POUR LE
XIVe CENTENAIRE
DE LA MORT DE S. BENOÎT
LETTRE ENCYCLIQUE
DE SA SAINTETÉ
PIE XII
PAR LA DIVINE
PROVIDENCE
PAPE
A SES VÉNÉRABLES FRÈRES
LES PATRIARCHES, PRIMATS, ARCHEVÊQUES, ÉVÊQUES ET AUTRES ORDINAIRES
DE LIEUX EN PAIX ET COMMUNION AVEC LE SIÈGE APOSTOLIQUE.
A NOS VÉNÉRABLES FRÈRES
LES PATRIARCHES, PRIMATS, ARCHEVÊQUES, ÉVÊQUES ET AUTRES ORDINAIRES
DE LIEUX EN PAIX ET COMMUNION AVEC LE SIÈGE APOSTOLIQUE
VÉNÉRABLES FRÈRES
SALUT ET BÉNÉDICTION
APOSTOLIQUE
Rayonnant comme un
astre dans les ténèbres de la nuit, Benoît de Nursie honore non
seulement l'Italie, mais l'Église tout entière. Celui qui observe sa
vie illustre et étudie sur les documents authentiques l'époque
ténébreuse et trouble qui fut la sienne, éprouve sans aucun doute la
vérité des divines paroles par lesquelles le Christ promit à ses
Apôtres et à la société fondée par lui : « Je serai avec vous tous
les jours jusqu'à la fin des siècles »
.
Certainement à aucune époque, ces paroles et cette promesse ne
perdent de leur force, mais elles se réalisent au cours de tous les
siècles, qui sont entre les mains de la divine Providence.
Davantage, quand les ennemis du nom chrétien l'attaquent avec plus
de fureur, quand la barque portant le sort de Pierre est agitée par
des bourrasques plus violentes, quand tout semble aller à la dérive
et que ne luit plus aucun espoir de secours humain, voici qu'alors
apparaît le Christ, garant, consolateur, pourvoyeur de force
surnaturelle, par laquelle il excite ses nouveaux athlètes à
défendre le monde catholique, à le renouveler, et à lui susciter,
avec l'inspiration et le secours de la grâce divine, des progrès
toujours plus étendus.
Parmi eux resplendit
d'une vive lumière notre Saint « Benoît » « qui l'est et de grâce et
de nom »
,
et qui par une disposition spéciale de la divine Providence, se
dresse au milieu des ténèbres du siècle, à l'heure où se trouvaient
très gravement compromises les conditions d'existence, non seulement
de l'Église, mais de toute la civilisation politique et humaine.
L'Empire romain, qui était parvenu au faîte d'une si grande gloire
et qui s'était aggloméré tant de peuples, de faces et de nations
grâce à la sage modération et à l'équité de son droit, de telle
sorte qu'on « aurait pu l'appeler avec plus de vérité un patronat
sur le monde entier qu'un Empire »
,
désormais, comme toutes les choses terrestres, en était venu à son
déclin ; car, affaibli et corrompu à l'intérieur, ébranlé sur ses
frontières par les invasions barbares, se ruant du septentrion, il
avait été écrasé dans les régions occidentales, sous ses ruines
immenses.
Dans une si violente
tempête et au milieu de tant de remous, d'où vint luire l'espérance
sur la communauté des hommes, d'où se levèrent pour elle le secours
et la défense capables de la sauver du naufrage, elle-même et
quelques restes à tout le moins de ses biens ? Justement de l'Église
catholique. Les entreprises de ce monde, en effet, et toutes les
institutions de l'homme, l'une après l'autre, au cours des âges,
s'accroissent, atteignent à leur sommet, et puis de leur propre
poids, déclinent, tombent et disparaissent ; au contraire la
communauté fondée par notre divin Rédempteur, tient de lui la
prérogative d'une vie supérieure et d'une force indéfectible ; ainsi
entretenue et soutenue par lui, elle surmonte victorieusement les
injures des temps, des événements et des hommes, au point de faire
surgir de leurs disgrâces et de leurs ruines une ère nouvelle et
plus heureuse, en même temps qu'elle crée et élève dans la doctrine
chrétienne et dans le sens chrétien une nouvelle société de
citoyens, de peuples et de nations.
Or il Nous plaît,
Vénérables Frères, de rappeler brièvement et à grands traits dans
cette Encyclique la part que prit Benoît à l'œuvre de cette
restauration et de ce renouveau, l'année même, à ce qu'il semble, du
quatorzième centenaire, depuis le jour où, ayant achevé ses
innombrables travaux pour la gloire de Dieu et le salut des hommes,
il changea l'exil de cette terre pour la patrie du ciel.
