

Catherine de Bar
Mère Mechtilde
du Saint Sacrement
(1614-1698)
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L’œuvre de Catherine de Bar, Mère Mechtilde du Saint Sacrement, se situe en
plein XVIIe siècle, pendant la
période où naissaient de magnifiques
courants spirituels que l’on a regroupés sous le nom d’“École française
[2].” La vie
de celle qui deviendra Mère Mechtilde, fondatrice des Bénédictines du Saint
Sacrement, fut particulièrement semée d’imprévus et d’épreuves très
douloureuses. Mais ce sont peut-être ces épreuves qui ont rendu son œuvre si
féconde.
Depuis 1664 les Bénédictines du Saint Sacrement s’étaient multipliées, et les
fondations, en France, étaient nombreuses. En 1687, alors que son œuvre était
déjà bien établie, on aurait pu penser que Mère Mechtilde allait pouvoir se
reposer, enfin, un peu... Le Seigneur qui avait d’autres vues, lui demandera
d’envoyer ses filles “dans une région lointaine
[3], comme des
victimes”, pour y faire glorifier le Saint Sacrement.
Des victimes ! Le mot peut surprendre de nos jours, comme les mots
sacrifice, holocauste, mortification. Pourtant ce sont bien ceux-là que Mère
Mechtilde emploie lorsqu’elle s’adresse à ses religieuses désignées pour partir
en Pologne. Mais la fondatrice et ses filles savaient qu’elles devraient
contenter à la fois Dieu, ce qui était relativement facile, et la Reine de
Pologne, ce qui l’était beaucoup moins... De plus, ce vocabulaire victimal était
courant et cher à Bérulle, à Monsieur Olier, et aux autres spirituels de l’École
française. Et puis, partout, retentissaient des bruits de guerre.
Voici ce qu’écrit Mère Mechtilde à ses filles : “Séparez-vous de l’humain,
abandonnez tous vos petits intérêts, pour vous conformer à l’adorable hostie qui
est tous les jours immolée pour vous tirer toutes dans son divin sacrifice et
vous faire, avec lui (le Seigneur présent dans l’hostie consacrée), des
hosties dignes d’être consommées à sa gloire.”
C’est en 966 que le Duc Mieszko avait fait entrer son peuple dans la chrétienté
romaine, et donné à son pays les frontières qu’il a à peu près retrouvées en
1945. Le XVIe siècle, appelé “Siècle d’Or”, vit l’apogée de la
Pologne, grenier à grains de l’Europe et pays très étendu. Mais les ambitions de
Sigismond Vasa (1587-1632) firent naître des menaces génératrices de guerres
ruineuses contre la Moscovie, la Turquie et la Suède.
La Pologne aurait péri sans un sursaut national et religieux, marqué par la
résistance victorieuse du monastère de Jasna Gora, à Czestochova. Toutefois la
paix d’Oliva (1660) donna la Livonie à la Suède, et le Traité d’Androussovo
(1657) livra, à la Russie, Smolensk et la rive gauche du Dniepr. À cette époque,
la Pologne était couverte de ruines, et la population avait diminué du tiers...
En 1668 le roi Jean II Casimir abdiqua et se retira à Paris. C’est alors que
“surgit” des rangs de l’aristocratie polonaise, celui qui allait devenir Jean
III Sobieski (1674-1696)
Né en 1624 à 0lesko, le jeune Sobieski, et son frère Marc, avaient voyagé à
travers l’Europe, séjourné en France, et s’étaient conduits en héros dans la
lutte contre les cosaques, les turcs et les Tartares. Le 21 mai 1674, après la
mort de l’incapable roi Korybut, successeur de Jean II Casimir, la diète
proclama Sobieski Roi de Pologne, sous le nom de Jean III.
Le 31 mars 1683, Jean III s’allia à l’Autriche, contre la Turquie. Menacé par
l’armée ottomane, l’empereur Léopold Ier d’Autriche, implorait le secours de
Sobieski. Le 14 août 1683 les ottomans assiégeaient Vienne; le 15, Sobieski
quittait Varsovie avec 25 OOO hommes. Le 12 septembre, les Turs s’enfuyaient. Le
13 septembre, le Roi assistait à un Te Deum dans l’église des Augustins de
Vienne, transformée en hôpital. L’Europe échappait au joug ottoman.
