LA DOULOUREUSE
PASSION
DE N. S. JÉSUS-CHRIST
La rue, peu avant sa fin, se dirige à gauche,
devient plus large et monte un peu ; il
y passe un aqueduc souterrain venant de
la montagne de Sion ; je crois qu'il longe le forum où courent aussi sous terre
des rigoles revêtues en maçonnerie, et qu'il aboutit à la piscine Probatique,
près de la porte des Brebis. J'ai entendu le bruit de l'eau coulant dans les
conduits. On trouve avant la montée une espèce d'enfoncement où il y a souvent
de l'eau et de la boue quand il a plu, et où l'on a placé une grosse pierre pour
faciliter le passage, ce qui se voit souvent dans les rues de Jérusalem,
lesquelles sont très inégales en plusieurs endroits. Lorsque Jésus arriva là, il
n'avait plus la force de marcher ; comme les archers le tiraient et le
poussaient sans miséricorde, il tomba de tout son long contre cette pierre, et
la croix tomba prés de lui. Les bourreaux s'arrêtèrent en le chargeant
d'imprécations et en le frappant à grands coups de pied ; le cortège s'arrêta un
moment en désordre : c'était en vain qu'il tendait la main pour qu'on l'aidât :
“Ah ! dit-il, ce sera bientôt fini”, et il pria pour ses bourreaux ; mais les
Pharisiens crièrent : “Relèves-le ; sans cela il mourra dans nos mains”. Des
deux côtés du chemin on voyait ça et là des femmes qui pleuraient et des
enfants, qui s'effrayaient. Soutenu par un secours surnaturel Jésus releva la
tête, et ces hommes abominables, au lieu d'alléger ses souffrances, lui remirent
ici la couronne d'épines. Lorsqu'ils l'eurent remis sur ses pieds en le
maltraitant, ils replacèrent la croix sur son dos, et il lui fallut pencher de
côté, avec des souffrances inouïes, sa tête déchirée par les épines, afin de
faire place sur son épaule au fardeau dont il était chargé. C'est avec ce nouvel
accroissement à ses tortures qu'il gravit en chancelant la montée que présentait
ici la rue devenue plus large.
La mère de Jésus, toute navrée de douleur, avait
quitté le Forum prés d'une heure auparavant, après le prononcé du jugement
inique qui condamnait son fils, elle était accompagnée de Jean et de quelques
femmes. Elle avait visité plusieurs endroits sanctifiés par les souffrances du
Seigneur, mais lorsque le son de la trompette, l'empressement du peuple et la
mise en mouvement du cortège de Pilate annoncèrent le départ pour le Calvaire,
elle ne put résister au désir de voir encore son divin fils, et elle pria Jean
de la conduire à un des endroits où Jésus devait passer. Ils venaient du
quartier de Sion ; ils longèrent un des cotés de la place que Jésus venait de
quitter, et passèrent par des portes et des allées ordinairement fermées, mais
qu'on avait laissées ouvertes parce que la foule se précipitait dans toutes les
directions. Ils passèrent ensuite par le côté occidental d'un palais dont une
porte s'ouvrait sur la rue où entra le cortège après la première chute de Jésus.
Je ne sais plus bien si ce bâtiment n'était pas une dépendance du palais de
Pilate, avec lequel il semblait communiquer par des cours et des allées ; mais
d'après mes souvenirs d'aujourd'hui, je crois plutôt que c'était la demeure du grand-prêtre Caïphe, car son tribunal seul était à Sion. Jean obtint d'un
domestique ou d'un portier compatissant la permission d'aller gagner la porte en
question avec Marie et ceux qui l'accompagnaient. Un des neveux de Joseph d'Arimathie
était avec eux : Suzanne, Jeanne Chusa et Salomé de Jérusalem accompagnaient la
sainte Vierge. Quand je vis la mère de Dieu pâle, les yeux rouges de pleurs,
tremblante et se soutenant à peine, traverser cette maison, enveloppée de la
tête aux pieds dans un manteau d'un gris bleuâtre, je me sentis le cœur tout
déchiré. On entendait déjà le bruit du cortège qui s'approchait, le son de la
trompette et la voix du héraut criant le jugement au coin des rues. La porte fut
ouverte par le domestique ; le bruit devint plus distinct et plus effrayant.
Marie pria et dit à Jean : “Dois-je voir ce spectacle ? dois-je m'enfuir ?
comment pourrai-je le supporter ?” “Si vous ne restiez pas”, répondit Jean,
“vous vous le reprocheriez amèrement plus tard”. Ils passèrent alors la porte ;
elle s'arrêta et regarda à droite sur le chemin qui montait un peu et redevenait
uni à l'endroit où était Marie. Hélas ! comme le son de la trompette lui perça
le cœur ! Le cortège était encore à quatre-vingts pas de là ; il n'y avait pas
de peuple en avant, mais des deux côtés et derrière quelques groupes. Beaucoup
de gens de la populace qui avaient quitte le forum les derniers couraient çà et
là par des rues détournées pour trouver des places d'où ils pussent voir le
cortège. Lorsque les gens qui portaient les instruments du supplice
s'approchèrent d'un air insolent et triomphant, la mère de Jésus se prit à
trembler et à gémir, elle joignit ses mains, et un de ces misérables demanda :
“Quelle est cette femme qui se lamente ?” Un autre répond : “C'est la mère du
Galiléen”. Quand ces scélérats entendirent ces paroles, ils accablèrent de leurs
moqueries cette douloureuse mère ; ils la montrèrent au doigt, et l'un d'eux
prit dans sa main les clous qui devaient attacher Jésus à la croix, et les
présenta à la sainte Vierge d'un air moqueur. Elle regarda Jésus en joignant les
mains, et, brisée par la douleur, s'appuya pour ne pas tomber contre la porte,
pâle comme un cadavre et les lèvres bleues. Les Pharisiens passèrent sur leurs
chevaux, puis l'enfant qui portait l'inscription, puis enfin, à deux pas
derrière lui, le fils de Dieu son fils, le très saint, le rédempteur, son
bien-aimé Jésus, chancelant, courbé sous son lourd fardeau, détournant
douloureusement sa tête couronnée d'épines de la lourde croix qui pesait sur son
épaule. Les archers le tiraient en avant avec des cordes ; son visage était
livide, sanglant et meurtris : sa barbe inondée d'un sang à moitié figé qui en
collait tous les poils ensemble. Ses yeux éteints et ensanglantés, sous
l'horrible tresse de la couronne d'épines, jetèrent sur sa douloureuse mère un
regard triste et compatissant, et trébuchant sous son fardeau, il tomba pour la
seconde fois sur ses genoux et sur ses mains. Marie, sous la violence de sa
douleur, ne vit plus ni soldats ni bourreaux elle ne vit que son fils bien-aimé
réduit à ce misérable état ; elle se précipita de la porte de la maison au
milieu des archers qui maltraitaient Jésus, tomba à genoux près de lui et le
serra dans ses bras. J'entendis les mots : “Mon fils ! Ma mère !” mais je ne
sais s'ils furent prononcés réellement ou seulement en esprit.
