HOMÉLIE SUR L'HUMILITÉ
SOMMAIRE.
L'ORATEUR, après
avoir annoncé que nous sommes touchés par l'orgueil, et que nous ne
pouvons nous relever que par l'humilité, montre, par des raisonnements
et des exemples, que nous ne devons nous enorgueillir ni des richesses
et de la grandeur, ni de la beauté et des autres avantages du corps, ni
de la sagesse et de la prudence. L'homme ne peut se glorifier qu'en
Dieu, puisqu'il tient tout et qu'il espère tout de Dieu. Ce principe est
confirmé par un grand nombre de passages, surtout de St. Paul. Beaucoup
d'exemples prouvent que l'orgueil en a perdu plusieurs ou les a exposés
à se perdre. L'humilité corrige bien des fautes, l'orgueil rend inutiles
les plus grandes vertus. Jésus-Christ surtout et ses disciples nous
apprennent à être humbles. Moyens pour réprimer l'orgueil et pour
s'exercer dans la pratique de l'humilité.
QUE l'homme
n'a-t-il conservé la gloire à laquelle Dieu l'avait d'abord élevé ! son
élévation serait réelle et non imaginaire ; il serait glorifié par la
puissance du Très-haut, illustré par sa sagesse ; il jouirait des biens
de la vie éternelle. Mais depuis que renonçant à la gloire qu'il tenait
du Seigneur, il en a désiré et ambitionne une autre à laquelle il ne
pouvait atteindre, et perdu celle qu'il pouvait obtenir, son unique
ressource, le seul moyen de guérir son mal et de remonter à la dignité
dont il est déchu, c'est de prendre des sentiments humbles, de ne pas
imaginer un vain appareil de gloire qu'il trouve dans son propre fonds,
mais de chercher sa gloire dans Dieu. Par-là il corrigera sa faute,
par-là il guérira sa maladie, par-là il recourra au divin précepte dont
il s'est écarté.
Le démon, qui a
renversé l’homme en l’amusant par l’espérance d'une fausse gloire, ne
cesse de l'irriter par les mêmes motifs, et d'employer mille artifices
potin le surprendre. Il l’éblouit par l’éclat des richesses, afin qu il
s'en applaudisse et qu'il soit jaloux de les augmenter. Toutefois les
richesses, incapables de procurer une vraie gloire, n’ont de réel que le
péril auquel elles exposent. Amasser des richesses ne l'ait qu'irriter
la cupidité; les posséder ne sert de rien pour une gloire solide. Elles
aveuglent l'homme, le rendent insolent, produisent sur l’âme le même
effet que l'inflammation sur le corps. L’enflure des corps enflammés
n'est ni saine ni utile, elle est au contraire très dangereuse et cause
souvent la mort. L'orgueil fait de même mal à l’âme.
Ce ne sont pas les
richesses seules qui enflent l’homme, ce n'est pas seulement le faste
dont il s'environne et qu’il se plaît à étaler, ni les tables
somptueuses qu'il dresse, ni les habits magnifiques dont il se revêt, ni
les maisons superbes qu'il construit et qu’il décore, ni le grand nombre
de serviteurs qui l'accompagnent, ni la foule de flatteurs qu'il traîne
à sa suite ; mais les places qui dépendent des suffrages et des caprices
du peuple lui inspirent aussi une arrogance démesurée. Si le peuple lui
confère une dignité, s'il le nomme à une des premières charges, il pense
alors être au-dessus du genre humain; il s'imagine qu’il marche sur les
nues, qu'il foule aux pieds les autres hommes ; il s’élève contre ceux
auxquels il doit son élévation, il traite insolemment ceux qui l'ont
rendu ce qu'il est. L'insensé ! il ne voit pas que toute cette gloire
dont il est revêtu est plus vade qu'un songe; que tout cet éclat dont il
est environné est plus vain que les fantômes de la nuit ; que cette
gloire et cet éclat sont formés et détruits par les caprices du peuple.
