BIENHEUREUSE
ANNE CATHERINE EMMERICH
religieuse et visionnaire
(
1774-1824)

VIE DE LA SAINTE VIERGE

D'APRÈS LES MÉDITATIONS
D'ANNE CATHERINE EMMERICH

Publiées en 1854
Traduction de l'Abbé DE CAZALES

 

première partie

I
Sur les ancêtres de la sainte Vierge


(Communiqué le 27 juin 1819)

Cette nuit, tout ce que j'avais vu si souvent pendant mon enfance, touchant la vie des ancêtres de la sainte vierge Marie, s'est présenté devant moi tout à fait de la même manière, dans une série de tableaux. Si je pouvais raconter tout ce que je sais et ce que j'ai devant les yeux, cela ferait certainement grand plaisir au pèlerin 1 ; moi-même j'ai été très consolée dans mes souffrances par cette contemplation. Quand j'étais enfant, j'avais une telle assurance relativement à ces choses, que si quelqu'un m'en racontait quelques circonstances d'une autre manière, je lui répondais sans hésiter : " Non, cela est de telle et telle façon " ; et je me serais fait tuer pour attester que la chose était ainsi et non autrement. Plus tard, le monde m'a rendue incertaine, et j'ai gardé le silence ; mais l'assurance intérieure m'est toujours restée, et, cette nuit, j'ai tout revu jusque dans les plus petits détails.

Dans mon enfance, je pensais sans cesse à la crèche, à l'enfant Jésus et à la mère de Dieu, et je m'étonnais souvent qu'on ne me racontât rien de la famille de cette divine Mère. Je ne pouvais pas comprendre pourquoi on avait si peu écrit sur ses ancêtres et ses parents. Dans ce grand désir que j'avais de les mieux connaître, j'eus un grand nombre de visions sur les ancêtres de la sainte Vierge. Je vis ses ascendants en remontant jusqu'à la quatrième ou cinquième génération, et je les vis toujours comme des gens merveilleusement pieux et simples, chez lesquels régnait un désir secret et tout à fait extraordinaire de l'avènement du Messie promis. Je voyais toujours ces bonnes gens demeurer parmi d'autres hommes qui, en comparaison d'eux, me paraissaient pleins de rudesse et comme des espèces de barbares. Quant à eux, je les voyais si calmes, si doux, si bienfaisants, que je m'inquiétais Souvent beaucoup pour eux, et que je me disais à moi-même : " Où pourraient résider ces excellentes gens s'ils parvenaient à échapper à ces méchants hommes si rudes' Je veux aller les trouver ; je serai leur servante ; je m'enfuirai avec eux dans quelque forêt où ils puissent se cacher. Ah ! je les trouverai certainement ". Je les voyais si distinctement, et je croyais si bien à leur existence, que j'étais toujours pleine d'inquiétude et de crainte pour eux.

Je les voyais toujours mener une vie de renoncement. Je voyais souvent ceux d'entre eux qui étaient mariés se promettre réciproquement de vivre séparés pendant un certain temps, et cela me réjouissait beaucoup sans que je puisse bien dire pourquoi. Ils observaient principalement cette pratique dans le temps qui précédait certaines cérémonies religieuses, où ils brûlaient de l'encens et faisaient des prières. Je connus par ces cérémonies qu'il y avait des prêtres parmi eux. Je les vis plus d'une fois émigrer d'un lieu à un autre, quitter des biens considérables pour de plus petits, afin de ne pas être troublés par de méchantes gens dans leur manière de vivre.

Ils étaient pleins de ferveur et soupiraient ardemment vers Dieu. Je les voyais souvent, pendant le jour ou même pendant la nuit, courir dans la solitude en invoquant Dieu et en criant vers lui avec un désir si violent, qu'ils déchiraient leurs habits pour mettre leur poitrine à nu, comme si Dieu eût dû pénétrer dans leur coeur avec les .ayons brûlants du soleil, ou comme si, avec la lumière de la lune et des étoiles, il eût dû désaltérer la soif ardente qu'ils avaient de l'accomplissement de la promesse. J'avais des visions de ce genre dans mon enfance ou mon adolescence lorsque je priais Dieu toute seule dans le pâturage, auprès du troupeau, ou lorsque j'étais agenouillée le soir sur les plus hautes plaines de notre campagne, ou bien encore lorsque, pendant l'Avent, j'allais à minuit, à travers la neige, à trois quarts de lieue de notre chaumière, pour assister aux prières du Rorate qui se faisaient à Coesfeld, dans l'église de Saint Jacques. Le soir d'avant, et aussi pendant la nuit, je priais ardemment pour les pauvres âmes qui, peut-être, pour n'avoir pas assez excité en elles-mêmes pendant leur vie le désir du salut, et pour s'être laissées aller à d'autres penchants vers les créatures et les biens de ce monde, étaient tombées dans bien des fautes, et maintenant languissaient de désir et soupiraient après leur délivrance. J'offrais à Dieu pour elles ma prière et le désir qui me portait vers le Sauveur comme pour payer leurs dettes. J'avais aussi à cela un petit intérêt personnel, car je savais que ces pauvres chères âmes, par reconnaissance et à cause de leur désir perpétuel d'être aidées par des prières, m'éveilleraient à l'heure voulue et ne me laisseraient pas dormir au delà. Elles venaient donc, sous la forme de petites lumières peu éclatantes, qui planaient autour de mon lit et m'éveillaient tellement à la minute, que je pouvais dire me prière du matin pour elles ; puis je jetais de l'eau bénite sur elles et sur moi, je m'habillais, je me mettais en route, et voyais les pauvres petites lumières m'accompagner rangées comme pour une procession. Alors tout en marchant, je chantais, le coeur plein de désir : " ciel envoyez votre rosée, et que les nuées pleuvent le juste " ; et je voyais de nouveau, dans le désert et dans la plaine, ces ancêtres de la sainte Vierge courir pleins d'un ardent désir et crier après le Messie. Je faisais comme eux, et j'arrivais toujours à temps à Coesfeld pour la messe du Rorate, quoique les chères âmes me fissent souvent faire un grand détour en me conduisant par toutes les stations du chemin de la Croix.

Quand je voyais ces bons ancêtres de la sainte Vierge prier ainsi Dieu comme affamés de lui, ils me paraissaient avoir quelque chose d'étrange dans leur costume et leur. manières ; et pourtant ils se montraient si distinctement et si près de moi, qu'encore maintenant j'ai devant les yeux leur contenance et les traits de leur visage. Je me demandais toujours à moi-même : " Qui sont ces gens. Tout cela n'est pas comme à présent ; pourtant ces gens sont là, et tout cela existe ". Puis j'espérais encore aller les trouver. Ces dignes personnages étaient pleins d'exactitude et de précision dans leurs actes, leurs paroles et le culte qu'ils rendaient à Dieu, et ils ne faisaient de plaintes sur rien, si ce n'est sur les souffrances de leur prochain.

II
Les ancêtres de sainte Anne. Esséniens.

(Communiqué en juillet et en août 1821.)

J'ai eu une vision détaillée sur les ancêtres de sainte Anne, mère de la sainte Vierge. Ils vivaient à Mara, dans les environs du mont Horeb, et ils avaient des relations d'une nature spirituelle avec une classe de pieux Israélites sur lesquels j'ai vu beaucoup de choses. Je raconterai ce que j'en sais encore. Hier, j'ai été presque toute la journée parmi ces gens ; et si je n'avais pas été dérangée par tant de visites, je n'aurais pas oublié la plus grande partie de ce qui les concerne.

Ces pieux Israélites, qui avaient des rapports avec les ancêtres de sainte Anne, s'appelaient Esséniens ou Esséens. Ils ont eu trois autres noms : on les appela d'abord Escaréniens, puis Khasidéens, et enfin Esséniens. Le nom d'Escaréniens venait du mot Escara ou Askara, qui désignait la part du sacrifice attribuée à Dieu, et aussi la fumée odorante de l'encens dans les oblations de fleur de farine'.

Ceci fut écrit en août 1821, d'après ce qu'avait dit la soeur. Plus tard, en juin 1810, lorsque l'écrivain le relut pour le livrer à l'impression, il demanda à un théologien versé dans la connaissance des langues l'explication du mot askarah, et il reçut la réponse suivante : Askarah signifie commémoration, et c'est le nom de la part du sacrifice non sanglant qui était brûlée par le prêtre, sur l'autel, pour honorer Dieu et lui rappeler ses promesses de miséricorde. Les sacrifices non sanglants' ou oblations d'aliments, consistaient ordinairement en fleur de farine de froment mêlée avec de l'huile et présentée avec de l'encens. Le prêtre brûlait tout l'encens et une poignée de la farine arrosée d'huile ou de cette même farine cuite au four ; c'était là l'askarah (Lévit., II, 2, 9, 16). Pour les pains de proposition, l'encens seul était l'askarah (Lévit., XXIV, 7). Dans le sacrifice pour le péch6, où l'oblation de fleur de farine se faisait sans huile et sans encens, on ne brûlait comme askarah qu'une poignée de farine (Lévit., V, 12). Il en était de même dans le sacrifice de la femme suspecte d'adultère, où l'on offrait en outre seulement de la farine d'orge (Num., y, 16, 25, 26) Dans ce dernier passage (Num., V, 15), la Vulgate omet entièrement la traduction du mot askarah ; dans les autres, elle traduit alternativement memoriale, in memonam, in monurnentum. La soeur n'a pas dit clairement pourquoi les Esséniens avaient tiré leur premier nom de cet askarah : toutefois, quand on se rappelle que les Esséniens ne présentaient pas au temple de sacrifice sanglant mais envoyaient seulement des offrandes ; que d'ailleurs, menant une vie de renoncement et de mortification, ils s'offraient eux-mêmes en sacrifice d'une certaine manière, on est incliné à penser que ces hommes, qui ne vivaient pas selon la chair, ont reçu leur nom de l'askarah, la part réservée à Dieu dans le sacrifice non sanglant de la Mincha, parce que, peut-être, ce que nous ne savons pas maintenant avec certitude, il ; offraient réellement ce genre de sacrifice, ou parce qu'à raison de leur manière de vivre, ils étaient à quelques égards, par rapport aux autres Israélites, ce qu'était l'askarah par rapport aux autres parties des sacrifices.

Le second nom, celui de Khasidéens, signifie les miséricordieux. Je ne sais plus d'où vient le nom d'Esséniens. Cette classe d'hommes pieux remontait au temps de Moise et d'Aaron, et venait des prêtres qui portaient l'Arche d'alliance ; mais ce fut dans l'époque qui s'écoula entre Isaie et Jérémie qu'ils reçurent pour la première fois une règle de vie déterminée. Au commencement, ils étaient peu nombreux ; dans la suite, ils formèrent des réunions, qui habitaient dans la terre promise une contrée longue de quarante-huit lieues sur une largeur de trente-six. Ce ne fut que plus tard qu'ils vinrent dans la contrée du Jourdain. Ils habitaient principalement près du mont Horeb et près du mont Carmel, là où Élie avait séjourné.

A l'époque où vivaient ces aïeux de sainte Anne dont j'ai parlé, les Esséniens avaient un chef spirituel, un vieux prophète qui résidait sur le mont Horeb ; il s'appelait Archos ou Arcas. Leur organisation ressemblait beaucoup à celle d'un ordre religieux. Ceux qui voulaient être admis parmi eux devaient subir une épreuve d'un an, et ils étaient admis pour un temps plus ou moins long, suivant des inspirations prophétiques d'un ordre supérieur. Les membres proprement dits de l'ordre, qui vivaient en commun, ne se mariaient pas : ils vivaient dans la continence. Il y avait aussi des personnes sorties de l'ordre ou qui avaient des liens avec lui, lesquelles se mariaient et suivaient dans leurs familles, elles, leurs enfants et leurs domestiques, une règle de vie semblable à beaucoup d'égards à celle des Esséniens proprement dits. Il y avait entre elles et ceux-ci des rapports de même nature que ceux qui existent aujourd'hui entre les laïques du tiers ordre, ceux qu'on appelle les tertiaires, et les ordres religieux de l'Église catholique ; car ces Esséniens mariés, dans les circonstances importantes de leur vie, spécialement lors du mariage de leurs proches, demandaient des instructions et des conseils au supérieur des Esséniens, au vieux prophète du mont Horeb. Les aïeux de sainte Anne appartenaient à cette classe d'Esséniens mariés.

Il y eut aussi plus tard une troisième espèce d'Esséniens, qui exagérèrent tout et tombèrent dans de grandes erreurs. J'ai vu que les autres ne les souffraient pas parmi eux.

Les Esséniens proprement dits avaient des traditions prophétiques particulières, et leur chef du mont Horeb recevait souvent la, dans la grotte d'Élie, des révélations célestes qui se rapportaient à l'avènement du Messie. Il avait connaissance de la famille dont la mère du Messie devait sortir ; et, quand il rendait des réponses aux aïeux de sainte Anne, relativement aux affaires de mariage, il voyait aussi que le jour du Seigneur s'approchait. Toutefois, il ne savait pas combien de temps encore la naissance de la mère au Sauveur serait empêchée ou retardée par les péchés des hommes ; et à cause de cela, il exhortait toujours à la pénitence, à la mortification, à la prière et au sacrifice intérieur, actes agréables a Dieu, dont les Esséniens donnaient toujours l'exemple dans le même but.

Avant qu'Isaie les eût rassemblés et leur eût donné une organisation plus régulière, ils vivaient, chacun de leur côté. En Israélites pieux et adonnés à la mortification, ils portaient toujours les mêmes habits et ne les raccommodaient pas jusqu'à ce qu'ils tombassent en lambeaux. Ils luttaient principalement contre la sensualité et gardaient souvent la continence d'un commun accord pendant de longs intervalles : ils vivaient alors séparés de leurs femmes, dans des cabanes très éloignées. Quand ils vivaient dans les rapports du mariage, c'était seulement dans le but d'avoir une postérité sainte qui pût contribuer à préparer l'avènement du Messie. Je les voyais manger à part de leurs femmes : quand le mari avait quitté la table, la femme venait prendre son repas. Déjà à cette époque il y avait, parmi les Esséniens mariés, des ancêtres de sainte Anne et d'autres saints personnages.

Jérémie fut aussi en rapport avec eux, et ces hommes qu'on appelait enfants des Prophètes faisaient partie de leur association. Ils habitaient fréquemment dans le désert, autour des monts Carmel et Horeb : j'en vis aussi plus tard en Égypte. J'ai vu encore que, par suite d'une guerre, ils furent chassés pour un temps du mont Horeb, et que de nouveaux chefs les rassemblèrent postérieurement. Les Machabées furent aussi parmi eux.

Les Esséniens proprement dits, qui vivaient dans la virginité, étaient d'une pureté et d'une piété incroyables. Ils recevaient des enfants qu'ils élevaient pour les prédisposer à une grande sainteté. Pour devenir membre de l'ordre strict, il fallait avoir quatorze ans. Les gens déjà éprouvés faisaient une année de noviciat ; d'autres en faisaient deux. Ils n'exerçaient aucune sorte de trafic, et se contentaient d'échanger les produits de leurs champs contre les objets qui leur étaient nécessaires.

Je les voyais tous les ans aller trois fois au temple de Jérusalem. Ils avaient parmi eux des prêtres chargés particulièrement du soin des vêtements sacrés. Ils les nettoyaient, levaient des contributions pour leur entretien, et en préparaient aussi de nouveaux. Je les voyais élever des troupeaux, labourer la terre, mais surtout s'adonner au jardinage. Entre leurs cabanes du mont Horeb, il y avait des jardins et des arbres fruitiers. Je vis plusieurs d'entre eux tisser des étoffes, faire des nattes et aussi broder des vêtements sacerdotaux.

Ils avaient à Jérusalem un quartier séparé, et aussi une place à part dans le temple. Les autres Juifs avaient une sorte d'antipathie pour eux à cause de la sévérité de leurs moeurs. Je voyais qu'avant de partir pour leur voyage au temple, ils s'y préparaient toujours par la prière, le jeûne et la pénitence ; si dans leur voyage, ou à Jérusalem même, ils rencontraient sur le chemin un malade ou un homme ayant besoin de secours, ils n'allaient pas au temple qu'ils ne lui eussent donné toute l'aide possible.

Archos ou Arcas, le vieux prophète du mont Horeb, gouverna les Esséniens quatre-vingt-dix ans. Je vis la grand-mère de sainte Anne le consulter à l'occasion de son mariage. Ce qui me parut remarquable, c'est que ces prophètes annonçaient toujours des enfants du sexe féminin, et que les ancêtres de sainte Anne et elle-même n'eurent en général que des filles. Il semblait que le but de leurs prières et de leurs pieuses actions fût d'obtenir de Dieu une bénédiction pour les pieuses mères desquelles devaient tirer leur origine la sainte Vierge, mère du Sauveur, et les familles de son précurseur, de ses serviteurs et de ses disciples.

III
La grand mère de sainte Anne consulte le chef des Esséniens.
Son mariage. Sa famille.

La grand mère d'Anne était de Mara, dans le désert, où sa famille, qui faisait partie des Esséniens mariés, avait des propriétés. Son nom était quelque chose comme Morouni ou Emoroun. Il me fut dit que cela signifiait bonne mère ou mère auguste 2.

Lorsqu'elle fut en âge de se marier, elle eut plusieurs prétendants, et je les vis aller trouver le prophète Archos pour qu'il décidât de son choix.

Il annonça à la vierge qui le consultait qu'elle devait se marier et épouser le sixième de ses prétendants ; elle devait mettre au monde un enfant marqué d'un certain signe, lequel devait être un instrument du salut qui était proche.

Emoroun épousa son sixième prétendant un Essénien qui s'appelait Stolanus. Il n'était pas du pays de Mara. Il prit à son mariage, et à cause des biens de sa femme, un autre nom que je ne puis pas bien reproduire : il se prononçait de différentes manières ; c'était quelque chose comme Garecha ou Sarzirius'.

Stolanus et Emoroun eurent trois filles. Je me souviens des noms d'Ismeria, d'Emerentia, et d'une autre fille née plus tard, qui s'appelait, je crois, Enoué. Ils ne restèrent pas longtemps à Mara, mais allèrent postérieurement à Ephron. Je vis pourtant encore leurs filles Ismeria et Emerentia se marier, d'après les réponses du prophète du mont Horeb. Je ne comprends pas comment il se fait que j'aie si souvent entendu dire qu'Emerentia fut la mère de sainte Anne, car j'ai toujours vu que ce fut Ismeria.

Emerentia épousa un certain Aphras ou Ophras, qui était Lévite. De ce mariage était issue Élisabeth, mère de saint Jean-Baptiste.

Ismeria épousa un certain Eliud. Ils habitaient dans les environs de Nazareth et menaient entièrement la vie des Esséniens mariés. Ils avaient hérité de leurs parents l'esprit de chasteté dans le mariage et de continence. Anne fut un de leurs enfants.

IV
Naissance de sainte Anne. Son mariage. Sa première fille.

Ismeria et Eliud eurent une fille aînée appelée Sobé. Comme celle-ci ne portait pas le signe de la promesse, cela les troubla beaucoup, et ils allèrent consulter de nouveau le prophète du mont Horeb. Archos les exhorta à la prière, au sacrifice, et leur promit qu'ils seraient consolés. Ismeria resta ensuite stérile pendant environ dix-huit ans. Dieu l'ayant bénie de nouveau, je vis qu'elle eut pendant la nuit une révélation : elle vit prés de sa couche un ange traçant une lettre sur le mur. Je crois que c'était une M. Ismeria le dit à son mari, qui avait eu la même vision, et tous deux étant réveillés virent la lettre sur le mur. Trois mois après, elle enfanta sainte Anne, qui vint au monde avec le signe en question sur le creux de l'estomac.

Anne fut amenée à l'école du Temple dans sa cinquième année, ainsi que Marie le fut plus tard. Elle y passa douze ans et revint à dix-sept ans dans la maison paternelle, où elle trouva deux enfants, savoir : une petite soeur cadette appelée Maraha, et un jeune fils de sa soeur aînée Sobé, nommé Eliud.

Un an après, Ismeria eut une maladie mortelle. Sur son lit de mort, elle exhorta tous les siens, et désigna Anne comme devant lui succéder dans le gouvernement de la maison. Elle s'entretint ensuite seule avec Anne, lui dit qu'elle était un vase d'élection, qu'elle devait se marier et demander conseil au prophète du mont Horeb ; après quoi elle mourut.

Le bisaïeul d'Anne était un prophète. Eliud, son père, était de la tribu de Lévi ; sa mère, Ismeria, de celle de Benjamin. Anne était née à Bethléhem. Ses parents allèrent ensuite à Sephoris, situé à quatre lieues de Nazareth : ils avaient là une maison et un bien. Ils avaient aussi des terres dans la belle vallée de Zabulon, à une lieue et demie de Sephoris et à trois de Nazareth. Le père d'Anne, pendant la belle saison, était souvent, avec sa famille, dans la vallée de Zabulon, et il s'y fixa tout à fait après la mort de sa femme ; de là vinrent ses rapports avec les parents de saint Joachim, qui devint le mari de sainte Anne. Le père de Joachim s'appelait Matthat. C'était le second frère de Jacob, père de saint Joseph ; l'autre frère s'appelait Joses. Matthat s'était établi dans la vallée de Zabulon.

Je vis des ancêtres d'Anne, pleins de piété et de ferveur, parmi ceux qui portaient l'Arche d'alliance ; je vis qu'ils recevaient de l'objet sacré qui y était contenu des rayons qui s'étendaient à leur postérité, à sainte Anne et à la sainte vierge Marie. Je les vis dans une grande propriété rurale ; ils avaient beaucoup de bêtes à cornes ; mais ils ne possédaient rien pour eux seuls, ils donnaient tout aux pauvres. J'ai vu Anne dans son enfance ; elle n'avait pas une beauté remarquable, quoiqu'elle fût plus belle que beaucoup d'autres. Elle n'était pas à beaucoup près aussi belle que Marie, mais elle se distinguait par sa simplicité et sa piété naive. Elle avait plusieurs frères et soeurs qui étaient mariés. Pour elle, elle ne voulait pas encore se marier. Ses parents avaient pour elle une tendresse particulière. Elle avait six prétendants à sa main, mais elle les refusait. Comme ses ancêtres, elle alla prendre conseil chez les Esséniens, et il lui fut dit d'épouser Joachim, qu'alors elle ne connaissait pas encore, mais qui la rechercha en mariage lorsque son père Eliud se fut établi dans la vallée de Zabulon, où demeurait Matthat, père de Joachim.

Saint Joseph et Joachim étaient parents, et voici comment : Le grand-père de Joseph descendait de David par Salomon, et s'appelait Mathan. Il avait deux fils, Jacob et Joses. Mathan étant mort, sa veuve prit un second mari appelé Lévi, qui descendait de David par Nathan et elle eut de ce Lévi Matthat, père de Joachim, qui s'appelait aussi Héli.

Joachim et Anne furent mariés dans une bourgade où il n'y avait qu'une petite école. Un seul prêtre était présent. Anne avait alors dix-neuf ans. Ils habitèrent chez Eliud, le père d'Anne. Sa maison dépendait de la ville de Sephoris ; mais elle était à quelque distance, au milieu d'un groupe de maisons, dont elle était la plus grande. Ils vécurent là plusieurs années. Tous les deux avaient quelque chose de distingué dans leur manière d'être ; ils avaient bien l'air tout à fait juif, mais il y avait en eux je ne sais quoi qu'ils ne connaissaient pas eux-mêmes : leur gravite était merveilleuse. Je les ai vus rarement rire, quoique dans les commencements de leur mariage ils ne fussent pas précisément tristes. Leur caractère était tranquille et égal, et dès leur jeunesse ils ressemblaient déjà a de vieilles gens par leur air réfléchi. J'ai vu autrefois de semblables jeunes couples qui avaient l'air très réfléchi et je me disais alors : Ceux-ci sont comme Anne et Joachim.

Les parents avaient de l'aisance : ils possédaient de nombreux troupeaux, de beaux tapis et de beaux ustensiles ; ils avaient plusieurs serviteurs et servantes. Ils étaient pieux, sensibles, bienfaisants, pleins de droiture. Ils divisaient souvent en trois parts leurs troupeaux et tout le reste ; ils donnaient un tiers du bétail au temple, où ils le conduisaient eux-mêmes, et où les serviteurs du temple le recevaient ; ils donnaient le second tiers aux pauvres ou à des parents qui le demandaient, et dont quelques-uns, la plupart du temps, se trouvaient présents en ce moment. Ils gardaient pour eux la dernière part, qui était ordinairement la moindre. Ils vivaient très modestement et donnaient tout ce qu'on leur demandait. Etant enfant, je me suis dit souvent : " il suffit de donner : celui qui donne reçoit le double " ; car je voyais que la portion qu'ils s'étaient réservée allait toujours croissant, et que bientôt tout se trouvait tellement multiplié, qu'ils pouvaient de nouveau faire leur division en trois parts. Ils avaient beaucoup de parents qui se réunissaient chez eux dans toutes les occasions solennelles. Je ne vis pas qu'on y menât grande chère. Je les vis souvent dans le cours de leur vie donner à manger à quelques pauvres, mais je ne vis jamais de festins proprement dits. Quand ils étaient ensemble, je les voyais ordinairement assis par terre en rond ; ils pariaient de Dieu avec un vif sentiment d'espérance. Je vis souvent de méchants hommes de leurs parents qui se montraient pleins de mauvais vouloir et d'irritation lorsque, dans leurs entretiens, ils levaient au ciel des yeux pleins de désir ; mais ils étaient bienveillants pour ces gens si mal disposés, les invitaient chez eux dans toutes les occasions, et leur donnaient double part. Je vis souvent ces personnes exiger grossièrement et brutalement ce que l'excellent couple leur offrait avec affection.

Il y avait des pauvres dans leur famille, et je les vis souvent donner un mouton ou même plusieurs.

Le premier enfant qu'Anne mit au monde dans la maison de son père fut une fille, mais qui n'était pas l'enfant de la promesse. Les signes qui avaient été prédits ne se montrèrent pas à sa naissance, qui se trouva liée à quelques circonstances pénibles. Je vis, par exemple, qu'Anne, pendant sa grossesse, éprouva du chagrin de la part de ses gens. Une de ses servantes avait été séduite par un parent de Joachim. Anne, très troublée de voir ainsi violée la stricte discipline de sa maison, reprocha un peu vivement sa faute à cette fille. Celle-ci prit son malheur trop à coeur et accoucha avant terme d'un enfant mort. Anne fut inconsolable de cet accident ; elle craignit d'en avoir été la cause, et il s'ensuivit qu'elle-même accoucha avant terme ; mais sa fille vécut. Comme cette enfant n'avait pas le signe de la promesse et qu'elle était née prématurément, Anne vit là une punition de Dieu, et fut extrêmement troublée, car elle croyait s'être rendue coupable. Toutefois, les parents accueillirent avec une joie sincère la naissance de l'enfant, qui fut, elle aussi, appelée Marie. C'était une enfant aimable, pieuse et douce. Ses parents l'aimaient beaucoup ; mais il restait en eux quelque trouble et quelque inquiétude, parce qu'ils reconnaissaient qu'elle n'était pas ce fruit béni de leur union qu'ils avaient attendu.

Ils firent longtemps pénitence et vécurent séparés l'un de l'autre. Anne était devenue stérile, ce qu'ils regardaient comme le résultat de leurs fautes, et cela les portait à redoubler leurs bonnes oeuvres Je les vis souvent, chacun de leur côté, faire de ferventes prières, puis vivre à part l'un de l'autre pendant de longs intervalles, donner des aumônes et envoyer des victimes au temple.

V
Joachim et Anne s'établissent à Nazareth. Stérilité de sainte Anne.
Douleur des saints époux.
Leur ardent désir de l'accomplissement de la promesse.


Ils vécurent ainsi sept ans chez Eliud, ce que je pus voir à l'âge du premier enfant, lorsqu'ils se décidèrent à se séparer de leurs parents et à s'établir dans une maison avec quelques terres attenantes, qui leur était venue des parents de Joachim, et qui était située dans les environs de Nazareth. Ils avaient l'intention d'y recommencer à nouveau, dans la solitude, leur vie conjugale, et d'attirer la bénédiction de Dieu sur leur union par une conduite qui pût être plus agréable encore à ses yeux. Je vis prendre cette résolution en famille, et les parents d'Anne faire leurs dispositions pour le nouvel établissement de leurs enfants. Ils partagèrent les troupeaux et mirent de côté, pour le nouveau ménage, des boeufs, des ânes et des montons qui étaient beaucoup plus grands que ne le sont ceux d'ici. On chargea les boeufs et les ânes, qui étaient devant la porte, de provisions, d'ustensiles et d'effets de toute espèce; les bonnes gens s'entendaient très bien à empaqueter tout cela, de même que les bêtes se prêtaient au mieux à le recevoir et à le transporter. Ces gens chargeaient aussi habilement leur bagage sur ces animaux que nous pouvons le faire sur des voitures. Ils avaient de beaux ustensiles ; tous les vases étaient plus élégants qu'aujourd'hui : il semblait que l'ouvrier y eût travaillé avec amour et eût fait chacun d'eux avec une intention différente.

Quand tout fut prêt, les valets et les servantes se mirent en marche et poussèrent devant eux les troupeaux et les bêtes de charge jusqu'à la nouvelle habitation qu'était préparée à cinq ou six lieues de là ; je crois qu'elle venait des parents de Joachim. Anne et Joachim, après avoir pris congé de tous les amis et serviteurs avec toute sorte de remerciements et de recommandations, quittèrent le séjour qu'ils avaient habité jusqu'alors, pleins d'émotions et de pieuses résolutions. La mère d'Anne ne vivait plus, mais je vis pourtant les parents des deux époux les accompagner vers leur nouvelle demeure. Peut-être Eliud s'était-il remarié, ou y avait-il là en plus des parents de Joachim : Marie Héli, la petite fille d'Anne, âgée d'environ six ou sept ans, faisait aussi partie du cortège.

La nouvelle habitation était agréablement située, dans un pays de collines, entremêlé de prairies et d'arbres, à une lieue et demie ou à une forte lieue au couchant de Nazareth : elle était sur une hauteur, entre la vallée voisine de Nazareth et la vallée de Zabulon ; une gorge, que longeait une allée de térébinthes, conduisait de la maison vers Nazareth. Devant la maison était une cour fermée, dont le sol me parut être le roc nu ; elle était entourée d'un mur peu élevé, de quartiers de rochers ou de pierres brutes ; derrière ce mur ou au-dessus, était une haie vive. Sur l'un des côtés de cette cour étaient de petits bâtiments pour loger les gens et pour déposer beaucoup de choses ; il y avait aussi un hangar pour mettre le bétail et les bêtes de somme. Il y avait alentour plusieurs jardins, dans l'un d'eux, près de la maison, s'élevait un grand arbre d'une espèce particulière. Ses branches descendaient à terre, y prenaient racine et poussaient de nouveaux arbres qui faisaient de même, en sorte que tout cela formait un grand massif de verdure.

Quand les voyageurs arrivèrent à la maison, ils trouvèrent chaque chose à sa place et tous les arrangements déjà faits : car les vieux parents avaient envoyé d'avance des gens chargés de tout mettre en ordre. Les valets et les Servantes avaient défait les paquets et placé chaque chose où elle devait être avec autant d'adresse et de soin qu'ils en avaient mis pour charger les bagages, car ils étaient si soigneux et faisaient avec tant de calme et d'intelligence ce qu'ils avaient à faire, qu'on n'avait pas besoin, comme aujourd'hui, de tout leur commander en détail. Tout fut donc bientôt arrangé, et quand les parents eurent installé leurs enfants dans leur nouvelle demeure, ils prirent congé d'Anne et de Joachim, qu'ils embrassèrent et bénirent, et ils reprirent le chemin de leur maison, ramenant avec eux la petite fille d'Anne qui revenait avec ses grands parents. Dans ces sortes de visites et dans les occasions de même nature, je ne voyais jamais ces personnages faire de grands repas : ils se plaçaient en rond, ayant devant eux, sur un tapis, deux petits plats et de petites cruches ; ils ne parlaient la plupart du temps que des choses de Dieu et de leurs saintes espérances.

Je vis alors le saint ménage commencer une vie toute nouvelle. Ils voulaient sacrifier à Dieu tout le passé, et faire comme s'ils se réunissaient pour la première fois ; ils s'efforcèrent, dès lors, par une vie agréable à Dieu, de faire descendre sur eux cette bénédiction qui était le seul objet de leurs ardents désirs. Je les vis tous deux visiter leurs troupeaux et en faire trois parts, comme j'ai dit plus haut que faisaient leurs parents : pour le temple, pour les pauvres et pour eux-mêmes. Ils faisaient conduire au temple ce qu'il y avait de mieux ; les pauvres recevaient un bon tiers ; ils conservaient pour eux la moins bonne part, et ils faisaient ainsi pour tout. Leur maison était assez spacieuse ; ils vivaient et dormaient dans de petites chambres séparées où je les voyais très souvent, chacun de son côté, prier avec une grande ferveur. Je les vis vivre ainsi longtemps ; ils donnaient de grandes aumônes, et chaque fois qu'ils partageaient leurs troupeaux et le reste de leur avoir, tout se multipliait de nouveau rapide. ment. Ils vivaient modestement dans les privations et le renoncement. Je les voyais aussi, lorsqu'ils priaient, mettre des habits de pénitence ; et, plusieurs fois, je vis Joachim visitant ses troupeaux dans des endroits éloignés, et priant Dieu dans la prairie.

Ils persévérèrent dans cette vie austère menée en présence de Dieu, pendant dix-neuf ans après la naissance de leur premier enfant ; ils désiraient ardemment la bénédiction promise, et leur tristesse allait toujours croissant. Je vis des hommes pervers du pays, venir vers eux et les injurier, leur disant : " Qu'ils devaient être des méchants, puisqu'ils ne pouvaient pas avoir d'enfants ; que la petite fille ramenée chez les parents d'Anne n'était pas à eux ; qu'Anne était stérile ; qu'elle avait supposé cet enfant, qu'autrement elle l'aurait avec elle " ; et ainsi de suite. Ces paroles redoublaient l'abattement des pieux époux.

Anne avait la ferme croyance et à certitude intérieure que l'avènement du Messie était proche et qu'elle appartenait à la famille qui devait être selon la chair celle du Sauveur. Elle priait et appelait à grands cris l'accomplissement de la promesse, et continuait, ainsi que Joachim, à tendre vers une pureté de plus en plus parfaite. La honte de sa stérilité l'attristait profondément ; elle pouvait à peine se montrer à la synagogue sans y recevoir quelque affront.

Joachim, quoique petit et maigre, était pourtant robuste. Anne aussi n'était pas grande, et sa complexion était délicate ; le chagrin la consumait à tel point, que ses joues étaient devenues creuses, quoique toujours assez colorées. Ils conduisaient de temps en temps leurs troupeaux au temple ou chez les pauvres, dont ils avaient fait la part, et la portion qu'ils se réservaient allait toujours en diminuant.

VI
Joachim reçoit un affront au temple.


Après que, pendant tant d'années, ils eurent vainement imploré la bénédiction de Dieu sur leur mariage, je vis Joachim faire le projet d'aller de nouveau offrir un sacrifice au temple. Tous deux se préparèrent par des exercices de pénitence ; je les vis la nuit, en habits de pénitents, prier prosternés contre terre ; puis Joachim, au point du jour, se rendit aux pâturages où étaient ses troupeaux, et Anne resta seule. Bientôt après je vis celle-ci envoyer à son époux des colombes, d'autres oiseaux et divers objets dans des cages et des corbeilles, car il voulait offrir tout cela au temple.

Il prit deux ânes, sur le des desquels il mit ces corbeilles ; il en ajouta d'autres, où se trouvaient au nombre de trois, si je ne me trompe, de jolis petits animaux blancs avec de longs cous ; je ne sais plus si c'étaient des agneaux ou des chevreaux. Il avait avec lui une lanterne sur un bâton : c'était comme une calebasse creuse où brillait une lumière. Je le vis arriver avec ses serviteurs et ses bêtes de somme à une belle prairie verdoyante, placée entre Béthanie et Jérusalem, et où je vis plus tard Jésus s'arrêter souvent. Ils montèrent au temple et mirent leurs ânes dans une auberge du temple voisine du marché, où ils logèrent plus tard, lors de la présentation de Marie. Ils portèrent leurs offrandes jusqu'au haut des degrés et passèrent, comme ils firent depuis, par les demeures des serviteurs du temple'. Ici les serviteurs de Joachim se retirèrent après qu'on eut reçu les offrandes.

Joachim entra dans la salle où se trouvait le bassin plein d'eau et où on lavait les victimes ; il se rendit ensuite par un long couloir dans une autre salle, à gauche de l'endroit où étaient l'autel des parfums, la table des pains de proposition et le chandelier à cinq branches. Plusieurs autres personnes, venues pour sacrifier, s'y trouvaient déjà, et Joachim fut soumis à une cruelle épreuve. Je vis un prêtre, appelé Ruben, mépriser ses offrandes ; au lieu de les placer avec les autres dans un endroit apparent, derrière les grilles. à droite de la salle, il les mit tout à fait de côté. Il injuria tout haut le pauvre Joachim, à cause de la stérilité de sa femme, ne le laissa pas approcher, et le relégua dans un coin pour lui faire affront 3.

Je vis alors Joachim quitter le temple, accablé de tristesse, et gagner, en passant par Béthanie, les environs de Machéronte. Il y avait là une maison où se rassemblaient les Esséniens, et où il entra pour chercher des consolations et des conseils. Dans cette maison, et précédemment dans cette qui est près de Bethléhem, a habité le prophète Manahem, qui prédit à Hérode, dans sa jeunesse, qu'il deviendrait roi et commettrait de grands crimes. Joachim se rendit de là au plus éloigné de ses pâturages, près de la montagne d'Hermon ; le chemin qu'il prit passait par le désert de Gaddi, au delà du Jourdain. L'Hermon est une montagne élancée qui, du côté du midi, est toute verdoyante et parsemée de beaux arbres fruitiers, tandis que du côté opposé elle est couverte de neige.

VII
Anne reçoit la promesse de fécondité, et se rend au temple.

Joachim était si triste et si honteux de l'affront reçu au temple, qu'il ne fit pas dire à Anne où il se trouvait ; mais Anne apprit par d'autres personnes qui s'étaient trouvées présentes ce que son mari avait eu à souffrir, et elle en fut affligée au delà de toute expression. Je la vis souvent pleurer la face contre terre, parce qu'elle ne savait pas où était son mari, qui resta caché pendant cinq mois entiers auprès de ses troupeaux de l'Hermon.

Vers la fin de ce temps, Anne eut un redoublement de souffrance par suite de la grossièreté d'une de ses servantes, qui lui reprochait souvent sa triste situation. Un jour, c'était au commencement de la fête des Tabernacles, cette servante demanda à aller ailleurs célébrer cette fête, et Anne le lui refusa. Alors cette fille lui reprocha si vivement sa stérilité et l'abandon de son mari, qui était, selon elle, une punition de Dieu à cause de sa dureté, qu'Anne ne put plus tolérer son séjour chez elle. Elle la renvoya chez ses parents avec des présents, et leur fit dire qu'ils eussent à reprendre leur fille, parce qu'il lui était impossible de la garder plus longtemps.

Quand Anne eut renvoyé sa servante, elle entra tout affligée dans sa chambre et se mit à prier. Le soir, elle jeta sur sa tête un grand drap, dans lequel elle s'enveloppa tout entière, et s'en alla vers le grand arbre déjà mentionné qui était dans sa cour, et qui formait une cabane de feuillage ; elle alluma une lampe qui était suspendue à l'arbre dans une espèce de boite, et lut des prières écrites sur un rouleau. Cet arbre était très grand et on y avait pratiqué des sièges et des berceaux ; ses branches tombaient à terre de l'autre côté du mur, où elles prenaient racine, repoussaient encore pour retomber de nouveau, et ainsi de suite, en sorte qu'elles formaient tonte une série de cabanes de verdure.

Anne, étant sous cet arbre, cria vers Dieu pendant longtemps, le suppliant, puisqu'il lui avait ôté la fécondité, de ne pas tenir en outre éloigné d'elle son pieux époux Joachim. Et voilà qu'un ange du ciel lui apparut : il descendit devant elle comme du haut de l'arbre et lui dit qu'elle devait se consoler, parce que le Seigneur avait exaucé sa prière ; il lui prescrivit de partir le lendemain pour le temple avec deux servantes, et de prendre avec elle des colombes pour le sacrifice. Il ajouta que la prière de Joachim était également exaucée, qu'il se rendrait de son côté au temple avec son offrande, et qu'ils se rencontreraient sous la porte dorée : le sacrifice de Joachim était accepté, tous deux devaient être bénis et elle devait bientôt connaître le nom de son enfant. Il lui dit encore qu'il avait porté à son époux un message semblable, et disparut.

Anne, pleine de joie, rendit grâce au Dieu de miséricorde. Elle rentra alors dans sa maison et prit avec ses servantes les dispositions nécessaires pour pouvoir se mettre en route le lendemain. Je la vis ensuite se coucher pour dormir, après avoir prié.

Quand Anne eut dormi quelque temps, je vis descendre du ciel vers elle un rayon de lumière qui, près de son lit, se transforma en un jeune homme resplendissant. C'était l'ange du Seigneur, qui lui dit qu'elle concevrait un saint enfant. Puis il étendit le bras au-dessus d'elle et écrivit sur le mur de grandes lettres lumineuses : c'était le nom de Marie. L'ange disparut ensuite et se perdit dans la lumière. Anne était pendant ce temps comme dans l'émotion d'un songe joyeux ; elle se releva à demi éveillée sur sa couche, pria avec une grande ferveur et se rendormit sans avoir rien vu bien clairement. Mais, après minuit, elle se réveilla toute joyeuse, comme par l'effet d'une impulsion intérieure, et elle vit l'écriture sur la muraille avec un mélange de crainte et d'allégresse. C'étaient comme des lettres rouges, dorées, lumineuses ; elles étaient grandes et en petit nombre : elle les contempla avec une joie et un attendrissement incroyables, jusqu'au moment où elles disparurent à l'aube naissante. Tout était devenu clair pour elle, et son contentement était tel, qu'elle paraissait toute rajeunie quand elle se leva.

Au moment où la lumière de l'ange vint sur Anne, je vis sous son coeur quelque chose de brillant, et je reconnus dans sa personne la mère choisie, le vase illuminé de la grâce qui s'approchait. Je ne puis exprimer cela qu'en disant que j'ai reconnu en elle un berceau orné, un lit couvert, un tabernacle préparé pour recevoir et conserver dignement une chose sainte. Je vis qu'Anne, par la grâce de Dieu, était préparée à recevoir la bénédiction. Je ne sais comment m'exprimer, mais je reconnus Anne comme le berceau du salut universel pour l'humanité, et en même temps comme un tabernacle d'église ouvert, devant lequel le rideau était retiré. Je reconnus cela aussi naturellement, et toute cette connaissance était à la fois naturelle et céleste. Anne avait alors, à ce que je crois, quarante-trois ans.

Anne se leva, alluma sa lampe, pria et se mit en routa pour Jérusalem avec ses offrandes. Tous ses domestiques étaient, ce matin-là, pleins d'une joie inaccoutumée quoiqu'elle seule eût connaissance de l'apparition de l'ange.

VIII
Joachim, consolé par l'ange,
vient de nouveau sacrifier au temple.

Je vis, dans ce même temps, Joachim, près de ses troupeaux de l'Hermon, adresser à Dieu des prières continuelles. Quand il voyait les jeunes agneaux sauter autour de leurs mères avec des bêlements joyeux, il était tout triste de ne pas avoir d'enfants ; toutefois, il ne parlait pas aux bergers de la cause de sa tristesse. On était au temps de la fête des Tabernacles, et il dressa avec ses bergers des cabanes de feuillage. Comme il faisait sa prière et se désespérait à l'idée d'aller, suivant sa coutume, sacrifier à Jérusalem pour la fête, parce qu'il pensait aux outrages qu'il y avait reçus, je vis l'ange lui apparaître et lui ordonner d'aller au temple et de prendre courage, parce que son sacrifice était accueilli et sa prière exaucée : il devait se réunir à sa femme sous la porte dorée. Je vis alors Joachim, tout joyeux, compter ses troupeaux, – oh ! quel beau et nombreux bétail il avait ! – il les divisa en trois parts ; il garda la moindre pour lui, en envoya une meilleure aux Esséniens, et conduisit la plus belle au temple avec ses serviteurs. Il arriva à Jérusalem le quatrième jour de la fête, et se rendit aussitôt au temple.

Anne arriva ce même jour à Jérusalem et logea près du marché aux poissons, chez des parents de Zacharie. Ce ne fut qu'à la fin de la fête qu'elle rencontra Joachim.

Je vis que, quoique l'offrande de Joachim n'eût pas été acceptée la dernière fois, par suite d'une indication donnée d'en haut, cependant le prêtre, qui, au lieu de le consoler, l'avait si rudement traité, reçut, à cause de cela, un châtiment divin que je ne m'en rappelle plus. Cette fois, les prêtres avaient été avertis d'en haut qu'ils devaient recevoir son offrande, et lorsqu'il fit annoncer son arrivée avec des victimes, j'en vis quelques-uns aller à sa rencontre devant le temple et recevoir ses dons. Le bétail qu'il amenait au temple comme présent n'était pas proprement son sacrifice ; ce qu'il destinait à être sacrifié consistait en deux agneaux, et en trois jolies petites bêtes que je crois être des chevreaux. Je vis aussi que plusieurs hommes qui le connaissaient le félicitaient de ce que son sacrifice était accueilli.

Dans le temple, à cause de la fête, je vis tout ouvert et entouré de guirlandes de fleurs et de fruits : il y avait aussi, dans un endroit, une tente de feuillage élevée sur huit colonnes isolées. Joachim fit donc dans le temple le même chemin que la première fois ; ses victimes furent immolées et brûlées à la place ordinaire : il y eut cependant quelque chose de brûlé dans un autre endroit, je crois que ce fut à la droite du vestibule où était la grande chaire 4. Je vis des prêtres offrir de l'encens dans le sanctuaire ; on alluma aussi des lampes, et il y avait de la lumière sur le chandelier à sept branches, mais ne pas sur les sept branches à la fois. J'ai souvent vu que dans différentes occasions, diverses branches du chandelier étaient allumées.

