HOMÉLIE DEUXIÈME
LA TERRE ÉTAIT INVISIBLE ET
INFORME
(Genèse, 1. 2.)
SOMMAIRE.
CETTE homélie a été prononcée le
soir, et a terminé le premier jour de la création. Après un court préambule,
l'orateur explique ces paroles de Moise dans la Bible des Septante : La terre
était invisible et informe. Il montre ce qui rendait la terre invisible et
informe. Comme par ces mots terre invisible, plusieurs retendaient la matière
que Dieu avait mise en oeuvre, et qu'ils prétendaient que la matière est
éternelle, il les refile en démontrant que la matière ne saurait être éternelle,
et que Dieu est le créateur des substances ainsi que des formes. Les ténèbres
qui, suivant l’Écriture, couvraient la face de l’abyme, étaient interprétées par
certains hérétiques dans un très mauvais sens ; c’était, selon eux, une
puissance mauvaise opposée à l'être bon. Saint Basile détruit avec beaucoup de
force et de subtilité l'opinion des deux principes. Les ténèbres, dit-il, ne
sont autre chose que la privation de lumière. Ainsi, c'est une vaine question
que de demander pourquoi les ténèbres ont été créées avant la lumière,
c'est-à-dire, l'être pire avant l'être meilleur. L'esprit de Dieu, était porté
sur les eaux, c'est-à-dire, suivant une explication particulière qu'admet
l’orateur, l'esprit de Dieu échauffait les eaux et les préparait à produire des
animaux vivants. La lumière est créée ; comment elle embellit le monde, dans
quel sens on peut dire qu'elle est belle. La nuit et le jour sont produits par
la soustraction et par le retour de la lumière. Le premier jour de la création
est appelé le jour, et non le premier jour, considéré par honneur comme le seul,
et n'ayant aucun rapport avec les autres. Conclusion de l'homélie.
Ce
matin, nous arrêtant aux premiers mots de la Genèse, nous y avons trouvé une
profondeur de sens qui nous a entièrement découragés pour le reste. En effet, si
ce qui précède le sanctuaire, si le vestibule seul du temple est si auguste et
si magnifique, s'il éblouit tellement les yeux de notre esprit par sa beauté
merveilleuse, quel doit être le sanctuaire même ? Qui est-ce qui osera entrer
dans le Saint des Saints ? Qui est-ce qui pourra regarder le lieu le plus secret
et le plus retiré ? La vue même en est interdite à nos yeux, et le discours ne
peut exprimer ce que l'esprit conçoit. Cependant, comme auprès du juste Juge le
seul désir de bien faire obtient de superbes récompenses, ne nous décourageons
pas dans nos recherches. Quand nous ne pourrions atteindre à la grandeur des
choses , si , avec le secours de l'Esprit Saint nous pouvons découvrir le sens
de l'Écriture, nous ne serons pas jugés absolument méprisables ; et puissamment
aidés par la grâce, nous procurerons quelque édification à l'Église de Dieu.
La
terre, dit Moïse, était invisible et informe. Pourquoi le ciel et la terre ayant
été créés également l’un et l’autre, le ciel était-il dans sa perfection, tandis
que la terre était brute et imparfaite ? Que veut dire l’écrivain sacré quand il
dit qu'elle était informe ? Et pour quelle raison était-elle invisible ? La
forme et la perfection de la terre est sa fécondité, la génération des plantes
diverses, la naissance des plus hauts arbres, de ceux qui portent des fruits
comme de ceux qui n'en portent pas, la beauté et l'odeur suave des fleurs, enfin
toutes ces productions différentes, qui vont bientôt, par l'ordre de Dieu,
sortir du sein de la terre pour orner sa surface. Comme rien de tout cela
n'existait encore, Moïse l'a appelée avec raison informe. Nous pourrions dire,
du ciel lui-même qu'il n'était pas achevé, qu'il n avait pas la décoration qui
lui est propre, puisqu'il ne brillait pas encore par le soleil et par la lune,
et qu’il n’était pas couronné par les choeurs des astres. Ces corps lumineux
n'avaient pas encore été créés, et l’on pourvoit dire avec vérité que le ciel
lui-même était informe.