Malheureusement la fin de Jean III Sobieski fut assez triste à cause des
nombreux complots qui menaçaient la paix, complots dont la reine Marie-Casimire,
d’origine française, était souvent l’instigatrice.
Louise-Marie de Gonzague avait épousé le roi de Pologne, Ladislas IV Wasa, en
1645. Veuve en 1648, elle épousa le frère et successeur du défunt, Jean-Casimir.
Louise-Marie avait une très jeune demoiselle d’honneur française, étonnamment
belle, Marie-Casimire, dont s’éprit Sobieski. Mais, le 2 mars 1658, la Reine
obligea l’adolescente à épouser Jacques Radziwill, prince Zamoyski...
En juillet 1665, après la mort de Zamoyski, Marie-Casimire put épouser Sobieski,
alors maréchal de Pologne. Devenue reine, Marie-Casimire voulut aller en France
pour montrer sa couronne, mais la reine de France lui signifia qu’une couronne
élective était inférieure à une couronne héréditaire. L’affront fut si grand que
Marie-Casimire renonça à son voyage en France et s’allia avec tous les ennemis
de la France, entraînant ainsi la politique de son mari, Jean III. Or
Marie-Casimire avait quatre sœurs, dont l’une d’elles, Marie-Louise, avait
épousé François-Gaston, marquis de Béthune, petit neveu de Sully. François
Gaston fut nommé ambassadeur en Pologne, à plusieurs reprises. C’est à cette
Madame de Béthune que la reine Marie-Casimire confia la charge de demander à
Mère Mechtilde d’envoyer des religieuses adoratrices à Varsovie.
La sœur du marquis de Béthune, Anne-Berthe, avait été admise à l’abbaye de
Montmartre que dirigeait sa tante, Marie de Beauvillier. En 1659, Anne-Berthe
avait été nommée, par le roi, abbesse de Saint- Corentin, du diocèse de
Chartres. En 1669, elle fut nommée abbesse du monastère de Beaumont-lès-Tours.
Anne-Berthe et Catherine de Bar, la fondatrice des Bénédictines du
Saint-Sacrement étaient amies. Et c’était grâce à l’abbesse de Beaumont que Mère
Mechtilde avait pu obtenir les locaux de la rue Cassette en 1683...
Nous nous souvenons que Catherine de Bar était entrée à l’âge de 17 ans, en
1631, chez les Annonciades de Bruyère, dans le diocèse de Toul, mais la guerre
de Trente Ans avait dispersé les religieuses. Catherine, recueillie par les
Bénédictines de Rambervillers y prononça ses vœux en 1640. De nouveau expulsée,
elle se réfugia au monastère de Montmartre, puis dans diverses maisons, en
Normandie, et de nouveau à Paris, rue du Bac.
Là où logeaient Mère Mechtilde et plusieurs de ses filles, la misère était telle
que quelques grandes dames vinrent à leur secours et suggérèrent à Mère
Mechtilde de fonder à Paris, un monastère bénédictin entièrement voué au culte
et à l’adoration du Saint-Sacrement. Il s’agissait de répondre à un vœu émis par
la Régente Anne-d’Autriche, afin de ramener l’ordre et la paix dans le royaume
de France.
Quand, après le triomphe de Louis XIV, le 21 octobre 1652, la France eut
retrouvé son calme, autorisation fut donnée d’ouvrir une maison dédiée à
l’adoration perpétuelle. Le 21 mars 1659, Mère Mechtilde et ses vingt moniales
s’installèrent rue Cassette et commencèrent l’adoration perpétuelle. Ce
monastère, austère, allait devenir le centre de l’Institut des Bénédictines du
Saint-Sacrement.
Pendant que, en août 1683, Sobieski, roi de Pologne, partait de Cracovie pour
délivrer Vienne des Turcs, la reine, Marie-Casimire, priait... Au cours d’une
retraite, elle promit de fonder, à Varsovie, un couvent de religieuses, qui, par
l’adoration du Saint-Sacrement, exprimeraient sa reconnaissance pour la
protection qu’elle espérait du ciel.
