Jeanne Jugan
(1792-1879)

 Fondatrice des Petites Sœurs des Pauvres

6

La vie religieuse

 

6-1-Les premiers pas

Nous avons vu plus haut que les Frères de Saint-Jean-de-Dieu, surtout le Père Félix Massot, assistaient discrètement Jeanne et ses compagnes dans le développement de leur vie religieuse. La création de la congrégation se fit insensiblement, d’abord, dès 1842 par l’émission, pour six mois d’un vœu d’obéissance, puis d’un vœu de chasteté. Le 20 octobre 1842, Marie Jamet devint la suppléante de Jeanne pendant ses absences. Elle l’assistera aussi dans l’élaboration progressive de la règle. Puis les vœux, à titre privé, se firent pour un an. Enfin, le 8 décembre 1842, Jeanne fut élue supérieure de la petite communauté.

6-2-L’abbé Le Pailleur écarte Jeanne

          6-2-1-Des élections cassées

L’année suivante, le 8 décembre 1843, nouvelle élection. Jeanne est de nouveau élue supérieure. Jeanne commençait à être bien connue, et elle continuait ses quêtes. Marie Jamet assistait toujours Jeanne. Que se passa-t-il alors dans l’esprit de l’abbé Auguste Le Pailleur? Personne ne le sut jamais. Deux jours avant Noël, l’abbé Le Pailleur rassembla de nouveau la communauté, cassa l’élection précédente, désigna Marie Jamet comme supérieure, écartant ainsi Jeanne Jugan de son œuvre. Il se déclarait lui-même supérieur de la communauté. Par obéissance, Jeanne et ses quatre jeunes compagnes s’inclinèrent.

À Saint-Servan, personne ne sut rien de ce qui venait de se passer. Tout le monde, y compris le curé, continueront à désigner Jeanne Jugan comme supérieure des Petites Sœurs de Jeanne Jugan. Jeanne pourra rester dans sa communauté et continuer ses quêtes. Le 4 février 1844 les Servantes des Pauvres changèrent de nom pour s’appeler les  Sœurs de Pauvres. Un nom de religion fut imposé, et Jeanne Jugan devint Sœur Marie de la Croix.

Trois jours après les quatre premières sœurs: Jeanne, Virginie, Marie et Madeleine firent, sous l’influence des Frères de Saint-Jean-de-Dieu, le vœu de pauvreté et d’hospitalité.

          6-2-2-Élaboration de la règle

Le 1er mai 1846 les sœurs, compte tenu de leur expérience, mirent au point un règlement plus élaboré, avec l’aide du Père Félix Massot, tout en se référant à l’esprit de saint Jean-Eudes[1]. Elles se rapprochèrent aussi de la Règle de saint Augustin. Cependant, dans ce texte, l’abbé Le Pailleur faisait préciser qu’il y aura un supérieur général (lui, en l’occurrence)  “qui jouira de tous les mêmes droits dont jouit la supérieure générale, et de plus, celle-ci lui sera en tout soumise et obéissante.” Bientôt l’abbé Le Pailleur se fera passer pour le fondateur...

          6-2-3-La croissance

Nous sommes en 1850: il y a déjà une dizaine de maisons et presque cent petites sœurs, toutes très jeunes. Il fallait maintenant s’organiser et donner à l’association un caractère vraiment religieux. Leurs vœux, en effet, ne pouvaient pas être considérés comme des vœux religieux, mais comme des vœux privés. Il fallait obtenir de l’Église l’approbation officielle de l’association. Le Père Massot et les Frères de Saint-Jean-de Dieu complétèrent la règle de 1846 ; on la soumit à l’évêque de Rennes qui l’approuva le 29 mai 1852[2]. Cette même année 1852, on fit l’acquisition, à la périphérie de Rennes, du domaine de La Piletière, et l’on y transporta le noviciat et la maison-mère. Marie Jamet, la supérieure générale y résidera désormais.

L’abbé Le Pailleur, réconcilié avec son évêque et devenu officiellement le supérieur de la Congrégation s’y installa. Immédiatement il fit venir Jeanne: dorénavant elle resterait là, ne quêterait plus, n’aurait plus aucune relation avec l’extérieur. Le seul fondateur, c’était lui, l’abbé Le Pailleur. Jeanne restera dans l’ombre, oubliée jusqu’à sa mort vingt sept ans plus tard.

Cependant l’humble prière de Jeanne et les compétences de l’abbé Lelièvre[3] profitaient au développement de la Congrégation qui ouvrit des maisons en Angleterre, en Écosse, en Belgique, en Espagne, aux États-Unis, en Afrique du nord... Le 1er mars 1879,  le pape Léon XIII approuvait les Constitutions des Petites Sœurs, pour 7 ans.


[1] Cela est incontestable tant certains points de leur règle ressemblent à ceux du Tiers-ordre du Cœur de Marie.

[2] On peut noter également que grâce à une intervention de l’impératrice Eugénie, la Congrégation sera également approuvée par un décret de Napoléon III, le 9 janvier 1856.

[3] L’abbé Lelièvre allait confier ses prières à Sœur Marie de la Croix avant chacun de ses voyages de fondation.