Cette indication est confirmée par la note suivante. Suivant la tradition juive, même dans l'holocauste, plusieurs parties, notamment le nervus femoris, le nerf de la hanche, qui, dans la lutte de Jacob avec l'ange, fut touché par celui-ci et se dessécha (statim emarcuit, (Genèse, XXXII, 25), n'étaient pas brûlées sur l'autel, mais près de là, vers l'orient, sur ce qu'on appelait le monceau de cendres.

Lorsque la fumée de l'encens s'éleva, je vis comme un rayon de lumière tomber sur le prêtre qui l'offrait dans le sanctuaire, et aussi sur Joachim qui était dans la salle extérieure. Il y eut un temps d'arrêt dans la cérémonie, comme si l'on se fût aperçu d'une intervention surnaturelle. Je vis alors deux prêtres, comme poussés par un ordre divin, aller trouver Joachim dans la salle et le conduire, par des chambres latérales, à l'autel d'or des parfums. Alors le prêtre plaça quelque chose sur l'autel. Je vis cela non pas comme des grains d'encens séparés. mais comme une masse compacte ; et je ne sais plus de quoi elle se composait '. Cette masse se consuma, produisant une grande fumée et répandant un parfum agréable sur l'autel d'or de l'encens, devant le voile de Saint des saints. Je vis alors le prêtre quitter le sanctuaire, où Joachim resta seul.

Pendant que l'encens se consumait, je vis Joachim en extase, agenouillé et les bras étendus. Je vis une forme brillante, un ange paraître près de lui, comme plus tard auprès de Zacharie, après la promesse du Précurseur. Il lui donna un écrit sur lequel je lus, en lettres lumineuses, les trois noms d'Helia, d'Hanna et de Miriam 5, et, près de ce dernier nom, je vis l'image d'une petite arche d'alliance ou d'un tabernacle. Il plaça cet écrit sous ses habits, sur sa poitrine. L'ange lui dit que sa stérilité n'était pas pour lui une honte, mais une gloire, car ce que sa femme allait concevoir devait être le fruit immaculé de la bénédiction de Dieu sur lui, et le couronnement de la bénédiction d'Abraham.

Comme Joachim ne pouvait pas comprendre cela, l'ange le conduisit derrière le rideau, qui était assez éloigné de la grille du Saint des saints pour qu'on pût s'y placer ; je vis l'ange s'approcher de l'Arche d'alliance, et il me sembla qu'il en retirait quelque chose. Je le vis alors présenter à Joachim un globe ou un cercle lumineux et lui ordonner d'y souffler et d'y regarder. Je vis, sous le souffle de Joachim, diverses images se montrer dans le cercle lumineux. Comme son haleine ne l'avait pas terni, l'ange lui dit que la conception d'Anne serait aussi pure que ce globe était resté pur sous son souffle.

Je vis ensuite l'ange élever le globe lumineux, qui resta suspendu en l'air, et j'y vis, comme par une ouverture' une série de tableaux liés ensemble et s'étendant de la chute de l'homme à sa rédemption. Il y avait là tout un monde où les choses naissaient les unes des autres : j'eus connaissance de tout, mais je ne puis plus donner les détails. Au haut, tout au sommet, je vis la très sainte Trinité ; au-dessous, d'un côté le paradis, Adam et Ève, la chute originelle, la promesse de la rédemption, toutes les figures qui l'annonçaient d'avance, Noé, le déluge, l'Arche, la bénédiction donnée à Abraham, la transmission de la bénédiction à son fils Isaac, et d'Isaac à Jacob ; puis, quand elle fut retirée à Jacob par l'ange avec lequel il lutta, comment elle passa à Joseph, en Égypte, et se montra dans lui et sa femme avec un plus haut degré de dignité ; puis comment la chose sainte où reposait la bénédiction, enlevée d'Égypte par Moise avec les reliques de Joseph et d'Asnath, sa femme, devint le Saint des saints de l'Arche d'alliance, le siège du Dieu vivant au milieu de son peuple ; puis je vis le culte et la vie du peuple de Dieu dans leurs rapports avec ce mystère, les dispositions et les combinaisons pour le développement de la race sainte, de la lignée de la sainte Vierge, ainsi que toutes les figures et les symboles de Marie et du Sauveur dans l'histoire et dans les prophètes. Je vis tout cela en tableaux symboliques, dans la circonférence lumineuse, je vis de grandes villes, des tours, des palais, des trônes, des portes, des jardins, des fleurs, et toutes ces images merveilleusement liées entre elles comme par des ponts de lumière : tout cela était comme attaqué et assailli par des bêtes furieuses et d'autres apparitions terribles. Tous ces tableaux faisaient voir comment la race de la sainte Vierge, de même que tout ce qui est saint, avait été conduite par la grâce de Dieu à travers beaucoup de combats et d'assauts. Je me souviens d'avoir vu, à un certain point de cette série de tableaux, un jardin entouré d'une forte haie d'épines, à travers laquelle une quantité de serpents et d'autres bêtes hideuses s'efforçaient en vain de passer. Je vis aussi une forte tour, à l'assaut de laquelle montaient de tous côtés des guerriers qui étaient précipités du haut des remparts. Je vis beaucoup d'images de ce genre qui se rapportaient à l'histoire de la sainte Vierge dans ses ancêtres : les passages et les ponts qui unissaient le tout signifiaient la victoire remportée sur des obstacles et des interruptions apportées à l'oeuvre du salut.

Il semblait qu'une chair sans tache, un sang de toute pureté, avaient été placés par Dieu au milieu de l'humanité, comme dans un fleuve d'eau trouble, et devaient, avec beaucoup de peine et d'efforts, réunir leurs éléments dispersés, pendant que le fleuve tâchait de les attirer à lui et de les ternir ; mais enfin, avec l'aide des grâces innombrables de Dieu et de la coopération fidèle des hommes, cela devait, après bien des obscurcissements et des purifications, subsister dans le fleuve, qui renouvelait sans cesse ses flots, et s'élever enfin hors de ce fleuve, sous la forme de la sainte Vierge, de laquelle est né le Verbe fait chair qui a habité parmi nous.

Parmi les images que je vis dans le globe lumineux, il y en avait beaucoup qui se trouvent mentionnées dans les Litanies de la sainte Vierge ; je les vois, je les comprends, et je les considère avec une profonde vénération quand je récite ces litanies. Ces tableaux se développaient ultérieurement jusqu'à l'accomplissement parfait de l'oeuvre de la miséricorde divine envers l'humanité tombée dans une division et un déchirement infinis : ils allaient du côté du globe lumineux opposé à celui où était le Paradis, aboutir à la Jérusalem céleste', au pied du trône de Dieu. Lorsque j'eus vu tout cela, le globe lumineux, lequel n'était autre chose que la série de tableaux, partant d'un point et y revenant après avoir formé un cercle de lumière, s'évanouit. Je crois que ce fut une révélation qui fut faite à Joachim par les anges, sous forme de vision, et dont j'eus aussi connaissance. Quand je reçois une communication de ce genre, elle m'apparaît toujours dans une circonférence lumineuse.

La vénérable Marie de Jésus, supérieure des Franciscaines d'Agreda, raconte, dans ses visions sur la vie de la sainte Vierge, comment il lui lut expliqué que la nouvelle ou céleste Jérusalem (Apoc., XXII) n'était autre que la sainte Vierge elle-même. voyez la Cité mystique de Dieu, 1ère partie, ch. 17 et 18.-Saint Jean Chrysostome, dans son discours pour la fête de l'Annonciation, fait ainsi parler Dieu à l'ange Gabriel : " va vers la cité vivante dont le Prophète dit : Des choses glorieuses ont été dites de toi, cité de Dieu ". ( Ps. LXXXVI.) Saint Georges, évêque de Nicomédie (septième siècle), dans son discours sur la Présentation de Marie, appelle la sainte Vierge la cité vivante de Dieu. etc. Dans le petit office de la très sainte Vierge, l'antienne du psaume LXXVI est ainsi conçue : Sicut loetantium omnium nostrûm habitatio est in te, sancta Dei genitrix, quoique ce verset, pris dans le sens littéral, s'applique à Jérusalem, etc.

IX
Joachim reçoit la bénédiction de l'Arche d'alliance.

Je vis ensuite l'ange marquer ou oindre le front de Joachim avec le pouce et l'index, puis lui faire manger d'un aliment lumineux et lui faire boire d'un liquide transparent contenu dans une petite coupe brillante qu'il tenait avec deux doigts. Elle était de la forme du calice de la sainte Cène, mais n'avait pas de pied. Il me sembla qu'il lui entrait alors dans la bouche comme un petit épi de blé et une petite grappe de raisin lumineux, et je connus par là que la concupiscence et l'impureté, suite du péché, étaient sorties de lui.

Je vis ensuite l'ange communiquer à Joachim le plus haut degré et comme la plus sainte fleur de cette bénédiction que Dieu avait communiquée a Abraham. et qui plus tard était devenue l'objet le plus sacré de l'Arche d'alliance. Il donna cette bénédiction à Joachim de la même manière que dans une autre occasion j'avais vu Abraham la recevoir d'un ange, mais avec cette différence que pour Abraham l'ange avait semblé tirer la bénédiction de lui-même, comme de son sein, tandis que pour Joachim, il la prit dans le Saint des saints 6.

Lors de la bénédiction d'Abraham, ce fut comme si Dieu mettait en lui la grâce de cette bénédiction, et bénissait par elle le père de son peuple futur, afin que les pierres dont son temple devait être bâti sortissent de lui ; mais lorsque Joachim la reçut, ce fut comme si l'ange tirait du tabernacle de ce temple le symbole sacré de la bénédiction et le donnait à un prêtre, pour faire de lui le vase saint dans lequel le Verbe devait être fait chair.

Il me fut révélé que Joachim, avec cette bénédiction, reçut le fruit définitif et l'accomplissement proprement dit de la promesse faite à Abraham, la bénédiction dont devait résulter la conception immaculée de la très sainte Vierge, destinée à écraser la tête du serpent.

L'ange reconduisit ensuite Joachim dans le sanctuaire et disparut. Joachim, ravi en extase, tomba sans connaissance. Les prêtres, en rentrant, le trouvèrent là, je visage rayonnant de joie. Ils le relevèrent avec respect, et le portèrent sur un siège où d'ordinaire les prêtres seuls s'asseyaient. Ils lui lavèrent là je visage, lui tinrent sous le nez quelque chose qui répandait une odeur fortifiante, lui donnèrent à boire, et firent pour lui ce qu'on fait pour quelqu'un qui a perdu connaissance. Quand Joachim fut revenu à lui, il parut lumineux, plein de force et comme rajeuni.

X
Joachim et Anne se rencontrent sous la porte dorée

Joachim avait été conduit dans le sanctuaire par suite l'un avertissement d'en haut. Il fut conduit par suite d'une inspiration semblable dans un passage consacré qui conduisait sous le temple et sous la porte dorée. Il m'a été communiqué quelque chose sur la signification et l'origine de ce passage, et aussi sur sa destination, mais je ne puis plus le rapporter clairement. Je crois que l'usage de ce passage se rattachait à une cérémonie religieuse qui avait lieu pour la réconciliation et la bénédiction des personnes stériles. On était conduit par ce chemin, dans certaines circonstances, pour des purifications, des expiations, des absolutions et autres choses de ce genre.

Les prêtres conduisirent Joachim à ce passage par une petite porte voisine de la cour où l'on immolait les victimes ; après quoi ils s'en retournèrent. Joachim continua à Suive ce chemin, qui allait en descendant.

Anne était aussi venue au temple avec sa servante, qui portait les colombes du sacrifice dans des corbeilles à jour. Elle avait remis son offrande et fait connaître à un prêtre que l'ange lui avait ordonné d'aller trouver son mari sous la porte dorée. Je vis alors que les prêtres, en compagnie de femmes respectables, parmi lesquelles se trouvait, je crois, la prophétesse Anne, la conduisirent a une autre entrée du passage consacré, où ils la laissèrent seule.

Je vis la manière merveilleuse dont était disposé ce passage. Joachim entra par une petite porte après laquelle on allait en descendant. Le passage était d'abord étroit, puis il s'élargissait. Les murs brillaient d'un reflet doré et vert ; une lumière rougeâtre y entrait par en haut. J'y vis le belles colonnes semblables à des arbres et à des ceps de vigne ornés de guirlandes.

Quand Joachim fut arrivé au tiers à peu près de la longueur du passage, il s'arrêta à un endroit où s'élevait une colonne faite comme un palmier, avec ses branches pendantes et ses fruits ; ce fut là qu'Anne, toute rayonnante de joie, vint à sa rencontre. Ils s'embrassèrent dans un mouvement de sainte allégresse et se communiquèrent leur bonheur. Ils étaient ravis en extase et entourés d'une nuée brillante. Je vis cette lumière partir d'une troupe d'anges, qui, portant comme une haute tour lumineuse, planaient sur Anne et Joachim. Cette tour était faite comme la tour de David, la tour d'ivoire, etc., que je vois à l'occasion des Litanies de la sainte Vierge. Elle sembla disparaître entre Anne et Joachim, et une gloire lumineuse les entoura.

Je reconnus alors que, par l'effet d'une grâce toute particulière de Dieu, la conception de Marie avait été aussi pure que l'aurait été toute conception sans le péché originel. J'eus en même temps une intuition que je ne puis rendre. Le ciel s'ouvrit au-dessus d'eux ; je vis la joie de la sainte Trinité et des anges et la part qu'ils prenaient à la bénédiction mystérieuse accordée aux parents de Marie.

Anne et Joachim marchèrent en louant Dieu jusqu'à la sortie sous la porte dorée. Le chemin, à son extrémité, allait en remontant. Ils passèrent sous une grande et belle arcade, et se trouvèrent dans une espèce de chapelle où étaient plusieurs flambeaux allumés. Ils furent reçus là par des prêtres, qui les conduisirent dehors.

La partie du temple où était la salle du grand conseil se trouvait au-dessus du passage souterrain, un peu au delà du milieu ; au dessus de son extrémité étaient, je crois, des logements pour les prêtres chargés du soin des vêtements sacerdotaux.

Joachim et Anne arrivèrent à une espèce d'échancrure au bord extrême de la montagne du temple, vis-à-vis de la vallée de Josaphat. On ne pouvait pas aller plus loin dans cette direction ; le chemin tournait à droite ou à gauche' ils firent encore une visite dans la maison d'un prêtre ; puis je les vis avec leurs gens reprendre le chemin de leur demeure. Arrivé a Nazareth, Joachim fit un festin de réjouissance, donna à manger à beaucoup de pauvres et répandit de grandes aumônes. Je vis la joie, la ferveur des deux époux. leur reconnaissance envers Dieu en pensant à sa miséricorde envers eux ; je les vis souvent prier ensemble les yeux baignés de larmes.

Il me fut expliqué, à cette occasion, que les parents de la sainte Vierge l'engendrèrent dans une pureté parfaite et par l'effet de la sainte obéissance. Si ce n'eût été pour obéir à Dieu, ils auraient gardé perpétuellement la continence. J'appris en même temps comment la pureté, la chasteté, la retenue des parents et leur lutte contre le vice impur ont une influence incalculable sur la sainteté des enfants qu'ils engendrent. En général, je vis toujours dans l'incontinence et l'excès la racine du désordre et du péché.

XI
Restauration de l'humanité montrée aux anges.

Ici viennent diverses visions de la soeur Emmerich, qu'elle communiqua à diverses époques lors de ses méditations annuelles pendant l'octave de la Conception de la sainte Vierge. Elles ne présentent pas une série continue sur la vie de Marie, mais elles jettent partout une lumière particulière sur l'élection et la préparation de ce vase de la grâce. Comme elle les a racontées au milieu de beaucoup de troubles et de souffrances, on ne sera pas étonné qu'elles paraissent sous forme de fragments 7.

Je vis un tableau merveilleux : c'était Dieu qui, après a chute de l'homme, montrait aux anges comment il roulait régénérer le genre humain. A la première vue, je ne compris pas ce tableau, mais bientôt il devint clair pour moi.

Je vis le trône de Dieu. la très sainte Trinité et comme un mouvement en Elle. Je vis les neuf choeurs des anges auxquels Dieu annonçait de quelle manière il voulait régénérer l'humanité déchue. Je vis, à cette annonce , une jubilation indicible parmi les anges.

Le développement des desseins de miséricorde de Dieu sur l'homme me fut montré dans divers tableaux symboliques. Je vis ces tableaux apparaître au milieu des neuf choeurs angéliques et se suivre comme une sorte d'histoire. Je vis les anges coopérer à ces tableaux, les protéger et les défendre. Je ne puis plus en rapporter la suite avec certitude ; je dirai avec l'aide de Dieu ce que j'en ai retenu.

Je vis devant le trône de Dieu une montagne comme de pierres précieuses : elle croissait et s'étendait sans cesse ; elle avait des degrés et ressemblait à un trône, puis elle prenait la figure d'une tour. Sous cette forme, elle renfermait dans son enceinte tous les trésors spirituels, tous les dons de la grâce. Les neuf choeurs des anges l'environnaient. Je vis à l'un des côtés de cette tour, comme sur un petit rebord formé par une nuée dorée, paraître des ceps de vigne et des épis de blé, qui s'entrelaçaient comme les doigts de deux mains jointes. Je ne pourrais pas bien déterminer à quel moment de la vision prise dans son ensemble, j'ai vu cela.

Je vis apparaître, dans le ciel, une figure semblable une vierge. qui entra dans la tour et se fondit pour ainsi dire avec elle. La tour était très large et aplanie par en haut ; il me sembla qu'il y avait par derrière une ouverture par laquelle entra la Sainte Vierge Marie dans le temps, c'était elle dans l'éternité en Dieu'. Je vis son apparition se produire devant la sainte Trinité de la même manière que l'haleine se condense devant la bouche en une petite vapeur 8. Je vis aussi une apparition sortir de la sainte Trinité vers la tour. Dans ce moment, je vis au milieu des choeurs des anges paraître comme un tabernacle du saint Sacrement. Les anges semblaient tous y travailler, et il avait la forme d'une tour entourée d'images symboliques de toute espèce. Il y avait à côté deux figures qui se tendaient la main derrière lui. Ce vase spirituel paraissait s'accroître continuellement et devenait toujours plus magnifique et plus riche.

Je vis alors quelque chose sortir de Dieu et passer à travers les neuf choeurs des anges ; cela me parut semblable à une nuée lumineuse qui devenait de plus en plus distincte à mesure qu'elle approchait de ce tabernacle de sainteté dans lequel enfin elle entra.

Autant que je puis le comprendre, c'était une bénédiction substantielle de Dieu qui se rapportait à la continuité d'une lignée pure et sans péché et pour ainsi dire à la production de rejetons purs. Je vis enfin cette bénédiction, sous la forme d'une fève brillante. entrer dans le tabernacle, après quoi celui-ci se perdit lui-même dans la tour.

Voyez le capitule des vêpres de l'office de la très sainte Vierge, tiré de l'Ecclésiastique, XXIV : Ab initio et ante secula crenta sum, et jusque ad futurum secuium non desinam.

Comparez le texte consacré par l'application que l'Église en fait depuis longtemps à Marie : Ego ex ore Altissimi prodivi primogenita ante omnem creaturam ; ego feci in coelis ut oriretur lumen indeficiens. Thronus meus in columna nubis, etc. Eccli., XXIV, 7.

Je vis les anges jouer un rôle actif dans une partie de ces apparitions. Une série de tableaux s'éleva aussi de l'abîme ; c'étaient comme des images d'illusion et de mensonge : je vis les anges agir contre elles et les faire disparaître. J'ai vu et oublié beaucoup de choses de ce genre.

Il y avait dans tous ces tableaux une merveilleuse liaison ; l'ensemble de cette vision était singulièrement riche et significatif. Même les apparitions ennemies, fausses, mauvaises, de tours, de calices, d'églises qui étaient rejetées de côté, devaient servir au développement de l'oeuvre du salut.

Pendant ces récits, elle revenait toujours sur l'inexprimable joie des anges. L'ensemble de ces fragments n'a pas de conclusion proprement dite : cela semble une série de tableaux symboliques relatifs à l'histoire de la rédemption. Elle disait à ce sujet : " J'ai vu d'abord les représentations figuratives de l'oeuvre de la rédemption au milieu des neuf choeurs des anges, et ensuite une série de tableaux depuis Adam jusqu'à la captivité de Babylone ".

XII
Elie voit une image figurative de la sainte Vierge.

Je vis toute la terre promise privée de pluie, desséchée et languissante, et je vis Élie monter au mont Carmel avec deux serviteurs, pour demander de la pluie à Dieu. Ils montèrent d'abord sur un haut escarpement, puis, par des degrés grossièrement taillés dans le roc, jusqu'à une terrasse, puis encore de nouveaux degrés, et ils arrivèrent enfin à une plate-forme assez grande, sur laquelle était un monticule de rochers où se trouvait une grotte. Elie monta jusqu'au haut de ce monticule. Il laissa ses serviteurs au bord de la plate-forme, et ordonna à l'un d'entre eux de regarder la mer de Galilée. Celui-ci parut tout consterné à cette vue, car le lac était entièrement desséché, plein de trous et d'excavations, couvert de vase et d'animaux pourris.

Elie s'accroupit, mit sa tête entre ses genoux, se voila, pria avec ardeur vers Dieu, et sept fois de suite il demanda à haute voix à son serviteur s'il ne voyait pas une nuée monter de la mer. A la septième fois, je vis le nuage monter, et quand le serviteur l'annonça au prophète, celui-ci l'envoya au roi Achab.

Je vis, au milieu de la mer, se former comme un tourbillon de couleur blanche, duquel sortait un petit nuage noir, qui se déploya et s'étendit. Dans ce petit nuage je vis, dès le commencement, une petite figure brillante, semblable à une vierge ; je vis aussi Élie l'apercevoir dans la nuée qui s'élargissait. La tête de cette vierge était entourée de rayons ; elle étendait ses bras en croix, et tenait à l'une de ses mains comme une couronne de victoire. Son long vêtement était comme attaché sous ses pieds. Elle parut dans le nuage qui grandissait, et sembla s'étendre sur toute la terre promise.

Je vis ce nuage se diviser ; en certains endroits sainte et sanctifiés, et là où habitaient des hommes pieux et aspirant au salut, il laissait comme de blancs tourbillons de rosée Ces tourbillons avaient sur leurs bords toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, et je vis au milieu la bénédiction se concentrer comme pour former une perle dans sa coquille. Il me fut expliqué que c'était une figure prophétique, et que dans les lieux bénis ou le nuage avait laissé ces tourbillons, il y eut réellement coopération à la manifestation de la sainte Vierge 9.

Je vis ensuite un songe prophétique où, pendant l'ascension de la nue, Élie apprit plusieurs mystères relatifs à la sainte Vierge ; malheureusement, au milieu de tant de choses qui nie troublent et me distraient' j'en ai oublié le détail exact, ainsi que bien d'autres choses. Élie connut, entre autres choses, que Marie devait naître dans le septième âge du monde ; c'est pour cela qu'il appela sept fois son serviteur. Il vit aussi de quelle race elle sortirait.

Je vis une autre fois Élie élargir la grotte au-dessus de laquelle il avait prié, et établir une organisation plus régulière parmi les enfants des prophètes : quelques-uns de ceux-ci priaient habituellement dans Cette grotte pour demander la venue de la sainte Vierge, et l'honoraient déjà avant sa naissance. Je Vis que cette dévotion à la sainte Vierge se perpétua sans interruption, qu'elle subsistait encore, grâce aux Esséniens, quand Marie était déjà sur la terre, et que plus tard elle continua à être pratiquée par des ermites, desquels sortirent enfin les religieux du Carmel.

XIII
Éclaircissements sur la précédente vision d'Élie.

Quand la narratrice communiqua plus tard ses contemplations sur l'époque de saint Jean-Baptiste, elle vit de nouveau la vision relative à Elie, avec quelques détails sur l'état où se trouvaient alors le pays et ses habitants. Nous donnons ce qui suit comme pouvant éclaircir ce qui a été dit précédemment.

Je vis un grand mouvement à Jérusalem, près du temple ; c'étaient des gens qui délibéraient, qui écrivaient avec des plumes de roseau, qui envoyaient des messagers dans le pays. On priait, on invoquait Dieu pour avoir de la pluie ; on faisait chercher Elie partout. Je vis aussi Élie dans le désert, nourri et désaltéré par un ange. Je vis tous les rapports du prophète avec Achab, le sacrifice sur le Carmel, la mort des prêtres des idoles, sa prière pour la pluie et l'arrivée des nuages.

Je vis, outre la sécheresse de la terre, une grande stérilité chez les hommes et un certain abâtardissement. Je vis qu'Élie appela par sa prière la bénédiction qui produisit la nuée, et qu'il dirigeait et répartissait les nuages et la pluie d'après des intuitions intérieures, sans quoi il y aurait eu peut-être une inondation destructive. Il demanda sept fois à son serviteur s'il voyait la nuée : cela fait allusion à sept âges du monde et à sept générations qui devaient s'écouler jusqu'au temps où la bénédiction véritable, dont cette nuée de bénédiction n'était que la figure, prendrait fortement racine dans Israel ; il vit même dans la nuée qui s'élevait une image de la sainte Vierge et connut plusieurs mystères qui se rapportaient à sa généalogie et à sa venue 10.

Je vis, par l'effet de la prière d'Élie, la bénédiction descendre d'abord sous forme de rosée.- La nuée s'abaissait ; il s'en détachait des flocons blancs, lesquels formaient des tourbillons dont les bords étaient de la couleur de l'arc-en-ciel, et se résolvaient enfin en gouttes d'eau qui tombaient sur la terre. Je reconnus aussi là quelque chose qui se rapportait à la manne du désert ; mais la manne, le matin, était par terre, compacte et cassante, et on pouvait l'empaqueter. Je vis ces tourbillons de rosée aller le long du Jourdain et s'arrêter, non pas partout, mais ça et là à certaines places. Je vis spécialement à Ainon, en face de Salem, et à l'endroit où eut lieu plus tard le baptême de Notre Seigneur, descendre de ces tourbillons brillants. Je demandai aussi ce que signifiaient leurs bords aux couleurs varices, et cela me fut expliqué par l'exemple d'une coquille marine, qui a aussi des rebords aux couleurs brillantes, et qui, s'exposant au soleil, attire à elle la lumière et la dégage des couleurs, jusqu'à ce qu'au milieu d'elle naisse la perle dans toute sa pureté et sa blancheur. Il me fut montré que cette rosée et la pluie qui lui succédait étaient quelque chose de plus que ce qu'on entend ordinairement par un rafraîchissement de la terre.

J'eus la perception distincte que sans cette rosée la venue de la sainte Vierge aurait été différée d'au moins un siècle, tandis que, par suite de l'amélioration et de la bénédiction de la terre, les races qui vivent de ses fruits furent aussi restaurées et ranimées, et la chair recevant la bénédiction s'ennoblit.

Je vis aussi comment alors la terre et la chair étaient altérées et aspiraient après la pluie, comme plus tard les hommes et l'esprit aspiraient au baptême de Jean. Tout ce tableau représentait à l'avance l'avènement de la sainte Vierge, et en outre l'état du peuple à l'époque de saint Jean-Baptiste. Leur anxiété d'alors, leur ardeur languissante, leur désir de la pluie et d'Élie, et pourtant la persécution de celui-ci, rappelaient l'ardeur avec laquelle, plus tard, le peuple cherchait le baptême et la pénitence, et aussi l'aveuglement de la synagogue et l'envoi de ses ambassadeurs auprès de Jean.

XIV
Figure prophétique de la Sainte Vierge en Égypte.


Je vis en Égypte ce message de salut apporté de la manière suivante : je vis qu'Élie devait faire rassembler de trois contrées, à l'Orient, au Nord et au Midi, de pieuses familles dispersées, et qu'il chargea de cette mission trois disciples des prophètes. Il ne les envoya qu'après avoir reconnu par un signe demandé à Dieu quels étaient ceux qui convenaient pour cela, car c'était une tâche périlleuse, et il fallait choisir des messagers intelligents, afin qu'ils ne fussent pas mis à mort. L'un d'eux alla vers le Nord, l'autre vers l'Orient, le troisième vers le Midi. Celui-ci avait à faire un long voyage à travers l'Egypte, où les Israélites avaient des risques particuliers à courir. Ce messager suivit le chemin que la sainte Famille prit lors de sa fuite en Egypte ; je crois aussi qu'il passa dans le voisinage de la ville d'On, où l'enfant Jésus se réfugia. Je le vis, dans une grande plaine, arriver près d'un temple d'idoles, qui était dans une prairie, et entouré de diverses autres idoles. On adorait là un taureau vivant. Il y avait dans le temple une figure de taureau et plusieurs autres idoles. On faisait là d'horribles sacrifices et on immolait des enfants mal conformés.

Les habitants du pays saisirent le disciple des prophètes et le conduisirent devant leurs prêtres. Heureusement ils étaient très curieux, sans cela ils l'auraient égorgé. Ils lui demandèrent d'où il était et ce qui l'amenait chez eux. Il leur dit sans hésiter qu'il devait naître une vierge de laquelle sortirait le salut du monde, et qu'alors ils briseraient toutes leurs idoles 11.

Saint Epiphane, dans son livre sur la Vie des Prophètes, dit de Jérémie : "Ce prophète donna un signe aux prêtres égyptienne, et Leur annonça que toutes leurs idoles tomberaient en morceaux quand une Vierge mère, avec son enfant divin, entrerait en Egypte. Et cela arriva ainsi ; c'est pourquoi, encore aujourd'hui, ils adorent une Vierge mère et un enfant couché dans une crèche. Quand le roi Ptolémée leur en demanda la cause, ils répondirent : " C'est un mystère que nous avons reçu de nos pères, auxquels il a été annoncé par un saint prophète' et nous en attendons l'accomplissement ". (Epiphan., t. II, p. 240.) Toutefois le disciple d'Elie, mentionné plus haut, ne peut pas être Jérémie, puisque celui-ci vécut trois siècles plus tard.

Un archéologue a communiqué à l'écrivain un dessin fait d'après une antique statue égyptienne, qui est censée représenter Isis, et qui correspond de tout point à la description donnée par la soeur de cette singulière figure.

Le bas du corps était enveloppé d'un long vêtement ; les pieds étaient petits et effilés ; des espèces de houppes y pendaient. Aux deux épaules étaient attachées des espèces d'ailes comme de belles plumes en forme de rayons. Ces ailes étaient comme deux peignes de plumes jointes les unes aux autres. Des plumes croisées couraient le long des hanches et se repliaient par-dessus le milieu du corps. La robe n'avait pas de plis.

Ils honorèrent cette image et lui offrirent des sacrifices, la priant de vouloir bien ne pas briser leur dieu Apis et leurs autres dieux. Du reste, ils persévérèrent comme auparavant dans toutes les abominations de leur culte idolâtrique ; seulement, à dater de ce temps, ils invoquèrent par avance cette vierge, dont ils avaient composé l'image, à ce que je pense, d'après diverses indications tirées du récit du prophète et en essayant de reproduire la figure vue par Élie.

Je vis aussi comment, à cette époque, par un effet de la grande miséricorde de Dieu, il fut annoncé à de pieux paiens que le Messie naîtrait d'une vierge dans la Judée. Les ancêtres des trois rois mages, les Chaldéens, adorateurs des astres, reçurent cette connaissance au moyen de l'apparition d'une image dans une étoile ou dans le ciel. Ils prédirent l'avenir à ce sujet. J'ai vu les traces de ces annonces prophétiques de la sainte Vierge dans les représentations figurées qui ornaient leurs temples. J'en ai parlé ailleurs.

XV
L'arbre généalogique du Messie.

Je vis la souche du Messie, à partir de David, se diviser en deux branches. A droite courait la ligne qui commençait par Salomon et finissait par Jacob, le père de saint Joseph. Je vis les figures de tous les ancêtres de saint Joseph mentionnés dans l'Évangile, sur les branches de ce rejeton de la souche de David par Salomon. Cette ligne généalogique, placée à droite, avait une signification supérieure : les figures étaient plus grandes, et en quelque sorte plus immatérielles que celles de la ligne de gauche. Chacune tenait à la main une tige longue à peu près d'une coudée, avec des feuilles pendantes semblables à celles de palmier ; au sommet de cette tige fleurissait la grande campanule en forme de lis, avec cinq étamines jaunes par en haut, qui répandaient une belle poussière. Ces fleurs différaient en grandeur, en vertu et en beauté. La fleur que portait saint Joseph, le père nourricier de Jésus, était la plus remarquable de toutes par sa beauté et la fraîcheur de ses feuilles. Trois membres de cette lignée, vers le milieu, avaient été rejetés ; ils étaient noircis et flétris. Il y avait plus d'une lacune dans cette ligne venant de Salomon, où les rejetons étaient très éloignés les uns des autres. La branche de droite et celle de gauche se touchaient quelquefois, et peu de degrés avant la fin elles se croisaient réciproquement. J'eus une explication sur la signification plus relevée de la ligne de Salomon. Elle provenait plus de l'esprit, moins de la chair. Elle avait quelque chose de la signification de Salomon lui-même. Je ne puis pas bien exprimer cela.

La ligne généalogique de gauche allait de David, par Nathan, jusqu'à Héli, qui est le vrai nom de Joachim, le père de Marie ; car il reçut plus tard ce dernier nom, de même qu'Abraham, qui s'était appelé d'abord Abram J'ai oublié la cause de ce changement ; mais je la retrouverai peut-être. Dans mes contemplations, j'entendis souvent nommer Jésus le fils d'Héli, selon la chair 12.

XVI
Tableau de la fête de la conception de Marie.

(Raconté la 8 décembre 1819.)

Après avoir passé toute la nuit, jusqu'au matin, à contempler, dans une effrayante Vision, les péchés du monde entier, je m'endormis de nouveau et me trouvai transportée à Jérusalem, à l'endroit où avait été le temple, puis ensuite dans les environs de Nazareth, au lieu où s'était trouvée autrefois la maison d'Anne et de Joachim.

Je reconnus bien le pays.

Je vis là une belle colonne de lumière s'élever de terre comme la tige d'une fleur ; de même que le calice de la fleur ou la tête d'un pavot sortent d'un pédoncule, cette colonne portait une église octogone toute lumineuse'. La colonne montait jusque dans le centre de l'église comme un petit arbre dont les branches, régulièrement partagées, portaient des figures de la famille de la sainte Vierge, lesquelles étaient, dans cette représentation de la fête, l'objet d'une vénération particulière. Elles étaient comme sur les étamines d'une fleur. C'était sainte Anne, entre saint Joachim et un autre homme, peut-être son père Sous la poitrine de sainte Anne, je vis une cavité lumineuse à peu près de la forme d'un calice, et, dans cette cavité, la figure d'un enfant resplendissant qui se développait et grandissait ; ses petites mains étaient croisées sur sa poitrine ; sa petite tête était inclinée, et il en partait une infinité de rayons qui se dirigeaient vers une partie du monde. Il me semble que ce n'était pas dans toutes les directions. Sur d'autres rameaux environnants étaient plusieurs figures tournées vers le centre, dans une attitude respectueuse et, dans l'église, je vis un nombre infini de saints rangés tout autour, ou formant des choeurs, se tourner en priant vers cette sainte Mère.

La soeur voyait toutes les fêtes de l'Eglise, et celles mêmes qui ne sont plus célébrées sur la terre dans l'Église militante, célébrée dans l'Eglise triomphante. Elle voyait tous les saints qui avaient une relation particulière avec la fête en faire la solennité dans une église transparente qui était la plupart du temps de forme octogone. cette église lui apparaissait ordinairement planant en l'air. Il est digne de remarque que, dans les fêtes qui avaient rapport aux parents de Jésus-Christ suivant la chair ou Au : mystères de sa vie, elle ne voyait pas cette église suspendue en l'air, mais, de même qu'une fleur ou un fruit, placée sur une tige sortant de la terre comme sur une colonne et paraissant avoir poussé sur cette tige.

La plus douce ferveur et l'union la plus intime se manifestaient dans cette fête. On ne pourrait comparer le spectacle qu'elle offrait qu'à celui d'un champ de fleurs très variées qui, agitées par un vent léger, se tournent vers le soleil, comme pour lui offrir leurs parfums et leurs couleurs, vers ce soleil duquel toutes les fleurs ont reçu ces dons eux-mêmes, et jusqu'à leur vie.

Au-dessus de ce tableau symbolique de la fête de l'Immaculée Conception, s'éleva le petit arbre lumineux avec un nouveau rejeton à son extrémité, et je vis dans cette seconde couronne de branches célébrer un moment postérieur de la fête. Ici, Marie et Joseph étaient agenouillés, et, un peu plus bas, devant eux, sainte Anne. Ils adoraient l'enfant Jésus, qui, le globe impérial en main était assis au-dessus d'eux, au sommet de la tige, environné d'un éclat incomparable. Autour de cette représentation, les choeurs des rois mages, des bergers, des apôtres et des disciples étaient en adoration à très peu de distance, tandis que d'autres saints formaient des cercles moins rapprochés. Ensuite, je vis en haut, au milieu d'une grande lumière, des formes plus indistinctes de puissances célestes ; plus haut encore, comme un demi soleil rayonner à travers la coupole de l'église. Ce second tableau semblait faire allusion à la proximité de la fête de Noël, qui vient peu après celle de la Conception.

Lors de la première apparition du tableau, il me sembla que j'étais hors de l'église, sous la colonne, dans le pays environnant ; plus tard, j'étais dans l'intérieur de l'église que j'ai décrite. Je vis aussi la petite Marie se développer dans l'espace lumineux qui était sous le coeur de sainte Anne ; je me sentis en même temps convaincue, à un degré inexprimable, de l'absence de la tache originelle dans la conception de Marie. Je lus cela distinctement comme dans un livre, et je le compris. Il me fut dit qu'autrefois, il y avait eu dans ce lieu une église érigée en mémoire de cette grâce inestimable accordée par Dieu ; mais qu'ayant été l'occasion de luttes peu convenables sur ce saint mystère, elle avait été livrée à la destruction ; que toutefois l'église triomphante faisait toujours dans cet endroit la fête de l'Immaculée Conception.

XVII
La sainte Vierge parle des mystères de sa vie.

Pendant ses contemplations sur les années de prédication de Notre Seigneur Jésus-Christ, la soeur raconta ce qui suit, le 26 décembre 1822 :

J'entends souvent la sainte Vierge raconter à des femmes qui ont sa confiance, par exemple, à Jeanne Chusa et à Suzanne de Jérusalem, divers mystères relatifs à Notre Seigneur et à elle-même, qu'elle a connus, soit par une illumination intérieure, soit par ce que lui en a dit sainte Anne. Ainsi, je l'ai souvent entendue raconter à Suzanne et à Marthe que, pendant qu'elle portait Notre seigneur dans son sein, elle n'avait jamais ressenti la moindre souffrance, mais une joie intérieure continuelle et un bonheur infini. Elle leur racontait aussi que Joachim et Anne s'étaient rencontrés sous la porte dorée à une heure dorée aussi ; qu'en ce lieu leur avait été départie cette plénitude de la grâce divine, en vertu de laquelle elle seule avait reçu l'existence dans le sein de sa mère par l'effet de la sainte obéissance et du pur amour de Dieu, sans aucun mélange d'impureté. Elle leur fit connaître aussi que, sans la chute originelle. La conception de tous les hommes aurait été également pure.

Je vis ensuite de nouveau tout ce qui concernait la grâce accordée aux parents de Marie, depuis l'apparition de l'ange à Anne et à Joachim, jusqu'à leur rencontre sous la porte dorée, de la manière que je l'ai toujours raconté. Sous la porte dorée, c'est-à-dire dans la salle souterraine qui était sous cette porte, je vis Joachim et Anne entourés d'une multitude d'anges qui brillaient d'une lumière céleste ; eux-mêmes resplendissaient, et ils étaient purs comme des esprits, se trouvant dans un état surnaturel où aucun couple humain n'avait été avant eux.

C'était, je crois, sous la porte dorée elle-même, que s'accomplissaient les épreuves et les cérémonies de l'absolution pour les femmes accusées d'adultère, ainsi que d'autres expiations.

Il y avait cinq passages souterrains de ce genre au-dessous du temple ; il y en avait aussi un sous l'endroit où demeuraient les vierges. On y était conduit pour certaines expiations déterminées '. Je ne sais pas si d'autres avant Joachim et Anne passèrent par ce chemin, mais, dans tous les cas, je crois que ce fut un cas très rare. Je ne me souviens pas bien non plus si c'était lu coutume lors des sacrifices offerts par des personnes stériles. Dans cette circonstance, il fut ordonné aux prêtres de régler ainsi les choses.

La soeur Emmerich est d'accord en ceci avec ce que disent les plus anciens livres juifs. (voyez, par exemple, Mischna. Tract. Tamid., c. v, et Sotah., c.I)

Il est bon de considérer qu'à cet endroit même du temple, au-dessus duquel les femmes accusées d'adultère étaient soumises au jugement de Dieu au moyen du breuvage amer appelé l'eau de jalousie (Num., V). puis punies ou justifiées, à cet endroit, disons-nous, où les impurs étaient purifiés, furent données la grâce et la bénédiction pour la Conception sans tache de la Mère de Jésus-Christ, dans l'union duquel avec l'Eglise le mariage est un grand sacrement (Eph., V, 32), et qui s'est offert en sacrifice expiatoire pour expier l'adultère de l'humanité d'avec son Dieu, et devenir le fiancé des âmes rachetées par lui.

XVIII
Célébration de la fête de la Conception en divers lieux.
Introduction. Détails personnels.

Le 8 décembre 1820, fête de l'1mmaculée conception de Marie, l'âme de la soeur, pendant le cours de ses contemplations et de ses prières, se trouva comme transportée à travers une grande partie de la terre. Nous plaçons ici quelque chose de ce qui nous fut communiqué à ce sujet, pour donner une idée de ces sortes de voyages en esprit.

Elle alla à Rome, se trouva près du saint Père, visita en Sardaigne une pieuse religieuse qu'elle aimait beaucoup, toucha Palerme, passa en Palestine, ensuite dans l'Inde. Elle alla aussi en Abyssinie, dans une ville de Juifs, située sur une haute chaîne de montagnes ; elle en visita la souveraine, qui s'appelait Judith ', et s'entretint avec elle du Messie, de la fête de la Conception de sa mère, du saint temps de l'Avent et de la fête prochaine de Noël. Dans le cours de ce voyage, elle fit tout ce que, dans un voyage de ce genre, aurait fait, suivant l'occasion, un consciencieux missionnaire : elle pria, enseigna, secourut, consola et s'informa.

Cette nuit, dit-elle, ayant fait en songe un voyage dans la ; terre promise, je vis tout ce que j'ai raconté de la Conception de la sainte Vierge. Je passai ensuite aux contemplations journalières des années de prédication de Notre Seigneur, et j'en étais aujourd'hui au 8 décembre de la troisième année. Je ne trouvai pas Jésus dans la terre promise ; mais je fus conduite par mon guide au delà du Jourdain, en Arabie, où le Seigneur, accompagné de trois disciples, se trouvait dans une ville de tentes des trois rois mages : c'était là qu'ils s'étaient établis à leur retour de Bethléhem.

Lorsque l'écrivain mit sur le papier le récit très circonstancié de ses rapports avec Judith et sa description des lieux, il avait conjecturé, d'après la direction de son voyage, qu'il s'agit de l'Abyssinie. Plusieurs années après la mort de la soeur, il trouva dans les voyages de Bruce et de Salt la mention d'une colonie juive établie sur la haute chaîne de Samen en Abyssinie, et dont le chef s'appelait toujours Gédéon, ou, lorsque c'était une femme, Judith. Ce dernier nom, comme on le voit, a été indiqué par la soeur Emmerich.

XIX
Les rois mages fêtent la Conception de Marie.

Je vis que deux des trois rois mages qui vivaient encore, à dater d'aujourd'hui, 8 décembre, célébraient avec leur tribu une fête de trois jours. Quinze ans avant la naissance du Sauveur, ils avaient vu, pour la première fois, dans cette nuit, se lever l'étoile annoncée par Balaam (Num XXIV, 17), qu'eux et leurs ancêtres avaient attendue si longtemps en observant constamment le ciel. Ils y avaient aperçu l'image d'une vierge qui tenait d'une main un sceptre, de l'autre une balance ayant sur l'un de ses plateaux un bel épi de blé, sur l'autre une grappe de raisin faisant contrepoids. Depuis leur retour de Bethléhem, ils célébraient annuellement, à partir du 8 décembre, une fête de trois jours, etc.

Je vis qu'à la suite de cette connaissance qu'ils avaient eue le jour de la Conception de Marie, quinze ans avant la naissance de Jésus-Christ, ces adorateurs des astres a aient aboli une horrible coutume religieuse qui avait été depuis longtemps en usage parmi eux, par suite de révélations mal comprises et obscurcies par de malignes influences : savoir, un abominable sacrifice d'enfants. Ils avaient en différents temps sacrifié de diverses manières des hommes et des enfants.

Je vis que, dans l'époque antérieure à la Conception de Marie, ils avaient la coutume suivante : ils prenaient l'enfant d'une des plus chastes et des plus pieuses parmi les femmes de leur religion, laquelle se trouvait heureuse d'offrir ainsi son nourrisson. L'enfant était écorché et recouvert de farine destinée à absorber le sang. Ils mangeaient cette farine imprégnée de sang comme un aliment sacré, et recommençaient cet affreux repas jusqu'à ce que le sang fût épuisé. En dernier lieu, la chair de l'enfant était coupée en petits morceaux, distribuée et mangée 13.

Je les vis accomplir cette cérémonie abominable avec beaucoup de simplicité et de dévotion, et il me fut dit qu'ils en étaient venus à cette horrible coutume par suite de l'altération et de la fausse interprétation de certaines traditions prophétiques figuratives sur la sainte Cène.

Je vis ces abominations en Chaldée, dans le pays de Mensor, l'un des trois rois mages. Je le vis aussi le jour de la Conception de Marie recevoir dans une vision une illumination d'en haut, à la suite de laquelle l'horrible usage fut aboli.

