HUMANI
GENERIS
LETTRE ENCYCLIQUE DE
SA SAINTETÉ LE PAPE
PIE XII
SUR
QUELQUES OPINIONS FAUSSES
QUI MENACENT DE RUINER LES FONDEMENTS
DE LA DOCTRINE CATHOLIQUE
Vénérables Frères,
Que la famille humaine
tout entière ne s'entende pas en matière religieuse et morale et
qu'elle tende à se tenir loin de la vérité, c'est bien là pour tout
homme honnête et plus encore pour tous les vrais fils de l’Église la
raison d'une douleur très vive: en tous temps certes, mais combien
plus aujourd'hui que nous voyons les coups frapper de toutes parts
les principes mêmes de la formation chrétienne.
On ne peut s'étonner,
il est vrai, que mésententes en ces domaines et éloignement de la
vérité aient toujours sévi, en dehors du bercail du Christ. En
effet, si, en principe du moins, la raison humaine est, par sa
propre force et à sa seule lumière naturelle, apte à parvenir à la
connaissance vraie et certaine d'un Dieu unique et personnel, qui
par sa Providence protège et gouverne le monde, et à l'intuition
aussi de la loi naturelle inscrite par Dieu en nos âmes, nombreux,
pourtant, sont les obstacles qui empêchent cette même raison d'user
de sa force native efficacement et avec fruits. Et de fait, les
vérités qui concernent Dieu et qui ont rapport aux relations qui
existent entre Dieu et les hommes ne transcendent-elles pas
absolument l'ordre du sensible ? et, passées dans le domaine de la
vie pratique qu'elles doivent informer ne commandent-elles pas le
don de soi et l'abnégation ? Or, l'intelligence humaine, dans la
recherche de si hautes vérités, souffre d'une grave difficulté en
raison d'abord de l'impulsion des sens et de l'imagination et en
raison aussi des passions vicieuses nées du péché originel. Voilà
comment les hommes en sont venus à se pénétrer si facilement
eux-mêmes de ce principe que, dans ce domaine, est faux ou pour le
moins douteux tout ce qu'ils ne veulent pas être vrai.
C'est pourquoi il
faut tenir que la révélation divine est moralement nécessaire pour
que tout ce qui n'est pas, de soi, inaccessible à la raison en
matière de foi et de moeurs, puisse être, dans l'état actuel du
genre humain, connu de tous promptement, avec une certitude ferme et
sans mélange d'erreur
.
Bien plus,
l'esprit humain peut éprouver parfois des difficultés à formuler un
simple jugement certain de “crédibilité”
au sujet de la foi
catholique, encore que Dieu ait disposé un grand nombre de signes
extérieurs éclatants qui nous permettent de prouver, de façon
certaine, l'origine divine de la religion chrétienne avec les seules
lumières naturelles de notre raison. En effet, que le mènent les
préjugés ou que l'excitent les passions et la volonté mauvaise,
l'homme peut opposer un refus et résister autant à l'évidence
irrécusable des signes extérieurs qu'aux célestes lumières que Dieu
verse en nos âmes.
Quiconque observe
attentivement ceux qui sont hors du bercail du Christ découvre sans
peine les principales voies sur lesquelles se sont engagés un grand
nombre de savants. En effet, c'est bien eux qui prétendent que le
système dit de l'évolution s'applique à l'origine de toutes les
choses; or, les preuves de ce système ne sont pas irréfutables même
dans le champ limité des sciences naturelles. Ils l'admettent
pourtant sans prudence aucune, sans discernement et on les entend
qui professent, avec complaisance et non sans audace, le postulat
moniste et panthéiste d'un unique tout fatalement soumis à
l'évolution continue. Or, très précisément, c'est de ce postulat que
se servent les partisans du communisme pour faire triompher et
propager leur matérialisme dialectique dans le but d'arracher des
âmes toute idée de Dieu.
La fiction de cette
fameuse évolution, faisant rejeter tout ce qui est absolu, constant
et immuable, a ouvert la voie à une philosophie nouvelle aberrante,
qui, dépassant l'idéalisme, l'immanentisme et le pragmatisme, s'est
nommé existentialisme, parce que, négligeant les essences immuables
des choses, elle n'a souci que de l'existence de chacun.
A cela s'ajoute un faux
historicisme qui, ne s'attachant qu'aux événements de la vie
humaine, renverse les fondements de toute vérité et de toute loi
absolue dans le domaine de la philosophie et plus encore dans celui
des dogmes chrétiens.
En présence d'une telle
confusion d'opinions, nous pourrions être sans doute un peu consolés
de voir ceux qui étaient nourris jadis des principes du rationalisme
désirer revenir aujourd'hui aux sources de la vérité divinement
révélée, reconnaître et professer que la Parole de Dieu, conservée
dans la Sainte Écriture, est bien le fondement de nos sciences
sacrées. Mais comment ne pas être affligés de voir un grand nombre
d'entre eux faire d'autant plus fi de la raison humaine qu'ils
adhérent plus fermement à la Parole de Dieu et repousser d'autant
plus vivement le magistère ecclésiastique qu'ils exaltent plus
volontiers l'autorité de Dieu révélant : ils oublient, ce faisant,
que ce magistère est institué par le Christ Notre Seigneur pour
garder et interpréter le dépôt divin révélé. Toutes prétentions qui
sont non seulement en contradiction flagrante avec la Sainte
Écriture, mais démontrées fausses encore par l'expérience de tous.