Tel était ce fils extravagant de Salomon, plus jeune par l'esprit que
par l'âge (3. Rois. 12). Il menaça de traiter plus durement le peuple
qui le priait d'adoucir le joug ; et il perdit son royaume par la même
menace par laquelle il espérait régner avec plus d'empire ; il perdit
par elle la dignité dont il avait hérité de son père.
L'habileté des
mains, l'agilité des pieds, les agréments du corps, qui sont le butin de
la maladie et la proie du temps, donnent encore à l'homme de la fierté
et de la confiance. Il ne fait pas réflexion que toute chair n'est que
de l'herbe, que toute la gloire de l'homme est comme la fleur des
champs. L'herbe sèche, et la fleur tombe (Is. 40. 6). Tels étaient et
les géants qui se glorifiaient de leurs forces (Gn. 6. 4. - Sg. 14. 6),
et l'insensé Goliath qui s'attaquait à Dieu même (I . Rois. 17). Tels
étaient encore Adonias qui était fier de sa beauté (3. Rois. 1. 5.) ;
Absalon qui était idolâtre de sa chevelure (2. Rois. 14. 26).
Et ce qui de tous
les biens humains paraît être le plus grand et le plus solide, la
sagesse et la prudence, elles inspirent aussi un vain orgueil, elles
donnent une fausse grandeur, et ne sont comptées pour rien quand elles
sont séparées de la sagesse divine. Les ruses que le démon a employées
contre l'homme ne lui ont pas réussi. Par ces artifices, il s'est fait
plus de mal qu'à l'homme qu'il voulait éloigner de Dieu. Il s'est trahi
lui-même, il s'est révolté contre Dieu, et s'est vu condamne à une mort
éternelle. Il s'est trouvé pris dans le filet qu'il as oit tendu contre
le Seigneur, crucifié sur la croix où il espérait le crucifier, et
subissant la mort qu'il désirait lui faire subir. Mais si le prince de
ce monde, cet esprit invisible, ce grand et premier maître de la sagesse
mondaine, s'est trouvé pris par ses propres artifices, s'il est tombé
dans la dernière extravagance ; à plus forte raison ses disciples et ses
sectateurs, quelque habiles qu'ils soient, sont devenus fous en
s'attribuant le nom de sages (Rom. 1.2). Pharaon avait concerté
habilement la perte du peuple d'Israël, mais il ne put jamais prévoir
l'obstacle qui renverserait tous ses desseins. Un enfant exposé à mourir
par ses ordres, nourri secrètement dans son palais, détruit la puissance
du roi et de sa nation, sauve le peuple d'Israël, L'homicide Abimelec,
ce fils bâtard de Gédéon, qui avait fait massacrer soixante-dix de ses
frères (Jg. 9), et qui par-là avait cru s'assurer la puissance
souveraine, se tourne contre ceux qui l'avaient secondé dans son
massacre, les soulève contre lui, et finit par périr d'un coup de pierre
de la main d'une femme. Les Juifs, d'après un raisonnement qu'ils
croyaient fort sage, prirent contre le Seigneur un parti qui leur a été
funeste à eux-mêmes. Si nous le laissons faire, disaient-ils, tous
croiront en lui, et les Romains viendront, ils ruineront notre pays et
notre nation (Jn. 11. 48). C'est après avoir raisonné de la sorte,
qu'ils résolurent de faire mourir Jésus-Christ pour sauver leur pays et
leur nation; et c'est par-là qu'ils se perdirent, qu ils furent chassés
de leur pays, qu'ils furent privés de leurs lois et de leur culte. Je
pourrais prouver, par une infinité d'autres exemples, combien la
prudence humaine est trompeuse, que ses vues sont plus basses et plus
bornées qu'on ne se l’imagine. Quelque éclairé qu'on soit, on ne doit
s'applaudir, ni de sa sagesse, ni d’aucun autre avantage, mais suivre
l'avis sensé de la bienheureuse Anne et du prophète Jérémie: Que le sage
ne se glorifie pas de sa sagesse, que le fort ne se glorifie pas de sa
force, que le riche ne se glorifie pas de ses richesses (1. Rois. 2. 3.
et Jr, 9. 23 et 4).
