DEPUIS LE JOUR
LETTRE ENCYCLIQUE
DE S.S. LE PAPE LÉON XIII
AUX ARCHEVÊQUES, ÉVÊQUES ET AU
CLERGÉ DE FRANCE
A nos vénérables frères les
Archevêques, Évêques et au Clergé de France,
Vénérables Frères,
Très chers Fils,
Depuis le jour où Nous avons
été élevé à la chaire pontificale, la France a été constamment
l’objet de Notre sollicitude et de Notre affection toute
particulière. C’est chez elle, en effet, que, dans le cours des
siècles, mû par les insondables desseins de sa miséricorde sur
le monde, Dieu a choisi de préférence les hommes apostoliques
destinés à prêcher la vraie foi jusqu’aux confins du globe, et à
porter la lumière de l’Evangile aux nations encore plongées dans
les ténèbres du paganisme. Il l’a prédestinée à être le
défenseur de son Eglise et l’instrument de ses grandes œuvres :
Gesta Dei per Francos.
A une si haute mission
correspondent évidemment de nombreux et graves devoirs.
Désireux, comme Nos prédécesseurs, de voir la France accomplir
fidèlement le glorieux mandat dont elle a été chargée, Nous lui
avons plusieurs fois déjà, durant Notre long Pontificat, adressé
Nos conseils, Nos encouragements, Nos exhortations. Nous l’avons
fait tout spécialement dans Notre Lettre Encyclique du 8 février
1884, Nobilissima Gallorum gens, et dans Notre Lettre du
16 février 1892, publiée dans l’idiome de la France et qui
commence par ces mots : Au milieu des sollicitudes. Nos
paroles ne sont pas demeurées infructueuses, et Nous savons par
vous, Vénérables Frères, qu’une grande partie du peuple français
tient toujours en honneur la foi de ses ancêtres et remplit avec
fidélité les devoirs qu’elle impose. D’autre part, Nous ne
saurions ignorer que les ennemis de cette foi sainte ne sont pas
demeurés inactifs, et qu’ils sont parvenus à bannir tout
principe de religion d’un grand nombre de familles, qui, par
suite, vivent dans une lamentable ignorance de la vérité révélée
et dans une complète indifférence pour tout ce qui touche à
leurs intérêts spirituels et au salut de leurs âmes.
Si donc, et à
bon droit, Nous félicitons la France d’être pour les nations
infidèles un foyer d’apostolat, Nous devons encourager aussi les
efforts de ceux de ses fils qui, enrôlés dans le sacerdoce de
Jésus-Christ, travaillent à évangéliser leurs compatriotes, à
les prémunir contre l’envahissement du naturalisme et de
l’incrédulité, avec leurs funestes et inévitables conséquences.
Appelés par la volonté de Dieu à être les sauveurs du monde, les
prêtres doivent tout toujours, et avant tout, se rappeler qu’ils
sont, de par l’institution même de Jésus-Christ, " le sel de la
terre " (Mt 5, 13),
d’où saint Paul, écrivant à son disciple Timothée, conclut avec
raison qu’ils doivent être l’exemple des fidèles dans leurs
paroles et dans leurs rapports avec le prochain, par leur
charité, leur foi et leur pureté (1 Tm 4, 12) ".
Qu’il en soit ainsi du clergé
de France, pris dans son ensemble, ce Nous est toujours,
Vénérables Frères, une grande consolation de l’apprendre, soit
par les relations quadriennales que vous Nous envoyez sur l’état
de vos diocèses, conformément à la Constitution de Sixte-Quint ;
soit par les communications orales que Nous recevons de vous,
lorsque Nous avons la joie de Nous entretenir avec vous et de
recevoir vos confidences : Oui, la dignité de la vie, l’ardeur
de la foi, l’esprit de dévouement et de sacrifice, l’élan et la
générosité du zèle, la charité inépuisable envers le prochain,
l’énergie dans toutes les nobles et fécondes entreprises qui ont
pour but la gloire de Dieu, le salut des âmes, le bonheur de la
patrie : telles sont les traditionnelles et précieuses qualités
du clergé français, auxquelles Nous sommes heureux de pouvoir
rendre ici un public et paternel témoignage.
Toutefois, en raison même de la
tendre et profonde affection que Nous lui portons, tout à la
fois pour satisfaire au devoir de Notre ministère apostolique,
et pour répondre à Notre vif désir de le voir demeurer toujours
à la hauteur de sa grande mission, Nous avons résolu, Vénérables
Frères, de traiter dans la présente Lettre quelques points que
les circonstances actuelles recommandent de la façon la plus
instante à la consciencieuse attention des premiers pasteurs de
l’Eglise de France et des prêtres qui travaillent sous leur
autorité.
C’est d’abord chose évidente
que, plus un office est relevé, complexe, difficile, plus longue
et plus soignée doit être la préparation de ceux qui sont
appelés à le remplir. Or, existe-t-il sur la terre une dignité
plus haute que celle du sacerdoce et un ministère imposant une
plus lourde responsabilité, que celui qui a pour objet la
sanctification de tous les actes libres de l’homme ? N’est-ce
pas du gouvernement des âmes que les Pères ont dit, avec raison,
que c’est " l’art des arts ", c’est-à-dire le plus important et
le plus délicat de tous les labeurs auxquels un homme puisse
être appliqué au profit de ses semblables, ars artium regimen
animarum ? 1 Rien donc ne devra être négligé pour
préparer à remplir dignement et fructueusement une telle
mission, ceux qu’une vocation divine y appelle.
Avant toute chose, il convient
de discerner, parmi les jeunes enfants, ceux en qui le Très Haut
a déposé le germe d’une semblable vocation. Nous savons que,
dans un certain nombre de diocèses de France, grâce à vos sages
recommandations, les prêtres des paroisses, surtout dans les
campagnes, s’appliquent, avec un zèle et une abnégation que Nous
ne saurions trop louer, à commencer eux-mêmes les études
élémentaires des enfants dans lesquels ils ont remarqué des
dispositions sérieuses à la piété et des aptitudes au travail
intellectuel. Les écoles presbytérales sont ainsi comme le
premier degré de cette échelle ascendante qui, d’abord par les
Petits, puis par les Grands Séminaires, fera monter jusqu’au
sacerdoce les jeunes gens auxquels le Sauveur a répété l’appel
adressé à Pierre et à André, à Jean et à Jacques : " Laissez vos
filets ; suivez-moi ; je veux faire de vous des pêcheurs
d’hommes " (Mt 4, 19).
