Non
mediocri
Lettre apostolique
du 25 octobre 1893
DE N. T. S. P. LEON XIII
AUX
ÉVÊQUES D’ESPAGNE
À
ses Vénérables Frères les Archevêques et Évêques d’Espagne.
Vénérables Frères, salut et bénédiction apostolique.
C’est, vous le savez,
avec un zèle et une vigilance très grands que, dès Notre arrivée au
gouvernement suprême de l’Église, Nous Nous sommes appliqué à
conserver et à accroître dans votre pays la foi catholique, et, en
premier lieu, à affermir la concorde des âmes, à exciter l’ardeur du
clergé, féconde en fruits de salut. Maintenant, animé du même
intérêt envers vous, Nous avons pensé à vos jeunes clercs, et Nous
avons voulu, après en avoir conféré avec vous, mettre Nos soins à
contribuer à leur éducation.
Nous désirons que ce
soit là un nouveau gage de la paternelle bienveillance dont Nous
avons coutume de vous entourer tous et à bon droit certes, car Nous
Nous souvenons des hauts faits accomplis par l’Espagne. Nous
n’ignorons pas votre vive et inébranlable constance dans la foi de
vos pères et dans l’obéissance au Saint-Siège. Cette vertu a été la
principale cause de la gloire et de la puissance qu’a acquises votre
pays et dont les monuments historiques Nous apportent le témoignage.
Nous nous rappelons encore (et Nous ne voulons pas ici passer ce
fait sous silence) qu’au milieu de circonstances cruelles, des
consolations nombreuses et très désirables Nous sont maintes fois
venues d’Espagne. Il Nous est donc très agréable de répondre à vos
bons offices par des preuves de Notre affection.
Le clergé espagnol a
brillé longtemps d’une vive lumière dans les sciences divines et
dans les belles lettres ; grâce à ses talents, il a contribué
grandement à la grandeur de la foi chrétienne et au renom de sa
patrie. Ils n’ont certes pas manqué dans ses rangs, les hommes
distingués qui, acceptant la mission de patronner les arts les plus
excellents, leur ont apporté un appui conforme aux circonstances. II
n’y ont pas manqué non plus, les esprits parfaitement préparés à
l’étude et de la philosophie et de la théologie, et aussi au culte
des lettres.
Nous savons combien ont
fait, pour l’éclat des sciences, d’une part la libéralité des rois
catholiques, de l’autre les travaux et le zèle des évêques, auxquels
le Saint-Siège a joint des encouragements de toute sorte. Il s’est
toujours appliqué à faire en sorte que ni la lumière de la
philosophie, ni la splendeur d’une civilisation avancée ne fissent
défaut à la sainteté des mœurs chrétiennes.
Sur ce point, un riche
patrimoine de gloire vous a été transmis par des hommes auxquels peu
d’autres sont comparables ; François Suarez, Jean Luco, François de
Tolède, et surtout François Ximenès.
Ce dernier, sous la
direction et les auspices des Pontifes romains, put atteindre à une
science si remarquable qu’il en éclaira non seulement toute
l’Espagne, mais toute l’Europe. Nous parlons surtout ici de
l’Université établie par lui à Alcala, grâce à laquelle les jeunes
gens " revêtus, au milieu de l’Église de Dieu, de l’éclat de la
sagesse et brillant comme les étoiles du matin, peuvent éclairer les
autres humains dans la voie de la vérité ". (Alexandre VI, Bulle
Inter cœtera, ides d’avril 1499)
De ce terrain cultivé
si habilement et avec tant de zèle, naquit la cohorte de docteurs
illustres qui, convoqués au Concile de Trente par le Pontife romain
et par le roi catholique, comblèrent l’attente de tous les deux. Il
n’est pas étonnant, d’ailleurs, que l’Espagne ait vu naître tant de
si grands hommes ; en effet, sans parler de la vigueur naturelle des
esprits, on y trouvait des secours et des instruments de toute
sorte, excellemment disposés pour amener les études à la perfection.
Il suffit de rappeler les grandes universités d’Alcala et de
Salamanque qui, sous la vigilante direction de l’Église, furent les
magnifiques asiles de la sagesse chrétienne. À ce souvenir se joint
tout naturellement celui des collèges qui reçurent en foule des
ecclésiastiques distingués par leur talent et par leur amour de la
science.
Mais vous avez
maintenant sous les yeux, Vénérables Frères, le tableau des malheurs
de ces derniers temps. Au milieu des révolutions qui, pendant le
siècle précédent et pendant celui-ci, ont bouleversé toute l’Europe,
une tempête violente a, pour ainsi dire, renversé, déraciné ces
diverses institutions destinées à faire fleurir la science et la
foi, et à la fondation desquelles le pouvoir royal et le pouvoir
ecclésiastique avaient consacré ensemble leurs soins, leurs
ressources.
Ainsi disparurent les
Universités catholiques et leurs collèges ; ainsi disparurent aussi
les Séminaires eux-mêmes, et se tarit insensiblement cette science
qui découlait si abondante de ces grands établissements ; ils
n’auraient pu, du reste, conserver leur ancienne splendeur au milieu
des guerres civiles et des troubles qui, maintes fois, vinrent
contrarier les travaux et accaparer les forces des citoyens.
Le Saint—Siège
intervint en temps utile, et, avec l’accord du pouvoir civil, mit
beaucoup de zèle à réorganiser les affaires ecclésiastiques que
l’époque précédente avait bouleversées. Toutefois, les principaux
objets de ses soins furent les Séminaires diocésains, car il
importait à la fois aux particuliers et au bien public que ces
domaines de la piété et de la science fussent rétablis dans leur
ancien état.
