s'agenouillaient autour de lui pour lui faire leurs adieux, un touchant miracle
s'opéra à leurs yeux ; le corps sacré de Jésus, avec toutes ses blessures,
apparut, représenté par une empreinte de couleur rouge et brune, sur le drap qui
le couvrait, comme s'il avait voulu récompenser leurs soins et leur amour, et
leur laisser son portrait à travers tous les voiles dont il était enveloppé. Ils
embrassèrent le corps en pleurant et baisèrent avec respect sa merveilleuse
empreinte. Leur étonnement fut si grand qu'ils ouvrirent le drap, et il s'accrut
encore lorsqu'ils virent toutes les bandelettes qui liaient le corps blanches
comme auparavant, et le drap supérieur ayant seul reçu cette miraculeuse image.
Le côté du drap sur lequel le corps était couché avait reçu l'empreinte de la
partie postérieure, le côté qui le recouvrait celle de la partie antérieure ;
mais pour avoir cette dernière dans son ensemble, il fallait réunir deux coins
du drap qui avaient été ramenés par-dessus le corps. Ce n'était pas l'empreinte
de blessures saignantes, puisque tout le corps était enveloppé et couvert
d'aromates ; c'était un portrait surnaturel, un témoignage de la divinité
créatrice résidant toujours dans le corps de Jésus. J'ai vu beaucoup de choses
relatives à l'histoire postérieure de ce linge, mais je ne saurais pas les
mettre en ordre. Après la résurrection il resta avec les autres linges au
pouvoir des amis de Jésus. Une fois je vis qu'on l'arrachait à quelqu'un qui le
portait sous le bras ; il tomba deux fois aussi entre les mains des Juifs et fut
honoré plus tard en divers lieux. Il y eut une fois une contestation à son sujet
: pour y mettre fin, on le jeta dans le feu ; mais il s'envola miraculeusement
hors des flammes, et alla tomber dans les mains d'un chrétien. Grâce à la prière
de quelques saints personnages, on a obtenu trois empreintes tant de la partie
postérieure que de la partie antérieure par la simple application d'autres
linges. Ces répétitions, avant reçu de ce contact une consécration que l'Église
entendait leur donner par là, ont opéré de grands miracles. J'ai vu l'original,
un peu endommagé et déchiré en quelques endroits, honoré en Asie chez des
chrétiens non catholiques. J'ai oublié le nom de la ville, qui est située dans
un pays voisin de la patrie des trois rois. J'ai vu aussi, dans ces visions, des
choses concernant Turin, la France, le pape Clément 1er l'empereur
Tibère, qui mourut cinq ans après la mort du Sauveur : mais j'ai oublié tout
cela.
LII
LA MISE AU TOMBEAU
Les hommes placèrent le corps sur une civière de
cuir qu'ils recouvrirent d'une
couverture brune et à laquelle ils adaptèrent
deux longs bâtons. Cela me rappela l'arche d'alliance. Nicodème et Joseph
portaient sur leurs épaules les brancards antérieurs ; Abénadar et Jean, ceux de
derrière. Ensuite venaient la sainte Vierge, Marie d'Héli, sa sœur aînée,
Madeleine et Marie de Cléophas, puis les femmes qui s'étaient tenues assises à
quelque distance, Véronique, Jeanne Chusa, Marie mère de Marc, Salomé, femme de
Zébédée Marie Salomé, Salomé de Jérusalem, Suzanne et Anne, nièces de saint
Joseph. Cassius et les soldats fermaient la marche. Les autres femmes, telles
que Maroni de Naïm. Dina la Samaritaine et Mara la Suphanite étaient à Béthanie,
auprès de Marthe et de Lazare. Deux soldats, avec des flambeaux, marchaient en
avant ; car il fallait éclairer l'intérieur de la grotte du sépulcre. Ils
marchèrent ainsi prés de sept minutes, se dirigeant à travers la vallée vers le
jardin de Joseph d'Arimathie et chantant des psaumes sur un air doux et
mélancolique. Je vis sur une hauteur, de l'autre côté, Jacques le Majeur, frère
de Jean, qui les regardait passer, et qui retourna annoncer ce qu'il avait vu
aux autres disciples cachés dans les cavernes.
Le jardin est de forme irrégulière. Le rocher où le sépulcre
est taillé est couvert de gazon et entouré d'une haie vive ; il y a encore
devant l'entrée une barrière de perches transversales attachées à des pieux au
moyen de chevilles de fer. Quelques palmiers s'élèvent devant l'entrée du jardin
et devant celle du tombeau, qui est située dans l'angle à droite. La plupart des
autres plantations consistent en buissons, en fleurs et en arbustes aromatiques.
