HOMÉLIE TROISIÈME
ET DIEU DIT : Que le firmament soit fait.
(Genèse. I. 6)
SOMMAIRE
HOMÉLIE prononcée le matin, et
formant seule le second tour de la création. Après un préambule où il exhorte
ses auditeurs à l'écouter avec attention, dégagés de tous les soins temporels,
saint Basile explique ces paroles : Et Dieu dit : Que le firmament soit fait au
milieu des eaux, afin qu'il divise les eaux d'avec les eaux. Il examine d'abord
comment Dieu parle et à qui il parle, et il tire de ce passage une preuve des
trois personnes qui composent la Trinité. Il examine ensuite si le firmament,
auquel on a aussi donné le nom de ciel, est différent du premier ciel, et si, en
général, il existe deux ou plusieurs cieux; il soutient l'affirmative pour l'une
ou l'autre question, et réfute le sentiment de ceux qui pensaient le contraire.
Il montre comment les eaux pourraient tenir sur la voûte du firmament, quand
même sa partie concave, ainsi qu'elle nous paraît, serait sphérique, et pourquoi
on a donné à ce second ciel le nom de firmament. Immense quantité d'eaux
supérieures et inférieures ; servent d'aliment au feu jusqu'à la consommation
des siècles. C'est un faux principe que l'orateur développe fort au long. Des
écrivains expliquaient d'une manière allégorique les eaux supérieures et
inférieures ; saint Basile attaque ces explications, fait voir en quel sens Dieu
trouve belles les choses qu'il a faites, et termine son homélie par des
réflexions pieuses tirées du sujet.
LES ouvrages du premier jour, ou
plutôt du jour ( car ne lui ôtons pas la dignité qu'il a reçue du Créateur , qui
l'a fait à part, et ne l'a pas compte en rang avec les autres ) , les ouvrages
créés en ce jour ont fait le sujet du discours d'hier , que nous avons partagé
pour nos auditeurs en deux instructions , dont l'une a alimenté leurs âmes le
matin, et l'autre les a réjouies le soir: nous allons passer maintenant aux
spectacles du second jour. Je parle ainsi en faisant attention, non aux talents
de l'orateur, mais à la beauté des Écritures qui sont naturellement propres à
être reçues avec plaisir, à flatter et à gagner les coeurs de ceux qui préfèrent
la simple vérité à toute la pompe de l'éloquence humaine. Le psalmiste voulant
présenter avec force cette douceur et cet agrément de la vérité, s'exprime ainsi
: Que vos paroles sont agréables à ma bouche ! Leur douceur l'emporte sur celle
du miel. Hier donc, autant qu'il était possible, nous avons réjoui vos âmes en
les occupant des paroles de Dieu ; nous nous sommes rassemblés aujourd'hui, un
second jour, pour contempler le spectacle qu'offrent les ouvrages du second
jour. Je n'ignore pas que la plupart de ceux qui m'écoutent sont appliqués à des
arts mécaniques, et livrés à des travaux dont ils tirent leur subsistance
journalière. Je suis obligé, à cause d'eux, d'abréger mon instruction, pour
qu’ils ne soient pas éloignés trop longtemps de leur travail. Que leur dirai-je
? Sans doute que la partie du temps qu'ils prêtent à Dieu n'est point perdue,
mais leur est rendue avec un ample intérêt. Le Seigneur écartera tous les
accidents qui peuvent être un obstacle à leurs occupations ; il récompensera
ceux qui préfèrent à tout les choses spirituelles, par la force du corps, par
l'ardeur de l'esprit, par un succès facile dans les affaires, et par la
prospérité dans tout le cours de la vie. Mais quand même ici bas vous ne
réussiriez point selon vos espérances, la doctrine de l’Esprit Saint est du
moins un trésor pour le siècle futur. Bannissez donc de vos coeurs tout soin de
la vie, et donnez-moi votre attention toute entière. Car à quoi me servirait que
vos corps fussent présents, si vos coeurs étaient occupés d'un trésor terrestre
?
