HOMÉLIE SUR LE CONSEIL QUE DONNE SAINT PAUL
DE SE RÉJOUIR TOUJOURS.
SOMMAIRE.
CETTE Homélie,dans
les éditions, a pour titre : Sur l'action de grâces : on verra si j'ai
eu raison de changer ce titre. L'orateur, après avoir cité ces paroles
de l'Apôtre: Réjouissez-vous toujours, priez sans cesse, rendez grâces à
Dieu en toutes choses ; annonce qu'il expliquera ce que veut dire cette
joie, comment il est possible de prier sans cesse et de rendre grâces à
Dieu en toutes choses ; mais il est clair qu'il ne dit que peu de mots
sur le second et le troisième article, et que son discours roule sur le
prunier. Il montre d'abord, contre ceux qui prétendaient le contraire,
que le précepte de se réjouir toujours n'est pas impossible. Il le
prouve surtout par l'exemple de saint Paul. Il expose les raisons que
nous avons de nous réjouir toujours. Il se fait objecter plusieurs
passages de l'Écriture et les pleurs de Jésus-Christ sur Lazare. Il
réfute ces objections. Il condamne les douleurs excessives et les larmes
immodérées. L'exemple de Job et les grands principes de religion doivent
nous consoler dans les plus grands sujets de tristesse.
Vous venez
d'entendre les paroles de l'Apôtre, qui, dans la personne des fidèles de
Thessalonique, donne des règles à tout, le genre humain. Car les
instructions de saint Paul étaient pour les fidèles qui s'adressaient à
lui dans diverses circonstances, mais leur utilité s'étend sur tous les
hommes. Réjouissez-vous toujours, dit-il, priez sans cesse, rendez
grâces à Dieu en toutes choses (I. Thes. 3. 16). Nous expliquerons tout
à l’heure, autant qu'il sera en nous, ce que veut dire cette joie,
l’avantage qu on en peut retirer ; comment il est possible de prier sans
cesse et de rendre grâces à Dieu en toutes choses. Il faut d abord
répondre aux objections de nos adversaires qui attaquent le précepte de
saint Paul comme étant impossible dans la pratique.
Quelle est cette
vertu, disent-ils, de livrer son amie jour et nuit à la joie et au
contentement ? est-il possible d'ailleurs d'y parvenir au milieu de
cette foule de maux imprévus dont nous sommes sans cesse assaillis, qui
attristent nécessairement l’âme, et qui font qu’il est plus impossible
d'être joyeux et satisfait, que de ne pas sentir de douleur lorsqu'on
est plongé dans une chaudière bouillante, ou qu'on est percé de la
pointe d'une épée. Parmi ceux qui nous écoutent maintenant, il est
peut-être quelqu'un qui raisonne de la sorte, et qui, pour excuser sa
lâcheté à observer les préceptes, reproche au législateur qu'il ordonne
des choses impossibles. Puis-je, dit-il, goûter une joie perpétuelle,
lorsque les sujets de me réjouir ne dépendent pas de moi ? Ce qui cause
de la joie est hors de nous et ne dépend pas de nous ; la présence d'un
ami, un long commerce avec ceux de qui nous tenons le jour, des
richesses qu'on acquiert, des honneurs qu'on reçoit, le passage d'une
maladie dangereuse à la santé, une maison qui regorge de biens, une
table chargée de mets délicats, des amis qui partagent notre
satisfaction, des paroles et des spectacles agréables, la santé des
personnes qui nous touchent le plus près, en un mot, toutes les
prospérités et tous les bonheurs de la vie. Non seulement les choses
fâcheuses qui nous arrivent à nous-mêmes nous chagrinent, nous sentons
encore les disgrâces de nos amis et de nos proches. Ainsi la joie et le
contentement de l’âme résultent du concours de tons ces objets. Outre
cela, si nous voyons la chute de nos ennemis, des accidents arrivés à
ceux qui nous ont fait du mal, les succès de ceux qui nous ont obligés,
enfin si nous n'éprouvons ni ne craignons aucun des maux qui troublent
notre vie, c'est alors que notre âme pourra erre dans la joie. Comment
dune nous donne-t-on un précepte qui ne dépend pas de nous, mais de
causes étrangères ? Comment, aussi prierai-je sans cesse, lorsque les
nécessités corporelles causent à l’âme une infinité de distractions, et
l'occupent tellement qu'il lui est impossible, vu les bornes de sa
nature, de se livrer à d'autres soins ? Il m'est encore ordonné de
rendre grâces à Dieu en toutes choses. Lui rendrai-je donc grâces étant
mis à la torture, déchiré de coups de fouet, étendu sur la roue, attaché
au chevalet, les yeux arrachés, diffamé par un ennemi, mourant de froid
et de faim, privé tout à coup de mes enfants ou de ma femme, ruiné
subitement par un naufrage, tombé entre les mains des voleurs ou des
pirates, couvert de blessures, noirci de calomnies, menant une vie
errante ou languissant dans une prison ? Voilà, sans parler de beaucoup
d'autres, les reproches qu'on fait au législateur; voilà comment on
croit excuser ses fautes, en décriant les préceptes comme impossibles.
