SUMMI
PONTIFICATUS
LETTRE ENCYCLIQUE
DE SA SAINTETÉ LE PAPE PIE XII
Vénérables Frères, Salut et
Bénédiction apostolique.
Les mystérieux desseins du
Seigneur Nous ont confié, sans aucun mérite de Notre part, la très
haute dignité et les très graves sollicitudes du souverain
pontificat précisément dans l'année qui ramène le quarantième
anniversaire de la consécration du genre humain au Cœur Sacré du
Rédempteur, prescrite par Notre immortel prédécesseur Léon XIII au
déclin du siècle dernier, au seuil de l'Année Sainte.
Avec quelle joie, avec
quelle émotion et quel intime acquiescement Nous accueillîmes alors
comme un message céleste l'Encyclique Annum Sacrum, au moment
même où, jeune lévite, Nous venions de pouvoir réciter l'Introïbo
ad altare Dei (Ps. XLII, 4) ! Et avec quel ardent
enthousiasme Nous unîmes Notre cœur aux pensées et aux intentions
qui animaient et guidaient cet acte vraiment providentiel d'un
pontife qui, avec tant de profonde pénétration, connaissait les
besoins et les plaies, visibles et cachées, de son temps ! Comment
pourrions-Nous donc ne pas sentir aujourd'hui une profonde
reconnaissance envers la Providence, qui a voulu faire coïncider
Notre première année de pontificat avec un souvenir aussi important
et aussi cher de Notre première année de sacerdoce ; et comment
pourrions-Nous ne pas saisir avec joie cette occasion, pour faire du
culte au Roi des Rois et Seigneur des Seigneurs (I Ti., VI,
15 ; Ap., XIX 16) comme la prière d'Introït de Notre
pontificat, dans l'esprit de Notre inoubliable prédécesseur et en
fidèle réalisation de ses intentions ? Comment n'en ferions-Nous pas
l'alpha et l'oméga de Notre volonté et de Notre espérance, de Notre
enseignement et de Notre activité, de Notre patience et de Nos
souffrances, toutes consacrées à la diffusion du règne du Christ ?
Si Nous contemplons sub
specie æternitatis les événements extérieurs et les
développements intérieurs des quarante dernières années, en en
mesurant les grandeurs et les lacunes, cette consécration
universelle au Christ-Roi apparaît toujours davantage au regard de
Notre esprit dans sa signification sacrée, dans son symbolisme riche
d'exhortation, dans son but de purification et d'élévation, de
raffermissement et de défense des âmes, et en même temps dans sa
prévoyante sagesse, visant à guérir et à ennoblir toute société
humaine et à en promouvoir le véritable bien. Toujours plus
clairement elle se révèle à Nous comme un message d'exhortation et
de grâce envoyé par Dieu non seulement à son Eglise, mais aussi à un
monde qui n'avait que trop besoin d'un excitateur et d'un guide,
alors que, plongé dans le culte des biens passagers, il s'égarait
toujours plus et s'épuisait dans la froide recherche d'idéals
terrestres; un message à une humanité qui, en troupes toujours plus
nombreuses, se détachait de la foi au Christ et plus encore de la
reconnaissance et de l'observation de sa loi; un message contre une
conception du monde à laquelle la doctrine d'amour et de renoncement
du Sermon sur la Montagne et le divin témoignage d'amour rendu sur
la Croix apparaissaient scandale et folie.
Comme un jour le Précurseur
du Seigneur, en réponse à ceux qui l'interrogeaient pour s'éclairer,
proclamait: Voici l'Agneau de Dieu (Jn, I, 29), les
avertissant par là que le Désiré des Nations (Ag., II, 8)
demeurait quoique encore inconnu, au milieu d'eux, ainsi le
représentant du Christ adressait suppliant son cri vigoureux: Voici
votre Roi ! (Jn, XIX, 14) aux renégats, aux sceptiques, aux
indécis, aux hésitants, qui refusaient de suivre le Rédempteur
glorieux toujours vivant et agissant dans son Église, ou ne le
suivaient qu'avec insouciance et lenteur.
La diffusion et
l'approfondissement du culte rendu au Divin Cœur du Rédempteur,
culte qui trouva son splendide couronnement non seulement dans la
consécration de l'humanité, au déclin du siècle dernier, mais aussi
dans l'introduction de la fête de la Royauté du Christ par Notre
immédiat prédécesseur, d'heureuse mémoire, ont été une source
d'indicibles bienfaits pour des âmes sans nombre, un fleuve qui
réjouit de ses courants la Cité de Dieu (Ps., XLV, 5). Quelle
époque eut jamais plus grand besoin que la nôtre de ces bienfaits ?
Quelle époque fut plus que la nôtre tourmentée de vide spirituel et
de profonde indigence intérieure, en dépit de tous les progrès
d'ordre technique et purement civil ? Ne peut-on pas lui appliquer
la parole révélatrice de l'Apocalypse: Tu dis: je suis riche et dans
l'abondance et je n'ai besoin de rien ; et tu ne sais pas que tu es
un malheureux, un misérable, pauvre, aveugle et nu (Ap., III,
17) ?
Vénérables Frères, peut-il
y avoir un devoir plus grand et plus urgent que d'annoncer les
insondables richesses du Christ (Ep., III, 8) aux hommes de
notre temps ? Et peut-il y avoir chose plus noble que de déployer
les Étendards du Roi — Vexilla Regis — devant ceux qui ont
suivi et suivent des emblèmes trompeurs, et de regagner au drapeau
victorieux de la Croix ceux qui l'ont abandonné ? Quel cœur ne
devrait pas brûler de prêter son aide, à la vue de tant de frères et
de sœurs qui, à la suite d'erreurs, de passions, d'excitations et de
préjugés, se sont éloignés de la foi au vrai Dieu et se sont
détachés du joyeux message sauveur de Jésus-Christ ?
Celui qui appartient à la
Milice du Christ — qu'il soit ecclésiastique ou laïque — ne
devrait-il pas se sentir stimulé et excité à une plus grande
vigilance, à une défense plus résolue, quand il voit augmenter sans
cesse les rangs des ennemis du Christ, quand il s'aperçoit que les
porte-parole de ces tendances, reniant ou tenant en oubli dans la
pratique les vérités vivificatrices et les valeurs contenues dans la
foi en Dieu et au Christ, brisent d'une main sacrilège les tables
des commandements de Dieu pour les remplacer par des tables et des
règles d'où est bannie la substance morale de la révélation du
Sinaï, l'esprit du Sermon sur la Montagne et de la Croix ? Qui
pourrait sans un profond chagrin observer comment ces déviations
font mûrir une tragique moisson parmi ceux qui, dans les jours de
tranquillité et de sécurité, se comptaient au nombre des disciples
du Christ, mais qui — plus chrétiens, hélas ! de nom que de fait — à
l'heure où il faut persévérer, lutter, souffrir, affronter les
persécutions cachées ou ouvertes, deviennent victimes de la
pusillanimité, de la faiblesse, de l'incertitude, et, pris de
terreur en face des sacrifices que leur impose leur profession de
foi chrétienne, ne trouvent pas la force de boire le calice amer des
fidèles du Christ ?
Dans ces conditions de
temps et d'esprit, Vénérables Frères, puisse la toute prochaine fête
du Christ-Roi, pour laquelle vous sera parvenue cette première
Encyclique que Nous vous adressons, être un jour de grâce, de
profond renouvellement et de réveil des âmes dans l'esprit du Règne
du Christ ! Que ce soit un jour où la consécration du genre humain
au divin Cœur, laquelle devra être célébrée d'une manière
particulièrement solennelle, rassemble auprès du trône du Roi
éternel les fidèles de tous les peuples et de toutes les nations,
unis dans l'adoration et la réparation, pour lui renouveler, ainsi
qu'à sa loi de vérité et d'amour, le serment d'une fidélité
indéfectible et perpétuelle ! Que ce soit pour les fidèles un jour
de grâce, où le feu, que le Seigneur est venu apporter sur la terre,
se développe en une flamme toujours plus lumineuse et plus pure !
Que ce soit, pour les tièdes, pour les fatigués, pour les tristes,
un jour de grâce et que leurs cœurs pusillanimes voient mûrir de
nouveaux fruits de renaissance spirituelle et d'accroissement de
vigueur surnaturelle ! Que ce soit un jour de grâce pour ceux aussi
qui n'ont pas connu le Christ ou qui l'ont perd ; un jour où s'élève
vers le ciel, du fond de millions de cœurs fidèles, cette prière :
Puisse la lumière qui illumine tout homme venant en ce monde (Jn.,
I, 9) faire luire pour eux la voie du salut ; puisse sa grâce
susciter dans le cœur sans repos des errants la nostalgie des biens
éternels, les pressant de revenir vers Celui qui, du trône
douloureux de la Croix, a soif aussi de leurs âmes et brûle du désir
de devenir, pour elles aussi, la Voie, la Vérité et la Vie (Jn,
XIV, 6).
En plaçant cette première
Encyclique de Notre pontificat sous le signe du Christ-Roi, le cœur
plein de confiance et d'espérance, Nous Nous sentons entièrement sûr
de l'acquiescement unanime et enthousiaste du troupeau du Seigneur
tout entier. Les expériences, les anxiétés et les épreuves de
l'heure présente réveillent, avivent et purifient le sentiment de la
communauté de la famille catholique à un degré rarement expérimenté
jusqu'ici.
Elles suscitent chez tous
ceux qui croient en Dieu et au Christ la conscience d'une commune
menace venant d'un commun danger. De cet esprit de communauté
catholique, puissamment augmenté dans des circonstances si
difficiles, et qui est à la fois recueillement et affirmation,
résolution et volonté de victoire, Nous avons senti un souffle
consolant et inoubliable pendant les jours où, d'un pas timide, mais
confiant en Dieu, Nous prenions possession de la Chaire que la mort
de Notre grand prédécesseur avait laissée vide.