Et Dieu dit : Que le firmament soit
fait au mi-lieu des eaux, afin qu'il divise les eaux d'avec les eaux. Nous avons
déjà entendu hier ces paroles de Dieu: Que la lumière soit; et aujourd'hui: Que
le firmament soit fait. Les paroles présentes disent quelque chose de plus; sans
s’arrêter à un simple ordre, elles expliquent la cause pour laquelle Dieu a
voulu créer le firmament. Afin, dit Moïse, qu'il divise les eaux d'avec les
eaux. Examinons d'abord comment est-ce que Dieu parle. D'après notre manière,
les images des choses se gravent-elles dans son esprit ? Et quand il a conçu des
idées, les énonce-t-il en se servant des expressions les plus propres et les
plus convenables à chacune? Après quoi, livrant ses pensées au ministère des
organes de la voix, et frappant l'air par un mouvement articulé de la langue,
manifeste-t-il ainsi ses conceptions? Mais ne serait-ce pas une fiction absurde
de prétendre que Dieu a besoin de tout ce circuit pour énoncer ses idées et ses
sentiments ? N'est-il pas plus conforme à la piété de dire que la parole dans
Dieu est l'acte de sa volonté et la première impulsion de son désir ? L'Écriture
nous le représente employant paroles, afin de montrer qu'il n'a pas seulement
voulu tirer du néant les êtres divers, mais leur donner l'existence par le
ministère d'un coopérateur.
Elle pouvait, cette divine Écriture, s'exprimer partout comme elle a fait
d'abord: Au commencement Dieu créa; elle pouvait dire, il fit la lumière, il lit
le firmament : mais introduisant Dieu qui ordonne et qui parle, elle indique
tacitement quelqu'un auquel il ordonne et avec lequel il parle. Elle ne nous
envie pas la connaissance de la vérité; mais enflammant notre ardeur pour la
connaître, elle nous montre les traces et les indices d'un mystère vénérable.
Ce qu'on acquiert par du travail est reçu avec plaisir et conservé avec soin; au
lieu qu'on méprise la possession des choses dont l'acquisition est trop facile.
C'est clone par un certain chemin et par un certain ordre que Dieu nous conduit
à la connaissance de son Fils unique. Toutefois, même dans ce cas, une nature
incorporelle n'avait pas besoin de l'organe de la voix, puisque ces pensées
pouvaient se communiquer par elles-mêmes à son coopérateur. Quel besoin ont de
la parole des êtres qui peuvent se communiquer leurs volontés par la pensée même
? La voix est pour l'ouïe et l'ouïe pour la voix. Où il n'y a ni air, ni langue,
ni oreille, ni conduit tortueux qui porte les sons aux sens placés dans la tête,
il n'est pas besoin de paroles; la communication de la volonté se fait, pour
ainsi dire, par les seules pensées de l’âme. Je le répète donc, c'est pour
exciter notre esprit à examiner la personne à laquelle s'adressent les discours,
que l'Écriture s'est servie avec art et avec sagesse de cette manière de parler.
Il faut examiner en second lieu si
le firmament, auquel on a aussi donné le nom de ciel, est différent du ciel créé
d'abord, et si en général il existe deux cieux. Les savants qui ont raisonné sur
le ciel consentiraient plutôt à perdre leur langue qu'à admettre ces deux cieux.
Ils prétendent qu'il n'y a qu'un ciel, et que sa nature ne permet pas qu'il y en
ait un second, un troisième, ou davantage, toute la substance du corps céleste
ayant été épuisée a la formation d'un seul, comme ils le pensent, lis disent
qu'un corps qui se meut en cercle est unique, que cet ouvrage a été consommé, et
que tout ayant été employé pour un premier ciel, il ne reste plus rien pour un
second ou pour un troisième. Voilà ce que forgent ces hommes qui fournissent à
l'Ouvrier suprême une matière éternelle, et qui, de cette première fiction
fausse, sont conduits à un mensonge lié avec elle par tin rapport naturel. Pour
nous, nous demandons aux, sages de la Grèce de ne point se rire de nous avant
que de s'être conciliés ensemble. Parmi eux, il en est qui supposent des cieux
et des mondes
à l'infini. C'est lorsque cette opinion aura été attaquée et détruite comme
absurde par les philosophes qui emploient les preuves les plus imposantes, qui
prétendent établir, par des démonstrations géométriques, qu'il est contraire à
la nature qu'il y ait plus d'un monde; c'est alors que nous nous moquerons
davantage des inepties mathématiques et savantes de ces philosophes, si, voyant
due, par une seule et même cause, des bulles se forment sur l'eau en grand
nombre, ils cloutent après cela que la puissance créatrice ait pu donner l'être
à plusieurs mondes; ces mondes dont la force et la grandeur ne diffèrent guère
de ces gouttes d'eau qui s'enflent sur la surface des fontaines, si on les
compare à la puissance infinie de Dieu. Ainsi leur raison d'impossibilité est
ridicule. Pour nous sommes si éloignés de ne pas croire un second ciel, que nous
en cherchons même un troisième, celui que le bienheureux Paul a eu l’avantage de
contempler. En nommant les cieux des cieux, le psalmiste nous annonce qu'il en
existe plusieurs. Les cieux ne sont pas plus extraordinaires que les sept
cercles que parcourent les sept planètes, d'après le sentiment de presque tous
les philosophes.