Marie-Casimire, par l’intermédiaire de Mme de Béthune, connaissait Mère
Mechtilde et l’Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement. Cette Congrégation
accepterait certainement d’essaimer en Pologne pour y développer le culte
eucharistique. Mère Mechtilde accepta et commença à préparer le voyage de celles
qu’elle appellera “les missionnaires du Saint Sacrement”.
À la Mère Monique des Anges de Beauvais, dont la sœur bénédictine est désignée
pour aller en Pologne,
Mère Mechtilde écrit, en juin 1687: “Il faudrait des
séraphins pour aller ranimer les peuples à l’amour du très Saint-Sacrement. La
reine de Pologne (Marie-Casimire) est bonne et fort pieuse. Elle attend les
filles du Saint-Sacrement avec beaucoup de zèle et d’affection.”
Et à la révérende Mère Marie de Jésus Petigot, future supérieure en Pologne,
avant que soit prise la décision définitive de partir en Pologne: “Je vous
prie de faire venir Monsieur votre frère, pour vous y accompagner et y être
votre chapelain. Je serais bien aise qu’il fût un peu de temps à Paris pour y
voir la manière d’officier dans nos maisons. Vous savez que l’on a besoin d’un
saint prêtre pour confesseur en ce pays-là...”
Car Mère Mechtilde s’efforce de pourvoir à tous les besoins des voyageurs:
”Il prendra tout le soin pour vous soulager, surtout pour la nourriture dans le
vaisseau...
Il faudra des ornements pour dire la sainte Messe dans le dit- vaisseau pour
la consolation des religieuses. Nous ferons ici d’autres provisions de choses
qui sont rares et chères en Pologne: nous en avons un mémoire. Il faut des
livres spirituels et des livres de chants, des règles et des constitutions,
etc... Il faut du papier, des plumes, des canifs, des petits et des grands
saints sacrements, (probablement des hosties), des soies de toutes
couleurs, fil blanc et autres, etc...”
Mère Mechtilde se soucie aussi beaucoup du spirituel. Avant le départ de ses
filles, de Rouen, elle leur écrivit de Paris, le 23 août 1687: “Si vous vous
sacrifiez pour Dieu, Il sera votre force... Qu’Il vous maintienne toutes dans
une sainte paix et union; cela sera si vous êtes fidèles et humbles. C’est les
deux points que Notre Seigneur a ordonné à la bonne âme
[4] de vous
dire; si vous lui êtes fidèles en ces deux points, ne doutez pas qu’Il ne vous
comble de bénédictions pour le reste, et qu’Il vous conserve pendant le
voyage... Tenez-vous en Dieu, attendez tout de sa bonté infinie; marchez sous
les ailes de sa divine protection, celle de sa sainte Mère ne vous manquera
pas... Je vous regarde comme des missionnaires du Très Saint-sacrement...
Oubliez tout pour l’amour de celui qui s’est, pour vous, oublié de lui-même pour
demeurer avec vous et pour vous nourrir de lui-même. Vivez donc de lui, et pour
lui...”
Le 22 août 1687, 15 religieuses (de chœur, converses et novices) quittaient
Paris pour le monastère de Rouen où elles furent accueillies, après trois jours
de voyage en carrosse, par leurs sœurs. Trois jeunes françaises qui parlaient un
peu le polonais les accompagnaient, ainsi qu’un aumônier, un jardinier, un
sacristain et trois joueurs de hautbois. Elles durent attendre les provisions
jusqu’au 2 septembre.
Quand les marchandises attendues furent enfin arrivées à Rouen, les sœurs et
leurs compagnons embarquèrent. Mais les vents ayant été constamment contraires,
le bateau n’atteignit la mer qu’au bout de quinze jours!!!.. La troupe fut très
malmenée par les éléments, et les passagers durent un jour quitter le bateau
pour trouver un asile plus sûr, mais cependant exposé à toutes les intempéries.
Enfin, le 17 septembre 1687, la mer était en vue
[5].
