PROVIDENTISSIMUS DEUS
LETTRE ENCYCLIQUE
DE SA SAINTETÉ LE PAPE LÉON XIII
A ses vénérables Frères tous
les patriarches, primats et archevêques du monde catholique, en
grâce et en communion avec le Saint-Siège.
Vénérables frères, Salut et
Bénédiction apostolique.
La Providence de Dieu, qui, par
un admirable dessein d'amour, a élevé au commencement le genre
humain à une participation de la nature divine; qui ensuite a
rétabli dans sa dignité première l'homme délivré de la tache
commune et arraché à sa perte, a apporté à ce même homme un
précieux appui, afin de lui ouvrir, par un moyen surnaturel, les
trésors cachés de sa divinité, de sa sagesse, de sa miséricorde.
Quoiqu'on
doive comprendre dans la révélation divine des vérités qui ne
sont pas accessibles à la raison humaine, et qui, par suite, ont
été révélées à l'homme " afin que tous puissent les connaître
facilement, avec une ferme certitude, sans aucun mélange
d'erreur ", cependant cette révélation ne peut pas être dite
nécessaire d'une façon absolue, mais parce que Dieu, dans son
infinie bonté, a destiné l'homme à une fin surnaturelle
.
" Cette
révélation surnaturelle, selon la foi de l'Église universelle,
est renfermée tant dans les traditions non écrites que dans les
livres qu'on appelle saints et canoniques, parce qu'écrits sous
l'inspiration de l'Esprit-Saint, ils ont Dieu pour auteur et ont
été livrés comme tels à l'Église
. "
C'est ce que
celle-ci n'a cessé de penser et de professer publiquement au
sujet des livres de l'Ancien et du Nouveau Testament. On connaît
des documents anciens très importants qui indiquent que Dieu a
parlé d'abord par les prophètes, ensuite par lui-même, puis par
les apôtres, qu'il nous a aussi donné l'Écriture qu'on appelle
canonique (saint Augustin, de civ. Dei)
qui n'est autre que les oracles et les paroles divines
;
qu'elle constitue comme une lettre accordée par le Père céleste
au genre humain voyageant loin de sa patrie, et que nous ont
transmise les auteurs sacrés
.
Cette origine montre bien
quelle est l'excellence et la valeur des Écritures qui, ayant
pour auteur Dieu lui-même, contiennent l'indication de ses
mystères les plus élevés, de ses desseins, de ses œuvres. Il
résulte de là que la partie de la théologie qui concerne la
conservation et l'interprétation de ces livres divins est fort
importante et de la plus grande utilité.
Nous avons eu à cœur de faire
progresser d'autres sciences qui Nous paraissaient très propres
à l'accroissement de la gloire divine et au salut des hommes;
tel a été, de Notre part, le sujet de fréquentes lettres et de
nombreuses exhortations qui, avec l'aide de Dieu, ne sont pas
demeurées sans résultat. Nous Nous proposions depuis longtemps
de ranimer de même et de recommander cette si noble étude des
Saintes Lettres, et de la diriger d'une façon plus conforme aux
nécessités des temps actuels.
La sollicitude de Notre charge
apostolique Nous engage et, en quelque sorte, Nous pousse, non
seulement à vouloir ouvrir plus sûrement et plus largement, pour
l'utilité du peuple chrétien, cette précieuse source de la
révélation catholique, mais encore à ne pas souffrir qu'elle
soit troublée en aucune de ses parties, soit par ceux qu'excite
une audace impie et qui attaquent ouvertement l'Écriture Sainte,
soit par ceux qui suscitent à ce sujet des innovations
trompeuses et imprudentes.
Nous n'ignorons pas, en effet,
Vénérables Frères qu'un certain nombre de catholiques, hommes
riches en science et en talent, se consacrent avec ardeur à
défendre les Livres Saints ou à en propager davantage la
connaissance et l'intelligence. Mais, en louant à bon droit
leurs travaux et les résultats qu'ils obtiennent, Nous ne
pouvons manquer d'exhorter à remplir cette sainte tâche et à
mériter le même éloge d'autres hommes dont le talent, la science
et la piété promettent, dans cette œuvre, de magnifiques succès.
Nous souhaitons ardemment qu'un
plus grand nombre de fidèles entreprennent, comme il convient,
la défense des Saintes Lettres et s'y attachent avec constance ;
Nous désirons surtout que ceux qui ont été appelés par la grâce
de Dieu dans les Ordres sacrés mettent de jour en jour un plus
grand soin et un plus grand zèle à lire, à méditer et à
expliquer les Écritures ; rien n'est plus conforme à leur état.
Outre
l'excellence d'une telle science et l'obéissance due à la parole
de Dieu, un autre motif Nous fait surtout juger que l'étude des
Livres Saints doit être très recommandée: ce motif, c'est
l'abondance des avantages qui en découlent, et dont Nous avons
pour gage assuré la parole de l'Esprit-Saint : " Toute
l'Écriture divinement inspirée est utile pour instruire, pour
raisonner, pour toucher, pour façonner à la justice, afin que
l'homme de Dieu soit parfait, prêt à toute bonne œuvre
. "
C'est dans ce
dessein que Dieu a donné aux hommes les Écritures ; les exemples
de Notre-Seigneur Jésus-Christ et des apôtres le montrent. Jésus
lui-même en effet, qui " s'est concilié l'autorité par des
miracles, a mérité la foi par son autorité et a gagné la
multitude par sa foi
",
avait coutume d'en appeler aux Saintes Écritures en témoignage
de sa mission divine.
Il se sert, à l'occasion, des
I.ivres Saints afin de déclarer qu'il est envoyé de Dieu et Dieu
lui-même; il leur emprunte des arguments pour instruire ses
disciples et pour appuyer sa doctrine; il invoque leurs
témoignages contre les calomnies de ses ennemis, il les oppose
en réponse aux Sadducéens et aux Pharisiens, et les retourne
contre Satan lui-même qui les invoque avec impudence; il les
emploie encore à la fin de sa vie, et, une fois ressuscité, les
explique à ses disciples, jusqu'à ce qu'il monte dans la gloire
de son Père.
Les apôtres se
sont conformés à la parole et aux enseignements du Maître, et
quoique lui-même eût accordé que des " signes et des miracles
soient faits par leurs mains "
,
ils ont tiré des Livres Saints un grand moyen d'action pour
répandre au loin parmi les nations la sagesse chrétienne,
vaincre l'opiniâtreté des juifs et étouffer les hérésies
naissantes.
Ce fait
ressort de leurs discours et en première ligne de ceux de saint
Pierre; ils les composèrent, en quelque sorte, de paroles de
l'Ancien Testament comme étant l'appui le plus ferme de la loi
nouvelle. Ceci est non moins évident d'après les Évangiles de
saint Matthieu et de saint Jean, et les épîtres que l'on appelle
catholiques, d'après surtout le témoignage de celui qui,
" devant Gamaliel, se glorifie d'avoir étudié la loi de Moïse et
les Prophètes, afin que, muni des armes spirituelles, il pût
ensuite dire avec confiance : " Les armes de notre milice n'ont
rien de terrestre : c'est la puissance de Dieu
. "
Que tous, surtout les soldats
de l'armée sacrée, comprennent donc, d'après les exemples du
Christ et des apôtres, quelle estime ils doivent avoir de la
Sainte Écriture, avec quel zèle, avec quel respect il leur faut,
pour ainsi dire, s'approcher de cet arsenal.
En effet, ceux
qui doivent répandre, soit parmi les doctes, soit parmi les
ignorants, la vérité catholique, ne trouveront nulle part
ailleurs des enseignements plus nombreux et plus étendus sur
Dieu, le bien souverain et très parfait, sur les œuvres qui
mettent en lumière sa gloire et son amour. Quant au Sauveur du
genre humain, aucun texte n'est, à son sujet, plus fécond et
plus émouvant que ceux qu'on trouve dans toute la Bible, et
saint Jérôme a eu raison d'affirmer que " l'ignorance des
Écritures, c'est l'ignorance du Christ
" ;
là, on voit comme vivante et agissante, l'image du Fils de
Dieu ; ce spectacle, d'une façon admirable, soulage les maux,
exhorte à la vertu et invite à l'amour divin.
En ce qui
concerne l'Église, son institution, ses caractères, sa mission,
ses dons, on trouve dans l'Écriture tant d'indications, il y
existe en sa faveur des arguments si solides et si bien
appropriés que ce même saint Jérôme a pu dire avec beaucoup de
raison : " Celui qui est appuyé fermement sur les témoignages
des Saints Livres, celui-là est le rempart de l'Église
. "
Si maintenant ils cherchent des
préceptes relatifs aux bonnes mœurs et à la conduite de la vie,
les hommes apostoliques rencontreront dans la Bible de grandes
et excellentes ressources, des prescriptions pleines de
sainteté, des exhortations réunissant la suavité et la force,
des exemples remarquables de toutes sortes de vertus, auxquels
s'ajoutent la promesse des récompenses éternelles et l'annonce
des peines de l'autre monde, promesse et annonce faites au nom
de Dieu et en s'appuyant sur ses paroles.
