PANÉGYRIQUE DES QUARANTE
MARTYRS
SOMMAIRE.
Après quelques
réflexions sur le panégyrique des martyrs en général, et eu particulier
de ceux dont il entreprend de faire l'éloge, l'orateur parle de la
patrie dont les panégyristes profanes faisaient un des sujets de leurs
louanges il trace un tableau dus persécutions, il représente les
quarante martyrs qui tous étaient des guerriers courageux confessant
hardiment qu'ils étaient chrétiens. En vain le juge cherche à les gagner
par des promesses, à les épouvanter par des menaces ils persistent dans
leur confession. Le discours que St. Basile leur met dans la bouche est
plein de force et de générosité. Ils sont condamnés à être exposés nus
au milieu de la ville, au fort de l'hiver, pendant une nuit où le froid
était rigoureux. Ils supportent leur supplice avec constance, ils
s'exhortent mutuellement à tenir fermes. On avait placé près d'eux un
bain d'eau chaude, et un garde pour recueillir ceux qui cèderaient à la
souffrance. Un seul abandonna son poste et courut au bain mais il fut
remplacé par un des bourreaux. Ou les mit tous dans un char pour être
conduits au bûcher. Un d'entre eux, plus robuste que les autres, avait
tenu contre le froid ; il respirait encore, et les bourreaux le
laissaient dans l'espérance qu'il changerait de sentiment. Sa mère le
prit entre ses bras, et le mit elle-même dans le char. Toutes ces
circonstances sont décrites avec beaucoup d'intérêt, accompagnées de
beaux mouvements et de pensées frappantes. L'orateur exhorte ceux qui
l'écoutent à recourir avec confiance à ces saints martyrs, et à implorer
leur intercession.
QUAND on a du zèle
pour la gloire des martyrs, peut -on se lasser de célébrer leur
mémoire ?
Les honneurs que
nous rendons aux serviteurs de Dieu, sont un témoignage de notre
attachement, pour le Maître commun. Louer les hommes pleins de courage,
c'est annoncer que, dans l'occasion on pourra les imiter. Exaltez donc
avec ardeur celui qui a souffert le martyre, afin que vous deveniez
martyr par la volonté, et que, sans être en butte aux persécutions, aux
flammes et aux fouets, vous obteniez les mêmes récompenses que les
généreux athlètes de notre Religion. Nous avons aujourd'hui à admirer,
non un seul martyr, non deux, ni même dis, mais quarante, qui, ayant une
même âme dans différents corps, animés du même esprit de la foi, ont
montré la même patience dans les tourments, ont soutenu le parti de la
vérité avec la même constance. Parfaitement semblables entre eux, leurs
sentiments et leurs combats ont été les mêmes ; et voilà pourquoi ils
ont remporté une même couronne de gloire. Quel discours pourvoit les
louer dignement ? Ce ne serait pas assez de quarante bouches pour
célébrer le courage de torts ces hommes héroïques. Un seul d'entre eux,
proposé à notre admiration, surcroît pour étonner la faiblesse de notre
éloquence ; que sera-ce d'une si grande multitude, d'un bataillon de
généreux soldats, d'une troupe d'hommes invincibles, aussi supérieurs en
courage pendant leur vie, qu'au-dessus de toute louange après une mort
glorieuse? Nous allons donc, en rappelant leur mémoire, les faire
paraître au milieu de cette assemblée, et représenter, comme dans un
tableau, leurs actions mémorables pour l'utilité de ceux qui nous
écoutent. Les orateurs, par l'éloquence, les peintres, par le pinceau,
savent mettre au jour les actions fameuses des guerriers illustres, pour
inspirer aux autres des sentiments de courage. Les faits pie présente la
parole en les faisant retentir à l’oreille, la peinture en silence les
offre à l'oeil par la vérité des couleurs : ainsi, rappelons la fermeté
de nos saints martyrs ; mettons, pour ainsi dire, leurs actions en
spectacle, pour engager à les imiter les chrétiens qui approchent le
plus deux par le courage, qui leur sont le plus étroitement tuais par
les sentiments. L'éloge des martyrs est d'exhorter à la vertu les
fidèles assemblés près de leurs tombeaux.