Il y eut un moment de désordre : Jean et les
saintes femmes voulaient relever Marie. Les archers l'injurièrent ; l'un d'eux
lui dit : “Femme, que viens-tu faire ici ? Si tu l'avais mieux élevé il ne
serait pas entre nos mains !” Quelques soldats furent émus. Cependant ils
repoussèrent la sainte Vierge en arrière, mais aucun archer ne la toucha. Jean
et les femmes l'entourèrent, et elle tomba comme morte sur ses genoux contre la
pierre angulaire de la porte, à laquelle le mur s'appuyait. Elle tournait le des
au cortège ; sa mains touchèrent à une certaine hauteur la pierre contre
laquelle elle s'affaissa C'était une pierre veinés de vert. Ses genoux y
laissèrent des cavités ; ses mains, à l'endroit où elle les avait appuyées, des
marques moins profondes. C'étaient des empreintes un peu confuses, semblables à
celles que la main laisse sur une pâte épaisse en frappant dessus. Je vis cette
pierre, qui était fort dure, transportée dans la première église catholique
établie prés de la piscine de Bethsaïda, sous l'épiscopat de saint Jacques le
mineur. J'ai déjà dit, et je le répète ici, que j'ai vu plusieurs fois de
semblables empreintes produites sur la pierre par le contact de saints
personnages, à l'occasion de grands événements. C'est aussi vrai que ce mot :
“Les pierres en seraient émues” ; que cet autre mot : “Cela fait impression”.
L'éternelle vérité, dans son infinie miséricorde, n'a jamais eu besoin de
l'imprimerie pour transmettre à la postérité des témoignages touchant les choses
saintes. Les deux disciples qui étaient avec la mère de Jésus l'emportèrent dans
l'intérieur de la maison dont la porte fut fermée. Pendant ce temps, les archers
avaient relevé Jésus et lui avaient remis d'une autre manière la croix sur les
épaules. Les bras de la croix s'étaient détachés : l'un des deux avait glissé et
s'était pris dans les cordes. Ce fut celui-ci que Jésus embrassa, de sorte que
par derrière la pièce principale penchait davantage vers la terre. Je vis, çà et
là, parmi la populace qui suivait le cortège en proférant des malédictions et
des injures, quelques figures de femmes voilées et versant des larmes.
Le cortège arriva à la porte d'un vieux mur
intérieur de la ville. Devant cette porte
est une place où aboutissent trois
rues. Là, Jésus, ayant à passer encore par-dessus une grosse pierre, trébucha et
s'affaissa ; la crois roula à terre près de lui ; lui-même, cherchant à
s'appuyer sur la pierre, tomba misérablement tout de son long et il ne put plus
se relever. Des gens bien vêtus qui se rendaient au Temple passèrent par là et
s'écrièrent avec compassion : “Hélas ! le pauvre homme se meurt !” Il y eut
quelque tumulte on ne pouvait plus remettre Jésus sur ses pieds, et les
Pharisiens, qui conduisaient la marche, dirent aux soldats : “Nous ne pourrons
pas l'amener vivant, si vous ne trouvez quelqu'un pour porter sa croix”. Ils
virent à peu de distance un païen, nommé Simon de Cyrène, accompagné de ses
trois enfants, et portant sous le bras un paquet de menues branches, car il
était jardinier et venait de travailler dans les jardins situés près du mur
oriental de la ville. Chaque année, il venait à Jérusalem pour la fête, avec sa
femme et ses enfants, et s'employait à tailler des haies comme d'autres gens de
sa profession. Il se trouvait au milieu de la foule dont il ne pouvait se
dégager, et quand les soldats reconnurent à son habit que c'était un païen et un
ouvrier de la classe inférieure, ils s'emparèrent de lui et lui dirent d'aider
le Galiléen à porter sa croix. Il s'en défendit d'abord et montra une grande
répugnance, mais il fallut céder à la force. Ses enfants criaient et pleuraient,
et quelques femmes qui le connaissaient les prirent avec elles. Simon ressentait
beaucoup de dégoût et de répugnance à cause du triste état où se trouvait Jésus
et de ses habits tout souillés de boue ; mais Jésus pleurait et le regardait de
l'air le plus touchant Simon l'aida à se relever, et aussitôt les archers
attachèrent beaucoup plus en arrière l'un des bras de la croix qu'ils
assujettirent sur l'épaule de Simon. Il suivait immédiatement Jésus, dont le
fardeau était ainsi allégé. Les archers placèrent aussi autrement la couronne
d'épines. Cela fait, le cortège se remit en marche. Simon était un homme
robuste, âgé de quarante ans ; il avait la tête nue : son vêtement de dessus
était court : il avait autour des reins des morceaux d'étoffe : ses sandales,
assujetties autour des jambes par des courroies, se terminaient en pointe : ses
fils portaient des robes bariolées. Deux étaient déjà grands ; ils s'appelaient Rufus et Alexandre, et se réunirent plus tard aux disciples. Le troisième était
plus petit, et je l'ai vu encore enfant prés de saint Étienne. Simon ne porta
pas longtemps la croix derrière Jésus sans se sentir profondément touché.
Le cortège entra dans une longue rue qui déviait un
peu à gauche et où
aboutissaient plusieurs rues transversales. Beaucoup de gens
bien vêtus se rendaient au Temple et plusieurs s'éloignaient à la vue de Jésus
par une crainte pharisaïque de se souiller, tandis que d'autres marquaient
quelque pitié. On avait fait environ deux cents pas depuis que Simon était venu
porter la croix avec le Seigneur, lorsqu'une femme de grande taille et d'un
aspect imposant, tenant une jeune fille par la main, sortit d'une belle maison
située à gauche et précédée d'une avant-cour fermée par une belle grille, à
laquelle on arrivait par une terrasse avec des degrés. Elle se jeta au-devant du
cortège. C'était Séraphia, femme de Sirach, membre du conseil du Temple, qui fut
appelée Véronique, de vera icon (vrai portrait), à cause de ce qu'elle fit en ce
jour.
Séraphia avait préparé chez elle d'excellent vin
aromatisé, avec le pieux désir de le faire boire au Seigneur sur son chemin de
douleur. Elle était déjà allée une fois au-devant du cortège : je l'avais vue,
tenant par la main une jeune fille qu'elle avait adoptée, courir à côté des
soldats, lorsque Jésus rencontra sa sainte mère. Mais il ne lui avait pas été
possible de se faire jour à travers la foule et elle était retournée près de sa
maison pour y attendre Jésus. Elle s'avança voilée dans la rue : un linge était
suspendu sur ses épaules : la petite fille, âgée d'environ neuf ans, se tenait
près d'elle et cacha, à l'approche du cortège, le vase plein de vin. Ceux qui
marchaient en avant voulurent la repousser, mais, exaltée par l'amour et la
compassion, elle se fraya un passage avec l'enfant qui se tenait à sa robe,
travers la populace, les soldats et les archers, parvint à Jésus, tomba à genoux
et lui présenta le linge qu'elle déploya devant lui en disant : “Permettez-moi
d'essuyer la face de mon Seigneur”. Jésus prit le linge de la main gauche,
l'appliqua contre son visage ensanglanté, puis le rapprochant de la main droite
qui tenait le bout de la croix, il pressa ce linge entre ses deux mains et le
rendit avec un remerciement. Séraphia le mit sous son manteau après l'avoir
baisé et se releva. La jeune fille leva timidement le vase de vin vers Jésus,
mais les soldats et les archers ne souffrirent pas qu'il s'y désaltérât. La
hardiesse et la promptitude de cette action avaient excité un mouvement dans le
peuple, ce qui avait arrêté le cortège pendant près de deux minutes et avait
permis à Véronique de présenter le suaire. Les Pharisiens et les archers,
irrités de cette pause, et surtout de cet hommage publie rendu au Sauveur, se
mirent à frapper et à maltraiter Jésus, pendant que Véronique rentrait en hâte
dans sa maison.