C'est cette vertu particulière
aux Écritures, et très remarquable provenant du souffle divin de
l'Esprit-Saint qui donne de l'autorité à l'orateur sacré, lui
inspire une liberté de langage tout apostolique et lui fournit
une éloquence vigoureuse et convaincante.
Quiconque, en
effet, porte dans son discours l'esprit et la force de la parole
divine, celui-ci , " ne parle pas seulement en langage, mais
dans la vertu, dans l'Esprit-Saint et avec une grande abondance
de fruits
. "
Aussi on doit
dire qu'ils agissent d'une façon maladroite et imprévoyante ceux
qui parlent de la religion et énoncent les préceptes divins sans
presque invoquer d'autre autorité que celles de la science et de
la sagesse humaines, s'appuyant sur leurs propres arguments
plutôt que sur les arguments divins
.
En effet, leur
éloquence, quoique brillante, est nécessairement languissante et
froide, en tant qu'elle est privée du feu de la parole de Dieu,
et elle manque de la vertu qui brille dans ce langage divin :
" Car la parole de Dieu est plus forte et plus pénétrante que
tout glaive à deux tranchants ; elle entre dans l'âme et
l'esprit au point de les fendre en quelque sorte
. "
D'ailleurs,
les savants eux-mêmes doivent en convenir; il existe dans les
Saintes Lettres une éloquence admirablement variée,
admirablement riche et digne des plus grands objets: c'est ce
que saint Augustin a compris et a parfaitement prouvé
,
et ce que l'expérience permet de vérifier dans les ouvrages des
orateurs sacrés. Ceux-ci ont dû surtout leur gloire à l'étude
assidue et à la méditation de la Bible, et ils en ont témoigné
leur reconnaissance à Dieu.
Connaissant à fond toutes ces
richesses et en faisant un grand usage, les saints Pères n'ont
pas tari d'éloges au sujet des Saintes Écritures et des fruits
qu'on en peut tirer.
Dans maint
passage de leurs œuvres, ils appellent les Livres Saints " le
précieux trésor des doctrines célestes
,
les fontaines du salut
",
les comparant à des prairies fertiles, à de délicieux jardins
dans lesquels le troupeau du Seigneur trouve une force admirable
et un grand charme
.
Elles sont
bien justes, ces paroles de saint Jérôme au clerc Népotien :
" Lis souvent les Saintes Écritures, bien plus, ne dépose jamais
le Livre sacré : apprends ce que tu devras enseigner ; que le
langage du prêtre soit appuyé sur la lecture des Écritures
. "
Tel est aussi
le sens de la parole de saint Grégoire le Grand qui a indiqué,
plus excellemment que personne, les devoirs des pasteurs de
l'Église: " Il est nécessaire, dit-il, que ceux qui s'appliquent
au ministère de la prédication ne cessent d'étudier les Saints
Livres
. "
Ici,
cependant, il nous plaît de rappeler l'avis de saint Augustin :
" Ce ne sera pas au dehors un vrai prédicateur de la parole de
Dieu, celui qui ne l'écoute pas au-dedans de lui-même
. "
Saint Grégoire
encore conseillait aux auteurs sacrés " qu'avant de porter la
parole divine aux autres, ils s'examinent eux-mêmes, pour ne pas
se négliger en s'occupant des actions d'autrui
. "
D'ailleurs,
cette vérité avait déjà été mise en lumière par la parole et par
l'exemple du Christ, qui commença " à agir et à enseigner ", et
la voix de l'Apôtre l'avait proclamée, s'adressant non seulement
à Timothée, mais à tout l'Ordre des clercs, lorsqu'elle énonçait
ce précepte : Veille sur toi et sur ta doctrine avec attention,
car en agissant ainsi, tu te sauveras toi-même et tu sauveras
tes auditeurs
.
Assurément, on trouve pour sa
propre sanctification et pour celle des autres, de précieux
secours dans les Saintes Lettres, ils sont très abondants
surtout dans les psaumes. Toutefois, ceux-là seuls en
profiteront qui prêteront à la divine parole non seulement un
esprit docile et attentif, mais encore une bonne volonté
parfaite et une grande piété.
Ces livres, en
effet, dictés par l'Esprit-Saint lui-même, contiennent des
vérités très importantes, cachées et difficiles à interpréter en
beaucoup de points; pour les comprendre et les expliquer nous
aurons donc toujours besoin de la présence de ce même Esprit
,
c'est-à-dire de sa lumière et de sa grâce, qui, comme les
psaumes nous en avertissent longuement, doivent être implorées
par la prière humaine, accompagnée d'une vie sainte.
Et c'est en
ceci qu'apparaît magnifiquement la prévoyance de l'Église.
" Pour ne pas que ce trésor des Livres Saints, que
l'Esprit-Saint a livré aux hommes avec une souveraine
libéralité, restât négligé
",
elle a multiplié en tout temps les institutions et les
préceptes. Elle a décrété non seulement qu'une grande partie des
Écritures serait lue et méditée par tous ses ministres dans
l'office quotidien, mais que ces Écritures seraient enseignées
et interprétées par des hommes instruits dans les cathédrales,
dans les monastères, dans les couvents des réguliers, où les
études pourraient être prospères; elle a ordonné par un rescrit
que les dimanches et aux fêtes solennelles, les fidèles seraient
nourris des salutaires paroles de l'Évangile. Ainsi, grâce à la
sagesse et à la vigilance de l'Église l'étude des Saintes
Écritures se maintient florissante et féconde en fruits de
salut.
Pour affermir Nos arguments et
Nos exhortations, Nous aimons à rappeler comment tous les hommes
remarquables par la sainteté de leur vie et par leur science des
vérités divines, ont toujours cultivé assidûment les Saintes
Écritures. Nous voyons que les plus proches disciples des
apôtres, parmi lesquels Nous citerons Clément de Rome, Ignace
d'Antioche, Polycarpe, puis les Apologistes, spécialement Justin
et Irénée, ont, dans leurs lettres et dans leurs livres tendant
soit à la conservation, soit à la propagation des dogmes divins,
introduit la doctrine, la force, la piété des Livres Saints.
Dans les écoles de catéchisme
et de théologie qui furent fondées près de beaucoup de sièges
épiscopaux, et dont les plus célèbres furent celles d'Alexandrie
et d'Antioche, l'enseignement donné ne consistait pour ainsi
dire que dans la lecture, l'explication, la défense de la parole
de Dieu écrite.
De ces établissements sortirent
la plupart des Pères et des écrivains dont les études
approfondies et les remarquables ouvrages se succédèrent pendant
trois siècles en si grande abondance que cette période a été
appelée l'âge d'or de l'exégèse biblique.
Parmi ceux d'Orient, la
première place revient à Origène, homme admirable par la prompte
conception de son esprit et par ses travaux non interrompus.
C'est dans ses nombreux ouvrages et dans ses immenses
Hexaples, qu'ont puisé presque tous ses successeurs.
Il faut en énumérer plusieurs,
qui ont étendu les limites de cette science : ainsi, parmi les
plus éminents, Alexandrie a produit Clément et Cyrille ; la
Palestine, Eusèbe, et le second Cyrille ; la Cappadoce, Basile
le Grand, Grégoire de Nazianze et Grégoire de Nysse ; Antioche,
ce Jean Chrysostome, en qui une érudition remarquable s'unissait
à la plus haute éloquence.
L'Église d'Occident n'a pas
acquis moins de gloire. Parmi les nombreux docteurs qui s'y sont
distingués, illustres sont les noms de Tertullien et de Cyprien,
d'Hilaire et d'Ambroise, de Léon le Grand, et de
Grégoire-le-Grand, mais surtout ceux d'Augustin et de Jérôme.
L'un se montra d'une
pénétration admirable dans l'interprétation de la parole de
Dieu, et d'une habileté consommée à en tirer parti pour appuyer
la vérité catholique; l'autre, possédant une connaissance
extraordinaire de la Bible et ayant fait sur les Livres Saints
de magnifiques travaux, a été honoré par l'Église du titre de
Docteur très grand.
Depuis cette époque jusqu'au XIe
siècle, quoique ces études n'aient pas été aussi ardemment
cultivées et aussi fécondes en résultats que précédemment, elles
furent cependant florissantes, grâce surtout au zèle des
prêtres.