En effet ceux qui sont séparés de la véritable Église se plaignent
souvent, et publiquement, de leur désaccord en matière dogmatique au
point d'avouer, comme malgré eux, la nécessité d'un magistère
vivant.
Par ailleurs, les
théologiens et les philosophes catholiques, auxquels incombe la
lourde charge de défendre la vérité divine et humaine et de
l'inculquer à toutes les âmes, n'ont pas le droit d'ignorer ni de
négliger les systèmes qui s'écartent plus ou moins de la droite
voie. Bien plus, il leur faut les connaître à fond, d'abord parce
qu'on ne peut guérir que les maux que l'on connaît bien, puis parce
que dans les systèmes erronés peut se cacher quelque lueur de
vérité, et parce qu'enfin ces erreurs poussent l'esprit à scruter
avec plus de soin et à apprécier mieux telle ou telle vérité
philosophique et théologique.
Ah ! si nos philosophes
et nos théologiens s'étaient efforcés de tirer de l'examen prudent
de ces systèmes l'avantage que nous disons, il n'y, aurait, pour le
magistère de l’Église, aucune raison d'intervenir. Toutefois, même
si nous tenons pour certain que les docteurs catholiques se sont
gardés en général de ces erreurs, il n'est pas moins certain qu'il
en est aujourd'hui, tout comme aux temps apostoliques, pour
s'attacher, plus qu'il convient, aux nouveautés dans la crainte de
passer pour ignorants de tout ce que charrie un siècle de progrès
scientifiques: on les voit alors qui, dans leur prétention de se
soustraire à la direction du magistère sacré, se trouvent en grand
danger de s'écarter peu à peu de la vérité divinement révélée et
d'induire avec eux les autres dans l'erreur.
Il y a plus. Nous
observons un autre danger qui est, lui, d'autant plus grave qu'il
est plus caché sous les voiles de la vertu. De fait, parmi ceux qui
déplorent la mésentente entre les hommes et la confusion des
esprits, il en est plusieurs qui se montrent remués par un zèle
imprudent des âmes : dans leur ardeur, ils brûlent d'un désir
pressant d'abattre les enceintes qui séparent d'honnêtes gens: on
les voit adopter alors un “irénisme” tel que, laissant de
côté tout ce qui divise, ils ne se contentent pas d'envisager
l'attaque contre un athéisme envahissant par l'union de toutes les
forces, mais ils vont jusqu'à envisager une conciliation des
contraires, seraient-ils même des dogmes. Et de même que certains
jadis avaient déjà demandé si l'apologétique traditionnelle de
l'Église ne constituait pas un obstacle plutôt qu'un secours pour
gagner les âmes au Christ, aujourd'hui il en est encore qui ne
craignent pas de soulever, avec sérieux, la question de savoir si la
théologie et Sa méthode, telles qu'elles sont enseignées dans nos
écoles avec l'approbation de l'autorité ecclésiastique, ne doivent
pas être non seulement perfectionnées, mais en tous points
réformées. Ils pensent qu'ainsi le règne du Christ serait plus
efficacement propagé dans toutes les parties du monde parmi les
hommes de toute culture, et de toute opinion religieuse.
Et si ceux-là ne
prétendaient qu'à accommoder aux conditions et aux nécessités de
notre temps la science ecclésiastique et sa méthode en nous offrant
un plan nouveau, il n'y aurait pour ainsi dire pas de raison de nous
alarmer; mais emportés par un irénisme imprudent, quelques-uns
semblent prendre pour des obstacles à la restauration de l'unité
fraternelle tout ce qui s'appuie sur les lois et les principes mêmes
que donna le Christ, et sur les institutions qu'il a établies, sur
tout ce qui se dresse, en somme, comme autant de défenses et de
soutiens pour l'intégrité de la foi : l'écroulement de l'ensemble
assurerait l'union, pensent-ils, mais, disons-le, ce serait pour la
ruine.
Ces opinions nouvelles,
qu'elles s'inspirent d'un désir condamnable de nouveauté ou de
quelque raison fort louable, ne sont pas exposées toujours avec la
même hâte, la même précision et dans les mêmes termes ; ajoutons
qu'elles sont loin d'obtenir l'accord unanime de leurs auteurs. En
effet ce que certains aujourd'hui enseignent d'une façon voilée avec
des précautions et des distinctions, d'autres le proposeront demain
avec plus d'audace, en plein jour et sans mesure aucune, causant
ainsi le scandale de beaucoup, surtout dans le jeune clergé, et un
grave tort à l'autorité de l’Église. Si l'on montre plus de prudence
en s'exprimant dans les ouvrages édités, on est plus libre en privé
dans les dissertations qu'on se communique, dans les conférences et
les assemblées. Et ces opinions ne sont pas seulement divulguées
parmi le clergé séculier et régulier, dans les Séminaires et les
instituts religieux, mais aussi parmi les laïques et principalement
parmi ceux qui se consacrent à l'instruction de la jeunesse.