Mais de quoi
l’homme peut-il vraiment se glorifier ? en quoi est-il grand ? Que celui
qui se glorifie, dit Dieu par la bouche du même prophète, mette sa
gloire à me connaître et à savoir que je suis le Seigneur. La grandeur
de l'homme, sa gloire et sa dignité consistent à connaître ce qui est
vraiment grand, à s’y attacher, à chercher la gloire dans le Seigneur de
la gloire. Que celui qui se glorifie, dit l’Apôtre, se glorifie dans le
Seigneur. Jésus-Christ, dit-il, nous a été donné pour être notre
sagesse, notre justice, notre sanctification, notre rédemption, afin
que, selon ce qui est écrit, celui qui se glorifie ne se glorifie que
dans le Seigneur (1. Cor. 1. 30 et 31). La véritable et parfaite manière
de nous glorifier en Dieu est de ne pas nous applaudir de notre justice,
mais de reconnaître que par nous-mêmes nous sommes privés de la justice
véritable, et que nous ne sommes justifiés que par la foi en
Jésus-Christ. Saint Paul se glorifie dans le mépris de sa propre
justice, et dans cette disposition qui lui fait chercher celle qui naît
de la foi en J. C., celui qui vient de Dieu par la foi, celle par
laquelle il connaît Jésus-Christ, il connaît la vertu de sa résurrection
et la participation de ses souffrances, étant rendu conforme à sa mort,
et s’efforçant de parvenir, de quelque manière que ce soit, à la
bienheureuse résurrection des morts (Phil. 3. 9 et suiv.). C'est là que
vient tomber toute hauteur de l'orgueil. Il ne vous reste rien, ô homme,
dont vous puissiez vous applaudir, puisque toute votre gloire et toute
votre espérance consistent à mortifier tout ce qui, est en vous, et à
chercher la vie dont nous devons jouir en Jésus-Christ ; vie dont nous
avons dès ici bas les prémices, ne vivant que par la bonté et par la
grâce de Dieu. Oui, c'est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire
selon qu'il lui plaît (Phil . 2. 13). Dieu nous révèle par son esprit sa
propre sagesse qu’il avait prédestinée pour notre gloire (1. Cor. 2. 7
et 10).Dieu nous donne la force dans les travaux. J'ai travaillé plus
qu'eux tous, dit saint Paul, non pas moi, mais la grâce de Dieu qui est
avec moi (1. Cor. 15. 10). Dieu nous tire des périls contre toute
espérance humaine. Nous avions en nous-mêmes une réponse de mort, afin
que nous ne missions point notre confiance en nous, mais en Dieu qui
ressuscite les morts, qui nous a délivrés dune mort si affreuse, qui
nous en délivre encore, et qui, comme nous l’espérons, nous en délivrera
à l’avenir (2. Cor. 1. 9 et 10).
Pourquoi donc, je
vous le demande, vous enorgueillir des avantages que vous possédez, au
lieu de rendre grâces à celui de qui vous tenez ces dons ? Qu'avez-vous
que vous n’ayez reçu ? si vous l’ avez reçu, pourquoi vous en
glorifiez-vous comme si vous ne l’aviez pas reçu (I. Cor. 4. 7). Ce
n'est pas vous qui avez connu. Dieu par votre propre justice, mais Dieu
vous a connu par un effet de sa grâce. Ayant connu Dieu, dit saint Paul,
ou plutôt ayant été connus de Dieu (Gal. 4. 9) vous ne vous êtes pas
élevé de vous-même à la connaissance de Jésus-Christ, mais Jésus-Christ
s’est manifesté à vous en venant au monde. Je poursuis ma course, dit le
même Apôtre, pour tâcher d'atteindre à Jésus-Christ, pour m'efforcer de
le connaître comme j'en suis connu (Phil. 3. 12). Ce n'est pas vous qui
m'avez choisi, dit le Seigneur, mais c'est moi qui vous ai choisis (Jn.