Ceux-ci eurent soin, en effet,
ou de recueillir les ouvrages que leurs prédécesseurs avaient
laissés sur ce sujet si important, ou de les répandre après les
avoir étudiés à fond et enrichis de leurs propres travaux; c'est
ainsi qu'agirent, entre autres, Isidore de Séville, Bède,
Alcuin. Ils munirent de gloses les manuscrits sacrés, comme
Valafride Strabon et Anselme de Laon, ou travaillèrent par des
procédés nouveaux à maintenir l'intégrité des textes, comme le
firent Pierre Damien et Lanfran.
Au XIIe siècle, la
plupart entreprirent avec beaucoup de succès l'explication
allégorique des Saintes Écritures; dans ce genre, saint Bernard
se distingua facilement parmi tous les autres ; ses sermons ne
s'appuient presque que sur les Lettres divines.
Mais aussi, de nouveaux et
abondants progrès furent faits grâce à la méthode des
scolastiques. Ceux-ci, bien qu'ils se soient appliqués à faire
des recherches relatives au véritable texte de la version
latine, comme le prouvent les Bibles corrigées qu'ils ont fait
paraître, mirent cependant plus de zèle encore et plus de soin à
l'interprétation et à l'explication des Livres Saints.
Aussi savamment et aussi
clairement qu'aucun de leurs prédécesseurs, ils distinguèrent
les divers sens des mots latins, établirent la valeur de chacun
au point de vue théologique, marquèrent les différents chapitres
des livres et le sujet de ces chapitres, creusèrent la
signification des paroles bibliques, expliquèrent la liaison des
préceptes entre eux. Tout le monde voit quelle lumière a été
ainsi apportée dans les points obscurs. En outre, leurs livres,
soit relatifs à la théologie, soit commentant les Saintes
Écritures elles-mêmes, manifestent une science profonde puisée
dans les Livres Sacrés. A ce titre, saint Thomas d'Aquin a
obtenu parmi eux la palme.
Mais après que Clément V, Notre
prédécesseur, eut attaché à l'Athénée de Rome et aux plus
célèbres universités des maîtres de langues orientales, ceux-ci
commencèrent à étudier la Bible, à la fois sur le manuscrit
original et sur la traduction latine. Lorsque ensuite, les
monuments de la science des Grecs nous furent rapportés, lorsque
surtout l'art nouveau de l'imprimerie eut été inventé, le culte
de la Sainte Écriture se répandit beaucoup. Il est étonnant
combien, en peu de temps, se multiplièrent les éditions des
Livres sacrés, surtout de la Vulgate; elles remplirent le monde
catholique, tellement, même à cette époque si décriée par les
ennemis de l'Église, les Livres divins étaient aimés et honorés.
On ne doit pas omettre de
rappeler quel grand nombre d'hommes doctes appartenant surtout
aux Ordres religieux, depuis le Concile de Vienne jusqu'au
Concile de Trente, travaillèrent à la prospérité des études
bibliques. Ceux-ci, grâce à des secours nouveaux, à leur vaste
érudition, à leur remarquable talent, non seulement accrurent
les richesses accumulées par leurs prédécesseurs, mais
préparèrent en quelque sorte la route aux savants du siècle
suivant, durant lequel, à la suite du Concile de Trente,
l'époque si prospère des Pères de l'Église parut en quelque
sorte recommencer.
Personne, en effet, n'ignore,
et il Nous est doux de le rappeler, que nos prédécesseurs, de
Pie IV à Clément VIII, ont fait en sorte que l'on publiât de
remarquables éditions des versions anciennes, de celle
d'Alexandrie et de la Vulgate. Celles qui parurent ensuite par
l'ordre et sous l'autorité de Sixte-Quint et du même Clément
sont aujourd'hui d'un usage commun. On sait qu'à cette époque
furent éditées, en même temps que d'autres versions anciennes de
la Bible, les bibles polyglottes d'Anvers et de Paris, très bien
disposées pour la recherche du sens exact.
Il n'y a aucun livre des deux
Testaments qui n'ait alors rencontré plus d'un habile
interprète. Il n'y a aucune question se rattachant à ces sujets
qui n'ait exercé d'une façon très fructueuse le talent de
beaucoup de savants, parmi lesquels un certain nombre, ceux
surtout qui étudièrent le plus les saints Pères, se firent un
nom remarquable.
Enfin, depuis cette époque, le
zèle n'a pas fait défaut à nos exégètes. Des hommes distingués
ont bien mérité des études bibliques et ont défendu les Saintes
Lettres contre les attaques du rationalisme, attaques tirées de
la philologie et des sciences analogues et qu'ils ont réfutées
par des arguments du même genre.
Tous ceux qui considéreront
sans parti pris cette revue nous accorderont certainement que
l'Église n'a jamais manqué de prévoyance, qu'elle a toujours
fait couler vers ses fils les sources salutaires de la divine
Écriture, qu'elle a toujours conservé cet appui, à la garde
duquel elle a été préposée par Dieu, qu'elle l'a fortifié par
toutes sortes de travaux, de sorte qu'elle n'a jamais eu besoin
et qu'elle n'a pas besoin encore d'y être excitée par des hommes
qui lui sont étrangers.
Le plan que Nous Nous sommes
proposé demande de Nous, Vénérables Frères, que Nous Nous
entretenions avec vous de ce qui paraît le plus utile à la bonne
ordonnance de ces études. Mais il importe d'abord de reconnaître
quels hommes nous opposent des obstacles, à quels procédés et à
quelles armes ils se confient.
Auparavant, le Saint-Siège a eu
surtout affaire à ceux qui, s'appuyant sur leur jugement
particulier, et répudiant les diverses traditions et l'autorité
de l'Église, affirmaient que l'Écriture était l'unique source de
la révélation et le juge suprême de la foi.
Maintenant, nos adversaires
principaux sont les rationalistes, qui, fils et héritiers pour
ainsi dire de ces hommes dont Nous parlons plus haut, se fondant
de même sur leur propre opinion, ont rejeté entièrement même ces
restes de foi chrétienne, encore acceptés par leurs
prédécesseurs.
Ils nient, en effet, absolument
toute inspiration, ils nient l'Écriture, et ils proclament que
tous ces objets sacrés ne sont qu'inventions et artifices des
hommes; ils regardent les Livres Saints non comme contenant le
récit exact d'événements réels, mais comme des fables ineptes,
comme des histoires mensongères. A leurs yeux, il n'y a pas de
prophéties, mais des prédictions forgées après que les
événements ont été accomplis, ou bien des pressentiments dus à
des causes naturelles; il n'existe pas de miracles vraiment
dignes de ce nom, manifestations de la puissance divine, mais
des faits étonnants qui ne dépassent nullement les forces de la
nature, ou encore des prestiges et des mythes; enfin les
Évangiles et les écrits des apôtres ne sont pas écrits par les
auteurs auxquels on les attribue.
Pour appuyer de telles erreurs,
grâce auxquelles ils croient pouvoir anéantir la sainte vérité
de l'Écriture, ils invoquent les décisions d'une nouvelle
science libre; ces décisions sont d'ailleurs si incertaines aux
yeux mêmes des rationalistes, qu'ils varient et se contredisent
souvent sur les mêmes points.
Et tandis que ces hommes jugent
et parlent d'une façon si impie au sujet de Dieu, du Christ, de
l'Évangile et du reste des Écritures, il n'en manque pas parmi
eux qui veulent être regardés comme chrétiens, comme
théologiens, comme exégètes et qui, sous un nom très honorable,
voilent toute la témérité d'un esprit plein d'insolence.
A ceux-ci viennent s'ajouter un
certain nombre d'hommes qui, ayant le même but et les aidant,
cultivent d'autres sciences, et qu'une semblable hostilité
envers les vérités révélées entraînent de même façon à attaquer
la Bible. Nous ne saurions trop déplorer l'étendue et la
violence de plus en plus grande que prennent ces attaques. Elles
sont dirigées contre des hommes instruits et sérieux, quoique
ceux-ci puissent se défendre sans trop de difficultés ; mais
c'est surtout contre la foule des ignorants que des ennemis
acharnés agissent par tous les procédés.
Au moyen des livres, des
opuscules, des journaux, ils répandent un poison funeste; par
des réunions, par des discours, ils le font pénétrer plus
avant ; déjà ils ont tout envahi, ils possèdent de nombreuses
écoles arrachées à l'Église, où, dépravant misérablement, même
par la moquerie et les plaisanteries bouffonnes, les esprits
encore tendres et crédules des jeunes gens, ils les excitent au
mépris de la Sainte Écriture.