Le 8 septembre, les “missionnaires” n’étant pas encore arrivées à
Dantzig, Mère Mechtilde, soucieuse, leur fit remettre un message
d’encouragement: “J’ai appris les peines et les grandes difficultés que vous
avez souffertes à Rouen, et comme les vents vous ont été contraires... Nous
demandons à Dieu, de toute l’ardeur de nos cœurs de soutenir votre courage et
d’animer votre zèle qui ne va au-delà des mers que pour la pure gloire du divin
Mystère que nous adorons... Marchez en nouveauté de vie comme dans un monde
nouveau où vous ne voyez que Dieu et n’y vivez que pour lui... Ne vous rebutez
point des difficultés: les œuvres de Dieu ne s’établissent que par la croix...”
La traversée sur mer avait été épouvantable, et presque tous les passagers
avaient souffert du mal de mer. Le 4 octobre 1687, le bateau atteignit Dantzig.
Enfin, les voyageuses était arrivées à bon port... Le 31 octobre 1687, Mère
Mechtilde écrivit à la supérieure du petit groupe, Mère de la Présentation de
Beauvais: “Je ne doute pas que vous n’ayez souffert dans le voyage,
terriblement, en toutes manières. Le corps et l’esprit en ont été affligés; il
était impossible que cela ne fût pas quant au corps, car un voyage de huit cents
lieues par mer ne peut se faire sans d’étranges renversements... Notre Seigneur
a voulu par là vous disposer pour travailler à son œuvre avec un esprit de
séparation de vous-même pour la rendre plus sainte...”
Après de nouvelles péripéties, les religieuses arrivèrent à Varsovie le 14
octobre 1687, et elles furent logées dans une aile du château de la reine.
Rapidement les sœurs purent reprendre leurs exercices religieux. Ce n’est que le
27 décembre que la reine put les rencontrer. Le 31 décembre 1687, le Roi arriva
à son tour à Varsovie, et le 1er janvier 1688, l’adoration perpétuelle put
commencer.
Remarque : La bienveillance des souverains envers les Bénédictines du
Saint-Sacrement était alors sensible et efficace, malgré quelques difficultés
inhérentes au caractère entier et autoritaire de la reine. Malheureusement le
roi mourut trop tôt, le 17 juin 1696.
À leur arrivée à Varsovie, les religieuses venues de Paris avaient été reçues
dans le château royal. Le 31
octobre 1687, Mère Mechtilde écrivait dans sa
lettre adressée à la supérieure du petit groupe: “Tâchez de contenter la
reine
[6] qui est si
bonne et si remplie de vertus. C’est assurément une grande et admirable
princesse en toutes manières... Je vous estime heureuses d’être en ses royales
mains. Son cœur est grand pour Dieu... Je vous prie d’assurer sa Majesté que
nous ne cessons de prier pour la conservation du roi et de toute la royale
famille que nous aimons tendrement. Il me semble que la Pologne est ma patrie,
tant elle m’est intime.”
Mère Mechtilde ne pouvait pas encore savoir les difficultés que la reine de
Pologne ferait subir à ses religieuses, s’en croyant la seule supérieure... Mais
ce jour-là, les religieuses de Mère Mechtilde étaient tout entières dans la
joie. Bientôt, dès le 1er janvier 1688, elles pourraient commencer leur mission
d’adoratrices du Saint-Sacrement, dans la chapelle du château. Elles restèrent
au château royal jusqu’au 27 juin 1689.
Cependant, les religieuses françaises avaient besoin d’une demeure stable. La
reine leur acheta donc, le 19 janvier 1689, une propriété à Nowe Miasto, et
rédigea l’Acte de Fondation le 4 juin 1689. Le 25 juin suivant, Mgr stanislas
Witwicki, évêque de Poznam[7],
signa l’Acte d’Érection du Monastère. Au cours d’une procession solennelle, les
religieuses furent introduites dans leur nouveau couvent. Seule l’Église placée
sous la protection de Saint Casimir était inachevée. Dès lors, des jeunes filles
polonaises purent entrer chez les Bénédictines.
