HOMÉLIE CINQUIÈME
SUR LES PRODUCTIONS DE LA TERRE
SOMMAIRE.
L’homélie VII a été certainement prononcée le
soir; l'homélie VI le matin ; celle-ci reste donc isolée; et il faut dire, ou
qu'elle a été divisée en deux pour le soir et le matin , ou que l'orateur n'a
parlé que le matin ou le soir. Quoi qu'il en soit , c'est une de ses plus
belles. Elle égale par la richesse et la variété des détails les productions
riches et variées de la terre dont elle traite. Herbes , plantes , fleurs ,
arbres , arbustes, et autres productions , descriptions particulières ,
énumérations accumulées , réflexions morales , tout cela est mêlé avec beaucoup
d'art, et embelli des plus vives couleurs oratoires et poétiques.
Et Dieu dit: Que la terre produise
de l'herbe verte qui porte de la graine selon son espèce et selon la
ressemblance, et des arbres fruitiers qui portent du fruit chacun selon son
espèce, et qui renferment leur semence en eux-mêmes. C'est à propos que la
terre, après avoir été déchargée des eaux qui la couvraient, et s'être un peu
reposée, a reçu l'ordre de produire d'abord de l'herbe, et ensuite des arbres ;
ce que nous voyons encore arriver maintenant. Car la voix de Dieu, le premier
ordre qu’il a adressé, est comme la loi de la nature, loi permanente, qui donne
à la terre la fécondité, et la vertu de produire des fruits dans toute la suite
des siècles. Que la terre produise une herbe verte. Ce n'est qu'après avoir été
d’abord en herbe, après s'être fortifiées, après avoir pris tous leurs
accroissements , et être enfin parvenues à leur état de maturité parfaite, que
les plantes portent de la graille. Toutes commencent par produire une herbe
verdoyante. Que la terre produise de l'herbe verte. Qu’elle produise cette herbe
par elle-même, sans avoir besoin d’aucun secours étranger. Comme plusieurs
croient que le soleil est la cause des productions de la terre, en attirant par
sa chaleur la force productrice de son sein sur sa surface, c'est pour cela que
les ornements de la terre sont plus anciens que le soleil, afin que les hommes
qui sont dans l'erreur, cessent d adorer le soleil comme l'auteur des
productions qui conservent notre vie. S'ils se persuadent que la terre avait
reçu toute su parure avant la création du soleil, ils pourront renoncer à leur
admiration excessive pour cet astre, en faisant attention que la terre avait
produit de l'herbe verte avant qu'il fût créé. La nourriture a-t-elle donc été
préparée aux bêtes qui broutent, et la nôtre n'a-t-elle pas été jugée digne des
soins d'un Dieu attentif? Mais celui qui prépare la pâture au boeufs et aux
chevaux, vous ménage des richesses et de l'opulence, puisqu'en nourrissant vos
bêtes de somme, il augmente les commodités de notre vie. D'ailleurs, la
production des graines et des semences a-t-elle d’autre fin que d améliorer
notre condition? Sans compter que beaucoup de plantes encore en herbes et en
légumes, servent à la nourriture ales hommes.
Que la terre produise une herbe
verte qui porte de la graine selon son espèce. S'il est des espèces d'herbes
utiles aux autres animaux, c'est à nous qu'en revient aussi l'avantage ; c'est à
nous qu'est assigné l'usage des graines et des semences. Ainsi, je crois que le
texte devrait être ainsi rétabli : Que la terre produise de l'herbe verte, et
des graines selon les espèces. Cette disposition des mots serait plus conforme à
la raison, et à l'ordre de la nature, qui fait passer les plantes par divers
accroissements avant qu'elles produisent des graines. Mais comment l'Écriture
annonce-t-elle que toutes les productions de la terre ont des graines, lorsqu'il
est visible que le roseau, le safran, et une infinité d'autres espèces de
plantes n'ont point de graines ? A cela nous disons que beaucoup de productions
de la terre ont au bas de leur racine de quoi se reproduire comme par des
graines. Par exemple, le roseau, après un an, produit à sa racine un rejeton,
qui, pour la re-production future, tient lieu de graines. Et c'est une propriété
qu'on remarque dans une infinité d'autres plantes répandues sur la terre. Il est
donc, de toute vérité que chaque production a une graine ou une vertu qui en
tient lieu. Et c'est là le sens de ces paroles : Selon son espèce. Le rejeton du
roseau n'est point propre à produire un olivier ; mais un roseau naît d'un
roseau, comme d'une graine naît une production conforme à celle d'où la graine
provient. Ainsi ce qui est sorti de la terre dans la première création, s'est
conservé jusqu'à ce jour, parce que chaque espèce subsiste en se reproduisant
dans une succession non interrompue.