Il y a bien
là, Vénérables Frères, de quoi émouvoir et animer le zèle commun
des pasteurs, de telle sorte qu'à cette science nouvelle, à
cette science fausse
,
on oppose cette doctrine antique et vraie que l'Église a reçue
du Christ par l'intermédiaire des apôtres, et que, dans un tel
combat, se lèvent de toutes parts d'habiles défenseurs de la
Sainte Écriture.
Notre premier soin doit donc
être celui-ci : que dans les Séminaires, dans les Universités,
les Lettres divines soient enseignées en tout point comme le
demandent l'importance même de cette science et les nécessités
de l'époque actuelle.
Pour cette raison, vous ne
devez rien avoir plus à cœur que la prudence dans le choix des
professeurs; pour cette fonction, en effet, il importe de
désigner, non pas des hommes pris parmi la foule, mais ceux que
recommandent un grand amour et une longue pratique de la Bible,
une véritable culture scientifique, qui soient, en un mot, à la
hauteur de leur mission.
Il ne faut pas mettre moins de
soin à préparer ceux qui devront prendre ensuite la place de
ceux-ci. Il Nous plaît donc que, partout où cela sera possible,
on choisisse parmi les disciples qui auront parcouru d'une façon
satisfaisante le cycle des études théologiques, un certain
nombre qui s'appliqueront tout entiers à acquérir la
connaissance des Saints Livres, et auxquels on fournira la
possibilité de se livrer à des travaux plus étendus. Quand les
maîtres auront été ainsi désignés et formés, qu'ils abordent
avec confiance la tâche qui leur sera confiée, et pour qu'ils la
remplissent excellemment, pour qu'ils obtiennent les résultats
auxquels on peut s'attendre, Nous voulons leur donner quelques
instructions plus développées.
Au début même des études, ils
doivent examiner la nature de l'intelligence des disciples,
faire en sorte de la cultiver, de la rendre apte en même temps à
conserver intacte la doctrine des Livres Saints, et à en saisir
l'esprit. Tel est le but du Traité de l'introduction biblique,
qui fournit à l'élève le moyen de prouver l'intégrité et
l'authenticité de la Bible, d'y chercher et d'y découvrir le
vrai sens des passages, d'attaquer de front et d'extirper
jusqu'à la racine les interprétations sophistiques.
A peine est-il besoin
d'indiquer combien il est important de discuter ces points dès
le début, avec ordre, d'une façon scientifique, en recourant à
la théologie ; et, en effet, toute l'étude de l'Écriture
s'appuie sur ces bases, s'éclaire de ces lumières. Le professeur
doit s'appliquer avec un très grand soin à bien faire connaître
la partie la plus féconde de cette science, qui concerne
l'interprétation, expliquer à ses auditeurs comment ils pourront
utiliser les richesses de la parole divine pour l'avantage de la
religion et de la piété.
Certes, Nous comprenons que ni
l'étendue du sujet, ni le temps dont on dispose, ne permettent
de parcourir dans les écoles tout le cercle des Écritures. Mais,
puisqu'il est besoin de posséder une méthode sûre pour diriger
avec fruit l'interprétation, un maître sage devra éviter à la
fois le défaut de ceux qui font étudier des passages pris çà et
là dans tous les livres, le défaut aussi de ceux qui s'arrêtent
sans mesure sur un chapitre déterminé d'un seul livre.
Si, en effet, dans la plupart
des écoles, on ne peut atteindre le même but que dans les
académies supérieures, à savoir qu'un livre ou l'autre soit
expliqué d'une façon suivie et détaillée, au moins doit-on
mettre tout en œuvre afin d'arriver à ce que les passages
choisis pour l'interprétation soient étudiés d'une façon
suffisamment complète; les élèves, alléchés en quelque sorte et
instruits par cet exemple d'explication, pourront ensuite relire
et goûter le reste de la Bible pendant toute leur vie.
Le professeur, fidèle aux
prescriptions de ceux qui Nous ont précédé, devra faire usage de
la version Vulgate.
C'est celle,
en effet, que le Concile de Trente a désignée comme authentique
et comme devant être employée " dans les lectures publiques, les
discussions, les prédications et les explications
" ;
c'est celle aussi que recommande la pratique quotidienne de
l'Église. Nous ne voulons pas dire cependant qu'il ne faudra pas
tenir compte des autres versions que les chrétiens des premiers
âges ont utilisées avec éloges, et surtout des textes primitifs.
En effet si,
pour ce qui concerne les grands points, le sens est clair
d'après les éditions hébraïque et grecque de la Vulgate,
cependant, si quelque passage ambigu ou moins clair s'y
rencontre, " le recours à la langue précédente ", suivant le
conseil de saint Augustin, sera très utile
.
Il est clair
qu'il faudra apporter à cette tâche beaucoup de circonspection;
c'est, en effet, le devoir du commentateur d'indiquer, non pas
ce que lui-même pense, mais ce que pensait l'auteur qu'il
explique
.
Après que la lecture aura été
conduite avec soin jusqu'au point voulu, alors ce sera le moment
de scruter et d'expliquer le sens. Notre premier conseil à ce
sujet est d'observer les prescriptions communément en usage
relatives à l'interprétation, avec d'autant plus de soin que
l'attaque des adversaires est plus vive.
Il faut donc peser avec soin la
valeur des mots eux-mêmes, la signification du contexte, la
similitude des passages, etc. et aussi profiter des
éclaircissements étrangers de la science qu'on nous oppose.
Cependant, le maître devra prendre garde à ne pas consacrer plus
de temps et plus de soin à ces questions qu'à l'étude des Livres
divins eux-mêmes, de peur qu'une connaissance trop étendue et
trop approfondie de tels objets n'apporte à l'esprit des jeunes
gens plus de troubles que de force.
De là résulte une marche sûre à
suivre dans l'étude de l'Écriture Sainte au point de vue
théologique.
Il importe, en effet, de
remarquer à ce sujet qu'aux autres causes de difficultés qui se
présentent dans l'explication de n'importe quels auteurs
anciens, s'en ajoutent quelques-unes qui sont spéciales à
l'interprétation des Livres Saints. Comme ils sont l'œuvre de
l'Esprit-Saint, les mots y cachent nombre de vérités qui
surpassent de beaucoup la force et la pénétration de la raison
humaine, à savoir les divins mystères et ce qui s'y rattache. Le
sens est parfois plus étendu et plus voilé que ne paraîtraient
l'indiquer et la lettre et les règles de l'herméneutique ; en
outre, le sens littéral cache lui-même d'autres sens qui servent
soit à éclairer les dogmes, soit à donner des règles pour la
vie.
Aussi, l'on ne
saurait nier que les Livres Saints sont enveloppés d'une
certaine obscurité religieuse, de sorte que nul n'en doit
aborder l'étude sans guide
:
Dieu l'a voulu ainsi (c'est l'opinion commune des saints Pères)
pour que les hommes les étudiassent avec plus d'ardeur et plus
de soin, pour que les vérités péniblement acquises pénétrassent
plus profondément leur esprit et leur cœur; pour qu'ils
comprissent surtout que Dieu a donné les Écritures à l'Église
afin que, dans l'interprétation de ses paroles, celle-ci fût le
guide et le maître le plus sûr.
Là où Dieu a
mis ses dons, là doit être cherchée la vérité. Les hommes en qui
réside la succession des apôtres expliquent les Écritures sans
aucun danger d'erreur, saint Irénée nous l'a déjà enseigné
.
C'est sa doctrine et celle des autres Pères qu'a adoptée le
Concile du Vatican, quand, renouvelant un décret du Concile de
Trente sur l'interprétation de la parole divine écrite, il a
décidé que, " dans les choses de la foi et des mœurs, tendant à
la fixation de la doctrine chrétienne, on doit regarder comme le
sens exact de la Sainte Écriture, celui qu'a regardé et que
regarde comme tel notre Sainte Mère l'Église, à qui il
appartient de juger du sens et de l'interprétation des Livres
sacrés. Il n'est donc permis à personne d'expliquer l'Écriture
d'une façon contraire à cette signification ou encore au
consentement unanime des Pères
. "
Par cette loi pleine de
sagesse, l'Église n'arrête et ne contrarie en rien les
recherches de la science biblique, mais elle la maintient à
l'abri de toute erreur et contribue puissamment à ses véritables
progrès. Chaque docteur, en effet, voit ouvert devant lui un
vaste champ dans lequel, en suivant une direction sûre, son zèle
peut s'exercer d'une façon remarquable et avec profit pour
l'Église.
A la vérité, quant aux passages
de la Sainte Écriture qui attendent encore une explication
certaine et bien définie, il peut se faire, grâce à un
bienveillant dessein de la Providence de Dieu, que le jugement
de l'Église se trouve pour ainsi dire mûri par une étude
préparatoire. Mais, au sujet des points qui ont été déjà fixés,
le docteur peut jouer un rôle également utile, soit en les
expliquant plus clairement à la foule des fidèles, d'une façon
plus ingénieuse aux hommes instruits, soit en les défendant plus
fortement contre les adversaires de la foi.