Que dirons-nous à
cela ? Sans doute lorsque saint Paul a d'autres objets en vue, lorsqu'il
s'efforce d'élever en haut et de porter à la contemplation des choses
célestes nos âmes cuti rampent sur la terre ; des hommes qui ne peuvent
atteindre les hautes pensées dit législateur, qui, semblables à des
animaux vivant dans la boue, se plongent dans des passions charnelles et
terrestres, demandent si les préceptes de l'Apôtre sont possibles. Saint
Paul exhorte à se réjouir toujours, non des hommes ordinaires, mais ceux
qui lui ressemblent, ceux qui ne vivent plus dans leur chair, mais qui
ont Jésus-Christ vivant en eux, parce que l'union étroite avec le
souverain bien ne permet pas de sentir les maux qui affligent la chair.
Oui, quand même la chair serait coupée en morceaux, le mal reste dans le
corps, sans pouvoir arriver jusqu'à la partie intelligente de l'anse.
Si, suivant le précepte de l'Apôtre, nous avons mortifié nos membres
terrestres (Col. 3. 5), si nous portons dans notre corps la
mortification du Seigneur Jésus (2. Cor. 4. 10), il arrivera
nécessairement que les coups portés à toi corps mortifié ne parviendront
pas jusqu'à l'âme qui n'aura plus avec le corps aucune communication.
Les affronts, les pertes de biens, le; morts des proches, n'iront pas
jusqu'à l’âme, et ne l'abaisseront pas à s'inquiéter des maux corporels.
Si ceux qui tombent dans des malheurs pensent comme l'homme parfait, ils
ne lui causeront point de peine par leurs chagrins, puisque eux-mêmes
supportent sans peine ce qui leur arrive. S'ils vivent suivant la chair,
ils ne lui causeront pas encore de peine, mais ils seront juges par lui
dignes de pitié, moins à cause des disgrâces qu'ils éprouvent, qu'à
cause de leur mauvaise disposition. En général une âme parfaitement
soumise aux volontés du Créateur, qui met son plaisir à contempler les
beautés célestes, ne perdra point sa joie et son contentement au milieu
de toute cette foule de maux qui affligent la chair ; mais ce qui est
pour les autres un sujet de tristesse, sera pour elle un surcroît de
satisfaction. Tel était l'Apôtre, qui se complaisait dans ses
faiblesses, dans ses afflictions, dans ses persécutions, qui se
glorifiait de sa pauvreté et de ses besoins. Il s'applaudissait de la
faim, de la soif, du froid, de la nudité, des détresses, enfin de tous
les maux qui rendent les autres insupportables à eux-mêmes et leur font
trouver la vie ennuyeuse.
Ceux donc qui
n'entrent pas dans les sentiments de l'Apôtre, qui ne comprennent pas
qu'il nous exhorte à mener une vie évangélique, ont la hardiesse de lui
faire des reproches, comme s'il nous ordonnait des choses impossibles.