La terre
est appelée invisible pour deux raisons, ou parce que nomme n’existait pas
encore pour la contempler, ou parce qu'étant inondée par les eaux iront toute sa
surface était couverte, elle ne pouvait être aperçue. Car Dieu n'avait pas
encore rassemblé les eaux dans les demeures qui leur étaient destinées, comme il
fit ensuite en leur donnant le nom de mer. On appelle invisible, ou ce qui ne
peut être aperçu des yeux de la chair, comme notre âme ; ou ce qui étant visible
de sa nature, est caché par l'interjection d'un corps qui le couvre, comme le
fer au fond de l'eau. C'est dans ce dernier sens, à notre avis, que la terre a
été nommée invisible, parce quelle était cachée sous les eaux. D'ailleurs ,
comme la lumière n’était pas encore créée, il n'est pas étonnant que la terre
étant plongée dans les ténèbres, parce que l’air qui l'enveloppait n’était pas
éclairé, ait encore pour cette raison été appelée invisible par l'Écriture.
Mais les
falsificateurs de la vérité, qui, au lieu d'accoutumer leur esprit à suivre le
sens des Écritures, veulent forcer les Écritures et les amener à leur propre
sentiment, disent que par ces ex-pressions il faut entendue la matière. La
matière, suivant eux, est par elle-même invisible et informe, dépourvue de
qualités et de figures ; mais le souverain Ouvrier l'a employée, il l'a
conformée et mise en ordre par sa grande sagesse, et en a fait tout ce que nous
voyons. Je vais réfuter ces apôtres de l’erreur. Si la matière est incréée,
d'abord elle mérite le même honneur que Dieu, puisque sou ancienneté est la
même. Or qu’y aurait-il de plus impie que de faire jouir un être sans qualité,
sans forme, sans figure, le dernier terme de la laideur et de la difformité (car
je me sers de leurs propres expressions), de faire jouir un pareil être des
mêmes prérogatives que l'Être le plus sage, le plus puissant, le plus beau, que
l'Artisan suprême, le Créateur de l'univers ? Ensuite, si telle est la matière
qu'elle épuise la science de Dieu, qu'elle soit capable de mesurer toute
l'étendue de son intelligence, ils opposent en quelque sorte une substance
informe à une puissance incompréhensible. Si la matière est incapable de
répondre à toute la vertu de Dieu, ils tomberont alors dans un blasphème encore
plus absurde, s'ils supposent que le défaut de la matière empêche Dieu d'achever
et de perfectionner ses propres ouvrages. La faiblesse de la nature humaine les
a trompés: et comme chez nous chaque ouvrier s'occupe particulièrement dune
certaine matière, par exemple , le serrurier du fer, le charpentier du bois ;
comme dans leurs ouvrages on distingue le sujet , la firme, et la perfection qui
résulte de la forme; comme la matière est prise de dehors , que la forme est due
à l'art , et que la perfection est le résultat de la forme et de la matière ,
ils croient qu’il en est de même des ouvrages de Dieu; que la figure du monde
est l'effet de la sagesse du Créateur de l'univers ; que la matière lui est
venue et lui a été fournie du dehors; que le monde a été formé de telle sorte
que son sujet et sa substance ont été pris hors de Dieu; que sa figure et sa
forme viennent de la suprême intelligence. De-là ils nient que le grand Dieu ait
présidé à la création de l'univers; ils prétendent qu’il n'a contribué que très
peu pour sa part à la génération des êtres. La bassesse de leurs idées les
empêche de s'élever jusqu'à la hauteur de la vérité, et de voir que parmi les
hommes les arts sont venus après la matière, introduits dans le inonde par le
besoin et la nécessité. La laine existait avant l'art du tisserand, qui est venu
fournir ce qui manquait à la nature. Le bois existait avant l'art du
charpentier, qui s'en est servi, et qui, lui donnant diverses formes selon les
besoins, nous a montré l'usage qu'on pouvait en tirer. Il en a fait une rame