I
« Né de noble race dans
la province de Nursie »
,
Benoît « fut rempli de l'esprit de tous les justes »
,
et il soutint merveilleusement le monde chrétien par sa vertu, sa
prudence et sa sagesse. Car, tandis que le siècle s'était vieilli
dans le vice, que l'Italie et l'Europe offraient l'affreux spectacle
d'un champ de bataille pour les peuples en conflit, et que les
institutions monastiques elles-mêmes, souillées par la poussière de
ce monde, étaient moins fortes qu'il n'aurait fallu pour résister
aux attraits de la corruption et les repousser, Benoît, par son
action et sa sainteté éclatantes, témoigna de l'éternelle jeunesse
de l'Église, restaura par la parole et par l'exemple la discipline
des mœurs, et entoura d'un rempart de lois plus efficaces et plus
sanctifiantes la vie religieuse des cloîtres. Plus encore : par
lui-même et par ses disciples, il fit passer les peuplades barbares
d'un genre de vie sauvage à une culture humaine et chrétienne ; et
les convertissant à la vertu, au travail, aux occupations pacifiques
des arts et des lettres, il les unit entre eux par les liens des
relations sociales et de la charité fraternelle.
Dès sa prime jeunesse,
il se rend à Rome, pour s'occuper de l'étude des sciences libérales
;
mais, à sa très grande tristesse, il se rend compte que des hérésies
et des erreurs de toute sorte s'insinuent, les trompant et les
déformant, en beaucoup d'esprits ; il voit les mœurs privées et
publiques tomber en décadence, un grand nombre de jeunes surtout,
mondains et efféminés, se vautrer lamentablement dans la fange des
voluptés ; si bien qu'avec raison on pouvait affirmer de la société
romaine : « Elle meurt et elle rit. C'est pourquoi, dans toutes les
parties du monde, des larmes suivent nos rires »
.
Cependant Benoît, prévenu par la grâce de Dieu, « ne s'adonna à
aucun de ces plaisirs, ... mais, voyant beaucoup de ses compagnons
côtoyer les abîmes du vice et y tomber, il retira le pied qu'il y
avait posé presque dès son entrée dans le monde... Renonçant aux
études littéraires, il quitta la maison paternelle et tous ses
biens, ne désirant plaire désormais qu'à Dieu, et il chercha une
sainte manière de vivre »
.
Il dit un cordial adieu aux commodités de la vie et aux appâts d'un
monde corrompu, de même qu'à l'attrait de la fortune et aux emplois
honorables auxquels son âge mûr pouvait prétendre. Quittant Rome, il
se retira dans des régions boisées et solitaires où il lui serait
loisible de vaquer à la contemplation des réalités surnaturelles. Il
gagna ainsi Subiaco, où s'enfermant dans une étroite caverne, il
commença à mener une vie plus divine qu'humaine.
Caché avec le Christ en
Dieu
,
il s'efforça très efficacement durant trois ans à poursuivre cette
perfection évangélique et cette sainteté auxquelles il se sentait
appelé par une inspiration divine. Fuir tout ce qui est terrestre
pour n'aspirer de toutes ses forces qu'à ce qui est céleste ;
converser jour et nuit avec Dieu, et lui adresser de ferventes
prières pour son salut et celui du prochain ; réprimer et maîtriser
le corps par une mortification volontaire ; réfréner et dominer les
mouvements désordonnés des sens : telle fut sa règle. Dans cette
manière de vivre et d'agir, il goûtait une si douce suavité
intérieure qu'il prenait en suprême dégoût les richesses et
commodités de la terre et en oubliait même les charmes qu'il avait
éprouvés jadis. Un jour que l'ennemi du genre humain le tourmentait
des plus violents aiguillons de la concupiscence, Benoît, âme noble
et forte, résista sur le champ avec toute l'énergie de sa volonté ;
et se jetant au milieu des ronces et des orties, il éteignit par
leurs piqûres volontaires le feu qui le brûlait au dedans ; sorti de
la sorte vainqueur de lui-même, il fut en récompense confirmé dans
la grâce divine. « Depuis lors, comme il le raconta plus tard à ses
disciples, la tentation impure fut si domptée en lui qu'il n'éprouva
plus rien de semblable... Libre ainsi du penchant au vice, il devint
désormais à bon droit maître de vertus »
.
Renfermé dans la grotte
de Subiaco durant ce long espace de vie obscure et solitaire, Notre
Saint se confirma et s'aguerrit dans l'exercice de la sainteté ; il
jeta ces solides fondements de la perfection chrétienne sur lesquels
il lui serait permis d'élever par la suite un édifice d'une
prodigieuse hauteur. Comme vous le savez bien, Vénérables Frères,
les œuvres d'un saint zèle et d'un saint apostolat restent sans
aucun doute vaines et infructueuses si elles ne partent pas d'un
cœur riche en ces ressources chrétiennes, grâce auxquelles les
entreprises humaines peuvent, avec le secours divin, tendre sans
dévier à la gloire de Dieu et au salut des âmes. De cette vérité
Benoît avait une intime et profonde conviction ; c'est pourquoi,
avant d'entreprendre la réalisation et l'achèvement de ces
grandioses projets auxquels il se sentait appelé par le souffle de
l'Esprit Saint, il s'efforça de tout son pouvoir, et il demanda à
Dieu par d'instantes prières, de reproduire excellemment en lui ce
type de sainteté, composé selon l'intégrité de la doctrine
évangélique, qu'il désirait enseigner aux autres.
