VIE DE LA SAINTE VIERGE
D'APRÈS LES MÉDITATIONS
D'ANNE CATHERINE EMMERICH
Publiées en 1854
Traduction de l'Abbé DE CAZALES
DEUXIÈME PARTIE
LV
La naissance du Christ annoncée en divers lieux.
Au moment de la naissance de Jésus, mon âme fit
d'innombrables voyages dans toutes les directions pour voir divers événements
miraculeux qui annonçaient la naissance de notre Sauveur ; mais, comme j'étais
malade et fatiguée, il me sembla souvent que les tableaux venaient à moi. J'ai
vu un grand nombre de choses arrivées à cette occasion ; mais les souffrances et
les dérangements m'en ont fait oublier la plupart : je ne me souviens guère que
de ce qui suit.
Je vis cette nuit, dans le temple, Noémi, la maîtresse de la
sainte Vierge, ainsi que la prophétesse Anne et le vieux Siméon, à Nazareth
sainte Anne, à Juttah sainte Élisabeth, avoir des visions et des révélations sur
la naissance du Sauveur. Je vis le petit Jean-Baptiste, près de sa mère,
manifester une joie extraordinaire. Tous virent et reconnurent Marie dans ces
visions, mais ils ne savaient pas où le miracle avait eu lieu, Elisabeth même
l'ignorait ; sainte Anne seule savait que Bethléem était le lieu du salut.
Je vis cette nuit, dans le temple, un événement merveilleux.
Tous les rouleaux d'écriture des saducéens furent plusieurs fois jetés hors des
armoires qui les contenaient, et dispersés ça et là. On en fut très effrayé :
les saducéens l'attribuèrent à la sorcellerie, et donnèrent beaucoup d'argent
pour que la chose restât secrète. (Elle raconta ici quelque chose d'assez peu
clair sur les fils d'Hérode qui étaient saducéens, et qu'il avait placés dans le
temple, parce qu'il était en lutte avec les pharisiens, et cherchait à prendre
de l'influence dans le temple.)
J'ai vu bien des choses se passer à Rome pendant cette nuit ;
mais d'autres tableaux m'en ont fait oublier une grande partie, et il est
possible que je fasse quelque confusion. Voici à peu près ce dont je me
souviens. Je vis, lorsque Jésus naquit, un quartier de Rome situé au delà du
fleuve, et où habitaient beaucoup de Juifs (ici, elle décrivit un peu
confusément un lieu qui ressemblait à une colline entourée d'eau et qui formait
une sorte de presqu'île) ; il y jaillit comme une source d'huile, et tout le
monde en fut fort émerveillé.
Une statue magnifique de Jupiter tomba en morceaux dans un
temple dont toute la voûte s'écroula. Les paiens, effrayés, tirent des
sacrifices et demandèrent à une autre idole, celle de Vénus, à ce que je crois,
ce que cela voulait dire. Le démon fut forcé de répondre par la bouche de cette
statue : " Cela est arrivé parce qu'une vierge a conçu un fils sans cesser
d'être vierge, et qu'elle vient de le mettre au monde ". Cette idole parla aussi
de la source d'huile qui avait jailli. Dans l'endroit où elle est sortie de
terre, s'élève aujourd'hui une église consacrée à la Mère de Dieu'.
Je vis les prêtres des idoles consternés faire des enquêtes à
ce sujet. Soixante-dix ans auparavant, lorsqu'on revêtit cette idole d'ornements
magnifiques, couverts d'or et de pierreries, et qu'on lui offrit des sacrifices
solennels, il y avait à Rome une bonne et pieuse femme : le ne sais plus bien si
elle n'était pas Juive. Son nom était comme Serena ou Cyrena ; elle avait une
certaine aisance ; elle eut des visions à la suite desquelles elle prophétisa ;
elle dit publiquement aux païens qu'ils ne devaient pas rendre de si grands
honneurs à l'idole de Jupiter, ni faire de si grands frais pour elle, parce
qu'elle devait un jour se briser au milieu d'eux.
Sainte Marie au delà du Tibre porte aussi le nom de Sancta
Maria in Fonte Olei, par suite d'une tradition conforme à cette vision de la
soeur Emmerich. (Note du trad.)
Les prêtres la firent venir et sur demandèrent quand cela
arriverait ; et, comme elle ne pouvait pas alors fixer l'époque, on l'emprisonna
et on la persécuta jusqu'à ce qu'enfin Dieu lui fit connaître que l'idole se
briserait quand une vierge pure mettrait un fils au monde. Lorsqu'elle fit cette
réponse, on se moqua d'elle et on la relâcha comme étant folle. Mais lorsque le
temple, en s'écroulant, mit réellement l'idole en pièces, ils reconnurent
qu'elle avait dit la vérité, et s'étonnèrent seulement de ce qui avait- été dit
pour fixer l'époque où la chose arriverait, parce que naturellement ils ne
savaient pas que la sainte Vierge eût mis le Christ au monde.
Je vis aussi que les magistrats de la ville de Rome prirent
des informations sur cet événement et sur l'apparition de la source d'huile.
L'un d'eux s'appelait Lentulus ; il fut l'aïeul de Moise, prêtre et martyr, et
de ce Lentulus qui devint plus tard l'ami de saint Pierre à Rome.
Je vis aussi quelque chose touchant l'empereur Auguste, mais
je ne m'en souviens plus bien. Je vis l'empereur avec d'autres personnes sur une
colline de Rome, à l'un des côtés de laquelle était le temple qui s'était
écroulé. Des degrés conduisaient au haut de cette colline, et il s'y trouvait
une porte dorée. On traitait là beaucoup d'affaires. Quand l'empereur descendit,
il vit à droite, au-dessus de la colline, une apparition dans le ciel : c'était
une vierge sur un arc-en-ciel, avec un enfant suspendu en l'air et qui semblait
sortir d'elle'. Je crois qu'il fut le seul à voir cela. Il fit consulter, sur la
signification de cette apparition, un oracle qui était devenu muet, et qui
pourtant parla d'un enfant nouveau-né auquel ils devaient tous céder la place.
L'empereur fit alors ériger un autel à l'endroit de la colline au-dessus duquel
il avait vu l'apparition ; et, après avoir offert des sacrifices :, il le dédia
au premier-né de Dieu. J'ai oublié une grande partie de tout cela.
Ce fut vraisemblablement la même apparition que virent les
rois mages à l'heure de la naissance de Jésus, et qui est décrite plus loin.
Je vis aussi en Egypte un évènement qui annonçait la
naissance du Christ. Bien au delà de Matarée, d'Héliopolis et de Memphis, une
grande idole, qui rendait ordinairement des oracles de toute espèce, devint
muette. Alors le roi fit faire des sacrifices dans tout le pays afin que l'idole
pût dire pourquoi elle se taisait. L'idole fut forcée par Dieu à répondre
qu'elle se taisait et devait disparaître, parce que le Fils de la Vierge était
né, et qu'un temple lui serait élevé en cet endroit. Le roi voulut là-dessus lui
élever, en effet, un temple près de celui de l'idole. Je ne me souviens plus
bien de tout ce qui arriva ; je sais seulement que l'idole fut retirée, et qu'on
dédia là un temple à la Vierge annoncée et à son enfant ; on l'y honora à la
manière païenne.
Je vis à l'heure de la naissance de Jésus une apparition
merveilleuse qu'eurent les rois mages. Ils étaient adorateurs des astres, et
avaient sur une montagne une tour en forme de pyramide, où l'un d'eux se tenait
toujours avec plusieurs prêtres pour observer les étoiles. Ils écrivaient leurs
observations et se les communiquaient mutuellement. Pendant cette nuit, je crois
avoir vu deux des rois mages sur cette tour. Le troisième, qui demeurait à
l'orient de la mer Caspienne, n'était pas avec eux. C'était une constellation
déterminée qu'ils observaient toujours ; ils y voyaient de temps en temps des
changements avec des apparitions dans le ciel. Cette nuit, je vis l'image dont
ils eurent connaissance. Ce ne fut pas dans une étoile qu'ils la virent, mais
dans une figure composée de plusieurs étoiles parmi lesquelles il semblait
s'opérer un mouvement.
Ils virent un bel arc-en-ciel au-dessus du croissant de la
lune. Sur cet arc-en-ciel était assise une vierge. Son genou gauche était
légèrement relevé ; sa jambe droite était plus allongée, et le pied reposait sur
le croissant. Du côté gauche de la Vierge, au dessus de l'arc-en-ciel, parut un
cep de vigne, et du côté droit un bouquet d'épis de blé. Je vis devant la Vierge
paraître ou monter la figure d'un calice, semblable à celui qui servit pour la
sainte cène. Je vis sortir de ce calice un enfant, et au-dessus de l'enfant un
disque lumineux, pareil à un ostensoir vide, duquel partaient des rayons
semblables à des épis. Cela me fit penser au saint sacrement. Du côté droit de
l'enfant sortit une branche à l'extrémité de laquelle se montra, comme une
fleur, une église octogone qui avait une grande porte dorée et deux petites
portes latérales. La Vierge, avec sa main droite, fit entrer le calice, l'enfant
et l'hostie dans l'église, dont je vis l'intérieur, et qui alors me parut très
grande. Je vis dans le fond une manifestation de la sainte Trinité ; puis
l'église se transforma en une cité brillante, semblable aux représentations de
la Jérusalem céleste.
Je vis dans ce tableau beaucoup de choses se succéder et
naître, pour ainsi dire, les unes des autres pendant que je regardais dans
l'intérieur de l'église dont j'ai parlé ; mais je ne me souviens plus dans quel
ordre. Je ne me rappelle pas non plus de quelle manière les rois mages furent
instruits que l'enfant était né en Judée. Le troisième roi, qui demeurait à une
grande distance, vit l'apparition à la même heure que les autres. Les rois
éprouvèrent une joie inexprimable. Ils rassemblèrent leurs trésors et leurs
présents et se mirent en route. Ce ne fut qu'au bout de quelques jours qu'ils se
rencontrèrent. Dès les derniers jours qui précédèrent la naissance du Christ, je
les vis sur leur grand observatoire, où ils eurent différentes visions.
Combien a été grande la miséricorde de Dieu envers les paiens
! Savez-vous d'où cette prophétie était venue aux rois mages ? Je vous en dirai
seulement quelque chose, car tout ne m'est pas présent en ce moment. Cinq cents
ans avant la naissance du Messie (Elie vivait environ huit cents ans avant
Jésus-Christ), les ancêtres des trois rois étaient riches et puissants : ils
l'étaient plus que leurs descendants, car leurs possessions étaient plus
étendues et leur héritage était moins divisé. Alors aussi ils vivaient sous la
tente, excepté l'ancêtre établi à l'orient de la mer Caspienne, dont je vois
maintenant la ville. Elle a des substructions en pierre au haut desquelles sont
dressés des pavillons, car elle est près de la mer qui déborde souvent. Il y a
des montagnes très élevées : je vois deux mers, l'une à ma droite et l'autre à
ma gauche.
Ces chefs de race étaient dès lors adorateurs des étoiles ;
mais il y avait en outre dans ce pays un culte abominable. On sacrifiait des
vieillards et des hommes mal conformés on immolait aussi des enfants. Ce qu'il y
avait de plus horrible, c'est que ces enfants, habillés de blanc, étaient mis
dans des chaudières et qu'on les faisait bouillir tout vivants ; mais tout cela
finit par être aboli. C'était à ces aveugles paiens que Dieu, si longtemps
d'avance, avait annoncé la naissance du Sauveur.
Ces princes avaient trois filles, versées dans la
connaissance des astres : toutes trois reçurent en même temps l'esprit de
prophétie, et connurent par une vision qu'une étoile sortirait de Jacob et
qu'une vierge enfanterait le Sauveur. Elles avaient de longs manteaux,
parcouraient le pays, prêchaient la réforme des moeurs, et annonçaient que les
envoyés du Rédempteur viendraient un jour apporter à ces peuples le culte du
vrai Dieu. Elles faisaient beaucoup d'autres prédictions, même relatives à notre
époque et à des époques plus éloignées. Là-dessus, les pères de ces trois
vierges élevèrent un temple à la future mère de Dieu, vers le midi de la mer, à
l'endroit où leurs pays se touchaient, et ils y offrirent des sacrifices La
prédiction des trois vierges parlait spécialement d'un. constellation et de
divers changements qu'on y verrait. Alors on commença à observer cette
constellation du haut d'une colline, prés du temple de la future mère d Dieu, et
d'après les observations qu'on faisait, on changeait continuellement quelque
chose dans les temples, dans le culte et dans les ornements. Le pavillon du
temple était tantôt bleu, tantôt rouge, tantôt jaune ou de quelque autre
couleur. Ce qui me parut remarquable, c'est qu'ils transportèrent leur jour de
fête hebdomadaire au samedi. C'était auparavant le vendredi : je sais encore
comment ils appelaient ce jour. Ici elle balbutia quelque chose comme Tanna ou
Tanneda, mais sans prononcer bien distinctement'.
Ici il y eut dans son discours une interruption soudaine
d'une nature si particulière que nous la raconterons comme propre à caractériser
son état. Ce fut le 27 novembre 1821, un peu avant six heures du soir, qu'elle
dit ce qui précède, étant endormie. Il ne faut pas oublier que depuis plusieurs
années elle avait les pieds paralysés ; que, loin de pouvoir marcher, elle ne
pouvait qu'à grand peine se mettre sur son séant, et qu'elle était alors, comme
toujours, étendue sur son lit : la porte de sa chambre était ouverte sur une
pièce antérieure où son confesseur était assis, disant son bréviaire à la lueur
une lampe. Elle avait dit ce qui précède avec une telle vérité d'expression,
qu'il était impossible de croire que toutes ces choses ne se passassent pas
devant ses yeux. Mais à peine eut-elle balbutié le mot Tanneda, que tout d'un
coup la paralytique endormie sauta de son lit avec la rapidité de l'éclair, se
précipita dans la pièce antérieure, et remua vivement les pieds et les mains du
côté de la fenêtre comme une personne qui lutte et se détend ; puis elle dit à
son confesseur : "Ah ! le coquin ! il était bien grand, mais je l'ai chassé à
coups de pied "Après ces mot. elle tomba comme en défaillance et resta par terré
en travers de la fenêtre, dans une posture grave et modeste. Le prêtre, quoique
aussi étonné que l'écrivain de cet incident extraordinaire, ne lui dit autre
chose que ceci : " Au nom de l'obéissance, soeur Emmerich, retournez à votre
couche. "Aussitôt elle se releva, rentra dans sa chambre et s'étendit de nouveau
sur son lit. L'écrivain lui ayant alors demandé ce que c'était que cette
singulière aventure, elle raconta ce qui suit, étant bien éveillée et en pleine
connaissance. Quoique fatiguée, elle parla avec l'humeur joyeuse d'une personne
qui vient de remporter une victoire : "Oui, c'était bien singulier : comme
j'étais si loin, si loin dans le pays des rois mages, au haut de la chaîne de
montagnes qui est entre les deux mers, et comme je regardais dans leurs villes
formées de tentes de même qu'on regarde de la fenêtre dans la basse cour, je me
sentis tout à coup rappelée à la maison par mon ange gardien. Je me retournai,
et je ils ici, à Dulmen, devant notre maisonnette, passer une pauvre vieille
femme de ma connaissance, retenant d'une boutique. Eue était exaspérée, pleine
de malice ; elle grondait et jurait horriblement. Je vis alors son ange gardien
s'éloigner, et une grande et sombre figure de démon se mettre en travers sur son
chemin pour la faire tomber afin qu'elle se rompit le cou et mourut ainsi en
état de péché. Quand je vis cela, je laissai les trois rois, priai ardemment le
bon Dieu de secourir la pauvre femme, et me retrouvai dans ma chambre. Je vis
alors que le diable furieux se précipitait vers la fenêtre et voulait entrer
dans la chambre. avant dans ses griffes un gros paquet de lacets et de cordes
entortillées ; car il voulait, pour se venger, ourdir avec tout cela des
intrigues et susciter ici tonte sorte de troubles. Alors je me suis précipitée
et lui ai donné un coup de pied qui l'& fait tomber en arrière : Je crois qu'il
s'en souviendra. Je me suis mise en travers devant la fenêtre pour l'empêcher
d'entrer ". C'est là assurément quelque chose de très étrange : pendant qu'elle
regarde du haut du Caucase et raconte des choses arrivées cinq siècles avant
Jésus-Christ comme d'elles se passaient sous ses yeux, elle voit en même temps
le danger que court devant sa porte une pauvre vieille de son pays et s'empresse
de voler à son secours. Il était effrayant de la voir se précipiter comme un
squelette animé et se mettre en défense avec tant de vivacité, elle qui depuis
le 8 septembre pouvait à peine faire deux pas sur des béquilles sans tomber en
défaillance.
La soeur Vit dans la nuit de la Nativité beaucoup de choses
touchant la détermination précise du temps de la naissance du Christ ; mais son
état de maladie et les visites qu'on lui fit le jour Suivant, qui était la fête
de sa patronne, Sainte Catherine' lui en firent beaucoup oublier. Cependant, peu
de temps après, se trouvant en état d'extase, elle Communiqua quelques fragments
de ses visions, où il est à remarquer qu'elle voyait toujours les nombres écrits
en chiffres romains, et qu'elle avait souvent de la peine à les lire ; mais elle
les expliquait en répétant le nom des lettres dans l'ordre Ou elle les voyait Ou
en les traçant avec Ses doigts. Cette fois pourtant elle dit les chiffres.
Vous pouvez le lire, dit-elle ; voyez, C'est marque là. Jésus
Christ est né avant que l'an 3907 du monde fût accompli ; on a oublié
postérieurement les quatre années, moins quelque chose, écoulées depuis sa
naissance jusqu'à la fin de l'an 4000 ; puis ensuite on a fait commencer notre
nouvelle ère quatre ans plus tard.
Un des consuls de nome s'appelait alors Lentulus ; il fut
l'ancêtre de Saint Moise, prêtre et martyr, dont j'ai ici une relique, et qui
vivait du temps de saint Cyprien. C'est aussi de lui que descendait ce Lentulus
qui devint l'ami de saint Pierre, à Rome. Hérode a régné quarante ans. Pendant
sept ans, il ne fut pas indépendant, mais il opprima déjà le pays et exerça
beaucoup de cruautés. Il mourut, si je ne me trompe ; dans la sixième année de
la vie de Jésus. Je crois que sa mort fut tenue secrète pendant un certain temps
'. Il fut sanguinaire jusque dans sa mort, et dans ses derniers jours il fit
encore bien du mal. Je le vis se traîner dans une grande chambre toute
matelassée ; il avait une lance près de lui et voulait en frapper les gens qui
l'approchaient. Jésus naquit à peu près la trente-quatrième année de son règne.
Deux ans avant l'entrée de Marie au temple, Hérode y fit
faire des constructions. Ce n'était pas un nouveau temple qu'on faisait,
c'étaient des changements et des embellissements. La faite en Égypte eut lieu
quand Jésus avait neuf mois, et le massacre des innocents quand il était dans sa
deuxième année. Elle mentionna encore plusieurs circonstances et plusieurs
traits de la vie d'Hérode, qui prouvaient combien elle voyait tout dans le
détail ; mais il ne fut pas possible de mettre en ordre ce qu'elle avait raconté
à bâtons rompus.
La naissance de Jésus-Christ eut lieu dans une année où les
Juifs comptaient treize mois. C'était un arrangement analogue à celui de nos
années bissextiles. Je crois aussi que les Juifs avaient deux fois dans l'année
des mois de vingt et un de vingt-deux jours ; j'ai entendu quelque chose à ce
sujet à propos des jours de fête, mais je n'en ai qu'un souvenir confus. J'ai vu
aussi que, plusieurs fois, on fit des changements dans le calendrier : ce fut au
sortir d'une captivité, quand on travailla au temple. J'ai vu l'homme qui
changea le calendrier, et j'ai su son nom.
Ou peut-être ce fut le mort du second Hérode, touchant lequel
elle dit quelque chose de semblable et qu'elle paraissait confondre quelquefois
avec celui-ci.
LVI
Adoration des bergers.
(Le dimanche, 25 novembre)
Aux premières lueurs du crépuscule, les trois chefs des
bergers vinrent de la colline à la grotte de la Crèche avec les présents qu'ils
avaient préparés. C'étaient de petits animaux qui ressemblaient assez à des
chevreuils. Si c'étaient des chevreaux, ils différaient de ceux de notre pays :
ils avaient de longs cous, de beaux yeux fort brillants ; ils étaient très
gracieux et très légers à la course. Les bergers les conduisaient avec eux
attachés à des cordes menues. Ils portaient aussi sur leurs épaules des oiseaux
qu'ils avaient tués, et sous le bras d'autres oiseaux vivants de plus grande
taille.
Ils frappèrent timidement à la porte de la grotte de la
Crèche, et Joseph vint à leur rencontre. Ils lui répétèrent ce que les anges
leur avaient annoncé, et lui dirent qu'ils venaient rendre leurs hommages à
l'enfant de la promesse et lui présenter leurs pauvres offrandes. Joseph accepta
leurs présents avec une humble gratitude, et il les conduisit à la sainte
Vierge, qui était assise près de la crèche et tenait l'Enfant-Jésus sur ses
genoux. Les trois bergers s'agenouillèrent humblement, et restèrent longtemps en
silence, absorbés dans un sentiment de joie indicible ; ils chantèrent ensuite
le cantique qu'ils avaient entendu chanter aux anges, et un psaume que j'ai
oublié. Quand ils voulurent se retirer, la sainte Vierge leur donna le petit
Jésus, qu'ils tinrent tour à tour dans leurs bras ; puis ils le lui rendirent en
pleurant, et quittèrent la grotte.
(Le dimanche, 25 novembre, dans la soirée.)
La soeur avait été toute cette journée dans de grandes
souffrances physiques et morales. Le soir, à peine endormie, elle se trouva
transportée dans la terre promise. Comme, indépendamment de ses contemplations
sur la Nativité, elle avait, en outre, une série de visions sur la première
année de la prédication de Jésus, et, précisément à cette époque, sur son jeûne
de quarante jours, elle s'écria avec un étonnement naïf : " Combien cela est
touchant ! Je vois, d'un côté, Jésus, âgé de trente ans, jeûnant et tenté par le
diable dans la caverne du désert, et de l'autre côté, je le vois, enfant
nouveau-né, adoré par les bergers dans la grotte de la Crèche ". Après ces
paroles, elle se leva de sa couche avec une rapidité surprenante, courut à la
porte ouverte de sa chambre, et, comme ivre de joie, elle appela les amis qui se
trouvaient dans la pièce antérieure, leur disant : " Venez, venez vite adorer
l'enfant, il est près de moi ". Elle revint à son lit avec la même vitesse et
commença, le visage rayonnant d'enthousiasme et de ferveur, à chanter, d'une
voix claire et singulièrement expressive, le Magnificat, le Gloria in excelsis,
et quelques cantiques inconnus, d'un style simple, d'un sens profond, et en
partie rimés. Elle chanta le second dessus d'un de ces airs. il' avait en elle
une émotion de joie qui était singulièrement touchante. Voici ce qu'elle raconta
dans la matinée suivante :
"Hier soir, plusieurs bergers, avec leurs femmes et même
leurs enfants, sont venus de la tour des bergers, qui est à quatre lieues de la
crèche. Ils portaient des oiseaux, des oeufs, du miel, des écheveaux de fil de
différentes couleurs, des petits paquets qui ressemblaient à de la soie brute,
et des bouquets d'une plante ressemblant au jonc et qui a de grandes feuilles.
Cette plante avait des épis pleins de gros grains. Quand ils eurent remis leurs
présents à Joseph, ils s'approchèrent humblement de la crèche, près de laquelle
la sainte Vierge était assise. Ils saluèrent la mère et l'enfant, al, s'étant
agenouillés, ils chantèrent de très beaux psaumes, le Gloria in excelsis, et
quelques cantiques très courts. Je chantai avec eux. Ils chantèrent à plusieurs
parties, et je fis une fois le second dessus. Je me souviens à peu près des
paroles suivantes : " O petit enfant, vermeil comme la rose, tu parais,
semblable à un messager de paix " ! Quand ils prirent congé, ils se courbèrent
au-dessus de la crèche, comme s'ils embrassaient le petit Jésus.
(Le lundi, 26 novembre.)
J'ai vu aujourd'hui les trois bergers aider tour à tour saint
Joseph à tout disposer plus commodément dans la grotte de la Crèche et dans les
grottes latérales. Je vis aussi, près de la sainte Vierge, plusieurs femmes
pieuses qui lui rendaient divers services. C'étaient des Esséniennes, qui
demeuraient à peu de distance de la grotte de la Crèche, dans une gorge située
au levant de la colline. Elles habitaient, les unes près des autres, des espèces
de chambres creusées dans le roc à une assez grande hauteur. Elles avaient de
petits jardins près de leurs demeures, et instruisaient des enfants de leur
secte. C'était saint Joseph qui les avait fait venir. Il connaissait cette
association depuis sa jeunesse ; car, lorsqu'il fuyait ses frères dans la grotte
de la Crèche, il avait plus d'une fois visité ces pieuses femmes. Elles venaient
tour à tour près de la sainte Vierge, apportaient de petites provisions et
s'occupaient des soins du ménage pour la sainte Famille.
(Le mardi, 27 novembre.)
Je vis aujourd'hui une scène très touchante dans la grotte de
la Crèche. Joseph et Marie se tenaient près de la crèche et regardaient
l'Enfant-Jésus avec un profond attendrissement. Tout à coup l'âne se jeta sur
ses genoux et courba sa tête jusqu'à terre. Marie et Joseph versèrent des
larmes.
Le soir, il vint un message de la part de sainte Anne. Un
homme âgé vint de Nazareth avec une veuve, parente d'Anne et qui la servait. Ils
apportaient différents petits objets pour Marie. Ils furent extraordinairement
touchés à la vue de l'enfant. Le vieux serviteur versa des larmes de joie. Il se
remit bientôt en route pour porter des nouvelles à sainte Anne. La servante
resta près de la sainte Vierge.
(Le mercredi, 28 novembre.)
Je vis aujourd'hui la Sainte Vierge avec l'Enfant-Jésus et la
servante quitter la grotte de la Crèche pendant quelques heures'.
A ceci se rapporte ce qu'elle dit le 29-30 décembre 1820 : Je
vis aujourd'hui Marie avec l'Enfant-Jésus dans une autre grotte que je n'avais
pas remarquée auparavant. Elle s'ouvrait dans l'entrée a gauche, près de
l'endroit où Joseph faisait le feu. On descendait un peu sur un étroit passage
assez incommode. La lumière y pénétrait par des trous faits dans la voûte. Marie
était assise près de l'Enfant-Jésus qui était devant elle sur une couverture.
Elle s'était retirée là pour se dérober a certaines visites - . Je vis plusieurs
personnes prés de la crèche, Joseph leur parla.
Je la vis se cacher dans la grotte latérale où avait jailli
une source après la naissance de Jésus-Christ. Elle resta environ quatre heures
dans cette grotte, où plus tard elle passa deux jours. Joseph, dès le point du
jour, l'avait arrangée pour qu'elle pût s'y tenir sans trop d'incommodité.
Ils allèrent là par suite d'un avertissement intérieur, car
quelques personnes vinrent aujourd'hui de Bethléem à la grotte de la Crèche. Je
crois que c'étaient des émissaires d'Hérode. Par suite des propos des bergers,
le bruit s'était répandu que quelque chose de miraculeux avait eu lieu en cet
endroit, lors de la naissance d'un enfant. je vis les hommes échanger quelques
paroles avec saint Joseph, qu'ils trouvèrent devant la grotte avec les bergers,
et le quitter en ricanant lorsqu'ils eurent vu sa pauvreté et sa simplicité. La
sainte Vierge, après être restée environ quatre heures dans la grotte latérale,
revint à la crèche avec l'Enfant-Jésus.
La grotte de la Crèche jouit d'une aimable tranquillité. Il
n'y vient personne de Bethléem : les bergers seuls sont en rapport avec elle.
Du reste, on ne s'inquiète guère, à Bethléem, de ce qui s'y passe, car il y a
beaucoup de mouvement et d'agitation dans la ville, à cause du grand nombre
d'étrangers qui s'y trouvent. On vend et on tue beaucoup d'animaux, parce que
plusieurs arrivants payent leur impôt en bétail ; il y a aussi beaucoup de
paiens qui sont employés comme domestiques.
Ce soir, la soeur étant endormie dit tout à coup : " Hérode a
fait mourir un homme pieux qui avait un emploi important au temple. Il l'a fait
inviter amicalement à venir le trouver à Jéricho et l'a fait assassiner en
route. Cet homme s'opposait aux empiétements d'Hérode dans le temple. On accuse
Hérode de ce meurtre, mais cela ne fait qu'augmenter son influence dans le
temple ". Elle dit ensuite qu'Hérode avait fait donner à deux de ses bâtards
deux emplois considérables dans le temple, qu'ils étaient saducéens, et que tout
ce qui s'y passait lui était révélé par eux.
(Le jeudi, 29 novembre)
Le matin, l'hôte de la dernière auberge où la sainte Famille
avait passé la nuit, a envoyé à la grotte de la Crèche un serviteur avec des
présents. Lui-même est venu dans la journée pour rendre ses hommages à l'enfant.
L'apparition de l'ange aux bergers à l'heure de la naissance de Jésus est cause
que tous les braves gens des vallées ont entendu parler du merveilleux enfant de
la promesse ; ils viennent maintenant pour honorer l'enfant.
(Le vendredi, 30 novembre.)
Aujourd'hui plusieurs bergers et d'autres braves gens vinrent
à la grotte de la Crèche et honorèrent l'Enfant-Jésus avec beaucoup d'émotion.
Ils étaient en habits de fête et allaient a Bethléem- pour le sabbat. Parmi ces
gens, je vis la femme qui, le 20 novembre, avait réparé la grossièreté de son
mari envers la sainte Famille en lui offrant l'hospitalité Elle aurait pu aller
pour le sabbat à Jérusalem qui était près de chez elle ; mais elle fit un détour
jusqu'à Bethléem, pour voir le saint enfant et ses parents. Elle se sentit tout
heureuse de leur avoir donné cette marque d'affection.
Je vis aussi, dans l'après-midi, un parent de saint Joseph
près de la demeure duquel la sainte Famille avait passé la nuit le 22 novembre,
venir à la crèche et saluer l'enfant. C'était le père de Jonadab, qui, lors du
crucifiement, porta à Jésus un drap pour se couvrir. Il avait su que Joseph
avait passé près de chez lui et avait entendu parler des miracles qui avaient
signalé la naissance de l'enfant ; et comme il allait à Bethléem pour le
sabbat, il était venu à la crèche porter des présents. Il salua Marie et rendit
hommage à l'Enfant-Jésus. Joseph le reçut très amicalement, mais il ne voulut
rien recevoir de lui ; seulement il lui emprunta de l'argent et lui remit en
gage la jeune Anesse', à condition de Pouvoir la reprendre quand il le
rembourserait. Joseph avait besoin de cet argent à cause des présents à faire et
du repas à donner lors de la cérémonie de la circoncision de l'enfant.
Comme je méditais sur cette jeune ânesse, mise en gage pour
fournir aux frais de la circoncision, et que je pensais que dimanche prochain,
jour où aura lieu cette cérémonie, on lirait l'Evangile du dimanche des Rameaux
(en allemand et en latin dimanche des Palmes), qui raconte l'entrée à Jérusalem
de Jésus, monté sur un âne, je vis le tableau suivant, mais je ne sais plus où
je le vis, et je ne puis plus bien m'en expliquer le sens. Je vis sous un
palmier deux écriteaux tenu' par des anges. Sur l'un je vis représentés divers
instruments de martyre, et au milieu une colonne sur laquelle était un mortier
avec deux anses ; sur l'autre écriteau 0e trouvaient des lettres ; je crois que
c'étaient des chiffres indiquant des années et des époques de l'histoire de
l'Église. Au-dessus du palmier était agenouillée une vierge qui semblait sortir
de sa tige et dont la robe flottait autour d'elle. Elle tenait dans ses mains,
Au-dessous de la poitrine, un vase de la forme du calice de la sainte cène,
duquel sortait une figure d'enfant lumineux. Je vis ensuite le Père éternel sous
la forme où il m'est montré ordinairement, s'approcher du palmier sur des nuées,
en détacher une grosse branche qui avait 1a figure d'une croix et la placer sur
l'enfant. Je vis aussitôt l'enfant comme attaché à cette croix de palmier, et 'a
Vierge présenter à Dieu le Père cette branche avec l'enfant crucifie, tandis
qu'elle tenait de l'autre main le calice vide, qui m'apparut aussi comme étant
son coeur. Comme je voulais lire les lettres qui étaient sur l'écriteau
au-dessous du palmier, je fus réveillée par une visite. Je ne sais pas si je vis
ce tableau dans la grotte de la Crèche, ou si ce fut ailleurs. On peut comparer
cette description avec celle de la figure que les rois mages virent dans les
étoiles à l'heure de la naissance de Jésus, et aussi avec les apparitions qui
ont été racontées à l'occasion de la présentation de Marie au temple.
Quand tout ce monde fut parti pour la synagogue de Bethléem,
Joseph prépara dans la grotte la lampe du sabbat, qui avait sept mèches,
l'alluma, et plaça au-dessous une petite table sur laquelle étaient les rouleaux
qui contenaient les prières. Ce fut sous cette lampe qu'il célébra le sabbat
avec la sainte Vierge et la servante de sainte Anne. Deux bergers se tenaient un
peu en arrière de la grotte. Des Esséniennes étaient aussi là.
Aujourd'hui, avant le sabbat, les Esséniennes et la servante
préparèrent des aliments. J'ai vu qu'elles faisaient rôtir des oiseaux à une
broche placée au-dessus du feu. Elles les roulaient aussi dans une espèce de
farine faite avec des grains qui viennent en épis sur une plante semblable au
roseau ; on la trouve à l'état sauvage dans les endroits humides et marécageux
du pays. On la cultive dans plusieurs lieux ; elle vient souvent sans culture
près de Bethléem et d'Hébron ; je ne la vis pas près de Nazareth. Les pâtres de
la tour des bergers en avaient apporté à Joseph. Je vis ces femmes Jaire aussi
avec les grains une espèce de crème blanche assez épaisse et pétrir des gâteaux
avec la farine. La sainte Famille ne garda pour son usage qu'une très petite
quantité des nombreuses provisions que les bergers avaient apportées ; le reste
fut donné en présents, et surtout distribué aux pauvres.
(Le samedi, 1er décembre.)
Je vis aujourd'hui, dans l'après-midi. plusieurs personnes
venir à la grotte de la Crèche, et le soir, après la clôture du sabbat, je vis
les Esséniennes et la servante de Marie apprêter un repas dans une cabane de
feuillage devant l'entrée de la grotte. Joseph l'avait dressée avec l'aide des
bergers. Il avait aussi vidé la chambre située dans l'entrée de la grotte, y
avait étendu des couvertures par terre, et avait tout arrangé comme pour une
fête, autant que le comportait sa pauvreté. Il avait ainsi disposé les choses
avant l'ouverture du sabbat ; car le lendemain était le huitième jour depuis la
naissance du Christ, lequel devait être circoncis ce jour-là, conformément au
précepte divin.
Joseph était allé vers le soir à Bethléem, et il en avait
ramené trois prêtres, un homme âgé et une femme qui paraissait une sorte de
garde ou d'assistante, employée ordinairement dans cette cérémonie. Elle
apportait un siège dont on se servait en pareille circonstance, et une pierre
plate, fort épaisse et de forme octogone, où se trouvaient les objets
nécessaires. Tout cela fut placé sur des nattes, à l'endroit où la cérémonie
devait se faire, c'est-à-dire dans l'entrée de la grotte, entre le réduit de
saint Joseph et le foyer : le siège était un coffre avec des espèces de tiroirs,
qui, mis à la suite les uns des autres, formaient comme un lit de repos avec un
appui d'un côté : an y était plutôt étendu qu'assis. La pierre octogone avait
plus de deux pieds de diamètre, au milieu était une cavité également octogone,
recouverte d'une plaque de métal, et où se trouvaient, dans des compartiments
séparés, trois boîtes et un couteau de pierre. Cette pierre fut placée à côté du
siège, sur un petit escabeau à trois pieds, qui jusqu'alors était toujours resté
sous une couverture à la place où était né le Sauveur
Quand on eut fait ces arrangements, les prêtres saluèrent la
sainte Vierge et l'Enfant-Jésus ; ils s'entretinrent amicalement avec Marie, et
ils prirent dans leurs bras l'enfant, dont la vue les toucha. Ensuite le repas
eut lieu dans la cabane de feuillage ; une quantité de pauvres gens, qui avaient
suivi les prêtres, comme il arrivait toujours dans de semblables occasions,
entourèrent la table, et, pendant le repas, reçurent des présents de Joseph et
des prêtres, en sorte que tout fut bientôt distribué. Je vis le soleil se
coucher; son disque paraissait plus grand qu'il ne parait dans notre pays. Je le
vis s'abaisser à l'horizon ; ses rayons pénétraient jusque dans la grotte par la
porte ouverte.
LVII
Circoncision du Christ. Le nom de Jésus.
(Le dimanche, 2 décembre.)
La soeur ne dit pas si les prêtres, après Le repas,
retournèrent à la ville et revinrent le lendemain matin, ou s'ils passèrent la
nuit près de la grotte ou dans le voisinage ; mais voici ce qu'elle raconta :
Des lampes étaient allumées dans la grotte, et je vis que
pendant la nuit on pria beaucoup et qu'on chanta des cantiques La circoncision
eut lieu au point du jour. La sainte Vierge était attristée et inquiète. Elle
avait apprêté elle-même les linges destinés à recevoir le sang et à bander la
plaie ; elle les tenait devant elle dans un pli de son manteau. La pierre
octogone fut recouverte par les prêtres d'un drap rouge et d'un autre drap blanc
par dessus, avec des prières et des cérémonies ; puis l'un des prêtres s'appuya
plutôt qu'il ne s'assit sur le siège, et la sainte Vierge, qui se tenait voilée
au fond de la grotte, avec l'Enfant-Jésus sur les bras, le donna à la servante
avec les linges. Saint Joseph le reçut des mains de la servante, et le donna à
la garde qui était venue avec les prêtres. Celle-ci plaça l'enfant recouvert
d'un voile sur la couverture de la pierre octogone.
On fit encore des prières ; puis cette femme ôta à l'enfant
ses langes et le remit sur les genoux du prêtre qui était assis. Saint Joseph se
pencha par-dessus les épaules du prêtre et tint l'enfant par le haut du corps.
Deux prêtres s'agenouillèrent à droite et à gauche, tenant chacun un de ses
petits pieds : celui qui devait accomplir la cérémonie s'agenouilla devant lui.
On découvrit la pierre octogone et on enleva la plaque de métal pour avoir sous
la main les trois boîtes où il y avait des eaux vulnéraires et de l'onguent. Le
manche et la lame du couteau étaient de pierre. Le manche, brun et poli, avait
une rainure où l'on faisait entrer la lame : celle-ci, qui était de couleur
jaunâtre, ne me parut pas très affilée. L'incision se fit avec la pointe
recourbée du couteau. Le prêtre fit aussi usage de l'ongle tranchant de son
doigt. Il exprima le sang de la blessure, et y mit du vulnéraire et d'autres
ingrédients de même nature qu'il prit dans les boîtes. La garde prit alors
l'enfant, et, après avoir bandé la plaie, elle lui remit ses langes. Cette fois,
on emmaillota, aussi ses bras qui étaient libres auparavant, et on roula autour
de sa tête le voile dont on l'avait couverte. Il fut placé de nouveau sur la
pierre octogone, et on fit encore des prières.
L'ange avait dit à Joseph que l'enfant devait s'appeler Jésus
; mais le prêtre d'abord n'agréa pas ce nom, et il se mit en prières à cette
occasion. Je vis alors un ange lui apparaître et lui montrer le nom de Jésus sur
un écriteau pareil à celui qui surmonta la croix sur le Calvaire. Je ne sais pas
si en effet cet ange fut vu par lui ou par un autre prêtre ; mais je le vis tout
ému écrire ce nom sur un parchemin, comme poussé par une impulsion d'en haut.
L'Enfant-Jésus pleura beaucoup après la cérémonie de la circoncision. Je vis
saint Joseph le reprendre et le mettre dans les bras de la sainte Vierge qui
était restée au fond de la grotte avec deux femmes. Elle le prit en pleurant, se
retira dans le coin où était la crèche, s'assit' couverte de son voile, et
apaisa l'enfant en lui donnant le sein. Saint Joseph lui remit aussi les linges
teints de sang. On pria de nouveau et on chanta des cantiques. La lampe brûlait
encore ; il faisait alors tout à fait jour. Bientôt la sainte Vierge vint avec
l'enfant et le posa sur la pierre octogone. Les prêtres tournèrent vers elle
leurs mains croisées sur la tête de l'enfant, et elle se retira avec lui.
Les prêtres, avant de se retirer, mangèrent quelque chose
avec Joseph et deux bergers dans la cabane de feuillage. J'ai su que tous ceux
qui avaient assisté à la sainte cérémonie étaient des gens de bien, et que les
prêtres plus tard embrassèrent la doctrine du Sauveur. Toute la matinée on fit
encore des distributions aux pauvres qui venaient à la porte. Pendant la
cérémonie, l'âne était resté attaché dans un lieu séparé.
Encore aujourd'hui beaucoup de mendiants fort sales portant
des paquets et venant de la vallée des bergers, passèrent devant la grotte de la
Crèche. Ils semblaient aller à Jérusalem pour une fête. Ils demandèrent l'aumône
très insolemment et proférèrent des malédictions et des injures près de la
crèche, parce qu'ils ne trouvaient pas que Joseph leur eût donné assez. Je ne
sais pas qui étaient ces gens, ils me déplaisaient beaucoup.
Dans la nuit suivante, je vis l'enfant souvent privé de
sommeil par la douleur qu'il ressentit: il pleurait beaucoup. Marie et Joseph le
prirent tour à tour sur leurs bras et le portèrent autour de la grotte en
essayant de le calmer.
LVIII
Élisabeth vient à la Crèche.
(Le lundi, 3 décembre)
Ce soir je vis Élisabeth se rendre de Juttah à la grotte de
la Crèche, montée sur un âne que conduisait un vieux domestique. Joseph la reçut
très amicalement ; Marie et elle s'embrassèrent avec des sentiments de joie
indicible. Elle pressa l'Enfant-Jésus sur son coeur en versant des larmes. On
lui prépara une couche près de la place où Jésus était né. Devant cette place il
y avait un tréteau élevé, comme une espèce de tréteau de scieur, sur lequel
était un petit coffre où l'on mettait souvent l'Enfant-Jésus. Ce devrait être
une chose habituelle pour les enfants, car, déjà chez sainte Anne, j'avais vu
Marie, dans sa petite enfance, reposer sur un tréteau semblable.
(Le mardi, 4 décembre.)
Hier soir et aujourd'hui, dans la journée, je vis Marie et
Élisabeth assises à côté l'une de l'autre et s'entretenant affectueusement.
J'étais prés d'elles et j'écoutais toutes leurs paroles avec un vif sentiment de
joie. La sainte Vierge raconta à sa cousine tout ce qui lui était arrivé
jusqu'alors, et quand elle parla de ce qu'elle avait souffert en cherchant un
logement à Bethléem, Élisabeth pleura de tout son coeur. Elle lui raconta aussi
beaucoup de choses touchant la naissance de Jésus, et je m'en rappelle encore
quelque chose. Elle dit qu'au moment de l'annonciation elle avait été ravie en
esprit pendant dix minutes, et qu'elle avait eu le sentiment que son coeur
devenait double, et qu'un bien inexprimable entrait en elle et la remplissait
tout entière. Au moment de la nativité, elle avait eu aussi un ravissement avec
le sentiment que les anges la portaient en l'air agenouillée, et il lui avait
semblé que son coeur était divise en deux et qu'une moitié se séparait de
l'autre. Elle avait perdu dix minutes l'usage de ses sens ; puis, ressentant un
vide intérieur et un désir immense d'un bien infini qu'elle avait eu jusque là
au dedans d'elle et qui n'y était plus, elle avait vu devant elle une lumière
éclatante dans laquelle son enfant avait semblé croître sous ses y eux. Elle
l'avait alors vu remuer et entendu pleurer ; puis, revenant à elle, elle l'avait
pris sur la couverture et pressé contre son sein, car au commencement il lui
avait semblé qu'elle rêvait, et elle n'avait pas osé toucher l'enfant environné
de lumière. Elle dit aussi qu'elle n'avait pas eu la conscience du moment où
l'enfant s'était séparé d'elle. Élisabeth lui dit : " Vous avez eu dans votre
enfantement des grâces que n'ont pas les autres femmes ; celui de Jean aussi a
été plein de douceur, mais les choses se sont passées autrement ". Voilà ce que
je me rappelle de leurs discours.
Vers le soir, Marie se cacha encore avec l'Enfant-Jésus et
Elisabeth dans la grotte latérale voisine de la grotte de la Crèche. Je crois
qu'elles y restèrent toute la nuit. Marie s'y décida, parce que des gens de
distinction de Bethléem venaient en foule à la crèche par curiosité. Elle ne
voulut pas se montrer à eux.
Je vis aujourd'hui la sainte Vierge avec l'Enfant-Jésus
sortir de la grotte de la Crèche et aller dans une autre grotte placée à droite.
L'entrée en était très étroite : quatorze marches en pente conduisaient d'abord
dans un petit caveau, puis dans une chambre souterraine, plus grande que la
grotte de la Crèche. Joseph la sépara en deux au moyen d'une couverture
suspendue en l'air. La partie voisine de l'entrée était semi-circulaire, l'autre
partie était carrée. La lumière ne venait pas par en haut, mais par des
ouvertures latérales qui traversaient une grande épaisseur de rocher. J'ai vu,
les jours précédents, un homme âgé enlever de cette grotte des fagots, des
bottes de paille et des paquets de roseaux, comme ceux dont Joseph se servait
pour faire du feu. Ce fut un berger qui leur rendit ce service. Cette grotte
était plus claire et plus spacieuse que celle de la Crèche. L'âne n'y était pas.
J'y vis l'Enfant-Jésus couché dans une auge creusée dans le roc. Pendant les
jours précédents, j'ai vu souvent Marie montrer à quelques visiteurs son enfant,
couvert d'un voile et tout nu, à l'exception d'un linge autour du corps.
D'autres fois, je le vis de nouveau entièrement emmailloté. Je vis la garde qui
avait assisté à la circoncision visiter souvent l'enfant. Marie lui donnait
presque tout ce qu'apportaient les visiteurs, afin qu'elle le distribuât aux
pauvres de Bethléem.
LIX
Voyage des trois Rois Mages à Bethléem.
(Communiqué le 21 novembre)
(Le 25 novembre.)
J'ai déjà raconté comment je vis la naissance de Jésus-Christ
annoncée aux trois rois la nuit même de Noël. Je vis Mensor et Sair ; ils
étaient dans le pays du premier et regardaient les astres. Tous leurs
préparatifs de voyage étaient faits. Ils regardaient l'étoile de Jacob du haut
d'une tour en forme de pyramide, cette étoile avait une queue. Elle se dilata,
pour ainsi dire, à leurs yeux, et ils virent une vierge brillante devant
laquelle planait un enfant lumineux. Du côté droit de l'enfant sortit une
branche, et à l'extrémité de celle-ci parut, comme une fleur, une petite tour à
plusieurs entrées, qui finit par devenir une ville. Aussitôt après cette
apparition, tous deux se mirent en route. Théokéno, le troisième, demeurait plus
à l'orient, à deux journées de voyage. Il vit la même chose à la même heure, et
partit aussitôt en toute hâte pour se réunir à ses deux amis, qu'il rejoignit en
effet.
(Le 26 novembre.)
Je m'endormis avec un grand désir de me trouver dans la
grotte de la Crèche, près de la mère de Dieu, afin qu'elle me donnât
l'Enfant-Jésus, pour le tenir quelque temps dans mes bras et le serrer sur mon
coeur, et j'y allai en effet. Il faisait nuit. Joseph dormait, appuyé sur son
bras droit, derrière son réduit, près de l'entrée. Marie était éveillée ; elle
était assise à sa place accoutumée près de la crèche, et tenait sur son sein le
petit Jésus recouvert d'un voile. Je m'agenouillai et j'adorai avec un grand
désir de voir l'enfant. Ah ! elle le savait bien ; elle sait tout et elle
accueille tout ce qu'on lui demande avec une bonté si touchante, quand on prie
avec une foi sincère. Mais elle était silencieuse, recueillie ; elle adorait
respectueusement celui dont elle était la mère, et elle ne me donna pas
l'enfant, parce qu'elle l'allaitait, à ce que je crois. A sa place, j'aurais
fait comme elle.
Mon désir allait toujours croissant et se confondait avec
celui de toutes les âmes qui soupiraient pour l'Enfant-Jésus. Mais cette ardente
aspiration vers le Sauveur n'était nulle part si pure, si naive et si sincère
que dans le coeur des bons rois mages de l'Orient, qui l'avaient attendu pendant
des siècles dans la personne de leurs ancêtres, croyant, espérant et aimant.
Aussi mon désir se tourna vers eux. Quand j'eus fini d'adorer, je me glissais
respectueusement hors de la grotte de la Crèche, et je fus conduite par une
longue route jusqu'au cortège des trois rois.
Sur cette route, j'ai vu bien des pays, des habitations et
des gens, leurs costumes, leurs moeurs et leurs usages, et aussi quelque chose
de leur culte ; mais j'ai presque tout oublié. Je raconterai comme je le pourrai
ce qui m'est resté présent à la mémoire.
Je fus conduite à l'orient dans une contrée où je n'avais
jamais été. Elle était presque partout stérile et sablonneuse. Près de quelques
collines habitaient, dans des cabanes de branchage, de petites réunions
d'hommes. C'étaient comme des familles isolées, de cinq à huit personnes. Le
toit, fait avec des branches, s'appuyait à la colline, où les demeures étaient
creusées. Cette contrée ne produisait presque rien ; il n'y venait que des
buissons, et ça et là un petit arbre avec quelques boutons dont on tirait une
laine blanche. Je vis, en outre, quelques arbres plus grands sous lesquels ils
plaçaient leurs idoles. Ces hommes étaient encore très sauvages ; ils me
parurent se nourrir le plus souvent de chair crue, spécialement d'oiseaux, et
vivre en partie de brigandage.
Ils étaient de couleur cuivrée et avaient des cheveux
roussâtres comme le poil du renard. Ils étaient petits, trapus, plutôt gras que
maigres, du reste adroits, lestes et actifs. Je ne vis pas chez eux d'animaux
domestiques, ni de troupeaux. Ces gens faisaient des espèces de couvertures avec
une laine blanche qu'ils recueillaient sur de petits arbres. Ils filaient avec
cette laine de longues cordes de l'épaisseur du doigt, qu'ils tressaient ensuite
pour en faire de larges bandes d'étoffe. Quand ils en avaient préparé un certain
nombre, ils mettaient sur leur tête de grands rouleaux de ces couvertures, et
allaient en troupe les vendre à une ville.
Je vis aussi en divers lieux, sous de grands arbres leurs
idoles, qui avaient des têtes de taureau, avec des cornes et une grande bouche.
Il y avait dans le corps des trous ronds, et en bas une ouverture plus large où
l'on faisait du feu pour brûler les offrandes placées dans les autres ouvertures
plus petites. Autour de chacun de ces arbres sous lesquels étaient les idoles,
se trouvaient, sur de petites colonnes de pierre, d'autres figures d'animaux. Il
y avait des oiseaux, des dragons, et une figure qui avait trois têtes de chien
et une queue de serpent roulée sur elle-même.