Les discours
prononcés en l'honneur des saints ne s'asservissent pas aux règles des
éloges ordinaires. Les panégyristes profanes tirent leurs louanges de
qualités mondaines ; mais comment ces qualités pourvoient-elles
illustrer des hommes pour qui le monde a été crucifié ? Les saints que
nous célébrons n'avaient pas la même patrie ; ils s'étaient rassemblés
de plusieurs endroits différents. Quoi donc ? dirons-nous qu'ils étaient
sans villes, ou citoyens de l'univers Les effets d'une même communauté
appartiennent également à tous ceux qui ont mis leurs biens en commun :
ainsi, les bienheureux, tels que nos martyrs, se regardent tous comme
d'un même pays ; quoique sortis de divers lieux, ils se communiquent
chacun la patrie qui leur est particulière. Mais pourquoi parler de leur
patrie terrestre, lorsque nous pouvons élever nos vues jusqu'à la cité
qu'ils habitent maintenant ? La patrie des martyrs est la cité de Dieu ;
cette cité dont Dieu est le fondateur et l'architecte, la Jérusalem
d'en-haut (Hb. 12. 22), cette ville libre, la mère de Paul et de tous
ceux qui lui ressemblent. L'origine temporelle est différente pour tous
les hommes ; mais tous n'ont qu'une même origine spirituelle. Dieu est
leur père commun ; ils sont tous frères, non point nés d'un homme et
d'une femme, mais unis ensemble par la charité, fruit de l'adoption
divine. Le choeur auquel les saints doivent se réunir est toujours prêt
: c'est une grande troupe d'êtres qui glorifient le Seigneur depuis le
commencement dit monde, qui ne se sont pas rassemblés à un, mais qui ont
été transportés tous ensemble. Et comment s'est fait ce transport ?
Nos quarante
martyrs se sont distingués dans leur temps, par la hauteur de la
stature, par la vigueur de la jeunesse, par la grandeur du courage.
Inscrits pour servir, leur science et leur bravoure leur méritèrent les
premiers grades de la part des princes, et leur acquirent dans le monde
une grande réputation. On publia un édit injuste et coupable qui
défendait sous les peines les plus graves, de confesser Jésus-Christ. On
menaçait les fidèles de tous les supplices, les juges signalaient contre
eux leur fureur et leur rage ; on employait, pour les surprendre, les
ruses et l'artifice ; on disposait tous les genres de tortures, et ceux
qui présidaient à ces tortures étaient inexorables. On allumait des
feux, on aiguisait des épées, on plantait des croix, on préparait des
cachots, des roues, des fouets. Parmi les fidèles, les uns prenaient la
fuite, les autres cédaient lâchement, les autres étaient ébranlés.
Quelques-uns, avant le combat, étaient effrayés par les seules menaces ;
d'autres se décourageaient à la vue des supplices ; d'autres, au milieu
du combat, ne pouvant résister jusqu'au bout à la douleur, abandonnaient
la partie ; et, semblables à ceux qui sont surpris par une tempête au
milieu de la mer, ils perdaient, par un triste naufrage, ce qu'ils
avaient amassé par la patience. Ce fut alors que nos généreux et
invincibles soldats de Jésus-Christ, paraissant en public, après avoir
entendu la lecture de l'édit de l’empereur et l'ordre d'y obéir,
confessèrent qu'ils étaient chrétiens, avec une intrépide assurance,
sans être épouvantés par aucunes menaces, sans être intimidés par
l’appareil des supplices. O bienheureuses langues, saints organes de
paroles qui sanctifièrent l'air ou elles furent reçues, auxquelles les
anges applaudirent, qui confondirent les démons, et que le seigneur
lui-même écrivit dans le ciel ! Chacun de ces martyrs paraissant devant
le tribunal, disait : Je suis chrétien. Ceux qui entrent dans la lice
pour combattre disent leurs noms, et aussitôt passent du côté des
combattants : nos saints athlètes, oubliant le nom qu’on leur avait
imposé à leur naissance, s'annonçaient tous sous un nom pris du Sauveur
commun. Tous, l'un après l'autre, prenaient le même nom, et sans songer
à celui sous lequel ils étaient connus dans le monde, ils s'appelaient
tous chrétiens.