Je le vis sur une haute pyramide en bois occupé à observer les étoiles, ce que ces gens continuaient à faire depuis des siècles, poussés à cela par d'antiques traditions. Je vis le roi Mensor, pendant qu'il regardait le ciel, tomber tout à coup en extase : il avait perdu connaissance. Ses compagnons vinrent et le firent revenir à lui ; mais, au commencement, il ne paraissait pas les reconnaître. Il avait vu l'étoile avec la Vierge, la balance, l'épi, la grappe de raisin, et reçu un avertissement intérieur qui lui fit abolir ce culte abominable.

La nuit, pendant mon sommeil, ayant vu à ma droite l'horrible scène du meurtre de l'enfant, je me retournai de l'autre côté pleine d'effroi ; mais je le vis encore à ma gauche. Alors je priai Dieu de tout mon coeur afin qu'il me délivrât de cet affreux spectacle ; quand je me réveillais, j'entendis sonner l'heure, et mon fiancé céleste me dit : " Vois les traitements encore pires que me font subir tous les jours beaucoup de gens dans le monde entier ".

Et quand je regardai autour de moi, bien des choses encore plus horribles que ces sacrifices d'enfants passèrent devant mon âme ; je vis bien souvent Jésus lui-même cruellement immolé sur l'autel par la célébration indigne et criminelle des saints mystères. Je vis devant des prêtres sacrilèges la sainte hostie reposer sur l'autel comme un enfant Jésus vivant qu'ils coupaient en morceaux avec la patène et qu'ils martyrisaient horriblement. Leur messe, quoique accomplissant réellement le saint sacrifice, m'apparaissait comme un horrible assassinat.

La même cruauté me fut montrée dans les mauvais traitements exerces envers les membres de Jésus-Christ, envers ceux qui confessent son nom et que Dieu a adoptés pour enfants ; car je vis une foule innombrable de malheureux opprimés, tourmentés et persécutés de nos jours en plusieurs lieux, et je vis toujours qu'on maltraitait par là Jésus-Christ en personne. Nous sommes à une époque déplorable où il n'y a plus de refuge contre le Mal : un épais nuage de péchés pèse sur le monde entier, et je vois les hommes faire les choses les plus abominables avec une tranquillité et une indifférence complètes.

Je vis tout cela dans plusieurs visions pendant que mon âme était conduite à travers divers pays sur toute la terre à la fin, je revins aux contemplations relatives à la fête de la Conception de Marie 14.

XX
Sur l'histoire de la fête de la Conception de Marie.

Je ne saurais pas bien expliquer la façon merveilleuse dont j'ai voyagé cette nuit en songe. J'étais dans les contrées du monde les plus différentes, aux époques les plus diverses, et je vis souvent célébrer la tête de la Conception de Marie. Je me trouvai près d'Ephèse, et je vis célébrer cette fête dans la maison de la Mère de Dieu, qui servait encore d'église. Ce devait être à une époque très reculée, car je vis le chemin de la Croix érige par Marie elle-même parfaitement conservé ; le second fut érigé à Jérusalem, le troisième à Rome.

Les Grecs célébraient cette fête longtemps avant leur séparation de l'Eglise. Je me souviens encore un peu' quoique non bien distinctement, de ce qui y donna lieu. Je vis notamment un saint, saint Sabas, à ce que je crois, qui Put une apparition relative à immaculée Conception. Il vit l'image de la sainte Vierge, debout sur le globe terrestre, écrasant la tête du serpent, et il connut que la sainte vierge seule avait été conçue sans blessure et sans souillure de la part du serpent 15.

Je vis aussi qu'une église des Grecs, ou qu'un évêque de leur nation ne voulut pas admettre cela ; cette image vint alors vers eux sur la mer. Je vis cette apparition planer sur les flots, se diriger vers leur église et se montrer au-dessus de l'autel ; après quoi ils commencèrent à célébrer cette fête. On possédait dans cette église un portrait de la sainte Vierge fait par saint Luc. Elle était représentée vêtue de blanc, avec un voile de la même couleur, et ressemblait beaucoup à ce qu'elle avait été de son vivant. Je crois vaguement qu'il venait de Rome, où l'on n'a d'elle qu'un portrait en buste. Ce portrait avait été placé sur un autel à la place où avait apparu l'image de l'Immaculée Conception. Je crois qu'il est encore à Constantinople, où je l'ai vu honorer à une époque ancienne.

Je me suis trouvée en Angleterre, et j'y ai vu introduire et célébrer cette fête à une époque très ancienne. Avant-hier, jour de Saint Nicolas, j'ai vu à ce sujet le miracle suivant : je vis un abbé d'Angleterre sur un navire pendant une tempête qui menaçait de l'engloutir. On y invoquait avec instance le secours de la mère de Dieu Je vis alors apparaître saint Nicolas de Myre, qui planait sur la mer près du navire ; il dit à l'abbé que Marie l'envoyait pour lui annoncer qu'il devait célébrer le 8 décembre la fête de la Conception, et que le navire arriverait au port. L'abbé lui ayant demandé quelles prières il fallait dire, il lui fut répondu qu'il fallait se servir de celles de la fête de la Nativité de la sainte Vierge. Lors de l'introduction de la fête, le nom d'Anselme fut aussi prononcé' ; mais j'ai oublié les détails. Je vis aussi l'introduction de cette fête en France, et comment saint Bernard s'y montra opposé, parce que la chose ne venait pas de Rome 16.

Ici s'arrêtent les éclaircissements ajoutés par la soeur Emmerich à son récit de la Conception de Marie. Nous allons reprendre maintenant l'histoire de sa sainte Vie.

Il est remarquable qu'elle ne nomme pas saint Anselme comme étant l'abbé qui vit l'apparition, quoique Pierre de Natalibus, in Catalog Sanci, lib. I, c. 42, raconte de lui la même chose, ainsi que l'écrivain l'a lu eu juillet 1835. Ce que dit la soeur paraît confirmer l'allégation de Baronius dans ses notes sur le martyrologe romain, où il dit que cet avertissement fut donné dans des circonstances comme celles qui ont été décrites, non pas à saint Anselme, mais antérieurement : à l'abbé bénédictin Elfin ou Elpin, dans l'année 1070. J. Carlhagena, dans ses homélies de Arcanis Deipare, t. I, hom. 19, affirme la même chose d'après une lettre de saint Anselme aux évêques d'Angleterre. Ce saint archevêque de Cantorbéry fut le premier qui introduisit cette fête en Angleterre.

XXI
Naissance de Marie

Quelques jours avant sa délivrance, Anne avait annoncé à Joachim que le temps de ses couches était proche Elle envoya des messagers à Séphoris, à sa soeur cadette Maraha ; dans la vallée de Zabulon, à la veuve Énoué, soeur d'Élisabeth, et à Bethsaïde, à sa nièce Marie Salomé, pour engager ces trois femmes à venir chez elle.

Je vis Joachim, la veille de la délivrance d'Anne, envoyer ses nombreux serviteurs aux pâturages où étaient ses troupeaux. Parmi les nouvelles servantes d'Anne, il ne garda à la maison que celles dont le service était nécessaire. Lui-même alla au plus voisin de ses pâturages. Je vis que Marie Eléli, la fille aînée d'Anne, prenait soin du ménage. Elle avait alors environ dix-neuf ans, et avait épousé Cléophas, chef des bergers de Joachim, dont elle avait une petite fille appelée Marie de Cléophas, laquelle avait alors à peu près quatre ans.

Joachim pria, choisit les plus beaux de ses agneaux, de ses chevreaux et de ses boeufs, et les envoya au temple comme sacrifice d'actions de grâces. Il ne revint chez lui qu'à la nuit.

Je vis les trois parentes d'Anne arriver le soir chez elle. Elles la visitèrent dans la chambre située derrière le foyer et l'embrassèrent. Après leur avoir annoncé l'approche de sa délivrance, Anne, se tenant debout, entonna avec elles un cantique conçu à peu près en ces termes : " Louez Dieu le Seigneur ; il a eu pitié de son peuple ; il a accompli la promesse qu'il avait faite à Adam dans le paradis, quand il lui dit que la semence de la femme écraserait la tête du serpent, etc ". Je ne puis pas tout rapporter exactement.

Anne était comme en extase ; elle énumérait dans son cantique tout ce qui avait figuré Marie par avance. Elle disait: " Le germe donné par Dieu à Abraham a mûri en moi ". Elle parlait d'Isaac promis à Sara, et ajoutait : " La floraison de la verge d'Aaron s'est accomplie en moi ". Je la vis comme pénétrée de lumière. Je vis la chambre pleine de clartés, et l'échelle de Jacob apparaître au-dessus. Les femmes, pleines d'un joyeux étonnement, étaient comme ravies, et je crois qu'elles virent aussi l'apparition.

Après cette prière de bienvenue, on servit aux femmes une petite réfection de pain, de fruits et d'eau mêlée de baume. Elles mangèrent et burent debout, et allèrent dormir quelques heures pour se reposer de leur voyage. Anne resta levée et pria. Vers minuit, elle éveilla ses parentes pour prier avec elle. Elles la suivirent derrière un rideau à l'endroit où était son lit.

Anne ouvrit les portes d'une petite niche pratiquée dans le mur, et qui renfermait des reliques dans une boite. Il y avait des deux côtés des lumières qu'on alluma ; je ne sais si c'étaient des lampes. Un escabeau rembourré était au pied de cette espèce de petit autel. Dans le reliquaire se trouvaient des cheveux de Sara, pour laquelle Anne avait beaucoup de vénération ; des os de Joseph, que Moise avait emportés d'Égypte ; quelque chose de Tobie, peut-être un morceau de vêtement, et le petit vase brillant, en forme de poire, dans lequel Abraham avait bu lors de la bénédiction de l'ange, et que Joachim avait reçu avec la bénédiction. Je sais maintenant que cette bénédiction était du pain et du vin, et comme une nourriture et une réfection sacramentelle.

Anne s'agenouilla devant la niche. Deux des femmes étaient à ses côtés, la troisième derrière elle. Elle dit encore un cantique ; je crois qu'il y était question du boisson ardent de Moise. Je vis alors une lumière surnaturelle remplir la chambre, se mouvoir et se condenser autour d'Anne. Les femmes tombèrent la face contre terre comme évanouies. La lumière prit tout autour d'Anne la forme qu'avait le buisson ardent de Moise sur l'Horeb, en sorte que je ne la vis plus. La flamme rayonnait vers l'intérieur, et je vis tout d'un coup Anne recevoir dans ses bras la petite Marie toute resplendissante, l'envelopper dans son manteau, la presser sur son sein, puis la placer sur l'escabeau devant le reliquaire, et continuer à prier. Alors j'entendis l'enfant pleurer, et je vis Anne tirer des linges de dessous le grand voile qui l'enveloppait. Elle emmaillota l'enfant jusque sous les bras, laissant la poitrine, la tête et les bras découverts. L'apparition du buisson ardent s'était évanouie.

Les femmes se relevèrent, et à leur grande surprise reçurent dans leurs bras l'enfant nouveau-né. Elles versaient des larmes de joie. Elles entonnèrent toutes un nouveau cantique d'actions de grâces, et Anne éleva l'enfant en l'air comme pour l'offrir. Je vis alors la chambre se remplir de nouveau de lumières, et j'entendis plusieurs anges qui chantaient gloria et alléluia. J'entendais tout ce qu'ils disaient. Ils annonçaient que l'enfant devait recevoir, le vingtième jour, le nom de Marie.

Anne entra alors dans sa chambre à coucher et se mit sur son lit. Les femmes déshabillèrent l'enfant, la baignèrent, puis l'emmaillotèrent de nouveau. Elles la portèrent ensuite à sa mère, dont la couche était disposée de manière qu'on pouvait fixer auprès d'elle une petite corbeille à jour, où l'enfant avait une place séparée à côté de sa mère.

Les femmes alors appelèrent son père Joachim. Il vint près de la couche d'Anne, s'agenouilla et versa d'abondantes larmes sur l'enfant ; puis il l'éleva dans ses bras et entonna un cantique de louanges, comme Zacharie à la naissance de Jean-Baptiste. Il parla dans ce psaume du saint germe qui, placé par Dieu dans Abraham, s'était perpétué chez le peuple de Dieu dans l'alliance dont la circoncision était le sceau, mais qui arrivait dans cet enfant à sa plus haute floraison. J'entendis dire dans ce cantique que la parole du Prophète : " une tige sortira de la racine de Jessé ", se trouvait maintenant accomplie. Il dit aussi, avec beaucoup de ferveur et d'humilité, que maintenant il mourrait volontiers.

Je remarquai que Marie d'Héli, la fille aînée d'Anne, ne vint qu'assez tard voir l'enfant. Quoique mère elle-même depuis quelques années, elle n'avait pas assisté à la naissance de Marie, peut-être parce que, d'après les lois juives, une fille ne devait pas se trouver près de sa mère dans un pareil moment.

Le lendemain, je vis les serviteurs, les servantes et beaucoup de gens du pays rassemblés autour de la maison. On les fit entrer successivement, et l'enfant fut montrée à tous par les femmes. Ils furent, en général, très touchés, et plusieurs devinrent meilleurs. Les gens du voisinage étaient venus parce qu'ils avaient vu pendant la nuit une lumière au-dessus de la maison, et parce que les couches d'Anne, venant après une longue stérilité, étaient regardées comme une grande grâce du ciel.

XXII
Joie dans le ciel et dans les limbes à la naissance de Marie.
Mouvement dans la nature et parmi les hommes.

Au moment où la petite Marie se trouva dans les bras de sainte Anne, je la vi6 dans le ciel présentée devant la très sainte Trinité, et saluée avec une joie indicible par toutes les armées célestes. Je connus que toutes ses joies, ses douleurs et ses destinées futures lui étaient manifestées d'une manière surnaturelle. Marie reçut la connaissance des plus profonds mystères, et pourtant elle resta un enfant. Nous ne pouvons pas comprendre cette science qui lui fut donnée, parce que la notre a pris son origine sur l'arbre fatal du paradis. Elle connut tout cela comme l'enfant connaît le sein de sa mère et sait qu'il doit s'y désaltérer. Lorsque cessa la contemplation où j'avais vu la petite Marie instruite par le grâce divine dans le ciel, je l'entendis pleurer pour la première fois.

Je vis la naissance de Marie annoncée aux patriarches dans les limbes, au moment même où elle eut lieu ; je les vis tons, particulièrement Adam et Eve, pénétrés d'une joie inexprimable, à cause de l'accomplissement de la promesse faite dans le paradis. Je connus aussi qu'il y avait un progrès dans l'état de grâce des patriarches, que leur demeure s'éclairait et s'élargissait, et qu'ils acquéraient une plus grande influence sur ce qui se passait dans le monde. Il semblait que tous les travaux. toutes les pénitences de leur vie, tous leurs combats, leurs prières et leurs désirs étaient, pour ainsi dire, arrivés à maturité, et avaient produit un fruit de paix.

Je vis au temps de la naissance de Marie, un grand mouvement de joie dans la nature, chez tous les animaux et aussi dans le coeur de tous les hommes de bien, et j'entendis des chants harmonieux ; chez les pécheurs, il y eut une grande angoisse et comme un brisement de coeur.

Je vis spécialement dans la contrée de Nazareth et dans le reste de la terre promise plusieurs possédés agités par des convulsions violentes. Ils se précipitaient ça et là avec de grandes clameurs, et les démons criaient par leur bouche : " il faut partir, il faut partir ".

A Jérusalem, je vis le pieux prêtre Siméon, qui habitait près du temple, effrayé à l'heure de la naissance de Marie par les cris affreux que poussaient des fous et des possédés enfermés en grand nombre dans un édifice contigu à la montagne du temple, et sur lequel Siméon, qui demeurait dans le voisinage, avait un certain droit de surveillance. Je le vis à minuit se rendre sur la place devant la maison des possédés ; un homme qui habitait près de là lui demanda la cause de ces cris qui troublaient le sommeil de tout le monde. Un possédé cria avec plus de force, demandant à sortir. Siméon lui ouvrit la porte ; le possédé se précipita dehors, et Satan cria par sa bouche r il faut partir nous devons partir il est né une Vierge Il y a sur la terre tant d'anges qui nous tourmentent nous devons partir, et nous ne pourrons plus posséder un seul homme ! " Je vis Siméon prier avec ferveur ; le malheureux possédé fut violemment jeté ça et là sur la place, et je vis le démon sortir de loi. .la fils très contente de voir le vieux Siméon.

Je vis aussi la prophétesse Anne, et Noémi, soeur de la mère de Lazare, qui habitait dans le temple, et qui fut plus tard la maîtresse de Marie furent réveillés et informées par des visions de la naissance d'un enfant d'élection. Elles se réunirent et se communiquèrent ce qu'elles avaient appris. Je crois qu'elles connaissaient sainte Anne.

XXIII
L'enfant reçoit le nom de Marie.

22 - 23 septembre

J'ai vu aujourd'hui une grande fête dans la maison de sainte Anne. Tout avait été déplacé et rangé à part dans la partie antérieure de la maison, Les cloisons en clayonnage, qui formaient des chambres séparées, avaient été enlevées, et on avait ainsi disposé une grande table. Tout autour de cette salle, je vis une longue table basse, couverte de vaisselle pour le repas.

Au milieu de la salle, on avait dressé une espèce de table d'autel recouverte d'une étoffe rouge et blanche, sur laquelle était un petit berceau rouge et blanc, avec une couverture bleu de ciel. Près de l'autel était un pupitre recouvert, sur lequel étaient des rouleaux en parchemin contenant des prières. Devant l'autel se tenaient cinq prêtres de Nazareth en habits de cérémonie ; Joachim était près d'eux. Dans le fond, autour de l'autel, se tenaient plusieurs femmes et plusieurs hommes, des parents de Joachim, tous avec des habits de fête. Je me souviens de la soeur d'Anne, Maraha de Séphoris, et de sa fille aînée. Sainte Anne avait quitté sa couche, mais elle resta dans sa chambre, placée derrière le foyer, et ne parut pas à la cérémonie.

Enoué, la soeur d'Elisabeth, apporta la petite Marie et la plaça sur les bras de Joachim. Les prêtres se placèrent devant l'autel près des rouleaux, et récitèrent des prières à haute voix. Joachim donna l'enfant au principal d'entre eux, qui l'éleva en l'air en priant, comme pour l'offrir à Dieu, et la plaça dans son berceau sur l'autel. Il prit ensuite des espèces de ciseaux d'une forme particulière avec lesquels il coupa à l'enfant trois petites touffes de cheveux sur les deux côtés de la tête et sur le front, puis les brûla sur un brasier. Il prit ensuite une botte où était de l'huile, et oignit les cinq sens de l'enfant avec le pouce il fit cette onction sur les oreilles, les yeux, le nez, là bouche et le creux de l'estomac. Il avait aussi le nom de Marie sur un parchemin qu'il plaça sur la poitrine de l'enfant. On chanta ensuite des psaumes, puis vint le repas, que je ne vis pas.

XXIV
Origine de la fête de la Nativité de Marie.

Le soir du 7 septembre, veille de la fête, la soeur se trouva pleine d'une joie inaccoutumée et qu'elle appelait surnaturelle, quoiqu'elle se sentit en même temps très malade '. Elle fut bientôt très animée et éprouva une ferveur extraordinaire. Elle parla d'une allégresse universelle qui s'était manifestée dans la nature à l'approche de ta naissance de Marie, et dit qu'elle avait le pressentiment qu'elle aurait une grande joie le lendemain : " pourvu qu'elle ne se tourne pas en douleur ", ajouta-t-elle. Voici ce qu'elle raconta.

Il y a une jubilation inexprimable dans la nature ; j'entends les oiseaux chanter, je vois les agneaux et les chevreaux bondir ; les tourterelles, dans le pays où était la maison d'Anne, s'assemblent en grandes troupes et tournent en cercle comme ivres de joie. Il ne reste plus rien de la maison et de ses entours : c'est maintenant un désert. J'ai vu quelques pèlerins avec des ceintures, de longs bâtons et des étoffes roulées autour de la tête ; ils traversent le pays, se dirigeant vers le mont Carmel Il y a ici quelques ermites venus du Carmel. Les pèlerins leur demandent avec surprise d'où vient cette joie dans la nature, et ceux ci répondent qu'il en est toujours ainsi la veille de la Nativité de Marie ; que la maison de sainte Anne était probablement dans ce lieu, et qu'ils tiennent d'un pèlerin qui avait voyagé ici antérieurement, que cette manifestation de joie, remarquée, il y a bien longtemps, par un saint homme, a donné lieu à l'institution de la fête.

La sainte Vierge lui était apparue et lui avait promis que le lendemain. 8 septembre, qui était aussi le jour de la naissance de la soeur, elle recevrait une grâce, qui consisterait à pouvoir se redresser sur sa couche pendant quelques semaines, quitter son lit et faire quelques pas dans sa chambre, ce qui ne lui était pas arrivé pendant un intervalle de dix ans. Cette promesse eut son accomplissement avec accompagnement de toute espèce de souffrances spirituelles et corporelles, qui lui avaient été annoncées en même temps, ainsi qu'on le dira en son 1ieu.

Je vis alors comment cette fête fut instituée. Deux cent cinquante ans après la mort de la sainte Vierge, je vis un homme d'une grande sainteté parcourir la Terre Sainte, rechercher et honorer tous les lieux où se trouvaient des traces du séjour de Jésus sur la terre. Je vis que ce saint homme recevait des directions d'en haut, et était souvent retenu plusieurs jours dans certains endroits par de grandes consolations intérieures, et par des révélations de plusieurs espèces, qui lui arrivaient dans la prière et la méditation. C'est ainsi que, pendant plusieurs années, dans la nuit du 7 au 8 septembre, il avait remarqué une grande joie dans la nature et entendu dans les airs des chants harmonieux ; enfin, sur son instante prière, un ange lui avait appris en songe que c'était la nuit pendant laquelle était née la très sainte vierge Marie. Il avait reçu cette communication lors d'un voyage au mont Sinai ou au mont Horeb. Je le vis ensuite sur le mont Sinaï. L'endroit où se trouve aujourd'hui le couvent était déjà, à cette époque, habité par des anachorètes dispersés, et, du côté de la vallée, il était aussi peu accessible qu'il l'est à présent, que l'on s'y fait hisser à l'aide d'une poulie. Je vis que, sur la foi de cette communication, la fête de la Nativité de la sainte Vierge fut célébrée le 8 septembre par les solitaires. C'était vers l'an 250 ; plus tard, elle passa de là dans l'Eglise catholique.

XXV
Prières à faire pour la fête de la Nativité de Marie.

Je vis beaucoup de choses concernant sainte Brigitte, et j'eus connaissance de plusieurs communications qui avaient été faites à cette sainte sur la Conception et la Nativité de Marie. Je me souviens que la sainte Vierge lui dit que, lorsque des femmes grosses sanctifient la veille du jour de sa naissance en jeûnant et en récitant avec dévotion neuf Ave Maria en l'honneur des neuf mois qu'elle a passés dans le sein de sa mère, lorsqu'elles renouvellent fréquemment cet exercice de piété dans le cours de leur grossesse et la veille de leur accouchement, et qu'en outre elles s'approchent des sacrements avec piété, elle porte leur prière devant Dieu et leur obtient une heureuse délivrance, même dans des conditions difficiles.

Quant à moi, la sainte Vierge s'est approchée de moi et m'a dit, entre autres choses, que quiconque aujourd'hui, dans l'après-midi, récite dévotement neuf Ave Maria en l'honneur de son séjour de neuf mois dans le sein de sa mère et de sa naissance, et continue pendant neuf jours cet exercice de piété, donne chaque jour aux anges neuf fleurs destinées à former un bouquet qu'elle reçoit dans le ciel et présente à la sainte Trinité, afin d'obtenir une grâce pour la personne qui a fait ces prières. Plus tard, je me sentis transportée comme sur une hauteur entre le ciel et la terre. La terre était au-dessous de moi obscure et indistincte. Dans le ciel, je vis parmi les choeurs des anges et des saints la sainte Vierge devant le trône de Dieu. Je vis bâtir pour elle, avec les prières et les dévotions des fidèles vivants sur la terre, deux portes ou deux trônes d'honneur, qui grandissaient jusqu'à former des églises, des palais, et même des villes entières Je fus émerveillée de voir que ces édifices étaient faits tout entiers de plantes, de fleurs et de guirlandes, dont les différentes espèces exprimaient la nature et le mérite des prières faites, soit par des individus, soit par des communautés entières. Je vis tout cela pris de la main de ceux qui priaient, par des anges ou des saints, lesquels le portaient dans le ciel.

XXVI
Purification de sainte Anne.

Plusieurs semaines après la naissance de Marie, je vis Joachim et Anne se rendre au temple avec leur enfant pour y offrir un sacrifice. Ils présentèrent leur enfant dans le temple avec un vif sentiment de piété et de reconnaissance envers Dieu, de même que plus tard la sainte Vierge présenta et racheta l'enfant Jésus selon les prescriptions de la loi '. Le jour suivant, ils firent leur offrande et s'engagèrent à consacrer leur enfant a Dieu dans le temple au bout de quelques années. Ils retournèrent ensuite à Nazareth.

XXVII
Présentation de Marie.
Préparatifs dans la maison de sainte Anne.

Le 28 octobre 1821, Anne-Catherine Emmerich raconta ce qui suit, étant dans l'état de veille : La petite Marie sera bientôt conduite au temple de Jérusalem. J'ai vu, il y a déjà quelques jours, Anne dans une chambre de la maison de Nazareth, ayant devant elle Marie, âgée alors de trois ans, et lui apprenant à prier, parce que les prêtres devaient venir bientôt pour examiner l'enfant à l'occasion de son admission dans le temple. Aujourd'hui, il y avait fête dans la maison de sainte Anne : c'était comme une préparation.

Selon la loi de Dieu (Lévit., XII), une femme israélite était impure pendant quatre-vingts jours après à naissance d'une fille, en sorte qu'elle ne pouvait toucher aucun objet consacré m paraître dans le temple, et pendant ce temps elle ne devait pu quitter sa maison jusqu'à ce qu'elle eût offert dans le temple un sacrifice pour sa purification. Une femme dans l'aisance offrait un agneau d'un an pour l'holocauste, et un petit pigeon ou un petit tourtereau pour le sacrifice pour le péché. Une mère pauvre n'avait besoin d'offrir que deux jeunes colombes ou deux tourterelles :, l'un pour l'holocauste, l'autre pour le sacrifice pour le péché.

La présentation de Marie et son séjour dans le temple sont attestés de plusieurs façons par l'autorité de l'Église. La commémoration de la Présentation de Marie est fixée au 21 novembre dans tous 1es missels c : les bréviaires. Dès les temps apostoliques, nous avons un garant de cette tradition dans la personne de l'évêque Evodius, cité par Nicéphore, Histoire ecclésiastique, Liv. II, C. 3. Saint Grégoire de Nysse, saint Épiphane, saint George de Nicomédie, saint Grégoire de Thessalonique, saint Jean Damascène et d'autres saints Pères rendent le même témoignage. L'Église grecque célèbre cette fête depuis onze siècles au moins. Même dans le Coran, .Sura Imram, v 3l, le séjour de Marie au temple est raconté avec détail.

Il se trouvait là des étrangers, des parents, des hommes, des femmes, même des enfants. Il y avait aussi trois prêtres présents, un de Séphoris, l'autre de Nazareth, le troisième d'un endroit situé sur une montagne, à quatre lieues environ de Nazareth. Le nom de cet endroit commence par la syllabe Ma... Ces prêtres étaient venus pour examiner si la petite Marie était en état de venir au temple, et en outre pour la faire habiller suivant un certain modèle déterminé. Il y avait trois habillements de différentes couleurs, dont chacun se composait d'une robe, d'une pièce d'étoffe pour Couvrir la poitrine et d'un manteau. A ce costume appartenaient aussi deux guirlandes en soie et en laine, et une couronne fermée par en haut. L'un des prêtres coupa lui-même quelques parties de cet habillement, et arrangea tout conformément à la règle.

Quelques jours plus tard, le 2 novembre, elle continua en ces termes : J'ai vu aujourd'hui une grande fête dans la maison des parents de Marie. Je ne sais pourtant pas si cela a eu lieu à pareil jour, ou si c'est la répétition d'un tableau qui m'a déjà été montré ; car j'ai vu des choses du même genre pendant les trois derniers jours, mais elles m'ont échappé au milieu de mes souffrances. Les trois prêtres étaient encore présents, ainsi que plusieurs parents et leurs petites filles, par exemple Marie Héli et son enfant, Marie de Cléophas, qui est beaucoup plus massive et plus forte que la sainte Vierge. Marie est très délicate ; elle a des cheveux d'un blond doré, légèrement bouclés à leur extrémité. Elle sait déjà lire, et tout le monde admire la sagesse de ses réponses.

Les habits de Marie, déjà taillés en partie par les prêtres, avaient été cousus par les femmes. On les mit à l'enfant à différentes reprises pendant cette fête, et on lui adressa alors plusieurs questions. Toute la cérémonie était grave et solennelle, et quoique les vieux prêtres l'accomplissent avec un sourire naïf, ils reprenaient leur sérieux par suite de l'admiration que faisaient naître les sages réponses de Marie, et à la vue des larmes de joie de ses parents.

La cérémonie eut lieu dans une chambre carrée, près de la pièce où l'on mangeait. La lumière entrait par une ouverture pratiquée dans le toit, laquelle était recouverte d'un voile transparent. On avait étendu par terre un tapis de couleur rouge ; il y avait une table d'autel au-dessus de laquelle une espèce de rideau cachait une petite niche où se trouvaient des rouleaux écrits contenant des prières. Devant cet autel, sur lequel étaient déposés les trois habillements de Marie, ainsi que plusieurs pièces d'étoffe que les parents avaient apportées pour le trousseau de l'enfant, se trouvait une espèce de petit trône élevé sur des gradins. Joachim, Anne et les autres membres de la famille étaient rassemblés. Les femmes se trouvaient derrière, et les petites filles à côté de Marie. Les prêtres entrèrent les pieds déchaussés. Il y avait cinq prêtres, mais trois seulement étaient en vêtements sacerdotaux et prenaient part à la cérémonie. L'un d'eux prit sur l'autel les différentes pièces de l'habillement, expliqua leur signification, et les présenta à la soeur d'Anne, Maraha de Séphoris, qui en revêtit l'enfant.

Marie se tenant debout ainsi habillée, les prêtres lui adressèrent différentes questions qui avaient rapport à la manière de vivre des vierges du temple. Ils lui dirent, entre autres choses : " Tes parents, en te consacrant au, temple, ont fait le voeu que tu ne boirais ni vin ni vinaigre, et que tu ne mangerais ni raisins ni figues ; que veux-tu ajouter toi-même à ce voeu, tu peux y réfléchir pendant le repas ". Les Juifs, et spécialement les jeunes filles juives, aimaient à boire du vinaigre' et Marie elle même y prenait plaisir. Après plusieurs demandes du même genre, on lui retira le premier habit et on lui mit le second : après quoi, tout le monde se rendit dans la chambre voisine pour le repas. Marie était placée à table entre deux des prêtres ; un troisième était en face d'elle 17.

Les femmes et les jeunes filles étaient à un bout de la table séparées des hommes. Pendant le repas, l'enfant fut encore interrogée et répondit. On lui dit : " Maintenant, tu peux manger de tout ", et on lui offrit plusieurs choses pour l'éprouver. Mais Marie ne mangea que de peu de plats et en petite quantité, et elle étonna tout le monde par la sagesse enfantine de ses réponses. Pendant le repas et pendant toute l'épreuve. Je vis à ses côtés des anges qui l'assistaient et la dirigeaient dans tout ce qu'elle faisait.

Après le repas, tout le monde se rendit dans la première chambre, devant l'autel, où on déshabilla encore l'enfant et où on lui mit l'habit de cérémonie. C'était une robe d'un bleu violet à fleurs jaunes, puis un scapulaire ou une espèce de fichu brodé de diverses couleurs, et enfin un manteau de la couleur de la robe. Le manteau était ouvert jusque sous la poitrine et tombait en plis majestueux qui commençaient à la hauteur des bras. On lui mit en outre un grand voile, blanc d'un côté et violet de l'autre. La couronne qu'on lui plaça sur la tête se composait d'un cercle large et mince, dont le bord supérieur était découpé en pointes surmontées de boutons. Cette couronne était fermée par en haut et surmontée d'un bouton. Revêtue de cet habit de cérémonie dont le prêtre lui avait expliqué la signification, Marie fut conduite sur l'extrade à degrés qui était devant l'autel. Les petites filles se tenaient à ses côtés. Elle déclara alors à quoi elle s'engageait à renoncer en entrant dans le temple. Elle promettait de ne manger ni viande ni poisson et de ne pas boire de lait, mais seulement une boisson faite d'eau et de moelle de jonc, dont les gens pauvres faisaient usage. Elle se réservait seulement de mettre quelquefois dans son eau un peu de jus de térébinthe. C'est comme une huile blanche qui réconforte beaucoup, mais qui est moins agréable que le baume. Elle renonçait à toute espèce d'épices, et ne voulait pas manger de fruits, excepté une espèce de baies jaunes qui viennent en grappes. Je les connais bien ; les enfants et les pauvres gens en mangent. Elle voulait dormir sur la terre nue et se relever trois fois la nuit pour prier. Les autres vierges ne le faisaient qu'une fois toutes les nuits.

Les parents de Marie furent profondément émus de ses paroles. Joachim serra l'enfant dans ses bras en pleurant, et dit : " Mon enfant, c'est trop sévère : si tu mènes une vie si dure, ton vieux père ne te reverra pas ". Tout cela était très touchant à entendre. Les prêtres lui dirent qu'elle ne devait se relever qu'une fois la nuit pour prier, comme faisaient les autres, et ils lui imposèrent encore d'autres adoucissements : par exemple, l'usage du poisson aux jours de grandes fêtes. Il y avait à Jérusalem un grand marché au poisson dans une partie basse de la ville. Il recevait de l'eau de la piscine de Bethesda. Comme elle manqua une fois, Hérode le Grand voulut y établir une fontaine ou un aqueduc, et vendre pour cela des vêtements et des vases sacrés du temple. Il y eut presque une émeute à cette occasion Des Esséniens vinrent à Jérusalem de toutes les parties du pays et s'y opposèrent : car les Esséniens étaient chargés de l'inspection des vêtements sacerdotaux ; cela me revint alors subitement à la mémoire. – Les prêtres dirent encore à Marie : " Plusieurs des autres vierges qui sont reçues gratuitement au temple s'engagent, avec le consentement de leurs parents, aussitôt que leurs forces le leur permettent, à laver les habits des prêtres tout souillés du sang des victimes' et d'autres grossières étoffes de laine. C'est un rude travail, qui met souvent les mains en sang ; tu n'es pas obligée de t'y soumettre, parce que tes parents se chargent de ton entretien au temple ". Marie déclara alors qu'elle se chargerait volontiers de ce Travail si on l'en jugeait digne. La cérémonie de la vêture s'acheva parmi beaucoup d'interrogations et de réponses de ce genre.

Pendant cette sainte cérémonie, Marie m'apparut tellement grande, que sa taille dépassait celle des prêtres. On me donnait par là une image de sa sagesse et de la grâce qui était en elle. Les prêtres étaient pleins d'un étonnement joyeux. A la fin de la cérémonie, je vis le principal prêtre bénir Marie. Elle était debout sur un petit trône entre deux prêtres. Celui qui bénissait était en face d'elle, l'autre derrière elle. Les prêtres récitaient des prières qu'ils lisaient sur les rouleaux de parchemin et se répandaient alternativement. Le premier la bénit en étendant les mains sur elle. J'eus, à cette occasion, le bonheur de voir l'intérieur de la sainte enfant. Je la vis toute lumineuse pendant la bénédiction du prêtre, et, sous son coeur, je vis dans une gloire ce que j'avais vu en contemplant l'objet sacré contenu dans l'Arche d'alliance. Dans une sphère lumineuse de la même forme que le calice de Melchisédech, je vis des symboles figuratifs de la bénédiction. C'était comme du froment et du vin, de la chair et du sang, tendant à devenir une seule et même chose. Je vis aussi au-dessus de cette apparition son coeur s'ouvrir comme la porte d'un temple, et j'y vis entrer le symbole mystérieux, autour duquel il s'était formé comme un dais de pierres précieuses ayant toutes leur signification. Il me semblait voir l'Arche d'alliance entrant dans le Saint des saints du temple. Puis je ne vis plus que la sainte enfant inondée par la splendeur du feu qui brûlait au dedans d'elle. Elle m'apparut comme transfigurée et s'élevant au-dessus du sol. Je connus pendant cette apparition qu'un des prêtres ' avait acquis par une illumination d'en haut la conviction intérieure que Marie était le vase d'élection renfermant le mystère du salut ; car je le vis recevoir un rayon de la bénédiction qui sembla entrer en lui.

 Les prêtres reconduisirent alors l'enfant vers ses parents émus. Anne prit Marie dans ses bras et l'embrassa avec une tendresse mêlée de vénération. Joachim, profondément ému, lui prit la main avec gravité et respect. La soeur aînée de Marie l'embrassa avec plus de vivacité qu'Anne, qui était modeste et réservée dans toutes ses actions. Marie de Cléophas, la petite nièce de la sainte enfant, lui jeta les bras au cou avec une joie enfantine.

 Elle croyait, lorsqu'elle raconta la chose en 1820, que ce prêtre était Zacharie.

 Quand tous les assistants l'eurent complimentée, on lui ôta ses habits de fête, et elle reparut dans son costume ordinaire.

XXVIII
Départ de Marie pour le temple.

J'entrai la nuit dans la maison de sainte Anne. Il était resté quelques parents qui dormaient. La famille s'occupait des préparatifs du départ. La lampe à plusieurs bras, suspendue devant le foyer, était allumée. Je vis successivement tous les habitants de la maison en mouvement.

Joachim, dès la veille, avait envoyé des serviteurs au temple avec des animaux qu'il voulait offrir en sacrifice : il y en avait cinq de chaque espèce, et c'étaient les plus beaux qu'il possédât. Ils formaient un très beau troupeau. Je le vis occupé à charger les bagages sur une bête de somme qui était devant la maison : c'étaient les habits de Marie soigneusement empaquetés à part et des présents pour les prêtres. Cela faisait une bonne charge pour la bête de somme. Sur le milieu de son des était un large paquet sur lequel on pouvait s'asseoir commodément. Tout avait été déjà arrangé par Anne et les autres femmes en petits paquets faciles à porter. Je vis des corbeilles de différentes formes attachées aux deux côtés de l'âne. Dans une de ces corbeilles se trouvaient des oiseaux gros comme des perdrix. D'autres corbeilles, semblables aux hottes où l'on porte le raisin, contenaient des fruits de toute espèce. Quand l'âne fut entièrement chargé, on étendit sur le tout une grande couverture à laquelle pendaient de grosses houppes. Je vis que dans la maison tout était en mouvement comme pour un départ. Je ils une jeune femme, la soeur aînée de Marie, aller ça et là, d'un air affairé, avec une lampe. Sa fille. Marie de Cléophas, était presque toujours à ses côtés. Je remarquai une autre femme, qui me parut être une servante. Je vis encore deux des prêtres qui étaient restés. L'un d'eux était un vieillard ; il avait un capuchon qui se terminait en pointe sur le front ; son habit de dessus était plus court que celui de dessous. C'était celui qui la veille s'était principalement occupé de l'examen de Marie, et qui lui avait donné sa bénédiction. Je le vis encore donner des instructions à l'enfant. Marie, âgée d'un peu plus de trois ans, belle et délicate, était aussi avancée qu'un enfant de cinq ans chez nous. Elle avait des cheveux d'un blond doré, lisses, bouclés à l'extrémité, et plus longs que ceux de Marie de Cléophas, enfant de sept ans, dont la blonde chevelure était courte et frisée. Les enfants comme les grandes personnes avaient tous pour la plupart des vêtements longs de laine brune sans teinture.

Parmi les assistants, je remarquai particulièrement deux jeunes garçons qui ne paraissaient pas être de la famille et qui ne s'entretenaient avec aucun de ses membres. Il semblait que personne ne les vit. Ils étaient beaux et aimables, avec leurs cheveux blonds et frisés, et ils me parlèrent. Ils avaient des livres, probablement pour leur instruction. La petite Marie n'avait aucun livre, quoiqu'elle sût déjà lire. Ce n'étaient pas des livres comme les nôtres, mais de longues bandes, larges à peu près d'une demi aune, roulées autour d'un bâton, dont les bouts arrondis sortaient de chaque côté. Le plus grand de ces deux garçons avait un rouleau déployé. Il s'approcha de moi, et lut quelque chose qu'il m'expliqua. C'étaient des lettres d'or qui m'étaient tout à fait inconnues, écrites à rebours, et chaque lettre semblait représenter un mot entier. La langue était tout à fait étrangère pour moi, mais pourtant je la comprenais. Malheureusement j'ai oublié ce qu'il m'expliquait : c'était un texte de Moise ; il me reviendra peut-être. Le plus petit portait son rouleau à la main comme un jouet. Il sautait ça et là comme font les enfants et agitait son rouleau en jouant. Je ne puis dire à quel point ces enfants me plaisaient. Ils étaient tout autrement que les assistants, et ceux-ci ne paraissaient pas faire attention à eux.

C'est ainsi que la soeur parla longtemps de ces jeunes garçons avec une complaisance naive, sans pouvoir, bien préciser qui ils étaient. Mais, après souper, quand elle eut dormi quelques minutes, elle dit en revenant à elle : " Ces garçons que je vis avaient une signification spirituelle ; leur présence là n'était pas selon l'ordre naturel. C'étaient seulement des figures symboliques de prophètes. Lé plus grand portait son rouleau avec beaucoup de gravité. Il m'y montrait le passage du second livre de Moise où celui-ci voit, dans le buisson ardent, le Seigneur qui lui dit d'ôter sa chaussure. Il m'expliqua que, de même que le buisson brûlait sans se consumer, de même le feu du Saint Esprit brûlait dans la petite Marie, qui portait cette sainte flamme en elle comme un enfant, sans en avoir la conscience. Cela indiquait aussi l'union prochaine de la Divinité avec l'humanité. Le feu signifiait Dieu, le buisson les hommes. Il m'expliqua aussi l'ordre de se déchausser, mais je ne me souviens plus de son explication. Cela signifiait, je crois, que maintenant le voile était enlevé, et que la réalité se montrait ; que la loi recevait son accomplissement ; qu'il y avait ici plus que Moise et les prophètes.

L'autre enfant portait son rouleau au bout d'un bâton comme un petit drapeau flottant au vent : cela voulait dire que Marie entrait maintenant avec joie dans la carrière de mère du Rédempteur. Ce garçon paraissait plein de naïveté et jouait avec son rouleau. Cela représentait l'innocence enfantine de Marie, sur laquelle reposait une si grande promesse, et qui, avec cette sainte destination, jouait pourtant comme un enfant. Ces jeunes garçons m'expliquèrent sept passages de leurs rouleaux. Mais, dans l'état de souffrance où je suis, tout m'est sorti de la mémoire, excepté ce que j'ai dit. " O mon Dieu ! " s'écria la narratrice, a comme tout cela, quand je le vois, me parait beau et profond, et en même temps simple et clair ! Mais je ne puis le raconter avec ordre, et il me faut tout oublier, à cause des misérables soucis de cette triste vie. '

Il y a lieu de s'effrayer de l'empire que prennent sur l'homme les choses de la vie, quelque déchue qu'elle soit, quand on considère tout ce qu'elles faisaient oublier à cette âme favorisée, si peu attachée à la terre. Elle voyait tous les ans à cette époque le tableau du départ de Marie pour le temple, et toujours l'apparition les deux prophètes sous forme de jeunes garçons s'y trouvait mêlée de quelque manière. Elle les voyait dans l'enfance, et non avec leur âge réel, parce qu'ils n'étaient pas personnellement présents dans cette circonstance et qu'ils ne s'y rattachaient que comme symbole. Si nous réfléchissons que bien des peintres aussi dans leurs tableaux historiques placent des personnages qui ne servent qu'à mettre en relief une vérité, et ne les représentent pas avec leur extérieur véritable, mais sous forme d'enfants, de génies ou d'anges, nous verrons que cette manière de représenter les choses n'est pas une création de leur fantaisie, mais qu'elle est dans la nature de toutes les apparitions : car la soeur Emmerich aussi n'a pas inventé ces apparitions, mais elles se sont ainsi montrées à elle.

Un an auparavant, au milieu de novembre 1820, la soeur, racontant ses contemplations relatives à la Présentation de Marie, parla encore de l'apparition des enfants prophètes dans les circonstances suivantes. Le 16 novembre, au soir, on avait apporté auprès de la soeur, alors endormie, une ceinture de pénitence qu'un homme, désireux de pratiquer la mortification, mais manquant tout à fait de direction ecclésiastique suivie, s'était faite avec une grosse courroie de cuir, hérissée de pointes de clous, et que, du reste, il ne lui avait pas été possible de porter une heure entière, à cause de la douleur excessive qu'elle produisait. Anne Catherine, dormant encore, fit un mouvement brusque comme pour éloigner ses mains de cette ceinture, et s'écria : " Oh ! c'est tout à fait déraisonnable et impraticable. Moi aussi, dans ma jeunesse, j'ai porté longtemps une ceinture de pénitence pour me mortifier et me surmonter moi-même ; mais il n'y avait que des pointes en fit de laiton, très courtes et très rapprochées. Avec cette ceinture-ci, il y a de quoi mourir. Cet homme s'est donné bien de la peine et il n'a pas pu la porter une fois pendant un peu de temps. On ne doit jamais rien faire de semblable sans la permission d'un directeur éclairé : mais il ne le savait pas, car il n'est pas en mesure d'avoir un directeur. De pareilles exagérations sont plus nuisibles qu'utiles.