Quant aux Petits Séminaires,
cette très salutaire institution a été souvent et justement
comparée à ces pépinières ou sont mises à part les plantes qui
réclament des soins plus spéciaux et plus assidus, moyennant
lesquels, seuls, elles peuvent porter des fruits et dédommager
de leurs peines ceux qui s’appliquent à les cultiver. Nous
renouvelons, à cet égard, la recommandation que, dans son
Encyclique du 8 décembre 1849, Notre prédécesseur, Pie IX,
adressait aux évêques. Elle se référait elle-même à une des plus
importantes décisions des Pères du saint Concile de Trente.
C’est la gloire de l’Eglise de France, dans le siècle présent,
d’en avoir tenu le plus grand compte, puisqu’il n’est pas un
seul des 94 diocèses dont elle se compose qui ne soit doté d’un
ou de plusieurs Petits Séminaires.
Nous savons, vénérables Frères,
de quelles sollicitudes vous entourez ces institutions si
justement chères à votre zèle pastoral, et Nous vous en
félicitons. Les prêtres qui, sous votre haute direction,
travaillent à la formation de la jeunesse appelée à s’enrôler
plus tard dans les rangs de la milice sacerdotale, ne sauraient
trop souvent méditer devant Dieu l’importance exceptionnelle de
la mission que vous leur confiez. Il ne s’agit pas pour eux,
comme pour le commun des maîtres, d’enseigner simplement à ces
enfants les éléments des lettres et des sciences humaines. Ce
n’est là que la moindre partie de leur tâche. Il faut que leur
attention, leur zèle, leur dévouement soient sans cesse en éveil
et en action, d’une part, pour étudier continuellement sous le
regard et dans la lumière de Dieu les âmes des enfants et les
indices significatifs de leur vocation au service des autels ;
de l’autre, pour aider l’inexpérience et la faiblesse de leurs
jeunes disciples, à protéger la grâce si précieuse de l’appel
divin contre toutes les influences funestes, soit du dehors,
soit du dedans. Ils ont donc à remplir un ministère humble,
laborieux, délicat, qui exige une constante abnégation. Afin de
soutenir leur courage dans l’accomplissement de leurs devoirs,
ils auront soin de le retremper aux sources les plus pures de
l’esprit. de foi. Ils ne perdront jamais de vue qu’ils n’ont
point à préparer pour des fonctions terrestres, si légitimes et
honorables soient-elles les enfants dont ils forment
l’intelligence, le coeur, le caractère. L’Eglise les leur confie
pour qu’ils deviennent capables un jour d’être des prêtres,
c’est-à-dire des missionnaires de l’Evangile, des continuateurs
de l’oeuvre de Jésus-Christ, des distributeurs de sa grâce et de
ses sacrements. Que cette considération, toute surnaturelle, se
mêle incessamment à leur double action de professeurs et
d’éducateurs, et soit comme ce levain qu’il faut mélanger au
meilleur froment, suivant la parabole évangélique, pour les
transformer en un pain savoureux et substantiel (cf. Mt
13, 33).
Si la préoccupation constante
d’une première et indispensable formation à l’esprit et aux
vertus du sacerdoce doit inspirer les maîtres de vos Petits
Séminaires dans leurs relations avec leurs élèves, c’est à cette
même idée principale et directrice que se rapporteront le plan
des études et toute l’économie de la discipline. Nous n’ignorons
pas, Vénérables Frères, que dans une certaine mesure, vous êtes
obligés de compter avec les programmes de l’Etat et les
conditions mises par lui à l’obtention des grades
universitaires, puisque, dans un certain nombre de cas, ces
grades sont exigés des prêtres employés soit à la direction des
collèges libres placés sous la tutelle des évêques et des
Congrégations religieuses, soit à l’enseignement supérieur dans
les Facultés catholiques que vous avez si louablement fondées.
Il est, d’ailleurs, d’un intérêt souverain, pour maintenir
l’influence du clergé sur la société, qu’il compte dans ses
rangs un assez grand nombre de prêtres ne le cédant en rien pour
la science, dont les grades sont la constatation officielle, aux
maîtres que l’Etat forme pour ses lycées et ses Universités.
Toutefois, et après avoir fait
à cette exigence des programmes la part qu’imposent les
circonstances, il faut que les études des aspirants au sacerdoce
demeurent fidèles aux méthodes traditionnelles des siècles
passés. Ce sont elles qui ont formé les hommes éminents dont
l’Eglise de France est fière à si juste titre, les Pétau, les
Thomassin, les Mabillon et tant d’autres, sans parler de votre
Bossuet, appelé l’aigle de Meaux, parce que, soit par
l’élévation des pensées, soit par la noblesse du langage, son
génie plane dans les plus sublimes régions de la science et de
l’éloquence chrétienne. Or, c’est l’étude des belles-lettres qui
a puissamment aidé ces hommes à devenir de très vaillants et
utiles ouvriers au service de l’Eglise, et les a rendus capables
de composer des ouvrages vraiment dignes de passer à la
postérité et qui contribuent encore de nos jours à la défense et
à la diffusion de la vérité révélée. En effet, c’est le propre
des belles-lettres, quand elles sont enseignées par des maîtres
chrétiens et habiles, de développer rapidement dans l’âme des
jeunes gens tous les germes de vie intellectuelle et morale, en
même temps qu’elles contribuent à donner au jugement de la
rectitude et de l’ampleur, et au langage, de l’élégance et de la
distinction.
Cette considération acquiert
une importance spéciale quand il s’agit des littératures grecque
et latine, dépositaires des chefs-d’œuvre de science sacrée que
l’Eglise compte à bon droit parmi ses plus précieux trésors. Il
y a un demi-siècle, pendant cette période trop courte de
véritable liberté, durant laquelle les évêques de France
pouvaient se réunir et concerter les mesures qu’ils estimaient
les plus propres à favoriser les progrès de la religion et, du
même coup, les plus profitables à la paix publique, plusieurs de
vos Conciles provinciaux, Vénérables Frères, recommandèrent de
la façon la plus expresse la culture de la langue et de la
littérature latines. Vos collègues d’alors déploraient déjà que,
dans votre pays, la connaissance du latin tendît à décroître 2.