Que la terre produise. Figurez-vous
la terre encore froide et stérile , qui , par cette unique parole et ce simple
ordre , est fécondée tout à coup, et se hâte de produire des fruits.
Représentez-vous-la déposant en quelque sorte un vêtement triste et lugubre, en
prenant un autre plus gai, se parant de ses propres ornements, faisant éclore de
son sein une multitude de plantes diverses. Je veux vous inspirer une grande
admiration pour les choses créées, afin que partout où mus rencontrerez quelque
espèce de production, elle vois frappe et vous ramène ait Créateur. D'abord,
lorsque vous voyez l’herbe des champs et sa lieur, songez à la nature humaine,
et rappelez-vous la comparaison qu'emploie le sage Isaïe : Toute chair, dit-il,
est comme l’herbe, et toute la gloire de l'homme est comme la fleur de l’herbe
(ls. 40. 6. ). Cette comparaison a semblé au Prophète la plus propre à exprimer
la brièveté de notre vie, l'instabilité et la fragilité des joies et des
prospérités humaines. L’homme qui aujourd’hui jouit d'une santé brillante, que
les délices uni nourri et engraissé, dont le teint fleuri répond à la fleur de
la jeunesse, qui est plein de force et de vigueur, dont on ne peut soutenir la
fougue ; ce même homme, demain, n'est plus qu'un objet de pitié, flétri par le
temps ou consumé par la maladie. Cet autre est remarquable par soi opulence, il
est environné dune troupe de flatteurs, escorté d'un grand nombre de faux amis
qui ambitionnent ses bonnes grâces, et de pareras dont les manières ne sont pas
moins fausses ; soit qu'il sorte de sa maison, soit qu'il y revienne, il traîne
à sa suite une foule d'esclaves empressés de lui rendre divers services : le
faste dont il s'entoure excite l'envie de tous ceux qui le rencontrent. Aux
richesses, ajoutez la puissance, les honneurs accordés par le prince, le respect
ries nations, le commandement des armées, un héraut qui marche devant lui en
criant, des licteurs armés de faisceaux qui impriment la crainte au peuple, les
prisons, les confiscations de biens, les derniers supplices qui redoublent la
frayeur dans l’âme de ceux qu il commande quelle est la fin de tout cela ? Une
seule nuit, une seule lièvre, une seule maladie enlève cet homme du milieu des
hommes , le dépouille de tout cet appareil théâtral ; et toute sa gloire semble
n'avoir été qu'un vain songe C'est donc avec raison que le prophète compare la
gloire humaine à la fleur la plus fragile.