A peine était-elle rentrée dans sa chambre, qu'elle
étendit le suaire sur la table placée devant elle et tomba sans connaissance :
la petite fille s'agenouilla près d'elle en sanglotant. Un ami qui venait la
voir, la trouva ainsi près du linge déployé où la face ensanglantée de Jésus
s'était empreinte d'une façon merveilleuse, mais effrayante. Il fut très frappé
de ce spectacle, la fit revenir à elle et lui montra le suaire devant lequel
elle se mit à genoux en pleurant et en s'écriant : “Maintenant, je veux tout
quitter car le Seigneur m'a donné un souvenir”. Ce suaire était de laine fine,
trois fois plus long que large ; on le portait habituellement autour du cou :
quelquefois on en avait un second qui pendait sur l'épaule. C'était l'usage
d'aller avec un pareil suaire au-devant des gens affligés, fatigués ou malades,
et de leur en essuyer je visage en signe de deuil et de compassion. Véronique
garda toujours le suaire pendu au chevet de son lit. Après sa mort, il revint
par les saintes femmes à la sainte Vierge, puis à l'Église par les apôtres.
Séraphia était cousine de Jean-Baptiste, car son
père et Zacharie étaient fils des deux frères. Elle était née à Jérusalem.
Lorsque Marie, à l'âge de quatre ans, fut amenée dans cette ville pour faire
partie des vierges du Temple je vis Joachim, Anne et d'autres personnes qui les
accompagnaient, aller dans la maison paternelle de Zacharie, qui était pas loin
du marché aux poissons. Il s'y trouvait un vieux parent de celui-ci, qui était,
je crois, son oncle et le grand-père de Séraphia. Elle avait au moins cinq ans
de plus que la sainte Vierge et assista à son mariage avec saint Joseph. Elle
était aussi parente du vieux Siméon qui prophétisa lors de la présentation de
Jésus au Temple, et liée avec ses fils dés sa jeunesse. Ceux-ci tenaient de leur
père un vif désir de la venue du Messie qu'éprouvait aussi Séraphia. Cette
attente du salut était alors dans le cœur de bien des personnes pieuses comme
une aspiration secrète et ardente : les autres ne pressentaient rien de
semblable pour l'époque où ils vivaient. Lorsque Jésus, âgé de douze ans, resta
à Jérusalem et enseigna dans le Temple, Séraphia, qui n'était pas encore mariée,
lui envoyait sa nourriture dans une petite auberge, située à un quart de lieue
de Jérusalem où il restait quand il n'était pas dans le Temple, et où Marie, peu
après la nativité, venant de Bethléem pour présenter Jésus au Temple, s'était
arrêtée un jour et deux nuits chez deux vieillards. C'étaient des Esséniens qui
connaissaient la sainte Famille. La femme était parente de Jeanne Chusa. Cette
auberge était une fondation pour les pauvres : Jésus et les disciples venaient
souvent y loger. Dans les derniers temps de sa vie, lorsqu'il enseigna dans le
Temple, je vis souvent Séraphia y envoyer des aliments. Mais alors elle n'était
pas tenue par les mêmes personnes.
Séraphia se maria tard : son mari, Sirach,
descendait de la chaste Suzanne ; il était membre du conseil du Temple. Comme
dans le commencement il était très opposé à Jésus, sa femme eut beaucoup à
souffrir de lui à cause de son attachement pour le Sauveur. Quelquefois même il
l'enfermait pendant assez longtemps dans un caveau. Joseph d'Arimathie et
Nicodème le ramenèrent à de meilleurs sentiments, et il permit à Séraphia de
suivre Jésus. Lors du jugement chez Caïphe. Il se déclara pour Jésus avec Joseph
et Nicodème, et se sépara comme eux du Sanhédrin. Séraphia est une grande femme
encore belle : elle doit pourtant avoir plus de cinquante ans ; lors de l'entrée
triomphale du dimanche des Rameaux, je la vis détacher son voile et l'étendre
sur le chemin où passait le Sauveur. Ce fut ce même voile qu'elle apporta à
Jésus pendant cette marche plus triste, mais plus triomphale encore, pour
effacer les traces de ses souffrances, ce voile qui donna à celle qui le
possédait un nouveau nom, le nom glorieux de Véronique
et qui reçoit encore aujourd'hui les hommages publics de l'Église.
Le cortège était encore à quelque distance de la
porte qui est située dans la
direction du sud-ouest. On arrive par un chemin un
peu en pente à Cette porte qui est fortifiée. On passe d'abord sous une arcade
voûtée, puis sur un pont, puis sous une autre arcade. A la sortie, les murs de
la ville vont quelque temps au midi, puis au couchant, puis encore au midi, pour
entourer la montagne de Sion. A droite de la porte, la muraille va dans la
direction du nord, jusqu'à la porte de l'angle, puis elle tourne vers le levant,
en longeant la partie septentrionale de Jérusalem. Lorsque le cortège approcha
de la porte, les archers accélérèrent leur marche. Le chemin était très inégal
et, immédiatement avant la porte, il y avait un grand bourbier. Les archers
tirèrent violemment Jésus en avant et on se pressa les uns contre les autres.
Simon de Cyrène voulut passer à côté, ce qui fit dévier la croix, et Jésus
tombant pour la quatrième fois sous son fardeau, fut rudement précipité dans le
bourbier, en sorte que Simon put à peine retenir la croix. Il dit alors d'une
voix affaiblie et pourtant distincte : “Hélas ! hélas ! Jérusalem, combien je
t'ai aimée ! j'ai voulu rassembler tes enfants comme la poule rassemble ses
petits sous ses ailes, et tu me chasses si cruellement hors de tes portes !” Le
Seigneur parla ainsi avec une tristesse profonde, mais les Pharisiens ayant
entendu ces Paroles, l'insultèrent de nouveau, disant : “Ce perturbateur n'en a
pas fini : il tient encore de mauvais propos” ; puis ils le frappèrent et le
traînèrent en avant pour le retirer du bourbier, Simon de Cyrène fut si indigné
des cruautés exercées envers Jésus, qu'il s'écria : “Si vous ne mettez pas fin à
vos infamies je jette là la croix, quand même vous voudriez me tuer aussi”. Au
sortir de la porte on voit un chemin étroit et rocailleux, qui se dirige quelque
temps au nord et conduit au Calvaire. La grande route d'où ce chemin s'écarte se
partage en trois embranchements à quelque distance de là : l'un tourne à gauche
vers le sud-ouest, et conduit à Bethléem par la vallée de Bibon : l'autre se
dirige au couchant, vers Emmaüs et Joppe ; le troisième tourne au nord-ouest
autour du Calvaire, et aboutit à la pointe de l'angle qui conduit à Bethsur. De
la porte par laquelle Jésus sortit, on peut voir à gauche, vers le sud-ouest,
celle de Bethléem. Ces deux portes sont, parmi les portes de Jérusalem, les plus
rapprochées l'une de l'autre. Au milieu de la route, devant la Porte, à
l'endroit où commence le chemin du Calvaire, on avait placé sur un poteau un
écriteau annonçant la condamnation à mort de Jésus et des deux larrons. Les
caractères étaient blancs et en relief, comme si on les y eût collés. Non loin
de là, à l'angle de ce chemin, était une troupe de femmes qui pleuraient et
gémissaient. C'étaient pour la plupart des vierges et de pauvres femmes de
Jérusalem avec leurs enfants, qui étaient allées en avant du cortège ; d'autres
étaient venues pour la Pâque de Bethléem, d'Hébron et des lieux circonvoisins.