Si, depuis plusieurs années,
les méthodes pédagogiques en vigueur dans les établissements de
l’Etat réduisent progressivement l’étude de la langue latine, et
suppriment des exercices de prose et de poésie que nos
devanciers estimaient à bon droit devoir tenir une grande place
dans les classes des collèges, les Petits Séminaires se mettront
en garde contre ces innovations inspirées par des préoccupations
utilitaires, et qui tournent au détriment de la solide formation
de l’esprit. A ces anciennes méthodes, tant de fois justifiées
par leurs résultats, Nous appliquerions volontiers le mot de
saint Paul à son disciple Timothée, et, avec l’Apôtre, Nous vous
dirions, Vénérables Frères : " Gardez-en le dépôt " (1 Tm
6, 20) avec un soin jaloux. Si un jour, ce qu’à Dieu ne plaise,
elles devaient disparaître complètement des autres écoles
publiques, que vos Petits Séminaires et collèges libres les
gardent avec une intelligente et patriotique sollicitude. Vous
imiterez ainsi les prêtres de Jérusalem qui, voulant soustraire
à de barbares envahisseurs le feu sacré du Temple, le cachèrent
de manière à pouvoir le retrouver et à lui rendre toute sa
splendeur, quand les mauvais jours seraient passés (cf. 2 M
1, 19. 22).
Une fois en possession de la
langue latine, qui est comme la clef de la science sacrée, et
les facultés de l’esprit suffisamment développées par l’étude
des belles-lettres, les jeunes gens qui se destinent au
sacerdoce passent du Petit au Grand Séminaire. Ils s’y
prépareront, par la piété et l’exercice des vertus cléricales, à
la réception des saints Ordres, en même temps qu’ils s’y
livreront à l’étude de la philosophie et de la théologie.
Nous le disions dans Notre
Encyclique Aeterni Patris, dont Nous recommandons de
nouveau la lecture attentive à vos séminaristes et à leurs
maîtres, et Nous le disions en Nous appuyant sur l’autorité de
saint Paul c’est par les vaines subtilités de la mauvaise
philosophie, per philosophiam et inanem fallaciam (Col
2, 8), que l’esprit des fidèles se laisse le plus souvent
tromper, et que la pureté de la foi se corrompt parmi les
hommes. Nous ajoutions, et les événements accomplis depuis vingt
ans ont bien tristement confirmé les réflexions et les
appréhensions que Nous exprimions alors : " Si l’on fait
attention aux conditions critiques du temps où nous vivons, si
l’on embrasse par la pensée l’état des affaires tant publiques
que privées, on découvrira sans peine que la cause des maux qui
nous oppriment, comme de ceux qui nous menacent, consiste en
ceci : que des opinions erronées sur toutes choses, divines et
humaines, des écoles des philosophes se sont peu à peu glissées
dans tous les rangs de la société et sont arrivées à se faire
accepter d’un grand nombre d’esprits 3. "
Nous réprouvons de nouveau ces
doctrines qui n’ont de la vraie philosophie que le nom, et qui,
ébranlant la base même du savoir humain, conduisent logiquement
au scepticisme universel et à l’irréligion. Ce nous est une
profonde douleur d’apprendre que, depuis quelques années, des
catholiques ont cru pouvoir se mettre à la remorque d’une
philosophie qui, sous le spécieux prétexte d’affranchir la
raison humaine de toute idée préconçue et de toute illusion, lui
dénie le droit de rien affirmer au delà de ses propres
opérations, sacrifiant ainsi à un subjectivisme radical toutes
les certitudes que la métaphysique traditionnelle, consacrée par
l’autorité des plus vigoureux esprits, donnait comme nécessaires
et inébranlables fondements à la démonstration de l’existence de
Dieu, de la spiritualité et de l’immortalité de l’âme, et de la
réalité objective du monde extérieur. Il est profondément
regrettable que ce scepticisme doctrinal, d’importation
étrangère et d’origine protestante, ait pu être accueilli avec
tant de faveur dans un pays justement célèbre par son amour pour
la clarté des idées et pour celle du langage. Nous savons,
Vénérables Frères, à quel point vous partagez là-dessus Nos
justes préoccupations et Nous comptons que vous redoublerez de
sollicitude et de vigilance pour écarter de l’enseignement de
vos Séminaires cette fallacieuse et dangereuse philosophie,
mettant plus que jamais en honneur les méthodes que Nous
recommandions dans Notre Encyclique précitée du 4 août 1879.
Moins que jamais, à notre
époque, les élèves de vos Petits et de vos Grands Séminaires ne
sauraient demeurer étrangers à l’étude des sciences physiques et
naturelles. II convient donc qu’ils y soient appliqués, mais
avec mesure et dans de sages proportions. II n’est donc
nullement nécessaire que, dans les cours de sciences, annexes à
l’étude de la philosophie, les professeurs se croient obligés
d’exposer en détail les applications presque innombrables des
sciences physiques et naturelles aux diverses branches de
l’industrie humaine. Il suffit que leurs élèves en connaissent
avec précision les grands principes et les conclusions
sommaires, afin d’être en état de résoudre les objections que
les incrédules tirent de ces sciences contre les enseignements
de la révélation.
Par-dessus tout, il importe
que, durant deux ans au moins, les élèves de vos Grands
Séminaires étudient avec un soin assidu la philosophie
rationnelle, laquelle, disait un savant Bénédictin,
l’honneur de son Ordre et de la France, D. Mabillon, leur sera
d’un si grand secours, non seulement pour leur apprendre à bien
raisonner et à porter de justes jugements, mais pour les mettre
à même de défendre la foi orthodoxe contre les arguments
captieux et souvent sophistiques des adversaires 4.
Viennent ensuite les sciences
sacrées proprement dites, à savoir la Théologie dogmatique et la
Théologie morale, l’Ecriture Sainte, l’Histoire ecclésiastique
et le Droit Canon. Ce sont là les sciences propres au prêtre. Il
en reçoit une première initiation pendant son séjour au Grand
Séminaire ; il devra en poursuivre l’étude tout le reste de sa
vie.
La théologie, c’est la science
des choses de la foi. Elle s’alimente, nous dit le pape
Sixte—Quint, à ces sources toujours jaillissantes qui sont les
Saintes Ecritures, les décisions des Papes, les décrets des
Conciles 5.
Appelée positive et
spéculative, ou scolastique, suivant la méthode qu’on emploie
pour l’étudier, la théologie ne se borne bas à proposer les
vérités à croire ; elle en scrute le fond intime, elle en montre
les rapports avec la raison humaine, et, à l’aide des ressources
que lui fournit la vraie philosophie, elle les explique, les
développe, et les adapte exactement à tous les besoins de la
défense et de la propagation de la foi. A l’instar de Béléséel,
à qui le Seigneur avait donné son esprit de sagesse,
d’intelligence et de science, en lui confiant la mission de
bâtir son temple, le théologien " taille les pierres précieuses
des divins dogmes, les assortit avec art, et, par l’encadrement
dans lequel il les place, en fait ressortir l’éclat, le charme
et la beauté 6 ".