L'interprète
catholique doit donc regarder comme un devoir très important et
sacré d'expliquer dans le sens fixé les textes de l'Écriture
dont la signification a été indiquée authentiquement soit par
les auteurs sacrés, que guidait l'inspiration de l'Esprit-Saint,
comme cela a lieu dans beaucoup de passages du Nouveau
Testament, soit par l'Église, assistée du même Saint-Esprit, et
au moyen d'un jugement solennel, ou par son autorité universelle
et ordinaire; il lui faut se convaincre que cette interprétation
est la seule qu'on puisse approuver d'après les lois d'une saine
herméneutique
.
Sur les autres points, il devra
suivre les analogies de la foi et prendre comme modèle la
doctrine catholique telle qu'elle est indiquée par l'autorité de
l'Église. En effet, c'est le même Dieu qui est l'auteur et des
Livres sacrés, et de la doctrine dont l'Église a le dépôt. Il ne
peut donc arriver, assurément, qu'une signification attribuée
aux premiers et différant en quoi que ce soit de la seconde,
provienne d'une légitime interprétation.
Il résulte évidemment de là
qu'on doit rejeter comme insensée et fausse toute explication
qui mettrait les auteurs sacrés en contradiction entre eux, ou
qui serait opposée à l'enseignement de l'Église.
Celui qui
professe l'Écriture Sainte doit aussi mériter cet éloge qu'il
possède à fond toute la théologie, qu'il connaît parfaitement
les commentaires des saints Pères, des Docteurs et des meilleurs
interprètes. Telle est la doctrine de saint Jérôme et de saint
Augustin, qui se plaint avec juste raison en ces termes : " Si
toute science, quoique peu importante et facile à acquérir,
demande, comme c'est évident, à être enseignée par un homme
docte, par un maître, quoi de plus orgueilleusement téméraire
que de ne pas vouloir connaître les Livres sacrés d'après
l'enseignement de leurs interprètes
. "
Tel a été aussi le sentiment des autres Pères, qu'ils ont
confirmé par des exemples : " Ils expliquaient les Écritures non
d'après leur propre opinion, mais d'après les écrits et
l'autorité de leurs prédécesseurs, parce qu'il était évident que
ceux-ci avaient reçu pour succession des apôtres les règles pour
l'interprétation des Livres sacrés
. "
Le témoignage
des saints Pères, - " qui après les apôtres ont été pour ainsi
dire les jardiniers de la Sainte Église, ses constructeurs, ses
pasteurs, l'ont nourrie, l'ont fait croître
"
(Saint Augustin.) - a aussi une grande autorité toutes les fois
qu'ils expliquent tous d'une seule et même manière un texte
biblique, comme concernant la foi ou les mœurs : car de leur
accord il résulte clairement que selon la doctrine catholique,
cette explication est venue telle, par tradition, des apôtres.
L'avis de ces mêmes Pères est
aussi digne d'être pris en très grande considération lorsqu'ils
traitent des mêmes sujets en tant que docteurs et comme donnant
leur opinion particulière; en effet, non seulement leur science
de la doctrine révélée et la multitude des connaissances
nécessaires pour interpréter les livres apostoliques les
recommandent puissamment, mais encore Dieu lui-même a prodigué
les secours de ses lumières à ces hommes remarquables par la
sainteté de leur vie et par leur zèle pour la vérité.
Que
l'interprète sache donc qu'il doit suivre leurs pas avec respect
et jouir de leurs travaux par un choix intelligent. Il ne lui
faut cependant pas croire que la route lui est fermée, et qu'il
ne peut pas, lorsqu'un motif raisonnable existe, aller plus loin
dans ses recherches et dans ses explications. Cela lui est
permis, pourvu qu'il suive religieusement le sage précepte donné
par saint Augustin : " ne s'écarter en rien du sens littéral et
comme évident ; à moins qu'il n'ait quelque raison qui l'empêche
de s'y attacher ou qui rende nécessaire de l'abandonner
".
Cette règle doit être observée avec d'autant plus de fermeté,
qu'au milieu d'une si grande ardeur d'innover et d'une telle
liberté d'opinions, il existe un plus grave danger de se
tromper.
Celui qui enseigne les
Écritures se gardera aussi de négliger le sens allégorique ou
analogique attaché par les saints Pères à certaines paroles,
surtout lorsque cette signification découle naturellement du
sens littéral et s'appuie sur un grand nombre d'autorités.
L'Église, en effet, a reçu des
apôtres ce mode d'interprétation et l'a approuvé par son
exemple, ainsi que cela ressort de la liturgie. Ce n'est pas que
les Pères aient prétendu ainsi démontrer par eux-mêmes les
dogmes de la foi, mais parce qu'ils ont expérimenté que cette
méthode était bonne pour nourrir la vertu et la piété.
L'autorité des autres
interprètes catholiques est à la vérité moindre ; cependant,
puisque les études bibliques ont fait dans l'Église des progrès
continus, il faut rendre aux commentaires de ces docteurs
l'honneur qui leur est dû ; on peut emprunter à leurs travaux
beaucoup d'arguments propres à repousser les attaques et à
éclaircir les points difficiles.
Mais ce qui ne convient pas,
c'est qu'ignorant ou méprisant les excellents ouvrages que les
nôtres nous ont laissés en grand nombre, l'interprète leur
préfère les livres des hétérodoxes; qu'au grand péril de la
sainte doctrine et trop souvent au détriment de la foi, il y
cherche l'explication de passages au sujet desquels les
catholiques ont excellemment et depuis longtemps exercé leur
talent, multiplié les travaux.
Quoique, en
effet, les études des hétérodoxes, sagement utilisées, puissent
parfois aider l'interprète catholique, cependant il importe à
celui-ci de se souvenir que, d'après des preuves nombreuses
empruntées aussi aux anciens
,
le sens non défiguré des Saintes Lettres ne se trouve nulle part
en dehors de l'Église et ne peut être donné par ceux qui, privés
de la vraie foi, ne parviennent pas jusqu'à la moelle des
Écritures, mais en rongent seulement l'écorce
.
Il est surtout très désirable
et très nécessaire que la pratique de la divine Écriture se
répande à travers toute la théologie et en devienne pour ainsi
dire l'âme: telle a été, à toutes les époques, la doctrine de
tous les Pères et des plus remarquables théologiens, doctrine
qu'ils ont appuyée par leur exemple. Ils se sont appliqués à
établir et à affermir sur les Livres Saints toutes les vérités
qui sont l'objet de la foi, et celles qui en découlent; c'est de
ces livres sacrés, comme aussi de la tradition divine, qu'ils se
sont servis, afin de réfuter les nouvelles inventions des
hérétiques, de trouver la raison d'être, l'explication, la
liaison des dogmes catholiques.
Il n'y a rien là d'étonnant
pour celui qui réfléchit à la place si considérable qu'occupent
les Saints Livres parmi les sources de la révélation divine:
c'est à ce point que, sans l'étude et l'usage quotidien de
ceux-ci, la théologie ne pourrait être traitée d'une façon
convenable et digne d'une telle science. Sans doute, il est bon
que les jeunes gens, dans les universités et les Séminaires,
soient exercés surtout à acquérir l'intelligence et la science
des dogmes et que, partant des articles de la foi, ils en tirent
les conséquences, par une argumentation établie selon les règles
d'une philosophie éprouvée et solide. Cependant, le théologien
sérieux et instruit ne doit pas négliger l'interprétation des
dogmes, appuyée sur l'autorité de la Bible.
La théologie,
en effet, ne tire pas ses principes des autres sciences, mais
immédiatement de Dieu par la révélation. Et aussi, elle ne
reçoit rien de ces sciences, comme lui étant supérieures, mais
elle les emploie comme étant ses inférieures et ses servantes
.
Cette méthode
d'enseignement de la science sacrée est indiquée et recommandée
par le Prince des théologiens, saint Thomas d'Aquin
.
Celui-ci, en outre, a montré comment le théologien, comprenant
bien le caractère de la science qu'il cultive, peut défendre ses
principes, si quelqu'un les attaque: " En argumentant, si
l'adversaire accorde quelques-unes des vérités qui nous sont
données par la révélation. C'est ainsi qu'au moyen de l'autorité
de la Sainte Écriture, nous discutons contre les hérétiques, et
au moyen d'un article de foi contre ceux qui en nient un autre.