Jésus tomba presque en défaillance mais il n'alla pas tout à fait à terre, parce
que Simon fit reposer la croix sur le sol, s'approcha de lui et le soutint.
C'est la cinquième chute de Jésus sous la croix. A la vue de son visage si
défait et si meurtri, les femmes poussèrent des cris de douleur, et, suivant la
coutume juive, présentèrent à Jésus des linges pour essuyer sa face. Le Sauveur
se tourna vers elles, et dit : “Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi :
pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants, car il viendra bientôt un temps où
l'on dira : Heureuses les stériles et les entrailles qui n'ont point engendré et
les seins qui n'ont point allaité ! Alors on commencera à dire aux montagnes :
Tombez sur nous ! et aux collines : Couvrez-nous ! Car si on traie ainsi le bois
vert, que sera ce de celui qui est sec ? Il leur adressa d'autres belles paroles
que j'ai oubliées : je me souviens seulement qu'il leur dit que leurs larmes
seraient récompensées, qu'elles marcheraient dorénavant sur d'autres chemins,
etc. Il y eut une pause en cet endroit : les gens qui portaient les instruments
du supplice se rendirent à la montagne du Calvaire suivis de cent soldats
romains de l'escorte de Pilate, lequel avait accompagné de loin le cortège ;
arrivé à la porte, il rebroussa chemin vers l'intérieur de la ville.
On se remit en marche, Jésus pliant sous son
fardeau et sous les coups, monta péniblement entre les murs de la ville et le
Calvaire. A l'endroit où le sentier tortueux se détourne et monte vers le midi.
il tomba pour la sixième fois, et cette chute fat très douloureuse. On le
poussa, on le frappa brutalement qua jamais, et il arriva au rocher du Calvaire,
où il tomba sous la croix pour la septième fois. Simon de Cyrène, maltraité et
fatigué lui-même, était plein d'indignation et de pitié : il aurait voulu
soulager encore Jésus, mais les archers le chassèrent en l'injuriant. Il se
réunit bientôt après aux disciples. On renvoya aussi tous les enfants et les
manœuvres qui avaient fait partie du cortège et dont on n'avait plus besoin. Les
Pharisiens à cheval étaient arrivés par des chemins commodes situés du côté
occidental du Calvaire. On pouvait voir de là pardessus les murs de la ville. Le
plateau supérieur, le lieu du supplice, est de forme circulaire; son étendue est
à peu près celle d'un manège de moyenne grandeur : tout autour est un
terrassement que coupent cinq chemins. Ces cinq chemins se retrouvent en
beaucoup d'endroits du pays ; ainsi, aux lieux où l'on prend les eaux, où l'on
baptise, à la piscine de Bethsaïda : plusieurs villes ont aussi cinq portes.
C'est une disposition ordinaire dans les établissements des temps antiques ;
elle s'est conservée parfois dans ceux des temps plus récents, quand une bonne
inspiration y a présidé. Il y a là, comme partout dans la Terre Sainte, un sens
profond et comme une prophétie accomplie aujourd'hui par l'ouverture des cinq
voies de salut dans les cinq plaies sacrées du Sauveur. Les Pharisiens à cheval
s'arrêtèrent devant le plateau, du côté du couchant où la pente de la montagne
est douce : le côté par où l'on amène les condamnés est sauvage et escarpé. Une
centaine de soldats romains, originaires des frontières de la Suisse, étaient
postés de coté et d'autre. Quelques-uns étaient prés des deux larrons, qu'on
n'avait pas conduits tout à fait en haut pour laisser la place libre, mais qu'on
avait couchés sur le des un peu plus bas, à l'endroit où le chemin se détourne
vers le midi, en leur laissant les bras attachés aux pièces transversales de
leur croix. Beaucoup de gens, la plupart de la basse classe, des étrangers, des
esclaves, beaucoup de femmes, toutes personnes qui n'avaient point à craindre de
se souiller, se tenaient autour de la plate-forme. Leur nombre allait toujours
croissant sur les hauteurs environnantes, où s'arrêtaient beaucoup de gens qui
se rendaient à la ville. Vers le couchant, au penchant de la montagne de Gihon,
il y avait tout un camp d'étrangers venus pour la fête. Beaucoup d'entre eux
regardaient de loin, d'autres s'approchaient successivement.
Il était à peu prés onze heures trois quarts lors
de la dernière chute de Jésus et du renvoi de Simon. Les archers tirèrent Jésus
avec les cordes pour le relever, délièrent les morceaux de la Croix et les
mirent par terre les uns sur les autres. Hélas ! quel douloureux spectacle se
présenta : le Sauveur debout sur le lieu de son supplice, si triste, si pâle, si
déchiré, si sanglant ! Les archers le jetèrent à terre en l'insultant : “Roi des
juifs, lui dirent-ils, nous allons arranger ton trône”. Mais lui-même se coucha
sur la croix de son propre mouvement ; si le triste état où il se trouvait lui
eût permis de le faire plus promptement, ils n'auraient pas eu besoin de le
jeter par terre. Ils l'étendirent sur la croix pour prendre la mesure de ses
membres, pendant que les Pharisiens qui se trouvaient là l'insultaient ; puis
ils le relevèrent et le conduisirent à soixante-dix pas au nord, à une espèce de
fosse creusés dans le roc, qui ressemblait à une cave ou à une citerne : ils l'y
poussèrent si rudement, qu'il se serait brisé les genoux contre la pierre sans
un secours miraculeux. Ils en fermèrent l'entrée et laissèrent là des gardes
J'entendis distinctement ses gémissements plaintifs. Je crois aussi avoir vu
au-dessus de lui des anges qui l'empêchaient de se briser les genoux ; cependant
il gémit d'une façon qui déchirait le cœur. La pierre s'amollit sous ses genoux,
Ce fut alors que les archers commencèrent leurs préparatifs. Au milieu de la
plate-forme circulaire trouvait le point le plus élevé du rocher du Calvaire ;
c'était une éminence ronde d'environ deux pieds de hauteur, à laquelle on
arrivait par quelques degrés. Ils creusèrent là les trous où les trois croix
devaient être plantées, et dressèrent à droite et à gauche les croix des
voleurs, qui étaient grossièrement préparées et plus basses que selles de Jésus.
