Annexes du Livre 1
Ô mon Dieu, Trinité que
j'adore, aidez-moi à m'oublier entièrement pour m'établir en vous,
immobile et paisible comme si déjà mon âme était dans l'éternité.
Que rien ne puisse troubler ma paix, ni me faire sortir de vous, ô
mon Immuable, mais que chaque minute m'emporte plus loin dans la
profondeur de votre Mystère. Pacifiez mon âme, faites-en votre ciel,
votre demeure aimée et le lieu de votre repos. Que je ne vous y
laisse jamais seul, mais que je sois là tout entière, tout éveillée
en ma foi, tout adorante, toute livrée à votre Action créatrice.
Ô mon Christ aimé
crucifié par amour, je voudrais être une épouse pour votre Cœur, je
voudrais vous couvrir de gloire, je voudrais vous aimer... jusqu'à
en mourir ! Mais je sens mon impuissance et je vous demande de me «
revêtir de vous même », d'identifier mon âme à tous les mouvements
de votre âme, de me submerger, de m’envahir, de vous substituer à
moi, afin que ma vie ne soit qu'un rayonnement de votre Vie. Venez
en moi comme Adorateur, comme Réparateur et comme Sauveur.
Ô Verbe éternel, Parole
de mon Dieu, je veux passer ma vie à vous écouter, je veux me faire
tout enseignable, afin d'apprendre tout de vous. Puis, à travers
toutes les nuits, tous les vides, toutes les impuissances, je veux
vous fixer toujours et demeurer sous votre grande lumière; ô mon
Astre aimé, fascinez-moi pour que je ne puisse plus sortir de votre
rayonnement.
Ô Feu consumant, Esprit
d'amour, survenez en moi afin qu'il se fasse en mon âme comme une
incarnation du Verbe : que je Lui sois une humanité de surcroît en
laquelle Il renouvelle tout son Mystère. Et vous, ô Père,
penchez-vous vers votre pauvre petite créature, couvrez-la de votre
ombre, ne voyez en elle que le Bien-Aimé en lequel vous avez mis
toutes vos complaisances.
Ô mes Trois, mon
Tout, ma Béatitude, Solitude infinie, Immensité où je me perds, je
me livre à vous comme une proie. Ensevelissez-vous en moi pour que
je m'ensevelisse en vous, en attendant d'aller contempler en votre
lumière l'abîme de vos grandeurs. (Prière rédigée le 21 novembre
1904)
Nous donnons ci-dessous
quelques extraits du chapitre XVII : "Du calvaire au ciel"
des Souvenirs de la Prieure du monastère de Saint Joseph,
Carmel de Dijon, du 11 février 1909.
Le lundi 29 octobre
1906, Sœur Élisabeth de la Trinité revit tous les siens au parloir ;
on lui avait amené ses deux petites nièces. Alors "avec une
majesté qui avait quelque chose d'imposant, dit Mme Catez, elle
éleva son grand Christ et les bénit après les avoir contemplées avec
amour. Avait-elle alors le pressentiment de ne plus les revoir ?...
Nous la trouvions presque mieux, elle parlait plus facilement, et
nous entretint longuement, nous faisant ses dernières
recommandations. Dieu sans doute eut pitié de nous, en nous
permettant d'emporter l'illusion de revoir encore notre chère
Carmélite. Au moment des adieux, elle eut le courage de me dire :
Maman, lorsque la sœur tourière viendra t'apprendre que j'ai fini de
souffrir, tu tomberas à genoux en disant : Mon Dieu, vous me l'aviez
donnée, je vous la rends ; que votre saint Nom soit béni !..."
Le lendemain, engagée à
se reposer davantage, Sœur Élisabeth répondit: "Oh! non, je suis
tellement épuisée, que je craindrais de ne pouvoir plus me relever."
