Jeanne Jugan
(1792-1879)

 Fondatrice des Petites Sœurs des Pauvres

La spiritualité de Jeanne Jugan

 

6-Le grand message de Jeanne Jugan

La vie de Jeanne peut être divisée en trois grandes étapes:

            – La première étape (1792-1837), essentiellement de préparation: enfance, jeunesse, et travail au service de sa famille puis comme servante jusqu’à l’âge de quarante trois ans. Elle sait que Dieu l’appelle pour une œuvre inconnue, mais elle ne sait pas laquelle.

            – La rencontre et l’accueil des pauvres, âgés et abandonnés (1839-1852). L’œuvre de Jeanne prend corps et se développe. Une association religieuse se constitue qui deviendra la Congrégation des Petites Sœurs des Pauvres. De nombreuses maisons de vieillards malades et sans ressource s’ouvrent. Vers la fin de l’année 1847 se réunit le premier chapître des Sœurs des Pauvres. Curieusement Jeanne n’est pas invitée...

            – La mise à l’écart (1852-1879). À la Piletière puis à La Tour Saint-Joseph, Jeanne,  Sœur Marie de la Croix,  est mêlée aux novices et aux postulantes et systématiquement écartée de tout, y compris des grandes fêtes. Elle n’est plus qu’un nom dans le souvenir de quelques personnes et dans la presse. Ainsi, à l’occasion de l’inauguration des nouveaux bâtiments de La tour Saint-Joseph, par Mgr Brossais Saint-Marc, dans le Journal de Rennes du 28 juillet 1856, on pouvait lire, à propos des supérieures des quarante maisons existant alors: “... Ces saintes femmes, inspirées des exemples de la modeste Jeanne Jugan, ont érigé la charité en principe et en action.” Mais Jeanne n’était pas là.

En y regardant de près, on constate que Jeanne n’a déployé une grande activité pour sa congrégation, que relativement durant peu de temps: douze ans sur une vie de quatre vingt sept ans. Mais ses vertus vécues dans leur perfection: la charité mise en pratique, l’acceptation totale de la volonté de Dieu jointe à une humilité exceptionnelle, n’ont-elles pas fait plus pour le Royaume de Dieu que tous les travaux du monde? Dans cet ordre d’idée, Jeanne Jugan fut l’expression de la perfection.

          6-1-L’humilité de Jeanne

Pendant vingt sept ans Jeanne Jugan fut mise à l’écart de son œuvre. Pendant vingt sept ans, Jeanne vécut, par obéissance, cachée, sans aucune charge, mêlée aux postulantes et aux novices. Pendant vingt sept ans, Jeanne se tut. Elle reçut les humiliations et les contradictions en silence. Pourtant, elle souffrait beaucoup de cette situation, et parfois, lors de certaines occasions, elle laissait échapper une phrase ou l’autre qui dévoilaient l’étendue de sa peine. Ainsi, un jour elle dit à des novices: “Il faut être comme un sac de laine qui reçoit la pierre sans résonner.” Elle aimait aussi à dire “Au lieu de descendre en vous-mêmes, montez vers le Bon Dieu.”

Tout cela, Jeanne l’avait bien compris, et autour d’elle on s’appliquait à lui rappeler qu’elle n’était rien. Un jour de fête, Mr Le Pailleur fit des compliments aux anciennes sœurs qui étaient là, les nommant toutes par leur nom. Il s’abstint de nommer Sœur Marie de la Croix, présente elle aussi. Souvent aussi on la rabrouait comme une innocente.

Jeanne souffrait beaucoup dans son cœur, et parfois on l’entendait murmurer: ”C’est pourtant moi qui ai commencé l’œuvre.” Ou bien elle laissait échapper: “On m’a volé mon œuvre!”

Elle était totalement ignorée par Mr Le Pailleur. Elle n’assistait jamais aux fêtes de famille; on fêtait les supérieures et le bon père. Elle, jamais. Elle n’était qu’une pauvre fille, et elle savait qu’au noviciat, quand on racontait les débuts de l’œuvre, on insistait pour que les novices ne croient pas ce qui se racontait dans le monde: que Jeanne Jugan était la fondatrice; non, elle avait été reçue deux ans après les autres, et ce n’était pas elle qui avait ramené le premier vieillard. Oui, la vieille femme aveugle, on l’avait logée chez Jeanne Jugan, mais l’abbé Le Pailleur payait une forte rente!!!

