LETTRE DU SAINT-PÈRE
AU
MINISTRE GENERAL DE L’ORDRE DES FRÈRES MINEURS
A NOTRE CHER FILS,
LE MINISTRE GÉNÉRAL
DE L’ORDRE DES FRÈRES MINEURS
LEON
XIII, PAPE
CHER FILS, SALUT ET
BENEDICTION APOSTOLIQUE,
Notre bienveillance
envers les Frères Mineurs a été conçue depuis fort longtemps, et
Nous leur en avons déjà donné des preuves nombreuses ; et ce
sentiment Nous a inspiré autrefois des projets et des résolutions
que Nous jugions devoir vous être profitables. C’est le même
sentiment qui Nous incite, aujourd’hui, à suivre, d’un cœur plein de
sympathie, le cours des choses qui vous intéressent, et à examiner
l’ensemble des règles qui sont les vôtres. Nous ne désirons, en
effet, rien tant que de voir l’Ordre franciscain, riche d’un si
grand nom et de tant de mérites, continuer, sans interruption, sa
florissante carrière. Et, de plus, Nous souhaitons, qu’avec l’aide
de Dieu, il fasse des progrès dans l’observation de ses règles
communes, mais encore dans la pratique des vertus et dans l’étude
des meilleures sciences, et qu’ainsi il ne travaille pas pour lui
seul, mais encore pour que les richesses de sa science, de sa vertu
et de son expérience soient consacrées au bien général des hommes.
C’est pourquoi il Nous a semblé que cette Lettre aurait quelque
utilité. Et Nous voulons que vous, qui êtes le Maître général de cet
Ordre, vous y prêtiez, en votre sagesse, une grande attention.
Notre Lettre encyclique
Aeterni Patris a suffisamment montré la voie qu’il faut
suivre dans l’étude des sciences supérieures. — S’éloigner sans
réflexion et témérairement des préceptes du Docteur angélique est
contraire à Notre volonté et plein de périls. Sans doute, la marche
de la pensée humaine ne s’arrête jamais : la science et la doctrine
sont en progrès presque quotidiens ; et qui donc ne voudrait pas
user avec sagesse des connaissances enfantées chaque jour par
l’érudition et le travail contemporains ? Bien au contraire, il est
bon de leur emprunter volontiers tout ce qu’ils produisent de juste
et d’utile, tout ce qui, en eux, n’est pas contraire à la vérité
divinement révélée ; mais ceux qui veulent être vraiment philosophes
— et les religieux doivent surtout le vouloir — sont obligés
d’établir les principes et les bases de leur doctrine sur saint
Thomas d’Aquin. En négligeant de l’étudier, on s’expose, dans la
licence extrême des esprits, à choir dans le désordre des opinions
erronées et a se laisser toucher par le souffle empesté du
rationalisme ; ce que du reste n’atteste que trop l’expérience.
Et que sera-ce si quelque chose de semblable s’infiltre parmi ceux
dont la mission est d’instruire une jeunesse désireuse de se
consacrer à la vie religieuse ? Que le nom de Thomas soit donc
pieusement révéré par tous les disciples du bienheureux François, et
qu’ils suivent avec respect un tel chef, dont Jésus-Christ a
témoigné qu’il avait bien écrit de lui-même.
Ensuite, comme vous le
savez, rien n’importe davantage à la foi chrétienne qu’une
explication exacte et fidèle, comme il convient, des livres qui ont
été écrits sous le souffle de l’esprit divin. Dans une matière de si
grande importance, il faut donc procéder avec beaucoup de soin et de
prudence, et éviter ainsi qu’aucune faute soit commise, soit par
orgueil, soit par légèreté ou imprudence ; et d’abord, faut éviter
de sacrifier plus que de raison aux opinions nouvelles, et il vaut
même mieux les redouter, non pas à cause de leur nouveauté, mais
parce que, pour la plupart, elles sont fallacieuses, n’ayant que
l’apparence et le masque de la vérité. Ceux qui auraient dû le moins
se laisser séduire ont, pourtant, çà et là, commencé à se permettre
un genre d’interprétation trop audacieux et trop libre. Parfois même
on a accueilli avec faveur des interprètes étrangers au nom
catholique, dont l’esprit, mal équilibré, obscurcit bien plus qu’il
ne les éclaire les Lettres sacrées. Et si l’on n’y porte un rapide
remède, des maux semblables ne tardent pas à devenir plus graves.
Les paroles de Dieu demandent absolument de ceux qui les
étudient un jugement sain et prudent ; et il n’en saurait être ainsi
si l’on manquait d’y apporter la respectueuse réserve et la modestie
d’intelligence qui leur sont dues. C’est là ce que doivent bien
comprendre et sérieusement considérer tous ceux qui étudient les
livres divins. Ils doivent aussi ne pas oublier que, pour se livrer
en toute sûreté à une telle étude, ils ont l’obligation d’écouter
l’Église. Et Nous ne tairons pas que Nous-même, dans Notre Lettre
Providentissimus Deus, Nous avons enseigné sur ce sujet quel est
le sentiment de l’Église. Et il n’est permis à aucun catholique de
négliger les règles et les instructions du Souverain Pontife.
Le caractère religieux
et les fruits du ministère de la parole sont liés étroitement
à la connaissance et à la droite intelligence des Écritures. Et
c’est pourquoi vous devez veiller, autant que vous le pouvez, à
empêcher que vos frères ne soient jamais en défaut sur ce point.