Le cortège s'arrêta à l'entrée du jardin ; on l'ouvrit en enlevant quelques
pieux qui servirent ensuite de leviers pour rouler dans le caveau la pierre
destinée à fermer le tombeau. Quand on fut devant le rocher, on ouvrit la
civière, et on enleva le saint corps sur une longue planche, sous laquelle un
drap était étendu transversalement. Nicodème et Joseph portaient les deux bouts
de la planche, Jean et Abénadar ceux du drap. La grotte, qui était nouvellement
creusée, avait été récemment nettoyée par les serviteurs de Nicodème qui y
avaient brûlé des parfums ; l'intérieur en était propre et élégant ; il y avait
même un ornement sculpte au haut des parois. La couche destinée à recevoir le
corps était un peu plus large du côté de la tête que du côté opposé ; on y avait
tracé en creux la forme d'un cadavre enveloppé de ses linceuls en laissant une
petite élévation à la tête et aux pieds. Les saintes femmes s'assirent vis-à-vis
l'entrée du caveau. Les quatre hommes y portèrent le corps du Seigneur,
remplirent encore d'aromates une partie de la couche creusée pour le recevoir,
et y étendirent un drap qui dépassait des deux côtés la couche sépulcrale, et
sur lequel ils placèrent le corps. Ils lui témoignèrent encore leur amour par
leurs larmes et leurs embrassements et sortirent du caveau. Alors la sainte
Vierge y entra ; elle s'assit du coté de la tète, et se pencha en pleurant sur
le corps de son fils. Quand elle quitta la grotte, Madeleine s'y précipita ;
elle avait cueilli dans le jardin des fleurs et des branches qu'elle jeta sur
Jésus ; elle joignit les mains et embrassa en sanglotant les pieds de Jésus ;
mais les hommes l'ayant avertie qu'ils voulaient fermer le tombeau. elle revint
auprès des femmes. Ils relevèrent au-dessus du saint corps les bords du drap où
il reposait, placèrent sur le tout la couverture de couleur brune, et fermèrent
les battants de la porte, qui était d'un métal brunâtre, vraisemblablement en
cuivre ou en bronze ; il y avait devant deux bâtons, l'un vertical, l'autre
horizontal ce qui faisait l'effet d'une croix
.
La grosse pierre destinée à fermer le tombeau, qui
se trouvait encore devant l'entrée du caveau, avait à peu près la forme d'un
coffre
ou d'une pierre tombale ; elle était assez grande pour qu'un homme pût s'y
étendre dans toute sa longueur ; elle était très pesante, et ce ne fut qu'avec
les pieux enlevés à l'entrée du jardin que les hommes purent la rouler devant la
porte du tombeau. La première entrée du caveau était fermée avec une porte faite
de branches entrelacées. Tout ce qui fut fait dans l'intérieur de la grotte se
fit à la lueur des flambeaux, parce que la lumière du jour n'y pénétrait pas.
Pendant la mise au tombeau, je vis, dans le voisinage du jardin et du Calvaire
errer plusieurs hommes à l'air triste et craintif. Je crois que c'étaient des
disciples qui, sur le récit d'Abénadar, étaient venus des cavernes par la vallée
et qui y retournèrent ensuite.
Le sabbat allait commencer ; Nicodème et Joseph
rentrèrent à Jérusalem par une petite porte voisine du jardin, et qui était
percée dans le mur de la ville : c'était, je crois, par suite d'une faveur
spéciale accordée à Joseph. Ils dirent à la sainte Vierge, à Madeleine, à Jean
et à quelques-unes des femmes qui retournaient au Calvaire pour y prier, que
cette porte leur serait ouverte lorsqu'ils y frapperaient, aussi bien que celle
du Cénacle. La sœur aînée de la sainte Vierge, Marie, fille d'Héli, revint à la
ville avec Marie, mère de Marc, et quelques autres femmes. Les serviteurs de
Nicodème et de Joseph se rendirent au Calvaire pour y prendre les objets qui y
avaient été laissés.
Les soldats se joignirent à ceux qui gardaient la
porte de la ville et Cassius se rendit auprès de Pilate portant avec lui la
lance ; il lui raconta ce qu'il avait vu, et lui promit un rapport exact sur
tout ce qui arriverait ultérieurement, si on voulait lui confier le commandement
des gardes que les Juifs ne manqueraient pas de demander pour le tombeau. Pilate
écouta ses discours avec une terreur secrète, cependant il le traita de rêveur
fanatique, et moitié par dégoût, moitié par superstition, il lui ordonna de
laisser devant la porte la lance qu'il avait apportée avec lui.
Comme la sainte Vierge et ses amies revenaient du
Calvaire où elles avaient encore pleuré et prié, elles virent venir à elles une
troupe de soldats avec une torche et se retirèrent des deux côtés du chemin
jusqu'à ce qu'ils fussent passés. Ces hommes allaient au Calvaire,
vraisemblablement pour enlever les croix avant le sabbat et pour les enfouir.
Quand ils furent passés, les saintes femmes continuèrent leur chemin vers la
petite porte du jardin.
