
CONCILE DU VATICAN
II

GAUDIUM ET SPES
CONSTITUTION PASTORALE SUR L'ÉGLISE DANS LE MONDE DE CE TEMPS
1 Les joies et
les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des
pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et
les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et
il n'est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. Leur
communauté, en effet, s'édifie avec des hommes, rassemblés dans le
Christ, conduits par l'Esprit Saint dans leur marche vers le royaume du
Père, et porteurs d'un message de salut qu'il faut proposer à tous. La
communauté des chrétiens se reconnaît donc réellement et intimement
solidaire du genre humain et de son histoire.
2 § 1
C'est pourquoi, après s'être efforcé de pénétrer plus avant dans le
mystère de l'Église, le deuxième Concile du Vatican n'hésite pas à
s'adresser maintenant, non plus aux seuls fils de l'Église et à tous
ceux qui se réclament du Christ, mais à tous les hommes. A tous il veut
exposer comment il envisage la présence et l'action de l'Église dans le
monde d'aujourd'hui.
§ 2 Le monde qu'il a
ainsi en vue est celui des hommes, la famille humaine tout entière avec
l'univers au sein duquel elle vit. C'est le théâtre où se joue
l'histoire du genre humain, le monde marqué par l'effort de l'homme, ses
défaites et ses victoires. Pour la foi des chrétiens, ce monde a été
fondé et demeure conservé par l'amour du Créateur; il est tombé certes,
sous l'esclavage du péché, mais le Christ, par la Croix et la
Résurrection, a brisé le pouvoir du Malin et l'a libéré pour qu'il soit
transformé selon le dessein de Dieu et qu'il parvienne ainsi à son
accomplissement.
3 § 1 De nos
jours, saisi d'admiration devant ses propres découvertes et son propre
pouvoir, le genre humain s'interroge cependant, souvent avec angoisse,
sur l'évolution présente du monde, sur la place et le rôle de l'homme
dans l'univers, sur le sens de ses efforts individuels et collectifs,
enfin sur la destinée ultime de choses et de l'humanité. Aussi le
Concile, témoin et guide de la foi de tout le peuple de Dieu rassemblé
par le Christ, ne saurait donner une preuve plus parlante de solidarité,
de respect et d'amour à l'ensemble de la famille humaine, à laquelle ce
peuple appartient, qu'en dialoguant avec elle sur ces différents
problèmes, en les éclairant à la lumière de l'Évangile, et en mettant à
la disposition du genre humain la puissance salvatrice que l'Église,
conduite par l'Esprit-Saint, reçoit de son Fondateur. C'est en effet
qu'il s'agit de sauver, la société humaine qu'il faut renouveler. C'est
donc l'homme, l'homme considéré dans son unité et sa totalité, l'homme,
corps et âme, cœur et conscience, pensée et volonté, qui constituera
l'axe de tout notre exposé.
§ 2 Voilà pourquoi,
en proclamant la très noble vocation de l'homme et en affirmant qu'un
germe divin est déposé en lui, ce saint Synode offre au genre humain la
collaboration sincère de l'Église pour l'instauration d'une fraternité
universelle qui réponde à cette vocation. Aucune ambition terrestre ne
pousse l'Église; elle ne vise qu'un seul but: continuer, sous
l'impulsion de l'Esprit consolateur, l'œuvre même du Christ, venu dans
le monde pour rendre témoignage à la vérité, pour sauver, non pour
condamner, pour servir, non pour être servi
.
4 § 1 Pour mener
à bien cette tâche, l'Église a le devoir, à tout moment, de scruter les
signes des temps et de les interpréter à la lumière de l'Évangile, de
telle sorte qu'elle puisse répondre, d'une manière adaptée à chaque
génération, aux questions éternelles des hommes sur le sens de la vie
présente et future et sur leurs relations réciproques. Il importe donc
de connaître et de comprendre ce monde dans lequel nous vivons, ses
attentes, ses aspirations, son caractère souvent dramatique. Voici, tels
qu'on peut les esquisser, quelques-uns des traits fondamentaux du monde
actuel.
§ 2 Le genre humain
vit aujourd'hui un âge nouveau de son histoire, caractérisé par des
changements profonds et rapides qui s'étendent peu à peu à l'ensemble du
globe. Provoqués par l'homme, par son intelligence et son activité
créatrice, ils rejaillissent sur l'homme lui-même, sur ses jugements,
sur ses désirs, individuels et collectifs, sur ses manières de penser et
d'agir, tant à l'égard des choses qu'à l'égard de ses semblables. A tel
point que l'on peut déjà parler d'une véritable métamorphose sociale et
culturelle dont les effets se répercutent jusque sur la vie religieuse.
§ 3 Comme en toute
crise de croissance, cette transformation ne va pas sans de sérieuses
difficultés. Ainsi, tandis que l'homme étend si largement son pouvoir,
il ne parvient pas toujours à s'en rendre maître. S'efforçant de
pénétrer plus avant les ressorts les plus secrets de son être, il
apparaît souvent plus incertain de lui-même. Il découvre peu à peu, et
avec plus de clarté, les lois de la vie sociale, mais il hésite sur les
orientations qu'il faut lui imprimer.
§ 4 Jamais le genre
humain n'a regorgé de tant de richesses, de tant de possibilités, d'une
telle puissance économique, et pourtant une part considérable des
habitants du globe sont encore tourmentés par la faim et la misère, et
des multitudes d'êtres humains ne savent ni lire ni écrire. Jamais les
hommes n'ont eu comme aujourd'hui un sens aussi vif de la liberté, mais,
au même moment, surgissent de nouvelles formes d'asservissement social
et psychique. Alors que le monde prend une conscience si forte de son
unité, de la dépendance réciproque de tous dans une nécessaire
solidarité, le voici violemment écartelé par l'opposition de forces qui
se combattent : d'âpres dissensions politiques, sociales, économiques,
raciales et idéologiques persistent encore, et le danger demeure d'une
guerre capable de tout anéantir. L'échange des idées s'accroît ; mais
les mots mêmes qui servent à exprimer des concepts de grande importance
revêtent des acceptions fort différentes suivant la diversité des
idéologies. Enfin, on recherche avec soin une organisation temporelle
plus parfaite, sans que ce progrès s'accompagne d'un égal essor
spirituel.
§ 5 Marqués par une
situation si complexe, un très grand nombre de nos contemporains ont
beaucoup de mal à discerner les valeurs permanentes; en même temps, ils
ne savent comment les harmoniser avec les découvertes récentes. Une
inquiétude les saisit et ils s'interrogent avec un mélange d'espoir et
d'angoisse sur l'évolution actuelle du monde. Celle-ci jette à l'homme
un défi; mieux, elle l'oblige à répondre.
5 § 1
L'ébranlement actuel des esprits et la transformation des conditions de
vies sont liés à une mutation d'ensemble qui tend à la prédominance,
dans la formation de l'esprit, des sciences mathématiques, naturelles ou
humaines et, dans l'action, de la technique, fille des sciences. Cet
esprit scientifique a façonné d'une manière différente du passé l'état
culturel et les modes de penser. Les progrès de la technique vont
jusqu'à transformer la face de la terre et, déjà, se lancent à la
conquête de l'espace.
§ 2 Sur le temps
aussi, l'intelligence humaine étend en quelque sorte son empire: pour le
passé, par la connaissance historique; pour l'avenir, par la prospective
et la planification. Les progrès des sciences biologiques,
psychologiques et sociales ne permettent pas seulement à l'homme de se
mieux connaître, mais lui fournissent aussi le moyen d'exercer une
influence directe sur la vie des sociétés par l'emploi de techniques
appropriées. En même temps, le genre humain se préoccupe, et de plus en
plus, de prévoir désormais son propre développement démographique et de
le contrôler.
§ 3 Le mouvement même
de l'histoire devient si rapide que chacun à peine à le suivre. Le
destin de la communauté humaine devient un, et il ne se diversifie plus
comme en autant d'histoires séparées entre elles. Bref, le genre humain
passe d'une notion plutôt statique de l'ordre des choses à une
conception plus dynamique et évolutive: de là naît, immense, une
problématique nouvelle, qui provoque à de nouvelles analyses et à de
nouvelles synthèses.
6 § 1 Du même
coup, il se produit des changements, de jour en jour plus importants,
dans les communautés locales traditionnelles (familles patriarcales,
clans, tribus, villages), dans les différents groupes et les rapports
sociaux.
§ 2 Une société de
type industriel s'étend peu à peu, amenant certains pays à une économie
d'opulence et transformant radicalement les conceptions et les
conditions séculaires de la vie en société. De la même façon, la
civilisation urbaine et l'attirance qu'elle provoque s'intensifient,
soit par la multiplication des villes et de leurs habitants, soit par
l'expansion du mode de vie urbain au monde rural.
§ 3 Des moyens de
communication sociale nouveaux, et sans cesse plus perfectionnés,
favorisent la connaissance des événements et la diffusion extrêmement
rapide et universelle des idées et des sentiments, suscitant ainsi de
nombreuses réactions en chaîne.
§ 4 On ne doit pas
négliger non plus le fait que tant d'hommes poussés par diverses raisons
à émigrer, sont amenés à changer de mode de vie.
§ 5 En somme, les
relations de l'homme avec ses semblables se multiplient sans cesse,
tandis que la «socialisation» elle-même entraîne à son tour de nouveaux
liens, sans favoriser toujours pour autant, comme il le faudrait, le
plein développement de la personne et des relations vraiment
personnelles, c'est-à-dire la «personnalisation».
§ 6 En vérité, cette
évolution se manifeste surtout dans les nations qui bénéficient déjà des
avantages du progrès économique et technique; mais elle est aussi à
l'œuvre chez les peuples en voie de développement qui souhaitent
procurer à leurs pays les bienfaits de l'industrialisation et de
l'urbanisation. Ces peuples, surtout s'ils sont attachés à des
traditions plus anciennes, ressentent en même temps le besoin d'exercer
leur liberté d'une façon plus adulte et plus personnelle.
7 § 1 La
transformation des mentalités et des structures conduit souvent à une
remise en question des valeurs reçues, tout particulièrement chez les
jeunes: fréquemment, ils ne supportent pas leur état ; bien plus,
l'inquiétude en fait des révoltés, tandis que, conscients de leur
importance dans la vie sociale, ils désirent y prendre au plus tôt leurs
responsabilités. C'est pourquoi il n'est pas rare que parents et
éducateurs éprouvent des difficultés croissantes dans l'accomplissement
de leur tâche.
§ 2 Les cadres de
vie, les lois, les façons de penser et de sentir hérités du passé ne
paraissent pas toujours adaptés à l'état actuel des choses : d'où le
désarroi du comportement et même des règles de conduite.
§ 3 Les conditions
nouvelles affectent enfin la vie religieuse elle-même. D'une part,
l'essor de l'esprit critique la purifie d'une conception magique du
monde et des survivances superstitieuses, et exige une adhésion de plus
en plus personnelle et active à la foi, nombreux sont ainsi ceux qui
parviennent à un sens plus vivant de Dieu. D'autre part, des multitudes
sans cesse plus denses s'éloignent en pratique de la religion. Refuser
Dieu ou la religion, ne pas s'en soucier, n'est plus, comme en d'autres
temps, un fait exceptionnel, lot de quelques individus : aujourd'hui en
effet on présente volontiers un tel comportement comme une exigence du
progrès scientifique ou de quelque nouvel humanisme. En de nombreuses
régions, cette négation ou cette indifférence ne s'expriment pas
seulement au niveau philosophique; elles affectent aussi, et très
largement, la littérature, l'art, l'interprétation des sciences humaines
et de l'histoire, la législation elle-même: d'où le désarroi d'un grand
nombre.
8 § 1 Une
évolution aussi rapide, accomplie souvent sans ordre et, plus encore, la
prise de conscience de plus en plus aiguë des écartèlements dont souffre
le monde, engendrent ou accroissent contradictions et déséquilibres.
§ 2 Au niveau de la
personne elle-même, un déséquilibre se fait assez souvent jour entre
l'intelligence pratique moderne et une pensée spéculative qui ne
parvient pas à dominer la somme de ses connaissances ni à les ordonner
en des synthèses satisfaisantes. Déséquilibre également entre la
préoccupation de l'efficacité concrète et les exigences de la conscience
morale, et, non moins fréquemment, entre les conditions collectives de
l'existence et les requêtes d'une pensée personnelle, et aussi, de la
contemplation. Déséquilibre enfin entre la spécialisation de l'activité
humaine et une vue générale des choses.
§ 3 Tensions au sein
de la famille, dues soit à la pesanteur des conditions démographiques,
économiques et sociales, soit aux conflits des générations successives,
soit aux nouveaux rapports sociaux qui s'établissent entre hommes et
femmes.
§ 4 D'importants
déséquilibres naissent aussi entre les races, entre les diverses
catégories sociales, entre pays riches, moins riches et pauvres; enfin
entre les institutions internationales nées de l'aspiration des peuples
à la paix et les propagandes idéologiques ou les égoïsmes collectifs qui
se manifestent au sein des nations et des autres groupes.
§ 5 Défiances et
inimitiés mutuelles, conflits et calamités s'ensuivent, dont l'homme
lui-même est à la fois cause et victime.
9 § 1 Pendant ce
temps, la conviction grandit que le genre humain peut et doit non
seulement renforcer sans cesse sa maîtrise sur la création, mais qu'il
peut et doit en outre instituer un ordre politique, social et économique
qui soit toujours plus au service de l'homme, et qui permette à chacun,
à chaque groupe, d'affirmer sa dignité propre et de la développer.
§ 2 D'où les âpres
revendications d'un grand nombre qui, prenant nettement conscience des
injustices et de l'inégalité de la distribution des biens, s'estiment
lésés. Les nations en voie de développement, comme celles qui furent
récemment promues à l'indépendance, veulent participer aux bienfaits de
la civilisation moderne tant au plan économique qu'au plan politique, et
jouer librement leur rôle sur la scène du monde. Et pourtant, entre ces
nations et les autres nations plus riches, dont le développement est
plus rapide, l'écart ne fait que croître, et, en même temps, très
souvent, la dépendance, y compris la dépendance économique. Les peuples
de la faim interpellent les peuples de l'opulence. Les femmes, là où
elles ne l'ont pas encore obtenue, réclament la parité de droit et de
fait avec les hommes. Les travailleurs, ouvriers et paysans, veulent non
seulement gagner leur vie, mais développer leur personnalité par leur
travail, mieux, participer à l'organisation de la vie économique,
sociale, politique et culturelle. Pour la première fois dans l'histoire,
l'humanité entière n'hésite plus à penser que les bienfaits de la
civilisation peuvent et doivent réellement s'étendre à tous les peuples.
§ 3 Mais sous toutes
ces revendications se cache une aspiration plus profonde et plus
universelle: les personnes et les groupes ont soif d'une vie pleine et
libre, d'une vie digne de l'homme, qui mette à leur propre service
toutes les immenses possibilités que leur offre le monde actuel. Quant
aux nations, elles ne cessent d'accomplir de courageux efforts pour
parvenir à une certaine forme de communauté universelle.
§ 4 Ainsi le monde
moderne apparaît à la fois comme puissant et faible, capable du meilleur
et du pire, et le chemin s'ouvre devant lui de la liberté ou de la
servitude, du progrès ou de la régression, de la fraternité ou de la
haine. D'autre part, l'homme prend conscience que de lui dépend la bonne
orientation des forces qu'il a mises en mouvement et qui peuvent
l'écraser ou le servir. C'est pourquoi il s'interroge lui-même.
10 § 1 En vérité,
les déséquilibres qui travaillent le monde moderne sont liés à un
déséquilibre plus fondamental qui prend racine dans le cœur même de
l'homme. C'est en l'homme lui-même, en effet, que de nombreux éléments
se combattent. D'une part, comme créature, il fait l'expérience de ses
multiples limites; d'autre part, il se sent illimité dans ses désirs et
appelé à une vie supérieure. Sollicité de tant de façons, il est sans
cesse contraint de choisir et de renoncer. Pire: faible et pécheur, il
accomplit souvent ce qu'il ne veut pas et n'accomplir point ce qu'il
voudrait
.
En somme, c'est en lui-même qu'il souffre division, et c'est de là que
naissent au sein de la société tant et de si grandes discordes.
Beaucoup, il est vrai, dont la vie est imprégnée de matérialisme
pratique, sont détournés par là d'une claire perception de cette
situation dramatique; ou bien, accablés par la misère, ils se trouvent
empêchés d'y prêter attention. D'autres, en grand nombre, pensent
trouver leur tranquillité dans les diverses explications du monde qui
leur sont proposées. Certains attendent du seul effort de l'homme la
libération véritable et plénière du genre humain et ils se persuadent
que le règne à venir de l'homme sur la terre comblera tous les vœux de
son cœur. Il en est d'autres qui, désespérant du sens de la vie,
exaltent les audacieux qui, jugeant l'existence humaine dénuée par
elle-même de toute signification, tentent de lui donner, par leur seule
inspiration, toute sa signification. Néanmoins, le nombre croît de ceux
qui, face à l'évolution présente du monde, se posent les questions les
plus fondamentales ou les perçoivent avec une acuité nouvelle. Qu'est-ce
que l'homme ? Que signifient la souffrance, le mal, la mort, qui
subsistent malgré tant de progrès ? A qui bon ces victoires payées d'un
si grand prix ? Que peut apporter l'homme à la société ? Que peut-il en
attendre ? Qu'adviendra-t-il après cette vie ?
§ 2 L'Église, quant à
elle, croit que le Christ, mort et ressuscité pour tous
,
offre à l'homme, par son Esprit, lumière et forces pour lui permettre de
répondre à sa très haute vocation. Elle croit qu'il n'est pas sous le
ciel d'autre nom donné aux hommes par lequel ils doivent être sauvés
.Elle
croit aussi que la clé, le centre et la fin de toute histoire humaine se
trouve en son Seigneur et Maître. Elle affirme en outre que, sous tous
les changements, bien des choses demeurent qui ont leur fondement ultime
dans le Christ, le même hier, aujourd'hui et à jamais
.
C'est pourquoi, sous la lumière du Christ, image du Dieu invisible,
premier-né de toute créature
,
le Concile se propose de s'adresser à tous, pour éclairer le mystère de
l'homme et pour aider le genre humain à découvrir la solution des
problèmes majeurs de notre temps.
11 § 1 Mû par la
foi, se sachant conduit par l'Esprit du Seigneur qui remplit l'univers,
le peuple de Dieu s'efforce de discerner dans les événements, les
exigences et les requêtes de notre temps, auxquels il participe avec les
autres hommes, quels sont les signes véritables de la présence ou du
dessein de Dieu. La foi, en effet, éclaire toutes choses d'une lumière
nouvelle et nous fait connaître la volonté divine sur la vocation
intégrale de l'homme, orientant ainsi l'esprit vers, des solutions
pleinement humaines.
§ 2 Le Concile se
propose avant tout de juger à cette lumière les valeurs les plus prisées
par nos contemporains et de les relier à leur source divine. Car ces
valeurs, dans la mesure où elles procèdent du génie humain, qui est un
don de Dieu, sont fort bonnes; mais il n'est pas rare que la corruption
du cœur humain les détourne de l'ordre requis: c'est pourquoi elles ont
besoin d'être purifiées.
§ 3 Que pense
l'Église de l'homme ? Quelles orientations semblent devoir être
proposées pour l'édification de la société contemporaine ? Quelle
signification dernière donner à l'activité de l'homme dans l'univers ?
Ces questions réclament une réponse. La réciprocité des services que
sont appelés à se rendre le peuple de Dieu et le genre humain, dans
lequel ce peuple est inséré, apparaîtra alors avec plus de netteté:
ainsi se manifestera le caractère religieux et, par le fait même,
souverainement humain de la mission de l'Église.
12 § 1 Croyants et
incroyants sont généralement d'accord sur ce point: tout sur terre doit
être ordonné à l'homme comme à son centre et à son sommet.
§ 2 Mais qu'est-ce
que l'homme ? Sur lui-même, il a proposé et propose encore des opinions
multiples, diverses et mêmes opposées, suivant lesquelles, souvent, ou
bien il s'exalte lui-même comme une norme absolue, ou bien il se
rabaisse jusqu'au désespoir: d'où ses doutes et ses angoisses. Ces
difficultés, l'Église les ressent à fond, instruite par la Révélation
divine, elle peut y apporter une réponse, où se trouve dessinée la
condition véritable de l'homme, où sont mises au clair ses faiblesses,
mais où peuvent en même temps être justement reconnues sa dignité et sa
vocation.
§ 3 La Bible, en
effet, enseigne que l'homme a été créé «à l'image de Dieu», capable de
connaître et d'aimer son Créateur, qu'il a été constitué seigneur de
toutes les créatures terrestres
pour 0les dominer et pour s'en servir, en glorifiant Dieu
.
«Qu'est-ce donc l'homme, pour que tu te souviennes de lui ? ou le fils
de l'homme pour que tu te soucies de lui ? A peine le fis-tu moindre
qu'un dieu, le couronnant de gloire et de splendeur : tu l'établis sur
l'œuvre de tes mains, tout fut mis par toi sous ses pieds» (Ps 8,5-7).
§ 4 Mais Dieu n'a pas
créé l'homme solitaire : dès l'origine, «il les créa homme et femme» (Gn 1,27).
Cette société de l'homme et de la femme est l'expression première de la
communion des personnes. Car l'homme, de par sa nature profonde, est un
être social, et, sans relations avec autrui, il ne peut vivre ni
épanouir ses qualités.
§ 5 C'est pourquoi
Dieu, lisons-nous encore dans le Bible, «regarda tout ce qu'il avait
fait et le jugea très bon» (Gn 1,31).
13 § 1 Établi
par Dieu dans un état de justice, l'homme, séduit par le Malin, dès le
début de l'histoire, a abusé de sa liberté, en se dressant contre Dieu
et en désirant parvenir à sa fin hors de Dieu. Ayant connu Dieu, « ils
ne lui ont pas rendu gloire comme à un Dieu (...) mais leur cœur
inintelligent s'est enténébré », et ils ont servi la créature de
préférence au Créateur
.
Ce que la Révélation divine nous découvre ainsi, notre propre expérience
le confirme. Car l'homme, s'il regarde au-dedans de son cœur, se
découvre enclin aussi au mal, submergé de multiples maux qui ne peuvent
provenir de son Créateur, qui est bon. Refusant souvent de reconnaître
Dieu comme son principe, l'homme a, par le fait même, brisé l'ordre qui
l'orientait à sa fin dernière, et, en même temps, il a rompu toute
harmonie, soit par rapport à lui-même, soit par rapport aux autres
hommes et à toute la création.
§ 2 C'est donc en
lui-même que l'homme est divisé. Voici que toute la vie des hommes,
individuelle et collective, se manifeste comme une lutte, combien
dramatique, entre le bien et le mal, entre la lumière et les ténèbres.
Bien plus, voici que l'homme se découvre incapable par lui-même de
vaincre effectivement les assauts du mal; et ainsi chacun se sent comme
chargé de chaînes. Mais le Seigneur en personne est venu pour restaurer
l'homme dans sa liberté et sa force, le rénovant intérieurement et
jetant dehors le prince de ce monde (cf. Jn 12,31), qui le
retenait dans l'esclavage du péché
.
Quant au péché, il amoindrit l'homme lui-même en l'empêchant d'atteindre
sa plénitude.
§ 3 Dans la lumière
de cette Révélation, la sublimité de la vocation humaine, comme la
profonde misère de l'homme, dont tous font l'expérience, trouvent leur
signification ultime.
14 § 1 Corps et
âme, mais vraiment un, l'homme est, dans sa condition corporelle même,
un résumé de l'univers des choses qui trouvent ainsi, en lui, leur
sommet, et peuvent librement louer leur Créateur
.
Il est donc interdit à l'homme de dédaigner la vie corporelle. Mais, au
contraire, il doit estimer et respecter son corps qui a été créé par
Dieu et qui doit ressusciter au dernier jour. Toutefois, blessé par le
péché, il ressent en lui les révoltes du corps. C'est donc la dignité
même de l'homme qui exige de lui qu'il glorifie Dieu dans son corps
,
sans le laisser asservir aux mauvais penchants de son cœur.
§ 2 En vérité,
l'homme de ne trompe pas lorsqu'il se reconnaît supérieur aux éléments
matériels et qu'il se considère comme irréductible, soit à une simple
parcelle de la nature, soit à un élément anonyme de la cité humaine. Par
son intériorité, il dépasse en effet l'univers des choses: c'est à ces
profondeurs qu'il revient lorsqu'il fait retour en lui-même où l'attend
ce Dieu qui scrute les cœurs
et où il décide personnellement de son propre sort sous le regard de
Dieu. Ainsi, lorsqu'il reconnaît en lui une âme spirituelle et
immortelle, il n'est pas le jouet d'une création imaginaire qui
s'expliquerait seulement par les conditions physiques et sociales, bien
au contraire, il atteint le tréfonds même de la réalité.
15 § 1 Participant
à la lumière de l'intelligence divine, l'homme a raison de penser que,
par sa propre intelligence, il dépasse l'univers des choses. Sans doute
son génie au long des siècles, par une application laborieuse, a fait
progresser les sciences empiriques, les techniques et les arts libéraux.
De nos jours il a obtenu des victoires hors pair, notamment dans la
découverte et la conquête du monde matériel. Toujours cependant il a
cherché et trouvé une vérité plus profonde. Car l'intelligence ne se
borne pas aux seuls phénomènes; elle est capable d'atteindre, avec une
authentique certitude, la réalité intelligible, en dépit de la part
d'obscurité et de faiblesse que laisse en elle le péché.
§ 2 Enfin, la nature
intelligente de la personne trouve et doit trouver sa perfection dans la
sagesse. Celle-ci attire avec force et douceur l'esprit de l'homme vers
la recherche et l'amour du vrai et du bien; l'homme qui s'en nourrir est
conduit du monde visible à l'invisible.
