HOMÉLIE SEPTIÈME
SUR LES REPTILES
SOMMAIRE
Cette homélie a
été prononcée le soir, et offre avec la suivante le cinquième jour de la
création. L'orateur, sans aucun préambule, entre tout de suite en matière. Et
Dieu dit : Que les eaux produisent des reptiles animés.... Ces reptiles animés,
ce sont les poissons. Saint Basile décrit avec beaucoup d'intérêt leur nature
commune, leurs espèces particulières, leur manière de vivre, leurs voyages ,
toutes les qualités propres â chaque espèce , en accompagnant ses descriptions
de réflexions pieuses et morales, pour instruire et édifier ses auditeurs.
Et Dieu dit : Que les eaux
produisent des reptiles animés, selon leur espèce, et des oiseaux qui voient
dans le firmament du ciel selon leur espèce. Après la création des corps
lumineux, les eaux aussi se remplirent d'animaux, et cette partie de la nature
recul aussi son ornement. La terre avait reçu le sien par les productions qui
lui sont propres ; aussi bien que le ciel par les astres qui sont comme des
fleurs dont il est parsemé, et par les deux grands corps lumineux qui sont comme
les deux yeux de tout le corps céleste. Il restait à donner aux eaux l'ornement
qui lui était convenable. Un ordre du Seigneur est parti, aussitôt les fleuves
ont la vertu de produire; les lacs enfantent les êtres qui leur sont naturels ;
la mer engendre tontes les espèces d’animaux nageurs; l'eau même des marais
n'est pas oisive, elle contribue pour sa part à l'accomplissement de la
création. On en vit sortir, sans doute, les grenouilles et une infinité
d'insectes volants. Ce que nous voyons encore aujourd'hui est une preuve de ce
qui s est opéré dans l'origine. Ainsi toutes les eaux s'empressèrent d'obéir à
l'ordre du Créateur. Tous ces êtres dont il serait impossible de compter les
espèces, la grande et ineffable puissance de bien les montra vivants et se
mouvant, les eaux ayant reçu, avec l'ordre du souverain Maître, la faculté de
les produire.
Que les eaux produisent, des
reptiles animés. C'est pour la première fois qu'est créé un être anime et pourvu
de sentiment. Quoique les plantes et les arbres vivent en quelque manière,
puisqu'ils sont de nature à se nourrir et à croître, ce ne sont cependant pas
des êtres vivants et animés. Ainsi, dit l’Écriture, que les eaux produisent des
reptiles. Tout ce qui nage sur la surface de l'eau, tout ce qui fend cette même
eau dans sa profondeur, est du genre des reptiles , puisqu'il se traîne.
Certains animaux aquatiques, il est vrai, ont des pieds et marchent: ce sont
surtout les amphibies, tels que les veaux et chevaux marins, les grenouilles,
les crabes , les crocodiles : mais la principale espèce sont. dos reptiles
nageurs. C'est pour cela qu'il est dit: Que les eaux produisent des reptiles.
Dans ce peu de paroles quelle espèce est omise quelle espèce n'est pas comprise
dans ce simple ordre? On y oit les animaux vivipares, tels que les veaux marins
, les dauphins , les torpilles, et autres semblables , qui sont appelés
cartilagineux ; on y voit les ovipares , tels que presque toutes les espèces de
poissons; on y voit tous ceux qui ont des écailles ou une espèce d'écorce ou de
croûte, tous ceux qui ont des nageoires ou qui n'en ont point : une seule parole
qui contient un ordre ; ou plutôt ce n'était pas une parole , mais un simple
indice , un simple mouvement de volonté. Le serf renfermé dans un ordre fort
simple, est aussi étendu que les espèces différentes et communes des poissons,
lesquelles espèces il n'est pas moins difficile de nombrer exactement que de
compter les flots de la mer, ou de mesurer ses eaux dans le creux de la main.