Quel parti le juge
prit-il alors ? il était habile et rusé : il cherchait tantôt à les
gagner par la douceur, tantôt à les frapper par les menaces. Il commença
d’abord à leur parler doucement pour tâcher d'ébranler leur foi. Vous
êtes jeunes, leur disait-il, ne vous perdez point dans la lieur de votre
âge ; ne précipitez point votre mort en renonçant aux agréments de la
vie. Ce serait une chose indigne, que des hommes accoutumés aux grandes
actions de la guerre mourussent de la mort des malfaiteurs. Il leur
promit ensuite de grandes sommes d’argent. Il leur offrait de la part du
prince des honneurs et des grades militaires ; il les attaquait par
mille propositions : mais, comme ils résistaient à cette épreuve, il
tenta une autre voie. Il menaça de leur faire subir les plus horribles
supplices, de les faire périr par les plus cruels genres de mort. Voilà
ce que fit le juge ; et les martyrs, que firent-ils ? Ennemi de Dieu,
lui dirent-ils avec confiance, pourquoi cherches-tu à nous gagner pais
tep, promesses prétends-tu que nous renoncions ait service du Dieu
vivant pour nous assujettir aux démons, auteurs de notre ruine ?
crois-tu pouvoir nous donner autant que tu nous ôtes ? je hais des
présents qui causeraient ma perte ; je n'accepte point des honneurs qui
entraîneraient mon infamie. Tu ne nous offres que des trésors qui
passent, qu'une gloire qui se flétrit. Tu veux nous rendre amis de
l'empereur, mais tu nous enlèves l'amitié du Souverain de l'univers.
Pourquoi nous présentes-tu quelques faibles portions d un monde que nous
méprisons tout entier ? Les objets qui frappent nos regards ne peuvent
équivaloir aux espérances qui remplissent notre âme. Vois ce ciel ; que
sa beauté et sa grandeur sont admirables ! Vois l’étendue de la terre et
combien elle renferme de merveilles. Tout cela n'est rien en comparaison
de la félicité des justes ; tout cela passe, et cette félicité reste. Il
est un seul présent que je désire, c'est la couronne de justice ; il est
mie seule gloire après laquelle je soupire, c'est celle du royaume des
cieux. Je brûle d'obtenir les honneurs du ciel, je redoute les supplices
de l'enfer; ses feux sont pour moi à craindre, ceux dont tu nous menaces
ne sont rien, ils respectent les contempteurs des idoles. Je regarde tes
coups comme des traits lancés par un enfant. Tu frappes le corps ; or
plus le corps résiste, plus il sera glorifié ; sil succombe promptement,
il sera plus tôt délivré de la violence de ses juges iniques, qui, après
avoir exercé un cruel empire sur les corps, prétendent dominer sur les
âmes. Si nous ne vous préférons pas à Dieu, vous êtes indigné comme si
vous éprouviez de notre part le plus sanglant outrage ; vous nous
menacez des plus affreux supplices, n'ayant d'autre crime à nous
reprocher que la piété ; mais vous ne trouverez pas en nous des hommes
timides, des hommes attachés à la vie, et qui, se laissant aisément
effrayer, renoncent à leur amour pour Dieu. Nous sommes prêts à souffrir
les roues, les chevalets, les flammes, toutes les espèces de tourments.
Le tyran superbe et
barbare ayant entendu ces paroles des martyrs, fut outré de leur sainte
hardiesse; et se livrant à toute sa fureur, il cherche un moyen de leur
faire subir une mort aussi cruelle que longue. Voici ce qu'il invente;
voyez jusqu’où il porte la barbarie. Le climat était naturellement très
froid ; on était au fort de l’hiver, il choisit le temps de la nuit où
le froid redouble, et où le vent de nord soufflait : il commande qu'on
dépouille les martyrs, qu'on les expose nus à l’air au milieu de la
ville, et qu'on les laisse mourir de froid. Si vous avez jamais senti un
froid excessif, vous pouvez imaginer combien ce supplice était
rigoureux; il n'y a que celui qui en a fait l’expérience qui puisse
avoir une juste idée de ce tourment. Le corps pénétré de froid devient
livide, parce que le sang se fige ; il tremble et il frémit; les dents
battent les unies contre les autres, les nerfs se retirent, toutes les
parties du corps se rétrécissent avec violence. Une douleur aiguë, une
douleur qu'on ne peut exprimer, cause au malheureux transi de froid un
mal insupportable. Les extrémités se détachent comme si le feu les avait
brûlées, parce que la chaleur, se réfugiant au-dedans, laisse mortes les
parties qu elle abandonne, en munie temps qu'elle fait souffrir celles
où elle se rainasse; enfin, la mort s'avance peu à peu avec le froid qui
gagne sans cesse. Nos saints guerriers furent donc condamnés à passer la
nuit à l’air dans la saison la plus rigoureuse, lorsque l étang qui
environne la ville, changé par la glace et devenu une plaine solide,
laissait un passage aux hommes et aux chevaux; lorsque les fleuves
avaient cessé de couler, et que l’eau naturellement fluide avait pris la
dureté de la pierre; lorsque les vents qui soufflaient étaient si
piquants qu'ils faisaient périr les animaux.