Le lendemain matin, quand elle raconta les contemplations de la nuit, sous la forme d'un voyage fait en songe, elle dit, entre autres choses : " Je suis allée à Jérusalem, je ne sais pas exactement dans quel temps, mais c'était un tableau de l'époque des anciens rois de Juda. Je l'ai oublié. Il me fallut ensuite aller à Nazareth, vers la maison de sainte Anne. Devant Jérusalem, les deux jeunes garçons s'étaient joints à moi ; ils faisaient la même route. L'un d'eux portait à la main, d'un air très grave, un rouleau d'écritures. Le plus jeune avait son rouleau au bout d'un bâton, et s'amusait à le faire flotter au vent comme un drapeau. Ils me parlèrent avec joie de l'accomplissement des temps prédits dans leurs prophéties, car c'étaient des figures de prophètes. J'eus près de moi cette ceinture de pénitence qui me fut apportée hier, et je la montrai, je ne sais par quelle impulsion, à l'un de ces enfants-prophètes, qui était Élie. Il me dit : " C'est un instrument de torture qu'il n'est pas permis de porter. Moi aussi, sur le mont Carmel, j'ai préparé et porté une ceinture que j'ai laissée à tous les enfants de mon ordre, les Carmes et Carmélites. Voilà la ceinture que cet homme doit porter ; elle lui sera bien plus profitable que l'autre ".

Il me montra ensuite une ceinture, de la largeur de la main, où étaient dessinés des lettres et des signes de toute espèce, qui avaient rapport à certaines luttes et à certains triomphes sur soi-même. Il m'indiqua divers points, me disant : " Cet homme pourrait porter ceci huit jours, cela un jour, etc ". Oh ! comme je voudrais que ce brave homme sût cela !

Comme nous étions près de la maison de sainte Anne, et que je voulais y entrer, je ne pus pas en venir à bout, et mon conducteur, mon ange gardien, me dit : " il faut auparavant te défaire de beaucoup de choses ; tu dois revenir à l'âge de neuf ans ". Je ne savais pas comment m'y prendre, mais il m'aida, je ne sais comment, et trois années furent tout à fait retranchées de ma vie, ces trois années pendant lesquelles je fus si vaine de mes ajustements, et aimais tant à être une fille bien parée. Je finis par n'avoir que neuf ans, et alors je pus entrer dans la maison avec les enfants-prophètes. Alors Marie, à l'âge de trois ans, vint à ma rencontre ; elle se mesura avec moi, et elle était de ma taille quand elle s'approcha de moi. Oh ! qu'elle était affable et gracieuse, sans cesser pourtant d'être grave !

Je me trouvai dans la maison à côté des prophètes. On ne paraissait pas nous remarquer, nous ne dérangions personne. Quoiqu'ils fussent déjà vieux plusieurs siècles auparavant, ils ne s'étonnaient pas d'assister là en jeunes garçons ; et moi, qui étais pourtant une religieuse de quarante et quelques années, je n'étais pas surprise non plus de me retrouver une pauvre petite paysanne de neuf ans. Quand on est avec ces saints personnages, on ne s'étonne de rien, si ce n'est de l'aveuglement des hommes et de leurs péchés.

Elle raconta ensuite les préparatifs du voyage de Marie au temple, comme elle le faisait tous les ans à cette époque. L'obligation où elle fut de se sentir un enfant de neuf ans peut venir de ce que sa présence à ces scènes n'était pas plus réelle que celle des prophètes, et qu'il lui fallait, en pareil cas, revenir à l'âge de l'enfance. Ceux-là signifiaient l'accomplissement des prophéties ; elle, la contemplation de cet accomplissement. Elle sentit particulièrement qu'il lui fallait se dépouiller des trois années pendant lesquelles elle avait eu un peu de vanité dans les habits. Cela semblerait venir de ce que Marie, dans la cérémonie décrite plus haut, était revêtue de plusieurs habits de fête, et que la spectatrice devait les regarder avec la même humilité qu'elle, et n'y voir que leur signification spirituelle. La circonstance que la petite Marie se mesure avec elle peut vouloir dire : " Ce n'est que dans cet âge innocent de ton enfance que tu peux regarder cette sainte cérémonie avec la simplicité nécessaire ". Ou bien encore : " Vois, j'ai trois ans et toi neuf, pourtant je suis aussi grande que toi, car, dans mon intérieur, je suis bien au-dessus de mon âge, etc., etc ".

XXIX
Départ pour Jérusalem.

Je les vis se mettre en route pour Jérusalem dès le point du jour. La petite Marie désirait vivement arriver au temple; elle sortit de la maison en toute hâte et vint prés des bêtes de somme. Les jeunes garçons se montrèrent encore des textes sur leurs rouleaux. L'un de ces textes disait que le temple était magnifique, mais que cette enfant renfermait quelque chose de plus magnifique encore, etc. Il y avait deux bêtes de somme. L'un des ânes, qui était très chargé, était conduit par un serviteur ; il devait toujours se tenir un peu en avant des voyageurs. Sur l'autre âne, chargé aussi de paquets, qui se tenait devant la maison, on avait préparé une place pour s'asseoir, et Marie y fut mise. Joachim conduisait l'âne, et portait un grand bâton avec une grosse pomme ronde au bout ; c'était comme un bâton de pèlerin. Anne allait un peu en avant avec la petite Marie de Cléophas. Elle était accompagnée d'une servante pour tout le voyage. En outre, quelques femmes et enfants lui firent la conduite pendant un certain temps : c'étaient des parents qui se séparaient d'elle aux embranchements de la route qui les ramenaient chez eux. L'un des prêtres accompagna le cortège pendant quelque temps. Ils avaient une lanterne avec eux. mais je vis la lueur disparaître tout à fait devant cette lumière que je vois dans les voyages de nuit la sainte Famille et d'antres saints encore répandre sur la route autour d'eux, sans que je remarque pourtant qu'ils voient cette lumière. Au commencement, le prêtre me semblait marcher derrière la petite Marie, avec les enfants-prophètes. Plus tard, quand elle fut à pied, je fus à ses côtés. J'entendis plus d'une fois mes jeunes compagnons chanter le psaume quarante-quatre : Eructavit cor meum, et le quarante-neuvième : Deux deorum Dominus locutus est, et j'appris d'eux que ces psaumes seraient chantés à deux choeurs lors de l'admission de l'enfant au temple. J'entendrai cela quand ils seront arrivés.

Je vis au commencement le chemin descendre la pente d'une colline, et plus tard remonter de nouveau. Comme il était de bonne heure et que le temps était beau, je vis Je cortège s'arrêter près d'une fontaine d'où sortait un ruisseau ; il y avait là une prairie. Les voyageurs se reposèrent contré une haie d'arbrisseaux de baume. On plaçait toujours sous ces arbrisseaux des écuelles de pierre où était recueilli le baume tombant goutte à goutte. Les voyageurs en mirent dans leur eau et en remplirent de petits vases. Il y avait là d'autres arbustes avec des baies qu'ils cueillirent et mangèrent. Ils mangèrent aussi des petits pains. Ici les deux enfants-prophètes avaient disparu. L'un d'eux était Elie ; l'autre me parut être Moise. La petite Marie les vit bien, mais elle n'en dit rien. C'est ainsi qu'on voit quelquefois dans son enfance de saints enfants, et dans un âge un peu plus avancé de saintes jeunes filles ou de saints jeunes gens apparaître près de soi, et qu'on ne le dit pas aux autres, parce que, dans cet état, on est tout à fait calme et recueilli.

Plus tard, je les vis entrer dans une maison isolée où ils furent bien accueillis et prirent quelques provisions. Les habitants de cette maison paraissaient être de leurs parents. C'est de là qu'on renvoya la petite Marie de Cléophas. Pendant la journée, je tournais encore plusieurs fois mes regards sur ce voyage, qui est assez pénible. On monte et on descend beaucoup. Souvent il y a dans les vallées du brouillard et de la rosée ; cependant je vois aussi certains endroits bien exposés, où il pousse maintenant des fleurs.

Avant d'arriver à l'endroit où ils devaient passer la nuit, ils trouvèrent un petit cours d'eau. Ils logèrent dans une auberge située au pied d'une montagne sur laquelle est une ville. Malheureusement je ne puis plus bien indiquer le nom de ce lieu. Je le vis à l'occasion d'autres voyages de la sainte Famille ; ce qui fait que je puis me tromper aisément sur le nom. Tout ce que je puis dire, quoique non avec une entière certitude, c'est qu'ils suivirent la direction de la route que fit Jésus, au mois de septembre dans sa trentième année, en allant de Nazareth à Béthanie, et ensuite au baptême de Jean. La sainte Famille suivit aussi ce même chemin lors de la fuite en Égypte. La première étape de cette fuite fut à Nazara, un petit endroit entre Massaloth et une ville située sur une hauteur, mais plus près de cette dernière. Je vois toujours de tous les côtés tant de lieux dont j'entends prononcer les noms, que je confonds aisément les uns avec les autres. La ville couvre le penchant d'une montagne et se divise en plusieurs parties, si tant est que toutes lui appartiennent. On y manque d'eau- : il faut la faire monter d'en bas avec des cordes. Il y a là de vieilles tours en ruine. Sur le sommet de la montagne est une tour comme un observatoire. Il s'y trouve un appareil en maçonnerie avec des poutres et des cordes, comme pour faire monter quelque chose de la ville, qui est placée plus bas. Les cordes y sont en si grand nombre que cela ressemble à des mats de navire. Il y a bien une heure du pied de la montagne jusqu'en haut. Les voyageurs entrèrent dans une auberge qui est en bas. On a une vue très étendue du haut de cette montagne. Il y avait dans une partie de la ville des paiens qui étaient comme des esclaves vis-à-vis des Juifs, et étaient obligés à beaucoup de corvées. Ainsi il leur a fallu travailler au temple et à d'autres bâtisses '.

D'après la situation du lieu, la mention de cette population en partie païenne, et la circonstance que Jésus voyages dans cette direction lorsqu'il alla recevoir le baptême, on peut conjecturer que cette ville était Endor : car dans ses visions quotidiennes sur les années de la prédication de Jésus, elle le vit dans le milieu du mois de septembre célébrer le sabbat dans un petit endroit au-dessous d'Endor ; et elle le vit aussi dans la ville haute d'Endor, en partie déserte, instruire des Chananéens qui s'étaient établis là depuis la défaite de Sisara, à l'armée duquel leurs ancêtres avaient appartenu.

Le 4 novembre l821, elle raconta ce qui suit : J'ai va ce soir la petite Marie arriver avec ses parents dans une ville située à environ six lieues de Jérusalem dans la direction du nord-ouest. Elle s'appelle Bethoron et se trouve au pied d'une montagne. Dans le voyage, ils ont travers une petite rivière qui se jette dans la mer, au couchant, dans les environs de Joppé, où saint Pierre enseigna après la descente au Saint Esprit. On a livré de grandes batailles près de Bethoron, je les ai oubliées. (Voyez Josué, X, 11 ; Macch. VII, 39-40). Il y avait de là encore deux lieues jusqu'à un endroit de la route d'où l'on pouvait voir Jérusalem. J'ai entendu le nom de cette route ou de cet endroit, mais je ne puis bien le préciser '. Bethoron est un endroit considérable. C'est une ville de lévites. On y trouve de très beaux raisins et beaucoup d'autres fruits. La sainte Famille entra chez des amis dans une maison bien disposée. Celui qui l'habitait était maître d'école. C'était une école de lévites, et il y avait plusieurs enfants dans la maison. Ce qui m'étonna, ce fut de voir là plusieurs des parentes d'Anne avec leurs petites filles ; je croyais qu'elles étaient retournées chez elles au commencement du voyage. Comme je le vois, elles étaient venues en avant par un chemin plus court, probablement pour annoncer la venue de la sainte Famille. Les parents de Nazareth, de Séphoris, de Zabulon, qui avaient assisté à l'examen de Marie, étaient ici avec leurs petites filles ; par exemple, la soeur aînée de Marie et sa fille Marie de Cléophas , et la soeur d'Anne, venue de Séphoris avec ses filles.

On fit une vraie fête à la petite Marie : on la conduisit, en compagnie des autres enfants, dans une grande salle ; on la mit sur un siège élevé qui était comme un petit trône préparé pour elle. Alors le maître d'école et d'autres personnes présentes lui firent toutes sortes de questions et mirent des guirlandes sur sa tête.

Elle se souvenait que ce nom ressemblait à Marion (peut-être Marom). On sait qu'il y avait une route de Jérusalem à Nicopolis et à Lydda, qui passait près de Betheron. La soeur donnait d'autres détails sur les montagnes et les vallées traversées antérieurement dans ce voyage ; mais, comme elle n'exprimait pas clairement Tout ce qu'elle voyait, et que son point de vue ne pouvait être bien déterminé, tout cela ne peut être reproduit.

Tout le monde était étonné de la sagesse de ses réponses. J'entendis parler aussi de l'esprit judicieux d'une autre jeune fille qui avait passé par là peu de temps auparavant en revenant de l'école du temple chez ses parents. Elle s'appelait Suzanne', et figura plus tard parmi les saintes femmes qui suivaient Jésus. Marie prit sa place, car il y avait au temple un nombre fixé de places pour les jeunes filles. Suzanne avait quinze ans quand elle quitta le temple, par conséquent environ onze ans de plus que Marie. Sainte Anne aussi avait été élevée dans le temple, mais elle n'y était venue que dans sa cinquième année.

La chère petite Marie était toute joyeuse d'être si près du temple. Je vis Joachim la serrer dans ses bras en pleurant, et lui dire : " Mon enfant, je ne te reverrai plus ". On avait préparé un repas, et je vis, pendant qu'on était à table, Marie aller de côté et d'autre d'une façon toute gracieuse et se serrer contre sa mère, ou, se tenant derrière elle, lui passer ses bras autour du cou.

Le 6 novembre, elle dit : Ce matin, de très bonne heure, je vis les voyageurs partir de Bethoron pour Jérusalem. Tous les parents, avec leurs enfants, s'étaient joints à eux, ainsi que leurs hôtes ; ils avaient avec eux des présents pour l'enfant : c'étaient des habits et des fruits. Il me semble qu'il y a une fête à Jérusalem. J'appris que Marie avait tout juste trois ans et trois mois ; mais elle était aussi avancée que chez nous un enfant de cinq ou six ans. Dans leur voyage, ils n'allèrent ni à Ussencheera, ni à Gophna, où pourtant ils avaient des connaissances, mais ils passèrent dans les environs.

La soeur donne plus de détails sur Suzanne et sa parente avec la sainte Famille le 28 septembre ou 27 élul de la première année de prédication de Notre-seigneur.

XXX
Arrivée à Jérusalem. La ville. Le temple.

Le 6 novembre 1821, dans la soirée, la soeur raconta ce qui suit : J'ai vu aujourd'hui, à midi, l'arrivée de Marie à Jérusalem, avec le cortège qui l'accompagnait. Jérusalem est une singulière ville. Il ne faut pas se figurer qu'il y ait autant de gens dans les rues qu'il y en a, par exemple, à Paris. A Jérusalem, il y a plusieurs vallées escarpées qui passent derrière la ville, sur lesquelles ne donne aucune porte ni aucune fenêtre, et qui sont dominées par des maisons tournées toutes de l'autre côté ; car plusieurs quartiers de la ville ont été bâtis successivement les uns à la suite des autres, et l'on y a ainsi renfermé plusieurs hauteurs ; mais les murs de la ville sont restés au milieu des maisons. Souvent ces vallées sont traversées par des ponts élevés et solidement bâtis. Dans la plupart des maisons, les chambres habitées sont autour des cours et tournées vers l'intérieur. Du côté de la rue, on ne voit que la porte ou bien une terrasse au-dessus du mur. A cela près, les maisons sont parfaitement closes. Quand les habitants n'ont pas affaire au marché, ou qu'ils ne prennent pas le chemin du temple, ils sont presque toujours dans l'intérieur des cours ou des maisons.

En général, les rues de Jérusalem sont assez tranquilles, excepté dans le voisinage des marchés et des palais, où il y à un certain mouvement de soldats et de voyageurs. Là, aussi, il y a plus de vie et plus de communications des habitations aux rues. Rome est beaucoup plus agréable ; il n'y a pas tant de chemins étroits et escarpés, et les rues sont bien plus animées.

Aux époques où tout le monde est rassemblé autour du temple, plusieurs quartiers de la ville sont tout à fait morts. L'habitude qu'on a de rester chez soi, et la quantité de chemins solitaires dans les vallées faisaient que Jésus pouvait souvent parcourir la ville avec ses disciples sans être dérangé par personne. Il n'y a pas abondance d'eau dans la ville. On voit des suites d'arcades sur lesquelles on la fait passer, et des tours où on la pompe et où on l'élève à une grande hauteur. Au temple, où il faut beaucoup d'eau pour laver et nettoyer les vases, on en est très économe. On l'y fait monter à l'aide de grandes machines hydrauliques.

Il y a beaucoup de marchands dans la ville ; ils sont établis ordinairement sur les marchés et sur les places publiques dans de petites cabanes. Ainsi, par exemple, il y a dans le voisinage de la porte des Brebis beaucoup de gens qui vendent toute espèce de bijoux, de l'or et des pierres brillantes. Ils ont de petites cabanes rondes, qui sont de couleur brune, comme si elles étaient enduites de poix ou de résine. Elles sont légères et pourtant très solides. Ils y font leur ménage ; d'une de ces cabanes à l'autre on étend des toiles sous lesquelles ils exposent leurs marchandises. La montagne sur laquelle le temple est bâti est du côté où la pente est la plus douce, entourée de maisons qui forment plusieurs rues derrière des murs épais ; elles sont sur des terrasses placées les unes au-dessus des autres. Il y loge des prêtres et aussi des serviteurs subalternes du temple, qui font les gros ouvrages, comme, par exemple, de nettoyer les fosses où se rendent les immondices provenant des sacrifices d'animaux faits dans le temple.

Il y a un côté, celui du nord, si je ne me trompe, ou la montagne du temple est très escarpée. En haut, tout autour du sommet, se trouve une zone de verdure formée par de petits jardins qu'ont là les prêtres. Même au temps de Jésus-Christ, on travaillait toujours à certaines parties du temple. Ce travail ne cessa jamais. Dans la montagne du temple, il y avait beaucoup de minerai qu'on en retira lorsqu'on bâtit et qu'on employa dans la construction de l'édifice. Il y a sous le temple plusieurs caves et des endroits pour fondre des métaux. Je n'ai jamais trouvé dans le temple une place où je pusse bien prier. Tout y est extraordinairement massif, haut et solide. Les nombreuses cours qui s'y trouvent, sont étroites et sombres, encombrées d'échafaudages et de sièges ; et, quand la foule y est grande, on se trouve à l'étroit entre ces gros murs et ces épaisses colonnes, au point d'en être effrayé. Je n'aime pas non plus ces sacrifices continuels et ce sang versé en abondance, quoique tout cela s'y fasse avec un ordre et une propreté incroyables. Il y avait longtemps, ce me semble, que je n'avais vu tous les bâtiments, les chemins et les passages, aussi distinctement qu'aujourd'hui. Mais il y a tant de choses, que je ne puis pas en bien rendre compte.

Les voyageurs, avec la petite Marie, arrivèrent à Jérusalem par le côté du nord ; toutefois, il n'entrèrent pas là, mais tournèrent autour de la ville jusqu'au mur oriental, en suivant une partie de la vallée de Josaphat. Alors, laissant à gauche la montagne des Oliviers et le chemin de Béthanie, ils entrèrent dans la ville par la porte des Brebis, qui conduit au marché aux bestiaux. Près de cette porte, est une piscine, où on lave pour la première fois les brebis destinées aux sacrifices. Ce n'est pas la piscine de Béthesda.

Le cortège, après s'être un peu avancé dans la ville, tourna de nouveau à droite et entra comme dans un autre quartier. Ils suivirent ensuite une longue vallée intérieure que dominent d'un côté les hautes murailles d'un quartier plus élevé ; puis ils vinrent dans la partie occidentale, dans les environs du marché au poisson, où se trouve la maison paternelle de Zacharie d'Hébron. Il y avait là un homme très âgé ; c'était, je crois, le frère de son père. Zacharie revenait toujours là après avoir fait son service au temple. Lui-même était encore dans la ville ; son temps de service était fini, et il ne devait plus rester que quelques jours à Jérusalem, pour assister à l'entrée de Marie au temple. Il n'était pas présent lors de l'arrivée du cortège. Il se trouvait alors dans la maison plusieurs parents des environs de Bethléhem et d'Hébron, notamment deux filles de la soeur d'Elisabeth. Elisabeth, elle-même, n'était pas présente. Toutes ces personnes vinrent au-devant des voyageurs, jusqu'à un quart de lieue par le chemin de la vallée ; elles avaient avec elles plusieurs jeunes filles qui portaient des guirlandes et des branches d'arbres. Elles reçurent les arrivants avec des démonstrations de joie, et conduisirent le cortège à la maison de Zacharie, où on leur fit fête. On leur donna quelques rafraîchissements, et l'on se disposa à les conduire à une auberge voisine du temple, où les étrangers logent les jours de fête. Les animaux destinés au sacrifice par Joachim avaient été déjà conduits des environs du marché aux bestiaux dans des étables situées près de cette maison. Zacharie vint aussi pour conduire le cortège de sa maison paternelle à l'auberge en question.

On mit à la petite Marie le second vêtement de cérémonie avec le manteau bleu céleste. Tous se mirent en marche, formant comme une procession. Zacharie allait en avant, avec Joachim et Anne ; puis, venait Marie, entourée de quatre petites filles habillées de blanc ; les autres enfants, avec leurs parents, fermaient la marche. Ils suivirent plusieurs rues et passèrent devant le palais d'Hérode, et devant la maison qu'habita plus tard Pilate. Ils se dirigèrent vers l'angle nord-est du temple, ayant derrière eux la forteresse Antonia, grand édifice fort élevé, situé au nord-ouest du temple. Ils montèrent un escalier percé dans une haute muraille. La petite Marie monta toute seule avec un empressement joyeux ; on voulait l'aider mais elle ne le permit pas ; tout le monde la regardait avec étonnement.

La maison où ils entrèrent était une auberge pour les jours de fête, 6ituée à peu de distance du marché aux bestiaux. Il y avait plusieurs auberges de ce genre autour du temple. Zacharie avait loué celle-ci pour eux. C'était un grand bâtiment avec quatre galeries autour d'une cour spacieuse. Dans les galeries étaient les chambres à coucher, et aussi de longues tables basses. Il y avait, en outre, une vaste salle et un âtre pour la cuisine. La cour où étaient les animaux envoyés par Zacharie était dans le voisinage Des deux côtés de cet édifice habitaient des serviteurs du temple, qui avaient des fonctions dans tes sacrifices Quand les voyageurs entrèrent, on leur lava les pieds comme on faisait aux étrangers : ils furent lavés aux hommes par des hommes, aux femmes par des femmes. Ils se rendirent ensuite dans une salle au milieu de laquelle une grande lampe à plusieurs bras était suspendue au-dessus d'un grand bassin d'airain rempli d'eau. Ils s'y lavèrent je visage et les mains. Quand on eut déchargé la bête de somme de Joachim, un serviteur la mena à l'écurie. Joachim, qui s'était fait annoncer comme devant sacrifier, suivit les serviteurs du temple dans l'endroit où étaient les animaux qu'ils examinèrent.

Joachim et Anne se rendirent ensuite avec Marie dans l'habitation des prêtres, laquelle était située plus haut. Ici aussi l'enfant, comme poussée et portée par un esprit intérieur, monta les degrés très vite et avec un élan extraordinaire. Les deux prêtres qui étaient dans la maison, l'un très âgé, l'autre plus jeune, les accueillirent très amicalement ; tous deux avaient assisté à l'examen de Marie à Nazareth, et ils attendaient sa venue. Après qu'on eut échangé quelques paroles sur le voyage et sur la cérémonie prochaine de la présentation, ils firent appeler une des femmes du temple : c'était une veuve âgée qui devait être chargée de veiller sur l'enfant. Elle habitait dans le voisinage du temple avec d'autres personnes de même condition ; elle faisait toutes sortes d'ouvrages de femme et élevait des petites filles. Leur habitation était un peu plus éloignée du temple que les pièces immédiatement adjacentes à cet édifice, dans lesquelles avaient été disposés, pour les femmes et les jeunes filles consacrées au service du temple, de petits oratoires d'où l'on pouvait voir dans le sanctuaire sans être vu soi-même. La matrone qui venait d'arriver était si bien enveloppée dans ses vêtements, qu'on pouvait à peine voir un peu de son visage. Les prêtres et les parents de Marie lui présentèrent l'enfant comme devant être confiée à ses soins. Elle fut affectueuse avec dignité, sans cesser d'être grave ; l'enfant, de son côté, se montra humble et respectueuse. On instruisit cette femme de tout ce qui concernait Marie, et on s'entretint avec elle touchant la remise solennelle au temple. Elle descendit avec eux à l'auberge, prit un paquet d'effets appartenant à l'enfant, et les emporta avec elle pour tout préparer dans le logement qui lui était destiné.

Les gens qui avaient accompagné le cortège depuis la maison de Zacharie, s'en retournèrent chez eux. Seulement les parents venus avec la sainte Famille restèrent dans l'auberge louée par Zacharie. Les femmes s'installèrent et préparèrent tout pour un repas de fête qui devait avoir lieu le jour suivant 18.

Joachim et quelques autres hommes conduisirent de bon matin les victimes au temple devant lequel elles furent encore inspectées par les prêtres. Quelques animaux furent rejetés, et on les conduisit aussitôt dans la ville au marché aux bestiaux. Les animaux acceptés par les prêtres furent conduits dans la cour où ils devaient être immolés. Je vis là bien des choses que je ne saurais plus raconter dans l'ordre où elles se passèrent. Je me souviens qu'avant l'immolation, Joachim mettait la main sur la tête de chacune des victimes. Il devait recevoir le sang, dans un vase et aussi quelques parties de l'animal. Il y avait là des colonnes, des tables et des vases où tout était découpé, partagé et rangé. L'écume du sang était enlevée ; la graisse, le foie et la rate étaient mis à part. On salait aussi le tout. Les intestins des agneaux étaient nettoyés, remplis de quelque chose et remis dans le corps, en sorte que l'agneau semblait rester tout entier. Les pieds des animaux étaient attachés en forme de croix. On portait une grande partie de la chair dans une autre cour aux vierges du temple, qui avaient quelque chose à faire à cette occasion. Peut-être devaient-elles la préparer pour leur nourriture ou pour celle des prêtres.

Tout cela se passait avec un ordre incroyable. Les prêtres et les lévites allaient et venaient, toujours deux par deux, et, dans ce travail compliqué et pénible, tout se faisait facilement et comme de soi-même. Les morceaux destinés au sacrifice restaient dans le sel jusqu'au jour suivant, qui était celui où ils étaient offerts sur l'autel.

Dans l'auberge il y eut aujourd'hui fête et repas solennel. Il y avait bien là cent personnes, les enfants compris. Environ vingt-quatre jeunes filles de différents âges étaient présentes. Je vis, entre autres, Séraphia, qui fut nommée Véronique après la mort de Jésus. Elle était déjà assez grande, elle pouvait bien avoir dix ou douze ans. On prépara des couronnes et des guirlandes de fleurs pour Marie et ses compagnes. L'on para aussi sept cierges ou flambeaux : c'étaient comme des chandeliers en forme de sceptre, sans piédestal'. Quant à la flamme qui brillait à leur extrémité, je ne sais si elle était alimentée par de l'huile, par de la cire ou par quelque autre matière. Pendant la fête, plusieurs prêtres et lévites entrèrent et sortirent. Ils prirent aussi part au repas. Comme ils s'étonnaient de la quantité de victimes offertes par Joachim, il leur dit qu'en souvenir de l'affront qu'il avait reçu au temple quand son sacrifice avait été rejeté, et à cause de la miséricorde de Dieu qui avait exaucé sa prière, il voulait maintenant témoigner sa reconnaissance suivant ses moyens. Je vis encore aujourd'hui la petite Marie se promener à l'entour de la maison avec les autres jeunes filles. J'ai oublié beaucoup d'autres choses.

XXXI
Entrée de Marie dans le temple et Présentation

Voici ce qu'elle raconta le 8 novembre 1821 :

Aujourd'hui, de bon matin, Joachim alla au temple avec Zacharie et les autres hommes. Plus tard, Marie y fut conduite aussi par sa mère avec un cortège solennel.

Anne et sa fille aînée Marie Héli, avec la petite Marie de Cléophas, marchaient en avant ; puis venait la sainte enfant avec sa robe et son manteau bleu de ciel, les bras et le cou ornés de guirlandes. Elle portait à la main un cierge ou flambeau entouré de fleurs. Près d'elle, de chaque côté, marchaient trois petites filles avec des flambeaux pareils et des robes blanches brodées d'or. Comme, elle aussi, elles portaient de petits manteaux bleu clair, étaient entourées de guirlandes de fleurs et avaient de petites couronnes autour du cou et des bras. Ensuite venaient les autres vierges et petites filles, toutes habillées comme pour une fête, mais non pas uniformément : toutes portaient de petits manteaux. Les autres femmes fermaient la marche.

On ne pouvait pas aller droit au temple en partant de leur logis, mais il fallait faire un détour et passer par plusieurs rues. Tout le monde se réjouissait à l'approche de ce beau cortège, auquel on rendait des honneurs à la porte de plusieurs maisons. La petite Marie avait dans ses allures quelque chose de saint et de singulièrement touchant.

Lorsque le cortège arriva, je vis plusieurs serviteurs du temple occupés à ouvrir, avec de grands efforts, une porte très grande et très lourde, brillante comme de l'or, et sur laquelle étaient sculptés des têtes, des grappes de raisin et des bouquets d'épis'. C'était la porte dorée. Le cortège passa par cette porte Il fallait monter cinquante marches pour y arriver ; je ne sais plus s'il y avait entre elles des intervalles de plain-pied. On voulut conduire Marie par la main, mais elle s'y refusa. Elle monta les degrés rapidement et sans trébucher, pleine d'un joyeux enthousiasme. Tout le monde était vivement ému.

Sous la porte elle fut reçue par Zacharie, par Joachim et par quelques prêtres qui la conduisirent à droite sous la large arcade de la porte, dans des salles élevées où un repas était préparé pour quelqu'un. Le cortège se sépara ici. La plupart des femmes et des enfants se rendirent dans le temple à l'endroit où priaient les femmes ; Joachim et Zacharie allèrent au lieu du sacrifice. Les prêtres firent encore quelques questions à Marie dans l'une des salles ; et, quand ils se furent retirés, étonnés de la sagesse de l'enfant, Anne mit à sa fille le troisième vêtement de fête, qui était d'un bleu violet, ainsi que le manteau, le voile et la couronne que j'ai déjà décrits lors du récit de la cérémonie qui eut lieu dans la maison d'Anne'.

Il est a remarquer que le tabernacle de Moise avait des couvertures de fête de trois espèces, dont celle de dessous, qui était la plus belle, était bleue et rouge. Il y avait encore par-dessus une quatrième couverture plus grossière. De même aussi la très sainte Vierge, dont le tabernacle de l'alliance était la figure, avait, outre ses habits de fête, un habillement de tous les jours. On peut consulter, quant à la triple, couverture du tabernacle et à la quatrième moins précieuse, le livre de l'Exode (XXVI, 1-14).

Pendant ce temps, Joachim était allé au sacrifice avec les prêtres. Il reçut du feu pris dans un lieu déterminé, et se tint entre deux prêtres dans le voisinage de l'autel. Je suis trop malade et trop distraite pour pouvoir mettre l'ordre nécessaire dans la description du sacrifice. Je ne me rappelle que ce qui suit.

On ne pouvait arriver à l'autel que de trois côtés. Les morceaux préparés pour le sacrifice n'étaient pas réunis en un seul endroit, mais rangés autour en différentes places. Aux quatre coins de l'autel étaient quatre colonnes de métal, creuses à l'intérieur, sur lesquelles reposaient comme des conduits de cheminée C'étaient de larges entonnoirs en cuivre qui se terminaient à l'extérieur par des tuyaux en forme de cornes, en sorte que la fumée s'en allait par là en passant par-dessus la tête des prêtres qui sacrifiaient.

Pendant que le sacrifice de Joachim se consumait sur l'autel, Anne alla avec Marie et les jeunes filles qui l'accompagnaient dans le vestibule des femmes, qui était la place où se tenaient les femmes dans le temple. Ce lieu était séparé de l'autel du sacrifice par un mur qui se terminait en haut par un grillage. Au milieu de ce mur de séparation, il y avait pourtant une porte. Le vestibule des femmes, à partir du mur de séparation, allait toujours en montant, en sorte que celles au moins qui étaient aux places les plus éloignées pouvaient voir, jusqu'à un certain point, l'autel du sacrifice. Quand la porte du mur de séparation était ouverte, une partie d'entre elles pouvait voir l'autel. Marie et les autres jeunes filles étaient debout devant Anne, et les autres femmes de la famille à peu de distance de la porte. A une place à part se tenait une troupe d'enfants du temple, vêtus de blanc, qui jouaient de la flûte et de la harpe.

Après le sacrifice, on dressa sous la porte du mur de séparation un autel portatif couvert ou une table de sacrifice', avec quelques marches pour y monter. Zacharie et Joachim vinrent avec un prêtre de la cour des sacrifices à cet autel, devant lequel se tenaient un prêtre et deux lévites, avec des rouleaux et tout ce qu'il fallait pour écrire. Un peu en arrière étaient les jeunes filles qui avaient accompagné Marie. Marie s'agenouilla sur les marches ; Joachim et Anne étendirent leurs mains sur sa tête. Le prêtre lui coupa quelques cheveux qui furent brûlés sur un brasier. Les parents prononcèrent quelques paroles par lesquelles ils offraient leur enfant, et que les deux lévites écrivirent. Pendant ce temps, les jeunes filles chantaient le psaume quarante-quatre : Eructavit cor meum vertum bonum, et les prêtres le psaume quarante-neuf : Deus deorum Dominus locutus est, et les jeunes garçons jouaient de leurs instruments.

Cette table de sacrifice était placée sous la porte en question, parce que les femmes ne pouvaient pas aller plus loin. Joachim, lors de sa rencontre avec Anne, était descendu dans le passage souterrain au-dessous de l'arceau de cette porte ; Anne, du côté opposé.

Je vis alors deux prêtres prendre Marie par la main et la conduire par plusieurs marches à une place élevée du mur qui séparait le vestibule du sanctuaire d'avec ce dernier lieu. Ils placèrent l'enfant dans une espèce de niche située au milieu de ce mur eu "rte qu'elle pouvait voir dans le temple, où se tenaient rangés en ordre plusieurs hommes qui me parurent consacrés au temple. Deux prêtres étaient à ses côtés ; il y en avait sur les marches quelques autres qui récitaient à haute voix des prières écrites sur des rouleaux. De l'autre côté du mur, un vieux prince des prêtres se tenait debout près d'un autel, à un endroit assez élevé pour qu'on pût le voir à moitié. Je le vis présenter de l'encens dont la fumée se répandit autour de Marie.

Pendant cette cérémonie, je vis autour de la sainte Vierge un tableau symbolique qui bientôt remplit le temple et l'obscurcit, pour ainsi dire. Je vis une gloire lumineuse sous le coeur de Marie, et je connus qu'elle renfermait la promesse, la très sainte bénédiction de Dieu. Je vis cette gloire se montrer comme entourée de l'arche de Noé, de façon que la tête de la sainte Vierge s'élevait au-dessus de l'arche. Je vis ensuite cette arche de Noé prendre la forme de l'Arche d'alliance, et celle-ci à son tour comme renfermée dans le temple. Puis je vis ces formes disparaître, et le calice de la sainte cène se montrer hors de la gloire devant la poitrine de Marie, et au-dessus de lui, devant la bouche de la Vierge, un pain marqué d'une croix. A ses côtés brillaient des rayons à l'extrémité desquels se montraient, exprimés par des figures, plusieurs symboles mystiques de la sainte Vierge, comme, par exemple, tous les noms des litanies que l'Église lui adresse. De ses deux épaules partaient, en se croisant, deux branches d'olivier et de cyprès, ou de cèdre et de cyprès au-dessus d'un beau palmier, avec un petit bouquet de feuilles que je vis apparaître derrière elle. Dans les intervalles de ces branches, je vis tous les instruments de la Passion de Jésus-Christ. Le Saint Esprit sous une forme ailée qui semblait se rapprocher plus de 1a forme humaine que de celle de la colombe, planait sur le tableau, au-dessus duquel je vis le ciel ouvert, et le centre de la Jérusalem céleste, la cité de Dieu avec tous ses palais, ses jardins et les places des saints futurs : tout cela était plein d'anges, de même que la gloire qui maintenant entourait la sainte Vierge était remplie de têtes d'anges'.

L'Eglise, dans les heures canoniques, répète souvent la prière Omnium nostrum habitatio est in , sancta Dei Genitrix, ce qui s'accorde bien avec la représentation où Marie parait sous la figure de l'arche de Noé, dans laquelle habitait tout ce qui était sauvé du déluge.

Qui pourrait rendre ces choses par des expressions humaines. Tout cela se montrait sous des formes si diverses, si multipliées, naissant les unes des autres avec de si continuelles transformations, que j'en ai oublié la plus grande partie. Tout ce qui se rapporte à la sainte Vierge dans l'ancienne et la nouvelle alliance, et jusque dans l'éternité, se trouvait représenté par là Je ne puis comparer cette apparition qu'avec celle que j'eus en plus petit il n'y a pas longtemps, et où je vis dans toute sa magnificence le saint Rosaire, que beaucoup de gens qui se croient habiles comprennent bien moins que les pauvres gens de la basse classe qui le récitent dans leur simplicité : car ceux-ci ajoutent à son éclat par leur obéissance, leur piété, et leur humble confiance dans l'Église qui recommande cette prière. Lorsque je vis tout cela, toutes les magnificences et les beautés du temple, ainsi que les murs élégamment ornés qui étaient derrière la sainte Vierge, me parurent ternes et noircis : le temple lui-même sembla bientôt disparaître ; Marie et la gloire qui l'entourait remplissaient tout. Pendant que toutes ces visions passaient sous mes yeux, je ne vis plus la sainte Vierge sous la forme d'une enfant ; elle m'apparut grande et planant en l'air, et je voyais pourtant les prêtres, le sacrifice de l'encens et tout le reste à travers cette image : on eût dit que le prêtre était placé derrière elle, annonçait l'avenir et invitait le peuple à remercier Dieu et à le prier, parce que de cette enfant il devait sortir quelque chose de grand. Tous ceux qui étaient présents au temple, quoiqu'ils ne vissent pas ce que je voyais, étaient graves, recueillis et profondément émus Le tableau s'évanouit par degrés, ainsi que je l'avais vu apparaître. A la fin, je ne vis plus que la gloire sous le coeur de Marie, et la bénédiction de la promesse qui brillait au dedans ; puis cette vision aussi disparut, et je vis de nouveau la sainte enfant avec sa parure, seule entre deux prêtres.

Les prêtres prirent les couronnes qui étaient autour ce ses bras ainsi que le flambeau qu'elle avait à la main, et les donnèrent à ses compagnes. Ils lui mirent sur la tête une espèce de voile brun, et, lui ayant fait descendre les degrés, ils la conduisirent par une porte dans une salle voisine où six autres vierges du temple, mais plus âgées, vinrent à sa rencontre en jetant des fleurs devant elle. Elles étaient suivies de leurs maîtresses, Noémi, soeur de la mère de Lazare, la prophétesse Anne et une troisième. Les prêtres reçurent entre leurs mains la petite Marie, après quoi ils se retirèrent. Les père et mère de l'enfant, ainsi que leurs plus proches parents, se trouvaient là aussi ; on acheva les chants sacrés, et Marie prit congé de sa famille. Joachim surtout était profondément ému ; il prit Marie dans ses bras, la serra contre son coeur, et lui dit avec larmes : " Souviens-toi de mon âme devant Dieu ". Marie se rendit alors avec les maîtresses et plusieurs jeunes filles dans le logement des femmes, attenant au côté septentrional du temple proprement dit. Elles habitaient des chambres qui avaient été pratiquées dans les gros murs du temple. Elles pouvaient, par des passages et des escaliers, monter à de petits oratoires placés près du sanctuaire et du Saint des saints.

Les parents de Marie revinrent à la salle voisine de la porte dorée où ils s'étaient arrêtés d'abord, et y prirent un repas avec les prêtres. Les femmes mangeaient dans une salle séparée. J'ai oublié, parmi beaucoup d'autres choses, pourquoi la fête avait été si brillante et si solennelle. Je sais pourtant que ce fut par suite d'une révélation de la volonté divine à cet égard. Les parents de Marie avaient de l'aisance. Ils ne vivaient pauvrement que par esprit de mortification et pour pouvoir faire plus d'aumônes. Ainsi Anne, pendant je ne sais combien de temps, ne mangea que des aliments froids. Mais ils tenaient leurs gens dans l'abondance et les dotaient. – J'ai vu beaucoup de personnes qui priaient dans le temple. Il y en avait aussi un grand nombre qui avaient suivi le cortège jusqu'à la porte du temple. – Quelques-uns des assistants durent avoir un pressentiment des destinées de la sainte Vierge, car je me souviens de quelques paroles que sainte Anne, dans un moment d'enthousiasme joyeux, adressa à quelques femmes, et dont le sens était : " Voici l'Arche d'alliance, le vase de la promesse, qui entre dans le temple. "– Les père et mère de Marie, ainsi que les autres parents, s'en retournèrent aujourd'hui jusqu'à Bethoron.

Je vis aussi une fête chez les vierges du temple. Marie dut demander aux maîtresses et à chaque jeune fille en particulier si elles voulaient la souffrir parmi elles. C'était l'usage d'agir ainsi. Il y eut ensuite un repas et une sorte de petite fête où quelques-unes des jeunes filles jouèrent de certains instruments de musique. Le soir, je vis Noémi, l'une des maîtresses, conduire la sainte Vierge dans la petite chambre qui lui était destinée et d'où l'on pouvait voir dans le temple. Il y avait une petite table et un escabeau ; dans les angles étaient disposées des tablettes. En avant de cette petite chambre était une place pour la couche et une garde-robe, ainsi que la chambre de Noémi. Marie parla à celle-ci de son désir de se lever plusieurs fois la nuit, mais Noémi ne le lui permit pas pour le moment.

Les femmes du temple portaient de longs et amples vêtements blancs avec des ceintures, et des manches très - larges qu'elles relevaient pour travailler. Elles étaient voilées. Je ne me souviens pas d'avoir jamais vu qu'Hérode ait fait rebâtir à neuf le temple entier. Je vis seulement qu'on y fit sous son règne divers changements. Lorsque Marie vint au temple, onze ans avant la naissance de Jésus-Christ, on ne faisait pas de travaux dans le temple proprement dit, mais, comme toujours, on travaillait aux constructions extérieures : cela ne cessa jamais.

Le 21 novembre, la soeur dit ce qui suit : J'ai vu aujourd'hui la chambre qu'habitait Marie au temple. Dans la partie septentrionale du temple, vis-à-vis du sanctuaire se trouvaient dans le haut plusieurs chambres qui communiquaient avec les habitations des femmes. La chambre de Marie était l'une des plus reculées vis-à-vis du Saint des saints. On passait du corridor en levant un rideau dans une pièce antérieure, qui était séparée de la chambre proprement dite par une cloison de forme convexe ou terminée en angle. Dans l'angle, à droite et à gauche, étaient des compartiments pour mettre des habits et des effets ; vis-à-vis de la porte pratiquée dans cette cloison, des marches conduisant plus haut à une ouverture devant laquelle était une tapisserie, et d'où l'on pouvait voir dans le temple. à gauche, contre le mur de la chambre était un tapis roulé qui. Lorsqu'il était étendu, formait la couche où Marie reposait.

Dans une niche de la muraille était placée une lampe près de laquelle j'ai vu l'enfant debout sur un escabeau, lire des prières dans un rouleau de parchemin. C'était très touchant. Elle avait une petite robe rayée de blanc et de bleu et parsemée de fleurs jaunes. Il y avait dans la chambre une table basse, de forme ronde. Je vis entrer la prophétesse Anne. Elle plaça sur la table un plat où étaient des fruits de la grosseur d'une fève et une petite cruche. Marie avait une adresse au-dessus de son âge ; je la vis déjà travailler à de petites pièces de toile blanche

Les contemplations qui précèdent étaient ordinairement communiquées par Anne Catherine Emmerich vers le temps de la fête de la Présentation de Marie. Voici ce qu'on a recueilli en outre, d'après des récits faits à diverses époques sur le séjour de Marie au temple.

XXXII
De la vie de la sainte Vierge au temple.

Je vis la sainte Vierge au temple tantôt dans l'habitation des femmes avec les autres petites filles, tantôt dans sa petite chambre, grandissant dans l'étude, la prière et le travail. Elle filait, tissait, tricotait pour le service du temple. Elle lavait le linge et nettoyait les vases. Je la vis souvent en prière et en méditation. Comme tous les saints, elle ne mangeait que pour soutenir son existence, et jamais d'autres mets que ceux auxquels elle avait promis de se réduire.

Indépendamment des prières prescrites par la règle du temple, la vie de Marie était une aspiration incessante vers la rédemption, une prière intérieure continuelle. Elle faisait tout cela paisiblement et en secret. Quand tout le monde était endormi, elle se levait de sa couche et invoquait Dieu. Je la vis souvent fondant en larmes et entourée de lumière pendant la prière. Elle priait voilée. Elle se voilait aussi quand elle parlait aux prêtres ou qu'elle descendait dans une chambre attenante au temple pour recevoir sa tâche ou livrer ce qu'elle avait fait. Il, avait des pièces de ce genre de trois côtés du temple. Elles me faisaient toujours l'effet de sacristies. On y conservait toutes sortes d'effets que les femmes attachées au service du temple devaient entretenir ou réparer.

Je vis la sainte Vierge au temple, continuellement ravie en extase dans la prière. Il semblait que son âme ne fût pas sur la terre, et elle recevait souvent des consolations célestes. Elle soupirait ardemment après l'accomplissement de la promesse ; et dans son humilité elle osait à peine former le désir d'être la dernière des servantes de la Mère du Rédempteur.