§ 3 Plus que toute
autre, notre époque a besoin d'une telle sagesse, pour humaniser ses
propres découvertes, quelles qu'elles soient. L'avenir du monde serait
en péril si elle ne savait pas se donner des sages. Pourquoi ne pas
ajouter cette remarque : de nombreux pays, pauvres en biens matériels,
mais riches en sagesse, pourront puissamment aider les autres sur ce
point.
§ 4 Par le don de
l'Esprit, l'homme parvient, dans la foi, à contempler et à goûter le
mystère de la volonté divine
.
16 Au fond de sa
conscience, l'homme découvre la présence d'une loi qu'il ne s'est pas
donnée lui-même, mais à laquelle il est tenu d'obéir. Cette voix, qui ne
cesse de le presser d'aimer et d'accomplir le bien et d'éviter le mal,
au moment opportun résonne dans l'intimité de son cœur : «Fais ceci,
évite cela». Car c'est une loi inscrite par Dieu au cœur de l'homme ; sa
dignité est de lui obéir, et c'est elle qui le jugera
.
La conscience est le centre le plus secret de l'homme, le sanctuaire où
il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre
.
C'est d'une manière admirable que se découvre à la conscience cette loi
qui s'accomplit dans l'amour de Dieu et du prochain
.
Par fidélité à la conscience, les chrétiens, unis aux autres hommes,
doivent chercher ensemble la vérité et la solution juste de tant de
problèmes moraux que soulèvent aussi bien la vie privée que la vie
sociale. Plus la conscience droite l'emporte, plus les personnes et les
groupes s'éloignent d'une décision aveugle et tendent à se conformer aux
normes objectives de la moralité. Toutefois, il arrive souvent que la
conscience s'égare, par suite d'une ignorance invincible, sans perdre
pour autant sa dignité. Ce que l'on ne peut dire lorsque l'homme se
soucie peu de rechercher le vrai et le bien et lorsque l'habitude du
péché rend peu à peu sa conscience presque aveugle.
17 Mais c'est
toujours librement que l'homme se tourne vers le bien. Cette liberté,
nos contemporains l'estiment grandement et ils la poursuivent avec
ardeur. Et ils ont raison. Souvent cependant ils la
chérissent d'une manière qui n'est pas droite, comme la licence de faire
n'importe quoi, pourvu que cela plaise, même le mal. Mais la vraie
liberté est en l'homme un signe privilégié de l'image divine. Car Dieu a
voulu le laisser à son propre conseil
pour qu'il puisse de lui-même chercher son Créateur et, en adhérant
librement à lui, s'achever ainsi dans une bienheureuse plénitude. La
dignité de l'homme exige donc de lui qu'il agisse selon un choix
conscient et libre, mû et déterminé par une conviction personnelle et
non sous le seul effet de poussées instinctives ou d'une contrainte
extérieure. L'homme parvient à cette dignité lorsque, se délivrant de
toute servitude des passions, par le choix libre du bien, il marche vers
sa destinée et prend soin de s'en procurer réellement les moyens par son
ingéniosité. Ce n'est toutefois que par le secours de la grâce divine
que la liberté humaine, blessées par le péché, peut s'ordonner à Dieu
d'une manière effective et intégrale. Et chacun devra rendre compote de
sa propre vie devant le tribunal de Dieu, selon le bien ou le mal
accomplis
.
18 § 1 C'est en
face de la mort que l'énigme de la condition humaine atteint son sommet.
L'homme n'est pas seulement tourmenté par la souffrance et la déchéance
progressive de son corps, mais plus encore, par la peur d'une
destruction définitive. Et c'est par une inspiration juste de son cœur
qu'il rejette et refuse cette ruine totale et ce définitif échec de sa
personne. Le germe d'éternité qu'il porte en lui, irréductible à la
seule matière, s'insurge contre la mort. Toutes les tentatives de la
technique, si utiles qu'elles soient, sont impuissantes à calmer son
anxiété: car le prolongement de la vie que la biologie procure ne peut
satisfaire ce désir d'une vie ultérieure, invinciblement ancré dans son
cœur.
§ 2 Mais si toute
imagination ici défaille, l'Église, instruite par la Révélation divine,
affirme que Dieu a créé l'homme en vue d'une fin bienheureuse, au-delà
des misères du temps présent. De plus, la foi chrétienne enseigne que
cette mort corporelle, à laquelle l'homme aurait été soustrait s'il
n'avait pas péché
,
sera un jour vaincue, lorsque le salut, perdu par la faute de l'homme,
lui sera rendu par son tout-puissant et miséricordieux Sauveur. Car Dieu
a appelé et appelle l'homme à adhérer à lui de tout son être, dans la
communion éternelle d'une vie divine inaltérable. Cette victoire, le
Christ l'a acquise en ressuscitant
,
libérant l'homme de la mort par sa propre mort. A partir des titres
sérieux qu'elle offre à l'examen de tout homme, la foi est ainsi en
mesure de répondre à son interrogation angoissée sur son propre avenir.
Elle nous offre en même temps la possibilité d'une communion dans le
Christ avec nos frères bien-aimés qui sont déjà morts, en nous donnant
l'espérance qu'ils ont trouvé près de Dieu la véritable vie.
19 § 1 L'aspect le
plus sublime de la dignité humaine se trouve dans cette vocation de
l'homme à communier avec Dieu. Cette invitation que Dieu adresse à
l'homme de dialoguer avec Lui commence avec l'existence humaine. Car, si
l'homme existe, c'est que Dieu l'a créé par amour et, par amour, ne
cesse de lui donner l'être; et l'homme ne vit pleinement selon la vérité
que s'il reconnaît librement cet amour et s'abandonne à son Créateur.
Mais beaucoup de nos contemporains ne perçoivent pas du tout ou même
rejettent explicitement le rapport intime et vital qui unit l'homme à
Dieu: à tel point que l'athéisme compte parmi les faits les plus graves
de ce temps et doit être soumis à un examen très attentif.
§ 2 On désigne sous
le nom d'athéisme des phénomènes entre eux très divers. En effet, tandis
que certains athées nient Dieu expressément, d'autres pensent que
l'homme ne peut absolument rien affirmer de lui. D'autres encore
traitent le problème de Dieu de telle façon que ce problème semble dénué
de sens. Beaucoup outrepassant indûment les limites des sciences
positives, ou bien prétendent que la seule raison scientifique explique
tout, ou bien, à l'inverse, ne reconnaissent comme définitive absolument
aucune vérité. Certains dont un tel cas de l'homme que la foi en Dieu
s'en trouve comme énervée, plus préoccupés qu'ils sont, semble-t-il,
d'affirmer l'homme que de nier Dieu. D'autres se représentent Dieu sous
un jour tel que, en le repoussant, ils refusent un Dieu qui n'est en
aucune façon celui de l’Évangile. D'autres n'abordent même pas le
problème de Dieu : ils paraissent étrangers à toute inquiétude
religieuse et ne voient pas pourquoi ils se soucieraient encore de
religion. L'athéisme, en outre, naît souvent, soit d'une protestation
révoltée contre le mal dans le monde, soit du fait que l'on attribue à
tort à certains idéaux humains un tel caractère d'absolu qu'on en vient
à les prendre pour Dieu. La civilisation moderne elle-même, non certes
par son essence même, mais parce qu'elle se trouve trop engagée dans les
réalités terrestres, peut rendre souvent plus difficile l'approche de
Dieu.
§ 3 Certes, ceux qui
délibérément s'efforcent d'éliminer Dieu de leur cœur et d'écarter les
problèmes religieux, en ne suivant pas le «dictamen» de leur conscience,
ne sont pas exempts de faute. Mais les croyants eux-mêmes portent
souvent à cet égard une certaine responsabilité. Car l'athéisme,
considéré dans son ensemble, ne trouve pas son origine en lui-même; il
la trouve en diverses causes, parmi lesquelles il faut compter une
réaction critique en face des religions et spécialement, en certaines
régions, en face de la religion chrétienne. C'est pourquoi, dans cette
genèse de l'athéisme, les croyants peuvent avoir une part qui n'est pas
mince, dans la mesure où, par la négligence dans l'éducation de leur
foi, par des présentations trompeuses de la doctrine et aussi par des
défaillances de leur vie religieuse, morale et sociale, on peut dire
d'eux qu'ils voilent l'authentique visage de Dieu et de la religion plus
qu'ils ne le révèlent.
20 § 1 Souvent
l'athéisme moderne présente aussi une forme systématique, qui,
abstraction faite des autres causes, pousse le désir d'autonomie humaine
à un point tel qu'il fait obstacle à toute dépendance à l'égard de Dieu.
Ceux qui professent un athéisme de cette sorte soutiennent que la
liberté consiste en ceci que l'homme est pour lui-même sa propre fin, le
seul artisan et le démiurge de sa propre histoire. Ils prétendent que
cette vue des choses est incompatible avec la reconnaissance d'un
Seigneur, auteur et fin de toutes choses ou, au moins, qu'elle rend
cette affirmation tout à fait superflue. Cette doctrine peut se trouver
renforcée par le sentiment de puissance que le progrès technique actuel
confère à l'homme.
§ 2 Parmi les formes
de l'athéisme contemporain, on ne doit pas passer sous silence celle qui
attend la libération de l'homme surtout de sa libération économique et
sociale. A cette libération s'opposerait, par sa nature même, la
religion, dans la mesure, où, érigeant l'espérance de l'homme sur le
mirage d'une vie future, elle le détournerait d'édifier la cité
terrestre. C'est pourquoi les tenants d'une telle doctrine, là où ils
deviennent les maîtres du pouvoir, attaquent la religion avec violence,
utilisant pour la diffusion de l'athéisme, surtout en ce qui regarde
l'éducation de la jeunesse, tous les moyens de pression dont le pouvoir
public dispose.
21 § 1 L'Église,
fidèle à la fois à Dieu et à l'homme, ne peut cesser de réprouver avec
douleur et avec la plus grande fermeté, comme elle l'a fait dans le
passé
,
ces doctrines et ces manières de faire funestes qui contredisent la
raison et l'expérience commune et font déchoir l'homme de sa noblesse
native.
§ 2 Elle s'efforce
cependant de saisir dans l'esprit des athées les causes cachées de la
négation de Dieu et, bien consciente de la gravité des problèmes que
l'athéisme soulève, poussée par son amour pour tous les hommes, elle
estime qu'il lui faut soumettre ces motifs à un examen sérieux et
approfondi.
§ 3 L'Église tient
que la reconnaissance de Dieu ne s'oppose en aucune façon à la dignité
de l'homme, puisque cette dignité trouve en Dieu lui-même ce qui la
fonde et de qui l'achève. Car l'homme a été établi en société,
intelligent et libre, par Dieu son Créateur. Mais surtout, comme fils,
il est appelé à l'intimité même de Dieu et au partage de son propre
bonheur. L'Église enseigne, en outre, que l'espérance eschatologique ne
diminue pas l'importance des tâches terrestres, mais en soutient bien
plutôt l'accomplissement par de nouveaux motifs. A l'opposé, lorsque
manquent le support divin et l'espérance de la vie éternelle, la dignité
de l'homme subit une très grave blessure, comme on le voit souvent
aujourd'hui, et l'énigme de la vie et de la mort, de la faute et de la
souffrance reste sans solution: ainsi, trop souvent, les hommes
s'abîment dans le désespoir.
§ 4 Pendant ce temps,
tout homme demeure à ses propres yeux une question insoluble qu'il
perçoit confusément. A certaines heures, en effet, principalement à
l'occasion des grands événements de la vie, personne ne peut totalement
éviter ce genre d'interrogation. Dieu seul peut pleinement y répondre et
d'une manière irrécusable, lui qui nous invite à une réflexion plus
profonde et à une recherche plus humble.
§ 5 Quant au remède à
l'athéisme, on doit l'attendre d'une part d'une présentation adéquate de
la doctrine, d'autre part de la pureté de vie de l'Église et de ses
membres. C'est à l'Église qu'il revient en effet de rendre présents et
comme visibles Dieu le Père et son Fils incarné, en se renouvelant et en
se purifiant sans cesse
,
sous la conduite de l'Esprit-Saint. Il y faut surtout le témoignage
d'une foi vivante et adulte, c'est-à-dire d'une foi formée à reconnaître
lucidement les difficultés et capable de les surmonter. D'une telle foi,
de très nombreux martyrs ont rendu et continuent de rendre un éclatant
témoignage. Sa fécondité doit se manifester en pénétrant toute la vie
des croyants, y compris leur vie profane, et en les entraînant à la
justice et à l'amour, surtout au bénéfice des déshérités. Enfin ce qui
contribue le plus à révéler la présence de Dieu, c'est l'amour fraternel
des fidèles qui travaillent d'un cœur unanime pour la foi de l’Évangile
et qui se présentent comme un signe d'unité.
§ 6 L'Église, tout en
rejetant absolument l'athéisme, proclame toutefois, sans arrière-pensée,
que tous les hommes, croyants et incroyants, doivent s'appliquer à la
juste construction de ce monde, dans lequel ils vivent ensemble: ce qui,
assurément, n'est possible' que par un dialogue loyal et prudent.
L'Église déplore donc les différences de traitements que certaines
autorités civiles établissent injustement entre croyants et incroyants,
au mépris des droits fondamentaux de la personne. Pour les croyants,
elle réclame la liberté effective et la possibilité d'élever aussi dans
ce monde le temple de Dieu. Quant aux athées, elle les invite avec
humanité à examiner en toute objectivité l’Évangile du Christ.
§ 7 Car l'Église sait
parfaitement que son message est en accord avec le fond secret du cœur
humain quand elle défend la dignité de la vocation de l'homme, et rend
ainsi l'espoir à ceux qui n'osent plus croire à la grandeur de leur
destin. Ce message, loin de diminuer l'homme, sert à son progrès en
répandant lumière, vie et liberté et, en dehors de lui, rien ne peut
combler le cœur humain : «Tu nous as faits pour toi», Seigneur «et notre
cœur ne connaît aucun répit jusqu'à ce qu'il trouve son repos en toi»
.
22 § 1 En réalité,
le mystère de l'homme ne s'éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe
incarné. Adam, en effet, le premier homme, était la figure de celui qui
devait venir
,
le Christ Seigneur. Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du
mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l'homme à lui-même
et lui découvre la sublimité de sa vocation. Il n'est donc pas
surprenant que les vérités ci-dessus trouvent en lui leur source et
atteignent en lui leur point culminant.
§ 2 «Image du Dieu
invisible» (Col 1,15)
,
il est l'homme parfait qui a restauré dans la descendance d'Adam la
ressemblance divine, altérée dès le premier péché. Parce qu'en lui la
nature humaine a été assumée, non absorbée
,
par le fait même, cette nature a été élevée en nous aussi à une dignité
sans égale. Car, par son incarnation, le Fils de Dieu s'est en quelque
sorte uni lui-même à tout homme. Il a travaillé avec des mains d'homme,
il a pensé avec une intelligence d'homme, il a agi avec une volonté
d'homme
,
il a aimé avec un cœur d'homme. Né de la Vierge Marie, il est vraiment
devenu l'un de nous, en tout semblable à nous, hormis le péché
.
§ 3 Agneau innocent,
par son sang librement répandu, il nous a mérité la vie; et, en lui,
Dieu nous a réconciliés avec lui-même et entre nous
,
nous arrachant à l'esclavage du diable et du péché. En sorte que chacun
de nous peut dire avec l'Apôtre: le Fils de Dieu «m'a aimé et il s'est
livré lui-même pour moi» (Ga 2,20). En souffrant pour nous, il ne
nous a pas simplement donné l'exemple, afin que nous marchions sur ses
pas
,
mais il a ouvert une route nouvelle : si nous la suivons, la vie et la
mort deviennent saintes et acquièrent un sens nouveau.
§ 4 Devenu conforme à
l'image du Fils, premier-né d'une multitude de frères
,
le chrétien reçoit «les prémices de l'Esprit» (Rm 8,23), qui le
rendent capable d'accomplir la loi nouvelle de l'amour
.
Par cet Esprit, »gage de l'héritage» (Ep 1,14), c'est tout
l'homme qui est intérieurement renouvelé, dans l'attente de «la
Rédemption du corps» (Rm 8,23) : «Si l'Esprit de celui qui a
ressuscité Jésus d'entre les morts demeure en vous, celui qui a
ressuscité Jésus-Christ d'entre les morts donnera aussi la vie à vos
corps mortels, par son Esprit qui habite en vous» (Rm 8,11)
.
Certes, pour un chrétien, c'est une nécessité et un devoir de combattre
le mal au prix de nombreuses tribulations et de subir la mort. Mais,
associé au mystère pascal, devenant conforme au Christ dans la mort,
fortifié par l'espérance, il va au-devant de la résurrection
.
§ 5 Et cela ne vaut
pas seulement pour ceux qui croient au Christ, mais bien pour tous les
hommes de bonne volonté, dans le cœur desquels, invisiblement, agit la
grâce
.
En effet, puisque le Christ est mort pour tous
et que la vocation dernière de l'homme est réellement unique, à savoir
divine, nous devons tenir que l'Esprit-Saint offre à tous, d'une façon
que Dieu connaît, la possibilité d'être associé au mystère pascal.
§ 6 Telle est la
qualité et la grandeur du mystère de l'homme, ce mystère que la
Révélation chrétienne fait briller aux yeux des croyants. C'est donc par
le Christ et dans le Christ que s'éclaire l'énigme de la douleur et de
la mort qui, hors de son Évangile, nous écrase. Le Christ est
ressuscité ; par sa mort, il a vaincu la mort, et il nous a abondamment
donné la vie
pour que, devenus fils dans le Fils, nous clamions dans l'Esprit : Abba,
Père !
.
23 § 1 Parmi les
principaux aspects du monde d'aujourd'hui, il faut compter la
multiplication des relations entre les hommes que les progrès techniques
actuels contribuent largement à développer. Toutefois le dialogue
fraternel des hommes ne trouve pas son achèvement à ce niveau, mais plus
profondément dans la communauté des personnes et celle-ci exige le
respect réciproque de leur pleine dignité spirituelle. La Révélation
chrétienne favorise puissamment l'essor de cette communion des personnes
entre elles; en même temps elle nous conduit à une intelligence plus
pénétrante des lois de la vie sociale, que le Créateur a inscrites dans
la nature spirituelle et morale de l'homme.
§ 2 Mais comme de
récents documents du magistère ont abondamment expliqué la doctrine
chrétienne sur la société humaine
,
le Concile s'en tient au rappel de quelques vérités majeures dont il
expose les fondements à la lumière de la Révélation. Il insiste ensuite
sur quelques conséquences qui revêtent une importance particulière en
notre temps.
24 § 1 Dieu, qui
veille paternellement sur tous, a voulu que tous les hommes constituent
une seule famille et se traitent mutuellement comme des frères. Tous, en
effet, ont été créés à l'image de Dieu, «qui a fait habiter sur toute la
face de la terre tout le genre humain issu d'un principe unique» (Ac 17,26),
et tous sont appelés à une seule et même fin, qui est Dieu lui-même.
§ 2 A cause de cela,
l'amour de Dieu et du prochain est le premier et le plus grand
commandement. L’Écriture, pour sa part, enseigne que l'amour de Dieu est
inséparable de l'amour du prochain : «... tout autre commandement se
résume en cette parole: tu aimeras le prochain comme toi-même ... La
charité est donc la loi dans sa plénitude» (Rm 13,9-10 cf.
1Jn 4,20). Il est bien évident que cela est d'une extrême importance
pour des hommes de plus en plus dépendants les uns des autres et dans un
monde sans cesse plus unifié.
§ 3 Allons plus loin:
quand le Seigneur Jésus prie le Père pour que «tous soient un ..., comme
nous nous sommes un» (Jn 17,21-22), il ouvre des perspectives
inaccessibles à la raison et il nous suggère qu'il y a une certaine
ressemblance entre l'union des personnes divines et celles des fils de
Dieu dans la vérité et dans l'amour. Cette ressemblance montre bien que
l'homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne
peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même
.
25 § 1 Le
caractère social de l'homme fait apparaître qu'il y a interdépendance
entre l'essor de la personne et le développement de la société
elle-même. En effet, la personne humaine qui, de par sa nature même, a
absolument besoin d'une vie sociale
,
est et doit être le principe, le sujet et la fin de toutes les
institutions. La vie sociale n'est donc pas pour l'homme quelque chose
de surajouté; aussi c'est par l'échange avec autrui, par la réciprocité
des services, par le dialogue avec ses frères que l'homme grandit selon
toutes ses capacités et peut répondre à sa vocation.
§ 2 Parmi les liens
sociaux nécessaires à l'essor de l'homme, certains, comme la famille et
la communauté politique, correspondent plus immédiatement à sa nature
intime; d'autres relèvent plutôt de sa libre volonté. De nos jours, sous
l'influence de divers facteurs, les relations mutuelles et les
interdépendances ne cessent de se multiplier: d'où des associations et
des institutions variées, de droit public ou privé. Même si ce fait,
qu'on nomme socialisation, n'est pas sans danger, il comporte cependant
de nombreux avantages qui permettent d'affermir et d'accroître les
qualités de la personne, et de garantir ses droits
.
§ 3 Mais si les
personnes humaines reçoivent beaucoup de la vie sociale pour
l'accomplissement de leur vocation, même religieuse, on ne peut
cependant pas nier que les hommes, du fait des contextes sociaux dans
lesquels ils vivent et baignent dès leur enfance, se trouvent souvent
détournés du bien et portés au mal. Certes, les désordres, si souvent
rencontrés dans l'ordre social, proviennent en partie des tensions
existant au sein des structures économiques, politiques et sociales.
Mais, plus radicalement, ils proviennent de l'orgueil et de l'égoïsme
des hommes, qui pervertissent aussi le climat social. Là où l'ordre des
choses a été vicié par les suites du péché, l'homme, déjà enclin au mal
par naissance, éprouve de nouvelles incitations qui le poussent à
pécher: sans efforts acharnés, sans l'aide de la grâce, il ne saurait
les vaincre.
26 § 1 Parce que
les liens humains s'intensifient et s'étendent peu à peu à l'univers
entier, le bien commun, c'est-à-dire cet ensemble de conditions sociales
qui permettent, tant aux groupes qu'à chacun de leurs membres,
d'atteindre leur perfection d'une façon plus totale et plus aisée, prend
aujourd'hui une extension de plus en plus universelle, et par suite
recouvre des droits et des devoirs qui concernent tout le genre humain.
Tout groupe doit tenir compte des besoins et des légitimes aspirations
des autres groupes, et plus encore du bien commun de l'ensemble de la
famille humaine
.
§ 2 Mais en même
temps grandit la conscience de l'éminente dignité de la personne
humaine, supérieure à toutes choses et dont les droits et les devoirs
sont universels et inviolables. Il faut donc rendre accessible à l'homme
tout ce dont il a besoin pour mener une vie vraiment humaine, par
exemple: nourriture, vêtement, habitat, droit de choisir librement son
état de vie et fonder une famille, droit à l'éducation, au travail, à la
réputation, au respect, à une information convenable, droit d'agir selon
la droite règle de sa conscience, droit à la sauvegarde de la vie privée
et à une juste liberté, y compris en matière religieuse.
§ 3 Aussi l'ordre
social et son progrès doivent-ils toujours tourner au bien des
personnes, puisque l'ordre des choses doit être subordonné à l'ordre des
personnes et non l'inverse. Le Seigneur lui-même le suggère lorsqu'il a
dit : «Le sabbat a été fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat»
.
Cet ordre doit sans cesse se développer, avoir pour base la vérité,
s'édifier sur la justice, et être vivifié par l'amour; il doit trouver
dans la liberté un équilibre toujours plus humain
.
Pour y parvenir, il faut travailler au renouvellement des mentalités et
entreprendre de vastes transformations sociales.
§ 4 L'Esprit de Dieu
qui, par une providence admirable, conduit le cours des temps et rénove
la face de la terre, est présent à cette évolution. Quant au ferment
évangélique, c'est lui qui a suscité et suscite dans le cœur humain une
exigence incoercible de dignité.
27 § 1 Pour en
venir à des conséquences pratiques et qui présentent un caractère
d'urgence particulière, le Concile insiste sur le respect de l'homme :
que chacun considère son prochain, sans aucune exception, comme «un
autre lui-même», tienne compte avant tout de son existence et des moyens
qui lui sont nécessaires pour vivre dignement
,
et garde d'imiter ce riche qui ne prit nul souci du pauvre Lazare
.
§ 2 De nos jours
surtout, nous avons l'impérieux devoir de nous faire le prochain de
n'importe quel homme et, s'il se présente à nous, de le servir
activement: qu'il s'agisse de ce vieillard abandonné de tous, ou de ce
travailleur étranger, méprisé sans raison, ou de cet exilé, ou de cet
enfant né d'une union illégitime qui supporte injustement le poids d'une
faute qu'il n'a pas commise, ou de cet affamé qui interpelle notre
conscience en nous rappelant la parole du Seigneur : «Chaque fois que
vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi
que vous l'avez fait» (Mt 25,40).
§ 3 De plus, tout ce
qui s'oppose à la vie elle-même, comme toute espèce d'homicide, le
génocide, l'avortement, l'euthanasie et même le suicide délibéré ; tout
ce qui constitue une violation de l'intégrité de la personne humaine,
comme les mutilations, la torture physique ou morale, les contraintes
psychologiques; tout ce qui est offense à la dignité de l'homme, comme
les conditions de vie sous-humaines, les emprisonnements arbitraires,
les déportations, l'esclavage, la prostitution, le commerce des femmes
et des jeunes; ou encore les conditions de travail dégradantes qui
réduisent les travailleurs au rang de purs instruments de rapport, sans
égard pour leurs personnalité libre et responsable: toutes ces pratiques
et d'autres analogues sont, en vérité, infâmes. Tandis qu'elles
corrompent la civilisation, elles déshonorent ceux qui s'y livrent plue
encore que ceux qui les subissent et insultent gravement à l'honneur du
Créateur.