Admirez, je vous
prie, le courage invincible des martyrs, lesquels ayant entendu l'arrêt
de leur condamnation, quittèrent avec joie leurs vêtements, et coururent
à la mort qu'ils allaient souffrir par le froid, s'exhortant les uns les
autres comme s'ils eussent marché à une victoire certaine. Ce ne sont
pas, disaient-ils, nos vêtements que nous dépouillons, mais le viril
homme, qui se corrompt en suivant l'illusion de ses désirs (Ep. 4. 22).
Nous vous rendons grâces, Seigneur, de ce qu'avec nos habits nous
déposons le péché. Le serpent antique nous les avait fait prendre, nous
les quittons pour Jésus-Christ. Laissons-les pour recouvrer le paradis
que nous avons perdu. Quelle reconnaissance témoignerons-nous au
Seigneur (Ps. 113. 12.) ? Il s'est vu dépouillé lui-même de ses habits
(Mt. 27. 28 et suiv.) : quelle merveille si le serviteur soutire ce que
le Maître a souffert, ou plutôt c'est nous-mêmes qui l'avons dépouillé;
ç'a été le crime des soldats; ce sont eux qui ont ôté au Sauveur ses
habits et qui les ont partagés entre eux. Effaçons donc par nous-mêmes
l'accusation consignée contre nous dans l'Évangile. L'hiver est rude,
mais le paradis et agréable ; la gelée est piquante, mais le repos est
doux. Attendons un peu, et nous serons réchauffés dans le sein du
patriarche Abraham. Une seule nuit de souffrance nous procurera un
bonheur éternel. Que le froid glace nos pieds, afin qu’ils tressaillent
sans cesse dans le choeur des anges. One nos mains gelées tombent, afin
que nous fuissions lis lever avec confiance vers le Maître commun.
Combien de nos compagnons ont péri dans les combats pour garder la
fidélité à un prince mortel ! et nous n'abandonnerions pas notre vie
pour rester fidèles au Souverain du monde ! que de malfaiteurs pris en
flagrant délit ont subi la mort! et nous craindrions de mourir pour la
justice! Ne perdons pas courage, chers compagnons; ne fuyons pas devant
le démon; ne ménageons pas notre chair. Puisqu’il faut absolument
mourir, mourons pour vivre éternellement. Que notre sacrifice se
consomme devant vous, Seigneur (Dan. 3. 40.), et daignez l'agréer.
Recevez-nous comme une hostie vivante agréable, comme une offrande
magnifique (Rm., 12, 1), comme un holocauste d'une nouvelle espèce,
consumé par le froid, et non par le feu.
C'est ainsi que les
martyrs s'exhortaient mutuellement et s'animaient dans leurs
souffrances. Ils passèrent toute la nuit comme dans une sentinelle
militaire, supportant généreusement leurs maux, se soutenant par
l'espérance de l'avenir et insultant au démon leur adversaire. Ils
adressaient tous au ciel les mêmes voeux: Seigneur, nous sommes entrés
quarante dans la lice, soyons couronnés quarante. Qu'il n'en manque pas
un seul à ce nombre; ce nombre précieux, que vous avez honoré vous-même
par un jeûne de quarante
jours (Mt. 4. 2),
ce nombre par lequel la loi est entrée dans le monde (Ex. 34. 28). Le
Prophète Élie, après avoir cherché le Seigneur par un jeûne de quarante
jours, eut l'avantage de le voir (3. Rois. 19. 8). Telle était la prière
de nos saints. Un seul de la troupe, se laissant abattre par les maux,
abandonna son poste, et causa une douleur infinie à ses compagnons; mais
le Seigneur ne laissa pas leur prière sans effet, et les dédommagea de
cette perte. Ils étaient surveillés par un garde qui se chauffait dans
un gymnase voisin. Cet homme avait ordre d'observer ce qui se passerait,
et d'accueillir ceux des soldats qui, succombant au froid, voudraient se
retirer; car on avait imaginé de placer près de là un bain d'eau chaude,
lequel offrait un prompt secours à ceux qui changeraient de parti.