En ce qui concerne la
théologie, le propos de certains est d'affaiblir le plus possible la
signification des dogmes et de libérer le dogme de la formulation en
usage dans l’Église depuis si longtemps et des notions
philosophiques en vigueur chez les Docteurs catholiques, pour faire
retour, dans l'exposition de la doctrine catholique, à la façon de
s'exprimer de la Sainte Écriture et des Pères. Ils nourrissent
l'espoir que le dogme, ainsi débarrassé de ses éléments qu'ils nous
disent extrinsèques à la révélation, pourra être comparé, avec
fruit, aux opinions dogmatiques de ceux qui sont séparés de l'unité
de l’Église : on parviendrait alors à assimiler au dogme catholique
tout ce qui plaît aux dissidents.
Bien plus, lorsque la
doctrine catholique aura été réduite à un pareil état, la voie sera
ouverte, pensent-ils, pour donner satisfaction aux besoins du jour
en exprimant le dogme au moyen des notions de la philosophie
moderne, de l'immanentisme, par exemple, de l'idéalisme, de
l'existentialisme ou de tout autre système à venir. Que cela puisse
et doive même être fait ainsi, de plus audacieux l'affirment pour la
bonne raison, disent-ils, que les mystères de la foi ne peuvent pas
être signifiés par des notions adéquatement vraies, mais par des
notions, selon eux, approximatives et toujours changeables, par
lesquelles la vérité est indiquée sans doute jusqu'à un certain
point, mais fatalement déformée. C'est pourquoi ils ne croient pas
absurde, mais absolument nécessaire que la théologie qui a utilisé
au cours des siècles différentes philosophies comme ses instruments
propres substitue aux notions anciennes des notions nouvelles, de
telle sorte que, sous des modes divers et souvent opposés, et
pourtant présentés par eux comme équivalents, elle nous exprime les
vérités divines, sous le mode qui sied à des êtres humains. Ils
ajoutent que l'histoire des dogmes consiste à exprimer les formes
variées qu'a revêtues la vérité successivement selon les diverses
doctrines et selon les systèmes qui ont vu le jour tout au long des
siècles.
Or, il ressort, avec
évidence, de ce que nous avons dit, que tant d'efforts non seulement
conduisent à ce qu'on appelle le “relativisme” dogmatique, mais le
comportent déjà en fait : le mépris de la doctrine communément
enseignée et le mépris des termes par lesquels on le signifie le
favorisent déjà trop. Certes il n'est personne qui ne sache que les
mots qui expriment ces notions, tels qu'ils sont employés dans nos
écoles et par le magistère de l'Église, peuvent toujours être
améliorés et perfectionnés : on sait d'ailleurs que l’Église n'a pas
eu recours toujours aux mêmes termes. Et puis, il va de soi que
l’Église ne peut se lier à n'importe quel système philosophique dont
la vie est de courte durée : ce que les docteurs catholiques, en
parfait accord, ont composé au cours des siècles pour parvenir à une
certaine intelligence du dogme, ne s'appuie assurément pas sur un
fondement aussi caduc. En effet, il n'est pas d'autre appui que les
principes et les notions tirés de l'expérience des choses créées ;
et dans la déduction de ces connaissances, la vérité révélée a,
comme une étoile, brillé sur l'intelligence des hommes grâce au
ministère de l’Église. On ne s'étonne donc pas que les Conciles
oecuméniques aient employé et aussi sanctionné certaines de ces
notions: aussi, s'en écarter n'est point permis.
Voilà pourquoi
négliger, rejeter ou priver de leur valeur tant de biens précieux
qui au cours d'un travail plusieurs fois séculaire des hommes d'un
génie et d'une sainteté peu commune, sous la garde du magistère
sacré et la conduite lumineuse de l'Esprit-Saint, ont conçus,
exprimés et perfectionnés en vue d'une présentation de plus en plus
exacte des vérités de la foi, et leur substituer des notions
conjecturales et les expressions flottantes et vagues d'une
philosophie nouvelle appelées à une existence éphémère, comme la
fleur des champs, ce n est pas seulement pécher par imprudence
grave, mais c'est faire du dogme lui-même quelque chose comme un
roseau agité par le vent. Le mépris des mots et des notions dont ont
coutume de se servir les théologiens scolastiques conduit très vite
à énerver la théologie qu'ils appellent spéculative et tiennent pour
dénuée de toute véritable certitude, sous prétexte qu'elle s'appuie
sur la raison théologique.
De fait, ô
douleur, les amateurs de nouveautés passent tout naturellement du
dédain pour la théologie scolastique au manque d'égards, voire au
mépris pour le magistère de l’Église lui-même qui si fortement
approuve, de toute son autorité, cette théologie. Ne présentent-ils
pas ce magistère comme une entrave au progrès, un obstacle pour la
science ? Certains non-catholiques y voient déjà un injuste frein
qui empêche quelques théologiens plus cultivés de rénover leur
science. Et alors que ce magistère, en matière de foi et de moeurs,
doit être pour tout théologien la règle prochaine et universelle de
vérité, puisque le Seigneur Christ lui a confié le dépôt de la foi —
les Saintes Écritures et la divine Tradition — pour le conserver, le
défendre et l'interpréter, cependant le devoir qu'ont les fidèles
d'éviter aussi les erreurs plus ou moins proches de l'hérésie et
pour cela « de conserver les constitutions et les décrets par
lesquels le Saint-Siège proscrit et interdit ces opinions qui
faussent les esprits »
,
est parfois aussi ignoré d'eux que s'il n'existait pas. Ce
qu'exposent les Encycliques des Pontifes Romains sur le caractère et
la constitution de l’Église est, de façon habituelle et délibérée,
négligé par certains dans le but très précis de faire prévaloir une
notion vague qu'ils nous disent puisée chez les anciens Pères et
surtout chez les Grecs. A les entendre, les Pontifes, en effet,
n'auraient jamais dessein de se prononcer sur les questions
débattues entre théologiens ; aussi le devoir s'impose à tous de
revenir aux sources primitives et aussi d'expliquer les
constitutions et décrets plus récents du magistère selon les textes
des anciens.