Plein du souvenir encore si
vif des innombrables témoignages de fidèle attachement à l'Église et
au Vicaire du Christ, qui Nous furent adressés à l'occasion de Notre
élection et de Notre couronnement, avec des manifestations si
tendres, si chaleureuses, si spontanées, Nous sommes heureux de
saisir cette occasion propice pour adresser à vous, Vénérables
Frères, et à tous ceux qui appartiennent au troupeau du Seigneur, un
mot de remerciement ému pour ce pacifique plébiscite d'amour
respectueux et de fidélité inébranlable à la Papauté, par lequel on
a voulu reconnaître la mission providentielle du Souverain Prêtre et
du Suprême Pasteur : car en vérité toutes ces manifestations
n'étaient pas et ne pouvaient pas être adressées à Notre pauvre
personne, mais à l'unique, à l'éminente charge à laquelle le
Seigneur Nous élevait. Que si, dès ce premier moment, Nous sentions
déjà tout le poids des graves responsabilités attachées à la
puissance suprême qui Nous était conférée par la divine Providence,
c'était en même temps pour Nous un réconfort de voir cette grandiose
et palpable démonstration de l'indivisible unité de l'Église
catholique, qui se serre d'autant plus compacte contre le rocher
infrangible de Pierre et l'entoure de murailles et de bastions
d'autant plus solides que l'audace des ennemis du Christ s'accroît
davantage. Ce plébiscite d'unité catholique mondiale et de
fraternité surnaturelle de peuples autour du Père commun Nous
semblait d'autant plus riche d'heureuses espérances que plus
tragiques étaient les circonstances matérielles et spirituelles du
moment où il arrivait; et son souvenir a continué de Nous
réconforter pendant les premiers mois de Notre pontificat, au cours
desquels Nous avons déjà expérimenté les fatigues, les anxiétés et
les épreuves dont est semé le chemin de l'Épouse du Christ à travers
le monde.
Nous ne voulons pas non
plus passer sous silence quel écho de reconnaissance émue ont
suscité dans Notre cœur les vœux de ceux qui, bien que n'appartenant
pas au corps visible de l'Église Catholique, n'ont pas oublié dans
la noblesse et la sincérité de leurs sentiments, tout ce qui, ou
dans l'amour envers la personne du Christ, ou dans la croyance en
Dieu, les unit à Nous. Qu'à tous aille l'expression de Notre
gratitude. Nous les confions tous et chacun à la protection et à la
conduite du Seigneur, en donnant l'assurance solennelle qu'une seule
pensée domine Notre esprit : imiter l'exemple du Bon Pasteur pour
conduire tous les hommes au vrai bonheur: afin qu'ils aient la vie
et qu'ils l'aient en abondance (Jn. X, 10).
Mais en particulier Nous
ressentons un vif désir d'exprimer Notre intime gratitude pour les
témoignages de déférent respect, que Nous ont adressés les
souverains, les chefs d'État ou les autorités constituées des
nations avec lesquelles le Saint-Siège entretient des relations
amiables.
C'est une joie singulière
pour Notre cœur, de pouvoir, en cette première Encyclique adressée
au peuple chrétien épars dans le monde, compter parmi elles la chère
Italie, jardin fertile de la foi plantée par les princes des
apôtres, et qui, grâce à l'œuvre providentielle des accords du
Latran, occupe désormais une place d'honneur parmi les États
représentés officiellement auprès du Siège apostolique. De ces
accords a pris naissance, comme l'aurore d'une tranquille et
fraternelle union des âmes devant les saints autels et dans les
relations de la vie civile, la pax Christi Italiae reddita,
la paix du Christ rendue à l'Italie. Nous supplions le Seigneur de
permettre que l'atmosphère sereine de cette paix imprègne, avive,
dilate et affermisse, puissamment et profondément, l'âme du peuple
italien, qui Nous est si proche, au milieu duquel Nous respirons le
même souffle de vie. A Nos prières se joignent Nos souhaits pour que
ce peuple, si cher à Nos prédécesseurs et à Nous-même, fidèle à ses
glorieuses traditions catholiques sente chaque jour davantage, grâce
à la haute protection du ciel, la vérité des paroles du psalmiste :
« Beatus populus, cuius Dominus Deus eius (Ps., CXLIII,
15). Bienheureux le peuple qui a le Seigneur pour son Dieu !
Cette nouvelle situation
juridique et spirituelle, que tant de vœux appelaient, et que les
accords du Latran, destinés à laisser une empreinte indélébile dans
l'histoire, ont créée et sanctionnée pour l'Italie et pour tout
l'univers catholique, Nous n'en avons jamais mieux senti toute la
grandeur et la puissance d'union, qu'à l'instant où, de la loge
élevée de la Basilique Vaticane, pour la première fois, Nous avons
ouvert Nos bras et étendu Notre main bénissante sur cette Rome,
siège de la Papauté et Notre bien-aimée ville natale, sur l'Italie
réconciliée avec l'Église, et sur les peuples du monde entier.
Comme Vicaire de Celui qui,
en une heure décisive, devant le représentant de la plus haute
autorité terrestre d'alors, prononça la grande parole: Je suis né et
je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité;
quiconque est de la vérité écoute ma voix (Jn, XVIII, 37), il
n'est rien dont Nous Nous sentions davantage débiteur envers Notre
charge et envers Notre temps, que de rendre, avec une apostolique
fermeté, témoignage à la vérité : testimonium perhibere veritati.
Ce devoir comprend nécessairement l'exposé et la réfutation
d'erreurs et de fautes humaines, qu'il est nécessaire de connaître,
pour qu'il soit possible de les soigner et de les guérir: vous
connaîtrez la vérité et la vérité vous délivrera (Jn, VIII,
32).
Dans l'accomplissement de
ce devoir qui Nous incombe, Nous ne Nous laisserons pas influencer
par des considérations terrestres ni arrêter par des défiances et
des oppositions, par des refus et des incompréhensions, ou par la
crainte de méconnaissances et de fausses interprétations. Mais Nous
le remplirons toujours, animé de cette charité paternelle, qui,
tandis qu'elle souffre des maux qui tourmentent ses fils, leur en
indique le remède; c'est dire que Nous Nous efforcerons d'imiter le
divin modèle des pasteurs, le Bon Pasteur Jésus, qui est à la fois
lumière et amour : pratiquant la vérité dans la charité (Ep.,
XV, 15).
A l'entrée du chemin qui
conduit à l'indigence spirituelle et morale des temps présents se
trouvent les efforts néfastes d'un grand nombre d'hommes pour
détrôner le Christ, l'abandon de la loi de la vérité, qu'il annonça,
de la loi de l'amour, qui est le souffle vital de son règne.
La reconnaissance des
droits royaux du Christ et le retour des individus et de la société
à la loi de sa vérité et de son amour sont la seule voie de salut.
Au moment, Vénérables
Frères, où Nous traçons ces lignes, Nous arrive l'affreuse nouvelle
que le terrible ouragan de la guerre, malgré toutes les tentatives
faites par Nous pour le conjurer, s'est déjà déchaîné. Notre plume
voudrait s'arrêter quand Nous pensons à l'abîme de souffrances
d'innombrables êtres, auxquels hier encore, dans le milieu familial,
souriait un rayon de modeste bien-être. Notre cœur paternel est
saisi d'angoisse quand Nous prévoyons tout ce qui pourra germer de
la ténébreuse semence de la violence et de la haine, à laquelle
l'épée ouvre aujourd'hui des sillons sanglants. Mais précisément
devant ces prévisions apocalyptiques de malheurs imminents ou
futurs, Nous considérons comme Notre devoir d'élever avec une
insistance croissante les yeux et les cœurs de quiconque garde
encore un sentiment de bonne volonté, vers Celui de qui seul dérive
le salut du monde, le Seul dont la main toute-puissante et
miséricordieuse puisse mettre fin à cette tempête, le Seul dont la
vérité et l'amour puissent illuminer les intelligences et enflammer
les âmes d'une si grande partie de l'humanité plongée dans l'erreur,
dans l'égoïsme, dans les oppositions et dans la lutte pour la
replacer dans l'ordre, dans l'esprit de la Royauté du Christ.
Peut-être — Dieu le
veuille ! — est-il permis d'espérer que cette heure de suprême
indigence sera aussi une heure de changement d'idées et de
sentiments pour beaucoup, qui marchaient jusqu'ici avec une
confiance aveugle dans le chemin d'erreurs modernes si répandues,
sans soupçonner à quel point était semé d'embûches et d'incertitudes
le terrain sur lequel ils se trouvaient. Beaucoup peut-être, qui ne
saisissaient pas l'importance de la mission éducatrice et pastorale
de l'Église, comprendront-ils mieux maintenant les avertissements de
l'Église, par eux négligés dans la fausse sécurité des temps passés.
Les angoisses du présent sont une apologie du Christianisme, qui ne
saurait être plus impressionnante. Du gigantesque tourbillon
d'erreurs et de mouvements anti-chrétiens ont mûri des fruits si
amers, qu'ils en constituent une condamnation dont l'efficacité
surpasse toute réfutation théorique.
Des heures de si pénible
désillusion sont souvent des heures de grâce, un passage du Seigneur
(Ex., XII, 11), auquel sur la parole du Sauveur : Me voici à
l'entrée et je frappe (Ap., III, 20), s'ouvrent des portes
qui sans cela seraient restées fermées. Dieu sait avec quel amour
compatissant, avec quelle sainte joie Notre cœur se tourne vers ceux
qui, à la suite de douloureuses expériences comme celles-ci,
sentiraient naître en eux le pressant et salutaire désir de la
vérité, de la justice et de la paix du Christ. Mais même envers ceux
pour qui n'a pas encore sonné l'heure de l'illumination suprême,
Notre cœur ne connaît qu'amour et Nos lèvres n'ont que des prières
au Père des lumières, afin qu'il fasse resplendir dans leurs cœurs
indifférents ou ennemis du Christ un rayon de cette lumière qui un
jour transforma Saul en Paul, de cette lumière qui a montré sa force
mystérieuse précisément dans les temps les plus difficiles pour
l'Élise.