Les pièces transversales, contre lesquelles ceux-ci avaient toujours les mains
liées, furent fixées plus tard au-dessous du bout supérieur de la pièce
principale. Ils placèrent la croix du Christ au lieu où ils devaient la clouer,
de manière à pouvoir la lever sans peine et la faire tomber dans le trou qui lui
était destiné. Ils assujettirent les deux bras, clouèrent le morceau de bois où
devaient reposer les pieds, percèrent des trous pour les clous et pour
l'inscription, enfoncèrent des coins au-dessous de chacun des bras, et tirent ça
et là quelques entailles, soit pour la couronne d'épines, soit pour les reins du
Sauveur, afin que son corps fût soutenu, non suspendu, et que tout le poids ne
portât pas sur les mains, qui auraient pu être arrachées des clous. Ils
plantèrent des pieux en terre derrière l'6minence où devait s'élever la crois,
et y fixèrent une poutre destinée à servir de point d'appui aux cordes avec
lesquelles ils soulèveraient la croix ; enfin ils firent d'autres préparatifs du
même genre.
Lorsque la sainte Vierge, après sa rencontre
douloureuse avec Jésus portant sa croix, fut tombée sans connaissance, Jeanne
Chusa, Suzanne et Salomé de Jérusalem, avec l'aide de Jean et du neveu de Joseph
d'Arimathie, la ramenèrent, chassés par les soldats, dans la maison d'où elle
était sortie et la porte se ferma entre elle et son fils bien-aimé, chargé de
son pesant fardeau et accablé de mauvais traitements, l'amour, le désir ardent
d'être prés de son fils, de tout souffrir avec lui et de ne pas l'abandonner,
lui rendirent bientôt une force surnaturelle. Elle se rendit avec ses compagnes
dans la maison de Lazare, près de la porte de l'angle, où se trouvaient les
autres saintes femmes, pleurant et gémissant avec Marthe et Madeleine : il y
avait quelques enfants auprès d'elles. Elles partirent de là au nombre de
dix-sept pour suivre le chemin de la Passion. Je les vis, pleines de gravité et
de résolution, indifférentes aux injures de la populace et commandant le respect
par leur douleur traverser le forum, couvertes de leurs voiles, baiser la terre
au lieu où Jésus s'était chargé de la croix, puis suivre le chemin qu'il avait
suivi. Marie et celles qui étaient le plus éclairées d'en haut cherchaient les
traces de ses pieds ; la sainte Vierge, sentant et voyant tout à l'aide d'une
lumière intérieure, les guidait sur cette voie douloureuse et tous les endroits
s'imprimaient vivement dans son âme ; elle comptait tous les pas et indiquait à
ses compagnes les places consacrées par quelque douloureuse circonstance C'est
de cette manière que la plus touchante dévotion de l'Église fut pour la première
fois écrite dans le cœur maternel de Marie avec le glaive prédit par le vieux
Siméon : elle passa de sa très sainte bouche à ses compagnes, et de celles-ci
jusqu'à nous comme un don sacré, transmis de Dieu au cœur de la mère et de
celui-ci au cœur des enfants. Ainsi se perpétue la tradition de l'Église. Quand
on voit les choses comme je les vois, une transmission de ce genre apparaît plus
vivante et plus sainte qu'aucune autre. De tout temps les Juifs ont vénéré les
lieux consacrés par quelque action sainte ou quelque événement dont la mémoire
leur est chère : ils y dressent des pierres, y vont en pèlerinage et y prient.
C'est ainsi que le culte du chemin sacré de la Croix prit naissance du fond même
de la nature humaine et par suite des vues de Dieu sur son peuple, non en vertu
d'un dessein formé après coup. Il fut inauguré pour ainsi dire, sous les pieds
mêmes de Jésus qui y a marché le premier, par l'amour de la plue tendre des
mères.
Cette sainte troupe vint à la maison de Véronique
et y entra parce que Pilate revenait par cette rue avec ses cavaliers. Les
saintes femmes regardèrent en pleurant je visage de Jésus empreint sur le suaire
et admirèrent la grâce qu'il avait faite à sa fidèle amie. Elles prirent le vase
de vin aromatisé qu'on n'avait pas permis à Véronique de taire boire à Jésus, et
se dirigèrent toutes ensemble vers la porte de Golgotha. Leur troupe s'était
grossie de beaucoup de gens bien intentionnés, parmi lesquels un certain nombre
d'hommes et je fus singulièrement touchée de les voir passer en bon ordre le
long des rues. C'était presque un cortège plus nombreux que le cortège de Jésus,
si l'on ne tient pas compte de la foule de peuple qui suivait celui-ci. On ne
peut exprimer les souffrances et la douleur déchirante de Marie à la vue du lieu
du supplice et à l'arrivée sur la hauteur : c'étaient les souffrances de Jésus
ressenties intérieurement avec le douloureux sentiment d'être obligée de lui
survivre. Madeleine, navrée jusqu'au fond de l'âme et comme ivre de douleur ne
marchait qu'en chancelant ; elle passait, pour ainsi dire, d'une émotion à
l'autre, du silence aux gémissements, de la stupeur au désespoir, des
lamentations aux menaces : ses compagnes étaient obligées sans cesse de la
soutenir, de la protéger, de l'exhorter, de la cacher aux regards. Elles
montèrent au Calvaire par le côté du couchant, où la pente est plus douce ;
elles se tinrent en trois groupes, à des distances inégales de la plate-forme
circulaire. La mère de Jésus, sa nièce Marie, fille de Cléophas, Salomé et Jean
s'avancèrent jusqu'à cette plate-forme. Marthe, Marie Héli, Véronique, Jeanne
Chusa, Suzanne et Marie, mère de Mô tinrent à quelque distance autour de
Madeleine qui était C0mmé hors d'elle-même. Plus loin étaient sept autres
d'entre elles et quelques gens compatissants qui établissaient des
communications d'un groupe à l'autre. Les Pharisiens à cheval se tenaient ça et
là autour de la plate-forme, et des soldats romains étaient placés aux cinq
entrées. Quel spectacle pour Marie que ce lieu de supplice, cette terrible
croix, ces marteaux, cas cordes, ces clous effrayants, ces hideux bourreaux demi
nus, à peu prés ivres, faisant leur affreux travail avec des imprécations !
L'absence de Jésus prolongeait le martyre de sa mère : elle savait qu'il était
encore vivant, elle désirait le voir et elle tremblait à la pensée des tourments
sans nom auxquels elle le verrait livré.
Depuis le matin jusqu'à dix heures, moment où la
sentence fut prononcée, il y eut de la grêle par intervalles : puis, pendant
qu'on conduisait Jésus au supplice, le ciel s'éclaircit ; mais vers midi, un
brouillard rougeâtre voila le soleil.
Quatre archers se rendirent au cachot souterrain,
situé au nord, à soixante-dix
pas : ils y descendirent et en arrachèrent Jésus
qui, tout le temps, avait prié Dieu de le fortifier et s'était encore offert en
sacrifice pour les péchés de ses ennemis. Ils lui prodiguèrent encore les coups
et les outrages pendant ces derniers pas qui lui restaient à faire. Le peuple
regardait et insultait ; les soldats, froidement hautains, maintenaient l'ordre
en se donnant des airs d'importance ; les archers, pleins de rage, traînaient
violemment Jésus sur la plate-forme. Quand les saintes femmes le virent, elles
donnèrent de l'argent à un homme pour qu'il achetât des archers la permission de
faire boire à Jésus le vin aromatisé de Véronique. Nais ces misérables ne le lui
donnèrent pas et le burent eux-mêmes. Ils avaient avec eux deux rases de couleur
brune, dont l'un contenait du vinaigre et du fiel, l'autre une boisson qui
semblait du vin mêlé de myrrhe et d'absinthe : ils présentèrent au Sauveur un
verre de ce dernier breuvage : Jésus y ayant posé ses lèvres, n'en but pas.