Que les eaux produisent des reptiles. Parmi ces animaux sont ceux qui vivent sur
les rivages ou au fond de la mer, seuls ou en troupes, ceux qui s'attachent aux
rochers, les poissons les plus petits et les plus énormes: car la même puissance
et un seul ordre ont donné l'être à tout ce qu'il y a de plus petit et de plats
grand. Que les eaux produisent. Ces paroles vous montrent le rapport naturel que
les animaux nageurs ont avec l'eau. Aussi, pour peu que les poissons soient
séparés de beau, ils meurent. Car ils n'ont pas un organe pour attirer et
renvoyer l’air que nous respirons; mais l’eau est pour les animaux, nageurs ce
que l'air
est pour les
animaux terrestres. La raison en est manifeste. Nous avons un poumon, viscère
poreux et spongieux, lequel recevant l'air par la poitrine qui s'étend, évente
et rafraîchit notre chaleur intérieure, dans les poissons, l'allongement et le
resserrement des ouïes ou nageoires qui reçoivent l'eau et qui la renvoient,
leur tient lieu de respiration. Les poissons ont un sort à part, une nature
particulière, une vie qui leur est propre, une manière de vivre qui n'appartient
qu'il eux. Aussi aucun des animaux nageurs ne se laisse apprivoiser, et ne veut
se soumettre à la main de l'homme.
Que les eaux produisent des
reptiles animés selon leur espèce. Dieu ordonne maintenant de produire les
prémices de chaque espèce, qui sont comme les germes de la nature : quant à la
multitude des individus, il les réserve pour la suite des générations, quand il
faudra qu'ils croissent et qu'ils se multiplient. Il est une espèce aussi
étendue que variée; ce sont les poissons à écailles et à coquilles, tels que les
conques, les pétoncles, les strombes, et tous ceux du même genre. Quelques-unes
ont une enveloppe moins dure, tels que les crabes, les écrevisses, et toutes les
espèces semblables. Plusieurs ont la chair molle et flasque, les polypes, les
sèches, et autres de même nature. Toutes ces espèces sont variées à l’infini.
Pour les dragons, les lamproies, les couleuvres qui naissent dans les étangs et
dans les marais, ils approchent moins, par leur constitution, de ce qu'on
appelle poissons que des reptiles venimeux. L'espèce des vivipares est
différente de celle des ovipares. Cette dernière comprend tout ce qui est nommé
cartilagineux. La plupart des cétacés
sont
vivipares ; par exemple, les dauphins et les veaux marins. On prétend que
lorsque leurs petits, tout récemment nés, sont effrayés par quelque cause, ils
les renferment de nouveau dans leurs entrailles pour les y mettre à l’abri. Que
les eaux produisent selon l'espèce. L’espèce des plus grands poissons est autre
que celle des plus petits. Leurs noms , leur nourriture , leurs formes , leur
grandeur , les qualités de leur chair , tout cela les distingue les uns des
autres , tout cela constitue une infinité d'espèces diverses et de genres
différents. Ceux qui ont observé les thons pourraient-ils nous détailler même
les différences des espèces, quoique, dans la grande multitude de poissons, ils
s étudient à compter jusqu'aux individus ? Quelqu'un de ceux qui ont vieilli sur
les côtes et sur les rivages pourrait-il nous donner une connaissance exacte de
tous les animaux aquatiques ? Les peuples voisins de la mer Indienne en
connaissent qui ignorent les peuples qui habitent près le golfe Égyptien,
qu'ignorent les Maurusiens et insulaires, et ainsi réciproquement. C'est le
premier ordre du Créateur, c'est sa puissance merveilleuse qui a donné hêtre à
tous ces animaux grands et petits.
Que de diversités dans la manière
de vivre des poissons et dans celle de se reproduire ! La plupart d'entre eux ne
couvent pas leurs oeufs comme les oiseaux, ils ne construisent pas de nids, et
ne nourrissent pas leurs petits avec soin et inquiétude : mais l'eau reçoit
l'oeuf et en fait un animal.