Une prise de position
doctrinale complète contre les erreurs des temps présents peut être
renvoyée, s'il en est besoin, à un autre moment, moins bouleversé
que celui-ci par les calamités des événements extérieurs. Nous Nous
bornons aujourd'hui à quelques observations fondamentales.
Le temps actuel, Vénérables
Frères, ajoutant aux déviations doctrinales du passé de nouvelles
erreurs les a poussées à des extrémités d'où ne pouvaient s'ensuivre
qu'égarement et ruine. Et avant tout il est certain que la racine
profonde et dernière des maux que Nous déplorons dans la société
moderne est négation et le rejet d'une règle de moralité
universelle, soit dans la vie individuelle, soit dans la vie sociale
et dans les relations internationales: c'est-à-dire la
méconnaissance et l'oubli, si répandus de nos jours, de la loi
naturelle elle-même, laquelle trouve son fondement en Dieu, créateur
tout-puissant et père de tous, suprême et absolu législateur,
omniscient et juste vengeur des actions humaines. Quand Dieu est
renié, toute base de moralité s'en trouve ébranlée du même coup, et
l'on voit s'étouffer ou du moins s'affaiblir singulièrement la voix
de la nature, qui enseigne même aux ignorants et aux tribus non
encore arrivées à la civilisation ce qui est bien et ce qui est mal,
le licite et l'illicite, et fait sentir à chacun la responsabilité
de ses actions devant un juge suprême.
Or la négation de la base
fondamentale de la moralité eut en Europe sa racine originelle dans
l'abandon de la doctrine du Christ, dont la Chaire de Pierre est
dépositaire et maîtresse. Cette doctrine, durant un temps, avait
donné une cohésion spirituelle à l'Europe, laquelle, éduquée,
ennoblie et civilisée par la Croix, était arrivée à un tel degré de
progrès civil, qu'elle pouvait enseigner d'autres peuples et
d'autres continents. Une fois détachés, en revanche, du Magistère
infaillible de l'Église, de nombreux frères séparés en sont arrivés
à renverser le dogme central du christianisme, la divinité du
Sauveur, accélérant ainsi le mouvement de dissolution spirituelle.
Le saint Évangile raconte
que, quand Jésus fut crucifié, les ténèbres se firent sur toute la
terre (Mt., XXVII, 45) : effrayant symbole de ce qui est
arrivé et arrive encore dans les esprits, partout où l'incrédulité
aveugle et orgueilleuse d'elle-même a de fait exclu le Christ de la
vie moderne, spécialement de la vie publique, et avec la foi au
Christ a ébranlé aussi la foi en Dieu. Les valeurs morales selon
lesquelles, en d'autres temps, on jugeait les actions privées et
publiques sont tombées, par voie de conséquence, comme en désuétude;
et la laïcisation si vantée de la société, qui a fait des progrès
toujours plus rapides, soustrayant l'homme, la famille et l'État à
l'influence bienfaisante et régénératrice de l'idée de Dieu et de
l'enseignement de l'Église, a fait réapparaître, même dans des
régions où brillèrent pendant tant de siècles les splendeurs de la
civilisation chrétienne, les signes toujours plus clairs, toujours
plus distincts, toujours plus angoissants d'un paganisme corrompu et
corrupteur : les ténèbres se firent tandis qu'ils crucifiaient Jésus
(Bréviaire Romain, Parascev., respons. IV).
Beaucoup peut-être, en
s'éloignant de la doctrine du Christ, n'eurent pas pleinement
conscience d'être induits en erreur par le mirage de phrases
brillantes, qui célébraient ce détachement comme une libération du
servage dans lequel ils auraient été auparavant retenus; ils ne
prévoyaient pas davantage les amères conséquences de ce triste
échange entre la vérité qui délivre et l'erreur qui asservit ; et
ils ne pensaient pas qu'en renonçant à la loi infiniment sage et
paternelle de Dieu et à l'unifiante et élevante doctrine d'amour du
Christ, ils se livraient à l'arbitraire d'une pauvre et changeante
sagesse humaine : ils parlèrent de progrès alors qu'ils reculaient ;
d'élévation alors qu'ils se dégradaient ; d'ascension vers la
maturité, alors qu'ils tombaient dans l'esclavage; ils ne
percevaient pas l'inanité de tout effort humain tendant à remplacer
la loi du Christ par quelque autre chose qui l'égale : ils se
perdirent dans la vanité de leurs pensées. (Rm., I, 21).
Quand fut affaiblie la foi
en Dieu et en Jésus-Christ, quand fut obscurcie dans les âmes la
lumière des principes moraux, du même coup se trouva sapé le
fondement unique, et impossible à remplacer, de cette stabilité, de
cette tranquillité, de cet ordre extérieur et intérieur, privé et
public, qui seul peut engendrer et sauvegarder la prospérité des
États.
Certes, même quand l'Europe
fraternisait dans des idéals identiques reçus de la prédication
chrétienne, il ne manqua pas de dissensions, de bouleversements et
de guerres qui la désolèrent ; mais jamais peut-être on n'éprouva à
un degré aussi aigu le découragement propre à nos jours sur la
possibilité d'y mettre fin : c'est qu'elle était vive alors, cette
conscience du juste et de l'injuste, du licite et de l'illicite, qui
facilite les ententes en mettant un frein au déchaînement des
passions et qui laisse la porte ouverte à une honnête composition.
De nos jours, au contraire, les dissensions ne proviennent pas
seulement d'élans de passions rebelles, mais d'une profonde crise
spirituelle qui a bouleversé les sages principes de la morale privée
et publique.
Parmi les multiples erreurs
qui jaillissent de la source empoisonnée de l'agnosticisme religieux
et moral, il en est deux, Vénérables Frères, sur lesquelles Nous
voulons attirer votre attention d'une façon particulière, comme
étant celles qui rendent presque impossible, ou au moins précaire et
incertaine, la pacifique vie en commun des peuples.
La première de ces
pernicieuses erreurs, aujourd'hui largement répandue, est l'oubli de
cette loi de solidarité humaine et de charité, dictée et imposée
aussi bien par la communauté d'origine et par l'égalité de la nature
raisonnable chez tous les hommes, à quelque peuple qu'ils
appartiennent, que par le sacrifice de rédemption offert par
Jésus-Christ sur l'autel de la Croix à son Père céleste en faveur de
l'humanité pécheresse.
De fait la première page de
l'Écriture, avec une grandiose simplicité, nous raconte comment Dieu
couronna son œuvre créatrice en faisant l'homme à son image et à sa
ressemblance (cf. Gn., I, 26-27) et le même Livre saint nous
enseigne qu'il l'enrichit de dons et de privilèges surnaturels, le
destinant à une éternelle et ineffable félicité. L'Écriture nous
montre en outre comment du premier couple tirèrent leur origine les
autres hommes, dont elle nous fait suivre, avec une plasticité de
langage qui n'a pas été dépassée, la division en plusieurs groupes
et la dispersion dans les diverses parties du monde. Même quand ils
s'éloignèrent de leur Créateur, Dieu ne cessa de les considérer
comme des fils qui devaient un jour, selon ses miséricordieux
desseins, être encore une fois réunis dans son amitié (cf. Gn.,
XII, 3).
L'Apôtre des Nations, à son
tour, se fait le héraut de cette vérité, qui unit fraternellement
tous les hommes en une grande famille, quand il annonce au monde
grec que Dieu « a fait sortir d'une souche unique toute la
descendance des hommes, pour qu'elle peuplât la surface de la terre,
et a fixé la durée de son existence et les limites de son habitacle,
afin que tous cherchent le Seigneur » (Ac., XVII, 26-27.)
Merveilleuse vision, qui
nous fait contempler le genre humain dans l'unité de son origine en
Dieu : un seul Dieu, Père de tous, qui est au-dessus de tous, et en
toutes choses, et en chacun de nous (Ep., IV, 6) ; dans
l'unité de sa nature, composée pareillement chez tous d'un corps
matériel et d'une âme spirituelle et immortelle ; dans l'unité de sa
fin immédiate et de sa mission dans le monde, dans l'unité de son
habitation : la terre, des biens de laquelle tous les hommes, par
droit de nature, peuvent user pour soutenir et développer la vie ;
dans l'unité de sa fin surnaturelle : Dieu même, à qui tous doivent
tendre, dans l'unité des moyens pour atteindre cette fin.
Et le même apôtre nous
montre l'humanité dans l'unité de ses rapports avec le Fils de Dieu,
image du Dieu invisible, en qui toutes choses ont été créées : in
ipso condita sunt universa (Col., I, 16) ; dans l'unité
de son rachat opéré pour tous par le Christ, lequel a rétabli
l'amitié originelle avec Dieu, qui avait été rompue, moyennant sa
sainte et très douloureuse passion, se faisant médiateur entre Dieu
et les hommes: car il n'y a qu'un Dieu, et qu'un médiateur entre
Dieu et les hommes : le Christ Jésus fait homme (I Ti., II,
5).
Et pour rendre plus intime
cette amitié entre Dieu et l'humanité, ce même médiateur divin et
universel de salut et de paix, dans le silence sacré du Cénacle,
avant de consommer le sacrifice suprême, laissa tomber de ses lèvres
divines la parole qui se répercute bien haut à travers les siècles,
suscitant des héroïsmes de charité au milieu d'un monde vide d'amour
et déchiré par la haine : Ceci est mon commandement : que vous vous
aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés (Jn, XV,
12).
Ce sont là des vérités
surnaturelles, qui établissent des bases profondes et de puissants
liens d'union, renforcés par l'amour de Dieu et du Divin Rédempteur,
de qui tous reçoivent le salut « pour l'édification du corps du
Christ, jusqu'à ce que nous parvenions tous ensemble à l'unité de la
foi, à la pleine connaissance du Fils de Dieu, à l'état d'homme
parfait, selon la mesure de la pleine grandeur du Christ » (cf.