Au contraire, si l'adversaire ne croit rien de ce qui est
divinement révélé, il ne reste plus à lui prouver les articles
de foi par des raisonnements, mais à renverser ses
raisonnements, s'il en fait contre la foi
. "
Nous devons donc avoir soin que
les jeunes gens marchent au combat convenablement instruits des
sciences bibliques, pour ne pas qu'ils frustrent nos légitimes
espérances, ni, ce qui serait plus grave, qu'ils courent sans y
prendre garde le péril de tomber dans l'erreur, trompés par les
fausses promesses des rationalistes et par le fantôme d'une
érudition toute extérieure.
Or, ils seront parfaitement
prêts à la lutte, si, d'après la méthode que Nous-même leur
avons indiquée et prescrite, ils cultivent religieusement et
approfondissent l'étude de la philosophie et de la théologie,
sous la conduite du même saint Thomas. Ainsi ils feront de
grands et sûrs progrès, tant dans les sciences bibliques que
dans la partie de la théologie appelée positive.
Avoir prouvé la vérité de la
doctrine catholique, avoir expliqué et éclairci cette doctrine
grâce à une interprétation légitime et savante de la Bible,
c'est beaucoup, certes : il reste cependant un autre point à
établir, aussi important que le travail nécessaire pour y
parvenir est considérable, afin que l'autorité complète des
Écritures soit démontrée aussi solidement que possible.
Ce but ne
pourra être atteint d'une façon pleine et entière que par le
magistère propre et toujours subsistant de l'Église, qui " par
elle-même, à cause de son admirable diffusion, de son éminente
sainteté, de sa fécondité inépuisable en toutes sortes de biens,
de son unité catholique, de sa stabilité invincible, est un
grand et perpétuel motif de crédibilité, et une preuve
irréfragable de sa divine mission ".
Mais puisque ce divin et
infaillible magistère de l'Église repose sur l'autorité de la
Sainte Écriture, il faut donc tout d'abord affirmer et
revendiquer la croyance au moins humaine à celle-ci. De ces
livres, en effet, comme des témoins les plus éprouvés de
l'antiquité, la divinité et la mission du Christ-Dieu,
l'institution de la hiérarchie de l'Église, la primauté conférée
à Pierre et à ses successeurs, seront mises en évidence et
sûrement établies.
Dans ce but, il sera très
avantageux que plusieurs hommes appartenant aux Ordres sacrés
combattent sur ce point pour la foi et repoussent les attaques
des ennemis, que surtout ces hommes soient revêtus de l'armure
de Dieu, suivant le conseil de l'Apôtre (Eph. VI, 13-17),
et accoutumés aux combats et aux nouvelles armes employées par
leurs adversaires. C'est là un des devoirs des prêtres, et saint
Chrysostome l'établit en termes magnifiques : " Il faut employer
un grand zèle, afin que la parole de Dieu habite abondamment en
nous (Col. III, 16); nous ne devons pas, en effet, être
prêts pour un seul genre de combat, variée est la guerre,
multiples sont les ennemis; ils ne se servent pas tous des mêmes
armes, et ce n'est pas d'une façon uniforme, qu'ils se proposent
de lutter avec nous. "
" Il est donc
besoin que celui qui doit se mesurer avec tous connaisse les
manœuvres et les procédés de tous, que le même manie les flèches
et la fronde, qu'il soit tribun et chef de cohorte, général et
soldat, fantassin et cavalier, apte à lutter sur mer et à
renverser les remparts. Si le défenseur ne connaît pas, en
effet, toutes les manières de combattre, le diable sait faire
entrer ses ravisseurs par un seul côté, au cas où un seul est
laissé sans garde, et enlever les brebis. "
Nous avons décrit plus haut les
ruses des ennemis et les multiples moyens qu'ils emploient dans
l'attaque : indiquons maintenant les procédés qu'on doit
utiliser pour la défense.
C'est d'abord
l'étude des anciennes langues orientales, et en même temps de la
science que l'on appelle critique. Ces deux genres de
connaissances sont aujourd'hui fort appréciés et fort estimés ;
le clerc qui les possédera d'une façon plus ou moins étendue,
suivant les pays où il se trouvera et les hommes avec lesquels
il sera en rapport, pourra mieux soutenir sa dignité et remplir
sa charge. Le ministre de Dieu doit, en effet, " se faire tout à
tous
",
" être toujours prêt à satisfaire celui qui lui demande la
raison de l'espérance qu'il a en lui-même "
.
Il est donc nécessaire aux
professeurs d'Écriture Sainte, et il convient aux théologiens de
connaître les langues dans lesquelles les livres canoniques ont
été primitivement écrits par les auteurs sacrés; il serait de
même excellent que les élèves ecclésiastiques cultivent ces
langues, ceux surtout qui se destinent aux grades académiques
pour la théologie.
On doit aussi avoir soin que
dans toutes les académies soient établies, comme cela a déjà eu
lieu avec raison pour beaucoup d'entre elles, des chaires où
seront enseignées les langues anciennes, surtout les langues
sémitiques et les rapports de la science avec celles-ci. Ces
cours seront en première ligne à l'usage des jeunes gens
désignés pour l'étude des Saintes Lettres.
Il importe que ces mêmes
professeurs d'Écriture Sainte, pour la même raison, soient
instruits et exercés dans la science de la vraie critique : par
malheur, en effet, et pour le grand dommage de la religion, a
paru un système qui se pare du nom honorable de " haute
critique ", et dont les disciples affirment que l'origine,
l'intégrité, l'autorité de tout livre ressortent, comme ils
disent, des seuls caractères intrinsèques. Au contraire, il est
évident que lorsqu'il s'agit d'une question historique, de
l'origine et de la conservation de n'importe quel ouvrage, les
témoignages historiques ont plus de valeur que tous les autres,
que ce sont ceux-ci qu'il faut rechercher et examiner avec le
plus de soin.
Quant aux caractères
intrinsèques, ils sont la plupart du temps bien moins
importants, de telle sorte qu'on ne peut guère les invoquer que
pour confirmer la thèse. Si l'on agit autrement, il en résultera
de grands inconvénients.
En effet, les ennemis de la
religion en conserveront plus de confiance pour attaquer et
battre en brèche l'authenticité des Livres sacrés; cette sorte
de haute critique que l'on exalte arrivera enfin à ce résultat
que chacun, dans l'interprétation, s'attachera à ses goûts et à
une opinion préjudicielle. Ainsi, la lumière cherchée au sujet
des Écritures ne se fera pas, et aucun avantage n'en résultera
pour la science, mais on verra se manifester avec évidence ce
caractère de l'erreur qui est la variété et la dissemblance des
opinions. Déjà la conduite des chefs de cette nouvelle science
le prouve.
En outre, comme la plupart
d'entre eux sont imbus des maximes d'une vaine philosophie et du
rationalisme, ils ne craindront pas d'écarter des Saints Livres
les prophéties, les miracles, tous les autres faits qui
surpassent l'ordre naturel. L'interprète devra lutter en second
lieu contre ceux qui, abusés par leur connaissance des sciences
physiques, suivent pas à pas les auteurs sacrés afin de pouvoir
opposer l'ignorance que ceux-ci ont de tels faits et rabaisser
leurs écrits par ce motif.
Comme ces griefs portent sur
des objets sensibles, ils sont d'autant plus dangereux
lorsqu'ils se répandent dans la foule, surtout parmi la jeunesse
adonnée aux lettres; dès que celle-ci aura perdu sur quelque
point le respect de la révélation divine, sa foi, relativement à
tous les autres, ne tardera pas à s'évanouir.
Or, il est trop évident,
qu'autant les sciences naturelles sont propres à manifester la
gloire du Créateur gravée dans les objets terrestres, pourvu
qu'elles soient convenablement enseignées, autant elles sont
capables d'arracher de l'esprit les principes d'une saine
philosophie et de corrompre les mœurs lorsqu'elles sont
introduites avec des intentions perverses dans de jeunes
esprits.
Aussi la connaissance des faits
naturels sera-t-elle un secours efficace pour celui qui
enseignera l'Écriture Sainte ; grâce à elle, en effet, il pourra
plus facilement découvrir et réfuter les sophismes de toutes
sortes dirigés contre les Livres sacrés.
Aucun
désaccord réel ne peut certes exister entre la théologie et la
physique, pourvu que toutes deux se maintiennent dans leurs
limites, prennent garde, suivant la parole de saint Augustin,
" de ne rien affirmer au hasard et de ne pas prendre l'inconnu
pour le connu "
.