Au commencement de mon voyage j'eus le sentiment qu'il y
avait à ma droite un grand amas d'eau dont je m'éloignais de plus en plus. Au
delà de la contrée dont je viens de parler le chemin allait toujours en montant,
et je traversais une crête de montagne de sable blanc, où gisaient en grande
quantité de petites pierres noires brisées, semblables à des fragments de pots
et d'écuelles. De l'autre côté, je descendis dans une contrée couverte d'arbres,
qui semblaient rangés dans un ordre régulier. Quelques-uns de ces arbres avaient
des troncs écailleux et des feuilles d'une grandeur extraordinaire. Il y en
avait, aussi de forme pyramidale avec de grandes et belles fleurs. Ces derniers
avaient des feuilles d'un vert jaunâtre, et des branches avec des boutons. Je
vis aussi des arbres avec des feuilles très lisses en forme de coeur.
J'arrivai ensuite dans un pays de pâturages qui s'étendaient
à perte de vue entre des hauteurs. Tout y fourmillait de troupeaux innombrables.
La vigne croissait autour des collines, et elle y était cultivée. Il y avait des
rangées de ceps sur des terrasses, avec de petites haies de branchages pour les
protéger. Les possesseurs de ces troupeaux habitaient sous des tentes dont
l'entrée était fermée par des claies légères. Ces tentes étaient faites avec
l'étoffe de laine blanche que fabriquaient les peuplades sauvages chez
lesquelles j'avais passé. Il y avait au centre une grande tente entourée d'une
quantité d'autres plus petites. Les troupeaux, séparés suivant leurs espèces,
erraient dans ces grands pâturages, qui étaient entrecoupés par places de masses
de buissons, formant comme des taillis. Je distinguai là des troupeaux d'espèces
fort différentes. Je vis des montons dont la laine pendait en longues tresses et
qui avaient de longues queues laineuses ; puis des animaux très agiles, avec des
cornes comme celles des boucs ; ils étaient grands comme des veaux ; d'autres
étaient de la taille des chevaux qui courent ici en liberté dans les prairies.
Je vis aussi des troupes de chameaux et d'animaux de même espèce avec deux
bosses. Dans un endroit, je vis dans une enceinte fermée quelques éléphants
blancs et tachetés : ils étaient apprivoisés et servaient pour les usages
domestiques.
Cette vision fut interrompue trois fois, parce que mon
attention fut appelée d'un autre côté, et j'y revins toujours à différentes
reprises. Ces troupeaux et ces pâturages me parurent appartenir à un des rois
mages alors en voyage ; je crois que c'était à Mensor et à sa famille. Ils
étaient confiés aux soins de bergers subalternes, qui portaient des jaquettes
tombant jusqu'aux genoux, à peu près de la forme des habits de nos paysans, si
ce n'est qu'elles étaient plus étroites. Je crois que le chef étant parti pour
un long voyage, tous ses troupeaux furent in . . . (bas de page absent)
en temps des gens en manteaux longs venir prendre
connaissance de tout. Ils se rendaient dans la grande tente centrale, et alors
on faisait passer les troupeaux entre celle-ci et les petites tentes ; on les
comptait et on les examinait. Ceux qui en faisaient le compte avaient à la main
des espèces de tablettes, de je ne sais quelle matière, sur lesquelles ils
écrivaient quelque chose. Je me disais alors à moi-même : Puissent nos évêques
examiner avec la même diligence leurs troupeaux confiés aux pasteurs du second
ordre !
Quand, après la dernière interruption, je revins à cette
contrée de pâturages, il était nuit. Un profond silence régnait partout. La
plupart des bergers dormaient sous les petites tentes ; quelques-uns seulement
veillaient et erraient ça et là autour des troupeaux, lesquels étaient endormis
et parqués, suivant leur espèce, dans de grandes enceintes séparées. Pour moi,
je regardais avec attendrissement ces troupeaux dormant en paix, en pensant
qu'ils appartenaient à des hommes qui, cessant de contempler les immenses
pâturages azurés du ciel, semés d'innombrables étoiles, étaient partis à l'appel
de leur Créateur tout-puissant, reconnaissant en lui leur pasteur, comme des
troupeaux fidèles, pour suivre sa voix avec plus d'obéissance que les brebis de
cette terre ne suivent celle de leurs pasteurs mortels. Et comme je voyais les
bergers qui veillaient regarder plus souvent les étoiles du ciel que les
troupeaux confiés à leur garde, je me disais à moi-même : ils ont bien raison de
tourner des yeux étonnés et reconnaissants vers le ciel où, depuis des siècles,
leurs ancêtres, persévérant dans l'attente et la prière, n'ont cessé d'attacher
leurs regards. Le bon pasteur qui cherche sa brebis égarée, ne se repose pas
qu'il ne l'ait trouvée et rapportée ; ainsi vient de faire le Père qui est dans
les cieux, le vrai pasteur de ces innombrables troupeaux d'étoiles répandues
dans l'immensité. L'homme auquel il avait soumis la terre ayant péché, et la
terre ayant été maudite par lui en punition de ce crime, il était allé chercher
l'homme tombé et la terre, . . .
(renvoi incohérent entre deux pages)
. . . on séjour, comme une brebis perdue : il a envoyé du
haut du ciel son Fils unique pour se faire homme, ramener cette brebis perdue,
prendre sur lui tous ses péchés en qualité d'agneau de Dieu et satisfaire en
mourant à la justice divine. Et cet avènement du Rédempteur promis venait
d'avoir lieu. Les rois de ce pays, conduits par une étoile, étaient partis la
nuit précédente pour aller rendre hommage au Sauveur nouvellement né. C'est
pourquoi ceux qui veillaient sur les troupeaux regardaient avec émotion les
pâturages célestes et priaient ; car le Pasteur des pasteurs venait d'en
descendre, et c'était aux bergers qu'il avait d'abord annoncé sa venue.
Pendant que je méditais ainsi en regardant l'immense plaine,
le silence de la nuit fut interrompu par le bruit des pas d'une cavalcade qui
arrivait en toute hâte : c'était une troupe d'hommes montés sur des chameaux. Le
cortège, passant le long des troupeaux qui reposaient, se dirigea rapidement
vers la tente principale du camp des bergers. Quelques chameaux endormis se
réveillaient ça et là et tournaient leurs longs cous vers le cortège. On
entendait bêler des agneaux troublés dans leur sommeil ; quelques-uns des
arrivants sautaient à bas de leurs montures et réveillaient les bergers dormant
dans les tentes. Les plus voisins des veilleurs accostaient le cortège. Bientôt
tout fut sur pied et en mouvement autour des voyageurs ; on s'entretint en
regardant le ciel et en se montrant les étoiles. Ils parlaient d'un astre ou
d'une apparition dans le ciel qui avait cessé de se montrer, car moi-même je ne
la vis pas.
C'était le cortège de Théokéno, le troisième des rois mages,
celui qui demeurait le. plus loin. Il avait vu dans sa patrie le même signe dans
le ciel, qu'avaient vu d'autres, et il s'était aussitôt mis en route. u
demandait maintenant combien Mensor et Sair devaient avoir d'avance sur lui, et
si l'on pouvait encore voir l'étoile qu'ils avaient prise pour guide. Quand il
eut reçu les informations nécessaires, le cortège continua son voyage sans
s'arrêter plus longtemps. Cet endroit était celui où les trois rois, qui
demeuraient fort loin les uns des autres, avaient coutume de se réunir pour
observer les astres, et la tour, en forme de pyramide, au haut de laquelle il'
faisaient leurs observations, était dans le voisinage. Théokéno était celui des
trois qui demeurait le plus loin. Il habitait au delà du pays dans lequel
Abraham avait d'abord vécu, et à l'entour duquel tous les trois étaient établis.
Dans les intervalles entre les visions que j'eus à trois
reprises pendant la journée sur ce qui se passait dans la grande plaine des
troupeaux, différentes choses me furent montrées touchant les pays où Abraham
avait vécu : j'en ai oublié la plus grande partie. Je vis une fois, à une grande
distance, la hauteur sur laquelle Abraham voulait sacrifier Isaac. Une autre
fois, je vis très distinctement, quoique ce fût fort loin d'ici, l'aventure
d'Agar et d'Ismael dans le désert. La première demeure d'Abraham était située à
une grande élévation, et les pays des trois rois, qui se trouvaient alentour,
étaient plus bas. Je raconterai ici ce que je vis d'Agar et d'Ismael. A l'un des
côtés de la montagne d'Abraham, plus près du fond de la vallée, je vis Agar avec
son fils errer au milieu des buissons. Elle semblait comme hors d'elle-même.
L'enfant était encore fort jeune : il avait une longue robe. Elle-même était
enveloppée dans un long manteau qui recouvrait la tête, et sous lequel elle
portait un vêtement court avec un corsage étroit. Elle plaça l'enfant sous un
arbre, près d'une colline, et lui fit des marques sur le front, au haut du bras
droit, sur la poitrine et au haut du bras gauche. Je ne vis pas la marque sur le
front, mais les autres, qui étaient faites sur les habits, restèrent visibles et
semblaient tracées avec une couleur rouge. Elles avaient la forme d'une croix,
mais non pas d'une croix ordinaire. Cela ressemblait à une croix de Malte, ayant
au milieu un cercle duquel partaient les quatre triangles formant la croix. Dans
les quatre triangles, elle écrivit des signes ol1 des lettres en forme de
crochets dont je ne comprenais pas la signification. Dans le cercle qui était au
centre, je la vis tracer deux ou trois lettres. Elle traça tout cela très vite,
avec une couleur rouge, qu'elle semblait avoir dans la main. Peut-être était-ce
du sang. Elle s'éloigna ensuite, leva les yeux au ciel et ne regarda plus du
côté de son fils. Elle alla à peu près à une portée de fusil et s'assit sous un
arbre. Alors elle entendit une voix venant du ciel, se leva et alla plus loin ;
puis elle entendit de nouveau la voix, et vit une source sous le feuillage. Elle
remplit son outre de cuir, retourna près de son fils, auquel elle donna à boire,
et elle le conduisit près de la source, où elle lui mit un autre vêtement
par-dessus celui où elle avait fait les marques dont j'ai parlé.
Voilà tout ce que je me rappelle de cette vision. Je crois
qu'antérieurement j'avais vu deux fois Agar dans le désert, une fois avant la
naissance de son fils, et l'autre fois comme celle-ci avec le jeune Ismael.
(Dans la nuit du 27 au 28 novembre.)
Quand la soeur Emmerich communiqua, en 1821, ces visions sur
le voyage des trois rois, elle avait déjà raconté toute la période de la
prédication de Jésus. Elle avait vu entre autres choses le Sauveur se retirer au
delà du Jourdain, après la résurrection de Lazare, et, pendant une absence de
seize semaines, faire une visite aux rois mages, qui, à leur retour de Bethléem,
s'étaient établis ensemble dans un pays plus voisin que le leur de la terre
promise. Mensor et Théokéno vivaient encore ; mais, lors du voyage de Jésus,
Sair, le roi basané, était mort. Il a paru nécessaire d'instruire le lecteur de
ces événements, postérieurs de trente-trois ans, mais racontés précédemment,
afin de rendre intelligibles certaines choses qui y font allusion dans le récit
qui suit.
(Dans la nuit du 27 au 28 novembre)
Je vis à l'aube du jour le cortège de Théokéno rejoindre
celui de Mensor et de Sair dans une ville en ruine. Il y avait là de longues
rangées de hautes colonnes isolées. Les portes étaient surmontées de tours
carrées à moitié écroulées. Il s'y trouvait de grandes et belles statues ; elles
n'étaient pas raides comme celles de l'Egypte, mais elles avaient de belles
attitudes qui leur donnaient l'air vivant. Le pays était sablonneux, et il y
avait beaucoup de rochers. Dans les ruines de cette ville abandonnée étaient
établis des gens qui avaient l'air de bandits ; ils n'étaient vêtus que de peaux
de bêtes jetées sur le corps, et ils étaient armés d'épieux. Ils avaient la peau
basanée ; ils étaient petits et trapus, mais singulièrement agiles. Il me
semblait avoir été déjà dans cet endroit, peut-être lors de ces voyages que je
fis en songe à la montagne des prophètes et aux bords du Gange. Les trois
cortèges se trouvant réunis, ils quittèrent cette ville de grand matin pour
continuer leur voyage en toute bâte, et beaucoup de pauvres habitants de ce lieu
se joignirent à eux, attirés par la libéralité des trois rois. Ils allèrent à
une demi-journée plus loin, et firent là une halte. Après la mort de Notre
Seigneur Jésus-Christ, l'apôtre saint Jean envoya deux disciples, Saturnin ' et
Jonadab, le demi frère de saint Pierre, annoncer l'Evangile dans cette ville
ruinée.
Je vis les trois rois ensemble. Le dernier arrivé, Théokéno,
avait le teint tirant sur le jaune; je le reconnus pour celui qui, trente-deux
ans plus tard, était malade dans sa tente, lorsque Jésus visita les rois mages
dans leur établissement voisin de la terre promise. Chacun des trois rois avait
avec lui quatre proches parents ou amis intimes, de sorte qu'il y avait en tout
dans le cortège quinze personnes de haut rang, accompagnées d'une foule de
conducteurs de chameaux et de serviteurs. Parmi plusieurs jeunes gens de ce
cortège, qui étaient à peu prés nus jusqu'à la ceinture, et qui pouvaient sauter
et courir avec une agilité extraordinaire, je reconnus Éléazar, qui, plus tard,
devint martyr, et dont j'ai une relique.
Elle vit les trois rois passer par cette ville le jour de la
fête de saint Saturnin, duquel elle possédait une relique : c'est ce qui lui fit
remarquer les relations du saint avec cet endroit. Plus tard, l'écrivain lut
dans la légende de saint Saturnin qu'il avait prêché l'Evangile en Asie, jusque
dans la Médie.
Dans l'après-midi, comme son confesseur lui demandait encore
le nom des trois rois, elle répondit : Mensor le brun, baptisé par saint Thomas
après la mort du Sauveur, reçut au baptême le nom de Léandre. Théokéno, le
jaune, qui était malade lors du passage de Jésus en Arabie, fut baptisé par le
même saint Thomas sous le nom de Léon. Le plus basané, qui était déjà mort lors
de la visite du Sauveur, s'appelait Séir ou Sair. Son confesseur lui demanda : "
Comment donc celui-ci fut-il baptisé " ? Elle ne se déconcerta pas, et dit en
souriant : " il était déjà mort, et avait eu le baptême de désir ". Le
confesseur lui dit alors : " Je n'ai jamais entendu ces noms : comment
s'accordent-ils avec ceux de Gaspard, Melchior et Balthazar " ? Elle répondit :
" On les a ainsi nommés parce que cela se rapporte à leur caractère, car ces
mots signifient : 1, il va avec amour ; 2, il erre tout autour, il va en
caressant, il s'approche doucement ; 3, il saisit promptement avec sa volonté,
il unit promptement sa volonté à la volonté de Dieu ". Elle dit cela d'un air
très gracieux et indiqua la signification de ces noms par une espèce de
pantomime en remuant sa main sur la couverture de son lit. C'est aux
orientalistes a dire jusqu'à quel point ces trois noms peuvent être interprétés
de cette manière.
(Le 28 novembre.)
Une demi journée au delà de la ville en ruine où se
trouvaient tant de colonnes et de figures de pierre, je crus rencontrer pour la
première fois le cortège réuni des trois rois mages. C'était dans un pays assez
fertile. On voyait ça et là des habitations de bergers construites en pierres
blanches et noires Le cortège arriva dans la plaine à un puits, dans le
voisinage duquel se trouvaient plusieurs hangars spacieux. Il y en avait trois
au milieu et plusieurs autres alentour. C'était comme des lieux de repos pour
les voyageurs.
Le cortège entier était divisé en trois groupes : dans chacun
d'eux se trouvaient cinq personnages de distinction, et parmi ceux-ci le chef et
le roi, qui, comme un père de famille, ordonnait tout, réglait tout et faisait
les parts. Chacun de ces trois groupes se composait d'hommes dont je visage
était de couleur différente. La tribu de Mensor avait le teint d'un brun
agréable, celle de Saïr était d'un brun plus foncé ; celle de Théokéno avait un
teint éclatant tirant sur le jaune. Je ne vis personne d'un noir brillant, à
l'exception de quelques esclaves.
Les principaux personnages étaient assis sur leurs bêtes de
somme, entre des paquets recouverts de tapis. Ils avaient des bâtons à la main.
Ils étaient suivis d'autres bêtes grandes à peu près comme des chevaux, sur
lesquelles étaient des serviteurs et des esclaves au milieu du bagage. Quand ils
furent arrivés, ils descendirent, déchargèrent entièrement les animaux et les
firent boire au puits. Celui-ci était entouré d'un petit terrassement sur lequel
était un mur avec trois entrées ouvertes. Dans cette enceinte se trouvait le
réservoir d'eau, qui était placé un peu plus bas. L'eau sortait par trois
conduits fermés avec des chevilles. Le réservoir était fermé par une espèce de
couvercle ; il fut ouvert par un homme de la ville en ruine qui s'était joint au
cortège. Ils avaient des outres de cuir séparées en quatre compartiments, où
quatre chameaux pouvaient boire à la fois quand elles étaient remplies d'eau.
Ils étaient si soigneux en ce qui concernait l'eau, qu'ils n'en laissaient pas
perdre une goutte ; les bêtes furent ensuite installées dans des enceintes
découvertes qui se trouvaient près du puits, et où chacune avait sa place à
part. Elles avaient là devant elles des auges de pierre où on leur fit manger
d'un fourrage qu'elles portaient avec elles. C'étaient des grains gros à peu
près comme des glands (peut-être des fèves). Dans le bagage se trouvaient aussi
de grandes cages suspendues aux flancs des bêtes de somme, et où se trouvaient
de, oiseaux de diverses espèces, gros à peu près comme des pigeons ou des
poulets, ils en mangeaient pendant le voyage. Ils avaient dans des boites de
cuir des pains d'égale grandeur, semblables à des tablettes pressées les unes
contre les autres. Ils portaient avec eux des vases précieux d'un métal Jaune,
couverts d'ornements et de pierres fines, lesquels avaient à peu près la forme
de ne. vases sacrés, tels que calices, patènes, etc. Ils s'en servaient pour
boire et pour présenter les aliments Le. bords de ces vases étaient le plus
souvent ornés de pierres rouges.
Les tribus n'étaient pas tout à fait habillées de la même
manière. Théokéno et sa famille, aussi bien que Mensor, portaient sur la tête
une sorte de calotte élevée, autour de laquelle était roulée une bande d'étoffe
blanche ; leurs tuniques descendaient jusqu'aux jarrets : elles étaient très
simples et avaient à peine quelques ornements sur la poitrine ; ils avaient des
manteaux légers, amples et très longs, qui traînaient par derrière. Sair, le
basané, et sa famille, portaient des bonnets avec une coiffe ronde, brodée de
diverses couleurs, et un petit bourrelet blanc ; ils avaient des manteaux plus
courts, et là-dessous des tuniques boutonnées descendant jusqu'aux genoux,
chamarrées de lacets, de boutons reluisants et d'autres ornements ; sur l'un des
côtés de leur poitrine, se trouvait une plaque brillante de la forme d'une
étoile. Tous avaient les pieds nus, posant sur des semelles assujetties avec des
cordons qui entouraient le bas des jambes. Les principaux d'entre eux avaient à
la ceinture des sabres courts ou de grands coutelas ; ils y portaient aussi des
bourses et de petites boites. Il y avait là des hommes de cinquante ans, de
quarante, de trente et de vingt ; les uns avaient une longue barbe, les autres
la portaient plus courte. Les serviteurs et les chameliers étaient vêtus
beaucoup plus simplement ; plusieurs n'avaient sur eux qu'une pièce d'étoffe ou
une vieille couverture.
Quand les bêtes furent désaltérées et parquées, et quand
eux-mêmes eurent bu, ils firent du feu au milieu du hangar sous lequel ils
s'étaient établis : ils se servirent pour cela de morceaux de bois d'environ
deux pieds et demi de long, que les pauvres gens du pays avaient apportés en
fagots, lesquels paraissaient préparés d'avance pour l'usage des voyageurs ; ils
en firent une espèce de bûcher de forme triangulaire, laissant sur le côté une
ouverture pour donner de l'air : c'était très habilement arrangé. Je ne sais pas
bien comment ils se procurèrent di1 feu : je vis qu'on mit un morceau de bois
dans un autre où l'on avait fait un creux, et qu'on le fit tourner quelque temps
; après quoi on le retira allumé. Ils firent ainsi leur feu, et je les vis tuer
quelques oiseaux et les faire rôtir.
Les trois rois et les plus âgés firent chacun pour sa tribu
ce que fait un père de famille dans sa maison ; ils firent les parts et
présentèrent à chacun la sienne : ils placèrent les oiseaux découpés sur de
petites patènes ou assiettes, et les firent passer à la ronde ; ils remplirent
aussi les coupes et donnèrent à boire à chacun. Les serviteurs subalternes,
parmi lesquels étaient des nègres, étaient assis par terre sur une couverture ;
ils attendaient patiemment leur tour et recevaient aussi leur part. Je pense que
c'étaient des esclaves.
Combien sont touchantes la bonté et la simplicité naive de
ces excellents rois ! ils donnent de tout ce qu'ils ont aux gens qui sont venus
avec eux ; ils leur portent même les vases d'or à la bouche, et les font boire
comme des enfants.
J'ai appris aujourd'hui beaucoup de choses sur les saints
rois, notamment les noms de leurs pays et de leurs villes, mais j'ai presque
tout oublié. Je dirai ce que j'ai retenu. Mensor, le brun, était Chaldéen ; sa
ville avait un nom comme Acaiaia ; elle était entourée d'un fleuve et comme sur
une île. Il résidait habituellement dans la plaine, près de ses troupeaux. Sair,
le basané, était déjà auprès de lui tout prêt à partir, la nuit de la Nativité.
Je me souviens que son pays avait un nom qui ressemblait à Partherme. (C'est
peut-être le nom de Parthiène ou de Parthomaspe défiguré.) un peu au-dessus de
ce pays se trouvait un lac. Lui et sa tribu étaient de couleur très foncée) mais
avec les lèvres rouges. Les autres gens qu'étaient avec eux étaient blancs Il
n'y avait qu'une ville, à peu près grande comme Munster.
L'écrivain trouva, en 1839, par conséquent dix-huit ans après
cette mention d'Acaiaia, l'indication suivante dans le Dictionnaire des écoles
industrielles de Franke : "Achaiacula, forteresse sur les iles de l'Euphrate en
Mésopotamie. "(Ammian., 2 i-2.) Nous désirons qu'on puisse établir une relation
entre ces noms.
Théokéno, le blanc, venait de Médie, pays situé plus haut,
entre deux mers ; il habitait sa ville, dont j'ai oublié le nom. Elle était
composée de tentes dressées sur des fondements en pierres. Je pense que Théokéno,
qui était le plus riche des trois, et celui qui avait renoncé à plus de choses,
aurait pu se rendre à Bethléem par une voie plus directe, et qu'il avait fait
un détour pour se réunir aux autres. Il me semble presque qu'il avait dû passer
près de Babylone pour les rejoindre.
Saïr demeurait à trois journées de voyage de l'habitation de
Mensor, en évaluant chaque journée à douze lieues. Théokéno était à cinq de ces
journées de voyage. Mensor et Sair se trouvaient réunis chez le premier,
lorsqu'ils virent l'étoile qui annonçait la naissance de Jésus. Ils s'étaient
mis en route le jour suivant. Théokéno vit chez lui la même apparition ; il
partit en toute hâte pour rejoindre les deux autres et les rencontra dans la
ville en ruine.
L'étoile qui les conduisait était comme un globe rond, et la
lumière en sortait comme d'une bouche. (Cette expression peut s'être présentée à
elle, parce qu'elle voyait souvent de la lumière sortir de la bouche du Seigneur
et de celle des saints.) il me semblait toujours que ce globe était comme
suspendu à un fit lumineux et dirigé par une main. Pendant la journée je voyais
au-devant d'eux un corps brillant dont la clarté surpassait celle du jour. Quand
je considère la longueur du voyage, je suis étonnée de la vitesse avec laquelle
ils le firent ; mais les animaux qu'ils montaient avaient un pas si léger et si
égal, que leur marche me paraissait ordonnée, rapide et uniforme comme le vol
d'une bande d'oiseaux de passage. Les pays des trois rois formaient ensemble
comme un triangle.
Le cortège étant resté jusqu'au soir dans l'endroit où je
l'avais vu s'arrêter, les gens qui s'y étaient joints aidèrent à recharger les
bêtes de somme, et emportèrent chez eux différentes choses qui avaient été
laissées là par les voyageurs. La nuit tombait lorsque ceux-ci se mirent en
route. L'étoile était visible ; elle jetait une lueur rougeâtre comme la lune
lorsqu'il fait grand vent. Ils marchèrent quelque temps près de leurs montures,
la tête découverte, et ils firent des prières. Le chemin ici était tel qu'on ne
pouvait pas aller vite. Plus tard, quand il devint uni, ils remontèrent sur
leurs bêtes, qui avaient une allure très rapide. Quelquefois ils allaient
lentement, et alors ils entonnaient tous ensemble, à travers la nuit, des chants
singulièrement expressifs et touchants.
(Du 29 novembre au 2 décembre.)
Dans la nuit du 29 au 30 novembre, je me trouvai de nouveau
prés du cortège des trois rois. Ils s'avancent toujours dans la nuit, suivant
l'étoile qui, en ce moment, semble toucher la terre de sa longue queue
lumineuse. Ils la regardent avec une joie tranquille, descendent de leurs
montures et s'entretiennent ensemble. Quelquefois ils chantent alternativement
de courtes sentences sur un air lent et expressif, dont les notes sont tantôt
très hautes, tantôt très basses. Il y a quelque chose d'extrêmement touchant
dans ces mélodies qui interrompent le silence de la nuit, et j'ai le sentiment
de tout ce qu'ils chantent. Le cortège s'avance dans une belle ordonnance :
c'est d'abord un grand chameau portant de chaque côté des coffres sur lesquels
sont étendus de larges tapis ; en haut est assis un des chefs, avec son épieu à
la main et un sac auprès de lui. Puis viennent des animaux plus petits, comme
des chevaux ou des ânes de haute taille, et sur eux, entre les bagages, les
hommes qui dépendent de ce chef. Puis, vient un autre chef sur un chameau, etc.
Ces animaux marchent légèrement, quoique à grand pas, et ils posent le pied avec
précaution. Leur corps ne remue pas ; leurs pieds seuls sont en mouvement. Les
hommes sont aussi calmes que s'ils n'avaient à s'occuper de rien. Tout cela est
si tranquille et si doux ! c'est comme un songe paisible.
Je ne puis m'empêcher de faire une réflexion frappante sur ce
que je vois. Ces bonnes gens ne connaissent pas encore le Seigneur, et ils vont
à lui avec tant d'ordre, de paix et de bonne grâce ! tandis que nous, qu'il a
délivrés et comblés de ses bienfaits, nous sommes si désordonnés et si
irrévérencieux dans nos processions.
Le vendredi, 30 novembre, je vis le cortège s'arrêter dans
une plaine près d'un puits. Un homme, sorti d'une cabane comme il y en avait
plusieurs dans le voisinage, leur ouvrit ce puits. Ils abreuvèrent leurs bêtes,
et firent une courte halte sans les décharger.
Le samedi, 1er décembre, je vis le cortège, qui avait suivi
hier un chemin montant sur un plateau élevé. A leur droite étaient des
montagnes, et il me sembla qu'à l'endroit où le chemin descendait, ils
s'approchèrent d'une contrée où se trouvaient fréquemment des habitations, des
arbres et des fontaines. Il me sembla que c'était le pays de ces gens que
j'avais vus l'année dernière et récemment encore filer et tisser du coton. Ils
adoraient des images de taureaux. Ils offrirent libéralement des aliments à la
troupe nombreuse qui suivait le cortège ; mais ils ne se servaient plus des
plats dans lesquels ceux-ci avaient mangé, ce dont je fus surprise.
Le dimanche, 2 décembre, Je vis les saints rois dans le
voisinage d'une ville dont le nom me parait ressembler à Causour, et qui se
compose de tentes dressées sur des fondations en pierres. Ils s'arrêtèrent là
chez un autre roi auquel cette ville appartenait, et dont la demeure était à
quelque distance. Depuis leur jonction dans la ville en ruine jusqu'ici, ils
avaient fait cinquante-trois ou soixante-trois heures de route. Ils racontèrent
au roi de Causour tout ce qu'ils avaient vu dans les étoiles. Il fut très
étonné, regarda l'étoile qui les conduisait, et y vit un petit enfant avec une
croix. Il les pria de lui raconter à leur retour ce qu'ils auraient vu, parce
qu'il voulait aussi élever des autels à l'enfant et lui offrir des sacrifices.
Je suis curieuse de savoir s'il tiendra sa parole lorsqu'ils reviendront. Je les
ai entendus lui raconter l'origine de leurs observations sur les astres, et je
me souviens de ce qui suit :
Les ancêtres des trois rois étaient de la race de Job, qui
anciennement avait habité près du Caucase, et qui avait eu des possessions dans
d'autres pays très éloignés. Environ quinze cents ans avant Jésus-Christ, ils ne
formaient encore qu'une seule tribu. Le prophète Balaam était de leur pays ; un
de ses disciples y avait fait connaître sa prophétie : " une étoile naîtra de
Jacob ", et avait donné des instructions à ce sujet. Sa doctrine s'y était fort
répandue : on avait élevé une grande tour sur une montagne, et plusieurs savants
astronomes y résidaient alternativement. J'ai vu cette tour, qui était elle-même
comme une montagne, large par en bas et se terminant en pointe. Tout ce qu'ils
observaient dans le ciel était noté et passait de bouche en bouche. A plusieurs
reprises, ces observations furent interrompues par suite de divers événements.
Plus tard, ils en vinrent à des abominations impies, au point de sacrifier des
enfants. Ils croyaient pourtant que l'enfant promis devait venir bientôt.
Environ cinq siècles avant la naissance de Jésus-Christ, les observations
avaient cessé. Ils s'étaient alors divisés en trois branches, formées par trois
frères qui vivaient séparés avec leurs familles. Ces frères avaient trois filles
auxquelles Dieu avait accordé le don de prophétie. Elles parcouraient le pays,
vêtues de longs manteaux, et faisaient des prédictions relativement à l'étoile
et à l'enfant qui devait sortir de Jacob. On se remit alors à observer les
astres, et l'attente de l'enfant redevint très vive dans les trois tribus. Les
trois rois descendaient de ces trois frères par quinze générations qui s'étaient
succédé en ligne directe depuis environ cinq cents ans. Mais, par suite du
mélange avec d'autres races, la couleur de leur peau avait changé, et ils
différaient les uns des autres à cet égard.
Depuis cinq siècles, les ancêtres des trois rois n'avaient
jamais cessé de se réunir de temps en temps pour observer ensemble les astres.
Tous les événements remarquables et relatifs à l'avènement futur du Messie leur
étaient indiqués par des signes merveilleux qu'ils voyaient dans le ciel. J'en
vis plusieurs pendant leur récit, mais je ne puis les rapporter clairement.
Depuis la conception de la sainte Vierge, par conséquent depuis quinze ans, ces
signes marquaient plus distinctement que la venue de l'Enfant était proche.
Enfin ils avaient vu aussi bien des choses qui se rapportaient à la Passion de
Notre Seigneur. Ils pouvaient calculer au juste l'époque où sortirait de Jacob
l'étoile prophétisée par Balaam, car ils avaient vu l'échelle de Jacob, et,
d'après le nombre des échelons et la succession des tableaux qui s'y montraient,
ils pouvaient calculer l'approche du Sauveur, comme sur un calendrier ; car
l'extrémité de l'échelle aboutissait à cette étoile, ou bien l'étoile était la
dernière image qui y apparût. A l'époque de la conception de Marie, ils avaient
vu la Vierge avec un sceptre et une balance, sur les plateaux de laquelle
étaient des épis de blé et des raisins. Un peu plus tard ils virent la Vierge
avec l'enfant. Bethléem leur apparut comme un beau palais, une maison où
étaient rassemblées et distribuées d'abondantes bénédictions. Ils y virent aussi
la Jérusalem céleste, et entre ces deux demeures, une route sombre, pleine
d'épines, de combats et de sang.
Ils prirent tout cela à la lettre. Ils croyaient que le roi
attendu était né au milieu d'une grande pompe, et que tous les peuples lui
rendaient hommage. C'est pourquoi ils allaient, eux aussi, l'honorer et lui
porter leurs présents. Ils prenaient la Jérusalem céleste pour son royaume sur
la terre, et c'était là qu'ils croyaient aller. Quant à la route semée de
difficultés, ils pensaient qu'elle représentait leur voyage, ou bien une guerre
qui menaçait le nouveau roi. Ils ne savaient pas que c'était le symbole de la
voie douloureuse de sa Passion. Au-dessous, sur l'échelle de Jacob, ils virent
(et je vis aussi) une tour artistement construite, assez semblable aux tours que
je vois ; sur la montagne des prophètes, et où la Vierge se réfugia une fois
pendant un orage. Je ne sais plus ce que cela signifiait. (Peut-être la fuite en
Egypte.) il y avait une longue série de tableaux sur cette échelle de Jacob,
entre autres beaucoup de symboles figuratifs de la sainte Vierge, dont
quelques-uns se trouvent dans les litanies, en outre la fontaine scellée, le
jardin fermé, et aussi des figures de rois dont les uns tenaient un sceptre et
les autres des branches d'arbre.
Ils virent ces tableaux se montrer dans les étoiles ; ils les
virent continuellement pendant les trois dernières nuits Alors le principal
d'entre eux envoya des messagers aux autres ; et quand ils virent les rois
présenter des offrandes à l'enfant nouveau-né, ils se mirent en route avec leurs
présents, ne voulant pas être les derniers à lui rendre hommage. Toutes les
tribus des adorateurs des astres avaient vu l'étoile, mais celles-ci seules la
suivirent. L'étoile qui les conduisait n'était pas une comète, mais un météore
brillant que portait un ange.
Ce furent ces visions qui les firent partir dans l'attente de
grandes choses, et ils furent ensuite très surpris de ne rien trouver de tout
cela. Ils furent très étonnés de la réception d'Hérode et de l'ignorance où tout
le monde était. Quand ils arrivèrent à Bethléem, et qu'au lieu du palais
magnifique qu'ils avaient vu dans l'étoile, ils virent une pauvre grotte, ils
furent assaillis de bien des doutes. Mais ils restèrent fermes dans leur foi,
et, à la vue de l'Enfant-Jésus, ils reconnurent que ce qu'ils avaient vu dans
les astres était accompli.
Leurs observations des étoiles étaient accompagnées d.
jeûnes, de prières, de cérémonies, de toute sorte d'abstinences et de
purifications. Ce culte des astres exerçait des influences pernicieuses sur des
gens qui étaient en rapport avec le mauvais esprit. Ces gens, lors de leurs
visions, étaient saisis de convulsions violentes ; c'était à leur suite
qu'avaient lieu d'abominables sacrifices d'enfants. D'autres, comme par exemple
les saints rois, virent tout cela clairement, tranquillement, avec une douce
émotion, et ils en devinrent meilleurs et plus pieux.
(Du lundi 3 au mercredi 5 décembre.)
Lorsque les trois rois quittèrent Causour, je vis se joindre
à eux une troupe considérable de voyageurs de distinction qui suivaient la même
route. Les 3 et 4 décembre, je vis la caravane traverser une grande plaine. Le
b, ils firent une halte près d'un puits. Ils firent boire et manger leurs bêtes
de somme sans les décharger, et préparèrent quelques aliments pour eux-mêmes.
Pendant ces derniers jours, la soeur Emmerich, tout en
dormant, chanta plusieurs fois des paroles rimées sur des airs étranges, mais
très touchants. Comme on l'interrogeait à ce sujet. elle répondit : Je chante
avec ces bons rois ; ils chantent si agréablement des paroles comme celles-ci,
par exemple :
Nous voulons franchir les montagnes,
et nous agenouiller devant le nouveau roi.
Ils improvisent et chantent ces vers alternativement ; l'un
d'eux commence, et tous les autres répètent le vers qu'il a chanté ; alors un
autre ajoute un autre vers, et ils continuent ainsi, tout en chevauchant, à
chanter leurs douces et touchantes mélodies.
Dans le centre de l'étoile, ou plutôt du globe lumineux qui
leur montrait le chemin, je vis apparaître un enfant avec une croix. Ce globe
lumineux, lorsqu'ils eurent vu l'apparition de la Vierge dans les étoiles,
s'était montré au-dessus de cette image et s'était tout d'un coup mis en
mouvement.
LX
Bethléem.
La sainte Vierge a le pressentiment
de rapproche des trois Rois.
La contemplation passe alternativement de la grotte de la
Crèche, à Bethléem, à la caravane des trois rois.
(Mercredi, 5 décembre.)
Marie avait eu une vision sur l'approche des trois rois
pendant leur halte près du roi de Causour. Elle vit aussi que celui-ci voulait
élever un autel à l'enfant. Elle raconta cela à saint Joseph et à Élisabeth, et
dit qu'il fallait vider la grotte de la Crèche et tout préparer pour la
réception des trois rois à leur arrivée.
Les gens à cause desquels Marie s'était retirée hier dans
l'autre grotte étaient des visiteurs curieux : il en vint un plus grand nombre
dans les derniers jours. Aujourd'hui Élisabeth revint à Juttah, en compagnie
d'un serviteur.
(Du 6 au 8 décembre.)
Il y eut plus de tranquillité dans la grotte de la Crèche
pendant ces deux jours. La sainte Famille resta seule la plupart du temps. La
servante de Marie, femme d'environ trente ans, très sérieuse et très humble,
était seule présente. C'était une veuve sans enfants, parente d'Anne, qui lui
avait donné asile chez elle. Son défunt mari avait été très dur envers elle
parce qu'elle allait souvent chez les Esséniens ; car elle était très pieuse et
attendait le salut d'Israel. Il s'irritait à cause de cela, comme de méchants
hommes de nos jours qui trouvent que leurs femmes vont trop souvent à l'église ;
il l'avait quittée et était mort quelque temps après.
Les vagabonds qui avaient mendié et proféré des injures et
des malédictions près de la grotte de la Crèche ne revinrent plus dans ces
derniers jours. C'étaient des mendiants qui allaient à Jérusalem pour la fête de
la dédicace du temple, instituée par les Machabées.
Joseph célébra le sabbat sous la lampe, dans la grotte de la
Crèche, avec Marie et la servante. Le samedi soir commença la fête de la
dédicace du temple. On est tranquille aujourd'hui ; les nombreux visiteurs
étaient des voyageurs qui allaient à la fête. Anne envoie plusieurs fois des
messagers pour apporter des présents et avoir des nouvelles. Les femmes juives
ne nourrissent pas longtemps leurs enfants sans leur donner d'autre aliment que
leur lait : aussi l'Enfant-Jésus prit-il, après les premiers jours, une bouillie
faite de la moelle d'une espèce de roseau : cette bouillie est douce, légère et
nourrissante.
(Du 9 au 10 décembre.)
Joseph allume le soir et le matin ses petites lampes pour
célébrer la fête de la Dédicace. Depuis le commencement de la fête à Jérusalem,
on est fort tranquille ici.
(Le lundi 10.)
Il vint aujourd'hui un serviteur de la part de sainte Anne.
Il portait à la sainte Vierge, outre divers autres objets, tout ce qu'il fallait
pour travailler à une ceinture, ainsi qu'une charmante corbeille pleine de
fruits et recouverte de roses qui étaient placées sur les fruits et qui étaient
restées très fraîches. Cette corbeille était mince et haute. Les roses n'étaient
pas de la couleur des nôtres, mais pâles et presque couleur de chair ; il y en
avait aussi de jaunes et de blanches ; il s'y trouvait des boutons. Marie parut
y prendre plaisir et plaça la corbeille près d'elle.
(Caravane des trois rois.) J'ai vu plusieurs fois les trois
rois en marche ; le chemin était montueux. Ils franchirent ces montagnes dont
j'ai parlé, et où se trouvent semées des pierres minces semblables à des
fragments de poterie. J'aimerais à en avoir : elles sont belles et polies. Il y
a aussi là d'autres montagnes où se trouvent beaucoup de pierres transparentes
semblables à des oeufs d'oiseau, ainsi que beaucoup de sable blanc. Je les vis
dans la contrée où ils s'établirent plus tard, et où Jésus les visita pendant sa
troisième année de prédication.
(Mardi,1 décembre ; jeudi, 13 décembre.) il me semble que
Joseph aurait envie de rester à Bethléem et de s'y fixer après la purification
de Marie ; je crois qu'il a pris quelques renseignements dans cette intention.
Il y a trois jours, il vint à la grotte de la Crèche des gens aisés de Bethléem
; maintenant ils prendraient volontiers la sainte Famille chez eux. Marie se
cacha dans la grotte latérale, et Joseph déclina leurs offres. Sainte Anne
visitera bientôt la sainte Vierge. Je l'ai vue dernièrement très affairée : elle
faisait des parts de ses troupeaux pour les pauvres et pour le temple. La sainte
Famille distribuait également tout ce qu'elle avait. La fête de la Dédicace
était encore célébrée matin et soir. Il doit s'y être joint une autre fête le
13. Je vis à Jérusalem faire des changements dans les cérémonies de la fête. Je
vis un prêtre avec un rouleau prés de saint Joseph dans la grotte : ils prièrent
ensemble près d'une petite table qui avait une couverture rouge et blanche. Il
semblait que ce prêtre voulût voir si Joseph célébrait la fête ou qu'il lui
annonçât une nouvelle fête. (Il lui sembla voir un jour de fête ; cependant elle
croyait que celle de la nouvelle lune (néoménie) devait avoir commencé : elle ne
savait pas bien ce qui en était.) Dans les derniers jours la grotte fut
tranquille et sans visiteurs.
LXI
Bethléem. Visite à le Crèche.
Caravane des Rois.
Ils arrivent dans la terre promise.
(Du 14 au 18 décembre.)
La fête de la Dédicace finit avec le sabbat. Joseph n'alluma
plus les petites lampes. Le dimanche 16 et le lundi 17, beaucoup de gens des
environs vinrent encore à la crèche ; les mendiants effrontés se montrèrent
aussi à l'entrée. C'était parce qu'on revenait alors de la fête.
Le 17, il vint deux messagers de sainte Anne avec des
provisions de bouche et divers effets. Mais Marie est bien plus prompte que moi
à donner. Tout cela fut bientôt distribué. Je vis Joseph commencer à faim divers
arrangements dans la grotte de la Crèche, dans les grottes latérales et aussi
dans cette du tombeau de Maraha. Ils attendaient bientôt la visite de sainte
Anne et aussi celle des trois rois, d'après la vision qu'avait eue Marie.
(Le lundi, 17 décembre.)
Je vis aujourd'hui la caravane des trois rois arriver le soir
dans une petite ville où les habitations étaient dispersées ça et là ; plusieurs
des maisons étaient entourées de grandes haies, il me sembla que c'était le
premier endroit de la Judée. Ils étaient là dans la direction de Bethléem ;
cependant ils prirent à droite, probablement parce qu'il n'y avait pas de route
directe. Quand ils arrivèrent dans ce lieu, leur chant sembla plus animé et plus
expressif ; ils étaient tout joyeux, parce que l'étoile avait ici un éclat
extraordinaire : c'était comme un clair de lune, en sorte que les ombres se
dessinaient très distinctement. Cependant les habitants de ce lieu paraissaient
ou ne pas voir l'étoile, ou ne point s'en occuper particulièrement. Ces gens
étaient, du reste, bons et obligeants. Quelques-uns des voyageurs étaient
descendus de leurs montures, et les habitants les aidèrent à les abreuver. Je
pensai alors au temps d'Abraham, où tous les hommes étaient si bienveillants et
si serviables. Beaucoup de gens du pays accompagnaient le cortège à son passage
dans la ville, portant à la main des branches d'arbre. Je ne voyais pas l'étoile
toujours également brillante ; quelquefois elle s'obscurcissait. Il semblait
qu'elle jetât plus de clarté dans les lieux où habitaient des gens de bien.
Quand les voyageurs la voyaient plus éclatante, ils étaient très émus, et
croyaient que c'était peut-être en cet endroit qu'ils allaient trouver le
Messie.
(Le mardi, 18 décembre.)
Ce matin, ils contournèrent, sans s'y arrêter, une ville
sombre et couverte d'un brouillard. Peu après, ils traversèrent un cours d'eau
qui se jette dans la mer Morte (peut-être l'Arnon). Plusieurs des gens qui
s'étaient adjoints à eux restèrent dans les deux derniers endroits. J'ai su que
l'une de ces villes avait servi de refuge à quelqu'un lors d'un débat qui avait
eu lieu avant que Salomon ne montât sur le trône. Ils traversèrent le torrent ce
matin, et trouvèrent ensuite une bonne route.
(Le mercredi 19.)
Ce soir, je vis le cortège des trois rois, qui pouvait être
d'environ deux cents personnes, parce que leur libéralité avait porté beaucoup
de menu peuple à se joindre à eux, s'approcher, par le côté oriental, d'une
ville à l'occident de laquelle Jésus passa, sans y entrer, le 31 juillet de sa
seconde année de prédication. Le nom de cette ville ressemblait à Manathea,
Methanea, Medana ou Madian. Il s'y trouvait des Juifs et des paiens ; les
habitants étaient méchants.
Saint Jérôme mentionne une ville appelée Methane, prés de l'Arnon.
De là les Methanites dont il est parlé dans le premier livre des Paralipomènes
(XI, 48).
Quoiqu'une grand route la traversât, les trois rois ne
voulurent pas y entrer. Ils passèrent devant le côté oriental pour gagner une
enceinte murée où se trouvaient des hangars et des écuries. Les rois y
dressèrent leurs tentes, firent boire et manger leurs bêtes, et mangèrent
eux-mêmes.
Je vis les rois s'arrêter ici le jeudi 20 et le vendredi 21 ;
mais ils furent très attristés, parce qu'ici, comme dans la ville précédente,
personne ne savait rien du roi nouvellement né. Cependant je les entendis
raconter très amicalement aux habitants beaucoup de choses touchant la cause de
leur départ, la longueur de la route et toutes les circonstances de leur voyage.
Voici ce que je m'en rappelle encore :
Le roi nouveau-né leur avait été annoncé depuis très
longtemps. Je pense que ce fut peu de temps après Job, et avant qu'Abraham
n'allât en Égypte ; car une troupe, d'environ trois mille hommes de la Médie,
venus du pays de Job (il y en avait aussi d'autres venus de pays différents),
avaient fait une expédition en Égypte, et étaient venus jusque dans la contrée
d'Eliopolis. Je ne sais pas bien pourquoi ils étaient allés si loin, mais
c'était une expédition militaire ; je crois qu'ils étaient venus au secours de
quelqu'un. Cependant leur expédition était blâmable, elle était dirigée contre
quelque chose de saint ; je ne sais plus si c'était contre de saints hommes ou
contre un mystère religieux qui concernait l'accomplissement de la promesse
divine.
Dans les environs d'Héliopolis, plusieurs de leurs chefs
eurent une révélation par suite de l'apparition d'un ange qui les empêcha
d'aller plus loin. Il leur annonça un Sauveur qui devait naître d'une vierge et
être honoré par leurs descendants. Je ne sais plus comment les choses se
passèrent ; mais ils durent s'arrêter, revenir chez eux et observer les astres.
Je les vis établir en Egypte des fêtes de réjouissance ; ils élevèrent des arcs
de triomphe et des autels, les ornèrent de fleurs, puis ils revinrent dans leur
patrie. C'étaient des gens de la Médie, adorateurs des étoiles ; ils étaient
fort grands, presque comme des géants ; ils avaient une taille avantageuse et un
beau teint brun tirant sur le jaune. Ils allaient avec leurs troupeaux d'un lieu
à un autre, et dominaient partout à cause de leur force supérieure. J'ai oublié
le nom d'un prophète principal qui était parmi eux. Ils connaissaient beaucoup
de prédictions et observaient certains signes que leur donnaient les animaux.
Souvent les animaux se mettaient en travers de leur route et se laissaient tuer
plutôt que de se retirer. C'était pour eux un signe, et ils se détournaient des
chemins où cela arrivait.
Ces Mèdes, revenant de l'Égypte, avaient les premiers,
suivant le récit des saints rois, rapporté la prophétie, et l'on commença dès
lors à observer les étoiles. Ces observations tombèrent en désuétude ; mais
elles furent renouvelées par les soins d'un disciple de Balaam, et mille ans
après celui-ci, les trois prophétesses, filles des ancêtres des trois rois, les
firent reprendre. Cinquante ans plus tard, c'est-à-dire à l'époque où l'on était
parvenu, l'étoile avait apparu et ils la suivaient pour adorer le nouveau roi.
Ils racontaient tout cela à leurs auditeurs avec beaucoup de
simplicité et de sincérité, et ils furent affligés de voir que ceux-ci ne
semblaient pas croire à ce qui, depuis deux mille ans, avait été l'objet de
l'attente de leurs ancêtres
L'étoile fut obscurcie le soir par des vapeurs ; mais dans la
nuit elle se montra grande et brillante entre les nuages qui couraient, et elle
parut très près de la terre. Alors ils se levèrent en toute hâte, éveillèrent
les habitants du pays et la leur montrèrent. Ces gens regardèrent le ciel tout
étonnés et avec quelque émotion ; mais plusieurs s'irritèrent contre les saints
rois, et la plupart ne cherchèrent qu'à tirer profit de leur libéralité.
Je les entendis dire combien de chemin ils avaient parcouru
depuis leur lieu de réunion jusqu'ici. Ils comptaient par journées de voyage à
pied, qu'ils évaluaient à douze lieues. Avec leurs montures, qui étaient des
dromadaires et qui allaient plus vite que des chevaux, ils faisaient trente-six
lieues par jour, en comptant la nuit et les haltes. Ainsi le plus éloigné des
trois rois pouvait faire on deux jours les cinq fois douze lieues qui le
séparaient du lieu où ils s'étaient réunis, et les moins éloignés faire en un
jour et une nuit leurs trois fois douze lieues. De cet endroit où ils s'étaient
réunis jusqu'ici ils avaient fait 672 lieues, et pour cela, à compter de la
naissance de Jésus-Christ, ils avaient employé environ vingt-cinq jours et
autant de nuits, les jours de repos compris.
Le soir du vendredi 21 décembre, comme le sabbat commençait
pour les Juifs habitant ici, lesquels s'étaient rendus à la synagogue d'un petit
endroit voisin en passant l'eau sur un pont qui se trouvait à l'ouest, les
saints rois se préparèrent à partir. Je vis plusieurs fois ces Juifs regarder
l'étoile qui guidait les rois et témoigner à cette, occasion un grand étonnement
; mais ils n'en étaient pas plus respectueux. Ces hommes effrontés et importuns
se pressaient comme des essaims de guêpes autour des trois rois pour leur faire
des demandes, et ceux-ci, pleins de patience, leur distribuaient sans cesse de
petites pièces jaunes triangulaires qui étaient très minces, et aussi des grains
de métal d'une couleur plus foncée. Ils devaient être bien riches.
Ils firent ensuite, conduits par les habitants, le tour des
murs de la ville, dans laquelle je vis des temples avec des idoles ; puis ils
traversèrent le torrent sur un pont et passèrent par le village juif. Ils
avaient encore vingt-quatre lieues à faire pour arriver à Jérusalem.
LXII
Bethléem. Arrivée de sainte Anne.