Que la terre produise de l'herbe
verte, qui porte de la graine selon son espèce et selon la ressemblance. L'ordre
que nous remarquons encore aujourd'hui dans les productions de la terre, atteste
celui qui a eu lieu dès l’origine, puisque toutes ces productions commencent
d'abord par l'herbe verte. Soit qu'une plante vienne d'un rejeton ou d'une
graine, comme le safran et autres du même genre. elle produit d'abord de l’herbe
verte, et ensuite du fruit sur un tuyau qui se dessèche en grossissant. Que la
terre produise de l'herbe verte. Lorsqu'un grain de blé tombe dans une terre qui
a une chaleur et une humidité convenables, il se dilate , s'étend ; et
saisissant la terre qui l'environne, il attire à lui ce qui lui est propre et
analogue. Les parties déliées de la terre s'insinuent dans ses pores,
grossissent sa masse et la développent, lui font jeter en bas autant de racines
qu'il pousse en haut et élève de tiges. La plante s'échauffant toujours, elle
pompe l'humidité par ses racines, et par le moyen de la chaleur, prend de la
terre autant qu'il lui faut de nourriture, qu'elle distribue dans la tige, dans
l'écorce, dans les étuis du blé, dans le blé lui-même et dans les épis. Chaque
plante en général, soit blé, soit légume, soit arbuste, croit peu à peu, jusqu'à
ce qu'elle ait pris sa mesure propre. La seule plante du blé est suffisante pour
occuper tout notre esprit, pour lui faire contempler l'art de celui qui l’a
faite, pour lui faire examiner comment la tige est fortifiée d'espace en espace
par des noeuds , par des espèces de liens qui l’aident à supporter le poids des
épis, lorsque les fruits qui les remplissent les font pencher vers la terre.
C'est pour cela que l'avoine sauvage est plus faible dans sa tige, parce que sa
tête n'est pas chargée, au lieu que la nature a lié fortement la tige du blé par
intervalles. Elle a enfermé le grain dans des étuis, pour qu'il ne pût pas erre
aisément enlevé par les oiseaux voleurs ; de plus, elle a muni les épis de
barbes, comme de pointes, pour les défendre contre les attaques des petits
animaux.
Que dois-je dire ? que dois-je
taire ? Au milieu des riches trésors de la création , il est difficile de
trouver ce qu'il y a de plus précieux, et l'on se verrait privé avec peine de ce
qui aurait été omis. Que la terre produise de l'herbe verte : et aussitôt les
poisons ont paru avec les plantes nourricières, la ciguë avec le blé ,
l'ellébore , l'aconit, la mandragore, et le jus du pavot avec le reste des
plantes dont nous tirons notre vie. Quoi donc ! Oublierons-nous de rendre grâces
au Créateur pour les productions utiles, et ne songerons-nous qu'à nous plaindre
de celles qui nous sont nuisibles ? Ne ferons-nous pas attention que tout n'a
pas été créé pour notre subsistance ? Nous avons nos nourritures qui sont
faciles à trouver et à reconnaître ; chacune des choses créées a son emploi
particulier qu'elle remplit. Parce que le sang de taureau est pour vous un
poison,
ne voit-on pas produire, ou devait-on produire en ne lui donnant pas de sang,
cet animal dont la force nous est d’un si grand usage ? Vous avez avec sous dans
la raison une compagne qui vous apprend à vous garantir des productions
pernicieuses. Quoi ! Les brebis et les chèvres savent fuir les herbes qui
nuisent à leur vie ; elles savent , par le seul instinct, distinguer ce qui leur
est contraire ; et vous, qui avez la raison, qui avez l'art de la médecine,
lequel vous fait connaître les plantes salubres; qui avez l'expérience de vos
prédécesseurs, laquelle vous apprend à fuir celles qui sont préjudiciables, vous
est-il bien difficile, je vous le demande, d'éviter les poisons ! D'ailleurs,
aucun de ces poisons n'a été produit au hasard et sans but. Où ils servent de
nourriture à quelques animaux, ou l'art de la médecine a su les tourner à notre
avantage, et les employer à la guérison de certaines maladies. La ciguë est
mangée par les étourneaux, qui, par la constitution de leur corps, évitent les
effets de ce poison. Comme les libres de leur estomac sont très actives, ils
l'ont digérée avant que sa froideur ait pu atteindre les parties vitales.
L'ellébore est aussi la pâture des cailles, dont le tempérament propre les
garantit de ce qu'elle a rie dangereux. Ces mêmes poisons nous sont quelquefois
utiles dans l'occasion. Les médecins se servent de la mandragore pour ramener le
sommeil fugitif, de l'opium pour apaiser les douleurs violentes. Plusieurs, avec
la ciguë, ont diminué la rage de la concupiscence, ou , avec l'ellébore, ont
dissipé des maladies invétérées. Ainsi ce que vous pensiez être matière à des
reproches contre le Créateur, est pour vous un nouveau sujet de lui rendre
grâces.