C’est donc avec raison que le
même Sixte-Quint appelle cette théologie (et il parle
spécialement ici de la théologie scolastique) un don du ciel et
demande qu’elle soit maintenue dans les écoles et cultivée avec
une grande ardeur, comme étant ce qu’il y a de plus fructueux
pour l’Eglise 7.
Est-il besoin d’ajouter que le
livre par excellence ou les élèves pourront étudier avec plus de
profit la théologie scolastique est la Somme Théologique
de saint Thomas d’Aquin ? Nous voulons donc que les professeurs
aient soin d’en expliquer à tous leurs élèves la méthode, ainsi
que les principaux articles relatifs à la foi catholique.
Nous recommandons également que
tous les séminaristes aient entre les mains et relisent souvent
le livre d’or, connu sous le nom de Catéchisme du saint Concile
de Trente ou Catéchisme romain, dédié à tous les prêtres
investis de la charge pastorale (Catechismus ad parochos).
Remarquable à la fois par la richesse et l’exactitude de la
doctrine et par l’élégance du style, ce catéchisme est un
précieux abrégé de toute la théologie dogmatique et morale. Qui
le posséderait à fond aurait toujours à sa disposition les
ressources à l’aide desquelles un prêtre peut prêcher avec
fruit, s’acquitter dignement de l’important ministère de la
confession et de la direction des âmes, et être en état de
réfuter victorieusement les objections des incrédules.
Au sujet de l’étude des Saintes
Ecritures, Nous appelons de nouveau votre attention, Vénérables
Frères, sur les enseignements que Nous avons donnés dans Notre
Encyclique Providentissimus Deus 8, dont nous
désirons que les professeurs donnent connaissance à leurs
disciples, en y ajoutant les explications nécessaires. Ils les
mettront spécialement en garde contre des tendances inquiétantes
qui cherchent à s’introduire dans l’interprétation de la Bible,
et qui, si elles venaient à prévaloir, ne tarderaient pas à en
ruiner l’inspiration et le caractère surnaturels. Sous le
spécieux prétexte d’enlever aux adversaires de la parole révélée
l’usage d’arguments qui semblaient irréfutables contre
l’authenticité et la véracité des Livres Saints, des écrivains
catholiques ont cru très habile de prendre ces arguments à leur
compte. En vertu de cette étrange et périlleuse tactique, ils
ont travaillé, de leurs propres mains, à faire des brèches dans
les murailles de la cité qu’ils avaient mission de défendre.
Dans Notre Encyclique précitée, ainsi que dans un autre
document 9, Nous avons fait justice de ces
dangereuses témérités. Tout en encourageant nos exégètes à se
tenir au courant des progrès de la critique, Nous avons
fermement maintenu les principes sanctionnés en cette matière
par l’autorité traditionnelle des Pères et des Conciles, et
renouvelés de nos jours par le Concile du Vatican.
L’historien de l’Eglise sera
d’autant plus fort pour faire ressortir son origine divine,
supérieure à tout concept d’ordre purement terrestre et naturel,
qu’il aura été plus loyal à ne rien dissimuler des épreuves que
les fautes de ses enfants, et parfois même de ses ministres, ont
fait subir à cette Epouse du Christ dans le cours des siècles.
Etudiée de cette façon, l’histoire de l’Eglise, à elle toute
seule, constitue une magnifique et concluante démonstration de
la vérité et de la divinité du christianisme.
L’histoire de l’Eglise est
comme un miroir où resplendit la vie de l’Eglise à travers les
siècles. Bien plus encore que l’histoire civile et profane, elle
démontre la souveraine liberté de Dieu et son action
providentielle sur la marche des événements. Ceux qui l’étudient
ne doivent jamais perdre de vue qu’elle renferme un ensemble de
faits dogmatiques, qui s’imposent à la foi et qu’il n’est permis
à personne de révoquer en doute. Cette idée directrice et
surnaturelle qui préside aux destinées de l’Eglise est en même
temps le flambeau dont la lumière éclaire son histoire.
Toutefois, et parce que l’Eglise, qui continue parmi les hommes
la vie du Verbe incarné, se compose d’un élément divin et d’un
élément humain, ce dernier doit être exposé par les élèves avec
une grande probité. Comme il est dit au livre de Job : " Dieu
n’a pas besoin de nos mensonges (Jb 13, 77) 10. "
Enfin, pour achever le cycle
des études par lesquelles les candidats au sacerdoce doivent se
préparer à leur futur ministère, il faut mentionner le droit
canonique, ou science des lois et de la jurisprudence de
l’Eglise. Cette science se rattache par des liens très intimes
et très logiques à celle de la théologie, dont elle montre les
applications pratiques à tout ce qui concerne le gouvernement de
l’Eglise, la dispensation des choses saintes, les droits et les
devoirs de ses ministres, l’usage des biens temporels, dont elle
a besoin pour l’accomplissement de sa mission. " Sans la
connaissance du droit canonique (disaient fort bien les Pères
d’un de vos Conciles provinciaux), la théologie est imparfaite,
incomplète, semblable à un homme qui serait privé d’un bras.
C’est l’ignorance du droit canon qui a favorisé la naissance et
la diffusion de nombreuses erreurs sur les droits des Pontifes
Romains, sur ceux des évêques et sur la puissance que l’Eglise
tient de sa propre constitution, dont elle proportionne
l’exercice aux circonstances 11.
Nous résumerons tout ce que
Nous venons de dire sur vos Petits et vos Grands Séminaires par
cette parole de saint Paul, que Nous recommandons à la fréquente
méditation des maîtres et des élèves de vos athénées
ecclésiastiques : " O Timothée, gardez avec soin le dépôt qui
vous a été confié. Fuyez les profanes nouveautés de paroles et
les objections qui se couvrent du faux nom de science ; car tout
ceux qui en ont fait profession ont erré au sujet de la foi (1
Tm 6, 20-21) 12. "
C’est à vous maintenant, très
chers Fils, qui, ordonnés prêtres, êtes devenus les coopérateurs
de vos évêques, c’est à vous que Nous voulons adresser la
parole. Nous connaissons, et le monde entier connaît comme Nous,
les qualités qui vous distinguent. Pas une bonne oeuvre dont
vous ne soyez ou les inspirateurs ou les apôtres. Dociles aux
conseils que Nous avons donnés dans Notre Encyclique Rerum
Novarum, vous allez au peuple, aux ouvriers, aux pauvres.