Joseph et Nicodème rencontrèrent dans la ville
Pierre, Jacques le Majeur et Jacques le Mineur. Tous pleuraient ; Pierre surtout
était en proie à une violente douleur ; il les embrassa, s'accusa de n'avoir pas
été présent à la mort du Sauveur, et les remercia de lui avoir donné la
sépulture. Il fut convenu qu'on leur ouvrirait la porte du Cénacle lorsqu'ils y
frapperaient, et ils s'en allèrent chercher d'autres disciples dispersés en
divers lieux. Je vis plus tard la sainte Vierge et ses compagnes frapper au
Cénacle et y entrer, Abénadar y fut aussi introduit, et peu à peu la plus grande
partie des apôtres et des disciples s'y réunirent. Les saintes femmes se
retirèrent de leur côté dans la partie où habitait la sainte Vierge. On prit un
peu de nourriture et on passa encore quelques minutes à pleurer ensemble et à
raconter ce qu'on avait vu. Les hommes mirent d'autres habits, et je les vis se
tenant sous une lampe et observant le sabbat. Ensuite ils mangèrent encore des
agneaux dans le Cénacle, mais sans joindre à leur repas aucune cérémonie, car
ils avaient mangé, la veille, l'agneau pascal ; tous étaient pleins d'abattement
et de tristesse. Les saintes femmes prièrent aussi avec Marie sous une lampe.
Plus tard, lorsqu'il fit tout à fait nuit, Lazare, la veuve de Naïm, Dina la
Samaritaine et Mara la Suphanite
,
vinrent de Béthanie : on raconta de nouveau ce qui s'était passé, et on pleura
encore.
Joseph d'Arimathie revint tard du Cénacle chez
lui ; il suivait tristement les rues de Sion, accompagné de quelques disciples
et de quelques femmes, lorsque tout à coup une troupe d'hommes armés, embusqués
dans le voisinage du tribunal de Caïphe, fondit sur eux et s'empara de Joseph,
pendant que ses compagnons s'enfuyaient en poussant des cris d'effroi. Je vis
qu'ils renfermèrent le bon Joseph dans une tour attenante au mur de la ville, à
peu de distance du tribunal. Caïphe avait chargé de cette expédition des soldats
païens qui n'avaient pas de sabbat à observer. On avait, je crois, le projet de
le laisser mourir de faim et de ne rien dire de sa disparition.
Ici se terminant les récits du jour de la Passion
du Sauveur ; nous ajouterons divers suppléments qui s'y rattachent, puis
viendront les visions relatives au Samedi saint, la descente aux enfers, à la
Résurrection et à quelques apparitions du Seigneur.
LIV
LA COMPASSION DE JONADAB
ENVERS LE SAUVEUR EST RECOMPENSE
Jonadab, qui, poussé hors du temple par une
angoisse intérieure, était venu, au moment du crucifiement, donner son suaire à
Jésus pour couvrir sa nudité, était neveu de saint Joseph, le père nourricier de
Jésus, et il habitait dans les environs de Bethléem. Il revint en hâte du
Calvaire au temple, mais lorsque l'immolation de l'agneau pascal y fut troublée
par les ténèbres, le tremblement de terre et l'apparition des morts, il se hâta
de revenir dans son pays, car sa mère et sa femme étaient malades et il avait
des enfants en bas âge. Je vis ce digne homme reprendre le chemin de sa maison,
le cœur tout change, car auparavant il était resté très indiffèrent à
l'enseignement et aux actes de Jésus, d'autant plus que son père, qui était, je
crois, demi frère de saint Joseph, n'avait pas grande inclination pour le
Sauveur. C'était ce frère qui avait fait une visite assez tardive à Joseph dans
la grotte de la crèche, à Bethléem, et auquel Joseph avait engagé l'âne dont il
ne se servait pas en échange d'une somme d'argent destinée à faire quelques
achats pour la réception des rois mages dont la sainte Vierge lui avait annoncé
l'arrivée d'avance.
Je vis qu'au grand étonnement de Jonadab, sa mère
et sa femme avec ses enfants vinrent à sa rencontre jusqu'à moitié chemin, tous
en parfaite santé. Il n'en croyait pas ses yeux, car il les avait laissées très
malades. Je les vis l'embrasser et lui raconter comment elles avaient été
miraculeusement guéries. Un peu après midi, une femme d'un extérieur majestueux
était entrée dans leur maison, s'était approchée de leur couche et avait dit :
“Levez-vous et allez au-devant de Jonadab, il a couvert un homme nu”. Elles
s'étaient alors senties toutes pénétrées d'un sentiment de bien-être, et
s’étaient levées en parfaite santé pour remercier cette femme merveilleuse et
lui rendre leurs hommages. Mais lorsqu'elles avaient voulu lui présenter
quelques rafraîchissements, elle avait disparu, laissant la maison pleine d'une
odeur suave et elles-mêmes complètement rassasiées. Aussitôt après, sur la
parole de cette femme, elles étaient parties pour venir à la rencontre de
Jonadab et elles le priaient de leur dire de qui il avait couvert la nudité.
Alors Jonadab leur raconta avec des pleurs et des
sanglots, le crucifiement de Jésus, ce Jésus, fils de Joseph et de Marie, qui
était le Prophète, le Christ, le Saint d'Israël sur quoi tous déchirèrent leurs
habits, en signe de deuil versèrent des larmes, tout en louant Dieu d'un si
grand bienfait pour une oeuvre de charité si simple, parlèrent des signes
effrayants qui s'étaient montrés en ce jour dans le ciel et sur la terre, et
retournèrent dans leur maison, émus jusqu'au fond de l'âme.