Que la terre produise de l'herbe
verte. Ces paroles renferment une multitude d'aliments qui nous sont propres,
soit dans l'herbe même, soit dans les racines , soit dans les fruits , aliments
venus d'eux-mêmes, ou par les soins de l'agriculture. Dieu n'ordonne pas à la
terre de produire sur-le-champ la graine et le fruit, de produire d'abord
l'herbe verte, et d'arriver successivement jusqu'à la graine, afin que le
premier ordre fût à la nature une leçon pour toute la suite des siècles. Mais,
dit-on, comment la terre produit-elle des graines selon l'espèce, puisque
souvent, quand nous avons semé de bon blé, nous recueillons du froment noir ?
Mais ce n'est point là un changement d'espèce, c'est une simple altération, et
comme une maladie du grain, qui ne cesse pas d'être blé, mais qui étant brûlé se
noircit comme l'apprend le nom même. Le grain brûlé par un froid excessif change
de couleur et de goût. On prétend même que, lorsqu'il trouve un terrain
favorable et une bonne température, il revient à sa première forme. Ainsi,
aucune des productions n'offre rien de contraire au premier ordre du Créateur.
Ce qu'on appelle ivraie, qui se trouve mêlé avec le bon grain, et dont il est
parlé dans l'Écriture, ne vient pas d'un blé altéré, mais est dans l'origine une
plante d'une espèce particulière. Elle est une image de ceux qui corrompent les
préceptes du Seigneur, et qui n'ayant pas été instruits selon la vérité, mais
qui étant imbus de doctrines perverses, se mêlent dans. le corps sain de
l'Église, afin d'inspirer sourdement aux vrais fidèles leurs dogmes pernicieux.
Le Seigneur, dans un passage de l'Évangile, compare l'état parfait des hommes
qui ont cru en lui, à l'accroissement des semences. Le royaume des cieux, dit-il
, est semblable à ce qui arrive lorsqu’un homme a jeté de la semence en terre.
Soit qu'il dorme ou qu’il se lève, la nuit et le jour, la semence germe et croit
sans qu’il sache comment. Car la terre produit premièrement l'herbe, ensuite
l'épi, puis le blé tout formé qui remplit l’épi (Mc. 4. 26 et suiv.).
Que la terre produise de l'herbe
verte. Dès que ces paroles eurent été prononcées, en un moment la terre, pour
obéir aux lois du Créateur, commençant par produire de l’herbe, parcourant tous
les degrés de l'accroissement, conduisit aussitôt les plantes à une entière
perfection. Et bientôt on vit des prairies couvertes d'une grande abondance
d'herbes, des campagnes fertiles chargées de moissons ondoyantes, qui, dans le
balancement des épis, offraient l’image d'une mer dont les flots sont agités ;
l’on vit une grande multitude d'herbes de toute espèce, de légumes et
d'arbustes, se répandre sur toute la surface de la terre. Car alors les
productions n'avaient à éprouver aucun mauvais succès, aucun accident, aucune
maladie, ni par l'ignorance du laboureur, ni par l'intempérie de l'air, ni par
nulle autre cause. Une sentence rigoureuse n'empêchait pas non plus la fertilité
de la terre, dont les premières productions étaient plus anciennes que la faute
pour laquelle nous avons été condamnés à manger notre pain à la sueur de notre
front.