Ep., IV, 12, 13).
A la lumière de cette unité
en droit et en fait de l'humanité entière, les individus ne nous
apparaissent pas sans liaison entre eux, comme des grains de sable,
mais bien au contraire unis par des relations organiques,
harmonieuses et mutuelles — variées selon la variété des temps —, et
résultant de leur destination et de leur impulsion, naturelle et
surnaturelle.
Et les nations en se
développant et en se différenciant selon les diverses conditions de
vie et de culture, ne sont pas destinées à mettre en pièces l'unité
du genre humain, mais à l'enrichir et à l'embellir par la
communication de leurs qualités particulières et par l'échange
réciproque des biens, qui ne peut être possible et en même temps
efficace que quand un amour mutuel et une charité vivement sentie
unissent tous les enfants d'un même Père et toutes les âmes
rachetées par un même sang divin.
L'Église du Christ, fidèle
dépositaire de la divine sagesse éducatrice, ne peut penser ni ne
pense à attaquer ou à mésestimer les caractéristiques particulières
que chaque peuple, avec une piété jalouse et une compréhensible
fierté, conserve et considère comme un précieux patrimoine. Son but
est l'unité surnaturelle dans l'amour universel senti et pratiqué,
et non l'uniformité exclusivement extérieure, superficielle et par
là débilitante.
Toutes les orientations,
toutes les sollicitudes, dirigées vers un développement sage et
ordonné des forces et tendances particulières, qui ont leur racine
dans les fibres les plus profondes de chaque rameau ethnique, pourvu
qu'elles ne s'opposent pas aux devoirs dérivant pour l'humanité de
son unité d'origine et de sa commune destinée, l'Église les salue
avec joie et les accompagne de ses vœux maternels. Elle a montré à
maintes reprises dans son activité missionnaire, que cette règle est
l'étoile directrice de son apostolat universel. D'innombrables
recherches et investigations de pionniers, accomplies en esprit de
sacrifice, de dévouement et d'amour par les missionnaires de tous
les temps, se sont proposé de faciliter l'intime compréhension et le
respect des civilisations les plus variées et d'en rendre les
valeurs spirituelles fécondes pour une vivante et vivifiante
prédication de l'Évangile du Christ. Tout ce qui, dans ces usages et
coutumes, n'est pas indissolublement lié à des erreurs religieuses
sera toujours examiné avec bienveillance, et, quand ce sera
possible, protégé et encouragé. Notre immédiat prédécesseur, de
sainte et vénérée mémoire, appliquant ces règles à une question
particulièrement délicate, prit là-dessus des décisions si
généreuses qu'elles dressent comme un monument à l'ampleur de son
intuition et à l'ardeur de son esprit apostolique. Et il n'est pas
nécessaire, Vénérables Frères, de vous annoncer que Nous voulons
marcher sans hésitation dans cette voie. Ceux qui entrent dans
l'Église, quelle que soit leur origine ou leur langue, doivent
savoir qu'ils ont un droit égal de fils dans la maison du Seigneur,
où règnent la loi et la paix du Christ. C'est en conformité avec ces
règles d'égalité, que l'Église consacre ses soins à former un clergé
indigène à la hauteur de sa tâche, et à augmenter graduellement les
rangs des évêques indigènes. Et pour donner à Nos intentions une
expression extérieure, Nous avons choisi la fête prochaine du
Christ-Roi pour élever à la dignité épiscopale, sur le tombeau du
prince des apôtres, douze représentants des peuples ou groupes de
peuples les plus divers.
Au milieu des déchirantes
oppositions qui divisent la famille humaine, puisse cet acte
solennel proclamer à tous Nos fils épars dans le monde que l'esprit,
l'enseignement et l'œuvre de l'Église ne pourront jamais être
différents de ce que prêchait l'apôtre des nations : « Revêtez-vous
de l'homme nouveau, qui se renouvelle dans la connaissance de Dieu à
l'image de celui qui l'a créé; en lui il n'y a plus ni grec ou juif,
ni circoncis ou incirconcis ; ni barbare ou Scythe, ni esclave ou
homme libre: mais le Christ est tout et il est en tous » (Col.,
III, 10-11).
Et il n'est pas à craindre
que la conscience de la fraternité universelle, inculquée par la
doctrine chrétienne, et le sentiment qu'elle inspire, soient en
opposition avec l'amour que chacun porte aux traditions et aux
gloires de sa propre patrie, et empêchent d'en promouvoir la
prospérité et les intérêts légitimes; car cette même doctrine
enseigne que dans l'exercice de la charité il existe un ordre établi
par Dieu, selon lequel il faut porter un amour plus intense et faire
du bien de préférence à ceux à qui l'on est uni par des liens
spéciaux. Le Divin Maître lui-même donna l'exemple de cette
préférence envers sa terre et sa patrie en pleurant sur l'imminente
destruction de la Cité sainte. Mais le légitime et juste amour de
chacun envers sa propre patrie ne doit pas faire fermer les yeux sur
l'universalité de la charité chrétienne, qui enseigne à considérer
aussi les autres et leur prospérité dans la lumière pacifiante de
l'amour.
Telle est la merveilleuse
doctrine d'amour et de paix qui a si noblement contribué au progrès
civil et religieux de l'humanité. Et les hérauts qui l'annoncèrent,
mus par une surnaturelle charité, non seulement se montrèrent
défricheurs des terres et médecins des corps, mais surtout ils
améliorèrent, modelèrent et élevèrent la vie à des altitudes
divines, la lançant vers les sommets de la sainteté, où l'on voit
tout dans la lumière de Dieu.
Ils édifièrent des
monuments et des temples, qui montrent vers quelles hauteurs
géniales l'idéal chrétien pousse l'âme dans son vol, mais surtout
ils firent d'hommes, sages ou ignorants, forts ou faibles, des
temples vivants de Dieu et des sarments de la même vigne : le
Christ ; ils transmirent aux générations futures les trésors de
l'art et de la sagesse antique, mais surtout ils les rendirent
participantes de cet ineffable don de la sagesse éternelle, qui fait
fraterniser les hommes et les unit par un lien de surnaturelle
appartenance.
Vénérables Frères, si
l'oubli de la loi de charité universelle, qui seule peut consolider
la paix en éteignant les haines et en atténuant les rancœurs et les
oppositions, est la source de maux très graves pour la pacifique vie
en commun des peuples, il est une autre erreur non moins dangereuse
pour le bien-être des nations et la prospérité de la grande société
humaine qui rassemble et embrasse dans ses limites toutes les
nations : c'est l'erreur contenue dans les conceptions qui
n'hésitent pas à délier l'autorité civile de toute espèce de
dépendance à l'égard de l'Être suprême, cause première et maître
absolu, soit de l'homme soit de la société, et de tout lien avec la
loi transcendante qui dérive de Dieu comme de sa première source. De
telles conceptions accordent à l'autorité civile une faculté
illimitée d'action, abandonnée aux ondes changeantes du libre
arbitre ou aux seuls postulats d'exigences historiques contingentes
et d'intérêts s'y rapportant.
L'autorité de Dieu et
l'empire de sa loi étant ainsi reniés, le pouvoir civil, par une
conséquence inéluctable, tend à s'attribuer cette autorité absolue
qui n'appartient qu'au Créateur et Maître suprême, et à se
substituer au Tout-Puissant, en élevant l'État ou la collectivité à
la dignité de fin ultime de la vie, d'arbitre souverain de l'ordre
moral et juridique, et en interdisant de ce fait tout appel aux
principes de la raison naturelle et de la conscience chrétienne.
Nous ne méconnaissons pas,
il est vrai, que par bonheur, des principes erronés n'exercent pas
toujours entièrement leur influence, surtout quand les traditions
chrétiennes, plusieurs fois séculaires dont les peuples se sont
nourris restent encore profondément - quoique inconsciemment -
enracinées dans les coeurs. Toutefois, il ne faut pas oublier
l'essentielle insuffisance et fragilité de toute règle de vie
sociale qui reposerait sur un fondement exclusivement humain,
s'inspirerait de motifs exclusivement terrestres, et placerait sa
force dans la sanction d'une autorité simplement externe.
Là où est niée la
dépendance du droit humain à l'égard du droit divin, là où l'on ne
fait appel qu'à une vague et incertaine idée d'autorité purement
terrestre, là où l'on revendique une autonomie fondée seulement sur
une morale utilitaire, le droit humain lui-même perd justement dans
ses applications les plus onéreuses l'autorité morale qui lui est
nécessaire, comme condition essentielle, pour être reconnu et pour
postuler même des sacrifices.
Il est bien vrai que le
pouvoir fondé sur des bases aussi faibles et aussi vacillantes peut
obtenir parfois, par le fait de circonstances contingentes, des
succès matériels capables de susciter l'étonnement d'observateurs
superficiels. Mais vient le moment où triomphe l'inéluctable loi qui
frappe tout ce qui a été construit sur une disproportion, ouverte ou
dissimulée, entre la grandeur du succès matériel et extérieur et la
faiblesse de la valeur interne et de son fondement moral :
disproportion qui se rencontre toujours, là où l'autorité publique
méconnaît ou renie l'empire du Législateur suprême qui, s'il a donné
la puissance aux gouvernants, en a aussi assigné et déterminé les
limites.
La souveraineté civile, en
effet, a été voulue par le Créateur (comme l'enseigne sagement Notre
grand prédécesseur Léon XIII dans l'Encyclique Immortale Dei),
afin qu'elle réglât la vie sociale selon les prescriptions d'un
ordre immuable dans ses principes universels, qu'elle rendît plus
aisée à la personne humaine, dans l'ordre temporel, l'obtention de
la perfection physique, intellectuelle et morale, et qu'elle l'aidât
à atteindre sa fin surnaturelle.