Vous devez vous appliquer à obtenir qu’ils observent parfaitement
les enseignements et les règles formulés par la Sacrée Congrégation
des évêques et réguliers dans une lettre publiée, il y a peu
d’années, à cette fin. Le but de l’éloquence sacrée est le salut de
ceux qui l’écoutent : donner aux hommes des préceptes de morale,
réprimer leurs vices, expliquer les mystères qu’il est nécessaire de
connaître, de façon à être compris du vulgaire, voilà sa mission et
sa loi suprême. Il n’y a rien de plus choquant que d’entendre les
hérauts de l’Évangile, égarant leur parole sur des sujets étrangers,
développant des matières sans importance, ou inutiles, ou manquant
d’élévation : sans doute, en agissant ainsi, on occupe les oreilles
pour un moment ; mais la multitude est renvoyée à jeun comme elle
était venue. Instruire, toucher, convertir les intelligences, voilà
le but de ceux qui ont le pouvoir d’adresser la parole aux fidèles.
Ce but, ils ne le peuvent atteindre autrement que par une soigneuse
préparation. En conséquence, pour ceux de vos Mineurs qui ont le
goût de ce ministère, vous vous appliquerez à ce que d’abord chacun
d’eux, avant de se mettre à l’œuvre, soit muni et armé des
ressources et des appuis nécessaires, à savoir l’étude des choses et
des hommes, la connaissance de la théologie, l’art de bien dire, et
— ce qui est le point capital — l’observation de ses devoirs et
l’innocence de la vie car celui qui veut inviter avec fruit les
autres à pratiquer la vertu doit vivre lui-même avec vertu, afin de
pouvoir aisément montrer sa vie comme exemple à la multitude.
Et, comme Nous l’avons
dit ailleurs, Nous désirerions vivement que votre vertu franchît les
bornes de vos monastères et se répandit au dehors pour le bien
public. Il est rapporté, en effet, que le bienheureux François et
ses disciples les plus éminents se sont consacrés tout entiers au
peuple, et qu’ils avaient coutume de travailler avec une grande
ardeur au salut des foules. Et maintenant, considérez les événements
et les hommes, et vous verrez aisément que le temps est venu de
revenir à cette règle de conduite, et qu’il vous faut suivre avec
courage l’exemple de vos ancêtres. En ce temps plus que jamais, le
salut des États repose sur le peuple. Il faut donc étudier de près
les multitudes qui sont si souvent en proie, non seulement à la
pauvreté et au travail, mais encore environnées de toutes sortes de
pièges et de dangers ; il faut avec amour les aider, les instruire,
les avertir, les consoler : voilà le devoir des clercs de tout
Ordre. — Et si Nous avons Nous-même adressé aux évêques nos Lettres
Encycliques sur la Maçonnerie, sur la condition des ouvriers, sur
les principaux devoirs des citoyens chrétiens, et d’autres Lettres
du même genre c’est surtout dans l’intérêt du peuple que Nous les
avons écrites afin qu’il apprît ainsi à mesurer ses droits et ses
devoirs, et à veiller, comme il est juste, à son salut.
Le Tiers-Ordre
franciscain peut certainement rendre des services signalés à la
société. Et si, autrefois, il a ranimé les cœurs chrétiens,
fortifié, en divers lieux, l’amour de la vertu et les merveilles de
la piété ; si, souvent, dans des temps troublés, il a pu contribuer
à rétablir la douceur, la concorde et la paix, pourquoi n’aurait-il
pas encore la puissance de faire renaître, avec abondance, des biens
pareils ? Certainement, il excitera, beaucoup mieux que jadis, le
zèle des hommes, s’il compte un plus grand nombre de chefs et
d’auxiliaires actifs s’efforçant de le développer, de le faire mieux
connaître, d’indiquer la douceur de ses lois et les bienfaits qu’on
en peut espérer ; des hommes, enfin, qui emploieront, dans ce but,
les prédications, les écrits publics, les réunions, tous les moyens,
enfin, qui leur paraîtront utiles. — Certes, votre concours n’a
jamais manqué et ne manque pas aujourd’hui à cette œuvre ;
cependant, n’oubliez pas qu’on attend de vous un zèle toujours
grandissant et une vigilance sans repos ; car il convient surtout à
l’Ordre qui a donné naissance à cette institution salutaire qu’il
s’applique à la conserver et à la développer.
Et puisque l’Ordre
réuni en seul corps a vu s’accroître sa force et sa puissance, il
vous est maintenant plus facile d’obtenir les résultats bienfaisants
que Nous vous recommandons avec tant de soins. Que, parmi vous, la
concorde, la charité mutuelle et le zèle très vif pour observer la
discipline commune, s’ajoutent aux grâces et aux bienfaits de Dieu !
Que les plus jeunes, soumis aux paroles de leurs maîtres,
s’appliquent à faire chaque jour des progrès dans la vertu ! Qu’ils
gravent bien dans leur âme que rien n’est plus funeste pour un
religieux que de laisser sou esprit errer au hasard et sa pensée
s’égarer au dehors de l’enceinte de sa cellule ! Que les Frères plus
âgés donnent aux autres l’exemple de la persévérance ! Et, pour ce
qui est des prescriptions dont l’Ordre des Mineurs a été récemment
l’objet, ils doivent s’y soumettre de bon cœur et sans réserve, car
elles leur sont données par le pouvoir légitime et pour leur propre
bien : Vous tous, ainsi, efforcez-vous de tout cœur à assurer par
vos bonnes œuvres votre vocation et votre élection.
Et, comme gage de la
faveur de Dieu, et pour témoigner de Notre bienveillance, Nous vous
accordons très affectueusement, à Vous et à tous les Mineurs, la
Bénédiction apostolique.
Donné à Rome, près
de Saint-Pierre, le 25 novembre de l’an 1898, de Notre pontificat le
vingt et unième.
LEON
XIII, PAPE. |