Sa faiblesse, en effet, était extrême; aussi la grâce des
derniers Sacrements lui fut-elle renouvelée le matin du 31 octobre
1906. "Le jour de la Toussaint, vers dix heures du matin, nous
crûmes l'heure suprême arrivée, écrit Mère Germaine ; la
communauté se réunit à l'infirmerie pour réciter les prières du
Manuel, Sœur Élisabeth de la Trinité sortit de l'affaissement où
elle était, s'assura de la présence de toutes, et demanda pardon en
termes touchants, puis sur un désir exprimé, laissa échapper de son
cœur les paroles suivantes : 'Tout passe !... au soir de la vie,
l'amour seul demeure... Il faut tout faire par amour ; il faut
s'oublier sans cesse : le bon Dieu aime tant que l'on s'oublie... Ah
! si je l'avais toujours fait !...' ajouta-t-elle avec un accent
d'humilité qui nous pénétra..."
L'agonie se
poursuit:
"le désir d'être conforme au divin
Crucifié lui faisait accueillir chaque nouvelle douleur avec un
sourire angélique. Vers la fin d'octobre, l'estomac à peu près
consumé, acceptait à peine quelques sucres d'orge[1]
; depuis la Toussaint, c'était le jeûne absolu ; Sœur Elisabeth de
la Trinité ne pouvait pas même avaler une goutte d'eau sans éprouver
de vives douleurs ; sa bouche, en feu depuis trois semaines déjà,
continuait à se dessécher."
Bientôt s'ajoutèrent de violentes douleurs cérébrales.
"son cerveau lui paraissait de feu.
Les yeux de la pauvre enfant, injectés de sang et constamment
fermés, ne devaient plus s'ouvrir avant l'heure suprême ; par
moments, sa parole était presque insaisissable... Au plus fort de
son accablement, Sœur Élisabeth de la Trinité acceptait avec
reconnaissance qu'on récitât auprès d'elle les prières connues sous
le nom d'Exercices de sainte Gertrude.
La parole lui revenait
par instant ; la chère enfant s'en servait pour louer Dieu et
consoler ses sœurs. Ayant un jour confié à l'une d'entre elles la
grâce trouvée dans son nom, Laudem Gloriæ, celle-ci lui avait
demandé pour elle-même, un nom qui lui fût force et direction, et le
30 octobre, Sœur Elisabeth avait fait déposer, dans sa cellule, ce
petit mot Abscondita in Deo."
Par moments, son
Visage nous rappelait certaines reproductions de la sainte Face du
Sauveur ; cette expression douloureuse saisissait et pénétrait aussi
d'un respectueux recueillement... Un soir, son infirmière, la voyant
beaucoup souffrir, lui dit :
— Vous n'en pouvez
plus, ma pauvre petite sœur ?
— Oh! non, je n'en
puis plus.
— Vous désirez le
ciel ?
— Oui ! jusqu'à
présent je me suis abandonnée, mais je suis épouse, et maintenant
j'ai le droit de Lui dire : Partons ! Quand on s'aime, il tarde de
se voir. Oh ! je l'aime !...
Un peu plus tard,
elle parla d'un rêve qui l'avait charmée :
— J'ai vu un beau
palais tout blanc et doré, et dans ce palais, une épouse d'une
taille prodigieuse, mais si bien proportionnée qu'elle n'en
paraissait pas moins pleine de grâce : sa majesté était
incomparable.
— C'était peut-être
Laudem Gloriæ ?
— Je ne sais,
dit-elle en souriant, je ne l'ai pas vue de face ; mais elle était
belle !... elle était belle !... et ce rêve m'a mis dans le cœur une
joie de paradis.
Épouse du Christ,
grandie par la souffrance, parée d'innocence et de grâce, notre
petite sœur allait être introduite dans les célestes parvis, pour
les noces éternelles.
Un matin, elle
entr'ouvrit les yeux, se pencha en avant comme si elle eût voulu se
rendre compte d'un objet aperçu.
— Que faites-vous,
lui demanda-t-on ?
— Je vois une palme,
dit-elle en faisant un geste comme pour la saisir.
— Une palme ?
— Oui ! une belle
palme.
— Serait-elle pour
vous ?
— Je l'ignore ; mais
je ne suis pas égoïste, et j'en veux aussi pour toutes mes sœurs.
Plus tard, elle dit
encore, accompagnant sa phrase d'un geste qui donnait à entendre
qu'elle se voyait enveloppée de clarté :
— C'est plein de
lumière !... C'est grand !... C'est...
Elle ne put achever.
L'avant-veille de sa mort, elle retrouva des forces pour exprimer
son bonheur : le médecin venait, à sa demande, de lui avouer
l'extrême faiblesse de son pouls.