Libéralité de la sainte Famille.
Le soir du 19 décembre, je vis sainte Anne, avec Marie
d'Héli, une servante, un domestique et deux ânes, passer la nuit à peu de
distance de Béthanie : elle se rendait à Bethléem. Joseph avait à peu près fini
ses arrangements dans la grotte de la Crèche et dans les grottes latérales, pour
loger ses hôtes de Nazareth, et pour recevoir les trois rois, dont Marie avait
récemment annoncé l'arrivée lorsqu'ils étaient à Causour. Joseph et Marie
étaient allés dans l'autre grotte avec l'Enfant-Jésus. La grotte de la Crèche
était entièrement débarrassée. L'âne seul y avait été laissé.
Joseph, autant que je puis m'en souvenir, avait depuis
quelque temps payé le second impôt. De nouveaux curieux étaient venus de
Bethléem pour voir l'enfant. Il s'était laissé prendre tranquillement par
quelques-uns et s'était détourné de quelques autres en pleurant.
Je vis la sainte Vierge tranquille dans son nouveau logement,
qui était arrangé commodément. Sa couche était contre la paroi. L'Enfant-Jésus
était près d'elle dans une longue corbeille faite d'écorce, qui reposait sur des
fourches. La couche de Marie, ainsi que le berceau de l'Enfant-Jésus qui était à
côté, étaient séparés du reste par une cloison en clayonnage. Le jour, quand
elle ne voulait pas être seule, elle était assise en avant de cette cloison,
ayant l'enfant auprès d'elle. Joseph reposait dans une partie éloignée de la
grotte, qui était aussi séparée du reste. Je vis Joseph porter des aliments à
Marie dans un plat, ainsi qu'une petite cruche et de l'eau.
(Le jeudi, 20 décembre.)
Ce soir commençait un jour de jeûne. Tous les aliments
étaient préparés pour le jour suivant : le feu était couvert et les ouvertures
voilées l. Sainte Anne était arrivée avec la soeur aînée de la sainte Vierge et
une servante. Ces visiteurs devaient passer la nuit dans la grotte de la Crèche
; c'était pour cela que la sainte Famille s'était retirée dans la grotte
latérale. J'ai vu aujourd'hui Marie mettre l'enfant dans les bras de sa mère :
celle-ci était profondément touchée. Anne avait apporté des couvertures, des
linges et des provisions de bouche. Elle dormit à l'endroit où Elisabeth avait
reposé, et Marie lui raconta avec beaucoup d'émotion tout ce qui s'était passé.
Anne pleura avec la sainte Vierge, et tout ce récit fut interrompu par les
caresses de l'Enfant-Jésus.
(Le vendredi, 21 décembre.)
Je vis aujourd'hui la sainte Vierge revenir dans la grotte de
la Crèche et le petit Jésus c ouche de nouveau dans la crèche. Quand Joseph et
Marie sont seuls près de l'enfant, je les vois souvent l'adorer. Je vis aussi
aujourd'hui sainte Anne se tenir près de la crèche avec la sainte Vierge dans
une attitude respectueuse, et contempler l'Enfant-Jésus avec un grand sentiment
de dévotion et de ferveur. Je ne sais pas bien si les personnes qui
accompagnaient sainte Anne avaient passe la nuit dans l'autre grotte, ou si
elles étaient allées ailleurs. Je suis portée à croire qu'elles étaient
ailleurs. Je vis aujourd'hui qu'Anne avait apporté différents objets pour la
mère et pour l'enfant. Marie a déjà reçu bien des choses depuis qu'elle est ici
; mais tout, autour d'elle, présente l'image de la pauvreté, parce qu'elle donne
tout ce dont elle peut se passer à la rigueur. Je l'entendis dire à Anne que les
rois de l'Orient viendraient bientôt et que leur visite ferait un grand effet.
Je crois que, pendant le séjour des rois, Sainte Anne ira à trois lieues d'ici,
chez sa soeur, et qu'elle reviendra plus tard.
(Le samedi, 9 décembre.)
Ce soir, après la clôture du Sabbat, je vis sainte Anne, avec
sa compagne, quitter la sainte Vierge pour un certain temps. Elle s'en alla à
trois lieues de là, dans la tribu de Benjamin, chez une soeur qui y était
mariée. Je ne sais plus le nom de l'endroit, qui consiste seulement en quelques
maisons dans une plaine. Il est à une demi lieue du dernier logement de la
sainte Famille dans son voyage à Bethléem.
LXIII
Voyage des trois Rois. Leur arrivée à Jérusalem.
Hérode consulte les
docteurs de la loi.
(Le samedi, 22 décembre.)
Le cortège des trois rois partit la nuit de Mathanea,
et suivit un chemin frayé. Ils ne traversèrent plus aucune ville, mais passèrent
le long de tous les petits endroits dans lesquels Jésus, à la fin du mois de
juillet de sa troisième année de prédication, enseigna, guérit et bénit les
enfants : de ce nombre était Bethabara, où ils arrivèrent le matin de bonne
heure pour le passage du Jourdain. Comme c'était le jour du sabbat, ils ne
rencontrèrent que peu de gens sur le chemin.
Ce matin, à sept heures, je vis la caravane passer le Jourdain. Ordinairement on
traversait le fleuve à l'aide d'un appareil en poutres ; mais pour de grands
convois' avec de lourds bagages, on jetait une espèce de pont. Les bateliers qui
habitaient sur les bords avaient coutume de faire ce travail moyennant une
rétribution ; mais, comme c'était le jour du sabbat et qu'ils ne pouvaient pas
travailler, les voyageurs s'occupèrent eux-mêmes de leur passage, et ils furent
aidés par quelques paiens, valets des bateliers. Le Jourdain n'était pas très
large en cet endroit, et il était plein de bancs de sable. On plaça des planches
sur les poutres à l'aide desquelles on passait ordinairement, et on y fit passer
les chameaux. Il fallut assez de temps pour que tout le monde pût atteindre la
rive occidentale.
Le soir, à cinq heures et demie, elle dit : ils ont laissé Jéricho à leur droite
; ils sont dans la direction de Bethléem, mais ils se détournent à droite dans
cette de Jérusalem. Il y a bien une centaine d'hommes avec eux. Je vois dans le
lointain une petite ville qui m'est connue ; elle est près d'un petit cours
d'eau qui, à partir de Jérusalem, coule de l'ouest à l'est. Ils doivent
certainement passer par cette petite ville. Pendant un certain temps, ils ont le
petit cours d'eau à leur gauche. Tantôt on voit Jérusalem, tantôt elle
disparaît, selon que la route monte ou descend. Elle dit plus tard : ils n'ont
pas passé par la petite ville, ils se sont détournés à droite vers Jérusalem.
Le samedi soir, 22 décembre, après la clôture du sabbat, je vis le cortège des
trois rois arriver devant Jérusalem. Je vis la ville avec ses hautes tours qui
s'élevaient vers le ciel. L'étoile qui les conduisait avait presque disparu,
elle jetait seulement encore une faible lueur derrière la ville. A mesure que
les voyageurs s'étaient approchés de Jérusalem, ils avaient perdu de leur
confiance, car l'étoile ne se montra t plus à eux si brillante, à beaucoup près,
et en Judée ils la voyaient bien moins souvent. Ils avaient cru aussi trouver
partout des fêtes et des réjouissances à cause de la naissance de ce Sauveur
pour lequel ils étaient venus de si loin. Mais, comme ils ne rencontraient que
la plus entière indifférence à ce sujet, ils s'attristaient, se troublaient et
craignaient de s'être complètement trompés.
Le cortège, qui pouvait être de deux cents personnes, avait à peu près un quart
de lieue de long. Déjà, à Causour, un certain nombre de gens de distinction
s'étaient adjoints à eux. D'autres avaient fait de même plus tard. Les trois
rois étaient assis sur trois dromadaires. Trois autres dromadaires étaient
chargés de bagages. Chaque roi avait près de lui quatre hommes de sa tribu. La
plupart des autres personnes du cortège montaient des animaux très légers à la
course, qui avaient de très jolies têtes. Je ne sais pas si c'étaient des
chevaux ou des ânes ; ils ne ressemblaient pas à nos chevaux. Ceux de ces
animaux dont se servaient les gens de distinction, avaient de beaux harnais et
de belles brides : ils étaient ornés de chaînes et d'étoiles d'or. Quelques gens
de la suite des rois allèrent à la ville et revinrent avec des gardiens et des
soldats. Leur arrivée, avec un si nombreux cortège, dans un moment où il n'y
avait pas de fête, et sans qu'ils vinssent pour faire le commerce, était, sur
cette route surtout, une chose tout à fait inaccoutumée Aux questions qu'on leur
adressa, ils répondirent pourquoi ils venaient ; ils parlèrent de l'étoile et de
l'enfant nouveau-né. Personne n'y pouvait rien comprendre. Ils furent très
troublés de cela, et pensaient qu'ils s'étaient trompés, puisqu'ils ne
trouvaient pas un homme qui parût savoir quelque chose touchant le Sauveur du
monde ; car tous ces gens les regardaient avec surprise, et ne pouvaient
s'imaginer ce qu'ils voulaient.
Quand les gardiens de la porte virent avec quelle bonté ils distribuaient
d'abondantes aumônes aux mendiants qui s'approchaient d'eux, et les entendirent
dire qu'ils cherchaient un logement, et qu'ils payeraient tout généreusement ;
quand ils ajoutèrent qu'ils voulaient parler au roi Hérode, quelques-uns d'entre
eux rentrèrent dans : la ville, et il s'ensuivit des allées et des venues, des
messages et des explications. Pendant ce temps, les trois rois s'entretinrent
avec des gens de toute espèce qui s'étaient rassemblés autour d'eux.
Quelques-uns de ces hommes avaient entendu parler d'un enfant né à Bethléem,
mais ils ne pensaient pas qu'il y eut là rien d'important, parce que les parents
étaient pauvres et des gens du commun ; d'autres se moquaient d'eux. Ils
comprirent, d'après ce qu'on leur disait, qu'Hérode ne savait rien touchant cet
enfant nouveau-né, et comme, d'ailleurs, ils ne comptaient guère sur Hérode, ils
furent de plus en plus découragés ; car ils étaient embarrassés de l'attitude
qu'ils auraient devant Hérode et de ce qu'ils lui diraient. Leur tristesse
pourtant ne leur fit pas perdre leur calme, et ils se mirent à prier. Alors le
courage leur revint, et ils se dirent les uns aux autres : Celui qui nous a
conduits si vite par le moyen de l'étoile, saura bien nous ramener heureusement
chez nous.
Quand enfin les surveillants furent revenus, on conduisit le cortège le long des
murs de la ville, et on les fit entrer par une porte située dans le voisinage du
Calvaire. A peu de distance du marché aux poissons, ils furent conduits dans une
cour ronde, entourée d'écuries et de logements, et à l'entrée de laquelle se
tenaient des gardes. Les bêtes de somme furent mises dans les écuries ;
eux-mêmes se retirèrent sous des hangars, dans le voisinage d'une fontaine
placée au milieu de la cour. Cette cour touchait par un côté à une hauteur ; des
autres côtés, elle était dégagée, et il y avait des arbres devant. Des employés
vinrent alors, deux par deux, avec des lanternes, et visitèrent les bagages des
rois. Je pense que c'étaient des douaniers.
Le palais d'Hérode était situé plus haut, à peu de distance de cet édifice, et
je vis le chemin éclairé par des lanternes et des falots placés sur des perches.
Il envoya un de ses valets, chargé d'amener secrètement le roi Théokéno dans son
palais. Il était près de dix heures du soir. Théokéno fut reçu dans une salle
d'en bas par un courtisan d'Hérode et interrogé sur les motifs de son voyage. Il
raconta tout avec une grande simplicité, et pria cet homme de demander à Hérode
où était le roi nouveau-né des Juifs, dont ils avaient vu et suivi l'étoile.
Lorsque le courtisan eut fait son rapport à Hérode, celui-ci fut d'abord très
troublé, mais il se remit et fit répondre qu'il voulait faire prendre des
informations à ce sujet. Il fit engager les trois rois à se reposer en attendant
; car, disait-il, il voulait s'entretenir avec eux le lendemain et leur faire
connaître ce qu'il aurait appris.
Lorsque Théokéno revint près de ses compagnons de voyage, il ne put leur porter
aucune nouvelle qui les consolât. On n'avait rien disposé pour les faire
reposer, et ils tirent refaire bien des paquets qui avaient été défaits. Je ne
les vis pas dormir pendant cette nuit, mais quelques-uns d'entre eux errèrent
dans la ville, regardant le ciel comme pour y chercher leur étoile. Dans
Jérusalem même tout était silencieux, mais devant la cour on s'agitait et on
prenait des informations. Les rois supposaient qu'Hérode devait tout savoir,
mais qu'il se cachait d'eux.
Il y avait une fête chez Hérode au moment où Théokéno était dans le palais ; les
salles étaient éclairées : on voyait là toutes sortes de gens et des femmes
parées indécemment. Les questions de Théokéno touchant un roi nouveau-né
troublèrent beaucoup Hérode, et il fit aussitôt convoquer chez lui les princes
des prêtres et les scribes. Je les vis, avant minuit, venir près de lui avec des
rouleaux d'écriture. Ils avaient leurs costumes de prêtres, des plaques sur la
poitrine et des ceintures sur lesquelles étaient brodées des lettres. J'en vis
environ une vingtaine autour de lui. Il leur demanda où le Messie devait naître
; je les vis alors déployer leurs rouleaux et répondre en désignant un passage
avec le doigt : " il doit naître à Bethléem de Juda, disaient-ils, car il est
écrit dans le prophète Michée : " Et toi, Bethléem, tu n'es pas a la plus
petite parmi les princes de Juda ; car c'est de toi que sortira le chef qui doit
gouverner mon peuple dans Israel ". Je vis alors Hérode se promener avec
quelques-uns d'entre eux sur le toit en terrasse du palais et chercher
inutilement des yeux l'étoile dont avait parlé Théokéno. Il était
extraordinairement inquiet ; mais les prêtres et les docteurs lui firent de
longs discours pour le tranquilliser, disant qu'il ne fallait pas attacher
d'importance aux propos des rois mages ; que ces gens, amis du merveilleux, se
faisaient toujours de singulières imaginations avec leurs étoiles ; que si
quelque chose de pareil avait eu lieu, on le saurait dans le temple et dans la
ville sainte, qu'Hérode et eux-mêmes ne pourraient l'ignorer.
LXIV
Les Rois devant Hérode.
Conduite de celui-ci et ses motifs.
(Le dimanche, 23 décembre.)
Aujourd'hui, de très grand matin, Hérode fit
conduire secrètement les trois rois dans son palais. Ils furent reçus sous une
arcade et conduits dans une salle où je vis des branches vertes et des bouquets
dans des vases, et où on avait préparé quelques rafraîchissements. Au bout de
quelque temps, Hérode vint ; ils s'inclinèrent devant lui et l'interrogèrent sur
le roi des Juifs nouvellement né. Hérode cacha du mieux qu'il put son agitation
et feignit une grande joie. Il y avait encore quelques scribes avec lui. Il leur
fit des questions sur ce qu'ils avaient vu, et Mensor lui décrivit la dernière
apparition qu'ils avaient vue dans le ciel avant leur départ : c'était, lui
dit-il, une vierge, et devant elle un enfant, du côté droit duquel était sortie
une branche lumineuse ; puis, au-dessus de celle-ci, s'était montrée une tour à
plusieurs portes. Cette tour était devenue une grande ville, au-dessus de
laquelle l'enfant avait paru avec une couronne, un glaive et un sceptre comme un
roi ; après quoi ils s'étaient vus eux-mêmes, ainsi que tous les rois du monde,
prosternés devant l'enfant et l'adorant ; car il avait un empire auquel tous les
autres empires devaient se soumettre, etc. Hérode leur dit qu'il existait une
prophétie disant quelque chose de semblable à propos de Bethléem Ephrata ; il
les engagea à y aller sans bruit, et quand ils auraient trouvé l'enfant, à
revenir le lui dire, afin que lui aussi pût aller l'adorer. Les rois, qui
n'avaient pas touché aux mets qu'on avait apprêtés pour eux, s'en retournèrent à
leur logis. Il était encore de grand matin, car je vis des lanternes allumées
devant le palais. Hérode conféra avec eux très secrètement' pour éviter qu'on en
parlât. Comme il commençait à faire jour, ils se préparèrent à partir. Les gens
qui avaient accompagné le cortège jusqu'à Jérusalem s'étaient dès la veille
dispersés dans la ville.
Hérode était en ce moment plein de mécontentement et d'irritation. Lors de la
naissance de Jésus-Christ, il se trouvait dans un château qu'il avait près de
Jéricho, et il s'était rendu coupable d'un lâche assassinat. Il avait placé dans
la haute administration du temple des gens de son parti qui espionnaient à son
profit ce qui se passait là, et lui dénonçaient ceux qui s'opposaient à ses
desseins. Le principal de ses adversaires était un haut fonctionnaire du temple,
homme juste et pieux. Hérode, sous les dehors de l'amitié, le fit inviter à
venir le trouver à Jéricho, puis il le fit attaquer et assassiner dans le
désert, mettant ce meurtre sur le compte des brigands. Quelques jours après, il
alla à Jérusalem pour prendre part à la célébration de la fête de la dédicace du
temple, qui avait lieu le 25 du mois de Casleu, et il s'y engagea dans une
affaire très désagréable. Voulant faire plaisir aux Juifs à sa manière, il avait
fait faire en or une figure d'agneau, ou plutôt de chevreau, car elle avait des
cornes, afin que cette image fût placée sur la porte qui conduisait de la cour
des femmes à la cour des immolations. Il voulut faire cela de sa propre
autorité, et que pourtant on lui en sût gré. Les prêtres s'y étant opposés, il
les menaça de leur faire payer une amende ; ils déclarèrent qu'ils la
payeraient, mais qu'ils n'admettraient pas l'image en question, parce que cela
était contraire aux prescriptions de la loi. Hérode furieux voulut faire placer
l'image secrètement ; mais, quand on l'eut apportée, un Israélite zélé la saisit
et la jeta par terre, en sorte qu'elle se brisa en deux morceaux. Il y eut du
tumulte à cette occasion, et Hérode fit mettre cet homme en prison. Cette
affaire l'avait fort irrité, et il se repentait d'être venu à la fête. Mais ses
courtisans tâchaient de le distraire et de l'amuser.
Il était dans cette disposition d'esprit lorsque des bruits se répandirent sur
la naissance du Christ. Depuis longtemps, en Judée, plusieurs hommes pieux
vivaient dans l'attente de la venue du Messie, qu'ils regardaient comme
prochaine. Ce qui s'était passé lors de la naissance de Jésus avait été divulgué
par les bergers. Cependant beaucoup de gens considérables regardaient tout cela
comme des fables et de vains discours. Hérode en avait aussi entendu parler, et
il avait fait prendre très secrètement des informations à Bethléem ; ses
émissaires étaient venus à la crèche trois jours après la naissance de Jésus,
et, après s'être entretenus avec saint Joseph, ils déclarèrent, en hommes
orgueilleux qu'ils étaient, que c'était une chose sans conséquence ; qu'il n'y
avait là qu'une pauvre famille dans une misérable grotte, et que tout cela ne
méritait pas qu'on s'en occupât. Leur orgueil même les avait empêchés, dés le
commencement, d'interroger sérieusement saint Joseph, d'autant plus qu'ils
avaient reçu l'ordre d'éviter ce qui pourrait attirer l'attention. Mais tout
d'un coup Hérode vit arriver les trois rois avec leur immense suite, ce qui le
jeta dans une grande inquiétude ; car ils venaient de bien loin, et c'était là
quelque chose de plus que de simples bruits. Comme ils parlaient avec tant
d'assurance du roi nouveau-né, il teignit aussi de vouloir lui rendre hommage,
et ils se réjouirent de le voir ainsi disposé. L'aveuglement orgueilleux des
scribes ne parvint pas à le tranquilliser, et l'intérêt qu'il avait à tenir cet
incident aussi secret que possible détermina sa conduite. Il ne fit d'abord
aucune objection aux explications des trois rois ; il ne mit pas non plus
aussitôt la main sur Jésus, pour ne pas donner crédit à leurs dires en présence
d'un peuple très difficile à manier. Il résolut d'obtenir des informations plus
exactes par le moyen même des trois rois, et de prendre ensuite des mesures en
conséquence. Mais, comme les rois, avertis par Dieu, ne revinrent pas vers lui,
il fit représenter leur fuite comme la conséquence d'une illusion ou d'un
mensonge de leur part. On fit répandre partout qu'ils n'avaient pas osé
reparaître, parce qu'ils étaient honteux de l'erreur grossière où ils étaient
tombés et où ils avaient voulu entraîner les autres ; " car, sans cela,
disait-on, quelles raisons auraient-ils pu avoir pour s'enfuir clandestinement,
après avoir été reçus d'une façon si amicale ? "
C'est ainsi qu'il essaya plus tard d'assoupir toute l'affaire. Il fit seulement
dire à Bethléem qu'on ne devait pas se mettre en rapport avec cette famille
dont il avait été parlé, ni accueillir des bruits et des inventions propres à
égarer les esprits. Comme la sainte Famille retourna à Nazareth quinze jours
plus tard, on cessa bientôt de parler d'événements sur lesquels la multitude
n'avait eu que des renseignements assez vagues, et les gens pieux qui espéraient
gardèrent le silence.
Quand tout parut à peu près oublié, Hérode pensa à se défaire de Jésus, mais il
apprit que la famille avait quitté Nazareth avec l'enfant. Il le fit longtemps
rechercher ; mais, tout espoir de le trouver s'étant évanoui, son in quiétude en
devint plus grande, et il eut recours à la mesure désespérée du massacre des
enfants. Il prit, du reste, à cette occasion les plus grandes précautions, et
envoya d'avance des troupes partout où l'on pouvait craindre quelque émeute. Je
crois que le massacre eut lieu en sept endroits.
LXV
Les Saints Rois vont de Jérusalem à Bethléem.
Ils adorent l'Enfant et
lui offrent leurs présents.
Je vis le cortège des trois rois arriver à une porte située au midi. Une troupe
d'hommes les suivit jusqu'à un ruisseau qui est en avant de la ville, et s'en
retourna ensuite. Quand ils eurent franchi le ruisseau, ils firent une petite
halte et cherchèrent l'étoile des yeux. L'ayant aperçue, ils jetèrent un cri de
joie et continuèrent leur marche en chantant. L'étoile ne les conduisit pas en
ligne directe, mais par un chemin qui se détournait un peu à l'ouest.
Ils passèrent devant une petite ville que Je connais bien, derrière laquelle je
les vis s'arrêter et prier vers midi, dans un site agréable voisin d'un hameau.
En cet endroit, une source jaillit de terre devant eux, ce qui les remplit de
joie. Ils descendirent et creusèrent pour cette source un bassin qu'ils
entourèrent de sable, de pierres et de gazon. Ils campèrent là plusieurs heures,
firent boire et manger leurs bêtes, et prirent eux-mêmes un peu de nourriture ;
car à Jérusalem ils n'avaient pu prendre aucun repos par suite de leurs diverses
préoccupations. Plus tard, j'ai vu Notre Seigneur s'arrêter plusieurs fois près
de cette source avec ses disciples. L'étoile, qui brillait la nuit comme un
globe de feu, ressemblait maintenant à la lune vue dans le jour ; elle ne
paraissait pas parfaitement ronde, mais comme découpée ; je la vis souvent
cachée par des nuages.
Sur la route directe de Bethléem à Jérusalem il y avait un grand mouvement de
voyageurs avec des bagages et des ânes ; c'étaient probablement des gens qui
revenaient de Bethlehem après avoir payé l'impôt, ou qui allaient à Jérusalem
pour le marché ou pour visiter le temple. Le chemin que suivaient les rois était
solitaire, et Dieu les conduisait sans doute par là pour qu'ils pussent arriver
à Bethléem le soir et sans faire trop d'effet. Je les vis se remettre en marche
quand le soleil était déjà très bas. Ils allaient dans le même ordre qu'en
venant ; Mensor, le plus jeune, allait en avant ; puis venait Sair, le basané,
et enfin Théokéno, le blanc et le plus âgé.
(Le dimanche, 23 décembre)
Je vis aujourd'hui, par le crépuscule du soir, le
cortège des saints rois arriver devant Bethléem, près de ce même édifice où
Joseph et Marie s'étaient fait inscrire : c'était l'ancienne maison de la
famille de David. Il n'en reste plus que quelques débris de murs ; elle avait
appartenu aux parents de saint Joseph. C'était un grand bâtiment entouré
d'autres plus petits, avec une cour fermée, devant laquelle était une place
plantée d'arbres et où se trouvait une fontaine. Je vis sur cette place des
soldats romains, parce que la maison était comme le bureau des collecteurs de
l'impôt. Quand le cortège arriva, un certain nombre de curieux se rassembla
autour de lui. L'étoile ayant disparu, les rois avaient quelque inquiétude. Des
hommes s'approchèrent d'eux et les interrogèrent. Ils descendirent de leurs
montures, et des employés vinrent de la maison à leur rencontre avec des
branches à la main, et leur offrirent quelques rafraîchissements. C'était
l'usage de souhaiter ainsi la bienvenue à des étrangers de cette espèce. Je me
dis à moi-même : On est bien plus poli avec eux qu'avec le pauvre saint Joseph,
parce qu'ils ont distribué de petites pièces d'or. On leur parla de la vallée
des bergers comme d'un bon endroit pour y dresser leurs tentes. Ils restèrent
assez longtemps dans l'indécision. Je ne les entendis pas faire des questions
sur le roi des Juifs nouvellement né : ils savaient que Bethléem était
l'endroit dédaigné par la prophétie ; mais, par suite des discours d'Hérode, ils
craignaient d'attirer l'attention. Bientôt ils virent briller du ciel, sur un
côté de Bethléem, un météore semblable à la lune à son lever ; alors ils
remontèrent sur leurs bêtes ; puis, longeant un fossé et des murs en ruine, ils
firent le tour de Bethléem par le midi et se dirigèrent à l'orient, vers la
grotte de la Crèche, qu'ils abordèrent par le côté de la plaine où les anges
étaient apparu aux bergers.
Quand ils furent arrivés prés du tombeau de Maraha dans la vallée qui est
derrière la grotte de la Crèche. Ils descendirent de leurs montures. Leurs gens
défirent beaucoup de paquets, dressèrent une grande tente qu'ils portaient avec
eux, et firent d'autres arrangements, avec l'aide de quelques bergers qui leur
indiquèrent les places les plus convenables. Le campement était arrangé en
partie, quand les rois virent l'étoile se montrer, claire et brillante, sur la
colline de la Crèche et y diriger perpendiculairement ses rayons. Elle parut
grandir beaucoup et répandit une masse de lumière extraordinaire. Je les vis
d'abord regarder d'un air très étonné. Il faisait sombre ; ils ne voyaient pas
de maison, mais seulement la forme d'une colline semblable à un rempart. Tout
d'un coup, ils furent saisis d'une grande joie, car ils virent dans la lumière
la figure resplendissante d'un enfant. Tous se découvrirent la tête pour
témoigner leur respect ; puis les trois rois allèrent vers la colline et
trouvèrent la porte de 'a grotte. Mensor l'ouvrit ; il vit la grotte pleine
d'une lumière céleste, et au fond la Vierge tenant l'enfant et assise, telle que
ses compagnons et lui l'avaient vue dans leurs visions.
Il retourna aussitôt su. ses pas et dit aux autres ce qu'il venait de voir.
Alors Joseph sortit de la grotte, accompagné d'un vieux berger, pour aller à
leur rencontre. Ils lui dirent en toute simplicité comment ils étaient venus
pour adorer le roi nouveau-né des Juifs, dont ils avaient vu l'étoile, et pour
lui offrir leurs présents. Joseph les accueillit amicalement, et le vieux berger
les accompagna près de leur suite et les aida dans leurs arrangements, ainsi que
quelques autres bergers qui se trouvaient là.
Eux-mêmes se préparèrent comme pour une cérémonie solennelle. Je les vis mettre
de grands manteaux blancs qui avaient une longue queue ; ces manteaux avaient un
reflet brillant comme s'ils eussent été de soie brute ; ils étaient très beaux
et flottaient légèrement autour d'eux : c'était leur costume ordinaire pour les
cérémonies religieuses. Ils portaient à la ceinture des bourses et des boites
d'or suspendues à des chaînes. Tout cela était recouvert par leurs larges
manteaux. Chacun des rois était suivi par quatre personnes de sa famille ; il y
avait en outre quelques serviteurs de Mensor qui portaient une petite table, un
tapis à franges et d'autres menus objets. Quand ils eurent suivi saint Joseph
sous l'auvent qui était devant la grotte, ils recouvrirent la table avec le
tapis, et chacun des trois rois y plaça quelques-unes des boîtes d'or et des
vases qu'ils détachèrent de leur ceinture : c'étaient les présents qu'ils
offraient en commun. Mensor et tous les autres ôtèrent leurs sandales, et Joseph
ouvrit la porte de la grotte Deux jeunes gens de la suite de Mensor marchaient
devant lui ; ils étendirent une pièce d'étoffe sur le sol de la grotte, puis ils
se retirèrent en arrière ; deux autres le suivirent avec la table, où étaient
les présents. Arrivé devant la sainte Vierge, il les prit, et, mettant un genou
en terre, il les déposa respectueusement à ses pieds. Derrière Mensor étaient
les quatre hommes de sa famille qui s'inclinaient humblement. Sair et Théokéno,
avec leurs compagnons, se tenaient en arrière dans l'entrée. Quand ils
s'avancèrent, ils étaient comme ivres de joie et d'émotion et inondés de la
lumière qui remplissait la grotte ; et pourtant il n'y avait là d'autre lumière
que la Lumière du monde. Marie, appuyée sur un bras, était plutôt couchée
qu'assise sur un tapis, à la gauche de l'Enfant-Jésus, lequel était étendu, à la
place où il était né, dans une auge recouverte d'un tapis et placée sur une
estrade ; mais au moment où ils entrèrent, la sainte Vierge se mit sur son
séant, se voila et prit dans ses bras l'Enfant-Jésus enveloppé dans son large
voile. Mensor s'agenouilla, et, mettant les présents devant lui, il prononça de
touchantes paroles par lesquelles il lui faisais hommage, en croisant ses mains
devant sa poitrine et en inclinant sa tête découverte. Pendant ce temps, Marie
avait mis à nu le haut du corps de l'enfant, qui regardait d'un air aimable du
milieu du voile dont il était enveloppé ; sa mère soutenait sa petite tête de
l'un de ses bras et l'entourait de l'autre. Il avait ses petites mains jointes
devant sa poitrine, et souvent il les étendait gracieusement autour de lui.
Oh ! combien se trouvaient heureux de l'adorer ces chers hommes de l'Orient !
Quand je voyais cela, je me disais à moi-même : " Leurs coeurs sont purs et sans
souillure, pleins de tendresse et d'innocence comme des coeurs d'enfants pieux.
Il n'y a rien de violent en eux, et pourtant ils sont pleins de feu et d'amour.
Je suis morte, je ne suis plus qu'un esprit; autrement je ne pourrais pas voir
cela, car cela n'existe pas maintenant, et cependant existe maintenant ; mais
cela n'existe pas dans le temps ; en Dieu il n'y a pas de temps ; en Dieu tout
est présent ; je suis morte, je ne suis plus qu'un esprit ". Pendant que j'avais
ces pensées si étranges, j'entendis me voix qui me disait : " Que t'importe cela
? regarde et loue le Seigneur, qui est éternel et dans lequel tout est éternel
".
Je vis alors Mensor tirer d'une bourse, qui était ; suspendue à sa ceinture, une
poignée de petites barres compactes, pesantes, de la longueur du doigt, effilées
à l'extrémité et brillantes comme de l'or : c'était son présent, qu'il plaça
humblement sur les genoux de la sainte Vierge, à côté de l'Enfant-Jésus. Elle
prit l'or avec un remerciement gracieux et le couvrit d'un coin de son manteau.
Mensor donna ces petites barres d'or vierge parce qu'il était plein de sincérité
et de charité, et qu'il cherchait la vérité avec une ardeur constante et
inébranlable.
Mensor se retira en arrière avec ses quatre suivants, et Sair, le roi basané,
s'avança avec les siens et s'agenouilla avec une profonde humilité ; il offrit
son présent avec des paroles touchantes : c'était un vase d'or à mettre de
l'encens, plein de petits grains résineux, de couleur verdâtre ; il le plaça sur
la table devant l'Enfant-Jésus. Il donna l'encens, parce que c'était un homme
qui se conformait respectueusement et du fond du coeur à la volonté de Dieu et
la suivait avec amour. Il resta longtemps agenouillé avec une grande ferveur
avant de se retirer.
Après lui vint Théokéno, le plus vieux des trois ; il était très avancé en âge ;
ses membres étaient raides, et il ne pouvait pas se mettre à genoux ; mais il se
tint debout, profondément incliné, et plaça sur la table un vase d'or avec une
belle plante verte. C'était un bel arbuste à tige droite, avec de petits
bouquets frisés surmontés de jolies fleurs blanches : c'était la myrrhe. Il
offrit la myrrhe, parce qu'elle est le symbole de la mortification et de la
victoire sur les passions ; car cet excellent homme avait soutenu des luttes
persévérantes contre l'idolâtrie, la polygamie et les habitudes violentes de ses
compatriotes. Dans son émotion, il resta si longtemps devant l'Enfant-Jésus avec
ses quatre suivants, que je pris pitié des autres serviteurs restés hors de la
grotte, parce qu'ils avaient tant attendu pour voir l'Enfant-Jésus.
Les paroles des rois et de tous leurs compagnons étaient pleines de simplicité
et fort touchantes. En se prosternant et en lui offrant leurs présents, ils
s'exprimaient à peu près en ces termes : Nous avons vu son étoile ; nous savons
qu'il est le Roi de tous les rois ; nous venons l'adorer et lui offrir notre
hommage et nos présents, et ainsi de suite. Ils étaient comme en extase, et,
dans leurs prières naïves et affectueuses, ils recommandaient à l'Enfant-Jésus
eux-mêmes, leurs familles, leur pays, leurs biens et tout ce qui avait du prix
pour eux sur la terre. Ils offraient au roi nouveau-né leurs coeurs, leurs âmes,
leurs pensées et leurs actions. Ils le priaient de les éclairer, de leur donner
la vertu, le bonheur, la paix et l'amour. Ils se montraient enflammés d'amour et
répandaient des larmes de joie, qui tombaient sur leurs joues et leurs barbes.
Ils étaient dans le bonheur ; ils croyaient être arrivés eux-mêmes dans cette
étoile vers laquelle' depuis des milliers d'années, leurs ancêtres avaient
dirigé leurs regards et leurs soupirs avec un désir si constant. Toute la joie
de la promesse accomplie après tant de siècles était en eux.
La mère de Dieu accepta tout avec d'humbles actions de grâces ; d'abord, elle ne
dit rien, mais un simple mouvement sous son voile exprimait sa pieuse émotion.
Le petit corps de l'enfant se montrait brillant entre les plis : de son manteau.
A la fin, elle adressa à chacun quelques paroles humbles et gracieuses et retira
un peu son voile en arrière. Oh ! j'ai pris là une nouvelle leçon ; je me disais
à moi-même : Avec quelle douce et aimable gratitude elle reçoit chaque présent !
Elle qui n'a besoin de rien, qui possède Jésus, qui accueille avec humilité tous
les dons de la charité. Moi aussi, à l'avenir, je recevrai' humblement et avec
reconnaissance tous les dons charitables. Que de bonté dans Marie et dans
Joseph. Ils ne gardaient presque rien pour eux, et distribuaient tout aux
pauvres.
Lorsque les rois eurent quitté la grotte avec leurs suivants et furent retournés
à leur tente, leurs serviteurs entrèrent à leur tour. Ils avaient dressé la
tente, déchargé les bêtes de somme, mis tout en ordre, et ils attendaient devant
la porte, patiemment et humblement. Ils étaient plus de trente, et il y avait
aussi avec eux une troupe d'enfants qui avaient seulement un linge autour des
reins et un petit manteau. Les serviteurs entraient cinq par cinq, et un des
principaux personnages auxquels ils appartenaient les conduisait. Ils
s'agenouillaient autour de l'Enfant et l'honoraient en silence. Enfin, les
enfants entrèrent tous ensemble, se mirent à genoux et adorèrent Jésus avec une
joie innocente et naive. Les serviteurs ne restèrent pas longtemps dans la
grotte de la Crèche, car les rois rentrèrent avec solennité. Ils avaient mis
d'autres manteaux longs et flottants ; ils portaient à la main des encensoirs,
et ils encensèrent très respectueusement l'enfant, la sainte Vierge, Joseph et
toute la grotte ; puis ils se retirèrent après s'être inclinés profondément.
C'était une manière d'adorer chez ce peuple.
Pendant tout ce temps, Marie et Joseph étaient pénétrés de la plus douce joie où
je les eusse jamais vus ; des larmes d'attendrissement coulaient souvent sur
Leurs joues. Les honneurs solennellement rendus à l'Enfant-Jésus, qu'ils étaient
obligés de loger si pauvrement, et dont la dignité suprême restait cachée dans
leurs coeurs, les consolaient infiniment ; ils voyaient que la Providence
toute-puissante de Dieu, malgré l'aveuglement des hommes, avait préparé pour
l'Enfant de la promesse et lui avait envoyé des contrées les plus lointaines ce
qu'eux-mêmes ne pouvaient lui donner, l'adoration due à sa dignité rendue par
les puissants de la terre avec une sainte magnificence. Ils adoraient Jésus avec
les saints rois ; les hommages qui lui étaient adressés les rendaient heureux.
Les tentes étaient dressées dans la vallée située derrière la grotte de la
Crèche jusqu'à la grotte du tombeau de Maraha ; les bêtes étaient rangées en
ordre et attachées à des pieux séparés par des cordes. Près de la grande tente
qui était voisine de la colline de la Crèche, se trouvait un espace recouvert de
nattes, où était déposée une partie des bagages ; cependant, la plus grande
partie fut portée dans la grotte du tombeau de Maraha. Quand tous eurent quitté
la crèche, les étoiles s'étaient levées. Ils se rassemblèrent en cercle près du
vieux térébinthe, qui s'élevait au-dessus de la grotte de Maraha, et entonnèrent
des chants solennels en présence des étoiles. Je ne puis dire combien étaient
touchants ces chants qui retentissaient dans la vallée silencieuse. Pendant tant
de siècles leurs ancêtres avaient regardé les astres, prié, chanté ; maintenant,
tous leurs désirs étaient exaucés ; ils chantaient comme enivrés de joie et de
reconnaissance.
Pendant ce temps, Joseph, avec l'aide de deux vieux bergers, avait apprêté un
petit repas dans la tente des trois rois. Ils apportèrent du pain, des fruits,
des rayons de miel, quelques herbes et des flacons de baume, qu'ils rangèrent
sur une table basse recouverte d'un tapis. Joseph s'était procuré tout cela dès
le matin pour recevoir les rois, dont la sainte Vierge lui avait annoncé
d'avance l'arrivée. Quand ceux-ci revinrent à leur tente, je vis saint Joseph
les accueillir très amicalement, et les prier, comme étant ses hôtes, d'accepter
le petit repas qu'il leur offrait. Il se plaça à côté d'eux autour de la table,
et ils mangèrent. Il ne montrait point de timidité ; il était si content qu'il
versait des larmes de joie.
Quand je vis cela, je pensai à feu mon père, le pauvre paysan, qui, lors de ma
vêture dans le couvent, fut obligé de se mettre à table avec beaucoup de gens de
distinction. Dans sa simplicité et son humilité, il avait eu d'abord grand peur
; puis, plus tard, son contentement fut tel, qu'il en pleura de joie. Il tenait,
sans le vouloir, la première place à la fête. Après ce petit repas, Joseph les
quitta. Quelques-uns des plus considérables de la caravane allèrent à une
auberge de Bethléem ; les autres se placèrent sur leurs couches, qui étaient
rangées en cercle dans la grande tente, et se livrèrent au repos. Joseph, revenu
à la grotte, mit tous les présents à droite de la crèche, dans un recoin devant
lequel il avait mis une cloison, en sorte qu'on ne pouvait pas voir ce qui s'y
trouvait. La servante d'Anne qui, après le départ de celle-ci, était restée
auprès de la sainte Vierge, s'était tenue dans une grotte latérale pendant toute
la cérémonie ; elle ne reparut que lorsque tous eurent quitté la crèche. Elle
était grave et intelligente. Je ne vis ni la sainte Famille, ni même cette
servante regarder les présents des rois avec une complaisance mondaine ; tout
fut accepté avec d'humbles remerciements et presque aussitôt distribué
charitablement.
Ce soir, à Bethléem, je vis un peu d'agitation lors de l'arrivée du cortège à la
maison où l'on payait l'impôt, et, plus tard, bien des allées et des venues dans
la ville. Les gens qui avaient suivi le cortège jusqu'à la vallée des bergers,
n'avaient pas tardé à revenir. Plus tard, pendant que les trois rois, pleins de
joie et de ferveur, adoraient et déposaient leurs présents dans la grotte de la
Crèche, je vis roder dans les environs, à une certaine distance, quelques Juifs
qui espionnaient et chuchotaient ensemble ; plus tard, je les vis aller et venir
dans Bethléem, et faire divers rapports. Je ne pus m'empêcher de pleurer
amèrement sur ces malheureux. Je souffre beaucoup de voir ces méchantes gens,
qui alors, et maintenant encore, quand le Sauveur s'approche des hommes, se
tiennent là murmurant et observant) puis, poussés par leur malice, répandent des
mensonges. Oh ! combien ces malheureux me semblaient à plaindre ! ils ont le
salut si près d'eux, et ils le repoussent, tandis que ces bons rois, guidés par
leur foi sincère dans la promesse, Sont allés si loin et ont trouvé le salut. Oh
! combien je pleure sur ces hommes endurcis et aveugles !
A Jérusalem, je vis aujourd'hui, pendant le jour, Hérode lire encore des
rouleaux avec plusieurs scribes, et parler de ce qu'avaient dit les trois rois.
Plus tard, tout fut calme, comme si l'on eût voulu assoupir cette affaire.
LXVI
Les Rois visitent encore la sainte Famille.
Hérode leur tend des embûches.
Un Ange les avertit. Ils prennent congé et s'en vont.
(Le lundi, 91 décembre.)
Aujourd'hui je vis de grand matin les rois et quelques
personnes de leur suite visiter successivement la sainte Famille. Je les vis
aussi, pendant la journée, près de leur campement et de leurs bêtes de somme,
occupés de diverses distributions. Ils étaient dans la joie et le bonheur, et
faisaient beaucoup de présents. J'ai vu qu'alors on en agissait toujours ainsi
lors des événements heureux. Les bergers, qui avaient rendu des services à la
suite des rois, reçurent des présents considérables. Je vis aussi faire des
gratifications à beaucoup de pauvres ; ainsi l'on mettait des couvertures sur
les épaules de quelques pauvres vieilles femmes toutes courbées qui s'étaient
glissées là. Il y avait plusieurs personnes de la suite des trois rois qui se
plaisaient dans la vallée près des bergers, et qui voulaient rester là et se
réunir à ces bergers. Ils firent connaître leur désir aux rois, et reçurent la
permission de rester avec de riches présents. On leur donna des couvertures, des
effets, de l'or en grains, et les Anes qu'ils avaient montés. Comme je vis aussi
les rois distribuer beaucoup de pain, je me demandai d'abord d'où ils l'avaient
tiré. Je me rappelai ensuite les avoir vus plusieurs fois, aux endroits où ils
campaient, préparer, au moyen de leur provision de farine, dans des formes de
fer qu'ils portaient avec eux, de petits pains plats semblables à du biscuit,
qu'ils mettaient sur leurs bêtes de somme, entassés dans de légères boites de
cuir. Il vint aussi aujourd'hui beaucoup de gens de Bethléem, qui se pressaient
autour d'eux pour avoir des présents, et qui se faisaient donner quelque chose
sous divers prétextes.
Le soir, ils allèrent à la crèche pour prendre congé. Mensor s'y rendit seul
d'abord. Marie lui mit l'Enfant-Jésus dans les bras : il pleurait et était
rayonnant de joie. Après lui vinrent les deux autres, qui prirent congé en
versant des larmes. Ils apportèrent encore beaucoup de présents, des pièces de
diverses étoffes, dont quelques-unes semblaient être de soie sans teinture, dont
quelques autres étaient rouges ou à fleurs ; il y avait aussi de très belles
couvertures. Ils voulurent en outre laisser leur grands manteaux d'un jaune
pâle, qui semblaient faits d'une laine extrêmement fine ; ils étaient très
légers, le moindre souffle d'air les agitait. Ils portaient aussi plusieurs
coupes placées les unes sur les autres, des boites pleines de grains, et dans
une corbeille des pots où étaient de beaux bouquets d'une herbe verte avec de
jolies fleurs blanches. Ces pots étaient placés les uns au-dessus des autres
dans la corbeille. C'était de la myrrhe. Ils donnèrent aussi à Joseph de longues
cages avec des oiseaux qu'ils avaient en grand nombre sur leurs dromadaires pour
les manger.
Tous versèrent des larmes abondantes quand ils quittèrent Marie et l'enfant. Je
vis la sainte Vierge debout près d'eux lorsqu'ils prirent congé. Elle portait
sur son bras l'Enfant-Jésus enveloppé dans son voile, et elle fit quelques pas
pour reconduire les rois vers la porte de la grotte ; là elle s'arrêta en
silence, et, pour donner un souvenir à ces excellents hommes, elle détacha de sa
tête le grand voile d'étoffe jaune transparente qui l'enveloppait ainsi que
l'Enfant-Jésus ; et elle le donna à Mensor. Ils reçurent ce don en s'inclinant
profondément, et une joie respectueuse fit battre leurs coeurs quand ils virent
devant eux la sainte Vierge sans voile, tenant le petit Jésus. quelles douces
larmes ils versèrent en quittant la grotte ! Le voile fut pour eux dès lors la
plus sainte relique qu'ils possédassent.
La sainte Vierge, en recevant les présents, ne semblait pas attacher de prix aux
choses qu'on lui offrait ; et pourtant, dans sa touchante humilité, elle
montrait une véritable reconnaissance pour celui qui donnait. Pendant cette
merveilleuse visite, je n'ai vu chez elle aucun sentiment de retour complaisant
sur elle-même. Seulement, au commencement, par amour pour l'Enfant-Jésus et par
compassion pour saint Joseph, elle se hissa aller en toute simplicité à
l'espérance que dorénavant ils trouveraient peut-être de la sympathie à
Bethléem, et ne seraient plus traités d'une manière aussi méprisante qu'à leur
arrivée ; car la tristesse et la confusion de saint Joseph l'avaient beaucoup
affligé.
Quand les rois prirent congé, la lampe était déjà allumée dans la grotte : il
faisait sombre, et ils se rendirent aussitôt avec leurs suivants sous le grand
térébinthe qui surmontait le tombeau de Maraha, pour y faire, comme la veille au
soir, les cérémonies de leur culte. Une lampe était allumée sous l'arbre.
Lorsque les étoiles se montrèrent, ils prièrent et entonnèrent des chants
mélodieux. Les voix des enfants faisaient un effet très agréable dans le choeur.
Ils se rendirent ensuite dans leur tente, où Joseph leur avait encore préparé un
petit repas, après lequel quelques-uns s'en retournèrent à leur auberge à
Bethléem, tandis que les autres se livrèrent au repos dans la tente.
Vers minuit, j'eus tout à coup une vision. Je vis les rois reposant dans leur
tente sur des couvertures étendues par terre, et j'aperçus auprès d'eux un jeune
homme resplendissant : c'était un ange qui les éveillait et leur disait de
partir en toute hâte, et de ne pas revenir par Jérusalem, mais par le désert, en
contournant la mer Morte. Ils se jetèrent promptement à bas de leur couche, et
leur suite fut bientôt sur pied. L'un d'eux alla à la crèche éveiller saint
Joseph, qui courut à Bethléem pour avertir ceux qui s'y étaient logés ; mais il
les rencontra avant d'y arriver, car ils avaient eu la même apparition. La tente
fut pliée, les bagages furent chargés, et tout fut enlevé avec une rapidité
étonnante. Pendant que les rois faisaient encore de touchants adieux à saint
Joseph devant la grotte de la Crèche, leur suite partait en détachements séparés
pour prendre les devants, et se dirigeait vers le midi pour longer la mer Morte
en traversant le désert d'Engaddi.
Les rois firent des instances pour que la sainte Famille partît avec eux, parce
qu'un danger la menaçait certainement; ils demandèrent ensuite que Marie se
cachât avec le petit Jésus pour n'être pas inquiétée à cause d'eux ; ils
pleurèrent comme des enfants, embrassèrent saint Joseph et lui adressèrent des
paroles touchantes ; puis ils montèrent leurs dromadaires légèrement chargés, et
s'éloignèrent à travers le désert. Je vis l'ange dans la plaine près d'eux, il
leur montrait la direction du chemin. Bientôt ils disparurent. Ils suivirent des
routes séparées à un quart de lieue les uns des autres, se dirigeant pendant une
lieue vers l'orient, et ensuite vers le midi, dans le désert. Ils passèrent par
la contrée que traversa Jésus en revenant d'Égypte dans sa troisième année de
prédication.
LXVIII
Mesures prises par les autorités de Bethléem
contre les Rois.
L'accès à la grotte de la Crèche interdit.
Zacharie visite la sainte Famille
(Le mardi 25 décembre.)
L'ange avait averti les rois à propos, car les autorités
de Bethléem avaient le projet de les faire arrêter aujourd'hui, de les
emprisonner dans de profonds caveaux qui étaient sous la synagogue, et de les
accuser auprès d'Hérode comme perturbateurs du repos public.
Je ne sais pas s'il y avait eu un ordre secret d'Hérode à cet effet ; je crois
plutôt que c'était un mouvement de zèle spontané. Ce matin, lorsqu'on apprit
leur départ à Bethléem, ils étaient déjà près d'Engaddi, et la vallée où ils
avaient campé était calme et solitaire comme avant leur séjour, dont il ne
restait plus d'autres traces que le gazon foulé et quelques pieux qui avaient
servi pour les tentes. Dans le fait, pourtant, l'apparition de la caravane avait
produit beaucoup d'effet dans Bethléem. Bien des gens se repentaient de n'avoir
pas donné l'hospitalité à saint Joseph ; d'autres parlaient des rois comme
d'aventuriers conduits par d'étranges imaginations ; d'autres enfin trouvaient
des rapports entre leur arrivée et les bruits de l'apparition qu'avaient eue les
bergers. Tous ces propos portèrent les magistrats de l'endroit, peut-être sur
une invitation d'Hérode, à prendre certaines mesures. Je vis au centre de
Bethléem tous les habitants convoqués sur une place où se trouvait un puits
entouré d'arbres, devant une grande maison à laquelle on montait par des degrés.
Du haut de ces degrés on lut un avertissement ou une proclamation dirigée contre
les discours superstitieux, et interdisant les visites à la demeure des gens qui
avaient donné lieu à tous ces propos.
Quand la foule ainsi rassemblée se fut retirée, je vis saint Joseph mandé dans
cette même maison et interrogé par de vieux Juifs. Je le vis revenir à la crèche
et se rendre encore une fois au tribunal. La seconde fois, il prit avec lui un
peu de l'or qu'avaient apporté les rois, et il le leur donna ; après quoi ils le
laissèrent s'en aller tranquillement. Tout cet interrogatoire me parut aboutir à
une escroquerie. Je vis aussi que les autorités firent barrer par un tronc
d'arbre mis en travers un chemin qui conduisait aux environs de la crèche sans
passer par la porte de la ville, mais qui, en partant de la place où Marie
s'était arrêtée sous un grand arbre, franchissait une colline ou un rempart. Ils
placèrent une sentinelle près de l'arbre dans une cabane, et firent tendre sur
le chemin des fils qui aboutissaient à une sonnette dans la cabane, afin qu'on
pût arrêter ceux qui voudraient prendre ce chemin. Dans l'après-midi, je vis une
troupe de seize soldats d'Hérode près de Joseph, avec lequel ils s'entretinrent.