Mais la renommée de son
extraordinaire sainteté se répandait dans les environs, et elle
augmentait de jour en jour. Aussi non seulement les moines qui
demeuraient à proximité voulurent se mettre sous sa direction, mais
une foule d'habitants eux-mêmes commencèrent à venir en groupes
auprès de lui, désireux d'entendre sa douce voix, d'admirer son
exceptionnelle vertu et de voir ces miracles que par un privilège de
Dieu il opérait assez souvent. Bien plus, cette vive lumière qui
rayonnait de la grotte obscure de Subiaco, se propagea si loin
qu'elle parvint en de lointaines régions. Aussi « nobles et
personnes religieuses de la ville de Rome commencèrent à venir à
lui, et ils lui donnaient leurs fils à élever pour le
Tout-Puissant »
.
Notre Saint comprit
alors que le temps fixé par le décret de Dieu était venu de fonder
un ordre religieux, et de le conformer à tout prix à la perfection
évangélique. Cette œuvre débuta sous les plus heureux auspices.
Beaucoup, en effet, « furent rassemblés par lui en ce lieu pour le
service du Dieu Tout-Puissant..., si bien qu'il put, avec l'aide du
Tout-Puissant Seigneur Jésus-Christ, y construire douze monastères,
à chacun desquels il assigna douze moines sous des supérieurs
désignés ; il en retint quelques-uns avec lui, ceux qu'il jugea
devoir être formés en sa présence »
.
Toutefois, au moment
où, ― comme Nous l'avons dit ― l'initiative procédait heureusement,
où elle commençait à produire d'abondants fruits de salut et en
promettait plus encore pour l'avenir, Notre Saint, avec une immense
tristesse dans l'âme, vit se lever sur les moissons grandissantes
une noire tempête, soulevée par une jalousie aiguë et entretenue par
des désirs d'ambition terrestre. Benoît était guidé par une prudence
non humaine, mais divine ; pour que cette haine, qui s'était
déchaînée surtout contre lui, ne tournât point, par malheur, au
dommage de ses fils, « il céda le pas à l'envie ; mit ordre à tous
les lieux de prière construits par lui, en remplaçant les supérieurs
et en ajoutant de nouveaux frères ; puis, ayant pris avec lui
quelques moines, il changea l'endroit de sa résidence »
.
C'est pourquoi, se fiant à Dieu et sûr de son très efficace secours,
il s'en alla vers le sud, et s'établit dans la localité « appelée
Mont Cassin, au flanc d'une haute montagne... ; sur l'emplacement
d'un très ancien temple, où un peuple ignorant et rustique vénérait
Apollon à la manière des vieux païens. Tout à l'entour, des bois
consacrés au culte des démons avaient grandi, et, à cette époque
encore, une multitude insensée d'infidèles s'y livrait à des
sacrifices sacrilèges. A peine arrivé l'homme de Dieu brisa l'idole,
renversa l'autel, incendia les bosquets sacrés ; sur le temple même
d'Apollon il édifia la chapelle du Bienheureux Martin, et là où se
trouvait l'autel du même Apollon il construisit l'oratoire de S.
Jean ; enfin, par sa continuelle prédication, il convertit à la foi
les populations qui habitaient aux environs »
.
Mont-Cassin, tout le
monde le sait, a été la demeure principale du S. Patriarche et le
principal théâtre de sa vertu et de sa sainteté. Des sommets de ce
mont, quand presque de toutes parts les ténèbres de l'ignorance et
des vices se propageaient dans un effort pour tout recouvrir et pour
tout ruiner, resplendit une lumière nouvelle qui, alimentée par les
enseignements et la civilisation des peuples anciens, et surtout
échauffée par la doctrine chrétienne, éclaira les peuples et les
nations qui erraient à l'aventure, les rappela et les dirigea vers
la vérité et le droit chemin. Si bien qu'on peut affirmer à bon
droit que le saint monastère édifié là devint le refuge et la
forteresse des plus hautes sciences et de toutes les vertus, et en
ces temps troublés « comme le soutien de l'Église et le rempart de
la foi »
.
C'est là que Benoît
porta l'institution monastique à ce genre de perfection, auquel
depuis longtemps il s'était efforcé par ses prières, ses méditations
et ses expériences. Tel semble bien être, en effet, le rôle spécial
et essentiel à lui confié par la divine Providence : non pas tant
apporter de l'Orient en Occident l'idéal de la vie monastique, que
l'harmoniser et l'adapter avec bonheur au tempérament, aux besoins
et aux habitudes des peuples de l'Italie et de toute l'Europe. Par
ses soins donc, à la sereine doctrine ascétique qui florissait dans
les monastères de l'Orient, se joignit la pratique d'une incessante
activité, permettant de « communiquer à autrui les vérités
contemplées »
,
et, non seulement de rendre fertiles des terres incultes, mais de
produire par les fatigues de l'apostolat des fruits spirituels. Ce
que la vie solitaire avait d'âpre, d'inadapté à tous et même parfois
de dangereux pour certains, il l'adoucit et le tempéra par la
communauté fraternelle de la famille bénédictine, où, successivement
adonnée à la prière, au travail, aux études sacrées et profanes, la
douce tranquillité de l'existence ne connaît cependant ni oisiveté
ni dégoût ; où l'action et le travail, loin de fatiguer l'esprit et
l'âme, de les dissiper et de les absorber en futilités, les
rassérènent plutôt, les fortifient et les élèvent aux choses du
ciel. Ni excès de rigueur, en effet, dans la discipline, ni excès de
sévérité dans les mortifications, mais avant tout l'amour de Dieu et
une charité fraternellement dévouée envers tous : voilà ce qui est
ordonné. Si tant est que Benoît « équilibra sa règle de manière que
les forts désirent faire davantage et que les faibles ne soient pas
rebutés par son austérité... Il s'appliquait à régir les siens par
l'amour plutôt qu'à les dominer par la crainte »
.