Qu'ils sachent que, par la bonté de Dieu, nous avons mille sujets de
nous réjouir. Nous sommes passés dru néant à l'existence ; nous avons
été faits à l'image du Créateur ; nous avons reçu l'esprit et la raison,
qualités qui sont la perfection de l'homme et qui l’élèvent à la
connaissance du Très-Haut. Les beautés des créatures visibles sont comme
un livre ouvert à nos yeux,dans lequel nous pouvons lire et apprendre la
providence universelle et la grande sagesse de l'Être suprême. Nous
avons la faculté de discerner le bien d'avec le mal, instruits par la
nature même à choisir ce qui nous est convenable, et à fuir ce qui nous
est nuisible. Éloignés de Dieu par le péché, nous avons été réconciliés
par le sang de son Fils unique, qui nous a délivrés d'une honteuse
servitude. Nous avons l'espérance de ressusciter un jour, de participer
au bonheur des anges, au royaume céleste, aux biens que Dieu nous a
promis, qui surpassent tout ce que la raison peut imaginer. Tous ces
avantages ne sont-ils pas de nature à nous combler de joie et à nous
causer une satisfaction inaltérable Croirons-nous que celui qui se livre
aux plaisirs de la bonne chère, que les oreilles sont flattées par les
sons de la musique, qui se couche et qui s'endort dans un lit délicat,
goûte un vrai contentement ? Pour moi, je pense que les personnes
sensées doivent déplorer le malheur d'un tel homme, et que ceux-là
seulement sont heureux qui supportent les peines de la vie présente dans
l'espoir d'une vie future, qui sacrifient les choses passagères pour
mériter les éternelles. Quand ils seraient. au milieu des flammes comme
les trois ennuis de Babylone, quand ils seraient enfermés avec des
lions, quand ils seraient dévorés par une baleine, pourvu qu'ils soient
unis étroitement avec Dieu, nous devons croire qu'ils jouissent d'un
parfait bonheur et qu'ils vivent dans la joie, peu touchés des maux
présents, et réjouis par l'espérance des biens qu ils attendent. Un
généreux athlète, une fuis entré (huis l'arène de la piété, doit
supporter avec courage les coups de ses adversaires, animé par l'espoir
d'une couronne glorieuse. Dans les combats gymniques, les athlètes
accoutumés à de pénibles exercices ne sont pas effrayés des blessures
qu'ils peuvent recevoir, mais ils attaquent de près leurs antagonistes,
et ne comptent pour rien toutes les peines qu'ils endurent par le désir
d'une proclamation honorable. Ainsi, quelque malheur qui arrive à
l’homme vertueux, il ne peut troubler la joie pure qu'il goûte, parce
que, sans doute, l’affliction produit la patience, la patience
l’épreuve, l’épreuve l'espérance, et que cette espérance n’est point
trompeuse (Rom. 5.3). Aussi le même saint Paul nous exhorte-t-il
ailleurs à être patients dans les afflictions, et à nous réjouir dans
l'espérance ( Rom. 12. 12. ). Or c'est l'espérance qui rend la joie
l'éternelle compagne de la vertu.
Mais le même Apôtre
nous engage à pleurer avec ceux qui pleurent (Rom. 12. 15). Écrivant aux
Galates
,
il pleurait sur les ennemis de la croix de Jésus-Christ (Phil. 3. 1 8).
Qu'est-il besoin de citer Jérémie, qui a tant pleuré; Ézéchiel, qui, par
l'ordre de Dieu, écrit les lamentations des princes (Ez. 2. 9. — 7. 27),
et beaucoup d autres saints qui versent des larmes ? Hélas ! ma mère,
pourquoi m'avez-vous mis au monde (Jr. 15. 10) ? Hélas ! on ne trouve
plus de saint sur la terre ; parmi les hommes on n'en trouve plus aucun
qui agisse avec droiture. hélas! je suis comme un homme qui dans la
moisson ne recueille qu’une vile paille (Mi. 7. 1 et 2). En un mot,
examinez les paroles des justes ; et si vous trouvez que partout ils
font entendre une voix triste, vous serez convaincu que tous déplorent
les misères de ce monde, et les maux de cette vie malheureuse. Hélas !
dit saint Paul avec David, pourquoi mon pèlerinage a-t-il été prolongé
(Ps. 119. 5) ? il désire d'être dégagé des liens du corps et de vivre
avec Jésus-Christ (Phil. 1. 23) : Il s'afflige clone de la durée de son
pèlerinage comme étant un obstacle à la joie éternelle qu'il attend.
David, dans ses cantiques, nous a laissé une lamentation sur la mort de
son ami Jonathas. Il a pleuré même son ennemi. Votre mort me pénètre de
douleur, ô mon frère Jonathas ! Filles d'Israël, pleurez sur Saül (2.