Il est impossible de mêler les espèces, et il ne peut y avoir parmi eux de
mulets, comme sur la terre parmi les quadrupèdes, et même parmi certains
oiseaux. Aucun poisson n'a une seule rangée de dents, comme chez nous le boeuf
et la brebis : car aucun ne rumine, excepté le scare,
à ce que quelques-uns rapportent. Tous sont munis de deux rangées de dents très
serrées et fort aiguës, de peur que mâchant lentement la nourriture, elle ne
leur échappe. Si elle n'était promptement brisée, et si elle ne passait aussitôt
dans l’estomac, elle pourrait être emportée par l'eau tandis que l’animal la
broierait. Chaque espèce de poisson. a sa nourriture particulière Les uns se
nourrissent de limon, les autres d'algue , d'autres se contentent des herbes qui
naissent dans l'eau. La plupart chez eux se dévorent les uns les autres, et le
plus petit sert d'aliment au plus grand. S'il arrive quelquefois que celui qui
en a dévoré un plus petit devienne la proie d'un autre, ils sont; engloutis tous
deux dans le ventre du dernier. Que l'ont autre chose les hommes, lorsque
abusant de leur puissance ils oppriment ceux qu'ils dominent? En quoi diffère du
dernier poisson nomme qui , affamé de richesses, engloutit les faibles dans le
goulue d'une cupidité insatiable ? Tel homme possédait les biens du pauvre; vous
avez envahi ses possessions pour grossir votre opulence : vous volts êtes montré
plus injuste que l'injuste, plus cupide que le cupide. Prenez garde d'éprouver
le sort des poissons, et de vous trouver enfin pris à l’hameçon, dans la nasse
ou dans le filet (Mt. 13. 47 et 48.). Si nous nous permettons une foule
d'injustices, nous ne pourrons nous soustraire aux peines les plus rigoureuses.
Je veux aussi, en vous apprenant les ruses et les artifices d'un faible animal,
vous engager à fuir les exemples des méchants. Le crabe aime beaucoup la chair
de l’huître. Mars cette proie n'est pas facile à prendre, parce que l'huître est
couverte d'une très dure écaille dont la nature a muni sa chair si tendre. Et
comme deux cavités appliquées l'une sur l’autre l'enferment exactement, les
pinces du crabe deviennent nécessairement inutiles. Que fait-il donc ? Lorsque,
dans un lieu paisible, il voit l'huître étaler au soleil ses écailles ouvertes,
et se chauffer à ses rayons, il y jette adroitement un petit caillou, les
empêche de se refermer, et par-là obtient ce qu'il désire en suppléant à la
force par l'adresse. Quelle est la ruse d’animaux qui n'ont ni la raison ni la
parole. En admirant l'habileté des crabes à se procurer leur nourriture, vous
devez vous abstenir de faire tort à votre prochain. Celui-là ressemble au crabe
qui emploie la ruse avec son frère, qui profite des contretemps de son prochain,
qui tourne à son avantage les malheurs d'autrui. Craignez d'imiter ceux que tout
le monde blâme. Contentez-vous de ce que vous avez. La pauvreté, pourvu qu'on
ait le nécessaire, est préférable pour le sage à toutes les richesses. Je ne
dois pas ici omettre la ruse du polype
pour saisir
sa proie. Comme il prend la couleur du rocher où il s'attache, beaucoup de
poissons en nageant vont tomber sur lui sans y l'aire attention, et deviennent
la proie de cet animal rusé. Tel est le caractère de ceux qui , bassement soumis
aux puissances, et s'accommodant aux conjonctures, changent aisément de système
et de conduite, honorent la sagesse avec ceux qui sont sages, sont intempérants
avec les intempérants, n agissent et ne pensent que pour plaire à ceux qu'ils
veulent flatter. Il est difficile d'éviter ces personnes et de se garantir du
mal qu'elles peuvent faire, parce qu'elles ont grand soin de cacher leurs
mauvaises intentions sous le masque de l'amitié. Ce sont de tels hommes que le
Seigneur appelle des loups ravissants qui se montrent sous la peau de brebis
(Mt. 7. 15.). Fuyez les caractères doubles et trompeurs ; recherchez la vérité,
la sincérité, la simplicité. Le serpent est plein de dissimulation; aussi a-t-il
été condamné à ramper. Le juste est simple et sans fard comme Jacob (Gn. 25. 27)
; aussi le Seigneur fait-il habiter dans sa maison ceux qui ont un cœur droit et
simple (Ps. 67. 7.).