Ces cercles, disent-ils, sont les uns dans les autres, comme ces barils que nous
voyons emboîtés ensemble. Ils ajoutent que ces cercles emportés par un mouvement
contraire au mouvement général, rendent, en traversant l'éther, un son agréable
et mélodieux, supérieure à la plus belle musique. Lorsqu'on leur demande
d'appuyer leur assertion par le témoignage des sens, que répondent-ils? Ils
disent qu'accoutumés à ce son dès notre naissance, une longue et continuelle
habitude nous en a ôté le sentiment. Ainsi, dans les boutiques des forgerons,
ceux dont les oreilles sont continuellement frappées, n'entendent plus rien.
Réfuter de pareilles rêveries, dont la futilité se montre évidemment au premier
coup-d'oeil, ce ne serait ni savoir ménager le temps, ni compter assez sur
l'intelligence de ses auditeurs.
Mais laissant aux infidèles les
erreurs des infidèles, revenons à l'explication de l'Écriture. Quelques-uns de
nos prédécesseurs ont prétendu. que ce n'était pas la création d'un second ciel,
mais le développement du premier: qu’il était parlé d'abord en général de la
création du ciel et de la terre; mais qu’ici l'Écriture explique la manière plus
particulière dont chaque chose a été faite. Pour nous, nous pensons que
l’Écriture parlant d'un second ciel dont le nom est différent et l'usage
particulier, ce ciel diffère de celui qui a été créé d'abord; qu'il est d'une
substance plus ferme, et d'un usage spécial dans l'univers.
Et Dieu dit: Que le firmament soit
fait, afin qu'il divise les eaux d'avec les eaux. Et Dieu fit le firmament; il
divisa les eaux qui étaient sous le firmament d'avec celles qui étaient
au-dessus du firmament. Avant de chercher le sens de ces paroles, tâchons de
détruire les objections qui nous sont faites. On nous demande comment, s'il est
vrai que le corps du firmament soit sphérique, ainsi qu'il le paraît à la vue,
et si l'eau est de nature à s'échapper et à se répandre d'un lieu élevé; on nous
demande comment les eaux ont pu se tenir sur une surface convexe. Que
dirons-nous à cela ? Quoique dans sa partie concave un objet nous paraisse d'une
exacte rondeur, ce n'est; pas une raison pour que sa partie convexe soit
sphérique et se prolonge dans une ligne parfaitement circulaire. Par exemple,
les bains et autres édifices pareils, quoique arrondis en arcs au-dedans, nous
offrent souvent au-dehors une surface plane et unie. Ainsi, qu'on ne se fasse
pas à soi-même et qu'on ne nous fasse pas de difficultés, comme si l'eau ne
pouvait tenir sur la partie élevée du firmament, dont nous allons examiner la
nature, et pourquoi il est placé entre les eaux.
L'Écriture, comme on le voit par
divers passages,
a coutume d'appeler firmament ce qui a une force et une solidité particulière.
Les philosophes païens eux-mêmes appellent corps ferme, un corps plein et
solide, pour le distinguer du corps mathématique. Le corps mathématique est
celui qui n'existe que par des dimensions en longueur, largeur et profondeur. Le
corps ferme est celui qui, outre ces dimensions, a encore de la résistance.