Or, pendant que la femme de Jonadab racontait à son
mari ce qui était arrivé, j'ai vu moi-même, comme dans un tableau, cette
apparition dans leur maison. Je ne puis dire avec certitude qui c'était : j'ai
une idée confuse que c'était une apparition de la sainte Vierge. J'ai vu aussi
que plus tard Jonadab, après avoir mis ses affaires en ordre, se réunit à la
communauté chrétienne.
Lorsque la sainte Vierge, dans son angoisse, fit à
Dieu une ardente prière pour qu'il épargnât à Jésus la honte d'être exposé nu
sur la croix, je vis cette prière exaucée, car mon regard fut dirigé vers son
neveu Jonadab, qui, dominé par une semblable angoisse, sortit du temple et
courut au Calvaire à travers la ville pour venir en aide à Jésus. Lorsque
ensuite la sainte Vierge, dans un sentiment de profonde gratitude pour la
compassion de Jonadab, implora sur lui et sur sa maison la bénédiction de Dieu,
Je vis de nouveau sa prière exaucée : car je vis Jonadab éclairé par la foi en
Notre Seigneur et sa famille malade guérie miraculeusement par une apparition.
Des grâces de ce genre nous sont très souvent
accordées à nous-mêmes par l'effet de nos prières ou de celles d'autrui, mais
parce que nous ne voyons pas des yeux du corps comment elles arrivent, nous n'en
sommes pas frappés ou nous n'y voyons rien de merveilleux. On voit souvent de
ces grâces et de ces effets de la prière se produire par le ministère des saints
anges ; c'est pourquoi des personnes contemplatives qui méditent sur la vie de
Jésus et de Marie disent quelquefois que la sainte Vierge avait tel ou tel
nombre d'anges pour la protéger ou la servir ; elle envoyait des anges ici ou
là, pour remplir telle ou telle mission, etc. Cette manière de parler ne parait
étrange qu'à ceux qui ne sont pas dirigés dans cette voie contemplative : quant
aux contemplatifs, il leur semble tout aussi naturel de voir la reine du ciel
entourée d'anges qui la servent, que de voir les grands de la terre entourés de
gardes et de serviteurs. Quand on regarde Dieu comme son père avec la simplicité
d'un enfant, on ne s'étonne pas de voir les serviteurs de ce Père céleste et on
ne craint pas de les charger de messages où il s'agit de la gloire de Dieu. Il
m'arrive souvent en priant pour autrui de supplier instamment mon ange gardien,
pour l'amour de Jésus-Christ, d'aller dire telle et telle chose à l'ange d'une
autre personne. Pour moi, c'est absolument comme si j'envoyais un ami ou un
homme de confiance pour une affaire importante et je le vois de même aller et
s'acquitter de la commission. Je croyais, dans ma jeunesse, que tous les
chrétiens faisaient ainsi ; mais j'appris plus tard que la plupart ne voyaient
pas toutes ces choses, et je ne pensai pas pour cela que je fusse plus favorisée
que les autres, car je savais bien qu'il a été dit : “Heureux ceux qui croient
sans avoir vu”. Les influences de la prière se font sentir de diverses manières
à celui sur lequel elles sont dirigées, suivant les vues secrètes de Dieu et
l'état de grâce de l'homme. Jonadab fut poussé au Calvaire par un sentiment
d'angoisse intérieure et par une compassion soudaine qui s'éveilla chez lui pour
Jésus. D'autres personnes touchées de la grâce divine se voient averties par un
ange de faire telle ou telle chose. s'il eût été dans les desseins de Dieu que
cela arrivât pour Jonadab, il aurait vu la sainte Vierge lui apparaître et lui
dire : “Hâte-toi d'aller couvrir la nudité de mon fils”, de même qu'elle apparut
à sa famille lorsque Dieu exauça la prière qu'elle lui avait adressée dans sa
reconnaissance. C'est de la même manière que j'ai vu autrefois la sainte Vierge
apparaître debout sur une colonne
,
devant Saragosse, à l'apôtre saint Jacques le Majeur qui, dans un danger
pressant, implorait le secours de ses prières, et au même moment, je la voyais
dans sa chambre d'Éphèse, ravie en extase, prier pour Jacques et voler vers lui
en esprit. Si elle lui apparut sur une colonne, c'est qu'il l'avait invoquée
comme l'appui, comme le piller de l'Église sur la terre et qu'elle s'était
présentée en cette qualité à sa pensée intérieure, car une colonne est une
colonne et apparaît sous l'image d'une colonne, etc.
En méditant sur le nom de Golgotha, Calvaire, lieu
du Crime, que porte le rocher où Jésus a été crucifié et sur ce lieu une vision
qui embrassait toute la suite des temps depuis Adam jusqu'à Jésus-Christ. Voici
tout ce qu'il m'en reste.
Je vis Adam, après son expulsion du Paradis,
pleurer dans la grotte du mont des Oliviers où Jésus eut sa sueur de sang. Je
vis comment Seth fut promis à Ève dans la grotte de la Crèche, à Bethléem, et
comment elle le mit au monde dans cette même grotte ; je vis aussi Ève demeurer
dans les cavernes où fut depuis le monastère essénien de Maspha, prés d'Hébron.