Prévenu, certain jour, qu'un anachorète s'était lié avec des chaînes
et enfermé dans une caverne, pour ne plus pouvoir retourner au péché
et à la vie du siècle, il le réprimanda doucement en disant : « Si
tu es un serviteur de Dieu, ce n'est pas une chaîne de fer, mais la
chaîne du Christ qui doit te retenir »
.
C'est ainsi qu'aux
coutumes et préceptes propres à la vie érémitique, qui la plupart du
temps n'étaient pas nettement fixés et codifiés, mais dépendaient
souvent du caprice du supérieur, succéda la règle monastique de S.
Benoît, chef-d'œuvre de la sagesse romaine et chrétienne, où les
droits, les devoirs et les offices des moines sont tempérés par la
bonté et la charité évangéliques, et qui a eu et a encore tant
d'efficacité pour stimuler un grand nombre à la poursuite de la
vertu et de la sainteté.
Dans cette règle
bénédictine, la prudence, se joint à la simplicité, l'humilité
chrétienne s'associe au courage généreux ; la douceur tempère la
sévérité et une saine liberté ennoblit la nécessaire obéissance. En
elle, la correction conserve toute sa vigueur, mais l'indulgence et
la bonté l'agrémentent de suavité ; les préceptes gardent toute leur
fermeté, mais l'obéissance donne repos aux esprits et paix aux âmes
; le silence plaît par sa gravité, mais la conversation s'orne d'une
douce grâce ; enfin l'exercice de l'autorité ne manque pas de force,
mais la faiblesse ne manque pas de soutien
.
Il n'y a donc pas à
s'étonner que tous les gens sensés d'aujourd'hui exaltent de leurs
louanges la « règle monastique écrite par S. Benoît, règle fort
remarquable par sa discrétion et par la lumineuse clarté de son
expression »
;
et il Nous plaît d'en souligner ici et d'en dégager les traits
essentiels, avec la confiance que Nous ferons œuvre agréable et
utile non seulement à la nombreuse famille du S. Patriarche, mais à
tout le clergé et à tout le peuple chrétien.
La communauté
monastique est constituée et organisée à l'image d'une maison
chrétienne, dont l'abbé, ou cénobiarche, comme un père de famille, a
le gouvernement, et tous doivent dépendre entièrement de sa
paternelle autorité. « Nous jugeons expédient - écrit S. Benoît -
pour la sauvegarde de la paix et de la charité, que le gouvernement
du monastère dépende de la volonté de l'abbé »
.
Aussi tous et chacun doivent-ils lui obéir très fidèlement par
obligation de conscience
,
voir et respecter en lui l'autorité divine elle-même. Toutefois que
celui qui, en fonction de la charge reçue, entreprend de diriger les
âmes des moines et de les stimuler à la perfection de la vie
évangélique, se souvienne et médite avec grand soin qu'il devra un
jour en rendre compte au Juge suprême
;
qu'il se comporte donc, dans cette très lourde charge, de manière à
mériter une juste récompense « quand se fera la reddition des
comptes au terrible jugement de Dieu »
.
En outre, toutes les fois que des affaires de plus grande importance
devront être traitées dans son monastère, qu'il rassemble tous ses
moines, qu'il écoute leurs avis librement exposés et qu'il en fasse
un sérieux examen avant d'en venir à la décision qui lui paraîtra la
meilleure
.
Dès les débuts
pourtant, une grave difficulté et une épineuse question furent
soulevées, à propos de la réception ou du renvoi des candidats à la
vie monastique. En effet, des hommes de toute origine, de tout pays,
de toute condition sociale accouraient dans les monastères pour y
être admis : Romains et barbares, hommes libres et esclaves,
vainqueurs et vaincus, beaucoup de nobles patriciens et d'humbles
plébéiens. C'est avec magnanimité et délicatesse fraternelle que
Benoît résolut heureusement ce problème ; « car, dit-il, esclaves ou
hommes libres, nous sommes tous un dans le Christ, et sous le même
Seigneur nous servons à égalité dans sa milice... Que la charité
soit donc la même en tous ; qu'une même discipline s'exerce pour
tous selon leurs mérites »
.
A tous ceux qui ont embrassé son Institut, il ordonne que « tout
soit commun pour l'avantage de tous »
,
non par force ou contrainte en quelque sorte, mais spontanément et
avec une volonté généreuse. Que tous en outre soient maintenus dans
l'enceinte du monastère par la stabilité de la vie religieuse, de
telle façon pourtant qu'ils vaquent non seulement à la prière et à
l'étude
,
mais aussi à la culture des champs
,
aux métiers manuels
et enfin aux saints travaux de l'apostolat. Car « l'oisiveté est
l'ennemie de l'âme ; c'est pourquoi à des heures déterminées les
frères doivent être occupés au travail des mains... »
.