L'Écriture appelle firmament, tout ce qui est fort et inflexible : elle se sert
même de ce mot pour exprimer un air extrêmement condensé. C'est moi qui affermis
le tonnerre, dit-elle (Amos. 4. 13.). Elle appelle affermissement du tonnerre,
la ferme résistance de l'air enfermé dans les nues, qui fait longtemps effort,
et qui éclate enfin avec un bruit horrible. De même ici nous pensons que le mot
firmament est employé pour exprimer une substance ferme et solide, laquelle est
en état de retenir l'eau qui s'échappe et se répand aisément. N'allons pas
croire néanmoins, parce que le firmament, selon l'acception commune, paraît
tirer son origine de l'eau, qu'il ait quelque rapport ou avec l'eau gelée, ou
avec quelque autre matière semblable, dont le principe est une eau filtrée, tel
que le cristal, qui provient de la plus excellente des congélations; ou cette
pierre diaphane
qui se forme dans les mines , et dont la transparence approche de celle de l'air
le plus pur, lorsque dans toute sa largeur et toute sa profondeur elle n'offre
aucune tache ni aucune fente. Le firmament ne ressemble à aucune de ces
matières ; il y a de la simplicité et de la puérilité à se faire de pareilles
idées des corps célestes. Et parce que tous les éléments se trouvent partout,
que le feu est dans la terre, l'air dans l'eau, et ainsi des autres; parce
qu'aucun des éléments qui tombent sous nos sens n'est pur, qu’il est toujours
mêlé avec l'élément dont il est l'ami oit l'ennemi, ne nous imaginons pas non
plus à cause de cela que le firmament soit un des éléments simples ou tin
mélange de plusieurs. Nous apprenons de l’Écriture à ne point permettre à notre
imagination de se figurer autre chose que ce que les Livres saints rapportent.
N'oublions pas de remarquer qu’après que Dieu a donné cet ordre: Que le
firmament soit, il n'est pas dit simplement et le firmament fut; mais, et Dieu
fit le firmament ; ensuite, et Dieu divisa. Écoutez, sourds, et vous, aveugles,
levez les yeux. Et quel est le sourit, sinon celui qui n'entend pas l'Esprit
Saint qui crie d'une voix si éclatante quel est l'aveugle? Celui, sans doute,
qui n'aperçoit pas des preuves si sensibles du Fils unique de Dieu. Que le
firmament soit; c'est la voix qu'adresse à son Fils le principal Auteur de
l'univers. Dieu fit le firmament ; c'est le témoignage d'une puissance
effectrice et créatrice.
Mais revenons à la suite de notre
explication : Afin qu'il divise les eaux d'avec les eaux. Il y avait, ce semble,
une immense quantité d'eaux, et elles n'étaient dans aucune proportion avec les
autres éléments, puisqu'elles inondaient de toutes parts la terre, et qu'elles
étaient suspendues au-dessus d'elle. C'est pour cela qu’il est dit auparavant,
que l'abyme enveloppait de tous côtés la terre. Nous donnerons tout à l’heure la
raison de cette immense quantité d'eau, Aucun de ceux qui ont le plus exercé
leur esprit, et qui connaissent le mieux ce monde corruptible et passager
n’attaquera notre opinion comme supposant des choses impossibles ou imaginaires
; il ne nous demandera pas sur quoi pose l'élément de l'eau. Car par la raison
qu'ils retirent des extrémités la terre plus pesante que l'eau, et qu'ils la
suspendent au milieu du inonde, par cette même raison, dis-je, ils accorderont
que cette eau abondante, qui par sa nature se porte en bas et qui pèse en tout
sens, s'arrête et repose sur la terre. Les eaux inondaient de toutes parts la
terre ; extrêmement abondantes, elles n avoient aucune proportion avec elle,
mais étaient infiniment plus étendues. Le souverain Ouvrier, dès le
commencement, prévoyait l'avenir, et avait ainsi disposé les choses pour la
suite. A quelle fin donc les eaux étaient elles en plus grande quantité qu'on ne
peut dire? Comme l'élément du feu est nécessaire au monde, non seulement pour
les besoins terrestres, mais encore pour le complément de l'univers , qui
manquerait, d'une partie essentielle , s'il manquait de l'élément le plus
important de tous et le plus utile ; comme l'eau et le feu sont ennemis et
opposés, et que l'un tend à détruire l'autre, le feu, lorsqu'il l'emporte par la
puissance ; l'eau, lorsqu'elle domine par l'abondance : comme il ne fallait pas
qu'ils fussent en guerre ensemble, et que le défaut absolu de l'un des deux
occasionnât la ruine de l'univers, l'Ordonnateur suprême a tellement multiplié
les eaux, que, consumées peu à peu par la puissance du feu, elles pussent
néanmoins résister jusqu'au temps marqué pour la fin du monde.