Rois. 1. 24 et 26). Il pleure ce prince comme étant mort dans le péché,
et Jonathas comme lui ayant été uni étroitement pendant toute sa vie.
Qu'est-il nécessaire de rapporter d'autres exemples ? le Seigneur
lui-même a pleuré sur Lazare et sur Jérusalem (Jn. 11. 35. — Lc. 19.
41) : il trouve heureux ceux qui s'affligent et qui pleurent (Mt. 5. 5.
— Lc. 6. 21). Or, dira-t-on, comment ces exemples s'accordent-ils avec
le précepte de l'Apôtre: Réjouissez-vous toujours ? Les larmes et la
joie ne viennent pas du même principe. Les larmes sont causées par
l’impression d'un accident imprévu : c'est comme un coup qui frappe
l'âme, qui la resserre, qui fait que le sang se rassemble et se presse
autour du coeur. La joie est un transport de l’âme qui est agréablement
flattée par quelque événement heureux. Le corps offre différents
symptômes de la joie et de la tristesse. Un chagrin violent fait pâlir
le visage, le rend livide et le refroidit. Dans la joie, il devient;
brillant, il se peint d'une couleur vermeille ; ou dirait que rame veut
s écharper, et que le plaisir qu'elle éprouve la répand au-dehors.
A cela nous dirons
que les pleurs et les gémissements des saints procédaient de leur amour
pour Dieu. Ainsi, les yeux toujours fixés sur cet objet de leur
affection, et puisant leur joie dans cette source, ils s’occupaient de
la conduite de leurs frères, pleurant sur les pécheurs, cherchant à les
ramener par les larmes. Et comme des personnes sur le rivage, qui
s'attendrissent en voyant des malheureux près d’être engloutis dans les
flots, ne perdent pas leur sûreté propre par le tendre intérêt qu'elles
prennent à leurs périls : ainsi les justes qui s’affligent à cause des
péchés de leur prochain, loin et altérer par-là leur joie, ne font que
la rendre plus parfaite, les larmes qu’ils répandent pour leurs frères
leur méritant d’entrer dans la joie du Seigneur. Ceux qui s'affligent et
lui pleurent sont heureux, parce qu'ils seront consolés et qu'ils
riront. Le ris dont parle l’Évangile ne consiste nullement dans le bruit
et l'éclat que fait la bouche lorsque le sang s'échauffe, mais dans une
joie sincère qui n'est altérée par aucun mélange de tristesse. L'Apôtre
nous permet donc de pleurer avec ceux qui pleurent, parce que ces larmes
sont comme la semence d'une joie éternelle, que cette joie est comme
l’intérêt de ces larmes. Élevez-vous en esprit dans le ciel, pour
contempler le bonheur des anges. Ce bonheur est-il autre chose que la
joie et la satisfaction qu'ils éprouvent, parce qu'ils sont sans cesse
en présence de Dieu, et qu'ils jouissent des beautés ineffables de la
gloire de noire Créateur ? C'est à cette vie que veut nous porter le
bienheureux Paul, quand il nous ordonne de nous réjouir toujours.
Quant à ce que l'on
objecte que le Seigneur a pleuré sur Lazare et sur Jérusalem, nous
pouvons dire qu'il a mangé et qu'il a bu sans qu'il en eût besoin, mais
qu'il l’a fait pour nous apprendre à régler nos affections naturelles.
Ainsi il a pleuré pour montrer aux personnes qui se permettent des excès
dans le deuil et les gémissements, comment elles doivent les modérer et
ne pas se laisser abattre par la douleur. Car c'est surtout dates les
larmes qu'on doit garder des mesures; il faut peser toutes les
circonstances, examiner les raisons pourquoi l'on pleure, le temps, le
lieu, la manière. Or que le Seigneur ait pleuré, non pour manifester un
sentiment, mais pour nous donner une leçon, en voici la preuve. Notre
ami Lazare dort, dit-il, mais je vais le réveiller (Jn. 11. 11). Qui de
nous pleure un ami qui dort et qu'il sait devoir bientôt se réveiller ?