C'est par conséquent la
noble prérogative et la mission de l'État, que de contrôler, aider
et régler les activités privées et individuelles de la vie
nationale, pour les faire converger harmonieusement vers le bien
commun, lequel ne peut être déterminé par des conceptions
arbitraires, ni trouver sa loi primordiale dans la prospérité
matérielle de la société, mais bien plutôt dans le développement
harmonieux et dans la perfection naturelle de l'homme, à quoi le
Créateur a destiné la société en tant que moyen.
Considérer l'État comme une
fin à laquelle toute chose doive être subordonnée et orientée ne
pourrait que nuire à la vraie et durable prospérité des nations. Et
c'est ce qui arrive, soit quand un tel empire illimité est attribué
à l'État, considéré mandataire de la nation, du peuple, de la
famille ethnique ou encore d'une classe sociale, soit quand l'État y
prétend en maître absolu, indépendamment de toute espèce de mandat.
En effet, si l'État
s'attribue et ordonne à soi les initiatives privées, celles-ci
régies comme elles le sont par des règles internes délicates et
complexes, garantissant et assurant l'obtention du but qui leur est
propre, peuvent être lésées au détriment du bien public lui-même, du
fait qu'elles se trouvent exclues de leur milieu naturel, autrement
dit de leurs propres responsabilités et de leurs activités privées.
Même la première et
essentielle cellule de la société : la famille, avec son bien-être
et son accroissement, courrait alors le risque d'être considérée
exclusivement sous l'angle de la puissance nationale ; et l'on
oublierait que l'homme et la famille sont par nature antérieurs à
l'État, et que le Créateur a donné à l'un et à l'autre des forces et
des droits et leur a assigné une mission correspondant à des
exigences naturelles certaines.
Ainsi, l'éducation des
nouvelles générations ne viserait pas à un développement équilibré
et harmonieux des forces physiques et de toutes les qualités
intellectuelles et morales, mais à une formation unilatérale des
vertus civiques, que l'on considère comme nécessaires à l'obtention
des succès politiques. Par contre, les vertus qui donnent à la
société son parfum de noblesse, d'humanité et de respect, on serait
moins porté à les inculquer, comme si elles amoindrissaient la
fierté du citoyen.
Nous avons devant les yeux,
en douloureuse évidence, les périls qui, Nous en avons peur pourront
dériver pour cette génération et pour les générations futures de la
méconnaissance, de la diminution et de l'abolition progressive des
droits propres de la famille. Aussi Nous dressons-Nous comme le
ferme défenseur de ces droits en pleine conscience du devoir que
Nous impose Notre ministère apostolique. Les difficultés de Notre
époque, aussi bien extérieures qu'intérieures, matérielles ou
spirituelles, les multiples erreurs avec leurs innombrables
répercussions, nul ne les ressent plus amèrement que la noble petite
cellule familiale. Un véritable courage, et, dans sa simplicité, un
héroïsme digne d'admiration et de respect sont souvent nécessaires
pour supporter les duretés de la vie, le poids quotidien des
misères, les indigences croissantes et les restrictions dans une
mesure jamais encore expérimentée et dont souvent on ne voit ni la
raison ni la réelle nécessité.
Ceux qui ont charge d'âmes,
ceux qui peuvent sonder les cœurs, connaissent les larmes cachées
des mères, la douleur résignée de tant de pères, les innombrables
amertumes, dont aucune statistique ne parle ni ne peut parler, ils
voient d'un œil soucieux s'accroître sans cesse cette masse de
souffrances, et ils savent comment les puissances de bouleversement
et de destruction sont aux aguets, prêtes à s'en servir pour leurs
ténébreux desseins.
Nul homme doué de bonne
volonté et ayant des yeux pour voir ne pourra refuser à l'autorité
de l'État, dans les conditions extraordinaires où se trouve le
monde, un droit plus ample aussi qu'à l'ordinaire et proportionné
aux circonstances, pour subvenir aux besoins du peuple. Mais l'ordre
moral établi par Dieu exige que, même en de telles conjonctures,
l'on soumette à un examen d'autant plus sérieux et pénétrant la
licéité des mesures imposées et leur réelle nécessité, selon les
règles du bien commun.
De toute façon, plus
pesants sont les sacrifices matériels demandés par l'État aux
individus et aux familles, plus sacrés et inviolables doivent être
pour lui les droits des consciences. Il peut exiger les biens et le
sang, mais l'âme, rachetée par Dieu, jamais.
La mission assignée par
Dieu aux parents, de pourvoir au bien matériel et spirituel de leurs
enfants et de leur procurer une formation harmonieuse, pénétrée de
véritable esprit religieux, ne peut leur être arrachée sans une
grave lésion du droit. Cette formation doit certes avoir aussi pour
but de préparer la jeunesse à remplir avec intelligence, conscience
et fierté les devoirs d'un noble patriotisme, donnant à la patrie
terrestre toute la mesure qui lui est due d'amour, de dévouement et
de collaboration. Mais d'autre part, une formation qui oublierait,
ou — pis encore — négligerait délibérément de diriger les yeux et le
cœur de la jeunesse vers la patrie surnaturelle, serait une
injustice contre la jeunesse, une injustice contre les inaliénables
droits et devoirs de la famille chrétienne, une déviation, à
laquelle il faut incontinent porter remède dans l'intérêt même du
peuple et de l’État.
Une telle éducation
paraîtra peut-être, à ceux qui en portent la responsabilité, source
d'accroissement de force et de vigueur : en réalité elle serait le
contraire, et de tristes conséquences le prouveraient. Le crime de
lèse-majesté contre le Roi des Rois et Seigneur des Seigneurs (I
Tm., VI, 15, Ap., XIX, 16) perpétré par une éducation
indifférente ou hostile à l'esprit chrétien, le renversement du
Laissez venir à moi les petits enfants (Mc, X, 14)
porteraient des fruits bien amers.
Par contre, l'État qui
enlève aux cœurs saignants et déchirés des pères et des mères
chrétiennes leurs inquiétudes et les rétablit dans leurs droits, ne
fait que travailler à sa propre paix intérieure et poser les bases
d'un plus heureux avenir pour la patrie. Les âmes des enfants donnés
par Dieu aux parents, consacrés au baptême par le sceau royal du
Christ, sont un dépôt sacré sur lequel veille l'amour jaloux de
Dieu. Le même Christ qui a dit : Laissez venir à moi les petits
enfants a aussi, malgré sa miséricorde et sa bonté, menacé de maux
terribles ceux qui scandaliseraient les privilégiés de son cœur. Et
quel scandale plus dangereux pour les futures générations et plus
durable qu'une formation de la jeunesse misérablement dirigée vers
un but qui éloigne du Christ, Voie, Vérité, et Vie, et qui conduit à
renier le Christ par une apostasie ouverte ou en cachette ? Le
Christ, dont on veut aliéner les jeunes générations présentes et à
venir, est Celui qui a reçu de son Père Éternel tout pouvoir au ciel
et sur la terre. Il tient la destinée des États, des peuples et des
nations dans sa main toute-puissante. C'est à lui qu'il appartient
de diminuer ou d'accroître leur vie, leur développement, leur
prospérité et leur grandeur. De tout ce qui est sur la terre, seule
l'âme est douée d'une vie immortelle. Un système d'éducation qui ne
respecterait pas l'enceinte sacrée de la famille chrétienne,
protégée par la sainte loi de Dieu, qui en attaquerait les bases,
qui fermerait à la jeunesse le chemin qui mène au Christ, aux
sources de vie et de joie du Sauveur (cf. Is., XII, 3), qui
considérerait l'apostasie du Christ et de l'Église comme symbole de
fidélité à tel peuple ou à telle classe, prononcerait, ce faisant,
sa propre condamnation et expérimenterait, le moment venu,
l'inéluctable vérité des paroles du prophète : Ceux qui se
détournent de toi seront inscrits sur le sable. (Jér, XVII,
13).
La conception qui assigne à
l'État une autorité illimitée est une erreur, Vénérables Frères, qui
n'est pas seulement nuisible à la vie interne des nations, à leur
prospérité et à l'augmentation croissante et ordonnée de leur
bien-être : elle cause également du tort aux relations entre les
peuples, car elle brise l'unité de la société supranationale, ôte
son fondement et sa valeur au droit des gens, ouvre la voie à la
violation des droits d'autrui et rend difficiles l'entente et la vie
commune en paix. Le genre humain, en effet, bien qu'en vertu de
l'ordre naturel établi par Dieu, il se divise en groupes sociaux,
nations ou États, indépendants les uns des autres pour ce qui
regarde la façon d'organiser et de régir leur vie interne, est uni
cependant par des liens mutuels, moraux et juridiques, en une grande
communauté, ordonnée au bien de toutes les nations et réglée par des
lois spéciales qui protègent son unité et développent sa prospérité.
Or, qui ne voit que
l'affirmation de l'autonomie absolue de l'État s'oppose ouvertement
à cette loi immanente et naturelle ou, pour mieux dire, la nie
radicalement, laissant au gré de la volonté des gouvernants la
stabilité des relations internationales et enlevant toute
possibilité de véritable union et de collaboration féconde en vue de
l'intérêt général ? Car, Vénérables Frères, pour que puissent
exister des contacts harmonieux et durables et des relations
fructueuses, il est indispensable que les peuples reconnaissent et
observent les principes de droit naturel international qui règlent
leur développement et leur fonctionnement normaux. Ces principes
exigent le respect des droits de chaque peuple à l'indépendance, à
la vie et à la possibilité d'une évolution progressive dans les
voies de la civilisation; ils exigent en outre, la fidélité aux
traités stipulés et sanctionnés conformément aux règles, du droit
des gens.