Que la terre produise, dit
l’Écriture, des arbres fruitiers qui portent du fruitiers, et qui renferment
leur semence en eux-mêmes selon leur espèce et leur ressemblance sur la terre. A
cette parole on vit paraître une immense quantité de bois épais ; on vit sortir
tous les arbres, soit ceux qui sont de nature à s'élever à la plus grande
hauteur, les pins, les sapins, les cèdres, les cyprès et autres ; soit ceux qui
servent peur les couronnes, les rosiers, les myrtes, les lauriers ; soit toutes
les espèces d'arbustes. Tous les arbres qui n'avoient pas encore paru sur la
terre, y prirent l'être en un instant, chacun avec des caractères particuliers,
avec des différences visibles, qui les font reconnaître et qui les distinguent
de ceux dont l'espèce n'est pas la même. Toutefois la rose était sans épine :
l’épine a été ajoutée depuis à la beauté de cette fleur, afin que la peine, pour
nous, soit près du plaisir, et que nous puissions nous rappeler la faute qui a
condamné la terre à nous produire des épines et des ronces.
Mais, dit-on, la terre a reçu
l'ordre de produire des arbres fruitiers, qui portent des fruits sur la terre et
qui aient leur semence en eux-mêmes : cependant nous voyons plusieurs arbres qui
n'ont ni fruits, ni semences. Nous dirons à cela que les arbres les plus
précieux ont obtenu une mention principale. Ensuite, à bien examiner, on verra
que tous les arbres ont une semence, ou une vertu qui en tient lieu. Les
peupliers blancs et noirs, les saules, les ormes et autres arbres de même
nature, paraissent au premier coup-d’oeil ne porter aucun fruit; mais si on les
considère attentivement, on verra que chacun d'eux a une semence. Une graine
cachée sous les feuilles, à laquelle on a donné un nom particulier,
tient lieu de semence. Tous les arbres qui viennent de branches plantées en
terre, jettent de-là, pour la plupart, des racines. Peut-être aussi que des
rejetons à la racine tiennent lieu de semence, rejetons que les cultivateurs des
arbres arrachent et plantent pour multiplier l'espèce.
Au reste, comme nous l'avons déjà
dit, l'Écriture n'a cru devoir citer que les arbres qui sont les plus propres à
conserver nos jours, ceux qui devaient enrichir l'homme de leurs fruits et lui
procurer une vie plus abondante : par exemple, la vigne qui produit le vin,
lequel est fait pour réjouir le coeur de l'homme; et l’olivier, qui donne pour
fruits l'olive, dont l’huile qu'on en exprime répand la joie sur le visage (Ps.
103. 15.).
Que d'effets produits sur le champ
par la nature ont concouru au même but: la racine de la vigne, les sarments qui
verdissent recourbés, et qui sont répandus en grand nombre sur la terre, la
fleur, les tendrons, les grappes de raisin! La seule vigne, regardée avec
intelligence, peut vous donner une idée de toute la nature. Vous vous rappelez,
sans doute, la comparaison du Seigneur; vous savez qu’il se nomme lui-même la
vigne, son Père le vigneron (Jn. 15. 1.), et que nous autres qui sommes entrés
dans l'Église par la foi, il nous appelle les sarments. Il nous exhorte à
produire beaucoup de fruits, de peur que, condamnés à être stériles, nous ne
soyons livrés au feu. Partout il compare les âmes humaines à des vignes. Mon
bien-aimé, dit-il par un de ses Prophètes, avait une vigne dans un lieu élevé,
gras et fertile (Is. 5. 1.). J'ai planté une vigne, dit-il ailleurs, et je l'ai
enfermée d'une haie (Mt. 21, 33.). Il appelle vigne les âmes humaines qu'il a
entourées d'une haie, sans doute de la force des préceptes et de la garde des
anges. L'ange du Seigneur, dit David, environnera ceux qui le craignent (Ps. 33.
S.). Ensuite il nous a donné des prophètes, des apôtres, des docteurs, qui sont
comme des palissades dont il nous a environnés, dans l'Église. Il a élevé et
exalté nos esprits par les exemples des hommes anciens et bienheureux, sans
permettre qu’ils restassent étendus par terre, dignes d'être foulés aux pieds.