Il y avait dix-huit archers sur la plate-forme :
les six qui avaient flagellé Jésus, les quatre qui l'avaient conduit, deux qui
avaient tenu les cordes attachées à la croix, et six qui devaient le crucifier.
Ils étaient occupés, soit près du Sauveur soit près des deux larrons,
travaillant et buvant tour à tour : c'étaient des hommes petits et robustes,
avec des figures étrangères et des cheveux hérissés, ressemblant à des bêtes
farouches : ils servaient les Romains et les Juifs pour de l'argent.
L'aspect de tout cela était d'autant plus effrayant
pour moi que je voyais sous diverses formes les puissances du mal invisibles aux
autres. C'étaient les figures hideuses de démons qui semblaient aider ces hommes
cruels, et une infinité d'horribles visions sous formes de crapauds, de
serpents, de dragons, d'insectes venimeux de toute espèce qui obscurcissaient
l'air. Ils entraient dans la bouche et dans le cœur des assistants ou se
posaient sur leurs épaules, et ceux-ci se sentaient l'âme pleine de pensées
abominables ou proféraient d'affreuses imprécations. Je voyais souvent au-dessus
du Sauveur de grandes figures d'anges pleurant et des gloires où je ne
distinguais que de petites têtes. Je voyais aussi de ces anges compatissants et
consolateurs au-dessus de la sainte Vierge et de tous les amis de Jésus.
Les archers ôtèrent à notre Seigneur son manteau
qui enveloppait la partie supérieure du corps, la ceinture à l'aide de laquelle
ils l'avaient traîné et sa propre ceinture. Ils lui enlevèrent ensuite, en la
faisant passer par-dessus sa tête, sa robe de dessus en laine blanche qui était
ouverte sur la poitrine, puis la longue bandelette jetée autour du cou sur les
épaules ; enfin comme ils ne pouvaient pas lui tirer la tunique sans couture que
sa mère lui avait faite, à cause de la couronne d'épines, ils arrachèrent
violemment cette couronne de sa tête, rouvrant par là toutes ses blessures ;
puis, retroussant la tunique, ils la lui ôtèrent, avec force injures et
imprécations, en la faisant passer pardessus sa tête ensanglantée et couverte de
plaies.
Le fils de l'homme était là tremblant, couvert de
sang, de contusions, de plaies fermées ou encore saignantes, de taches livides
et de meurtrissures. Il n'avait plus que son court scapulaire de laine sur le
haut du corps et un linge autour des reins. La laine du scapulaire en se
desséchant s'était attachée à ses plaies et s'était surtout collée à la nouvelle
et profonde blessure que le fardeau de la croix lui avait faite à l'épaule et
qui lui causait une souffrance indicible. Ses bourreaux impitoyables lui
arrachèrent violemment le scapulaire de la poitrine. Son corps mis à nu était
horriblement enflé et sillonné de blessures : ses épaules et son dos étaient
déchirés jusqu'aux os : dans quelques endroits la laine blanche du scapulaire
était restée collée aux plaies de sa poitrine dont le sang s'était desséché. Ils
lui arrachèrent alors des reins sa dernière ceinture ; resté nu, il se courbait,
et se détournait tout plein de confusion ; comme il était près de s'affaisser
sur lui-même, ils le firent asseoir sur une pierre, lui remirent sur la tête la
couronne d'épines et lui présentèrent le second vase plein de fiel et de
vinaigre, mais il détourna la tête en silence.
Au moment où les archers lui saisirent les bras
dont il se servait pour recouvrir sa nudité et le redressèrent pour le coucher
sur la croix, des murmures d'indignation et des cris de douleur s'élevèrent
parmi ses amis, à la pensée de cette dernière ignominie. Sa mère priait avec
ardeur, elle pensait à arracher son voile, à se précipiter dans l'enceinte, et à
le lui donner pour s'en couvrir, mais Dieu l'avait exaucée : car au même instant
un homme qui, depuis la porte, s'était frayé un chemin à travers le peuple,
arriva, tout hors d'haleine, se jeta au milieu des archers, et présenta un linge
à Jésus qui le prit en remerciant et l'attacha autour de ses reins.
Ce bienfaiteur de son Rédempteur que Dieu envoyait
à la prière de la sainte Vierge avait dans son impétuosité quelque chose
d'impérieux : il montra le poing aux archers en leur disant seulement :
“Gardez-vous d'empêcher ce pauvre homme de se couvrir”, puis, sans adresser la
parole à personne, il se retira aussi précipitamment qu'il était venu. C'était Jonadab, neveu de saint Joseph, fils de ce frère qui habitait le territoire de
Bethléem et auquel Joseph, après la naissance du Sauveur, avait laissé en gage
l'un de ses deux ânes. Ce n'était point un partisan déclaré de Jésus ;
aujourd'hui même, il s'était tenu à l'écart, et s'était borne à observer de loin
ce qui se passait. Déjà en entendant raconter comment Jésus avait été dépouillé
de ses vêtement, avant la flagellation, il avait été très indigné ; plus tard
quand le moment du crucifiement approcha, il ressenti, dans le Temple une
anxiété extraordinaire. Pendant que la mère de Jésus criait vers Dieu sur le
Golgotha, Jonadab fut poussé tout à coup par un mouvement irrésistible qui le
fit sortir du Temple et courir en toute hâte au Calvaire pour couvrir la nudité
du Seigneur. Il lui vint dans l'âme un vif sentiment d'indignation contre
l'action honteuse de Cham qui avait tourné en dérision la nudité de Noé enivré
par le vin et il se hâta d'aller, comme un autre Sem, couvrir la nudité de celui
qui foulait le pressoir. Les bourreaux étaient de la race de Cham, et Jésus
foulait le pressoir sanglant du vin nouveau de la rédemption lorsque Jonadab
vint à son aide Cette action fut l'accomplissement d'une figure prophétique de
l'Ancien Testament, et elle fut récompensée plus tard, comme je l'ai vu et comme
je le raconterai.
Jésus, image vivante de la douleur, fut étendu par
les a ;chers sur la croix où il était allé se placer de lui-même. Ils le
renversèrent sur le des, et, ayant tiré son bras droit sur le bras droit de la
croix, ils le lièrent fortement, puis un d'eux mit le genou sur sa poitrine
sacrée ; un autre tint ouverte sa main qui se contractait ; un troisième appuya
sur cette main pleine de bénédiction un gros et long clou et frappa dessus à
coups redoublés avec un marteau de fer. Un gémissement doux et clair sortit de
la bouche du Sauveur : son sang jaillit sur les bras des archers. Les liens qui
retenaient la main furent déchirés et s'enfoncèrent avec le clou triangulaire
dans l'étroite ouverture. J'ai compté les coups de marteau, mais j'en ai oublié
le nombre. La sainte Vierge gémissait faiblement et semblait avoir perdu
connaissance : Madeleine était hors d'elle-même.