Toutefois que, pour tous, le premier devoir, celui qu'ils doivent
s'efforcer de remplir avec le plus de diligence et de soin, soit de
ne rien faire passer avant l'office divin (« opus Dei »)
.
Car bien que " nous sachions que Dieu est présent partout... nous
devons cependant le croire sans la plus minime hésitation quand nous
assistons à l'office divin... Réfléchissons donc sur la manière
qu'il convient de nous tenir en présence de Dieu et des anges, et
psalmodions de façon que notre esprit s'harmonise avec notre voix "
.
Par ces normes et
maximes plus importantes, qu'il Nous a paru bon de déguster pour
ainsi dire dans la Règle bénédictine, il est facile de discerner et
d'apprécier non seulement la prudence de cette règle monastique, son
opportunité et sa merveilleuse correspondance et accord avec la
nature de l'homme, mais aussi son importance et son extrême
élévation. Car, dans ce siècle barbare et turbulent, la culture des
champs, les arts mécaniques et industriels, l'étude des sciences
sacrées et profanes, étaient totalement dépréciés et malheureusement
délaissés de tous ; dans les monastères bénédictins, au contraire,
alla sans cesse croissante une foule presque innombrable
d'agriculteurs, d'artisans et de savants qui, chacun selon ses
talents, parvinrent, non seulement à conserver intactes les
productions de l'antique sagesse, mais à pacifier de nouveau, à unir
et à occuper activement des peuples vieux et jeunes souvent en
guerre entre eux ; et ils réussirent à les faire passer de la
barbarie renaissante, des haines dévastatrices et des rapines à des
habitudes de politesse humaine et chrétienne, à l'endurance dans le
travail, à la lumière de la vérité et à la reprise des relations
normales entre nations, s'inspirant de la sagesse et de la charité.
Mais ce n'est pas tout
; car, dans l'Institut de la vie Bénédictine, l'essentiel est que
tous, autant les travailleurs manuels qu'intellectuels, aient à cœur
et s'efforcent le plus possible d'avoir l'âme continuellement
tournée vers le Christ, et brûlant de sa très parfaite charité. En
effet, les biens de ce monde, même tous rassemblés, ne peuvent
rassasier l'âme humaine que Dieu a créée pour le chercher lui-même ;
mais ils ont bien plutôt reçu de leur Auteur la mission de nous
mouvoir et de nous convertir, comme par paliers successifs, jusqu'à
sa possession. C'est pourquoi il est tout d'abord indispensable que
« rien ne soit préféré à l'amour du Christ »
,
« que rien ne soit estimé de plus haut prix que le Christ »
;
« qu'absolument rien ne soit préféré au Christ, qui nous conduit à
la vie éternelle »
.
A cet ardent amour du
Divin Rédempteur doit correspondre l'amour des hommes, que nous
devons tous embrasser comme des frères, et aider de toute façon.
C'est pourquoi, à l'encontre des haines et des rivalités qui
dressent et opposent les hommes les uns aux autres ; des rapines,
des meurtres et des innombrables maux et misères, conséquences de
cette trouble agitation de gens et de choses, Benoît recommande aux
siens ces très saintes lois : « Qu'on montre les soins les plus
empressés dans l'hospitalité, spécialement à l'égard des pauvres et
des pèlerins, car c'est le Christ que l'on accueille davantage en
eux »
.
« Que tous les hôtes qui nous arrivent soient accueillis comme le
Christ, car c'est Lui qui dira un jour : J'ai été étranger, et vous
m'avez accueilli »
.
« Avant tout et par-dessus tout, que l'on ait soin des malades, afin
de les servir comme le Christ lui-même, car il a dit : J'étais
malade, et vous m'avez visité »
.
Inspiré et emporté de
la sorte par un amour très parfait de Dieu et du prochain, Benoît
conduisit son entreprise à bonne fin, jusqu'à la perfection. Et
quand tressaillant de joie et rempli de mérites, il aspirait déjà
les brises célestes de l'éternelle félicité et en goûtait à l'avance
les douceurs, « le sixième jour avant sa mort..., il fit creuser sa
tombe. Consumé bientôt de fièvre, il commença à ressentir l'ardente
brûlure du feu intérieur ; et comme la maladie s'aggravait de plus
en plus, le sixième jour il se fit porter par ses disciples à
l'église ; là il se pourvut, pour l'ultime voyage, de la réception
du Corps et du Sang du Seigneur, et entre les bras de ses fils qui
soutenaient ses membres déficients, les mains levées vers le ciel,
il se tint immobile et, en murmurant encore des paroles de prière,
il rendit le dernier soupir »
.
II
Lorsque, par une pieuse
mort, le très saint Patriarche se fut envolé au ciel, l'ordre de
moines qu'il avait fondé, loin de tomber en décadence, sembla bien
plutôt, non seulement conduit, nourri et façonné à chaque instant
par ses vivants exemples, mais encore maintenu et fortifié par son
céleste patronage, au point de connaître d'année en année de plus
larges développements.