À des jeunes novices qui avaient été averties par leurs mamans et qui l’interrogeaient, Sœur Marie de la Croix répondait: “Plus tard, vous saurez tout.”  Parfois, demandant aux novices d’être toujours fidèles à leur règle, elle ajoutait: “Vous ne saurez jamais ce qu’elle a coûté.”

Au fond d’elle-même Jeanne savait que son œuvre ne lui appartenait pas, c’était l’œuvre de Dieu; alors, dans la foi, elle laissait faire la volonté de Dieu: qu’importe qu’un autre se fasse passer pour le fondateur, l’essentiel c’était que la volonté de Dieu se fasse et que les pauvres soient recueillis, soignés et évangélisés. Et son œuvre se développait, vite, très vite, partout dans le monde...

          6-2-La joie de Jeanne

Pendant vingt sept ans Jeanne Jugan sera traitée comme une novice, avec les novices et les postulantes. Pendant vingt sept ans cette femme âgée et douloureuse, mais en silence, rayonnera sa joie; elle aimait rire et faisait rire. Jeanne qui fut si grande auprès des autorités civiles et religieuses, et si appréciée d’elles, fut faite toute petite dans sa communauté. Et elle aimait sa petitesse. Et jeune au milieu des jeunes, participant à la vie des jeunes qu’elle aimait et qui l’aimaient, Jeanne, qui vivait de foi et de l’Eucharistie, était une présence vivante et si humble, mais joyeuse, au milieu de celles qui se préparaient à devenir les humbles Petites Sœurs des Pauvres.  

          6-3-La notoriété et la foi de Jeanne Jugan

Jeanne était inconnue dans sa Congrégation. Aux jeunes qui arrivaient on enseignait la fable officielle: le fondateur, c’était l’abbé Le Pailleur. Mais hors de sa communauté, elle était toujours un personnage illustre: c’est ainsi que le 28 mai 1866, le conseil municipal de Saint-Servan débaptisait la Rue Vigne-au-chapt pour lui donner le nom de Rue Jeanne Jugan[1].

Jeanne fit-elle des miracles? Probablement. On cite, notamment:

– la protection accordée à un jeune couvreur qui glissa et tomba du toit de la chapelle, en dégageant la neige. Plusieurs autres cas de protection comparable ont été retenus.

– la guérison d’un enfant de quatre ans qui n’avait jamais marché. Jeanne pria avec l’enfant auprès des reliques de saint Pacifique[2]. Quand elle revint, elle posa l’enfant à terre, lui mit son bâton entre ses mains: l’enfant marchait...

– un jour, à la Tour Saint Joseph, un taureau en furie fonça sur un groupe de Petites Sœurs. Jeanne s’écria: “mes petites sœurs, couchez-vous!” Elle, restée debout menaça la bête avec son bâton en disant: “Arrête-toi! Je te le commande!” La bête, étonnée s’arrêta et se laissa reconduire dans son étable.

Mais le plus grand de tous les miracles, c’est incontestablement le développement exceptionnellement rapide de la Congrégation qui ouvrait des maisons en Irlande, en Amérique, en Espagne, en Italie et en Afrique du Nord.

          6-4-La pauvreté et la prière de Jeanne

Après le Bon Dieu, Jeanne aimait les pauvres. Mais elle savait aussi qu’elle devait tout aux bienfaiteurs qui l’avaient soutenue et avaient soutenu son œuvre. Jamais elle ne pourrait leur rendre le millième de ce qu’elle avait reçu d’eux; aussi priait-elle, et faisait-elle prier pour eux: “Frappez, frappez à la porte du Ciel pour les âmes!”

Jésus avait été un pauvre parmi les pauvres: sa pauvreté à elle, Jeanne Jugan, et la pauvreté de ceux qu’elle aidait, étaient le lien qui la rattachait à Lui. Elle attendait tout de Dieu, et elle donna ce trait de caractère à sa famille religieuse: on reconnaîtra les Petites Sœurs à leur pauvreté voulue et choisie, et à leur inébranlables confiance en la Providence. “Les pauvres sont les membres souffrants de Notre Seigneur”, répétait-elle constamment. Et elle chantait les louanges de la pauvreté: “La pauvreté est mon trésor... C’est si beau d’être pauvre... de tout attendre du Bon Dieu... Ô la sainte Pauvreté! Aimez-la bien, elle vous gardera toujours, car le Bon Dieu l’aime et bénira celles qui la garderont.”