La maîtresse qui prenait soin de Marie s'appelait Noémi, elle était soeur de la mère de Lazare et âgée de cinquante ans. Elle appartenait à la société des Esséniens, ainsi que les autres femmes attachées au service du temple. Marie apprenait d'elle à travailler ; elle allait avec elle lorsqu'elle nettoyait le linge et les vases tachés par le sang des sacrifices, ou qu'elle partageait et préparait certaines portions de la chair des victimes réservées pour les prêtres et les femmes du temple. Plus tard, Marie s'occupa encore plus activement de ces soins de ménage. Quand Zacharie était de service au temple, il la visitait : Siméon aussi la connaissait.

Les destinées auxquelles Marie était appelée ne pouvaient pas rester tout à fait inconnues des prêtres. Toute sa manière d'être, la grâce dont elle était pleine, sa sagesse extraordinaire, étaient si remarquables dès son enfance, que son extrême humilité ne pouvait cacher tout cela. Je vis de vieux prêtres, renommés par leur sainteté, écrire sur de grands rouleaux diverses choses qui la concernaient. et j'ai vu ces écrits, je ne sais plus à quelle époque, parmi d'autres anciens manuscrits.

Nous interrompons ici ces fragments relatifs au séjour de la sainte Vierge au temple, et nous passons a quelques récits touchant la jeunesse de saint Joseph.

XXXIII
De la jeunesse de saint Joseph

(Raconté le 18 mars 1820 et le 18 mars 1821)

Joseph, dont le père s'appelait Jacob, était le troisième de six frères. Ses parents habitaient un grand bâtiment en avant de Bethléhem : ç'avait été autrefois la maison paternelle de David, dont le père, Isaï ou Jessé, en était possesseur. A l'époque de Joseph, il ne restait plus guère que les gros murs de l'ancienne construction. Je crois que je connais mieux ce bâtiment que notre petit village de Flamske.

Devant la maison, il y avait, comme devant les maisons de l'ancienne Rome, une cour antérieure entourée de galeries couvertes. Je vis dans ces galeries des figures semblables à des têtes de vieillards. D'un côté de la cour se trouvait une fontaine sous un petit édifice en pierre. L'eau sortait par des têtes d'animaux. La maison d'habitation n'avait pas de fenêtres au rez-de-chaussée, mais il y avait plus haut des ouvertures rondes. Je vis une porte d'entrée. Autour de la maison régnait une large galerie, aux quatre coins de laquelle se trouvaient de petites tours semblables à de grosses colonnes, qui se terminaient par des espèces de coupoles surmontées de petits drapeaux. Par les ouvertures de ces coupoles, où conduisaient des escaliers pratiqués dans les tourelles, on pouvait voir de loin sans être vu soi-même. Il y avait de semblables tourelles sur le palais de David à Jérusalem, et ce fut de la coupole d'une de ces tourelles qu'il regarda Bethsabée pendant son bain. Dans le haut de la maison, cette galerie régnait autour d'un étage peu élevé, dont la toiture plate supportait une construction terminée par une autre tourelle. Joseph et ses frères habitaient dans le haut, ainsi qu'un vieux Juif qui leur servait de précepteur. Ils couchaient autour d'une chambre placée au centre de l'étage qui dominait la galerie. Leurs lits, consistant en couvertures qu'on roulait contre le mur pendant le jour, étaient séparés par des nattes qu'on pouvait enlever. Je les ai vus jouer dans leurs chambres. Je vis aussi les parents ils ne s 'occupaient guère de leurs enfants et avaient peu de rapports avec eux. Ils ne me parurent ni bons ni mauvais.

Joseph, que, dans cette vision, je vis âgé d'environ huit ans, était d'un naturel fort différent de celui de ses frères. Il avait beaucoup d'intelligence et apprenait très bien ; mais il était simple, paisible, pieux et sans ambition. Ses frères lui faisaient toutes sortes de malices et le rudoyaient de temps en temps. Ces enfants avaient de petits jardins divisés en compartiments.

Dans les jardins des enfants, je vis des herbes, des buissons et des arbustes. Je vis que les frères de Joseph allaient souvent en secret dans son jardin pour y faire des dégâts' ils le faisaient beaucoup souffrir. Je le vis souvent, Sous les galeries de la cour, prier à genoux et les bras étendus ; ses frères se glissaient alors près de lui et le frappaient dans le dos. Je vis une fois, pendant qu'il était ainsi à genoux, qu'un d'entre eux le frappa par derrière, et comme il ne paraissait pas s'en apercevoir, l'autre recommença si souvent que le pauvre Joseph tomba en avant sur les dalles. Je connus par là qu'il avait été ravi en extase pendant son oraison. Quand il revint à lui, il ne se mit pas en colère, il ne pensa pas à se venger, mais il chercha un coin reculé pour y continuer sa prière.

Les parents de Joseph n'étaient pas très satisfaits de lui ; ils auraient voulu qu'il employât ses talents à se faire une position dans le monde ; mais il n'avait aucune inclination de ce côte. Ils le trouvaient trop simple et trop uni, il n'aimait qu'à prier et à travailler tranquillement de ses mains. A une époque où il pouvait bien avoir douze ans, je le vis souvent, pour se dérober aux taquineries continuelles de ses frères, s'en aller de l'autre côté de Bethléhem, non loin de ce qui fut plus tard la grotte de la Crèche, et passer quelque temps près de pieuses femmes, qui appartenaient à une petite communauté d'Esséniens. Elles demeuraient contre une carrière pratiquée dans la colline sur laquelle se trouve Bethléhem, et habitaient là des chambres creusées dans le roc ; elles cultivaient de petits jardins voisins de leur demeure, et instruisaient les enfants d'autres Esséniens. Souvent, pendant qu'elles récitaient des prières écrites sur un rouleau, à la lueur d'une lampe suspendue à la paroi du rocher, je vis le petit Joseph chercher auprès d'elles un refuge contre les persécutions de ses frères et prier avec elles. Je le vis aussi s'arrêter dans les grottes. dont l'une fut plus tard le lieu de naissance de Notre Seigneur. Il priait seul ou s'exerçait à façonner de petites pièces de bois. Un vieux charpentier avait son atelier dans le voisinage des Esséniens. Joseph allait souvent chez lui et apprenait peu à peu son métier ; il y réussissait a autant mieux qu'il avait appris ; un peu de géométrie avec son précepteur.

L'inimitié de ses frères lui rendit à la fin impossible de rester plus longtemps dans la maison paternelle. Je vis un ami de Bethléhem, qui n'était séparé de l'habitation de son père que par un petit ruisseau, lui donner des habits avec lesquels il se déguisa, et quitta la maison pendant la nuit pour aller ailleurs gagner sa vie à l'aide de son métier de charpentier. Il pouvait avoir alors de dix-huit à vingt ans.

Je le vis d'abord travailler chez un charpentier, près de Libonah 19. Ce fut là, qu'à vrai dire, il apprit son métier. La demeure de son maître était contre de vieux murs qui conduisaient de à ville à un château en ruines le long d'une crête de montagne. Beaucoup de pauvres gens habitaient là dans la muraille. Je vis Joseph, entre de grands murs où le jour pénétrait par des ouvertures pratiquées en haut, façonner de longues barres de bois. C'étaient des cadres dans lesquels on faisait entrer des cloisons en clayonnage. Son maître était un pauvre homme qui ne faisait guère que des ouvrages grossiers et de peu de valeur.

Joseph était pieux, bon et simple ; tout le monde l'aimait. Je le vis rendre, avec une parfaite humilité, toutes sortes de services à son maître, ramasser des copeaux' rassembler des morceaux de bois et les rapporter sur ses épaules. Plus tard, il passa une fois par cet endroit avec la sainte Vierge, et, si je ne me trompe, il visita avec elle son ancien atelier.

Ses parents crurent d'abord qu'il avait été enlevé par des bandits. Je vis plus tard que ses frères découvrirent où il était et lui firent de vifs reproches ; car ils avaient honte de la basse condition à laquelle il s'était réduit. Il y resta par humilité ; seulement il quitta ce lieu et travailla dans la suite à Thanath (Thaanach), près de Megiddo, au bord d'une petite rivière (le Kison), qui se jette dans la mer. Cet endroit n'est pas loin d'Apheké, ville natale de l'apôtre saint Thomas. Il vécut là chez un maître assez riche ; on y faisait des travaux plus soignés.

Je le vis plus tard, à Tibériade, travailler pour un autre maître. Il demeurait seul dans une maison au bord de l'eau. Il pouvait alors avoir trente-trois ans. Ses parents étaient morts depuis longtemps à Bethléhem, deux de ses frères habitaient encore à Bethléhem, les autres étaient dispersés. Leur maison paternelle avait passé en d'autres mains, et la famille était promptement tombée en déchéance.

Joseph était très pieux et priait ardemment pour la venue du Messie. Il était occupé à arranger auprès de sa demeure un oratoire où il pût prier dans une plus grande solitude, lorsqu'un ange lui apparut et lui dit de cesser ce travail ; car, de même qu'autrefois Dieu avait confié au patriarche Joseph l'administration des blés de l'Egypte, de même le grenier qui renfermait la moisson du salut allait être confié à sa garde.

Joseph, dans son humilité, ne comprit pas ces paroles et continua à prier avec ferveur, jusqu'au moment où il fut appelé à se rendre au temple de Jérusalem pour y devenir, en vertu d'une prescription d'en haut, l'époux de la sainte Vierge. Je ne l'ai jamais vu marié antérieurement. Il vivait très retiré et évitait la société des femmes 20.

XXXIV
Jean est promis à Zacharie.

Je vis Zacharie dire à Elisabeth qu'il voyait avec peine arriver le moment où il irait faire son service au temple de Jérusalem ; il lui en coûtait toujours d'y aller, parce qu'on l'y méprisait, à cause de la stérilité de son mariage. Zacharie était de service au temple deux fois par an.

Ils n'habitaient pas à Hébron même, mais à une lieue de là, à Jutta Il y avait entre Jutta et Hébron beaucoup d'anciens murs. Peut-être qu'autrefois ces deux endroits étaient réunis. Des autres côtés d'Hébron, on trouvait aussi beaucoup d'édifices et de maisons disséminées, comme des restes de l'ancienne ville, qui était autrefois aussi grande que Jérusalem. Les prêtres qui habitaient Hébron étaient moins élevés en dignité que ceux qui habitaient Jutta. Zacharie était comme le chef de ceux-ci. Elisabeth et lui étaient très respectés à cause de leur vertu et de la pureté de leur lignage depuis Aaron, leur aïeul.

Je vis ensuite Zacharie visiter, avec plusieurs autres prêtres du pays, un petit bien qu'il possédait dans le voisinage de Jutta. C'était un jardin avec des arbres de toute espèce et une petite maison. Zacharie y pria avec ses compagnons, et fit une instruction à ceux-ci. C'était une sorte de préparation au service du temple, qui allait bientôt commencer pour eux. Je l'entendis aussi parler de sa tristesse et d'un pressentiment qu'il avait que quelque chose allait lui arriver.

Je le vis aussitôt après aller avec ces prêtres à Jérusalem, et y attendre quatre jours jusqu'à ce que vint son tour d'offrir le sacrifice. Pendant ce temps, il priait continuellement dans le temple. Quand vint son tour de présenter l'encens, je le vis entrer dans le sanctuaire où se trouvait l'autel des parfums, devant l'entrée du Saint des saints. Le toit était ouvert au-dessus de lui, en sorte qu'on pouvait voir le ciel. On ne pouvait pas apercevoir le prêtre du dehors. Quand il entra, un autre prêtre lui dit quelque chose et se retira ensuite 21.

Quand Zacharie fut seul, je le vis lever un rideau et entrer dans un lieu où il faisait sombre. Il prit là quelque chose qu'il plaça sur l'autel, et alluma de l'encens. Je vis alors à droite de l'autel une lumière descendre sur lui et une forme brillante s'approcher de lui. le je vis, effrayé et ravi en extase, tomber du côté droit de l'autel. L'ange le releva, lui parla longtemps, et Zacharie répondit. Je vis au-dessus de Zacharie le ciel ouvert, et deux anges monter et descendre comme sur une échelle. Sa ceinture était détachée et sa robe ouverte, et je vis qu'un des anges semblait retirer quelque chose de son corps, tandis que l'autre lui mettait dans le côté comme un objet lumineux. C'était quelque chose de semblable à ce qui se passa lorsque Joachim reçut la bénédiction de l'ange pour la conception de la sainte Vierge.

Les prêtres avaient coutume de sortir du sanctuaire aussitôt après avoir allumé l'encens. Comme Zacharie tardait beaucoup à revenir, le peuple qui priait au dehors était inquiet ; mais il était devenu muet, et je le vis écrire sur une tablette avant de sortir.

Quand il vint du temple dans le vestibule, beaucoup de personnes se pressèrent autour de lui, lui demandant pourquoi il était resté si longtemps ; mais il ne pouvait pas parler, et fit des signes avec la main, montrant sa bouche et la tablette, qu'il envoya aussitôt à Jutta, chez Elisabeth, pour lui annoncer que Dieu lui avait fait une promesse, et qu'il avait perdu la parole. Il partit lui-même au bout de quelque temps pour revenir chez lui ; mais Élisabeth, aussi, avait eu une révélation, dont je ne me souviens plus 22.

XXXV
Fiançailles de la Sainte Vierge.

La sainte Vierge vivait dans le temple avec plusieurs autres vierges sous la surveillance de pieuses matrones. Ces vierges s'occupaient de broderies et d'ouvrages du même genre pour les tentures du temple et les vêtements sacerdotaux ; elles étaient aussi chargées de nettoyer ces vêtements et d'autres objets servant au culte divin. Elles avaient de petites cellules d'où elles avaient vue sur l'intérieur du temple et où elles priaient et méditaient Quand elles étaient arrivées à l'âge nubile, on les mariait. Leurs parents les avaient entièrement données à Dieu en les conduisant au temple, et il y avait chez les plus pieux d'entre les Israélites un pressentiment secret qu'un de ces mariages produirait un jour l'avènement du Messie'.

La sainte Vierge ayant quatorze ans et devant bientôt sortir du temple pour se marier, avec sept autres jeunes filles, je vis sainte Anne venir la visiter. Joachim ne vivait plus. Quand on annonça à Marie qu'elle devait quitter le temple et se marier, je la vis, profondément émue, déclarer au prêtre qu'elle ne désirait pas quitter le temple, qu'elle s'était consacrée à Dieu seul et n'avait pas de goût pour le mariage ; mais on lui répondit qu'elle devait prendre un époux 23.

Dans l'ancienne alliance l'état de virginité n'était pas considéré comme méritoire, au moins en général. Parmi les nombreuses espèces de voeux qu'énumère la Michnah comme étant usités chez les Juifs, on ne trouve pas trace du voeu de chasteté. Tant qu'on était encore dans l'attente de la venue du Rédempteur, le mariage avec une nombreuse postérité passait pour l'état le plus heureux et le plus agréable à Dieu sur la terre. "Ceux que Dieu aime, dit le psaume CXXVI, reçoivent du Seigneur des enfants en héritage : le fruit des entrailles est leur récompense. "Et longtemps avant Dieu avait déjà fait cette promesse :

"Tu seras béni entre tous les peuples : il n'y aura point de stérilité chez toi dans l'un l'autre sexe. "(Deut. VII, 14.) Cela explique pourquoi les prêtres n'accédèrent pas au désir de Marie, quoiqu'il y eut des exemples de personnes vivant dans l'état de virginité, spécialement chez les Esséniens.

Je la vis ensuite dans son oratoire prier Dieu avec ferveur. Je me souviens aussi qu'étant très altérée, elle descendit avec sa petite cruche pour puiser de l'eau à une fontaine ou à un réservoir, et que là, sans apparition visible, elle entendit une voix qui la consola et la fortifia, tout en lui faisant connaître qu'elle devait consentir à se marier. Ce ne fut pas là l'Annonciation, car je la vis plus tard à Nazareth. Je crus pourtant pendant un certain temps avoir vu cette fois aussi apparaître un ange ; car, dans ma jeunesse, je confondais souvent cet incident avec l'Annonciation, et je croyais que celle-ci avait eu lieu dans le temple.

Il est remarquable que dans le Protevangelium Jacobi, déclare apocryphe par l'Eglise, on lit entre autres choses que Marie alla il Nazareth en compagnie d'autres vierges. On leur avait donné au temple des fils d'espèce différente qu'elles devaient filer : la pourpre et l'écarlate étaient échus par le sort à Marie, "et, dit l'Évangile apocryphe, quand elle prit sa cruche et sortit pour aller puiser de l'eau, voilà qu'une voix lui dit : "Je vous salue, Marie, etc. "Marie regarda à droite et à gauche pour savoir d'où venait cette voix ; elle rentra effrayée dans la maison, posa la cru' ne, prit la pourpre et s'assit pour travailler. Et l'ange du Seigneur se tint debout en sa présence et lui dit : "Ne craignez rien, Marie, etc. "Ici aussi il est question d'une voix qu'elle entend en allant puiser de l'eau, mais tout cela se passe à Nazareth et se lie à l'Annonciation. Cet événement est raconté de la même manière dans un manuscrit latin de la Bibliothèque de Paris, publié par Thilo, et contenant un récit apocryphe intitulé : Histoire de Joachim et d'Anne, de la naissance de la bienheureuse Mère de Dieu, Marie, toujours vierge, et de l'enfance du Rédempteur. Seulement il y a ici un intervalle de trois jours entre la vois entendue à la fontaine et l'apparition de l'ange dans la Salutation angélique.

Je vis aussi un prêtre très vieux, qui ne pouvait plus marcher ; ce devait être le grand prêtre. Il fut porté par d'autres prêtres dans le Saint des saints, et pendant qu'il allumait un sacrifice d'encens, il lisait des prières sur un rouleau de parchemin placé sur une espèce de pupitre. Je le vis ravi en esprit. Il eut une apparition, et son doigt fut placé sur le passage suivant du prophète Isaie, qui se trouvait écrit sur le rouleau : " une branche sortira de la racine de Jessé, et une fleur naîtra de sa racine ". (Isaïe, IX, l.) Quand le vieux prêtre revint à lui, il lut ce passage et connut quelque chose par là.

Je vis ensuite qu'on envoyait des messagers de tous les cotés dans le pays, et qu'on convoquait au temple tous les hommes de la race de David qui n'étaient pas mariés. Lorsque plusieurs d'entre eux se furent rassemblés dans le temple, en habits de fête, on leur présenta la sainte Vierge ; et je vis parmi eux un jeune homme très pieux de la contrée de Bethléhem. Ce jeune homme avait demandé à Dieu avec une grande ferveur l'accomplissement de la promesse, et je vis dans son coeur un grand désir de devenir l'époux de Marie. Quant à celle-ci, elle revint dans sa cellule et versa de saintes larmes, ne pouvant pas s'imaginer qu'elle ne dût pas rester vierge.

Je vis alors le grand prêtre, obéissant à une impulsion intérieure qu'il avait reçue, présenter des branches à chacun des assistants, et leur enjoindre de marquer chacun une branche de leur nom et de la tenir à la main pendant la prière et le sacrifice. Quand ils eurent fait ce qui leur avait été dit, on leur reprit les branches, qui furent mises sur un autel devant le Saint des saints, et il leur fut annoncé que celui d'entre eux dont la branche fleurirait était désigné par le Seigneur pour devenir l'époux de Marie de Nazareth.

Pendant que les branches étaient devant le Saint des saints, on continua le sacrifice et la prière. Je vis durant ce temps le jeune homme, dont le nom me reviendra peut-être 24, crier vers Dieu, les bras étendus, dans une salle du temple, et verser des larmes brûlantes lorsque, après le temps fixé, on leur rendit les branches en leur annonçant qu'aucun d'entre eux n'était désigné par Dieu comme devant être le fiancé de cette vierge. Ces hommes furent alors renvoyés chez eux, et ce jeune homme se retira sur le mont Carmel, auprès des anachorètes qui vivaient là depuis le temps d'Elie ; il y vécut aussi depuis lors, priant continuellement pour l'accomplissement de la promesse.

Je vis ensuite les prêtres du temple chercher de nouveau dans les registres des familles s'il n'existait pas quelque descendant de David qu'on eût oublié 25. Comme ils y trouvèrent l'indication de six frères de Bethléhem, dont l'un était inconnu et absent depuis longtemps, ils s'enquirent du séjour de Joseph et le découvrirent à peu de distance de Samarie, dans un lieu situé près d'une petite rivière, où il habitait au bord de l'eau. travaillant pour un maître charpentier.

Sur l'ordre du grand prêtre, Joseph vint à Jérusalem et se présenta au temple. On lui fit, à lui aussi, tenir une branche à la main pendant qu'on priait et qu'on offrait un sacrifice ; comme il se disposait à la poser sur l'autel devant le Saint des saints, il en sortit une fleur blanche semblable à un ils, et je vis une apparition lumineuse descendre sur lui : c'était comme s'il eût reçu le Saint Esprit. On connut donc que Joseph était l'homme désigné par Dieu pour être le fiancé de la sainte Vierge, et les prêtres le présentèrent à Marie en présence de sa mère. varie, résignée à la volonté de Dieu, l'accepta humblement pour son fiancé, car elle savait que tout est possible Dieu, qui avait reçu son voeu de n'appartenir qu'à lui.

XXXVI
Du mariage et de l'habit nuptial de Marie et de Joseph.

La soeur Emmerich, dans ses visions quotidiennes sur la prédication de Notre Seigneur, vit, le lundi 26 septembre 1821, Jésus enseigner dans la synagogue de Gophna et y séjourner dans la famille d'un chef de la synagogue, parent de Joachim. Elle entendit à cette occasion deux veuves, filles de cet homme, s'entretenir ensemble du mariage des parents de Jésus, auquel elles avaient assisté dans leur jeunesse avec d'autres parents, et elle communiqua ce qui suit : Comme les deux veuves rappelaient dans leur conversation le mariage de Marie et de Joseph, je vis un tableau de ce mariage et je fus frappée de la beauté de l'habit de noce de la sainte Vierge.

Les noces de Marie et de Joseph, qui durèrent sept à huit jours, furent célébrées à Jérusalem dans une maison près de la montagne de Sion, qu'on louait souvent pour de semblables occasions. Outre les maîtresses et les compagnes de Marie à l'école du temple, il y avait beaucoup de parents d'Anne et de Joachim, entre autres une famille de Gophna avec deux filles. Les noces furent solennelles et somptueuses. Beaucoup d'agneaux furent immolés et offerts en sacrifice.

J'ai très bien vu Marie dans son vêtement de fiancée. Elle avait une robe très ample, ouverte par devant, avec de larges manches. Cette robe était fond bleu, semée de grandes roses rouges, blanches et jaunes, entremêlées de feuilles vertes, comme les riches chasubles des anciens temps. Le bord inférieur était garni de franges et de houppes. Par-dessus sa robe, elle portait un manteau bleu de ciel qui avait la forme d'un grand drap. Outre ce manteau. les femmes juives portaient encore dans certaines occasions une espèce de manteau de deuil à manches. Le manteau de Marie retombait sur les épaules, revenait en avant des deux côtés et se terminait en queue.

Elle portait à la main gauche une petite couronne de roses de soie rouge et blanche ; elle tenait à la main droite, en guise de sceptre un beau chandelier doré, sans pied, surmonté d'un petit plateau, où brûlait quelque chose qui produisait une flamme blanchâtre.

Les vierges du temple arrangèrent la chevelure de Marie : plusieurs d'entre elles s'y employèrent, et cela se fit plus vite qu'on ne pourrait le croire. Anne avait apporté l'habit de noce, et Marie, dans son humilité, ne voulait pas consentir à s'en revêtir après les fiançailles ; ses cheveux furent rattachés autour de sa tête, on lui mit un voile blanc qui pendait jusqu'au dessous des épaules, et une couronne fut placée sur ce voile.

La sainte Vierge avait une chevelure abondante d'un blond doré, des sourcils noirs et élevés, de grands yeux habituellement baissés avec de longs cils noirs, un nez d'une belle forme un peu allongé, une bouche noble et gracieuse' un menton effilé ; sa taille était de moyenne grandeur : elle marchait revêtue de son riche costume avec beaucoup de grâce, de décence et de gravité. Elle mit ensuite pour ses noces un autre habit moins magnifique, dont je possède un petit morceau parmi mes reliques Elle portait cet habit rayé à Cana et dans d'autres occasions solennelles. Elle mettait quelquefois sa robe de noce pour aller au temple. Il y avait des gens riches qui changeaient trois ou quatre fois d'habits pour leur mariage. Dans ces habits de parade, Marie rappelait un peu certaines femmes illustres d'une époque postérieure, par exemple l'impératrice sainte Hélène, et même sainte Cunégonde, quoiqu'elle s'en distinguât par le manteau dans lequel s'enveloppaient ordinairement les femmes juives, et qui ressemblait davantage à celui des dames romaines il y avait à Sion, dans le voisinage du cénacle, un certain nombre de femmes qui apprêtaient de belles étoffes de toute espèce, ce que je remarquai à l'occasion de ces habits

Joseph avait une longue robe fort ample de couleur bleue ; les manches, qui étaient fort larges, étaient attachées sur le coté par des cordons. Autour du cou, il avait comme un collet brun, ou plutôt une large étole, et sur sa poitrine pendaient deux bandes blanches. J'ai vu toutes les circonstances des fiançailles de Joseph et de Marie, le repas de noces et les autres solennités : mais je vis en même temps tant d'autres choses, et je suis si malade et si dérangée de mille façons, que je ne me hasarde pas à en dire davantage, de peur de mettre trop de confusion dans le récit.

XXXVII
De l'anneau nuptial de Marie.

Le 29 juillet 182l, la soeur Emmerich eut une vision relative aux draps mortuaires de Notre Seigneur Jésus-Christ et aux empreintes de son corps qui se manifestèrent miraculeusement sur les linges dont on l'avait enveloppé. Comme à cette occasion elle se trouva conduite en divers lieux où ces saintes reliques se trouvaient, les unes conservées religieusement, les autres oubliées des hommes et honorées seulement par les anges et par quelques âmes saintes, elle crut voir conservé dans un de ces endroits l'anneau nuptial de la sainte Vierge, et elle raconta ce qui suit :

J'ai vu l'anneau nuptial de la sainte Vierge ; il n'est ni d'argent, ni d'or, ni d'autre métal ; il est de couleur sombre avec des reflets changeants : ce n'est pas un petit cercle mince, il est assez épais et large d'un doigt. Je le vis tout uni, et cependant comme incrusté de petits triangles réguliers on se trouvaient des lettres Je le vis conservé sous plusieurs serrures dans une belle église. Il y a des gens pieux qui, avant de célébrer leurs noces, lui font toucher leurs anneaux de mariage.

Le 21 août 1821, elle dit : J'ai su dans ces derniers jours beaucoup de détails relatifs à l'histoire de l'anneau nuptial de Marie ; mais je ne puis plus raconter tout cela avec ordre. J'ai vu aujourd'hui une fête dans une église d'Italie où il se trouve. Il était exposé dans une espèce d'ostensoir qui était placé au-dessus du tabernacle. Il y avait là un grand autel richement paré, avec beaucoup d'ornements en argent. J'ai vu qu'on faisait toucher beaucoup d'anneaux à l'ostensoir.

J'ai vu pendant la fête paraître, des deux côtés de l'anneau, Marie et Joseph dans leurs habits de noce ; il me sembla que saint Joseph mettait l'anneau au doigt de la sainte Vierge. J'ai vu l'anneau tout lumineux et comme en mouvement'.

Je vis à droite et à gauche de cet autel deux autres autels, qui, probablement, ne se trouvaient pas dans la même église, mais qui me furent montrés en même temps dans cette vision. Sur l'autel de droite se trouvait une image de l'Ecce homo, qu'un pieux magistrat romain, ami de saint Pierre, avait reçue par une voie miraculeuse. Sur l'autel de gauche était un des draps mortuaires de Notre Seigneur.

Quand les noces furent finies, Anne revint à Nazareth, et Marie partit aussi en compagnie de plusieurs vierges qui avaient quitté le temple en même temps qu'elle. Je ne sais pas jusqu'où ces jeunes filles lui firent la conduite. Le premier endroit où l'on s'arrêta pour passer la nuit fut encore l'école de lévites de Bethoron. Marie fit le voyage à pied. Joseph, après les noces, était allé à Bethléhem pour régler quelques affaires de famille. Ce ne fut que plus tard qu'il se rendit à Nazareth.

Quand l'écrivain recueillit ceci, le 4 août 1821, il ne pouvait deviner pourquoi la soeur avait eu cette vision précisément le 3 août. Il fut fort surpris plusieurs années après lorsqu'il lut dans un écrit latin sur l'anneau de la sainte Vierge conservé à Pérouse, qu'on montrait cet anneau au peuple le 3 août, ce dont vraisemblablement ni lui ni la soeur ne savaient rien. Il trouva cette indication à la page 59 de l'écrit intitulé De annulo pronubo Deiparoe Virginis Perusioe religiosissime asservtur, J. B. Lauri Perusini Commentarius. 1626. Colonie Agrippinae,, apud J. Kinckium.

XXXVIII
Depuis le retour de Marie jusqu'à l'Annonciation.

Avant de raconter sa vision de l'Annonciation, la soeur communiqua deux fragments de visions antérieures dont nous ne pouvons donner qu'une explication conjecturale. Etant encore très faible par suite d'une grave maladie, elle raconta ce qui suit, quelque temps après le mariage de la sainte Vierge et de saint Joseph :

J'ai vu une fête dans la maison de sainte Anne. Je vis six hôtes, sans compter les habitués de la maison, et quelques enfants rassemblés avec Joseph et Marie autour d'une table sur laquelle étaient des verres.

La sainte Vierge avait un manteau bariolé, avec des fleurs rouges, bleues et blanches, comme on en voit sur d'anciennes chasubles. Elle portait un voile transparent et par-dessus un autre voile noir. Cette fête paraissait se rattacher aux fêtes du mariage.

Elle ne raconta rien de plus à ce sujet, et l'on peut conjecturer que ce repas eut lieu lorsque la sainte Vierge quitta sa mère après l'arrivée de saint Joseph, et se retira avec lui dans la maison de Nazareth. Le jour suivant, elle raconta ce qui suit :

Cette nuit, dans ma contemplation, je cherchais la sainte Vierge, et mon conducteur me mena dans la maison de sainte Anne, dont je reconnus toutes les divisions. Je n'y trouvai plus Joseph ni Marie. Je vis que sainte Anne se disposait à aller à Nazareth, où la sainte Famille habitait maintenant. Elle avait sous le bras un paquet qu'elle portait à Marie. Elle alla à Nazareth en traversant une plaine et un petit bois qui se trouve devant une hauteur. J'y allai aussi. La maison de saint Joseph n'était pas loin de la porte de la ville ; elle n'était pas aussi grande que la maison de sainte Anne. Un puits quadrangulaire, auquel on descendait par quelques marches, était dans le voisinage, et il y avait devant la maison une petite cour carrée. Je vis Anne visiter la sainte Vierge, à laquelle elle remit ce qu'elle avait apporté avec elle. Je vis Marie pleurer beaucoup et accompagner quelque temps sa mère qui revenait chez elle. J'aperçus saint Joseph sur le devant de la maison dans un endroit retiré.

Nous pouvons conjecturer, d'après ces fragments, que sainte Anne visitait pour la première fois sa fille à Nazareth, et lui apportait un présent. Marie, qui maintenant vivait seule et séparée de sa mère bien-aimée, versa des larmes d'attendrissement lorsqu'elle partit.

XXXIX
Annonciation de Marie.

Le 25 mars 1821, la soeur Emmerich dit :

Je vis la sainte Vierge peu après son mariage dans la maison de Joseph à Nazareth, où me conduisit mon guide. Joseph était parti avec deux ânes, je pense que c'était pour rapporter quelque chose dont il avait hérité, ou pour prendre les instruments de son métier. Il me sembla encore en route.

Outre la sainte Vierge et deux jeunes femmes de son âge qui avaient été, je crois, ses compagnes au temple, je vis dans la maison sainte Anne avec cette veuve sa parente, qui était à son service, et qui, plus tard, l'accompagna à Bethléhem après la naissance de Jésus. Sainte Anne avait tout remis à neuf dans la maison.

Je vis les quatre femmes aller et venir dans l'intérieur, puis se promener ensemble dans la cour. Vers le soir, je les vis rentrer et prier debout autour d'une petite table ronde, après quoi elles mangèrent des herbes qui avaient été apportées là. Elles se séparèrent ensuite. Sainte Anne alla encore ça et là dans la maison comme une mère de famille occupée de son ménage. Les deux jeunes personnes allèrent dans leurs chambres séparées, et Marie aussi se retira dans la sienne.

La chambre de la sainte Vierge était sur le derrière de la maison, près du foyer. On y montait par trois marches, car le sol de cette partie de la maison était plus élevé que le reste et sur un fond de rocher. Vis-à-vis de la porte, la chambre était ronde, et dans cette partie circulaire qui était séparée par une cloison à hauteur d'homme, se trouvait roulé le lit de la sainte Vierge. Les parois de la chambre étaient revêtues jusqu'à une certaine hauteur d'une espèce de travail de marqueterie fait avec des morceaux de bois de différentes couleurs. Le plafond était formé par quelques solives parallèles, dont les intervalles étaient remplis par un clayonnage orné de figures d'étoiles.

Je fus conduite dans cette chambre par le jeune homme lumineux qui m'accompagne toujours, et je vis ce que je vais raconter aussi bien que peut le faire une misérable personne comme moi.

La sainte Vierge, en entrant, se revêtit, derrière la cloison de son lit, d'une longue robe de laine blanche avec une large ceinture, et se couvrit la tête d'un voile d'un blanc jaunâtre. Pendant ce temps, la servante entra avec une lumière, alluma une lampe à plusieurs bras, qui était suspendue au plafond, et se retira. La sainte Vierge prit alors une petite table basse qui était contre le mur, et la mit au milieu de la chambre. Elle était recouverte d'un tapis rouge et bleu au milieu duquel était brodée une figure ; je ne sais plus si c'était une lettre ou un ornement. Un rouleau de parchemin écrit était sur cette table.

La sainte Vierge, l'ayant dressée entre la place de son lit et la porte, à un endroit où le sol était recouvert d'un tapis, plaça devant un petit coussin rond pour s'y agenouiller ; elle se mit alors à genoux, les deux mains appuyées sur la table. La porte de la chambre était devant elle à droite ; elle tournait le dos à sa couche.

Marie baissa son voile sur son visage et joignit les mains devant sa poitrine, mais sans croiser les doigts. Je la vis prier longtemps ainsi avec ardeur, je visage tourné vers le ciel ; elle invoquait la rédemption, la venue du roi promis au peuple d'Israel, et elle demandait aussi à avoir quelque part à sa mission. Elle resta longtemps à genoux, ravie en extase ; puis elle pencha la tête sur sa poitrine.

Alors, du plafond de la chambre, descendit à sa droite, en ligne un peu oblique, une telle masse de lumière que je fus obligée de me retourner vers la cour où était la porte ; je vis dans cette lumière un jeune homme resplendissant avec des cheveux blonds flottants, descendre devant elle à travers les airs : c'était l'ange Gabriel. Il lui parla, et je vis les paroles sortir de sa bouche comme des lettres de feu ; je les lus et je les entendis. Marie tourna un peu sa tête voilée vers le côté droit. Cependant, dans sa modestie, elle ne regarda pas. L'ange continua à parler. Marie tourna je visage de son côté, comme obéissant à un ordre, souleva un peu son voile, et répondit. L'ange parla encore ; Marie releva tout à fait son voile, regarda l'ange, et prononça les paroles sacrées : " Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole ".

La sainte Vierge était dans un ravissement profond ; la chambre était pleine de lumière, je ne vis plus la lueur de la lampe qui brûlait ; je ne vis plus le plafond de la chambre. Le ciel parut ouvert ; mes regards suivirent au-dessus de l'ange une voie lumineuse ; je vis à l'extrémité de ce fleuve de lumière une figure de la sainte Trinité : c'était comme un triangle lumineux dont les rayons se pénétraient réciproquement. J'y reconnus ce que l'on ne peut qu'adorer, mais jamais exprimer, Dieu tout-puissant, le Père, le Fils et le Saint Esprit, et cependant un seul Dieu tout-puissant.

Quand la sainte Vierge eut dit : " Qu'il me soit fait selon votre parole ", je vis une apparition ailée du Saint Esprit, qui cependant ne ressemblait pas entièrement à la représentation ordinaire sous forme de colombe. La tête avait quelque chose du visage humain ; la lumière se répandait des deux côtés comme des ailes ; j'en vis partir comme trois courants lumineux vers le côté droit de la Sainte Vierge, où ils se réunirent.

Quand cette lumière pénétra son côté droit, la sainte Vierge devint elle-même lumineuse et comme diaphane : il semblait que ce qu'elle avait d'opaque en elle se retirât devant cette lumière comme la nuit devant le jour. Elle était dans ce moment tellement inondée de lumière que rien en elle ne paraissait plus obscur ni opaque : elle était resplendissante et comme illuminée tout entière.

Je vis après cela l'ange disparaître ; la voie lumineuse dont il était sorti se retira : c'était comme si le ciel aspirait et faisait rentrer en lui ce fleuve de lumière.

Pendant que je voyais toutes ces choses dans la chambre de Marie, j'eus une impression personnelle d'une nature singulière J'étais dans une angoisse continuelle, comme si l'on m'eût dressé des embûches, et je vis un horrible serpent ramper à travers la maison et les degrés jusqu'à la porte près de laquelle j'étais quand la lumière pénétra la sainte Vierge ; le monstre était arrivé à la troisième marche. Ce serpent était à peu près de la longueur d'un enfant ; sa tête était large et plate ; il avait à la hauteur de la poitrine deux courtes pattes membraneuses, armées de griffes semblables à des ailes de chauve-souris, sur lesquelles il se traînait. Il était tacheté de diverses couleurs d'un aspect repoussant, et rappelait le serpent du Paradis, mais avec quelque chose de plus difforme et de plus horrible. Quand l'ange disparut de la chambre de la sainte Vierge, il marcha sur la tête de ce monstre devant la porte, et j'entendis un cri si affreux que j'en frissonnais. Je vis ensuite paraître trois esprits qui frappèrent ce hideux reptile et le chassèrent hors de la maison.

Après la disparition de l'ange, je vis la sainte Vierge dans un profond ravissement et toute recueillie en elle-même ; je vis qu'elle connaissait et adorait l'incarnation du Sauveur en elle, où il était comme un petit corps humain lumineux, complètement formé et pourvu de tous ses membres Ici, à Nazareth, c'est tout autre chose qu'à Jérusalem : à Jérusalem, les femmes doivent rester dans le vestibule, elles ne peuvent pas entrer dans le temple, les prêtres seuls ont accès dans le sanctuaire ; mais à Nazareth, c'est une vierge qui est elle-même le temple, le Saint des saints est en elle, le grand prêtre est en elle, et elle est seule près de lui Combien cela est touchant, merveilleux, et pourtant simple et naturel ! Las paroles de David, dans le psaume 45, sont accomplies : " Le Très Haut a sanctifié son tabernacle ; Dieu est au milieu de lui, il ne sera pas ébranlé ! "

Il était à peu près minuit quand je vis ce mystère. Au bout de quelque temps, sainte Anne entra chez Marie avec les autres femmes. Un mouvement merveilleux dans la nature les avait éveillées ; une nuée lumineuse avait paru au-dessus de la maison. Quand elles virent la sainte Vierge à genoux au-dessous de la lampe, ravie en extase dans sa prière, elles s'éloignèrent respectueusement.

Au bout de quelque temps, je vis la sainte Vierge se relever et s'approcher de son petit autel, qui était contre le mur ; elle alluma la lampe et pria debout. Des rouleaux écrits étaient devant elle sur un pupitre élevé. Je la vis ensuite se mettre sur sa couche vers le matin.

Alors mon conducteur m'emmena ; mais quand je fus dans le petit vestibule de la maison, je fus prise d'une grande frayeur. Cet affreux serpent était là aux aguets, il se précipita sur moi et voulut se cacher dans les plis de ma robe. J'étais dans une horrible angoisse ; mais mon guide me retira promptement de là, et je vis reparaître les trois esprits qui frappaient de nouveau le monstre. Je crois toujours entendre son effroyable cri, et j'en frissonne encore.

En contemplant cette nuit le mystère de l'Incarnation, je fus encore instruite de plusieurs autres choses. Anne reçut une connaissance intérieure de ce qui s'accomplissait.

Sanctificavit tabernaculum suum Altissimus ; Deus in medio ejus, non commovebitur.

J'appris pourquoi le Rédempteur devait rester neuf mois dans le sein de sa mère et naître enfant, pourquoi il n'avait pas voulu naître homme fait comme notre premier père, se montrer dans toute sa beauté comme Adam sortant des mains du Créateur ; mais je ne puis plus exprimer cela clairement. Ce que j'en comprends encore, c'est qu'il a voulu sanctifier de nouveau la conception et la naissance des hommes, qui avaient été tellement dégradées par le péché originel. Si Marie devint sa mère et s'il ne vint pas plus tôt, c'est qu'elle seule était, ce que jamais créature ne fut avant elle ni après elle, le pur vase de grâce que Dieu avait promis aux hommes, et dans lequel il devait se faire homme, pour payer les dettes de l'humanité au moyen des mérites surabondants de sa Passion. La sainte Vierge était la fleur parfaitement pure de la race humaine, éclose dans la plénitude des temps. Tous les enfants de Dieu parmi les hommes, tous ceux qui, depuis le commencement, avaient travaillé à l'oeuvre de la sanctification, ont contribué à sa venue. Elle était le seul or pur de la terre ; elle seule était la portion pure et sans tache de la chair et du sang de l'humanité tout entière, qui, préparée, épurée, recueillie, consacrée à travers toutes les générations de ses ancêtres, conduite, protégée et fortifiée sous le régime de la loi de Moise, se produisait enfin comme la plénitude de la grâce. Elle était prédestinée dans l'éternité, et elle a paru dans le temps comme mère de l'Eternel.

(Aux jours de fête de la Mère de Jésus, l'Eglise fait ainsi parler la sainte Vierge d'elle-même, par la bouche de la Sagesse divine, dans les Proverbes de Salomon, C. VIII) :

" Le Seigneur m'a possédée au commencement de ses voies : avant qu'il créât aucune chose, j'étais dès lors. J'ai été établie dès l'éternité et dès le commencement, avant que la terre fût créée. Les abîmes n'étaient pas encore, et j'étais déjà conçue ; les fontaines n'étaient pas encore sorties de la terre ; la pesante masse des montagnes ne subsistait pas encore. J'étais enfantée avant les collines. Il n'avait point encore créé la terre, ni les fleuves, ni affermi le monde sur ses pôles. Lorsqu'il préparait les cieux, j'étais présente ; lorsqu'il environnait les abîmes de leurs bornes et qu'il leur prescrivait une loi inviolable ; lorsqu'il affermissait l'air au-dessus de la terre et qu'il mettait en équilibre les eaux des fontaines ; lorsqu'il renfermait la mer dans ses limites et qu'il imposait une loi aux eaux ; lorsqu'il posait les fondements de la terre, j'étais avec lui et je réglais toutes choses avec lui ; j'étais chaque jour dans les délices, me jouant sans cesse devant lui, me jouant dans le monde et trouvant mes délices à être avec les enfants des hommes. Écoutez-moi donc maintenant, mes enfants : heureux ceux qui gardent mes voies. Écoutez mes instructions, soyez sages et ne les rejetez point : heureux celui qui m'écoute, qui veille tous les jours à l'entrée de ma maison et qui se tient à ma porte ; car celui qui m'aura trouvée trouvera la vie, et il puisera le salut dans les trésors de la bonté du Seigneur. "

La sainte Vierge était âgée d'un peu plus de quatorze ans lors de l'incarnation de Jésus-Christ. Jésus-Christ arriva à l'âge de trente-trois ans et trois fois six semaines. Je dis trois fois six, parce que le chiffre six m'est montré en cet instant même trois fois répété.

XL
Visitation de Marie.

(Dans la messe de cette fête, l'Église se sert des paroles du Cantique des Cantiques, II, 8-14.)

" C'est la voix de mon bien-aimé : le voici qui vient, sautant sur les montagnes, passant par-dessus les collines. Mon bien-aimé est semblable à un chevreuil et à un faon de biche. Le voici qui se tient derrière notre muraille, qui regarde par la fenêtre, qui jette ses regards à travers les grilles. Voilà mon bien-aimé qui me parle et qui me dit : Levez-vous, hâtez-vous, ma bien-aimée, ma colombe, ma beauté, et venez, car l'hiver est déjà passé. Les pluies se sont dissipées et ont cessé entièrement, les fleurs ont paru sur notre terre, le temps de tailler la vigne est venu, la voix de la tourterelle s'est fait entendre dans notre terre, le figuier a poussé ses premiers bourgeons, les vignes sont en fleur et ont répandu leur odeur. Levez vous, ma bien aimée, mon unique beauté, et venez. Vous êtes ma colombe retirée dans les trous de la pierre : montrez-moi votre face ; que votre voix se fasse entendre à mes oreilles, car votre voix est douce et votre visage est beau. "

XLI
Marie et Joseph en voyage pour visiter Elisabeth.

Quelques jours après l'Annonciation de l'ange à Marie, saint Joseph revint à Nazareth et il fit certains arrangements dans la maison pour pouvoir exercer son métier, car il n'avait pas encore été à demeure à Nazareth, où il avait passé à peine deux jours. Il ne savait rien de l'incarnation de Dieu dans Marie ; elle était la mère du Seigneur, mais elle était aussi la servante du Seigneur et gardait humblement son secret. La sainte Vierge, lorsqu'elle sentit que le Verbe s'était fait chair en elle, éprouva un grand désir d'aller tout de suite à Juttah, près d'Hébron, visiter sa cousine Élisabeth, que l'ange lui avait dit être enceinte depuis six mois. Comme on approchait du temps où Joseph devait se rendre à Jérusalem pour la fête de Pâques, elle désira l'accompagner pour aller assister Elisabeth pendant sa grossesse. Joseph se mit donc en route pour Juttah avec la sainte Vierge.

La soeur Emmerich raconta les détails suivants du voyage de Joseph et de Marie ; mais il y a dans ses récits beaucoup de lacunes, causées par son état de maladie et par des dérangements continuels. Elle ne raconta pas le départ, mais pendant quelques jours consécutifs différentes scènes de voyage que nous communiquons ici.