pour le matelot, un ventilabre pour le laboureur, une pique pour le guerrier. Il
n'en est pas de même de Dieu. Avant que rien de ce que nous voyons existât,
ayant décidé en lui-même et résolu de donner l'être à ce qui n'existait pas, il
imagina le plan du monde en même temps qu'il créa une matière analogue à sa
forme. Il assigna au ciel une nature qui convenait au ciel ; et d'après la
figure qu'il voulait donner à la terre, il produisit une substance qui lui était
propre. Il forma le feu, l'eau et l'air comme il voulut, et leur attribua la
substance que demandait la destination de chacun de ces éléments. Les parties
différentes dont il composait le monde, il les unit entre elles par un lien
indissoluble, il en fit un tout régulier et harmonique ; de sorte que les êtres
qui sont les plus opposés, paraissent liés entre eux par une sympathie
naturelle. Qu'ils renoncent donc à leurs fictions fabuleuses, ces hommes qui
mesurent par la faiblesse de leurs propres raisonnements une puissance à
laquelle ni les idées d’un mortel ni ses paroles ne sauraient atteindre. Dieu
créa le ciel et la terre ; il ne créa pas l’un et l’autre à moitié, mais le ciel
tout entier et la terre toute entière, la substance remise à la forme. Car Dieu
n'est pas seulement l'artisan des formes, mais le créateur de la nature même des
êtres. Ou bien qu'on nous explique comment la puissance effectrice de Dieu et la
nature passive de la matière se sont rencontrées, l’une fournissant le sujet
sans forme, et l'autre ayant l'art des figures sans matière, afin que l’un reçût
de l’autre ce qui lui manquait, que l’Ouvrier suprême pût faire valoir son art,
et la matière prendre les figures et les formes dont elle était privée.
Mais en
voilà assez sur cet article. Revenons à notre sujet. La terre était invisible et
informe. Après avoir dit : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre ,
l’écrivain sacré a passé sous silence beaucoup de choses; il n'a parlé ni de
l'eau, ni de l'air , ni du feu, ni des effets qui tiennent à ces élément. Ces
éléments sans doute ont été créés avec l’univers, comme faisant le complément du
monde ; mais l’Écriture n'en parle point, pour exerces l'activité de notre
esprit, pour lui apprendre à tirer des conséquences de quelques paroles, et à
suppléer ce qu'elle ne dit pas. Puis donc qu'elle na point dit que Dieu a créé
l'eau mais qu'elle a dit que la terre était invisible, examinez en vous-même
quel était le voile qui la couvrait et qui l'empêchait de paraître. Ce n’était
pas le feu qui pouvait la cacher, puisque le feu éclaire et montre les objets
qu'il approche loin de les obscurcir. Ce n'était pas l'air qui la dérobait à
notre vue, puisque sa nature subtile et diaphane revoit toutes les formes des
objets visibles et renvoie aux yeux qui les contemplent. Il nous reste donc à
penser que l'eau inondait la surface de la terre, n'en ayant pas encore été
séparée pour aller prendre sa place. C'est ce qui rendait la terre non seulement
invisible, mais informe : car encore à présent une trop grande abondance
d'humide empêche la terre de produire ses fruits. La même cause l'empêchait
d'être aperçue et la privait de sa beauté naturelle. En elles, la beauté de la
terre est l'ornement qui lui est propre; sans doute des moissons flottantes dans
les vallées , des prés décorés de verdures et émaillés de fleurs diverses , des
bois agréables et fleuris , des montagnes dont le sommet est ombragé de forêts
immenses , la terre n'avait encore aucun de ces ornements : elle était près de
faire éclore de son sein toutes ses productions par la fécondité que Dieu avait
mise en elle ; mais elle attendait les temps convenables et les ordres du
Seigneur pour produire tous les fruits dont elle portait le germe et le
principe.