Vous cherchez par tous les moyens à leur venir en aide, à les
moraliser et à rendre leur sort moins dur. Dans ce but, vous
provoquez des réunions et des Congrès ; vous fondez des
patronages, des cercles, des caisses rurales, des bureaux
d’assistance et de placement pour les travailleurs. Vous vous
ingéniez à introduire des réformes dans l’ordre économique et
social, et, pour un si difficile labeur, vous n’hésitez pas à
faire de notables sacrifices de temps et d’argent. C’est encore
pour cela que vous écrivez des livres ou des articles dans les
journaux et les revues périodiques. Toutes ces choses, en
elles-mêmes, sont très louables, et vous y donnez des preuves
non équivoques de bon vouloir, d’intelligent et généreux
dévouement aux besoins les plus pressants de la société
contemporaine et des âmes.
Toutefois, très chers Fils,
Nous croyons devoir appeler paternellement votre attention sur
quelques principes fondamentaux, auxquels vous ne manquerez pas
de vous conformer, si vous voulez que votre action soit
réellement fructueuse et féconde.
Souvenez-vous avant toute chose
que, pour être profitable au bien et digne d’être loué, le zèle
doit être " accompagné de discrétion, de rectitude et de
pureté ". Ainsi s’exprime le grave et judicieux Thomas a Kempis 13.
Avant lui, saint Bernard, la gloire de votre pays au XIIe
siècle, cet apôtre infatigable de toutes les grandes causes qui
touchaient à l’honneur de Dieu, aux droits de l’Eglise, au bien
des âmes, n’avait pas craint de dire que, séparé de la science
et de l’esprit de discernement ou de discrétion, le zèle est
insupportable ... que plus le zèle est ardent, plus il est
nécessaire qu’il soit accompagné de cette discrétion qui met
l’ordre dans l’exercice de la charité, et sans laquelle la vertu
elle-même peut devenir un défaut et un principe de désordre 14 ".
Mais la discrétion dans les
oeuvres et dans le choix des moyens pour les faire réussir est
d’autant plus indispensable que les temps présents sont plus
troublés et hérissés de difficultés plus nombreuses. Tel acte,
telle mesure, telle pratique de zèle pourront être excellents en
eux-mêmes, lesquels, vu les circonstances, ne produiront que des
résultats fâcheux. Les prêtres éviteront cet inconvénient et ce
malheur si, avant d’agir et dans l’action, ils ont soin de se
conformer à l’ordre établi et aux règles de la discipline. Or,
la discipline ecclésiastique exige l’union entre les divers
membres de la hiérarchie, le respect et l’obéissance des
inférieurs à l’égard des supérieurs. Nous le disions naguère
dans Nos lettres à l’archevêque de Tours : " L’édifice de
l’Eglise, dont Dieu lui-même est l’architecte, repose sur un
très visible fondement, d’abord sur l’autorité de Pierre et de
ses successeurs, mais aussi sur les apôtres, et les successeurs
des apôtres, qui sont les évêques ; de telle sorte qu’écouter
leur voix ou la mépriser équivaut à écouter ou à mépriser
Jésus-Christ lui-même 15. "
Ecoutez donc les paroles
adressées par le grand martyr d’Antioche, saint Ignace, au
clergé de l’Eglise primitive : " Que tous obéissent à leur
Evêque comme Jésus-Christ a obéi à son Père. Ne faites en dehors
de votre évêque rien de ce qui touche au service de l’Eglise, et
de même que Notre-Seigneur n’a rien fait que dans une étroite
union avec son Père, vous, prêtres, ne faites rien sans votre
évêque. Que tous les membres du corps presbytéral lui soient
unis, de même que sont unies à la harpe toutes les cordes de
l’instrument 16. "
Si, au contraire, vous
agissiez, comme prêtres, en dehors de cette soumission et de
cette union à vos évêques, Nous vous répéterions ce que disait
Notre prédécesseur Grégoire XVI, à savoir que, " autant qu’il
dépend de votre pouvoir, vous détruisez de fond en comble
l’ordre établi avec une si sage prévoyance par Dieu, auteur de
1’Eglise 17.
Souvenez-vous encore, Nos chers
Fils, que l’Eglise est avec raison comparée à une armée rangée
en bataille, sicut castrorum acies ordinata (Ct 6,
3), parce qu’elle a pour mission de combattre les ennemis
visibles et invisibles de Dieu et des âmes. Voilà pourquoi saint
Paul recommandait à Timothée de se comporter " comme un bon
soldat du Christ Jésus (2 Tm 2, 3) ". Or, ce qui fait la
force d’une armée et contribue le plus à la victoire, c’est la
discipline, c’est l’obéissance exacte et rigoureuse de tous, à
ceux qui ont la charge de commander.
C’est bien ici
que le zèle intempestif et sans discrétion peut aisément devenir
la cause de véritables désastres. Rappelez-vous un des faits les
plus mémorables de l’Histoire Sainte. Assurément, ils ne
manquaient ni de courage, ni de bon vouloir, ni de dévouement à
la cause sacrée de la religion, ces prêtres qui s’étaient
groupés autour de Judas Machabée pour combattre avec lui les
ennemis du vrai Dieu, les profanateurs du temple, les
oppresseurs de leur nation. Toutefois, ayant voulu s’affranchir
des règles de la discipline, ils s’engagèrent témérairement dans
un combat où ils furent vaincus. L’Esprit-Saint nous dit d’eux "
qu’ils n’étaient pas de la race de
ceux qui pouvaient sauver Israël. — Pourquoi ? parce qu’ils
avaient voulu n’obéir qu’à leurs propres inspirations et
s’étaient jetés en avant sans attendre les ordres de leurs
chefs. In die illa ceciderunt sacerdotes in bello dum volunt
fortiter facere, dum sine consilio exeunt in proelium. Ipsi
autem non erant de semine virorum illorum, per quos salus facta
est in Israel (1 M 5, 67. 62).
A cet égard, nos ennemis
peuvent nous servir d’exemple. Ils savent très bien que l’union
fait la force, vis unita fortior ; aussi, ne manquent-ils
pas de s’unir étroitement, dès qu’il s’agit de combattre la
sainte Eglise de Jésus-Christ.