La mer, dit le Psalmiste, est d'une
grande et vaste étendue : elle renferme un nombre infini de reptiles, une
multitude de grands et de petits animaux (Ps. 103. 25.). Cependant il règne
parmi ces animaux un ordre et une police admirables. Car si nous trouvons dans
les poissons des qualités particulières que nous devons éviter, nous trouvons
aussi que nous pouvons imiter. Chacune des espèces s'est choisie une région qui
lui est convenable; elles n'empiètent pas sur les demeures les unes des autres,
mais elles restent dans les limites qui leur sont propres. Aucun géomètre ne
leur a distribué leurs habitations, ne les a enfermées dans des murs, ne leur a
assigné des bornes. D'elles-mêmes elles se sont marquées les lieux qui leur sont
utiles. Tel golfe nourrit telles espèces de poissons, tel autre golfe en nourrit
d'autres. Tels poissons qui abondent dans un endroit se trouvent à peine
ailleurs. Aucune montagne et étendant au loin ses sommets escarpes ne les
sépare, aucun fleuve ne leur ferme les passages; mais une loi de la nature
prescrit à chaque espèce, avec justice et selon son avantage, une manière de
vivre particulière. Mais nous, comment ne différons-nous pas de ces animaux !
Comment cela ? Nous remuons ces bornes éternelles qu'avaient placées nos pères
(Pr. 22. 28.) : nous joignons maison à maison et champ à champ, afin de
dépouiller notre prochain. Les monstres de la mer, fidèles à la manière de vivre
qui leur a été prescrite par la nature, occupent, loin des pays habités, une mer
où il n'y a aucune île , en face de laquelle ne se trouve aucun continent; une
mer qu'on n'a jamais parcourue,
parce que, ni le désir de s'instruire, ni aucune nécessité n'engage les hommes à
tenter cette navigation périlleuse. Habitants de cette mer, ces poissons
énormes, qui, par leur grosseur, si l'on en croit ceux qui en ont vu,
ressemblent à de hautes montagnes, restent dans les limites qui leur sont
propres, sans nuire aux îles, ni aux villes maritimes. Ainsi chaque espèce
s'arrête dans les parties de la mer qui lui ont été marquées, comme dans des
villes, ou dans des bourgs , ou dans des patries anciennes.
Il est des poissons voyageurs
, qui sont envoyés dans des pays éloignés comme d'après une délibération commune
, et qui partent tous, pour ainsi dire, à un seul signal. Lorsque le temps de
l'aire leurs petits est arrivé, avertis et excités par une loi commune de la
nature, ils sortent à la fois de divers golfes, et s'avancent en hâte vers la
mer Septentrionale. Au temps de la marée montante, on voit les poissons se
rassembler et se répandre comme un torrent par la Propontide, vers le
Pont-Euxin. Qui est-ce qui les fait partir? Quel est l'ordre du prince ? Quel
édit affiché dans une place publique annonce le jour du départ ? Quels sont ceux
qui conduisent les troupes ? Vous voyez la Providence divine qui exécute tout,
et qui entre dans les plus petits détails. Le poisson observe fidèlement la loi
du Seigneur; et les hommes ne peuvent obéir à des préceptes salutaires ! Ne
méprisez pas les poissons, parce que ce sont des êtres muets et dépourvus
d'intelligence ; mais craignez d'être plus déraisonnable que ces animaux, en
vous opposant à l'ordre établi par le Créateur. Ecoutez les poissons dont la
conduite est comme une voix qui vous crie : C'est pour la conservation de notre
espèce que nous faisons ce long voyage. Ils ne sont pas doués de raison; mais
ils ont au-dedans d'eux-mêmes une loi forte de la nature qui leur montre ce
qu'ils ont à faire. Nous marchons, disent-ils, vers la mer Septentrionale; cette
eau est plus douce que toutes les autres, parce que le soleil, qui v séjourne
fort peu de temps, n'en pompe pas avec ses rayons toute la partie potable. Les
habitons mêmes de la mer aiment les eaux douces. Aussi s'éloignent-ils souvent
de la mer et remontent-ils vers les fleuves. C'est-là encore pourquoi ils
préfèrent le Pont-Euxin aux autres golfes, comme plus propre à la génération et
à la nourriture de leurs petits. Lorsqu'ils ont rempli suffisamment leurs voeux,
alors tous ensemble ils retournent dans leur patrie. Quelle en est la cause ?