28 § 1 Le respect
et l'amour doivent aussi s'étendre à ceux qui pensent ou agissent
autrement que nous en matière sociale, politique ou religieuse.
D'ailleurs, plus nous nous efforçons de pénétrer de l'intérieur, avec
bienveillance et amour, leurs manières de voir, plus le dialogue avec
eux deviendra aisé.
§ 2 Certes, cet amour
et cette bienveillance ne doivent en aucune façon nous rendre
indifférents à l'égard de la vérité et du bien. Mieux, c'est l'amour
même qui pousse les disciples du Christ( à annoncer à tous les hommes la
vérité qui sauve. Mais on doit distinguer entre l'erreur, toujours à
rejeter, et celui qui se trompe, qui garde toujours sa dignité de
personne, même s'il se fourvoie dans des notions fausses ou
insuffisantes en matière religieuse
.
Dieu seul juge et scrute les cœurs ; il nous interdit donc de juger de
la culpabilité interne de quiconque
.
§ 3 L'enseignement du
Christ va jusqu'à requérir le pardon des offenses
et étend le commandement de l'amour, qui est celui de la loi nouvelle, à
tous nos ennemis :«Vous avez appris qu'il a été dit: tu aimeras ton
prochain, tu haïras ton ennemi. Mais moi je vous dis: aimez vos ennemis,
faites du bien à ceux qui vous haïssent et priez pour ceux qui vous
persécutent et vous calomnient». (Mt 5,43-44).
29 § 1 Tous les
hommes, doués d'une âme raisonnable et créés à l'image de Dieu, ont même
nature et même origine; tous, rachetés par le Christ, jouissent d'une
même vocation et d'une même destinée divine : on doit donc, et toujours
davantage, reconnaître leur égalité fondamentale.
§ 2 Assurément, tous
les hommes ne sont pas égaux quant à leur capacité physique qui est
variée, ni quant à leurs forces intellectuelles et morales qui sont
diverses. Mais toute forme de discrimination touchant les droits
fondamentaux de la personne, qu'elle soit sociale ou culturelle, qu'elle
soit fondée sur le sexe, la race, la couleur de la peau, la condition
sociale, la langue ou la religion, doit être dépassée et éliminée, comme
contraire au dessein de Dieu. En vérité, il est affligeant de constater
que ces droits fondamentaux de la personne ne sont pas encore partout
garantis. Il en est ainsi lorsque la femme est frustrée de la faculté de
choisir librement son époux ou d'élire son état de vie, ou d'accéder à
une éducation et une culture semblables à celles que l'on reconnaît à
l'homme.
§ 3 Au surplus, en
dépit de légitimes différences entre les hommes, l'égale dignité des
personnes exige que l'on parvienne à des conditions de vie justes et
plus humaines. En effet, les inégalités économiques et sociales
excessives entre les membres ou entre les peuples d'une seule famille
humaine font scandale et font obstacle à la justice sociale, à l'équité,
à la dignité de la personne humaine ainsi qu'à la paix sociale et
internationale.
§ 4 Que les
institutions privées ou publiques s'efforcent de se mettre au service de
la dignité et de la destinée humaines. Qu'en même temps elles luttent
activement contre toute forme d'esclavage, social ou politique; et
qu'elles garantissent les droits fondamentaux des hommes sous tout
régime politique. Et même s'il faut un temps passablement long pour
parvenir au but souhaité, toutes ces institutions humaines doivent peu à
peu répondre aux réalités spirituelles qui, de toutes, sont les plus
hautes.
30 § 1 L'ampleur
et la rapidité des transformations réclament d'une manière pressante que
personne, par inattention à l'évolution des choses ou par inertie, ne se
contente d'une éthique individualiste. Lorsque chacun, contribuant au
bien commun selon ses capacités propres et en tenant compte des besoins
d'autrui, se préoccupe aussi, et effectivement, de l'essor des
institutions publiques ou privées qui servent à améliorer les conditions
de vie humaines, c'est alors et de plus en plus qu'il accomplit son
devoir de justice et de charité. Or il y a des gens qui, tout en
professant des idées larges et généreuses, continuent à vivre en
pratique comme s'ils n'avaient cure des solidarités sociales. Bien plus,
dans certains pays, beaucoup font peu de cas des lois et des
prescriptions sociales. Un grand nombre ne craignent pas de se
soustraire, par divers subterfuges et fraudes, aux justes impôts et aux
autres aspects de la dette sociales. D'autres négligent certaines règles
de la vie en société, comme celles qui ont trait à la sauvegarde de la
santé ou à la conduite des véhicules, sans même se rendre compte que,
par une telle insouciance, ils mettent en danger leur propre vie et
celle d'autrui.
§ 2 Que tous prennent
très à cœur de compter les solidarités sociales parmi les principaux
devoirs de l'homme d'aujourd'hui, et de les respecter. En effet, plus le
monde s'unifie et plus il est manifeste que les obligations de l'homme
dépassent les groupes particuliers pour s'étendre peu à peu à l'univers
entier. Ce qui ne peut se faire que si les individus et les groupes
cultivent en eux les valeurs morales et sociales et les répandent autour
d'eaux. Alors, avec le nécessaire secours de la grâce divine, surgiront
des hommes vraiment nouveaux, artisans de l'humanité nouvelle.
31 § 1 Pour que
chacun soit mieux armé pour faire face à ses responsabilités, tant
envers lui-même qu'envers les différents groupes dont il fait partie, on
aura soin d'assurer un plus large développement culturel, en utilisant
les moyens considérables dont le genre humain dispose aujourd'hui. Avant
tout, l'éducation des jeunes, quelle que soit leur origine sociale, doit
être ordonnée de telle façon qu'elle puisse susciter des hommes et des
femmes qui ne soient pas seulement cultivés, mais qui aient aussi une
forte personnalité, car notre temps en a le plus grand besoin.
§ 2 Mais l'homme
parvient très difficilement à un tel sens de la responsabilité si les
conditions de vie ne lui permettent pas de prendre conscience de sa
dignité et de répondre à sa vocation en se dépensant au service de Dieu
et de ses semblables. Car souvent la liberté humaine s'étiole lorsque
l'homme dans un état d'extrême indigence, comme elle se dégrade lorsque,
se laissant aller à une vie de trop grande facilité, il s'enferme en
lui-même comme dans une tour d'ivoire. Elle se fortifie en revanche
lorsque l'homme accepte les inévitables contraintes de la vie sociale,
assume les exigences multiples de la solidarité humaine et s'engage au
service de la communauté des hommes.
§ 3 Aussi faut-il
stimuler chez tous la volonté de prendre part aux entreprises communes.
Et il faut louer la façon d'agir des nations où, dans une authentique
liberté, le plus grand nombre possible de citoyens participe aux
affaires publiques. Il faut toutefois tenir compte des conditions
concrètes de chaque peuple et de la nécessaire fermeté des pouvoirs
publics. Mais pour que tous les citoyens soient poussés à participer à
la vie des différents groupes qui constituent le corps social, il faut
qu'ils trouvent en ceux-ci des valeurs qui les attirent et qui les
disposent à se mettre u service de leurs semblables. On peut
légitimement penser que l'avenir est entre les mains de ceux qui auront
su donner aux générations de demain des raisons de vivre et d'espérer.
32 § 1 De même que
Dieu a créé les hommes non pour vivre en solitaires, mais pour qu'ils
s'unissent en société, de même il lui a plu aussi «de sanctifier et de
sauver les hommes non pas isolément, hors de tout lien mutuel ; il a
voulu au contraire en faire un peuple qui le connaîtrait selon la vérité
et le servirait dans la sainteté»
.
Aussi, dès le début de l'histoire du salut, a-t-il choisi des hommes non
seulement à titre individuel, mais en tant que membres d'une communauté.
Et ces élus, Dieu leur a manifesté son dessein et les a appelés «son
peuple» (Ex 3,7-12). C'est avec ce peuple qu'il a, en outre,
conclu l'Alliance du Sinaï
.
§ 2 Ce caractère
communautaire se parfait et s'achève dans l’œuvre de Jésus-Christ. Car
le Verbe incarné en personne a voulu entrer dans le jeu de cette
solidarité. Il a prit part aux noces de Cana, il s'est invité chez
Zachée, il a mangé avec les publicains et les pécheurs. C'est en
évoquant les réalités les plus ordinaires de la vie sociale, en se
servant des mots et des images de l'existence la plus quotidienne, qu'il
a révélé aux hommes l'amour du Père et la magnificence de leur vocation.
Il a sanctifié les liens humains, notamment soumis aux lois de sa
patrie. Il a voulu mener la vie même d'un artisan de son temps et de sa
région.
§ 3 Dans sa
prédication, il a clairement affirmé que des fils de Dieu ont
l'obligation de se comporter entre eux comme des frères. Dans sa prière,
il a demandé que tous ses disciples soient «un». Bien plus, lui-même
s'est offert pour tous jusqu'à la mort, lui, le rédempteur de tous. «Il
n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis» (Jn 15,13).
Quant à ses apôtres, il leur a ordonné d'annoncer à toutes les nations
le message évangélique, pour faire du genre humain la famille de Dieu,
dans laquelle la plénitude de la loi serait l'amour.
§ 4 Premier-né parmi
beaucoup de frères, après sa mort et sa résurrection, par le don de son
Esprit il a institué, entre tous ceux qui l'accueillent par la foi et la
charité, une nouvelle communion fraternelle: elle se réalise en son
propre Corps, qui est l'Église. En ce Corps, tous, membres les uns des
autres, doivent s'entraider mutuellement, selon la diversité des dons
reçus.
§ 5 Cette solidarité
devra sans cesse croître, jusqu'au jour où elle trouvera son
couronnement: ce jour-là, les hommes, sauvés par la grâce, famille
bien-aimée de Dieu et du Christ leur frère, rendront à Dieu une gloire
parfaite.
33 § 1 Par son
travail et son génie, l'homme s'est toujours efforcé de donner un plus
large développement à sa vie. Mais aujourd'hui, aidé par la science et
la technique, il a étendu sa maîtrise sur presque toute la nature, et il
ne cesse de l'étendre ; et, grâce notamment à la multiplication des
moyens d'échange de toutes sortes entre les nations, la famille humaine
se reconnaît et se constitue peu à peu comme une communauté une au sein
de l'univers. Il en résulte que l'homme se procure désormais par sa
propre industrie de nombreux biens qu'il attendait autrefois avant tout
de forces supérieures.
§ 2 Devant cette
immense entreprise, qui gagne déjà tout le genre humain, de nombreuses
interrogations s'élèvent parmi les hommes : quels sont le sens et la
valeur de cette laborieuse activité ? Quel usage faire de toutes ces
richesses ? Quelle est la fin de ces efforts, individuels et collectifs
? L'Église, gardienne du dépôt de la parole divine, où elle puise les
principes de l'ordre religieux et moral, n'a pas toujours, pour autant,
une réponse immédiate à chacune de ces questions; elle désire toutefois
joindre la lumière de la Révélation à l'expérience de tous, pour
éclairer le chemin où l'humanité vient de s'engager.
34 Pour les
croyants, une chose est certaine: considérée en elle-même, l'activité
humaine, individuelle et collective, ce gigantesque effort par lequel
les hommes, tout au long des siècles, s'acharnent à améliorer leurs
conditions de vie, correspond au dessein de Dieu. L'homme, créé à
l'image de Dieu, a en effet reçu la mission de soumettre la terre et
tout ce qu'elle contient, de gouverner le cosmos en sainteté et justice
et, en reconnaissant Dieu comme Créateur de toutes choses, de lui
référer son être ainsi que l'univers: en sorte que, tout étant soumis à
l'homme, le nom même de Dieu soit glorifié par toute la terre
.
§ 2 Cet enseignement
vaut aussi pour les activités les plus quotidiennes. Car ces hommes et
ces femmes qui, tout en gagnant leur vie et celle de leur famille,
mènent leurs activités de manière à bien servir la société, sont fondés
à voir dans leur travail un prolongement de l’œuvre du Créateur, un
service de leurs frères, un apport personnel à la réalisation du plan
providentiel dans l'histoire
.
§ 3 Loin d'opposer
les conquêtes du génie et du courage de l'homme à la puissance de Dieu
et de considérer la créature raisonnable comme une sorte de rivale du
Créateur, les chrétiens sont au contraire bien persuadés que les
victoires du genre humain sont un signe de la grandeur divine et une
conséquence de son dessein ineffable. Mais plus grandit le pouvoir de
l'homme, plus s'élargit le champ de ses responsabilités, personnelles et
communautaires. On voit par là que le message chrétien ne détourne pas
les hommes de la construction du monde et ne les incite pas à se
désintéresser du sort de leurs semblables: il leur en fait au contraire
un devoir plus pressant
.
35 De même qu'elle
procède de l'homme, l'activité humaine lui est ordonnée. De fait, par
son action, l'homme ne transforme pas seulement les choses et la
société, il se parfait lui-même. Il apprend bien des choses, il
développe ses facultés, il sort de lui-même et se dépasse. Cet essor,
bien conduit, est d'un tout autre prix que l'accumulation possible de
richesses extérieures. L'homme vaut plus par ce qu'il est que par ce
qu'il a
.
De même, tout ce que font les hommes pour faire régner plus de justice,
une fraternité plus étendue, un ordre plus humain dans les rapports
sociaux, dépasse en valeur les progrès techniques. Car ceux-ci peuvent
bien fournir la base matérielle de la promotion humaine, mais ils sont
tout à fait impuissants, par eux seuls, à la réaliser.
§ 2 Voici donc la
règle de l'activité humaine: qu'elle soit conforme au bien authentique
de l'humanité, selon le dessein et la volonté de Dieu, et qu'elle
permette à l'homme, considéré comme individu ou comme membre de la
société, de s'épanouir selon la plénitude de sa vocation.
36 § 1Pourtant, un
grand nombre de nos contemporains semblent redouter un lien étroit entre
l'activité concrète et la religion : ils y voient un danger pour
l'autonomie des hommes, des sociétés et des sciences.
§ 2 Si, par autonomie
des réalités terrestres, on veut dire que les choses créées et les
sociétés elles-mêmes ont leurs lois et leurs valeurs propres, que
l'homme doit peu à peu apprendre à connaître, à utiliser et à organiser,
une telle exigence d'autonomie est pleinement légitime : non seulement
elle est revendiquée par les hommes de notre temps, mais elle correspond
à la volonté du Créateur. C'est en vertu de la création même que toutes
choses sont établies selon leur ordonnance et leurs lois et leurs
valeurs propres, que l'homme doit peu à peu apprendre à connaître, à
utiliser et à organiser, une telle exigence d'autonomie est pleinement
légitime: non seulement elle est revendiquée par les hommes de notre
temps, mais elle correspond à la volonté du Créateur. C'est en vertu de
la création même que toutes choses sont établies selon leur consistance,
leur vérité et leur excellence propres, avec leur ordonnance et leurs
lois spécifiques. L'homme doit respecter tout cela et reconnaître les
méthodes particulières à chacune des sciences et techniques. C'est
pourquoi la recherche méthodique, dans tous les domaines du savoir, si
elle est menée d'une manière vraiment scientifique et si elle suit les
normes de la morale, ne sera jamais réellement opposée à la foi : les
réalités profanes et celles de la foi trouvent leur origine dans le même
Dieu
.
Bien plus, celui qui s'efforce, avec persévérance et humilité, de
pénétrer les secrets des choses, celui-là, même s'il n'en a pas
conscience, est comme conduit par la main de Dieu, qui soutient tous les
êtres et les fait ce qu'ils sont. A ce propos, qu'on nous permette de
déplorer certaines attitudes qui ont existé parmi les chrétiens
eux-mêmes, insuffisamment avertis de la légitime autonomie de la
science. Sources de tensions et de conflits, elles ont conduit beaucoup
d'esprits jusqu'à penser que science et foi s'opposaient
.
§ 3 Mais si, par
«autonomie du temporel», on veut dire que les choses créées ne dépendent
pas de Dieu et que l'homme peut en disposer sans référence au Créateur,
la fausseté de tels propos ne peut échapper à quiconque reconnaît Dieu.
En effet, la créature sans Créateur s'évanouit. Du reste, tous les
croyants, à quelque religion qu'ils appartiennent, ont toujours entendu
la voix de Dieu et sa manifestation, dans le langage des créatures. Et
même, l'oubli de Dieu rend opaque la créature elle-même.
37 § 1 En accord
avec l'expérience des siècles, l’Écriture enseigne à la famille humaine
que le progrès, grand bien pour l'homme, entraîne aussi avec lui une
sérieuse tentation. En effet, lorsque la hiérarchie des valeurs est
troublée et que le mal et le bien s'entremêlent, les individus et
groupes ne regardent plus que leurs intérêts propres et non ceux des
autres. Aussi le monde ne se présente pas encore comme le lieu d'une
réelle fraternité, tandis que le pouvoir accru de l'homme menace de
détruirez le genre humain lui-même.
§ 2 Un dur combat
contre les puissances des ténèbres passe à travers toute l'histoire des
hommes; commencé dès les origines, il durera, le Seigneur nous l'a dit
jusqu'au dernier jour. Engagé dans cette bataille, l'homme doit sans
cesse combattre pour s'attacher au bien; et ce n'est qu'au prix de
grands efforts, avec la grâce de Dieu, qu'il parvient à réaliser son
unité intérieure.
§ 3 C'est pourquoi
l'Église du Christ reconnaît, certes, que le progrès humain peut servir
au bonheur véritable des hommes, et elle fait ainsi confiance au dessein
du Créateur; mais elle ne peut pas cependant ne pas faire écho à la
parole de l'Apôtre : «Ne vous modelez pas sur le monde présent» (Rm 12,2),
c'est-à-dire sur cet esprit de vanité et de malice qui change l'activité
humaine, ordonnée au service de Dieu et de l'homme, en instrument de
péché.
§ 4 A qui demande
comment une telle misère peut être surmontée, les chrétiens confessent
que toutes les activités humaines, quotidiennement déviées par l'orgueil
de l'homme et l'amour désordonné de soi, ont besoin d'être purifiées et
amenées à leur perfection par la croix et la résurrection du Christ.
Racheté par le Christ et devenu une nouvelle créature dans
l'Esprit-Saint, l'homme peut et doit, en effet, aimer ces choses que
Dieu lui-même a créées. Car c'est de Dieu qu'il les reçoit : il les voit
comme jaillissant de sa main et les respecte. Pour elles, il remercie
son divin bienfaiteur, il en use et il en jouit dans un esprit de
pauvreté et de liberté; il est alors introduit dans la possession
véritable du monde, comme quelqu'un qui n'a rien et qui possède tout
.
«Car tout est à vous, mais vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu»
(1Co 3,22-23).
38 § 1 Le Verbe de
Dieu, par qui tout a été fait, s'est lui-même fait chair et est venu
habiter la terre des hommes
.
Homme parfait, il est entré dans l'histoire du monde, l'assumant et la
récapitulant en lui
.
C'est lui qui nous révèle que «Dieu est charité» (1Jn 4,8) et qui
nous enseigne en même temps que la loi fondamentale de la perfection
humaine, et donc de la transformation du monde, est le commandement
nouveau de l'amour. A ceux qui croient à la divine charité, il apporte
ainsi la certitude que la voie de l'amour est ouverte à tous les hommes
et que l'effort qui tend à instaurer une fraternité universelle n'est
pas vain. Il nous avertit aussi que cette charité ne doit pas seulement
s'exercer dans des actions d'éclat, mais, et avant tout, dans le
quotidien de la vie. En acceptant de mourir pour nous tous, pécheurs
,
il nous apprend, par son exemple, que nous devons aussi porter cette
croix que la chair et le monde font peser sur les épaules de ceux qui
poursuivent la justice et la paix. Constitué Seigneur par sa
résurrection, le Christ à qui tout pouvoir a été donné, au ciel et sur
la terre
agit désormais dans le cœur des hommes par la puissance de son Esprit;
il anime aussi, purifie et fortifie ces aspirations généreuses qui
poussent la famille humaine à améliorer ses conditions de vie et à
soumettre à cette fin la terre entière. Assurément les dons de l'Esprit
sont divers : tandis qu'il appelle certains à témoigner ouvertement du
désir de la demeure céleste et à garder vivant ce témoignage dans la
famille humaine, il appelle les autres à se vouer au service terrestre
des hommes, préparant par ce ministère la matière du royaume des cieux.
Mais de tous il fait des hommes libres pour que, renonçant à
l'amour-propre et rassemblant toutes les énergies terrestres pour la vie
humaine, ils s'élancent vers l'avenir, vers ce temps où l'humanité
elle-même deviendra une offrande agréable à Dieu
.
§ 2 Le Seigneur a
laissé aux siens les arrhes de cette espérance et un aliment pour la
route: le sacrement de la foi, dans lequel des éléments de la nature,
cultivés par l'homme, sont changés en son Corps et en son Sang glorieux.
C'est le repas de la communion fraternelle, une anticipation du banquet
céleste.
39 § 1 Nous
ignorons le temps de l'achèvement de la terre et de l'humanité
,
nous ne connaissons pas le mode de transformation du cosmos. Elle passe,
certes, la figure de ce monde déformée par le péché
;
mais, nous l'avons appris, Dieu nous prépare une nouvelle terre où
régnera la justice
et dont la béatitude comblera et dépassera tous les désirs de paix qui
montent au cœur de l'homme
.
Alors, la mort vaincue, les fils de Dieu ressusciteront dans le Christ,
et ce qui fut semé dans la faiblesse et la corruption revêtira
l'incorruptibilité
.
La charité et ses œuvres demeureront
et toute cette création que Dieu a faite pour l'homme sera délivrée de
l'esclavage de la vanité
.
§ 2 Certes, nous
savons bien qu'il ne sert à rien à l'homme de gagner l'univers s'il
vient à se perdre lui-même
,
mais l'attente de la nouvelle terre, loin d'affaiblir en nous le souci
de cultiver cette terre, doit plutôt le réveiller: le corps de la
nouvelle famille humaine y grandit, qui offre déjà quelque ébauche du
siècle à venir. C'est pourquoi, s'il faut soigneusement distinguer le
progrès terrestre de la croissance du règne du Christ, ce progrès a
cependant beaucoup d'importance pour le royaume de Dieu, dans la mesure
où il peut contribuer à une meilleure organisation de la société humaine
.
§ 3 Car ces valeurs
de dignité, de communion fraternelle et de liberté, tous ces fruits de
notre nature et de notre industrie, que nous aurons propagés sur terre
selon le commandement du Seigneur et dans son Esprit, nous les
retrouverons plus tard, mais purifiés de toute souillure, illuminés,
transfigurés, lorsque le Christ remettra à son Père «un royaume éternel
et universel: royaume de vérité et de vie, royaume de sainteté et de
grâce, royaume de justice, d'amour et de paix»
.
Mystérieusement, le royaume est déjà présent sur cette terre; il
atteindra sa perfection quand le Seigneur reviendra.
40 § 1 Tout ce que
nous avons dit sur la dignité de la personne humaine, sur la communauté
des hommes, sur le sens profond de l'activité humaine, constitue le
fondement du rapport qui existe entre l'Église et le monde, et la base
de leur dialogue mutuel
.
C'est pourquoi, en supposant acquis tout l'enseignement déjà fixé par le
Concile sur le mystère de l'Église, ce chapitre va maintenant traiter de
cette même Église en tant qu'elle est dans ce monde et qu'elle vit et
agit avec lui.
§ 2 Née de l'amour du
Père éternel
,
fondée dans le temps par le Christ rédempteur, rassemblée dans
l'Esprit-Saint
,
l'Église poursuit une fin salvifique et eschatologique qui ne peut être
pleinement atteinte que dans le siècle à venir. Mais, dès maintenant
présente sur cette terre, elle se compose d'hommes, de membres de la
cité terrestre, qui ont vocation de former, au sein même de l'histoire
humaine, la famille des enfants de Dieu, qui doit croître sans cesse
jusqu'à la venue du Seigneur. Unie en vue des biens célestes, riche de
ces biens, cette famille «a été constituée et organisée en ce monde
comme une société»
par le Christ, et elle a été dotée «de moyens capables d'assurer son
union visible et sociale»
.
A la fois «assemblée visible et communauté spirituelle»
,
l'Église fait ainsi route avec toute l'humanité et partage le sort
terrestre du monde; elle est comme le ferment et, pour ainsi dire, l'âme
de la société humaine
appelée à être renouvelée dans le Christ et transformée en famille de
Dieu.
§ 3 A vrai dire,
cette compénétration de la cité terrestre et de la cité céleste ne peut
être perçue que par la foi; bien plus, elle demeure le mystère de
l'histoire humaine qui, jusqu'à la pleine révélation de la gloire des
fils de Dieu, sera troublée par le péché. Mais l'Église, en poursuivant
la fin salvifique qui lui est propre, ne communique pas seulement à
l'homme la vie divine; elle répand aussi, et d'une certaine façon sur le
monde entier, la lumière que cette vie divine irradie, notamment en
guérissant et en élevant la dignité de la personne humaine, en
affermissant la cohésion de la société et en procurant à l'activité
quotidienne des hommes un sens plus profond, la pénétrant d'une
signification plus haute. Ainsi, par chacun de ses membres comme par
toute la communauté qu'elle forme, l'Église croit pouvoir largement
contribuer à humaniser toujours plus la famille des hommes et son
histoire.
§ 4 En outre,
l'Église catholique fait grand cas de la contribution que les autres
Églises chrétiennes ou communautés ecclésiales ont apportée et
continuent d'apporter à la réalisation de ce même but; et elle s'en
réjouit. En même temps, elle est fermement convaincue que, pour préparer
les voies à l’Évangile, le monde peut lui apporter une aide précieuse et
diverse par les qualités et l'activité des individus ou des sociétés qui
le composent. Voici quelques principes généraux concernant le bon
développement des échanges entre l'Église et le monde et de leur aide
mutuelle dans les domaines qui leur sont en quelque sorte communs.