— Dans deux jours
probablement, je serai au sein de mes Trois ; est-ce assez ravissant
! Lætatus sum in his que dicta sunt mihi ! C'est la Vierge, cet être
tout lumineux, tout pur de la pureté de Dieu, qui me prendra par la
main pour m'introduire dans le ciel, ce ciel si éblouissant ! »
La chère enfant,
sous le flot des consolations de sa foi, ne cherchait pas à les
dissimuler en présence du docteur. Comme celui-ci s'étonnait d'une
telle joie, elle entreprit de l'expliquer par une comparaison qui
l'amena à parler d'une manière touchante du mystère de l'adoption
divine : bien des yeux se mouillèrent en l'entendant.
Elle s'était épuisée
dans ces élans, et rentra définitivement dans son cher silence.
Pourtant nous l'entendîmes encore murmurer d'une voix chantante 'Je
vais à la lumière, à l'amour, à la vie.' Ce furent ses dernières
paroles intelligibles.
Mère Grmaine termine
son récit: "La nuit du 8 au 9 novembre lui fut très pénible,
l'asphyxie s'ajoutant à ses autres souffrances. Sur le matin, les
douleurs aiguës s'apaisèrent... Penchée sur le côté droit, la tête
rejetée en arrière, les yeux maintenant grands ouverts et fixés sur
un point un peu élevé au-dessus de nos têtes, Sœur Élisabeth de la
Trinité paraissait en extase plutôt qu'en agonie. Son visage avait
une expression d'admirable beauté ; nos regards ne pouvaient s'en
détacher, et elle semblait contempler déjà les collines éternelles.
En cette attitude radieuse, elle nous quitta sans qu'il nous fût
possible de surprendre son dernier soupir : tout était bien fini...
Oui, pour son Dieu, elle avait épuisé toute sa substance, et c'est
bien transformée en l'image de Jésus crucifié, qu'elle dut passer de
ce monde à son Père : son rêve était réalisé."
Les "Poésies "
d'Élisabeth de la Trinité ne sont pas ce que l'on pourrait appeler
une véritable œuvre littéraire. Élisabeth n'écrit pas pour être lue.
Toutefois, au Carmel, durant les récréations, ses poésies furent
souvent chantées. De plus, pour remercier ses sœurs pleines
d'attentions pour elle, Élisabeth, seule à l'infirmerie aimait
écrire des vers pleins d'affection. Pour nous, le véritable intérêt
des "Poésies", c'est l'expression d'une âme qui laisse passer tout
l'amour de son cœur pour Dieu, le Bien-Aimé. On découvre aussi les
grandes orientations de la spiritualité d'Élisabeth, son amour pour
Jésus, son grand désir de souffrir pour sauver des âmes et être
conformée à son Époux crucifié, et la progression de son intimité
avec la Sainte Trinité.
Le jour de la fête
du Sacré-Cœur, le 17 juin 1898, elle contemple le Sacré-Cœur:
Ce Cœur source
inépuisable,
Ce Cœur fontaine intarissable,
Ce Cœur transpercé de la lance,
Ce Cœur abreuvé de souffrances,
Ce Cœur, hélas, tant outragé,
Ce Cœur mon refuge assuré...
Hélas! comme à
Gethsémani,
Comme au soir de l'agonie,
Il est seul, oh! presque toujours,
Ce Cœur si débordant d'amour ...
Ô Cœur sacré de mon
Sauveur,
Toi que j'adore, ô Toi que j'aime...
J'aspire tant, ô doux
Sauveur
Et je trouverai mes délices
À consoler ton divin Cœur
À boire avec toi le calice.
Tel est mon plus ardent désir...
De vivre, souffrir et mourir
Et de m'offrir comme victime
Pour l'amour, la gloire et l'honneur
Du Bien-Aimé, du Sacré-Cœur.
Je me donne à Toi pour
toujours
Ô mon Époux, mon Bien suprême,
Toi seul Tu sais combien je T'aime.
Mon Bien-Aimé, quand
sera-ce mon tour?
Quand viendras-Tu prendre ton affamée?
Elle languit, ton amour l'a blessée,
Fais-la mourir, ah! oui, mourir d'amour.