Ils avaient probablement été envoyés à cause des trois rois, qu'on avait accusés
de troubler la paix publique ; mais, comme le silence et le repos régnaient
partout fit qu'ils ne trouvèrent dans la grotte que la pauvre famille, comme
d'ailleurs ils avaient l'ordre de ne rien faire qui pût attirer l'attention, ils
s'en retournèrent tranquillement et rapportèrent ce qu'ils avaient vu. Joseph
avait porté les présents des trois rois et ce qu'ils avaient laissé en outre
après eux, dans la grotte de Maraha et dans d'autres grottes cachées de la
colline de la Crèche, qu'il connaissait depuis sa jeunesse pour s'y être souvent
dérobé aux persécutions de ses frères. Ces caveaux solitaires existaient dés le
temps du patriarche Jacob. A une époque où il n'existait que des cabanes à la
place de Bethléem, il y avait dressé une fois ses tentes sur la colline de la
Crèche.
Ce soir, je vis Zacharie d'Hébron visiter pour la première fois la sainte
Famille. Marie était encore dans la Grotte. Il versa des larmes de joie, prit
l'enfant dans ses bras, et répéta, en y changeant quelque chose, le cantique de
louanges qu'il avait chanté lors de la circoncision de Jean-Baptiste.
(Le mercredi, 26 décembre.)
Aujourd'hui Zacharie s'en retourna chez lui, et
sainte Anne revint près de la sainte Famille avec sa fille aînée. La fille aînée
d'Anne était plus grande que sa mère et paraissait presque plus âgée.
Une grande joie règne maintenant dans la sainte Famille. Anne est tout heureuse.
Marie place souvent l'Enfant-Jésus dans ses bras, et le laisse soigner par elle.
Je ne l'ai vue faire cela pour aucune autre personne. Je vis, ce qui lue toucha
beaucoup, que les cheveux de l'enfant, qui étaient blonds et bouclés, avaient à
leur extrémité de beaux rayons de lumière. Je crois qu'ils lui frisent les
cheveux, car je vois qu'on frotte sa petite tête lorsqu'on le lave, ce qu'on
fait en mettant sur lui un petit manteau. Je vois toujours dans la sainte
Famille une pieuse et touchante vénération pour l'Enfant-Jésus ; mais tout s'y
passe simplement et naturellement, comme chez les saints élus de Dieu. L'enfant
a une affection, une tendresse pour sa mère que je n'ai jamais vue chez des
enfants si jeunes.
Marie raconta à sa mère tout ce qui s'était passé lors de la visite des trois
rois, et Anne fut extraordinairement touchée que le Seigneur eût appelé ces
hommes de si loin pour leur faire connaître l'enfant de la promesse. Elle vit
les présents des rois, qui étaient cachés dans une excavation pratiquée dans la
paroi : elle aida à en distribuer une grande partie, et à ranger le reste en bon
ordre.
Tout étai' tranquille dans les environs : les chemins menant à la grotte, qui ne
passaient pas par la porte de la ville, étaient barrés par ordre des autorités.
Joseph n'allait plus faire ses emplettes à Bethléem ; les bergers lui
apportaient ce dont il avait besoin. La parente chez laquelle Anne est allée,
dans la tribu de Benjamin', est Mara. La fille de Rhode, soeur d'Élisabeth.
Dans sa narration la soeur confondit souvent cette Mara avec une soeur cadette
ou nièce d'Anne, qu'elle appelait Énoué. Souvent des proches parents lui
apparaissaient comme des frères ou des soeurs.
Elle était pauvre, et eut dans la suite plusieurs fils qui furent disciples de
Jésus. Un d'eux s'appelait Nathanael' : c'était le fiancé des noces de Cana.
Cette Mara était présente lors de .a mort de la sainte Vierge à Éphèse.
Anne était maintenant seule avec Marie dans la grotte latérale. Je les vis
travailler ensemble à une couverture grossière. La grotte de la Crèche était
entièrement vide. L'âne de Joseph était caché derrière des claies. Encore
aujourd'hui des agents d'Hérode vinrent de Bethléem, et prirent des
informations dans plusieurs maisons relativement à un enfant nouveau-né. Ils
accablèrent spécialement de questions une Juive de distinction qui, peu de temps
auparavant, avait mis au monde un enfant mâle. Ils ne vinrent pas à la grotte de
la Crèche ; comme précédemment ils n'y avaient trouvé qu'une pauvre famille, ils
ne supposèrent pas qu'il pût en être question.
Deux hommes âgés (c'étaient, je crois, des bergers qui avaient adoré
l'Enfant-Jésus) vinrent trouver Joseph, et l'avertirent de ces perquisitions. Je
vis alors la sainte Famille et sainte Anne se réfugier avec l'enfant dans la
grotte du tombeau de Maraha. Dans la grotte de la Crèche il n'y avait plus rien
qui décelât un lieu habité : elle paraissait entièrement abandonnée.
Ce n'est pas le Nathanael que Jésus vit sous le figuier. Nathanael, le fils de
Mara, était l'un des enfants que sainte Anne réunit pour fêter Jésus, âgé de
douze ans, lorsqu'il revint après avoir enseigne dans le temple pour le première
fois. Jésus, à cette fête, parla en parabole d'un mariage ou l'eau devait être
changée en vin, et d'un autre mariage où le vin serait changé en sang. Il disait
aussi, comme en plaisantant, Au jeune Nathanael, qu'il serait un jour présent à
ses noces. La fiancée de Cana était de Bethléem et de la famille de saint
Joseph. Après le miracle de Cana, les deux époux firent voeu de continence.
Nathanael se joignit aussitôt aux disciples de Jésus, et il reçut au baptême le
nom d'Amator. Il devint plus tard évêque. Il fut à Edesse et aussi en Crète,
près de Carpus ; il alla ensuite en Arménie. Y ayant fait de nombreuses
conversions, il fut arrêté et envoyé sur les bords de la mer Noire. Rendu à la
liberté, il alla dans le pays de Mensor. Il y opéra sur une femme on miracle
dont j'ai oublié les détails, baptisa un grand nombre de personnes, et fut mis à
mort dans la ville d'Acaiakuh, située sur une île de l'Euphrate.
Je les vis pendant la nuit suivre la vallée avec une lumière couverte. Anne
portait l'Enfant-Jésus dans ses bras, Marie et Joseph marchaient à côté d'elle ;
les bergers les conduisaient, portant les couvertures et tout ce qui était
nécessaire pour les saintes femmes et l'enfant.
J'eus à cette occasion une vision, et je ne sais pas si la sainte Famille l'eut
aussi. Je vis autour de l'Enfant-Jésus une gloire formée de sept figures d'anges
placées les unes au-dessus des autres ; plusieurs autres figures paraissaient
dans cette gloire. Je vis aussi près de sainte Anne, de saint Joseph et de
Marie, des formes lumineuses qui semblaient les conduire par le bras. Quand ils
furent entrés dans le vestibule, ils fermèrent la porte et allèrent jusque dans
la grotte du Tombeau, où ils disposèrent tout pour prendre leur repos.
LXVIII
La sainte Famille dans la grotte de Maraha.
Joseph sépare l'Enfant Jésus de Marie pendant quelques heures.
Marie, dans son inquiétude, exprime du lait de son sein.
Origine d'un miracle qui s'est perpétué jusqu'à nos jours.
La soeur Emmerich raconta à diverses reprises les deux incidents qui suivent
comme ayant eu lieu lorsque la sainte Vierge était cachée dans la grotte de
Maraha. Ayant toujours été distraite par la souffrance ou par des visites, elle
ne les raconta pas le jour même où elle les vit, mais par forme de supplément,
comme quelque chose qu'elle avait oublié ; nous les mettons donc ensemble,
laissant au lecteur le soin de les placer dans un autre ordre selon qu'il le
jugera convenable.
La sainte Vierge raconta à sa mère tout ce qui s'était passé lors de la visite
des saints rois, et elles parlèrent aussi de la manière dont elle avait été
laissée dans la grotte du tombeau de Maraha.
Je vis deux bergers venir trouver la sainte Vierge, et l'avertir qu'il venait
des gens chargés par les autorités de s'enquérir de son enfant. Marie ressentit
une vive inquiétude, et je vis bientôt après saint Joseph entrer, retirer
l'Enfant-Jésus de ses bras, l'envelopper dans un manteau et l'emporter. Je ne me
souviens plus où il alla avec lui.
Je vis alors la sainte Vierge livrée à ses inquiétudes maternelles, rester seule
dans la grotte sans l'Enfant-Jésus pendant l'espace d'une demi journée. Quand
vint l'heure où on devait l'appeler pour allaiter l'enfant, elle fit ce qu'ont
coutume de faire des mères soigneuses lorsqu'elles ont été agitées violemment
par quelque frayeur ou quelque vive émotion. Avant de donner à boire à l'enfant,
elle exprima de son sein le lait que ses angoisses avaient pu altérer, dans une
petite cavité de la couche de pierre blanche qui se trouvait dans la grotte.
Elle parla de la précaution qu'elle avait prise à un des bergers, homme pieux et
grave, qui était venu la trouver (probablement pour la conduire auprès de
l'enfant) ; cet homme, profondément convaincu de la sainteté de la mère du
Rédempteur, recueillit plus tard avec soin le lait virginal qui était resté dans
la petite cavité de la pierre, et le porta avec une simplicité pleine de foi à
sa femme, qui avait alors un nourrisson qu'elle ne pouvait pas satisfaire ni
calmer. Cette bonne femme prit cet aliment sacré avec une respectueuse
confiance, et sa foi fut récompensée, car son lait devint aussitôt très
abondant. Depuis cet événement la pierre blanche de cette grotte reçut une vertu
semblable, et j'ai vu que, de nos jours encore, même des infidèles mahométans en
font usage comme d'un remède, dans ce cas et dans plusieurs autres
1.
1. – La tradition de ce miracle est rapportée avec diverses variantes dans
beaucoup de descriptions anciennes et modernes de la Palestine. Suivant la
tradition la plus ordinaire, la sainte Famille, passant près de Bethléem lors
de la fuite en Egypte, se serait cachée dans cette grotte, et quelques gouttes
de lait tombées du sein de la mère de Dieu auraient donné cette vertu à la
pierre de la grotte. C'est la soeur Emmerich qui a dit la première que cette
grotte avait servi de tombeau à la nourrice d'Abraham ; quelle s'appelait dès
lors la grotte de la nourrice ; et aussi que les inquiétudes maternelles de
Marie avaient été la cause de cette vertu communiquée à la pierre de la grotte
en question. Le savant franciscain Fr. Quaresmius, commissaire apostolique dans
la Terre Sainte au dix-neuvième siècle, dit entre autres choses, à propos de
cette grotte, dans son Historica Terra' Sanctae elucidatio, Antwerpiæ, 1632, t.
II, p. 678 : "à peu de distance de la grotte de la Nativité et de l'église de la
sainte Vierge, à Bethléem (suivant d'autres indications elle en est éloignée de
deux cents pas), se trouve un souterrain dans lequel sont creusées trois grottes
; dans cette qui est au milieu, le saint sacrifice de la messe a été souvent
célébré en mémoire du miracle qui s'y est opéré : on l'appelle communément la
grotte de la Vierge ou l'église de Saint Nicolas une bulle du pape Grégoire Xl
(mort en 1378) mentionne cette chapelle de Saint Nicolas à Bethléem, et permet
aux franciscains d'y bâtir une maison avec clocher et cimetière. "On lit encore
dans un ancien manuscrit sur les lieux saints : "Item, l'église de Saint
Nicolas, où est la grotte dans laquelle, suivant la tradition, la sainte Vierge
s'est cachée avec l'Enfant-Jésus ". Quaresmius, après avoir rapporté la
tradition vulgaire sur cette grotte, ajoute que la terre de cette grotte est
naturellement rouge ; mais qu'étant réduite en poussière, lavée et séchée au
soleil, elle devient blanche comme la neige, et que, mêlée avec de l'eau, elle
ressemble parfaitement à du lait. La terre ainsi préparée s'appelle lait de la
sainte Vierge. On en fait une potion très salutaire pour les femmes qui ne
peuvent pas nourrir, et on l'emploie aussi avec succès contre d'autres maladies.
Même les femmes turques et arabes en retirent une telle quantité de terre pour
l'employer ainsi, que ce qui était autrefois une seule grotte en forme trois
aujourd'hui. Les reliques qui, dans plusieurs Lieux de pèlerinage, portent le
nom de lac bestoe Virginia, et donnent lien à beaucoup de moqueries, ne sont le
plus souvent que de la terre de cette grotte de Bethléem, dont parle la soeur
Emmerich.
Quaresmius, à ce propos, mentionne un miracle rapporté par Baronius, lequel dit,
dans ses Annales (an 158), que depuis que saint Paul a rejeté la vipère qui
l'avait mordu à la main dans l'île de Malte (Act. XXIX), il n'y a plus dans
cette île ni serpents ni animaux venimeux, et même que la terre de Malte est
devenue un contrepoison ; puis il ajoute ces paroles : " Si une telle vertu a
été donnée à cette terre à cause de saint Paul, pourquoi refuserions-nous de
croire que Dieu, pour honorer la Vierge mère, a communiqué une vertu semblable
et encore plus grande d cette grotte, sanctifiée par la présence de Jésus et de
Marie " ! Castro, dans la vie de Marie, Grotonus, dans la vie de saint Joseph,
rapportent la même tradition d'après un vieil écrit arménien.
Depuis ce temps, cette terre passée à l'eau et pressée dans de petits moules a
été répandue dans la chrétienté comme un objet de dévotion ; c'est d'elle que se
composent les reliques appelées lait de la très sainte Vierge.
LXIX
Préparatifs pour le départ de la sainte Famille.
Départ de sainte Anne. Détails personnels à la soeur.
Elle reconnaît des reliques venant des trois Rois.
(Du 28 au 30 décembre.)
Je vis dans les derniers jours et aujourd'hui saint
Joseph prendre divers arrangements qui annonçaient le prochain départ de la
sainte Famille. Chaque jour il amoindrissait son mobilier. Il donna aux bergers
les cloisons mobiles, les claies et les autres objets à l'aide desquels il avait
rendu la grotte habitable, et tout cela fut emporté par eux.
Aujourd'hui, dans l'après-midi, un assez grand nombre de gens qui allaient à
Bethléem pour le sabbat, vinrent à la grotte de la Crèche ; mais, la trouvant
abandonnée, ils passèrent outre. Sainte Anne doit retourner à Nazareth après le
sabbat ; on met tout en ordre et on fait des paquets. Elle prend avec elle et
charge sur deux ânes plusieurs choses données par les trois rois, spécialement
des tapis, des couvertures et des pièces d'étoffe. Ce soir, la sainte Famille
célébra le sabbat dans la grotte de Maraha ; on continua à le célébrer le samedi
29 décembre. La tranquillité régnait dans les environs. Après la clôture du
sabbat, on prépara tout pour le départ de sainte Anne.
Cette nuit, je vis, pour la seconde fois, la sainte Vierge sortir, au milieu des
ténèbres, de la grotte de Maraha, et porter l'Enfant-Jésus dans cette de la
Crèche. Elle le posa sur un tapis à l'endroit où il était né et pria à genoux
près de lui. Je vis alors toute la grotte remplie d'une lumière céleste, comme à
l'heure de la naissance du Sauveur. Je pense que la sainte Mère de Dieu doit
aussi avoir vu cela.
Le dimanche 30 décembre, de très grand matin, je vis sainte Anne faire de
tendres adieux à la sainte Famille et sus trois bergers, et partir pour Nazareth
avec ses gens.
Ils emportaient sur leurs bêtes de somme tout ce qui restait des présents des
trois rois, et je fus très surprise de les voir prendre un petit paquet qui
m'appartenait. J'eus le sentiment qu'il était parmi les leurs, et je ne pus
comprendre comment il pouvait se faire que sainte Anne emportât ainsi ce qui
était à moi.
Cette impression qu'eut la soeur Emmerich s'explique par ce qui va être raconté.
Bientôt après ce mouvement de surprise qu'elle eut lorsqu'il lui sembla voir
sainte Anne emporter de Bethléem quelque chose qui lui appartenait, elle
communiqua ce qui suit à l'écrivain :
" Sainte Anne, dit elle, a emporté en partant beaucoup de choses données par les
trois rois, et spécialement des étoffes ; une grande partie de tout cela a servi
dans la primitive Église, et il en est resté quelque chose jusqu'à nos jours. Il
y a parmi mes reliques un petit morceau de la couverture de la petite table où
étaient les présents des trois rois. et un autre morceau venant d'un de leurs
manteaux.
A l'occasion de ce mot : mes reliques, nous avons quelques détails à donner au
lecteur. A toutes les époques, il y a eu dans l'Église catholique des personnes
qui, en vertu d'un don particulier, éprouvaient une rire et agréable impression
à la vue ou nu contact des ossements des saints et de tous les objets consacrés
et sanctifiés. Vraisemblablement ce don ne s'est jamais manifesté à un aussi
haut degré ni aussi constamment que chez la soeur Anne-Catherine Emmerich. Non
seulement le très saint Sacrement mais encore tout ce qui avait été consacré et
bénit par l'Église, particulièrement les ossements des saints et tout ce que
l'Eglise désigne par le nom de reliques, était distingué par elle de toutes les
autres substances semblables quant à Leur nature. Ces objets sacrés lui
apparaissaient brillants de lumière, et d'une lumière différemment colorée
suivant leur espèce. Lorsque c'étaient des ossements de saints on des etoffe9
qui leur avaient appartenu, elle pouvait faire connaître les noms des sainte et
souvent raconter leur histoire dans le plus grand détail. C'est ce dont les
personnes qui l'approchaient le plus souvent purent se convaincre si pleinement
par une foule d'expériences journalières, qu'un de ses amis lui donna le nom de
saeromètre. Celui qui écrit ceci rapportent dans l'histoire détaillée de sa vie
un grand nombre de ces expériences. Nous ne savons pas si les autorités
ecclésiastiques du pays où a vécu la soeur Emmerich se sont fait faire un
rapport étendu avec tous les témoignages à l'appui sur ce phénomène si
intéressant en ce qui touche la vie spirituelle, mais nous sommes convaincus que
ce don était ce qu'il y avait en elle de' plus remarquable et de plus digne
d'attention. Pour éprouver cette connaissance qu'elle avait des reliques et des
autres objets consacrés, plusieurs de ses amis, et notamment l'écrivain, étaient
mis à la porté. de la bonne soeur une grande quantité d'objets de ce genre Cela
leu avait été facile, car, malheureusement, par suite de la destruction de tant
d'églises et de couvents à notre époque, et aussi par suite de la diminution ou
même de l'extinction complète du sens de la loi en ce qui touche les choses
saintes et les objets transmis par la tradition comme sacrés et vénérables, de
véritables trésors, eu l'honneur desquels de grandes églises avaient peut-être
été bâties, étaient négligés ou profanés de la manière la plus affligeante.
Plusieurs étaient tombés dans les mains de particuliers et jusque dans les
boutiques des fripiers. Elle-même indiqua ce qu'étaient devenus beaucoup de ces
ossements sacres, et on les lui procura. Elle reçut ainsi, grâce à la bonté du
respectable Overberg, qui était son directeur extraordinaire, deux châsses
importantes, pleines de reliques des temps primitifs, qui avaient été trouvées
dans une vieille église supprimée.
Comme une partie de ces reliques se trouvait dans une petite armoire près du lit
de la malade, tandis qu'une autre partie était dans la demeure de l'écrivain,
celui-ci demanda : " Cette relique est-elle ici " ? Non, répondit-elle, là-bas,
dans la maison. " est-ce chez moi " ? dit l'écrivain.-Non, répliqua-t-elle, chez
cet homme, chez le pèlerin ". (Elle avait coutume de désigner ainsi l'écrivain).
c Elle se trouve dans un petit paquet ; la petite pièce du manteau est d'une
couleur effacée. Mais on ne me croira pas, et pourtant cela est vrai ; je le
vois devant vos yeux. Il y a un proche parent de l'écrivain, celui qui m'a fait
une visite ; celui-là a un coeur semblable à celui du roi basané Séir. Il est si
doux, si docile et si sincère c'est un vrai coeur chrétien. Ah ! si cet homme
était dans l'Eglise : il posséderait le ciel sur la terre !
L'écrivain ayant pris parmi les reliques déposées chez lui ce qu'on pouvait
appeler un petit paquet, et le lui ayant apporté, elle l'ouvrit aussitôt et
reconnut un petit reste d'étoffe de laine jaune et un autre morceau de soie
rougeâtre, comme provenant des trois rois, mais sans donner à cet égard
d'explications plus précises. Elle dit ensuite : " Je dois avoir moi-même un
petit morceau d'étoffe venant des trois rois mages. Ils avaient plusieurs
manteaux ; un, qui était épais et d'une étoffe serrée pour le mauvais temps ; un
autre, de couleur jaune, et un autre rouge, de belle laine fine. Ces manteaux
flottaient au vent quand ils marchaient. Dans les cérémonies, ils portaient des
manteaux de soie sans teinture ; les bords étaient brodés d'or, et il y avait
une longue queue que portaient des suivants. Je pense qu'il y a près de moi
quelque pièces d'un de ces manteaux, et que c'est pour cela que j'ai vu près des
trois rois, antérieurement et encore cette nuit, des scènes relatives à la
production et au tissage de la soie.
Dans une contrée située a l'orient, entre le pays de Théokéno et celui de Séïr,
se trouvaient des arbres de..' les branches étaient couvertes de vers ; on avait
creusé autour de chaque arbre un petit fossé pour que les vers ne pussent pas
s'en aller. Je vis souvent placer des feuilles sous ces arbres ; de petites
boites étaient suspendues aux arbres, et comme on y prenait des objets ronds,
plus longs que le doigt, je croyais d'abord que c'étaient des oeufs d'oiseau
d'une espèce rare ; mais je vis bientôt que c'étaient des coques filées par les
vers, lorsque ces gens les dévidèrent et en tirèrent des fils très déliés. Ils
en assujettissaient une grande quantité devant leur poitrine, et filaient avec
un beau fit qu'ils roulaient sur quelque chose qu'ils tenaient à la main. Je les
vis aussi tisser entra des arbres ; leur métier à tisser était très simple : la
pièce d'étoffe était à peu près large comme mon drap de lit. Quelques jours
après, elle dit : Mon médecin m'a souvent interrogée à propos d'un petit morceau
d'étoffe de soie d'un tissu singulier. J'en ai vu dernièrement un pareil auprès
de moi, et ne sais plus ce qu'il est devenu. En recueillant mes souvenirs, j'ai
reconnu que c'était à cette occasion que j'avais vu ce tableau du tissage de la
soie : c'était plus à l'orient que le pays des trois rois, dans un pays où alla
saint Thomas. Je me suis trompée en le racontant : il faut que le pèlerin efface
cela. Ce morceau d'étoffe n'appartient pas aux trois rois ; il m'a été donné par
quelqu'un qui voulait faire une expérience, sans s'inquiéter de ce qui
m'occupait alors intérieurement : il résulte de là des contusions, et tout
devient obscur.
J'ai vu de nouveau les reliques, et je sais où elles sont. Il y a plusieurs
années, j'ai donné à ma belle-soeur qui habite Flamske, avant ses dernières
couches, un petit paquet fermé par une couture. Elle m'avait priée de lui donner
une relique pour la fortifier ; je lui donnai ce petit paquet, que j'avais vu
lumineux. et comme ayant été autrefois en contact avec la Mère de Dieu. Je ne me
souviens pas bien si je vis alors clairement tout ce qu'il contenait ; mais il
procura à cette pieuse femme beaucoup de consolation. Cette nuit, je l'ai revu,
elle le possède encore, il est solidement cousu. Il y a un petit morceau de
tapis d'un rouge sombre, deux petites pièces d'un tissu léger comme du crêpe, de
la couleur de la soie brute, quelque chose de vert qui ressemble à du coton, un
petit morceau de bois et deux petits fragments de pierre blanche. J'ai fait dire
à ma belle-soeur de me le rapporter.
Au bout de quelques jours, sa belle-soeur vint en effet la voir et apporta le
petit paquet en question, qui était à peu près de la grosseur d'une noix.
L'écrivain l'ouvrit chez lui avec soin, sépara les uns des autres les morceaux
d'étoffe roulés ensemble, et les serra entre les pages d'un livre pour les
aplatir. Il y avait un morceau d'étoffe de laine fort épaisse d'environ deux
pouces carrés, de couleur rouge tirant sur le brun ; des morceaux longs et
larges de deux doigts d'un tissu léger, semblable à de la mousseline, et dont la
couleur était celle de la soie brute, puis un petit éclat de bois et deux petits
fragments de pierre. Ayant plié les petits morceaux d'étoffe dans des feuilles
de papier à lettre, il les lui mit sous les yeux dans la soirée. Elle ne savait
pas ce que c'était et dit d'abord : " Qu'ai je à faire de ces lettres " ? Puis,
tenant dans sa main les papiers sans les ouvrir, elle ajouta aussitôt : "Il faut
conserver cela avec soin et n'en pas perdre un brin. L'étoffe épaisse, qui
maintenant parait brune, était autrefois d'un rouge foncé. C'était une
couverture, à peu près aussi grande que ma chambre ; les suivants des trois rois
l'étendirent dans la grotte de la Crèche, et Marie s'y assit avec l'Enfant-Jésus
pendant qu'ils présentaient l'encens. Elle l'a conservée ensuite dans la grotte
et la prit sur son âne lorsqu'elle alla à Jérusalem présenter l'enfant au
temple. Le tissu léger vient d'une espèce de manteau court, composé de trois
bandes d'étoffe séparées et attachées à un collet, qu'ils portaient sur leurs
épaules comme une étole pour les cérémonies. Le petit éclat de bois et les deux
petites pierres ont été rapportés de la Terre Sainte à une époque plus récente.
Elle était alors occupée de la suite de ses visions relatives à la dernière
année de la prédication de Jésus. Le 27 janvier qui précéda sa Passion, elle le
vit, allant à Béthanie, s'arrêter, avec dix-sept disciples, dans une auberge de
Bethléem. Il les instruisit sur leur vocation, et célébra le sabbat avec eux.
La lampe resta allumée toute la journée. " Il y a, dit-elle, un de ces disciples
qui est nouvellement venu avec lui de Sichar. Je l'ai vu très distinctement : il
doit y avoir parmi mes reliques un petit fragment de ses os. Son nom ressemble à
Silan ou à Vilan ; ces deux lettres s'y trouvent ". Plus tard, elle dit Silvain.
Au bout de quelque temps elle ajouta : " J'ai vu de nouveau les petits morceaux
d'étoffe venant des trois rois. Il doit y avoir encore là un petit paquet, où se
trouvent entre autres choses un peu du manteau du roi Mensor, un morceau d'une
couverture de sole rouge qui fut placée anciennement près du Saint Sépulcre, et
un petit fragment de l'étole blanche et rouge d'un saint ". Après avoir fait une
pause, elle dit encore : " Je vois maintenant où est ce petit paquet ; je l'ai
donné, il y a deux ans et demi, à une femme d'ici pour le porter sur elle; elle
l'a encore. Je la prierai de me le rendre. Je le lui donnai pour la consoler
quand on me mit en prison, à cause du grand intérêt qu'elle me portait. Je ne
savais pas alors au juste ce qu'il y avait ; je voyais seulement qu'il brillait,
que c'était une relique, et qu'il avait été en contact avec la mère de Dieu.
Maintenant que j'ai vu avec tant de détail tout ce qui concerne les trois rois,
j'ai reconnu tout ce qui, dans mon voisinage, avait quelque rapport à eux, et
notamment ces reliques d'étoffe ".
Au bout de quelques jours, quand elle eut de nouveau ce petit paquet, elle le
donna à ouvrir à l'écrivain, parce qu'elle était malade. Il ouvrit dans l'autre
pièce ce petit paquet, fermé depuis longtemps par une forte couture, et il y
trouva les objets suivants enveloppés ensemble :
1 - un petit morceau de tissu de laine très fine, sans teinture, qui, lorsqu'on
voulait le déployer, s'effilait en parcelles très minces ;
2 - Deux petits morceaux d'étoffe de coton, couleur nankin d'un tissu peu serré
mais pourtant assez solide de la longueur d'un doigt ;
3 - Un pouce carré d'étoffe de soie cramoisie ;
4 - un quart de pouce carré d'étoffe de soie jaune et blanche ;
5 - Un petit échantillon de soie verte et rouge ;
6 - Au milieu de tout cela, un petit papier plié où était une petite pierre
blanche de la grosseur d'un pois.
L'écrivain sépara tous ces objets et les enveloppa dans autant de morceaux de
papier, excepté le n° 6 qu'il laissa dans le vieux papier. Quand il s'approcha
de la malade, elle ne semblait pas être dans l'état de clairvoyance ; elle était
éveillée, toussait et se plaignait de vives douleurs ; pourtant elle dit bientôt
: " Qu'est-ce que ces lettres que vous avez là ? cela est tout brillant. Nous
avons là des trésors qui ont plus de valeur qu'un royaume ". Elle prit alors les
différents papiers sans les ouvrir et sans regarder ce qu'ils contenaient. Après
les avoir tenus successivement dans sa main, elle se fut pendant quelques
instants, comme regardant intérieurement ; puis, en les rendant, elle dit ce qui
suit sur leur contenu, sans faire la plus légère erreur, car l'écrivain s'en
assura aussitôt en ouvrant ces papiers, qui étaient tous pliés de la même
manière :
N. l. Ceci vient d'une robe de Mensor ; c'est de la laine très fine. Elle
n'avait pas de manches, mais seule ment des ouvertures pour passer les bras. Une
bande d'étoffe, semblable à une manche, pendait depuis les épaules jusqu'aux
coudes. Elle décrivit alors très exacte. ment la forme, la matière et la couleur
de la relique.
N. 2. Ceci provient d'un manteau que les trois rois avaient
laissé après eux. Elle décrivit ensuite la relique.
N. 3. Ceci est un petit morceau d'une couverture de soie
rouge qui était étendue sur le sol près du Saint Sépulcre, quand les chrétiens
possédaient encore Jérusalem. Lorsque les Turcs prirent la ville, elle était
comme neuve. Les chevaliers la partagèrent entre eux, et chacun en emporta un
morceau comme souvenir.
N. 4. Ceci vient de l'étole d'un très saint prêtre, nommé
Alexis. C'était, je crois, un capucin. Il priait continuellement au Saint
Sépulcre. Les Turcs lui firent subir beaucoup de mauvais traitements. Ils firent
entrer des chevaux dans l'église, et placèrent une vieille femme turque entre
lui et le Saint Sépulcre, à l'endroit où il priait. Mais il ne se laissa pas
troubler par tout cela. Ils finirent par le murer là, et la femme lui donnait de
l'eau et du pain par une ouverture. Je sais cela par beaucoup de choses qui
m'ont été montrées récemment, lorsque j'ai vu le petit paquet, sans bien savoir
où il se trouvait.
N. 5. Ceci n'est pas une relique, c'est cependant un objet
digne de respect. Cela provient des sièges où les princes et les chevaliers
s'asseyait dans l'église du Saint Sépulcre
N. 6. C'est une petite pierre de la chapelle qui est
au-dessus du Saint Sépulcre, et il y a aussi un petit fragment d'ossement du
disciple Silvain de Sichar.
L'écrivain lui ayant dit qu'il n'y avait pas de fragment d'ossements, elle
répondit : " Regardez et cherchez ". Il alla dans la première pièce pour y voir
plus clair, ouvrit avec précaution le papier plié, et trouva dans un pli un très
petit morceau d'ossement, de forme irrégulière, de l'épaisseur de l'ongle et de
la grandeur d'un demi kreutzer. Elle l'avait exactement décrit, et il le
reconnut aussitôt. Tout cela se passa le soir dans sa chambre, qui n'était pas
éclairée ; il n'y avait de la lumière que dans la première pièce.
LXX
Purification de la sainte Vierge.
Comme on approchait du jour où la sainte Vierge devait présenter son premier-né
au temple et le racheter suivant les prescriptions de la loi, tout fut préparé
pour que la sainte Famille pût d'abord aller au temple, puis retourner à
Nazareth. Déjà, le dimanche 30 décembre au soir, les bergers avaient pris tout
ce qu'avaient laissé après eux les serviteurs de sainte Anne. La grotte de la
Crèche, la grotte latérale et celle du tombeau de Maraha étaient entièrement
débarrassées, et même nettoyées. Saint Joseph les laissa parfaitement propres.
Dans la nuit du dimanche au lundi 31 décembre, je vis Joseph et Marie visiter
encore une fois avec l'enfant la grotte de la Crèche, et prendre congé de ce
saint lieu. Ils étendirent d'abord le tapis des trois rois à la place où Jésus
était né, y posèrent l'enfant et prièrent ; puis, ils le placèrent à l'endroit
où avait eu lieu la circoncision, et s'y agenouillèrent aussi pour prier.
Le lundi 31 décembre, au point du jour, je vis la sainte Vierge se placer sur
l'âne, que les vieux bergers avaient amené tout harnaché devant la grotte.
Joseph tint l'enfant jusqu'à ce qu'elle se fût installée commodément et le lui
donna. Elle était assise sur un siège : ses pieds, un peu relevés, reposaient
sur une planchette. Elle tenait sur son sein l'enfant, enveloppe dans son grand
voile, et le regardait avec bonheur. Ils n'avaient près d'eux, sur l'Ane, que
deux couvertures et deux petits paquets, entre lesquels Marie était assise. Les
bergers leur firent de touchants adieux et les conduisirent jusqu'au chemin. Ils
ne prirent pas la route par laquelle ils étaient venus, mais passèrent entre la
grotte de la Crèche et celle du tombeau de Maraha, en longeant Bethléem au
levant. Personne ne les aperçut.
(30 janvier.)
Aujourd'hui, je les vis suivre lentement la route, assez courte du
reste, qui va de Bethléem à Jérusalem. Ils y mirent beaucoup de temps et
s'arrêtèrent souvent. A midi, je les vis se reposer sur des bancs qui
entouraient un puits recouvert d'un toit. Je vis deux femmes venir près de la
sainte Vierge et lui apporter deux petites cruches avec du baume et des petits
pains.
L'offrande de la sainte Vierge pour le temple était dans une corbeille suspendue
aux flancs de l'âne. Cette corbeille avait trois compartiments, dont deux
étaient recouverts et contenaient des fruits. Le troisième formait une cage à
jour où l'on voyait deux colombes.
Je les vis vers le soir, à environ un quart de lieue en avant de Jérusalem,
entrer dans une petite maison, tenue par un vieux ménage qui les reçut très
affectueusement. C'étaient des Esséniens, parents de Jeanne Chusa. Le mari
s'occupait de jardinage, taillait les haies et était chargé de quelque chose
relativement au chemin.
(1er février.)
Je vis aujourd'hui la sainte Famille passer toute la journée chez
ses vieux hôtes. La sainte Vierge fut presque tout le temps dans une chambre,
seule avec l'enfant, qui était posé sur un tapis. Elle était toujours en prière
et paraissait se préparer pour la cérémonie qui allait avoir lieu. J'eus à cette
occasion des avertissements intérieurs sur la manière dont on doit se préparer à
la sainte communion. Je vis apparaître dans la chambre plusieurs anges qui
adorèrent l'Enfant-Jésus. Je ne sais pas si la sainte Vierge les vit ; mais je
suis portée à le croire, car je la vis très émue. Les bons hôtes montrèrent
toute espèce de prévenances envers la sainte vierge. Ils devaient avoir un
pressentiment de la sainteté de l'Enfant-Jésus.
Le soir, vers sept heures, j'eus une vision relative au vieux Siméon. C'était un
homme maigre, très âgé, avec une barbe courte. Il était prêtre, avait une femme
et trois fils, dont le plus jeune pouvait avoir vingt ans. Je vis Siméon, qui
habitait tout contre le temple, se rendre, par un passage étroit et obscur, dans
une petite cellule voûtée qui était pratiquée dans les gros murs du temple. Je
n'y vis rien qu'une ouverture par laquelle on pouvait voir dans l'intérieur du
temple. J'y vis le vieux Siméon agenouillé et ravi en extase pendant sa prière.
Un ange lui apparut et l'avertit de remarquer le lendemain matin l'enfant qui
serait présenté le premier, parce que cet enfant était le Messie, après lequel
il avait si longtemps soupiré. Il ajouta qu'il mourrait peu de temps après
l'avoir vu. C'était un merveilleux spectacle ; la cellule était brillante de
clarté, et le saint vieillard était rayonnant de joie. Je le vis ensuite revenir
dans sa demeure et raconter, tout joyeux, à sa femme, ce qui lui avait été
annoncé. Quand sa femme fut allée se reposer, je le vis de nouveau se mettre en
prière.
Je n'ai jamais vu les pieux Israélites ni leurs prêtres faire, pendant leur
prière, ces contorsions exagérées que font les Juifs d'à présent ; mais je les
vis quelquefois se donner la discipline. Je vis aussi la prophétesse Anne prier
dans sa cellule du temple, et avoir une vision touchant la présentation de
l'Enfant-Jésus.
(2 février.)
Ce matin, avant le jour, je vis la sainte Famille, accompagnée de
ses hôtes, quitter son auberge avec les corbeilles où étaient les offrandes, et
se rendre au temple de Jérusalem. Ils entrèrent d'abord dans une cour entourée
de mur attenante au temple. Pendant que saint Joseph et son hôte plaçaient l'âne
sous un hangar, la sainte Vierge fut accueillie très amicalement par une femme
âgée, qui la conduisit plus loin par un passage couvert. Elles avaient une
lanterne, car il faisait encore sombre. Dès leur entrée dans ce passage, le
vieux Siméon vint au-devant de Marie. Il lui adressa quelques paroles qui
exprimaient sa joie, prit l'enfant qu'il serra contre son coeur, et revint en
hâte au temple par un autre chemin. Ce que l'ange lui avait dit la veille lui
avait inspiré un si vif désir de voir l'enfant après lequel il avait si
longtemps soupiré, qu'il était venu là attendre l'arrivée des femmes. Il portait
de longs vêtements comme les prêtres hors de leurs fonctions. Je l'ai vu souvent
dans le temple, et toujours en qualité de prêtre, mais qui n'occupait pas un
rang élevé dans la hiérarchie. Il se distinguait seulement par sa grande piété,
sa simplicité et ses lumières.
La sainte Vierge fut conduite par la femme qui lui servait de guide jusqu'au
vestibule du temple où la présentation devait avoir lieu : elle y fut reçue par
Anne et par Noémi, son ancienne maîtresse, lesquelles habitaient l'une et
l'autre de ce côté du temple. Siméon, qui était venu de nouveau à la rencontre
de la sainte Vierge, la conduisit au lieu où se faisait le rachat des
premiers-nés : Anne, à laquelle saint Joseph donna la corbeille où était
l'offrande, la suivit avec Noémi. Les colombes étaient dans le dessous de la
corbeille ; la partie supérieure était remplie de fruits. Saint Joseph se rendit
par une autre porte au lieu où se tenaient les hommes.
On savait dans le temple que plusieurs femmes devaient venir pour la
présentation de leurs premiers-nés, et tout était préparé. Le lieu où la
cérémonie eut lieu était aussi grand que l'église principale de Dulmen. Contre
les murs étaient des lampes allumées qui formaient toujours une pyramide. La
flamme sortait à l'extrémité d'un conduit recourbé par un bec d'or qui brillait
presque autant qu'elle. A ce bec était attaché par un ressort une espèce de
petit éteignoir qui, relevé en haut, éteignait la lumière sans qu'elle répandit
d'odeur, et qu'on retirait par en bas lors. qu'on voulait allumer.
Devant une espèce d'autel, au coin duquel se trouvaient comme des cornes,
plusieurs prêtres avaient apporté un coffret quadrangulaire un peu allongé, qui
formait le support d'une table assez large sur laquelle était posée une grande
plaque. Ils mirent par-dessus une couverture rouge, puis une autre couverture
blanche transparente, qui pendait tout autour jusqu'à terre. Aux quatre coins de
cette table turent placées des lampes allumées à plusieurs branches ; au milieu,
autour d'un long berceau, deux plats ovales et deux petites corbeilles.
Ils avaient tiré tous ces objets des compartiments du coffre, où ils avaient
pris aussi des habits sacerdotaux, qu'on avait placés sur un autel fixe. La
table, dressée pour les offrandes, était entourée d'un grillage. Des deux côtés
de cette pièce du temple il y avait des rangées de sièges, dont l'une était plus
élevée que l'autre ; il s'y trouvait des prêtres qui priaient. Siméon s'approcha
alors de la sainte Vierge, qui tenait dans ses bras l'Enfant-Jésus enveloppé
dans une étoffe bleu de ciel et la conduisit par la grille à la table des
offrandes, où elle plaça l'enfant dans le berceau. A partir de ce moment, je vis
le temple rempli d'une lumière dont rien ne peut rendre l'éclat. Je vis que Dieu
y était, et au-dessus de l'enfant, je vis les cieux ouverts jusqu'au trône de la
très sainte Trinité. Siméon reconduisit ensuite la sainte Vierge au lieu où se
tenaient les femmes derrière un grillage. Marie portait un vêtement couleur bleu
de ciel et un voile blanc ; elle était enveloppée dans un long manteau d'une
couleur tirant sur le jaune.
Siméon alla ensuite à l'autel fixe, sur lequel étaient placés les vêtements
sacerdotaux. Lui et trois autres prêtres s'habillèrent pour la cérémonie. Ils
avaient au bras une espèce de petit bouclier, et sur la tête une sorte de mitre.
L'un d'eux se tenait derrière la table des offrandes, l'autre devant ; deux
autres étaient aux petits côtés, et ils récitaient des prières sur l'enfant.
La prophétesse Anne vint alors près de Marie, lui présenta la corbeille des
offrandes, qui renfermait dans deux compartiments, placés l'un au-dessous de
l'autre, des fruits et des colombes, et la conduisit au grillage qui était
devant la table des offrandes ; elle resta là debout. Siméon, qui se tenait
devant la table, ouvrit la grille, conduisit Marie devant la table, et y plaça
son offrande. Dans un des plats ovales on plaça des fruits, dans l'autre des
nièces de monnaie : les colombes restèrent dans la corbeille.
Siméon resta avec Marie devant l'autel des offrandes le prêtre, placé derrière
l'autel, prit l'Enfant-Jésus, l'éleva en l'air en le présentant vers différents
côtés du temple et pria longtemps. Il donna ensuite l'enfant à Siméon qui le
remit sur les bras de Marie, et lut des prières dans un rouleau placé près de
lui sur un pupitre.
Siméon reconduisit alors la sainte Vierge devant la balustrade, d'où elle fut
ramenée par Anne, qui l'attendait là, à la place où se tenaient les femmes ; il
y en avait là une vingtaine, venues pour présenter au temple leurs premiers-nés.
Joseph et d'autres hommes se tenaient plus loin, à l'endroit qui leur était
assigné. Alors les prêtres, qui étaient devant l'autel, commencèrent un service
avec des encensements et des prières ; ceux qui se trouvaient sur les sièges y
prirent part en faisant quelques gestes, mais non exagérés comme ceux des Juifs
d'aujourd'hui. Quand cette cérémonie fut finie, Siméon vint à l'endroit où se
trouvait Marie, reçut d'elle l'Enfant-Jésus, qu'il prit dans ses bras, et, plein
d'un joyeux enthousiasme, parla de lui longtemps, et en termes très expressifs.
Il remercia Dieu d'avoir accompli sa pro. messe, et dit, entre autres choses :
"C'est maintenant Seigneur, que vous renvoyez votre serviteur en paix selon
votre parole ; car mes yeux ont vu votre salut que vous avez préparé devant la
face de tous les peuples la lumière qui doit éclairer les nations et glorifier
votre peuple d'Israël ".
Jusqu'en 1823, dans le troisième récit da la prédication de Jésus, elle parla
d'un séjour qu'il fit à Hébron, environ dix jours après la mort de saint
Jean-Baptiste, elle vit Jésus, le vendredi 29 Thébet (17 janvier), taire une
instruction sur la lecture du sabbat, qui était tirée de l'Exode (X-XIII), et
qui traitait des ténèbres d'Egypte et du rachat des premiers nés. Elle vit à
cette occasion toute la cérémonie de la présentation de Jésus dans le temple et
raconta ce qui suit : "La sainte vierge présenta l'Enfant-Jésus au temple le
quarante et unième jour après sa naissance. Elle resta à cause d'une fêle trois
jours dans l'auberge située devant la porte de Bethléem. Outre l'offrande
ordinaire des colombes, elle offrit cinq petites plaques d'or de forme
triangulaire provenant de' présents des trois rois, et donna plusieurs pièces de
belle étoffe pour le' ornements du temple. Joseph, avant de quitter Bethléem,
vendit à sen cousin la jeune ânesse qu'il lui avait remise en gage le 30
novembre, Je crois toujours que l'ânesse sur laquelle Jésus entra à Jérusalem le
dimanche des rameaux provenait de cette bête.
Joseph s'était rapproché après la présentation ; ainsi que Marie, il écouta avec
respect les paroles inspirées de Siméon, qui les bénit tous deux, et dit à Marie
: " Voici que celui-ci est placé pour la chute et pour la résurrection de
plusieurs dans Israel, et comme un signe de contradiction ; un glaive traversera
ton âme, afin que ce qu'il y a dans beaucoup de coeurs soit révélé ".
Quand le discours de Siméon fut fini, la prophétesse Anne fut aussi inspirée,
parla longtemps de l'Enfant-Jésus, et appela sa mère bienheureuse.
Je vis les assistants écouter tout cela avec émotion, mais pourtant sans qu'il
en résultat aucun trouble ; les prêtres même semblèrent en entendre quelque
chose. Il semblait que cette manière enthousiaste de prier à haute voix ne fût
pas tout à fait une chose inaccoutumée, que des choses semblables arrivassent
souvent, et que tout dût se passer ainsi. Tous donnèrent à l'enfant et à sa mère
de grandes marques de respect. Marie brillait comme une rose céleste.
La sainte Famille avait présenté, en apparence, la plus pauvre des offrandes ;
mais Joseph donna secrète. ment au vieux Siméon et à la prophétesse Anne
beaucoup de petites pièces jaunes triangulaires, lesquelles devaient profiter
spécialement aux pauvres vierges élevées dans le temple, et hors d'état de payer
lad frais de leur entretien.
Je vis ensuite la sainte Vierge, tenant l'enfant dans ses bras, reconduite par
Anne et Noémi à la cour où elles l'avaient prise et où elles se firent
réciproquement leurs adieux. Joseph y était déjà avec les deux hôtes ; il avait
amené l'Ane sur lequel Marie monta avec l'enfant, et ils partirent aussitôt du
temple, traversant Jérusalem en allant dans la direction de Nazareth.
Je n'ai pas vu la présentation des autres premiers-nés amenés aujourd'hui ; mais
j'ai le sentiment que tous reçurent des grâces particulières, et que beaucoup
d'entre eux furent du nombre des saints innocents égorgés par ordre d'Hérode.
La cérémonie de la Présentation dut être terminée ce matin, vers neuf heures ;
car c'est alors que je vis partir la sainte Famille. Ils allèrent ce jour-là
jusqu'à Béthoron, et passèrent la nuit dans la maison qui avait été le dernier
gîte de la sainte Vierge, treize ans avant, lorsqu'elle fut conduite au temple.
La maison me parut habitée par un maître d'école. Des gens, envoyés par sainte
Anne, les attendaient là pour les prendre avec eux. Ils revinrent à Nazareth par
un chemin beaucoup plus direct que celui qu'ils avaient pris en allant à
Bethléem, lorsqu'ils évitaient les bourgs et n'entraient que dans les maisons
isolées.
Joseph avait laissé chez son parent la jeune ânesse qui lui avait montré le
chemin dans le voyage à Bethléem ; car il pensait toujours revenir à Bethléem,
et à se construire une demeure dans la vallée des bergers. Il avait parlé de ce
projet aux bergers, et il leur avait dit qu'il voulait seulement que Marie
passât un certain temps chez sa mère pour se remettre des fatigues de son
mauvais gîte. Il avait, à cause de cela, laissé beaucoup de choses chez les
bergers.
Joseph avait avec lui une singulière espèce de monnaie qu'il avait reçue des
trois rois. Il avait à sa robe une espèce de poche intérieure où il portait une
quantité de feuilles de métal jaunes, minces, brillantes et repliées les unes
sur les autres. Elles étaient carrées, avec les coins arrondis ; il y avait
quelque chose de gravé. Les pièces d'argent que reçut Judas pour prix de sa
trahison étaient plus épaisses et en forme de langue.
Pendant ces jours-là, je vis les trois saints rois réunis au delà d'une rivière.
Ils firent une halte d'un jour et célébrèrent une fête. Il y avait là une grande
maison entourée de plusieurs autres petites. Au commencement, ils voyageaient
très vite ; mais, à dater de leur halte actuelle, ils allèrent beaucoup plus
lentement qu'ils n'étaient venus. Je vis toujours en avant de leur cortège un
jeune homme resplendissant qui leur parlait quelquefois.
LXXI
Mort de Siméon.
(3 janvier.)
Siméon avait une femme et trois fils, dont l'aîné pouvait avoir
quarante ans et le plus jeune vingt ans. Tous trois étaient employés au temple.
Plus tard, ils furent constamment les amis secrets de Jésus et des siens. Ils
devinrent disciples du Seigneur, soit avant sa mort, soit après son ascension.
Lors de la dernière cène, l'un d'eux prépara l'agneau pascal pour Jésus et les
apôtres. Je ne sais pourtant pas si tous ceux-là n'étaient pas peut-être des
petits fils de Siméon. Lors de la première persécution qui eut lieu après
l'Ascension, ils rendirent de grands services aux amis du Sauveur. Siméon était
parent de Séraphia, qui reçut le nom de Véronique, et aussi de Zacharie par le
père de celle-ci.
Je vis que Siméon, étant revenu chez lui après avoir prophétisé à la
présentation de Jésus, tomba aussitôt malade ; il n'en témoigna pas moins une
grande joie dans les discours qu'il tint à sa femme et à ses fils. Je vis cette
nuit que c'était aujourd'hui qu'il devait mourir. De tout ce que je vis à ce
sujet, je ne me rappelle que ce qui suit : Siméon, sur son lit de mort, adressa
à sa femme et à ses enfants des exhortations touchantes ; il leur parla du salut
qui était venu pour Israël et de tout ce que l'ange lui avait annonce, en termes
très forts et avec une joie touchante. Je le vis ensuite mourir paisiblement. Sa
famille le pleura en silence. Il y avait autour de lui beaucoup de prêtres et de
Juifs qui priaient.
Je vis ensuite qu'ils portèrent son corps dans une autre pièce. Il fut placé là
sur une planche percée de plusieurs ouvertures, et ils le lavèrent avec des
éponges sous une couverture, en sorte qu'ils ne le virent pas à nu. L'eau
coulait par les ouvertures de la planche dans un bassin de cuivre placé
au-dessous. Ils placèrent ensuite sur lui de grandes feuilles vertes,
l'entourèrent de beaux bouquets d'herbes, et l'ensevelirent dans un grand drap,
où il fut enveloppé à l'aide d'une longue bandelette, comme un enfant au
maillot. Son corps était raide et si inflexible, que je croyais presque qu'il
était attaché sur la planche.