Les vilebrequins étaient de grands morceaux de fer
de la forme d'un T : il n'y entrait pas de bois. Les grands marteaux aussi
étaient en fer et tout d'une pièce avec leurs manches : ils avaient à peu près
la forme qu'ont les maillets avec lesquels nos menuisiers frappent sur leurs
ciseaux. Les clous, dont l'aspect avait fait frissonner Jésus, étaient d'une
telle longueur que, si on les tenait en fermant le poignet, ils le dépassaient
d'un pouce de chaque côté, ils avaient une tête plate de la largeur d'un écu.
Ces clous étaient à trois tranchants et gros comme le pouce à leur partie
supérieure ; plus bas ils n'avaient que la grosseur du petit doigt ; leur pointe
était limée, et je vis que quand on les eût enfoncés, ils ressortaient un peu
derrière la croix.
Lorsque les bourreaux eurent cloué la main droite
du Sauveur, ils s'aperçurent que sa main gauche, qui avait été aussi attachés au
bras de la croix, n'arrivait pas jusqu'au trou qu'ils avaient fait et qu'il y
avait encore un intervalle de deux pouces entre ce trou et l'extrémité de ses
doigts : alors ils attachèrent une corde à son bras gauche et le tirèrent de
toutes leurs forces, en appuyant les pieds contre la croix, jusqu'à ce que la
main atteignit la place du clou. Jésus poussa des gémissements touchants : car
ils lui disloquaient entièrement les bras. Ses épaules violemment tendues se
creusaient, on voyait aux coudes les jointures des os. Son sein se soulevait et
ses genoux se retiraient vers son corps. Ils s'agenouillèrent sur ses bras et
sur sa poitrine, lui garrottèrent les bras, et enfoncèrent le second clou dans
sa main gauche d'où le sang jaillit, pendant que les gémissements du Sauveur se
faisaient entendre à travers le bruit des coups de marteau. Les bras de Jésus se
trouvaient maintenant étendus horizontalement, en sorte qu'ils ne couvraient
plus les bras de la croix qui montaient en ligne oblique : il y avait un espace
vide entre ceux-ci et ses aisselles. La sainte Vierge ressentait toutes les
douleurs de Jésus ; elle était pâle comme un cadavre et des sanglots entrecoupés
s'échappaient de sa bouche. Les Pharisiens adressaient des insultes et des
moqueries du côté où elle se trouvait, et on la conduisit à quelque distance
près des autres saintes femmes. Madeleine était comme folle : elle se déchirait
je visage, ses yeux et ses joues étaient en sang.
On avait cloué, au tiers à peu prés de la hauteur
de la croix, un morceau de bois destiné à soutenir les pieds de Jésus, afin
qu'il fût plutôt debout que suspendu ; autrement les mains se seraient déchirées
et on n'aurait pas pu clouer les pieds sans briser les os. Dans ce morceau de
bois, on avait pratiqué d'avance un trou pour le clou qui devait percer les
pieds. On y avait aussi creusé une cavité pour les talons, de même qu'il y avait
d'autres cavités en divers endroits de la croix afin que le corps pût y rester
plus longtemps suspendu et ne se détachât pas, entraîné par son propre poids.
Tout le corps du Sauveur avait été attiré vers le haut de la croix par la
violente tension de ses bras et ses genoux s'étaient redressés. Les bourreaux
les étendirent et les attachèrent en les tirant avec des cordes : mais il se
trouva que les pieds n'atteignaient pas jusqu'au morceau de bois placé pour les
soutenir. Alors les archers se mirent en fureur ; quelques-uns d'entre eux
voulaient qu'on fit des trous plus rapprochés pour les clous qui perçaient ses
mains, car il était difficile de placer le morceau de bois plus haut ; d'autres
vomissaient des imprécations contre Jésus : “Il ne veut pas s'allonger,
disaient-ils, nous allons l'aider”. Alors ils attachèrent des cordes à sa jambe
droite et la tendirent violemment jusqu'à ce que le pied atteignit le morceau de
bois. Il y eut une dislocation si horrible, qu'on entendit craquer la poitrine
de Jésus, et qu'il s'écria à haute voix : “O mon Dieu ! O mon Dieu !” Ce fut une
épouvantable souffrance. Ils avaient lié sa poitrine et ses bras pour ne pas
arracher les mains de leurs clous. Ils attachèrent ensuite fortement le pied
gauche sur le pied droit, et le percèrent d'abord au cou-de-pied avec une espèce
de pointe à tête plate, parce qu'il n'était pas assez solidement posé sur
l'arbre pour qu'on pût les clouer ensemble. Cela fait, ils prirent un clou
beaucoup plus long que ceux des mains, le plus horrible qu'ils eussent,
l'enfoncèrent à travers la blessure faite au pied gauche, puis à travers le pied
droit jusque dans le morceau de bois et jusque dans l'arbre de la croix. Placée
de côté, j'ai vu ce clou percer les deux pieds. Cette opération fut plus
douloureuse que tout le reste à cause de la distension du corps. Je comptai
jusqu'à trente-six coups de marteau au milieu desquels j'entendais distinctement
les gémissements doux et pénétrants du Sauveur : les voix qui proféraient autour
de lui l'injure et l'imprécation me paraissaient sourdes et sinistres.
La Sainte Vierge était revenue au lieu du
supplice : la dislocation des membres de son fils, le bruit des coups de marteau
et les gémissements de Jésus pendant qu'on lui clouaient les pieds excitèrent en
elle une douleur si violente qu'elle tomba de nouveau sans connaissance entre
les bras de ses compagnes. Il y eut alors de l'agitation. Les Pharisiens à
cheval s'approchèrent et lui adressèrent des injures : mais ses amis
l'emportèrent à quelque distance. Pendant le crucifiement et l'érection de la
croix qui suivit, il s'éleva, surtout parmi les saintes femmes, des cris
d'horreur : “Pourquoi, disaient-elles, la terre n'engloutit-elle pas ces
misérables ? Pourquoi le feu du ciel ne les consume-t-il pas ?” Et à ces accents
de l'amour, les bourreaux répondaient par des invectives et des insultes.
Les gémissements que la douleur arrachait à Jésus
se mêlaient à une prière continuelle, remplie de passages des psaumes et des
prophètes dont il accomplissait les prédictions : il n'avait cessé de prier
ainsi sur le chemin de la croix. et il le fit jusqu'à sa mort. J'ai entendu et
répété avec lui tous ces passages, et ils me sont revenus quelquefois en
récitant les psaumes ; mais je suis si accablée de douleur que je ne saurais pas
les mettre ensemble. Pendant cet horrible supplice, je vis apparaître au-dessus
de Jésus des figures d'anges en pleurs.
Le chef des troupes romaines avait déjà fait
attacher au haut de la croix l'inscription de Pilate. Comme les Romains riaient
de ce titre de roi des Juifs, quelques-uns des Pharisiens revinrent à la ville
pour demander à Pilate une autre inscription dont ils prirent d'avance la
mesure. Pendant qu'on crucifiait Jésus, on élargissait le trou où la croix
devait être plantée, car il était trop étroit et le rocher était extrêmement
dur. Quelques archers, au lieu de donner à Jésus le vin aromatisé apporté par
les saintes femmes l'avaient bu eux-mêmes et il les avait enivrés : il leur
brûlait et leur déchirait les entrailles à tel point qu'ils étaient comme hors
d'eux-mêmes. De injurièrent Jésus qu'ils traitèrent de magicien, entrèrent en
fureur à la vue de sa patience et coururent à plusieurs reprises au bas du
Calvaire pour boire du lait d'ânesse. Il y avait prés de là des femmes
appartenant à un campement voisin d'étrangers venus pour la Pâque, lesquelles
avaient avec elles des ânesses dont elles vendaient le lait. Il était environ
midi un quart lorsque Jésus fut crucifié, et au moment où l'on élevait la croix,
le Temple retentissait du bruit des trompettes. C'était le moment de
l'immolation de l'agneau pascal.