Apprenons-la de la bouche de ces êtres muets. La mer Septentrionale, disent-ils,
est peu profonde; elle est exposée dans toute son étendue à la violence des
vents, ayant peu de rivages, de baies et de rades. Aussi les vents
bouleversent-ils facilement jusqu'au fond de ses abîmes, de sorte que le sable
qu’ils enlèvent se mêle avec les flots. De plus, elle est froide en hiver étant
remplie d'un nombre de grands fleuves. Après donc que les poissons en ont joui
pendant l'été dans une certaine mesure, ils regagnent en hiver des mers plus
profondes et plus tempérées. Ils reviennent dans des régions exposées au soleil
; et fuyant les vents incommodes du septentrion, ils se réfugient dans des
golfes moins agités. J'ai fait ces remarques, et j'ai admiré en tout la sagesse
de Dieu. Si les brutes ont de la prévoyance et si elles pourvoient à leur salut;
si le poisson sait ce qu'il doit faire et ce qu'il doit éviter, que diront les
hommes qui sont honorés de la raison, instruits par la loi , excités par les
promesses, éclairés par l'Esprit divin, et qui se conduisent moins
raisonnablement que des poissons ? Des poissons savent prévoir l'avenir: et
nous, négligeant de porter nos espérances dans l'avenir, nous consumons notre
vie dans des voluptés brutales. Le poisson change de mers pour trouver son
avantage : que pourrez-vous dire, vous qui languissez dans l'oisiveté, la source
de tous les vices? Nous ne pouvons prétexter l'ignorance ; nous avons en
nous-mêmes une raison naturelle, qui nous apprend à rechercher ce qui est bon,
et à fuir ce qui est nuisible.
Je m'arrête à des exemples pris
dans la mer, puisque la mer est l'objet qui nous occupe J'ai entendu dire à un
habitant des côtes, que le hérisson de mer, animal fort petit et méprisable est
souvent, pour les navigateurs, un maître qui les avertit du calme et de la
tempête. Lorsqu'il sent que les flots vont être soulevés par les vents, il prend
un gros caillou sur lequel il s'appuie et se balance fermement comme sur une
ancre, et dont le poids l'empêche d'être entraîné aisément par les flots.
Lorsque les marins aperçoivent ce signe, ils savent qu'on est menacé d'une
violente agitation des vents. Aucun astrologue, aucun devin, conjecturant
d'après les levers des astres les mouvements de l'air, n'a donné de leçons à
l'animal dont nous parlons; mais le souverain Maître de la nier et des vents a
imprime dans un petit être des traces sensibles de sa grande sagesse. Dieu a
pourvu à tout, il n'a rien négligé. Cet oeil qui ne repose jamais, examine tout:
il fournit à tous les êtres ce qui est nécessaire à leur conservation. Sa
providence s'est étendue jusque sur le hérisson de mer, et elle ne s'occuperait
pas de ce qui vous regarde!
Époux, aimez vos femmes (Ep. 5.
25.) , quand même, avant d'être unis par le mariage, vous seriez les plus
étrangers l'un à l'autre. Ce lien avoué par la nature, ce joug imposé par la
religion, doit rapprocher les êtres les plus éloignés. La vipère, le plus
affreux des reptiles, désire de contracter une espèce de mariage avec la
lamproie maritime,
et annonçant sa présence par tin sifflement, elle l'invite à sortir du fond des
flots pour former avec elle cette union. La lamproie se rend à ses désirs, et
s'unit avec l'animal venimeux. Quel est mon but en vous rapportant cette
histoire ? c est de vous apprendre que la femme doit supporter son mari, quelque
dur et quelque féroce qu’il soit; qu'elle ne doit travailler pour aucune cause à
rompre son mariage. Il est violent ! Mais c’est votre époux. Il s'enivre ! Mais
il vous est uni par un lien naturel. Il est brutal et intraitable! Mais c'est
une portion de vous-même, et la portion la plus précieuse. Que l'homme écoute
aussi la leçon qui lui est convenable. La vipère vomit son poison par égard pour
le mariage; et vous, par respect pour l'union maritale, vous ne déposeriez pas
la dureté et la férocité de votre caractère ! L'exemple de la vipère nous sera
peut-être encore utile sous un autre rapport. Son union avec la lamproie est une
sorte d'adultère dans la nature. Que ceux qui tendent des piéges aux mariages
d'autrui apprennent donc à quel reptile ils se rendent semblables. Mon seul but
est de chercher de toutes parts à édifier l'Eglise. Instruits par des exemples
terrestres et maritimes, que les intempérants sachent réprimer leurs passions.