Tout cela semble dit de
façon très habile, mais tout cela est faux en réalité. Car s'il est
exact que, en général, les Pontifes laissent la liberté aux
théologiens dans les matières où les docteurs du meilleur renom
professent des opinions différentes, l'histoire pourtant nous
apprend que bien des choses laissées d'abord à la libre discussion
ne peuvent plus dans la suite souffrir aucune discussion.
Et l'on ne doit
pas penser que ce qui est proposé dans les lettres Encycliques
n'exige pas de soi l'assentiment, sous le prétexte que les Papes n'y
exerceraient pas le pouvoir suprême de leur magistère. C'est bien,
en effet, du magistère ordinaire que relève cet enseignement et pour
ce magistère vaut aussi la parole : « Qui vous écoute, m'écoute... »
,
et le plus souvent ce qui est proposé et imposé dans les Encycliques
appartient depuis longtemps d'ailleurs à la doctrine catholique. Que
si dans leurs Actes, les Souverains Pontifes portent à dessein un
jugement sur une question jusqu'alors disputée, il apparaît donc à
tous que, conformément à l'esprit et à la volonté de ces mêmes
Pontifes, cette question ne peut plus être tenue pour une question
libre entre théologiens.
Il est vrai
encore que les théologiens doivent toujours remonter aux sources de
la révélation divine ; car il leur appartient de montrer de quelle
manière ce qui est enseigné par le magistère vivant « est
explicitement ou implicitement trouvé »
dans la Sainte Écriture et la divine “tradition”. Ajoutons que ces
deux sources de la doctrine révélée contiennent tant de trésors et
des trésors si précieux de vérités qu'il est impossible de les
épuiser jamais. C'est bien la raison pour laquelle nos sciences
sacrées trouvent toujours une nouvelle jeunesse dans l'étude des
sources sacrées ; tandis que toute spéculation qui néglige de
pousser plus avant l'examen du dépôt sacré ne peut qu'être stérile :
l'expérience est là, qui le prouve. Mais on ne peut pas, pour cette
raison, équiparer la théologie, même celle qu'on dit positive, à une
science purement historique. Car Dieu a donné à son Église, en même
temps que les sources sacrées, un magistère vivant pour éclairer et
pour dégager ce qui n'est contenu qu'obscurément et comme
implicitement dans le dépôt de la foi. Et ce dépôt, ce n'est ni à
chaque fidèle, ni même aux théologiens que le Christ l'a confié pour
en assurer l'interprétation authentique, mais au seul magistère de
l’Église. Or si l’Église exerce sa charge, comme cela est arrivé
tant de fois au cours des siècles, par la voie ordinaire ou par la
voie extraordinaire, il est évident qu'il est d'une méthode
absolument fausse d'expliquer le clair par l'obscur, disons bien
qu'il est nécessaire que tous s'astreignent à suivre l'ordre
inverse. Aussi notre Prédécesseur, d'immortelle mémoire, Pie IX,
lorsqu'il enseigne que la théologie a la si noble tâche de démontrer
comment une doctrine définie par l’Église est contenue dans les
sources, ajoute ces mots, non sans de graves raisons : « dans le
sens même où l’Église l'a définie ».
Mais pour en revenir
aux systèmes nouveaux auxquels nous avons touché plus haut, il y a
certains points que quelques-uns proposent ou qu'ils distillent,
pour ainsi dire, dans les esprits, qui tournent au détriment de
l'autorité divine de la Sainte Écriture. Ainsi on a audacieusement
perverti le sens de la définition du Concile du Vatican sur Dieu,
auteur de la Sainte Écriture ; et la théorie qui n'admet l'inhérence
des lettres sacrées que là où elles enseignent Dieu, la morale et la
religion, on la professe en la renouvelant, bien qu'elle ait été
plusieurs fois condamnée. Bien plus, de la façon la plus incorrecte,
on nous parle d'un sens humain des Livres Saints, sous lequel se
cacherait le sens divin, le seul, nous dit-on, qui serait
infaillible. Dans l'interprétation de la Sainte Écriture, on
s'interdit de tenir compte de l'analogie de la foi et de la
tradition ecclésiastique. En conséquence, c'est la doctrine des
Saints Pères et du magistère sacré qui devrait être ramenée, pour
ainsi dire, à la juste balance de l’Écriture et de l’Écriture telle
qu'elle est expliquée par des exégètes qui ne font appel qu'à la
lumière de la raison ; et, partant, ce n'est plus la Sainte Écriture
qu'il faudrait expliquer selon la pensée de l’Église que le Christ
institua gardienne et interprète de tout le dépôt de la vérité
divinement révélée.