Si donc, Nos chers Fils, comme
tel est certainement votre cas, vous désirez que, dans la lutte
formidable engagée contre l’Eglise par les sectes
antichrétiennes et par la cité du démon, la victoire reste à
Dieu et à son Eglise, il est d’une absolue nécessité que vous
combattiez tous ensemble, en grand ordre et en exacte
discipline, sous le commandement de vos chefs hiérarchiques.
N’écoutez pas ces hommes néfastes qui, tout en se disant
chrétiens et catholiques, jettent la zizanie dans le champ du
Seigneur et sèment la division dans son Eglise en attaquant, et
souvent même, en calomniant les évêques, " établis par
l’Esprit-Saint pour régir l’Eglise de Dieu (Ac 20, 28). "
Ne lisez ni leurs brochures, ni leurs journaux. Un bon prêtre ne
doit autoriser en aucune manière ni leurs idées, ni la licence
de leur langage. Pourrait-il jamais oublier que, le jour de son
ordination, il a solennellement promis à son évêque, en face des
saints autels, obedientiam et reverentiam ?
Par-dessus tout, Nos chers
Fils, rappelez-vous que la condition indispensable du vrai zèle
sacerdotal et le meilleur gage de succès dans les oeuvres
auxquelles l’obéissance hiérarchique vous consacre, c’est la
pureté et la sainteté de la vie. " Jésus a commencé par faire
avant d’enseigner (Ac 1, 1). " Comme lui, c’est par la
prédication de l’exemple que le prêtre doit préluder à la
prédication de la parole. " Séparés du siècle et de ses affaires
(disent les Pères du saint Concile de Trente), les clercs ont
été placés à une hauteur qui les met en évidence, et les fidèles
regardent dans leur vie comme dans un miroir pour savoir ce
qu’ils doivent imiter. C’est pourquoi les clercs, et tous ceux
que Dieu a spécialement appelés à son service, doivent si bien
régler leurs actions et leurs moeurs que dans leur manière
d’être, leurs mouvements, leurs démarches, leurs paroles et tous
les autres détails de leur vie, il n’y ait rien qui ne soit
grave, modeste, profondément empreint de religion. Ils éviteront
les fautes qui, légères chez les autres, seraient très graves
pour eux, afin qu’il n’y ait pas un seul de leurs actes qui
n’inspire à tous le respect 18. "
A ces recommandations du saint
Concile, que Nous voudrions, Nos chers Fils, graver dans tous
vos coeurs, manqueraient assurément les prêtres qui adopteraient
dans leurs prédications un langage peu en harmonie avec la
dignité de leur sacerdoce et la sainteté de la parole de Dieu ;
qui assisteraient à des réunions populaires où leur présence ne
servirait qu’à exciter les passions des impies et des ennemis de
l’Eglise, et les exposerait eux-mêmes aux plus grossières
injures, sans profit pour personne et au grand étonnement, sinon
au scandale, des pieux fidèles ; qui prendraient les manières
d’être et d’agir, et l’esprit des séculiers. Assurément, le sel
a besoin d’être mélangé à la masse qu’il doit préserver de la
corruption, en même temps que lui-même se défend contre elle,
sous peine de perdre toute saveur et de n’être plus bon à rien
qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds (Mt 5, 13).
De même le prêtre, sel de la
terre, dans son contact obligé avec la société qui l’entoure,
doit-il conserver la modestie, la gravité, la sainteté dans son
maintien, ses actes, ses paroles, et ne pas se laisser envahir
par la légèreté, la dissipation, la vanité des gens du monde. Il
faut, au contraire, qu’au milieu des hommes il conserve son âme
si unie à Dieu, qu’il n’y perde rien de l’esprit de son saint
état et ne soit pas contraint de faire devant Dieu et devant sa
conscience ce triste et humiliant aveu :
" Toutes les fois que j’ai été
parmi les laïques, j’en suis revenu moins prêtre. "
Ne serait-ce pas pour avoir,
par un zèle présomptueux, mis de côté ces règles traditionnelles
de la discrétion, de la modestie, de la prudence sacerdotales,
que certains prêtres traitent de surannés, d’incompatibles avec
les besoins du ministère dans le temps ou nous vivons, les
principes de discipline et de conduite qu’ils ont reçus de leurs
maîtres du grand Séminaire ? On les voit aller, comme
d’instinct, au-devant des innovations les plus périlleuses de
langage, d’allures, de relations. Plusieurs, hélas ! engagés
témérairement sur des pentes glissantes, où, par eux-mêmes, ils
n’avaient pas la force de se retenir, méprisant les
avertissements charitables de leurs supérieurs ou de leurs
confrères plus anciens ou plus expérimentés, ont abouti à des
apostasies qui ont réjoui les adversaires de l’Eglise et fait
verser des larmes bien amères à leurs évêques, à leurs frères
dans le sacerdoce et aux pieux fidèles. Saint Augustin nous le
dit : Plus on marche avec force et rapidité quand on est en
dehors du bon chemin, et plus on s’égare 19. "
Assurément, il y a des
nouveautés avantageuses, propres à faire avancer le royaume de
Dieu dans les âmes et dans la société. Mais, nous dit le saint
Evangile (Mt 13, 52), c’est au Père de famille, et
non aux enfants et aux serviteurs, qu’il appartient de les
examiner, et, s’il le juge à propos, de leur donner droit de
cité, à côté des usages anciens et vénérables qui composent
l’autre partie de son trésor.
Lorsque, naguère, Nous
remplissions le devoir apostolique de mettre les catholiques de
l’Amérique du Nord en garde contre des innovations tendant,
entre autres choses, à substituer aux principes de perfection
consacrés par l’enseignement des docteurs et par la pratique des
saints, des maximes ou des règles de vie morale plus ou moins
imprégnées de ce naturalisme qui, de nos jours, tend à pénétrer
partout, Nous avons hautement proclamé que, loin de répudier et
de rejeter en bloc les progrès accomplis dans les temps
présents, Nous voulions accueillir très volontiers tout ce qui
peut augmenter le patrimoine de la science ou généraliser
davantage les conditions de la prospérité publique. Mais Nous
avions soin d’ajouter que ces progrès ne pouvaient servir
efficacement la cause du bien, si l’on mettait de côté la sage
autorité de l’Eglise 20.