Avec quelle force et
efficacité l'Ordre bénédictin exerça son heureuse influence au temps
de sa première fondation, que de nombreux et grands services il
rendit aux siècles suivants, tous ceux-là doivent le reconnaître,
qui discernent et apprécient sainement les événements humains, non
selon des idées préconçues, mais au témoignage de l'histoire. Car,
outre que, nous l'avons dit, les moines Bénédictins furent presque
les seuls, en des siècles ténébreux, au milieu d'une telle ignorance
des hommes et de si grandes ruines matérielles, à garder intacts les
savants manuscrits et les richesses des belles lettres, à les
transcrire très soigneusement et à les commenter, ils furent encore
des tout premiers à cultiver les arts, les sciences, l'enseignement,
et à les promouvoir de toutes leurs industries. De la sorte, ainsi
que l'Église catholique, surtout pendant les trois premiers siècles
de son existence, se fortifia et s'accrut d'une façon merveilleuse
par le sang sacré de ses martyrs, et ainsi qu'à cette date et aux
époques suivantes l'intégrité de sa divine doctrine fut sauvegardée
contre les attaques perfides des hérétiques par l'activité
vigoureuse et sage des Saints Pères, on est de même en droit
d'affirmer que l'Ordre bénédictin et ses florissants monastères
furent suscités par la sagesse et l'inspiration de Dieu : cela pour
qu'à l'heure même où s'écroulait l'Empire romain et où des peuples
barbares, qu'excitait la furie guerrière, l'envahissaient de tous
côtés, la chrétienté pût réparer ses pertes, et de plus, avec une
vigilance inlassable, amener des peuples nouveaux, qu'avaient
domptés la vérité et la charité de l'Évangile, à la concorde
fraternelle, à un travail fécond, en un mot à la vertu, qui est
régie par les enseignements de notre Rédempteur et alimentée par sa
grâce.
Car, de même qu'aux
siècles passés les légions Romaines s'en allaient sur les routes
consulaires pour tenter d'assujettir toutes les nations à l'empire
de la Ville Éternelle, ainsi des cohortes innombrables de moines,
dont les armes ne « sont pas celles de la chair, mais la puissance
même de Dieu »
,
sont alors envoyées par te Souverain Pontife pour propager
efficacement le règne pacifique de Jésus-Christ jusqu'aux extrémités
de la terre, non par l'épée, non par la force, non par le meurtre,
mais par la Croix et par la charrue, par la vérité et par l'amour.
Partout où posaient le
pied ces troupes sans armes, formées de prédicateurs de la doctrine
chrétienne, d'artisans, d'agriculteurs et de maîtres dans les
sciences humaines et divines, les terres boisées et incultes étaient
ouvertes par le fer de la charrue ; les arts et les sciences y
élevaient leurs demeures ; les habitants, sortis de leur vie
grossière et sauvage, étaient formés aux relations sociales et à la
culture, et devant eux brillait en un vivant exemple la lumière de
l'Évangile et de la vertu. Des apôtres sans nombre, qu'enflammait la
céleste charité, parcoururent les régions encore inconnues et
agitées de l'Europe ; ils arrosèrent celles-ci de leurs sueurs et de
leur sang généreux, et, après les avoir pacifiées, ils leur
portèrent la lumière de la vérité catholique et de la sainteté. Si
bien que l'on peut affirmer à juste titre que, si Rome, déjà grande
par ses nombreuses victoires, avait étendu le sceptre de son empire
sur terre et sur mer, grâce à ces apôtres pourtant, « les gains que
lui valut la valeur militaire furent moindres que ce que lui
assujettit la paix chrétienne »
.
De fait, non seulement l'Angleterre, la Gaule, les Pays Bataves, la
Frise, le Danemark, la Germanie et la Scandinavie, mais aussi de
nombreux pays Slaves se glorifient d'avoir été évangélisés par ces
moines, qu'ils considèrent comme leurs gloires, et comme les
illustres fondateurs de leur civilisation. De leur Ordre, combien
d'Évêques sont sortis, qui gouvernèrent avec sagesse des diocèses
déjà constitués, ou qui en fondèrent un bon nombre de nouveaux,
rendus féconds par leur labeur ! Combien d'excellents maîtres et
docteurs élevèrent des chaires illustres de lettres et d'arts
libéraux, éclairèrent de nombreuses intelligences, qu'obnubilait
l'erreur, et donnèrent à travers le monde entier aux sciences
sacrées et profanes une forte impulsion ! Combien enfin, rendus
célèbres par leur sainteté, qui, dans les rangs de la famille
bénédictine s'efforcèrent d'atteindre selon leurs forces la
perfection évangélique et propagèrent de toutes manières le Règne de
Jésus-Christ par l'exemple de leurs vertus, leurs saintes
prédications et même les miracles que Dieu leur permit d'opérer !
Beaucoup d'entre eux, vous le savez, Vénérables Frères, furent
revêtus de la dignité épiscopale, ou de la majesté du Souverain
Pontificat. Les noms de ces apôtres, de ces Évêques, de ces Saints,
de ces Pontifes suprêmes sont écrits en lettres d'or dans les
annales de l'Église, et il serait trop long de les rapporter ici
nommément ; au reste, brillent-ils d'une si vivante splendeur et
tiennent-ils dans l'histoire une si grande place, qu'il est facile à
tous de se les rappeler.