Il n'est pas douteux que la
condition préalable et nécessaire de toute vie commune pacifique
entre les nations, l'âme même des relations juridiques existant
entre elles, se trouve dans la confiance mutuelle, dans la prévision
et la persuasion d'une réciproque fidélité à la parole donnée, dans
la certitude que d'un côté comme de l'autre on est bien convaincu
que mieux vaut la sagesse que les armes guerrières (Ec., IX,
18) et que l'on est disposé à discuter et à ne pas recourir à la
force ou à la menace de la force au cas où surgiraient des délais,
des empêchements, des modifications et des contestations, toutes
choses qui peuvent dériver, non de la mauvaise volonté, mais du
changement des circonstances et de réels conflits d'intérêts.
Mais d'autre part, détacher
le droit des gens de l'ancre du droit divin pour le fonder sur la
volonté autonome des États, ce n'est pas autre chose que le détrôner
et lui enlever ses titres les plus nobles et les plus valides, en le
livrant au funeste dynamisme de l'intérêt privé et de l'égoïsme
collectif, uniquement tourné à la mise en valeur de ses propres
droits et à la méconnaissance de ceux des autres.
Il est vrai aussi qu'avec
l'évolution des temps et les changements substantiels des
circonstances, non prévus et peut-être impossibles à prévoir au
moment de la stipulation, un traité, ou quelques-unes de ses clauses
peuvent devenir ou paraître injustes, ou irréalisables, ou trop
lourdes pour l'une des parties; et il est clair que, si cela
arrivait, on devrait instituer à temps une loyale discussion pour
modifier ou remplacer le pacte. Mais considérer par principe les
traités comme éphémères et s'attribuer tacitement la faculté de les
annuler unilatéralement le jour où ils ne conviendraient plus, ce
serait détruire toute confiance réciproque entre les États. L'ordre
naturel se trouverait renversé, des fossés de séparation impossibles
à combler se creuseraient entre les peuples et les nations.
Aujourd'hui, Vénérables
Frères, tous observent avec effroi l'abîme où ont mené les erreurs
que nous venons de dépeindre, avec leur mise en pratique et leurs
conséquences. Elles sont tombées, les orgueilleuses illusions sur un
progrès indéfini, et celui qui ne serait pas réveillé encore, le
tragique présent le secouerait avec les paroles du prophète :
Sourds, entendez, et aveugles, regardez (Is., XLII, 18). Ce
qui semblait extérieurement de l'ordre n'était que désordre
envahissant : bouleversement dans les règles de la vie morale,
lesquelles s'étaient détachées de la majesté de la loi divine et
avaient corrompu tous les domaines de l'activité humaine. Mais
laissons le passé et tournons les yeux vers cet avenir, qui, selon
les promesses des puissants de ce monde, au lendemain des luttes
sanglantes d'aujourd'hui, consistera en un nouvel ordre fondé sur la
justice et sur la prospérité. Cet avenir sera-t-il vraiment
différent, sera-t-il surtout meilleur ? Les traités de paix, le
nouvel ordre international à la fin de cette guerre, seront-ils
animés de justice et d'équité envers tous, de cet esprit qui délivre
et pacifie, ou seront-ils une lamentable répétition des erreurs
anciennes et récentes ?
Attendre un changement
décisif exclusivement du choc des armes et de son issue finale est
vain, et l'expérience le démontre. L'heure de la victoire est une
heure de triomphe extérieur pour le camp qui réussit à la remporter;
mais c'est en même temps l'heure de la tentation, où l'ange de la
justice lutte avec le démon de la violence ; le cœur du vainqueur
s'endurcit trop facilement ; la modération et une prévoyante sagesse
lui semblent faiblesse ; le bouillonnement des passions populaires,
attisé par les souffrances et les sacrifices supportés, voile
souvent la vue aux dirigeants eux-mêmes et les rend inattentifs aux
conseils de l'humanité et de l'équité, dont la voix est couverte ou
éteinte par l'inhumain væ victis. Les résolutions et les
décisions prises dans de telles conditions risqueraient de n'être
que l'injustice sous le manteau de la justice.
Non, Vénérables Frères, le
salut pour les nations ne vient pas des moyens extérieurs, de
l'épée, qui peut imposer des conditions de paix, mais ne crée pas la
paix. Les énergies qui doivent renouveler la face de la terre
doivent venir du dedans, de l'esprit. Le nouvel ordre du monde, de
la vie nationale et internationale, une fois apaisées les amertumes
et les cruelles luttes actuelles, ne devra plus reposer sur le sable
mouvant de règles changeantes et éphémères, laissées aux décisions
de l'égoïsme collectif ou individuel.
Ces règles devront
s'appuyer sur l'inébranlable fondement, sur le rocher infrangible du
droit naturel et de la révélation divine. C'est là que le
législateur humain doit puiser cet esprit d'équilibre, ce sens aigu
de responsabilité morale sans lequel il est facile de méconnaître
les limites entre l'usage légitime et l'abus du pouvoir. Alors
seulement ses décisions auront une consistance interne, une noble
dignité et une sanction religieuse, et ne seront plus à la merci de
l'égoïsme et de la passion. Car s'il est vrai que les maux dont
souffre l'humanité d'aujourd'hui proviennent en partie du
déséquilibre économique et de la lutte des intérêts pour une plus
équitable distribution des biens que Dieu a accordés à l'homme comme
moyens de subsistance et de progrès, il n'en est pas moins vrai que
leur racine est plus profonde et d'ordre interne : elle atteint en
effet, les croyances religieuses et les convictions morales, qui se
sont perverties au fur et à mesure que les peuples se détachaient de
l'unité de doctrine et de foi, de coutumes et de mœurs, que faisait
prévaloir jadis l'action infatigable et bienfaisante de l'Église.
La rééducation de
l'humanité, si elle veut avoir quelque effet, doit être avant tout
spirituelle et religieuse : elle doit, par conséquent, partir du
Christ comme de son fondement indispensable, être réalisée par la
justice et couronnée par la charité.
Accomplir cette œuvre de
régénération en adaptant ses moyens au changement des conditions de
temps et aux nouveaux besoins du genre humain, c'est l'office
essentiel et maternel de l'Église. Prêcher l'Évangile, comme son
divin Fondateur lui en a commis le soin, en inculquant aux hommes la
vérité, la justice et la charité, faire effort pour en enraciner
solidement les préceptes dans les âmes et dans les consciences:
voilà le plus noble et le plus fructueux travail en faveur de la
paix. Cette mission, dans son ampleur, semblerait devoir faire
perdre courage à ceux qui constituent l'Église militante. Mais le
travail pour la diffusion du royaume de Dieu, que chaque siècle a
exécuté à sa manière, avec ses moyens, au prix de dures et multiples
luttes, est un commandement qui oblige quiconque a été arraché par
la grâce du Seigneur à l'esclavage de Satan et appelé par le baptême
à être citoyen de ce royaume. Et si lui appartenir, vivre
conformément à son esprit, travailler à son accroissement et rendre
accessibles ses biens à la fraction de l'humanité qui n'en fait pas
encore partie équivaut de nos jours à devoir affronter des
empêchements et des oppositions vastes, profondes et minutieusement
organisées comme jamais elles ne le furent, cela ne dispense pas de
la franche et courageuse profession de foi, mais incite plutôt à
tenir ferme dans la lutte, même au prix des plus grands sacrifices.
Quiconque vit de l'esprit du Christ ne se laisse pas abattre par les
difficultés qu'on lui oppose ; au contraire, il se sent stimulé à
travailler de toutes ses forces et avec pleine confiance en Dieu ;
il ne se soustrait pas aux angoisses et aux nécessités de l'heure,
mais il en affronte les âpretés, prêt à servir, avec cet amour qui
n'a pas peur du sacrifice, qui est plus fort que la mort et qui ne
se laisse pas submerger par les remous impétueux des tribulations.
C'est avec un intime
réconfort, Vénérables Frères, c'est avec une joie céleste, pour
laquelle chaque jour Nous adressons à Dieu un humble et profond
remerciement, que Nous remarquons dans toutes les parties du monde
catholique les signes évidents d'un esprit qui affronte
courageusement les tâches gigantesques du temps présent et qui, avec
générosité et décision, s'emploie à unir dans une féconde harmonie
avec le premier et essentiel devoir de la sanctification personnelle
l'activité apostolique pour l'accroissement du règne de Dieu. Du
mouvement des Congrès eucharistiques, développé avec une aimante
sollicitude par Nos prédécesseurs, et de la collaboration des
laïques, formés dans les rangs de l'Action catholique à la profonde
conscience de leur noble mission, découlent des sources de grâces et
des réserves de forces qui, dans les temps actuels, où les menaces
s'accroissent, où plus grands sont les besoins, où fait rage la
lutte entre christianisme et anti-christianisme, pourraient
difficilement être estimées à leur juste valeur.
Quand on est obligé de
constater avec tristesse la disproportion entre le nombre des
prêtres et les tâches qui les attendent, quand Nous voyons se
vérifier encore aujourd'hui la parole du Sauveur : la moisson est
grande, mais les ouvriers sont en petit nombre (Mt., IX, 37 ;
Lc, X, 2), la collaboration de laïques à l'apostolat
hiérarchique, nombreuse, animée d'un zèle ardent et d'un généreux
dévouement, apparaît un précieux auxiliaire pour l'œuvre des prêtres
et révèle des possibilités de développement qui légitiment les plus
belles espérances.
La prière de l'Église au
Maître de la moisson pour qu'il envoie des ouvriers à sa vigne (Mt,
IX, 38 ; Luc, X, 2) a été exaucée d'une manière conforme aux
nécessités de l'heure présente, et qui supplée et complète très
heureusement les énergies, souvent empêchées et insuffisantes, de
l'apostolat sacerdotal. Une fervente phalange d'hommes et de femmes,
de jeunes gens et de jeunes filles, obéissant à la voix du Pasteur
suprême, aux directives de leurs évêques, se consacrent de toute
l'ardeur de leur âme aux œuvres de l'apostolat, afin de ramener au
Christ les masses populaires qui s'étaient détachées de Lui. Que
vers eux aille en ce moment, si important pour l’Église et pour
l'humanité, Notre salut paternel, Notre remerciement ému,
l'expression de Notre confiante espérance. Ils ont vraiment, eux,
placé leur vie et leur action sous l'étendard du Christ-Roi et ils
peuvent répéter avec le psalmiste : Dico ego opera mea Regi (Ps.