Il y avait  une autre pauvreté que Jeanne recommandait aux jeunes qui l’entouraient: “Soyez bien petites, soyez bien humbles!... Soyez petites, petites, petites; si vous grandissez, la congrégation tombera... Seuls les petits plaisent à Dieu.”

Enfin Jeanne avait une profonde vénération pour la sainte Vierge qui était pauvre et avait vécu comme les pauvres. Jeanne insistait pour que les jeunes ne perdent jamais leur temps, car dans la sainte Famille on ne perdait pas son temps: “et nous devons imiter la sainte famille”.

7-La vie intérieure de Jeanne Jugan

La découverte de la vie de Jeanne Jugan est une toujours une expérience surprenante: comment cette femme remarquable, fondatrice d’une œuvre éminemment évangélique, appréciée des autorités tant civiles que religieuses, a-t-elle pu être comme mise au rebut par ceux qui auraient dû la soutenir? Mais, c’était probablement le dessein de Dieu qu’elle fût fondatrice à la fois sur le plan matériel et sur le plan spirituel.

La femme déjà mûre recueillit les premiers vieillards infirmes et sans ressource que Dieu lui envoyait. Sa charité, contagieuse attira quelques jeunes filles: une congrégation nouvelle entièrement consacrée à une œuvre charitable pouvait se former et se développer. Mais comme les grandes œuvres ne peuvent s’édifier que sur la prière et le sacrifice, il fallait que la fondatrice connût la plus grande des souffrances que la terre puisse offrir: être éliminée totalement de son œuvre et mise dans la condition des pauvres qu’elle avait voulu suivre. C’est alors que pouvait se construire le deuxième pilier de son œuvre élaboré par la prière, et fondé sur le sacrifice, le renoncement total, la pauvreté et l’humilité. Ainsi bâtie, l’œuvre des Petites Sœurs des Pauvres serait solide.

Jeanne Jugan, savait ce que c’était “qu’être greffée dans la Croix.” Fondatrice, en pleine possession de ses moyens, pleine d’expérience, elle fut réduite à la situation des postulantes et des novices et soumise aux plus humbles tâches et à de nombreuses vexations. Personne, à la tour Saint Joseph, ne devait savoir qui elle était. D’ailleurs, le jour de sa mort, le 28 août 1879, c’était la saint Augustin, et l’on fêtait solennellement l’abbé Augustin Le Pailleur. Pour ne pas déranger une telle fête, on n’annonça la mort de Jeanne que le lendemain. Aucune lettre ne prévint les sœurs de la mort de la véritable fondatrice. Jeanne mourait dans le silence et l’abandon, comme elle avait vécu dans le silence et l’abandon pendant vingt sept ans. Quelle était donc la spiritualité d’une telle femme? Nous venons de le voir: la pauvreté, l’humilité, l’obéissance et le silence, toutes vertus qui, vécues spirituellement, ont construit sa petitesse, c’est-à-dire sa grandeur en Dieu.

          7-1-La pauvreté spirituelle

Ce qui frappe le plus chez Jeanne Jugan, c’est son amour de la pauvreté, allant progressivement de la pauvreté matérielle à la pauvreté spirituelle. Enfant, elle avait vécu dans une grande pauvreté matérielle, surtout après la disparition de son père, en mer. Elle dut gagner sa vie très tôt. Plus tard, découvrant l’extrême misère de certains vieillards, elle découvrit la vocation que le Seigneur lui destinait: dès lors elle donnait tout ce qu’elle possédait, le mettant au service des pauvres vieillards, allant jusqu’à quêter tous les jours en leur nom pour leur assurer la subsistance quotidienne. Amenée insensiblement à fonder une communauté religieuse, elle fixa une obligation à ses membres: les Petites Sœurs des Pauvres se fieront à Dieu seul et à sa Providence, et elle n’auront jamais de revenus fixes. La foi des Petites Sœurs devait conduire leur pauvreté.

Jeanne avait donc établi son œuvre sur la foi et la pauvreté. Dieu voulait davantage d’elle. Dieu voulait de sa bien-aimée un dépouillement complet: il lui prit son œuvre, il lui prit toute liberté d’agir. De cette femme d’action et de décision, il fit une recluse abandonnée, méconnue, méprisée, une femme totalement abandonnée à la volonté de Dieu, à l’imitation du Cœur de Jésus oublié, méconnu, outragé dans son Eucharistie...