Lazare, sortez de votre tombeau (Jn. 11. 43), et le mort ressuscita sur
le champ, il marcha quoique lié. C’est un double prodige, de
ressusciter, et que les bandes qui liaient ses pieds ne l'empêchassent
pas de se mouvoir. Une force supérieure faisait disparaître tout
obstacle. Comment donc Jésus-Christ, qui devoir opérer ce miracle,
l'aurait-il jugé digne de ses larmes? n'est-il pas clair que voulant
fortifier de toutes parts notre faiblesse, il a renfermé dans de justes
bornes les affections naturelles? Il n affecta point une insensibilité
qui ne convient qu'à des bêtes féroces; il rejeta ces excès dans les
larmes et les gémissements, qui sont indignes d'un être raisonnable. Il
montra qu’il était homme en pleurant la mort d'un ami; et il nous
enseigna à étirer les extrêmes, à ne pas nous laisser abattre dans les
maux sans nous piquer d'être insensibles. Comme donc le Seigneur a bien
voulu souffrir la faim ou la soif, lorsque les aliments solides étaient
digérés, ou lorsque l’humidité du corps était épuisée ; comme il a voulu
sentir la lassitude, lorsque la longueur du chemin avait tendu les
muscles et les nerfs outre mesure, non que la divinité l'eût vaincue par
la fatigue, mais le corps éprouvent ce qui était une suite de sa nature
: ainsi il a permis à ses larmes de couler. On pleure lorsque les
concavités du cerveau étant remplies de vapeurs que la tristesse a
condensées, ces vapeurs se déchargent par les yeux comme par des espèces
de canaux. De-là ces tintements, ces vertiges, ces éblouissements,
lorsqu'on est frappé par quelque nouvelle désagréable qu'on n'attendait
pas. La tête tourne par la force des vapeurs qu’élève en haut la chaleur
qui se resserre. Ensuite ces vapeurs épaissies se distillent en larmes,
comme l’air condensé se résout en pluie. De-là ceux qui sont dans la
tristesse ont quelque plaisir à pleurer, parce que les pleurs déchargent
la tête qui est appesantie. L'expérience confirme ce que nous disons. On
a vu des personnes accablées des plus affreuses disgrâces, tomber dans
des affections apoplectiques et paralytiques, parce qu'elles s'étaient
opiniâtrées à retenir leurs larmes. On en a vu d'autres expirer et
succomber sous leur chagrin, parce que leurs forces étaient dépourvues
de ce faible appui. La flamme s'étouffe dans sa propre fumée, lorsque
cette fumée n'ayant point d’issue pour sortir roule sur elle-même :
ainsi l'on prétend qu'une douleur trop violente affaiblit et éteint les
facultés vitales, lorsque cette douleur ne saurait s'exhaler au dehors.
Ceux donc qui s abandonnent à la tristesse et aux larmes ne doivent pas
s'autoriser de l'exemple du Seigneur. Les nourritures qu'il a prises ne
sont pas une raison pour rechercher des mets délicats, mais plutôt une
règle suprême de tempérance et de frugalité. De même les larmes qu'il a
répandues ne nous imposent pas l’obligation de pleurer, mais sont la
plus belle et la plus exacte mesure suivant laquelle nous devons
supporter les maux avec dignité et décence, en nous tenant dans les
bornes de la nature.