Nous croyons, en
conséquence, très opportun que ces faits, rapidement esquissés dans
Notre lettre, soient attentivement médités durant les solennités de
ce centenaire et qu'à tous les regards ils revivent en pleine
lumière, afin que plus aisément tous en conçoivent, non seulement le
désir d'exalter et de louer ces fastueuses grandeurs de l'Église,
mais la résolution de suivre d'un cœur prompt et généreux les
exemples de vie et les enseignements qui en découlent.
Car ce n'est pas
uniquement les siècles passés qui ont profité des bienfaits
incalculables de ce grand Patriarche et de son Ordre ; notre époque
elle aussi doit apprendre de lui de nombreuses et importantes
leçons. En tout premier lieu ― Nous n'en doutons nullement ― que les
membres de sa très nombreuse famille apprennent à suivre ses traces
avec une générosité chaque jour plus grande et à faire passer dans
leur propre vie les principes et les exemples de sa vertu et de sa
sainteté. Et sûrement, il arrivera que, non seulement ils
correspondront magnanimement, activement et fructueusement à cette
voix céleste, dont ils suivirent un jour l'appel surnaturel,
lorsqu'ils ont débuté dans la vie monastique ; que non seulement ils
assureront la paix sereine de leur conscience et surtout leur salut
éternel, mais encore qu'ils pourront s'adonner, d'une façon très
fructueuse, au bien commun du peuple chrétien et à l'extension de la
gloire de Dieu.
De plus, si toutes les
classes de la société, avec une studieuse et diligente attention,
observent la vie de S. Benoît, ses enseignements et ses hauts faits,
elles ne pourront pas ne pas être attirées par la douceur de son
esprit et la force de son influence ; et elles reconnaîtront
d'elles-mêmes que notre siècle, rempli et désaxé lui aussi par tant
de graves ruines matérielles et morales, par tant de dangers et de
désastres, peut lui demander des remèdes nécessaires et opportuns.
Qu'elles se souviennent pourtant avant tout et considèrent
attentivement que les principes sacrés de la religion et les normes
de vie qu'elle édicte sont les fondements les plus solides et les
plus stables de l'humaine société ; s'ils viennent à être renversés
ou affaiblis, il s'ensuivra presque fatalement que tout ce qui est
ordre, paix, prospérité des peuples et des nations sera détruit
progressivement. Cette vérité, que l'histoire de l'Ordre Bénédictin,
comme Nous l'avons vu, démontre si éloquemment, un esprit distingué
de l'antiquité païenne l'avait déjà comprise lorsqu'il traçait cette
phrase : « Vous autres, Pontifes... vous encerclez plus efficacement
la ville par la religion que ne le font les murailles elles-mêmes »
.
Le même auteur écrivait encore : « ... Une fois disparues (la
sainteté et la religion), suit le désordre de l'existence, avec une
grande confusion ; et je ne sais si, la piété envers les dieux
supprimés, ne disparaîtront pas également la confiance et la bonne
entente entre les mortels, ainsi que la plus excellente de toutes
les vertus, la justice »
.
Le premier et le
principal devoir est donc celui-ci : révérer la divinité, obéir en
privé et en public à ses saintes lois ; celles-ci transgressées, il
n'y a plus aucun pouvoir qui ait des freins assez puissants pour
contenir et modérer les passions déchaînées du peuple. Car la
religion seule constitue le soutien du droit et de l'honnêteté.
Notre saint Patriarche
nous fournit encore une autre leçon, un autre avertissement, dont
notre siècle a tant besoin : à savoir, que Dieu ne doit pas
seulement être honoré et adoré ; il doit aussi être aimé, comme un
Père, d'une ardente charité. Et parce que cet amour s'est
malheureusement aujourd'hui attiédi et alangui, il en résulte qu'un
grand nombre d'hommes recherchent les biens de la terre plus que
ceux du ciel, et avec une passion si immodérée, qu'elle engendre
souvent des troubles, qu'elle entretient les rivalités et les haines
les plus farouches. Or, puisque le Dieu éternel est l'auteur de
notre vie et que de Lui nous viennent des bienfaits sans nombre,
c'est un devoir strict pour tous de l'aimer par-dessus toutes
choses, et de tourner vers Lui, avant tout le reste, nos personnes
et nos biens. De cet amour envers Dieu doit naître ensuite une
charité fraternelle envers les hommes, que tous, à quelque race,
nation ou condition sociale qu'ils appartiennent, nous devons
considérer comme nos frères dans le Christ ; en sorte que de tous
les peuples et de toutes les classes de la société se constitue une
seule famille chrétienne, non pas divisée par la recherche excessive
de l'utilité personnelle, mais cordialement unie par un mutuel
échange de services rendus. Si ces enseignements, qui portèrent
jadis Benoît, ému par eux, à instruire, recréer, éduquer et
moraliser la société décadente et troublée de son époque,
retrouvaient aujourd'hui le plus grand crédit possible, plus
facilement aussi, sans nul doute, notre monde moderne pourrait
émerger de son formidable naufrage, réparer ses ruines matérielles
ou morales, et trouver à ses maux immenses d'opportuns et efficaces
remèdes.