C’était le juge qui avait inventé cet artifice, afin d’ébranler la
constance des martyrs, afin que ceux qui n'auraient pas la force de
persévérer jusqu'au bout, pussent trouver un prompt remède à leurs maux;
mais cette invention ne fit que montrer dans tout son jour la patience
des martyrs. Car c'est moins celui qui manque du nécessaire, qui est
ferme et patient, que celui qui supporte les peines au milieu des
plaisirs qui s'offrent à lui en foule. Lorsque nos soldats intrépides
étaient an fort du combat, leur gardien qui en observait l'issue, fut
témoin d'un spectacle extraordinaire; il vit des anges qui descendaient
du ciel, et qui distribuaient de grandes récompenses aux combattants,
comme de la part du Roi suprême. Ils négligèrent d'en donner à un seul
qu'ils jugèrent indigne des honneurs célestes. Ce malheureux ne pouvant
tenir davantage contre le froid, passa aussitôt du côté des ennemis.
Triste spectacle pour les justes, de voir un soldat déserteur, un brave
fait prisonnier, une brebis de Jésus-Christ dévorée par le loup! Et ce
qu'il y eut de plus triste encore, c'est qu'ayant perdu la vie
éternelle, il ne trouva pas même la vie temporelle ; car dès qu'il fut
entré dans le bain d'eau chaude, sa chair tomba en dissolution. L'amour
de la vie lui fit commettre un crime dont il ne tira aucun fruit. Le
bourreau l'ayant vu perdre courage, abandonner son poste et courir au
bain, quitta ses vêtements pour aller se mettre à sa place ; il se mêla
parmi les martyrs, s'écriant avec eux: Je suis chrétien. Ce changement
soudain les surprit, compléta leur nombre, et les consola en quelque
manière de la perte de leur compagnon qu'il remplaçait. Ainsi dans la
mêlée on voit des soldats prendre aussitôt la place de ceux qui meurent
à la première ligne, polir remplir les rangs et empêcher qu'ils ne
s'affaiblissent; c'est ce que fit notre néophyte. Le prodige céleste lui
ouvrit les yeux; il reconnut la vérité, eut recours au Seigneur, et fut
mis au nombre des martyrs. Il renouvela l'exemple des apôtres. Judas
déserta, Mathias prit sa place (Ac. 1. 26). Il fut imitateur de Paul
qui, hier persécuteur, était aujourd'hui évangéliste (Ac. 9. 21). Sa
vocation vint aussi d'en-haut. Il fut appelé non de la part des hommes,
ni par un homme (Gal. 1. 1). Il crut au nom de Jésus-Christ notre
Seigneur: il fut baptisé en lui, non par un ministère étranger, mais par
sa propre foi; non dans l'eau, mais dans son propre sang.
Dès que le jour
parut, les martyrs qui respiraient encore furent livrés au feu, leurs
cendres furent jetées dans le fleuve, afin que tous les éléments
servissent à leur triomphe. Après avoir été éprouvés sur la terre, ils
furent exposés à l'air, ensuite jetés dans le feu, et l'eau reçue: leurs
cendres. On pointait donc leur appliquer ces paroles du Roi-Prophète :
Nous avons passé par l'eau et le jeu, et vous nous avez enfin conduits
dans un lieu de rafraîchissement (Ps. 65. 1).
Ce sont les
protecteurs de notre pays et de notre ville ; semblables à de fortes
tours, ils nous défendent coutre les attaques de nos ennemis. Ils ne se
sont pas renfermés dans un même lieu, mais ils servent d'ornement à
plusieurs contrées dans lesquelles ils se sont répandus. Ce qu'il y a de
surprenant, c'est qu’ils marchent étroitement unis ensemble, sans se
séparer pour ceux qui les adoptent pour patrons. ils ne sont jamais ni
en moindre nombre, ni en plus grand nombre : divisez-les en cent, ils ne
seront pas plus de quarante ; réunissez-les en un, ils ne seront pas
moins de quarante
.