En outre, le sens
littéral de la Sainte Écriture et son explication faite
laborieusement, sous le contrôle de l’Église, par tant d'exégètes de
si grande valeur doivent céder, d'après les inventions qui plaisent
aux novateurs, à une exégèse nouvelle, dite symbolique et
spirituelle; et ainsi seulement, les Livres Saints de l'Ancien
Testament, qui seraient aujourd'hui encore ignorés dans l’Église,
comme une source qu'on aurait enclose, seraient enfin ouverts à
tous. Ils assurent que toutes les difficultés, par ce moyen,
s'évanouiront, qui ne paralysent que ceux-là qui se tiennent
attachés au sens littéral de la Bible.
Il n'est personne
qui ne puisse voir à quel point tant de prétentions s'écartent des
principes et des règles d'herméneutique si justement fixés par Nos
Prédécesseurs d'heureuse mémoire Léon XIII dans l'Encyclique
Providentissimus
et Benoît XV dans l'Encyclique
Spiritus Paraclitus et par Nous-même dans l'Encyclique
Divino afflante Spiritu.
Il n'est pas
étonnant que pareilles nouveautés aient déjà produit des fruits
empoisonnés dans toutes les parties, ou presque, de la théologie. On
révoque en doute que la raison humaine, sans le secours de la
révélation et de la grâce divine, puisse démontrer l'existence d'un
Dieu personnel par des arguments tirés des choses créées; on nie que
le monde ait eu un commencement et l'on soutient que la création est
nécessaire, puisqu'elle procède de la nécessaire libéralité de
l'amour de Dieu; on refuse aussi à Dieu l'éternelle et infaillible
prescience des libres actions de l'homme. Or tout cela s'oppose aux
déclarations du Concile du Vatican
.
Quelques-uns
aussi se demandent si les Anges sont des créatures personnelles, et
si la matière diffère essentiellement de l'esprit. D'autres
corrompent la véritable gratuité de l'ordre surnaturel, puisqu'ils
tiennent que Dieu ne peut pas créer des êtres doués d'intelligence
sans les ordonner et les appeler à la vision béatifique. Ce n'est
pas assez ! au mépris de toutes définitions du Concile de Trente, on
a perverti la notion du péché originel, et du même coup, la notion
du péché en général, dans le sens même où il est une offense à Dieu,
et ainsi la notion de la satisfaction offerte pour nous par le
Christ. Il s'en trouve encore pour prétendre que la doctrine de la
transsubstantiation, toute fondée sur une notion philosophique
périmée (la notion de substance), doit être corrigée, de telle sorte
que la présence réelle dans la Sainte Eucharistie soit ramenée à un
certain symbolisme, en ce sens que les espèces consacrées ne
seraient que les signes efficaces de la présence spirituelle du
Christ et de son intime union avec les membres fidèles dans le Corps
Mystique.
Certains estiment
qu'ils ne sont pas liés par la doctrine que Nous avons exposée il y
a peu d'années dans notre lettre Encyclique et qui est fondée sur
les sources de la “révélation”, selon laquelle le Corps Mystique et
l’Église catholique romaine sont une seule et même chose
.
Quelques-uns réduisent à une formule vaine la nécessité d'appartenir
à la véritable Église pour obtenir le salut éternel. D'autres enfin
attaquent injustement le caractère rationnel de la crédibilité de la
foi chrétienne.
Il est trop certain que
ces erreurs et d'autres du même ordre s'insinuent dans l'esprit de
plusieurs de Nos fils, qu'abuse un zèle imprudent des âmes ou une
fausse science: il Nous faut donc, l'âme accablée de tristesse, leur
répéter des vérités très connues et leur signaler, non sans angoisse
pour le coeur, des erreurs manifestes et des dangers d'erreur
auxquels ils s'exposent.
On sait combien
l’Église estime la raison humaine dans le pouvoir qu'elle a de
démontrer avec certitude l'existence d'un Dieu personnel, de prouver
victorieusement par les signes divins les fondements de la foi
chrétienne elle-même, d'exprimer exactement la loi que le Créateur a
inscrite dans l'âme humaine et enfin de parvenir à une certaine
intelligence des mystères, qui nous est très fructueuse
.
La raison cependant ne pourra remplir tout son office avec aisance
et en pleine sécurité que si elle reçoit une formation qui lui est
due : c'est-à-dire quand elle est imprégnée de cette philosophie
saine qui est pour nous un vrai patrimoine transmis par les siècles
du passé chrétien et qui jouit encore d'une autorité d'un ordre
supérieur, puisque le magistère de l’Église a soumis à la balance de
la révélation divine, pour les apprécier, ses principes et ses
thèses essentielles qu'avaient peu à peu mis en lumière et définis
des hommes de génie. Cette philosophie reconnue et reçue dans
l’Église défend, seule, l'authentique et juste valeur de la
connaissance humaine, les principes inébranlables de la
métaphysique, à savoir de raison suffisante, de causalité et de
finalité la poursuite enfin, effective, de toute vérité certaine et
immuable.