Il n'est donc
permis ni aux femmes, ni aux hommes, de se livrer aux lamentations et
aux pleurs : on ne leur défend pas néanmoins de s'affliger dans leurs
peines, ni même de verser quelques larmes, pourvu qu’ils le fassent
doucement, sans éclats et sans cris, sans déchirer leurs vêtements, sans
se rouler dans la poussière, sans se jeter dans toutes les extravagances
que se permettent ceux qui ignorent les choses célestes. Quiconque est
épuré par les instructions divines doit se fortifier par la droite
raison comme par un mur solide, repousser arec courage les attaques de
ces douleurs immodérées et trop humaines, craindre qu'elles ne viennent
assaillir l’âme faible et abattue comme sur un penchant où elles la
précipiteraient sans peine. C’est une marque de faiblesse et de peu de
confiance en Dieu de se laisser vaincre par les maux et de succomber à
l'adversité. La tristesse s'empare des âmes molles connue les vers
naissent surtout dans les bois tendres. Job avait-il un coeur de diamant
ses entrailles étaient-elles de pierre? il perdit en un instant dix
enfants, qui furent écrasés d'un seul coup dans une maison oit ils
célébraient un festin, et que le démon fit écrouler sur eux. Ce père
infortuné vit la table teinte du sang de ses enfants malheureux; il vit
ces enfants nés à différentes époques subir à la fois le même sort. Il
ne se lamenta point, il ne s’arracha point les cheveux, il ne proféra
aucune parole qui marquât de la faiblesse et de la lâcheté; mais il fit
entendre ces actions de grâces si célèbres et si connues: Le Seigneur me
l'a donné, le Seigneur me l’a ôté, il est arrivé ce qui a plu au
Seigneur; que le nom du Seigneur soit béni (Job. 1. 21). Job était-il
insensible? non, sans doute; il disait de lui-même: J'ai pleuré sur tous
ceux qui étaient dans l'affliction (Job. 3o. 23). Mentait-il en se
rendant ce témoignage ? mais la vérité même atteste que parmi les autres
vertus il possédait l'amour de la vérité. C'était, dit l'Écriture, un
homme irréprochable, juste, pieux, ami de la vérité (Job. 1. 1). Pour
vous, vous faites retentir l'air de chants lamentables et d'élégies qui
attristent davantage votre âme. Vous imitez les comédiens qui contrefont
toute sorte de personnages et qui accommodent leur extérieur au rôle
qu'ils jouent quand ils paraissent sur la scène. Vous voulez que la
couleur de vos habits réponde à vos sentiments ; vous paraissez vêtu de
noir, avec des cheveux hérissés; votre maison est ensevelie dans les
ténèbres, mal propre et remplie de cendre ; elle retentit de chants
lugubres propres à nourrir votre tristesse et à rouvrir votre plaie.
Laissez toutes ces folies à ceux qui n'ont point d’espérance. Vous savez
ce qu'il faut croire des fidèles qui sont endormis en Jésus-Christ; vous
savez que le corps, comme une semence, est mis en terre plein de
corruption pour ressusciter incorruptible, tout difforme pour
ressusciter tout glorieux, privé de mouvement pour ressusciter plein de
vigueur, tout animal pour ressusciter tout spirituel (1 Cor. 15. 42).
Pourquoi donc pleurez-vous quelqu'un qui sort de la vie pour changer
d'état? Ne vous affligez pas comme si vous étiez privé d'un grand
secours par sa perte: il vaut mieux, dit le Roi Prophète, se confier
dans le Seigneur que dans un simple homme (Ps. 117. 8). Ne vous lamentez
pas comme s'il eût souffert un grand mal: la trompette céleste le
réveillera bientôt de son sommeil (I Cor. I. 52), et vous le verrez
devant le tribunal de Jésus-Christ.
Laissez donc ces
plaintes indignes d'un homme qui a de la force et de l'instruction:
Hélas! quel malheur imprévu ! qui jamais l'eût pensé ? qui l’eût dit que
je dusse renfermer dans le tombeau une tête si chère? Nous devrions
rougir de honte même lorsque nous entendons les autres se plaindre de la
sorte, puisque le récit du passé et l'expérience du présent nous
apprennent; que les disgrâces, suites de notre nature, sont inévitables.
Ainsi les morts subites et tolus les autres accidents qui surprennent,
ne nous étonneront point si nous sommes instruits des maximes de la
piété. Par exemple, j’avais un fils dans la fleur de la jeunesse,
l'unique héritier de mes biens, la consolation de nia vieillesse,
l'ornement de ma famille, la fleur et l'élite des autres jeunes gens;
c`était le soutien de ma maison, il était dans l'âge le plus aimable :
la mort me fa enlevé tout à coup; il n'est plus que cendre et poussière,
ce cher enfant qui, il n'y a que peu de jours, faisait entendre des
paroles si agréables, était un spectacle si doux pour les yeux d'un
père. Que ferai-je dans cette triste circonstance ? déchirerai-je mes
habits ? me roulerai-je par terre? me plaindrai-je à Dieu?