Les
ténèbres, dit l’Écriture, couvraient la face de l'abyme. Certains hommes
tournant ces paroles à leur propre sens, ont encore pris de-là occasion de
débiter des fables et des fictions encore plus impies que celles que nous venons
de réfuter. Ils n’expliquent pas naturellement les ténèbres, un certain air non
éclairé, ou un lieu ombragé par l'interjection d'un corps, ou en général un lieu
privé de lumière par quelque cause que ce soit ; mais ils entendent par ténèbres
une puissance mauvaise, ou plutôt le mal lui-même, qui tient l'être de soi, qui
est opposé et contraire à la bonté de Dieu. Si Dieu est la lumière, les
ténèbres, disent-ils conséquemment à leurs principes, doivent être la puissance
qui le combat : les ténèbres n'ont pas reçu l'être d'un autre, mais elles sont
le mal qui s'est donné l'être à lui-même: les ténèbres sont les ennemies des
âmes, les auteurs de la mort et le fléau de la vertu. Ils prétendent faussement
que les paroles mêmes du Prophète annoncent que les ténèbres existaient sans
avoir été créées par Dieu. De-là, quels dogmes pervers et impies n'ont pas été
forgés ? Quels loups cruels ne déchirent pas le troupeau de Dieu, s'autorisant
d'une simple parole pour s'emparer des âmes ? N’est-ce pas de-là que viennent
les Marcions, les Valentins, et l'hérésie abominable des Manichéens,
qu'on peut appeler avec raison la honte et l'opprobre de l'Église ? Ô homme,
pourquoi vous éloignez-vous si fort de la vérité ? Pourquoi cherchez-vous des
sujets pour vous perdre ? Les paroles de l'Écriture sont simples et faciles à
comprendre: La terre était invisible, dit-elle. Quelle en était la raison ?
C’est que l'abyme couvrait sa surface. Et que doit-on entendre par abyme ? Une
grande quantité d'eau dont le fond n'est pas facile à trouver. Mais nous savons,
dira-t-on peut-être, que plusieurs corps paraissent souvent à travers une eau
légère et transparente. Comment donc aucune partie de la terre ne se
montrait-elle à travers les eaux ? C’est qu'elle était enveloppée d'un air
obscur et ténébreux. Les rayons du soleil qui pénètrent à travers les eaux,
montrent souvent les cailloux qui sont au fond ; mais dans une nuit profonde il
est impossible de voir sous l'eau. Ainsi ce qui rendait la terre invisible,
c'est que l'abyme dont elle était chargée était obscurci par les ténèbres.
L'abyme
n’était donc pas une multitude de puissances contraires, comme quelques-uns
l’ont imaginé. Les ténèbres n'étaient pas non plus une puissance principale et
mauvaise, opposée à l'être bon. Deux êtres également puissants, opposés l’un à
l'autre, se détruiront entièrement l’un l'autre. Ils se causeront réciproquement
des peines, et se feront une guerre sans fin. Celui des deux qui aura
l'avantage, détruira absolument celui qu'il aura vaincu. Si donc on dit que le
mal s'oppose au bien avec une égale puissance, on introduit une guerre
continuelle, des défaites perpétuelles, parce que tous deux sont tour a tour
vaincus et vainqueurs. Si le bien a l'avantage, qu'est-ce qui empêche que le mal
ne soit absolument détruit Mais si.... Il n'est pas permis de finir. Je suis
étonné due des hommes qui se portent des blasphèmes aussi horribles ne se
détestent pas eux-mêmes. On ne peut dire sans choquer la piété, que le mal tire
son origine de Dieu, parce que les contraires ne naissent pas des contraires. La
vie n'engendre pas la mort, les ténèbres ne sont pas le principe de la lumière,
la maladie n'est pas la cause de la santé: mais dans les changements d’états, on
passe d'un contraire à lin contraire; dans les générations, un être ne naît pas
d'un être contraire, mais d'un être de même espèce. Mais si l'on ne peut dire
que le mal tire son origine de lui-même, ni de Dieu, doit prend-il donc
naissance ? Car aucuns de ceux qui; participent à la vie ne peuvent nier que les
maux existent. Que dirons-nous : Le mal .n est pas tale créature vivante et
animée, mais une disposition de faille opposée à la vertu, dans laquelle se
trouvent les bielles qui ont abandonné la route du bien. N'examinez donc pas le
mal hors de vous, n'imaginez pas une nature qui soit le Principe de la
perversité; mais que chacun se reconnaisse l'auteur des vices qui sont en lui.