Leur route se dirigeait vers le midi ; ils avaient avec eux un Ane sur lequel Marie montait de temps en temps. Il portait quelques effets, entre autres un sac appartenant à Joseph, où se trouvait une longue robe brune de la sainte Vierge avec une espèce de capuchon. On l'attacha sur le cou de l'âne. Marie mettait cet habit quand elle allait au. temple ou à la synagogue. En voyage elle portait une tunique de laine brune, une robe grise avec une ceinture par-dessus, et une coiffe tirant sur le jaune.

Ils voyageaient assez vite. Je les vis, après avoir traversé la plaine d'Esdrelon, dans la direction du midi, gravir une hauteur et entrer dans la ville de Dothan, chez un ami du père de Joseph. C'était un homme assez riche,. Originaire de Bethléhem. Le père de Joseph l'appelait son frère, quoiqu'il ne le fût pas : mais il descendait de David par un homme qui était aussi roi, à ce que je crois, et qui s'appelait Éla, ou Eldoa, ou Eldad, je ne sais plus bien lequel 26. Cet endroit était très commerçant.

Je les vis une fois passer la nuit sous un hangar ; puis, comme ils étaient encore à douze lieues de la demeure de Zacharie, je les vis un soir dans un bois sous une cabane de branchages, toute recouverte de feuillage vert avec de belles fleurs blanches. On trouve souvent dans ce pays, au bord des routes, de ces cabanes de verdure ou même des bâtiments plus solides dans lesquels les voyageurs peuvent passer la nuit ou se rafraîchir et apprêter les aliments qu'ils ont avec eux. Une famille du voisinage a la surveillance de plusieurs abris de ce genre et fournit plusieurs choses nécessaires moyennant une modique rétribution.

De Jérusalem ils n'allèrent pas tout droit à Juttah, mais ils firent un détour vers le levant pour voyager plus solitairement. Ils contournèrent une petite ville à deux lieues d'Emmaus, et prirent alors des chemins que Jésus suivit souvent pendant ses années de prédication. Ils eurent ensuite deux montagnes à franchir. Entre ces deux montagnes je les vis une fois se reposer, manger du pain et mêler dans leur eau des gouttes de baume qu'ils avaient recueillies pendant le voyage. Le pays ici était très montagneux. Ils passèrent devant des rochers qui étaient plus larges d'en haut que d'en bas ; on voyait aussi là de grandes cavernes dans lesquelles étaient toutes sortes de pierres singulières. Les vallées étaient très fertiles.

Leur chemin les conduisit encore à travers des bois, des landes, des prés et des champs. Dans un endroit assez rapproché du terme du voyage, je remarquai particulièrement une plante qui avait de jolies petites feuilles vertes et des grappes de fleurs, formées de neuf clochettes roses fermées. Il y avait là quelque chose dont j'avais à m'occuper, mais j'ai oublié de quoi il s'agissait 27.

XLII
Arrivée de Marie et de Joseph chez Elisabeth et Zacharie.

Une partie des visions qui suivent furent communiquées lors de la fête de la Visitation. en juillet 1820 : d'autres se présentèrent à elle dans une contemplation où elle entendit Eliud, un vieil Essénien de Nazareth, qui accompagnait Jésus allant se faire baptiser par saint Jean au mois de septembre de la première année de la prédication, raconter plusieurs choses relatives aux parents et à la première jeunesse du Sauveur, car il était en relations intimes avec la sainte Famille.

La maison de Zacharie était sur une colline isolée. Il y avait alentour des groupes de maisons. Un ruisseau assez fort descendait de la montagne.

Il me sembla que c'était le moment où Zacharie revenait chez lui de Jérusalem après les fêtes de Pâques. Je vis Elisabeth, poussée par un désir inquiet, aller assez loin de sa maison sur la route de Jérusalem, et Zacharie qui revenait, tout effrayé de la rencontrer à une si grande distance de chez elle dans la situation où elle se trouvait. Elle lui dit qu'elle avait le coeur très agité, et qu'elle était poursuivie par la pensée que sa cousine ..Marie de Nazareth venait la voir. Zacharie chercha à lui faire perdre cette idée ; il lui fit entendre par signes et en écrivant sur une tablette combien il était peu vraisemblable qu'une nouvelle mariée entreprit en ce moment un si grand voyage. Ils revinrent ensemble à la maison.

Elisabeth ne pouvait renoncer à son espérance, car elle avait appris en songe qu'une femme de son sang était devenue la mère du Messie promis. Elle avait pensé alors à Marie, avait conçu un ardent désir de la voir et l'avait vue en esprit venant vers elle. Elle avait préparé dans sa maison, à droite de l'entrée, une petite chambre avec des sièges. C'était là qu'elle était assise le lendemain, toujours dans l'attente, et regardant si Marie arrivait Bientôt elle se leva et s'en alla sur la route au-devant d'elle.

Élisabeth était une femme âgée, de grande taille : elle avait je visage petit et de jolis traits ; sa tête était enveloppée. Elle ne connaissait la sainte Vierge que de réputation. Marie, la voyant de loin, connut que c'était elle, et s'en alla en toute hâte à sa rencontre, précédant saint Joseph, qui discrètement resta en arrière. Marie fut bientôt parmi les maisons voisines dont les habitants, frappés de sa merveilleuse beauté et émus d'une certaine dignité surnaturelle qui était dans toute sa personne, se retirèrent respectueusement quand elle rencontra Élisabeth. Elles se saluèrent amicalement en se tendant la main. En ce moment, je vis un point lumineux dans la sainte Vierge, et comme un rayon de lumière qui partait de là vers Élisabeth, et dont celle-ci reçut une impression merveilleuse. Elles ne s'arrêtèrent pas en présence des hommes ; mais, se tenant par le bras, elles gagnèrent la maison par la cour placée en avant : à la porte de la maison, Élisabeth souhaita encore la bienvenue à Marie, et elles entrèrent.

Joseph, qui conduisait l'âne, arriva dans la cour, remit l'animal à un serviteur et alla chercher Zacharie dans une salle ouverte sur le côté de la maison. Il salua avec beaucoup d'humilité le vieux prêtre ; celui-ci l'embrassa cordialement et s'entretint avec lui au moyen de la tablette sur laquelle il écrivait, car il était muet depuis que l'ange lui avait apparu dans le temple.

Marie et Élisabeth, entrées par la porte de la maison, se trouvèrent dans une salle qui me parut servir de cuisine. Ici elles se prirent par les bras. Marie salua Élisabeth très amicalement, et elles appuyèrent leurs joues l'une contre l'autre. Je vis alors quelque chose de lumineux rayonner de Marie jusque dans l'intérieur d'Élisabeth ; celle-ci en fut tout illuminée ; son coeur fut agité d'une sainte allégresse et profondément ému. Elle se retira un peu en arrière en élevant la main, et pleine d'humilité, de joie et d'enthousiasme, elle s'écria : " Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni. D'où me vient ceci que la mère de mol Seigneur vienne à moi ? Voici qu'aussitôt que la voix de votre salutation est venue à mes oreilles, l'enfant que je porte a tressailli de joie dans mon sein. vous êtes heureuse d'avoir cru : ce qui vous a été dit par le Seigneur s'accomplira ".

Après ces dernières paroles, elle conduisit Marie dans la petite chambre préparée pour elle, afin qu'elle pût s'asseoir et se reposer des fatigues de son voyage. Il n'y avait que deux pas à faire jusque-là. Mais Marie quitta le bras d'Élisabeth qu'elle avait pris, croisa ses mains sur sa poitrine et commença le cantique inspiré : " Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit est ravi de joie en Dieu mon sauveur, parce qu'il a regardé la bassesse de sa servante ; car voilà que tous les siècles m'appelleront bienheureuse, parce que Celui qui seul est puissant a fait en moi de grandes choses, et son nom est saint, et sa miséricorde s'étend d'âge en âge sur ceux qui le craignent. Il a déployé la puissance de son bras ; il a dissipé ceux qui étaient enflés d'orgueil dans les pensées de leur coeur.` il a renversé les puissants de leur trône, et il a élevé les humbles. Il a rassasié les affamés, et il a renvoyé les riches avec les mains vides. Il a pris en sa protection Israel, son serviteur, s'étant souvenu de sa miséricorde, selon la promesse qu'il avait faite à nos pères, à Abraham et à sa postérité, pour toute la suite des siècles'.

Lorsque le vieil Eliud, dans la circonstance indiquée plus haut, .,entretint de cet événement avec Jésus, je l'entendis expliquer d'une manière admirable tout ce cantique de Marie ; mais je ne me sens pas en état de répéter cette explication.

Je vis qu'Élisabeth répétait tout bas le Magnificat avec un semblable mouvement d'inspiration ; ensuite elles s'assirent sur des sièges très bas : il y avait sur une petite table, peu élevée aussi, un petit verre placé devant elles. Combien j'étais heureuse ! j'ai répété avec elles toutes leurs prières, et je me suis assise à peu de distance. Oh ! combien j'étais heureuse !

La soeur Emmerich raconta ce qui était arrivé le jour précédent. Après midi, elle dit dans son sommeil : Joseph et Zacharie sont ensemble ; ils s'entretiennent de la venue prochaine du Messie et de l'accomplissement des prophéties. Zacharie est un grand et beau vieillard, habillé en prêtre ; il répond toujours par signes ou en écrivant sur une tablette. Ils sont assis sur le côté de la maison dans une salle ouverte qui a vue sur le jardin. Maria et Élisabeth sont assises dans le jardin, sur un tapis, sous un grand arbre, derrière lequel est une fontaine d'où l'eau sort quand on retire une bonde. Je vois tout autour du gazon et des fleurs, et des arbres avec de petites prunes jaunes. Elles mangent ensemble des fruits et des petits pains tirés de la besace de Joseph. Quelle simplicité et quelle frugalité touchantes ! il y a dans la maison deux servantes et deux serviteurs ; je les vois aller et venir. Ils apprêtent sous un arbre une table avec des aliments. Zacharie et Joseph viennent et mangent quelque chose. Joseph voudrait revenir tout de suite à Nazareth : mais il restera huit jours. Il ne sait rien de l'état de grossesse de la sainte Vierge. Marie et Élisabeth se taisaient là-dessus. Il y avait dans leur intérieur comme une entente secrète et profonde de l'une à l'autre.

Plusieurs fois le jour, spécialement avant les repas, quand tous étaient ensemble, les saintes femmes disaient des espèces de litanies' : Joseph priait avec elles, et je vis ensuite apparaître une croix entre elles. Il n'y avait pourtant pas encore de croix : c'était comme si deux croix se fussent visitées 28.

J'ai vu aujourd'hui, dans l'après-midi, Marie et Élisabeth occupées ensemble dans la maison. La sainte Vierge prenait part à tous les soins du ménage ; elle préparait toute sorte d'effets pour l'enfant qu'on attendait. Je les vis travailler ensemble ; elles tricotaient une grande couverture pour le lit d'Élisabeth lorsqu'elle serait accouchée. Les femmes juives se servaient de couvertures de ce genre : il y avait au milieu une espèce de poche, disposée de façon que l'accouchée put s'envelopper tout entière avec son enfant ; elle s'emmaillotait là dedans, soutenue par des coussins, et pouvait à volonté se mettre sur son séant ou rester couchée. Sur le bord de cette couverture étaient des fleurs et des sentences brodées à l'aiguille. Marie et Elisabeth préparaient aussi toutes sortes d'objets qui devaient être donnés aux pauvres à la naissance de l'enfant. Je vis sainte Anne, pendant l'absence de la sainte Famille, envoyer souvent sa servante dans la maison de Nazareth pour voir si tout y était en ordre ; je l'ai vue aussi y aller une fois elle-même.

Le 4 juillet, elle raconta ce qui suit : Zacharie est allé avec Joseph se promener dans les champs. La maison est isolée sur une colline ; c'est la plus belle maison qu'il y ait dans la contrée ; d'autres sont dispersées tout autour. Marie est un peu fatiguée ; elle est seule avec Elisabeth à la maison.

Le 5 juillet, elle dit : J'ai vu Zacharie et Joseph passer la nuit d'aujourd'hui dans le jardin, situé à quelque distance de la maison. Je les vis tantôt dormir dans la petite maison qui est là, tantôt prier en plein air ; ils revinrent au point du jour. Je vis Élisabeth et la sainte Vierge à la maison ; tous les matins et tous les soirs, elles répétaient ensemble le cantique Magnificat, dicté par le Saint Esprit à Marie après la salutation d'Élisabeth.

La salutation de l'ange fut pour Marie comme une consécration qui faisait d'elle l'Église de Dieu. Lorsqu'elle prononça ces mots : " Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole ", le Verbe divin, salué par l'Église, salué par sa servante, entra en elle ; dès lors, Dieu fut dans son temple, Marie fut le temple et l'Arche d'alliance du Nouveau Testament. La salutation d'Elisabeth, le tressaillement de Jean dans le sein de sa mère, furent le premier culte rendu devant ce sanctuaire. Lorsque la sainte Vierge entonna le Magnificat, l'Église de la nouvelle alliance, du nouveau mariage, célébra, pour la première fois, l'accomplissement des promesses divines de l'ancienne alliance, de l'ancien mariage, récitant en actions de grâces un Te Deum laudamus. Qui pourrait dignement exprimer combien était touchant à voir l'hommage rendu par l'Église à son Sauveur dés avant sa naissance.

Cette nuit, pendant que je voyais prier les saintes femmes, j'ai eu plusieurs intuitions et explications relatives au Magnificat et à l'approche du Saint Sacrement dans la situation présente de la sainte Vierge. Mon état de souffrance et de nombreux dérangements sont cause que j'ai oublié presque tout ce que j'ai vu. Au passage du Magnificat : " il a fait éclater la puissance de sas bras, "j'ai vu différents tableaux figuratifs du Saint-Sacrement de l'autel dans l'Ancien Testament. Il y avait entre autres un tableau d'Abraham sacrifiant Isaac, et d'Isaïe annonçant à un méchant roi quelque chose dont celui-ci se moquait ; je l'ai oublié. J'ai vu bien des choses depuis Abraham jusqu'à Isaie, et depuis celui-ci jusqu'à la sainte vierge Marie, et j'y ai toujours vu le Saint Sacrement s'approchant de l'Eglise de Jésus-Christ, qui, lui-même, reposait encore dans le sein de sa mère 29.

XLIII
Détails personnels à la narratrice.

Elle continua ainsi : Je dois prendre du repos et revoir ce que j'avais oublié : la douce prière à l'Esprit Saint m'est venue en aide. Ah ! c'est si doux et si agréable ! à cinq heures du soir, elle gémit et dit : Je n'ai pas observé, par suite de mes négligences, l'ordre de ne laisser personne venir près de moi. Une femme de ma connaissance a parlé devant moi de choses odieuses ; je me suis fâchée et me suis endormie là-dessus. Le bon Dieu a mieux tenu sa parole que moi la mienne ; il m'a montré de nouveau tout ce que j'avais oublié : cependant, pour ma punition, j'en ai laissé échapper la plus grande partie. Elle dit alors ce qui suit, et nous le communiquons, quoiqu'il y ait répétition de choses déjà dites, parce que nous ne pouvons pas exprimer ce qu'elle a voulu dire autrement qu'elle ne l'a fait elle-même. Voici donc ce qu'elle dit : Je vis comme d'habitude les deux saintes femmes dire le Magnificat en se tenant vis-à-vis l'une de l'autre. Au milieu de leur prière, le sacrifice d'Abraham me fut montré. Vint ensuite une série de tableaux figuratifs se rapportant à l'approche du Saint Sacrement. Il me semblait n'avoir jamais aperçu aussi clairement les mystères sacrés de l'ancienne alliance.

Le jour suivant, elle dit : Ainsi que cela m'avait été promis, j'avais vu de nouveau tout ce que j'avais oublié. J'étais toute joyeuse de pouvoir raconter tant de choses merveilleuses sur les patriarches et l'Arche d'alliance ; mai' il y a eu sans doute dans cette joie quelque chose contre l'humilité, car Dieu ne permet pas que je puisse raconter avec ordre et expliquer clairement tout cela.

Le nouveau dérangement dont elle parlait fut amené par un incident particulier, à la suite duquel se produisirent les souffrances commémoratives de la Passion du Sauveur qui se manifestaient souvent chez elle : elle en fut d'autant plus incapable de mettre de l'ordre dans ses communications. Comme pourtant, depuis ses visions sur le Magnificat répété à plusieurs reprises par les saintes femmes, elle raconta par fragments et sans suite plusieurs choses relatives à la bénédiction mystérieuse de l'Ancien Testament et à l'Arche d'alliance, on s'est efforce de faire de tout cela, autant que possible, un certain ensemble qui sera ajouté comme appendice, ou réservé pour me place plus appropriée, afin de ne pas interrompre la vie de la sainte Vierge.

Voici ce qu'elle dit le vendredi 6 juillet : Je vis hier soir Élisabeth et la sainte Vierge se rendre au jardin éloigné de la maison de Zacharie. Elles avaient des fruits et des petits pains dans des corbeilles, et voulaient passer la nuit dans cet endroit. Quand Joseph et Zacharie y vinrent plus tard, je vis la sainte Vierge aller à leur rencontre. Zacharie avait sa petite tablette Mais il faisait trop sombre pour qu'il pût écrire, et je vis Marie, poussée intérieurement par le Saint Esprit, lui dire qu'il parlerait cette nuit, et qu'il pouvait laisser là sa tablette, parce qu'il serait bientôt en état de s'entretenir avec Joseph et de prier avec lui. Très surprise de cela, je secouais la tête et je refusais d'admettre qu'il en fût ainsi ; mais mon ange gardien ou le guide spirituel qui est toujours près de moi, me dit, en me faisant signe de regarder d'un autre côté : " Tu ne veux pas croire cela, regarde donc ce qui se passe par ici ". Je vis alors du côté qu'il m'indiquait un tout autre tableau, d'une époque très postérieure.

Sa fête tombait le 6 juillet, jour où la soeur Emmerich communiquait ceci, et l'écrivain ne le savait pas. Quand il l'apprit en jetant par hasard les yeux sur le calendrier, il trouva là une nouvelle confirmation de cette relation entre toutes ses visions et les fêtes correspondants de l'Eglise qui avait si souvent surpris et singulièrement touché. Le prêtre saint Goar, originaire d'Aquitaine, établit au sixième siècle prés de l'embouchure du Mochenbach dans le Rhin (près de la petite ville actuelle de Saint Goar). Il y vécut en anachorète et convertit à la foi chrétienne beaucoup de paiens auxquelles il avait eu l'occasion de donner l'hospitalité. Il fut mandé devant l'évêque Rusticus de Trèves sur une fausse accusation de mauvaises moeurs, et ce fut alors qu'eut lieu le miracle montré à la soeur Emmerich pour lui prouver la puissance de la loi simple Rusticus accusa saint Goar de sorcellerie, mais un autre miracle qu'il lui demanda comme preuve de son innocence excita chez le prélat une telle confusion, qu'il se jeta aux pieds du saint, avouant sa faute et lui demandant pardon. Saint Goar, de retour dans son ermitage et pressé à plusieurs reprises par Sigebert, roi d'Austrasie, d'accepter le siège épiscopal de Trèves, pria Dieu de le retirer du monde. Il fut exaucé vers la fin du sixième siècle.

Je vis le saint ermite Goar 30 dans un endroit où on avait coupé du blé. Il parlait à des messagers d'un évêque mal disposé à son égard, et ces hommes aussi ne lui voulaient pas de bien. Quand il les eut accompagnés jusque chez l'évêque, je le vis chercher un crochet pour y suspendre son manteau. Comme il vit alors un rayon de soleil qui pénétrait par une ouverture du mur, dans la simplicité de sa foi, il attacha son manteau à ce rayon, et le manteau resta ainsi suspendu en l'air. Je fus émerveillé de ce miracle produit par la simplicité de la foi, et ne m'étonnai plus d'entendre parler Zacharie, puisque cette grâce lui arrivait par le moyen de la sainte Vierge, dans laquelle Dieu lui-même habitait. Mon guide me parla alors de ce qu'on appelle miracle ; je me souviens qu'il me dit, entre autres choses : " une confiance entière en Dieu, avec la simplicité d'un enfant, donne à tout l'être et la substance ". (Voir Hébr.IX,1) Ces paroles me donnèrent de grandes lumières intérieures sur tous les miracles, mais je ne puis m'expliquer bien clairement sur cela.

Je vis alors les quatre saints personnages passer la nuit dans le Jardin : ils s'assirent et mangèrent un peu, puis je les vis marcher deux à deux, s'entretenir eu priant, et entrer alternativement dans la petite maison pour y prendre du repos. J'appris aussi qu'après le sabbat Joseph retournerait à Nazareth, et que Zacharie l'accompagne. rait à quelque distance ; il faisait clair de lune et le ciel était très pur.

Je vis ensuite, pendant la prière des deux sainte. femmes, une partie du mystère concernant le Magnificat ; je dois tout revoir samedi, veille de l'octave de la Fête, et je pourrai alors en dire quelque chose. Je ne puis maintenant communiquer que ce qui suit : le Magnificat est un cantique d'actions de grâces pour l'accomplissement de la bénédiction mystérieuse de l'ancienne alliance.

Pendant la prière de Marie, je vis successivement tous ses ancêtres. Il y avait, dans la suite des siècles, trois fois quatorze couples d'époux qui se succédaient et dans lesquels le père était toujours le rejeton du mariage précédent; de chacun de ces couples, je vis sortir un rayon de lumière qui se dirigeait sur Marie pendant qu'elle était en prières. Tout ce tableau grandit devant mes yeux comme un arbre avec des branches de lumière qui allaient toujours s'embellissant, et Je vis enfin à une place marquée de cet arbre lumineux la chair et le sang purs et sans tache de Marie, desquels Dieu devait former son humanité, se montrer dans une lumière de plus en plus vive. Je priai alors, pleine de joie et d'espérance, comme un enfant qui verrait croître devant lui l'arbre de Noël. Tout cela était une image de l'approche de Jésus Christ selon la chair et de son très saint sacrement ; c'était comme si j'avais vu mûrir le froment pour former le pain de vie dont je suis affamée. Cela ne peut s'exprimer. Je ne puis pas trouver de paroles pour dire comment s'est formée la chair dans laquelle le Verbe s'est fait chair ; comment pourrait s'y prendre pour cela une pauvre créature humaine qui est encore dans cette chair dont le Fils de Dieu et de Marie a dit que la chair ne sert de rien et que l'esprit seul vivifie ; lui qui a dit encore que ceux-là seuls qui se nourrissent de sa chair et de son sang auront la vie éternelle, et seront ressuscités par lui au dernier jour. Sa chair et son sang sont seuls la traie nourriture, ceux. là seuls qui prennent cette nourriture demeurent en lui et lui en eux.

Je ne puis exprimer comment j'ai vu, depuis le commencement, l'approche successive de l'incarnation de Dieu, et, avec elle, l'approche du Saint Sacrement de l'autel se manifestant de génération en génération, puis une nouvelle série de patriarches, représentants du Dieu vivant qui réside parmi les hommes comme victime et comme nourriture, jusqu'à son second avènement au dernier jour, dans l'institution du sacerdoce, que l'Homme-Dieu, le nouvel Adam, chargé d'expier la faute du premier, a transmis à ses apôtres, et ceux-ci par l'imposition des mains aux prêtres qui leur ont succédé pour former une semblable succession non interrompue de génération de prêtres en génération de prêtres. Tout cela m'a fait connaître que la récitation de la généalogie de Notre Seigneur devant le Saint Sacrement, à la Fête-Dieu, renferme un grand et profond mystère ; j'ai aussi connu, par là, que de même que, parmi les ancêtres de Jésus-Christ, selon la chair, plusieurs ne furent pas des saints et furent même des pécheurs sans cesser d'être des degrés de l'échelle de Jacob, par lesquels Dieu descendit jusqu'à l'humanité, de même aussi les évêques indignes restent capables de consacrer le Saint Sacrement et de conférer la prêtrise avec tous les pouvoirs qui y sont attachés. Quand on voit ces choses, on comprend bien pourquoi l'Ancien Testament est appelé dans de vieux livres allemands l'ancienne alliance ou l'ancien mariage, de même que le Nouveau Testament y est appelé la nouvelle alliance ou le nouveau mariage. La fleur suprême de l'ancien mariage fut la Vierge des vierges, la Fiancée du Saint Esprit, la très chaste Mère du Sauveur, le Vase spirituel, le Vase honorable, le Vase insigne de dévotion ', dans lequel le Verbe s'est fait chair. Avec ce mystère, commence le nouveau mariage, la nouvelle alliance. Cette alliance est virginale dans le sacerdoce et dans tous ceux qui suivent l'Agneau, et le mariage est en elle un grand sacrement, savoir, en Jésus-Christ et en sa fiancée, qui est l'Eglise. (Voir Eph.,V,32.)

Mais pour faire connaître, en tant que cela m'est possible, comment me fut expliquée l'approche de l'incarnation du Verbe et en même temps l'approche du Saint Sacrement de l'autel, je ne puis que répéter encore de quelle manière tout m'a été mis devant les yeux dans une série de tableaux symboliques, sans qu'il me soit possible, à cause de l'état où je me trouve, de rendre compte des détails d'une façon intelligible : je ne puis parler qu'en général. Je vis d'abord la bénédiction de la promesse que Dieu donna à nos premiers parents dans le paradis, et un rayon allant de cette bénédiction à la sainte Vierge, qui récitait le Magnificat avec sainte Elisabeth ; je vis ensuite Abraham, qui avait reçu de Dieu cette bénédiction, et un rayon allant de lui à la sainte Vierge ; puis les autres patriarches, qui avaient porté et possédé cette chose sainte, et encore le rayon allant de chacun d'eux à Marie ; la transmission de cette bénédiction jusqu'à Joachim, qui, gratifié de la plus haute bénédiction venant du Saint des saints du temple, put devenir par là le père de la très sainte vierge Marie, conçue sans péché ; enfin, c'est en celle ci que, par l'opération du Saint Esprit, le Verbe s'est fait chair ; c'est en elle, comme dans l'Arche d'alliance du Nouveau Testament, que, caché à tous les yeux, il a habité neuf mois parmi nous, jusqu'à ce qu'étant né de la vierge Marie dans la plénitude des temps, nous avons vu sa gloire, comme la gloire du Fils unique du Père plein de grâce et de vérité.

Voici ce qu'elle raconta, le 7 juillet : J'ai vu, cette nuit, la sainte Vierge dormir dans sa petite chambre, étendue sur le côté et la tête appuyée sur le bras ; elle était enveloppée dans une bande d'étoffe blanche, depuis la tête jusqu'aux pieds Je vis, sous son coeur, briller une gloire lumineuse en forme de poire qu'entourait une petite flamme d'un éclat indescriptible. Je vis briller dans Élisabeth une gloire moins éclatante, mais plus grande et d'une forme circulaire ; la lumière qu'elle répandait était moins vive.

Le samedi 8 juillet, elle dit ce qui suit : Dans la soirée d'hier vendredi, lorsque le sabbat commença, je vis, dans une chambre de la maison de Zacharie que je ne connaissais pas encore, allumer une lampe et célébrer le sabbat : Zacharie, Joseph et six autres hommes, qui étaient probablement des gens de l'endroit, priaient debout sous la lampe autour d'un coffre sur lequel étaient des rouleaux écrits. Ils avaient des linges qui pendaient par-dessus la tête, mais ne faisaient pas, en priant, toutes les contorsions que font les Juifs actuels, quoique souvent ils baissassent la tête et levassent les bras en l'air. Marie, Élisabeth et deux autres femmes se tenaient à part derrière une cloison grillée, d'où elles voyaient dans l'oratoire ; elles étaient toutes enveloppées jusque par-dessus la tête dans des manteaux de prière.

Après le souper du sabbat, je vis la sainte Vierge dans sa petite chambre, avec Elisabeth, récitant le Magnificat ; les mains jointes sur la poitrine et leurs voiles noirs baissés sur la figure, elles se tenaient debout contre la muraille, vis-à-vis l'une de l'autre, priant tour à tour comme des religieuses au choeur. Je récitais le Magnificat avec elles, et, pendant la seconde partie du cantique, je vis, les uns dans l'éloignement, les autres plus près, quelques-uns des ancêtres de Marie, desquels partaient comme des lignes lumineuses se dirigeant sur elle ; je voyais ces lignes ou ces rayons de lumière sortir de la bouche des ancêtres masculins et de dessous le coeur des ancêtres de l'autre sexe, et aboutir à la gloire qui était dans Marie.

Je crois qu'Abraham, lorsqu'il reçut la bénédiction qui préparait l'avènement de la sainte Vierge, habitait prés de l'endroit où elle récita le Magnificat, car je vis le rayon qui partait de lui venir à elle d'un point très voisin, pendant que ceux qui partaient de personnages beaucoup plus rapprochés, quant au temps, paraissaient venir de points bien plus éloignés.

Lorsqu'elles eurent fini le Magnificat, qu'elles disaient tous les jours, matin et soir, depuis la Visitation, Elisabeth se retira, et je vis la sainte Vierge se livrer au repos.

Le dimanche soir, le sabbat étant fini, je les vis manger de nouveau. Ils prirent leur repas ensemble dans le jardin près de la maison. Ils mangèrent des feuilles vertes qu'ils trempaient dans une sauce ; il y avait aussi sur la table des assiettes avec de petits fruits, et d'autres plats, où était, je crois, du miel, qu'ils prenaient avec des espèces de spatules en corne.

Plus tard, au clair de la lune, par une belle nuit étoilée, Joseph se mit en voyage, accompagné de Zacharie. Joseph avait avec lui un petit paquet où étaient des pains et une petite cruche, et un bâton recourbé par en haut. Ils avaient tous deux des manteaux de voyage qui recouvraient la tête. Les deux femmes les accompagnèrent à une petite distance, et s'en revinrent seules par une nuit d'une beauté remarquable.

Marie et Élisabeth rentrèrent à la maison dans la chambre de Marie. Il y avait là une lampe allumée, comme c'était toujours le cas lorsqu'elle priait et allait se coucher. Les deux femmes se tinrent vis-à-vis l'une de l'autre, et récitèrent le Magnificat.

Le mardi il juillet, elle dit ce qui suit : J'ai vu cette nuit Marie et Élisabeth. La seule chose dont je me souvienne est qu'elles passèrent toute la nuit à prier, mais je n'en sais plus la raison. Le jour, je vis Marie s'occuper de différents travaux, par exemple, tresser des couvertures. Je vis Joseph et Zacharie encore en route ; ils passèrent la nuit dans un hangar. Ils avaient fait de grands détours et visité, si je ne me trompe, différentes personnes. Je crois qu'il leur fallait trois jours pour leur voyage. J'ai oublié la plupart des détails.

Le jeudi 13 juillet, elle raconta ce qui suit : Je vis hier Joseph de retour dans sa maison de Nazareth. Il ne me paraît pas avoir été à Jérusalem, mais directement chez lui. La servante d'Anne prend soin de son ménage, et va et vient d'une maison à l'autre ; à cela près, Joseph était seul. Je vis aussi Zacharie de retour dans sa maison. Je vis Marie et Élisabeth, comme toujours, réciter le Magnificat et s'occuper de différents travaux. Vers le soir, elles se promenèrent dans le jardin, où il y avait une fontaine, ce qui n'est pas commun dans le pays. Elles allaient souvent aussi, dans la soirée, quand la chaleur était passée, se promener dans les environs, car la maison de Zacharie était isolée et entourée de champs. Ordinairement elles se couchaient vers neuf heures, et se levaient toujours avant le soleil.

C'est là tout ce que la soeur Emmerich communiqua de ses visions sur la visite de la sainte Vierge à Élisabeth. Il est à remarquer qu'elle raconta cet événement à l'occasion de la fête de la Visitation, au commencement de juillet, tandis que la visite de Marie eut probablement heu en mars, puisque l'incarnation du Christ fut annoncée à la sainte Vierge le 25 février. C'est peu de temps après que la soeur la vit partir pour se rendre chez Elisabeth, en même temps que Joseph allait à la fête de Pâques, qui tombait le il nisan, mois qui correspond à notre mois de mars.

XLIV
Naissance de Jean. Marie revient à Nazareth.
Joseph rassuré par un ange.

Le 9 juin 1821, la soeur Emmerich) à l'occasion d'une relique de saint Parménas qui se trouvait près d'elle, raconta différentes choses touchant ce saint, et entre autres ce qui suit : J'ai vu la sainte Vierge, après son retour de Juttah à Nazareth, passer quelques Jours chez les parents du disciple Parménas, qui, à cette époque, n'était pas encore né. Je crois avoir vu cela au moment de l'année où cela s'est passé. J'eus le sentiment qu'il en était ainsi.

D'après cela, la naissance de Jean-Baptiste aurait eu lieu à la fin de mai ou au commencement de juin. Marie resta trois mois chez Élisabeth, jusqu'à la naissance de Jean ; mais elle n'y était plus lors de la circoncision de l'enfant.

La soeur Emmerich ayant été empêchée de raconter la naissance de Jean et sa circoncision, nous donnons ici les paroles de l'Évangile.

" Le temps d'Élisabeth étant accompli, elle mit au monde un fils. Ses voisins et ses parents apprirent que Dieu avait fait éclater sa miséricorde envers elle, et ils accoururent pour s'en réjouir avec elle. Le huitième jour, on vint circoncire l'enfant, et ils lui donnèrent le nom de son père Zacharie ; mais sa mère répondit : Il n'en sera pas ainsi ; son nom sera Jean. On lui représenta que personne n'avait ce nom dans sa parenté, et en même temps on demanda par signe à son père quel nom il voulait lui donner. Et il écrivit sur des tablettes que Jean était son nom ; et tous furent dans l'admiration. Or sa bouche fut ouverte aussitôt et sa langue déliée ; et il parlait, bénissant le Seigneur. Et une grande crainte se répandit parmi tous ceux qui habitaient dans le voisinage, et toutes ces choses se racontaient dans toutes les montagnes de la Judée. Et tous ceux qui en entendirent le récit le mirent dans leur coeur, se disant : Que croyez-vous que doive être cet enfant car la main de Dieu est avec lui. Et son père Zacharie fut rempli de l'Esprit Saint et prophétisa en ces termes : Béni soit le Seigneur Dieu d'Israël, parce qu'il a visité son peuple, et a opéré sa rédemption, et qu'il nous a élevé un puissant Sauveur dans la maison de David, son serviteur, ainsi qu'il avait promis, dès les anciens temps, par la bouche de ses saints prophètes, qu'il nous délivrerait de nos ennemis et de ceux qui nous haïssent, pour exercer sa miséricorde envers nos pères et se souvenir de son alliance sainte, selon qu'il avait juré avec serment à Abraham notre père, afin que, délivrés de la main de nos ennemis, nous le servions sans crainte, dans la sainteté et la justice devant lui, tous les jours de notre vie. Et toi, enfant, tu seras appelé le prophète du Très-Haut ; car tu marcheras devant la face du Seigneur pour lui préparer les voies, afin de donner à son peuple la science du salut pour la rémission de leurs péchés ; par les entrailles de la miséricorde de notre Dieu, par laquelle l'Orient nous a visités d'en haut, pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort, pour diriger nos pas dans la voie de la paix. Or, l'enfant croissait et son esprit se fortifiait, et il était dans le désert jusqu'au jour de sa manifestation dans Israel.

La sainte Vierge partit pour Nazareth après la naissance de Jean, et avant sa circoncision. Joseph vint à sa rencontre jusqu'à moitié chemin.

La soeur Emmerich ne dit pas par qui la sainte Vierge fut accompagnée jusque-là ; elle ne désigna pas non plus le lieu où elle se réunit à saint Joseph ; peut-être que ce fut à Dothan, où, en allant chez Élisabeth, ils s'étaient arrêtés chez un ami du père de Joseph. Vraisemblablement, elle fut accompagnée jusque-là par des parents de Zacharie ou par des amis de Nazareth, qui se trouvaient avoir le même voyage à faire. Cette dernière conjecture pourrait se justifier, jusqu'à un certain point, par le récit suivant :

Quand Joseph revint à Nazareth avec la sainte Vierge, il vit, à sa taille, qu'elle était enceinte ; il fut alors assailli par toutes sortes d'inquiétudes et de doutes, car il ne connaissait pas l'ambassade de l'ange près de Marie. Aussitôt après son mariage, il était allé à Bethléhem pour quelques affaires de famille ; Marie, pendant ce temps, s'était rendue à Nazareth avec ses parents et quelques compagnes. La salutation angélique avait eu lieu avant le retour de Joseph de Nazareth. Marie, dans sa timide humilité, avait gardé pour elle le secret de Dieu.

Joseph, plein de trouble et d'inquiétude, n'en faisait rien connaître au dehors, mais luttait en silence contre ses doutes. La sainte Vierge, qui avait prévu cela d'avance, était grave et pensive, ce qui augmentait encore l'anxiété de Joseph.

Quand ils furent arrivés à Nazareth, je vis que la sainte Vierge n'alla pas tout de suite dans sa maison avec saint Joseph, elle demeura deux jours dans une famille alliée à la sienne. C'étaient les parents du disciple Parmenas, qui alors n'était pas né, et qui fut plus tard l'un des sept diacres dans la première communauté des chrétiens à Jérusalem.

Ces gens étaient alliés à la sainte Famille : la mère était soeur du troisième époux de Marie de Cléophas, qui fut le père de Siméon, évêque de Jérusalem. Ils avaient une maison et un jardin à Nazareth. Ils étaient aussi alliés à la sainte Famille du côté d'Elisabeth. Je vis la sainte Vierge rester quelque temps chez eux avant de revenir dans la maison de Joseph ; mais l'inquiétude de celui-ci augmentait à tel point que, lorsque Marie voulut revenir auprès de lui, il forma le projet de la quitter et de s'enfuir secrètement. Pendant qu'il roulait Ce dessein dans son esprit, un ange lui apparut en songe et le consola.

XLV

Préparatifs pour la naissance de Jésus-Christ.
Départ de la sainte Famille pour Bethléhem.

(Dimanche, 11 novembre 1821.) Depuis plusieurs jours, je vois la sainte Vierge près de sa mère, sainte Anne, dont la maison est à peu près à une lieue de Nazareth, dans la vallée de Zabulon ; sa servante est restée dans la maison de Nazareth, elle sert saint Joseph quand Marie est chez sa mère. Du reste, tant qu'Anne vécut, ils n'eurent pas de ménage entièrement séparé, mais ils recevaient toujours de celle-ci ce dont ils avaient besoin.

Je vois, depuis quinze jours, la sainte Vierge occupée de préparatifs pour la naissance de Jésus-Christ : elle apprête des couvertures, des bandages et des langes. Son père Joachim ne vit plus. Il y a dans la maison une petite fille d'environ sept ans qui est souvent près de la sainte Vierge, et à laquelle celle-ci donne des leçons : je crois que c'est la fille de Marie de Cléophas ; elle s'appelle aussi Marie. Joseph n'est pas à Nazareth, mais il doit bientôt arriver. Il revient de Jérusalem, où il a conduit des victimes pour le sacrifice.

Je vis la sainte Vierge dans la maison. Elle était dans un état de grossesse fort avancée, et travaillait assise dans une chambre avec plusieurs autres femmes. Elles préparaient des effets et des couvertures pour les couches de Marie. Anne avait des propriétés assez considérables en troupeaux et en pâturages. Elle fournissait abondamment la sainte Vierge de tout ce qui lui était nécessaire suivant son état. Comme elle croyait que Marie ferait ses couches chez elle, et que tous ses parents la visiteraient à cette occasion, elle faisait toute espèce de préparatifs pour la naissance de l'enfant de la promesse. On apprêtait pour cela de belles couvertures ou de beaux tapis.

J'ai vu une couverture de ce genre, lors de la naissance de Jean, dans la maison d'Élisabeth. Il y avait des figures symboliques et des sentences tracées à l'aiguille. Au milieu était une espèce d'enveloppe dans laquelle l'accouchée se plaçait ; puis, quand les diverses parties de la couverture étaient assujetties autour d'elle avec des lacets et des boutons, elle était là comme un petit enfant dans son maillot, et pouvait facilement se mettre sur son séant, entre des coussins, pour recevoir les visites de ses amies, qui s'asseyaient auprès d'elle sur le bord du tapis.

On préparait aussi dans la maison d'Anne des objets de ce genre, outre des bandages et des langes pour l'enfant. Je vis même des fils d'or et d'argent qu'on y faufilait Ça et là. Tous ces effets et ces couvertures n'étaient pas uniquement pour l'usage de l'accouchée ; il y avait beaucoup de chose destinées aux pauvres, auxquels on pensait toujours en de semblables circonstances. Je vis la sainte Vierge et d'autres femmes, assises par terre autour d'un grand coffre, travailler à une grande couverture qui était Dltece sur ce coffre au milieu d'elles. Elles se servaient de petits bâtons où étaient attachés des fils de diverses couleurs. Sainte Anne était très affairée ; elle allait ça et là pour prendre de la laine, la partager et donner leur tâche à ses servantes.

(Lundi, 12 novembre.)

Joseph doit revenir aujourd'hui à Nazareth. Il était à Jérusalem, où il avait conduit des animaux pour le sacrifice. Il les avait laissés dans une petite auberge située à un quart de lieue en avant de Jérusalem, du côté de Bethléhem, et tenue par un vieux ménage sans enfants. C'étaient des gens pieux chez lesquels on pouvait loger en toute confiance. Joseph alla de là à Bethléhem, mais il ne visita pas les parents qu'il y avait. Il voulait seulement prendre des informations relativement à un dénombrement ou à une levée d'impôts qui exigeaient que chacun vint dans son lieu de naissance. Il ne se fit pourtant pas encore inscrire, car il avait l'intention, lorsque le temps de la purification de Marie serait accompli, d'aller avec elle de Nazareth au temple de Jérusalem, et de là à Bethléhem, où il voulait s'établir. Je ne sais pas bien quel avantage il y trouvait, mais le séjour de Nazareth ne lui plaisait pas. C'est pour cela qu'il profita de cette occasion pour aller à Bethléhem : il y prit des informations relativement à des pierres et à des bois de charpente, car il avait le projet d'y bâtir une maison. Il revint ensuite à l'auberge voisine de Jérusalem, conduisit les victimes au temple et revint chez lui.

Comme aujourd'hui, vers minuit, il traversait la plaine de Khimki, à six lieues de Nazareth, un ange lui apparut et lui enjoignit de partir avec Marie pour Bethléhem, car c'était là qu'elle devait mettre son enfant au monde. L'ange lui prescrivit aussi ce qu'il devait prendre avec lui ; il devait emporter peu d'effets, et notamment pas de couvertures brodées. Il devait aussi, outre l'âne sur lequel Marie monterait, emmener avec lui une ânesse d'un an qui n'avait pas encore eu de petits. Il devait la laisser courir en liberté et suivre toujours le chemin qu'elle prendrait.

Ce soir, Anne se rend à Nazareth avec la sainte Vierge ; elles savaient que Joseph arriverait. Elles ne paraissaient pourtant pas savoir que Marie irait à Bethléhem ; elles croyaient que Marie mettrait son enfant au monde dans sa maison de Nazareth, car je vis qu'on leur y porta plusieurs des objets qu'on avait préparés, empaquetés dans des nattes. Joseph arriva le soir à Nazareth.

(Mardi, 13 novembre). Je vis aujourd'hui la sainte Vierge avec sa mère dans la maison de Nazareth, où Joseph leur fit connaître ce qui lui avait été dit la nuit précédente. Elles revinrent ensemble dans la maison d'Anne, et je les vis faire des préparatifs pour un prompt départ. Anne en était tout attristée. La sainte Vierge savait d'avance qu'elle devait enfanter son fils à Bethléhem, mais elle n'en avait rien dit par humilité.

Elle le savait par les prophéties sur la naissance du Messie qu'elle conservait à Nazareth. Elle avait reçu ces écrits de ses maîtresses du temple, et ces saintes femmes les lui avaient expliqués ; elle les lisait souvent et priait pour leur accomplissement ; ses ardents désirs invoquaient toujours la venue du Messie ; elle appelait bienheureuse celle qui devait mettre au monde le saint enfant, et désirait seulement pouvoir être la dernière de ses servantes ; elle ne pensait pas, dans son humilité, que cet honneur pût lui être destiné. Comme elle savait par les testes des prophéties que le Sauveur devait naître à Bethléhem, elle se conforma avec d'autant plus de joie a la volonté divine, et se prépara à un voyage très pénible pour elle dans cette saison, car il faisait souvent un froid très vif dans les vallées, entre les chaînes de montagnes.

Je vis ce soir Joseph et la sainte Vierge, accompagnés d'Anne, de Marie de Cléophas, et de quelques serviteurs, partir de la maison d'Anne. Marie était assise sur le bât d'un âne qui portait aussi son bagage. Joseph conduisait l'âne. Il y avait un second âne Sur lequel sainte Anne devait revenir.

XLVI
Voyage de la sainte Famille.

Ce matin, je vis les saints voyageurs arriver à six lieues de Nazareth, dans une plaine appelée Ghinim, où l'ange était apparu à Joseph l'avant-veille. Anne possédait un pâturage en cet endroit, et les serviteurs devaient y prendre l'ânesse d'un an que Joseph voulait emmener avec lui. Elle courait tantôt en avant des voyageurs, tantôt près d'eux. Anne et Marie de Cléophas prirent ici congé des saints voyageurs et s'en retournèrent avec les serviteurs.

Je vis la sainte Famille s'avancer plus loin par un chemin qui montait vers les montagnes de Gelboë. Ils ne passaient pas dans les villes et suivaient la jeune ânesse qui prenait toujours des chemins de traverse. C'est ainsi que je les vis dans une propriété de Lazare, à peu de distance de la ville de Ghinim', du côté de Samarie. L'intendant les reçut amicalement.

Elle dit que cette plaine de Ghinim a plusieurs lieues de long et qu'elle est de forme ovale. Une autre plaine appelée Ghimmi se trouva plus prés de Nazareth, prés d'un endroit placé sur une hauteur où demeuraient des bergers, et où Jésus, avant son baptême, enseigna du 7 au 9 septembre chez des bergers qui avaient des lépreux cachés parmi eux. Il guérit aussi là son hôtesse qui était hydropique et il fut injurié par les pharisiens. De l'autre côté de ce heu, à une plus grande distance, se trouve, au sud-ouest de Nazareth, au delà du torrent de Cison, un séjour de lépreux. Ce sont des cabanes dispersées autour d'un étang formé par un écoulement du Cison. Jésus y opéra des guérisons avant son baptême, le 30 septembre. La plaine de Ghinim, où nous voyons arriver la sainte Famille, est séparée de cette autre plaine de Ghimmi par un torrent. Les noms sont si semblables que je puis les avoir facilement confondus.