41 § 1 L'homme
moderne est en marche vers un développement plus complet de sa
personnalité, vers une découverte et une affirmation toujours
croissantes de ses droits. L'Église, pour sa part, qui a reçu la mission
de manifester le mystère de Dieu, de ce Dieu qui a reçu la mission de
manifester le mystère de Dieu, de ce Dieu qui est la fin ultime de
l'homme, révèle en même temps à l'homme le sens de sa propre existence,
c'est-à-dire sa vérité essentielle. L'Église sait parfaitement que Dieu
seul, dont elle est la servante, répond aux plus profonds désirs du cœur
humain que jamais ne rassasient pleinement les nourritures terrestres.
Elle sait aussi que l'homme, sans cesse sollicité par l'Esprit de Dieu,
ne sera jamais tout à fait indifférent au problème religieux, comme le
prouvent non seulement l'expérience des siècles passés, mais de
multiples témoignages de notre temps. L'homme voudra toujours connaître,
ne serait-ce que confusément, la signification de sa vie, de ses
activités et de sa mort. Ces problèmes, la présence même de l'Église les
lui rappelle. Or Dieu seul, qui a créé l'homme à son image et l'a
racheté du péché, peut répondre à ces questions en plénitude. Il le fait
par la révélation dans son Fils, qui s'est fait homme. Quiconque suit le
Christ, homme parfait, devient lui-même plus homme.
§ 2 Appuyée sur cette
foi, l'Église peut soustraire la dignité de la nature humaine à toutes
les fluctuations des opinions qui, par exemple, rabaissent exagérément
le corps humain, ou au contraire l'exaltent sans mesure. Aucune loi
humaine ne peut assurer la dignité personnelle et la liberté de l'homme
comme le fait l’Évangile du Christ, confié à l'Église. Cet Évangile
annonce et proclame la liberté des enfants de Dieu, rejette tout
esclavage qui en fin de compte provient du péché
,
respecte scrupuleusement la dignité de la conscience et son libre choix,
enseigne sans relâche à faire fructifier tous les talents humains au
service de Dieu et pour le bien des hommes, enfin confie chacun à
l'amour de tous
.
Tout cela correspond à la loi fondamentale de l'économie chrétienne.
Car, si le même Dieu est à la fois Créateur et Sauveur, Seigneur et de
l'histoire humaine et de l'histoire du salut, cet ordre divin lui-même,
loin de supprimer la juste autonomie de la créature, et en particulier
de l'homme, la rétablit et la confirme au contraire dans sa dignité.
§ 3 C'est pourquoi
l'Église, en vertu de l’Évangile qui lui a été confiée, proclame les
droits des hommes, reconnaît et tient en grande estime le dynamisme de
notre temps qui, partout, donne un nouvel élan à ces droits. Ce
mouvement toutefois doit être imprégné de l'esprit de l’Évangile et
garanti contre toute idée de fausse autonomie. Nous sommes, en effet,
exposés à la tentation d'estimer que nos droits personnels ne sont
pleinement maintenus que lorsque nous sommes dégagés de toute norme de
la loi divine. Mais, en suivant cette voie, la dignité humaine, loin
d'être sauvée, s'évanouit.
42 § 1 L'union de
la famille humaine trouve une grande vigueur et son achèvement dans
l'unité de la famille des fils de Dieu, fondée dans le Christ
.
§ 2 Certes, la
mission propre que le Christ a confiée à son Église n'est ni d'ordre
politique, ni d'ordre économique ou social: le but qu'il lui a assigné
est d'ordre religieux
.
Mais, précisément, de cette mission religieuse découlent une fonction,
des lumières et des forces qui peuvent servir à constituer et à affermir
la communauté des hommes selon la loi divine. De même, lorsqu'il le faut
et compte tenu des circonstances de temps et de lieu, l'Église peut
elle-même, et elle le doit, susciter des œuvres destinées au service de
tous, notamment des indigents, comme les œuvres charitables et autres du
même genre.
§ 3 L'Église
reconnaît aussi tout ce qui est bon dans le dynamisme social
d'aujourd'hui, en particulier le mouvement vers l'unité, les progrès
d'une saine socialisation et de la solidarité au plan civique et
économique. En effet, promouvoir l'unité s'harmonise avec la mission
profonde de l'Église, puisqu'elle est «dans le Christ, comme le
sacrement, c'est-à-dire à la fois le signe et le moyen du l'union intime
avec Dieu, et de l'unité de tout le genre humain»
.
Sa propre réalité manifeste ainsi au monde qu'une véritable union
sociale visible découle de l'union des esprits et des cœurs, à savoir de
cette foi et de cette charité, sur lesquelles, dans l'Esprit-Saint, son
unité est indissolublement fondée. Car l'énergie que l'Église est
capable d'insuffler à la société moderne se trouve dans cette foi et
dans cette charité effectivement vécues et ne s'appuie pas sur une
souveraineté extérieure qui s'exercerait par des moyens purement
humains.
§ 4 Comme de plus, de
par sa mission et sa nature, l'Église n'est liée à aucune forme
particulière de culture, ni à aucun système politique, économique ou
social, par cette universalité même, l'Église peut être un lien très
étroit entre les différentes communautés humaines et entre les
différentes nations, pourvu qu'elles lui fassent confiance et lui
reconnaissent en fait une authentique liberté pour l'accomplissement de
sa mission. C'est pourquoi l'Église avertit ses fils, et même tous les
hommes, qu'il leur faut dépasser, dans cet esprit de la famille des
enfants de Dieu, toutes les dissensions entre nations et entre races et
consolider de l'intérieur les légitimes associations humaines.
§ 5 Tout ce qu'il y a
de vrai, de bon, de juste, dans les institutions très variées que s'est
données et que continue à se donner le genre humain, le Concile le
considère donc avec un grand respect. Il déclare aussi que l'Église veut
aider et promouvoir toutes ces institutions, pour autant qu'il dépend
d'elle, et que cette tâche est compatible avec sa mission. Ce qu'elle
désire par-dessus tout, c'est de pouvoir se développer librement, à
l'avantage de tous, sous tout régime qui reconnaît les droits
fondamentaux de la personne, de la famille, et les impératifs du bien
commun.
43 Le Concile
exhorte les chrétiens, citoyens de l'une et de l'autre cité, à remplir
avec zèle et fidélité leurs tâches terrestres, en se laissant conduire
par l'esprit de l’Évangile. Ils s'éloignent de la vérité ceux qui,
sachant que nous n'avons point ici-bas de cité permanente, mais que nous
marchons vers la cité future
croient pouvoir, pour cela, négliger leurs tâches humaines, sans
s'apercevoir que la foi même, compte tenu de la vocation de chacun, leur
en fait un devoir plus pressant
.
Mais ils ne se trompent pas moins ceux qui, à l'inverse, croient pouvoir
se livrer entièrement à des activités terrestres en agissant comme si
elles étaient tout à fait étrangères à leur vie religieuse - celle-ci se
limitant alors pour eux à l'exercice du culte et à quelques obligations
morales déterminées. Ce divorce entre la foi dont ils se réclament et le
comportement quotidien d'un grand nombre est à compter parmi les plus
graves erreurs de notre temps. Ce scandale, déjà dans l'Ancien Testament
les prophètes le dénonçaient avec véhémence
et, dans le Nouveau Testament avec plus de force, Jésus-Christ lui-même
le menaçait de graves châtiments
.
Que l'on ne crée donc pas d'opposition artificielle entre les activités
professionnelles et sociales d'une part, la vie religieuse d'autre part.
En manquant à ses obligations terrestres, le chrétien manque à ses
obligations envers le prochain, bien lus, envers Dieu lui-même, et il
met en danger son salut éternel. A l'exemple du Christ qui mena la vie
d'un artisan, que les chrétiens se réjouissent plutôt de pouvoir mener
toutes leurs activités terrestres en unissant dans une synthèse vitale
tous les efforts humains, familiaux, professionnels, scientifiques,
techniques, avec les valeurs religieuses, sous la souveraine ordonnance
desquelles tout se trouve coordonné à la gloire de Dieu.
§ 2 Aux laïcs
reviennent en propre, quoique non exclusivement, les professions et les
activités séculières. Lorsqu'ils agissent, soit individuellement, soit
collectivement, comme citoyens du monde, ils auront donc à cœur, non
seulement de respecter les lois propres à chaque discipline, mais d'y
acquérir une véritable compétence. Ils aimeront collaborer avec ceux qui
poursuivent les mêmes objectifs qu'eux. Conscients des exigences de leur
foi et nourris de sa force, qu'ils n'hésitent pas, au moment opportun, à
prendre de nouvelles initiatives et à en assurer la réalisation. C'est à
leur conscience, préalablement formée, qu'il revient d'inscrire la loi
divine dans la cité terrestre. Qu'ils attendent des prêtres lumières et
forces spirituelles. Qu'ils ne pensent pas pour autant que leurs
pasteurs aient une compétence telle qu'ils puissent leur fournir une
solution concrète et immédiate à tout problème, même grave, qui se
présente à eux, ou que telle soit leur mission. Mais plutôt, éclairés
par la sagesse chrétienne, en prêtant fidèlement attention à
l'enseignement du magistère
,
qu'ils prennent eux-mêmes leurs responsabilités.
§ 3 Fréquemment,
c'est leur vision chrétienne des choses qui les inclinera à telle ou
telle solution, selon les circonstances. Mais d'autres fidèles, avec une
égale sincérité, pourront en juger autrement, comme il advient souvent
et à bon droit. S'il arrive que beaucoup lient facilement, même contre
la volonté des intéressés, les options des uns ou des autres avec le
message évangélique, on se souviendra en pareil cas que personne n'a le
droit de revendiquer d'une manière exclusive pour son opinion l'autorité
de l'Église. Que toujours, dans un dialogue sincère, ils cherchent à
s'éclairer mutuellement, qu'ils gardent entre eux la charité et qu'ils
aient avant tout le souci du bien commun.
§ 4 Les laïcs, qui
doivent activement participer à la vie totale de l'Église, ne doivent
pas seulement s'en tenir à l'animation chrétienne du monde, mais ils
sont aussi appelés à être, en toute circonstances et au cœur même de la
communauté humaine, les témoins du Christ.
§ 5 Quant aux
évêques, qui ont reçu la charge de diriger l'Église de Dieu, qu'ils
prêchent avec leurs prêtres le message du Christ de telle façon que
toutes les activités terrestres des fidèles puissent être baignées de la
lumière de l’Évangile. En outre, que tous les pasteurs se souviennent
que, par leur comportement quotidien et leur sollicitude
,
ils manifestent au monde un visage de l'Église d'après lequel les hommes
jugent de la force et de la vérité du message chrétien. Par leur vie et
par leur parole, unis aux religieux et à leurs fidèles, qu'ils fassent
ainsi la preuve que l'Église, par sa seule présence, avec tous les dons
qu'elle apporte, est une source inépuisable de ces énergies dont le
monde d'aujourd'hui a le plus grand besoin. Qu'ils se mettent assidûment
à l'étude, pour être capables d'assumer leurs responsabilités dans le
dialogue avec le monde et avec des hommes de toute opinion. Mais
surtout, qu'ils gardent dans leur cœur ces paroles du Concile : «Parce
que le genre humain, aujourd'hui de plus en plus, tend à l'unité civile,
économique et sociale, il est d'autant plus nécessaire que les prêtres,
unissant leurs préoccupations et leurs moyens sous la conduite des
évêques et du Souverain Pontife, écartent tout motif de dispersion pour
amener l'humanité entière à l'unité de la famille de Dieu»
.
§ 6 Bien que
l'Église, par la vertu de l'Esprit-Saint, soit restée l'épouse fidèle de
son Seigneur et n'ait jamais cessé d'être dans le monde le signe du
salut, elle sait fort bien toutefois que, au cours de sa longue
histoire, parmi ses membres
,
clercs et laïcs, il n'en manque pas qui se sont montrés infidèles à
l'Esprit de Dieu. De nos jours aussi, l'Église n'ignore pas quelle
distance sépare le message qu'elle révèle et la faiblesse humaine de
ceux auxquels cet Évangile est confié. Quel que soit le jugement de
l'histoire sur ces défaillances, nous devons en être conscients et les
combattre avec vigueur afin qu'elles ne nuisent pas à la diffusion de
l’Évangile. Pour développer ses rapports avec le monde, l'Église sait
également combien elle doit continuellement apprendre de l'expérience
des siècles. Guidée par l'Esprit-Saint, l'Église, notre Mère, ne cesse
«d'exhorter ses fils à se purifier et à se renouveler, pour que le signe
du Christ brille avec plus d'éclat sur le visage de l'Église»
.
44 § 1 De même
qu'il importe au monde de reconnaître l'Église comme une réalité sociale
de l'histoire et comme son ferment, de même l'Église n'ignore pas tout
ce qu'elle a reçu de l'histoire et de l'évolution du genre humain.
§ 2 L'expérience des
siècles passés, le progrès des sciences, les richesses cachées dans les
diverses cultures, qui permettent de mieux connaître l'homme lui-même et
ouvrent de nouvelles voies à la vérité, sont également utiles à
l'Église. En effet, dès les débuts de son histoire, elle a appris à
exprimer le message du Christ en se servant des concepts et des langues
des divers peuples et, de plus, elle s'est efforcée de le mettre en
valeur par la sagesse des philosophes: ceci afin d'adapter l’Évangile,
dans les limites convenables, et à la compréhension de tous et aux
exigences des sages. A vrai dire, cette manière appropriée de proclamer
la parole révélée doit demeurer la loi de toute évangélisation. C'est de
cette façon, en effet, que l'on peut susciter en toute nation la
possibilité d'exprimer le message chrétien selon le mode qui lui
convient, et que l'on promeut en même temps un échange vivant entre
l'Église et les diverses cultures
.
Pour accroître de tels échanges, l'Église, surtout de nos jours où les
choses vont si vite et où les façons de penser sont extrêmement variées,
a particulièrement besoin de l'apport de ceux qui vivent sans le monde,
et en épousent les formes mentales, qu'il s'agisse des croyants ou des
incroyants. Il revient à tout le peuple de Dieu, notamment aux pasteurs
et aux théologiens, avec l'aide de l'Esprit-Saint, de scruter, de
discerner et d'interpréter les multiples langages de notre temps et de
les juger à la lumière de la parole divine, pour que la vérité révélée
puisse être sans cesse mieux perçue, mieux comprise et présentée sous
une forme plus adaptée.
§ 3 Comme elle
possède une structure sociale visible, signe de son unité dans le
Christ, l'Église peut aussi être enrichie, et elle l'est effectivement,
par le déroulement de la vie sociale: non pas comme s'il manquait dans
la constitution que le Christ lui a donnée, mais pour l'approfondir, la
mieux exprimer et l'accommoder d'une manière plus heureuse à notre
époque. L'Église constate avec reconnaissance qu'elle reçoit une aide
variée de la part d'hommes de tout rang et de toute condition, aide qui
profite aussi bien à la communauté qu'elle forme qu'à chacun de ses
fils. En effet, tous ceux qui contribuent au développement de la
communauté humaine au plan familial, culturel, économique et social,
politique (tant au niveau national qu'au niveau international),
apportent par le fait même, et en conformité avec le plan de Dieu, une
aide non négligeable à la communauté ecclésiale, pour autant que
celle-ci dépend du monde extérieur. Bien plus, l'Église reconnaît que,
de l'opposition de ses adversaires et de ses persécuteurs, elle a tiré
de grands avantages et qu'elle peut continuer à le faire
.
45 § 1 Qu'elle
aide le monde ou qu'elle reçoive de lui, l'Église tend vers un but
unique: que vienne le règne de Dieu et que s'établisse le salut du genre
humain. D'ailleurs, tout le bien que le peuple de Dieu, au temps de son
pèlerinage terrestre, peut procurer à la famille humaine, découle de
cette réalité que l'Église est «le sacrement universel du salut»
manifestant et actualisant tout à la fois le mystère de l'amour de Dieu
pour l'homme.
§ 2 Car le Verbe de
Dieu, par qui tout a été fait, s'est lui-même fait chair, afin que,
homme parfait, il sauve tous les hommes et récapitule toutes choses en
lui. Le Seigneur est le terme de l'histoire humaine, le point vers
lequel convergent les désirs de l'histoire et de la civilisation, le
centre du genre humain, le joie de tous les cœurs et la plénitude de
leurs aspirations
.
C'est lui que le Père a ressuscité d'entre les morts, a exalté et à fait
siéger à sa droite, le constituant juge des vivants et des morts.
Vivifiés et rassemblés en son Esprit, nous marchons vers la consommation
de l'histoire humaine qui correspond pleinement à son dessein d'amour :
"ramener toutes choses sous un seul chef, le Christ, celles qui sont
dans les cieux et celles qui sont sur la terre" ( Ep 1,10 ).
§ 2 C'est le Seigneur
lui-même qui le dit : «Voici que je viens bientôt et ma rétribution est
avec moi, pour rendre à chacun selon ses œuvres. Je suis l'alpha et
l'oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin« (Ap 22,12-13).
46 § 1 Après avoir
montré quelle est la dignité de la personne humaine et quel rôle
individuel et social elle est appelée à remplir dans l'univers, le
Concile, fort de la lumière de l’Évangile et de l'expérience humaine,
attire maintenant l'attention de tous sur quelques questions
particulièrement urgentes de ce temps qui affectent au plus haut point
le genre humain.
§ 2 Parmi les
nombreux sujets qui suscitent aujourd'hui l'intérêt général, il faut
notamment retenir ceux-ci: le mariage et la famille, la culture, la vie
économico-sociale, la vie politique, la solidarité des peuples et la
paix. Sur chacun d'eux, il convient de projeter la lumière des principes
qui nous viennent du Christ; ainsi les chrétiens seront-ils guidés et
tous les hommes éclairés dans la recherche des solutions que réclament
des problèmes si nombreux et si complexes.
47 § 1 La santé de
la personne et de la société tant humaine que chrétienne est étroitement
liée à la postérité de la communauté conjugale et familiale. Aussi les
chrétiens, en union avec tous ceux qui font grand cas de cette
communauté, se réjouissent-ils sincèrement des soutiens divers qui font
grandir aujourd'hui parmi les hommes l'estime de cette communauté
d'amour et le respect de la vie, et qui aident les époux et les parents
dans leur éminente mission. Ils en attendent en outre de meilleurs
résultats et s'appliquent à les étendre.
§ 2 La dignité de
cette institution ne brille pourtant pas partout du même éclat
puisqu'elle est ternie par la polygamie, l'épidémie du divorce, l'amour
soi-disant libre, ou d'autres déformations. De plus, l'amour conjugal
est trop souvent profané par l'égoïsme, l'hédonisme et par des pratiques
illicites entravant la génération. Les conditions économiques,
socio-psychologiques et civiles d'aujourd'hui introduisent aussi dans la
famille de graves perturbations. Enfin, en certaines régions de
l'univers, ce n'est pas sans inquiétude qu'on observe les problèmes
posés par l'accroissement démographique. Tout cela angoisse les
consciences. Et pourtant, un fait montre bien la vigueur et la solidité
de l'institution matrimoniale et familiale : les transformations
profondes de la société contemporaine, malgré les difficultés qu'elle
provoquent, font très souvent apparaître, et de diverses façons, la
nature véritable de cette institution.
§ 3 C'est pourquoi le
Concile, en mettant en meilleure lumière certains points de la doctrine
de l'Église, se propose d'éclairer et d'encourager les chrétiens, ainsi
que tous ceux qui s'efforcent de sauvegarder et de promouvoir la dignité
originelle et la valeur privilégiée et sacrée de l'état de mariage.
48 § 1 La
communauté profonde de vie et d'amour que forme le couple a été fondée
et dotée de ses lois propres par le Créateur; elle est établie sur
l'alliance des conjoints, c'est-à-dire sur leur consentement personnel
irrévocable. Une institution, que la loi divine confirme, naît ainsi, au
regard même de la société, de l'acte humain par lequel les époux se
donnent et se reçoivent mutuellement. En vue du bien des époux, des
enfants et aussi de la société, ce lien sacré échappe à la fantaisie de
l'homme. Car Dieu lui-même est l'auteur du mariage qui possède en propre
des valeurs et des fins diverses
;
tout cela est d'une extrême importance pour la continuité du genre
humain, pour le progrès personnel et le sort éternel de chacun des
membres de la famille, pour la dignité, la stabilité, la paix et la
prospérité de la famille et de la société humaine tout entière. Et c'est
par sa nature même que l'institution du mariage et l'amour conjugal sont
ordonnés à la procréation et à l'éducation qui, tel un sommet en en
constituent le couronnement. Aussi l'homme et la femme qui, par
l'alliance conjugale «ne sont plus deux, mais une seule chair» (Mt 19,6),
s'aident et se soutiennent mutuellement par l'union intime de leurs
personnes et de leurs activités ; ils prennent ainsi conscience de leur
unité et l'approfondissent sans cesse davantage. Cette union intime, don
réciproque de deux personnes, non moins que le bien des enfants, exigent
l'entière fidélité des époux et requièrent leur indissoluble unité
.
§ 2 Le Christ
Seigneur a comblé de bénédictions cet amour aux multiples aspects, issu
de la source divine de la charité, et constitué à l'image de son union
avec l'Église. De même en effet que Dieu prit autrefois l'initiative
d'une alliance d'amour et de fidélité avec son peuple
,
ainsi, maintenant, le Sauveur des hommes, Époux de l'Église
,
vient à la rencontre des époux chrétiens par le sacrement de mariage. Il
continue de demeurer avec eux pour que les époux, par leur don mutuel,
puissent s'aimer dans une fidélité perpétuelle, comme lui-même a aimé
l'Église et s'est livré pour elle
.
L'authentique amour conjugal est assumé dans l'amour divin et il est
dirigé et enrichi par la puissance rédemptrice du Christ et l'action
salvifique de l'Église, afin de conduire efficacement à Dieu les époux,
de les aider et de les affermir dans leur mission sublime de père et de
mère
.
C'est pourquoi les époux chrétiens, pour accomplir dignement les devoirs
de leur état, sont fortifiés et comme consacrés par un sacrement spécial
en accomplissant leur mission conjugale et familiale avec la force de ce
sacrement, pénétrés de l'Esprit du Christ qui imprègne toute leur vie de
foi, d'espérance et de charité, ils parviennent de plus en plus à leur
perfection personnelle et à leur sanctification mutuelle; c'est ainsi
qu'ensemble ils contribuent à la glorification de Dieu.
§ 3 Précédés par
l'exemple et la prière commune de leurs parents, les enfants, et même
tous ceux qui vient dans le cercle familial, s'ouvriront ainsi plus
facilement à des sentiments d'humanité et trouveront plus aisément le
chemin du salut et de la sainteté. Quant aux époux, grandis par la
dignité de leur rôle de père et de mère, ils accompliront avec
conscience le devoir d'éducation qui leur revient au premier chef,
notamment au plan religieux.
§ 4 Membres vivants
de la famille, les enfants concourent, à leur manière, à la
sanctification des parents. Par leur reconnaissance, leur piété filiale
et leur confiance, ils répondront assurément aux bienfaits de leurs
parents et, en bons fils, ils les assisteront dans les difficultés de
l'existence et dans la solitude de la vieillesse. Le veuvage, assumé
avec courage dans le sillage de la vocation conjugale, sera honoré de
tous
.
Les familles se communiqueront aussi avec générosité leurs richesses
spirituelles. Alors, la famille chrétienne, parce qu'elle est issue d'un
mariage, image et participation de l'alliance d'amour qui unit le Christ
et l'Église
,
manifestera à tous les hommes la présence vivante du Sauveur dans le
monde et la véritable nature de l’Église ; tant par l'amour des époux,
leur fécondité généreuse, l'unité et la fidélité du foyer, que par la
coopération amicale de tous ses membres.
49 § 1 A plusieurs
reprises, la parole de Dieu a invité les fiancés à entretenir et
soutenir leurs fiançailles par une affection chaste, et les époux leur
union par un amour sans faille
.
Beaucoup de nos contemporains exaltent aussi l'amour authentique entre
mari et femme, manifesté de différentes manières, selon les saines
coutumes des peuples et des âges. Éminemment humain puisqu'il va d'une
personne vers une autre personne en vertu d'un sentiment volontaire, cet
amour enveloppe le bien de la personne tout entière ; il peut donc
enrichir d'une dignité particulière les expressions du corps et de la
vie psychique et les valoriser comme des éléments et les signes
spécifiques de l'amitié conjugale. Cet amour, par un don spécial de sa
grâce et de sa charité, le Seigneur a daigné le guérir, le parfaire et
l'élever. Associant l'humain et le divin, un tel amour conduit les époux
à un don libre et mutuel d'eux-mêmes qui se manifeste par des sentiments
et des gestes de tendresse et il imprègne toute leur vie
;
bien plus, il s'achève lui-même et grandit par son généreux exercice. Il
dépasse donc de loin l'inclination simplement érotique qui, cultivée
pour elle-même, s'évanouit vite et d'une façon pitoyable.
§ 2 Cette affection a
sa manière particulière de s'exprimer et de s'accomplir par l’œuvre
propre du mariage. En conséquence, les actes qui réalisent l'union
intime et chaste des époux sont des actes honnêtes et dignes. Vécus
d'une manière vraiment humaine, ils signifient et favorisent le don
réciproque par lequel les époux s'enrichissent tous les deux dans la
joie et la reconnaissance. Cet amour, ratifié par un engagement mutuel,
et par-dessus tout consacré par le sacrement du Christ, demeure
indissolublement fidèle, de corps et de pensée, pour le meilleur et pour
le pire ; il exclut donc tout adultère et tout divorce. De même, l'égale
dignité personnelle qu'il faut reconnaître à la femme et à l'homme dans
l'amour plénier qu'ils se portent l'un à l'autre fait clairement
apparaître l'unité du mariage, confirmée par le Seigneur. Pour faire
face avec persévérance aux obligations de cette vocation chrétienne, une
vertu peu commune est requise: c'est pourquoi les époux, rendus capables
par la grâce de mener une vie sainte, ne cesseront d'entretenir en eux
un amour fort, magnanime, prompt au sacrifice, et ils le demanderont
dans leur prière.