M’indignerai-je ? me comporterai-je à la vue de tout le inonde comme un
enfant qui crie de toute sa force et qui s'agite de toutes les manières
quand on le châtie ? ou plutôt m attachant à considérer la nécessité des
événements, faisant attention qu'il est impossible d'éviter la mort,
qu'elle n'épargne aucun âge, quelle ruine et détruit tout, prendrai-je
le parti de n'être pas étonné de ce qui arrive, de conserver mon âme
tranquille, sans me laisser abattre par un coup inattendu, moi qui sais
depuis longtemps que mortel j'ai engendré un fils mortel; qu'il n'y a
rien de stable sur la terre; qu'on n'y possède rien pour toujours; que
les plus grandes villes, les plus remarquables par la beauté de leurs
édifices, par la force et le nombre de leurs habitants, par l'abondance
qui régnait dans leurs places publiques et dans leurs campagnes,
n'offrent plus que des ruines, tristes restes de leur antique grandeur ?
Souvent un navire, après avoir échappé à mille périls, après avoir mille
fois parcouru de vastes étendues de mer, après avoir mille fois rapporté
de rares marchandises, est abîmé dans les flots par un seul coup de vent
et disparaît. Souvent des armées après s'être signalées par de grandes
victoires, deviennent, par un changement de fortune, un objet de
compassion pour ceux qui les voient des qui en entendent parler. Des
nations entières, des îles puissantes, après des triomphes remportés
sur terre et sur
mer, après avoir acquis d'immenses richesses par les dépouilles de leurs
ennemis, ont été détruites par la suite des temps, ou du moins réduites
à une malheureuse servitude. En général, il n'est point de maux, quelque
affreux et quelque insupportables qu'on les suppose, dont les siècles
passés ne donnent des exemples. Comme clone nous connaissons la
pesanteur des corps en les mettant dans une balance, comme nous
discernons le bon or d'avec le faux en le frottant à une pierre de
touche: ainsi en nous rappelant les mesures prescrites par le Seigneur,
nous ne nous écarterons jamais des bornes de la sagesse. S'ils vous
survient quelque accident fâcheux : d'abord, que votre esprit déjà
préparé à ce coup ne se trouble point; ensuite, adoucissez les maux
présents par l'espoir des biens futurs. Les personnes qui ont la vue
faible s'abstiennent de regarder des objets trop lumineux; elles
reposent leurs yeux sur des fleurs et sur la verdure: nous aussi nous ne
devons pas occuper incessamment notre esprit de pensées tristes; mais
sans attacher sa vue aux disgrâces présentes, nous devons la porter vers
la contemplation des véritables biens.
Vous pratiquerez le
précepte de vous réjouir toujours, si vos regards sont sans cesse
tournés vers Dieu, et si l'espoir des récompenses qu'il vous promet
adoucit en vous les peines de la vie. Ou vous a fait un affront: songez
à la gloire qui vous attend dans le ciel, et que vous mériterez par
votre patience. Vous avez essuyé des pertes de biens: envisagez les
richesses éternelles, et ce vrai trésor que vous vous êtes acquis par
vos bonnes oeuvres. Vous avez été chassé de votre patrie : mais vous
avez pour patrie la Jérusalem céleste. Vous avez perdu un fils que vous
aimiez: mais vous avez les anges avec lesquels vous vous réjouirez
éternellement devant le trône de Dieu. C'est en opposant le bonheur de
la vie future au malheur de la vie présente, que vous conserverez votre
âme exempte de chagrin et de trouble, comme vous y exhorte le précepte
de l'Apôtre. Ne vous livrez ni à des joies excessives dans la
prospérité, ni dans l'adversité à une tristesse qui ôte à votre âme
toute sa joie et toute sa vigueur. Si vous ne vous prémunissez de bons
principes, vous ne mènerez jamais une vie tranquille et paisible. Vous
n'y parviendrez qu'autant que vous aurez toujours devant les yeux le
précepte qui vous exhorte à vous réjouir toujours. Il faut pour cela
calmer les révoltes de la chair, recueillir les plaisirs de l'esprit,
vous mettre au-dessus des maux passagers, vous remplir de l'espoir des
biens éternels, dont la seule idée suffit pour réjouir nos âmes, et
inonder nos coeurs de la joie des anges, en J. C. notre Seigneur, à qui
soient la gloire et l'empire dans les siècles des siècles. Ainsi
soit-il.
NOTES
Saint Basile devait dire aux Philippiens, et non aux Galates.
C'est une erreur de sa mémoire. |