Le soir il fut mis au tombeau. Six hommes le portèrent, avec des lumières, sur
une planche qui avait à peu près la forme du corps, avec un rebord peu élevé des
quatre côtés. Sur cette planche reposait le corps enveloppé, sans être recouvert
par-dessus. Les porteurs et le cortège allaient plus vite qu'on ne va dans nos
enterrements. Le tombeau était sur une colline peu éloignée du temple. Le caveau
où il fut déposé avait à l'extérieur la forme d'un monticule, où se trouvait
adaptée, à l'extérieur, une porte oblique, maçonnée à l'intérieur d'une façon
particulière. C'était l'espèce de travail, quoique plus grossier, que je vis
faire à saint Benoît dans son premier monastère '.
Dans une vision de la vie de saint Benoît (le 10 février 1820), elle vit, entre
autres choses, que le saint, dans sa jeunesse, apprit de son maître à faire avec
des pierres de diverses couleurs, sur le sable du jardin, toute espèce
d'ornements et d'arabesques à la façon des mosaïques antiques. Plus tard, elle
le vit, étant anachorète, exécuter à la voûte de sa cellule ou de sa grotte une
mosaïque grossière représentant une vision du jugement dernier. Elle vit plus
tard des disciples de saint Benoît l'imiter dans ce genre de travail et le
perfectionner, Dans une vision où elle exposa toute l'histoire de l'ordre,
exprimée jusque dans ses plus petits détails par le caractère et les habitudes
du fondateur, elle dit : "Lorsque chez les Bénédictins l'esprit fut moins vivant
que l'écorce, je vis leurs églises et leurs monastères trop ornes et trop
embellis, et en voyant toutes les images et tous les ornements qui couvraient la
voûte des églises, je me disais : Cela vient de ce travail que faisait Benoît
dans sa cellule : cette semence est ainsi montée en herbe. Si toute cette
surcharge vient à tomber, elle brisera bien des choses.
Les parois, comme dans la cellule de la sainte Vierge au temple, étaient ornées
de fleurs et d'étoiles, formées de pierres de différentes couleurs Le petit
caveau où ils placèrent Siméon n'offrait que juste assez d'espace pour qu'on pût
circuler autour du corps. Il y avait encore certains usages particuliers lors
des enterrements : on mettait près des morts des pièces de monnaie, des petites
pierres, et aussi, je crois, des aliments. Je ne m'en souviens plus très bien.
LXXII
Arrivée de la sainte Famille chez Sainte Anne
Je vis le soir la sainte Famille arrivée dans la maison d'Anne, à une demi lieue
de Nazareth, vers la vallée de Zabulon. Il y eut une petite fête de famille du
genre de celle qui avait eu lieu lors du départ de Marie pour le temple. La
fille aînée d'Anne, Marie d'Héli, était présente. L'âne était déchargé. Ils
voulaient rester là un certain temps. Tous accueillirent l'Enfant-Jésus avec une
grande joie ; mais cette joie était paisible et tout intérieure. Je n'ai jamais
rien vu de très passionné chez tous ces personnages. Il y avait aussi là de
vieux prêtres. On fit un petit festin. Les femmes mangèrent, comme toujours,
séparées des hommes.
Je vis encore la sainte Famille chez Anne. Il y avait quelques femmes : la fille
aînée d'Anne, Marie Héli, avec sa fille, Marie de Cléophas, puis une femme du
pays d'Elisabeth, et la servante qui s'était trouvée près de Marie à Bethléem.
Cette servante, après avoir perdu son mari qui ne s'était pas bien conduit
envers elle, n'avait pas voulu se remarier et elle était venue à Juttah, chez
Elisabeth, où Marie l'avait connue lors de sa visite à sa cousine ; de là, cette
veuve était venue chez Anne. Je vis aujourd'hui Joseph faire plusieurs paquets
chez Anne et aller avec la servante à Nazareth, précédant des ânes, qui étaient
au nombre de deux ou de trois.
Je ne me souviens plus en détail de tout ce que j'ai vu aujourd'hui dans la
maison de sainte Anne ; mais je dois y avoir eu de vives impressions, car j'y
avais une ardeur pour la prière dont je ne comprends peut-être plus bien la
cause. Avant d'aller chez Anne, je me trouvai en esprit prés d'un couple de
jeunes mariés qui nourrissent leur vieille mère ; tous deux sont maintenant
atteints d'une maladie mortelle, et s'ils n'en guérissent pas, leur mère sera
sans ressource. Je connais cette pauvre famille, mais je n'en ai pas entendu
parler depuis longtemps. Dans les cas désespérés, j'invoque toujours la sainte
mère de Marie ; et aujourd'hui, comme j'étais chez elle en vision, je vis dans
son jardin, malgré la saison, beaucoup de poires, de prunes et d'autres fruits
pendants aux arbres, quoiqu'ils n'eussent plus de feuilles ; je voulus les
cueillir en m'en allant, et je portai les poires aux époux malades, qui ont été
guéris par là. Il me fallut ensuite en donner à beaucoup de pauvres âmes,
connues et inconnues, qui en furent soulagées. Vraisemblablement ces fruits
signifient des grâces obtenues par l'intercession de sainte Anne. Je crains que
ces fruits n'indiquent pour moi beaucoup de douleurs et de souffrances ;
j'éprouve toujours cela lors de semblables visions où je cueille des fruits dans
les jardins des saints, car il faut toujours payer cela cher. Je ne sais pas
bien pourquoi je cueillis ces fruits dans le jardin de sainte Anne ; peut-être
ces personnes et ces âmes sont-elles sous la protection particulière de sainte
Anne, en sorte que les fruits de la grâce doivent provenir pour elles de son
jardin ; ou peut-être cela eut-il lieu parce qu'elle est particulièrement
secourable dans les circonstances désespérées, ainsi que je l'ai toujours
reconnu.
Comme on demandait à la soeur comment elle voyait le climat de la Palestine dans
cette saison, elle répondit : J'oublie toujours de le dire, parce que tout cela
me parait si naturel, qu'il me semble que tout le monde doit le savoir. Je vois
souvent de la pluie et du brouillard, quelquefois aussi un peu de neige, mais
qui fond tout de suite. Je vois souvent des arbres sans feuilles où pendent
encore des fruits. Je vois plusieurs récoltes dans l'année ; je vois déjà faire
la moisson dans la saison qui correspond à notre printemps. Dans l'hiver, je
vois les gens qui sont sur les chemins, tout enveloppés ; ils ont leurs manteaux
sur la tête.
(Le 6.) Aujourd'hui, dans l'après midi, je vis la sainte Vierge, accompagnée de
sa mère qui portait l'Enfant-Jésus, se rendre dans la maison de Joseph, à
Nazareth. Le chemin est très agréable : il a environ une demi lieue de long, et
passe entre des collines et des jardins.
Anne envoie des aliments à Joseph et à Marie dans leur maison de Nazareth.
Combien tout est touchant dans la sainte Famille ! Marie est comme une mère et
en même temps comme la servante la plus soumise du saint enfant ; elle est aussi
comme la servante de saint Joseph. Joseph est vis-à-vis d'elle comme l'ami le
plus dévoué et comme le serviteur le plus humble. Combien je suis touchée de
voir la sainte Vierge remuer et retourner le petit Jésus comme un enfant qui ne
peut s'aider lui-même ! Quand on songe que c'est le Dieu de miséricorde qui a
créé le monde, et qui, par amour, se laisse ainsi mouvoir en tous sens, combien
on est douloureusement affecté de la dureté, de la froideur et de l'égoïsme des
hommes !
LXXIII
Purification de Marie. Fête de la Chandeleur.
La fête de la Chandeleur me fut montrée dans un grand tableau difficile à
expliquer ; je raconterai comme Je le puis ce que j'ai vu passer devant mes
yeux. Je vis une fête dans cette église diaphane, planant au-dessus de, la
terre, qui me représente l'Église catholique en général, quand j'ai à
contempler, non telle église en particulier ; mais l'Eglise en tant qu'Église.
Je la vis pleine de choeurs d'anges qui entouraient la très sainte Trinité.
Comme je devais voir la seconde personne de la très sainte Trinité dans
l'Enfant-Jésus présenté et racheté au temple, lequel était pourtant présent
aussi dans la très sainte Trinité, ce fut comme dernièrement, lorsque je crus
que l'Enfant-Jésus était près de moi et me consolait pendant que je voyais en
même temps une image de la très sainte Trinité. Je vis donc près de moi
l'apparition du Verbe incarné, l'Enfant-Jésus uni à la très sainte Trinité par
une voie lumineuse. Je ne puis pas dire qu'il ne fût pas là parce qu'il était
près de moi ; je ne puis pas dire non plu. qu'il ne fût pas près de moi parce
qu'il était là, et cependant, au moment où je sentis vivement la présence de
l'Enfant-Jésus près de moi, je vis la figure sous laquelle m'était montrée la
sainte Trinité autrement que lorsqu'elle m'est présentée seulement comme l'image
de la Divinité.
Je vis paraître un autel au milieu de l'église. Ce n'était pas comme un autel de
nos jours dans nos églises actuelles, mais un autel en général. Sur cet autel,
je vis un petit arbre avec de grandes feuilles pendantes, de l'espèce de l'arbre
de la science du bien et du mal dans le Paradis. Je vis ensuite la sainte Vierge
avec l'Enfant-Jésus sur les bras sortir pour ainsi dire de terre devant l'autel,
et l'arbre qui était sur l'autel se pencher devant elle et se flétrir ; puis, je
vis un ange revêtu d'habits sacerdotaux, n'ayant qu'un anneau autour de la tête,
s'approcher de Marie. Elle lui donna l'enfant qu'il posa sur l'autel, et dans le
même instant, je vis l'enfant passer dans l'image de la sainte Trinité, qui
m'apparut cette fois dans sa forme ordinaire.
Je vis l'ange donner à la Mère de Dieu un petit globe brillant sur lequel était
une figure semblable à un enfant emmailloté, et, Marie l'ayant reçu, plana
au-dessus de l'autel. De tous les côtés, je vis venir à elle des bras portant
des flambeaux, et elle présenta tous ces flambeaux à l'enfant qui était sur le
globe, dans lequel ils entrèrent aussitôt. Je vis tous ces flambeaux former
au-dessus de Marie et de l'enfant une lumière et une splendeur qui illuminaient
tout. Marie avait un ample manteau étalé sur toute la terre. Puis tout cela
devint comme la célébration d'une fête.
Je crois que le dessèchement de l'arbre de la science lors de l'apparition de
Marie et l'absorption de l'enfant offert sur l'autel dans la sainte Trinité
devaient être une image de la réconciliation des hommes avec Dieu. C'est
pourquoi je vis toutes les lumières dispersées présentées à la Mère de Dieu, et
remises par celle-ci à l'Enfant-Jésus, lequel était la lumière qui éclaire tous
les hommes, dans lequel seul toutes les lumières dispersées redeviennent une
seule lumière qui illumine le monde entier, représenté par ce globe comme par le
globe impérial. Les lumières présentées indiquaient la bénédiction des cierges à
la fête d'aujourd'hui.
LXXIV
La fuite en Egypte. Introduction.
Le samedi, 10 février 1821, la malade était agitée par des préoccupations
touchant un logement à trouver. s'étant endormie là-dessus, elle se réveilla
bientôt toute consolée. Elle raconta qu'un ami, mort depuis peu (un bon vieux
prêtre), était venu auprès d'elle et l'avait consolée. " Oh ! disait-elle,
combien ce digne homme a d'esprit maintenant ! à présent, il sait parler. Il m'a
dit : Ne t'inquiète pas de trouver un logement ; occupe-toi seulement de
nettoyer et de parer ton intérieur où tu reçois le Seigneur Jésus quand il te
visite. Lorsque saint Joseph vint à Bethléem, il ne cherchait pas un logement
pour lui, mais pour Jésus, et il arrangea très proprement la grotte de la Crèche
".
Elle communiqua encore plusieurs réflexions profondes du même genre que lui
avait adressées cet ami, et qui toutes indiquaient un homme auquel son caractère
était sien connu. Elle raconta qu'il lui avait dit : " Lorsque l'ange enjoignit
à saint Joseph de s'enfuir en Égypte avec Jésus et Marie, il ne se préoccupa
point de trouver un logement, mais il obéit simplement et se mit en route ".
Comme l'année précédente, vers la même époque, elle avait vu quelque chose de la
fuite en Egypte, l'écrivain supposa qu'il en avait été de même cette fois, et il
lui adressa cette question : " Saint Joseph est-il donc parti aujourd'hui pour
l'Egypte " ? à quoi elle répondit très nettement. " Non ; le jour où il partit
tombe maintenant le 29 février ".
Malheureusement, l'occasion ne se présenta pas de savoir cela exactement, parce
qu'elle était alors fort malade. Elle dit une fois : " L'enfant pouvait bien
avoir un an. Je le vis, hors d'une halte, pendant le voyage, jouer au tour d'un
baumier. Ses parents le faisaient quelquefois marcher pendant un peu de temps ".
Une autre fois, elle crut voir que Jésus avait neuf mois. C'est au lecteur à
déterminer, d'après d'autres circonstances mentionnées dans le récit, et
spécialement d'après ce qui est dit de l'âge du petit Jean-Baptiste, quel devait
être l'âge de Jésus, qui paraîtrait d'après cela avoir été en effet de neuf
mois.
LXXV
Nazareth. Demeure et occupation de la sainte Famille.
(Le dimanche, 25 février)
Je vis la sainte Vierge tricoter ou faire au crochet
de petites robes. Elle avait un rouleau de laine assujetti à la hanche droite,
et dans les mains deux petits bâtons, en os, si je ne me trompe, avec de petits
crochets à l'extrémité. L'un d'eux pouvait être long d'une demi aune, l'autre
était plus court. Elle travaillait ainsi debout ou assise près de
l'Enfant-Jésus, qui était couché dans une petite corbeille.
Je vis saint Joseph tresser différents objets, comme des cloisons et des espèces
de planchers pour les chambres. avec de longues bandes d'écorces jaunes, brunes
et vertes. Il avait une provision d'objets de ce genre, placés les uns sur les
autres, dans un hangar près de la maison. J'étais touchée de compassion en
pensant qu'il ne prévoyait pas qu'il faudrait bientôt s'enfuir en Egypte. Sainte
Anne venait presque tous les jours de sa maison. située à peu près à une lieue
de là.
LXXVI
Jérusalem.
Préparatifs d'Hérode pour le massacre des enfants
(Le dimanche, 25 février.)
J'eus la vue de ce qui se passait à Jérusalem. Je vis
Hérode faire convoquer beaucoup de gens. C'était comme lorsque chez nous on
recrute des soldats. Ces hommes furent conduits dans une grande cour, et
reçurent des habits et des armes. Ils portaient au bras comme une demi lune (une
espèce de bouclier). Ils avaient des épieux et des sabres courts et larges,
semblables à des coutelas. Ils portaient des casques sur la tête, et plusieurs
avaient des bandelettes autour des jambes. Cela devait être fait en vue du
massacre des enfants. Hérode était très agité.
(Le lundi, 26 février.)
Je vis Hérode toujours dans une grande agitation. Il
était comme lorsque les rois l'interrogèrent sur le roi nouvellement né des
Juifs. Je le vis se consulter avec quelques vieux scribes. Ils apportèrent de
longs rouleaux de parchemin fixés sur des bâtons, et y lurent quelque chose. Je
vis aussi que les soldats qu'on avait habillés de neuf la veille furent envoyés
en divers endroits dans les environs de Jérusalem, et aussi à Bethléem. Je
crois que ce fut pour occuper les lieux d'où plus tard les mères devaient porter
leurs enfants à Jérusalem, sans savoir qu'ils y seraient égorgés. On voulait
empêcher que le bruit de cette cruauté ne produisit des soulèvements.
(Le mardi, 27 février.)
Je vis aujourd'hui les soldats d'Hérode, qui avaient
quitté Jérusalem la veille, arriver dans trois endroits. Ils allèrent à Hébron,
à Bethléem, et dans un troisième endroit qui se trouvait entre les deux autres,
dans la direction de la mer Morte. J'en ai oublié le nom. Les habitants, qui ne
savaient pas pourquoi ces soldats venaient chez eux, étaient quelque peu agités.
Mais Hérode était rusé ; il ne laissait rien connaître de ses desseins et
recherchait secrètement Jésus. Les soldats restèrent longtemps dans ces endroits
pour ne pas laisser échapper l'enfant né à Bethléem. Il fit égorger tous les
enfants au-dessous de deux ans.
LXXVII
Détails personnels à la narratrice.
Effets de sa prière à
l'anniversaire du massacre des Innocents.
(Le mardi, 27 février)
Ce soir, après le coucher du soleil, la malade
s'endormit, et dit au bout de quelques minutes, sans y être provoquée
extérieurement : " Dieu soit mille fois béni ! je suis venue bien à propos. Oh !
qu'il est heureux que j'aie été là ! le pauvre enfant est sauvé. J'ai tant prié,
qu'il a bien fallu qu'elle le bénît et l'embrassât. Après cela, elle ne pouvait
plus le jeter dans le marais ".
A cette explosion soudaine, l'écrivain lui demanda qui c'était, et elle répondit
: " C'est une fille séduite ; elle voulait noyer son enfant nouveau-né. Ce n'est
pas très loin d'ici. J'ai tant prié Dieu de ne laisser mourir sans baptême aucun
enfant innocent ! J'ai fait cette prière, parce que l'anniversaire du massacre
des Innocents approche. J'ai supplié le bon Dieu par le sang de ses premiers
martyrs. Oh ! il faut profiter des occasions et cueillir sur la terre les roses
qui fleurissent dans le jardin de l'Église du ciel. Dieu m'a exaucée et j'ai pu
secourir la mère et l'enfant ". Voilà ce qu'elle dit immédiatement après la
vision, ou pour mieux dire après son action en esprit. Le lendemain matin, elle
dit :
" J'ai été promptement conduite par mon guide à M.... Je vis une fille devenue
mère. Je crois que c'est en avant de M.... L'endroit me paraît être à gauche de
T...., sur la route qui mène à K... Son enfant était venu au monde derrière un
buisson, et elle s'approcha avec lui d'un marais profond sur lequel il y a
beaucoup de verdure. Elle voulait jeter 19enfant dans l'eau ; elle le portait
dans son tablier. Je vis prés d'elle une grande figure sombre dont sortait
pourtant une sorte de lumière sinistre. Je pense que c'était le malin esprit. Je
m'avançai près d'elle et priai de tout mon coeur. Je vis s'éloigner la figure
sombre. Alors elle prit son enfant, le bénit et l'embrassa. Quand elle eut fait
cela, elle n'eut plus le courage de le noyer. Elle s'assit et pleura amèrement.
Elle ne savait plus que faire. Je la consolais et lui donnai la pensée d'aller
trouver son confesseur et de lui demander son aide. Elle ne me vit pas, mais son
ange gardien le lui dit. Je crois qu'elle n'a pas ses parents dans cet endroit.
Elle parait être de la classe moyenne.
LXXVIII
Nazareth.
Vie domestique de le sainte Famille.
(Le mardi, 27 février.)
Je vis aujourd'hui sainte Anne avec sa servante aller de
sa demeure à Nazareth. La servante avait un paquet pendu au côté ; elle portait
une corbeille sur la tête et une autre à la main : c'étaient des corbeilles
rondes, dont l'une était à jour. Il y avait dedans des oiseaux. Elles portaient
des aliments à Marie, car celle-ci n'avait pas de ménage et recevait tout de
chez sainte Anne.
(Le mercredi, 28 février.)
Je vis aujourd'hui, vers le soir, sainte Anne et sa
fille aînée chez la sainte Vierge. Marie Héli avait avec elle un petit garçon
fort robuste de quatre ou cinq ans : c'était son petit-fils, le fils aîné de sa
fille, Marie de Cléophas. Joseph était allé à la maison de sainte Anne. Je me
disais : " Les femmes sont toujours les mêmes ", quand je les voyais assises
ensemble, causant familièrement, jouant avec l'Enfant-Jésus, l'embrassant et le
mettant dans les bras du petit garçon. Tout cela se passait comme de nos jours.
Marie Héli demeurait dans un petit endroit, à environ trois lieues de Nazareth,
du côté du levant. Sa maison était presque aussi bien arrangée que celle de
sainte Anne. Elle avait une cour entourée de murs. avec un puits à pompe. Quand
on mettait le pied sur un certain endroit, l'eau jaillissait en haut et tombait
dans un bassin de pierre. Son mari s'appelait Cléophas. Sa fille, Marie de
Cléophas, mariée à Alphée, demeurait à l'autre bout du village.
Le soir, je vis les femmes prier. Elles se tenaient devant une petite table
placée contre le mur, et sur laquelle était une couverture rouge et blanche. La
lampe était allumée pendant la prière. Marie était devant Anne et sa soeur près
d'elle. Elles croisaient les mains sur la poitrine, les joignaient et les
étendaient. Marie lut dans un rouleau placé devant elle. Elles récitaient leurs
prières sur un ton et un rythme qui me rappelèrent la psalmodie du choeur au
couvent.
LXXIX
Un ange avertit Joseph de s'enfuir.
Préparatifs et commencement du
voyage.
(Nuit du jeudi 1er mars au vendredi 2 mars.)
Ils sont partis ; je les ai vus se
mettre en marche. Hier, Joseph était revenu de bonne heure de la maison de
sainte Anne. Celle-ci et sa fille aînée étaient encore à Nazareth. A peine
étaient-elles allées se reposer, que l'ange avertit Joseph. Marie et
l'Enfant-Jésus avaient leur chambre à coucher à droite du foyer, sainte Anne à
gauche, la fille aînée de celle-ci entre la chambre de sa mère et celle de saint
Joseph. Ces différentes pièces étaient séparées par des cloisons en branches
d'arbre tressées ; elles étaient aussi couvertes par en haut avec un clayonnage
de même espèce ; la couche de Marie était en outre séparée du reste de la
chambre par un rideau ou une portière. l'Enfant-Jésus couchait à ses pieds sur
un tapis. Quand elle se levait, elle pouvait le prendre.
Je vis Joseph dormir dans sa chambre ; il était couché sur le côté, la tête
appuyée sur son bras. Je vis un jeune homme resplendissant s'approcher de sa
couche et lui parler. Joseph se releva, mais il était accablé de sommeil et il
se recoucha. Le jeune homme le prit alors par la main, et Joseph se réveilla
tout à fait et se leva. Le jeune homme disparut. Joseph alla allumer sa lampe à
celle qui était devant le foyer, au milieu de la maison ; il frappa à la porte
de la sainte Vierge, et demanda si elle pouvait le recevoir. Je le vis entrer et
parler à Marie, qui n'ouvrit pas le rideau placé devant elle ; puis il alla dans
l'écurie où était son âne, et entra dans une chambre où étaient divers effets.
Il arrangea tout pour le départ.
Quand Joseph eut quitté la sainte Vierge, elle se leva et s'habilla pour le
voyage ; elle alla ensuite trouver sa mère et lui fit connaître l'ordre donné
par Dieu. Alors sainte Anne se leva aussi, ainsi que Marie Héli et son fils. Ils
laissèrent l'Enfant-Jésus reposer encore. La volonté de Dieu était au-dessus de
tout pour ces saintes personnes. Quelque affliction qu'elles eussent dans le
coeur, elles disposèrent tout pour le voyage avant de se livrer à la tristesse
des adieux. Marie ne prit pas à beaucoup près tout ce qu'elle avait apporté de
Bethléem. Elles firent un paquet de médiocre grosseur avec ce que Joseph avait
préparé, et y joignirent quelques couvertures. Tout se fit avec calme et très
promptement, comme lorsqu'on vient d'être réveillé pour partir secrètement.
Marie prit alors l'enfant, et sa hâte fut si grande que je ne la vis pas le
changer de langes. Le moment des adieux était venu, et je ne puis dire à quel
point était touchante l'affliction de sainte Anne et celle de sa fille aînée.
Elles pressèrent en pleurant l'Enfant-Jésus sur leur sein ; le petit garçon
l'embrassa aussi. Sainte Anne embrassa à plusieurs reprises la sainte Vierge,
pleurant amèrement comme si elle ne devait plus la revoir. Marie Héli se Jeta
par terre et versa des larmes abondantes.
Il n'était pas encore minuit lorsqu'ils quittèrent la maison. Anne et Marie Héli
accompagnèrent la sainte Vierge pendant quelque temps ; Joseph venait derrière
avec
l'âne. On allait dans la direction de la maison de saints
Anne, seulement on la laissait un peu à droite. Marie portait devant elle
l'Enfant-Jésus, emmailloté à l'aide d'une bande d'étoffe qui était assujettie
sur ses épaules. Elle avait un long manteau qui enveloppait l'enfant et elle,
avec un grand voile carré, qui ne couvrait que le derrière de la tête et tombait
des deux côtés du visage. Elles avaient fait un peu de chemin lorsque saint
Joseph les rejoignit avec l'âne, sur lequel étaient attachées une outre pleine
d'eau et une corbeille où se trouvaient plusieurs objets, des petits pains, des
oiseaux vivants et une petite cruche. Le petit bagage des voyageurs et quelques
couvertures étaient empaquetés autour du siège placé en travers, qui avait une
planchette pour les pieds. Elles s'embrassèrent encore en pleurant, et sainte
Anne bénit la sainte Vierge ; celle-ci monta sur l'âne que Joseph conduisait, et
se mit en route.
En parlant de la douleur de sainte Anne et de Marie Héli, la soeur pleurait de
tout son coeur, et disait qu'elle n'avait pu s'empêcher de verser des larmes
pendant la nuit où elle avait vu cette scène.
LXXX
La sainte femme. quittent la maison de Joseph.
La sainte famille
arrive à Nazara avant le sabbat.
(Le vendredi, 2 mars.)
Je vis de grand matin Marie Héli aller avec le petit
garçon à la maison de sainte Anne, et envoyer son beau-père avec un serviteur à
Nazareth, après quoi elle retourna chez elle. Je vis sainte Anne ranger tout
dans la maison de Joseph et empaqueter beaucoup de choses. Le matin, il vint
deux hommes de la maison de sainte Anne : l'un d'eux ne portait sur lui qu'une
peau de mouton ; il avait des sandales grossières assujetties avec des courroies
autour des jambes ; l'autre avait un vêtement plus long. Ils aidèrent à tout
mettra en ordre dans la maison de Joseph, à empaqueter tout ce qui pouvait être
retiré et à le porter dans la maison de sainte Anne.
Je vis la sainte Famille dans la nuit de son départ traverser plusieurs endroits
et se reposer le matin sous un hangar. Vers le soir, comme ils ne pouvaient pas
aller plus loin, je les vis entrer dans un petit endroit appelé Nazara, chez des
gens qui vivaient séparés et qu'on traitait avec un certain mépris. Ce n'étaient
pas proprement des Juifs ; il y avait quelque chose de paien dans leur religion
; ils allaient adorer au temple du mont Garizim, près de Samarie, ce qui les
obligeait à faire quelques lieues par un chemin difficile et montueux. Ils
étaient assujettis à de lourdes corvées et devaient travailler comme des
esclaves au temple de Jérusalem, et faire d'autres travaux publics.
Ces gens accueillirent la sainte Famille très amicalement ; elle resta là tout
le jour suivant. Lors du retour d'Égypte, la sainte Famille visita de nouveau
ces braves gens ; et aussi, plus tard, lorsque Jésus alla au temple dans sa
douzième année, et lorsqu'il revint à Nazareth ' ; toute cette famille se fit
baptiser par saint Jean, et se réunit aux disciples de Jésus. Nazara n'est pas
très loin d'une autre ville située sur une hauteur, dont je ne puis plus bien
dire le nom ; car j'ai vu et entendu nommer bien des villes différentes dans les
environs, notamment Legio et Massaloth, entre lesquelles, si je ne me trompe, se
trouve Nazara. Je suis portée à croire que la ville dont la situation me frappa
s'appelle Legio, mais elle a encore un autre nom.
Lors du premier récit de la fuite en Egypte, elle avait oublié de mentionner le
séjour de la sainte Famille en cet endroit. Elle en parla une autre année à
l'occasion du voyage de Marie enfant eu temple. Quinze ans après la mort de la
soeur Emmerich, lorsque l'écrivain mit en ordre ce qui concernait la fuite en
Égypte, il se demanda pourquoi la sainte Famille s'était arrêtée là un jour
entier : il s'aperçut pour la première lois que le sabbat commençait le soir du
2 mars 1821, et que la sainte Fille dut célébrer là le sabbat en secret, ce dont
la soeur ne dit rien alors. Cette coïncidence témoigne en faveur de la précision
de ses visions, du moins lorsqu'elle le' raconte nettement, ce qui certainement
n'a pas toujours lieu.
LXXXI
Le térébinthe d'Abraham.
La sainte Famille se repose au bord d'une
fontaine,
près d'un baumier.
(Le dimanche, 4 mars.)
Hier, samedi, après la clôture du sabbat, la sainte
Famille quitta Nazara pendant la nuit ; je la vis, tout le dimanche et la nuit
suivante jusqu'au lundi, rester cachée près de ce grand vieux térébinthe, sous
lequel elle s'était arrêtée en allant à Bethléem, lorsque la sainte Vierge
avait tant souffert du froid. C'était le térébinthe d'Abraham, près du bois de
Moreh, à peu de distance de Sichem, de Thenat, de Siloh et d'Arumah. Les projets
d'Hérode étaient connus dans ce pays, et la sainte Famille n'y était pas en
sûreté. C'était près de cet arbre que Jacob avait enfoui les idoles de Laban.
Josué rassembla le peuple près de ce térébinthe, sous lequel il avait dressé le
tabernacle où était l'Arche d'alliance, et l'y fit renoncer aux idoles. Ce fut
aussi là qu'Abimelech, le fils de Gédéon, fut salué roi par les Sichémites.
(Le dimanche, 4 mars.)
Ce matin, de bonne heure, je vis la sainte Famille dans
une contrée fertile, se reposer près d'une petite source, à côté d'un buisson de
baume. L'Enfant-Jésus avait les pieds nus ; il était sur les genoux de la sainte
Vierge. Ces arbrisseaux de baume étaient couverts de baies rouges ; il y avait à
quelques branches des incisions d'où sortait un liquide qui était recueilli dans
de petits vases. J'étais étonnée qu'on ne les volât pas. Saint Joseph remplit de
cette liqueur les petites cruches qu'il avait avec lui. La sainte Famille mangea
des petits pains et des baies cueillies sur des arbrisseaux voisins. L'âne
buvait et paissait dans le voisinage. Je vis à leur gauche, dans le lointain,
les hauteurs sur lesquelles était Jérusalem. C'était un tableau très touchant.
LXXXII
Juttah.
Elisabeth s'enfuit dans le désert avec le petit
Jean-Baptiste.
(Le mardi, 6 mars.)
Zacharie et Elisabeth avaient appris aussi le danger qui les
menaçait. Je crois que la sainte Famille leur avait envoyé un messager sûr. Je
vis Elisabeth porter le petit Jean à un lieu très retiré dans le désert, à deux
lieues d'Hébron. Zacharie les accompagna jusqu'à un endroit où ils traversèrent
un petit cours d'eau sur une poutre. Alors Zacharie se sépara d'eux et se
dirigea vers Nazareth par le chemin que Marie avait suivi lors de sa visite à
Élisabeth. Je les vis en voyage aujourd'hui. Probablement il voulait prendre des
informations plus précises auprès de sainte Anne. Plusieurs amis de la sainte
Famille à Nazareth sont très attristés de son départ. Le petit Jean n'avait sur
lui qu'une peau d'agneau. Quoiqu'il eut à peine dix-huit mois, il pouvait déjà
courir et sauter. Il portait dès lors à la main un petit bâton blanc avec lequel
il jouait à la manière des enfants. Il ne faut pas se représenter par le mot
désert une immense étendue de pays sablonneuse et stérile, mais plutôt une
solitude avec beaucoup de rochers, de ravins et de grottes, où croissent çà et
là divers arbrisseaux produisant des baies et des fruits sauvages.
Élisabeth porta le petit Jean dans une caverne où Madeleine séjourna quelque
temps après la mort de Jésus. Je ne me souviens pas bien combien de temps
Élisabeth s'y tint cachée cette fois avec son enfant, si jeune encore ; elle y
resta probablement jusqu'au moment où la persécution d'Hérode -, parut plus à
craindre. Elle revint alors avec son fils à Juttah ; je l'ai vue s'enfuir encore
dans le désert avec le petit Jean, lorsqu'Hérode convoqua les mères qui avaient
des enfants de moins de deux ans, ce qui eut lieu près d'un an plus tard.
La narratrice avait raconté jusqu'ici, jour par jour, les scènes de la faite en
Egypte ; il y eut alors une interruption causée par la maladie ; et lorsqu'elle
reprit, plusieurs jours après, le fit de son récit, elle dit : " Je ne puis plus
désigner exactement les jours ; mais je raconterai les diverses scènes de la
fuite en Egypte à peu près dans l'ordre où je me souviens de les avoir vues ".
LXXXIII
Halte de la sainte Famille dans une grotte.
Marie montre à
l'Enfant-Jésus le petit Jean dans le lointain.
Après que la sainte Famille eut franchi quelques hauteurs dépendant de la
montagne des Oliviers, je la vis aller au delà de Bethléem, dans la direction
Hébron. A deux lieues environ du bois de Mambré, je la vis entrer dans une
grotte spacieuse, placée dans une gorge sauvage, au-dessus de laquelle se
trouvait un endroit dont le nom ressemble à Héphraim. Je crois que c'était la
sixième station de leur voyage. Je les vis arriver là accablés de fatigue et de
tristesse. Marie était très triste et pleurait. Ils souffraient toute espèce de
privations, car ils prenaient des chemins détournés, évitant toutes les villes
et les auberges publiques. Ils se reposèrent ici tout un jour. Il y eut
plusieurs grâces miraculeuses pour leur soulagement. Une source jaillit dans la
grotte, à la prière de la sainte Vierge. Une chèvre sauvage vint à eux et se
laissa traire ; un ange leur apparut aussi et les consola.
Un prophète avait souvent prié dans cette grotte. Samuel, à ce que je crois, s'y
arrêta quelquefois. David gardait près de là les troupeaux de son père. Il y
pria et y reçut des ordres apportés par un ange, par exemple, l'ordre de se
présenter au combat contre Goliath'.
Elle oublia de mentionner cette halte de la sainte Famille dans son récit
général de la fuite en Égypte ; mais elle raconta ceci dans ses communications
journalières sur la prédication de Jésus-Christ lorsqu'elle vit le Sauveur,
après son baptême, dans les environs de Bethléem, visiter avec quelques
disciples tous les endroits où sa mère s'était arrêtée avec lui. Elle vit Jésus
après son baptême par saint Jean qu'elle raconta le 28 septembre 1821, s'arrêter
dans cette glotte avec les disciples du 8 au 9 octobre, et l'entendit parler des
grâces accordées dans ce lieu, et en général des fatigues de la fuite en Égypte.
Il bénit cette grotte, et donna à entendre qu'un jour on bâtirait là une église.
Le 18 octobre, elle ajouta : Cette grotte rut appelée plus
tard le Séjour de Marie, et visitée par les pèlerins sans qu'on sut bien son
histoire. De pauvres gens en firent postérieurement leur habitation. 2 Elle
décrivit avec détails la situation de ce lieu, et, longtemps après l'écrivain
trouva, à son grand étonnement, dans le voyage à Jérusalem du franciscain
Antoine Gonzalès (Anvers, 1679, 1ère partie, p. 556) qu'à deux petites lieues
d'Hébron, dans la direction de Bethléem, il avait été dans un village appelé
Village de Marie, où elle s'était arrêtée lors de la fuite en Égypte. Il était
sur une hauteur, ajoutait-il, et il y avait encore une église avec trois arcades
et trois portes. Marie sur l'âne avec l'Enfant-Jésus, et saint Joseph, qui les
conduisait, étaient représentés sur le mur. Au bas de la montagne sur laquelle
étaient le village et l'église, il y avait une belle source appelée Source de
Marie. Tout cela s'accorde avec la description de la localité donnée par 1a
soeur. Anieux, dans le second volume de ses Mémoires (Leipsig. 1783), dit aussi
: " Entre Hébron et Bethléem, nous passâmes par le, Village de la sainte
Vierge, qu'on dit s'être reposée là lors de la fuite en Égypte ".
En quittant cette grotte, ils firent sept lieues au midi, laissant toujours la
mer Morte à leur gauche, et deux lieues au delà d'Hébron, ils entrèrent dans le
désert où se trouvait alors le petit Jean-Baptiste. Ils passèrent à une portée
de trait de la grotte où il était. Je vis la sainte Famille, fatiguée et
languissante, s'avancer dans un désert de sable. L'outre qui contenait l'eau et
les petites cruches de baume étaient vides. La sainte Vierge était triste, elle
avait soif, Jésus aussi. Ils se détournèrent un peu de la route, vers un
enfoncement ou il y avait des buissons et un peu de gazon desséché. La sainte
Vierge descendit de l'âne et s'assit par terre. Elle avait Son enfant devant
elle ; elle était triste et priait. Pendant que la sainte Vierge demandait de
l'eau, comme Agar dans le désert, mes yeux furent attirés par un incident
singulièrement touchant. La grotte dans laquelle Élisabeth avait caché le petit
saint Jean était tout près de là, au milieu de rochers élevés, et je vis le
petit Jean errer à peu de distance parmi les broussailles et les pierres. Il
semblait plein, d'un désir inquiet, comme s'il eût attendu quelque chose. Je ne
vis pas alors Élisabeth. La vue de ce petit enfant, courant d'un pas assuré dans
le désert, faisait une vive et touchante impression. De même qu'il avait
tressailli dans le sein de sa mère comme pour aller à la rencontre de son
Seigneur, il était excité cette fois par le voisinage de son rédempteur
souffrant de la soif. Il avait une peau d'agneau jetée sur les épaules et
attachée autour des reins ; il tenait à la main son petit bâton, au haut duquel
flottait une banderole d'écorce. Il sentait que Jésus passait, qu'il avait soif
; il se jeta à genoux et cria vers Dieu les bras étendus. Puis il se leva
vivement, courut, poussé par l'esprit, jusqu'à une haute paroi du rocher, et
frappa le sol avec son bâton. Il en sortit aussitôt une source abondante. Jean
courut en hâte à l'endroit où elle descendait. Il s'arrêta là et vit dans le
lointain la sainte Famille qui passait.
La sainte Vierge éleva l'Enfant-Jésus en l'air, et le tourna de ce côté en
disant : " Voilà Jean dans le désert ! " Je vis Jean tressaillir de joie près de
l'eau qui se précipitait. Il fit un signe en agitant la banderole de son bâton,
puis il s'enfuit dans la solitude.
Elle entendit le Seigneur raconter lui-même ce touchant incident, lorsqu'elle le
vit, le 26 du mois de thebet, 14 janvier de la troisième année de sa
prédication, dans la maison paternelle de saint Jean-Baptiste, près de Juttah,
en compagnie de la sainte Vierge, de Pierre, de Jean et de trois disciples du
Précurseur. Il leur adressa quelques paroles de consolation sur le meurtre de
Jean-Baptiste, qui avait eu lieu à Machérunte, le 20 de Thébet (8 janvier), lors
de la fête anniversaire de la naissance d'Hérode. On avait étendu devant eux un
tapis que Marie et Élisabeth avaient fait après la Visitation, et sur lequel
diverses sentences significatives avaient été brodées à l'aiguille. Jésus parla
beaucoup de saint Jean, et dit que le Précurseur l'avait vu deux lois des veux
du corps : une foie lors de la fuite en Egypte, et l'autre fois lors de 60n
baptême.
Le ruisseau, au bout de quelque temps, arriva au chemin que suivaient les
voyageurs. Je les vis passer outre et s'arrêter près de quelques buissons, à une
place commode, où il y avait du gazon desséché. La sainte Vierge mit pied à
terre avec l'enfant. Tous étaient pénétrés d'une joyeuse émotion. Marie s'assit
sur l'herbe. Joseph creusa, à quelque distance, un petit bassin que l'eau vint
remplir. Quand elle s'y montra tout à fait limpide, ils en burent tous. Marie
baigna l'enfant ; ils se lavèrent les mains, les pieds et je visage. Joseph
amena l'âne, qui se désaltéra, et il remplit son outre. Ils étaient pleins de
joie et de reconnaissance. Le gazon desséché s'imbiba et se redressa. Le soleil
se montra brillant ; tous étaient ranimés et silencieux. Ils firent là une halte
de deux ou trois heures.
LXXXIV
Dernière halte sur le territoire d'Hérode.
Détails personnels à la
narratrice.
La dernière halte de la sainte Famille dans les états d'Hérode fut à peu de
distance d'une ville, sur la frontière du désert, à deux lieues environ de la
mer Morte. La ville s'appelait comme Anam, Anem ou Anim. (Elle hésita entre ces
noms) ils entrèrent dans une maison isolée ; c'était une auberge à l'usage des
gens qui voyageaient dans le désert. Il y avait là des cabanes et des hangars
contre une hauteur : on trouvait alentour quelques fruits sauvages. Les
habitants me parurent être des chameliers ; ils avaient plusieurs chameaux qui
erraient dans des pâturages entourés de haies. C'étaient des gens de moeurs
assez farouches, et qui s'étaient livrés au brigandage. Cependant ils reçurent
bien la sainte Famille et lui donnèrent l'hospitalité. Dans la ville voisine, il
y avait aussi beaucoup de gens à la vie désordonnée, qui s'étaient établis là
après la guerre. Il se trouvait entre autres dans l'auberge un homme d'environ
vingt ans, qui s'appelait Ruben '.
Elle fit mention de cette auberge pour la première fois dans le récit des années
de la prédication de Jésus lorsque le Seigneur, après son baptême, le 8 octobre,
se rendit en ce lieu, venant de la vallée des bergers, convertit ce Ruben, et
guérit plusieurs malades pendant que les disciples l'attendaient dans la grotte
voisine d'Héphraim. Il enseigna aux endroits où la sainte famille s'était
reposée, et parla aux habitants de la grâce qui leur était actuellement accordée
comme d'une récompense de leur hospitalité antérieure. En allant de ce lieu à la
grotte voisine d'Héphraim, il passa près d'Hébron. Saint Jérôme et Eusèbe
parlent d'un lieu appelé Anim ou Anem, situé à neuf milles au midi d'Hébron,
dans le district de Daroma.
(Le jeudi, 8 mars.)
Je vis la sainte Famille, par une nuit étoilée, traverser un
désert sablonneux, couvert de broussailles peu élevées. Il me semblait que je
voyageais avec eux dans le solitude. Il y avait plus d'un danger, à cause d'une
quantité de serpents qui étaient cachés dans les broussailles, où ils se
tenaient roulés en cercle sous le feuillage. Ils s'approchaient en sifflant et
dressaient leurs têtes contre la sainte Famille, qui passait tranquillement tout
entourée de lumière. Je vis encore des animaux malfaisants d'une autre espèce.
Ils avaient un long corps noirâtre, avec des pieds très courts et des espèces
d'ailes sans plumes, ressemblant à de grandes nageoires. Ils passaient
rapidement comme s'ils eussent volé : il y avait dans la forme de leur tête
quelque chose qui tenait du poisson. (C'étaient peut-être des lézards volants.)
Je vis la sainte Famille arriver comme au bord d'un chemin creux ou d'une
profonde excavation dans le sol. Ils voulaient se reposer là derrière des
buissons.
J'eus peur alors pour eux. Cet endroit était effrayant, et je voulus en toute
hâte leur faire comme un rempart avec des branches entrelacées ; mais il vint à
moi une bête horrible, semblable à un ours, et je tus dans une affreuse anxiété.
Alors, un vieux prêtre de mes amis, mort depuis peu, m'apparut tout à coup sous
la forme d'un beau jeune homme ; il saisit la bête féroce par la nuque et la
jeta bien loin. Je lui demandai comment il était venu là, car il devait
certainement se trouver bien mieux là Ou il était, et il me répondit : " Je
voulais seulement te secourir, et je ne resterai pas longtemps ". Il me dit en
outre que je le reverrais '.
'Toute cette scène est une parabole on action faisant partie d'un songe. Elle
veut exercer la charité envers les voyageurs ; elle ne peut cas y réussir par
suite d'une faute, d'un acte d'impatience ou de colère : l'ours se précipite sur
elle et l'en empêche. Alors un ami décédé, auquel elle a fait du bien spirituel
et temporel, vient près d'elle, repousse l'ours, la délivre par son intercession
de la tentation de colère a laquelle elle est exposée, etc.
LXXXV
Lieu inhospitalier. Montagnes. Séjour chez des voleurs.
Guérison de
l'enfant lépreux du brigand.
La sainte Famille fit deux lieues vers l'orient en suivant la grand route
ordinaire. Le nom du dernier endroit où ils arrivèrent, entre la Judée et le
désert, était quelque chose comme Mara. Cela me fit penser au lieu d'où sainte
Anne était originaire ; mais ce n'était point lui. Les gens d'ici étaient
sauvages et inhospitaliers, et la sainte Famille ne reçut d'eux aucune aide. Ils
entrèrent ensuite dans un grand désert de sable. Il n'y avait plus de chemin ni
rien qui leur indiquât la direction à prendre, et ils ne savaient comment faire.
Après avoir un peu marché, ils gravirent devant eux une sombre chaîne de
montagnes. Ils étaient très attristés ; ils se mirent à genoux et appelèrent
Dieu à leur secours. Plusieurs grands animaux sauvages se rassemblèrent autour
d'eux ; il semblait d'abord qu'il y eût du danger ; mais ces animaux n'étaient
pas méchants. Au contraire, ils les regardèrent d'un air amical, comme me
regardait le vieux chien de mon confesseur lorsqu'il venait à moi. Je connus que
ces bêtes étaient envoyées pour leur montrer le chemin. Elles regardaient du
côté de la montagne, couraient en avant, puis revenaient, comme fait un chien
qui veut conduire quelqu'un. Je vis enfin la sainte Famille suivre ces animaux
et arriver à travers les montagnes (de Seir ?) à une contrée triste et sauvage.
Il faisait sombre ; ils cheminèrent le long d'un bois. Hors du chemin, devant le
bois, je vis une méchante cabane. A peu de distance on avait suspendu à un arbre
une lanterne qu'on pouvait voir de très loin, et qui était destinée à attirer
les voyageurs. Le chemin était très difficile et coupé ça et là par des fossés.
Il y avait aussi des fossés autour de la cabane, et sur les parties du chemin où
l'on pouvait passer, étaient tendus des fils cachés, qui correspondaient à des
sonnettes placées dans la cabane. Les voleurs qui y habitaient étaient ainsi
avertis de la présence des voyageurs et venaient les dépouiller. Cette cabane de
voleurs n'était pas toujours à la même place, elle était mobile, et ses
habitants la transportaient ailleurs, suivant les circonstances.
Quand la sainte Famille s'approcha de la lanterne, je la vis entourée du chef
des voleurs et de cinq de ses compagnons. Ils avaient d'abord de mauvaises
intentions ; mais je vis partir de l'Enfant-Jésus un rayon de lumière, qui
toucha comme un trait le coeur du chef, lequel ordonna à ses gens de ne pas
faire de mal aux saints voyageurs. La sainte Vierge vit aussi ce rayon arriver
au coeur du brigand, comme elle le raconta à la prophétesse Anne après son
retour.
Ce détail est mentionné ici parce que nous rapportons cet événement, ainsi que
beaucoup d'autres choses relatives à la fuite en Egypte, d'après les
conversations du vieil Essénien Eliud, qui accompagna Jésus lorsqu'il alla de
Nazareth au lieu où saint Jean baptisait. Il raconta que la prophétesse Anne lui
avait dit avoir appris cette circonstance de la bouche de la sainte Vierge.
Le voleur conduisit alors la sainte Famille dans sa cabane, où se trouvaient sa
femme et ses deux enfants. La nuit était venue. L'homme raconta à sa femme le
mouvement extraordinaire qui s'était produit en lui à la vue de l'enfant. Elle
accueillit la sainte Famille avec quelque timidité, quoique non sans
bienveillance. Les saints voyageurs s'assirent à terre dans un coin et se mirent
à manger quelque chose des provisions qu'ils avaient avec eux. Leurs hôtes
furent d'abord réservés et craintifs, ce qui pourtant ne paraissait pas être
dans leurs habitudes. Peu à peu ils se rapprochèrent. Il vint d'autres hommes
qui, pendant ce temps, avaient mis sous un abri l'âne de Joseph. Ces gens
s'enhardirent, se placèrent autour de la sainte Famille et s'entretinrent avec
elle. La femme offrit à Marie des petits pains avec du miel et des fruits. Elle
lui porta aussi à boire. Le feu était allumé dans une excavation pratiquée dans
un coin de la hutte. la femme disposa une place séparée pour la sainte Vierge,
et lui apporta, sur sa demande, une auge pleine d'eau pour baigner
l'Enfant-Jésus. Elle lava aussi ses langes et les fit sécher devant le feu.
Marie baigna l'Enfant-Jésus sous un drap. Le voleur était si ému qu'il dit à sa
femme : " Cet enfant juif n'est pas un enfant ordinaire ; c'est un saint enfant.
Prie la mère de nous laisser baigner notre petit garçon lépreux dans l'eau où
elle l'a lavé ; cela le guérira peut-être ". Quand la femme s'approcha de Marie,
celle-ci lui dit ? avant qu'elle n'eut parlé, de laver son enfant lépreux dans
cette eau. La femme apporta dans ses bras un petit garçon d'environ trois ans.
Il était rongé de la lèpre, et son visage n'était qu'une croûte. L'eau dans
laquelle Jésus avait été baigné paraissait plus claire qu'auparavant. Quand
l'enfant y eut été mis, les croûtes de la lèpre se détachèrent et tombèrent à
terre. Il était parfaitement guéri.
La mère était transportée de joie. Elle voulait embrasser Marie et
l'Enfant-Jésus ; mais Marie lui fit signe de n'en rien faire. Elle ne se laissa
pas toucher par elle, non plus que le petit Jésus. Elle lui dit de creuser une
citerne dans le roc et d'y verser cette eau, qui donnerait à la citerne la même
vertu. Elle s'entretint encore avec elle, et je crois que la femme promit de
quitter ce lieu à la première occasion.
Ces gens étaient tout joyeux de la guérison de leur enfant. Plusieurs de leurs
compagnons étant venus pendant la nuit, on leur montra l'enfant guéri, et on
leur raconta ce qui s'était passé. Ces nouveaux venus, parmi lesquels étaient
quelques jeunes garçons, entourèrent la sainte Famille et la regardèrent avec
étonnement. Il était d'autant plus remarquable de voir ces brigands se montrer
si respectueux envers la sainte Famille, que je les vis, pendant cette même nuit
où ils recevaient de si saints hôtes, arrêter plusieurs autres voyageurs attirés
par la lumière placée dans leur voisinage, et les conduire dans une grande
caverne placée plus bas dans le bois. Cette caverne, dont l'entrée était cachée
par des broussailles, paraissait être leur magasin. J'y vis plusieurs enfants
volés, âgés de sept à huit ans, et une vieille femme chargée de garder tout ce
qui s'y trouvait. J'y vis des vêtements, des tapis, de la viande, des chameaux,
des montons, des animaux plus grands, et toute espèce de butin. C'était un
endroit spacieux ; tout s'y trouvait en abondance.
Je vis Marie prendre un peu de sommeil pendant cette nuit ; la plupart du temps
elle resta assise sur sa couche. Ils partirent de grand matin, munis de
provisions qu'on leur avait données. Ces gens les accompagnèrent quelque temps
et les menèrent jusqu'au bon chemin, en les faisant passer près de plusieurs
fosses.