La contrée de Jérusalem m'apparut ensuite après le
déluge, bouleversée, noire, pierreuse, bien différente de ce qu'elle était
auparavant. A une grande profondeur au-dessous du rocher qui forme le Calvaire (lequel
avait été roulé en ces lieux par les eaux), j'aperçus le tombeau d'Adam et
d'Ève. Il manquait une tête et une cote à l'un de ces squelettes, et la tête
restante était placée dans ce même squelette, auquel elle n'appartenait pas.
J'ai vu souvent que les ossements d'Adam et d'Ève n'étaient pas tous demeurés
dans ce tombeau ; Noé en avait plusieurs dans l'arche qui furent transmis de
génération en génération parmi les patriarches. J'ai vu que Noé, et Abraham
après lui, en offrant le sacrifice, plaçaient toujours quelques os d'Adam sur
l'autel pour rappeler à Dieu sa promesse. Quand Jacob remit à Joseph sa robe
bariolée, je vis qu'il lui donna aussi quelques ossements dans le premier
reliquaire que les enfants d'Israël emportèrent d'Égypte.
J'ai vu beaucoup de ces choses : mais j'ai oublié
les unes, et le temps me manque pour raconter les autres.
Quant à l'origine du nom du Calvaire, voici ce qui
m'a été montré. La montagne qui porte ce nom m'est apparue au temps du prophète
Élisée. Elle n'était pas alors comme au temps de Jésus : c'était une colline
avec beaucoup de murailles et de cavernes semblables à des tombeaux. Je vis le
prophète Élisée descendre dans ces cavernes (je ne saurais dire s'il le fit
réellement, ou si c'était simplement une vision). Je le vis tirer un crâne
d'un sépulcre en pierre où reposaient des ossements. Quelqu'un qui était près de
lui, je crois que c'était un ange lui dit : “C'est le crâne d'Adam”. Le prophète
voulut l'emporter, mais celui qui était près de lui ne le lui permit pas. Je vis
sur le crâne quelques cheveux blonds clairsemés.
J'appris aussi que ce prophète ayant raconte ce qui
lui était arrive, ce lieu avait reçu le nom de Calvaire. Enfin, je vis que la
croix de Jésus était placée verticalement sut le crâne d'Adam, et je fus
informée que cet endroit était précisément le milieu de la terre ; en même temps
on m'indiqua des nombres et des mesures marquant la distance de ce lieu à toutes
les contrées de la terre, mais je les ai oubliés, aussi bien pour chacune en
particulier que pour la liaison de l'ensemble. J'ai pourtant vu ce milieu d'en
haut, et comme à vol d'oiseau. De là, on aperçoit bien plus clairement que sur
une carte de géographie, les différents pays, les montagnes, las déserts, las
mers et les fleuves, les villes et même les petits endroits, les plus prochains
comme les plus éloignés, etc., etc.
LVI
LA CROIX ET LE PRESSOIR
Comme je songeais à cette parole ou à cette pensée
de Jésus sur la croix : “Je suis pressé comme le vin qui a été mis ici sous le
pressoir pour la première fois, je dois rendre tout mon sang jusqu'à ce que
l'eau vienne, mais on ne fera plus de vin ici” ; cela me fut expliqué par une
autre vision relative au Calvaire.
Je vis à une époque postérieure au déluge cette
contrée pierreuse moins sauvage et moins stérile qu'elle ne le fut depuis. Il y
avait des vignobles et des prairies. Je vis ici et vers le couchant le
patriarche Japhet, un grand vieillard au teint brun, entouré de troupeaux
immenses et d'une nombreuse postérité ; ses enfants et lui avaient des demeures
creusées dans la terre et couvertes de toits de gazon où croissaient des herbes
et des fleurs. Tout autour étaient des vignes, et l'on essayait sur le Calvaire,
en présence de Japhet, une nouvelle manière de faire le vin.
Je vis aussi las anciennes méthodes pour préparer
le vin et en général beaucoup de choses qui se rapportaient au vin ; je ne me
souviens que de ce qui suit D'abord on se contentait de manger le raisin ;
ensuite on le pressa avec des pilons dans des pierres creusées, puis, dans de
grandes rigoles de bois. Cette fois on avait imaginé un nouveau pressoir qui
ressemblait à la sainte croix : c'était un trône d'arbre creusé et élevé
verticalement ; un sac plein de raisin était suspendu en haut ; sur ce sac
appuyait un pilon au-dessus duquel était un poids, et des deux côtés du tronc
étaient des bras aboutissant au sac par des ouvertures disposées à cet effet, et
qui écrasaient le raisin lorsqu'on las faisait mouvoir en abaissant les
extrémités. La jus coulait hors de l'arbre par cinq ouvertures, et tombait dans
une cuve de pierre ; de là, il arrivait par un conduit d'écorce enduit de résine
à cette espèce de citerne creusée dans le roc où Jésus fut enfermé avant d'être
crucifié. C'était à cette époque une citerne très propre. Je vis le conduit
entièrement couvert de gazon et de pierres pour le Garantir. Au pied du
pressoir, dans la cuve de pierre, se trouvait une sorte de tamis pour arrêter le
marc qu'on mettait de cote. Lorsqu'ils eurent dresse leur pressoir, ils
remplirent le car de raisins, le clouèrent au haut du tronc, y placèrent le
pilon, et firent jouer les bras placés des deux cotés pour faire couler le vin.