En terminant ces lettres, il
Nous plaît d’appliquer au clergé de France, ce que Nous
écrivions jadis aux prêtres de Notre diocèse de Pérouse. Nous
reproduisons ici une partie de la Lettre pastorale que Nous leur
adressions le 19 juillet 1866.
" Nous demandons aux
ecclésiastiques de notre diocèse de réfléchir sérieusement sur
leurs sublimes obligations, sur les circonstances difficiles que
nous traversons, et de faire en sorte que leur conduite soit en
harmonie avec leurs devoirs et toujours conforme aux règles d’un
zèle éclairé et prudent. Ainsi ceux-là même qui sont nos ennemis
chercheront en vain des motifs de reproche et de blâme : qui
ex adverso est, vereatur nihil habens malum dicere de nobis
(Tt 2, 8).
" Bien que les difficultés et
les périls se multiplient de jour en jour, le prêtre pieux et
fervent ne doit pas pour cela se décourager, il ne doit pas
abandonner ses devoirs, ni même s’arrêter dans l’accomplissement
de la mission spirituelle qu’il a reçue pour le bien, pour le
salut de l’humanité, et pour le maintien de cette auguste
religion dont il est le héraut et le ministre. Car c’est surtout
dans les difficultés, dans les épreuves, que sa vertu s’affirme
et se fortifie : c’est dans les plus grands malheurs, au milieu
des transformations politiques et des bouleversements sociaux,
que l’action bienfaisante et civilisatrice de son ministère se
manifeste avec plus d’éclat.
" ... Pour en venir à la
pratique, nous trouvons un enseignement parfaitement adapté aux
circonstances dans les quatre maximes que le grand apôtre saint
Paul donnait à son disciple Tite. En toutes choses, donnez le
bon exemple par vos oeuvres, par votre doctrine, par l’intégrité
de votre vie, par la gravité de votre conduite, en ne faisant
usage que de paroles saintes et irrépréhensibles (In omnibus
teipsum praebe exemplum bonorum operum, in doctrina, in
integritate, in gravitate, verbum sanum, irreprehensibile - Tt
2, 7-8). Nous voudrions que chacun des membres de notre clergé
méditât ces maximes et y conformât sa conduite.
" In omnibus
teipsum praebe exemplum bonorum operum.
En toutes choses donnez
l’exemple des bonnes oeuvres, c’est-à-dire d’une vie exemplaire
et active, animée d’un véritable esprit de charité et guidée par
les maximes de la prudence évangélique ; d’une vie de sacrifice
et de travail, consacrée à faire du bien au prochain, non pas
dans des vues terrestres et pour une récompense périssable, mais
dans un but surnaturel. Donnez l’exemple de ce langage à la fois
simple, noble et élevé, de cette parole saine et
irrépréhensible, qui confond toute opposition humaine, apaise
l’antique haine que nous a vouée le monde, et nous concilie le
respect, l’estime même des ennemis de la religion. Quiconque
s’est voué au service du sanctuaire a été obligé en tout temps
de se montrer un vivant modèle, un exemplaire parfait de toutes
les vertus ; mais cette obligation est beaucoup plus grande
lorsque, par suite des bouleversements sociaux, on marche sur un
terrain difficile et incertain, où l’on peut trouver à chaque
pas des embûches et des prétextes d’attaque...
" ... In doctrina. En
présence des efforts combinés de l’incrédulité et de l’hérésie
pour consommer la ruine de la foi catholique, ce serait un vrai
crime pour le clergé de rester hésitant et inactif. Au milieu
d’un si grand débordement d’erreurs, d’un tel conflit
d’opinions, il ne peut faillir à sa mission qui est de défendre
le dogme attaqué, la morale travestie et la justice si souvent
méconnue. C’est à lui qu’il appartient de s’opposer comme une
barrière à l’erreur envahissante et à l’hérésie qui se
dissimule ; à lui de surveiller les agissements des fauteurs
d’impiété qui s’attaquent à la foi et à l’honneur de cette
contrée catholique ; à lui de démasquer leurs ruses et de
signaler leurs embûches ; à lui de prémunir les simples, de
fortifier les timides, d’ouvrir les yeux aux aveugles. Une
érudition superficielle, une science vulgaire ne suffisent point
pour cela : il faut des études solides, approfondies et
continuelles, en un mot, un ensemble de connaissances
doctrinales capables de lutter avec la subtilité et la
singulière astuce de nos modernes contradicteurs...
" ... In integritate.
Rien ne prouve tant l’importance de ce conseil, que la triste
expérience de ce qui se passe autour de nous. Ne voyons-nous
pas, en effet, que la vie relâchée de certains ecclésiastiques
discrédite et fait mépriser leur ministère et occasionne des
scandales ? Si des hommes doués d’un esprit aussi brillant que
remarquable désertent parfois les rangs de la sainte milice et
se mettent en révolte contre l’Eglise, cette mère qui, dans son
affectueuse tendresse, les avait préposés au gouvernement et au
salut des âmes, leur défection et leurs égarements n’ont le plus
souvent pour origine que leur indiscipline ou leurs mauvaises
moeurs...
" ... In gravitate. Par
gravité, il faut entendre cette conduite sérieuse, pleine de
jugement et de tact qui doit être propre au ministre fidèle et
prudent que Dieu a choisi pour le gouvernement de sa famille.
Celui-ci, en effet, tout en remerciant Dieu d’avoir daigné
l’élever à cet honneur, doit se montrer fidèle à toutes ses
obligations, en même temps que mesuré et prudent dans tous ses
actes ; il ne doit point se laisser dominer par de viles
passions, ni emporter en paroles violentes et excessives ; il
doit compatir avec bonté aux malheurs et aux faiblesses
d’autrui, faire à chacun tout le bien qu’il peut, d’une manière
désintéressée, sans ostentation, en maintenant toujours intact
l’honneur de son caractère et de sa sublime dignité. "
Nous revenons maintenant à
vous, Nos chers fils du clergé français, et Nous avons la ferme
confiance que Nos prescriptions et Nos conseils, uniquement
inspirés par Notre affection paternelle, seront compris et reçus
par vous, selon le sens et la portée que Nous avons voulu leur
donner en vous adressant ces Lettres.
Nous attendons beaucoup de
vous, parce que Dieu vous a richement pourvus de tous les dons
et de toutes les qualités nécessaires pour opérer de grandes et
saintes choses à l’avantage de l’Eglise et de la société. Nous
voudrions que pas un seul d’entre vous ne se laissât entamer par
ces imperfections qui diminuent la splendeur du caractère
sacerdotal et nuisent à son efficacité.