15. 16). Êtes-vous donc fier parce qu'on vous a accordé un honneur, et
de la miséricorde en faites-vous un sujet d'orgueil ne vous
connaîtrez-vous que quand vous serez chassé du paradis comme Adam, que
vous serez abandonné de l'esprit de Dieu comme Saül, que vous serez
retranché de la racine sainte comme le peuple juif ? Pour vous, vous
demeurez ferme par la foi ; mais prenez garde de ne pas vous élever, et
tenez-vous dans la crainte (Rom. 11. 20). Le jugement suit la grâce, et
le souverain Juge vous fera rendre compte des grâces que vous avez
reçues. Si vous ne pouvez comprendre cela même que vous avez reçu une
grave, et que, par un excès de présomption, vous vous faisiez de la
grave un mérite, vous n'êtes pas plus précieux aux yeux du Seigneur que
saint Pierre ; vous ne sauriez l'aimer plus ardemment que cet apôtre,
qui l'aimait jusqu'à vouloir mourir pour lui. Mais par ce qu'il se
permit ces paroles trop présomptueuses : Quand vous seriez pour tous les
autres un sujet de scandale, vous ne le serez jamais pour moi (Mt. 26.
33. ) il fut abandonné à sa propre faiblesse ; il tomba dans le
reniement; il apprit par sa faute à être plus circonspect ; il apprit à
ménager les faibles par l'expérience de sa propre faiblesse; et il
comprit parfaitement que, comme étant près d'être englouti dans les
flots, il en fut tiré par la main de Jésus-Christ ; de même dans la
tempête du scandale, courant risque de périr par son incrédulité, il fut
sauvé par la puissance du même Jésus-Christ qui l'avait prévenu de ce
qui devait lui arriver: Simon, Simon, lui avait-il dit, Satan vous a
demandé pour vous cribler comme on crible le froment ; mais j'ai prié
pour vous afin que votre foi ne s'éteigne pas. Lors donc que vous aurez
été converti, ayez soin d'affermir vos frères (Lc, 22.31 et 32). Après
avoir ainsi réprimandé saint Pierre, Jésus-Christ le fortifia par sa
sagesse, afin qu'il réprimât tout sentiment de vanité, et qu'il apprît à
ménager les faibles, Le Pharisien fier et superbe, qui était plein de
confiance en lui-même (Lc. 18. 11), qui, (levant Dieu, attaquait le
Publicain sans ménagement, perdit la gloire de la justice par le crime
de l'orgueil : au lieu que le Publicain s'en retourna justifié (Lc. 18.
14), parce qu'il glorifiait le Seigneur; parce que, n'osant lever les
yeux au ciel,dans l'extérieur le plus humble, il se frappait la poitrine
et se condamnait lui-même. Que cet exemple d'un dommage énorme causé par
l'orgueil vous instruise. Le Pharisien orgueilleux a perdit la justice,
sa présomption l'a frustré de la récompense ; il a été abaissé
au-dessous du pécheur humble, parce qu'il s'est élevé au-dessus de lui,
et qu'il s'est jugé lui-même sans attendre le jugement de Dieu.
Pour vous, ne Vois
élevez au dessus de personne, pas même au-dessus des plus grands
pécheurs. Souvent l’humilité sauve ceux qui ont commis les plus grands
crimes. Ne vous justifiez donc pas vous-même au préjudice d'un autre, de
peur que, justifié par votre propre suffrage, vous ne Soyez condamné par
celui de Dieu. Je ne me juge pas
moi-même, dit S.
Paul ma conscience ne me reproche rien, mais je ne suis pas justifié
pour cela est le Seigneur qui me juge (1. Cor. 4. 3).