XLVI, I). L'adveniat regnum tuum n'est pas seulement le vœu
ardent de leurs prières, mais aussi la ligne directrice de leur
activité. Dans toutes les classes, dans toutes les catégories, dans
tous les groupes, cette collaboration du laïcat avec le sacerdoce
manifeste de précieuses énergies auxquelles est confiée une mission
que des cœurs nobles et fidèles ne pourraient désirer plus haute et
plus consolante.
Ce labeur apostolique,
accompli selon l'esprit de l’Église, consacre pour ainsi dire le
laïque et en fait un ministre du Christ, dans le sens que saint
Augustin explique ainsi : « Quand vous entendez, mes frères, le
Christ dire : Là où je suis, là sera aussi mon ministre, gardez-vous
de penser seulement aux diligents évêques et clercs. Vous aussi, à
votre manière, soyez les ministres du Christ en vivant dignement, en
faisant l'aumône, en prêchant son nom et sa doctrine à ceux à qui
vous le pouvez pour qu'à ce nom même chaque père de famille
reconnaisse qu'il est redevable d'affection paternelle aux siens.
Que ce soit pour le Christ et pour la vie éternelle qu'il les
reprenne, les enseigne, les exhorte, les corrige, leur soit
bienveillant ou exerce sur eux son autorité ; car ainsi il remplira
dans sa maison l'office du prêtre et même d'une certaine façon de
l'évêque, en étant ministre du Christ ici-bas pour être
éternellement avec lui ».
(In Ev. Io,
tract. 51, 13 sq.)
Dans cette collaboration
des laïques à l'apostolat, de nos jours si importante à promouvoir,
une mission spéciale incombe à la famille, car l'esprit de la
famille influe essentiellement sur l'esprit des jeunes générations.
Tant que, dans le foyer domestique, resplendit la flamme sacrée de
la foi en Jésus-Christ, tant que les parents s'emploient à former et
à modeler la vie de leurs enfants conformément à cette foi, la
jeunesse sera toujours prête à reconnaître le Rédempteur dans ses
prérogatives royales et à s'opposer à ceux qui voudraient le bannir
de la société ou violer sacrilègement ses droits. Quand on ferme les
églises, quand on enlève des écoles l'image du Crucifix, la famille
reste le refuge providentiel et, en un certain sens, inattaquable,
de la vie chrétienne. Et Nous rendons d'infinies actions de grâce à
Dieu en voyant que d'innombrables familles remplissent leur mission
avec une fidélité qui ne se laisse abattre ni par les attaques ni
par les sacrifices. Une puissante légion de jeunes gens et de jeunes
filles, même dans les pays où la foi au Christ est synonyme de
souffrance et de persécution, restent fermes auprès du trône du
Rédempteur, avec cette décision tranquille et assurée qui fait
penser aux temps les plus glorieux des luttes de l’Église.
Quels torrents de biens se
déverseraient sur le monde, quelle lumière, quel ordre, quelle
pacification pénétreraient la vie sociale, quelles précieuses et
incomparables énergies pourraient aider à promouvoir le bien de
l'humanité si partout on accordait à l’Église, maîtresse de justice
et de charité, cette possibilité d'action à laquelle, en vertu du
mandat divin, elle a un droit sacré et incontestable ! Que de
malheurs seraient évités, quelle félicité, quelle tranquillité
seraient acquises si les efforts sociaux et internationaux accomplis
pour établir la paix se laissaient pénétrer des profondes impulsions
de l’Évangile de l'amour dans la lutte contre l'égoïsme individuel
et collectif !
Entre les lois qui
régissent la vie des fidèles chrétiens et les postulats essentiel
Entre les lois qui régissent la vie des fidèles chrétiens et les
postulats essentiels de l'humanité, il n'y a pas conflit, mais, au
contraire, communauté et mutuel appui. Dans l'intérêt de l'humanité
souffrante et profondément ébranlée matériellement et
spirituellement, Nous n'avons pas de plus ardent désir que
celui-ci : que les angoisses présentes puissent ouvrir les yeux de
beaucoup afin qu'ils considèrent dans leur vraie lumière le Seigneur
Jésus et la mission de son Église sur cette terre, et que tous ceux
qui exercent le pouvoir se résolvent à laisser à l’Église la liberté
de travailler à la formation des générations, selon les principes de
la justice et de la paix. Ce travail d'apaisement suppose qu'on ne
mette pas de traverses à l'exercice de la mission confiée par Dieu à
son Église, qu'on ne restreigne pas le champ de son activité, qu'on
ne soustraie pas les masses, et spécialement la jeunesse à son
influence bienfaisante. Aussi, comme représentant sur la terre de
Celui qui fut appelé par le Prophète : « Prince de la paix » (Is.,
IX, 6), faisons-Nous appel aux chefs des peuples et à ceux qui ont
une action, quelle qu'elle soit, sur la chose publique, pour que
l’Église jouisse toujours d'une pleine liberté d'accomplir son œuvre
éducatrice en annonçant aux esprits la vérité, en inculquant les
règles de la justice, en réchauffant les cœurs par la divine charité
du Christ.
Si, d'une part, l’Église ne
peut renoncer à l'exercice de sa mission, qui a comme fin ultime de
réaliser ici-bas le plan divin : instaurer dans le Christ tout ce
qui est dans le ciel et sur la terre (Ep., I, 10), d'autre
part, son œuvre apparaît aujourd'hui plus nécessaire qu'en aucun
autre temps, car une triste expérience enseigne qu'à eux seuls les
moyens extérieurs, les mesures purement humaines et les expédients
politiques n'apportent pas un adoucissement efficace aux maux, dont
est travaillée l'humanité.
Instruits précisément par
la douloureuse faillite des expédients humains, beaucoup d'hommes,
pour éloigner les tempêtes qui menacent d'engloutir la civilisation
dans leurs tourbillons, tournent les yeux avec un renouveau
d'espérance vers l’Église, citadelle de vérité et d'amour, vers ce
Siège de Pierre, qui, ils le sentent bien, peut rendre au genre
humain cette unité de doctrine religieuse et de règle morale, qui en
d'autres temps fit la consistance des relations pacifiques entre les
peuples.
Unité, vers laquelle
regardent d'un œil de nostalgique regret tant d'hommes responsables
du sort des nations, qui expérimentent quotidiennement à quel point
les moyens sont vains, dans lesquels ils avaient un jour mis leur
confiance; unité, désirée par les nombreuses légions de Nos fils,
qui invoquent chaque jour le Dieu de paix et d'amour (cf. 2 Co.,
XIII, 11) ; unité attendue par tant de nobles esprits, éloignés de
Nous, mais qui, dans leur faim et leur soif de justice et de paix,
lèvent les yeux vers la Chaire de Pierre pour recevoir d'elle
direction et conseil.
Ils reconnaissent dans
l’Église catholique la fermeté deux fois millénaire des normes de
foi et de vie, l'inébranlable cohésion de la hiérarchie
ecclésiastique, qui, unie au successeur de Pierre, s'emploie sans
relâche à éclairer les esprits de la doctrine de l’Évangile, à
guider et à sanctifier les hommes et se montre prodigue de
maternelle condescendance envers tous, mais ferme cependant, quand,
même au prix de tourments et de martyre, elle doit dire le Non
licet !
Et pourtant, Vénérables
Frères, la doctrine du Christ, qui seule peut fournir à l'homme un
solide fondement de foi, capable de lui ouvrir un grand horizon, de
dilater divinement son cœur, de lui donner un remède efficace aux
très graves difficultés actuelles, et l'action de l’Église pour
enseigner cette doctrine, la répandre et modeler les esprits selon
ses préceptes, sont parfois en butte à des suspicions, comme pouvant
ébranler les montants de l'autorité civile ou usurper ses droits.
Contre de telles
suspicions, Nous déclarons avec une apostolique sincérité — sans
préjudice de tout ce qu'a enseigné Notre prédécesseur Pie XI, de
vénérée mémoire, dans son Encyclique Quas primas, du 11
décembre 1925, sur le pouvoir du Christ-Roi et de son Église — que
de pareils desseins sont entièrement étrangers à l’Église, laquelle
tend ses bras maternels vers ce monde, non pour dominer, mais pour
servir. Elle ne prétend pas se substituer, dans le champ qui leur
est propre, aux autres autorités légitimes, mais leur offre son aide
à l'exemple et dans l'esprit de son divin Fondateur qui « passa en
faisant le bien » (Ac., X, 38).
L’Église prêche et inculque
l'obéissance et le respect envers l'autorité terrestre, qui tient de
Dieu sa noble origine; elle s'en tient à l'enseignement du divin
Maître qui a dit : Rendez à César ce qui est à César (Mt.,
XXII, 21) ; elle n'a pas de visées d'usurpation et chante dans sa
liturgie : non eripit mortalia, qui regna dat cælestia.
(Hymne de la fête de l’Épiphanie.) Elle ne débilite pas les énergies
humaines, mais les élève à tout ce qui est magnanime et généreux, et
forme des caractères qui ne transigent pas avec la conscience. Ce
n'est pas à elle, qui a civilisé les peuples, qu'on reprochera
d'avoir retardé l'humanité dans la voie du progrès, dont au
contraire elle se félicite et se réjouit avec une maternelle fierté.