Si cependant
elles sont en dissentiment sur un point, que doit faire le
théologien ? - Suivre la règle sommairement indiquée par le même
docteur. " Quant à tout ce que nos adversaires pourront nous
démontrer au sujet de la nature, en s'appuyant sur de véritables
preuves, prouvons-leur qu'il n'y a rien de contraire à ces faits
dans nos Saintes Lettres. Mais pour ce qu'ils tireront de
certains de leurs livres, et qu'ils invoqueront comme étant en
contradiction avec ces Saintes Lettres, c'est-à-dire avec la foi
catholique, montrons-leur qu'il s'agit d'hypothèses, ou que nous
ne doutons nullement de la fausseté de ces affirmations
. "
Pour bien nous
pénétrer de la justesse de cette règle, considérons d'abord que
les écrivains sacrés, ou plus exactement " l'esprit de Dieu, qui
parlait par leur bouche, n'a pas voulu enseigner aux hommes ces
vérités concernant la constitution intime des objets visibles,
parce qu'elles ne devaient leur servir de rien pour leur salut "
.
Aussi ces
auteurs, sans s'attacher à bien observer la nature, décrivent
quelquefois les objets et en parlent, ou par une sorte de
métaphore, ou comme le comportait le langage usité à cette
époque, il en est encore ainsi aujourd'hui, sur beaucoup de
points, dans la vie quotidienne, même parmi les hommes les plus
savants. Dans le langage vulgaire, on désigne d'abord et par le
mot propre les objets qui tombent sous les sens; l'écrivain
sacré (et le Docteur angélique nous en avertit) s'est de même
attaché aux caractères sensibles
,
c'est-à-dire à ceux que Dieu lui-même, s'adressant aux hommes, a
indiqués suivant la coutume des hommes, pour être compris d'eux.
Mais, de ce qu'il faut défendre
vigoureusement l'Écriture Sainte, il ne résulte pas qu'il soit
nécessaire de conserver également tous les sens que chacun des
Pères ou des interprètes qui leur ont succédé a employés pour
expliquer ces mêmes Écritures. Ceux-ci, en effet, étant données
les opinions en cours à leur époque, n'ont peut-être pas
toujours jugé d'après la vérité au point de ne pas émettre
certains principes qui ne sont maintenant rien moins que
prouvés.
Il faut donc
distinguer avec soin dans leurs explications ce qu'ils donnent
comme concernant la foi ou comme lié avec elle, ce qu'ils
affirment d'un commun accord. En effet, pour ce qui n'est pas de
l'essence de la foi, les saints ont pu avoir des avis
différents, ainsi que nous-mêmes ; telle est la doctrine de
saint Thomas
.
Celui-ci, dans
un autre passage, s'exprime avec beaucoup de sagesse en ces
termes : " Pour ce qui concerne les opinions que les philosophes
ont communément professées et qui ne sont pas contraires à notre
foi, il me semble qu'il est plus sûr de ne pas les affirmer
comme des dogmes, bien que quelquefois elles soient introduites
dans le raisonnement au nom de ces philosophes, et de ne pas les
noter comme contraires à la foi, pour ne pas fournir aux sages
de ce monde l'occasion de mépriser notre doctrine
. "
D'ailleurs, quoique
l'interprète doive montrer que rien ne contredit l'Écriture bien
expliquée, dans les vérités, que ceux qui étudient les sciences
physiques donnent comme certaines et appuyées sur de fermes
arguments, il ne doit pas oublier que parfois plusieurs de ces
vérités, données aussi comme certaines, ont été ensuite mises en
doute et laissées de côté. Que si les écrivains, qui traitent
des faits physiques, franchissant les limites assignées aux
sciences dont ils s'occupent, s'avancent sur le terrain de la
philosophie en émettant des opinions nuisibles, le théologien
peut faire appel aux philosophes pour réfuter celles-ci.
Nous voulons maintenant
appliquer cette doctrine aux sciences du même genre et notamment
à l'histoire. On doit s'affliger, en effet, de ce que beaucoup
d'hommes qui étudient à fond les monuments de l'antiquité, les
mœurs et les institutions des peuples, et se livrent à ce sujet
à de grands travaux, ont trop souvent pour but de trouver des
erreurs dans les Livres Saints, afin d'infirmer et d'ébranler
complètement l'autorité des Écritures.
Quelques-uns agissent ainsi
avec des dispositions vraiment trop hostiles, et jugent d'une
façon qui n'est pas assez impartiale. Ils ont tant de confiance
dans les livres profanes et dans les documents du passé, qu'ils
les invoquent comme s'il ne pouvait exister à ce sujet aucun
soupçon d'erreur, tandis qu'ils refusent toute créance aux
Livres sacrés, à la moindre, à la plus vaine apparence
d'inexactitude, et ce même sans aucune discussion.
A la vérité, il peut se faire
que certains passages, dans l'impression des diverses éditions,
ne se trouvent pas reproduits d'une façon absolument juste.
C'est ce qui doit être étudié avec soin, ce qui ne doit pas être
admis facilement, excepté sur les points pour lesquels le fait a
été convenablement prouvé.
Il peut arriver aussi que le
sens de quelques phrases demeure douteux; pour le déterminer,
les règles de l'interprétation seront d'un grand secours ; mais
il serait absolument funeste soit de limiter l'inspiration à
quelques parties des Écritures, soit d'accorder que l'auteur
sacré lui-même s'est trompé.
On ne peut non plus tolérer la
méthode de ceux qui se délivrent de ces difficultés en
n'hésitant pas à accorder que l'inspiration divine ne s'étend
qu'aux vérités concernant la foi et les mœurs, et à rien de
plus. Ils pensent à tort que, lorsqu'il s'agit de la vérité des
avis, il ne faut pas rechercher surtout ce qu'a dit Dieu, mais
examiner plutôt le motif pour lequel il a parlé ainsi.
En effet, tous les livres
entiers que l'Église a reçus comme sacrés et canoniques dans
toutes leurs parties, ont été écrits sous la dictée de
l'Esprit-Saint. Tant s'en faut qu'aucune erreur puisse
s'attacher à l'inspiration divine, que non seulement celle-ci
par elle-même exclut toute erreur, mais encore l'exclut et y
répugne aussi nécessairement que nécessairement Dieu, souveraine
vérité, ne peut être l'auteur d'aucune erreur.
Telle est la
croyance antique et constante de l'Église, définie
solennellement par les Conciles de Florence et de Trente,
confirmée enfin et plus expressément exposée dans le Concile du
Vatican, qui a porté ce décret absolu : " Les livres entiers de
l'Ancien et du Nouveau Testament, dans toutes leurs parties,
tels qu'ils sont énumérés par le décret du même Concile de
Trente, et tels qu'ils sont contenus dans l'ancienne édition
vulgate en latin, doivent être regardés comme sacrés et
canoniques. L'Église les tient pour sacrés et canoniques non
parce que, rédigés par la seule science humaine, ils ont été
ensuite approuvés par l'autorité de ladite Église; non parce que
seulement ils renferment la vérité sans erreur, mais parce que,
écrits sous l'inspiration du Saint-Esprit, ils ont Dieu pour
auteur
. "
On ne doit donc presque en rien
se préoccuper de ce que l'Esprit-Saint ait pris des hommes comme
des instruments pour écrire, comme si quelque opinion fausse
pouvait être émise non pas certes par le premier auteur, mais
par les écrivains inspirés. En effet, lui-même les a, par sa
vertu, excités à écrire, lui-même les a assistés tandis qu'ils
écrivaient, de telle sorte qu'ils concevaient exactement, qu'ils
voulaient rapporter fidèlement et qu'ils exprimaient avec une
vérité infaillible tout ce qu'il leur ordonnait et seulement ce
qu'il leur ordonnait d'écrire.
Tel a été
toujours le sentiment des saints Pères. " Aussi, dit saint
Augustin, puisque ceux-ci ont écrit ce que l'Esprit-Saint leur a
montré et leur a enjoint d'écrire, on ne doit pas dire que
lui-même n'a pas écrit; ceux-ci, comme les membres, ont mis en
œuvre ce que la tête leur dictait
. "
Saint Grégoire le Grand s'exprime encore en ces termes: " Il est
bien superflu de chercher qui a écrit ces livres puisqu'on croit
fermement que l'auteur en est l'Esprit-Saint. Celui-là, en
effet, a écrit qui a dicté ce qu'il fallait écrire: celui-là a
écrit qui a inspiré l'œuvre. "
Il suit de là que ceux qui
pensent que, dans les passages authentiques des Livres Saints,
peut être renfermée quelque idée fausse, ceux-là assurément ou
pervertissent la doctrine catholique, ou font de Dieu lui-même
l'auteur d'une erreur. Tous les Pères et tous les docteurs ont
été si fermement persuadés que les Lettres divines, telles
qu'elles nous ont été livrées par les écrivains sacrés, sont
exemptes de toute erreur, qu'ils se sont appliqués, avec
beaucoup d'ingéniosité et religieusement, à faire concorder
entre eux et à concilier les nombreux passages qui semblaient
présenter quelque contradiction ou quelque divergence. (Et ce
sont presque les mêmes qu'au nom de la science nouvelle, on nous
oppose aujourd'hui.)