§ 3 Mais le véritable
amour conjugal sera tenu en plus haute estime, et une saine opinion
publique se formera à son égard, si les époux chrétiens donnent ici un
témoignage éminent de fidélité et d'harmonie, comme le dévouement dans
l'éducation de leurs enfants, et s'ils prennent leurs responsabilités
dans le nécessaire renouveau culturel, psychologique et social en faveur
du mariage et de la famille. Il faut instruire à temps les jeunes, et de
manière appropriée, de préférence au sein de la famille, sur la dignité
de l'amour conjugal, sa fonction, son exercice: ainsi formés à la
chasteté, ils pourront le moment venu, s'engager dans le mariage après
des fiançailles vécues dans la dignité.
50 § 1 Le mariage
et l'amour conjugal sont d'eux-mêmes ordonnés à la procréation et à
l'éducation. D'ailleurs, les enfants sont le don le plus excellent du
mariage et ils contribuent grandement au bien des parents eux-mêmes.
Dieu lui-même qui a dit : «Il n'est pas bon que l'homme soit seul» (Gn 2,18)
et qui dès l'origine a fait l'être humain homme et femme (Gn 2,18)
et qui dès l'origine a fait l'être humain homme et femme (cf. Mt 19,4),
a voulu lui donner une participation spéciale dans son œuvre créatrice ;
aussi a-t-il béni l'homme et la femme, disant : «Soyez féconds et
multipliez-vous» ( Gn 1,28 ). Dès lors, un amour conjugal vrai et
bien compris, comme toute la structure de la vie familiale qui en
découle, tendent, sans sous-estimer pour autant les autres fins du
mariage, à rendre les époux disponibles pour coopérer courageusement à
l'amour du Créateur et du Sauveur qui, par eux, veut sans cesse agrandir
et enrichir sa propre famille.
§ 2 Dans le devoir
qui leur incombe de transmettre la vie et d'être des éducateurs (ce
qu'il faut considérer comme leur mission propre), les époux savent
qu'ils sont les coopérateurs de l'amour du Dieu Créateur et comme ses
interprètes. Ils s'acquitteront donc de leur charge en toute
responsabilité humaine et chrétienne, et, dans un respect plein de
docilité à l'égard de Dieu, d'un commun accord et d'un commun effort,
ils se formeront un jugement droit : ils prendront en considération à la
fois et leur bien et celui des enfants déjà nés ou à naître; ils
discerneront les conditions aussi bien matérielles que spirituelles de
leur époque et de leur situation; ils tiendront compote enfin du bien de
la communauté familiale, des besoins de la société temporelle et de
l'Église elle-même. Ce jugement, ce sont en dernier ressort les époux
eux-mêmes qui doivent l'arrêter devant Dieu. Dans leur manière d'agir,
que les époux chrétiens sachent bien qu'ils ne peuvent pas se conduire à
leur guise, mais qu'ils ont l'obligation de toujours suivre leur
conscience, une conscience qui doit se conformer à la loi divine; et
qu'ils demeurent dociles au magistère de l'Église, interprète autorisé
de cette loi à la lumière de l’Évangile. Cette loi divine manifeste la
pleine signification de l'amour conjugal, elle le protège et le conduit
à son achèvement vraiment humain. Ainsi, lorsque les époux chrétiens, se
fiant à la Providence de Dieu et nourrissant en eux l'esprit de
sacrifice
,
assument leur rôle procréateur et prennent généreusement leurs
responsabilités humaines et chrétiennes, ils rendent gloire au Créateur,
et ils tendent, dans le Christ, à la perfection. Parmi ceux qui
remplissent ainsi la tâche que Dieu leur a confiée, il faut accorder une
mention spéciale à ceux qui, d'un commun accord et d'une manière
réfléchie, acceptent de grand cœur d'élever dignement même un plus grand
nombre d'enfants
.
§ 3 Le mariage
cependant n'est pas institué en vue de la seule procréation. Mais c'est
le caractère même de l'alliance indissoluble qu'il établit entre les
personnes, comme le bien des enfants, qui requiert que l'amour mutuel
des époux s'exprime lui aussi dans sa rectitude, progresse et
s'épanouisse. C'est pourquoi, même si, contrairement au vœu souvent très
vif des époux, il n'y a pas d'enfant, le mariage, comme communauté et
communion de toute la vie, demeure, et il garde sa valeur et son
indissolubilité.
51 § 1 Le Concile
ne l'ignore pas, les époux qui veulent conduire harmonieusement leur vie
conjugale se heurtent souvent de nos jours à certaines conditions de vie
et peuvent se trouver dans une situation où il ne leur est pas possible,
au moins pour un temps, d'accroître le nombre de leurs enfants ; ce
n'est point alors sans difficultés que sont maintenues la pratique d'un
amour fidèle et la pleine communauté de vie. Là où l'intimité conjugale
est interrompue, la fidélité peut courir des risques et le bien des
enfants être compromis: car en ce cas sont mis en péril et l'éducation
des enfants et le courage nécessaire pour en accepter d'autres
ultérieurement.
§ 2 Il en est qui
osent apporter des solutions malhonnêtes à ces problèmes et même qui ne
reculent pas devant le meurtre. Mais l'Église rappelle qu'il ne peut y
avoir de véritable contradiction entre les lois divines qui régissent la
transmission de la vie et celles qui favorisent l'amour conjugal
authentique.
§ 3 En effet, Dieu,
maître de la vie, a confié aux hommes le noble ministère de la vie, et
l'homme doit s'en acquitter d'une manière digne de lui. La vie doit donc
être sauvegardée avec un soin extrême dès la conception: l'avortement et
l'infanticide sont des crimes abominables. La sexualité propre à
l'homme, comme le pouvoir humain d'engendrer, l'emportent
merveilleusement sur ce qui existe aux degrés inférieurs de la vie; il
s'ensuit que les actes spécifiques de la vie conjugale, accomplis selon
l'authentique dignité humaine, doivent être eux-mêmes entourés d'un
grand respect. Lorsqu'il s'agit de mettre en accord l'amour conjugal
avec la transmission responsable de la vie, la moralité du comportement
ne dépend donc pas de la seule sincérité de l'intention et de la seule
appréciation des motifs; mais elle doit être déterminée selon des
critères objectifs, tirés de la nature même de la personne et de ses
actes, critères qui respectent, dans un contexte d'amour véritable, la
signification totale d'une donation réciproque et d'une procréation à la
mesure de l'homme ; chose impossible si la vertu de chasteté conjugale
n'est pas pratiquée d'un cœur loyal. En ce qui concerne la régulation
des naissances, il n'est pas permis aux enfants de l'Église, fidèles à
ces principes, d'emprunter des voies que le magistère, dans
l'explication de la loi divine, désapprouve
.
Par ailleurs, que tous
sachent bien que la vie humaine et la charge de la transmettre ne se
limitent pas aux horizons de ce monde et n'y trouvent ni leur pleine
dimension, ni leur plein sens, mais qu'elles sont toujours à mettre en
référence avec la destinée éternelle des hommes.
52 § 1 La famille
est en quelque sorte une école d'enrichissement humain. Mais, pour
qu'elle puisse atteindre la plénitude de sa vie et de sa mission, elle
exige une communion des âmes empreinte d'affection, une mise en commun
des pensées entre les époux et aussi une attentive coopération des
parents dans l'éducation des enfants. La présence agissante du père
importe grandement à leur formation; mais il faut aussi permettre à la
mère, dont les enfants, surtout les plus jeunes, ont tant besoin, de
prendre soin de son foyer sans toutefois négliger la légitime promotion
sociale de la femme. Que les enfants soient éduqués de telle manière
qu'une fois adultes, avec une entière conscience de leur responsabilité,
ils puissent suivre leur vocation, y compris une vocation religieuse, et
choisir leur état de vie, et que, s'ils se marient, ils puissent fonder
leur propre famille dans des conditions morales, sociales et économiques
favorables. Il appartient aux parents ou aux tuteurs de guider les
jeunes par des avis prudents, dans la fondation d'un foyer; volontiers
écoutés des jeunes, ils veilleront toutefois à n'exercer aucune
contrainte, directe ou indirecte, sur eux, soit pour les pousser au
mariage, soit pour choisir leur conjoint.
§ 2 Ainsi la famille,
lieu de rencontre de plusieurs générations qui s'aident mutuellement à
acquérir une sagesse plus étendue et à harmoniser les droits des
personnes avec les autres exigences de la vie sociale, constitue-t-elle
le fondement de la société. Voilà pourquoi tous ceux qui exercent une
influence sur les communautés et les groupes sociaux doivent s'appliquer
efficacement à promouvoir le mariage et la famille. Que le pouvoir civil
considère comme un devoir sacré de reconnaître leur véritable nature, de
les protéger et de les faire progresser, de défendre la moralité
publique et de favoriser la prospérité des foyers. Il faut garantir le
droit de procréation des parents et le droit d'élever leurs enfants au
sein de la famille. Que le pouvoir civil considère comme un devoir sacré
de reconnaître leur véritable nature, de les protéger et de les faire
progresser, de défendre la moralité publique et de favoriser la
prospérité des foyers. Il faut garantir le droit de procréation des
parents et le droit d'élever leurs enfants au sein de la famille. Une
législation prévoyante et des initiatives variées doivent également
défendre et procurer l'aide qui convient à ceux qui, par malheur, sont
privés de famille.
§ 3 Les chrétiens,
tirant parti du temps présent
,
et discernant bien ce qui est éternel de ce qui change, devront
activement promouvoir les valeurs du mariage et de la famille; ils le
feront et par le témoignage de leur vie personnelle et par une action
concertée avec tous les hommes de bonne volonté. Ainsi, les difficultés
écartées, ils pourvoiront aux besoins de la famille et lui assureront
les avantages qui conviennent aux temps nouveaux. Pour y parvenir, le
sens chrétien des fidèles, la droite conscience morale des hommes, comme
la sagesse et la compétence de ceux qui s'appliquent aux sciences
sacrées, seront d'un grand secours.
§ 4 Les spécialistes
des sciences, notamment biologiques, médicales, sociales et
psychologiques, peuvent beaucoup pour la cause du mariage et de la
famille et la paix des consciences si, par l'apport convergent de leurs
études, ils s'appliquent à tirer davantage au clair les diverses
conditions favorisant une saine régulation de la procréation humaine.
§ 5 Il appartient aux
prêtres, dûment informés en matière familiale, de soutenir la vocation
des époux dans leur vie conjugale et familiale par les divers moyens de
la pastorale, par la prédication de la parole divine, par le culte
liturgique ou les autres secours spirituels, de les fortifier avec bonté
et patience au milieu de leurs difficultés et de les réconforter avec
charité pour qu'ils forment des familles vraiment rayonnantes.
§ 6 Des œuvres
variées, notamment les associations familiales, s'efforceront par la
doctrine et par l'action d'affermir les jeunes gens et les époux,
surtout ceux qui sont récemment mariés, et de les former à la vie
familiale, sociale et apostolique.
§ 7 Enfin, que les
époux eux-mêmes créés à l'image d'un Dieu vivant et établis dans un
ordre authentique de personnes, soient unis dans une même affection,
dans une même pensée et dans une mutuelle sainteté
en sorte que, à la suite du Christ, principe de vie
,
ils deviennent, à travers les joies et les sacrifices de ce mystère de
charité que le Seigneur a révélé au monde par sa mort et sa résurrection
.
53 § 1 C'est le
propre de la personne humaine de n'accéder vraiment et pleinement à
l'humanité que par la culture, c'est-à-dire en cultivant les biens et
les valeurs de la nature. Toutes les fois qu'il est question de vie
humaine, nature et culture sont aussi étroitement liées que possible.
§ 2 Au sens large, le
mot «culture» désigne tout ce par quoi l'homme affine et développe les
multiples capacités de son esprit et de son corps ; s'efforce de
soumettre l'univers par la connaissance et le travail : humanise la vie
sociale, aussi bien la vie familiale que l'ensemble de la vie civile,
grâce au progrès des mœurs et des institutions ; traduit, communique et
conserve enfin dans ses œuvres, au cours des temps, les grandes
expériences spirituelles et les aspirations majeures de l'homme, afin
qu'elles servent au progrès d'un grand nombre et même de tout le genre
humain.
§ 3 Il en résulte que
la culture humaine comporte nécessairement un aspect historique et
social et que le mot "culture" prend souvent un sens sociologique et
même ethnologique. En ce sens, on parlera de la pluralité des cultures.
Car des styles de vie divers et des échelles de valeurs différentes
trouvent leur source dans la façon particulière que l'on a de se servir
des choses, de travailler, de s'exprimer, de pratiquer sa religion, de
se conduire, de légiférer, d'établir des institutions juridiques,
d'enrichir les sciences et les arts et de cultiver le beau. Ainsi, à
partir des usages hérités, de forme un patrimoine propre à chaque
communauté humaine. De même, par là se constitue un milieu déterminé et
historique dans lequel tout homme est inséré, quels que soient sa nation
ou son siècle, et d'où il tire les valeurs qui lui permettront de
promouvoir la civilisation.
54 Les conditions
de vie de l'homme moderne, au point de vue social et culturel, ont été
profondément transformées, si bien que l'on peut parler d'un nouvel âge
de l'histoire humaine
.
Dès lors, des voies nouvelles s'ouvrent pour parfaire et étendre la
culture. Elles ont été préparées par une poussée considérable des
sciences naturelles, humaines et aussi sociales, par le développement
des techniques et par l'essor et une meilleure organisation des moyens
qui permettent aux hommes de communiquer entre eux. La culture moderne
peut donc se caractériser ainsi : les sciences dites «exactes»
développent au maximum le sens critique; les recherches les plus
récentes de la psychologie expliquent en profondeur l'activité humaine ;
les disciplines historiques poussent fortement à envisager les choses
sous leur aspect changeant et évolutif ; coutumes et manières de vivre
tendent à s'uniformiser de plus en plus ; l'industrialisation,
l'urbanisation et les autres causes qui favorisent la vie collective,
créent de nouvelles formes e culture (culture de masse), d'où résultent
des façons nouvelles de sentir, d'agir et d'utiliser ses loisirs. En
même temps, l'accroissement des échanges entre les différentes nations
et les groupes sociaux découvre plus largement à tous et à chacun les
richesses des diverses cultures, et ainsi se préparer peu à peu un type
de civilisation plus universel qui fait avancer l'unité du genre humain
et l'exprime, dans la mesure même où il respecte mieux les
particularités de chaque culture.
55 A quelque
groupe ou nation qu'ils appartiennent, le nombre des hommes et des
femmes qui prennent conscience d'être les artisans et les promoteurs de
la culture de leur communauté croît sans cesse. Dans le monde entier
progresse de plus en plus le sens de l'autonomie comme de la
responsabilité ; ce qui, sans aucun doute, est de la plus haute
importance pour la maturité spirituelle et morale du genre humain. On
s'en aperçoit mieux encore si on ne perd pas de vue l'unification de
l'univers et la mission qui nous est impartie de construire un monde
meilleur dans la vérité et la justice. Nous sommes donc les témoins de
la naissance d'un nouvel humanisme; l'homme s'y définit avant tout par
la responsabilité qu'il assume envers ses frères et devant l'histoire.
56 § 1 Dans de
telles conditions, il n'est pas étonnant que l'homme, se sentant
responsable du progrès culturel, soit animé d'un plus grand espoir, mais
envisage aussi avec quelque anxiété les nombreuses antinomies qu'il lui
faut résoudre.
§ 2 Que faut-il faire
pour que la multiplication des échanges culturels, qui devraient aboutir
à un dialogue vrai et fructueux entre les divers groupes et nations, ne
bouleverse pas la vie des communautés, ne fasse pas échec à la sagesse
ancestrale et ne mette pas en péril le génie propre de chaque peuple ?
§ 3 Comment favoriser
le dynamisme et l'expansion d'une culture nouvelle sans que disparaisse
la fidélité vivante à l'héritage des traditions ? Cette question se pose
avec une acuité particulière lorsqu'il s'agit d'harmoniser la culture,
fruit du développement considérable des sciences et des techniques, avec
la culture qui se nourrir d'études classiques, conformes aux différentes
traditions.
§ 4 Comment
l'émiettement si rapide et croissant des disciplines spécialisées
peut-il se concilier avec la nécessité d'en faire la synthèse et avec le
devoir de sauvegarder dans l'humanité les puissances de contemplation et
d'admiration qui conduisent à la sagesse ?
§ 5 Que faire pour
permettre aux multitudes de participer aux bienfaits de la culture,
alors que la culture des élites ne cesse de s'élever et de se compliquer
toujours ?
§ 6 Comment, enfin,
reconnaître comme légitime l'autonomie que la culture réclame pour
elle-même, sans pour autant en venir à un humanisme purement terrestre
et même hostile à la religion ?
§ 7 C'est au cœur
même de ces antinomies que la culture doit aujourd'hui progresser, de
façon à épanouir intégralement et harmonieusement la personne humaine,
de façon aussi à aider les hommes à accomplir les charges auxquelles
tous son appelés, et particulièrement les chrétiens, fraternellement
unis au sein de l'unique famille humaine.
57 § 1 Les
chrétiens, en marche vers la cité céleste, doivent rechercher et goûter
les choses d'en-haut
,
mais cela pourtant, loin de la diminuer, accroît plutôt la gravité de
l'obligation qui est la leur de travailler avec tous les hommes à la
construction d'un monde plus humain. Et, de fait, le mystère de la foi
chrétienne leur fournit des stimulants et des soutiens inappréciables:
ils leur permettent de s'adonner avec plus d'élan à cette tâchez et
surtout de découvrir l'entière" signification des activités capables de
donner à la culture sa place éminente dans la vocation intégrale de
l'homme.
§ 2 En effet,
lorsqu'il cultive la terre de ses mains ou avec l'aide de moyens
techniques, pour qu'elle produise des fruits et devienne une demeure
digne de toute la famille humaine, et lorsqu'il prend part consciemment
à la vie des groupes sociaux, l'homme réalise le plan de Dieu, manifesté
au commencement des temps, de dominer la terre
et d'achever la création, et il se cultive lui-même. En même temps, il
obéit au grand commandement du Christ de se dépenser au service de ses
frères.
§ 3 En outre, en
s'appliquant aux diverses disciplines, philosophie, histoire,
mathématiques, sciences naturelles, et en cultivant les arts, l'homme
peut grandement contribuer à ouvrir la famille humaine aux plus nobles
valeurs du vrai, du bien et du beau, et à une vue des choses ayant
valeur universelle: il reçoit ainsi des clartés nouvelles de cette
admirable Sagesse qui depuis toujours était auprès de Dieu, disposant
toutes choses avec lui, jouant sur le globe de la terre et trouvant ses
délices parmi les enfants des hommes
.
§ 4 Par le fait même,
l'esprit humain, moins esclave des choses, peut plus facilement s'élever
à l'adoration et à la contemplation du Créateur. Bien plus, il est
préparé à reconnaître, sous l'impulsion de la grâce, le Verbe de Dieu
qui, avant de se faire chair pour tout sauver et récapituler en lui,
«était déjà dans le monde» comme la «vraie lumière qui éclaire tout
homme» (Jn 1,9-10)
.
§ 5 Certes, le
progrès actuel des sciences et des techniques qui, en vertu de leur
méthode, ne sauraient parvenir jusqu'aux profondeurs de la réalité, peut
avantager un certain phénoménisme et un certain agnosticisme, lorsque
les méthodes de recherche propres à ces disciplines sont prises, à tort,
comme règle suprême pour la découverte de toute vérité. Et même on peut
craindre que l'homme se fiant trop aux découvertes actuelles, en vienne
à penser qu'il se suffit à lui-même et qu'il n'a plus à chercher de
valeurs plus hautes.
§ 6 Cependant ces
conséquences fâcheuses ne découlent pas nécessairement de la culture
moderne et de doivent pas nous exposer à la tentation de méconnaître ses
valeurs positives. Parmi celles-ci, il convient de signaler: le goût des
sciences et la fidélité sans défaillance à la vérité dans les recherches
scientifiques, la nécessité de travailler en équipe dans des groupes
spécialisés, le sens de la solidarité internationale, la conscience de
plus en plus nette de la responsabilité que les savants ont d'aider et
même de protéger les hommes, la volonté de procurer à tous les
conditions de vie plus favorables, à ceux-là surtout qui sont privés de
responsabilité ou qui souffrent d'indigence culturelle. Dans toutes ces
valeurs, l'accueil du message évangélique pourra trouver une sorte de
préparation, et la charité divine de celui qui est venu pour sauver le
monde la fera aboutir.
58 § 1 Entre le
message de salut et la culture, il y a de multiples liens. Car Dieu, en
se révélant à son peuple jusqu'à sa pleine manifestation dans son Fils
incarné, a parlé selon des types de culture propres à chaque époque.
§ 2 De la même façon,
l'Église, qui a connu au cours des temps des conditions d'existence
variées, a utilisé les ressources des diverses cultures pour répandre et
exposer par sa prédication le message du Christ à toutes les nations,
pour mieux le découvrir et mieux l'approfondir, pour l'exprimer plus
parfaitement dans la célébration liturgique comme dans la vie multiforme
de la communauté des fidèles.
§ 3 Mais en même
temps, l'Église, envoyée à tous les peuples de tous les temps et de tous
les lieux, n'est liée d'une manière exclusive et indissoluble à aucune
race ou nation, à aucun genre de vie particulier, à aucune coutume
ancienne ou récente. Constamment fidèle à sa propre tradition et tout à
la fois consciente de l'universalité de sa mission, elle peut entrer en
communion avec les diverses civilisations : d'où l'enrichissement qui en
résulte pour elle-même et pour les différentes cultures.
§ 4 La Bonne Nouvelle
du Christ rénove constamment la vie et la culture de l'homme déchu; elle
combat et écarte les erreurs et les maux qui proviennent de la séduction
permanente du péché. Elle ne cesse de purifier et d'élever la moralité
des peuples. Par les richesses d'en-haut, elle féconde comme de
l'intérieur les qualités spirituelles et les dons propres à chaque
peuple et à chaque âge, elle les fortifie, les parfait et les restaure
dans le Christ
.
Ainsi l'Église, en remplissant sa propre mission
,
concourt déjà, par là même, à l’œuvre civilisatrice et elle y pousse;
son action, même liturgique, contribue à former la liberté intérieure de
l'homme.
59 § 1 Pour les
raisons que l'on vient de dire, l’Église rappelle à tous que la culture
doit être subordonnée au développement intégral de la personne, au bien
de la communauté et à celui du genre humain tout entier. Aussi
convient-il de cultiver l'esprit en vue de développer les puissances
d'admiration, de contemplation, d'aboutir à la formation d'un jugement
personnel et d'élever le sens religieux, moral et social.
§ 2 La culture, en
effet, puisqu'elle découle immédiatement du caractère raisonnable et
social de l'homme, a sans cesse besoin d'une juste liberté pour
s'épanouir et d'une légitime autonomie d'action, en conformité avec ses
propres principes. Elle a donc droit au respect et jouit d'une certaine
inviolabilité, à condition, évidemment, de sauvegarder les droits de la
personne et de la société, particulière ou universelle, dans les limites
du bien commun.
§ 3 Ce saint Synode,
reprenant à son compte l'enseignement du premier Concile du Vatican,
déclare qu'il existe «deux ordres de savoir» distincts, celui de la foi
et celui de la raison, et que l’Église ne s'oppose certes pas à ce que
«les arts et les disciplines humaines jouissent de leurs propres
principes et de leur méthode en leurs domaines respectifs» ; c'est
pourquoi, «reconnaissant cette juste liberté», l’Église affirme
l'autonomie légitime de la culture et particulièrement celle des
sciences
.
§ 4 Tout ceci exige
que, l'ordre moral et l'intérêt commun étant saufs, l'homme puisse
librement chercher la vérité, faire connaître et divulguer ses opinions
et s'adonne aux arts de son choix. Cela demande enfin qu'il soit informé
impartialement des événements de la vie publique
.
§ 5 Quant aux
pouvoirs publics, il leur revient, non pas de déterminer le caractère
propre de la civilisation, mais d'établir les conditions et de prendre
les moyens susceptibles de favoriser la vie culturelle au bénéfice de
tous, sans oublier les éléments minoritaires présents dans une nation
.
Voilà pourquoi il faut éviter à tout prix que la culture, détournée de
sa propre fin, soit asservie aux pouvoirs politiques et économiques.
60 § 1 Puisqu'on a
maintenant la possibilité de délivrer la plupart des hommes du fléau de
l'ignorance, il est un devoir qui convient au plus haut point à notre
temps, surtout pour les chrétiens: celui de travailler avec acharnement
à ce que, tant en matière économique qu'en matière politique, tant au
plan national qu'au plan international, des décisions fondamentales
soient prises de nature à faire reconnaître partout et par tous, en
harmonie avec la dignité de la personne humaine, sans distinction de
race, de sexe, de nation, de religion ou de condition sociale, le droit
à la culture et d'assurer sa réalisation. Il faut donc procurer à chacun
une quantité suffisante de biens culturels, surtout ceux qui constituent
la culture dire «de base», pour qu'un très grand nombre ne soient pas
empêchés, par l'analphabétisme et le manque d'initiative, de coopérer de
manière vraiment humaine au bien commun.
§ 2 En conséquence,
il faut tendre à donner à ceux qui en sont capables la possibilité de
poursuivre des études supérieures ; et de telle façon que, dans la
mesure du possible, ils occupent des fonction, jouent un rôle et rendent
des services dans la vie sociale qui correspondent soit à leurs
aptitudes, soit à la compétence qu'ils auront acquise
.
Ainsi tout homme comme les groupes sociaux de chaque peuple pourront
atteindre leur plein épanouissement culturel, conformément à leurs dons
et à leurs traditions.