Il semble qu'il y a encore un souvenir de ce nom de Ghimea, qui est dans la même position et que les voyageurs appellent Ghinin, ghinin, Ghilin, Ghenin, Jenin, Chenan, Khilin ou Djenin. Ce lieu est au pied des monts de Gelboé, à quatre milles allemande (environ huit lieues) au nord-est de Samarie, suivant d'autres à une demi journée de Sichem, et d'après Boshard, à quatorze lieues du Jourdain.

Il les avait connus lors d'un autre voyage. Leur famille avait des relations avec celle de Lazare. Il y a là de beaux vergers et des allées. La position est si élevée, qu'on a du toit une vue très étendue. Lazare a hérité ce bien de son père. Notre Seigneur Jésus-Christ s'arrêta souvent en cet endroit pendant sa prédication, et enseigna dans les environs. L'intendant et sa femme s'entretinrent très amicalement avec la sainte Vierge, et se montrèrent étonnés qu'elle eût entrepris ce grand voyage dans la position où elle se trouvait, lorsqu'elle eût pu rester commodément établie dans la maison de sa mère.

(Nuit du jeudi l5 au vendredi 16 novembre)

Je vis la sainte Famille, à quelques lieues au delà de l'endroit précédemment indiqué, se diriger dans la nuit vers une montagne le long d'une vallée très froide. Il semblait qu'il y eût de la gelée blanche. La sainte Vierge souffrait beaucoup du froid, et elle dit à Joseph : " il faut nous arrêter ; je ne puis pas aller plus loin ". A peine avait-elle dit ces paroles, que la jeune ânesse s'arrêta sous un grand térébinthe très vieux qui se trouvait près de là, et dans le voisinage duquel était une fontaine. Ils firent une balte sous cet arbre. Joseph arrangea avec des couvertures un siège pour la sainte Vierge, qu'il aida à descendre de sa monture et qui s'assit contre l'arbre ; Joseph suspendit à une branche d'arbre une lanterne qu'il portait avec lui. J'ai souvent vu les gens qui voyagent de nuit dans ce pays en faire autant.

La sainte Vierge invoqua Dieu, lui demandant de ne pas permettre que le froid lui fût nuisible. Alors, elle sentit tout à coup une si grande chaleur, qu'elle tendit les mains à saint Joseph pour qu'il y réchauffât les siennes. Ils se réconfortèrent un peu avec des petits pains et des fruits qu'ils avaient avec eux, et burent de l'eau de la fontaine voisine dans laquelle ils mirent du baume que Joseph portait dans un cruchon. Joseph consola et encouragea la sainte Vierge ; il était si bon ! il souffrait tant de ce que ce voyage était si pénible ! il lui parla du bon logis qu'il espérait lui procurer à Bethléhem. Il connaissait une maison appartenant à de très braves gens, où ils seraient commodément à très bon compte. Il lui vanta Bethléhem en général, et lui dit tout ce qui pouvait la consoler. Cela m'inquiétait, car je savais bien que les choses se passeraient tout autrement.

A ce point de leur voyage, ils avaient passé deux petits cours d'eau ; ils avaient traversé l'un d'eux sur un pont élevé, et les deux ânes avaient passé à gué. La jeune ânesse, qui courait en liberté, avait des allures singulières. Quand la route était bien tracée, entre deux montagnes, par exemple, et qu'on pouvait se tromper, tantôt elle courait derrière les voyageurs, tantôt elle allait bien loin en avant. Quand le chemin se partageait, elle reparaissait toujours et prenait la bonne direction ; lorsqu'ils devaient s'arrêter, elle s'arrêtait elle-même, comme lors de leur halte sous le térébinthe. Je ne sais pas s'ils passèrent la nuit sous cet arbre, ou s'ils atteignirent un autre gîte.

Ce térébinthe était un vieil arbre sacré qui avait fait partie du bois de Moreh, près de Sichem. Abraham, venant de la terre de Chanaan, y avait vu apparaître le Seigneur, qui lui avait promis cette terre pour sa postérité. Il avait élevé un autel sous le térébinthe. Jacob, avant d'aller à Béthel pour y offrir un sacrifice au Seigneur, avait enfoui sous ce térébinthe les idoles de Laban et les bijoux que sa famille avait avec elle. Josué y avait érigé le tabernacle où était l'Arche d'alliance, et y ayant rassemblé le peuple, l'avait fait renoncer aux idoles. C'était aussi en ce lieu qu'Abimélech, fils de Gédéon, avait été proclamé roi par les Sichémites.

(Vendredi, 16 novembre.)

Aujourd'hui, je vis la sainte Famille arriver à une grande ferme, à deux lieues plus au midi que le térébinthe. La maîtresse de la maison était absente, et le maître refusa de recevoir saint Joseph, lui disant qu'il pouvait bien aller plus loin. Quand ils eurent fait un peu de chemin au delà, ils trouvèrent la jeune ânesse dans une cabane de berger, où ils entrèrent aussi. Quelques bergers, qui étaient occupés à la vider, les accueillirent avec beaucoup de bienveillance. Ils leur donnèrent de la paille et de petits paquets de jonc et de ramée pour faire du feu. Ces bergers allèrent à la maison d'où ils avaient été repoussés, et, quand ils racontèrent à la maîtresse de cette maison combien Joseph paraissait bon et pieux, combien sa femme était belle et avait l'air sainte, elle fit des reproches à son mari pour avoir repoussé de si excellentes gens. Je vis aussi cette femme se rendre aussitôt près de la cabane où s'était arrêtée la sainte Vierge ; mais elle n'osa pas entrer par timidité, et retourna chez elle pour y prendre quelques aliments.

Le lieu où ils se trouvaient était sur le flanc septentrional d'une montagne, à peu près entre Samarie et Thébez. A l'orient de ce lieu, au delà du Jourdain, se trouve Succoth ; Ainon est un peu plus au midi, toujours au delà du fleuve ; Salem est en deçà. Il pouvait y avoir douze lieues de là à Nazareth.

Au bout de quelque temps la femme vint avec deux enfants trouver la sainte Famille, apportant avec elle quelques provisions. Elle s'excusa poliment et se montra touchée de leur position. Quand les voyageurs eurent mangé et pris quelque repos, le mari vint aussi et demanda pardon à saint Joseph de l'avoir repoussé. Il lui conseilla de monter encore une lieue vers le sommet de la montagne, lui disant qu'il pouvait arriver à un bon gîte avant le commencement du sabbat et y rester pendant le jour du repos. Ils se mirent alors en route.

Quand ils eurent fait à peu près une lieue en montant toujours, ils arrivèrent à une hôtellerie d'assez bonne apparence, composée de plusieurs bâtiments entourés de jardins et d'arbres. 1 ; y avait aussi là des arbrisseaux qui donnent le baume, rangés en espaliers. Cependant l'hôtellerie était encore sur le côté septentrional de la montagne.

La sainte Vierge avait mis pied à terre. Joseph conduisait l'âne. Ils s'approchèrent de la maison, et Joseph pria l'hôte de les loger ; mais celui-ci s'excusa, parce que son auberge était pleine. Sa femme vint alors, et comme la sainte Vierge s'adressa à elle et lui demanda avec la plus touchante humilité de leur procurer un logement, cette femme ressentit une profonde émotion, et l'hôte aussi ne put plus résister. Il leur arrangea un abri commode dans une cabane voisine, et mit leur âne à l'écurie. L'ânesse n'était pas là ; elle courait en liberté dans les environs. Elle était toujours loin d'eux quand elle n'avait pas à monter le chemin.

Joseph apprêta sa lampe, sous laquelle il se mit en prières avec la sainte Vierge, observant le sabbat avec une piété touchante. Ils mangèrent quelque chose et se reposèrent sur des nattes étendues par terre.

(Samedi, 17 novembre.)

J'ai vu aujourd'hui la sainte Famille rester en ce lieu toute la journée. Marie et Joseph priaient ensemble. Je vis la femme de l'hôte près de la sainte Vierge avec ses trois enfants ; la femme qui les avait accueillis la veille vint aussi la visiter avec ses deux enfants. Elles s'assirent auprès d'elle d'un air très amical, et furent très touchées de la modestie et de la sagesse de Marie. La sainte Vierge s'entretint avec les enfants et leur donna des instructions.

Les enfants avaient de petits rouleaux de parchemin ; Marie les fit lire et leur parla d'une façon si aimable qu'ils ne la quittaient plus des yeux. C'était touchant à voir et encore plus touchant à entendre.

Je vis saint Joseph dans l'après-midi se promener avec l'hôte dans les environs, examiner les jardins et les champs et tenir des discours édifiants. C'est ce que je vois toujours faire aux gens pieux du pays le jour du sabbat. Les saints voyageurs restèrent encore en ce lieu la nuit suivante.

(Le dimanche, 18 novembre.)

Les bons hôteliers d'ici avaient pris la sainte Vierge en affection à un degré incroyable, et ils lui témoignèrent une tendre compassion pour son état. Ils la prièrent amicalement de rester chez eux, et d'y attendre le moment de sa délivrance. Ils lui montrèrent une chambre commode qu'ils voulaient lui donner . La femme lui offrit du fond du coeur tous ses soins et toute son amitié.

Mais ils reprirent leur voyage de grand matin, et descendirent par le côté sud-est de la montagne dans une vallée. Ils s'éloignèrent alors davantage de Samarie, où semblait les conduire la direction qu'ils avaient prise jusque-là. Pendant qu'ils descendaient, ils pouvaient voir le temple qui est sur le mont Garizim. On l'aperçoit de très loin. Il y a sur le toit plusieurs figures de lions ou d'autres animaux qui brillent au soleil.

Je les vis faire aujourd'hui environ six lieues ; vers le soir, étant dans une plaine à une lieue au sud-est de Sichem, ils entrèrent dans une assez grande maison de bergers où ils furent bien accueillis. Le maître de la maison était chargé de surveiller des vergers et des champs qui dépendaient d'une ville voisine. La maison n'était pas tout à fait dans la plaine, mais sur une pente. Ici, tout était plus fertile et en meilleure condition que dans le pays parcouru précédemment ; car ici, on était tourné vers le soleil, ce qui, dans la terre promise, fait une différence considérable à ce moment de l'année D'ici jusqu'à Bethléhem il y avait beaucoup de semblables habitations de bergers, dispersées dans les vallées.

Les gens d'ici étaient de ces bergers dont plusieurs serviteurs des trois rois mages, restés en Palestine, épousèrent plus tard les filles. D'une de ces unions provenait un jeune garçon que Notre Seigneur guérit, dans cette même maison, à la prière de la sainte Vierge, le 31 juillet (7 du mois d'Ab), de sa seconde année de prédication, après son colloque avec la Samaritaine. Jésus le prit ainsi que deux autres jeunes gens pour l'accompagner dans le voyage qu'il fit en Arabie, après la mort de Lazare, et il devint plus tard disciple du Sauveur. Jésus s'arrêta souvent ici, et y enseigna Il y avait des enfants dans cette maison. Joseph les bénit avant son départ.

XLVII
Continuation du voyage jusqu'à Bethléhem.

(Le lundi, 19 novembre.)

Aujourd'hui je les vis suivre un chemin plus uni. La sainte Vierge allait de temps en temps à pied. Ils trouvaient plus souvent des haltes commodes où ils se réconfortaient. Ils avaient avec eux des petits pains et une boisson à la fois rafraîchissante et fortifiante, dans de petites cruches très élégantes qui avaient deux anses et brillaient comme du bronze. C'était du baume qu'on mêlait avec l'eau. Ils cueillaient aussi des baies et des fruits qui pendaient encore aux arbres et aux buissons dans certains endroits exposés au soleil. Le siège de Marie sur l'âne avait à droite et à gauche des espèces de rebords sur lesquels les pieds s'appuyaient, de sorte qu'ils ne pendaient pas comme chez les gens de la campagne qui vont à cheval dans notre pays. Ses mouvements étaient singulièrement posés et décents. Elle s'asseyait alternativement à droite et à gauche. La première chose que faisait Joseph quand on faisait une halte ou qu'on entrait quelque part était de chercher une place où la sainte Vierge pût s'asseoir et se reposer commodément. Il se lavait souvent les pieds ainsi que Marie ; en général, ils se lavaient souvent.

Il faisait déjà nuit lorsqu'ils arrivèrent à une maison isolée ; Joseph frappa et demanda l'hospitalité. Mais le maître du logis ne voulut pas ouvrir ; et quand Joseph lui représenta la situation de Marie, qui n'était pas en état d'aller plus loin, ajoutant qu'il ne demandait pas à être logé gratuitement, cet homme dur et grossier répondit que sa maison n'était pas une auberge, qu'il voulait qu'on le laissât tranquille et qu'on cessât de frapper, et autres choses semblables. Cet homme intraitable n'ouvrit même pas, mais fit sa grossière réponse à travers la porte fermée. Ils continuèrent donc leur chemin, et au bout de quelque temps ils entrèrent dans un hangar prés duquel ils trouvèrent l'ânesse arrêtée. Joseph se procura de la lumière et prépara une couche pour la sainte Vierge, qui l'y aida. Il fit aussi entrer l'âne, pour lequel il trouva de la litière et du fourrage. Ils prièrent, mangèrent un peu et dormirent quelques heures.

De la dernière auberge jusqu'ici il pouvait y avoir six lieues de chemin. Ils étaient maintenant à environ vingt-six lieues de Nazareth et à dix de Jérusalem. Jusqu'alors ils n'avaient pas suivi la grand-route, mais avaient traversé plusieurs chemins de communication qui allaient du Jourdain à Samarie, et aboutissaient aux grandes routes qui conduisaient de Syrie en Egypte. Les chemins de traverse qu'ils suivaient étaient très étroits ; dans la montagne, ils étaient souvent si resserrés, qu'il fallait beaucoup de précautions pour y avancer sans broncher. Mais les ânes y marchaient d'un pas très assuré. Leur gîte actuel était sur un terrain uni.

(Le mardi, 20 novembre)

Ils quittèrent cet endroit avant le jour. Le chemin redevint un peu montant. Je crois qu'ils touchèrent à la route qui conduisait de Gabara à Jérusalem, et qui formait en cet endroit la limite entre la Samarie et la Judée. Ils furent encore une fois grossièrement repoussés d'une maison. Comme ils étaient à plusieurs lieues au nord-est de Béthanie, il arriva que Marie étant très fatiguée éprouva le besoin de prendre quelque chose et de se reposer. Alors Joseph se détourna du chemin pour aller à une demi lieue de là dans un endroit où se trouvait un beau figuier, qui était ordinairement chargé de fruits. Cet arbre était entouré de bancs où l'on pouvait se reposer, et Joseph le connaissait depuis un de ses précédents voyages. Mais, quand ils y arrivèrent, ils n'y trouvèrent pas un seul fruit, ce qui les attrista. Je me souviens confusément que plus tard Jésus rencontra cet arbre, qui était couvert de feuilles vertes, mais qui ne portait plus de fruits. Je crois que le Seigneur le maudit dans un voyage qu'il fit après s'être enfui de Jérusalem, et qu'il se dessécha entièrement '.

La soeur était tellement malade lorsqu'elle raconta ceci, qu'elle ne put pas indiquer bien précisément dans quel lieu était ce figuier, qui n'est pas du reste le figuier maudit de l'Evangile.

Ils s'approchèrent ensuite d'une maison dont le maître commença par traiter grossièrement Joseph, qui lui demandait humblement l'hospitalité. Il regarda la sainte Vierge à la lueur de sa lanterne, et railla Joseph de ce qu'il menait avec lui une femme aussi jeune. Mais la maîtresse de la maison s'approcha ; elle eut pitié de la sainte Vierge, leur offrit amicalement une chambre dans un bâtiment attenant à la maison, et leur porta même quelques petits pains. Le mari se repentit aussi de sa grossièreté, et se montra très serviable envers les saints voyageurs.

Ils allèrent plus tard dans une troisième maison, habitée par un jeune ménage. On les y accueillit, mais sans beaucoup de courtoisie : on ne s'occupa guère d'eux. Ces gens n'étaient pas des bergers aux moeurs simples, mais, comme les riches paysans de ce pays, assez occupés d'affaires, de négoce, etc.

Jésus visita une de ces maisons, après son baptême, le 20 octobre (16 du mois de Tisri). On avait fait un oratoire de la chambre où ses parents avaient passé la nuit. Je ne sais pas bien si ce n'était pas la maison dont le maître avait d'abord raillé saint Joseph. Je me souviens confusément qu'on avait fait cet arrangement après les miracles qui signalèrent la naissance du Sauveur.

Joseph fit des haltes fréquentes à la fin du voyage ; car la sainte Vierge en était de plus en plus fatiguée. Ils suivirent le chemin que leur indiquait la jeune ânesse, et firent un détour d'une journée et demie à l'est de Jérusalem. Le père de Joseph avait possédé des pâturages dans cette contrée, et il la connaissait très bien. s'ils avaient traversé directement le désert qui est au midi derrière Béthanie, ils auraient atteint Bethléhem en six heures ; mais ce chemin était montueux et très incommode dans cette saison. Ils suivirent donc l'ânesse le long des vallées et se rapprochèrent un peu du Jourdain.

(Le mercredi, 21 novembre.)

Je vis aujourd'hui les saints voyageurs entrer en plein jour dans une grande maison de bergers, qui pouvait être à trois lieues de l'en. droit où Jean baptisait dans le Jourdain, et à environ sept lieues de Bethléhem. C'est la maison où, trente ans après, Jésus passa la nuit, le il octobre, la veille du jour où, pour la première fois après son baptême, il passa devant Jean-Baptiste. Près de cette maison, se trouvait une grange séparée où étaient déposés les instruments de labourage et ceux dont se servaient les bergers. Il y avait dans la cour une fontaine entourée de bains, qui recevaient par des conduits l'eau de cette fontaine. Le maître de la maison devait avoir des propriétés étendues ; il y avait là une exploitation considérable. Je vis aller et venir plusieurs valets qui prirent là leur repas.

Le maître de la maison accueillit les voyageurs très amicalement et se montra fort serviable. On les conduisit dans une chambre commode, et on prit soin de leur âne. Un domestique lava les pieds de Joseph à la fontaine et lui donna d'autres habits, pendant qu'on nettoyait les siens qui étaient couverts de poussière ; une servante rendit les mêmes offices à la sainte Vierge. Ils prirent leur repas dans cette maison et y dormirent.

La maîtresse de la maison était d'un caractère assez bizarre, et elle resta renfermée dans sa chambre. Elle avait regardé les voyageurs à la dérobée ; et comme elle était jeune et vaine, la beauté de la sainte Vierge lui avait déplu; elle craignait, en outre, que Marie ne s'adressât à elle, ne voulut rester dans sa maison et y faire ses couches ; aussi eut-elle l'impolitesse de ne pas se montrer et prit-elle ses mesures pour que les voyageurs partissent le jour suivant. C'est la femme que Jésus, trente ans après, le il octobre, trouva dans cette maison, aveugle et courbée en deux, et qu'il guérit, après lui avoir donné quelques avis sur son inhospitalité et sa vanité. Il y avait aussi des enfants dans la maison. La sainte Famille y passa la nuit.

(Le jeudi, 22 novembre.)

Aujourd'hui, vers midi, je vis la sainte Famille quitter le lieu où elle avait logé la veille.

Quelques habitants de la maison l'accompagnèrent jusqu'à une certaine distance. Après un court voyage d'environ deux lieues, elle arriva sur le soir à un lieu que traversait une grande route, bordée de chaque coté d'une longue rangée de maisons avec des cours et jardins. Joseph avait des parents qui demeuraient là. Il me semble que c'étaient les enfants du second mariage d'un beau-père ou d'une belle-mère. Leur maison avait beaucoup d'apparence. Ils traversèrent pourtant cet endroit d'un bout à l'autre ; puis, à une demi lieue de là, ils tournèrent à droite dans la direction de Jérusalem, et arrivèrent à une grande auberge, dans la cour de laquelle se trouvait une fontaine avec plusieurs conduits. Il y avait là beaucoup de gens rassemblés : on y faisait des funérailles.

L'intérieur de la maison, au centre de laquelle se trouvait le foyer avec un conduit pour la fumée, avait été transformé en une grande pièce par la suppression de cloisons mobiles qui formaient ordinairement plusieurs chambres séparées ; derrière le foyer étaient suspendues des tentures noires, et en face se trouvait quelque chose qui ressemblait à une bière recouverte en noir. Il y avait là plusieurs hommes qui priaient ; ils portaient de longues robes noires, et par-dessus des robes blanches plus courtes ; quelques-uns avaient une espèce de manipule noir à franges suspendu au bras. Dans une autre chambre se trouvaient les femmes, entièrement enveloppées dans leurs vêtements ; elles étaient assises sur des coffres très bas et pleuraient. Les maîtres de la maison, tout occupés de la cérémonie funèbre, se contentèrent de faire signe aux voyageurs d'entrer ; mais les domestiques les accueillirent très bien et prirent soin d'eux. On leur prépara un logement à part formé avec des nattes suspendues, ce qui le faisait ressembler à une tente. Je vis plus tard les hôtes visiter la sainte Famille et s'entretenir amicalement avec elle. Ils n'avaient plus leurs vêtements blancs de dessus. Joseph et Marie, après avoir pris un peu de nourriture, prièrent ensemble et se reposèrent.

(Le vendredi, 23 novembre.)

Aujourd'hui, vers midi, Joseph et Marie se mirent en route pour Bethléhem, dont ils étaient encore éloignés d'environ trois lieues. La maîtresse de la maison les engagea à rester, parce qu'il lui semblait que Marie pouvait accoucher d'un moment à l'autre. Marie répondit, après avoir baissé son voile, qu'elle avait encore trente-six heures à attendre. Je ne sais pas bien si elle ne dit pas trente-huit. Cette femme les aurait gardés volontiers, non pas pourtant dans sa maison, mais dans un autre bâtiment. Je vis, au moment du départ, Joseph parler de ses ânes avec l'hôte ; il fit l'éloge de ces animaux, et dit qu'il avait pris l'ânesse avec lui pour la mettre en gage en cas de nécessité. Comme les hôtes parlaient de la difficulté de trouver un logement à Bethléhem, Joseph dit qu'il y avait des amis et qu'il y serait certainement bien accueilli. J'étais toujours peinée de l'entendre parler avec tant d'assurance du bon accueil qu'il attendait. Il en parla encore à Marie pendant la route. On voit par là que même d'aussi sainte personnages peuvent se tromper.

XLVIII
Bethléhem. Arrivée de le sainte Famille.

(Le vendredi, 23 novembre.)

Le chemin, depuis le dernier gîte jusqu'à Bethléhem, pouvait être d'à peu près trois lieues. Ils firent un détour au nord de Bethléhem, et s'approchèrent de la ville par le côté du couchant. Ils firent une halte sous un arbre, en dehors de la route. Marie descendit de l'âne et mit ses vêtements en ordre Alors Joseph se dirigea avec elle vers un grand édifice ; entouré d'autres bâtiments plus petits et de cours ; il était à quelques minutes en avant de Bethléhem ; il y avait aussi là des arbres, et beaucoup de gens avaient dressé des tentes alentour. C'était l'ancienne maison de la famille de David, qu'avait possédée le père de Joseph. De parents ou des connaissances de Joseph y habitaient encore, mais ils le traitèrent en étranger et ne voulurent pas le reconnaître. C'était maintenant la maison où l'on recevait les impôts pour le gouvernement romain.

Joseph, accompagné de la sainte Vierge et tenant l'âne par la bride, se rendit à cette maison ; car tous ceux qui arrivaient devaient s'y faire connaître et y recevaient un billet sans lequel or. ne laissait pas entrer à Bethléhem.

La soeur dit ensuite, mettant quelques intervalles entre ses paroles : La jeune ânesse n'est pas avec eux ; elle court autour de la ville, vers le midi ; il y a là un petit vallon. Joseph est entré dans le grand bâtiment ; Marie est dans une petite maison sur la cour, avec des femmes. Elles sont assez bienveillantes pour elle et lui donnent à manger... Ces femmes font la cuisine pour les soldats... Ce sont des soldats romains ; ils ont des courroies qui pendent autour des reins... Il fait ici un temps agréable et pas du tout froid ; le soleil se montre au-dessus de la montagne qui est entre Jérusalem et Béthanie. On a d'ici une très belle vue... Joseph est dans une grande pièce qui n'est pas au rez-de-chaussée ; on lui demande qui il est, et on consulte de grands rouleaux, dont plusieurs sont suspendus aux murs ; on les déploie, et on lit sa généalogie et aussi celle de Marie. Il ne paraissait pas savoir qu'elle aussi, par Joachim, descend en droite ligne de David... L'homme lui demande où est sa femme.

Il y a sept ans qu'on n'a taxé régulièrement les gens de ce pays ; il y a eu du désordre et de la confusion. Cet impôt est en vigueur depuis deux mois ; ou le payait de temps en temps pendant les sept années précédentes, mais pas régulièrement. Il faut maintenant payer deux fois. Joseph est arrivé un peu tard pour payer l'impôt ; mais on l'a traité très poliment. Il n'a pas encore payé. On lui a demandé quels étaient ses moyens d'existence, et il a répondu qu'il n'avait pas de biens-fonds, qu'il vivait de son métier et qu'il était en outre aidé par sa belle mère.

Il y a une grande quantité d'écrivains et d'employés importants dans la maison. Dans le haut sont des Romains et plusieurs soldats ; il y a des pharisiens, des saducéens, des prêtres, des anciens, un certain nombre de scribes et de fonctionnaires, tant Juifs que Romains. II n'y a pas de comité de ce genre à Jérusalem, mais il s'en trouve en plusieurs autres endroits du pays : par exemple, à Magdalum, près du lac de Génésareth, où des gens de la Galilée viennent payer, ainsi que des gens de Sidon, à cause de certaines affaires de commerce, à ce que je suppose : il n'y a que ceux qui n'ont pas de biens-fonds d'après lesquels on puisse les taxer, qui soient obligés de se rendre au heu de leur naissance.

Le produit de l'impôt, d'ici à trois mois, sera divisé en trois parties dont chacune aura une destination différente. La première est au profit de l'empereur Auguste, d'Hérode et d'un autre prince qui habite dans le voisinage de l'Egypte. Il a pris part à une guerre et il possède des droits sur une portion du pays, ce qui fait qu'on doit lui payer quelque chose. La seconde part est pour la construction du temple : il semble qu'elle doive servir à éteindre une dette. La troisième part doit être pour les veuves et les pauvres qui n'ont rien reçu depuis longtemps ; mais, comme il arrive souvent de nos jours, cet argent ne va guère à qui de droit. On donne de beaux prétextes pour lever ces impôts et presque tout reste dans les mains des gens puissants.

Quand ce qui concernait Joseph fut réglé, on fit venir aussi la sainte Vierge devant les scribes, mais ils ne lui lurent pas leurs papiers. Ils dirent à Joseph qu'il n'aurait pas été nécessaire qu'il amenât sa femme avec lui, et ils eurent l'air de le plaisanter à cause de la jeunesse de Marie, ce qui le rendit un peu confus.

XLIX
Joseph cherche inutilement un logement.
Ils vont à la grotte de la crèche.

Ils entrèrent alors à Bethléem dont les maisons étaient séparées les unes des autres par d'assez longs intervalles. On entrait à travers des décombres et comme par une porte détruite. Marie se tint tranquillement près de l'âne au commencement de la rue, et Joseph chercha vainement un logement dans les premières maisons, car il y avait beaucoup d'étrangers à Bethléhem, et on voyait beaucoup de gens courant ça et là. Il revint vers Marie, et lui dit qu'on ne pouvait pas trouver à se loger là, et au il fallait aller plus avant dans la ville. Il conduisit l'âne par la bride, pendant que la sainte Vierge marchait à côté de lui. Quand ils furent à l'entrée d'une autre rue, Marie resta de nouveau près de l'âne, pendant que Joseph allait de maison en maison sans pouvoir en trouver une où l'on voulût le recevoir. Il revint bientôt tout attristé. Cela se répéta plusieurs fois, et souvent la sainte Vierge eut bien longtemps à attendre. Partout la place était prise, partout on le rebuta, et il finit par dire à Marie qu'il fallait aller dans une autre partie de Bethléhem, où ils trouveraient sans doute ce qu'ils cherchaient. Ils revinrent alors sur leurs pas, dans la direction contraire à celle qu'ils avaient prise en venant, puis ils tournèrent au midi. Ils suivirent une rue qui ressemblait plutôt à un chemin dans la campagne, car les maisons étaient isolées et placées sur de petites élévations. La aussi. toutes les tentatives furent vaines.

Arrivés de l'autre côté de Bethléhem, où les maisons étaient encore plus dispersées, ils y trouvèrent un grand espace vide situé dans un fond : c'était comme un champ désert dans la ville. Il y avait là une espèce de hangar, à peu de distance un grand arbre assez semblable à un tilleul, dont le tronc était lisse, et dont les branches s'étendaient au loin et formaient comme un toit autour de lui. Joseph conduisit la sainte Vierge à cet arbre ; il lui arrangea avec des paquets un siège commode au pied du tronc ; afin qu'elle pût se reposer pendant qu'il chercher : il fit encore un logement dans les maisons d'alentour. l'âne resta la tête tournée vers l'arbre. Marie se tint d'abord debout, appuyée contre le tronc. Sa robe de laine blanche n'avait pas de ceinture et tombait en plis autour d'elle, sa tête était couverte d'un voile blanc. Plu sieurs personnes passèrent et la regardèrent, ne sachant pas que leur Sauveur fût si près d'elles. Combien elle était patiente, humble et résignée ! Il lui fallut attendre bien longtemps, et elle s'assit enfin sur les couvertures, les mains jointes sur la poitrine et la tête baissée. Joseph revint tout triste vers elle ; il n'avait pas pu trouver de logement. Les amis dont il avait parlé à la sainte Vierge voulaient à peine le reconnaître. Il pleurait et Marie le consolait. Il alla encore de maison en maison, mais comme. pour faire mieux accueillir ses prières, il parlait de la prochaine délivrance de sa femme, il s'attirait par là des refus plus formels.

Le lieu était solitaire ; mais à la fin quelques passants s'étaient arrêtés et regardaient de loin avec curiosité, comme on fait ordinairement quand on voit quelqu'un rester longtemps à la même place à la chute du jour. Je crois que quelques-uns adressèrent la parole à Marie et lui demandèrent qui elle était. Enfin Joseph revint : il était tellement troublé qu'il osait à peine s'approcher d'elle. Il lui dit que tout était inutile, mais qu'il connaissait en avant de la ville un endroit où les bergers s'établissaient souvent quand ils venaient à Bethléhem avec leurs troupeaux, et qu'ils trouveraient là au moins un abri. Il connaissait ce lieu depuis sa jeunesse : quant ses frères le tourmentaient, il s'y retirait souvent pour y prier à l'abri de leurs persécutions. Il disait que si les bergers y venaient, il s'arrangerait aisément avec eux, et que du reste ils s'y tenaient rarement à cette époque de l'année. Quand elle y serait tranquillement établie, ajoutait-il, il ferait de nouvelles recherches

Ils sortirent alors par le côté oriental de Bethléhem, suivant un sentier désert qui tournait à gauche. C'était un chemin semblable à celui que l'on suivrait en marchant le long des- murs écroulés, des fossés et des fortifications en ruine d'une petite ville. Le chemin montait d'abord un peu, puis il descendait la pente d'un monticule, et il les conduisit, à quelques minutes à l'est de Bethléhem, devant le lieu qu'ils cherchaient, près d'une colline ou d'un vieux rempart en avant duquel se trouvaient quelques arbres. C'étaient des arbres verts (des térébinthes ou des cèdres), et d'autres arbres qui avaient des petites feuilles comme celles du buis.

Nous voulons maintenant, autant que possible, décrire les alentours de la colline et la disposition intérieure de la grotte de la Crèche, d'après les indications données à plusieurs reprises par la soeur Emmerich, afin de n'avoir pas à interrompre plus tard la narration.

L.
Description de la grotte de la Crèche et de ses alentours.

A l'extrémité méridionale de la colline autour de laquelle tournait le chemin qui conduisait dans la vallée des bergers, se trouvait, indépendamment de plusieurs autres grottes ou caves creusées dans le roc, la grotte où Joseph chercha un abri pour la sainte Vierge. L'entrée, tournée au couchant, conduisait par un passage étroit à une espèce de chambre, arrondie d'un côté, triangulaire de l'autre, située dans la partie orientale de la colline. La grotte était creusée dans le roc par la nature ; seulement du côté du midi où passait le chemin qui conduisait à la vallée des bergers, on avait fait quelques réparations au moyen d'une maçonnerie grossière.

De ce côte ; qui regardait le midi, il y avait une autre entrée. Mais elle était ordinairement bouchée, et Joseph la rouvrit pour son usage. En sortant par là, on trouvait à main gauche une ouverture plus large qui conduisait à un caveau étroit, incommode, placé à une plus grande profondeur et allant jusque sous la grotte de la Crèche. L'entrée ordinaire de la grotte de la Crèche regardait le couchant. On pouvait voir de là les toits de quelques maisons de Bethléhem. Si en sortant par là on tournait à droite, on arrivait à l'entrée d'une grotte plus profonde et plus obscure, dans laquelle la sainte Vierge se cacha une fois.

Il y avait devant l'entrée du couchant un toit de jonc, appuyé sur des pieux, qui se prolongeait aussi au midi jusqu'au-dessus de l'entrée qui était de ce côté, en sorte qu'on pouvait être à l'ombre devant la grotte. A sa partie méridionale, la grotte avait dans le haut trois jours grillés par où venaient l'air et la lumière ; une ouverture semblable se trouvait dans la voûte du rocher. Elle était recouverte de gazon et formait l'extrémité de la hauteur sur laquelle Bethléhem était située.

L'intérieur de la grotte, suivant les descriptions données par la soeur à plusieurs reprises, était à peu près disposé comme il suit : du côté du couchant, on entrait par une porte de branches entrelacées dans un corridor de moyenne largeur, aboutissant à une chambre de forme irrégulière, moitié ronde, moitié triangulaire, laquelle s'étendait surtout du côté du midi, en sorte que le plan de la grotte entière pouvait être comparé à une tête reposant sur son cou.

Quand on passait, du corridor qui était moins élevé, dans là grotte creusée par la nature, on descendait sur un sol plus bas ; cependant le sol se relevait tout autour de la grotte, qui était entourée comme d'un banc de pierre de largeur variable. Les parois de la grotte, sans être tout à fait polies, étaient cependant assez unies et assez propres et avaient pour moi quelque chose d'agréable à voir. Au nord du corridor se trouvait l'entrée d'une grotte latérale plus petite. En passant devant cette entrée on arrivait à l'endroit où Joseph allumait le feu ; puis la paroi tournait au nord-est dans l'autre grotte plus spacieuse et plus élevée. Ce fut là que plus tard fut mis l'âne de Joseph. Derrière cette place était un recoin assez grand pour recevoir l'âne et où il y avait du fourrage.

C'était dans la partie orientale de cette grotte, en face de l'entrée, que se trouvait la sainte Vierge lorsque la lumière du monde sortit d'elle. Dans la partie qui s'étendait au midi se trouvait la crèche où l'on adora l'Enfant Jésus. La crèche n'était autre chose qu'une auge creusée dans la pierre qui servait pour faire boire les bestiaux. Au-dessus était une mangeoire évasée, formée d'un treillis en bois et élevée sur quatre pieds, de façon que les animaux pouvaient prendre commodément l'herbe ou le foin qu'on y avait placés, et n'avaient qu'à baisser la tête pour boire dans l'auge de pierre qui était au-dessous.

C'était en face de la crèche, au levant de cette partie de la grotte, qu'était assise 'a sainte Vierge avec l'Enfant-Jésus quand les trois rois mages offrirent leurs présents Si en partant de la crèche on tournait à l'ouest dans le corridor qui précédait la grotte, on passait devant l'entrée méridionale déjà mentionnée, et on arrivait à un endroit dont saint Joseph fit plus tard sa chambre en le séparant du reste avec des cloisons en clayonnage. Il y avait de ce côté un enfoncement où il déposait toute sorte de choses.

En dehors de la partie méridionale de la grotte passait le chemin qui menait à la vallée des bergers. Il y avait ça et là sur des collines de petites maisons, et dans la plaine quelques hangars avec des toits de roseaux portés sur des pieux. Au-devant de la grotte, la colline s'abaissait dans une vallée sans issue, fermée au nord et large d'environ un demi quart de lieue.

Il y avait la des buissons, des arbres et des jardins En traversant une belle prairie où coulait une source, et en passant sous des arbres rangs régulièrement, on arrivait au côté oriental de cette vallée, ou se trouvait, dans une colline faisant saillie, la grotte du tombeau de Maraha, nourrice d'Abraham. Cette grotte est appelée aussi grotte au Lait ; la sainte Vierge y séjourna avec l'Enfant-Jésus en diverses occasions. Au-dessous était un grand arbre dans lequel on avait pratiqué des sièges. On voyait mieux Bethléhem de cet endroit que de l'entrée de la grotte de la Crèche.

J'ai appris beaucoup de choses qui se sont passées anciennement dans la grotte de la Crèche. Je me souviens seulement que Seth, l'enfant de la promesse, y fut conçu et mis au monde par Eve, après une pénitence de sept ans.

C'est là qu'un ange lui dit que Dieu lui avait donné ce rejeton à la place d'Abel. Seth fut caché et nourri dans cette grotte et dans cette de Maraha, car ses frères en voulaient à sa vie, comme les enfants de Jacob à celle de Joseph. A une époque très reculée où les hommes habitaient dans des grottes, je les ai vus souvent faire des excavations dans la pierre pour qu'eux et leurs enfants pussent y dormir commodément sur des peaux de bêtes ou sur des lits de gazon. L'excavation pratiquée dans le rocher, sous la crèche, peut donc avoir servi de couche à Seth ou à des habitants postérieurs de la grotte. Je n'en ai pourtant pas la certitude.

Je me souviens aussi d'avoir vu, dans mes contemplations sur les années de la prédication de Jésus, que, le 6 octobre, le Seigneur, après son baptême, célébra le sabbat dans la grotte de la Crèche, dont les bergers avaient fait un oratoire.

LI
La grotte du tombeau de Maraha, nourrice d'Abraham.

Abraham avait une nourrice, appelée Maraha, qu'il honorait particulièrement et qui atteignit un âge très avancé ; elle le suivait partout dans ses voyages, montée sur un chameau. Elle vécut longtemps près de lui à Succoth. Plus tard dans ses derniers jours, elle le suivit aussi dans la vallée des bergers, où il avait dressé ses tentes dans les environs de cette grotte. Ayant dépassé sa centième année. et voyant sa dernière heure approcher, elle demanda à Abraham d'être enterrée dans cette grotte, sur laquelle elle fit des prédictions et à laquelle elle donna le nom de grotte du Lait ou grotte de la Nourrice.

Il arriva là quelque chose de miraculeux que j'ai oublié, et une source sortit de terre. La grotte était alors un corridor étroit et élevé, creusé dans une matière blanche qui n'était pas très dure. D'un côté était une couche de cette matière qui ne montait pas jusqu'à la voûte.En montant par dessus cette couche, on pouvait arriver à l'entrée d'autres grottes placées plus haut.

La grotte fut agrandie plus tard, parce qu'Abraham y pratiqua dans la partie latérale une excavation pour le tombeau de Maraha. Sur un gros bloc de pierre reposait comme une auge également en pierre supportée par des pieux courts et épais. Je fus étonnée de ne plus rien y voir au temps de Jésus.

Cette grotte du tombeau de la nourrice avait un rapport prophétique avec la mère du Sauveur nourrissant son fils pendant la persécution : car, dans l'histoire de la jeunesse d'Abraham, il se trouva aussi une persécution figurative, et sa nourrice lui sauva la vie en le cachant dans une grotte.

Il est à remarquer que Pline, I. v, c. 18, dit que Schytopolis (non qu'on donne aussi à Succoth) s'appelait anciennement Nysa, parce que Bacchus y avait enterré sa nourrice nommée Nysa.

Je me souviens en gros de ce qui suit : Le roi qui régnait dans la patrie d'Abraham eut un songe où on lui fit une prédiction sur un enfant qui allait naître et qui devait être dangereux pour lui. Il prit des mesures en conséquence. La grossesse de la mère d'Abraham fut tenue secrète, et elle se cacha dans une grotte pour le mettre au monde. Maraha, sa nourrice, l'allaita en secret. Elle vécut comme une pauvre esclave, travaillant dans me solitude près d'une grotte dans laquelle elle nourrissait l'enfant. Ses parents le reprirent plus tard près d'eux ; et, comme il était beaucoup plus grand que son âge ne le comportait, on le fit passer pour un enfant né antérieurement à la prédiction faite au roi. Étant encore enfant, il courut pourtant des dangers à cause de certaines manifestations merveilleuses, et la nourrice le cacha de nouveau. Je la vis l'emporter secrètement sous son large manteau. On fit mourir alors plusieurs enfants de sa taille.

Cette grotte, depuis l'époque d'Abraham, était un lieu de dévotion, surtout pour les mères et les nourrices, et il y avait là quelque chose de prophétique ; car on vénérait dans la nourrice d'Abraham la figure de la sainte Vierge, de même qu'Elie l'avait vue dans la nuée qui apportait la pluie, et lui avait érigé un oratoire sur le Carmel. Maraha avait coopéré, en quelque sorte, à l'avènement du Messie, puisqu'elle avait nourri de son lait l'aïeul de la sainte Vierge. Je ne puis pas bien m'exprimer, mais c'était comme un puits profond allant jusqu'à la source de la vie universelle, et on y puisa toujours jusqu'à ce que Marie y montât comme une eau limpide. Ainsi s'exprima la soeur dans un sommeil extatique.

L'arbre qui était au-dessus de cette grotte étendait au loin son ombre comme un immense tilleul ; il était large par en bas et se terminait en pointe. C'était un térébinthe. Abraham se trouva avec Melchisédech sous cet arbre ; je ne sais pas bien à quelle occasion. Ce vieil arbre avait quelque chose de sacré pour les bergers et les gens d'alentour. On aimait à se reposer sous son ombre et à y prier. Je ne sais plus bien l'histoire de cet arbre, peut-être que c'était Abraham qui l'avait planté. Il y avait à côté une fontaine où les bergers allaient prendre de l'eau à certains moments ; ils lui attribuaient des vertus particulières. Des deux côtés de l'arbre se trouvaient des cabanes ouvertes où l'on pouvait dormir. Tout cela était entouré d'une haie. Sainte Hélène bâtit là une église ; on y a aussi dit la messe.

LII
La sainte Famille entre dans la Grotte de la Crèche.

(Le vendredi, 23 novembre.)

Il était déjà tard quand ils arrivèrent devant l'entrée de la grotte. La jeune ânesse. qui, depuis qu'ils étaient entrés dans la maison paternelle de Joseph, avait couru de côté et d'autre autour de la ville, vint alors à leur rencontre et se mit à sauter joyeusement auprès d'eux. Alors la sainte Vierge dit à Joseph : " voyez, c'est certainement la volonté de Dieu que nous entrions ici ". Joseph mit l'âne sous l'espèce de toit qui était en avant de l'entrée de la grotte ; il prépara un siège pour la sainte Vierge, et elle s'y assit pendant qu'il se procurait de la lumière et entrait dans la grotte. L'entrée était un peu obstruée par des bottes de paille et des nattes posées contre les parois. Il y avait aussi dans la grotte même divers objets qui l'encombraient, Joseph la débarrassa de manière à préparer à la sainte Vierge une place commode du côté oriental de la grotte. Il attacha une lampe allumée à la paroi, et fit entrer Marie, qui se plaça sur le lit de repos qu'il lui avait préparé avec des couvertures et quelques paquets. Il s'excusa humblement de n'avoir pu lui procurer qu'un si mauvais gîte ; mais Marie, intérieurement, était contente et joyeuse.

Quand elle se fut installée, Joseph sortit avec une outre de cuir qu'il portait avec lui, et alla derrière la colline, dans la prairie où coulait un petit ruisseau ; il remplit l'outre d'eau et la rapporta dans la grotte. Il alla ensuite dans la ville, où il se procura de petits plats et du charbon. Le sabbat était proche, et, à cause des nombreux étrangers auxquels manquaient les choses les plus indispensables, on avait dressé au coin des rues des tables sur lesquelles étaient les aliments dont ils pouvaient avoir besoin. Je crois qu'il y avait là des gens qui n'étaient pas Juifs.

Joseph revint, portant des charbons allumés dans une espèce de botte grillée, il les plaça à l'entrée de la grotte, et alluma du feu avec un petit fagot de morceaux de bois sec ; il apprêta ensuite un repas, qui se composait de petits pains et de quelques fruits cuits. Quand ils eurent mangé et prié, Joseph prépara une couche pour la sainte Vierge. Il étendit sur une litière de jonc une couverture semblable à celles que j'avais vues dans la maison de sainte Anne, et plaça une autre couverture roulée pour appuyer la tête. Après avoir fait entrer l'âne et l'avoir attaché dans un endroit où il ne pouvait pas gêner, il boucha les ouvertures de la voûte par où l'air venait, et disposa la place où lui-même devait reposer dans l'entrée de la grotte.

Quand le sabbat commença, il se tint avec la sainte Vierge sous la lampe, et récita avec elle les prières dur sabbat ; il quitta ensuite la grotte et s'en alla à la ville. Marie s'enveloppa pour se livrer au repos. Pendant l'absence de Joseph, je vis la sainte Vierge prier à genoux. Elle s'agenouilla sur sa couche ; puis elle s'étendit sur la couverture, couchée sur le côté. Sa tête reposait sur son bras, qui était posé sur l'oreiller. Joseph revint tard. Il pria encore, et se plaça humblement sur sa couche à l'entrée de la grotte.