Ces voleurs prirent congé de la sainte Famille avec une grande émotion, et le
chef dit aux voyageurs, d'une façon très expressive : " Souvenez-vous de nous en
quelque lieu que vous alliez. A ces paroles, je vis tout d'un coup une scène de
crucifiement, et je vis le bon larron dire à Jésus : " Souvenez-vous de moi
quand vous serez dans votre royaume ". Je reconnus que c'était l'enfant guéri de
la lèpre. La femme du brigand renonça au bout d'un certain temps à la vie
qu'elle menait ; elle s'établit dans un endroit où la sainte Famille s'était
reposée postérieurement ; une source y avait jailli, et un jardin de baumiers y
était venu ; plusieurs honnêtes familles s'établirent dans cet endroit.
LXXXVI
Le désert. Première ville égyptienne.
Habitants malveillants.
Longueur du voyage.
Je vis la sainte Famille entrer dans un désert. Comme ils avaient perdu leur
chemin, je vis s'approcher d'eux des reptiles de diverses espèces, entre autres
des lézards rampants avec des ailes de chauve-souris, et aussi des serpents ;
ils ne cherchaient pourtant pas à leur faire du mal, et paraissaient seulement
vouloir montrer le chemin. Plus tard encore, comme ils ne savaient plus quelle
direction prendre, je vis qu'elle leur fut indiquée par un gracieux miracle. Des
deux côtés du chemin sortit de terre la plante appelée rose de Jéricho, avec ses
branches, à feuilles frisées, portant au milieu de petites fleurs. Ils
s'avancèrent pleins de joie, et virent à perte de vue s'élever des plantes
semblables ; il en fut ainsi tout le long du désert. Il fut révélé à la sainte
Vierge qu'à une époque postérieure des gens du pays viendraient cueillir ces
fleurs et les vendre aux voyageurs étrangers pour avoir du pain. Je vis qu'en
effet cela eut lieu dans la suite. Le nom de cet endroit était comme Gas ou Gose
'. Je les vis ensuite arriver à un lieu qui s'appelait, si je ne me trompe, Lepe
ou Lape. Il y avait de l'eau en cet endroit ; il s'y trouvait des fossés, des
canaux et des digues élevées. Ils traversèrent un cours d'eau à l'aide d'un
radeau formé de poutres, sur lequel se trouvaient des espèces de grandes cuves
dans lesquelles on plaçait les ânes. Deux hommes laids, basanés, à moitié nus,
avec des nez épatés et de grosses lèvres, les passèrent. Ils arrivèrent ensuite
près des maisons isolées du bourg ; les habitants étaient si grossiers et si
hautains qu'ils passaient outre sans entrer en pourparler avec eux. C'était, je
crois, la première ville paienne (égyptienne ?). Ils avaient voyagé dix jours
sur le territoire de la Judée et dix jours dans le désert.
C'était peut-être le lieu mentionné dans le livre de Josué, X, 41 ; XI, 16 ; XV,
51.
Elle veut probablement parler de Peluse ; car souvent elle
changeait les lettres de place, disant, par exemple, Lep au lieu de Pel.
Je vis ensuite la sainte Famille dans un pays de plaine appartenant au
territoire égyptien ; il y avait ça et là de vastes prairies où erraient des
troupeaux. Je vis aussi des arbres auxquels des idoles semblables à des enfants
au maillot étaient attachées par deux bandelettes ; elles étaient couvertes de
figures ou de caractères. Je vis aussi ça et là des hommes gros et trapus
habillés à la façon de ces fileurs de coton que j'avais vus près de la frontière
du pays des trois rois ; je vis ces gens aller devant les idoles et leur rendre
hommage. La sainte Famille entra dans un hangar où était du bétail qui sortit
pour lui faire place. Ils manquaient entièrement d'aliments ; ils n'avaient ni
pain ni eau. Personne ne leur donna rien. Marie pouvait à peine allaiter son
enfant. Ils eurent alors à endurer toutes les souffrances humaines. Enfin
quelques bergers vinrent faire boire leur troupeau à un puits fermé ; sur
l'instante prière de saint Joseph, ils leur donnèrent un peu d'eau.
Je vis ensuite la sainte Famille dépourvue de tout secours et toute languissante
traverser un bois à la sortie duquel était un dattier très élancé, portant à son
sommet des fruits qui formaient comme une grappe. Marie vint près de cet arbre,
tenant l'Enfant-Jésus dans ses bras ; elle fit une prière, et éleva l'enfant en
l'air ; alors l'arbre courba sa tête vers eux comme s'il se fût agenouillé, et
ils cueillirent tous ses fruits. L'arbre resta dans cette position.
Je vis toute espèce de gens du lieu précédent suivre la sainte Famille, et Marie
donner des fruits de l'arbre à plusieurs enfants nus qui couraient après elle. A
un quart de lieue environ de ce premier arbre, je les vis arriver près d'un
grand sycomore d'une grosseur extraordinaire. Il était creux, et ils s'y
cachèrent pour éviter les gens qui les suivaient et qu'ils avaient alors perdus
de vue ceux-ci passèrent outre. La sainte Famille passa là
LXXXVII
Plaine de sable. Source qui jaillit à la prière de Marie.
Origine
du jardin de baume.
Le jour suivant ils continuèrent leur route à travers des sables déserts. Ils
n'avaient pas d'eau, et ils s'assirent tout épuisés près d'un monticule de
sable. La sainte Vierge implora Dieu, et je vis une source abondante jaillir à
côté d'elle et arroser le terrain d'alentour. Joseph fit un petit bassin pour
cette source, et creusa une rigole pour l'écoulement de l'eau. Ils se reposèrent
là ; Marie lava l'Enfant-Jésus ; Joseph fit boire l'âne, et remplit son outre
d'eau. Je vis de vilaines bêtes, comme d'énormes lézards, et aussi des tortues
s'approcher pour se rafraîchir. Elles ne tirent pas de mal à la sainte Famille,
mais la regardèrent d'un air amical. L'eau qui coulait de la source faisait un
assez grand circuit, et se perdait de nouveau dans la terre à peu de distance.
La portion de terrain qu'elle arrosait fut merveilleusement bénie ; elle fut
bientôt couverte de verdure, et le précieux arbre qui produit le baume y vint en
grande quantité ; la sainte Famille, à son retour d'Egypte, put déjà y prendre
du baume. Ce lieu devint plus tard célèbre comme jardin de baume. Diverses
personnes s'y établirent : je crois que la mère de l'enfant du voleur qui avait
été guéri de la lèpre fut de ce nombre. J'ai vu plus tard des scènes qui se
passèrent dans cet endroit. Une belle clôture formée de baumiers entourait le
jardin, où se trouvaient plusieurs autres arbres fruitiers. A une époque
postérieure on creusa là un autre puits large et profond, d'où on tirait, à
l'aide d'une roue mise en mouvement par des boeufs, une grande quantité d'eau
qu'on mêlait avec celle de la source de Marie, pour arroser tout le jardin :
sans ce mélange, l'eau du nouveau puits aurait été nuisible. Il me fut montré
aussi que les boeufs qui mettaient la roue eu mouvement ne travaillaient pas
depuis le samedi à midi jusqu'au lundi matin.
LXXXVIII
Héliopolis ou On. Une idole tombe en avant de la ville.
Tumulte
qui en résulte.
Quand ils se furent restaurés en ce lieu, ils se rendirent une grande ville,
bien bâtie, mais en partie ruinée. C'était Héliopolis, qui s'appelle aussi On.
C'était là que, au temps des enfants de Jacob, habitait le prêtre égyptien
Putiphar, chez lequel demeurait Asnath, la fille qu'avait eue Dinah après son
enlèvement par les Sichémites, et que le patriarche Joseph épousa.
C'était aussi là que demeurait Denys l'Aréopagite à l'époque de la mort de Jésus
La ville avait été dévastée et dépeuplée par la guerre, et des gens de toute
espèce étaient venus ensuite s'établir dans ses édifices en ruine.
Ils passèrent, sur un pont très élevé et très long, une large rivière (le Nil),
qui me parut avoir plusieurs bras. Ils vinrent sur une place située devant la
porte de la ville et qui était entourée d'une espèce de promenade. Là se
trouvait, sur un tronçon de colonne, plus large d'en bas que d'en haut, une
grande idole à tête de boeuf, qui tenait dans ses bras quelque chose de
semblable à un enfant au maillot. Elle était entourée de pierres formant comme
des bancs ou des tables sur lesquelles les gens qui venaient de la ville, en
grand nombre, vers cette idole, déposaient leurs offrandes Non loin de là se
trouvait un très grand arbre sous lequel la sainte Famille s'assit pour se
reposer.
Ils étaient là depuis quelques instants à peine, lorsque la terre trembla, et
que l'idole chancela et tomba. Il s'ensuivit beaucoup de tumulte et de cris
parmi le peuple ; beaucoup de gens qui travaillaient à un canal dans le
voisinage accoururent. Un brave homme, qui était, je crois, un ouvrier du canal,
et qui déjà avait accompagné sainte Famille sur le chemin par où elle était
venue là, les conduisit en toute hâte vers la ville. Ils étaient déjà hors de la
place où était l'idole, lorsque le peuple les remarqua, et, leur attribuant la
chute de la statue, se précipita vers eux en furie, les injuriant et les
menaçant, mais cela ne fut pas long ; car bientôt la terre trembla, le grand
arbre s'abattit, laissant à nu ses racines, et le sol qui entourait le piédestal
de l'idole devint un bourbier d'eau noire et fangeuse dans lequel la statue
s'enfonça jusqu'aux cornes. Quelques-uns des plus méchants parmi cette foule
furieuse tombèrent aussi dans cette mare d'eau noirâtre. La sainte Famille gagna
tranquillement la ville, où elle s'établit dans un édifice massif adossé à un
grand temple d'idoles, et où se trouvaient plusieurs places vides.
LXXXIX
Héliopolis. Habitation de la sainte Famille.
Travaux de saint Joseph
et de la sainte Vierge.
La soeur Emmerich communiqua encore les fragments suivants sur la vie ultérieure
de la sainte Famille dans la ville d'Héliopolis ou d'On.
Je franchis une fois la mer pour aller en Egypte, et je trouvai encore la sainte
Famille établie dans la grande ville ruinée. Elle s'étend le long d'un grand
fleuve à plusieurs bras. On la voit de loin à cause de sa position élevée. Il y
a des parties voûtées sous lesquelles coule le fleuve. On en traverse les bras
sur des poutres placées dans l'eau pour ce but. Je vis là avec surprise de
grands restes d'édifices, des tours à demi détruites, et des temples presque
entiers. Je vis des colonnes, semblables à des tours, sur lesquelles ou pouvait
monter par l'extérieur. Je vis aussi d'autres colonnes très élevées, pointues
par en haut et couvertes d'images étranges, ainsi que beaucoup de grandes
figures semblables à des chiens accroupis avec des têtes humaines.
La sainte Famille habitait les salles d'un grand bâtiment supporté d'un côté par
de grosses colonnes peu élevées, les unes carrées, les autres rondes. Beaucoup
de gens s'étaient arrangé des habitations sous ces colonnes. En haut, au-dessus
de cet édifice, régnait un chemin par lequel on allait et venait. En face était
un grand temple d'idoles avec deux cours.
Devant un endroit fermé d'un côté par un mur, s'ouvrant de l'autre sous une
rangée de gros piliers peu élevés, Joseph avait disposé une légère construction
en bois, divisée par des cloisons en plusieurs compartiments : c'était là qu'ils
habitaient. Je les y vis tous ensemble. Je remarquai, pour la première fois,
que, derrière une de ces cloisons, ils avaient un petit autel où ils priaient :
c'était une petite table avec une couverture rouge, et une autre couverture
blanche et transparente par-dessus ; une lampe la surmontait. Je vis plus tard
saint Joseph tout à fait installé ; il travaillait souvent au dehors Il faisait
de longs bâtons avec des pommeaux ronds à l'extrémité, de petits escabeaux à
trois pieds et des corbeilles. Il fabriquait aussi des cloisons légères en
branches entrelacées. Les gens du pays y ajoutaient un certain enduit, et s'en
servaient pour disposer des cabanes à compartiments contre les murs et même dans
ces murs, qui étaient d'une épaisseur extraordinaire. Il faisait aussi, avec des
planches longues et minces, de petites tours légères, à six ou huit pans, se
terminant en pointe, et surmontées d'un bouton. Il y avait une ouverture, en
sorte qu'une personne pouvait s'y asseoir comme dans une guérite. Des degrés
étaient pratiqués à l'extérieur pour monter jusqu'en haut. Je vis de petites
tours semblables devant les temples des idoles, et aussi sur des toits plats. On
s'asseyait dedans. C'étaient peut-être des espèces de corps de garde ou des
abris contre le soleil.
Je vis la sainte Vierge tresser des tapis. Je la vis aussi s'occuper d'un autre
travail pour lequel elle se servait d'un bâton à l'extrémité duquel était un
pommeau ; je ne sais pas si elle filait ou faisait quelque autre ouvrage. Je vis
souvent des gens la visiter, ainsi que l'Enfant-Jésus, qui était près d'elle par
terre dans une espèce de petit berceau. Je vis plusieurs fois ce berceau placé
sur une espèce de tréteau comme ceux des scieurs. Je vis l'enfant gracieusement
couché dans ce berceau ; je l'y vis une fois sur son séant. Marie était assise à
coté et tricotait. Il y avait une petite corbeille près d'elle. Trois femmes se
trouvaient là.
Les hommes qui habitaient cette ville en ruine étaient vêtus comme ces fileurs
de coton que je vis lorsque j'allai à la rencontre des trois rois ; seulement
ils portaient des espèces de tabliers ou plutôt des robes courtes autour du
corps. Il y avait là peu de Juifs. Je les voyais roder avec précaution, comme
s'ils n'avaient pas eu la permission d'habiter dans cet endroit.
Au nord d'Héliopolis, entre cette ville et le Nil, qui se divisait en plusieurs
bras, se trouvait le pays de Gessen. Il y avait là un lieu où demeuraient entre
deux canaux un assez grand nombre de Juifs, fort dégénérés en ce qui touchait la
pratique de leur religion. Plusieurs d'entre eux avaient fait connaissance avec
la sainte Famille ; Marie faisait pour eux des ouvrages de femme, au moyen
desquels elle se procurait du pain et d'autres aliments. Les Juifs de la terre
de Gessen avaient un temple qu'ils mettaient en parallèle avec celui de Salomon,
mais il était fort différent.
Je vis la sainte Famille à Héliopolis. Ils habitaient encore près du temple
d'idoles, dans l'édifice dont j'ai parlé Joseph avait construit, assez près de
là, un oratoire où les Juifs qui habitaient cet endroit se réunissaient avec
eux. Auparavant, ils n'avaient pas de lieu pour prier en commun. Cet oratoire
était surmonté d'une coupole légère qu'on pouvait ouvrir, et alors on se
trouvait comme en plein air. Au milieu se trouvait une table ou un autel sur
lequel étaient posés des rouleaux écrits. Le prêtre ou le docteur était un homme
très avancé en âge. Les femmes étaient d'un côté, les hommes de l'autre.
Je vis la sainte Vierge La première fois qu'elle vint dans cet oratoire avec
l'Enfant-Jésus. Elle était assise par terre, appuyée sur un bras. Elle avait
devant elle l'enfant, vêtu d'une robe bleu de ciel, et elle joignait ses petites
mains sur sa poitrine. Joseph se tenait derrière elle, comme il faisait
toujours, quoique les autres, hommes et femmes, fussent assis ou debout, les uns
d'un côté, les autres de l'autre.
L'Enfant-Jésus me fut aussi montré quand il était plus grand et qu'il recevait
souvent la visite d'autres enfants. Il pouvait déjà parler et courir ; il était
habituellement près de saint Joseph, et allait souvent avec lui lorsqu'il
travaillait au dehors. Il avait une petite robe, semblable à une petite chemise
tricotée ou faite d'un seul morceau.
Comme ils habitaient dans le voisinage d'un temple, quelques-unes des idoles qui
s'y trouvaient étaient tombées en morceaux ; beaucoup de gens se souvenant de la
chute de l'idole qui avait eu lieu devant la porte lors de leur entrée,
attribuèrent cela à la colère des dieux contre eux, et ils eurent beaucoup de
persécutions à souffrir à cause de cela.
XC
Sur le massacre des Innocents par Hérode.
Jésus étant à peu près au milieu de sa seconde année, un ange apparut à la
sainte Vierge, à Héliopolis, et lui apprit le massacre des enfants par Hérode.
Joseph et elle en furent très affligés, et l'Enfant-Jésus pleura toute la
journée. Voici ce que je vis à cette occasion.
Les trois rois n'étant pas revenus à Jérusalem, les craintes d'Hérode, qui avait
alors diverses affaires de famille à régler, se calmèrent un peu ; mais elles se
réveillèrent de nouveau lorsqu'après le retour de la sainte Famille à Nazareth,
mille bruits arrivèrent jusqu'à lui touchant les prédictions faites par Siméon
et par Anne lors de la présentation de Jésus au temple. Il envoya des soldats,
sous divers prétextes, en différents lieux des environs de Jérusalem, à Gilgal,
à Bethléem, et jusqu'à Hébron, et il fit faire un dénombrement des enfants. Les
soldats occupèrent ces endroits pendant neuf mois. Hérode, pendant ce temps,
était à Rome ', et ce ne fut qu'après son retour que les enfants furent égorgés.
Jean avait alors deux ans, et il avait été caché chez ses parents pendant
quelque temps, avant qu'Hérode ait donné l'ordre aux mères de présenter devant
les autorités leurs enfant. Agés de deux ans et au-dessous. Élisabeth, avertie
par un ange, s'enfuit de nouveau dans le désert avec le petit saint Jean. Jésus
avait alors prés d'un an et demi et pouvait déjà courir.
Les enfants furent égorgés en sept endroits différents. On promit aux mères des
gratifications à cause de leur fécondité. Elles portèrent leurs enfants,
qu'elles avaient revêtus de leurs plus beaux habits dans les maisons où se
tenaient les autorités. Les hommes furent renvoyés et les mères séparées de
leurs enfants. Ceux-ci furent égorgés par des soldats dans des cours fermées,
jetés en tes enterrés dans des fosses.
La soeur Emmerich raconta sa vision sur le massacre des Innocents, le 8 mars
1821, par conséquent, vers le moment de l'année où eut lieu la fuite en Egypte,
en sorte qu'on : peut admettre que cet événement eut lieu un an après.
Elle raconta ceci étant gravement malade : elle mentionna divers événements
arrivés dans la famille d'Hérode et divers voyages, mais d'une manière très peu
intelligible. Elle ne mentionna clairement que le séjour d'Hérode à Rome.
L'écrivain lisant quinze ans après l'histoire d'Hérode le Grand dans l'historien
Josèphe, n'y trouva rien qui indiquait un voyage d'Hérode à cette époque, et il
ne sait pus d'où peut venir cette erreur. Peut-être voulait-elle dire :
Antipater, fils d'Hérode, avait été à Rome. et ce ne fut qu'après son retour
qu'eut lieu le massacre des enfants.
Aujourd'hui, vers midi, dit-elle, je vis les mères avec leurs enfants de deux
ans et au-dessous, venir à Jérusalem d'Hébron, de Bethléem et d'un autre
endroit où Hérode avait envoyé des soldats et fait donner des ordres en
conséquence par ses fonctionnaires Elles se rendirent à la ville en différentes
troupes. Plusieurs avaient deux enfants avec elles, et étaient montées sur des
ânes. On les conduisit toutes dans un grand bâtiment, et on renvoya les hommes
qui les accompagnaient. Elles entrèrent gaiement , car elles croyaient recevoir
des gratifications pour leur fécondité.
L'édifice était un peu isolé ; il n'était pas loin de celui qui fut plus tard la
demeure de Pilate. Il était entouré de murs, de manière qu'on ne pouvait pas
facilement savoir au dehors ce qui se passait dans l'intérieur. Ce devait être
un tribunal, car je vis dans la cour des piliers et des blocs de pierres où
pendaient des chaînes ; il y avait aussi des arbres qu'on courbait et qu'on
liait ensemble pour y attacher des hommes. puis on les laissait se redresser
rapidement pour écarteler ces malheureux. C'était un édifice massif et sombre.
La cour était presque aussi grande que le cimetière, qui est À un des côtés de
l'église principale de Dulmen. Une porte, qui s'ouvrait entre deux murs,
conduisait à cette cour, qui était entourée de bâtiments de trois côtés. Ceux de
droite et de gauche avaient un étage; celui du centre ressemblait à une vieille
synagogue abandonnée. Ces bâtiments avaient tous des portes sur la cour.
On conduisit les mères, à travers la cour, aux deux bâtiments latéraux ! et on
les y enferma. Elles me firent l'effet d'être dans une espèce d'hôpital ou
d'auberge. Quand elles se virent privées de leur liberté. elles eurent peur et
commencèrent à pleurer et à se lamenter. Elles restèrent ainsi toute la nuit.
Le jour suivant`, 9 mars, elle raconta ce qui suit : J'ai vu aujourd'hui, après
midi, un tableau effrayant. Je vis dans la maison de Justice le massacre des
Innocents. Le grand édifice de derrière qui fermait la cour était élevé de deux
étages. L'étage inférieur consistait en une grande salle nue, semblable à une
prison ou à un grand corps de garde ; au-dessus, était une pièce dont les
fenêtres avaient vue sur la cour. Je vis là plusieurs personnages rassemblés
comme en tribunal ; il y avait devant eux des rouleaux posés sur une table. Je
crois qu'Hérode était présent, car je vis un homme en manteau rouge avec une
fourrure blanche ; il y avait sur cette fourrure de petites queues noires. Je le
vis, entouré des autres, regarder par la fenêtre de la salle.
Les mères, avec leurs enfants, étaient appelées une à une pour être conduites
des bâtiments latéraux dans la grande salle inférieure du corps de logis qui
était sur le derrière. A l'entrée, les soldats leur enlevaient leurs enfants et
les portaient dans la cour, où une vingtaine d'entre eux les massacraient en
leur perçant la gorge et le coeur avec des épées et des piques. Il y avait des
enfants au maillot que leurs mères allaitaient encore, et d'autres, un peu plus
grands, avec de petites robes. Ils ne les déshabillaient pas, mais ils les
égorgeaient, et, les prenant par le bras ou par le pied, ils les jetaient en
tas. C'était un horrible spectacle.
Les mères furent entassées par les soldats dans la grande salle ; et, quand
elles virent ce qu'on faisait de leurs enfants, elles poussèrent des cris
lamentables, s'arrachèrent les cheveux et se jetèrent dans les bras les unes des
autres. A la fin, elles étaient si serrées, qu'elles pouvaient à peine se
remuer. Je crois que le massacre dura jusqu'au soir.
Les enfants furent, plus tard, jetés tous ensemble dans une fosse creusée dans
la cour Leur nombre me fut montré, mais je ne m'en souviens pas bien. Je crois
qu'il y en avait sept cents, plus un chiffre où se trouvait sept ou dix-sept.
Je fus terrifiée à cette vue ; je ne savais pas où cela avait lieu, je croyais
que c'était ici. Quand je me réveillais, je ne pus me remettre que peu à peu. Je
vis, dans la nuit suivante, les mères chargées de liens et reconduites chez
elles par les soldats. Le lieu du massacre des enfants à Jérusalem était
l'ancienne cour des exécutions, située à peu de distance du tribunal de Pilate ;
mais des changements y avaient été faits à son époque. Je vis, à la mort de
Jésus, s'ouvrir la fosse où avaient été jetés les enfants égorgés ; leurs âmes
apparurent et sortirent de là.
XCI
Saint Jean réfugié de nouveau dans le désert.
Lorsque Élisabeth, avertie par un ange avant le massacre des Innocents, se
réfugia de nouveau dans le désert avec le petit Jean, je vis ce qui suit à cette
occasion.
Élisabeth chercha longtemps avant de trouver une grotte qui lui parût assez sûre
et assez cachée ; mais quand elle l'eut trouvée, elle y resta environ quarante
jours avec l'enfant. Quand elle revint chez elle, un Essénien de la communauté
du mont Horeb, vint dans le désert ; il portait des aliments à l'enfant et
l'aidait dans tout ce qui lui était nécessaire. Cet Essénien, dont j'ai oublié
le nom, était parent de la prophétesse Anne. Il vint d'abord toutes les
semaines, puis tous les quinze jours, jusqu'à ce que Jean n'eût plus besoin de
son secours. Ce moment ne tarda pas beaucoup ; car, de très bonne heure,
l'enfant se trouva mieux dans le désert que parmi les humains. Il était destiné
par Dieu à y croître dans son innocence, sans contact avec les hommes et leurs
péchés. Comme Jésus, il n'alla jamais à l'école : ce fut le Saint Esprit qui
l'instruisit. Je vis souvent près de lui une lumière ou des figures lumineuses,
comme des anges. Le désert qu'il habitait n'était pas dévasté et stérile ; il y
venait parmi les rochers beaucoup d'herbes et d'arbrisseaux portant des baies de
diverses sortes ; il y avait aussi des fraises que Jean cueillait et mangeait.
Il avait une familiarité extraordinaire avec les bêtes, surtout avec les
oiseaux. Ils volaient à lui et se posaient sur ses épaules ; il leur parlait ;
ils semblaient le comprendre et lui servaient pour ainsi dire de messagers. Il
allait aussi le long des ruisseaux, et les poissons, eux-mêmes, se
familiarisaient avec lui ; ils s'approchaient quand il les appelait et le
suivaient tant qu'il marchait au bord de l'eau.
Je le vis s'éloigner beaucoup de sa patrie, peut-être cause du danger qui le
menaçait. Les animaux l'avaient en telle amitié, qu'ils le servaient et
l'avertissaient. Ils le conduisaient à leurs repaires ou à leurs nids ; et,
quand les hommes s'approchaient, il s'enfuyait dans leurs lieux de refuge. Il se
nourrissait de fruits sauvages, d'herbes et de racines. Il n'avait pas longtemps
à chercher pour cela ; car, s'il ne savait pas l'endroit où on en trouvait, les
bêtes le lui indiquaient. Il portait toujours sa peau d'agneau et son petit
bâton, et s'enfonçait toujours plus avant dans le désert. Quelquefois, pourtant,
il se rapprochait de sa patrie. Deux fois il eut une entrevue avec ses parents,
qui désiraient toujours vivement sa présence. Ils devaient savoir quelque chose
les uns sur les autres par révélation ; car, quand Élisabeth ou Zacharie
voulaient voir Jean, il ne manquait jamais de venir à leur rencontre de très
loin.
XCII
Voyage de la sainte Famille à Mataréa.
Sur les Juifs de la terre de Gessen.
Après un séjour d'à peu près dix-huit mois, Jésus ayant environ deux ans, la
sainte Famille quitta Héliopolis par suite du manque d'ouvrage et de beaucoup de
persécutions. Ils se dirigèrent au midi, vers Memphis. Comme ils passaient par
une petite ville peu éloignée d'Héliopolis, et qu'ils se reposaient dans le
vestibule d'un temple d'idole, l'idole tomba et se brisa. Elle avait une tête de
boeuf, avec trois cornes ; plusieurs ouvertures étaient pratiquées dans le corps
pour placer et brûler les offrandes. Il s'ensuivit un grand tumulte parmi les
prêtres idolâtres, qui arrêtèrent la sainte Famille et la menacèrent, Mais l'un
d'entre eux représenta aux autres qu'il valait mieux se recommander au Dieu de
ces gens ; il rappela les fléaux qui avaient frappé leurs ancêtres lorsqu'ils
avaient persécuté le peuple auquel ceux-ci appartenaient, notamment la mort des
premiers-nés de chaque famille dans la nuit qui avait précédé la sortie de ce
peuple. Sur ces observations, on laissa aller la sainte Famille sans lui faire
de mal.
Ils allèrent jusqu'à Troya, endroit situé sur la rive orientale du Nil,
vis-à-vis Memphis. C'était un bourg considérable, où il y avait beaucoup de
boue. Ils avaient l'idée de rester là, mais on ne les reçut nulle part ; on
refusa même de leur donner de l'eau à boire et quelques dattes qu'ils
demandaient. Memphis était située sur l'autre rive du Nil. Le fleuve était large
en cet endroit, et il y avait quelques îles. Une partie de la ville était aussi
de ce côté du Nil. Il s'y trouvait, du temps de Pharaon, un grand palais avec
des jardins et une haute tour, sur laquelle montait souvent la fille de Pharaon.
Je vis aussi la place où Moise, enfant, avait été trouvé parmi de grands
roseaux. Memphis formait comme trois villes des deux côtés du Nil ; et il
semblait que Babylone, une ville placée sur la rive orientale plus en aval du
fleuve, en fit aussi partie. Du reste, à l'époque de Pharaon, la contrée du Nil
entre Héliopolis, Babylone et Memphis, était tellement couverte de hautes digues
de pierres, de canaux et d'édifices voisins les uns des autres, que tout cet
ensemble ne paraissait faire qu'une seule ville. Au temps de la sainte Famille,
il y avait des séparations et de grands intervalles déserts.
Ils revinrent au nord, en descendant le cours du fleuve, dans la direction de
Babylone, qui était dépeuplée, mal bâtie et fangeuse. Ils la contournèrent,
passèrent entre le Nil et la ville, et firent un peu de chemin dans la direction
opposée à celle qu'ils avaient d'abord prise.
Ils firent environ deux lieues le long du Nil La route était bordée ça et là de
bâtisses en ruine. Il leur fallut traverser encore un canal et un petit bras du
fleuve, et ils arrivèrent à un endroit dont j'ai oublié le nom ancien, mais qui,
plus tard, s'appela Mataréa. Il était voisin d'Héliopolis. Cet endroit, situé
sur une langue de terre . en sorte que l'eau le bordait de deux côtés, était
assez dépeuple ; les habitations y étaient très dispersées et mal bâties ; elles
étaient faites avec du bois de dattier et du limon desséché, et couvertes en
roseaux. Joseph y trouva de l'ouvrage. Il bâtit des maisons plus solides en
branches entrelacées, et construisit au-dessus des galeries où l'on pouvait se
promener.
Ils se logèrent là sous une voûte sombre, dans un lieu solitaire, à peu de
distance de la porte par laquelle ils étaient entrés. Joseph disposa, en outre,
une construction légère en avant de cette voûte. Ici aussi, une idole, qui était
dans un petit temple, tomba à leur arrivée, et, plus tard, toutes les idoles de
l'endroit. Ce fut encore un prêtre qui calma le peuple en rappelant le souvenir
des plaies d'Egypte. Plus tard, quand une petite communauté de Juifs et de
paiens convertis se fut rassemblée autour d'eux, les prêtres leur abandonnèrent
le petit temple dont l'idole était tombée à leur entrée, et saint Joseph en fit
une synagogue. Il devint comme le père de la communauté et leur apprit à chanter
régulièrement les psaumes, car ils avaient oublié en grande partie le culte de
leurs pères.
Il y avait là quelques Juifs très pauvres, vivant dans des fosses et des trous
creusés dans la terre. Dans le village juif, situé entre On et le Nil,
demeuraient, au contraire, beaucoup d'Israélites qui avaient un temple à eux,
mais ils étaient tombés dans l'idolâtrie ; ils avaient un veau d'or, use figure
avec une tête de boeuf, et, alentour, de petites figures d'animaux ressemblant à
des putois, avec de petits baldaquins au-dessus. Ce sont des animaux qui
défendent l'homme contre les crocodiles (les ichneumons).
Ils avaient aussi une imitation de l'Arche d'alliance, dans laquelle étaient
d'affreuses choses. Ils pratiquaient un culte abominable, qu'ils exerçaient en
se livrant à toutes sortes d'impuretés dans un passage souterrain, croyant
amener par là la venue du Messie. Ils étaient très endurcis, et ne voulaient pas
se corriger. Plus tard plusieurs d'entre eux vinrent ici de cet endroit, qui
était éloigné de deux lieues au plus. Ils ne pouvaient pas venir directement, à
cause des canaux et des chaussées, mais il leur fallait faire un détour autour
d'Héliopolis.
Ces Juifs, du pays de Gessen, avaient déjà fait connaissance avec la sainte
Famille, lorsqu'elle était à On, et Marie faisait pour eux toutes sortes
d'ouvrages de femme, comme du tricot et des broderies. Elle ne voulait pas faire
des choses inutiles et des objets de luxe, mais seulement des choses d'un usage
habituel et des habits qu'on mettait pour prier. Je vis des femmes lui commander
des ornements à la mode, pour satisfaire leur vanité ; Marie alors les refusait,
quelque besoin qu'elle eût d'avoir de l'ouvrage. Je vis aussi ces femmes lui
dire des injures.
XCIII
Mataréa. Pauvreté du lieu.
Oratoire de la sainte Famille.
Au commencement, leur position à Mataréa fut pénible il n'y avait là ni bois, ni
eau potable ; les habitants brûlaient de l'herbe desséchée ou des roseaux. La
sainte Famille ne mangeait, la plupart du temps, que des aliments froids. Joseph
trouva du travail ; il mit les cabanes en meilleur état. Les gens du pays le
traitaient presque comme un esclave ; ils lui donnaient ce qu'ils voulaient ;
quelquefois, il recevait un salaire pour son travail, quelquefois il ne recevait
rien. Les habitants étaient très peu industrieux dans la construction de leurs
cabanes. Il n'y avait pas de bois en cet endroit ; je vis bien ça et là des
souches, mais ils n'avaient pas d'instruments pour les façonner. La plupart
n'avaient que des couteaux de pierre ou d'os. Ils extrayaient de la tourbe.
Joseph avait apporté les plus indispensables de ses outils.
La sainte Famille s'installa bientôt assez bien. Joseph divisa son habitation en
compartiments à l'aide de cloisons en clayonnage ; il disposa un foyer et
fabriqua des escabeaux et de petites tables. Les gens du lieu prenaient leurs
repas par terre.
Ils vécurent là plusieurs années, et j'ai vu des scènes des différentes années
de la vie de l'Enfant-Jésus. Je vis l'endroit où il dormait. Dans le mur de la
voûte où Marie prenait son repos, Joseph avait pratiqué une cavité où était la
couche de Jésus. Marie dormait à côté, et je l'ai vue souvent la nuit prier à
genoux devant la couche de l'enfant. Joseph dormait dans un autre endroit.
Je vis aussi un oratoire disposé par saint Joseph dans l'habitation. Il était
dans un couloir séparé. Joseph et la sainte Vierge y avaient leurs places
distinctes ; il y avait aussi pour l'Enfant-Jésus un petit coin où il priait
debout, assis ou agenouillé. La sainte Vierge avait une espèce de petit autel
devant lequel elle priait : c'était une petite table couverte en blanc et en
rouge ; on la tirait comme d'un compartiment pratiqué dans le mur et qui pouvait
se fermer. Il y avait dans l'enfoncement du mur une espèce de reliquaire. Je vis
de petits bouquets dans des vases en forme de calice. J'y vis le bout du bâton
de Joseph avec la fleur qui l'avait fait désigner dans le temple comme époux de
Marie. Outre cela, Je vis une autre relique, mais je ne puis bien préciser ce
c'était.
XCIV
Elisabeth conduit pour la troisième fois
le petit saint Jean dans le
désert.
Pendant le séjour de la sainte Famille en Egypte, le petit Jean était revenu
secrètement à Juttah, chez ses parents ; car je le vis encore conduit dans le
désert par Elisabeth, lorsqu'il avait quatre ou cinq ans. Zacharie n'était pas
présent lorsqu'ils quittèrent la maison. Je crois qu'il était parti d'avance
pour ne pas voir les adieux ; car il aimait Jean au delà de toute expression ;
il lui avait pourtant donné sa bénédiction, car il bénissait toujours Élisabeth
et Jean avant de se mettre en route.
Le petit Jean avait une peau de mouton qui, partant de l'épaule gauche, lui
tombait sur la poitrine et les reins et se rattachait sur le côté droit.
L'enfant n'avait d'autre vêtement que cette peau. Il avait des cheveux bruns,
plus foncés que ceux de Jésus, et tenait encore à la main le petit bâton blanc
qu'il avait pris avec lui en quittant la maison, et que je lui vis toujours
porter dans le désert. Je le vis ainsi pendant que sa mère le tenait par la
main. C'était une femme âgée, de grande taille, à l'allure prompte ; elle avait
une petite tête et une figure agréable. Souvent il courait en avant. Il avait
toute la naïveté de son âge sans en avoir la légèreté.
Ils se dirigèrent d'abord vers le nord, ayant un cours d'eau à leur droite ; je
les vis ensuite traverser une petite rivière. Il n'y avait pas de pont ; ils
passèrent sur un radeau formé de poutres qui se trouvait là. Élisabeth, qui
était une femme très décidée, le dirigeait à l'aide d'une branche d'arbre. Au
delà de cette rivière, ils se dirigèrent plus au levant et entrèrent dans une
gorge de rochers qui était nue et aride par en haut, mais dont le fond était
couvert de buissons avec des fruits sauvages et des fraises, dont l'enfant
cueillait et mangeait de temps en temps. Quand ils eurent cheminé quelque temps
dans ce défilé, Élisabeth dit adieu à l'enfant ; elle le bénit, le serra contre
son coeur, l'embrassa sur les deux joues et sur le front, et revint sur ses pas.
Plusieurs fois elle se retourna et le regarda en pleurant. Quant à lui, il était
sans inquiétude et marchait d'un pas assuré, s'enfonçant de plus en plus dans le
défilé.
J'étais très malade pendant ces visions, et Dieu me fit la grâce d'assister à
tout ce qui se passait comme si j'eusse été un enfant. Je croyais être une
petite fille du même âge que Jean, et je m'inquiétais de le voir s'éloigner
autant de sa mère. Je craignais qu'il ne pût plus retrouver la maison paternelle
; mais je fus rassurée par une voix qui me dit : " Sois sans inquiétude ;
l'enfant sait très bien ce qu'il fait ". Il me sembla que j'entrais dans le
désert seule avec lui, comme avec un compagnon des jeux de mon enfance, et je
vis à plusieurs reprises ce qui lui arrivait. Jean, lui-même, me raconta
plusieurs détails sur sa vie dans le désert, par exemple, comment il s'y faisait
violence et mortifiait ses sens de toutes les façons, comment il y devenait de
plus en plus éclairé, et comment il était instruit de tout ce qui l'intéressait
d'une manière extraordinaire.
Tout cela ne me surprenait pas, car déjà, dans mon enfance, lorsque je gardais
notre vache, j'avais vécu intimement avec saint Jean dans le désert. Souvent,
lorsque je désirais le voir, et que je m'écriais au milieu des buissons : "
Petit saint Jean, viens me trouver avec ton bâton et ta peau sur les épaules !
", le petit saint Jean venait à moi avec son bâton et sa peau d'agneau ; nous
jouions comme des enfants ; il me racontait et m'enseignait toute sorte de
bonnes choses. Je n'étais pas étonnée non plus qu'il apprît tant de choses des
animaux et des plantes dans le désert, car, moi aussi, pendant mon enfance,
lorsque j'étais dans les bois, dans les pâturages et dans les champs, lorsque je
cueillais des épis, que j'arrachais du gazon ou que je ramassais des herbes,
j'étudiais comme un livre chaque feuille, chaque fleur ; tous les animaux qui
passaient, tout ce qui m'entourait était pour moi une source d'enseignement.
Toutes les formes, toutes les couleurs, et jusqu'à la configuration des feuilles
me faisaient venir des pensées profondes, que les gens auxquels je les
communiquais écoutaient avec étonnement, mais dont ils riaient la plupart du
temps ; ce qui finit par m'habituer à garder le silence sur tout cela, car je
pensais et je pense encore souvent qu'il en arrive autant à tous les hommes, et
qu'on n'apprend mieux nulle part que dans cet alphabet que Dieu lui-même a
écrit.
Lorsque dans mes contemplations postérieures je suivis de nouveau le petit saint
Jean dans le désert, je vis, comme je l'avais fait antérieurement, toutes ses
allures et ses actions. Je le vis jouer avec des fleurs et des animaux; les
oiseaux surtout étaient singulièrement familiers avec lui. Ils venaient se poser
sur sa tête quand il marchait ou qu'il priait à genoux ; souvent il plaçait son
bâton en travers sur des branches : alors les oiseaux de toutes couleurs
venaient à son appel et se posaient sur son bâton à la suite les uns des autres.
Il les regardait et leur parlait familièrement comme s'il leur eût fait l'école.
Je le vis aussi suivre d'autres animaux dans leurs gîtes, leur donner à manger
et les considérer attentivement.
XCV
Hérode fait mourir Zacharie en prison.
Elisabeth se retire dans le désert prés de saint Jean, et y meurt.
Jean était âgé de six ans, Zacharie alla une fois au temple avec des victimes
pour le sacrifice, et Elisabeth profita de son absence pour visiter son fils
dans le désert. Zacharie n'y était jamais allé le voir, afin que, si Hérode
l'interrogeait sur le séjour de son fils, il put répondre sans manquer à la
vérité qu'il ne le connaissait pas. Mais pour satisfaire sa grande tendresse
pour Jean et son ardent désir de le voir, celui-ci, plus d'une fois, vint en
grand secret pendant la nuit dans la maison de ses parents et s'y arrêta quelque
temps. Vraisemblablement son ange gardien l'y conduisait quand cela devait être
et qu'il n'y avait pas de danger. Je le vis toujours guidé et protégé par des
puissances célestes, et j'aperçus souvent près de lui des figures lumineuses qui
paraissaient être des anges.
Jean était prédestiné à vivre dans la solitude, sépare du monde et privé des
secours humains ordinaires pour y être élevé et instruit par l'esprit de Dieu,
c'est pourquoi la Providence divine avait disposé les choses pour que des
circonstances extérieures aussi le conduisissent forcément au désert. Il y était
poussé d'un autre côté par son penchant naturel irrésistible ; car, dès sa plus
tendre enfance, je le vis toujours solitaire et méditatif. L'Enfant-Jésus ayant
été emmené en Egypte sur un avertissement divin, son précurseur Jean fut de son
côté caché dans le désert. Lui aussi était menacé, car on avait beaucoup parlé
de lui dans le pays dès les premiers instants de sa vie ; les merveilles de sa
naissance étaient connues ; on disait l'avoir vu souvent entouré de lumière, en
sorte qu'Hérode en voulait particulièrement à sa vie.
Plusieurs fois déjà Hérode avait fait interroger Zacharie sur le séjour de Jean,
mais il n'avait pas jusqu'alors mis la main sur lui. Cependant, cette fois,
comme Zacharie allait au temple, il fut assailli et fort maltraité par les
soldats d'Hérode qui le guettaient devant la porte de Jérusalem appelée porte de
Bethléem, dans un chemin creux où l'on ne pouvait pas voir encore la ville ;
ils le traînèrent dans une prison située sur le flanc de la montagne de Sion,
près d'un endroit où, plus tard, je vis souvent passer les disciples de Jésus se
rendant au temple. Le vieillard y souffrit beaucoup de mauvais traitements ; on
le mit même à la torture pour lui faire avouer où était son fils, et, comme on
ne put pas y réussir, on le mit à mort sur l'ordre d'Hérode.
Plus tard, ses amis enterrèrent son corps à peu de distance du temple. Ce
n'était pas lui qui était le Zacharie tué entre le temple et l'autel, que je vis
sortir des murs du temple, près de l'oratoire du vieux Siméon, quand 'es morts
apparurent, lors de la mort de Jésus-Christ. Son tombeau, qui était dans le mur,
s'écroula, ainsi que plusieurs autres tombeaux cachés dans le temple. Ce
Zacharie fut tué entre le temple et l'autel, à l'occasion d'une lutte sur la
lignée du Messie ainsi que sur certains droits que quelques familles
prétendaient avoir dans le même temple et sur les places qu'elles y occupaient.
Ainsi, par exemple, toutes les familles ne pouvaient pas faire élever leurs
enfants dans le temple. Je me souviens à cette occasion que j'ai vu un petit
garçon, de famille royale, à ce que je crois, confié dans le temple aux soins de
la prophétesse Anne. Zacharie seul périt dans cette lutte Son père s'appelait
Barachias'. Je vis aussi qu'on retrouva plus tard les ossements de ne Zacharie.
mais j'ai oublié les détails.
Elisabeth revint du désert à Juttah pour y attendre le retour de son mari. Jean
l'accompagna une partie du chemin. Elle le bénit et le baisa sur le front, après
quoi il retourna dans le désert. Elisabeth trouva chez elle la triste nouvelle
du meurtre de Zacharie. Sa douleur fut si grande qu'elle ne put pas l'apaiser.
Alors elle alla se réunir à Jean dans le désert, et elle y mourut peu de temps
avant que la sainte Famille ne revint d'Egypte. L'Essénien du mont Horeb qui
assistait le petit saint Jean, l'ensevelit dans le désert.
Jean s'y enfonça davantage, s'éloignant de plus en plus de la
maison paternelle. Il quitta le défilé de rochers pour un pays plus ouvert, et
je le vis arriver près d'un petit lac. Il y avait là beaucoup de sable blanc ;
la rive était plate, et je le vis s'avancer assez loin dans l'eau, pendant que
les poissons nageaient sans crainte autour de lui. Il demeura longtemps dans cet
endroit, et je le vis s'y faire dans les broussailles une cabane de branches
entrelacées, où il passait la nuit. Elle était très basse et tout juste assez
grande pour qu'il pût s'y coucher pour dormir. Là et ailleurs, je vis souvent
près de lui des figures lumineuses d'anges avec lesquels il conversait
humblement, mais sans crainte et avec une piété naive. Ils semblaient
l'instruire et lui faire remarquer différentes choses Je vis aussi une petite
traverse à son bâton, qui avait ainsi la forme d'une croix. Il y avait attaché
une bandelette d'écorce semblable à une petite flamme : elle flottait au vent,
et il jouait avec.
Lorsque la soeur parla du meurtre de ce Zacharie entre le temple et l'autel, et
de la querelle qui y donna lieu, elle luttait contre le sommeil extatique, et
elle ne s'exprima pas très clairement sur ce point.
La maison paternelle de Jean à Juttah était alors habitée par une fille de la
soeur d'Elisabeth. C'était une maison bien ordonnée. Jean, devenu plus grand, y
vint encore une fois en secret ; puis il retourna dans le désert jusqu'au moment
où il parut parmi les hommes.
A Mataréa aussi, où les habitants n'avaient d'autre eau que l'eau trouble du
Nil, Marie, en priant, trouva une fontaine. Ils souffrirent d'abord de grandes
privations, n'ayant que des fruits à manger et de mauvaise eau à boire. Il y
avait longtemps qu'ils n'avaient eu de bonne eau, et Joseph voulait aller avec
ses outils et son âne en chercher dans le désert. À la fontaine du Jardin de
baume, lorsque la sainte Vierge, étant en prière, vit un ange qui lui dit
qu'elle trouverait une source derrière sa demeure. Je la vis aller de l'autre
côté du mur où était son habitation, jusqu'à un espace libre placé plus bas,
parmi des décombres où se trouvait un vieil arbre très gros. Elle avait à la
main un bâton au bout duquel était une petite pelle, comme en portent souvent
dans ce pays les gens qui voyagent.
Elle courut toute joyeuse appeler Joseph, qui découvrit en creusant qu'il y
avait eu là autrefois une fontaine avec un revêtement en maçonnerie, et qu'elle
n'était que bouchée et encombrée. Il la dégagea et la restaura à merveille. Il y
avait prés de cette fontaine, du côté par où Marie était venue, une grande
pierre assez semblable à un autel, et je crois bien qu'en effet ç'avait été
autrefois un autel, mais j'ai oublié ce qui s'y rapportait.
Ce fut là que la sainte Vierge lava et fit sécher au soleil les vêtements et les
linges de l'Enfant-Jésus. Cette fontaine resta inconnue et fut exclusivement à
l'usage de la sainte Famille jusqu'au temps où Jésus fut assez grand pour rendre
divers petits services, comme de puiser de l'eau pour sa mère. Je le vis une
fois amener d'autres enfants à la fontaine, et leur donner à boire dans le creux
d'une grande feuille. Les enfants ayant raconté cela à leurs parents, d'autres
personnes, vinrent à la source, qui pourtant resta principalement à l'usage des
Juifs.
Un jour que Marie priait à genoux sur la route où elle habitait, je vis Jésus se
glisser jusqu'à la fontaine avec une outre, et y puiser de l'eau ; c'était la
première fois. Marie fut profondément émue lorsqu'elle le vit revenir, et,
toujours agenouillée, elle le pria de ne plus faire cela, pour ne pas courir le
risque de tomber dans l'eau. Jésus lui dit qu'il prendrait garde, mais qu'il
désirait puiser de l'eau pour elle toutes les fois qu'elle en aurait besoin.
Le petit Jésus rendait à ses parents des services de toute espèce, et il se
montrait très attentif et très soigneux. Ainsi je le voyais, quand Joseph ne
travaillait pas trop loin de la maison, lui porter l'outil qu'il pouvait avoir
oublié. Il faisait attention à tout. Je crois que la joie qu'il leur donnait
compensait, et bien au delà, tout ce qu'ils avaient à souffrir. Je vis aussi
plus d'une fois Jésus aller au village des Juifs, qui était bien à un mille de
Mataréa, chercher le pain qu'on donnait à sa mère en échange de son travail. Les
vilaines bêtes qui se rencontrent fréquemment dans ce pays ne lui faisaient pas
de mal et se montraient familières avec lui. Je le vis jouer avec des serpents.
La première fois qu'il alla seul au village des Juifs (je ne sais plus bien si
c'était dans sa cinquième ou dans sa septième année), il portait une petite robe
brune bordée de fleurs jaunes que la sainte Vierge lui avait faite. Je vis qu'il
s'agenouilla pour prier sur le chemin, et que deux anges lui apparurent et lui
annoncèrent la mort d'Hérode. Il ne le dit pas à ses parents ; je ne sais si ce
fut par humilité, ou parce que les anges lui dirent de n'en rien faire, ou bien
encore parce qu'il savait qu'ils ne devaient pas encore quitter l'Égypte. Je le
vis une autre fois aller au village en question avec d'autres enfants juifs, et,
lorsqu'il revint à la maison, pleurer amèrement sur l'état de dégradation où
étaient tombés les Israélites qui habitaient ce lieu.
XCVI
La fontaine de Mataréa. Job y avait habité avant Abraham.
Détails sur
ce patriarche.
La fontaine de Mataréa ne devait pas son origine à la sainte Vierge ; elle avait
seulement jailli de nouveau. Elle était cachée sous les décombres et revêtue de
maçonnerie à l'intérieur. Je vis que Job avait été en Egypte avant Abraham, et
avait habité en ce lieu. Il avait trouvé la fontaine et sacrifié sur la grosse
pierre qui était là. Job était le plus jeune de treize frères. Son père était un
grand chef de tribu à l'époque où fut bâtie la tour de Babel. Ce père de Job
avait un frère duquel descendait la famille d'Abraham. Les descendants de ces
deux frères se mariaient le plus souvent entre eux. La première femme de Job
était de la race de Phaleg ; lorsqu'après plusieurs aventures il alla habiter sa
troisième demeure, il avait épousé trois autres femmes de la famille de Phaleg.
L'une d'elles lui donna un fils, dont la fille se maria encore dans la famille
de Phaleg, et mit au monde la mère d'Abraham. Job était donc le bisaïeul de la
mère d'Abraham.