Les temps actuels sont tristes,
l’avenir est encore plus sombre et plus menaçant ; il semble
annoncer l’approche d’une crise redoutable de bouleversements
sociaux. Il faut donc, comme Nous l’avons dit en diverses
circonstances, que nous mettions en honneur les principes
salutaires de la religion, ainsi que ceux de la justice, de la
charité, du respect et du devoir. C’est à nous d’en pénétrer
profondément les âmes, particulièrement celles qui sont captives
de l’incrédulité ou agitées par de funestes passions, de faire
régner la grâce et la paix de notre divin Rédempteur, qui est la
lumière, la résurrection, la vie, et de réunir en lui tous les
hommes, malgré les inévitables distinctions sociales qui les
séparent.
Oui, plus que jamais, les jours
où nous sommes réclament le concours et le dévouement de prêtres
exemplaires, pleins de foi, de discrétion, de zèle, qui,
s’inspirant de la douceur et de l’énergie de Jésus-Christ, dont
ils sont les véritables ambassadeurs, pro Christo legatione
fungimur (2 Co 5, 20), annoncent avec une courageuse
et indéfectible patience les vérités éternelles, lesquelles sont
pour les âmes les semences fécondes des vertus.
Leur ministère sera laborieux,
souvent même pénible, spécialement dans les pays où les
populations, absorbées par les intérêts terrestres, vivent dans
l’oubli de Dieu et de sa sainte religion. Mais l’action
éclairée, charitable, infatigable du prêtre, fortifiée par la
grâce divine, opérera, comme elle l’a fait en tous les temps,
d’incroyables prodiges de résurrection.
Nous saluons de tous nos voeux
et avec une joie ineffable cette consolante perspective, tandis
que, dans toute l’affection de Notre coeur, Nous accordons à
vous, vénérables Frères, au clergé et à tous les catholiques de
France, la bénédiction apostolique.
Donné à Rome, près
Saint-Pierre, le 8 septembre de l’année 1899, de Notre
Pontificat la vingt-deuxième.
NOTES
1
S. Greg. M. Lib.
Regulae Past., p. 1, c. 1.
2
Porro linguam latinam
apud nos obsolescere nec quisquam est qui nesciat, et viri
prudentes conqueruntur. Discitur tardissime, celerime didiscitur
(Litt. Synod.
Patrum Conc. Paris. ad clericos et fideles,
an. 1819, in Collectio Lacensis,
t. IV, col. 86).
3
Encyclique : AEterni Patris.
4
De Studiis Monasticis,
part. II, c. 9.
5
Const.
Apost.
Triumphantis Jerusalem.
6
Pretiosas divini
dogmatis gemmas insculpe, fideliter coapta, adorna sapienter ;
adiice splendorem, gratiam, venustatem.
(S. Vinc. Lir. Commonit.,
c. 2.)
7
Même Constitution.
8
18 novembre 1893.
9
Genus interpretandi audax atque
immodice liberum (Lettre au Ministre Général des Frères
Mineurs, 25 novembre 1898.)
10
Numquid Deus indiget
vestro mendacio ?
11
Theologicarum
doctrinarum solidae scientiae conjungi debet Sacrorum Canonum
cognitio ... sine qua theologia erit imperfecta et quasi manca,
nec non multi errores de Romani Pontificis, episcoporum juribus
ac praesertim de potestate quam Ecclesia jure proprio exercuit,
pro varietate temporum, forsitan serpent et paulatim invalescent
(Conc. prov. Bitur. a. 1868).
12
O Timothee, depositum
custodi, devitans profanas vocum novitates, et oppositiones
falsi nominis scientiae, quam quidam promittentes, circa fidem
exciderunt.
13
Zelus animarum laudandus est si
sit discretus, rectus et purus.
14
Importabilis siquidem absque
scientia est zelus ... Quo igitur zelus fervidior ac vehementior
spiritus, profusiorque charitas, eo vigulantiori opus scientia
est quae zelum supprimat, spiritum temperet, ordinet charitatem
... Tolle hanc (discretionem) et virtus vitium erit, ipsaque
affectio naturalis in perturbationem magis convertetur
exterminiumque naturae (S. Bern. Serm. XLIX in Cant., n. 5.)
15
Divinum quippe aedificium, quod
est ecclesia, verissime nititur in fundamento conspicuo, primum
quidem in Petro et successoribus ejus, proxime in apostolis et
successoribus eorum, episcopis, quos, qui audit vel spernit, is
perinde facit ac si audiat vel spernat Christum Dominum (Epist
ad arch.
Turon).
16
Omnes episcopum
sequimini ut Christus Jesus Patrem ... Sine episcopo nemo
quidquam faciat eorum quae ad Ecclesiam spectant (S. Ign. Ant.
Ep. ad Smyrn. 8). Quemadmodum itaque dominus sine Patre
nihil fecit ... sic et vos sine episcopo (idem ad magn.,
VII). Vestrum presbyterium ita coaptatum sit episcopo ut chordae
citharae (idem ad Ephes., IV).
17
Quantum in vobis est,
ordinem ab auctore Ecclesiae Deo providentissime constitutem
funditus evertitis (Greg. xvi.
Epist. Encycl.,
15 aug. 1832).
18
Cum enim a rebus
saeculi in altiorem sublati locum conspiciantur, in eos tanquam
in speculum reliqui oculos conjiciunt ex iisque sumunt quod
imitentur. Quapropter sic decet omnino clericos, in sortem
Domini vocatos, vitam moresque suos omnes componere, ut habitu,
gestu, incessu, sermone aliisque omnibus rebus, nil nisi grave,
moderatum, ac religione plenum prae se ferant ; leviam etiam
delicta, quae in ipsis maxima essent, effugiant, ut eorum
actiones cunctis afferant venerationem (S. Conc. Trid. Sess.
XXII, de Reform., c. 1).
19
Enarr., in Ps.
XXXI, n., 4.
20
Abest profecto a
Nobis ut quaecumque horum temporum ingenium parit omnia
repudiemus. Quin potius quidquid indagando veri auenitendo boni
attingitur, ad patrimonium doctrinae augendum publit caeque
prosperitatis fines proferendos, libentibus sane Nobis accedit.
Id tamen omne, ne solidae utilitatis sit expers, esse ac vigere
nequaquam debet Ecclesiae auctoritate sapientiaquae posthabita (Epist.
ad S.R.E. Presbyt.
Card. Gibbons, Archiep.
Baltimor.,
die 22 ian.
1899).