Parmi les choses flue nous éprouvons, les unes nous arrivent par la nature,
telles que la vieillesse et les infirmités ; les autres par hasard, tels que ces
événements inattendus, heureux ou malheureux, qui surviennent par des causes
étrangères: par exemple, on creuse un puits, on trouve un trésor; on se rend
dans la place publique, on rencontre un chien enragé. D'autres sont en nous :
comme dominer les passions, ou ne pas réprimer la volupté; vaincre sa colère, ou
se jeter sur celui qui nous irrite; dire la vérité, ou mentir; être doux et
modéré par caractère, ou être superbe et insolent. Ne cherchez donc pas hors de
vous les principes de choses qui dépendent de vous; mais sachez que le mal
proprement tire son origine de nos chutes volontaires. Si le mal était
nécessaire et ne dépendait pas de nous, les lois ne seraient pas aussi
attentives à effrayer les coupables, et les châtiments des tribunaux, qui
punissent les scélérats comme ils le méritent, ne seraient pas si sévères. Je
n'en dirai point davantage sur le mal proprement dit; quant à la pauvreté, à
l'infamie, à la maladie, à la mort, et à tout ce qui arrive de fâcheux aux
hommes, on ne doit pas les mettre au nombre des maux, puisque nous ne comptons
pas parmi les plus grands biens les choses qui leur sont opposées. Parmi ces
maux prétendus, les uns viennent de la nature, les autres sont même utiles à
ceux auxquels ils arrivent.
Laissant
donc pour le moment toute explication métaphorique et allégorique, prenons le
mot de ténèbres dans le sens le plus naturel et le plus simple, en suivant
l'esprit de l’Écriture. Des personnes raisonnables demandent si les ténèbres ont
été créées avec le monde, si elles sont plus anciennes que la lumière, et
pourquoi l'être pire a été fait auparavant. Nous disons donc que les ténèbres ne
sont pas par elles-mêmes une substance, mais une certaine disposition de l’air
provenant de la privation de lumière. Mais de quelle lumière un endroit du monde
s'est-il trouvé tout à coup privé, en sorte que les ténèbres étaient répandues
sur les eaux? Faisons réflexion que s'il existait un monde avant ce monde
sensible et corruptible, il était sans doute dans la lumière: qu'en effet, ni
les puissances angéliques, ni les armées célestes, ni en général les êtres
raisonnables et les esprits exécuteurs de la volonté de Dieu, ceux qui ont un
nom parmi nous comme ceux qui n'en ont pas, n'étaient dans les ténèbres, mais
menaient une vie conforme à leur nature, dans la lumière et dans une joie
spirituelle. Ces vérités ne seront contredites par aucun de ceux qui, parmi les
promesses des saints, attendent une lumière surnaturelle, cette lumière dont
Salomon dit: La lumière est pour les justes à jamais (Pr. 13. 9.). Rendant
graves, dit saint Paul, à Dieu le Père, qui nous a rendus dignes d'avoir part à
l'héritage des saints, c'est-à-dire, à la lumière (Col. 1. 12.). Si les
réprouvés sont envoyés dans les ténèbres extérieures, ceux qui ont fait des
actions dignes de la récompense possèdent le repos dans une lumière
surnaturelle. Puis donc que, par l'ordre de Dieu, le ciel a enveloppé tout à
coup tous les êtres renfermés dans sa circonférence, le ciel, dont le corps sans
interruption peut séparer ce qui est hors de lui de ce qui est au-dedans de lui,
a laissé nécessairement sans lumière le lieu qui lui était assigné, en le
séparant de l'éclat extérieur.