§ 3 Il faut en outre
tout faire pour que chacun prenne conscience et du droit et du devoir
qu'il a de se cultiver, non moins que de l'obligation qui lui incombe
d'aider les autres à le faire. Il existe en effet, ici ou là, des
conditions de vie et de travail qui contrarient les efforts des hommes
vers la culture et qui en détruisent chez eux le goût. Ceci vaut à un
titre spécial pour les agriculteurs et les ouvriers, auxquels il faut
assurer des conditions de travail telles qu'elles ne les empêchent pas
de se cultiver, mais bien plutôt les y poussent. Les femmes travaillent
à présent dans presque tous les secteurs d'activité; il convient
cependant qu'elles puissent pleinement jouer leur rôle selon leurs
aptitudes propres. Ce sera le devoir de tous de reconnaître la
participation spécifique et nécessaire des femmes à la vie culturelle et
de la promouvoir.
61 § 1 De nos
jours, plus que par le passé, la difficulté est grande d'opérer la
synthèse entre les différentes disciplines et branches du savoir. En
effet, tandis que s'accroissent la masse et la diversité des éléments
culturels, dans le même temps s'amenuise la faculté pour chaque homme de
les percevoir et de les harmoniser entre eux, si bien que l'image de
«l'homme universel» s'évanouit de plus en plus. Cependant continue de
s'imposer à chaque homme le devoir de sauvegarder l'intégralité de sa
personnalité, en qui prédominent les valeurs d'intelligence, de volonté,
de conscience et de fraternité, valeurs qui ont toutes leur fondement en
Dieu Créateur et qui ont été guéries et élevées d'une manière admirable
dans le Christ.
§ 2 La famille est au
premier chef comme la mère nourricière de cette éducation: en elle, les
enfants, enveloppés d'amour, découvrent plus aisément la hiérarchie des
valeurs, tandis que des éléments d'une culture éprouvée s'impriment
d'une manière presque inconsciente dans l'esprit des adolescents, au fur
et à mesure qu'ils grandissent.
§ 3 Pour cette même
éducation, les sociétés actuelles disposent, en particulier grâce à la
diffusion croissante des livres et aux nouveaux moyens de communication
culturelle et sociale, de ressources opportunes qui peuvent faciliter
l'universalité de la culture. En effet, avec la diminution plus ou moins
généralisée du temps de travail, les occasions de se cultiver se
multiplient pour la plupart des hommes. Que les loisirs soient bien
employés, pour se détendre et pour fortifier la santé de l'esprit et du
corps: en se livrant à des activités libres et à des études
désintéressées; à l'occasion de voyages en d'autres régions (tourisme)
qui affinent l'intelligence et qui, de surcroît, enrichissent chacun par
la connaissance de l'autre; également par des exercices physiques et des
activités sportives qui aident à conserver un bon équilibre psychique,
individuellement et aussi collectivement, et à établir des relations
fraternelles entre les hommes de toutes conditions, de toutes nations ou
de races différentes. Que les chrétiens collaborent donc aux
manifestations et aux actions culturelles collectives qui sont de leur
temps, qu'ils les humanisent et les imprègnent d'esprit chrétien.
§ 4 Cependant tous
ces avantages ne sauraient parvenir à réaliser l'éducation culturelle
intégrale de l'homme si, en même temps, on néglige de s'interroger sur
la signification profonde de la culture et de la science pour la
personne humaine.
62 § 1 Bien que
l'Église ait largement contribué au progrès de la culture, l'expérience
montre toutefois que, pour des raisons contingentes, il n'est pas
toujours facile de réaliser l'harmonie entre la culture et le
christianisme.
§ 2 Ces difficultés
ne portent pas nécessairement préjudice à la vitalité de la foi, et même
elles peuvent inciter à une plus exacte et plus profonde intelligence de
celle-ci. En effet, les plus récentes recherches et découvertes des
sciences, ainsi que celles de l'histoire et de la philosophie, soulèvent
de nouvelles questions qui comportent des conséquences pour la vie même,
et exigent de nouvelles recherches de la part des théologiens eux-mêmes.
Dès lors, tout en respectant les méthodes et les règles propres aux
sciences théologiques, ils sont donc invités à chercher sans cesse la
manière la plus apte de communiquer la doctrine aux hommes de leur
temps: car autre chose est le dépôt même ou les vérités de la foi, autre
chose la façon selon laquelle ces vérités sont exprimées à condition
toutefois d'en sauvegarder le sens et la signification
.
Que, dans la pastorale, on ait une connaissance suffisante non seulement
des principes de la théologie, mais aussi des découvertes scientifiques
profanes, notamment de la psychologie et de la sociologie, et qu'on en
fasse usage: de la sorte, les fidèles à leur tour seront amenés à une
plus grande pureté et maturité dans leur vie de foi.
§ 3 A leur manière
aussi, la littérature et les arts ont une grande importance pour la vie
de l'Église. Ils s'efforcent en effet d'exprimer la nature propre de
l'homme, ses problèmes, ses tentatives pour se connaître et se
perfectionner lui-même ainsi que le monde. Ils s'appliquent à découvrir
sa place dans l'histoire et dans l'univers, à mettre en lumière les
misères et les joies, les besoins et les énergies des hommes et à
présenter l'ébauche d'une destinée humaine plus heureuse. Ainsi sont-ils
capables d'élever la vie humaine qu'ils expriment sous des formes
multiples, selon les temps et les lieux.
§ 4 Il faut donc
faire en sorte que ceux qui s'adonnent à ces arts se sentent compris par
l'Église au sein même de leurs activités, et que, jouissant d'une
liberté normale, ils établissent des échanges plus faciles avec la
communauté chrétienne. Que les nouvelles formes d'art qui conviennent à
nos contemporains, selon le génie des diverses nations et régions,
soient aussi reconnues par l'Église. Et qu'on les accueille dans le
sanctuaire lorsque, par des modes d'expression adaptées et conformes aux
exigences de la liturgie, elles élèvent l'esprit vers Dieu
.
§ 5 Ainsi la gloire
de Dieu éclate davantage; la prédication de l’Évangile devient plus
transparente à l'intelligence des hommes et apparaît comme connaturelle
à leurs conditions d'existence.
§ 6 Que les croyants
vivent donc en très étroite union avec les autres hommes de leur temps
et qu'ils s'efforcent de comprendre à fond leurs façons de penser et de
sentir, telles qu'elles s'expriment par la culture. Qu'ils marient la
connaissance des sciences et des théories nouvelles, comme des
découvertes les plus récentes, avec les mœurs et l'enseignement de la
doctrine chrétienne, pour que le sens religieux et la rectitude morale
marchent de pair chez eux avec la connaissance scientifique et les
incessants progrès techniques; ils pourront ainsi apprécier et
interpréter toutes choses avec une sensibilité authentiquement
chrétienne.
§ 7 Ceux qui
s'appliquent aux sciences théologiques dans les séminaires et les
universités aimeront collaborer avec les hommes versés dans les autres
sciences, en mettant en commun leurs énergies et leurs points de vue. La
recherche théologique, en même temps qu'elle approfondit la vérité
révélée, ne doit pas perdre contact avec son temps, afin de faciliter
une meilleure connaissance de la foi aux hommes cultivés dans les
différentes branches du savoir. Cette bonne entente rendra les plus
grands services à la formation des ministres sacrés: ils pourront
présenter la doctrine de l'Église sur Dieu, l'homme et le monde d'une
manière mieux adaptée à nos contemporains, qui accueilleront d'autant
plus volontiers leur parole
.
Bien plus, il faut souhaiter que de nombreux laïcs reçoivent une
formation suffisante dans les sacrées, et que plusieurs parmi eux se
livrent à ces études ex professo et les approfondissent. Mais, pour
qu'ils puissent mener leur tâche à bien, qu'on reconnaisse aux fidèles,
aux clercs comme aux laïcs, une juste liberté de recherche et de pensée,
comme une juste liberté de faire connaître humblement et courageusement
leur manière de voir, dans le domaine de leur compétence
.
63 § 1 Dans la vie
économico-sociale aussi, il faut honorer et promouvoir la dignité de la
personne humaine, sa vocation intégrale et le bien de toute la société.
C'est l'homme en effet qui est l'auteur, le centre et le but de toute la
vie économico-sociale.
§ 2 Comme tout autre
domaine de la vie sociale, l'économie moderne se caractérise par une
emprise croissante de l'homme sur la nature, la multiplication et
l'intensification des relations et des interdépendances entre individus,
groupes et peuples, et la fréquence accrue des interventions du pouvoir
politique. En même temps, le progrès dans les modes de production et
dans l'organisation des échanges de biens et de services a fait de
l'économie un instrument apte à mieux satisfaire les besoins accrus de
la famille humaine.
§ 3 Pourtant les
sujets d'inquiétude ne manquent pas. Beaucoup d'hommes, surtout dans les
régions du monde économiquement développées, apparaissent comme dominés
par l'économique: presque toute leur existence personnelle et sociale
est imbue d'un certain «économisme», et cela aussi bien dans les pays
favorables à l'économie collectiviste que dans les autres. A un moment
où le développement de l'économie, orienté et coordonné d'une manière
rationnelle et humaine, permettrait d'atténuer les inégalités sociales,
il conduit trop souvent à leur aggravation et même, ici ou là, à une
régression de la condition sociale des faibles et au mépris des pauvres.
Alors que des foules immenses manquent encore du strict nécessaire,
certains, même dans les régions moins développées, vivent dans
l'opulence ou gaspillent sans compter. Le luxe côtoie la misère. Tandis
qu'un petit nombre d'hommes disposent d'un très ample pouvoir de
décision, beaucoup sont privés de presque toute possibilité d'initiative
personnelle et de responsabilité ; souvent même, ils sont placés dans
des conditions de vie et de travail indignes de la personne humaine.
§ 4 De semblables
déséquilibres économiques et sociaux se produisent entre les secteur
agricole, le secteur industriel et les services, comme aussi entre les
diverses régions d'un seul et même pays. Entre les nations
économiquement plus développées et les autres nations, une opposition de
plus en plus aiguë se manifeste, capable de mettre en péril jusqu'à la
paix du monde.
§ 5 Les hommes de
notre temps prennent une conscience de plus en plus vive de ces
disparités: ils sont profondément persuadés que les techniques nouvelles
et les ressources économiques accrues dont dispose le monde pourraient
et devraient corriger ce funeste état de choses. Mais pour cela de
nombreuses réformes sont nécessaires dans la vie économico-sociale; il y
faut aussi, de la part de tous, une conversion des mentalités et des
attitudes. Dans ce but, l'Église, au cours des siècles, a explicité à la
lumière de l’Évangile des principes de justice et d'équité, demandés par
la droite raison, tant pour la vie individuelle et sociale que pour la
vie internationale; et elle les a proclamés surtout ces derniers temps.
Compte tenu de la situation présenté, le Concile entend les confirmer et
indiquer quelques orientations en prenant particulièrement en
considération les exigences du développement économique
.
64 Aujourd'hui
plus que jamais, pour faire face à l'accroissement de la population et
pour répondre aux aspirations plus vastes du genre humain, on s'efforce
à bon droit d'élever le niveau de la production agricole et
industrielle, ainsi que le volume des services offerts. C'est pourquoi
il faut encourager le progrès technique, l'esprit d'innovation, la
création et l'extension d'entreprises, l'adaptation des méthodes, les
efforts soutenus de tous ceux qui participent à la production, en un mot
tout ce qui peut contribuer à cet essor. Mais le but fondamental d'une
telle production n'est pas la seule multiplication des biens produits,
ni le profit ou la puissance; c'est le service de l'homme: de l'homme
tout entier, selon la hiérarchie de ses besoins matériels comme des
exigences de sa vie intellectuelle, morale, spirituelle et religieuse;
de tout homme, disons-nous, de tout groupe d'hommes, sans distinction de
race ou de continent. C'est pourquoi l'activité économique, conduite
selon ses méthodes et ses lois propres, doit s'exercer dans les limites
de l'ordre moral
,
afin de répondre au dessein de Dieu sur l'homme
.
65 § 1 Le
développement doit demeurer sous le contrôle de l'homme. Il ne doit pas
être abandonné à la discrétion d'un petit nombre d'hommes ou de groupes
jouissant d'une trop grande puissance économique, ni à celle de la
communauté politique où à celle de quelques nations plus puissantes. Il
convient au contraire que le plus grand nombre possible d'hommes, à tous
les niveaux, et au plan international l'ensemble des nations, puissent
prendre une part active à son orientation. Il faut de même que les
initiatives spontanées des individus et de leurs libres associations
soient coordonnées avec l'action des pouvoirs publics, et qu'elles
soient ajustées et harmonisées entre elles.
§ 2 Le développement
ne peut être laissé ni au seul jeu quasi automatique de l'activité
économique des individus, ni à la seule puissance publique. Il faut donc
dénoncer les erreurs aussi bien des doctrines qui s'opposent aux
réformes indispensables au nom d'une fausse conception de la liberté,
que des doctrines qui sacrifient les droits fondamentaux des personnes
et des groupes à l'organisation collective de la production
.
§ 3 Par ailleurs, les
citoyens doivent se rappeler que c'est leur droit et leur devoir (et le
pouvoir civil doit lui aussi le reconnaître) de contribuer selon leurs
moyens au progrès véritable de la communauté à laquelle ils
appartiennent. Dans les pays en voie de développement surtout, où
l'emploi de toutes les disponibilités s'impose avec un caractère
d'urgence, ceux qui gardent leurs ressources inemployées mettent
gravement en péril le bien commun; il en va de même de ceux qui privent
leur communauté des moyens matériels et spirituels dont elle a besoin,
le droit personnel de migration étant sauf.
66 § 1 Pour
répondre aux exigences de la justice et de l'équité, il faut s'efforcer
vigoureusement, dans le respect des droits personnels et du génie propre
de chaque peuple, de faire disparaître le plus rapidement possible les
énormes inégalités économiques qui s'accompagnent de discrimination
individuelle et sociale; de nos jours elles existent et souvent elles
s'aggravent. De même, en bien des régions, étant donné les difficultés
particulières de la production et de la commercialisation dans le
secteur agricole, il faut aider les agriculteurs à accroître cette
production et à la vendre, à réaliser les transformations et les
innovations nécessaires, à obtenir enfin un revenu équitable; sinon ils
demeureront, comme il arrive trop souvent, des citoyens de seconde zone.
De leur côté, les agriculteurs, les jeunes surtout, doivent s'appliquer
avec énergie à améliorer leur compétence professionnelle, sans laquelle
l'agriculture ne saurait progresser
.
§ 2 De même, la
justice et l'équité exigent que la mobilité, nécessaire à des économies
en progrès, soit aménagée de façon à éviter aux individus et à leurs
familles des conditions de vie instables et précaires. A l'égard des
travailleurs en provenance d'autres pays ou d'autres régions qui
apportent leur concours à la croissance économique d'un peuple ou d'une
province, on se gardera soigneusement de toute espèce de discrimination
en matière de rémunération ou de conditions de travail. De plus, tous
les membres de la société, en particulier les pouvoirs publics, doivent
les traiter comme des personnes et non comme de simples instruments de
production: faciliter la présence auprès d'eux de leur famille, les
aider à se procurer un logement décent et favoriser leur insertion dans
la vie sociale du pays ou de la région d'accueil. On doit cependant,
dans la mesure du possible, créer des emplois dan leurs régions
d'origine elles-mêmes.
§ 3 Dans les
économies actuellement en transition comme dans les formes nouvelles de
la société industrielle, marquées par exemple par le progrès de
l'automation, il faut se préoccuper d'assurer à chacun un emploi
suffisant et adapté, et la possibilité d'une formation technique et
professionnelle adéquate. On doit aussi garantir les moyens d'existence
et la dignité humaine de ceux qui, surtout en raison de la maladie ou
de l'âge, se trouvent dans une situation plus difficile.
67 § 1 Le travail
des hommes, celui qui s'exerce dans la production et l'échange de biens
ou dans la prestation de services économiques, passe avant les autres
éléments de la vie économique, qui n'ont valeur que d'instruments.
§ 2 Ce travail, en
effet, qu'il soit entrepris de manière indépendante ou par contrat avec
un employeur, procède immédiatement de la personne: celle-ci marque en
quelque sorte la nature de son empreinte et la soumet à ses desseins.
Par son travail, l'homme assure habituellement sa subsistance et celle
de sa famille, s'associe à ses frères et leur rend service, peut
pratiquer une vraie charité et coopérer à l'achèvement de la création
divine. Bien plus, par l'hommage de son travail à Dieu, nous tenons que
l'homme est associé à l'œuvre rédemptrice de Jésus-Christ qui a donné au
travail une dignité éminente en œuvrant de ses propres mains à Nazareth.
De là découlent pour tout homme le devoir de travailler loyalement aussi
bien que le droit au travail. En fonction des circonstances concrètes,
la société doit, pour sa part, aider les citoyens en leur permettant de
se procurer un emploi suffisant. Enfin, compte tenu des fonctions et de
la productivité de chacun, de la situation de l'entreprise et du bien
commun, la rémunération du travail doit assurer à l'homme des ressources
qui lui permettent, à lui et à sa famille, une vie digne sur le plan
matériel, social, culturel et spirituel
.
§ 3 Comme l'activité
économique est le plus souvent le fruit du travail associé des hommes,
il est injuste et inhumain de l'organiser et de l'ordonner au détriment
de quelque travailleur que ce soit. Or il est trop courant, même de nos
jours, que ceux qui travaillent soient en quelque sorte asservis à leurs
propres œuvres ; ce que de soi-disant lois économiques ne justifient en
aucun façon. Il importe donc d'adapter tout le processus du travail
productif aux besoins de la personne et aux modalités de son existence,
en particulier de la vie du foyer (surtout en ce qui concerne les mères
de famille), en tenant toujours compte du sexe et de l'âge. Les
travailleurs doivent aussi avoir la possibilité de développer leurs
qualités et leur personnalité dans l'exercice même de leur travail. Tout
en y appliquant leur temps et leurs forces d'une manière consciencieuse,
que tous jouissent par ailleurs d'un temps de repose et de loisir
suffisant qui leur permette aussi d'entretenir une vie familiale,
culturelle, sociale et religieuse. Bien plus, ils doivent avoir la
possibilité de déployer librement des facultés et des capacités qu'ils
ont peut-être peu l'occasion d'exercer dans leur travail professionnel.
68 § 1 Dans les
entreprises économiques, ce sont des personnes qui sont associées entre
elles, c'est-à-dire des êtres libres et autonomes, créés à l'image de
Dieu. Aussi, en prenant en considération les fonctions des une et des
autres, propriétaires, employeurs, cadres, ouvriers, et en sauvegardant
la nécessaire unité de direction, il faut promouvoir, selon des
modalités à déterminer au mieux, la participation active de tous à la
gestion des entreprises
.
Et comme, bien souvent, ce n'est déjà plus au niveau de l'entreprise,
mais à des instances supérieures, que se prennent les décisions
économiques et sociales dont dépend l'avenir des travailleurs et de
leurs enfants, ceux-ci doivent également participer à ces décisions,
soit par eux-mêmes, soit par leurs représentants librement choisis.
§ 2 Il faut mettre au
rang des droits fondamentaux de la personne le droit des travailleurs de
fonder librement des associations capables de les représenter d'une
façon valable et de collaborer à la bonne organisation de la vie
économique, ainsi que le droit de prendre librement part aux activités
de ces associations, sans courir le risque de représailles. Grâce à
cette participation organisée, jointe à un progrès de la formation
économique et sociale, le sens des responsabilités grandira de plus en
plus chez tous: ils seront ainsi amenés à se sentir associé, selon leurs
moyens et leurs aptitudes personnels, à l'ensemble du développement
économique et social ainsi qu'à la réalisation du bien commun universel.
§ 3 En cas de
conflits économico-sociaux, on doit s'efforcer de parvenir à une
solution pacifique. Mais, s'il faut toujours recourir d'abord au
dialogue sincère entre les parties, la grève peut cependant, même dans
les circonstances actuelles, demeurer un moyen nécessaire, bien
qu'ultime, pour la défense des droits propres et la réalisation des
justes aspirations des travailleurs. Que les voies de la négociation et
du dialogue soient toutefois reprises, dès que possible, en vue d'un
accord.
69 § 1 Dieu a
destiné la terre et tout ce qu'elles contient à l'usage de tous les
hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création
doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon le règle de
la justice, inséparable de la charité
.
Quelles que soient les formes de la propriété, adaptées aux légitimes
institutions des peuples, selon des circonstances diverses et
changeantes, on doit toujours tenir compote de cette destination
universelle des biens. C'est pourquoi l'homme, dans l'usage qu'il en
fait, ne doit jamais tenir les choses qu'il possède légitimement comme
n'appartenant qu'à lui, mais les regarder aussi comme communes : en ce
sens qu'elles puissent profiter non seulement à lui, mais aussi aux
autres
.
D'ailleurs, tous les hommes ont le droit d'avoir une part suffisante de
biens pur eux-mêmes et leur famille. C'est ce qu'on pensé les Pères et
les docteurs de l'Église qui enseignaient que l'on est tenu d'aider les
pauvres, et pas seulement au moyen de son superflu
.
Quant à celui qui se trouve dans l'extrême nécessité, il a le droit de
se procurer l'indispensable à partir des richesses d'autrui
.
Devant un si grand nombre d'affamés de par le monde, le Concile insiste
auprès de tous et auprès des autorités pour qu'ils se souviennent de ce
mot des Pères : «Donne à manger à celui qui meurt de faim car, si tu ne
lui as pas donné à manger, tu l'as tué»
;
et pour que, selon les possibilités de chacun, ils partagent et
emploient vraiment leurs biens en procurant avant tout aux individus et
aux peuples les moyens qui leur permettront de s'aider eux-mêmes et de
se développer.
§ 2 Fréquemment, dans
des sociétés économiquement moins développées, la destination commune
des biens est partiellement réalisée par des coutumes et des traditions
communautaires, garantissant à chaque membre les biens les plus
nécessaires. Certes, il faut éviter de considérer certaines coutumes
comme tout à fait immuables, si elles ne répondent plus aux nouvelles
exigences de ce temps; mais, à l'inverse, il ne faut pas attenter
imprudemment à ces coutumes honnêtes qui, sous réserve d'une saine
modernisation, peuvent encore rendre de grands services. De même, dans
les pays économiquement très développés, un réseau d'institutions
sociales, d'assurance et de sécurité, peut réaliser en partie la
destination commune des biens. Il importe de poursuivre le développement
des services familiaux et sociaux, principalement de ceux qui
contribuent à la culture et à l'éducation. Mais, dans l'aménagement de
toutes ces institutions, il faut veiller à ce que le citoyen ne soit pas
conduit à adopter vis-à-vis de la société une attitude de passivité,
d'irresponsabilité ou de refus de service.
70 Les
investissements, de leur côté, doivent tendre à assurer des emplois et
des revenus suffisants tant à la population active d'aujourd'hui qu'à
celle de demain. Tous ceux qui décident de ces investissements, comme de
l'organisation de la vie économique (individus, groupes, pouvoirs
publics) doivent avoir ces buts à cœur et se montrer conscients de leurs
graves obligations; d'une part, prendre des dispositions pour faire face
aux nécessités d'une vie décente, tant pour les individus que pour la
communauté tout entière; d'autre part, prévoir l'avenir et assurer un
juste équilibre entre les besoins de la consommation actuelle,
individuelle et collective, et les exigences d'investissement pour la
génération qui vient. On doit également avoir toujours en vue les
besoins pressants des nations et des régions économiquement moins
avancées. Par ailleurs, en matière monétaire, il faut se garder
d'attenter au bien de son propre pays ou à celui des autres nations. On
doit s'assurer en outre que ceux qui sont économiquement faibles ne
soient pas injustement lésés par des changements dans la valeur de la
monnaie.
71 § 1 La
propriété et les autres formes de pouvoir privé sur les biens extérieurs
contribuent à l'expression de la personne et lui donnent l'occasion
d'exercer sa responsabilité dans la société et l'économie. Il est donc
très important de favoriser l'accession des individus et des groupes à
un certain pouvoir sur les biens extérieurs.
§ 2 La propriété
privée ou un certain pouvoir sur les biens extérieurs assurent à chacun
une zone indispensable d'autonomie personnelle et familiale; il faut les
regarder comme un prolongement de la liberté humaine. Enfin, en
stimulant l'exercice de la responsabilité, ils constituent l'une des
conditions des libertés civiles
.
§ 3 Les formes d'un
tel pouvoir ou propriété sont aujourd'hui variées; et leur diversité ne
cesse de s'amplifier. Toutes cependant demeurent, à côté des fonds
sociaux, des droits et des services garantis par la société, une source
de sécurité non négligeable. Et ceci n'est pas vrai des seules
propriétés matérielles, mais aussi des biens immatériels, comme les
capacités professionnelles.
§ 4 La légitimité de
la propriété privée ne fait toutefois pas obstacle à celle des divers
modes de propriétés publiques, à condition que le transfert des biens au
domaine public soit effectué par la seule autorité compétente, selon les
exigences du bien commun, dans les limites de celui-ci et au prix d'une
indemnisation équitable. L'État a, par ailleurs, compétence pour
empêcher qu'on abuse de la propriété privée contrairement au bien commun
.
§ 5 De par sa nature
même, la propriété privée a aussi un caractère social, fondé dans la loi
de commune destination des biens
.
Là où ce caractère social n'est pas respecté, la propriété peut devenir
une occasion fréquente de convoitises et de graves désordres: prétexte
est ainsi donné à ceux qui contestent le droit même de propriété.