Le père de Job s'appelait Joctan il était fils d'Héber et habitait au nord de la
mer Caspienne, auprès d'une chaîne de montagnes, où il fait chaud sur l'un des
versants, tandis que l'autre côté est froid et couvert de glace. Il y avait des
éléphants dans ce pays. L'endroit où Job alla d'abord, et où il s'établit avec
sa famille, n'aurait pas convenu aux éléphants ; c'était une contrée très
marécageuse. Ce pays était situé au nord d'une chaîne de montagnes située entre
deux mers, dont la plus occidentale était aussi, avant le déluge, une haute
chaîne de montagnes ', où habitaient de mauvais esprits qui possédaient les
hommes.
Il est remarquable que, dans une autre occasion, elle raconta qu'à la Place de
la mer Noire il y avait eu, avant le déluge, une haute chaîne de montagnes
hantée par de mauvais esprits. Comme elle avait dit cela une autre fois de la
mer Noire, il est vraisemblable que par la chaîne de montagnes derrière laquelle
était le premier séjour de Job elle désignait le Caucase, qui est entre la mer
Noire et la mer Caspienne.
Il y avait là une contrée stérile et marécageuse ; je crois qu'elle est habitée
maintenant par un peuple qui a de petits yeux, le nez épaté et les pommettes
saillantes. Ce fut là que Job subit sa première épreuve. Il alla ensuite plus au
midi, vers le Caucase, et commença un nouvel établissement De là Job fit un
voyage en Egypte, où dominaient alors des rois étrangers, appartenant à des
peuples pasteurs venus de son pays. L'un d'eux était de la contrée de Job,
l'autre venait du pays le plus éloigné habité par les trois rois. Ils n'étaient
maîtres que d'une partie de l'Égypte, et furent chassés plus tard par un roi
égyptien. Il y avait une grande quantité de ces pasteurs réunis devant une ville
où ils s'étaient établis.
Le roi de ces pasteurs, compatriotes de Job, désirait, pour son fils, une femme
de la race voisine du Caucase dont il était issu, et Job, accompagné d'un
nombreux cortège, conduisit en Égypte cette fiancée royale, qui était sa
parente. Il avait avec lui trente chameaux, de nombreux présents et une grande
quantité de serviteurs. Il était encore jeune ; c'était un grand homme avec un
teint d'un brun jaunâtre, mais agréable, et des cheveux tirant sur le roux. Les
habitants de l'Egypte étaient d'un brun sale. Ce pays n'était pas encore très
peuplé ; il y avait seulement ça et la de grandes populations agglomérées. On
n'y voyait pas encore non plus tous ces grands édifices, qu'on ne commença à
construire qu'à l'époque des enfants d'Israel.
Le roi rendit de grands honneurs à Job et ne voulut pas le laisser partir. Il
désirait beaucoup qu'il vînt s'établit là avec toute sa tribu. Il 1ui assigna
pour séjour la ville où demeura plus tard la sainte Famille, et qui était alors
toute différente. Il resta cinq ans en Egypte. Je vis qu'il avait habité à
l'endroit même où habita dans la suite la sainte Famille, et que la fontaine
dont il a été question lui fut montrée par Dieu. Il sacrifia aussi sur la grosse
pierre dont j'ai parlé.
Job était un gentil, mais c'était un homme juste. Il connaissait le vrai Dieu et
l'adorait comme son créateur, en contemplant la nature, les astres et la
lumière. Il aimait à s'entretenir avec Dieu de ses oeuvres merveilleuses. Il
n'adorait pas d'affreuses images d'animaux comme le faisaient les peuples
d'alors. Il avait imaginé une représentation du vrai Dieu : c'était une petite
figure humaine, avec des rayons autour de la tête, et aussi avec des ailes, à ce
que je crois. Elle avait les mains jointes sur la poitrine et portant un globe,
au-dessus duquel était figuré un navire voguant sur les flots. C'était peut-être
une représentation du déluge. Dans l'exercice de son culte, il brûlait des
grains devant cette image. De petites figures du même genre furent introduites
plus tard en Égypte, elles étaient assises comme dans une chaire surmontée d'une
espèce de dais.
Job trouva dans cette ville un abominable culte, lequel se rattachait aux
superstitions idolâtriques qui avaient présidé à la construction de la tour de
Babel. Les habitants avaient une idole avec une tête de boeuf, très large,
terminée en pointe et comme relevée en l'air ; sa bouche était ouverte et ses
cornes tournées en bas. Cette idole était creuse ; on allumait du feu dans
l'intérieur, et on mettait des enfants vivants entre ses bras brûlants. Je vis
tirer quelque chose des ouvertures pratiquées dans le corps.
Les gens de ce pays étaient très cruels ; la contrée était pleine d'affreux
animaux. On voyait voler en grandes troupes des bêtes noires dont il semblait
sortir du feu. Elles empoisonnaient tout, et les arbres sur lesquels elles
s'étaient posées se desséchaient. Je vis aussi des animaux qui avaient les
pattes de derrière très longues et celles de devant plus courtes, comme les
taupes ; ils pouvaient sauter d'un toit sur un autre. Il y avait aussi
d'horribles bêtes qui se glissaient entre les pierres et dans trous ; elles
enlaçaient les hommes et les étouffaient.
Dans le Nil, je vis un énorme animal avec d'affreuses dents et de gros pieds
noirs ; il était de la taille d'un cheval, et avait aussi quelque chose du
cochon. Je vis encore d'autres affreux animaux Mais le peuple était encore plus
abominable, et Job, que j'avais vu délivrer son pays des bêtes malfaisantes par
ses prières, avait une telle aversion pour ces hommes impies, qu'il éclatait
souvent en plaintes contre ceux qui l'accompagnaient ; il aimait mieux vivre
avec ces méchants animaux qu'avec les habitants du pays.
Je le voyais souvent aussi se tourner vers l'Orient, et jeter des regards pleins
de désirs vers sa patrie, qui était au midi du pays le plus éloigné habité par
les trois rois. Il vit des figures prophétiques de l'arrivée des enfants
d'Israël en Egypte et en général du salut du genre humain, ainsi que des
épreuves qui lui étaient réservées il ne se laissa pas persuader de rester dans
ce pays, et au bout de cinq ans il quitta l'Egypte avec sa suite.
Dans l'intervalle des rudes épreuves qu'il eut à subir, il eut d'abord neuf ans,
puis sept ans, puis encore douze ans de repos. Ces paroles du livre de Job " Et
comme le messager de malheur parlait encore ", sont équivalentes à celles-ci : "
Ce malheur qu'il avait eu était encore dans la bouche du peuple lorsque le
suivant le frappa ". Il subit ses épreuves dans trois pays différents. La
dernière, qui fut suivie du rétablissement de sa prospérité, lui arriva
lorsqu'il vivait dans un pays de plaines, situé à l'orient de Jéricho. Ce pays
produisait de l'encens et de la myrrhe ; il y avait aussi une mine d'or et on y
travaillait les métaux.
Dans une autre occasion, je vis encore beaucoup de choses relativement à Job. Je
ne dirai maintenant que ce qui suit. Deux serviteurs affidés, qui étaient comme
des intendants, recueillirent de sa bouche son histoire et ses entretiens avec
Dieu ils s'appelaient Haï et Uis ou Ois. 1
L'écrivain entendit dire, en 1835, que le père de la race arménienne s'appelait
ainsi.
Cette histoire fut religieusement conservée par ses descendants. Elle fut
transmise de génération en génération jusqu'à Abraham et à ses fils. On la
faisait servir à l'instruction de la jeunesse. Elle vint en Égypte avec les
enfants d'Israël. Moise en fit comme un abrégé pour consoler les Israélites sous
l'oppression des Egyptiens et pendant leur séjour dans le désert. Elle était
auparavant beaucoup plus longue, et il y avait bien des choses qu'ils n'auraient
pas comprises. Salomon la remania à son tour, et elle devint ainsi un livre de
piété, rempli de la sagesse de Job, de Moise et de Salomon. Il était difficile
d'y retrouver l'histoire véritable de Job, car on y introduisit des noms de
lieux et de peuples plus voisins de la terre de Chanaan. On crut que Job était
un Iduméen, parce que le pays où il avait vécu en dernier lieu fut, longtemps
après sa mort, habité par les descendants d'Esau ou Edom. Job pouvait vivre
encore à l'époque de la naissance d'Abraham.
XCVII
La fontaine de Mataréa. Séjour que fit Abraham en ce lieu.
Détails sur
la fontaine jusque dans les temps chrétiens.
Abraham, lors de son séjour en Egypte, planta aussi ses tentes près de cette
fontaine, et je l'y vis instruire le peuple'.
Flav. Josephus, lib. I, Anthquitat. Iud., et d'autres écrivains, disent
qu'Abraham enseigna aux Egyptiens l'arithmétique et l'astronomie.
Il résida là plusieurs années avec Sara et plusieurs fils et filles dont les
mères étaient restées en Chaldée. Son frère Loth fut aussi dans ce pays avec sa
famille. Je ne sais plus quel était le lieu de leur résidence. Abraham alla en
Egypte par l'ordre de Dieu, la première fois à cause d'une grande famine dans la
terre de Chanaan, et la seconde fois pour y recouvrer un trésor de famille
qu'une nièce de la mère de Sara y avait porté. Cette femme appartenait à la
tribu des peuples pasteurs qui étaient de la même race que Job et qui avaient
dominé précédemment sur une partie de l'Égypte ; elle était venue chez eux comme
servante et elle avait ensuite épousé un Egyptien. Il sortit d'elle une tribu
dont j'ai oublié le nom. Une de ses filles était Agar, la mère d'Ismael, qui
était par conséquent de la même race que Sara.
La soeur, dans une autre occasion, dit à propos d'Agar : " Elle était de la race
de Sara, et celle-ci, étant stérile, la donna pour femme a Abraham, et dit
qu'eue voulait revivre en elle, qu'elle voulait avoir par elle de la postérité.
Elle se considérait comme ne faisant qu'un avec toutes les femmes de son sang ;
c'était pour elle comme une souche féminine qui avait plusieurs rejetons. Agar
était un vaisseau, une fleur de sa souche, et elle espérait avoir par elle un
fruit de sa lignée. Tout était alors comme une seule tige sur Laquelle une même
sève produisait les fleurs.
Cette femme avait enlevé un trésor de famille, comme Rachel déroba plus tard les
dieux de Laban, et elle l'avait vendu en Egypte pour une grosse somme d'argent.
Il était ainsi venu en la possession du roi et des prêtres du pays. C'était un
registre généalogique des enfants de Noé, et en particulier des descendants de
Sem jusqu'à l'époque d'Abraham, formé de pièces d'or triangulaires attachées
ensemble. C'était fait comme une balance avec ses cordons. Les plaques
triangulaires étaient enfilées ensemble avec d'autres qui indiquaient les
branches latérales. Sur les plaques étaient gravés les noms des membres de la
famille, et toutes ses séries, partant du milieu d'un couvercle, se réunissaient
dans le plateau de la balance quand on abaissait le couvercle par-dessus. La
balance se fermait ainsi comme une boite. Les plaques principales étaient
épaisses et jaunes ; celles qui étaient dans les intervalles étaient minces et
blanches ; elles semblaient être d'argent. J'ai aussi entendu dire combien tout
cela pesait de sicles ; ce qui indiquait une certaine somme. Les prêtres
d'Egypte avaient rattaché divers calculs à cet arbre généalogique ; mais leurs
éternelles supputations n'étaient pas conformes à la vérité.
Quand Abraham vint dans le pays, ils apprirent quelque chose sur lui par leurs
observateurs des astres et leurs magiciennes ; ils surent notamment qu'il était
d'une très noble souche, ainsi que sa femme, et que d'eux devait sortir une
postérité élue. Dans leurs divinations, ils cherchaient toujours à connaître les
lignées les plus nobles, afin de s'allier avec elles par des mariages. Satan y
introduisait par là la cruauté et la débauche, afin de dégrader les races pures.
Abraham, qui craignait que les Egyptiens ne le fissent mourir à cause de la
beauté de sa femme, l'avait fait passer pour sa soeur, et ce n'était pas un
mensonge, car elle était sa soeur consanguine, étant fille de son père Tharé,
qui l'avait eue d'une autre mère (Genes., XX, 12). Le roi fit amener Sara dans
sa résidence, et il voulut la prendre pour femme. Tous deux furent très affligés
; ils prièrent Dieu de les secourir, et Dieu punit le roi. Toutes ses épouses et
la plupart des femmes de la ville tombèrent malades. Le roi effrayé en rechercha
la cause, et, ayant appris que Sara était l'épouse d'Abraham, il la lui rendit,
en le priant de quitter l'Egypte aussitôt que possible, car il avait reconnu que
les dieux les protégeaient.
Les Égyptiens étaient un peuple très singulier. D'une part, ils étaient très
orgueilleux et se regardaient comme les plus grands et les plus sages des hommes
; mais, d'un autre côté, ils étaient incroyablement lâches et rampants, et ils
cédaient promptement quand ils craignaient de rencontrer une force supérieure à
la leur. Cela venait de ce qu'ils n'étaient pas très assurés de leur science, et
qu'ils ne connaissaient la plupart des choses que par des divinations obscures
et équivoques, par lesquelles pouvaient leur être annoncées toutes sortes de
résultats compliqués et contradictoires. Comme ils voyaient le merveilleux
partout, ils s'effrayaient promptement lorsque l'événement ne répondait pas à
leur attente.
Abraham s'était présenté très humblement au roi pour lui demander du blé. Il
s'était adressé à lui comme à un père des peuples, et il avait gagné par là ses
bonnes grâces, en sorte que celui-ci lui fit beaucoup de présents. Quand il lui
rendit Sara et le pria de quitter le pays, Abraham répondit qu'il ne le pouvait
pas avant d'avoir recouvré cet arbre généalogique qui lui appartenait, et
raconta de quelle manière il avait été porté en Égypte. Le roi assembla alors
les prêtres, et ils consentirent à rendre à Abraham ce qui lui appartenait, mais
ils le prièrent de leur en laisser prendre copie, ce qui eut lieu en effet.
Alors Abraham s'en retourna avec sa suite dans le pays de Chanaan.
J'ai vu encore beaucoup de choses relatives à la fontaine de Mataréa jusqu'à
notre époque. Je ne me souviens que de ce qui suit : Déjà à l'époque de la
sainte Famille, les lépreux faisaient usage de son eau comme ayant une vertu
particulière. Dans un temps très postérieur, lorsque déjà on avait élevé sur
l'habitation de Marie une petite église chrétienne, avec une entrée près du
maître autel pour descendre dans le caveau où avait longtemps demeuré la sainte
Famille, je vis la fontaine entourée d'habitations, et son eau employée comme
remède contre différentes espèces de lèpre. Je vis aussi des gens qui s'y
baignaient pour être délivrés de certaines maladies de peau. Cela avait encore
lieu lorsque les Mahométans furent maîtres du pays. Je vis aussi les Turcs
entretenir une lampe toujours allumée dans l'église qui avait servi de demeure à
Marie. Ils craignaient qu'il ne leur arrivât malheur s'ils négligeaient de
l'entretenir. Dans les temps modernes, Je vis la source dans la solitude et à
une assez grande distance des habitations. Il n'y avait plus de ville en cet
endroit, et divers fruits sauvages croissaient alentour.
XCVIII
Retour d'Egypte. Un ange avertit Joseph de quitter ce pays.
Départ de la sainte Famille. Séjour de trois mois à Gaza.
Je vis la sainte Famille quitter l'Egypte. Hérode était mort depuis assez
longtemps ; mais ils ne pouvaient encore revenir parce qu'il y avait toujours du
danger. Le séjour de l'Egypte devenait de plus en plus pénible pour saint
Joseph. Les gens du pays pratiquaient un horrible culte idolâtrique : ils
sacrifiaient des enfants mal venus, et ceux qui en sacrifiaient de bien
conformés croyaient faire preuve d'une grande piété. Ils avaient en outre un
culte secret plein d'impuretés ; les Juifs mêmes du pays étaient infectés de ces
abominations. Ils avaient un temple qu'ils disaient être comme celui de Salomon
; mais c'était une vanterie ridicule, car il était tout différent. Ils avaient
une imitation de l'Arche d'alliance, dans laquelle étaient des figures obscènes,
et ils se livraient à de détestables pratiques. Ils ne chantaient plus de
psaumes. Joseph avait établi un ordre parfait dans l'école de Mataréa. Le prêtre
égyptien qui, lors de la chute des idoles dans la petite ville voisine
d'Héliopolis, avait parlé en faveur de la sainte Famille, était venu là avec
plusieurs personnes et s'était réuni à la communauté juive.
Je vis saint Joseph occupé de son travail de charpentier. Lorsque vint l'heure
où il devait le cesser, il parut très triste, car on ne lui donnait pas son
salaire, et il n'avait rien à rapporter à la maison, où l'on souffrait pourtant
de grandes privations. Accablé de soucis, il s'agenouilla en plein air, exposa à
Dieu sa détresse et le pria de venir à son secours. Je vis la nuit suivante un
ange lui apparaître en songe et lui dire que ceux qui en voulaient à la vie de
l'enfant étaient morts, qu'il devait se lever et faire ses dispositions pour
revenir dans sa patrie par la route la plus fréquentée. Il l'exhortait à ne rien
craindre parce qu'il serait à ses côtés. Je vis saint Joseph faire connaître cet
ordre de Dieu à la sainte Vierge et à l'Enfant-Jésus. Ils obéirent aussitôt et
firent leurs préparatifs de voyage avec la même promptitude qu'ils les avaient
faits lorsqu'ils avaient reçu l'ordre de s'enfuir en Egypte.
Le lendemain matin, quand on connut leur projet, beaucoup de gens, très
attristés de leur départ, vinrent prendre congé d'eux et leur apportèrent des
présents de toute espèce dans de petits vases d'écorce. Ces gens étaient
sincèrement affligés : il y avait parmi eux quelques Juifs, mais la plupart
étaient des païens convertis. Les Israélites établis dans ce pays étaient, pour
la plupart, tellement tombes dans l'idolâtrie, qu'ils n'étaient presque plus
reconnaissables. Il y avait aussi des hommes qui voyaient avec joie le départ de
la sainte Famille, car ils les regardaient comme des magiciens, qui avaient à
leur service les plus puissants d'entre les mauvais esprits.
Je vis parmi les braves gens qui leur portaient des pré0ents des mères avec
leurs enfants qui avaient été les compagnons de Jésus, et spécialement une femme
de distinction de cette ville, ayant avec elle un petit garçon, qu'elle avait
coutume d'appeler le fils de Marie ; car cette femme avait longtemps désiré en
vain d'avoir des enfants, et c'était à la prière de la sainte Vierge que Dieu
lui avait accordé ce petit garçon. Elle s'appelait Mira et son fils Déodatus. Je
la vis donner de l'argent à l'Enfant-Jésus. C'étaient de petites pièces
triangulaires, jaunes, blanches et brunes. Jésus, en les recevant, regarda sa
mère.
Quand Joseph eut chargé sur l'âne leurs effets les plus nécessaires, ils se
mirent en route accompagnés de ces amis. C'était le même âne que Marie avait
monté en allant à Bethléem. Pour la fuite en Égypte, ils avaient emmené en
outre une ânesse ; mais Joseph l'avait vendue dans un moment de détresse.
Ils passèrent entre Héliopolis et le village juif, et se détournèrent un peu au
midi, vers la source qui avait jailli à la prière de Marie avant leur première
arrivée à Héliopolis ou On. Tout, dans ce lieu, s'était recouvert d'une belle
verdure. Le ruisseau coulait autour d'un jardin carré, bordé de baumiers. Ce
lieu, où il y avait une entrée, était à peu prés grand comme est ici le manège
du duc 1. Il était plein de jeunes arbres fruitiers, de dattiers, de sycomores,
etc.
1
– Elle voulait parler du duc de Croy, seigneur de Dulmen.
Les baumiers étaient à peu près grands comme des ceps de vigne de moyenne
taille. Joseph avait fait de petits vases d'écorce d'arbre. Ils étaient enduits
de poix à certaines places, du reste bien polis et d'une forme élégante. Il
faisait souvent, dans les haltes du voyage, de semblables vases destinés à
différents usages. Il arracha aux petites branches rougeâtres des baumiers leurs
feuilles semblables à des feuilles de trèfle ; il y suspendit de ces petits
vases d'écorce pour recueillir le baume qui en découlait, et ils l'emportèrent
avec eux pour le voyage. Ceux qui les avaient accompagnés leur firent des adieux
touchants. Pour eux, ils s'arrêtèrent là quelques heures. La sainte Vierge lava
et fit sécher quelques effets. Ils se reposèrent au bord de l'eau et remplirent
leur outre ; puis ils continuèrent leur voyage par la route la plus fréquentée.
Je les vis plusieurs fois pendant ce voyage, où ils ne coururent aucun danger.
L'Enfant-Jésus, Marie et Joseph avaient sur la tête, pour se garantir du soleil,
une large pièce d'écorce très mince, assujettie sous le menton avec un linge.
Jésus avait sa petite robe brune et des chaussures d'écorce que Joseph lui avait
fabriquées : elles couvraient les pieds à moitié. Marie n'avait que des
sandales. Je les vis souvent inquiets parce que l'Enfant Jésus avait peine à
marcher dans le sable brûlant. Je les vis plusieurs fois s'arrêter et ôter le
sable de ses chaussures. Ils le faisaient fréquemment monter sur l'âne pour le
soulager.
Je les vis traverser plusieurs villes et passer près de quelques autres. Les
noms m'ont échappé ; je me souviens pourtant du nom de Ramessès. Ils
traversèrent un cours d'eau qu'ils avaient déjà traversé en venant. Il allait de
la mer Rouge au Nil.
Joseph ne voulait pas revenir à Nazareth, mais s'établir à
Bethléem, sa patrie
; cependant il était indécis, parce qu'il avait appris dans la terre promise que
la Judée était gouvernée par Archélaus, qui était aussi très cruel.
Je vis que la sainte Famille, arrivée à Gaza, y séjourna trois mois. Beaucoup de
paiens habitaient cette ville. Un ange lui apparut de nouveau en songe, et lui
ordonna de retourner à Nazareth, ce qu'il fit aussitôt. Anne vivait encore. Elle
connaissait le séjour de la sainte Famille, ainsi que quelques-uns de ses
parents.
Le retour d'Égypte eut lieu en septembre. Jésus était âgé de huit ans moins
trois semaines.
MORT DE LA SAINTE VIERGE
(Les communications suivantes, qui eurent lieu en diverses années, presque
toujours au milieu d'août avant la fête de l'assomption ont été rangées ici dans
leur ordre naturel.)
En novembre 1890, les Pères Lazaristes de la résidence de
Smyrne eurent l'idée de faire des recherches dans les environs d'Ephèse en
s'aidant des indices topographiques de cet ouvrage et furent assez heureux pour
finir par découvrir cette Maison de la Sainte Vierge dont les détails
concordaient avec la description de C. Emmerich.
Un procès-verbal de l'archevêque de Smyrne Mgr. Timoni et
les relations d'explorateurs très compétents comme le Père Eschbach, supérieur
du séminaire français de Rome ont atteste l'identité frappante du lieu et des
ruines confirmée par les traditions locales que de temps immémorial appelaient
cette maison Panaghia Capouli ou Porte de la Vierge. (Note de l'éditeur.)
I
Sur l'âge de Marie.
Elle va avec saint Jean à Ephèse.
Description du pays.
Le 13 août 1822, la soeur dit : " J'ai eu cette nuit une vision relative à la
mort de la sainte Vierge, mais j'ai presque tout oublié ". Comme on lui
demandait quel âge pouvait avoir alors la sainte Vierge. elle jeta tout à coup
un regard de côté et dit : " Elle est arrivée à l'âge de soixante-quatre ans
moins vingt-trois jours. J'ai vu six fois près de moi la lettre X, puis 1, puis
Y ; cela ne fait il pas soixante-quatre ? Après l'ascension de Notre Seigneur
Jésus-Christ, Marie vécut trois ans à Sion, trois ans à Béthanie et neuf ans à
Ephèse, où Jean l'avait conduite peu après que les Juifs eurent exposé sur la
mer Lazare et ses soeurs.
Il est digne de remarque que jamais un nombre ne lui était présenté avec les
chiffres arabes ordinaires, qui, seuls, lui étaient familiers, mais que, dans
toutes ses visions concernant l'Eglise romaine, elle ne voyait que des chiffres
romains.
En juillet 1822 à ,l'occasion de l'apôtre saint Jacques le Majeur, qui, en
partant pour l'Espagne, avait visité Marie à Éphèse, elle dit que saint Jean
conduisit Marie dans cette ville ; c'était au commencement de la quatrième année
après l'Ascension autant qu'elle sen souvenait. Le 13 août 1822, elle dit que
c'était dans la sixième année. Des différences de ce genre se présentaient
souvent quant elle voyait les chiffres IV ou VI, qu'elle confondait fréquemment.
C'est au lecteur à juger de ce qui peut avoir occasionné ces changements.
Marie ne demeurait pas à Ephèse même. mais dans les environs, où s'étaient
établies déjà plusieurs femmes de ses amies. Son habitation était située à trois
lieues et demie d'Ephèse, sur une montagne qu'on voyait à gauche, en venant de
Jérusalem, et qui descendait rapidement vers Éphèse. En venant du sud-est, on
aperçoit la ville comme ramassée au pied d'une montagne, mais on la voit
s'étendre tout autour à mesure qu'on s'avance. Devant Ephèse, se trouvent de
grandes allées d'arbres. sous lesquels des fruits jaunes se trouvent par terre.
Un peu au midi, d'étroits sentiers conduisent sur une hauteur couverte de
plantes sauvages ; puis, on trouve une plaine ondulée et couverte de végétation
qui a une demi lieue de tour : c'était là que s'était fait cet établissement.
C'est une contrée très solitaire, avec beaucoup de collines agréables et
fertiles, et quelques grottes creusées dans le roc, au milieu de petites places
sablonneuses. Le pays est sauvage, sans être stérile ; il y a ça et là beaucoup
d'arbres à forme pyramidale, dont le tronc est lisse et dont les branches
ombragent un large espace.
Lorsque saint Jean conduisit là la sainte Vierge, pour laquelle il avait fait
construire une maison d'avance, quelques familles chrétiennes et plusieurs
saintes femmes résidaient déjà dans cette contrée ; elles demeuraient, les unes
sous des tentes, les autres dans les grottes qu'on avait rendues habitables à
l'aide de quelques charpentes et de quelques boiseries. Elles y étaient venues
avant que la persécution n'eût éclaté dans toute sa violence. Comme elles
tiraient parti des grottes qui se trouvaient là et des facilités que présentait
la nature des lieux, leurs demeures étaient de vrais ermitages, séparés souvent
d'un quart de lieue les uns des autres ; et cette espèce de colonie présentait
l'aspect d'un village dont les maisons seraient dispersées à de grands
intervalles. La maison de Marie était la seule qui fût en pierre. A quelque
distance, derrière cette maison, le terrain s'élevait et aboutissait, à travers
des rochers, au point culminant de la montagne, du haut de laquelle, par delà
les collines et les arbres, on voyait la ville d'Éphèse et la mer avec ses
nombreuses îles. Et lieu était plus voisin de la mer qu'Éphèse elle-même, qui en
était à une certaine distance. La contrée était solitaire et peu fréquentée. Il
y avait dans le voisinage un château où demeurait un personnage qui était, si je
ne me trompe, un roi dépossédé. Saint Jean je visitait souvent, et il le
convertit. Cet endroit devint, plus tard un évêché. Entre cette résidence de la
sainte Vierge et Éphèse, serpentait une rivière qui faisait des détours
innombrables.
II
La maison de Marie à Ephèse.
La maison de Marie était carrée ; la partie postérieurs se terminait en rond ou
en angle ; les fenêtres étaient pratiquées à une grande hauteur ; le toit était
plat. Elle était séparée en deux parties par le foyer, qui était placé au
milieu. On allumait le feu en face de la porte, dans l'excavation d'un mur,
terminé des deux côtés par des espèces de degrés qui s'élevaient jusqu'au toit
de la maison. Dans le centre de ce mur, courait, à partir de l'âtre jusqu'au
haut, une excavation semblable à un demi tuyau de cheminée, où la fumée montait
et s'échappait ensuite par une ouverture pratiquée dans le toit. Au-dessus de
cette ouverture, je vis un tuyau de cuivre oblique qui dépassait le toit.
Cette partie antérieure de la maison était séparée de la partie qui était
derrière l'Atre par des cloisons légères en clayonnage. Dans cette partie, dont
les murs étaient assez grossièrement construits et un peu noircis par la fumée,
je vis des deux côtés de petites cellules formées par des cloisons en branches
entrelacées. (quand on voulait en faire une grande salle, on défaisait ces
cloisons qui étaient peu élevées, et on les mettait de côté. C'était dans les
cellules en question que couchaient la servante de Marie et d'autres femmes qui
lui rendaient visite.
A droite et à gauche du foyer, de petites portes conduisaient à la partie
postérieure de la maison, qui était peu éclairée, terminée circulairement ou en
angle, du resta très proprement et très agréablement disposée. Tous les murs
étaient revêtus de boiseries, et le haut formait une voûte. Les poutres qui la
surmontaient, liées entre elles par d'autres solives et recouvertes de
feuillage, avaient une apparence simple et décente.
L'extrémité de cette pièce, séparée de reste par un rideau, formait la chambre à
coucher de Marie. Au centre du mur se trouvait, dans une niche, comme un
tabernacle qu'on faisait tourner sur lui-même au moyen d'un cordon, selon qu'on
voulait l'ouvrir ou le fermer. Il y avait une croix longue à peu près comme le
bras, de la forme d'un Y, ainsi que j'ai toujours vu la croix de Notre seigneur
Jésus-Christ. Elle n'avait pas d'ornements particuliers, et était à peine
entaillée, comme les croix que viennent aujourd'hui de la Terre Sainte. Je crois
qui saint Jean et Marie l'avaient arrangée eux-mêmes. Elle était faite de
différentes espèces de bois. Il me fut dit que le tronc, de couleur blanchâtre,
était en cyprès ; l'un des bras, de couleur brune, en cèdre ; l'autre bras,
tirant sur le jaune, en palmier ; enfin, l'extrémité, avec la tablette, en bois
d'olivier jaune et poli. La croix était plantée dans un support en terre ou en
pierre, comme la croix de Jésus dans le rocher du Calvaire. A ses pieds se
trouvait un écriteau en parchemin où était écrit quelque chose : c'étaient, je
crois, des paroles de Notre-Seigneur. Sur la croix elle-même, était l'image du
Sauveur, tracée simplement par des lignes de couleur foncée, afin qu'on put bien
la distinguer. J'eus aussi connaissance des méditations de Marie sur les
différentes espèces de bois dont elle était faite. Malheureusement, j'ai oublié
ces belles explications. Je ne sais pas non plus maintenant si la croix du
Christ était réellement faite de ces diverses espèces de bois ; ou si cette
croix de Marie avait été ainsi faite pour fournir un aliment à la méditation.
Elle était placée entre deux vases pleins de fleurs naturelles.
Je vis aussi un linge posé près de la croix, et j'eus le sentiment que c'était
celui avec lequel la sainte Vierge, après la descente de crois, avait essuyé le
sang qui couvrait le corps sacré du Sauveur. J'eus cette impression, parce qu'à
la vue de ce linge cet acte de saint amour maternel fut présenté devant mes
yeux. Je sentis, en même temps, : que c'était comme le linge avec lequel les
prêtres purifient le calice quand ils ont bu le sang du Rédempteur dans le saint
sacrifice ; Marie, essuyant les blessures de son Fils, me parut faire quelque
chose de semblable ; et, du reste, dans cette circonstance, elle avait pris et
plié de la même manière le linge dont elle se servait. J'eus la même impression
en voyant ce linge prés de la croix.
A droite de cet oratoire, était la cellule où reposait la sainte Vierge, et,
vis-à-vis de celle-ci, à gauche de l'oratoire, un autre petit réduit où étaient
disposés ses vêtements et ses effets. De l'une à l'autre de ces cellules, était
tendu un rideau qui cachait l'oratoire placé entre elles. C'était devant ce
rideau que Marie avait coutume de s'asseoir quand elle lisait ou travaillait.
La cellule de la sainte Vierge s'appuyait par derrière à un mur recouvert d'un
tapis ; les cloisons latérales étaient en clayonnage léger, qui ressemblait à un
ouvrage de marqueterie. Au milieu de la cloison antérieure, qui était couverte
d'une tapisserie, se trouvait une porte légère, à deux battants, qui s'ouvrait à
l'intérieur. Le plafond de cette cellule était aussi en clayon. nage, qui
formait comme une voûte au centre de laquelle était suspendue une lampe à
plusieurs branches. La couche de Marie était une espèce de coffre creux, haut
d'un pied et demi, de la largeur et de la longueur d'un lit ordinaire de petite
dimension. Les côtés étaient recouverts de tapis qui descendaient jusqu'au sol
et qui étaient bordés de franges et de houppes. Un coussin rond servait
d'oreiller, et un tapis brun à carreaux de couverture. La petite maison était
voisine d'un bois et entourée d'arbres à forme pyramidale. C'était un lieu
solitaire et tranquille, Les habitations des autres familles se trouvaient à
quelque distance. Elles étaient dispersées ça et là et formaient comme un
village.
III
Manière de vivre de Marie.
Saint Jean lui donne la sainte Eucharistie.
Chemin de la Croix.
La sainte Vierge habitait seule avec une personne plus jeune, qui la servait et
qui allait chercher le peu d'aliments qui leur étaient nécessaires. Elles
vivaient dans le silence et dans une paix profonde. Il ne se trouvait pas
d'hommes dans la maison. Souvent, un disciple en voyage venait les visiter.
Je vis fréquemment entrer et sortir un homme que j'ai toujours cru être saint
Jean ; mais ni à Jérusalem ni ici il n'était longtemps de suite dans le
voisinage. Il allait et venait. Il était vêtu autrement que du vivant de Jésus.
Il portait une robe à longs plis, d'une étoffe légère d'un blanc grisâtre. Il
était très svelte et très leste, avait une belle figure allongée et maigre ; sa
tête était nue, et sa longue chevelure blonde partagée derrière les oreilles.
Par comparaison avec les autres apôtres, il avait quelque chose d'un peu féminin
et de virginal.
Je vis Marie, dans les derniers temps de sa vie, toujours plus silencieuse et
plus recueillie ; elle ne prenait presque plus de nourriture. Il semblait que
son corps seul fût encore sur la terre, et que son esprit fût habituellement
ailleurs. Dans les semaines qui précédèrent sa fin, je la vis faible et vieillie
; sa servante la soutenait et la conduisait dans la maison.
Je vis Jean entrer une fois chez elle ; lui aussi paraissait très vieilli. Il
était maigre et élancé. En entrant, il avait relevé dans sa ceinture sa longue
robe blanche à grands plis. Il défit cette ceinture et en mit une Autre qu'il
avait sous son vêtement, et sur laquelle étaient tracées des lettres. Il avait
une étole autour du cou et une espèce de manipule au bras. La sainte Vierge,
appuyée sur le bras de sa servante et enveloppée dans un vêtement blanc, sortit
de sa chambre à coucher. Son visage était blanc comme la neige, et pour ainsi
dire diaphane. Elle paraissait comme soulevée de terre par un ardent désir.
Depuis l'ascension de Jésus, tout son être exprimait un désir toujours croissant
et qui la consumait de plus en plus. Jean et elle se retirèrent dans l'oratoire.
Elle tira un cordon ou une courroie ; le tabernacle, qui était dans le mur,
tourna sur lui-même, et la croix qui s'y trouvait se montra. Quand ils eurent
prié à genoux devant elle pendant un certain temps, Jean se leva, tira de son
sein une boite de métal qu'il ouvrit par le côté, y prit une enveloppe de laine
fine, sans teinture, et dans cette-ci un linge blanc plié d'où il tira le Saint
Sacrement en forme de particule blanche carrée. Il prononça ensuite quelques
paroles d'un ton grave et solennel, et donna l'Eucharistie à la sainte Vierge.
Il ne lui présenta pas de calice.
A quelque distance derrière la maison, sur le chemin qui menait au sommet de la
montagne, la sainte Vierge avait disposé une espèce de chemin de la Croix. Quand
elle habitait Jérusalem, elle n'avait jamais cessé, depuis la mort de son Fils,
de suivre sa voie douloureuse, et d'arroser de ses larmes les lieux où il avait
souffert. Elle en avait mesuré pas à pas tous les intervalles, et son amour ne
pouvait se passer de la contemplation incessante de ce chemin de douleur.
Peu de temps après son arrivée ici, je la vis journellement se livrer à ces
méditations sur la Passion, en suivant le chemin qui conduisait au haut de la
montagne. Au commencement elle y allait seule, et elle mesurait, d'après le
nombre des pas qu'elle avait si souvent comptés, la distance entre les diverses
places où avait eu lieu quelque incident de la Passion du Sauveur. A chacune de
ces places elle érigea une pierre ; ou, s'il s'y trouvait un arbre, elle y
faisait une marque. Le chemin conduisait dans un bois, où un monticule
représentait le Calvaire ; et une petite grotte dans un autre monticule, le
Saint Sépulcre.
Quand elle eut divisé en douze stations ce chemin de la Croix, elle le suivit
avec sa servante, plongée dans une contemplation silencieuse. Elles s'asseyaient
à chacun des endroits qui rappelaient un épisode de la Passion, en méditaient
dans leur coeur la signification mystérieuse, et remerciaient le Seigneur de son
amour, en versant des larmes de compassion. Plus tard, elle arrangea mieux les
stations. Je la vis écrire, avec un poinçon, sur chacune des pierres,
l'indication du lieu qu'elle représentait, le nombre des pas et d'autres choses
semblables. Je la vis aussi nettoyer la grotte du Saint Sépulcre, et la disposer
de manière à ce qu'on pût y prier commodément.
Je ne vis pas à ces stations d'image, ni même de croix à demeure fixe. C'étaient
de simples pierres commémoratives, avec des inscriptions. Mais avec le temps
tout cela fut de mieux en mieux ordonné et arrangé ; même après la mort de la
sainte Vierge, je vis ce chemin de la Croix fréquenté par des chrétiens qui s'y
prosternaient et baisaient la terre.
IV
Voyage de Marie Éphèse à Jérusalem.
Sa maladie dans cette dernière ville.
Bruit de sa mort et origine du tombeau
de la sainte Vierge à Jérusalem.
Après la troisième année de son séjour ici, Marie eut un grand désir d'aller à
Jérusalem. Jean et Pierre l'y conduisirent : je crois que plusieurs apôtres s'y
trouvaient rassemblés. J'y vis saint Thomas ; je crois qu'il y eut un concile,
que Marie y assista, et qu'ils prirent ses avis'.
A leur arrivée, je les vis le soir, à la lueur du crépuscule, visiter, avant
d'entrer dans la ville, le mont des Oliviers, le Calvaire, le Saint Sépulcre et
tous les saints lieux qui sont autour de Jérusalem. La Mère de Dieu était si
affligée et si émue qu'elle pouvait à peine se tenir debout. Jean et Pierre la
conduisaient en la soutenant sous les bras.
Elle quitta une autre fois Éphèse, un an et demi avant sa mort. Alors aussi je
la vis visiter les saints lieux pendant la nuit, en compagnie des apôtres. Elle
était accablée d'une tristesse indicible et disait sans cesse en soupirant : " O
mon Fils ! mon Fils " ! Quand elle arriva à la porte de derrière de ce palais où
elle avait vu Jésus tomber sous le poids de la croix, l'impression de ce
souvenir douloureux la fit tomber elle-même sans connaissance, et ses compagnons
crurent qu'elle allait expirer. On la porta au Cénacle, où elle habitait dans
les bâtiments antérieurs. Pendant plusieurs jours, elle resta si faible et si
malade et elle eut de si fréquents évanouissements, qu'on s'attendait à chaque
instant à la voir mourir, et qu'on pensa a lui préparer un tombeau. Elle-même
choisit pour cela une grotte de la montagne des Oliviers, et les apôtres y
firent préparer un beau sépulcre par un ouvrier chrétien '.
Cependant on avait dit plusieurs fois qu'elle était morte. Le bruit de sa mort
et de sa sépulture à Jérusalem se répandit alors en d'autres lieus. Mais, quand
le tombeau fut achevé, elle guérit et se trouva assez forte pour revenir à sa
demeure d'Ephèse, où elle mourut réellement au bout d'un an et demi.
Comme elle avait déjà dit antérieurement que Marie était allée deux fois
d'Éphèse à Jérusalem, il est possible qu'elle ait fait une confusion entre le
premier et le second voyage, quant à ce qui touche le concile.
Nous nous souvenons de lui avoir entendu dire une autre fois que saint André
travailla aussi à ce tombeau.
On honora toujours le tombeau préparé pour elle sur la montagne des Oliviers ;
on y bâtit plus tard une église, et Jean Damascène (c'est le nom que j'ai
entendu en esprit, mais je ne sais qui est ce personnage) écrivit, d'après des
traditions orales, qu'elle était morte et qu'elle avait été ensevelie à
Jérusalem.
Dieu a laissé tout ce qui concerne sa mort, son tombeau, son assomption dans le
ciel, devenir seulement l'objet d'une tradition incertaine, afin de ne pas
donner entrée dans le christianisme au sentiment paien encore si puissant à
cette époque ; car on se serait facilement laissé aller à adorer Marie comme une
déesse.
V
Éphèse.
Parents et amies de la sainte Famille
vivant dans la colonie
chrétienne.
Parmi les saintes femmes qui vivaient dans la colonie chrétienne voisine
d'Éphèse, et qui étaient souvent prés de Marie, se trouvait une nièce de la
prophétesse Anne. Avant le baptême de Jésus, je l'avais vue une fois aller à
Nazareth avec Séraphia (Véronique). Cette femme était alliée à la sainte Famille
par Anne, qui était parente de la mère de Marie et plus proche encore
d'Élisabeth, fille de la soeur de celle-ci.
Une autre femme, parmi celles qui vivaient autour de Marie, et que j'avais vue
aussi aller à Nazareth avant le baptême de Jésus, était une nièce d'Elisabeth,
qui s'appelait Mara. Voici comment elle étais parente de la sainte Famille.
Ismeria, mère de sainte Anne, avait une soeur appelée Emerentia, laquelle avait
eu trois filles : Élisabeth, mère de saint Jean-Baptiste ; Enoué, qui était chez
sainte Anne lors de la naissance de la sainte Vierge, et Rhode, mère de cette
Mara dont il est question ici.
Rhode s'était mariée loin du pays de sa famille. Elle demeura d'abord dans les
environs de Sichem, puis à Nazareth et à Kessuloth, près du mont Thabor. Outre
Mara, elle avait deux autres filles, dont l'une avait pour enfants des disciples
de Jésus. Un des deux fils de Rhode fut le premier mari de Maroni, qui, restée
veuve et sans enfants, épousa Eliud, neveu de la mère de sainte Anne, et
s'établit à Naim, où elle devint veuve pour la seconde fois. Elle avait eu de
cet Eliud un fils que le Sauveur ressuscita. Il devint disciple de Jésus et fut
baptisé sous le nom de Martial.
Mara, fille de Rhode, qui fut présente à la mort de Marie, s'était mariée dans
le voisinage de Bethléem. Nathanael, le fiancé de Cana, était, à ce que je
crois, un fils de cette Mara, et il reçut au baptême le nom d'Amator. Elle avait
encore d'autres fils : tous furent disciples de Jésus.
VI
La Sainte Vierge visite pour la dernière fois
le chemin de le Croix
érigé par elle.
(Le 7 août 1824.)
Hier et cette nuit, j'ai été très occupée de la Mère de Dieu à
Éphèse. J'ai fait le chemin de la Crois avec elle et cinq autres femmes. Il y
avait là la nièce de la prophétesse Anne et la veuve Mara, nièce d'Elisabeth. La
sainte Vierge allait en avant des autres ; elle était vieillie et faible ; elle
était très blanche et comme transparente. Son aspect était singulièrement
touchant. Il me semblait qu'elle faisait ce chemin pour la dernière fois.
Pendant qu'elle était là, je crus voir Pierre, Jean et Thaddée dans sa maison.
Je vis la sainte Vierge très affaiblie par l'âge ; il n'y avait pourtant en elle
d'autre signe de la vieillesse que l'expression du désir qui la consumait et qui
la poussait en quelque sorte à sa transfiguration. Elle avait une gravité
ineffable. Je ne l'ai jamais vue rire, mais seulement sourire avec une
expression touchante. Plus elle avançait en âge, plus son visage paraissait
blanc et diaphane. Elle était maigre, mais je ne lui vis pas de rides ni aucune
marque de décrépitude : elle était devenue comme un pur esprit.
VII
La sainte Vierge sur son lit de mort. Adieux des femmes.
(Le 9 août 1821.)
J'allai dans la maison de Marie, à environ deux lieues
d'Ephèse. Je la vis dans sa cellule, qui était toute tendue de blanc, étendue
sur une couche basse et étroite ; sa tête reposait sur un coussin rond. Elle
était faible, pâle et comme consumée par un ardent désir. Sa tête et toute sa
personne étaient enveloppées dans un long drap ; une couverture de laine brune
était posée par-dessus.
Je vis cinq femmes entrer dans sa cellule et en ressortir l'une après l'autre,
comme si elles lui avaient fait leurs adieux. Celles qui sortaient faisaient des
gestes touchants qui exprimaient leur douleur. Je remarquai parmi elles la nièce
de la prophétesse Anne et Mara, nièce d'Élisabeth, que j'avais vues au chemin de
la Croix.
Je vis ensuite six apôtres assemblés là : c'étaient Pierre, André, Jean,
Thaddée, Barthélémy et Mathias. Il y avait aussi Nicanor, un des sept diacres,
qui était très actif et très serviable. Je vis les apôtres à droite, dans la
partie antérieure de la maison ils y avaient disposé un oratoire et ils étaient
en prière.
VIII
Arrivée de deux autres apôtres. L'autel.
Boite en forme de croix pour
les objets consacrés.
(Le 10 août 1821.)
Le temps de l'année où l'Église célèbre l'assomption de la
sainte Vierge est bien celui ou elle a eu lieu réellement ; seulement
l'anniversaire ne tombe pas le même jour tous les ans. Je vis aujourd'hui
arriver deux autres apôtres avec leurs vêtements relevés comme des voyageurs :
c'étaient Jacques le Mineur et Matthieu, son demi frère, car Alphée, étant
devenu veuf, avait épousé Marie, fille de Cléophas. Il avait eu Matthieu d'un
premier mariage.
Je vis hier soir et ne matin les apôtres rassemblés et célébrant le service
divin dans la partie antérieure de la maison, où ils avaient, dans ce but,
enlevé nu disposé autrement les cloisons mobiles qui formaient des cellules. Une
table, avec une couverture rouge et une autre blanche par-dessus, servait
d'autel. Chaque fois qu'on en faisait usage pour une cérémonie sacrée, on la
plaçait contre le mur, à droite du foyer dont on se servait encore chaque jour,
et on la retirait ensuite. Devant l'autel était un tréteau couvert, au-dessus
duquel était étalé un rouleau écrit. Sur l'autel était placé un vase en forme de
croix, fait d'une matière brillante comme la nacre de perle ; il avait à peine
un palme en longueur et en largeur, et contenait cinq boites fermées avec des
couvercles d'argent. Dans cette du milieu se trouvait le Saint Sacrement ; dans
les autres, du chrême, de l'huile, du sel et des brins de fil, ou peut-être de
la laine avec d'autres objets bénits. Elles étaient si bien fermées que rien ne
pouvait couler au dehors.
Les apôtres, dans leurs voyages, portaient cette croix pendue sur la poitrine
sous leur vêtement. Ils avaient en cela quelque chose de plus que le grand
prêtre des Juifs quand il portait sur sa poitrine l'objet sacré de l'ancienne
alliance.
Je ne me souviens pas bien s'ils avaient des reliques dans une de ces boîtes ou
ailleurs ; je sais seulement qu'en offrant le sacrifice de la nouvelle alliance,
ils avaient toujours près d'eux des ossements de prophètes, et, plus tard, de
martyrs ; de même que les patriarches, lorsqu'ils sacrifiaient, plaçaient
toujours sur l'autel des ossements d'Adam ou de ceux de leurs ancêtres qui
avaient été dépositaires de la promesse. Jésus-Christ, dans la dernière cène,
leur avait commandé de faire ainsi. Pierre, en habits sacerdotaux, était debout
devant l'autel, les autres étaient rangés derrière lui. Les femmes se tenaient
au fond de la salle.
IX
Arrivée de Simon.
Pierre donne la sainte communion à la sainte Vierge.
État de Jérusalem à cette époque.
(Le 11 août 1821.)
Je vis aujourd'hui arriver un autre apôtre : c'était Simon.
Il manquait encore Jacques le Majeur, Philippe et Thomas. Je vis aussi plusieurs
disciples, parmi lesquels je me rappelle seulement Jean Marc, et ce fils ou
petit-fils du vieux Siméon, qui était chargé de l'inspection des victimes au
temple, et qui immola le dernier agneau pascal pour Jésus. Ils étaient bien une
dizaine.
Il y eut de nouveau service divin à l'autel, et je vis quelques-uns des nouveaux
arrivés avec leurs habits relevés, ce qui me fit croire qu'ils voulaient
repartir tout de suite. Devant le lit de la sainte Vierge était un petit
escabeau triangulaire, comme celui sur lequel avaient été déposés les présents
des trois rois dans la grotte de la Crèche. Il y avait dessus une tasse avec une
petite cuiller brune transparente. Je ne vis aujourd'hui qu'une femme dans la
chambre de Marie.
Je vis Pierre, après le service divin, lui donner de nouveau la sainte
communion. Il apporta le Saint Sacrement dans cette pyxide en forme de croix
dont j'ai déjà parlé. Les apôtres étaient rangés sur deux lignes, depuis l'autel
jusqu'à sa couche, et ils s'inclinèrent profondément quand Pierre passa devant
eux avec le Saint Sacrement. Les cloisons qui entouraient la sainte Vierge,
était ouvertes de tous les côtés.
Quand j'eus vu cela près d'Ephèse, j'eus le désir de voir ce qui se passait à
Jérusalem pendant ce temps ; mais la longueur du voyage qu'il fallait faire pour
cela m'effrayait. Alors la sainte vierge et martyre Suzanne, dont c'est
aujourd'hui la fête, dont j'ai là une relique, et qui a été près de moi toute la
nuit, vint à moi et m'encouragea en me disant qu'elle m'accompagnerait. Je
traversais la terre et la mer, et nous fûmes bientôt à Jérusalem. Elle était
tout autrement que moi ; elle était extrêmement légère, et, quand je voulais la
toucher, je ne le pouvais pas. Quand j'assistais à une scène dans un lieu
déterminé, comme, par exemple, à Jérusalem, elle disparaissait ; mais, chaque
fois que je passais d'un tableau à un autre, elle m'accompagnait et me
consolait.
Je me trouvai sur la montagne des Oliviers, et je vis tout dévasté et changé par
comparaison avec l'état antérieur. Je pus pourtant reconnaître chaque place. La
maison voisine du jardin de Gethsémani, où les disciples s'arrêtaient, avait été
démolie. Il y avait là des fossés et des murs qui en rendaient l'accès
impossible. Je me rendis ensuite au tombeau du Sauveur ; il était comblé et
muré. Au-dessus, sur le haut du rocher, on avait commencé à bâtir un édifice qui
ressemblait à un petit temple. Il n'y avait encore que les murs. Comme je
regardais avec tristesse les dévastations qui avaient été faites, mon fiancé
céleste m'apparut sous la même figure qu'il s'était montré en ce lieu à
Madeleine, et me consola.