Celui qui dispose tout avec poids et mesure, qui, comme dit Job nombre
jusqu’aux gouttes de la pluie (Jb. 36. 27), savait quel temps il a marque pour
la durée du monde, et combien il falloir d'aliment au feu. Voilà pourquoi l'eau
a tellement abondé dans la création. Au reste, il n'est personne assez étranger
à la société, pour qu'il faille lui apprendre combien le feu est essentiel au
monde. Non seulement les arts nécessaires à la vie, tels que l’agriculture,
l'architecture et les autres, ont besoin de la vertu du feu ; mais ni les arbres
ne peuvent fleurir, ni les fruits mûrir, ni les animaux terrestres ou aquatiques
naître et se nourrir depuis le commencement jusqu'à la fin, sans la chaleur du
feu. La chaleur du feu est donc nécessaire pour la naissance et la durée des
êtres : l'abondance des eaux est nécessaire, partie que le feu consume sans
cesse et sans relâche. Considérez toutes les choses créées, et vous verrez que
la puissance du feu domine dans tous les êtres qui s'engendrent et qui se
corrompent.
C'est pour cela que beaucoup d'eau
est répandue sur la terre , sans parler de celle que nous ne voyons pas et qui
est suspendue, ni de celle qui est cachée au plus profond de ses entraides.
De-là cette grande multitude de fontaines, de puits, de torrents et de fleuves,
en un mot cette foule de réservoirs différents qui retiennent les eaux dans leur
enceinte. Du coté de l'orient, des régions du tropique, coule l'Indus, le plus
grand de tous les fleuves, au rapport de ceux qui ont fait la description du
circuit de la terre. Du milieu de l'Orient coulent encore le Bâctre, le Choaspe
et l'Araxe, d'où l’on voit sortir le Tanaïs qui va se décharger dans le
Palus-Méotides. Ajoutez le Phase qui descend des monts Caucases, et une infinité
d'autres qui, des contrées septentrionales, vont se jeter dans le Pont-Euxin.
Vers l’occident, d'été, au pied des monts Pyrénées, jaillissent le Tartése et
l’Ister,
dont l'un se porte dans la mer qui est au-delà des colonnes d’Hercule ; l'Ister
traverse l'Europe, et va se perdre dans le Pont. Qu'est-il besoin de détailler
les autres fleuves qu'engendrent les monts Riphées, au fond de la Scythie, parmi
lesquels est le Rhône, et un nombre infini d'autres fleuves qui portent tous
vaisseaux, et qui, après avoir côtoyé les pays des Galates, des Celtes et des
Barbares voisins, vont tous se perdre dans la mer occidentale ? D'autres qui
partent des régions supérieures du midi, après avoir traversé l'Éthiopie, se
déchargent, les uns dans la Méditerranée, les autres dans l'Océan ; tels que
l’Egon, le Nysès, celui qui est appelé Chremetès ; et outre cela, le Nil, qui ne
ressemble pas aux autres fleuves, lorsqu’il inonde l'Égypte comme une vaste mer.
Ainsi la terre que nous habitons est environnée d'eaux, enchaînée par des mers
immenses, traversée par des fleuves qui ne tarissent jamais, grâce à la sagesse
admirable du Tout-Puissant qui abandonne au feu un élément ennemi, assez
abondant pour qu'il ne puisse pas facilement l'épuiser. Il viendra un temps ou
tout sera consumé par le feu, comme dit Isaïe en s'adressant au Créateur de
l'univers : tous qui dites à l'abyme : Tu seras désolé, et je dessécherai tes
fleuves.