Je vis aussi auprès du pilon un homme qui appuyait sur le sac pour que les
raisins qu'il contenait n'en sortissent pas par en haut. Tout cela me rappela
vivement le crucifiement à cause de la ressemblance de ce pressoir avec la
croix. Ils avaient un long roseau avec un bout où se trouvaient des pointes, ce
qui le rendait semblable à une grosse tête de chardon, et ils le faisaient
passer à travers le conduit et à travers le tronc d'arbre quand quelque partie
s'obstruait. Cela me rappela la lance et l'éponge. Il y avait des outres et des
vases d'écorce enduits de résine. Je vis plusieurs jeunes gens, ayant seulement,
comme Jésus, un linge autour des reins, travailler à ça pressoir. Japhet était
fort vieux : il avait une longue barbe et un vêtement de peaux de bêtes ; il
regardait avec joie le nouveau pressoir. C'était une fête, et on sacrifia sur un
autel de pierre des animaux qui couraient dans la vigne, de jeunes ânes, des
chèvres et des brebis. Ce ne fut pas en ce lieu qu'Abraham vint sacrifier
Isaac : ce fut peut-être sur la montagne de Moriah. J'ai oublie beaucoup
d'instructions relatives au vin, au vinaigre, au marc, aux différentes
distributions à droite et à gauche : je le regrette, car les moindres choses en
cette matière ont une profonde signification symbolique. Si Dieu veut que je les
fasse connaître, il me les montrera de nouveau.
Dans une vision du dernier mois de la vie de Jésus,
la sœur Emmerich vit trois Chaldéens, d'un lieu dont le nom ressemblait à Sicdor
et où ces païens avaient une école de prêtres, visiter le Seigneur à Béthanie,
chez Lazare. Déjà, dans une autre occasion, le 17 décembre, elle avait raconté
ce qui suit touchant leur religion et leur temple :
“À peu de distance de ce temple était sur une
hauteur une pyramide avec des galeries où ils observaient les autres. Ils
prédisaient l'avenir d'après la course des animaux, et interprétaient les
songes. Ils sacrifiaient les animaux, mais avec horreur du sang qu'ils
laissaient toujours couler à terre. Ils avaient un feu sacré et une eau sacrée
qui figuraient dans leurs cérémonies religieuses ainsi que des petits pains
bénits et le jus d'une plante qu'ils regardaient comme sainte. Leur temple était
de forme ovale et plein d'images en métal artistement travaillées. Ils avaient
le pressentiment très marqué d'une mère de Dieu. L'objet principal dans leur
temple était un obélisque triangulaire. Sur l'un des côtés était une figure avec
plusieurs pieds d'animaux et plusieurs bras, qui tenait entre ses mains une
boule, un cerceau, un petit paquet d'herbes, une grosse pomme à côtes attachée à
sa tige, et d'autres choses encore. Son visage était comme un soleil avec des
rayons ; elle avait plusieurs mamelles, et signifiait la production et la
conservation de la nature ; son nom était comme Miter ou Mitras. Sur l'autre
coté de la colonne était une figure d'animal avec une corne : c'était une
licorne, et elle s'appelait Asphas ou Aspax. Elle combattait avec sa corne
contre une méchante bête qui se trouvait sur le troisième côté. Celle-ci avait
une tête de hibou avec un bec crochu, quatre pattes armées de griffes, deux
ailes et une queue qui se terminait comme celle d'un scorpion. J'ai oublié son
nom : d'ailleurs je ne retiens pas facilement ces noms étrangers ; je confonds
l'un avec l'autre, et je ils peux qu'indiquer à peu près à quoi ils ressemblent.
A l'angle de la colonne, au-dessus des deux bêtes qui combattaient, était une
statue qui devait représenter la mère de tous les dieux. Son nom était comme
Aloa ou Aloas ; on l'appelait aussi une grange pleine de blé, et il sortait de
son corps une gerbe d'épis. Sa tête était courbée en avant, car elle portait sur
le cou un vase où il y avait du vin, ou dans lequel le vin devait venir. Ils
avaient une doctrine qui disait : le blé doit devenir du pain, le raisin doit
devenir du vin pour nourrir toutes choses. Au-dessus de cette figure était une
espèce de couronne, et sur la colonne, deux lettres qui me faisaient l'effet
d'un O et d'un W (peut-être Alpha et Oméga).
Mais ce qui m'émerveilla le plus dans ce temple, ce
fut un autel d'airain avec un petit jardin rond, recouvert d'un treillis d'or,
et au-dessus duquel on voyait la figure d'une vierge. Au milieu se trouvait une
fontaine composée de plusieurs bassins scellés l'un sur l'autre, et devant elle
un cep de vigne vert avec un beau raisin rouge qui entrait dans un pressoir,
dont la forme me rappela vivement celle de la sainte Croix, mais ça n'était
qu'un pressoir. Au bout d'un tronc d'arbre creux était ajusté un large entonnoir
dont l'extrémité la plus étroits aboutissait à un sac de raisins : contre ce sac
jouaient deux bras mobiles comme des leviers qui entraient dans l'arbre des deux
côtés, et écrasaient les grappes, dont le jus coulait par des ouvertures. Le
petit jardin rond avait cinq à six pas de diamètre il était plein de fleurs,
d'arbrisseaux et de fruits, tous, comme le cep de vigne, fort bien imités et
ayant une signification profonde.