Croyez-vous avoir
fait une bonne action ? rendez-en grâces à Dieu sans vous élever
au-dessus de votre prochain. Que chacun, dit saint Paul, examine ses
actions, et alors il trouvera sa gloire en ce qu'il trouvera de bon dans
lui-même, et non en se comparant aux autres (Gal. 6. 4). De ce que vous
avez confessé la foi, ou souffert l'exil pour le nom de Jésus-Christ, ou
soutenu les austérités du jeûne, quelle utilité en est-il revenu à votre
prochain ? Ce n'est pas un autre qui en profite, mais vous. Craignez une
chute semblable à celle du démon, lequel voulant s'élever au-dessus de
l'homme, fut abaissé au-dessous de l'homme et foulé à ses pieds. Telle
fut aussi la chute des Israélites. Ils s'élevaient au-dessus des nations
qu'ils regardaient comme impures, et ils sont devenus eux-mêmes impurs,
tandis que les nations ont été purifiées. Leur justice a été comme le
linge le plus souillé (Is. 64. 6), tandis que l'iniquité et l'impiété
des nations ont été effacées par la foi. En général, rappelez-vous cette
belle maxime des Proverbes : Dieu résiste aux superbes, et donne su gave
aux humbles (Prov. 3. 34). Ayez toujours à la bouche cette parole du
Sauveur : Quiconque s’humilie sera exalté ; quiconque s'exalte sera
humilié (Lc. 18. 14). Ne soyez pas un juge de vous-même trop bien
prévenu, ne vous examinez pas avec trop de faveur, vous tenant compte du
Lien que vous croyez être en vous, et oubliant sans peine le mal; vous
applaudissant des bonnes actions que vous faites aujourd’hui, et vous
pardonnant vos fautes anciennes et récentes. Lorsque le présent vous
rend fier, rappelez-vous le passé, et vous réprimerez les vaines
enflures de l'orgueil. Si vous voyez votre prochain tomber dans une
faute, songez à tout ce qu'il a fait et fait encore de bien, et souvent
vous le trouverez supérieur à vous, en examinant toute sa conduite sans
vous arrêter à quelques parties. Dieu n’examine pas l’homme en partie :
Je viens, dit-il par son prophète, recueillir leurs œuvres et leurs
pensées (Is. 66. 18). En reprenant Josaphat d’une faute qu’il venait de
commettre, il n’oublie pas de rappeler ses bonnes actions : Cependant,
dit-il, on a trouvé en vous de bonnes oeuvres (2. Paral. 19. 3).
Répétons-nous sans
cesse ces réflexions et d'autres semblables pour combattre l’orgueil,
nous abaissant afin d’être exaltés, imitant le Seigneur qui du haut des
cieux est descendu dans le plus profond abaissement, et qui de cet
abaissement, et qui de cet abaissement a été élevé au plus haut degré de
la gloire. Toute sa vie est pour nous une leçon d’humilité. Né dans une
caverne,dans une étable, sans avoir même de lit, élevé dans la maison
d’un simple artisan et d’un mère pauvre, soumis à son père et à sa mère,
il écoutait les instructions qu'on lui donnait, quoiqu'il n'en eût pas
besoin, et faisait des questions, qui cependant le faisaient admirer
pour sa sagesse. Il voulut bien se soumettre à recevoir le baptême de la
main de Jean, c'est-à-dire le maître fut baptisé par le serviteur. Il ne
s'opposa à aucun de ceux qui s'élevaient contre lui, et ne leur fit
point sentie son infinie puissance. Il leur cédait comme si leur force
eut été supérieure à la sienne, et laissait à une autorité passagère
tout le pouvoir dont elle était susceptible. Il parut devant les prêtres
et devant le gouverneur, comme un criminel qui subit son jugement,
souffrant en silence les calomnies, quoiqu'il eût pu confondre les
calomniateurs. Après avoir été couvert de crachats par les plus vils
esclaves, il fait livré à la mort, et à la mort regardée chez les hommes
comme la plus infâme. Telle fut sa vie mortelle depuis le commencement
jusqu'à la fin. Après un tel abaissement, il s'éleva à une gloire
sublime dont il fit part à ceux qui avoient partagé ses humiliations. De
ce nombre, les premiers furent les bienheureux disciples, qui, pauvres
et nus, seuls, errants, abandonnés, parcourant le monde, la terre et la
mer, sans être soutenus de la beauté des discours et du nombre des
partisans, furent tourmentés, lapidés, persécutés, enfin mis à mort.
Tels sont les exemples anciens et divins que nous avons devant les yeux.