Le 23 novembre 1687, ayant appris les peines souffertes par ses religieuses, et
leur installation dans un logement rudimentaire, Mère Mechtilde écrit: “Je
n’en suis pas surprise, les œuvres de Dieu, pareilles à celles que vous êtes
allées faire, ne s’enfantent que par la Croix. Je me suis bien attendue que vous
auriez beaucoup à crucifier; tous les royaumes du monde ne sont pas comme celui
que vous avez quitté; mais souvenez-vous, très chères, que vous l’avez quitté
pour Dieu et que si l’on vous avait dit qu’il y avait un martyre à soutenir, vos
grands Cœurs, pour Dieu, vous l’aurait fait embrasser...
Les souffrances de la mer ne vous ont pas rebutées; ne vous effrayez pas de
ne trouver d’abord que les quatre murailles, la suite vous semblera meilleure;
et après tout, si la reine manquait, Dieu ne vous manquera pas...
Notre Seigneur a dit que votre établissement sera à sa gloire et qu’il le
bénira... Ayez courage... Vos souffrances vous serviront de préparation à son
œuvre. Adorez ses desseins et son entrée en ce monde dans une étable, sans
secours humain; honorez ses états pauvres, abjects et souffrants. Il est vrai
que vous êtes dans un pays étranger; mais vous êtes dans les bras et dans le
sein de Dieu même, toujours avec lui et soutenues de ses grâces...
Vous avez bien pu vous persuader en prenant votre résolution d’aller, que
l’on ne fait pas des établissements hors d’un royaume sans s’exposer à beaucoup
de peines et de grandes incommodités. Prenez courage, la Croix est venue du
devant de vous pour vous faire soutenir toutes choses, pour parvenir à glorifier
Notre Seigneur, et à élever un autel à sa gloire...
Souvenez-vous que vous êtes les héros du très Saint-Sacrement et qu’il vous a
choisies pour porter sa gloire et son amour dans les cœurs, que notre Seigneur
vous tient dans sa divine main, m’assurant par sa fidèle servante
[8] que
tout irait bien, qu’il vous protégerait, et vous conduirait lui-même. Il ne nous
a pas dit, très chères mères, que ce serait sans peine...”
À Noël et au début du mois de janvier 1688, les bénédictines du Saint-Sacrement
rencontrèrent la reine et le roi, rentrés de leurs obligations. Ce fut très
chaleureux, et les choses purent enfin s’arranger un peu. Ce qui ne signifie
pas que tout se passa sans heurt, ensuite. Nous pouvons en effet lire, dans une
correspondance de février 1688, de Mère Mechtilde qui a été très malade, les
phrases suivantes, éminemment diplomatiques :
“Je n’ai pu m’empêcher de vous faire un mot de réponse, vous voyant dans la
douleur de ce que Sa Majesté
[9] vous fait
des propositions qui vous donnent lieu de penser qu’elle n’a pas pour vous
toutes les bontés qui ont paru dans les témoignages qu’elle vous a rendus
lorsqu’elle vous a honorées de sa présence. Il ne faut point, mes très chères
enfants, vous rebuter. Vous connaissez le bon cœur de la reine... Notre Seigneur
lui donnera des sentiments plus avantageux pour vous...
La reine est si bonne et si judicieuse qu’elle ne vous fera jamais des
propositions qui ne soient avantageuses, ainsi que je l’ai toujours attendu de
sa royale bonté...
En même temps, Mère Mechtilde écrit aussi à la prieure, le 20 février 1688 :
“Tâchez, ma chère mère, de mettre partout l’Institut en estime. Ce sera par
les vertus et la bonne conduite qui paraîtront entre vous... Souvenez-vous des
bénédictions que Notre Seigneur nous a promises par la “bonne âme”: ‘il veut que
vous preniez courage... me disant que le démon fera tous ses efforts pour vous
lasser et vous dégoûter toutes de son œuvre, mais qu’il faut que vous la
souteniez avec courage et confiance...’ Ne vous lassez point de souffrir. Vous
avez beaucoup de peine dans ce commencement, mais le progrès vous donnera plus
de satisfaction. Tâchez de contenter et d’édifier la reine, qui a tant de bonté
pour vous.“
Le 1er mars 1688, Mère Mechtilde confiait aux religieuses de Pologne:
“Il n’y aura peut-être jamais d’établissement qui soit plus crucifiant que le
vôtre, à cause de l’éloignement et du langage difficile à comprendre...