§ 6 Dans plusieurs
régions économiquement moins développées, il existe des domaines ruraux
étendus et même immenses, médiocrement cultives ou mis en réserve à des
fins de spéculation, alors que la majorité de la population est
dépourvue de terres ou n'en détient qu'une quantité dérisoire et que,
d'autre part, l'accroissement de la production agricole présente un
caractère d'urgence évident. Souvent, ceux qui sont employés par les
propriétaires de ces grands domaines, ou en cultivent des parcelles
louées, ne reçoivent que des salaires ou des revenus indignes de
l'homme; ils ne disposent pas de logement décent et sont exploités par
des intermédiaires. Dépourvus de toute sécurité, ils vivent dans une
dépendance personnelle telle qu'elle leur interdit presque toute
possibilité d'initiative et de responsabilité, toute promotion
culturelle, toute participation à la vie sociale et politique. Des
réformes s'imposent donc, visant, selon les cas, à accroître les
revenus, à améliorer les conditions de travail et la sécurité de
l'emploi, à favoriser l'initiative, et même à répartir les propriétés
insuffisamment cultivées au bénéfice d'hommes capables de les faire
valoir. En l'occurrence, les ressources et les instruments
indispensables doivent leur être assurés, en particulier les moyens
d'éducation et la possibilité d'une juste organisation de type
coopératif. Chaque fois que le bien commun exigera l'expropriation,,
l'indemnisation devra s'apprécier selon l'équité, compte tenu de toutes
les circonstances.
72 § 1 Les
chrétiens actifs dans le développement économico-social et dans la lutte
pour le progrès de la justice et de la charité doivent être persuadés
qu'ils peuvent ainsi beaucoup pour la prospérité de l'humanité et la
paix du monde. Dans ces diverses activités, qu'ils brillent par leur
exemple, individuel et collectif. Tout en s'assurant la compétence et
l'expérience absolument indispensables, qu'ils maintiennent, au milieu
des activités terrestres, une juste hiérarchie des valeurs, fidèles au
Christ et à son Évangile, pour que toute leur vie, tant individuelle que
sociale, soit pénétrée de l'esprit des Béatitudes, et en particulier de
l'esprit de pauvreté.
§ 2 Quiconque,
suivant le Christ, cherche d'abord le royaume de Dieu, y trouve un amour
plus fort et plus pur pour aider tous ses frères et pour accomplir une
œuvre de justice, sous l'impulsion de l'amour
.
73 § 1 De
profondes transformations se remarquent aussi de nos jours dans les
structures et dans les institutions des peuples; elles accompagnent leur
évolution culturelle, économique et sociale. Ces changements exercent
une grande influence sur la vie de la communauté politique, notamment en
ce qui concerne les droits et les devoirs de chacun dans l'exercice de
la liberté civique et dans la poursuite du bien commun, comme pour ce
qui regarde l'organisation des relations des citoyens entre eux et avec
les pouvoirs publics.
§ 2 La conscience de
la dignité humaine est devenue plus vive. D'où, en diverses régions du
monde, l'effort pour instaurer un ordre politico-juridique dans lequel
les droits de la personne au sein de la vie publique soient mieux
protégés : par exemple, les droits de libre réunion et d'association, le
droit d'exprimer ses opinions personnelles et de professer sa religion
en privé et en public. La garantie des droits de la personne est en
effet une condition indispensable pour que les citoyens,
individuellement ou en groupe, puissent participer activement à la vie
et à la gestion des affaires publiques.
§ 3 En étroite
liaison avec le progrès culturel, économique et social, le désir
s'affirme chez un grand nombre d'hommes de prendre davantage part à
l'organisation de la communauté politique. Dans la conscience de
beaucoup s'intensifie le souci de préserver les droits des minorités à
l'intérieur d'une nation, sans négliger pour autant leurs obligations à
l'égard de la communauté politique. De plus, le respect de ceux qui
professent une opinion ou une religion différentes grandit de jour en
jour. En même temps, une plus large collaboration s'établit, capable
d'assurer à tous les citoyens, et non seulement à quelques privilégiés,
la jouissance effective des droits attachés à la personne.
§ 4 On rejette u
contraire toutes les formes politiques, telles qu'elles existent en
certaines régions, qui font obstacle à la liberté civile ou religieuse,
multiplient les victimes des passions et des crimes politiques et
détournent au profit de quelque faction ou des gouvernants eux-mêmes
l'action de l'autorité au lieu de la faire servir au bien commun.
§ 5 Pour instaurer
une vie politique vraiment humaine, rien n'est plus important que de
développer le sens intérieur de la justice, de la bonté, le dévouement
au bien commun, et de renforcer les convictions fondamentales sur la
nature véritable de la communauté politique, comme sur la fin, le bon
exercice et les limites de l'autorité publique.
74 § 1 Individus,
familles, groupements divers, tous ceux qui constituent la communauté
civile, ont conscience de leur impuissance à réaliser seuls une vie
pleinement humaine et perçoivent la nécessité d'une communauté plus
vaste à l'intérieur de laquelle tous conjuguent quotidiennement leurs
forces en vue d'une réalisation toujours plus parfaite du bien commun
.
C'est pourquoi ils forment une communauté politique selon des types
institutionnels variés. Celle-ci existe donc pour le bien commun ; elle
trouve en lui sa pleine justification et sa signification et c'est de
lui qu'elle tire l'origine de son droit propre. Quant au bien commun, il
comprend l'ensemble des conditions de vie sociale qui permettent aux
hommes, aux familles et aux groupements de s'accomplir plus complètement
et plus facilement
.
§ 2 Mais les hommes
qui se retrouvent dans la communauté politique sont nombreux,
différents, et ils peuvent à bon droit incliner vers des opinions
diverses. Aussi, pour empêcher que, chacun opinant dans son sens, la
communauté politique ne se disloque, une autorité s'impose qui soit
capable d'orienter vers le bien commun les énergies de tous, non d'une
manière mécanique ou despotique, mais en agissant avant tout comme une
force morale qui prend appui sur la liberté et le sens de la
responsabilité.
§ 3 De toute
évidence, la communauté politique et l'autorité publique trouvent donc
leur fondement dans la nature humaine et relèvent par là d'un ordre fixé
par Dieu, encore que la détermination des régimes politiques, comme la
désignation des dirigeants, soient laissées à la libre volonté des
citoyens
.
§ 4 Il s'ensuit
également que l'exercice de l'autorité politique, soit à l'intérieur de
la communauté comme telle, soit dans les organismes qui représentent
l’État, doit toujours se déployer dans les limites de l'ordre moral, en
vue du bien commun (mais conçu d'une manière dynamique), conformément à
un ordre juridique légitimement établi ou à établir. Alors les citoyens
sont en conscience tenus à l'obéissance
.
D'où, assurément, la responsabilité, la dignité et l'importance du rôle
de ceux qui gouvernent.
§ 5 Si l'autorité
publique, débordant sa compétence, opprime les citoyens, que ceux-ci ne
refusent pas ce qui est objectivement requis par le bien commun; mais
qu'il leur soit cependant permis de défendre leurs droits et ceux de
leurs concitoyens contre les abus du pouvoir, en respectant les limites
tracées par la loi naturelle et la loi évangélique.
§ 6 Quant aux
modalités concrètes par lesquelles une communauté politique se donne sa
structure et organise le bon équilibre des pouvoirs publics, elles
peuvent être diverses, selon le génie propre de chaque peuple et la
marche de l'histoire. Mais elles doivent toujours servir à la formation
d'un homme cultive, pacifique, bienveillant à l'égard de tous, pour
l'avantage de toute la famille humaine.
75 § 1 Il est
pleinement conforme à la nature de l'homme que l'on trouve des
structures politico-juridiques qui offrent sans cesse davantage à tous
les citoyens, sans aucune discrimination, la possibilité effective de
prendre librement et activement part tant à l'établissement des
fondements juridiques de la communauté politique qu'à la gestion des
affaires publiques, à la détermination du champ d'action et des buts des
différents organes, et à l'élection des gouvernants
.
Que tous les citoyens se souviennent donc à la fois du droit et du
devoir qu'ils sont d'user de leur libre suffrage, en vue du bien commun.
L'Église tient en grande considération et estime l'activité de ceux qui
se consacrent au bien de la chose publique et en assurent les charges
pour le service de tous.
§ 2 Pour que la
coopération de citoyens responsables aboutisse à d'heureux résultats
dans la vie politique de tous les jours, un statut de droit positif est
nécessaire, qui organise une répartition convenable des fonctions et des
organes du pouvoir ainsi qu'une protection efficace des droits,
indépendante de quiconque. Que les droits de toutes les personnes, des
familles et des groupes, ainsi que leur exercice, soient reconnus,
respectés et valorisés
,
non moins que les devoirs civiques auxquels sont astreints tous les
citoyens. Parmi ces derniers, il faut rappeler l'obligation de rendre à
l’État les services matériels et personnels requis par le bien commun.
Les gouvernants se garderont de faire obstacle aux associations
familiales, sociales et culturelles, aux corps et institutions
intermédiaires, ou d'empêcher leurs activités légitimes et efficaces;
qu'ils aiment plutôt les favoriser, dans l'ordre. Quant aux citoyens,
individuellement ou en groupe, qu'ils évitent de conférer aux pouvoirs
publics une trop grande puissance; qu'ils ne s'adressent pas à eux d'une
manière intempestive pour réclamer des secours et des avantages
excessifs, au risque d'amoindrir la responsabilité des personnes, des
familles et des groupes sociaux.
§ 3 A notre époque,
la complexité croissante des circonstances oblige les pouvoirs publics à
intervenir plus fréquemment, en matière sociale, économique et
culturelle, pour préparer des conditions plus favorables qui permettent
aux citoyens et aux groupes de poursuivre d'une manière plus efficace la
réalisation du bien complet de l'homme, dans la liberté. Assurément,
selon les régions et selon l'évolution des peuples, les relations entre
la socialisation
et l'autonomie ou de développement de la personne peuvent être comprises
de divers façons. Mais si, en vue du bien commun, on restreint pour un
temps l'exercice des droits, que l'on rétablisse au plus tôt la liberté
quand les circonstances auront changé. Il est en tout cas inhumain que
le gouvernement en vienne à des formes totalitaires ou à des formes
dictatoriales qui lèsent gravement le droit des personnes ou des groupes
sociaux.
§ 4 Que les citoyens
cultivent avec magnanimité et loyauté l'amour de la patrie, mais sans
étroitesse d'esprit, c'est-à-dire de telle façon qu'en même temps ils
prennent toujours en considération le bien de toute la famille humaine
qui rassemble races, peuples et nations, unis par toutes sortes de
liens.
§ 5 Tous les
chrétiens doivent prendre conscience du rôle particulier et propre qui
leur échoit dans la communauté politique : ils sont tenus à donner
l'exemple en développant en eux le sens des responsabilités et du
dévouement au bien commun ; ils montreront ainsi par les faits comment
on peut harmoniser l'autorité avec la liberté, l'initiative personnelle
avec la solidarité et les exigences de tout le corps social, les
avantages de l'unité avec les diversités fécondes. En ce qui concerne
l'organisation des choses terrestres, qu'ils reconnaissent comme
légitimes des manières de voir par ailleurs opposées entre elles et
qu'ils respectent les citoyens qui, en groupe aussi, défendent
honnêtement leur opinion. Quant aux partis politiques, ils sont le
devoir de promouvoir ce qui, à leur jugement, est exigé par le bien
commun; mais il ne leur est jamais permis de préférer à celui-ci leur
intérêt propre.
§ 6 Pour que tous les
citoyens soient en mesure de jouer leur rôle dans la vie de la
communauté politique, on doit avoir un grand souci de l'éducation
civique et politique; elle est particulièrement nécessaire aujourd'hui,
soit pour l'ensemble des peuples, soit, et surtout, pour les jeunes.
Ceux qui sont, ou peuvent devenir, capables d'exercer l'art très
difficile, mais aussi très noble
de la politique, doivent s'y préparer; qu'ils s'y livrent avec zèle,
sans se soucier de leur intérêt personnel ni des avantages matériels.
Ils lutteront avec intégrité et prudence contre l'injustice et
l'oppression, contre l'absolutisme et l'intolérance, qu'elles soient le
fait d'un homme ou d'un parti politique; et ils se dévoueront au bien de
tous avec sincérité et droiture, bien plus, avec l'amour et le courage
requis par la vie politique.
76 § 1 Surtout là
où existe une société de type pluraliste, il est d'une haute importance
que l'on ait une vue juste des rapports entre la communauté politique et
l'Église; et que l'on distingue nettement entre les actions que les
fidèles, isolément ou en groupe, posent en leur nom propre comme
citoyens, guidés par leur conscience chrétienne, et les actions qu'ils
mènent au nom de l'Église, en union avec leurs pasteurs.
§ 2 L'Église qui, en
raison de sa charge et de sa compétence, ne se confond d'aucune manière
avec la communauté politique et n'est liée à aucun système politique,
est à la fois le signe et la sauvegarde du caractère transcendant de la
personne humaine.
§ 3 Sur le terrain
qui leur est propre, la communauté politique et l'Église sont
indépendantes l'une de l'autre et autonomes. Mais toutes deux, quoique à
des titres divers, sont au service de la vocation personnelle et sociale
des mêmes hommes. Elles exerceront d'autant plus efficacement ce service
pour le bien de tous qu'elles rechercheront davantage entre elles une
saine coopération, en tenant également compte des circonstances de temps
et de lieu. L'homme, en effet, n'est pas limité aux seuls horizons
terrestres, mais, vivant dans l'histoire humaine, il conserve
intégralement sa vocation éternelle. Quant à l'Église, fondée dans
l'amour du Rédempteur, elle contribue à étendre le règne de la justice
et de la charité à l'intérieur de chaque nation et entre les nations. En
prêchant la vérité de l’Évangile, en éclairant tous les secteurs de
l'activité humaine par sa doctrine et par le témoignage que rendent des
chrétiens, l'Église respecte et promeut aussi la liberté politique et la
responsabilité des citoyens.
§ 4 Lorsque les
apôtres, leurs successeurs et les coopérateurs de ceux-ci, sont envoyés
pour annoncer aux hommes le Christ Sauveur du monde, leur apostolat
prend appui sur la puissance de Dieu qui, très souvent, manifeste la
force de l’Évangile dans la faiblesse des témoins. Il faut en effet que
tous ceux qui se vouent au ministère de la parole divine utilisent les
voies et les moyens propres à l’Évangile qui, sur bien des points, sont
autres que ceux de la cité terrestre.
§ 5 Certes, les
choses d'ici-bas et celles qui, dans la condition humaine, dépassent ce
monde, sont étroitement liées, et l'Église elle-même se sert
d'instruments temporels dans la mesure où sa propre mission le demande.
Mais elle ne place pas son espoir dans les privilèges offerts par le
pouvoir civil. Bien plus, elle renoncera à l'exercice de certains droits
légitimement acquis, s'il est reconnu que leur usage peut faire douter
de la pureté de son témoignage ou si des circonstances nouvelles exigent
d'autres dispositions. Mais il est juste qu'elle puisse partout et
toujours prêcher la foi avec une authentique liberté, enseigner sa
doctrine sur la société, accomplir sans entraves sa mission parmi les
hommes, porter un jugement moral, même en des matières qui touchent le
domaine politique, quand les droits fondamentaux de la personne ou le
salut des âmes l'exigent, en utilisant tous les moyens, et ceux-là
seulement, qui sont conformes à l’Évangile et en harmonie avec le bien
de tous, selon la diversité des temps et des situations.
§ 6 Par son
attachement et sa fidélité à l’Évangile, par l'accomplissement de sa
mission dans le monde, l'Église, à qui il appartient de favoriser et
d'élever tout ce qui se trouve de vrai, de bon, de beau dans la
communauté humaine
,
renforce la paix entre les hommes pour la gloire de Dieu
.
77 § 1 En ces
années mêmes, où les douleurs et les angoisses de guerres tantôt
dévastatrices et tantôt menaçantes pèsent encore si lourdement sur nous,
la famille humaine tout entière parvient à un moment décisif de son
évolution. Peu à peu rassemblée, partout déjà plus consciente de son
unité, elle doit entreprendre une œuvre qui ne peut être menée à bien
que par la conversion renouvelée de tous à une paix véritable: édifier
un monde qui soit vraiment plus humain pour tous et en tout lieu. Alors,
le message de l’Évangile, rejoignant les aspirations et l'idéal le plus
élevé de l'humanité, s'illuminera de nos jours d'une clarté nouvelle,
lui qui proclame bienheureux les artisans de la paix, «car ils seront
appelés fils de Dieu» (Mt 5,9).
§ 2 C'est pourquoi le
Concile, après avoir mis en lumière la conception authentique et très
noble de la paix et condamné la barbarie de la guerre, se propose de
lancer un appel ardent aux chrétiens pour qu'avec l'aide du Christ,
auteur de la paix entre eux, dans la justice et l'amour, et à en
préparer les moyens.
78 § 1 La paix
n'est pas une pure absence de guerre et elle ne se borne pas seulement à
assurer l'équilibre de forces adverses; elle ne provient pas non plus
d'une domination despotique, mais c'est en toute vérité qu'on la définit
«œuvre de justice» (Is 32,17). Elle est le fruit d'un ordre
inscrit dans la société humaine par son divin fondateur, et qui doit
être réalisé par des hommes qui ne cessent d'aspirer à une justice plus
parfaite. En effet, encore que le bien commun du genre humain soit
assurément régi dans sa réalité fondamentale par la loi éternelle, dans
ses exigences concrètes il est pourtant soumis à d'incessants
changements avec la marche du temps : la paix n'est jamais chose acquise
une fois pour toutes, mais sans cesse à construire. Comme de plus la
volonté humaine est fragile et qu'elle est blessée par le péché,
l'avènement de la paix exige de chacun le constant contrôle de ses
passions et la vigilance de l'autorité légitime.
§ 2 Mais ceci est
encore insuffisant. La paix dont nous parlons ne peut s'obtenir sur
terre sans la sauvegarde du bien des personnes, ni sans la libre et
confiante communication entre les hommes des richesses de leur esprit et
de leurs facultés créatrices. La ferme volonté de respecter les autres
hommes et les autres peuples ainsi que leur dignité, la pratique assidue
de la fraternité sont absolument indispensables à la construction de la
paix. Ainsi la paix est-elle aussi le fruit de l'amour qui va bien
au-delà de ce que la justice peut apporter.
§ 3 La paix terrestre
qui naît de l'amour du prochain est elle-même image et effet de la paix
du Christ qui vient de Dieu le Père. Car le Fils incarné en personne,
prince de la paix, a réconcilié tous les hommes avec Dieu par sa croix,
rétablissant l'unité de tous en un seul peuple et un seul corps. Il a
tué la haine dans sa propre chair
et, après le triomphe de sa résurrection, il a répandu l'Esprit de
charité dans le cœur des hommes.
§ 4 C'est pourquoi,
accomplissant la vérité dans la charité (cf. Ep 4,15), tous les
chrétiens sont appelés avec insistance à se joindre aux hommes
véritablement pacifiques pour implorer et instaurer la paix.
§ 5 Poussés par le
même esprit, nous ne pouvons pas ne pas louer ceux qui, renonçant à
l'action violente pour la sauvegarde des droits, recourent à des moyens
de défense qui, par ailleurs, sont à la portée même des plus faibles,
pourvu que cela puisse se faire sans nuire aux droits et aux devoirs des
autres ou de la communauté.
§ 6 Dans la mesure où
les hommes sont pécheurs, le danger de guerre menace, et il en sera
ainsi jusqu'au retour du Christ. Mais dans la mesure où, unis dans
l'amour, les hommes surmontent le péché, ils surmontent aussi la
violence, jusqu'à l'accomplissement de cette parole : «De leurs épées
ils forgeront des socs et de leurs lances des faucilles. Les nations ne
tireront plus l'épée l'une contre l'autre et ne s'exerceront plus au
combat» (Is 2,14).
79 § 1 Bien que
les dernières guerres aient apporté à notre monde de terribles maux
d'ordre matériel comme d'ordre moral, chaque jour encore la guerre
poursuit ses ravages en quelque point du globe. Bien plus, étant donné
qu'on emploie des armes scientifiques de tout genre pour faire la
guerre, sa sauvagerie menace d'amener les combattants à une barbarie
bien pire que celle d'autrefois. En outre, la complexité de la situation
actuelle et l'enchevêtrement des relations internationales permettent
que, par de nouvelles méthodes insidieuses et subversives, des guerres
larvées traînent en longueur. Dans bien des cas, le recours aux procédés
du terrorisme est regardé comme une nouvelle forme de guerre.
§ 2 Considérant cet
état lamentable de l'humanité, le Concile, avant tout, entend rappeler
la valeur permanente du droit des gens et de ses principes universels.
Ces principes, la conscience même du genre humain les proclame fermement
et avec une vigueur croissante. Les actions qui leur sont délibérément
contraires sont donc des crimes, comme les ordres qui commandent de
telles actions; et l'obéissance aveugle ne suffit pas à excuser ceux qui
s'y soumettent. Parmi ces actions, il faut compter en tout premier lieu
celles par lesquelles, pour quelque motif et par quelque moyen que ce
soit, on extermine tout un peuple, une nation ou une minorité ethnique:
ces actions doivent être condamnées comme des crimes affreux, et avec la
dernière énergie. Et l'on ne saurait trop louer le courage de ceux qui
ne craignent point de résister ouvertement aux individus qui ordonnent
de tels forfaits.
§ 3 Il existe, pour
tout ce qui concerne la guerre, diverses conventions internationales,
qu'un assez grand nombre de pays ont signées en vue de rendre moins
inhumaines les actions militaires et leurs conséquences. Telles sont les
conventions relatives au sort des soldats blessés, à celui des
prisonniers, et divers engagements de ce genre. Ces accords doivent être
observés; bien plus, tous, particulièrement les autorités publiques
ainsi que les personnalités compétentes, doivent s'efforcer autant
qu'ils le peuvent de les améliorer et de leur permettre ainsi de mieux
contenir, et de façon plus efficace, l'inhumanité des guerres. Il semble
en outre équitable que les lois pourvoient avec humanité au cas de ceux
qui, pour des motifs de conscience, refusent l'emploi des armes, pourvu
qu'ils acceptent cependant de servir sous une autre forme la communauté
humaine.
§ 4 La guerre,
assurément, n'a pas disparu de l'horizon humain. Et aussi longtemps que
le risque de guerre subsistera, qu'il n'y aura pas d'autorité
internationale compétente et disposant de forces suffisantes, on ne
saurait dénier aux gouvernements, une fois épuisées toutes les
possibilités de règlement pacifique, le droit de légitime défense. Les
chefs d'État et ceux qui partagent les responsabilités des affaires
publiques ont donc le devoir d'assurer la sauvegarde des peuples dont
ils ont la charge, en ne traitant pas à la légère des questions aussi
sérieuses. Mais fa ire la guerre pour la juste défense des peuples est
une chose, vouloir imposer son empire à d'autres nations en est une
autre. La puissance des armes ne légitime pas tout usage de cette force
à des fins politiques ou militaires. Et ce n'est pas parce que la guerre
est malheureusement engagée que tout devient, par le fait même, licite
entre parties adverses.
§ 5 Quant à ceux qui
se vouent au service de la patrie dans la vie militaire, qu'ils se
considèrent eux aussi comme les serviteurs de la sécurité et de la
liberté des peuples; s'ils s'acquittent correctement de cette tâche, ils
concourent vraiment au maintien de la paix.
80 § 1 Le progrès
de l'armement scientifique accroît démesurément l'horreur et la
perversion de la guerre. Les actes belliqueux, lorsqu'on emploie de
telles armes, peuvent en effet causer d'énormes destructions, faites
sans discrimination, qui du coup vont très au-delà des limites d'une
légitime défense. Qui plus est, si l'on utilisait complètement les
moyens déjà stockés dans les arsenaux des grandes puissances, il n'en
résulterait rien de moins que l'extermination presque totale et
parfaitement réciproque de chacun des adversaires par l'autre, sans
parler des nombreuses dévastations qui s'ensuivraient dans le monde et
des effets funestes découlant de l'usage de ses armes.
§ 2 Tout cela nous
force à reconsidérer la guerre dans un esprit entièrement nouveau
.
Que les hommes d'aujourd'hui sachent qu'ils auront de lourds comptes à
rendre de leurs actes de guerre. Car le cours des âges à venir dépendra
pour beaucoup de leurs décisions d'aujourd'hui.
§ 3 Dans une telle
conjoncture, faisant siennes les condamnations de la guerre totale déjà
prononcées par les derniers papes
,
ce saint Synode déclare:
§ 4 Tout acte de
guerre qui tend indistinctement à la destruction de villes entières ou
de vastes régions avec leurs habitants est un crime contre Dieu et
contre l'homme lui-même, qui doit être condamné fermement et sans
hésitation.
§ 5 Le risque
particulier de la guerre moderne consiste en ce qu'elle fournit pour
ainsi dire l'occasion à ceux qui possèdent des armes scientifiques plus
récentes de commettre de tels crimes; et, par un enchaînement en quelque
sorte inexorable, elle peut pousser la volonté humaine aux plus atroces
décisions. Pour que jamais plus ceci ne se produise, les évêques du
monde entier, rassemblés et ne faisant qu'un, adjurent tous les hommes,
tout particulièrement les chefs d’État et les autorités militaires, de
peser à tout instant une responsabilité aussi immense devant Dieu et
devant toute l'humanité.
81 § 1 Les armes
scientifiques, il est vrai, n'ont pas été accumulées dans la seule
intention d'être employées en temps de guerre. En effet, comme on estime
que la puissance défensive de chaque camp dépend de la capacité
foudroyante d'exercer des représailles, cette accumulation d'armes, qui
s'aggrave d'année en année, sert d'une manière paradoxale à détourner
des adversaires éventuels. Beaucoup pensent que c'est là le plus
efficace des moyens susceptibles d'assurer aujourd'hui une certaine paix
entre les nations.
§ 2 Quoi qu'il en
soit de ce procédé de dissuasion, on doit néanmoins se convaincre que la
course aux armements, à laquelle d'assez nombreuses nations s'en
remettent, ne constitue pas une voie sûre pour le ferme maintien de la
paix et que le soi-disant équilibre qui en résulte n'est ni une paix
stable, ni une paix véritable. Bien loin d'éliminer ainsi les causes de
guerre, on risque au contraire de les aggraver peu à peu. Tandis qu'on
dépense des richesses fabuleuses dans la préparation d'armes toujours
nouvelles, il devient impossible de porter suffisamment remède à tant de
misères présentes de l'univers. Au lieu d'apaiser véritablement et
radicalement les conflits entre nations, on en répand plutôt la
contagion à d'autres parties du monde. Il faudra choisir des voies
nouvelles en partant de la réforme des esprits pour en finir avec ce
scandale et pour pouvoir ainsi libérer le monde de l'anxiété qui
l'opprime et lui rendre une paix véritable.