Efforçons-nous de les imiter ; afin que l'humilité nous obtienne une
gloire éternelle, don parfait et véritable de Jésus-Christ.
Comment donc
parviendrons-nous à étouffer les mouvements nuisibles de l'orgueil, et à
prendre les sentiments si avantageux de l'humilité? Ce sera en nous
exerçant continuellement dans celle-ci, et en ne négligeant rien de ce
qui pourrait nous causer le moindre dommage. L’âme se modèle, pour ainsi
dire, et prend telle ou telle forme d’après ses goûts et ses exercices.
Que tout votre extérieur, que vos habits, votre démarche, votre
nourriture, votre siège, votre lit, votre maison et tous les meubles
qu'elle renferme, soient simples et modestes ; que vos propos, vos
chants, vos conversations, soient exempts de tout faste. Si vous parlez
ou chantez publiquement, ne montrez ni trop de luxe dans vos discours,
ni trop de complaisance dans votre voix. Ne disputez jamais avec fierté
et opiniâtreté. Retranchez, dans tout, ce qui sent trop la grandeur et
l'appareil. Soyez obligeant envers votre ami, doux envers votre
serviteur, patient avec les personnes violentes, humain avec les
humbles. Consolez les affligés, visitez ceux qui sont dans la tristesse,
ne méprisez absolument personne, parlez à tous avec douceur, répondez
d'une manière agréable. Soyez poli et affable pour tout le monde: ne
parlez point avantageusement
de vous-même, et
n'en apostez point d'autres pour le faire. Ne vous permettez point de
propos déshonnêtes ; cachez autant qu'il est en vous vos bonnes
qualités. Reconnaissez sincèrement vos fautes, sans attendre que
d'autres vous les reprochent, afin que vous imitiez le juste qui
commence par s'accuser lui-même (Pr. 18. 17) ; afin que vous ressembliez
à Job qui ne craignait pas de publier devant une grande multitude ce
qu'il pouvait avoir fait de mal (Job. 31. 34). Que vos réprimandes ne
soient ni trop promptes, ni dures, ni chagrines ; car cela annonce de
l'arrogance. Ne condamnez pas les autres pour des fautes légères, comme
si vous étiez un juste parfait. Traitez avec bonté ceux qui sont tombés
dans quelque péché, et relevez-les avec un esprit de douceur, comme vous
y exhorte l'Apôtre, faisant réflexion sur vous-même, et craignant d'être
tenté aussi bien qu'eux. Apportez autant de soin potin n'être pas
glorifié devant les hommes, que les autres en apportent pour l’être.
Rappelez-vous les paroles du Sauveur, qui dit que courir après la gloire
des hommes et faire le bien pour en être regardé, c'est perdre la
récompense qui vient de Dieu. Ils ont reçu leur récompense, dit
l'Évangile (Mt. 6. 2). Ne vous faites donc pas toit à vous-même en
voulant vous faire valoir aux yeux des hommes. Puisque Dieu est le grand
témoin de nos actions, ambitionnez la gloire auprès de Dieu qui vous
destine une superbe récompense. Si vous êtes placé au-dessus des autres,
si les hommes vous glorifient et vous honorent, soyez l'égal de ceux qui
sont au-dessous de vous, sans vouloir dominer sur l'héritage du Seigneur
(Pierre. 5. 3) ; et sans vous régler sur les princes du siècle. Le
Seigneur ordonne à celui qui veut être le premier, d’être le serviteur
de tous (Mc. 10. 44). Pour tout dire en un mot, pratiquez l'humilité
comme le doit un homme qui l'aime. Aimez cette vertu et elle vous
glorifiera. C'est le moyen de parvenir à la véritable gloire, dans la
société des anges et de Dieu. Jésus Christ vous reconnaîtra devant les
anges comme son disciple (Lc. 12. 6), et il vous glorifiera si vous
devenez l'imitateur de son humilité. Apprenez de moi, disait-il, que je
suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos de vos âmes
(Mt. 11. 29). A Jésus-Christ soient la gloire et l'empire dans les
siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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