Dans cette philosophie,
sans doute sont traitées des parties qui ni directement ni
indirectement ne touchent à la foi et aux mœurs : aussi l’Église les
laisse-t-elle à la libre discussion des philosophes. Mais pour
beaucoup d'autres, surtout dans le domaine des principes et des
thèses essentielles que Nous avons rappelés plus haut, de liberté de
discussion il n'y a point. Même dans ces questions essentielles, il
est permis de donner à la philosophie un vêtement plus juste et plus
riche, de la renforcer de développements plus efficaces, de la
débarrasser de quelques procédés scolaires insuffisamment adaptés,
de l'enrichir discrètement aussi d'éléments apportés par une pensée
humaine qui sainement progresse, mais il n'est jamais possible de la
bouleverser, de la contaminer de principes faux ou même de la tenir
pour un monument sans doute imposant mais absolument suranné. Car la
vérité et toute son explication philosophique ne peuvent pas changer
chaque jour, surtout quand il s'agit de principes évidents, par soi,
pour tout esprit humain ou de ces thèmes qui prennent appui aussi
bien sur la sagesse des siècles que sur leur accord avec la
révélation divine qui les étaye si fortement. Tout ce que l'esprit
humain, adonne à la recherche sincère, peut découvrir de vrai ne
peut absolument pas s'opposer à une vérité déjà acquise ; Dieu,
Souveraine Vérité a créé l'intelligence humaine et la dirige, il
faut le dire, non point pour qu'elle puisse opposer chaque jour des
nouveautés à ce qui est solidement acquis, mais pour que, ayant
rejeté les erreurs qui se seraient insinuées en elle, elle élève
progressivement le vrai sur le vrai selon l'ordre et la complexion
même que nous discernons dans la nature des choses d'où nous tirons
la vérité.
C'est pourquoi un
chrétien, qu'il soit philosophe ou théologien, ne peut pas se jeter
à la légère, pour les adopter, sur toutes les nouveautés qui
s'inventent chaque jour; qu'il en fasse au contraire un examen très
appliqué, qu'il les pèse en une juste balance ; et ainsi, se gardant
de perdre ou de contaminer la vérité déjà acquise, il évitera de
causer un dommage certain à la foi elle-même et de la mettre
gravement en péril.
Si l'on a bien
saisi ces précisions, on verra sans peine pour quelle raison
l’Église exige que ses futurs prêtres soient instruits des
disciplines philosophiques « selon la méthode, selon la doctrine et
les principes du Docteur Angélique »
;
c'est que l'expérience de plusieurs siècles lui a parfaitement
appris que la méthode de l'Aquinate l'emporte singulièrement sur
toutes les autres, soit pour former les étudiants, soit pour
approfondir les vérités peu accessibles ; sa doctrine forme comme un
accord harmonieux avec la révélation divine ; elle est de toutes la
plus efficace pour mettre en sûreté les fondements de la foi, comme
pour recueillir utilement et sans dommage les fruits d'un progrès
véritable
.
C'est pour tant de
motifs, qu'il est au plus haut point lamentable que la philosophie
reçue et reconnue dans l’Église soit aujourd'hui méprisée par
certains qui, non sans imprudence, la déclarent vieillie dans sa
forme et rationaliste (comme ils osent dire) dans son processus de
pensée. Nous les entendons répétant que cette philosophie, la nôtre,
soutient faussement qu'il peut y avoir une métaphysique absolument
vraie ; et ils affirment de façon péremptoire que les réalités, et
surtout les réalités transcendantes, ne peuvent être mieux exprimées
que par des doctrines disparates, qui se complètent les unes les
autres, encore qu'elles s'opposent entre elles toujours en quelque
façon. Aussi concèdent-ils que la philosophie qu'enseignent Nos
écoles, avec son exposition claire des problèmes et leurs solutions,
avec sa détermination si rigoureuse du sens de toutes les notions et
ses distinctions précises, peut être utile pour initier de jeunes
esprits à la théologie scolastique et qu'elle était remarquablement
accommodée aux esprits du moyen-âge; mais elle n'offre plus, selon
eux, une méthode qui réponde à notre culture moderne et aux
nécessités du temps. Ils opposent ensuite que la philosopha
permis n'est qu'une philosophie des essences immuables, alors
que l'esprit moderne doit nécessairement se porter vers l'existence
de chacun et vers la vie toujours fluente. Et tandis qu'ils
méprisent cette philosophie, ils en exaltent d'autres, anciennes ou
récentes, de l'Orient ou de l'Occident, de sorte qu'ils semblent
insinuer dans les esprits que n'importe quelle philosophie,
n'importe quelle manière personnelle de penser, avec, si besoin est,
quelques retouches ou quelques compléments, peut s'accorder avec le
dogme catholique : or, cela est absolument faux, surtout quand il
s'agit de ces produits de l'imagination qu'on appelle
l'immanentisme, l'idéalisme, le matérialisme soit historique soit
dialectique ou encore l'existentialisme, qu'il professe l'athéisme
ou pour le moins qu'il nie toute valeur au raisonnement
métaphysique. Quel catholique pourrait avoir le moindre doute sur
toutes ces choses.
Enfin ils
reprochent à cette philosophie de ne s'adresser qu'à l'intelligence
dans le processus de la connaissance, puisqu'elle néglige,
disent-ils, l'office de la volonté et celui des affections de l'âme.