Cette représentation prophétique du salut futur
avait été faite plusieurs siècles auparavant par les prêtres de ce peuple,
d'après ce que leur avait appris l'observation des astres. Ils avaient aussi vu
cette image, autant que je m'en souviens, sur l'échelle de Jacob
.
Ils avaient encore d'autres pressentiments et figures prophétiques de la Mère de
Dieu, mais mêlés avec d'autres traditions et mal compris. Toutefois, peu de
temps auparavant, ils avaient été instruits de la signification du jardin fermé
et de la fontaine scellée : il leur avait été révélé que Jésus était le cep de
vigne dont le sang devait régénérer le monde, le grain de blé qui, mis en terre,
devait ressusciter. Ils avaient appris qu'ils possédaient plusieurs symboles et
plusieurs annonces de la vérité, mais mêlés avec des inventions de Satan qui les
obscurcissaient. Ils avaient été renvoyés pour acquérir de plus amples
instructions aux trois rois, qui, depuis leur retour de Bethléem, habitaient
plus près de la Terre promise qu'auparavant, savoir dans l'Arabie heureuse, et
n'étaient qu'à deux journées de chemin de ces Chaldéens.
Jésus ne parla que brièvement et en passant à ces
étrangers. Il les envoya à Capharnaüm, vers le centurion Zorobabel dont il avait
guéri le serviteur, et qui, ayant été un païen comme eux, devait se charger de
les instruire. Je les vis se rendre chez lui. C'étaient des hommes de grande
taille, jeunes, beaux, sveltes : ils étaient autrement conformés que les Juifs ;
leurs pieds et leurs mains étaient d'une petitesse remarquable.
Ici peut se rapporter encore ce que dit la sœur une
autre fois : “Quand je vois des paraboles relatives a la vigne, ou quand je prie
pour des diocèses et des paroisses qui me sont montrés sous forme de vignes, où
il me semble que je dois faire des travaux pénibles, j'y vois toujours le
pressoir semblable à la croix, mais élevé au milieu d'une cuve ou d'une fosse
profonde. Les bras mobiles de ce pressoir peuvent être mis en mouvement avec les
pieds”.
Parmi les morts ressuscités, dont
on vit bien une centaine à Jérusalem, il n'y avait pas de parents de Jésus. Les
tombeaux situés dans la partie nord-ouest de Jérusalem étaient autrefois hors de
la ville : ils y furent englobés par suite de l'agrandissement de l'enceinte.
J'ai vu, dans d'autres lieux de la Terre Sainte, divers morts apparaître à leurs
proches et rendre témoignage de la mission de Jésus. Ainsi, je vis Sadoch un
homme très pieux, qui avait donné tout son bien aux pauvres et au Temple, et
fondé une communauté d'Esséniens, se montrer à beaucoup de gens dans les
environs d'Hébron.
Comme le récit de la Passion ont
été trop longtemps interrompu par celui des apparitions qui eurent lieu la mort
de Jésus, nous donnons ici ce dernier ou plutôt les fragments que nous avons pu
en recueillir d'après les communications de la Sœur, dans un moment où elle
était réduite à la dernière faiblesse et toute brisée par la maladie et la
participation aux souffrances au Sauveur.
Ce Sadoch avait vécu un siècle
avant Jésus ; il avait été un des derniers prophètes antérieurs à l'incarnation,
avait désiré ardemment la venue du Messie avec les ancêtres duquel il se
trouvait en relation, et avait eu plusieurs révélations à ce sujet. D'après une
vision précédente, il me semble que son âme avait été l'une des premières qui se
réunirent à leur corps et qui, après l'avoir déposé de nouveau, parcoururent le
pays à la suite de Jésus. Je vis d'autres morts apparaître aux disciples cachés
du Seigneur et leur donner des avertissements.
La terreur et la désolation se
répandirent dans les parties les plus éloignées de la Palestine, et ce ne fut
pas seulement à Jérusalem que la terre trembla et que la lumière du jour
s'obscurcit. A Thirza, les tours de la prison où avaient été renfermés ces
captifs que Jésus délivra, s'écroulèrent ainsi que d'autres bâtiments. Dans le
pays de Kaboul, beaucoup d'endroits eurent fort à souffrir. Dans la Galilée, où
Jésus avait tant voyagé, je vis tomber beaucoup d'édifices, surtout les maisons
des Pharisiens qui avaient le plus ardemment persécuté le Sauveur, et qui tous
étaient alors à la fête ; ces maisons tombèrent sur leurs femmes et sur leurs
enfants. Il y eut beaucoup de désastres autour du lac de Génésareth. Beaucoup
d'édifices s'écroulèrent à Capharnaüm. Les habitations des esclaves situées
entre Tibériade et le jardin de Zorobabel, le centurion de Capharnaüm, furent
presque entièrement détruits ; le mur de rochers qui était en avant de ce beau
jardin se tendit. Le lac déborda dans la vallée, et vint jusqu'à Capharnaüm, qui
en était éloigné d'une demi lieue. La maison de Pierre et l'habitation de la
sainte Vierge en avant de la ville restèrent debout. Le lac fut dans une grande
agitation : ses bords s'écroulèrent en différents endroits, sa forme changea
notablement et se rapprocha de celle qu'il a aujourd'hui. Il y eut surtout de
grands changements à l'extrémité sud-est, prés de Tarichée, parce qu'il y avait
là une longue chaussée de pierres noires construite entre le lac et une espèce
de marais, laquelle donnait une direction constante au cours du Jourdain, à sa
sortie du lac. Toute cette chaussée fut détruite par le tremblement de terre.