Le but de son activité a été merveilleusement exprimé par les anges
sur le berceau du Verbe incarné, quand ils chantèrent : Gloire à
Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne
volonté. (Lc., II, 14.) Cette paix, que le monde ne peut
donner, a été laissée comme un héritage à ses disciples par le divin
Rédempteur lui-même: Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix (Jn,
XIV, 27), et c'est en suivant la sublime doctrine du Christ, résumée
par lui-même dans le double précepte de l'amour de Dieu et du
prochain, que des millions d'âmes l'ont obtenue, l'obtiennent et
l'obtiendront. Depuis bientôt deux mille ans, l'histoire — si
sagement appelée par un grand orateur romain magistra vitæ (Cic.,
Orat., I, II, IX) — démontre à quel point est vraie la parole de
l’Écriture, qu'il n'y aura jamais de paix pour celui qui résiste à
Dieu (Jb., IX, 4.) Car seul le Christ est la « pierre
angulaire ». (Ep., II, 20), sur laquelle l'homme et la
société peuvent trouver stabilité et salut.
C'est sur cette pierre
angulaire que l’Église est fondée, et c'est pourquoi les puissances
adverses ne pourront jamais prévaloir contre elle : portæ inferi
non prævalebunt (Mt., XVI, 18), ni lui ôter sa vigueur,
bien au contraire, les luttes tant intérieures qu'extérieures
contribuent à accroître sa force et à augmenter les couronnes de ses
glorieuses victoires.
A l'opposé, tout autre
édifice qui n'est pas solidement fondé sur la doctrine du Christ,
repose sur le sable mouvant et est destiné à une ruine misérable
(cf. Mt., VII, 26-27).
Vénérables Frères, l'heure
à laquelle vous parvient Notre première Encyclique est, à bien des
égards, une véritable hora tenebrarum (cf. Lc, XXII,
53), où l'esprit de la violence et de la discorde verse sur
l'humanité la sanglante coupe de douleurs sans nom. Est-il
nécessaire de vous assurer que Notre cœur paternel, dans son amour
compatissant, est tout près de ses fils, et plus spécialement de
ceux qui sont éprouvés, opprimés, persécutés ? Les peuples entraînés
dans le tragique tourbillon de la guerre n'en sont peut-être encore
qu'au commencement des douleurs (Mt., XXIV, 8) ; mais déjà
dans des milliers de familles règnent la mort et la désolation, les
lamentations et la misère. Le sang d'innombrables êtres humains,
même non combattants, élève un poignant cri de douleur, spécialement
sur une nation bien-aimée, la Pologne qui, par sa fidélité à
l’Église, par ses mérites dans la défense de la civilisation
chrétienne, inscrits en caractères indélébiles dans les fastes de
l'histoire, a droit à la sympathie humaine et fraternelle du monde,
et attend, confiante dans la puissante intercession de Marie
Auxilium Christianorum, l'heure d'une résurrection en accord
avec les principes de la justice et de la vraie paix.
Ce qui vient d'arriver, et
ce qui arrive encore, apparaissait à Notre regard comme une vision
quand, toute espérance n'ayant pas encore disparu, Nous n'avons rien
omis de ce que Nous pouvions tenter, dans la forme que Nous
suggéraient Notre ministère apostolique et les moyens à Notre
disposition, pour empêcher le recours aux armes et maintenir ouverte
la voie vers une entente honorable pour l'une et l'autre partie.
Convaincu qu'à l'emploi de la force par l'une d'elles aurait répondu
le recours aux armes par l'autre, Nous avons considéré comme un
devoir — auquel Nous ne pouvions Nous soustraire — de Notre
ministère apostolique et de l'amour chrétien, de mettre tout en
œuvre pour épargner à l'humanité entière et à la chrétienté les
horreurs d'une conflagration mondiale, même au risque de voir Nos
intentions et Nos buts mal compris. Nos avertissements, s'ils furent
respectueusement écoutés, ne furent pourtant pas suivis. Et tandis
que Notre cœur de pasteur observe, douloureux et préoccupé, voilà
que surgit devant Nos yeux l'image du Bon Pasteur, et il Nous semble
que Nous devons répéter au monde en son nom la plainte : Si tu
savais... ce qui peut t'apporter la paix ! Mais non, cela est
maintenant caché à tes yeux ! (Lc, XIX, 42).
Au milieu de ce monde qui
offre aujourd'hui un si criant contraste avec la paix du Christ dans
le règne du Christ, l’Église et ses fidèles se trouvent en des temps
et en des années d'épreuves comme ils en ont rarement connu dans
leur histoire de luttes et de souffrances. Mais précisément dans des
temps semblables, celui qui reste fort dans la foi et garde un cœur
robuste, sait que le Christ-Roi n'est jamais si proche que dans
l'heure de l'épreuve qui est l'heure de la fidélité. Le cœur déchiré
des souffrances et des peines de tant de ses fils, mais avec le
courage et la fermeté qui lui viennent des promesses du Seigneur,
l’Épouse du Christ marche vers les orages menaçants.
Elle le sait : la vérité
qu'elle annonce, la charité qu'elle enseigne et met en œuvre, seront
les conseillers indispensables et les coopérateurs des hommes de
bonne volonté dans la reconstruction d'un monde nouveau, selon la
justice et l'amour, après que l'humanité, lasse de courir dans les
chemins de l'erreur, aura goûté les fruits amers de la haine et de
la violence.
En attendant, Vénérables
Frères, le monde et tous ceux qui sont frappés, par la calamité de
la guerre doivent savoir que le devoir de la charité chrétienne,
fondement et pivot du Règne du Christ, n'est pas une parole vide
mais une vivante réalité. Un champ très vaste s'ouvre à la charité
chrétienne sous toutes ses formes. Nous avons pleine confiance que
tous Nos fils, spécialement ceux qui ne sont pas éprouvés par le
fléau de la guerre, se souviendront à l'exemple du divin Samaritain,
de tous ceux qui, victimes de la guerre, ont droit à la pitié et au
secours.
L’Église catholique, cité
de Dieu, dont le Roi est vérité, dont la loi est charité, dont la
mesure est éternité (S. Augustin Epistola CXXXVIII ad
Marcellinum, c. III, n. 17), annonçant sans erreurs ni
diminutions la vérité du Christ, travaillant selon l'amour du Christ
avec un élan maternel, se tient comme une bienheureuse vision de
paix, au-dessus du tourbillon des erreurs et des passions, attendant
le moment où la main toute-puissante du Christ-Roi apaisera la
tempête et bannira les esprits de dissension, qui l'ont provoquée.
Ce qui est en Notre pouvoir pour hâter le jour où la colombe de la
paix trouvera sur cette terre, submergée par le déluge de la
discorde, un endroit où poser le pied, Nous continuerons à le faire,
confiant dans les éminents hommes d’État, qui, avant que la guerre
n'éclatât, se sont noblement employés à éloigner des nations un
pareil fléau; confiant dans les millions d'âmes de tous les pays et
de tous les camps, qui appellent de leurs vœux non seulement la
justice, mais aussi la charité et la miséricorde; confiant surtout
dans le Dieu tout-puissant auquel chaque jour Nous adressons cette
prière : J'attendrai dans l'espoir à l'ombre de Tes ailes, que
l'iniquité soit passée. (Ps., LVI, 2).
Dieu peut tout : il tient
en ses mains non seulement la félicité et le sort des peuples, mais
aussi les conseils humains ; et du côté qu'il veut, doucement il les
incline : les obstacles même sont pour sa toute-puissance des moyens
dont il se sert pour modeler les choses et les événements, tourner
les esprits et les volontés libres à ses fins très hautes.
Priez donc, Vénérables
Frères, priez sans interruption, priez surtout quand vous offrez le
divin sacrifice d'amour. Priez, vous à qui la profession courageuse
de la foi impose aujourd'hui de durs, de pénibles, et, bien des
fois, d'héroïques sacrifices ; priez, vous, membres souffrants et
douloureux de l’Église, quand Jésus vient consoler et adoucir vos
peines. Et n'oubliez pas, grâce à un véritable esprit de
mortification et de dignes œuvres de pénitence, de rendre vos
prières plus agréables aux yeux de Celui qui « relève tous ceux qui
tombent, et redresse ceux qui sont prostrés » (Ps. CXLIV, 14)
afin que, dans sa miséricorde, il abrège les jours de l'épreuve et
que se réalisent ainsi les paroles du psaume : « Ils ont crié vers
le Seigneur dans leurs tribulations, et il les a délivrés de leurs
angoisses » (Ps. CVI, 13).
Et vous, candides légions
d'enfants, vous, les bien-aimés et les privilégiés de Jésus, quand
vous communiez au Pain de vie, élevez vers Dieu vos naïves et
innocentes prières et unissez-les à celles de toute l’Église.
Le Cœur de Jésus, qui vous
aime, ne résiste pas à l'innocence suppliante : priez tous, priez
sans relâche : sine intermissione orate (I Th., V,
17).
De cette façon vous mettrez
en pratique le sublime précepte du Divin Maître, le testament le
plus sacré de son cœur: qu'ils ne soient tous qu'un (Io, XVII,
21) : qu'ils vivent tous dans cette unité de foi et d'amour à
laquelle le monde reconnaisse la puissance et l'efficacité de la
mission du Christ et de l'œuvre de son Église.
L’Église primitive avait
compris et mis en pratique ce divin précepte ; elle l'exprima dans
une magnifique prière. Unissez-vous à votre tour, dans les mêmes
sentiments, qui répondent si bien à la nécessité de l'heure
présente : « Souviens-toi, Seigneur, de ton Église, pour la délivrer
de tout mal et la perfectionner dans la charité; rassemble-la des
quatre vents, toute sanctifiée, dans le royaume que tu lui as
préparé; car à toi est la puissance et la gloire dans tous les
siècles ». (Doctrine des Douze Apôtres, c. X).
Dans la confiance que Dieu,
auteur et ami de la paix, écoutera les supplications de l’Église,
Nous vous accordons, comme gage de l'abondance des divines grâces,
de la plénitude de Notre cœur paternel, la Bénédiction apostolique.
Donné à Castel-Gandolfo
près Rome, le 20 octobre de l'an 1939, de Notre pontificat le
premier. |