Or cela n'est pas vrai. Jamais la philosophie chrétienne n'a nié
l'utilité et l'efficacité des bonnes dispositions de toute l'âme
humaine pour connaître à fond et pour embrasser les vérités
religieuses et morales; bien mieux, elle a toujours professé que le
défaut de ces dispositions peut être cause que l'intelligence, sous
l'influence des passions et de la volonté mauvaise, s'obscurcisse à
ce point qu'elle ne voit plus juste. Bien mieux encore, le Docteur
commun estime que l'intelligence peut d'une certaine manière
percevoir les biens supérieurs d'ordre moral soit naturel soit
surnaturel, mais dans la mesure seulement où l'âme éprouve une
certaine connaturalité affective avec ces mêmes biens, soit par
nature, soit par don de grâce
.
Et l'on ne peut pas ne pas saisir l'intérêt du secours apporté par
cette connaissance obscure aux recherches de notre esprit. Cependant
autre chose est de reconnaître aux dispositions affectives de la
volonté le pouvoir d'aider la raison à poursuivre une science plus
certaine et plus ferme des choses; et autre chose, ce que
soutiennent ces novateurs, à savoir: attribuer aux facultés
d'appétit et d'affection un certain pouvoir d'intuition et dire que
l'homme, incapable de savoir par la raison et avec certitude la
vérité qu'il doit embrasser, se tourne vers la volonté pour faire
choix et décider librement entre des opinions erronées: n'est-ce pas
là mêler indûment la connaissance et l'acte de la volonté ?
Il n'est pas étonnant
que, par ces nouveaux systèmes, on soit amené à mettre en danger les
deux disciplines philosophiques qui, par leur nature même, sont
étroitement liées avec l'enseignement de la foi, la théodicée et
l'éthique; on en vient donc à penser que leur rôle n'est pas de
démontrer quelque chose de certain sur Dieu ou sur un autre être
transcendant, mais bien plutôt de montrer que ce que la foi enseigne
sur un Dieu personnel et sur ses commandements s'accorde
parfaitement avec les nécessités de la vie et que par voie de
conséquence il faut que tous l'embrassent pour éviter le désespoir
et pour parvenir au salut éternel. Or tout cela s'oppose
manifestement aux documents de Nos Prédécesseurs Léon XIII et Pie X
et ne peut s'accorder avec les décrets du Concile du Vatican [I].
Nous n'aurions certes pas à déplorer ces écarts loin de la vérité si
tous, même en philosophie, voulaient écouter le magistère de
l'Église avec tout le respect qui lui est dû; car il lui revient, de
par l'institution divine, non seulement de garder et d'interpréter
le dépôt de la vérité divinement révélée, mais encore d'exercer
toute sa vigilance sur les disciplines philosophiques pour que de
faux systèmes ne portent pas atteinte aux dogmes catholiques.
Il nous reste à
dire un mot des sciences qu'on dit positives, mais qui sont plus ou
moins connexes avec les vérités de la foi chrétienne. Nombreux sont
ceux qui demandent avec instance que la religion catholique tienne
le plus grand compte de ces disciplines. Et cela est assurément
louable lorsqu'il s'agit de faits réellement démontrés; mais cela ne
doit être accepté qu'avec précaution, dès qu'il s'agit bien plutôt
d’“ hypothèses” qui, même si elles trouvent quelque appui dans la
science humaine, touchent à la doctrine contenue dans la Sainte
Écriture et la “Tradition”. Dans le cas où de telles vues
conjecturales s'opposeraient directement ou indirectement à la
doctrine révélée par Dieu, une requête de ce genre ne pourrait
absolument pas être admise.
C'est pourquoi le
magistère de l’Église n'interdit pas que la doctrine de
l’“évolution”,
dans la mesure où elle recherche
l'origine du corps humain à partir d'une matière déjà existante et
vivante — car la foi catholique nous ordonne de maintenir la
création immédiate des âmes par Dieu — soit l'objet, dans l'état
actuel des sciences et de la théologie d'enquêtes et de débats entre
les savants de l'un et de l'autre partis : il faut pourtant que les
raisons de chaque opinion, celle des partisans comme celle des
adversaires, soient pesées et jugées avec le sérieux, la modération
et la retenue qui s'imposent ; à cette condition que tous soient
prêts à se soumettre au jugement de l’Église à qui le mandat a été
confié par le Christ d'interpréter avec autorité les Saintes
Écritures et de protéger les dogmes de la foi
.
Cette liberté de discussion, certains cependant la violent trop
témérairement : ne se comportent-ils pas comme si l'origine du corps
humain à partir d'une matière déjà existante et vivante était à
cette heure absolument certaine et pleinement démontrée par les
indices jusqu'ici découverts et par ce que le raisonnement en a
déduit; et comme si rien dans les sources de la révélation divine
n'imposait sur ce point la plus grande prudence et la plus grande
modération.
Mais quand il
s'agit d'une autre vue conjecturale qu'on appelle le polygénisme,
les fils de l’Église ne jouissent plus du tout de la même liberté.