Trois
choses concourent pour l'ombre : la lumière, le corps, le lieu obscur. Or, les
ténèbres du inonde vinrent de l'opacité du corps céleste. Vous comprendrez ce
que je dis par un exemple sensible, sans cloute si vous vous environnez en plein
midi d'une tente dont la matière soit épaisse et impénétrable, et si vous vous
renfermez tout à coup dans les ténèbres. Supposez doue que telles étaient les
ténèbres d'alors, qui n'existaient pas originairement, mais qui survinrent par
l'enveloppe du corps céleste. Il est dit que ces ténèbres couvraient l'abyme,
parce que les extrémités de l'air touchent naturellement la superficie des
corps, et qu'alors les eaux étaient répandues sur toute la terre. Ainsi les
ténèbres couvraient nécessairement l'abyme.
L'esprit
de Dieu était porté sur les eaux. Si par esprit l'Écriture entend l'air répandu
sur la terre, croyez que l'écrivain sacré vous expose les parties principales du
monde; qu’il vous avertit que Dieu a créé le ciel, la terre, l'eau, et l’air qui
était déjà répandu et avait déjà son cours. Mais si par esprit de Dieu on doit
entendre l'Esprit Saint, ce qui est plus vraisemblable et plus conforme aux
sentiment des anciens, parce que c’et ordinairement le sens particulier dans
lequel l'Écriture prend cette parole, et que par Esprit de Dieu elle n'entend
autre chose que l'Esprit Saint qui est le complément de la divine et
bienheureuse Trinité; si vous admettez ce sens, vous y trouverez un plus grand
fruit. Comment donc l’Esprit Saint était-il porté sur les eaux? Je vais vous
donner, non mon explication, mais celle d'un Syrien, qui était aussi vide de la
sagesse du monde, que rempli de la science des choses véritables. Il disait donc
que la langue syrienne avait plus de force, et que par son rapport avec la
langue hébraïque, elle approchait plus du sens des Écritures; or , que d'après
la version syrienne, le passage que nous rendons par : était porté sur les eaux,
avait ce sens énergique, échauffait et fécondait la nature des eaux, et après la
comparaison d'une volatile qui couve ses oeufs, et qui, en les échauffait, leur
donne une puissance vitale; que la parole de l'Écriture devait être entendue
d'après cette idée: l'esprit était porté sur les eaux, c'est-à-dire, préparait
la nature des eaux à produire des animaux vivants. Et c'est ce qui prouve ce que
plusieurs mettent en question, savoir que l’Esprit Saint possédait aussi la
puissance créatrice.
Et Dieu
dit : Que la lumière soit.
La première parole de Dieu a créé la lumière, dissipé les ténèbres, écarté la
tristesse, réjoui le monde, répandu en un moment sur toute la terre le spectacle
le plus doux et le plus gracieux. Le ciel, jusqu'alors enveloppé de ténèbres,
s'est découvert et a étalé toutes ces beautés qui frappent encore à présent nos
regards. L'air fut éclairé; ou plutôt pénétré tout entier de la lumière mêlée
avec sa substance, il en distribua promptement l'éclat de toutes parts jusqu'à
ses dernières limites. Il s’éleva en hauteur jusqu à l'éther
et jusqu'au
ciel, et en largeur, il éclaira dans un instant rapide toutes les parties du
monde, le septentrion et le midi, l'orient et l'occident. Car telle est sa
nature légère et diaphane, que la lumière le traverse sans qu'il soit besoin
d'aucun espace de temps. Et de même que nos yeux se portent aux objets visibles
avec une vitesse extrême: ainsi l'air reçoit les jets de lumière, et les renvoie
au loin en tous sens avec plus de promptitude qu'il n'est possible de
l'imaginer. Dès que la lumière fut, l'éther devint plus agréable; beau devint
plus claire et plus brillante; non seulement elle en recevait la splendeur, mais
par la réflexion elle renvoyait cette même splendeur qui s'élançait de toute sa
surface. La parole divine a tout changé en un spectacle le plus riant et le plus
auguste. Et comme le plongeur, au fond de l'eau, soufflant l'huile de sa bouche
éclaire tout l'endroit où il est placé
; de même le
Créateur de l'univers, d un mot, a introduit sur-le-champ dans le monde le
charme inexprimable de la lumière. Que la lumière soit, dit Dieu (ce
commandement était une action) ; et l'on vit briller l'être le plus agréable et
le plus utile que l'imagination humaine puisse concevoir. Quand nous parlons
dans Dieu de parole et de commandement, ce n'est ni un son envoyé par les
organes de la voix, ni un air frappé par la langue ; la parole de Dieu n'est
qu'un acte de sa volonté que nous représentons par le terme de commandement pour
nous faire mieux entendre de ceux que nous instruisons.