On vola l’œuvre de Jeanne, et elle souffrit beaucoup. On méprisa Jeanne au-delà de l’imaginable, mais en Dieu, elle se réjouissait de voir l’œuvre de Dieu se développer. Et Jeanne croissait dans l’humilité, une humilité aimante, joyeuse, l’humilité des humbles et pauvres de cœur.

          7-2-L’humilité vécue

L’œuvre visible de Jeanne Jugan se concentre sur environ onze ans. Elle est à l’origine de tout, et pendant les quatre premières années, elle est tout. C’est elle qui fonde la première communauté, la première maison destinée aux pauvres. C’est elle qui fonde les maisons qui suivront Saint-Servan: Dinan, Rennes,  Tours, Angers, puis Brest, Bordeaux, et Rouen.

L’opinion publique admire et soutien son œuvre. Partout où elle passe, Jeanne est accueillie avec joie et reconnaissance. Dès qu’il y a des misères à soulager, c’est à Jeanne Jugan que l’on pense...

Et brusquement Jeanne disparaît... Pendant vingt sept ans, elle ne sera plus rien.  On en arrivera même à oublier son action et tout son travail de fondatrice. Une légende se crée pour lui ôter tout mérite.  Qu’est-ce que le Seigneur désirait donc d’elle? Une œuvre plus profonde, plus intime, qui serait le fondement de son œuvre visible qu’on lui retirait? Probablement... Mais comment a-t-elle vécu cette épreuve redoutable? Comment sa souffrance, au lieu de se transformer en amertume, en désespoir, voire en ressentiment ou en haine, s’est-elle transformée en prière, en foi, en amour et même en joie? Réponse: par l’humilité, une humilité vécue à chaque seconde, et cela pendant vingt sept ans.

Aux novices elle n’hésitait pas à conseiller: “Il faut vous laisser humilier.” Jeanne savait ce dont elle parlait...

          7-3-L’obéissance, fruit de l’humilité

La Congrégation des Petites Sœurs des Pauvres se développait rapidement. En avril 1856 la maison-mère et le noviciat s’installèrent dans la grande propriété de La Tour qu’elle venait d’acquérir à Saint-Pern. Jeanne arrivait aussi avec les novices, mais mêlée aux novices, et vivant avec elles et comme elles, sans titre, sans autorité, sans responsabilité, comme la dernière des sœurs. Jeanne ne sera plus désormais connue que sous son nom de religion: Sœur Marie de la Croix. Elle avait 64 ans. Elle se souvenait que “Dieu l’avait gardée pour Lui, pour une œuvre qui n’était pas encore connue”. Elle avait secouru une multitude d’indigents, de miséreux; elle avait fondé, en s’inspirant du Tiers-Ordre auquel elle appartenait une nouvelle congrégation religieuse consacrée au service des vieillards; elle vivait dans l’amour des cœurs de Jésus et de Marie. Sans repos elle avait quêté à toutes les portes pour trouver les ressources dont son œuvre avait besoin...

Maintenant Dieu l’appelait à une autre œuvre, une œuvre qu’elle ne connaissait pas non plus. Cette femme forte, pleine d’énergie et d’initiatives, intelligente et capable de s’adapter à toutes les situations, cette femme décidée et résolue, voici qu’on l’enfermait, qu’on lui ôtait tout moyen d’agir, qu’on la traitait comme une bonne à rien. Elle avait été pauvre avec les pauvres, voici qu’elle serait postulante avec les postulantes, novice avec les novices... Jeanne eut très mal, mais elle jeta toute sa peine dans le Cœur de Jésus. Il allait lui découvrir sa nouvelle et véritable vocation: n’être plus rien aux yeux des hommes et aux yeux de Dieu. Et Jeanne, comme elle avait marché avec ses pauvres, pauvre avec ses pauvres, Jeanne allait vivre dans l’humilité, humblement, offrant tout dans son cœur pour le développement de son œuvre et pour l’amour de Dieu. Mais quelle souffrance au fond de son cœur! Quelle souffrance que la souffrance de ceux qui sont greffés dans la Croix, de ceux qui sont destinés à devenir l’Œuvre de Dieu! Jeanne n’existerait plus; elle devait être oubliée jusqu’à son dernier souffle.