Les fidèles en effet ne peuvent pas adopter une théorie dont les
tenants affirment ou bien qu'après Adam il y a eu sur la terre de
véritables hommes qui ne descendaient pas de lui comme du premier
père commun par génération naturelle, ou bien qu'Adam désigne tout
l'ensemble des innombrables premiers pères. En effet on ne voit
absolument pas comment pareille affirmation peut s'accorder avec ce
que les sources de la vérité révélée et les Actes du magistère de
l’Église enseignent sur le péché originel, lequel procède d'un péché
réellement commis par une seule personne Adam et, transmis à tous
par génération, se trouve en chacun comme sien
.
Comme dans le
domaine de la biologie et de l'anthropologie, il en est qui, dans le
domaine de l'histoire, négligent audacieusement les limites et les
précautions que l’Église établit. Et en particulier, il Nous faut
déplorer une manière vraiment trop libre d'interpréter les livres
historiques de l'Ancien Testament, dont les tenants invoquent à
tort, pour se justifier, la lettre récente de la Commission
Pontificale biblique à l'Archevêque de Paris
,
Cette lettre, en effet, avertit clairement que les onze premiers
chapitres de la Genèse, quoiqu'ils ne répondent pas exactement aux
règles de la composition historique, telles que les ont suivies les
grands historiens grecs et latins et que les suivent les savants
d'aujourd'hui, appartient néanmoins au genre historique en un sens
vrai, que des exégètes devront étudier encore et déterminer : cette
Lettre dit encore que les mêmes chapitres, dans le style simple et
figuré, bien approprié à l'état des esprits d'un peuple peu cultivé,
rapportent les vérités essentielles sur lesquelles repose la
poursuite de notre salut éternel, ainsi qu'une description populaire
de l'origine du genre humain et du peuple élu. Si par ailleurs, les
anciens hagiographes ont puisé quelque chose dans les narrations
populaires (ce qu'on peut assurément concéder), on ne doit jamais
oublier qu'ils l'ont fait sous l'inspiration divine qui les a
préservés de toute erreur dans le choix et l'appréciation de ces
documents.
Mais tout ce qui a été
emprunté aux narrations populaires et accueilli dans les Saintes
Lettres ne peut absolument pas être équiparé aux mythologies ou aux
fables du même genre, qui procèdent bien plutôt de l'imagination
dénuée de tout frein que de ce remarquable souci de vérité et de
simplicité qui éclate dans les Saintes Lettres, même de l'Ancien
Testament, à ce point que nos hagiographes doivent être proclamés
nettement supérieurs aux écrivains profanes de l'antiquité.
Nous savons, certes,
que la plupart des maîtres catholiques dont les travaux profitent
aux lycées, aux séminaires, aux collèges d'instituts religieux
demeurent éloignés de ces erreurs aujourd'hui répandues ouvertement
ou on secret, soit par passion de nouveauté, soit même par un propos
mal réglé d'apostolat. Mais nous savons aussi que ces nouveaux
systèmes peuvent gagner des imprudents ; c'est pourquoi Nous
préférons Nous opposer à elles dès leur principe, plutôt que d'avoir
à porter remède à un mal déjà invétéré.
Aussi, après avoir
mûrement pesé et considéré la chose devant Dieu, pour ne pas manquer
à Notre devoir sacré, Nous enjoignons aux Évêques et aux Supérieurs
de familles religieuses, leur en faisant une très grave obligation
de conscience, de veiller avec le plus grand soin à ce que ces
opinions ne soient pas exposées dans les écoles, dans les réunions,
dans n'importe quels écrits, et qu'elles ne soient pas enseignées on
quelque manière que ce soit aux clercs et aux fidèles.
Que ceux qui sont
professeurs d'instituts ecclésiastiques sachent qu'ils ne peuvent
exercer on toute tranquillité de conscience la charge d'enseigner
qui leur est confiée, s'ils n'acceptent pas religieusement les
normes doctrinales que Nous avons édictées, et s'ils ne les suivent
pas exactement au cours de la formation de leurs élèves. Le respect
et l'obéissance qu'ils doivent professer envers le magistère de
l’Église dans leur travail quotidien, ils les doivent inculquer
aussi au coeur et à l'esprit de leurs élèves.
Oui, qu'ils
travaillent, usant de toutes leurs forces et de toute leur
application, à faire avancer les disciplines qu'ils enseignent, mais
qu'ils se gardent aussi d'outrepasser les limites que nous avons
fixées en vue de protéger les vérités de la foi et la doctrine
catholique. Face aux nouveaux problèmes qui se posent pour le grand
public en raison de la culture et du progrès moderne, qu'ils
apportent leur large part dans la recherche la plus diligente, mais
avec la prudence et les précautions qui s'imposent ; et enfin qu'ils
ne pensent pas, cédant trop volontiers à un faux “irénisme” que
pourront être heureusement ramenés dans le sein de l’Église les
dissidents et les égarés si on ne leur enseigne pas sincèrement à
tous la vérité, telle qu'elle est, intègre si vivante dans l’Église
sans la corrompre et sans l'amoindrir.
Fondé sur cet espoir
que ravive votre zèle pastoral, comme gage des célestes bienfaits et
comme témoignage de Notre paternelle bienveillance, Nous donnons, de
grand coeur, à chacun de vous, Vénérables Frères, et aussi à votre
clergé et à votre peuple, la Bénédiction Apostolique.
Donné à Rome, près
Saint-Pierre, le 12 août 1950, en la douzième année de Notre
Pontificat.
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