Et Dieu
vit que la lumière était belle (Gn. 1. 4.). Quelles louanges dirons-nous être
dignes de la lumière, lorsqu elle a porte elle le témoignage du Créateur
lui-même? Quant il est question de beauté, la parole cède le jugement aux yeux,
parce qu'elle ne peut rien dire qui surpasse le témoignage de la vue. Mais si
dans un corps la beauté naît du rapport îles parties entre elles et de la
couleur qui les embellit, comment peut-elle exister dans la lumière qui est une
matière fort subtile
, et dont
toutes les parties sont de même nature? C'est que dans la lumière le beau est
annoncé, non par la régularité des parties, mais par cette douceur qui réjouit
toujours l’oeil et ne le blesse jamais. C'est ainsi que l’or est beau, non par
le rapport des parties entre elles, mais par la couleur seule qui flatte la vue
et qui la récrée. L'étoile du soir est le plus beau des astres, non par
l'analogie des parties dont elle est composée, mais parce que son éclat frappe
les yeux d'une manière satisfaisante. Ajoutons que le jugement de Dieu sur la
beauté de la lumière, ne venait pas seulement de ce qu'il voyait qu'elle serait
agréable à la vue (car les yeux n'en étaient pas encore les juges); mais de ce
qu'il prévoyait quelle serait à l'avenir son utilité.
Et Dieu
divisa la lumière des ténèbres, c'est-à-dire, il rendit leur nature incompatible
et opposée l'une à l'autre: car rien de plus contraire que la lumière et les
ténèbres.
Et Dieu
donna à la lumière le nom de jour et aux ténèbres le nom de nuit. Maintenant,
depuis la création du soleil, le jour est l'air éclairé par le soleil qui luit
sur l'hémisphère de la terre, et la nuit est l'obscurcissement de la terre,
occasionné par le soleil qui se cache. Mais alors le jour se formait et la nuit
succédait, non par le cours du soleil, mais par l'effusion de la lumière
primitive et par la soustraction de cette même lumière faite par Dieu selon de
certaines mesures.
Et du
soir et du matin se fit le jour. Le soir est la borne commune qui sépare le jour
de la nuit; le matin est également le voisinage de la nuit et du jour. Afin donc
de donner au jour le privilège de l'aînesse , l'Écriture parle d'abord des
limites du jour et ensuite de celles de la nuit , parce que la nuit suivait le
jour. Car la constitution du monde, avant la création de la lumière, n'était pas
la nuit, mais les ténèbres. Les ténèbres comparées et opposées au jour furent
appelées nuit ; ce fut un nouveau nom qui leur fut donné lorsqu'elles vinrent
après le jour. Et du soir et du matin se fit le jour. L'Écriture appelle jour,
le jour et la nuit pris ensemble, et elle donne à tous les deux le nom du plus
excellent. C'est l'usage que l'on trouve dans toute l'Écriture pour la mesure du
temps, de compter les jours seulement, et non les jours avec les nuits. Les
jours de mes années, dit le psalmiste (Ps. 89. 10.). Tous les jours de ma vie,
dit-il ailleurs (Ps. 22. 6.). Les jours de ma vie, dit Jacob, ont été en petit
nombre et traversés de maux (Gn. 47. 9. ). Ainsi ce qui nous a été transmis en
forme d'histoire, est une règle pour la suite.