Je trouvai aussi le Calvaire dévasté et bâti. Le petit monticule sur lequel la
croix avait été érigée avait été remué et fouillé. Il y avait aussi tout autour
des fossés et des murs, en sorte qu'on ne pouvait pas l'aborder. J'y arrivai
pourtant et j'y priai. Alors le Sauveur s'approcha encore pour me consoler et
m'encourager. Lors de ces apparitions du Seigneur, je ne vis pas sainte Suzanne
prés de moi.
Je passai ensuite à un tableau des guérisons miraculeuses de Jésus dans les
environs de Jérusalem, et je revis plusieurs de ces guérisons. Comme je
réfléchissais sur la grâce des guérisons par le nom de Jésus, qui est plus
particulièrement accordée aux prêtres, et comme je pensais à la manifestation de
cette grâce à notre époque, dans la personne du prince de Hohenlohe, je vis ça
prêtre faisant usage de ce don. Je vis plusieurs malades guéris par ses prières,
entre autres, des hommes qui cachaient sous de sales haillons des ulcères
infectés Je ne sais pas si c'étaient réellement des ulcères ou bien des symboles
de vieux péchés restés sur la conscience Même dans mon voisinage, je vis
d'autres prêtres qui possédaient au même degré ce pouvoir de guérir, mais chez
lesquels le respect humain, la dissipation, la préoccupation des affaires
mondaines et le manque d'énergie l'empêchaient de se produire. J'en vis
spécialement un qui secourait quelques personnes dont je voyais le coeur rongé
par d'affreuses bêtes ; mais, par suite de sa dissipation, il négligeait d'en
secourir d'autres, qui étaient couchées ça et là, en proie à des maladies
corporelles. Il avait en lui-même divers obstacles qui l'en empêchaient.
X
Service divin des apôtres. Marie reçoit la sainte communion.
Détails personnels.
- Le chemin de la Croix de Marie.
(Le 12 août 1821.)
il n'y a guère en tout que douze hommes rassemblés dans la
maison de Marie. Aujourd'hui, je vis faire le service divin dans son petit
oratoire ; on y célébra la messe. Sa petite chambre était ouverte de tous les
côtés. Une femme était agenouillée près du lit de Marie, qui, de temps en temps,
se mettait sur son séant. Je la vis ainsi d'autres fois dans la journée. La
femme qui était près d'elle lui donnait alors, avec une cuiller, d'une potion
qui était dans la tasse. Marie avait sur sa couche une crois, longue comme la
moitié du bras. Le tronc était un peu plus large que le bras. Elle était comme
incrustée de différents bois ; le corps du Christ était blanc. La sainte Vierge
reçut le Saint Sacrement. Elle a vécu quatorze ans et deux mois depuis
l'ascension du Sauveur.
Ce soir, la narratrice, pendant son sommeil, chanta à demi vois, d'une manière
singulièrement touchante, des cantiques de la Mère de Dieu. Quand elle se
réveilla, comme l'écrivain lui demandait ce qu'elle avait chanté, elle répondit,
étant encore à moitié endormie : " Je suis allée avec la procession, avec cette
femme... Maintenant, elle est partie ". Le jour suivant, elle dit à propos de ce
chant : " Je suivis deux des amies de Marie sur le chemin de la Croix, derrière
sa maison. Elles vont là tous les jours, matin et soir, et je me glisse tout
doucement derrière elles. Hier, cela m'anima, et je commençai à chanter ; alors
tout disparut.
Le chemin de la Croix de Marie avait douze stations. Elle avait mesuré en pas
les intervalles qui les séparaient' et Jean y avait fait placer des pierres
commémoratives. Il n'y avait d'abord que des pierres brutes ; plus tard, tout
fut plus orné. Maintenant c'étaient des pierres blanches' polies, peu élevées, à
plusieurs arêtes (huit, si je ne me trompe), qui se réunissaient au sommet,
aboutissant à une petite surface plane, où se trouvait une cavité. Chacune
d'elles reposait sur un dé de même matière, entourée de gazon et de fleurs qui
empêchaient d'en voit l'épaisseur. Sur les pierres et leurs supports étaient
inscrites des lettres hébraïques.
Ces stations étaient toutes dans des excavations comme dans de petits bassins
ronds creusés autour. Il y avait au fond un sentier assez large pour une ou deux
personnes ; il circulait autour de la pierre, et permettait d'en lire les
inscriptions. A l'un des côtés de ces pierres étaient fixées des nattes avec
lesquelles on les recouvrait quand on n'y priait pas.
Les douze pierres qui marquaient les stations étaient toutes de même grandeur ;
toutes avaient leurs inscriptions hébraïques, mais les lieux où elles étaient
placées étaient différents : la station du mont des Oliviers se trouvait dans
une petite vallée, près d'une grotte dans laquelle plusieurs personnes pouvaient
se tenir à genoux ; la station du Calvaire, seule, n'était pas dans un
enfoncement, mais sur une éminence. Pour la station du Saint Sépulcre, elle
était au delà de cette éminence, de l'autre côté de laquelle on trouvait la
pierre commémorative dans un enfoncement, puis, plus bas encore, une grotte
creusée dans le roc où était le tombeau lui-même. Ce fut dans ce tombeau que la
sainte Vierge fut ensevelie. Je crois que ce tombeau doit encore subsister sous
la terre, et qu'il reparaîtra quelque jour.
Je vis que les apôtres, les saintes femmes et d'autres chrétiens, quand ils
venaient à ces stations et qu'ils y priaient agenouillés ou la face contre
terre, tiraient de dessous leurs vêtements une croix longue à peu près d'un
pied, et la plaçaient dans l'excavation qui était au-dessus de la pierre de la
station ; elle s'y tenait debout au moyen d'un appui mobile placé derrière.
XI
Jacques le Majeur arrive avec Philippe et trois disciples.
Comment les apôtres furent convoqués
pour assister à la mort de la sainte
Vierge.
Leurs voyages et leurs missions.
(Le 13 août 1821.)
Je vis aujourd'hui faire le service divin comme les autres
jours. Je vis la sainte Vierge se mettre sur son séant plusieurs fois dans la
journée et prendre quelque chose avec la petite cuiller. Le soir, vers sept
heures, la soeur dit pendant son sommeil : Jacques le Majeur est arrivé
d'Espagne en passant par Rome avec trois compagnons, Timon, Erémenzéar et encore
un autre. Plus tard, Philippe vint d'Egypte avec un compagnon.
Les apôtres et les disciples arrivaient la plupart du temps très fatigués. Ils
avaient à la main de longs bâtons recourbes qui indiquaient leur dignité. Leurs
longs manteaux blancs étaient relevés sur la tête, où ils formaient comme des
capuchons. Ils avaient là-dessous de longues tuniques sacerdotales de laine
blanche ; elles étaient ouvertes de haut en bas, mais attachées avec des petites
courroies fendues et passées dans de petits bourrelets qui servaient de boutons.
En voyage, ils relevaient leurs vêtements dans leur ceinture. Quelques-uns
portaient une bourse pendue au côté.
Les arrivants embrassaient tendrement ceux qui les avaient précédés. J'en vis
plusieurs pleurer à la fois de joie et de douleur en revoyant leurs amis dans
une circonstance si triste. Ils déposaient alors leur bâton, leur manteau, leur
ceinture et leur bourse, puis ils laissaient retomber jusqu'à leurs pieds leur
robe blanche ; ils mettaient ensuite une large ceinture sur laquelle était une
inscription et qu'ils portaient avec eux. On leur lavait les pieds ; ils
s'approchaient de la couche de Marie et la saluaient respectueusement. Elle
pouvait a peine leur adresser quelques paroles. Je ne les vis prendre d'autres
aliments que du pain ; ils buvaient dans de petits flacons qu'ils portaient sur
eux.
Quelque temps avant la mort de la sainte Vierge, lorsqu'elle fut avertie
intérieurement que sa réunion avec son Dieu, son Fils, son Rédempteur, était
proche, elle pria pour l'accomplissement de la promesse que Jésus lui avait
faite dans la maison de Lazare, à Béthanie, la veille de l'Ascension. Il me fut
montré en esprit comment Jésus, auquel elle demandait de ne pas la laisser
longtemps dans cette vallée de larmes après l'Ascension, lui dit en termes
généraux quelles oeuvres spirituelles elle devait accomplir pendant le temps
qu'elle devait encore rester sur la terre. Il lui fit connaître aussi qu'à sa
prière, les apôtres et plusieurs disciples se réuniraient près d'elle pour
assister à sa mort ; il lui indiqua ce qu'elle devait leur dire et comment elle
devait leur donner sa bénédiction. Je vis aussi qu'il dit à l'inconsolable
Madeleine de se cacher dans le désert, et à sa soeur Marthe d'établir une
communauté de femmes ; il ajouta qu'il serait toujours avec elles.
Quand la sainte Vierge eut prié pour faire venir les apôtres près d'elle, je vis
la convocation leur arriver dans diverses parties du monde. Je ne me souviens
plus que de ce qui suit.
Les apôtres avaient de petites églises dans divers lieux où ils avaient
enseigné. Quoique plusieurs d'entre elles De fussent pas encore construites en
pierre, mais faites seulement de branches tressées et enduites de limon, toutes
celles que je vis avaient à leur partie postérieure la même forme arrondie ou
angulaire que la maison de Marie près d'Éphèse. Il y avait des autels, et on y
célébrait le saint sacrifice de la messe.
Je les vis tous, si éloignés qu'ils fussent, avertis par des apparitions de se
rendre auprès de la sainte Vierge. En général, les voyages si longs des apôtres
ne se faisaient pas sans une miraculeuse assistance du Seigneur. Je crois que
souvent, sans qu'eux-mêmes en eussent bien la conscience, ils voyageaient à
l'aide d'un secours surnaturel, car je les vis plus d'une fois passer à travers
des foules pressées sans que personne parût les voir. Je les vis opérer chez
divers peuples paiens et sauvages des miracles d'une tout autre espèce que ceux
de leurs miracles que nous connaissons par l'Écriture sainte. Ils les opéraient
partout suivant les besoins des hommes. Je vis que tous, dans leurs voyages,
portaient avec eux des ossements des prophètes ou des martyrs mis à mort dans
les premières persécutions, et qu'ils les avaient auprès d'eux lorsqu'ils
priaient ou célébraient le saint sacrifice.
Lorsque le Seigneur convoqua les apôtres à Ephèse, Pierre et Mathias aussi, à ce
que je crois, se trouvaient dans les environs d'Antioche. André, venant de
Jérusalem où il avait eu à souffrir la persécution, ne se trouvait pas à une
grande distance d'eux. Je vis Pierre et André s'arrêter la nuit, ou passer dans
différents endroits qui n'étaient pas très éloignés les uns des autres. Ils
n'étaient pas dans des villes, mais dans des auberges publiques, comme on en
trouve au bord des routes dans les pays chauds. Pierre était couché contre un
mur. Je vis un jeune homme resplendissant s'approcher de lui et l'éveiller en le
prenant par la main ; il lui dit qu'il devait se rendre en toute hâte près de
Marie, et qu'il trouverait en route son frère André. Je vis Pierre, qui était
déjà affaibli par l'âge et les fatigues de l'apostolat, se mettre sur son séant
et s'appuyer avec les mains sur ses genoux pendant qu'il écoutait l'ange. Quand
le messager céleste eut disparu, il se leva, se ceignit, mit un manteau, prit
son bâton et partit. Il rencontra bientôt André, qui avait vu une apparition
semblable. Plus loin, ils se réunirent à Thaddée, auquel la même chose avait été
dite. C est ainsi qu'ils se rendirent chez Marie, où ils trouvèrent Jean.
Jacques le Majeur, qui avait une figure pâle et allongée et les cheveux noirs.
était venu d'Espagne à Jérusalem avec plusieurs disciples. Il s'arrêta quelque
temps à Sarona, près de Joppé, et ce fut là qu'il fut appelé à se rendre à
Éphèse. Après la mort de Marie, il revint à Jérusalem avec ses compagnons, et il
y souffrit le martyre. Son accusateur se convertit fut baptisé par lui et
décapité avec lui. Jude, Thaddée et Simon étaient en Perse où ils reçurent leur
convocation.
Thomas avait une taille ramassée et les cheveux d'un brun cuivré. Il était le
plus éloigné de tous, et n'arriva qu'après la mort de Marie. J'ai vu comment
l'ange chargé de l'avertir vint à lui. Il n'était pas dans une ville, mais dans
une cabane de roseaux, et il priait lorsque l'ange lui ordonna de partir pour
Éphèse. Je l'ai vu sur la mer dans une petite barque avec un serviteur d'une
grande simplicité ; il traversa ensuite le continent, mais, je crois, sans
entrer dans aucune ville. Il vint encore un disciple avec lui. Il était dans
l'Inde lorsqu'il reçut l'avertissement ; mais, avant de le recevoir, il avait
formé le dessein d'aller plus au nord, jusqu'en Tartarie, et il ne put se
résoudre à abandonner ce projet : il voulait toujours trop faire, et il arrivait
souvent trop tard. Il alla vers le nord, en touchant presque la Chine, et arriva
jusque dans les possessions actuelles de la Russie. Il reçut là un nouvel
avertissement, et se dirigea en toute hâte vers Éphèse. Le serviteur qu'il avait
avec lui était un barbare qu'il avait baptisé. Cet homme est devenu quelque
chose plus tard, mais j'ai oublié ce qui le concernait. Thomas ne revint pas en
Tartarie après la mort de Marie ; il fut percé d'un coup de lance dans l'Inde.
J'ai vu que, dans ce pays, il érigea une pierre sur laquelle il avait prié et à
la marque de ses genoux s'était imprimée, et qu'il dit que lorsque la mer
viendrait jusqu'à cette pierre, un autre personnage prêcherait Jésus-Christ dans
ces contrées.
Jean s'était trouvé à Jéricho peu de temps auparavant. Il allait souvent dans la
Terre Sainte. Il résidait ordinairement à Éphèse et dans les environs. C'était
là qu'il avait reçu sa convocation.
Barthélémy était en Asie, à l'orient de la mer Rouge. C'était un bel homme, très
intelligent. Il avait le teint blanc, le front élevé, de grands yeux, des
cheveux noirs frisés, une barbe noire, courte et crépue. Il avait converti
récemment un roi et sa famille. Je vis tout cela, et je le raconterai en son
temps. Quand il fut de retour dans ce pays, le frère de ce roi le fit mourir.
J'ai oublié où Jacques le Mineur reçut l'avertissement. Il était très beau et
ressemblait beaucoup au Sauveur. Aussi était-il appelé particulièrement le frère
du Seigneur. même par ses propres frères.
En ce qui touche Matthieu, je vis de nouveau aujourd'hui qu'Alphée l'avait eu
d'un premier mariage et l'avait amené avec lui quand il épousa en secondes noces
Marie, fille de Cléophas. J'ai oublié ce qui concernait André.
Paul ne fut pas appelé. Ceux-là seulement furent convoqués qui étaient alliés à
la sainte Famille ou qui avaient été en rapport avec elle.
Pendant ces visions, j'avais près de moi des reliques de saint André, de saint
Barthélémy, des deux sainte Jacques, de saint Jude, de saint Simon, de saint
Thomas, et de plusieurs disciples et saintes femmes ; ceux-là se montrèrent
d'abord à moi plus clairement et plus distinctement. Puis je les vis figurer
dans la scène qui m'était représentée. Je vis aussi saint Thomas venir à moi
mais il ne figurait pas dans le tableau de la mort de la mort de Marie. Il était
éloigné et arriva trop tard.
Je vis aussi cinq disciples figurer dans le tableau J'a spécialement un souvenir
distinct de Siméon le Juste et de Barnabé (ou Barsabas), dont il y avait des
reliques près de moi. L'un des trois autres était l'un de ces fils des bergers
qui avaient accompagné Jésus dans le voyage qu'il fit après la résurrection de
Lazare. (Erémenzéar). Les deux autres étaient de Jérusalem.
Je vis aussi près de la sainte Vierge sa soeur aînée, Marie Héli. Marie Héli,
femme de Cléophas, mère de Marie de Cléophas, grand mère des apôtres Jacques le
Mineur, Thaddée, Simon, etc., était une femme très âgée (elle avait vingt ans de
plus que la sainte Vierge). Toutes ces saintes femmes demeuraient dans le
voisinage ; elles s'étaient réfugiées précédemment dans ce pays, fuyant la
persécution qui sévissait à Jérusalem. Plusieurs habitaient des grottes creusées
dans les rochers, où on avait disposé des logements nu moyen de boiseries en
clayonnage.
XII
Mort de le sainte Vierge.
Elle reçoit le saint Viatique et l'extrême Onction.
Vision sur l'entrée de son âme dans le ciel.
Le 14 août 182l, dans l'après-midi, la soeur dit à l'écrivain : " Je veux
maintenant raconter quelque chose de la mort de la sainte Vierge ; mais il ne
faut pas que je sois dérangée. Dites à ma petite nièce de ne pas m'interrompre,
et d'attendre un peu dans l'autre pièce ". Quand l'écrivain eut fait ce qu'elle
disait et fut revenu près d'elle, il lui dit : " Racontez maintenant " ; mais,
regardant fixement devant elle, elle s'écria : " Où suis-je donc, est-ce le
matin ou le soir ! -Vous voulez, dit-il, parler de la mort de la sainte
Vierge.-Les apôtres sont là, répondit-elle, interrogez-les ; vous êtes plus
savant que moi, vous les questionnerez mieux ; ils suivent le Chemin de la Croix
et travaillent au tombeau de la Mère de Dieu. Elle les vit se livrer à ce
travail aussitôt après la mort de Marie, à ce qu'elle assura. Après une pause,
elle continua, en marquant des nombres avec ses doigts : " Voyez ce chiffre,
dit-elle, une barre comme un I, puis un V ; cela ne fait-il pas quatre ? puis
encore un V et trois I, cela ne fait-il pas huit ? Ce n'est pas écrit
correctement en lettres marquant les nombres ; mais je les vois ainsi, parce que
je ne sais pas lire les nombres élevés écrits en lettres Cela doit signifier que
l'année 48 après Jésus-Christ est celle de la mort de la sainte Vierge. Je vois
ensuite un X et trois 1, puis deux fois le signe de la pleine lune, comme il est
dans l'almanach : cela veut dire que la sainte Vierge mourut treize ans et deux
mois après l'ascension de Notre Seigneur. Ce n'est pas à présent le mois de sa
mort. Je crois qu'il est passé depuis deux mois ; car, il y a deux mois, j'ai
encore vu cette scène. Ah ! sa mort fut pleine de tristesse et pleine de joie !
s, Toujours dans cet état d'absorption intérieure, elle raconta ce qui suit:
Je vis hier à midi beaucoup de tristesse et d'inquiétude dans la maison de la
sainte Vierge. La servante était extrêmement affligée ; elle s'agenouillait sans
cesse, tantôt dans divers coins de la maison, tantôt devant la maison, et priait
les bras étendus en versant des larmes. La sainte Vierge reposait tranquillement
dans sa cellule ; elle semblait au moment de mourir. Elle était enveloppée tout
entière, y compris les bras, dans cette espèce de vêtement de nuit que j'ai
décrit en racontant sa visite chez Élisabeth. Son voile était relevé carrément
sur son front, elle l'abaissait sur son visage quand elle parlait à des hommes.
Ses mains elles-mêmes ne restaient découvertes que quand elle était seule. Dans
les derniers jours, je ne la vis rien prendre, si ce n'est de temps en temps une
cuillerée d'un breuvage que la servante exprimait de certaines baies jaunes,
disposées en grappes. Vers le soir, quand la sainte Vierge connut que son heure
approchait, elle voulut, conformément à la volonté de Jésus, bénir ceux qui se
trouvaient présents et leur faire ses adieux. Sa chambre à coucher était ouverte
de tous les côtés. Elle se mit sur son séant ; son visage était d'une blancheur
éclatante et comme illuminé. Tous les assistants se tenaient dans la partie
antérieure de la maison ; les apôtres entrèrent les premiers dans l'autre pièce,
s'approchèrent l'un après l'autre de sa cellule ouverte, et s'agenouillèrent
près de sa couche. La sainte Vierge les bénit tour à tour en croisant les mains
au-dessus de leur tête et en touchant légèrement leur front. Elle parla à tous,
et fit tout ce que Jésus lui avait enjoint à Béthanie.
Quand Pierre vint à elle, je vis qu'il avait à la main un rouleau écrit. Elle
parla à Jean des dispositions à prendre pour sa sépulture, et le chargea de
donner ses vêtements à sa servante et à une autre vierge pauvre qui venait
quelquefois la servir. Elle montra du doigt le réduit qui était en face de sa
cellule, et je vis sa servante y aller, l'ouvrir et le refermer. Je vis alors
tous les vêtements de la sainte Vierge ; j'en parlerai plus tard. Après les
apôtres, les disciples présents s'approchèrent de la couche de la sainte Vierge
et furent aussi bénis par elle. Les hommes se rendirent alors de nouveau dans la
pièce antérieure de la maison, pendant que les femmes s'approchaient de la
couche de Marie, s'agenouillaient et recevaient sa bénédiction. Je vis l'une
d'entre elles se pencher sur la sainte Vierge, qui l'embrassa.
Pendant ce temps l'autel fut préparé, et les apôtres se revêtirent, pour le
service divin, de leurs longs vêtements blancs, avec des ceintures sur
lesquelles étaient des lettres. Cinq d'entre eux figurèrent dans la cérémonie
solennelle, qui fut semblable à celle que j'avais vu célébrer pour la première
fois par Pierre dans la nouvelle église voisine de la piscine de Bethesda ; ils
se revêtirent de leurs beaux ornements sacerdotaux. Le manteau pontifical de
Pierre, qui était le célébrant, était très long par derrière ; cependant il
n'avait pas de queue.
Ils étaient encore occupés à s'habiller, lorsque Jacques le Majeur arriva avec
trois compagnons. Il venait d'Espagne par Rome avec le diacre Timon, et au delà
de cette dernière ville il avait rencontré Erémenzéar et un troisième disciple.
Les assistants, qui étaient au moment d'aller à l'autel, lui souhaitèrent la
bienvenue avec une gravité solennelle, et lui dirent en peu de mots de se rendre
près de la sainte Vierge. On leur lava les pieds, ils rangèrent leurs vêtements
; puis, sans quitter leurs habits de voyage, ils allèrent près de Marie et
reçurent comme les autres sa bénédiction. Jacques alla seul le premier ; puis
ses trois compagnons y allèrent ensemble après quoi ils revinrent pour assister
au service divin. Là cérémonie était déjà assez avancée lorsque Philippe arriva
d'Égypte avec un compagnon. Il se rendit aussitôt près de la Mère du Seigneur,
reçut sa bénédiction et pleura abondamment.
Pierre, pendant ce temps, avait terminé le saint sacrifice, il avait consacré et
reçu le corps du Sauveur, puis il l'avait donné aux apôtres et aux disciples
présents. La sainte Vierge ne pouvait pas voir l'autel ; mais pendant la sainte
cérémonie elle était assise sur sa couche, dans un profond recueillement. Quand
Pierre eut communié et donné la communion aux autres apôtres, il porta à la
sainte Vierge le saint sacrement et l'extrême onction.
Tous les apôtres l'accompagnèrent en procession solennelle. Thaddée marchait en
avant avec un encensoir. Pierre portait la sainte Eucharistie devant lui, dans
la pyxide en forme de croix dont j'ai parlé précédemment. Jean le suivait,
portant un petit plat, sur lequel était le calice avec le sang précieux et
quelques boites. Le calice était petit, massif et de couleur blanche. Le pied en
était si court qu'on ne pouvait le prendre qu'avec deux doigts. Il avait du
reste la forme de celui de la sainte Cène. Dans l'oratoire, qui était près du
lit de la sainte Vierge, un petit autel avait été dressé par les apôtres. La
servante avait apporté une table avec une couverture rouge et blanche. Dessus
étaient des flambeaux allumés : je crois que c'étaient des cierges et des
lampes. La sainte Vierge, pâle et silencieuse, était couchée sur le des. Elle
regardait fixement le ciel, ne parlait à personne, et semblait ravie en extase.
Elle était comme illuminée par le désir ; je pouvais ressentir ce désir qui
l'emportait hors d'elle-même. Ah ! mon coeur voulait aller à Dieu avec le sien.
Pierre s'approcha d'elle et lui administra l'extrême-onction, à peu près de la
même manière qu'on le fait aujourd'hui. Il l'oignit avec les saintes huiles
prises dans les boites que tenait Jean, sur je visage, sur les mains' sur les
pieds et sur le côté, où son vêtement avait une ouverture ; en sorte qu'on ne la
découvrit pas le moins du monde. Pendant ce temps les apôtres récitaient des
prières, comme on le fait au choeur. Ensuite Pierre lui présenta le saint
sacrement. Elle se redressa, sans s'appuyer, pour le recevoir ; puis elle
retomba. Les apôtres prièrent pendant quelque temps, et, s'étant un peu
soulevée, elle reçut le calice de la main de Jean. Je vis, lors de la réception
de la sainte Eucharistie, une lumière éclatante entrer dans Marie ; après elle
retomba comme ravie en extase, et ne dit plus rien. Les apôtres portant les
vases sacrés retournèrent en procession à l'autel où ils continuèrent le service
divin, et alors Philippe reçut aussi la sainte communion. Il n'était resté que
deux femmes près de la sainte Vierge.
Plus tard, je vis de nouveau les apôtres et les disciples en prière autour de la
couche de la sainte Vierge. Je visage de Marie était épanoui et souriant comme
dans sa jeunesse. Ses yeux, pleins d'une sainte joie, étaient tournés vers le
ciel. Je vis alors un tableau merveilleusement touchant. Le toit de la cellule
de Marie avait disparu ; la lampe était suspendue en plein air ; je vis à
travers le ciel ouvert l'intérieur de la Jérusalem céleste. Il en descendit
comme deux nuées éclatantes, où se montraient d'innombrables figures d'anges, et
entre lesquelles une voie lumineuse se dirigea vers la sainte Vierge. Je vis, à
partir de Marie, comme une montagne lumineuse s'élever jusque dans la Jérusalem
céleste. Elle étendit les bras de ce côté avec un désir infini, et je vis son
corps soulevé en l'air et planant au-dessus de sa couche, de manière qu'on
pouvait voir par-dessous. Je vis son âme, comme une petite figure lumineuse
infiniment pure, sortir de son corps, les bras étendus, et s'élever sur la voie
lumineuse qui montait jusqu'au ciel. Les deux choeurs d'anges qui étaient dans
les nuées se réunirent au-dessous de son âme et la séparèrent du corps, qui, au
moment de cette séparation, retomba sur la couche, les bras croisés sur la
poitrine. Mon regard, suivant l'âme de Marie, la vit entrer dans la Jérusalem
céleste, et arriver jusqu'au trône de la très sainte Trinité. Je vis un grand
nombre d'âmes, parmi lesquelles je reconnus plusieurs patriarches, ainsi que
Joachim, Anne, Joseph, Elisabeth, Zacharie et Jean-Baptiste, aller à sa
rencontre avec une joie respectueuse. Elle prit son essor à travers eux tous
jusqu'au trône de Dieu et de son Fils, qui, faisant éclater au-dessus de tout le
reste la lumière qui sortait de ses blessures, la reçut avec un amour tout
divin, lui présenta comme un sceptre et lui montra la terre au-dessous d'elle
comme s'il lui conférait un pouvoir particulier. Je la vis ainsi entrer dans la
gloire, et j'oubliai tout ce qui se montrait autour d'elle sur la terre.
Quelques-uns des apôtres, notamment Jean et Pierre, durent voir tout cela, car
ils avaient les yeux levés au ciel. Les autres étaient pour la plupart
prosternés vers la terre. Tout était plein de lumière et de splendeur. C'était
comme lors de l'ascension de Jésus-Christ.
Je vis, ce qui me réjouit beaucoup, un grand nombre d'âmes délivrées du
purgatoire suivre l'âme de Marie quand elle entra dans le ciel. Aujourd'hui
aussi, au jour de la commémoration qu'en fait l'Église, je vis entrer au ciel
beaucoup de ces pauvres âmes, parmi lesquelles plusieurs que Je connaissais. Je
reçus l'assurance consolante que, tous les ans, le jour anniversaire de la mort
de Marie, beaucoup d'âmes de ceux qui lui ont rendu un culte particulier
participent aux effets de cette grâce.
Quand je regardai de nouveau sur la terre, je vis le corps de la sainte Vierge
resplendissant. Il reposait sur sa couche, je visage rayonnant, les yeux fermés,
les bras croisés sur la poitrine Les apôtres, les disciples et les saintes
femmes étaient agenouillés autour et priaient. Pendant que je regardais tout
cela, il y avait dans toute la nature un concert harmonieux et une émotion
semblable à celle que j'avais aperçue pendant la nuit de Noël. Je connus que
l'heure de sa mort avait été la neuvième heure, comme celle de la mort du
Sauveur.
XIII
Préparatifs de la sépulture de Marie.
Ses obsèques.
Les femmes étendirent une couverture sur le saint corps, et les apôtres avec les
disciples se retirèrent dans la partie antérieure de la maison. Le feu du foyer
fut éteint ; tout le mobilier de la maison fut mis de côté et recouvert. Les
femmes s'enveloppèrent dans leurs vêtements et se voilèrent. Elles s'assirent
par terre dans la chambre de Marie, et, tantôt assises, tantôt agenouillées,
elles chantèrent des lamentations funèbres. Les hommes s'enveloppèrent la tête
avec la bande d'étoffe qu'ils portaient autour du cou, et célébrèrent un service
funéraire. Il y en avait toujours deux qui priaient alternativement agenouillés
près de la tête et des pieds du saint corps. Mathias et André allèrent, par le
chemin de la Croix de la sainte Vierge, jusqu'à la dernière station, où était la
grotte représentant le tombeau du Sauveur. Ils avaient avec eux des outils pour
travailler à mieux disposer ce tombeau, car c'était là que le corps de Marie
devait reposer. Le caveau funéraire n'était pas aussi spacieux que le tombeau de
Notre Seigneur, et il était à peine assez élevé pour qu'un homme pût y entrer
debout. Le terrain s'abaissait à l'entrée, après quoi l'on se trouvait devant le
sépulcre comme devant un petit autel, au-dessus duquel la paroi du rocher
formait une voûte. Les deux apôtres firent plusieurs arrangements dans
l'intérieur, et disposèrent une porte qu'on mit devant le tombeau pour le
fermer. On n'y avait pratiqué qu'une excavation capable de recevoir un corps
enveloppé. Le sol était un peu exhaussé à l'endroit de la tête. Il y avait
devant le caveau, comme devant le Saint Sépulcre, un petit jardin avec une
enceinte. Non loin de là était la station du Calvaire, sur un monticule. On n'y
avait pas élevé de croix, mais on en avait seulement gravé une sur la pierre. Il
pouvait bien avoir une demi lieue de l'habitation de Marie jusque là.
J'ai vu quatre fois les apôtres se relayer pour veiller en priant auprès du
corps de la sainte Vierge. Je vis aujourd'hui plusieurs femmes, parmi lesquelles
je me rappelle une fille de Véronique et la mère de Jean Marc, venir faire les
préparatifs nécessaires pour la sépulture. Elles apportaient du linge et des
aromates pour embaumer le corps, suivant la coutume des Juifs. Elles avaient
aussi apporté de petits vases où étaient des herbes encore fraîches. La maison
était fermée ; elles travaillaient à la lumière des flambeaux. Les apôtres
récitaient des prières dans la pièce antérieure, comme des religieux au choeur.
Les femmes retirèrent de dessus la couche le saint corps avec tous ses vêtements
et le placèrent dans une longue corbeille remplie de grosses couvertures et de
nattes, de sorte qu'il était élevé par-dessus cette corbeille. Alors deux femmes
tinrent un grand drap étendu au-dessus du corps, et deux autres le
déshabillèrent sous ce drap, ne lui laissant que sa longue tunique de laine.
Elles coupèrent les belles boucles de cheveux de la sainte Vierge pour les
conserver comme souvenir. Je vis ensuite ces deux femmes laver le saint corps :
elles avaient dans les mains quelque chose qui ressemblait à des éponges ; la
longue tunique qui recouvrait le corps était décousue. Elles s'acquittèrent de
ce soin avec une crainte respectueuse ; elles lavèrent le corps sous le drap qui
était étendu par-dessus sans le regarder, car la couverture les empêchait de le
voir. Toutes les places que l'éponge avait touchées étaient aussitôt recouvertes
; le milieu du corps resta voilé ; on n'en mit rien à nu. Une cinquième femme
pressait les éponges au-dessus d'un bassin et les leur rendait de nouveau. Je
les vis trois fois vider le bassin dans une fosse voisine de la maison et
apporter de l'eau fraîche Le saint corps fut revêtu d'une nouvelle enveloppe ou
verte, puis, à l'aide des linges placés dessous, on le déposa respectueusement
sur une table où avaient été déjà rangés les draps mortuaires et les bandes dont
on devait faire usage. Elles enveloppèrent alors le corps dans les linges,
depuis la cheville des pieds jusqu'à la poitrine, et le serrèrent fortement avec
des bandelettes. La tête, la poitrine, les mains et les pieds ne furent pas
encore enveloppés ainsi.
Pendant ce temps, les apôtres avaient assisté au service solennel célébré par
Pierre, et avaient reçu avec lui la sainte communion ; après quoi, je vis Pierre
et Jean, encore revêtus de leurs grands manteaux pontificaux, se rendre près du
saint corps. Jean portait un vase d'onguent ; Pierre y trempa le doigt de la
main droite et oignit, en récitant des prières, le front, le milieu de la
poitrine, les mains et les pieds de la sainte Vierge. Ce n'était pas là
l'extrême-onction : elle l'avait reçue vivante encore. Je crois que c'était un
honneur rendu au saint corps ; pareille chose avait eu lieu lors de la mise au
tombeau du Sauveur. Lorsque les apôtres se furent retirés, les femmes
continuèrent leurs préparatifs pour la sépulture. Elles placèrent des bouquets
de myrrhe sous les bras et sur le creux de l'estomac ; elles en mirent entre les
épaules, autour du cou, du menton et des joues ; les pieds aussi furent entourés
de semblables paquets d'herbes aromatiques. Alors elles croisèrent les bras sur
la poitrine, placèrent le saint corps dans le grand linceul, et l'y
emmaillotèrent au moyen d'un bandage roulé tout autour. La tête était couverte
d'un suaire transparent relevé sur le front, en sorte qu'on voyait je visage,
avec sa blancheur éclatante, rayonner, pour ainsi dire, au milieu des touffes
d'herbes qui l'entouraient. Elles déposèrent ensuite le saint corps dans le
cercueil qui était à côté, comme un petit lit de repos : c'était comme une
planche avec un bord peu élevé ; il y avait un couvercle convexe très léger. On
mit sur sa poitrine une couronne de fleurs blanches, rouges et bleu céleste,
comme symbole de la virginité. Alors les apôtres, les disciples et tous les
assistants, entrèrent pour voir encore une fois ce saint visage, qui leur était
si cher, avant qu'il ne fût voilé. Ils s'agenouillèrent en pleurant autour de la
sainte Vierge, touchèrent ses mains enveloppées sur sa poitrine, comme pour
prendre congé d'elle, et se retirèrent. Les saintes femmes aussi lui firent
leurs derniers adieux, lui recouvrirent je visage, et placèrent le couvercle sur
le cercueil, autour duquel elles attachèrent des bandes d'étoffe grise au centre
et aux deux extrémités. Je vis ensuite placer le cercueil sur une civière ;
puis, Pierre et Jean le portèrent hors de la maison sur leurs épaules. Je crois
qu'ils se relayèrent successivement, car je vis plus tard le cercueil porté par
six apôtres : Jacques le Majeur et Jacques le Mineur étaient devant, André et
Barthélémy au milieu, Thaddée et Mathias derrière. Les bâtons devaient être
passés dans une natte ou une lanière de cuir, car je vis le cercueil balancé au
milieu d'eux comme dans un berceau. Une partie des apôtres et des disciples
présents marchaient en avant, d'autres suivaient avec les femmes. Le jour
tombait déjà, et on portait autour du cercueil quatre flambeaux sur des bâtons.
Le cortège se rendit ainsi, en passant par le chemin de la Croix, à la dernière
station, et il arriva à l'entrée du tombeau. Ils déposèrent le saint corps à
terre, et quatre d'entre eux le portèrent dans le caveau et le placèrent dans
l'excavation qui devait servir de couche sépulcrale. Tous les assistants y
entrèrent un à un, jetèrent autour des aromates et des fleurs, et
s'agenouillèrent en pleurant et en priant.
Ils étaient nombreux. La douleur et l'affliction les firent rester là longtemps,
et il était tout à fait nuit quand les apôtres fermèrent l'entrée du tombeau.
Ils creusèrent un fossé devant l'étroite entrée du caveau, et y plantèrent comme
une haie formée de divers arbrisseaux, les uns en fleur, les autres couverts de
baies ; qu'ils avaient transportés d'ailleurs avec leurs racines. On ne vit plus
alors aucune trace de l'entrée. d'autant plus qu'ils détournèrent l'eau d'une
source voisine pour la faire passer devant ce massif. Ils s'en retournèrent
séparément et s'arrêtèrent encore ça et là, priant sur le chemin de la Croix ;
quelques-uns restèrent à prier prés du tombeau. Ceux qui revenaient virent de
loin une lumière extraordinaire au-dessus du tombeau de Marie, et ils en furent
très émus, sans bien savoir ce que c'était. Je la vis aussi, et voici ce dont je
me souviens parmi beaucoup d'autres choses. Il me sembla qu'une voie lumineuse
descendait du ciel jusqu'au tombeau, et avec elle une forme brillante semblable
à l'âme de Marie, accompagnée de la figure de Notre Seigneur. Le corps de Marie
sortit resplendissant du tombeau, s'unit à son âme, et s'éleva vers le ciel avec
l'apparition du Sauveur.
Je vis, dans la nuit, plusieurs apôtres et saintes femmes prier et chanter des
cantiques dans le petit jardin qui était devant le tombeau. Une large voie
lumineuse s'abaissai du ciel vers le rocher, et je vis s'y mouvoir une gloire
formée de trois sphères pleines d'anges et d'âmes bienheureuses qui entouraient
l'apparition de Notre Seigneur et de l'âme resplendissante de Marie. La figure
de Jésus-Christ, avec des rayons partant de ses cicatrices, planait devant elle.
Autour de l'âme de Marie, je vis, dans la sphère intérieure, de petites figures
d'enfants ; dans la seconde, c'étaient comme des enfants de six ans, et, dans la
sphère extérieure, comme des adolescents déjà grands. Je ne vis distinctement
que les visages, tout le reste m'apparut comme des formes lumineuses
resplendissantes. Quand cette apparition, devenant de plus en plus distincte,
fut arrivée au rocher, je vis une voie lumineuse qui s'étendit depuis elle
jusqu'à la Jérusalem céleste. Je vis alors l'âme de la sainte Vierge qui suivait
la figure de Jésus descendre dans le tombeau à travers le rocher, et, bientôt
après, unie à son corps transfiguré, en sortir plus distincte et plus brillante,
et s'élever avec le Seigneur et le choeur des esprits bienheureux jusqu'à la
Jérusalem céleste. Toute cette lumière s'y perdit, et je ne vis plus nu dessus
de la terre que la voûte silencieuse du ciel étoilé.
Je ne sais pas si les apôtres et les saintes femmes qui priaient devant le
tombeau virent aussi tout cela ; mais je les vis, frappés d'étonnement, regarder
le ciel comme en adoration ou se prosterner je visage contre terre. J'en vis
aussi quelques-uns qui revenaient avec la civière, priant et chantant des
cantiques, et qui s'arrêtaient aux diverses stations du chemin de la Croix, se
tourner avec une pieuse émotion vers la lumière qui brillait sur le tombeau.
XIV
Arrivée de Thomas.
Visite au tombeau de la sainte Vierge, qu'on trouve vide.
Départ des apôtres.
Les apôtres, étant revenus, prirent un peu de nourriture et allèrent se reposer.
Ils dormaient hors de la maison dans des hangars. La servante de Marie, qui
était restée à la maison pour faire des arrangements, et d'autres femmes qui
l'avaient aidée, dormirent dans la pièce située derrière le foyer d'ou la
servante avait tout enlevé pendant la mise au tombeau, de sorte qu'elle
ressemblait à une petite chapelle où les apôtres, plus tard, prièrent et
offrirent le saint sacrifice.
Ce soir, je vis encore les apôtres prier et pleurer dans la première pièce. Les
femmes étaient allées se reposer. Je vis alors l'apôtre Thomas, en habits de
voyage, arriver avec deux compagnons devant la porte de la maison et frapper
pour se faire ouvrir. Il vint avec lui un disciple, appelé Jonathan, qui était
parent de la sainte Famille. Son autre compagnon était un homme très simple, du
pays où habitait le plus éloigné des trois rois, et que j'appelle toujours
Partherme, parce que je ne sais pas retenir exactement les noms. Thomas l'avait
emmené de là avec lui, et il était à son égard comme le plus docile des
serviteurs.
Elle reconnut ce disciple par une relique de lui qui se trouvait près d'elle
sans désignation de celui auquel elle appartenait. Elle dit de lui, le 26
juillet 1821 : Jonathan ou Jonadab était de la tribu de Benjamin et des environs
de Samarie. Il fut tour à tour près de saint Pierre, près de saint Paul, qui le
trouvait trop lent, et de saint Jean. Il vint de fort loin avec saint Thomas
pour assister à la mort de Marie.
Un disciple ouvrit la porte ; Thomas entra avec Jonathan dans la salle où
étaient les apôtres, et dit à son serviteur de rester assis devant la porte. Ce
digne homme faisait tout ce qu'on lui ordonnait : il s'assit tranquillement.
Combien ils furent affligés en apprenant qu'ils arrivaient trop tard ! Les
disciples leur lavèrent les pieds et leur présentèrent quelques
rafraîchissements. Pendant ce temps les femmes s'étaient levées, et, quand elles
se furent retirées, on conduisit Thomas et Jonathan à la place où la sainte
Vierge était morte. Ils se prosternèrent et arrosèrent la terre de leurs larmes.
Thomas pria encore longtemps, agenouillé devant le petit autel de Marie. Sa
douleur était singulièrement touchante ; je pleure encore lorsque j'y pense.
Quand les apôtres eurent terminé leurs prières, qu'ils n'avaient pas
interrompues, tous allèrent souhaiter la bienvenue aux nouveaux arrivés. Ils
firent relever Thomas et Jonathan qui étaient agenouillés, les embrassèrent et
les conduisirent dans la salle antérieure de la maison, où ils leur donnèrent à
manger du pain et du miel. Ils prièrent encore ensemble et s'embrassèrent les
uns les autres.
Mais Thomas et Jonathan désiraient se rendre au tombeau de la sainte Vierge.
Alors les apôtres allumèrent des flambeaux, qu'on assujettit à des perches, et
allèrent avec eux au tombeau en passant par le chemin de la Croix. Ils parlaient
peu, s'arrêtaient quelques moments aux pierres des stations, et méditaient sur
la voie douloureuse du Sauveur et sur la compassion de sa Mère, qui avait élevé
ces pierres commémoratives et les avait si souvent arrosées de ses larmes.
Arrivés à la grotte du tombeau, ils s'agenouillèrent tous ; mais Thomas et
Jonathan se précipitèrent vers l'entrée du caveau, et Jean les suivit. Deux
disciples écartèrent les branches des arbrisseaux qui étaient devant la porte :
ils entrèrent, et s'agenouillèrent avec une crainte respectueuse devant la
couche sépulcrale de la sainte Vierge. Alors Jean s'approcha du cercueil, qui
faisait un peu saillie au-dessus de la fosse, détacha les bandes qui
l'entouraient, et enleva le couvercle. Puis ils approchèrent la lumière du
cercueil, et furent saisis d'un profond étonnement lorsqu'ils ne virent devant
eux que les linceuls vides, conservant encore la forme du saint corps. Ils
étaient séparés à la place du visage et de la poitrine ; les bandelettes qui
avaient entouré les bras étaient déliées, mais le corps glorifié de Marie
n'était plus sur la terre. Ils levèrent les yeux et les bras vers le ciel comme
s'ils eussent vu le saint corps enlevé à ce moment même, et Jean cria à l'entrée
du caveau : " Venez et voyez, elle n'est plus ici ". Alors ils entrèrent deux
par deux dans l'étroit caveau, et virent avec étonnement les linges vides
étendus sous leurs yeux. Étant sortis, tous s'agenouillèrent à terre,
regardèrent le ciel en levant les bras, prièrent, pleurèrent et louèrent le
Seigneur et sa mère, leur chère et tendre mère, lui adressant, comme des enfants
fidèles, les douces paroles d'amour que l'Esprit saint mettait sur leurs lèvres.
Alors ils se souvinrent de cette nuée lumineuse qu'après les funérailles ils
avaient vue descendre vers le tombeau et remonter au ciel. Jean retira
respectueusement du cercueil les linceuls de la sainte Vierge, les plia, les
roula, les prit avec lui ; puis il remit le couvercle et l'assujettit de nouveau
avec les bandes d'étoffe. Ils quittèrent ensuite le caveau, dont l'entrée resta
masquée par le massif de verdure. Priant et chantant des psaumes, ils revinrent
à la maison par le chemin de la Croix ; puis ils se rendirent tous dans la pièce
qu'avait habitée Marie. Jean déposa respectueusement les linceuls sur la petite
table qui était devant l'oratoire de la sainte Vierge. Thomas et les autres
prièrent encore à la place où elle avait rendu le dernier soupir. Pierre se
retira à part comme pour méditer ; peut-être faisait-il sa préparation, car je
vis ensuite dresser l'autel devant l'oratoire de Marie où était la croix, et
Pierre célébrer un service solennel. Les autres, rangés derrière lui, priaient
et chantaient alternativement. Les saintes femmes se tenaient plus en arrière
prés des portes et de la partie postérieure du foyer.
Le serviteur de Thomas, cet homme si simple qui l'avait accompagné depuis la
contrée lointaine où il avait été, avait un extérieur singulier. Il avait de
petits yeux, le front comprimé, le nez épaté et les pommettes saillantes. Son
teint était plus basané que celui des gens de ce pays. Il avait reçu le baptême
; du reste, il était comme un enfant ignorant et docile. Il faisait tout ce
qu'on lui ordonnait, restait où on le plaçait, regardait ce qu'on lui montrait,
et souriait à tout le monde. Il restait assis là où Thomas lui avait dit de
s'asseoir ; et quand il voyait pleurer Thomas, il pleurait aussi. Cet homme
resta toujours avec Thomas ; il pouvait porter de lourds fardeaux, et je l'ai vu
soulever des pierres énormes quand Thomas construisit une chapelle.
Après la mort de la sainte Vierge, je vis souvent les apôtres et les disciples
se réunir et se raconter mutuellement leurs voyages et ce qui leur était arrivé.
J'ai entendu tout ce qu'ils disaient ; cela me reviendra en mémoire, si c'est la
volonté de Dieu.
(Le 20 août 1800 et 1821.)
Après divers exercices de dévotion, les disciples
présents se firent leurs adieux presque tous et retournèrent à leurs travaux. Il
n'y avait plus dans la maison que les apôtres, Jonathan et le serviteur de
Thomas. Mais ils devaient tous partir quand ils auraient terminé leur travail.
Ils travaillaient tous à enlever les mauvaises herbes et les pierres sur le
chemin de la Croix de Marie, et à l'orner convenablement avec de beaux
arbrisseaux, des plantes et des fleurs de toute espèce. Ils firent tout cela en
priant et en chantant des cantiques ; on ne peut exprimer combien cela était
touchant à voir. C'était comme un service divin célébré par l'amour en deuil :
c'était à la fois imposant et aimable. Ils ornaient, comme des enfants
affectueux, la trace des pas de leur mère, qui était aussi la mère de leur Dieu,
la trace des pas avec lesquels elle avait mesuré, pleine d'une pieuse
compassion, la voie douloureuse qu'avait suivie son divin Fils en allant à la
mort pour nous racheter.
Ils fermèrent entièrement l'entrée du tombeau de Marie, en tassant fortement la
terre autour des arbrisseaux qu'ils avaient plantés devant. Ils nettoyèrent et
ornèrent le jardin qui était en avant du tombeau, creusèrent un chemin sur le
derrière du monticule qui le surmontait jusqu'à la paroi postérieure du caveau,
et pratiquèrent une ouverture dans le rocher pour qu'on pût voir la couche
sépulcrale où avait reposé le corps de la très sainte Mère que le Rédempteur
mourant sur la croix avait léguée à eux tous et à l'Église dans la personne de
Jean. Ah ! c'étaient des enfants reconnaissants, fidèles au quatrième
commandement ; ils vivront longtemps sur la terre, eux et leur amour ! ils
érigèrent aussi une espèce de chapelle, en forme de tente, au-dessus du tombeau.
Ils y tendirent une tente formée de tapis, qu'ils entourèrent et couvrirent avec
des claies en branches tressées. Ils y élevèrent un petit autel, formé d'une
large table de pierre supportée par une autre pierre. Derrière cet autel ils
suspendirent une tapisserie sur laquelle une image de la sainte Vierge, d'un
travail fort simple, était brodée ou tissée. Elle était représentée dans son
habit de fête, et l'on avait employé pour cela différentes couleurs, brune,
bleue et rouge. Quand tout cela fut fini, il y eut là un service où tous
prièrent agenouillés et les mains levées vers le ciel. La pièce qu'avait habitée
Marie dans la maison fut érigée en église. La servante de Marie et quelques
autres femmes continuèrent à y résider, et on laissa deux disciples, dont l'un
avait été berger au delà du Jourdain, pour donner les secours spirituels aux
fidèles qui habitaient alentour. Bientôt après, les apôtres se séparèrent.
Barthélémy, Simon, Thaddée, Philippe et Matthieu partirent les premiers pour se
rendre aux lieux où ils avaient à exercer leur ministère, après avoir fait à
leurs frères de touchants adieux. Les autres, à l'exception de Jean qui resta
encore quelque temps, partirent ensemble pour la Palestine, où ils se séparèrent
de nouveau. Il y avait là plusieurs disciples ; quelques femmes partirent aussi
en même temps d'Éphèse pour Jérusalem. Marie, mère de Marc, fit beaucoup pour
les fidèles qui se trouvaient dans ce pays. Elle avait fondé une communauté
d'environ vingt femmes, qui menaient à quelques égards la vie religieuse: cinq
d'entre elles habitaient près d'elle dans sa maison. Les disciples s'y
rassemblaient habituellement. La communauté chrétienne possédait encore l'église
voisine de la piscine de Bethesda, etc.
(Le 22 août)
Jean seul est encore dans la maison. Tous les autres sont partis.
J'ai vu Jean, conformément à la volonté de la sainte Vierge, distribuer ses
vêtements à sa servante et à une autre femme qui venait souvent l'aider. Il s'y
trouvait quelques objets venant des trois rois. Je vis deux longs vêtements
blancs, plusieurs voiles, des couvertures et des tapis. Je vis aussi ce vêtement
de dessus rave qu'elle avait porté à Cana et sur le chemin de la Croix, et dont
je possède une petite parcelle. Il en vint quelque chose à l'Église. Ainsi l'on
fit un ornement sacerdotal pour l'Eglise de Bethesda avec la belle robe nuptiale
bleu céleste, parfilée d'or et semée de roses. Il y en a encore des reliques à
Rome. Je les vois, mais je ne sais pas si on les connaît. Marie a porté cet
habit lorsqu'elle était fiancée, mais elle ne le mit jamais depuis.
Toutes ces choses se faisaient silencieusement et comme en secret, mais sans
qu'il y eût rien de cet empressement inquiet si commun de nos jours. La
persécution n'avait pas encore donné naissance à l'espionnage, et la paix
n'était pas troublée.
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