          7-4-Le silence de l’humilité

Ce qui fut le plus remarquable pendant les vingt sept dernières années de la vie de Jeanne Jugan, ce fut son silence. Pour les jeunes avec qui elle devait vivre, elle n’était que Sœur Marie de la Croix. Le fondateur, et supérieur général, c’était l’abbé Le Pailleur, “le bon père”. La fondatrice, et supérieure générale, c’était Marie Jamet. Jeanne était souvent rabrouée sans ménagement: après tout, elle n’était qu’une simple d’esprit... sans importance. Jeanne se taisait, mais elle n’était pas dupe. Ainsi, un jour, elle ne put se contenir et dit à l’abbé Le Pailleur: “Vous m’avez volé mon œuvre. Mais je vous la donne de bon cœur.”

Jeanne a connu ce que les mystiques appellent la nuit de l’esprit, la nuit obscure. Elle a été délaissée et méprisée à en mourir. Sans la moindre explication on l’a retirée de son œuvre, on l’a traitée comme une mineure, on l’a mise de côté, enfermée. Mais pourquoi, Seigneur?

Parce que Jeanne était entée sur la Croix, Jeanne vivait la Croix de Jésus abandonné du Père. L’œuvre de Jeanne, c’était l’Œuvre de Dieu, c’était la Croix de Jésus-Christ. Nous ne pouvons pas comprendre l’Œuvre de Dieu... Mais dans sa nuit, dans la nuit de Jésus sur la Croix, Jeanne s’ouvrait de plus en plus au monde des pauvres: son silence était croissance en Dieu, au dessein de Dieu.

          7-5-La petitesse de Jeanne

Sœur Marie de la Croix, à la Tour Saint-Joseph, répétait souvent aux novices: “Il faut se faire toute petite devant Dieu.“ Et aussi: ”Le juste vit de foi.” Peu à peu le Seigneur apprenait le dénuement à la nature riche de Jeanne. Lentement Dieu préparait la sainte dont Il voulait avoir besoin.

L’œuvre de Jeanne ne sera pas seulement matérielle et humaine; l’œuvre de Jeanne sera l’Œuvre de Dieu en elle, quand toutes ses sécurités lui auront été retirées. Alors, vide d’elle-même elle pourra entrer dans la lumière de Dieu et vivre de la foi du juste et s’écrier: “Seigneur, ne m’abandonne pas mais viens à mon aide, car sans Toi je ne peux rien.”

Jeanne sera devenue une petite âme, objet de toutes les complaisances du Cœur de Jésus et de Marie, une vraie fille de saint Jean Eudes, une petite pauvre proche de tous les pauvres du monde.

8-En guise de conclusion

L’attitude de l’abbé Le Pailleur paraît tout-à-fait étonnante. Comment un prêtre, apparemment un bon prêtre puisque les premières jeunes sœurs l’avaient pris comme directeur spirituel, comment un prêtre peut-il se comporter de cette façon? Est-ce l’amour du pouvoir, le désir d’être le seul maître à bord? On sait que le pouvoir fausse beaucoup les choses, et nombreux sont les hommes de valeur qui se sont laissés prendre aux pièges du pouvoir, ce qui est contraire à tout ce que l’Évangile enseigne. D’un autre côté, on ne peut pas dire que le sort de Jeanne Jugan ait été exceptionnel. Nous savons tous que beaucoup de saints eurent à subir des situations qui les meurtrissaient profondément. Mais cela n’excuse en rien l’attitude de l’abbé Le Pailleur.

Certaines novices avaient des mamans qui avaient connu Jeanne Jugan et qui s’étonnaient, voire s’indignaient,  avec juste raison, de la situation faite à la vraie fondatrice, et peu à peu le comportement autoritaire de l’abbé Le Pailleur finit par être décelé en haut lieu. Cependant ce n’est qu’après la mort de Jeanne, qu’une enquête apostolique fut ouverte. En 1890, après avoir imposé son autorité pendant quarante ans, Auguste Le Pailleur, âgé de 78 ans, fut  convoqué à Rome où il termina ses jours dans un couvent.

Justice était enfin rendue à Jeanne Jugan, mais bien tard. Pendant vingt sept ans Jeanne Jugan s’était tu: pas une seule protestation, pas un seul cri, par une seule lettre... Jésus avait eu le temps de se façonner une sainte selon son cœur: “elle était greffée dans sa Croix”. Et cela, c’était la deuxième vocation de Jeanne Jugan.

 

Justice sera complètement rendue à Jeanne Jugan, le 3 octobre 1982, quand le pape Jean-Paul 2 la proclamera bienheureuse.


[1] Mais le secrétariat reçut la consigne d’ignorer cette décision du conseil municipal et de continuer à envoyer le courrier Rue Vigne-au-Chapt.

[2] Un martyr romain.