Les docteurs ont été unanimes à
croire que ces Livres, et dans leur ensemble et dans leurs
parties, sont également d'inspiration divine, que Dieu lui-même
a parlé par les auteurs sacrés, et qu'il n'a rien pu énoncer
d'opposé à la vérité.
On doit
appliquer ici d'une façon générale les paroles que le même saint
Augustin écrivait à saint Jérôme : " Je l'avoue, en effet, à ta
charité, j'ai appris à accorder aux seuls livres des Écritures,
que l'on appelle maintenant canoniques, cette révérence et cet
honneur de croire très fermement qu'aucun de leurs auteurs n'a
pu commettre une erreur en les écrivant. Et si je trouvais dans
ces Saintes Lettres quelque passage qui me parût contraire à la
vérité, je n'hésiterais pas à affirmer ou que le manuscrit est
défectueux ou que l'interprète n'a pas suivi exactement le
texte, ou que je ne comprends pas bien
. "
Mais lutter pleinement et
parfaitement au moyen des sciences les plus importantes pour
établir la sainteté de la Bible, c'est là beaucoup plus, certes,
qu'il n'est juste d'attendre de la seule érudition des
théologiens. Il est donc désirable qu'ils se proposent le même
but et s'efforcent de l'atteindre, les catholiques ayant acquis
quelque autorité dans les sciences étrangères. Si la gloire que
donnent de tels talents, n'a jamais manqué à l'Église, grâce à
un bienfait de Dieu, certes elle ne lui fait pas non plus défaut
maintenant. Puisse cette gloire aller toujours croissant pour
l'appui de la foi.
En outre, la haine de nos
défenseurs s'évanouira facilement, ou du moins, ils n'oseront
plus affirmer avec tant d'assurance que la foi est ennemie de la
science, lorsqu'ils verront des hommes doctes rendre à cette foi
le plus grand honneur, avoir pour elle un vif respect.
Puisque ceux-là peuvent tant
pour la religion, auxquels la Providence a libéralement donné un
heureux talent et la grâce de professer la religion catholique,
il faut qu'au milieu de cette lutte violente à laquelle donnent
lieu les sciences qui touchent en quelque façon à la foi, chacun
d'eux choisisse un groupe d'études approprié à son intelligence,
s'applique à y exceller, et repousse, non sans gloire, les
traits dirigés contre les Saintes Écritures par une science
impie.
Il Nous est doux de louer ici
la conduite de certains catholiques qui, afin que les savants
puissent se livrer à de telles études et les faire progresser,
leur fournissent des secours de toutes sortes, formant des
associations auxquelles ils donnent généreusement des sommes
abondantes.
C'est là un emploi de la
fortune tout à fait excellent et bien approprié aux nécessités
de l'époque. Moins, en effet, les catholiques doivent attendre
de secours de l'État pour leurs études, et plus il convient que
la libéralité privée se montre prompte et abondante; plus il
importe que ceux auxquels Dieu a donné des richesses, les
consacrent à la conservation du trésor de la vérité révélée.
Mais, pour que de tels travaux
profitent vraiment aux sciences bibliques, les hommes doctes
doivent s'appuyer sur les principes que nous avons indiqués plus
haut. Ils doivent retenir fidèlement que Dieu, créateur et
maître de toutes choses, est, en même temps, l'auteur des
Écritures; rien donc ne peut se trouver dans la nature, rien
parmi les monuments de l'histoire, qui soit réellement en
désaccord avec celles-ci.
S'il semble y avoir quelque
contradiction sur un point, il faut s'appliquer à la faire
disparaître, tantôt en recourant au sage jugement des
théologiens et des interprètes, pour montrer ce qu'a de vrai et
de vraisemblable le passage au sujet duquel on discute, tantôt
en pesant avec soin les arguments qu'on y oppose. On ne doit pas
perdre pied, même lorsqu'il réside quelque apparence de vérité
dans l'opinion contraire; en effet, puisque le vrai ne peut en
aucune façon contredire le vrai, on peut être certain qu'une
erreur s'est glissée soit dans l'interprétation des paroles
sacrées, soit dans une autre partie de la discussion; et si l'on
n'aperçoit pas assez clairement l'une de ces deux fautes, il
faut attendre avant de définir le sens du texte.
De très nombreuses objections,
en effet, empruntées à toutes les sciences, se sont élevées
pendant longtemps et en foule contre les Écritures, et se sont
entièrement évanouies comme étant sans valeur.
De même, au cours de
l'interprétation, de nombreuses explications ont été proposées
au sujet de certains passages des Écritures ne concernant ni la
foi ni les mœurs, qu'une étude approfondie a permis depuis de
comprendre d'une façon plus juste et plus claire. En effet, le
temps détruit les opinions et les inventions nouvelles, mais la
vérité demeure à jamais.
Aussi, comme
personne ne peut se flatter de comprendre toute l'Écriture, au
sujet de laquelle saint Augustin, il l'avouait lui-même,
" ignorait plus qu'il ne savait "
,
que chacun, s'il rencontre un passage trop difficile pour
pouvoir l'expliquer, ait la prudence et la patience demandées
par ce même docteur : " Il vaut mieux, dit celui-ci, être chargé
de signes ignorés mais utiles, que d'envelopper, en les
interprétant inutilement, sa tête dans un filet d'erreurs, après
l'avoir délivrée du joug de la soumission. "
Si Nos conseils et Nos ordres
sont suivis honnêtement et sagement par les hommes qui se
livrent à ces études subsidiaires, si dans leurs écrits, dans
leur enseignement, dans leurs travaux, ils se proposent de
réfuter les ennemis de la vérité, de prévenir chez les jeunes
gens la perte de la foi, alors enfin ils pourront se réjouir de
servir véritablement l'intérêt des Saintes Lettres, d'apporter à
la religion catholique un appui tel que l'Église l'attend à bon
droit de la piété et de la science de ses fils.
Voilà, Vénérables Frères, les
avertissements et les préceptes qu'inspiré par Dieu, Nous avons
résolu de vous donner en cette occasion, relativement à l'étude
de l'Écriture Sainte. Il vous appartient maintenant de veiller à
ce qu'ils soient observés avec le respect qui convient, de telle
sorte que la reconnaissance due à Dieu pour avoir communiqué au
genre humain les paroles de sa sagesse se manifeste de plus en
plus, de telle sorte aussi que cette étude produise les fruits
abondants que Nous souhaitons, surtout dans l'intérêt de la
jeunesse destinée au ministère sacré qui est Notre vif souci et
l'espoir de l'Église.
Employez avec ardeur votre
autorité et multipliez vos exhortations, afin que ces études
demeurent en honneur et prospèrent dans les Séminaires et dans
les Universités qui dépendent de votre juridiction. Qu'elles y
fleurissent purement et d'une façon heureuse, sous la direction
de l'Église, suivant les salutaires enseignements et les
exemples des saints Pères, suivant l'usage de nos ancêtres ;
qu'elles fassent dans le cours des temps, de tels progrès
qu'elles soient vraiment l'appui et la gloire de la vérité
catholique, et un don divin pour le salut éternel des peuples.
Nous
avertissons enfin avec un paternel amour, tous les disciples et
tous les ministres de l'Église, de cultiver les Saintes Lettres
avec un respect et une piété très vifs. Leur intelligence, en
effet, ne peut s'ouvrir d'une façon salutaire, comme il importe,
s'ils n'éloignent l'arrogance de la science terrestre, et s'ils
n'entreprennent avec ardeur l'étude de " cette sagesse qui vient
d'en haut ". Une fois initié à cette science, éclairé et fort,
lié par elle, leur esprit aura une puissance étonnante même pour
reconnaître et éviter les erreurs de la science humaine,
cueillir ses fruits solides et les rapporter aux intérêts
éternels. L'âme tendra ainsi avec plus d'ardeur vers les
avantages de la vertu et sera plus vivement animée de l'amour
divin. " Heureux ceux qui scrutent ses témoignages, qui les
recherchent de tout leur cœur ! "
Et maintenant, Nous appuyant sur l'espérance du secours divin et
plein de confiance en votre zèle pastoral, Nous accordons, bien
volontiers en Dieu, comme gage des faveurs célestes et comme
témoignage de Notre particulière bienveillance, la bénédiction
apostolique, à vous tous, à tout le clergé, au peuple confié à
chacun de vous.
Donné à Rome, près de
Saint-Pierre, le 18 novembre de l'année 1893, de Notre
Pontificat la seizième.