Mais vous savez que la
réforme ne s’accomplit pas tout à fait comme on l’avait désiré. Les
ressources, en effet, n’étaient pas suffisantes ; en outre, le
programme des études ne pouvait refleurir avec toute sa gloire
passée, parce que la disparition des anciennes Universités avait
amené la pénurie de professeurs capables.
Les deux puissances
suprêmes s’accordèrent donc pour décider qu’on fonderait dans
certaines provinces des Séminaires généraux et que ceux d’entre les
élèves de ces établissements qui auraient parcouru tout le cycle des
études théologiques seraient admis, suivant l’antique coutume, à
recevoir les grades académiques.
Mais beaucoup
d’obstacles ont empêché et empêchent encore aujourd’hui qu’en fait,
ces conditions soient réalisées.
Ainsi maintenant que
n’existe plus l’appui des Universités, on doit regretter beaucoup de
ces secours sans lesquels un clerc peut difficilement aspirer à
1’honneur d’une science complète et profonde. Aussi les hommes
compétents sont-ils unanimes à penser et à affirmer qu’il serait
nécessaire de perfectionner et d’étendre le programme des études
dans les Séminaires.
C’est là une tâche que
Nous avons fort à cœur, surtout lorsque Nous considérons les
exemples de Nos prédécesseurs qui n’ont laissé échapper aucune
occasion de favoriser les études ecclésiastiques. Mais leur grande
sagesse a brillé notamment en un point : c’est qu’ils ont cherché
activement à attirer les élèves vers cette ville, centre de la foi
catholique, et à les réunir dans des collèges. Ils se sont d’autant
plus appliqués à agir ainsi chaque fois que ces jeunes gens
trouvaient dans leur patrie moins d’appui pour leurs travaux ou que
l’enseignement, soustrait à la vigilance de l’Église, périclitait.
C’est pour cette raison
qu’ont été fondés, à Rome, plusieurs collèges, où les jeunes gens
étrangers affluent pour y faire leurs études religieuses. Le but de
cette coutume est qu’une fois revêtus du sacerdoce, ils emploient
pour le bien de leurs concitoyens les talents et les connaissances
qu’ils auront acquises dans la Ville Éternelle. Comme cet usage a
produit encore en abondance des résultats salutaires, Nous avons
pensé que Nous-même ferions une œuvre excellente en augmentant le
nombre de telles institutions ; aussi, Nous avons ouvert à Rome un
Séminaire pour les Arméniens, un autre pour les jeunes clercs de la
Bohème, et Nous avons pris soin de rendre à celui des Maronites son
ancien éclat.
Mais Nous constations
avec peine que, parmi cette foule de jeunes gens, ceux originaires
de votre pays n’étaient pas en si grand nombre. Mû par l’espoir
d’obtenir un résultat utile, Nous avons formé le projet de faire en
sorte que le collège romain des clercs espagnols, fondé naguère,
grâce au zèle éclairé de pieux prêtres, non seulement demeure
florissant, mais encore devienne de jour en jour plus prospère.
Il Nous plaît donc que
tous les sujets de la Péninsule ibérique et des îles voisines
soumises au Roi catholique, qui seront rassemblés dans ce collège,
soient placés sous Notre autorité, que, menant une vie commune,
dirigés par des hommes sages et choisis, ils se livrent aux études
qui élèvent d’une façon excellente le cœur et l’esprit ; Nous
pensons que cette œuvre trouvera un asile et une demeure bien
appropriés dans le palais appelé Altemps, du nom des ducs ses
premiers maîtres, qui est devenu Notre propriété et celle du
Saint—Siège. Ce qui Nous confirme dans une telle pensée, c’est que
cet édifice est illustré par le sanctuaire du pontife—martyr Anicet,
dont les cendres sacrées y reposent, et aussi par la mémoire de
Charles Borromée.
Nous accordons donc et
Nous attribuons la jouissance de l’usufruit de ce palais au collège
des évêques d’Espagne, à cette condition qu’ils le destinent à
recevoir et à loger les élèves de leurs diocèses qu’ils auront
résolu d’envoyer à Rome pour y faire leurs études.
Mais afin que Nos
projets se réalisent plus tôt, et que, cependant, on ait le temps de
meubler ce palais, de le munir de tous les objets nécessaires, Nous
désirons qu’en attendant, les élèves résident dans une partie
déterminée et appropriée à cet usage du palais de l’illustre famille
Alfieri.
Nous désignons les
archevêques de Tolède et de Séville afin de traiter avec Nous et nos
successeurs des affaires importantes du collège. Par ce motif, le
supérieur de cet établissement devra en référer de tout ce qui
concerne les propriétés du collège, la discipline et les mœurs des
élèves ; d’un côté, tous les ans, avec Notre sacré Conseil des
Études, d’un autre côté, par écrit, avec les archevêques susnommés,
et ceux-ci prendront soin de s’entendre à ce sujet avec leurs
collègues les évêques d’Espagne.
Il vous appartient,
vénérables Frères, de nous aider dans une telle œuvre et ceci avec
autant de zèle et d’ardeur que le demande cette tâche, que le
promettent vos vertus épiscopales.
En attendant,
vénérables Frères, comme gage de Notre paternelle bienveillance,
Nous vous accordons bien volontiers en Jésus-Christ Notre
bénédiction apostolique ainsi qu’au clergé et aux fidèles confiés à
vos soins.
Donné à Rome, près
de Saint-Pierre, le 25e jour d’octobre de l’année 1893,
de Notre pontificat la seizième.
LEON XIII, PAPE |