Le législateur de
l'Ordre Bénédictin nous enseigne encore, Vénérables Frères, une
autre vérité ― vérité que l'on aime aujourd'hui à proclamer,
hautement, mais que trop souvent on n'applique pas comme il
conviendrait et comme il faudrait ― à savoir que le travail de
l'homme n'est pas chose exempte de dignité, odieuse et accablante,
mais bien plutôt aimable, honorable et joyeuse. La vie de travail,
en effet, qu'il s'agisse de la culture des champs, des emplois
rétribués ou des occupations intellectuelles, n'avilit pas les
esprits, mais les ennoblit ; elle ne les réduit pas en servitude,
mais plus exactement elle les rend maîtres en quelque sorte et
régisseurs des choses qui les environnent et qu'ils traitent
laborieusement. Jésus lui-même, adolescent, quand il vivait à
l'ombre de la demeure familiale, ne dédaigna pas d'exercer le méfier
de charpentier dans la boutique de son père nourricier et il voulut
consacrer de sa sueur divine le travail humain. Que donc, non
seulement ceux qui se livrent à l'étude des lettres et des sciences,
mais aussi ceux qui peinent dans des métiers manuels, afin de se
procurer leur pain quotidien, réfléchissent qu'ils ont une très
noble occupation, leur permettant de pourvoir à leurs propres
besoins, tout en se rendant utiles au bien de la société entière.
Qu'ils le fassent pourtant, comme le Patriarche Benoît nous
l'enseigne, l'esprit et le cœur levés vers le ciel ; qu'ils s'y
adonnent non par force, mais par amour ; enfin, quand ils défendent
leurs droits légitimes, qu'ils le fassent, non en jalousant le sort
d'autrui, non désordonnément et par des attroupements, mais d'une
manière tranquille et avec droiture. Qu'ils se souviennent de la
divine sentence : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front »
;
précepte que tous les hommes doivent observer en esprit d'obéissance
et d'expiation.
Qu'ils n'oublient pas
surtout que nous devons nous efforcer chaque jour davantage de nous
élever des réalités terrestres et caduques, qu'il s'agisse de celles
qu'élabore ou découvre un esprit aiguisé, ou de celles qui sont
façonnées par un méfier pénible, à ces réalités célestes et
perdurables, dont l'atteinte peut seule nous donner la véritable
paix, la sereine quiétude et l'éternelle félicité.
Quand la guerre, toute
récente, se porta sur les limites de la Campanie et du Latium, elle
frappa violemment, vous le savez, Vénérables Frères, les hauteurs
sacrées du Mont Cassin ; et bien que, de tout Notre pouvoir, par des
conseils, des exhortations, des supplications, Nous n'ayons rien
omis pour qu'une si cruelle atteinte ne soit pas portée à une très
vénérable religion, à de splendides chefs-d'œuvre et à la
civilisation elle-même, le fléau a néanmoins détruit et anéanti
cette illustre demeure des études et de la piété, qui, tel un
flambeau vainqueur des ténèbres, avait émergé au-dessus des flots
séculaires. C'est pourquoi, tandis que, tout autour, villes, places
fortes, bourgades devenaient des monceaux de ruines, il s'avéra que
le monastère du Mont Cassin lui-même, maison-mère de l'Ordre
bénédictin, dût comme partager le deuil de ses fils et prendre sa
part de leurs malheurs. Presque rien n'en resta intact, sauf le
caveau sacré où sont très religieusement conservées les reliques du
S. Patriarche.
Là où l'on admirait des
monuments superbes, il n'y a plus aujourd'hui que des murs
chancelants, des décombres et des ruines, que de misérables ronces
recouvrent ; seule une petite demeure pour les moines a été
récemment élevée à proximité. Mais pourquoi ne serait-il pas permis
d'espérer que, durant la commémoraison du XIVe centenaire depuis le
jour où, après avoir commencé et conduit à bon terme une si
grandiose entreprise, notre Saint alla jouir de la céleste
béatitude, pourquoi, disons-Nous, ne pourrions-nous pas espérer
qu'avec le concours de tous les gens de bien, surtout des plus
riches et des plus généreux, cet antique monastère ne soit rétabli
au plus vite dans sa primitive splendeur ? C'est assurément une
dette à Benoît de la part du monde civilisé, qui, s'il est éclairé
aujourd'hui d'une si grande lumière doctrinale et s'il se réjouit
d'avoir conservé les antiques monuments des lettres, en est
redevable à ce Saint et à sa famille laborieuse. Nous formons donc
l'espoir que l'avenir réponde à ces vœux, qui sont Nôtres ; et que
pareille entreprise soit non seulement une œuvre de restauration
intégrale, mais un augure également de temps meilleurs, où l'esprit
de l'Institut bénédictin et ses très opportuns enseignements
viennent de jour en jour à refleurir davantage.
Dans cette très douce
espérance, à chacun de vous, Vénérables Frères, ainsi qu'au troupeau
confié à vos soins, comme à l'universelle famille monacale, qui se
glorifie d'un tel législateur, d'un tel maître et d'un tel père,
Nous accordons de toute Notre âme, en gage des grâces célestes et en
témoignage de Notre bienveillance, la Bénédiction Apostolique.
Donné à Rome, près
Saint Pierre, le 21e jour du mois de Mars, en la fête de Saint
Benoît, l'an 1947, neuvième de Notre Pontificat.
PIE XII PAPE
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