Ainsi, renonçant à une folle
sagesse, recevez avec nous la doctrine de la vérité, dont les paroles sont
simples, mais dont la connaissance est ferme et immuable. Voilà pourquoi nous
lisons : Que le firmament soit au milieu des eaux, afin qu'il divise les eaux
d'avec les eaux. Nous avons déjà dit ce qu'entend l'Écriture par le nom de
firmament. Elle n'entend pas une substance ferme et solide, qui ait du poids et
de la résistance ; autrement la terre aurait reçu plus proprement ce nom : mais
elle se sert du nom de firmament par comparaison, à cause des êtres qui sont
au-dessus, dont la nature légère et déliée ne peut être saisie par aucun de nos
sens. Imaginez-vous un lieu qui ait la faculté de filtrer les eaux, qui élève
dans la région supérieure la partie filtrée qui est la plus légère, et précipite
en bas la partie terrestre qui est la plus grossière ; afin que l'humide étant
peu à peu dissipé, la même température subsiste sans interruption. Si vous avez
peine à croire la grande abondance des eaux, considérez la quantité du feu, qui,
quoique beaucoup moins abondant, est capable par sa puissance de consumer tout
l'humide. Il attire, il est vrai, l’humide qui est autour de lui, comme le
prouve la cucurbite ; mais il consume ce qu’il attire, comme le feu de la lampe,
qui , après avoir attiré l'huile qui lui sert d'aliment, la change bientôt et la
dissipe en frimée.
Qui est-ce qui doute que l'éther ne soit tout de feu et enflammé, s'il n'était
contenu par les bornes puissantes que lui a marquées le Créateur, qui
l'empêcherait de tout embraser de proche en proche, et d'épuiser en même temps
toute l’humidité des êtres ? De-là cette immensité d’eau suspendue dans l'air
lorsque la région supérieure est obscurcie par les vapeurs qu'envoient les
fleuves, les fontaines, les marais, et toutes les mers, de peur que l’éther
enflammé ne dévore tout. Ne voyons-nous pas dans l’été le soleil lui-même
laisser en très peu de temps à sec et sans humidité un pays ordinairement
couvert d'eau et de fange ? Qu'est donc devenue cette eau ? Que nos habiles
physiciens le montrent. N’est-il pas clair que la chaleur du soleil la convertie
en vapeurs et la dissipée?
Ils disent, ces physiciens (car que
ne se permettent-ils pas de dire ?), que le soleil n'est pas chaud. Et voyez sur
quelle preuve ils s'annotent pour combattre l’évidence. Comme sa couleur est
blanche, disent-ils, qu'il n'est ni rouge ni blond, conséquemment il n'est pas
de feu par sa nature, mais sa chaleur vient d'un mouvement fort rapide.
Qu'infèrent-ils de-là ? Croient-ils que le soleil ne consume aucune humidité ?
Quoique leur assertion soit fausse, je ne la rejette pas néanmoins, parce
qu'elle s'accorde avec mon opinion. Je disais que la grande quantité d'eau est
nécessaire, parce que le feu en consume beaucoup. Or, que le soleil ne soit pas
chaud par sa nature, mais qu'il recoure d'une certaine disposition sa chaleur
inflammable, cela empêche-t-il qu’il ne produise les mêmes accidents sur les
mêmes matières ? Que les bois frottés les uns contre les autres donnent le feu
et la flamme , ou qu'ils soient embrasés par une flamme allumée, il résiste
toujours le même effet de l'une et l'autre cause. Au reste , nous voyons la
grande sagesse de celui qui gouverne l'univers, en ce qu'il fait passer le
soleil d’un point à un autre, de crainte que s’arrêtant au même endroit, il ne
ruine l'économie du monde par un excès de chaleur. Ainsi, tantôt vers le
solstice d'hiver, il le transporte à la partie australe, tantôt il le fait
passer aux signes équinoxiaux, et de-là, vers le solstice d'été, il le ramène
aux plages septentrionales ; en sorte due, par ces passages insensibles, les
contrées de la terre conservent une température favorable. Mais que les
physiciens voient s'ils ne se contredisent pas eux-mêmes , eux qui conviennent
que la mer reçoit moins de fleuves parce que le soleil consume beaucoup d'eau ,
et de plus que la partie amère et salée reste, parce que la chaleur enlève la
partie légère et potable: ce qui arrive surtout par la séparation qu'opère le
soleil, qui enlève ce qu'il y a de plus léger, et qui laisse, comme une espèce
de lie et de fange, ce qui est grossier et terrestre ; d'où vient le salé et le
desséchant des eaux de la mer. Eux qui parlent ainsi de la mer changent de
sentiment, et prétendent que le soleil ne produit aucune diminution de l'humide.
Et Dieu donna au firmament le nom
de ciel : nom qui convenait proprement à une autre substance, et qui était donné
à celle-ci par la ressemblance qu'elle avait avec l’autre. Nous observons dans
plusieurs endroits de l’Écriture, qu'on appelle ciel cette continuité d'air
épais qui s’offre à nos yeux, et que c'est parce qu’il frappe visiblement nos
regards qu’il reçoit ce nom.