(Le samedi, 24 novembre.)

Ce jour-là la soeur était très malade et ne put dire que peu de choses ; elle communiqua pourtant ce qui suit :

La sainte Vierge passa le sabbat dans la grotte de la Crèche, priant et méditant avec une grande ferveur. Joseph sortit plusieurs fois ; il alla probablement à la synagogue de Bethléhem. Je les vis manger des aliments prépares les jours précédents et prier ensemble. Dans l'après-midi, temps où les Juifs font ordinairement leur promenade le jour du sabbat, Joseph conduisit la sainte Vierge à la grotte du tombeau de Maraha, nourrice d'Abraham. Elle resta quelque temps dans cette grotte, qui était plus spacieuse que celle de la crèche, et où Joseph lui arrangea un siège; elle se tint aussi sous l'arbre qui était auprès, toujours priant et méditant jusqu'après la clôture du sabbat. Joseph alors la ramena. Marie avait dit à son époux que la naissance de l'enfant aurait lieu ce jour même, à minuit ; car c'était à cette heure que se terminaient les neuf mois écoulés depuis que l'ange du Seigneur l'avait saluée. Elle l'avait prié de faire en sorte qu'ils pussent honorer de leur mieux, à son entrée dans le monde, l'enfant promis par Dieu et conçu surnaturellement. Elle lui demanda aussi de prier avec elle pour les gens au coeur dur qui n'avaient pas voulu lui donner l'hospitalité. Joseph offrit à la sainte Vierge de faire venir pour l'assister deux pieuses femmes de Bethléhem qu'il connaissait. Elle ne le voulut pas, et lui dit qu'elle n'avait besoin du secours de personne.

Joseph alla à Bethléhem avant la fin du` sabbat, et aussitôt que le soleil fut couché, il acheta quelques objets nécessaires, une écuelle, une petite table basse, des fruits et des raisins secs, qu'il rapporta à la grotte de la Crèche ; il alla de là à la grotte de Maraha, et ramena la sainte Vierge à celle de la crèche, où elle s'assit sur la couverture. Joseph prépara encore des aliments. Ils mangèrent et prièrent ensemble. Il établit alors une séparation entre la place qu'il avait choisie pour y dormir et le reste de la grotte, à l'aide de quelques perches auxquelles il suspendit des nattes qu'il avait trouvées là ; il donna à manger à l'âne qui était à gauche de l'entrée, attaché à la paroi de la grotte ; il remplit ensuite la mangeoire de la crèche de roseaux et d'herbe ou de mousse, et il étendit par-dessus une couverture.

Comme alors la sainte Vierge lui dit que son terme approchait et l'engagea à se mettre en prières dans sa chambre, il suspendit à la voûte plusieurs lampes allumées, et sortit de la grotte parce qu'il avait entendu du bruit devant l'entrée. Il trouva là la jeune ânesse qui, jusqu'alors, avait erré en liberté dans la vallée des bergers ; elle paraissait toute joyeuse, et jouait et bondissait autour de lui Il l'attacha sous l'auvent qui était devant la grotte et lui donna du fourrage.

Quand il revint dans la grotte, et qu'avant d'entrer dans son réduit, il jeta les yeux sur la sainte Vierge, il la vit qui priait à genoux sur sa couche ; elle lui tournait le des et regardait du côté de l'orient. Elle lui parut comme entourée de flammes, et toute la grotte semblait éclairée d'une lumière surnaturelle. Il regarda comme Moise lorsqu'il vit le buisson ardent ; puis, saisi d'un saint effroi, il entra dans sa cellule et s'y prosterna la face contre terre.

LIII
Naissance du Christ.

Je vis la lumière qui environnait la sainte Vierge devenir de plus en plus éclatante ; la lueur de la lampe allumée par Joseph n'était plus visible. Marie, sa large robe sans ceinture étalée autour d'elle, était à genoux sur sa couche, le visage tourné vers l'orient.

Quand vint l'heure de minuit, elle fut ravie en extase. Je la vis élevée de terre à une certaine hauteur. Elle avait les mains croisées sur la poitrine. La splendeur allait croissant autour d'elle ; tout semblait ressentir une émotion joyeuse, même les êtres inanimés. Le roc qui formait le sol et les parvis de la grotte étaient comme vivants dans la lumière. Mais bientôt je ne vis plus la voûte ; une voie lumineuse, dont l'éclat augmentait sans cesse, allait de Marie jusqu'au plus haut des cieux. Il y avait là un mouvement merveilleux de gloires célestes, qui, s'approchant de plus en plus, se montrèrent distinctement sous la l'orme de choeurs angéliques. La sainte Vierge, élevée de terre dans son extase, priait et abaissait ses regards sur son Dieu dont elle était devenue ta mère, et qui, faible enfant nouveau-né, était couché sur la terre devant elle.

Je vis notre Sauveur comme un petit enfant lumineux, dont l'éclat éclipsait toute la splendeur environnante, couché sur le tapis devant les genoux de la sainte Vierge. Il me semblait qu'il était tout petit et grandissait sous mes yeux ; mais tout cela n'était que le rayonnement d'une lumière tellement éblouissante que je ne puis dire comment j'ai pu la voir.

La sainte Vierge resta encore quelque temps dans son extase Puis, je la vis mettre un linge sur l'enfant, mais elle ne le toucha pas et ne le prit pas encore dans ses bras. Après un certain intervalle, je vis l'Enfant-Jésus se mouvoir et je l'entendis pleurer ; ce fut alors que Marie sembla reprendre l'usage de ses sens. Elle prit l'enfant, l'enveloppa dans le linge dont elle l'avait recouvert et le tint dans ses bras contre sa poitrine. Elle s'assit ensuite, s'enveloppa tout entière avec l'enfant dans son voile, et je crois qu'elle l'allaita. Je vis alors autour d'elle des anges, sous forme humaine, se prosterner devant le nouveau-né et l'adorer.

Il s'était bien écoulé une heure depuis la naissance de l'enfant, lorsque Marie appela saint Joseph, qui priait encore la face contre terre. s'étant approché, il se prosterna plein de joie, d'humilité et de ferveur. Ce ne fut que lorsque Marie l'eut engagé à presser contre son coeur le don sacré du Très-Haut, qu'il se leva, reçut l'Enfant-Jésus dans ses bras et remercia Dieu avec des larmes de joie.

Alors la sainte Vierge emmaillota l'Enfant-Jésus. Marie n'avait que quatre langes avec elle. Je vis ensuite Marie et Joseph s'asseoir par terre l'un près de l'autre. Ils ne disaient rien et semblaient tous deux absorbés dans la contemplation. Devant Marie, emmailloté ainsi qu'un enfant ordinaire, était couché Jésus nouveau né, beau et brillant comme un éclair. "Ah! me disais-je, ce lieu contient le salut du monde entier, et personne ne s'en doute.'

Ils placèrent ensuite l'enfant dans la crèche. Ils l'avaient remplie de roseaux et de jolies plantes sur lesquels était étendue une couverture ; elle était au-dessus de l'auge creusée dans le roc, à droite de l'entrée de la grotte, qui s'élargissait là dans la direction du midi. Quand ils eurent mis l'enfant dans la crèche, tous deux se tiennent à côté de lui versant des larmes de joie et chantant des cantiques de louange. Joseph arrangea alors le lit de repos et le siège de la sainte Vierge à côté de la crèche. Je la vis avant et après la naissance de Jésus habillée d'un vêtement blanc qui l'enveloppait tout entière Je la vis là pendant les premiers jours, assise, agenouillée, debout ou même couchée sur le côte et dormant, mais jamais malade ni fatiguée.

LIV
Gloria in excelsis.
La naissance du Christ annoncée aux bergers.

Je vis en beaucoup de lieux, jusque dans les pays les plus éloignés, une joie inaccoutumée et un mouvement extraordinaire pendant cette nuit. Je vis les coeurs de beaucoup d'hommes de bien animes d'un désir joyeux, et ceux des méchants pleins d'angoisse et de trouble. Je vis beaucoup d'animaux faire éclater leur allégresse par leurs mouvements, des fleurs relever la tête, des plantes et des arbres reprendre comme une nouvelle vie, et répandre au loin des parfums. Je vis aussi des sources jaillir de terre. Ainsi, au moment où le Sauveur naquit, une source abondante jaillit dans la grotte qui était dans la colline au nord de la grotte de la Crèche. Joseph la vit le lendemain et lui prépara un écoulement. Au-dessus de Bethléem, le ciel était d'un rouge sombre, tandis que sur la grotte de la Crèche, sur la vallée voisine de la grotte de Maraha et sur la vallée des bergers, on voyait une vapeur brillante.

Dans la vallée des bergers, à une lieue et demie environ de la grotte de 'a Crèche, s'élevait une colline où commençaient des vignes, qui s'étendaient de là jusqu'à Gaza. Contre cette colline étaient les cabanes de trois bergers, qui étaient les chefs des familles de pasteurs demeurant alentour. A une distance double de la grotte de la crèche se trouvait ce qu'on appelait la tour des bergers. C'était un grand échafaudage pyramidal en charpente, ayant pour base des quartiers de rocher, placé au milieu d'arbres verdoyants, et s'élevant sur une colline isolée au milieu de la plaine. Il était entouré d'escaliers, de galeries avec des espèces de tourelles couvertes, et tout était comme tapissé de nattes. Il avait quelque ressemblance avec ces tours de bois au haut desquelles on observait les astres dans le pays des trois rois mages, et cela faisait de loin l'effet d'un grand vaisseau avec beaucoup de mats et de voiles. De cette tour, on avait une vue étendue sur tout le pays d'alentour. On voyait Jérusalem et même la montagne de la Tentation dans le désert de Jéricho. Les bergers avaient là des veilleurs pour surveiller la marche des troupeaux et les avertir, en sonnant du cor, dans le cas d'une invasion de voleurs ou de gens de guerre qu'on pouvait voir de là à une grande distance.

Les familles des bergers habitaient alentour dans un rayon de plus de deux lieues ; elles occupaient des métairies isolées, entourées de jardins et de champs ; près de la tour était le lieu où ils se rassemblaient ; c'était là que se tenaient les gardiens chargés de veiller sur le mobilier commun. Le long de la colline où la tour s'élevait étaient des cabanes, et à part de celles-ci un grand hangar à plusieurs compartiments, où les femmes des gardiens demeuraient et préparaient les aliments. Je vis cette nuit les troupeaux près de la tour ; une partie était en plein air ; une autre partie était sous un hangar, près de la colline des trois bergers.

Quand Jésus naquit, je vis les trois bergers, frappés de l'aspect inaccoutumé de cette nuit merveilleuse, se tenir devant leurs cabanes ; ils regardaient autour d'eux et considéraient avec étonnement une lumière extraordinaire au-dessus de la grotte de la Crèche. Je vis aussi s'agiter des bergers qui étaient près de la tour ; je les vis monter sur l'échafaudage et regarder du côté de la grotte de la Crèche. Comme les trois bergers avaient les veux tournés vers le ciel, je vis une nuée lumineuse s'abaisser vers eux. Pendant qu'elle s'approchait, j'y remarquai un mouvement, j'y vis se dessiner des formes et des figures, et j'en. tendis des chants harmonieux, d'une expression joyeuse, et qui devenaient de plus en plus distincts. Les bergers furent d'abord effrayés, mais un ange parut devant eux, et Leur dit : "Ne craignez rien ; car je viens vous annoncer une grande joie pour tout le peuple d'Israel. C'est qu'aujourd'hui, dans la ville de David, il vous est né un sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. Et voici à quel signe vous le reconnaîtrez : vous trouverez un enfant enveloppé de langes et couché dans une crèche. Pendant que l'ange annonçait ceci, la splendeur devint de plus en plus grande autour de lui, et je vis cinq ou sept grandes figures d'anges, belles et lumineuses. Ils tenaient dans leurs mains comme une longue banderole où était écrit quelque chose en lettres hautes comme la main, et je les entendis louer Dieu et chanter : " Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ".

Les bergers de la tour eurent la même apparition, mais un peu plus tard. Les anges apparurent aussi à un troisième groupe de bergers, près d'une fontaine située à trois lieues de Bethléhem, à l'est de la tour des bergers.

La mention d'une banderole dans les mains des anges pourrait faire supposer que la soeur s'est souvenue d'avoir vu pareille chose dans quelque tableau, et que ce souvenir s'est confondu avec son intuition intérieure. Mais on pourrait demander qui a peint le premier de ps reiues banderoles dans les mains des anges, qui, en général, a eu la première idée de placer des banderoles où des paroles sont écrites dans la bouche ou dans les mains des personnages qui sont représentes parlants ? Nous ne voyons pas là une invention des peintres, mais une tradition qui leur est venue de l'antiquité, et cela par des tableaux où des hommes contemplatits avaient représenté ce qui leur était apparu à eux-mêmes dans leurs visions. Il est donc possible que les bergers avaient vu une semblable banderole dans les mains des anges.

Je ne vis pas les bergers aller immédiatement à la grotte de la Crèche, dont ils étaient éloignés, les uns d'une lieue et demie, les autres du double ; mais je les vis se consulter pour savoir ce qu'ils porteraient au nouveau-né, et préparer leurs présents avec toute la promptitude possible. Ils n'arrivèrent à la crèche qu'à l'aurore.

à suivre

* * * * *

1) La soeur veut parler ici de l'écrivain, car elle le voyait toujours dans ses contemplations sous la figure d'un pèlerin, qui, suivant qu'il se montrait fidèle ou négligent dans le cours de son voyage vers la patrie, était béni, secouru, protégé et sauve, ou bien éprouvait des obstacles et des tentations, s'égarait hors de la voie, courait des dangers, et même était retenu en captivité. A cause de ces visions, elle l'appelait le pèlerin. Dans certaines circonstances, elle voyait les prières et les bonnes oeuvres qu'elle offrait à Dieu pour ce pèlerin sous la forme d'oeuvres correspondantes par lesquelles on peut aider les pèlerins, les prisonniers, les esclaves. Sa direction intérieure avait cela de particulier, qu'elle n'offrait jamais ses prières pour un seul homme, pas même pour elle seule, mais toujours pour subvenir a chacune des misères dont la circonstance qui occasionnait sa prière pouvait être la représentation ou le symbole. Aussi sommes-nous persuadés que sa prière, dans le cas dont il s'agit, a procuré des consolations à de vrais pèlerins et à de vrais captifs. Comme une pareille manière de prier semble devoir être sympathique à tous les coeurs chrétiens, vraiment pieux et charitables, nous pensons que le lecteur bienveillant ne trouvera peut-être pas indiscret le conseil d'en faire usage à l'occasion.

2) Telles sont les paroles d'Anne Catherine Emmerich, dites le 16 août 1821. Les noms sont reproduits comme l'écrivain les lui entendait prononcer. Il en est de même de l'explication "auguste mère".

Lorsqu'en mai 1840, ceci fut lu à un hébraïsant : il dit qu'en effet " emromo" signifiait auguste mère.

La soeur prononçait ce nom, comme tous les autres noms propres avec l'accent bas-allemand, et souvent en hésitant ; elle ne les donnait qu'approximativement, et on ne peut affirmer qu'ils soient reproduits ici bien exactement. Il est d'autant plus surprenant qu'on trouve ailleurs des noms semblables donnés aux mêmes personnes.

Il est vrai que les écrivains qui suivent la tradition appellent ordinairement Emerentia la mère de sainte Anne ; mais ils font aussi de cette Emerentia la femme de Stolanus, que la soeur Emmerich appelle Emoroun. La tradition dit qu'Emerentia, femme de Stolanus, donna naissance à Ismeria, mère de sainte Elisabeth, et à sainte Anne, mère de la sainte Vierge. Suivant ce qu'a dit la soeur, Anne ne serait pas la fille, mais la petite-fille de Stolanus. s'il y a là une erreur de sa part, elle pourrait venir de ce que l'humble voyante aurait mêlé avec ses propres visions ce qu'elle avait entendu dire dans sa jeunesse de la tradition relative à l'origine de sainte Anne. Peut-être le nom d'Emerentia n'est-il que celui d'Emoroun latinisé Comme elle n'en savait rien ou qu'elle l'avait oublié, et comme la tradition lui présentait toujours les noms d'Emerentia et d'Ismeria à côté de celui de Stolinus comme appartenant aux plus proches parents de sainte Anne avant son mariage, il est possible qu'elle en ait fait à tort des filles de Stolanus. Il était du reste très rare, quoiqu'elle mentionnât une si grande quantité de noms propres, qu'elle confondit les uns avec les autres, même lorsqu'elle était au dernier degré de maladie et de délaissement. Nous inclinons pourtant a croire qu'il y a ici quelque erreur, puisque la tradition dit communément que sainte Elisabeth était nièce de sainte Anne, tandis que, d'après les communications de la soeur Emmerich, eue serait nièce de la mère de sainte Anne : car alors, Anne étant désignée comme un enfant venu après de longues années de mariage, Elisabeth semblerait devoir être plus âgée que sa cousine. L'écrivain, n'étant pas en mesure d'expliquer l'erreur qui a pu se glisser ici, prie le lecteur bienveillant de prendre la chose en patience, et de compenser par là les fautes que l'écrivain a dû souvent commettre contre cette vertu chrétienne dans le cours du travail pénible et souvent troublé auquel il lui a fallu se livrer pour mettre en ordre ces communications.

3) Que le lecteur ne s'étonne pas si la narration, ici et ailleurs, sa réfère à des événements qui, suivant l'ordre historique, n'ont pas encore eu lieu. Il doit faire attention que les visions tirées de l'histoire de la sainte Vierge, qui sont ici rangées suivant l'ordre des temps, étaient montrées annuellement à la soeur les jours de fêtes correspondantes. Racontant en juillet et août 1821, à propos des fêtes de sainte Anne et de saint Joachim, ce qu'elle a vu de la vie des parents de la sainte vierge, elle mentionne, pour se faire mieux comprendre, ce qu'elle a vu dans les années précédentes à l'occasion de la fête de la Présentation de Marie.

4) C'était sans doute un mélange formé des ingrédients qui, suivant la tradition légale des Juifs, appartenaient au sacrifice journalier de l'encens, comme la myrrhe, la casse, le nard, le safran, le calmus odorant, la cannelle, le costus, le galbanum et l'encens mêlés avec du sel raffiné.

5) Au commencement, l'écrivain ne savait pas que ces trois mots n'étaient que d'autres formes des noms de Joachim, d'Anne et de Marie. Quand il apprit cela plus tard, il ne put s'empêcher d'en être frappé.

6) La narratrice qui, en communiquant ses nombreuses visions de l'Ancien Testament, a souvent parlé avec détail de l'Arche d'alliance, n'a jamais dit que la première arche ait été de nouveau, avec tout ce qu'elle contenait, dans le temple rebâti après la captivité de Babylone, ou, plus tard, dans celui qu'Hérode restaura. Cependant elle a dit que dans le Saint des saints du dernier temple, il y avait une nouvelle arche d'alliance où étaient conservés quelques restes des symboles sacrés de la première.

7) Dans la nuit du 2 au 3 septembre l821, Anne Catherine, alors gravement malade, eut des visions très étendues sur la fête des Anges gardiens, ainsi que sur la nature des anges et les hiérarchies célestes en général. Mais, assaillie par beaucoup de souffrances, d'épreuves et de peines de toute espèce, elle n'en communiqua qu'une petite partie et à bâtons rompus. On donne ici ce qu'on a pu obtenir d'elle après des interrogations répétées.

8) La narratrice, dans le cours de ses nombreuses contemplations, moitié historiques, moitié symboliques, sur l'Ancien et le Nouveau Testament, fit sur cette bénédiction plusieurs communications, dont nous présenterons ici quelques-unes dans un ordre chronologique. "Ce fut, dit-elle, cette bénédiction avec laquelle et par laquelle Eve fut tirée du côte droit d'Adam. Je la vis retirée à Adam par la providence miséricordieuse de Dieu lorsqu'il était au moment de consentir au péché. Abraham la reçut de nouveau par le ministère des anges, après l'institution de la circoncision, en même temps que la promesse de la naissance d'Isaac. Elle fut transmise par lui dans une cérémonie solennelle et sacramentelle son premier-né Isaac, et par celui-ci à Jacob. Cette bénédiction fut enlevée à Jacob par l'ange qui lutta avec lui, et elle passa à Joseph, en Egypte. Enfin elle fut prise de nouveau par Moïse, dans la nuit de la sortie d'Egypte, enlevée avec les ossements de Joseph, et elle fut ensuite placée dans l'Arche comme le trésor sacré du peuple de Dieu".

Ce n'était pas sans scrupule et sans inquiétude que nous avions rédigé, pour les livrer à l'impression, ces explications de la soeur, lorsque nous apprîmes que, dans le livre appelé Sohar (qui a été rédigé dans le second siècle de l'ère chrétienne, mais qui contient des paroles beaucoup plus anciennes), on retrouve, presque mot pour mot, ce qu'elle dit ici et ailleurs sur le mystère de l'ancienne arche d'alliance. Un lecteur familiarisé avec la langue chaldéenne peut s'en convaincre en lisant, par exemple, les textes suivants : Par Toledoth, p. 340 ; ibid., p. 335 ; Béreschith, p. 155 ; T'rurrab. 251, etc.

9) L'humanité, avant Jésus-Christ, était comme un sol desséché qui aspirait après lui pour pouvoir donner des fruits Elle demandait que sa soif fut apaisée, non seulement par des grâces spirituelles, mais encore par la justice incarnée Jésus-Christ n'était pas seulement le fruit et le rejeton de Dieu et de la terre (Isaie, IV, 2 ; Jérém., XXIII 5 , XXXIII, 15 ; Zach., III, 8 ; VI, 12), il était aussi une pluie et une rosée destinée à faire naître des fruits semblables à lui. Car David prophétise en ces termes : "il descendra comme la pluie sur la prairie, comme les gouttes qui humectent la terre. Dans ces jours-là, les justes fleuriront : le moment sera épais dans le pays, sur la cime des montagnes (c'est-à-dire, d'après l'explication de la traduction chaldaique, dans l'Église) ; ils s'accroîtront dans les villes comme l'herbe de la terre. "(Ps. LXXI, 6, 18) Isaie s écrie aussi : " Cieux, répandez d'en haut 1rotre rosée, et que les nuées pleuvent le juste ". (Ps. LX, 8) Cette pluie se perpétue sous une autre forme par la communication multipliée du saint Sacrement, dont la manne était la figure. Aussi l'ancien commentaire hébraïque Breschith rabba, à propos du texte où Isaac promet à Jacob, comme bénédiction, la rosée du ciel. (Parasha 65, dans l'édition publiée à Constantinople sous Soliman), remarque que, par cette rosée, il faut entendre la manne, de même que par le froment et le vin (nourris par la rosée), il faut entendre une postérité de jeunes gens et de jeunes filles. (Sur la Genèse, XXVII, 28, comparez Zacharie, IX, 17). O ne doit point s'étonner si, dans les écrits juifs postérieurs le Messie est montré comme une rosée. Dans le Talmud (Tannith dist maimathi maskirin) Rabbi Barachia parle ainsi : "La maison d'Israël a adressé à Dieu une prière indiscrète : qu'il vienne à nous, a-t-elle dit, comme une pluie du matin, comme une pluie du soir qui recouvre la terre. (Osée, VI, 3.) Alors Dieu lui a dit : Tu demandes une chose qui tantôt est obtenue, tantôt ne l'est pas ; mais je serai pour toi une chose qui sera obtenue : je serai pour Israël une rosée, et il fleurira comme un lis (Osée, XIV, 4.) L'allusion au Messie est plus claire dans le Talmud de Jérusalem. (Tract. b'rachot., c. 5;), lorsqu'il rapporte à cette même idée le psaume sur le sacerdoce du Rédempteur. Il explique les paroles : La rosée de la naissance vient du sein de l'aurore (dans la Vulgate : Ex utero ante luciferum genui te, Ps. CIX, en les rapprochant du texte suivant de Michée : Comme une rosée qui vient du Seigneur, combien de gouttes d'eau sur l'herbe, que n'attendent pas l'homme et ne dépendent pas des enfants des hommes. (Michée, V, 7.) La nuée mystérieuse d'Elie, figure de la créature élue qui devait contenir et apporter cette pluie, laquelle, tombée d'abord de la croix et depuis s'épanchant à jamais du sacrement de l'autel, rafraîchit la terre desséchée, cette nuée monte de la mer de Galilée ; ce qui est parfaitement convenable, puisque c'est de cette mer et de ses bords que la rosée de la doctrine et des bienfaits de Jésus-Christ s'est répandue avec tant d'abondance et d'efficacité sur la pauvre humanité. Même alors, quand il enseignait à Capharnaum (Joan., VI) qu'il était la vraie rosée céleste, la vraie manne r le pain de vie dans le Saint Sacrement, il était immédiatement auparavant venu miraculeusement sur la mer comme une nuée, et il versait la bénédiction de la grande promesse dans les coeurs de ses auditeurs Nous nous souvenons d'avoir lu dans un vieil écrit rabbinique que le Messie devait monter de la nier de Galilée ; mais nous ne pouvons, pour le moment, citer exactement le passage, que nous reproduirons en son lieu quand nous l'aurons retrouve. Nous trouvons pourtant dans un vieux commentaire hébraïque sur les Psaumes (Midrach Thilim f 4 Lightfoot centur. chronogr., c. 70) les paroles suivantes : " J'ai crée sept mers, dit Dieu, mais je n'ai choisi entre toutes que celle de Genezareth ".

10) Dans l'office de la Conception de Marie, et ailleurs, dans les livres liturgiques de l'Eglise, l'emploi du verset de l'Ecclésiastique (XXIV, 6) : Sicut nebula lexi omnem terram se trouve en parfaite concordance avec cette vision prophétique sur la mère de Dieu.

11) Ils s'étonnèrent de ce qu'il annonçait, en parurent très émus, et le laissèrent aller sans lui faire de mal. Je les vis ensuite tenir conseil et faire faire l'image d'une vierge, qu'ils placèrent au milieu du plafond du temple, étendue en l'air et comme planant. Cette figure' avait une coiffure pareille à celle de leurs idoles, dont un grand nombre étaient rangées à la suite les unes des autres, ayant le haut du corps d'une femme et le reste d'un lion. Sur le haut de la tète était un petit vase assez profond, semblable à ceux dont on se servait pour mesurer des fruits ; le haut des bras était appliqué le long du corps jusqu'au coude, les bras s'en séparaient et s'étendaient en se relevant ; elle tenait des épis de blé dans les mains ; elle avait trois mamelles, une plus grande, placée plus haut au milieu ; deux plus petites, plus bas, de chaque côté de la première.

12) Le texte de saint Luc (III, 23) est ainsi donné par plusieurs interprètes anciens et nouveaux (par ex. Hilarius Diaconus, Quoest. uet. et nou., I, 56) et il, 6), spécialement d'après le texte grec : "il passait pour fils de Joseph, mais, dans le fait, il venait d'Héli. "Que Marie, dont la généalogie est pourtant donnée par saint Luc, ne soit pas nommée elle-même, cela s'explique par le principe des généalogiste juifs : Genus patris vocatur genus, genus matris non vocatur genus (Talmud, Baba bathra, f. 110) Le père de Marie était donc le premier membre qu'on pût citer dans la série des ancêtres du Christ selon la chair. Jésus-Christ, qui n'avait pas de père sur la terre, est appelé, à plus juste titre, le fils d'Héli selon la chair, que Laban, nommé fils de Nachor (Genes., XXIV, 5), et Zacharie, nommé le fils d'Iddos (Esdr., V, 1), bien qu'ils ne soient que les petits-fils des personnages en question.

13) Il est remarquable de voir les écrivains des premiers siècles de l'Eglise qui parlent des accusations portées par les paiens contre les chrétiens, et entre autres Minucius Félix, rapporter aussi ces calomnies. Les chrétiens, selon leurs accusateurs, présentaient à celui qu'ils initiaient à leur religion un enfant recouvert de farine pour mieux cacher le meurtre dont il avait été victime. Le néophyte devait percer plusieurs fois l'enfant avec un couteau. Ils buvaient avec avidité le sang qui ruisselait, coupaient l'enfant en petits morceaux et le mangeaient en entier. Ce crime, commis en commun, était devenu pour eux la garantie réciproque du silence et de l'observation du secret relativement à d'autres pratiques infâmes par lesquelles se terminaient leurs assemblées. L'origine de cette accusation ne viendrait-elle pas des sacrifices d'enfants attribués ici a ces adorateurs des astres qui furent des premiers à embrasser le Christianisme ? Quoi qu'il en soit, on peut conjecturer que des idées semblables à celles que nous trouvons ici chez les mages relativement a des prophéties mal comprises, ont été aussi le mobile secret qui a fait égorger par les Juifs des enfants chrétiens, et, s'il en est ainsi, ces ténébreuses abominations seraient une des nombreuses raison' qui doivent porter à plaindre le malheureux judaïsme plutôt qu'à le mépriser. Il y a là une aspiration vers le Sauveur, quoiqu'étrangement défigurée. Les faits de ce genre, qui semblent s'être si souvent reproduits, n'ont jamais été, que nous sachions, soigneusement recueillis et examinés sans prévention. Dans les temps modernes' on a généralement trouvé plus commode de les traiter légèrement, ainsi qu'on fait pour toutes les énigmes historiques dont l'origine se perd dans d'obscures profondeurs, et de ne voir là que des accusations portées par un aveugle fanatisme.

14) De même que le sacrifice du Calvaire fut accompli par les ordres cruels de prêtres impies et par les mains sanguinaires de bourreaux effrénés, de même le sacrifice de l'autel, quand il est célébré indignement, reste un vrai sacrifice, mais le consécrateur joue à la fois le rôle de prêtres juifs qui condamnèrent Jésus, et des soldats qui exécutèrent la sentence.

15) Le 5 juillet 1835, l'écrivain apprit par les notes de Baronius sur le martyrologue romain (8 décembre) qu'il y a dans la bibliothèque Sforza un manuscrit, n° 65, où se trouve un discours tenu à Constantinople par l'empereur Léon (monté sur le trône en 880), et duquel il résulte que la fête de la Conception est de beaucoup antérieure à son époque. Suivant Canisius (de Beatissima virgine Maria, lib I, c. 7.) et Galatinus (de Arcanis catholicoe veritatis, llb. VII, c. 5), cette fête est mentionnée dans le Martyrologe de saint Jean Damascène. Le saint abbé Sabas, dont parle la soeur Emmerich, est connu comme ayant été très dévot à Marie. Il mourut en 590.

16) La fête fut introduite en 1175 par le chapitre de Lyon, auquel Saint Bernard écrivit pour s'y opposer.

17) Dans le livre des Nombres, VI, 3, il est dit que ceux qui ceux qui sont consacrés à Dieu doivent s'abstenir de vinaigre.

18) Le 7 novembre, la soeur raconta ce qui suit : J'ai passé toute la journée d'aujourd'hui à contempler les préparatifs du sacrifice de Joachim et de la réception de Marie au temple.

19) Il résulte de plusieurs communications de la soeur sur les années de la prédication de Jésus que la ville où travailla d'abord saint Joseph n'est pas Libnah, située dans la tribu de Juda, quelques lieues à l'ouest. de Bethléhem, mais Lebonah sur le versant méridional du mont Garizini. Elle est citée dans le livre des Juges, XXI, 19, et, d'après ce passage, il faut la chercher au nord de Silo.

20) Comme Thanach ou Thaanath (Jos. XVI, 6) est située selon Eusèbe à douze milles à l'est de Naplouse, vers le Jourdain, et comme le lieu cité ici doit, d'après la soeur, se trouver au couchant de Naplouse, elle a sans doute voulu dire Thaanach au lieu de Thanath. Peut-être aussi l'a-t-elle dit et a-t-elle été mal comprise de l'écrivain, qui n'avait alors ni connaissances géographiques sur la Palestine ni moyens de les acquérir. Cela a été d'autant plus facile que dans son état de maladie ou d'extase elle prononçait souvent les noms avec son accent patois de Munster d'une façon peu intelligible. Il est d'autant plus certain qu'ici elle voulait dire Thaanach qu'en 1823, rapportant les incidents de la troisième année de la prédication de Jésus, elle raconta que, le 25 et le 26 suivant, Jésus avait enseigne à Thannach, ville de lévites près de Megiddo, et visité là l'ancien atelier de son père nourricier, saint Joseph.

21) Celui-ci lui dit vraisemblablement : "Allume l'encens. Voyez la Michnah, traduc. Tamid 6, 55, 3. ed. Surenh., p, 305.

22) Nous venons de communiquer ce que la soeur Emmerich raconta succinctement étant fort malade ; mais, pour que le lecteur se rende compte de l'entretien de l'ange avec Zacharie et des paroles d'Élisabeth, nous joignons ici le récit de l'Evangile selon saint Luc, I, 5-25.

Au temps d'Hérode, roi de Judée, il y avait un prêtre nommé Zacharie, de la famille sacerdotale d'Abia, l'une de celles qui servaient dans le temple chacune à son tour ; sa femme était aussi de la race d'Aaron, et s'appelait Élisabeth. Ils étaient tous deux justes devant Dieu, et ils marchaient dans tous les commandements et les ordonnances du Seigneur d'une manière irrépréhensible. Ils n'avaient point d'enfants parce qu'Elisabeth était stérile, et qu'ils étaient tous deux avancés en âge. Or, Zacharie faisant sa fonction de prêtre devant Dieu dans le rang de sa famille, il arriva par le sort, selon ce qui s'observait entre les prêtres, que ce fut à lui à entrer dans le temple du Seigneur pour y offrir les parfums. Et toute la multitude du peuple était dehors, faisant sa prière à l'heure qu'on offrait les parfums Et un ange du Seigneur apparut, se tenant debout à la droite de l'autel des parfums. Zacharie le voyant en fut tout troublé, et la frayeur le saisit. Mais l'ange lui dit : Ne crains point, Zacharie, parce que ta prière a été exaucée, et ta femme Elisabeth t'enfantera un fils, auquel tu donneras le nom de Jean. Tu en seras dans la joie et dans le ravissement, et beaucoup de gens se réjouiront de sa naissance ; car il sera grand devant le Seigneur. Il ne boira point de vin ni rien de ce qui peut enivrer, et il sera rempli du Saint Esprit dès le sein de sa mère. Il convertira plusieurs des enfants d'Israël au Seigneur leur Dieu, et il marchera devant lui dans l'esprit et dans la vertu d'Élie pour réunir les coeurs des pères avec leurs enfants, et rappeler les incrédules à la prudence des justes, afin de préparer au Seigneur un peuple partait. Et Zacharie dit à l'ange : Comment connaîtrai-je la vérité de vos paroles car je suis déjà vieux, et ma femme est avancée en âge. L'ange lui répondit : Je suis Gabriel, qui suis toujours présent devant Dieu ; j'ai été envoyé pour te parler et te porter cette bonne nouvelle. Et, dès à présent, tu seras muet et tu ne pourras pas parler jusqu'au jour où cela arrivera, parce que tu n'as pas cru à mes paroles, qui s'accompliront dans leur temps. Cependant le peuple attendait Zacharie et s'étonnait qu'il demeurât si longtemps dans le temple. Mais, étant sorti, il ne pouvait pas leur parler : et comme il leur faisait des signes, ils connurent qu'il avait eu une vision dans le temple ; et il demeura muet Et quand les jours de son ministère furent accomplis, il s'en retourna dans sa maison. Quelque temps après, Élisabeth sa femme conçut, et elle se tenait cachée durant cinq mois, disant : C'est là la grâce que le Seigneur m'a faite en ce temps où il m'a regardée pour me retirer de l'opprobre où j'étais devant les hommes.

23) Quoique en général la littérature juive postérieure ne parle pas de femmes ou de jeunes filles employées au service du temple, nous trouvons pourtant, soit dans l'autorité de l'Eglise qui célèbre la fête de la Présentation de Marie (le 21 novembre), soit dans la Bible et dans d'anciens documents, des motifs suffisants pour nous donner l'assurance qu'il y en avait réellement. Déjà du temps de Moise (Exod. XXXVIII, 8) et à la dernière époque des Juges (I. Reg' , 22) nous trouvons des femmes ou de' jeunes filles employées au service du culte divin. Le psaume LXVIII en décrivant l'entrée de l'Arche dans Sion nous montre dans le cort45e des jeunes filles frappant sur des timbales. Il y avait des vierges vouées au temple et élevées dans son enceinte, a ce que dit déjà un disciple des apôtres, Evodius, successeur de saint Pierre à Antioche, dans une lettre citée, il est vrai, pour la première fois, par Nicéphore, lli. Il, c. Ill, et où il est parlé de la sainte Vierge. Saint Grégoire de Nysse, saint Jean Damascène et d'autres écrivains en parlent aussi. Le rabbin Azarias, dans son ouvrage intitulé Imreh Binah, C LX, mentionne des femmes employées au service du temple qui restaient vierges et vivaient en communauté. On peut donc citer une autorité juive pour l'existence de ces vierges du temple.

24) La tradition le nomme Agabus, et dans le tableau de Raphaël, appelé vulgairement Sposatisio, il est représenté sous la figure d'un jeune homme qui brise un bâton sur son genou.

25) Selon l'opinion commune, la conservation des registres généalogiques était l'affaire privée des familles, Le sacerdoce israélite dut néanmoins se mêler du maintien et de la continuation de ces documents : on peut l'induire de cette circonstance qu'on avait à faire des règlements et des arrangements très importants pour la société juive, suivant la manière dont les tribus et les familles étaient réparties. Nous savons, par les anciens documents, qu'au moins depuis la captivité de Babylone on tenait au temple des registres généalogiques exacts. Voyez Lightfoot., Horae hebr., t. I, p. 178, ed. Carpzovi., et Otho. Le rabinico-philos., 1625, p. 250.

26) La soeur Emmerich vit Jésus, le 2 novembre (12 Marcheswan) de sa trente et unième année, dans cette même maison de Dothan où il guérit de l'hydropisie un homme de cinquante ans, nommé Issachar, mari de Salomé, la fille des maîtres de cette maison. A cette occasion Issachar parla du séjour qui7 avaient fait Marie et Joseph. Le rejeton de David que la soeur nomme Eldoa ou Eldad, et par lequel le père de cette Salomé était parent de saint Joseph, pourrait bien être Elioda ou Eliada, fils de David cité dans le second livre des rois, V, 16, et dans le premier livre des Paralipomènes, III, 8. Quoiqu'on doive admettre naturellement des confusions fréquentes dans les noms prononcés par la soeur, on ne doit pourtant pas admettre que cette confusion ait toujours lieu. Les noms propres en hébreu ont en général une signification précise ; mais comme un seul et même sens peut s'exprimer de différentes manières dans la langue hébraïque, les mêmes personnes portent souvent différents noms. Ainsi nous trouvons un fils de David appelé tantôt Elischna " Dieu aide ", tantôt Elischama " Dieu entend ". Ainsi Eldea ou Eldoa peut aussi bien signifier " Dieu vient " qu'Eliada. La mention peu précise que ce rejeton de David aurait été roi, ne doit point étonner, car il est indubitable que des fils ou petits-fils de David eurent le gouvernement de certains pays dépendant du royaume d'Israel.

Ici il semble y avoir une lacune dans le récit. Vraisemblablement la sainte Vierge alla avec Joseph à Jérusalem pour la fête de Pâques, et ce n'est que de là qu'elle se rendit chez Elisabeth, car il est dit plus haut que Joseph allait à la fête, et plus loin que Zacharie était revenu chez lui après les fêtes de Pâques la veille de la visitation de Marie.

27) Cette fleur avec neuf clochettes, avait peut-être pour la soeur un rapport mystique aux neuf mois que le Seigneur passa dans le sein de sa mère ; peut-être aussi y vit-elle le symbole de quelque dévotes ou exercice de piété se rattachant a la fête de la Visitation. Du reste, un ami versé dans la connaissance de l'Écriture sainte, communiqua à l'écrivain l'observation suivante : " La fleur indiquée ici est probablement la petite grappe de cypre (Lawsonia spinosa inerrnis, Linn.), dont il est dit dans le Cantique des Cantiques (I, 13) : "Mon bien-aimé est pour moi une grappe de cypre (botrus cypri) cueillie dans les vignes d'Engaddi. "Mariti, dans son voyage en Syrie et en Palestine, a vu cet arbrisseau et sa fleur dans la contrée où la soeur fait voyager la sainte Vierge. Les feuilles sont, d'après lui, plus petites et plus élégantes que celles du myrte ; les fleurs, couleur de rose, disposées par bouquets en forme de grappe, ce qui, d'ailleurs, correspond à la description sommaire de la soeur, quand elle dit qu'elle a à s'occuper de quelque chose qu'elle a oublié touchant ces fleurs campaniformes ; il s'agit peut-être d'une méditation sur le Cantique des Cantiques (I, 13). Comme en os moment le bien-aimé était encore sous le coeur virginal de sa mère, elle célébrait peut-être, en contemplant les capsules de cet arbrisseau, le degré de développement du Verbe fait chair, et cette méditation pouvait être d'autant plus féconde, que la grappe odorante des fleurs de cypre s'appelle en hébreu grappe de kopher, c'est-à-dire grappe de la réconciliation, et c'est pourquoi quelques commentateurs trouvent dans les paroles : "Mon bien-aimé est pour moi une grappe de cypre, "le sens suivant : " Mon bien-aimé a donné pour moi la grappe sanglante de la réconciliation ". De même que les Orientaux estiment beaucoup ces bouquets de fleurs odorantes et les regardent comme un présent très agréable, la soeur, en voyant passer la sainte Vierge près de ces grappes de fleurs, pouvait fêter les progrès de la maturité de la grappe du sang de la réconciliation dans le fruit béni de ses entrailles Elle considérait peut-être, dans le texte du Cantique des Cantiques le sens suivant lequel on pouvait dire : La vraie grappe du kopher mûrit pour nous sous le coeur de Marie, de même que dans le texte : " Mon bien-aimé est pour moi un bouquet de myrrhe qui repose entre mes mamelles ; "elle peut avoir considéré que Marie, plus tard, porta Jésus enfant sur son sein, et dans la suite, après la descente de croix, reçut le Sauveur dans ses bras lorsqu'on l'embauma avec de la myrrhe, quoique lui-même fut la véritable myrrhe qui préserve de ta corruption.

28) Ce nom d'une forme connue de la prière chrétienne ne doit pas nous surprendre dans un récit qui est encore de l'Ancien Testament La forme des litanies existait longtemps avant la naissance de Jésus-Christ ; ainsi le psaume 135 (dans l'hébreu, 136) est une véritable litanie. Il en est de même d'une partie du psaume 117 (118 dans l'hébreu) et de plusieurs autres.

Nous ne pouvons pas expliquer avec précision ce que la soeur voulait dire par ces paroles : " C'était comme si deux croix se fussent visitées ". Suivant la pieuse coutume de sa patrie, pays aux vieilles moeurs catholiques, quand différentes paroisses se réunissent en procession pour quelque dévotions à faire en commun, elles portent avec elles leurs croix et lents images de la sainte Vierge, et l'on dit alors que les croix ou que les images de Marie se rendent visite. Peut-être a-t-elle voulu dire, à l'occasion de cette apparition d'une croix entre la sainte Vierge et Elisabeth réunies pour prier, que c'était comme sa Jésus, le crucifié futur reposant encore dans le sein de sa Mère, et sa crois, instrument de notre rédemption, reposant aussi dans le sein de l'avenir, se rendaient visite.

Le 3 juillet, elle raconta ce qui suit : Hier soir, ils ont mangé tous ensemble ; ils restèrent assis jusque vers minuit, près d'une lampe, sous l'arbre du jardin. Je vis ensuite Joseph et Zacharie seuls dans un oratoire. Je vis Marie et Élisabeth dans leur petite chambre ; elles se tenaient debout, vis-à-vis l'une de l'autre, comme ravies en extase, et disaient ensemble le Magnificat.

Outre le vêtement décrit plus haut, la sainte Vierge avait comme un voile noir transparent qu'elle baissait quand elle parlait à des hommes. Aujourd'hui, Zacharie a conduit saint Joseph dans un autre jardin séparé de la maison. Zacharie est en toutes choses plein d'ordre et de ponctualité. Ce jardin est abondant en beaux arbres et produit des fruits de toute espèce ; il est très bien tenu ; il est traversé par une allée en berceau, sous laquelle on est à l'ombre ; à l'extrémité du jardin, se trouve cachée une petite maison de plaisance dont la porte est sur le côté. Dans le haut de cette maison, sont des ouvertures fermées avec des châssis ; il y a un lit de repos en nattes, recouvert de mousses ou d'autres herbes : je vis aussi là deux figures blanches de la grandeur d'un enfant ; je ne sais pas comment elles étaient là, ni ce qu'elles représentaient ; mais je trouvais qu'elles ressemblaient à Zacharie et à Élisabeth, seulement beaucoup plus jeunes.

29) Quand la soeur Emmerich eut dit ceci, elle récita les litanies du Saint Esprit et l'hymne Veni, sancte Spiritu., et s'endormit en souriant. Au bout de quelque temps, elle dit d'un ton très anime : Je ne dois plus rien faire aujourd'hui, ni laisser entrer personne chez moi, car je dois revoir tout ce que j'avais oublié. Si je puis être tout à fait tranquille, je pourrai connaître et raconter le mystère de l'Arche d'alliance, le Saint sacrement de l'ancienne alliance. J'ai vu cette époque du repos, c'est une belle époque. J'ai vu près de moi l'écrivain, je dois donc apprendre beaucoup de choses ". Pendant qu'elle parlait ainsi, son visage s'animait et rougissait dans son sommeil comme je visage d'un enfant ; elle retira de dessous la couverture ses mains marquées des stigmates et dit : "il fait bien chaud là où est Marie, dans la terre promise. Ils vont tous dans le jardin où est la maisonnette, d'abord Zacharie et Joseph, puis Élisabeth et Marie ; on a tendu une toile sous l'arbre comme pour faire une tente : il y a, d'un côté, des sièges très bas avec des dossiers.

La mission d'Isaie, oubliée par elle, est sans aucun doute sa prophétie au roi Achaz (l'IIJ 3, 251 : Voici que la Verbe concevra, etc.

30) Ces dénominations sont tirées en partie des litanies dans lesquelles la sainte vierge est aussi honorée sous le nom d'Arche d'Alliance.