Il veut que les embrassements de la charité, comme les mains de la vigne, nous
attachent à notre prochain, qu ils nous fassent reposer en lui, et due, prenant
notre essor, nous nous élevions jusqu'à la cime des plus grands arbres. Il
demande que nous nous Lissions enfouir. Or, l'âme est enfouie lorsqu'elle s’est
dépouillée des sollicitudes de ce monde qui appesantissent nos coeurs. Celui
donc qui a déposé l'amour charnel et le désir des richesses, qui regarde comme
vile et méprisable la malheureuse passion de la vaine gloire, celui-là est comme
enfoui, et respire après avoir secoué le poids des affections vaines et
terrestres. En suivant toujours la même comparaison, nous devons encore prendre
garde de jeter trop de bois et de feuilles, c’est-à-dire, de vivre avec faste et
de rechercher les louanges du siècle; nous devons porter des fruits et n'étaler
nos oeuvres qu aux yeux du véritable vigneron. Pour vous, soyez comme un olivier
qui porte du fruit dans la maison de Dieu (Ps. 51. 10.). Ne vous dépouillez
jamais de l'espérance, mais que le salut fleurisse toujours en vous par la foi.
Vous imiterez la verdure perpétuelle et la fécondité de cet arbre, si dans tous
les temps vous faites des aumônes abondantes.
Mais revenons à examiner l'art
admirable qui règne dans les productions de la terre. Que d'espèces d'arbres on
en vit alors sortir qui étaient propres, les uns à nous donner des fruits, les
autres à échauffer nos foyers, d'autres qui servent à la construction de nos
demeures, d'autres à la fabrication des navires! Quelle variété dans la
disposition des parties de chaque arbre ! Il est difficile de trouver le
caractère particulier de chacun, et les différences qui les distinguent des
autres espèces: comment les racines des uns sont aussi profondes que celles des
autres le sont peu ; comment les uns s'élèvent droit et n'ont qu'un tronc,
tandis que les autres rampent sur le sol , et se partagent dès la racine en
plusieurs tiges : comment tous ceux dont les rameaux s'étendent au loin et
occupent un grand espace dans l'air, ont de profondes racines qui se distribuent
au loin en terre de toutes parts , la nature leur ayant donné en quelque sorte
des fondements conformes à la niasse qui s'élève au-dessus du terrain. Quelles
diversités dans les écorces! Les unes sont unies, les autres sont raboteuses;
les unes sont légères, les autres épaisses. Ce qui étonne, c'est que les arbres
éprouvent les mêmes changements que l'on observe dans l'adolescence de l'homme
et dans sa vieillesse. Sont-ils, pour ainsi dire, dans la vigueur et dans la
fleur de l'âge? Leur écorce est fort lisse : commencent-ils à vieillir? elle se
ride en quelque manière et devient plus rude. Parmi les arbres, les uns étant
coupés refleurissent; les autres restent sans plus rien produire, et les couper,
c'est leur donner la mort. Quelques personnes ont observé que les pins coupés et
même brûlés se changent en bois de chêne.
Nous savons que les vices naturels de certains arbres sont corrigés par les
soins du cultivateur. Par exemple, les grenadiers dont les grenades sont acides,
et les amandiers dont les amandes sont amères, on les change en bien et on
corrige le défaut de leurs sucs, en perçant le tronc à la racine, et en y
introduisant jusqu'au centre un coin de pin résineux. Que celui donc qui vit
dans le désordre ne désespère pas de lui-même, lorsqu'il sait que si la culture
change les dualités des arbres, les soins de rame pour se ramener à la vertu,
peuvent guérir toutes sortes de maladies spirituelles.