§ 3 C'est pourquoi il
faut derechef déclarer: la course aux armements est une plaie
extrêmement grave de l'humanité et lèse les pauvres d'une manière
intolérable. Et il est bien à craindre que, si elle persiste, elle
n'enfante un jour les désastres mortels dont elle préparer déjà les
moyens.
§ 4 Avertis des
catastrophes que le genre humain a rendues possibles, mettons à profit
le délai dont nous jouissons et qui nous est concédé d'en haut pour que,
plus conscients de nos responsabilités personnelles, nous trouvions les
méthodes qui nous permettront de régler nos différents d'une manière
plus digne de l'homme. La Providence divine requiert instamment de nous
que nous nous libérions de l'antique servitude de la guerre.0 Où nous
conduit la voie funeste sur laquelle nous nous sommes engagés si nous
nous refusons à faire cet effort, nous l'ignorons.
82 § 1 Il est donc
clair que nous devons tendre à préparer de toutes nos forces ce moment
où, de l'assentiment général des nations, toute guerre pourra être
absolument interdite. Ce qui assurément, requiert l'institution d'une
autorité publique universelle, reconnue par tous, qui jouisse d'une
puissance efficace, susceptible d'assurer à tous la sécurité, le respect
de la justice et la garantie des droits. Mais, avant que cette autorité
souhaitable puisse se constituer, il faut que les instances
internationales suprêmes d'aujourd'hui s'appliquent avec énergie à
l'étude des moyens les plus capables de procurer la sécurité commune.
Comme la paix doit naître de la confiance mutuelle entre peuples au lieu
d'être imposée aux nations par la terreur des armes, tous doivent
travailler à mettre enfin un terme à la course aux armements. Pour que
la réduction des armements commence à devenir une réalité, elle ne doit
certes pas se faire d'une manière unilatérale, mais à la même cadence,
en vertu d'accords, et être assortie de garanties véritables et
efficaces
.
§ 2 En attendant, il
ne faut pas sous-estimer les efforts qui ont déjà été faits et qui
continuent de l'être en vue d'écarter le danger de la guerre. Il faut
plutôt soutenir la bonne volonté de ceux qui, très nombreux, accablés
par les soucis considérables de leurs hautes charges, mais poussés par
la conscience de leurs très lourdes responsabilités, s'efforcent
d'éliminer la guerre dont ils ont horreur, tout en ne pouvant cependant
pas faire abstraction de la complexité des choses telles qu'elles sont.
D'autre part, il faut instamment prier Dieu de leur donner l'énergie
d'entreprendre avec persévérance et de poursuivre avec force cette œuvre
d'immense amour des hommes qu'est la construction virile de la paix. De
nos jours, ceci exige très certainement d'eux qu'ils ouvrent leur
intelligence et leur cœur au-delà des frontières de leur propre pays,
qu'ils renoncent à l'égoïsme national et au désir de dominer les autres
nations, et qu'ils entretiennent un profond respect envers toute
l'humanité, qui s'avance avec tant de difficultés vers une plus grande
unité.
§ 3 En ce qui regarde
les problèmes de la paix et du désarmement, il faut tenir compote des
études approfondies, courageuses et inlassables déjà effectuées et des
congrès internationaux qui ont traité de ce sujet, et les regarder comme
un premier pas vers la solution de si graves questions; à l'avenir, il
faut les poursuivre de façon encore plus vigoureuse si l'on veut obtenir
des résultats pratiques. Que l'on prenne garde cependant de ne point
s'en remettre aux seuls efforts de quelques-uns, sans se soucier de son
état d'esprit personnel. Car les chefs d'État, qui sont les répondants
du bien commun de leur propre nation et en même temps les promoteurs du
bien universel, sont très dépendants des opinions et des sentiments de
la multitude. Il leur est inutile de chercher à faire la paix tant que
les sentiments d'hostilité, de mépris et de défiance, tant que les
haines raciales et les partis pris idéologiques divisent les hommes et
les opposent. D'où l'urgence et l'extrême nécessité d'un renouveau dans
la formation des mentalités et d'un changement de ton dans l'opinion
publique. Que ceux qui se consacrent à une œuvre d'éducation, en
particulier auprès des jeunes, ou qui forment l'opinion publique,
considèrent comme leur plus grave devoir celui d'inculquer à tous les
esprits de nouveaux sentiments générateurs de paix. Nous avons tous
assurément à changer notre cœur et à ouvrir les yeux sur le monde, comme
sur les tâches que nous pouvons entreprendre tous ensemble pour le
progrès du genre humain.
§ 4 Ne nous leurrons
pas de fausses espérances. En effet, si, inimitiés et haines écartées,
nous ne concluons pas des pactes solides et honnêtes assurant pour
l'avenir une paix universelle, l'humanité, déjà en grand péril, risque
d'en venir, malgré la possession d'une science admirable, à cette heure
funeste où elle ne pourra plus connaître d'autre paix que la paix
redoutable de la mort. Mais au moment même où l'Église du Christ,
partageant les angoisses de ce temps, prononce de telles paroles, elle
n'abandonne pas pour autant une très ferme espérance. Ce qu'elle veut,
c'est encore et encore, à temps et à contretemps, présenter à notre
époque le message qui lui vient des apôtres : «Le voici maintenant le
temps favorable» de la conversion des cœurs «le voici maintenant le jour
du salut»
.
83 Pour bâtir la
paix, la toute première condition est l'élimination des causes de
discorde entre les hommes: elles nourrissent les guerres, à commencer
par les injustices. Nombre de celles-ci proviennent d'excessives
inégalités d'ordre économique, ainsi que du retard à y apporter les
remèdes nécessaires. D'autres naissent de l'esprit de domination, du
mépris des personnes et, si nous allons aux causes plus profondes, de
l'envie, de la méfiance, de l'orgueil et des autres passions égoïstes.
Comme l'homme ne peut supporter tant de désordres, il s'ensuit que le
monde, même lorsqu'il ne connaît pas les atrocités de la guerre, n'en
est pas moins continuellement agité par des rivalités et des actes de
violence. En outre, comme ces maux se retrouvent dans les rapports entre
les nations elles-mêmes, il est absolument indispensable que, pour les
vaincre ou les prévenir, et pour réprimer le déchaînement des violences,
les institutions internationales développent et affermissent leur
coopération et leur coordination ; et que l'on provoque sans se lasser
la création d'organismes promoteurs de paix.
84 § 1 Au moment
où se développent les liens d'une étroite dépendance entre tous les
citoyens et tous les peuples de la terre, une recherche adéquate et une
réalisation plus efficace du bien commun universel exigent dès
maintenant que la communauté des nations s'organise selon un ordre qui
corresponde aux tâches actuelles — principalement en ce qui concerne ces
nombreuses régions souffrant encore d'une disette intolérable.
§ 2 Pour atteindre
ces fins, les institutions de la communauté internationale doivent,
chacune pour sa part, pourvoir aux divers besoins des hommes aussi bien
dans le domaine de la vie sociale (alimentation, santé, éducation,
travail s'y rapportent), que pour faire face à maintes circonstances
particulières qui peuvent surgir ici où là : par exemple, la nécessité
d'aider la croissance générale des nations en voie de développement,
celle de subvenir aux misères des réfugiés dispersés dans le monde
entier, celle encore de fournir assistance aux émigrants et à leurs
familles.
§ 3 Les institutions
internationales déjà existantes, tant mondiales que régionales, ont
certes bien mérité du genre humain. Elles apparaissent comme les
premières esquisses des bases internationales de la communauté humaine
tout entière pour résoudre les questions les plus importantes de notre
époque: promouvoir le progrès en tout lieu de la terre et prévenir la
guerre sous toutes ses formes. Dans tous ces domaines, l'Église se
réjouit de l'esprit de fraternité véritable qui est en train de
s'épanouir entre chrétiens et non-chrétiens et tend à intensifier sans
cesse leurs efforts en vue de soulager l'immense misère.
85 § 1 La
solidarité actuelle du genre humain impose aussi l'établissement d'une
coopération internationale plus poussée dans le domaine économique. En
effet, bien que presque tous les peuples aient acquis leur indépendance
politique, il s'en faut de beaucoup qu'ils soient déjà libérés
d'excessives inégalités et de toute forme de dépendance abusive, et à
l'abri de tout danger de graves difficultés intérieures.
§ 2 La croissance
d'un pays dépend de ses ressources en hommes et en argent. L'éducation
et la formation professionnelle doivent préparer les citoyens de chaque
nation à faire face aux diverses tâches de la vie économique et sociale.
Ceci demande l'aide d'experts étrangers; ceux qui l'apportent ne doivent
pas se conduire en maîtres, mais en assistants et en collaborateurs.
Quant à l'aide matérielle aux nations en voie de développement, on ne
pourra la fournir sans de profondes modifications dans les coutumes
actuelles du commerce mondial. D'autres ressources doivent en outre leur
venir des nations évoluées, sous formes de dons, de prêts ou
d'investissements financiers; ces services doivent être rendus
généreusement et sans cupidité d'un côté, reçus en toute honnêteté de
l'autre.
§ 3 Pour édifier un
véritable ordre économique mondial, il faut en finir avec l'appétit de
bénéfices excessifs, avec les ambitions nationales et les volontés de
domination politique, avec les calculs des stratégies militaristes ainsi
qu'avec les manœuvres dont le but est de propager ou d'imposer une
idéologie. Une grande diversité des systèmes économiques et sociaux se
présentent : il est à souhaiter que les hommes compétents puissent y
trouver des bases communes pour un sain commerce mondial, ce qui sera
bien facilité si chacun renonce à ses propres préjugés et se prête sans
retard à un dialogue sincère.
86 § 1 En vue de
cette coopération, les règles suivantes paraissent opportunes :
§ 2 a) Les nations
en voie de développement auront très à cœur d'assigner pour fin au
progrès le plein épanouissement humain de leurs propres citoyens, et
cela d'une manière explicite et non équivoque. Elles se souviendront que
le progrès prend sa source et son dynamisme avant tout dans le travail
et le savoir-faire des pays eux-mêmes ; car il doit s'appuyer non pas
sur les seuls secours étrangers, mais en tout premier lieu sur la pleine
mise en œuvre des ressources de ces pays ainsi que sur leur culture et
leurs traditions propres. En cette matière, ceux qui exercent la plus
grande influence sur les autres doivent donner l'exemple.
§ 3 b) Les nations
développées ont le très pressant devoir d'aider les nations en voie de
développement à accomplir ces tâches. Qu'elles procèdent donc aux
révisions internes, spirituelles et matérielles, requises pour
l'établissement de cette coopération universelle.
§ 4 Ainsi, dans les
négociations avec les nations plus faibles et plus pauvres, elles
devront scrupuleusement tenir compte du bien de celles-ci; en effet, les
revenus qu'elles tirent de la vente de leurs produits sont nécessaires à
leur propre subsistance.
§ 5 c) C'est le rôle
de la communauté internationale de coordonner et de stimuler le
développement, en veillant cependant à distribuer les ressources prévues
avec le maximum d'efficacité et d'équité. En tenant compte, assurément,
du principe de subsidiarité, il lui revient aussi d'ordonner les
rapports économiques mondiaux pour qu'ils s'effectuent selon les normes
de la justice.
§ 6 Que l'on fonde
des institutions capables de promouvoir et de régler le commerce
international — en particulier avec les nations moins développées — en
vue de compenser les inconvénients qui découlent d'une excessive
inégalité de puissance entre les nations. Une telle normalisation,
accompagnée d'une aide technique, culturelle et financière, doit mettre
à la disposition des nations en voie de développement les moyens
nécessaires pour poursuivre l'essor harmonieux de leur économie.
§ 7 d) Dans bien des
cas il est urgent de procéder à une refonte des structures économiques
et sociales. Mais il faut se garder des solutions techniques
insuffisamment mûries, tout particulièrement de celles qui, tout en
offrant à l'homme des avantages matériels, s'opposent à son caractère
spirituel et à son épanouissement. Car «l'homme ne vit pas seulement de
pain, mais aussi de toute parole qui sort de la bouche de Dieu» (Mt 4,4).
Et tout élément de la famille humaine porte, en lui-même et dans ses
meilleures traditions, quelque élément de ce trésor spirituel que Dieu a
confié à l'humanité, même si beaucoup en ignorent l'origine.
87 § 1 La
coopération internationale devient tout à fait indispensable lorsqu'il
s'agit des peuples qui, assez souvent aujourd'hui, en plus de tant
d'autres difficultés, souffrent particulièrement de celles qui
proviennent de la croissance rapide de la population. Il est urgent de
rechercher comment, grâce à la collaboration entière et assidue de tous,
surtout des nations riches, on peut préparer ce qui est nécessaire à la
subsistance et à l'instruction convenable des hommes, et en faire
bénéficier l'ensemble de la communauté humaine. Bon nombre de peuples
pourraient sérieusement améliorer leur niveau de vie si, instruits comme
il convient, ils passaient de méthodes archaïques d'exploitation
agricole à des techniques modernes et les appliquaient avec la prudence
nécessaire à leur situation, tout en instaurant aussi un meilleur ordre
social et en procédant à un partage plus équitable de la propriété
terrienne.
§ 2 En ce qui
concerne les problèmes de la population dans chaque nation, les
gouvernements, dans les limites de leurs compétences propres, ont
assurément des droits et des devoirs: par exemple pour tout ce qui
regarde la législation sociale et familiale, l'exode des populations
rurales vers les villes, l'information relative à la situation et aux
besoins du pays. Comme aujourd'hui les esprits se préoccupent si fort de
ce problème, il faut aussi souhaiter que des catholiques compétents en
toutes ces matières, dans les universités en particulier, poursuivent
assidûment les études entreprises et leur donnent encore plus d'ampleur.
§ 3 Puisque beaucoup
affirment que l'accroissement démographique mondial, en tout cas celui
de certaines nations, doit être freiné d'une manière radicale par tous
les moyens et par n'importe quelle mesure de l'autorité publique, le
Concile exhorte tous les hommes à se garder de solutions, préconisées en
public ou en privé, et parfois imposées, qui sont en contradiction avec
la loi morale. Car en vertu du droit inaliénable de l'homme au mariage
et à la procréation, la décision relative au nombre d'enfants à mettre
au monde dépend du jugement droit des parents et ne peut en aucune façon
être laissée à la discrétion de l'autorité publique. Mais, comme le
jugement des parents suppose une conscience bien formée, il est très
important de permettre à tous d'accéder à un niveau de responsabilité
conforme à la morale et vraiment humain qui, sans négliger l'ensemble
des circonstances, tienne compte de la loi divine. Cela suppose, un peu
partout, une amélioration des moyens pédagogiques et des conditions
sociales et, en tout premier lieu, la possibilité d'une formation
religieuse ou, à tout le moins, d'une éducation morale sans faille. Il
faut, en outre, que les populations soient judicieusement informées des
progrès scientifiques réalisés dans la recherche de méthodes qui peuvent
aider les époux en matière de régulation des naissances, lorsque la
valeur de ces méthodes est bien établie et leur accord avec la morale
chose certaine.
88 § 1 Les
chrétiens collaborent de bon gré et de grand cœur à la construction de
l'ordre international qui doit se faire dans un respect sincères des
libertés légitimes et dans l'amicale fraternité de tous. Ils le feront
d'autant plus volontiers que la plus grande partie du globe souffre
encore d'une telle misère que le Christ lui-même, dans la personne des
pauvres, réclame comme à haute voix la charité de ses disciples. Qu'on
évite donc ce scandale: alors que certaines nations, dont assez souvent
la majeure partie des habitants se parent du nom de chrétiens, jouissent
d'une grande abondance de biens, d'autres sont privées du nécessaire et
sont tourmentées par la faim, la maladie et toutes sortes de misères.
L'Esprit de pauvreté et de charité est, en effet, la gloire et le signe
de l'Église du Christ.
§ 2 Il faut donc
louer et encourager ces chrétiens, les jeunes en particulier, qui
s'offrent spontanément à secourir d'autres hommes et d'autres peuples.
Bien plus, il appartient à tout le peuple de Dieu, entraîné par la
parole et l'exemple des évêques, de soulager, dans la mesure de ses
moyens, les misères de ce temps; et cela, comme c'était l'antique usage
de l’Église, en prenant non seulement sur ce qui est superflu, mais
aussi sur ce qui est nécessaire.
§ 3 Sans être
organisée d'une manière rigide et uniforme, la manière de collecter et
de distribuer les secours doit être cependant bien conduite dans les
diocèses, dans les nations et au plan mondial. Partout où la chose
semble opportune, on conjuguera l'action des catholiques avec celle des
autres frères chrétiens. En effet, l'esprit de charité, loin d'empêcher
un exercice prévoyant et ordonné de l'action sociale et de l'action
caritative, l'exige plutôt. C'est pourquoi il est nécessaire que ceux
qui veulent s'engager au service des nations en voie de développement
reçoivent une formation adéquate, et dans des instituts spécialisés.
89 § 1 Lorsque
l'Église, en vertu de sa mission divine, prêche l'Évangile à tous les
hommes et leur dispense les trésors de la grâce, c'est partout qu'elle
contribue à affermir la paix et à établir entre les hommes et les
peuples le fondement solide d'une communauté fraternelle: à savoir la
connaissance de la loi divine et naturelle. Pour encourager et stimuler
la coopération entre tous, il est donc tout à fait nécessaire que
l’Église soit présente dans la communauté des nations; et cela tant par
ses organes officiels que par l'entière et loyale collaboration de tous
les chrétiens - collaboration inspirée par le seul désir d'être utile à
tous.
§ 2 Ce résultat sera
plus sûrement atteint si, déjà dans leur propre milieu, les fidèles
eux-mêmes, conscients de leur responsabilité humaine et chrétienne,
travaillent à susciter le désir d'une généreuse coopération avec la
communauté internationale. A cet égard, tant dans l'éducation religieuse
que dans l'éducation civique, on sera particulièrement attentif à la
formation des jeunes.
90 § 1 Pour les
chrétiens, une excellente forme d'activité internationale est assurément
le concours qu'ils apportent, individuellement ou en groupe, aux
institutions qui visent à étendre la collaboration internationale, que
ces institutions existent ou qu'elles soient à créer. Les diverses
associations catholiques internationales peuvent, en outre, rendre de
multiples services pour l'édification d'une communauté mondiale
pacifique et fraternelle. Il faut les consolider, en les dotant d'un
personnel plus nombreux et bien formé, en augmentant les moyens
matériels dont elles ont besoin, et en coordonnant harmonieusement leurs
forces. De nos jours, en effet, l'efficacité de l'action et les
nécessités du dialogue réclament des initiatives collectives. De plus,
de telles associations contribuent largement à accroître le sens de
l'universel, qui convient sans nul doute aux catholiques, et à donner
naissance à la conscience d'une solidarité et d'une responsabilité
vraiment mondiales.
§ 2 Enfin, il faut
souhaiter que les catholiques, pour bien remplir leur rôle dans la
communauté internationale, recherchent une collaboration active et
positive, soit avec leurs frères séparés qui, unis à eux, professent
l'amour évangélique, soit avec tous les hommes en quête d'une paix
véritable.
§ 3 Considérant
l'immense misère qui accable, aujourd'hui encore, la majeure partie du
genre humain, pour favoriser partout la justice et en même temps pour
allumer en tout lieu l'amour du Christ à l'endroit des pauvres, le
Concile, pour sa part, estime très souhaitable la création d'un
organisme de l’Église universelle, chargé d'inciter la communauté
catholique à promouvoir l'essor des régions pauvres et la justice
sociale entre les nations.
91 § 1 Tirées des
trésors de la doctrine de l'Église, les propositions que ce saint Synode
vient de formuler ont pour but d'aider tous les hommes de notre temps,
qu'ils croient en Dieu ou qu'ils ne le reconnaissent pas explicitement,
à percevoir avec une plus grande clarté la plénitude de leur vocation, à
rendre le monde plus conforme à l'éminente dignité de l'homme, à
rechercher une fraternité universelle, appuyée sur des fondements plus
profonds, et, sous l'impulsion de l'amour, à répondre généreusement et
d'un commun effort aux appels les plus pressants de notre époque.
§ 2 Certes, face à la
variété extrême des situations et des civilisations, en de très nombreux
points, et à dessein, cet exposé ne revêt qu'un caractère général. Bien
plus, comme il s'agit assez souvent de questions sujettes à une
incessantes évolution, l'enseignement présenté ici — qui est en fait
l'enseignement déjà reçu dans l’Église — devra encore être poursuivi et
amplifié. Mais, nous en avons l'espoir, bien des choses que nous avons
énoncées, en nous appuyant sur la parole de Dieu et sur l'esprit de
l’Évangile, pourront apporter à tous une aide valable; surtout lorsque
les fidèles, sous la conduite de leurs pasteurs, auront réalisé l'effort
d'adaptation requis par la diversité des nations et des mentalités.
92 § 1 En vertu de
la mission qui est la sienne, d'éclairer l'univers entier par le message
évangélique et de réunir en un seul Esprit tous les hommes, à quelque
nation, race, ou culture qu'ils appartiennent, l’Église apparaît comme
le signe de cette fraternité qui rend possible un dialogue loyal et le
renforce.
§ 2 Cela exige en
premier lieu qu'au sein même de l’Église nous fassions progresser
l'estime, le respect et la concorde mutuels, dans la reconnaissance de
toutes les diversités légitimes, et en vue d'établir un dialogue sans
cesse plus fécond entre tous ceux qui constituent l'unique peuple de
Dieu, qu'il s'agisse des pasteurs ou des autres chrétiens. Ce qui unit
en effet les fidèles est plus fort que tout ce qui les divise : unité
dans le nécessaire, liberté dans le doute, en toutes choses la charité
.
§ 3 En même temps,
notre pensée embrasse nos frères et leurs communautés, qui ne vivent pas
encore en totale communion avec nous, mais auxquels nous sommes
cependant unis par la confession du Père, du Fils et de l'Esprit-Saint
et par le lien de la charité. Nous nous souvenons aussi que l'unité des
chrétiens est aujourd'hui attendue et désirée, même par un grand nombre
de ceux qui ne croient pas au Christ. Plus en effet cette unité grandira
dans la vérité et dans l'amour, sous l'action puissante de
l'Esprit-Saint, et plus elle deviendra un présage d'unité et de paix
pour le monde entier. Unissons donc nos énergies et, sous des formes
toujours mieux adaptées à la poursuite actuelle et effective de ce but,
dans une fidélité sans cesse accrue à l’Évangile, collaborons avec
empressement et fraternellement au service de la famille humaine,
appelée à devenir dans le Christ Jésus la famille des enfants de Dieu.
§ 4 Nous tournons
donc aussi notre pensée vers tous ceux qui reconnaissent Dieu et dont
les traditions recèlent de précieux éléments religieux et humains, en
souhaitant qu'un dialogue confiant puisse nous conduire tous ensemble à
accepter franchement les appels de l'Esprit et à les suivre avec ardeur.
§ 5 En ce qui nous
concerne, le désir d'un tel dialogue, conduit par le seul amour de la
vérité et aussi avec la prudence requise, n'exclut personne: ni ceux qui
honorent de hautes valeurs humaines, sans en reconnaître encore
l'auteur, ni ceux qui s'opposent à l’Église et la persécutent de
différentes façons. Puisque Dieu le Père est le principe et la fin de
tous les hommes, nous sommes tous appelés à être frères. Et puisque nous
sommes destinés à une seule et même vocation divine, nous pouvons aussi
et nous devons coopérer, sans violence et sans arrière-pensée, à la
construction du monde dans une paix véritable.
93 § 1 Se
souvenant de la parole du Seigneur : «En ceci tous connaîtront que vous
êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres» (Jn 13,35),
les chrétiens ne peuvent pas former de souhait plus vif que celui de
rendre service aux hommes de leur temps, avec une générosité toujours
plus grande et plus efficace. Aussi, dociles à l’Évangile et bénéficiant
de sa force, unis à tous ceux qui aiment et pratiquent la justice, ils
ont à accomplir sur cette terre une tâche immense, dont ils devront
rendre compte à celui qui jugera tous les hommes au dernier jour. Ce ne
sont pas ceux qui disent «Seigneur, Seigneur !» qui entreront dans le
royaume des cieux, mais ceux qui font la volonté du Père
et qui, courageusement, agissent. Car la volonté du Père est qu'en tout
homme nous reconnaissions le Christ notre frère et que nous nous aimions
chacun pour de bon, en action et en parole, rendant ainsi témoignage à
la vérité. Elle est aussi que nous partagions avec les autres le mystère
d'amour du Père céleste. C'est de cette manière que les hommes répandus
sur toute la terre seront provoqués à une ferme espérance, don de
l'Esprit, afin d'être finalement admis dans la paix et le bonheur
suprêmes, dans la patrie qui resplendit de la gloire du Seigneur.
§ 2 «A celui qui, par
la puissance qui agit en nous, est capable de tout faire, bien au-delà
de ce que nous demandons et concevons, à lui la gloire dans l’Église et
dans le Christ Jésus, pour tous les âges et tous les siècles. Amen» (Ep 3,20-21).
Tout l'ensemble et
chacun des points qui ont été édictés dans cette Constitution ont plu
aux Pères du Concile. Et Nous, en vertu du pouvoir apostolique que Nous
tenons du Christ, en union avec les vénérables Pères, Nous les
approuvons, arrêtons et décrétons dans le Saint-Esprit, et Nous
ordonnons que ce qui a été établi en Concile soit promulgué pour la
gloire de Dieu.
Rome, à Saint-Pierre, le
7 décembre 1965.
Moi, PAUL, évêque de
l’Église catholique.
suivent les signatures
des Pères.



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