Ils imitent la nature du feu, lequel passe à celui qui l'allume, se
partage entre plusieurs, et se donne tout entier à chacun. C'est une
grâce abondante et inépuisable, c'est un secours toujours prêt pour les
chrétiens, que cette assemblée de martyrs, cette armée de triomphateurs,
ce choeur d'hommes qui glorifient Dieu. Quelle peine ne prendriez-vous
pas pour trouver un seul saint qui voulût intercéder pour vous auprès du
Très-haut? En voici quarante qui élèvent pour vous leurs voix de
concert. En quelque lieu que deux ou trois personnes soient assemblées
au nom du Seigneur, il est au milieu d’elles (Mt. 18. 20) ; peut-on
douter qu’il ne soit au milieu de quarante ? Que celui qui est dans la
peine, comme celui qui est dans la joie, ait recours aux saints dont
nous célébrons la mémoire, afin que l'un soit délivré de ses maux, et
que le bonheur de l'autre dure toujours. Ils écoutent les prières d'une
femme pieuse, qui leur recommande ses enfants, qui leur demande le
retour ou la santé de son mari. Melons nos prières avec celles de nos
saints martyrs. Que les jeunes gens les imitent ; que les pères
souhaitent d'avoir de pareils enfants ; que les mères prennent pour
modèle la mère courageuse d'un de nos généreux athlètes. Cette femme
voyant que les autres étaient presque morts, et que son fils, qui, plus
robuste, avait tenu contre le froid, était laissé par les bourreaux dans
l'espérance qu'il pourrait changer de sentiment, le prit elle-même entre
ses bras, et le mit sur le char qui conduisait les antres au bûcher.
Vraiment mère d'un martyr, elle ne versa pas d'indignes larmes, elle ne
tint pas de discours rampants, qui pussent déshonorer cette grande
cérémonie. Va, mon fils, lui dit-elle, achève ta glorieuse carrière avec
ceux de ton âge, avec tes compagnons. Ne quitte point ton rang, ne
parois point après les autres devant le Seigneur. Il heureux rejeton
d'une bonne racine ! Cette mère généreuse lit bien voir qu'elle avait eu
encore plus de soin d'alimenter son fils de saintes maximes, que de le
nourrir de son lait. Ce fut ainsi qu'après l'avoir saintement élevé, une
mère pieuse conduisit son fils au triomphe. Le démon se retira confus.
Il avait soulevé contre les martyrs tout ce qu'il y a de plus affreux,
une nuit horrible, le vent le plus piquant, le froid le plus âpre, la
nudité des corps, la rigueur du climat ; mais il trouva que leur vertu
avait triomphé de tout. Chœur sacré, saint bataillon, armée invincible,
astres du monde, ornements des églises, protecteurs du genre humain,
puissants intercesseurs, prenez part à nos peines et appuyez nos
prières. La terre n'a pas renfermé vos corps dans son sein, mais le ciel
vous a reçus ; les portes du paradis vous ont été ouvertes. C'était un
spectacle digne de l'armée des anges, digne des patriarches, des
prophètes, des justes, un spectacle, en un mot, pour le monde, pour les
anges et pour les hommes, que des jeunes gens qui, dans la fleur de
l'âge, lorsqu'on espère le plus de vivre, ont méprisé la vie temporelle,
ont aimé le Seigneur plus que leurs parents et leurs enfants, ont
glorifié Dieu dans leurs membres. Par leur constance admirable, ils ont
relevé ceux qui étaient tombés, rassuré ceux qui balançaient, redoublé
l'ardeur des fidèles ; et, élevant tous ensemble un trophée à la
Religion, ils ont reçu tous ensemble la couronne de justice, en
Jésus-Christ notre Seigneur, à qui soient la gloire et l'empire dans les
siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
NOTE
J'ai traduit le grec tel que je l'ai trouvé, depuis ce qu’il y a
de surprenant; mais j'avoue que je n'entends pas bien la pensée
de l'orateur. |