La faiblesse de mon corps et la fin
du jour m'obligent de terminer ici cette instruction; car j'aurais encore à
ajouter , pour ceux qui m'écoutent avec plaisir, bien des remarques propres à
exciter l’admiration, sur les productions de la mer et sur la mer elle-même. Je
pourvois dire comment ses eaux s épaississent en sel; comment le corail,
cette pierre si précieuse, qui dans la mer est une plante, prend la dureté d'une
pierre lorsqu'il est tiré et exposé à l’air; comment la nature a mis la perle du
plus grand prix dans l'écaille du plus vil animal. Oui, ce que désirent les
trésors des princes, est jeté sur les rivages et sur les rochers, enfermé dans
l'écaille d'un poisson méprisable.
Je pourrais dire comment certains coquillages fournissent une laine d'or
qu'aucun artisan n'a pu encore imiter; comment d'autres enrichissent les rois
d'une pourpre qui, par sa couleur, efface les plus belles fleurs des prés. Que
les eaux produisent. Et que n'ont-elles pas produit de choses nécessaires ou
précieuses, soit pour servir aux besoins de l'homme, soit pour lui faire
contempler et admirer les merveilles de la création? Il est d'autres objets, qui
sont terribles et qui instruisent notre paresse. Dieu créa les grands poissons
(Gn. 1. 21.) Ils sont appelés grands, non parce qu'ils sont plus grands que la
squille et l'anchois, mais parce que la finesse de leur corps les égale aux plus
hautes montagnes. On les prend souvent pour des îles, lorsqu'ils s'élèvent
au-dessus de l'eau. Ces poissons énormes ne demeurent pas sur nos rivages, mais
habitent la mer Atlantique. Tels sont les animaux qui ont été créés pour nous
étonner et nous épouvanter. Mais si l'on vous dit qu'un très petit poisson, le
remore,
arrête un très grand navire, qui, les voiles étendues, vogue au gré d'un vent
favorable, et qu'il l’arrête au point de le tenir longtemps immobile, comme s'il
était enraciné au fond de la mer, ne trouvez-vous pas encore dans ce petit
animal une preuve de la puissance du Créateur? Ce ne sont pas seulement certains
poissons voraces qui sont redoutables; l'aiguillon de la trygone marine,
même lorsqu'elle est morte, et le lièvre de mer, ne sont pas moins à craindre,
puisqu'ils causent une mort prompte et inévitable. Par-là, le Créateur veut que
vous soyez toujours vigilants et attentifs, afin que, mettant votre espérance en
Dieu, vous évitiez le mal que ces animaux peuvent vous faire.
Mais sortons des abîmes de l’océan,
et cherchons un refuge sur la terre. Les merveilles de la création se succédant
pour nous les unes aux autres, semblables à des flots qui se poussent sans
cesse, ont comme inondé notre discours. Cependant je serais surpris si,
rencontrant sur la terre des choses encore plus admirables, je ne cherchais pas,
ainsi que Jonas, à retourner vers la mer. Il me semble que tombant sur une
infinité de merveilles, j'ai oublié de me tenir dans de justes bornes, et que
j'ai éprouvé ce qu'éprouvent les navigateurs, qui ignorent souvent quelle course
ils ont fournie, faute de terme fixe pour en juger. Il m'est arrivé à moi-même,
en parcourant la création, de ne pas n'apercevoir de la longueur du discours que
je vous adressais. Mais quoique cette assemblée respectable ait quelque plaisir
à m'entendre, quoique le récit des merveilles du souverain Maître soit agréable
aux oreilles des serviteurs, finissons ici notre instruction, et attendons le
jour pour expliquer ce qui reste. Levons-nous tous, rendons grâces à Dieu pour
ce qui a été dit déjà, et prions-le de nous faire arriver au terme. Puissent les
récits dont je vous ai entretenus ce matin et ce soir, vous servir de mets
lorsque vous prendrez votre nourriture! Occupés pendant votre sommeil des
réflexions que je vous ai faites, puissez-vous, même en dormant, jouir des
agréments du jour! Puissiez-vous dire avec Salomon: Je dors, et mon coeur veille
(Cant. 5. 2.), mon coeur qui inédite jour et nuit la loi du Seigneur, à qui
soient la gloire et l'empire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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