Quant aux arbres fruitiers, la
variété des fruits est telle qu’il n'est pas possible de l’exprimer par le
discours. Cette variété se remarque, non seulement dans les arbres de différente
espèce , mais même dans ceux de meule nature, au l'oint que les cultivateurs
distinguent le fruit des arbres -males et celui des arbres femelles. Ils
partagent mémo les palmiers en femelles et males; et l’on voit quelquefois celui
qu'on appelle femelle abaisser ses rameaux, comme s'il était enflammé d'amour et
qu il recherchât les embrassements du male. On adapte des boutons du mâle à des
branches de la femelle, qui, sensible pour ainsi dire à cette union, relève ses
rameaux et fait reprendre à son feuillage sa forme naturelle. On dit la même
chose des figuiers. De-là, les uns entent des figuiers sauvages sur des figuiers
cultivés; les autres prennent seulement les figues sauvages
qu'ils
attachent au figuier cultivé, pour fortifier par ce moyen sa faiblesse , et
retenir son fruit qui commençait à se dissiper et à disparaître. Que signifie
cet effet mystérieux de la nature? que nous apprend-il ? Sans doute, que nous
devons souvent dans la pratique des bonnes oeuvres ranimer notre vigueur par
l'exemple même des infidèles. Si donc vous voyez un homme engagé dans les
erreurs du paganisme, ou dans quelque hérésie perverse qui le sépare de
l'Église, jaloux d'ailleurs de mener une vie sage et bien réglée, que cette vue
enflamme votre zèle, vous excite à devenir semblable au figuier portant des
fruits, lequel recueille ses forces dans son union avec les figuiers sauvages,
arrête la dissipation de sa vertu génératrice, et nourrit ses fruits avec plus
de soin.
Telles sont les différences, sans
parler d'une infinité d autres, dans la génération des fruits. Qui pourrait
épuiser les variétés des fruits mêmes, leurs formes, leurs couleurs, leurs
saveurs particulières, l’utilité de chacun? Qui pourrait dire comment la plupart
sont exposés nus au soleil qui les mûrit; comment quelques-uns sont enveloppés
de coques où ils prennent leur maturité ? Les arbres dont le fruit est tendre,
ont une feuille épaisse, comme le figuier ; ceux dont le fruit et plats ferme,
ont une feuille plus légère, comme le noyer. Certains fruits avaient besoin d’un
pus grand secours à cause de leur faiblesse: un feuillage plus épais aurait nui
à d'autres, à cause de l'ombre qu'il aurait donné. Qui pourrait dire comment la
feuille de la vigne est coupée en deux, pour que la grappe résiste aux injures
de l’air, et pour qu'elle reçoive abondamment les rayons du soleil, vu la
ténuité de la feuille? Rien n'a été fait au hasard et sans cause, tout a été
dirigé par une sagesse ineffable.
Quel discours pourrait tout
détailler? Quel esprit humain pourrait, tout rapporter avec exactitude; pourrait
connaître et distinguer clairement les propriétés et les différences de chaque
arbre et de son fruit, expliquer sûrement les causes cachées ? La même eau
pompée par la racine, nourrit différemment la racine elle-même, l'écorce du
tronc, le bois et la moelle. La même eau devient feuille, se partage en grandes
et petites branches, donne de l'accroissement aux fruits les larmes et le suc
viennent de la même cause.
Nul discours ne pourrait exprimer
toutes les différences de ce suc et de ces larmes. Autre est la larme du
lentisque, autre est le suc du baume. Il est en Égypte et dans la Libye des
férules qui distillent une autre espèce de sucs. Plusieurs pensent que lambre
est un suc des plantes durci et comme pétrifié. Ce qui confirme cette opinion,
ce sont des pailles et de petits animaux qu'on y aperçoit enfermés, et qui
attestent l'existence d'un suc originairement liquide. En général, celui cuti ne
connaît point par expérience les différentes qualités des sucs, ne pourra
trouver des paroles pour expliquer leur vertu et leur efficacité. Mais comment
la même eau se forme-t-elle en vin dans la vigne et en huile dans l'olivier? Ce
qu'il y a d'admirable, c'est de voir non seulement de quelle manière ici l'eau
devient douce et là devient onctueuse, mais encore quelles sont les variétés
infinies des fruits doux. Car autre est la douceur dans la vigne, autre dans le
pommier, dans le figuier, dans le palmier. Je désire encore que vous examiniez
avec attention comment la même eau, tantôt flatte le palais, lorsqu'elle
s'adoucit en s'arrêtant dans quelques plantes; tantôt l’offense, lorsque passant
pas d'autres plantes elle s'aigrit; et enfin se tournant en la dernière amertume
le révolte, lorsqu'elle séjourne dans l'absinthe ou dans la scammonée: dans le
gland ou dans le fruit du cornouiller, elle prend une qualité rude et
astringente; dans les térébinthes , et dans les noix, elle se convertit en une
substance douce et huileuse. Et pourquoi rapporter des exemples éloignés les uns
des autres, lorsqu'elle offre les qualités les plus contraires dans le même
figuier, aussi amère dans le suc qu'elle est douce dans le fruit, aussi
astringente dans le sarment de la vigne qu'elle est agréable dans le raisin ? Et
quelles sont les diversités des couleurs? En parcourant une prairie, vous voyez
la même eau rougir dans telle fleur, se pourprer dans telle autre, s'azurer dans
celle-ci, blanchir dans celle-là , et présenter de plus grandes différences
encore dans les odeurs que dans les couleurs.