Consolez-vous, je me porte bien, grâce à Notre Seigneur; mais les médecins me
tiennent de près, disant que mon accident était un fâcheux avertissement;
néanmoins, Notre Seigneur a dit par la “bonne âme” qu’il me guérirait, et en
effet, l’on dit que c’est un miracle... Soyez, je vous supplie, bien cordiales
les unes avec les autres, afin que votre union attire les miséricordes du ciel
sur votre établissement... Vous avez besoin de vous entr’aider... Il est vrai
que vous êtes bien dénuées
[10]... Les
privations sont très grandes.”
Un peu plus tard, à Madame de Béthune, Mère Mechtilde écrivait: “Les petites
peines et difficultés qui surviennent dans les nouveaux établissements ne me
surprennent pas; le démon fera son possible pour renverser celui-ci dès son
commencement...”
Le 3 juin 1688, la Mère Marie de Jésus Petigot, prieure, reçut ce qui suit :
“Je reçus hier une lettre de la part de la “bonne âme”
[11] . Notre
Seigneur promet des grâces prodigieuses pour sa Majesté et pour le Roi. Et
croyez qu’ils seront bien récompensés de l’honneur qu’ils procurent au
Saint-Sacrement... Comme ce mystère est le plus grand qui renferme tous les
autres et dans lequel Notre Seigneur est le plus anéanti, il prend plaisir d’y
être reconnu, aimé et adoré de ses élus.”
4
Les bénédictines de Mère Mechtilde en Pologne
Les religieuses ont été très discrètes sur tout ce qui touche aux difficultés
qu’elles ont rencontrées avec la reine de Pologne. Les choses n’ont probablement
pas dû vraiment s’arranger avec le temps, car on peut lire, dans une lettre du
23 août 1688, adressée à Madame de Béthune: “Ces pauvres filles (ses
religieuses) me mandent qu’elles sont sur les dents, ne pouvant plus soutenir.
Elles m’ont prié d’avoir pitié d’elles, parce qu’elles n’osent rien demander à
la reine mais, grâce à Notre Seigneur, cette bonne princesse revient un peu. La
“bonne âme” m’assure qu’elle se remettra dans sa bonne disposition pour ses
religieuses qu’elle a honorées de son affection et qu’elle ne peut
abandonner...”
Et le 25 août, à Madame de Béthune :
“Je serais désolée sur tout cela si je n’espérais à ce que la “bonne âme” m’a
demandé que Notre Seigneur a dit qu’il accommodera cette mésintelligence; ce
sont ses propres termes.”
Et le 31 août, à la même: “Je vois la terrible douleur de votre bon cœur
touchant la Pologne... Je m’en serais terriblement désolée si la “bonne âme” ne
m’avait consolée, me promettant que Notre Seigneur remédierait à cette
mésintelligence qui est entre la reine et nos sœurs; sans cela, je ne m’en
consolerais jamais.”
Y aurait-il aussi des questions d’argent? Il faut savoir que les religieuses
envoyées en Pologne ne disposaient d’aucun revenu, et n’avaient pour vivre que
les dons de la reine. Or, la reine avait écrit à Mère Mechtilde pour se plaindre
de la dépense des sœurs. Mère Mechtilde lui répond :
“C’est pourquoi, Madame, si votre Majesté veut absolument me renvoyer mes
religieuses, je les recevrai comme Notre Seigneur me les renvoie, et le prierai,
Madame, qu’il donne à Votre Majesté d’autres religieuses, capables de remplir
les desseins de Dieu, de le glorifier davantage, et donner un parfait
contentement à votre Majesté.”
Toutefois, Mère Mechtilde n’est pas dupe. Tout en espérant que tout se
raccommode, -la reine semblant un peu radoucie-, elle écrit à Madame de Béthune,
le 22 mars 1689:
“Je suis résolue de leur envoyer de l’argent, car, selon qu’il paraît, c’est
leur trop de dépenses qui indispose la reine, mais je crois aussi que c’est un
prétexte.”