Ainsi nous lisons dans les psaumes
: Les oiseaux du ciel (Ps. 8. 9.) ; et ailleurs : Les oiseaux qui volent dans le
firmament du ciel (Gn. I. 20.). Tel est encore ce passage : Ils montent
jusqu'aux cieux (Ps. 106. 26). Moïse bénissant la tribu de Joseph, lui promet
les fruits du ciel et de la rosée (Dt. 33. 13. ), les fruits nés de la vertu du
soleil et de la lune, les fruits qui croissent sur le sommet des montagnes et
sur les collines éternelles , la terre étant fertile par l'heureux concours de
ces influences. Dans les malédictions qu'il adresse à Israël, il dit : Le ciel
qui est au-dessus de votre tête sera pour vous d'airain (Dt. 28. 23).
Qu'entend-il par là ? Sans doute cette sécheresse universelle et ce défaut
d'eaux aériennes qui font naître et croître les fruits de la terre. Lors donc
que l'Écriture dit que la rosée de la pluie tombe du ciel, nous devons
l'entendre des eaux qui occupent les régions supérieures. Les vapeurs élevées de
la terre se rassemblant en haut, et l'air étant condensé par la compression des
vents, lorsque ces exhalaisons humides, qui, déliées et légères, étaient
dispersées dans la nue, viennent à se réunir, elles deviennent des gouttes qui,
par le poids qu'elles acquièrent, se portent en bas : et c'est là l'origine de
la pluie. Lorsque ces mêmes eaux, coupées par la violence des vents, se
réduisent en écumes, et, qu'extrêmement refroidies, elles se gèlent toutes
entières, alors rompant la nue, elles tombent sur la terre en neige. En général,
nous pouvons, par la même raison, distinguer toutes les eaux suspendues dans
l’air au-dessus de notre tête.
Mais que personne ne compare la
simplicité des discours spirituels avec le faste des philosophes qui ont
raisonné sur le ciel. Autant la beauté d’une femme sage est supérieure à celle
d'une courtisane, autant nos discours l'emportent sur ceux des païens. Ceux-ci
cherchent à ravir les suffrages par la beauté des paroles ; nous, nous ne
présentons que la vérité nue sans aucun artifice. Pourquoi nous fatiguer à
réfuter leurs mensonges, lorsqu'il nous suffit d'opposer leurs écrits les uns
aux autres, et de regarder tranquillement la guerre qu'ils se font? En effet,
ils ne sont inférieurs, ni en nombre, ni en mérite, mais ils combattent avec
tout l'avantage de l'éloquence les raisons qui leur sont contraires, ceux qui
disent que l'univers est embrasé, et qu'il revit
des semences
qui restent dans les êtres consumés par le feu. D'où ils admettent une infinité
de destructions et de régénérations du inonde. Mais tous les infidèles
s'éloignent également de la vérité, quoiqu'ils cherchent de toutes parts des
raisons pour défendre leurs erreurs.
Il nous faut ici répondre à
quelques écrivains ecclésiastiques
sur la
séparation des eaux. Sous prétexte de trouver dans l’Écriture des sens plus
relevés, recourant aux allégories, ils disent que les eaux signifient
métaphoriquement des puissances spirituelles et incorporelles; que les
meilleures de ces puissances sont restées en haut dans le firmament; que celles
qui sont mauvaises ont été jetées en bas dans des lieux grossiers et terrestres.
C'est pour cela, disent-il, que les eaux qui sont au-dessus des cieux louent le
Seigneur ; c'est-à-dire, que les puissances bonnes, qui, par leur pureté, sont
dignes de tenir le premier rang, payent au Créateur un tribut convenable de
louanges ; que les eaux placées au-dessous des cieux sont des esprits mauvais ,
qui sont tombés de leur nature sublime dans l'abyme de la méchanceté ; que,
comme ils sont turbulents , séditieux, agités par le tumulte des passions , ils
sont nominés mer à cause de la variation et de l'inconstance des mouvements de
leur volonté. Rejetant de pareils discours comme des songes frivoles et des
fables absurdes, par les eaux entendons les eaux, et croyons que la séparation
en a été faite par le firmament pour la raison que j'ai dite. Que si les eaux
placées au-dessus des cieux sont chargées quelquefois de glorifier le souverain
Maître de l'univers, ne leur donnons pas à cause de cela une nature raisonnable.