Mais je vois que le désir
insatiable de contempler les productions de la terre étend mou discours outre
mesure. Si je ne le resserre en le rappelant aux lois générales de la création,
le jour me manquera, tandis que je m'arrêterai aux petits détails pour faire
admirer la grande sagesse du Créateur. Que la terre produise des arbres
fruitiers qui portent du fruit sur la terre. A cette parole, les sommets des
montagnes furent couverts d'arbres touffus, les jardins décorés avec art, les
rives des fleuves embellies d'une infinité d arbres et de plantes. Parmi ces
productions, les unes sont faites pour orner la table de l’homme, les autres
fournissent la nourriture des troupeaux dans leurs fruits et dans leurs
feuilles, d'autres nous procurent des secours, d'après l'art de la médecine,
dans leurs sucs, leurs liqueurs, leurs pailles, leurs écorces, leurs fruits. En
un mot, tout ce qu'a trouvé pour nous une expérience journalière, en recueillant
dans chaque circonstance ce qui est utile, la providence attentive du Créateur
l’a prévu dès le commencement et l’a produit pour notre avantage. Pour vous,
lorsque vous voyez des plantes cultivées ou non cultivées , aquatiques ou
terrestres, avec fleurs ou sans fleurs, reconnaissant dans ces petits objets le
grand Être, admirez et aimez de plus en plus le Créateur. Considérez comment
parmi les arbres qu'il a créés, les uns sont toujours verts, les autres se
dépouillent. Parmi ceux qui sont toujours verts, les uns perdent leurs feuilles,
les autres les conservent. L’olivier et le pin perdent leurs feuilles,
quoiqu'ils n'en changent qu'insensiblement, de sorte qu'ils paraissent ne jamais
se dépouiller de leur feuillage. Le palmier garde toujours les mêmes feuilles,
depuis qu’il a pris son accroissement jusqu’à la fin. Examinez encore comment,
le tamarin est, pour ainsi dire, une plante amphibie, étant compté parmi les
plantes aquatiques et se multipliant dans les déserts. Aussi Jérémie
compare-t-il avec raison à cette plante ces caractères vicieux qui balancent
entre le bien et le mal (Jr. 17. 6.).
Que la terre produise. Ce peu de
paroles fut sur-le-champ une nature universelle
et un art
merveilleux, qui, plus promptement que la pensée , firent naître une infinité de
productions diverses. Ces mêmes paroles imprimées maintenant encore sur la
terre, la pressent chaque année de montrer toute sa vertu pour produite des
herbes, des pieutes et des arbres. Car de même que certains instruments de jeu,
d'après un premier coup, forment ensuite plusieurs cercles et tournent plusieurs
fois sur eux-mêmes : ainsi la nature, d'après un premier ordre, a reçu une
première impulsion, qui a continué dans une longue suite de siècles, et qui
durera jusqu'à la consommation du monde. Puissions-nous tous arriver à ce terme
chargés de fruits et remplis de bonnes oeuvres, afin que, plantés dans la maison
de notre Dieu, nous fleurissions à l'entrée des demeures éternelles (Ps. 91.
14.), en J. C. notre Seigneur, à qui soient la gloire et l’empire dans les
siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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