Le 7 octobre 1689, Mère Mechtilde écrit à la prieure de la maison de Pologne, la
Mère de la Présentation de Beauvais, une page admirable :
“Les établissements des filles du Saint Sacrement ne sont fondés que sur la
croix: il semblait, au commencement du vôtre que tout devait vous succéder en
joie, par les applaudissements de la reine et les témoignages d’une amitié qui
devait être éternelle. Mais très chère mère, l’œuvre n’aurait pas pris de si
fortes racines sans la terre de l’humiliation, qui est celle de tous les beaux
parterres de Notre Seigneur Jésus Christ; il n’y aurait pas trouvé les belles
fleurs de vertus que l’on pratique ordinairement dans les souffrances, où
souvent, hors de là, ce ne sont que des ombres de vertus...
La croix a une vertu admirable pour purifier à recevoir les grâces
singulières de la bonté de Dieu... Prenez courage: vous avez souffert les plus
rudes coups... Si vous étiez du monde, dit Notre Seigneur, le monde vous
aimerait, mais vous n’êtes pas du monde. Demeurez en Notre Seigneur, vivez de
son Esprit de paix, d’union, de concorde. Vous devez n’avoir aussi qu’une même
volonté, ne tendant qu’à bien édifier l’œuvre de Dieu...
Vous êtes dans un pays qui vous aide beaucoup à vivre dans cette sainte
séparation et dégagement de tout ce que la nature peut aimer... C’est une vie
bien dure, bien crucifiante que de vivre dans un perpétuel sacrifice, sans quasi
trouver aucun soulagement parce que vous portez une privation de mille petits
secours que l’on trouve ici, que l’amour de Dieu et de sa gloire vous ont fait
sacrifier... Travaillez donc fidèlement à la perfection de l’œuvre que le
Seigneur vous a confiée.
Je vous assure que vous devez avoir un grand recours à Notre Seigneur et à sa
très sainte Mère... Attachez-vous à Dieu, vous ne serez pas rebutée de son
infinie miséricorde. Si l’on pouvait trouver une voie sûre,... je vous enverrais
des toiles, des étoffes, et autres choses; mais je n’en sais pas sur la terre,
ni sur la mer, car tout est en guerre... L’on ne parle partout que de
désolation. Dieu par sa bonté infinie nous veuille regarder en sa miséricorde!
On dit que nous sommes à la veille de grandissimes maux; priez Dieu pour
nous...”
Et le 3 novembre 1689, toujours à la Mère de la Présentation de Beauvais:
“L’on ne peut bien connaître Dieu que dans les occasions qui nous font
vigoureusement recourir à lui... par l’impossibilité de trouver du secours dans
les créatures... le monde souffre, au moins pour la plupart, mais dans un débris
de charité... Cependant, dans ce chaos de désolation presque universelle, Dieu
m’a suscité un secours qui ne peut être regardé dans l’humain.”
Mère Mechtilde raconte alors comment une personne pieuse, mais anonyme, a
commencé à l’aider matériellement... Elle ajoute: “Je pourrai vous faire
aider si vous en avez besoin... Mais ayez la bonté de n’en rien dire à la reine;
il faut la laisser faire l’œuvre qu’elle a commencé pour ne lui point ravir sa
couronne.”
Quelle diplomatie et quelle charité!
Les informations qui suivent proviennent de la chronique du monastère de Lwow,
écrites de 1687 à 1708. Ces quelques brefs extraits sont susceptibles d’éclairer
les raisons des graves difficultés de la fondation de Varsovie :
“La vénérable fondatrice, Mère Mechtilde du Saint Sacrement, avait envoyé
entre 1687 et 1696, des religieuses provenant de plusieurs monastères de
l’Institut...” À Varsovie, deux novices étant retournées dans le monde, Mère
Mechtilde envoya d’autres religieuses “ayant de belles voix.[12]”
Mais, “on avait omis d’en avertir la reine, qui en fut vexée. Elle fut
aussi très mécontente qu’on ait élue comme prieure, mère Radegonde de Beauvais,
au lieu de mère Petigot, qu’elle avait désiré voir prieure”.



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