Et du
soir et du matin se fit le jour. Pourquoi l'écrivain sacré ne dit-il pas le
premier jour, mais le jour. Puis qu’il devait parler du second, du troisième, et
du quatrième jour, il eût été plus naturel d appeler premier le jour qui
précédait ceux, qui devaient suivre. Mais il a dit le jour, sans doute
déterminant la mesure du jour et de la nuit, et réunissant le temps de l'un et
de l'autre, lequel le temps est formé par vingt-quatre heures qui composent
l'espace d'un jour. Ainsi, quoique entre un solstice et l’équinoxe, le jour soit
plus long que la nuit ou la nuit plus longue que le jour, cependant l'espace de
tous les deux est renfermé dans un temps marqué. C'est donc comme si Moise eût
dit: La mesure de vingt-quatre heures est l'espace d'un jour; ou, le mouvement
du ciel et son retour au signe d où il est parti, se font en un jour. Toutes les
fois donc que le soir et le matin s'emparent du monde dans la ligne que décrit
le soleil, cette courte période s'achève dans l'espace d'un jour. Ou bien
donnerons-nous aux paroles de Moïse un sens plus mystérieux, comme étant le plus
propre ? Dirons-nous que Dieu qui a établi la nature du temps, lui a donné pour
mesures et pour signes les espaces des jours, et que, le mesurant par la
semaine, il ordonne que la semaine revienne sans cesse sur elle-même et compte
le mouvement du temps ? Il ordonne aussi qu'un jour revenant sept fois sur
lui-même compose la semaine. Or c'est la nature du cercle de commencer et de
finir par lui-même ; comme c'est le propre de l’éternité de revenir sur
elle-même, et de ne s’arrêter à aucun terme. Moïse n'appelle donc pas la tête du
temps le premier jour, mais le jour, afin que par ce nom il ait du rapport avec
l'éternité. Car ce qui offre le caractère d'une chose unique et incommunicable,
a été appelé proprement et justement le jour. Si l' Écriture nous offre
plusieurs éternités ou siècles, si elle dit partout, le siècle du siècle , le
siècle des siècles, du moins elle ne nous compte jamais un premier, un second ,
un troisième siècle ou éternité. Ainsi par-là elle distingue plutôt des
constitutions diverses et des révolutions, qu'elle ne marque des siècles ou
éternités qui finissent et se remplacent. Le jour du Seigneur est grand et
illustre, dit l'Écriture (Jb. 2. 11.). Pourquoi cherchez-vous le jour du
Seigneur, dit-elle encore ? Ce jour sera pour vous un jour de ténèbres et non de
lumière (Saint 5. 18.) ; un jour de ténèbres, sans doute pour ceux qui sont
dignes des ténèbres. L'Écriture connaît ce jour sans soir, sans succession et
sans fin, que le psalmiste appelle huitième, parce qu'il est hors du temps
hebdomadaire. Jour ou éternité, c'est la même chose. Si c'est le nom de jour
qu'on emploie, il est un et filon plusieurs ; si c'est celui de l’éternité, elle
est unique et non multiple. Afin donc de nous ramener à la vie future, on
appelle le jour , ce jour qui est l'image de l'éternité , le premier des jours ,
qui est aussi ancien que la lumière , qui est le jour du Seigneur
, honoré par
sa résurrection.
Et du
soir et du matin se fit donc le jour.... Mais le soir qui survient nous avertit
de finir nos réflexions sur le premier soir du monde. Que le père de la lumière
véritable , qui a décoré le jour d'une lumière céleste, qui a éclairé la nuit
par des flambeaux brillants , qui a orné le repos du siècle futur d'une lumière
spirituelle et éternelle , éclaire vos coeurs dans la connaissance de la vérité,
et conserve votre vie pure et sans tache, en vous faisant la grâce de marcher
honnêtement comme dans le jour, afin que vous brilliez comme le soleil dans la
splendeur des Saints , pour être ma joie et ma couronne dans le jour de
Jésus-Christ , à qui soient la foire et l'empire dans les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.
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