Il y eut beaucoup de désastres à
l'est du lac, au lieu où les pourceaux des habitants de Gergesa s'étaient
précipités, et aussi à Gergesa, à Gerasa et dans tout le district de Chorazin.
La montagne où avait eu lieu la seconde multiplication des pains fut ébranlée,
et la pierre où le prodige avait été opéré se tendit en deux. Dans la Décapole,
des villes entières s'écroulèrent ; en Asie, plusieurs lieux souffrirent
beaucoup, entre autres Nicée, mais surtout beaucoup d'endroits à l'est et au
nord-est de Paneas. Dans la Galilée supérieure, bien des Pharisiens trouvèrent
leurs maisons en ruines à leur retour de la fête. Plusieurs d'entre eux en
reçurent la nouvelle à Jérusalem : c'est pour cela que les ennemis de Jésus
furent si peu entreprenants contre la communauté chrétienne à la Pentecôte.
Une partie du temple de Garizim
s'écroula. Il y avait là une idole au-dessus d'une fontaine, dans un petit
temple dont le toit tomba dans la fontaine avec l'idole. La moitié de la
synagogue de Nazareth, d'où l'on avait chassé Jésus, s'écroula, ainsi que la
partie de la montagne d'où l'on avait voulu le précipiter. Beaucoup de
montagnes, de vallées et de villes, furent dévastées. Il y eut plusieurs
perturbations dans le lit du Jourdain par suite de toutes ces secousses, et son
cours changea en beaucoup d'endroits. A Machérunte et dans les autres villes
d'Hérode, tout resta tranquille : ce pays était hors de la sphère de la
pénitence et de la menace, semblable à ces hommes qui ne tombèrent pas au jardin
des Oliviers, et qui, par conséquent, ne se relevèrent pas.
En divers endroits où se tenaient
beaucoup de mauvais esprits, je vis ceux-ci disparaître en grandes troupes au
milieu des édifices et des montagnes qui s'écroulaient. Les secousses de la
terre me rappelèrent les convulsions des possédés, quand l'ennemi sent qu'il
doit s'éloigner. A Gergesa, une partie de la montagne d'où les démons s'étaient
jetés dans un marais avec les pourceaux, roula dans ce marais ; et je vis alors
une multitude de mauvais esprits se précipiter dans l'abîme, semblable à un
nuage sombre.
C'est à Nicée, si je ne me trompe,
que je vis un événement singulier dont je ne me souviens qu'imparfaitement. Il y
avait là un port couvert de vaisseaux, et, prés de ce port, une maison avec une
tour élevée, où je vis un païen qui était chargé de surveiller ces vaisseaux. Il
devait monter souvent à cette tour et regarder ce qui se passait en mer. Ayant
entendu un grand bruit au-dessus des vaisseaux du port, il monta en hâte pour
voir ce qui arrivait, et il vit planer sur le port des figures sombres qui lui
crièrent d'une voix plaintive : “Si tu veux conserver les vaisseaux, fais-les
sortir d'ici, car nous devons rentrer dans l'abîme : le grand Pan est mort”.
Voilà ce que je me rappelle le plus distinctement des paroles que j'entendis
prononcer : mais on lui dit encore plusieurs choses, on lui recommanda de faire
connaître ce qu'il venait d'apprendre, lors d'un voyage de mer qu'il devait
faire prochainement, et de bien recevoir les messagers qui viendraient annoncer
la doctrine de celui qui venait de mourir. Les mauvais esprits étaient ainsi
forcés par la puissance de Dieu d'avertir cet honnête homme et de le charger
d'annoncer leur défaite. Il fit mettre les navires en sûreté, et alors un orage
terrible éclata : les démons se précipitèrent en hurlant dans la mer, et la
moitié de la ville s'écroula. Sa maison resta debout. Bientôt après il fit un
grand voyage, et annonça la mort du grand Pan, si c'est là le nom dont on avait
appelé le Sauveur. Il vint plus tard à Home, où l'on s'émerveilla beaucoup de ce
qu'il raconta. J'ai su, touchant cet homme, beaucoup d'autres choses que j'ai
oubliées : j'ai vu, par exemple, comment l'histoire d'un de ses voyages s’était
mêlée dans des récits postérieurs, à celle de l'apparition que j'ai mentionnée
et avait acquis une grande notoriété, mais je ne sais plus bien comment tout
cela se liait ensemble. Son nom était, je crois, quelque chose comme Thamus ou
Thramus.
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