Lorsque les bourreaux eurent crucifié Notre
Seigneur, ils attachèrent des cordes à la partie supérieure de la croix, et
faisant passer ces cordes autour d'une poutre transversale, fixée du côté
opposé, ils s'en servirent pour élever la croix, tandis que quelques-uns d'entre
eux la soutenaient et que d'autres en poussaient le pied jusqu'au trou, qu'on
avait creusé pour elle, et où elle s'enfonça de tout son poids avec une terrible
secousse. Jésus poussa un cri de douleur, tout le poids de son corps pesa
verticalement, ses blessures s'élargirent, son sang coula abondamment et ses os
disloqués s'entrechoquèrent. Les archers, pour affermir la croix, la secouèrent
encore et enfoncèrent cinq coins tout autour.
Rien ne fut plus terrible et plus touchant à la
fois que de voir, au milieu des cris insultants des archers, des Pharisiens et
de la populace qui regardait de loin, la croix chanceler un instant sur sa base
et s'enfoncer en tremblant dans la terre ; mais il s'éleva aussi vers elle des
voix pieuses et gémissantes. Les plus saintes voix du monde, celle de Marie,
celle de Jean, celles des saintes femmes et de tous ceux qui avaient le cœur
pur, saluèrent avec un accent douloureux le Verbe fait chair élevé sur la
croix : leurs mains tremblantes se levèrent comme pour le secourir, lorsque le
saint des saints, le fiancé de toutes les âmes, cloué vivant sur la croix,
s'éleva, balancé en l'air par les mains des pécheurs en furie, mais quand la
croix s'enfonça avec bruit dans le creux du rocher, il y eut un moment de
silence solennel, tout le monde semblait affecté d'une sensation toute nouvelle
et non encore éprouvée jusqu'alors. L'enfer même ressentit avec terreur le choc
de la croix qui s'enfonçait, et redoubla la fureur de ses suppôts contre elle :
les âmes renfermées dans les limbes l'entendirent avec une joie pleine
d'espérance : c'était pour elles comme le bruit du triomphateur qui s'approchait
des portes de la rédemption. La sainte croix était dressée pour la première fois
au milieu de la terre comme un autre arbre de vie dans le paradis, et des
blessures de Jésus coulaient sur la terre quatre fleuves sacrés pour effacer la
malédiction qui pesais sur elle, pour la fertiliser et en faire le paradis du
nouvel Adam. Lorsque notre Sauveur fut élevé en croix, les cris et les injures
furent interrompus quelques moments par le silence de la stupeur. Alors on
entendit du côté du Temple le bruit des clairons et des trompettes qui annonçait
l'immolation de l'agneau pascal, de la figure prophétique, et interrompait d'une
manière solennelle et significative les cris de colère et de douleur autour du
véritable agneau de Dieu. Bien des cœurs endurcis furent ébranlés et pensèrent à
cette parole de Jean-Baptiste : “Voici l'Agneau de Dieu qui a pris sur lui les
péchés du monde”.
Le lien où la croix était plantée était élevée d'un
peu plus de deux pieds au-dessus du terrain environnant. Lorsque la croix fut
enfoncée en terre, les pieds de Jésus se trouvaient assez bas pour que ses amis
pussent les embrasser et les baiser. L'éminence était en talus. Le visage du
Sauveur était tourné vers le nord-ouest.
* * * * *
Nous ajoutons ici quelques détails donnes par la soeur Emmerich sur
sainte Véronique, un jour qu'on lui avait fait toucher des reliques de
cette sainte ; c'était le 9 août 1821 : “J'eus, dit-elle, une vision que
Je ne me rappelle pas avoir jamais eue précédemment. Dans la troisième
année qui suivit l'ascension du Christ, je vis l'empereur romain envoyer
quelqu'un à Jérusalem pour recueillir les bruits relatifs a la mort et à
la résurrection de Jésus. Cet homme emmena avec lui à Rome Nicodème,
Séraphia et le disciple Epaphras, parent de Jeanne Chusa. C'était un
serviteur des disciples, homme plein de simplicité, qui avait été
attaché au service du Temple et qui avait vu Jésus ressuscité dans le
Cénacle et ailleurs. Je vis Véronique chez l'empereur, Il était malade :
son lit était élevé sur deux gradins : un grand rideau pendait jusqu'à
terre la chambre était carrée, pas très grande : il n'y avait pas de
fenêtres mais le jour venait d'en haut : il y avait de longs cordons
avec lesquels on pouvait ouvrir et fermer des volets. L'empereur était
seul : ces gens étaient dans l'antichambre. Véronique avait avec elle,
outre le suaire, un des linceuls de Jésus et elle déploya le suaire
devant l'empereur qui était tout seul, c'était une bande d'étoffe longue
et étroite qu'elle avait auparavant portée en guise de voile sur la tête
et autour du cou. L'empreinte de la face de Jésus se trouvait à une des
extrémités et lorsqu'elle la présenta à l'empereur, elle ramassa dans si
main gauche l'autre extrémité du suaire. La face de Jésus s'y était
imprimée avec son sang. Cette empreinte n'était pas comme un portrait,
elle était même plus grande qu'un portrait, parce que le linge avait été
appliqué tout autour du visage. Sur l'autre drap était l'empreinte du
corps flagelle de Jésus. Je crois que c'était un des draps sur lesquels
on l'avait couché pour le laver avant de l'ensevelir. Je ne vis pas
l'empereur toucher ces linges mais il fut guéri par leur vue. Il voulait
retenir Véronique à Rome et lui donner une maison et des esclaves, mais
elle demanda la permission de retourner à Jérusalem pour mourir au lieu
où Jésus était mort Élie y revint en effet, et lors de la persécution
contre les chrétiens qui réduisit à la misère et à l'exil Lazare et ses
soeurs, elle s'enfuit avec quelques autres femmes. Mais on la prit et on
l'enferma dans une prison où elle mourut de faim pour le nom de Jésus. à
qui elle avait si souvent donné la nourriture terrestre et qui l'avait
nourri de sa chair et de son sang pour la vie éternelle. Je me rappelle
vaguement d'avoir vu dans une autre occasion, comment, après la mort de
Véronique, le voile resta entre les mains des saintes femmes, comment il
alla ensuite à Édesse, où le porta le disciple Thaddée et où il opéra
beaucoup de miracles, puis à Constantinople, et enfin comment il fut
transmis à l'Église par les apôtres. J'ai cru une fois qu'il était à
Turin où est le linceul du Sauveur, mais je vis à cette occasion
l'histoire de tous ces linges sacrés et ils se sont confondus dans mes
souvenirs ; aujourd'hui encore j'ai vu beaucoup de choses touchant
Séraphia ou Véronique, mais je ne les raconte pas parce que Je ne m'en
souviens que confusément”. |