Le soir de Noël de
1894, elle écrit:
Humble Jésus, mon modèle,
Je serai brebis fidèle,
Je Te suivrai portant ma croix,
N'écoutant jamais que ta voix.
Le 10 septembre
1897, douloureuse de ne pouvoir entrer au Carmel, et enviant les
sœur :
Comme elles, je veux
tout quitter,
J'aspire à Te donner ma vie
Et partager ton agonie.
Puissé-je mourir crucifiée.
Le 8 décembre 1897,
toujours dans l'attente du Carmel:
Mais tu ne veux point
encore de moi...
Que ta volonté soit accomplie
Et qu'elle soit à jamais bénie...
Élisabeth souffre de
ne pouvoir suivre sa vocation, et elle se plaint, et le Seigneur lui
répond:
N'as-tu pas demandé la
souffrance?
Oh!, n'est-elle pas ton espérance?
Mon épouse, tu veux tant souffrir
J'exauce ton sublime désir.
À quoi Élisabeth peut
répondre:
Je commence une nouvelle vie!
Oh! mon âme en est encore ravie
Des choses que lui fit voir son Dieu:
Cet Époux vient de m'ouvrir les yeux.
29 mai 1898, un
hymne à l'Esprit Saint:
... Esprit de Dieu,
brillante lumière...
Toi qui me donnes ma vocation...
Esprit Saint, Bonté, Beauté suprême!
Ô Toi que j'adore, ô toi que j'aime!
Consume de tes divines flammes
Cette épouse de la Trinité
Qui n'aspire qu'à sa volonté!
Qu'il fait bon en la
Trinité,
Tout est clarté et charité.
Ô Christ, Toi qui daignas me prendre
Tiens-moi, je ne veux plus descendre...
Chez ces Trois je fixe
ma tente,
Je suis petite, peu encombrante,
Ne fatiguant point mon Agneau
À m'emmener bien haut, bien haut...
Suivant partout
l'Agneau mystique
Nous chanterons le doux cantique
Et contemplerons les clartés
De l'immuable Trinité.
Le 15 mai 1902,
Élisabeth de la Trinité se situe au sein des Trois et écoute les
voix du Ciel et de la terre:
Voix du Ciel
Au sein des Trois,
baignés en la lumière,
Sous les clartés de la Face de Dieu
Nous pénétrons le secret du Mystère
Et chaque jour paraît plus radieux!
Être Infini, Profondeur insondable,
Nous communions à ta divinité,
Ô Trinité, ô Dieu notre immuable,
Nous Te voyons Toi-même en ta clarté.
Voix de la terre
Les saints du Ciel, les
âmes de la terre
Viennent se fondre en un unique Amour
Dans la clarté où le profond mystère,
Un même Dieu, les rassasie toujours!
À travers tout, oui déjà sur la terre
On te possède, ô radieuse Vision.
Tous réunis sous la même Lumière
Ô Déité, en toi nous nous perdons.
La
Vierge Marie et la Sainte Trinité
Le 25 mai 1902, fête
de la Sainte Trinité, Élsabeth écrit, à propos de la Vierge Marie,
toujours fidèle:
Elle attire le Ciel, et
voici que le Père
Va lui livrer son Verbe, pour en être la Mère!
Alors l'Esprit d'amour de son ombre la couvre,
Les Trois viennent à elle, c'est tout le Ciel qui s'ouvre,
Qui se penche et s'incline, adorant le mystère
De ce Dieu qiu d'incarne en cette Vierge Mère!
– Lettres de De Marie
de Pleurre à Adeline Lalande (deux amies de la maman d'Élisabeth)
– Souvenirs (Carmel de
Dijon)
– Le ciel dans la foi,
Élisabeth de la Trinité
– La dernière retraite,
Élisabeth de la Trinité
– La grandeur de notre
vocation, Élisabeth de la Trinité
– Laisse-toi aimer,
Élisabeth de la Trinité
http://elisabeth-dijon.org
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Jusque-là et depuis le commencement de sa maladie, Sœur
Elisabeth de la Trinité ne s'était soutenue qu'avec du
laitage ; la contenance d'un verre environ lui faisait
quatre repas, selon son expression. Cet ange de la
terre se nourrissait de Dieu, qui lui communiquait
visiblement sa force divine.
Coloss III, 3.
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