Car les cieux ne sont pas des êtres animés, parce qu’ils racontent la gloire de
Dieu (Ps. 18. 1.), et le firmament n'est pas un animal qui ait du sentiment,
parce qu'il annonce l'ouvrage de ses mains. Si l'on dit que les cieux: sont des
puissances contemplatives, et le firmament des puissances actives, occupées à
faire ce qui convient, ce sont là de magnifiques discours, mais qui ne sont pas
appuyés sur la vérité. Car alors la rosée, les frimas, le froid et la chaleur
seraient des êtres spirituels et invisibles ; parce que, dans le Prophète
Daniel, ils reçoivent l'ordre de célébrer le grand Ouvrier du monde (Dn. 3.
64.). Mais c'est le rapport d'utilité de ces êtres considéré par des créatures
raisonnables, qui constitue la louange adressée au Créateur. Non seulement les
eaux placées au-dessus des cieux chantent une hymne au Seigneur, comme méritant
une distinction par l'excellence de leur vertu; mais, dit le psalmiste : Louez
le Seigneur, nous qui êtes sur la terre, dragons et tous les abîmes (Ps. 148.
7.) Ainsi cet abyme auquel ceux qui usent d'allégories accordent une si mauvaise
part, n'a pas été jugé par David digne d'être rejeté, par David qui l'admet dans
le choeur de toutes les créatures, et qui le charge de chanter avec elles
l'hymne au Créateur suivant le langage qui lui est propre.
Et Dieu vit que cela était beau. Ce
n'est point par les yeux que Dieu juge de la beauté des choses qu’il a faites,
il ne se forme pas du beau la même idée que nous ; mais il regarde comme beau ce
qui est fait suivant toutes les règles de l’art, et ce qui concourt à une fin
utile. Celui donc qui s'est proposé dans la création tut but bien marqué,
examine d'après ses principes les diverses parties à mesure qu’il les crée, et
il les approuve comme remplissant; parfaitement leur fin. Une main seule, un
oeil isolé, en un mot toits membres séparés d’une statue, ne sauraient paraître
beaux a tout le monde: mais lorsqu'ils sont rangés à leur place, alors cette
belle harmonie, qui se montrait à pente aux plus habiles, est aperçue des plus
ignorants. Un artiste voit la beauté des membres avant qu'ils soient
l'approchés, parce que sa pensée le reporte à leur fin. C'est ainsi que
l'Ouvrier suprême nous est représenté louant chacun de ses ouvrages, lui qui
doit accorder bientôt au monde entier achevé les louanges qui lui conviennent.
Mais finissons ici notre
instruction sur le second lotir. Laissons aux auditeurs attentifs le temps
d’examiner ce qu'ils ont entendu, en sorte qu'ils gravent dans leur mémoire les
réflexions utiles, et que par nue méditation sérieuse, comme par une espèce de
digestion, ils puissent les convertir en leur substance. Quant à ceux qui sont
trop occupés des soins de la vie, procurons-leur la facilité de s'affranchir de
ces soins dans l'intervalle, et de se présenter au festin spirituel da soir avec
un esprit dégagé de toute inquiétude. Que le Dieu qui a fait de grandes choses,
et qui m'a inspiré les faibles pareils dont j'ai alimenté vos âmes, vous donne
en tout l'intelligence de sa vérité, afin que, par les choses visibles, vous
connaissiez l'invisible, et que par la grandeur et la beauté des créatures, vous
preniez une idée juste du Créateur. Ce qu'il y a d'invisible en Dieu, dit saint
Paul, est devenu visible depuis la création du monde par la connaissance que ses
ouvrages nous en donnent; lesquels ouvrages nous découvrent sa puissance
éternelle et sa divinité (Rm. 1. 20.). Ainsi la terre, l'air, le ciel, les eaux,
le jour, la nuit, tous les objets visibles nous manifestent et nous rappellent
l'idée de notre bienfaiteur. Nous ne fournirons pas d'occasion au péché, nous ne
laisserons pas de place dans nos coeurs de notre ennemi, si, par un souvenir
continuel, nous faisons habiter en nous le Dieu à qui appartiennent la gloire et
l’adoration, maintenant et toujours dans tous les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.
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